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If you are not located in the United States, you -will have to check the laws of the country where you are located before -using this eBook. - -Title: Souvenirs de la Cour d'Assises - -Author: André Gide - -Release Date: January 31, 2023 [eBook #69918] - -Language: French - -Produced by: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team - at https://www.pgdp.net (This file was produced from images - generously made available by The Internet Archive/Canadian - Libraries) - -*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK SOUVENIRS DE LA COUR -D'ASSISES *** - - - - - - ANDRÉ GIDE - - SOUVENIRS - DE LA - COUR D’ASSISES - - (4me édition) - - - ÉDITIONS DE LA - NOUVELLE REVUE FRANÇAISE - 35 & 37, RUE MADAME, PARIS - - 1913 - - - - -DU MÊME AUTEUR - - -ont paru au _MERCURE DE FRANCE_ - - LES CAHIERS D’ANDRÉ WALTER épuisé - LES POÉSIES D’ANDRÉ WALTER épuisé - LE VOYAGE D’URIEN, suivi de PALUDES (nouvelle édition) 1 vol. - LES NOURRITURES TERRESTRES 1 vol. - LE ROI CANDAULE, suivi de SAÜL (nouvelle édition) 1 vol. - LE PROMÉTHÉE MAL ENCHAINÉ 1 vol. - L’IMMORALISTE, récit 1 vol. - LA PORTE ÉTROITE, récit 1 vol. - PRÉTEXTES 1 vol. - NOUVEAUX PRÉTEXTES 1 vol. - - -_ÉDITIONS DE LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE_ - - ISABELLE, récit 1 vol. - LE RETOUR DE L’ENFANT PRODIGUE 1 vol. - - -_TRADUCTION_ - - RABINDRANATH TAGORE: L’Offrande Lyrique (Gitanjali) 1 vol. - - - - - IL A ÉTÉ TIRÉ DE CE VOLUME - 70 EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS SUR VERGÉ D’ARCHES - (TEXTE INTÉGRAL RÉTABLI) - DONT 20 HORS COMMERCE (A à T) - - - - -_A JACQUES RIVIÈRE_ - - - - -De tout temps les tribunaux ont exercé sur moi une fascination -irrésistible. En voyage, quatre choses surtout m’attirent dans une -ville: le jardin public, le marché, le cimetière et le Palais de -Justice. - -Mais à présent je sais par expérience que c’est une tout autre chose -d’écouter rendre la justice, ou d’aider à la rendre soi-même. Quand on -est parmi le public on peut y croire encore. Assis sur le banc des -jurés, on se redit la parole du Christ: _Ne jugez point._ - -Et certes je ne me persuade point qu’une société puisse se passer de -tribunaux et de juges; mais à quel point la justice humaine est chose -douteuse et précaire, c’est ce que, durant douze jours, j’ai pu sentir -jusqu’à l’angoisse. C’est ce qu’il apparaîtra peut-être encore un peu -dans ces notes. - -Pourtant je tiens à dire ici, d’abord, pour tempérer quelque peu les -critiques qui transparaissent dans mes récits, que ce qui m’a peut-être -le plus frappé au cours de ces séances, c’est la conscience avec -laquelle chacun, tant juges qu’avocats et jurés, s’acquittait de ses -fonctions. J’ai vraiment admiré, à plus d’une reprise, la présence -d’esprit du Président et sa connaissance de chaque affaire; l’urgence de -ses interrogatoires; la fermeté et la modération de l’accusation; la -densité des plaidoiries, et l’absence de vaine éloquence; enfin -l’attention des jurés. Tout cela passait mon espérance, je l’avoue; mais -rendait d’autant plus affreux certains grincements de la machine. - -Sans doute quelques réformes, peu à peu, pourront être introduites, tant -du côté du juge et de l’interrogatoire, que de celui des jurés...[1] Il -ne m’appartient pas ici d’en proposer. - - [1] Voir à ce sujet l’enquête du _Temps_, Nºs du 13 Octobre dernier, - du 14 et sqq. et l’_Opinion_, Nºs du 18 et du 25 Octobre. - - - - -I - - -_Lundi._ - -On procède à l’appel des jurés. Un notaire, un architecte, un -instituteur retraité; tous les autres sont recrutés parmi les -commerçants, les boutiquiers, les ouvriers, les cultivateurs, et les -petits propriétaires; l’un d’eux sait à peine écrire et sur ses -bulletins de vote il sera malaisé de distinguer le _oui_ du _non_; mais -à part deux je-m’en-foutistes, qui du reste se feront constamment -récuser, chacun semble bien décidé à apporter là toute sa conscience et -toute son attention. - -Les cultivateurs, de beaucoup les plus nombreux, sont décidés à se -montrer très sévères; les exploits des bandits tragiques, Bonnot, etc. -viennent d’occuper l’opinion: «Surtout pas d’indulgence», c’est le mot -d’ordre, soufflé par les journaux; ces Messieurs les jurés représentent -la _Société_ et sont bien décidés à la défendre. - -L’un des jurés manque à l’appel. On n’a reçu de lui aucune lettre -d’excuses; rien ne motive son absence. Condamné à l’amende -réglementaire: trois cents francs, si je ne me trompe. Déjà l’on tire au -sort les noms de ceux qui sont désignés à siéger dans la première -affaire, quand s’amène tout suant le juré défaillant; c’est un pauvre -vieux paysan sorti de la _Cagnotte_ de Labiche. Il soulève un grand rire -général en expliquant qu’il tourne depuis une demi-heure autour du -Palais de Justice sans parvenir à trouver l’entrée. On lève l’amende. - - * * * * * - -Par absurde crainte de me faire remarquer, je n’ai pas pris de notes sur -la première affaire; un attentat à la pudeur (nous aurons à en juger -cinq). L’accusé est acquitté; non qu’il reste sur sa culpabilité quelque -doute, mais bien parce que les jurés estiment qu’il n’y a pas lieu de -condamner pour si peu. Je ne suis pas du jury pour cette affaire, mais -dans la suspension de séance j’entends parler ceux qui en furent; -certains s’indignent qu’on occupe la Cour de vétilles comme il s’en -commet, disent-ils, chaque jour de tous les côtés. - -Je ne sais comment ils s’y sont pris pour obtenir l’acquittement tout en -reconnaissant l’individu coupable des actes reprochés. La majorité a -donc dû, contre toute vérité, écrire «Non» sur la feuille de vote, en -réponse à la question: «X... est il coupable de... etc.» Nous -retrouverons le cas plus d’une fois et j’attends pour m’y attarder, -telle autre affaire pour laquelle j’aurai fait partie du jury et assisté -à la gêne, à l’angoisse même de certains jurés, devant un questionnaire -ainsi fait qu’il les force de voter contre la vérité, pour obtenir ce -qu’ils estiment la justice. - - * - - * * - -La seconde affaire de cette même journée m’amène sur le banc des jurés, -et place en face de moi les accusés Alphonse et Arthur. - -Arthur est un jeune aigrefin à fines moustaches, au front découvert, au -regard un peu ahuri, l’air d’un Daumier. Il se dit garçon de magasin -d’un sieur X...; mais l’information découvre que M. X... n’a pas de -magasin. - -Alphonse est «représentant de commerce»; vêtu d’un pardessus noisette à -larges revers de soie plus sombre; cheveux plaqués, châtain sombre; -teint rouge; œil liquoreux, grosses moustaches; air fourbe et arrogant; -trente ans. Il vit au Havre avec la sœur d’Arthur; les deux beaux-frères -sont intimement liés depuis longtemps, l’accusation pèse sur eux -également. - -L’affaire est assez embrouillée: il s’agit d’abord d’un vol assez -important de fourrures, puis d’un cambriolage sans autre résultat, en -plus du saccage, que la distraction d’une blague à tabac de 3 francs, et -d’un carnet de chèques inutilisables. On ne parvient pas à recomposer le -premier vol et les charges restent si vagues que l’accusation se reporte -plutôt sur le second; mais ici encore rien de précis; on rapproche de -menus faits, on suppose, on induit... - -Dans le doute, l’accusation solidarise les deux accusés; mais leur -système de défense est différent. Alphonse porte beau, a souci de son -attitude, rit spirituellement à certaines remarques du président: - ---Vous fumiez de gros cigares. - ---Oh! fait-il dédaigneusement, des londrès à 25 centimes! - ---Vous ne disiez pas tout à fait cela à l’instruction, dit un peu plus -tard le président. Pourquoi n’avez-vous pas persisté dans vos négations? - ---Parce que j’ai vu que ça allait m’attirer des ennuis, répond-il en -riant. - -Il est parfaitement maître de lui et dose très habilement ses -protestations. Ses occupations de «placier» restent des plus douteuses. -On le dit «l’amant» d’une vieille fille de 60 ans. Il proteste: «Pour -moi, c’est ma mère». - -L’impression sur le jury est déplorable. S’en rend-il compte? Son front, -peu à peu, devient luisant... - -Arthur n’est guère plus sympathique. L’opinion du jury est que, après -tout, s’il n’est pas bien certain qu’ils aient commis _ces vols-ci_, ils -ont dû en commettre d’autres; ou qu’ils en commettront; que, donc, ils -sont bons à coffrer. - -Cependant c’est pour _ce_ vol uniquement que nous pouvons les condamner. - ---Comment aurais-je pu le commettre? dit Arthur, je n’étais pas au Havre -ce jour-là. - -Mais on a recueilli, dans la chambre de sa maîtresse les morceaux d’une -carte postale de son écriture, qui porte le timbre du Havre du 30 -octobre, jour où le vol a été commis. - -Or voici comment se défend Arthur: - ---J’ai, dit-il en substance, envoyé ce jour-là à ma maîtresse non pas -une carte, mais _deux_; et comme les photographies qu’elles portaient -étaient «un peu lestes» (elles représentaient en fait l’Adam et l’Ève de -la cathédrale de Rouen), je les avais glissées, image contre image, dans -une seule enveloppe transparente, après y avoir mis double adresse, les -avoir affranchies toutes les deux et avoir percé l’enveloppe aux -endroits des timbres, pour en permettre la double oblitération. Au -départ, un seul des timbres aura sans doute été oblitéré. A l’arrivée au -Havre l’employé de la poste a oblitéré l’autre; c’est ainsi qu’il porte -la marque du Havre. - -C’est du moins ce que j’arrivais à démêler au travers de ses -protestations confuses, bousculées par un Président dont l’opinion est -formée et qui paraît bien décidé à ne rien écouter de neuf. J’ai le plus -grand mal à comprendre, à entendre même ce que dit Arthur, sans cesse -interrompu et qui finit par bredouiller; le jury, qu’il ne parvient pas -à intéresser, renonce à l’écouter. - -Son système pourtant se tient d’autant mieux qu’il est peu vraisemblable -qu’un aigrefin aussi habile que semble être Arthur, ait laissé derrière -lui--que dis-je? créé, le soir d’un crime, une telle pièce à conviction? -De plus, s’il était au Havre lui-même, quel besoin avait-il d’écrire à -sa maîtresse, au Havre, quand il pouvait aussi bien aller la trouver? - -Je sais que les jurés ont droit, sans précisément intervenir dans les -débats, de s’adresser au Président pour le prier de poser aux accusés ou -aux témoins telle question qu’ils jugent propre à éclairer les débats ou -leur conviction personnelle, que toutefois ils ne doivent point laisser -paraître... Vais-je oser user de ce droit?... On n’imagine pas ce que -c’est troublant, de se lever et de prendre la parole devant la Cour... -S’il me faut jamais «déposer», certainement je perdrai contenance: et -que serait-ce sur le banc des prévenus! Les débats vont être clos; il ne -reste plus qu’un instant. Je fais appel à tout mon courage, sentant bien -que, si je ne triomphe pas de ma timidité cette fois-ci, c’en sera fait -pour toute la durée de la session--et d’une voix trébuchante: - ---Monsieur le Président pourrait-il demander à l’employé de la poste qui -était tout à l’heure à la barre, si le timbrage du départ est toujours -différent de celui de l’arrivée? - -Car enfin, s’il était possible de reconnaître que le timbre a bien été -oblitéré à l’arrivée comme le prétend Arthur et non au départ, comme le -prétend l’accusation, que resterait-il de celle-ci? - -Le Président, n’ayant pas suivi l’argumentation embrouillée d’Arthur, ne -comprend visiblement pas à quoi rime ma question; pourtant il rappelle -obligeamment le témoin: - ---Vous avez entendu la question de Monsieur le juré. Veuillez y -répondre. - -L’employé se lance alors dans une profuse explication qui tend à prouver -que les heures des départs n’étant pas les mêmes que les heures -d’arrivée, il n’y a pas de confusion possible; que du reste les lettres -arrivantes et les lettres partantes ne se timbrent même pas dans le même -local, etc. Cependant il ne répond pas à cela seul qui m’importe, et -nous ne savons pas plus qu’auparavant si l’on a pu reconnaître sur le -fragment de carte si le timbre est effectivement et sûrement un timbre -de départ et non d’arrivée. Le témoin cependant a achevé son -_explication_. - ---Monsieur le juré, êtes-vous satisfait?... - -Je tâche de formuler une question nouvelle plus pressante que la -première; puis-je dire pourtant que non, que je ne suis pas satisfait; -que le témoin n’a pas du tout répondu à ma question; du reste, cette -question, je sens bien que, non plus que le président, aucun des jurés -ne l’a comprise; du moins aucun des jurés n’a compris pourquoi je la -posais. Aucun n’a pu suivre l’argumentation d’Arthur, que moi-même je -n’ai suivie qu’avec beaucoup de peine. Il a une sale tête, un physique -ingrat, une voix déplaisante; il n’a pas su se faire écouter. L’opinion -est faite, et quand bien même on viendrait à découvrir à présent que la -carte n’est pas de lui... - ---Les débats sont clos. - - * * * * * - -Un peu plus tard, dans la salle de délibération. - -Les jurés sont unanimes; résolument tournés contre les deux accusés sans -nuancer ni consentir à distinguer l’un de l’autre: aigrefins à n’en pas -douter et malandrins en espérance, qui n’attendent qu’une occasion pour -jouer du revolver ou du casse-tête (trop distingués pour user du -couteau, peut-être). Néanmoins, pour les deux vols, desquels ils avaient -à répondre, on n’était point parvenu à prouver leur culpabilité mieux -que par quelques rapprochements--qu’eux traitaient de coïncidences; et -dans le réquisitoire, rien d’absolument décisif n’emportait la -conviction des jurés. Coupables à n’en pas douter, mais peut-être pas -précisément de _ces_ crimes. Était-il vraisemblable, admissible même, -qu’Alphonse, à Trouville où il était fort connu, dans la rue de Paris si -fréquentée, et à une heure point tardive, ait pu, sans être remarqué de -personne, trimballer un ballot énorme qu’on estime avoir eu un mètre de -large et deux de haut!--Il s’agit ici du premier vol, celui des -fourrures. - -Enfin, pour aigrefins qu’ils fussent, ce n’étaient tout de même pas des -_bandits_; je veux dire qu’ils _profitaient_ de la société, mais -n’étaient pas insurgés contre elle. Ils cherchaient à se faire du bien, -non à faire du mal à autrui... etc. Voici ce que se disaient les jurés, -désireux d’une sévérité pondérée. Bref, ils se mirent d’accord pour -condamner, mais sans excès; pour reconnaître la culpabilité, sans -circonstances atténuantes, mais dépouillée également des circonstances -aggravantes. Celles-ci pendaient au bout de ces questions: Le vol a-t-il -été _commis la nuit?... à plusieurs?... dans un édifice habité?... avec -fausses-clefs ou effraction?_ - -Et comme il était de toute évidence que le vol avait été commis, et ne -l’avait pu être autrement, les jurés, tout naturellement, _et malgré ce -qu’ils s’étaient promis_, se trouvèrent entraînés à répondre: _oui_ à -toutes les questions. - ---Mais, Messieurs, disait un des jurés (le plus jeune et qui paraissait -seul avoir quelques rudiments de culture), répondre _non_ à ces -questions ne veut point dire que vous croyez qu’il n’y a pas eu -d’effraction, que cela ne se passait pas la nuit, etc.; cela veut dire -simplement que vous ne voulez pas retenir ce chef d’accusation. - -Le raisonnement les dépassait. - ---Nous n’avons pas à entrer là-dedans, ripostait l’un. Nous devons -simplement répondre à la question. Monsieur le chef du jury, veuillez la -relire. - ---«Le vol a-t-il été commis la nuit?» - ---J’pouvons tout de même pas répondre: non, disaient les autres. - -Et malgré que quelques: _non_ furent trouvés dans l’urne, l’affirmative -l’emporta de beaucoup. - -De sorte que tous ceux qui s’étaient promis de voter simplement: -_coupable_, mais sans circonstances non plus atténuantes qu’aggravantes, -se trouvèrent entraînés à voter les «atténuantes» pour _compenser_ -l’excès des «aggravantes», que les questions les avaient contraints -d’accepter. - -Et sitôt après, en chœur: - ---Ah! nous avons fait de la jolie besogne! C’est honteux! On ne va pas -les punir assez! Circonstances atténuantes! S’il est possible! Si -seulement on nous avait laissés voter _coupables_ tout simplement!... - -Au grand soulagement de chacun, le tribunal décida la peine assez forte -(6 ans de prison et 10 ans d’interdiction de séjour) en tenant le moins -de compte possible de la décision des jurés. - - * * * * * - -J’ai noté avec quelque détail la perplexité, la gêne qui règnent dans la -salle du jury; je les retrouverai bien à peu près les mêmes à chaque -délibération. Les questions sont ainsi posées qu’elles laissent rarement -le juré voter comme il l’eût voulu, et selon ce qu’il estimait juste. Je -reviendrai là-dessus. - -Je sors peu satisfait de cette première séance. J’en suis presque à me -réjouir qu’Arthur me reste si peu sympathique, sinon je ne pourrais -m’endormir là-dessus. N’importe! il me paraît monstrueux qu’on n’ait pas -prêté l’oreille à sa défense. Et plus j’y réfléchis, plus elle me paraît -plausible... C’est alors que me vint l’idée (comment ne m’était-elle pas -venue plutôt?) que si la carte postale d’Arthur, ou du moins, suivant -ses dires, que si les deux cartes accouplées portaient affranchissement -des deux côtés de l’enveloppe, il suffisait que chacun des timbres fût -de cinq centimes; et que, réciproquement, si le timbre sur le morceau de -carte retrouvé était un timbre de cinq centimes, il fallait qu’il ne fût -pas seul. Le timbre de dix centimes ne prouverait peut-être pas -qu’Arthur eût tort; car peut-être n’a-t-il mis sous la même enveloppe -les deux cartes qu’après les avoir affranchies... mais le timbre de cinq -centimes prouverait sûrement qu’il a raison. Je me promets de demander -demain au procureur général, que j’ai le bonheur de connaître, la -permission d’examiner dans le dossier d’Arthur le petit morceau de -papier. - - * - - * * - -_Mardi._ - -Comme je passe devant la loge du concierge, celui-ci m’arrête et me -remet une lettre. Elle est datée de la prison. Elle est d’Arthur. -Comment a-t-il eu mon nom? Par son avocat sans doute. - -Cette question que j’ai posée au cours de l’interrogatoire, l’a laissé -croire sans doute que je m’intéressais à lui, que je doutais s’il était -coupable, que peut-être je l’aiderais... - -Il me supplie d’user de mon droit, de demander à l’aller voir dans sa -cellule: il a d’importantes explications à me donner, etc. - -Je regarderai d’abord son dossier; si le morceau de carte postale est -insuffisamment affranchi, je ferai part de mon doute au Procureur. - -J’ai pu voir, après la séance, le dossier: la carte postale porte un -timbre de dix centimes. Je renonce. - -Et pourtant je me dis aujourd’hui que, si chaque timbre avait été de -cinq centimes, l’employé de la poste, au départ, les aurait oblitérés -tous les deux; et que c’est, au contraire, dans le cas où -l’affranchissement d’un des côtés aurait été déjà par lui-même -suffisant, que l’autre timbre aurait pu lui échapper et n’être oblitéré -qu’à l’arrivée... - - - - -II - - -La seconde journée ouvre elle aussi par une «affaire de mœurs». Le -président ordonne le huis clos; et pour la première fois, appliquant une -récente circulaire du Garde des Sceaux, on fait sortir, à leur flagrant -mécontentement, les soldats de service. _Leur présence_, dit cette sage -circulaire, _ne semble point d’ailleurs le plus souvent indispensable_ -(sic), _car la salle est vide, et les gendarmes, en ce qui concerne -l’accusé, font une garde suffisante_. - -Ah! que ne peut-on faire sortir aussi les enfants! Hélas! il faut bien -qu’ils déposent: la fillette violée, d’abord; puis le frère de dix ans, -quelques années de plus que la petite. Par pitié, Monsieur le Président, -abrégez un peu les interrogatoires! Qu’avons-nous besoin d’insister? -puisque les faits sont reconnus déjà, que le médecin a fait les -constatations nécessaires, et que l’accusé a tout avoué. Le malheureux! -Il est là, vêtu de guenilles, laid, chétif, la tête rasée, l’air déjà -d’un galérien; il a vingt ans, mais si malingre, à peine s’il paraît -pubère; il tient un papier à la main (je croyais que c’était défendu), -un papier couvert d’écritures, qu’il lit et relit avec angoisse; sans -doute il tâche d’apprendre par cœur les réponses que lui suggéra -l’avocat. - -On a sur lui de déplorables renseignements; il fréquente des repris de -justice et hante les cabarets malfâmés. Son casier: huit jours pour abus -de confiance, et, peu après, un mois pour vol. Il est accusé maintenant -d’avoir «complètement violé» la petite Y. D. âgée de sept ans. - -. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - -Le Président reprend, sans emphase, sur un ton de réprimande presque -douce, très apprécié des jurés: - ---Eh bien! mon garçon, c’est pas bien ce que vous avez fait là. - ---Je l’vois bien moi-même. - ---Avez-vous quelque chose à ajouter? Exprimez-vous des regrets? - ---Non, M’sieur le Président. - -Il est évident pour moi que l’accusé n’a pas compris la seconde -question, ou qu’il répond seulement à la première. N’empêche qu’une -rumeur d’indignation parcourt le banc des jurés et déborde jusqu’au banc -des avocats. - -L’avocat de la défense fait demander à ce moment si l’accusé n’a pas été -interné à l’hospice général, il y a onze ans? Reconnu exact. - -On appelle les témoins: la mère de la fillette d’abord; mais elle n’a -rien vu et tout ce qu’elle peut dire, c’est que, lorsque rentrant du -travail, elle a trouvé dans la rue sa petite en train de pleurer, elle a -commencé par lui allonger deux taloches. - -A présent c’est le tour de l’enfant.[2] Elle est propre et gentille; -mais on voit que l’appareil de la justice, ces bancs, cette solennité, -l’espèce de trône où sont assis ces trois vieux messieurs bizarrement -vêtus, que tout cela la terrifie. - - [2] Hier déjà nous avions vu comparaître une enfant; une fillette à - peu près du même âge que celle-ci, et flanquée de sa mère également. - Mais, certes, leur aspect plaidait en faveur de l’accusé et a - beaucoup contribué, je suppose, à son acquittement. La mère avait un - air de macquerelle, et tandis que le coupable sanglotait de honte - sur le banc des accusés, la «victime» avançait très résolument vers - la Cour. Comme elle tournait le dos au public, je ne pouvais voir - son visage, mais les premiers mots que lui dit le Président, après - que, pour l’avoir plus près de son oreille, il eût fait monter la - petite sur une chaise: «Voyons! ne riez pas, mon enfant,» - éclairèrent suffisamment le jury. - - Et encore: - - --Vous avez crié? - - --Non, Monsieur. - - --Pourquoi, à l’instruction, avez-vous dit que vous aviez crié? - - --Parc’ que j’m’étais trompée. - ---Voyons, n’ayez pas peur, mon enfant; approchez. - -Et, comme hier déjà, on fait monter la petite sur une chaise, afin -qu’elle soit à la hauteur où la Cour est juchée, et que le Président -puisse entendre ses réponses. Il les répète aussitôt après à voix haute, -pour l’édification des jurés. Nous voyons de dos la petite; elle -tremble; et cette fois ce n’est plus le rire mais le sanglot qui la -secoue. Elle sort un mouchoir de la poche de son tablier. - -Cet interrogatoire est atroce; moi aussi je sors mon mouchoir; je n’en -peux plus... Et quelle inutile insistance pour savoir ce que l’autre lui -à fait; puisqu’on le sait déjà, par le menu. La petite du reste ne -_peut_ pas répondre, ou que par monosyllabes: - -. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - -La voix de l’enfant est si faible que le Président, pour l’entendre, se -penche et met contre son oreille sa main en cornet. Puis se redresse et -tourné vers le jury: - -. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - -L’avocat de cette triste cause a négligé de convoquer à temps les -témoins à décharge. En vertu du pouvoir discrétionnaire du Président on -entend néanmoins Madame X. une pauvre marchande-des-quatre-saisons qui a -comme adopté ce malheureux être, parce que, dit-elle, «sa sœur a eu un -enfant de mon fils». - -Madame X. a le teint violacé, le cou large comme une cuisse; un chapeau -cabriolet à brides sur des cheveux tirés et lustrés; le tour des -oreilles est dégarni; une barre noire en travers du front; sa main -gauche en écharpe est enroulée de chiffons. Elle pleure. D’une voix -pathétique elle supplie qu’on soit indulgent pour ce pauvre garçon «qui -n’a jamais connu le bonheur». Elle le peint, fils d’alcooliques, -toujours battu chez lui; «on le faisait coucher dans les cabinets»; il -suffit de le regarder pour voir qu’il est resté enfant; il s’amuse avec -des images, joue aux billes, à la toupie. Mais déjà précédemment il a -tenté de «se coucher sur la petite», qui alors l’avait mordu à -l’oreille. De la prison il écrit à la marchande de légumes, des lettres -incohérentes. La brave femme sort de sa poche une liasse de papiers et -sanglote. - - * * * * * - -L’interrogatoire est achevé. Le malheureux fait de grands efforts pour -suivre le réquisitoire de l’avocat général, dont on voit qu’il ne -comprend de ci de là que quelques phrases. Mais ce qu’il comprendra bien -tout à l’heure, c’est qu’il est condamné à huit ans de prison. - -Entre temps le Président nous a appris que, de l’aveu de l’accusé à -l’instruction, «c’est la première fois qu’il avait des rapports -sexuels». Voici donc tout ce qu’il aura connu de «l’amour»! - - * - - * * - -La seconde affaire de cette seconde journée amène sur le banc des -accusés un garçon de vingt ans à l’air doux, un peu morose et sans -malice. Marceau a perdu sa mère à l’âge de quatre ans, n’a pas connu son -père, a été élevé à l’hospice. Dès avant seize ans il avait fait deux -places de mécanicien; poursuivi pour vol, le tribunal d’Yvetot l’avait -condamné à six mois de prison avec bénéfice de la loi Béranger. - -A la suite de cette condamnation le mécanicien qui l’employait le -renvoie: depuis, il travaille encore, mais au hasard et changeant -souvent de patron, tour à tour valet de ferme, débardeur, mécanicien. -Ceux qui l’emploient n’ont pas à se plaindre de lui; simplement on lui -trouve «le caractère un peu sombre». Enhardi par ma question de la -veille, je me hasarde à demander au Président ce que le témoin entend -par là. - -Le témoin.--Je veux dire qu’il se tenait à l’écart et n’allait jamais -boire ou s’amuser avec les autres. - -A cette époque de sa vie Marceau se trouve devoir: - -45 francs à un marchand de bicyclettes, - -70 francs au blanchisseur, - -7 francs au cordonnier. - -Avec le peu qu’il gagne, _comment pourrait-il s’en tirer, sans -voler?_... - - * * * * * - -Son premier vol avait déjà été commis «avec préméditation»; le dimanche -précédent, apprend-on, il avait acheté une bougie, puis, la veille du -vol, emprunté à son patron un tournevis, qui lui servit à ouvrir le -tiroir où se trouvaient les 35 francs qu’il avait pris. - -Le crime qui nous occupe aujourd’hui demandait une préparation plus -savante. Ou du moins, une première tentative, qui échoua, servit en -quelque sorte de répétition générale. - -La nuit du 26 mars, Marceau pénétrait donc une première fois dans la -petite maison isolée qu’occupaient à *** la vieille Madame Prune, -restauratrice, et sa bonne. Il brisait, au rez-de-chaussée, un carreau -de la salle à manger, ouvrait la fenêtre et entrait dans la pièce. Il -espérait, a-t-il avoué, trouver de l’argent dans un tiroir de la -cuisine; mais la porte de la cuisine était fermée à clef; après quelques -vains efforts pour l’ouvrir, il repartait en se promettant de revenir -mieux outillé, le lendemain. - -Le 27 mars après-midi, doutant si le carreau brisé n’a pas jeté -l’alarme, Marceau enfourchait sa bicyclette et retournait à ***, -lorsqu’il avisa un morceau de fer-à-cheval sur la route; il le ramassa, -pensant qu’il pourrait s’en servir. J’oubliais de dire que, la veille, -il s’était muni d’une bougie, qu’il avait été acheter à Grainville. Donc -Marceau s’en fut rôder autour de la maison, s’assura que tout y était -tranquille et, je ne sais trop comment, se persuada qu’on n’avait rien -suspecté--ce qui était vrai. - -L’interrogatoire de l’accusé suffit à reconstituer le crime. Marceau ne -cherche pas à se défendre, pas même à s’excuser; il accepte d’avoir fait -ce qu’il a fait, comme s’il ne pouvait pas ne pas le faire. On dirait -qu’il s’est résigné d’avance à devenir ce criminel. - - * * * * * - -Le voici donc, dans la nuit du 27, à pareille heure, qui se retrouve à -***. La fenêtre est restée ouverte, qu’il avait escaladée la veille, par -où il rentre dans la salle à manger. Mais comme ce soir-là ses -intentions sont sérieuses, il prend soin de refermer derrière lui les -volets. Il tient à la main la lanterne de sa bicyclette; c’est une -lanterne sans pied, qu’il ne peut poser, qui le gêne et que tout à -l’heure, dans la cuisine, il va changer contre un bougeoir. Avec son -fer-à-cheval il a forcé la porte. Le voici qui fouille les tiroirs: Onze -sous! Ça ne vaut pas la peine qu’on s’arrête. Il les prendra tout à -l’heure en repassant. Il monte au premier. - -Madame Prune et sa bonne occupent au premier les deux chambres à droite; -dans les deux chambres de gauche, parfois on reçoit des voyageurs. -Doucement Marceau s’assure que ces dernières chambres sont vides: il -tient à la main un couteau à courte lame pointue, qu’il a trouvé dans un -tiroir de la cuisine. - -Le Président.--Pourquoi aviez-vous pris ce couteau? - -Marceau.--Pour en ficher un coup à la bonne. - -Cependant la porte de celle-ci est fermée au verrou; Marceau s’efforce -de l’ouvrir; mais entendant du bruit dans la chambre de la vieille, il -court se cacher dans une des chambres inoccupées. Il souffle la bougie, -et comme il se baisse pour poser le bougeoir à terre, le couteau, qu’il -avait glissé dans sa veste, par chance, tombe; et dans le noir, il ne -peut plus le retrouver. Quand il ressort sur le couloir, c’est désarmé -qu’il se rencontre avec la vieille; heureusement pour elle, et pour lui. - - * * * * * - -Madame Prune vient déposer à son tour. C’est une digne et frêle petite -vieille de quatre-vingt-un ans; elle se tient à peine et demande une -chaise, qu’on apporte et où elle s’assied, près de la barre. - ---J’entends donc craquer chez moi. Je me dis: Mon Dieu! qu’est-ce que -c’est: j’entends craquer. C’est-y la grêle? Je me lève. J’ouvre la -fenêtre sur le jardin; je ne vois rien. Je me recouche. Voilà les -craquements qui reprennent. Je me relève encore. Plus rien. Je me -recouche; il était minuit à ma pendule. Voilà que je vois de la lumière -qui passe sous ma porte: Oh! que je me dis, c’est-il pas le feu? -J’appelle ma bonne; elle ne vient pas. Tout de même, que je me dis, -_j’étais plus courageuse autrefois_--et je suis sortie sur le couloir. -Je vais à la porte de la bonne: Y a des voleurs chez moi, ma pauvre -fille, ah! mon Dieu! Y a des voleurs chez moi! Elle ne répondait rien; -sa porte était fermée. - - * * * * * - -C’est alors que Marceau, revenant sur le couloir, s’est jeté sur la -vieille, qui ne fut pas difficile à tomber. - ---Pourquoi avez-vous saisi Madame Prune à la gorge? - ---Pour l’étrangler. - -Il dit cela sans forfanterie ni gêne, aussi naïvement que le Président -avait posé la question. - -Un rire bruyant s’élève dans l’auditoire. - -L’avocat général.--La tenue du public est inexplicable et indécente. - -Le Président.--Vous avez tout à fait raison. Songez, Messieurs, que -l’affaire que nous jugeons ici est des plus graves et de nature à -entraîner pour l’accusé la peine capitale s’il n’y a pas reconnaissance -de circonstances atténuantes. - -La bonne cependant appelait au secours, par la fenêtre. Un voisin -répondit: «On arrive! on arrive!» En entendant venir, le gars prit peur -et se sauva, laissant inachevé son crime. - -La Cour condamne Marceau à huit ans de travaux forcés. - - * * * * * - -A plusieurs reprises j’ai remarqué chez Marceau un singulier malaise -lorsqu’il sentait que la _recomposition_ de son crime n’était pas -parfaitement exacte--mais qu’il ne pouvait ni remettre les choses au -point, ni _profiter de l’inexactitude_. C’est ce que cette affaire -présenta pour moi de plus curieux. - - * - - * * - -Ce même jour nous avons à juger un incendiaire. - -Bernard est un journalier de quarante ans, à l’air gaillard, à la tête -ronde: il est chauve, mais se rattrape sur les moustaches. Il porte une -chemise molle, à rayures; une cravate formant nœud droit cherche à -cacher le col qui est très sale. Il tient à la main une casquette usée. -Bernard n’a pas d’antécédents judiciaires. Les renseignements fournis -sur son compte ne sont pas mauvais; tout ce qu’on trouve à dire c’est -que son caractère est «sournois». On ne le voit jamais au cabaret; mais -certains prétendent qu’il «boit chez lui»; néanmoins il jouit de ses -facultés. Son père, garde-champêtre estimé, s’est, dit-on, «adonné à la -boisson»; il a deux frères, «alcooliques fieffés». - -On reproche à Bernard quatre incendies. Le feu est d’abord mis au -pressoir de sa belle-sœur, veuve Bernard, le 30 décembre 1911. - -Le Président.--Qui a mis le feu? - -L’accusé.--C’est moi, Monsieur le Président. - -Le Président.--Comment l’avez-vous mis? - -L’accusé.--Avec une allumette. - -Le Président.--Pourquoi l’avez-vous mis? - -L’accusé.--J’avais pas de motifs. - -Le Président.--Vous aviez bu ce soir-là? - -L’accusé.--Non, Monsieur le Président. - -Le Président.--Est-ce que vous aviez eu des difficultés avec votre -belle-sœur? - -L’accusé.--Jamais, mon Président. On s’entendait bien. - -Le Président.--Rentré à 7 h. 1/2 de chez votre patron, qu’est-ce que -vous avez fait jusqu’à 9 h. 1/2? - -L’accusé.--J’ai lu le journal. - - * * * * * - -Le premier janvier, c’est-à-dire deux jours plus tard, la maison de la -belle-sœur y passe. - -Le Président veut que Bernard ait été ivre ce soir-là, et insiste pour -le lui faire avouer. Bernard proteste qu’il était à jeun. - -Le soir de ce premier janvier, jour de fête, les parents se trouvent -réunis, cousins, neveux, etc. Bernard refuse de souper avec eux et -repart à 6 h. 1/2. Au cours de la conversation générale, comme on -parlait de l’incendie de l’avant-veille, on se souvient de lui avoir -entendu dire qu’on en verrait d’autres bientôt. - -Et quand cette même nuit le feu se déclare chez la veuve Bernard et que -les voisins l’appellent et crient: «Au feu! Au secours!» lui, le plus -proche voisin et le plus proche parent, s’enferme et ne reparaît qu’un -quart d’heure après... Du reste il ne nie rien. Le second incendie, -c’est lui qui en est l’auteur, ainsi que du premier et des deux autres -qui suivirent. - -Le Président.--Alors vous ne voulez pas dire pourquoi vous vous les avez -allumés? - -L’accusé.--Mon Président, je vous dis que j’avais aucun motif. - ---C’est vraiment fâcheux qu’il avait ce goût-là, dit la veuve. Autrement -on n’avait pas à se plaindre de son travail. - - * * * * * - -Appelé à témoigner, le médecin assermenté nous parle de l’étrange -soulagement, de la détente que Bernard lui a dit avoir éprouvés après -avoir bouté le feu. - -Il lui a avoué, du reste, n’avoir plus éprouvé la même détente après les -incendies suivants, «de sorte qu’il avait regretté». - -J’eusse été curieux de savoir si cette étrange satisfaction du boute-feu -et cette détente n’avaient aucune relation avec la jouissance sexuelle; -mais malgré que je sois du jury, je n’ose poser la question, craignant -qu’elle ne paraisse saugrenue. - - - - -III - - -_Mercredi._ - -Encore un attentat à la pudeur; commis sur la personne de sa fille par -un journalier de Barentin, père de cinq enfants dont l’aîné a douze ans. -On demande le huis clos. - - * * * * * - -Lorsque le public fut de nouveau admis dans la salle, une rumeur -d’indignation accueillit la décision du jury et son désir de reconnaître -des circonstances atténuantes. - -Je fus assez surpris pour ma part (et déjà je l’avais été dans les -précédentes affaires de cette nature) de voir la modération -qu’apportaient ici la plupart des jurés. L’on fit valoir, dans la salle -de délibération, que l’attentat avait été commis sans violences; enfin -et surtout le grand désir que manifestait inconsciemment la femme de -l’accusé de se débarrasser de son mari, la passion qu’elle ne put -s’empêcher d’apporter dans sa déposition, affaiblit grandement la portée -de son témoignage; l’accusé bénéficia également du peu de sympathie que -nous pouvions accorder à la victime. Mais c’est ce que le public, par -suite du huis clos, ne pouvait savoir. Même, à certains jurés la -condamnation à cinq ans de prison parut excessive. Par contre, tous -approuvèrent la déchéance de puissance paternelle. - -L’accusé écouta sans sourciller la condamnation à cinq ans; mais, en -entendant sa déchéance, il poussa une sorte de grognement étrange, comme -une protestation d’animal, un cri fait de révolte, de honte et de -douleur. - - * - - * * - -L’étrange affaire dont nous nous occupâmes ensuite amena devant nous un -commis principal au bureau de recettes des postes (bureau principal de -Rouen). - -C’est un gros homme rouge, épais, carré d’épaules, et sans cou. Ses -mains sont gourdes. Il porte un col bas, une petite cravate grise; les -cheveux demi-ras sur un front bas. Il a quarante-sept ans, a fait la -campagne de Madagascar où il a pris les fièvres paludéennes; il boit par -accès et a été sujet à quelques hallucinations; l’examen médical -reconnaît sa responsabilité atténuée. Mais depuis qu’il est au service -des postes sa conduite est irréprochable--et il était à jeun lorsque, le -matin du 2 Avril, il a soustrait du bureau une enveloppe contenant -treize mille francs. Il reconnaît les faits, s’en excuse et ne cherche -même pas à les expliquer. Tous les jours il était appelé à manier des -sommes considérables; ce matin même, à côté de l’enveloppe aux treize -mille francs, _une autre enveloppe en contenant quinze mille était là, -également à sa portée, qu’il avait vue, qu’il n’a point prise_. - -Mais cette enveloppe de treize mille francs, tout à coup, il la met dans -sa poche; il quitte la cabine des chargements en disant à son collègue -qu’il va aux cabinets; prend tranquillement son paletot et son chapeau, -et comme il est midi et demie, personne ne s’étonne de le voir sortir. -Dehors il ne se sauve pas, il ne se cache de personne; il va dans un -bordel voisin; dépense 246 francs à régaler la maisonnée; puis se -réveille tout penaud, pour rapporter à la direction le reste de la somme -et s’engager à rembourser la différence. - -Le jury rapporte un verdict négatif; la Cour acquitte. - - - - -IV - - -_Jeudi._ - -La fille Rachel est accusée d’infanticide. - -Elle s’avance craintivement jusqu’à la barre; elle porte sur son corsage -noir un châle de laine blanche. De la place où je suis, je distingue mal -son visage; sa voix est douce. Elle est domestique à Saint Martin de B., -dans la même maison depuis l’âge de treize ans; elle en a dix-sept -aujourd’hui. - -Elle était parvenue à dissimuler sa grossesse; les premières douleurs la -saisirent comme elle était en train de traire les vaches. Elle rentra, -coula le lait dans la laiterie, fit le ménage; mais les douleurs -devinrent si fortes qu’elle dut s’asseoir; elle était affreusement pâle. - ---Si tu es malade, monte te reposer dans ta chambre, dit sa maîtresse. - -La chambre de Bertha Rachel était au premier, à côté de celle des -maîtres. Sitôt étendue sur sa paillasse, elle accoucha d’une petite -fille. - -Elle avait «peur d’être grondée», et comme la petite criait, par crainte -que les patrons n’entendissent, Bertha mit la main sur la bouche de la -petite et l’y maintint jusqu’à ce que les cris aient cessé. Quand Bertha -vit que l’enfant ne respirait plus, elle prit une paire de ciseaux dans -sa jupe et en porta un petit coup à la gorge de l’enfant. - -Il ressort de l’instruction qu’elle n’a donné le coup de ciseaux -qu’après que la petite était déjà morte étouffée. Le ministère public -cherchera à établir que c’est pour constater que le sang avait cessé de -couler. Je crois à plus d’inconscience. Le Président presse Bertha de -questions, mais le rôle des ciseaux reste aussi peu clair. - -Quand Bertha Rachel se fut assurée que son enfant avait cessé de vivre, -elle cacha le petit cadavre provisoirement dans son seau de toilette, -jeta le placenta par sa fenêtre qui donnait précisément sur la fumière, -puis tout aussitôt redescendit pour reprendre son travail. - -Le lendemain, avec un louchet elle creusa un trou derrière la grange, au -bord du fossé; un petit trou, car elle était sans forces; où elle -enterra l’enfant. - -La gendarmerie fut avertie peu de jours après par une lettre anonyme; et -le cadavre de l’enfant fut retrouvé. Le Président ne croit pas devoir -insister sur cette lettre anonyme, sur laquelle aucun renseignement -n’est donné; et comme je ne suis pas du jury pour cette affaire, aucune -question n’est posée à ce sujet; et l’on passe outre. - -Le Président.--Votre patronne, durant le temps de votre grossesse, ne se -doutait de rien? - -L’accusée.--On voyait bien que je grossissais, mais ma patronne ne -voulait pas le dire. Elle ne m’en a pas parlé du tout. - -Puis, à voix plus basse et un peu confusément, tout à coup: - ---C’est l’fils du patron qui me l’a fait. - -Le Président.--Vous n’avez pas dit cela d’abord.--Puis se tournant vers -le jury:--A l’instruction elle s’est obstinément refusée à dire qui -était le père de l’enfant. - -La fille Rachel continuant sans écouter le Président: - ---Il m’a conseillé de l’faire disparaître pour qu’on ne sache pas que -c’était de lui. - -Le Président.--Le faire disparaître comment? - ---En l’mettant dans la terre. - -Cela est dit sans intonation aucune; la pauvre fille paraît à peu près -stupide. - -Le Président.--Comme l’accusée n’a rien dit de tout cela à -l’instruction, on n’a pu appeler en témoignage celui dont elle parle à -présent.--A l’accusée: Vous pouvez vous asseoir. - -A ce moment l’avocat défenseur se lève: - ---Il est fâcheux que l’accusée ne nous ait pas parlé ici, ainsi qu’elle -l’avait fait à l’instruction, des lectures du soir qu’on faisait, dans -la ferme, en famille. On lisait les faits divers des journaux et les -vieux parents qui faisaient la lecture s’appesantissaient de préférence, -disait-elle, sur les infanticides. - -Le Président.--Maître X, je ne vois pas trop l’intérêt que ça peut -avoir. - -Tant pis! Heureusement les jurés, eux, le voient bien; et tout le drame -s’éclaire quand s’avance à la barre la patronne. C’est une vieille de -plus de soixante ans, sèche et solide, comme momifiée, aux traits durs, -aux yeux froids, aux lèvres serrées. Le visage est cerné par un bonnet -de dentelle noire, et le ruban qui l’attache retombe sur un petit -mantelet noir. - -Le Président.--Vous aviez la fille Rachel à votre service? Étiez-vous -contente d’elle? - -La patronne.--Oh! oui, j’étais bien contente. Pour sûr je n’ai jamais eu -à me plaindre d’elle. - -Le Président.--Vous ne vous êtes jamais aperçue de sa grossesse? - -La patronne.--Non, jamais. Si j’avais su son état, je ne l’aurais pas -gardée, c’est sûr. - -Le Président.--A l’instruction vous avez dit que vous voyiez bien -qu’elle devenait _fameuse_, mais que vous croyiez que ça venait de -l’estomac. La veille du jour de l’accouchement vous avez vu du sang et -de l’eau dans la cuisine, à l’endroit où la fille s’était assise. - -La patronne.--J’ai cru que c’était d’un poulet qu’on venait de vider. - -Et l’on sent encore dans la voix nette et sèche de la vieille cette -volonté de ne rien savoir, de ne rien avoir vu, de ne rien voir. - -L’instruction a établi que, dans cette ferme isolée, ne venait jamais -aucun homme et que la fille n’a pu voir que le mari de la patronne, âgé -de 75 ans, ou que le fils, âgé de trente-deux ans, à l’une de ses rares -et rapides apparitions. La vieille nous apprend également qu’il fallait -passer par sa chambre pour entrer dans celle de la servante,--ceci dit -comme pour bien montrer que ça ne peut pas être son fils qui... etc... - -Et le Président visiblement désireux de ne pas laisser dévier l’affaire -et de limiter l’accusation, passe outre. - - * * * * * - -La déposition du docteur ne nous apprend rien de nouveau; il explique -très longuement que l’enfant a vécu, de sorte qu’on se trouve en -présence d’un cas, non d’avortement, mais d’infanticide; pourtant le -coup de ciseaux, légèrement donné et comme avec précaution, était plutôt -pour s’assurer que l’enfant était mort; mais il a respiré car, dans la -cuvette d’eau où il l’a mise, la masse pulmonaire flottait. - - * * * * * - -Tandis que le jury délibère, une rumeur circule dans la salle: le fils -de la patronne est dans la salle; on se le montre, assis à côté d’elle. -Gêné par les regards hostiles, il tient la tête basse, appuyée contre le -pommeau de sa canne et je ne parviens pas à le voir. - - * * * * * - -La fille Rachel, reconnue coupable mais comme ayant agi sans -discernement, est acquittée et rendue à ses parents. - - * - - * * - -On amène devant nous Prosper, surnommé Bouboule, tailleur d’habits; né à -X... en 86. - -Extraordinaire tête de plumitif (il ressemble à s’y méprendre à Z...) -vaste front bombé, longs cheveux plats partagés sur le milieu de la -tête; épaisseur générale du torse et des membres, petites mains larges -et courtes; doigts auxquels semble manquer une phalange; le vêtement de -prison qu’il a gardé l’engonce et le grossit encore. Le juré, mon voisin -de droite, se penchant vers moi: - ---Il n’a pas l’air intelligent! - -Mon voisin de gauche, à demi-voix: - ---Il n’a pas l’air bête! - -De dix à quatorze ans, il s’était fait condamner quatre fois pour vol; -trois fois remis à ses parents, on l’envoyait enfin à la maison de -correction où il resta jusqu’à sa majorité, soumis à une surveillance -spéciale. - -Depuis sa première libération il a été poursuivi cinq fois. De vingt à -vingt-quatre ans il travaille à D. où il retrouve Bègue, un ancien -camarade de la colonie pénitentiaire; c’est ensemble, toujours ensemble -qu’ils vont opérer. A chaque fois qu’ils cambriolent, on retrouve dans -la cuisine les restes d’un festin impromptu; sur la table, des -bouteilles vides et deux verres; et des étrons sur le tapis du salon. A -chaque fois, ils ne se contentent pas de voler, mais font toujours le -plus de dégâts possible; dans telle villa où ils n’ont pu trouver -d’argent, ils laissent en évidence un couvercle de boîte d’amidon, où -ces mots, de l’écriture du Bègue: «Bande de cochons, fallait laisser de -l’argent.» - -Ce Bègue, six mois précisément avant le jour où nous sommes, a été -condamné aux travaux forcés à perpétuité, pour avoir dévalisé plusieurs -villas à N. et à P. «avec des circonstances de violence donnant à -l’affaire une tournure particulièrement grave», dirent les journaux. A -ce moment un des accusés faisait défaut: c’est Prosper qu’on arrêta -trois mois après à Y. où il s’était réfugié après de nombreuses -pérégrinations en Espagne. - -Bègue avouait tout, paraît-il. Prosper nie tout, au contraire; il se -prétend victime d’une méprise, victime de sa ressemblance avec Bouboule; -car Bouboule, dit-il, ce n’est pas lui. Cette déclaration soulève un -grand rire dans la salle. - -Encore qu’elle ne me persuade pas, je voudrais pouvoir suivre un peu -mieux sa défense; mais le Président la bouscule et ne laisse pas -Bouboule ou Prosper s’expliquer. - -A quel point il appartient au Président de gêner ou de faciliter une -déposition (fut-ce inconsciemment), c’est ce que je sens de nouveau, non -sans angoisse, et combien il est malaisé pour le juré de se faire une -opinion propre, de ne pas épouser celle du Président.[3] - - [3] Je crois volontiers que cette dernière remarque ne s’appliquerait - pas également à tous les jurys--à celui de la Seine en particulier. - -Prosper parle d’une voix sourde, qu’on a quelque mal à entendre, et il -semble avoir grande peine à s’exprimer. Au cours de son interrogatoire, -sentant les mailles du filet, autour de lui, qui se resserrent, il dit -que la fatalité s’acharne contre lui, parle de «coalition»; il devient -livide et de grosses gouttes de sueur commencent de rouler de son front. - -Le gardien d’une des villas cambriolées, M. X., appelé à témoigner, fait -une déposition très émouvante et très belle. Son sang-froid, son -courage, semblent avoir été admirables; admirable aussi la modestie de -son attitude, de son récit, que les journaux ont reproduit. Inutile d’y -revenir. - - * * * * * - -Je note ce curieux trait, au cours de l’interrogatoire: Immédiatement -après le cambriolage à N., Bouboule s’en revenant vers D., à minuit, -rencontre sur la route un ouvrier qu’il connaissait. Quel étrange besoin -eut-il de l’arrêter, quand il était si simple de passer outre; de lui -demander une cigarette (a-t-il cru peut-être que cela paraîtrait à -l’autre plus _naturel_) et, après quelques minutes de conversation, -peut-être subitement pris de peur, de dire à l’autre: - ---Surtout ne dis pas tu m’as rencontré cette nuit. - - * * * * * - -Les jurés furent d’accord pour répondre affirmativement à toutes les -questions posées, et la Cour condamna Prosper aux travaux forcés à -perpétuité. - - - - -V - - -Encore un attentat à la pudeur; le quatrième. Cette fois la victime n’a -pas six ans; c’est la fille de l’accusé... - -Pour ce cas comme pour les autres, je voudrais savoir quelle est la part -de l’occasion; le crime eût-il été commis si l’accusé avait eu le -choix...? et faut-il y voir préférence, ou simplement facilité plus -grande, trompeuse promesse d’impunité? - -Germain R. a souillé son enfant pendant que sa femme était à l’hôpital -pour de nouvelles couches. - -Il est petit, laid, de triste aspect; sa tête est bestiale. Il porte, -sur une vareuse de cotonnade noir-jaunâtre, un épais cache-nez -bleu-violet. Il nie obstinément, avec un air buté, stupide. Les -témoignages recueillis sur lui sont mauvais. «Il pense à lui plutôt qu’à -sa famille.» - -Le Président.--Il était souvent ivre? - -Le témoin.--En grande partie tous les jours. - -Et un autre témoin:--I’s’saoûle et laisse ses enfants crever d’faim. - -Ils couchent tous, le père, la mère et les deux petits de six et trois -ans, dans la même pièce sans lit, sur la paille. On prétend que déjà -précédemment il avait voulu toucher la petite. Une fois il la fit entrer -avec lui dans un sac; mais il avait coutume de coucher dans un sac, et -comme on était en hiver, il peut dire que c’était pour se réchauffer. On -ne sait. La petite ne veut ou ne peut rien dire. Sur la chaise où on la -fait monter, pour être plus près de l’oreille du président, elle pleure -silencieusement et par instant un gros sanglot la secoue. On n’obtient -d’elle pas le moindre mot. On dirait qu’elle a peur d’être punie elle -aussi. (Elle est à l’Assistance Publique. Un homme en livrée, à gros -boutons de cuivre, l’avait amenée, qui reste assis sur un des bancs des -témoins.) - -Puis vient la femme R. épouse de l’accusé. Elle ne serait point trop -laide si sa face n’était si terriblement boucanée. Elle a l’aspect d’une -«femme de journée». Ses cheveux sont tirés en arrière et lustrés; un -petit châle de laine noire tombe sur un tablier bleu. - -Le Président.--Qu’est ce que vous avez fait pour obvier à cet -inconvénient? - -Le témoin.--??? - -Il arrive plus d’une fois que le Président pose une question en des -termes complètement inintelligibles pour le témoin ou le prévenu. C’est -le cas. - -On procède à l’interrogatoire de l’unique témoin: la voisine: - -Le Président.--Enfin vous n’avez rien vu! - -Le témoin.--C’est que je suis entrée ou trop tôt, ou trop tard. - -Et, comme après tout, l’on ne sait à quoi s’en tenir, si nous condamnons -R., ce sera sur des présomptions (comme bien souvent) et non point tant -pour l’acte reproché, si douteux, mais bien pour sa conduite générale; -et aussi pour en débarrasser sa famille. - - * - - * * - -Je suis de nouveau chef du jury pour la dernière affaire de ce jour. - -Joseph Galmier, âgé de vingt ans, fils d’Anaïse Albertine (quels noms on -rencontre! Samedi dernier, la pauvre femme X., dans l’affaire Z., où je -n’ai trouvé rien de curieux à relever, répondait aux noms -d’Adélaïde-Héloïse! Est-ce un sentiment poétique qui pousse les miséreux -à baptiser si étrangement leurs enfants?) est accusé d’avoir commis deux -vols, avec les circonstances aggravantes: de nuit; dans une maison -habitée; avec effraction; avec complices. - -Galmier est journalier au Havre; tête point laide, banale, rougeoyante; -nez un peu trop pointu; cheveux ramenés sur le front; moustache -naissante; l’air d’un guerrier normand de Cormon. Bien bâti et de formes -assez élégantes; porte un jersey sous une veste déteinte. - -Condamné précédemment à six mois. - -Arrêté la nuit, porteur d’un pince-monseigneur, en compagnie de rôdeurs -munis de fausses clefs. - -Dans une lettre au Procureur, il a fait des aveux complets; mais il dit -à présent que, cette lettre, un repris de justice l’a forcé à l’écrire. -Et il nie tout. - -Le Président.--Quel repris de justice? - -L’accusé.--Je n’ose pas le nommer. Il m’a menacé d’un mauvais coup en -sortant, si je parlais. - -Le Président reste sceptique. - - * * * * * - -Je transcris mes notes telles quelles. Toutes ne s’appliquent peut-être -pas à cette cause en particulier: - -... L’accusé qui parle le plus vite possible, par grande peur que le -Président ne lui coupe la parole (ce qu’il fait du reste constamment) et -qui cesse d’être clair--et qui le sent... le malheureux qui défend sa -vie. - - * * * * * - -L’innocent sera-t-il plus éloquent, moins troublé que le coupable? -Allons donc! Dès qu’il sent qu’on ne le _croit_ pas, il pourra se -troubler d’autant plus qu’il est moins coupable. Il outrera ses -affirmations; ses protestations paraîtront de plus en plus déplaisantes; -il perdra pied. - -Le côté _chien_ du commissaire de police, dans ses dépositions; son ton -rogue. Et l’air _gibier_ que prend aussitôt le prévenu. L’art de lui -donner l’air coupable. - -Le malheureux qui se rend compte, mais seulement au moment où il -l’entreprend, que sa défense est insuffisante. Son effort maladroit pour -la corser. - - * * * * * - -L’imprudence du malfaiteur et cette sorte de vertige qui l’amène à -dépenser aussitôt la somme qu’il vient de voler. Galmier achète un -pardessus, un complet, des chemises, bretelles, mouchoirs, cravates, -etc.; il donne un franc de pourboire au commis qui lui apporte le paquet -(il loge à côté du magasin). - - * * * * * - -La joie des malfaiteurs professionnels, lorsqu’ils rencontrent un -_bleu_, flottant et un peu niais, qui consentira à prendre le crime à sa -charge. (On lui a promis de lui payer un avocat.) - - * * * * * - -La version la plus simple est celle qui toujours a le plus de chance de -prévaloir; c’est aussi celle qui a le moins de chance d’être exacte. - - * - - * * - -L’affaire suivante en amène cinq devant nous. Elle devrait en amener -six, mais l’un a pris la fuite. L’aîné n’a que vingt-deux ans. C’est une -bande de chapardeurs. Huit vols sont relevés à leur charge. Ils avouent -tout. - -C’est Janvier qu’on a pincé d’abord; le plus jeune; il refusait de -nommer ses complices. Sans domicile depuis huit jours, il couchait avec -un autre de la même bande; le 12 février dernier, il chipait une -saucisse à un étalage; coût: quinze jours, avec sursis. - -Janvier sourit facilement, joliment; il a du mal à ne pas sourire; il -est de belle humeur. Il ne plaisante pas, mais on sent encore frémir -dans ses réponses un souvenir de l’amusement du vol, des parties de vol -où l’on s’aventurait ensemble. On jouait à voler, à chaparder... Cette -joie va recevoir tout à l’heure un fameux coup de trique sur la tête. - -Peut-on jamais se relever d’une condamnation? Peut-on s’en relever _tout -seul_?... - -“He can be saved now. Imprison him as a criminal, and I affirm to you -that he will be lost.”[4] - - [4] Ce sont les paroles que John Galsworthy prête à l’avocat défenseur - dans son drame: _Justice._ - - - - -VI - - -Nombre de jurés se font récuser; aussi mon nom sort-il souvent de -l’urne; pour la neuvième fois, je fais donc partie du jury. Dans la -salle de délibération, les jurés insistent pour que j’accepte la -présidence que M. X. me prie de prendre à sa place; il paraît qu’il en a -le droit. Seul _intellectuel_, ou presque, parmi eux, je redoutais -l’hostilité malgré les grands efforts que je faisais pour la prévenir. -Aussi suis-je extrêmement sensible à ce témoignage de considération. Il -est vrai de dire qu’à quelques-unes des affaires précédentes le chef des -jurés s’était montré bien fâcheusement incapable et que, par suite de -ses incompréhensions, de ses hésitations, de ses maladresses, la -délibération et les votes avaient été d’une lenteur exaspérante. - -L’affaire ne présente pas grand intérêt en elle-même. Elle nous revient -de la correctionnelle dont elle ressortissait plutôt, mais où la Cour -s’est déclarée incompétente. - -M. Granville, journalier, a été attaqué à une heure du matin, rue du -Barbot, à Rouen, par un malandrin qui lui a pris les deux pièces de cent -sous qu’il avait en poche. La victime se déclare incapable de -reconnaître son agresseur; mais, à ses cris, Mme Ridel avait mis le nez -à sa fenêtre et prétend avoir pu reconnaître en lui le sieur Valentin, -journalier, qui comparaît à présent devant nous. - -Valentin nie éperdument et prétend être resté couché chez lui toute la -nuit. Et d’abord: comment Mme Ridel aurait-elle pu le reconnaître? la -nuit était sans lune et la rue très mal éclairée. - -Là-dessus proteste Mme Ridel: l’agression a eu lieu tout près d’un bec -de gaz. - -On interroge le gendarme qui a aidé à instruire l’affaire; on interroge -d’autres témoins: L’un place le bec de gaz à cinq mètres; l’autre à 25. -Un dernier va jusqu’à soutenir qu’il n’y a pas de bec de gaz du tout à -cet endroit de la rue. - -Mais Valentin a un méchant passé, une réputation déplorable, et si le -substitut du procureur, qui soutient l’accusation, ne parvient pas à -nous prouver que Valentin est le coupable, l’avocat défenseur ne -parvient pas à nous persuader qu’il est innocent. Dans le doute, que -fera le juré? Il votera la culpabilité--et du même coup les -circonstances atténuantes, pour atténuer la responsabilité du jury. -Combien de fois (et dans l’affaire Dreyfus même) ces «circonstances -atténuantes» n’indiquent-elles que l’immense perplexité du jury! Et dès -qu’il y a indécision, fût-elle légère, le juré est enclin à les voter, -et d’autant plus que le crime est plus grave. Cela veut dire: oui, le -crime est très grave, mais nous ne sommes pas bien certains que ce soit -celui-ci qui l’ait commis. Pourtant il faut un châtiment: à tout hasard -châtions celui-ci, puisque c’est lui que vous nous offrez comme victime; -mais, dans le doute, ne le châtions tout de même pas par trop. - - * * * * * - -Dans plusieurs affaires que j’ai été appelé à juger, j’ai été gêné, et -tous les jurés qui jugeaient avec moi parleraient de même, par la grande -difficulté de se représenter le théâtre du crime, le _lieu_ de la scène, -sur les simples dépositions des témoins et l’interrogatoire de l’accusé. -Dans certains cas, cela est de la plus haute importance. Il s’agit par -exemple ici de savoir à quelle distance d’un bec de gaz une agression a -été commise. Tel témoin, placé à tel endroit précis, a-t-il pu -reconnaître l’agresseur? Celui-ci était-il suffisamment éclairé?--On -sait la place exacte de l’agression. Sur la distance où l’agresseur se -trouvait du bec de gaz, _tous_ les témoignages différent: l’un dit cinq -mètres, l’autre vingt-cinq... Il était pourtant bien facile de faire -relever par la gendarmerie un _plan_ des lieux, dont au début de la -séance on eût remis copie à chaque juré. Je crois que dans de nombreux -cas ce plan lui serait d’une aide sérieuse. - - * - - * * - -Ce même jour, une troisième affaire: Conrad, au cours d’une dispute avec -X. lui a flanqué des coups qui ont entraîné la mort. - -Je note, au cours de cette fin de séance, qui du reste n’offre pas grand -intérêt: - - * * * * * - -Combien il est rare qu’une affaire se présente _par la tête_ et -simplement. - - * * * * * - -Combien il arrive que soit artificielle la simplification dans la -représentation des faits du réquisitoire. - - * * * * * - -Combien il arrive facilement que l’accusé s’enferre sur une déclaration -de par à côté, dont la gravité d’abord lui échappe. - ---«Alors, _fou de colère_...» dit Conrad au cours de son récit (il -s’agit du coup de couteau donné à sa maîtresse au moment que celle-ci -voulait le tuer). - -Et le Président tout aussitôt l’interrompant: - ---Vous entendez, messieurs les jurés: fou de colère. - -Et le ministère public s’emparera triomphalement de cette phrase -malencontreuse que le prévenu ne pourra plus rétracter--tandis qu’il -appert que ce n’est là qu’une formule oratoire où Conrad, très soucieux -du beau-parler, s’est laissé entraîner pour faire phrase. - - - - -VII - - -_Mardi._ - -Encore un attentat à la pudeur; le dernier de ceux que nous sommes -appelés à juger. Celui-ci est particulièrement pénible, car l’accusé, un -jeune journalier de Maromme était atteint de blennorrhagie et a -contaminé la victime. On a sur lui les plus mauvais renseignements: -insolent, ivrogne, impatient au travail; déjà précédemment il a voulu -entraîner dans un bois une fillette de dix ans à qui il offrait des sous -et des bonbons. - -La petite qui comparaît devant nous, n’a que six ans et demi. Il l’a -attirée dans sa chambre en lui offrant «une petite tabatière.» - -On la force à répéter devant nous, par le menu, ce qu’elle a déjà dit à -l’instruction, et que le coupable a avoué, et que le médecin a constaté. -Il semble qu’on prenne à tâche que cette petite se souvienne. Au reste -elle n’a pas été violée; il semble que l’accusé ait pris à son égard -certaines précautions, grâce auxquelles il espérait peut-être ne pas la -contaminer; grâce auxquelles il bénéficie des circonstances atténuantes. - - * - - * * - -L’affaire Charles que nous jugeons ensuite avait fait quelque bruit dans -les journaux. La salle est comble; c’est une affaire «sensationnelle». -L’assistance est très excitée. On se redit de banc en banc le nombre des -coups de couteau dont a été frappée la victime: le médecin n’en a pas -compté moins de cent-dix! - -La victime était la maîtresse de Charles. Juliette R. n’avait que -dix-sept ans lorsqu’il la rencontra pour la première fois, il y a de -cela trois ans. Elle vivait avec un amant dont Charles aussitôt prit la -place, abandonnant pour elle femme et enfants, après onze ans de -mariage. Charles a trente-quatre ans; il est cocher, a fait déjà -plusieurs places; mais les renseignements recueillis sur lui par ses -divers patrons sont bons. Sa femme non plus n’avait pas à se plaindre de -lui, malgré qu’il lui faisait parfois «des scènes». Après qu’il se fut -installé avec cette fille, Madame Charles, à plusieurs reprises, tâcha -de le ramener, de le reprendre; mais rien n’y fit, et l’instruction dit -qu’il avait la fille «dans la peau, suivant l’expression». Il habite -alors avec Juliette R., place de M., chez Madame Gilet. Celle-ci parfois -les entendait se disputer. - ---C’est vrai. Juliette me reprochait d’envoyer à mes enfants une partie -de mes gages. Mais jamais je ne l’ai menacée. - -Et Madame Gilet reconnaît que les querelles n’étaient ni fréquentes, ni -prolongées. - -La voix de Charles est grave; son aspect n’est pas déplaisant; il est -grand, fort, bien fait de sa personne, sans pourtant rien de bellâtre ou -de fat; il me semble que rien qu’à le voir on eût deviné qu’il était -cocher; et non pas cocher de fiacre: cocher de maison. - -Il ne se défend pas, ne s’excuse pas même: on le sent soucieux de -présenter les faits tels qu’ils se sont passés et sans chercher à -influencer le jury en sa faveur. Pourquoi le Président essaye-t-il de le -faire se couper, se contredire? Sans doute, en ancien juge -d’instruction, par habitude professionnelle. - ---Vous avez quelque peu varié, lui dit-il, dans la reconnaissance des -mobiles du crime. - -C’est aussi que Charles ne s’explique pas trop bien à lui-même comment -ni pourquoi il a tué. Il aimait éperdument cette femme; il avait -_besoin_ d’elle. Le soir du 12 mars, veille du crime, ils soupèrent -ensemble. - ---Après souper je me suis couché avec elle, comme de coutume; mais elle -s’est refusée. C’est comme ça que ça a commencé. - ---Vous vous êtes alors disputé avec elle? - ---A cause de cela, oui. - ---Voici le motif que vous donnez du crime. Vous aviez d’abord donné une -autre explication. - -L’accusé ne proteste pas; son geste semble dire: c’est possible. - ---La nuit ensuite a été tranquille? - ---Oui, Monsieur. - ---Vous avez dit aussi que vous étiez jaloux; c’est même là l’explication -que vous aviez donnée d’abord. Est-ce que vous lui connaissiez un amant? - ---Elle n’en avait pas. - ---Cependant elle était triste; au magasin des Abeilles où elle -travaillait, on a dit qu’elle était anxieuse; elle avait peur de vous. -Un jour elle à confisqué votre rasoir. Craignait-elle de vous voir vous -en servir contre elle? - ---A ce moment j’étais malade. On lui avait dit de me l’enlever pour que -je ne m’en serve pas contre moi. - ---Arrivons au treize mars. - ---Nous nous sommes dit bonjour au matin; je suis descendu chercher le -journal. - ---Vous n’avez pas bu? - ---La veille, avant le souper, j’avais pris deux tasses de café à B.; -mais ce matin j’étais à jeun. En remontant près d’elle, je lui ai de -nouveau demandé... Elle a encore refusé. Alors, comme elle ne voulait -toujours pas, j’ai perdu la tête. J’ai pris un couteau sur la table, -près de moi; je l’ai frappée au cou. _Le couteau me collait dans la -main._ - ---Elle était encore couchée? - ---Au premier coup, oui. - ---A ce moment elle a cherché à se sauver; elle a sauté du lit. Vous vous -êtes jeté sur elle; elle est tombée. - ---A la fin en effet je l’ai retrouvée à terre. - ---A la fin? N’allons pas si vite! Nous ne sommes encore qu’au -commencement. Elle est tombée à terre, disons-nous; et alors vous avez -continué à la frapper, à la frapper comme un forcené, criblant de coups -de couteau son cou, son visage et ses poignets. - ---Je ne me souviens que du premier coup. - ---C’est trop facile. Vous lui avez donné plus de cent coups; d’après la -déclaration d’un témoin, vous la mainteniez à terre d’une main, et de -l’autre vous frappiez partout. - ---Quand je me suis réveillé, Juliette était morte; j’étais penché sur -elle; il y avait du sang partout... Je n’avais pas vu venir Madame -Gilet. - ---Entendant les cris de la malheureuse, elle était venue à son secours. -Elle vous a vu la frapper avec une telle violence et une telle rapidité -que cela ressemblait, a-t-elle dit, usant d’une image frappante, au -timbrage des lettres dans les bureaux de poste. Vous entendez, Messieurs -les jurés, au timbrage des lettres dans les bureaux de poste! - -Et, là-dessus, le Président, joignant la mimique à la parole, donne -quelques grands coups de poing sur son pupitre creux, éveillant un tel -tonnerre qu’un rire peu décent secoue l’auditoire. Certainement ça ne -devait pas faire ce bruit-là. - ---Votre maîtresse s’est écriée: «Ah! Madame, sauvez-moi! Il a un -couteau!» Alors vous avez repoussé Madame Gilet, que votre contact a -ensanglantée. «Retirez-vous; ça ne vous regarde pas», lui avez-vous dit; -puis, vous remettant à frapper la malheureuse, d’un dernier coup vous -lui avez tranché la cariatide (_sic_). (Madame Gilet dira tout à l’heure -que le dernier coup était «porté au front»). Qu’avez-vous à dire? - ---Je ne me souviens pas de tout cela. - ---Pourtant quand les agents, qu’avait été prévenir Madame Gilet, sont -arrivés, ils ont été étonnés par votre sang-froid. Vous n’aviez même pas -l’air ému, paraît-il. Le couteau était sur la table. Vous vous êtes -laissé saisir. - ---J’étais abruti d’horreur. - ---Non pas! Vous avez tranquillement dit: «Avertissez ma femme», et comme -les agents allaient vous emmener, vous avez demandé la permission de -vous laver les mains avant de descendre dans la rue. - ---Je me rappelle en effet avoir donné l’adresse de ma femme, pour qu’on -la prévienne. - ---Ensuite, n’avez-vous pas voulu vous pendre? - ---Jamais. - ---On avait cru cela. On avait trouvé dans la chambre un piton, de force -à supporter un gros poids; on a retrouvé également une lanière. -N’avez-vous pas parlé alors d’une volonté de suicide? - ---Je n’ai jamais parlé de ça. - ---N’importe. En définitive vous reconnaissez tous les faits; et vous -donnez de votre crime cette explication: que Juliette vous refusait ses -avantages. - ---J’ai vu passer devant moi quelque chose de terrible, ce matin-là. - ---Enfin... elle est morte, la pauvre fille! Si elle ne voulait plus de -vous, vous n’aviez qu’à retourner auprès de votre femme et de vos -enfants. Pourquoi la tuer? - ---Je ne cherchais pas à la tuer. (Rumeur d’indignation dans -l’auditoire.) - ---Allons donc! Avec cent coups de couteau! - -La majorité des jurés pense avec le Président qu’on cherche plus à tuer -quand on donne cent coups de couteau que lorsqu’on en donne un seul. -Pourtant l’examen médical de la victime nous apprend que ces cent-dix -blessures dont on a pu relever la trace sur la face, sur le cou, à la -région supérieure du thorax, sur les mains, (sur le cou les plus -nombreuses), étaient régulières pour la plupart, et, toutes, petites et -peu pénétrantes. (En Russie on eût vu là sans doute un «crime rituel».) -Une seule blessure avait atteint la carotide et déterminé une hémorragie -foudroyante. - -N’étant pas du jury, je ne puis demander si, peut-être, il dépendait de -la forme et de la dimension de l’arme qu’aucune des blessures ne fût -profonde. Mais il ne paraît pas; et le docteur dira tout à l’heure que -Charles avait frappé «d’une façon tremblante, ne faisant pas entrer son -arme et comme s’il voulait seulement mutiler». - -Les doigts étaient tailladés; la victime avait dû essayer de se -protéger. - - * * * * * - -Madame Augustine, veuve Gilet, logeuse, appelée à témoigner, dépose -d’une voix monotone: - ---Charles et la fille Juliette demeuraient chez moi. Je n’avais pas à me -plaindre d’eux. Le 13 mars au matin, j’entendis des cris; j’entrai chez -eux; elle était à terre et je le vis qui la frappait. Je lui saisis le -bras pour le retenir. Il se retourna et me dit: «Retirez-vous.» Juliette -n’était pas morte; quand elle me vit chercher à le retenir, elle me dit: -«Ah! faites attention, il a un couteau!» Alors il la frappa encore une -fois; il retourna le couteau dans la plaie; ça a fait: crrac! (Mouvement -d’horreur et rumeurs dans la foule; les jurés eux mêmes sont très -impressionnés par le récit de Madame Gilet, et particulièrement par ce -dernier détail. Pourtant, sur une demande de l’avocat défenseur, le -docteur X. nous dira tout à l’heure: «Aucune des blessures n’indique que -le couteau ait jamais été retourné dans la plaie»). C’est comme si le -couteau avait du mal à pénétrer. J’étais stupéfiée. Il frappait vite, -comme on timbre les lettres. Il a peut-être porté vingt-cinq coups -devant moi. Quand j’ai voulu l’arrêter et qu’il s’est retourné, il m’a -ensanglantée; j’étais en peignoir; j’ai retrouvé du sang par tout mon -linge. J’avais si peur, que je ne remarquai pas l’état de la chambre; ce -n’est qu’ensuite que j’ai vu que le lit était plein de sang. La veille -au soir je n’avais pas entendu de bruit. Il ne venait personne chez eux. -Juliette était tranquille et travaillait régulièrement. On n’avait rien -à lui reprocher. A lui non plus. Il se conduisait bien. Je ne l’ai -jamais vu ivre. - ---Est-ce tout ce que vous pouvez dire sur lui? - ---L’été dernier, à la suite d’une chute, il avait été longtemps malade. -Ma première idée, quand je l’ai vu frapper Juliette, c’est qu’il était -devenu fou. Il paraissait l’aimer beaucoup. Ce n’est que quand Juliette -m’a dit: «Il a un couteau» que j’ai compris qu’il avait une arme. -Jusqu’à ce moment j’avais cru qu’il frappait avec le poing. - -Charles.--Je n’ai pas vu Mme Gilet. J’ai idée d’elle; c’est tout. - -Mme Gilet.--Après une pareille boucherie, je comprends qu’on perde la -tête. Le dernier coup a dû être porté au front. Mais il ne faisait pas -clair; il était six heures moins un quart; et je n’y voyais guère. Rien, -avant, dans la conduite de Charles, ne faisait pressentir ce drame; s’il -y avait des discussions, ils se raccommodaient à peine fâchés. - -Mademoiselle Gilet, appelée à son tour, dira: - ---Ils chicanaient parfois, sauf à s’embrasser cinq minutes après. - -Après la déposition de la logeuse et de sa fille, nous entendons celle -des gardiens de la paix: - -Le chef de poste M.: - ---Quand nous avons voulu conduire au poste l’accusé, il nous a -dit:--«Donnez-moi au moins le temps de me laver les mains.» Il ne -paraissait ni soûl, ni fou. Il était plutôt calme. - -Et M. V., commissaire de police: - ---Au bureau central, j’ai vu Charles. Il était un peu énervé; mais pas -ivre. Il m’a dit, après quelques hésitations: «Je l’ai tuée parce -qu’elle me faisait dépenser de l’argent. Du reste j’allais me jeter à -l’eau quand on m’a arrêté.» - -Le Président.--Eh bien! vous voyez, Charles, vous donniez d’abord du -mobile du crime une explication qui n’est pas celle d’aujourd’hui. -Voyons, parlez. - -L’accusé.--Que voulez-vous que je réponde? Je vous ai dit la vérité. - -M. V.--J’avais l’impression qu’il ne la disait pas alors, et qu’il -dissimulait le mobile du crime. En effet, il donne d’autres raisons -aujourd’hui... Tout cela me semblait si bizarre: je lui ai pris les -mains, je lui ai relevé les paupières: il était ni ivre, ni fou. - - * * * * * - -Mme Charles vient à la barre, témoigner que, pendant dix ans, -c’est-à-dire jusqu’au moment où il rencontra la fille Juliette, elle -n’avait rien eu à reprocher à son mari. - -M. le Docteur X... est appelé à parler de Charles; il nous le présente -d’abord comme un garçon sain et bien portant; aucune tare dans son -atavisme. Mais il a six doigts à une main; il est sujet à des vertiges, -à des pertes de mémoire; il a de la difficulté à s’orienter, des défauts -de prononciation (j’avoue que je ne les ai pas remarqués), -l’appréhension de faire une chute dans la rue. Le Docteur parle encore -d’instabilité de jugement, d’indécision et d’absence de volonté (et -n’est-ce pas là ce qui permit cette brusque transformation du désir -insatisfait en énergie?), puis conclut enfin en disant que, sans être -dans un état de démence, dans le sens où l’entend l’article 64 du code -pénal, «l’examen psychiâtrique et biologique, ainsi que la nature -d’impulsivité spéciale de son crime, indiquent une anomalie mentale qui -atténue sa responsabilité». - -«Son acte, avait-il dit quelques instants auparavant, a été accompli -sans que l’idée de tuer ait été bien précisée dans son cerveau. On en -trouve la preuve dans la distribution des coups de couteau que j’ai -décrite». - -Comment l’avocat défenseur lui-même n’ira-t-il pas plus loin et ne -dira-t-il pas que, non seulement Charles ne _voulait_ pas tuer, mais -même qu’il tâchait obscurément, tout en mutilant sa victime, de _ne pas_ -la tuer; que, sans doute, précisément pour ne pas la tuer, _il avait -empoigné le couteau à même la lame_, et que c’est seulement ainsi que -l’on peut expliquer que les coups fussent à la fois forts et causant des -blessures si peu profondes, et que Charles eût des coupures aux doigts -(rapport du médecin). Et n’est-ce pas aussi pour cela que Mme Gilet ne -voyait pas le couteau et croyait qu’il frappait avec son poing? - -Rien de tout cela n’est dit par Maître R., l’avocat défenseur de la -victime. Il s’appuie sur le rapport des médecins pour demander aux jurés -de ne pas aller plus loin que les experts et de reconnaître à l’accusé -une responsabilité atténuée. - -J’ai longuement insisté sur ce cas, car il fit éclater la lamentable -incompétence des jurés. Il ressortait avec évidence de l’instruction, -des témoignages, du rapport des médecins, que l’idée de tuer n’était pas -nettement établie dans le cerveau de Charles; qu’en tout cas l’on -n’avait pas affaire à un professionnel du crime, et plus peut-être à un -sadique qu’à un assassin, que si jamais, enfin, crime pouvait être dit -passionnel... - -Après une demi-heure de délibération, on les voit rentrer dans la salle, -congestionnés, les yeux hagards, comme ébouillantés, furieux les uns -contre les autres et chacun contre soi-même. Ils rapportent un verdict -affirmatif sur la seule question de meurtre posée par la cour; quant aux -circonstances atténuantes _que demandait l’accusation elle-même_, peu -disposée pourtant à la clémence--ils les ont refusées. - -En conséquence de quoi Charles est condamné aux travaux forcés à -perpétuité. - - * * * * * - -De hideux applaudissements éclatent dans la salle; on crie: «bravo! -bravo!», c’est un délire. La femme de Charles, restée dans la salle, se -lève cependant, en proie à l’angoisse la plus vive; elle crie: «C’est -trop! ah! c’est trop!» et s’évanouit. On l’emmène. - -Mais, sitôt après la séance, les jurés, consternés du résultat de leur -vote (n’avaient-ils pas compris que de ne pas voter l’affirmative pour -la demande des circonstances atténuantes, équivaut à voter la négative?) -s’assemblaient à nouveau et, précipités dans l’autre excès, signaient un -recours en grâce à l’unanimité. - -Sans doute auraient-ils voté tout bonnement d’abord les circonstances -atténuantes, si Madame Gilet n’avait pas dit que le couteau, en se -retournant dans la plaie, avait fait: «Crrac!» - - * * * * * - -Expliquerai-je un peu l’affolement des jurés si je dis que, -l’avant-veille, avait paru dans le _Journal de Rouen_, en tête, un -article sur «Les jurés et la loi de sursis» (Nº du 17 Mai 1912) que -j’avais vu passer de main en main, de sorte que tous mes collègues, ou -presque, l’avaient lu? Prenant prétexte d’une affaire qui venait de se -juger à Paris, où les réponses du jury avaient forcé la cour d’acquitter -trois précoces malandrins, cet article s’élevait contre l’indulgence. On -y lisait: - - «_Jamais les jurés parisiens n’avaient donné une telle preuve de - faiblesse que dans l’affaire où, à la stupéfaction générale, ils - viennent d’acquitter trois jeunes cambrioleurs convaincus d’avoir - tenté de piller un pavillon..._ - - _Cette indulgence outrée et absurde s’explique peut-être dans le cas - particulier par l’attitude extraordinaire de la plaignante, qui avait - demandé l’acquittement de ses agresseurs et aurait même, paraît-il, - manifesté l’intention d’adopter l’un d’eux...[5] Mais est-il besoin de - faire remarquer que les jurés qui, eux, doivent avoir la tête solide - et posséder l’expérience de la vie, ne pouvaient subir le même accès - de niaise sentimentalité_ (ce «niais» n’est pas très chrétien, - Monsieur le chroniqueur) _et qu’ils ont, par conséquent, manqué à leur - devoir en refusant de condamner des coupables avérés, et que rien ne - leur signalait comme particulièrement intéressants?_ - - [5] Combien ne serait-il pas intéressant de connaître le résultat de - cette rare expérience! - - _Cet étrange verdict, que la presse a condamné de façon unanime, etc._ - - _En ce temps, où les crimes se multiplient, où l’audace et la férocité - des malfaiteurs dépassent toutes les bornes connues_ (ô Flaubert!), - _où les jeunes gens même entrent si hardiment dans la mauvaise voie, - etc..._» - -Qui dira la puissance de persuasion--ou d’intimidation--d’une feuille -imprimée sur des cerveaux pas bien armés pour la critique, et si -consciencieux pour la plupart, si désireux de bien faire!... - ---Le Président m’a dit que jusqu’à présent nous avions très bien jugé, -répétait, il y a quelques jours, un des jurés; et ce satisfecit du -Président courait de bouche en bouche, et chacun des jurés -s’épanouissait à le redire. Ils en rabattirent bientôt. - - - - -VII - - -Considérée d’abord comme un simple délit, l’affaire que nous eûmes à -juger ce jour-là, avait déjà passé devant le tribunal correctionnel du -Havre; l’un des accusés, protestant contre sa condamnation à deux ans, -fit appel. C’est Yves Cordier, cordonnier; il comparaît en compagnie de -C. Lepic et de Henri Goret, ses complices; des deux filles Mélanie et -Gabrielle. Ils sont accusés tous les cinq d’avoir entraîné le marin -Braz, après l’avoir soûlé, de l’avoir «passé à tabac» et dépouillé de -l’argent qu’il portait sur lui. Ce marin, reparti en voyage, n’a pu -répondre à la citation, non plus qu’il n’avait pu comparaître, lorsque -l’affaire était passée en correctionnelle. Il avait déposé sa plainte -sitôt après l’agression; puis, ayant recouvré son argent, l’avait -retirée peu de jours après, avant de se rembarquer à nouveau. Si -l’affaire suivait son cours c’était, à proprement parler, malgré lui. - -Cordier est un grand gars de dix-huit ans, un peu épais, blond, aux yeux -bleus, au visage ouvert et qu’on imagine volontiers souriant; on dirait -un marin; il a gardé la grosse vareuse cachou de la prison; il pleure -continûment; par moments, il se tamponne le visage avec un mouchoir à -carreaux qu’il roule en boule dans sa main droite; la main gauche est -enveloppée d’un linge. - -Lepic est un journalier du Havre; son état-civil lui donne vingt-cinq -ans; il a ce qu’on appelle: une sale tête; pommettes saillantes; énorme -moustache, nez pointu; on n’est pas étonné d’apprendre qu’il a déjà été -condamné sept fois pour vol. Il tient une petite casquette entre ses -mains; d’affreuses mains, noueuses et, l’on dirait, mal dessinées. Il -n’a pas de linge; ou, s’il en a, ne le montre pas. Près de lui, Henri -Goret paraît fourvoyé. Cette espèce de fils de famille, ne semble pas de -la même classe sociale que les autres; il a du linge, lui, et même un -protège-col; une petite cravate à nœud droit; son visage aux moustaches -naissantes serait presque joli s’il n’était avili, abruti; sa voix est -frêle, fausse et voilée; il ne sait que faire de ses grosses mains -gourdes. Le père de Goret tient un débit de boissons et une sorte -d’hôtel borgne près du grand bassin. Henri Goret n’a pas vingt ans; il a -épousé une putain qui s’est fait flanquer en prison peu de temps après -le mariage.--N’importe! Henri se présente assez bien; certainement la -décence, et j’allais dire la distinction de sa tenue, prédispose en sa -faveur les jurés; elle accuse la roture et le dénuement des deux autres. - -Passons au récit de «la scène de violences dont sont impliqués ces -individus», comme dit le _Journal de Rouen_ (16 Mai): - - * * * * * - -C’est le 4 octobre 1911, au soir, que Cordier fit la connaissance de -Lepic. Ce dernier, sans doute, eut vite fait de comprendre à quel -complaisant débonnaire il avait affaire. Ensemble ils s’en vont aux -Folies. La représentation finie, ils commencent à vadrouiller par les -rues. Ils croisent deux marins, Braz et Crochu. Crochu est ivre-mort, -difficile à traîner; Braz interpelle les deux autres et leur demande -s’ils ne connaissent pas un logement où l’on puisse coucher le soûlard. -Tous trois emmènent Crochu rue de la Girafe, chez Lestocard. On le -laisse là, et Braz, reconnaissant de l’aide que lui ont prêtée Lepic et -Cordier, offre à ceux-ci une consommation. - -Ils ressortent, bras dessus, bras dessous de chez Lestocard, et ne se -quitteront pas de sitôt. Place du Vieux Marché, ils rencontrent deux -femmes, les filles Gabrielle et Mélanie; les emmènent. Il est deux -heures du matin. Place Gambetta, c’est Cordier qui offre une -consommation. Puis ils retournent place du Vieux Marché; au café Fortin -Braz paye une nouvelle tournée. A ce moment se joint à eux le jeune -Goret. Il était là, dans le café, près du comptoir; lui n’est pas ivre. -Quand les autres sortent, il sort aussi. J’admets que Braz, déjà très -ivre, ne l’ait pas beaucoup remarqué. - -Il est alors près de quatre heures du matin. Braz voudrait bien aller se -coucher, mais les autres l’entraînent. Ils errent au hasard tous les six -et atteignent la rue Casimir Delavigne. Braz n’en peut plus; il voudrait -qu’on le laissât. «Il est temps de s’aller coucher maintenant». Mais -Lepic ne l’entend pas ainsi; il prétend l’entraîner hors la ville. - ---«Viens-t’en donc! J’ai un jardin là-haut, auprès du fort de -Tourneville. Nous cueillerons des roses. J’te vas donner un bouquet que -t’en garderas longtemps le souvenir.» (déposition de la fille -Gabrielle.) - -En vain Gabrielle tire le marin par la manche; elle voudrait le retenir; -mais il n’est plus en état de rien entendre, ou du moins d’entendre -raison. Tous repartent et commencent à monter la longue côte. - -Une fille se penche vers l’autre:--Ça ne va-t’y pas se gâter?... Pour -sûr ils vont lui faire son affaire. - ---Non, répond l’autre; il y a toujours des soldats près du fort. - -Braz est entre Lepic et «celui qui a la main en écharpe» (déposition de -Braz).--Cette «main en écharpe» l’a beaucoup frappé.--Les filles -suivent, puis Goret à quelque distance en arrière. - -C’est à cinq heures, c’est-à-dire immédiatement avant l’aube (5 -octobre), qu’ils descendent dans le fossé du fort; sous quel prétexte? -je ne sais. Les deux filles restent en haut. - -Que se passe-t-il alors? Il est malaisé de l’établir. Le marin n’est -plus là pour le raconter; de plus, au moment de l’agression, il était -ivre et il est vraisemblable qu’il n’ait pu se rendre que vaguement -compte de la manière dont on l’attaquait et du rôle particulier de -chacun de ses agresseurs. Nous n’aurons donc, pour nous éclairer, que le -témoignage des intéressés. Or, chacun des accusés proteste de son -innocence; du moins cherche-t-il à restreindre le plus possible sa part -de responsabilité. (Lepic, plus catégorique, niera même avoir été de la -partie: on s’est trompé; ça n’est pas lui.) - - * * * * * - -On procède à l’interrogatoire de Cordier: - -C’est sans doute un bien méchant gars: il a déjà subi trois -condamnations pour vol; il n’avait que quatorze ans la première fois; il -est rendu à ses parents; il recommence; de nouveau on le renvoie à sa -famille; à la troisième fois on le confie à une colonie disciplinaire. -Mais il prend en telle horreur ce régime, qu’il s’enfuit et retourne -près de sa mère. Madame Cordier est la veuve d’un marin; elle tient une -maison de blanchissage et emploie plusieurs ouvrières. Yves Cordier est -le dernier de cinq enfants. Le puîné est au régiment; les autres sont -placés, mariés, font une honnête carrière; toute la famille est -honorablement notée. Le cadet, celui qui nous occupe, semble -particulièrement aimé; et non seulement de sa mère et de ses frères, -mais également par les voisins. Ses patrons donnent de lui de bons -témoignages; on nous lit une lettre d’un de ceux-ci, qui parle avec -éloge de «sa conduite et sa probité» et demande à le reprendre à son -service. C’est chez lui que Cordier reprenait déjà du travail deux jours -après sa première libération[6]. - - [6] Je ne donne ici que les renseignements qui nous furent fournis par - la Cour, et non ceux que je pus, de mon côté, recueillir ensuite. - -Il est à remarquer que la déposition de Cordier et celles des deux -filles concordent point par point. D’après leur récit, Goret aurait -brusquement sauté au cou du marin par derrière et aurait roulé à terre -avec lui. Puis, tandis que Lepic le baillonnait, Goret l’aurait fouillé -et aurait passé à Cordier l’argent qu’il trouvait dans les poches. Cet -argent, Cordier le repassait presque aussitôt après à Lepic. Goret -donnait encore au marin deux derniers coups de pied sur la nuque, et -l’on repartait. - -Chacun allait de son côté; mais rendez-vous était pris pour se retrouver -un peu plus tard, dans une chambre, rue du Petit Croissant, chez Goret -même, et se partager l’argent. - -C’est là que la police, aussitôt prévenue par le marin, les arrêta. - - * * * * * - -Le Président bouscule l’interrogatoire des deux filles. Il appert que -les témoins «de moralité douteuse» ne jouissent pas d’un grand crédit -dans son esprit; et cela est tout naturel. Malheureusement, ici nous -n’avons que ceux-ci pour nous instruire. Gabrielle, pressée de -questions, qui se succèdent sans qu’elle ait le temps d’achever ses -réponses, et qui sent que le Président ne lui fait point crédit, se -trouble. Elle ne peut guère placer que des monosyllabes, répondre que -par oui ou par non. Elle veut dire (c’est du moins ce qu’il me semble) -que Cordier n’a pas participé à l’agression, et n’a fait que recevoir -l’argent que les autres lui passaient. Si vous croyez que c’est -facile!... Évidemment tout cela a été déjà élucidé à l’instruction: cet -interrogatoire, pour le juge qui a étudié l’affaire, ne peut et ne -_doit_ apporter rien de nouveau; mais pour le juré, tout est neuf: il -cherche à se faire une opinion; il s’inquiète et doute si peut-être -l’affaire n’a pas été bouclée trop vite, et l’opinion que s’en est faite -le Président. - -Le Président.--Est-ce Cordier qui lui mettait la main sur la bouche? - -La fille Gabrielle.--Non, mon Président. - -Le Président.--Alors c’est lui qui a porté les coups. - -La fille Gabrielle.--Non, mon Président. - -Le Président.--Enfin, l’un frappait, l’autre baillonnait, le troisième -fouillait. Braz dit que c’est Cordier qui l’a frappé; vous dites que -c’est Cordier qui l’a fouillé. Il y a eu sans doute quelque confusion -dans la lutte et par conséquent dans les témoignages aussi. Il ressort -de tout cela que la responsabilité des trois accusés a été engagée au -même degré, et c’est ce qui paraît évident. Fille Gabrielle, vous pouvez -vous rasseoir. - -La fille Gabrielle est la dernière interrogée; on va passer aux -plaidoiries. Alors le Président, selon l’usage, se tournant vers «celui -qui a la main en écharpe»: - ---Vous n’avez rien à ajouter au rapport du témoin? - -Cordier, qui sent que tout va finir, en sanglotant: - ---Monsieur le Président, j’dis la vérité, j’l’ai pas touché.--Puis dans -un élan pathétique, du plus fâcheux effet:--Je l’jure sur la tombe de -mon père... - -Le Président.--Mon enfant, laissez donc votre père tranquille. - -Cordier, continuant.--... pas même du bout du doigt... - - * * * * * - -Pour Cordier, non plus que pour les autres, aucun témoin à décharge n’a -été cité. On a bien donné lecture de la lettre d’un des patrons de -Cordier; mais pourquoi n’entendons-nous pas sa mère?--Parce que Yves -Cordier n’a pas voulu qu’elle fût appelée; il s’est même refusé à donner -son adresse. - -Le Président.--Pourquoi n’avez-vous pas voulu donner l’adresse de votre -mère? - -Cordier ne répond pas. - -Le Président.--Alors vous refusez de nous dire pourquoi vous n’avez pas -voulu donner l’adresse de votre mère? - -Hélas! mon Président, est-ce donc si difficile à comprendre? ou -n’admettez-vous pas que Cordier ait pu vouloir épargner une honte à sa -mère? Si vous pouviez voir la pauvre femme, comme j’ai fait ensuite,[7] -sans doute vous ne vous étonneriez plus. - - [7] «Je ne me refuse aucunement à vous donner l’adresse de ma mère, - m’écrivit peu de temps après Cordier, de la prison--car, si je ne - l’ai donnée au juge, c’était pour ne pas qu’elle se présente au - Palais.» - -Je suis consterné, épouvanté, de sentir que l’interrogatoire va se clore -et que le cas particulier de Cordier va demeurer si peu, si mal éclairé. -Car je ne sais presque rien de lui, mais il m’apparaît déjà que ce -garçon n’a rien de féroce, rien d’un bandit. Il ne me semble même pas -impossible qu’il ait accompagné le marin, poussé par une sorte de -sympathie vague... Ne saurais-je inventer nulle question, puisque, juré, -j’ai le droit d’en poser, qui puisse jeter ici quelque lueur, et -m’éclairer moi-même--car peut-être que je m’abuse et qu’Yves Cordier, -après tout, ne mérite point la pitié. Cette question, je n’aurai plus le -droit de la poser, dès que les plaidoiries auront commencé. Je n’ai plus -qu’un instant, et déjà l’avocat de Cordier se lève... Alors, d’une voix -étranglée, le cœur battant, je _lis_ ceci, que je viens d’écrire, -craignant sinon de ne pouvoir trouver mes mots et achever ma phrase: - ---Monsieur le Président, pouvons-nous savoir quelle somme a été prise à -la victime et dans quelle proportion le partage s’est fait ensuite entre -les accusés? - -Le Président procède à un court interrogatoire et nous apprenons: que 92 -francs ont été soustraits à Braz;--que, sur cette somme, 5 francs ont -été donnés à chacune des deux femmes pour acheter leur silence;--que -Cordier a reçu 10 francs, qu’il remettait aussitôt après aux agresseurs; -et que, du reste de la somme, soit 72 francs, Lepic et Goret ont gardé -chacun la moitié. - -Ah! s’il m’était permis de tirer des conclusions et, d’après ces -chiffres précis, de chiffrer précisément la part de responsabilité de -chacun!... L’avocat de Cordier, du moins, le fera-t-il?--Non. Sa -plaidoirie du reste est solide, habile; mais il ne peut faire que -Cordier n’ait un casier judiciaire déjà chargé. Il ne peut faire non -plus que Cordier, peu de temps après son arrestation, ou plus -précisément, je crois: après la première instruction--n’ait écrit au -Procureur la lettre la plus absurde, la plus folle: - -«Je ne connais ni Lepic, ni Goret, y disait-il. Ils n’étaient pas là. -C’est moi seul qui ai fait le coup, avec un de mes amis du port. Je ne -regrette qu’une chose: c’est de ne pas avoir achevé le marin.» - -Lettre manifestement écrite sous la pression de Lepic, dira l’avocat -défenseur, et sans doute sous ses menaces. (Lepic chercha également à -intimider les deux femmes en les menaçant de son couteau «catalan».) -N’a-t-on pas persuadé à Cordier que, en tant que mineur, il ne risquait -guère et ne pourrait être condamné sévèrement? - -Cette lettre, du reste, l’accusation, tout en la relevant, n’en tient -pas grand compte. Il arrive parfois, souvent même, que le Procureur -reçoive de la prison semblables «aveux» destinés parfois à éclairer la -justice, parfois à l’égarer; lettres écrites, parfois même, sans but et -sans raison, dans le désœuvrement de la geôle. N’importe! cette lettre, -dans l’esprit des jurés, est du plus déplorable effet. J’ai moi-même le -plus grand mal à me l’expliquer par le peu que l’instruction m’a révélé -du caractère (et de l’absence de caractère) de Cordier. - -Après la première plaidoirie de la défense, le tribunal demande une -suspension de séance et nous allons dîner. - - * * * * * - -Quand, deux heures après, nous rentrons au Palais, l’avocat de Cordier -_n’est plus là_. Certes, je n’irai pas jusqu’à dire que les avocats des -deux autres accusés ont _profité_ de cette absence, mais pourtant, comme -ce n’est qu’en chargeant Cordier qu’ils pouvaient décharger leur client, -la présence du défenseur de Cordier n’aurait pas été inutile. Cordier -restait tout abandonné à la discrétion des deux autres. - -Et ce n’est pas seulement par là que Cordier eut à pâtir de passer en -jugement le premier. Sans doute, si elle s’était d’abord déchargée sur -Lepic, la sévérité des jurés se serait montrée moins intransigeante. Ce -fut Goret qui, passant troisième, profita de la réaction; du reste, son -linge, sa tenue, son air fourbe, avaient favorablement impressionné le -jury. - -Nous ne fûmes pas plutôt dans la salle de délibération qu’un long, -maigre «primaire» à cheveux blancs, sortit de sa poche un papier où il -avait consigné toutes les charges contre Cordier, et principalement ses -condamnations précédentes. En vérité ce furent celles-ci qui -l’emportèrent et dictèrent le nouveau jugement. Tant il est difficile -pour le juré de ne pas considérer une première condamnation comme une -charge et de juger le prévenu en dehors de l’ombre que cette première -condamnation porte sur lui. - -En vain, un autre juré donna lecture de la lettre d’un des autres -patrons de Cordier, extrêmement favorable à celui-ci--lettre qui n’avait -pas été versée au dossier et que je ne sais qui venait, je ne sais -comment, de lui remettre tandis que nous passions dans la salle de -délibération--ce que je croyais formellement interdit... - ---Tout ça, c’est des bandits, reprenait un autre juré. Faut en -débarrasser la société. - -C’est ce qu’on fit dans la mesure du possible. Cordier fut condamné à -cinq ans de réclusion et dix ans d’interdiction de séjour. Goret, à -l’heure où j’écris ces lignes, est relâché depuis trois mois. - - * * * * * - -Cette nuit je ne puis pas dormir; l’angoisse m’a pris au cœur, et ne -desserre pas son étreinte un instant. Je resonge au récit que me fit -jadis au Havre un rescapé de la Bourgogne: Il était, lui, dans une -barque avec je ne sais plus combien d’autres; certains d’entre ceux-ci -ramaient; d’autres étaient très occupés tout autour de la barque à -flanquer de grands coups d’aviron sur la tête et les mains de ceux, à -demi noyés déjà, qui cherchaient à s’accrocher à la barque et -imploraient qu’on les reprît; ou bien, avec une petite hache, leur -coupaient les poignets. On les renfonçait dans l’eau, car en cherchant à -les sauver on eût fait chavirer la barque pleine... - -Oui! le mieux c’est de ne pas tomber à l’eau. Après, si le ciel ne vous -aide, c’est le diable pour s’en tirer!--Ce soir je prends en honte la -barque, et de m’y sentir à l’abri. - -Avant de rentrer me coucher, j’avais longtemps erré dans ce triste -quartier près du port, peuplé de tristes gens, pour qui la prison semble -une habitation naturelle--noirs de charbon, ivres de mauvais vin, ivres -sans joie, hideux. Et dans ces rues sordides, rôdaient de petits -enfants, hâves et sans sourires, mal vêtus, mal nourris, mal aimés... - -Mais Cordier, lui, est fils d’une honnête famille; il a eu de bons -exemples sous les yeux. Si on lui tend la perche, peut-être qu’on -pourrait le sauver. - -Le lendemain matin, je m’en vais trouver son avocat et lui soumets le -projet de requête que voici (il s’agit, du reste, d’une demande non de -recours en grâce, mais simplement de diminution de peine): - - _Attendu_ - - _Que le seul témoignage contre l’accusé Cordier est celui de la - victime, M. Braz, ivre au moment où elle a été attaquée;_ - - _Que du reste M. Braz, marin, reparti en voyage, n’a pu être atteint - par la citation et par conséquent être entendu à l’audience;_ - - _Qu’il ressort néanmoins de sa première déposition qu’il a été attaqué - par derrière et qu’il n’a pu voir l’agresseur.--_ - - _D’autre part,_ - - _Attendu_ - - _Que la déposition de Cordier concorde entièrement avec celles des - filles Gabrielle et Mélanie, seuls témoins de l’agression, et qu’il - ressort de leurs dires que Cordier n’a point pris part à l’attaque, - mais s’est contenté de recevoir l’argent de la victime, que Goret et - Lepic, les deux agresseurs, lui tendaient;_ - - _Qu’il ressort de ces dépositions que Goret, beaucoup moins ivre que - les autres, n’ayant participé à aucune des précédentes «tournées», - suivait le groupe par derrière, à l’insu de Braz, jusqu’au moment où - il a bondi sur lui; que Lepic entraînait le marin avec une intention - précise; et qu’il semble que Cordier, faible de caractère, presque - incapable de résister à l’entraînement et de plus complètement ivre, - n’ait fait que suivre._ - - _Que ceci trouve, du reste, confirmation dans le fait que, lors du - partage, Goret et Lepic se réservant la forte somme, ont jugé - suffisant de lui donner 10 francs, comme ils avaient remis 5 francs à - chacune des deux filles, pour prix du silence._ - - _Attendu_ - - _Que la déclaration de Cordier recueillie au cours de l’instruction, - dont se sont servis les avocats défenseurs des autres accusés, et le - ministère public: «C’est moi seul qui ai fait le coup avec un autre - camarade; ni Lepic, ni Goret n’étaient là; je ne regrette qu’une - chose, c’est de ne pas l’avoir achevé», est manifestement inspirée par - la crainte de Lepic, dangereux repris de justice--qui, de même, a - cherché à intimider les deux femmes--et qu’il n’y a pas lieu par - conséquent de tenir compte de cette déclaration._ - - _Attendu_ - - _Que si Cordier était coupable (du moins dans la mesure qu’on l’a dit) - il est hors de vraisemblance qu’il eût cherché à reporter son affaire - devant une autre juridiction, comme il a fait lorsque la - Correctionnelle du Havre lui a infligé une peine de deux ans._ - -. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - -L’avocat, obligeamment, m’indique telle modification de forme qu’il -croit devoir y apporter, insiste sur le rapport du médecin légiste qui -estime que Cordier est «d’une intelligence au-dessous de la moyenne, -qu’il s’exprime avec une certaine difficulté, que sa mémoire lui fait -parfois défaut» et conclut à une responsabilité atténuée. Puis il -m’indique la marche à suivre pour la faire signer, approuver du -Procureur général et envoyer à qui de droit. - -Une sorte de timidité, la crainte aussi de ne rien obtenir en demandant -trop, le sentiment de la justice--car malgré tout je ne puis considérer -Cordier comme innocent--me détournent de demander le recours en grâce -tout simple. Je me rends compte peu après que je ne l’eusse pas plus -malaisément obtenu. Plusieurs jurés en effet ont médité sur cette -affaire; la nuit leur a porté conseil; ils sont prêts à approuver ma -requête, et je n’ai point de peine à recueillir les signatures de huit -d’entre eux. Un des autres, un énorme fermier rougeoyant, plein de -santé, de joie et d’ignorance, comme on parle devant lui de la maladie -d’un prisonnier et de l’absence de soins par quoi sa maladie aurait -empiré: - ---S’il crève c’est autant de gagné pour la société. A quoi bon les -soigner? s’écrie-t-il. Faut leur dire ce que répondait le médecin, à -l’autre qui voulait se faire couper son doigt pourri:--«Pas la peine, -mon garçon! tombera bien tout seul.» - -Je dois ajouter que cette boutade n’amène les rires que de quelques-uns. - -Les deux autres qui se refusèrent à signer donnèrent cette raison: -qu’ils avaient voté suivant leur conscience et qu’on aurait par trop à -faire s’il fallait revenir sur chaque affaire jugée. - -Evidemment: mais j’eusse été tout de même curieux de connaître le -dossier des deux précédentes condamnations de Cordier. S’il fut jugé -alors comme nous l’avons jugé hier...[8] - - [8] Aussitôt que j’eus un jour libre, j’allai au Havre et rendis - visite à la mère du condamné. J’eus quelque mal à la retrouver, car - la pauvre femme avait dû changer d’adresse pour fuir les propos et - les regards injurieux des voisins. Dès qu’elle comprit pourquoi je - venais, elle m’entraîna dans une petite pièce écartée où les - ouvrières qu’elle emploie ne pussent pas nous entendre. - - Elle sanglote et peut à peine parler; une de ses filles - l’accompagne, qui complète les récits de la mère: - - --Ah! Monsieur, me dit celle-ci, ça a été une grande misère pour - nous quand mon autre fils (le puîné) a été pris par le service. Il - était de bon conseil et Yves l’écoutait toujours. Quand il s’est - échappé de la colonie, il n’a plus osé habiter à la maison, par - crainte qu’on ne le reprenne. C’est alors que, sans domicile, il a - commencé de fréquenter les pires gens qui l’ont entraîné et perdu. - - Tous les renseignements que je recueille ensuite sur Yves - Cordier--de sa mère, de sa sœur, de son dernier patron, de son frère - que je vais voir à la caserne--confirment entièrement l’opinion qui - commençait à se former en moi: - - Yves Cordier est sans jugement; de tête faible et déplorablement - facile à entraîner. Bon à l’excès, disent-ils tous: c’est dire - aussi: sans résistance. Son désir d’obliger autrui va jusqu’à la - manie, jusqu’à la sottise. C’est pour un camarade «qui en avait - besoin» qu’Yves Cordier aurait volé une vieille paire de chaussures, - son premier vol. - - Quand, à la colonie pénitentiaire, sa mère, usant de la permission, - lui apportait des friandises: «Si c’est pour lui que vous apportez - ça, Madame, lui disait le gardien, c’est pas la peine; il donne tout - aux autres et ne gardera rien pour lui.» - - A la colonie, sur les conseils d’un camarade, il se fit tatouer le - dos de la main gauche. Un autre camarade lui persuada, aussitôt - après, que ce tatouage apparent pourrait le gêner dans la vie, et - Yves, docile à ce nouveau conseil, appliqua sur le tatouage un - emplâtre de sel et de vitriol qui lui mangea la chair jusqu’à l’os - (et c’est pourquoi, le jour du délit, il avait sa main en écharpe). - - --Ce garçon avait seulement besoin d’être dirigé, me dit enfin son - patron cordonnier, qui me parle de lui en termes émus et ne demande - qu’à le reprendre à son service... - -Quelque temps après j’obtins satisfaction de ma requête: La peine de -Cordier est réduite à trois ans de prison. - -Mais hélas! après la prison ce sera le bataillon d’Afrique. Et au sortir -de ces six ans, qui sera-t-il... _que_ sera-t-il?... - - - - -IX - - -On a gardé pour la fin l’affaire la plus «conséquente». Celle qui nous -occupe ce dernier jour menace d’être si longue qu’on nous convoque dès 9 -heures du matin. La séance durera jusqu’à plus de 10 heures du soir, -coupée à deux reprises aux heures des repas. Il s’agit des vols commis à -la gare de dépôt de Sotteville sur les marchandises confiées à la -Compagnie de l’État. - -Depuis le nouveau régime de cette compagnie, les réclamations -surabondent et l’on se plaint de toutes parts de vols sans nombre, -certains extrêmement importants. - -Un grand soupir de soulagement se fit entendre dans la presse et dans le -public lorsqu’on apprit qu’une nombreuse bande de voleurs et de -recéleurs avait été pincée. On ne nous en offre pas moins de seize à -juger; le bruit court dès le début de la séance que nous aurons à -répondre à plus de 100 questions. - -La lecture de l’acte d’accusation ne va pas sans nous causer quelque -étonnement. On s’attendait à plus, à mieux; devant l’importance de -certains détournements, que les jurés se rappelaient l’un à l’autre -avant l’ouverture de la séance, les chaparderies reprochées aux prévenus -nous paraissent des peccadilles, et l’étonnement cède vite à l’ennui, à -la fatigue, et même, pour quelques-uns des jurés, à l’agacement, à -l’exaspération, au cours de l’interrogatoire. - -Une interminable discussion s’engage pour savoir si trois bouteilles et -demi de Cointreau ont été volées par la femme X., ou achetées par elle, -ainsi qu’elle le soutient, à la femme B. qui, elle, soutient que la -femme X. ne lui a jamais acheté de liqueurs. La femme X. porte un petit -poupon dans ses bras qui pleure et voudrait déposer lui aussi. - -X., époux de la prévenue, reconnaît s’être approprié «un restant de -bouteille de kirsch»; mais il n’a jamais donné cette paire de -chaussettes à Y.; au contraire, il les a reçues de ce dernier. Quant au -service à découper, c’est Z. qui, etc... - -X. est bon ouvrier; il gagne cent sous par jour, plus une indemnité; il -est père de quatre enfants. Sa déposition concorde avec celle de B. qui -dit avoir reçu de N. de la moutarde et de M. du café et du thé, du reste -en quantités dérisoires: par contre il n’a rien reçu de D. ni de E. Il -reconnaît avoir accompagné N. quand il a chipé le pot de moutarde, mais -lui-même il n’a rien pris. N. ne fait point difficulté de reconnaître le -vol du pot de moutarde. - -M. est père de quatre enfants lui aussi; il avoue le détournement de 5 -kilos de riz et de quelques morceaux de charbon; c’est bien lui qui a -donné à B. deux kilos de café et de thé; mais il les avait lui-même -reçus de R. - -La femme M. n’a jamais voulu garder chez elle quoi que ce soit de -provenance douteuse. - -Par contre, la femme W. mère de six enfants, est convaincue d’avoir -recélé de la chicorée, du riz et un pot de peinture. Elle soutient que -ces denrées lui étaient fournies par M. seul. - -T. nettoyeur au dépôt de Sotteville, père de trois enfants, et dont la -femme est mourante à l’hôpital, nous persuade qu’il n’a jamais rien -volé; sa déposition concorde entièrement avec celle de M. Mais il ne -parvient pas à se laver de l’accusation de recel. - -La femme Y. avoue le recel d’une paire de chaussettes, celle qu’Y. à -donnée par la suite à X. - -Un âpre dialogue se poursuit quelque temps entre la femme O., une -hideuse pouffiasse au teint de géranium, et la femme P. qui sanglote et -fait de grands efforts pour montrer qu’elle est de rang supérieur; -chacune des deux reproche à l’autre de lui avoir apporté de l’huile et -des harengs. - -P., le mari de la dernière, n’est pas employé à la compagnie. C’est un -homme de cinquante ans, d’aspect énergique, grisonnant et à fortes -moustaches, père de famille; précédemment condamné pour coups et -blessures; il vit de ce que lui rapporte son jardin. Ce jardin ouvre sur -la voie, à quelques pas d’un viaduc. En passant sous le viaduc on -gagnait l’autre côté de la voie. (Un plan, ici encore, nous rendrait -service.) Nul lieu ne pouvait être mieux choisi pour les recels. P. -reconnaît avoir recélé les denrées apportées par O. et par X. Il -reconnaît même avoir fait le guet, une fois, «plutôt pour ma sécurité -personnelle», ajoute-t-il. - -O. fils, âgé de quinze ans, reconnaît avoir reçu de la femme P. un -paquet d’étoffe, mais soutient qu’il en ignorait la provenance; etc. -etc... - -Durant la seconde suspension de la séance, les jurés en allant dîner -échangent leurs impressions. Pour la première fois ils se tournent -contre le ministère public; c’est un revirement d’opinion très net et -des plus curieux à observer. - -Ils se redisent, ce qui ressort des rapports, que ces vieux employés -étaient demeurés fidèles tout le temps qu’ils avaient travaillé sous la -direction de l’ancienne compagnie; si maintenant ils prêtaient la main à -la gabegie générale, la nouvelle direction n’en était-elle pas -responsable? «Quand tout à coup, dira l’un de leurs avocats, ces hommes -ont vu sur leur casquette, inscrit à la place du mot _Ouest_, le mot -_État_, chacun d’eux a pensé: _l’État_ c’est moi! Quoi d’étonnant s’ils -se sont donné quelque licence?» Sans doute on compte sur la condamnation -de ceux-ci pour calmer l’opinion publique! Désespérant de saisir les -vrais coupables, ou, qui sait? peut-être craignant de les saisir, on -veut faire payer à leur place les fauteurs de ces peccadilles! Non! non, -les jurés ne seront pas si naïfs et ne se prêteront pas à ce jeu; ils ne -briseront pas la carrière de ces pères de famille, pour les beaux yeux -de l’accusation et de la noble Compagnie de l’État. Certains déjà se -réjouissent à penser à la tête que fera tantôt le Président quand, sur -les réponses des jurés, qui, sur toute la ligne, se préparent à voter -«non coupable», force sera d’acquitter tous les prévenus. Quelle belle -fin de session ce sera. Les journaux vont en parler pour sûr! - -Le Président sans doute a eu vent de ces dispositions; son front -lorsqu’il réapparaît devant nous à la reprise de séance, nous semble un -tantinet rembruni. Nous écoutons le réquisitoire; nous écoutons les -plaidoiries. Dans la crainte que quelqu’un de nous ne défaille, on a -pris soin de nommer deux jurés supplémentaires qui se tiennent prêts à -relayer. Et nous prenons grand’pitié d’eux durant la délibération. -Malgré que nous soyons d’accord et tous décidés par avance, cette -délibération durera plus d’une heure et demie, le chef du jury se -refusant obstinément à sérier les questions et nous forçant à voter pour -presque chacune. Enfermés dans une petite salle à part, les jurés -supplémentaires doivent s’amuser! Ont-ils au moins des journaux et des -cigarettes? On prie le garde de service d’aller s’en informer. - - * * * * * - -Un point reste assez délicat: nous ne voulons pas condamner ces -chapardeurs, c’est entendu; mais, sur le bout du banc, se tenait une -vieille sorcière de recéleuse à la tignasse déteinte et à la voix -éraillée, qui ne mérite pas d’échapper. Comme disait l’avocat général, -citant un mot célèbre: le recéleur fait le voleur. Montrons que nous -avons compris, et laissons retomber le châtiment sur le premier. Nous -rentrons dans la grand’salle tout amusés déjà, avec des sourires de -sympathie pour les pauvres jurés supplémentaires. - -A son tour la Cour se retire. Elle revient au bout d’un instant. Le -Président en effet fait grise mine. - ---Messieurs, dit-il, je suis désolé d’avoir à relever, sur la feuille -que vous m’avez remise, un illogisme qui rend votre vote non -valable,--une distraction évidemment--et qui va me forcer, à mon grand -regret, de vous prier de retourner dans la salle de délibération pour -mettre d’accord vos réponses. Vous votez: _oui_ pour le recel; _non_, -pour le vol. Pour qu’il y ait recel, il faut qu’il y ait eu vol. On ne -peut pas recéler le produit d’un vol qui n’a pas été commis. - -Evidemment; mais c’est cet illogisme apparent qui précisément nous -plaisait. Nous pensions être libres de condamner qui nous voulions; et, -condamner le recéleur en acquittant le voleur, n’était-ce pas -sous-entendre que nous estimions qu’il y avait eu recel de plus de -marchandises que les vols en question n’en avaient apportées, recel -d’autres denrées, du produit d’autres vols, dont le ministère public -n’avait pas saisi les auteurs. Décidément nous nous surfaisions notre -importance. Nous sommes rappelés au sentiment de la limite de nos -pouvoirs. - -Nous rentrons en file dans la petite salle de délibération, si penauds -et la tête si basse que j’ai peine à retenir mon rire. Les jurés -supplémentaires eux aussi sont de nouveau coffrés. - -Nous modifions nos réponses dans la mesure de l’indispensable et -aboutissons à je ne sais plus quel compromis. - - -ÉPILOGUE - -Trois mois après. - -La scène se passe en wagon, entre Narbonne où j’ai laissé Alibert, et -Nîmes. - -Dans un compartiment de troisième classe: un petit gars, de seize ans -environ, point laid, l’air sans malice, sourit à qui veut lui parler; -mais il comprend mal le français, et je parle mal le languedocien. Une -femme d’une quarantaine d’années, en grand deuil, aux traits -inexpressifs, au regard niais, aux pensées irrémédiablement enfantines, -coupe sur du pain une saucisse plate dont elle avale d’énormes bouchées. -Elle se fait l’interprète du jouvenceau et la conversation s’engage avec -mon voisin de droite, une épaisse citrouille qui sourit du haut de son -ventre aux choses, aux gens, à la vie. - -En projetant beaucoup de nourriture autour d’elle, la femme explique que -cet adolescent est appelé des environs de Perpignan à Montpellier où il -doit comparaître ce même jour devant le tribunal; non point en accusé, -mais en victime: il y a quelques jours, des apaches de la campagne l’ont -attaqué sur une route à minuit et laissé pour mort dans un champ, après -lui avoir pris le peu d’argent qu’il avait sur lui. - -On commence à parler des criminels: - ---Ces gens-là, il faudrait les tuer, dit la femme. - ---Vous leur donnez des vingt, des trente condamnations, explique mon -voisin; vous les entretenez aux frais de l’État; tout ça ne donne rien -de bon. Qu’est-ce que cela rapporte à la société? je vous le demande un -peu, Monsieur, qu’est-ce que cela lui rapporte? - -Un autre voyageur, qui semblait dormir dans un coin du wagon: - ---D’abord ces gens-là, quand ils reviennent de là-bas, ils ne peuvent -plus trouver à se placer. - -Le gros Monsieur.--Mais, Monsieur, vous comprenez bien que personne n’en -veut. On a raison; ces gens-là, au bout de quelque temps, recommencent. - -Et comme l’autre voyageur hasarde qu’il en est qui, soutenus, aidés, -feraient de passables et quelquefois de bons travailleurs, le gros -Monsieur, qui n’a pas écouté: - ---Le meilleur moyen pour les forcer à travailler, c’est de les mettre à -pomper au fond d’une fosse qui s’emplit d’eau; l’eau monte quand ils -s’arrêtent de pomper; comme ça ils sont bien forcés. - -La Dame en deuil.--Quelle horreur! - ---J’aimerais mieux les tuer tout de suite, gémit une autre dame. - -Mais, comme la Dame en deuil l’approuve, celle qui d’abord avait émis -cette opinion, sans doute de cette sorte de gens qui trouvent un cheveu -à leur propre opinion dès qu’elle n’est plus exprimée par eux-mêmes: - ---Mon père, lui, _qui était du jury_, il avait coutume de ne les -condamner qu’à perpétuité. Il disait qu’on devait leur laisser le temps -de se repentir. - -Le gros Monsieur hausse les épaules. Pour lui un criminel, c’est un -criminel; qu’on ne cherche pas à le sortir de là. - -La Dame qui n’a presque rien dit, émet timidement cette pensée que la -mauvaise éducation est souvent pour beaucoup dans la formation du -criminel, de sorte que souvent les parents sont les premiers -responsables. - -Le gros Monsieur, lui, croit qu’après tout l’éducation n’est pas -toute-puissante et qu’il est des natures qui sont vouées au mal comme -d’autres sont vouées au bien. - -Le Monsieur du coin se rapproche et parle d’hérédité: - ---La meilleure éducation ne triomphera jamais des mauvaises dispositions -d’un fils d’alcoolique. Les trois quarts des assassins sont des enfants -d’alcooliques. L’alcoolisme... - -La Dame en deuil l’interrompt: - ---Et puis aussi l’habitude des femmes, à Narbonne, de porter un foulard -noir sur la tête; un médecin a découvert que ça leur chauffait le -cerveau... - -Mais elle croit pourtant qu’il y aurait moins de crimes si les parents -n’étaient pas si faibles. - ---On en a jugé un, à Perpignan, continue-t-elle; il avait commencé comme -cela: tout petit enfant, un jour, il a pris une petite pelote de fil -dans le panier à ouvrage de sa mère; sa mère l’a vu et ne l’a pas -grondé; alors, quand l’enfant a vu qu’on ne le punissait pas, il a -continué: il a volé d’autres personnes et puis, vous comprenez, il a -fini par assassiner. On l’a condamné à mort et voici ce qu’il a dit au -pied de l’échafaud.--Elle gonfle sa voix, et mon manteau se couvre de -débris de mangeaille.--Pèrres et mèrres de famille, j’ai commencé par -voler un peloton de fil, et si cette première fois ma mère m’avait puni, -vous ne me verriez pas sur l’échafaud aujourd’hui! Voilà ce qu’il a dit; -et qu’il ne se repentait de rien, sauf d’avoir étranglé dans un berceau -un petit enfant qui lui souriait. - -Le gros Monsieur, qui n’écoute pas plus la Dame que celle-ci ne -l’écoute, revient à son idée: On ne traite pas assez sévèrement ces -gens-là: - ---On n’en fera jamais rien de bon; et du moment qu’on les laisse vivre, -il ne faut pourtant pas que ce soit pour leur plaisir, n’est-ce pas? -Naturellement, ces criminels, ils se plaignent toujours; rien n’est -assez bon pour eux... Je connais l’histoire d’un qui avait été condamné -par erreur; au bout de vingt-sept ans, on l’a fait revenir, parce que le -vrai coupable, au moment de mourir, a fait des aveux complets; alors le -fils de celui qu’on avait condamné par erreur a fait le voyage, il a -ramené de là-bas son père, et savez-vous ce que celui-ci a dit à son -retour?--qu’il n’était pas trop mal là-bas. C’est-à-dire, Monsieur, -qu’il y a bien des honnêtes gens en France, qui sont moins heureux -qu’eux. - ---Dieu l’aura puni, dit la grosse Dame en deuil après un silence -méditatif. - ---Qui ça? - ---Eh! le vrai criminel, pardine! Dieu est bon, mais il est juste, vous -savez. - ---Ça m’étonne tout de même que le prêtre ait raconté la confession, dit -l’autre dame; ils n’ont pas le droit. Le secret de la confession, c’est -sacré. - ---Mais, Madame, ils étaient plusieurs qui ont entendu cette confession; -quand il s’est vu mourir, qu’est-ce qu’il risquait? Il a demandé au -contraire qu’on le répète. Il y a sept ans de cela. Vingt-sept ans après -le crime. Vingt-sept ans! pensez. Et personne ne s’en doutait; il avait -continué à vivre, considéré dans le pays. - ---Quel crime avait-il donc commis, demande le Monsieur du coin. - ---Il avait assassiné une femme. - -Moi.--Il me semble, Monsieur, que cet exemple contredit un peu ce que -vous avanciez tout à l’heure. - -Le gros Monsieur devient tout rouge: - ---Alors vous ne croyez pas ce que je vous raconte?! - ---Mais si! mais si! vous ne me comprenez pas. Je dis simplement que cet -exemple prouve que quelquefois un homme peut commettre un crime isolé et -ne pas s’enfoncer ensuite dans de nouveaux crimes. Voyez celui-ci: après -ce crime il a mené, dites-vous, vingt-sept ans de vie honnête. Si vous -l’aviez condamné, il y a de grandes chances pour que vous l’ayez amené à -récidiver. - ---Mais, Monsieur, la loi Béranger précisément... commence l’autre dame. -Celle en deuil l’interrompt: - ---Alors vous n’appelez pas ça un crime, de laisser vingt-sept ans un -innocent faire de la prison à sa place? - -Le second Monsieur hausse les épaules et se renfonce dans son coin. La -citrouille s’endort. - -A Montpellier, le petit gars descend; et sitôt qu’il est parti, la Dame -en deuil, qui cependant a achevé son repas et remet dans son panier le -reste du saucisson et du pain: - ---A voyager comme ça depuis le matin, il doit avoir faim, cet enfant! - - - - -APPENDICE - -Réponse à une enquête - -(_Opinion_ du 25 octobre 1913) - -«_Les Jurés jugés par eux-mêmes._» - - -Sans doute ces questions sont «dans l’air». J’ai passé les dernières -semaines de cet été à mettre au net mes souvenirs de Cour d’Assises, qui -commenceront prochainement à paraître en revue, puis en volume. - -J’ai cru que le simple récit des affaires que nous avions été appelés à -juger serait plus éloquent que des critiques. L’enquête de l’_Opinion_, -pourtant, m’engage à tâcher de formuler celles-ci. - -Que parfois grincent certains rouages de la machine-à-rendre-la-justice, -c’est ce qu’on ne saurait nier. Mais on semble croire aujourd’hui que -les seuls grincements viennent du côté du jury. Du moins on ne parle -aujourd’hui que de ceci; j’ai dû pourtant me persuader, à plus d’une -reprise--et non pas seulement à cette session où je siégeais comme -juré--que la machine grince souvent aussi du côté des interrogatoires. -Le juge interrogateur arrive avec une opinion déjà formée sur l’affaire -dont le juré ne connaît encore rien. La manière dont le président pose -les questions, dont il aide et favorise tel témoignage, fût-ce -inconsciemment, dont au contraire il gêne et bouscule tel autre, a vite -fait d’apprendre aux jurés quelle est son opinion personnelle. Combien -il est difficile aux jurés (je parle des jurés de province) de ne pas -tenir compte de l’opinion du président, soit (si le président leur est -«sympathique») pour y conformer la leur, soit pour en prendre tout à -coup le contre-pied--c’est ce qui m’est nettement apparu dans plus d’un -cas, et ce que, dans mes souvenirs, j’ai exposé sans commentaires. - -Il m’a paru que les plaidoiries faisaient rarement, jamais peut-être (du -moins dans les affaires que j’ai eues à juger) revenir les jurés sur -leur impression première--de sorte qu’il serait à peine exagéré de dire -qu’un juge habile peut faire du Jury ce qu’il veut. - - * * * * * - -L’interrogatoire par le juge... peut-être une autre enquête de -l’_Opinion_ soulèvera-t-elle plus tard cette question délicate. N’ayant -pas assisté à des séances de Cour criminelle en Angleterre, je ne puis -pressentir si peut-être l’interrogatoire par les avocats et le ministère -public, ne présente pas des inconvénients plus graves encore... en tout -cas ce n’est pas à cela que vous m’invitez à répondre aujourd’hui. - - * * * * * - -Mon opinion sur la composition du jury?--C’est que cette composition est -extrêmement défectueuse. Je ne sais trop comment avait pu se recruter -celui dont je me trouvais faire partie, mais à coup sûr, s’il était le -résultat d’une _sélection_, c’était d’une sélection à rebours[9].--Je -veux dire que tous ceux qui, dans les villes ou dans les campagnes, -eussent pu paraître mériter en être, semblaient avoir été soigneusement -éliminés--à moins qu’ils ne se fussent faits récuser. - - [9] L’un des jurés de ma session savait à peine lire et écrire; sur - ses bulletins de vote le _oui_ et le _non_ étaient si malaisément - reconnaissables que plus d’une fois on dut le prier de répondre à - neuf oralement. - -Mais vous-même? me dira-t-on.--Si je n’avais pas insisté auprès du maire -de ma commune chargé de dresser les premières listes, pour qu’il y -portât régulièrement mon nom depuis six ans, je suis bien assuré qu’il -ne m’aurait pas proposé--_par peur de me déranger_. Encore craignais-je -après avoir reçu ma citation, d’être récusé, en qualité -_d’intellectuel_, soit complètement, soit successivement pour chaque -affaire. - -(On me l’avait fait craindre, et je me souvenais que mon père, nommé -juré, avait été systématiquement éliminé, en tant que juriste, chaque -fois que son nom était sorti de l’urne.) - -Il n’en a rien été. Et comme certains de mes collègues se faisaient -fréquemment récuser, j’ai pu siéger dans un grand nombre d’affaires, et -assister plus d’une fois aux perplexités, au désarroi, à l’affolement du -jury. - -Je n’étais pourtant pas de cette affaire où les jurés, après avoir -répondu de telle manière que la Cour dût condamner l’accusé aux travaux -forcés à perpétuité--épouvantés du résultat de leur vote, se réunirent -aussitôt après séance et, précipités d’un excès dans un autre, signèrent -un recours en grâce pur et simple. - - * * * * * - -On a proposé que le chef du jury soit désigné, non par le sort, comme -actuellement (premier nom sorti de l’urne) mais, dans la salle de -délibérations, par un vote--comme il advient parfois. Et je crois que ce -serait là une réforme très heureuse. Car j’ai vu, dans certains cas, tel -chef de jury contribuer par ses indécisions, ses incompréhensions, ses -lenteurs, au désordre qu’un bon chef de jury pourrait au contraire -empêcher. (Il est vrai d’ajouter que le plus incapable était aussi bien -celui qui était le plus fier de sa place et le moins disposé à la -céder). - -Ce n’est pas que pour être un bon juré une grande instruction soit -nécessaire, et je sais certains «paysans» dont les jugements (un peu -butés parfois) sont plus sains que ceux de nombre d’intellectuels; mais -je m’étonne néanmoins que les gens complètement déshabitués de tout -travail de tête, soient capables de prêter l’attention soutenue qu’on -réclame ici d’eux, des heures durant. L’un d’eux ne me cachait pas sa -fatigue; il se fit récuser aux dernières séances; «sûrement je serais -devenu fou», disait-il. C’était un des meilleurs. - -Aussi bien je crois que l’opinion du juré se forme et s’arrête assez -vite. Il est, au bout de deux ou trois quarts d’heure, sursaturé--ou de -doute, ou de conviction. (Je parle du juré de province). - -En général, ici comme ailleurs, la violence des convictions est en -raison de l’inculture et de l’inaptitude à la critique. - -Si donc on est en humeur de réforme, il me semble que la première -réforme devrait porter sur la formation des listes de recrutement des -jurés, de sorte que l’on portât sur celles-ci, non les plus desœuvrés et -les plus insignifiants, mais les plus aptes. Il faudrait également que -ces derniers tinssent à honneur de ne pas se faire récuser. - - * * * * * - -J’ai entendu proposer ces derniers temps, que le jury soit appelé à -délibérer avec la Cour et à statuer avec elle sur l’application de la -peine. Oui peut-être... Du moins est-il fâcheux que les jurés puissent -être surpris par la décision de la Cour et penser: nous aurions voté -différemment si nous avions pu prévoir que notre vote allait entraîner -peine si forte--ou si légère. - -Il faut dire surtout que les questions auxquelles le juré doit répondre -sont posées de telle sorte qu’elles prennent souvent l’aspect de -traquenards, et forcent le malheureux juré de voter contre la vérité -pour obtenir ce qu’il estime la justice. - -Plus d’une fois j’ai vu de braves paysans, décidés à ne pas voter les -circonstances aggravantes, devant les questions: le vol a-t-il été -commis la nuit... avec effraction... à plusieurs (ce qui précisément -constitue les circonstances aggravantes) s’écrier désespérément: -«J’pouvons tout d’même pas dire que _non_.» Et voter ensuite les -_circonstances atténuantes_, au petit bonheur, en manière de palliatif. - -Si les questions ne peuvent être posées différemment (et j’avoue que je -ne vois pas bien comment elles pourraient être posées)--il serait bon -que, au début de la première séance, les jurés reçussent quelques -instructions qui pourraient prévenir leur incertitude, leur angoisse et -leur désarroi. - - * * * * * - -On a proposé que la feuille des questions fut remise à chacun d’eux, sur -copie séparée, avant l’ouverture de la séance; cette mesure me paraît -présenter de sérieux avantages--et je ne vois pas quels inconvénients. - -Je proposerais aussi que dans certains cas, un plan topographique fut -remis à chacun des jurés, lui permettant de se représenter plus aisément -le théâtre du crime: Dans telle affaire d’agression nocturne, où je fus -appelé à siéger, la conviction des jurés dépendait uniquement de ceci: -l’accusé était-il assez près d’un réverbère et suffisamment éclairé, -pour que Madame X, de sa fenêtre, ait pu le reconnaître? Quelques -témoins, appelés à la barre, placèrent le réverbère l’un à cinq mètres, -l’autre à vingt-cinq, du lieu précis de l’agression. Un troisième alla -jusqu’à prétendre qu’il n’y avait pas de réverbère du tout à cet endroit -de la rue... N’eût-il pas été bien simple de faire dresser par la -gendarmerie un plan des lieux? - - * * * * * - -Monsieur Bergson demande que chacun des jurés soit tenu de motiver et -d’expliquer son vote... Evidemment; mais il ne m’est pas du tout prouvé -que le juré le plus malhabile à parler soit celui qui sente et pense le -plus mal. Et réciproquement, hélas! - - - - - ACHEVÉ D’IMPRIMER LE SIX - JANVIER MIL NEUF CENT QUATORZE PAR - «L’IMPRIMERIE SAINTE CATHERINE» - QUAI ST. PIERRE, BRUGES, BELGIQUE. - - -*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK SOUVENIRS DE LA COUR -D'ASSISES *** - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the -United States without permission and without paying copyright -royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part -of this license, apply to copying and distributing Project -Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ -concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, -and may not be used if you charge for an eBook, except by following -the terms of the trademark license, including paying royalties for use -of the Project Gutenberg trademark. 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