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-The Project Gutenberg eBook of Souvenirs de la Cour d'Assises, by
-André Gide
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you
-will have to check the laws of the country where you are located before
-using this eBook.
-
-Title: Souvenirs de la Cour d'Assises
-
-Author: André Gide
-
-Release Date: January 31, 2023 [eBook #69918]
-
-Language: French
-
-Produced by: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team
- at https://www.pgdp.net (This file was produced from images
- generously made available by The Internet Archive/Canadian
- Libraries)
-
-*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK SOUVENIRS DE LA COUR
-D'ASSISES ***
-
-
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-
- ANDRÉ GIDE
-
- SOUVENIRS
- DE LA
- COUR D’ASSISES
-
- (4me édition)
-
-
- ÉDITIONS DE LA
- NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
- 35 & 37, RUE MADAME, PARIS
-
- 1913
-
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-
-DU MÊME AUTEUR
-
-
-ont paru au _MERCURE DE FRANCE_
-
- LES CAHIERS D’ANDRÉ WALTER épuisé
- LES POÉSIES D’ANDRÉ WALTER épuisé
- LE VOYAGE D’URIEN, suivi de PALUDES (nouvelle édition) 1 vol.
- LES NOURRITURES TERRESTRES 1 vol.
- LE ROI CANDAULE, suivi de SAÜL (nouvelle édition) 1 vol.
- LE PROMÉTHÉE MAL ENCHAINÉ 1 vol.
- L’IMMORALISTE, récit 1 vol.
- LA PORTE ÉTROITE, récit 1 vol.
- PRÉTEXTES 1 vol.
- NOUVEAUX PRÉTEXTES 1 vol.
-
-
-_ÉDITIONS DE LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE_
-
- ISABELLE, récit 1 vol.
- LE RETOUR DE L’ENFANT PRODIGUE 1 vol.
-
-
-_TRADUCTION_
-
- RABINDRANATH TAGORE: L’Offrande Lyrique (Gitanjali) 1 vol.
-
-
-
-
- IL A ÉTÉ TIRÉ DE CE VOLUME
- 70 EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS SUR VERGÉ D’ARCHES
- (TEXTE INTÉGRAL RÉTABLI)
- DONT 20 HORS COMMERCE (A à T)
-
-
-
-
-_A JACQUES RIVIÈRE_
-
-
-
-
-De tout temps les tribunaux ont exercé sur moi une fascination
-irrésistible. En voyage, quatre choses surtout m’attirent dans une
-ville: le jardin public, le marché, le cimetière et le Palais de
-Justice.
-
-Mais à présent je sais par expérience que c’est une tout autre chose
-d’écouter rendre la justice, ou d’aider à la rendre soi-même. Quand on
-est parmi le public on peut y croire encore. Assis sur le banc des
-jurés, on se redit la parole du Christ: _Ne jugez point._
-
-Et certes je ne me persuade point qu’une société puisse se passer de
-tribunaux et de juges; mais à quel point la justice humaine est chose
-douteuse et précaire, c’est ce que, durant douze jours, j’ai pu sentir
-jusqu’à l’angoisse. C’est ce qu’il apparaîtra peut-être encore un peu
-dans ces notes.
-
-Pourtant je tiens à dire ici, d’abord, pour tempérer quelque peu les
-critiques qui transparaissent dans mes récits, que ce qui m’a peut-être
-le plus frappé au cours de ces séances, c’est la conscience avec
-laquelle chacun, tant juges qu’avocats et jurés, s’acquittait de ses
-fonctions. J’ai vraiment admiré, à plus d’une reprise, la présence
-d’esprit du Président et sa connaissance de chaque affaire; l’urgence de
-ses interrogatoires; la fermeté et la modération de l’accusation; la
-densité des plaidoiries, et l’absence de vaine éloquence; enfin
-l’attention des jurés. Tout cela passait mon espérance, je l’avoue; mais
-rendait d’autant plus affreux certains grincements de la machine.
-
-Sans doute quelques réformes, peu à peu, pourront être introduites, tant
-du côté du juge et de l’interrogatoire, que de celui des jurés...[1] Il
-ne m’appartient pas ici d’en proposer.
-
- [1] Voir à ce sujet l’enquête du _Temps_, Nºs du 13 Octobre dernier,
- du 14 et sqq. et l’_Opinion_, Nºs du 18 et du 25 Octobre.
-
-
-
-
-I
-
-
-_Lundi._
-
-On procède à l’appel des jurés. Un notaire, un architecte, un
-instituteur retraité; tous les autres sont recrutés parmi les
-commerçants, les boutiquiers, les ouvriers, les cultivateurs, et les
-petits propriétaires; l’un d’eux sait à peine écrire et sur ses
-bulletins de vote il sera malaisé de distinguer le _oui_ du _non_; mais
-à part deux je-m’en-foutistes, qui du reste se feront constamment
-récuser, chacun semble bien décidé à apporter là toute sa conscience et
-toute son attention.
-
-Les cultivateurs, de beaucoup les plus nombreux, sont décidés à se
-montrer très sévères; les exploits des bandits tragiques, Bonnot, etc.
-viennent d’occuper l’opinion: «Surtout pas d’indulgence», c’est le mot
-d’ordre, soufflé par les journaux; ces Messieurs les jurés représentent
-la _Société_ et sont bien décidés à la défendre.
-
-L’un des jurés manque à l’appel. On n’a reçu de lui aucune lettre
-d’excuses; rien ne motive son absence. Condamné à l’amende
-réglementaire: trois cents francs, si je ne me trompe. Déjà l’on tire au
-sort les noms de ceux qui sont désignés à siéger dans la première
-affaire, quand s’amène tout suant le juré défaillant; c’est un pauvre
-vieux paysan sorti de la _Cagnotte_ de Labiche. Il soulève un grand rire
-général en expliquant qu’il tourne depuis une demi-heure autour du
-Palais de Justice sans parvenir à trouver l’entrée. On lève l’amende.
-
- * * * * *
-
-Par absurde crainte de me faire remarquer, je n’ai pas pris de notes sur
-la première affaire; un attentat à la pudeur (nous aurons à en juger
-cinq). L’accusé est acquitté; non qu’il reste sur sa culpabilité quelque
-doute, mais bien parce que les jurés estiment qu’il n’y a pas lieu de
-condamner pour si peu. Je ne suis pas du jury pour cette affaire, mais
-dans la suspension de séance j’entends parler ceux qui en furent;
-certains s’indignent qu’on occupe la Cour de vétilles comme il s’en
-commet, disent-ils, chaque jour de tous les côtés.
-
-Je ne sais comment ils s’y sont pris pour obtenir l’acquittement tout en
-reconnaissant l’individu coupable des actes reprochés. La majorité a
-donc dû, contre toute vérité, écrire «Non» sur la feuille de vote, en
-réponse à la question: «X... est il coupable de... etc.» Nous
-retrouverons le cas plus d’une fois et j’attends pour m’y attarder,
-telle autre affaire pour laquelle j’aurai fait partie du jury et assisté
-à la gêne, à l’angoisse même de certains jurés, devant un questionnaire
-ainsi fait qu’il les force de voter contre la vérité, pour obtenir ce
-qu’ils estiment la justice.
-
- *
-
- * *
-
-La seconde affaire de cette même journée m’amène sur le banc des jurés,
-et place en face de moi les accusés Alphonse et Arthur.
-
-Arthur est un jeune aigrefin à fines moustaches, au front découvert, au
-regard un peu ahuri, l’air d’un Daumier. Il se dit garçon de magasin
-d’un sieur X...; mais l’information découvre que M. X... n’a pas de
-magasin.
-
-Alphonse est «représentant de commerce»; vêtu d’un pardessus noisette à
-larges revers de soie plus sombre; cheveux plaqués, châtain sombre;
-teint rouge; œil liquoreux, grosses moustaches; air fourbe et arrogant;
-trente ans. Il vit au Havre avec la sœur d’Arthur; les deux beaux-frères
-sont intimement liés depuis longtemps, l’accusation pèse sur eux
-également.
-
-L’affaire est assez embrouillée: il s’agit d’abord d’un vol assez
-important de fourrures, puis d’un cambriolage sans autre résultat, en
-plus du saccage, que la distraction d’une blague à tabac de 3 francs, et
-d’un carnet de chèques inutilisables. On ne parvient pas à recomposer le
-premier vol et les charges restent si vagues que l’accusation se reporte
-plutôt sur le second; mais ici encore rien de précis; on rapproche de
-menus faits, on suppose, on induit...
-
-Dans le doute, l’accusation solidarise les deux accusés; mais leur
-système de défense est différent. Alphonse porte beau, a souci de son
-attitude, rit spirituellement à certaines remarques du président:
-
---Vous fumiez de gros cigares.
-
---Oh! fait-il dédaigneusement, des londrès à 25 centimes!
-
---Vous ne disiez pas tout à fait cela à l’instruction, dit un peu plus
-tard le président. Pourquoi n’avez-vous pas persisté dans vos négations?
-
---Parce que j’ai vu que ça allait m’attirer des ennuis, répond-il en
-riant.
-
-Il est parfaitement maître de lui et dose très habilement ses
-protestations. Ses occupations de «placier» restent des plus douteuses.
-On le dit «l’amant» d’une vieille fille de 60 ans. Il proteste: «Pour
-moi, c’est ma mère».
-
-L’impression sur le jury est déplorable. S’en rend-il compte? Son front,
-peu à peu, devient luisant...
-
-Arthur n’est guère plus sympathique. L’opinion du jury est que, après
-tout, s’il n’est pas bien certain qu’ils aient commis _ces vols-ci_, ils
-ont dû en commettre d’autres; ou qu’ils en commettront; que, donc, ils
-sont bons à coffrer.
-
-Cependant c’est pour _ce_ vol uniquement que nous pouvons les condamner.
-
---Comment aurais-je pu le commettre? dit Arthur, je n’étais pas au Havre
-ce jour-là.
-
-Mais on a recueilli, dans la chambre de sa maîtresse les morceaux d’une
-carte postale de son écriture, qui porte le timbre du Havre du 30
-octobre, jour où le vol a été commis.
-
-Or voici comment se défend Arthur:
-
---J’ai, dit-il en substance, envoyé ce jour-là à ma maîtresse non pas
-une carte, mais _deux_; et comme les photographies qu’elles portaient
-étaient «un peu lestes» (elles représentaient en fait l’Adam et l’Ève de
-la cathédrale de Rouen), je les avais glissées, image contre image, dans
-une seule enveloppe transparente, après y avoir mis double adresse, les
-avoir affranchies toutes les deux et avoir percé l’enveloppe aux
-endroits des timbres, pour en permettre la double oblitération. Au
-départ, un seul des timbres aura sans doute été oblitéré. A l’arrivée au
-Havre l’employé de la poste a oblitéré l’autre; c’est ainsi qu’il porte
-la marque du Havre.
-
-C’est du moins ce que j’arrivais à démêler au travers de ses
-protestations confuses, bousculées par un Président dont l’opinion est
-formée et qui paraît bien décidé à ne rien écouter de neuf. J’ai le plus
-grand mal à comprendre, à entendre même ce que dit Arthur, sans cesse
-interrompu et qui finit par bredouiller; le jury, qu’il ne parvient pas
-à intéresser, renonce à l’écouter.
-
-Son système pourtant se tient d’autant mieux qu’il est peu vraisemblable
-qu’un aigrefin aussi habile que semble être Arthur, ait laissé derrière
-lui--que dis-je? créé, le soir d’un crime, une telle pièce à conviction?
-De plus, s’il était au Havre lui-même, quel besoin avait-il d’écrire à
-sa maîtresse, au Havre, quand il pouvait aussi bien aller la trouver?
-
-Je sais que les jurés ont droit, sans précisément intervenir dans les
-débats, de s’adresser au Président pour le prier de poser aux accusés ou
-aux témoins telle question qu’ils jugent propre à éclairer les débats ou
-leur conviction personnelle, que toutefois ils ne doivent point laisser
-paraître... Vais-je oser user de ce droit?... On n’imagine pas ce que
-c’est troublant, de se lever et de prendre la parole devant la Cour...
-S’il me faut jamais «déposer», certainement je perdrai contenance: et
-que serait-ce sur le banc des prévenus! Les débats vont être clos; il ne
-reste plus qu’un instant. Je fais appel à tout mon courage, sentant bien
-que, si je ne triomphe pas de ma timidité cette fois-ci, c’en sera fait
-pour toute la durée de la session--et d’une voix trébuchante:
-
---Monsieur le Président pourrait-il demander à l’employé de la poste qui
-était tout à l’heure à la barre, si le timbrage du départ est toujours
-différent de celui de l’arrivée?
-
-Car enfin, s’il était possible de reconnaître que le timbre a bien été
-oblitéré à l’arrivée comme le prétend Arthur et non au départ, comme le
-prétend l’accusation, que resterait-il de celle-ci?
-
-Le Président, n’ayant pas suivi l’argumentation embrouillée d’Arthur, ne
-comprend visiblement pas à quoi rime ma question; pourtant il rappelle
-obligeamment le témoin:
-
---Vous avez entendu la question de Monsieur le juré. Veuillez y
-répondre.
-
-L’employé se lance alors dans une profuse explication qui tend à prouver
-que les heures des départs n’étant pas les mêmes que les heures
-d’arrivée, il n’y a pas de confusion possible; que du reste les lettres
-arrivantes et les lettres partantes ne se timbrent même pas dans le même
-local, etc. Cependant il ne répond pas à cela seul qui m’importe, et
-nous ne savons pas plus qu’auparavant si l’on a pu reconnaître sur le
-fragment de carte si le timbre est effectivement et sûrement un timbre
-de départ et non d’arrivée. Le témoin cependant a achevé son
-_explication_.
-
---Monsieur le juré, êtes-vous satisfait?...
-
-Je tâche de formuler une question nouvelle plus pressante que la
-première; puis-je dire pourtant que non, que je ne suis pas satisfait;
-que le témoin n’a pas du tout répondu à ma question; du reste, cette
-question, je sens bien que, non plus que le président, aucun des jurés
-ne l’a comprise; du moins aucun des jurés n’a compris pourquoi je la
-posais. Aucun n’a pu suivre l’argumentation d’Arthur, que moi-même je
-n’ai suivie qu’avec beaucoup de peine. Il a une sale tête, un physique
-ingrat, une voix déplaisante; il n’a pas su se faire écouter. L’opinion
-est faite, et quand bien même on viendrait à découvrir à présent que la
-carte n’est pas de lui...
-
---Les débats sont clos.
-
- * * * * *
-
-Un peu plus tard, dans la salle de délibération.
-
-Les jurés sont unanimes; résolument tournés contre les deux accusés sans
-nuancer ni consentir à distinguer l’un de l’autre: aigrefins à n’en pas
-douter et malandrins en espérance, qui n’attendent qu’une occasion pour
-jouer du revolver ou du casse-tête (trop distingués pour user du
-couteau, peut-être). Néanmoins, pour les deux vols, desquels ils avaient
-à répondre, on n’était point parvenu à prouver leur culpabilité mieux
-que par quelques rapprochements--qu’eux traitaient de coïncidences; et
-dans le réquisitoire, rien d’absolument décisif n’emportait la
-conviction des jurés. Coupables à n’en pas douter, mais peut-être pas
-précisément de _ces_ crimes. Était-il vraisemblable, admissible même,
-qu’Alphonse, à Trouville où il était fort connu, dans la rue de Paris si
-fréquentée, et à une heure point tardive, ait pu, sans être remarqué de
-personne, trimballer un ballot énorme qu’on estime avoir eu un mètre de
-large et deux de haut!--Il s’agit ici du premier vol, celui des
-fourrures.
-
-Enfin, pour aigrefins qu’ils fussent, ce n’étaient tout de même pas des
-_bandits_; je veux dire qu’ils _profitaient_ de la société, mais
-n’étaient pas insurgés contre elle. Ils cherchaient à se faire du bien,
-non à faire du mal à autrui... etc. Voici ce que se disaient les jurés,
-désireux d’une sévérité pondérée. Bref, ils se mirent d’accord pour
-condamner, mais sans excès; pour reconnaître la culpabilité, sans
-circonstances atténuantes, mais dépouillée également des circonstances
-aggravantes. Celles-ci pendaient au bout de ces questions: Le vol a-t-il
-été _commis la nuit?... à plusieurs?... dans un édifice habité?... avec
-fausses-clefs ou effraction?_
-
-Et comme il était de toute évidence que le vol avait été commis, et ne
-l’avait pu être autrement, les jurés, tout naturellement, _et malgré ce
-qu’ils s’étaient promis_, se trouvèrent entraînés à répondre: _oui_ à
-toutes les questions.
-
---Mais, Messieurs, disait un des jurés (le plus jeune et qui paraissait
-seul avoir quelques rudiments de culture), répondre _non_ à ces
-questions ne veut point dire que vous croyez qu’il n’y a pas eu
-d’effraction, que cela ne se passait pas la nuit, etc.; cela veut dire
-simplement que vous ne voulez pas retenir ce chef d’accusation.
-
-Le raisonnement les dépassait.
-
---Nous n’avons pas à entrer là-dedans, ripostait l’un. Nous devons
-simplement répondre à la question. Monsieur le chef du jury, veuillez la
-relire.
-
---«Le vol a-t-il été commis la nuit?»
-
---J’pouvons tout de même pas répondre: non, disaient les autres.
-
-Et malgré que quelques: _non_ furent trouvés dans l’urne, l’affirmative
-l’emporta de beaucoup.
-
-De sorte que tous ceux qui s’étaient promis de voter simplement:
-_coupable_, mais sans circonstances non plus atténuantes qu’aggravantes,
-se trouvèrent entraînés à voter les «atténuantes» pour _compenser_
-l’excès des «aggravantes», que les questions les avaient contraints
-d’accepter.
-
-Et sitôt après, en chœur:
-
---Ah! nous avons fait de la jolie besogne! C’est honteux! On ne va pas
-les punir assez! Circonstances atténuantes! S’il est possible! Si
-seulement on nous avait laissés voter _coupables_ tout simplement!...
-
-Au grand soulagement de chacun, le tribunal décida la peine assez forte
-(6 ans de prison et 10 ans d’interdiction de séjour) en tenant le moins
-de compte possible de la décision des jurés.
-
- * * * * *
-
-J’ai noté avec quelque détail la perplexité, la gêne qui règnent dans la
-salle du jury; je les retrouverai bien à peu près les mêmes à chaque
-délibération. Les questions sont ainsi posées qu’elles laissent rarement
-le juré voter comme il l’eût voulu, et selon ce qu’il estimait juste. Je
-reviendrai là-dessus.
-
-Je sors peu satisfait de cette première séance. J’en suis presque à me
-réjouir qu’Arthur me reste si peu sympathique, sinon je ne pourrais
-m’endormir là-dessus. N’importe! il me paraît monstrueux qu’on n’ait pas
-prêté l’oreille à sa défense. Et plus j’y réfléchis, plus elle me paraît
-plausible... C’est alors que me vint l’idée (comment ne m’était-elle pas
-venue plutôt?) que si la carte postale d’Arthur, ou du moins, suivant
-ses dires, que si les deux cartes accouplées portaient affranchissement
-des deux côtés de l’enveloppe, il suffisait que chacun des timbres fût
-de cinq centimes; et que, réciproquement, si le timbre sur le morceau de
-carte retrouvé était un timbre de cinq centimes, il fallait qu’il ne fût
-pas seul. Le timbre de dix centimes ne prouverait peut-être pas
-qu’Arthur eût tort; car peut-être n’a-t-il mis sous la même enveloppe
-les deux cartes qu’après les avoir affranchies... mais le timbre de cinq
-centimes prouverait sûrement qu’il a raison. Je me promets de demander
-demain au procureur général, que j’ai le bonheur de connaître, la
-permission d’examiner dans le dossier d’Arthur le petit morceau de
-papier.
-
- *
-
- * *
-
-_Mardi._
-
-Comme je passe devant la loge du concierge, celui-ci m’arrête et me
-remet une lettre. Elle est datée de la prison. Elle est d’Arthur.
-Comment a-t-il eu mon nom? Par son avocat sans doute.
-
-Cette question que j’ai posée au cours de l’interrogatoire, l’a laissé
-croire sans doute que je m’intéressais à lui, que je doutais s’il était
-coupable, que peut-être je l’aiderais...
-
-Il me supplie d’user de mon droit, de demander à l’aller voir dans sa
-cellule: il a d’importantes explications à me donner, etc.
-
-Je regarderai d’abord son dossier; si le morceau de carte postale est
-insuffisamment affranchi, je ferai part de mon doute au Procureur.
-
-J’ai pu voir, après la séance, le dossier: la carte postale porte un
-timbre de dix centimes. Je renonce.
-
-Et pourtant je me dis aujourd’hui que, si chaque timbre avait été de
-cinq centimes, l’employé de la poste, au départ, les aurait oblitérés
-tous les deux; et que c’est, au contraire, dans le cas où
-l’affranchissement d’un des côtés aurait été déjà par lui-même
-suffisant, que l’autre timbre aurait pu lui échapper et n’être oblitéré
-qu’à l’arrivée...
-
-
-
-
-II
-
-
-La seconde journée ouvre elle aussi par une «affaire de mœurs». Le
-président ordonne le huis clos; et pour la première fois, appliquant une
-récente circulaire du Garde des Sceaux, on fait sortir, à leur flagrant
-mécontentement, les soldats de service. _Leur présence_, dit cette sage
-circulaire, _ne semble point d’ailleurs le plus souvent indispensable_
-(sic), _car la salle est vide, et les gendarmes, en ce qui concerne
-l’accusé, font une garde suffisante_.
-
-Ah! que ne peut-on faire sortir aussi les enfants! Hélas! il faut bien
-qu’ils déposent: la fillette violée, d’abord; puis le frère de dix ans,
-quelques années de plus que la petite. Par pitié, Monsieur le Président,
-abrégez un peu les interrogatoires! Qu’avons-nous besoin d’insister?
-puisque les faits sont reconnus déjà, que le médecin a fait les
-constatations nécessaires, et que l’accusé a tout avoué. Le malheureux!
-Il est là, vêtu de guenilles, laid, chétif, la tête rasée, l’air déjà
-d’un galérien; il a vingt ans, mais si malingre, à peine s’il paraît
-pubère; il tient un papier à la main (je croyais que c’était défendu),
-un papier couvert d’écritures, qu’il lit et relit avec angoisse; sans
-doute il tâche d’apprendre par cœur les réponses que lui suggéra
-l’avocat.
-
-On a sur lui de déplorables renseignements; il fréquente des repris de
-justice et hante les cabarets malfâmés. Son casier: huit jours pour abus
-de confiance, et, peu après, un mois pour vol. Il est accusé maintenant
-d’avoir «complètement violé» la petite Y. D. âgée de sept ans.
-
-. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
-Le Président reprend, sans emphase, sur un ton de réprimande presque
-douce, très apprécié des jurés:
-
---Eh bien! mon garçon, c’est pas bien ce que vous avez fait là.
-
---Je l’vois bien moi-même.
-
---Avez-vous quelque chose à ajouter? Exprimez-vous des regrets?
-
---Non, M’sieur le Président.
-
-Il est évident pour moi que l’accusé n’a pas compris la seconde
-question, ou qu’il répond seulement à la première. N’empêche qu’une
-rumeur d’indignation parcourt le banc des jurés et déborde jusqu’au banc
-des avocats.
-
-L’avocat de la défense fait demander à ce moment si l’accusé n’a pas été
-interné à l’hospice général, il y a onze ans? Reconnu exact.
-
-On appelle les témoins: la mère de la fillette d’abord; mais elle n’a
-rien vu et tout ce qu’elle peut dire, c’est que, lorsque rentrant du
-travail, elle a trouvé dans la rue sa petite en train de pleurer, elle a
-commencé par lui allonger deux taloches.
-
-A présent c’est le tour de l’enfant.[2] Elle est propre et gentille;
-mais on voit que l’appareil de la justice, ces bancs, cette solennité,
-l’espèce de trône où sont assis ces trois vieux messieurs bizarrement
-vêtus, que tout cela la terrifie.
-
- [2] Hier déjà nous avions vu comparaître une enfant; une fillette à
- peu près du même âge que celle-ci, et flanquée de sa mère également.
- Mais, certes, leur aspect plaidait en faveur de l’accusé et a
- beaucoup contribué, je suppose, à son acquittement. La mère avait un
- air de macquerelle, et tandis que le coupable sanglotait de honte
- sur le banc des accusés, la «victime» avançait très résolument vers
- la Cour. Comme elle tournait le dos au public, je ne pouvais voir
- son visage, mais les premiers mots que lui dit le Président, après
- que, pour l’avoir plus près de son oreille, il eût fait monter la
- petite sur une chaise: «Voyons! ne riez pas, mon enfant,»
- éclairèrent suffisamment le jury.
-
- Et encore:
-
- --Vous avez crié?
-
- --Non, Monsieur.
-
- --Pourquoi, à l’instruction, avez-vous dit que vous aviez crié?
-
- --Parc’ que j’m’étais trompée.
-
---Voyons, n’ayez pas peur, mon enfant; approchez.
-
-Et, comme hier déjà, on fait monter la petite sur une chaise, afin
-qu’elle soit à la hauteur où la Cour est juchée, et que le Président
-puisse entendre ses réponses. Il les répète aussitôt après à voix haute,
-pour l’édification des jurés. Nous voyons de dos la petite; elle
-tremble; et cette fois ce n’est plus le rire mais le sanglot qui la
-secoue. Elle sort un mouchoir de la poche de son tablier.
-
-Cet interrogatoire est atroce; moi aussi je sors mon mouchoir; je n’en
-peux plus... Et quelle inutile insistance pour savoir ce que l’autre lui
-à fait; puisqu’on le sait déjà, par le menu. La petite du reste ne
-_peut_ pas répondre, ou que par monosyllabes:
-
-. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
-La voix de l’enfant est si faible que le Président, pour l’entendre, se
-penche et met contre son oreille sa main en cornet. Puis se redresse et
-tourné vers le jury:
-
-. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
-L’avocat de cette triste cause a négligé de convoquer à temps les
-témoins à décharge. En vertu du pouvoir discrétionnaire du Président on
-entend néanmoins Madame X. une pauvre marchande-des-quatre-saisons qui a
-comme adopté ce malheureux être, parce que, dit-elle, «sa sœur a eu un
-enfant de mon fils».
-
-Madame X. a le teint violacé, le cou large comme une cuisse; un chapeau
-cabriolet à brides sur des cheveux tirés et lustrés; le tour des
-oreilles est dégarni; une barre noire en travers du front; sa main
-gauche en écharpe est enroulée de chiffons. Elle pleure. D’une voix
-pathétique elle supplie qu’on soit indulgent pour ce pauvre garçon «qui
-n’a jamais connu le bonheur». Elle le peint, fils d’alcooliques,
-toujours battu chez lui; «on le faisait coucher dans les cabinets»; il
-suffit de le regarder pour voir qu’il est resté enfant; il s’amuse avec
-des images, joue aux billes, à la toupie. Mais déjà précédemment il a
-tenté de «se coucher sur la petite», qui alors l’avait mordu à
-l’oreille. De la prison il écrit à la marchande de légumes, des lettres
-incohérentes. La brave femme sort de sa poche une liasse de papiers et
-sanglote.
-
- * * * * *
-
-L’interrogatoire est achevé. Le malheureux fait de grands efforts pour
-suivre le réquisitoire de l’avocat général, dont on voit qu’il ne
-comprend de ci de là que quelques phrases. Mais ce qu’il comprendra bien
-tout à l’heure, c’est qu’il est condamné à huit ans de prison.
-
-Entre temps le Président nous a appris que, de l’aveu de l’accusé à
-l’instruction, «c’est la première fois qu’il avait des rapports
-sexuels». Voici donc tout ce qu’il aura connu de «l’amour»!
-
- *
-
- * *
-
-La seconde affaire de cette seconde journée amène sur le banc des
-accusés un garçon de vingt ans à l’air doux, un peu morose et sans
-malice. Marceau a perdu sa mère à l’âge de quatre ans, n’a pas connu son
-père, a été élevé à l’hospice. Dès avant seize ans il avait fait deux
-places de mécanicien; poursuivi pour vol, le tribunal d’Yvetot l’avait
-condamné à six mois de prison avec bénéfice de la loi Béranger.
-
-A la suite de cette condamnation le mécanicien qui l’employait le
-renvoie: depuis, il travaille encore, mais au hasard et changeant
-souvent de patron, tour à tour valet de ferme, débardeur, mécanicien.
-Ceux qui l’emploient n’ont pas à se plaindre de lui; simplement on lui
-trouve «le caractère un peu sombre». Enhardi par ma question de la
-veille, je me hasarde à demander au Président ce que le témoin entend
-par là.
-
-Le témoin.--Je veux dire qu’il se tenait à l’écart et n’allait jamais
-boire ou s’amuser avec les autres.
-
-A cette époque de sa vie Marceau se trouve devoir:
-
-45 francs à un marchand de bicyclettes,
-
-70 francs au blanchisseur,
-
-7 francs au cordonnier.
-
-Avec le peu qu’il gagne, _comment pourrait-il s’en tirer, sans
-voler?_...
-
- * * * * *
-
-Son premier vol avait déjà été commis «avec préméditation»; le dimanche
-précédent, apprend-on, il avait acheté une bougie, puis, la veille du
-vol, emprunté à son patron un tournevis, qui lui servit à ouvrir le
-tiroir où se trouvaient les 35 francs qu’il avait pris.
-
-Le crime qui nous occupe aujourd’hui demandait une préparation plus
-savante. Ou du moins, une première tentative, qui échoua, servit en
-quelque sorte de répétition générale.
-
-La nuit du 26 mars, Marceau pénétrait donc une première fois dans la
-petite maison isolée qu’occupaient à *** la vieille Madame Prune,
-restauratrice, et sa bonne. Il brisait, au rez-de-chaussée, un carreau
-de la salle à manger, ouvrait la fenêtre et entrait dans la pièce. Il
-espérait, a-t-il avoué, trouver de l’argent dans un tiroir de la
-cuisine; mais la porte de la cuisine était fermée à clef; après quelques
-vains efforts pour l’ouvrir, il repartait en se promettant de revenir
-mieux outillé, le lendemain.
-
-Le 27 mars après-midi, doutant si le carreau brisé n’a pas jeté
-l’alarme, Marceau enfourchait sa bicyclette et retournait à ***,
-lorsqu’il avisa un morceau de fer-à-cheval sur la route; il le ramassa,
-pensant qu’il pourrait s’en servir. J’oubliais de dire que, la veille,
-il s’était muni d’une bougie, qu’il avait été acheter à Grainville. Donc
-Marceau s’en fut rôder autour de la maison, s’assura que tout y était
-tranquille et, je ne sais trop comment, se persuada qu’on n’avait rien
-suspecté--ce qui était vrai.
-
-L’interrogatoire de l’accusé suffit à reconstituer le crime. Marceau ne
-cherche pas à se défendre, pas même à s’excuser; il accepte d’avoir fait
-ce qu’il a fait, comme s’il ne pouvait pas ne pas le faire. On dirait
-qu’il s’est résigné d’avance à devenir ce criminel.
-
- * * * * *
-
-Le voici donc, dans la nuit du 27, à pareille heure, qui se retrouve à
-***. La fenêtre est restée ouverte, qu’il avait escaladée la veille, par
-où il rentre dans la salle à manger. Mais comme ce soir-là ses
-intentions sont sérieuses, il prend soin de refermer derrière lui les
-volets. Il tient à la main la lanterne de sa bicyclette; c’est une
-lanterne sans pied, qu’il ne peut poser, qui le gêne et que tout à
-l’heure, dans la cuisine, il va changer contre un bougeoir. Avec son
-fer-à-cheval il a forcé la porte. Le voici qui fouille les tiroirs: Onze
-sous! Ça ne vaut pas la peine qu’on s’arrête. Il les prendra tout à
-l’heure en repassant. Il monte au premier.
-
-Madame Prune et sa bonne occupent au premier les deux chambres à droite;
-dans les deux chambres de gauche, parfois on reçoit des voyageurs.
-Doucement Marceau s’assure que ces dernières chambres sont vides: il
-tient à la main un couteau à courte lame pointue, qu’il a trouvé dans un
-tiroir de la cuisine.
-
-Le Président.--Pourquoi aviez-vous pris ce couteau?
-
-Marceau.--Pour en ficher un coup à la bonne.
-
-Cependant la porte de celle-ci est fermée au verrou; Marceau s’efforce
-de l’ouvrir; mais entendant du bruit dans la chambre de la vieille, il
-court se cacher dans une des chambres inoccupées. Il souffle la bougie,
-et comme il se baisse pour poser le bougeoir à terre, le couteau, qu’il
-avait glissé dans sa veste, par chance, tombe; et dans le noir, il ne
-peut plus le retrouver. Quand il ressort sur le couloir, c’est désarmé
-qu’il se rencontre avec la vieille; heureusement pour elle, et pour lui.
-
- * * * * *
-
-Madame Prune vient déposer à son tour. C’est une digne et frêle petite
-vieille de quatre-vingt-un ans; elle se tient à peine et demande une
-chaise, qu’on apporte et où elle s’assied, près de la barre.
-
---J’entends donc craquer chez moi. Je me dis: Mon Dieu! qu’est-ce que
-c’est: j’entends craquer. C’est-y la grêle? Je me lève. J’ouvre la
-fenêtre sur le jardin; je ne vois rien. Je me recouche. Voilà les
-craquements qui reprennent. Je me relève encore. Plus rien. Je me
-recouche; il était minuit à ma pendule. Voilà que je vois de la lumière
-qui passe sous ma porte: Oh! que je me dis, c’est-il pas le feu?
-J’appelle ma bonne; elle ne vient pas. Tout de même, que je me dis,
-_j’étais plus courageuse autrefois_--et je suis sortie sur le couloir.
-Je vais à la porte de la bonne: Y a des voleurs chez moi, ma pauvre
-fille, ah! mon Dieu! Y a des voleurs chez moi! Elle ne répondait rien;
-sa porte était fermée.
-
- * * * * *
-
-C’est alors que Marceau, revenant sur le couloir, s’est jeté sur la
-vieille, qui ne fut pas difficile à tomber.
-
---Pourquoi avez-vous saisi Madame Prune à la gorge?
-
---Pour l’étrangler.
-
-Il dit cela sans forfanterie ni gêne, aussi naïvement que le Président
-avait posé la question.
-
-Un rire bruyant s’élève dans l’auditoire.
-
-L’avocat général.--La tenue du public est inexplicable et indécente.
-
-Le Président.--Vous avez tout à fait raison. Songez, Messieurs, que
-l’affaire que nous jugeons ici est des plus graves et de nature à
-entraîner pour l’accusé la peine capitale s’il n’y a pas reconnaissance
-de circonstances atténuantes.
-
-La bonne cependant appelait au secours, par la fenêtre. Un voisin
-répondit: «On arrive! on arrive!» En entendant venir, le gars prit peur
-et se sauva, laissant inachevé son crime.
-
-La Cour condamne Marceau à huit ans de travaux forcés.
-
- * * * * *
-
-A plusieurs reprises j’ai remarqué chez Marceau un singulier malaise
-lorsqu’il sentait que la _recomposition_ de son crime n’était pas
-parfaitement exacte--mais qu’il ne pouvait ni remettre les choses au
-point, ni _profiter de l’inexactitude_. C’est ce que cette affaire
-présenta pour moi de plus curieux.
-
- *
-
- * *
-
-Ce même jour nous avons à juger un incendiaire.
-
-Bernard est un journalier de quarante ans, à l’air gaillard, à la tête
-ronde: il est chauve, mais se rattrape sur les moustaches. Il porte une
-chemise molle, à rayures; une cravate formant nœud droit cherche à
-cacher le col qui est très sale. Il tient à la main une casquette usée.
-Bernard n’a pas d’antécédents judiciaires. Les renseignements fournis
-sur son compte ne sont pas mauvais; tout ce qu’on trouve à dire c’est
-que son caractère est «sournois». On ne le voit jamais au cabaret; mais
-certains prétendent qu’il «boit chez lui»; néanmoins il jouit de ses
-facultés. Son père, garde-champêtre estimé, s’est, dit-on, «adonné à la
-boisson»; il a deux frères, «alcooliques fieffés».
-
-On reproche à Bernard quatre incendies. Le feu est d’abord mis au
-pressoir de sa belle-sœur, veuve Bernard, le 30 décembre 1911.
-
-Le Président.--Qui a mis le feu?
-
-L’accusé.--C’est moi, Monsieur le Président.
-
-Le Président.--Comment l’avez-vous mis?
-
-L’accusé.--Avec une allumette.
-
-Le Président.--Pourquoi l’avez-vous mis?
-
-L’accusé.--J’avais pas de motifs.
-
-Le Président.--Vous aviez bu ce soir-là?
-
-L’accusé.--Non, Monsieur le Président.
-
-Le Président.--Est-ce que vous aviez eu des difficultés avec votre
-belle-sœur?
-
-L’accusé.--Jamais, mon Président. On s’entendait bien.
-
-Le Président.--Rentré à 7 h. 1/2 de chez votre patron, qu’est-ce que
-vous avez fait jusqu’à 9 h. 1/2?
-
-L’accusé.--J’ai lu le journal.
-
- * * * * *
-
-Le premier janvier, c’est-à-dire deux jours plus tard, la maison de la
-belle-sœur y passe.
-
-Le Président veut que Bernard ait été ivre ce soir-là, et insiste pour
-le lui faire avouer. Bernard proteste qu’il était à jeun.
-
-Le soir de ce premier janvier, jour de fête, les parents se trouvent
-réunis, cousins, neveux, etc. Bernard refuse de souper avec eux et
-repart à 6 h. 1/2. Au cours de la conversation générale, comme on
-parlait de l’incendie de l’avant-veille, on se souvient de lui avoir
-entendu dire qu’on en verrait d’autres bientôt.
-
-Et quand cette même nuit le feu se déclare chez la veuve Bernard et que
-les voisins l’appellent et crient: «Au feu! Au secours!» lui, le plus
-proche voisin et le plus proche parent, s’enferme et ne reparaît qu’un
-quart d’heure après... Du reste il ne nie rien. Le second incendie,
-c’est lui qui en est l’auteur, ainsi que du premier et des deux autres
-qui suivirent.
-
-Le Président.--Alors vous ne voulez pas dire pourquoi vous vous les avez
-allumés?
-
-L’accusé.--Mon Président, je vous dis que j’avais aucun motif.
-
---C’est vraiment fâcheux qu’il avait ce goût-là, dit la veuve. Autrement
-on n’avait pas à se plaindre de son travail.
-
- * * * * *
-
-Appelé à témoigner, le médecin assermenté nous parle de l’étrange
-soulagement, de la détente que Bernard lui a dit avoir éprouvés après
-avoir bouté le feu.
-
-Il lui a avoué, du reste, n’avoir plus éprouvé la même détente après les
-incendies suivants, «de sorte qu’il avait regretté».
-
-J’eusse été curieux de savoir si cette étrange satisfaction du boute-feu
-et cette détente n’avaient aucune relation avec la jouissance sexuelle;
-mais malgré que je sois du jury, je n’ose poser la question, craignant
-qu’elle ne paraisse saugrenue.
-
-
-
-
-III
-
-
-_Mercredi._
-
-Encore un attentat à la pudeur; commis sur la personne de sa fille par
-un journalier de Barentin, père de cinq enfants dont l’aîné a douze ans.
-On demande le huis clos.
-
- * * * * *
-
-Lorsque le public fut de nouveau admis dans la salle, une rumeur
-d’indignation accueillit la décision du jury et son désir de reconnaître
-des circonstances atténuantes.
-
-Je fus assez surpris pour ma part (et déjà je l’avais été dans les
-précédentes affaires de cette nature) de voir la modération
-qu’apportaient ici la plupart des jurés. L’on fit valoir, dans la salle
-de délibération, que l’attentat avait été commis sans violences; enfin
-et surtout le grand désir que manifestait inconsciemment la femme de
-l’accusé de se débarrasser de son mari, la passion qu’elle ne put
-s’empêcher d’apporter dans sa déposition, affaiblit grandement la portée
-de son témoignage; l’accusé bénéficia également du peu de sympathie que
-nous pouvions accorder à la victime. Mais c’est ce que le public, par
-suite du huis clos, ne pouvait savoir. Même, à certains jurés la
-condamnation à cinq ans de prison parut excessive. Par contre, tous
-approuvèrent la déchéance de puissance paternelle.
-
-L’accusé écouta sans sourciller la condamnation à cinq ans; mais, en
-entendant sa déchéance, il poussa une sorte de grognement étrange, comme
-une protestation d’animal, un cri fait de révolte, de honte et de
-douleur.
-
- *
-
- * *
-
-L’étrange affaire dont nous nous occupâmes ensuite amena devant nous un
-commis principal au bureau de recettes des postes (bureau principal de
-Rouen).
-
-C’est un gros homme rouge, épais, carré d’épaules, et sans cou. Ses
-mains sont gourdes. Il porte un col bas, une petite cravate grise; les
-cheveux demi-ras sur un front bas. Il a quarante-sept ans, a fait la
-campagne de Madagascar où il a pris les fièvres paludéennes; il boit par
-accès et a été sujet à quelques hallucinations; l’examen médical
-reconnaît sa responsabilité atténuée. Mais depuis qu’il est au service
-des postes sa conduite est irréprochable--et il était à jeun lorsque, le
-matin du 2 Avril, il a soustrait du bureau une enveloppe contenant
-treize mille francs. Il reconnaît les faits, s’en excuse et ne cherche
-même pas à les expliquer. Tous les jours il était appelé à manier des
-sommes considérables; ce matin même, à côté de l’enveloppe aux treize
-mille francs, _une autre enveloppe en contenant quinze mille était là,
-également à sa portée, qu’il avait vue, qu’il n’a point prise_.
-
-Mais cette enveloppe de treize mille francs, tout à coup, il la met dans
-sa poche; il quitte la cabine des chargements en disant à son collègue
-qu’il va aux cabinets; prend tranquillement son paletot et son chapeau,
-et comme il est midi et demie, personne ne s’étonne de le voir sortir.
-Dehors il ne se sauve pas, il ne se cache de personne; il va dans un
-bordel voisin; dépense 246 francs à régaler la maisonnée; puis se
-réveille tout penaud, pour rapporter à la direction le reste de la somme
-et s’engager à rembourser la différence.
-
-Le jury rapporte un verdict négatif; la Cour acquitte.
-
-
-
-
-IV
-
-
-_Jeudi._
-
-La fille Rachel est accusée d’infanticide.
-
-Elle s’avance craintivement jusqu’à la barre; elle porte sur son corsage
-noir un châle de laine blanche. De la place où je suis, je distingue mal
-son visage; sa voix est douce. Elle est domestique à Saint Martin de B.,
-dans la même maison depuis l’âge de treize ans; elle en a dix-sept
-aujourd’hui.
-
-Elle était parvenue à dissimuler sa grossesse; les premières douleurs la
-saisirent comme elle était en train de traire les vaches. Elle rentra,
-coula le lait dans la laiterie, fit le ménage; mais les douleurs
-devinrent si fortes qu’elle dut s’asseoir; elle était affreusement pâle.
-
---Si tu es malade, monte te reposer dans ta chambre, dit sa maîtresse.
-
-La chambre de Bertha Rachel était au premier, à côté de celle des
-maîtres. Sitôt étendue sur sa paillasse, elle accoucha d’une petite
-fille.
-
-Elle avait «peur d’être grondée», et comme la petite criait, par crainte
-que les patrons n’entendissent, Bertha mit la main sur la bouche de la
-petite et l’y maintint jusqu’à ce que les cris aient cessé. Quand Bertha
-vit que l’enfant ne respirait plus, elle prit une paire de ciseaux dans
-sa jupe et en porta un petit coup à la gorge de l’enfant.
-
-Il ressort de l’instruction qu’elle n’a donné le coup de ciseaux
-qu’après que la petite était déjà morte étouffée. Le ministère public
-cherchera à établir que c’est pour constater que le sang avait cessé de
-couler. Je crois à plus d’inconscience. Le Président presse Bertha de
-questions, mais le rôle des ciseaux reste aussi peu clair.
-
-Quand Bertha Rachel se fut assurée que son enfant avait cessé de vivre,
-elle cacha le petit cadavre provisoirement dans son seau de toilette,
-jeta le placenta par sa fenêtre qui donnait précisément sur la fumière,
-puis tout aussitôt redescendit pour reprendre son travail.
-
-Le lendemain, avec un louchet elle creusa un trou derrière la grange, au
-bord du fossé; un petit trou, car elle était sans forces; où elle
-enterra l’enfant.
-
-La gendarmerie fut avertie peu de jours après par une lettre anonyme; et
-le cadavre de l’enfant fut retrouvé. Le Président ne croit pas devoir
-insister sur cette lettre anonyme, sur laquelle aucun renseignement
-n’est donné; et comme je ne suis pas du jury pour cette affaire, aucune
-question n’est posée à ce sujet; et l’on passe outre.
-
-Le Président.--Votre patronne, durant le temps de votre grossesse, ne se
-doutait de rien?
-
-L’accusée.--On voyait bien que je grossissais, mais ma patronne ne
-voulait pas le dire. Elle ne m’en a pas parlé du tout.
-
-Puis, à voix plus basse et un peu confusément, tout à coup:
-
---C’est l’fils du patron qui me l’a fait.
-
-Le Président.--Vous n’avez pas dit cela d’abord.--Puis se tournant vers
-le jury:--A l’instruction elle s’est obstinément refusée à dire qui
-était le père de l’enfant.
-
-La fille Rachel continuant sans écouter le Président:
-
---Il m’a conseillé de l’faire disparaître pour qu’on ne sache pas que
-c’était de lui.
-
-Le Président.--Le faire disparaître comment?
-
---En l’mettant dans la terre.
-
-Cela est dit sans intonation aucune; la pauvre fille paraît à peu près
-stupide.
-
-Le Président.--Comme l’accusée n’a rien dit de tout cela à
-l’instruction, on n’a pu appeler en témoignage celui dont elle parle à
-présent.--A l’accusée: Vous pouvez vous asseoir.
-
-A ce moment l’avocat défenseur se lève:
-
---Il est fâcheux que l’accusée ne nous ait pas parlé ici, ainsi qu’elle
-l’avait fait à l’instruction, des lectures du soir qu’on faisait, dans
-la ferme, en famille. On lisait les faits divers des journaux et les
-vieux parents qui faisaient la lecture s’appesantissaient de préférence,
-disait-elle, sur les infanticides.
-
-Le Président.--Maître X, je ne vois pas trop l’intérêt que ça peut
-avoir.
-
-Tant pis! Heureusement les jurés, eux, le voient bien; et tout le drame
-s’éclaire quand s’avance à la barre la patronne. C’est une vieille de
-plus de soixante ans, sèche et solide, comme momifiée, aux traits durs,
-aux yeux froids, aux lèvres serrées. Le visage est cerné par un bonnet
-de dentelle noire, et le ruban qui l’attache retombe sur un petit
-mantelet noir.
-
-Le Président.--Vous aviez la fille Rachel à votre service? Étiez-vous
-contente d’elle?
-
-La patronne.--Oh! oui, j’étais bien contente. Pour sûr je n’ai jamais eu
-à me plaindre d’elle.
-
-Le Président.--Vous ne vous êtes jamais aperçue de sa grossesse?
-
-La patronne.--Non, jamais. Si j’avais su son état, je ne l’aurais pas
-gardée, c’est sûr.
-
-Le Président.--A l’instruction vous avez dit que vous voyiez bien
-qu’elle devenait _fameuse_, mais que vous croyiez que ça venait de
-l’estomac. La veille du jour de l’accouchement vous avez vu du sang et
-de l’eau dans la cuisine, à l’endroit où la fille s’était assise.
-
-La patronne.--J’ai cru que c’était d’un poulet qu’on venait de vider.
-
-Et l’on sent encore dans la voix nette et sèche de la vieille cette
-volonté de ne rien savoir, de ne rien avoir vu, de ne rien voir.
-
-L’instruction a établi que, dans cette ferme isolée, ne venait jamais
-aucun homme et que la fille n’a pu voir que le mari de la patronne, âgé
-de 75 ans, ou que le fils, âgé de trente-deux ans, à l’une de ses rares
-et rapides apparitions. La vieille nous apprend également qu’il fallait
-passer par sa chambre pour entrer dans celle de la servante,--ceci dit
-comme pour bien montrer que ça ne peut pas être son fils qui... etc...
-
-Et le Président visiblement désireux de ne pas laisser dévier l’affaire
-et de limiter l’accusation, passe outre.
-
- * * * * *
-
-La déposition du docteur ne nous apprend rien de nouveau; il explique
-très longuement que l’enfant a vécu, de sorte qu’on se trouve en
-présence d’un cas, non d’avortement, mais d’infanticide; pourtant le
-coup de ciseaux, légèrement donné et comme avec précaution, était plutôt
-pour s’assurer que l’enfant était mort; mais il a respiré car, dans la
-cuvette d’eau où il l’a mise, la masse pulmonaire flottait.
-
- * * * * *
-
-Tandis que le jury délibère, une rumeur circule dans la salle: le fils
-de la patronne est dans la salle; on se le montre, assis à côté d’elle.
-Gêné par les regards hostiles, il tient la tête basse, appuyée contre le
-pommeau de sa canne et je ne parviens pas à le voir.
-
- * * * * *
-
-La fille Rachel, reconnue coupable mais comme ayant agi sans
-discernement, est acquittée et rendue à ses parents.
-
- *
-
- * *
-
-On amène devant nous Prosper, surnommé Bouboule, tailleur d’habits; né à
-X... en 86.
-
-Extraordinaire tête de plumitif (il ressemble à s’y méprendre à Z...)
-vaste front bombé, longs cheveux plats partagés sur le milieu de la
-tête; épaisseur générale du torse et des membres, petites mains larges
-et courtes; doigts auxquels semble manquer une phalange; le vêtement de
-prison qu’il a gardé l’engonce et le grossit encore. Le juré, mon voisin
-de droite, se penchant vers moi:
-
---Il n’a pas l’air intelligent!
-
-Mon voisin de gauche, à demi-voix:
-
---Il n’a pas l’air bête!
-
-De dix à quatorze ans, il s’était fait condamner quatre fois pour vol;
-trois fois remis à ses parents, on l’envoyait enfin à la maison de
-correction où il resta jusqu’à sa majorité, soumis à une surveillance
-spéciale.
-
-Depuis sa première libération il a été poursuivi cinq fois. De vingt à
-vingt-quatre ans il travaille à D. où il retrouve Bègue, un ancien
-camarade de la colonie pénitentiaire; c’est ensemble, toujours ensemble
-qu’ils vont opérer. A chaque fois qu’ils cambriolent, on retrouve dans
-la cuisine les restes d’un festin impromptu; sur la table, des
-bouteilles vides et deux verres; et des étrons sur le tapis du salon. A
-chaque fois, ils ne se contentent pas de voler, mais font toujours le
-plus de dégâts possible; dans telle villa où ils n’ont pu trouver
-d’argent, ils laissent en évidence un couvercle de boîte d’amidon, où
-ces mots, de l’écriture du Bègue: «Bande de cochons, fallait laisser de
-l’argent.»
-
-Ce Bègue, six mois précisément avant le jour où nous sommes, a été
-condamné aux travaux forcés à perpétuité, pour avoir dévalisé plusieurs
-villas à N. et à P. «avec des circonstances de violence donnant à
-l’affaire une tournure particulièrement grave», dirent les journaux. A
-ce moment un des accusés faisait défaut: c’est Prosper qu’on arrêta
-trois mois après à Y. où il s’était réfugié après de nombreuses
-pérégrinations en Espagne.
-
-Bègue avouait tout, paraît-il. Prosper nie tout, au contraire; il se
-prétend victime d’une méprise, victime de sa ressemblance avec Bouboule;
-car Bouboule, dit-il, ce n’est pas lui. Cette déclaration soulève un
-grand rire dans la salle.
-
-Encore qu’elle ne me persuade pas, je voudrais pouvoir suivre un peu
-mieux sa défense; mais le Président la bouscule et ne laisse pas
-Bouboule ou Prosper s’expliquer.
-
-A quel point il appartient au Président de gêner ou de faciliter une
-déposition (fut-ce inconsciemment), c’est ce que je sens de nouveau, non
-sans angoisse, et combien il est malaisé pour le juré de se faire une
-opinion propre, de ne pas épouser celle du Président.[3]
-
- [3] Je crois volontiers que cette dernière remarque ne s’appliquerait
- pas également à tous les jurys--à celui de la Seine en particulier.
-
-Prosper parle d’une voix sourde, qu’on a quelque mal à entendre, et il
-semble avoir grande peine à s’exprimer. Au cours de son interrogatoire,
-sentant les mailles du filet, autour de lui, qui se resserrent, il dit
-que la fatalité s’acharne contre lui, parle de «coalition»; il devient
-livide et de grosses gouttes de sueur commencent de rouler de son front.
-
-Le gardien d’une des villas cambriolées, M. X., appelé à témoigner, fait
-une déposition très émouvante et très belle. Son sang-froid, son
-courage, semblent avoir été admirables; admirable aussi la modestie de
-son attitude, de son récit, que les journaux ont reproduit. Inutile d’y
-revenir.
-
- * * * * *
-
-Je note ce curieux trait, au cours de l’interrogatoire: Immédiatement
-après le cambriolage à N., Bouboule s’en revenant vers D., à minuit,
-rencontre sur la route un ouvrier qu’il connaissait. Quel étrange besoin
-eut-il de l’arrêter, quand il était si simple de passer outre; de lui
-demander une cigarette (a-t-il cru peut-être que cela paraîtrait à
-l’autre plus _naturel_) et, après quelques minutes de conversation,
-peut-être subitement pris de peur, de dire à l’autre:
-
---Surtout ne dis pas tu m’as rencontré cette nuit.
-
- * * * * *
-
-Les jurés furent d’accord pour répondre affirmativement à toutes les
-questions posées, et la Cour condamna Prosper aux travaux forcés à
-perpétuité.
-
-
-
-
-V
-
-
-Encore un attentat à la pudeur; le quatrième. Cette fois la victime n’a
-pas six ans; c’est la fille de l’accusé...
-
-Pour ce cas comme pour les autres, je voudrais savoir quelle est la part
-de l’occasion; le crime eût-il été commis si l’accusé avait eu le
-choix...? et faut-il y voir préférence, ou simplement facilité plus
-grande, trompeuse promesse d’impunité?
-
-Germain R. a souillé son enfant pendant que sa femme était à l’hôpital
-pour de nouvelles couches.
-
-Il est petit, laid, de triste aspect; sa tête est bestiale. Il porte,
-sur une vareuse de cotonnade noir-jaunâtre, un épais cache-nez
-bleu-violet. Il nie obstinément, avec un air buté, stupide. Les
-témoignages recueillis sur lui sont mauvais. «Il pense à lui plutôt qu’à
-sa famille.»
-
-Le Président.--Il était souvent ivre?
-
-Le témoin.--En grande partie tous les jours.
-
-Et un autre témoin:--I’s’saoûle et laisse ses enfants crever d’faim.
-
-Ils couchent tous, le père, la mère et les deux petits de six et trois
-ans, dans la même pièce sans lit, sur la paille. On prétend que déjà
-précédemment il avait voulu toucher la petite. Une fois il la fit entrer
-avec lui dans un sac; mais il avait coutume de coucher dans un sac, et
-comme on était en hiver, il peut dire que c’était pour se réchauffer. On
-ne sait. La petite ne veut ou ne peut rien dire. Sur la chaise où on la
-fait monter, pour être plus près de l’oreille du président, elle pleure
-silencieusement et par instant un gros sanglot la secoue. On n’obtient
-d’elle pas le moindre mot. On dirait qu’elle a peur d’être punie elle
-aussi. (Elle est à l’Assistance Publique. Un homme en livrée, à gros
-boutons de cuivre, l’avait amenée, qui reste assis sur un des bancs des
-témoins.)
-
-Puis vient la femme R. épouse de l’accusé. Elle ne serait point trop
-laide si sa face n’était si terriblement boucanée. Elle a l’aspect d’une
-«femme de journée». Ses cheveux sont tirés en arrière et lustrés; un
-petit châle de laine noire tombe sur un tablier bleu.
-
-Le Président.--Qu’est ce que vous avez fait pour obvier à cet
-inconvénient?
-
-Le témoin.--???
-
-Il arrive plus d’une fois que le Président pose une question en des
-termes complètement inintelligibles pour le témoin ou le prévenu. C’est
-le cas.
-
-On procède à l’interrogatoire de l’unique témoin: la voisine:
-
-Le Président.--Enfin vous n’avez rien vu!
-
-Le témoin.--C’est que je suis entrée ou trop tôt, ou trop tard.
-
-Et, comme après tout, l’on ne sait à quoi s’en tenir, si nous condamnons
-R., ce sera sur des présomptions (comme bien souvent) et non point tant
-pour l’acte reproché, si douteux, mais bien pour sa conduite générale;
-et aussi pour en débarrasser sa famille.
-
- *
-
- * *
-
-Je suis de nouveau chef du jury pour la dernière affaire de ce jour.
-
-Joseph Galmier, âgé de vingt ans, fils d’Anaïse Albertine (quels noms on
-rencontre! Samedi dernier, la pauvre femme X., dans l’affaire Z., où je
-n’ai trouvé rien de curieux à relever, répondait aux noms
-d’Adélaïde-Héloïse! Est-ce un sentiment poétique qui pousse les miséreux
-à baptiser si étrangement leurs enfants?) est accusé d’avoir commis deux
-vols, avec les circonstances aggravantes: de nuit; dans une maison
-habitée; avec effraction; avec complices.
-
-Galmier est journalier au Havre; tête point laide, banale, rougeoyante;
-nez un peu trop pointu; cheveux ramenés sur le front; moustache
-naissante; l’air d’un guerrier normand de Cormon. Bien bâti et de formes
-assez élégantes; porte un jersey sous une veste déteinte.
-
-Condamné précédemment à six mois.
-
-Arrêté la nuit, porteur d’un pince-monseigneur, en compagnie de rôdeurs
-munis de fausses clefs.
-
-Dans une lettre au Procureur, il a fait des aveux complets; mais il dit
-à présent que, cette lettre, un repris de justice l’a forcé à l’écrire.
-Et il nie tout.
-
-Le Président.--Quel repris de justice?
-
-L’accusé.--Je n’ose pas le nommer. Il m’a menacé d’un mauvais coup en
-sortant, si je parlais.
-
-Le Président reste sceptique.
-
- * * * * *
-
-Je transcris mes notes telles quelles. Toutes ne s’appliquent peut-être
-pas à cette cause en particulier:
-
-... L’accusé qui parle le plus vite possible, par grande peur que le
-Président ne lui coupe la parole (ce qu’il fait du reste constamment) et
-qui cesse d’être clair--et qui le sent... le malheureux qui défend sa
-vie.
-
- * * * * *
-
-L’innocent sera-t-il plus éloquent, moins troublé que le coupable?
-Allons donc! Dès qu’il sent qu’on ne le _croit_ pas, il pourra se
-troubler d’autant plus qu’il est moins coupable. Il outrera ses
-affirmations; ses protestations paraîtront de plus en plus déplaisantes;
-il perdra pied.
-
-Le côté _chien_ du commissaire de police, dans ses dépositions; son ton
-rogue. Et l’air _gibier_ que prend aussitôt le prévenu. L’art de lui
-donner l’air coupable.
-
-Le malheureux qui se rend compte, mais seulement au moment où il
-l’entreprend, que sa défense est insuffisante. Son effort maladroit pour
-la corser.
-
- * * * * *
-
-L’imprudence du malfaiteur et cette sorte de vertige qui l’amène à
-dépenser aussitôt la somme qu’il vient de voler. Galmier achète un
-pardessus, un complet, des chemises, bretelles, mouchoirs, cravates,
-etc.; il donne un franc de pourboire au commis qui lui apporte le paquet
-(il loge à côté du magasin).
-
- * * * * *
-
-La joie des malfaiteurs professionnels, lorsqu’ils rencontrent un
-_bleu_, flottant et un peu niais, qui consentira à prendre le crime à sa
-charge. (On lui a promis de lui payer un avocat.)
-
- * * * * *
-
-La version la plus simple est celle qui toujours a le plus de chance de
-prévaloir; c’est aussi celle qui a le moins de chance d’être exacte.
-
- *
-
- * *
-
-L’affaire suivante en amène cinq devant nous. Elle devrait en amener
-six, mais l’un a pris la fuite. L’aîné n’a que vingt-deux ans. C’est une
-bande de chapardeurs. Huit vols sont relevés à leur charge. Ils avouent
-tout.
-
-C’est Janvier qu’on a pincé d’abord; le plus jeune; il refusait de
-nommer ses complices. Sans domicile depuis huit jours, il couchait avec
-un autre de la même bande; le 12 février dernier, il chipait une
-saucisse à un étalage; coût: quinze jours, avec sursis.
-
-Janvier sourit facilement, joliment; il a du mal à ne pas sourire; il
-est de belle humeur. Il ne plaisante pas, mais on sent encore frémir
-dans ses réponses un souvenir de l’amusement du vol, des parties de vol
-où l’on s’aventurait ensemble. On jouait à voler, à chaparder... Cette
-joie va recevoir tout à l’heure un fameux coup de trique sur la tête.
-
-Peut-on jamais se relever d’une condamnation? Peut-on s’en relever _tout
-seul_?...
-
-“He can be saved now. Imprison him as a criminal, and I affirm to you
-that he will be lost.”[4]
-
- [4] Ce sont les paroles que John Galsworthy prête à l’avocat défenseur
- dans son drame: _Justice._
-
-
-
-
-VI
-
-
-Nombre de jurés se font récuser; aussi mon nom sort-il souvent de
-l’urne; pour la neuvième fois, je fais donc partie du jury. Dans la
-salle de délibération, les jurés insistent pour que j’accepte la
-présidence que M. X. me prie de prendre à sa place; il paraît qu’il en a
-le droit. Seul _intellectuel_, ou presque, parmi eux, je redoutais
-l’hostilité malgré les grands efforts que je faisais pour la prévenir.
-Aussi suis-je extrêmement sensible à ce témoignage de considération. Il
-est vrai de dire qu’à quelques-unes des affaires précédentes le chef des
-jurés s’était montré bien fâcheusement incapable et que, par suite de
-ses incompréhensions, de ses hésitations, de ses maladresses, la
-délibération et les votes avaient été d’une lenteur exaspérante.
-
-L’affaire ne présente pas grand intérêt en elle-même. Elle nous revient
-de la correctionnelle dont elle ressortissait plutôt, mais où la Cour
-s’est déclarée incompétente.
-
-M. Granville, journalier, a été attaqué à une heure du matin, rue du
-Barbot, à Rouen, par un malandrin qui lui a pris les deux pièces de cent
-sous qu’il avait en poche. La victime se déclare incapable de
-reconnaître son agresseur; mais, à ses cris, Mme Ridel avait mis le nez
-à sa fenêtre et prétend avoir pu reconnaître en lui le sieur Valentin,
-journalier, qui comparaît à présent devant nous.
-
-Valentin nie éperdument et prétend être resté couché chez lui toute la
-nuit. Et d’abord: comment Mme Ridel aurait-elle pu le reconnaître? la
-nuit était sans lune et la rue très mal éclairée.
-
-Là-dessus proteste Mme Ridel: l’agression a eu lieu tout près d’un bec
-de gaz.
-
-On interroge le gendarme qui a aidé à instruire l’affaire; on interroge
-d’autres témoins: L’un place le bec de gaz à cinq mètres; l’autre à 25.
-Un dernier va jusqu’à soutenir qu’il n’y a pas de bec de gaz du tout à
-cet endroit de la rue.
-
-Mais Valentin a un méchant passé, une réputation déplorable, et si le
-substitut du procureur, qui soutient l’accusation, ne parvient pas à
-nous prouver que Valentin est le coupable, l’avocat défenseur ne
-parvient pas à nous persuader qu’il est innocent. Dans le doute, que
-fera le juré? Il votera la culpabilité--et du même coup les
-circonstances atténuantes, pour atténuer la responsabilité du jury.
-Combien de fois (et dans l’affaire Dreyfus même) ces «circonstances
-atténuantes» n’indiquent-elles que l’immense perplexité du jury! Et dès
-qu’il y a indécision, fût-elle légère, le juré est enclin à les voter,
-et d’autant plus que le crime est plus grave. Cela veut dire: oui, le
-crime est très grave, mais nous ne sommes pas bien certains que ce soit
-celui-ci qui l’ait commis. Pourtant il faut un châtiment: à tout hasard
-châtions celui-ci, puisque c’est lui que vous nous offrez comme victime;
-mais, dans le doute, ne le châtions tout de même pas par trop.
-
- * * * * *
-
-Dans plusieurs affaires que j’ai été appelé à juger, j’ai été gêné, et
-tous les jurés qui jugeaient avec moi parleraient de même, par la grande
-difficulté de se représenter le théâtre du crime, le _lieu_ de la scène,
-sur les simples dépositions des témoins et l’interrogatoire de l’accusé.
-Dans certains cas, cela est de la plus haute importance. Il s’agit par
-exemple ici de savoir à quelle distance d’un bec de gaz une agression a
-été commise. Tel témoin, placé à tel endroit précis, a-t-il pu
-reconnaître l’agresseur? Celui-ci était-il suffisamment éclairé?--On
-sait la place exacte de l’agression. Sur la distance où l’agresseur se
-trouvait du bec de gaz, _tous_ les témoignages différent: l’un dit cinq
-mètres, l’autre vingt-cinq... Il était pourtant bien facile de faire
-relever par la gendarmerie un _plan_ des lieux, dont au début de la
-séance on eût remis copie à chaque juré. Je crois que dans de nombreux
-cas ce plan lui serait d’une aide sérieuse.
-
- *
-
- * *
-
-Ce même jour, une troisième affaire: Conrad, au cours d’une dispute avec
-X. lui a flanqué des coups qui ont entraîné la mort.
-
-Je note, au cours de cette fin de séance, qui du reste n’offre pas grand
-intérêt:
-
- * * * * *
-
-Combien il est rare qu’une affaire se présente _par la tête_ et
-simplement.
-
- * * * * *
-
-Combien il arrive que soit artificielle la simplification dans la
-représentation des faits du réquisitoire.
-
- * * * * *
-
-Combien il arrive facilement que l’accusé s’enferre sur une déclaration
-de par à côté, dont la gravité d’abord lui échappe.
-
---«Alors, _fou de colère_...» dit Conrad au cours de son récit (il
-s’agit du coup de couteau donné à sa maîtresse au moment que celle-ci
-voulait le tuer).
-
-Et le Président tout aussitôt l’interrompant:
-
---Vous entendez, messieurs les jurés: fou de colère.
-
-Et le ministère public s’emparera triomphalement de cette phrase
-malencontreuse que le prévenu ne pourra plus rétracter--tandis qu’il
-appert que ce n’est là qu’une formule oratoire où Conrad, très soucieux
-du beau-parler, s’est laissé entraîner pour faire phrase.
-
-
-
-
-VII
-
-
-_Mardi._
-
-Encore un attentat à la pudeur; le dernier de ceux que nous sommes
-appelés à juger. Celui-ci est particulièrement pénible, car l’accusé, un
-jeune journalier de Maromme était atteint de blennorrhagie et a
-contaminé la victime. On a sur lui les plus mauvais renseignements:
-insolent, ivrogne, impatient au travail; déjà précédemment il a voulu
-entraîner dans un bois une fillette de dix ans à qui il offrait des sous
-et des bonbons.
-
-La petite qui comparaît devant nous, n’a que six ans et demi. Il l’a
-attirée dans sa chambre en lui offrant «une petite tabatière.»
-
-On la force à répéter devant nous, par le menu, ce qu’elle a déjà dit à
-l’instruction, et que le coupable a avoué, et que le médecin a constaté.
-Il semble qu’on prenne à tâche que cette petite se souvienne. Au reste
-elle n’a pas été violée; il semble que l’accusé ait pris à son égard
-certaines précautions, grâce auxquelles il espérait peut-être ne pas la
-contaminer; grâce auxquelles il bénéficie des circonstances atténuantes.
-
- *
-
- * *
-
-L’affaire Charles que nous jugeons ensuite avait fait quelque bruit dans
-les journaux. La salle est comble; c’est une affaire «sensationnelle».
-L’assistance est très excitée. On se redit de banc en banc le nombre des
-coups de couteau dont a été frappée la victime: le médecin n’en a pas
-compté moins de cent-dix!
-
-La victime était la maîtresse de Charles. Juliette R. n’avait que
-dix-sept ans lorsqu’il la rencontra pour la première fois, il y a de
-cela trois ans. Elle vivait avec un amant dont Charles aussitôt prit la
-place, abandonnant pour elle femme et enfants, après onze ans de
-mariage. Charles a trente-quatre ans; il est cocher, a fait déjà
-plusieurs places; mais les renseignements recueillis sur lui par ses
-divers patrons sont bons. Sa femme non plus n’avait pas à se plaindre de
-lui, malgré qu’il lui faisait parfois «des scènes». Après qu’il se fut
-installé avec cette fille, Madame Charles, à plusieurs reprises, tâcha
-de le ramener, de le reprendre; mais rien n’y fit, et l’instruction dit
-qu’il avait la fille «dans la peau, suivant l’expression». Il habite
-alors avec Juliette R., place de M., chez Madame Gilet. Celle-ci parfois
-les entendait se disputer.
-
---C’est vrai. Juliette me reprochait d’envoyer à mes enfants une partie
-de mes gages. Mais jamais je ne l’ai menacée.
-
-Et Madame Gilet reconnaît que les querelles n’étaient ni fréquentes, ni
-prolongées.
-
-La voix de Charles est grave; son aspect n’est pas déplaisant; il est
-grand, fort, bien fait de sa personne, sans pourtant rien de bellâtre ou
-de fat; il me semble que rien qu’à le voir on eût deviné qu’il était
-cocher; et non pas cocher de fiacre: cocher de maison.
-
-Il ne se défend pas, ne s’excuse pas même: on le sent soucieux de
-présenter les faits tels qu’ils se sont passés et sans chercher à
-influencer le jury en sa faveur. Pourquoi le Président essaye-t-il de le
-faire se couper, se contredire? Sans doute, en ancien juge
-d’instruction, par habitude professionnelle.
-
---Vous avez quelque peu varié, lui dit-il, dans la reconnaissance des
-mobiles du crime.
-
-C’est aussi que Charles ne s’explique pas trop bien à lui-même comment
-ni pourquoi il a tué. Il aimait éperdument cette femme; il avait
-_besoin_ d’elle. Le soir du 12 mars, veille du crime, ils soupèrent
-ensemble.
-
---Après souper je me suis couché avec elle, comme de coutume; mais elle
-s’est refusée. C’est comme ça que ça a commencé.
-
---Vous vous êtes alors disputé avec elle?
-
---A cause de cela, oui.
-
---Voici le motif que vous donnez du crime. Vous aviez d’abord donné une
-autre explication.
-
-L’accusé ne proteste pas; son geste semble dire: c’est possible.
-
---La nuit ensuite a été tranquille?
-
---Oui, Monsieur.
-
---Vous avez dit aussi que vous étiez jaloux; c’est même là l’explication
-que vous aviez donnée d’abord. Est-ce que vous lui connaissiez un amant?
-
---Elle n’en avait pas.
-
---Cependant elle était triste; au magasin des Abeilles où elle
-travaillait, on a dit qu’elle était anxieuse; elle avait peur de vous.
-Un jour elle à confisqué votre rasoir. Craignait-elle de vous voir vous
-en servir contre elle?
-
---A ce moment j’étais malade. On lui avait dit de me l’enlever pour que
-je ne m’en serve pas contre moi.
-
---Arrivons au treize mars.
-
---Nous nous sommes dit bonjour au matin; je suis descendu chercher le
-journal.
-
---Vous n’avez pas bu?
-
---La veille, avant le souper, j’avais pris deux tasses de café à B.;
-mais ce matin j’étais à jeun. En remontant près d’elle, je lui ai de
-nouveau demandé... Elle a encore refusé. Alors, comme elle ne voulait
-toujours pas, j’ai perdu la tête. J’ai pris un couteau sur la table,
-près de moi; je l’ai frappée au cou. _Le couteau me collait dans la
-main._
-
---Elle était encore couchée?
-
---Au premier coup, oui.
-
---A ce moment elle a cherché à se sauver; elle a sauté du lit. Vous vous
-êtes jeté sur elle; elle est tombée.
-
---A la fin en effet je l’ai retrouvée à terre.
-
---A la fin? N’allons pas si vite! Nous ne sommes encore qu’au
-commencement. Elle est tombée à terre, disons-nous; et alors vous avez
-continué à la frapper, à la frapper comme un forcené, criblant de coups
-de couteau son cou, son visage et ses poignets.
-
---Je ne me souviens que du premier coup.
-
---C’est trop facile. Vous lui avez donné plus de cent coups; d’après la
-déclaration d’un témoin, vous la mainteniez à terre d’une main, et de
-l’autre vous frappiez partout.
-
---Quand je me suis réveillé, Juliette était morte; j’étais penché sur
-elle; il y avait du sang partout... Je n’avais pas vu venir Madame
-Gilet.
-
---Entendant les cris de la malheureuse, elle était venue à son secours.
-Elle vous a vu la frapper avec une telle violence et une telle rapidité
-que cela ressemblait, a-t-elle dit, usant d’une image frappante, au
-timbrage des lettres dans les bureaux de poste. Vous entendez, Messieurs
-les jurés, au timbrage des lettres dans les bureaux de poste!
-
-Et, là-dessus, le Président, joignant la mimique à la parole, donne
-quelques grands coups de poing sur son pupitre creux, éveillant un tel
-tonnerre qu’un rire peu décent secoue l’auditoire. Certainement ça ne
-devait pas faire ce bruit-là.
-
---Votre maîtresse s’est écriée: «Ah! Madame, sauvez-moi! Il a un
-couteau!» Alors vous avez repoussé Madame Gilet, que votre contact a
-ensanglantée. «Retirez-vous; ça ne vous regarde pas», lui avez-vous dit;
-puis, vous remettant à frapper la malheureuse, d’un dernier coup vous
-lui avez tranché la cariatide (_sic_). (Madame Gilet dira tout à l’heure
-que le dernier coup était «porté au front»). Qu’avez-vous à dire?
-
---Je ne me souviens pas de tout cela.
-
---Pourtant quand les agents, qu’avait été prévenir Madame Gilet, sont
-arrivés, ils ont été étonnés par votre sang-froid. Vous n’aviez même pas
-l’air ému, paraît-il. Le couteau était sur la table. Vous vous êtes
-laissé saisir.
-
---J’étais abruti d’horreur.
-
---Non pas! Vous avez tranquillement dit: «Avertissez ma femme», et comme
-les agents allaient vous emmener, vous avez demandé la permission de
-vous laver les mains avant de descendre dans la rue.
-
---Je me rappelle en effet avoir donné l’adresse de ma femme, pour qu’on
-la prévienne.
-
---Ensuite, n’avez-vous pas voulu vous pendre?
-
---Jamais.
-
---On avait cru cela. On avait trouvé dans la chambre un piton, de force
-à supporter un gros poids; on a retrouvé également une lanière.
-N’avez-vous pas parlé alors d’une volonté de suicide?
-
---Je n’ai jamais parlé de ça.
-
---N’importe. En définitive vous reconnaissez tous les faits; et vous
-donnez de votre crime cette explication: que Juliette vous refusait ses
-avantages.
-
---J’ai vu passer devant moi quelque chose de terrible, ce matin-là.
-
---Enfin... elle est morte, la pauvre fille! Si elle ne voulait plus de
-vous, vous n’aviez qu’à retourner auprès de votre femme et de vos
-enfants. Pourquoi la tuer?
-
---Je ne cherchais pas à la tuer. (Rumeur d’indignation dans
-l’auditoire.)
-
---Allons donc! Avec cent coups de couteau!
-
-La majorité des jurés pense avec le Président qu’on cherche plus à tuer
-quand on donne cent coups de couteau que lorsqu’on en donne un seul.
-Pourtant l’examen médical de la victime nous apprend que ces cent-dix
-blessures dont on a pu relever la trace sur la face, sur le cou, à la
-région supérieure du thorax, sur les mains, (sur le cou les plus
-nombreuses), étaient régulières pour la plupart, et, toutes, petites et
-peu pénétrantes. (En Russie on eût vu là sans doute un «crime rituel».)
-Une seule blessure avait atteint la carotide et déterminé une hémorragie
-foudroyante.
-
-N’étant pas du jury, je ne puis demander si, peut-être, il dépendait de
-la forme et de la dimension de l’arme qu’aucune des blessures ne fût
-profonde. Mais il ne paraît pas; et le docteur dira tout à l’heure que
-Charles avait frappé «d’une façon tremblante, ne faisant pas entrer son
-arme et comme s’il voulait seulement mutiler».
-
-Les doigts étaient tailladés; la victime avait dû essayer de se
-protéger.
-
- * * * * *
-
-Madame Augustine, veuve Gilet, logeuse, appelée à témoigner, dépose
-d’une voix monotone:
-
---Charles et la fille Juliette demeuraient chez moi. Je n’avais pas à me
-plaindre d’eux. Le 13 mars au matin, j’entendis des cris; j’entrai chez
-eux; elle était à terre et je le vis qui la frappait. Je lui saisis le
-bras pour le retenir. Il se retourna et me dit: «Retirez-vous.» Juliette
-n’était pas morte; quand elle me vit chercher à le retenir, elle me dit:
-«Ah! faites attention, il a un couteau!» Alors il la frappa encore une
-fois; il retourna le couteau dans la plaie; ça a fait: crrac! (Mouvement
-d’horreur et rumeurs dans la foule; les jurés eux mêmes sont très
-impressionnés par le récit de Madame Gilet, et particulièrement par ce
-dernier détail. Pourtant, sur une demande de l’avocat défenseur, le
-docteur X. nous dira tout à l’heure: «Aucune des blessures n’indique que
-le couteau ait jamais été retourné dans la plaie»). C’est comme si le
-couteau avait du mal à pénétrer. J’étais stupéfiée. Il frappait vite,
-comme on timbre les lettres. Il a peut-être porté vingt-cinq coups
-devant moi. Quand j’ai voulu l’arrêter et qu’il s’est retourné, il m’a
-ensanglantée; j’étais en peignoir; j’ai retrouvé du sang par tout mon
-linge. J’avais si peur, que je ne remarquai pas l’état de la chambre; ce
-n’est qu’ensuite que j’ai vu que le lit était plein de sang. La veille
-au soir je n’avais pas entendu de bruit. Il ne venait personne chez eux.
-Juliette était tranquille et travaillait régulièrement. On n’avait rien
-à lui reprocher. A lui non plus. Il se conduisait bien. Je ne l’ai
-jamais vu ivre.
-
---Est-ce tout ce que vous pouvez dire sur lui?
-
---L’été dernier, à la suite d’une chute, il avait été longtemps malade.
-Ma première idée, quand je l’ai vu frapper Juliette, c’est qu’il était
-devenu fou. Il paraissait l’aimer beaucoup. Ce n’est que quand Juliette
-m’a dit: «Il a un couteau» que j’ai compris qu’il avait une arme.
-Jusqu’à ce moment j’avais cru qu’il frappait avec le poing.
-
-Charles.--Je n’ai pas vu Mme Gilet. J’ai idée d’elle; c’est tout.
-
-Mme Gilet.--Après une pareille boucherie, je comprends qu’on perde la
-tête. Le dernier coup a dû être porté au front. Mais il ne faisait pas
-clair; il était six heures moins un quart; et je n’y voyais guère. Rien,
-avant, dans la conduite de Charles, ne faisait pressentir ce drame; s’il
-y avait des discussions, ils se raccommodaient à peine fâchés.
-
-Mademoiselle Gilet, appelée à son tour, dira:
-
---Ils chicanaient parfois, sauf à s’embrasser cinq minutes après.
-
-Après la déposition de la logeuse et de sa fille, nous entendons celle
-des gardiens de la paix:
-
-Le chef de poste M.:
-
---Quand nous avons voulu conduire au poste l’accusé, il nous a
-dit:--«Donnez-moi au moins le temps de me laver les mains.» Il ne
-paraissait ni soûl, ni fou. Il était plutôt calme.
-
-Et M. V., commissaire de police:
-
---Au bureau central, j’ai vu Charles. Il était un peu énervé; mais pas
-ivre. Il m’a dit, après quelques hésitations: «Je l’ai tuée parce
-qu’elle me faisait dépenser de l’argent. Du reste j’allais me jeter à
-l’eau quand on m’a arrêté.»
-
-Le Président.--Eh bien! vous voyez, Charles, vous donniez d’abord du
-mobile du crime une explication qui n’est pas celle d’aujourd’hui.
-Voyons, parlez.
-
-L’accusé.--Que voulez-vous que je réponde? Je vous ai dit la vérité.
-
-M. V.--J’avais l’impression qu’il ne la disait pas alors, et qu’il
-dissimulait le mobile du crime. En effet, il donne d’autres raisons
-aujourd’hui... Tout cela me semblait si bizarre: je lui ai pris les
-mains, je lui ai relevé les paupières: il était ni ivre, ni fou.
-
- * * * * *
-
-Mme Charles vient à la barre, témoigner que, pendant dix ans,
-c’est-à-dire jusqu’au moment où il rencontra la fille Juliette, elle
-n’avait rien eu à reprocher à son mari.
-
-M. le Docteur X... est appelé à parler de Charles; il nous le présente
-d’abord comme un garçon sain et bien portant; aucune tare dans son
-atavisme. Mais il a six doigts à une main; il est sujet à des vertiges,
-à des pertes de mémoire; il a de la difficulté à s’orienter, des défauts
-de prononciation (j’avoue que je ne les ai pas remarqués),
-l’appréhension de faire une chute dans la rue. Le Docteur parle encore
-d’instabilité de jugement, d’indécision et d’absence de volonté (et
-n’est-ce pas là ce qui permit cette brusque transformation du désir
-insatisfait en énergie?), puis conclut enfin en disant que, sans être
-dans un état de démence, dans le sens où l’entend l’article 64 du code
-pénal, «l’examen psychiâtrique et biologique, ainsi que la nature
-d’impulsivité spéciale de son crime, indiquent une anomalie mentale qui
-atténue sa responsabilité».
-
-«Son acte, avait-il dit quelques instants auparavant, a été accompli
-sans que l’idée de tuer ait été bien précisée dans son cerveau. On en
-trouve la preuve dans la distribution des coups de couteau que j’ai
-décrite».
-
-Comment l’avocat défenseur lui-même n’ira-t-il pas plus loin et ne
-dira-t-il pas que, non seulement Charles ne _voulait_ pas tuer, mais
-même qu’il tâchait obscurément, tout en mutilant sa victime, de _ne pas_
-la tuer; que, sans doute, précisément pour ne pas la tuer, _il avait
-empoigné le couteau à même la lame_, et que c’est seulement ainsi que
-l’on peut expliquer que les coups fussent à la fois forts et causant des
-blessures si peu profondes, et que Charles eût des coupures aux doigts
-(rapport du médecin). Et n’est-ce pas aussi pour cela que Mme Gilet ne
-voyait pas le couteau et croyait qu’il frappait avec son poing?
-
-Rien de tout cela n’est dit par Maître R., l’avocat défenseur de la
-victime. Il s’appuie sur le rapport des médecins pour demander aux jurés
-de ne pas aller plus loin que les experts et de reconnaître à l’accusé
-une responsabilité atténuée.
-
-J’ai longuement insisté sur ce cas, car il fit éclater la lamentable
-incompétence des jurés. Il ressortait avec évidence de l’instruction,
-des témoignages, du rapport des médecins, que l’idée de tuer n’était pas
-nettement établie dans le cerveau de Charles; qu’en tout cas l’on
-n’avait pas affaire à un professionnel du crime, et plus peut-être à un
-sadique qu’à un assassin, que si jamais, enfin, crime pouvait être dit
-passionnel...
-
-Après une demi-heure de délibération, on les voit rentrer dans la salle,
-congestionnés, les yeux hagards, comme ébouillantés, furieux les uns
-contre les autres et chacun contre soi-même. Ils rapportent un verdict
-affirmatif sur la seule question de meurtre posée par la cour; quant aux
-circonstances atténuantes _que demandait l’accusation elle-même_, peu
-disposée pourtant à la clémence--ils les ont refusées.
-
-En conséquence de quoi Charles est condamné aux travaux forcés à
-perpétuité.
-
- * * * * *
-
-De hideux applaudissements éclatent dans la salle; on crie: «bravo!
-bravo!», c’est un délire. La femme de Charles, restée dans la salle, se
-lève cependant, en proie à l’angoisse la plus vive; elle crie: «C’est
-trop! ah! c’est trop!» et s’évanouit. On l’emmène.
-
-Mais, sitôt après la séance, les jurés, consternés du résultat de leur
-vote (n’avaient-ils pas compris que de ne pas voter l’affirmative pour
-la demande des circonstances atténuantes, équivaut à voter la négative?)
-s’assemblaient à nouveau et, précipités dans l’autre excès, signaient un
-recours en grâce à l’unanimité.
-
-Sans doute auraient-ils voté tout bonnement d’abord les circonstances
-atténuantes, si Madame Gilet n’avait pas dit que le couteau, en se
-retournant dans la plaie, avait fait: «Crrac!»
-
- * * * * *
-
-Expliquerai-je un peu l’affolement des jurés si je dis que,
-l’avant-veille, avait paru dans le _Journal de Rouen_, en tête, un
-article sur «Les jurés et la loi de sursis» (Nº du 17 Mai 1912) que
-j’avais vu passer de main en main, de sorte que tous mes collègues, ou
-presque, l’avaient lu? Prenant prétexte d’une affaire qui venait de se
-juger à Paris, où les réponses du jury avaient forcé la cour d’acquitter
-trois précoces malandrins, cet article s’élevait contre l’indulgence. On
-y lisait:
-
- «_Jamais les jurés parisiens n’avaient donné une telle preuve de
- faiblesse que dans l’affaire où, à la stupéfaction générale, ils
- viennent d’acquitter trois jeunes cambrioleurs convaincus d’avoir
- tenté de piller un pavillon..._
-
- _Cette indulgence outrée et absurde s’explique peut-être dans le cas
- particulier par l’attitude extraordinaire de la plaignante, qui avait
- demandé l’acquittement de ses agresseurs et aurait même, paraît-il,
- manifesté l’intention d’adopter l’un d’eux...[5] Mais est-il besoin de
- faire remarquer que les jurés qui, eux, doivent avoir la tête solide
- et posséder l’expérience de la vie, ne pouvaient subir le même accès
- de niaise sentimentalité_ (ce «niais» n’est pas très chrétien,
- Monsieur le chroniqueur) _et qu’ils ont, par conséquent, manqué à leur
- devoir en refusant de condamner des coupables avérés, et que rien ne
- leur signalait comme particulièrement intéressants?_
-
- [5] Combien ne serait-il pas intéressant de connaître le résultat de
- cette rare expérience!
-
- _Cet étrange verdict, que la presse a condamné de façon unanime, etc._
-
- _En ce temps, où les crimes se multiplient, où l’audace et la férocité
- des malfaiteurs dépassent toutes les bornes connues_ (ô Flaubert!),
- _où les jeunes gens même entrent si hardiment dans la mauvaise voie,
- etc..._»
-
-Qui dira la puissance de persuasion--ou d’intimidation--d’une feuille
-imprimée sur des cerveaux pas bien armés pour la critique, et si
-consciencieux pour la plupart, si désireux de bien faire!...
-
---Le Président m’a dit que jusqu’à présent nous avions très bien jugé,
-répétait, il y a quelques jours, un des jurés; et ce satisfecit du
-Président courait de bouche en bouche, et chacun des jurés
-s’épanouissait à le redire. Ils en rabattirent bientôt.
-
-
-
-
-VII
-
-
-Considérée d’abord comme un simple délit, l’affaire que nous eûmes à
-juger ce jour-là, avait déjà passé devant le tribunal correctionnel du
-Havre; l’un des accusés, protestant contre sa condamnation à deux ans,
-fit appel. C’est Yves Cordier, cordonnier; il comparaît en compagnie de
-C. Lepic et de Henri Goret, ses complices; des deux filles Mélanie et
-Gabrielle. Ils sont accusés tous les cinq d’avoir entraîné le marin
-Braz, après l’avoir soûlé, de l’avoir «passé à tabac» et dépouillé de
-l’argent qu’il portait sur lui. Ce marin, reparti en voyage, n’a pu
-répondre à la citation, non plus qu’il n’avait pu comparaître, lorsque
-l’affaire était passée en correctionnelle. Il avait déposé sa plainte
-sitôt après l’agression; puis, ayant recouvré son argent, l’avait
-retirée peu de jours après, avant de se rembarquer à nouveau. Si
-l’affaire suivait son cours c’était, à proprement parler, malgré lui.
-
-Cordier est un grand gars de dix-huit ans, un peu épais, blond, aux yeux
-bleus, au visage ouvert et qu’on imagine volontiers souriant; on dirait
-un marin; il a gardé la grosse vareuse cachou de la prison; il pleure
-continûment; par moments, il se tamponne le visage avec un mouchoir à
-carreaux qu’il roule en boule dans sa main droite; la main gauche est
-enveloppée d’un linge.
-
-Lepic est un journalier du Havre; son état-civil lui donne vingt-cinq
-ans; il a ce qu’on appelle: une sale tête; pommettes saillantes; énorme
-moustache, nez pointu; on n’est pas étonné d’apprendre qu’il a déjà été
-condamné sept fois pour vol. Il tient une petite casquette entre ses
-mains; d’affreuses mains, noueuses et, l’on dirait, mal dessinées. Il
-n’a pas de linge; ou, s’il en a, ne le montre pas. Près de lui, Henri
-Goret paraît fourvoyé. Cette espèce de fils de famille, ne semble pas de
-la même classe sociale que les autres; il a du linge, lui, et même un
-protège-col; une petite cravate à nœud droit; son visage aux moustaches
-naissantes serait presque joli s’il n’était avili, abruti; sa voix est
-frêle, fausse et voilée; il ne sait que faire de ses grosses mains
-gourdes. Le père de Goret tient un débit de boissons et une sorte
-d’hôtel borgne près du grand bassin. Henri Goret n’a pas vingt ans; il a
-épousé une putain qui s’est fait flanquer en prison peu de temps après
-le mariage.--N’importe! Henri se présente assez bien; certainement la
-décence, et j’allais dire la distinction de sa tenue, prédispose en sa
-faveur les jurés; elle accuse la roture et le dénuement des deux autres.
-
-Passons au récit de «la scène de violences dont sont impliqués ces
-individus», comme dit le _Journal de Rouen_ (16 Mai):
-
- * * * * *
-
-C’est le 4 octobre 1911, au soir, que Cordier fit la connaissance de
-Lepic. Ce dernier, sans doute, eut vite fait de comprendre à quel
-complaisant débonnaire il avait affaire. Ensemble ils s’en vont aux
-Folies. La représentation finie, ils commencent à vadrouiller par les
-rues. Ils croisent deux marins, Braz et Crochu. Crochu est ivre-mort,
-difficile à traîner; Braz interpelle les deux autres et leur demande
-s’ils ne connaissent pas un logement où l’on puisse coucher le soûlard.
-Tous trois emmènent Crochu rue de la Girafe, chez Lestocard. On le
-laisse là, et Braz, reconnaissant de l’aide que lui ont prêtée Lepic et
-Cordier, offre à ceux-ci une consommation.
-
-Ils ressortent, bras dessus, bras dessous de chez Lestocard, et ne se
-quitteront pas de sitôt. Place du Vieux Marché, ils rencontrent deux
-femmes, les filles Gabrielle et Mélanie; les emmènent. Il est deux
-heures du matin. Place Gambetta, c’est Cordier qui offre une
-consommation. Puis ils retournent place du Vieux Marché; au café Fortin
-Braz paye une nouvelle tournée. A ce moment se joint à eux le jeune
-Goret. Il était là, dans le café, près du comptoir; lui n’est pas ivre.
-Quand les autres sortent, il sort aussi. J’admets que Braz, déjà très
-ivre, ne l’ait pas beaucoup remarqué.
-
-Il est alors près de quatre heures du matin. Braz voudrait bien aller se
-coucher, mais les autres l’entraînent. Ils errent au hasard tous les six
-et atteignent la rue Casimir Delavigne. Braz n’en peut plus; il voudrait
-qu’on le laissât. «Il est temps de s’aller coucher maintenant». Mais
-Lepic ne l’entend pas ainsi; il prétend l’entraîner hors la ville.
-
---«Viens-t’en donc! J’ai un jardin là-haut, auprès du fort de
-Tourneville. Nous cueillerons des roses. J’te vas donner un bouquet que
-t’en garderas longtemps le souvenir.» (déposition de la fille
-Gabrielle.)
-
-En vain Gabrielle tire le marin par la manche; elle voudrait le retenir;
-mais il n’est plus en état de rien entendre, ou du moins d’entendre
-raison. Tous repartent et commencent à monter la longue côte.
-
-Une fille se penche vers l’autre:--Ça ne va-t’y pas se gâter?... Pour
-sûr ils vont lui faire son affaire.
-
---Non, répond l’autre; il y a toujours des soldats près du fort.
-
-Braz est entre Lepic et «celui qui a la main en écharpe» (déposition de
-Braz).--Cette «main en écharpe» l’a beaucoup frappé.--Les filles
-suivent, puis Goret à quelque distance en arrière.
-
-C’est à cinq heures, c’est-à-dire immédiatement avant l’aube (5
-octobre), qu’ils descendent dans le fossé du fort; sous quel prétexte?
-je ne sais. Les deux filles restent en haut.
-
-Que se passe-t-il alors? Il est malaisé de l’établir. Le marin n’est
-plus là pour le raconter; de plus, au moment de l’agression, il était
-ivre et il est vraisemblable qu’il n’ait pu se rendre que vaguement
-compte de la manière dont on l’attaquait et du rôle particulier de
-chacun de ses agresseurs. Nous n’aurons donc, pour nous éclairer, que le
-témoignage des intéressés. Or, chacun des accusés proteste de son
-innocence; du moins cherche-t-il à restreindre le plus possible sa part
-de responsabilité. (Lepic, plus catégorique, niera même avoir été de la
-partie: on s’est trompé; ça n’est pas lui.)
-
- * * * * *
-
-On procède à l’interrogatoire de Cordier:
-
-C’est sans doute un bien méchant gars: il a déjà subi trois
-condamnations pour vol; il n’avait que quatorze ans la première fois; il
-est rendu à ses parents; il recommence; de nouveau on le renvoie à sa
-famille; à la troisième fois on le confie à une colonie disciplinaire.
-Mais il prend en telle horreur ce régime, qu’il s’enfuit et retourne
-près de sa mère. Madame Cordier est la veuve d’un marin; elle tient une
-maison de blanchissage et emploie plusieurs ouvrières. Yves Cordier est
-le dernier de cinq enfants. Le puîné est au régiment; les autres sont
-placés, mariés, font une honnête carrière; toute la famille est
-honorablement notée. Le cadet, celui qui nous occupe, semble
-particulièrement aimé; et non seulement de sa mère et de ses frères,
-mais également par les voisins. Ses patrons donnent de lui de bons
-témoignages; on nous lit une lettre d’un de ceux-ci, qui parle avec
-éloge de «sa conduite et sa probité» et demande à le reprendre à son
-service. C’est chez lui que Cordier reprenait déjà du travail deux jours
-après sa première libération[6].
-
- [6] Je ne donne ici que les renseignements qui nous furent fournis par
- la Cour, et non ceux que je pus, de mon côté, recueillir ensuite.
-
-Il est à remarquer que la déposition de Cordier et celles des deux
-filles concordent point par point. D’après leur récit, Goret aurait
-brusquement sauté au cou du marin par derrière et aurait roulé à terre
-avec lui. Puis, tandis que Lepic le baillonnait, Goret l’aurait fouillé
-et aurait passé à Cordier l’argent qu’il trouvait dans les poches. Cet
-argent, Cordier le repassait presque aussitôt après à Lepic. Goret
-donnait encore au marin deux derniers coups de pied sur la nuque, et
-l’on repartait.
-
-Chacun allait de son côté; mais rendez-vous était pris pour se retrouver
-un peu plus tard, dans une chambre, rue du Petit Croissant, chez Goret
-même, et se partager l’argent.
-
-C’est là que la police, aussitôt prévenue par le marin, les arrêta.
-
- * * * * *
-
-Le Président bouscule l’interrogatoire des deux filles. Il appert que
-les témoins «de moralité douteuse» ne jouissent pas d’un grand crédit
-dans son esprit; et cela est tout naturel. Malheureusement, ici nous
-n’avons que ceux-ci pour nous instruire. Gabrielle, pressée de
-questions, qui se succèdent sans qu’elle ait le temps d’achever ses
-réponses, et qui sent que le Président ne lui fait point crédit, se
-trouble. Elle ne peut guère placer que des monosyllabes, répondre que
-par oui ou par non. Elle veut dire (c’est du moins ce qu’il me semble)
-que Cordier n’a pas participé à l’agression, et n’a fait que recevoir
-l’argent que les autres lui passaient. Si vous croyez que c’est
-facile!... Évidemment tout cela a été déjà élucidé à l’instruction: cet
-interrogatoire, pour le juge qui a étudié l’affaire, ne peut et ne
-_doit_ apporter rien de nouveau; mais pour le juré, tout est neuf: il
-cherche à se faire une opinion; il s’inquiète et doute si peut-être
-l’affaire n’a pas été bouclée trop vite, et l’opinion que s’en est faite
-le Président.
-
-Le Président.--Est-ce Cordier qui lui mettait la main sur la bouche?
-
-La fille Gabrielle.--Non, mon Président.
-
-Le Président.--Alors c’est lui qui a porté les coups.
-
-La fille Gabrielle.--Non, mon Président.
-
-Le Président.--Enfin, l’un frappait, l’autre baillonnait, le troisième
-fouillait. Braz dit que c’est Cordier qui l’a frappé; vous dites que
-c’est Cordier qui l’a fouillé. Il y a eu sans doute quelque confusion
-dans la lutte et par conséquent dans les témoignages aussi. Il ressort
-de tout cela que la responsabilité des trois accusés a été engagée au
-même degré, et c’est ce qui paraît évident. Fille Gabrielle, vous pouvez
-vous rasseoir.
-
-La fille Gabrielle est la dernière interrogée; on va passer aux
-plaidoiries. Alors le Président, selon l’usage, se tournant vers «celui
-qui a la main en écharpe»:
-
---Vous n’avez rien à ajouter au rapport du témoin?
-
-Cordier, qui sent que tout va finir, en sanglotant:
-
---Monsieur le Président, j’dis la vérité, j’l’ai pas touché.--Puis dans
-un élan pathétique, du plus fâcheux effet:--Je l’jure sur la tombe de
-mon père...
-
-Le Président.--Mon enfant, laissez donc votre père tranquille.
-
-Cordier, continuant.--... pas même du bout du doigt...
-
- * * * * *
-
-Pour Cordier, non plus que pour les autres, aucun témoin à décharge n’a
-été cité. On a bien donné lecture de la lettre d’un des patrons de
-Cordier; mais pourquoi n’entendons-nous pas sa mère?--Parce que Yves
-Cordier n’a pas voulu qu’elle fût appelée; il s’est même refusé à donner
-son adresse.
-
-Le Président.--Pourquoi n’avez-vous pas voulu donner l’adresse de votre
-mère?
-
-Cordier ne répond pas.
-
-Le Président.--Alors vous refusez de nous dire pourquoi vous n’avez pas
-voulu donner l’adresse de votre mère?
-
-Hélas! mon Président, est-ce donc si difficile à comprendre? ou
-n’admettez-vous pas que Cordier ait pu vouloir épargner une honte à sa
-mère? Si vous pouviez voir la pauvre femme, comme j’ai fait ensuite,[7]
-sans doute vous ne vous étonneriez plus.
-
- [7] «Je ne me refuse aucunement à vous donner l’adresse de ma mère,
- m’écrivit peu de temps après Cordier, de la prison--car, si je ne
- l’ai donnée au juge, c’était pour ne pas qu’elle se présente au
- Palais.»
-
-Je suis consterné, épouvanté, de sentir que l’interrogatoire va se clore
-et que le cas particulier de Cordier va demeurer si peu, si mal éclairé.
-Car je ne sais presque rien de lui, mais il m’apparaît déjà que ce
-garçon n’a rien de féroce, rien d’un bandit. Il ne me semble même pas
-impossible qu’il ait accompagné le marin, poussé par une sorte de
-sympathie vague... Ne saurais-je inventer nulle question, puisque, juré,
-j’ai le droit d’en poser, qui puisse jeter ici quelque lueur, et
-m’éclairer moi-même--car peut-être que je m’abuse et qu’Yves Cordier,
-après tout, ne mérite point la pitié. Cette question, je n’aurai plus le
-droit de la poser, dès que les plaidoiries auront commencé. Je n’ai plus
-qu’un instant, et déjà l’avocat de Cordier se lève... Alors, d’une voix
-étranglée, le cœur battant, je _lis_ ceci, que je viens d’écrire,
-craignant sinon de ne pouvoir trouver mes mots et achever ma phrase:
-
---Monsieur le Président, pouvons-nous savoir quelle somme a été prise à
-la victime et dans quelle proportion le partage s’est fait ensuite entre
-les accusés?
-
-Le Président procède à un court interrogatoire et nous apprenons: que 92
-francs ont été soustraits à Braz;--que, sur cette somme, 5 francs ont
-été donnés à chacune des deux femmes pour acheter leur silence;--que
-Cordier a reçu 10 francs, qu’il remettait aussitôt après aux agresseurs;
-et que, du reste de la somme, soit 72 francs, Lepic et Goret ont gardé
-chacun la moitié.
-
-Ah! s’il m’était permis de tirer des conclusions et, d’après ces
-chiffres précis, de chiffrer précisément la part de responsabilité de
-chacun!... L’avocat de Cordier, du moins, le fera-t-il?--Non. Sa
-plaidoirie du reste est solide, habile; mais il ne peut faire que
-Cordier n’ait un casier judiciaire déjà chargé. Il ne peut faire non
-plus que Cordier, peu de temps après son arrestation, ou plus
-précisément, je crois: après la première instruction--n’ait écrit au
-Procureur la lettre la plus absurde, la plus folle:
-
-«Je ne connais ni Lepic, ni Goret, y disait-il. Ils n’étaient pas là.
-C’est moi seul qui ai fait le coup, avec un de mes amis du port. Je ne
-regrette qu’une chose: c’est de ne pas avoir achevé le marin.»
-
-Lettre manifestement écrite sous la pression de Lepic, dira l’avocat
-défenseur, et sans doute sous ses menaces. (Lepic chercha également à
-intimider les deux femmes en les menaçant de son couteau «catalan».)
-N’a-t-on pas persuadé à Cordier que, en tant que mineur, il ne risquait
-guère et ne pourrait être condamné sévèrement?
-
-Cette lettre, du reste, l’accusation, tout en la relevant, n’en tient
-pas grand compte. Il arrive parfois, souvent même, que le Procureur
-reçoive de la prison semblables «aveux» destinés parfois à éclairer la
-justice, parfois à l’égarer; lettres écrites, parfois même, sans but et
-sans raison, dans le désœuvrement de la geôle. N’importe! cette lettre,
-dans l’esprit des jurés, est du plus déplorable effet. J’ai moi-même le
-plus grand mal à me l’expliquer par le peu que l’instruction m’a révélé
-du caractère (et de l’absence de caractère) de Cordier.
-
-Après la première plaidoirie de la défense, le tribunal demande une
-suspension de séance et nous allons dîner.
-
- * * * * *
-
-Quand, deux heures après, nous rentrons au Palais, l’avocat de Cordier
-_n’est plus là_. Certes, je n’irai pas jusqu’à dire que les avocats des
-deux autres accusés ont _profité_ de cette absence, mais pourtant, comme
-ce n’est qu’en chargeant Cordier qu’ils pouvaient décharger leur client,
-la présence du défenseur de Cordier n’aurait pas été inutile. Cordier
-restait tout abandonné à la discrétion des deux autres.
-
-Et ce n’est pas seulement par là que Cordier eut à pâtir de passer en
-jugement le premier. Sans doute, si elle s’était d’abord déchargée sur
-Lepic, la sévérité des jurés se serait montrée moins intransigeante. Ce
-fut Goret qui, passant troisième, profita de la réaction; du reste, son
-linge, sa tenue, son air fourbe, avaient favorablement impressionné le
-jury.
-
-Nous ne fûmes pas plutôt dans la salle de délibération qu’un long,
-maigre «primaire» à cheveux blancs, sortit de sa poche un papier où il
-avait consigné toutes les charges contre Cordier, et principalement ses
-condamnations précédentes. En vérité ce furent celles-ci qui
-l’emportèrent et dictèrent le nouveau jugement. Tant il est difficile
-pour le juré de ne pas considérer une première condamnation comme une
-charge et de juger le prévenu en dehors de l’ombre que cette première
-condamnation porte sur lui.
-
-En vain, un autre juré donna lecture de la lettre d’un des autres
-patrons de Cordier, extrêmement favorable à celui-ci--lettre qui n’avait
-pas été versée au dossier et que je ne sais qui venait, je ne sais
-comment, de lui remettre tandis que nous passions dans la salle de
-délibération--ce que je croyais formellement interdit...
-
---Tout ça, c’est des bandits, reprenait un autre juré. Faut en
-débarrasser la société.
-
-C’est ce qu’on fit dans la mesure du possible. Cordier fut condamné à
-cinq ans de réclusion et dix ans d’interdiction de séjour. Goret, à
-l’heure où j’écris ces lignes, est relâché depuis trois mois.
-
- * * * * *
-
-Cette nuit je ne puis pas dormir; l’angoisse m’a pris au cœur, et ne
-desserre pas son étreinte un instant. Je resonge au récit que me fit
-jadis au Havre un rescapé de la Bourgogne: Il était, lui, dans une
-barque avec je ne sais plus combien d’autres; certains d’entre ceux-ci
-ramaient; d’autres étaient très occupés tout autour de la barque à
-flanquer de grands coups d’aviron sur la tête et les mains de ceux, à
-demi noyés déjà, qui cherchaient à s’accrocher à la barque et
-imploraient qu’on les reprît; ou bien, avec une petite hache, leur
-coupaient les poignets. On les renfonçait dans l’eau, car en cherchant à
-les sauver on eût fait chavirer la barque pleine...
-
-Oui! le mieux c’est de ne pas tomber à l’eau. Après, si le ciel ne vous
-aide, c’est le diable pour s’en tirer!--Ce soir je prends en honte la
-barque, et de m’y sentir à l’abri.
-
-Avant de rentrer me coucher, j’avais longtemps erré dans ce triste
-quartier près du port, peuplé de tristes gens, pour qui la prison semble
-une habitation naturelle--noirs de charbon, ivres de mauvais vin, ivres
-sans joie, hideux. Et dans ces rues sordides, rôdaient de petits
-enfants, hâves et sans sourires, mal vêtus, mal nourris, mal aimés...
-
-Mais Cordier, lui, est fils d’une honnête famille; il a eu de bons
-exemples sous les yeux. Si on lui tend la perche, peut-être qu’on
-pourrait le sauver.
-
-Le lendemain matin, je m’en vais trouver son avocat et lui soumets le
-projet de requête que voici (il s’agit, du reste, d’une demande non de
-recours en grâce, mais simplement de diminution de peine):
-
- _Attendu_
-
- _Que le seul témoignage contre l’accusé Cordier est celui de la
- victime, M. Braz, ivre au moment où elle a été attaquée;_
-
- _Que du reste M. Braz, marin, reparti en voyage, n’a pu être atteint
- par la citation et par conséquent être entendu à l’audience;_
-
- _Qu’il ressort néanmoins de sa première déposition qu’il a été attaqué
- par derrière et qu’il n’a pu voir l’agresseur.--_
-
- _D’autre part,_
-
- _Attendu_
-
- _Que la déposition de Cordier concorde entièrement avec celles des
- filles Gabrielle et Mélanie, seuls témoins de l’agression, et qu’il
- ressort de leurs dires que Cordier n’a point pris part à l’attaque,
- mais s’est contenté de recevoir l’argent de la victime, que Goret et
- Lepic, les deux agresseurs, lui tendaient;_
-
- _Qu’il ressort de ces dépositions que Goret, beaucoup moins ivre que
- les autres, n’ayant participé à aucune des précédentes «tournées»,
- suivait le groupe par derrière, à l’insu de Braz, jusqu’au moment où
- il a bondi sur lui; que Lepic entraînait le marin avec une intention
- précise; et qu’il semble que Cordier, faible de caractère, presque
- incapable de résister à l’entraînement et de plus complètement ivre,
- n’ait fait que suivre._
-
- _Que ceci trouve, du reste, confirmation dans le fait que, lors du
- partage, Goret et Lepic se réservant la forte somme, ont jugé
- suffisant de lui donner 10 francs, comme ils avaient remis 5 francs à
- chacune des deux filles, pour prix du silence._
-
- _Attendu_
-
- _Que la déclaration de Cordier recueillie au cours de l’instruction,
- dont se sont servis les avocats défenseurs des autres accusés, et le
- ministère public: «C’est moi seul qui ai fait le coup avec un autre
- camarade; ni Lepic, ni Goret n’étaient là; je ne regrette qu’une
- chose, c’est de ne pas l’avoir achevé», est manifestement inspirée par
- la crainte de Lepic, dangereux repris de justice--qui, de même, a
- cherché à intimider les deux femmes--et qu’il n’y a pas lieu par
- conséquent de tenir compte de cette déclaration._
-
- _Attendu_
-
- _Que si Cordier était coupable (du moins dans la mesure qu’on l’a dit)
- il est hors de vraisemblance qu’il eût cherché à reporter son affaire
- devant une autre juridiction, comme il a fait lorsque la
- Correctionnelle du Havre lui a infligé une peine de deux ans._
-
-. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
-L’avocat, obligeamment, m’indique telle modification de forme qu’il
-croit devoir y apporter, insiste sur le rapport du médecin légiste qui
-estime que Cordier est «d’une intelligence au-dessous de la moyenne,
-qu’il s’exprime avec une certaine difficulté, que sa mémoire lui fait
-parfois défaut» et conclut à une responsabilité atténuée. Puis il
-m’indique la marche à suivre pour la faire signer, approuver du
-Procureur général et envoyer à qui de droit.
-
-Une sorte de timidité, la crainte aussi de ne rien obtenir en demandant
-trop, le sentiment de la justice--car malgré tout je ne puis considérer
-Cordier comme innocent--me détournent de demander le recours en grâce
-tout simple. Je me rends compte peu après que je ne l’eusse pas plus
-malaisément obtenu. Plusieurs jurés en effet ont médité sur cette
-affaire; la nuit leur a porté conseil; ils sont prêts à approuver ma
-requête, et je n’ai point de peine à recueillir les signatures de huit
-d’entre eux. Un des autres, un énorme fermier rougeoyant, plein de
-santé, de joie et d’ignorance, comme on parle devant lui de la maladie
-d’un prisonnier et de l’absence de soins par quoi sa maladie aurait
-empiré:
-
---S’il crève c’est autant de gagné pour la société. A quoi bon les
-soigner? s’écrie-t-il. Faut leur dire ce que répondait le médecin, à
-l’autre qui voulait se faire couper son doigt pourri:--«Pas la peine,
-mon garçon! tombera bien tout seul.»
-
-Je dois ajouter que cette boutade n’amène les rires que de quelques-uns.
-
-Les deux autres qui se refusèrent à signer donnèrent cette raison:
-qu’ils avaient voté suivant leur conscience et qu’on aurait par trop à
-faire s’il fallait revenir sur chaque affaire jugée.
-
-Evidemment: mais j’eusse été tout de même curieux de connaître le
-dossier des deux précédentes condamnations de Cordier. S’il fut jugé
-alors comme nous l’avons jugé hier...[8]
-
- [8] Aussitôt que j’eus un jour libre, j’allai au Havre et rendis
- visite à la mère du condamné. J’eus quelque mal à la retrouver, car
- la pauvre femme avait dû changer d’adresse pour fuir les propos et
- les regards injurieux des voisins. Dès qu’elle comprit pourquoi je
- venais, elle m’entraîna dans une petite pièce écartée où les
- ouvrières qu’elle emploie ne pussent pas nous entendre.
-
- Elle sanglote et peut à peine parler; une de ses filles
- l’accompagne, qui complète les récits de la mère:
-
- --Ah! Monsieur, me dit celle-ci, ça a été une grande misère pour
- nous quand mon autre fils (le puîné) a été pris par le service. Il
- était de bon conseil et Yves l’écoutait toujours. Quand il s’est
- échappé de la colonie, il n’a plus osé habiter à la maison, par
- crainte qu’on ne le reprenne. C’est alors que, sans domicile, il a
- commencé de fréquenter les pires gens qui l’ont entraîné et perdu.
-
- Tous les renseignements que je recueille ensuite sur Yves
- Cordier--de sa mère, de sa sœur, de son dernier patron, de son frère
- que je vais voir à la caserne--confirment entièrement l’opinion qui
- commençait à se former en moi:
-
- Yves Cordier est sans jugement; de tête faible et déplorablement
- facile à entraîner. Bon à l’excès, disent-ils tous: c’est dire
- aussi: sans résistance. Son désir d’obliger autrui va jusqu’à la
- manie, jusqu’à la sottise. C’est pour un camarade «qui en avait
- besoin» qu’Yves Cordier aurait volé une vieille paire de chaussures,
- son premier vol.
-
- Quand, à la colonie pénitentiaire, sa mère, usant de la permission,
- lui apportait des friandises: «Si c’est pour lui que vous apportez
- ça, Madame, lui disait le gardien, c’est pas la peine; il donne tout
- aux autres et ne gardera rien pour lui.»
-
- A la colonie, sur les conseils d’un camarade, il se fit tatouer le
- dos de la main gauche. Un autre camarade lui persuada, aussitôt
- après, que ce tatouage apparent pourrait le gêner dans la vie, et
- Yves, docile à ce nouveau conseil, appliqua sur le tatouage un
- emplâtre de sel et de vitriol qui lui mangea la chair jusqu’à l’os
- (et c’est pourquoi, le jour du délit, il avait sa main en écharpe).
-
- --Ce garçon avait seulement besoin d’être dirigé, me dit enfin son
- patron cordonnier, qui me parle de lui en termes émus et ne demande
- qu’à le reprendre à son service...
-
-Quelque temps après j’obtins satisfaction de ma requête: La peine de
-Cordier est réduite à trois ans de prison.
-
-Mais hélas! après la prison ce sera le bataillon d’Afrique. Et au sortir
-de ces six ans, qui sera-t-il... _que_ sera-t-il?...
-
-
-
-
-IX
-
-
-On a gardé pour la fin l’affaire la plus «conséquente». Celle qui nous
-occupe ce dernier jour menace d’être si longue qu’on nous convoque dès 9
-heures du matin. La séance durera jusqu’à plus de 10 heures du soir,
-coupée à deux reprises aux heures des repas. Il s’agit des vols commis à
-la gare de dépôt de Sotteville sur les marchandises confiées à la
-Compagnie de l’État.
-
-Depuis le nouveau régime de cette compagnie, les réclamations
-surabondent et l’on se plaint de toutes parts de vols sans nombre,
-certains extrêmement importants.
-
-Un grand soupir de soulagement se fit entendre dans la presse et dans le
-public lorsqu’on apprit qu’une nombreuse bande de voleurs et de
-recéleurs avait été pincée. On ne nous en offre pas moins de seize à
-juger; le bruit court dès le début de la séance que nous aurons à
-répondre à plus de 100 questions.
-
-La lecture de l’acte d’accusation ne va pas sans nous causer quelque
-étonnement. On s’attendait à plus, à mieux; devant l’importance de
-certains détournements, que les jurés se rappelaient l’un à l’autre
-avant l’ouverture de la séance, les chaparderies reprochées aux prévenus
-nous paraissent des peccadilles, et l’étonnement cède vite à l’ennui, à
-la fatigue, et même, pour quelques-uns des jurés, à l’agacement, à
-l’exaspération, au cours de l’interrogatoire.
-
-Une interminable discussion s’engage pour savoir si trois bouteilles et
-demi de Cointreau ont été volées par la femme X., ou achetées par elle,
-ainsi qu’elle le soutient, à la femme B. qui, elle, soutient que la
-femme X. ne lui a jamais acheté de liqueurs. La femme X. porte un petit
-poupon dans ses bras qui pleure et voudrait déposer lui aussi.
-
-X., époux de la prévenue, reconnaît s’être approprié «un restant de
-bouteille de kirsch»; mais il n’a jamais donné cette paire de
-chaussettes à Y.; au contraire, il les a reçues de ce dernier. Quant au
-service à découper, c’est Z. qui, etc...
-
-X. est bon ouvrier; il gagne cent sous par jour, plus une indemnité; il
-est père de quatre enfants. Sa déposition concorde avec celle de B. qui
-dit avoir reçu de N. de la moutarde et de M. du café et du thé, du reste
-en quantités dérisoires: par contre il n’a rien reçu de D. ni de E. Il
-reconnaît avoir accompagné N. quand il a chipé le pot de moutarde, mais
-lui-même il n’a rien pris. N. ne fait point difficulté de reconnaître le
-vol du pot de moutarde.
-
-M. est père de quatre enfants lui aussi; il avoue le détournement de 5
-kilos de riz et de quelques morceaux de charbon; c’est bien lui qui a
-donné à B. deux kilos de café et de thé; mais il les avait lui-même
-reçus de R.
-
-La femme M. n’a jamais voulu garder chez elle quoi que ce soit de
-provenance douteuse.
-
-Par contre, la femme W. mère de six enfants, est convaincue d’avoir
-recélé de la chicorée, du riz et un pot de peinture. Elle soutient que
-ces denrées lui étaient fournies par M. seul.
-
-T. nettoyeur au dépôt de Sotteville, père de trois enfants, et dont la
-femme est mourante à l’hôpital, nous persuade qu’il n’a jamais rien
-volé; sa déposition concorde entièrement avec celle de M. Mais il ne
-parvient pas à se laver de l’accusation de recel.
-
-La femme Y. avoue le recel d’une paire de chaussettes, celle qu’Y. à
-donnée par la suite à X.
-
-Un âpre dialogue se poursuit quelque temps entre la femme O., une
-hideuse pouffiasse au teint de géranium, et la femme P. qui sanglote et
-fait de grands efforts pour montrer qu’elle est de rang supérieur;
-chacune des deux reproche à l’autre de lui avoir apporté de l’huile et
-des harengs.
-
-P., le mari de la dernière, n’est pas employé à la compagnie. C’est un
-homme de cinquante ans, d’aspect énergique, grisonnant et à fortes
-moustaches, père de famille; précédemment condamné pour coups et
-blessures; il vit de ce que lui rapporte son jardin. Ce jardin ouvre sur
-la voie, à quelques pas d’un viaduc. En passant sous le viaduc on
-gagnait l’autre côté de la voie. (Un plan, ici encore, nous rendrait
-service.) Nul lieu ne pouvait être mieux choisi pour les recels. P.
-reconnaît avoir recélé les denrées apportées par O. et par X. Il
-reconnaît même avoir fait le guet, une fois, «plutôt pour ma sécurité
-personnelle», ajoute-t-il.
-
-O. fils, âgé de quinze ans, reconnaît avoir reçu de la femme P. un
-paquet d’étoffe, mais soutient qu’il en ignorait la provenance; etc.
-etc...
-
-Durant la seconde suspension de la séance, les jurés en allant dîner
-échangent leurs impressions. Pour la première fois ils se tournent
-contre le ministère public; c’est un revirement d’opinion très net et
-des plus curieux à observer.
-
-Ils se redisent, ce qui ressort des rapports, que ces vieux employés
-étaient demeurés fidèles tout le temps qu’ils avaient travaillé sous la
-direction de l’ancienne compagnie; si maintenant ils prêtaient la main à
-la gabegie générale, la nouvelle direction n’en était-elle pas
-responsable? «Quand tout à coup, dira l’un de leurs avocats, ces hommes
-ont vu sur leur casquette, inscrit à la place du mot _Ouest_, le mot
-_État_, chacun d’eux a pensé: _l’État_ c’est moi! Quoi d’étonnant s’ils
-se sont donné quelque licence?» Sans doute on compte sur la condamnation
-de ceux-ci pour calmer l’opinion publique! Désespérant de saisir les
-vrais coupables, ou, qui sait? peut-être craignant de les saisir, on
-veut faire payer à leur place les fauteurs de ces peccadilles! Non! non,
-les jurés ne seront pas si naïfs et ne se prêteront pas à ce jeu; ils ne
-briseront pas la carrière de ces pères de famille, pour les beaux yeux
-de l’accusation et de la noble Compagnie de l’État. Certains déjà se
-réjouissent à penser à la tête que fera tantôt le Président quand, sur
-les réponses des jurés, qui, sur toute la ligne, se préparent à voter
-«non coupable», force sera d’acquitter tous les prévenus. Quelle belle
-fin de session ce sera. Les journaux vont en parler pour sûr!
-
-Le Président sans doute a eu vent de ces dispositions; son front
-lorsqu’il réapparaît devant nous à la reprise de séance, nous semble un
-tantinet rembruni. Nous écoutons le réquisitoire; nous écoutons les
-plaidoiries. Dans la crainte que quelqu’un de nous ne défaille, on a
-pris soin de nommer deux jurés supplémentaires qui se tiennent prêts à
-relayer. Et nous prenons grand’pitié d’eux durant la délibération.
-Malgré que nous soyons d’accord et tous décidés par avance, cette
-délibération durera plus d’une heure et demie, le chef du jury se
-refusant obstinément à sérier les questions et nous forçant à voter pour
-presque chacune. Enfermés dans une petite salle à part, les jurés
-supplémentaires doivent s’amuser! Ont-ils au moins des journaux et des
-cigarettes? On prie le garde de service d’aller s’en informer.
-
- * * * * *
-
-Un point reste assez délicat: nous ne voulons pas condamner ces
-chapardeurs, c’est entendu; mais, sur le bout du banc, se tenait une
-vieille sorcière de recéleuse à la tignasse déteinte et à la voix
-éraillée, qui ne mérite pas d’échapper. Comme disait l’avocat général,
-citant un mot célèbre: le recéleur fait le voleur. Montrons que nous
-avons compris, et laissons retomber le châtiment sur le premier. Nous
-rentrons dans la grand’salle tout amusés déjà, avec des sourires de
-sympathie pour les pauvres jurés supplémentaires.
-
-A son tour la Cour se retire. Elle revient au bout d’un instant. Le
-Président en effet fait grise mine.
-
---Messieurs, dit-il, je suis désolé d’avoir à relever, sur la feuille
-que vous m’avez remise, un illogisme qui rend votre vote non
-valable,--une distraction évidemment--et qui va me forcer, à mon grand
-regret, de vous prier de retourner dans la salle de délibération pour
-mettre d’accord vos réponses. Vous votez: _oui_ pour le recel; _non_,
-pour le vol. Pour qu’il y ait recel, il faut qu’il y ait eu vol. On ne
-peut pas recéler le produit d’un vol qui n’a pas été commis.
-
-Evidemment; mais c’est cet illogisme apparent qui précisément nous
-plaisait. Nous pensions être libres de condamner qui nous voulions; et,
-condamner le recéleur en acquittant le voleur, n’était-ce pas
-sous-entendre que nous estimions qu’il y avait eu recel de plus de
-marchandises que les vols en question n’en avaient apportées, recel
-d’autres denrées, du produit d’autres vols, dont le ministère public
-n’avait pas saisi les auteurs. Décidément nous nous surfaisions notre
-importance. Nous sommes rappelés au sentiment de la limite de nos
-pouvoirs.
-
-Nous rentrons en file dans la petite salle de délibération, si penauds
-et la tête si basse que j’ai peine à retenir mon rire. Les jurés
-supplémentaires eux aussi sont de nouveau coffrés.
-
-Nous modifions nos réponses dans la mesure de l’indispensable et
-aboutissons à je ne sais plus quel compromis.
-
-
-ÉPILOGUE
-
-Trois mois après.
-
-La scène se passe en wagon, entre Narbonne où j’ai laissé Alibert, et
-Nîmes.
-
-Dans un compartiment de troisième classe: un petit gars, de seize ans
-environ, point laid, l’air sans malice, sourit à qui veut lui parler;
-mais il comprend mal le français, et je parle mal le languedocien. Une
-femme d’une quarantaine d’années, en grand deuil, aux traits
-inexpressifs, au regard niais, aux pensées irrémédiablement enfantines,
-coupe sur du pain une saucisse plate dont elle avale d’énormes bouchées.
-Elle se fait l’interprète du jouvenceau et la conversation s’engage avec
-mon voisin de droite, une épaisse citrouille qui sourit du haut de son
-ventre aux choses, aux gens, à la vie.
-
-En projetant beaucoup de nourriture autour d’elle, la femme explique que
-cet adolescent est appelé des environs de Perpignan à Montpellier où il
-doit comparaître ce même jour devant le tribunal; non point en accusé,
-mais en victime: il y a quelques jours, des apaches de la campagne l’ont
-attaqué sur une route à minuit et laissé pour mort dans un champ, après
-lui avoir pris le peu d’argent qu’il avait sur lui.
-
-On commence à parler des criminels:
-
---Ces gens-là, il faudrait les tuer, dit la femme.
-
---Vous leur donnez des vingt, des trente condamnations, explique mon
-voisin; vous les entretenez aux frais de l’État; tout ça ne donne rien
-de bon. Qu’est-ce que cela rapporte à la société? je vous le demande un
-peu, Monsieur, qu’est-ce que cela lui rapporte?
-
-Un autre voyageur, qui semblait dormir dans un coin du wagon:
-
---D’abord ces gens-là, quand ils reviennent de là-bas, ils ne peuvent
-plus trouver à se placer.
-
-Le gros Monsieur.--Mais, Monsieur, vous comprenez bien que personne n’en
-veut. On a raison; ces gens-là, au bout de quelque temps, recommencent.
-
-Et comme l’autre voyageur hasarde qu’il en est qui, soutenus, aidés,
-feraient de passables et quelquefois de bons travailleurs, le gros
-Monsieur, qui n’a pas écouté:
-
---Le meilleur moyen pour les forcer à travailler, c’est de les mettre à
-pomper au fond d’une fosse qui s’emplit d’eau; l’eau monte quand ils
-s’arrêtent de pomper; comme ça ils sont bien forcés.
-
-La Dame en deuil.--Quelle horreur!
-
---J’aimerais mieux les tuer tout de suite, gémit une autre dame.
-
-Mais, comme la Dame en deuil l’approuve, celle qui d’abord avait émis
-cette opinion, sans doute de cette sorte de gens qui trouvent un cheveu
-à leur propre opinion dès qu’elle n’est plus exprimée par eux-mêmes:
-
---Mon père, lui, _qui était du jury_, il avait coutume de ne les
-condamner qu’à perpétuité. Il disait qu’on devait leur laisser le temps
-de se repentir.
-
-Le gros Monsieur hausse les épaules. Pour lui un criminel, c’est un
-criminel; qu’on ne cherche pas à le sortir de là.
-
-La Dame qui n’a presque rien dit, émet timidement cette pensée que la
-mauvaise éducation est souvent pour beaucoup dans la formation du
-criminel, de sorte que souvent les parents sont les premiers
-responsables.
-
-Le gros Monsieur, lui, croit qu’après tout l’éducation n’est pas
-toute-puissante et qu’il est des natures qui sont vouées au mal comme
-d’autres sont vouées au bien.
-
-Le Monsieur du coin se rapproche et parle d’hérédité:
-
---La meilleure éducation ne triomphera jamais des mauvaises dispositions
-d’un fils d’alcoolique. Les trois quarts des assassins sont des enfants
-d’alcooliques. L’alcoolisme...
-
-La Dame en deuil l’interrompt:
-
---Et puis aussi l’habitude des femmes, à Narbonne, de porter un foulard
-noir sur la tête; un médecin a découvert que ça leur chauffait le
-cerveau...
-
-Mais elle croit pourtant qu’il y aurait moins de crimes si les parents
-n’étaient pas si faibles.
-
---On en a jugé un, à Perpignan, continue-t-elle; il avait commencé comme
-cela: tout petit enfant, un jour, il a pris une petite pelote de fil
-dans le panier à ouvrage de sa mère; sa mère l’a vu et ne l’a pas
-grondé; alors, quand l’enfant a vu qu’on ne le punissait pas, il a
-continué: il a volé d’autres personnes et puis, vous comprenez, il a
-fini par assassiner. On l’a condamné à mort et voici ce qu’il a dit au
-pied de l’échafaud.--Elle gonfle sa voix, et mon manteau se couvre de
-débris de mangeaille.--Pèrres et mèrres de famille, j’ai commencé par
-voler un peloton de fil, et si cette première fois ma mère m’avait puni,
-vous ne me verriez pas sur l’échafaud aujourd’hui! Voilà ce qu’il a dit;
-et qu’il ne se repentait de rien, sauf d’avoir étranglé dans un berceau
-un petit enfant qui lui souriait.
-
-Le gros Monsieur, qui n’écoute pas plus la Dame que celle-ci ne
-l’écoute, revient à son idée: On ne traite pas assez sévèrement ces
-gens-là:
-
---On n’en fera jamais rien de bon; et du moment qu’on les laisse vivre,
-il ne faut pourtant pas que ce soit pour leur plaisir, n’est-ce pas?
-Naturellement, ces criminels, ils se plaignent toujours; rien n’est
-assez bon pour eux... Je connais l’histoire d’un qui avait été condamné
-par erreur; au bout de vingt-sept ans, on l’a fait revenir, parce que le
-vrai coupable, au moment de mourir, a fait des aveux complets; alors le
-fils de celui qu’on avait condamné par erreur a fait le voyage, il a
-ramené de là-bas son père, et savez-vous ce que celui-ci a dit à son
-retour?--qu’il n’était pas trop mal là-bas. C’est-à-dire, Monsieur,
-qu’il y a bien des honnêtes gens en France, qui sont moins heureux
-qu’eux.
-
---Dieu l’aura puni, dit la grosse Dame en deuil après un silence
-méditatif.
-
---Qui ça?
-
---Eh! le vrai criminel, pardine! Dieu est bon, mais il est juste, vous
-savez.
-
---Ça m’étonne tout de même que le prêtre ait raconté la confession, dit
-l’autre dame; ils n’ont pas le droit. Le secret de la confession, c’est
-sacré.
-
---Mais, Madame, ils étaient plusieurs qui ont entendu cette confession;
-quand il s’est vu mourir, qu’est-ce qu’il risquait? Il a demandé au
-contraire qu’on le répète. Il y a sept ans de cela. Vingt-sept ans après
-le crime. Vingt-sept ans! pensez. Et personne ne s’en doutait; il avait
-continué à vivre, considéré dans le pays.
-
---Quel crime avait-il donc commis, demande le Monsieur du coin.
-
---Il avait assassiné une femme.
-
-Moi.--Il me semble, Monsieur, que cet exemple contredit un peu ce que
-vous avanciez tout à l’heure.
-
-Le gros Monsieur devient tout rouge:
-
---Alors vous ne croyez pas ce que je vous raconte?!
-
---Mais si! mais si! vous ne me comprenez pas. Je dis simplement que cet
-exemple prouve que quelquefois un homme peut commettre un crime isolé et
-ne pas s’enfoncer ensuite dans de nouveaux crimes. Voyez celui-ci: après
-ce crime il a mené, dites-vous, vingt-sept ans de vie honnête. Si vous
-l’aviez condamné, il y a de grandes chances pour que vous l’ayez amené à
-récidiver.
-
---Mais, Monsieur, la loi Béranger précisément... commence l’autre dame.
-Celle en deuil l’interrompt:
-
---Alors vous n’appelez pas ça un crime, de laisser vingt-sept ans un
-innocent faire de la prison à sa place?
-
-Le second Monsieur hausse les épaules et se renfonce dans son coin. La
-citrouille s’endort.
-
-A Montpellier, le petit gars descend; et sitôt qu’il est parti, la Dame
-en deuil, qui cependant a achevé son repas et remet dans son panier le
-reste du saucisson et du pain:
-
---A voyager comme ça depuis le matin, il doit avoir faim, cet enfant!
-
-
-
-
-APPENDICE
-
-Réponse à une enquête
-
-(_Opinion_ du 25 octobre 1913)
-
-«_Les Jurés jugés par eux-mêmes._»
-
-
-Sans doute ces questions sont «dans l’air». J’ai passé les dernières
-semaines de cet été à mettre au net mes souvenirs de Cour d’Assises, qui
-commenceront prochainement à paraître en revue, puis en volume.
-
-J’ai cru que le simple récit des affaires que nous avions été appelés à
-juger serait plus éloquent que des critiques. L’enquête de l’_Opinion_,
-pourtant, m’engage à tâcher de formuler celles-ci.
-
-Que parfois grincent certains rouages de la machine-à-rendre-la-justice,
-c’est ce qu’on ne saurait nier. Mais on semble croire aujourd’hui que
-les seuls grincements viennent du côté du jury. Du moins on ne parle
-aujourd’hui que de ceci; j’ai dû pourtant me persuader, à plus d’une
-reprise--et non pas seulement à cette session où je siégeais comme
-juré--que la machine grince souvent aussi du côté des interrogatoires.
-Le juge interrogateur arrive avec une opinion déjà formée sur l’affaire
-dont le juré ne connaît encore rien. La manière dont le président pose
-les questions, dont il aide et favorise tel témoignage, fût-ce
-inconsciemment, dont au contraire il gêne et bouscule tel autre, a vite
-fait d’apprendre aux jurés quelle est son opinion personnelle. Combien
-il est difficile aux jurés (je parle des jurés de province) de ne pas
-tenir compte de l’opinion du président, soit (si le président leur est
-«sympathique») pour y conformer la leur, soit pour en prendre tout à
-coup le contre-pied--c’est ce qui m’est nettement apparu dans plus d’un
-cas, et ce que, dans mes souvenirs, j’ai exposé sans commentaires.
-
-Il m’a paru que les plaidoiries faisaient rarement, jamais peut-être (du
-moins dans les affaires que j’ai eues à juger) revenir les jurés sur
-leur impression première--de sorte qu’il serait à peine exagéré de dire
-qu’un juge habile peut faire du Jury ce qu’il veut.
-
- * * * * *
-
-L’interrogatoire par le juge... peut-être une autre enquête de
-l’_Opinion_ soulèvera-t-elle plus tard cette question délicate. N’ayant
-pas assisté à des séances de Cour criminelle en Angleterre, je ne puis
-pressentir si peut-être l’interrogatoire par les avocats et le ministère
-public, ne présente pas des inconvénients plus graves encore... en tout
-cas ce n’est pas à cela que vous m’invitez à répondre aujourd’hui.
-
- * * * * *
-
-Mon opinion sur la composition du jury?--C’est que cette composition est
-extrêmement défectueuse. Je ne sais trop comment avait pu se recruter
-celui dont je me trouvais faire partie, mais à coup sûr, s’il était le
-résultat d’une _sélection_, c’était d’une sélection à rebours[9].--Je
-veux dire que tous ceux qui, dans les villes ou dans les campagnes,
-eussent pu paraître mériter en être, semblaient avoir été soigneusement
-éliminés--à moins qu’ils ne se fussent faits récuser.
-
- [9] L’un des jurés de ma session savait à peine lire et écrire; sur
- ses bulletins de vote le _oui_ et le _non_ étaient si malaisément
- reconnaissables que plus d’une fois on dut le prier de répondre à
- neuf oralement.
-
-Mais vous-même? me dira-t-on.--Si je n’avais pas insisté auprès du maire
-de ma commune chargé de dresser les premières listes, pour qu’il y
-portât régulièrement mon nom depuis six ans, je suis bien assuré qu’il
-ne m’aurait pas proposé--_par peur de me déranger_. Encore craignais-je
-après avoir reçu ma citation, d’être récusé, en qualité
-_d’intellectuel_, soit complètement, soit successivement pour chaque
-affaire.
-
-(On me l’avait fait craindre, et je me souvenais que mon père, nommé
-juré, avait été systématiquement éliminé, en tant que juriste, chaque
-fois que son nom était sorti de l’urne.)
-
-Il n’en a rien été. Et comme certains de mes collègues se faisaient
-fréquemment récuser, j’ai pu siéger dans un grand nombre d’affaires, et
-assister plus d’une fois aux perplexités, au désarroi, à l’affolement du
-jury.
-
-Je n’étais pourtant pas de cette affaire où les jurés, après avoir
-répondu de telle manière que la Cour dût condamner l’accusé aux travaux
-forcés à perpétuité--épouvantés du résultat de leur vote, se réunirent
-aussitôt après séance et, précipités d’un excès dans un autre, signèrent
-un recours en grâce pur et simple.
-
- * * * * *
-
-On a proposé que le chef du jury soit désigné, non par le sort, comme
-actuellement (premier nom sorti de l’urne) mais, dans la salle de
-délibérations, par un vote--comme il advient parfois. Et je crois que ce
-serait là une réforme très heureuse. Car j’ai vu, dans certains cas, tel
-chef de jury contribuer par ses indécisions, ses incompréhensions, ses
-lenteurs, au désordre qu’un bon chef de jury pourrait au contraire
-empêcher. (Il est vrai d’ajouter que le plus incapable était aussi bien
-celui qui était le plus fier de sa place et le moins disposé à la
-céder).
-
-Ce n’est pas que pour être un bon juré une grande instruction soit
-nécessaire, et je sais certains «paysans» dont les jugements (un peu
-butés parfois) sont plus sains que ceux de nombre d’intellectuels; mais
-je m’étonne néanmoins que les gens complètement déshabitués de tout
-travail de tête, soient capables de prêter l’attention soutenue qu’on
-réclame ici d’eux, des heures durant. L’un d’eux ne me cachait pas sa
-fatigue; il se fit récuser aux dernières séances; «sûrement je serais
-devenu fou», disait-il. C’était un des meilleurs.
-
-Aussi bien je crois que l’opinion du juré se forme et s’arrête assez
-vite. Il est, au bout de deux ou trois quarts d’heure, sursaturé--ou de
-doute, ou de conviction. (Je parle du juré de province).
-
-En général, ici comme ailleurs, la violence des convictions est en
-raison de l’inculture et de l’inaptitude à la critique.
-
-Si donc on est en humeur de réforme, il me semble que la première
-réforme devrait porter sur la formation des listes de recrutement des
-jurés, de sorte que l’on portât sur celles-ci, non les plus desœuvrés et
-les plus insignifiants, mais les plus aptes. Il faudrait également que
-ces derniers tinssent à honneur de ne pas se faire récuser.
-
- * * * * *
-
-J’ai entendu proposer ces derniers temps, que le jury soit appelé à
-délibérer avec la Cour et à statuer avec elle sur l’application de la
-peine. Oui peut-être... Du moins est-il fâcheux que les jurés puissent
-être surpris par la décision de la Cour et penser: nous aurions voté
-différemment si nous avions pu prévoir que notre vote allait entraîner
-peine si forte--ou si légère.
-
-Il faut dire surtout que les questions auxquelles le juré doit répondre
-sont posées de telle sorte qu’elles prennent souvent l’aspect de
-traquenards, et forcent le malheureux juré de voter contre la vérité
-pour obtenir ce qu’il estime la justice.
-
-Plus d’une fois j’ai vu de braves paysans, décidés à ne pas voter les
-circonstances aggravantes, devant les questions: le vol a-t-il été
-commis la nuit... avec effraction... à plusieurs (ce qui précisément
-constitue les circonstances aggravantes) s’écrier désespérément:
-«J’pouvons tout d’même pas dire que _non_.» Et voter ensuite les
-_circonstances atténuantes_, au petit bonheur, en manière de palliatif.
-
-Si les questions ne peuvent être posées différemment (et j’avoue que je
-ne vois pas bien comment elles pourraient être posées)--il serait bon
-que, au début de la première séance, les jurés reçussent quelques
-instructions qui pourraient prévenir leur incertitude, leur angoisse et
-leur désarroi.
-
- * * * * *
-
-On a proposé que la feuille des questions fut remise à chacun d’eux, sur
-copie séparée, avant l’ouverture de la séance; cette mesure me paraît
-présenter de sérieux avantages--et je ne vois pas quels inconvénients.
-
-Je proposerais aussi que dans certains cas, un plan topographique fut
-remis à chacun des jurés, lui permettant de se représenter plus aisément
-le théâtre du crime: Dans telle affaire d’agression nocturne, où je fus
-appelé à siéger, la conviction des jurés dépendait uniquement de ceci:
-l’accusé était-il assez près d’un réverbère et suffisamment éclairé,
-pour que Madame X, de sa fenêtre, ait pu le reconnaître? Quelques
-témoins, appelés à la barre, placèrent le réverbère l’un à cinq mètres,
-l’autre à vingt-cinq, du lieu précis de l’agression. Un troisième alla
-jusqu’à prétendre qu’il n’y avait pas de réverbère du tout à cet endroit
-de la rue... N’eût-il pas été bien simple de faire dresser par la
-gendarmerie un plan des lieux?
-
- * * * * *
-
-Monsieur Bergson demande que chacun des jurés soit tenu de motiver et
-d’expliquer son vote... Evidemment; mais il ne m’est pas du tout prouvé
-que le juré le plus malhabile à parler soit celui qui sente et pense le
-plus mal. Et réciproquement, hélas!
-
-
-
-
- ACHEVÉ D’IMPRIMER LE SIX
- JANVIER MIL NEUF CENT QUATORZE PAR
- «L’IMPRIMERIE SAINTE CATHERINE»
- QUAI ST. PIERRE, BRUGES, BELGIQUE.
-
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-*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK SOUVENIRS DE LA COUR
-D'ASSISES ***
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