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If you are not located in the United States, you -will have to check the laws of the country where you are located before -using this eBook. - -Title: Le meilleur ami - -Author: René Boylesve - -Release Date: April 08, 2021 [eBook #65031] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -Produced by: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at - https://www.pgdp.net (This book was produced from images made - available by the HathiTrust Digital Library.) - -*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE MEILLEUR AMI *** - - - - - - RENÉ BOYLESVE - - LE - MEILLEUR AMI - - --ROMAN-- - - CINQUIÈME ÉDITION - - PARIS - CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS - 3, RUE AUBER, 3 - - - - -Il a été tiré de cet ouvrage - -TRENTE EXEMPLAIRES SUR PAPIER DE HOLLANDE - -et - -DIX EXEMPLAIRES SUR PAPIER DE CHINE, - -tous numérotés. - - - - -A - -MARCEL BOULENGER - - - - -LE MEILLEUR AMI - - - - - «C’est une vieille histoire qui reste toujours nouvelle, et - celui à qui elle vient d’arriver en a le cœur brisé.» - - HENRI HEINE (_Intermezzo_). - - -J’évite ordinairement de passer par cette avenue Raphaël qui me rappelle -trop de souvenirs. Un hasard m’y a mené tantôt; j’accompagnais un ami; -nous causions; je levais les yeux à peine; pourtant je crois bien avoir -aperçu la pelouse du tennis, le tramway qui grince en tournant vers la -Muette, et le jeu de bagues. Tout à coup, nous sommes arrêtés par un sol -boueux, creusé d’ornières dégoûtantes, et mon compagnon me dit: - ---Tiens! c’était là l’hôtel des Chanclos!... bon Dieu! comme tout -passe!... - -Il fallut donc s’arrêter là, d’abord pour tourner la boue, et puis pour -voir ce qui est maintenant à la place de l’ancienne habitation des -Chanclos. Une sorte de palais monumental a dévoré le joli hôtel du baron -de Chanclos et son voisin, celui de la princesse V***; et les arbres -admirables des deux parcs, ces beaux platanes, ces marronniers, ces -vieux ormes tordus, ces érables d’argent, dont le feuillage se -diversifiait si gaiement même avant l’automne, un boulingrin solennel et -plat en a rasé la forêt, la gaieté, la fantaisie colorée et l’agréable -ombrage, pour découvrir, en noble perspective, au bout du jardin -français, une fontaine, elle aussi monumentale, et copie de Versailles. -Enfin, il ne reste rien du passé, que nos souvenirs; et, puisque sous -notre régime de bouleversements rapides, la chose écrite seule a quelque -chance de se faufiler entre les décombres et les murs nouveaux, je veux -essayer d’évoquer à la place de ce qui est aujourd’hui, ce qui n’est -plus et qui, il n’y a pourtant pas de cela dix ans, était la jeunesse, -la vie charmante, la plus riante promesse d’avenir. «Bon Dieu! comme -tout passe!...» - - - - -C’est la voix de Bernerette de Chanclos qui me frappe avant toute chose -au moment où je me penche sur ce trou déjà obscur qu’est une dizaine -d’années en arrière. Je l’entends, sous les marronniers garnis de -feuilles nouvelles... C’était une voix qui, vers la quinzième année, -avait pris je ne sais quel timbre à la fois argentin et grave, laissant, -après coup, une résonance comparable à celle de certains angélus frais -et mélancoliques, qu’on n’entend que dans la campagne à la tombée du -jour: quand Bernerette avait parlé, comprend-on cela? ce n’était pas -fini; elle avait projeté dans l’atmosphère quelque chose d’exquis, et -qui voletait ou demeurait là, en suspension, comme des vapeurs ou des -parfums. Et cette voix n’était pas juste dès que l’on essayait de -l’employer pour le chant, c’est assez étrange; et Bernerette avait, en -outre, un petit défaut de prononciation, un besoin de manger quelques -syllabes, comme si elle eût été pressée, la pauvre petite, et comme si -les mots lui eussent paru trop longs pour le peu de temps qui lui était -donné. Ce défaut-là pouvait bien être un charme. J’entends cette voix -sous les marronniers!... J’arrivais, en familier de la maison, et -Bernerette me criait de loin: - ---Henri! Henri! il y a du nouveau: nous nous costumons le 23! - -Tout est fini. La voix joyeuse qui a résonné ainsi sous les marronniers -ne résonnera plus nulle part; et les marronniers qui en ont arrêté les -vibrations pour les garder plus délicieuses, sont dépecés et brûlés. Oh! -la petite torture subtile et savante qu’est un instant précis -d’autrefois qui apparaît en fantôme! - -Je me souviens qu’après m’avoir annoncé la soirée, Bernerette empoigna -un bout de chien loulou nommé Joë, qu’elle avait, et, le tenant par les -pattes de devant, elle lui fit faire prestement trois tours de ronde. Je -voulus être de la partie; je saisis une main de Bernerette et une patte -de Joë, et nous tournâmes jusqu’à ce que le chien se fâchât. - -J’avais vingt-cinq ans, Bernerette dix-neuf. Je n’étais pas trop gai de -ma nature; elle non plus; mais la perspective d’un bal costumé a des -vertus qu’on cherche en vain à approfondir: notre désir d’être ou de -paraître différent de ce que nous sommes suffit peut-être à en expliquer -l’attrait considérable chez la plupart des femmes et des hommes. - -Elle se mit aussitôt à me parler de ce bal costumé et me dit que sa mère -avait invité et fait inviter «des quantités de gens», jusqu’à des -inconnus, pour danser. Elle sourit finement en disant «des inconnus», -parce qu’elle avait un goût, peut-être excessif, de l’imprévu, de la -chose nouvelle, et je la taquinais là-dessus quelquefois: - ---Vous êtes lasse de vos amis, Bernerette; vous en voudriez d’autres!... - ---Non! disait-elle. Mais le prince Charmant, dame! pour qu’il se -présente, il faut bien que les portes soient ouvertes! - -Elle ne songeait pas le moins du monde à me faire mal, en disant cela. -Hélas! je ne prétendais pas à jouer jamais le rôle de prince Charmant: -il y avait si longtemps que j’étais l’ami de Bernerette! A présent, -quand je recueille les souvenirs de ce temps-là, je m’aperçois que moi, -j’aimais Bernerette. Mais je ne le croyais pas. On peut aimer sans -savoir qu’on aime: c’est que, pour nous cacher un sentiment inopportun, -l’esprit recourt à des ruses merveilleuses. Dépourvu du bandeau qui -m’aveuglait, est-ce que j’aurais pu approcher Bernerette deux fois la -semaine sans faire la figure d’un jeune homme aspirant à sa main? La -main de Bernerette, non vraiment, je n’y pensais pas! Je n’étais qu’un -petit avocat, débutant et quelconque. Mademoiselle de Chanclos était ce -qu’on appelait encore dans ce temps-là un «très beau parti». Aussi il -fallait voir comme j’avais le cœur léger, comme je badinais, riais, -soulevais les épaules lorsqu’il s’agissait de ces passions auxquelles on -fait allusion dans les saynètes et dans les pièces de vers fameuses que -l’on récite dans les salons ou que l’on chante au piano! D’être jamais -épris, moi, ah! non, je ne courais pas risque que l’on me suspectât! -Pour moi-même comme pour tout le monde, ah! que j’étais donc un garçon -tranquille!... - -Comme Bernerette disait avoir choisi pour elle, à ce bal, le costume de -_la Finette_ de Watteau, je m’écriai: - ---Bravo! vous me donnez une idée! - ---Laquelle? - ---Je serai, moi, _l’Indifférent_! - -Madame de Chanclos descendait à ce moment les marches du perron; elle -m’entendit et dit: - ---Voilà qui vous ira bien. - -Et le bal eut lieu le 23. Je ne le vis guère. J’y fus de très mauvaise -humeur et le quittai rapidement. C’est ce soir-là qu’il m’apparut que je -n’avais de vrai plaisir qu’auprès de Bernerette. Bernerette se -prodiguant à tous ne fut pas à moi deux minutes. Elle avait beaucoup de -succès avec son toquet, son pli Watteau, sa guitare; il y avait ce qu’on -a raison de nommer un monde fou; des jeunes gens nombreux, des danseurs -en quantité suffisante; et _la Finette_, c’est-à-dire la grâce, la -fantaisie, l’esprit, la chanson qui fait rire et pleurer, passait et -repassait des bras d’un mousquetaire encombrant à ceux d’un long -imbécile d’arlequin; des bras d’un Incroyable à ceux d’un Roméo; des -bras d’un nègre authentique, en roi mage, hideux, à ceux d’un magnifique -lancier de Nemours, beau, svelte et grand garçon, qui vint à moi, après -un quadrille, et me dit en me tendant la main: - ---Mes compliments, mon cher, tu es joliment bien dans la maison: nous -avons causé de toi tout le temps, mademoiselle de Chanclos et moi... - -Je n’avais pas reconnu en lui un ancien camarade de lycée, Claude -Gérard. A peine avions-nous échangé quatre mots, qu’une Junon le -réclamait, et je vis que plusieurs femmes le suivaient des yeux. Peu -après, Bernerette valsait avec un homme masqué par une tête de veau. Je -m’en allai. Devina-t-elle, je ne sais comment, ma retraite? La voilà qui -échappe à ce monstre et qui court à moi: - ---Henri! Henri! vous partez? - -Je remontai quatre marches pour la saluer. J’étais heureux qu’elle me -retînt. Quand je fus près d’elle, elle posa sa main près de sa bouche, -pour parler bas, et moi je souriais niaisement parce qu’elle s’apprêtait -à ne parler qu’à moi seul. Elle me dit, pour moi seul en effet: - ---Qui est-ce, dites, le lancier avec le plastron jaune?... il vous -connaît; nous avons parlé de vous tout le temps!... - ---Il se nomme Claude Gérard. - ---Je le sais, parbleu? On me l’a présenté, peut-être! mais qui est-ce? - ---C’est un joli garçon! - ---Vous faites exprès de me faire enrager. D’ailleurs, ce que je vous -demande là, je m’en moque, vous pensez!... Alors, vous vous en allez, -Henri? - ---Oui. - ---Allons vous n’êtes pas gentil! - -Je lui dis adieu: je descendis quelques marches; mais elle demeurait -penchée sur l’escalier. Je pouvais bien croire qu’elle était fâchée de -me voir si tôt partir. Alors je me retournai vers elle et lui souris -encore aussi niaisement que la première fois. Tout à coup, je sentis -comme un démon qui m’obligea de dire à Bernerette: - ---Je vous donnerai des détails sur Claude Gérard! - ---Ah! fit-elle. - -Et je vis dans son œil que c’était cela même qu’elle attendait, penchée -sur la rampe. - ---Mais, dites-moi tout de suite, reprit-elle, c’est un jeune homme qu’on -peut recevoir?... - ---Sans travestissement? Mais oui, Bernerette! - -Elle n’insista plus pour me retenir; elle quitta l’escalier et disparut. - -Je rentrai chez moi à pied, par le plus long. Je marchai beaucoup, cette -nuit-là. Dieu! qu’il faisait beau sous ces allées du Ranelagh, voûtes de -verdure, silencieuses et profondes! Comme un petit hôtel, environné d’un -jardin, a l’air de bien dormir!... Les maisons, dans la rue, le passant -les frôle, il les touche et il semble un peu qu’il leur marche sur les -pieds; mais derrière ces grilles, ces haies de fusains et ces -plates-bandes gazonnées, sombre velours si pur, les petits hôtels ont un -sommeil abrité, heureux, et qui fait du bien au passant. Leur paix et la -fraîcheur nocturne me retinrent,--je le croyais du moins,--et je fus -près d’une heure à faire les cent pas dans le Ranelagh. - -Et puis, quelques journées passées, du travail, des soucis d’autre sorte -atténuèrent le malaise de cette soirée. Je ne pensais pas trop aux -mousquetaires, aux arlequins, aux nègres ni au lancier de Nemours, -lorsque, avant même d’avoir revu Bernerette, je me trouvai nez-à-nez, -sur le boulevard des Capucines, avec l’ex-lancier en personne, Claude -Gérard. Il m’aborda avec bonne humeur et franchise: - ---Ah! bien, mon vieux, la drôle de chose! On reste dix ans sans se -croiser seulement dans la rue, et voilà deux rencontres dans la même -semaine!... - ---La vie a plus de fantaisie que les hommes. - ---Te souviens-tu du père Passereau? - -C’était notre commun professeur de rhétorique. Et les souvenirs de lycée -affluèrent. Nous fûmes, sans nous être aperçus du chemin, sur la place -de la Concorde. Gérard ne me dit mot de la soirée du Ranelagh; je n’y -fis moi-même aucune allusion; il semblait bien aise de me revoir; il -parlait avec abondance et sans m’ennuyer, je l’avoue; je jugeai tout de -suite qu’il était demeuré le brave garçon que j’avais connu sur les -bancs. Il était vraiment joli homme; je le voyais bien au regard des -femmes qui allaient à lui comme les papillons du soir à la lumière; mais -lui ne semblait pas y prendre garde; il n’en tirait aucune vanité; il -était accoutumé, sans doute, à ces hommages muets des inconnues; -peut-être en était-il las. - -Comme nous inclinions vers le boulevard Saint-Germain, en face du -Palais-Bourbon, une jeune femme, d’une beauté célèbre, portant une des -premières toilettes printanières, passa dans une victoria découverte et -donna à mon compagnon, le temps que les chevaux ralentissaient au -tournant, ses yeux splendides; tout autre homme en eût été affolé. Je ne -pus me retenir de le lui faire remarquer. Il sourit. Je lui dis: - ---Tu sais qui est cette femme? - -Il ne le savait pas. Je la lui nommai. Il me dit: - ---J’ai une amie que je te présenterai si tu me fais l’amitié de venir un -soir dîner chez moi sans cérémonie. - -Est-ce que l’appréhension que j’avais eue lors du bal costumé n’était -pas absurde? Voyons! Pour deux simples questions de Bernerette: «Ce -jeune homme, quel est-il? Et peut-on le recevoir?» voilà mon esprit et -mon cœur en campagne, et je passe une nuit blanche à marcher comme un -homme trahi!... Que ce jeune homme eût plu à Bernerette, quoi -d’extraordinaire à cela? D’autres jeunes gens, à ma connaissance, déjà -précédemment avaient plu à Bernerette. Quant à Claude Gérard, il ne -m’avait même pas parlé d’elle; les femmes lui étaient assez -indifférentes; il avait une maîtresse qui les devait éclipser toutes, -c’était évident. J’allais la connaître. - - - - -Je dînai au Ranelagh avant d’aller chez Claude Gérard. Là, il ne fut -parlé que de la soirée, mais de Claude Gérard à peine. On l’avait trouvé -bien; il avait fait honneur au bal costumé, oui, mais d’autres jeunes -gens aussi. Allons! ce n’était pas celui-là encore qui «nous» ravirait -Bernerette! Et je pensais ce «nous» un peu comme l’eussent fait monsieur -ou madame de Chanclos, peu pressés, cela va sans dire, de marier leur -enfant unique. Ce fut d’un ton bien dégagé, vraiment, que je dis à -Bernerette, pour m’acquitter de ma promesse: - ---Je vais vous donner les quelques détails annoncés sur ce monsieur -Gérard!... - ---Donnez! dit-elle. - ---Eh bien! c’est un auditeur au Conseil d’État: il est sérieux, -intelligent, de bel avenir... - ---Tant mieux pour lui! - ---De famille provinciale... fortune modeste, au moins d’apparence, -mais... - ---Que voulez-vous que cela me fasse?... - ---Ses mœurs sont pures, autant que j’en ai pu juger en me promenant avec -lui, pour vous complaire, de la Madeleine à l’Odéon... - ---Merci mille fois! - ---Ah! j’oubliais: officier de réserve, 2e dragons... - ---Mais je m’en moque!... - ---Bon! Très bien. Ne parlons plus de lui. - ---Ah! vous savez que maman l’a réinvité?... - ---Parfait! - ---Qu’avez-vous?... - ---Rien du tout. - -Elle paraissait plus animée que de coutume; elle parlait beaucoup; elle -sautait dans les allées du jardin, comme cinq ou six ans auparavant, -lorsqu’elle était encore une fillette. Que le pauvre Joë fut donc -bousculé! - -Il y avait une chaumière rustique au fond du jardin, que l’on éclairait -le soir au moyen d’une grosse lanterne vénitienne arrondie en ballon et -de la couleur d’une orange. Assis dans des fauteuils d’osier, monsieur -et madame de Chanclos, quelques amis et moi, nous regardions jouer -Bernerette et son chien. - ---Je ne sais pas ce qu’elle a, dit sa mère. - ---Elle est jeune, dit un ami de la famille. - - * * * * * - -Je reverrai longtemps cette danse à la lueur orangée de la lanterne. Je -la trouvais insolite, quoique Bernerette eût coutume de s’agiter ainsi -parfois avec le pauvre Joë, et il n’y avait pas si longtemps, -n’avions-nous pas dansé, Bernerette, Joë et moi-même, à l’annonce de «la -soirée du 23»! Il ne faut qu’un peu de mélancolie pour voir plus -profondément dans les scènes d’apparence ordinaire. Je n’en manquais pas -sans doute, et il me sembla que Bernerette, en s’agitant, abandonnait -tous les mouvements de la jeunesse insouciante et pure; elle secouait -ses bras, ses jambes, son jeune corps si souple, et j’en voyais tomber -un à un les derniers gestes puérils, qu’une grâce, une langueur -nouvelles remplaçaient à mesure en embarrassant peu à peu l’enfant -métamorphosée en femme. Je me souviens d’un rien: après avoir sauté sur -la pelouse, par-dessus Joë, elle porta la main à son sein qu’elle avait -senti vibrer, et aussitôt elle fut un peu gênée et s’assit. Ses tempes -étaient moites, ses beaux cheveux d’un blond d’or penchaient d’un côté, -et elle les empoigna pour les remettre d’aplomb. A ce moment, je vis -pour la première fois sous ses yeux une presque inappréciable cernure -dont la courbe alliée au dessin du nez donnait à sa physionomie un air -de gravité surprenant; et son bras levé, sa gorge saillante et sa bouche -entr’ouverte me troublèrent. - - - - -J’allai quelques jours après chez Claude Gérard. Ah! la singulière -émotion que la mienne! Est-ce que je haïssais ce Gérard? Est-ce que je -n’éprouvais pas un certain plaisir à l’approcher, à le connaître? - -Il habitait un petit appartement, rue de Vaugirard, entre la rue -Bonaparte et le musée du Luxembourg, dans une maison vieillotte, à -porche vénérable et belle cour. On grimpait tout en haut. Une bonne -proprette m’introduisit dans le «bureau de monsieur», bureau, ma foi, -fort bien, avec bibliothèque vitrée contenant la rigide collection du -_Dalloz_, pendule familiale de zinc doré, photographies de gens intègres -et de professeurs en robe; des codes partout, et la _Gazette des -Tribunaux_. Quel sérieux! Non, rien, rien vraiment, d’un séduisant jeune -homme de vingt-sept ans! - -Claude parut et me dit aussitôt: - ---Que je t’avertisse: motus, devant mon amie, sur la soirée chez les -Chanclos... A propos, ces gens sont bien gentils: ils me bombardent -d’invitations... Pendant que nous sommes seuls, donne-moi un avis: -dois-je accepter? - ---Drôle d’avis! n’es-tu pas d’âge à savoir?... - ---Je veux dire tout simplement: «Est-ce une maison où l’on se rase?» - ---Ce n’est pas non plus une maison où l’on s’amuse. Le père et la mère, -tu as pu en juger, même sous le travestissement, ne sont pas ce qu’on -appelle de «joyeux fêtards». On lit chez eux la _Revue des Deux Mondes_, -et l’on fait maigre le vendredi. - ---Tu comprends, dit-il, moi, si je vais dans le monde, j’aime que ce -soit pour me détendre un peu. - -Je souris, non sans inquiétude. Qu’appelait-il «se détendre», puisqu’il -vivait librement chez lui, en garçon, avec sa maîtresse? - -Deux jeunes gens entrèrent: l’un était son collègue au Conseil d’État, -l’autre un élève de l’École des sciences politiques. Ni l’un ni l’autre, -pas plus que Gérard, d’ailleurs, n’avaient cette attitude gourmée ou -fate que l’on prête volontiers à ces messieurs des doctes écoles ou des -corps imposants de l’État: ils semblaient d’assez gais compagnons même, -mais ils mirent une sourdine à leurs propos et rectifièrent leur tenue -quand la jeune femme, qui jouait ici le rôle de maîtresse de maison, -entra. Ils la connaissaient; lui serrèrent la main. On me présenta: - ---Isabelle! - -Isabelle n’était ni jolie ni très jeune. C’était une femme menacée -d’embonpoint, les cheveux teints, la figure et la bouche assez fraîches. -On ne savait si elle était timide ou guindée; elle ne semblait pas à son -aise; et les deux amis et Gérard lui-même avaient je ne sais quoi de -bien compassé depuis qu’elle était là. On se fût cru chez un ménage -bourgeois, où la femme, peu habituée au monde, fait cent efforts pour -donner à entendre qu’elle sait vivre. Jamais repas ne fut plus digne, -jamais propos ne furent plus décents et plus mesurés. Je fus tenté -plusieurs fois de dire à Gérard: «Les Chanclos, non, non! ne sont pas -une maison où l’on se rase.» Car je comprenais qu’il s’y fût «détendu». -On était chez eux beaucoup plus libre que chez lui. - -Quantité de sujets de conversation évidemment gênaient Gérard et -Isabelle. Le nom d’un certain café du quartier Latin, jeté par moi, -répandit un froid; le nom d’un bal public parut disgracieux à entendre; -enfin, il n’y avait pas jusqu’à ce merveilleux jardin du Luxembourg, qui -s’étalait non loin de là et dont l’on voyait par la fenêtre un angle de -verdure, qui ne rappelât sans doute quelque mystère douloureux au -ménage. Il y eut un soulagement quand, de retour dans la glaciale -bibliothèque, ces messieurs du Conseil d’État et de l’École des sciences -politiques abordèrent des questions d’ordre administratif. J’eus un -aparté avec Isabelle. - - * * * * * - -Comment avais-je gagné sa confiance? Elle me laissa entendre qu’elle -menait plusieurs vies superposées, dont la plupart dissimulées -soigneusement à Gérard. Aucun des amis de Gérard, j’en eusse juré, -n’ignorait ce que j’apprenais là. Isabelle avait un besoin inextinguible -de narrer sa propre histoire à tout venant. Et d’ailleurs, prenant ainsi -les devants, et vous gagnant par ses confidences, elle obviait aux -rapports qu’un ami étourdi peut faire: «Tiens! j’ai rencontré l’autre -jour Isabelle avec un grand brun», ou bien: «Ah çà! Isabelle a donc de -la famille à Saint-Germain?» Mais elle n’était point du tout habile; -elle ne gouvernait pas le moins du monde sa parole; elle savait son -défaut, et c’est à cause de cela qu’elle adoptait devant Gérard cette -tenue austère, ces propos neutres, cette attitude de personnage -officiel, qui nous avaient incommodés pendant la première partie de la -soirée, mais qui ne semblaient pas déplaire à Gérard, car si Gérard -aimait à se «détendre» chez les autres, il était flatté que l’on pût -dire que chez lui, même en ménage irrégulier, on se tenait très comme il -faut. - -Je ne causais pas depuis trois minutes avec Isabelle, qu’elle me disait -avoir perdu un enfant qui aurait aujourd’hui sept ans, que ce pauvre -petit s’appelait Gustave, qu’il était si joli que son père aurait -certainement fait tôt ou tard pour lui ce qu’il n’aurait pas fait pour -la maman: - ---Oui, monsieur, il me l’avait promis; c’était bien dans son idée de -régulariser... Là-dessus, pan! voilà cette malheureuse scarlatine... - -Le chagrin d’Isabelle durait encore; elle s’oubliait; je crus qu’elle -allait pleurer et j’en étais un peu gêné, car Gérard, ou les deux amis -tout au moins, n’allaient pas manquer de penser qu’Isabelle me parlait -déjà de son petit. Elle soupçonna ma crainte, elle me dit: - ---Claude le sait; je ne lui ai rien caché... Même qu’il m’a proposé, le -Jour des Morts, de m’accompagner sur la tombe, au cimetière -Montparnasse. Ça, non, je ne l’ai pas voulu. Pensez donc, si le père -avait eu, lui aussi, l’idée d’y aller!... - ---Et il l’a eue probablement, puisqu’il aimait tant son fils!... - ---Oui, oui, monsieur, il l’a eue, vous pouvez m’en croire. Il n’a pas -tenu toute sa parole, non, et en cela, il est fautif, mais je ne -laisserais pas dire de lui que ce n’est pas un homme de cœur, et bon, et -généreux... - -Évidemment Isabelle n’avait pas cessé toutes relations avec le père de -son enfant. Isabelle me dit, sans plus de transition: - ---Pour ça, Claude n’en sait rien, par exemple. Il est d’un jaloux! -Quoique l’autre ne soit plus de la première jeunesse... - ---C’est que Claude vous aime!... - ---Oh! de ce côté-là, dit-elle, je n’ai pas à me plaindre! Et voilà -bientôt quatre ans que ça dure... Un si joli garçon! - -Elle parut réfléchir, hésiter un instant, puis elle me dit: - ---Il a été en soirée avec vous, je le sais. Il ne m’en a rien dit, comme -de juste, mais ce n’est pas de ces choses qui nous échappent, à nous. Il -avait pris trop soin de recommander le silence à la concierge... Quand -je suis arrivée ici,--je viens le mercredi et le samedi--ce qu’il avait -fait était écrit sur toutes les figures... - -Sur un signe de Gérard, Isabelle se leva pour remplir machinalement ses -devoirs de maîtresse de maison; elle offrit de la bière, et la -discussion sur les matières administratives fut interrompue entre Claude -Gérard et ses deux amis. Claude me prit à part à son tour et me demanda: - ---Comment la trouves-tu? - ---Mais, charmante!... - - * * * * * - -Je descendis avec les deux amis. Dans la rue, celui de ces jeunes gens -qui n’était encore qu’élève de l’École des sciences politiques envia le -sort de Claude: c’était une chance de posséder une maîtresse si -correcte. L’auditeur de première classe au Conseil d’État souleva -l’épaule et dit que cette liaison était au contraire déplorable et -qu’elle ruinerait l’avenir de Gérard. - ---Cette liaison n’est pas éternelle, hasardai-je en riant. - -L’auditeur avança les lèvres et me regarda de biais. Je repris: - ---Gérard n’est pas esclave; il a une maîtresse qu’il voit deux fois par -semaine, bon; mais, entre temps, il sort, il est libre; il commence à -aller dans le monde... - ---Avec quelles précautions! quelle abondance de cachotteries! Sa soirée -costumée a été l’escapade nocturne d’un collégien, d’un gamin qui -s’échappe par la fenêtre! - ---Elle ne lui a causé que plus de plaisir: il recommencera. - ---Mais le plaisir qu’il éprouve à fuir en cachette vient de ce qu’il se -sent prisonnier!... - -Et l’auditeur au Conseil d’État prophétisa: - ---Gérard épousera Isabelle! - -Je ne pus m’empêcher de rire. Le plus jeune de ces messieurs fit comme -moi et s’écria: - ---Et l’autre?... - -L’auditeur au Conseil d’État ne broncha pas, car il ne me croyait pas -informé. Je dis alors, moi aussi: - ---Oui, en effet, et l’autre?... - -Il fut surpris un instant, me regarda, comprit qu’Isabelle m’avait parlé -dès la première entrevue comme elle l’avait fait sans doute à lui-même. -Il dit: - ---L’autre?... Eh bien, oui, ce sera alors probablement notre devoir -d’avertir Claude qu’il n’est pas le seul amant d’Isabelle, et alors... - ---Alors, dit le jeune homme, il faudra bien qu’il rompe avec sa -maîtresse. - ---Alors, dit l’auditeur, il rompra avec nous et il épousera sa -maîtresse! - - * * * * * - -Le paradoxe était amusant. Le chemin de ces messieurs et le mien étant -le même, nous ne nous séparâmes pas que je n’eusse entendu toute -l’idylle du beau Claude et d’Isabelle. - -Il l’avait rencontrée dans un café du quartier Latin, celui-là -précisément dont le nom, prononcé par moi pendant le dîner, avait paru -si malséant; un des amis, présent ce soir, l’accompagnait et avait été -témoin des premières paroles échangées. Isabelle portait alors le deuil -de son petit garçon, et ses cheveux blonds, sous le crêpe, lui donnaient -un certain air de belle jeune veuve, et de dignité douloureuse, destinés -à séduire définitivement le correct et sérieux Gérard. La conquête, -toutefois, avait été un peu trop facile, et de ceci un ami avait été -témoin, mais Gérard aujourd’hui niait cette particularité, et il disait -à son ami: «J’ai voulu me flatter; tu ne sauras jamais ce que j’ai eu de -fil à retordre.» Elle avouait la perte d’un enfant, se disait mariée -d’abord, puis, quelque temps après, donnait à entendre qu’elle n’avait -été que fiancée à un jeune officier d’infanterie de marine, parti -inopinément pour le Tonkin, d’où il n’était pas revenu... Par malchance, -Gérard la rencontrait la même semaine dans le jardin du Luxembourg, au -côté d’un monsieur qui lui tenait la taille enlacée. - -L’ami qui racontait cela souriait. - - - - -Bernerette était informée que je devais revoir Gérard dans l’intervalle -de deux de mes visites au Ranelagh. J’affectai de ne point parler de lui -avant qu’elle-même ne m’y invitât. Elle ne se pressa pas. Le dîner et -une bonne partie de la soirée se passèrent sans qu’elle fît mine de se -souvenir du «lancier de Nemours», et je me disais à part moi: «Faut-il -qu’elle mette tant d’application à dissimuler l’intérêt qu’elle prend à -lui!» Et, en même temps, je pensais: «Mais c’est ma réserve, à moi, qui -est suspecte! Pourquoi, puisqu’on sait ici que j’ai dîné cette semaine -avec Gérard, pourquoi est-ce que je tarde tant à dire simplement: «Je -l’ai vu; j’ai dîné avec lui.» Si Bernerette est fine, elle est en droit -de supposer de moi: «Il est jaloux.» Parlons donc! Non! je ne pouvais -pas parler. - -Un moment, s’agita entre nous la question de savoir quel jour avait eu -lieu la première d’une pièce aux Variétés, où j’assistais, où monsieur -et madame de Chanclos n’assistaient pas. Je n’ai aucune mémoire des -dates, je dis: - ---C’était vendredi. - -Bernerette me dit: - ---Non. Vendredi, vous dîniez chez monsieur Gérard. - -Je convins qu’elle avait raison. - -Je dus aussi pâlir un peu, car je surprenais sous ce petit front la -pensée qui ne l’avait pas quittée de la soirée: «Il a dîné vendredi chez -monsieur Gérard, il va nous parler de lui... Tiens! il ne nous parle pas -de lui... Ah çà! va-t-il nous parler de lui...» Et enfin: «Attends un -peu, mon bonhomme, je vais t’obliger à nous parler de lui!» - -En effet, je fus acculé à un mensonge assez humiliant; je dis: - ---A propos!... et moi qui oubliais... - -D’avance, j’avais calculé l’effet déplorable de ce raccrochage -maladroit, mais c’était aussi la seule façon de ne pas donner -d’importance à ma réserve sur le dîner chez Claude Gérard. Je vis la -cernure bleuâtre sous les yeux de Bernerette, qui fut dessinée par une -main invisible, rapidement, dans le temps qu’il faut pour tracer deux -virgules. - -Enfin, je puis me rendre cette justice que je parlai de Claude Gérard en -termes suffisamment neutres, comme la prudence le commandait,--car enfin -il ne s’agissait pas d’enflammer la pauvre Bernerette,--mais qui ne -pouvaient que transmettre une opinion très favorable de l’impression que -la soirée passée chez lui m’avait laissée. Nous sommes tellement rompus -aux usages, qu’ayant tu complètement la présence d’Isabelle dans -l’intérieur de Gérard, je croyais fermement avoir dit, en conscience, -tout ce que je savais de lui. Bernerette me laissa parler et dit: - ---Et sa maîtresse? - -Les parents sursautèrent. Je n’étais pas peu embarrassé. Mais Bernerette -ne se troubla guère: - ---Oh! fit-elle, madame de Lansacq a assez parlé d’elle, je peux bien me -permettre... - ---Qui ça, madame de Lansacq? hasardai-je dans l’espoir de détourner -l’esprit de Bernerette. - ---La Belle-Hélène du bal costumé!... Oh! vous n’avez pas eu le temps de -la voir, vous... Une folle!... elle est toquée de votre ami Gérard; elle -le suit ou le fait suivre; elle connaît tout ce qui le concerne... -Tantôt, ici, elle n’a parlé que de lui, de son entourage; voulez-vous -que je vous en donne la preuve: la maîtresse de votre ami se teint... - ---Ma fille, s’écria madame de Chanclos, je t’interdis absolument de -tenir un pareil langage!... - -M. de Chanclos, qui gâtait sa fille, ne pouvait s’empêcher de sourire. -La maman, pour innocenter Bernerette, dit elle-même: - ---Elles sont quatre ou cinq ici, figurez-vous, qui, depuis notre soirée -costumée, n’ont en tête que ce monsieur Gérard; naturellement, -Bernerette ne peut se boucher les oreilles... Je trouve que les femmes -de nos jours ont vraiment peu de retenue; et il est difficile de garder -une jeune fille à l’écart!... - -Bernerette me regarda dans les yeux: - ---Étonnez-vous donc, dit-elle, que nous soyons intriguées par ce -monsieur Gérard! - -En effet, à peine maintenant avais-je la moindre raison d’en être -étonné. Bernerette pouvait fort bien ne s’intéresser à lui que parce -qu’elle voyait quatre ou cinq femmes préoccupées de ce joli garçon; et -je me souvins qu’elle les avait vues préoccupées de lui dès la fameuse -soirée, et dès la première heure, puisque, avant même que j’eusse quitté -le bal, plusieurs de ces dames se disputaient Gérard. - -Je me mis à appréhender la première soirée où je me rencontrerais avec -Gérard chez madame de Chanclos. - - - - -Mon appréhension fut désordonnée, exaspérée et je pourrais dire -hallucinée. J’imaginai d’avance ce qui se passerait. Je le vis. Je me -découvris jaloux, de la jalousie la plus ordinaire, accompagnée de toute -sa queue de médiocrités. - -Pourquoi ne m’étais-je pas cru jaloux plus tôt? Parce que je le -redoutais trop! Et toutes mes facultés s’employaient à détourner de là -ma pensée; mais, par une rouerie de la destinée, voilà qu’un motif se -présentait de pouvoir croire que Bernerette n’était pas amoureuse; sur -une aussi belle perspective, j’ouvrais toutes grandes mes fenêtres et à -force de me complaire à voir que Bernerette pouvait n’être pas -amoureuse, je découvrais que je l’étais, moi, bel et bien! - -A dessein ou non, aucune des quatre ou cinq ardentes amies de Claude -Gérard ne se trouva invitée. Nous étions une douzaine de personnes à -table! Gérard se trouvait assis entre la maîtresse de maison et une -femme jeune encore, non pas laide, mais, comme on dit, «de tout repos». -Bernerette était en face de lui ou à peu près; j’étais voisin de -Bernerette. Pour la première fois je m’aperçus que je m’efforçais de lui -plaire. Je voulais retenir son attention; je lui parlais plus que de -coutume; je triais mes sujets et mes mots; je pestais de n’être pas un -fascinateur. Pourtant, si ma conscience à ce moment m’eût crié: «Mais tu -veux la séduire!» j’aurais répondu à ma conscience elle-même: «Ce n’est -pas vrai!» Je ne croyais pas vouloir séduire Bernerette; je croyais, de -bonne foi, faire une belle action en la mettant à l’abri du séduisant -Gérard! - -Mon supplice commença. Je remarquai, à plusieurs reprises, que -Bernerette n’avait pas entendu mes paroles, pas compris mes finesses, ou -bien qu’elle avait répondu à moitié, sans nul souci de compléter une -phrase commencée, enfin comme si d’elle à moi l’échange était sans -importance. Elle ne regardait pas Gérard, non; elle n’affectait pas non -plus de ne pas le regarder, non. Elle ouvrait tout à coup de grands yeux -en se tournant vers moi. Et je me disais: «Elle s’étonne ou s’ennuie -parce que je lui parle tant et si bien; elle se demande: «Mais -qu’a-t-il, ce soir?» Elle découvre mon jeu; elle en est stupéfaite ou -irritée; elle se moque de moi ou elle me plaint!...» Elle m’écoutait par -politesse; elle ne prêtait l’oreille--c’était bien naturel--qu’à ce qui -venait du nouveau venu, de ce joli garçon assis en face d’elle et de qui -on avait fait, depuis trois semaines, une espèce de héros de roman -d’amour. Je me méprisais pour essayer de détourner cette enfant d’un -attrait si simple et si fatal. Mais je trouvais à présent la beauté de -Gérard commune, vulgaire et même niaise; ce qu’il disait me semblait -épais; quand il ne parlait pas, je l’accusais de se laisser admirer. Le -souvenir de la bibliothèque de notaire, de la pendule en zinc doré, de -la petite soirée solennelle, me le rendait à présent ridicule; et je -pensais aux aventures de sa maîtresse Isabelle, à l’ami qui, en les -racontant, se moquait un peu du pauvre Gérard... - -Je ne sais ce qu’il dit, pendant un moment que nous étions silencieux, à -la jeune femme, sa voisine; elle sourit. Et je vis que Bernerette aussi -souriait, du même propos évidemment. Comment avait-elle fait pour -l’entendre? - -Je fus alors paralysé, et ne dis plus rien. Bernerette ne parut pas -observer que je me taisais; son voisin de droite était un vieillard qui, -d’un autre côté, parlait fort haut de la «loi Falloux». Gérard, lui, ne -semblait pas du tout faire attention à Bernerette. - -Après le dîner, madame de Chanclos me dit: - ---Il est délicieux, votre ami, délicieux!... - -Plus tard, passant près de moi, elle me glissa à l’oreille: - ---Vous savez que sa voisine est conquise! - -Jusqu’à une femme «de tout repos». - -En me parlant de lui tout le monde disait: «Votre ami.» On me -complimentait de son Conseil d’État, de sa jolie figure, d’un mot qu’il -avait dit et de ce qu’il avait plu à madame Une Telle!... - -Et lui, indifférent ou dédaigneux, qui ne s’amusait pas, c’est probable, -me recommandait en me pinçant la manche: - ---Quand tu fileras, fais-moi signe! - -De sorte que je ne terminai pas cette soirée sans «mon ami». Nous -partîmes ensemble; ensemble nous allâmes, je m’en souviens, à une -taverne de la rue Royale, et «mon ami» ne me lâcha qu’à ma porte. - -Seul avec lui, je n’éprouvais, je l’avoue, aucune répugnance. Il était -tout à fait bon garçon, intelligent aussi, sans rien d’original dans -l’esprit, mais sans rien non plus qui fût fâcheux. Et puis, il me parut -bien que les Chanclos n’étaient pas pour lui le monde où «se détendre»! -De Bernerette, il ne me fit pas mention. - -Mais il me pria instamment, dans le cas où je verrais Isabelle, de lui -taire ce dîner comme la soirée précédente. - - - - -On atteignait la fin de mai, les beaux jours; madame de Chanclos -recevait dans le jardin, plus familièrement qu’en hiver, et, quoique je -fusse, en qualité d’ami ancien, dispensé des visites, j’allais -maintenant à ses samedis. On n’y vit point Gérard de tout un mois. Le -premier samedi, on parla fort de lui; les «Quatre ou cinq» étaient là, -et on les nommait maintenant les «Cinq ou six», car il convenait -d’ajouter à leur nombre par taquinerie, et peut-être bien par -vraisemblance, la vertueuse voisine du dernier dîner. Il était très -apparent, ce samedi-là, que la famille de Chanclos se prévalait d’avoir -revu et possédé tout un soir le beau Gérard, tandis que les «Quatre ou -cinq» en étaient encore à leur soirée du 23! Mais on attendait Gérard. -Tout le monde allait donc goûter sa présence en commun. - -On fut privé de lui. On l’excusa. Quelques cœurs, je le crois, -battirent, le samedi suivant, et, pour une maison un peu sévère, comme -l’était celle de madame de Chanclos, et où le sujet de la galanterie -occupait rarement le premier plan, ce fut un fait assez remarquable de -voir chacun sourire à l’entrée des «Cinq ou six» à bon droit suspectées -de venir un peu pour _lui_. - -On parla peu de lui, toutefois, car on avait commencé à soupçonner, ici -et là, des susceptibilités; en outre, comme il ne venait point, les -«Quatre ou cinq» triomphaient de mesdames de Chanclos et de la «cinq ou -sixième», car le beau Gérard décidément faisait peu d’honneur au dernier -dîner. - -Quant à moi, je vis Gérard la semaine suivante, car je lui devais une -politesse. Il vint dîner avec moi et quelques amis et, incidemment il -dit: - ---Il faudra pourtant que je «me fende» d’une visite au Ranelagh! - ---C’est la moindre des choses. - ---Oh! dit-il, on a excusé ma négligence, j’ai déjà reçu une autre -invitation! - ---Compliments! - -Il ajouta, en confidence: - ---Un peu «collant» le Ranelagh! - -On l’avait invité de nouveau. On le voulait avoir à tout prix. - -Il n’était pas malaisé de discerner, à cet acharnement, une cause bien -vulgaire: le pur amour-propre froissé. Mesdames de Chanclos ne se -résignaient pas à paraître négligées vis-à-vis de leurs amies; c’était -une rivalité mesquine. Mais quel jeu périlleux que ces rivalités-là pour -une jeune fille qui y prend part! Mais à ce jeu, le cœur de la pauvre -Bernerette?... Le danger--si danger il y avait--devenait, par ce jeu, -cent fois pire que ce qu’il y eût pu être par la présence et même par -l’assiduité de Gérard. Oh! ce cœur de Bernerette, que faisait-il en tout -cela? - -Personne ne m’avertit, au Ranelagh, que Gérard avait été réinvité. -Personne ne confessa qu’il avait refusé. Car il refusa. Je le sus, en -même temps que quelques-unes des «Cinq ou six», en visite, sous les -marronniers, un après-midi humide du mois de juin; je le sus par -lui-même, car il vint, enfin, ce jour-là, s’excuser de n’être pas venu -depuis six semaines. - -On le jugea très occupé, et de toutes sortes de façons, très pris, et de -bien des côtés!... Ces dames, entre elles, échangeaient des clins d’œil. -On se moquait de madame de Lansacq qui tirait vanité de savoir qu’il -avait une maîtresse aux cheveux teints, comme si la Pompadour était -toute l’histoire de Louis XV!... A peine Claude était-il parti, qu’une -légende se forma, absurde et regrettable, où le nom d’un conseiller -référendaire au Conseil d’État, qui venait d’épouser une femme beaucoup -plus jeune que lui, était mêlé. Je ne pus m’empêcher d’intervenir et -d’affirmer que Gérard, entre autres qualités, avait celle d’être loyal -et fidèle. Du diable si, en disant cela, je pensais faire autre chose -que m’élever contre un odieux potin. - -Je compris aussitôt que Bernerette m’en savait un gré dont je l’aurais -bien dispensée. Elle me regarda d’un air reconnaissant, et puis, dès -qu’elle put me tenir à part, elle me dit: - ---C’est bien de prendre la défense de ses amis! - -Que Gérard fût fidèle, en effet, cela pouvait contrister les femmes -intéressées à ce qu’il ne le fût pas, au moins à sa maîtresse, mais -cela, au contraire, plaisait à une jeune fille. Pourtant cela signifiait -qu’il aimait sa maîtresse, qu’il était, par conséquent, peu disposé au -mariage? N’importe! cela plaisait à une jeune fille. Cela signifiait -pour elle, j’imagine: «C’est un homme tendre et qui s’attache»; et, pour -une jeune fille, un homme n’est pas attaché indissolublement à sa -maîtresse; il reste tendre, et il s’attachera de nouveau à sa femme. - -On me pria de dîner au Ranelagh; Bernerette fut avec moi trop gracieuse. -Elle se montra plus douce que de coutume, plus attentive à me plaire; et -il y avait dans ses façons, dans sa parole, dans sa voix qui m’émouvait -tant, enfin jusque dans le plus insignifiant de ses gestes, une chaleur -d’oiseau, une câlinerie, un roucoulement de tourterelle. Nous étions en -tout petit comité; nous parlâmes très librement de maintes choses: point -du don Juan, car enfin c’eût été dépasser les bornes! Nous semblions -revenus aux réunions d’autrefois, à celles qui avaient précédé «la -soirée du 23», mais avec une Bernerette moins enfant et ayant, à s’être -faite femme, infiniment gagné en grâces. Qui donc n’eût juré, ce soir, -que c’était moi qui recueillais tout l’avantage de cette exquise -métamorphose? A tout propos, elle s’adressait à moi; elle me demandait -mon goût pour une robe d’été, pour un poney qu’elle allait avoir à la -campagne, mon opinion sur une saynète où l’on voulait lui donner un -rôle: «Si vous la trouvez trop bête, disait-elle, vous comprenez, je n’y -figurerai seulement pas!» Elle m’emmena dans sa salle d’étude à propos -d’un portrait de moi qu’elle avait fait, l’automne dernier, au pastel, -et qu’elle désirait retoucher. Elle me fit poser, en lumière, sous la -lampe, le pastel calé à côté de moi; sur la grande table en désordre, -elle déplaçait le pastel et me déplaçait; sa petite main touchait mon -front et ma joue; son jeune bras frais, nu jusqu’au delà du coude, à -tout instant me frôlait le visage; elle me tint un moment la tête entre -les deux paumes de ses mains, en me regardant dans les yeux, sa tête -charmante s’approcha à quatre doigts de ma bouche; j’entrevis l’ivresse -qui eût été la mienne, si elle m’eût aimé, et si je l’eusse vue venir -ainsi, animée et heureuse, vers mon baiser! Elle me dit: - ---Oui, je le savais bien! quelque chose m’avait échappé en vous!... - ---Quoi donc? - ---La bonté. Vous êtes bon, Henri, vous avez de la bonté plein la figure! - -J’eus, en tout cas, la bonté de sourire, car je n’en avais guère envie. - -Puis elle me lâcha, remit le pastel au tiroir. Nous redescendîmes, et -elle fit part à tous de la découverte de ma bonté. Je fus sur le point -de lui demander grâce. - -Cette soirée, qui parut à tous agréable, me fut plus dure que celle même -où Gérard était là. Plusieurs fois mon instinct me pressa de fuir; mais -je sentis bien que déjà je n’avais plus le courage d’abréger la douleur -qui me venait de Bernerette. - -Si j’avais moins aimé Bernerette, qu’il m’était donc facile d’écarter de -moi des coups plus pénibles, en me retirant de l’aventure à temps! Je -prétextais un voyage; je ne reparaissais qu’en décembre au Ranelagh! -Sans moi, intermédiaire encore indispensable, point de Gérard au -Ranelagh!... C’était pour moi tant mieux, tant mieux aussi pour le cœur -de Bernerette! - -Je ne prétextai pas de voyage, ah! que non! Je demeurai à Paris aussi -longtemps que la famille de Chanclos elle-même. Et je m’arrangeai pour -ne pas m’éloigner trop d’elle pendant la période des villégiatures. La -tendresse amicale dont m’enveloppait depuis quelque temps Bernerette, le -comprend-on? c’était tout de même de la tendresse! Bernerette amoureuse -d’un autre, c’était tout de même Bernerette! - - - - -Elle ne parlait plus de Gérard. Madame de Chanclos avait cessé de -recevoir; on quittait dans ce temps-là Paris de bonne heure: les «Cinq -ou six» étaient dispersées; et il n’était guère admissible d’inviter -quelqu’un qui ne fût pas tout à fait des familiers de la maison. Le beau -Gérard, on l’avait pour longtemps perdu de vue. Deux ou trois jeunes -gens, un cousin de Bernerette et moi, nous nous retrouvions tous les -huit jours, quelquefois plus souvent, dans le beau jardin du Ranelagh. -Bernerette avait rajouté de la bonté au pastel. J’avais avec elle de -fréquentes causeries, où je remarquais qu’elle me parlait plus -qu’autrefois d’elle-même; elle disait à tout instant: «Je pense... Moi, -je suis ainsi... Si je vous confessais que...» Et surtout: «Au fond de -moi!» - -«Au fond de moi!...» Me l’a-t-elle répété! c’était un inconscient appel -à l’accompagner au fond de son cœur! C’est là qu’elle demeurait à -présent, je le voyais bien; elle ne voulait pas le dire, mais elle avait -élu domicile dans le sous-sol obscur où elle caressait une pensée -constante, inavouée; et après en avoir beaucoup ou joui ou souffert dans -la solitude, elle avait bien envie de faire faire à quelqu’un ce qu’on -appelle le tour du propriétaire. Ah! Bernerette! Bernerette! ne -devinai-je pas vos secrètes demeures? Et ce muet manège m’inspirait une -telle compassion que j’en oubliais parfois ma sourde rage de jaloux, et -je n’avais de moments paisibles, et, ma foi, presque agréables, que ceux -où je me sentais plein de pitié pour elle. - -Elle me devina, tout au moins elle soupçonna ce dernier sentiment chez -moi, et me répéta un jour, en me touchant la main, ce qu’elle m’avait -déjà dit: - ---Vous êtes bon! - -C’est un fait assez curieux, que je consentais bien à compatir à sa -misère secrète, tant que nous restions là-dessus silencieux. Mais à -cette légère allusion qu’elle y fit, je ne sais quoi regimba en moi: -non, non! je ne voulais pas avoir l’air de dorloter avec elle l’image de -Gérard! Et je protestai: - ---Assez de bonté, Bernerette! Vous vous trompez, je vous jure! - -Elle eut presque peur. Après quoi, dès que je la vis troublée et -malheureuse à cause d’un mot que je lui avais dit, ce fut moi qui -faiblis, et j’aurais commis toute bassesse pour qu’elle se rassérénât, -la chère petite! - -Elle ne saisissait pas, bien entendu, tant de nuances sentimentales, et -elle me cajolait de nouveau pour que je fusse «son ami», disait-elle. -Ah! l’ami que j’étais! - ---Si je vous perdais!... me dit-elle aussi un jour. - -Et une question qu’elle voulait provoquer peut-être, m’effleura les -lèvres: «Vous êtes donc malheureuse, Bernerette?» Mais je ne posai pas -la question. Je ne fus pas bon, cette fois-là. - -Puis arrivèrent, dans la première semaine de juillet, de grandes -chaleurs; la famille partit précipitamment pour la mer, parce que -Bernerette semblait fatiguée. Sa mère me confia: - ---Elle devient taciturne, elle si gaie, si ouverte!... - -Je la rassurais; je lui disais: - ---Non, non. Nous avons encore bavardé beaucoup, l’autre soir... - -Mais les yeux de Bernerette s’enfonçaient; une ombre les envahissait. -Les Chanclos avaient une petite villa à Dinard, où ils allaient chaque -année. On me demanda: - ---Vous verra-t-on par là? - -Je dis: - ---Mais oui! mais oui! - -Et l’idée me vint aussitôt de faire une excursion à Jersey. - - * * * * * - -J’allai à Jersey par Granville et j’en revins au bout de peu de jours -par Saint-Malo, où l’on est presque à Dinard. Il n’y avait pas trois -semaines que je n’avais vu Bernerette: elle était méconnaissable. J’en -fus tellement frappé que je ne pus cacher mon impression à sa mère. -Madame de Chanclos croyait que le mer lui était mauvaise. Mais la mer -lui était favorable les années précédentes! Eh bien, et le médecin? Le -médecin voyait là une crise physiologique: Bernerette s’était beaucoup -développée cette année, trop vite; il en était résulté une fatigue de -l’organisme, et maintenant elle maigrissait. Tout le monde avait vu -cela, comme le médecin. - -Bernerette m’accueillit avec une joie presque compromettante: on eût pu -croire que c’était moi de qui l’absence la faisait souffrir; et, à la -façon dont les parents m’entourèrent, je me demande s’ils ne pensaient -pas à ce moment que leur fille m’aimait. Que n’auraient-ils pas fait -pour lui être agréables et sauver sa santé! On jugea Saint-Malo trop -loin; on voulait m’avoir à Dinard. Je tins cependant pour Saint-Malo -d’où je venais chaque jour en barque. - ---Mais si vous chaviriez! me dit madame de Chanclos, du même ton que sa -fille, peu de temps auparavant, m’avait dit: «Si je vous perdais!...» - -Nous reprîmes nos causeries avec Bernerette. Elle lisait, depuis qu’elle -était à la mer. Imagine-t-on ce que son père lui avait permis de lire, -en fait de romans «convenables»? _La Princesse de Clèves_ et -_Dominique_! Je lui dis: - ---Lisez n’importe quoi, excepté cela. - -Peu après, elle m’annonça: - ---Vous savez, je les ai lus tout de même. - -D’ailleurs, les deux romans l’avaient également ennuyée. Elle jouait au -tennis; elle était très courtisée, car sa langueur lui donnait un grand -charme. Elle s’obstinait à prendre des bains de mer: Dieu! qu’elle était -jolie, coiffée d’un petit foulard bleu d’azur, d’où s’échappaient des -cheveux blonds qui faisaient les rebelles!... Et jamais, non, pas une -fois, le nom de Gérard ne fut prononcé entre nous. Une des «Cinq ou six» -était à Dinard; elle dit un jour, à la villa, en décrivant un certain -Anglais, champion au match de tennis: - ---Figurez-vous un Claude Gérard blond. - -Bernerette ne sourcilla pas, ne chercha pas à voir l’Anglais. Je m’en -assurai. Elle le vit une fois, par hasard, et ne dit rien de lui, n’eut -pas un trait qui bougea. - -C’était bien ce qui pouvait arriver de plus grave. Qu’il eût donc mieux -valu qu’elle parlât de Gérard à tort et à travers! - - * * * * * - -Nous fîmes, un beau jour, le merveilleux petit voyage de la Rance. On -prend un bateau à Saint-Malo le matin, on remonte le cours de cette -rivière sinueuse aux bords de verdures déchiquetées, on va visiter -Dinard, on revient le soir, et la nuit vous prend à demi échoués, faute -d’eau, à marée basse. On attend, anxieux, entre des prairies et des -arbres, le secours indispensable de la mer; enfin on perçoit son bruit -de cavalerie lointaine, et aux dernières lueurs du crépuscule, on la -voit accourir, comme à un rendez-vous, à un relais; elle supplée la -rivière tarie et vous remporte à cet estuaire admirable où l’on voit -d’un coup, au sortir des ténèbres, les feux de Saint-Servan, de Dinard -et de Saint-Malo. - -Sur le pont, à l’avant, Bernerette et moi, assis l’un près de l’autre, -quand l’obscurité fut tombée, quand la mer, longtemps attendue, eut -soulevé notre bateau sur ses eaux vigoureuses, quand un bien-être -indéfinissable nous eut engourdis, quand l’odeur de l’air salin mêlé aux -parfums de la campagne nous eut grisés, nous sentîmes tous les deux que -des minutes inoubliables s’écoulaient. Nous avancions, nous avancions -dans l’ombre; des ormes tordus, des peupliers frais et frissonnants, des -meules de foin semblaient courir; l’air nous fouettait comme une averse; -on n’entendait que le bruit sourd et régulier de la machine et la -friture de l’eau coupée par l’étrave du vapeur; chacun, instinctivement -respectueux de ces belles heures, se taisait; on désirait que le voyage -durât longtemps, longtemps; et l’on savait que l’arrivée dans l’estuaire -lumineux était plus magnifique encore que le voyage. Nous avions eu tant -d’intimité, Bernerette et moi, depuis quelques semaines, tant de plaisir -commun aujourd’hui, une si voluptueuse entente dans ce voyage nocturne, -qu’elle put, sans que je m’en étonnasse, me prendre la main. Je la lui -abandonnai un court instant. Ma complaisance fidèle lui laissait croire -que je suivais sans cesse son rêve secret, en ami dévoué. Je le suivais -bien, mais d’une autre manière. Ah! fallut-il qu’elle en fût possédée, -et obsédée, et toute gonflée, de son rêve! Elle me dit, ma main dans la -sienne: - ---Henri! Henri! dites-moi, où croyez-vous qu’_il_ soit, en ce -moment-ci?... - -Je ne lui répondis pas; je retirai doucement ma main. Elle ne m’en -demanda pas plus, d’ailleurs; son cœur trop plein avait crevé; c’était -fait. - -Dans le silence, dans la nuit, se prolongèrent nos émotions, à tous -deux. Je fus content qu’elle ne pût pas voir ma figure qui, malgré une -si forte préparation, ne manqua pas d’être secouée, et de son côté elle -put croire que je ne la voyais pas pleurer. Et, lorsqu’elle fut un peu -calmée, elle soupira, se pencha vers moi et murmura: - ---Quelle confiance ai-je en vous pour vous en avoir tant dit! - - * * * * * - -Je souris parce que son énorme aveu avait tenu en une petite syllabe: -_il_. Elle crut que mon sourire était encore de bonté, et je vis bien -qu’elle n’avait pas un seul instant soupçonné mes émotions véritables. A -l’extrémité où je m’étais laissé entraîner, je ne pouvais plus compter -de sa part sur aucune pitié, elle ne me ferait désormais grâce de rien, -l’atroce petite amoureuse!... - - * * * * * - -Nous arrivions dans l’estuaire; je remarquai tout haut comme il était -beau; je nommai les feux; c’était une ressource opportune, cela me -donnait quelque contenance et m’excusait de ne rien dire. - - - - -J’eus malgré moi, de la rancune contre Bernerette. Que nos sentiments -sont étranges parfois! Celui-ci me surprit. Je méditai à ce propos toute -la soirée, en me promenant, solitaire, sur les remparts de Saint-Malo. -Comment pouvais-je en vouloir à Bernerette à cause de son aveu? Je -connaissais son secret; j’en suivais, jour par jour, depuis plusieurs -mois, la marche souterraine. J’avais, qui plus est, accepté tacitement -le rôle d’ami muet des choses de son cœur; autrement dit, son aveu -m’était fait depuis longtemps, puisqu’il s’était laissé deviner; la -formule seule de l’aveu manquait; eh bien! elle avait été prononcée -enfin! Voilà tout. Mon étonnement, mon mécontentement me découvrirent -les résignations hypocrites du cœur. Je me croyais résigné; ma raison -seule l’était; mais la passion, le noyau sauvage que n’atteignent pas -les opérations de culture pratiquées à l’épiderme ou dans la pulpe du -fruit, projetait un jus amer qui me donna un moment la nausée. Je vis -qu’en ses profondeurs, ma passion, cette bête, elle, espérait toujours. - -Et puis il fallait aussi tenir compte de l’effet magique de la formule. -On a beau dire, tout ce qui reste inconsacré par le «verbe» est presque -négligeable, et l’amour, quel qu’il soit, a besoin, pour avoir vie, du -traditionnel «je vous aime». Bernerette, par un détour délicat, il est -vrai, m’avait donc dit: «Je l’aime!» - -En une soirée, sur les remparts de Saint-Malo, et en une nuit, à -l’_Hôtel de Chateaubriand_, je dus recommencer à envisager la réalité -face à face, et me cheviller une résignation plus profonde et plus -solide, comme si depuis deux ou trois mois, en vérité, je n’avais rien -fait! - -Rancune, raison, résignation! Je devais partir deux jours après le -voyage de la Rance; j’en restai huit à Dinard. - -Le premier jour, avec la fermeté, l’orgueilleux courage d’un stoïcien, -j’affrontai Dinard; et tout ce qui eût pu m’arriver de douloureux par -Bernerette eût été reçu par moi avec l’ivresse du martyre. Mais le -hasard voulut qu’il ne m’arrivât rien, rien de désagréable; Bernerette -joua au tennis, prit son bain, fut courtisée, et se montra gentille avec -moi, comme à l’ordinaire. Nulle allusion à l’énorme aveu. - -Et les jours suivants, j’espérais qu’elle ne me reparlerait plus jamais -de Gérard, plus jamais de son amour! Cela me paraissait improbable; mais -je me disais: «Elle n’a pas repris ce sujet dès le lendemain de l’aveu, -alors que c’eût été si facile... Il lui faudra maintenant un nouvel -effort pour rouvrir une porte qui n’a cédé une première fois qu’à la -pression de circonstances tout extérieures... Enfin, elle ne me parlera -peut-être jamais plus de cela!...» - -Et un autre jour, encore, je pensai: «Ne serait-il pas possible qu’elle -oublie Gérard?» Je promenai beaucoup ce refrain sur les remparts de -Saint-Malo: «Ne serait-il pas possible qu’elle oublie Gérard?...» - -Enfin, quand je quittai Dinard et Saint-Malo, Bernerette me fit des -adieux tout à fait tendres, puis elle me mena dans une encoignure et me -dit: - ---Vous tâcherez de ramener votre ami au Ranelagh cet hiver? - -Ce fut moi qui rougis. Elle n’eut pas encore la moindre idée d’avoir pu -me peiner; elle plaisanta même à cause de ma rougeur: - ---Oh! dit-elle, aurai-je commis une inconvenance? - -Puis il y eut des poignées de main, des adieux répétés, une fausse -sortie par le jardin, une fausse sortie par la plage, et des offres -d’aller un peu me conduire, et des mots d’aimable tristesse qu’inspirent -les séparations. Par-dessus la barrière, en présence de ses parents, -Bernerette me cria: - ---C’est juré? - -J’entendis sa mère qui demandait: - ---Quoi donc? - -Je fis signe, en souriant, que j’avais compris, moi, et que c’était -juré. - - - - -J’avais laissé Bernerette en bien meilleure santé qu’elle n’était lors -de mon arrivée à Dinard. Le sort a de ces ironies: j’apportais à -Bernerette un peu de la présence de Gérard, parce qu’elle avait -confiance que par moi elle pouvait être rapprochée de lui! Trois -semaines après mon départ, je recevais une lettre de madame de Chanclos -qui me donnait de mauvaises nouvelles de sa fille: elle ne me cachait -pas son regret que je fusse si tôt parti de Dinard, puisque avec mon -séjour là-bas avait coïncidé une véritable résurrection de la pauvre -enfant. Et l’on pouvait voir, dans cette lettre, que Bernerette n’avait -point fait de confidence à sa mère, et--ce qui était plus grave et plus -douloureux pour moi--que sa mère était en voie de commettre une cruelle -confusion. Je devinais la confusion à ceci, que cette lettre d’une mère -qui décrivait l’état inquiétant de sa fille n’était pourtant pas une -lettre affligée. Madame de Chanclos avait cru découvrir finement la -cause du mal dont souffrait sa fille: des allusions à mots couverts, et -quasi riantes, y étaient faites. C’est ce demi-sourire qui m’était le -plus pénible. Elle croyait, connaissant la cause, posséder le remède, et -elle semblait me dire, d’un ton beaucoup plus chaud que de coutume: «Mon -ami, il ne tiendra qu’à vous!...» Oui, oui, j’apprenais maintenant que -si Bernerette m’avait aimé, on me l’eût bien volontiers donnée! - -La situation devenait intenable. Un tel quiproquo ne pouvait durer. Que -Bernerette ne parlait-elle à sa mère! Mais je savais bien que -l’amour-propre l’en empêchait: elle n’avouerait jamais son amour pour un -jeune homme qui n’avait pas seulement paru la remarquer. Mais elle -m’avait bien fait, à moi, son aveu? Oui, mais j’étais, moi, -l’intermédiaire indispensable pour que ce jeune homme un jour la -remarquât... Ah! Bernerette! Et je vous aimais tout de même! - -Dans le moment d’exaltation que me valut la lettre de madame de -Chanclos, j’éprouvai le besoin de voir tout de suite Gérard. -Qu’allais-je lui dire, si je le rencontrais? Je n’en savais rien; mais -un mouvement de chagrin, de dépit, de colère contre la destinée, un -besoin de me cogner la tête contre les murs ou de me jeter dans une -crevasse me poussait à voir Gérard le plus tôt possible. Voir Gérard -était bien pour moi la chose la plus détestable en ce moment-ci: je la -voulais à toute force! Je sentais si bien ce qu’eût fait, dans ma -situation, un homme ayant vécu quelques siècles plus tôt! Courir sus à -Gérard qui, en définitive, ne m’était de rien; le détruire. Gérard -supprimé, consoler Bernerette! Que les temps sont changés, si l’instinct -qui gronde au dedans de nous est le même!... Enfin, je voulais voir -Gérard. - -Je me rendis chez lui. Il était en province, et dans sa famille, au -moins jusqu’à la fin d’octobre. Je m’en revins par le jardin du -Luxembourg où les feuilles jaunissaient et tombaient dans les allées -presque désertes. J’habitais dans les environs de ce magnifique jardin; -j’y venais rarement. Je remarquai ce jour-là combien il était favorable -à la promenade de l’homme attristé et énervé que j’étais, et j’y revins -plusieurs jours de suite. Un après-midi, j’y rencontrai sous les -platanes qui ombragent le monument de Delacroix, Isabelle, à qui, ma -foi, je ne pensais guère. - -Elle me confirma que Gérard était absent pour quelque temps encore. Mais -elle avait bien d’autres choses à me dire: n’avait-elle pas failli se -marier? - ---Avec le père du pauvre petit? lui dis-je. - -Pas du tout! Avec un jeune homme sur le point de s’établir et qui la -voyait fréquemment chez sa tante--car elle habitait chez sa tante.--Ce -jeune homme aimait Isabelle depuis quatre ans, paraît-il, le sournois! -et il n’avait fait sa déclaration que la semaine dernière! - ---Il est bien, vous savez! dit-elle. - ---Pas mieux que Claude, je suppose?... - ---Claude est un beau garçon, je ne dis pas non; mais il y a aussi bien -que lui. D’abord, je vous dirai entre nous, que, pour ma part, je suis -plutôt portée pour les blonds... - ---Eh bien! mais, ce mariage? - ---Je n’ai dit ni oui ni non; c’est une affaire, comme vous pensez, qui a -de l’importance; il s’agit de l’avenir pour moi. J’ai écrit à Claude... - ---Ah! Que dit-il de cela, Claude? - ---Vous pensez que ça lui a mis la puce à l’oreille! Il n’en dort pas, à -ce qu’il m’écrit... Oh! n’allez pas le plaindre, surtout: il se -rattrapera, n’ayez crainte, ce n’est pas un garçon à se faire périr par -les mauvais traitements... Malgré ça, il voulait revenir de suite; mais -il a son père qui ne plaisante pas, à ce qu’il paraît, le père Gérard, -quand il s’agit de rentrer à Paris avant l’heure. Savez-vous combien il -m’en écrit? Seize pages! Tenez, les voilà. - -Je dus me défendre pour ne pas lire les seize pages de Claude, car -Isabelle était flattée évidemment des marques d’amour qu’elles -contenaient. Elle avait, d’ailleurs, un invincible besoin de parler, de -consulter les uns et les autres; elle me dit: - ---Il y a aussi le père du petit... - ---Mais oui! - ---Je ne l’oublie pas, fit-elle naïvement, et, à vous dire la vérité, -c’est celui-là qui me donne le plus de tintouin dans cette histoire; non -pas pour lui précisément, mon Dieu, non, mais à cause de ce pauvre petit -chérubin qui est là-bas, au cimetière... Vous allez être de ceux qui se -moquent de moi, parce que je me fais des scrupules, eh bien, tant pis! -Il y a quelque chose qui me dit que j’aurais dû épouser son père et pas -d’autre... - ---Vous auriez fait une bonne maman, Isabelle! - ---Ne m’en parlez pas! dit-elle. - -Et la voilà aussitôt toute en larmes. Il n’y avait qu’un sentiment chez -Isabelle, c’était l’amour de son petit mort. - - - - -Cette rencontre ne me fut pas inutile, mais elle doubla mon embarras; -elle me découvrit ce qui menaçait Gérard; sa maîtresse, somme toute, lui -avait écrit: «Épouse-moi ou j’épouse le jeune homme blond.» Qu’allait-il -faire? - -Et que devais-je faire, moi? - -En conscience, avant que ce benêt ne prît un engagement irréparable, ne -devais-je pas, pour Bernerette, essayer de retarder sa décision tout au -moins jusqu’à ce qu’il pût revenir, au Ranelagh, revoir une jeune fille -qui se mourait d’amour pour lui, l’entendre, lui parler, entendre ses -parents qui, alors informés, sans doute, lui tiendraient peut-être le -langage dont me gratifiait par erreur madame de Chanclos, dans sa -dernière lettre? Mais retarder sa décision, comment? Si j’eusse reçu -encore ses confidences! Mais je n’avais que celles de sa maîtresse... -Était-ce moi, à présent, qui allais assumer le rôle ingrat de -dénonciateur, prévu par l’un des deux amis avec qui j’avais dîné chez -Gérard? Je me rappelai les paroles de l’auditeur de première classe: «Ce -sera probablement notre devoir d’avertir Claude», et l’objection opposée -par le même: «... Et alors... il rompra avec nous et épousera tout de -même sa maîtresse.» Il ne s’agissait pas d’aboutir à ce que Gérard -m’envoyât au diable! Je n’avais non plus aucun titre suffisant à tenter -de lui rendre un service de cet ordre; mais je pensai à son collègue, à -son ami, l’auditeur de première classe. J’avais oublié son nom; je le -retrouvai en consultant la liste du Conseil d’État; j’eus son adresse. -Je courus chez lui et par bonheur je le rencontrai. Sans lui livrer le -secret de mademoiselle de Chanclos, je pus lui confier une partie de mes -perplexités et de mes désirs, et il en retint, je pense, ce qu’il -pouvait en être tiré de très favorable à l’avenir de Gérard, son ami. Il -me promit son concours, et, entre autres mesures urgentes, de se rendre -au Luxembourg afin de tenir d’Isabelle même la confidence qu’elle ne -saurait manquer de lui faire, à première vue. Là-dessus, il pourrait -dire à son ami: «Tu ne vas pas l’épouser, j’espère!...» et la suite. -Quelques jours après, il avait l’obligeance de m’annoncer qu’il avait -parlé à Gérard, car Gérard était revenu précipitamment à Paris, rappelé -par les velléités matrimoniales de sa maîtresse, et, d’ailleurs, assez -monté contre elle à ce propos. L’ami avait profité de ces dispositions, -me disait-il, et Gérard était sorti de chez lui, stupéfait, incrédule -encore, mais disposé à enquêter lui-même, tout prêt à rompre brutalement -avec Isabelle. - ---Ce n’est pas fait! ajoutait l’ami. - -Dans la semaine, je reçus moi-même la visite de Gérard. Je crus -qu’Isabelle m’avait accusé de traîtrise ou que l’auditeur de première -classe, par oubli de nos conventions, avait parlé de moi. Point du tout. -Gérard avait trouvé chez lui ma carte et s’excusait de n’être pas venu -me rendre ma visite plus tôt, ayant eu, disait-il, de petits tracas ces -jours derniers. D’un signe des sourcils, je lui donnai à entendre qu’il -ne serait pas importun en me narrant ses tracas; mais il ne me les conta -point et se contenta de me dire, avec un léger sourire satisfait: - ---Tout est arrangé. - -Alors je crus pouvoir lui demander des nouvelles d’Isabelle. Il me dit -qu’elle allait fort bien et que même il allait profiter de ce qu’il -était revenu à Paris plus tôt que de coutume pour faire avec elle un -petit voyage. - -Grand Dieu! était-ce un voyage de noces? Le mot m’en vint sur les -lèvres. Ah! ne valait-il pas mieux que cette sottise fût accomplie -rapidement, tout de suite,--que m’importait le sort de Gérard!--et que -Bernerette se trouvât contrainte à se résigner avant d’avoir espéré -davantage? - -Mais je me crus obligé de dire à Gérard: - ---On te verra, cet hiver, au Ranelagh, j’espère? - -Il fit un geste évasif. - ---Écoute, lui dis-je, ce n’est pas une plaisanterie: il y a cinq ou six -femmes qui sont folles de toi!... - -Il sourit bonnement, mais sans fatuité, et dit lui-même: - ---Cinq ou six femmes!... - -Soudain, quelque main invisible et cruelle me tordit l’estomac; je me -sentis rougir et puis pâlir; je me sentis possédé par une force ennemie -de moi-même, mais autoritaire, irrésistible, et je dis: - ---Je ne te parle que de celles qui sont mariées!... - -Ah! Bernerette, avais-je assez fait pour vous? - -Gérard rit de bon cœur en montrant, sous sa moustache noire, ses dents -magnifiques; et il me serra la main. - - - - -Et madame de Chanclos qui m’écrivait pour m’inviter à la campagne! Et M. -de Chanclos qui ajoutait quelques lignes pour m’inciter à prendre part -aux plaisirs de la chasse! Et Bernerette qui griffonnait dans un coin de -la lettre: «Venez! venez! BERNERETTE.» - -Le supplice continuait pour moi, plus irritant de jour en jour. Je dois -avouer des mouvements d’impatience et d’agacement qui faillirent me -décider à entreprendre, moi aussi, un voyage--non pas de noces, en -vérité!--mais long et lointain et par lequel je fusse tenu à l’écart des -Chanclos obséquieux, de la trop cruelle Bernerette et de celui que je ne -pouvais m’empêcher de nommer, à part moi: «Cet imbécile de Gérard.» -Comme je n’osais maudire la famille de Chanclos, c’était contre Gérard -que se concentrait ma mauvaise humeur, et l’excès de son aveuglement me -faisait bondir: ne venais-je pas d’apprendre par l’auditeur de première -classe que Gérard, après avoir procédé lui-même à une enquête, après -avoir vu Isabelle au Luxembourg, au bras d’un autre, et après qu’elle -avait menacé d’en épouser un troisième, venait d’annoncer à son collègue -au Conseil d’État qu’Isabelle était innocente et qu’il était avec elle -en meilleurs termes que jamais? - -«Quel imbécile, que ce Gérard!» disais-je en me promettant de fuir -résolument tout motif d’esclavage. «Quel imbécile, que ce Gérard!» -répétais-je encore, quelques jours après en faisant ma visite... pour -fuir l’esclavage? pense-t-on, pour éviter d’être «imbécile» comme -Gérard?... non: pour aller rejoindre la famille de Chanclos et -Bernerette! - -Car je m’étais soudain donné, pour les aller rejoindre, un motif -irréfutable, à savoir, qu’il était de mon devoir d’honnête homme et -d’ami, d’essayer, pendant qu’il en était peut-être temps encore, de -détourner Bernerette de Gérard. Franchement, ne devais-je pas à cette -petite de l’éclairer sur la situation et sur l’état d’esprit de «cet -imbécile»? Je le devais. - -Et je le fis, aussitôt mon arrivée en Touraine, où les Chanclos -habitaient, l’automne, une vieille gentilhommière nommée la -Tourmeulière, située près de Langeais, flanquée d’une tour ventrue et -ornée de lucarnes dans le style d’Azay-le-Rideau. Je le fis, sans -attendre seulement le lendemain, dès le soir de mon arrivée, sous une -charmille magnifique dominant la vallée de la Loire. - -Marchant dans cette belle allée assombrie, à vingt pas en avant de -monsieur et de madame de Chanclos et de quelques hôtes, seul avec -Bernerette, je lui parlai de son Gérard comme si ce sujet nous était à -tous deux familier. Et elle avait à ce point l’habitude de penser à -Gérard à côté de moi, et de me tenir pour l’ami de sa pensée muette, -qu’elle ne manifesta ni surprise, ni joie excessive à m’entendre tout à -coup toucher sans précautions le sujet secret qui, depuis six mois -l’étouffait. - -Elle m’écouta, me laissa parler, m’interrogea elle-même, m’obligea à -éclaircir la situation en ses menus détails. Elle me stupéfia: elle -n’avait pas la moindre gêne, pas la trace de cet embarras qu’une toute -jeune fille éprouve à parler d’un homme à un homme; ce qui lui restait -de plus juvénile était qu’elle manquait tout à fait de pudeur! Quand je -pensai l’avoir édifiée sur l’attachement de Gérard pour sa maîtresse, et -lui avoir enlevé, comme cela s’imposait, toute espérance, un petit -silence s’écoula: nous étions arrivés au bout de l’allée pour la -quatrième fois; nous traversâmes le groupe de la famille et reprîmes -notre marche en avant. Une lune d’octobre, qui semblait courir comme une -folle à travers de gros nuages floconneux, argentait par endroits la -Loire et ses saulaies; Bernerette me dit: - ---Mais il n’a pas refusé de venir au Ranelagh cet hiver? - -Je regardai, un moment, sans répondre, ces deux yeux fiévreux qui me -parurent lumineux dans l’ombre comme ceux d’une chatte. - -Je lui dis, sans ménagement, la vérité: - ---Il n’a répondu ni oui ni non. - -Elle accepta cela sans sourciller, et dit: - ---Vous n’avez pas insisté? - -Au risque de lui tordre le cœur, je lui dis encore la vérité: - ---Si fait! si fait! j’ai insisté: ne lui ai-je pas fait entendre qu’il y -avait chez vous des femmes, et de jolies, folles de lui!... - -Cela ne la choqua point du tout. Je la vis, la bouche ouverte, happant, -par avance, la réponse que Gérard avait faite à cela. - -La frénésie de sa passion me brûlait comme un fer rouge. Elle aimait au -point de désirer que Gérard vînt au Ranelagh, fût-ce pour d’autres, -parce que, du moins, elle le verrait!... Je faillis crier, ou bien lui -dire à elle, tout à coup, ma douleur, et m’en aller. - -Comme je temporisais, elle demanda, en précipitant l’une sur l’autre les -syllabes: - ---Eh bien! eh bien! qu’est-ce qu’il a dit à cela? - ---Il a ri. - -Elle l’aimait trop! elle l’aimait trop! Elle usait trop aussi de moi, -sans vergogne. Ce que je souffrais atteignait l’intolérable. Cependant, -cette extrémité, je le sais, n’excuse pas la faute que je commis. Je ne -fus pas bon, ce soir là! J’ajoutai, en regardant la petite martyre dans -ses deux yeux de chatte: - ---Il a ri: je lui ai vu sous la moustache toutes ses belles dents! - -Je me vengeais en la laissant sur une image qui pouvait lui faire -désirer son Gérard davantage... - - - - -Un domestique apporta des châles pour ces dames; puis madame de Chanclos -supplia sa fille de rentrer au château, parce qu’un peu de fraîcheur -montait de la vallée. Je vis que l’on commençait à traiter Bernerette -comme une malade. En rentrant avec elle, je lui dis qu’il était urgent -qu’elle fît l’aveu de ses sentiments à sa mère, qui s’égarait sur la -cause de son tourment, d’une façon désobligeante pour moi. - ---De quelle façon? dit Bernerette. - ---Oh! épargnez-moi d’insister! - -Elle ne comprenait pas du tout l’erreur qu’avait pu commettre sa mère; -il me fallut insister, ce qui était atrocement gauche; mais je n’étais -pas au bout de ma peine! J’arrivai à lui faire entendre, par lambeaux, -que sa mère la croyait certainement amoureuse, que je m’en étais aperçu, -mais amoureuse d’un autre... - ---Comment! d’un autre?... dit Bernerette. - -Elle s’indignait: un mouvement de colère l’agita. Elle laissa échapper -quelques paroles assez aigres envers sa mère. Elle lui gardait rancune -de n’avoir pas deviné, de longtemps, qui elle aimait. Pour Bernerette, -c’était là gravement manquer à apprécier l’irrésistible attrait de -Claude Gérard. Mais, du moins, pensait-elle que sa mère était incapable -même de deviner qu’elle aimait! Quant à la croire amoureuse et ne la -croire pas amoureuse de Claude Gérard, non! cela, c’était avoir quelle -opinion donc, sur son goût? Qu’elle fût amoureuse de Gérard et de nul -autre, mais cela devait éclater aux yeux de tout être sensé! Et à défaut -d’être heureuse en cet amour, elle se contentait qu’on devinât qu’elle -en souffrait. Certes, il ne s’agissait pas pour elle de faire des -confidences, un aveu! Elle portait un dieu en elle, et elle méprisait -ceux qui n’en discernaient pas l’incomparable rayonnement. Voilà -pourquoi elle avait été pour moi si gracieuse, du jour où elle avait -soupçonné que, plus fin que tout autre, je discernais, moi, cette -lumière! - ---Qui donc, dit Bernerette, maman croit-elle que je puisse aimer? - ---Moi! lui dis-je. - -Et je me dépêchai d’éclater de rire, afin de le faire avant elle. - -En effet, elle rit. - -Nous rîmes ensemble. - - - - -Le lendemain, je chassai avec monsieur de Chanclos et deux voisins de -campagne; le déjeuner eut lieu entre hommes, dans un pavillon, à la -lisière du bois; je ne revis Bernerette que le soir, et je ne pus encore -ce jour-là m’apercevoir de l’altération de sa santé comme je le fis au -grand jour, lorsqu’elle m’apparut pour la première fois fardée. - -J’eus peur, et pitié d’elle. J’oubliais d’un coup ce que j’avais -souffert par elle, et la honte me prit de ma cruauté d’un moment, le -soir de mon arrivée. - -Assise sur un banc, coiffée d’un grand chapeau de tulle, elle -travaillait à un ouvrage de main. Le soleil dorait ses cheveux. Son cou -me sembla amaigri, et son nez plus fin. Tout de suite, d’ailleurs, elle -m’avertit elle-même de sa mine mauvaise, en me confessant qu’elle avait -eu la sottise de recourir à des drogues pour se faire engraisser, et -qu’elle s’était fait mal. Je me moquai d’elle: - ---C’est bien fait, mademoiselle! - ---Oui, dit-elle, on n’est pas bête comme ça! - -Mais malgré moi je regardais sa taille, et cette gorge qui, il y a six -mois, mûrissait comme un fruit déjà lourd! Un homme passe et voilà la -récolte compromise; c’est comme un rayon de soleil trop ardent ou un -coup de vent de la mer... - -A mon approche elle s’était levée, avait jeté son ouvrage et m’avait -appelé: «Henri!...» d’un ton si tendre, que mon cœur battit comme -autrefois, au premier appel de cette voix qui me charmait tant. Je -pensai que l’idée lui était enfin venue que mon rôle avait pu être -pénible et qu’elle allait au moins me manifester qu’elle ne l’ignorait -pas. Mais elle souffrait tellement elle-même, qu’elle n’imaginait pas -qu’un autre à côté d’elle pût être blessé. Ce n’était déjà plus qu’un -petit être qui défendait sa vie avec acharnement, par tous les moyens. -Ce tendre: «Henri!» voulait dire: «Pauvre petite Bernerette!» - -Elle m’entraîna vers la charmille, à l’ombre. Je remarquai qu’elle se -tenait avec insistance entre le soleil et moi, à contre-jour, et qu’elle -ne vous parlait plus en face, et qu’elle vous tournait son profil quand -on lui adressait la parole; elle avait d’ailleurs accommodé son chapeau -en forme de capote, et ce n’était plus guère que le bout de son nez -qu’on voyait quand elle détournait la tête. Elle se cachait! Elle ne -voulait pas que j’emporte d’elle l’impression que sa beauté diminuait. - -Je n’avais pas eu le loisir de voir, la veille, en pleine lumière, le -paysage étalé à nos pieds: la Loire endormie, ses longs sables en -fuseaux, ses larges îles de peupliers feuillus, une barque qui pourrit, -deux toues qu’un homme dirige à la gaule, un filet tendu, un horizon -sans bornes qui se confond avec le bleu opalin du ciel; au-dessous de -nous, au bord de la levée, de noirs trous de cheminées, quelques-unes -fumantes, au milieu de rocs blanchâtres, de jardinets, de petits -vignobles; sur la route plate, une charrette transportant des tonneaux, -une bicyclette filant comme une libellule, et le sentiment de la paix -parfaite universellement répandue, depuis les plus menus objets aperçus -jusqu’aux plus grandes choses. - -Je dis à Bernerette: - ---Que j’aime cela! comme ce pays repose!... - -»Et l’on voit les pignons du château de Langeais!... - ---Oui! fit-elle. Ah! Henri! pendant que j’y pense... et papa, lui? - -Je souris et lui dis: - ---Oh!... «pendant que j’y pense?» Vous y auriez aussi bien pensé plus -tard!... - -Mais elle n’avait point envie de rire; elle insista: - ---Dites!... - -«Et papa, lui?...» n’était pas une question très claire, mais -j’entendais Bernerette à demi-mot. Sans même un mot je lui fis -comprendre que «papa, lui,» n’avait pas paru savoir si sa fille avait ou -non des sentiments. - -Elle eut l’air de me dire: «Mais qu’avez-vous donc fait à la chasse?» - -Cette battue d’hier n’avait-elle pas été combinée par Bernerette? En -effet, on ne m’avait point du tout connu jusqu’ici comme chasseur: que -signifiait cette marche forcée? Bernerette avait pensé qu’au hasard de -la promenade dans les guérets ou les sentiers, je saisirais l’occasion -de m’employer pour elle, de provoquer, par exemple, chez M. de Chanclos, -une question comme celle-ci: «Et votre ami Gérard, est-il chasseur?» A -quoi je pouvais répondre ce que me suggérerait mon désir d’être agréable -à Bernerette. Bernerette entendait m’employer sans cesse, et m’employer -à tout ce qui pouvait la sauver. - ---Et vous, Bernerette, est-ce que vous avez parlé à votre mère? - ---Non. - -J’eus l’air de dire à mon tour: «Qu’avez-vous donc fait pendant que nous -étions à la chasse?» Je me plaignis; je lui répétai que je ne pouvais -tolérer la durée d’un tel quiproquo, où mon rôle était ridicule et -deviendrait indélicat. Je manifestai l’intention de parler moi-même à -madame de Chanclos. Bernerette me dit: - ---Oh! vous n’avez donc pas confiance en moi? - -Le lendemain, on chassa encore. En vérité, je n’attendais pas, comme -Bernerette, que M. de Chanclos me parlât, entre deux coups de fusil, de -l’état du cœur de sa fille, mais j’attendais moins encore que M. de -Chanclos et le voisin de campagne même qui chassait avec nous, me -traitassent avec une certaine affabilité dont la nuance dépassait, d’une -façon infinitésimale peut-être, mais dépassait, la mesure ordinaire. Ce -fut le voisin de campagne qui m’aida à faire cette découverte. Il -n’était pas de ceux qui nous accompagnaient l’avant-veille; celui-ci, -d’un naturel moins réservé, me laissa presque clairement entendre qu’il -me tenait pour un prétendant à la main de mademoiselle de Chanclos. Mon -sang ne fit qu’un tour. Mais que dire? Et cet indiscret m’ouvrit les -yeux sur maintes particularités qui m’avaient échappé. M. de Chanclos me -traitait autrement que de coutume, oui; comment ne l’avais-je pas -remarqué depuis trois jours? Enfin il n’y avait pas jusqu’aux -domestiques qui ne montrassent un zèle inusité à me servir. Je revins -furieux et en me jurant à moi-même que la nuit ne se passerait pas que -je n’eusse parlé ouvertement à la mère de Bernerette. Et dès le seuil du -château, en saluant Bernerette, je l’avertis de mon intention. Elle me -serra la main à me faire mal et me dit tout bas: - ---Ne parlez pas: vous me perdez! - -A ces mots-là, je ne reconnaissais plus Bernerette: ils sonnaient le -roman, le théâtre. «Ne parlez pas, vous me perdez!» Elle avait entendu -ou lu cela quelque part. Ils lui venaient à la bouche dans un moment où -elle cessait d’être naturelle, où elle se forçait, je l’aurais parié, -pour soutenir quelque machination pouvant servir à ses fins. Et je me -torturais l’esprit à me demander en quoi le fait d’entretenir l’erreur -de tous sur ses sentiments pouvait être avantageux à ses projets. Que ne -me mettait-elle au moins dans la confidence, puisque c’est moi qu’elle -employait comme pantin dans la comédie qu’elle donnait ou laissait jouer -devant elle. - -Je me contins jusqu’après le dîner, qui me parut long. Puis, quand je -pus prendre Bernerette à part, dans le jardin, je me fâchai. - -Elle se mit à pleurer, et s’en fut, sous la charmille, dissimuler ses -sanglots. Je ne comprenais plus rien à son état, sinon qu’elle était -exaltée et malade. Je n’osais plus ni la suivre, depuis que je savais -comment mon intimité était interprétée, ni paraître lui avoir fourni un -prétexte à bouderie, ce qui était plus grave encore. - -J’allai la rejoindre. Elle me dit: - ---Vous voyez, voilà ce que vous faites!... - -En effet, n’était-ce pas moi qui étais cause qu’elle pleurait!... Elle -n’eût pas pleuré si j’eusse laissé les choses aller leur train, si -j’eusse accepté le rôle intolérable que j’endossais, si j’eusse mérité -enfin que bientôt l’on me mît à la porte de la maison! Je ne pus pas, ce -soir-là, lui tirer une parole sensée; quand j’insistais, elle -recommençait de pleurer; quand elle cessait de pleurer, elle répétait: - ---Vous voyez!... Vous voyez!... - -Je m’exaspérais; je maudissais la faiblesse qui m’avait amené à la -Tourmeulière. Mais m’en aller brusquement était impossible; annoncer mon -départ, c’était m’exposer à ce que monsieur ou madame de Chanclos me -parlassent ouvertement, et je devais éviter avec soin cette extrémité. -J’étais prisonnier. Mais tarder à les détromper c’était aussi courir le -risque qu’ils entreprissent de me parler. Il était urgent d’agir. Je me -fixai le lendemain matin comme dernier délai. - -N’avais-je pas aussi à me livrer à des conjectures au sujet de -l’étrange, de l’inexplicable obstination de Bernerette? - -Je ne parvins, ni ce soir-là, ni dans la suite, à éclairer cette partie -obscure de la conduite de Bernerette. Mais il m’est arrivé, depuis lors, -de remarquer dans la vie des femmes, des passages mystérieux où -certainement elles-mêmes n’ont pas vu clair. - -Et sous mes yeux, quelle nuit magnifique d’automne!... La Loire basse, -déchirée en lambeaux par ses sables et ses îles, ressemblait de loin à -ces traces argentées que laissent les limaçons dans les allées des -jardins; le calme était immense, l’air frais; des parfums d’héliotropes -et de fruits mûrs montaient, s’évaporaient et se recomposaient, comme de -petites nuées pesantes et tangibles; plusieurs fois, l’aboiement d’un -chien sembla venir de l’autre côté du fleuve, et des chouettes -miaulèrent dans la tour ruinée; mais la plupart du temps la tranquillité -était telle qu’à huit cents mètres, j’entendais un poisson sauter hors -de l’eau. - - * * * * * - -Une si belle paix n’allait-elle pas m’apporter l’oubli momentané de mes -ennuis avec le sommeil? quand une idée nouvelle, imprévue, surgit tout à -coup comme un mal de dents qui commence, dont on n’est pas très sûr tout -d’abord, qui se dissipe en une minute, puis revient, puis s’affirme, -puis grandit, envahit la face, absorbe le cerveau et vous torture. - -Cette erreur, commise par la famille de Chanclos, par leurs amis et -leurs gens, au sujet du cœur de Bernerette, cette erreur qui, depuis -trois jours surtout, avait pris pour moi de telles proportions qu’elle -dépassait mes autres ennuis, ma jalousie, mon amour même; cette erreur -qui, après avoir indigné Bernerette, semblait à présent, et pour un -motif inconnu, être si tenacement adoptée par elle, elle s’infiltra -soudain en un repli de ma cervelle jusqu’alors épargné. Elle se présenta -à moi comme un prolongement du cauchemar de scrupules qui m’agitait tout -éveillé. Cette erreur, me dis-je, est-ce qu’elle n’a pas été commise par -Claude Gérard lui-même? - -Est-ce que les premiers mots de Gérard, en me tendant la main à la -«soirée du 23» n’ont pas été--et je m’en souviens, car ils m’ont frappé -par leur ton de délicatesse douteuse:--«Mes compliments, mon cher, tu es -joliment bien dans la maison!...» Est-ce que Gérard, en me voyant -familier au Ranelagh, empressé même auprès de mademoiselle de Chanclos, -au dîner, n’a pas été induit à soupçonner une secrète entente entre -mademoiselle de Chanclos et moi? Et une des raisons pour lesquelles il -s’est montré, par la suite, discret jusqu’à l’excès quand il s’est agi -des Chanclos et de Bernerette, n’est-elle pas qu’il considérait -Bernerette comme une jeune fille engagée, sur le point d’être fiancée, -peut-être? Et quel que soit l’attachement de Gérard pour sa maîtresse, -est-il bien certain qu’il aille jamais jusqu’à la lui faire épouser? Et -si Gérard savait qu’une jeune fille d’excellente famille, jolie et riche -l’aime à en perdre la santé, est-ce qu’il commettrait la sottise de se -lier de nouveau avec Isabelle? Est-ce qu’il ne regarderait pas -Bernerette d’un autre œil qu’il ne l’a fait jusqu’à présent? Est-ce -qu’il ne se prendrait pas peut-être à l’aimer? Est-ce qu’en l’aimant il -ne ferait pas son bonheur? Et moi? ne suis-je pas très coupable, si je -n’informe pas Gérard de ce qu’est exactement ma situation vis-à-vis de -mademoiselle de Chanclos? - -Il est possible qu’à l’état normal je n’eusse pas pris le parti qui -s’imposa à moi dès ce moment-ci; mais j’en étais arrivé, à force d’être -molesté, à adopter avec une sorte d’ivresse tout ce qui pouvait m’être -le plus douloureux. La même rage qui m’avait fait me vouer dès le début -de l’aventure au service de Bernerette amoureuse, m’obligea contre -moi-même à me faire, moi, l’ouvrier du dénouement de l’aventure! Je -décidai d’écrire à Claude Gérard. - - * * * * * - -Je n’avais jamais écrit à Claude Gérard; ma lettre seule serait pour lui -assez frappante; une lettre banale, sans but apparent, mais où se -trouverait posée, comme par hasard, en vedette, toutefois, -l’indépendance absolue de mademoiselle de Chanclos, préparerait Gérard à -recevoir ce qu’il dépendait de moi qu’il obtînt: par exemple, une -invitation à la chasse. Je ne pensais pas que Gérard acceptât; mais du -moins devrait-il, bon gré mal gré, discerner qu’on cherchait à attirer -son attention de ce côté-ci; il ne saurait, en tout cas, manquer de m’en -parler lorsque je le verrais à Paris, et si ma rage bienfaisante -persistait alors, il n’était pas impossible, en vérité, que je ne -contribuasse à unir «mon ami» Claude Gérard et mon amie Bernerette! - - * * * * * - -J’écrivis, cette nuit même, la lettre banale et significative, et, -l’ayant cachetée et timbrée, je fus soulagé, et dormis. - - - - -Le lendemain, Bernerette me trouva plus calme. Elle me dit: - ---Vous avez parlé à maman? - ---Non. - ---Vous avez parlé à mon père en chassant? - -A mon tour j’interrogeai: - ---Et vous, Bernerette, avez-vous parlé à vos parents? - ---Non. - -Elle resta pensive, pendant que je faisais la moue; puis elle fit: - ---Que voulez-vous que je leur dise?... - -Elle eut un mouvement nerveux du pied qui défonça le sol; nous étions -assis sur un banc, au bout de la charmille. Elle me dit: - ---Mais vous avez l’air tranquille comme Baptiste, ce matin, vous! - ---C’est que j’ai pris une résolution. - ---Laquelle? - ---La résolution d’écrire à quelqu’un. - -Elle tressaillit. - ---D’écrire à mes parents? - ---Non. - ---D’écrire à qui? - ---A quelqu’un. - -Je lui dis, simulant un jeu connu: - ---Interrogez-moi donc: «Est-ce un homme?» - -Elle dit: - ---Est-ce un homme? - ---Oui. - ---Un homme âgé? - ---Non. - ---Un homme blond? - ---Non. - ---Est-il ici? - ---Non. - ---Est-il marié? - ---Non. - -Je vis que son teint s’animait sous la poudre. Elle avait deviné et ne -voulait plus rien demander; elle pensait que je _lui_ avais écrit; elle -pensait à ce que j’avais pu _lui_ écrire, ou bien elle pensait à _lui_, -tout simplement. Ce sang, qui montait à la seule image de Gérard, me -brûlait les yeux comme un feu ardent. J’étais jaloux, jaloux! Je repris -en grinçant des dents, mais elle ne s’en aperçut point: - ---Allons! allons! Interrogez-moi: «Est-il beau?...» - -Elle dit, avec un frémissement de tout le visage: - ---Est-il beau? - -A l’instant, et à ma grande surprise même, mes yeux se mouillèrent, -pendant que je répondais: - ---Oui. - -Je fis un violent effort pour que mon émotion ne me trahît pas -davantage; mais Bernerette ne remarquait pas mon émotion: elle regardait -en face d’elle fixement, et comme hallucinée. Elle ne nomma personne; -elle dit: - ---Vous lui avez écrit?... - -Et elle n’eût pas été trop étonnée si je lui eusse répondu à ce -moment-là: «Oui, je lui ai écrit que vous l’aimez!» Elle répéta: - ---Vous lui avez écrit?... - -Ce qui signifiait: «Qu’est-ce que vous lui avez écrit?» Je dis: - ---Mais, songez donc, Bernerette! qu’il eût pu, lui aussi, partager la -méprise commune. Il m’a vu toujours près de vous; il me sait, -aujourd’hui encore, à côté de vous; s’il est délicat, cela ne suffit-il -pas pour qu’il s’interdise de penser à vous?... Je vous nuis, -Bernerette!... Y avez-vous songé?... - -Je vis ses yeux et tout son visage se transformer: c’était une -révélation que je lui faisais! Non! elle n’avait jamais songé que Gérard -pût croire à une liaison possible entre elle et moi. Son étonnement me -fut encore bien pénible; mais elle n’eut même pas l’idée de me le -cacher. Et les conséquences de la méprise dissipée lui apparurent. Ses -sourcils soulevèrent leur arcature comme pour donner plus de jour à une -vision heureuse; puis cette belle voûte se brisa quand Bernerette se -retourna vers moi. Elle entendait encore la dernière partie de ma -phrase: «Je vous nuis, Bernerette!...» Un moment, un court moment, -peut-être, elle pensa qu’en effet, j’avais pu lui nuire, en son amour; -et cela l’empêchait de me remercier de ce que j’avais écrit à Gérard, et -de penser que je pouvais souffrir de tout cela. Un moment, oui, elle me -regarda d’un air méchant!... - -J’avais encore sur moi la lettre à Gérard; je la décachetai pour la -faire lire à Bernerette; je n’avais eu, en écrivant cette lettre, qu’une -crainte, c’était qu’elle ne fût un peu trop explicite; il ne fallait -tout de même pas dire à Gérard: «Mademoiselle de Chanclos est absolument -libre: allons! n’allez-vous pas la demander en mariage?» Bernerette -trouva ma lettre très discrète. Elle me dit même: - ---Comprendra-t-il? - -Elle n’eut pas un mot de pitié pour moi qui attendais d’elle: «Mais mon -pauvre ami, vous me renoncez là dedans; on jurerait que je ne vous suis -de rien!...» - -Alors, je lui dis: - ---Bernerette, voyons! pourquoi vous opposez-vous à ce que nous -dissipions chez vos parents la même méprise que nous détruisons ici? - ---Je n’en sais rien, ma foi, me dit-elle. J’ai peur de je ne sais quoi, -d’un grabuge... - -Et je pensais, à part moi: «C’est cette méprise qui m’a inspiré et a -rendu obligatoire pour moi mon intervention auprès de Gérard...» -Bernerette n’avait pas, assurément, escompté cette conséquence qu’elle -ne pouvait prévoir... Mais le génie de l’amour, ou l’inconscience -profonde qui veille à notre conservation ne lui ont-ils pas commandé de -s’attacher désespérément, aveuglément, à cette méprise? Je me souvins de -ses larmes inexplicables, le soir où je lui demandais: «Mais pourquoi ne -pas parler à vos parents?» Elle pleurait, pleurait stupidement, et me -disait avec un air de bêtise vraiment surprenant chez elle: «Vous voyez! -vous voyez ce que vous faites!...» Il semblait bien que cela ne voulût -rien dire du tout: pourtant, en dissipant le malentendu ce jour-là, -j’évitais peut-être d’écrire aujourd’hui à Gérard!... - - - - -A ma grande surprise, je reçus presque courrier par courrier une réponse -de Gérard; je n’en attendais point de lui; ma lettre n’en demandait -aucune. Je feuilletai huit pages de papier mince, entièrement couvertes -d’une écriture curieuse: grande, allongée, couchée, probe, avec je ne -sais quelle apparence féminine. Gérard m’écrivait de Paris; il n’était -donc point parti pour le voyage projeté avec Isabelle? En effet, il -n’était point parti; il m’en fournissait la raison avec abondance: le -brave Gérard me narrait au long ses déboires. Le contenu de ma lettre -n’avait pas déterminé ces confidences, évidemment, mais ma lettre -elle-même, ma lettre quelle qu’elle fût, arrivant chez lui dans le -moment où il éprouvait un immense besoin de posséder un confident. Je -soupçonnai que son collègue au Conseil d’État subissait près de lui une -légère disgrâce pour lui avoir trop justement ouvert les yeux. Gérard me -croyait au contraire fort peu renseigné sur son ménage; il avait -soulagement à me le décrire lui-même et dans les limites où il désirait -que je le connusse. En substance, voici quelle était sa thèse: Isabelle, -de qui les goûts furent toujours honnêtes, était sur le point de se -laisser épouser par un homme sans scrupules qui, après lui avoir promis -jadis le mariage, l’avait rendue mère et puis l’avait abandonnée. Cet -homme ne s’avisait-il pas de vouloir aujourd’hui réparer sa faute! et -Isabelle de se laisser succomber à l’appât d’une situation régulière! -Certes, c’était une femme, écrivait Gérard, digne qu’il la retînt -lui-même par un lien pareil, mais d’une part, il avait à compter avec -les préjugés de sa famille et du Conseil d’État, qu’il eût négligés, à -la rigueur; mais, d’autre part, Isabelle poussait la probité jusqu’à se -juger indigne d’être sa femme et de pénétrer dans son monde. Il était -très perplexe, très ennuyé, le beau Gérard; il avait besoin de causer -avec quelque homme de sens droit et qui comprît, «pour avoir vu -Isabelle», la légitimité de son attachement pour elle. - -Une telle crise, inespérée chez Gérard, me contraignit à brusquer les -événements. Je conservais, pour ma part, tout l’appétit du martyre -désirable, autrement dit toute la rage secrète qui m’excitait à assister -moi-même à mon propre supplice. - -Je conseillai à Bernerette de faire inviter Claude Gérard à la -chasse!... - -Elle eut quelques battements des paupières; moi aussi; et Gérard fut -invité à la chasse. - -Il prit le temps de réfléchir, et adressa à madame de Chanclos un mot -aimable, mais d’excuses: il était momentanément empêché de s’absenter de -Paris. - -Cela fut annoncé pendant le déjeuner, comme une nouvelle quelconque. -Bernerette n’eut pas un mouvement insolite, et ses parents pas la plus -médiocre intuition de son ébranlement dissimulé. Je crois bien que ce -fut moi le plus agité en apparence, parce qu’en un instant, j’imaginai -les conséquences de ce simple refus de Gérard. - -Alerte pénible, mais courte. Nous quittions la table, après ce même -repas, quand on me remit un télégramme de Claude: l’empêchement au -voyage de Langeais était par hasard écarté; il me priait de lui répondre -télégraphiquement si on l’autorisait à revenir sur sa décision de la -veille. - -Je lus tout haut le télégramme. Bernerette manqua de sang-froid, cette -fois. Elle dit au domestique qui attendait: - ---Faites atteler la charrette anglaise: nous irons porter la dépêche!... - -Le domestique fit observer que le porteur était monté à bicyclette et -qu’il serait plus tôt au bureau que la charrette anglaise. - ---Et puis, dit madame de Chanclos, il faut laisser les gens déjeuner. - -Bernerette fit la moue. Mais ce fut elle qui trouva la feuille de -papier, l’encre, la plume. - -De la volte-face de Gérard, j’augurai qu’il se passait chez lui des -drames: hier il pensait reconquérir Isabelle; aujourd’hui elle lui -jouait un tour de sa façon. Mais n’irait-elle pas l’arrêter à la gare? - -J’en étais venu à désirer ardemment le voyage de Claude! - -Claude accomplit le voyage. Il n’était pas à une heure de Langeais, que -je désirais qu’il n’arrivât pas. Quand il fut là, dans le petit salon -tendu de toile de Jouy fanée, ou sur la terrasse, ou sous la charmille, -entre Bernerette et moi, et que mon rôle m’apparut, j’eus de la lâcheté: -je les abandonnai; j’allai m’étendre sur mon lit. J’aurais pleuré comme -un enfant, si une sorte de fureur ne m’avait saisi. Je redescendis. Je -trouvai M. de Chanclos; je lui dis: - ---N’irons-nous pas tuer un perdreau avant ce soir? - -J’entendis peu après M. de Chanclos, au jardin, qui criait: - ---Henri a le diable au corps; il veut chasser. Êtes-vous des nôtres, -monsieur Gérard? - -Et les yeux colères que me fit Bernerette, quand Gérard accepta d’être -des nôtres!... - -Aussitôt dans les champs, Claude me confia qu’il avait cru, -l’avant-veille, avoir fait renoncer Isabelle au mariage; une rencontre -définitive entre eux devait décider de la paix; mais au lieu de cette -rencontre, elle le laissait se morfondre, la soirée entière, et elle lui -envoyait le lendemain un «bleu» qui, disait-il, «lui avait fait beaucoup -de peine». Qu’il était donc évident que la conduite d’Isabelle envers -Gérard était déplorable, et que Gérard le sentait enfin, tout en -s’efforçant de ne pas le croire... et qu’il était rivé à elle par -quelque lien que la conduite d’Isabelle la plus fâcheuse ne briserait -pas de sitôt! - -Je lui dis: - ---Enfin te voilà loin d’elle: l’absence, comme la nuit, porte conseil. - -Il me confia: - ---En venant ici, je n’ai voulu que mettre Isabelle à l’épreuve! moi -parti, que décidera-t-elle? C’est ce que nous allons bien voir. - -M. de Chanclos tint à lui faire examiner de près ses vignes. Gérard, -fils d’un petit propriétaire bourguignon, avait le goût de la culture et -quelques connaissances précises; ils s’accrochèrent par là volontiers -l’un à l’autre. C’était une jolie terre que la Tourmeulière; et M. de -Chanclos en raffolait. Il fut très content de Gérard. Gérard se trouva -bien d’avoir marché beaucoup, tiré un peu, causé avec M. de Chanclos, -parlé avec moi d’Isabelle. La première soirée, de même, se passa très -convenablement: Bernerette ne voulait pas faire la coquette; Gérard ne -pensait pas à se montrer galant. Je m’en voulus de m’être tantôt si -effrayé de leur rencontre. Et bien, quoi! ils étaient là tous les deux! -le feu ne prenait pas; Bernerette plutôt paraissait apaisée. - -Gérard, le lendemain, attendait une lettre. Elle ne vint pas. Il -s’informa de l’heure des courriers; il n’y en avait qu’un par jour; mais -en allant au bureau de Langeais, vers quatre heures, il trouverait sa -correspondance, lui affirma-t-on; et il fut tranquillisé. Puis on -organisa une promenade à Langeais, en bande. Gérard n’y trouva point de -lettre; mais on ne lui laissa pas le loisir d’en souffrir; une visite de -la ville, un goûter, un retour en partie à pied sur la levée de la -Loire; la causette, le long du chemin, avec de vieilles bonnes femmes -troglodytes, assises au pas de leurs grottes et de qui Bernerette était -l’amie; et puis le calme incomparable d’un beau coucher de soleil avant -de remonter au château, retinrent Gérard de s’alarmer outre mesure de ce -qui se passait à Paris; il fut un convive aimable, le soir. - ---Crois-tu, me dit-il, le bougeoir à la main, en allant se coucher, que -cette coquine ne m’écrit seulement pas!... - - * * * * * - -Gérard reçut cependant des nouvelles de sa maîtresse: il me le dit, sans -rien ajouter, ce qui me laissa croire qu’elles n’étaient pas bonnes; -mais elles ne l’irritèrent pas, d’où je conclus ou qu’elles annonçaient -que la situation se maintenait simplement telle qu’elle était, ou que -lui-même s’aguerrissait contre les inconvénients de la situation. Alors, -n’était-ce pas que, par hasard, il se plaisait à la Tourmeulière? - -Il avait plaisir à la chasse, les soirées étaient douces et les nuits -reposantes. - -Un jour, au milieu d’une bien jolie lande de bruyères roses d’où les -toits du château émergeaient au loin et d’où l’on apercevait, par delà -les cheminées et pignons, toute confuse dans une brume bleuâtre, la rive -opposée de la Loire, il me dit: - ---C’est curieux que tu n’aies jamais songé à épouser mademoiselle de -Chanclos? - -Je m’arrêtai et je regardai au loin, en me garantissant le visage avec -la main. - ---Mademoiselle de Chanclos n’épousera que qui lui plaira. - ---Ne peux-tu pas lui plaire? - ---Moi?... Non. - ---Comme tu dis cela! Et les parents?... - ---La donneront à qui lui plaira. - -Nous marchions côte à côte, lui indifférent autant que moi à l’allure -des chiens, ce qui me donnait à supposer qu’il poursuivait sa pensée... -Mais il n’ajoutait rien. Je crus devoir insister: - ---Ne t’ai-je pas écrit que je ne suis, moi, qu’un vieil ami, un -camarade?... - -Nous nous tûmes encore pendant un assez long temps. Un moment, Gérard -s’arrêta et fit, des yeux, le tour des trois quarts de l’horizon. - ---Saprelotte! dit-il, quelle jolie propriété!... - -Et nous continuâmes de marcher dans l’interminable bruyère. Nous ne -parlions pas. Je ne maîtrisais pas les battements de mon cœur. La -silhouette de M. de Chanclos parut au bord d’un taillis, et je compris, -à un signe de son bras, qu’il nous maudissait, pour ne pas chasser -sérieusement. - -Je me mis à combiner en moi-même divers types de phrases définitives, -destinées à hâter l’achèvement de mon rôle vraiment par trop ingrat; et -j’avais pris le parti de dire à Gérard tout bonnement: «Imbécile! tu ne -vois donc pas qu’elle t’aime?» quand, au moment d’ouvrir la bouche, un -déclenchement soudain se fit dans mon cerveau; je jugeai qu’un mensonge -préalable était nécessaire pour éviter que Gérard ne me crût secrètement -épris de Bernerette, et je dis: - ---J’ai une maîtresse à laquelle je tiens... - -Il fut étonné, sans doute, parce que je ne lui avais jamais parlé de -maîtresse; et puis, peut-être, à cause de cela même, il me crut. Il me -regarda et dit: - ---Mariée? - -Je soufflai confidentiellement: - ---Oui. - -Alors nous reçûmes l’algarade de M. de Chanclos. - - - - -Il y avait une particularité que j’avais remarquée depuis la première -heure du séjour de Gérard à la Tourmeulière: c’était que Bernerette, -souvent, trouvait ma présence importune. Elle me reprochait de savoir -son secret! - -Ce qu’elle eût supporté d’une gouvernante ou d’une amie, d’un homme la -gênait. De sorte que mille manèges féminins qu’elle eût pu pratiquer -vis-à-vis de Claude, et sans même se rendre soupçonnable de coquetterie, -elle n’osait pas y recourir parce que j’étais là. Sa contrainte me -faisait peine; mais cette retenue que Bernerette s’imposait à cause de -moi, fut la seule attention qu’elle me témoigna en toute cette triste -aventure; j’en venais à être flatté que, du moins, elle me traitât en -homme. Dans l’excès de mon infortune, je l’avoue, je fus content -quelquefois de pouvoir être gênant! - -Que je fis donc bien de profiter de cette période relativement -supportable! Elle ne devait pas durer. - -Claude, lui, commença d’être touché de cette extrême réserve de -Bernerette. Il avait coutume de voir les femmes, un peu partout, se -jeter à sa tête, et il semblait bien ne s’être attaché jusqu’ici qu’à -l’une d’elles, la seule qu’il eût pris la peine, tout au moins, de -descendre chercher dans la rue. Au bout de quatre ou cinq jours, il fut -visible que Bernerette l’intéressait, et il fit quelques pas pour le lui -témoigner. Cela fut si visible que madame de Chanclos s’en alarma avant -même que sa fille n’eût cru pouvoir s’en réjouir; elle s’en alarma, la -pauvre femme, parce qu’elle croyait que Claude marchait sur mes brisées; -et, voyant aussi bien que j’avais du souci, elle fut sur le point de me -plaindre ou de me crier casse-cou, ou de s’indigner de ma lâcheté! Oui, -le moment menaça où elle allait m’offrir ses soins pour me débarrasser -de Gérard! Je fuyais la fille pour ne la point incommoder; je fuyais la -mère pour qu’elle ne m’accablât pas de ses bontés! J’assistais à des -événements qui ne revêtaient que pour moi la forme d’une tragi-comédie -raffinée; à tout instant, à la rigueur, j’eusse pu quitter le spectacle, -mais, soit entraîné par les premiers actes, soit empoigné par une -douleur que le comique avivait à outrance, je demeurais à ma place. On -connaît des cauchemars semblables, au cours desquels on se dit: «Je vais -m’éveiller, parce que cela devient affreux,» mais aussitôt: «Tout de -même, si l’on poussait plus avant!...» - -Je me sentis quelquefois si désolé, que je riais, je ricanais tout seul. -Il y a dans la douleur très profonde, et quand quelque dépit s’y mêle, -une espèce de méchante joie et qui fait admirer ce que contient de -vérité humaine l’esprit prêté par l’Écriture aux mauvais anges. - -Un jour de pluie, où l’on était resté au château, où je m’étais enfermé -dans ma chambre sous prétexte de mettre à jour ma correspondance, où -l’on avait joué, en bas, aux petits jeux avec quelques voisins de -campagne, je trouvai, en descendant, Bernerette transfigurée, la bouche, -les joues, la poitrine, les yeux pleins d’espérance, un bonheur dans -toute sa personne. Et Gérard était un peu chose. Je manifestai, à mon -tour, en me mêlant à tous, une gaieté insolite, nerveuse, exubérante. Et -je regardai l’œil de madame de Chanclos, qui pensait: «Il s’efforce de -séduire, parce qu’il sent un adversaire...» Et je regardai Gérard qui -pensait que je venais d’écrire longuement à ma maîtresse; et je regardai -Bernerette, qui ne me regardait seulement pas! - -Gérard se laissait-il donc prendre? Non, je ne le croyais pas; mais la -vie lui était ici très aisée: elle le consolait de ses récents ennuis; -un début de flirt avec une jeune fille l’amusait. En somme, je -connaissais assez peu Gérard: était-il tout à fait insensible au fait -d’être accueilli dans une gentilhommière, sans faste, il est vrai, mais -dite «château» à cause de ses tourelles? dans une famille, non pas d’un -rang hautain, assurément, mais qui n’eût peut-être pas fréquenté la -sienne? et, sans y songer d’une manière précise, ne prévoyait-il pas que -son vieux papa, en cultivant ses vignes, là-bas, en Bourgogne, serait -flatté s’il le savait là? Dans la lande de bruyères, Gérard m’avait dit: -«Saprelotte, quelle jolie propriété!...» Enfin, il était possible, à -tout prendre, que Claude Gérard se laissât épouser. - -Comme j’allais m’endormir, le soir de cette journée de pluie, une idée -me secoua tout le corps, c’était celle-ci: «Ne se pourrait-il pas aussi -que Claude en vînt à aimer Bernerette?» Je me soulevai du coup; je -rallumai ma bougie. Voilà donc où j’en étais: je me résignais à ce que -Claude épousât Bernerette; mais qu’il l’aimât, je ne pouvais le -supporter. «Pourtant, me dis-je, à la lumière de ma bougie, c’est pour -le bonheur de Bernerette que j’ai travaillé de mes mains à ce que ce -mariage devînt possible, et son bonheur n’est pas qu’elle soit mariée, -mais aimée!...» - - * * * * * - -Parce que ma présence gênait Bernerette, je m’étais mis à affecter une -discrétion qui l’incommodait plus encore; on ne me voyait presque plus, -si ce n’est aux repas et à la chasse. Je lui abandonnais son Gérard! -Elle n’en était pas fâchée, certes; mais elle eût désiré que je fisse -cela plus gentiment, et par exemple, sans paraître le faire. Je suis sûr -qu’à part soi, elle m’envoyait à tous les diables; Claude, lui, était -persuadé que j’avais des démêlés épistolaires avec l’imaginaire -maîtresse; il me dit un certain: «_Tu quoque!..._» que je feignis de ne -pas comprendre; mais depuis lors, je fuyais tout colloque avec Claude -pour échapper à la nécessité désobligeante de lui faire de fausses -confidences; pourtant je ne voulais point paraître éviter Claude, de -peur qu’il ne soupçonnât ma pensée véritable. J’étais dans la maison -comme un animal aux abois. M’enfuir!... Ah! m’enfuir!... N’étais-je pas -libre? Ne pouvais-je partir demain? ce soir même?... Oui bien! -mais--comprenne qui pourra--je ne voulais pas m’en aller! Je montais -précipitamment dans ma chambre; je faisais ma valise. Je la défaisais; -je descendais l’escalier pour aller me mêler à tout le monde: à peine en -bas, je remontais et je recommençais ma valise. Je l’envoyais d’un coup -de pied, à l’autre bout de la pièce; je m’étendais, exténué, sur mon -lit. Deux jours de suite, j’exécutai ce manège après déjeuner. Le temps -était mauvais; on ne chassait guère; les journées me semblaient -interminables. Et la pire de mes pensées était que, bon gré, mal gré, -d’ici peu de temps, il faudrait renoncer à ces journées! - -Qu’avais-je le plus désiré en ces derniers temps? Que la méprise, la -fameuse méprise de monsieur et de madame de Chanclos, de leurs amis, de -leurs voisins, de leur personnel même se dissipât. Eh bien! elle se -dissipait la méprise! Oh! je vous prie de croire qu’elle se dissipait. -Elle se dissipait sans qu’un seul mot eût été prononcé, ni par -Bernerette qui ne voulait pas le prononcer ni par madame de Chanclos de -qui je l’avais tant redouté, ni par moi enfin à qui la plus disgracieuse -démarche était ainsi épargnée. Elle se dissipait, et j’en souffrais -comme d’une perte irréparable; à certains moments, comme d’une insulte. -Mais je tenais à assister à ce transport des attentions, des -obséquiosités, des sourires entendus, que parents, amis, domestiques -même effectuaient--oh! avec quelle aisance et quelle calme -promptitude!--de moi à mon voisin, à «mon ami» Claude Gérard. - -Claude Gérard avait été invité «pour une huitaine de jours». La semaine -touchait à sa fin. De la façon qu’allaient les choses, il était à -prévoir qu’on le prierait de prolonger son séjour, et, ma foi, qu’il -l’accepterait. M’en aller avant lui, n’était-ce pas par trop avoir l’air -de céder la place? paraître trop l’avoir précédemment tenue? Je me -disais cela pour me donner prétexte à demeurer à la Tourmeulière! - - * * * * * - -Madame de Chanclos et Bernerette me heurtèrent dans l’escalier et me -dirent à peu près simultanément: - ---Ah! nous allions frapper chez vous!... - -Que me voulaient-elles? Elles venaient me prier de rester jusqu’à la -Toussaint: le baromètre remontait lentement mais sûrement; le _Journal -d’Indre-et-Loire_ annonçait de beaux jours. Je dis: - ---Mais non! c’est impossible; je dois rentrer à Paris; et tenez! ma -valise est faite! - -Elles furent sincèrement désappointées, cela était visible; elles -insistèrent de la façon la plus aimable; je ne démordais pas d’une -résolution prise soudainement, je ne sais trop pourquoi, au moment même -où ces dames m’avaient abordé dans l’escalier. Madame de Chanclos mit un -feu inusité à me retenir. Je disais: «Mais non!... Mais non!...» sur un -ton qui devait, je l’imaginais, leur faire entendre que j’étais très -malheureux chez elles. Bernerette ne disait plus rien. Peut-être enfin -comprenait-elle; peut-être enfin me prenait-elle en pitié? Moi, -m’obstinant à ne pas leur donner de raison positive pour m’en aller, je -disais toujours: «Mais non!... Mais non!...» Les larmes vinrent aux yeux -de Bernerette. Je crois qu’elle ne fut jamais plus cruelle pour moi qu’à -ce moment. Je ne pus faire autrement que de céder. - -Et cinq minutes plus tard, Claude me prenant à part, me confiait: - ---Je suis bien content que tu aies consenti à rester, parce que je -venais de dire à ces dames qui insistaient beaucoup: «Eh bien! que ce -soit Henri qui décide!...» - - - - -Je ne me sens pas, après dix ans écoulés, la force de décrire ce que je -vis pendant les quelques jours que nous restâmes à la Tourmeulière. Tous -les amants malheureux, tous les pauvres jaloux savent ce que c’est que -la torture des petits jeux, des gages, des apartés dans un salon, des -rencontres possibles dans le dédale des corridors, et du choix des -places dans un break de promenade; ce que sont les mots spirituels que -la coquetterie attise, et les termes d’ineffable niaiserie que l’amour -inspire; ce que c’est que la beauté, le plaisir, le bonheur... des -autres!... - -La voix de Bernerette! Le miracle de son visage transformé! Du sang, des -formes, de la vie, et quel charme de jeune ressuscitée! Que la mort -embellit un être quand, l’ayant touché du doigt, elle se retire et fait -grâce! Et la fête dans toute la maison, la reconnaissance presque sans -mesure manifestée au sauveur! J’avais joui de quelque chose d’analogue, -ayant produit un peu du même effet, quand je n’étais que le précurseur! - -Eh quoi! n’étais-je pas satisfait? Pour sauver Bernerette, ne m’étais-je -pas fait gloire de me sacrifier? Oui, oui! l’homme en moi participait à -la joie générale et se félicitait d’avoir contribué à ce que Bernerette -fût revivante et heureuse. L’homme en moi pensait qu’il eût fallu un -monstre pour ne pas se réjouir du résultat obtenu. Mais c’est qu’un -monstre était en moi, vraiment, celui qu’autrefois on nommait le perfide -Amour; et il me soufflait que je n’avais à aucun moment espéré que cela -pût si parfaitement réussir!... - -«Tu as joué avec Claude, me chuchotait le monstre, comme on joue avec le -feu, quand on espère bien ne pas se brûler les doigts. Tu as fait venir -Claude, oui; mais tu le savais prisonnier! Tu l’as offert à Bernerette, -oui, mais tu voyais la chaîne par laquelle Isabelle le tenait!...» - - - - -Nous partîmes, je m’en souviens, le lendemain de la Toussaint, par un -temps humide et frisquet, et l’on essaya encore de nous retenir sous le -prétexte que c’était le jour des Morts; mais Claude atteignait la -dernière limite de ses vacances; ses fonctions le rappelaient. Mesdames -de Chanclos, d’ailleurs, devaient quitter la Tourmeulière dans la -quinzaine; on se donna rendez-vous à Paris: la glace était bien rompue, -cette fois! Claude promit, sans arrière-pensée, d’aller au Ranelagh. - -Comme nous avions un arrêt de quarante minutes à Saint-Pierre-des-Corps, -nous déjeunâmes au buffet tout à notre aise; nous étions seuls et je dis -tout à coup à Gérard: - ---Eh bien!... et Isabelle? - -Il fit claquer sa langue, secoua la tête et prit son temps pour me -répondre; puis il me confia que, dans le fond, Isabelle était un peu -rosse. Et il m’expliqua pourquoi. Je le savais bien. Mais je vis que -Claude n’ignorait rien, ni des relations d’Isabelle avec le père de son -petit, ni des dernières manigances à propos du mariage. Il avait été -contre elle extrêmement irrité; il la chargeait un peu lourdement, trop -même; et j’en fus choqué, car, en définitive, la faute d’Isabelle -n’était que de chercher le mariage. - -C’est d’elle que nous parlâmes exclusivement, durant le trajet, et point -du tout de la Tourmeulière. Il se relâchait sensiblement de sa sévérité -envers Isabelle, à mesure que nous approchions de Paris. Je lui dis: - ---Mais, vas-tu la revoir? - ---Oh! oh! fit-il, je lui tiendrai la dragée haute!... - -Nous descendîmes, notre valise à bout de bras, notre fusil gainé, en -bandoulière. C’était, dans ce temps-là, à la vieille gare d’Orléans. Au -travers d’un treillage derrière lequel parents et amis attendaient les -voyageurs, je reconnus parfaitement Isabelle. Mais je n’en avertis pas -mon compagnon: venait-elle là pour lui? Nous passâmes l’étroit défilé -que gardent les employés de l’octroi, et Isabelle vint se jeter au cou -de Gérard. - -Debout, à la portière du fiacre où il avait installé Isabelle, et comme -j’allais les quitter, il me confia: - ---J’ai voulu faire une expérience: je l’avais avertie de mon arrivée. -Elle est venue. - -Je dis: - ---C’est gentil de sa part. - -Il sourit et rejoignit sa maîtresse. - - - - -Et six semaines s’écoulèrent sans que j’entendisse parler ni des -Chanclos ni de Claude Gérard. - -Dans le commencement de décembre, un matin, chez moi, Claude Gérard fit -passer sa carte. - -J’achevais de m’habiller devant la glace; je me vis légèrement pâlir. -Que me voulait Gérard? Il était homme à venir me demander conseil, à -m’avertir tout au moins, en qualité d’ami commun, s’il avait résolu -quelque démarche touchant Bernerette. - -Je le fis attendre un peu; je me préparai. Enfin: - ---Bonjour, Gérard, comment vas-tu? - -Il s’excusa de venir me trouver si matin; mais l’après-midi l’on ne se -rencontre guère, et il me devait, dit-il, quelques remerciements pour -les petites vacances en Touraine qu’il n’eût point prises, en somme, -sans mon intermédiaire... - ---Tu es bien bon. - -... Et qui lui avaient été agréables et profitables... qui lui avaient -donné beaucoup à réfléchir... - ---Ah! - ---A propos, comment vont ces dames? - ---J’allais te le demander, dis-je en souriant: je suis sans nouvelles. - ---J’ai reçu ce matin, me dit-il, un bout de mot; tu ne peux manquer -d’avoir le même; il s’agit d’un dîner... déjà! - ---«Déjà!» répétai-je, étonné du sens qu’il semblait donner à ce mot. - -Et en même temps, je sonnai ma domestique afin de savoir si, moi aussi, -j’avais «un bout de mot». En effet, je l’avais; le même que Gérard: une -invitation pour le 15. - ---Eh bien! dis-je, voilà une excellente occasion de nous rencontrer!... - -Et par là, je semblais bien un peu lui dire: «Nous nous serions aussi -bien rencontrés seulement le 15!...» - ---Mais c’est que..., dit-il, hésitant, c’est que je ne crois pas pouvoir -y aller... - ---Ah! - -Il me fournit deux raisons pour ne pas être de ce dîner. C’était une de -trop. Ces raisons étaient des prétextes. Mon cœur palpita. Je pensai à -mon amour, à ma jalousie, au sort de Bernerette qui allait être encore -remis en suspens, plus gravement que jamais, après l’espoir né à la -Tourmeulière. - -Et il se tut sur les Chanclos, me parla du Palais et de petites affaires -du Conseil d’État. Puis, tout à coup: - ---J’ai un poids sur la conscience, dit-il; il faut que je m’en délivre -pendant que je te tiens. Voilà!... Je t’ai parlé inconsidérément -d’Isabelle, sur le coup d’une petite pique entre nous deux. Tout ce que -j’ai pu te dire de fâcheux à propos d’elle, est faux; je ne pensais pas -ce que je disais, et quant aux minces fondements sur lesquels s’étayait -ma rancune: néant! Je m’étais bel et bien fourré le doigt dans l’œil -jusque-là!... - -Je lui faisais signe qu’il était inutile d’insister. Mais il ajouta: - ---Te rappelles-tu ce que je t’ai dit moi-même, à plusieurs reprises: -«J’ai voulu la mettre à l’épreuve?...» Oui! Eh bien! elle faisait de -même: tout avait pour but de me mettre à l’épreuve!... - ---Tout est bien qui finit bien, dis-je en riant. - -Il se leva; il était soulagé. C’était pour cela qu’il était venu. - - - - -Que devais-je faire, moi, de cette invitation pour le 15? L’accepter, -n’était-ce pas rendre plus sensible l’absence ou l’abstention de Gérard? -Que penserait Bernerette en ne le voyant pas?... et en me voyant? «Ah! -celui-ci est toujours prêt!» Et elle m’en voudrait d’être à sa -disposition, tandis que celui qu’elle désire se dérobe. M’abstenir?... -On dirait: «Ces jeunes gens, on ne les tient pas!...» On assimilerait le -cas de Claude Gérard et le mien. Ainsi j’innocentais un peu Claude!... - -Cependant si Bernerette souffre par l’absence de Claude,--ce qui est -probable,--elle brûle de s’informer, elle veut m’interroger, savoir si -Claude m’a confié quelque impression sur son séjour à Langeais, sur -elle-même!... Alors, avouer à Bernerette que Claude est ressaisi par sa -maîtresse!... - -J’avais, moi, envie de voir Bernerette, car sa pensée me tourmentait -sans cesse. Mais j’éprouvais une aversion insurmontable à l’entretenir -de son amour; je crois même qu’elle s’en était aperçue déjà à la -Tourmeulière, et, à partir de ce moment, ne m’avait-elle pas traité en -ennemi? Et l’idée que j’étais son ennemi m’était plus odieuse que celle -de lui parler de Gérard. - -Elle avait découvert que je ne la servais qu’avec dépit; et peut-être -que je l’aimais! Dès lors, combien devait-elle me haïr? Dans la -proportion de ce qu’elle aimait l’autre. Non! non! Je n’irais pas au -Ranelagh le 15! - -J’écrivis que j’étais empêché. Puis je me mordis les pouces pour avoir -écrit cela. Le 15, toute la journée, je ne tins pas en place; que -n’aurais-je pas donné pour entendre, dans un coin du salon, le soir, -Bernerette me parler, fût-ce de Claude!... - -A part moi, j’attendais un de ces mots de madame de Chanclos, comme j’en -avais tant reçus, me priant de venir le jour qu’il me plairait. Mais le -mot, je ne le reçus pas. Je pensai: «On attend ma visite...» J’allai -faire ma visite avant Noël. Je me trouvai perdu dans une assemblée -nombreuse. Bernerette n’avait pas encore pris d’inquiétude; elle était -jolie à un point qu’elle n’avait jamais atteint, un peu nerveuse, -toutefois, car elle attendait la visite de Claude. On parla de lui; on -parla de sa visite probable, comme on l’avait tant fait l’année -précédente. - -J’admirais, en tremblant, la confiance que se crée l’amour, -inconsidérément, et pour cela seul qu’il s’en nourrit. - -Tout le monde savait que Claude Gérard avait passé une quinzaine de -jours à la Tourmeulière; et les cinq ou six femmes qui s’étaient -particulièrement intéressées à lui poussaient de petits «Ah! ah!...» -fort entendus; et les langues allaient. - -Claude Gérard ne vint pas. A la fin de la journée seulement, on s’avisa -de se souvenir qu’il faisait bien difficilement des visites, et la -raison pour laquelle on l’en avait tout bas excusé l’année précédente, à -savoir ses succès de joli homme, n’était-elle pas bonne cette année? -Oui, pour tout le monde; non, pour Bernerette. J’étais ému, moi, à la -pensée de l’angoisse qui pouvait torturer Bernerette; mais quand le -salon se vida, je m’aperçus bien, moi, qui connaissais Bernerette, -qu’elle n’avait pas perdu sa confiance; elle ne souffrait d’aucune -angoisse: son rêve édifié chaque jour par les soins assidus de son -instinct vital même, qui en avait le besoin absolu, devait avoir atteint -aujourd’hui toute sa consistance; il fallait d’autres coups pour -l’ébranler! Tandis que je songeais à ce curieux mystère de l’amour, je -m’aperçus aussi que j’allais me trouver presque seul et qu’on ne m’avait -point prié de rester à dîner. Je saluai ces dames, qui ne me retinrent -pas. - -Dehors seulement, en même temps que le brouillard glacé du Ranelagh sur -mes épaules, je sentis toute la gravité de l’événement qui m’atteignait: -je n’étais plus rien dans la famille de Chanclos. - -Le cœur de Bernerette gouvernait cette maison: je ne l’avais que trop -remarqué lors de la méprise fâcheuse! Du jour où s’était imposée la -certitude que c’était Claude Gérard que ce cœur voulait, tout l’espoir -et le désir de la maison s’étaient tournés vers Claude Gérard. Le moyen, -quand on est père ou mère, de ne pas croire que votre fille ne -subjuguera pas qui elle a choisi? Le moyen, quand on possède de la -fortune, de ne pas croire que le jeune homme qu’on a choisi acceptera? - -Sur le quai de la gare de Passy, je retrouvai une dame qui était sortie -cinq minutes avant moi de chez madame de Chanclos et qui attendait le -train; elle me fit de tout petits yeux. Je lui dis: - ---Quoi donc?... - ---Ah çà! dit-elle, et non sans malice, seriez-vous le dernier à -savoir?... - -Le train arrivait d’Auteuil; il ralentit en produisant des grincements -insupportables: - ---Monsieur de Chanclos a fait un petit voyage en Bourgogne... - ---Je n’en ai pas entendu parler. - ---Ni moi. Mais mon fils qui faisait ses vingt-huit jours à Beaune l’a -rencontré... C’est le pays natal de votre ami... Vous ne venez pas à -Saint-Lazare? - -J’allais à la gare Saint-Lazare; mais je dis: - ---Non! non! je prends un train du Nord. - -Et je demeurai onze minutes sur ce quai, à attendre le train suivant -pour ne pas entendre parler du voyage de M. de Chanclos au pays de -Gérard. - - * * * * * - -Je marchai de long en long; je m’impatientai; je me pesai à la balance -automatique. La grande aiguille, mise en mouvement, oscilla, entre deux -ou trois chiffres dorés; j’entendis dans la machine comme un petit râle -prolongé de vieille femme; une claire sonnette tinta et, sur le ticket -qui me glissa dans la main et qui portait d’un côté la photographie de -S. M. la reine Ranavalo, et de l’autre, en trois couples de chiffres -superposés, mon poids, dont je ne me souciais guère, je m’obstinai à -composer avec ces chiffres, en retranchant 9, comme au baccarat,--quelle -idée! je ne suis ni joueur ni superstitieux,--je m’obstinai à composer -une date, une date du mois prochain, par exemple, une date qui devait -être celle d’un inévitable malheur. J’obtins le chiffre 6. «Le 6 -janvier, me dis-je en montant enfin dans mon train, le bel espoir de -Bernerette et de sa famille croulera; comment? je n’en sais rien encore; -mais il ne peut, en effet, tarder à crouler...» Un monsieur qui s’assit -en face de moi, favoris blancs, large rosette à l’ancienne mode, un -médecin peut-être, me regarda avec un intérêt gênant; c’est que je -devais faire une figure assez singulière: mi-souriant à cause de ma -puérilité, mi-terrorisé à l’idée de la catastrophe inévitable. - - - - -Je fus délaissé momentanément par la famille de Chanclos, non de façon à -m’en pouvoir froisser, mais de façon sensible à un ami ancien et -familier. J’espaçai mes visites et j’écourtai celles que je fis. Je -crois que madame de Chanclos s’imaginait volontiers que tout le monde -avait commis, à Paris comme à la Tourmeulière, la même méprise -qu’elle-même à mon endroit; et l’on manifestait à présent pour dissiper -ce malentendu. Peut-être aussi me faisait-on expier le tort que j’avais -eu de ne le pas dissiper moi-même sans retard... - -Dans la première semaine de janvier--où il n’y eut point du tout de -catastrophe,--je me rencontrai chez madame de Chanclos avec Claude -Gérard et je mangeai des bonbons qu’il avait offerts. C’était la -première fois qu’on le voyait depuis la Tourmeulière. Chacun était si -préoccupé de lui, on avait de lui tant parlé, tant pensé, tant imaginé, -que, lui présent, si calme, si réservé, si peu brillant hormis par sa -jolie figure, chacun se trouvait refroidi, embarrassé, désappointé. Il -était là enfin! eh! bien, oui, voilà tout. C’était un joli garçon. Il ne -montrait ni une joie particulière de se trouver là, ni une attention -personnelle à mademoiselle de Chanclos; il était pareil à ce qu’il avait -été avant la quinzaine à la Tourmeulière. Et cette quinzaine, alors, -qu’avait-elle donc été? Un flirt entre une jeune fille et un joli -garçon. Telle était la vérité banale, désespérément médiocre, -tragiquement ordinaire, qui éclatait, à mes yeux du moins, en cette -visite attendue pendant toutes les heures que contient une période de -deux grands mois d’hiver, par le cœur enivré d’une pauvre petite -amoureuse! - -Claude Gérard se leva, au bout d’une demi-heure. On en fut tout étonné; -on le pria de revenir dîner sans façon. Mais il était retenu. Il y eut, -chez la maman et chez la fille, un court moment d’angoisse, bien -apparent à tous, malgré le masque des sourires. Mais cela ne dura pas le -temps même qu’on le remarquait; elles se tinrent bien toutes les deux; -la mère y eut plus de mérite que la fille, car celle-ci n’avait pas fini -d’espérer. - -Comme on avait prié devant moi Claude Gérard de vouloir bien rester, on -me pria tout de même. Mais, moi aussi, je prétextai que j’étais retenu. - - * * * * * - -Trois semaines plus tard, je fus invité à dîner pour le commencement de -février. J’acceptai. Je dînai. Claude était invité; il avait refusé par -une lettre qui fut jugée charmante. - -Bernerette se trouvait de nouveau, comme tous les ans, disait-on, un peu -anémiée par l’hiver. Mais elle n’avait pas cessé d’espérer. - -Moi, je ne savais plus, ma foi, ce que devenaient Gérard et sa -maîtresse; on ne me le demanda point, d’ailleurs. Tant que Bernerette -espérait, elle était fière, presque un peu hautaine. Elle ne s’était -abaissée que par désespoir et à bout de ressources; et je crois qu’au -fond elle ne me pardonnait pas d’avoir été son confident, le témoin de -sa détresse, et un peu aussi son valet... - - - - -Je me mis à bouder, ou, admettons plutôt, j’essayai d’oublier. Je -croyais avoir oublié Bernerette lorsque, chaque samedi soir, je me -félicitais de n’avoir pas été au Ranelagh; mais la vérité est que je -m’en félicitais trop longuement et trop régulièrement chaque semaine, je -m’en félicitais quelquefois le lendemain et pendant la moitié de la -semaine suivante, et je passais l’autre moitié à me dire: «Je n’irai -certes pas samedi!» - -Enfin, les premiers jours de mars arrivèrent sans que j’eusse manqué à -ma belle fermeté. Il est juste de dire que ces dames, de leur côté, -semblaient tenir le même serment: je n’entendis pas une fois parler -d’elles. Aussi dès la fin de février commençai-je à remplacer les -petites félicitations que je m’adressais si complaisamment, par quelques -marques de dépit, inavoué à moi-même d’abord, jusqu’au jour où je -m’entendis frapper le sol de mon talon et dire tout haut: «C’est un peu -fort!...» Ah! il fallut bien reconnaître que j’étais vexé, et que ce que -je nommais à part moi «l’abandon» de la famille de Chanclos m’était -extrêmement pénible. - -Allais-je finir par retourner au Ranelagh? Capituler? Non pas! Voici le -parti qui me sembla infiniment plus digne que d’aller au Ranelagh: aller -chez Claude Gérard! - -Il va sans dire que je ne voulus reconnaître aucune connexité entre ces -deux démarches possibles, aller au Ranelagh, aller chez Claude Gérard. -Cependant, pourquoi aller chez Claude Gérard? N’avais-je pas résolu, et -ceci depuis un mois, de laisser tomber mes relations avec ce garçon? -Oui. Eh bien! à présent, la démangeaison me prenait d’aller chez Claude -Gérard! Et j’y allai. - -Je sonnai et fus longtemps à la porte; je sonnai de nouveau; la petite -bonne enfin parut, environnée de quatre personnes: on visitait -l’appartement. Je demandai M. Gérard; la bonne me dit qu’il était sorti, -«et qu’il n’y avait personne ici». Cet excès d’information me paraissait -dissimuler bien gauchement la présence d’Isabelle; et comme j’élevais un -peu la voix pour exprimer mes regrets de ne pas trouver là Gérard, une -porte s’entr’ouvrit et quelqu’un chuchota: - ---C’est vous? Entrez donc un peu!... - -Et Isabelle se montra, agitant et frottant son peignoir: elle sortait -d’un cabinet obscur où elle s’était tapie pendant qu’on visitait. - ---Vous déménagez donc? - -Elle me regarda avec cet air de dédain qu’on a pour les personnes mal -informées de ce qui se passe. Et elle me fit entrer dans la salle à -manger. - ---Je vois, dit-elle, que j’ai du nouveau à vous apprendre!... - -Elle parlait confidentiellement, et en outre, d’un geste, semblait -couper toute communication entre ses paroles et la bonne, d’ailleurs -retournée à ses affaires. - ---Je ne veux pas la garder, dit Isabelle. Claude tient absolument à -trancher net avec ce qui a été, comme il dit, son passé de garçon: nous -avons engagé un valet de chambre. - ---Peste! - ---C’est peut-être une folie, d’autant plus que Claude, pour le moment, -il faut vous dire cela, est à couteaux tirés avec sa famille. Mais -c’était une de ses idées. Nous habitons rue de Moscou, à partir du 15 -avril. - -Je bredouillai quelques compliments et tentai de parler d’autre chose: -et comment allait-il, Claude?... N’aurais-je pas la chance de le voir -rentrer? - ---Il est sorti pour affaires... Il s’en donne du mal, le pauvre -garçon!... Vous pensez que ça ne va pas tout seul, quand on a les -parents contre soi!... Enfin, c’est bien lui qui l’aura voulu; moi, je -n’ai pas cessé de lui dire: «Je ne suis pas la femme qu’il te faut...» -Qu’est-ce que vous voulez? c’était son idée. - ---Comme pour le valet de chambre! - ---Dites-donc, vous!... - -Elle allait prendre mal la chose; je dus lui affirmer que je n’entendais -faire aucune assimilation malséante. Elle dit: - ---Oui, oui, mais vous riez, je le vois bien; vous êtes comme les autres! -Ah! ce n’est pourtant pas faute de l’avoir averti de cela comme du -reste: «Tous tes amis se ficheront de toi, tous...» - ---Mais je vous jure... - ---Vous pouvez jurer! ça n’empêche rien. Et si vous voulez savoir mon -opinion, à moi, je vais vous la dire, c’est que si ce mariage se fait, -j’aurai autant à m’en repentir que Claude! - ---Allons! allons! n’exagérons rien! - ---Voilà!... c’est cela même!... Vous croyez, vous aussi, que c’est moi -qui excite Claude à m’épouser! Détrompez-vous! si j’avais voulu épouser -quelqu’un à mon goût, ç’aurait été le petit blond, qui en fait une -maladie à présent, parce que je le refuse; et si j’avais voulu faire un -mariage raisonnable, mais là, sérieux, pour avoir la paix, la sécurité -et... l’aisance,--je peux bien vous dire ça entre nous, car Claude n’est -pas riche, tant s’en faut!--eh bien, je vous le jure sur la mémoire de -mon pauvre petit enfant, c’est son père, à ce chérubin, que j’aurais -épousé, et non pas un autre! - -Je ne disais rien. J’ouvrais les yeux avec une certaine stupéfaction. -Elle reprit: - ---Vous allez peut-être dire comme cet autre hypocrite qui a dîné ici une -fois avec vous et qui ne s’est pas gêné pour insinuer à Claude que je -lui jouais la comédie?... La comédie? moi? non! Je n’ai pas assez de -malice. On me l’a toujours dit, que je n’avais pas volé le Saint-Esprit, -je finirai par le croire... Je vous ai dit la vérité vraie dès le -premier jour: oui, le blond a voulu m’épouser. Quand le père de mon -petit ange a su que ce jeune homme voulait m’épouser, c’est lui, à son -tour, qui aurait bien fait n’importe quoi pour ne pas me perdre. Est-ce -que je pouvais cacher cela à Claude? Non. Eh bien, dès que Claude a su -cela, il s’est montré plus acharné que les deux autres: voilà la -comédie; elle n’est pas de moi, comme vous pouvez en juger; elle s’est -faite toute seule. - ---Mais, hasardai-je, si, avant que la chose ne soit conclue, l’un des -deux autres manifestait un acharnement plus vif que celui de Claude?... - -Isabelle dit innocemment: - ---Ça n’est guère possible: Claude m’a chambrée; je ne quitte plus d’ici! - -Voilà tout le résultat que je tirai de ma visite chez Claude Gérard. En -descendant l’escalier je sentis bien que je venais d’essuyer une -déception. Était-ce pour n’avoir pas rencontré Gérard? Un peu: car il -m’eût peut-être donné des nouvelles du Ranelagh! - -Après, pour ne pas rire de moi, je me mis à rire de Claude Gérard en -réfléchissant à son sort pitoyable. - -Claude ne vint pas me rendre visite: en effet, étais-je sot! il avait -bien trop à faire; en outre, il était gêné de m’annoncer son mariage; -enfin, peut-être renonçait-il à ses anciennes relations pour faire peau -neuve par le mariage. Et je n’eus de nouvelles du Ranelagh que par une -carte postale illustrée qui m’arriva le jour de la mi-carême, et dont je -regardai la jolie photographie de côte méditerranéenne, pendant deux -minutes, en me faisant la barbe, avant de retourner seulement le carton, -avant de me demander de qui il venait. - -Il venait de Beaulieu (Alpes-Maritimes); il portait la signature de -Bernerette au-dessous de trois mots: «Au meilleur ami», et de l’adresse -où répondre: «Villa Cynthia». - -Comment les Chanclos étaient-ils partis pour le Midi où ils n’allaient -jamais et contre quoi ils avaient même une certaine prévention? Aussitôt -habillé, je courus au Ranelagh. Je vis l’hôtel fermé. Je sonnai par -acquit de conscience, et je resonnai. Le concierge de la propriété -voisine s’approcha derrière un colley aboyant, et me dit que toute la -famille de Chanclos était partie depuis six semaines, et que les -domestiques l’avaient rejointe hier, «les patrons» ayant loué une villa -à Beaulieu. - -J’envoyai, à mon tour, une carte postale à l’adresse indiquée. Presque -courrier par courrier, une carte m’arriva de Beaulieu, portant les -signatures de Bernerette et de sa mère, avec quelques mots des plus -gracieux. - -Je ne pouvais que m’en tenir là et renvoyer, dans une quinzaine, un mot -insignifiant au dos du «Palais de Justice» ou de «la Fontaine -Saint-Michel». Mais avant que la quinzaine ne fût écoulée, je recevais -de madame de Chanclos une lettre, cette fois! qui m’apprenait, en des -termes que l’on s’efforçait de ne pas rendre trop alarmés, que -Bernerette était «très sérieusement souffrante», que l’on avait quitté -Paris précipitamment, que l’on était venu s’installer ici dans un hôtel -«splendide et odieux», où n’avait-on pas eu le malheur d’être persécutés -et de souffrir mille avanies, jusqu’à ce qu’enfin l’on comprît que le -règlement s’opposait à l’admission d’une «personne qui tousse...» - -Ces derniers mots me firent courir un frisson entre les épaules et -j’oubliai, d’un coup, toute ma désobligeante aventure. Je crus même -avoir de graves torts envers les Chanclos pour les avoir «abandonnés» -deux longs mois, pour n’avoir point été là quand cette triste -détermination dut être prise: partir pour le Midi, parce que Bernerette -est «sérieusement souffrante». J’étais reconquis, réasservi; j’étais de -nouveau prêt à exécuter le moindre désir formulé là-bas, dans cette -petite anse maritime que je connaissais bien, entre la «petite Afrique» -et le cap Saint-Jean: Beaulieu. Le désir ne manqua pas d’être formulé; -on me nommait sans cesse «le meilleur ami», et Bernerette s’ennuyait... - -Mais je ne pouvais m’éloigner de Paris: je venais d’être nommé d’office -pour assister un pauvre bougre dans une affaire d’assises. Une -correspondance de plus en plus régulière s’établit entre la villa -Cynthia et moi; tantôt la mère, tantôt la fille m’écrivaient, ou bien -elles joignaient leurs signatures au bas d’une carte postale où -Bernerette avait rétréci autant que possible son écriture afin de -bavarder davantage. Petit à petit, cet échange devint si fréquent, si -nourri, que je pus en tirer la présomption que je demeurais vraiment -pour Bernerette «le meilleur ami». Aux vacances de Pâques, je ne tins -plus en place, et je partis pour Nice, qui est à Beaulieu ce que -Saint-Malo est à Dinard... Je me souvenais de l’an passé... Mais rien ne -m’eût empêché de recommencer toutes mes épreuves et d’en tenter d’autres -encore. - -Oh! les misérables aberrations de l’amour! Je m’acheminais vers la villa -Cynthia, comme l’enfant prodigue vers la maison paternelle: en coupable. -Dans ce chemin qui va de la descente du tramway, entre des oliviers et -des murs, jusqu’à l’endroit où je savais que ma pauvre petite Bernerette -toussait, mon émoi venait de l’avoir abandonnée! Et je me répétais: «Si -j’étais demeuré près d’elle, je lui aurais bien épargné, voyons! de se -faire tant de chagrin!...» Car une peine morale, je n’en doutais pas, -avait ouvert les portes toutes grandes au mal qui la guettait. - - * * * * * - -Il faisait beau malgré un ciel nuageux qui n’était plus celui de -février: des jardins jetaient par-dessus les murs leur trop-plein de -roses, et quelque chose de vibrant, de chaud, de sain, une allégresse -indéfinissable était dans l’air charmant. Je lus le nom de la villa; on -vint m’ouvrir. Joë aboya; et je vis, tout de suite, à dix pas, dans le -jardinet, sous des palmes, Bernerette enveloppée de couvertures, abritée -par une guérite d’osier et écrivant sur ses genoux. Je la trouvai très -rouge. Je la complimentai sur sa bonne mine. Elle me dit: - ---Oh! oh! cela va passer: c’est la surprise. - -Elle glissa la lettre qu’elle écrivait dans un pupitre qu’elle ferma à -clef, et peu après, je vis qu’en effet sa mine était trompeuse. - -Aux aboiements du chien, madame de Chanclos parut sur le seuil, vint -au-devant de moi, en ouvrant son ombrelle. Elle me parla tout de suite -de la santé de sa fille, qui, selon elle, s’améliorait. Je pensais -qu’elle m’indiquait par cet optimisme le mot d’ordre: il s’agissait, -avant tout, de réconforter l’esprit de la malade. Mais en particulier, -plus tard, elle me parla de même: elle ne discernait pas plus les -ravages du mal physique qu’elle n’avait soupçonné ceux de l’amour. -D’ailleurs, elle me livra le fond de sa philosophie maternelle: - ---J’aime trop ma fille, me dit-elle, Dieu ne peut vouloir me la prendre. - -Et elle s’extasiait devant le soleil, devant les fleurs, devant la -ravissante vue qu’on avait du perron, par-dessus les orangers, sur la -baie, sur le cap, au loin sur la mer. M. de Chanclos, lui aussi, était -gagné par le charme de ce pays; il avait pris le train d’une heure un -quart pour Monte-Carlo. Ce qui le rassurait, lui, quant à sa fille, -c’est que les médecins l’avaient envoyée dans le Midi, et c’est un fait -patent qu’on n’envoie plus les vrais malades dans le Midi, qui les -achève. - -Bernerette, elle, pensait autrement; j’eus vite fait de m’en apercevoir; -mais elle se voyait partir avec une résignation si douce que ceci me fut -pénible plus que l’aveuglement optimiste des parents. J’eus, d’un coup, -l’impression que cette maladie était un lent suicide. Timidement, peu à -peu, je m’informai dans la maison, des origines de cette toux et de ce -dépérissement. Une grippe vers la fin de janvier, d’abord; la guérison; -puis une rechute assez rapidement combattue encore; enfin, à la suite -d’une imprudence, la vilaine «bronchite» qui ne se terminait pas. A la -suite de quelle imprudence? voilà ce que personne ne put m’éclaircir. -«J’ai commis une imprudence», avait dit Bernerette; «elle a commis une -imprudence» avait-on répété; et comme le plus pressé était de combattre -les effets de l’imprudence, on s’était contenté de laisser à la cause -initiale de la maladie cette vague appellation. - -Je passai toute cette première journée près d’elle. Je m’attendais à ce -qu’elle me parlât de Gérard: mais je lui aurais parlé de lui sans -arrière-pensée, sans amertume: je l’attendais, j’y étais tout préparé et -je m’étonnais de mon calme, quand l’idée me vint que j’avais peu de -mérite à cela: Claude et Bernerette étaient séparés à jamais, par un -mariage, par une mort menaçante! Elle ne me parla point de lui, et je -sentis qu’elle n’affectait pas de ne point parler de lui; non, sa pensée -semblait libérée de ce poids; on eût bien juré qu’elle l’avait une bonne -fois rejeté: n’était-ce pas quand la malheureuse avait commis -«l’imprudence»? - -Pas un jour il ne fut question de Claude si ce n’est qu’en faisant -allusion au séjour d’automne à la Tourmeulière, elle dit, à trois -reprises: «Votre ami», mais en glissant, sans trébucher le moins du -monde; et elle l’eût nommé plus gravement en le passant sous silence. - -Du côté des parents, mutisme absolu touchant Claude. Ils étaient, à n’en -pas douter, informés de son mariage prochain; ils se mordaient les -pouces d’avoir un peu inconsidérément fait fond sur lui. Je suis -persuadé qu’ils ne soupçonnaient ni la douleur ni le dépit possibles de -leur fille. - -Bernerette parut très franchement heureuse de me revoir; plus -qu’heureuse: le premier jour, elle ne put maîtriser, par deux fois, une -émotion violente, et elle eut des palpitations. La mère disait: «Elle -est d’une sensibilité!...» Je rappelais à Bernerette tant de souvenirs! -Et elle se voyait disparaître. Quand j’annonçai que j’allais reprendre -le tramway de Nice, elle pleura; je promis de revenir le lendemain -matin, et de déjeuner avec elle. Pendant près d’une semaine, je ne -quittai presque pas la villa. - -Taisant toujours le sujet dont je la croyais étouffée, Bernerette -s’appliquait, semblait-il, à me faire oublier qu’il eût jamais existé -entre elle et moi. Et je remarquais une chose: c’est que, du temps que -ce sujet l’absorbait, quand elle ne m’en entretenait pas, elle ne me -parlait que d’elle-même, disant sans cesse: «Oh moi!...» ou bien: «Au -fond de moi, voyez-vous!...» Ou encore: «Si j’étais!... Si je -pouvais!...» Aujourd’hui, et depuis mon arrivée à Beaulieu, elle ne -parlait que de moi: «Voyons! et vous!... Oh! vous, je me doute bien!... -Que ferez-vous?... Que feriez-vous?... Et vous, Henri quand vous étiez -enfant?...» Jamais elle ne m’avait parlé comme cela. - -Je résistais, comme il le faut faire toujours quand on vous dit: -«Parlez-moi de vous-même!» et je détournais la conversation par vingt -chemins de biais. Mais l’idée de Bernerette était fixée; elle me -ramenait en souriant ou quasi fâchée au poteau planté par elle. On eût -juré que je l’intéressais. - -Je repris avec elle, pour ne point parler de moi-même tout à fait -sérieusement, ce ton enjoué, ce demi-badinage qui nous valait autrefois -de si agréables entretiens, avant l’inoubliable «soirée du 23». J’avais, -dans ce temps-là, et j’ai encore, horreur de la conversation qui n’est -que légère, mais plus horreur encore de la conversation sérieuse qui ne -se pare point entre homme et femme, d’un certain air léger. Bernerette, -autrefois, se plaisait à ces jeux, où l’on s’échauffe, où l’on -s’enflamme, où l’on se blesse aussi, mais sans faillir à la convention -adoptée que c’est en jouant qu’on fait cela. Aussitôt que Bernerette -avait connu Claude, elle avait cessé de se prêter à cette manière: elle -la réadoptait aujourd’hui avec joie; elle me dit même: - ---Oh! il me semble qu’il y a longtemps, longtemps que je n’ai causé! - -Le plaisir me gagna. Si ce n’eût été la vilaine toux qui, de temps en -temps, secouait Bernerette, j’aurais pu croire que nous étions encore à -l’année dernière, à pareille date, ou peu s’en fallait, sous les -premières feuilles des marronniers du Ranelagh. J’aurais pu oublier -qu’un noir nuage avait passé. - -Le plaisir me gagna. Cela veut dire qu’aimant Bernerette comme je -n’avais cessé de le faire, je lui laissais, par mon plaisir, découvrir -que je l’aimais, et combien. Le langage voilé de l’amour, elle le -comprenait mieux cette année!... Je n’y prenais pas garde, tout d’abord, -et je n’écoutais que mon plaisir: mais je vis tout à coup qu’elle -connaissait, elle, la nature de mon plaisir, et qu’elle l’avait -provoqué. - -J’eus peur un instant; je m’arrêtai; je me contractai tout entier. Se -distrayait-elle, en sa détresse, à me voir amoureux? Ou mieux: croyant -bien mourir, me laisserait-elle l’aimer afin de connaître et de goûter -au moins les sons des paroles d’un grand amour?... Oh! quelle heure je -me souviens d’avoir passée, un après-midi, dans le parfum des giroflées -et des roses, sous ce ciel de la côte qui me fait croire que j’ai un -corps glorieux, comme on dit dans les catéchismes, et que mon âme est -toute visible et flambante autour de ma tête, à la façon d’une auréole! -La joie divine au dehors, la pire anxiété au dedans, oui, je me souviens -de cette heure! Je voulus me promener: je prétextai le besoin de -marcher; je m’en allai vers le Cap, et, tout en fuyant, je me retournais -vers la petite agglomération qu’était le Beaulieu de ce temps-là, et j’y -cherchais, pour ne voir que lui, le toit où s’étiolait, à la première -heure de l’âge d’aimer, celle qui m’employait peut-être encore une fois -à la servir, dans le plus cruel des emplois: lui jouer au vrai--dernier -et beau divertissement--la passion amoureuse! - -Je n’allai pas loin. Quand je revins, Bernerette avait la fièvre; on -l’avait couchée; on me permit de lui souhaiter le bonsoir par la porte -entre-bâillée; elle ne me regarda seulement pas. Je crus que c’était -parce qu’elle était trop malade. Mais le lendemain elle me dit que -ç’avait été pour me bouder. - -Elle allait mieux ce lendemain-là. Sa santé était cahotée brutalement: -un jour on désespérait d’elle, un autre on n’était pas certain qu’elle -fût profondément atteinte. Je fus si surpris, si aise de voir Bernerette -à ce point changée, que j’oubliai l’heure chagrine de la veille et mes -horribles imaginations. On a pour les malades des attendrissements où -tous les sentiments se fondent dans le seul désir de voir en eux la vie -renaître. Aucune arrière-pensée toute cette belle journée. Je -m’abandonnai sans me soucier de savoir si mon expansion, mon allégresse -étaient ou non provoquées par l’habile et secret désir qu’a une femme de -se sentir aimée. - -Joë s’amusait à déchiqueter les oreilles de drap d’un malheureux pouf, -et il le faisait zigzaguer sur le parquet et sur le tapis en poussant -des grognements joyeux et dirigeant vers nous des regards si drôles que -je me mis à jouer avec lui. Je lançais le pouf du bout de ma bottine, et -Joë bondissait et l’attrapait parfois au vol par son oreille à -demi-décousue. Nous riions, moi, de l’ardeur joyeuse du chien, -Bernerette, de cela aussi et de moi-même. Madame de Chanclos nous -surprit au milieu de cette scène, et elle me la rappela plus tard pour -prouver que sa fille n’était pas alors dans un état à donner de -l’inquiétude. Je me souviens qu’elle nous dit: «Comment! vous ne -profitez pas de ce beau soleil!» et qu’elle ouvrit toutes grandes les -portes sur le jardin. - ---Mais, maman! Joë et le pouf de la propriétaire?... - -Et Madame de Chanclos elle-même donna un coup de pied dans le pouf de la -propriétaire, qu’elle envoya dehors sur une corbeille de primevères. -Qu’on juge si la gaieté était pure!... - -Bernerette se promena une heure dans le jardin. Dans ses bons jours, -elle se sentait à peine affaiblie; on la suralimentait et elle était -plus grasse qu’on ne l’avait jamais connue. Les giroflées et les -violettes embaumaient l’air; Bernerette, comme moi, aimait le poivre de -l’eucalyptus, dont on eût dit, par moments, qu’une main invisible -saupoudrait la terre autour de nous. Je me disais, en continuant de -jouer avec le chien excité: «Il n’est pas possible qu’elle soit -dangereusement malade; elle est trop jeune, trop fraîche...» Et j’allais -penser, tout comme sa mère: «Et je l’aime trop!» Oh! cher soleil! - -A la fin de cette partie, quand nous rentrâmes, Bernerette s’étendit sur -la chaise longue et parut sommeiller un instant; madame de Chanclos et -moi nous nous taisions, la croyant endormie; mais elle me dit tout à -coup, avant d’avoir rouvert les yeux: - ---Henri!... - -J’allai à elle; elle se redressa, cala des coussins autour d’elle, et -dit: - ---Asseyez-vous sur le pouf, s’il en reste, et que je vous remette un peu -votre cravate. - -Instinctivement je me retournai vers la glace, avant même de chercher le -pouf. Elle dit: - ---Non! non! Laissez-moi faire!... Et d’abord, mon pauvre ami, votre -épingle était piquée de façon à ne pas vous mener loin... Ah! vous devez -en semer... - -Elle refit le nœud de mon plastron et repiqua l’épingle. Les sommets de -la petite crête de sa main me frappèrent le menton. Elle me regarda en -souriant, le temps d’un éclair, la physionomie très heureuse. Puis elle -s’étendit de nouveau et parut sommeiller. - -Qu’est-ce que cela voulait dire? - -Je m’en allai pendant qu’elle reposait, et repris mon tramway de Nice, -malgré les instances de madame de Chanclos qui voulait m’avoir à dîner. -Le lendemain, madame de Chanclos m’attrapa dès l’antichambre. J’avais -été bien cruel de ne pas rester la veille; Bernerette en avait pleuré. - -En effet, le premier mot de Bernerette fut: «Jurez-moi, Henri, que vous -resterez ce soir!» Je jurai. Elle était encore très bien ce jour-là; pas -la moindre fièvre; un goût vif d’aller, de remuer, de jouer au soleil, -et de l’appétit comme quatre. - -Je dis à sa mère: - ---Elle est sauvée, c’est sûr! - -Madame de Chanclos me répondit: - ---Parbleu! - -Mais Bernerette, en s’asseyant sous un palmier, eut un mot inquiétant: - ---Il y a des fruits, dit-elle, que je n’ai pas goûtés, n’est-ce pas? Je -voudrais, oh! je voudrais tant mordre à tous!... - -Je souris, et feignant l’indignation: - ---Parlez-vous par parabole, Bernerette? - ---Mais non! dit-elle; voyons! un brugnon, par exemple, eh bien, -qu’est-ce que c’est que ça? Je n’en ai jamais mangé. Et il y a encore -des goyaves, des caroubes, des arbouses... bien d’autres dont je ne sais -seulement pas les noms et que je voudrais goûter... - ---Vous ferez des voyages!... Pour le brugnon, les arbouses, il ne faut -pas aller si loin!... - ---Oh! mais tout de suite! dit-elle, tout de suite... Demain? la semaine -prochaine? Non, non!... D’ailleurs, je n’y pense plus, c’est une -fringale qui m’a passé comme cela... Tout de suite!... répéta-t-elle. Si -c’est pour ce soir ou dans une heure, je m’en fiche!... - -Elle m’avait vu tout à coup si malheureux de ne pouvoir satisfaire son -désir, et peut-être en même temps de l’entendre exprimer un désir -maladif et contenant je ne sais quoi de mauvais augure, qu’elle me prit -la main et me la serra. Nous étions seuls dans le jardin, avec Joë; elle -me dit: - ---Henri! que vous me faites de la peine quand vous avez l’air -malheureux!... - ---Cela m’arrive donc? - -Elle ne dit ni oui ni non; son regard sembla fouiller des histoires -anciennes; elle prit une figure très grave. Son œil, que je suivais, -s’arrêtait, dans la représentation du passé, à des points de repère. -Enfin elle dit: - ---Oui, cela vous arrive. - -Et elle me serra tendrement la main. - -Moi, je pensais: «Elle revoit dans sa mémoire toutes les fois où j’ai -souffert par elle, et sa main qui me tient m’en demande pardon.» Et -j’avais envie de lui dire: «Mais ce n’est pas la peine de me demander -pardon! Si vous saviez seulement ce que c’est pour moi d’entendre le son -de votre voix, si vous aviez entendu comme moi les quatre petits mots -que vous avez prononcés: «Oui, cela vous arrive...», vous comprendriez -que cela me suffit, que cela efface tout!» J’étais bien sincère, l’air -qui frappait ses dents et que ses lèvres distribuaient en syllabes -toujours précipitées me causait un ravissement inexprimable... -J’oubliais réellement tout: je n’avais jamais, jamais souffert par -elle... - -Elle me dit: - ---Henri!... Henri!... - -Elle ne me regardait pas; ses yeux étaient fixés ailleurs; mais elle -tenait toujours ma main. Je fis: - ---Qu’y a-t-il? - -Je sentais en elle un tourment singulier; elle pressait ma main dans ses -mains; je crus qu’elle allait me dire quelque chose d’inespéré: par -exemple, qu’elle m’avait aimé, qu’elle m’aimait. - -Les larmes lui vinrent aux yeux et elle ne dit plus rien. - -Quand je la quittai, le soir, elle me demanda: - ---Henri, est-ce que vous seriez allé loin, tantôt, pour me chercher des -goyaves, des caroubes? - -J’eus l’air indigné qu’elle en doutât. Il lui passa, sur les lèvres -seulement, un sourire. - -De telles scènes me faisaient grand mal. Je m’en allais, le soir, les -jambes et le cœur rompus. Je l’aimais tant, que j’étais, malgré tout, -crédule; en fait, nul jeu de coquetterie n’eût été troublant comme ces -tendres réticences, ces serrements de main muets et ces larmes. - - * * * * * - -Je passai une nuit folle. Mon supplice était de me moquer de moi-même et -de me mépriser à cause des rêves trop beaux que j’osais faire. J’étais -honteux, mais insensé. J’arrivai à Beaulieu plus tôt qu’à l’ordinaire. -Mais j’avais oublié qu’il y avait ce jour-là du monde: des amis -déjeunaient; ils passèrent l’après-midi; ils rentraient à Cannes et ne -prirent qu’un train du soir pour y être à l’heure du dîner. On resta -même un peu trop tard dehors, et Bernerette toussa; elle avait eu le -tort de beaucoup parler aussi. Pourtant, elle n’avait pas eu un mot, pas -un regard particuliers pour moi... Ah! la maudite journée. - -Le lendemain, à mon arrivée, j’appris qu’elle avait eu la fièvre et -qu’elle toussait. Je crus voir une jolie bulle de savon que j’avais -moi-même soufflée un jour, et qui crevait. Bernerette! Bernerette! vous -étiez donc décidément condamnée? Tous ces beaux jours de répit, -c’étaient donc des duperies, des mensonges du beau ciel d’ici? Ah! -bouche charmante! petites syllabes précipitées! ô volupté éphémère! -Jamais, à aucun moment de ma vie, il n’eût pu m’être plus insupportable -de me voir arracher Bernerette! - -Quand je la vis sur sa chaise longue, affaissée comme du linge humide, -je crus que j’allais la serrer dans mes bras et l’emporter pour la -défendre contre cette mort qui semblait la tirer par en bas! Ma -tendresse ne put se dissimuler ce jour-là. Dès que je fus seul avec la -pauvre petite, je pris une de ses mains et j’osai la couvrir de baisers. - -En même temps, un flot de paroles arriérées me montait à la gorge, -m’étouffait et retardait le moment de lui dire que je l’avais toujours -aimée, que je l’avais tant aimée! Elle vit bien ce que j’allais lui -dire. Elle m’ôta sa main un moment pour porter un doigt à sa lèvre et -faire: «Chut!...» Et elle me rendit sa main. - -Je recommençai de baiser sa main en silence. Cette peau un peu trop -chaude!... Ces fins doigts que le soleil pénétrait!... Ces petits os -d’oiseau qu’on sentait à peine enveloppés!... Mes baisers sur cette -frêle chose, c’était ma vie, dix-huit mois contrainte, qui -s’épanouissait, fleurissait! Bernerette baissait les paupières; elle ne -me regardait pas; mais sa figure, calmée, était d’une bienheureuse. - -Nous ne fûmes pas longtemps seuls. Madame de Chanclos me dit: - ---Mais c’est vous qui êtes souffrant, mon ami; Bernerette a bien -meilleure mine que vous!... - -En effet, j’étais vert d’émotion et Bernerette gardait sa physionomie -paisible et aisée, malgré le rhume, disait-on, qu’elle avait contracté -hier soir. Le temps était toujours splendide; nous allâmes, malgré le -rhume, au jardin, après midi, et là, comme je ne pouvais lui toucher la -main avec toute l’ardeur que je n’aurais pas contenue, je la suppliai: - ---Pourtant, Bernerette, il faut que je vous dise!... - -Elle sourit et referma les yeux; puis elle me laissa dire. - -Je n’eus d’elle qu’un même mot, et elle le répéta toutes les fois que ma -confession lui découvrait les crises d’un amour si vrai et si grand, que -moi-même, à les exprimer, je frissonnais. Elle disait: «Henri!... -Henri!...» - -Nous étions, d’ailleurs, fréquemment interrompus. Sa mère passa une -bonne partie de la journée avec nous. Cependant, comme nous rentrions au -salon, emportant les pliants, Bernerette me dit tout bas: - ---Vous m’avez fait du bien! - - - - -Là-dessus survint la visite d’un célèbre médecin de passage à Nice, que -monsieur et madame de Chanclos avaient été poussés à consulter par leurs -amis de Cannes, et quoiqu’ils jugeassent la chose inutile, l’avis du -médecin de la famille suffisant bien. Le célèbre médecin commença par -interdire absolument le retour à Paris, «même en mai, même en juin, même -pour l’été, même pour l’année, et même pour deux années suivantes!» -Telles furent ses propres paroles. Ensuite, il déclara que Beaulieu non -plus n’était pas favorable, et ordonna Davos, la montagne, l’air -«intégralement pur.» Monsieur et madame de Chanclos furent atterrés; ils -vivaient persuadés que leur fille n’était pas atteinte, puisqu’on -l’envoyait dans le Midi, qui n’est pas sérieux. On l’envoyait à Davos; -ils la tenaient pour perdue. - -Bernerette, elle, accepta très philosophiquement l’arrêt, non qu’elle -eût sur l’ordonnance du séjour à Davos le préjugé de ses parents, mais -parce que,--et je croyais bien l’avoir remarqué déjà, même dans ses -jours de santé,--elle n’avait conservé aucun espoir de vivre. Je le vis -à son œil indifférent, durant toute la journée où son père et sa mère, -inaccoutumés aux épreuves, ne parvenaient pas à dissimuler leur -tourment. J’en fus, quant à moi, très bouleversé, parce qu’après les -aveux que je lui avais faits, qu’elle m’avait laissé lui faire et -qu’elle avait accueillis avec tant de bonheur, cela ne lui laisserait -donc pas de regrets, de mourir? Je lui en voulais beaucoup de sa -résignation. Mais je ne partageais ni l’alarme soudaine et exagérée des -parents, ni le calme désespoir de Bernerette. En tout cas, je devais la -quitter dans deux jours pour rentrer à Paris; et je comptais sur l’air -de Davos, comme on compte toujours sur quelque remède nouveau, ceux -d’hier étant reconnus vains. - -J’aimais tant, aussi! que je voyais uniquement l’heure présente ou celle -qui doit aussitôt la suivre; et je savais qu’il m’en restait -vingt-quatre à passer près de Bernerette, et que toutes seraient -employées à lui redire mon amour. On m’eût affirmé que, dans -vingt-quatre heures, moi-même je mourrais, qu’est-ce que j’eusse préféré -faire, sinon ce que précisément j’allais faire? et qu’est-ce que j’eusse -fait avec plus de frénésie et d’ivresse heureuse? Rien, rien. - - * * * * * - -Ces deux jours sont des plus beaux que j’aie vécus. Sans me laisser -impressionner par une destinée trop sombre, je sentais bien que la -menace en planait sur la tête de celle que j’appelais, ces deux -jours-là, enfin! «ma petite bien-aimée». Ce n’est pas pour cela que je -l’aimais davantage; mais tout de même je l’aimais mieux, et les mots, -pour lui exprimer mon amour, étaient moins retenus par cette espèce de -pudeur que j’ai à parler d’un grand sentiment. La disproportion se -trouvait diminuée entre le lyrisme élevé du cœur et la médiocre vie: des -paroles de passion y pouvaient tomber sans faire sourire celui même qui -les dit et qui les pense. - -Je m’abandonnai; j’épanchai mon cœur. Je ne souris pas. Bernerette non -plus. Elle baissait les paupières, comme la veille, et elle avait la -figure d’une petite bienheureuse. - -Elle me prenait la main, quand nous étions seuls, et elle me la serrait -tendrement. Je n’en demandais pas plus; n’était-ce pas beaucoup me dire? - -J’obtins plus, cependant! Elle me confia tout bas, quand je lui dis -adieu: - ---Personne, jamais, ne m’a dit ce que vous m’avez dit, Henri!... - -J’ai vu, tournées vers moi, à la lueur de la lampe, la petite figure -adorée, la bouche qui martelait trop vite ces chères syllabes, les deux -mains tendues! - -Madame de Chanclos m’avait précédé dans l’antichambre. Je revins sur mes -pas. Je me penchai de nouveau vers Bernerette pour lui baiser les mains. -Elle ajouta: - ---Personne ne me dira plus jamais... ce que vous m’avez dit... - -Et j’entendis qu’elle sanglotait pendant que, de l’autre côté de la -porte, je parlais à sa mère. - -Pour la vingtième fois depuis le matin, madame de Chanclos me dit: - ---Elle est perdue!... Elle est perdue!... - ---Mais non! Mais non! - -Et je citais des exemples de guérisons connues. - ---L’essentiel, disais-je,--et que les médecins négligent trop,--est de -maintenir un bon état moral... - -Madame de Chanclos me prit la main et je vis une larme au coin de ses -yeux. - ---L’état moral, il n’y a que vous qui ayez jamais su le lui maintenir -bon. Et vous allez nous quitter! Sans vous, que deviendra-t-elle? Elle -va écrire, du matin au soir, comme elle fait quand vous n’êtes pas là... - ---Elle écrit donc toujours? Mais qu’écrit-elle? - ---Toujours, depuis sa maladie. Elle écrit sur du papier à lettres; elle -enferme ce qu’elle écrit dans des enveloppes... qui ne partent pas, bien -entendu: elle ne met ni timbre ni adresse. Un jour elle en a des piles; -le lendemain, elle les fait brûler. «Mais, maman, puisque ça -m’occupe!... Mais, ce sont mes secrets, tiens!...» Ou bien elle a le -toupet de me répondre: «Ce sont des lettres pour saint Joseph, je les -ferai porter à l’église...» Non! voyez-vous, de nos jours, les jeunes -filles ne respectent ni Dieu ni parents! - -Puis elle affecta de sourire; elle était très émue, la pauvre maman; -elle eut quelques réticences, enfin elle me dit: - ---Figurez-vous... il faut bien que je vous l’avoue, j’ai cru que ces -lettres vous étaient destinées... - -Je fis un geste d’étonnement, de dénégation, de protestation. - ---Oh! reprit-elle, je l’aurais voulu, je l’aurais souhaité de tout mon -cœur! J’ai en vous une confiance absolue; vous êtes le meilleur ami de -Bernerette; j’autorise ma fille à vous écrire quand vous serez séparés; -dites-le-lui vous-même; qu’elle vous écrive, cela lui fera du bien... - -Et elle en revint à son idée, en clignant des yeux: - ---Et puis, comme cela, je crois bien que quelques-unes des lettres -qu’elle écrit iront à leur destinataire!... Ne dites pas non: vous n’en -savez rien. Les jeunes filles, voyez-vous, celles même qui se croient -audacieuses, ont bien des timidités. On griffonne du papier, on -griffonne, mais on n’envoie pas le billet; c’est un peu comme lorsque -nous crions bien haut: «Oh! à celui-ci, je vais lui dire son fait! -D’abord, je lui dirai: «Monsieur!...» Mais on ne lui dit même pas: -«Monsieur!...» On évite de le rencontrer. - -J’étais confondu; je me retirai; madame de Chanclos ne me lâcha pas la -main: - ---Et vous, répondez-lui, je vous en prie! répondez-lui sans crainte. -Elle n’écoute ni son père ni sa mère, mais ce qui vient de son ami est -comme un oracle... - ---Merci, madame! Au revoir, madame, à demain! - - - - -Ce dernier jour, ce fut Bernerette qui me pria: - ---Henri! parlez-moi comme hier... - -Et elle ne laissa perdre aucun des instants où nous nous trouvions -seuls. Je la voyais se tapir, avec un petit frémissement des épaules, -contre les coussins de sa chaise longue, comme un oiseau qui se met au -nid; elle fermait les yeux et elle était toute prête à recevoir ma -tendresse. Moi, je l’aimais trop, j’étais trop ému pour savoir parler. -Je n’ai jamais compris l’éloquence amoureuse; quand on aime, on dit plus -par ce qu’on ne dit pas que parce qu’on exprime. J’étais gêné aussi -parce que, quand on dit qu’on aime, on parle surtout du passé. On dit -combien, à tel moment, on a aimé, comment on a aimé tel jour: «Oh! tel -jour, vous souvenez-vous? vous portiez une robe bleue?...» C’est -toujours la même chose! Et le passé, c’était ma souffrance muette, ma -jalousie. Je ne voulais pas parler de l’autre; je sentais que je -commettrais une grande faute en parlant de lui. Mais j’aimais tant, que, -parmi mes mots embarrassés et sincères, quelques-uns la touchaient, la -pénétraient et semblaient vraiment l’inonder d’un bien-être inconnu -d’elle. - -Je m’enivrais moi-même, peu à peu, du bonheur que je semblais répandre, -et je me souviens que je compris, un moment, que je serais capable, si -cela continuait, de dire plus de paroles que je ne voulais et de les -arranger plus adroitement, pour produire sur cette figure chérie un plus -long ou un plus vif contentement. En pensant à cela, je m’en attristai -et je m’arrêtai de parler. - -Je dis à Bernerette: - ---Oh! regardez-moi! - -Elle s’arracha d’un rêve et m’ouvrit ses yeux. Mais ce n’étaient pas -ceux de la figure bienheureuse qu’elle faisait quand elle baissait les -paupières. J’en éprouvai un malaise soudain, incertain, indéfinissable, -qui me fit lui demander, comme un secours pressant: - ---Oh! Bernerette! dites-moi quelque chose, vous! - -Elle me dit gentiment, tendrement: - ---Henri! - -Mais c’était du ton dont elle me disait si souvent: «Vous êtes mon -meilleur ami...» Je faillis pleurer. Je tenais sa main dans la mienne; -je me mis instinctivement à la baiser avec frénésie; et puis j’eus envie -de baiser le bras, sous la large manche, et plus, si c’était possible. -Ma main enveloppa ce bras, en pressa la chair; et cela éteignit tout à -coup l’éclair qui m’avait secoué. La lueur avait été tellement rapide -que si la commotion en persista en moi, je ne me souvins plus de sa -cause. Un peu plus tard, quand j’y repensai, je l’attribuai au -changement de temps brusque qui se produisit peu après, qui nous -interrompit et nous occupa assez niaisement le reste du jour. La mer -avait noirci tout à coup au large; on avait vu une barre sombre -approcher de la côte, deux barques de pêche regagner Nice en amenant -leurs voiles, les arbres du Cap se coucher alors que l’air était -parfaitement calme autour de nous, puis, comme nous nous dépêchions de -rentrer les chaises, la guérite d’osier arrivait toute seule à mi-chemin -de la maison, plus vite que nous: c’était le mistral, qui ne fit plus -relâche. Et chacun répéta, jusqu’au soir: «C’est tant mieux, car on -regrettera moins de quitter ce pays par un mauvais temps.» - -Dans la soirée, Bernerette me dit, à part: - ---Je vous demande pardon, Henri, de vous avoir quelquefois fait de la -peine: mais je ne savais pas!... Vous auriez dû me parler plus tôt! - -Comme je ne répondais pas, elle ajouta: - ---Moi, je vous remercie... C’est si bon! si bon, de se sentir aimée! - -Je m’écriai: - ---Quand on aime! - -Elle ne répondit point à cela. Elle reprit: - ---Quand je pense que j’aurais pu mourir sans avoir entendu les choses -douces... les choses si douces... que vous m’avez dites!... - -Elle se tut une minute. On entendait les rafales au dehors et une -branche d’eucalyptus qui fouettait la persienne. Je répétai, un peu -bêtement, mais poussé par la force de l’instinct: - ---Je vous aime, tant!... tant!... - -Elle referma ses paupières, comme elle l’avait fait si souvent pendant -ces deux derniers jours, et elle dit: - ---Que cela doit être délicieux! - -Ce furent les derniers mots échangés entre nous deux seuls, parce qu’un -domestique vint m’avertir que l’heure d’aller à la gare était sonnée. -Ces derniers mots ambigus, que je n’avais pas le temps d’éclaircir, qui -contenaient, à ce qu’il me semblait, de quoi me réjouir ou de quoi -m’alarmer à jamais, je les emportai comme la relique suprême que nous -laisse le plus souvent une femme: comme une énigme insoluble, -déchirante. - -Si elle m’eût aimé, elle eût dit: «Que cela _est_ délicieux!» - -Mais peut-être pensait-elle: «Que cela _doit_ être délicieux de -s’entendre dire: «Je vous aime!» quand on espère l’entendre encore le -lendemain!» - -Mais ne pensait-elle pas: «Que cela doit être délicieux... même sans -espoir de lendemain, quand cela vient de celui qu’on aime?...» - -J’eus de quoi méditer et ne pas dormir. - - * * * * * - -Mais une anxiété plus longue me fut épargnée par la malheureuse enfant -qui, en tout cela, avait enduré un supplice pire que le mien. -Quarante-huit heures après mon retour à Paris, je recevais de Beaulieu -un télégramme où l’on m’informait que Bernerette, «toujours imprudente», -était atteinte d’une fluxion de poitrine. Cette maladie aiguë, jointe à -son état de santé si grave, c’était la dernière heure de Bernerette, -désignée du doigt sur le cadran. - -Cela traîna pourtant une semaine. Je ne sais si elle me parut longue, -parce que j’attendais en espérant quand même, ou si elle me parut -courte, parce que le dénouement ne me trouva pas préparé. Je piétinais; -rien ne m’autorisait à partir afin de revoir un instant encore -Bernerette; on ne m’en priait point: c’était donc que Bernerette ne me -réclamait pas. Enfin l’on m’informa tout à coup de l’heure où le convoi -funèbre entrerait à la gare de Lyon! - -Je clignai des yeux comme on fait lorsque la foudre tombe. - -Et puis, taisons-nous. - - - - -Quelques jours plus tard, me trouvant seul, dans le petit hôtel du -Ranelagh, avec les parents vieillis, abîmés, terrorisés comme au soir -d’une émeute sanglante, madame de Chanclos me fit monter à sa chambre. -Il y avait là, sur une table, le petit pupitre fermant à clef, dont -usait Bernerette à Beaulieu; je le reconnus tout de suite. Madame de -Chanclos vit que je regardais le pupitre, et aussitôt elle se mit à -pleurer, à sangloter. Elle s’assit, puis s’essuya les yeux, se calma un -peu. Je m’étais détourné, et je pleurais, moi aussi, en regardant par la -fenêtre sans rien voir. La pauvre mère s’approcha de moi, me prit les -deux mains comme dans l’antichambre de la villa Cynthia et me dit: - ---Permettez-moi de vous embrasser, Henri! - -Elle m’embrassa, et les sanglots redoublèrent. Elle n’y voyait pas pour -ouvrir le petit pupitre, et sa main tremblait trop pour introduire dans -la serrure la clef minuscule. Elle disait: - ---Je l’ai pourtant ouvert ce matin... - -Je lui offris mon secours, qu’elle accepta: - ---D’ailleurs, Henri, c’est à vous! - -Il y avait dans ce pupitre un fouillis d’objets ayant appartenu à -Bernerette, et que nous connaissions trop, et dont la vue en ce moment -était extrêmement douloureuse: son porte-monnaie, ses plumes, ses -crayons, des morceaux de pastels qui salissaient tout, un éventail -offert gracieusement par le casino de Monte-Carlo, un mouchoir ourlé en -fil rose, enfin du papier à lettres, des enveloppes. L’une d’elles, -au-dessus de tous les papiers, portait mon nom. - ---Vous voyez!... dit madame de Chanclos. - -Elle ajouta: - ---Celle-ci vous reste; mais toutes celles qu’elle a brûlées!... Elle a -dû se lever, une des dernières nuits, pendant une courte absence de la -garde, car il y en avait une pile là, dans le coin à gauche, sept ou -huit au moins, j’en jurerais... - -Elle remuait les enveloppes et le papier à lettres, pendant que -j’ouvrais, moi, l’enveloppe portant mon nom, et lisais ces seuls mots, -écrits à la hâte: - - Henri, - - Adieu, mon meilleur ami! - - BERNERETTE. - -Madame de Chanclos me dit: - ---Tenez! encore une!... - -C’était une enveloppe close, et assez lourde, sans adresse. Je fis -observer à madame de Chanclos qu’il n’y avait pas d’adresse. Elle me -dit: - ---Allez! ouvrez, mon ami! - -Cependant, je m’aperçus que cette enveloppe portait, au revers, et dans -un coin, le seul mot: _lui_. - -Je dis à madame de Chanclos: - ---Voyez donc cela. - -Elle lut «_lui_»; elle eut presque un sourire et me dit avec une -complète confiance: - ---Eh bien? - -J’ouvris. La lettre était longue, celle-là! Mais je ne lus que les -premiers mots: - - Claude!... Claude!... - -Comme tout tournait autour de moi et comme je cherchais à m’asseoir, -madame de Chanclos tenait à me répéter: - ---Elle en a brûlé cinquante pareilles!... - -Cependant, je ne voulais pas demeurer paré à ses yeux d’un prestige qui -ne m’était pas dû; je dis à madame de Chanclos: - ---Les cinquante n’étaient pas pour moi, ni celle-ci. - -Et je lui tendis la lettre. Elle dut, elle aussi, s’asseoir, après avoir -pris connaissance des premiers mots; puis elle poussa des exclamations. -Elle disait: «Ah! mon Dieu!...» Elle s’interrompait de lire, et ses deux -bras tombaient sur ses genoux; le papier même lui échappa, et la -politesse voulut que je vinsse le ramasser et le lui rendre. Elle -s’écriait: «Oh! le cœur!... le cœur de nos enfants!...» - -C’était sa nouvelle méprise qui la stupéfiait et l’absorbait. Elle ne -songea pas à me dire, elle non plus: «Mais vous! malheureux, qui avez pu -vous croire aimé d’elle!...» Je l’excusai de ne pas penser à cela, en -des moments si troublés. - - - - -Et après, je m’en allai, parce que je sentais, à d’imperceptibles -détails, que depuis que l’on connaissait la lettre destinée à _lui_, ma -présence, dans la maison déjà, devenait moins agréable. - - -FIN - - -345-18.--Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.--7858-5-18. - - - - -DERNIÈRES PUBLICATIONS - -Format in-18 à 3 fr. 50 le volume - - - Vol. - GABRIELE D’ANNUNZIO - Francesca da Rimini 1 - DOCTEUR BARTHEZ - La Famille Impériale à St-Cloud et à Biarritz 1 - RENÉ BAZIN - Nord-Sud 1 - JEAN BERTHEROY - Les Tablettes d’Erinna d’Agrigente 1 - RENÉ BOYLESVE - Madeleine Jeune Femme 1 - BARONNE A. 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Hart was the originator of the Project -Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be -freely shared with anyone. For forty years, he produced and -distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of -volunteer support. - -Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in -the U.S. unless a copyright notice is included. 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You may copy it, give it away or re-use it under the terms -of the Project Gutenberg License included with this eBook or online -at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. 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Un hasard m’y a mené -tantôt ; j’accompagnais un ami ; nous -causions ; je levais les yeux à peine ; -pourtant je crois bien avoir aperçu la -pelouse du tennis, le tramway qui grince -en tournant vers la Muette, et le jeu de -bagues. Tout à coup, nous sommes arrêtés -par un sol boueux, creusé d’ornières -dégoûtantes, et mon compagnon me dit :</p> - -<p>— Tiens ! c’était là l’hôtel des Chanclos !… bon Dieu ! -comme tout passe !…</p> - -<p>Il fallut donc s’arrêter là, d’abord pour -tourner la boue, et puis pour voir ce qui -est maintenant à la place de l’ancienne -habitation des Chanclos. Une sorte de -palais monumental a dévoré le joli hôtel -du baron de Chanclos et son voisin, celui -de la princesse V*** ; et les arbres admirables -des deux parcs, ces beaux platanes, -ces marronniers, ces vieux ormes -tordus, ces érables d’argent, dont le feuillage -se diversifiait si gaiement même -avant l’automne, un boulingrin solennel -et plat en a rasé la forêt, la gaieté, la -fantaisie colorée et l’agréable ombrage, -pour découvrir, en noble perspective, au -bout du jardin français, une fontaine, -elle aussi monumentale, et copie de Versailles. -Enfin, il ne reste rien du passé, -que nos souvenirs ; et, puisque sous notre -régime de bouleversements rapides, la -chose écrite seule a quelque chance de -se faufiler entre les décombres et les -murs nouveaux, je veux essayer d’évoquer -à la place de ce qui est aujourd’hui, -ce qui n’est plus et qui, il n’y a pourtant -pas de cela dix ans, était la jeunesse, -la vie charmante, la plus riante promesse -d’avenir. « Bon Dieu ! comme tout -passe !… »</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="II"></h2> - -<p>C’est la voix de Bernerette de Chanclos -qui me frappe avant toute chose au -moment où je me penche sur ce trou -déjà obscur qu’est une dizaine d’années -en arrière. Je l’entends, sous les marronniers -garnis de feuilles nouvelles… C’était -une voix qui, vers la quinzième année, -avait pris je ne sais quel timbre à la fois -argentin et grave, laissant, après coup, -une résonance comparable à celle de certains -angélus frais et mélancoliques, -qu’on n’entend que dans la campagne à -la tombée du jour : quand Bernerette -avait parlé, comprend-on cela ? ce n’était -pas fini ; elle avait projeté dans l’atmosphère -quelque chose d’exquis, et qui -voletait ou demeurait là, en suspension, -comme des vapeurs ou des parfums. Et -cette voix n’était pas juste dès que l’on -essayait de l’employer pour le chant, -c’est assez étrange ; et Bernerette avait, -en outre, un petit défaut de prononciation, -un besoin de manger quelques syllabes, -comme si elle eût été pressée, la -pauvre petite, et comme si les mots lui -eussent paru trop longs pour le peu de -temps qui lui était donné. Ce défaut-là -pouvait bien être un charme. J’entends -cette voix sous les marronniers !… J’arrivais, -en familier de la maison, et Bernerette -me criait de loin :</p> - -<p>— Henri ! Henri ! il y a du nouveau : -nous nous costumons le 23 !</p> - -<p>Tout est fini. La voix joyeuse qui a -résonné ainsi sous les marronniers ne -résonnera plus nulle part ; et les marronniers -qui en ont arrêté les vibrations -pour les garder plus délicieuses, sont -dépecés et brûlés. Oh ! la petite torture -subtile et savante qu’est un instant précis -d’autrefois qui apparaît en fantôme !</p> - -<p>Je me souviens qu’après m’avoir annoncé -la soirée, Bernerette empoigna un -bout de chien loulou nommé Joë, qu’elle -avait, et, le tenant par les pattes de -devant, elle lui fit faire prestement trois -tours de ronde. Je voulus être de la -partie ; je saisis une main de Bernerette -et une patte de Joë, et nous tournâmes -jusqu’à ce que le chien se fâchât.</p> - -<p>J’avais vingt-cinq ans, Bernerette dix-neuf. -Je n’étais pas trop gai de ma nature ; -elle non plus ; mais la perspective d’un -bal costumé a des vertus qu’on cherche -en vain à approfondir : notre désir d’être -ou de paraître différent de ce que nous -sommes suffit peut-être à en expliquer -l’attrait considérable chez la plupart -des femmes et des hommes.</p> - -<p>Elle se mit aussitôt à me parler de ce -bal costumé et me dit que sa mère avait -invité et fait inviter « des quantités de -gens », jusqu’à des inconnus, pour danser. -Elle sourit finement en disant « des -inconnus », parce qu’elle avait un goût, -peut-être excessif, de l’imprévu, de la -chose nouvelle, et je la taquinais là-dessus -quelquefois :</p> - -<p>— Vous êtes lasse de vos amis, Bernerette ; -vous en voudriez d’autres !…</p> - -<p>— Non ! disait-elle. Mais le prince -Charmant, dame ! pour qu’il se présente, -il faut bien que les portes soient ouvertes !</p> - -<p>Elle ne songeait pas le moins du monde -à me faire mal, en disant cela. Hélas ! je -ne prétendais pas à jouer jamais le rôle -de prince Charmant : il y avait si longtemps -que j’étais l’ami de Bernerette ! -A présent, quand je recueille les souvenirs -de ce temps-là, je m’aperçois que -moi, j’aimais Bernerette. Mais je ne le -croyais pas. On peut aimer sans savoir -qu’on aime : c’est que, pour nous cacher -un sentiment inopportun, l’esprit recourt -à des ruses merveilleuses. Dépourvu du -bandeau qui m’aveuglait, est-ce que j’aurais -pu approcher Bernerette deux fois -la semaine sans faire la figure d’un jeune -homme aspirant à sa main ? La main de -Bernerette, non vraiment, je n’y pensais -pas ! Je n’étais qu’un petit avocat, débutant -et quelconque. Mademoiselle de -Chanclos était ce qu’on appelait encore -dans ce temps-là un « très beau parti ». -Aussi il fallait voir comme j’avais le cœur -léger, comme je badinais, riais, soulevais -les épaules lorsqu’il s’agissait de ces -passions auxquelles on fait allusion dans -les saynètes et dans les pièces de vers -fameuses que l’on récite dans les salons -ou que l’on chante au piano ! D’être -jamais épris, moi, ah ! non, je ne courais -pas risque que l’on me suspectât ! Pour -moi-même comme pour tout le monde, -ah ! que j’étais donc un garçon tranquille !…</p> - -<p>Comme Bernerette disait avoir choisi -pour elle, à ce bal, le costume de <i>la -Finette</i> de Watteau, je m’écriai :</p> - -<p>— Bravo ! vous me donnez une idée !</p> - -<p>— Laquelle ?</p> - -<p>— Je serai, moi, <i>l’Indifférent</i> !</p> - -<p>Madame de Chanclos descendait à ce -moment les marches du perron ; elle -m’entendit et dit :</p> - -<p>— Voilà qui vous ira bien.</p> - -<p>Et le bal eut lieu le 23. Je ne le vis -guère. J’y fus de très mauvaise humeur -et le quittai rapidement. C’est ce soir-là -qu’il m’apparut que je n’avais de vrai -plaisir qu’auprès de Bernerette. Bernerette -se prodiguant à tous ne fut pas à -moi deux minutes. Elle avait beaucoup -de succès avec son toquet, son pli Watteau, -sa guitare ; il y avait ce qu’on a -raison de nommer un monde fou ; des -jeunes gens nombreux, des danseurs en -quantité suffisante ; et <i>la Finette</i>, c’est-à-dire -la grâce, la fantaisie, l’esprit, la -chanson qui fait rire et pleurer, passait -et repassait des bras d’un mousquetaire -encombrant à ceux d’un long imbécile -d’arlequin ; des bras d’un Incroyable à -ceux d’un Roméo ; des bras d’un nègre -authentique, en roi mage, hideux, à ceux -d’un magnifique lancier de Nemours, -beau, svelte et grand garçon, qui vint à -moi, après un quadrille, et me dit en me -tendant la main :</p> - -<p>— Mes compliments, mon cher, tu es -joliment bien dans la maison : nous -avons causé de toi tout le temps, mademoiselle -de Chanclos et moi…</p> - -<p>Je n’avais pas reconnu en lui un ancien -camarade de lycée, Claude Gérard. A -peine avions-nous échangé quatre mots, -qu’une Junon le réclamait, et je vis que -plusieurs femmes le suivaient des yeux. -Peu après, Bernerette valsait avec un -homme masqué par une tête de veau. Je -m’en allai. Devina-t-elle, je ne sais comment, -ma retraite ? La voilà qui échappe -à ce monstre et qui court à moi :</p> - -<p>— Henri ! Henri ! vous partez ?</p> - -<p>Je remontai quatre marches pour la -saluer. J’étais heureux qu’elle me retînt. -Quand je fus près d’elle, elle posa sa -main près de sa bouche, pour parler bas, -et moi je souriais niaisement parce -qu’elle s’apprêtait à ne parler qu’à -moi seul. Elle me dit, pour moi seul en -effet :</p> - -<p>— Qui est-ce, dites, le lancier avec le -plastron jaune ?… il vous connaît ; nous -avons parlé de vous tout le temps !…</p> - -<p>— Il se nomme Claude Gérard.</p> - -<p>— Je le sais, parbleu ? On me l’a présenté, -peut-être ! mais qui est-ce ?</p> - -<p>— C’est un joli garçon !</p> - -<p>— Vous faites exprès de me faire enrager. -D’ailleurs, ce que je vous demande -là, je m’en moque, vous pensez !… -Alors, vous vous en allez, Henri ?</p> - -<p>— Oui.</p> - -<p>— Allons vous n’êtes pas gentil !</p> - -<p>Je lui dis adieu : je descendis quelques -marches ; mais elle demeurait penchée -sur l’escalier. Je pouvais bien croire -qu’elle était fâchée de me voir si tôt partir. -Alors je me retournai vers elle et lui -souris encore aussi niaisement que la -première fois. Tout à coup, je sentis -comme un démon qui m’obligea de dire -à Bernerette :</p> - -<p>— Je vous donnerai des détails sur -Claude Gérard !</p> - -<p>— Ah ! fit-elle.</p> - -<p>Et je vis dans son œil que c’était cela -même qu’elle attendait, penchée sur la -rampe.</p> - -<p>— Mais, dites-moi tout de suite, reprit-elle, -c’est un jeune homme qu’on peut -recevoir ?…</p> - -<p>— Sans travestissement ? Mais oui, Bernerette !</p> - -<p>Elle n’insista plus pour me retenir ; -elle quitta l’escalier et disparut.</p> - -<p>Je rentrai chez moi à pied, par le plus -long. Je marchai beaucoup, cette nuit-là. -Dieu ! qu’il faisait beau sous ces allées -du Ranelagh, voûtes de verdure, silencieuses -et profondes ! Comme un petit -hôtel, environné d’un jardin, a l’air de -bien dormir !… Les maisons, dans la rue, -le passant les frôle, il les touche et il -semble un peu qu’il leur marche sur les -pieds ; mais derrière ces grilles, ces haies -de fusains et ces plates-bandes gazonnées, -sombre velours si pur, les petits hôtels -ont un sommeil abrité, heureux, et qui -fait du bien au passant. Leur paix et la -fraîcheur nocturne me retinrent, — je le -croyais du moins, — et je fus près d’une -heure à faire les cent pas dans le Ranelagh.</p> - -<p>Et puis, quelques journées passées, du -travail, des soucis d’autre sorte atténuèrent -le malaise de cette soirée. Je ne -pensais pas trop aux mousquetaires, aux -arlequins, aux nègres ni au lancier de -Nemours, lorsque, avant même d’avoir -revu Bernerette, je me trouvai nez-à-nez, -sur le boulevard des Capucines, avec l’ex-lancier -en personne, Claude Gérard. Il -m’aborda avec bonne humeur et franchise :</p> - -<p>— Ah ! bien, mon vieux, la drôle de -chose ! On reste dix ans sans se croiser -seulement dans la rue, et voilà deux rencontres -dans la même semaine !…</p> - -<p>— La vie a plus de fantaisie que les -hommes.</p> - -<p>— Te souviens-tu du père Passereau ?</p> - -<p>C’était notre commun professeur de -rhétorique. Et les souvenirs de lycée -affluèrent. Nous fûmes, sans nous être -aperçus du chemin, sur la place de la -Concorde. Gérard ne me dit mot de la -soirée du Ranelagh ; je n’y fis moi-même -aucune allusion ; il semblait bien aise de -me revoir ; il parlait avec abondance et -sans m’ennuyer, je l’avoue ; je jugeai tout -de suite qu’il était demeuré le brave garçon -que j’avais connu sur les bancs. Il -était vraiment joli homme ; je le voyais -bien au regard des femmes qui allaient à -lui comme les papillons du soir à la -lumière ; mais lui ne semblait pas y prendre -garde ; il n’en tirait aucune vanité ; il -était accoutumé, sans doute, à ces hommages -muets des inconnues ; peut-être en -était-il las.</p> - -<p>Comme nous inclinions vers le boulevard -Saint-Germain, en face du Palais-Bourbon, -une jeune femme, d’une beauté -célèbre, portant une des premières toilettes -printanières, passa dans une victoria -découverte et donna à mon compagnon, -le temps que les chevaux ralentissaient -au tournant, ses yeux splendides ; -tout autre homme en eût été affolé. Je ne -pus me retenir de le lui faire remarquer. -Il sourit. Je lui dis :</p> - -<p>— Tu sais qui est cette femme ?</p> - -<p>Il ne le savait pas. Je la lui nommai. Il -me dit :</p> - -<p>— J’ai une amie que je te présenterai si -tu me fais l’amitié de venir un soir dîner -chez moi sans cérémonie.</p> - -<p>Est-ce que l’appréhension que j’avais -eue lors du bal costumé n’était pas -absurde ? Voyons ! Pour deux simples -questions de Bernerette : « Ce jeune -homme, quel est-il ? Et peut-on le recevoir ? » -voilà mon esprit et mon cœur en -campagne, et je passe une nuit blanche à -marcher comme un homme trahi !… Que -ce jeune homme eût plu à Bernerette, -quoi d’extraordinaire à cela ? D’autres -jeunes gens, à ma connaissance, déjà -précédemment avaient plu à Bernerette. -Quant à Claude Gérard, il ne m’avait -même pas parlé d’elle ; les femmes lui -étaient assez indifférentes ; il avait une -maîtresse qui les devait éclipser toutes, -c’était évident. J’allais la connaître.</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="III"></h2> - -<p>Je dînai au Ranelagh avant d’aller chez -Claude Gérard. Là, il ne fut parlé que de -la soirée, mais de Claude Gérard à peine. -On l’avait trouvé bien ; il avait fait honneur -au bal costumé, oui, mais d’autres -jeunes gens aussi. Allons ! ce n’était pas -celui-là encore qui « nous » ravirait Bernerette ! -Et je pensais ce « nous » un peu -comme l’eussent fait monsieur ou madame -de Chanclos, peu pressés, cela va sans -dire, de marier leur enfant unique. Ce fut -d’un ton bien dégagé, vraiment, que je -dis à Bernerette, pour m’acquitter de -ma promesse :</p> - -<p>— Je vais vous donner les quelques détails -annoncés sur ce monsieur Gérard !…</p> - -<p>— Donnez ! dit-elle.</p> - -<p>— Eh bien ! c’est un auditeur au Conseil -d’État : il est sérieux, intelligent, de -bel avenir…</p> - -<p>— Tant mieux pour lui !</p> - -<p>— De famille provinciale… fortune -modeste, au moins d’apparence, mais…</p> - -<p>— Que voulez-vous que cela me fasse ?…</p> - -<p>— Ses mœurs sont pures, autant que -j’en ai pu juger en me promenant avec -lui, pour vous complaire, de la Madeleine -à l’Odéon…</p> - -<p>— Merci mille fois !</p> - -<p>— Ah ! j’oubliais : officier de réserve, -2<sup>e</sup> dragons…</p> - -<p>— Mais je m’en moque !…</p> - -<p>— Bon ! Très bien. Ne parlons plus de -lui.</p> - -<p>— Ah ! vous savez que maman l’a -réinvité ?…</p> - -<p>— Parfait !</p> - -<p>— Qu’avez-vous ?…</p> - -<p>— Rien du tout.</p> - -<p>Elle paraissait plus animée que de -coutume ; elle parlait beaucoup ; elle sautait -dans les allées du jardin, comme cinq -ou six ans auparavant, lorsqu’elle était -encore une fillette. Que le pauvre Joë fut -donc bousculé !</p> - -<p>Il y avait une chaumière rustique au -fond du jardin, que l’on éclairait le soir -au moyen d’une grosse lanterne vénitienne -arrondie en ballon et de la couleur -d’une orange. Assis dans des fauteuils -d’osier, monsieur et madame de Chanclos, -quelques amis et moi, nous regardions -jouer Bernerette et son chien.</p> - -<p>— Je ne sais pas ce qu’elle a, dit sa mère.</p> - -<p>— Elle est jeune, dit un ami de la famille.</p> - -<hr /> - - -<p>Je reverrai longtemps cette danse à la -lueur orangée de la lanterne. Je la trouvais -insolite, quoique Bernerette eût -coutume de s’agiter ainsi parfois avec le -pauvre Joë, et il n’y avait pas si longtemps, -n’avions-nous pas dansé, Bernerette, -Joë et moi-même, à l’annonce de -« la soirée du 23 » ! Il ne faut qu’un peu -de mélancolie pour voir plus profondément -dans les scènes d’apparence ordinaire. -Je n’en manquais pas sans doute, -et il me sembla que Bernerette, en s’agitant, -abandonnait tous les mouvements -de la jeunesse insouciante et pure ; elle -secouait ses bras, ses jambes, son jeune -corps si souple, et j’en voyais tomber un -à un les derniers gestes puérils, qu’une -grâce, une langueur nouvelles remplaçaient -à mesure en embarrassant peu à -peu l’enfant métamorphosée en femme. -Je me souviens d’un rien : après avoir -sauté sur la pelouse, par-dessus Joë, elle -porta la main à son sein qu’elle avait -senti vibrer, et aussitôt elle fut un peu -gênée et s’assit. Ses tempes étaient moites, -ses beaux cheveux d’un blond d’or penchaient -d’un côté, et elle les empoigna -pour les remettre d’aplomb. A ce -moment, je vis pour la première fois -sous ses yeux une presque inappréciable -cernure dont la courbe alliée au dessin -du nez donnait à sa physionomie un air -de gravité surprenant ; et son bras levé, -sa gorge saillante et sa bouche entr’ouverte -me troublèrent.</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="IV"></h2> - -<p>J’allai quelques jours après chez -Claude Gérard. Ah ! la singulière émotion -que la mienne ! Est-ce que je haïssais ce -Gérard ? Est-ce que je n’éprouvais pas un -certain plaisir à l’approcher, à le connaître ?</p> - -<p>Il habitait un petit appartement, rue -de Vaugirard, entre la rue Bonaparte et -le musée du Luxembourg, dans une -maison vieillotte, à porche vénérable et -belle cour. On grimpait tout en haut. -Une bonne proprette m’introduisit dans le -« bureau de monsieur », bureau, ma foi, -fort bien, avec bibliothèque vitrée contenant -la rigide collection du <i>Dalloz</i>, -pendule familiale de zinc doré, photographies -de gens intègres et de professeurs -en robe ; des codes partout, et la -<i>Gazette des Tribunaux</i>. Quel sérieux ! -Non, rien, rien vraiment, d’un séduisant -jeune homme de vingt-sept ans !</p> - -<p>Claude parut et me dit aussitôt :</p> - -<p>— Que je t’avertisse : motus, devant -mon amie, sur la soirée chez les Chanclos… -A propos, ces gens sont bien -gentils : ils me bombardent d’invitations… -Pendant que nous sommes seuls, -donne-moi un avis : dois-je accepter ?</p> - -<p>— Drôle d’avis ! n’es-tu pas d’âge à -savoir ?…</p> - -<p>— Je veux dire tout simplement : -« Est-ce une maison où l’on se rase ? »</p> - -<p>— Ce n’est pas non plus une maison où -l’on s’amuse. Le père et la mère, tu as pu -en juger, même sous le travestissement, -ne sont pas ce qu’on appelle de « joyeux -fêtards ». On lit chez eux la <i>Revue des -Deux Mondes</i>, et l’on fait maigre le vendredi.</p> - -<p>— Tu comprends, dit-il, moi, si je vais -dans le monde, j’aime que ce soit pour -me détendre un peu.</p> - -<p>Je souris, non sans inquiétude. Qu’appelait-il -« se détendre », puisqu’il vivait -librement chez lui, en garçon, avec sa -maîtresse ?</p> - -<p>Deux jeunes gens entrèrent : l’un était -son collègue au Conseil d’État, l’autre un -élève de l’École des sciences politiques. Ni -l’un ni l’autre, pas plus que Gérard, -d’ailleurs, n’avaient cette attitude gourmée -ou fate que l’on prête volontiers à -ces messieurs des doctes écoles ou des -corps imposants de l’État : ils semblaient -d’assez gais compagnons même, mais ils -mirent une sourdine à leurs propos et -rectifièrent leur tenue quand la jeune -femme, qui jouait ici le rôle de maîtresse -de maison, entra. Ils la connaissaient ; -lui serrèrent la main. On me présenta :</p> - -<p>— Isabelle !</p> - -<p>Isabelle n’était ni jolie ni très jeune. -C’était une femme menacée d’embonpoint, -les cheveux teints, la figure et la bouche -assez fraîches. On ne savait si elle était -timide ou guindée ; elle ne semblait pas -à son aise ; et les deux amis et Gérard lui-même -avaient je ne sais quoi de bien -compassé depuis qu’elle était là. On se -fût cru chez un ménage bourgeois, où la -femme, peu habituée au monde, fait cent -efforts pour donner à entendre qu’elle sait -vivre. Jamais repas ne fut plus digne, -jamais propos ne furent plus décents et -plus mesurés. Je fus tenté plusieurs fois -de dire à Gérard : « Les Chanclos, non, -non ! ne sont pas une maison où l’on -se rase. » Car je comprenais qu’il s’y fût -« détendu ». On était chez eux beaucoup -plus libre que chez lui.</p> - -<p>Quantité de sujets de conversation évidemment -gênaient Gérard et Isabelle. Le -nom d’un certain café du quartier Latin, -jeté par moi, répandit un froid ; le nom -d’un bal public parut disgracieux à -entendre ; enfin, il n’y avait pas jusqu’à -ce merveilleux jardin du Luxembourg, -qui s’étalait non loin de là et dont l’on -voyait par la fenêtre un angle de verdure, -qui ne rappelât sans doute quelque -mystère douloureux au ménage. Il y eut -un soulagement quand, de retour dans la -glaciale bibliothèque, ces messieurs du -Conseil d’État et de l’École des sciences -politiques abordèrent des questions d’ordre -administratif. J’eus un aparté avec -Isabelle.</p> - -<hr /> - - -<p>Comment avais-je gagné sa confiance ? -Elle me laissa entendre qu’elle menait -plusieurs vies superposées, dont la plupart -dissimulées soigneusement à Gérard. -Aucun des amis de Gérard, j’en eusse -juré, n’ignorait ce que j’apprenais là. -Isabelle avait un besoin inextinguible de -narrer sa propre histoire à tout venant. -Et d’ailleurs, prenant ainsi les devants, -et vous gagnant par ses confidences, -elle obviait aux rapports qu’un ami -étourdi peut faire : « Tiens ! j’ai rencontré -l’autre jour Isabelle avec un grand -brun », ou bien : « Ah çà ! Isabelle a -donc de la famille à Saint-Germain ? » -Mais elle n’était point du tout habile ; -elle ne gouvernait pas le moins du monde -sa parole ; elle savait son défaut, et c’est -à cause de cela qu’elle adoptait devant -Gérard cette tenue austère, ces propos -neutres, cette attitude de personnage -officiel, qui nous avaient incommodés -pendant la première partie de la soirée, -mais qui ne semblaient pas déplaire à -Gérard, car si Gérard aimait à se -« détendre » chez les autres, il était -flatté que l’on pût dire que chez lui, -même en ménage irrégulier, on se tenait -très comme il faut.</p> - -<p>Je ne causais pas depuis trois minutes -avec Isabelle, qu’elle me disait avoir -perdu un enfant qui aurait aujourd’hui -sept ans, que ce pauvre petit s’appelait -Gustave, qu’il était si joli que son père -aurait certainement fait tôt ou tard pour -lui ce qu’il n’aurait pas fait pour la maman :</p> - -<p>— Oui, monsieur, il me l’avait promis ; -c’était bien dans son idée de régulariser… -Là-dessus, pan ! voilà cette malheureuse -scarlatine…</p> - -<p>Le chagrin d’Isabelle durait encore ; -elle s’oubliait ; je crus qu’elle allait -pleurer et j’en étais un peu gêné, car -Gérard, ou les deux amis tout au moins, -n’allaient pas manquer de penser qu’Isabelle -me parlait déjà de son petit. Elle -soupçonna ma crainte, elle me dit :</p> - -<p>— Claude le sait ; je ne lui ai rien -caché… Même qu’il m’a proposé, le Jour -des Morts, de m’accompagner sur la -tombe, au cimetière Montparnasse. Ça, -non, je ne l’ai pas voulu. Pensez donc, si -le père avait eu, lui aussi, l’idée d’y aller !…</p> - -<p>— Et il l’a eue probablement, puisqu’il -aimait tant son fils !…</p> - -<p>— Oui, oui, monsieur, il l’a eue, vous -pouvez m’en croire. Il n’a pas tenu toute -sa parole, non, et en cela, il est fautif, -mais je ne laisserais pas dire de lui que -ce n’est pas un homme de cœur, et bon, -et généreux…</p> - -<p>Évidemment Isabelle n’avait pas cessé -toutes relations avec le père de son -enfant. Isabelle me dit, sans plus de -transition :</p> - -<p>— Pour ça, Claude n’en sait rien, par -exemple. Il est d’un jaloux ! Quoique -l’autre ne soit plus de la première jeunesse…</p> - -<p>— C’est que Claude vous aime !…</p> - -<p>— Oh ! de ce côté-là, dit-elle, je n’ai pas -à me plaindre ! Et voilà bientôt quatre -ans que ça dure… Un si joli garçon !</p> - -<p>Elle parut réfléchir, hésiter un instant, -puis elle me dit :</p> - -<p>— Il a été en soirée avec vous, je le -sais. Il ne m’en a rien dit, comme de -juste, mais ce n’est pas de ces choses qui -nous échappent, à nous. Il avait pris -trop soin de recommander le silence à la -concierge… Quand je suis arrivée ici, — je -viens le mercredi et le samedi — ce -qu’il avait fait était écrit sur toutes les -figures…</p> - -<p>Sur un signe de Gérard, Isabelle se -leva pour remplir machinalement ses -devoirs de maîtresse de maison ; elle -offrit de la bière, et la discussion sur les -matières administratives fut interrompue -entre Claude Gérard et ses deux amis. -Claude me prit à part à son tour et me -demanda :</p> - -<p>— Comment la trouves-tu ?</p> - -<p>— Mais, charmante !…</p> - -<hr /> - - -<p>Je descendis avec les deux amis. Dans -la rue, celui de ces jeunes gens qui n’était -encore qu’élève de l’École des sciences -politiques envia le sort de Claude : c’était -une chance de posséder une maîtresse si -correcte. L’auditeur de première classe au -Conseil d’État souleva l’épaule et dit que -cette liaison était au contraire déplorable -et qu’elle ruinerait l’avenir de Gérard.</p> - -<p>— Cette liaison n’est pas éternelle, -hasardai-je en riant.</p> - -<p>L’auditeur avança les lèvres et me -regarda de biais. Je repris :</p> - -<p>— Gérard n’est pas esclave ; il a une -maîtresse qu’il voit deux fois par semaine, -bon ; mais, entre temps, il sort, il est -libre ; il commence à aller dans le -monde…</p> - -<p>— Avec quelles précautions ! quelle -abondance de cachotteries ! Sa soirée -costumée a été l’escapade nocturne d’un -collégien, d’un gamin qui s’échappe par -la fenêtre !</p> - -<p>— Elle ne lui a causé que plus de -plaisir : il recommencera.</p> - -<p>— Mais le plaisir qu’il éprouve à fuir -en cachette vient de ce qu’il se sent prisonnier !…</p> - -<p>Et l’auditeur au Conseil d’État prophétisa :</p> - -<p>— Gérard épousera Isabelle !</p> - -<p>Je ne pus m’empêcher de rire. Le plus -jeune de ces messieurs fit comme moi et -s’écria :</p> - -<p>— Et l’autre ?…</p> - -<p>L’auditeur au Conseil d’État ne broncha -pas, car il ne me croyait pas informé. Je -dis alors, moi aussi :</p> - -<p>— Oui, en effet, et l’autre ?…</p> - -<p>Il fut surpris un instant, me regarda, -comprit qu’Isabelle m’avait parlé dès la -première entrevue comme elle l’avait fait -sans doute à lui-même. Il dit :</p> - -<p>— L’autre ?… Eh bien, oui, ce sera -alors probablement notre devoir d’avertir -Claude qu’il n’est pas le seul amant -d’Isabelle, et alors…</p> - -<p>— Alors, dit le jeune homme, il faudra -bien qu’il rompe avec sa maîtresse.</p> - -<p>— Alors, dit l’auditeur, il rompra avec -nous et il épousera sa maîtresse !</p> - -<hr /> - - -<p>Le paradoxe était amusant. Le chemin -de ces messieurs et le mien étant le -même, nous ne nous séparâmes pas que -je n’eusse entendu toute l’idylle du beau -Claude et d’Isabelle.</p> - -<p>Il l’avait rencontrée dans un café du -quartier Latin, celui-là précisément dont -le nom, prononcé par moi pendant le -dîner, avait paru si malséant ; un des -amis, présent ce soir, l’accompagnait et -avait été témoin des premières paroles -échangées. Isabelle portait alors le deuil -de son petit garçon, et ses cheveux blonds, -sous le crêpe, lui donnaient un certain -air de belle jeune veuve, et de dignité -douloureuse, destinés à séduire définitivement -le correct et sérieux Gérard. La -conquête, toutefois, avait été un peu trop -facile, et de ceci un ami avait été témoin, -mais Gérard aujourd’hui niait cette particularité, -et il disait à son ami : « J’ai -voulu me flatter ; tu ne sauras jamais ce -que j’ai eu de fil à retordre. » Elle avouait -la perte d’un enfant, se disait mariée -d’abord, puis, quelque temps après, donnait -à entendre qu’elle n’avait été que -fiancée à un jeune officier d’infanterie de -marine, parti inopinément pour le Tonkin, -d’où il n’était pas revenu… Par malchance, -Gérard la rencontrait la même -semaine dans le jardin du Luxembourg, -au côté d’un monsieur qui lui tenait la -taille enlacée.</p> - -<p>L’ami qui racontait cela souriait.</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="V"></h2> - -<p>Bernerette était informée que je devais -revoir Gérard dans l’intervalle de deux -de mes visites au Ranelagh. J’affectai de -ne point parler de lui avant qu’elle-même -ne m’y invitât. Elle ne se pressa pas. Le -dîner et une bonne partie de la soirée se -passèrent sans qu’elle fît mine de se souvenir -du « lancier de Nemours », et je me -disais à part moi : « Faut-il qu’elle mette -tant d’application à dissimuler l’intérêt -qu’elle prend à lui ! » Et, en même temps, -je pensais : « Mais c’est ma réserve, à -moi, qui est suspecte ! Pourquoi, puisqu’on -sait ici que j’ai dîné cette semaine -avec Gérard, pourquoi est-ce que je tarde -tant à dire simplement : « Je l’ai vu ; j’ai -dîné avec lui. » Si Bernerette est fine, -elle est en droit de supposer de moi : -« Il est jaloux. » Parlons donc ! Non ! je -ne pouvais pas parler.</p> - -<p>Un moment, s’agita entre nous la -question de savoir quel jour avait eu -lieu la première d’une pièce aux Variétés, -où j’assistais, où monsieur et madame -de Chanclos n’assistaient pas. Je n’ai -aucune mémoire des dates, je dis :</p> - -<p>— C’était vendredi.</p> - -<p>Bernerette me dit :</p> - -<p>— Non. Vendredi, vous dîniez chez -monsieur Gérard.</p> - -<p>Je convins qu’elle avait raison.</p> - -<p>Je dus aussi pâlir un peu, car je surprenais -sous ce petit front la pensée qui -ne l’avait pas quittée de la soirée : « Il a -dîné vendredi chez monsieur Gérard, il -va nous parler de lui… Tiens ! il ne -nous parle pas de lui… Ah çà ! va-t-il -nous parler de lui… » Et enfin : « Attends -un peu, mon bonhomme, je vais t’obliger -à nous parler de lui ! »</p> - -<p>En effet, je fus acculé à un mensonge -assez humiliant ; je dis :</p> - -<p>— A propos !… et moi qui oubliais…</p> - -<p>D’avance, j’avais calculé l’effet déplorable -de ce raccrochage maladroit, mais -c’était aussi la seule façon de ne pas -donner d’importance à ma réserve sur le -dîner chez Claude Gérard. Je vis la cernure -bleuâtre sous les yeux de Bernerette, -qui fut dessinée par une main invisible, -rapidement, dans le temps qu’il faut pour -tracer deux virgules.</p> - -<p>Enfin, je puis me rendre cette justice -que je parlai de Claude Gérard en termes -suffisamment neutres, comme la prudence -le commandait, — car enfin il ne -s’agissait pas d’enflammer la pauvre -Bernerette, — mais qui ne pouvaient que -transmettre une opinion très favorable -de l’impression que la soirée passée chez -lui m’avait laissée. Nous sommes tellement -rompus aux usages, qu’ayant tu -complètement la présence d’Isabelle dans -l’intérieur de Gérard, je croyais fermement -avoir dit, en conscience, tout ce -que je savais de lui. Bernerette me laissa -parler et dit :</p> - -<p>— Et sa maîtresse ?</p> - -<p>Les parents sursautèrent. Je n’étais pas -peu embarrassé. Mais Bernerette ne se -troubla guère :</p> - -<p>— Oh ! fit-elle, madame de Lansacq a -assez parlé d’elle, je peux bien me permettre…</p> - -<p>— Qui ça, madame de Lansacq ? hasardai-je -dans l’espoir de détourner l’esprit -de Bernerette.</p> - -<p>— La Belle-Hélène du bal costumé !… -Oh ! vous n’avez pas eu le temps de la -voir, vous… Une folle !… elle est toquée -de votre ami Gérard ; elle le suit ou -le fait suivre ; elle connaît tout ce -qui le concerne… Tantôt, ici, elle n’a -parlé que de lui, de son entourage ; -voulez-vous que je vous en donne la -preuve : la maîtresse de votre ami se -teint…</p> - -<p>— Ma fille, s’écria madame de Chanclos, -je t’interdis absolument de tenir un -pareil langage !…</p> - -<p>M. de Chanclos, qui gâtait sa fille, -ne pouvait s’empêcher de sourire. La -maman, pour innocenter Bernerette, dit -elle-même :</p> - -<p>— Elles sont quatre ou cinq ici, figurez-vous, -qui, depuis notre soirée costumée, -n’ont en tête que ce monsieur -Gérard ; naturellement, Bernerette ne -peut se boucher les oreilles… Je trouve -que les femmes de nos jours ont vraiment -peu de retenue ; et il est difficile -de garder une jeune fille à l’écart !…</p> - -<p>Bernerette me regarda dans les yeux :</p> - -<p>— Étonnez-vous donc, dit-elle, que -nous soyons intriguées par ce monsieur -Gérard !</p> - -<p>En effet, à peine maintenant avais-je -la moindre raison d’en être étonné. Bernerette -pouvait fort bien ne s’intéresser à -lui que parce qu’elle voyait quatre ou -cinq femmes préoccupées de ce joli garçon ; -et je me souvins qu’elle les avait -vues préoccupées de lui dès la fameuse -soirée, et dès la première heure, puisque, -avant même que j’eusse quitté le bal, -plusieurs de ces dames se disputaient -Gérard.</p> - -<p>Je me mis à appréhender la première -soirée où je me rencontrerais avec Gérard -chez madame de Chanclos.</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="VI"></h2> - -<p>Mon appréhension fut désordonnée, -exaspérée et je pourrais dire hallucinée. -J’imaginai d’avance ce qui se passerait. -Je le vis. Je me découvris jaloux, de la -jalousie la plus ordinaire, accompagnée -de toute sa queue de médiocrités.</p> - -<p>Pourquoi ne m’étais-je pas cru jaloux -plus tôt ? Parce que je le redoutais trop ! -Et toutes mes facultés s’employaient à -détourner de là ma pensée ; mais, par une -rouerie de la destinée, voilà qu’un motif -se présentait de pouvoir croire que Bernerette -n’était pas amoureuse ; sur une -aussi belle perspective, j’ouvrais toutes -grandes mes fenêtres et à force de me -complaire à voir que Bernerette pouvait -n’être pas amoureuse, je découvrais que -je l’étais, moi, bel et bien !</p> - -<p>A dessein ou non, aucune des quatre -ou cinq ardentes amies de Claude Gérard -ne se trouva invitée. Nous étions une -douzaine de personnes à table ! Gérard se -trouvait assis entre la maîtresse de -maison et une femme jeune encore, non -pas laide, mais, comme on dit, « de tout -repos ». Bernerette était en face de lui -ou à peu près ; j’étais voisin de Bernerette. -Pour la première fois je m’aperçus -que je m’efforçais de lui plaire. Je voulais -retenir son attention ; je lui parlais -plus que de coutume ; je triais mes sujets -et mes mots ; je pestais de n’être pas un -fascinateur. Pourtant, si ma conscience -à ce moment m’eût crié : « Mais tu veux -la séduire ! » j’aurais répondu à ma -conscience elle-même : « Ce n’est pas -vrai ! » Je ne croyais pas vouloir séduire -Bernerette ; je croyais, de bonne foi, -faire une belle action en la mettant à -l’abri du séduisant Gérard !</p> - -<p>Mon supplice commença. Je remarquai, -à plusieurs reprises, que Bernerette -n’avait pas entendu mes paroles, -pas compris mes finesses, ou bien qu’elle -avait répondu à moitié, sans nul souci -de compléter une phrase commencée, -enfin comme si d’elle à moi l’échange -était sans importance. Elle ne regardait -pas Gérard, non ; elle n’affectait pas non -plus de ne pas le regarder, non. Elle -ouvrait tout à coup de grands yeux en se -tournant vers moi. Et je me disais : -« Elle s’étonne ou s’ennuie parce que je -lui parle tant et si bien ; elle se demande : -« Mais qu’a-t-il, ce soir ? » Elle découvre -mon jeu ; elle en est stupéfaite ou irritée ; -elle se moque de moi ou elle me plaint !… » -Elle m’écoutait par politesse ; elle ne -prêtait l’oreille — c’était bien naturel — qu’à -ce qui venait du nouveau venu, de -ce joli garçon assis en face d’elle et de -qui on avait fait, depuis trois semaines, -une espèce de héros de roman d’amour. -Je me méprisais pour essayer de détourner -cette enfant d’un attrait si simple et si -fatal. Mais je trouvais à présent la beauté -de Gérard commune, vulgaire et même -niaise ; ce qu’il disait me semblait épais ; -quand il ne parlait pas, je l’accusais de -se laisser admirer. Le souvenir de la -bibliothèque de notaire, de la pendule en -zinc doré, de la petite soirée solennelle, -me le rendait à présent ridicule ; et je -pensais aux aventures de sa maîtresse -Isabelle, à l’ami qui, en les racontant, -se moquait un peu du pauvre Gérard…</p> - -<p>Je ne sais ce qu’il dit, pendant un -moment que nous étions silencieux, à la -jeune femme, sa voisine ; elle sourit. Et -je vis que Bernerette aussi souriait, -du même propos évidemment. Comment -avait-elle fait pour l’entendre ?</p> - -<p>Je fus alors paralysé, et ne dis plus -rien. Bernerette ne parut pas observer -que je me taisais ; son voisin de droite -était un vieillard qui, d’un autre côté, -parlait fort haut de la « loi Falloux ». -Gérard, lui, ne semblait pas du tout faire -attention à Bernerette.</p> - -<p>Après le dîner, madame de Chanclos -me dit :</p> - -<p>— Il est délicieux, votre ami, délicieux !…</p> - -<p>Plus tard, passant près de moi, elle me -glissa à l’oreille :</p> - -<p>— Vous savez que sa voisine est conquise !</p> - -<p>Jusqu’à une femme « de tout repos ».</p> - -<p>En me parlant de lui tout le monde -disait : « Votre ami. » On me complimentait -de son Conseil d’État, de sa jolie -figure, d’un mot qu’il avait dit et de ce -qu’il avait plu à madame Une Telle !…</p> - -<p>Et lui, indifférent ou dédaigneux, qui -ne s’amusait pas, c’est probable, me -recommandait en me pinçant la manche :</p> - -<p>— Quand tu fileras, fais-moi signe !</p> - -<p>De sorte que je ne terminai pas cette -soirée sans « mon ami ». Nous partîmes -ensemble ; ensemble nous allâmes, je -m’en souviens, à une taverne de la rue -Royale, et « mon ami » ne me lâcha qu’à -ma porte.</p> - -<p>Seul avec lui, je n’éprouvais, je l’avoue, -aucune répugnance. Il était tout à fait -bon garçon, intelligent aussi, sans rien -d’original dans l’esprit, mais sans rien -non plus qui fût fâcheux. Et puis, il me -parut bien que les Chanclos n’étaient pas -pour lui le monde où « se détendre » ! De -Bernerette, il ne me fit pas mention.</p> - -<p>Mais il me pria instamment, dans le -cas où je verrais Isabelle, de lui taire ce -dîner comme la soirée précédente.</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="VII"></h2> - -<p>On atteignait la fin de mai, les beaux -jours ; madame de Chanclos recevait dans -le jardin, plus familièrement qu’en hiver, -et, quoique je fusse, en qualité d’ami -ancien, dispensé des visites, j’allais -maintenant à ses samedis. On n’y vit -point Gérard de tout un mois. Le premier -samedi, on parla fort de lui ; les « Quatre -ou cinq » étaient là, et on les nommait -maintenant les « Cinq ou six », car il -convenait d’ajouter à leur nombre par -taquinerie, et peut-être bien par vraisemblance, -la vertueuse voisine du dernier -dîner. Il était très apparent, ce -samedi-là, que la famille de Chanclos se -prévalait d’avoir revu et possédé tout un -soir le beau Gérard, tandis que les -« Quatre ou cinq » en étaient encore à -leur soirée du 23 ! Mais on attendait -Gérard. Tout le monde allait donc -goûter sa présence en commun.</p> - -<p>On fut privé de lui. On l’excusa. Quelques -cœurs, je le crois, battirent, le -samedi suivant, et, pour une maison un -peu sévère, comme l’était celle de madame -de Chanclos, et où le sujet de la galanterie -occupait rarement le premier plan, -ce fut un fait assez remarquable de voir -chacun sourire à l’entrée des « Cinq ou -six » à bon droit suspectées de venir un -peu pour <i>lui</i>.</p> - -<p>On parla peu de lui, toutefois, car on -avait commencé à soupçonner, ici et là, -des susceptibilités ; en outre, comme il ne -venait point, les « Quatre ou cinq » -triomphaient de mesdames de Chanclos -et de la « cinq ou sixième », car le beau -Gérard décidément faisait peu d’honneur -au dernier dîner.</p> - -<p>Quant à moi, je vis Gérard la semaine -suivante, car je lui devais une politesse. -Il vint dîner avec moi et quelques amis -et, incidemment il dit :</p> - -<p>— Il faudra pourtant que je « me -fende » d’une visite au Ranelagh !</p> - -<p>— C’est la moindre des choses.</p> - -<p>— Oh ! dit-il, on a excusé ma négligence, -j’ai déjà reçu une autre invitation !</p> - -<p>— Compliments !</p> - -<p>Il ajouta, en confidence :</p> - -<p>— Un peu « collant » le Ranelagh !</p> - -<p>On l’avait invité de nouveau. On le -voulait avoir à tout prix.</p> - -<p>Il n’était pas malaisé de discerner, à -cet acharnement, une cause bien vulgaire : -le pur amour-propre froissé. Mesdames -de Chanclos ne se résignaient pas -à paraître négligées vis-à-vis de leurs -amies ; c’était une rivalité mesquine. -Mais quel jeu périlleux que ces rivalités-là -pour une jeune fille qui y prend part ! -Mais à ce jeu, le cœur de la pauvre Bernerette ?… -Le danger — si danger il y -avait — devenait, par ce jeu, cent fois -pire que ce qu’il y eût pu être par la -présence et même par l’assiduité de -Gérard. Oh ! ce cœur de Bernerette, que -faisait-il en tout cela ?</p> - -<p>Personne ne m’avertit, au Ranelagh, -que Gérard avait été réinvité. Personne ne -confessa qu’il avait refusé. Car il refusa. -Je le sus, en même temps que quelques-unes -des « Cinq ou six », en visite, sous -les marronniers, un après-midi humide -du mois de juin ; je le sus par lui-même, -car il vint, enfin, ce jour-là, s’excuser de -n’être pas venu depuis six semaines.</p> - -<p>On le jugea très occupé, et de toutes -sortes de façons, très pris, et de bien des -côtés !… Ces dames, entre elles, échangeaient -des clins d’œil. On se moquait de -madame de Lansacq qui tirait vanité de -savoir qu’il avait une maîtresse aux cheveux -teints, comme si la Pompadour était -toute l’histoire de Louis XV !… A peine -Claude était-il parti, qu’une légende se -forma, absurde et regrettable, où le nom -d’un conseiller référendaire au Conseil -d’État, qui venait d’épouser une femme -beaucoup plus jeune que lui, était mêlé. -Je ne pus m’empêcher d’intervenir et -d’affirmer que Gérard, entre autres qualités, -avait celle d’être loyal et fidèle. Du -diable si, en disant cela, je pensais faire -autre chose que m’élever contre un -odieux potin.</p> - -<p>Je compris aussitôt que Bernerette -m’en savait un gré dont je l’aurais bien -dispensée. Elle me regarda d’un air -reconnaissant, et puis, dès qu’elle put me -tenir à part, elle me dit :</p> - -<p>— C’est bien de prendre la défense de -ses amis !</p> - -<p>Que Gérard fût fidèle, en effet, cela -pouvait contrister les femmes intéressées -à ce qu’il ne le fût pas, au moins à sa -maîtresse, mais cela, au contraire, -plaisait à une jeune fille. Pourtant cela -signifiait qu’il aimait sa maîtresse, qu’il -était, par conséquent, peu disposé au -mariage ? N’importe ! cela plaisait à une -jeune fille. Cela signifiait pour elle, -j’imagine : « C’est un homme tendre et -qui s’attache » ; et, pour une jeune fille, -un homme n’est pas attaché indissolublement -à sa maîtresse ; il reste tendre, -et il s’attachera de nouveau à sa femme.</p> - -<p>On me pria de dîner au Ranelagh ; -Bernerette fut avec moi trop gracieuse. -Elle se montra plus douce que de coutume, -plus attentive à me plaire ; et il y -avait dans ses façons, dans sa parole, -dans sa voix qui m’émouvait tant, enfin -jusque dans le plus insignifiant de ses -gestes, une chaleur d’oiseau, une câlinerie, -un roucoulement de tourterelle. Nous -étions en tout petit comité ; nous parlâmes -très librement de maintes choses : -point du don Juan, car enfin c’eût été -dépasser les bornes ! Nous semblions -revenus aux réunions d’autrefois, à celles -qui avaient précédé « la soirée du 23 », -mais avec une Bernerette moins enfant -et ayant, à s’être faite femme, infiniment -gagné en grâces. Qui donc n’eût juré, ce -soir, que c’était moi qui recueillais tout -l’avantage de cette exquise métamorphose ? -A tout propos, elle s’adressait à -moi ; elle me demandait mon goût pour -une robe d’été, pour un poney qu’elle -allait avoir à la campagne, mon opinion -sur une saynète où l’on voulait lui donner -un rôle : « Si vous la trouvez trop -bête, disait-elle, vous comprenez, je n’y -figurerai seulement pas ! » Elle m’emmena -dans sa salle d’étude à propos d’un -portrait de moi qu’elle avait fait, l’automne -dernier, au pastel, et qu’elle désirait -retoucher. Elle me fit poser, en -lumière, sous la lampe, le pastel calé à -côté de moi ; sur la grande table en -désordre, elle déplaçait le pastel et me -déplaçait ; sa petite main touchait mon -front et ma joue ; son jeune bras frais, -nu jusqu’au delà du coude, à tout instant -me frôlait le visage ; elle me tint un -moment la tête entre les deux paumes de -ses mains, en me regardant dans les yeux, -sa tête charmante s’approcha à quatre -doigts de ma bouche ; j’entrevis l’ivresse -qui eût été la mienne, si elle m’eût aimé, -et si je l’eusse vue venir ainsi, animée et -heureuse, vers mon baiser ! Elle me dit :</p> - -<p>— Oui, je le savais bien ! quelque -chose m’avait échappé en vous !…</p> - -<p>— Quoi donc ?</p> - -<p>— La bonté. Vous êtes bon, Henri, -vous avez de la bonté plein la figure !</p> - -<p>J’eus, en tout cas, la bonté de sourire, -car je n’en avais guère envie.</p> - -<p>Puis elle me lâcha, remit le pastel au -tiroir. Nous redescendîmes, et elle fit -part à tous de la découverte de ma bonté. -Je fus sur le point de lui demander -grâce.</p> - -<p>Cette soirée, qui parut à tous agréable, -me fut plus dure que celle même où -Gérard était là. Plusieurs fois mon instinct -me pressa de fuir ; mais je sentis -bien que déjà je n’avais plus le courage -d’abréger la douleur qui me venait de -Bernerette.</p> - -<p>Si j’avais moins aimé Bernerette, qu’il -m’était donc facile d’écarter de moi des -coups plus pénibles, en me retirant de -l’aventure à temps ! Je prétextais un -voyage ; je ne reparaissais qu’en décembre -au Ranelagh ! Sans moi, intermédiaire -encore indispensable, point de -Gérard au Ranelagh !… C’était pour moi -tant mieux, tant mieux aussi pour le cœur -de Bernerette !</p> - -<p>Je ne prétextai pas de voyage, ah ! -que non ! Je demeurai à Paris aussi longtemps -que la famille de Chanclos elle-même. -Et je m’arrangeai pour ne pas -m’éloigner trop d’elle pendant la période -des villégiatures. La tendresse amicale -dont m’enveloppait depuis quelque temps -Bernerette, le comprend-on ? c’était tout -de même de la tendresse ! Bernerette -amoureuse d’un autre, c’était tout de -même Bernerette !</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="VIII"></h2> - -<p>Elle ne parlait plus de Gérard. -Madame de Chanclos avait cessé de -recevoir ; on quittait dans ce temps-là -Paris de bonne heure : les « Cinq ou -six » étaient dispersées ; et il n’était -guère admissible d’inviter quelqu’un qui -ne fût pas tout à fait des familiers de la -maison. Le beau Gérard, on l’avait pour -longtemps perdu de vue. Deux ou trois -jeunes gens, un cousin de Bernerette et -moi, nous nous retrouvions tous les huit -jours, quelquefois plus souvent, dans -le beau jardin du Ranelagh. Bernerette -avait rajouté de la bonté au pastel. J’avais -avec elle de fréquentes causeries, où je -remarquais qu’elle me parlait plus qu’autrefois -d’elle-même ; elle disait à tout -instant : « Je pense… Moi, je suis ainsi… -Si je vous confessais que… » Et surtout : -« Au fond de moi ! »</p> - -<p>« Au fond de moi !… » Me l’a-t-elle -répété ! c’était un inconscient appel à -l’accompagner au fond de son cœur ! -C’est là qu’elle demeurait à présent, je le -voyais bien ; elle ne voulait pas le dire, -mais elle avait élu domicile dans le sous-sol -obscur où elle caressait une pensée -constante, inavouée ; et après en avoir -beaucoup ou joui ou souffert dans la solitude, -elle avait bien envie de faire faire -à quelqu’un ce qu’on appelle le tour du -propriétaire. Ah ! Bernerette ! Bernerette ! -ne devinai-je pas vos secrètes -demeures ? Et ce muet manège m’inspirait -une telle compassion que j’en oubliais -parfois ma sourde rage de jaloux, et je -n’avais de moments paisibles, et, ma foi, -presque agréables, que ceux où je me -sentais plein de pitié pour elle.</p> - -<p>Elle me devina, tout au moins elle -soupçonna ce dernier sentiment chez -moi, et me répéta un jour, en me touchant -la main, ce qu’elle m’avait déjà -dit :</p> - -<p>— Vous êtes bon !</p> - -<p>C’est un fait assez curieux, que je consentais -bien à compatir à sa misère -secrète, tant que nous restions là-dessus -silencieux. Mais à cette légère allusion -qu’elle y fit, je ne sais quoi regimba en -moi : non, non ! je ne voulais pas avoir -l’air de dorloter avec elle l’image de -Gérard ! Et je protestai :</p> - -<p>— Assez de bonté, Bernerette ! Vous -vous trompez, je vous jure !</p> - -<p>Elle eut presque peur. Après quoi, dès -que je la vis troublée et malheureuse à -cause d’un mot que je lui avais dit, ce -fut moi qui faiblis, et j’aurais commis -toute bassesse pour qu’elle se rassérénât, -la chère petite !</p> - -<p>Elle ne saisissait pas, bien entendu, -tant de nuances sentimentales, et elle me -cajolait de nouveau pour que je fusse -« son ami », disait-elle. Ah ! l’ami que -j’étais !</p> - -<p>— Si je vous perdais !… me dit-elle -aussi un jour.</p> - -<p>Et une question qu’elle voulait provoquer -peut-être, m’effleura les lèvres : -« Vous êtes donc malheureuse, Bernerette ? » -Mais je ne posai pas la question. -Je ne fus pas bon, cette fois-là.</p> - -<p>Puis arrivèrent, dans la première -semaine de juillet, de grandes chaleurs ; -la famille partit précipitamment pour la -mer, parce que Bernerette semblait -fatiguée. Sa mère me confia :</p> - -<p>— Elle devient taciturne, elle si gaie, -si ouverte !…</p> - -<p>Je la rassurais ; je lui disais :</p> - -<p>— Non, non. Nous avons encore -bavardé beaucoup, l’autre soir…</p> - -<p>Mais les yeux de Bernerette s’enfonçaient ; -une ombre les envahissait. Les -Chanclos avaient une petite villa à -Dinard, où ils allaient chaque année. On -me demanda :</p> - -<p>— Vous verra-t-on par là ?</p> - -<p>Je dis :</p> - -<p>— Mais oui ! mais oui !</p> - -<p>Et l’idée me vint aussitôt de faire une -excursion à Jersey.</p> - -<hr /> - - -<p>J’allai à Jersey par Granville et j’en -revins au bout de peu de jours par Saint-Malo, -où l’on est presque à Dinard. Il -n’y avait pas trois semaines que je -n’avais vu Bernerette : elle était méconnaissable. -J’en fus tellement frappé que -je ne pus cacher mon impression à sa -mère. Madame de Chanclos croyait que -le mer lui était mauvaise. Mais la mer -lui était favorable les années précédentes ! -Eh bien, et le médecin ? Le -médecin voyait là une crise physiologique : -Bernerette s’était beaucoup développée -cette année, trop vite ; il en était -résulté une fatigue de l’organisme, et -maintenant elle maigrissait. Tout le -monde avait vu cela, comme le médecin.</p> - -<p>Bernerette m’accueillit avec une joie -presque compromettante : on eût pu -croire que c’était moi de qui l’absence la -faisait souffrir ; et, à la façon dont les -parents m’entourèrent, je me demande -s’ils ne pensaient pas à ce moment que -leur fille m’aimait. Que n’auraient-ils -pas fait pour lui être agréables et sauver -sa santé ! On jugea Saint-Malo trop loin ; -on voulait m’avoir à Dinard. Je tins -cependant pour Saint-Malo d’où je venais -chaque jour en barque.</p> - -<p>— Mais si vous chaviriez ! me dit -madame de Chanclos, du même ton -que sa fille, peu de temps auparavant, -m’avait dit : « Si je vous perdais !… »</p> - -<p>Nous reprîmes nos causeries avec Bernerette. -Elle lisait, depuis qu’elle était à -la mer. Imagine-t-on ce que son père lui -avait permis de lire, en fait de romans -« convenables » ? <i>La Princesse de -Clèves</i> et <i>Dominique</i> ! Je lui dis :</p> - -<p>— Lisez n’importe quoi, excepté cela.</p> - -<p>Peu après, elle m’annonça :</p> - -<p>— Vous savez, je les ai lus tout de -même.</p> - -<p>D’ailleurs, les deux romans l’avaient -également ennuyée. Elle jouait au -tennis ; elle était très courtisée, car sa -langueur lui donnait un grand charme. -Elle s’obstinait à prendre des bains de -mer : Dieu ! qu’elle était jolie, coiffée d’un -petit foulard bleu d’azur, d’où s’échappaient -des cheveux blonds qui faisaient -les rebelles !… Et jamais, non, pas une -fois, le nom de Gérard ne fut prononcé -entre nous. Une des « Cinq ou six » -était à Dinard ; elle dit un jour, à la -villa, en décrivant un certain Anglais, -champion au match de tennis :</p> - -<p>— Figurez-vous un Claude Gérard -blond.</p> - -<p>Bernerette ne sourcilla pas, ne chercha -pas à voir l’Anglais. Je m’en assurai. -Elle le vit une fois, par hasard, et ne -dit rien de lui, n’eut pas un trait qui -bougea.</p> - -<p>C’était bien ce qui pouvait arriver de -plus grave. Qu’il eût donc mieux valu -qu’elle parlât de Gérard à tort et à travers !</p> - -<hr /> - - -<p>Nous fîmes, un beau jour, le merveilleux -petit voyage de la Rance. On -prend un bateau à Saint-Malo le matin, -on remonte le cours de cette rivière -sinueuse aux bords de verdures déchiquetées, -on va visiter Dinard, on revient -le soir, et la nuit vous prend à demi -échoués, faute d’eau, à marée basse. On -attend, anxieux, entre des prairies et -des arbres, le secours indispensable de -la mer ; enfin on perçoit son bruit de -cavalerie lointaine, et aux dernières -lueurs du crépuscule, on la voit accourir, -comme à un rendez-vous, à un relais ; -elle supplée la rivière tarie et vous remporte -à cet estuaire admirable où l’on -voit d’un coup, au sortir des ténèbres, -les feux de Saint-Servan, de Dinard et -de Saint-Malo.</p> - -<p>Sur le pont, à l’avant, Bernerette et -moi, assis l’un près de l’autre, quand -l’obscurité fut tombée, quand la mer, -longtemps attendue, eut soulevé notre -bateau sur ses eaux vigoureuses, quand -un bien-être indéfinissable nous eut -engourdis, quand l’odeur de l’air salin -mêlé aux parfums de la campagne nous -eut grisés, nous sentîmes tous les deux -que des minutes inoubliables s’écoulaient. -Nous avancions, nous avancions -dans l’ombre ; des ormes tordus, des peupliers -frais et frissonnants, des meules -de foin semblaient courir ; l’air nous -fouettait comme une averse ; on n’entendait -que le bruit sourd et régulier -de la machine et la friture de l’eau -coupée par l’étrave du vapeur ; chacun, -instinctivement respectueux de ces belles -heures, se taisait ; on désirait que le -voyage durât longtemps, longtemps ; et -l’on savait que l’arrivée dans l’estuaire -lumineux était plus magnifique encore -que le voyage. Nous avions eu tant d’intimité, -Bernerette et moi, depuis quelques -semaines, tant de plaisir commun aujourd’hui, -une si voluptueuse entente dans -ce voyage nocturne, qu’elle put, sans que -je m’en étonnasse, me prendre la main. -Je la lui abandonnai un court instant. -Ma complaisance fidèle lui laissait croire -que je suivais sans cesse son rêve secret, -en ami dévoué. Je le suivais bien, mais -d’une autre manière. Ah ! fallut-il qu’elle -en fût possédée, et obsédée, et toute -gonflée, de son rêve ! Elle me dit, ma -main dans la sienne :</p> - -<p>— Henri ! Henri ! dites-moi, où croyez-vous -qu’<i>il</i> soit, en ce moment-ci ?…</p> - -<p>Je ne lui répondis pas ; je retirai doucement -ma main. Elle ne m’en demanda -pas plus, d’ailleurs ; son cœur trop plein -avait crevé ; c’était fait.</p> - -<p>Dans le silence, dans la nuit, se prolongèrent -nos émotions, à tous deux. Je -fus content qu’elle ne pût pas voir ma -figure qui, malgré une si forte préparation, -ne manqua pas d’être secouée, -et de son côté elle put croire que je ne -la voyais pas pleurer. Et, lorsqu’elle fut -un peu calmée, elle soupira, se pencha -vers moi et murmura :</p> - -<p>— Quelle confiance ai-je en vous pour -vous en avoir tant dit !</p> - -<hr /> - - -<p>Je souris parce que son énorme aveu -avait tenu en une petite syllabe : <i>il</i>. Elle -crut que mon sourire était encore de -bonté, et je vis bien qu’elle n’avait pas -un seul instant soupçonné mes émotions -véritables. A l’extrémité où je m’étais -laissé entraîner, je ne pouvais plus -compter de sa part sur aucune pitié, elle -ne me ferait désormais grâce de rien, -l’atroce petite amoureuse !…</p> - -<hr /> - - -<p>Nous arrivions dans l’estuaire ; je -remarquai tout haut comme il était -beau ; je nommai les feux ; c’était une -ressource opportune, cela me donnait -quelque contenance et m’excusait de ne -rien dire.</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="IX"></h2> - -<p>J’eus malgré moi, de la rancune contre -Bernerette. Que nos sentiments sont -étranges parfois ! Celui-ci me surprit. Je -méditai à ce propos toute la soirée, en -me promenant, solitaire, sur les remparts -de Saint-Malo. Comment pouvais-je -en vouloir à Bernerette à cause de son -aveu ? Je connaissais son secret ; j’en -suivais, jour par jour, depuis plusieurs -mois, la marche souterraine. J’avais, -qui plus est, accepté tacitement le rôle -d’ami muet des choses de son cœur ; -autrement dit, son aveu m’était fait -depuis longtemps, puisqu’il s’était laissé -deviner ; la formule seule de l’aveu manquait ; -eh bien ! elle avait été prononcée -enfin ! Voilà tout. Mon étonnement, mon -mécontentement me découvrirent les -résignations hypocrites du cœur. Je me -croyais résigné ; ma raison seule l’était ; -mais la passion, le noyau sauvage que -n’atteignent pas les opérations de culture -pratiquées à l’épiderme ou dans la pulpe -du fruit, projetait un jus amer qui me -donna un moment la nausée. Je vis qu’en -ses profondeurs, ma passion, cette bête, -elle, espérait toujours.</p> - -<p>Et puis il fallait aussi tenir compte de -l’effet magique de la formule. On a beau -dire, tout ce qui reste inconsacré par le -« verbe » est presque négligeable, et -l’amour, quel qu’il soit, a besoin, pour -avoir vie, du traditionnel « je vous -aime ». Bernerette, par un détour délicat, -il est vrai, m’avait donc dit : « Je -l’aime ! »</p> - -<p>En une soirée, sur les remparts de -Saint-Malo, et en une nuit, à l’<i>Hôtel de -Chateaubriand</i>, je dus recommencer à -envisager la réalité face à face, et me -cheviller une résignation plus profonde -et plus solide, comme si depuis deux ou -trois mois, en vérité, je n’avais rien fait !</p> - -<p>Rancune, raison, résignation ! Je devais -partir deux jours après le voyage de la -Rance ; j’en restai huit à Dinard.</p> - -<p>Le premier jour, avec la fermeté, -l’orgueilleux courage d’un stoïcien, j’affrontai -Dinard ; et tout ce qui eût pu -m’arriver de douloureux par Bernerette -eût été reçu par moi avec l’ivresse du -martyre. Mais le hasard voulut qu’il ne -m’arrivât rien, rien de désagréable ; -Bernerette joua au tennis, prit son bain, -fut courtisée, et se montra gentille avec -moi, comme à l’ordinaire. Nulle allusion -à l’énorme aveu.</p> - -<p>Et les jours suivants, j’espérais qu’elle -ne me reparlerait plus jamais de Gérard, -plus jamais de son amour ! Cela me -paraissait improbable ; mais je me disais : -« Elle n’a pas repris ce sujet dès le lendemain -de l’aveu, alors que c’eût été si -facile… Il lui faudra maintenant un -nouvel effort pour rouvrir une porte qui -n’a cédé une première fois qu’à la pression -de circonstances tout extérieures… -Enfin, elle ne me parlera peut-être jamais -plus de cela !… »</p> - -<p>Et un autre jour, encore, je pensai : -« Ne serait-il pas possible qu’elle oublie -Gérard ? » Je promenai beaucoup ce -refrain sur les remparts de Saint-Malo : -« Ne serait-il pas possible qu’elle oublie -Gérard ?… »</p> - -<p>Enfin, quand je quittai Dinard et Saint-Malo, -Bernerette me fit des adieux tout à -fait tendres, puis elle me mena dans une -encoignure et me dit :</p> - -<p>— Vous tâcherez de ramener votre -ami au Ranelagh cet hiver ?</p> - -<p>Ce fut moi qui rougis. Elle n’eut pas -encore la moindre idée d’avoir pu me -peiner ; elle plaisanta même à cause de -ma rougeur :</p> - -<p>— Oh ! dit-elle, aurai-je commis une -inconvenance ?</p> - -<p>Puis il y eut des poignées de main, des -adieux répétés, une fausse sortie par le -jardin, une fausse sortie par la plage, et -des offres d’aller un peu me conduire, et -des mots d’aimable tristesse qu’inspirent -les séparations. Par-dessus la barrière, -en présence de ses parents, Bernerette -me cria :</p> - -<p>— C’est juré ?</p> - -<p>J’entendis sa mère qui demandait :</p> - -<p>— Quoi donc ?</p> - -<p>Je fis signe, en souriant, que j’avais -compris, moi, et que c’était juré.</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="X"></h2> - -<p>J’avais laissé Bernerette en bien -meilleure santé qu’elle n’était lors de -mon arrivée à Dinard. Le sort a de ces -ironies : j’apportais à Bernerette un peu -de la présence de Gérard, parce qu’elle -avait confiance que par moi elle pouvait -être rapprochée de lui ! Trois semaines -après mon départ, je recevais une lettre -de madame de Chanclos qui me donnait -de mauvaises nouvelles de sa fille : elle -ne me cachait pas son regret que je fusse -si tôt parti de Dinard, puisque avec mon -séjour là-bas avait coïncidé une véritable -résurrection de la pauvre enfant. Et l’on -pouvait voir, dans cette lettre, que Bernerette -n’avait point fait de confidence à -sa mère, et — ce qui était plus grave et -plus douloureux pour moi — que sa mère -était en voie de commettre une cruelle -confusion. Je devinais la confusion à -ceci, que cette lettre d’une mère qui -décrivait l’état inquiétant de sa fille -n’était pourtant pas une lettre affligée. -Madame de Chanclos avait cru découvrir -finement la cause du mal dont souffrait -sa fille : des allusions à mots couverts, -et quasi riantes, y étaient faites. C’est ce -demi-sourire qui m’était le plus pénible. -Elle croyait, connaissant la cause, posséder -le remède, et elle semblait me dire, -d’un ton beaucoup plus chaud que de -coutume : « Mon ami, il ne tiendra qu’à -vous !… » Oui, oui, j’apprenais maintenant -que si Bernerette m’avait aimé, on -me l’eût bien volontiers donnée !</p> - -<p>La situation devenait intenable. Un tel -quiproquo ne pouvait durer. Que Bernerette -ne parlait-elle à sa mère ! Mais je -savais bien que l’amour-propre l’en -empêchait : elle n’avouerait jamais son -amour pour un jeune homme qui n’avait -pas seulement paru la remarquer. Mais -elle m’avait bien fait, à moi, son aveu ? -Oui, mais j’étais, moi, l’intermédiaire -indispensable pour que ce jeune homme -un jour la remarquât… Ah ! Bernerette ! -Et je vous aimais tout de même !</p> - -<p>Dans le moment d’exaltation que me -valut la lettre de madame de Chanclos, -j’éprouvai le besoin de voir tout de suite -Gérard. Qu’allais-je lui dire, si je le rencontrais ? -Je n’en savais rien ; mais un -mouvement de chagrin, de dépit, de -colère contre la destinée, un besoin de -me cogner la tête contre les murs ou de -me jeter dans une crevasse me poussait -à voir Gérard le plus tôt possible. Voir -Gérard était bien pour moi la chose la -plus détestable en ce moment-ci : je la -voulais à toute force ! Je sentais si bien -ce qu’eût fait, dans ma situation, un -homme ayant vécu quelques siècles plus -tôt ! Courir sus à Gérard qui, en définitive, -ne m’était de rien ; le détruire. -Gérard supprimé, consoler Bernerette ! -Que les temps sont changés, si l’instinct -qui gronde au dedans de nous est le -même !… Enfin, je voulais voir Gérard.</p> - -<p>Je me rendis chez lui. Il était en province, -et dans sa famille, au moins jusqu’à -la fin d’octobre. Je m’en revins par -le jardin du Luxembourg où les feuilles -jaunissaient et tombaient dans les allées -presque désertes. J’habitais dans les -environs de ce magnifique jardin ; j’y -venais rarement. Je remarquai ce jour-là -combien il était favorable à la promenade -de l’homme attristé et énervé que j’étais, -et j’y revins plusieurs jours de suite. -Un après-midi, j’y rencontrai sous les -platanes qui ombragent le monument de -Delacroix, Isabelle, à qui, ma foi, je ne -pensais guère.</p> - -<p>Elle me confirma que Gérard était -absent pour quelque temps encore. Mais -elle avait bien d’autres choses à me dire : -n’avait-elle pas failli se marier ?</p> - -<p>— Avec le père du pauvre petit ? lui -dis-je.</p> - -<p>Pas du tout ! Avec un jeune homme -sur le point de s’établir et qui la voyait -fréquemment chez sa tante — car elle -habitait chez sa tante. — Ce jeune homme -aimait Isabelle depuis quatre ans, paraît-il, -le sournois ! et il n’avait fait sa déclaration -que la semaine dernière !</p> - -<p>— Il est bien, vous savez ! dit-elle.</p> - -<p>— Pas mieux que Claude, je suppose ?…</p> - -<p>— Claude est un beau garçon, je ne dis -pas non ; mais il y a aussi bien que lui. -D’abord, je vous dirai entre nous, que, -pour ma part, je suis plutôt portée pour -les blonds…</p> - -<p>— Eh bien ! mais, ce mariage ?</p> - -<p>— Je n’ai dit ni oui ni non ; c’est une -affaire, comme vous pensez, qui a de -l’importance ; il s’agit de l’avenir pour -moi. J’ai écrit à Claude…</p> - -<p>— Ah ! Que dit-il de cela, Claude ?</p> - -<p>— Vous pensez que ça lui a mis la puce -à l’oreille ! Il n’en dort pas, à ce qu’il -m’écrit… Oh ! n’allez pas le plaindre, -surtout : il se rattrapera, n’ayez crainte, -ce n’est pas un garçon à se faire périr par -les mauvais traitements… Malgré ça, il -voulait revenir de suite ; mais il a son -père qui ne plaisante pas, à ce qu’il -paraît, le père Gérard, quand il s’agit de -rentrer à Paris avant l’heure. Savez-vous -combien il m’en écrit ? Seize pages ! Tenez, -les voilà.</p> - -<p>Je dus me défendre pour ne pas lire les -seize pages de Claude, car Isabelle était -flattée évidemment des marques d’amour -qu’elles contenaient. Elle avait, d’ailleurs, -un invincible besoin de parler, de consulter -les uns et les autres ; elle me dit :</p> - -<p>— Il y a aussi le père du petit…</p> - -<p>— Mais oui !</p> - -<p>— Je ne l’oublie pas, fit-elle naïvement, -et, à vous dire la vérité, c’est -celui-là qui me donne le plus de tintouin -dans cette histoire ; non pas pour lui précisément, -mon Dieu, non, mais à cause -de ce pauvre petit chérubin qui est là-bas, -au cimetière… Vous allez être de ceux -qui se moquent de moi, parce que je me -fais des scrupules, eh bien, tant pis ! Il y -a quelque chose qui me dit que j’aurais -dû épouser son père et pas d’autre…</p> - -<p>— Vous auriez fait une bonne maman, -Isabelle !</p> - -<p>— Ne m’en parlez pas ! dit-elle.</p> - -<p>Et la voilà aussitôt toute en larmes. Il -n’y avait qu’un sentiment chez Isabelle, -c’était l’amour de son petit mort.</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="XI"></h2> - -<p>Cette rencontre ne me fut pas inutile, -mais elle doubla mon embarras ; elle me -découvrit ce qui menaçait Gérard ; sa -maîtresse, somme toute, lui avait écrit : -« Épouse-moi ou j’épouse le jeune homme -blond. » Qu’allait-il faire ?</p> - -<p>Et que devais-je faire, moi ?</p> - -<p>En conscience, avant que ce benêt ne -prît un engagement irréparable, ne -devais-je pas, pour Bernerette, essayer -de retarder sa décision tout au moins -jusqu’à ce qu’il pût revenir, au Ranelagh, -revoir une jeune fille qui se mourait -d’amour pour lui, l’entendre, lui parler, -entendre ses parents qui, alors informés, -sans doute, lui tiendraient peut-être le -langage dont me gratifiait par erreur -madame de Chanclos, dans sa dernière -lettre ? Mais retarder sa décision, comment ? -Si j’eusse reçu encore ses confidences ! -Mais je n’avais que celles de sa -maîtresse… Était-ce moi, à présent, qui -allais assumer le rôle ingrat de dénonciateur, -prévu par l’un des deux amis avec -qui j’avais dîné chez Gérard ? Je me -rappelai les paroles de l’auditeur de -première classe : « Ce sera probablement -notre devoir d’avertir Claude », -et l’objection opposée par le même : -« … Et alors… il rompra avec nous et -épousera tout de même sa maîtresse. » Il -ne s’agissait pas d’aboutir à ce que -Gérard m’envoyât au diable ! Je n’avais -non plus aucun titre suffisant à tenter de -lui rendre un service de cet ordre ; mais -je pensai à son collègue, à son ami, -l’auditeur de première classe. J’avais -oublié son nom ; je le retrouvai en consultant -la liste du Conseil d’État ; j’eus -son adresse. Je courus chez lui et par -bonheur je le rencontrai. Sans lui livrer -le secret de mademoiselle de Chanclos, -je pus lui confier une partie de mes perplexités -et de mes désirs, et il en retint, -je pense, ce qu’il pouvait en être tiré de -très favorable à l’avenir de Gérard, son -ami. Il me promit son concours, et, -entre autres mesures urgentes, de se -rendre au Luxembourg afin de tenir -d’Isabelle même la confidence qu’elle -ne saurait manquer de lui faire, à première -vue. Là-dessus, il pourrait dire -à son ami : « Tu ne vas pas l’épouser, -j’espère !… » et la suite. Quelques jours -après, il avait l’obligeance de m’annoncer -qu’il avait parlé à Gérard, car Gérard -était revenu précipitamment à Paris, -rappelé par les velléités matrimoniales -de sa maîtresse, et, d’ailleurs, assez -monté contre elle à ce propos. L’ami -avait profité de ces dispositions, me -disait-il, et Gérard était sorti de chez -lui, stupéfait, incrédule encore, mais -disposé à enquêter lui-même, tout prêt à -rompre brutalement avec Isabelle.</p> - -<p>— Ce n’est pas fait ! ajoutait l’ami.</p> - -<p>Dans la semaine, je reçus moi-même -la visite de Gérard. Je crus qu’Isabelle -m’avait accusé de traîtrise ou que l’auditeur -de première classe, par oubli de nos -conventions, avait parlé de moi. Point -du tout. Gérard avait trouvé chez lui ma -carte et s’excusait de n’être pas venu me -rendre ma visite plus tôt, ayant eu, -disait-il, de petits tracas ces jours derniers. -D’un signe des sourcils, je lui -donnai à entendre qu’il ne serait pas -importun en me narrant ses tracas ; mais -il ne me les conta point et se contenta -de me dire, avec un léger sourire satisfait :</p> - -<p>— Tout est arrangé.</p> - -<p>Alors je crus pouvoir lui demander des -nouvelles d’Isabelle. Il me dit qu’elle -allait fort bien et que même il allait profiter -de ce qu’il était revenu à Paris plus -tôt que de coutume pour faire avec elle -un petit voyage.</p> - -<p>Grand Dieu ! était-ce un voyage de -noces ? Le mot m’en vint sur les lèvres. -Ah ! ne valait-il pas mieux que cette -sottise fût accomplie rapidement, tout de -suite, — que m’importait le sort de -Gérard ! — et que Bernerette se trouvât -contrainte à se résigner avant d’avoir -espéré davantage ?</p> - -<p>Mais je me crus obligé de dire à Gérard :</p> - -<p>— On te verra, cet hiver, au Ranelagh, -j’espère ?</p> - -<p>Il fit un geste évasif.</p> - -<p>— Écoute, lui dis-je, ce n’est pas une -plaisanterie : il y a cinq ou six femmes -qui sont folles de toi !…</p> - -<p>Il sourit bonnement, mais sans fatuité, -et dit lui-même :</p> - -<p>— Cinq ou six femmes !…</p> - -<p>Soudain, quelque main invisible et -cruelle me tordit l’estomac ; je me sentis -rougir et puis pâlir ; je me sentis possédé -par une force ennemie de moi-même, mais -autoritaire, irrésistible, et je dis :</p> - -<p>— Je ne te parle que de celles qui sont -mariées !…</p> - -<p>Ah ! Bernerette, avais-je assez fait pour -vous ?</p> - -<p>Gérard rit de bon cœur en montrant, -sous sa moustache noire, ses dents magnifiques ; -et il me serra la main.</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="XII"></h2> - -<p>Et madame de Chanclos qui m’écrivait -pour m’inviter à la campagne ! Et M. de -Chanclos qui ajoutait quelques lignes -pour m’inciter à prendre part aux plaisirs -de la chasse ! Et Bernerette qui -griffonnait dans un coin de la lettre : -« Venez ! venez ! <span class="small">BERNERETTE</span>. »</p> - -<p>Le supplice continuait pour moi, plus -irritant de jour en jour. Je dois avouer -des mouvements d’impatience et d’agacement -qui faillirent me décider à entreprendre, -moi aussi, un voyage — non pas -de noces, en vérité ! — mais long et lointain -et par lequel je fusse tenu à l’écart -des Chanclos obséquieux, de la trop -cruelle Bernerette et de celui que je ne -pouvais m’empêcher de nommer, à part -moi : « Cet imbécile de Gérard. » Comme -je n’osais maudire la famille de Chanclos, -c’était contre Gérard que se concentrait -ma mauvaise humeur, et l’excès de son -aveuglement me faisait bondir : ne venais-je -pas d’apprendre par l’auditeur de première -classe que Gérard, après avoir procédé -lui-même à une enquête, après avoir -vu Isabelle au Luxembourg, au bras d’un -autre, et après qu’elle avait menacé d’en -épouser un troisième, venait d’annoncer -à son collègue au Conseil d’État qu’Isabelle -était innocente et qu’il était avec -elle en meilleurs termes que jamais ?</p> - -<p>« Quel imbécile, que ce Gérard ! » -disais-je en me promettant de fuir résolument -tout motif d’esclavage. « Quel -imbécile, que ce Gérard ! » répétais-je -encore, quelques jours après en faisant -ma visite… pour fuir l’esclavage ? pense-t-on, -pour éviter d’être « imbécile » -comme Gérard ?… non : pour aller -rejoindre la famille de Chanclos et Bernerette !</p> - -<p>Car je m’étais soudain donné, pour les -aller rejoindre, un motif irréfutable, à -savoir, qu’il était de mon devoir d’honnête -homme et d’ami, d’essayer, pendant qu’il -en était peut-être temps encore, de -détourner Bernerette de Gérard. Franchement, -ne devais-je pas à cette petite de -l’éclairer sur la situation et sur l’état -d’esprit de « cet imbécile » ? Je le devais.</p> - -<p>Et je le fis, aussitôt mon arrivée en -Touraine, où les Chanclos habitaient, -l’automne, une vieille gentilhommière -nommée la Tourmeulière, située près de -Langeais, flanquée d’une tour ventrue et -ornée de lucarnes dans le style d’Azay-le-Rideau. -Je le fis, sans attendre seulement -le lendemain, dès le soir de mon arrivée, -sous une charmille magnifique dominant -la vallée de la Loire.</p> - -<p>Marchant dans cette belle allée assombrie, -à vingt pas en avant de monsieur et -de madame de Chanclos et de quelques -hôtes, seul avec Bernerette, je lui parlai -de son Gérard comme si ce sujet nous était -à tous deux familier. Et elle avait à ce -point l’habitude de penser à Gérard à -côté de moi, et de me tenir pour l’ami de -sa pensée muette, qu’elle ne manifesta ni -surprise, ni joie excessive à m’entendre -tout à coup toucher sans précautions le -sujet secret qui, depuis six mois l’étouffait.</p> - -<p>Elle m’écouta, me laissa parler, m’interrogea -elle-même, m’obligea à éclaircir -la situation en ses menus détails. Elle -me stupéfia : elle n’avait pas la moindre -gêne, pas la trace de cet embarras qu’une -toute jeune fille éprouve à parler d’un -homme à un homme ; ce qui lui restait de -plus juvénile était qu’elle manquait tout -à fait de pudeur ! Quand je pensai l’avoir -édifiée sur l’attachement de Gérard pour -sa maîtresse, et lui avoir enlevé, comme -cela s’imposait, toute espérance, un petit -silence s’écoula : nous étions arrivés au -bout de l’allée pour la quatrième fois ; -nous traversâmes le groupe de la famille -et reprîmes notre marche en avant. Une -lune d’octobre, qui semblait courir comme -une folle à travers de gros nuages floconneux, -argentait par endroits la Loire et -ses saulaies ; Bernerette me dit :</p> - -<p>— Mais il n’a pas refusé de venir au -Ranelagh cet hiver ?</p> - -<p>Je regardai, un moment, sans répondre, -ces deux yeux fiévreux qui me parurent -lumineux dans l’ombre comme ceux d’une -chatte.</p> - -<p>Je lui dis, sans ménagement, la vérité :</p> - -<p>— Il n’a répondu ni oui ni non.</p> - -<p>Elle accepta cela sans sourciller, et -dit :</p> - -<p>— Vous n’avez pas insisté ?</p> - -<p>Au risque de lui tordre le cœur, je lui -dis encore la vérité :</p> - -<p>— Si fait ! si fait ! j’ai insisté : ne lui -ai-je pas fait entendre qu’il y avait chez -vous des femmes, et de jolies, folles de -lui !…</p> - -<p>Cela ne la choqua point du tout. Je la -vis, la bouche ouverte, happant, par -avance, la réponse que Gérard avait faite -à cela.</p> - -<p>La frénésie de sa passion me brûlait -comme un fer rouge. Elle aimait au point -de désirer que Gérard vînt au Ranelagh, -fût-ce pour d’autres, parce que, du moins, -elle le verrait !… Je faillis crier, ou bien -lui dire à elle, tout à coup, ma douleur, -et m’en aller.</p> - -<p>Comme je temporisais, elle demanda, -en précipitant l’une sur l’autre les syllabes :</p> - -<p>— Eh bien ! eh bien ! qu’est-ce qu’il a -dit à cela ?</p> - -<p>— Il a ri.</p> - -<p>Elle l’aimait trop ! elle l’aimait trop ! -Elle usait trop aussi de moi, sans vergogne. -Ce que je souffrais atteignait l’intolérable. -Cependant, cette extrémité, je le -sais, n’excuse pas la faute que je commis. -Je ne fus pas bon, ce soir là ! J’ajoutai, en -regardant la petite martyre dans ses deux -yeux de chatte :</p> - -<p>— Il a ri : je lui ai vu sous la moustache -toutes ses belles dents !</p> - -<p>Je me vengeais en la laissant sur une -image qui pouvait lui faire désirer son -Gérard davantage…</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="XIII"></h2> - -<p>Un domestique apporta des châles pour -ces dames ; puis madame de Chanclos -supplia sa fille de rentrer au château, -parce qu’un peu de fraîcheur montait de -la vallée. Je vis que l’on commençait à -traiter Bernerette comme une malade. En -rentrant avec elle, je lui dis qu’il était -urgent qu’elle fît l’aveu de ses sentiments -à sa mère, qui s’égarait sur la cause de -son tourment, d’une façon désobligeante -pour moi.</p> - -<p>— De quelle façon ? dit Bernerette.</p> - -<p>— Oh ! épargnez-moi d’insister !</p> - -<p>Elle ne comprenait pas du tout l’erreur -qu’avait pu commettre sa mère ; il me -fallut insister, ce qui était atrocement -gauche ; mais je n’étais pas au bout de ma -peine ! J’arrivai à lui faire entendre, par -lambeaux, que sa mère la croyait certainement -amoureuse, que je m’en étais -aperçu, mais amoureuse d’un autre…</p> - -<p>— Comment ! d’un autre ?… dit Bernerette.</p> - -<p>Elle s’indignait : un mouvement de -colère l’agita. Elle laissa échapper quelques -paroles assez aigres envers sa mère. -Elle lui gardait rancune de n’avoir pas -deviné, de longtemps, qui elle aimait. -Pour Bernerette, c’était là gravement -manquer à apprécier l’irrésistible attrait -de Claude Gérard. Mais, du moins, pensait-elle -que sa mère était incapable -même de deviner qu’elle aimait ! Quant à -la croire amoureuse et ne la croire pas -amoureuse de Claude Gérard, non ! cela, -c’était avoir quelle opinion donc, sur son -goût ? Qu’elle fût amoureuse de Gérard et -de nul autre, mais cela devait éclater aux -yeux de tout être sensé ! Et à défaut d’être -heureuse en cet amour, elle se contentait -qu’on devinât qu’elle en souffrait. Certes, -il ne s’agissait pas pour elle de faire des -confidences, un aveu ! Elle portait un dieu -en elle, et elle méprisait ceux qui n’en -discernaient pas l’incomparable rayonnement. -Voilà pourquoi elle avait été pour -moi si gracieuse, du jour où elle avait -soupçonné que, plus fin que tout autre, -je discernais, moi, cette lumière !</p> - -<p>— Qui donc, dit Bernerette, maman -croit-elle que je puisse aimer ?</p> - -<p>— Moi ! lui dis-je.</p> - -<p>Et je me dépêchai d’éclater de rire, afin -de le faire avant elle.</p> - -<p>En effet, elle rit.</p> - -<p>Nous rîmes ensemble.</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="XIV"></h2> - -<p>Le lendemain, je chassai avec monsieur -de Chanclos et deux voisins de campagne ; -le déjeuner eut lieu entre hommes, dans -un pavillon, à la lisière du bois ; je ne -revis Bernerette que le soir, et je ne pus -encore ce jour-là m’apercevoir de l’altération -de sa santé comme je le fis au -grand jour, lorsqu’elle m’apparut pour la -première fois fardée.</p> - -<p>J’eus peur, et pitié d’elle. J’oubliais d’un -coup ce que j’avais souffert par elle, et la -honte me prit de ma cruauté d’un moment, -le soir de mon arrivée.</p> - -<p>Assise sur un banc, coiffée d’un grand -chapeau de tulle, elle travaillait à un -ouvrage de main. Le soleil dorait ses -cheveux. Son cou me sembla amaigri, et -son nez plus fin. Tout de suite, d’ailleurs, -elle m’avertit elle-même de sa mine -mauvaise, en me confessant qu’elle avait -eu la sottise de recourir à des drogues -pour se faire engraisser, et qu’elle s’était -fait mal. Je me moquai d’elle :</p> - -<p>— C’est bien fait, mademoiselle !</p> - -<p>— Oui, dit-elle, on n’est pas bête comme -ça !</p> - -<p>Mais malgré moi je regardais sa taille, -et cette gorge qui, il y a six mois, mûrissait -comme un fruit déjà lourd ! Un -homme passe et voilà la récolte compromise ; -c’est comme un rayon de soleil -trop ardent ou un coup de vent de la -mer…</p> - -<p>A mon approche elle s’était levée, -avait jeté son ouvrage et m’avait appelé : -« Henri !… » d’un ton si tendre, que mon -cœur battit comme autrefois, au premier -appel de cette voix qui me charmait tant. -Je pensai que l’idée lui était enfin venue -que mon rôle avait pu être pénible et -qu’elle allait au moins me manifester -qu’elle ne l’ignorait pas. Mais elle souffrait -tellement elle-même, qu’elle n’imaginait -pas qu’un autre à côté d’elle pût -être blessé. Ce n’était déjà plus qu’un petit -être qui défendait sa vie avec acharnement, -par tous les moyens. Ce tendre : -« Henri ! » voulait dire : « Pauvre petite -Bernerette ! »</p> - -<p>Elle m’entraîna vers la charmille, à -l’ombre. Je remarquai qu’elle se tenait -avec insistance entre le soleil et moi, à -contre-jour, et qu’elle ne vous parlait plus -en face, et qu’elle vous tournait son profil -quand on lui adressait la parole ; elle avait -d’ailleurs accommodé son chapeau en -forme de capote, et ce n’était plus guère -que le bout de son nez qu’on voyait quand -elle détournait la tête. Elle se cachait ! -Elle ne voulait pas que j’emporte d’elle -l’impression que sa beauté diminuait.</p> - -<p>Je n’avais pas eu le loisir de voir, la -veille, en pleine lumière, le paysage étalé -à nos pieds : la Loire endormie, ses longs -sables en fuseaux, ses larges îles de peupliers -feuillus, une barque qui pourrit, -deux toues qu’un homme dirige à la gaule, -un filet tendu, un horizon sans bornes -qui se confond avec le bleu opalin du ciel ; -au-dessous de nous, au bord de la levée, -de noirs trous de cheminées, quelques-unes -fumantes, au milieu de rocs blanchâtres, -de jardinets, de petits vignobles ; -sur la route plate, une charrette transportant -des tonneaux, une bicyclette -filant comme une libellule, et le sentiment -de la paix parfaite universellement -répandue, depuis les plus menus objets -aperçus jusqu’aux plus grandes choses.</p> - -<p>Je dis à Bernerette :</p> - -<p>— Que j’aime cela ! comme ce pays -repose !…</p> - -<p>» Et l’on voit les pignons du château -de Langeais !…</p> - -<p>— Oui ! fit-elle. Ah ! Henri ! pendant que -j’y pense… et papa, lui ?</p> - -<p>Je souris et lui dis :</p> - -<p>— Oh !… « pendant que j’y pense ? » -Vous y auriez aussi bien pensé plus tard !…</p> - -<p>Mais elle n’avait point envie de rire ; -elle insista :</p> - -<p>— Dites !…</p> - -<p>« Et papa, lui ?… » n’était pas une -question très claire, mais j’entendais -Bernerette à demi-mot. Sans même un -mot je lui fis comprendre que « papa, -lui, » n’avait pas paru savoir si sa fille -avait ou non des sentiments.</p> - -<p>Elle eut l’air de me dire : « Mais qu’avez-vous -donc fait à la chasse ? »</p> - -<p>Cette battue d’hier n’avait-elle pas été -combinée par Bernerette ? En effet, on ne -m’avait point du tout connu jusqu’ici -comme chasseur : que signifiait cette -marche forcée ? Bernerette avait pensé -qu’au hasard de la promenade dans les -guérets ou les sentiers, je saisirais l’occasion -de m’employer pour elle, de -provoquer, par exemple, chez M. de -Chanclos, une question comme celle-ci : -« Et votre ami Gérard, est-il chasseur ? » -A quoi je pouvais répondre ce que me -suggérerait mon désir d’être agréable à -Bernerette. Bernerette entendait m’employer -sans cesse, et m’employer à tout -ce qui pouvait la sauver.</p> - -<p>— Et vous, Bernerette, est-ce que vous -avez parlé à votre mère ?</p> - -<p>— Non.</p> - -<p>J’eus l’air de dire à mon tour : « Qu’avez-vous -donc fait pendant que nous -étions à la chasse ? » Je me plaignis ; je -lui répétai que je ne pouvais tolérer la -durée d’un tel quiproquo, où mon rôle -était ridicule et deviendrait indélicat. Je -manifestai l’intention de parler moi-même -à madame de Chanclos. Bernerette -me dit :</p> - -<p>— Oh ! vous n’avez donc pas confiance -en moi ?</p> - -<p>Le lendemain, on chassa encore. En -vérité, je n’attendais pas, comme Bernerette, -que M. de Chanclos me parlât, entre -deux coups de fusil, de l’état du cœur de -sa fille, mais j’attendais moins encore -que M. de Chanclos et le voisin de campagne -même qui chassait avec nous, me -traitassent avec une certaine affabilité -dont la nuance dépassait, d’une façon -infinitésimale peut-être, mais dépassait, -la mesure ordinaire. Ce fut le voisin de -campagne qui m’aida à faire cette découverte. -Il n’était pas de ceux qui nous -accompagnaient l’avant-veille ; celui-ci, -d’un naturel moins réservé, me laissa -presque clairement entendre qu’il me -tenait pour un prétendant à la main de -mademoiselle de Chanclos. Mon sang ne -fit qu’un tour. Mais que dire ? Et cet indiscret -m’ouvrit les yeux sur maintes particularités -qui m’avaient échappé. M. de -Chanclos me traitait autrement que de -coutume, oui ; comment ne l’avais-je pas -remarqué depuis trois jours ? Enfin il n’y -avait pas jusqu’aux domestiques qui ne -montrassent un zèle inusité à me servir. -Je revins furieux et en me jurant à moi-même -que la nuit ne se passerait pas que -je n’eusse parlé ouvertement à la mère -de Bernerette. Et dès le seuil du château, -en saluant Bernerette, je l’avertis de -mon intention. Elle me serra la main à -me faire mal et me dit tout bas :</p> - -<p>— Ne parlez pas : vous me perdez !</p> - -<p>A ces mots-là, je ne reconnaissais plus -Bernerette : ils sonnaient le roman, le -théâtre. « Ne parlez pas, vous me perdez ! » -Elle avait entendu ou lu cela -quelque part. Ils lui venaient à la bouche -dans un moment où elle cessait d’être -naturelle, où elle se forçait, je l’aurais -parié, pour soutenir quelque machination -pouvant servir à ses fins. Et je me torturais -l’esprit à me demander en quoi le -fait d’entretenir l’erreur de tous sur ses -sentiments pouvait être avantageux à ses -projets. Que ne me mettait-elle au moins -dans la confidence, puisque c’est moi -qu’elle employait comme pantin dans la -comédie qu’elle donnait ou laissait jouer -devant elle.</p> - -<p>Je me contins jusqu’après le dîner, qui -me parut long. Puis, quand je pus prendre -Bernerette à part, dans le jardin, je -me fâchai.</p> - -<p>Elle se mit à pleurer, et s’en fut, sous -la charmille, dissimuler ses sanglots. Je -ne comprenais plus rien à son état, sinon -qu’elle était exaltée et malade. Je n’osais -plus ni la suivre, depuis que je savais -comment mon intimité était interprétée, -ni paraître lui avoir fourni un prétexte à -bouderie, ce qui était plus grave encore.</p> - -<p>J’allai la rejoindre. Elle me dit :</p> - -<p>— Vous voyez, voilà ce que vous faites !…</p> - -<p>En effet, n’était-ce pas moi qui étais -cause qu’elle pleurait !… Elle n’eût pas -pleuré si j’eusse laissé les choses aller -leur train, si j’eusse accepté le rôle intolérable -que j’endossais, si j’eusse mérité -enfin que bientôt l’on me mît à la porte -de la maison ! Je ne pus pas, ce soir-là, -lui tirer une parole sensée ; quand j’insistais, -elle recommençait de pleurer ; quand -elle cessait de pleurer, elle répétait :</p> - -<p>— Vous voyez !… Vous voyez !…</p> - -<p>Je m’exaspérais ; je maudissais la faiblesse -qui m’avait amené à la Tourmeulière. -Mais m’en aller brusquement était -impossible ; annoncer mon départ, c’était -m’exposer à ce que monsieur ou madame -de Chanclos me parlassent ouvertement, -et je devais éviter avec soin cette extrémité. -J’étais prisonnier. Mais tarder à les -détromper c’était aussi courir le risque -qu’ils entreprissent de me parler. Il était -urgent d’agir. Je me fixai le lendemain -matin comme dernier délai.</p> - -<p>N’avais-je pas aussi à me livrer à des -conjectures au sujet de l’étrange, de -l’inexplicable obstination de Bernerette ?</p> - -<p>Je ne parvins, ni ce soir-là, ni dans la -suite, à éclairer cette partie obscure de -la conduite de Bernerette. Mais il m’est -arrivé, depuis lors, de remarquer dans -la vie des femmes, des passages mystérieux -où certainement elles-mêmes n’ont -pas vu clair.</p> - -<p>Et sous mes yeux, quelle nuit magnifique -d’automne !… La Loire basse, déchirée -en lambeaux par ses sables et ses -îles, ressemblait de loin à ces traces -argentées que laissent les limaçons dans -les allées des jardins ; le calme était -immense, l’air frais ; des parfums d’héliotropes -et de fruits mûrs montaient, s’évaporaient -et se recomposaient, comme de -petites nuées pesantes et tangibles ; plusieurs -fois, l’aboiement d’un chien sembla -venir de l’autre côté du fleuve, et des -chouettes miaulèrent dans la tour ruinée ; -mais la plupart du temps la tranquillité -était telle qu’à huit cents mètres, j’entendais -un poisson sauter hors de l’eau.</p> - -<hr /> - - -<p>Une si belle paix n’allait-elle pas m’apporter -l’oubli momentané de mes ennuis -avec le sommeil ? quand une idée nouvelle, -imprévue, surgit tout à coup comme -un mal de dents qui commence, dont on -n’est pas très sûr tout d’abord, qui se -dissipe en une minute, puis revient, puis -s’affirme, puis grandit, envahit la face, -absorbe le cerveau et vous torture.</p> - -<p>Cette erreur, commise par la famille de -Chanclos, par leurs amis et leurs gens, -au sujet du cœur de Bernerette, cette -erreur qui, depuis trois jours surtout, -avait pris pour moi de telles proportions -qu’elle dépassait mes autres ennuis, ma -jalousie, mon amour même ; cette erreur -qui, après avoir indigné Bernerette, semblait -à présent, et pour un motif inconnu, -être si tenacement adoptée par elle, elle -s’infiltra soudain en un repli de ma cervelle -jusqu’alors épargné. Elle se présenta -à moi comme un prolongement du cauchemar -de scrupules qui m’agitait tout -éveillé. Cette erreur, me dis-je, est-ce -qu’elle n’a pas été commise par Claude -Gérard lui-même ?</p> - -<p>Est-ce que les premiers mots de Gérard, -en me tendant la main à la « soirée -du 23 » n’ont pas été — et je m’en souviens, -car ils m’ont frappé par leur ton -de délicatesse douteuse : — « Mes compliments, -mon cher, tu es joliment bien -dans la maison !… » Est-ce que Gérard, -en me voyant familier au Ranelagh, -empressé même auprès de mademoiselle -de Chanclos, au dîner, n’a pas été induit -à soupçonner une secrète entente entre -mademoiselle de Chanclos et moi ? Et une -des raisons pour lesquelles il s’est montré, -par la suite, discret jusqu’à l’excès quand -il s’est agi des Chanclos et de Bernerette, -n’est-elle pas qu’il considérait Bernerette -comme une jeune fille engagée, sur le -point d’être fiancée, peut-être ? Et quel -que soit l’attachement de Gérard pour sa -maîtresse, est-il bien certain qu’il aille -jamais jusqu’à la lui faire épouser ? Et si -Gérard savait qu’une jeune fille d’excellente -famille, jolie et riche l’aime à en -perdre la santé, est-ce qu’il commettrait -la sottise de se lier de nouveau avec Isabelle ? -Est-ce qu’il ne regarderait pas -Bernerette d’un autre œil qu’il ne l’a fait -jusqu’à présent ? Est-ce qu’il ne se prendrait -pas peut-être à l’aimer ? Est-ce qu’en -l’aimant il ne ferait pas son bonheur ? Et -moi ? ne suis-je pas très coupable, si je -n’informe pas Gérard de ce qu’est exactement -ma situation vis-à-vis de mademoiselle -de Chanclos ?</p> - -<p>Il est possible qu’à l’état normal je -n’eusse pas pris le parti qui s’imposa à -moi dès ce moment-ci ; mais j’en étais -arrivé, à force d’être molesté, à adopter -avec une sorte d’ivresse tout ce qui pouvait -m’être le plus douloureux. La même -rage qui m’avait fait me vouer dès le -début de l’aventure au service de Bernerette -amoureuse, m’obligea contre moi-même -à me faire, moi, l’ouvrier du -dénouement de l’aventure ! Je décidai -d’écrire à Claude Gérard.</p> - -<hr /> - - -<p>Je n’avais jamais écrit à Claude Gérard ; -ma lettre seule serait pour lui assez frappante ; -une lettre banale, sans but apparent, -mais où se trouverait posée, comme -par hasard, en vedette, toutefois, l’indépendance -absolue de mademoiselle de -Chanclos, préparerait Gérard à recevoir -ce qu’il dépendait de moi qu’il obtînt : -par exemple, une invitation à la chasse. -Je ne pensais pas que Gérard acceptât ; -mais du moins devrait-il, bon gré mal -gré, discerner qu’on cherchait à attirer -son attention de ce côté-ci ; il ne saurait, -en tout cas, manquer de m’en parler -lorsque je le verrais à Paris, et si ma -rage bienfaisante persistait alors, il -n’était pas impossible, en vérité, que je -ne contribuasse à unir « mon ami » Claude -Gérard et mon amie Bernerette !</p> - -<hr /> - - -<p>J’écrivis, cette nuit même, la lettre -banale et significative, et, l’ayant cachetée -et timbrée, je fus soulagé, et -dormis.</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="XV"></h2> - -<p>Le lendemain, Bernerette me trouva -plus calme. Elle me dit :</p> - -<p>— Vous avez parlé à maman ?</p> - -<p>— Non.</p> - -<p>— Vous avez parlé à mon père en chassant ?</p> - -<p>A mon tour j’interrogeai :</p> - -<p>— Et vous, Bernerette, avez-vous parlé -à vos parents ?</p> - -<p>— Non.</p> - -<p>Elle resta pensive, pendant que je faisais -la moue ; puis elle fit :</p> - -<p>— Que voulez-vous que je leur dise ?…</p> - -<p>Elle eut un mouvement nerveux du -pied qui défonça le sol ; nous étions assis -sur un banc, au bout de la charmille. -Elle me dit :</p> - -<p>— Mais vous avez l’air tranquille -comme Baptiste, ce matin, vous !</p> - -<p>— C’est que j’ai pris une résolution.</p> - -<p>— Laquelle ?</p> - -<p>— La résolution d’écrire à quelqu’un.</p> - -<p>Elle tressaillit.</p> - -<p>— D’écrire à mes parents ?</p> - -<p>— Non.</p> - -<p>— D’écrire à qui ?</p> - -<p>— A quelqu’un.</p> - -<p>Je lui dis, simulant un jeu connu :</p> - -<p>— Interrogez-moi donc : « Est-ce un -homme ? »</p> - -<p>Elle dit :</p> - -<p>— Est-ce un homme ?</p> - -<p>— Oui.</p> - -<p>— Un homme âgé ?</p> - -<p>— Non.</p> - -<p>— Un homme blond ?</p> - -<p>— Non.</p> - -<p>— Est-il ici ?</p> - -<p>— Non.</p> - -<p>— Est-il marié ?</p> - -<p>— Non.</p> - -<p>Je vis que son teint s’animait sous la -poudre. Elle avait deviné et ne voulait -plus rien demander ; elle pensait que -je <i>lui</i> avais écrit ; elle pensait à ce que -j’avais pu <i>lui</i> écrire, ou bien elle pensait -à <i>lui</i>, tout simplement. Ce sang, qui montait -à la seule image de Gérard, me brûlait -les yeux comme un feu ardent. J’étais -jaloux, jaloux ! Je repris en grinçant -des dents, mais elle ne s’en aperçut -point :</p> - -<p>— Allons ! allons ! Interrogez-moi : -« Est-il beau ?… »</p> - -<p>Elle dit, avec un frémissement de tout -le visage :</p> - -<p>— Est-il beau ?</p> - -<p>A l’instant, et à ma grande surprise -même, mes yeux se mouillèrent, pendant -que je répondais :</p> - -<p>— Oui.</p> - -<p>Je fis un violent effort pour que mon -émotion ne me trahît pas davantage ; mais -Bernerette ne remarquait pas mon émotion : -elle regardait en face d’elle fixement, -et comme hallucinée. Elle ne -nomma personne ; elle dit :</p> - -<p>— Vous lui avez écrit ?…</p> - -<p>Et elle n’eût pas été trop étonnée si je -lui eusse répondu à ce moment-là : -« Oui, je lui ai écrit que vous l’aimez ! » -Elle répéta :</p> - -<p>— Vous lui avez écrit ?…</p> - -<p>Ce qui signifiait : « Qu’est-ce que vous -lui avez écrit ? » Je dis :</p> - -<p>— Mais, songez donc, Bernerette ! qu’il -eût pu, lui aussi, partager la méprise -commune. Il m’a vu toujours près de -vous ; il me sait, aujourd’hui encore, à -côté de vous ; s’il est délicat, cela ne -suffit-il pas pour qu’il s’interdise de -penser à vous ?… Je vous nuis, Bernerette !… -Y avez-vous songé ?…</p> - -<p>Je vis ses yeux et tout son visage se -transformer : c’était une révélation que -je lui faisais ! Non ! elle n’avait jamais -songé que Gérard pût croire à une liaison -possible entre elle et moi. Son étonnement -me fut encore bien pénible ; mais -elle n’eut même pas l’idée de me le -cacher. Et les conséquences de la méprise -dissipée lui apparurent. Ses sourcils -soulevèrent leur arcature comme pour -donner plus de jour à une vision heureuse ; -puis cette belle voûte se brisa -quand Bernerette se retourna vers moi. -Elle entendait encore la dernière partie -de ma phrase : « Je vous nuis, Bernerette !… » -Un moment, un court moment, -peut-être, elle pensa qu’en effet, j’avais -pu lui nuire, en son amour ; et cela -l’empêchait de me remercier de ce que -j’avais écrit à Gérard, et de penser que -je pouvais souffrir de tout cela. Un -moment, oui, elle me regarda d’un air -méchant !…</p> - -<p>J’avais encore sur moi la lettre à -Gérard ; je la décachetai pour la faire -lire à Bernerette ; je n’avais eu, en écrivant -cette lettre, qu’une crainte, c’était -qu’elle ne fût un peu trop explicite ; il ne -fallait tout de même pas dire à Gérard : -« Mademoiselle de Chanclos est absolument -libre : allons ! n’allez-vous pas la -demander en mariage ? » Bernerette -trouva ma lettre très discrète. Elle me -dit même :</p> - -<p>— Comprendra-t-il ?</p> - -<p>Elle n’eut pas un mot de pitié pour -moi qui attendais d’elle : « Mais mon -pauvre ami, vous me renoncez là dedans ; -on jurerait que je ne vous suis de -rien !… »</p> - -<p>Alors, je lui dis :</p> - -<p>— Bernerette, voyons ! pourquoi vous -opposez-vous à ce que nous dissipions -chez vos parents la même méprise que -nous détruisons ici ?</p> - -<p>— Je n’en sais rien, ma foi, me dit-elle. -J’ai peur de je ne sais quoi, d’un grabuge…</p> - -<p>Et je pensais, à part moi : « C’est cette -méprise qui m’a inspiré et a rendu obligatoire -pour moi mon intervention auprès -de Gérard… » Bernerette n’avait pas, -assurément, escompté cette conséquence -qu’elle ne pouvait prévoir… Mais le génie -de l’amour, ou l’inconscience profonde -qui veille à notre conservation ne lui ont-ils -pas commandé de s’attacher désespérément, -aveuglément, à cette méprise ? Je -me souvins de ses larmes inexplicables, -le soir où je lui demandais : « Mais pourquoi -ne pas parler à vos parents ? » Elle -pleurait, pleurait stupidement, et me -disait avec un air de bêtise vraiment surprenant -chez elle : « Vous voyez ! vous -voyez ce que vous faites !… » Il semblait -bien que cela ne voulût rien dire du tout : -pourtant, en dissipant le malentendu ce -jour-là, j’évitais peut-être d’écrire aujourd’hui -à Gérard !…</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="XVI"></h2> - -<p>A ma grande surprise, je reçus presque -courrier par courrier une réponse de -Gérard ; je n’en attendais point de lui ; -ma lettre n’en demandait aucune. Je -feuilletai huit pages de papier mince, -entièrement couvertes d’une écriture -curieuse : grande, allongée, couchée, -probe, avec je ne sais quelle apparence -féminine. Gérard m’écrivait de Paris ; il -n’était donc point parti pour le voyage -projeté avec Isabelle ? En effet, il n’était -point parti ; il m’en fournissait la raison -avec abondance : le brave Gérard me -narrait au long ses déboires. Le contenu -de ma lettre n’avait pas déterminé ces -confidences, évidemment, mais ma lettre -elle-même, ma lettre quelle qu’elle fût, -arrivant chez lui dans le moment où il -éprouvait un immense besoin de posséder -un confident. Je soupçonnai que son -collègue au Conseil d’État subissait près -de lui une légère disgrâce pour lui avoir -trop justement ouvert les yeux. Gérard -me croyait au contraire fort peu renseigné -sur son ménage ; il avait soulagement -à me le décrire lui-même et dans -les limites où il désirait que je le connusse. -En substance, voici quelle était -sa thèse : Isabelle, de qui les goûts furent -toujours honnêtes, était sur le point de -se laisser épouser par un homme sans -scrupules qui, après lui avoir promis -jadis le mariage, l’avait rendue mère et -puis l’avait abandonnée. Cet homme ne -s’avisait-il pas de vouloir aujourd’hui -réparer sa faute ! et Isabelle de se laisser -succomber à l’appât d’une situation régulière ! -Certes, c’était une femme, écrivait -Gérard, digne qu’il la retînt lui-même -par un lien pareil, mais d’une part, il -avait à compter avec les préjugés de sa -famille et du Conseil d’État, qu’il eût -négligés, à la rigueur ; mais, d’autre part, -Isabelle poussait la probité jusqu’à se -juger indigne d’être sa femme et de pénétrer -dans son monde. Il était très perplexe, -très ennuyé, le beau Gérard ; il -avait besoin de causer avec quelque -homme de sens droit et qui comprît, -« pour avoir vu Isabelle », la légitimité -de son attachement pour elle.</p> - -<p>Une telle crise, inespérée chez Gérard, -me contraignit à brusquer les événements. -Je conservais, pour ma part, tout -l’appétit du martyre désirable, autrement -dit toute la rage secrète qui m’excitait -à assister moi-même à mon propre -supplice.</p> - -<p>Je conseillai à Bernerette de faire -inviter Claude Gérard à la chasse !…</p> - -<p>Elle eut quelques battements des paupières ; -moi aussi ; et Gérard fut invité à -la chasse.</p> - -<p>Il prit le temps de réfléchir, et adressa -à madame de Chanclos un mot aimable, -mais d’excuses : il était momentanément -empêché de s’absenter de Paris.</p> - -<p>Cela fut annoncé pendant le déjeuner, -comme une nouvelle quelconque. Bernerette -n’eut pas un mouvement insolite, et -ses parents pas la plus médiocre intuition -de son ébranlement dissimulé. Je -crois bien que ce fut moi le plus agité en -apparence, parce qu’en un instant, j’imaginai -les conséquences de ce simple refus -de Gérard.</p> - -<p>Alerte pénible, mais courte. Nous -quittions la table, après ce même repas, -quand on me remit un télégramme de -Claude : l’empêchement au voyage de -Langeais était par hasard écarté ; il me -priait de lui répondre télégraphiquement -si on l’autorisait à revenir sur sa décision -de la veille.</p> - -<p>Je lus tout haut le télégramme. Bernerette -manqua de sang-froid, cette fois. -Elle dit au domestique qui attendait :</p> - -<p>— Faites atteler la charrette anglaise : -nous irons porter la dépêche !…</p> - -<p>Le domestique fit observer que le -porteur était monté à bicyclette et qu’il -serait plus tôt au bureau que la charrette -anglaise.</p> - -<p>— Et puis, dit madame de Chanclos, il -faut laisser les gens déjeuner.</p> - -<p>Bernerette fit la moue. Mais ce fut elle -qui trouva la feuille de papier, l’encre, -la plume.</p> - -<p>De la volte-face de Gérard, j’augurai -qu’il se passait chez lui des drames : hier -il pensait reconquérir Isabelle ; aujourd’hui -elle lui jouait un tour de sa façon. -Mais n’irait-elle pas l’arrêter à la gare ?</p> - -<p>J’en étais venu à désirer ardemment le -voyage de Claude !</p> - -<p>Claude accomplit le voyage. Il n’était -pas à une heure de Langeais, que je -désirais qu’il n’arrivât pas. Quand il fut -là, dans le petit salon tendu de toile de -Jouy fanée, ou sur la terrasse, ou sous -la charmille, entre Bernerette et moi, et -que mon rôle m’apparut, j’eus de la -lâcheté : je les abandonnai ; j’allai -m’étendre sur mon lit. J’aurais pleuré -comme un enfant, si une sorte de fureur -ne m’avait saisi. Je redescendis. Je trouvai -M. de Chanclos ; je lui dis :</p> - -<p>— N’irons-nous pas tuer un perdreau -avant ce soir ?</p> - -<p>J’entendis peu après M. de Chanclos, -au jardin, qui criait :</p> - -<p>— Henri a le diable au corps ; il veut -chasser. Êtes-vous des nôtres, monsieur -Gérard ?</p> - -<p>Et les yeux colères que me fit Bernerette, -quand Gérard accepta d’être des -nôtres !…</p> - -<p>Aussitôt dans les champs, Claude me -confia qu’il avait cru, l’avant-veille, -avoir fait renoncer Isabelle au mariage ; -une rencontre définitive entre eux devait -décider de la paix ; mais au lieu de cette -rencontre, elle le laissait se morfondre, -la soirée entière, et elle lui envoyait le -lendemain un « bleu » qui, disait-il, « lui -avait fait beaucoup de peine ». Qu’il était -donc évident que la conduite d’Isabelle -envers Gérard était déplorable, et que -Gérard le sentait enfin, tout en s’efforçant -de ne pas le croire… et qu’il était -rivé à elle par quelque lien que la conduite -d’Isabelle la plus fâcheuse ne briserait -pas de sitôt !</p> - -<p>Je lui dis :</p> - -<p>— Enfin te voilà loin d’elle : l’absence, -comme la nuit, porte conseil.</p> - -<p>Il me confia :</p> - -<p>— En venant ici, je n’ai voulu que -mettre Isabelle à l’épreuve ! moi parti, -que décidera-t-elle ? C’est ce que nous -allons bien voir.</p> - -<p>M. de Chanclos tint à lui faire examiner -de près ses vignes. Gérard, fils -d’un petit propriétaire bourguignon, -avait le goût de la culture et quelques -connaissances précises ; ils s’accrochèrent -par là volontiers l’un à l’autre. C’était -une jolie terre que la Tourmeulière ; et -M. de Chanclos en raffolait. Il fut très -content de Gérard. Gérard se trouva -bien d’avoir marché beaucoup, tiré un -peu, causé avec M. de Chanclos, parlé -avec moi d’Isabelle. La première soirée, -de même, se passa très convenablement : -Bernerette ne voulait pas faire la -coquette ; Gérard ne pensait pas à se -montrer galant. Je m’en voulus de m’être -tantôt si effrayé de leur rencontre. Et -bien, quoi ! ils étaient là tous les deux ! -le feu ne prenait pas ; Bernerette plutôt -paraissait apaisée.</p> - -<p>Gérard, le lendemain, attendait une -lettre. Elle ne vint pas. Il s’informa de -l’heure des courriers ; il n’y en avait -qu’un par jour ; mais en allant au bureau -de Langeais, vers quatre heures, il trouverait -sa correspondance, lui affirma-t-on ; -et il fut tranquillisé. Puis on organisa -une promenade à Langeais, en -bande. Gérard n’y trouva point de lettre ; -mais on ne lui laissa pas le loisir d’en -souffrir ; une visite de la ville, un goûter, -un retour en partie à pied sur la levée -de la Loire ; la causette, le long du -chemin, avec de vieilles bonnes femmes -troglodytes, assises au pas de leurs -grottes et de qui Bernerette était l’amie ; -et puis le calme incomparable d’un beau -coucher de soleil avant de remonter au -château, retinrent Gérard de s’alarmer -outre mesure de ce qui se passait à -Paris ; il fut un convive aimable, le soir.</p> - -<p>— Crois-tu, me dit-il, le bougeoir à la -main, en allant se coucher, que cette -coquine ne m’écrit seulement pas !…</p> - -<hr /> - - -<p>Gérard reçut cependant des nouvelles -de sa maîtresse : il me le dit, sans rien -ajouter, ce qui me laissa croire qu’elles -n’étaient pas bonnes ; mais elles ne l’irritèrent -pas, d’où je conclus ou qu’elles -annonçaient que la situation se maintenait -simplement telle qu’elle était, ou -que lui-même s’aguerrissait contre les -inconvénients de la situation. Alors, -n’était-ce pas que, par hasard, il se plaisait -à la Tourmeulière ?</p> - -<p>Il avait plaisir à la chasse, les soirées -étaient douces et les nuits reposantes.</p> - -<p>Un jour, au milieu d’une bien jolie -lande de bruyères roses d’où les toits du -château émergeaient au loin et d’où l’on -apercevait, par delà les cheminées et -pignons, toute confuse dans une brume -bleuâtre, la rive opposée de la Loire, il -me dit :</p> - -<p>— C’est curieux que tu n’aies jamais -songé à épouser mademoiselle de Chanclos ?</p> - -<p>Je m’arrêtai et je regardai au loin, en -me garantissant le visage avec la main.</p> - -<p>— Mademoiselle de Chanclos n’épousera -que qui lui plaira.</p> - -<p>— Ne peux-tu pas lui plaire ?</p> - -<p>— Moi ?… Non.</p> - -<p>— Comme tu dis cela ! Et les parents ?…</p> - -<p>— La donneront à qui lui plaira.</p> - -<p>Nous marchions côte à côte, lui indifférent -autant que moi à l’allure des -chiens, ce qui me donnait à supposer -qu’il poursuivait sa pensée… Mais il -n’ajoutait rien. Je crus devoir insister :</p> - -<p>— Ne t’ai-je pas écrit que je ne suis, -moi, qu’un vieil ami, un camarade ?…</p> - -<p>Nous nous tûmes encore pendant un -assez long temps. Un moment, Gérard -s’arrêta et fit, des yeux, le tour des trois -quarts de l’horizon.</p> - -<p>— Saprelotte ! dit-il, quelle jolie propriété !…</p> - -<p>Et nous continuâmes de marcher dans -l’interminable bruyère. Nous ne parlions -pas. Je ne maîtrisais pas les battements -de mon cœur. La silhouette de M. de -Chanclos parut au bord d’un taillis, et -je compris, à un signe de son bras, qu’il -nous maudissait, pour ne pas chasser -sérieusement.</p> - -<p>Je me mis à combiner en moi-même -divers types de phrases définitives, destinées -à hâter l’achèvement de mon rôle -vraiment par trop ingrat ; et j’avais pris -le parti de dire à Gérard tout bonnement : -« Imbécile ! tu ne vois donc pas -qu’elle t’aime ? » quand, au moment -d’ouvrir la bouche, un déclenchement -soudain se fit dans mon cerveau ; je jugeai -qu’un mensonge préalable était nécessaire -pour éviter que Gérard ne me crût -secrètement épris de Bernerette, et je dis :</p> - -<p>— J’ai une maîtresse à laquelle je -tiens…</p> - -<p>Il fut étonné, sans doute, parce que je -ne lui avais jamais parlé de maîtresse ; -et puis, peut-être, à cause de cela même, -il me crut. Il me regarda et dit :</p> - -<p>— Mariée ?</p> - -<p>Je soufflai confidentiellement :</p> - -<p>— Oui.</p> - -<p>Alors nous reçûmes l’algarade de M. de -Chanclos.</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="XVII"></h2> - -<p>Il y avait une particularité que j’avais -remarquée depuis la première heure du -séjour de Gérard à la Tourmeulière : -c’était que Bernerette, souvent, trouvait -ma présence importune. Elle me reprochait -de savoir son secret !</p> - -<p>Ce qu’elle eût supporté d’une gouvernante -ou d’une amie, d’un homme la -gênait. De sorte que mille manèges -féminins qu’elle eût pu pratiquer vis-à-vis -de Claude, et sans même se rendre -soupçonnable de coquetterie, elle n’osait -pas y recourir parce que j’étais là. Sa -contrainte me faisait peine ; mais cette -retenue que Bernerette s’imposait à cause -de moi, fut la seule attention qu’elle me -témoigna en toute cette triste aventure ; -j’en venais à être flatté que, du moins, -elle me traitât en homme. Dans l’excès -de mon infortune, je l’avoue, je fus content -quelquefois de pouvoir être gênant !</p> - -<p>Que je fis donc bien de profiter de cette -période relativement supportable ! Elle -ne devait pas durer.</p> - -<p>Claude, lui, commença d’être touché -de cette extrême réserve de Bernerette. Il -avait coutume de voir les femmes, un -peu partout, se jeter à sa tête, et il semblait -bien ne s’être attaché jusqu’ici qu’à -l’une d’elles, la seule qu’il eût pris la -peine, tout au moins, de descendre chercher -dans la rue. Au bout de quatre ou -cinq jours, il fut visible que Bernerette -l’intéressait, et il fit quelques pas pour -le lui témoigner. Cela fut si visible que -madame de Chanclos s’en alarma avant -même que sa fille n’eût cru pouvoir s’en -réjouir ; elle s’en alarma, la pauvre -femme, parce qu’elle croyait que Claude -marchait sur mes brisées ; et, voyant -aussi bien que j’avais du souci, elle fut -sur le point de me plaindre ou de me -crier casse-cou, ou de s’indigner de ma -lâcheté ! Oui, le moment menaça où elle -allait m’offrir ses soins pour me débarrasser -de Gérard ! Je fuyais la fille pour -ne la point incommoder ; je fuyais la -mère pour qu’elle ne m’accablât pas de -ses bontés ! J’assistais à des événements -qui ne revêtaient que pour moi la forme -d’une tragi-comédie raffinée ; à tout instant, -à la rigueur, j’eusse pu quitter le -spectacle, mais, soit entraîné par les -premiers actes, soit empoigné par une -douleur que le comique avivait à -outrance, je demeurais à ma place. On -connaît des cauchemars semblables, au -cours desquels on se dit : « Je vais m’éveiller, -parce que cela devient affreux, » -mais aussitôt : « Tout de même, si l’on -poussait plus avant !… »</p> - -<p>Je me sentis quelquefois si désolé, que -je riais, je ricanais tout seul. Il y a dans -la douleur très profonde, et quand quelque -dépit s’y mêle, une espèce de méchante -joie et qui fait admirer ce que contient de -vérité humaine l’esprit prêté par l’Écriture -aux mauvais anges.</p> - -<p>Un jour de pluie, où l’on était resté au -château, où je m’étais enfermé dans ma -chambre sous prétexte de mettre à jour -ma correspondance, où l’on avait joué, -en bas, aux petits jeux avec quelques -voisins de campagne, je trouvai, en descendant, -Bernerette transfigurée, la bouche, -les joues, la poitrine, les yeux pleins -d’espérance, un bonheur dans toute sa -personne. Et Gérard était un peu chose. -Je manifestai, à mon tour, en me mêlant -à tous, une gaieté insolite, nerveuse, -exubérante. Et je regardai l’œil de -madame de Chanclos, qui pensait : « Il -s’efforce de séduire, parce qu’il sent un -adversaire… » Et je regardai Gérard qui -pensait que je venais d’écrire longuement -à ma maîtresse ; et je regardai Bernerette, -qui ne me regardait seulement pas !</p> - -<p>Gérard se laissait-il donc prendre ? -Non, je ne le croyais pas ; mais la vie lui -était ici très aisée : elle le consolait de -ses récents ennuis ; un début de flirt avec -une jeune fille l’amusait. En somme, je -connaissais assez peu Gérard : était-il -tout à fait insensible au fait d’être -accueilli dans une gentilhommière, sans -faste, il est vrai, mais dite « château » -à cause de ses tourelles ? dans une famille, -non pas d’un rang hautain, assurément, -mais qui n’eût peut-être pas fréquenté la -sienne ? et, sans y songer d’une manière -précise, ne prévoyait-il pas que son vieux -papa, en cultivant ses vignes, là-bas, en -Bourgogne, serait flatté s’il le savait là ? -Dans la lande de bruyères, Gérard -m’avait dit : « Saprelotte, quelle jolie -propriété !… » Enfin, il était possible, à -tout prendre, que Claude Gérard se -laissât épouser.</p> - -<p>Comme j’allais m’endormir, le soir de -cette journée de pluie, une idée me -secoua tout le corps, c’était celle-ci : -« Ne se pourrait-il pas aussi que Claude -en vînt à aimer Bernerette ? » Je me soulevai -du coup ; je rallumai ma bougie. -Voilà donc où j’en étais : je me résignais -à ce que Claude épousât Bernerette ; mais -qu’il l’aimât, je ne pouvais le supporter. -« Pourtant, me dis-je, à la lumière de ma -bougie, c’est pour le bonheur de Bernerette -que j’ai travaillé de mes mains à ce -que ce mariage devînt possible, et son -bonheur n’est pas qu’elle soit mariée, -mais aimée !… »</p> - -<hr /> - - -<p>Parce que ma présence gênait Bernerette, -je m’étais mis à affecter une discrétion -qui l’incommodait plus encore ; -on ne me voyait presque plus, si ce -n’est aux repas et à la chasse. Je lui -abandonnais son Gérard ! Elle n’en était -pas fâchée, certes ; mais elle eût désiré -que je fisse cela plus gentiment, et par -exemple, sans paraître le faire. Je suis -sûr qu’à part soi, elle m’envoyait à tous -les diables ; Claude, lui, était persuadé -que j’avais des démêlés épistolaires avec -l’imaginaire maîtresse ; il me dit un certain : -« <i lang="la" xml:lang="la">Tu quoque !…</i> » que je feignis de -ne pas comprendre ; mais depuis lors, je -fuyais tout colloque avec Claude pour -échapper à la nécessité désobligeante de -lui faire de fausses confidences ; pourtant -je ne voulais point paraître éviter Claude, -de peur qu’il ne soupçonnât ma pensée -véritable. J’étais dans la maison comme -un animal aux abois. M’enfuir !… Ah ! -m’enfuir !… N’étais-je pas libre ? Ne pouvais-je -partir demain ? ce soir même ?… -Oui bien ! mais — comprenne qui pourra — je -ne voulais pas m’en aller ! Je montais -précipitamment dans ma chambre ; -je faisais ma valise. Je la défaisais ; je -descendais l’escalier pour aller me mêler -à tout le monde : à peine en bas, je -remontais et je recommençais ma valise. -Je l’envoyais d’un coup de pied, à l’autre -bout de la pièce ; je m’étendais, exténué, -sur mon lit. Deux jours de suite, j’exécutai -ce manège après déjeuner. Le -temps était mauvais ; on ne chassait -guère ; les journées me semblaient interminables. -Et la pire de mes pensées était -que, bon gré, mal gré, d’ici peu de temps, -il faudrait renoncer à ces journées !</p> - -<p>Qu’avais-je le plus désiré en ces derniers -temps ? Que la méprise, la fameuse méprise -de monsieur et de madame de Chanclos, -de leurs amis, de leurs voisins, de leur -personnel même se dissipât. Eh bien ! elle -se dissipait la méprise ! Oh ! je vous prie -de croire qu’elle se dissipait. Elle se dissipait -sans qu’un seul mot eût été prononcé, -ni par Bernerette qui ne voulait -pas le prononcer ni par madame de Chanclos -de qui je l’avais tant redouté, ni par -moi enfin à qui la plus disgracieuse démarche -était ainsi épargnée. Elle se dissipait, -et j’en souffrais comme d’une perte irréparable ; -à certains moments, comme d’une -insulte. Mais je tenais à assister à ce -transport des attentions, des obséquiosités, -des sourires entendus, que parents, -amis, domestiques même effectuaient — oh ! -avec quelle aisance et quelle calme -promptitude ! — de moi à mon voisin, à -« mon ami » Claude Gérard.</p> - -<p>Claude Gérard avait été invité « pour -une huitaine de jours ». La semaine touchait -à sa fin. De la façon qu’allaient les -choses, il était à prévoir qu’on le prierait -de prolonger son séjour, et, ma foi, qu’il -l’accepterait. M’en aller avant lui, -n’était-ce pas par trop avoir l’air de -céder la place ? paraître trop l’avoir précédemment -tenue ? Je me disais cela pour -me donner prétexte à demeurer à la -Tourmeulière !</p> - -<hr /> - - -<p>Madame de Chanclos et Bernerette me -heurtèrent dans l’escalier et me dirent à -peu près simultanément :</p> - -<p>— Ah ! nous allions frapper chez -vous !…</p> - -<p>Que me voulaient-elles ? Elles venaient -me prier de rester jusqu’à la Toussaint : -le baromètre remontait lentement mais -sûrement ; le <i>Journal d’Indre-et-Loire</i> -annonçait de beaux jours. Je dis :</p> - -<p>— Mais non ! c’est impossible ; je dois -rentrer à Paris ; et tenez ! ma valise est -faite !</p> - -<p>Elles furent sincèrement désappointées, -cela était visible ; elles insistèrent -de la façon la plus aimable ; je ne démordais -pas d’une résolution prise soudainement, -je ne sais trop pourquoi, au -moment même où ces dames m’avaient -abordé dans l’escalier. Madame de Chanclos -mit un feu inusité à me retenir. Je -disais : « Mais non !… Mais non !… » sur -un ton qui devait, je l’imaginais, leur -faire entendre que j’étais très malheureux -chez elles. Bernerette ne disait plus -rien. Peut-être enfin comprenait-elle ; -peut-être enfin me prenait-elle en -pitié ? Moi, m’obstinant à ne pas leur -donner de raison positive pour m’en aller, -je disais toujours : « Mais non !… Mais -non !… » Les larmes vinrent aux yeux de -Bernerette. Je crois qu’elle ne fut jamais -plus cruelle pour moi qu’à ce moment. -Je ne pus faire autrement que de céder.</p> - -<p>Et cinq minutes plus tard, Claude me -prenant à part, me confiait :</p> - -<p>— Je suis bien content que tu aies consenti -à rester, parce que je venais de dire -à ces dames qui insistaient beaucoup : -« Eh bien ! que ce soit Henri qui -décide !… »</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="XVIII"></h2> - -<p>Je ne me sens pas, après dix ans écoulés, -la force de décrire ce que je vis pendant -les quelques jours que nous restâmes -à la Tourmeulière. Tous les -amants malheureux, tous les pauvres -jaloux savent ce que c’est que la torture -des petits jeux, des gages, des apartés dans -un salon, des rencontres possibles dans -le dédale des corridors, et du choix des -places dans un break de promenade ; ce -que sont les mots spirituels que la coquetterie -attise, et les termes d’ineffable niaiserie -que l’amour inspire ; ce que c’est -que la beauté, le plaisir, le bonheur… -des autres !…</p> - -<p>La voix de Bernerette ! Le miracle de -son visage transformé ! Du sang, des -formes, de la vie, et quel charme de -jeune ressuscitée ! Que la mort embellit -un être quand, l’ayant touché du doigt, -elle se retire et fait grâce ! Et la fête -dans toute la maison, la reconnaissance -presque sans mesure manifestée au sauveur ! -J’avais joui de quelque chose -d’analogue, ayant produit un peu du -même effet, quand je n’étais que le précurseur !</p> - -<p>Eh quoi ! n’étais-je pas satisfait ? Pour -sauver Bernerette, ne m’étais-je pas fait -gloire de me sacrifier ? Oui, oui ! l’homme -en moi participait à la joie générale et -se félicitait d’avoir contribué à ce que -Bernerette fût revivante et heureuse. -L’homme en moi pensait qu’il eût fallu -un monstre pour ne pas se réjouir du -résultat obtenu. Mais c’est qu’un monstre -était en moi, vraiment, celui qu’autrefois -on nommait le perfide Amour ; et il me -soufflait que je n’avais à aucun moment -espéré que cela pût si parfaitement -réussir !…</p> - -<p>« Tu as joué avec Claude, me chuchotait -le monstre, comme on joue avec le -feu, quand on espère bien ne pas se -brûler les doigts. Tu as fait venir Claude, -oui ; mais tu le savais prisonnier ! Tu -l’as offert à Bernerette, oui, mais tu -voyais la chaîne par laquelle Isabelle le -tenait !… »</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="XIX"></h2> - -<p>Nous partîmes, je m’en souviens, le -lendemain de la Toussaint, par un temps -humide et frisquet, et l’on essaya encore -de nous retenir sous le prétexte que -c’était le jour des Morts ; mais Claude -atteignait la dernière limite de ses -vacances ; ses fonctions le rappelaient. -Mesdames de Chanclos, d’ailleurs, -devaient quitter la Tourmeulière dans la -quinzaine ; on se donna rendez-vous à -Paris : la glace était bien rompue, cette -fois ! Claude promit, sans arrière-pensée, -d’aller au Ranelagh.</p> - -<p>Comme nous avions un arrêt de quarante -minutes à Saint-Pierre-des-Corps, -nous déjeunâmes au buffet tout à notre -aise ; nous étions seuls et je dis tout à -coup à Gérard :</p> - -<p>— Eh bien !… et Isabelle ?</p> - -<p>Il fit claquer sa langue, secoua la tête -et prit son temps pour me répondre ; -puis il me confia que, dans le fond, -Isabelle était un peu rosse. Et il m’expliqua -pourquoi. Je le savais bien. Mais je -vis que Claude n’ignorait rien, ni des -relations d’Isabelle avec le père de son -petit, ni des dernières manigances à propos -du mariage. Il avait été contre elle -extrêmement irrité ; il la chargeait un -peu lourdement, trop même ; et j’en fus -choqué, car, en définitive, la faute d’Isabelle -n’était que de chercher le mariage.</p> - -<p>C’est d’elle que nous parlâmes exclusivement, -durant le trajet, et point du -tout de la Tourmeulière. Il se relâchait -sensiblement de sa sévérité envers Isabelle, -à mesure que nous approchions de -Paris. Je lui dis :</p> - -<p>— Mais, vas-tu la revoir ?</p> - -<p>— Oh ! oh ! fit-il, je lui tiendrai la -dragée haute !…</p> - -<p>Nous descendîmes, notre valise à bout -de bras, notre fusil gainé, en bandoulière. -C’était, dans ce temps-là, à la -vieille gare d’Orléans. Au travers d’un -treillage derrière lequel parents et amis -attendaient les voyageurs, je reconnus -parfaitement Isabelle. Mais je n’en avertis -pas mon compagnon : venait-elle là -pour lui ? Nous passâmes l’étroit défilé -que gardent les employés de l’octroi, -et Isabelle vint se jeter au cou de -Gérard.</p> - -<p>Debout, à la portière du fiacre où il -avait installé Isabelle, et comme j’allais -les quitter, il me confia :</p> - -<p>— J’ai voulu faire une expérience : je -l’avais avertie de mon arrivée. Elle est -venue.</p> - -<p>Je dis :</p> - -<p>— C’est gentil de sa part.</p> - -<p>Il sourit et rejoignit sa maîtresse.</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="XX"></h2> - -<p>Et six semaines s’écoulèrent sans que -j’entendisse parler ni des Chanclos ni de -Claude Gérard.</p> - -<p>Dans le commencement de décembre, -un matin, chez moi, Claude Gérard fit -passer sa carte.</p> - -<p>J’achevais de m’habiller devant la -glace ; je me vis légèrement pâlir. Que -me voulait Gérard ? Il était homme à -venir me demander conseil, à m’avertir -tout au moins, en qualité d’ami commun, -s’il avait résolu quelque démarche -touchant Bernerette.</p> - -<p>Je le fis attendre un peu ; je me préparai. -Enfin :</p> - -<p>— Bonjour, Gérard, comment vas-tu ?</p> - -<p>Il s’excusa de venir me trouver si -matin ; mais l’après-midi l’on ne se rencontre -guère, et il me devait, dit-il, quelques -remerciements pour les petites vacances -en Touraine qu’il n’eût point prises, -en somme, sans mon intermédiaire…</p> - -<p>— Tu es bien bon.</p> - -<p>… Et qui lui avaient été agréables -et profitables… qui lui avaient donné -beaucoup à réfléchir…</p> - -<p>— Ah !</p> - -<p>— A propos, comment vont ces -dames ?</p> - -<p>— J’allais te le demander, dis-je en -souriant : je suis sans nouvelles.</p> - -<p>— J’ai reçu ce matin, me dit-il, un -bout de mot ; tu ne peux manquer d’avoir -le même ; il s’agit d’un dîner… déjà !</p> - -<p>— « Déjà ! » répétai-je, étonné du sens -qu’il semblait donner à ce mot.</p> - -<p>Et en même temps, je sonnai ma -domestique afin de savoir si, moi aussi, -j’avais « un bout de mot ». En effet, je -l’avais ; le même que Gérard : une invitation -pour le 15.</p> - -<p>— Eh bien ! dis-je, voilà une excellente -occasion de nous rencontrer !…</p> - -<p>Et par là, je semblais bien un peu lui -dire : « Nous nous serions aussi bien -rencontrés seulement le 15 !… »</p> - -<p>— Mais c’est que…, dit-il, hésitant, -c’est que je ne crois pas pouvoir y aller…</p> - -<p>— Ah !</p> - -<p>Il me fournit deux raisons pour ne pas -être de ce dîner. C’était une de trop. Ces -raisons étaient des prétextes. Mon cœur -palpita. Je pensai à mon amour, à ma -jalousie, au sort de Bernerette qui allait -être encore remis en suspens, plus gravement -que jamais, après l’espoir né à -la Tourmeulière.</p> - -<p>Et il se tut sur les Chanclos, me parla -du Palais et de petites affaires du Conseil -d’État. Puis, tout à coup :</p> - -<p>— J’ai un poids sur la conscience, -dit-il ; il faut que je m’en délivre pendant -que je te tiens. Voilà !… Je t’ai parlé -inconsidérément d’Isabelle, sur le coup -d’une petite pique entre nous deux. Tout -ce que j’ai pu te dire de fâcheux à propos -d’elle, est faux ; je ne pensais pas ce que -je disais, et quant aux minces fondements -sur lesquels s’étayait ma rancune : -néant ! Je m’étais bel et bien -fourré le doigt dans l’œil jusque-là !…</p> - -<p>Je lui faisais signe qu’il était inutile -d’insister. Mais il ajouta :</p> - -<p>— Te rappelles-tu ce que je t’ai dit -moi-même, à plusieurs reprises : « J’ai -voulu la mettre à l’épreuve ?… » Oui ! -Eh bien ! elle faisait de même : tout avait -pour but de me mettre à l’épreuve !…</p> - -<p>— Tout est bien qui finit bien, dis-je -en riant.</p> - -<p>Il se leva ; il était soulagé. C’était pour -cela qu’il était venu.</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="XXI"></h2> - -<p>Que devais-je faire, moi, de cette invitation -pour le 15 ? L’accepter, n’était-ce -pas rendre plus sensible l’absence ou -l’abstention de Gérard ? Que penserait -Bernerette en ne le voyant pas ?… et en -me voyant ? « Ah ! celui-ci est toujours -prêt ! » Et elle m’en voudrait d’être à sa -disposition, tandis que celui qu’elle -désire se dérobe. M’abstenir ?… On -dirait : « Ces jeunes gens, on ne les -tient pas !… » On assimilerait le cas de -Claude Gérard et le mien. Ainsi j’innocentais -un peu Claude !…</p> - -<p>Cependant si Bernerette souffre par -l’absence de Claude, — ce qui est probable, — elle -brûle de s’informer, elle -veut m’interroger, savoir si Claude m’a -confié quelque impression sur son séjour -à Langeais, sur elle-même !… Alors, -avouer à Bernerette que Claude est ressaisi -par sa maîtresse !…</p> - -<p>J’avais, moi, envie de voir Bernerette, -car sa pensée me tourmentait sans cesse. -Mais j’éprouvais une aversion insurmontable -à l’entretenir de son amour ; je -crois même qu’elle s’en était aperçue -déjà à la Tourmeulière, et, à partir de -ce moment, ne m’avait-elle pas traité -en ennemi ? Et l’idée que j’étais son -ennemi m’était plus odieuse que celle de -lui parler de Gérard.</p> - -<p>Elle avait découvert que je ne la servais -qu’avec dépit ; et peut-être que je -l’aimais ! Dès lors, combien devait-elle -me haïr ? Dans la proportion de ce qu’elle -aimait l’autre. Non ! non ! Je n’irais pas -au Ranelagh le 15 !</p> - -<p>J’écrivis que j’étais empêché. Puis je -me mordis les pouces pour avoir écrit -cela. Le 15, toute la journée, je ne tins -pas en place ; que n’aurais-je pas donné -pour entendre, dans un coin du salon, -le soir, Bernerette me parler, fût-ce de -Claude !…</p> - -<p>A part moi, j’attendais un de ces mots -de madame de Chanclos, comme j’en -avais tant reçus, me priant de venir le -jour qu’il me plairait. Mais le mot, je -ne le reçus pas. Je pensai : « On attend -ma visite… » J’allai faire ma visite avant -Noël. Je me trouvai perdu dans une -assemblée nombreuse. Bernerette n’avait -pas encore pris d’inquiétude ; elle était -jolie à un point qu’elle n’avait jamais -atteint, un peu nerveuse, toutefois, car -elle attendait la visite de Claude. On -parla de lui ; on parla de sa visite probable, -comme on l’avait tant fait l’année -précédente.</p> - -<p>J’admirais, en tremblant, la confiance -que se crée l’amour, inconsidérément, et -pour cela seul qu’il s’en nourrit.</p> - -<p>Tout le monde savait que Claude -Gérard avait passé une quinzaine de -jours à la Tourmeulière ; et les cinq ou -six femmes qui s’étaient particulièrement -intéressées à lui poussaient de petits -« Ah ! ah !… » fort entendus ; et les -langues allaient.</p> - -<p>Claude Gérard ne vint pas. A la fin -de la journée seulement, on s’avisa de -se souvenir qu’il faisait bien difficilement -des visites, et la raison pour -laquelle on l’en avait tout bas excusé -l’année précédente, à savoir ses succès -de joli homme, n’était-elle pas bonne -cette année ? Oui, pour tout le monde ; -non, pour Bernerette. J’étais ému, moi, -à la pensée de l’angoisse qui pouvait -torturer Bernerette ; mais quand le salon -se vida, je m’aperçus bien, moi, qui connaissais -Bernerette, qu’elle n’avait pas -perdu sa confiance ; elle ne souffrait -d’aucune angoisse : son rêve édifié -chaque jour par les soins assidus de -son instinct vital même, qui en avait le -besoin absolu, devait avoir atteint -aujourd’hui toute sa consistance ; il -fallait d’autres coups pour l’ébranler ! -Tandis que je songeais à ce curieux -mystère de l’amour, je m’aperçus aussi -que j’allais me trouver presque seul et -qu’on ne m’avait point prié de rester à -dîner. Je saluai ces dames, qui ne me -retinrent pas.</p> - -<p>Dehors seulement, en même temps -que le brouillard glacé du Ranelagh sur -mes épaules, je sentis toute la gravité -de l’événement qui m’atteignait : je -n’étais plus rien dans la famille de -Chanclos.</p> - -<p>Le cœur de Bernerette gouvernait -cette maison : je ne l’avais que trop -remarqué lors de la méprise fâcheuse ! -Du jour où s’était imposée la certitude -que c’était Claude Gérard que ce cœur -voulait, tout l’espoir et le désir de la -maison s’étaient tournés vers Claude -Gérard. Le moyen, quand on est père ou -mère, de ne pas croire que votre fille -ne subjuguera pas qui elle a choisi ? Le -moyen, quand on possède de la fortune, -de ne pas croire que le jeune homme -qu’on a choisi acceptera ?</p> - -<p>Sur le quai de la gare de Passy, je -retrouvai une dame qui était sortie cinq -minutes avant moi de chez madame de -Chanclos et qui attendait le train ; elle -me fit de tout petits yeux. Je lui -dis :</p> - -<p>— Quoi donc ?…</p> - -<p>— Ah çà ! dit-elle, et non sans malice, -seriez-vous le dernier à savoir ?…</p> - -<p>Le train arrivait d’Auteuil ; il ralentit -en produisant des grincements insupportables :</p> - -<p>— Monsieur de Chanclos a fait un -petit voyage en Bourgogne…</p> - -<p>— Je n’en ai pas entendu parler.</p> - -<p>— Ni moi. Mais mon fils qui faisait -ses vingt-huit jours à Beaune l’a rencontré… -C’est le pays natal de votre -ami… Vous ne venez pas à Saint-Lazare ?</p> - -<p>J’allais à la gare Saint-Lazare ; mais -je dis :</p> - -<p>— Non ! non ! je prends un train du -Nord.</p> - -<p>Et je demeurai onze minutes sur ce -quai, à attendre le train suivant pour ne -pas entendre parler du voyage de M. de -Chanclos au pays de Gérard.</p> - -<hr /> - - -<p>Je marchai de long en long ; je m’impatientai ; -je me pesai à la balance automatique. -La grande aiguille, mise en -mouvement, oscilla, entre deux ou trois -chiffres dorés ; j’entendis dans la -machine comme un petit râle prolongé -de vieille femme ; une claire sonnette -tinta et, sur le ticket qui me glissa dans -la main et qui portait d’un côté la photographie -de S. M. la reine Ranavalo, et -de l’autre, en trois couples de chiffres -superposés, mon poids, dont je ne me -souciais guère, je m’obstinai à composer -avec ces chiffres, en retranchant 9, -comme au baccarat, — quelle idée ! je -ne suis ni joueur ni superstitieux, — je -m’obstinai à composer une date, une -date du mois prochain, par exemple, une -date qui devait être celle d’un inévitable -malheur. J’obtins le chiffre 6. « Le -6 janvier, me dis-je en montant enfin -dans mon train, le bel espoir de Bernerette -et de sa famille croulera ; comment ? -je n’en sais rien encore ; mais il -ne peut, en effet, tarder à crouler… » -Un monsieur qui s’assit en face de moi, -favoris blancs, large rosette à l’ancienne -mode, un médecin peut-être, me regarda -avec un intérêt gênant ; c’est que je -devais faire une figure assez singulière : -mi-souriant à cause de ma puérilité, mi-terrorisé -à l’idée de la catastrophe inévitable.</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="XXII"></h2> - -<p>Je fus délaissé momentanément par la -famille de Chanclos, non de façon à m’en -pouvoir froisser, mais de façon sensible -à un ami ancien et familier. J’espaçai -mes visites et j’écourtai celles que je fis. -Je crois que madame de Chanclos s’imaginait -volontiers que tout le monde avait -commis, à Paris comme à la Tourmeulière, -la même méprise qu’elle-même à -mon endroit ; et l’on manifestait à présent -pour dissiper ce malentendu. Peut-être -aussi me faisait-on expier le tort que -j’avais eu de ne le pas dissiper moi-même -sans retard…</p> - -<p>Dans la première semaine de janvier — où -il n’y eut point du tout de catastrophe, — je -me rencontrai chez madame -de Chanclos avec Claude Gérard et je -mangeai des bonbons qu’il avait offerts. -C’était la première fois qu’on le voyait -depuis la Tourmeulière. Chacun était si -préoccupé de lui, on avait de lui tant -parlé, tant pensé, tant imaginé, que, -lui présent, si calme, si réservé, si peu -brillant hormis par sa jolie figure, chacun -se trouvait refroidi, embarrassé, -désappointé. Il était là enfin ! eh ! bien, -oui, voilà tout. C’était un joli garçon. Il -ne montrait ni une joie particulière de se -trouver là, ni une attention personnelle -à mademoiselle de Chanclos ; il était -pareil à ce qu’il avait été avant la quinzaine -à la Tourmeulière. Et cette quinzaine, -alors, qu’avait-elle donc été ? Un -flirt entre une jeune fille et un joli -garçon. Telle était la vérité banale, -désespérément médiocre, tragiquement -ordinaire, qui éclatait, à mes yeux du -moins, en cette visite attendue pendant -toutes les heures que contient une période -de deux grands mois d’hiver, par le cœur -enivré d’une pauvre petite amoureuse !</p> - -<p>Claude Gérard se leva, au bout d’une -demi-heure. On en fut tout étonné ; on le -pria de revenir dîner sans façon. Mais il -était retenu. Il y eut, chez la maman et -chez la fille, un court moment d’angoisse, -bien apparent à tous, malgré le masque -des sourires. Mais cela ne dura pas le -temps même qu’on le remarquait ; elles -se tinrent bien toutes les deux ; la mère -y eut plus de mérite que la fille, car -celle-ci n’avait pas fini d’espérer.</p> - -<p>Comme on avait prié devant moi Claude -Gérard de vouloir bien rester, on me -pria tout de même. Mais, moi aussi, je -prétextai que j’étais retenu.</p> - -<hr /> - - -<p>Trois semaines plus tard, je fus invité -à dîner pour le commencement de février. -J’acceptai. Je dînai. Claude était invité ; -il avait refusé par une lettre qui fut -jugée charmante.</p> - -<p>Bernerette se trouvait de nouveau, -comme tous les ans, disait-on, un peu -anémiée par l’hiver. Mais elle n’avait pas -cessé d’espérer.</p> - -<p>Moi, je ne savais plus, ma foi, ce que -devenaient Gérard et sa maîtresse ; on ne -me le demanda point, d’ailleurs. Tant -que Bernerette espérait, elle était fière, -presque un peu hautaine. Elle ne s’était -abaissée que par désespoir et à bout de -ressources ; et je crois qu’au fond elle ne -me pardonnait pas d’avoir été son confident, -le témoin de sa détresse, et un peu -aussi son valet…</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="XXIII"></h2> - -<p>Je me mis à bouder, ou, admettons -plutôt, j’essayai d’oublier. Je croyais -avoir oublié Bernerette lorsque, chaque -samedi soir, je me félicitais de n’avoir -pas été au Ranelagh ; mais la vérité est -que je m’en félicitais trop longuement et -trop régulièrement chaque semaine, je -m’en félicitais quelquefois le lendemain -et pendant la moitié de la semaine suivante, -et je passais l’autre moitié à me -dire : « Je n’irai certes pas samedi ! »</p> - -<p>Enfin, les premiers jours de mars arrivèrent -sans que j’eusse manqué à ma -belle fermeté. Il est juste de dire que ces -dames, de leur côté, semblaient tenir le -même serment : je n’entendis pas une -fois parler d’elles. Aussi dès la fin de -février commençai-je à remplacer les -petites félicitations que je m’adressais si -complaisamment, par quelques marques -de dépit, inavoué à moi-même d’abord, -jusqu’au jour où je m’entendis frapper -le sol de mon talon et dire tout haut : -« C’est un peu fort !… » Ah ! il fallut bien -reconnaître que j’étais vexé, et que ce -que je nommais à part moi « l’abandon » -de la famille de Chanclos m’était extrêmement -pénible.</p> - -<p>Allais-je finir par retourner au Ranelagh ? -Capituler ? Non pas ! Voici le parti -qui me sembla infiniment plus digne que -d’aller au Ranelagh : aller chez Claude -Gérard !</p> - -<p>Il va sans dire que je ne voulus reconnaître -aucune connexité entre ces deux -démarches possibles, aller au Ranelagh, -aller chez Claude Gérard. Cependant, -pourquoi aller chez Claude Gérard ? -N’avais-je pas résolu, et ceci depuis un -mois, de laisser tomber mes relations -avec ce garçon ? Oui. Eh bien ! à présent, -la démangeaison me prenait d’aller chez -Claude Gérard ! Et j’y allai.</p> - -<p>Je sonnai et fus longtemps à la porte ; -je sonnai de nouveau ; la petite bonne -enfin parut, environnée de quatre personnes : -on visitait l’appartement. Je -demandai M. Gérard ; la bonne me dit -qu’il était sorti, « et qu’il n’y avait -personne ici ». Cet excès d’information -me paraissait dissimuler bien gauchement -la présence d’Isabelle ; et comme -j’élevais un peu la voix pour exprimer -mes regrets de ne pas trouver là Gérard, -une porte s’entr’ouvrit et quelqu’un chuchota :</p> - -<p>— C’est vous ? Entrez donc un peu !…</p> - -<p>Et Isabelle se montra, agitant et frottant -son peignoir : elle sortait d’un -cabinet obscur où elle s’était tapie pendant -qu’on visitait.</p> - -<p>— Vous déménagez donc ?</p> - -<p>Elle me regarda avec cet air de dédain -qu’on a pour les personnes mal informées -de ce qui se passe. Et elle me fit -entrer dans la salle à manger.</p> - -<p>— Je vois, dit-elle, que j’ai du nouveau -à vous apprendre !…</p> - -<p>Elle parlait confidentiellement, et en -outre, d’un geste, semblait couper toute -communication entre ses paroles et la -bonne, d’ailleurs retournée à ses affaires.</p> - -<p>— Je ne veux pas la garder, dit Isabelle. -Claude tient absolument à trancher -net avec ce qui a été, comme il dit, son -passé de garçon : nous avons engagé un -valet de chambre.</p> - -<p>— Peste !</p> - -<p>— C’est peut-être une folie, d’autant -plus que Claude, pour le moment, il faut -vous dire cela, est à couteaux tirés avec -sa famille. Mais c’était une de ses idées. -Nous habitons rue de Moscou, à partir du -15 avril.</p> - -<p>Je bredouillai quelques compliments -et tentai de parler d’autre chose : et -comment allait-il, Claude ?… N’aurais-je -pas la chance de le voir rentrer ?</p> - -<p>— Il est sorti pour affaires… Il s’en -donne du mal, le pauvre garçon !… Vous -pensez que ça ne va pas tout seul, quand -on a les parents contre soi !… Enfin, -c’est bien lui qui l’aura voulu ; moi, je -n’ai pas cessé de lui dire : « Je ne suis -pas la femme qu’il te faut… » Qu’est-ce -que vous voulez ? c’était son idée.</p> - -<p>— Comme pour le valet de chambre !</p> - -<p>— Dites-donc, vous !…</p> - -<p>Elle allait prendre mal la chose ; je -dus lui affirmer que je n’entendais faire -aucune assimilation malséante. Elle -dit :</p> - -<p>— Oui, oui, mais vous riez, je le vois -bien ; vous êtes comme les autres ! Ah ! -ce n’est pourtant pas faute de l’avoir -averti de cela comme du reste : « Tous -tes amis se ficheront de toi, tous… »</p> - -<p>— Mais je vous jure…</p> - -<p>— Vous pouvez jurer ! ça n’empêche -rien. Et si vous voulez savoir mon opinion, -à moi, je vais vous la dire, c’est -que si ce mariage se fait, j’aurai autant -à m’en repentir que Claude !</p> - -<p>— Allons ! allons ! n’exagérons rien !</p> - -<p>— Voilà !… c’est cela même !… Vous -croyez, vous aussi, que c’est moi qui -excite Claude à m’épouser ! Détrompez-vous ! -si j’avais voulu épouser quelqu’un -à mon goût, ç’aurait été le petit blond, -qui en fait une maladie à présent, parce -que je le refuse ; et si j’avais voulu faire -un mariage raisonnable, mais là, sérieux, -pour avoir la paix, la sécurité et… l’aisance, — je -peux bien vous dire ça entre -nous, car Claude n’est pas riche, tant -s’en faut ! — eh bien, je vous le jure sur -la mémoire de mon pauvre petit enfant, -c’est son père, à ce chérubin, que j’aurais -épousé, et non pas un autre !</p> - -<p>Je ne disais rien. J’ouvrais les yeux avec -une certaine stupéfaction. Elle reprit :</p> - -<p>— Vous allez peut-être dire comme -cet autre hypocrite qui a dîné ici une -fois avec vous et qui ne s’est pas gêné -pour insinuer à Claude que je lui jouais -la comédie ?… La comédie ? moi ? non ! -Je n’ai pas assez de malice. On me l’a -toujours dit, que je n’avais pas volé le -Saint-Esprit, je finirai par le croire… Je -vous ai dit la vérité vraie dès le premier -jour : oui, le blond a voulu m’épouser. -Quand le père de mon petit ange a su -que ce jeune homme voulait m’épouser, -c’est lui, à son tour, qui aurait bien fait -n’importe quoi pour ne pas me perdre. -Est-ce que je pouvais cacher cela à -Claude ? Non. Eh bien, dès que Claude a -su cela, il s’est montré plus acharné que -les deux autres : voilà la comédie ; elle -n’est pas de moi, comme vous pouvez en -juger ; elle s’est faite toute seule.</p> - -<p>— Mais, hasardai-je, si, avant que la -chose ne soit conclue, l’un des deux -autres manifestait un acharnement plus -vif que celui de Claude ?…</p> - -<p>Isabelle dit innocemment :</p> - -<p>— Ça n’est guère possible : Claude -m’a chambrée ; je ne quitte plus d’ici !</p> - -<p>Voilà tout le résultat que je tirai de -ma visite chez Claude Gérard. En descendant -l’escalier je sentis bien que je -venais d’essuyer une déception. Était-ce -pour n’avoir pas rencontré Gérard ? Un -peu : car il m’eût peut-être donné des -nouvelles du Ranelagh !</p> - -<p>Après, pour ne pas rire de moi, je me -mis à rire de Claude Gérard en réfléchissant -à son sort pitoyable.</p> - -<p>Claude ne vint pas me rendre visite : -en effet, étais-je sot ! il avait bien trop à -faire ; en outre, il était gêné de m’annoncer -son mariage ; enfin, peut-être -renonçait-il à ses anciennes relations -pour faire peau neuve par le mariage. Et -je n’eus de nouvelles du Ranelagh que -par une carte postale illustrée qui m’arriva -le jour de la mi-carême, et dont je -regardai la jolie photographie de côte -méditerranéenne, pendant deux minutes, -en me faisant la barbe, avant de retourner -seulement le carton, avant de me -demander de qui il venait.</p> - -<p>Il venait de Beaulieu (Alpes-Maritimes) ; -il portait la signature de Bernerette -au-dessous de trois mots : « Au -meilleur ami », et de l’adresse où -répondre : « Villa Cynthia ».</p> - -<p>Comment les Chanclos étaient-ils -partis pour le Midi où ils n’allaient -jamais et contre quoi ils avaient même -une certaine prévention ? Aussitôt habillé, -je courus au Ranelagh. Je vis l’hôtel -fermé. Je sonnai par acquit de conscience, -et je resonnai. Le concierge de la propriété -voisine s’approcha derrière un -colley aboyant, et me dit que toute la -famille de Chanclos était partie depuis -six semaines, et que les domestiques -l’avaient rejointe hier, « les patrons » -ayant loué une villa à Beaulieu.</p> - -<p>J’envoyai, à mon tour, une carte postale -à l’adresse indiquée. Presque courrier -par courrier, une carte m’arriva de -Beaulieu, portant les signatures de Bernerette -et de sa mère, avec quelques -mots des plus gracieux.</p> - -<p>Je ne pouvais que m’en tenir là et renvoyer, -dans une quinzaine, un mot insignifiant -au dos du « Palais de Justice » -ou de « la Fontaine Saint-Michel ». Mais -avant que la quinzaine ne fût écoulée, -je recevais de madame de Chanclos une -lettre, cette fois ! qui m’apprenait, en des -termes que l’on s’efforçait de ne pas -rendre trop alarmés, que Bernerette -était « très sérieusement souffrante », que -l’on avait quitté Paris précipitamment, -que l’on était venu s’installer ici dans un -hôtel « splendide et odieux », où n’avait-on -pas eu le malheur d’être persécutés -et de souffrir mille avanies, jusqu’à ce -qu’enfin l’on comprît que le règlement -s’opposait à l’admission d’une « personne -qui tousse… »</p> - -<p>Ces derniers mots me firent courir un -frisson entre les épaules et j’oubliai, d’un -coup, toute ma désobligeante aventure. -Je crus même avoir de graves torts -envers les Chanclos pour les avoir -« abandonnés » deux longs mois, pour -n’avoir point été là quand cette triste -détermination dut être prise : partir -pour le Midi, parce que Bernerette est -« sérieusement souffrante ». J’étais reconquis, -réasservi ; j’étais de nouveau prêt à -exécuter le moindre désir formulé là-bas, -dans cette petite anse maritime que je -connaissais bien, entre la « petite Afrique » -et le cap Saint-Jean : Beaulieu. Le -désir ne manqua pas d’être formulé ; on -me nommait sans cesse « le meilleur -ami », et Bernerette s’ennuyait…</p> - -<p>Mais je ne pouvais m’éloigner de Paris : -je venais d’être nommé d’office pour -assister un pauvre bougre dans une affaire -d’assises. Une correspondance de plus -en plus régulière s’établit entre la villa -Cynthia et moi ; tantôt la mère, tantôt la -fille m’écrivaient, ou bien elles joignaient -leurs signatures au bas d’une carte postale -où Bernerette avait rétréci autant -que possible son écriture afin de bavarder -davantage. Petit à petit, cet échange -devint si fréquent, si nourri, que je pus -en tirer la présomption que je demeurais -vraiment pour Bernerette « le meilleur -ami ». Aux vacances de Pâques, je ne -tins plus en place, et je partis pour Nice, -qui est à Beaulieu ce que Saint-Malo est à -Dinard… Je me souvenais de l’an passé… -Mais rien ne m’eût empêché de recommencer -toutes mes épreuves et d’en tenter -d’autres encore.</p> - -<p>Oh ! les misérables aberrations de -l’amour ! Je m’acheminais vers la villa -Cynthia, comme l’enfant prodigue vers la -maison paternelle : en coupable. Dans ce -chemin qui va de la descente du tramway, -entre des oliviers et des murs, jusqu’à -l’endroit où je savais que ma pauvre -petite Bernerette toussait, mon émoi -venait de l’avoir abandonnée ! Et je me -répétais : « Si j’étais demeuré près d’elle, -je lui aurais bien épargné, voyons ! de -se faire tant de chagrin !… » Car une -peine morale, je n’en doutais pas, avait -ouvert les portes toutes grandes au mal -qui la guettait.</p> - -<hr /> - - -<p>Il faisait beau malgré un ciel nuageux -qui n’était plus celui de février : des jardins -jetaient par-dessus les murs leur -trop-plein de roses, et quelque chose de -vibrant, de chaud, de sain, une allégresse -indéfinissable était dans l’air charmant. -Je lus le nom de la villa ; on vint m’ouvrir. -Joë aboya ; et je vis, tout de suite, à -dix pas, dans le jardinet, sous des -palmes, Bernerette enveloppée de couvertures, -abritée par une guérite d’osier -et écrivant sur ses genoux. Je la trouvai -très rouge. Je la complimentai sur sa -bonne mine. Elle me dit :</p> - -<p>— Oh ! oh ! cela va passer : c’est la -surprise.</p> - -<p>Elle glissa la lettre qu’elle écrivait dans -un pupitre qu’elle ferma à clef, et peu -après, je vis qu’en effet sa mine était -trompeuse.</p> - -<p>Aux aboiements du chien, madame de -Chanclos parut sur le seuil, vint au-devant -de moi, en ouvrant son ombrelle. Elle -me parla tout de suite de la santé de sa -fille, qui, selon elle, s’améliorait. Je pensais -qu’elle m’indiquait par cet optimisme -le mot d’ordre : il s’agissait, avant tout, -de réconforter l’esprit de la malade. Mais -en particulier, plus tard, elle me parla -de même : elle ne discernait pas plus -les ravages du mal physique qu’elle -n’avait soupçonné ceux de l’amour. -D’ailleurs, elle me livra le fond de sa philosophie -maternelle :</p> - -<p>— J’aime trop ma fille, me dit-elle, -Dieu ne peut vouloir me la prendre.</p> - -<p>Et elle s’extasiait devant le soleil, -devant les fleurs, devant la ravissante -vue qu’on avait du perron, par-dessus les -orangers, sur la baie, sur le cap, au loin -sur la mer. M. de Chanclos, lui aussi, -était gagné par le charme de ce pays ; il -avait pris le train d’une heure un quart -pour Monte-Carlo. Ce qui le rassurait, -lui, quant à sa fille, c’est que les médecins -l’avaient envoyée dans le Midi, et -c’est un fait patent qu’on n’envoie plus -les vrais malades dans le Midi, qui les -achève.</p> - -<p>Bernerette, elle, pensait autrement ; -j’eus vite fait de m’en apercevoir ; mais -elle se voyait partir avec une résignation -si douce que ceci me fut pénible plus que -l’aveuglement optimiste des parents. -J’eus, d’un coup, l’impression que cette -maladie était un lent suicide. Timidement, -peu à peu, je m’informai dans la -maison, des origines de cette toux et de -ce dépérissement. Une grippe vers la fin -de janvier, d’abord ; la guérison ; puis -une rechute assez rapidement combattue -encore ; enfin, à la suite d’une imprudence, -la vilaine « bronchite » qui ne se -terminait pas. A la suite de quelle imprudence ? -voilà ce que personne ne put -m’éclaircir. « J’ai commis une imprudence », -avait dit Bernerette ; « elle a -commis une imprudence » avait-on répété ; -et comme le plus pressé était de combattre -les effets de l’imprudence, on s’était contenté -de laisser à la cause initiale de la -maladie cette vague appellation.</p> - -<p>Je passai toute cette première journée -près d’elle. Je m’attendais à ce qu’elle me -parlât de Gérard : mais je lui aurais -parlé de lui sans arrière-pensée, sans -amertume : je l’attendais, j’y étais tout -préparé et je m’étonnais de mon calme, -quand l’idée me vint que j’avais peu de -mérite à cela : Claude et Bernerette -étaient séparés à jamais, par un mariage, -par une mort menaçante ! Elle ne me -parla point de lui, et je sentis qu’elle -n’affectait pas de ne point parler de lui ; -non, sa pensée semblait libérée de ce -poids ; on eût bien juré qu’elle l’avait une -bonne fois rejeté : n’était-ce pas quand la -malheureuse avait commis « l’imprudence » ?</p> - -<p>Pas un jour il ne fut question de Claude -si ce n’est qu’en faisant allusion au séjour -d’automne à la Tourmeulière, elle dit, à -trois reprises : « Votre ami », mais en -glissant, sans trébucher le moins du -monde ; et elle l’eût nommé plus gravement -en le passant sous silence.</p> - -<p>Du côté des parents, mutisme absolu -touchant Claude. Ils étaient, à n’en pas -douter, informés de son mariage prochain ; -ils se mordaient les pouces d’avoir -un peu inconsidérément fait fond sur lui. -Je suis persuadé qu’ils ne soupçonnaient -ni la douleur ni le dépit possibles de leur -fille.</p> - -<p>Bernerette parut très franchement -heureuse de me revoir ; plus qu’heureuse : -le premier jour, elle ne put maîtriser, -par deux fois, une émotion violente, et -elle eut des palpitations. La mère disait : -« Elle est d’une sensibilité !… » Je rappelais -à Bernerette tant de souvenirs ! Et -elle se voyait disparaître. Quand j’annonçai -que j’allais reprendre le tramway -de Nice, elle pleura ; je promis de revenir -le lendemain matin, et de déjeuner avec -elle. Pendant près d’une semaine, je ne -quittai presque pas la villa.</p> - -<p>Taisant toujours le sujet dont je la -croyais étouffée, Bernerette s’appliquait, -semblait-il, à me faire oublier qu’il eût -jamais existé entre elle et moi. Et je -remarquais une chose : c’est que, du -temps que ce sujet l’absorbait, quand elle -ne m’en entretenait pas, elle ne me parlait -que d’elle-même, disant sans cesse : -« Oh moi !… » ou bien : « Au fond de moi, -voyez-vous !… » Ou encore : « Si j’étais !… -Si je pouvais !… » Aujourd’hui, et depuis -mon arrivée à Beaulieu, elle ne parlait -que de moi : « Voyons ! et vous !… Oh ! -vous, je me doute bien !… Que ferez-vous ?… -Que feriez-vous ?… Et vous, -Henri quand vous étiez enfant ?… » Jamais -elle ne m’avait parlé comme cela.</p> - -<p>Je résistais, comme il le faut faire -toujours quand on vous dit : « Parlez-moi -de vous-même ! » et je détournais la conversation -par vingt chemins de biais. -Mais l’idée de Bernerette était fixée ; elle -me ramenait en souriant ou quasi fâchée -au poteau planté par elle. On eût juré que -je l’intéressais.</p> - -<p>Je repris avec elle, pour ne point parler -de moi-même tout à fait sérieusement, ce -ton enjoué, ce demi-badinage qui nous -valait autrefois de si agréables entretiens, -avant l’inoubliable « soirée du 23 ». -J’avais, dans ce temps-là, et j’ai encore, -horreur de la conversation qui n’est que -légère, mais plus horreur encore de la -conversation sérieuse qui ne se pare point -entre homme et femme, d’un certain air -léger. Bernerette, autrefois, se plaisait à -ces jeux, où l’on s’échauffe, où l’on s’enflamme, -où l’on se blesse aussi, mais sans -faillir à la convention adoptée que c’est -en jouant qu’on fait cela. Aussitôt que -Bernerette avait connu Claude, elle avait -cessé de se prêter à cette manière : elle la -réadoptait aujourd’hui avec joie ; elle me -dit même :</p> - -<p>— Oh ! il me semble qu’il y a longtemps, -longtemps que je n’ai causé !</p> - -<p>Le plaisir me gagna. Si ce n’eût été la -vilaine toux qui, de temps en temps, -secouait Bernerette, j’aurais pu croire -que nous étions encore à l’année dernière, -à pareille date, ou peu s’en fallait, -sous les premières feuilles des marronniers -du Ranelagh. J’aurais pu oublier -qu’un noir nuage avait passé.</p> - -<p>Le plaisir me gagna. Cela veut dire -qu’aimant Bernerette comme je n’avais -cessé de le faire, je lui laissais, par mon -plaisir, découvrir que je l’aimais, et -combien. Le langage voilé de l’amour, -elle le comprenait mieux cette année !… -Je n’y prenais pas garde, tout d’abord, et -je n’écoutais que mon plaisir : mais je vis -tout à coup qu’elle connaissait, elle, la -nature de mon plaisir, et qu’elle l’avait -provoqué.</p> - -<p>J’eus peur un instant ; je m’arrêtai ; je -me contractai tout entier. Se distrayait-elle, -en sa détresse, à me voir amoureux ? -Ou mieux : croyant bien mourir, me -laisserait-elle l’aimer afin de connaître et -de goûter au moins les sons des paroles -d’un grand amour ?… Oh ! quelle heure -je me souviens d’avoir passée, un après-midi, -dans le parfum des giroflées et des -roses, sous ce ciel de la côte qui me fait -croire que j’ai un corps glorieux, comme -on dit dans les catéchismes, et que mon -âme est toute visible et flambante autour -de ma tête, à la façon d’une auréole ! La -joie divine au dehors, la pire anxiété au -dedans, oui, je me souviens de cette -heure ! Je voulus me promener : je prétextai -le besoin de marcher ; je m’en allai -vers le Cap, et, tout en fuyant, je me -retournais vers la petite agglomération -qu’était le Beaulieu de ce temps-là, et j’y -cherchais, pour ne voir que lui, le toit -où s’étiolait, à la première heure de l’âge -d’aimer, celle qui m’employait peut-être -encore une fois à la servir, dans le plus -cruel des emplois : lui jouer au vrai — dernier -et beau divertissement — la passion -amoureuse !</p> - -<p>Je n’allai pas loin. Quand je revins, -Bernerette avait la fièvre ; on l’avait -couchée ; on me permit de lui souhaiter -le bonsoir par la porte entre-bâillée ; elle -ne me regarda seulement pas. Je crus que -c’était parce qu’elle était trop malade. -Mais le lendemain elle me dit que ç’avait -été pour me bouder.</p> - -<p>Elle allait mieux ce lendemain-là. Sa -santé était cahotée brutalement : un jour -on désespérait d’elle, un autre on n’était -pas certain qu’elle fût profondément -atteinte. Je fus si surpris, si aise de voir -Bernerette à ce point changée, que j’oubliai -l’heure chagrine de la veille et mes -horribles imaginations. On a pour les -malades des attendrissements où tous les -sentiments se fondent dans le seul désir -de voir en eux la vie renaître. Aucune -arrière-pensée toute cette belle journée. -Je m’abandonnai sans me soucier de -savoir si mon expansion, mon allégresse -étaient ou non provoquées par l’habile et -secret désir qu’a une femme de se sentir -aimée.</p> - -<p>Joë s’amusait à déchiqueter les oreilles -de drap d’un malheureux pouf, et il le -faisait zigzaguer sur le parquet et sur le -tapis en poussant des grognements joyeux -et dirigeant vers nous des regards si -drôles que je me mis à jouer avec lui. Je -lançais le pouf du bout de ma bottine, et -Joë bondissait et l’attrapait parfois au vol -par son oreille à demi-décousue. Nous -riions, moi, de l’ardeur joyeuse du chien, -Bernerette, de cela aussi et de moi-même. -Madame de Chanclos nous surprit -au milieu de cette scène, et elle me -la rappela plus tard pour prouver que -sa fille n’était pas alors dans un état à -donner de l’inquiétude. Je me souviens -qu’elle nous dit : « Comment ! vous ne -profitez pas de ce beau soleil ! » et qu’elle -ouvrit toutes grandes les portes sur le -jardin.</p> - -<p>— Mais, maman ! Joë et le pouf de la -propriétaire ?…</p> - -<p>Et Madame de Chanclos elle-même -donna un coup de pied dans le pouf de la -propriétaire, qu’elle envoya dehors sur -une corbeille de primevères. Qu’on juge si -la gaieté était pure !…</p> - -<p>Bernerette se promena une heure dans -le jardin. Dans ses bons jours, elle se -sentait à peine affaiblie ; on la suralimentait -et elle était plus grasse qu’on -ne l’avait jamais connue. Les giroflées et -les violettes embaumaient l’air ; Bernerette, -comme moi, aimait le poivre de -l’eucalyptus, dont on eût dit, par moments, -qu’une main invisible saupoudrait la terre -autour de nous. Je me disais, en continuant -de jouer avec le chien excité : « Il -n’est pas possible qu’elle soit dangereusement -malade ; elle est trop jeune, trop -fraîche… » Et j’allais penser, tout comme -sa mère : « Et je l’aime trop ! » Oh ! cher -soleil !</p> - -<p>A la fin de cette partie, quand nous -rentrâmes, Bernerette s’étendit sur la -chaise longue et parut sommeiller un -instant ; madame de Chanclos et moi nous -nous taisions, la croyant endormie ; mais -elle me dit tout à coup, avant d’avoir -rouvert les yeux :</p> - -<p>— Henri !…</p> - -<p>J’allai à elle ; elle se redressa, cala des -coussins autour d’elle, et dit :</p> - -<p>— Asseyez-vous sur le pouf, s’il en -reste, et que je vous remette un peu votre -cravate.</p> - -<p>Instinctivement je me retournai vers la -glace, avant même de chercher le pouf. -Elle dit :</p> - -<p>— Non ! non ! Laissez-moi faire !… Et -d’abord, mon pauvre ami, votre épingle -était piquée de façon à ne pas vous mener -loin… Ah ! vous devez en semer…</p> - -<p>Elle refit le nœud de mon plastron et -repiqua l’épingle. Les sommets de la -petite crête de sa main me frappèrent -le menton. Elle me regarda en souriant, -le temps d’un éclair, la physionomie très -heureuse. Puis elle s’étendit de nouveau -et parut sommeiller.</p> - -<p>Qu’est-ce que cela voulait dire ?</p> - -<p>Je m’en allai pendant qu’elle reposait, -et repris mon tramway de Nice, malgré -les instances de madame de Chanclos -qui voulait m’avoir à dîner. Le lendemain, -madame de Chanclos m’attrapa dès l’antichambre. -J’avais été bien cruel de ne -pas rester la veille ; Bernerette en avait -pleuré.</p> - -<p>En effet, le premier mot de Bernerette -fut : « Jurez-moi, Henri, que vous resterez -ce soir ! » Je jurai. Elle était -encore très bien ce jour-là ; pas la moindre -fièvre ; un goût vif d’aller, de remuer, de -jouer au soleil, et de l’appétit comme -quatre.</p> - -<p>Je dis à sa mère :</p> - -<p>— Elle est sauvée, c’est sûr !</p> - -<p>Madame de Chanclos me répondit :</p> - -<p>— Parbleu !</p> - -<p>Mais Bernerette, en s’asseyant sous -un palmier, eut un mot inquiétant :</p> - -<p>— Il y a des fruits, dit-elle, que je -n’ai pas goûtés, n’est-ce pas ? Je voudrais, -oh ! je voudrais tant mordre à -tous !…</p> - -<p>Je souris, et feignant l’indignation :</p> - -<p>— Parlez-vous par parabole, Bernerette ?</p> - -<p>— Mais non ! dit-elle ; voyons ! un brugnon, -par exemple, eh bien, qu’est-ce -que c’est que ça ? Je n’en ai jamais mangé. -Et il y a encore des goyaves, des caroubes, -des arbouses… bien d’autres dont je ne -sais seulement pas les noms et que je -voudrais goûter…</p> - -<p>— Vous ferez des voyages !… Pour le -brugnon, les arbouses, il ne faut pas -aller si loin !…</p> - -<p>— Oh ! mais tout de suite ! dit-elle, -tout de suite… Demain ? la semaine prochaine ? -Non, non !… D’ailleurs, je n’y -pense plus, c’est une fringale qui m’a -passé comme cela… Tout de suite !… -répéta-t-elle. Si c’est pour ce soir ou -dans une heure, je m’en fiche !…</p> - -<p>Elle m’avait vu tout à coup si malheureux -de ne pouvoir satisfaire son désir, -et peut-être en même temps de l’entendre -exprimer un désir maladif et contenant -je ne sais quoi de mauvais augure, -qu’elle me prit la main et me la serra. -Nous étions seuls dans le jardin, avec -Joë ; elle me dit :</p> - -<p>— Henri ! que vous me faites de la -peine quand vous avez l’air malheureux !…</p> - -<p>— Cela m’arrive donc ?</p> - -<p>Elle ne dit ni oui ni non ; son regard -sembla fouiller des histoires anciennes ; -elle prit une figure très grave. Son œil, -que je suivais, s’arrêtait, dans la représentation -du passé, à des points de repère. -Enfin elle dit :</p> - -<p>— Oui, cela vous arrive.</p> - -<p>Et elle me serra tendrement la main.</p> - -<p>Moi, je pensais : « Elle revoit dans sa -mémoire toutes les fois où j’ai souffert -par elle, et sa main qui me tient m’en -demande pardon. » Et j’avais envie de -lui dire : « Mais ce n’est pas la peine de -me demander pardon ! Si vous saviez seulement -ce que c’est pour moi d’entendre -le son de votre voix, si vous aviez entendu -comme moi les quatre petits mots que -vous avez prononcés : « Oui, cela vous -arrive… », vous comprendriez que cela -me suffit, que cela efface tout ! » J’étais -bien sincère, l’air qui frappait ses dents -et que ses lèvres distribuaient en syllabes -toujours précipitées me causait un ravissement -inexprimable… J’oubliais réellement -tout : je n’avais jamais, jamais -souffert par elle…</p> - -<p>Elle me dit :</p> - -<p>— Henri !… Henri !…</p> - -<p>Elle ne me regardait pas ; ses yeux -étaient fixés ailleurs ; mais elle tenait -toujours ma main. Je fis :</p> - -<p>— Qu’y a-t-il ?</p> - -<p>Je sentais en elle un tourment singulier ; -elle pressait ma main dans ses -mains ; je crus qu’elle allait me dire -quelque chose d’inespéré : par exemple, -qu’elle m’avait aimé, qu’elle m’aimait.</p> - -<p>Les larmes lui vinrent aux yeux et -elle ne dit plus rien.</p> - -<p>Quand je la quittai, le soir, elle me -demanda :</p> - -<p>— Henri, est-ce que vous seriez allé -loin, tantôt, pour me chercher des goyaves, -des caroubes ?</p> - -<p>J’eus l’air indigné qu’elle en doutât. -Il lui passa, sur les lèvres seulement, un -sourire.</p> - -<p>De telles scènes me faisaient grand -mal. Je m’en allais, le soir, les jambes et -le cœur rompus. Je l’aimais tant, que -j’étais, malgré tout, crédule ; en fait, -nul jeu de coquetterie n’eût été troublant -comme ces tendres réticences, ces serrements -de main muets et ces larmes.</p> - -<hr /> - - -<p>Je passai une nuit folle. Mon supplice -était de me moquer de moi-même et de -me mépriser à cause des rêves trop beaux -que j’osais faire. J’étais honteux, mais -insensé. J’arrivai à Beaulieu plus tôt qu’à -l’ordinaire. Mais j’avais oublié qu’il y -avait ce jour-là du monde : des amis -déjeunaient ; ils passèrent l’après-midi ; -ils rentraient à Cannes et ne prirent -qu’un train du soir pour y être à l’heure -du dîner. On resta même un peu trop -tard dehors, et Bernerette toussa ; elle -avait eu le tort de beaucoup parler aussi. -Pourtant, elle n’avait pas eu un mot, pas -un regard particuliers pour moi… Ah ! la -maudite journée.</p> - -<p>Le lendemain, à mon arrivée, j’appris -qu’elle avait eu la fièvre et qu’elle toussait. -Je crus voir une jolie bulle de savon -que j’avais moi-même soufflée un jour, -et qui crevait. Bernerette ! Bernerette ! -vous étiez donc décidément condamnée ? -Tous ces beaux jours de répit, c’étaient -donc des duperies, des mensonges du -beau ciel d’ici ? Ah ! bouche charmante ! -petites syllabes précipitées ! ô volupté -éphémère ! Jamais, à aucun moment de -ma vie, il n’eût pu m’être plus insupportable -de me voir arracher Bernerette !</p> - -<p>Quand je la vis sur sa chaise longue, -affaissée comme du linge humide, je -crus que j’allais la serrer dans mes bras -et l’emporter pour la défendre contre -cette mort qui semblait la tirer par en -bas ! Ma tendresse ne put se dissimuler -ce jour-là. Dès que je fus seul avec la -pauvre petite, je pris une de ses mains et -j’osai la couvrir de baisers.</p> - -<p>En même temps, un flot de paroles -arriérées me montait à la gorge, m’étouffait -et retardait le moment de lui dire que -je l’avais toujours aimée, que je l’avais -tant aimée ! Elle vit bien ce que j’allais -lui dire. Elle m’ôta sa main un moment -pour porter un doigt à sa lèvre et -faire : « Chut !… » Et elle me rendit sa -main.</p> - -<p>Je recommençai de baiser sa main en -silence. Cette peau un peu trop chaude !… -Ces fins doigts que le soleil pénétrait !… -Ces petits os d’oiseau qu’on sentait à -peine enveloppés !… Mes baisers sur cette -frêle chose, c’était ma vie, dix-huit mois -contrainte, qui s’épanouissait, fleurissait ! -Bernerette baissait les paupières ; elle ne -me regardait pas ; mais sa figure, calmée, -était d’une bienheureuse.</p> - -<p>Nous ne fûmes pas longtemps seuls. -Madame de Chanclos me dit :</p> - -<p>— Mais c’est vous qui êtes souffrant, -mon ami ; Bernerette a bien meilleure -mine que vous !…</p> - -<p>En effet, j’étais vert d’émotion et Bernerette -gardait sa physionomie paisible -et aisée, malgré le rhume, disait-on, -qu’elle avait contracté hier soir. Le temps -était toujours splendide ; nous allâmes, -malgré le rhume, au jardin, après midi, -et là, comme je ne pouvais lui toucher -la main avec toute l’ardeur que je -n’aurais pas contenue, je la suppliai :</p> - -<p>— Pourtant, Bernerette, il faut que je -vous dise !…</p> - -<p>Elle sourit et referma les yeux ; puis -elle me laissa dire.</p> - -<p>Je n’eus d’elle qu’un même mot, et elle -le répéta toutes les fois que ma confession -lui découvrait les crises d’un amour -si vrai et si grand, que moi-même, à les -exprimer, je frissonnais. Elle disait : -« Henri !… Henri !… »</p> - -<p>Nous étions, d’ailleurs, fréquemment -interrompus. Sa mère passa une bonne -partie de la journée avec nous. Cependant, -comme nous rentrions au salon, -emportant les pliants, Bernerette me dit -tout bas :</p> - -<p>— Vous m’avez fait du bien !</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="XXIV"></h2> - -<p>Là-dessus survint la visite d’un célèbre -médecin de passage à Nice, que monsieur -et madame de Chanclos avaient été -poussés à consulter par leurs amis de -Cannes, et quoiqu’ils jugeassent la chose -inutile, l’avis du médecin de la famille -suffisant bien. Le célèbre médecin commença -par interdire absolument le retour -à Paris, « même en mai, même en juin, -même pour l’été, même pour l’année, et -même pour deux années suivantes ! » -Telles furent ses propres paroles. Ensuite, -il déclara que Beaulieu non plus n’était -pas favorable, et ordonna Davos, la montagne, -l’air « intégralement pur. » Monsieur -et madame de Chanclos furent -atterrés ; ils vivaient persuadés que leur -fille n’était pas atteinte, puisqu’on l’envoyait -dans le Midi, qui n’est pas sérieux. -On l’envoyait à Davos ; ils la tenaient -pour perdue.</p> - -<p>Bernerette, elle, accepta très philosophiquement -l’arrêt, non qu’elle eût sur -l’ordonnance du séjour à Davos le préjugé -de ses parents, mais parce que, — et je -croyais bien l’avoir remarqué déjà, même -dans ses jours de santé, — elle n’avait -conservé aucun espoir de vivre. Je le vis -à son œil indifférent, durant toute la -journée où son père et sa mère, inaccoutumés -aux épreuves, ne parvenaient pas -à dissimuler leur tourment. J’en fus, -quant à moi, très bouleversé, parce -qu’après les aveux que je lui avais faits, -qu’elle m’avait laissé lui faire et qu’elle -avait accueillis avec tant de bonheur, -cela ne lui laisserait donc pas de regrets, -de mourir ? Je lui en voulais beaucoup de -sa résignation. Mais je ne partageais ni -l’alarme soudaine et exagérée des parents, -ni le calme désespoir de Bernerette. En -tout cas, je devais la quitter dans deux -jours pour rentrer à Paris ; et je comptais -sur l’air de Davos, comme on compte -toujours sur quelque remède nouveau, -ceux d’hier étant reconnus vains.</p> - -<p>J’aimais tant, aussi ! que je voyais uniquement -l’heure présente ou celle qui -doit aussitôt la suivre ; et je savais qu’il -m’en restait vingt-quatre à passer près de -Bernerette, et que toutes seraient employées -à lui redire mon amour. On -m’eût affirmé que, dans vingt-quatre -heures, moi-même je mourrais, qu’est-ce -que j’eusse préféré faire, sinon ce que -précisément j’allais faire ? et qu’est-ce -que j’eusse fait avec plus de frénésie et -d’ivresse heureuse ? Rien, rien.</p> - -<hr /> - - -<p>Ces deux jours sont des plus beaux que -j’aie vécus. Sans me laisser impressionner -par une destinée trop sombre, je -sentais bien que la menace en planait -sur la tête de celle que j’appelais, ces -deux jours-là, enfin ! « ma petite bien-aimée ». -Ce n’est pas pour cela que je -l’aimais davantage ; mais tout de même je -l’aimais mieux, et les mots, pour lui -exprimer mon amour, étaient moins -retenus par cette espèce de pudeur que -j’ai à parler d’un grand sentiment. La -disproportion se trouvait diminuée entre -le lyrisme élevé du cœur et la médiocre -vie : des paroles de passion y pouvaient -tomber sans faire sourire celui même qui -les dit et qui les pense.</p> - -<p>Je m’abandonnai ; j’épanchai mon -cœur. Je ne souris pas. Bernerette non -plus. Elle baissait les paupières, comme -la veille, et elle avait la figure d’une -petite bienheureuse.</p> - -<p>Elle me prenait la main, quand nous -étions seuls, et elle me la serrait tendrement. -Je n’en demandais pas plus ; -n’était-ce pas beaucoup me dire ?</p> - -<p>J’obtins plus, cependant ! Elle me -confia tout bas, quand je lui dis adieu :</p> - -<p>— Personne, jamais, ne m’a dit ce que -vous m’avez dit, Henri !…</p> - -<p>J’ai vu, tournées vers moi, à la lueur -de la lampe, la petite figure adorée, la -bouche qui martelait trop vite ces chères -syllabes, les deux mains tendues !</p> - -<p>Madame de Chanclos m’avait précédé -dans l’antichambre. Je revins sur mes -pas. Je me penchai de nouveau vers Bernerette -pour lui baiser les mains. Elle -ajouta :</p> - -<p>— Personne ne me dira plus jamais… -ce que vous m’avez dit…</p> - -<p>Et j’entendis qu’elle sanglotait pendant -que, de l’autre côté de la porte, je -parlais à sa mère.</p> - -<p>Pour la vingtième fois depuis le matin, -madame de Chanclos me dit :</p> - -<p>— Elle est perdue !… Elle est perdue !…</p> - -<p>— Mais non ! Mais non !</p> - -<p>Et je citais des exemples de guérisons -connues.</p> - -<p>— L’essentiel, disais-je, — et que les -médecins négligent trop, — est de maintenir -un bon état moral…</p> - -<p>Madame de Chanclos me prit la main -et je vis une larme au coin de ses yeux.</p> - -<p>— L’état moral, il n’y a que vous qui -ayez jamais su le lui maintenir bon. Et -vous allez nous quitter ! Sans vous, que -deviendra-t-elle ? Elle va écrire, du matin -au soir, comme elle fait quand vous -n’êtes pas là…</p> - -<p>— Elle écrit donc toujours ? Mais -qu’écrit-elle ?</p> - -<p>— Toujours, depuis sa maladie. Elle -écrit sur du papier à lettres ; elle enferme -ce qu’elle écrit dans des enveloppes… -qui ne partent pas, bien entendu : elle -ne met ni timbre ni adresse. Un jour elle -en a des piles ; le lendemain, elle les fait -brûler. « Mais, maman, puisque ça m’occupe !… -Mais, ce sont mes secrets, -tiens !… » Ou bien elle a le toupet de me -répondre : « Ce sont des lettres pour -saint Joseph, je les ferai porter à -l’église… » Non ! voyez-vous, de nos -jours, les jeunes filles ne respectent ni -Dieu ni parents !</p> - -<p>Puis elle affecta de sourire ; elle était -très émue, la pauvre maman ; elle eut -quelques réticences, enfin elle me dit :</p> - -<p>— Figurez-vous… il faut bien que je -vous l’avoue, j’ai cru que ces lettres vous -étaient destinées…</p> - -<p>Je fis un geste d’étonnement, de dénégation, -de protestation.</p> - -<p>— Oh ! reprit-elle, je l’aurais voulu, -je l’aurais souhaité de tout mon cœur ! -J’ai en vous une confiance absolue ; vous -êtes le meilleur ami de Bernerette ; j’autorise -ma fille à vous écrire quand vous -serez séparés ; dites-le-lui vous-même ; -qu’elle vous écrive, cela lui fera du bien…</p> - -<p>Et elle en revint à son idée, en clignant -des yeux :</p> - -<p>— Et puis, comme cela, je crois bien -que quelques-unes des lettres qu’elle écrit -iront à leur destinataire !… Ne dites pas -non : vous n’en savez rien. Les jeunes -filles, voyez-vous, celles même qui se -croient audacieuses, ont bien des timidités. -On griffonne du papier, on griffonne, -mais on n’envoie pas le billet ; -c’est un peu comme lorsque nous crions -bien haut : « Oh ! à celui-ci, je vais lui -dire son fait ! D’abord, je lui dirai : -« Monsieur !… » Mais on ne lui dit même -pas : « Monsieur !… » On évite de le rencontrer.</p> - -<p>J’étais confondu ; je me retirai ; madame -de Chanclos ne me lâcha pas la main :</p> - -<p>— Et vous, répondez-lui, je vous en -prie ! répondez-lui sans crainte. Elle -n’écoute ni son père ni sa mère, mais ce -qui vient de son ami est comme un -oracle…</p> - -<p>— Merci, madame ! Au revoir, madame, -à demain !</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="XXV"></h2> - -<p>Ce dernier jour, ce fut Bernerette qui -me pria :</p> - -<p>— Henri ! parlez-moi comme hier…</p> - -<p>Et elle ne laissa perdre aucun des instants -où nous nous trouvions seuls. Je la -voyais se tapir, avec un petit frémissement -des épaules, contre les coussins de -sa chaise longue, comme un oiseau qui se -met au nid ; elle fermait les yeux et elle -était toute prête à recevoir ma tendresse. -Moi, je l’aimais trop, j’étais trop ému -pour savoir parler. Je n’ai jamais compris -l’éloquence amoureuse ; quand on -aime, on dit plus par ce qu’on ne dit -pas que parce qu’on exprime. J’étais gêné -aussi parce que, quand on dit qu’on -aime, on parle surtout du passé. On dit -combien, à tel moment, on a aimé, comment -on a aimé tel jour : « Oh ! tel jour, -vous souvenez-vous ? vous portiez une -robe bleue ?… » C’est toujours la même -chose ! Et le passé, c’était ma souffrance -muette, ma jalousie. Je ne voulais pas -parler de l’autre ; je sentais que je commettrais -une grande faute en parlant de -lui. Mais j’aimais tant, que, parmi mes -mots embarrassés et sincères, quelques-uns -la touchaient, la pénétraient et semblaient -vraiment l’inonder d’un bien-être -inconnu d’elle.</p> - -<p>Je m’enivrais moi-même, peu à peu, du -bonheur que je semblais répandre, et je -me souviens que je compris, un moment, -que je serais capable, si cela continuait, -de dire plus de paroles que je ne voulais -et de les arranger plus adroitement, pour -produire sur cette figure chérie un plus -long ou un plus vif contentement. En -pensant à cela, je m’en attristai et je -m’arrêtai de parler.</p> - -<p>Je dis à Bernerette :</p> - -<p>— Oh ! regardez-moi !</p> - -<p>Elle s’arracha d’un rêve et m’ouvrit -ses yeux. Mais ce n’étaient pas ceux de -la figure bienheureuse qu’elle faisait -quand elle baissait les paupières. J’en -éprouvai un malaise soudain, incertain, -indéfinissable, qui me fit lui demander, -comme un secours pressant :</p> - -<p>— Oh ! Bernerette ! dites-moi quelque -chose, vous !</p> - -<p>Elle me dit gentiment, tendrement :</p> - -<p>— Henri !</p> - -<p>Mais c’était du ton dont elle me disait -si souvent : « Vous êtes mon meilleur -ami… » Je faillis pleurer. Je tenais sa -main dans la mienne ; je me mis instinctivement -à la baiser avec frénésie ; et -puis j’eus envie de baiser le bras, sous -la large manche, et plus, si c’était possible. -Ma main enveloppa ce bras, en -pressa la chair ; et cela éteignit tout à -coup l’éclair qui m’avait secoué. La lueur -avait été tellement rapide que si la commotion -en persista en moi, je ne me souvins -plus de sa cause. Un peu plus tard, -quand j’y repensai, je l’attribuai au -changement de temps brusque qui se produisit -peu après, qui nous interrompit et -nous occupa assez niaisement le reste du -jour. La mer avait noirci tout à coup au -large ; on avait vu une barre sombre -approcher de la côte, deux barques de -pêche regagner Nice en amenant leurs -voiles, les arbres du Cap se coucher alors -que l’air était parfaitement calme autour -de nous, puis, comme nous nous dépêchions -de rentrer les chaises, la guérite -d’osier arrivait toute seule à mi-chemin -de la maison, plus vite que nous : c’était -le mistral, qui ne fit plus relâche. Et -chacun répéta, jusqu’au soir : « C’est -tant mieux, car on regrettera moins -de quitter ce pays par un mauvais -temps. »</p> - -<p>Dans la soirée, Bernerette me dit, à -part :</p> - -<p>— Je vous demande pardon, Henri, de -vous avoir quelquefois fait de la peine : -mais je ne savais pas !… Vous auriez dû -me parler plus tôt !</p> - -<p>Comme je ne répondais pas, elle -ajouta :</p> - -<p>— Moi, je vous remercie… C’est si -bon ! si bon, de se sentir aimée !</p> - -<p>Je m’écriai :</p> - -<p>— Quand on aime !</p> - -<p>Elle ne répondit point à cela. Elle reprit :</p> - -<p>— Quand je pense que j’aurais pu -mourir sans avoir entendu les choses -douces… les choses si douces… que vous -m’avez dites !…</p> - -<p>Elle se tut une minute. On entendait -les rafales au dehors et une branche -d’eucalyptus qui fouettait la persienne. Je -répétai, un peu bêtement, mais poussé par -la force de l’instinct :</p> - -<p>— Je vous aime, tant !… tant !…</p> - -<p>Elle referma ses paupières, comme elle -l’avait fait si souvent pendant ces deux -derniers jours, et elle dit :</p> - -<p>— Que cela doit être délicieux !</p> - -<p>Ce furent les derniers mots échangés -entre nous deux seuls, parce qu’un -domestique vint m’avertir que l’heure -d’aller à la gare était sonnée. Ces derniers -mots ambigus, que je n’avais pas -le temps d’éclaircir, qui contenaient, à ce -qu’il me semblait, de quoi me réjouir ou -de quoi m’alarmer à jamais, je les -emportai comme la relique suprême que -nous laisse le plus souvent une femme : -comme une énigme insoluble, déchirante.</p> - -<p>Si elle m’eût aimé, elle eût dit : « Que -cela <i>est</i> délicieux ! »</p> - -<p>Mais peut-être pensait-elle : « Que cela -<i>doit</i> être délicieux de s’entendre dire : -« Je vous aime ! » quand on espère l’entendre -encore le lendemain ! »</p> - -<p>Mais ne pensait-elle pas : « Que cela -doit être délicieux… même sans espoir -de lendemain, quand cela vient de celui -qu’on aime ?… »</p> - -<p>J’eus de quoi méditer et ne pas dormir.</p> - -<hr /> - - -<p>Mais une anxiété plus longue me fut -épargnée par la malheureuse enfant qui, -en tout cela, avait enduré un supplice -pire que le mien. Quarante-huit heures -après mon retour à Paris, je recevais de -Beaulieu un télégramme où l’on m’informait -que Bernerette, « toujours imprudente », -était atteinte d’une fluxion de -poitrine. Cette maladie aiguë, jointe à -son état de santé si grave, c’était la dernière -heure de Bernerette, désignée du -doigt sur le cadran.</p> - -<p>Cela traîna pourtant une semaine. Je -ne sais si elle me parut longue, parce que -j’attendais en espérant quand même, ou -si elle me parut courte, parce que le -dénouement ne me trouva pas préparé. -Je piétinais ; rien ne m’autorisait à partir -afin de revoir un instant encore Bernerette ; -on ne m’en priait point : c’était -donc que Bernerette ne me réclamait -pas. Enfin l’on m’informa tout à coup de -l’heure où le convoi funèbre entrerait à -la gare de Lyon !</p> - -<p>Je clignai des yeux comme on fait -lorsque la foudre tombe.</p> - -<p>Et puis, taisons-nous.</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="XXVI"></h2> - -<p>Quelques jours plus tard, me trouvant -seul, dans le petit hôtel du Ranelagh, -avec les parents vieillis, abîmés, terrorisés -comme au soir d’une émeute sanglante, -madame de Chanclos me fit monter -à sa chambre. Il y avait là, sur une -table, le petit pupitre fermant à clef, -dont usait Bernerette à Beaulieu ; je le -reconnus tout de suite. Madame de Chanclos -vit que je regardais le pupitre, et -aussitôt elle se mit à pleurer, à sangloter. -Elle s’assit, puis s’essuya les yeux, -se calma un peu. Je m’étais détourné, et -je pleurais, moi aussi, en regardant par -la fenêtre sans rien voir. La pauvre mère -s’approcha de moi, me prit les deux -mains comme dans l’antichambre de la -villa Cynthia et me dit :</p> - -<p>— Permettez-moi de vous embrasser, -Henri !</p> - -<p>Elle m’embrassa, et les sanglots redoublèrent. -Elle n’y voyait pas pour ouvrir -le petit pupitre, et sa main tremblait -trop pour introduire dans la serrure la -clef minuscule. Elle disait :</p> - -<p>— Je l’ai pourtant ouvert ce matin…</p> - -<p>Je lui offris mon secours, qu’elle -accepta :</p> - -<p>— D’ailleurs, Henri, c’est à vous !</p> - -<p>Il y avait dans ce pupitre un fouillis -d’objets ayant appartenu à Bernerette, -et que nous connaissions trop, et dont la -vue en ce moment était extrêmement -douloureuse : son porte-monnaie, ses -plumes, ses crayons, des morceaux de -pastels qui salissaient tout, un éventail -offert gracieusement par le casino de -Monte-Carlo, un mouchoir ourlé en fil -rose, enfin du papier à lettres, des enveloppes. -L’une d’elles, au-dessus de tous -les papiers, portait mon nom.</p> - -<p>— Vous voyez !… dit madame de -Chanclos.</p> - -<p>Elle ajouta :</p> - -<p>— Celle-ci vous reste ; mais toutes -celles qu’elle a brûlées !… Elle a dû se -lever, une des dernières nuits, pendant -une courte absence de la garde, car il y -en avait une pile là, dans le coin à -gauche, sept ou huit au moins, j’en -jurerais…</p> - -<p>Elle remuait les enveloppes et le -papier à lettres, pendant que j’ouvrais, -moi, l’enveloppe portant mon nom, et -lisais ces seuls mots, écrits à la hâte :</p> - -<blockquote> -<p class="ind i">Henri,</p> - -<p class="i">Adieu, mon meilleur ami !</p> - -<p class="sign small">BERNERETTE.</p> -</blockquote> - -<p>Madame de Chanclos me dit :</p> - -<p>— Tenez ! encore une !…</p> - -<p>C’était une enveloppe close, et assez -lourde, sans adresse. Je fis observer à -madame de Chanclos qu’il n’y avait pas -d’adresse. Elle me dit :</p> - -<p>— Allez ! ouvrez, mon ami !</p> - -<p>Cependant, je m’aperçus que cette -enveloppe portait, au revers, et dans un -coin, le seul mot : <i>lui</i>.</p> - -<p>Je dis à madame de Chanclos :</p> - -<p>— Voyez donc cela.</p> - -<p>Elle lut « <i>lui</i> » ; elle eut presque un -sourire et me dit avec une complète -confiance :</p> - -<p>— Eh bien ?</p> - -<p>J’ouvris. La lettre était longue, celle-là ! -Mais je ne lus que les premiers -mots :</p> - -<blockquote> -<p class="i">Claude !… Claude !…</p> -</blockquote> - -<p>Comme tout tournait autour de moi et -comme je cherchais à m’asseoir, madame -de Chanclos tenait à me répéter :</p> - -<p>— Elle en a brûlé cinquante pareilles !…</p> - -<p>Cependant, je ne voulais pas demeurer -paré à ses yeux d’un prestige qui ne -m’était pas dû ; je dis à madame de -Chanclos :</p> - -<p>— Les cinquante n’étaient pas pour -moi, ni celle-ci.</p> - -<p>Et je lui tendis la lettre. Elle dut, elle -aussi, s’asseoir, après avoir pris connaissance -des premiers mots ; puis elle -poussa des exclamations. Elle disait : -« Ah ! mon Dieu !… » Elle s’interrompait -de lire, et ses deux bras tombaient sur -ses genoux ; le papier même lui échappa, -et la politesse voulut que je vinsse le -ramasser et le lui rendre. Elle s’écriait : -« Oh ! le cœur !… le cœur de nos -enfants !… »</p> - -<p>C’était sa nouvelle méprise qui la stupéfiait -et l’absorbait. Elle ne songea pas -à me dire, elle non plus : « Mais vous ! -malheureux, qui avez pu vous croire -aimé d’elle !… » Je l’excusai de ne pas -penser à cela, en des moments si troublés.</p> - -<div class="chapter"></div> -<h2 class="nobreak" title="XXVII"></h2> - -<p>Et après, je m’en allai, parce que je -sentais, à d’imperceptibles détails, que -depuis que l’on connaissait la lettre destinée -à <i>lui</i>, ma présence, dans la maison -déjà, devenait moins agréable.</p> - - -<p class="c gap small">FIN</p> - - -<p class="c gap small">345-18. — Coulommiers. Imp. <span class="sc">Paul</span> BRODARD. — 7858-5-18.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<p class="c">DERNIÈRES PUBLICATIONS</p> - -<p class="c">Format in-18 à 3 fr. 50 le volume</p> - - -<table summary=""> -<tr><td> </td> <td>Vol.</td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>GABRIELE D’ANNUNZIO</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Francesca da Rimini</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>DOCTEUR BARTHEZ</div></td></tr> -<tr><td class="drap">La Famille Impériale à St-Cloud et à Biarritz</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>RENÉ BAZIN</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Nord-Sud</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>JEAN BERTHEROY</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Les Tablettes d’Erinna d’Agrigente</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>RENÉ BOYLESVE</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Madeleine Jeune Femme</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>BARONNE A. DE BRIMONT</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Tablettes de Cire</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>GÉNÉRAL BRUNEAU</div></td></tr> -<tr><td class="drap">En Colonne</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>GASTON CHÉRAU</div></td></tr> -<tr><td class="drap">L’Oiseau de Proie</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>HENRY DAGUERCHES</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Le Kilomètre 83</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>GASTON DESCHAMPS</div></td></tr> -<tr><td class="drap">A Constantinople</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>CHARLES ESQUIER</div></td></tr> -<tr><td class="drap">L’Entraîneuse</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>ANATOLE FRANCE</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Les Dieux ont soif</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>FERNAND GAVARRY</div></td></tr> -<tr><td class="drap">L’Ultimatum</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>MAXIME GORKI</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Une Tragique Enfance</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>PAUL LACOUR</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Le Frelon</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>ÉTIENNE LAMY</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Témoins de Jours passés (2<sup>e</sup> série)</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>PIERRE LOTI</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Turquie agonisante</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>KARIN MICHAELIS</div></td></tr> -<tr><td class="drap">La Jeune Madame Jonna</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>CHARLES NICOLLE</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Le Pâtissier de Bellone</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>ÉMILE NOLLY</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Gens de Guerre au Maroc</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>HENRI DE NOUSSANNE</div></td></tr> -<tr><td class="drap">L’Aéroplane sur la Cathédrale</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>JULES SAGERET</div></td></tr> -<tr><td class="drap">L’Amour menteur</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>MARCELLE TINAYRE</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Madeleine au Miroir</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>LÉON DE TINSEAU</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Le Duc Rollon</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>PIERRE DE TRÉVIÈRES</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Le Fouet</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>PAULINE VALMY</div></td></tr> -<tr><td class="drap">La Chasse à l’Amour</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>JEAN-LOUIS VAUDOYER</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Poésies</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>RENÉ WALTZ</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Vers les Humbles</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>Mrs. WILFRID WARD</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Les Mains pleines</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -<tr><td colspan="2" class="c small"><div>COLETTE YVER</div></td></tr> -<tr><td class="drap">Les Sables mouvants</td> -<td class="bot r"><div>1</div></td></tr> -</table> - -<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE MEILLEUR AMI ***</div> -<div style='text-align:left'> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Updated editions will replace the previous one—the old editions will -be renamed. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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Redistribution is subject to the trademark -license, especially commercial redistribution. -</div> - -<div style='margin:0.83em 0; font-size:1.1em; text-align:center'>START: FULL LICENSE<br /> -<span style='font-size:smaller'>THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE<br /> -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK</span> -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase “Project -Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg™ License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™ electronic works -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™ -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all -the terms of this agreement, you must cease using and return or -destroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in your -possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a -Project Gutenberg™ electronic work and you do not agree to be bound -by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person -or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.B. “Project Gutenberg” is a registered trademark. It may only be -used on or associated in any way with an electronic work by people who -agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few -things that you can do with most Project Gutenberg™ electronic works -even without complying with the full terms of this agreement. See -paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project -Gutenberg™ electronic works if you follow the terms of this -agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg™ -electronic works. See paragraph 1.E below. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation (“the -Foundation” or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection -of Project Gutenberg™ electronic works. Nearly all the individual -works in the collection are in the public domain in the United -States. 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Information about the Mission of Project Gutenberg™ -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of -electronic works in formats readable by the widest variety of -computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It -exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations -from people in all walks of life. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s -goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg™ and future -generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see -Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org. -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by -U.S. federal laws and your state’s laws. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West, -Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up -to date contact information can be found at the Foundation’s website -and official page at www.gutenberg.org/contact -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread -public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine-readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. Compliance requirements are not uniform and it takes a -considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up -with these requirements. 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Thus, we do not -necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper -edition. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Most people start at our website which has the main PG search -facility: <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -This website includes information about Project Gutenberg™, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. -</div> - -</div> - -</body> -</html> diff --git a/old/65031-h/images/cover.jpg b/old/65031-h/images/cover.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 50ed2cc..0000000 --- a/old/65031-h/images/cover.jpg +++ /dev/null |
