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-The Project Gutenberg eBook of Les Robinsons basques, by Francis Jammes
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you
-will have to check the laws of the country where you are located before
-using this eBook.
-
-Title: Les Robinsons basques
-
-Author: Francis Jammes
-
-Release Date: February 17, 2021 [eBook #64582]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-Produced by: Laurent Vogel (This file was produced from images generously
- made available by the Bibliothèque nationale de France
- (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
-
-*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROBINSONS BASQUES ***
-
-
-
-
- FRANCIS JAMMES
-
- Les
- Robinsons basques
-
- PARIS
- MERCVRE DE FRANCE
- XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI
-
- MCMXXV
-
-
-
-
-DU MÊME AUTEUR
-
-
-Poésie.
-
- DE L'ANGELUS DE L'AUBE A L'ANGELUS DU SOIR, 1888-1897 1 vol.
- LE DEUIL DES PRIMEVÈRES, 1898-1900 1 vol.
- LE TRIOMPHE DE LA VIE (Jean de Noarrieu. Existences.) 1 vol.
- CLAIRIÈRES DANS LE CIEL, 1902-1906. (En Dieu. Tristesses.
- Le Poète et sa femme. Poésies diverses. L'Eglise habillée
- de feuilles.) 1 vol.
- LES GÉORGIQUES CHRÉTIENNES 1 vol.
- LA VIERGE ET LES SONNETS 1 vol.
- LE TOMBEAU DE JEAN DE LA FONTAINE suivi de POÈMES MESURÉS 1 vol.
- CHOIX DE POÈMES, avec un portrait 1 vol.
- LE PREMIER LIVRE DES QUATRAINS 1 vol.
- LE DEUXIÈME LIVRE DES QUATRAINS 1 vol.
- LE TROISIÈME LIVRE DES QUATRAINS 1 vol.
-
-Prose.
-
- LE ROMAN DU LIÈVRE. (Le Roman du Lièvre. Clara d'Ellébeuse.
- Almaïde d'Etremont. Des choses. Contes. Notes sur des Oasis
- et sur Alger. Le 15 août à Laruns. Deux Proses. Notes sur
- Jean-Jacques Rousseau et Mme de Warens aux Charmettes et à
- Chambéry.) 1 vol.
- MA FILLE BERNADETTE 1 vol.
- FEUILLES DANS LE VENT. (Méditations. Quelques Hommes. Pomme
- d'Anit. La Brebis égarée.) 1 vol.
- LE ROSAIRE AU SOLEIL, roman 1 vol.
- MONSIEUR LE CURÉ D'OZERON, roman 1 vol.
- LE POÈTE RUSTIQUE, roman, suivi de l'ALMANACH DU POÈTE
- RUSTIQUE 1 vol.
- CLOCHES POUR DEUX MARIAGES. (Le Mariage basque. Le Mariage
- de raison.) 1 vol.
-
-A LA LIBRAIRIE PLON-NOURRIT ET Cie
-
- LE BON DIEU CHEZ LES ENFANTS, album avec illustrations en
- couleurs d'après les dessins de Mme Franc-Nohain 1 vol.
- LE LIVRE DE SAINT JOSEPH 1 vol.
- DE L'AGE DIVIN A L'AGE INGRAT. Mémoires: I 1 vol.
- L'AMOUR, LES MUSES ET LA CHASSE. Mémoires: II 1 vol.
- LES CAPRICES DU POETE. Mémoires: III 1 vol.
-
-
-
-
-LES ROBINSONS BASQUES
-
-
-_A la mémoire de Goya y Lucientes_
-
-
-
-
- IL A ÉTÉ TIRÉ:
-
- 56 exemplaires sur papier de Madagascar, savoir:
- 55 ex. numérotés à la presse, de 1 à 55 et 1 hors commerce
-
- 247 exemplaires sur Hollande van Gelder
- numérotés, à la presse, de 56 à 302
-
- La première édition a été tirée sur papier de fil Montgolfier,
- savoir:
- 1075 exemplaires numérotés de 303 à 1377
- 25 exemplaires (hors commerce) marqués à la presse de A à Z
-
-
-JUSTIFICATION DU TIRAGE:
-
-
-
-
-Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction réservés pour
-tous pays.
-
-Copyright by MERCVRE DE FRANCE 1924
-
-
-
-
-INTRODUCTION
-
-
-Il y a quelque trente ans vivait à Bayonne un de ces Juifs qui portent
-besicles de corne sur nez crochu; dont le front et les joues ridés
-reproduisent assez exactement une page criblée de caractères talmudiques
-et dont les mains, semblables à des araignées, tantôt tissent la toile
-grise de leur barbe, tantôt arpentent l'oscillante balance du peseur
-d'or ou du joaillier.
-
-Jacob Meyer était son nom.
-
-Nous étions rejoints, lui et moi, par un goût commun de la pêche et de
-la poésie. Il arrivait qu'après avoir parlé littérature nous
-descendissions à l'Adour pour y tendre un filet. Nous nous fortifiions
-avec l'odeur du goudron et de la mer toute proche. Il ne recevait guère
-de visites que la mienne et de dames qui venaient lui régler les
-intérêts d'un emprunt ou l'acompte d'une émeraude.
-
-Avant que de me révéler le début des _Robinsons basques_, il me dit en
-tenir la version de sa famille, et que celle-ci, de père en fils, se
-l'était transmise.
-
-De cette famille, un membre, le premier sans doute qui donna lieu à la
-souche de Bayonne, repose dans le cimetière de La Bastide Clairence sous
-le prénom d'Abraham.
-
-Ce qui a laissé entendre à quelques simples d'esprit que le père d'Isaac
-est enterré dans cette commune.
-
-
-
-
-LES BASQUES ABORDENT EN TERRE VIERGE
-
-
-La légende rapporte que, il y a vingt-cinq siècles, un navire dont la
-coque portait le nom d'_Eskualdunak_ pénétra dans les eaux de l'Adour.
-
-Ce navire était magnifique et témoignait que la contrée d'Asie d'où il
-arrivait connaissait la civilisation la plus raffinée, à l'époque où les
-habitants de l'Europe future se servaient de haches de pierre et de
-pieux durcis pour assommer ou percer les ours et sangliers qu'ils
-dévoraient crus.
-
-Le capitaine de l'_Eskualdunak_ s'appelait Ondicola. Un équipage
-l'accompagnait qui se ressentait davantage d'une vie passée dans le luxe
-et la volupté que guerrière ou simplement active. Il se composait de
-matelots, de leurs femmes et d'un groupe de jeunes gens et jeunes filles
-dont le moins âgé, Iguskia, avait seize ans, et la plus jeune, Ithargia,
-quinze.
-
-Si, vivant alors, avec l'esprit d'à présent, nous eussions vu se
-promener sur la rive gasconne tant d'aimables Orientaux, ils nous
-auraient fait songer davantage à un débarquement à Cythère qu'à une
-descente dans les entrepôts de Bayonne.
-
-La saison étant fort belle, Ondicola fit jeter l'ancre et dresser à
-quelque distance de la mer les tentes d'un campement. C'était dans sa
-manière de suivre son caprice, et si un nouveau pays lui agréait par son
-climat et ses aspects, il s'y installait avec sa tribu nomade jusqu'à ce
-que le froid ou la lassitude les en chassât.
-
-Hommes et femmes déménagèrent le contenu du bateau sur l'arène. Des
-flancs de l'_Eskualdunak_ jaillirent des merveilles: des hamacs qu'on
-eût dit tissés de rosée; des robes d'un azur si transparent qu'on ne les
-soupçonnait que si les beaux corps s'y enfermaient; des pierres uniques;
-des ivoires sans défaut; et, dans des cristaux de roche à facettes
-ingénieuses, des parfums empruntés aux jardins des _Mille et une Nuits_.
-
-Les jeunes filles vivaient à part, les jeunes gens aussi de leur côté,
-car Ondicola ne souffrait point que rien altérât leur pureté jusqu'au
-jour de leurs noces. Non point qu'il eût aucune morale. Toute trace de
-religion avait disparu de ce peuple: Mais afin que la corolle s'épanouît
-dans toute sa grâce, tout, son éclat, tout son arome, Ondicola en
-faisait respecter la pré-floraison. Ainsi le produit serait superbe.
-
-Cette loi mise à part, que tout naturaliste aurait pu édicter, on ne
-voyait pas régner beaucoup de vertus parmi les hôtes de l'_Eskualdunak_,
-ni à bord ni à terre.
-
-Tant de siestes sous les arbres capiteux, de danses lascives, de fruits
-défendus, de complications du coeur mettaient à nu les nerfs de
-l'équipage ou le déprimaient.
-
-Ondicola, bien qu'il se laissât aller à ses moeurs, en éprouvait souvent
-du dégoût. Si imposant que fût le port des femmes, si élancée la ligne
-des adolescentes, si nette la carrure des mâles: il y avait tout à
-craindre pour l'avenir. Une lourde inquiétude envahissait Ondicola
-touchant la descendance de ceux qu'il abritait dans son navire et qu'il
-avait choisis parmi les types les plus parfaits de sa patrie indienne.
-
-Le seul culte de la beauté l'avait guidé lorsque, par exemple, il avait
-détaché Iguskia et Ithargia d'un plateau perdu de l'Himalaya où
-n'habitaient que de rares pasteurs. L'instinct puissant de conserver la
-race à laquelle il appartenait le dressait peu à peu contre les moeurs
-qu'il voyait affoler et anémier de plus en plus ceux de l'_Eskualdunak_.
-
-Lorsque, la nuit, sur le rivage de cet Adour que fait se plisser une
-brise si pure, il flânait au sortir de quelque débauche, il lui arrivait
-de rejeter le suc épaissi du pavot qu'il s'apprêtait à fumer.
-
-Alors, plus calme, il contemplait avec attendrissement, dans la
-diffusion de la lune, deux tentes isolées, en dehors du campement, qui
-se distinguaient entre toutes par leur blancheur particulière.
-
-Dans l'une, dormait Iguskia, seul; seule, dans l'autre, Ithargia.
-
-
-
-
-Nul n'ignore, reprit à quelques jours de là Jacob Meyer, que les
-Asiatiques connurent la poudre avant l'ère chrétienne, aussi bien qu'ils
-avaient inventé la brouette et la boussole.
-
-Je ne dis pas cela pour les Juifs (ajoutait-il), car ils n'ont pas
-voulu, encore qu'ils ne les ignorassent point, utiliser de telles
-découvertes: il nous suffit d'une mâchoire d'âne pour remporter la
-victoire; du dos du même animal pour transporter notre butin; de sa
-queue pour remorquer un captif; et, quant à la boussole, je vous demande
-quelle orientation pourrait prendre une race toujours errante?
-
-Donc, il y a deux mille cinq cents ans, Ondicola se servait de fusils de
-chasse dont l'amorce présentait une autre garantie que l'éclat de silex
-adapté à l'espingole de vos ancêtres. C'est ainsi qu'Ondicola et ses
-compagnons se procuraient du gibier, et d'autant plus aisément qu'il
-était alors peu farouche dans les contrées d'Europe qu'ils visitaient.
-Ondicola s'adonnait aussi à la pêche au lancer.
-
-Mais, tout de même, cette existence de plein air ne le maintenait point
-dans cette forme cynégétique, privilège des chasseurs à qui suffisent un
-croûton de pain, une gousse d'ail, un verre de vin et une femme.
-
-C'est pourquoi il résolut, pour retremper ses muscles, de s'en aller à
-la découverte, escorté de quatre bons tireurs et marcheurs, par ce pays
-qui leur était absolument étranger.
-
-Et d'abord il pénétra, par les bords de la Nive, dans la région de
-l'actuel Cambo. A mesure qu'il portait plus avant ses pas, un curieux
-phénomène se confirmait: pas un seul habitant n'y apparaissait. Telle
-était cette absence de l'homme que les écureuils eux-mêmes se montraient
-familiers jusqu'à sauter sur les épaules d'Ondicola et de ses
-compagnons. On voyait de ces rongeurs descendre deux par deux vers la
-rivière, se tenant par les doigts comme de jolis petits ménages. Ils
-rafraîchissaient leurs pattes. Ondicola admirait leurs moeurs plus
-simples que celles de l'_Eskualdunak_ où l'on usait, pour se baigner, de
-cuves d'or emplies d'eaux suaves.
-
-Par une réaction naturelle, au souvenir écoeurant de ces parfums, il se
-jeta dans la Nive à la nage. Et, quand il en ressortit, des gouttes qui
-n'avaient que l'odeur de l'air pur roulèrent à ses pieds dans l'herbe.
-
-Cette course à travers des bois qui n'exhalaient point les essences de
-l'Asie, mais à peine une senteur d'averse sous l'orage, le remontait. Il
-défendit au cuisinier d'épicer davantage les mets, et il proscrivit les
-sauces. Mais, faisant creuser dans l'argile un four que l'on garnissait
-de galets demeurés longtemps sur la braise, il ordonnait qu'on y rôtît
-la chair des lapereaux et des perdrix. La confiserie dont il s'était
-fait suivre lui répugna bientôt tellement, qu'il la fit abandonner à un
-ours débonnaire. Mais celui-ci, l'ayant flairée, s'enfuit sur un chêne
-d'où découla un délicieux rayon de miel.
-
-Un autre charme de cette vie errante était pour Ondicola d'échapper à la
-polygamie que pratiquaient, selon l'usage oriental, les gens de
-l'_Eskualdunak_. Mais que dis-je! Ce lui était un délice de se
-soustraire même à sa favorite qui, si belle qu'elle fût, et autant
-qu'elle dît l'adorer, et si fort qu'il crût l'aimer, l'excédait par les
-caresses qu'elle lui prodiguait, et aussi par sa jalousie. Les nuits
-étaient douces. On était en juillet. Il s'éveillait au chant des oiseaux
-et ne se sentait pas de joie, les yeux clos encore, de palper la mousse
-qu'aucune femme n'avait foulée.
-
-Si la tradition est exacte, Ondicola et ses compagnons remontèrent
-l'affluent de l'Adour jusqu'à la place d'Itxassou.
-
-Les forêts, quelque peu impénétrables, retardèrent leur marche, bien
-qu'ils continuassent de longer les rives. Si loin qu'ils aboutirent, ils
-ne rencontrèrent âme qui vive.
-
-Le chef de l'_Eskualdunak_ se faisait à cette existence élémentaire qui
-engendrait le calme du coeur, à ce silence que ne troublaient même plus
-les détonations des armes, puisque les bêtes les plus craintives se
-laissaient prendre à la main, les truites même.
-
-Je doute, se disait Ondicola, que, placée de bonne heure dans une
-contrée aussi vierge, une famille humaine, même la nôtre, si encline à
-la débauche, se fût corrompue. O pays idéal! Terre qui attend son
-premier couple!
-
-Plus de trente fois depuis leur départ le soleil s'était levé sur
-Ondicola et ses compagnons. Une tristesse infinie s'étendait sur le
-coeur du capitaine, cependant qu'il voyait venir le temps de rejoindre
-l'_Eskualdunak_.
-
-Il ne le fit qu'à pas lents. Mais lorsque, au soixante-dixième jour, il
-arriva en vue du navire et du campement, l'acte formidable qu'il allait
-accomplir avait pris corps dans sa volonté.
-
-L'_Eskualdunak_ se balançait indolemment sur son ancre; son équipage
-était en liesse.
-
-Durant les deux mois qui venaient de s'écouler, la dépravation de ces
-gens demeurés sédentaires avait atteint son comble. Ondicola éprouva la
-sensation d'un homme qui, d'une cime vivifiée par l'air le plus pur,
-chuterait dans un cloaque.
-
-Si dénué qu'il se montrât de toute morale, il imposait aux siens une
-sorte de crainte et d'ordre dans le désordre. On le savait désireux
-d'être obéi; prompt à infliger une sanction et, plus d'une fois, il
-n'avait pas hésité à brûler la cervelle à des mutins.
-
-Il constata que sa petite colonie avait tout à fait perdu l'équilibre.
-Les gynécées, mêlés entre eux, avaient changé de maîtres. Et bien que,
-craignant la mort, la favorite d'Ondicola s'employât à lui prouver
-qu'elle lui était demeurée fidèle, il s'aperçut bien vite qu'elle le
-trompait.
-
-Le mal dont il souffrait se fit plus aigu sous sa tente, une nuit que,
-ne parvenant pas à prendre le sommeil, il entendait au loin le bruit des
-violons et des flûtes exaspérer jusqu'à la folie les sens de l'équipage.
-
-L'illusion qu'il avait longtemps entretenue d'établir, dans la
-dissolution même, une sorte de règle, basée sur la notion du beau, se
-dissipait.
-
-Trop de vices s'étaient insinués même parmi ces adolescents et
-adolescentes qu'il avait longtemps préservés.
-
-Un contraste insultait à cette dépravation: ce vierge pays qu'il venait
-de parcourir, ses sommets fiers et doux qui font un second ciel à la
-vallée.
-
-Il se souvint alors que, depuis son retour, il n'avait aperçu ni Iguskia
-ni Ithargia.
-
-Sans doute eux aussi avaient-ils sombré dans cette décadence,
-s'étaient-ils cachés des yeux du maître que, du moins, ils respectaient
-encore.
-
-Renonçant à dormir, il sortit. L'orgie avait fait silence. Tout semblait
-au repos. Il se garda bien de se rapprocher de son harem qui, là-bas, se
-profilait sous la lune. A quoi bon accroître son dégoût? Il savait bien
-qu'une visite à l'impromptu ne lui eût réservé que déboires. Que lui
-importait d'ailleurs le mensonge de ces femmes?
-
-Il se trouva sur la grève déserte, à deux heures du matin, lorsque
-courent des frissons d'argent sur la mer qui n'a qu'un doux clapotement.
-
-Au milieu d'un semis d'étoiles, Phébé était une perle incrustée dans la
-nacre du ciel. A quelque deux cents mètres se dressait la tente
-d'Iguskia et, plus loin, à une distance égale, celle d'Ithargia. De
-chacune sortit une ombre.
-
-Le jeune homme et la jeune fille s'abordèrent à la limite du flot et se
-donnèrent la main. Ondicola, dissimulé par les rochers, les épiait
-curieusement.
-
-Ils longeaient la rive, s'arrêtaient parfois, élevaient leurs charmants
-visages dans l'air vif et salé. Les lignes de leur corps, modestement
-vêtus, ne se déplaçaient que suivant une grâce calme, d'autant plus sûre
-d'elle-même qu'elle s'ignorait. Pas un mot, pas un soupir, pas un
-murmure ne montaient d'eux. Mais il semblait s'exhaler vers Dieu, de ces
-deux corolles vierges, un immortel parfum, l'essence même de ce que
-l'amour peut donner de plus pur en ce monde.
-
-Ondicola retenait son souffle. Son coeur battait à peine, d'où
-s'envolait une prière confuse et muette vers ces bois récemment
-découverts où il avait vécu les plus belles heures de sa vie.
-
-II lui semblait qu'il n'eût eu qu'à se saisir de ces deux enfants de
-lumière, et à les déposer dans cette région bénie qu'il avait entrevue,
-pour que leur race s'y étendît à jamais comme les arceaux renaissants
-d'un verger aveuglant de fleurs.
-
-La radieuse vision s'éteignit avec l'aurore ou, plutôt, sembla résorbée,
-quand Iguskia et Ithargia se séparèrent.
-
-Ondicola les vit lentement remonter chacun à sa tente, sans qu'ils se
-fussent davantage parlé ou touché.
-
-Il ne restait plus d'eux qu'un souvenir, de roses bues par l'azur, dans
-la phrase interminable et doucement heurtée de la mer.
-
- * * * * *
-
-Lorsque Ondicola retrouva sa couche, le soleil brillait. Il put prendre
-du repos jusqu'à midi sans être énervé par les échos de la saturnale qui
-avaient mis en fuite son sommeil. De tristes tableaux ne hantèrent plus
-son imagination. Bien au contraire, ce fut la promenade étoilée
-d'Iguskia et d'Ithargia qui enchanta ses rêves.
-
-Quand il s'éveilla, sa résolution, était prise.
-
-Il manda des hérauts auxquels, avec un singulier accent d'autorité qu'il
-semblait avoir laissé faiblir depuis son retour, il ordonna d'annoncer à
-son de trompe que l'équipage eût à se grouper sur l'_Eskualdunak_. Il
-prescrivit en outre que les femmes et les hommes s'y rendissent dans
-leurs plus beaux atours; que toutes les oriflammes fussent déployées aux
-cordages et aux mâts, que les musiciens fissent entendre, au moment
-qu'il en donnerait le signal, l'hymne le plus languide et le plus
-amoureux.
-
-Personne ne manqua à l'appel. Tout le monde fut sur le pont, excepté
-Iguskia et Ithargia qu'Ondicola fit sagement s'asseoir en face du
-navire, assez loin sur la plage.
-
-Il monta le dernier à bord.
-
-Lorsque les femmes se furent épanouies de toute leur beauté sous leurs
-éventails d'autruche; lorsque le dernier soupir de l'orchestre se fut tu
-dans la splendeur du soleil qui déclinait sur la mer:
-
---Orientaux, et vous, Orientales, leur dit-il, fils et filles de la
-Volupté! J'ai compris, après avoir exploré le pays d'alentour, ce qui
-vous en sépare. Il est temps de lever l'ancre. Mais en deux mois vous
-avez rendu la colonie si intéressante que je descends à fond de cale
-pour y chercher l'ordre du jour dont vous êtes dignes. Je vais vous le
-dire. Attendez-moi.
-
-Ondicola disparut. Il entra dans la soute et mit le feu aux poudres.
-
-
-
-
-FONDATION DU PREMIER FOYER
-
-
-Iguskia et Ithargia n'éprouvèrent pas la moindre émotion en voyant tout
-à coup s'abîmer dans les flots la galante galère. Mais ils rirent, car
-leurs coeurs étaient neufs.
-
-Cet embrasement sonore, qui précéda le plongeon de l'_Eskualdunak_, les
-amusa comme d'un feu d'artifice. La mer immense s'était refermée sur les
-victimes.
-
-Depuis trois ans qu'Ondicola les avait enlevés à leur plateau pastoral
-et mêlés à son équipage, il leur était apparu tel qu'un maître assez
-sévère, mais bon. Jamais ils n'avaient eu de peine à le comprendre, car
-sa langue était la leur, cette mystérieuse langue basque.
-
-La plupart des souvenirs qu'Iguskia et Ithargia eussent pu conserver
-touchant la religion de leurs familles, amies l'une de l'autre,
-s'étaient effacés. Mais ils possédaient une vertu naturelle qu'Ondicola
-s'était plu à respecter et à cultiver jusqu'à prendre la tragique
-détermination dont il fut la première et volontaire victime. Il avait
-craint que, plus tard, ces enfants ne fussent gagnés par l'abomination
-de ceux qu'ils eussent fréquentés davantage.
-
-Cette perspective lui était devenue d'autant plus insupportable, dès là
-qu'il avait saisi l'harmonie qui coexistait entre les vertus d'une
-contrée vierge, inhabitée, et celles qui étaient innées à Iguskia et à
-Ithargia.
-
-Ceux-ci, tournant le dos à l'océan où venait de sombrer l'_Eskualdunak_,
-s'en allèrent prendre ou vêtir, chacun dans sa tente, quelques manteaux
-de laine qui les préservassent d'une fraîche brise soufflant du golfe.
-
-Ils se réunirent ensuite pour leur repas du soir. Sous les abris
-nombreux des courtisanes qui maintenant reposaient au sein des flots,
-des aliments singuliers traînaient parmi les bijoux et les toilettes. De
-ces toilettes et de ces bijoux, qu'eussent fait ces deux antiques
-Robinsons? N'ayant point trouvé là ces nourritures simples qu'ils
-aimaient, ils les allèrent prendre dans la tente d'Ondicola.
-
-Après dîner, Iguskia et Ithargia se séparèrent; chacun regagna sa tente
-ayant pris rendez-vous pour le lendemain.
-
-Ils furent debout dès l'aube et gagnèrent le sommet des dunes, couverts
-des mêmes tuniques de laine qu'ils portaient la veille. Mais Iguskia
-avait jeté sur l'épaule, en prévision des nuits qu'ils auraient à passer
-en plein air, deux sacs d'une souple fourrure, empruntée sans doute aux
-chèvres de la Mongolie. Il emportait aussi son coutelas, et, dans un sac
-de cuir, des champignons desséchés et le silex avec quoi on les allume.
-
-Ils remontèrent vers le sud-est, choisissant cette même voie tracée par
-la Nive dans laquelle s'étaient engagés naguère Ondicola et ses quatre
-compagnons.
-
-Le passage de ceux-ci était encore marqué çà et là par des coupes de
-fougères et de branches.
-
-En moins de deux mois Iguskia et Ithargia parvinrent, sans grand effort,
-au gré d'une flânerie charmante, sur les lieux où s'élève aujourd'hui
-l'ombreux et lumineux village d'Itxassou. Là, ils cessèrent de remonter
-l'affluent de l'Adour, poursuivirent au nord-est vers Macaye et
-Mendionde, sans y être autrement poussés que par l'attrait de ces
-vallées heureuses que protègent de leurs remparts l'Ursuya et le
-Baygura.
-
-Comme Ondicola et ses compagnons, ils se nourrissaient de truites qui
-abondaient dans les moindres ruisseaux, et de gibier facile à prendre à
-la main. Une racine, celle de l'asphodèle, dont Pline nous apprend que,
-cuite sous la cendre, elle donne un excellent pain, leur fut une
-ressource. Ils avaient connu, dans leur pays natal, l'utilité de cette
-même plante qui croît en abondance dans les landes du pays basque. On
-voit, au printemps, ses quenouilles jaspées filer l'air bleu qui les
-charge. Des mûres et, plus tard, les fruits du néflier dont la branche
-flexible et dure fournit à Iguskia le premier makhila, leur furent un
-dessert agréable.
-
---Si, observait Jacob Meyer, le calcul est juste de ceux qui, parmi les
-miens, ont scruté avec le plus de soin les archives de cette histoire,
-Iguskia et Ithargia se seraient trouvés aux grottes d'Isturitz vers
-l'été de la Saint-Martin de la même année. Ces grottes, vous m'avez dit
-les connaître, mon cher poète, et vous avez bien de la chance, car on
-les dit extrêmement riches en ossements, sculptures et armes
-préhistoriques. Les propriétaires sont intraitables sur le point de les
-laisser visiter, et ils ont préposé, à l'entrée, un cerbère vraiment
-infernal qui ne le cède en rien à ses ancêtres de l'âge de pierre. J'ai
-causé avec lui, et il paraît tout disposé à assommer quiconque oserait
-s'aventurer dans cette caverne, sans l'autorisation la plus formelle.
-
-... Et vous seul, m'a-t-on rapporté, l'auriez obtenue?
-
---C'est-à-dire, répondis-je, qu'une très vieille amitié lie ma famille à
-celle de M. Passerose, qui est en possession de ce très curieux document
-d'histoire humaine et de géologie. Il est vrai que, à part moi, je ne
-sache personne, sinon Pierre Loti, qui a fort bien décrit Isturitz, en
-faveur de qui l'on ait fait exception. Je suis le conservateur d'une des
-clefs de la solide grille d'entrée. M. Passerose me la confia, voici
-deux ans, avant son départ pour l'Abyssinie dont il ne reviendra pas de
-sitôt. J'ai vu là, de sa part, à mon endroit, une grande marque de
-confiance. Mais je n'ai guère profité de la permission que me confère la
-garde de cette clef dont le cerbère, que vous avez l'air de connaître,
-possède le double.
-
---Alors... même en vous suppliant?
-
---J'ai compris, insistai-je, que M. Passerose ne m'a choisi, entre ses
-plus intimes, que parce qu'il compte bien que j'observerai son
-inflexible consigne.
-
---Orphée, conclut en souriant le vieux Juif, sans que je comprisse très
-bien alors son allusion, avait ému les rochers mêmes de l'Enfer...
-
- * * * * *
-
-Iguskia captura à Isturitz beaucoup de palombes. Celles-ci, venant de
-loin, étaient farouches et filaient haut. Mais, dissimulé dans un chêne,
-il réussissait à les faire descendre en leur lançant des bâtons qui
-imitaient le vol du milan. Les Basques les prennent encore ainsi.
-
-Lui et Ithargia passèrent l'hiver à l'entrée de ces cavernes, sans se
-douter que les chasseurs de l'âge de pierre les avaient habitées. Nul
-vestige humain autour d'eux, sinon, à quoi ils ne prêtaient nulle
-attention, des haches et des flèches qui témoignaient d'une barbarie de
-chasseurs qui s'étaient tenus sur la défensive. Mais ceux-ci avaient si
-bien disparu depuis si longtemps, qu'à part les oiseaux de passage toute
-la faune était redevenue familière comme aux jours premiers de la
-création.
-
-Jusqu'au printemps de l'année qui suivit, Iguskia et Ithargia restèrent
-dans ces parages.
-
-Quand reparut le mois de mai, leurs coeurs s'emplirent d'amour à tel
-point qu'il semblait à l'un que les battements du sien eussent lieu dans
-celui de l'autre. Mais cette ivresse ne troubla point encore leurs corps
-dissimulés sous les blanches toisons, comme des sources sous la neige.
-
-Ils assistaient à la fête nuptiale que le renouveau fait plus gracieuse
-et plus grandiose. Tantôt ils voyaient deux fauvettes se fuir en se
-rapprochant sur une branche trop flexible, tantôt ils regardaient
-s'allonger l'un vers l'autre, et se rejoindre dans une combe, deux
-fleuves de brume d'où émergeait la cime découpée des bois.
-
-Quand les fortes chaleurs sévirent, ils se baignaient sous les
-feuillages de la rivière qui, de nos jours, porte le nom de Joyeuse. Et
-c'est ainsi que, de branche en branche, ils atteignirent le coteau
-d'Ayherre, non loin du futur Hasparren. La clémence des nuits leur
-permettait maintenant de dormir en plein air dans leurs fourrures. Ce
-fut par un torride jour d'or que la Providence décréta que la race
-bienheureuse, la race basque, naîtrait de ces deux Robinsons, prendrait
-racine en eux comme une vigne au flanc d'une belle colline.
-
-Une ruine surplombe aujourd'hui le bourg d'Ayherre et toute la contrée
-environnante, restes d'un château dont Albert Dürer se fût inspiré, car
-ils se confondent avec la lèpre même du lierre qu'ils opposent au
-soleil.
-
-Cette redoute seigneuriale, fréquentée des oiseaux de proie, porte le
-nom de Belzuncia. C'est sur l'aire de Belzuncia, qui ne devait être
-édifié que bien des siècles après, qu'Iguskia et Ithargia, au mois de
-juillet, se trouvèrent en présence d'un tapis dont les plus radieuses
-soieries qu'ils avaient vues sur l'_Eskualdunak_ n'approchaient point.
-
-Ce tapis vivait, car c'était un champ de froment. Ensemencé par qui? Nul
-ne l'a jamais su. Mais il suffit d'un coup de foudre sur une terre
-intègre, et d'une graine apportée par le vent, pour que, d'année en
-année, se multiplie la moisson comme sur l'échiquier du conte arabe.
-
-Iguskia et Ithargia en furent si éblouis qu'ils s'assirent pour
-contempler plus à l'aise la merveille. Chaque épi barbelé amenuisait la
-lumière bleue où criaient les cigales. Iguskia et Ithargia ressentirent
-que dans la béante profondeur il y avait Quelqu'un. Leur amour éclatait
-dans un plus grand Amour. Ils comprirent que dans cette splendeur
-visible, et au delà, Dieu est.
-
-En face de cette Présence qui les illuminait comme le soleil les
-coquelicots à la lisière du champ tout allumé de cerises sauvages, ils
-prirent le ciel à témoin de leur union.
-
-
-
-
-LA GÉNÉALOGIE
-
-
-Ithargia donna un fils à Iguskia. Le second des enfants fut une fille
-qui mourut à deux ans, et c'est ainsi qu'ils connurent la douleur.
-
-Cette petite étant tombée malade, sa mère pensa la relever de son
-abattement, ainsi qu'elle faisait à l'ordinaire, en lui présentant
-quelque fleur. Celle-ci était bien du pays basque. Qu'elle ressemblait
-peu aux corolles de l'Asie, somptueuses sans doute, mais dont les
-couleurs et les nectars trop violents fatiguent! Ce fut une digitale
-pourprée, dont les cloches, à l'intérieur ponctuées comme des pulpes
-d'abricot, tamisent une lumière d'aube.
-
-Dans la cabane qu'Iguskia avait construite avec des branches, des
-pierres et de l'argile, l'enfant, étendue sur une peau d'agneau, agonisa
-doucement. Bientôt elle n'eut plus la force de tenir ni même de regarder
-la plante que sa mère lui avait donnée.
-
-Elle mourut, bercée par le bourdonnement des abeilles qui s'échappaient
-du toit comme les braises d'un incendie. Quand elle fut muette, immobile
-et refroidie, Iguskia et Ithargia se mirent à genoux devant sa couche.
-Et leur prière, faite de sanglots, monta vers Celui qu'ils avaient
-pressenti dans la lumière de bluet de leurs fiançailles.
-
-Iguskia ensevelit au pied d'un cerisier sauvage son enfant dont l'âme,
-aux jours en feu, semblait crier par les voix des cigales.
-
-C'est ainsi que les Robinsons basques surent ce qu'était la mort qu'ils
-n'avaient jusque-là connue que chez les animaux et les arbres, la mer
-leur ayant caché les cadavres d'Ondicola et de ses compagnons.
-
-Ithargia souhaitait de ravoir une autre petite fille, mais Dieu ne lui
-envoya plus que des garçons qui naquirent à peu d'intervalle les uns des
-autres.
-
-Ils étaient au nombre de six quand leur mère, à peine plus jeune que le
-père, entra dans sa vingt-cinquième année. Sans l'ombre légère qui
-s'étendait sous le cerisier, le foyer n'eût été que joie.
-
-La culture était facile autour de la fruste habitation, le blé
-repoussait de lui-même, comme encore au bord du Nil. Iguskia l'égrenait,
-le lavait, le broyait, et Ithargia le pétrissait et le cuisait.
-
-Leur basse-cour s'était formée toute seule d'oiseaux, comme de coqs de
-bruyère et de tourterelles, qui venaient y picorer, et de biches
-gracieuses et de faons et de lapins et de lièvres.
-
-Jamais ils ne songèrent à quitter cet éden, car, à mesure que
-grandissaient les six garçons, à qui ils enseignaient la primitive
-langue basque et les travaux familiers, ils s'attachaient davantage au
-sol qu'ils avaient consacré avec la mort.
-
-Les trois aînés accusaient un goût plus particulier pour la pêche et la
-capture des palombes. Il leur arrivait de ne rentrer au foyer qu'après
-des excursions de plusieurs jours à travers bois. C'est ainsi qu'en
-suivant la Nive et l'Adour, refaisant en sens inverse le chemin
-autrefois parcouru par Iguskia et Ithargia, ils atteignirent la plage
-même devant laquelle, vingt ans plus tôt, avait sombré l'_Eskualdunak_.
-
-C'est là qu'ils s'endormirent un soir, lassés de leur longue marche, et
-par une nuit aussi sereine que celle durant laquelle leurs père et mère,
-adolescents, avaient laissé leur pur amour paraître aux yeux d'Ondicola
-ravi.
-
-Ces trois frères étaient d'une grande beauté: le plus âgé comptait vingt
-ans alors, à peine un peu moins les deux autres. Ils se nommaient
-Zoardia, Aritza et Sua.
-
-Zoardia et Aritza étaient à peu près du même type, souple et brun, aux
-cheveux un peu crépus et durs, aux yeux bridés et placés presque sur les
-tempes, l'allure si leste qu'on les eût dits toujours prêts à bondir.
-Sua était un peu gros et blond, avec d'étranges yeux glauques très
-obliques et perçants; d'une taille aussi élevée que ses frères, mais qui
-paraissait moindre, à cause du développement du torse; ses épaules
-étaient étroites. Il ne le cédait en rien aux deux autres pour
-l'agilité, soit qu'ils exécutassent des danses que leurs parents leur
-avaient apprises de l'Asie, et pour lesquelles ils se paraient de
-plumes, de minéraux brillants et de fleurs, et qu'ils accompagnaient
-d'un fifre de roseau; soit qu'à de longues distances ils se lançassent
-et se renvoyassent des projectiles ronds, faits de lames de cuir avec un
-noyau de silex.
-
-Donc Zoardia, Aritza et Sua s'étaient endormis sur la plage.
-
-
-
-
---Ici, observa le narrateur Jacob Meyer, qui n'hésitait jamais,
-paraissait connaître par coeur la légende basque, et ne faisait appel
-qu'à de rares notes, je me trouve fort embarrassé. Il me faudrait vous
-soumettre le manuscrit qui est à Aix, chez un mien neveu, qui en est
-fort avare. En effet, tout le passage suivant est écrit dans la même
-langue, mais en vers heptamètres, et constitue une sorte de nocturne.
-
-Ce chant commence après que Zoardia, Aritza et Sua viennent de
-s'assoupir sur cette arène d'où leurs parents partirent pour gagner les
-vallées de la Nive et de la Joyeuse. Ma mémoire n'est pas telle que j'en
-aie pu conserver les nuances, n'ayant point ce don qui est vôtre. Vous
-n'aurez donc qu'un faible écho du génie d'un koblari[1] lointain qui
-mêla sans doute sa propre inspiration aux documents laissés dans un
-rocher par Ondicola, et à ceux que nous ont transmis les premiers foyers
-qui s'allumèrent aux flammes de l'_Eskualdunak_.
-
- [1] Improvisateur basque.
-
-Voici le récit de ce barde et comme il s'enchaîne à ce qui précède.
-
-
-
-
-FORMATION DES PRINCIPAUX COUPLES
-
-
-Il y avait six jeunes filles dans une contrée d'Asie, plus belles les
-unes que les autres, longues et gracieuses comme les feuilles de l'iris.
-
-Et lorsqu'elles riaient, on eût dit d'une averse de grêlons dans des
-roses vermeilles.
-
-Toutes étaient brunes, toutes avaient les bras en arc, et leurs longues
-jambes rivalisaient de vitesse à la poursuite des chèvres égarées, car
-elles appartenaient au peuple pastoral.
-
-L'une avait vingt ans et les autres dix-neuf, dix-huit, seize, quatorze
-et quinze.
-
-Un prince, frère d'Ondicola, les avait aperçues en chassant, et il s'en
-était épris tellement qu'il avait demandé de les mettre dans les jardins
-de son palais à leurs parents qui avaient consenti.
-
-Il espérait bien d'en faire ses femmes. Mais elles étaient si belles,
-quand elles se penchaient hors de leurs pavillons de roses, qu'il n'osa
-les approcher.
-
-Et il tomba malade, comprenant qu'il est vain de poursuivre un amour
-dont on ne se sent pas digne.
-
-Lorsqu'il les considérait, il était comme un homme qui n'ose porter à
-ses lèvres la coupe, tant elle exhale un parfum enivrant.
-
-Durant six mois qu'aux portes de son harem elles furent ses
-prisonnières, il les fit combler de faveurs et de soins. Et le respect
-qu'il témoignait à leurs grâces était tel que, de la partie du bosquet
-où elles se baignaient, il était défendu de s'approcher sous peine de
-mort. Et lui, tout le premier, observait sa consigne.
-
-Mais il continuait de dépérir. Il consulta les sages qui guérissent avec
-des simples, mais ils lui déclarèrent qu'il n'était nul philtre qui pût
-venir à bout de son mal, et que le seul remède était, ou bien de
-s'exiler soi-même, ou de renvoyer ces beautés.
-
-Il opta pour ce dernier moyen, et les six jeunes filles retournèrent à
-leur plateau natal, le même où Iguskia et Ithargia avaient vu le jour.
-
-Mais son agonie continua, parce que, la nuit, le parfum des fleurs lui
-semblait être celui des bien-aimées, apporté par la brise. Il songea à
-s'expatrier, mais la dynastie des Ondicola le supplia de n'en rien
-faire, lui représentant que son frère avait mystérieusement disparu, il
-y avait un quart de siècle, avec l'_Eskualdunak_.
-
-Il resta, mais il résolut de donner la mort à celles qui l'empêchaient
-de vivre, et dont il n'aurait pu supporter qu'elles appartinssent à
-quiconque.
-
-Sur son ordre une galère appareilla--ainsi en avait décidé son frère
-jadis de l'_Eskualdunak_. Mais le luxueux équipage n'était, ici, que des
-six vierges.
-
-Néanmoins il para le navire de roses. Il en fit un jardin suspendu sur
-la mer. Il l'emplit d'autant de merveilles qu'en avait connu le vaisseau
-de son frère, et il fit peindre sur la coque ce mot: _Amodioa_.
-
-Puis, ayant fait s'embarquer les jeunes filles, il les abandonna seules,
-sans pilote, au gré des vents.
-
-Mais de ceux-ci, le plus doux, le Zéphire, s'étant épris de la plus
-jeune, ne cessa de souffler avec douceur dans la voilure, si bien que la
-navigation ne fut pas le moins du monde mouvementée; que les passagères
-purent descendre sans peine sur diverses plages, s'y approvisionner, et
-continuer leur voyage aussi facilement que si elles avaient eu, pour les
-conduire, le patron des nautoniers.
-
-Ainsi, et plus d'un an, elles naviguèrent sans que les récifs
-entamassent les flancs de l'_Amodioa_. Elles étaient plus gracieuses que
-jamais, tannées par l'embrun, dorées par les soleils, quand elles
-ressentirent les traits du dieu qui ne pardonne pas. Il souleva leurs
-seins comme des voiles, et, maintenant, elles tendaient leurs mains vers
-l'inconnu.
-
-Par une calme nuit l'_Amodioa_ entra dans la baie de Biscaye, toujours
-poussé par le vent qui ne cessait de caresser les cheveux de la cadette.
-
-Mais les mortelles aux Immortels préfèrent les mortels.
-
-Et c'est en vain que Zéphire étendit l'éventail de ses pennes au-dessus
-de celle qu'il chérissait. Lorsqu'elle fut descendue à terre avec ses
-soeurs, il comprit qu'elle était désormais perdue pour lui. Et, jaloux,
-il fit appel à Borée qui coula le navire aussitôt.
-
-Ainsi, l'un avec son équipage dont Iguskia et Ithargia avaient été
-réservés--l'autre sans ses passagères,--à plusieurs années de distance,
-l'_Eskualdunak_ et l'_Amodioa_ subirent, par des moyens différents, le
-même sort.
-
-Le Destin suivait son plan.
-
-L'embellie revint après cette tempête qui n'avait point altéré le visage
-des jeunes filles qui s'étaient endormies.
-
-La première, qui s'éveilla en bâillant et en étirant ses bras ronds, ne
-s'émut pas davantage de ne plus apercevoir le bateau qui les avait
-longuement promenées, puis déposées enfin sur cette nouvelle plage.
-Elles étaient, toutes les six, des païennes pour qui le passé compte à
-peine, l'avenir pas du tout, le présent seul. Maintenant, debout et
-radieuses, hors de leurs légères couches improvisées, elles écoutaient
-les chansons du golfe et leurs bouches et leurs coeurs avaient faim.
-
-A travers l'ombre épaisse de leurs cils, leurs regards glissèrent vers
-les trois jeunes hommes qui les aperçurent et vinrent vers elles avec
-des fraises, des cerises, du fromage de biche et du pain. Elles
-mangèrent en riant, et, dans la joie et l'espoir de l'amour, elles les
-suivirent quand ils s'en retournèrent chez eux.
-
-Ici, me fit observer Jacob Meyer, en compulsant un cahier, la prosodie
-s'interrompt, et le récit reprend son cours naturel en langue vulgaire
-jusqu'au deuxième chapitre.
-
-
-
-
-Ces belles créatures s'unirent aux six frères dont le plus jeune
-comptait environ dix-huit ans.
-
-Iguskia et Ithargia moururent nonagénaires, laissant une postérité si
-nombreuse que déjà elle formait la colonie de Hasparren.
-
-C'est ainsi que, soustraite à la civilisation corrompue de l'Orient,
-rattachée à une sorte de morale naturelle que fortifia la saine et pure
-solitude d'un pays en équilibre, la race basque fut fondée.
-
-Sans effort, comme Iguskia et Ithargia, les merveilleuses jeunes femmes
-s'adaptèrent à cette simple vie, toute faite de tâches faciles, et d'un
-amour sans mélange qui de lui-même proscrivait la polygamie. Aux nectars
-lydiens, tout de suite elles préférèrent l'eau qui stille des rochers
-d'Ursuya.
-
-Les deux ancêtres furent ensevelis à Ayherre, non loin du lieu où
-reposaient leur unique petite fille et tous ceux qui, dans la suite,
-trépassèrent avant eux.
-
-Ils transmirent à leur lignée une sorte de culte des cieux,
-mi-spirituel, mi-matériel, dont on retrouve la trace encore dans les
-signes des pierres tombales actuelles.
-
-Bien avant la conquête romaine, des groupes familiaux, dérivant de cette
-souche primordiale, se formèrent çà et là. Les trois fils aînés,
-Zoardia, Aritza et Sua, occupèrent le premier le Labourd, le second ce
-qui devait être la Basse-Navarre et le troisième la Soule. D'autres,
-parmi les cadets, se fixèrent en Espagne, dans l'actuel Guipuzcoa, où
-ils trouvèrent un peuple mauresque habile à corroyer, auquel ils ne
-s'unirent jamais, qu'ils méprisèrent, mais dont les instruments et
-méthodes les initièrent à une industrie qui se continue, et qui leur
-permit encore de se perfectionner dans l'agriculture et l'élevage. Ils
-en instruisirent ceux de leurs parents qui n'avaient point quitté la
-terre natale, quand ils les y allaient voir, et c'est ainsi que se
-développa rapidement, chez les uns et chez les autres, le génie
-commercial qui appartient au pays basque.
-
-
-
-
-LE JOUR ET LA NUIT A ASCAIN
-
-
-J'ai une excellente nouvelle à vous annoncer, me dit Jacob Meyer peu de
-jours après qu'il eut fini de me narrer, en s'aidant du peu de notes que
-l'on sait, la première partie de la légende basque. Le légataire de
-notre manuscrit familial, ce neveu dont je vous ai parlé, qui habite
-Aix, va descendre sous peu chez moi. Il doit examiner, à Biarritz, le
-projet d'adduction d'eaux salées que l'on a découvertes à Briscous, et
-dont il voudrait se rendre concessionnaire. Mais n'allez pas croire que
-ce fils de mon frère aîné, encore qu'il soit sorti le premier de l'Ecole
-Centrale, dédaigne la poésie. Il est parfaitement digne d'être le
-gardien de notre trésor, bien que je vous aie déclaré qu'il ne tient pas
-à le communiquer. Je lui ai écrit de vous; il apprécie, autant que je
-les prise, vos oeuvres, et, sachant que vous vous êtes intéressé à la
-légende basque, il consent à nous en apporter le texte tout entier. Que
-ce second chapitre, où nous en sommes, soit ou non une interpolation, il
-est souvent conçu dans cette forme lyrique dont nous fournit un exemple
-le passage qui a trait à l'histoire des six jeunes filles, dont chacune
-épouse l'un des fils d'Iguskia et d'Ithargia. Vous vous souvenez qu'à ce
-moment j'étais navré de n'avoir pas le manuscrit original, et de ternir
-les nuances de cet épisode, déjà affaiblies par la traduction du basque
-au français. Il ne faut plus qu'il en soit de même. Je parle
-d'interpolation: il est certain que brusque est le saut qui, du foyer
-primitif, nous introduit dans une Eskuarie christianisée, encore que je
-ne doute point que votre religion n'ait pénétré dans cette partie de la
-Gaule dès le voyage de saint Saturnin. Une poétique fontaine, située sur
-le bord de l'antique route qui joignait Hasparren à Alphat-Hôpital,
-porte le nom de cet apôtre envoyé par saint Pierre. Mais cela ne veut
-pas absolument dire que l'oeuvre ne soit pas d'un seul poète, qui a pu
-l'écrire à l'aide de très antiques documents attribués au premier
-Ondicola et de récits recueillis çà et là chez les koblaris. Que des
-professionnels débrouillent l'écheveau de la vérité! Quant à nous, il ne
-nous importe que de le tenir bien en main en admirant ses variations
-infinies. Peu nous chaut que, dans une chevelure toute ruisselante d'or,
-quelques cheveux aient été emmêlés par une folle brise.
-
-Je marquai toute ma reconnaissance à Jacob Meyer de ce qu'il m'avait
-admis à la confidence de cette sorte de romancero dont je consignais par
-écrit le moindre fragment dès que je me retrouvais seul avec moi-même,
-et le félicitai de l'élégance de sa traduction.
-
-Je n'attendais plus que la venue du Juif aixois, et je me trouvai là
-précisément lorsqu'il arriva chez son oncle qui le bénit en l'appelant
-Eliézer.
-
-C'était un homme de trente ans dont on ne pouvait dire qu'il manquât de
-race, quoique son profil fût d'un dromadaire dont le front serait
-couronné, et la joue encadrée d'un astrakan blond. Ses yeux avaient la
-couleur de liards devenus verts à toutes les intempéries. Il portait un
-vêtement de confection, qui n'eût présenté rien d'étrange sans une
-musette de soldat, passée en bandoulière, et dont il me dit qu'elle
-contenait le fameux manuscrit et ses instruments de minéralogiste.
-
-Il m'avisa que, le lendemain, il désirait se rendre à Ascain pour
-assister à une importante partie de pelote.
-
-Voulant dès l'abord me montrer aimable, je lui offris, ainsi qu'à son
-oncle, de me joindre à eux, mettant à leur disposition une voiture qui
-nous emmènerait de Bayonne, conduite par mon loueur habituel. Jacob
-Meyer se récusa, mais engagea son neveu à accepter, qui d'ailleurs ne se
-fit point prier.
-
-Je le pris donc avec moi, et tandis que nous roulions vers le but en
-traversant les délicieux trumeaux émaillés que sont les villages du
-Labourd, notre conversation ne tarit pas sur la légende basque. Eliézer
-Meyer connaissait à fond la langue de ce pays où il était né quand son
-père était officier d'administration à la forteresse de Bayonne.
-
---Oui, disait-il, elle est vraiment belle, n'est-ce pas, cette légende
-d'Ondicola que nous gardons aussi précieusement qu'Aladin sa lampe
-merveilleuse? Et vous dirai-je que, depuis que je l'approfondis
-davantage, ma grande occupation est d'en faire la synthèse, et mon grand
-attrait d'y réussir, c'est-à-dire de voir revivre dans ce peuple tous
-les germes en puissance dans les héros de cette charte?
-
-Et comme, assis tous deux sur un mur, les jambes pendantes, tout près du
-fronton d'Ascain, nous venions de suivre du regard, saisis d'un frisson
-sacré, la pelote gravissant, tel qu'un astre d'ombre, dans l'azur
-immaculé:
-
---Regardez, mais regardez donc cette assistance, me dit Eliézer. Admirez
-ces femmes de la race d'Ithargia, cette suprême et fine grâce
-mouvementée comme la vague qui l'apporta; ces mantilles pareilles à de
-légères voiles déployées sur la nuit des cheveux et des yeux; ce corail
-et ces perles des bouches; tout ne décèle-t-il pas l'origine orientale,
-l'aristocratie d'une race éclose au pays des gazelles?
-
---Quant aux Orientaux, reprenait Eliézer, la partie terminée, et tandis
-que nous nous rafraîchissions dans la naïve auberge, les voici, mais
-reconstitués par Ondicola, rapprochés de notre paradis terrestre. Ils
-n'ont guère conservé de défauts que cette indolence qui les porte à
-laisser leurs femmes se substituer à eux dans les travaux et les comptes
-de la cordonnerie, le premier de leur art. Et puis, n'aiment-ils point,
-à l'exemple de leur ancêtre Hafiz, de goûter sous les tonnelles un vin
-de la couleur des roses? Et, puisque nous parlons de Hafiz, voyez Hafiz
-ressusciter en eux!
-
-Deux hommes s'étaient levés gravement et se faisaient face d'une
-extrémité de la salle à l'autre, tandis que la multitude, se massant
-pour les entendre, s'imposait silence.
-
-Leur chant mélancolique monta.
-
-Ils se répondaient tour à tour, et la lumière baignait dans l'ombre
-leurs masques inspirés.
-
-Leurs voix vibrèrent longtemps dans le crépuscule.
-
-Pour prolonger l'extase d'une si belle journée, nous décidâmes de ne
-regagner Bayonne que le lendemain; et d'ailleurs, la nuit, le col de
-Saint-Ignace est dangereux.
-
-Nous flânions avant souper:
-
---Voilà, me dit Eliézer, de la digitale encore en fleur. C'est une
-digitale, vous en souvenez-vous, qu'Ithargia plaça entre les doigts de
-sa fille expirante.
-
---Comment, répondis-je, ne me rapellerais-je pas le moindre détail de
-cet admirable poème?
-
---La digitale, reprit-il, habite le silex qui lui donne peut-être cette
-divine flamme rose qu'ont aussi les étincelles qui jaillissent de lui.
-
-Je regardai Eliézer. Avait-il du génie? Il ne paraissait point s'en
-douter.
-
-Nous revînmes à l'hôtellerie du Jeu de l'Oie, où l'on nous servit de la
-truite et du confit.
-
-Nous errâmes ensuite dans le clair de lune. Eliézer semblait devenu
-muet, mais il était impossible de ne pas s'apercevoir qu'il avait la
-connaissance détaillée des lieux où nous nous trouvions.
-
-Peut-être la recherche des métaux et des sources l'avait-elle conduit
-déjà là? Il se baissait, de temps à autre, prenait pour l'examiner à la
-lueur de la lune quelque fragment de roche éruptive où, parmi les noires
-constellations du mica, fulgurait un éclair de cuivre.
-
-Minuit sonna au clocher d'Ascain.
-
-Eliézer entra au cimetière. Je le suivis.
-
-Quelle calme poésie dans ce jardin des morts! L'Israélite qui s'était
-découvert me fit un signe du doigt, me montrant, sur une vaste pierre
-tombale que pâlissait le soleil de la nuit, ces huit lettres gravées:
-_ONDICOLA_, sans date, ni autre indication.
-
---Ce nom, me dit-il enfin, est d'une famille célèbre par ses pilotaris.
-Je ne sache rien de plus, sinon, comme vous l'avez appris vous-même,
-qu'il est le plus vieux du pays basque, celui du fondateur que la
-légende nous révèle; et je ne serais point surpris que l'un des six fils
-d'Iguskia et d'Ithargia l'eût porté, et que la longue lignée l'ait
-conservé par respect des ancêtres. Les Ondicola sont maintenant de
-pauvres hères, mais qui sait?
-
-Nous reculâmes, car nous voyions la vieille pierre se soulever
-d'elle-même et Ondicola sortir du sépulcre.
-
-Il regagnait le ciel, vêtu splendidement comme une constellation.
-
-Il était suivi de tout son peuple. En tête s'avançaient, d'une
-incomparable beauté, tels que dans leur pure adolescence, Iguskia et
-Ithargia; puis leurs fils, et les femmes de ceux-ci, et leurs
-descendants dont l'un se faisait remarquer par son audace: il montait
-seul un esquif sous qui roulaient les nuages et, soudain, il lançait le
-harpon. Des flottilles escortaient ce marin qui semblait être l'amiral
-de ces Basques, épris de contrées lointaines et qui ne cessent
-d'affronter l'inconnu.
-
-Certains sombraient avec leurs barques, mais d'autres abordaient en des
-archipels de lumière.
-
-Puis venaient les agriculteurs qui labouraient l'espace, d'une
-simplicité d'attitude et de mise qui regagnait celle des pasteurs dont
-on voyait neiger les brebis dans l'aube naissante.
-
-Un groupe de guerriers menaçait de makhilas des fils de Mahomet.
-
-A la suite de saint Léon, processionnaient les innombrables enfants du
-pays qui ont épousé le Christ. Ils portaient des vêtements noirs ou
-blancs dont quelques-uns étaient tachés de sang. Ils étaient les martyrs
-de Chine et d'ailleurs, qui avaient quitté la maison bien-aimée aux
-longues ailes pendantes. L'un d'eux portait le Sacrement autour duquel,
-comme à Hélette encore, les hommes dansaient, graves de joie. Des
-pilotaris l'ombrageaient avec leurs gants de cuir ou d'osier.
-
-Puis venait le troupeau des fidèles, l'humble peuple au coeur d'or des
-petits négociants qui taille le cuir, débite la viande, fait griller le
-café devant les portes.
-
-L'angélus m'éveilla. Je m'étais laissé gagner par le sommeil dans le
-champ des morts, la tête contre une touffe de romarin. Eliézer dormait à
-quelque distance. La tombe d'Ondicola était toujours là, mais close.
-
-La sonnerie des cloches reprit en s'accentuant. La douce vallée était
-bercée par elle. C'était au matin de la Fête-Dieu.
-
-Une louange sans nom monta de la matinée.
-
-De vivants chemins, à onze heures, se mirent en marche: on ne savait
-plus si c'étaient les cerisiers qui s'avançaient, où la foule. On
-entendait l'orage des tambours et, par moment, entre leurs batteries et
-celles des clairons, l'hymne montait et s'affaissait comme la mer. Puis
-le grondement reprenait dans le rire des cloches en extase, et le regard
-bleu du ciel se reposait avec amour sur les blés.
-
-Que ce paysage était simple! Simple comme cette race unique fondue à la
-sérénité des collines, à la clémence du climat, à la frugalité des
-terres! Elle suivait ce morceau de Pain qu'est son Seigneur et son Dieu.
-Elle le suivait sans hésitation, le coeur au large et tout baigné d'une
-rosée angélique. Ils allaient, leurs grains de bois sec dans une de
-leurs mains calleuses et, dans l'autre, le béret dont ils montraient la
-belle doublure neuve, vêtus du court chamar ou de la veste commune, le
-pantalon arrêté au-dessus de la cheville pour que la poussière ou la
-boue n'atteignît que les gros souliers.
-
-Es-tu content de ton peuple; est-ce ainsi que tu l'as voulu, Ondicola?
-
-Lorsque, dans la soirée, Eliézer et moi nous nous en retournâmes, les
-sentiers étaient jonchés d'herbages et de fleurs et tout parfumés de
-menthe.
-
-Nous relayâmes à Hasparren où nous couchâmes. Ville délicieuse, charme
-premier du pays basque où les magasins bas, avec leurs porches romans,
-leurs naïves enseigne, la pauvreté de leurs denrées exposées aux
-devantures, suffiraient à nous guérir de la croyance qu'il est
-nécessaire, pour vivre, de se trouver aux portes du Louvre ou de
-l'Institut Pasteur!
-
-Le lendemain matin, Eliézer ayant la migraine demeura au lit. Je me
-dirigeai seul, à pied, vers cet Ayherre où la légende situait le foyer
-d'Iguskia et d'Ithargia.
-
-J'aperçus le château démantelé de Belzuncia. L'air était blond et
-argenté comme une perle, où les blés prenaient déjà la teinte sombre de
-la terre.
-
-Au flanc de la colline était un champ modeste où vinrent deux faucheurs,
-un jeune homme et une jeune femme. Je songeai à Iguskia et à Ithargia
-qui s'étaient épousés dans les flammes de la moisson.
-
-Je me rapprochai de ce couple qui était d'une indicible beauté,
-transmise à travers les âges sur l'aile de l'Amour selon le voeu
-d'Ondicola. Leurs regards étaient tels qu'ils donnaient à penser que la
-lumière peut être noire.
-
-Je leur dis que j'étais venu de Hasparren, visiter les ruines proches de
-leur ferme, ce dont ils ne s'étonnèrent point car elles éveillaient
-parfois la curiosité des promeneurs. Ils ne souffrirent point que
-j'allasse prendre mon repas à l'auberge et, avec cette simplicité
-habituelle à leur race, ils m'invitèrent chez eux.
-
-La femme nous servit, après quoi leurs quatre petits garçons, qui se
-suivaient de tout près par l'âge, vinrent manger debout la soupe qu'on
-leur présenta dans une écuelle. Ils burent de l'eau dans un bol ébréché,
-puis s'en allèrent satisfaits. Sur deux chaises, l'un en face de
-l'autre, un aïeul et une aïeule somnolaient.
-
-Je sortis pour aller contempler l'ancien château, mais plutôt pour
-évoquer le premier foyer eskuarien qui l'avait précédé de bien des
-siècles.
-
-Les remparts tombent, mais la terre ne meurt pas. Aussi magnifique était
-peut-être cette campagne qu'aux jours premiers d'Iguskia et d'Ithargia.
-
-Avant de regagner Hasparren, j'allai remercier mes hôtes. Ils étaient
-assis sous un noyer qu'on eût dit tout chargé de nuit fraîche. Ils se
-tenaient par la main avant que d'aller reprendre leurs faucilles. Une
-caille au loin appela.
-
-Je ne fis part ni de mon rêve ni de mon excursion aux ruines d'Ayherre à
-Eliézer.
-
-
-
-
-LE SIÈGE DE PAMPELUNE
-
-
-Peu de jours après notre course a Ascain, je me retrouvai avec Eliézer
-chez son oncle dans ce vieux Bayonne si pittoresque où jadis aborda, au
-retour des Indes occidentales, l'une des caravelles de Christophe
-Colomb.
-
-Pays de Robinsons, d'explorateurs, de pêcheurs, de corsaires, que
-n'as-tu ajouté cette devise à ton blason, lue sur un vieux pot anglais:
-«_Les aventures sont pour les aventureux._»
-
-J'attendais avec une certaine impatience la suite, à laquelle j'avais
-été convié, de la légende basque.
-
-Le début du deuxième chant me surprit.
-
-C'était une sorte de préambule, davantage un exposé qui semblait, plutôt
-que d'un poète, l'oeuvre, eût-on parié, du copiste.
-
-Quel copiste? Que, dans une langue non écrite, ou dont le graphique a
-disparu, il y ait quelques exceptions, soit! Il n'en est pas moins vrai
-que ce Juif aux yeux verts, affublé d'un prénom si extravagant, me donna
-un léger choc lorsque je l'entendis, comme on va le voir tout à l'heure,
-employer le mot _curé_ dans sa traduction.
-
-A la vérité, ce mot ne semble avoir que faire avec, je ne dis pas la
-religion, mais l'esprit d'une époque aussi reculée. Ce pouvait être une
-faute de goût de la part du neveu de Jacob Meyer, tout au moins une
-bizarrerie. Mais je dois prévenir les lecteurs, afin qu'ils ne me
-tiennent point pour un naïf, qu'à partir de cet instant, je fus assailli
-par le doute. Eliézer ne m'étonna pas moins que, dans la même séance,
-après avoir ouvert une parenthèse explicative que je n'ai pas consignée,
-mais qui avait trait au procédé d'Ondicola pour sélectionner la race
-eskuarienne, il prononça: «Et, d'ailleurs, la diplomatie est la science
-de l'amour.»
-
-Allais-je me lever, faire éclater mon mépris, ou m'esquiver sans bonjour
-ni bonsoir? J'eus la sagesse de n'en rien faire.
-
-Je remis à plus tard la clef d'or du mystère. Qu'importait son auteur
-véritable si l'oeuvre continuait de me ravir, et ne faut-il pas, après
-tout, que toujours par quelqu'un le Robinson commence?
-
---En Labourd, en Soule, en Basse-Navarre, traduisit Eliézer qui semblait
-suivre le mot à mot du texte rapporté d'Aix, on vit, huit cents ans
-après la destruction de l'_Eskualdunak_, s'élever çà et là de jolies
-églises à triple clocher, adossées à leurs presbytères dont les jardins
-produisaient des légumes, des fruits, des lys blancs et des pois de
-senteur.
-
-Ces paroisses naissantes vécurent longtemps en paix, mais les curés
-(_sic_) représentèrent à leurs brebis, capables de se transformer en
-lions, que le diable donnait depuis longtemps le siège à leurs frères
-basques d'Espagne.
-
-On sait que ceux-ci avaient appris des Maures l'industrie du cuir et
-l'agriculture raisonnée, qu'ils avaient transmises à leurs parents
-restés en France quand ils les y allaient visiter. Mais ils ne furent
-pas longs à s'apercevoir que la race maudite de Mahomet, pleine de
-dissimulation, ne leur voulait que du mal. Et ce qui mit le comble à
-leur indignation, ce fut le martyre que de tels barbares infligèrent à
-la chrétienne Eurosie qui s'était refusée à épouser l'émir. Les Basques
-de France se portèrent au secours de leurs frères outragés et, les
-secondant, s'emparèrent de Pampelune.
-
-Le texte de la légende, observa ici Eliézer, emploie le style lyrique
-dans le passage qui suit et qui a trait précisément à la prise de cette
-ville. Il y a même, dans la seconde partie, un essai que je crois devoir
-traduire en en respectant la prosodie.
-
-Quand les descendants d'Iguskia et d'Ithargia arrivèrent sous Pampelune,
-le crépuscule était comme un grand oranger parfumé.
-
-L'émir reposait dans son pavillon avec ses femmes couronnées de fleurs
-de grenadier. Le bourdonnement des guitares énervait leurs amours.
-
-Ah! l'on te retrouve bien là, mollesse orientale dont Ondicola vint à
-bout lorsqu'il fit exploser son _Eskualdunak_ d'or, après avoir lâché
-sur une terre incomparable un couple vierge!
-
-Les fils d'Iguskia et d'Ithargia sont sous tes murs, ô Pampelune! Ils
-viennent enfin brûler les dieux qu'ils eussent adorés sans un maître
-audacieux qui anéantit son équipage avec lui.
-
-Voici les principaux comtes basques: Arnaud de Macaye; Sanche
-d'Espelette; Ramoun de Tardets; Bernard d'Iholdy; Auger de Mauléon;
-Ondicola d'Ascain.
-
-Qu'ils ressemblent peu à ces païens, obèses la plupart, vautrés dans
-l'orgie, empêtrés dans leurs tuniques, gavés de confitures de roses!
-
-Arnaud de Macaye descend de Zoardia, l'aîné de ceux qui avaient épousé
-les belles enfants dont l'une avait séduit le Zéphire à bord de
-l'Amodioa. Après avoir navigué au long des côtes, il est revenu dans son
-village au milieu de sa tribu. Et, avec ses mules, passant et repassant
-la frontière, il fait commerce d'huile et de vin.
-
---Où est, s'écrie-t-il, en avançant vers le rempart, l'émir, que je le
-crève comme une outre?
-
-Arnaud de Macaye ne porte casque ni cuirasse, ni autre vêtement de
-guerre, mais le petit béret basque, le chamar, et un pantalon aussi
-léger qu'une feuille. Ses longs cils ombragent son regard:
-
- Il tient serré son makhila flexible
- Dont on voit bien qu'un seul coup abattrait
- Le Sarrazin avec son minaret.
- Il porte un cor de chasse à la ceinture
- Ses compagnons sont armés comme lui
- Du makhila qui ne sait faire grâce.
-
- Sanche est celui qui descend d'Aritza.
- Son fief domine un sommet d'Espelette
- Qu'on a nommé le mont du Mondarin.
- Navigateur intrépide il s'en fut,
- Accompagné de ceux de la Bretagne,
- Depuis le cap extrême de l'Espagne
- Jusqu'au pays que l'on ne connaît plus.
- Quand il revint, Gachucha fut sa femme.
- Et depuis lors il tisse des lainages,
- Qu'un de ses fils va vendre en Oloron.
-
- Quant à Ramoun, qui descend de Suâ,
- Dedans Tardets, la céleste vallée
- Qu'il n'a jamais jusqu'à ce jour quittée,
- On ne peut pas dénombrer ses brebis.
- Il vend sa laine à Sanche d'Espelette.
- Il est danseur et, toujours sous ses pieds,
- On voit le vide et le soleil briller.
-
- Après s'en vient Bernard, chef d'Iholdy,
- Qui fit, dit-on, premier le tour du monde,
- Puis s'enrichit à bien tanner le cuir.
- Et, plus que tous, il en veut à l'émir,
- Parce qu'il est beau-frère d'Eurosie.
-
- Auger qui sort de Mauléon la terre
- Contre la gent est si fort en colère
- Que l'on croirait qu'il porte le tonnerre.
- Et cependant, par ordre de Clotaire,
- De père en fils sont en leurs lieux notaires.
-
- Ondicola d'Ascain paraît ensuite
- Toujours lequel fut un pilotari.
- Au makhila s'adjoint sa plus rude arme,
- Son chistéra qu'il porte sur le dos.
- Qu'on le redoute, il est si fort qu'il peut
- Lancer la balle aussi loin qu'il le veut.
-
-Dans leur fureur vengeresse, ils étaient tellement sûrs de leur
-triomphe, ces comtes et leurs vassaux, qu'ils avaient demandé aux plus
-jolies filles basques de les accompagner.
-
-Le choix ne fut point facile, elles sont légion. On en dut réduire le
-nombre et faire pleurer de doux yeux. Les favorisées partirent donc, le
-coeur léger.
-
-Que l'on n'aille pas croire que ce fut pour bafouer la morale. Elles
-étaient honnêtes. Mais Arnaud, mais Sanche, mais Ramoun, mais Bernard,
-mais Auger, mais Ondicola d'Ascain avaient jugé que le plus dur supplice
-qu'ils puissent infliger à des mahométans enchaînés était de faire
-défiler devant eux ces beautés merveilleuses. Ce qu'ils firent. Et
-l'émir en mourut.
-
-Je ne savais, tandis qu'Eliézer suspendait là cette partie de la légende
-basque, s'il me fallait éclater de rire ou me fâcher, ou garder mon
-calme. J'optai pour cette dernière attitude. Jacob Meyer, opinant du
-bonnet, applaudit cette fin du chant.
-
-
-
-
-CHANT D'AMOUR DE TIRUZTAYA ET DE LÔRÉA
-
-
-J'ai dit que le prétexte qui avait été donné par son oncle, de la venue
-d'Eliézer, était d'une eau salée dont on s'occupait fort en ce moment
-pour la conduire à Biarritz.
-
-Des hommes autorisés tels que MM. Raymond Baron, Hézard et Bergeroo,
-étaient parmi les membres de la Société qui s'était fondée.
-
-Il me serait bien impossible d'informer sur le rôle que joua dans cette
-affaire le neveu de Jacob Meyer durant les quelques semaines qu'elle le
-retint ici. Il semblait s'intéresser alors à la minéralogie du système
-cantabrique, mais je ne pus me défendre d'une certaine méfiance touchant
-ses capacités, quand il me fit part, à propos d'un soulèvement d'ophite
-d'une théorie qui ne tenait pas debout. Je n'en jugeai pourtant que par
-les vagues leçons d'histoire naturelle apprises par moi au lycée de
-Bordeaux, d'un professeur, il est vrai fort distingué, M. Kuntsler.
-
-Eliézer me montra un perforateur à pointe de diamant, dont il me dit
-qu'il lui servirait à atteindre une nappe de pétrole située à
-Saint-Boës, près d'Orthez.
-
-Il ne me parla plus, momentanément, de la suite de la légende basque.
-
-Etait-ce que, cette suite, il prenait le temps de la composer ou qu'il
-voulût me la laisser désirer? Mystère. Je n'y fis aucune allusion,
-encore qu'un mot de Jacob Meyer m'eût fait entendre naguère que l'un des
-plus sublimes passages des Robinsons serait un duo d'amour, chanté par
-des descendants de Zoardia, au printemps, à l'entrée de ces grottes
-d'Isturitz, dont je possédais la clef.
-
-Cette clef, combien je sentais l'oncle et le neveu vivement possédés du
-désir de l'introduire dans la serrure interdite!
-
-Je continuais de fréquenter chez le vieux, le trouvant mainte fois
-occupé à quelque délicat travail, comme d'examiner les arborisations
-d'une émeraude ou, ce qui ne l'est pas moins, d'en discuter le prix avec
-quelque femme du monde.
-
-Il ne se gênait point; il semblait même que ma présence le stimulât pour
-exiger d'âpres conditions de belles clientes qui connaissaient les
-détours d'ombre de l'étroit et discret escalier de la rue Pontrique.
-
-Parfois nous reprenions le cours de nos conversations littéraires, ou
-nous allions pêcher les petits muges de la Nive. J'aime ce passe-temps
-populaire, et de me retrouver dans la compagnie de ces maniaques
-s'efforçant de fixer autour d'un hameçon l'appât, si vite désagrégé,
-d'oeufs de merluche.
-
---Il est une science, me dit Eliézer, un après-midi que je le rencontrai
-chez son oncle, à laquelle je m'adonne passionnément: l'anthropologie
-préhistorique. Les grottes d'Isturitz...
-
-Encore! me dis-je. L'oncle et le neveu ont dû se passer le mot! Faut-il
-donc qu'ils soient têtus et indélicats pour me reparler de ces grottes,
-vouloir me faire manquer à mon engagement, alors qu'ils savent que c'est
-moi précisément et le cerbère qui devons nous opposer à toute
-infraction.
-
---Les grottes d'Isturitz, insista Eliézer, offrent aux spécialistes de
-l'âge de pierre un intérêt qui se double pour moi de tout ce que m'a
-fait connaître des origines du peuple basque la légende ondicolienne.
-Isturitz, quel nom! Est-ce que des descendants de Zoardia et d'Aritza,
-s'il faut en croire un magnifique passage que je vous traduirai
-prochainement, ne le rendent pas plus harmonieux encore par les accents
-d'un amour ineffable qui, après plusieurs siècles, commémore les
-élévations d'âme de leurs ancêtres? Ce n'est que chants d'oiseaux buvant
-aux calices de fleurs printanières.
-
-Il fallait bien que je m'avouasse que, trompeurs ou non, Eliézer et son
-oncle se servaient d'un joli langage, et que la perspective d'entendre
-ce pur duo auquel ce dernier avait déjà fait allusion excitait ma
-passion poétique.
-
-Mais je ne pouvais me déprendre d'un certain malaise. Et, de penser
-qu'on avait influencé mes nerfs, jusqu'à m'avoir fait rêver si
-étrangement à la légende basque dans le cimetière d'Ascain, augmentait
-mon trouble. Ces Hébreux agissaient sur moi comme s'ils m'eussent dosé
-les drogues dont usaient les passagers de l'_Eskualdunak_. Il me
-faudrait réagir à temps.
-
---J'ai d'ailleurs, poursuivit Eliézer, promis à Salomon Reinach de me
-mettre en quête d'un ours en pierre tendre, catalogué par Pierre Loti,
-et que les primaires de ces grottes ont sculpté plusieurs siècles avant
-que s'y réfugiassent Iguskia et Ithargia. Les savants actuels suivent un
-plantigrade pétrifié avec autant d'ardeur que les sauvages qui l'ont
-exécuté le poursuivaient, vivant, de leurs flèches de silex et d'os.
-Vraiment, ne pourrait-on explorer des lieux si attirants dont, bien
-entendu, aucun objet ne serait distrait, mais infiniment respecté? Quant
-à l'ours, cher monsieur, si on le retrouve, il n'est que d'en référer à
-son propriétaire. Nous n'en serons que les montreurs. Qui dit Salomon
-Reinach dit prince munificent.
-
-Comme il me voyait inquiet, gêné, hésitant, Eliézer continua:
-
---Ecoutez-moi bien. Je ne vous demande, pour une première entrevue avec
-les grottes d'Isturitz, et jusqu'à ce que vous nous ayez obtenu de M.
-Passerose la permission d'y pénétrer, que d'aller vous y lire, à
-l'entrée, le duo d'amour de la légende, et, seulement dans le cas où
-vous le jugeriez digue de votre reconnaissance, vous vous emploieriez à
-nous obtenir la permission que nous désirons tant.
-
---Eh bien! soit, prononçai-je.
-
- * * * * *
-
-Mais j'éprouvai quelque honte de cette lâcheté où venait de m'induire
-moins sans doute l'amour de la poésie que ma vive curiosité pour le
-roman en action que me tramaient ces Juifs, sous prétexte de Robinsons
-basques.
-
-
-
-
-Une journée sans nuages enveloppant de sa netteté la trouble et bleuâtre
-colline d'Isturitz nous réunit tous trois à l'entrée de ses grottes.
-Nous avions laissé, à quelque distance, dans une auberge, voiture et
-cocher.
-
-Nous retirâmes de nos paniers une langouste, une galantine et un pâté de
-foie qui me donnèrent à réfléchir sur les animaux que proscrit la loi
-mosaïque. Quant aux vins, ils lançaient, entre les doigts de Jacob
-Meyer, des éclairs de rubis et de topaze. Horace et ses convives ne se
-fussent pas mieux traités dans la villa de Castétis.
-
-Lorsque la douce langueur, qui suit sur l'herbe ombreuse le repas de
-midi, m'eut quelque peu enveloppé, Eliézer retira de sa musette le
-précieux texte, ou sa traduction, ou son adaptation, comme il vous
-plaira.
-
-Et il lut:
-
---Voici le duo nuptial que chantèrent, pour la première fois, dans la
-région d'Isturitz où leurs antiques parents, Iguskia et Ithargia, les
-ont précédés dans la jeunesse et dans l'amour, Tiruztaya, homme du foyer
-de Zoardia, et Lôréa, fille de la tribu d'Aritza.
-
-TIRUZTAYA
-
-J'ai trouvé, sur le sommet d'Abbaratia, une rose sauvage dont le charme
-est incomparable, non pas qu'elle soit moins ou plus rose qu'une autre,
-ni davantage odorante, mais, à mesure que je gravissais vers elle et que
-mes yeux en buvaient la rosée, ah! je comprenais qu'elle n'avait été
-touchée même par une abeille: par le ciel seulement.
-
-LÔRÉA
-
-Sur la cime de la montagne cette rose s'est plu à incliner sa tige,
-formant un arc aussi doux que ton nom, ô Tiruztaya!
-
-Mais, brusquement, s'est détendue la tige, et moi qui en étais la fleur,
-je me suis décochée avec force pour venir me poser sur ton coeur.
-
-TIRUZTAYA
-
-Que nos petits cousins appellent les fauvettes avec les fifres dont ils
-enchantent le long après-midi. Elles ne répondront plus à leur
-invitation, ô Lôréa, si elles t'ont entendue, mortes de jalousie.
-
-LÔRÉA
-
-Lorsqu'on célébra, il y a un an, la fête ondicolienne, c'est alors que,
-pour la première fois, je te distinguai parmi les pilotaris.
-
-Et quand, avec un geste que je ne peux pas dire, tant il fut mesuré dans
-l'espace, tu brandis le gracieux berceau d'osier du chistéra, mon coeur,
-que tu avais mis dedans, ne fit qu'un bond.
-
-Et je vis, ô joie! mon coeur monter et redescendre vers un rival que tu
-provoquais.
-
-Mais toi, comme donnant un ordre à ce coeur, tu t'en jouais, le
-rappelant sans cesse, le relançant, le reprenant encore, le renvoyant
-jusqu'à ce que te restât la victoire au milieu des applaudissements.
-
-TIRUZTAYA
-
-Je bercerai ton coeur dans ce hamac d'osier où roule la pelote afin
-qu'un jour, auprès de notre couche nuptiale, j'y berce aussi nos petits.
-
-LÔRÉA
-
-Ne me fais point rougir, ô Tiruztaya!
-
-TIRUZTAYA
-
-Comment te ferais-je rougir puisque, déjà, tu es rose? Mais si tu veux à
-moi-même voiler ton teint d'églantine, laisse mon front se rapprocher du
-tien jusqu'à ce que je n'y voie plus.
-
-LÔRÉA
-
-Attends encore, Tiruztaya.
-
-C'est dans le front que les jeunes filles cachent leur pensée la plus
-pure.
-
-Et lorsque tu les vois se tenir si droites, elles veulent que la
-poussière soulevée par leurs pieds ne puisse atteindre cette plaque de
-marbre où, invisiblement, le nom du bien-aimé est gravé.
-
-TIRUZTAYA
-
-Rien ne courbe donc votre fierté?
-
-LÔRÉA
-
-Il faudrait, pour que je consentisse à abaisser ton nom chéri, que je
-porte à la cime de mon être, que tu me tuasses d'un coup de flèche en me
-trahissant.
-
-Alors, ô tristesse! je ne saurais que m'abattre tout du long, ma tête à
-tes pieds.
-
-TIRUZTAYA
-
-Ma Lôréa, n'aie point d'aussi folles pensées qui pourraient engendrer la
-tristesse.
-
-Tu sais l'honneur du pays basque, le foyer où Iguskia et Ithargia
-cuisaient leur pain d'asphodèle.
-
-Si, parfois, hélas! de tes compagnes étourdies glissèrent sur la mousse
-de la colline en poursuivant un lièvre matinal, enveloppées aussitôt par
-les filets des pâtres, jamais épouse qui jura par sa foi n'a menti à la
-vallée paisible.
-
-LÔRÉA
-
-Il faut que la jeune fille devienne épouse, et que celle-ci présente à
-ses enfants un visage dont les yeux n'ont miré que le regard de leur
-père.
-
-Et il faut qu'on l'ensevelisse dans sa tunique nuptiale.
-
-TIRUZTAYA
-
-La tradition raconte que les belles-filles d'Ithargia, ayant que
-d'épouser ses fils, toutes élégantes encore des parures qu'elles
-portaient sur l'_Amodioa_, déposèrent dans ces grottes et scellèrent
-dans le roc leurs légers vêtements d'Asie.
-
-Ils étaient de soie, et chacun n'avait d'autre ornement qu'un long
-narcisse brodé.
-
-LÔRÉA
-
-Je n'ai point de robe de noces si belle. Et tu ne m'en voudras pas de ne
-t'apporter que moi-même au lieu d'un vêtement brodé.
-
- * * * * *
-
-Cette finale, certes, était ravissante, et l'ensemble du morceau d'une
-haute tenue. Mais le modernisme, si je peux dire, y paraissait en
-transparence comme à travers un sujet ancien la grâce, jadis neuve, d'un
-Sandro Botticelli.
-
-Le narcisse brodé me semblait être un impudent défi à ma crédulité.
-
-Si sot qu'on croie un poète (et je passais alors par cette épreuve du
-mépris que fait peser sur nous, le monde en général), je ne l'étais
-point tellement que je donnasse dans ce panneau, si recouvert de fleurs
-fût-il! Ce qui me faisait trouver la plaisanterie plus mauvaise encore
-c'était qu'elle me fût servie non seulement par des gens d'un goût très
-averti mais qui, s'ils étaient les auteurs des Robinsons basques,
-étaient doués d'un génie poétique au moins égal au mien. Et, d'envisager
-cette dernière hypothèse, n'allait point de ma part sans aigreur.
-
-Je faillis leur crier: «Prenez-vous donc Pégase pour une bourrique?»
-Mais j'en fus retenu par la noblesse même de ce chant nuptial, et,
-dis-je, par le désir de connaître le but et l'issue d'une machination
-aussi baroque.
-
-Nul doute que les deux gaillards ne voulussent entrer en possession de
-la clef des grottes d'Isturitz. Mais à quelles fins? Je me méfiais que
-ce ne fût point pour en inventorier les curiosités préhistoriques,
-pensait-il que je l'autoriserais, me sentant piqué au jeu, à s'en aller,
-en compagnie de son oncle, rechercher dans la noirceur de ces cryptes
-les mousselines où neigeait le légendaire narcisse d'amoureuses?
-
-Je dois à la vérité de dire que, faisant preuve, ce jour-là, d'autant de
-tact que d'adresse, Jacob non plus qu'Eliézer ne me sollicitèrent au
-sujet de la clef.
-
-Ils n'en parlèrent point davantage au gardien lorsque nous allâmes, au
-retour, serrer sa patte velue. Il vivait, non loin d'une caverne, dans
-la compagnie de ses quatorze jeunes enfants et de leur mère. De celle-ci
-il nous dit qu'elle avait autant de lait qu'une vache bretonne, et qu'il
-ne serait point embarrassé, en l'absence de nourrissons, d'en tirer cinq
-francs par jour, s'il l'allait vendre à la ville; Cette rusticité dans
-le propos cadrait avec cette féroce observance de la consigne qu'il ne
-levait qu'en faveur de M. Passerose--le propriétaire même des lieux--ou
-que pour moi. De toutes autres gens, même que je lui eusse recommandés,
-il eût exigé, encore qu'il ne sût pas lire, une autorisation écrite de
-M. Passerose.
-
-Cet indigène, nommé Salbaya, nous indiqua d'un geste du menton, qu'il
-accompagna d'un sourire lacustre, un fusil rangé au-dessus de la
-cheminée, nous disant l'avoir chargé de grenaille et de gravier. Puis,
-il pointa un index terrible dans la direction des grottes.
-
-Salbaya n'était, au fond, qu'un de ces hommes nés pour se dévouer
-jusqu'au sang à de nobles causes, mais qui ne trouvent point emploi de
-leur courage. Moins éloignés du monde, plus instruits, sans doute
-eussent-ils joué des rôles de partisans ou de soldats. Ne s'étant pu
-réaliser ainsi, en aucune façon, Salbaya concevait une fierté
-désordonnée d'avoir été investi--la rase campagne aidant--de cette
-fonction de gardien-chef d'un refuge d'ours antiques.
-
-En prenant congé de lui, nous remîmes nos doigts dans sa griffe. Puis
-notre calèche nous ramena lentement, par Saint-Martin, Saint-Esteben et
-Bonloc, à la place de Hasparren.
-
-Chemin faisant, nous fîmes halte au pont de l'Arbéroue, et nous nous
-plûmes à regarder trois jeunes gens qui, la culotte relevée au-dessus du
-genou, fouillaient avec un filet les dessous de la berge pour y puiser
-des truites.
-
-Ils les enfermaient en des vanneries en forme de carafe, tressées par
-des Bohémiens, et qu'ils bouchaient avec des feuilles d'aulne.
-
-Nous observâmes qu'ils rejetaient avec mépris, en retirant les poissons
-du piège, les écrevisses qui y grouillaient. Nous les priâmes de vouloir
-bien nous réserver celles-ci. Ils le firent de la meilleure grâce du
-monde, et nous remportâmes ainsi, pour quelques sous, un plein panier de
-ces excellents crustacés, bien loin que je pusse soupçonner le rôle
-qu'ils allaient jouer avant peu dans la légende ondicolienne. A ce
-moment je me fis cette seule réflexion que les jeunes pêcheurs qui
-pratiquaient un sport aussi simple ne devaient point différer beaucoup
-des premiers Robinsons basques.
-
-Nous fîmes cuire et mangeâmes nos petites bêtes, le soir même, dans
-l'hôtel de la gracieuse petite ville, l'hôtel Gascoïna. Puis nous
-regagnâmes, non Bayonne qui était assez éloigné, mais ma villa où
-j'avais fait préparer des chambres pour mes compagnons de voyage.
-
-S'ils furent imprudents d'accepter mon hospitalité, la suite va le dire.
-Mais j'étais loin de me douter, quelques heures avant de les loger, que
-le mystère dont ils entouraient leurs faits et gestes à mon égard allait
-s'éclaircir.
-
-
-
-
-LA VÉRITÉ DANS LE RÊVE
-
-
-Je les croyais profondément endormis. Il était une heure du matin. Je ne
-m'étais pas encore déshabillé. J'avais ouvert un volume d'Alfred de
-Musset, comme tant de fois au cours de mes veilles, et je m'étais laissé
-gagner par le triste charme du plus fiévreux de ses poèmes, cette Nuit
-de décembre que je ne peux lire sans frissonner. J'en étais à ces vers:
-
- Mais tout à coup j'ai vu dans la nuit sombre
- Une forme glisser sans bruit.
- Sur mon rideau j'ai vu passer une ombre,
- Elle vient s'asseoir sur mon lit.
- Qui donc es-tu, morne et pâle visage,
- Sombre portrait vêtu de noir?
- Que me veux-tu, triste oiseau de passage?...
-
-... lorsque, la porte s'ouvrant, Eliézer parut, silencieux comme un
-fantôme et qui prit place sur ma couche dont le drap n'était point plus
-blafard que sa face.
-
-Il portait comme à l'habitude un costume de deuil.
-
-Je claquai des dents, puis lui demandai:
-
---Vous êtes malade sans doute? Voulez-vous lire la dernière chronique de
-Francisque Sarcey dans le journal le _Temps_?
-
-J'eus conscience, tant cette vision me terrifiait, je ne sais pourquoi
-vraiment, que ce que je venais de dire n'avait aucun sens et que je lui
-offrais le _Temps_, auquel je n'ai jamais été abonné, comme j'eusse pu
-lui proposer une chasse au tigre dans une forêt du Bengale.
-
---Ce n'est point tout ça, me répondit-il d'une voix très nette et qui ne
-laissait point supposer qu'il ne fût là en chair et en os: parlons!
-
---Allez! dis-je, sans que je perdisse un seul grain de ma chair de
-poule.
-
---Eh bien! voici: mon oncle et moi nous sommes Juifs.
-
-Je m'inclinai avec la déférence polie que l'on marque à un homme qui
-vous confie qu'il est sourd.
-
-Et il poursuivit en donnant à son langage autant de précision qu'à
-l'ordinaire:
-
---Et vous vous êtes aperçu que nous nous moquions de vous?
-
-Ma main se souleva comme un clapet, du bras du fauteuil où j'étais assis
-et s'y reposa.
-
---Ne pensez pas, continua-t-il, que cependant je ne puisse être sincère.
-Et la preuve en est que je viens, au milieu des ténèbres, vous faire ma
-confession, aussi pénible, aussi humiliante qu'elle puisse être à un
-_déshabitué_.
-
-Il prononça _déshabitué_ d'une manière si aiguë et si étrange, modulant
-chaque syllabe, que l'on eût cru d'une hulotte.
-
---Je vous le déclare sans ambages: nous sommes des voleurs, mon oncle et
-moi, celui-ci ayant découvert chez un bouquiniste du vieux Bayonne, et
-s'étant approprié, un document qu'il aurait dû remettre aussitôt à la
-famille Passerose; et moi, en lui prêtant mon concours, afin de nous
-emparer seuls d'un trésor dont ce parchemin fait mention. Ce trésor est
-enfoui dans les grottes d'Isturitz. De là notre acharnement à nous faire
-remettre par vous la clef du souterrain. De là...
-
---... cette invention de la légende basque, bien capable de séduire et
-d'envoûter une nature comme la mienne. M'est-il à présent permis, cher
-monsieur, de vous demander à quelle source, si proche de nous qu'elle
-soit, vous avez été puiser votre rhapsodie?
-
---La source? déclara Eliézer de la manière que Louis XIV affirmait:
-«L'Etat c'est moi», la source et moi nous ne faisons qu'un.
-
---Mais cette étrange entrée en matière de M. Jacob Meyer touchant
-l'_Eskualdunak_ et les premiers Robinsons basques?...
-
---Mon oncle n'a été que le canal. Je fus l'amorce. Il fallait vous
-gagner à tout prix pour tâcher d'obtenir, grâce à vous, de l'inflexible
-M. Passerose, l'autorisation d'entrer librement dans le flanc de la
-colline. Nous savions que vous rejetteriez avec dédain toute offre de
-participer avec nous au partage du contenu du coffre, car c'est bien
-d'un coffre qu'il s'agit. Il se trouve à une distance (conversion au
-système décimal actuel) de soixante-cinq mètres trente-deux centimètres
-de l'entrée, le long de la paroi droite, et à un mètre vingt-six
-centimètres de profondeur. Il a été déposé là, durant la Terreur, par un
-Antoine Passerose, ascendant du propriétaire actuel, et qui gagna la
-Hollande pour se soustraire à la guillotine qui allait se déclencher à
-Bayonne. Il émigra après avoir confié à un sans-culotte de façade, pour
-le remettre à qui de droit, la paix revenue, le plan détaillé des lieux.
-Le sans-culotte, devenu suspect, fut décapité sans qu'Antoine Passerose,
-décédé en Hollande, eût pu s'enquérir du trésor et du document. Celui-ci
-avait été remis par le condamné, au moment qu'il allait monter dans la
-charrette, à un prêtre qui l'oublia dans son bréviaire avant de mourir
-d'indigestion. Le pieux livre passa aux mains des bric-à-brac de la
-Synagogue et, dès que mon oncle Jacob Meyer s'en fut rendu acquéreur, il
-songea bien à informer les héritiers légitimes en leur réclamant ce qui
-lui revenait pour une telle découverte. Mais sa rapacité l'emportant sur
-sa conscience, il n'en fit rien, voulant être seul possesseur du trésor
-qui monte, en pièces d'or, en argent, en pierres et perles, à plus de
-cent mille pistoles. Et il m'a fait jurer sur les éclairs du Sinaï que
-je n'en réclamerais pas une obole, qu'il ne m'eût couché sur son
-testament et qu'il ne fût entré dans le sein d'Abraham. Et même, il ne
-me confiait son secret que par l'absolue nécessité où il était
-d'exploiter mon génie poétique afin de peser sur vous dont il
-connaissait les goûts. Il les partage, il est vrai, ceux du moins de la
-pêche et de la poésie.
-
---Vos Robinsons basques, dis-je alors avec une amabilité d'autant plus
-sincère que j'étais au fond touché d'une amende aussi honorable, et que
-je sentais Eliézer mortifié, sont des plus ravissants caprices que l'on
-puisse rêver--que dis-je? que vous m'avez fait rêver, apprenez-le
-maintenant, dans le cimetière d'Ascain.
-
-Le pauvre homme se laissa glisser du lit où il était demeuré assis. Il
-faisait pitié, paraissait à bout de force après cet aveu.
-
-Il rouvrit la porte, tituba dans le corridor, rentra _à reculons_ dans
-sa chambre où, sans ajouter un mot, les yeux fixes, il se déshabilla et
-se recoucha.
-
- * * * * *
-
-Ce n'est qu'alors que je compris qu'Eliézer était un hystérique
-somnambule, qui disait la vérité en dormant, et qu'il venait d'être
-victime d'une de ces crises que le plus grand ancêtre de Freud affirme
-se produire chez certains sujets, après l'absorption d'écrevisses qui
-les forcent de marcher comme elles.
-
-
-
-
-LES FIANÇAILLES DE ROLAND ET D'AUDE
-
-
-Le lendemain matin, à l'heure du café au lait, je compris qu'Eliézer,
-inconscient du phénomène nocturne dont il avait été victime, avait
-récupéré vis-à-vis de moi toute sa discrète mais arrogante supériorité.
-
-Je jubilais en moi-même de me trouver en possession du secret de l'oncle
-et du neveu, sans que ni l'un ni l'autre s'en doutât. Leur farce
-intéressée se retournait contre eux. J'avais, pour moi, tout à coup, ce
-que l'on pourrait nommer: les rieurs de l'invisible.
-
-Par malice, et sachant bien ce qui me restait à faire, j'exagérai
-l'intérêt que j'avais pris au duo d'amour des Robinsons basques, je
-réclamai de connaître la suite de la légende, j'allai jusqu'à prétendre
-que la lecture donnée devant les grottes d'Isturitz ne m'avait point
-permis, la précédente nuit, de fermer les paupières. Je surpris,
-d'Eliézer à Jacob, des signes d'intelligence qui signifiaient: «Nous le
-tenons!»
-
-Le premier de ces faquins, redoublant d'audace, me donna lieu d'espérer
-qu'il m'accorderait la faveur d'un nouveau chant qui célébrait un repas,
-dans une forêt des Aldudes, auquel auraient pris part Charlemagne, et
-Roland. Duquel chant il résultait que la fiancée de ce dernier, la belle
-Aude, n'aurait été qu'une Robinsonne du nom d'Alba, inhumée dans les
-grottes d'Isturitz.
-
-On me tenait décidément pour un parfait idiot. Mais je me demandai dans
-quel but Eliézer semblait m'inviter à faire exécuter des fouilles dans
-le souterrain alors que son oncle avait tout intérêt à les pratiquer
-seul avec lui. Je compris assez vite qu'il en agissait avec une
-prévoyance fort habile: il ne voulait point que je m'étonnasse, s'il me
-prenait fantaisie d'aller quelque jour les observer dans leurs travaux,
-de les voir remuer le sol en divers endroits pour y rechercher,
-soi-disant, les tuniques nuptiales ou la momie de la belle Aude: en
-réalité pour mettre la main sur le trésor, quand ils se sauraient bien
-solitaires.
-
-Donc je feignis de souhaiter avec ardeur qu'Eliézer me lût le nouveau
-passage lyrique, dont il remit la déclamation à quinzaine, évidemment
-pour la raison bien simple qu'il fallait qu'il le composât. Oncle, et
-neveu parurent tellement ravis de me voir dans cette disposition que,
-lorsqu'ils remontèrent en voiture pour rejoindre Bayonne, Jacob Meyer,
-en guise d'au revoir, fit le geste de se servir d'une clef. Je lui
-répondis par le plus prometteur des sourires.
-
-Mais sitôt qu'ils eurent décampé, je n'hésitai point.
-
-Je sellai un petit cheval et, en moins de temps qu'il ne faut pour
-l'écrire, je me retrouvai devant les grottes d'Isturitz et, aussitôt,
-chez Salbaya.
-
---Mon ami, dis-je à celui-ci, vous êtes un butor mais l'homme le plus
-honnête que je sache. Vous possédez l'une des clefs du souterrain, moi
-l'autre, et nous sommes autorisés à y pénétrer. Je sais que vous feriez
-un très mauvais parti à quiconque tenterait de violer la consigne de M.
-Passerose. Mais, en supposant même que vous veilliez jour et nuit pour
-les en empêcher, apprenez que de très habiles malandrins qui guettent
-une occasion de retirer de la grotte un coffre plein d'or et de bijoux
-et de se l'approprier pourraient bien surprendre votre zèle. Ce trésor
-fut déposé durant la Révolution par un ancêtre de M. Passerose. Je
-n'aurai de tranquillité qu'il ne soit en sûreté chez vous en attendant
-que nous le puissions remettre, avec explications, à un ami qui en
-disposera selon les lois.
-
-Le cerbère poussa le plus grossier juron du pays basque, fit mine de
-décrocher son fusil et me dit:
-
---Je suis sûr, monsieur, que ces voleurs que vous redoutez ne sont
-autres que ces deux députés qui sont venus ici avec vous.
-
---Comment! députés? demandai-je.
-
---Peut-être pas, reprit-il; mais depuis que j'en ai vu deux pendant que
-je faisais mon service militaire, je me suis dit que j'en reconnaîtrais
-toujours l'espèce.
-
-Il ne faut point sonder les arcanes, souvent profondes, du sentiment
-populaire.
-
---Eh bien! repris-je pour presser les choses, êtes-vous prêt à me
-suivre?
-
---Oui.
-
---En ce cas veuillez garer mon cheval et prendre des allumettes et des
-chandelles.
-
-Il mit à l'abri ma monture et, en outre de ce dont je lui avais dit de
-se munir, il emporta une grosse botte de paille sur son dos.
-
---Allons! fit-il, mais la grotte est étendue.
-
---N'ayez crainte: je connais l'emplacement du trésor.
-
-Je me souvenais, au plus juste, des mesures et indications à moi
-fournies par Eliézer durant son état d'hypnose, et j'avais emporté un
-décamètre que nous eûmes à peine besoin d'utiliser.
-
-Nous partons, et nous voilà. Feu de paille, d'abord. La gorge m'en cuit
-encore, si âcre en était la fumée.
-
-Les reflets se propagent, si bien qu'il ne nous faut que trois minutes
-pour apercevoir, à quelque soixante mètres de l'ouverture de la grotte,
-un rocher isolé des autres et servant, je l'eusse parié, à recouvrir une
-excavation. L'on eût dit d'un de ces monolithes, si adroitement modelés
-par les érosions, qu'une main d'enfant suffit à les faire basculer. Or
-Salbaya n'avait pas des doigts de rossignol, et, d'une poussée de ses
-paumes, il envoie le roc rouler à dix pas. Nous nous penchons sur les
-ténèbres béantes où nous distinguons bientôt, à peu de profondeur, le
-coffre défoncé, d'un bois pourri par l'humidité d'un siècle, et qui
-laisse scintiller, à la lueur de nos flambeaux de suif, les métaux, les
-escarboucles, les diamants et autres pierres des mille et une nuits.
-
---Je vous attends ici, dis-je à mon homme. Allez jusqu'à chez vous et
-m'en rapportez une solide corbeille.
-
-Heureux de songer qu'il allait pouvoir donner une marque nouvelle de son
-dévouement et de sa probité, il part en courant et revient avec un
-panier convenable.
-
-Je n'ai nulle difficulté à plonger les bras dans cette masse précieuse,
-je fais jaillir de ce filon, dans une ombre à la Rembrandt, les regards
-longtemps retenus de ces joyaux prisonniers. Nous emplissons le panier,
-Salbaya va le vider chez lui, en lieu sûr, revient, le charge à nouveau,
-repart, et ainsi de suite jusqu'à sept fois. Il ne reste plus dans la
-fosse que la carcasse vermoulue de la caisse, que nous enlevons aussi,
-car l'inspiration de ce à quoi je vais l'utiliser m'est soufflée par le
-génie de la grotte. Il n'a pas fallu trois heures pour que le rocher
-soit remis en place, la trace de notre passage effacée, la magnifique
-fortune dans la maison du gardien qui, en découvrant le vaste
-amphithéâtre de ses mâchoires, prononça:
-
---Ma joie eût été complète (et il me montrait encore son arme à feu), si
-je les avais descendus tous les deux.
-
-L'ombre de la colline d'Isturitz s'étendait jusqu'à nous, je songeais à
-nos ancêtres de l'âge de pierre qui ne furent peut-être pas tous des
-Robinsons venus d'Asie sur une galère enchantée, mais qui, à fréquenter
-l'ours des cavernes, en avaient pris quelques usages, à l'espingole
-près.
-
-Je fis part à M. Passerose, le lendemain, en une longue lettre, de tant
-de fantastiques péripéties.
-
-La découverte est de trop d'importance, lui mandais-je, pour que vous ne
-hâtiez point votre retour, calmant ainsi l'impatience qu'ont de vous
-revoir vos amis. Les ailes bleues et légères des montagnes de Hasparren,
-de Macaye et d'Isturitz valent bien les coiffes de vos sphinx stupides,
-dont l'énigme cependant demeure plus difficile à déchiffrer que ne le
-fut celle de votre grotte. Les fruits de pierre précieuse, d'or et
-d'argent de ce nouveau verger d'Aladin vous attendent chez ce brave
-Salbaya.
-
-Je fis part encore à M. Passerose de circonstances qui ne sont pas
-relatées ici, parce qu'elles n'ont pas trait à cette histoire.
-
-Ma signature apposée, il ne me restait plus qu'à me distraire en
-m'amusant du prochain, ce qui est le meilleur passe-temps et le plus
-varié du poète.
-
-Je partis deux jours après pour Toulouse, où les brodeuses sont
-expertes, et je commandai à l'une d'elles une longue et fine tunique,
-tout au long de laquelle je fis broder un gigantesque narcisse que
-voulut bien dessiner pour moi Charles Lacoste lui-même. J'avais écrit
-aux Meyer que je m'absentais, sans plus, ajoutant toutefois que je
-n'aspirais qu'à revenir bien vite, plus désireux que jamais d'entendre,
-d'Eliézer, le repas de Charlemagne au pays basque.
-
-Je crois, terminai-je, que vous finirez l'un et l'autre par charmer la
-roche d'Isturitz, émules d'Orphée aux enfers.
-
-
-
-
-Lorsque je fus en possession de la tunique nuptiale, qui eût donné à
-rêver à la plus galante des épouses, je la rangeai dans une armoire
-familiale qui fleurait la lavande et me promis de l'utiliser à mes
-desseins.
-
-Mais, avant que de jouer ma pièce, je résolus de m'entraîner à mon rôle
-en allant ouïr le passage annoncé de la légende ondicolienne.
-
-Je me promettais d'en jouir d'autant plus que la fatigante question ne
-m'obsédait plus qui me faisait me demander naguère à quel motif
-obéissaient mes deux Juifs. Le dormeur éveillé m'avait renseigné de
-telle façon que je ne pouvais plus m'en irriter, puisque je m'étais déjà
-vengé de lui et de son oncle en leur damant le pion, et le coffre.
-
-Ils me retrouvèrent donc de fort telle humeur. Je n'eus pas assez
-d'éloges sur le déjeuner qu'ils me servirent. Après un café digne du
-sultan du Maroc, Charlemagne et Roland entrèrent en scène.
-
-Dois-je attribuer au bien-être que je ressentais en ce moment, ou à plus
-de justice de ma part, vis-à-vis d'un confrère, le plaisir tout
-particulier que je pris à cette déclamation? Jamais le déconcertant et
-funambulesque génie d'Eliézer ne me séduisit davantage, et ce fut avec
-un soin scrupuleux que je transcrivis le texte du _Repas des Aldudes_
-qu'après lecture me confia son véritable auteur, comme il avait fait de
-maints autres passages, la prise de Pampelune par exemple.
-
-Par son contraste même, notre cadre ne manquait pas de poésie, dans une
-lumière qui, à travers les culs de bouteille des avares croisées de la
-rue Pontrique, lui donnait la teinte d'un aquarium; cet établi
-d'orfèvrerie où scintillaient les outils délicats et les pierres et les
-montures, et ce fauteuil monumental où trônait le vieux Jacob, tel qu'un
-roi déchu d'Israël; Eliézer, plus grave encore que de coutume, tenant
-dans sa main gauche la traduction qu'il disait avoir faite, et élevant
-son autre main à plat comme pour commander le silence.
-
-Il semblait avoir conscience de s'être surpassé.
-
-Il lut:
-
-
-
-
-Quand l'Empereur eut tourné sa barbe vers l'Orient, il vint dessus elle
-un parfum si délicieux qu'il demanda au duc Naimes:
-
---D'où vient-il?
-
-Et Naimes:
-
---C'est quand la fiancée de votre neveu Roland se lève que l'aurore a ce
-parfum de fleur.
-
-Et l'un des barons à l'Empereur:
-
---N'oubliez pas, sire, que c'est aujourd'hui liesse dans le bois des
-Aldudes et qu'avant de gagner l'Espagne pour combattre les Sarrazins,
-Roland veut vous présenter Alba afin que vous bénissiez leurs
-fiançailles.
-
---Seigneurs barons, dit Charlemagne, tenez-vous prêts à honorer celle
-qu'un si aimable comte a choisie dans ce pays.
-
-L'armée se mit sur deux rangs, afin de former la haie, car, déjà, tenant
-par la main Roland, Alba la Basquaise descendait la montagne des Aldudes
-dont les sources tumultueuses éparpillaient, au bas, leurs neiges
-libérées.
-
-La traîne d'Alba était retenue par un nain mauresque, noir comme le
-diable, et que l'on affirmait être né du commerce d'Apollon avec une
-Chananéenne.
-
-C'est Olivier qui s'est saisi, dans la forêt, de ce singe grimaçant, l'a
-offert à son ami Roland qui en a fait don à Alba.
-
-Au pied d'un puy, sous un chêne, se tient Charles. Sa barbe ne cesse de
-ruisseler dans le vent, telle une oriflamme. Il hoche le chef. Et lui,
-qui a essuyé tant de chocs, remporté mille victoires sanglantes, et qui
-en verra bien d'autres puisque demain il va marcher contre Marsile, lui,
-dont les larmes semblaient à jamais taries, il pleure. Ses larmes sont
-comme une rosée, car l'amour de la jeunesse porte au coeur du vieillard
-qui se souvient de la sienne.
-
-Alba, apercevant soudain l'Empereur qui tient les marches, lui sourit.
-Et ce sourire, tel qu'un rayon qui tombe d'entre les nuages, éclaire
-toute la vallée qu'il émaille.
-
-Qu'ils sont beaux, ces bois des Aldudes, lorsqu'Alba illumine leurs
-cimes!
-
-Elle pose son pied sur un caillou tremblant, au-dessus d'une source, et
-fait signe qu'elle en veut goûter de l'eau.
-
-Toute l'armée se le redit.
-
-Roland emplit son cor d'ivoire et, comme d'un lys qui se déverserait
-dans une rose, il en appuie le bord incliné sur la lèvre de son amie.
-
-Elle ne sait pas que, bientôt, c'est le même olifant qui recevra la
-pourpre rosée, échappée des veines rompues du comte.
-
-Et le sourire d'Alba se mêle à l'eau qu'elle boit
-
-Charles dit à ses barons:--Maintenant, je ne connais que la peine que me
-causent les maudits Sarrazins, et je ne me repose que sur ma selle dure;
-quand j'étais jeune, j'ai dormi dans un pareil val, ayant pour oreiller
-la chevelure de la souveraine.
-
-Mais que ces deux-ci m'émeuvent en me rappelant à moi-même!
-
-Roland s'avance avec Alba dont il a repris la main.
-
-A mesure qu'ils se rapprochent de l'Empereur, elle pâlit.
-
-Elle songe à tout ce qu'on lui a rapporté de Charles: sa piété, son
-courage inégalable qui fait qu'à Aix les aigles invinciblement attirés
-planent jour et nuit au-dessus de son palais.
-
-Elle pose sa main libre sur son coeur de tourterelle, baisse la tête,
-et, tant est lisse et blonde sa chevelure, on dirait que c'est la soeur
-du soleil qui s'incline.
-
-Elle et Roland se mettent à genoux. L'Empereur leur dit:
-
---Je suis l'arbre à la rude écorce au pied duquel s'étend la mousse dont
-les nids sont faits.
-
-Alba répond:
-
---Sire, vous êtes le chêne qui les protège, et l'on n'ose lever les yeux
-vers vous de crainte d'être ébloui, tant vous supportez d'orages sans
-faiblir.
-
- * * * * *
-
-Ainsi s'exprime-t-elle en langue basque, traduite aussitôt par les
-interprètes.
-
-La table est dressée dans la fraîcheur du bois. Les agneaux, les
-perdreaux, les coqs de bruyère, les boeufs découpés en quartiers et les
-vins y abondent. Des jeux basques s'organisent. Filles et garçons vont
-représenter devant l'Empereur la pastorale qui commémore leur origine.
-
-Voici Ondicola, chef de la race, monté sur un destrier dont la housse
-est faite de ces dentelles qui évoquent le luxe de l'Asie originelle. Il
-porte une mitre et un sceptre, symboles de sa puissance. Il s'élève
-contre sa cour voluptueuse, au moment qu'elle a abordé sur la terre
-basque, et il lui déclare:
-
---Il n'est pas bon qu'une race, indigne comme est la vôtre, se perpétue
-sur ce sol vierge.
-
-Sa cour lui répond:
-
---Que feras-tu donc de nous, Ondicola?
-
-Et lui:
-
---Je vous tuerai et je ne laisserai vivre qu'Iguskia et Ithargia.
-
-Et voici que s'avancent les plus beaux adolescents des Aldudes, déguisés
-en Iguskia et en Ithargia. Ils ne portent d'autres vêtements que celui
-des pâtres, leur beauté éclate.
-
-Iguskia dit:
-
---Maintenant tout le monde est mort autour de nous. La mer est refermée.
-Jusqu'à présent, ô Ithargia, je n'avais pas entendu mon coeur battre.
-Mais, en portant plus avant mes pas sur ces terres sans habitants, je le
-sens frissonner comme un nid plein de chansons. Qu'est-ce?
-
-Et Ithargia:
-
---Il se passe dans mon coeur la même chose que dans le tien: le pays
-basque bat de l'aile et veut naître.
-
-Ainsi la pastorale se déroule devant l'Empereur. Les bergers, les
-cultivateurs, les petits industriels naissants y jouent leur rôle. Alba
-a posé avec amour sa tête sur l'épaule de Roland. Elle ne sait pas que
-demain, elfe ne le reverra plus. L'empereur les bénit. Et, sur une roche
-blanche, il y a un aubépin noir de soleil, et seul.
-
-
-
-
-LES ÉTATS-GÉNÉRAUX
-
-
-Ayant retiré de sa houppelande un mouchoir de soie brodé, si usé qu'il
-eût pu appartenir au Juif errant, et ayant enlevé ses lunettes, Jacob
-Meyer pleura.
-
-Cette sorte de broderie, dont le sujet, habilement mené, teinté, se
-déroulait autour d'une chanson de geste que l'auteur des Robinsons
-basques avait cru bon d'introduire là tout d'un coup, ne fit que
-déconcerter davantage mon esprit critique.
-
-Nier le génie très personnel d'Eliézer, malgré le choix, ici, d'un thème
-rebattu, autant prétendre que ma cousine Eva n'a pas les yeux bleus.
-Mais quoi! Fallait-il que l'auteur fît entrer pêle-mêle, dans son poème,
-tout ce qui lui passait et chantait par la tête, et qui se rapportait,
-de près ou de loin, au pays basque? Et n'aurait-il pas relaté
-l'enterrement de Roland dans la lune si sa cuisinière, comme celle que
-j'avais jadis à Saint-Palais, le lui eût narré?
-
-Sans doute; car dans son genre d'affection hystérique, les étrangetés,
-les contradictions, les inventions, les lacunes, les mimétismes, les
-vraisemblances même, s'amalgament, cristallisent en formes très
-diverses.
-
-Je dis à l'oncle et au neveu que je demeurais sous le charme, que
-j'étais prêt à leur remettre avant peu la clef des grottes d'Isturitz (à
-cette nouvelle ils poussèrent ensemble un soupir de soulagement), et
-l'autorisation, pour eux, que j'attendais, d'un jour à l'autre, de M.
-Passerose.
-
-J'ajoutai que je désirais auparavant leur rendre tant de gracieuses
-attentions de leur part et les convier à un déjeuner qui, pour n'avoir
-pas lieu aux Aldudes, en compagnie de Charlemagne et de Roland, ne les
-intéresserait pas moins.
-
-Ce sera, fis-je observer à Eliézer, une occasion de mettre en jeu, une
-fois de plus, vos belles qualités de synthèse, et de retrouver dans le
-repas que je vous offrirai, et chez les convives, les éléments de
-l'incomparable régal spirituel que vous venez de me servir.
-
-Voici, messieurs, continuai-je:
-
-Il est un antique usage basque dont ne fait pas mention votre légende,
-puisqu'elle lui est antérieure, une tradition tout intime à laquelle je
-voudrais vous initier: _les Etats-généraux du pays basque_, qui n'ont
-aucune sorte de rapport avec une constitution politique, dont ils
-s'éloignent par un caractère de franchise et de naturel. Ces
-_Etats-généraux_ consistent en un déjeuner qui groupe annuellement ses
-élus, tour à tour dans l'une de nos trois provinces, et chez leur
-président temporaire. Cette assemblée se compose de vingt-cinq membres,
-choisis parmi les plus marquants de l'_Eskualdunak_. En eux vous pourrez
-voir revivre les origines ondicoliennes car, ayant l'honneur
-présentement d'être à leur tête, Je vous convie, messieurs, à titre
-d'érudits et conservateurs de notre charte, au prochain repas de nos
-_Etats-généraux_ qui siégeront le trente août prochain, dans ma ferme de
-Garris.
-
-Jacob Meyer et son neveu acceptèrent en me remerciant beaucoup.
-
-Mes _Etats-généraux_ n'étaient, en réalité, qu'un repas plantureux que
-je voulais offrir à certaines personnalités du pays, qui s'étaient
-employées avec moi pour soutenir la candidature d'un mien cousin
-royaliste, Bathita Yturbide. Le nombre de mes invitations s'élevait donc
-à vingt-six.
-
-Cette ripaille, je l'offris dans l'épaisse maison, bien blanchie pour la
-circonstance, et dont on eût dit les contrevents passés au chocolat, de
-ma propriété de Garris où, chaque année, j'allais faire l'ouverture de
-la chasse.
-
-Garris est situé non loin de Saint-Palais où, dès la veille, Jacob et
-Eliézer étaient descendus à l'hôtel Biracouritz.
-
-La matinée se leva radieuse, stridente de cigales, et l'ombre de mes
-chênes massifs était, autant que la chaleur, écrasante.
-
-Je fis mes ablutions dans la source du verger où je me promenai quelques
-temps en bretelles claires, tout réjoui par la perspective de ce
-groupement de types basques, bien purs, comme les vins que j'allais leur
-servir, et amusé à l'avance de la morale qu'en tireraient mes Juifs.
-
-Une prudence élémentaire exigeait que je ne les présentasse l'un et
-l'autre aux _Etats-généraux_ que vaguement.
-
-Que je n'omette pas de dire que, pour me conformer à l'esprit du pays,
-j'avais exclu les femmes, sinon cinq, pour cuisiner et nous servir avec
-la meilleure grâce du monde. Le cordon bleu avait nom Magnana et ses
-satellites Maïana, Yuana, Graciousa, Beronikéa.
-
-Deux seulement des membres conviés aux _Etats-généraux_ par leur
-président s'excusèrent.
-
-Les vingt-deux autres, je les vis arriver un peu après midi, dans mon
-domaine de Khourutçaidia, la plupart en de petits tape-cul les plus
-inconfortables du monde, et que traînaient des haridelles.
-
-Mais un mélange de bonhomie et d'orgueil national se lisait sur leurs
-faces.
-
-Plusieurs étaient vêtus ainsi qu'à l'habitude le noble ou le bourgeois
-basque, avec beaucoup de soin et de propreté, de jaquettes et chaussés
-de souliers à guêtres.
-
-Quelques vieillards, à barbe aussi blanche que la laine des brebis après
-l'averse, montraient des joues d'églantine et des yeux bleus, d'un bleu
-de bourrache.
-
-Certains coiffaient des pailles de Panama, d'autres des canotiers ou de
-larges chapeaux melons.
-
-Les grands paysans portaient veston et béret, comme les deux pilotaris
-et le danseur, mais ceux-ci arboraient des bottines jaunes.
-
-Quant aux prêtres, il y en avait deux, l'un curé d'une paroisse infime,
-mais généreuse envers lui d'agneaux et de haricots, l'autre missionnaire
-diocésain, âgés mais pleins de vie, de physionomie en relief,
-autoritaires, brusques et sympathiques. On sentait que, de leurs mains
-armées de gourdins, ils auraient assommé un taureau du premier coup et
-que, de leurs énormes pieds enfouis dans des chaloupes de cuir ferrées,
-ils eussent écrasé des lièvres. Quel contraste entre leur solide et
-fruste architecture et l'ossature de ces deux mauviettes qui
-descendirent de leur calèche de louage, les Meyer!
-
-Je présentai ces monteurs de légende, en estropiant légèrement leur nom,
-ce que me facilitait la langue basque, «Meyera», comme étant des
-ingénieurs de Bayonne.
-
-J'avais naturellement attribué les places d'honneur à M. le curé
-d'Aïciritz et au père Bidondoa Ihidoïpé, de Hasparren.
-
-Etaient présents encore Bathita Yturbide, mon cousin et député
-monarchiste, qui, durant sa législature, d'assez fraîche date il est
-vrai, et, il est vrai aussi, pour défendre une noble cause, n'avait
-trouvé qu'un juron navarrais qu'il vaut mieux que je ne rapporte pas
-ici;
-
-Etchechoury, conseiller général, grand éleveur de chevaux, esprit
-averti, mais si plein de son propre pays, que l'idée que l'on pût, dans
-un poème, raconter que des Basques avaient vidé leurs assiettes jusqu'à
-les faire miroiter l'enthousiasmait comme d'un chant d'Homère;
-
-Le comte de Macaye, grand amateur de déjeuners qui, en été, se
-prolongent dans la fraîcheur des salles ombreuses et dallées, et, en
-hiver, dans la tiédeur des hautes flammes rousses et crépitantes;
-cavalier qui, au retour des foires, interpelle vertement les filles
-pédestres;
-
-Pochelu, le juge de paix qui, à l'audience, tirait par les oreilles
-toute femme qui prétendait avoir raison contre un homme;
-
-Algalarondo, le médecin, qui prescrivait à ses clients le jus d'herbes
-de sa prairie, et les saignait à tout propos, avec son rasoir, dans son
-plat à barbe;
-
-Oyharçabal, le potard, capable d'avaler sans nausée du boudin cru en
-l'arrosant de maints cognacs, bitters, vermouths et litres de vins
-rouges et blancs;
-
-Bidondo, le notaire, qui gavait des ortolans dans son étude;
-
-Etchecoin, le maire laboureur, vieux-garçon (carloche est le terme
-basque), vivant avec ses onze soeurs célibataires (ou moutchourdines),
-et chez qui l'on se régalait de chipes en sauce et d'une panchetta
-célèbre;
-
-Mendigaray, son collègue, qui avait tenu et gagné le pari de manger en
-un quart d'heure deux énormes foies de canard y compris leur graisse
-chaude;
-
-Etcheto, un rougeaud, fabricant de chocolat;
-
-Haramboure l'Américain, enrichi, à Buenos-Ayres, dans le commerce du
-cuir, et retiré à Hasparren; Larronde, le boulanger, qui buvait d'un
-bouillon de corbeaux, enterrés préalablement;
-
-Mercapide, le boucher, qui vendait aux pêcheurs les asticots de sa
-viande d'été, et ouvrait, à la même saison, un établissement de bains;
-sa femme fabriquait des meringues;
-
-Hirigoyen, l'épicier, qui, lorsqu'il pesait du fromage, en rognait
-l'excédent qu'il dégustait en lamelles devant l'acheteur; mais quelle
-bonne odeur de café grillé dans sa boutique!
-
-Bordato, l'ancien marin de Terre-Neuve, qui représentait une compagnie
-d'assurances: «la Céleste»;
-
-Bordachoury, le chasseur qui avait pris au piège à loup le lieutenant de
-gendarmerie de Mauléon;
-
-Etchégaray, le contrebandier d'Ainhoa, et pilotari, dont les bidons
-d'alcool avaient été troués par les balles des douaniers;
-
-Salagoïty, pilotari également, champion du monde à qui les Anglaises
-mendiaient ses vieilles savates et sa culotte plus blanche qu'une maison
-basque en août. Sur le carnet de l'une de ses admiratrices, il avait
-écrit: «Amia nu, je n'ai pas peur de personne»;
-
-Pitphariatéguy, de Barcus, fils d'un amiral, mais qui, au grand
-désespoir de la marine et des siens, se mêlait aux baladins, et, en
-costume éclatant, faisait valser et pirouetter son cheval de bois;
-
-Enfin Paul Dupont, rentier, qui, malgré un nom si peu basque, l'était à
-lui seul plus que tous les autres convives ensemble, mais on ne saurait
-dire pourquoi: c'est une impression indéfinissable, une manière de se
-montrer réservé après les libations nombreuses qu'il décidait à toute
-occasion, avec le comte de Macaye et quelques hobereaux de la même
-sorte.
-
-L'abbé Harriague, dans son livre sur la noblesse basque, démontre que
-les ancêtres maternels de Paul Dupont prirent part à la croisade avec
-saint Louis et Thibaut II.
-
-Il ne restait plus à leur descendant d'autre héroïsme que la chasse au
-lièvre et à la palombe.
-
-Et je pense que voilà des _Etats-généraux_!
-
-Le gros et rubicond doyen d'Aïciritz récita le _Benedicite_, après quoi
-le repas commença dans une sorte de silence que n'interrompaient que les
-humements provoqués par le potage.
-
-Tous les Basques avaient la serviette passée au col, et même l'un d'eux
-portait la sienne comme un enfant, de manière qu'elle imite sur la nuque
-deux oreilles de lapin.
-
-Tandis que Jacob Meyer et son neveu prenaient des cachets, les autres
-invités et moi-même ne songions qu'à remplir notre panse, et à ravir
-notre odorat de ce nectar qui unissait à la saveur la plus délicate et
-la plus onctueuse tout l'arome des potagers.
-
-Ma joie était grande d'entendre, à mesure que baissait le niveau du
-consommé, l'argenterie taper du cul sur les assiettes, et de voir mes
-hôtes, qui n'en voulaient perdre goutte, les soulever en les inclinant.
-
-La gourmandise a, dès l'abord, toutes les apparences de la timidité.
-
-C'est qu'un tel potage est rare. Il contient la sève même des graines,
-convertie en une graisse fine qui vous regarde avec des oeils d'or, il a
-la couleur rousse des volailles qui font se battre entre eux les coqs,
-et il est brûlant comme le soleil des moissons.
-
-Mon ordinaire était d'un vin d'Irouléguy, âpre comme une nèfle, un peu
-pétillant, et qui satisfait, en les râpant, les langues et les gosiers.
-Les Meyer seuls le mouillèrent.
-
-On attendait qu'un convive élevât la voix pour que la conversation, qui
-ne s'ébauchait qu'en sourdine, prît une tournure générale. Le docteur
-Algalarondo ouvrit le feu en racontant que, la veille au soir, un
-maquignon d'Uhart-Mixe avait porté un tel coup à un Bohémien qu'il lui
-avait fallu beaucoup d'adresse pour extraire du crâne la douille de
-cuivre éclatée du makhila.
-
---Un sacripant de moins! s'écria le chocolatier Etcheto, qui redoutait
-les malandrins.
-
-Ces vers de la légende basque me chantèrent:
-
- Il tient serré son makhila flexible
- Dont on voit bien qu'un seul coup abattrait
- Le Sarrazin avec son minaret.
-
---Messieurs, interrogea doucement Eliézer, quelle origine pensez-vous
-que l'on puisse assigner au Bohémien dont vous parlez? Ne serait-ce pas
-un ancien Maure?
-
-Le père Bidondoa Ihidoïpé, qui ne manquait jamais de risquer un de ces
-lamentables jeux de mots dont s'enorgueillissent, hélas! les gens
-d'Eglise, prononça:
-
---Il aurait pu rester dans sa tombe!
-
-Un mutisme incompréhensif accueillit ce trait d'esprit. Mais lorsque
-Etchechoury, le conseiller général, l'eut traduit en basque et en
-français, et fait entendre que le calembour portait sur «maure» et
-«mort», l'éclat de rire fut homérique, et le père Bidondoa Ihidoïpé
-sourit de satisfaction.
-
-Bathita Yturbide alors déclara en se servant copieusement de
-poule-au-pot, de farce, et d'un pimenton rouge comme une course aux
-taureaux, qu'Edouard Drumont, qu'il avait tout récemment rencontré à la
-buvette de la Chambre des députés, l'avait assuré que les Bohémiens de
-Saint-Palais ne sont qu'une lignée d'anciens Juifs, échappés jadis d'un
-bagne du pays basque.
-
-Mon cousin fit part bien innocemment de cette opinion, mais les deux
-Meyer en piquèrent un nez dans leurs assiettes.
-
---Je reconnais bien l'idée fixe de Drumont, dis-je, pour amortir le
-choc.
-
---Moi, dit Mercapide, le boucher et baigneur, je n'ai vu ni Juif ni
-nègre, mais je sais bien que si je rencontrais l'un ou l'autre je lui
-fourrerais mon pied quelque part.
-
-En écoutant ces paroles si candides, comment n'aurais-je pas songé à
-cette marche vers la race maudite, dans Pampelune, que peu de semaines
-auparavant Eliézer avait évoquée:
-
- Auger qui sort de Mauléon la terre
- Contre la gent est si fort en colère
- Que l'on croirait qu'il porte le tonnerre.
-
-Je détournai, heureusement, la conversation; Hirigoyen, l'épicier, me
-demanda si, réellement, la soupe dite «tortue» qui était inscrite au
-menu d'une noce à laquelle il venait d'assister à Biarritz, était bien
-de cet animal dont il avait vu un exemplaire dans un jardin. Je le
-dissuadai.
-
-Haramboure l'Américain prit alors la parole:
-
---Au Mexique, nous mangions d'excellent pot-au-feu de vraie tortue.
-
---La fait-on bouillir avec sa tuile sur le dos? questionna Hirigoyen.
-
---Non, fit Haramboure, on ouvre la bête à coup de hache.
-
---Vous êtes un peu pâle, remarquai-je à voix basse, en me penchant vers
-Eliézer.
-
---Ce n'est rien. Le laxatif que j'ai pris aura raison d'un léger
-trouble. Vos crus sont un peu forts.
-
---Ne me parlez plus de toutes ces saletés, reprit Paul Dupont dont la
-pensée allait au train de la tortue. Je voulus, il y a trente ans,
-goûter une huître et je crus que j'allais rendre toute la mer.
-
-Graciousa et Beronikéa apportèrent les choux farcis, pressés et flanqués
-de tranches d'andouille à vous emporter la bouche.
-
---Quelle est la viande que vous préférez? demanda le comte de Macaye à
-Paul Dupont.
-
---En fait de chair, répondit textuellement celui-ci, en fait de chair,
-je mangerais tout. Mais je déteste le poisson, excepté les truites.
-
---Vous serez servi à souhait tout à l'heure, monsieur Dupont,
-annonçai-je avec la fierté du maître de céans.
-
-Les dialogues varièrent:
-
---Il faudrait, déclara Mendigaray, le grand mangeur, maire d'Amorots,
-qui était vraiment imposant de calme et de dignité, que l'on nous
-laissât vivre en paix dans notre province. Pourquoi les Français
-veulent-ils nous obliger à leur payer l'impôt?
-
---Comment, insinua Jacob Meyer, l'Etat pourrait-il subvenir à ses
-lourdes charges si le contribuable se récuse et ne remplit pas son
-devoir de citoyen?
-
-Avec le même flegme, et le même oeil bleu, si je peux dire, Mendigaray
-repartit:
-
---Je m'en fous, et vous aussi vous vous en foutez.
-
---Moi, dit Etcheto, voici comme je raisonne: ma soeur fabrique de l'eau
-de noix avec un sirop et de l'eau-de-vie. Si j'achète celle-ci chez un
-épicier ou chez le pharmacien, je la paie cinq fois plus que si je me la
-procure chez un contrebandier.
-
---Vous portez atteinte à l'Etat, appuya sévèrement Eliézer qui soutenait
-son oncle.
-
---Qu'est-ce que l'Etat? demanda Etcheto.
-
-L'énorme curé d'Aïciritz, qui avait du bon sens, et parfois de l'esprit,
-répliqua:
-
---L'Etat, c'est d'une autre eau-de-vie.
-
-Cette définition rendit rêveurs ceux qui l'avaient, ou non, comprise.
-
-Les truites frites furent servies simplement avec des citrons.
-
---Pour vous, monsieur Dupont, dis-je.
-
---Merci! Elles sont d'une jolie robe, et doivent être à point. Vraiment,
-il n'est de bon poisson que la truite. J'admets encore les anguilles en
-matelote.
-
---D'anguilles, raconta Larronde, l'homme au bouillon de corbeau, nous en
-avons pris beaucoup à Amendeuch, cette année. Il n'est que d'avoir un
-couteau bien aiguisé, à se mettre à califourchon au-dessus d'un
-ruisseau, à bien épier au fond, et si l'on en voit une, de la décapiter
-lestement.
-
---Sapristi, s'écria Eliézer qui paraissait plutôt nerveux, mais...
-mais...
-
---Ce sont les descendants des guerriers de Pampelune, lui dis-je en
-souriant.
-
---Il est vrai, fit-il après un léger effort pour se remémorer. Et il se
-tut.
-
---Mes amis, proposai-je, acclamons Bordachoury?
-
-On venait de servir les lièvres.
-
---Où les as-tu tués? demanda au vieux braconnier le comte de Macaye,
-dont une rose ornait la boutonnière et qui buvait à plein bord les vins
-d'Irouléguy, de Bordeaux et de Bourgogne.
-
---Deux à Luxe-Sumberraute, monsieur le comte, le troisième, à Sala.
-
---Et tu n'as plus pris de lieutenant de gendarmerie au piège?
-
---Il en fut quitte pour une mâchure à la jambe, et attendit honteusement
-jusqu'à ce qu'on l'en retirât. Un Basque n'agit pas ainsi! Il était
-étranger.
-
-Je me penchai vers Eliézer et lui expliquai:
-
---Bordachoury fait allusion à un braconnier de Mendionde qui, pris à un
-horrible traquenard, n'hésita point à achever de s'arracher le pied avec
-son couteau, pour s'enfuir.
-
-A ce moment, sans doute parce que ce trait, d'un caractère un peu trop
-basque, lui porta au coeur, Eliézer s'évanouit sur sa chaise.
-
-Les prêtres qui venaient de se servir chacun une montagne de civet,
-agrémenté de persil cru, dont l'un avait à sa bouche une branche
-bougeante, n'eurent pas l'air de penser que leur commensal en fût à
-l'article de la mort. Ils n'en perdirent pas une bouchée. Le père
-Bidondoa Ihidoïpé s'écria:
-
---Gaïchua!
-
-Le bon apôtre ne plaignait, par ce mot intraduisible, que la délicatesse
-d'estomac d'Eliézer. Il ne concevait point, étant natif de Larceveau,
-que les brutales et sanglantes conversations qui assaisonnaient ce repas
-pussent le moins du monde réagir sur un organisme délicat.
-
-Jacob Meyer, fort ému, s'était levé pour étendre son neveu, lui
-frictionner la poitrine, lui cingler la paume des mains.
-
---Avez-vous de l'éther? me demanda-t-il.
-
-Je n'en avais pas.
-
-Le contrebandier Etchégaray dit:
-
---J'ai apporté dans mon chahakoa un échantillon d'un tord-boyau espagnol
-qui réveillerait un mort. Il n'y a qu'à desserrer les dents de ce
-monsieur avec sa fourchette, et à lui faire avaler une gorgée en
-pressant le cuir de l'outre. Elle pisse très bien.
-
-Je compris qu'un propos et un remède aussi grossiers révoltaient Jacob
-Meyer.
-
---Je ne peux admettre, déclara-t-il, ces moeurs de Papou!
-
-Bien heureusement fus-je seul, pas même les prêtres exceptés, à entendre
-ce dernier mot. Je m'opposai de mon côté à ce que fût utilisée la vertu
-de l'eau de feu, bien qu'Etchégaray ne comprît pas cette répugnance.
-
-Eliézer déjà revenait à lui lorsqu'on nous servit le filet de vache et
-la salade. Il insista, car il avait de l'énergie, pour se rasseoir à
-table où je lui fis servir une infusion brûlante qui le ragaillardit
-tout à fait.
-
-Je regrettais beaucoup d'avoir embarqué l'oncle et le neveu dans une
-pareille galère, avec des passagers si frustes, qui, pour n'être pas
-moins, bien au contraire, de la race d'Ondicola, n'avaient rien conservé
-des raffinements en usage sur la caravelle enchantée: l'_Eskualdunak_.
-
-Tandis que se succédaient les bouteilles, deux koblaris se levèrent tour
-à tour, Etchechoury, l'éleveur de chevaux, conseiller général, et le
-pilotari contrebandier, Etchégaray.
-
-ETCHECHOURY
-
- Ma joie est de vous rencontrer ici, Etchégaray.
- Le repas que nous prenons nourrit mieux
- Que le vent qui souffle à la frontière,
- Et il vaut mieux contempler votre visage épanoui
- Que les culottes de la douane.
-
-ETCHEGARAY
-
- Vous me lancez la balle. Je vous la renverrai,
- Car n'oubliez pas que je fus champion du monde
- Avec les Gascoïna, les Goroztiague.
- Et, pour ce métier, mieux vaut avoir la minceur du peuplier
- Que l'obésité de l'outre, fût-elle emplie du meilleur vin de
- Catalogne.
-
-ETCHECHOURY
-
- Tu fais allusion à ma rotondité.
- Pourrais-je, si je n'avais pas d'embonpoint,
- Etaler aussi largement
- Ma chaîne de montre aux yeux du peuple
- Quand celui-ci se presse en foule
- Aux rebots, quand tu joues à Pasaka?
-
-ETCHEGARAY
-
- Vous êtes une figure connue.
- Dès que la première pelote est lancée,
- On vous aperçoit assis sur le mur,
- Tenant d'une main un chistéra,
- Et, de l'autre, une ombrelle que vous faites tourner
- Comme une auréole au-dessus de votre tête.
- Seriez-vous déjà un saint?
-
-EICHECHOURY
-
- J'espère, du moins, de le devenir
- A force de dîner dans la compagnie des prêtres,
- C'est le cas de dire que, lorsqu'on a mangé avec eux,
- Tous les plats sont bien curés.
-
-Une triple salve d'applaudissements salua ce jeu de mots que je n'ai pas
-à traduire, car l'éleveur de chevaux le commit en français.
-
-Personnalité singulière que cet Etchechoury, parfaitement conscient de
-cette vulgarité de langage et d'attitude, entretenue par lui à cause de
-son amour de la tradition.
-
-Aucun koblari ne l'égalait dans ce terre-à-terre de la ripaille qui
-rejoint, plus qu'un Eliézer ne le pense, le génie homérique.
-
-Dirai-je qu'à mon goût ce court dialogue égale, par sa grosse
-simplicité, les plus belles pièces de l'antique?
-
-Mais il n'est pas que cette veine en pays eskuarien. Et Haramboure,
-l'Américain enrichi retiré à Hasparren, nous montra quelle délicatesse
-de sentiment peut s'allier à cette lourde joie de vivre.
-
-En effet, il chanta:
-
- O ma bien-aimée, tu m'as dit:
- --Le plus beau des arbres c'est le hêtre
- A cause de son ombre.
- --Voici le plus noir de la forêt,
- T'ai-je répondu. Je te le donne,
- Fais-y notre nid.
-
- --Le saule est plus gracieux que le hêtre,
- As-tu repris aussitôt, car il pleure.
- --O ma bien-aimée,
- Tant de sanglots sont sortis de mon coeur,
- Qu'il y avait un étang à mes pieds
- Où se reflétait le saule.
- Mais tu as tout à coup déclaré;
- --Au saule, je préfère le tilleul odorant
- Où chante le rossignol.
-
- Alors, ô ma bien-aimée,
- J'ai acheté du parfum à une Bohémienne
- Habile aux philtres qui séduisent;
- Et, pour ressembler tout à fait au tilleul,
- J'ai mis un rossignol dans mon coeur,
- Et il te chante ce chant.
- Mais déjà, ô cruelle, je t'entends me dire:
- --Le plus beau des arbres, c'est le chêne...
-
- --S'il en est ainsi, ô ma bien-aimée,
- Fais, avec son bois, mon cercueil.
-
---Comment, me demanda Eliézer dans l'admiration (et il y avait de quoi),
-pouvez-vous concevoir un peuple à la fois si barbare et si raffiné?
-
---Eh quoi! remarquai-je, Cythère n'est-elle ardue et montagneuse, hantée
-des seuls chevriers, et dont pourtant Vénus est sortie... Et la légende
-basque?...
-
- * * * * *
-
-Lorsque prirent fin ces singulières assises des _Etats-généraux_
-basques, la soirée était déjà avancée.
-
-J'entendis un à un s'égrener les grelots des calèches, des tape-cul et
-des coucous, remportant aux quatre coins de l'horizon mes pittoresques
-convives dont certains se détachaient jusqu'au torse sur un ciel couleur
-d'omelette, de sauce tomate et de vin d'Irouléguy.
-
-
-
-
-MA COUSINE ÉVA, UN TRÉSOR
-
-
-Ma cousine Eva, de Bayonne, Basquaise pure, comptait dix-neuf ans.
-
-D'une forme joliment ronde, la joue rose, j'ai dit ailleurs que ses yeux
-étaient bleus. Elle possédait ce caractère épanoui qu'ont les petites
-filles sans dot.
-
-Elle était née d'un officier du génie et, demeurée seule dès son bas âge
-avec sa mère, elle affectait des allures un peu trop libres dans le
-monde. C'est que les mamans, et je n'ai pas le courage de les en trop
-blâmer, lancent plutôt qu'elles ne retiennent une fille sans fortune à
-la conquête d'improbables maris.
-
-Eva n'avait point à employer d'artifices pour connaître le succès, mais,
-hélas! comme il arrive aux plus charmantes de son espèce, elle voyait
-tour à tour ceux qui l'eussent volontiers épousée se décider plutôt pour
-des laiderons d'or.
-
-De là, et bien qu'elle fût si jeune, une sorte de philosophie bonne
-enfant, faite d'un peu de scepticisme et de beaucoup de gaieté.
-
-Eva jouait parfaitement la comédie, et je l'avais amenée, par exemple,
-dans une comédie d'Alfred de Musset que je lui avais fait répéter, à
-mettre en délire son auditoire.
-
-Eva était Eva. Et, quand on nommait Eva, les vieux et jeunes salonniers,
-que Forain stigmatisait alors, se prenaient à sourire de la manière la
-plus admirative et la plus bébête.
-
-J'invitais souvent Eva et sa mère à villégiaturer chez moi, en assez
-nombreuse compagnie.
-
-Sans grand luxe, on se distrayait beaucoup. Les promenades à âne dans la
-vallée, des parties de pêche à la ligne sont tout ce qu'il y a de mieux.
-Nous composions aussi des charades animées où Eva excellait.
-
-Un soir que nous nous livrions à cet amusement, je me plus à tirer de
-mon armoire la fameuse tunique nuptiale que j'avais fait couper et
-broder à Toulouse, et je priai Eva de s'en revêtir dans la coulisse de
-notre petite scène improvisée.
-
-Ce fut un ravissement.
-
-Si elle n'avait été ma cousine, je crois que je l'eusse demandée en
-mariage ce soir-là, tant cette vieille dentelle, parcourue par ce long
-narcisse, lui seyait.
-
-Eva et ses compagnes se montrèrent fort curieuses de connaître l'origine
-de ce travail de fée. Et je leur appris, ce qui était la vérité, que je
-m'étais passé la coûteuse fantaisie de le faire exécuter à Toulouse, par
-des spécialistes hors de pair, sur un modèle proposé par une légende
-basque.
-
-Ces petites se contentèrent d'admirer ce chef-d'oeuvre, sans autrement
-se soucier de contrôler si, comme je le leur avais dit, les toutes
-premières Basquaises comparaissaient dans ce costume devant leurs époux
-enivrés.
-
-Dans la huitaine qui suivit son exhibition, la tunique nuptiale fut à
-l'ordre du jour.
-
-Et Eva, qui était la meilleure fille du monde, la plus franche et la
-plus sans façon, me prit à part pour me dire:
-
---Mon cousin, tu commets une vilaine action en cachant une aussi
-merveilleuse jupe dans un meuble, car tu peux bien penser que, si je me
-montrais une seule fois à Biarritz, l'ayant mise, tous mes admirateurs
-tomberaient à genoux en implorant ma main.
-
---Il est vrai, Eva, qu'en te voyant ainsi déguisée pour la charade, je
-me disais que la beauté des premières Basquaises, célébrée par la
-légende, eût pâli devant la tienne.
-
-Elle éclata franchement de rire:
-
---Il se peut, après tout, fit-elle. Me faut-il donc insister beaucoup
-pour que je puisse me produire dans cet appareil devant un public, plus
-intéressant pour moi que celui que tu as convié ici?
-
---Je te remercie, dis-je sans me fâcher, de faire un si grand cas de mes
-hôtes.
-
---J'entends par «intéressant», reprit-elle, ce qui peut conduire au
-mariage une jeune fille.
-
---A la bonne heure! Voilà qui est net.
-
---Tu ne veux cependant point que je tourne mal?
-
---Non, car tu es trop bien faite pour cela.
-
---En ce cas, répondit-elle avec une délicieuse ellipse, remets-moi ce
-que je te demande.
-
---La tunique?
-
---Oui.
-
---Eh bien, soit; mais à une condition.
-
---Celle que tu voudras.
-
---Eh bien! Eva, voici. J'ai résolu de monter, pour la fin de l'automne,
-aux grottes d'Isturitz, un spectacle impressionnant auquel je veux
-convier tout ce que notre pays compte de plus distingué. Il s'agit de
-faire représenter, de cette légende basque dont je t'ai parlé, l'acte
-qui m'engagea à confier l'exécution du vêtement à une vraie artiste. Tu
-es ma principale vedette. Tu joues le rôle d'une Robinsonne basque. Tu
-rends tous les hommes qui te verront ainsi fous de toi. Tu choisis qui
-t'agréera le mieux. Et je mets dans ta corbeille la tunique nuptiale.
-
---Tu es un bijou de poète, et me fais regretter presque de n'être que ta
-cousine, et de ne pouvoir t'aimer qu'en partie!
-
---Ce n'est pas tout, repris-je sans relever sa malice: il faudra
-t'exercer, et, dans le lieu même que j'ai choisi, à Isturitz.
-
---Cent fois plutôt qu'une, puisque la dentelle est à moi!
-
-
-
-
-LA RÉPÉTITION GÉNÉRALE
-
-
-Et, par un doux après-midi, nous allâmes donc, quelques jeunes fous et
-folles, à la grotte dont le cerbère ne savait plus quelles attentions
-délicates me témoigner depuis que je lui avais donné l'insigne marque de
-confiance de déposer chez lui le trésor; et tantôt c'était d'un pot de
-miel ou d'un lièvre, ou de truites, ou de ces écrevisses dont
-l'ingestion avait déterminé chez Eliézer un accès de franchise
-somnambulique.
-
-Ce jour là, Salbaya mit à la disposition de notre joyeuse bande ses
-meilleurs fruits, son fromage frais, ses bottes de paille sèches,
-renforcées de toutes ses chandelles, pour en illuminer jusqu'aux plus
-sombres recoins de la crypte.
-
-Nous nous amusâmes fort, en esquissant la représentation de la Légende
-dans ce même abri naturel dont la clémence avait jadis protégé Iguskia
-et Ithargia.
-
-Eva n'était plus qu'un éblouissant éclat de rire.
-
-Mais, lorsque je la fis se coucher, tant soit peu en chien de fusil,
-dans la fosse qui avait renfermé un trésor moins beau qu'elle, et dont
-il fallait qu'elle ressurgît, après un sommeil de tant de siècles,
-revêtue de la robe nuptiale, et telle qu'une Robinsonne ou Belle au Bois
-dormant, on ne savait plus s'il fallait ou non garder son sérieux.
-
---Le rôle que tu me fais jouer là est un peu lugubre? fit-elle. Tu as
-l'air de mesurer mon caveau avant que je sois morte. Rappelle-toi que je
-n'ai nulle envie de prendre mon rôle à la lettre.
-
---Il faudra, ordonnai-je à Salbaya qui restait bouche bée devant ce
-qu'il devait prendre pour une opération de sorcellerie, mais qui
-tolérait décidément, sans le moindre murmure, mes faits et gestes les
-plus extravagants, que vous agrandissiez un peu cette ouverture avant
-d'y replacer le rocher que vous venez d'ôter.
-
---Le fait est, fit Eva, que si ce trou doit devenir mon lit nuptial je
-n'y serai pas au large.
-
-Elle ne croyait pas si bien dire.
-
-Tous les préparatifs qui devaient servir mon plan s'enchaînaient à
-merveille, le plus simplement du monde, pour confondre Jacob Meyer et
-son neveu.
-
-Lorsque je les revis chez eux, je leur déclarai que la clef était à leur
-disposition, mais que M. Passerose m'avait déclaré ne consentir à la
-leur livrer que s'ils la remettaient chaque soir au gardien ou à
-moi-même.
-
---Croyez, messieurs, leur dis-je, que je ne demande à conduire cette
-affaire qu'à la plus grande satisfaction de tous, pour vous obliger le
-mieux possible, et ne déplaire en rien à mon ami M. Passerose. Tout se
-peut concilier. Il est donc convenu que, d'aujourd'hui en quinze, la
-clef sera en votre possession, de dix heures du matin à six heures du
-soir. J'ai donné ordre à Salbaya, qui vous la remettra, de vous laisser
-seuls à vos fouilles. Quant à moi, vous m'excuserez de ne pouvoir me
-joindre à vous, et m'associer à vos savantes recherches. Je m'absenterai
-à ce moment.
-
-Je surpris un signe d'intelligence satisfait dans le double clin d'oeil
-qu'échangèrent Jacob et Eliézer.
-
-Il ne me restait plus qu'à mobiliser ma cousine Eva au moment opportun.
-
-La veille du jour où la clef devait être prêtée à mes Juifs (je ne
-doutais pas qu'ils ne voulussent se rendre à la grotte dès la première
-minute) je leur fis tenir ce mot:
-
-«Demain, à dix heures précises, Salbaya vous confiera la clef.»
-
-
-
-
-Il n'avait pas été difficile d'obtenir d'Eva et de sa mère qu'elles
-revinssent passer une quinzaine dans ma villa, d'où l'on sait qu'en peu
-de temps on peut gagner les grottes d'Isturitz.
-
-La belle enfant était toujours bonne, aussi heureuse de vivre, encore
-qu'elle eût pu avoir alors quelque sujet de souci, ma tante ayant reçu,
-deux jours avant leur arrivée, la visite de l'huissier.
-
-Ce n'est point que cette pauvre femme administrât mal sa fortune, mais
-elle n'en avait point. J'avais gros coeur de cette situation. Je les
-aidais bien dans quelque mesure, mais pas autant que je l'eusse désiré.
-J'ai toujours eu un faible pour la Bohême innocente, et ma tante était
-quelque peu de ce pays.
-
-Quant à sa fille, je l'eusse sans doute épousée si, comme je l'ai
-expliqué, notre genre d'affection mutuelle, et nos jeux d'enfance qui se
-continuaient en somme dans les grottes, n'avaient fait d'elle ma soeur
-et, de moi, son frère.
-
-Mais elle était si jolie que je ne désespérais pas qu'elle sauvât, par
-un mariage, une situation si obérée. Son alerte démarche de Basquaise,
-aux pieds pointus, chaussés de blanches sandales, semblait chanter
-toujours: «Suivez-moi!»
-
-Je m'imaginais très bien de la sorte une descendante immédiate d'Iguskia
-et d'Ithargia, et je savais qu'elle jouerait à ravir, pour mes fins
-vengeresses, devant Jacob et Eliézer, son rôle de Robinsonne de la
-Légende.
-
-
-
-
-LE TRIOMPHE D'ÉVA
-
-
-La veille du jour qu'elle devait tenir le délicieux rôle que je lui
-destinais:
-
---Eva, dis-je, nous irons demain à Isturitz où tu voudras bien mettre en
-oeuvre mes moindres instructions. Il te suffira de passer la tunique,
-elle te sied à ravir, de te bien attifer et coiffer, et de te dissimuler
-quelques minutes dans la fosse de la grotte, comme l'autre jour, jusqu'à
-ce que deux originaux t'y découvrent, à leur grande surprise.
-
---De quels originaux parles-tu?
-
---Peu importe; tu n'as rien à redouter de leur présence; et, d'ailleurs,
-je me tiendrai caché non loin de toi, tandis que tu rempliras cet office
-d'enterrée.
-
---Tu mets bien du mystère à ton jeu: ce n'est pas dans ton habitude.
-Hais puisque le prix à remporter, si je me rends à tes caprices, est
-cette robe de fée, sache que je suis à tes ordres.
-
---Il te suffira, continuai-je, dès que tu te verras découverte--comme on
-joue au cache-cache--de te redresser, soudain et, tel qu'un fantôme
-gracieux, de gagner à pas lents et en silence la sortie. De là, en
-quelques bonds, tu seras chez Salbaya, hors d'atteinte, jusqu'à ce que
-je te rejoigne.
-
-L'action fut menée avec un art parfait. Sous prétexte de partie de
-pêche, Eva et moi gagnâmes à l'aurore les grottes d'Isturitz et, avant
-dix heures, elle revêtit la tunique légendaire, peu de temps avant que
-le cerbère accompagnât, au même lieu, les Meyer empressés.
-
-Elle s'établit, sans froisser sa dentelle, dans la cachette où reposait
-naguère le trésor. Le rocher qui en fermait l'entrée avait été, sur mon
-avis, mis de côté par Salbaya. Quant à moi, le diable, avant même que la
-chandelle fût morte, n'aurait su me distinguer des stalactites
-environnantes.
-
- * * * * *
-
-Voici Jacob et Eliézer.
-
-J'entends gémir la grille, et que Salbaya remporte sa clef à lui, sans
-refermer la serrure, et, tout à fait comme je lui en avais intimé
-l'ordre, leur laissant croire qu'ils sont seuls tous les deux.
-
-Une lampe des plus perfectionnées, de spéléologue sans doute, qu'allume
-Eliézer, transforme en palais radieux cette annexe de l'enfer.
-
-La luxuriante forêt de pierre apparaît, qui semble recouverte de rosée
-par le scintillement des prismes naturels. Mais les deux coquins n'ont
-cure de cette métamorphose souterraine. Ils déroulent leur décamètre; la
-route s'ouvre librement devant eux, avec, au bout pensent-ils, l'objet
-de leur longue convoitise.
-
---C'est ici! prononcent-ils bientôt sans hésiter.
-
---Ah! laisse-moi le premier mettre la main dessus! s'écrie Jacob Meyer
-d'une voix rendue gutturale par la cupidité.
-
-Et, contournant le couvercle rocheux, il projette dans le trou un
-faisceau de rayons.
-
-Aussitôt, comme enveloppée d'une lueur d'aube où s'épanouit le narcisse,
-surgit Eva que je ne vois que de profil.
-
-Mais qu'elle est belle!
-
-Elle sourit. Elle fait, de ses bras ronds et de ses mains unies sous sa
-nuque, un arc charmant, et elle bâille comme si elle sortait d'un
-profond sommeil, montrant des dents qui valent toutes les perles du
-trésor de la famille Passerose.
-
-Et, sous les yeux des deux Juifs pétrifiés comme les végétaux de la
-grotte, elle s'en va.
-
-Je suis ravi de la perfection de son jeu et, tandis qu'il me faut
-réprimer mon envie d'applaudir, je suis le témoin de ce dialogue
-invraisemblable:
-
---Eliézer?
-
---Mon oncle?
-
---Est-ce vrai?
-
---Suis-je somnambule?
-
---Suis-je somnambule?
-
---Vous l'êtes.
-
---Tu l'es.
-
---L'avez-vous vue, mon oncle?
-
---L'as-tu vue, Eliézer?
-
---C'est une fille d'Ithargia.
-
---C'est une fille d'Ithargia.
-
---Elle portait la tunique nuptiale.
-
---Le narcisse de la légende montait comme un jet d'eau jusqu'à son sein
-neigeux.
-
---Mais puisque nous avons inventé la légende?
-
---Alors nous sommes fous?
-
---Sommes-nous fous alors?
-
- * * * * *
-
-Mais tout à coup Jacob Meyer se ressaisit et s'écria:
-
---Nous sommes volés!
-
-Et l'écho de la grotte répéta cette phrase.
-
-Ils ne furent pas longs à décamper comme des péteux, et n'allèrent point
-demander des explications sur leur mésaventure à Salbaya, chez qui
-bientôt je rejoignis Eva.
-
-La pauvre petite, avec qui je déjeunai gaiement en lui faisant part,
-cette fois, sans en rien réserver, du mot de l'énigme, avait bien gagné
-sa chemise de noces! Je souhaitais vivement de lui faire aussi don de
-l'époux. Ce qui arriva comme on va le voir.
-
-
-
-
-LA CONCLUSION INATTENDUE
-
-
-Monsieur, commença Eliézer en s'asseyant dans le fauteuil que je lui
-avançai, lorsqu'il vint me rendre visite deux mois après la farce qu'Eva
-et moi lui avions si bien jouée, mon oncle et moi nous sommes deux
-Juifs.
-
-Je reconnus la même phrase que le même Eliézer avait prononcée durant
-son accès de somnambulisme, après avoir mangé des écrevisses, en cette
-nuit qu'il m'avait tant effrayé.
-
-Mais, cette fois, il veillait, et je ressentais qu'il était on ne peut
-plus conscient de lui-même.
-
-Cependant il continuait à me révéler ces mêmes choses qu'il m'avait
-confessées, à son insu, durant son sommeil:
-
---Et vous vous êtes aperçu que nous nous moquions de vous... Ne pensez
-pas que je ne puisse être sincère... Et, la preuve en est, que je viens
-vous faire cet aveu si pénible et si humiliant... Je vous le déclare
-sans ambages: nous sommes des voleurs, mon oncle et moi, celui-ci ayant
-découvert chez un bouquiniste du vieux Bayonne, et s'étant approprié un
-document qu'il aurait dû remettre à la famille Passerose; et moi, en lui
-prêtant mon concours, afin de nous emparer seuls d'un trésor dont ce
-parchemin fait mention... Ce trésor...
-
-Eliézer poursuivit son discours, et j'en reconnaissais chaque mot comme
-déjà l'ayant entendu au cours de sa crise nocturne:
-
---Il fallait, disait-il, vous gagner, afin d'obtenir la clef des grottes
-et le droit de pénétrer librement dans le flanc de la colline.
-
- * * * * *
-
-Quand ce singulier pénitent, fort bien éveillé, en eut terminé avec sa
-confession renouvelée, il y ajouta, si je peux dire, un inédit qui me
-stupéfia par sa conclusion inattendue.
-
---Nul doute, fit-il, monsieur, que notre obscure machination ne vous ait
-été révélée par une voie que j'ignore, et que vous l'ayez prévenue et
-déjouée avec beaucoup d'esprit.
-
-J'eus un sourire d'approbation flattée.
-
---Vous avez, continua-t-il, commencé de nous brimer en nous mettant, mon
-oncle et moi, en contact avec le réalisme un peu brutal de vos
-_Etats-généraux_ de Garris, dont j'avais compris l'allusion. Et vous
-avez ensuite substitué au trésor que vous avez mis en sûreté la plus
-jolie fille du monde.
-
-Je souris encore.
-
---Il n'est pas de beauté, fit Eliézer, qui puisse être, même de loin,
-comparée à la sienne; ni d'Ithargia; ni des vierges de l'_Amodioa_ dont
-les voiles étaient gonflées par la brise qui sortait des joues rebondies
-de l'Amour. Mon inspiration poétique, si géniale soit-elle, demeure,
-monsieur, tellement au-dessous du modèle que m'offre, après coup, la
-vérité vivante, que j'en demeure confus. Je ne saurais me payer de mots.
-Comment ma pâle invention lyrique a-t-elle pu susciter, en chair et en
-os, la vraie Robinsonne basque, le moule parfait, capable, selon le voeu
-d'Ondicola, de refaire une race. Or...
-
---Or?
-
---Je veux reconstituer la mienne.
-
---Quoi? dis-je, vous voulez épouser Eva?
-
-(Je lui jetai ainsi le prénom de ma cousine, tant cet épilogue me jetait
-dans le désarroi.)
-
---Oui, monsieur, je veux m'unir à elle, en lui offrant, avec une
-dotation de huit cent mille francs de rente, ma sincère conversion
-religieuse.
-
---Ah! bah?
-
---Une pareille beauté, dont la grâce ne m'a point permis de supposer un
-seul instant qu'elle n'appartînt à une vierge, ne saurait être dans
-l'erreur.
-
---Peste! fis-je, me demandant quelle valeur un théologien accorderait à
-cette manière d'envisager la foi catholique!... Mais... Ne m'a-t-on pas
-assuré que vous êtes parfois sujet à des crises somnambuliques?
-
---Croyez, monsieur, qu'avec Eva, puisque ainsi elle s'appelle, je ne
-saurais vivre que dans un rêve enchanté, ou rêver dans la plus suave des
-veilles: ce qui est le lot des plus fortunés.
-
-Eliézer se retira sur ces paroles exquises, après m'avoir chargé de
-demander pour lui à ma tante la main de ma cousine, que je comptais bien
-qu'après une entrevue prochaine il n'obtiendrait pas.
-
-
-
-
---Je ne trouve pas Eliézer mal du tout, me dit Eva après cette entrevue
-qui se passa chez moi. Il m'a très franchement marqué son repentir
-d'avoir trempé dans les roueries de son oncle, et il m'a déclaré n'en
-vouloir retenir que l'amusant poème auquel elles ont donné lieu, et où
-l'on se moque de toi délicieusement. Il m'en a lu quelques passages,
-mais sais-tu qu'ils sont fort beaux?
-
---Oui.
-
---J'apprécie tes vers; mais laisse-moi t'avouer que rien, dans ton
-oeuvre, ne m'a ému autant que cette légende basque. Et, puisque son
-auteur m'a choisie pour être, en chair et en os, et d'esprit, la
-Robinsonne qui l'inspire, apprends que je me sens apte tout à fait à lui
-susciter une race de choix.
-
---Celle même d'un somnambule? demandai-je piqué.
-
---Rien, me répondit-elle, n'est plus charmant que l'Amour endormi.
-
-Bref, il me fallut rengainer ma mauvaise humeur et mon dépit. La pauvre
-chose qu'un coeur d'homme!
-
-Voici quelques jours à peine, je désirais d'autant plus le bonheur et la
-prospérité de cette enfant que je craignais qu'elle ne fût condamnée au
-célibat des jeunes filles sans dot.
-
-Quant à l'affection de camarade que je lui portais, et qu'elle me
-rendait, je m'en suis expliqué: elle était de telle sorte qu'elle
-semblait ne pouvoir engendrer cette jalousie où la beauté physique entre
-comme élément.
-
-Et, néanmoins, je rongeais mon frein, tout capot qu'Eliézer eût, ne
-fût-ce que par sa fortune, fait la conquête d'Eva.
-
-La mère de celle-ci, trop satisfaite d'échapper à ses créanciers, ne fit
-aucune opposition, bien au contraire; et il me fallut, bon gré, mal gré,
-par convenance, chaperonner Eta et Eliézer à travers la lune de miel de
-leurs fiançailles, me prêter à leurs fantaisies, et, ce qui me fut le
-plus humiliant, les surveiller.
-
-Je ne pus même me refuser à les ramener à Isturitz où ma cousine eut un
-accès d'hilarité en revoyant la fosse qui lui avait servi de sépulcre et
-qu'elle nomma Cette foi: «Le berceau de la race.»
-
-J'enrageais. Quant au futur époux, il était tout transformé. Il me
-demanda, pour lui éclaircir quelques points d'une théologie qu'il avait
-déjà pas mal étudiée, un guide averti, et je ne sus mieux faire que de
-le confier au missionnaire qu'il avait rencontré au cours du repas des
-_Etats-généraux_ basques: le père Bidondoa Ihidoïpé.
-
-Celui-ci trouva fort édifiant son catéchumène qui lui fit cadeau d'un
-microscope, d'une jumelle de spectacle et de l'_Histoire de la
-Révolution française_, en dix volumes, de M. Thiers, oeuvre que le
-donateur ne voulut point conserver la trouvant désormais entachée
-d'hérésies.
-
-Au physique, peut-être à cause que le Malin se retirait de lui, Eliézer
-était devenu presque un joli homme. Grâce à un nommé Perron, poète et
-coiffeur de Bayonne, qui avait résolu, pour son client, une coupe de
-cheveux et de barbe dite «jardin à la française», il avait quinze ans de
-moins.
-
-Ce rajeunissement m'agaçait tout autant que le reste du personnage, mais
-ce qui porta au comble mon dépit fut d'avoir à réentendre l'étonnant
-chapitre de la Légende où Roland et Aude, dans les montagnes des
-Aldudes, viennent saluer Charlemagne.
-
-J'eus beau me répéter que le poème n'avait ni queue ni tête, il fallut
-bien me rendre à l'évidence du contraire lorsque se penchant vers
-Eliézer assis sur l'un des bancs de mon petit parc, Eva lui décocha le
-plus sonore des baisers.
-
-Alors, je devins ridicule. Et, poussé par l'esprit de bassesse que la
-rivalité fait naître chez ceux-là mêmes qui ne sont pas les pires,
-j'allai jusqu'à lui déclarer, lorsque, nous fûmes en tête à tête, que je
-trouvais fâcheux qu'elle consentît à épouser un homme qui, ne fût-ce
-qu'un moment, s'était fait le complice d'un vol.
-
-Elle me répondit que je n'étais qu'un pharisien; qu'il est d'autres
-larcins plus graves que de perles, dont le commun fait assez bon marché,
-ne serait-ce que de ravir les femmes d'autrui; et que, d'ailleurs, si
-j'étais chrétien le moins du monde, il me fallait bien admettre que le
-passage du judaïsme au christianisme sanctifierait son cher _Zézer_.
-
-Je faillis gifler la superbe fille en l'entendant forger un si amoureux
-diminutif.
-
-Elle ajouta que, si invraisemblable et si décousue que fût la Légende,
-elle faisait siennes les idées d'Ondicola sur la réfection d'un peuple,
-et que, n'ayant jamais rencontré, parmi les jeunes coureurs de plages,
-un seul Iguskia, elle leur substituerait Eliézer. Ce n'est pas que
-l'esprit lui manque, ni même le génie, assura-t-elle, en me regardant
-bien en face. Il n'en a que trop. Quant à ce qui regarde le reste, tu
-m'as vu faire, à la nage, le tour du grand rocher de Biarritz. Je ne
-demanderai à mes enfants que de...
-
---Passer la mer Rouge avec les chameaux de leur père?
-
-Elle me regarda avec un certain mépris attristé:
-
---On dirait, ma parole, que tu es jaloux!
-
-Jacob Meyer fut ému jusqu'aux larmes, car il était sentimental, en
-apprenant, de son neveu, la conclusion pratique d'une histoire aussi
-irréelle.
-
-Il s'excusa de la tentative indélicate ou il l'avait engagé. De son
-meuble le plus secret il retira, pour les offrir à sa future nièce, de
-tels joyaux que le trésor de la famille Passerose ne les égalait point.
-
-La persuasion se fit alors en moi que le vieil artiste antiquaire avait
-moins agi par amour du lucre qu'à cause de la passion innée de
-l'Israélite pour les pierres.
-
-
-
-
-OÙ LA RACE BASQUE TRIOMPHE DE L'ÉTRANGER
-
-
-Le mariage eut lieu, béni par le père Bidondoa Ihidoïpé.
-
-Quatorze mois après j'invitai mes cousin et cousine dans la même ferme
-de Garris où j'avais convié, deux années auparavant, les soi-disant
-membres des Etats généraux.
-
-Sur le désir que m'en exprima Eliézer, je réinvitai à un large déjeuner
-les mêmes bons Basques devant lesquels il s'était évanoui. Il avait si
-bonne mine que je doute qu'ils le reconnurent. Il ne décela aucune
-faiblesse, se montra gaillard dans la conversation, mangea comme quatre
-des mets les plus lourds, et dégusta, en regardant sa femme qui l'y
-poussait, bon nombre d'écrevisses que j'avais fait servir par malignité.
-Il but des vins les plus forts. A peine si Paul Dupont put tenir devant
-lui. On eût dit qu'Eva lui avait infusé la vieille sève des Robinsons
-basques.
-
-Et ce fut une ovation lorsque, au dessert, on nous présenta un enfant
-qui semblait être le fils de Gargantua et de Gargamelle.
-
---Regarde-le, me cria Eva qui était allée lui donner à téter, et qui
-revenait vêtue de la tunique nuptiale qui la rendait plus séduisante
-encore, mais regarde-le donc! C'est le fils d'Iguskia et d'Ithargia! Et
-viens, après cela, prétendre que la légende basque n'est point vraie!
-
- * * * * *
-
-Eliézer, qui s'appelait maintenant Philippe, sourit dans sa barbe.
-
-
-
-
-TABLE DES MATIÈRES
-
-
- INTRODUCTION 5
-
- LES BASQUES ABORDENT EN TERRE VIERGE 7
- FONDATION DU PREMIER FOYER 26
- LA GÉNÉALOGIE 38
- FORMATION DES PRINCIPAUX COUPLES 46
- LE JOUR ET LA NUIT A ASCAIN 57
- LE SIÈGE DE PAMPELUNE 75
- CHANT D'AMOUR DE TIRUZTAYA ET DE LÔRÉA 86
- LA VÉRITÉ DANS LE RÊVE 108
- LES FIANÇAILLES DE ROLAND ET D'AUDE 117
- LES ÉTATS-GÉNÉRAUX 139
- MA COUSINE ÉVA, UN TRÉSOR 173
- LA RÉPÉTITION GÉNÉRALE 180
- LE TRIOMPHE D'ÉVA 187
- LA CONCLUSION INATTENDUE 194
- OÙ LA RACE BASQUE TRIOMPHE DE L'ÉTRANGER 207
-
-
-
-
- ACHEVÉ D'IMPRIMER
- le vingt-six janvier mil neuf cent vingt-cinq
- PAR
- MARC TEXIER
- A POITIERS
- pour le
- MERCVRE
- DE
- FRANCE
-
-
-*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROBINSONS BASQUES ***
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-<div style='text-align:center; font-size:1.2em; font-weight:bold'>The Project Gutenberg eBook of Les Robinsons basques, by Francis Jammes</div>
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-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
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-<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Title: Les Robinsons basques</div>
-
-<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: Francis Jammes</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>Release Date: February 17, 2021 [eBook #64582]</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>Language: French</div>
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-<div style='display:block; margin:1em 0'>Character set encoding: UTF-8</div>
-
-<div style='display:block; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Produced by: Laurent Vogel (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)</div>
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-<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROBINSONS BASQUES ***</div>
-<p class="c large">FRANCIS JAMMES</p>
-
-<h1><span class="small">Les</span><br />
-Robinsons basques</h1>
-
-<p class="c">PARIS<br />
-<span class="large">MERCVRE DE FRANCE</span><br />
-<span class="small">XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI</span></p>
-
-<p class="c small">MCMXXV</p>
-
-<div class="break"></div>
-
-<p class="c top2em">DU MÊME AUTEUR</p>
-
-
-<table summary="">
-<tr><td colspan="2" class="pad"><div class="c"><i>Poésie.</i></div></td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">DE L'ANGELUS DE L'AUBE A L'ANGELUS
-DU SOIR</span>, 1888-1897</td>
-<td class="bot w3">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">LE DEUIL DES PRIMEVÈRES</span>, 1898-1900</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">LE TRIOMPHE DE LA VIE</span>
-(<i>Jean de Noarrieu. Existences.</i>)</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">CLAIRIÈRES DANS LE CIEL</span>,
-1902-1906. (<i>En Dieu. Tristesses.
-Le Poète et sa femme. Poésies diverses. L'Eglise habillée
-de feuilles.</i>)</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">LES GÉORGIQUES CHRÉTIENNES</span></td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">LA VIERGE ET LES SONNETS</span></td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">LE TOMBEAU DE JEAN DE LA FONTAINE</span>
-suivi de <span class="small">POÈMES MESURÉS</span></td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">CHOIX DE POÈMES</span>, avec un portrait</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">LE PREMIER LIVRE DES QUATRAINS</span></td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">LE DEUXIÈME LIVRE DES QUATRAINS</span></td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">LE TROISIÈME LIVRE DES QUATRAINS</span></td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td colspan="2" class="pad"><div class="c"><i>Prose.</i></div></td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">LE ROMAN DU LIÈVRE.</span> (<i>Le Roman du Lièvre. Clara d'Ellébeuse.
-Almaïde d'Etremont. Des choses. Contes. Notes
-sur des Oasis et sur Alger. Le 15 août à Laruns. Deux
-Proses. Notes sur Jean-Jacques Rousseau et M<sup>me</sup> de
-Warens aux Charmettes et à Chambéry.</i>)</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">MA FILLE BERNADETTE</span></td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">FEUILLES DANS LE VENT.</span> (<i>Méditations. Quelques Hommes.
-Pomme d'Anit. La Brebis égarée.</i>)</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">LE ROSAIRE AU SOLEIL</span>, roman</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">MONSIEUR LE CURÉ D'OZERON</span>, roman</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">LE POÈTE RUSTIQUE</span>, roman, suivi de
-l'<span class="small">ALMANACH DU POÈTE
-RUSTIQUE</span></td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">CLOCHES POUR DEUX MARIAGES</span>. (<i>Le Mariage basque. Le
-Mariage de raison.</i>)</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td colspan="2" class="pad"><div class="c"><span class="small">A
-LA LIBRAIRIE PLON-NOURRIT ET C</span><sup>ie</sup></div></td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">LE BON DIEU CHEZ LES ENFANTS</span>,
-<i>album avec illustrations
-en couleurs d'après les dessins de M<sup>me</sup> Franc-Nohain.</i></td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">LE LIVRE DE SAINT JOSEPH</span></td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">DE L'AGE DIVIN A L'AGE INGRAT.</span>
-Mémoires : I</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">L'AMOUR, LES MUSES ET LA CHASSE.</span>
-Mémoires : II</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="small">LES CAPRICES DU POÈTE.</span> Mémoires : III</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-</table>
-<div class="break"></div>
-
-<p class="c top6em large">LES ROBINSONS BASQUES</p>
-
-
-<p class="sign"><i>A la mémoire de Goya y Lucientes</i></p>
-
-<div class="break"></div>
-
-<p class="c top4em"><span class="small">IL A ÉTÉ TIRÉ</span> :</p>
-
-<p class="c">56 exemplaires sur papier de Madagascar, savoir :<br />
-55 ex. numérotés à la presse, de 1 à 55 et 1 hors commerce</p>
-
-<p class="c">247 exemplaires sur Hollande van Gelder
-numérotés, à la presse, de 56 à 302</p>
-
-<p class="c">La première édition a été tirée sur papier de fil Montgolfier,
-savoir :</p>
-
-<p class="c">1075 exemplaires numérotés de 303 à 1377<br />
-25 exemplaires (hors commerce) marqués à la presse de A à Z</p>
-
-
-<p class="c gap"><span class="small">JUSTIFICATION DU TIRAGE</span> :</p>
-
-<div class="c"><img src="images/justif.png" alt="" /></div>
-
-<p class="c gap small">Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction réservés
-pour tous pays.</p>
-
-<p class="c small"><span lang="en" xml:lang="en">Copyright by</span> <span class="sc">Mercvre de France</span> 1924</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch0">INTRODUCTION</h2>
-
-
-<p class="i">Il y a quelque trente ans vivait à Bayonne
-un de ces Juifs qui portent besicles de corne
-sur nez crochu ; dont le front et les joues
-ridés reproduisent assez exactement une page
-criblée de caractères talmudiques et dont les
-mains, semblables à des araignées, tantôt tissent
-la toile grise de leur barbe, tantôt arpentent
-l'oscillante balance du peseur d'or ou du
-joaillier.</p>
-
-<p class="i">Jacob Meyer était son nom.</p>
-
-<p class="i">Nous étions rejoints, lui et moi, par un
-goût commun de la pêche et de la poésie. Il
-arrivait qu'après avoir parlé littérature nous
-descendissions à l'Adour pour y tendre un
-filet. Nous nous fortifiions avec l'odeur du
-goudron et de la mer toute proche. Il ne recevait
-guère de visites que la mienne et de
-dames qui venaient lui régler les intérêts d'un
-emprunt ou l'acompte d'une émeraude.</p>
-
-<p class="i">Avant que de me révéler le début des <i>Robinsons
-basques</i>, il me dit en tenir la version de
-sa famille, et que celle-ci, de père en fils, se
-l'était transmise.</p>
-
-<p class="i">De cette famille, un membre, le premier
-sans doute qui donna lieu à la souche de
-Bayonne, repose dans le cimetière de La Bastide
-Clairence sous le prénom d'Abraham.</p>
-
-<p class="i">Ce qui a laissé entendre à quelques simples
-d'esprit que le père d'Isaac est enterré dans
-cette commune.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch1">LES BASQUES ABORDENT
-EN TERRE VIERGE</h2>
-
-
-<p>La légende rapporte que, il y a vingt-cinq
-siècles, un navire dont la coque
-portait le nom d'<i>Eskualdunak</i> pénétra dans
-les eaux de l'Adour.</p>
-
-<p>Ce navire était magnifique et témoignait
-que la contrée d'Asie d'où il arrivait connaissait
-la civilisation la plus raffinée, à
-l'époque où les habitants de l'Europe future
-se servaient de haches de pierre et de
-pieux durcis pour assommer ou percer les
-ours et sangliers qu'ils dévoraient crus.</p>
-
-<p>Le capitaine de l'<i>Eskualdunak</i> s'appelait
-Ondicola. Un équipage l'accompagnait qui
-se ressentait davantage d'une vie passée
-dans le luxe et la volupté que guerrière ou
-simplement active. Il se composait de matelots,
-de leurs femmes et d'un groupe de
-jeunes gens et jeunes filles dont le moins
-âgé, Iguskia, avait seize ans, et la plus
-jeune, Ithargia, quinze.</p>
-
-<p>Si, vivant alors, avec l'esprit d'à présent,
-nous eussions vu se promener sur la rive
-gasconne tant d'aimables Orientaux, ils
-nous auraient fait songer davantage à un
-débarquement à Cythère qu'à une descente
-dans les entrepôts de Bayonne.</p>
-
-<p>La saison étant fort belle, Ondicola fit
-jeter l'ancre et dresser à quelque distance
-de la mer les tentes d'un campement.
-C'était dans sa manière de suivre son caprice,
-et si un nouveau pays lui agréait par
-son climat et ses aspects, il s'y installait
-avec sa tribu nomade jusqu'à ce que le
-froid ou la lassitude les en chassât.</p>
-
-<p>Hommes et femmes déménagèrent le
-contenu du bateau sur l'arène. Des flancs
-de l'<i>Eskualdunak</i> jaillirent des merveilles :
-des hamacs qu'on eût dit tissés de rosée ;
-des robes d'un azur si transparent qu'on
-ne les soupçonnait que si les beaux corps
-s'y enfermaient ; des pierres uniques ;
-des ivoires sans défaut ; et, dans des cristaux
-de roche à facettes ingénieuses, des
-parfums empruntés aux jardins des <i>Mille
-et une Nuits</i>.</p>
-
-<p>Les jeunes filles vivaient à part, les jeunes
-gens aussi de leur côté, car Ondicola ne
-souffrait point que rien altérât leur pureté
-jusqu'au jour de leurs noces. Non point
-qu'il eût aucune morale. Toute trace de religion
-avait disparu de ce peuple : Mais afin
-que la corolle s'épanouît dans toute sa
-grâce, tout, son éclat, tout son arome, Ondicola
-en faisait respecter la pré-floraison.
-Ainsi le produit serait superbe.</p>
-
-<p>Cette loi mise à part, que tout naturaliste
-aurait pu édicter, on ne voyait pas
-régner beaucoup de vertus parmi les hôtes
-de l'<i>Eskualdunak</i>, ni à bord ni à terre.</p>
-
-<p>Tant de siestes sous les arbres capiteux,
-de danses lascives, de fruits défendus, de
-complications du c&oelig;ur mettaient à nu les
-nerfs de l'équipage ou le déprimaient.</p>
-
-<p>Ondicola, bien qu'il se laissât aller à ses
-m&oelig;urs, en éprouvait souvent du dégoût.
-Si imposant que fût le port des femmes, si
-élancée la ligne des adolescentes, si nette
-la carrure des mâles : il y avait tout à
-craindre pour l'avenir. Une lourde inquiétude
-envahissait Ondicola touchant la descendance
-de ceux qu'il abritait dans son
-navire et qu'il avait choisis parmi les types
-les plus parfaits de sa patrie indienne.</p>
-
-<p>Le seul culte de la beauté l'avait guidé
-lorsque, par exemple, il avait détaché
-Iguskia et Ithargia d'un plateau perdu de
-l'Himalaya où n'habitaient que de rares
-pasteurs. L'instinct puissant de conserver
-la race à laquelle il appartenait le dressait
-peu à peu contre les m&oelig;urs qu'il voyait
-affoler et anémier de plus en plus ceux
-de l'<i>Eskualdunak</i>.</p>
-
-<p>Lorsque, la nuit, sur le rivage de cet
-Adour que fait se plisser une brise si pure,
-il flânait au sortir de quelque débauche,
-il lui arrivait de rejeter le suc épaissi du
-pavot qu'il s'apprêtait à fumer.</p>
-
-<p>Alors, plus calme, il contemplait avec
-attendrissement, dans la diffusion de la
-lune, deux tentes isolées, en dehors du
-campement, qui se distinguaient entre
-toutes par leur blancheur particulière.</p>
-
-<p>Dans l'une, dormait Iguskia, seul ; seule,
-dans l'autre, Ithargia.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p class="top4em">Nul n'ignore, reprit à quelques jours de
-là Jacob Meyer, que les Asiatiques connurent
-la poudre avant l'ère chrétienne, aussi
-bien qu'ils avaient inventé la brouette et la
-boussole.</p>
-
-<p>Je ne dis pas cela pour les Juifs (ajoutait-il),
-car ils n'ont pas voulu, encore
-qu'ils ne les ignorassent point, utiliser de
-telles découvertes : il nous suffit d'une mâchoire
-d'âne pour remporter la victoire ;
-du dos du même animal pour transporter
-notre butin ; de sa queue pour remorquer
-un captif ; et, quant à la boussole, je vous
-demande quelle orientation pourrait prendre
-une race toujours errante?</p>
-
-<p>Donc, il y a deux mille cinq cents ans,
-Ondicola se servait de fusils de chasse dont
-l'amorce présentait une autre garantie que
-l'éclat de silex adapté à l'espingole de vos
-ancêtres. C'est ainsi qu'Ondicola et ses compagnons
-se procuraient du gibier, et d'autant
-plus aisément qu'il était alors peu
-farouche dans les contrées d'Europe qu'ils
-visitaient. Ondicola s'adonnait aussi à la
-pêche au lancer.</p>
-
-<p>Mais, tout de même, cette existence de
-plein air ne le maintenait point dans cette
-forme cynégétique, privilège des chasseurs
-à qui suffisent un croûton de pain, une
-gousse d'ail, un verre de vin et une femme.</p>
-
-<p>C'est pourquoi il résolut, pour retremper
-ses muscles, de s'en aller à la découverte,
-escorté de quatre bons tireurs et marcheurs,
-par ce pays qui leur était absolument
-étranger.</p>
-
-<p>Et d'abord il pénétra, par les bords de
-la Nive, dans la région de l'actuel Cambo.
-A mesure qu'il portait plus avant ses pas,
-un curieux phénomène se confirmait : pas
-un seul habitant n'y apparaissait. Telle était
-cette absence de l'homme que les écureuils
-eux-mêmes se montraient familiers jusqu'à
-sauter sur les épaules d'Ondicola et de ses
-compagnons. On voyait de ces rongeurs
-descendre deux par deux vers la rivière,
-se tenant par les doigts comme de jolis
-petits ménages. Ils rafraîchissaient leurs
-pattes. Ondicola admirait leurs m&oelig;urs plus
-simples que celles de l'<i>Eskualdunak</i> où l'on
-usait, pour se baigner, de cuves d'or emplies
-d'eaux suaves.</p>
-
-<p>Par une réaction naturelle, au souvenir
-éc&oelig;urant de ces parfums, il se jeta dans la
-Nive à la nage. Et, quand il en ressortit,
-des gouttes qui n'avaient que l'odeur de
-l'air pur roulèrent à ses pieds dans l'herbe.</p>
-
-<p>Cette course à travers des bois qui n'exhalaient
-point les essences de l'Asie, mais
-à peine une senteur d'averse sous l'orage,
-le remontait. Il défendit au cuisinier d'épicer
-davantage les mets, et il proscrivit les
-sauces. Mais, faisant creuser dans l'argile
-un four que l'on garnissait de galets demeurés
-longtemps sur la braise, il ordonnait
-qu'on y rôtît la chair des lapereaux et
-des perdrix. La confiserie dont il s'était
-fait suivre lui répugna bientôt tellement,
-qu'il la fit abandonner à un ours débonnaire.
-Mais celui-ci, l'ayant flairée, s'enfuit
-sur un chêne d'où découla un délicieux
-rayon de miel.</p>
-
-<p>Un autre charme de cette vie errante
-était pour Ondicola d'échapper à la polygamie
-que pratiquaient, selon l'usage oriental,
-les gens de l'<i>Eskualdunak</i>. Mais que dis-je!
-Ce lui était un délice de se soustraire même
-à sa favorite qui, si belle qu'elle fût, et autant
-qu'elle dît l'adorer, et si fort qu'il
-crût l'aimer, l'excédait par les caresses
-qu'elle lui prodiguait, et aussi par sa jalousie.
-Les nuits étaient douces. On était en
-juillet. Il s'éveillait au chant des oiseaux et
-ne se sentait pas de joie, les yeux clos encore,
-de palper la mousse qu'aucune femme
-n'avait foulée.</p>
-
-<p>Si la tradition est exacte, Ondicola et ses
-compagnons remontèrent l'affluent de l'Adour
-jusqu'à la place d'Itxassou.</p>
-
-<p>Les forêts, quelque peu impénétrables,
-retardèrent leur marche, bien qu'ils continuassent
-de longer les rives. Si loin qu'ils
-aboutirent, ils ne rencontrèrent âme qui
-vive.</p>
-
-<p>Le chef de l'<i>Eskualdunak</i> se faisait à
-cette existence élémentaire qui engendrait
-le calme du c&oelig;ur, à ce silence que ne troublaient
-même plus les détonations des armes,
-puisque les bêtes les plus craintives
-se laissaient prendre à la main, les truites
-même.</p>
-
-<p>Je doute, se disait Ondicola, que, placée
-de bonne heure dans une contrée aussi
-vierge, une famille humaine, même la nôtre,
-si encline à la débauche, se fût corrompue.
-O pays idéal! Terre qui attend son premier
-couple!</p>
-
-<p>Plus de trente fois depuis leur départ le
-soleil s'était levé sur Ondicola et ses compagnons.
-Une tristesse infinie s'étendait sur le
-c&oelig;ur du capitaine, cependant qu'il voyait
-venir le temps de rejoindre l'<i>Eskualdunak</i>.</p>
-
-<p>Il ne le fit qu'à pas lents. Mais lorsque,
-au soixante-dixième jour, il arriva en vue
-du navire et du campement, l'acte formidable
-qu'il allait accomplir avait pris corps
-dans sa volonté.</p>
-
-<p>L'<i>Eskualdunak</i> se balançait indolemment
-sur son ancre ; son équipage était en liesse.</p>
-
-<p>Durant les deux mois qui venaient de
-s'écouler, la dépravation de ces gens demeurés
-sédentaires avait atteint son comble.
-Ondicola éprouva la sensation d'un homme
-qui, d'une cime vivifiée par l'air le plus pur,
-chuterait dans un cloaque.</p>
-
-<p>Si dénué qu'il se montrât de toute morale,
-il imposait aux siens une sorte de crainte
-et d'ordre dans le désordre. On le savait
-désireux d'être obéi ; prompt à infliger une
-sanction et, plus d'une fois, il n'avait pas
-hésité à brûler la cervelle à des mutins.</p>
-
-<p>Il constata que sa petite colonie avait
-tout à fait perdu l'équilibre. Les gynécées,
-mêlés entre eux, avaient changé de maîtres.
-Et bien que, craignant la mort, la favorite
-d'Ondicola s'employât à lui prouver
-qu'elle lui était demeurée fidèle, il s'aperçut
-bien vite qu'elle le trompait.</p>
-
-<p>Le mal dont il souffrait se fit plus aigu
-sous sa tente, une nuit que, ne parvenant
-pas à prendre le sommeil, il entendait au
-loin le bruit des violons et des flûtes exaspérer
-jusqu'à la folie les sens de l'équipage.</p>
-
-<p>L'illusion qu'il avait longtemps entretenue
-d'établir, dans la dissolution même,
-une sorte de règle, basée sur la notion du
-beau, se dissipait.</p>
-
-<p>Trop de vices s'étaient insinués même
-parmi ces adolescents et adolescentes qu'il
-avait longtemps préservés.</p>
-
-<p>Un contraste insultait à cette dépravation :
-ce vierge pays qu'il venait de parcourir,
-ses sommets fiers et doux qui font
-un second ciel à la vallée.</p>
-
-<p>Il se souvint alors que, depuis son retour,
-il n'avait aperçu ni Iguskia ni Ithargia.</p>
-
-<p>Sans doute eux aussi avaient-ils sombré
-dans cette décadence, s'étaient-ils cachés
-des yeux du maître que, du moins, ils respectaient
-encore.</p>
-
-<p>Renonçant à dormir, il sortit. L'orgie
-avait fait silence. Tout semblait au repos.
-Il se garda bien de se rapprocher de son
-harem qui, là-bas, se profilait sous la lune.
-A quoi bon accroître son dégoût? Il savait
-bien qu'une visite à l'impromptu ne lui eût
-réservé que déboires. Que lui importait
-d'ailleurs le mensonge de ces femmes?</p>
-
-<p>Il se trouva sur la grève déserte, à deux
-heures du matin, lorsque courent des frissons
-d'argent sur la mer qui n'a qu'un doux
-clapotement.</p>
-
-<p>Au milieu d'un semis d'étoiles, Phébé
-était une perle incrustée dans la nacre
-du ciel. A quelque deux cents mètres se
-dressait la tente d'Iguskia et, plus loin, à
-une distance égale, celle d'Ithargia. De
-chacune sortit une ombre.</p>
-
-<p>Le jeune homme et la jeune fille s'abordèrent
-à la limite du flot et se donnèrent la
-main. Ondicola, dissimulé par les rochers,
-les épiait curieusement.</p>
-
-<p>Ils longeaient la rive, s'arrêtaient parfois,
-élevaient leurs charmants visages dans l'air
-vif et salé. Les lignes de leur corps, modestement
-vêtus, ne se déplaçaient que suivant
-une grâce calme, d'autant plus sûre d'elle-même
-qu'elle s'ignorait. Pas un mot, pas un
-soupir, pas un murmure ne montaient
-d'eux. Mais il semblait s'exhaler vers Dieu,
-de ces deux corolles vierges, un immortel
-parfum, l'essence même de ce que l'amour
-peut donner de plus pur en ce monde.</p>
-
-<p>Ondicola retenait son souffle. Son c&oelig;ur
-battait à peine, d'où s'envolait une prière
-confuse et muette vers ces bois récemment
-découverts où il avait vécu les plus belles
-heures de sa vie.</p>
-
-<p>II lui semblait qu'il n'eût eu qu'à se saisir
-de ces deux enfants de lumière, et à les déposer
-dans cette région bénie qu'il avait
-entrevue, pour que leur race s'y étendît à
-jamais comme les arceaux renaissants d'un
-verger aveuglant de fleurs.</p>
-
-<p>La radieuse vision s'éteignit avec l'aurore
-ou, plutôt, sembla résorbée, quand Iguskia
-et Ithargia se séparèrent.</p>
-
-<p>Ondicola les vit lentement remonter chacun
-à sa tente, sans qu'ils se fussent davantage
-parlé ou touché.</p>
-
-<p>Il ne restait plus d'eux qu'un souvenir,
-de roses bues par l'azur, dans la phrase
-interminable et doucement heurtée de la
-mer.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Lorsque Ondicola retrouva sa couche, le
-soleil brillait. Il put prendre du repos jusqu'à
-midi sans être énervé par les échos de
-la saturnale qui avaient mis en fuite son
-sommeil. De tristes tableaux ne hantèrent
-plus son imagination. Bien au contraire, ce
-fut la promenade étoilée d'Iguskia et d'Ithargia
-qui enchanta ses rêves.</p>
-
-<p>Quand il s'éveilla, sa résolution, était
-prise.</p>
-
-<p>Il manda des hérauts auxquels, avec
-un singulier accent d'autorité qu'il semblait
-avoir laissé faiblir depuis son retour, il ordonna
-d'annoncer à son de trompe que l'équipage
-eût à se grouper sur l'<i>Eskualdunak</i>.
-Il prescrivit en outre que les femmes et les
-hommes s'y rendissent dans leurs plus
-beaux atours ; que toutes les oriflammes
-fussent déployées aux cordages et aux mâts,
-que les musiciens fissent entendre, au moment
-qu'il en donnerait le signal, l'hymne
-le plus languide et le plus amoureux.</p>
-
-<p>Personne ne manqua à l'appel. Tout le
-monde fut sur le pont, excepté Iguskia et
-Ithargia qu'Ondicola fit sagement s'asseoir
-en face du navire, assez loin sur la plage.</p>
-
-<p>Il monta le dernier à bord.</p>
-
-<p>Lorsque les femmes se furent épanouies
-de toute leur beauté sous leurs éventails
-d'autruche ; lorsque le dernier soupir de
-l'orchestre se fut tu dans la splendeur du
-soleil qui déclinait sur la mer :</p>
-
-<p>&mdash; Orientaux, et vous, Orientales, leur dit-il,
-fils et filles de la Volupté! J'ai compris,
-après avoir exploré le pays d'alentour, ce
-qui vous en sépare. Il est temps de lever
-l'ancre. Mais en deux mois vous avez rendu
-la colonie si intéressante que je descends à
-fond de cale pour y chercher l'ordre du
-jour dont vous êtes dignes. Je vais vous le
-dire. Attendez-moi.</p>
-
-<p>Ondicola disparut. Il entra dans la soute
-et mit le feu aux poudres.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch2">FONDATION DU PREMIER FOYER</h2>
-
-
-<p>Iguskia et Ithargia n'éprouvèrent pas la
-moindre émotion en voyant tout à coup
-s'abîmer dans les flots la galante galère.
-Mais ils rirent, car leurs c&oelig;urs étaient
-neufs.</p>
-
-<p>Cet embrasement sonore, qui précéda
-le plongeon de l'<i>Eskualdunak</i>, les amusa
-comme d'un feu d'artifice. La mer immense
-s'était refermée sur les victimes.</p>
-
-<p>Depuis trois ans qu'Ondicola les avait enlevés
-à leur plateau pastoral et mêlés à son
-équipage, il leur était apparu tel qu'un maître
-assez sévère, mais bon. Jamais ils n'avaient
-eu de peine à le comprendre, car sa
-langue était la leur, cette mystérieuse langue
-basque.</p>
-
-<p>La plupart des souvenirs qu'Iguskia et
-Ithargia eussent pu conserver touchant
-la religion de leurs familles, amies l'une
-de l'autre, s'étaient effacés. Mais ils possédaient
-une vertu naturelle qu'Ondicola
-s'était plu à respecter et à cultiver jusqu'à
-prendre la tragique détermination dont il
-fut la première et volontaire victime. Il
-avait craint que, plus tard, ces enfants ne
-fussent gagnés par l'abomination de ceux
-qu'ils eussent fréquentés davantage.</p>
-
-<p>Cette perspective lui était devenue d'autant
-plus insupportable, dès là qu'il avait
-saisi l'harmonie qui coexistait entre les
-vertus d'une contrée vierge, inhabitée, et
-celles qui étaient innées à Iguskia et à
-Ithargia.</p>
-
-<p>Ceux-ci, tournant le dos à l'océan où venait
-de sombrer l'<i>Eskualdunak</i>, s'en allèrent prendre
-ou vêtir, chacun dans sa tente,
-quelques manteaux de laine qui les préservassent
-d'une fraîche brise soufflant du
-golfe.</p>
-
-<p>Ils se réunirent ensuite pour leur repas
-du soir. Sous les abris nombreux des
-courtisanes qui maintenant reposaient au
-sein des flots, des aliments singuliers traînaient
-parmi les bijoux et les toilettes. De
-ces toilettes et de ces bijoux, qu'eussent fait
-ces deux antiques Robinsons? N'ayant
-point trouvé là ces nourritures simples
-qu'ils aimaient, ils les allèrent prendre dans
-la tente d'Ondicola.</p>
-
-<p>Après dîner, Iguskia et Ithargia se séparèrent ;
-chacun regagna sa tente ayant
-pris rendez-vous pour le lendemain.</p>
-
-<p>Ils furent debout dès l'aube et gagnèrent
-le sommet des dunes, couverts des mêmes
-tuniques de laine qu'ils portaient la veille.
-Mais Iguskia avait jeté sur l'épaule, en prévision
-des nuits qu'ils auraient à passer en
-plein air, deux sacs d'une souple fourrure,
-empruntée sans doute aux chèvres de la
-Mongolie. Il emportait aussi son coutelas,
-et, dans un sac de cuir, des champignons
-desséchés et le silex avec quoi on les allume.</p>
-
-<p>Ils remontèrent vers le sud-est, choisissant
-cette même voie tracée par la Nive
-dans laquelle s'étaient engagés naguère
-Ondicola et ses quatre compagnons.</p>
-
-<p>Le passage de ceux-ci était encore marqué
-çà et là par des coupes de fougères et de
-branches.</p>
-
-<p>En moins de deux mois Iguskia et
-Ithargia parvinrent, sans grand effort, au
-gré d'une flânerie charmante, sur les lieux
-où s'élève aujourd'hui l'ombreux et lumineux
-village d'Itxassou. Là, ils cessèrent de
-remonter l'affluent de l'Adour, poursuivirent
-au nord-est vers Macaye et Mendionde,
-sans y être autrement poussés que par
-l'attrait de ces vallées heureuses que protègent
-de leurs remparts l'Ursuya et le
-Baygura.</p>
-
-<p>Comme Ondicola et ses compagnons, ils
-se nourrissaient de truites qui abondaient
-dans les moindres ruisseaux, et de gibier
-facile à prendre à la main. Une racine,
-celle de l'asphodèle, dont Pline nous apprend
-que, cuite sous la cendre, elle donne
-un excellent pain, leur fut une ressource.
-Ils avaient connu, dans leur pays natal,
-l'utilité de cette même plante qui croît
-en abondance dans les landes du pays basque.
-On voit, au printemps, ses quenouilles
-jaspées filer l'air bleu qui les charge. Des
-mûres et, plus tard, les fruits du néflier dont
-la branche flexible et dure fournit à Iguskia
-le premier makhila, leur furent un
-dessert agréable.</p>
-
-<p>&mdash; Si, observait Jacob Meyer, le calcul est
-juste de ceux qui, parmi les miens, ont scruté
-avec le plus de soin les archives de cette
-histoire, Iguskia et Ithargia se seraient
-trouvés aux grottes d'Isturitz vers l'été de
-la Saint-Martin de la même année. Ces
-grottes, vous m'avez dit les connaître, mon
-cher poète, et vous avez bien de la chance,
-car on les dit extrêmement riches en
-ossements, sculptures et armes préhistoriques.
-Les propriétaires sont intraitables
-sur le point de les laisser visiter, et ils ont
-préposé, à l'entrée, un cerbère vraiment infernal
-qui ne le cède en rien à ses ancêtres
-de l'âge de pierre. J'ai causé avec lui, et il
-paraît tout disposé à assommer quiconque
-oserait s'aventurer dans cette caverne,
-sans l'autorisation la plus formelle.</p>
-
-<p>&hellip; Et vous seul, m'a-t-on rapporté, l'auriez
-obtenue?</p>
-
-<p>&mdash; C'est-à-dire, répondis-je, qu'une très
-vieille amitié lie ma famille à celle de
-M. Passerose, qui est en possession de ce
-très curieux document d'histoire humaine
-et de géologie. Il est vrai que, à part moi,
-je ne sache personne, sinon Pierre Loti, qui
-a fort bien décrit Isturitz, en faveur de qui
-l'on ait fait exception. Je suis le conservateur
-d'une des clefs de la solide grille
-d'entrée. M. Passerose me la confia, voici
-deux ans, avant son départ pour l'Abyssinie
-dont il ne reviendra pas de sitôt. J'ai vu
-là, de sa part, à mon endroit, une grande
-marque de confiance. Mais je n'ai guère
-profité de la permission que me confère
-la garde de cette clef dont le cerbère, que
-vous avez l'air de connaître, possède le
-double.</p>
-
-<p>&mdash; Alors&hellip; même en vous suppliant?</p>
-
-<p>&mdash; J'ai compris, insistai-je, que M. Passerose
-ne m'a choisi, entre ses plus intimes,
-que parce qu'il compte bien que j'observerai
-son inflexible consigne.</p>
-
-<p>&mdash; Orphée, conclut en souriant le vieux
-Juif, sans que je comprisse très bien alors
-son allusion, avait ému les rochers mêmes
-de l'Enfer&hellip;</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Iguskia captura à Isturitz beaucoup de
-palombes. Celles-ci, venant de loin, étaient
-farouches et filaient haut. Mais, dissimulé
-dans un chêne, il réussissait à les faire descendre
-en leur lançant des bâtons qui imitaient
-le vol du milan. Les Basques les
-prennent encore ainsi.</p>
-
-<p>Lui et Ithargia passèrent l'hiver à l'entrée
-de ces cavernes, sans se douter que les
-chasseurs de l'âge de pierre les avaient habitées.
-Nul vestige humain autour d'eux,
-sinon, à quoi ils ne prêtaient nulle attention,
-des haches et des flèches qui témoignaient
-d'une barbarie de chasseurs qui s'étaient
-tenus sur la défensive. Mais ceux-ci avaient
-si bien disparu depuis si longtemps, qu'à
-part les oiseaux de passage toute la faune
-était redevenue familière comme aux jours
-premiers de la création.</p>
-
-<p>Jusqu'au printemps de l'année qui suivit,
-Iguskia et Ithargia restèrent dans ces
-parages.</p>
-
-<p>Quand reparut le mois de mai, leurs
-c&oelig;urs s'emplirent d'amour à tel point qu'il
-semblait à l'un que les battements du
-sien eussent lieu dans celui de l'autre. Mais
-cette ivresse ne troubla point encore leurs
-corps dissimulés sous les blanches toisons,
-comme des sources sous la neige.</p>
-
-<p>Ils assistaient à la fête nuptiale que le
-renouveau fait plus gracieuse et plus grandiose.
-Tantôt ils voyaient deux fauvettes se
-fuir en se rapprochant sur une branche
-trop flexible, tantôt ils regardaient s'allonger
-l'un vers l'autre, et se rejoindre dans
-une combe, deux fleuves de brume d'où
-émergeait la cime découpée des bois.</p>
-
-<p>Quand les fortes chaleurs sévirent, ils se
-baignaient sous les feuillages de la rivière
-qui, de nos jours, porte le nom de Joyeuse.
-Et c'est ainsi que, de branche en branche,
-ils atteignirent le coteau d'Ayherre, non
-loin du futur Hasparren. La clémence des
-nuits leur permettait maintenant de dormir
-en plein air dans leurs fourrures.
-Ce fut par un torride jour d'or que la Providence
-décréta que la race bienheureuse,
-la race basque, naîtrait de ces deux Robinsons,
-prendrait racine en eux comme une
-vigne au flanc d'une belle colline.</p>
-
-<p>Une ruine surplombe aujourd'hui le bourg
-d'Ayherre et toute la contrée environnante,
-restes d'un château dont Albert Dürer se fût
-inspiré, car ils se confondent avec la lèpre
-même du lierre qu'ils opposent au soleil.</p>
-
-<p>Cette redoute seigneuriale, fréquentée
-des oiseaux de proie, porte le nom de
-Belzuncia. C'est sur l'aire de Belzuncia, qui
-ne devait être édifié que bien des siècles
-après, qu'Iguskia et Ithargia, au mois de
-juillet, se trouvèrent en présence d'un tapis
-dont les plus radieuses soieries qu'ils
-avaient vues sur l'<i>Eskualdunak</i> n'approchaient
-point.</p>
-
-<p>Ce tapis vivait, car c'était un champ de
-froment. Ensemencé par qui? Nul ne l'a
-jamais su. Mais il suffit d'un coup de
-foudre sur une terre intègre, et d'une
-graine apportée par le vent, pour que, d'année
-en année, se multiplie la moisson
-comme sur l'échiquier du conte arabe.</p>
-
-<p>Iguskia et Ithargia en furent si éblouis
-qu'ils s'assirent pour contempler plus à
-l'aise la merveille. Chaque épi barbelé
-amenuisait la lumière bleue où criaient les
-cigales. Iguskia et Ithargia ressentirent
-que dans la béante profondeur il y avait
-Quelqu'un. Leur amour éclatait dans un
-plus grand Amour. Ils comprirent que dans
-cette splendeur visible, et au delà, Dieu est.</p>
-
-<p>En face de cette Présence qui les illuminait
-comme le soleil les coquelicots à la lisière
-du champ tout allumé de cerises sauvages,
-ils prirent le ciel à témoin de leur
-union.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch3">LA GÉNÉALOGIE</h2>
-
-
-<p>Ithargia donna un fils à Iguskia. Le second
-des enfants fut une fille qui mourut
-à deux ans, et c'est ainsi qu'ils connurent
-la douleur.</p>
-
-<p>Cette petite étant tombée malade, sa
-mère pensa la relever de son abattement,
-ainsi qu'elle faisait à l'ordinaire, en lui
-présentant quelque fleur. Celle-ci était bien
-du pays basque. Qu'elle ressemblait peu aux
-corolles de l'Asie, somptueuses sans doute,
-mais dont les couleurs et les nectars trop
-violents fatiguent! Ce fut une digitale pourprée,
-dont les cloches, à l'intérieur ponctuées
-comme des pulpes d'abricot, tamisent
-une lumière d'aube.</p>
-
-<p>Dans la cabane qu'Iguskia avait construite
-avec des branches, des pierres et de
-l'argile, l'enfant, étendue sur une peau d'agneau,
-agonisa doucement. Bientôt elle n'eut
-plus la force de tenir ni même de regarder
-la plante que sa mère lui avait donnée.</p>
-
-<p>Elle mourut, bercée par le bourdonnement
-des abeilles qui s'échappaient du toit
-comme les braises d'un incendie. Quand elle
-fut muette, immobile et refroidie, Iguskia et
-Ithargia se mirent à genoux devant sa couche.
-Et leur prière, faite de sanglots, monta
-vers Celui qu'ils avaient pressenti dans la
-lumière de bluet de leurs fiançailles.</p>
-
-<p>Iguskia ensevelit au pied d'un cerisier
-sauvage son enfant dont l'âme, aux jours
-en feu, semblait crier par les voix des cigales.</p>
-
-<p>C'est ainsi que les Robinsons basques surent
-ce qu'était la mort qu'ils n'avaient
-jusque-là connue que chez les animaux et
-les arbres, la mer leur ayant caché les cadavres
-d'Ondicola et de ses compagnons.</p>
-
-<p>Ithargia souhaitait de ravoir une autre
-petite fille, mais Dieu ne lui envoya plus
-que des garçons qui naquirent à peu d'intervalle
-les uns des autres.</p>
-
-<p>Ils étaient au nombre de six quand leur
-mère, à peine plus jeune que le père, entra
-dans sa vingt-cinquième année. Sans l'ombre
-légère qui s'étendait sous le cerisier, le
-foyer n'eût été que joie.</p>
-
-<p>La culture était facile autour de la
-fruste habitation, le blé repoussait de lui-même,
-comme encore au bord du Nil.
-Iguskia l'égrenait, le lavait, le broyait, et
-Ithargia le pétrissait et le cuisait.</p>
-
-<p>Leur basse-cour s'était formée toute seule
-d'oiseaux, comme de coqs de bruyère et de
-tourterelles, qui venaient y picorer, et de
-biches gracieuses et de faons et de lapins
-et de lièvres.</p>
-
-<p>Jamais ils ne songèrent à quitter cet éden,
-car, à mesure que grandissaient les six garçons,
-à qui ils enseignaient la primitive langue
-basque et les travaux familiers, ils
-s'attachaient davantage au sol qu'ils avaient
-consacré avec la mort.</p>
-
-<p>Les trois aînés accusaient un goût plus
-particulier pour la pêche et la capture des
-palombes. Il leur arrivait de ne rentrer au
-foyer qu'après des excursions de plusieurs
-jours à travers bois. C'est ainsi qu'en suivant
-la Nive et l'Adour, refaisant en sens
-inverse le chemin autrefois parcouru par
-Iguskia et Ithargia, ils atteignirent la plage
-même devant laquelle, vingt ans plus tôt,
-avait sombré l'<i>Eskualdunak</i>.</p>
-
-<p>C'est là qu'ils s'endormirent un soir, lassés
-de leur longue marche, et par une nuit
-aussi sereine que celle durant laquelle leurs
-père et mère, adolescents, avaient laissé
-leur pur amour paraître aux yeux d'Ondicola
-ravi.</p>
-
-<p>Ces trois frères étaient d'une grande
-beauté : le plus âgé comptait vingt ans
-alors, à peine un peu moins les deux autres.
-Ils se nommaient Zoardia, Aritza et Sua.</p>
-
-<p>Zoardia et Aritza étaient à peu près du
-même type, souple et brun, aux cheveux un
-peu crépus et durs, aux yeux bridés et placés
-presque sur les tempes, l'allure si leste
-qu'on les eût dits toujours prêts à bondir.
-Sua était un peu gros et blond, avec d'étranges
-yeux glauques très obliques et perçants ;
-d'une taille aussi élevée que ses frères, mais
-qui paraissait moindre, à cause du développement
-du torse ; ses épaules étaient
-étroites. Il ne le cédait en rien aux deux autres
-pour l'agilité, soit qu'ils exécutassent
-des danses que leurs parents leur avaient
-apprises de l'Asie, et pour lesquelles ils se
-paraient de plumes, de minéraux brillants
-et de fleurs, et qu'ils accompagnaient d'un
-fifre de roseau ; soit qu'à de longues distances
-ils se lançassent et se renvoyassent
-des projectiles ronds, faits de lames de cuir
-avec un noyau de silex.</p>
-
-<p>Donc Zoardia, Aritza et Sua s'étaient endormis
-sur la plage.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p class="top4em">&mdash; Ici, observa le narrateur Jacob Meyer,
-qui n'hésitait jamais, paraissait connaître
-par c&oelig;ur la légende basque, et ne faisait
-appel qu'à de rares notes, je me trouve
-fort embarrassé. Il me faudrait vous soumettre
-le manuscrit qui est à Aix, chez un
-mien neveu, qui en est fort avare. En effet,
-tout le passage suivant est écrit dans la même
-langue, mais en vers heptamètres, et
-constitue une sorte de nocturne.</p>
-
-<p>Ce chant commence après que Zoardia,
-Aritza et Sua viennent de s'assoupir sur
-cette arène d'où leurs parents partirent
-pour gagner les vallées de la Nive et de la
-Joyeuse. Ma mémoire n'est pas telle que
-j'en aie pu conserver les nuances, n'ayant
-point ce don qui est vôtre. Vous n'aurez donc
-qu'un faible écho du génie d'un koblari<a id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">[1]</a>
-lointain qui mêla sans doute sa propre inspiration
-aux documents laissés dans un rocher
-par Ondicola, et à ceux que nous ont
-transmis les premiers foyers qui s'allumèrent
-aux flammes de l'<i>Eskualdunak</i>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_1" href="#FNanchor_1"><span class="label">[1]</span></a> Improvisateur basque.</p>
-</div>
-<p>Voici le récit de ce barde et comme il
-s'enchaîne à ce qui précède.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch4">FORMATION
-DES PRINCIPAUX COUPLES</h2>
-
-
-<p>Il y avait six jeunes filles dans une contrée
-d'Asie, plus belles les unes que les
-autres, longues et gracieuses comme les
-feuilles de l'iris.</p>
-
-<p>Et lorsqu'elles riaient, on eût dit d'une
-averse de grêlons dans des roses vermeilles.</p>
-
-<p>Toutes étaient brunes, toutes avaient les
-bras en arc, et leurs longues jambes rivalisaient
-de vitesse à la poursuite des chèvres
-égarées, car elles appartenaient au
-peuple pastoral.</p>
-
-<p>L'une avait vingt ans et les autres dix-neuf,
-dix-huit, seize, quatorze et quinze.</p>
-
-<p>Un prince, frère d'Ondicola, les avait
-aperçues en chassant, et il s'en était épris tellement
-qu'il avait demandé de les mettre
-dans les jardins de son palais à leurs parents
-qui avaient consenti.</p>
-
-<p>Il espérait bien d'en faire ses femmes.
-Mais elles étaient si belles, quand elles se
-penchaient hors de leurs pavillons de roses,
-qu'il n'osa les approcher.</p>
-
-<p>Et il tomba malade, comprenant qu'il
-est vain de poursuivre un amour dont on
-ne se sent pas digne.</p>
-
-<p>Lorsqu'il les considérait, il était comme
-un homme qui n'ose porter à ses lèvres la
-coupe, tant elle exhale un parfum enivrant.</p>
-
-<p>Durant six mois qu'aux portes de son
-harem elles furent ses prisonnières, il les
-fit combler de faveurs et de soins. Et le respect
-qu'il témoignait à leurs grâces était tel
-que, de la partie du bosquet où elles se baignaient,
-il était défendu de s'approcher
-sous peine de mort. Et lui, tout le premier,
-observait sa consigne.</p>
-
-<p>Mais il continuait de dépérir. Il consulta
-les sages qui guérissent avec des simples,
-mais ils lui déclarèrent qu'il n'était nul
-philtre qui pût venir à bout de son mal, et
-que le seul remède était, ou bien de s'exiler
-soi-même, ou de renvoyer ces beautés.</p>
-
-<p>Il opta pour ce dernier moyen, et les six
-jeunes filles retournèrent à leur plateau natal,
-le même où Iguskia et Ithargia avaient
-vu le jour.</p>
-
-<p>Mais son agonie continua, parce que,
-la nuit, le parfum des fleurs lui semblait
-être celui des bien-aimées, apporté par la
-brise. Il songea à s'expatrier, mais la dynastie
-des Ondicola le supplia de n'en rien
-faire, lui représentant que son frère avait
-mystérieusement disparu, il y avait un
-quart de siècle, avec l'<i>Eskualdunak</i>.</p>
-
-<p>Il resta, mais il résolut de donner la mort
-à celles qui l'empêchaient de vivre, et dont
-il n'aurait pu supporter qu'elles appartinssent
-à quiconque.</p>
-
-<p>Sur son ordre une galère appareilla &mdash; ainsi
-en avait décidé son frère jadis de
-l'<i>Eskualdunak</i>. Mais le luxueux équipage
-n'était, ici, que des six vierges.</p>
-
-<p>Néanmoins il para le navire de roses.
-Il en fit un jardin suspendu sur la
-mer. Il l'emplit d'autant de merveilles qu'en
-avait connu le vaisseau de son frère,
-et il fit peindre sur la coque ce mot :
-<i>Amodioa</i>.</p>
-
-<p>Puis, ayant fait s'embarquer les jeunes
-filles, il les abandonna seules, sans pilote,
-au gré des vents.</p>
-
-<p>Mais de ceux-ci, le plus doux, le Zéphire,
-s'étant épris de la plus jeune, ne cessa
-de souffler avec douceur dans la voilure, si bien
-que la navigation ne fut pas le moins
-du monde mouvementée ; que les passagères
-purent descendre sans peine sur
-diverses plages, s'y approvisionner, et
-continuer leur voyage aussi facilement que
-si elles avaient eu, pour les conduire, le patron
-des nautoniers.</p>
-
-<p>Ainsi, et plus d'un an, elles naviguèrent
-sans que les récifs entamassent les flancs de
-l'<i>Amodioa</i>. Elles étaient plus gracieuses
-que jamais, tannées par l'embrun, dorées
-par les soleils, quand elles ressentirent les
-traits du dieu qui ne pardonne pas. Il souleva
-leurs seins comme des voiles, et, maintenant,
-elles tendaient leurs mains vers l'inconnu.</p>
-
-<p>Par une calme nuit l'<i>Amodioa</i> entra dans
-la baie de Biscaye, toujours poussé par le
-vent qui ne cessait de caresser les cheveux
-de la cadette.</p>
-
-<p>Mais les mortelles aux Immortels préfèrent
-les mortels.</p>
-
-<p>Et c'est en vain que Zéphire étendit
-l'éventail de ses pennes au-dessus de celle
-qu'il chérissait. Lorsqu'elle fut descendue à
-terre avec ses s&oelig;urs, il comprit qu'elle était
-désormais perdue pour lui. Et, jaloux, il fit
-appel à Borée qui coula le navire aussitôt.</p>
-
-<p>Ainsi, l'un avec son équipage dont Iguskia
-et Ithargia avaient été réservés &mdash; l'autre
-sans ses passagères, &mdash; à plusieurs
-années de distance, l'<i>Eskualdunak</i> et
-l'<i>Amodioa</i> subirent, par des moyens différents,
-le même sort.</p>
-
-<p>Le Destin suivait son plan.</p>
-
-<p>L'embellie revint après cette tempête
-qui n'avait point altéré le visage des jeunes
-filles qui s'étaient endormies.</p>
-
-<p>La première, qui s'éveilla en bâillant et
-en étirant ses bras ronds, ne s'émut pas davantage
-de ne plus apercevoir le bateau
-qui les avait longuement promenées, puis
-déposées enfin sur cette nouvelle plage.
-Elles étaient, toutes les six, des païennes
-pour qui le passé compte à peine, l'avenir
-pas du tout, le présent seul. Maintenant,
-debout et radieuses, hors de leurs légères
-couches improvisées, elles écoutaient les
-chansons du golfe et leurs bouches et leurs
-c&oelig;urs avaient faim.</p>
-
-<p>A travers l'ombre épaisse de leurs cils,
-leurs regards glissèrent vers les trois jeunes
-hommes qui les aperçurent et vinrent vers
-elles avec des fraises, des cerises, du fromage
-de biche et du pain. Elles mangèrent
-en riant, et, dans la joie et l'espoir de
-l'amour, elles les suivirent quand ils s'en
-retournèrent chez eux.</p>
-
-<p>Ici, me fit observer Jacob Meyer, en compulsant
-un cahier, la prosodie s'interrompt,
-et le récit reprend son cours naturel en
-langue vulgaire jusqu'au deuxième chapitre.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p class="top4em">Ces belles créatures s'unirent aux six
-frères dont le plus jeune comptait environ
-dix-huit ans.</p>
-
-<p>Iguskia et Ithargia moururent nonagénaires,
-laissant une postérité si nombreuse
-que déjà elle formait la colonie de Hasparren.</p>
-
-<p>C'est ainsi que, soustraite à la civilisation
-corrompue de l'Orient, rattachée à une
-sorte de morale naturelle que fortifia la
-saine et pure solitude d'un pays en équilibre,
-la race basque fut fondée.</p>
-
-<p>Sans effort, comme Iguskia et Ithargia,
-les merveilleuses jeunes femmes s'adaptèrent
-à cette simple vie, toute faite de tâches
-faciles, et d'un amour sans mélange qui de
-lui-même proscrivait la polygamie. Aux
-nectars lydiens, tout de suite elles préférèrent
-l'eau qui stille des rochers d'Ursuya.</p>
-
-<p>Les deux ancêtres furent ensevelis à
-Ayherre, non loin du lieu où reposaient leur
-unique petite fille et tous ceux qui, dans la
-suite, trépassèrent avant eux.</p>
-
-<p>Ils transmirent à leur lignée une sorte de
-culte des cieux, mi-spirituel, mi-matériel,
-dont on retrouve la trace encore dans les
-signes des pierres tombales actuelles.</p>
-
-<p>Bien avant la conquête romaine, des
-groupes familiaux, dérivant de cette souche
-primordiale, se formèrent çà et là. Les
-trois fils aînés, Zoardia, Aritza et Sua, occupèrent
-le premier le Labourd, le second ce
-qui devait être la Basse-Navarre et le troisième
-la Soule. D'autres, parmi les cadets,
-se fixèrent en Espagne, dans l'actuel Guipuzcoa,
-où ils trouvèrent un peuple mauresque
-habile à corroyer, auquel ils ne s'unirent
-jamais, qu'ils méprisèrent, mais dont
-les instruments et méthodes les initièrent
-à une industrie qui se continue, et qui leur
-permit encore de se perfectionner dans
-l'agriculture et l'élevage. Ils en instruisirent
-ceux de leurs parents qui n'avaient
-point quitté la terre natale, quand ils les y
-allaient voir, et c'est ainsi que se développa
-rapidement, chez les uns et chez les autres,
-le génie commercial qui appartient au pays
-basque.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch5">LE JOUR ET LA NUIT A ASCAIN</h2>
-
-
-<p>J'ai une excellente nouvelle à vous annoncer,
-me dit Jacob Meyer peu de
-jours après qu'il eut fini de me narrer, en
-s'aidant du peu de notes que l'on sait, la
-première partie de la légende basque. Le
-légataire de notre manuscrit familial, ce
-neveu dont je vous ai parlé, qui habite Aix,
-va descendre sous peu chez moi. Il doit examiner,
-à Biarritz, le projet d'adduction
-d'eaux salées que l'on a découvertes à
-Briscous, et dont il voudrait se rendre concessionnaire.
-Mais n'allez pas croire que ce
-fils de mon frère aîné, encore qu'il soit sorti
-le premier de l'Ecole Centrale, dédaigne la
-poésie. Il est parfaitement digne d'être le
-gardien de notre trésor, bien que je vous aie
-déclaré qu'il ne tient pas à le communiquer.
-Je lui ai écrit de vous ; il apprécie, autant
-que je les prise, vos &oelig;uvres, et, sachant que
-vous vous êtes intéressé à la légende basque,
-il consent à nous en apporter le texte tout
-entier. Que ce second chapitre, où nous en
-sommes, soit ou non une interpolation, il
-est souvent conçu dans cette forme lyrique
-dont nous fournit un exemple le passage
-qui a trait à l'histoire des six jeunes filles,
-dont chacune épouse l'un des fils d'Iguskia
-et d'Ithargia. Vous vous souvenez qu'à ce
-moment j'étais navré de n'avoir pas le manuscrit
-original, et de ternir les nuances de
-cet épisode, déjà affaiblies par la traduction
-du basque au français. Il ne faut plus qu'il
-en soit de même. Je parle d'interpolation :
-il est certain que brusque est le saut qui, du
-foyer primitif, nous introduit dans une Eskuarie
-christianisée, encore que je ne doute
-point que votre religion n'ait pénétré dans
-cette partie de la Gaule dès le voyage de
-saint Saturnin. Une poétique fontaine, située
-sur le bord de l'antique route qui joignait
-Hasparren à Alphat-Hôpital, porte le nom
-de cet apôtre envoyé par saint Pierre. Mais
-cela ne veut pas absolument dire que l'&oelig;uvre
-ne soit pas d'un seul poète, qui a pu
-l'écrire à l'aide de très antiques documents
-attribués au premier Ondicola et de récits
-recueillis çà et là chez les koblaris. Que des
-professionnels débrouillent l'écheveau de la
-vérité! Quant à nous, il ne nous importe
-que de le tenir bien en main en admirant
-ses variations infinies. Peu nous chaut que,
-dans une chevelure toute ruisselante d'or,
-quelques cheveux aient été emmêlés par
-une folle brise.</p>
-
-<p>Je marquai toute ma reconnaissance à
-Jacob Meyer de ce qu'il m'avait admis à la
-confidence de cette sorte de romancero dont
-je consignais par écrit le moindre fragment
-dès que je me retrouvais seul avec moi-même,
-et le félicitai de l'élégance de sa
-traduction.</p>
-
-<p>Je n'attendais plus que la venue du
-Juif aixois, et je me trouvai là précisément
-lorsqu'il arriva chez son oncle qui le bénit
-en l'appelant Eliézer.</p>
-
-<p>C'était un homme de trente ans dont on
-ne pouvait dire qu'il manquât de race, quoique
-son profil fût d'un dromadaire dont
-le front serait couronné, et la joue encadrée
-d'un astrakan blond. Ses yeux avaient la
-couleur de liards devenus verts à toutes les
-intempéries. Il portait un vêtement de confection,
-qui n'eût présenté rien d'étrange
-sans une musette de soldat, passée en bandoulière,
-et dont il me dit qu'elle contenait
-le fameux manuscrit et ses instruments de
-minéralogiste.</p>
-
-<p>Il m'avisa que, le lendemain, il désirait
-se rendre à Ascain pour assister à une importante
-partie de pelote.</p>
-
-<p>Voulant dès l'abord me montrer aimable,
-je lui offris, ainsi qu'à son oncle, de me
-joindre à eux, mettant à leur disposition
-une voiture qui nous emmènerait de Bayonne,
-conduite par mon loueur habituel.
-Jacob Meyer se récusa, mais engagea son
-neveu à accepter, qui d'ailleurs ne se fit
-point prier.</p>
-
-<p>Je le pris donc avec moi, et tandis que
-nous roulions vers le but en traversant les
-délicieux trumeaux émaillés que sont les
-villages du Labourd, notre conversation ne
-tarit pas sur la légende basque. Eliézer
-Meyer connaissait à fond la langue de ce
-pays où il était né quand son père était
-officier d'administration à la forteresse de
-Bayonne.</p>
-
-<p>&mdash; Oui, disait-il, elle est vraiment belle,
-n'est-ce pas, cette légende d'Ondicola que
-nous gardons aussi précieusement qu'Aladin
-sa lampe merveilleuse? Et vous dirai-je
-que, depuis que je l'approfondis
-davantage, ma grande occupation est d'en
-faire la synthèse, et mon grand attrait d'y
-réussir, c'est-à-dire de voir revivre dans ce
-peuple tous les germes en puissance dans
-les héros de cette charte?</p>
-
-<p>Et comme, assis tous deux sur un mur,
-les jambes pendantes, tout près du fronton
-d'Ascain, nous venions de suivre du regard,
-saisis d'un frisson sacré, la pelote gravissant,
-tel qu'un astre d'ombre, dans l'azur
-immaculé :</p>
-
-<p>&mdash; Regardez, mais regardez donc cette
-assistance, me dit Eliézer. Admirez ces femmes
-de la race d'Ithargia, cette suprême et
-fine grâce mouvementée comme la vague
-qui l'apporta ; ces mantilles pareilles à de
-légères voiles déployées sur la nuit des cheveux
-et des yeux ; ce corail et ces perles des
-bouches ; tout ne décèle-t-il pas l'origine
-orientale, l'aristocratie d'une race éclose au
-pays des gazelles?</p>
-
-<p>&mdash; Quant aux Orientaux, reprenait Eliézer,
-la partie terminée, et tandis que nous
-nous rafraîchissions dans la naïve auberge,
-les voici, mais reconstitués par Ondicola,
-rapprochés de notre paradis terrestre. Ils
-n'ont guère conservé de défauts que cette
-indolence qui les porte à laisser leurs femmes
-se substituer à eux dans les travaux et
-les comptes de la cordonnerie, le premier
-de leur art. Et puis, n'aiment-ils point, à
-l'exemple de leur ancêtre Hafiz, de goûter
-sous les tonnelles un vin de la couleur des
-roses? Et, puisque nous parlons de Hafiz,
-voyez Hafiz ressusciter en eux!</p>
-
-<p>Deux hommes s'étaient levés gravement
-et se faisaient face d'une extrémité de la
-salle à l'autre, tandis que la multitude, se
-massant pour les entendre, s'imposait silence.</p>
-
-<p>Leur chant mélancolique monta.</p>
-
-<p>Ils se répondaient tour à tour, et la lumière
-baignait dans l'ombre leurs masques
-inspirés.</p>
-
-<p>Leurs voix vibrèrent longtemps dans le
-crépuscule.</p>
-
-<p>Pour prolonger l'extase d'une si belle
-journée, nous décidâmes de ne regagner
-Bayonne que le lendemain ; et d'ailleurs, la
-nuit, le col de Saint-Ignace est dangereux.</p>
-
-<p>Nous flânions avant souper :</p>
-
-<p>&mdash; Voilà, me dit Eliézer, de la digitale
-encore en fleur. C'est une digitale, vous en
-souvenez-vous, qu'Ithargia plaça entre les
-doigts de sa fille expirante.</p>
-
-<p>&mdash; Comment, répondis-je, ne me rapellerais-je
-pas le moindre détail de cet admirable
-poème?</p>
-
-<p>&mdash; La digitale, reprit-il, habite le silex
-qui lui donne peut-être cette divine flamme
-rose qu'ont aussi les étincelles qui jaillissent
-de lui.</p>
-
-<p>Je regardai Eliézer. Avait-il du génie?
-Il ne paraissait point s'en douter.</p>
-
-<p>Nous revînmes à l'hôtellerie du Jeu de
-l'Oie, où l'on nous servit de la truite et du
-confit.</p>
-
-<p>Nous errâmes ensuite dans le clair de
-lune. Eliézer semblait devenu muet, mais il
-était impossible de ne pas s'apercevoir qu'il
-avait la connaissance détaillée des lieux où
-nous nous trouvions.</p>
-
-<p>Peut-être la recherche des métaux et des
-sources l'avait-elle conduit déjà là? Il se
-baissait, de temps à autre, prenait pour
-l'examiner à la lueur de la lune quelque
-fragment de roche éruptive où, parmi les
-noires constellations du mica, fulgurait un
-éclair de cuivre.</p>
-
-<p>Minuit sonna au clocher d'Ascain.</p>
-
-<p>Eliézer entra au cimetière. Je le suivis.</p>
-
-<p>Quelle calme poésie dans ce jardin des
-morts! L'Israélite qui s'était découvert me
-fit un signe du doigt, me montrant, sur une
-vaste pierre tombale que pâlissait le soleil
-de la nuit, ces huit lettres gravées : <i>ONDICOLA</i>,
-sans date, ni autre indication.</p>
-
-<p>&mdash; Ce nom, me dit-il enfin, est d'une famille
-célèbre par ses pilotaris. Je ne sache
-rien de plus, sinon, comme vous l'avez appris
-vous-même, qu'il est le plus vieux du
-pays basque, celui du fondateur que la légende
-nous révèle ; et je ne serais point surpris
-que l'un des six fils d'Iguskia et d'Ithargia
-l'eût porté, et que la longue lignée l'ait
-conservé par respect des ancêtres. Les Ondicola
-sont maintenant de pauvres hères,
-mais qui sait?</p>
-
-<p>Nous reculâmes, car nous voyions la
-vieille pierre se soulever d'elle-même et
-Ondicola sortir du sépulcre.</p>
-
-<p>Il regagnait le ciel, vêtu splendidement
-comme une constellation.</p>
-
-<p>Il était suivi de tout son peuple. En
-tête s'avançaient, d'une incomparable
-beauté, tels que dans leur pure adolescence,
-Iguskia et Ithargia ; puis leurs
-fils, et les femmes de ceux-ci, et leurs descendants
-dont l'un se faisait remarquer par
-son audace : il montait seul un esquif sous
-qui roulaient les nuages et, soudain, il lançait
-le harpon. Des flottilles escortaient
-ce marin qui semblait être l'amiral de ces
-Basques, épris de contrées lointaines et qui
-ne cessent d'affronter l'inconnu.</p>
-
-<p>Certains sombraient avec leurs barques,
-mais d'autres abordaient en des archipels
-de lumière.</p>
-
-<p>Puis venaient les agriculteurs qui labouraient
-l'espace, d'une simplicité d'attitude
-et de mise qui regagnait celle des pasteurs
-dont on voyait neiger les brebis dans l'aube
-naissante.</p>
-
-<p>Un groupe de guerriers menaçait de
-makhilas des fils de Mahomet.</p>
-
-<p>A la suite de saint Léon, processionnaient
-les innombrables enfants du pays
-qui ont épousé le Christ. Ils portaient des
-vêtements noirs ou blancs dont quelques-uns
-étaient tachés de sang. Ils étaient
-les martyrs de Chine et d'ailleurs, qui
-avaient quitté la maison bien-aimée aux
-longues ailes pendantes. L'un d'eux portait
-le Sacrement autour duquel, comme à
-Hélette encore, les hommes dansaient, graves
-de joie. Des pilotaris l'ombrageaient
-avec leurs gants de cuir ou d'osier.</p>
-
-<p>Puis venait le troupeau des fidèles, l'humble
-peuple au c&oelig;ur d'or des petits négociants
-qui taille le cuir, débite la viande,
-fait griller le café devant les portes.</p>
-
-<p>L'angélus m'éveilla. Je m'étais laissé gagner
-par le sommeil dans le champ des
-morts, la tête contre une touffe de romarin.
-Eliézer dormait à quelque distance. La tombe
-d'Ondicola était toujours là, mais close.</p>
-
-<p>La sonnerie des cloches reprit en s'accentuant.
-La douce vallée était bercée par elle.
-C'était au matin de la Fête-Dieu.</p>
-
-<p>Une louange sans nom monta de la matinée.</p>
-
-<p>De vivants chemins, à onze heures, se
-mirent en marche : on ne savait plus si
-c'étaient les cerisiers qui s'avançaient, où
-la foule. On entendait l'orage des tambours
-et, par moment, entre leurs batteries et
-celles des clairons, l'hymne montait et s'affaissait
-comme la mer. Puis le grondement
-reprenait dans le rire des cloches en extase,
-et le regard bleu du ciel se reposait avec
-amour sur les blés.</p>
-
-<p>Que ce paysage était simple! Simple
-comme cette race unique fondue à la sérénité
-des collines, à la clémence du climat,
-à la frugalité des terres! Elle suivait
-ce morceau de Pain qu'est son Seigneur et
-son Dieu. Elle le suivait sans hésitation, le
-c&oelig;ur au large et tout baigné d'une rosée
-angélique. Ils allaient, leurs grains de bois
-sec dans une de leurs mains calleuses et,
-dans l'autre, le béret dont ils montraient la
-belle doublure neuve, vêtus du court chamar
-ou de la veste commune, le pantalon
-arrêté au-dessus de la cheville pour que la
-poussière ou la boue n'atteignît que les gros
-souliers.</p>
-
-<p>Es-tu content de ton peuple ; est-ce ainsi
-que tu l'as voulu, Ondicola?</p>
-
-<p>Lorsque, dans la soirée, Eliézer et moi
-nous nous en retournâmes, les sentiers
-étaient jonchés d'herbages et de fleurs et
-tout parfumés de menthe.</p>
-
-<p>Nous relayâmes à Hasparren où nous
-couchâmes. Ville délicieuse, charme premier
-du pays basque où les magasins bas,
-avec leurs porches romans, leurs naïves
-enseigne, la pauvreté de leurs denrées
-exposées aux devantures, suffiraient à nous
-guérir de la croyance qu'il est nécessaire,
-pour vivre, de se trouver aux portes du
-Louvre ou de l'Institut Pasteur!</p>
-
-<p>Le lendemain matin, Eliézer ayant la
-migraine demeura au lit. Je me dirigeai
-seul, à pied, vers cet Ayherre où la légende
-situait le foyer d'Iguskia et d'Ithargia.</p>
-
-<p>J'aperçus le château démantelé de Belzuncia.
-L'air était blond et argenté comme
-une perle, où les blés prenaient déjà la
-teinte sombre de la terre.</p>
-
-<p>Au flanc de la colline était un champ
-modeste où vinrent deux faucheurs, un
-jeune homme et une jeune femme. Je songeai
-à Iguskia et à Ithargia qui s'étaient
-épousés dans les flammes de la moisson.</p>
-
-<p>Je me rapprochai de ce couple qui était
-d'une indicible beauté, transmise à travers
-les âges sur l'aile de l'Amour selon le v&oelig;u
-d'Ondicola. Leurs regards étaient tels
-qu'ils donnaient à penser que la lumière
-peut être noire.</p>
-
-<p>Je leur dis que j'étais venu de Hasparren,
-visiter les ruines proches de leur ferme,
-ce dont ils ne s'étonnèrent point car elles
-éveillaient parfois la curiosité des promeneurs.
-Ils ne souffrirent point que j'allasse
-prendre mon repas à l'auberge et, avec
-cette simplicité habituelle à leur race, ils
-m'invitèrent chez eux.</p>
-
-<p>La femme nous servit, après quoi leurs
-quatre petits garçons, qui se suivaient de
-tout près par l'âge, vinrent manger debout
-la soupe qu'on leur présenta dans une
-écuelle. Ils burent de l'eau dans un bol ébréché,
-puis s'en allèrent satisfaits. Sur deux
-chaises, l'un en face de l'autre, un aïeul
-et une aïeule somnolaient.</p>
-
-<p>Je sortis pour aller contempler l'ancien
-château, mais plutôt pour évoquer le premier
-foyer eskuarien qui l'avait précédé
-de bien des siècles.</p>
-
-<p>Les remparts tombent, mais la terre ne
-meurt pas. Aussi magnifique était peut-être
-cette campagne qu'aux jours premiers
-d'Iguskia et d'Ithargia.</p>
-
-<p>Avant de regagner Hasparren, j'allai remercier
-mes hôtes. Ils étaient assis sous
-un noyer qu'on eût dit tout chargé de nuit
-fraîche. Ils se tenaient par la main avant
-que d'aller reprendre leurs faucilles. Une
-caille au loin appela.</p>
-
-<p>Je ne fis part ni de mon rêve ni de mon
-excursion aux ruines d'Ayherre à Eliézer.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch6">LE SIÈGE DE PAMPELUNE</h2>
-
-
-<p>Peu de jours après notre course a Ascain,
-je me retrouvai avec Eliézer chez son
-oncle dans ce vieux Bayonne si pittoresque
-où jadis aborda, au retour des Indes
-occidentales, l'une des caravelles de Christophe
-Colomb.</p>
-
-<p>Pays de Robinsons, d'explorateurs, de
-pêcheurs, de corsaires, que n'as-tu ajouté
-cette devise à ton blason, lue sur un vieux
-pot anglais : «&nbsp;<i>Les aventures sont pour les
-aventureux.</i>&nbsp;»</p>
-
-<p>J'attendais avec une certaine impatience
-la suite, à laquelle j'avais été convié, de la
-légende basque.</p>
-
-<p>Le début du deuxième chant me surprit.</p>
-
-<p>C'était une sorte de préambule, davantage
-un exposé qui semblait, plutôt que d'un
-poète, l'&oelig;uvre, eût-on parié, du copiste.</p>
-
-<p>Quel copiste? Que, dans une langue non
-écrite, ou dont le graphique a disparu, il y
-ait quelques exceptions, soit! Il n'en est
-pas moins vrai que ce Juif aux yeux verts,
-affublé d'un prénom si extravagant, me
-donna un léger choc lorsque je l'entendis,
-comme on va le voir tout à l'heure, employer
-le mot <i>curé</i> dans sa traduction.</p>
-
-<p>A la vérité, ce mot ne semble avoir que
-faire avec, je ne dis pas la religion, mais
-l'esprit d'une époque aussi reculée. Ce pouvait
-être une faute de goût de la part du
-neveu de Jacob Meyer, tout au moins une
-bizarrerie. Mais je dois prévenir les lecteurs,
-afin qu'ils ne me tiennent point pour
-un naïf, qu'à partir de cet instant, je fus
-assailli par le doute. Eliézer ne m'étonna
-pas moins que, dans la même séance, après
-avoir ouvert une parenthèse explicative
-que je n'ai pas consignée, mais qui avait
-trait au procédé d'Ondicola pour sélectionner
-la race eskuarienne, il prononça :
-«&nbsp;Et, d'ailleurs, la diplomatie est la science
-de l'amour.&nbsp;»</p>
-
-<p>Allais-je me lever, faire éclater mon
-mépris, ou m'esquiver sans bonjour ni
-bonsoir? J'eus la sagesse de n'en rien
-faire.</p>
-
-<p>Je remis à plus tard la clef d'or du mystère.
-Qu'importait son auteur véritable si
-l'&oelig;uvre continuait de me ravir, et ne faut-il
-pas, après tout, que toujours par quelqu'un
-le Robinson commence?</p>
-
-<p>&mdash; En Labourd, en Soule, en Basse-Navarre,
-traduisit Eliézer qui semblait suivre
-le mot à mot du texte rapporté d'Aix, on vit,
-huit cents ans après la destruction de l'<i>Eskualdunak</i>,
-s'élever çà et là de jolies églises
-à triple clocher, adossées à leurs presbytères
-dont les jardins produisaient des
-légumes, des fruits, des lys blancs et des
-pois de senteur.</p>
-
-<p>Ces paroisses naissantes vécurent longtemps
-en paix, mais les curés (<i>sic</i>) représentèrent
-à leurs brebis, capables de se
-transformer en lions, que le diable donnait
-depuis longtemps le siège à leurs frères
-basques d'Espagne.</p>
-
-<p>On sait que ceux-ci avaient appris des
-Maures l'industrie du cuir et l'agriculture
-raisonnée, qu'ils avaient transmises à leurs
-parents restés en France quand ils les y
-allaient visiter. Mais ils ne furent pas longs
-à s'apercevoir que la race maudite de Mahomet,
-pleine de dissimulation, ne leur
-voulait que du mal. Et ce qui mit le comble
-à leur indignation, ce fut le martyre
-que de tels barbares infligèrent à la chrétienne
-Eurosie qui s'était refusée à épouser
-l'émir. Les Basques de France se portèrent
-au secours de leurs frères outragés
-et, les secondant, s'emparèrent de Pampelune.</p>
-
-<p>Le texte de la légende, observa ici Eliézer,
-emploie le style lyrique dans le passage
-qui suit et qui a trait précisément à la prise
-de cette ville. Il y a même, dans la seconde
-partie, un essai que je crois devoir traduire
-en en respectant la prosodie.</p>
-
-<p>Quand les descendants d'Iguskia et
-d'Ithargia arrivèrent sous Pampelune, le
-crépuscule était comme un grand oranger
-parfumé.</p>
-
-<p>L'émir reposait dans son pavillon avec
-ses femmes couronnées de fleurs de grenadier.
-Le bourdonnement des guitares énervait
-leurs amours.</p>
-
-<p>Ah! l'on te retrouve bien là, mollesse
-orientale dont Ondicola vint à bout lorsqu'il
-fit exploser son <i>Eskualdunak</i> d'or,
-après avoir lâché sur une terre incomparable
-un couple vierge!</p>
-
-<p>Les fils d'Iguskia et d'Ithargia sont sous
-tes murs, ô Pampelune! Ils viennent enfin
-brûler les dieux qu'ils eussent adorés sans
-un maître audacieux qui anéantit son équipage
-avec lui.</p>
-
-<p>Voici les principaux comtes basques :
-Arnaud de Macaye ; Sanche d'Espelette ;
-Ramoun de Tardets ; Bernard d'Iholdy ;
-Auger de Mauléon ; Ondicola d'Ascain.</p>
-
-<p>Qu'ils ressemblent peu à ces païens,
-obèses la plupart, vautrés dans l'orgie,
-empêtrés dans leurs tuniques, gavés de
-confitures de roses!</p>
-
-<p>Arnaud de Macaye descend de Zoardia,
-l'aîné de ceux qui avaient épousé les
-belles enfants dont l'une avait séduit le
-Zéphire à bord de l'Amodioa. Après avoir
-navigué au long des côtes, il est revenu dans
-son village au milieu de sa tribu. Et, avec
-ses mules, passant et repassant la frontière,
-il fait commerce d'huile et de vin.</p>
-
-<p>&mdash; Où est, s'écrie-t-il, en avançant vers
-le rempart, l'émir, que je le crève comme
-une outre?</p>
-
-<p>Arnaud de Macaye ne porte casque ni
-cuirasse, ni autre vêtement de guerre, mais
-le petit béret basque, le chamar, et un pantalon
-aussi léger qu'une feuille. Ses longs
-cils ombragent son regard :</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Il tient serré son makhila flexible</div>
-<div class="verse">Dont on voit bien qu'un seul coup abattrait</div>
-<div class="verse">Le Sarrazin avec son minaret.</div>
-<div class="verse">Il porte un cor de chasse à la ceinture</div>
-<div class="verse">Ses compagnons sont armés comme lui</div>
-<div class="verse">Du makhila qui ne sait faire grâce.</div>
-
-<div class="verse stanza">Sanche est celui qui descend d'Aritza.</div>
-<div class="verse">Son fief domine un sommet d'Espelette</div>
-<div class="verse">Qu'on a nommé le mont du Mondarin.</div>
-<div class="verse">Navigateur intrépide il s'en fut,</div>
-<div class="verse">Accompagné de ceux de la Bretagne,</div>
-<div class="verse">Depuis le cap extrême de l'Espagne</div>
-<div class="verse">Jusqu'au pays que l'on ne connaît plus.</div>
-<div class="verse">Quand il revint, Gachucha fut sa femme.</div>
-<div class="verse">Et depuis lors il tisse des lainages,</div>
-<div class="verse">Qu'un de ses fils va vendre en Oloron.</div>
-
-<div class="verse stanza">Quant à Ramoun, qui descend de Suâ,</div>
-<div class="verse">Dedans Tardets, la céleste vallée</div>
-<div class="verse">Qu'il n'a jamais jusqu'à ce jour quittée,</div>
-<div class="verse">On ne peut pas dénombrer ses brebis.</div>
-<div class="verse">Il vend sa laine à Sanche d'Espelette.</div>
-<div class="verse">Il est danseur et, toujours sous ses pieds,</div>
-<div class="verse">On voit le vide et le soleil briller.</div>
-
-<div class="verse stanza">Après s'en vient Bernard, chef d'Iholdy,</div>
-<div class="verse">Qui fit, dit-on, premier le tour du monde,</div>
-<div class="verse">Puis s'enrichit à bien tanner le cuir.</div>
-<div class="verse">Et, plus que tous, il en veut à l'émir,</div>
-<div class="verse">Parce qu'il est beau-frère d'Eurosie.</div>
-
-<div class="verse stanza">Auger qui sort de Mauléon la terre</div>
-<div class="verse">Contre la gent est si fort en colère</div>
-<div class="verse">Que l'on croirait qu'il porte le tonnerre.</div>
-<div class="verse">Et cependant, par ordre de Clotaire,</div>
-<div class="verse">De père en fils sont en leurs lieux notaires.</div>
-
-<div class="verse stanza">Ondicola d'Ascain paraît ensuite</div>
-<div class="verse">Toujours lequel fut un pilotari.</div>
-<div class="verse">Au makhila s'adjoint sa plus rude arme,</div>
-<div class="verse">Son chistéra qu'il porte sur le dos.</div>
-<div class="verse">Qu'on le redoute, il est si fort qu'il peut</div>
-<div class="verse">Lancer la balle aussi loin qu'il le veut.</div>
-</div>
-
-<p>Dans leur fureur vengeresse, ils étaient
-tellement sûrs de leur triomphe, ces comtes
-et leurs vassaux, qu'ils avaient demandé
-aux plus jolies filles basques de les accompagner.</p>
-
-<p>Le choix ne fut point facile, elles sont
-légion. On en dut réduire le nombre et
-faire pleurer de doux yeux. Les favorisées
-partirent donc, le c&oelig;ur léger.</p>
-
-<p>Que l'on n'aille pas croire que ce fut pour
-bafouer la morale. Elles étaient honnêtes.
-Mais Arnaud, mais Sanche, mais Ramoun,
-mais Bernard, mais Auger, mais Ondicola
-d'Ascain avaient jugé que le plus dur supplice
-qu'ils puissent infliger à des mahométans
-enchaînés était de faire défiler devant
-eux ces beautés merveilleuses. Ce
-qu'ils firent. Et l'émir en mourut.</p>
-
-<p>Je ne savais, tandis qu'Eliézer suspendait
-là cette partie de la légende basque, s'il me
-fallait éclater de rire ou me fâcher, ou garder
-mon calme. J'optai pour cette dernière
-attitude. Jacob Meyer, opinant du bonnet,
-applaudit cette fin du chant.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch7">CHANT D'AMOUR
-DE TIRUZTAYA ET DE LÔRÉA</h2>
-
-
-<p>J'ai dit que le prétexte qui avait été donné
-par son oncle, de la venue d'Eliézer,
-était d'une eau salée dont on s'occupait fort
-en ce moment pour la conduire à Biarritz.</p>
-
-<p>Des hommes autorisés tels que MM. Raymond
-Baron, Hézard et Bergeroo, étaient
-parmi les membres de la Société qui s'était
-fondée.</p>
-
-<p>Il me serait bien impossible d'informer
-sur le rôle que joua dans cette affaire le
-neveu de Jacob Meyer durant les quelques
-semaines qu'elle le retint ici. Il semblait
-s'intéresser alors à la minéralogie du système
-cantabrique, mais je ne pus me défendre
-d'une certaine méfiance touchant ses
-capacités, quand il me fit part, à propos
-d'un soulèvement d'ophite d'une théorie
-qui ne tenait pas debout. Je n'en jugeai
-pourtant que par les vagues leçons d'histoire
-naturelle apprises par moi au lycée
-de Bordeaux, d'un professeur, il est vrai
-fort distingué, M. Kuntsler.</p>
-
-<p>Eliézer me montra un perforateur à
-pointe de diamant, dont il me dit qu'il lui
-servirait à atteindre une nappe de pétrole
-située à Saint-Boës, près d'Orthez.</p>
-
-<p>Il ne me parla plus, momentanément, de
-la suite de la légende basque.</p>
-
-<p>Etait-ce que, cette suite, il prenait le
-temps de la composer ou qu'il voulût me la
-laisser désirer? Mystère. Je n'y fis aucune
-allusion, encore qu'un mot de Jacob Meyer
-m'eût fait entendre naguère que l'un des
-plus sublimes passages des Robinsons serait
-un duo d'amour, chanté par des descendants
-de Zoardia, au printemps, à l'entrée
-de ces grottes d'Isturitz, dont je possédais
-la clef.</p>
-
-<p>Cette clef, combien je sentais l'oncle et
-le neveu vivement possédés du désir de
-l'introduire dans la serrure interdite!</p>
-
-<p>Je continuais de fréquenter chez le vieux,
-le trouvant mainte fois occupé à quelque
-délicat travail, comme d'examiner les arborisations
-d'une émeraude ou, ce qui ne
-l'est pas moins, d'en discuter le prix avec
-quelque femme du monde.</p>
-
-<p>Il ne se gênait point ; il semblait même
-que ma présence le stimulât pour exiger
-d'âpres conditions de belles clientes qui
-connaissaient les détours d'ombre de
-l'étroit et discret escalier de la rue Pontrique.</p>
-
-<p>Parfois nous reprenions le cours de nos
-conversations littéraires, ou nous allions
-pêcher les petits muges de la Nive. J'aime
-ce passe-temps populaire, et de me retrouver
-dans la compagnie de ces maniaques
-s'efforçant de fixer autour d'un hameçon
-l'appât, si vite désagrégé, d'&oelig;ufs de merluche.</p>
-
-<p>&mdash; Il est une science, me dit Eliézer, un
-après-midi que je le rencontrai chez son
-oncle, à laquelle je m'adonne passionnément :
-l'anthropologie préhistorique. Les
-grottes d'Isturitz&hellip;</p>
-
-<p>Encore! me dis-je. L'oncle et le neveu
-ont dû se passer le mot! Faut-il donc qu'ils
-soient têtus et indélicats pour me reparler
-de ces grottes, vouloir me faire manquer à
-mon engagement, alors qu'ils savent que
-c'est moi précisément et le cerbère qui devons
-nous opposer à toute infraction.</p>
-
-<p>&mdash; Les grottes d'Isturitz, insista Eliézer,
-offrent aux spécialistes de l'âge de pierre
-un intérêt qui se double pour moi de tout
-ce que m'a fait connaître des origines du
-peuple basque la légende ondicolienne. Isturitz,
-quel nom! Est-ce que des descendants
-de Zoardia et d'Aritza, s'il faut en
-croire un magnifique passage que je vous
-traduirai prochainement, ne le rendent pas
-plus harmonieux encore par les accents
-d'un amour ineffable qui, après plusieurs
-siècles, commémore les élévations d'âme de
-leurs ancêtres? Ce n'est que chants d'oiseaux
-buvant aux calices de fleurs printanières.</p>
-
-<p>Il fallait bien que je m'avouasse que,
-trompeurs ou non, Eliézer et son oncle se
-servaient d'un joli langage, et que la perspective
-d'entendre ce pur duo auquel ce
-dernier avait déjà fait allusion excitait ma
-passion poétique.</p>
-
-<p>Mais je ne pouvais me déprendre d'un
-certain malaise. Et, de penser qu'on avait
-influencé mes nerfs, jusqu'à m'avoir fait
-rêver si étrangement à la légende basque
-dans le cimetière d'Ascain, augmentait mon
-trouble. Ces Hébreux agissaient sur moi
-comme s'ils m'eussent dosé les drogues
-dont usaient les passagers de l'<i>Eskualdunak</i>.
-Il me faudrait réagir à temps.</p>
-
-<p>&mdash; J'ai d'ailleurs, poursuivit Eliézer, promis
-à Salomon Reinach de me mettre en
-quête d'un ours en pierre tendre, catalogué
-par Pierre Loti, et que les primaires de ces
-grottes ont sculpté plusieurs siècles avant
-que s'y réfugiassent Iguskia et Ithargia.
-Les savants actuels suivent un plantigrade
-pétrifié avec autant d'ardeur que les sauvages
-qui l'ont exécuté le poursuivaient, vivant,
-de leurs flèches de silex et d'os.
-Vraiment, ne pourrait-on explorer des lieux
-si attirants dont, bien entendu, aucun objet
-ne serait distrait, mais infiniment respecté?
-Quant à l'ours, cher monsieur, si on le
-retrouve, il n'est que d'en référer à son propriétaire.
-Nous n'en serons que les montreurs.
-Qui dit Salomon Reinach dit prince
-munificent.</p>
-
-<p>Comme il me voyait inquiet, gêné, hésitant,
-Eliézer continua :</p>
-
-<p>&mdash; Ecoutez-moi bien. Je ne vous demande,
-pour une première entrevue avec
-les grottes d'Isturitz, et jusqu'à ce que vous
-nous ayez obtenu de M. Passerose la permission
-d'y pénétrer, que d'aller vous y
-lire, à l'entrée, le duo d'amour de la légende,
-et, seulement dans le cas où vous
-le jugeriez digue de votre reconnaissance,
-vous vous emploieriez à nous obtenir la
-permission que nous désirons tant.</p>
-
-<p>&mdash; Eh bien! soit, prononçai-je.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Mais j'éprouvai quelque honte de cette
-lâcheté où venait de m'induire moins sans
-doute l'amour de la poésie que ma vive
-curiosité pour le roman en action que me
-tramaient ces Juifs, sous prétexte de Robinsons
-basques.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p class="top4em">Une journée sans nuages enveloppant de
-sa netteté la trouble et bleuâtre colline d'Isturitz
-nous réunit tous trois à l'entrée de
-ses grottes. Nous avions laissé, à quelque
-distance, dans une auberge, voiture et cocher.</p>
-
-<p>Nous retirâmes de nos paniers une langouste,
-une galantine et un pâté de foie
-qui me donnèrent à réfléchir sur les animaux
-que proscrit la loi mosaïque. Quant
-aux vins, ils lançaient, entre les doigts de
-Jacob Meyer, des éclairs de rubis et de topaze.
-Horace et ses convives ne se fussent
-pas mieux traités dans la villa de Castétis.</p>
-
-<p>Lorsque la douce langueur, qui suit sur
-l'herbe ombreuse le repas de midi, m'eut
-quelque peu enveloppé, Eliézer retira de
-sa musette le précieux texte, ou sa traduction,
-ou son adaptation, comme il vous
-plaira.</p>
-
-<p>Et il lut :</p>
-
-<p>&mdash; Voici le duo nuptial que chantèrent,
-pour la première fois, dans la région d'Isturitz
-où leurs antiques parents, Iguskia et
-Ithargia, les ont précédés dans la jeunesse
-et dans l'amour, Tiruztaya, homme du
-foyer de Zoardia, et Lôréa, fille de la tribu
-d'Aritza.</p>
-
-<p class="c small">TIRUZTAYA</p>
-
-<p>J'ai trouvé, sur le sommet d'Abbaratia,
-une rose sauvage dont le charme est incomparable,
-non pas qu'elle soit moins ou plus
-rose qu'une autre, ni davantage odorante,
-mais, à mesure que je gravissais vers elle
-et que mes yeux en buvaient la rosée, ah!
-je comprenais qu'elle n'avait été touchée
-même par une abeille : par le ciel seulement.</p>
-
-<p class="c small">LÔRÉA</p>
-
-<p>Sur la cime de la montagne cette rose
-s'est plu à incliner sa tige, formant un arc
-aussi doux que ton nom, ô Tiruztaya!</p>
-
-<p>Mais, brusquement, s'est détendue la tige,
-et moi qui en étais la fleur, je me suis décochée
-avec force pour venir me poser sur
-ton c&oelig;ur.</p>
-
-<p class="c small">TIRUZTAYA</p>
-
-<p>Que nos petits cousins appellent les fauvettes
-avec les fifres dont ils enchantent
-le long après-midi. Elles ne répondront
-plus à leur invitation, ô Lôréa, si elles t'ont
-entendue, mortes de jalousie.</p>
-
-<p class="c small">LÔRÉA</p>
-
-<p>Lorsqu'on célébra, il y a un an, la fête
-ondicolienne, c'est alors que, pour la première
-fois, je te distinguai parmi les pilotaris.</p>
-
-<p>Et quand, avec un geste que je ne peux
-pas dire, tant il fut mesuré dans l'espace,
-tu brandis le gracieux berceau d'osier du
-chistéra, mon c&oelig;ur, que tu avais mis
-dedans, ne fit qu'un bond.</p>
-
-<p>Et je vis, ô joie! mon c&oelig;ur monter et redescendre
-vers un rival que tu provoquais.</p>
-
-<p>Mais toi, comme donnant un ordre à ce
-c&oelig;ur, tu t'en jouais, le rappelant sans
-cesse, le relançant, le reprenant encore, le
-renvoyant jusqu'à ce que te restât la victoire
-au milieu des applaudissements.</p>
-
-<p class="c small">TIRUZTAYA</p>
-
-<p>Je bercerai ton c&oelig;ur dans ce hamac
-d'osier où roule la pelote afin qu'un jour,
-auprès de notre couche nuptiale, j'y berce
-aussi nos petits.</p>
-
-<p class="c small">LÔRÉA</p>
-
-<p>Ne me fais point rougir, ô Tiruztaya!</p>
-
-<p class="c small">TIRUZTAYA</p>
-
-<p>Comment te ferais-je rougir puisque,
-déjà, tu es rose? Mais si tu veux à moi-même
-voiler ton teint d'églantine, laisse
-mon front se rapprocher du tien jusqu'à
-ce que je n'y voie plus.</p>
-
-<p class="c small">LÔRÉA</p>
-
-<p>Attends encore, Tiruztaya.</p>
-
-<p>C'est dans le front que les jeunes filles
-cachent leur pensée la plus pure.</p>
-
-<p>Et lorsque tu les vois se tenir si droites,
-elles veulent que la poussière soulevée par
-leurs pieds ne puisse atteindre cette plaque
-de marbre où, invisiblement, le nom
-du bien-aimé est gravé.</p>
-
-<p class="c small">TIRUZTAYA</p>
-
-<p>Rien ne courbe donc votre fierté?</p>
-
-<p class="c small">LÔRÉA</p>
-
-<p>Il faudrait, pour que je consentisse à
-abaisser ton nom chéri, que je porte à la
-cime de mon être, que tu me tuasses d'un
-coup de flèche en me trahissant.</p>
-
-<p>Alors, ô tristesse! je ne saurais que
-m'abattre tout du long, ma tête à tes pieds.</p>
-
-<p class="c small">TIRUZTAYA</p>
-
-<p>Ma Lôréa, n'aie point d'aussi folles pensées
-qui pourraient engendrer la tristesse.</p>
-
-<p>Tu sais l'honneur du pays basque, le
-foyer où Iguskia et Ithargia cuisaient leur
-pain d'asphodèle.</p>
-
-<p>Si, parfois, hélas! de tes compagnes
-étourdies glissèrent sur la mousse de la
-colline en poursuivant un lièvre matinal,
-enveloppées aussitôt par les filets des pâtres,
-jamais épouse qui jura par sa foi n'a
-menti à la vallée paisible.</p>
-
-<p class="c small">LÔRÉA</p>
-
-<p>Il faut que la jeune fille devienne
-épouse, et que celle-ci présente à ses enfants
-un visage dont les yeux n'ont miré
-que le regard de leur père.</p>
-
-<p>Et il faut qu'on l'ensevelisse dans sa tunique
-nuptiale.</p>
-
-<p class="c small">TIRUZTAYA</p>
-
-<p>La tradition raconte que les belles-filles
-d'Ithargia, ayant que d'épouser ses fils,
-toutes élégantes encore des parures qu'elles
-portaient sur l'<i>Amodioa</i>, déposèrent dans
-ces grottes et scellèrent dans le roc leurs
-légers vêtements d'Asie.</p>
-
-<p>Ils étaient de soie, et chacun n'avait d'autre
-ornement qu'un long narcisse brodé.</p>
-
-<p class="c small">LÔRÉA</p>
-
-<p>Je n'ai point de robe de noces si belle.
-Et tu ne m'en voudras pas de ne t'apporter
-que moi-même au lieu d'un vêtement
-brodé.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Cette finale, certes, était ravissante, et
-l'ensemble du morceau d'une haute tenue.
-Mais le modernisme, si je peux dire, y paraissait
-en transparence comme à travers
-un sujet ancien la grâce, jadis neuve, d'un
-Sandro Botticelli.</p>
-
-<p>Le narcisse brodé me semblait être un
-impudent défi à ma crédulité.</p>
-
-<p>Si sot qu'on croie un poète (et je passais
-alors par cette épreuve du mépris que
-fait peser sur nous, le monde en général),
-je ne l'étais point tellement que je donnasse
-dans ce panneau, si recouvert de
-fleurs fût-il! Ce qui me faisait trouver la
-plaisanterie plus mauvaise encore c'était
-qu'elle me fût servie non seulement par des
-gens d'un goût très averti mais qui, s'ils
-étaient les auteurs des Robinsons basques,
-étaient doués d'un génie poétique au moins
-égal au mien. Et, d'envisager cette dernière
-hypothèse, n'allait point de ma part sans
-aigreur.</p>
-
-<p>Je faillis leur crier : «&nbsp;Prenez-vous donc
-Pégase pour une bourrique?&nbsp;» Mais j'en
-fus retenu par la noblesse même de ce
-chant nuptial, et, dis-je, par le désir de
-connaître le but et l'issue d'une machination
-aussi baroque.</p>
-
-<p>Nul doute que les deux gaillards ne voulussent
-entrer en possession de la clef des
-grottes d'Isturitz. Mais à quelles fins? Je
-me méfiais que ce ne fût point pour en
-inventorier les curiosités préhistoriques,
-pensait-il que je l'autoriserais, me
-sentant piqué au jeu, à s'en aller, en compagnie
-de son oncle, rechercher dans la
-noirceur de ces cryptes les mousselines où
-neigeait le légendaire narcisse d'amoureuses?</p>
-
-<p>Je dois à la vérité de dire que, faisant
-preuve, ce jour-là, d'autant de tact que
-d'adresse, Jacob non plus qu'Eliézer ne me
-sollicitèrent au sujet de la clef.</p>
-
-<p>Ils n'en parlèrent point davantage au
-gardien lorsque nous allâmes, au retour,
-serrer sa patte velue. Il vivait, non loin
-d'une caverne, dans la compagnie de ses
-quatorze jeunes enfants et de leur mère.
-De celle-ci il nous dit qu'elle avait autant
-de lait qu'une vache bretonne, et qu'il ne
-serait point embarrassé, en l'absence de
-nourrissons, d'en tirer cinq francs par
-jour, s'il l'allait vendre à la ville ; Cette
-rusticité dans le propos cadrait avec cette
-féroce observance de la consigne qu'il ne
-levait qu'en faveur de M. Passerose &mdash; le
-propriétaire même des lieux &mdash; ou que pour
-moi. De toutes autres gens, même que je
-lui eusse recommandés, il eût exigé, encore
-qu'il ne sût pas lire, une autorisation
-écrite de M. Passerose.</p>
-
-<p>Cet indigène, nommé Salbaya, nous indiqua
-d'un geste du menton, qu'il accompagna
-d'un sourire lacustre, un fusil rangé
-au-dessus de la cheminée, nous disant
-l'avoir chargé de grenaille et de gravier.
-Puis, il pointa un index terrible dans la
-direction des grottes.</p>
-
-<p>Salbaya n'était, au fond, qu'un de ces
-hommes nés pour se dévouer jusqu'au sang
-à de nobles causes, mais qui ne trouvent
-point emploi de leur courage. Moins éloignés
-du monde, plus instruits, sans doute eussent-ils
-joué des rôles de partisans ou de
-soldats. Ne s'étant pu réaliser ainsi, en aucune
-façon, Salbaya concevait une fierté
-désordonnée d'avoir été investi &mdash; la rase
-campagne aidant &mdash; de cette fonction de
-gardien-chef d'un refuge d'ours antiques.</p>
-
-<p>En prenant congé de lui, nous remîmes
-nos doigts dans sa griffe. Puis notre calèche
-nous ramena lentement, par Saint-Martin,
-Saint-Esteben et Bonloc, à la place de
-Hasparren.</p>
-
-<p>Chemin faisant, nous fîmes halte au
-pont de l'Arbéroue, et nous nous plûmes à
-regarder trois jeunes gens qui, la culotte
-relevée au-dessus du genou, fouillaient avec
-un filet les dessous de la berge pour y puiser
-des truites.</p>
-
-<p>Ils les enfermaient en des vanneries en
-forme de carafe, tressées par des Bohémiens,
-et qu'ils bouchaient avec des feuilles
-d'aulne.</p>
-
-<p>Nous observâmes qu'ils rejetaient avec
-mépris, en retirant les poissons du piège,
-les écrevisses qui y grouillaient. Nous les
-priâmes de vouloir bien nous réserver
-celles-ci. Ils le firent de la meilleure grâce
-du monde, et nous remportâmes ainsi, pour
-quelques sous, un plein panier de ces excellents
-crustacés, bien loin que je pusse
-soupçonner le rôle qu'ils allaient jouer
-avant peu dans la légende ondicolienne.
-A ce moment je me fis cette seule réflexion
-que les jeunes pêcheurs qui pratiquaient
-un sport aussi simple ne devaient point différer
-beaucoup des premiers Robinsons
-basques.</p>
-
-<p>Nous fîmes cuire et mangeâmes nos petites
-bêtes, le soir même, dans l'hôtel de la
-gracieuse petite ville, l'hôtel Gascoïna. Puis
-nous regagnâmes, non Bayonne qui était
-assez éloigné, mais ma villa où j'avais fait
-préparer des chambres pour mes compagnons
-de voyage.</p>
-
-<p>S'ils furent imprudents d'accepter mon
-hospitalité, la suite va le dire. Mais j'étais
-loin de me douter, quelques heures avant
-de les loger, que le mystère dont ils entouraient
-leurs faits et gestes à mon égard allait
-s'éclaircir.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch8">LA VÉRITÉ DANS LE RÊVE</h2>
-
-
-<p>Je les croyais profondément endormis. Il
-était une heure du matin. Je ne m'étais
-pas encore déshabillé. J'avais ouvert un
-volume d'Alfred de Musset, comme tant de
-fois au cours de mes veilles, et je m'étais
-laissé gagner par le triste charme du plus
-fiévreux de ses poèmes, cette Nuit de décembre
-que je ne peux lire sans frissonner.
-J'en étais à ces vers :</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Mais tout à coup j'ai vu dans la nuit sombre</div>
-<div class="verse i2">Une forme glisser sans bruit.</div>
-<div class="verse">Sur mon rideau j'ai vu passer une ombre,</div>
-<div class="verse i2">Elle vient s'asseoir sur mon lit.</div>
-<div class="verse">Qui donc es-tu, morne et pâle visage,</div>
-<div class="verse i2">Sombre portrait vêtu de noir?</div>
-<div class="verse">Que me veux-tu, triste oiseau de passage?&hellip;</div>
-</div>
-
-<p class="noindent">&hellip; lorsque, la porte s'ouvrant, Eliézer parut,
-silencieux comme un fantôme et qui prit
-place sur ma couche dont le drap n'était
-point plus blafard que sa face.</p>
-
-<p>Il portait comme à l'habitude un costume
-de deuil.</p>
-
-<p>Je claquai des dents, puis lui demandai :</p>
-
-<p>&mdash; Vous êtes malade sans doute? Voulez-vous
-lire la dernière chronique de Francisque
-Sarcey dans le journal le <i>Temps</i>?</p>
-
-<p>J'eus conscience, tant cette vision me terrifiait,
-je ne sais pourquoi vraiment, que ce
-que je venais de dire n'avait aucun sens et
-que je lui offrais le <i>Temps</i>, auquel je n'ai
-jamais été abonné, comme j'eusse pu lui
-proposer une chasse au tigre dans une forêt
-du Bengale.</p>
-
-<p>&mdash; Ce n'est point tout ça, me répondit-il
-d'une voix très nette et qui ne laissait point
-supposer qu'il ne fût là en chair et en os :
-parlons!</p>
-
-<p>&mdash; Allez! dis-je, sans que je perdisse un
-seul grain de ma chair de poule.</p>
-
-<p>&mdash; Eh bien! voici : mon oncle et moi
-nous sommes Juifs.</p>
-
-<p>Je m'inclinai avec la déférence polie que
-l'on marque à un homme qui vous confie
-qu'il est sourd.</p>
-
-<p>Et il poursuivit en donnant à son langage
-autant de précision qu'à l'ordinaire :</p>
-
-<p>&mdash; Et vous vous êtes aperçu que nous
-nous moquions de vous?</p>
-
-<p>Ma main se souleva comme un clapet,
-du bras du fauteuil où j'étais assis et s'y
-reposa.</p>
-
-<p>&mdash; Ne pensez pas, continua-t-il, que cependant
-je ne puisse être sincère. Et la
-preuve en est que je viens, au milieu des ténèbres,
-vous faire ma confession, aussi pénible,
-aussi humiliante qu'elle puisse être
-à un <i>déshabitué</i>.</p>
-
-<p>Il prononça <i>déshabitué</i> d'une manière si
-aiguë et si étrange, modulant chaque syllabe,
-que l'on eût cru d'une hulotte.</p>
-
-<p>&mdash; Je vous le déclare sans ambages : nous
-sommes des voleurs, mon oncle et moi,
-celui-ci ayant découvert chez un bouquiniste
-du vieux Bayonne, et s'étant approprié,
-un document qu'il aurait dû remettre
-aussitôt à la famille Passerose ; et moi,
-en lui prêtant mon concours, afin de nous
-emparer seuls d'un trésor dont ce parchemin
-fait mention. Ce trésor est enfoui dans
-les grottes d'Isturitz. De là notre acharnement
-à nous faire remettre par vous la clef
-du souterrain. De là&hellip;</p>
-
-<p>&mdash; &hellip; cette invention de la légende basque,
-bien capable de séduire et d'envoûter une
-nature comme la mienne. M'est-il à présent
-permis, cher monsieur, de vous demander à
-quelle source, si proche de nous qu'elle soit,
-vous avez été puiser votre rhapsodie?</p>
-
-<p>&mdash; La source? déclara Eliézer de la manière
-que Louis XIV affirmait : «&nbsp;L'Etat
-c'est moi&nbsp;», la source et moi nous ne faisons
-qu'un.</p>
-
-<p>&mdash; Mais cette étrange entrée en matière
-de M. Jacob Meyer touchant l'<i>Eskualdunak</i>
-et les premiers Robinsons basques?&hellip;</p>
-
-<p>&mdash; Mon oncle n'a été que le canal. Je fus
-l'amorce. Il fallait vous gagner à tout prix
-pour tâcher d'obtenir, grâce à vous, de l'inflexible
-M. Passerose, l'autorisation d'entrer
-librement dans le flanc de la colline.
-Nous savions que vous rejetteriez avec dédain
-toute offre de participer avec nous au
-partage du contenu du coffre, car c'est bien
-d'un coffre qu'il s'agit. Il se trouve à une
-distance (conversion au système décimal
-actuel) de soixante-cinq mètres trente-deux
-centimètres de l'entrée, le long de la paroi
-droite, et à un mètre vingt-six centimètres
-de profondeur. Il a été déposé là, durant la
-Terreur, par un Antoine Passerose, ascendant
-du propriétaire actuel, et qui gagna
-la Hollande pour se soustraire à la guillotine
-qui allait se déclencher à Bayonne.
-Il émigra après avoir confié à un sans-culotte
-de façade, pour le remettre à qui de
-droit, la paix revenue, le plan détaillé des
-lieux. Le sans-culotte, devenu suspect, fut
-décapité sans qu'Antoine Passerose, décédé
-en Hollande, eût pu s'enquérir du trésor et
-du document. Celui-ci avait été remis par
-le condamné, au moment qu'il allait monter
-dans la charrette, à un prêtre qui l'oublia
-dans son bréviaire avant de mourir
-d'indigestion. Le pieux livre passa aux
-mains des bric-à-brac de la Synagogue et,
-dès que mon oncle Jacob Meyer s'en fut
-rendu acquéreur, il songea bien à informer
-les héritiers légitimes en leur réclamant
-ce qui lui revenait pour une telle découverte.
-Mais sa rapacité l'emportant sur
-sa conscience, il n'en fit rien, voulant être
-seul possesseur du trésor qui monte, en pièces
-d'or, en argent, en pierres et perles, à
-plus de cent mille pistoles. Et il m'a fait
-jurer sur les éclairs du Sinaï que je n'en
-réclamerais pas une obole, qu'il ne m'eût
-couché sur son testament et qu'il ne fût entré
-dans le sein d'Abraham. Et même, il ne
-me confiait son secret que par l'absolue nécessité
-où il était d'exploiter mon génie
-poétique afin de peser sur vous dont il
-connaissait les goûts. Il les partage, il est
-vrai, ceux du moins de la pêche et de la
-poésie.</p>
-
-<p>&mdash; Vos Robinsons basques, dis-je alors
-avec une amabilité d'autant plus sincère
-que j'étais au fond touché d'une amende
-aussi honorable, et que je sentais Eliézer
-mortifié, sont des plus ravissants caprices
-que l'on puisse rêver &mdash; que dis-je? que
-vous m'avez fait rêver, apprenez-le maintenant,
-dans le cimetière d'Ascain.</p>
-
-<p>Le pauvre homme se laissa glisser du
-lit où il était demeuré assis. Il faisait
-pitié, paraissait à bout de force après cet
-aveu.</p>
-
-<p>Il rouvrit la porte, tituba dans le corridor,
-rentra <i>à reculons</i> dans sa chambre où,
-sans ajouter un mot, les yeux fixes, il se
-déshabilla et se recoucha.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Ce n'est qu'alors que je compris qu'Eliézer
-était un hystérique somnambule, qui disait
-la vérité en dormant, et qu'il venait
-d'être victime d'une de ces crises que le
-plus grand ancêtre de Freud affirme se produire
-chez certains sujets, après l'absorption
-d'écrevisses qui les forcent de marcher
-comme elles.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch9">LES FIANÇAILLES
-DE ROLAND ET D'AUDE</h2>
-
-
-<p>Le lendemain matin, à l'heure du café
-au lait, je compris qu'Eliézer, inconscient
-du phénomène nocturne dont il avait
-été victime, avait récupéré vis-à-vis de moi
-toute sa discrète mais arrogante supériorité.</p>
-
-<p>Je jubilais en moi-même de me trouver
-en possession du secret de l'oncle et
-du neveu, sans que ni l'un ni l'autre s'en
-doutât. Leur farce intéressée se retournait
-contre eux. J'avais, pour moi, tout à coup,
-ce que l'on pourrait nommer : les rieurs de
-l'invisible.</p>
-
-<p>Par malice, et sachant bien ce qui me
-restait à faire, j'exagérai l'intérêt que
-j'avais pris au duo d'amour des Robinsons
-basques, je réclamai de connaître la suite
-de la légende, j'allai jusqu'à prétendre que
-la lecture donnée devant les grottes d'Isturitz
-ne m'avait point permis, la précédente
-nuit, de fermer les paupières. Je surpris,
-d'Eliézer à Jacob, des signes d'intelligence
-qui signifiaient : «&nbsp;Nous le tenons!&nbsp;»</p>
-
-<p>Le premier de ces faquins, redoublant
-d'audace, me donna lieu d'espérer qu'il
-m'accorderait la faveur d'un nouveau
-chant qui célébrait un repas, dans une forêt
-des Aldudes, auquel auraient pris part
-Charlemagne, et Roland. Duquel chant il résultait
-que la fiancée de ce dernier, la belle
-Aude, n'aurait été qu'une Robinsonne du
-nom d'Alba, inhumée dans les grottes d'Isturitz.</p>
-
-<p>On me tenait décidément pour un parfait
-idiot. Mais je me demandai dans quel
-but Eliézer semblait m'inviter à faire
-exécuter des fouilles dans le souterrain
-alors que son oncle avait tout intérêt à les
-pratiquer seul avec lui. Je compris assez
-vite qu'il en agissait avec une prévoyance
-fort habile : il ne voulait point que je
-m'étonnasse, s'il me prenait fantaisie d'aller
-quelque jour les observer dans leurs
-travaux, de les voir remuer le sol en divers
-endroits pour y rechercher, soi-disant, les
-tuniques nuptiales ou la momie de la belle
-Aude : en réalité pour mettre la main sur le
-trésor, quand ils se sauraient bien solitaires.</p>
-
-<p>Donc je feignis de souhaiter avec ardeur
-qu'Eliézer me lût le nouveau passage lyrique,
-dont il remit la déclamation à quinzaine,
-évidemment pour la raison bien
-simple qu'il fallait qu'il le composât. Oncle,
-et neveu parurent tellement ravis de me
-voir dans cette disposition que, lorsqu'ils
-remontèrent en voiture pour rejoindre Bayonne,
-Jacob Meyer, en guise d'au revoir,
-fit le geste de se servir d'une clef. Je lui
-répondis par le plus prometteur des sourires.</p>
-
-<p>Mais sitôt qu'ils eurent décampé, je n'hésitai
-point.</p>
-
-<p>Je sellai un petit cheval et, en moins de
-temps qu'il ne faut pour l'écrire, je me retrouvai
-devant les grottes d'Isturitz et, aussitôt,
-chez Salbaya.</p>
-
-<p>&mdash; Mon ami, dis-je à celui-ci, vous êtes un
-butor mais l'homme le plus honnête que je
-sache. Vous possédez l'une des clefs du souterrain,
-moi l'autre, et nous sommes autorisés
-à y pénétrer. Je sais que vous feriez
-un très mauvais parti à quiconque tenterait
-de violer la consigne de M. Passerose.
-Mais, en supposant même que vous veilliez
-jour et nuit pour les en empêcher, apprenez
-que de très habiles malandrins qui
-guettent une occasion de retirer de la grotte
-un coffre plein d'or et de bijoux et de se
-l'approprier pourraient bien surprendre
-votre zèle. Ce trésor fut déposé durant la
-Révolution par un ancêtre de M. Passerose.
-Je n'aurai de tranquillité qu'il ne soit en
-sûreté chez vous en attendant que nous le
-puissions remettre, avec explications, à un
-ami qui en disposera selon les lois.</p>
-
-<p>Le cerbère poussa le plus grossier juron
-du pays basque, fit mine de décrocher son
-fusil et me dit :</p>
-
-<p>&mdash; Je suis sûr, monsieur, que ces voleurs
-que vous redoutez ne sont autres que ces
-deux députés qui sont venus ici avec vous.</p>
-
-<p>&mdash; Comment! députés? demandai-je.</p>
-
-<p>&mdash; Peut-être pas, reprit-il ; mais depuis
-que j'en ai vu deux pendant que je faisais
-mon service militaire, je me suis dit que
-j'en reconnaîtrais toujours l'espèce.</p>
-
-<p>Il ne faut point sonder les arcanes, souvent
-profondes, du sentiment populaire.</p>
-
-<p>&mdash; Eh bien! repris-je pour presser les
-choses, êtes-vous prêt à me suivre?</p>
-
-<p>&mdash; Oui.</p>
-
-<p>&mdash; En ce cas veuillez garer mon cheval
-et prendre des allumettes et des chandelles.</p>
-
-<p>Il mit à l'abri ma monture et, en outre de
-ce dont je lui avais dit de se munir, il emporta
-une grosse botte de paille sur son dos.</p>
-
-<p>&mdash; Allons! fit-il, mais la grotte est étendue.</p>
-
-<p>&mdash; N'ayez crainte : je connais l'emplacement
-du trésor.</p>
-
-<p>Je me souvenais, au plus juste, des mesures
-et indications à moi fournies par Eliézer
-durant son état d'hypnose, et j'avais
-emporté un décamètre que nous eûmes à
-peine besoin d'utiliser.</p>
-
-<p>Nous partons, et nous voilà. Feu de
-paille, d'abord. La gorge m'en cuit encore,
-si âcre en était la fumée.</p>
-
-<p>Les reflets se propagent, si bien qu'il ne
-nous faut que trois minutes pour apercevoir,
-à quelque soixante mètres de l'ouverture
-de la grotte, un rocher isolé des autres
-et servant, je l'eusse parié, à recouvrir une
-excavation. L'on eût dit d'un de ces monolithes,
-si adroitement modelés par les érosions,
-qu'une main d'enfant suffit à les faire
-basculer. Or Salbaya n'avait pas des doigts
-de rossignol, et, d'une poussée de ses paumes,
-il envoie le roc rouler à dix pas. Nous
-nous penchons sur les ténèbres béantes où
-nous distinguons bientôt, à peu de profondeur,
-le coffre défoncé, d'un bois pourri par
-l'humidité d'un siècle, et qui laisse scintiller,
-à la lueur de nos flambeaux de suif,
-les métaux, les escarboucles, les diamants
-et autres pierres des mille et une nuits.</p>
-
-<p>&mdash; Je vous attends ici, dis-je à mon
-homme. Allez jusqu'à chez vous et m'en
-rapportez une solide corbeille.</p>
-
-<p>Heureux de songer qu'il allait pouvoir
-donner une marque nouvelle de son dévouement
-et de sa probité, il part en courant
-et revient avec un panier convenable.</p>
-
-<p>Je n'ai nulle difficulté à plonger les bras
-dans cette masse précieuse, je fais jaillir
-de ce filon, dans une ombre à la Rembrandt,
-les regards longtemps retenus de ces
-joyaux prisonniers. Nous emplissons le panier,
-Salbaya va le vider chez lui, en lieu
-sûr, revient, le charge à nouveau, repart,
-et ainsi de suite jusqu'à sept fois. Il ne reste
-plus dans la fosse que la carcasse vermoulue
-de la caisse, que nous enlevons aussi,
-car l'inspiration de ce à quoi je vais l'utiliser
-m'est soufflée par le génie de la
-grotte. Il n'a pas fallu trois heures pour
-que le rocher soit remis en place, la trace
-de notre passage effacée, la magnifique fortune
-dans la maison du gardien qui, en
-découvrant le vaste amphithéâtre de ses
-mâchoires, prononça :</p>
-
-<p>&mdash; Ma joie eût été complète (et il me
-montrait encore son arme à feu), si je les
-avais descendus tous les deux.</p>
-
-<p>L'ombre de la colline d'Isturitz s'étendait
-jusqu'à nous, je songeais à nos ancêtres de
-l'âge de pierre qui ne furent peut-être pas
-tous des Robinsons venus d'Asie sur une
-galère enchantée, mais qui, à fréquenter
-l'ours des cavernes, en avaient pris quelques
-usages, à l'espingole près.</p>
-
-<p>Je fis part à M. Passerose, le lendemain,
-en une longue lettre, de tant de fantastiques
-péripéties.</p>
-
-<p>La découverte est de trop d'importance,
-lui mandais-je, pour que vous ne hâtiez
-point votre retour, calmant ainsi l'impatience
-qu'ont de vous revoir vos amis. Les
-ailes bleues et légères des montagnes de
-Hasparren, de Macaye et d'Isturitz valent
-bien les coiffes de vos sphinx stupides, dont
-l'énigme cependant demeure plus difficile
-à déchiffrer que ne le fut celle de votre
-grotte. Les fruits de pierre précieuse, d'or
-et d'argent de ce nouveau verger d'Aladin
-vous attendent chez ce brave Salbaya.</p>
-
-<p>Je fis part encore à M. Passerose de circonstances
-qui ne sont pas relatées ici,
-parce qu'elles n'ont pas trait à cette histoire.</p>
-
-<p>Ma signature apposée, il ne me restait
-plus qu'à me distraire en m'amusant
-du prochain, ce qui est le meilleur passe-temps
-et le plus varié du poète.</p>
-
-<p>Je partis deux jours après pour Toulouse,
-où les brodeuses sont expertes, et je
-commandai à l'une d'elles une longue et
-fine tunique, tout au long de laquelle je fis
-broder un gigantesque narcisse que voulut
-bien dessiner pour moi Charles Lacoste lui-même.
-J'avais écrit aux Meyer que je
-m'absentais, sans plus, ajoutant toutefois
-que je n'aspirais qu'à revenir bien vite, plus
-désireux que jamais d'entendre, d'Eliézer,
-le repas de Charlemagne au pays basque.</p>
-
-<p>Je crois, terminai-je, que vous finirez
-l'un et l'autre par charmer la roche d'Isturitz,
-émules d'Orphée aux enfers.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p class="top4em">Lorsque je fus en possession de la tunique
-nuptiale, qui eût donné à rêver à la
-plus galante des épouses, je la rangeai
-dans une armoire familiale qui fleurait la
-lavande et me promis de l'utiliser à mes
-desseins.</p>
-
-<p>Mais, avant que de jouer ma pièce, je
-résolus de m'entraîner à mon rôle en allant
-ouïr le passage annoncé de la légende ondicolienne.</p>
-
-<p>Je me promettais d'en jouir d'autant plus
-que la fatigante question ne m'obsédait plus
-qui me faisait me demander naguère à quel
-motif obéissaient mes deux Juifs. Le dormeur
-éveillé m'avait renseigné de telle façon
-que je ne pouvais plus m'en irriter, puisque
-je m'étais déjà vengé de lui et de son
-oncle en leur damant le pion, et le coffre.</p>
-
-<p>Ils me retrouvèrent donc de fort telle
-humeur. Je n'eus pas assez d'éloges sur le
-déjeuner qu'ils me servirent. Après un café
-digne du sultan du Maroc, Charlemagne et
-Roland entrèrent en scène.</p>
-
-<p>Dois-je attribuer au bien-être que je ressentais
-en ce moment, ou à plus de justice
-de ma part, vis-à-vis d'un confrère, le plaisir
-tout particulier que je pris à cette déclamation?
-Jamais le déconcertant et funambulesque
-génie d'Eliézer ne me séduisit
-davantage, et ce fut avec un soin scrupuleux
-que je transcrivis le texte du <i>Repas des
-Aldudes</i> qu'après lecture me confia son
-véritable auteur, comme il avait fait de
-maints autres passages, la prise de Pampelune
-par exemple.</p>
-
-<p>Par son contraste même, notre cadre ne
-manquait pas de poésie, dans une lumière
-qui, à travers les culs de bouteille des avares
-croisées de la rue Pontrique, lui donnait
-la teinte d'un aquarium ; cet établi d'orfèvrerie
-où scintillaient les outils délicats
-et les pierres et les montures, et ce fauteuil
-monumental où trônait le vieux Jacob,
-tel qu'un roi déchu d'Israël ; Eliézer, plus
-grave encore que de coutume, tenant dans
-sa main gauche la traduction qu'il disait
-avoir faite, et élevant son autre main à
-plat comme pour commander le silence.</p>
-
-<p>Il semblait avoir conscience de s'être surpassé.</p>
-
-<p>Il lut :</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p class="top4em">Quand l'Empereur eut tourné sa barbe
-vers l'Orient, il vint dessus elle un parfum
-si délicieux qu'il demanda au duc
-Naimes :</p>
-
-<p>&mdash; D'où vient-il?</p>
-
-<p>Et Naimes :</p>
-
-<p>&mdash; C'est quand la fiancée de votre neveu
-Roland se lève que l'aurore a ce parfum
-de fleur.</p>
-
-<p>Et l'un des barons à l'Empereur :</p>
-
-<p>&mdash; N'oubliez pas, sire, que c'est aujourd'hui
-liesse dans le bois des Aldudes et
-qu'avant de gagner l'Espagne pour combattre
-les Sarrazins, Roland veut vous présenter
-Alba afin que vous bénissiez leurs
-fiançailles.</p>
-
-<p>&mdash; Seigneurs barons, dit Charlemagne,
-tenez-vous prêts à honorer celle qu'un si
-aimable comte a choisie dans ce pays.</p>
-
-<p>L'armée se mit sur deux rangs, afin de
-former la haie, car, déjà, tenant par la
-main Roland, Alba la Basquaise descendait
-la montagne des Aldudes dont les sources
-tumultueuses éparpillaient, au bas, leurs
-neiges libérées.</p>
-
-<p>La traîne d'Alba était retenue par un
-nain mauresque, noir comme le diable, et
-que l'on affirmait être né du commerce
-d'Apollon avec une Chananéenne.</p>
-
-<p>C'est Olivier qui s'est saisi, dans la forêt,
-de ce singe grimaçant, l'a offert à son ami
-Roland qui en a fait don à Alba.</p>
-
-<p>Au pied d'un puy, sous un chêne, se tient
-Charles. Sa barbe ne cesse de ruisseler dans
-le vent, telle une oriflamme. Il hoche le
-chef. Et lui, qui a essuyé tant de chocs,
-remporté mille victoires sanglantes, et qui
-en verra bien d'autres puisque demain il
-va marcher contre Marsile, lui, dont les
-larmes semblaient à jamais taries, il pleure.
-Ses larmes sont comme une rosée, car
-l'amour de la jeunesse porte au c&oelig;ur du
-vieillard qui se souvient de la sienne.</p>
-
-<p>Alba, apercevant soudain l'Empereur
-qui tient les marches, lui sourit. Et ce
-sourire, tel qu'un rayon qui tombe d'entre
-les nuages, éclaire toute la vallée qu'il
-émaille.</p>
-
-<p>Qu'ils sont beaux, ces bois des Aldudes,
-lorsqu'Alba illumine leurs cimes!</p>
-
-<p>Elle pose son pied sur un caillou tremblant,
-au-dessus d'une source, et fait signe
-qu'elle en veut goûter de l'eau.</p>
-
-<p>Toute l'armée se le redit.</p>
-
-<p>Roland emplit son cor d'ivoire et, comme
-d'un lys qui se déverserait dans une rose, il
-en appuie le bord incliné sur la lèvre de
-son amie.</p>
-
-<p>Elle ne sait pas que, bientôt, c'est le
-même olifant qui recevra la pourpre rosée,
-échappée des veines rompues du comte.</p>
-
-<p>Et le sourire d'Alba se mêle à l'eau
-qu'elle boit</p>
-
-<p>Charles dit à ses barons : &mdash; Maintenant,
-je ne connais que la peine
-que me causent les maudits Sarrazins, et
-je ne me repose que sur ma selle dure ;
-quand j'étais jeune, j'ai dormi dans un pareil
-val, ayant pour oreiller la chevelure
-de la souveraine.</p>
-
-<p>Mais que ces deux-ci m'émeuvent en me
-rappelant à moi-même!</p>
-
-<p>Roland s'avance avec Alba dont il a repris
-la main.</p>
-
-<p>A mesure qu'ils se rapprochent de l'Empereur,
-elle pâlit.</p>
-
-<p>Elle songe à tout ce qu'on lui a rapporté
-de Charles : sa piété, son courage inégalable
-qui fait qu'à Aix les aigles invinciblement
-attirés planent jour et nuit au-dessus
-de son palais.</p>
-
-<p>Elle pose sa main libre sur son c&oelig;ur
-de tourterelle, baisse la tête, et, tant est lisse
-et blonde sa chevelure, on dirait que c'est
-la s&oelig;ur du soleil qui s'incline.</p>
-
-<p>Elle et Roland se mettent à genoux.
-L'Empereur leur dit :</p>
-
-<p>&mdash; Je suis l'arbre à la rude écorce au pied
-duquel s'étend la mousse dont les nids sont
-faits.</p>
-
-<p>Alba répond :</p>
-
-<p>&mdash; Sire, vous êtes le chêne qui les protège,
-et l'on n'ose lever les yeux vers vous
-de crainte d'être ébloui, tant vous supportez
-d'orages sans faiblir.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Ainsi s'exprime-t-elle en langue basque,
-traduite aussitôt par les interprètes.</p>
-
-<p>La table est dressée dans la fraîcheur du
-bois. Les agneaux, les perdreaux, les coqs
-de bruyère, les b&oelig;ufs découpés en quartiers
-et les vins y abondent. Des jeux basques
-s'organisent. Filles et garçons vont représenter
-devant l'Empereur la pastorale
-qui commémore leur origine.</p>
-
-<p>Voici Ondicola, chef de la race, monté
-sur un destrier dont la housse est faite de
-ces dentelles qui évoquent le luxe de l'Asie
-originelle. Il porte une mitre et un sceptre,
-symboles de sa puissance. Il s'élève contre
-sa cour voluptueuse, au moment qu'elle a
-abordé sur la terre basque, et il lui déclare :</p>
-
-<p>&mdash; Il n'est pas bon qu'une race, indigne
-comme est la vôtre, se perpétue sur ce sol
-vierge.</p>
-
-<p>Sa cour lui répond :</p>
-
-<p>&mdash; Que feras-tu donc de nous, Ondicola?</p>
-
-<p>Et lui :</p>
-
-<p>&mdash; Je vous tuerai et je ne laisserai vivre
-qu'Iguskia et Ithargia.</p>
-
-<p>Et voici que s'avancent les plus beaux
-adolescents des Aldudes, déguisés en Iguskia
-et en Ithargia. Ils ne portent d'autres
-vêtements que celui des pâtres, leur beauté
-éclate.</p>
-
-<p>Iguskia dit :</p>
-
-<p>&mdash; Maintenant tout le monde est mort autour
-de nous. La mer est refermée. Jusqu'à
-présent, ô Ithargia, je n'avais pas entendu
-mon c&oelig;ur battre. Mais, en portant
-plus avant mes pas sur ces terres sans habitants,
-je le sens frissonner comme un nid
-plein de chansons. Qu'est-ce?</p>
-
-<p>Et Ithargia :</p>
-
-<p>&mdash; Il se passe dans mon c&oelig;ur la même
-chose que dans le tien : le pays basque bat
-de l'aile et veut naître.</p>
-
-<p>Ainsi la pastorale se déroule devant
-l'Empereur. Les bergers, les cultivateurs,
-les petits industriels naissants y jouent leur
-rôle. Alba a posé avec amour sa tête sur
-l'épaule de Roland. Elle ne sait pas que demain,
-elfe ne le reverra plus. L'empereur
-les bénit. Et, sur une roche blanche, il y a
-un aubépin noir de soleil, et seul.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch10">LES ÉTATS-GÉNÉRAUX</h2>
-
-
-<p>Ayant retiré de sa houppelande un mouchoir
-de soie brodé, si usé qu'il eût pu
-appartenir au Juif errant, et ayant enlevé
-ses lunettes, Jacob Meyer pleura.</p>
-
-<p>Cette sorte de broderie, dont le sujet, habilement
-mené, teinté, se déroulait autour
-d'une chanson de geste que l'auteur des
-Robinsons basques avait cru bon d'introduire
-là tout d'un coup, ne fit que déconcerter
-davantage mon esprit critique.</p>
-
-<p>Nier le génie très personnel d'Eliézer,
-malgré le choix, ici, d'un thème rebattu,
-autant prétendre que ma cousine Eva n'a
-pas les yeux bleus. Mais quoi! Fallait-il
-que l'auteur fît entrer pêle-mêle, dans son
-poème, tout ce qui lui passait et chantait
-par la tête, et qui se rapportait, de près ou
-de loin, au pays basque? Et n'aurait-il pas
-relaté l'enterrement de Roland dans la
-lune si sa cuisinière, comme celle que
-j'avais jadis à Saint-Palais, le lui eût
-narré?</p>
-
-<p>Sans doute ; car dans son genre d'affection
-hystérique, les étrangetés, les contradictions,
-les inventions, les lacunes, les
-mimétismes, les vraisemblances même,
-s'amalgament, cristallisent en formes très
-diverses.</p>
-
-<p>Je dis à l'oncle et au neveu que je demeurais
-sous le charme, que j'étais prêt à
-leur remettre avant peu la clef des grottes
-d'Isturitz (à cette nouvelle ils poussèrent
-ensemble un soupir de soulagement), et
-l'autorisation, pour eux, que j'attendais,
-d'un jour à l'autre, de M. Passerose.</p>
-
-<p>J'ajoutai que je désirais auparavant leur
-rendre tant de gracieuses attentions de leur
-part et les convier à un déjeuner qui, pour
-n'avoir pas lieu aux Aldudes, en compagnie
-de Charlemagne et de Roland, ne les
-intéresserait pas moins.</p>
-
-<p>Ce sera, fis-je observer à Eliézer, une occasion
-de mettre en jeu, une fois de plus,
-vos belles qualités de synthèse, et de retrouver
-dans le repas que je vous offrirai, et
-chez les convives, les éléments de l'incomparable
-régal spirituel que vous venez de
-me servir.</p>
-
-<p>Voici, messieurs, continuai-je :</p>
-
-<p>Il est un antique usage basque dont ne
-fait pas mention votre légende, puisqu'elle
-lui est antérieure, une tradition tout intime
-à laquelle je voudrais vous initier :
-<i>les Etats-généraux du pays basque</i>, qui
-n'ont aucune sorte de rapport avec une
-constitution politique, dont ils s'éloignent
-par un caractère de franchise et de naturel.
-Ces <i>Etats-généraux</i> consistent en un déjeuner
-qui groupe annuellement ses élus, tour
-à tour dans l'une de nos trois provinces,
-et chez leur président temporaire. Cette
-assemblée se compose de vingt-cinq membres,
-choisis parmi les plus marquants de
-l'<i>Eskualdunak</i>. En eux vous pourrez voir
-revivre les origines ondicoliennes car, ayant
-l'honneur présentement d'être à leur tête,
-Je vous convie, messieurs, à titre d'érudits
-et conservateurs de notre charte, au prochain
-repas de nos <i>Etats-généraux</i> qui siégeront
-le trente août prochain, dans ma
-ferme de Garris.</p>
-
-<p>Jacob Meyer et son neveu acceptèrent en
-me remerciant beaucoup.</p>
-
-<p>Mes <i>Etats-généraux</i> n'étaient, en réalité,
-qu'un repas plantureux que je voulais
-offrir à certaines personnalités du pays,
-qui s'étaient employées avec moi pour
-soutenir la candidature d'un mien cousin
-royaliste, Bathita Yturbide. Le nombre
-de mes invitations s'élevait donc à
-vingt-six.</p>
-
-<p>Cette ripaille, je l'offris dans l'épaisse
-maison, bien blanchie pour la circonstance,
-et dont on eût dit les contrevents passés au
-chocolat, de ma propriété de Garris où,
-chaque année, j'allais faire l'ouverture de
-la chasse.</p>
-
-<p>Garris est situé non loin de Saint-Palais
-où, dès la veille, Jacob et Eliézer étaient
-descendus à l'hôtel Biracouritz.</p>
-
-<p>La matinée se leva radieuse, stridente de
-cigales, et l'ombre de mes chênes massifs
-était, autant que la chaleur, écrasante.</p>
-
-<p>Je fis mes ablutions dans la source du
-verger où je me promenai quelques temps
-en bretelles claires, tout réjoui par la perspective
-de ce groupement de types basques,
-bien purs, comme les vins que j'allais leur
-servir, et amusé à l'avance de la morale
-qu'en tireraient mes Juifs.</p>
-
-<p>Une prudence élémentaire exigeait que
-je ne les présentasse l'un et l'autre aux
-<i>Etats-généraux</i> que vaguement.</p>
-
-<p>Que je n'omette pas de dire que, pour me
-conformer à l'esprit du pays, j'avais exclu
-les femmes, sinon cinq, pour cuisiner et
-nous servir avec la meilleure grâce du
-monde. Le cordon bleu avait nom Magnana
-et ses satellites Maïana, Yuana, Graciousa,
-Beronikéa.</p>
-
-<p>Deux seulement des membres conviés
-aux <i>Etats-généraux</i> par leur président s'excusèrent.</p>
-
-<p>Les vingt-deux autres, je les vis arriver
-un peu après midi, dans mon domaine de
-Khourutçaidia, la plupart en de petits tape-cul
-les plus inconfortables du monde, et
-que traînaient des haridelles.</p>
-
-<p>Mais un mélange de bonhomie et d'orgueil
-national se lisait sur leurs faces.</p>
-
-<p>Plusieurs étaient vêtus ainsi qu'à l'habitude
-le noble ou le bourgeois basque, avec
-beaucoup de soin et de propreté, de jaquettes
-et chaussés de souliers à guêtres.</p>
-
-<p>Quelques vieillards, à barbe aussi blanche
-que la laine des brebis après l'averse,
-montraient des joues d'églantine et des
-yeux bleus, d'un bleu de bourrache.</p>
-
-<p>Certains coiffaient des pailles de Panama,
-d'autres des canotiers ou de larges
-chapeaux melons.</p>
-
-<p>Les grands paysans portaient veston et
-béret, comme les deux pilotaris et le danseur,
-mais ceux-ci arboraient des bottines
-jaunes.</p>
-
-<p>Quant aux prêtres, il y en avait deux,
-l'un curé d'une paroisse infime, mais généreuse
-envers lui d'agneaux et de haricots,
-l'autre missionnaire diocésain, âgés mais
-pleins de vie, de physionomie en relief,
-autoritaires, brusques et sympathiques. On
-sentait que, de leurs mains armées de gourdins,
-ils auraient assommé un taureau du
-premier coup et que, de leurs énormes
-pieds enfouis dans des chaloupes de cuir
-ferrées, ils eussent écrasé des lièvres. Quel
-contraste entre leur solide et fruste architecture
-et l'ossature de ces deux mauviettes
-qui descendirent de leur calèche de louage,
-les Meyer!</p>
-
-<p>Je présentai ces monteurs de légende,
-en estropiant légèrement leur nom, ce
-que me facilitait la langue basque,
-«&nbsp;Meyera&nbsp;», comme étant des ingénieurs
-de Bayonne.</p>
-
-<p>J'avais naturellement attribué les places
-d'honneur à M. le curé d'Aïciritz et au père
-Bidondoa Ihidoïpé, de Hasparren.</p>
-
-<p>Etaient présents encore Bathita Yturbide,
-mon cousin et député monarchiste, qui, durant
-sa législature, d'assez fraîche date il
-est vrai, et, il est vrai aussi, pour défendre
-une noble cause, n'avait trouvé qu'un juron
-navarrais qu'il vaut mieux que je ne rapporte
-pas ici ;</p>
-
-<p>Etchechoury, conseiller général, grand
-éleveur de chevaux, esprit averti, mais si
-plein de son propre pays, que l'idée que
-l'on pût, dans un poème, raconter que des
-Basques avaient vidé leurs assiettes jusqu'à
-les faire miroiter l'enthousiasmait comme
-d'un chant d'Homère ;</p>
-
-<p>Le comte de Macaye, grand amateur de
-déjeuners qui, en été, se prolongent dans
-la fraîcheur des salles ombreuses et dallées,
-et, en hiver, dans la tiédeur des hautes
-flammes rousses et crépitantes ; cavalier
-qui, au retour des foires, interpelle vertement
-les filles pédestres ;</p>
-
-<p>Pochelu, le juge de paix qui, à l'audience,
-tirait par les oreilles toute femme
-qui prétendait avoir raison contre un
-homme ;</p>
-
-<p>Algalarondo, le médecin, qui prescrivait
-à ses clients le jus d'herbes de sa prairie,
-et les saignait à tout propos, avec son rasoir,
-dans son plat à barbe ;</p>
-
-<p>Oyharçabal, le potard, capable d'avaler
-sans nausée du boudin cru en l'arrosant de
-maints cognacs, bitters, vermouths et litres
-de vins rouges et blancs ;</p>
-
-<p>Bidondo, le notaire, qui gavait des ortolans
-dans son étude ;</p>
-
-<p>Etchecoin, le maire laboureur, vieux-garçon
-(carloche est le terme basque),
-vivant avec ses onze s&oelig;urs célibataires
-(ou moutchourdines), et chez qui l'on se régalait
-de chipes en sauce et d'une panchetta
-célèbre ;</p>
-
-<p>Mendigaray, son collègue, qui avait tenu
-et gagné le pari de manger en un quart
-d'heure deux énormes foies de canard y
-compris leur graisse chaude ;</p>
-
-<p>Etcheto, un rougeaud, fabricant de chocolat ;</p>
-
-<p>Haramboure l'Américain, enrichi, à
-Buenos-Ayres, dans le commerce du cuir, et
-retiré à Hasparren ; Larronde, le boulanger,
-qui buvait d'un bouillon de corbeaux,
-enterrés préalablement ;</p>
-
-<p>Mercapide, le boucher, qui vendait aux
-pêcheurs les asticots de sa viande d'été, et
-ouvrait, à la même saison, un établissement
-de bains ; sa femme fabriquait des meringues ;</p>
-
-<p>Hirigoyen, l'épicier, qui, lorsqu'il pesait
-du fromage, en rognait l'excédent qu'il dégustait
-en lamelles devant l'acheteur ; mais
-quelle bonne odeur de café grillé dans sa
-boutique!</p>
-
-<p>Bordato, l'ancien marin de Terre-Neuve,
-qui représentait une compagnie d'assurances :
-«&nbsp;la Céleste&nbsp;» ;</p>
-
-<p>Bordachoury, le chasseur qui avait pris
-au piège à loup le lieutenant de gendarmerie
-de Mauléon ;</p>
-
-<p>Etchégaray, le contrebandier d'Ainhoa, et
-pilotari, dont les bidons d'alcool avaient
-été troués par les balles des douaniers ;</p>
-
-<p>Salagoïty, pilotari également, champion
-du monde à qui les Anglaises mendiaient
-ses vieilles savates et sa culotte plus blanche
-qu'une maison basque en août. Sur le
-carnet de l'une de ses admiratrices, il avait
-écrit : «&nbsp;Amia nu, je n'ai pas peur de personne&nbsp;» ;</p>
-
-<p>Pitphariatéguy, de Barcus, fils d'un amiral,
-mais qui, au grand désespoir de la
-marine et des siens, se mêlait aux baladins,
-et, en costume éclatant, faisait valser et
-pirouetter son cheval de bois ;</p>
-
-<p>Enfin Paul Dupont, rentier, qui, malgré
-un nom si peu basque, l'était à lui seul plus
-que tous les autres convives ensemble, mais
-on ne saurait dire pourquoi : c'est une impression
-indéfinissable, une manière de se
-montrer réservé après les libations nombreuses
-qu'il décidait à toute occasion, avec
-le comte de Macaye et quelques hobereaux
-de la même sorte.</p>
-
-<p>L'abbé Harriague, dans son livre sur
-la noblesse basque, démontre que les ancêtres
-maternels de Paul Dupont prirent
-part à la croisade avec saint Louis et Thibaut
-II.</p>
-
-<p>Il ne restait plus à leur descendant d'autre
-héroïsme que la chasse au lièvre et à la
-palombe.</p>
-
-<p>Et je pense que voilà des <i>Etats-généraux</i>!</p>
-
-<p>Le gros et rubicond doyen d'Aïciritz récita
-le <i lang="la" xml:lang="la">Benedicite</i>, après quoi le repas
-commença dans une sorte de silence que
-n'interrompaient que les humements provoqués
-par le potage.</p>
-
-<p>Tous les Basques avaient la serviette
-passée au col, et même l'un d'eux portait
-la sienne comme un enfant, de manière
-qu'elle imite sur la nuque deux oreilles de
-lapin.</p>
-
-<p>Tandis que Jacob Meyer et son neveu
-prenaient des cachets, les autres invités
-et moi-même ne songions qu'à remplir
-notre panse, et à ravir notre odorat de ce
-nectar qui unissait à la saveur la plus
-délicate et la plus onctueuse tout l'arome
-des potagers.</p>
-
-<p>Ma joie était grande d'entendre, à mesure
-que baissait le niveau du consommé, l'argenterie
-taper du cul sur les assiettes, et de
-voir mes hôtes, qui n'en voulaient perdre
-goutte, les soulever en les inclinant.</p>
-
-<p>La gourmandise a, dès l'abord, toutes les
-apparences de la timidité.</p>
-
-<p>C'est qu'un tel potage est rare. Il contient
-la sève même des graines, convertie en une
-graisse fine qui vous regarde avec des &oelig;ils
-d'or, il a la couleur rousse des volailles qui
-font se battre entre eux les coqs, et il est
-brûlant comme le soleil des moissons.</p>
-
-<p>Mon ordinaire était d'un vin d'Irouléguy,
-âpre comme une nèfle, un peu pétillant,
-et qui satisfait, en les râpant, les langues
-et les gosiers. Les Meyer seuls le
-mouillèrent.</p>
-
-<p>On attendait qu'un convive élevât la voix
-pour que la conversation, qui ne s'ébauchait
-qu'en sourdine, prît une tournure générale.
-Le docteur Algalarondo ouvrit le
-feu en racontant que, la veille au soir,
-un maquignon d'Uhart-Mixe avait porté
-un tel coup à un Bohémien qu'il lui
-avait fallu beaucoup d'adresse pour extraire
-du crâne la douille de cuivre éclatée
-du makhila.</p>
-
-<p>&mdash; Un sacripant de moins! s'écria le chocolatier
-Etcheto, qui redoutait les malandrins.</p>
-
-<p>Ces vers de la légende basque me chantèrent :</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Il tient serré son makhila flexible</div>
-<div class="verse">Dont on voit bien qu'un seul coup abattrait</div>
-<div class="verse">Le Sarrazin avec son minaret.</div>
-</div>
-
-<p>&mdash; Messieurs, interrogea doucement Eliézer,
-quelle origine pensez-vous que l'on
-puisse assigner au Bohémien dont vous
-parlez? Ne serait-ce pas un ancien Maure?</p>
-
-<p>Le père Bidondoa Ihidoïpé, qui ne manquait
-jamais de risquer un de ces lamentables
-jeux de mots dont s'enorgueillissent,
-hélas! les gens d'Eglise, prononça :</p>
-
-<p>&mdash; Il aurait pu rester dans sa tombe!</p>
-
-<p>Un mutisme incompréhensif accueillit ce
-trait d'esprit. Mais lorsque Etchechoury, le
-conseiller général, l'eut traduit en basque
-et en français, et fait entendre que le calembour
-portait sur «&nbsp;maure&nbsp;» et «&nbsp;mort&nbsp;»,
-l'éclat de rire fut homérique, et le père Bidondoa
-Ihidoïpé sourit de satisfaction.</p>
-
-<p>Bathita Yturbide alors déclara en se servant
-copieusement de poule-au-pot, de
-farce, et d'un pimenton rouge comme une
-course aux taureaux, qu'Edouard Drumont,
-qu'il avait tout récemment rencontré à la
-buvette de la Chambre des députés, l'avait
-assuré que les Bohémiens de Saint-Palais
-ne sont qu'une lignée d'anciens Juifs,
-échappés jadis d'un bagne du pays basque.</p>
-
-<p>Mon cousin fit part bien innocemment
-de cette opinion, mais les deux Meyer en
-piquèrent un nez dans leurs assiettes.</p>
-
-<p>&mdash; Je reconnais bien l'idée fixe de Drumont,
-dis-je, pour amortir le choc.</p>
-
-<p>&mdash; Moi, dit Mercapide, le boucher et baigneur,
-je n'ai vu ni Juif ni nègre, mais
-je sais bien que si je rencontrais l'un ou
-l'autre je lui fourrerais mon pied quelque
-part.</p>
-
-<p>En écoutant ces paroles si candides, comment
-n'aurais-je pas songé à cette marche
-vers la race maudite, dans Pampelune, que
-peu de semaines auparavant Eliézer avait
-évoquée :</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Auger qui sort de Mauléon la terre</div>
-<div class="verse">Contre la gent est si fort en colère</div>
-<div class="verse">Que l'on croirait qu'il porte le tonnerre.</div>
-</div>
-
-<p>Je détournai, heureusement, la conversation ;
-Hirigoyen, l'épicier, me demanda si,
-réellement, la soupe dite «&nbsp;tortue&nbsp;» qui
-était inscrite au menu d'une noce à laquelle
-il venait d'assister à Biarritz, était bien de
-cet animal dont il avait vu un exemplaire
-dans un jardin. Je le dissuadai.</p>
-
-<p>Haramboure l'Américain prit alors la
-parole :</p>
-
-<p>&mdash; Au Mexique, nous mangions d'excellent
-pot-au-feu de vraie tortue.</p>
-
-<p>&mdash; La fait-on bouillir avec sa tuile sur
-le dos? questionna Hirigoyen.</p>
-
-<p>&mdash; Non, fit Haramboure, on ouvre la bête
-à coup de hache.</p>
-
-<p>&mdash; Vous êtes un peu pâle, remarquai-je
-à voix basse, en me penchant vers Eliézer.</p>
-
-<p>&mdash; Ce n'est rien. Le laxatif que j'ai pris
-aura raison d'un léger trouble. Vos crus
-sont un peu forts.</p>
-
-<p>&mdash; Ne me parlez plus de toutes ces saletés,
-reprit Paul Dupont dont la pensée
-allait au train de la tortue. Je voulus, il y
-a trente ans, goûter une huître et je crus
-que j'allais rendre toute la mer.</p>
-
-<p>Graciousa et Beronikéa apportèrent les
-choux farcis, pressés et flanqués de tranches
-d'andouille à vous emporter la bouche.</p>
-
-<p>&mdash; Quelle est la viande que vous préférez?
-demanda le comte de Macaye à Paul
-Dupont.</p>
-
-<p>&mdash; En fait de chair, répondit textuellement
-celui-ci, en fait de chair, je mangerais
-tout. Mais je déteste le poisson, excepté les
-truites.</p>
-
-<p>&mdash; Vous serez servi à souhait tout à
-l'heure, monsieur Dupont, annonçai-je
-avec la fierté du maître de céans.</p>
-
-<p>Les dialogues varièrent :</p>
-
-<p>&mdash; Il faudrait, déclara Mendigaray, le
-grand mangeur, maire d'Amorots, qui était
-vraiment imposant de calme et de dignité,
-que l'on nous laissât vivre en paix dans
-notre province. Pourquoi les Français veulent-ils
-nous obliger à leur payer l'impôt?</p>
-
-<p>&mdash; Comment, insinua Jacob Meyer, l'Etat
-pourrait-il subvenir à ses lourdes charges
-si le contribuable se récuse et ne remplit
-pas son devoir de citoyen?</p>
-
-<p>Avec le même flegme, et le même &oelig;il
-bleu, si je peux dire, Mendigaray repartit :</p>
-
-<p>&mdash; Je m'en fous, et vous aussi vous vous
-en foutez.</p>
-
-<p>&mdash; Moi, dit Etcheto, voici comme je raisonne :
-ma s&oelig;ur fabrique de l'eau de noix
-avec un sirop et de l'eau-de-vie. Si j'achète
-celle-ci chez un épicier ou chez le pharmacien,
-je la paie cinq fois plus que si je me
-la procure chez un contrebandier.</p>
-
-<p>&mdash; Vous portez atteinte à l'Etat, appuya
-sévèrement Eliézer qui soutenait son oncle.</p>
-
-<p>&mdash; Qu'est-ce que l'Etat? demanda Etcheto.</p>
-
-<p>L'énorme curé d'Aïciritz, qui avait du
-bon sens, et parfois de l'esprit, répliqua :</p>
-
-<p>&mdash; L'Etat, c'est d'une autre eau-de-vie.</p>
-
-<p>Cette définition rendit rêveurs ceux qui
-l'avaient, ou non, comprise.</p>
-
-<p>Les truites frites furent servies simplement
-avec des citrons.</p>
-
-<p>&mdash; Pour vous, monsieur Dupont, dis-je.</p>
-
-<p>&mdash; Merci! Elles sont d'une jolie robe, et
-doivent être à point. Vraiment, il n'est de
-bon poisson que la truite. J'admets encore
-les anguilles en matelote.</p>
-
-<p>&mdash; D'anguilles, raconta Larronde, l'homme
-au bouillon de corbeau, nous en avons
-pris beaucoup à Amendeuch, cette année. Il
-n'est que d'avoir un couteau bien aiguisé,
-à se mettre à califourchon au-dessus d'un
-ruisseau, à bien épier au fond, et si l'on
-en voit une, de la décapiter lestement.</p>
-
-<p>&mdash; Sapristi, s'écria Eliézer qui paraissait
-plutôt nerveux, mais&hellip; mais&hellip;</p>
-
-<p>&mdash; Ce sont les descendants des guerriers
-de Pampelune, lui dis-je en souriant.</p>
-
-<p>&mdash; Il est vrai, fit-il après un léger effort
-pour se remémorer. Et il se tut.</p>
-
-<p>&mdash; Mes amis, proposai-je, acclamons Bordachoury?</p>
-
-<p>On venait de servir les lièvres.</p>
-
-<p>&mdash; Où les as-tu tués? demanda au vieux
-braconnier le comte de Macaye, dont une
-rose ornait la boutonnière et qui buvait à
-plein bord les vins d'Irouléguy, de Bordeaux
-et de Bourgogne.</p>
-
-<p>&mdash; Deux à Luxe-Sumberraute, monsieur
-le comte, le troisième, à Sala.</p>
-
-<p>&mdash; Et tu n'as plus pris de lieutenant de
-gendarmerie au piège?</p>
-
-<p>&mdash; Il en fut quitte pour une mâchure à la
-jambe, et attendit honteusement jusqu'à ce
-qu'on l'en retirât. Un Basque n'agit pas
-ainsi! Il était étranger.</p>
-
-<p>Je me penchai vers Eliézer et lui expliquai :</p>
-
-<p>&mdash; Bordachoury fait allusion à un braconnier
-de Mendionde qui, pris à un horrible
-traquenard, n'hésita point à achever de
-s'arracher le pied avec son couteau, pour
-s'enfuir.</p>
-
-<p>A ce moment, sans doute parce que ce
-trait, d'un caractère un peu trop basque, lui
-porta au c&oelig;ur, Eliézer s'évanouit sur sa
-chaise.</p>
-
-<p>Les prêtres qui venaient de se servir chacun
-une montagne de civet, agrémenté de
-persil cru, dont l'un avait à sa bouche une
-branche bougeante, n'eurent pas l'air de
-penser que leur commensal en fût à l'article
-de la mort. Ils n'en perdirent pas une
-bouchée. Le père Bidondoa Ihidoïpé s'écria :</p>
-
-<p>&mdash; Gaïchua!</p>
-
-<p>Le bon apôtre ne plaignait, par ce mot
-intraduisible, que la délicatesse d'estomac
-d'Eliézer. Il ne concevait point, étant natif
-de Larceveau, que les brutales et sanglantes
-conversations qui assaisonnaient ce repas
-pussent le moins du monde réagir sur
-un organisme délicat.</p>
-
-<p>Jacob Meyer, fort ému, s'était levé pour
-étendre son neveu, lui frictionner la poitrine,
-lui cingler la paume des mains.</p>
-
-<p>&mdash; Avez-vous de l'éther? me demanda-t-il.</p>
-
-<p>Je n'en avais pas.</p>
-
-<p>Le contrebandier Etchégaray dit :</p>
-
-<p>&mdash; J'ai apporté dans mon chahakoa un
-échantillon d'un tord-boyau espagnol qui
-réveillerait un mort. Il n'y a qu'à desserrer
-les dents de ce monsieur avec sa fourchette,
-et à lui faire avaler une gorgée en pressant
-le cuir de l'outre. Elle pisse très bien.</p>
-
-<p>Je compris qu'un propos et un remède
-aussi grossiers révoltaient Jacob Meyer.</p>
-
-<p>&mdash; Je ne peux admettre, déclara-t-il, ces
-m&oelig;urs de Papou!</p>
-
-<p>Bien heureusement fus-je seul, pas même
-les prêtres exceptés, à entendre ce dernier
-mot. Je m'opposai de mon côté à ce que fût
-utilisée la vertu de l'eau de feu, bien qu'Etchégaray
-ne comprît pas cette répugnance.</p>
-
-<p>Eliézer déjà revenait à lui lorsqu'on nous
-servit le filet de vache et la salade. Il insista,
-car il avait de l'énergie, pour se rasseoir
-à table où je lui fis servir une infusion
-brûlante qui le ragaillardit tout à fait.</p>
-
-<p>Je regrettais beaucoup d'avoir embarqué
-l'oncle et le neveu dans une pareille galère,
-avec des passagers si frustes, qui, pour
-n'être pas moins, bien au contraire, de la
-race d'Ondicola, n'avaient rien conservé
-des raffinements en usage sur la caravelle
-enchantée : l'<i>Eskualdunak</i>.</p>
-
-<p>Tandis que se succédaient les bouteilles,
-deux koblaris se levèrent tour à tour, Etchechoury,
-l'éleveur de chevaux, conseiller
-général, et le pilotari contrebandier, Etchégaray.</p>
-
-<p class="c small">ETCHECHOURY</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Ma joie est de vous rencontrer ici, Etchégaray.</div>
-<div class="verse">Le repas que nous prenons nourrit mieux</div>
-<div class="verse">Que le vent qui souffle à la frontière,</div>
-<div class="verse">Et il vaut mieux contempler votre visage épanoui</div>
-<div class="verse">Que les culottes de la douane.</div>
-</div>
-
-<p class="c small">ETCHEGARAY</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Vous me lancez la balle. Je vous la renverrai,</div>
-<div class="verse">Car n'oubliez pas que je fus champion du monde</div>
-<div class="verse">Avec les Gascoïna, les Goroztiague.</div>
-<div class="verse">Et, pour ce métier, mieux vaut avoir la minceur du peuplier</div>
-<div class="verse">Que l'obésité de l'outre, fût-elle emplie du meilleur vin de Catalogne.</div>
-</div>
-
-<p class="c small">ETCHECHOURY</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Tu fais allusion à ma rotondité.</div>
-<div class="verse">Pourrais-je, si je n'avais pas d'embonpoint,</div>
-<div class="verse">Etaler aussi largement</div>
-<div class="verse">Ma chaîne de montre aux yeux du peuple</div>
-<div class="verse">Quand celui-ci se presse en foule</div>
-<div class="verse">Aux rebots, quand tu joues à Pasaka?</div>
-</div>
-
-<p class="c small">ETCHEGARAY</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Vous êtes une figure connue.</div>
-<div class="verse">Dès que la première pelote est lancée,</div>
-<div class="verse">On vous aperçoit assis sur le mur,</div>
-<div class="verse">Tenant d'une main un chistéra,</div>
-<div class="verse">Et, de l'autre, une ombrelle que vous faites tourner</div>
-<div class="verse">Comme une auréole au-dessus de votre tête.</div>
-<div class="verse">Seriez-vous déjà un saint?</div>
-</div>
-
-<p class="c small">EICHECHOURY</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">J'espère, du moins, de le devenir</div>
-<div class="verse">A force de dîner dans la compagnie des prêtres,</div>
-<div class="verse">C'est le cas de dire que, lorsqu'on a mangé avec eux,</div>
-<div class="verse">Tous les plats sont bien curés.</div>
-</div>
-
-<p>Une triple salve d'applaudissements salua
-ce jeu de mots que je n'ai pas à traduire,
-car l'éleveur de chevaux le commit
-en français.</p>
-
-<p>Personnalité singulière que cet Etchechoury,
-parfaitement conscient de cette
-vulgarité de langage et d'attitude, entretenue
-par lui à cause de son amour de la tradition.</p>
-
-<p>Aucun koblari ne l'égalait dans ce terre-à-terre
-de la ripaille qui rejoint, plus qu'un
-Eliézer ne le pense, le génie homérique.</p>
-
-<p>Dirai-je qu'à mon goût ce court dialogue
-égale, par sa grosse simplicité, les plus
-belles pièces de l'antique?</p>
-
-<p>Mais il n'est pas que cette veine en pays
-eskuarien. Et Haramboure, l'Américain enrichi
-retiré à Hasparren, nous montra
-quelle délicatesse de sentiment peut s'allier
-à cette lourde joie de vivre.</p>
-
-<p>En effet, il chanta :</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">O ma bien-aimée, tu m'as dit :</div>
-<div class="verse">&mdash; Le plus beau des arbres c'est le hêtre</div>
-<div class="verse">A cause de son ombre.</div>
-<div class="verse">&mdash; Voici le plus noir de la forêt,</div>
-<div class="verse">T'ai-je répondu. Je te le donne,</div>
-<div class="verse">Fais-y notre nid.</div>
-
-<div class="verse stanza">&mdash; Le saule est plus gracieux que le hêtre,</div>
-<div class="verse">As-tu repris aussitôt, car il pleure.</div>
-<div class="verse">&mdash; O ma bien-aimée,</div>
-<div class="verse">Tant de sanglots sont sortis de mon c&oelig;ur,</div>
-<div class="verse">Qu'il y avait un étang à mes pieds</div>
-<div class="verse">Où se reflétait le saule.</div>
-<div class="verse">Mais tu as tout à coup déclaré ;</div>
-<div class="verse">&mdash; Au saule, je préfère le tilleul odorant</div>
-<div class="verse">Où chante le rossignol.</div>
-
-<div class="verse stanza">Alors, ô ma bien-aimée,</div>
-<div class="verse">J'ai acheté du parfum à une Bohémienne</div>
-<div class="verse">Habile aux philtres qui séduisent ;</div>
-<div class="verse">Et, pour ressembler tout à fait au tilleul,</div>
-<div class="verse">J'ai mis un rossignol dans mon c&oelig;ur,</div>
-<div class="verse">Et il te chante ce chant.</div>
-<div class="verse">Mais déjà, ô cruelle, je t'entends me dire :</div>
-<div class="verse">&mdash; Le plus beau des arbres, c'est le chêne&hellip;</div>
-
-<div class="verse stanza">&mdash; S'il en est ainsi, ô ma bien-aimée,</div>
-<div class="verse">Fais, avec son bois, mon cercueil.</div>
-</div>
-
-<p>&mdash; Comment, me demanda Eliézer dans
-l'admiration (et il y avait de quoi), pouvez-vous
-concevoir un peuple à la fois si
-barbare et si raffiné?</p>
-
-<p>&mdash; Eh quoi! remarquai-je, Cythère n'est-elle
-ardue et montagneuse, hantée des seuls
-chevriers, et dont pourtant Vénus est sortie&hellip;
-Et la légende basque?&hellip;</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Lorsque prirent fin ces singulières assises
-des <i>Etats-généraux</i> basques, la soirée était
-déjà avancée.</p>
-
-<p>J'entendis un à un s'égrener les grelots
-des calèches, des tape-cul et des coucous,
-remportant aux quatre coins de l'horizon
-mes pittoresques convives dont certains se
-détachaient jusqu'au torse sur un ciel couleur
-d'omelette, de sauce tomate et de vin
-d'Irouléguy.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch11">MA COUSINE ÉVA, UN TRÉSOR</h2>
-
-
-<p>Ma cousine Eva, de Bayonne, Basquaise
-pure, comptait dix-neuf ans.</p>
-
-<p>D'une forme joliment ronde, la joue
-rose, j'ai dit ailleurs que ses yeux étaient
-bleus. Elle possédait ce caractère épanoui
-qu'ont les petites filles sans dot.</p>
-
-<p>Elle était née d'un officier du génie et,
-demeurée seule dès son bas âge avec sa
-mère, elle affectait des allures un peu trop
-libres dans le monde. C'est que les mamans,
-et je n'ai pas le courage de les en
-trop blâmer, lancent plutôt qu'elles ne retiennent
-une fille sans fortune à la conquête
-d'improbables maris.</p>
-
-<p>Eva n'avait point à employer d'artifices
-pour connaître le succès, mais, hélas!
-comme il arrive aux plus charmantes de
-son espèce, elle voyait tour à tour ceux qui
-l'eussent volontiers épousée se décider
-plutôt pour des laiderons d'or.</p>
-
-<p>De là, et bien qu'elle fût si jeune, une
-sorte de philosophie bonne enfant, faite
-d'un peu de scepticisme et de beaucoup de
-gaieté.</p>
-
-<p>Eva jouait parfaitement la comédie, et
-je l'avais amenée, par exemple, dans une
-comédie d'Alfred de Musset que je lui avais
-fait répéter, à mettre en délire son auditoire.</p>
-
-<p>Eva était Eva. Et, quand on nommait
-Eva, les vieux et jeunes salonniers, que
-Forain stigmatisait alors, se prenaient à
-sourire de la manière la plus admirative et
-la plus bébête.</p>
-
-<p>J'invitais souvent Eva et sa mère à villégiaturer
-chez moi, en assez nombreuse
-compagnie.</p>
-
-<p>Sans grand luxe, on se distrayait beaucoup.
-Les promenades à âne dans la vallée,
-des parties de pêche à la ligne sont tout ce
-qu'il y a de mieux. Nous composions aussi
-des charades animées où Eva excellait.</p>
-
-<p>Un soir que nous nous livrions à cet amusement,
-je me plus à tirer de mon armoire
-la fameuse tunique nuptiale que j'avais fait
-couper et broder à Toulouse, et je priai
-Eva de s'en revêtir dans la coulisse de notre
-petite scène improvisée.</p>
-
-<p>Ce fut un ravissement.</p>
-
-<p>Si elle n'avait été ma cousine, je crois
-que je l'eusse demandée en mariage ce soir-là,
-tant cette vieille dentelle, parcourue par
-ce long narcisse, lui seyait.</p>
-
-<p>Eva et ses compagnes se montrèrent fort
-curieuses de connaître l'origine de ce travail
-de fée. Et je leur appris, ce qui était
-la vérité, que je m'étais passé la coûteuse
-fantaisie de le faire exécuter à Toulouse,
-par des spécialistes hors de pair, sur un
-modèle proposé par une légende basque.</p>
-
-<p>Ces petites se contentèrent d'admirer ce
-chef-d'&oelig;uvre, sans autrement se soucier de
-contrôler si, comme je le leur avais dit, les
-toutes premières Basquaises comparaissaient
-dans ce costume devant leurs époux
-enivrés.</p>
-
-<p>Dans la huitaine qui suivit son exhibition,
-la tunique nuptiale fut à l'ordre du
-jour.</p>
-
-<p>Et Eva, qui était la meilleure fille du
-monde, la plus franche et la plus sans façon,
-me prit à part pour me dire :</p>
-
-<p>&mdash; Mon cousin, tu commets une vilaine
-action en cachant une aussi merveilleuse
-jupe dans un meuble, car tu peux bien
-penser que, si je me montrais une seule
-fois à Biarritz, l'ayant mise, tous mes admirateurs
-tomberaient à genoux en implorant
-ma main.</p>
-
-<p>&mdash; Il est vrai, Eva, qu'en te voyant ainsi
-déguisée pour la charade, je me disais que
-la beauté des premières Basquaises, célébrée
-par la légende, eût pâli devant la tienne.</p>
-
-<p>Elle éclata franchement de rire :</p>
-
-<p>&mdash; Il se peut, après tout, fit-elle. Me faut-il
-donc insister beaucoup pour que je
-puisse me produire dans cet appareil devant
-un public, plus intéressant pour moi
-que celui que tu as convié ici?</p>
-
-<p>&mdash; Je te remercie, dis-je sans me fâcher,
-de faire un si grand cas de mes hôtes.</p>
-
-<p>&mdash; J'entends par «&nbsp;intéressant&nbsp;», reprit-elle,
-ce qui peut conduire au mariage une
-jeune fille.</p>
-
-<p>&mdash; A la bonne heure! Voilà qui est net.</p>
-
-<p>&mdash; Tu ne veux cependant point que je
-tourne mal?</p>
-
-<p>&mdash; Non, car tu es trop bien faite pour
-cela.</p>
-
-<p>&mdash; En ce cas, répondit-elle avec une délicieuse
-ellipse, remets-moi ce que je te
-demande.</p>
-
-<p>&mdash; La tunique?</p>
-
-<p>&mdash; Oui.</p>
-
-<p>&mdash; Eh bien, soit ; mais à une condition.</p>
-
-<p>&mdash; Celle que tu voudras.</p>
-
-<p>&mdash; Eh bien! Eva, voici. J'ai résolu de
-monter, pour la fin de l'automne, aux grottes
-d'Isturitz, un spectacle impressionnant
-auquel je veux convier tout ce que notre
-pays compte de plus distingué. Il s'agit de
-faire représenter, de cette légende basque
-dont je t'ai parlé, l'acte qui m'engagea à
-confier l'exécution du vêtement à une vraie
-artiste. Tu es ma principale vedette. Tu
-joues le rôle d'une Robinsonne basque. Tu
-rends tous les hommes qui te verront ainsi
-fous de toi. Tu choisis qui t'agréera le
-mieux. Et je mets dans ta corbeille la tunique
-nuptiale.</p>
-
-<p>&mdash; Tu es un bijou de poète, et me fais regretter
-presque de n'être que ta cousine, et
-de ne pouvoir t'aimer qu'en partie!</p>
-
-<p>&mdash; Ce n'est pas tout, repris-je sans relever
-sa malice : il faudra t'exercer, et, dans le
-lieu même que j'ai choisi, à Isturitz.</p>
-
-<p>&mdash; Cent fois plutôt qu'une, puisque la
-dentelle est à moi!</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch12">LA RÉPÉTITION GÉNÉRALE</h2>
-
-
-<p>Et, par un doux après-midi, nous allâmes
-donc, quelques jeunes fous et folles, à
-la grotte dont le cerbère ne savait plus
-quelles attentions délicates me témoigner
-depuis que je lui avais donné l'insigne
-marque de confiance de déposer chez lui
-le trésor ; et tantôt c'était d'un pot de miel
-ou d'un lièvre, ou de truites, ou de ces
-écrevisses dont l'ingestion avait déterminé
-chez Eliézer un accès de franchise somnambulique.</p>
-
-<p>Ce jour là, Salbaya mit à la disposition
-de notre joyeuse bande ses meilleurs fruits,
-son fromage frais, ses bottes de paille sèches,
-renforcées de toutes ses chandelles,
-pour en illuminer jusqu'aux plus sombres
-recoins de la crypte.</p>
-
-<p>Nous nous amusâmes fort, en esquissant
-la représentation de la Légende dans ce
-même abri naturel dont la clémence avait
-jadis protégé Iguskia et Ithargia.</p>
-
-<p>Eva n'était plus qu'un éblouissant éclat
-de rire.</p>
-
-<p>Mais, lorsque je la fis se coucher, tant
-soit peu en chien de fusil, dans la fosse
-qui avait renfermé un trésor moins beau
-qu'elle, et dont il fallait qu'elle ressurgît,
-après un sommeil de tant de siècles, revêtue
-de la robe nuptiale, et telle qu'une Robinsonne
-ou Belle au Bois dormant, on ne
-savait plus s'il fallait ou non garder son
-sérieux.</p>
-
-<p>&mdash; Le rôle que tu me fais jouer là est un
-peu lugubre? fit-elle. Tu as l'air de mesurer
-mon caveau avant que je sois morte. Rappelle-toi
-que je n'ai nulle envie de
-prendre mon rôle à la lettre.</p>
-
-<p>&mdash; Il faudra, ordonnai-je à Salbaya qui
-restait bouche bée devant ce qu'il devait
-prendre pour une opération de sorcellerie,
-mais qui tolérait décidément, sans le moindre
-murmure, mes faits et gestes les plus
-extravagants, que vous agrandissiez un peu
-cette ouverture avant d'y replacer le rocher
-que vous venez d'ôter.</p>
-
-<p>&mdash; Le fait est, fit Eva, que si ce trou doit
-devenir mon lit nuptial je n'y serai pas au
-large.</p>
-
-<p>Elle ne croyait pas si bien dire.</p>
-
-<p>Tous les préparatifs qui devaient servir
-mon plan s'enchaînaient à merveille, le
-plus simplement du monde, pour confondre
-Jacob Meyer et son neveu.</p>
-
-<p>Lorsque je les revis chez eux, je leur déclarai
-que la clef était à leur disposition,
-mais que M. Passerose m'avait déclaré ne
-consentir à la leur livrer que s'ils la remettaient
-chaque soir au gardien ou à moi-même.</p>
-
-<p>&mdash; Croyez, messieurs, leur dis-je, que je
-ne demande à conduire cette affaire qu'à
-la plus grande satisfaction de tous, pour
-vous obliger le mieux possible, et ne déplaire
-en rien à mon ami M. Passerose.
-Tout se peut concilier. Il est donc convenu
-que, d'aujourd'hui en quinze, la clef sera
-en votre possession, de dix heures du matin
-à six heures du soir. J'ai donné ordre à
-Salbaya, qui vous la remettra, de vous laisser
-seuls à vos fouilles. Quant à moi, vous
-m'excuserez de ne pouvoir me joindre à
-vous, et m'associer à vos savantes recherches.
-Je m'absenterai à ce moment.</p>
-
-<p>Je surpris un signe d'intelligence satisfait
-dans le double clin d'&oelig;il qu'échangèrent
-Jacob et Eliézer.</p>
-
-<p>Il ne me restait plus qu'à mobiliser ma
-cousine Eva au moment opportun.</p>
-
-<p>La veille du jour où la clef devait être
-prêtée à mes Juifs (je ne doutais pas qu'ils
-ne voulussent se rendre à la grotte dès la
-première minute) je leur fis tenir ce mot :</p>
-
-<p>«&nbsp;Demain, à dix heures précises, Salbaya
-vous confiera la clef.&nbsp;»</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p class="top4em">Il n'avait pas été difficile d'obtenir d'Eva
-et de sa mère qu'elles revinssent passer
-une quinzaine dans ma villa, d'où l'on sait
-qu'en peu de temps on peut gagner les
-grottes d'Isturitz.</p>
-
-<p>La belle enfant était toujours bonne,
-aussi heureuse de vivre, encore qu'elle eût
-pu avoir alors quelque sujet de souci, ma
-tante ayant reçu, deux jours avant leur
-arrivée, la visite de l'huissier.</p>
-
-<p>Ce n'est point que cette pauvre femme
-administrât mal sa fortune, mais elle n'en
-avait point. J'avais gros c&oelig;ur de cette situation.
-Je les aidais bien dans quelque
-mesure, mais pas autant que je l'eusse désiré.
-J'ai toujours eu un faible pour la
-Bohême innocente, et ma tante était quelque
-peu de ce pays.</p>
-
-<p>Quant à sa fille, je l'eusse sans doute
-épousée si, comme je l'ai expliqué, notre
-genre d'affection mutuelle, et nos jeux
-d'enfance qui se continuaient en somme
-dans les grottes, n'avaient fait d'elle ma
-s&oelig;ur et, de moi, son frère.</p>
-
-<p>Mais elle était si jolie que je ne désespérais
-pas qu'elle sauvât, par un mariage, une
-situation si obérée. Son alerte démarche de
-Basquaise, aux pieds pointus, chaussés de
-blanches sandales, semblait chanter toujours :
-«&nbsp;Suivez-moi!&nbsp;»</p>
-
-<p>Je m'imaginais très bien de la sorte une
-descendante immédiate d'Iguskia et d'Ithargia,
-et je savais qu'elle jouerait à ravir,
-pour mes fins vengeresses, devant Jacob et
-Eliézer, son rôle de Robinsonne de la Légende.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch13">LE TRIOMPHE D'ÉVA</h2>
-
-
-<p>La veille du jour qu'elle devait tenir le
-délicieux rôle que je lui destinais :</p>
-
-<p>&mdash; Eva, dis-je, nous irons demain à Isturitz
-où tu voudras bien mettre en &oelig;uvre
-mes moindres instructions. Il te suffira de
-passer la tunique, elle te sied à ravir, de te
-bien attifer et coiffer, et de te dissimuler
-quelques minutes dans la fosse de la grotte,
-comme l'autre jour, jusqu'à ce que deux
-originaux t'y découvrent, à leur grande surprise.</p>
-
-<p>&mdash; De quels originaux parles-tu?</p>
-
-<p>&mdash; Peu importe ; tu n'as rien à redouter
-de leur présence ; et, d'ailleurs, je me tiendrai
-caché non loin de toi, tandis que tu
-rempliras cet office d'enterrée.</p>
-
-<p>&mdash; Tu mets bien du mystère à ton jeu :
-ce n'est pas dans ton habitude. Hais puisque
-le prix à remporter, si je me rends à
-tes caprices, est cette robe de fée, sache que
-je suis à tes ordres.</p>
-
-<p>&mdash; Il te suffira, continuai-je, dès que tu
-te verras découverte &mdash; comme on joue au
-cache-cache &mdash; de te redresser, soudain et,
-tel qu'un fantôme gracieux, de gagner à
-pas lents et en silence la sortie. De là, en
-quelques bonds, tu seras chez Salbaya, hors
-d'atteinte, jusqu'à ce que je te rejoigne.</p>
-
-<p>L'action fut menée avec un art parfait.
-Sous prétexte de partie de pêche, Eva et
-moi gagnâmes à l'aurore les grottes d'Isturitz
-et, avant dix heures, elle revêtit
-la tunique légendaire, peu de temps avant
-que le cerbère accompagnât, au même lieu,
-les Meyer empressés.</p>
-
-<p>Elle s'établit, sans froisser sa dentelle,
-dans la cachette où reposait naguère le trésor.
-Le rocher qui en fermait l'entrée avait
-été, sur mon avis, mis de côté par Salbaya.
-Quant à moi, le diable, avant même que la
-chandelle fût morte, n'aurait su me distinguer
-des stalactites environnantes.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Voici Jacob et Eliézer.</p>
-
-<p>J'entends gémir la grille, et que Salbaya
-remporte sa clef à lui, sans refermer la
-serrure, et, tout à fait comme je lui en avais
-intimé l'ordre, leur laissant croire qu'ils
-sont seuls tous les deux.</p>
-
-<p>Une lampe des plus perfectionnées, de
-spéléologue sans doute, qu'allume Eliézer,
-transforme en palais radieux cette annexe
-de l'enfer.</p>
-
-<p>La luxuriante forêt de pierre apparaît,
-qui semble recouverte de rosée par le scintillement
-des prismes naturels. Mais les
-deux coquins n'ont cure de cette métamorphose
-souterraine. Ils déroulent leur décamètre ;
-la route s'ouvre librement devant
-eux, avec, au bout pensent-ils, l'objet
-de leur longue convoitise.</p>
-
-<p>&mdash; C'est ici! prononcent-ils bientôt sans
-hésiter.</p>
-
-<p>&mdash; Ah! laisse-moi le premier mettre la
-main dessus! s'écrie Jacob Meyer d'une
-voix rendue gutturale par la cupidité.</p>
-
-<p>Et, contournant le couvercle rocheux, il
-projette dans le trou un faisceau de rayons.</p>
-
-<p>Aussitôt, comme enveloppée d'une lueur
-d'aube où s'épanouit le narcisse, surgit Eva
-que je ne vois que de profil.</p>
-
-<p>Mais qu'elle est belle!</p>
-
-<p>Elle sourit. Elle fait, de ses bras ronds
-et de ses mains unies sous sa nuque,
-un arc charmant, et elle bâille comme si
-elle sortait d'un profond sommeil, montrant
-des dents qui valent toutes les perles
-du trésor de la famille Passerose.</p>
-
-<p>Et, sous les yeux des deux Juifs pétrifiés
-comme les végétaux de la grotte, elle s'en
-va.</p>
-
-<p>Je suis ravi de la perfection de son jeu
-et, tandis qu'il me faut réprimer mon envie
-d'applaudir, je suis le témoin de ce dialogue
-invraisemblable :</p>
-
-<p>&mdash; Eliézer?</p>
-
-<p>&mdash; Mon oncle?</p>
-
-<p>&mdash; Est-ce vrai?</p>
-
-<p>&mdash; Suis-je somnambule?</p>
-
-<p>&mdash; Suis-je somnambule?</p>
-
-<p>&mdash; Vous l'êtes.</p>
-
-<p>&mdash; Tu l'es.</p>
-
-<p>&mdash; L'avez-vous vue, mon oncle?</p>
-
-<p>&mdash; L'as-tu vue, Eliézer?</p>
-
-<p>&mdash; C'est une fille d'Ithargia.</p>
-
-<p>&mdash; C'est une fille d'Ithargia.</p>
-
-<p>&mdash; Elle portait la tunique nuptiale.</p>
-
-<p>&mdash; Le narcisse de la légende montait
-comme un jet d'eau jusqu'à son sein neigeux.</p>
-
-<p>&mdash; Mais puisque nous avons inventé la
-légende?</p>
-
-<p>&mdash; Alors nous sommes fous?</p>
-
-<p>&mdash; Sommes-nous fous alors?</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Mais tout à coup Jacob Meyer se ressaisit
-et s'écria :</p>
-
-<p>&mdash; Nous sommes volés!</p>
-
-<p>Et l'écho de la grotte répéta cette phrase.</p>
-
-<p>Ils ne furent pas longs à décamper
-comme des péteux, et n'allèrent point demander
-des explications sur leur mésaventure
-à Salbaya, chez qui bientôt je rejoignis
-Eva.</p>
-
-<p>La pauvre petite, avec qui je déjeunai
-gaiement en lui faisant part, cette fois, sans
-en rien réserver, du mot de l'énigme, avait
-bien gagné sa chemise de noces! Je souhaitais
-vivement de lui faire aussi don de
-l'époux. Ce qui arriva comme on va le voir.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch14">LA CONCLUSION INATTENDUE</h2>
-
-
-<p>Monsieur, commença Eliézer en s'asseyant
-dans le fauteuil que je lui
-avançai, lorsqu'il vint me rendre visite
-deux mois après la farce qu'Eva et moi lui
-avions si bien jouée, mon oncle et moi nous
-sommes deux Juifs.</p>
-
-<p>Je reconnus la même phrase que le
-même Eliézer avait prononcée durant son
-accès de somnambulisme, après avoir
-mangé des écrevisses, en cette nuit qu'il
-m'avait tant effrayé.</p>
-
-<p>Mais, cette fois, il veillait, et je ressentais
-qu'il était on ne peut plus conscient de lui-même.</p>
-
-<p>Cependant il continuait à me révéler ces
-mêmes choses qu'il m'avait confessées, à
-son insu, durant son sommeil :</p>
-
-<p>&mdash; Et vous vous êtes aperçu que nous
-nous moquions de vous&hellip; Ne pensez pas
-que je ne puisse être sincère&hellip; Et, la preuve
-en est, que je viens vous faire cet aveu si
-pénible et si humiliant&hellip; Je vous le déclare
-sans ambages : nous sommes des voleurs,
-mon oncle et moi, celui-ci ayant découvert
-chez un bouquiniste du vieux Bayonne,
-et s'étant approprié un document qu'il
-aurait dû remettre à la famille Passerose ;
-et moi, en lui prêtant mon concours,
-afin de nous emparer seuls d'un trésor dont
-ce parchemin fait mention&hellip; Ce trésor&hellip;</p>
-
-<p>Eliézer poursuivit son discours, et j'en
-reconnaissais chaque mot comme déjà
-l'ayant entendu au cours de sa crise nocturne :</p>
-
-<p>&mdash; Il fallait, disait-il, vous gagner, afin
-d'obtenir la clef des grottes et le droit de
-pénétrer librement dans le flanc de la colline.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Quand ce singulier pénitent, fort bien
-éveillé, en eut terminé avec sa confession
-renouvelée, il y ajouta, si je peux dire, un
-inédit qui me stupéfia par sa conclusion
-inattendue.</p>
-
-<p>&mdash; Nul doute, fit-il, monsieur, que notre
-obscure machination ne vous ait été révélée
-par une voie que j'ignore, et que vous l'ayez
-prévenue et déjouée avec beaucoup d'esprit.</p>
-
-<p>J'eus un sourire d'approbation flattée.</p>
-
-<p>&mdash; Vous avez, continua-t-il, commencé de
-nous brimer en nous mettant, mon oncle et
-moi, en contact avec le réalisme un peu
-brutal de vos <i>Etats-généraux</i> de Garris,
-dont j'avais compris l'allusion. Et vous
-avez ensuite substitué au trésor que vous
-avez mis en sûreté la plus jolie fille du
-monde.</p>
-
-<p>Je souris encore.</p>
-
-<p>&mdash; Il n'est pas de beauté, fit Eliézer, qui
-puisse être, même de loin, comparée à la
-sienne ; ni d'Ithargia ; ni des vierges de
-l'<i>Amodioa</i> dont les voiles étaient gonflées
-par la brise qui sortait des joues rebondies
-de l'Amour. Mon inspiration poétique, si
-géniale soit-elle, demeure, monsieur, tellement
-au-dessous du modèle que m'offre,
-après coup, la vérité vivante, que j'en demeure
-confus. Je ne saurais me payer de
-mots. Comment ma pâle invention lyrique
-a-t-elle pu susciter, en chair et en os, la
-vraie Robinsonne basque, le moule parfait,
-capable, selon le v&oelig;u d'Ondicola, de refaire
-une race. Or&hellip;</p>
-
-<p>&mdash; Or?</p>
-
-<p>&mdash; Je veux reconstituer la mienne.</p>
-
-<p>&mdash; Quoi? dis-je, vous voulez épouser
-Eva?</p>
-
-<p>(Je lui jetai ainsi le prénom de ma cousine,
-tant cet épilogue me jetait dans le désarroi.)</p>
-
-<p>&mdash; Oui, monsieur, je veux m'unir à elle,
-en lui offrant, avec une dotation de huit
-cent mille francs de rente, ma sincère conversion
-religieuse.</p>
-
-<p>&mdash; Ah! bah?</p>
-
-<p>&mdash; Une pareille beauté, dont la grâce ne
-m'a point permis de supposer un seul instant
-qu'elle n'appartînt à une vierge, ne
-saurait être dans l'erreur.</p>
-
-<p>&mdash; Peste! fis-je, me demandant quelle
-valeur un théologien accorderait à cette
-manière d'envisager la foi catholique!&hellip;
-Mais&hellip; Ne m'a-t-on pas assuré que vous êtes
-parfois sujet à des crises somnambuliques?</p>
-
-<p>&mdash; Croyez, monsieur, qu'avec Eva, puisque
-ainsi elle s'appelle, je ne saurais vivre
-que dans un rêve enchanté, ou rêver dans
-la plus suave des veilles : ce qui est le lot
-des plus fortunés.</p>
-
-<p>Eliézer se retira sur ces paroles exquises,
-après m'avoir chargé de demander pour lui
-à ma tante la main de ma cousine, que je
-comptais bien qu'après une entrevue prochaine
-il n'obtiendrait pas.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p class="top4em">&mdash; Je ne trouve pas Eliézer mal du tout,
-me dit Eva après cette entrevue qui se
-passa chez moi. Il m'a très franchement
-marqué son repentir d'avoir trempé dans
-les roueries de son oncle, et il m'a déclaré
-n'en vouloir retenir que l'amusant poème
-auquel elles ont donné lieu, et où l'on se
-moque de toi délicieusement. Il m'en a lu
-quelques passages, mais sais-tu qu'ils sont
-fort beaux?</p>
-
-<p>&mdash; Oui.</p>
-
-<p>&mdash; J'apprécie tes vers ; mais laisse-moi
-t'avouer que rien, dans ton &oelig;uvre, ne m'a
-ému autant que cette légende basque. Et,
-puisque son auteur m'a choisie pour être,
-en chair et en os, et d'esprit, la Robinsonne
-qui l'inspire, apprends que je me sens apte
-tout à fait à lui susciter une race de choix.</p>
-
-<p>&mdash; Celle même d'un somnambule? demandai-je
-piqué.</p>
-
-<p>&mdash; Rien, me répondit-elle, n'est plus charmant
-que l'Amour endormi.</p>
-
-<p>Bref, il me fallut rengainer ma mauvaise
-humeur et mon dépit. La pauvre chose
-qu'un c&oelig;ur d'homme!</p>
-
-<p>Voici quelques jours à peine, je désirais
-d'autant plus le bonheur et la prospérité
-de cette enfant que je craignais qu'elle ne
-fût condamnée au célibat des jeunes filles
-sans dot.</p>
-
-<p>Quant à l'affection de camarade que je
-lui portais, et qu'elle me rendait, je m'en
-suis expliqué : elle était de telle sorte
-qu'elle semblait ne pouvoir engendrer cette
-jalousie où la beauté physique entre
-comme élément.</p>
-
-<p>Et, néanmoins, je rongeais mon frein,
-tout capot qu'Eliézer eût, ne fût-ce que par
-sa fortune, fait la conquête d'Eva.</p>
-
-<p>La mère de celle-ci, trop satisfaite
-d'échapper à ses créanciers, ne fit aucune
-opposition, bien au contraire ; et il me
-fallut, bon gré, mal gré, par convenance,
-chaperonner Eta et Eliézer à travers la
-lune de miel de leurs fiançailles, me prêter
-à leurs fantaisies, et, ce qui me fut le plus
-humiliant, les surveiller.</p>
-
-<p>Je ne pus même me refuser à les ramener
-à Isturitz où ma cousine eut un accès d'hilarité
-en revoyant la fosse qui lui avait
-servi de sépulcre et qu'elle nomma Cette
-foi : «&nbsp;Le berceau de la race.&nbsp;»</p>
-
-<p>J'enrageais. Quant au futur époux, il
-était tout transformé. Il me demanda, pour
-lui éclaircir quelques points d'une théologie
-qu'il avait déjà pas mal étudiée, un guide
-averti, et je ne sus mieux faire que de le
-confier au missionnaire qu'il avait rencontré
-au cours du repas des <i>Etats-généraux</i>
-basques : le père Bidondoa Ihidoïpé.</p>
-
-<p>Celui-ci trouva fort édifiant son catéchumène
-qui lui fit cadeau d'un microscope,
-d'une jumelle de spectacle et de l'<i>Histoire
-de la Révolution française</i>, en dix volumes,
-de M. Thiers, &oelig;uvre que le donateur ne
-voulut point conserver la trouvant désormais
-entachée d'hérésies.</p>
-
-<p>Au physique, peut-être à cause que le
-Malin se retirait de lui, Eliézer était devenu
-presque un joli homme. Grâce à un nommé
-Perron, poète et coiffeur de Bayonne, qui
-avait résolu, pour son client, une coupe de
-cheveux et de barbe dite «&nbsp;jardin à la française&nbsp;»,
-il avait quinze ans de moins.</p>
-
-<p>Ce rajeunissement m'agaçait tout autant
-que le reste du personnage, mais ce qui
-porta au comble mon dépit fut d'avoir à
-réentendre l'étonnant chapitre de la Légende
-où Roland et Aude, dans les montagnes
-des Aldudes, viennent saluer Charlemagne.</p>
-
-<p>J'eus beau me répéter que le poème
-n'avait ni queue ni tête, il fallut bien me
-rendre à l'évidence du contraire lorsque se
-penchant vers Eliézer assis sur l'un des
-bancs de mon petit parc, Eva lui décocha
-le plus sonore des baisers.</p>
-
-<p>Alors, je devins ridicule. Et, poussé par
-l'esprit de bassesse que la rivalité fait naître
-chez ceux-là mêmes qui ne sont pas les
-pires, j'allai jusqu'à lui déclarer, lorsque,
-nous fûmes en tête à tête, que je trouvais
-fâcheux qu'elle consentît à épouser un
-homme qui, ne fût-ce qu'un moment, s'était
-fait le complice d'un vol.</p>
-
-<p>Elle me répondit que je n'étais qu'un
-pharisien ; qu'il est d'autres larcins plus
-graves que de perles, dont le commun fait
-assez bon marché, ne serait-ce que de
-ravir les femmes d'autrui ; et que, d'ailleurs,
-si j'étais chrétien le moins du monde,
-il me fallait bien admettre que le passage
-du judaïsme au christianisme sanctifierait
-son cher <i>Zézer</i>.</p>
-
-<p>Je faillis gifler la superbe fille en l'entendant
-forger un si amoureux diminutif.</p>
-
-<p>Elle ajouta que, si invraisemblable et si
-décousue que fût la Légende, elle faisait
-siennes les idées d'Ondicola sur la réfection
-d'un peuple, et que, n'ayant jamais
-rencontré, parmi les jeunes coureurs de
-plages, un seul Iguskia, elle leur substituerait
-Eliézer. Ce n'est pas que l'esprit lui
-manque, ni même le génie, assura-t-elle, en
-me regardant bien en face. Il n'en a que
-trop. Quant à ce qui regarde le reste, tu m'as
-vu faire, à la nage, le tour du grand rocher
-de Biarritz. Je ne demanderai à mes enfants
-que de&hellip;</p>
-
-<p>&mdash; Passer la mer Rouge avec les chameaux
-de leur père?</p>
-
-<p>Elle me regarda avec un certain mépris
-attristé :</p>
-
-<p>&mdash; On dirait, ma parole, que tu es jaloux!</p>
-
-<p>Jacob Meyer fut ému jusqu'aux larmes,
-car il était sentimental, en apprenant, de
-son neveu, la conclusion pratique d'une histoire
-aussi irréelle.</p>
-
-<p>Il s'excusa de la tentative indélicate ou
-il l'avait engagé. De son meuble le plus
-secret il retira, pour les offrir à sa future
-nièce, de tels joyaux que le trésor de la famille
-Passerose ne les égalait point.</p>
-
-<p>La persuasion se fit alors en moi que le
-vieil artiste antiquaire avait moins agi par
-amour du lucre qu'à cause de la passion
-innée de l'Israélite pour les pierres.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch15">OÙ LA RACE BASQUE
-TRIOMPHE DE L'ÉTRANGER</h2>
-
-
-<p>Le mariage eut lieu, béni par le père
-Bidondoa Ihidoïpé.</p>
-
-<p>Quatorze mois après j'invitai mes cousin
-et cousine dans la même ferme de
-Garris où j'avais convié, deux années auparavant,
-les soi-disant membres des Etats
-généraux.</p>
-
-<p>Sur le désir que m'en exprima Eliézer,
-je réinvitai à un large déjeuner les
-mêmes bons Basques devant lesquels il
-s'était évanoui. Il avait si bonne mine que
-je doute qu'ils le reconnurent. Il ne décela
-aucune faiblesse, se montra gaillard dans
-la conversation, mangea comme quatre des
-mets les plus lourds, et dégusta, en regardant
-sa femme qui l'y poussait, bon nombre
-d'écrevisses que j'avais fait servir par
-malignité. Il but des vins les plus forts. A
-peine si Paul Dupont put tenir devant lui.
-On eût dit qu'Eva lui avait infusé la vieille
-sève des Robinsons basques.</p>
-
-<p>Et ce fut une ovation lorsque, au dessert,
-on nous présenta un enfant qui
-semblait être le fils de Gargantua et de
-Gargamelle.</p>
-
-<p>&mdash; Regarde-le, me cria Eva qui était allée
-lui donner à téter, et qui revenait vêtue de
-la tunique nuptiale qui la rendait plus séduisante
-encore, mais regarde-le donc!
-C'est le fils d'Iguskia et d'Ithargia! Et
-viens, après cela, prétendre que la légende
-basque n'est point vraie!</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Eliézer, qui s'appelait maintenant Philippe,
-sourit dans sa barbe.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">TABLE DES MATIÈRES</h2>
-
-
-<table summary="">
-<tr><td class="drap small">INTRODUCTION</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch0">5</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap small top1em">LES BASQUES ABORDENT EN TERRE VIERGE</td>
-<td class="bot top1em"><div class="r"><a href="#ch1">7</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap small">FONDATION DU PREMIER FOYER</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch2">26</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap small">LA GÉNÉALOGIE</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch3">38</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap small">FORMATION DES PRINCIPAUX COUPLES</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch4">46</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap small">LE JOUR ET LA NUIT A ASCAIN</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch5">57</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap small">LE SIÈGE DE PAMPELUNE</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch6">75</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap small">CHANT D'AMOUR DE TIRUZTAYA ET DE LÔRÉA</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch7">86</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap small">LA VÉRITÉ DANS LE RÊVE</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch8">108</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap small">LES FIANÇAILLES DE ROLAND ET D'AUDE</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch9">117</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap small">LES ÉTATS-GÉNÉRAUX</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch10">139</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap small">MA COUSINE ÉVA, UN TRÉSOR</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch11">173</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap small">LA RÉPÉTITION GÉNÉRALE</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch12">180</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap small">LE TRIOMPHE D'ÉVA</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch13">187</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap small">LA CONCLUSION INATTENDUE</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch14">194</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap small">OÙ LA RACE BASQUE TRIOMPHE DE L'ÉTRANGER</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch15">207</a></div></td></tr>
-</table>
-<div class="break"></div>
-
-
-<p class="c top4em small"><i>ACHEVÉ D'IMPRIMER</i><br />
-le vingt-six janvier mil neuf cent vingt-cinq<br />
-PAR<br />
-<span class="large">MARC TEXIER</span><br />
-A POITIERS<br />
-pour le<br />
-<span class="large">MERCVRE</span><br />
-DE<br />
-FRANCE</p>
-
-
-<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROBINSONS BASQUES ***</div>
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-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg&#8482;
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of
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-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
-from people in all walks of life.
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-
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-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg&#8482;&#8217;s
-goals and ensuring that the Project Gutenberg&#8482; collection will
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-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation&#8217;s EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state&#8217;s laws.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation&#8217;s business office is located at 809 North 1500 West,
-Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
-to date contact information can be found at the Foundation&#8217;s website
-and official page at www.gutenberg.org/contact
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; depends upon and cannot survive without widespread
-public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
-DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
-visit <a href="https://www.gutenberg.org/donate/">www.gutenberg.org/donate</a>.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations. To
-donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 5. General Information About Project Gutenberg&#8482; electronic works
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg&#8482; concept of a library of electronic works that could be
-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg&#8482; eBooks with only a loose network of
-volunteer support.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
-the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
-necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
-edition.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Most people start at our website which has the main PG search
-facility: <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-This website includes information about Project Gutenberg&#8482;,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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-</div>
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