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If you are not located in the United States, you -will have to check the laws of the country where you are located before -using this eBook. - -Title: Les Robinsons basques - -Author: Francis Jammes - -Release Date: February 17, 2021 [eBook #64582] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -Produced by: Laurent Vogel (This file was produced from images generously - made available by the Bibliothèque nationale de France - (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) - -*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROBINSONS BASQUES *** - - - - - FRANCIS JAMMES - - Les - Robinsons basques - - PARIS - MERCVRE DE FRANCE - XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI - - MCMXXV - - - - -DU MÊME AUTEUR - - -Poésie. - - DE L'ANGELUS DE L'AUBE A L'ANGELUS DU SOIR, 1888-1897 1 vol. - LE DEUIL DES PRIMEVÈRES, 1898-1900 1 vol. - LE TRIOMPHE DE LA VIE (Jean de Noarrieu. Existences.) 1 vol. - CLAIRIÈRES DANS LE CIEL, 1902-1906. (En Dieu. Tristesses. - Le Poète et sa femme. Poésies diverses. L'Eglise habillée - de feuilles.) 1 vol. - LES GÉORGIQUES CHRÉTIENNES 1 vol. - LA VIERGE ET LES SONNETS 1 vol. - LE TOMBEAU DE JEAN DE LA FONTAINE suivi de POÈMES MESURÉS 1 vol. - CHOIX DE POÈMES, avec un portrait 1 vol. - LE PREMIER LIVRE DES QUATRAINS 1 vol. - LE DEUXIÈME LIVRE DES QUATRAINS 1 vol. - LE TROISIÈME LIVRE DES QUATRAINS 1 vol. - -Prose. - - LE ROMAN DU LIÈVRE. (Le Roman du Lièvre. Clara d'Ellébeuse. - Almaïde d'Etremont. Des choses. Contes. Notes sur des Oasis - et sur Alger. Le 15 août à Laruns. Deux Proses. Notes sur - Jean-Jacques Rousseau et Mme de Warens aux Charmettes et à - Chambéry.) 1 vol. - MA FILLE BERNADETTE 1 vol. - FEUILLES DANS LE VENT. (Méditations. Quelques Hommes. Pomme - d'Anit. La Brebis égarée.) 1 vol. - LE ROSAIRE AU SOLEIL, roman 1 vol. - MONSIEUR LE CURÉ D'OZERON, roman 1 vol. - LE POÈTE RUSTIQUE, roman, suivi de l'ALMANACH DU POÈTE - RUSTIQUE 1 vol. - CLOCHES POUR DEUX MARIAGES. (Le Mariage basque. Le Mariage - de raison.) 1 vol. - -A LA LIBRAIRIE PLON-NOURRIT ET Cie - - LE BON DIEU CHEZ LES ENFANTS, album avec illustrations en - couleurs d'après les dessins de Mme Franc-Nohain 1 vol. - LE LIVRE DE SAINT JOSEPH 1 vol. - DE L'AGE DIVIN A L'AGE INGRAT. Mémoires: I 1 vol. - L'AMOUR, LES MUSES ET LA CHASSE. Mémoires: II 1 vol. - LES CAPRICES DU POETE. Mémoires: III 1 vol. - - - - -LES ROBINSONS BASQUES - - -_A la mémoire de Goya y Lucientes_ - - - - - IL A ÉTÉ TIRÉ: - - 56 exemplaires sur papier de Madagascar, savoir: - 55 ex. numérotés à la presse, de 1 à 55 et 1 hors commerce - - 247 exemplaires sur Hollande van Gelder - numérotés, à la presse, de 56 à 302 - - La première édition a été tirée sur papier de fil Montgolfier, - savoir: - 1075 exemplaires numérotés de 303 à 1377 - 25 exemplaires (hors commerce) marqués à la presse de A à Z - - -JUSTIFICATION DU TIRAGE: - - - - -Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction réservés pour -tous pays. - -Copyright by MERCVRE DE FRANCE 1924 - - - - -INTRODUCTION - - -Il y a quelque trente ans vivait à Bayonne un de ces Juifs qui portent -besicles de corne sur nez crochu; dont le front et les joues ridés -reproduisent assez exactement une page criblée de caractères talmudiques -et dont les mains, semblables à des araignées, tantôt tissent la toile -grise de leur barbe, tantôt arpentent l'oscillante balance du peseur -d'or ou du joaillier. - -Jacob Meyer était son nom. - -Nous étions rejoints, lui et moi, par un goût commun de la pêche et de -la poésie. Il arrivait qu'après avoir parlé littérature nous -descendissions à l'Adour pour y tendre un filet. Nous nous fortifiions -avec l'odeur du goudron et de la mer toute proche. Il ne recevait guère -de visites que la mienne et de dames qui venaient lui régler les -intérêts d'un emprunt ou l'acompte d'une émeraude. - -Avant que de me révéler le début des _Robinsons basques_, il me dit en -tenir la version de sa famille, et que celle-ci, de père en fils, se -l'était transmise. - -De cette famille, un membre, le premier sans doute qui donna lieu à la -souche de Bayonne, repose dans le cimetière de La Bastide Clairence sous -le prénom d'Abraham. - -Ce qui a laissé entendre à quelques simples d'esprit que le père d'Isaac -est enterré dans cette commune. - - - - -LES BASQUES ABORDENT EN TERRE VIERGE - - -La légende rapporte que, il y a vingt-cinq siècles, un navire dont la -coque portait le nom d'_Eskualdunak_ pénétra dans les eaux de l'Adour. - -Ce navire était magnifique et témoignait que la contrée d'Asie d'où il -arrivait connaissait la civilisation la plus raffinée, à l'époque où les -habitants de l'Europe future se servaient de haches de pierre et de -pieux durcis pour assommer ou percer les ours et sangliers qu'ils -dévoraient crus. - -Le capitaine de l'_Eskualdunak_ s'appelait Ondicola. Un équipage -l'accompagnait qui se ressentait davantage d'une vie passée dans le luxe -et la volupté que guerrière ou simplement active. Il se composait de -matelots, de leurs femmes et d'un groupe de jeunes gens et jeunes filles -dont le moins âgé, Iguskia, avait seize ans, et la plus jeune, Ithargia, -quinze. - -Si, vivant alors, avec l'esprit d'à présent, nous eussions vu se -promener sur la rive gasconne tant d'aimables Orientaux, ils nous -auraient fait songer davantage à un débarquement à Cythère qu'à une -descente dans les entrepôts de Bayonne. - -La saison étant fort belle, Ondicola fit jeter l'ancre et dresser à -quelque distance de la mer les tentes d'un campement. C'était dans sa -manière de suivre son caprice, et si un nouveau pays lui agréait par son -climat et ses aspects, il s'y installait avec sa tribu nomade jusqu'à ce -que le froid ou la lassitude les en chassât. - -Hommes et femmes déménagèrent le contenu du bateau sur l'arène. Des -flancs de l'_Eskualdunak_ jaillirent des merveilles: des hamacs qu'on -eût dit tissés de rosée; des robes d'un azur si transparent qu'on ne les -soupçonnait que si les beaux corps s'y enfermaient; des pierres uniques; -des ivoires sans défaut; et, dans des cristaux de roche à facettes -ingénieuses, des parfums empruntés aux jardins des _Mille et une Nuits_. - -Les jeunes filles vivaient à part, les jeunes gens aussi de leur côté, -car Ondicola ne souffrait point que rien altérât leur pureté jusqu'au -jour de leurs noces. Non point qu'il eût aucune morale. Toute trace de -religion avait disparu de ce peuple: Mais afin que la corolle s'épanouît -dans toute sa grâce, tout, son éclat, tout son arome, Ondicola en -faisait respecter la pré-floraison. Ainsi le produit serait superbe. - -Cette loi mise à part, que tout naturaliste aurait pu édicter, on ne -voyait pas régner beaucoup de vertus parmi les hôtes de l'_Eskualdunak_, -ni à bord ni à terre. - -Tant de siestes sous les arbres capiteux, de danses lascives, de fruits -défendus, de complications du coeur mettaient à nu les nerfs de -l'équipage ou le déprimaient. - -Ondicola, bien qu'il se laissât aller à ses moeurs, en éprouvait souvent -du dégoût. Si imposant que fût le port des femmes, si élancée la ligne -des adolescentes, si nette la carrure des mâles: il y avait tout à -craindre pour l'avenir. Une lourde inquiétude envahissait Ondicola -touchant la descendance de ceux qu'il abritait dans son navire et qu'il -avait choisis parmi les types les plus parfaits de sa patrie indienne. - -Le seul culte de la beauté l'avait guidé lorsque, par exemple, il avait -détaché Iguskia et Ithargia d'un plateau perdu de l'Himalaya où -n'habitaient que de rares pasteurs. L'instinct puissant de conserver la -race à laquelle il appartenait le dressait peu à peu contre les moeurs -qu'il voyait affoler et anémier de plus en plus ceux de l'_Eskualdunak_. - -Lorsque, la nuit, sur le rivage de cet Adour que fait se plisser une -brise si pure, il flânait au sortir de quelque débauche, il lui arrivait -de rejeter le suc épaissi du pavot qu'il s'apprêtait à fumer. - -Alors, plus calme, il contemplait avec attendrissement, dans la -diffusion de la lune, deux tentes isolées, en dehors du campement, qui -se distinguaient entre toutes par leur blancheur particulière. - -Dans l'une, dormait Iguskia, seul; seule, dans l'autre, Ithargia. - - - - -Nul n'ignore, reprit à quelques jours de là Jacob Meyer, que les -Asiatiques connurent la poudre avant l'ère chrétienne, aussi bien qu'ils -avaient inventé la brouette et la boussole. - -Je ne dis pas cela pour les Juifs (ajoutait-il), car ils n'ont pas -voulu, encore qu'ils ne les ignorassent point, utiliser de telles -découvertes: il nous suffit d'une mâchoire d'âne pour remporter la -victoire; du dos du même animal pour transporter notre butin; de sa -queue pour remorquer un captif; et, quant à la boussole, je vous demande -quelle orientation pourrait prendre une race toujours errante? - -Donc, il y a deux mille cinq cents ans, Ondicola se servait de fusils de -chasse dont l'amorce présentait une autre garantie que l'éclat de silex -adapté à l'espingole de vos ancêtres. C'est ainsi qu'Ondicola et ses -compagnons se procuraient du gibier, et d'autant plus aisément qu'il -était alors peu farouche dans les contrées d'Europe qu'ils visitaient. -Ondicola s'adonnait aussi à la pêche au lancer. - -Mais, tout de même, cette existence de plein air ne le maintenait point -dans cette forme cynégétique, privilège des chasseurs à qui suffisent un -croûton de pain, une gousse d'ail, un verre de vin et une femme. - -C'est pourquoi il résolut, pour retremper ses muscles, de s'en aller à -la découverte, escorté de quatre bons tireurs et marcheurs, par ce pays -qui leur était absolument étranger. - -Et d'abord il pénétra, par les bords de la Nive, dans la région de -l'actuel Cambo. A mesure qu'il portait plus avant ses pas, un curieux -phénomène se confirmait: pas un seul habitant n'y apparaissait. Telle -était cette absence de l'homme que les écureuils eux-mêmes se montraient -familiers jusqu'à sauter sur les épaules d'Ondicola et de ses -compagnons. On voyait de ces rongeurs descendre deux par deux vers la -rivière, se tenant par les doigts comme de jolis petits ménages. Ils -rafraîchissaient leurs pattes. Ondicola admirait leurs moeurs plus -simples que celles de l'_Eskualdunak_ où l'on usait, pour se baigner, de -cuves d'or emplies d'eaux suaves. - -Par une réaction naturelle, au souvenir écoeurant de ces parfums, il se -jeta dans la Nive à la nage. Et, quand il en ressortit, des gouttes qui -n'avaient que l'odeur de l'air pur roulèrent à ses pieds dans l'herbe. - -Cette course à travers des bois qui n'exhalaient point les essences de -l'Asie, mais à peine une senteur d'averse sous l'orage, le remontait. Il -défendit au cuisinier d'épicer davantage les mets, et il proscrivit les -sauces. Mais, faisant creuser dans l'argile un four que l'on garnissait -de galets demeurés longtemps sur la braise, il ordonnait qu'on y rôtît -la chair des lapereaux et des perdrix. La confiserie dont il s'était -fait suivre lui répugna bientôt tellement, qu'il la fit abandonner à un -ours débonnaire. Mais celui-ci, l'ayant flairée, s'enfuit sur un chêne -d'où découla un délicieux rayon de miel. - -Un autre charme de cette vie errante était pour Ondicola d'échapper à la -polygamie que pratiquaient, selon l'usage oriental, les gens de -l'_Eskualdunak_. Mais que dis-je! Ce lui était un délice de se -soustraire même à sa favorite qui, si belle qu'elle fût, et autant -qu'elle dît l'adorer, et si fort qu'il crût l'aimer, l'excédait par les -caresses qu'elle lui prodiguait, et aussi par sa jalousie. Les nuits -étaient douces. On était en juillet. Il s'éveillait au chant des oiseaux -et ne se sentait pas de joie, les yeux clos encore, de palper la mousse -qu'aucune femme n'avait foulée. - -Si la tradition est exacte, Ondicola et ses compagnons remontèrent -l'affluent de l'Adour jusqu'à la place d'Itxassou. - -Les forêts, quelque peu impénétrables, retardèrent leur marche, bien -qu'ils continuassent de longer les rives. Si loin qu'ils aboutirent, ils -ne rencontrèrent âme qui vive. - -Le chef de l'_Eskualdunak_ se faisait à cette existence élémentaire qui -engendrait le calme du coeur, à ce silence que ne troublaient même plus -les détonations des armes, puisque les bêtes les plus craintives se -laissaient prendre à la main, les truites même. - -Je doute, se disait Ondicola, que, placée de bonne heure dans une -contrée aussi vierge, une famille humaine, même la nôtre, si encline à -la débauche, se fût corrompue. O pays idéal! Terre qui attend son -premier couple! - -Plus de trente fois depuis leur départ le soleil s'était levé sur -Ondicola et ses compagnons. Une tristesse infinie s'étendait sur le -coeur du capitaine, cependant qu'il voyait venir le temps de rejoindre -l'_Eskualdunak_. - -Il ne le fit qu'à pas lents. Mais lorsque, au soixante-dixième jour, il -arriva en vue du navire et du campement, l'acte formidable qu'il allait -accomplir avait pris corps dans sa volonté. - -L'_Eskualdunak_ se balançait indolemment sur son ancre; son équipage -était en liesse. - -Durant les deux mois qui venaient de s'écouler, la dépravation de ces -gens demeurés sédentaires avait atteint son comble. Ondicola éprouva la -sensation d'un homme qui, d'une cime vivifiée par l'air le plus pur, -chuterait dans un cloaque. - -Si dénué qu'il se montrât de toute morale, il imposait aux siens une -sorte de crainte et d'ordre dans le désordre. On le savait désireux -d'être obéi; prompt à infliger une sanction et, plus d'une fois, il -n'avait pas hésité à brûler la cervelle à des mutins. - -Il constata que sa petite colonie avait tout à fait perdu l'équilibre. -Les gynécées, mêlés entre eux, avaient changé de maîtres. Et bien que, -craignant la mort, la favorite d'Ondicola s'employât à lui prouver -qu'elle lui était demeurée fidèle, il s'aperçut bien vite qu'elle le -trompait. - -Le mal dont il souffrait se fit plus aigu sous sa tente, une nuit que, -ne parvenant pas à prendre le sommeil, il entendait au loin le bruit des -violons et des flûtes exaspérer jusqu'à la folie les sens de l'équipage. - -L'illusion qu'il avait longtemps entretenue d'établir, dans la -dissolution même, une sorte de règle, basée sur la notion du beau, se -dissipait. - -Trop de vices s'étaient insinués même parmi ces adolescents et -adolescentes qu'il avait longtemps préservés. - -Un contraste insultait à cette dépravation: ce vierge pays qu'il venait -de parcourir, ses sommets fiers et doux qui font un second ciel à la -vallée. - -Il se souvint alors que, depuis son retour, il n'avait aperçu ni Iguskia -ni Ithargia. - -Sans doute eux aussi avaient-ils sombré dans cette décadence, -s'étaient-ils cachés des yeux du maître que, du moins, ils respectaient -encore. - -Renonçant à dormir, il sortit. L'orgie avait fait silence. Tout semblait -au repos. Il se garda bien de se rapprocher de son harem qui, là-bas, se -profilait sous la lune. A quoi bon accroître son dégoût? Il savait bien -qu'une visite à l'impromptu ne lui eût réservé que déboires. Que lui -importait d'ailleurs le mensonge de ces femmes? - -Il se trouva sur la grève déserte, à deux heures du matin, lorsque -courent des frissons d'argent sur la mer qui n'a qu'un doux clapotement. - -Au milieu d'un semis d'étoiles, Phébé était une perle incrustée dans la -nacre du ciel. A quelque deux cents mètres se dressait la tente -d'Iguskia et, plus loin, à une distance égale, celle d'Ithargia. De -chacune sortit une ombre. - -Le jeune homme et la jeune fille s'abordèrent à la limite du flot et se -donnèrent la main. Ondicola, dissimulé par les rochers, les épiait -curieusement. - -Ils longeaient la rive, s'arrêtaient parfois, élevaient leurs charmants -visages dans l'air vif et salé. Les lignes de leur corps, modestement -vêtus, ne se déplaçaient que suivant une grâce calme, d'autant plus sûre -d'elle-même qu'elle s'ignorait. Pas un mot, pas un soupir, pas un -murmure ne montaient d'eux. Mais il semblait s'exhaler vers Dieu, de ces -deux corolles vierges, un immortel parfum, l'essence même de ce que -l'amour peut donner de plus pur en ce monde. - -Ondicola retenait son souffle. Son coeur battait à peine, d'où -s'envolait une prière confuse et muette vers ces bois récemment -découverts où il avait vécu les plus belles heures de sa vie. - -II lui semblait qu'il n'eût eu qu'à se saisir de ces deux enfants de -lumière, et à les déposer dans cette région bénie qu'il avait entrevue, -pour que leur race s'y étendît à jamais comme les arceaux renaissants -d'un verger aveuglant de fleurs. - -La radieuse vision s'éteignit avec l'aurore ou, plutôt, sembla résorbée, -quand Iguskia et Ithargia se séparèrent. - -Ondicola les vit lentement remonter chacun à sa tente, sans qu'ils se -fussent davantage parlé ou touché. - -Il ne restait plus d'eux qu'un souvenir, de roses bues par l'azur, dans -la phrase interminable et doucement heurtée de la mer. - - * * * * * - -Lorsque Ondicola retrouva sa couche, le soleil brillait. Il put prendre -du repos jusqu'à midi sans être énervé par les échos de la saturnale qui -avaient mis en fuite son sommeil. De tristes tableaux ne hantèrent plus -son imagination. Bien au contraire, ce fut la promenade étoilée -d'Iguskia et d'Ithargia qui enchanta ses rêves. - -Quand il s'éveilla, sa résolution, était prise. - -Il manda des hérauts auxquels, avec un singulier accent d'autorité qu'il -semblait avoir laissé faiblir depuis son retour, il ordonna d'annoncer à -son de trompe que l'équipage eût à se grouper sur l'_Eskualdunak_. Il -prescrivit en outre que les femmes et les hommes s'y rendissent dans -leurs plus beaux atours; que toutes les oriflammes fussent déployées aux -cordages et aux mâts, que les musiciens fissent entendre, au moment -qu'il en donnerait le signal, l'hymne le plus languide et le plus -amoureux. - -Personne ne manqua à l'appel. Tout le monde fut sur le pont, excepté -Iguskia et Ithargia qu'Ondicola fit sagement s'asseoir en face du -navire, assez loin sur la plage. - -Il monta le dernier à bord. - -Lorsque les femmes se furent épanouies de toute leur beauté sous leurs -éventails d'autruche; lorsque le dernier soupir de l'orchestre se fut tu -dans la splendeur du soleil qui déclinait sur la mer: - ---Orientaux, et vous, Orientales, leur dit-il, fils et filles de la -Volupté! J'ai compris, après avoir exploré le pays d'alentour, ce qui -vous en sépare. Il est temps de lever l'ancre. Mais en deux mois vous -avez rendu la colonie si intéressante que je descends à fond de cale -pour y chercher l'ordre du jour dont vous êtes dignes. Je vais vous le -dire. Attendez-moi. - -Ondicola disparut. Il entra dans la soute et mit le feu aux poudres. - - - - -FONDATION DU PREMIER FOYER - - -Iguskia et Ithargia n'éprouvèrent pas la moindre émotion en voyant tout -à coup s'abîmer dans les flots la galante galère. Mais ils rirent, car -leurs coeurs étaient neufs. - -Cet embrasement sonore, qui précéda le plongeon de l'_Eskualdunak_, les -amusa comme d'un feu d'artifice. La mer immense s'était refermée sur les -victimes. - -Depuis trois ans qu'Ondicola les avait enlevés à leur plateau pastoral -et mêlés à son équipage, il leur était apparu tel qu'un maître assez -sévère, mais bon. Jamais ils n'avaient eu de peine à le comprendre, car -sa langue était la leur, cette mystérieuse langue basque. - -La plupart des souvenirs qu'Iguskia et Ithargia eussent pu conserver -touchant la religion de leurs familles, amies l'une de l'autre, -s'étaient effacés. Mais ils possédaient une vertu naturelle qu'Ondicola -s'était plu à respecter et à cultiver jusqu'à prendre la tragique -détermination dont il fut la première et volontaire victime. Il avait -craint que, plus tard, ces enfants ne fussent gagnés par l'abomination -de ceux qu'ils eussent fréquentés davantage. - -Cette perspective lui était devenue d'autant plus insupportable, dès là -qu'il avait saisi l'harmonie qui coexistait entre les vertus d'une -contrée vierge, inhabitée, et celles qui étaient innées à Iguskia et à -Ithargia. - -Ceux-ci, tournant le dos à l'océan où venait de sombrer l'_Eskualdunak_, -s'en allèrent prendre ou vêtir, chacun dans sa tente, quelques manteaux -de laine qui les préservassent d'une fraîche brise soufflant du golfe. - -Ils se réunirent ensuite pour leur repas du soir. Sous les abris -nombreux des courtisanes qui maintenant reposaient au sein des flots, -des aliments singuliers traînaient parmi les bijoux et les toilettes. De -ces toilettes et de ces bijoux, qu'eussent fait ces deux antiques -Robinsons? N'ayant point trouvé là ces nourritures simples qu'ils -aimaient, ils les allèrent prendre dans la tente d'Ondicola. - -Après dîner, Iguskia et Ithargia se séparèrent; chacun regagna sa tente -ayant pris rendez-vous pour le lendemain. - -Ils furent debout dès l'aube et gagnèrent le sommet des dunes, couverts -des mêmes tuniques de laine qu'ils portaient la veille. Mais Iguskia -avait jeté sur l'épaule, en prévision des nuits qu'ils auraient à passer -en plein air, deux sacs d'une souple fourrure, empruntée sans doute aux -chèvres de la Mongolie. Il emportait aussi son coutelas, et, dans un sac -de cuir, des champignons desséchés et le silex avec quoi on les allume. - -Ils remontèrent vers le sud-est, choisissant cette même voie tracée par -la Nive dans laquelle s'étaient engagés naguère Ondicola et ses quatre -compagnons. - -Le passage de ceux-ci était encore marqué çà et là par des coupes de -fougères et de branches. - -En moins de deux mois Iguskia et Ithargia parvinrent, sans grand effort, -au gré d'une flânerie charmante, sur les lieux où s'élève aujourd'hui -l'ombreux et lumineux village d'Itxassou. Là, ils cessèrent de remonter -l'affluent de l'Adour, poursuivirent au nord-est vers Macaye et -Mendionde, sans y être autrement poussés que par l'attrait de ces -vallées heureuses que protègent de leurs remparts l'Ursuya et le -Baygura. - -Comme Ondicola et ses compagnons, ils se nourrissaient de truites qui -abondaient dans les moindres ruisseaux, et de gibier facile à prendre à -la main. Une racine, celle de l'asphodèle, dont Pline nous apprend que, -cuite sous la cendre, elle donne un excellent pain, leur fut une -ressource. Ils avaient connu, dans leur pays natal, l'utilité de cette -même plante qui croît en abondance dans les landes du pays basque. On -voit, au printemps, ses quenouilles jaspées filer l'air bleu qui les -charge. Des mûres et, plus tard, les fruits du néflier dont la branche -flexible et dure fournit à Iguskia le premier makhila, leur furent un -dessert agréable. - ---Si, observait Jacob Meyer, le calcul est juste de ceux qui, parmi les -miens, ont scruté avec le plus de soin les archives de cette histoire, -Iguskia et Ithargia se seraient trouvés aux grottes d'Isturitz vers -l'été de la Saint-Martin de la même année. Ces grottes, vous m'avez dit -les connaître, mon cher poète, et vous avez bien de la chance, car on -les dit extrêmement riches en ossements, sculptures et armes -préhistoriques. Les propriétaires sont intraitables sur le point de les -laisser visiter, et ils ont préposé, à l'entrée, un cerbère vraiment -infernal qui ne le cède en rien à ses ancêtres de l'âge de pierre. J'ai -causé avec lui, et il paraît tout disposé à assommer quiconque oserait -s'aventurer dans cette caverne, sans l'autorisation la plus formelle. - -... Et vous seul, m'a-t-on rapporté, l'auriez obtenue? - ---C'est-à-dire, répondis-je, qu'une très vieille amitié lie ma famille à -celle de M. Passerose, qui est en possession de ce très curieux document -d'histoire humaine et de géologie. Il est vrai que, à part moi, je ne -sache personne, sinon Pierre Loti, qui a fort bien décrit Isturitz, en -faveur de qui l'on ait fait exception. Je suis le conservateur d'une des -clefs de la solide grille d'entrée. M. Passerose me la confia, voici -deux ans, avant son départ pour l'Abyssinie dont il ne reviendra pas de -sitôt. J'ai vu là, de sa part, à mon endroit, une grande marque de -confiance. Mais je n'ai guère profité de la permission que me confère la -garde de cette clef dont le cerbère, que vous avez l'air de connaître, -possède le double. - ---Alors... même en vous suppliant? - ---J'ai compris, insistai-je, que M. Passerose ne m'a choisi, entre ses -plus intimes, que parce qu'il compte bien que j'observerai son -inflexible consigne. - ---Orphée, conclut en souriant le vieux Juif, sans que je comprisse très -bien alors son allusion, avait ému les rochers mêmes de l'Enfer... - - * * * * * - -Iguskia captura à Isturitz beaucoup de palombes. Celles-ci, venant de -loin, étaient farouches et filaient haut. Mais, dissimulé dans un chêne, -il réussissait à les faire descendre en leur lançant des bâtons qui -imitaient le vol du milan. Les Basques les prennent encore ainsi. - -Lui et Ithargia passèrent l'hiver à l'entrée de ces cavernes, sans se -douter que les chasseurs de l'âge de pierre les avaient habitées. Nul -vestige humain autour d'eux, sinon, à quoi ils ne prêtaient nulle -attention, des haches et des flèches qui témoignaient d'une barbarie de -chasseurs qui s'étaient tenus sur la défensive. Mais ceux-ci avaient si -bien disparu depuis si longtemps, qu'à part les oiseaux de passage toute -la faune était redevenue familière comme aux jours premiers de la -création. - -Jusqu'au printemps de l'année qui suivit, Iguskia et Ithargia restèrent -dans ces parages. - -Quand reparut le mois de mai, leurs coeurs s'emplirent d'amour à tel -point qu'il semblait à l'un que les battements du sien eussent lieu dans -celui de l'autre. Mais cette ivresse ne troubla point encore leurs corps -dissimulés sous les blanches toisons, comme des sources sous la neige. - -Ils assistaient à la fête nuptiale que le renouveau fait plus gracieuse -et plus grandiose. Tantôt ils voyaient deux fauvettes se fuir en se -rapprochant sur une branche trop flexible, tantôt ils regardaient -s'allonger l'un vers l'autre, et se rejoindre dans une combe, deux -fleuves de brume d'où émergeait la cime découpée des bois. - -Quand les fortes chaleurs sévirent, ils se baignaient sous les -feuillages de la rivière qui, de nos jours, porte le nom de Joyeuse. Et -c'est ainsi que, de branche en branche, ils atteignirent le coteau -d'Ayherre, non loin du futur Hasparren. La clémence des nuits leur -permettait maintenant de dormir en plein air dans leurs fourrures. Ce -fut par un torride jour d'or que la Providence décréta que la race -bienheureuse, la race basque, naîtrait de ces deux Robinsons, prendrait -racine en eux comme une vigne au flanc d'une belle colline. - -Une ruine surplombe aujourd'hui le bourg d'Ayherre et toute la contrée -environnante, restes d'un château dont Albert Dürer se fût inspiré, car -ils se confondent avec la lèpre même du lierre qu'ils opposent au -soleil. - -Cette redoute seigneuriale, fréquentée des oiseaux de proie, porte le -nom de Belzuncia. C'est sur l'aire de Belzuncia, qui ne devait être -édifié que bien des siècles après, qu'Iguskia et Ithargia, au mois de -juillet, se trouvèrent en présence d'un tapis dont les plus radieuses -soieries qu'ils avaient vues sur l'_Eskualdunak_ n'approchaient point. - -Ce tapis vivait, car c'était un champ de froment. Ensemencé par qui? Nul -ne l'a jamais su. Mais il suffit d'un coup de foudre sur une terre -intègre, et d'une graine apportée par le vent, pour que, d'année en -année, se multiplie la moisson comme sur l'échiquier du conte arabe. - -Iguskia et Ithargia en furent si éblouis qu'ils s'assirent pour -contempler plus à l'aise la merveille. Chaque épi barbelé amenuisait la -lumière bleue où criaient les cigales. Iguskia et Ithargia ressentirent -que dans la béante profondeur il y avait Quelqu'un. Leur amour éclatait -dans un plus grand Amour. Ils comprirent que dans cette splendeur -visible, et au delà, Dieu est. - -En face de cette Présence qui les illuminait comme le soleil les -coquelicots à la lisière du champ tout allumé de cerises sauvages, ils -prirent le ciel à témoin de leur union. - - - - -LA GÉNÉALOGIE - - -Ithargia donna un fils à Iguskia. Le second des enfants fut une fille -qui mourut à deux ans, et c'est ainsi qu'ils connurent la douleur. - -Cette petite étant tombée malade, sa mère pensa la relever de son -abattement, ainsi qu'elle faisait à l'ordinaire, en lui présentant -quelque fleur. Celle-ci était bien du pays basque. Qu'elle ressemblait -peu aux corolles de l'Asie, somptueuses sans doute, mais dont les -couleurs et les nectars trop violents fatiguent! Ce fut une digitale -pourprée, dont les cloches, à l'intérieur ponctuées comme des pulpes -d'abricot, tamisent une lumière d'aube. - -Dans la cabane qu'Iguskia avait construite avec des branches, des -pierres et de l'argile, l'enfant, étendue sur une peau d'agneau, agonisa -doucement. Bientôt elle n'eut plus la force de tenir ni même de regarder -la plante que sa mère lui avait donnée. - -Elle mourut, bercée par le bourdonnement des abeilles qui s'échappaient -du toit comme les braises d'un incendie. Quand elle fut muette, immobile -et refroidie, Iguskia et Ithargia se mirent à genoux devant sa couche. -Et leur prière, faite de sanglots, monta vers Celui qu'ils avaient -pressenti dans la lumière de bluet de leurs fiançailles. - -Iguskia ensevelit au pied d'un cerisier sauvage son enfant dont l'âme, -aux jours en feu, semblait crier par les voix des cigales. - -C'est ainsi que les Robinsons basques surent ce qu'était la mort qu'ils -n'avaient jusque-là connue que chez les animaux et les arbres, la mer -leur ayant caché les cadavres d'Ondicola et de ses compagnons. - -Ithargia souhaitait de ravoir une autre petite fille, mais Dieu ne lui -envoya plus que des garçons qui naquirent à peu d'intervalle les uns des -autres. - -Ils étaient au nombre de six quand leur mère, à peine plus jeune que le -père, entra dans sa vingt-cinquième année. Sans l'ombre légère qui -s'étendait sous le cerisier, le foyer n'eût été que joie. - -La culture était facile autour de la fruste habitation, le blé -repoussait de lui-même, comme encore au bord du Nil. Iguskia l'égrenait, -le lavait, le broyait, et Ithargia le pétrissait et le cuisait. - -Leur basse-cour s'était formée toute seule d'oiseaux, comme de coqs de -bruyère et de tourterelles, qui venaient y picorer, et de biches -gracieuses et de faons et de lapins et de lièvres. - -Jamais ils ne songèrent à quitter cet éden, car, à mesure que -grandissaient les six garçons, à qui ils enseignaient la primitive -langue basque et les travaux familiers, ils s'attachaient davantage au -sol qu'ils avaient consacré avec la mort. - -Les trois aînés accusaient un goût plus particulier pour la pêche et la -capture des palombes. Il leur arrivait de ne rentrer au foyer qu'après -des excursions de plusieurs jours à travers bois. C'est ainsi qu'en -suivant la Nive et l'Adour, refaisant en sens inverse le chemin -autrefois parcouru par Iguskia et Ithargia, ils atteignirent la plage -même devant laquelle, vingt ans plus tôt, avait sombré l'_Eskualdunak_. - -C'est là qu'ils s'endormirent un soir, lassés de leur longue marche, et -par une nuit aussi sereine que celle durant laquelle leurs père et mère, -adolescents, avaient laissé leur pur amour paraître aux yeux d'Ondicola -ravi. - -Ces trois frères étaient d'une grande beauté: le plus âgé comptait vingt -ans alors, à peine un peu moins les deux autres. Ils se nommaient -Zoardia, Aritza et Sua. - -Zoardia et Aritza étaient à peu près du même type, souple et brun, aux -cheveux un peu crépus et durs, aux yeux bridés et placés presque sur les -tempes, l'allure si leste qu'on les eût dits toujours prêts à bondir. -Sua était un peu gros et blond, avec d'étranges yeux glauques très -obliques et perçants; d'une taille aussi élevée que ses frères, mais qui -paraissait moindre, à cause du développement du torse; ses épaules -étaient étroites. Il ne le cédait en rien aux deux autres pour -l'agilité, soit qu'ils exécutassent des danses que leurs parents leur -avaient apprises de l'Asie, et pour lesquelles ils se paraient de -plumes, de minéraux brillants et de fleurs, et qu'ils accompagnaient -d'un fifre de roseau; soit qu'à de longues distances ils se lançassent -et se renvoyassent des projectiles ronds, faits de lames de cuir avec un -noyau de silex. - -Donc Zoardia, Aritza et Sua s'étaient endormis sur la plage. - - - - ---Ici, observa le narrateur Jacob Meyer, qui n'hésitait jamais, -paraissait connaître par coeur la légende basque, et ne faisait appel -qu'à de rares notes, je me trouve fort embarrassé. Il me faudrait vous -soumettre le manuscrit qui est à Aix, chez un mien neveu, qui en est -fort avare. En effet, tout le passage suivant est écrit dans la même -langue, mais en vers heptamètres, et constitue une sorte de nocturne. - -Ce chant commence après que Zoardia, Aritza et Sua viennent de -s'assoupir sur cette arène d'où leurs parents partirent pour gagner les -vallées de la Nive et de la Joyeuse. Ma mémoire n'est pas telle que j'en -aie pu conserver les nuances, n'ayant point ce don qui est vôtre. Vous -n'aurez donc qu'un faible écho du génie d'un koblari[1] lointain qui -mêla sans doute sa propre inspiration aux documents laissés dans un -rocher par Ondicola, et à ceux que nous ont transmis les premiers foyers -qui s'allumèrent aux flammes de l'_Eskualdunak_. - - [1] Improvisateur basque. - -Voici le récit de ce barde et comme il s'enchaîne à ce qui précède. - - - - -FORMATION DES PRINCIPAUX COUPLES - - -Il y avait six jeunes filles dans une contrée d'Asie, plus belles les -unes que les autres, longues et gracieuses comme les feuilles de l'iris. - -Et lorsqu'elles riaient, on eût dit d'une averse de grêlons dans des -roses vermeilles. - -Toutes étaient brunes, toutes avaient les bras en arc, et leurs longues -jambes rivalisaient de vitesse à la poursuite des chèvres égarées, car -elles appartenaient au peuple pastoral. - -L'une avait vingt ans et les autres dix-neuf, dix-huit, seize, quatorze -et quinze. - -Un prince, frère d'Ondicola, les avait aperçues en chassant, et il s'en -était épris tellement qu'il avait demandé de les mettre dans les jardins -de son palais à leurs parents qui avaient consenti. - -Il espérait bien d'en faire ses femmes. Mais elles étaient si belles, -quand elles se penchaient hors de leurs pavillons de roses, qu'il n'osa -les approcher. - -Et il tomba malade, comprenant qu'il est vain de poursuivre un amour -dont on ne se sent pas digne. - -Lorsqu'il les considérait, il était comme un homme qui n'ose porter à -ses lèvres la coupe, tant elle exhale un parfum enivrant. - -Durant six mois qu'aux portes de son harem elles furent ses -prisonnières, il les fit combler de faveurs et de soins. Et le respect -qu'il témoignait à leurs grâces était tel que, de la partie du bosquet -où elles se baignaient, il était défendu de s'approcher sous peine de -mort. Et lui, tout le premier, observait sa consigne. - -Mais il continuait de dépérir. Il consulta les sages qui guérissent avec -des simples, mais ils lui déclarèrent qu'il n'était nul philtre qui pût -venir à bout de son mal, et que le seul remède était, ou bien de -s'exiler soi-même, ou de renvoyer ces beautés. - -Il opta pour ce dernier moyen, et les six jeunes filles retournèrent à -leur plateau natal, le même où Iguskia et Ithargia avaient vu le jour. - -Mais son agonie continua, parce que, la nuit, le parfum des fleurs lui -semblait être celui des bien-aimées, apporté par la brise. Il songea à -s'expatrier, mais la dynastie des Ondicola le supplia de n'en rien -faire, lui représentant que son frère avait mystérieusement disparu, il -y avait un quart de siècle, avec l'_Eskualdunak_. - -Il resta, mais il résolut de donner la mort à celles qui l'empêchaient -de vivre, et dont il n'aurait pu supporter qu'elles appartinssent à -quiconque. - -Sur son ordre une galère appareilla--ainsi en avait décidé son frère -jadis de l'_Eskualdunak_. Mais le luxueux équipage n'était, ici, que des -six vierges. - -Néanmoins il para le navire de roses. Il en fit un jardin suspendu sur -la mer. Il l'emplit d'autant de merveilles qu'en avait connu le vaisseau -de son frère, et il fit peindre sur la coque ce mot: _Amodioa_. - -Puis, ayant fait s'embarquer les jeunes filles, il les abandonna seules, -sans pilote, au gré des vents. - -Mais de ceux-ci, le plus doux, le Zéphire, s'étant épris de la plus -jeune, ne cessa de souffler avec douceur dans la voilure, si bien que la -navigation ne fut pas le moins du monde mouvementée; que les passagères -purent descendre sans peine sur diverses plages, s'y approvisionner, et -continuer leur voyage aussi facilement que si elles avaient eu, pour les -conduire, le patron des nautoniers. - -Ainsi, et plus d'un an, elles naviguèrent sans que les récifs -entamassent les flancs de l'_Amodioa_. Elles étaient plus gracieuses que -jamais, tannées par l'embrun, dorées par les soleils, quand elles -ressentirent les traits du dieu qui ne pardonne pas. Il souleva leurs -seins comme des voiles, et, maintenant, elles tendaient leurs mains vers -l'inconnu. - -Par une calme nuit l'_Amodioa_ entra dans la baie de Biscaye, toujours -poussé par le vent qui ne cessait de caresser les cheveux de la cadette. - -Mais les mortelles aux Immortels préfèrent les mortels. - -Et c'est en vain que Zéphire étendit l'éventail de ses pennes au-dessus -de celle qu'il chérissait. Lorsqu'elle fut descendue à terre avec ses -soeurs, il comprit qu'elle était désormais perdue pour lui. Et, jaloux, -il fit appel à Borée qui coula le navire aussitôt. - -Ainsi, l'un avec son équipage dont Iguskia et Ithargia avaient été -réservés--l'autre sans ses passagères,--à plusieurs années de distance, -l'_Eskualdunak_ et l'_Amodioa_ subirent, par des moyens différents, le -même sort. - -Le Destin suivait son plan. - -L'embellie revint après cette tempête qui n'avait point altéré le visage -des jeunes filles qui s'étaient endormies. - -La première, qui s'éveilla en bâillant et en étirant ses bras ronds, ne -s'émut pas davantage de ne plus apercevoir le bateau qui les avait -longuement promenées, puis déposées enfin sur cette nouvelle plage. -Elles étaient, toutes les six, des païennes pour qui le passé compte à -peine, l'avenir pas du tout, le présent seul. Maintenant, debout et -radieuses, hors de leurs légères couches improvisées, elles écoutaient -les chansons du golfe et leurs bouches et leurs coeurs avaient faim. - -A travers l'ombre épaisse de leurs cils, leurs regards glissèrent vers -les trois jeunes hommes qui les aperçurent et vinrent vers elles avec -des fraises, des cerises, du fromage de biche et du pain. Elles -mangèrent en riant, et, dans la joie et l'espoir de l'amour, elles les -suivirent quand ils s'en retournèrent chez eux. - -Ici, me fit observer Jacob Meyer, en compulsant un cahier, la prosodie -s'interrompt, et le récit reprend son cours naturel en langue vulgaire -jusqu'au deuxième chapitre. - - - - -Ces belles créatures s'unirent aux six frères dont le plus jeune -comptait environ dix-huit ans. - -Iguskia et Ithargia moururent nonagénaires, laissant une postérité si -nombreuse que déjà elle formait la colonie de Hasparren. - -C'est ainsi que, soustraite à la civilisation corrompue de l'Orient, -rattachée à une sorte de morale naturelle que fortifia la saine et pure -solitude d'un pays en équilibre, la race basque fut fondée. - -Sans effort, comme Iguskia et Ithargia, les merveilleuses jeunes femmes -s'adaptèrent à cette simple vie, toute faite de tâches faciles, et d'un -amour sans mélange qui de lui-même proscrivait la polygamie. Aux nectars -lydiens, tout de suite elles préférèrent l'eau qui stille des rochers -d'Ursuya. - -Les deux ancêtres furent ensevelis à Ayherre, non loin du lieu où -reposaient leur unique petite fille et tous ceux qui, dans la suite, -trépassèrent avant eux. - -Ils transmirent à leur lignée une sorte de culte des cieux, -mi-spirituel, mi-matériel, dont on retrouve la trace encore dans les -signes des pierres tombales actuelles. - -Bien avant la conquête romaine, des groupes familiaux, dérivant de cette -souche primordiale, se formèrent çà et là. Les trois fils aînés, -Zoardia, Aritza et Sua, occupèrent le premier le Labourd, le second ce -qui devait être la Basse-Navarre et le troisième la Soule. D'autres, -parmi les cadets, se fixèrent en Espagne, dans l'actuel Guipuzcoa, où -ils trouvèrent un peuple mauresque habile à corroyer, auquel ils ne -s'unirent jamais, qu'ils méprisèrent, mais dont les instruments et -méthodes les initièrent à une industrie qui se continue, et qui leur -permit encore de se perfectionner dans l'agriculture et l'élevage. Ils -en instruisirent ceux de leurs parents qui n'avaient point quitté la -terre natale, quand ils les y allaient voir, et c'est ainsi que se -développa rapidement, chez les uns et chez les autres, le génie -commercial qui appartient au pays basque. - - - - -LE JOUR ET LA NUIT A ASCAIN - - -J'ai une excellente nouvelle à vous annoncer, me dit Jacob Meyer peu de -jours après qu'il eut fini de me narrer, en s'aidant du peu de notes que -l'on sait, la première partie de la légende basque. Le légataire de -notre manuscrit familial, ce neveu dont je vous ai parlé, qui habite -Aix, va descendre sous peu chez moi. Il doit examiner, à Biarritz, le -projet d'adduction d'eaux salées que l'on a découvertes à Briscous, et -dont il voudrait se rendre concessionnaire. Mais n'allez pas croire que -ce fils de mon frère aîné, encore qu'il soit sorti le premier de l'Ecole -Centrale, dédaigne la poésie. Il est parfaitement digne d'être le -gardien de notre trésor, bien que je vous aie déclaré qu'il ne tient pas -à le communiquer. Je lui ai écrit de vous; il apprécie, autant que je -les prise, vos oeuvres, et, sachant que vous vous êtes intéressé à la -légende basque, il consent à nous en apporter le texte tout entier. Que -ce second chapitre, où nous en sommes, soit ou non une interpolation, il -est souvent conçu dans cette forme lyrique dont nous fournit un exemple -le passage qui a trait à l'histoire des six jeunes filles, dont chacune -épouse l'un des fils d'Iguskia et d'Ithargia. Vous vous souvenez qu'à ce -moment j'étais navré de n'avoir pas le manuscrit original, et de ternir -les nuances de cet épisode, déjà affaiblies par la traduction du basque -au français. Il ne faut plus qu'il en soit de même. Je parle -d'interpolation: il est certain que brusque est le saut qui, du foyer -primitif, nous introduit dans une Eskuarie christianisée, encore que je -ne doute point que votre religion n'ait pénétré dans cette partie de la -Gaule dès le voyage de saint Saturnin. Une poétique fontaine, située sur -le bord de l'antique route qui joignait Hasparren à Alphat-Hôpital, -porte le nom de cet apôtre envoyé par saint Pierre. Mais cela ne veut -pas absolument dire que l'oeuvre ne soit pas d'un seul poète, qui a pu -l'écrire à l'aide de très antiques documents attribués au premier -Ondicola et de récits recueillis çà et là chez les koblaris. Que des -professionnels débrouillent l'écheveau de la vérité! Quant à nous, il ne -nous importe que de le tenir bien en main en admirant ses variations -infinies. Peu nous chaut que, dans une chevelure toute ruisselante d'or, -quelques cheveux aient été emmêlés par une folle brise. - -Je marquai toute ma reconnaissance à Jacob Meyer de ce qu'il m'avait -admis à la confidence de cette sorte de romancero dont je consignais par -écrit le moindre fragment dès que je me retrouvais seul avec moi-même, -et le félicitai de l'élégance de sa traduction. - -Je n'attendais plus que la venue du Juif aixois, et je me trouvai là -précisément lorsqu'il arriva chez son oncle qui le bénit en l'appelant -Eliézer. - -C'était un homme de trente ans dont on ne pouvait dire qu'il manquât de -race, quoique son profil fût d'un dromadaire dont le front serait -couronné, et la joue encadrée d'un astrakan blond. Ses yeux avaient la -couleur de liards devenus verts à toutes les intempéries. Il portait un -vêtement de confection, qui n'eût présenté rien d'étrange sans une -musette de soldat, passée en bandoulière, et dont il me dit qu'elle -contenait le fameux manuscrit et ses instruments de minéralogiste. - -Il m'avisa que, le lendemain, il désirait se rendre à Ascain pour -assister à une importante partie de pelote. - -Voulant dès l'abord me montrer aimable, je lui offris, ainsi qu'à son -oncle, de me joindre à eux, mettant à leur disposition une voiture qui -nous emmènerait de Bayonne, conduite par mon loueur habituel. Jacob -Meyer se récusa, mais engagea son neveu à accepter, qui d'ailleurs ne se -fit point prier. - -Je le pris donc avec moi, et tandis que nous roulions vers le but en -traversant les délicieux trumeaux émaillés que sont les villages du -Labourd, notre conversation ne tarit pas sur la légende basque. Eliézer -Meyer connaissait à fond la langue de ce pays où il était né quand son -père était officier d'administration à la forteresse de Bayonne. - ---Oui, disait-il, elle est vraiment belle, n'est-ce pas, cette légende -d'Ondicola que nous gardons aussi précieusement qu'Aladin sa lampe -merveilleuse? Et vous dirai-je que, depuis que je l'approfondis -davantage, ma grande occupation est d'en faire la synthèse, et mon grand -attrait d'y réussir, c'est-à-dire de voir revivre dans ce peuple tous -les germes en puissance dans les héros de cette charte? - -Et comme, assis tous deux sur un mur, les jambes pendantes, tout près du -fronton d'Ascain, nous venions de suivre du regard, saisis d'un frisson -sacré, la pelote gravissant, tel qu'un astre d'ombre, dans l'azur -immaculé: - ---Regardez, mais regardez donc cette assistance, me dit Eliézer. Admirez -ces femmes de la race d'Ithargia, cette suprême et fine grâce -mouvementée comme la vague qui l'apporta; ces mantilles pareilles à de -légères voiles déployées sur la nuit des cheveux et des yeux; ce corail -et ces perles des bouches; tout ne décèle-t-il pas l'origine orientale, -l'aristocratie d'une race éclose au pays des gazelles? - ---Quant aux Orientaux, reprenait Eliézer, la partie terminée, et tandis -que nous nous rafraîchissions dans la naïve auberge, les voici, mais -reconstitués par Ondicola, rapprochés de notre paradis terrestre. Ils -n'ont guère conservé de défauts que cette indolence qui les porte à -laisser leurs femmes se substituer à eux dans les travaux et les comptes -de la cordonnerie, le premier de leur art. Et puis, n'aiment-ils point, -à l'exemple de leur ancêtre Hafiz, de goûter sous les tonnelles un vin -de la couleur des roses? Et, puisque nous parlons de Hafiz, voyez Hafiz -ressusciter en eux! - -Deux hommes s'étaient levés gravement et se faisaient face d'une -extrémité de la salle à l'autre, tandis que la multitude, se massant -pour les entendre, s'imposait silence. - -Leur chant mélancolique monta. - -Ils se répondaient tour à tour, et la lumière baignait dans l'ombre -leurs masques inspirés. - -Leurs voix vibrèrent longtemps dans le crépuscule. - -Pour prolonger l'extase d'une si belle journée, nous décidâmes de ne -regagner Bayonne que le lendemain; et d'ailleurs, la nuit, le col de -Saint-Ignace est dangereux. - -Nous flânions avant souper: - ---Voilà, me dit Eliézer, de la digitale encore en fleur. C'est une -digitale, vous en souvenez-vous, qu'Ithargia plaça entre les doigts de -sa fille expirante. - ---Comment, répondis-je, ne me rapellerais-je pas le moindre détail de -cet admirable poème? - ---La digitale, reprit-il, habite le silex qui lui donne peut-être cette -divine flamme rose qu'ont aussi les étincelles qui jaillissent de lui. - -Je regardai Eliézer. Avait-il du génie? Il ne paraissait point s'en -douter. - -Nous revînmes à l'hôtellerie du Jeu de l'Oie, où l'on nous servit de la -truite et du confit. - -Nous errâmes ensuite dans le clair de lune. Eliézer semblait devenu -muet, mais il était impossible de ne pas s'apercevoir qu'il avait la -connaissance détaillée des lieux où nous nous trouvions. - -Peut-être la recherche des métaux et des sources l'avait-elle conduit -déjà là? Il se baissait, de temps à autre, prenait pour l'examiner à la -lueur de la lune quelque fragment de roche éruptive où, parmi les noires -constellations du mica, fulgurait un éclair de cuivre. - -Minuit sonna au clocher d'Ascain. - -Eliézer entra au cimetière. Je le suivis. - -Quelle calme poésie dans ce jardin des morts! L'Israélite qui s'était -découvert me fit un signe du doigt, me montrant, sur une vaste pierre -tombale que pâlissait le soleil de la nuit, ces huit lettres gravées: -_ONDICOLA_, sans date, ni autre indication. - ---Ce nom, me dit-il enfin, est d'une famille célèbre par ses pilotaris. -Je ne sache rien de plus, sinon, comme vous l'avez appris vous-même, -qu'il est le plus vieux du pays basque, celui du fondateur que la -légende nous révèle; et je ne serais point surpris que l'un des six fils -d'Iguskia et d'Ithargia l'eût porté, et que la longue lignée l'ait -conservé par respect des ancêtres. Les Ondicola sont maintenant de -pauvres hères, mais qui sait? - -Nous reculâmes, car nous voyions la vieille pierre se soulever -d'elle-même et Ondicola sortir du sépulcre. - -Il regagnait le ciel, vêtu splendidement comme une constellation. - -Il était suivi de tout son peuple. En tête s'avançaient, d'une -incomparable beauté, tels que dans leur pure adolescence, Iguskia et -Ithargia; puis leurs fils, et les femmes de ceux-ci, et leurs -descendants dont l'un se faisait remarquer par son audace: il montait -seul un esquif sous qui roulaient les nuages et, soudain, il lançait le -harpon. Des flottilles escortaient ce marin qui semblait être l'amiral -de ces Basques, épris de contrées lointaines et qui ne cessent -d'affronter l'inconnu. - -Certains sombraient avec leurs barques, mais d'autres abordaient en des -archipels de lumière. - -Puis venaient les agriculteurs qui labouraient l'espace, d'une -simplicité d'attitude et de mise qui regagnait celle des pasteurs dont -on voyait neiger les brebis dans l'aube naissante. - -Un groupe de guerriers menaçait de makhilas des fils de Mahomet. - -A la suite de saint Léon, processionnaient les innombrables enfants du -pays qui ont épousé le Christ. Ils portaient des vêtements noirs ou -blancs dont quelques-uns étaient tachés de sang. Ils étaient les martyrs -de Chine et d'ailleurs, qui avaient quitté la maison bien-aimée aux -longues ailes pendantes. L'un d'eux portait le Sacrement autour duquel, -comme à Hélette encore, les hommes dansaient, graves de joie. Des -pilotaris l'ombrageaient avec leurs gants de cuir ou d'osier. - -Puis venait le troupeau des fidèles, l'humble peuple au coeur d'or des -petits négociants qui taille le cuir, débite la viande, fait griller le -café devant les portes. - -L'angélus m'éveilla. Je m'étais laissé gagner par le sommeil dans le -champ des morts, la tête contre une touffe de romarin. Eliézer dormait à -quelque distance. La tombe d'Ondicola était toujours là, mais close. - -La sonnerie des cloches reprit en s'accentuant. La douce vallée était -bercée par elle. C'était au matin de la Fête-Dieu. - -Une louange sans nom monta de la matinée. - -De vivants chemins, à onze heures, se mirent en marche: on ne savait -plus si c'étaient les cerisiers qui s'avançaient, où la foule. On -entendait l'orage des tambours et, par moment, entre leurs batteries et -celles des clairons, l'hymne montait et s'affaissait comme la mer. Puis -le grondement reprenait dans le rire des cloches en extase, et le regard -bleu du ciel se reposait avec amour sur les blés. - -Que ce paysage était simple! Simple comme cette race unique fondue à la -sérénité des collines, à la clémence du climat, à la frugalité des -terres! Elle suivait ce morceau de Pain qu'est son Seigneur et son Dieu. -Elle le suivait sans hésitation, le coeur au large et tout baigné d'une -rosée angélique. Ils allaient, leurs grains de bois sec dans une de -leurs mains calleuses et, dans l'autre, le béret dont ils montraient la -belle doublure neuve, vêtus du court chamar ou de la veste commune, le -pantalon arrêté au-dessus de la cheville pour que la poussière ou la -boue n'atteignît que les gros souliers. - -Es-tu content de ton peuple; est-ce ainsi que tu l'as voulu, Ondicola? - -Lorsque, dans la soirée, Eliézer et moi nous nous en retournâmes, les -sentiers étaient jonchés d'herbages et de fleurs et tout parfumés de -menthe. - -Nous relayâmes à Hasparren où nous couchâmes. Ville délicieuse, charme -premier du pays basque où les magasins bas, avec leurs porches romans, -leurs naïves enseigne, la pauvreté de leurs denrées exposées aux -devantures, suffiraient à nous guérir de la croyance qu'il est -nécessaire, pour vivre, de se trouver aux portes du Louvre ou de -l'Institut Pasteur! - -Le lendemain matin, Eliézer ayant la migraine demeura au lit. Je me -dirigeai seul, à pied, vers cet Ayherre où la légende situait le foyer -d'Iguskia et d'Ithargia. - -J'aperçus le château démantelé de Belzuncia. L'air était blond et -argenté comme une perle, où les blés prenaient déjà la teinte sombre de -la terre. - -Au flanc de la colline était un champ modeste où vinrent deux faucheurs, -un jeune homme et une jeune femme. Je songeai à Iguskia et à Ithargia -qui s'étaient épousés dans les flammes de la moisson. - -Je me rapprochai de ce couple qui était d'une indicible beauté, -transmise à travers les âges sur l'aile de l'Amour selon le voeu -d'Ondicola. Leurs regards étaient tels qu'ils donnaient à penser que la -lumière peut être noire. - -Je leur dis que j'étais venu de Hasparren, visiter les ruines proches de -leur ferme, ce dont ils ne s'étonnèrent point car elles éveillaient -parfois la curiosité des promeneurs. Ils ne souffrirent point que -j'allasse prendre mon repas à l'auberge et, avec cette simplicité -habituelle à leur race, ils m'invitèrent chez eux. - -La femme nous servit, après quoi leurs quatre petits garçons, qui se -suivaient de tout près par l'âge, vinrent manger debout la soupe qu'on -leur présenta dans une écuelle. Ils burent de l'eau dans un bol ébréché, -puis s'en allèrent satisfaits. Sur deux chaises, l'un en face de -l'autre, un aïeul et une aïeule somnolaient. - -Je sortis pour aller contempler l'ancien château, mais plutôt pour -évoquer le premier foyer eskuarien qui l'avait précédé de bien des -siècles. - -Les remparts tombent, mais la terre ne meurt pas. Aussi magnifique était -peut-être cette campagne qu'aux jours premiers d'Iguskia et d'Ithargia. - -Avant de regagner Hasparren, j'allai remercier mes hôtes. Ils étaient -assis sous un noyer qu'on eût dit tout chargé de nuit fraîche. Ils se -tenaient par la main avant que d'aller reprendre leurs faucilles. Une -caille au loin appela. - -Je ne fis part ni de mon rêve ni de mon excursion aux ruines d'Ayherre à -Eliézer. - - - - -LE SIÈGE DE PAMPELUNE - - -Peu de jours après notre course a Ascain, je me retrouvai avec Eliézer -chez son oncle dans ce vieux Bayonne si pittoresque où jadis aborda, au -retour des Indes occidentales, l'une des caravelles de Christophe -Colomb. - -Pays de Robinsons, d'explorateurs, de pêcheurs, de corsaires, que -n'as-tu ajouté cette devise à ton blason, lue sur un vieux pot anglais: -«_Les aventures sont pour les aventureux._» - -J'attendais avec une certaine impatience la suite, à laquelle j'avais -été convié, de la légende basque. - -Le début du deuxième chant me surprit. - -C'était une sorte de préambule, davantage un exposé qui semblait, plutôt -que d'un poète, l'oeuvre, eût-on parié, du copiste. - -Quel copiste? Que, dans une langue non écrite, ou dont le graphique a -disparu, il y ait quelques exceptions, soit! Il n'en est pas moins vrai -que ce Juif aux yeux verts, affublé d'un prénom si extravagant, me donna -un léger choc lorsque je l'entendis, comme on va le voir tout à l'heure, -employer le mot _curé_ dans sa traduction. - -A la vérité, ce mot ne semble avoir que faire avec, je ne dis pas la -religion, mais l'esprit d'une époque aussi reculée. Ce pouvait être une -faute de goût de la part du neveu de Jacob Meyer, tout au moins une -bizarrerie. Mais je dois prévenir les lecteurs, afin qu'ils ne me -tiennent point pour un naïf, qu'à partir de cet instant, je fus assailli -par le doute. Eliézer ne m'étonna pas moins que, dans la même séance, -après avoir ouvert une parenthèse explicative que je n'ai pas consignée, -mais qui avait trait au procédé d'Ondicola pour sélectionner la race -eskuarienne, il prononça: «Et, d'ailleurs, la diplomatie est la science -de l'amour.» - -Allais-je me lever, faire éclater mon mépris, ou m'esquiver sans bonjour -ni bonsoir? J'eus la sagesse de n'en rien faire. - -Je remis à plus tard la clef d'or du mystère. Qu'importait son auteur -véritable si l'oeuvre continuait de me ravir, et ne faut-il pas, après -tout, que toujours par quelqu'un le Robinson commence? - ---En Labourd, en Soule, en Basse-Navarre, traduisit Eliézer qui semblait -suivre le mot à mot du texte rapporté d'Aix, on vit, huit cents ans -après la destruction de l'_Eskualdunak_, s'élever çà et là de jolies -églises à triple clocher, adossées à leurs presbytères dont les jardins -produisaient des légumes, des fruits, des lys blancs et des pois de -senteur. - -Ces paroisses naissantes vécurent longtemps en paix, mais les curés -(_sic_) représentèrent à leurs brebis, capables de se transformer en -lions, que le diable donnait depuis longtemps le siège à leurs frères -basques d'Espagne. - -On sait que ceux-ci avaient appris des Maures l'industrie du cuir et -l'agriculture raisonnée, qu'ils avaient transmises à leurs parents -restés en France quand ils les y allaient visiter. Mais ils ne furent -pas longs à s'apercevoir que la race maudite de Mahomet, pleine de -dissimulation, ne leur voulait que du mal. Et ce qui mit le comble à -leur indignation, ce fut le martyre que de tels barbares infligèrent à -la chrétienne Eurosie qui s'était refusée à épouser l'émir. Les Basques -de France se portèrent au secours de leurs frères outragés et, les -secondant, s'emparèrent de Pampelune. - -Le texte de la légende, observa ici Eliézer, emploie le style lyrique -dans le passage qui suit et qui a trait précisément à la prise de cette -ville. Il y a même, dans la seconde partie, un essai que je crois devoir -traduire en en respectant la prosodie. - -Quand les descendants d'Iguskia et d'Ithargia arrivèrent sous Pampelune, -le crépuscule était comme un grand oranger parfumé. - -L'émir reposait dans son pavillon avec ses femmes couronnées de fleurs -de grenadier. Le bourdonnement des guitares énervait leurs amours. - -Ah! l'on te retrouve bien là, mollesse orientale dont Ondicola vint à -bout lorsqu'il fit exploser son _Eskualdunak_ d'or, après avoir lâché -sur une terre incomparable un couple vierge! - -Les fils d'Iguskia et d'Ithargia sont sous tes murs, ô Pampelune! Ils -viennent enfin brûler les dieux qu'ils eussent adorés sans un maître -audacieux qui anéantit son équipage avec lui. - -Voici les principaux comtes basques: Arnaud de Macaye; Sanche -d'Espelette; Ramoun de Tardets; Bernard d'Iholdy; Auger de Mauléon; -Ondicola d'Ascain. - -Qu'ils ressemblent peu à ces païens, obèses la plupart, vautrés dans -l'orgie, empêtrés dans leurs tuniques, gavés de confitures de roses! - -Arnaud de Macaye descend de Zoardia, l'aîné de ceux qui avaient épousé -les belles enfants dont l'une avait séduit le Zéphire à bord de -l'Amodioa. Après avoir navigué au long des côtes, il est revenu dans son -village au milieu de sa tribu. Et, avec ses mules, passant et repassant -la frontière, il fait commerce d'huile et de vin. - ---Où est, s'écrie-t-il, en avançant vers le rempart, l'émir, que je le -crève comme une outre? - -Arnaud de Macaye ne porte casque ni cuirasse, ni autre vêtement de -guerre, mais le petit béret basque, le chamar, et un pantalon aussi -léger qu'une feuille. Ses longs cils ombragent son regard: - - Il tient serré son makhila flexible - Dont on voit bien qu'un seul coup abattrait - Le Sarrazin avec son minaret. - Il porte un cor de chasse à la ceinture - Ses compagnons sont armés comme lui - Du makhila qui ne sait faire grâce. - - Sanche est celui qui descend d'Aritza. - Son fief domine un sommet d'Espelette - Qu'on a nommé le mont du Mondarin. - Navigateur intrépide il s'en fut, - Accompagné de ceux de la Bretagne, - Depuis le cap extrême de l'Espagne - Jusqu'au pays que l'on ne connaît plus. - Quand il revint, Gachucha fut sa femme. - Et depuis lors il tisse des lainages, - Qu'un de ses fils va vendre en Oloron. - - Quant à Ramoun, qui descend de Suâ, - Dedans Tardets, la céleste vallée - Qu'il n'a jamais jusqu'à ce jour quittée, - On ne peut pas dénombrer ses brebis. - Il vend sa laine à Sanche d'Espelette. - Il est danseur et, toujours sous ses pieds, - On voit le vide et le soleil briller. - - Après s'en vient Bernard, chef d'Iholdy, - Qui fit, dit-on, premier le tour du monde, - Puis s'enrichit à bien tanner le cuir. - Et, plus que tous, il en veut à l'émir, - Parce qu'il est beau-frère d'Eurosie. - - Auger qui sort de Mauléon la terre - Contre la gent est si fort en colère - Que l'on croirait qu'il porte le tonnerre. - Et cependant, par ordre de Clotaire, - De père en fils sont en leurs lieux notaires. - - Ondicola d'Ascain paraît ensuite - Toujours lequel fut un pilotari. - Au makhila s'adjoint sa plus rude arme, - Son chistéra qu'il porte sur le dos. - Qu'on le redoute, il est si fort qu'il peut - Lancer la balle aussi loin qu'il le veut. - -Dans leur fureur vengeresse, ils étaient tellement sûrs de leur -triomphe, ces comtes et leurs vassaux, qu'ils avaient demandé aux plus -jolies filles basques de les accompagner. - -Le choix ne fut point facile, elles sont légion. On en dut réduire le -nombre et faire pleurer de doux yeux. Les favorisées partirent donc, le -coeur léger. - -Que l'on n'aille pas croire que ce fut pour bafouer la morale. Elles -étaient honnêtes. Mais Arnaud, mais Sanche, mais Ramoun, mais Bernard, -mais Auger, mais Ondicola d'Ascain avaient jugé que le plus dur supplice -qu'ils puissent infliger à des mahométans enchaînés était de faire -défiler devant eux ces beautés merveilleuses. Ce qu'ils firent. Et -l'émir en mourut. - -Je ne savais, tandis qu'Eliézer suspendait là cette partie de la légende -basque, s'il me fallait éclater de rire ou me fâcher, ou garder mon -calme. J'optai pour cette dernière attitude. Jacob Meyer, opinant du -bonnet, applaudit cette fin du chant. - - - - -CHANT D'AMOUR DE TIRUZTAYA ET DE LÔRÉA - - -J'ai dit que le prétexte qui avait été donné par son oncle, de la venue -d'Eliézer, était d'une eau salée dont on s'occupait fort en ce moment -pour la conduire à Biarritz. - -Des hommes autorisés tels que MM. Raymond Baron, Hézard et Bergeroo, -étaient parmi les membres de la Société qui s'était fondée. - -Il me serait bien impossible d'informer sur le rôle que joua dans cette -affaire le neveu de Jacob Meyer durant les quelques semaines qu'elle le -retint ici. Il semblait s'intéresser alors à la minéralogie du système -cantabrique, mais je ne pus me défendre d'une certaine méfiance touchant -ses capacités, quand il me fit part, à propos d'un soulèvement d'ophite -d'une théorie qui ne tenait pas debout. Je n'en jugeai pourtant que par -les vagues leçons d'histoire naturelle apprises par moi au lycée de -Bordeaux, d'un professeur, il est vrai fort distingué, M. Kuntsler. - -Eliézer me montra un perforateur à pointe de diamant, dont il me dit -qu'il lui servirait à atteindre une nappe de pétrole située à -Saint-Boës, près d'Orthez. - -Il ne me parla plus, momentanément, de la suite de la légende basque. - -Etait-ce que, cette suite, il prenait le temps de la composer ou qu'il -voulût me la laisser désirer? Mystère. Je n'y fis aucune allusion, -encore qu'un mot de Jacob Meyer m'eût fait entendre naguère que l'un des -plus sublimes passages des Robinsons serait un duo d'amour, chanté par -des descendants de Zoardia, au printemps, à l'entrée de ces grottes -d'Isturitz, dont je possédais la clef. - -Cette clef, combien je sentais l'oncle et le neveu vivement possédés du -désir de l'introduire dans la serrure interdite! - -Je continuais de fréquenter chez le vieux, le trouvant mainte fois -occupé à quelque délicat travail, comme d'examiner les arborisations -d'une émeraude ou, ce qui ne l'est pas moins, d'en discuter le prix avec -quelque femme du monde. - -Il ne se gênait point; il semblait même que ma présence le stimulât pour -exiger d'âpres conditions de belles clientes qui connaissaient les -détours d'ombre de l'étroit et discret escalier de la rue Pontrique. - -Parfois nous reprenions le cours de nos conversations littéraires, ou -nous allions pêcher les petits muges de la Nive. J'aime ce passe-temps -populaire, et de me retrouver dans la compagnie de ces maniaques -s'efforçant de fixer autour d'un hameçon l'appât, si vite désagrégé, -d'oeufs de merluche. - ---Il est une science, me dit Eliézer, un après-midi que je le rencontrai -chez son oncle, à laquelle je m'adonne passionnément: l'anthropologie -préhistorique. Les grottes d'Isturitz... - -Encore! me dis-je. L'oncle et le neveu ont dû se passer le mot! Faut-il -donc qu'ils soient têtus et indélicats pour me reparler de ces grottes, -vouloir me faire manquer à mon engagement, alors qu'ils savent que c'est -moi précisément et le cerbère qui devons nous opposer à toute -infraction. - ---Les grottes d'Isturitz, insista Eliézer, offrent aux spécialistes de -l'âge de pierre un intérêt qui se double pour moi de tout ce que m'a -fait connaître des origines du peuple basque la légende ondicolienne. -Isturitz, quel nom! Est-ce que des descendants de Zoardia et d'Aritza, -s'il faut en croire un magnifique passage que je vous traduirai -prochainement, ne le rendent pas plus harmonieux encore par les accents -d'un amour ineffable qui, après plusieurs siècles, commémore les -élévations d'âme de leurs ancêtres? Ce n'est que chants d'oiseaux buvant -aux calices de fleurs printanières. - -Il fallait bien que je m'avouasse que, trompeurs ou non, Eliézer et son -oncle se servaient d'un joli langage, et que la perspective d'entendre -ce pur duo auquel ce dernier avait déjà fait allusion excitait ma -passion poétique. - -Mais je ne pouvais me déprendre d'un certain malaise. Et, de penser -qu'on avait influencé mes nerfs, jusqu'à m'avoir fait rêver si -étrangement à la légende basque dans le cimetière d'Ascain, augmentait -mon trouble. Ces Hébreux agissaient sur moi comme s'ils m'eussent dosé -les drogues dont usaient les passagers de l'_Eskualdunak_. Il me -faudrait réagir à temps. - ---J'ai d'ailleurs, poursuivit Eliézer, promis à Salomon Reinach de me -mettre en quête d'un ours en pierre tendre, catalogué par Pierre Loti, -et que les primaires de ces grottes ont sculpté plusieurs siècles avant -que s'y réfugiassent Iguskia et Ithargia. Les savants actuels suivent un -plantigrade pétrifié avec autant d'ardeur que les sauvages qui l'ont -exécuté le poursuivaient, vivant, de leurs flèches de silex et d'os. -Vraiment, ne pourrait-on explorer des lieux si attirants dont, bien -entendu, aucun objet ne serait distrait, mais infiniment respecté? Quant -à l'ours, cher monsieur, si on le retrouve, il n'est que d'en référer à -son propriétaire. Nous n'en serons que les montreurs. Qui dit Salomon -Reinach dit prince munificent. - -Comme il me voyait inquiet, gêné, hésitant, Eliézer continua: - ---Ecoutez-moi bien. Je ne vous demande, pour une première entrevue avec -les grottes d'Isturitz, et jusqu'à ce que vous nous ayez obtenu de M. -Passerose la permission d'y pénétrer, que d'aller vous y lire, à -l'entrée, le duo d'amour de la légende, et, seulement dans le cas où -vous le jugeriez digue de votre reconnaissance, vous vous emploieriez à -nous obtenir la permission que nous désirons tant. - ---Eh bien! soit, prononçai-je. - - * * * * * - -Mais j'éprouvai quelque honte de cette lâcheté où venait de m'induire -moins sans doute l'amour de la poésie que ma vive curiosité pour le -roman en action que me tramaient ces Juifs, sous prétexte de Robinsons -basques. - - - - -Une journée sans nuages enveloppant de sa netteté la trouble et bleuâtre -colline d'Isturitz nous réunit tous trois à l'entrée de ses grottes. -Nous avions laissé, à quelque distance, dans une auberge, voiture et -cocher. - -Nous retirâmes de nos paniers une langouste, une galantine et un pâté de -foie qui me donnèrent à réfléchir sur les animaux que proscrit la loi -mosaïque. Quant aux vins, ils lançaient, entre les doigts de Jacob -Meyer, des éclairs de rubis et de topaze. Horace et ses convives ne se -fussent pas mieux traités dans la villa de Castétis. - -Lorsque la douce langueur, qui suit sur l'herbe ombreuse le repas de -midi, m'eut quelque peu enveloppé, Eliézer retira de sa musette le -précieux texte, ou sa traduction, ou son adaptation, comme il vous -plaira. - -Et il lut: - ---Voici le duo nuptial que chantèrent, pour la première fois, dans la -région d'Isturitz où leurs antiques parents, Iguskia et Ithargia, les -ont précédés dans la jeunesse et dans l'amour, Tiruztaya, homme du foyer -de Zoardia, et Lôréa, fille de la tribu d'Aritza. - -TIRUZTAYA - -J'ai trouvé, sur le sommet d'Abbaratia, une rose sauvage dont le charme -est incomparable, non pas qu'elle soit moins ou plus rose qu'une autre, -ni davantage odorante, mais, à mesure que je gravissais vers elle et que -mes yeux en buvaient la rosée, ah! je comprenais qu'elle n'avait été -touchée même par une abeille: par le ciel seulement. - -LÔRÉA - -Sur la cime de la montagne cette rose s'est plu à incliner sa tige, -formant un arc aussi doux que ton nom, ô Tiruztaya! - -Mais, brusquement, s'est détendue la tige, et moi qui en étais la fleur, -je me suis décochée avec force pour venir me poser sur ton coeur. - -TIRUZTAYA - -Que nos petits cousins appellent les fauvettes avec les fifres dont ils -enchantent le long après-midi. Elles ne répondront plus à leur -invitation, ô Lôréa, si elles t'ont entendue, mortes de jalousie. - -LÔRÉA - -Lorsqu'on célébra, il y a un an, la fête ondicolienne, c'est alors que, -pour la première fois, je te distinguai parmi les pilotaris. - -Et quand, avec un geste que je ne peux pas dire, tant il fut mesuré dans -l'espace, tu brandis le gracieux berceau d'osier du chistéra, mon coeur, -que tu avais mis dedans, ne fit qu'un bond. - -Et je vis, ô joie! mon coeur monter et redescendre vers un rival que tu -provoquais. - -Mais toi, comme donnant un ordre à ce coeur, tu t'en jouais, le -rappelant sans cesse, le relançant, le reprenant encore, le renvoyant -jusqu'à ce que te restât la victoire au milieu des applaudissements. - -TIRUZTAYA - -Je bercerai ton coeur dans ce hamac d'osier où roule la pelote afin -qu'un jour, auprès de notre couche nuptiale, j'y berce aussi nos petits. - -LÔRÉA - -Ne me fais point rougir, ô Tiruztaya! - -TIRUZTAYA - -Comment te ferais-je rougir puisque, déjà, tu es rose? Mais si tu veux à -moi-même voiler ton teint d'églantine, laisse mon front se rapprocher du -tien jusqu'à ce que je n'y voie plus. - -LÔRÉA - -Attends encore, Tiruztaya. - -C'est dans le front que les jeunes filles cachent leur pensée la plus -pure. - -Et lorsque tu les vois se tenir si droites, elles veulent que la -poussière soulevée par leurs pieds ne puisse atteindre cette plaque de -marbre où, invisiblement, le nom du bien-aimé est gravé. - -TIRUZTAYA - -Rien ne courbe donc votre fierté? - -LÔRÉA - -Il faudrait, pour que je consentisse à abaisser ton nom chéri, que je -porte à la cime de mon être, que tu me tuasses d'un coup de flèche en me -trahissant. - -Alors, ô tristesse! je ne saurais que m'abattre tout du long, ma tête à -tes pieds. - -TIRUZTAYA - -Ma Lôréa, n'aie point d'aussi folles pensées qui pourraient engendrer la -tristesse. - -Tu sais l'honneur du pays basque, le foyer où Iguskia et Ithargia -cuisaient leur pain d'asphodèle. - -Si, parfois, hélas! de tes compagnes étourdies glissèrent sur la mousse -de la colline en poursuivant un lièvre matinal, enveloppées aussitôt par -les filets des pâtres, jamais épouse qui jura par sa foi n'a menti à la -vallée paisible. - -LÔRÉA - -Il faut que la jeune fille devienne épouse, et que celle-ci présente à -ses enfants un visage dont les yeux n'ont miré que le regard de leur -père. - -Et il faut qu'on l'ensevelisse dans sa tunique nuptiale. - -TIRUZTAYA - -La tradition raconte que les belles-filles d'Ithargia, ayant que -d'épouser ses fils, toutes élégantes encore des parures qu'elles -portaient sur l'_Amodioa_, déposèrent dans ces grottes et scellèrent -dans le roc leurs légers vêtements d'Asie. - -Ils étaient de soie, et chacun n'avait d'autre ornement qu'un long -narcisse brodé. - -LÔRÉA - -Je n'ai point de robe de noces si belle. Et tu ne m'en voudras pas de ne -t'apporter que moi-même au lieu d'un vêtement brodé. - - * * * * * - -Cette finale, certes, était ravissante, et l'ensemble du morceau d'une -haute tenue. Mais le modernisme, si je peux dire, y paraissait en -transparence comme à travers un sujet ancien la grâce, jadis neuve, d'un -Sandro Botticelli. - -Le narcisse brodé me semblait être un impudent défi à ma crédulité. - -Si sot qu'on croie un poète (et je passais alors par cette épreuve du -mépris que fait peser sur nous, le monde en général), je ne l'étais -point tellement que je donnasse dans ce panneau, si recouvert de fleurs -fût-il! Ce qui me faisait trouver la plaisanterie plus mauvaise encore -c'était qu'elle me fût servie non seulement par des gens d'un goût très -averti mais qui, s'ils étaient les auteurs des Robinsons basques, -étaient doués d'un génie poétique au moins égal au mien. Et, d'envisager -cette dernière hypothèse, n'allait point de ma part sans aigreur. - -Je faillis leur crier: «Prenez-vous donc Pégase pour une bourrique?» -Mais j'en fus retenu par la noblesse même de ce chant nuptial, et, -dis-je, par le désir de connaître le but et l'issue d'une machination -aussi baroque. - -Nul doute que les deux gaillards ne voulussent entrer en possession de -la clef des grottes d'Isturitz. Mais à quelles fins? Je me méfiais que -ce ne fût point pour en inventorier les curiosités préhistoriques, -pensait-il que je l'autoriserais, me sentant piqué au jeu, à s'en aller, -en compagnie de son oncle, rechercher dans la noirceur de ces cryptes -les mousselines où neigeait le légendaire narcisse d'amoureuses? - -Je dois à la vérité de dire que, faisant preuve, ce jour-là, d'autant de -tact que d'adresse, Jacob non plus qu'Eliézer ne me sollicitèrent au -sujet de la clef. - -Ils n'en parlèrent point davantage au gardien lorsque nous allâmes, au -retour, serrer sa patte velue. Il vivait, non loin d'une caverne, dans -la compagnie de ses quatorze jeunes enfants et de leur mère. De celle-ci -il nous dit qu'elle avait autant de lait qu'une vache bretonne, et qu'il -ne serait point embarrassé, en l'absence de nourrissons, d'en tirer cinq -francs par jour, s'il l'allait vendre à la ville; Cette rusticité dans -le propos cadrait avec cette féroce observance de la consigne qu'il ne -levait qu'en faveur de M. Passerose--le propriétaire même des lieux--ou -que pour moi. De toutes autres gens, même que je lui eusse recommandés, -il eût exigé, encore qu'il ne sût pas lire, une autorisation écrite de -M. Passerose. - -Cet indigène, nommé Salbaya, nous indiqua d'un geste du menton, qu'il -accompagna d'un sourire lacustre, un fusil rangé au-dessus de la -cheminée, nous disant l'avoir chargé de grenaille et de gravier. Puis, -il pointa un index terrible dans la direction des grottes. - -Salbaya n'était, au fond, qu'un de ces hommes nés pour se dévouer -jusqu'au sang à de nobles causes, mais qui ne trouvent point emploi de -leur courage. Moins éloignés du monde, plus instruits, sans doute -eussent-ils joué des rôles de partisans ou de soldats. Ne s'étant pu -réaliser ainsi, en aucune façon, Salbaya concevait une fierté -désordonnée d'avoir été investi--la rase campagne aidant--de cette -fonction de gardien-chef d'un refuge d'ours antiques. - -En prenant congé de lui, nous remîmes nos doigts dans sa griffe. Puis -notre calèche nous ramena lentement, par Saint-Martin, Saint-Esteben et -Bonloc, à la place de Hasparren. - -Chemin faisant, nous fîmes halte au pont de l'Arbéroue, et nous nous -plûmes à regarder trois jeunes gens qui, la culotte relevée au-dessus du -genou, fouillaient avec un filet les dessous de la berge pour y puiser -des truites. - -Ils les enfermaient en des vanneries en forme de carafe, tressées par -des Bohémiens, et qu'ils bouchaient avec des feuilles d'aulne. - -Nous observâmes qu'ils rejetaient avec mépris, en retirant les poissons -du piège, les écrevisses qui y grouillaient. Nous les priâmes de vouloir -bien nous réserver celles-ci. Ils le firent de la meilleure grâce du -monde, et nous remportâmes ainsi, pour quelques sous, un plein panier de -ces excellents crustacés, bien loin que je pusse soupçonner le rôle -qu'ils allaient jouer avant peu dans la légende ondicolienne. A ce -moment je me fis cette seule réflexion que les jeunes pêcheurs qui -pratiquaient un sport aussi simple ne devaient point différer beaucoup -des premiers Robinsons basques. - -Nous fîmes cuire et mangeâmes nos petites bêtes, le soir même, dans -l'hôtel de la gracieuse petite ville, l'hôtel Gascoïna. Puis nous -regagnâmes, non Bayonne qui était assez éloigné, mais ma villa où -j'avais fait préparer des chambres pour mes compagnons de voyage. - -S'ils furent imprudents d'accepter mon hospitalité, la suite va le dire. -Mais j'étais loin de me douter, quelques heures avant de les loger, que -le mystère dont ils entouraient leurs faits et gestes à mon égard allait -s'éclaircir. - - - - -LA VÉRITÉ DANS LE RÊVE - - -Je les croyais profondément endormis. Il était une heure du matin. Je ne -m'étais pas encore déshabillé. J'avais ouvert un volume d'Alfred de -Musset, comme tant de fois au cours de mes veilles, et je m'étais laissé -gagner par le triste charme du plus fiévreux de ses poèmes, cette Nuit -de décembre que je ne peux lire sans frissonner. J'en étais à ces vers: - - Mais tout à coup j'ai vu dans la nuit sombre - Une forme glisser sans bruit. - Sur mon rideau j'ai vu passer une ombre, - Elle vient s'asseoir sur mon lit. - Qui donc es-tu, morne et pâle visage, - Sombre portrait vêtu de noir? - Que me veux-tu, triste oiseau de passage?... - -... lorsque, la porte s'ouvrant, Eliézer parut, silencieux comme un -fantôme et qui prit place sur ma couche dont le drap n'était point plus -blafard que sa face. - -Il portait comme à l'habitude un costume de deuil. - -Je claquai des dents, puis lui demandai: - ---Vous êtes malade sans doute? Voulez-vous lire la dernière chronique de -Francisque Sarcey dans le journal le _Temps_? - -J'eus conscience, tant cette vision me terrifiait, je ne sais pourquoi -vraiment, que ce que je venais de dire n'avait aucun sens et que je lui -offrais le _Temps_, auquel je n'ai jamais été abonné, comme j'eusse pu -lui proposer une chasse au tigre dans une forêt du Bengale. - ---Ce n'est point tout ça, me répondit-il d'une voix très nette et qui ne -laissait point supposer qu'il ne fût là en chair et en os: parlons! - ---Allez! dis-je, sans que je perdisse un seul grain de ma chair de -poule. - ---Eh bien! voici: mon oncle et moi nous sommes Juifs. - -Je m'inclinai avec la déférence polie que l'on marque à un homme qui -vous confie qu'il est sourd. - -Et il poursuivit en donnant à son langage autant de précision qu'à -l'ordinaire: - ---Et vous vous êtes aperçu que nous nous moquions de vous? - -Ma main se souleva comme un clapet, du bras du fauteuil où j'étais assis -et s'y reposa. - ---Ne pensez pas, continua-t-il, que cependant je ne puisse être sincère. -Et la preuve en est que je viens, au milieu des ténèbres, vous faire ma -confession, aussi pénible, aussi humiliante qu'elle puisse être à un -_déshabitué_. - -Il prononça _déshabitué_ d'une manière si aiguë et si étrange, modulant -chaque syllabe, que l'on eût cru d'une hulotte. - ---Je vous le déclare sans ambages: nous sommes des voleurs, mon oncle et -moi, celui-ci ayant découvert chez un bouquiniste du vieux Bayonne, et -s'étant approprié, un document qu'il aurait dû remettre aussitôt à la -famille Passerose; et moi, en lui prêtant mon concours, afin de nous -emparer seuls d'un trésor dont ce parchemin fait mention. Ce trésor est -enfoui dans les grottes d'Isturitz. De là notre acharnement à nous faire -remettre par vous la clef du souterrain. De là... - ---... cette invention de la légende basque, bien capable de séduire et -d'envoûter une nature comme la mienne. M'est-il à présent permis, cher -monsieur, de vous demander à quelle source, si proche de nous qu'elle -soit, vous avez été puiser votre rhapsodie? - ---La source? déclara Eliézer de la manière que Louis XIV affirmait: -«L'Etat c'est moi», la source et moi nous ne faisons qu'un. - ---Mais cette étrange entrée en matière de M. Jacob Meyer touchant -l'_Eskualdunak_ et les premiers Robinsons basques?... - ---Mon oncle n'a été que le canal. Je fus l'amorce. Il fallait vous -gagner à tout prix pour tâcher d'obtenir, grâce à vous, de l'inflexible -M. Passerose, l'autorisation d'entrer librement dans le flanc de la -colline. Nous savions que vous rejetteriez avec dédain toute offre de -participer avec nous au partage du contenu du coffre, car c'est bien -d'un coffre qu'il s'agit. Il se trouve à une distance (conversion au -système décimal actuel) de soixante-cinq mètres trente-deux centimètres -de l'entrée, le long de la paroi droite, et à un mètre vingt-six -centimètres de profondeur. Il a été déposé là, durant la Terreur, par un -Antoine Passerose, ascendant du propriétaire actuel, et qui gagna la -Hollande pour se soustraire à la guillotine qui allait se déclencher à -Bayonne. Il émigra après avoir confié à un sans-culotte de façade, pour -le remettre à qui de droit, la paix revenue, le plan détaillé des lieux. -Le sans-culotte, devenu suspect, fut décapité sans qu'Antoine Passerose, -décédé en Hollande, eût pu s'enquérir du trésor et du document. Celui-ci -avait été remis par le condamné, au moment qu'il allait monter dans la -charrette, à un prêtre qui l'oublia dans son bréviaire avant de mourir -d'indigestion. Le pieux livre passa aux mains des bric-à-brac de la -Synagogue et, dès que mon oncle Jacob Meyer s'en fut rendu acquéreur, il -songea bien à informer les héritiers légitimes en leur réclamant ce qui -lui revenait pour une telle découverte. Mais sa rapacité l'emportant sur -sa conscience, il n'en fit rien, voulant être seul possesseur du trésor -qui monte, en pièces d'or, en argent, en pierres et perles, à plus de -cent mille pistoles. Et il m'a fait jurer sur les éclairs du Sinaï que -je n'en réclamerais pas une obole, qu'il ne m'eût couché sur son -testament et qu'il ne fût entré dans le sein d'Abraham. Et même, il ne -me confiait son secret que par l'absolue nécessité où il était -d'exploiter mon génie poétique afin de peser sur vous dont il -connaissait les goûts. Il les partage, il est vrai, ceux du moins de la -pêche et de la poésie. - ---Vos Robinsons basques, dis-je alors avec une amabilité d'autant plus -sincère que j'étais au fond touché d'une amende aussi honorable, et que -je sentais Eliézer mortifié, sont des plus ravissants caprices que l'on -puisse rêver--que dis-je? que vous m'avez fait rêver, apprenez-le -maintenant, dans le cimetière d'Ascain. - -Le pauvre homme se laissa glisser du lit où il était demeuré assis. Il -faisait pitié, paraissait à bout de force après cet aveu. - -Il rouvrit la porte, tituba dans le corridor, rentra _à reculons_ dans -sa chambre où, sans ajouter un mot, les yeux fixes, il se déshabilla et -se recoucha. - - * * * * * - -Ce n'est qu'alors que je compris qu'Eliézer était un hystérique -somnambule, qui disait la vérité en dormant, et qu'il venait d'être -victime d'une de ces crises que le plus grand ancêtre de Freud affirme -se produire chez certains sujets, après l'absorption d'écrevisses qui -les forcent de marcher comme elles. - - - - -LES FIANÇAILLES DE ROLAND ET D'AUDE - - -Le lendemain matin, à l'heure du café au lait, je compris qu'Eliézer, -inconscient du phénomène nocturne dont il avait été victime, avait -récupéré vis-à-vis de moi toute sa discrète mais arrogante supériorité. - -Je jubilais en moi-même de me trouver en possession du secret de l'oncle -et du neveu, sans que ni l'un ni l'autre s'en doutât. Leur farce -intéressée se retournait contre eux. J'avais, pour moi, tout à coup, ce -que l'on pourrait nommer: les rieurs de l'invisible. - -Par malice, et sachant bien ce qui me restait à faire, j'exagérai -l'intérêt que j'avais pris au duo d'amour des Robinsons basques, je -réclamai de connaître la suite de la légende, j'allai jusqu'à prétendre -que la lecture donnée devant les grottes d'Isturitz ne m'avait point -permis, la précédente nuit, de fermer les paupières. Je surpris, -d'Eliézer à Jacob, des signes d'intelligence qui signifiaient: «Nous le -tenons!» - -Le premier de ces faquins, redoublant d'audace, me donna lieu d'espérer -qu'il m'accorderait la faveur d'un nouveau chant qui célébrait un repas, -dans une forêt des Aldudes, auquel auraient pris part Charlemagne, et -Roland. Duquel chant il résultait que la fiancée de ce dernier, la belle -Aude, n'aurait été qu'une Robinsonne du nom d'Alba, inhumée dans les -grottes d'Isturitz. - -On me tenait décidément pour un parfait idiot. Mais je me demandai dans -quel but Eliézer semblait m'inviter à faire exécuter des fouilles dans -le souterrain alors que son oncle avait tout intérêt à les pratiquer -seul avec lui. Je compris assez vite qu'il en agissait avec une -prévoyance fort habile: il ne voulait point que je m'étonnasse, s'il me -prenait fantaisie d'aller quelque jour les observer dans leurs travaux, -de les voir remuer le sol en divers endroits pour y rechercher, -soi-disant, les tuniques nuptiales ou la momie de la belle Aude: en -réalité pour mettre la main sur le trésor, quand ils se sauraient bien -solitaires. - -Donc je feignis de souhaiter avec ardeur qu'Eliézer me lût le nouveau -passage lyrique, dont il remit la déclamation à quinzaine, évidemment -pour la raison bien simple qu'il fallait qu'il le composât. Oncle, et -neveu parurent tellement ravis de me voir dans cette disposition que, -lorsqu'ils remontèrent en voiture pour rejoindre Bayonne, Jacob Meyer, -en guise d'au revoir, fit le geste de se servir d'une clef. Je lui -répondis par le plus prometteur des sourires. - -Mais sitôt qu'ils eurent décampé, je n'hésitai point. - -Je sellai un petit cheval et, en moins de temps qu'il ne faut pour -l'écrire, je me retrouvai devant les grottes d'Isturitz et, aussitôt, -chez Salbaya. - ---Mon ami, dis-je à celui-ci, vous êtes un butor mais l'homme le plus -honnête que je sache. Vous possédez l'une des clefs du souterrain, moi -l'autre, et nous sommes autorisés à y pénétrer. Je sais que vous feriez -un très mauvais parti à quiconque tenterait de violer la consigne de M. -Passerose. Mais, en supposant même que vous veilliez jour et nuit pour -les en empêcher, apprenez que de très habiles malandrins qui guettent -une occasion de retirer de la grotte un coffre plein d'or et de bijoux -et de se l'approprier pourraient bien surprendre votre zèle. Ce trésor -fut déposé durant la Révolution par un ancêtre de M. Passerose. Je -n'aurai de tranquillité qu'il ne soit en sûreté chez vous en attendant -que nous le puissions remettre, avec explications, à un ami qui en -disposera selon les lois. - -Le cerbère poussa le plus grossier juron du pays basque, fit mine de -décrocher son fusil et me dit: - ---Je suis sûr, monsieur, que ces voleurs que vous redoutez ne sont -autres que ces deux députés qui sont venus ici avec vous. - ---Comment! députés? demandai-je. - ---Peut-être pas, reprit-il; mais depuis que j'en ai vu deux pendant que -je faisais mon service militaire, je me suis dit que j'en reconnaîtrais -toujours l'espèce. - -Il ne faut point sonder les arcanes, souvent profondes, du sentiment -populaire. - ---Eh bien! repris-je pour presser les choses, êtes-vous prêt à me -suivre? - ---Oui. - ---En ce cas veuillez garer mon cheval et prendre des allumettes et des -chandelles. - -Il mit à l'abri ma monture et, en outre de ce dont je lui avais dit de -se munir, il emporta une grosse botte de paille sur son dos. - ---Allons! fit-il, mais la grotte est étendue. - ---N'ayez crainte: je connais l'emplacement du trésor. - -Je me souvenais, au plus juste, des mesures et indications à moi -fournies par Eliézer durant son état d'hypnose, et j'avais emporté un -décamètre que nous eûmes à peine besoin d'utiliser. - -Nous partons, et nous voilà. Feu de paille, d'abord. La gorge m'en cuit -encore, si âcre en était la fumée. - -Les reflets se propagent, si bien qu'il ne nous faut que trois minutes -pour apercevoir, à quelque soixante mètres de l'ouverture de la grotte, -un rocher isolé des autres et servant, je l'eusse parié, à recouvrir une -excavation. L'on eût dit d'un de ces monolithes, si adroitement modelés -par les érosions, qu'une main d'enfant suffit à les faire basculer. Or -Salbaya n'avait pas des doigts de rossignol, et, d'une poussée de ses -paumes, il envoie le roc rouler à dix pas. Nous nous penchons sur les -ténèbres béantes où nous distinguons bientôt, à peu de profondeur, le -coffre défoncé, d'un bois pourri par l'humidité d'un siècle, et qui -laisse scintiller, à la lueur de nos flambeaux de suif, les métaux, les -escarboucles, les diamants et autres pierres des mille et une nuits. - ---Je vous attends ici, dis-je à mon homme. Allez jusqu'à chez vous et -m'en rapportez une solide corbeille. - -Heureux de songer qu'il allait pouvoir donner une marque nouvelle de son -dévouement et de sa probité, il part en courant et revient avec un -panier convenable. - -Je n'ai nulle difficulté à plonger les bras dans cette masse précieuse, -je fais jaillir de ce filon, dans une ombre à la Rembrandt, les regards -longtemps retenus de ces joyaux prisonniers. Nous emplissons le panier, -Salbaya va le vider chez lui, en lieu sûr, revient, le charge à nouveau, -repart, et ainsi de suite jusqu'à sept fois. Il ne reste plus dans la -fosse que la carcasse vermoulue de la caisse, que nous enlevons aussi, -car l'inspiration de ce à quoi je vais l'utiliser m'est soufflée par le -génie de la grotte. Il n'a pas fallu trois heures pour que le rocher -soit remis en place, la trace de notre passage effacée, la magnifique -fortune dans la maison du gardien qui, en découvrant le vaste -amphithéâtre de ses mâchoires, prononça: - ---Ma joie eût été complète (et il me montrait encore son arme à feu), si -je les avais descendus tous les deux. - -L'ombre de la colline d'Isturitz s'étendait jusqu'à nous, je songeais à -nos ancêtres de l'âge de pierre qui ne furent peut-être pas tous des -Robinsons venus d'Asie sur une galère enchantée, mais qui, à fréquenter -l'ours des cavernes, en avaient pris quelques usages, à l'espingole -près. - -Je fis part à M. Passerose, le lendemain, en une longue lettre, de tant -de fantastiques péripéties. - -La découverte est de trop d'importance, lui mandais-je, pour que vous ne -hâtiez point votre retour, calmant ainsi l'impatience qu'ont de vous -revoir vos amis. Les ailes bleues et légères des montagnes de Hasparren, -de Macaye et d'Isturitz valent bien les coiffes de vos sphinx stupides, -dont l'énigme cependant demeure plus difficile à déchiffrer que ne le -fut celle de votre grotte. Les fruits de pierre précieuse, d'or et -d'argent de ce nouveau verger d'Aladin vous attendent chez ce brave -Salbaya. - -Je fis part encore à M. Passerose de circonstances qui ne sont pas -relatées ici, parce qu'elles n'ont pas trait à cette histoire. - -Ma signature apposée, il ne me restait plus qu'à me distraire en -m'amusant du prochain, ce qui est le meilleur passe-temps et le plus -varié du poète. - -Je partis deux jours après pour Toulouse, où les brodeuses sont -expertes, et je commandai à l'une d'elles une longue et fine tunique, -tout au long de laquelle je fis broder un gigantesque narcisse que -voulut bien dessiner pour moi Charles Lacoste lui-même. J'avais écrit -aux Meyer que je m'absentais, sans plus, ajoutant toutefois que je -n'aspirais qu'à revenir bien vite, plus désireux que jamais d'entendre, -d'Eliézer, le repas de Charlemagne au pays basque. - -Je crois, terminai-je, que vous finirez l'un et l'autre par charmer la -roche d'Isturitz, émules d'Orphée aux enfers. - - - - -Lorsque je fus en possession de la tunique nuptiale, qui eût donné à -rêver à la plus galante des épouses, je la rangeai dans une armoire -familiale qui fleurait la lavande et me promis de l'utiliser à mes -desseins. - -Mais, avant que de jouer ma pièce, je résolus de m'entraîner à mon rôle -en allant ouïr le passage annoncé de la légende ondicolienne. - -Je me promettais d'en jouir d'autant plus que la fatigante question ne -m'obsédait plus qui me faisait me demander naguère à quel motif -obéissaient mes deux Juifs. Le dormeur éveillé m'avait renseigné de -telle façon que je ne pouvais plus m'en irriter, puisque je m'étais déjà -vengé de lui et de son oncle en leur damant le pion, et le coffre. - -Ils me retrouvèrent donc de fort telle humeur. Je n'eus pas assez -d'éloges sur le déjeuner qu'ils me servirent. Après un café digne du -sultan du Maroc, Charlemagne et Roland entrèrent en scène. - -Dois-je attribuer au bien-être que je ressentais en ce moment, ou à plus -de justice de ma part, vis-à-vis d'un confrère, le plaisir tout -particulier que je pris à cette déclamation? Jamais le déconcertant et -funambulesque génie d'Eliézer ne me séduisit davantage, et ce fut avec -un soin scrupuleux que je transcrivis le texte du _Repas des Aldudes_ -qu'après lecture me confia son véritable auteur, comme il avait fait de -maints autres passages, la prise de Pampelune par exemple. - -Par son contraste même, notre cadre ne manquait pas de poésie, dans une -lumière qui, à travers les culs de bouteille des avares croisées de la -rue Pontrique, lui donnait la teinte d'un aquarium; cet établi -d'orfèvrerie où scintillaient les outils délicats et les pierres et les -montures, et ce fauteuil monumental où trônait le vieux Jacob, tel qu'un -roi déchu d'Israël; Eliézer, plus grave encore que de coutume, tenant -dans sa main gauche la traduction qu'il disait avoir faite, et élevant -son autre main à plat comme pour commander le silence. - -Il semblait avoir conscience de s'être surpassé. - -Il lut: - - - - -Quand l'Empereur eut tourné sa barbe vers l'Orient, il vint dessus elle -un parfum si délicieux qu'il demanda au duc Naimes: - ---D'où vient-il? - -Et Naimes: - ---C'est quand la fiancée de votre neveu Roland se lève que l'aurore a ce -parfum de fleur. - -Et l'un des barons à l'Empereur: - ---N'oubliez pas, sire, que c'est aujourd'hui liesse dans le bois des -Aldudes et qu'avant de gagner l'Espagne pour combattre les Sarrazins, -Roland veut vous présenter Alba afin que vous bénissiez leurs -fiançailles. - ---Seigneurs barons, dit Charlemagne, tenez-vous prêts à honorer celle -qu'un si aimable comte a choisie dans ce pays. - -L'armée se mit sur deux rangs, afin de former la haie, car, déjà, tenant -par la main Roland, Alba la Basquaise descendait la montagne des Aldudes -dont les sources tumultueuses éparpillaient, au bas, leurs neiges -libérées. - -La traîne d'Alba était retenue par un nain mauresque, noir comme le -diable, et que l'on affirmait être né du commerce d'Apollon avec une -Chananéenne. - -C'est Olivier qui s'est saisi, dans la forêt, de ce singe grimaçant, l'a -offert à son ami Roland qui en a fait don à Alba. - -Au pied d'un puy, sous un chêne, se tient Charles. Sa barbe ne cesse de -ruisseler dans le vent, telle une oriflamme. Il hoche le chef. Et lui, -qui a essuyé tant de chocs, remporté mille victoires sanglantes, et qui -en verra bien d'autres puisque demain il va marcher contre Marsile, lui, -dont les larmes semblaient à jamais taries, il pleure. Ses larmes sont -comme une rosée, car l'amour de la jeunesse porte au coeur du vieillard -qui se souvient de la sienne. - -Alba, apercevant soudain l'Empereur qui tient les marches, lui sourit. -Et ce sourire, tel qu'un rayon qui tombe d'entre les nuages, éclaire -toute la vallée qu'il émaille. - -Qu'ils sont beaux, ces bois des Aldudes, lorsqu'Alba illumine leurs -cimes! - -Elle pose son pied sur un caillou tremblant, au-dessus d'une source, et -fait signe qu'elle en veut goûter de l'eau. - -Toute l'armée se le redit. - -Roland emplit son cor d'ivoire et, comme d'un lys qui se déverserait -dans une rose, il en appuie le bord incliné sur la lèvre de son amie. - -Elle ne sait pas que, bientôt, c'est le même olifant qui recevra la -pourpre rosée, échappée des veines rompues du comte. - -Et le sourire d'Alba se mêle à l'eau qu'elle boit - -Charles dit à ses barons:--Maintenant, je ne connais que la peine que me -causent les maudits Sarrazins, et je ne me repose que sur ma selle dure; -quand j'étais jeune, j'ai dormi dans un pareil val, ayant pour oreiller -la chevelure de la souveraine. - -Mais que ces deux-ci m'émeuvent en me rappelant à moi-même! - -Roland s'avance avec Alba dont il a repris la main. - -A mesure qu'ils se rapprochent de l'Empereur, elle pâlit. - -Elle songe à tout ce qu'on lui a rapporté de Charles: sa piété, son -courage inégalable qui fait qu'à Aix les aigles invinciblement attirés -planent jour et nuit au-dessus de son palais. - -Elle pose sa main libre sur son coeur de tourterelle, baisse la tête, -et, tant est lisse et blonde sa chevelure, on dirait que c'est la soeur -du soleil qui s'incline. - -Elle et Roland se mettent à genoux. L'Empereur leur dit: - ---Je suis l'arbre à la rude écorce au pied duquel s'étend la mousse dont -les nids sont faits. - -Alba répond: - ---Sire, vous êtes le chêne qui les protège, et l'on n'ose lever les yeux -vers vous de crainte d'être ébloui, tant vous supportez d'orages sans -faiblir. - - * * * * * - -Ainsi s'exprime-t-elle en langue basque, traduite aussitôt par les -interprètes. - -La table est dressée dans la fraîcheur du bois. Les agneaux, les -perdreaux, les coqs de bruyère, les boeufs découpés en quartiers et les -vins y abondent. Des jeux basques s'organisent. Filles et garçons vont -représenter devant l'Empereur la pastorale qui commémore leur origine. - -Voici Ondicola, chef de la race, monté sur un destrier dont la housse -est faite de ces dentelles qui évoquent le luxe de l'Asie originelle. Il -porte une mitre et un sceptre, symboles de sa puissance. Il s'élève -contre sa cour voluptueuse, au moment qu'elle a abordé sur la terre -basque, et il lui déclare: - ---Il n'est pas bon qu'une race, indigne comme est la vôtre, se perpétue -sur ce sol vierge. - -Sa cour lui répond: - ---Que feras-tu donc de nous, Ondicola? - -Et lui: - ---Je vous tuerai et je ne laisserai vivre qu'Iguskia et Ithargia. - -Et voici que s'avancent les plus beaux adolescents des Aldudes, déguisés -en Iguskia et en Ithargia. Ils ne portent d'autres vêtements que celui -des pâtres, leur beauté éclate. - -Iguskia dit: - ---Maintenant tout le monde est mort autour de nous. La mer est refermée. -Jusqu'à présent, ô Ithargia, je n'avais pas entendu mon coeur battre. -Mais, en portant plus avant mes pas sur ces terres sans habitants, je le -sens frissonner comme un nid plein de chansons. Qu'est-ce? - -Et Ithargia: - ---Il se passe dans mon coeur la même chose que dans le tien: le pays -basque bat de l'aile et veut naître. - -Ainsi la pastorale se déroule devant l'Empereur. Les bergers, les -cultivateurs, les petits industriels naissants y jouent leur rôle. Alba -a posé avec amour sa tête sur l'épaule de Roland. Elle ne sait pas que -demain, elfe ne le reverra plus. L'empereur les bénit. Et, sur une roche -blanche, il y a un aubépin noir de soleil, et seul. - - - - -LES ÉTATS-GÉNÉRAUX - - -Ayant retiré de sa houppelande un mouchoir de soie brodé, si usé qu'il -eût pu appartenir au Juif errant, et ayant enlevé ses lunettes, Jacob -Meyer pleura. - -Cette sorte de broderie, dont le sujet, habilement mené, teinté, se -déroulait autour d'une chanson de geste que l'auteur des Robinsons -basques avait cru bon d'introduire là tout d'un coup, ne fit que -déconcerter davantage mon esprit critique. - -Nier le génie très personnel d'Eliézer, malgré le choix, ici, d'un thème -rebattu, autant prétendre que ma cousine Eva n'a pas les yeux bleus. -Mais quoi! Fallait-il que l'auteur fît entrer pêle-mêle, dans son poème, -tout ce qui lui passait et chantait par la tête, et qui se rapportait, -de près ou de loin, au pays basque? Et n'aurait-il pas relaté -l'enterrement de Roland dans la lune si sa cuisinière, comme celle que -j'avais jadis à Saint-Palais, le lui eût narré? - -Sans doute; car dans son genre d'affection hystérique, les étrangetés, -les contradictions, les inventions, les lacunes, les mimétismes, les -vraisemblances même, s'amalgament, cristallisent en formes très -diverses. - -Je dis à l'oncle et au neveu que je demeurais sous le charme, que -j'étais prêt à leur remettre avant peu la clef des grottes d'Isturitz (à -cette nouvelle ils poussèrent ensemble un soupir de soulagement), et -l'autorisation, pour eux, que j'attendais, d'un jour à l'autre, de M. -Passerose. - -J'ajoutai que je désirais auparavant leur rendre tant de gracieuses -attentions de leur part et les convier à un déjeuner qui, pour n'avoir -pas lieu aux Aldudes, en compagnie de Charlemagne et de Roland, ne les -intéresserait pas moins. - -Ce sera, fis-je observer à Eliézer, une occasion de mettre en jeu, une -fois de plus, vos belles qualités de synthèse, et de retrouver dans le -repas que je vous offrirai, et chez les convives, les éléments de -l'incomparable régal spirituel que vous venez de me servir. - -Voici, messieurs, continuai-je: - -Il est un antique usage basque dont ne fait pas mention votre légende, -puisqu'elle lui est antérieure, une tradition tout intime à laquelle je -voudrais vous initier: _les Etats-généraux du pays basque_, qui n'ont -aucune sorte de rapport avec une constitution politique, dont ils -s'éloignent par un caractère de franchise et de naturel. Ces -_Etats-généraux_ consistent en un déjeuner qui groupe annuellement ses -élus, tour à tour dans l'une de nos trois provinces, et chez leur -président temporaire. Cette assemblée se compose de vingt-cinq membres, -choisis parmi les plus marquants de l'_Eskualdunak_. En eux vous pourrez -voir revivre les origines ondicoliennes car, ayant l'honneur -présentement d'être à leur tête, Je vous convie, messieurs, à titre -d'érudits et conservateurs de notre charte, au prochain repas de nos -_Etats-généraux_ qui siégeront le trente août prochain, dans ma ferme de -Garris. - -Jacob Meyer et son neveu acceptèrent en me remerciant beaucoup. - -Mes _Etats-généraux_ n'étaient, en réalité, qu'un repas plantureux que -je voulais offrir à certaines personnalités du pays, qui s'étaient -employées avec moi pour soutenir la candidature d'un mien cousin -royaliste, Bathita Yturbide. Le nombre de mes invitations s'élevait donc -à vingt-six. - -Cette ripaille, je l'offris dans l'épaisse maison, bien blanchie pour la -circonstance, et dont on eût dit les contrevents passés au chocolat, de -ma propriété de Garris où, chaque année, j'allais faire l'ouverture de -la chasse. - -Garris est situé non loin de Saint-Palais où, dès la veille, Jacob et -Eliézer étaient descendus à l'hôtel Biracouritz. - -La matinée se leva radieuse, stridente de cigales, et l'ombre de mes -chênes massifs était, autant que la chaleur, écrasante. - -Je fis mes ablutions dans la source du verger où je me promenai quelques -temps en bretelles claires, tout réjoui par la perspective de ce -groupement de types basques, bien purs, comme les vins que j'allais leur -servir, et amusé à l'avance de la morale qu'en tireraient mes Juifs. - -Une prudence élémentaire exigeait que je ne les présentasse l'un et -l'autre aux _Etats-généraux_ que vaguement. - -Que je n'omette pas de dire que, pour me conformer à l'esprit du pays, -j'avais exclu les femmes, sinon cinq, pour cuisiner et nous servir avec -la meilleure grâce du monde. Le cordon bleu avait nom Magnana et ses -satellites Maïana, Yuana, Graciousa, Beronikéa. - -Deux seulement des membres conviés aux _Etats-généraux_ par leur -président s'excusèrent. - -Les vingt-deux autres, je les vis arriver un peu après midi, dans mon -domaine de Khourutçaidia, la plupart en de petits tape-cul les plus -inconfortables du monde, et que traînaient des haridelles. - -Mais un mélange de bonhomie et d'orgueil national se lisait sur leurs -faces. - -Plusieurs étaient vêtus ainsi qu'à l'habitude le noble ou le bourgeois -basque, avec beaucoup de soin et de propreté, de jaquettes et chaussés -de souliers à guêtres. - -Quelques vieillards, à barbe aussi blanche que la laine des brebis après -l'averse, montraient des joues d'églantine et des yeux bleus, d'un bleu -de bourrache. - -Certains coiffaient des pailles de Panama, d'autres des canotiers ou de -larges chapeaux melons. - -Les grands paysans portaient veston et béret, comme les deux pilotaris -et le danseur, mais ceux-ci arboraient des bottines jaunes. - -Quant aux prêtres, il y en avait deux, l'un curé d'une paroisse infime, -mais généreuse envers lui d'agneaux et de haricots, l'autre missionnaire -diocésain, âgés mais pleins de vie, de physionomie en relief, -autoritaires, brusques et sympathiques. On sentait que, de leurs mains -armées de gourdins, ils auraient assommé un taureau du premier coup et -que, de leurs énormes pieds enfouis dans des chaloupes de cuir ferrées, -ils eussent écrasé des lièvres. Quel contraste entre leur solide et -fruste architecture et l'ossature de ces deux mauviettes qui -descendirent de leur calèche de louage, les Meyer! - -Je présentai ces monteurs de légende, en estropiant légèrement leur nom, -ce que me facilitait la langue basque, «Meyera», comme étant des -ingénieurs de Bayonne. - -J'avais naturellement attribué les places d'honneur à M. le curé -d'Aïciritz et au père Bidondoa Ihidoïpé, de Hasparren. - -Etaient présents encore Bathita Yturbide, mon cousin et député -monarchiste, qui, durant sa législature, d'assez fraîche date il est -vrai, et, il est vrai aussi, pour défendre une noble cause, n'avait -trouvé qu'un juron navarrais qu'il vaut mieux que je ne rapporte pas -ici; - -Etchechoury, conseiller général, grand éleveur de chevaux, esprit -averti, mais si plein de son propre pays, que l'idée que l'on pût, dans -un poème, raconter que des Basques avaient vidé leurs assiettes jusqu'à -les faire miroiter l'enthousiasmait comme d'un chant d'Homère; - -Le comte de Macaye, grand amateur de déjeuners qui, en été, se -prolongent dans la fraîcheur des salles ombreuses et dallées, et, en -hiver, dans la tiédeur des hautes flammes rousses et crépitantes; -cavalier qui, au retour des foires, interpelle vertement les filles -pédestres; - -Pochelu, le juge de paix qui, à l'audience, tirait par les oreilles -toute femme qui prétendait avoir raison contre un homme; - -Algalarondo, le médecin, qui prescrivait à ses clients le jus d'herbes -de sa prairie, et les saignait à tout propos, avec son rasoir, dans son -plat à barbe; - -Oyharçabal, le potard, capable d'avaler sans nausée du boudin cru en -l'arrosant de maints cognacs, bitters, vermouths et litres de vins -rouges et blancs; - -Bidondo, le notaire, qui gavait des ortolans dans son étude; - -Etchecoin, le maire laboureur, vieux-garçon (carloche est le terme -basque), vivant avec ses onze soeurs célibataires (ou moutchourdines), -et chez qui l'on se régalait de chipes en sauce et d'une panchetta -célèbre; - -Mendigaray, son collègue, qui avait tenu et gagné le pari de manger en -un quart d'heure deux énormes foies de canard y compris leur graisse -chaude; - -Etcheto, un rougeaud, fabricant de chocolat; - -Haramboure l'Américain, enrichi, à Buenos-Ayres, dans le commerce du -cuir, et retiré à Hasparren; Larronde, le boulanger, qui buvait d'un -bouillon de corbeaux, enterrés préalablement; - -Mercapide, le boucher, qui vendait aux pêcheurs les asticots de sa -viande d'été, et ouvrait, à la même saison, un établissement de bains; -sa femme fabriquait des meringues; - -Hirigoyen, l'épicier, qui, lorsqu'il pesait du fromage, en rognait -l'excédent qu'il dégustait en lamelles devant l'acheteur; mais quelle -bonne odeur de café grillé dans sa boutique! - -Bordato, l'ancien marin de Terre-Neuve, qui représentait une compagnie -d'assurances: «la Céleste»; - -Bordachoury, le chasseur qui avait pris au piège à loup le lieutenant de -gendarmerie de Mauléon; - -Etchégaray, le contrebandier d'Ainhoa, et pilotari, dont les bidons -d'alcool avaient été troués par les balles des douaniers; - -Salagoïty, pilotari également, champion du monde à qui les Anglaises -mendiaient ses vieilles savates et sa culotte plus blanche qu'une maison -basque en août. Sur le carnet de l'une de ses admiratrices, il avait -écrit: «Amia nu, je n'ai pas peur de personne»; - -Pitphariatéguy, de Barcus, fils d'un amiral, mais qui, au grand -désespoir de la marine et des siens, se mêlait aux baladins, et, en -costume éclatant, faisait valser et pirouetter son cheval de bois; - -Enfin Paul Dupont, rentier, qui, malgré un nom si peu basque, l'était à -lui seul plus que tous les autres convives ensemble, mais on ne saurait -dire pourquoi: c'est une impression indéfinissable, une manière de se -montrer réservé après les libations nombreuses qu'il décidait à toute -occasion, avec le comte de Macaye et quelques hobereaux de la même -sorte. - -L'abbé Harriague, dans son livre sur la noblesse basque, démontre que -les ancêtres maternels de Paul Dupont prirent part à la croisade avec -saint Louis et Thibaut II. - -Il ne restait plus à leur descendant d'autre héroïsme que la chasse au -lièvre et à la palombe. - -Et je pense que voilà des _Etats-généraux_! - -Le gros et rubicond doyen d'Aïciritz récita le _Benedicite_, après quoi -le repas commença dans une sorte de silence que n'interrompaient que les -humements provoqués par le potage. - -Tous les Basques avaient la serviette passée au col, et même l'un d'eux -portait la sienne comme un enfant, de manière qu'elle imite sur la nuque -deux oreilles de lapin. - -Tandis que Jacob Meyer et son neveu prenaient des cachets, les autres -invités et moi-même ne songions qu'à remplir notre panse, et à ravir -notre odorat de ce nectar qui unissait à la saveur la plus délicate et -la plus onctueuse tout l'arome des potagers. - -Ma joie était grande d'entendre, à mesure que baissait le niveau du -consommé, l'argenterie taper du cul sur les assiettes, et de voir mes -hôtes, qui n'en voulaient perdre goutte, les soulever en les inclinant. - -La gourmandise a, dès l'abord, toutes les apparences de la timidité. - -C'est qu'un tel potage est rare. Il contient la sève même des graines, -convertie en une graisse fine qui vous regarde avec des oeils d'or, il a -la couleur rousse des volailles qui font se battre entre eux les coqs, -et il est brûlant comme le soleil des moissons. - -Mon ordinaire était d'un vin d'Irouléguy, âpre comme une nèfle, un peu -pétillant, et qui satisfait, en les râpant, les langues et les gosiers. -Les Meyer seuls le mouillèrent. - -On attendait qu'un convive élevât la voix pour que la conversation, qui -ne s'ébauchait qu'en sourdine, prît une tournure générale. Le docteur -Algalarondo ouvrit le feu en racontant que, la veille au soir, un -maquignon d'Uhart-Mixe avait porté un tel coup à un Bohémien qu'il lui -avait fallu beaucoup d'adresse pour extraire du crâne la douille de -cuivre éclatée du makhila. - ---Un sacripant de moins! s'écria le chocolatier Etcheto, qui redoutait -les malandrins. - -Ces vers de la légende basque me chantèrent: - - Il tient serré son makhila flexible - Dont on voit bien qu'un seul coup abattrait - Le Sarrazin avec son minaret. - ---Messieurs, interrogea doucement Eliézer, quelle origine pensez-vous -que l'on puisse assigner au Bohémien dont vous parlez? Ne serait-ce pas -un ancien Maure? - -Le père Bidondoa Ihidoïpé, qui ne manquait jamais de risquer un de ces -lamentables jeux de mots dont s'enorgueillissent, hélas! les gens -d'Eglise, prononça: - ---Il aurait pu rester dans sa tombe! - -Un mutisme incompréhensif accueillit ce trait d'esprit. Mais lorsque -Etchechoury, le conseiller général, l'eut traduit en basque et en -français, et fait entendre que le calembour portait sur «maure» et -«mort», l'éclat de rire fut homérique, et le père Bidondoa Ihidoïpé -sourit de satisfaction. - -Bathita Yturbide alors déclara en se servant copieusement de -poule-au-pot, de farce, et d'un pimenton rouge comme une course aux -taureaux, qu'Edouard Drumont, qu'il avait tout récemment rencontré à la -buvette de la Chambre des députés, l'avait assuré que les Bohémiens de -Saint-Palais ne sont qu'une lignée d'anciens Juifs, échappés jadis d'un -bagne du pays basque. - -Mon cousin fit part bien innocemment de cette opinion, mais les deux -Meyer en piquèrent un nez dans leurs assiettes. - ---Je reconnais bien l'idée fixe de Drumont, dis-je, pour amortir le -choc. - ---Moi, dit Mercapide, le boucher et baigneur, je n'ai vu ni Juif ni -nègre, mais je sais bien que si je rencontrais l'un ou l'autre je lui -fourrerais mon pied quelque part. - -En écoutant ces paroles si candides, comment n'aurais-je pas songé à -cette marche vers la race maudite, dans Pampelune, que peu de semaines -auparavant Eliézer avait évoquée: - - Auger qui sort de Mauléon la terre - Contre la gent est si fort en colère - Que l'on croirait qu'il porte le tonnerre. - -Je détournai, heureusement, la conversation; Hirigoyen, l'épicier, me -demanda si, réellement, la soupe dite «tortue» qui était inscrite au -menu d'une noce à laquelle il venait d'assister à Biarritz, était bien -de cet animal dont il avait vu un exemplaire dans un jardin. Je le -dissuadai. - -Haramboure l'Américain prit alors la parole: - ---Au Mexique, nous mangions d'excellent pot-au-feu de vraie tortue. - ---La fait-on bouillir avec sa tuile sur le dos? questionna Hirigoyen. - ---Non, fit Haramboure, on ouvre la bête à coup de hache. - ---Vous êtes un peu pâle, remarquai-je à voix basse, en me penchant vers -Eliézer. - ---Ce n'est rien. Le laxatif que j'ai pris aura raison d'un léger -trouble. Vos crus sont un peu forts. - ---Ne me parlez plus de toutes ces saletés, reprit Paul Dupont dont la -pensée allait au train de la tortue. Je voulus, il y a trente ans, -goûter une huître et je crus que j'allais rendre toute la mer. - -Graciousa et Beronikéa apportèrent les choux farcis, pressés et flanqués -de tranches d'andouille à vous emporter la bouche. - ---Quelle est la viande que vous préférez? demanda le comte de Macaye à -Paul Dupont. - ---En fait de chair, répondit textuellement celui-ci, en fait de chair, -je mangerais tout. Mais je déteste le poisson, excepté les truites. - ---Vous serez servi à souhait tout à l'heure, monsieur Dupont, -annonçai-je avec la fierté du maître de céans. - -Les dialogues varièrent: - ---Il faudrait, déclara Mendigaray, le grand mangeur, maire d'Amorots, -qui était vraiment imposant de calme et de dignité, que l'on nous -laissât vivre en paix dans notre province. Pourquoi les Français -veulent-ils nous obliger à leur payer l'impôt? - ---Comment, insinua Jacob Meyer, l'Etat pourrait-il subvenir à ses -lourdes charges si le contribuable se récuse et ne remplit pas son -devoir de citoyen? - -Avec le même flegme, et le même oeil bleu, si je peux dire, Mendigaray -repartit: - ---Je m'en fous, et vous aussi vous vous en foutez. - ---Moi, dit Etcheto, voici comme je raisonne: ma soeur fabrique de l'eau -de noix avec un sirop et de l'eau-de-vie. Si j'achète celle-ci chez un -épicier ou chez le pharmacien, je la paie cinq fois plus que si je me la -procure chez un contrebandier. - ---Vous portez atteinte à l'Etat, appuya sévèrement Eliézer qui soutenait -son oncle. - ---Qu'est-ce que l'Etat? demanda Etcheto. - -L'énorme curé d'Aïciritz, qui avait du bon sens, et parfois de l'esprit, -répliqua: - ---L'Etat, c'est d'une autre eau-de-vie. - -Cette définition rendit rêveurs ceux qui l'avaient, ou non, comprise. - -Les truites frites furent servies simplement avec des citrons. - ---Pour vous, monsieur Dupont, dis-je. - ---Merci! Elles sont d'une jolie robe, et doivent être à point. Vraiment, -il n'est de bon poisson que la truite. J'admets encore les anguilles en -matelote. - ---D'anguilles, raconta Larronde, l'homme au bouillon de corbeau, nous en -avons pris beaucoup à Amendeuch, cette année. Il n'est que d'avoir un -couteau bien aiguisé, à se mettre à califourchon au-dessus d'un -ruisseau, à bien épier au fond, et si l'on en voit une, de la décapiter -lestement. - ---Sapristi, s'écria Eliézer qui paraissait plutôt nerveux, mais... -mais... - ---Ce sont les descendants des guerriers de Pampelune, lui dis-je en -souriant. - ---Il est vrai, fit-il après un léger effort pour se remémorer. Et il se -tut. - ---Mes amis, proposai-je, acclamons Bordachoury? - -On venait de servir les lièvres. - ---Où les as-tu tués? demanda au vieux braconnier le comte de Macaye, -dont une rose ornait la boutonnière et qui buvait à plein bord les vins -d'Irouléguy, de Bordeaux et de Bourgogne. - ---Deux à Luxe-Sumberraute, monsieur le comte, le troisième, à Sala. - ---Et tu n'as plus pris de lieutenant de gendarmerie au piège? - ---Il en fut quitte pour une mâchure à la jambe, et attendit honteusement -jusqu'à ce qu'on l'en retirât. Un Basque n'agit pas ainsi! Il était -étranger. - -Je me penchai vers Eliézer et lui expliquai: - ---Bordachoury fait allusion à un braconnier de Mendionde qui, pris à un -horrible traquenard, n'hésita point à achever de s'arracher le pied avec -son couteau, pour s'enfuir. - -A ce moment, sans doute parce que ce trait, d'un caractère un peu trop -basque, lui porta au coeur, Eliézer s'évanouit sur sa chaise. - -Les prêtres qui venaient de se servir chacun une montagne de civet, -agrémenté de persil cru, dont l'un avait à sa bouche une branche -bougeante, n'eurent pas l'air de penser que leur commensal en fût à -l'article de la mort. Ils n'en perdirent pas une bouchée. Le père -Bidondoa Ihidoïpé s'écria: - ---Gaïchua! - -Le bon apôtre ne plaignait, par ce mot intraduisible, que la délicatesse -d'estomac d'Eliézer. Il ne concevait point, étant natif de Larceveau, -que les brutales et sanglantes conversations qui assaisonnaient ce repas -pussent le moins du monde réagir sur un organisme délicat. - -Jacob Meyer, fort ému, s'était levé pour étendre son neveu, lui -frictionner la poitrine, lui cingler la paume des mains. - ---Avez-vous de l'éther? me demanda-t-il. - -Je n'en avais pas. - -Le contrebandier Etchégaray dit: - ---J'ai apporté dans mon chahakoa un échantillon d'un tord-boyau espagnol -qui réveillerait un mort. Il n'y a qu'à desserrer les dents de ce -monsieur avec sa fourchette, et à lui faire avaler une gorgée en -pressant le cuir de l'outre. Elle pisse très bien. - -Je compris qu'un propos et un remède aussi grossiers révoltaient Jacob -Meyer. - ---Je ne peux admettre, déclara-t-il, ces moeurs de Papou! - -Bien heureusement fus-je seul, pas même les prêtres exceptés, à entendre -ce dernier mot. Je m'opposai de mon côté à ce que fût utilisée la vertu -de l'eau de feu, bien qu'Etchégaray ne comprît pas cette répugnance. - -Eliézer déjà revenait à lui lorsqu'on nous servit le filet de vache et -la salade. Il insista, car il avait de l'énergie, pour se rasseoir à -table où je lui fis servir une infusion brûlante qui le ragaillardit -tout à fait. - -Je regrettais beaucoup d'avoir embarqué l'oncle et le neveu dans une -pareille galère, avec des passagers si frustes, qui, pour n'être pas -moins, bien au contraire, de la race d'Ondicola, n'avaient rien conservé -des raffinements en usage sur la caravelle enchantée: l'_Eskualdunak_. - -Tandis que se succédaient les bouteilles, deux koblaris se levèrent tour -à tour, Etchechoury, l'éleveur de chevaux, conseiller général, et le -pilotari contrebandier, Etchégaray. - -ETCHECHOURY - - Ma joie est de vous rencontrer ici, Etchégaray. - Le repas que nous prenons nourrit mieux - Que le vent qui souffle à la frontière, - Et il vaut mieux contempler votre visage épanoui - Que les culottes de la douane. - -ETCHEGARAY - - Vous me lancez la balle. Je vous la renverrai, - Car n'oubliez pas que je fus champion du monde - Avec les Gascoïna, les Goroztiague. - Et, pour ce métier, mieux vaut avoir la minceur du peuplier - Que l'obésité de l'outre, fût-elle emplie du meilleur vin de - Catalogne. - -ETCHECHOURY - - Tu fais allusion à ma rotondité. - Pourrais-je, si je n'avais pas d'embonpoint, - Etaler aussi largement - Ma chaîne de montre aux yeux du peuple - Quand celui-ci se presse en foule - Aux rebots, quand tu joues à Pasaka? - -ETCHEGARAY - - Vous êtes une figure connue. - Dès que la première pelote est lancée, - On vous aperçoit assis sur le mur, - Tenant d'une main un chistéra, - Et, de l'autre, une ombrelle que vous faites tourner - Comme une auréole au-dessus de votre tête. - Seriez-vous déjà un saint? - -EICHECHOURY - - J'espère, du moins, de le devenir - A force de dîner dans la compagnie des prêtres, - C'est le cas de dire que, lorsqu'on a mangé avec eux, - Tous les plats sont bien curés. - -Une triple salve d'applaudissements salua ce jeu de mots que je n'ai pas -à traduire, car l'éleveur de chevaux le commit en français. - -Personnalité singulière que cet Etchechoury, parfaitement conscient de -cette vulgarité de langage et d'attitude, entretenue par lui à cause de -son amour de la tradition. - -Aucun koblari ne l'égalait dans ce terre-à-terre de la ripaille qui -rejoint, plus qu'un Eliézer ne le pense, le génie homérique. - -Dirai-je qu'à mon goût ce court dialogue égale, par sa grosse -simplicité, les plus belles pièces de l'antique? - -Mais il n'est pas que cette veine en pays eskuarien. Et Haramboure, -l'Américain enrichi retiré à Hasparren, nous montra quelle délicatesse -de sentiment peut s'allier à cette lourde joie de vivre. - -En effet, il chanta: - - O ma bien-aimée, tu m'as dit: - --Le plus beau des arbres c'est le hêtre - A cause de son ombre. - --Voici le plus noir de la forêt, - T'ai-je répondu. Je te le donne, - Fais-y notre nid. - - --Le saule est plus gracieux que le hêtre, - As-tu repris aussitôt, car il pleure. - --O ma bien-aimée, - Tant de sanglots sont sortis de mon coeur, - Qu'il y avait un étang à mes pieds - Où se reflétait le saule. - Mais tu as tout à coup déclaré; - --Au saule, je préfère le tilleul odorant - Où chante le rossignol. - - Alors, ô ma bien-aimée, - J'ai acheté du parfum à une Bohémienne - Habile aux philtres qui séduisent; - Et, pour ressembler tout à fait au tilleul, - J'ai mis un rossignol dans mon coeur, - Et il te chante ce chant. - Mais déjà, ô cruelle, je t'entends me dire: - --Le plus beau des arbres, c'est le chêne... - - --S'il en est ainsi, ô ma bien-aimée, - Fais, avec son bois, mon cercueil. - ---Comment, me demanda Eliézer dans l'admiration (et il y avait de quoi), -pouvez-vous concevoir un peuple à la fois si barbare et si raffiné? - ---Eh quoi! remarquai-je, Cythère n'est-elle ardue et montagneuse, hantée -des seuls chevriers, et dont pourtant Vénus est sortie... Et la légende -basque?... - - * * * * * - -Lorsque prirent fin ces singulières assises des _Etats-généraux_ -basques, la soirée était déjà avancée. - -J'entendis un à un s'égrener les grelots des calèches, des tape-cul et -des coucous, remportant aux quatre coins de l'horizon mes pittoresques -convives dont certains se détachaient jusqu'au torse sur un ciel couleur -d'omelette, de sauce tomate et de vin d'Irouléguy. - - - - -MA COUSINE ÉVA, UN TRÉSOR - - -Ma cousine Eva, de Bayonne, Basquaise pure, comptait dix-neuf ans. - -D'une forme joliment ronde, la joue rose, j'ai dit ailleurs que ses yeux -étaient bleus. Elle possédait ce caractère épanoui qu'ont les petites -filles sans dot. - -Elle était née d'un officier du génie et, demeurée seule dès son bas âge -avec sa mère, elle affectait des allures un peu trop libres dans le -monde. C'est que les mamans, et je n'ai pas le courage de les en trop -blâmer, lancent plutôt qu'elles ne retiennent une fille sans fortune à -la conquête d'improbables maris. - -Eva n'avait point à employer d'artifices pour connaître le succès, mais, -hélas! comme il arrive aux plus charmantes de son espèce, elle voyait -tour à tour ceux qui l'eussent volontiers épousée se décider plutôt pour -des laiderons d'or. - -De là, et bien qu'elle fût si jeune, une sorte de philosophie bonne -enfant, faite d'un peu de scepticisme et de beaucoup de gaieté. - -Eva jouait parfaitement la comédie, et je l'avais amenée, par exemple, -dans une comédie d'Alfred de Musset que je lui avais fait répéter, à -mettre en délire son auditoire. - -Eva était Eva. Et, quand on nommait Eva, les vieux et jeunes salonniers, -que Forain stigmatisait alors, se prenaient à sourire de la manière la -plus admirative et la plus bébête. - -J'invitais souvent Eva et sa mère à villégiaturer chez moi, en assez -nombreuse compagnie. - -Sans grand luxe, on se distrayait beaucoup. Les promenades à âne dans la -vallée, des parties de pêche à la ligne sont tout ce qu'il y a de mieux. -Nous composions aussi des charades animées où Eva excellait. - -Un soir que nous nous livrions à cet amusement, je me plus à tirer de -mon armoire la fameuse tunique nuptiale que j'avais fait couper et -broder à Toulouse, et je priai Eva de s'en revêtir dans la coulisse de -notre petite scène improvisée. - -Ce fut un ravissement. - -Si elle n'avait été ma cousine, je crois que je l'eusse demandée en -mariage ce soir-là, tant cette vieille dentelle, parcourue par ce long -narcisse, lui seyait. - -Eva et ses compagnes se montrèrent fort curieuses de connaître l'origine -de ce travail de fée. Et je leur appris, ce qui était la vérité, que je -m'étais passé la coûteuse fantaisie de le faire exécuter à Toulouse, par -des spécialistes hors de pair, sur un modèle proposé par une légende -basque. - -Ces petites se contentèrent d'admirer ce chef-d'oeuvre, sans autrement -se soucier de contrôler si, comme je le leur avais dit, les toutes -premières Basquaises comparaissaient dans ce costume devant leurs époux -enivrés. - -Dans la huitaine qui suivit son exhibition, la tunique nuptiale fut à -l'ordre du jour. - -Et Eva, qui était la meilleure fille du monde, la plus franche et la -plus sans façon, me prit à part pour me dire: - ---Mon cousin, tu commets une vilaine action en cachant une aussi -merveilleuse jupe dans un meuble, car tu peux bien penser que, si je me -montrais une seule fois à Biarritz, l'ayant mise, tous mes admirateurs -tomberaient à genoux en implorant ma main. - ---Il est vrai, Eva, qu'en te voyant ainsi déguisée pour la charade, je -me disais que la beauté des premières Basquaises, célébrée par la -légende, eût pâli devant la tienne. - -Elle éclata franchement de rire: - ---Il se peut, après tout, fit-elle. Me faut-il donc insister beaucoup -pour que je puisse me produire dans cet appareil devant un public, plus -intéressant pour moi que celui que tu as convié ici? - ---Je te remercie, dis-je sans me fâcher, de faire un si grand cas de mes -hôtes. - ---J'entends par «intéressant», reprit-elle, ce qui peut conduire au -mariage une jeune fille. - ---A la bonne heure! Voilà qui est net. - ---Tu ne veux cependant point que je tourne mal? - ---Non, car tu es trop bien faite pour cela. - ---En ce cas, répondit-elle avec une délicieuse ellipse, remets-moi ce -que je te demande. - ---La tunique? - ---Oui. - ---Eh bien, soit; mais à une condition. - ---Celle que tu voudras. - ---Eh bien! Eva, voici. J'ai résolu de monter, pour la fin de l'automne, -aux grottes d'Isturitz, un spectacle impressionnant auquel je veux -convier tout ce que notre pays compte de plus distingué. Il s'agit de -faire représenter, de cette légende basque dont je t'ai parlé, l'acte -qui m'engagea à confier l'exécution du vêtement à une vraie artiste. Tu -es ma principale vedette. Tu joues le rôle d'une Robinsonne basque. Tu -rends tous les hommes qui te verront ainsi fous de toi. Tu choisis qui -t'agréera le mieux. Et je mets dans ta corbeille la tunique nuptiale. - ---Tu es un bijou de poète, et me fais regretter presque de n'être que ta -cousine, et de ne pouvoir t'aimer qu'en partie! - ---Ce n'est pas tout, repris-je sans relever sa malice: il faudra -t'exercer, et, dans le lieu même que j'ai choisi, à Isturitz. - ---Cent fois plutôt qu'une, puisque la dentelle est à moi! - - - - -LA RÉPÉTITION GÉNÉRALE - - -Et, par un doux après-midi, nous allâmes donc, quelques jeunes fous et -folles, à la grotte dont le cerbère ne savait plus quelles attentions -délicates me témoigner depuis que je lui avais donné l'insigne marque de -confiance de déposer chez lui le trésor; et tantôt c'était d'un pot de -miel ou d'un lièvre, ou de truites, ou de ces écrevisses dont -l'ingestion avait déterminé chez Eliézer un accès de franchise -somnambulique. - -Ce jour là, Salbaya mit à la disposition de notre joyeuse bande ses -meilleurs fruits, son fromage frais, ses bottes de paille sèches, -renforcées de toutes ses chandelles, pour en illuminer jusqu'aux plus -sombres recoins de la crypte. - -Nous nous amusâmes fort, en esquissant la représentation de la Légende -dans ce même abri naturel dont la clémence avait jadis protégé Iguskia -et Ithargia. - -Eva n'était plus qu'un éblouissant éclat de rire. - -Mais, lorsque je la fis se coucher, tant soit peu en chien de fusil, -dans la fosse qui avait renfermé un trésor moins beau qu'elle, et dont -il fallait qu'elle ressurgît, après un sommeil de tant de siècles, -revêtue de la robe nuptiale, et telle qu'une Robinsonne ou Belle au Bois -dormant, on ne savait plus s'il fallait ou non garder son sérieux. - ---Le rôle que tu me fais jouer là est un peu lugubre? fit-elle. Tu as -l'air de mesurer mon caveau avant que je sois morte. Rappelle-toi que je -n'ai nulle envie de prendre mon rôle à la lettre. - ---Il faudra, ordonnai-je à Salbaya qui restait bouche bée devant ce -qu'il devait prendre pour une opération de sorcellerie, mais qui -tolérait décidément, sans le moindre murmure, mes faits et gestes les -plus extravagants, que vous agrandissiez un peu cette ouverture avant -d'y replacer le rocher que vous venez d'ôter. - ---Le fait est, fit Eva, que si ce trou doit devenir mon lit nuptial je -n'y serai pas au large. - -Elle ne croyait pas si bien dire. - -Tous les préparatifs qui devaient servir mon plan s'enchaînaient à -merveille, le plus simplement du monde, pour confondre Jacob Meyer et -son neveu. - -Lorsque je les revis chez eux, je leur déclarai que la clef était à leur -disposition, mais que M. Passerose m'avait déclaré ne consentir à la -leur livrer que s'ils la remettaient chaque soir au gardien ou à -moi-même. - ---Croyez, messieurs, leur dis-je, que je ne demande à conduire cette -affaire qu'à la plus grande satisfaction de tous, pour vous obliger le -mieux possible, et ne déplaire en rien à mon ami M. Passerose. Tout se -peut concilier. Il est donc convenu que, d'aujourd'hui en quinze, la -clef sera en votre possession, de dix heures du matin à six heures du -soir. J'ai donné ordre à Salbaya, qui vous la remettra, de vous laisser -seuls à vos fouilles. Quant à moi, vous m'excuserez de ne pouvoir me -joindre à vous, et m'associer à vos savantes recherches. Je m'absenterai -à ce moment. - -Je surpris un signe d'intelligence satisfait dans le double clin d'oeil -qu'échangèrent Jacob et Eliézer. - -Il ne me restait plus qu'à mobiliser ma cousine Eva au moment opportun. - -La veille du jour où la clef devait être prêtée à mes Juifs (je ne -doutais pas qu'ils ne voulussent se rendre à la grotte dès la première -minute) je leur fis tenir ce mot: - -«Demain, à dix heures précises, Salbaya vous confiera la clef.» - - - - -Il n'avait pas été difficile d'obtenir d'Eva et de sa mère qu'elles -revinssent passer une quinzaine dans ma villa, d'où l'on sait qu'en peu -de temps on peut gagner les grottes d'Isturitz. - -La belle enfant était toujours bonne, aussi heureuse de vivre, encore -qu'elle eût pu avoir alors quelque sujet de souci, ma tante ayant reçu, -deux jours avant leur arrivée, la visite de l'huissier. - -Ce n'est point que cette pauvre femme administrât mal sa fortune, mais -elle n'en avait point. J'avais gros coeur de cette situation. Je les -aidais bien dans quelque mesure, mais pas autant que je l'eusse désiré. -J'ai toujours eu un faible pour la Bohême innocente, et ma tante était -quelque peu de ce pays. - -Quant à sa fille, je l'eusse sans doute épousée si, comme je l'ai -expliqué, notre genre d'affection mutuelle, et nos jeux d'enfance qui se -continuaient en somme dans les grottes, n'avaient fait d'elle ma soeur -et, de moi, son frère. - -Mais elle était si jolie que je ne désespérais pas qu'elle sauvât, par -un mariage, une situation si obérée. Son alerte démarche de Basquaise, -aux pieds pointus, chaussés de blanches sandales, semblait chanter -toujours: «Suivez-moi!» - -Je m'imaginais très bien de la sorte une descendante immédiate d'Iguskia -et d'Ithargia, et je savais qu'elle jouerait à ravir, pour mes fins -vengeresses, devant Jacob et Eliézer, son rôle de Robinsonne de la -Légende. - - - - -LE TRIOMPHE D'ÉVA - - -La veille du jour qu'elle devait tenir le délicieux rôle que je lui -destinais: - ---Eva, dis-je, nous irons demain à Isturitz où tu voudras bien mettre en -oeuvre mes moindres instructions. Il te suffira de passer la tunique, -elle te sied à ravir, de te bien attifer et coiffer, et de te dissimuler -quelques minutes dans la fosse de la grotte, comme l'autre jour, jusqu'à -ce que deux originaux t'y découvrent, à leur grande surprise. - ---De quels originaux parles-tu? - ---Peu importe; tu n'as rien à redouter de leur présence; et, d'ailleurs, -je me tiendrai caché non loin de toi, tandis que tu rempliras cet office -d'enterrée. - ---Tu mets bien du mystère à ton jeu: ce n'est pas dans ton habitude. -Hais puisque le prix à remporter, si je me rends à tes caprices, est -cette robe de fée, sache que je suis à tes ordres. - ---Il te suffira, continuai-je, dès que tu te verras découverte--comme on -joue au cache-cache--de te redresser, soudain et, tel qu'un fantôme -gracieux, de gagner à pas lents et en silence la sortie. De là, en -quelques bonds, tu seras chez Salbaya, hors d'atteinte, jusqu'à ce que -je te rejoigne. - -L'action fut menée avec un art parfait. Sous prétexte de partie de -pêche, Eva et moi gagnâmes à l'aurore les grottes d'Isturitz et, avant -dix heures, elle revêtit la tunique légendaire, peu de temps avant que -le cerbère accompagnât, au même lieu, les Meyer empressés. - -Elle s'établit, sans froisser sa dentelle, dans la cachette où reposait -naguère le trésor. Le rocher qui en fermait l'entrée avait été, sur mon -avis, mis de côté par Salbaya. Quant à moi, le diable, avant même que la -chandelle fût morte, n'aurait su me distinguer des stalactites -environnantes. - - * * * * * - -Voici Jacob et Eliézer. - -J'entends gémir la grille, et que Salbaya remporte sa clef à lui, sans -refermer la serrure, et, tout à fait comme je lui en avais intimé -l'ordre, leur laissant croire qu'ils sont seuls tous les deux. - -Une lampe des plus perfectionnées, de spéléologue sans doute, qu'allume -Eliézer, transforme en palais radieux cette annexe de l'enfer. - -La luxuriante forêt de pierre apparaît, qui semble recouverte de rosée -par le scintillement des prismes naturels. Mais les deux coquins n'ont -cure de cette métamorphose souterraine. Ils déroulent leur décamètre; la -route s'ouvre librement devant eux, avec, au bout pensent-ils, l'objet -de leur longue convoitise. - ---C'est ici! prononcent-ils bientôt sans hésiter. - ---Ah! laisse-moi le premier mettre la main dessus! s'écrie Jacob Meyer -d'une voix rendue gutturale par la cupidité. - -Et, contournant le couvercle rocheux, il projette dans le trou un -faisceau de rayons. - -Aussitôt, comme enveloppée d'une lueur d'aube où s'épanouit le narcisse, -surgit Eva que je ne vois que de profil. - -Mais qu'elle est belle! - -Elle sourit. Elle fait, de ses bras ronds et de ses mains unies sous sa -nuque, un arc charmant, et elle bâille comme si elle sortait d'un -profond sommeil, montrant des dents qui valent toutes les perles du -trésor de la famille Passerose. - -Et, sous les yeux des deux Juifs pétrifiés comme les végétaux de la -grotte, elle s'en va. - -Je suis ravi de la perfection de son jeu et, tandis qu'il me faut -réprimer mon envie d'applaudir, je suis le témoin de ce dialogue -invraisemblable: - ---Eliézer? - ---Mon oncle? - ---Est-ce vrai? - ---Suis-je somnambule? - ---Suis-je somnambule? - ---Vous l'êtes. - ---Tu l'es. - ---L'avez-vous vue, mon oncle? - ---L'as-tu vue, Eliézer? - ---C'est une fille d'Ithargia. - ---C'est une fille d'Ithargia. - ---Elle portait la tunique nuptiale. - ---Le narcisse de la légende montait comme un jet d'eau jusqu'à son sein -neigeux. - ---Mais puisque nous avons inventé la légende? - ---Alors nous sommes fous? - ---Sommes-nous fous alors? - - * * * * * - -Mais tout à coup Jacob Meyer se ressaisit et s'écria: - ---Nous sommes volés! - -Et l'écho de la grotte répéta cette phrase. - -Ils ne furent pas longs à décamper comme des péteux, et n'allèrent point -demander des explications sur leur mésaventure à Salbaya, chez qui -bientôt je rejoignis Eva. - -La pauvre petite, avec qui je déjeunai gaiement en lui faisant part, -cette fois, sans en rien réserver, du mot de l'énigme, avait bien gagné -sa chemise de noces! Je souhaitais vivement de lui faire aussi don de -l'époux. Ce qui arriva comme on va le voir. - - - - -LA CONCLUSION INATTENDUE - - -Monsieur, commença Eliézer en s'asseyant dans le fauteuil que je lui -avançai, lorsqu'il vint me rendre visite deux mois après la farce qu'Eva -et moi lui avions si bien jouée, mon oncle et moi nous sommes deux -Juifs. - -Je reconnus la même phrase que le même Eliézer avait prononcée durant -son accès de somnambulisme, après avoir mangé des écrevisses, en cette -nuit qu'il m'avait tant effrayé. - -Mais, cette fois, il veillait, et je ressentais qu'il était on ne peut -plus conscient de lui-même. - -Cependant il continuait à me révéler ces mêmes choses qu'il m'avait -confessées, à son insu, durant son sommeil: - ---Et vous vous êtes aperçu que nous nous moquions de vous... Ne pensez -pas que je ne puisse être sincère... Et, la preuve en est, que je viens -vous faire cet aveu si pénible et si humiliant... Je vous le déclare -sans ambages: nous sommes des voleurs, mon oncle et moi, celui-ci ayant -découvert chez un bouquiniste du vieux Bayonne, et s'étant approprié un -document qu'il aurait dû remettre à la famille Passerose; et moi, en lui -prêtant mon concours, afin de nous emparer seuls d'un trésor dont ce -parchemin fait mention... Ce trésor... - -Eliézer poursuivit son discours, et j'en reconnaissais chaque mot comme -déjà l'ayant entendu au cours de sa crise nocturne: - ---Il fallait, disait-il, vous gagner, afin d'obtenir la clef des grottes -et le droit de pénétrer librement dans le flanc de la colline. - - * * * * * - -Quand ce singulier pénitent, fort bien éveillé, en eut terminé avec sa -confession renouvelée, il y ajouta, si je peux dire, un inédit qui me -stupéfia par sa conclusion inattendue. - ---Nul doute, fit-il, monsieur, que notre obscure machination ne vous ait -été révélée par une voie que j'ignore, et que vous l'ayez prévenue et -déjouée avec beaucoup d'esprit. - -J'eus un sourire d'approbation flattée. - ---Vous avez, continua-t-il, commencé de nous brimer en nous mettant, mon -oncle et moi, en contact avec le réalisme un peu brutal de vos -_Etats-généraux_ de Garris, dont j'avais compris l'allusion. Et vous -avez ensuite substitué au trésor que vous avez mis en sûreté la plus -jolie fille du monde. - -Je souris encore. - ---Il n'est pas de beauté, fit Eliézer, qui puisse être, même de loin, -comparée à la sienne; ni d'Ithargia; ni des vierges de l'_Amodioa_ dont -les voiles étaient gonflées par la brise qui sortait des joues rebondies -de l'Amour. Mon inspiration poétique, si géniale soit-elle, demeure, -monsieur, tellement au-dessous du modèle que m'offre, après coup, la -vérité vivante, que j'en demeure confus. Je ne saurais me payer de mots. -Comment ma pâle invention lyrique a-t-elle pu susciter, en chair et en -os, la vraie Robinsonne basque, le moule parfait, capable, selon le voeu -d'Ondicola, de refaire une race. Or... - ---Or? - ---Je veux reconstituer la mienne. - ---Quoi? dis-je, vous voulez épouser Eva? - -(Je lui jetai ainsi le prénom de ma cousine, tant cet épilogue me jetait -dans le désarroi.) - ---Oui, monsieur, je veux m'unir à elle, en lui offrant, avec une -dotation de huit cent mille francs de rente, ma sincère conversion -religieuse. - ---Ah! bah? - ---Une pareille beauté, dont la grâce ne m'a point permis de supposer un -seul instant qu'elle n'appartînt à une vierge, ne saurait être dans -l'erreur. - ---Peste! fis-je, me demandant quelle valeur un théologien accorderait à -cette manière d'envisager la foi catholique!... Mais... Ne m'a-t-on pas -assuré que vous êtes parfois sujet à des crises somnambuliques? - ---Croyez, monsieur, qu'avec Eva, puisque ainsi elle s'appelle, je ne -saurais vivre que dans un rêve enchanté, ou rêver dans la plus suave des -veilles: ce qui est le lot des plus fortunés. - -Eliézer se retira sur ces paroles exquises, après m'avoir chargé de -demander pour lui à ma tante la main de ma cousine, que je comptais bien -qu'après une entrevue prochaine il n'obtiendrait pas. - - - - ---Je ne trouve pas Eliézer mal du tout, me dit Eva après cette entrevue -qui se passa chez moi. Il m'a très franchement marqué son repentir -d'avoir trempé dans les roueries de son oncle, et il m'a déclaré n'en -vouloir retenir que l'amusant poème auquel elles ont donné lieu, et où -l'on se moque de toi délicieusement. Il m'en a lu quelques passages, -mais sais-tu qu'ils sont fort beaux? - ---Oui. - ---J'apprécie tes vers; mais laisse-moi t'avouer que rien, dans ton -oeuvre, ne m'a ému autant que cette légende basque. Et, puisque son -auteur m'a choisie pour être, en chair et en os, et d'esprit, la -Robinsonne qui l'inspire, apprends que je me sens apte tout à fait à lui -susciter une race de choix. - ---Celle même d'un somnambule? demandai-je piqué. - ---Rien, me répondit-elle, n'est plus charmant que l'Amour endormi. - -Bref, il me fallut rengainer ma mauvaise humeur et mon dépit. La pauvre -chose qu'un coeur d'homme! - -Voici quelques jours à peine, je désirais d'autant plus le bonheur et la -prospérité de cette enfant que je craignais qu'elle ne fût condamnée au -célibat des jeunes filles sans dot. - -Quant à l'affection de camarade que je lui portais, et qu'elle me -rendait, je m'en suis expliqué: elle était de telle sorte qu'elle -semblait ne pouvoir engendrer cette jalousie où la beauté physique entre -comme élément. - -Et, néanmoins, je rongeais mon frein, tout capot qu'Eliézer eût, ne -fût-ce que par sa fortune, fait la conquête d'Eva. - -La mère de celle-ci, trop satisfaite d'échapper à ses créanciers, ne fit -aucune opposition, bien au contraire; et il me fallut, bon gré, mal gré, -par convenance, chaperonner Eta et Eliézer à travers la lune de miel de -leurs fiançailles, me prêter à leurs fantaisies, et, ce qui me fut le -plus humiliant, les surveiller. - -Je ne pus même me refuser à les ramener à Isturitz où ma cousine eut un -accès d'hilarité en revoyant la fosse qui lui avait servi de sépulcre et -qu'elle nomma Cette foi: «Le berceau de la race.» - -J'enrageais. Quant au futur époux, il était tout transformé. Il me -demanda, pour lui éclaircir quelques points d'une théologie qu'il avait -déjà pas mal étudiée, un guide averti, et je ne sus mieux faire que de -le confier au missionnaire qu'il avait rencontré au cours du repas des -_Etats-généraux_ basques: le père Bidondoa Ihidoïpé. - -Celui-ci trouva fort édifiant son catéchumène qui lui fit cadeau d'un -microscope, d'une jumelle de spectacle et de l'_Histoire de la -Révolution française_, en dix volumes, de M. Thiers, oeuvre que le -donateur ne voulut point conserver la trouvant désormais entachée -d'hérésies. - -Au physique, peut-être à cause que le Malin se retirait de lui, Eliézer -était devenu presque un joli homme. Grâce à un nommé Perron, poète et -coiffeur de Bayonne, qui avait résolu, pour son client, une coupe de -cheveux et de barbe dite «jardin à la française», il avait quinze ans de -moins. - -Ce rajeunissement m'agaçait tout autant que le reste du personnage, mais -ce qui porta au comble mon dépit fut d'avoir à réentendre l'étonnant -chapitre de la Légende où Roland et Aude, dans les montagnes des -Aldudes, viennent saluer Charlemagne. - -J'eus beau me répéter que le poème n'avait ni queue ni tête, il fallut -bien me rendre à l'évidence du contraire lorsque se penchant vers -Eliézer assis sur l'un des bancs de mon petit parc, Eva lui décocha le -plus sonore des baisers. - -Alors, je devins ridicule. Et, poussé par l'esprit de bassesse que la -rivalité fait naître chez ceux-là mêmes qui ne sont pas les pires, -j'allai jusqu'à lui déclarer, lorsque, nous fûmes en tête à tête, que je -trouvais fâcheux qu'elle consentît à épouser un homme qui, ne fût-ce -qu'un moment, s'était fait le complice d'un vol. - -Elle me répondit que je n'étais qu'un pharisien; qu'il est d'autres -larcins plus graves que de perles, dont le commun fait assez bon marché, -ne serait-ce que de ravir les femmes d'autrui; et que, d'ailleurs, si -j'étais chrétien le moins du monde, il me fallait bien admettre que le -passage du judaïsme au christianisme sanctifierait son cher _Zézer_. - -Je faillis gifler la superbe fille en l'entendant forger un si amoureux -diminutif. - -Elle ajouta que, si invraisemblable et si décousue que fût la Légende, -elle faisait siennes les idées d'Ondicola sur la réfection d'un peuple, -et que, n'ayant jamais rencontré, parmi les jeunes coureurs de plages, -un seul Iguskia, elle leur substituerait Eliézer. Ce n'est pas que -l'esprit lui manque, ni même le génie, assura-t-elle, en me regardant -bien en face. Il n'en a que trop. Quant à ce qui regarde le reste, tu -m'as vu faire, à la nage, le tour du grand rocher de Biarritz. Je ne -demanderai à mes enfants que de... - ---Passer la mer Rouge avec les chameaux de leur père? - -Elle me regarda avec un certain mépris attristé: - ---On dirait, ma parole, que tu es jaloux! - -Jacob Meyer fut ému jusqu'aux larmes, car il était sentimental, en -apprenant, de son neveu, la conclusion pratique d'une histoire aussi -irréelle. - -Il s'excusa de la tentative indélicate ou il l'avait engagé. De son -meuble le plus secret il retira, pour les offrir à sa future nièce, de -tels joyaux que le trésor de la famille Passerose ne les égalait point. - -La persuasion se fit alors en moi que le vieil artiste antiquaire avait -moins agi par amour du lucre qu'à cause de la passion innée de -l'Israélite pour les pierres. - - - - -OÙ LA RACE BASQUE TRIOMPHE DE L'ÉTRANGER - - -Le mariage eut lieu, béni par le père Bidondoa Ihidoïpé. - -Quatorze mois après j'invitai mes cousin et cousine dans la même ferme -de Garris où j'avais convié, deux années auparavant, les soi-disant -membres des Etats généraux. - -Sur le désir que m'en exprima Eliézer, je réinvitai à un large déjeuner -les mêmes bons Basques devant lesquels il s'était évanoui. Il avait si -bonne mine que je doute qu'ils le reconnurent. Il ne décela aucune -faiblesse, se montra gaillard dans la conversation, mangea comme quatre -des mets les plus lourds, et dégusta, en regardant sa femme qui l'y -poussait, bon nombre d'écrevisses que j'avais fait servir par malignité. -Il but des vins les plus forts. A peine si Paul Dupont put tenir devant -lui. On eût dit qu'Eva lui avait infusé la vieille sève des Robinsons -basques. - -Et ce fut une ovation lorsque, au dessert, on nous présenta un enfant -qui semblait être le fils de Gargantua et de Gargamelle. - ---Regarde-le, me cria Eva qui était allée lui donner à téter, et qui -revenait vêtue de la tunique nuptiale qui la rendait plus séduisante -encore, mais regarde-le donc! C'est le fils d'Iguskia et d'Ithargia! Et -viens, après cela, prétendre que la légende basque n'est point vraie! - - * * * * * - -Eliézer, qui s'appelait maintenant Philippe, sourit dans sa barbe. - - - - -TABLE DES MATIÈRES - - - INTRODUCTION 5 - - LES BASQUES ABORDENT EN TERRE VIERGE 7 - FONDATION DU PREMIER FOYER 26 - LA GÉNÉALOGIE 38 - FORMATION DES PRINCIPAUX COUPLES 46 - LE JOUR ET LA NUIT A ASCAIN 57 - LE SIÈGE DE PAMPELUNE 75 - CHANT D'AMOUR DE TIRUZTAYA ET DE LÔRÉA 86 - LA VÉRITÉ DANS LE RÊVE 108 - LES FIANÇAILLES DE ROLAND ET D'AUDE 117 - LES ÉTATS-GÉNÉRAUX 139 - MA COUSINE ÉVA, UN TRÉSOR 173 - LA RÉPÉTITION GÉNÉRALE 180 - LE TRIOMPHE D'ÉVA 187 - LA CONCLUSION INATTENDUE 194 - OÙ LA RACE BASQUE TRIOMPHE DE L'ÉTRANGER 207 - - - - - ACHEVÉ D'IMPRIMER - le vingt-six janvier mil neuf cent vingt-cinq - PAR - MARC TEXIER - A POITIERS - pour le - MERCVRE - DE - FRANCE - - -*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROBINSONS BASQUES *** - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the -United States without permission and without paying copyright -royalties. 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Hart was the originator of the Project -Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be -freely shared with anyone. For forty years, he produced and -distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of -volunteer support. - -Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in -the U.S. unless a copyright notice is included. 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You may copy it, give it away or re-use it under the terms -of the Project Gutenberg License included with this eBook or online -at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. If you -are not located in the United States, you will have to check the laws of the -country where you are located before using this eBook. -</div> - -<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Title: Les Robinsons basques</div> - -<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: Francis Jammes</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'>Release Date: February 17, 2021 [eBook #64582]</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'>Language: French</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'>Character set encoding: UTF-8</div> - -<div style='display:block; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Produced by: Laurent Vogel (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)</div> - -<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROBINSONS BASQUES ***</div> -<p class="c large">FRANCIS JAMMES</p> - -<h1><span class="small">Les</span><br /> -Robinsons basques</h1> - -<p class="c">PARIS<br /> -<span class="large">MERCVRE DE FRANCE</span><br /> -<span class="small">XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI</span></p> - -<p class="c small">MCMXXV</p> - -<div class="break"></div> - -<p class="c top2em">DU MÊME AUTEUR</p> - - -<table summary=""> -<tr><td colspan="2" class="pad"><div class="c"><i>Poésie.</i></div></td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">DE L'ANGELUS DE L'AUBE A L'ANGELUS -DU SOIR</span>, 1888-1897</td> -<td class="bot w3">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">LE DEUIL DES PRIMEVÈRES</span>, 1898-1900</td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">LE TRIOMPHE DE LA VIE</span> -(<i>Jean de Noarrieu. Existences.</i>)</td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">CLAIRIÈRES DANS LE CIEL</span>, -1902-1906. (<i>En Dieu. Tristesses. -Le Poète et sa femme. Poésies diverses. L'Eglise habillée -de feuilles.</i>)</td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">LES GÉORGIQUES CHRÉTIENNES</span></td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">LA VIERGE ET LES SONNETS</span></td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">LE TOMBEAU DE JEAN DE LA FONTAINE</span> -suivi de <span class="small">POÈMES MESURÉS</span></td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">CHOIX DE POÈMES</span>, avec un portrait</td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">LE PREMIER LIVRE DES QUATRAINS</span></td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">LE DEUXIÈME LIVRE DES QUATRAINS</span></td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">LE TROISIÈME LIVRE DES QUATRAINS</span></td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td colspan="2" class="pad"><div class="c"><i>Prose.</i></div></td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">LE ROMAN DU LIÈVRE.</span> (<i>Le Roman du Lièvre. Clara d'Ellébeuse. -Almaïde d'Etremont. Des choses. Contes. Notes -sur des Oasis et sur Alger. Le 15 août à Laruns. Deux -Proses. Notes sur Jean-Jacques Rousseau et M<sup>me</sup> de -Warens aux Charmettes et à Chambéry.</i>)</td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">MA FILLE BERNADETTE</span></td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">FEUILLES DANS LE VENT.</span> (<i>Méditations. Quelques Hommes. -Pomme d'Anit. La Brebis égarée.</i>)</td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">LE ROSAIRE AU SOLEIL</span>, roman</td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">MONSIEUR LE CURÉ D'OZERON</span>, roman</td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">LE POÈTE RUSTIQUE</span>, roman, suivi de -l'<span class="small">ALMANACH DU POÈTE -RUSTIQUE</span></td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">CLOCHES POUR DEUX MARIAGES</span>. (<i>Le Mariage basque. Le -Mariage de raison.</i>)</td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td colspan="2" class="pad"><div class="c"><span class="small">A -LA LIBRAIRIE PLON-NOURRIT ET C</span><sup>ie</sup></div></td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">LE BON DIEU CHEZ LES ENFANTS</span>, -<i>album avec illustrations -en couleurs d'après les dessins de M<sup>me</sup> Franc-Nohain.</i></td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">LE LIVRE DE SAINT JOSEPH</span></td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">DE L'AGE DIVIN A L'AGE INGRAT.</span> -Mémoires : I</td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">L'AMOUR, LES MUSES ET LA CHASSE.</span> -Mémoires : II</td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="small">LES CAPRICES DU POÈTE.</span> Mémoires : III</td> -<td class="bot">1 vol.</td></tr> -</table> -<div class="break"></div> - -<p class="c top6em large">LES ROBINSONS BASQUES</p> - - -<p class="sign"><i>A la mémoire de Goya y Lucientes</i></p> - -<div class="break"></div> - -<p class="c top4em"><span class="small">IL A ÉTÉ TIRÉ</span> :</p> - -<p class="c">56 exemplaires sur papier de Madagascar, savoir :<br /> -55 ex. numérotés à la presse, de 1 à 55 et 1 hors commerce</p> - -<p class="c">247 exemplaires sur Hollande van Gelder -numérotés, à la presse, de 56 à 302</p> - -<p class="c">La première édition a été tirée sur papier de fil Montgolfier, -savoir :</p> - -<p class="c">1075 exemplaires numérotés de 303 à 1377<br /> -25 exemplaires (hors commerce) marqués à la presse de A à Z</p> - - -<p class="c gap"><span class="small">JUSTIFICATION DU TIRAGE</span> :</p> - -<div class="c"><img src="images/justif.png" alt="" /></div> - -<p class="c gap small">Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction réservés -pour tous pays.</p> - -<p class="c small"><span lang="en" xml:lang="en">Copyright by</span> <span class="sc">Mercvre de France</span> 1924</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch0">INTRODUCTION</h2> - - -<p class="i">Il y a quelque trente ans vivait à Bayonne -un de ces Juifs qui portent besicles de corne -sur nez crochu ; dont le front et les joues -ridés reproduisent assez exactement une page -criblée de caractères talmudiques et dont les -mains, semblables à des araignées, tantôt tissent -la toile grise de leur barbe, tantôt arpentent -l'oscillante balance du peseur d'or ou du -joaillier.</p> - -<p class="i">Jacob Meyer était son nom.</p> - -<p class="i">Nous étions rejoints, lui et moi, par un -goût commun de la pêche et de la poésie. Il -arrivait qu'après avoir parlé littérature nous -descendissions à l'Adour pour y tendre un -filet. Nous nous fortifiions avec l'odeur du -goudron et de la mer toute proche. Il ne recevait -guère de visites que la mienne et de -dames qui venaient lui régler les intérêts d'un -emprunt ou l'acompte d'une émeraude.</p> - -<p class="i">Avant que de me révéler le début des <i>Robinsons -basques</i>, il me dit en tenir la version de -sa famille, et que celle-ci, de père en fils, se -l'était transmise.</p> - -<p class="i">De cette famille, un membre, le premier -sans doute qui donna lieu à la souche de -Bayonne, repose dans le cimetière de La Bastide -Clairence sous le prénom d'Abraham.</p> - -<p class="i">Ce qui a laissé entendre à quelques simples -d'esprit que le père d'Isaac est enterré dans -cette commune.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch1">LES BASQUES ABORDENT -EN TERRE VIERGE</h2> - - -<p>La légende rapporte que, il y a vingt-cinq -siècles, un navire dont la coque -portait le nom d'<i>Eskualdunak</i> pénétra dans -les eaux de l'Adour.</p> - -<p>Ce navire était magnifique et témoignait -que la contrée d'Asie d'où il arrivait connaissait -la civilisation la plus raffinée, à -l'époque où les habitants de l'Europe future -se servaient de haches de pierre et de -pieux durcis pour assommer ou percer les -ours et sangliers qu'ils dévoraient crus.</p> - -<p>Le capitaine de l'<i>Eskualdunak</i> s'appelait -Ondicola. Un équipage l'accompagnait qui -se ressentait davantage d'une vie passée -dans le luxe et la volupté que guerrière ou -simplement active. Il se composait de matelots, -de leurs femmes et d'un groupe de -jeunes gens et jeunes filles dont le moins -âgé, Iguskia, avait seize ans, et la plus -jeune, Ithargia, quinze.</p> - -<p>Si, vivant alors, avec l'esprit d'à présent, -nous eussions vu se promener sur la rive -gasconne tant d'aimables Orientaux, ils -nous auraient fait songer davantage à un -débarquement à Cythère qu'à une descente -dans les entrepôts de Bayonne.</p> - -<p>La saison étant fort belle, Ondicola fit -jeter l'ancre et dresser à quelque distance -de la mer les tentes d'un campement. -C'était dans sa manière de suivre son caprice, -et si un nouveau pays lui agréait par -son climat et ses aspects, il s'y installait -avec sa tribu nomade jusqu'à ce que le -froid ou la lassitude les en chassât.</p> - -<p>Hommes et femmes déménagèrent le -contenu du bateau sur l'arène. Des flancs -de l'<i>Eskualdunak</i> jaillirent des merveilles : -des hamacs qu'on eût dit tissés de rosée ; -des robes d'un azur si transparent qu'on -ne les soupçonnait que si les beaux corps -s'y enfermaient ; des pierres uniques ; -des ivoires sans défaut ; et, dans des cristaux -de roche à facettes ingénieuses, des -parfums empruntés aux jardins des <i>Mille -et une Nuits</i>.</p> - -<p>Les jeunes filles vivaient à part, les jeunes -gens aussi de leur côté, car Ondicola ne -souffrait point que rien altérât leur pureté -jusqu'au jour de leurs noces. Non point -qu'il eût aucune morale. Toute trace de religion -avait disparu de ce peuple : Mais afin -que la corolle s'épanouît dans toute sa -grâce, tout, son éclat, tout son arome, Ondicola -en faisait respecter la pré-floraison. -Ainsi le produit serait superbe.</p> - -<p>Cette loi mise à part, que tout naturaliste -aurait pu édicter, on ne voyait pas -régner beaucoup de vertus parmi les hôtes -de l'<i>Eskualdunak</i>, ni à bord ni à terre.</p> - -<p>Tant de siestes sous les arbres capiteux, -de danses lascives, de fruits défendus, de -complications du cœur mettaient à nu les -nerfs de l'équipage ou le déprimaient.</p> - -<p>Ondicola, bien qu'il se laissât aller à ses -mœurs, en éprouvait souvent du dégoût. -Si imposant que fût le port des femmes, si -élancée la ligne des adolescentes, si nette -la carrure des mâles : il y avait tout à -craindre pour l'avenir. Une lourde inquiétude -envahissait Ondicola touchant la descendance -de ceux qu'il abritait dans son -navire et qu'il avait choisis parmi les types -les plus parfaits de sa patrie indienne.</p> - -<p>Le seul culte de la beauté l'avait guidé -lorsque, par exemple, il avait détaché -Iguskia et Ithargia d'un plateau perdu de -l'Himalaya où n'habitaient que de rares -pasteurs. L'instinct puissant de conserver -la race à laquelle il appartenait le dressait -peu à peu contre les mœurs qu'il voyait -affoler et anémier de plus en plus ceux -de l'<i>Eskualdunak</i>.</p> - -<p>Lorsque, la nuit, sur le rivage de cet -Adour que fait se plisser une brise si pure, -il flânait au sortir de quelque débauche, -il lui arrivait de rejeter le suc épaissi du -pavot qu'il s'apprêtait à fumer.</p> - -<p>Alors, plus calme, il contemplait avec -attendrissement, dans la diffusion de la -lune, deux tentes isolées, en dehors du -campement, qui se distinguaient entre -toutes par leur blancheur particulière.</p> - -<p>Dans l'une, dormait Iguskia, seul ; seule, -dans l'autre, Ithargia.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<p class="top4em">Nul n'ignore, reprit à quelques jours de -là Jacob Meyer, que les Asiatiques connurent -la poudre avant l'ère chrétienne, aussi -bien qu'ils avaient inventé la brouette et la -boussole.</p> - -<p>Je ne dis pas cela pour les Juifs (ajoutait-il), -car ils n'ont pas voulu, encore -qu'ils ne les ignorassent point, utiliser de -telles découvertes : il nous suffit d'une mâchoire -d'âne pour remporter la victoire ; -du dos du même animal pour transporter -notre butin ; de sa queue pour remorquer -un captif ; et, quant à la boussole, je vous -demande quelle orientation pourrait prendre -une race toujours errante?</p> - -<p>Donc, il y a deux mille cinq cents ans, -Ondicola se servait de fusils de chasse dont -l'amorce présentait une autre garantie que -l'éclat de silex adapté à l'espingole de vos -ancêtres. C'est ainsi qu'Ondicola et ses compagnons -se procuraient du gibier, et d'autant -plus aisément qu'il était alors peu -farouche dans les contrées d'Europe qu'ils -visitaient. Ondicola s'adonnait aussi à la -pêche au lancer.</p> - -<p>Mais, tout de même, cette existence de -plein air ne le maintenait point dans cette -forme cynégétique, privilège des chasseurs -à qui suffisent un croûton de pain, une -gousse d'ail, un verre de vin et une femme.</p> - -<p>C'est pourquoi il résolut, pour retremper -ses muscles, de s'en aller à la découverte, -escorté de quatre bons tireurs et marcheurs, -par ce pays qui leur était absolument -étranger.</p> - -<p>Et d'abord il pénétra, par les bords de -la Nive, dans la région de l'actuel Cambo. -A mesure qu'il portait plus avant ses pas, -un curieux phénomène se confirmait : pas -un seul habitant n'y apparaissait. Telle était -cette absence de l'homme que les écureuils -eux-mêmes se montraient familiers jusqu'à -sauter sur les épaules d'Ondicola et de ses -compagnons. On voyait de ces rongeurs -descendre deux par deux vers la rivière, -se tenant par les doigts comme de jolis -petits ménages. Ils rafraîchissaient leurs -pattes. Ondicola admirait leurs mœurs plus -simples que celles de l'<i>Eskualdunak</i> où l'on -usait, pour se baigner, de cuves d'or emplies -d'eaux suaves.</p> - -<p>Par une réaction naturelle, au souvenir -écœurant de ces parfums, il se jeta dans la -Nive à la nage. Et, quand il en ressortit, -des gouttes qui n'avaient que l'odeur de -l'air pur roulèrent à ses pieds dans l'herbe.</p> - -<p>Cette course à travers des bois qui n'exhalaient -point les essences de l'Asie, mais -à peine une senteur d'averse sous l'orage, -le remontait. Il défendit au cuisinier d'épicer -davantage les mets, et il proscrivit les -sauces. Mais, faisant creuser dans l'argile -un four que l'on garnissait de galets demeurés -longtemps sur la braise, il ordonnait -qu'on y rôtît la chair des lapereaux et -des perdrix. La confiserie dont il s'était -fait suivre lui répugna bientôt tellement, -qu'il la fit abandonner à un ours débonnaire. -Mais celui-ci, l'ayant flairée, s'enfuit -sur un chêne d'où découla un délicieux -rayon de miel.</p> - -<p>Un autre charme de cette vie errante -était pour Ondicola d'échapper à la polygamie -que pratiquaient, selon l'usage oriental, -les gens de l'<i>Eskualdunak</i>. Mais que dis-je! -Ce lui était un délice de se soustraire même -à sa favorite qui, si belle qu'elle fût, et autant -qu'elle dît l'adorer, et si fort qu'il -crût l'aimer, l'excédait par les caresses -qu'elle lui prodiguait, et aussi par sa jalousie. -Les nuits étaient douces. On était en -juillet. Il s'éveillait au chant des oiseaux et -ne se sentait pas de joie, les yeux clos encore, -de palper la mousse qu'aucune femme -n'avait foulée.</p> - -<p>Si la tradition est exacte, Ondicola et ses -compagnons remontèrent l'affluent de l'Adour -jusqu'à la place d'Itxassou.</p> - -<p>Les forêts, quelque peu impénétrables, -retardèrent leur marche, bien qu'ils continuassent -de longer les rives. Si loin qu'ils -aboutirent, ils ne rencontrèrent âme qui -vive.</p> - -<p>Le chef de l'<i>Eskualdunak</i> se faisait à -cette existence élémentaire qui engendrait -le calme du cœur, à ce silence que ne troublaient -même plus les détonations des armes, -puisque les bêtes les plus craintives -se laissaient prendre à la main, les truites -même.</p> - -<p>Je doute, se disait Ondicola, que, placée -de bonne heure dans une contrée aussi -vierge, une famille humaine, même la nôtre, -si encline à la débauche, se fût corrompue. -O pays idéal! Terre qui attend son premier -couple!</p> - -<p>Plus de trente fois depuis leur départ le -soleil s'était levé sur Ondicola et ses compagnons. -Une tristesse infinie s'étendait sur le -cœur du capitaine, cependant qu'il voyait -venir le temps de rejoindre l'<i>Eskualdunak</i>.</p> - -<p>Il ne le fit qu'à pas lents. Mais lorsque, -au soixante-dixième jour, il arriva en vue -du navire et du campement, l'acte formidable -qu'il allait accomplir avait pris corps -dans sa volonté.</p> - -<p>L'<i>Eskualdunak</i> se balançait indolemment -sur son ancre ; son équipage était en liesse.</p> - -<p>Durant les deux mois qui venaient de -s'écouler, la dépravation de ces gens demeurés -sédentaires avait atteint son comble. -Ondicola éprouva la sensation d'un homme -qui, d'une cime vivifiée par l'air le plus pur, -chuterait dans un cloaque.</p> - -<p>Si dénué qu'il se montrât de toute morale, -il imposait aux siens une sorte de crainte -et d'ordre dans le désordre. On le savait -désireux d'être obéi ; prompt à infliger une -sanction et, plus d'une fois, il n'avait pas -hésité à brûler la cervelle à des mutins.</p> - -<p>Il constata que sa petite colonie avait -tout à fait perdu l'équilibre. Les gynécées, -mêlés entre eux, avaient changé de maîtres. -Et bien que, craignant la mort, la favorite -d'Ondicola s'employât à lui prouver -qu'elle lui était demeurée fidèle, il s'aperçut -bien vite qu'elle le trompait.</p> - -<p>Le mal dont il souffrait se fit plus aigu -sous sa tente, une nuit que, ne parvenant -pas à prendre le sommeil, il entendait au -loin le bruit des violons et des flûtes exaspérer -jusqu'à la folie les sens de l'équipage.</p> - -<p>L'illusion qu'il avait longtemps entretenue -d'établir, dans la dissolution même, -une sorte de règle, basée sur la notion du -beau, se dissipait.</p> - -<p>Trop de vices s'étaient insinués même -parmi ces adolescents et adolescentes qu'il -avait longtemps préservés.</p> - -<p>Un contraste insultait à cette dépravation : -ce vierge pays qu'il venait de parcourir, -ses sommets fiers et doux qui font -un second ciel à la vallée.</p> - -<p>Il se souvint alors que, depuis son retour, -il n'avait aperçu ni Iguskia ni Ithargia.</p> - -<p>Sans doute eux aussi avaient-ils sombré -dans cette décadence, s'étaient-ils cachés -des yeux du maître que, du moins, ils respectaient -encore.</p> - -<p>Renonçant à dormir, il sortit. L'orgie -avait fait silence. Tout semblait au repos. -Il se garda bien de se rapprocher de son -harem qui, là-bas, se profilait sous la lune. -A quoi bon accroître son dégoût? Il savait -bien qu'une visite à l'impromptu ne lui eût -réservé que déboires. Que lui importait -d'ailleurs le mensonge de ces femmes?</p> - -<p>Il se trouva sur la grève déserte, à deux -heures du matin, lorsque courent des frissons -d'argent sur la mer qui n'a qu'un doux -clapotement.</p> - -<p>Au milieu d'un semis d'étoiles, Phébé -était une perle incrustée dans la nacre -du ciel. A quelque deux cents mètres se -dressait la tente d'Iguskia et, plus loin, à -une distance égale, celle d'Ithargia. De -chacune sortit une ombre.</p> - -<p>Le jeune homme et la jeune fille s'abordèrent -à la limite du flot et se donnèrent la -main. Ondicola, dissimulé par les rochers, -les épiait curieusement.</p> - -<p>Ils longeaient la rive, s'arrêtaient parfois, -élevaient leurs charmants visages dans l'air -vif et salé. Les lignes de leur corps, modestement -vêtus, ne se déplaçaient que suivant -une grâce calme, d'autant plus sûre d'elle-même -qu'elle s'ignorait. Pas un mot, pas un -soupir, pas un murmure ne montaient -d'eux. Mais il semblait s'exhaler vers Dieu, -de ces deux corolles vierges, un immortel -parfum, l'essence même de ce que l'amour -peut donner de plus pur en ce monde.</p> - -<p>Ondicola retenait son souffle. Son cœur -battait à peine, d'où s'envolait une prière -confuse et muette vers ces bois récemment -découverts où il avait vécu les plus belles -heures de sa vie.</p> - -<p>II lui semblait qu'il n'eût eu qu'à se saisir -de ces deux enfants de lumière, et à les déposer -dans cette région bénie qu'il avait -entrevue, pour que leur race s'y étendît à -jamais comme les arceaux renaissants d'un -verger aveuglant de fleurs.</p> - -<p>La radieuse vision s'éteignit avec l'aurore -ou, plutôt, sembla résorbée, quand Iguskia -et Ithargia se séparèrent.</p> - -<p>Ondicola les vit lentement remonter chacun -à sa tente, sans qu'ils se fussent davantage -parlé ou touché.</p> - -<p>Il ne restait plus d'eux qu'un souvenir, -de roses bues par l'azur, dans la phrase -interminable et doucement heurtée de la -mer.</p> - -<hr /> - - -<p>Lorsque Ondicola retrouva sa couche, le -soleil brillait. Il put prendre du repos jusqu'à -midi sans être énervé par les échos de -la saturnale qui avaient mis en fuite son -sommeil. De tristes tableaux ne hantèrent -plus son imagination. Bien au contraire, ce -fut la promenade étoilée d'Iguskia et d'Ithargia -qui enchanta ses rêves.</p> - -<p>Quand il s'éveilla, sa résolution, était -prise.</p> - -<p>Il manda des hérauts auxquels, avec -un singulier accent d'autorité qu'il semblait -avoir laissé faiblir depuis son retour, il ordonna -d'annoncer à son de trompe que l'équipage -eût à se grouper sur l'<i>Eskualdunak</i>. -Il prescrivit en outre que les femmes et les -hommes s'y rendissent dans leurs plus -beaux atours ; que toutes les oriflammes -fussent déployées aux cordages et aux mâts, -que les musiciens fissent entendre, au moment -qu'il en donnerait le signal, l'hymne -le plus languide et le plus amoureux.</p> - -<p>Personne ne manqua à l'appel. Tout le -monde fut sur le pont, excepté Iguskia et -Ithargia qu'Ondicola fit sagement s'asseoir -en face du navire, assez loin sur la plage.</p> - -<p>Il monta le dernier à bord.</p> - -<p>Lorsque les femmes se furent épanouies -de toute leur beauté sous leurs éventails -d'autruche ; lorsque le dernier soupir de -l'orchestre se fut tu dans la splendeur du -soleil qui déclinait sur la mer :</p> - -<p>— Orientaux, et vous, Orientales, leur dit-il, -fils et filles de la Volupté! J'ai compris, -après avoir exploré le pays d'alentour, ce -qui vous en sépare. Il est temps de lever -l'ancre. Mais en deux mois vous avez rendu -la colonie si intéressante que je descends à -fond de cale pour y chercher l'ordre du -jour dont vous êtes dignes. Je vais vous le -dire. Attendez-moi.</p> - -<p>Ondicola disparut. Il entra dans la soute -et mit le feu aux poudres.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch2">FONDATION DU PREMIER FOYER</h2> - - -<p>Iguskia et Ithargia n'éprouvèrent pas la -moindre émotion en voyant tout à coup -s'abîmer dans les flots la galante galère. -Mais ils rirent, car leurs cœurs étaient -neufs.</p> - -<p>Cet embrasement sonore, qui précéda -le plongeon de l'<i>Eskualdunak</i>, les amusa -comme d'un feu d'artifice. La mer immense -s'était refermée sur les victimes.</p> - -<p>Depuis trois ans qu'Ondicola les avait enlevés -à leur plateau pastoral et mêlés à son -équipage, il leur était apparu tel qu'un maître -assez sévère, mais bon. Jamais ils n'avaient -eu de peine à le comprendre, car sa -langue était la leur, cette mystérieuse langue -basque.</p> - -<p>La plupart des souvenirs qu'Iguskia et -Ithargia eussent pu conserver touchant -la religion de leurs familles, amies l'une -de l'autre, s'étaient effacés. Mais ils possédaient -une vertu naturelle qu'Ondicola -s'était plu à respecter et à cultiver jusqu'à -prendre la tragique détermination dont il -fut la première et volontaire victime. Il -avait craint que, plus tard, ces enfants ne -fussent gagnés par l'abomination de ceux -qu'ils eussent fréquentés davantage.</p> - -<p>Cette perspective lui était devenue d'autant -plus insupportable, dès là qu'il avait -saisi l'harmonie qui coexistait entre les -vertus d'une contrée vierge, inhabitée, et -celles qui étaient innées à Iguskia et à -Ithargia.</p> - -<p>Ceux-ci, tournant le dos à l'océan où venait -de sombrer l'<i>Eskualdunak</i>, s'en allèrent prendre -ou vêtir, chacun dans sa tente, -quelques manteaux de laine qui les préservassent -d'une fraîche brise soufflant du -golfe.</p> - -<p>Ils se réunirent ensuite pour leur repas -du soir. Sous les abris nombreux des -courtisanes qui maintenant reposaient au -sein des flots, des aliments singuliers traînaient -parmi les bijoux et les toilettes. De -ces toilettes et de ces bijoux, qu'eussent fait -ces deux antiques Robinsons? N'ayant -point trouvé là ces nourritures simples -qu'ils aimaient, ils les allèrent prendre dans -la tente d'Ondicola.</p> - -<p>Après dîner, Iguskia et Ithargia se séparèrent ; -chacun regagna sa tente ayant -pris rendez-vous pour le lendemain.</p> - -<p>Ils furent debout dès l'aube et gagnèrent -le sommet des dunes, couverts des mêmes -tuniques de laine qu'ils portaient la veille. -Mais Iguskia avait jeté sur l'épaule, en prévision -des nuits qu'ils auraient à passer en -plein air, deux sacs d'une souple fourrure, -empruntée sans doute aux chèvres de la -Mongolie. Il emportait aussi son coutelas, -et, dans un sac de cuir, des champignons -desséchés et le silex avec quoi on les allume.</p> - -<p>Ils remontèrent vers le sud-est, choisissant -cette même voie tracée par la Nive -dans laquelle s'étaient engagés naguère -Ondicola et ses quatre compagnons.</p> - -<p>Le passage de ceux-ci était encore marqué -çà et là par des coupes de fougères et de -branches.</p> - -<p>En moins de deux mois Iguskia et -Ithargia parvinrent, sans grand effort, au -gré d'une flânerie charmante, sur les lieux -où s'élève aujourd'hui l'ombreux et lumineux -village d'Itxassou. Là, ils cessèrent de -remonter l'affluent de l'Adour, poursuivirent -au nord-est vers Macaye et Mendionde, -sans y être autrement poussés que par -l'attrait de ces vallées heureuses que protègent -de leurs remparts l'Ursuya et le -Baygura.</p> - -<p>Comme Ondicola et ses compagnons, ils -se nourrissaient de truites qui abondaient -dans les moindres ruisseaux, et de gibier -facile à prendre à la main. Une racine, -celle de l'asphodèle, dont Pline nous apprend -que, cuite sous la cendre, elle donne -un excellent pain, leur fut une ressource. -Ils avaient connu, dans leur pays natal, -l'utilité de cette même plante qui croît -en abondance dans les landes du pays basque. -On voit, au printemps, ses quenouilles -jaspées filer l'air bleu qui les charge. Des -mûres et, plus tard, les fruits du néflier dont -la branche flexible et dure fournit à Iguskia -le premier makhila, leur furent un -dessert agréable.</p> - -<p>— Si, observait Jacob Meyer, le calcul est -juste de ceux qui, parmi les miens, ont scruté -avec le plus de soin les archives de cette -histoire, Iguskia et Ithargia se seraient -trouvés aux grottes d'Isturitz vers l'été de -la Saint-Martin de la même année. Ces -grottes, vous m'avez dit les connaître, mon -cher poète, et vous avez bien de la chance, -car on les dit extrêmement riches en -ossements, sculptures et armes préhistoriques. -Les propriétaires sont intraitables -sur le point de les laisser visiter, et ils ont -préposé, à l'entrée, un cerbère vraiment infernal -qui ne le cède en rien à ses ancêtres -de l'âge de pierre. J'ai causé avec lui, et il -paraît tout disposé à assommer quiconque -oserait s'aventurer dans cette caverne, -sans l'autorisation la plus formelle.</p> - -<p>… Et vous seul, m'a-t-on rapporté, l'auriez -obtenue?</p> - -<p>— C'est-à-dire, répondis-je, qu'une très -vieille amitié lie ma famille à celle de -M. Passerose, qui est en possession de ce -très curieux document d'histoire humaine -et de géologie. Il est vrai que, à part moi, -je ne sache personne, sinon Pierre Loti, qui -a fort bien décrit Isturitz, en faveur de qui -l'on ait fait exception. Je suis le conservateur -d'une des clefs de la solide grille -d'entrée. M. Passerose me la confia, voici -deux ans, avant son départ pour l'Abyssinie -dont il ne reviendra pas de sitôt. J'ai vu -là, de sa part, à mon endroit, une grande -marque de confiance. Mais je n'ai guère -profité de la permission que me confère -la garde de cette clef dont le cerbère, que -vous avez l'air de connaître, possède le -double.</p> - -<p>— Alors… même en vous suppliant?</p> - -<p>— J'ai compris, insistai-je, que M. Passerose -ne m'a choisi, entre ses plus intimes, -que parce qu'il compte bien que j'observerai -son inflexible consigne.</p> - -<p>— Orphée, conclut en souriant le vieux -Juif, sans que je comprisse très bien alors -son allusion, avait ému les rochers mêmes -de l'Enfer…</p> - -<hr /> - - -<p>Iguskia captura à Isturitz beaucoup de -palombes. Celles-ci, venant de loin, étaient -farouches et filaient haut. Mais, dissimulé -dans un chêne, il réussissait à les faire descendre -en leur lançant des bâtons qui imitaient -le vol du milan. Les Basques les -prennent encore ainsi.</p> - -<p>Lui et Ithargia passèrent l'hiver à l'entrée -de ces cavernes, sans se douter que les -chasseurs de l'âge de pierre les avaient habitées. -Nul vestige humain autour d'eux, -sinon, à quoi ils ne prêtaient nulle attention, -des haches et des flèches qui témoignaient -d'une barbarie de chasseurs qui s'étaient -tenus sur la défensive. Mais ceux-ci avaient -si bien disparu depuis si longtemps, qu'à -part les oiseaux de passage toute la faune -était redevenue familière comme aux jours -premiers de la création.</p> - -<p>Jusqu'au printemps de l'année qui suivit, -Iguskia et Ithargia restèrent dans ces -parages.</p> - -<p>Quand reparut le mois de mai, leurs -cœurs s'emplirent d'amour à tel point qu'il -semblait à l'un que les battements du -sien eussent lieu dans celui de l'autre. Mais -cette ivresse ne troubla point encore leurs -corps dissimulés sous les blanches toisons, -comme des sources sous la neige.</p> - -<p>Ils assistaient à la fête nuptiale que le -renouveau fait plus gracieuse et plus grandiose. -Tantôt ils voyaient deux fauvettes se -fuir en se rapprochant sur une branche -trop flexible, tantôt ils regardaient s'allonger -l'un vers l'autre, et se rejoindre dans -une combe, deux fleuves de brume d'où -émergeait la cime découpée des bois.</p> - -<p>Quand les fortes chaleurs sévirent, ils se -baignaient sous les feuillages de la rivière -qui, de nos jours, porte le nom de Joyeuse. -Et c'est ainsi que, de branche en branche, -ils atteignirent le coteau d'Ayherre, non -loin du futur Hasparren. La clémence des -nuits leur permettait maintenant de dormir -en plein air dans leurs fourrures. -Ce fut par un torride jour d'or que la Providence -décréta que la race bienheureuse, -la race basque, naîtrait de ces deux Robinsons, -prendrait racine en eux comme une -vigne au flanc d'une belle colline.</p> - -<p>Une ruine surplombe aujourd'hui le bourg -d'Ayherre et toute la contrée environnante, -restes d'un château dont Albert Dürer se fût -inspiré, car ils se confondent avec la lèpre -même du lierre qu'ils opposent au soleil.</p> - -<p>Cette redoute seigneuriale, fréquentée -des oiseaux de proie, porte le nom de -Belzuncia. C'est sur l'aire de Belzuncia, qui -ne devait être édifié que bien des siècles -après, qu'Iguskia et Ithargia, au mois de -juillet, se trouvèrent en présence d'un tapis -dont les plus radieuses soieries qu'ils -avaient vues sur l'<i>Eskualdunak</i> n'approchaient -point.</p> - -<p>Ce tapis vivait, car c'était un champ de -froment. Ensemencé par qui? Nul ne l'a -jamais su. Mais il suffit d'un coup de -foudre sur une terre intègre, et d'une -graine apportée par le vent, pour que, d'année -en année, se multiplie la moisson -comme sur l'échiquier du conte arabe.</p> - -<p>Iguskia et Ithargia en furent si éblouis -qu'ils s'assirent pour contempler plus à -l'aise la merveille. Chaque épi barbelé -amenuisait la lumière bleue où criaient les -cigales. Iguskia et Ithargia ressentirent -que dans la béante profondeur il y avait -Quelqu'un. Leur amour éclatait dans un -plus grand Amour. Ils comprirent que dans -cette splendeur visible, et au delà, Dieu est.</p> - -<p>En face de cette Présence qui les illuminait -comme le soleil les coquelicots à la lisière -du champ tout allumé de cerises sauvages, -ils prirent le ciel à témoin de leur -union.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch3">LA GÉNÉALOGIE</h2> - - -<p>Ithargia donna un fils à Iguskia. Le second -des enfants fut une fille qui mourut -à deux ans, et c'est ainsi qu'ils connurent -la douleur.</p> - -<p>Cette petite étant tombée malade, sa -mère pensa la relever de son abattement, -ainsi qu'elle faisait à l'ordinaire, en lui -présentant quelque fleur. Celle-ci était bien -du pays basque. Qu'elle ressemblait peu aux -corolles de l'Asie, somptueuses sans doute, -mais dont les couleurs et les nectars trop -violents fatiguent! Ce fut une digitale pourprée, -dont les cloches, à l'intérieur ponctuées -comme des pulpes d'abricot, tamisent -une lumière d'aube.</p> - -<p>Dans la cabane qu'Iguskia avait construite -avec des branches, des pierres et de -l'argile, l'enfant, étendue sur une peau d'agneau, -agonisa doucement. Bientôt elle n'eut -plus la force de tenir ni même de regarder -la plante que sa mère lui avait donnée.</p> - -<p>Elle mourut, bercée par le bourdonnement -des abeilles qui s'échappaient du toit -comme les braises d'un incendie. Quand elle -fut muette, immobile et refroidie, Iguskia et -Ithargia se mirent à genoux devant sa couche. -Et leur prière, faite de sanglots, monta -vers Celui qu'ils avaient pressenti dans la -lumière de bluet de leurs fiançailles.</p> - -<p>Iguskia ensevelit au pied d'un cerisier -sauvage son enfant dont l'âme, aux jours -en feu, semblait crier par les voix des cigales.</p> - -<p>C'est ainsi que les Robinsons basques surent -ce qu'était la mort qu'ils n'avaient -jusque-là connue que chez les animaux et -les arbres, la mer leur ayant caché les cadavres -d'Ondicola et de ses compagnons.</p> - -<p>Ithargia souhaitait de ravoir une autre -petite fille, mais Dieu ne lui envoya plus -que des garçons qui naquirent à peu d'intervalle -les uns des autres.</p> - -<p>Ils étaient au nombre de six quand leur -mère, à peine plus jeune que le père, entra -dans sa vingt-cinquième année. Sans l'ombre -légère qui s'étendait sous le cerisier, le -foyer n'eût été que joie.</p> - -<p>La culture était facile autour de la -fruste habitation, le blé repoussait de lui-même, -comme encore au bord du Nil. -Iguskia l'égrenait, le lavait, le broyait, et -Ithargia le pétrissait et le cuisait.</p> - -<p>Leur basse-cour s'était formée toute seule -d'oiseaux, comme de coqs de bruyère et de -tourterelles, qui venaient y picorer, et de -biches gracieuses et de faons et de lapins -et de lièvres.</p> - -<p>Jamais ils ne songèrent à quitter cet éden, -car, à mesure que grandissaient les six garçons, -à qui ils enseignaient la primitive langue -basque et les travaux familiers, ils -s'attachaient davantage au sol qu'ils avaient -consacré avec la mort.</p> - -<p>Les trois aînés accusaient un goût plus -particulier pour la pêche et la capture des -palombes. Il leur arrivait de ne rentrer au -foyer qu'après des excursions de plusieurs -jours à travers bois. C'est ainsi qu'en suivant -la Nive et l'Adour, refaisant en sens -inverse le chemin autrefois parcouru par -Iguskia et Ithargia, ils atteignirent la plage -même devant laquelle, vingt ans plus tôt, -avait sombré l'<i>Eskualdunak</i>.</p> - -<p>C'est là qu'ils s'endormirent un soir, lassés -de leur longue marche, et par une nuit -aussi sereine que celle durant laquelle leurs -père et mère, adolescents, avaient laissé -leur pur amour paraître aux yeux d'Ondicola -ravi.</p> - -<p>Ces trois frères étaient d'une grande -beauté : le plus âgé comptait vingt ans -alors, à peine un peu moins les deux autres. -Ils se nommaient Zoardia, Aritza et Sua.</p> - -<p>Zoardia et Aritza étaient à peu près du -même type, souple et brun, aux cheveux un -peu crépus et durs, aux yeux bridés et placés -presque sur les tempes, l'allure si leste -qu'on les eût dits toujours prêts à bondir. -Sua était un peu gros et blond, avec d'étranges -yeux glauques très obliques et perçants ; -d'une taille aussi élevée que ses frères, mais -qui paraissait moindre, à cause du développement -du torse ; ses épaules étaient -étroites. Il ne le cédait en rien aux deux autres -pour l'agilité, soit qu'ils exécutassent -des danses que leurs parents leur avaient -apprises de l'Asie, et pour lesquelles ils se -paraient de plumes, de minéraux brillants -et de fleurs, et qu'ils accompagnaient d'un -fifre de roseau ; soit qu'à de longues distances -ils se lançassent et se renvoyassent -des projectiles ronds, faits de lames de cuir -avec un noyau de silex.</p> - -<p>Donc Zoardia, Aritza et Sua s'étaient endormis -sur la plage.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<p class="top4em">— Ici, observa le narrateur Jacob Meyer, -qui n'hésitait jamais, paraissait connaître -par cœur la légende basque, et ne faisait -appel qu'à de rares notes, je me trouve -fort embarrassé. Il me faudrait vous soumettre -le manuscrit qui est à Aix, chez un -mien neveu, qui en est fort avare. En effet, -tout le passage suivant est écrit dans la même -langue, mais en vers heptamètres, et -constitue une sorte de nocturne.</p> - -<p>Ce chant commence après que Zoardia, -Aritza et Sua viennent de s'assoupir sur -cette arène d'où leurs parents partirent -pour gagner les vallées de la Nive et de la -Joyeuse. Ma mémoire n'est pas telle que -j'en aie pu conserver les nuances, n'ayant -point ce don qui est vôtre. Vous n'aurez donc -qu'un faible écho du génie d'un koblari<a id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">[1]</a> -lointain qui mêla sans doute sa propre inspiration -aux documents laissés dans un rocher -par Ondicola, et à ceux que nous ont -transmis les premiers foyers qui s'allumèrent -aux flammes de l'<i>Eskualdunak</i>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_1" href="#FNanchor_1"><span class="label">[1]</span></a> Improvisateur basque.</p> -</div> -<p>Voici le récit de ce barde et comme il -s'enchaîne à ce qui précède.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch4">FORMATION -DES PRINCIPAUX COUPLES</h2> - - -<p>Il y avait six jeunes filles dans une contrée -d'Asie, plus belles les unes que les -autres, longues et gracieuses comme les -feuilles de l'iris.</p> - -<p>Et lorsqu'elles riaient, on eût dit d'une -averse de grêlons dans des roses vermeilles.</p> - -<p>Toutes étaient brunes, toutes avaient les -bras en arc, et leurs longues jambes rivalisaient -de vitesse à la poursuite des chèvres -égarées, car elles appartenaient au -peuple pastoral.</p> - -<p>L'une avait vingt ans et les autres dix-neuf, -dix-huit, seize, quatorze et quinze.</p> - -<p>Un prince, frère d'Ondicola, les avait -aperçues en chassant, et il s'en était épris tellement -qu'il avait demandé de les mettre -dans les jardins de son palais à leurs parents -qui avaient consenti.</p> - -<p>Il espérait bien d'en faire ses femmes. -Mais elles étaient si belles, quand elles se -penchaient hors de leurs pavillons de roses, -qu'il n'osa les approcher.</p> - -<p>Et il tomba malade, comprenant qu'il -est vain de poursuivre un amour dont on -ne se sent pas digne.</p> - -<p>Lorsqu'il les considérait, il était comme -un homme qui n'ose porter à ses lèvres la -coupe, tant elle exhale un parfum enivrant.</p> - -<p>Durant six mois qu'aux portes de son -harem elles furent ses prisonnières, il les -fit combler de faveurs et de soins. Et le respect -qu'il témoignait à leurs grâces était tel -que, de la partie du bosquet où elles se baignaient, -il était défendu de s'approcher -sous peine de mort. Et lui, tout le premier, -observait sa consigne.</p> - -<p>Mais il continuait de dépérir. Il consulta -les sages qui guérissent avec des simples, -mais ils lui déclarèrent qu'il n'était nul -philtre qui pût venir à bout de son mal, et -que le seul remède était, ou bien de s'exiler -soi-même, ou de renvoyer ces beautés.</p> - -<p>Il opta pour ce dernier moyen, et les six -jeunes filles retournèrent à leur plateau natal, -le même où Iguskia et Ithargia avaient -vu le jour.</p> - -<p>Mais son agonie continua, parce que, -la nuit, le parfum des fleurs lui semblait -être celui des bien-aimées, apporté par la -brise. Il songea à s'expatrier, mais la dynastie -des Ondicola le supplia de n'en rien -faire, lui représentant que son frère avait -mystérieusement disparu, il y avait un -quart de siècle, avec l'<i>Eskualdunak</i>.</p> - -<p>Il resta, mais il résolut de donner la mort -à celles qui l'empêchaient de vivre, et dont -il n'aurait pu supporter qu'elles appartinssent -à quiconque.</p> - -<p>Sur son ordre une galère appareilla — ainsi -en avait décidé son frère jadis de -l'<i>Eskualdunak</i>. Mais le luxueux équipage -n'était, ici, que des six vierges.</p> - -<p>Néanmoins il para le navire de roses. -Il en fit un jardin suspendu sur la -mer. Il l'emplit d'autant de merveilles qu'en -avait connu le vaisseau de son frère, -et il fit peindre sur la coque ce mot : -<i>Amodioa</i>.</p> - -<p>Puis, ayant fait s'embarquer les jeunes -filles, il les abandonna seules, sans pilote, -au gré des vents.</p> - -<p>Mais de ceux-ci, le plus doux, le Zéphire, -s'étant épris de la plus jeune, ne cessa -de souffler avec douceur dans la voilure, si bien -que la navigation ne fut pas le moins -du monde mouvementée ; que les passagères -purent descendre sans peine sur -diverses plages, s'y approvisionner, et -continuer leur voyage aussi facilement que -si elles avaient eu, pour les conduire, le patron -des nautoniers.</p> - -<p>Ainsi, et plus d'un an, elles naviguèrent -sans que les récifs entamassent les flancs de -l'<i>Amodioa</i>. Elles étaient plus gracieuses -que jamais, tannées par l'embrun, dorées -par les soleils, quand elles ressentirent les -traits du dieu qui ne pardonne pas. Il souleva -leurs seins comme des voiles, et, maintenant, -elles tendaient leurs mains vers l'inconnu.</p> - -<p>Par une calme nuit l'<i>Amodioa</i> entra dans -la baie de Biscaye, toujours poussé par le -vent qui ne cessait de caresser les cheveux -de la cadette.</p> - -<p>Mais les mortelles aux Immortels préfèrent -les mortels.</p> - -<p>Et c'est en vain que Zéphire étendit -l'éventail de ses pennes au-dessus de celle -qu'il chérissait. Lorsqu'elle fut descendue à -terre avec ses sœurs, il comprit qu'elle était -désormais perdue pour lui. Et, jaloux, il fit -appel à Borée qui coula le navire aussitôt.</p> - -<p>Ainsi, l'un avec son équipage dont Iguskia -et Ithargia avaient été réservés — l'autre -sans ses passagères, — à plusieurs -années de distance, l'<i>Eskualdunak</i> et -l'<i>Amodioa</i> subirent, par des moyens différents, -le même sort.</p> - -<p>Le Destin suivait son plan.</p> - -<p>L'embellie revint après cette tempête -qui n'avait point altéré le visage des jeunes -filles qui s'étaient endormies.</p> - -<p>La première, qui s'éveilla en bâillant et -en étirant ses bras ronds, ne s'émut pas davantage -de ne plus apercevoir le bateau -qui les avait longuement promenées, puis -déposées enfin sur cette nouvelle plage. -Elles étaient, toutes les six, des païennes -pour qui le passé compte à peine, l'avenir -pas du tout, le présent seul. Maintenant, -debout et radieuses, hors de leurs légères -couches improvisées, elles écoutaient les -chansons du golfe et leurs bouches et leurs -cœurs avaient faim.</p> - -<p>A travers l'ombre épaisse de leurs cils, -leurs regards glissèrent vers les trois jeunes -hommes qui les aperçurent et vinrent vers -elles avec des fraises, des cerises, du fromage -de biche et du pain. Elles mangèrent -en riant, et, dans la joie et l'espoir de -l'amour, elles les suivirent quand ils s'en -retournèrent chez eux.</p> - -<p>Ici, me fit observer Jacob Meyer, en compulsant -un cahier, la prosodie s'interrompt, -et le récit reprend son cours naturel en -langue vulgaire jusqu'au deuxième chapitre.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<p class="top4em">Ces belles créatures s'unirent aux six -frères dont le plus jeune comptait environ -dix-huit ans.</p> - -<p>Iguskia et Ithargia moururent nonagénaires, -laissant une postérité si nombreuse -que déjà elle formait la colonie de Hasparren.</p> - -<p>C'est ainsi que, soustraite à la civilisation -corrompue de l'Orient, rattachée à une -sorte de morale naturelle que fortifia la -saine et pure solitude d'un pays en équilibre, -la race basque fut fondée.</p> - -<p>Sans effort, comme Iguskia et Ithargia, -les merveilleuses jeunes femmes s'adaptèrent -à cette simple vie, toute faite de tâches -faciles, et d'un amour sans mélange qui de -lui-même proscrivait la polygamie. Aux -nectars lydiens, tout de suite elles préférèrent -l'eau qui stille des rochers d'Ursuya.</p> - -<p>Les deux ancêtres furent ensevelis à -Ayherre, non loin du lieu où reposaient leur -unique petite fille et tous ceux qui, dans la -suite, trépassèrent avant eux.</p> - -<p>Ils transmirent à leur lignée une sorte de -culte des cieux, mi-spirituel, mi-matériel, -dont on retrouve la trace encore dans les -signes des pierres tombales actuelles.</p> - -<p>Bien avant la conquête romaine, des -groupes familiaux, dérivant de cette souche -primordiale, se formèrent çà et là. Les -trois fils aînés, Zoardia, Aritza et Sua, occupèrent -le premier le Labourd, le second ce -qui devait être la Basse-Navarre et le troisième -la Soule. D'autres, parmi les cadets, -se fixèrent en Espagne, dans l'actuel Guipuzcoa, -où ils trouvèrent un peuple mauresque -habile à corroyer, auquel ils ne s'unirent -jamais, qu'ils méprisèrent, mais dont -les instruments et méthodes les initièrent -à une industrie qui se continue, et qui leur -permit encore de se perfectionner dans -l'agriculture et l'élevage. Ils en instruisirent -ceux de leurs parents qui n'avaient -point quitté la terre natale, quand ils les y -allaient voir, et c'est ainsi que se développa -rapidement, chez les uns et chez les autres, -le génie commercial qui appartient au pays -basque.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch5">LE JOUR ET LA NUIT A ASCAIN</h2> - - -<p>J'ai une excellente nouvelle à vous annoncer, -me dit Jacob Meyer peu de -jours après qu'il eut fini de me narrer, en -s'aidant du peu de notes que l'on sait, la -première partie de la légende basque. Le -légataire de notre manuscrit familial, ce -neveu dont je vous ai parlé, qui habite Aix, -va descendre sous peu chez moi. Il doit examiner, -à Biarritz, le projet d'adduction -d'eaux salées que l'on a découvertes à -Briscous, et dont il voudrait se rendre concessionnaire. -Mais n'allez pas croire que ce -fils de mon frère aîné, encore qu'il soit sorti -le premier de l'Ecole Centrale, dédaigne la -poésie. Il est parfaitement digne d'être le -gardien de notre trésor, bien que je vous aie -déclaré qu'il ne tient pas à le communiquer. -Je lui ai écrit de vous ; il apprécie, autant -que je les prise, vos œuvres, et, sachant que -vous vous êtes intéressé à la légende basque, -il consent à nous en apporter le texte tout -entier. Que ce second chapitre, où nous en -sommes, soit ou non une interpolation, il -est souvent conçu dans cette forme lyrique -dont nous fournit un exemple le passage -qui a trait à l'histoire des six jeunes filles, -dont chacune épouse l'un des fils d'Iguskia -et d'Ithargia. Vous vous souvenez qu'à ce -moment j'étais navré de n'avoir pas le manuscrit -original, et de ternir les nuances de -cet épisode, déjà affaiblies par la traduction -du basque au français. Il ne faut plus qu'il -en soit de même. Je parle d'interpolation : -il est certain que brusque est le saut qui, du -foyer primitif, nous introduit dans une Eskuarie -christianisée, encore que je ne doute -point que votre religion n'ait pénétré dans -cette partie de la Gaule dès le voyage de -saint Saturnin. Une poétique fontaine, située -sur le bord de l'antique route qui joignait -Hasparren à Alphat-Hôpital, porte le nom -de cet apôtre envoyé par saint Pierre. Mais -cela ne veut pas absolument dire que l'œuvre -ne soit pas d'un seul poète, qui a pu -l'écrire à l'aide de très antiques documents -attribués au premier Ondicola et de récits -recueillis çà et là chez les koblaris. Que des -professionnels débrouillent l'écheveau de la -vérité! Quant à nous, il ne nous importe -que de le tenir bien en main en admirant -ses variations infinies. Peu nous chaut que, -dans une chevelure toute ruisselante d'or, -quelques cheveux aient été emmêlés par -une folle brise.</p> - -<p>Je marquai toute ma reconnaissance à -Jacob Meyer de ce qu'il m'avait admis à la -confidence de cette sorte de romancero dont -je consignais par écrit le moindre fragment -dès que je me retrouvais seul avec moi-même, -et le félicitai de l'élégance de sa -traduction.</p> - -<p>Je n'attendais plus que la venue du -Juif aixois, et je me trouvai là précisément -lorsqu'il arriva chez son oncle qui le bénit -en l'appelant Eliézer.</p> - -<p>C'était un homme de trente ans dont on -ne pouvait dire qu'il manquât de race, quoique -son profil fût d'un dromadaire dont -le front serait couronné, et la joue encadrée -d'un astrakan blond. Ses yeux avaient la -couleur de liards devenus verts à toutes les -intempéries. Il portait un vêtement de confection, -qui n'eût présenté rien d'étrange -sans une musette de soldat, passée en bandoulière, -et dont il me dit qu'elle contenait -le fameux manuscrit et ses instruments de -minéralogiste.</p> - -<p>Il m'avisa que, le lendemain, il désirait -se rendre à Ascain pour assister à une importante -partie de pelote.</p> - -<p>Voulant dès l'abord me montrer aimable, -je lui offris, ainsi qu'à son oncle, de me -joindre à eux, mettant à leur disposition -une voiture qui nous emmènerait de Bayonne, -conduite par mon loueur habituel. -Jacob Meyer se récusa, mais engagea son -neveu à accepter, qui d'ailleurs ne se fit -point prier.</p> - -<p>Je le pris donc avec moi, et tandis que -nous roulions vers le but en traversant les -délicieux trumeaux émaillés que sont les -villages du Labourd, notre conversation ne -tarit pas sur la légende basque. Eliézer -Meyer connaissait à fond la langue de ce -pays où il était né quand son père était -officier d'administration à la forteresse de -Bayonne.</p> - -<p>— Oui, disait-il, elle est vraiment belle, -n'est-ce pas, cette légende d'Ondicola que -nous gardons aussi précieusement qu'Aladin -sa lampe merveilleuse? Et vous dirai-je -que, depuis que je l'approfondis -davantage, ma grande occupation est d'en -faire la synthèse, et mon grand attrait d'y -réussir, c'est-à-dire de voir revivre dans ce -peuple tous les germes en puissance dans -les héros de cette charte?</p> - -<p>Et comme, assis tous deux sur un mur, -les jambes pendantes, tout près du fronton -d'Ascain, nous venions de suivre du regard, -saisis d'un frisson sacré, la pelote gravissant, -tel qu'un astre d'ombre, dans l'azur -immaculé :</p> - -<p>— Regardez, mais regardez donc cette -assistance, me dit Eliézer. Admirez ces femmes -de la race d'Ithargia, cette suprême et -fine grâce mouvementée comme la vague -qui l'apporta ; ces mantilles pareilles à de -légères voiles déployées sur la nuit des cheveux -et des yeux ; ce corail et ces perles des -bouches ; tout ne décèle-t-il pas l'origine -orientale, l'aristocratie d'une race éclose au -pays des gazelles?</p> - -<p>— Quant aux Orientaux, reprenait Eliézer, -la partie terminée, et tandis que nous -nous rafraîchissions dans la naïve auberge, -les voici, mais reconstitués par Ondicola, -rapprochés de notre paradis terrestre. Ils -n'ont guère conservé de défauts que cette -indolence qui les porte à laisser leurs femmes -se substituer à eux dans les travaux et -les comptes de la cordonnerie, le premier -de leur art. Et puis, n'aiment-ils point, à -l'exemple de leur ancêtre Hafiz, de goûter -sous les tonnelles un vin de la couleur des -roses? Et, puisque nous parlons de Hafiz, -voyez Hafiz ressusciter en eux!</p> - -<p>Deux hommes s'étaient levés gravement -et se faisaient face d'une extrémité de la -salle à l'autre, tandis que la multitude, se -massant pour les entendre, s'imposait silence.</p> - -<p>Leur chant mélancolique monta.</p> - -<p>Ils se répondaient tour à tour, et la lumière -baignait dans l'ombre leurs masques -inspirés.</p> - -<p>Leurs voix vibrèrent longtemps dans le -crépuscule.</p> - -<p>Pour prolonger l'extase d'une si belle -journée, nous décidâmes de ne regagner -Bayonne que le lendemain ; et d'ailleurs, la -nuit, le col de Saint-Ignace est dangereux.</p> - -<p>Nous flânions avant souper :</p> - -<p>— Voilà, me dit Eliézer, de la digitale -encore en fleur. C'est une digitale, vous en -souvenez-vous, qu'Ithargia plaça entre les -doigts de sa fille expirante.</p> - -<p>— Comment, répondis-je, ne me rapellerais-je -pas le moindre détail de cet admirable -poème?</p> - -<p>— La digitale, reprit-il, habite le silex -qui lui donne peut-être cette divine flamme -rose qu'ont aussi les étincelles qui jaillissent -de lui.</p> - -<p>Je regardai Eliézer. Avait-il du génie? -Il ne paraissait point s'en douter.</p> - -<p>Nous revînmes à l'hôtellerie du Jeu de -l'Oie, où l'on nous servit de la truite et du -confit.</p> - -<p>Nous errâmes ensuite dans le clair de -lune. Eliézer semblait devenu muet, mais il -était impossible de ne pas s'apercevoir qu'il -avait la connaissance détaillée des lieux où -nous nous trouvions.</p> - -<p>Peut-être la recherche des métaux et des -sources l'avait-elle conduit déjà là? Il se -baissait, de temps à autre, prenait pour -l'examiner à la lueur de la lune quelque -fragment de roche éruptive où, parmi les -noires constellations du mica, fulgurait un -éclair de cuivre.</p> - -<p>Minuit sonna au clocher d'Ascain.</p> - -<p>Eliézer entra au cimetière. Je le suivis.</p> - -<p>Quelle calme poésie dans ce jardin des -morts! L'Israélite qui s'était découvert me -fit un signe du doigt, me montrant, sur une -vaste pierre tombale que pâlissait le soleil -de la nuit, ces huit lettres gravées : <i>ONDICOLA</i>, -sans date, ni autre indication.</p> - -<p>— Ce nom, me dit-il enfin, est d'une famille -célèbre par ses pilotaris. Je ne sache -rien de plus, sinon, comme vous l'avez appris -vous-même, qu'il est le plus vieux du -pays basque, celui du fondateur que la légende -nous révèle ; et je ne serais point surpris -que l'un des six fils d'Iguskia et d'Ithargia -l'eût porté, et que la longue lignée l'ait -conservé par respect des ancêtres. Les Ondicola -sont maintenant de pauvres hères, -mais qui sait?</p> - -<p>Nous reculâmes, car nous voyions la -vieille pierre se soulever d'elle-même et -Ondicola sortir du sépulcre.</p> - -<p>Il regagnait le ciel, vêtu splendidement -comme une constellation.</p> - -<p>Il était suivi de tout son peuple. En -tête s'avançaient, d'une incomparable -beauté, tels que dans leur pure adolescence, -Iguskia et Ithargia ; puis leurs -fils, et les femmes de ceux-ci, et leurs descendants -dont l'un se faisait remarquer par -son audace : il montait seul un esquif sous -qui roulaient les nuages et, soudain, il lançait -le harpon. Des flottilles escortaient -ce marin qui semblait être l'amiral de ces -Basques, épris de contrées lointaines et qui -ne cessent d'affronter l'inconnu.</p> - -<p>Certains sombraient avec leurs barques, -mais d'autres abordaient en des archipels -de lumière.</p> - -<p>Puis venaient les agriculteurs qui labouraient -l'espace, d'une simplicité d'attitude -et de mise qui regagnait celle des pasteurs -dont on voyait neiger les brebis dans l'aube -naissante.</p> - -<p>Un groupe de guerriers menaçait de -makhilas des fils de Mahomet.</p> - -<p>A la suite de saint Léon, processionnaient -les innombrables enfants du pays -qui ont épousé le Christ. Ils portaient des -vêtements noirs ou blancs dont quelques-uns -étaient tachés de sang. Ils étaient -les martyrs de Chine et d'ailleurs, qui -avaient quitté la maison bien-aimée aux -longues ailes pendantes. L'un d'eux portait -le Sacrement autour duquel, comme à -Hélette encore, les hommes dansaient, graves -de joie. Des pilotaris l'ombrageaient -avec leurs gants de cuir ou d'osier.</p> - -<p>Puis venait le troupeau des fidèles, l'humble -peuple au cœur d'or des petits négociants -qui taille le cuir, débite la viande, -fait griller le café devant les portes.</p> - -<p>L'angélus m'éveilla. Je m'étais laissé gagner -par le sommeil dans le champ des -morts, la tête contre une touffe de romarin. -Eliézer dormait à quelque distance. La tombe -d'Ondicola était toujours là, mais close.</p> - -<p>La sonnerie des cloches reprit en s'accentuant. -La douce vallée était bercée par elle. -C'était au matin de la Fête-Dieu.</p> - -<p>Une louange sans nom monta de la matinée.</p> - -<p>De vivants chemins, à onze heures, se -mirent en marche : on ne savait plus si -c'étaient les cerisiers qui s'avançaient, où -la foule. On entendait l'orage des tambours -et, par moment, entre leurs batteries et -celles des clairons, l'hymne montait et s'affaissait -comme la mer. Puis le grondement -reprenait dans le rire des cloches en extase, -et le regard bleu du ciel se reposait avec -amour sur les blés.</p> - -<p>Que ce paysage était simple! Simple -comme cette race unique fondue à la sérénité -des collines, à la clémence du climat, -à la frugalité des terres! Elle suivait -ce morceau de Pain qu'est son Seigneur et -son Dieu. Elle le suivait sans hésitation, le -cœur au large et tout baigné d'une rosée -angélique. Ils allaient, leurs grains de bois -sec dans une de leurs mains calleuses et, -dans l'autre, le béret dont ils montraient la -belle doublure neuve, vêtus du court chamar -ou de la veste commune, le pantalon -arrêté au-dessus de la cheville pour que la -poussière ou la boue n'atteignît que les gros -souliers.</p> - -<p>Es-tu content de ton peuple ; est-ce ainsi -que tu l'as voulu, Ondicola?</p> - -<p>Lorsque, dans la soirée, Eliézer et moi -nous nous en retournâmes, les sentiers -étaient jonchés d'herbages et de fleurs et -tout parfumés de menthe.</p> - -<p>Nous relayâmes à Hasparren où nous -couchâmes. Ville délicieuse, charme premier -du pays basque où les magasins bas, -avec leurs porches romans, leurs naïves -enseigne, la pauvreté de leurs denrées -exposées aux devantures, suffiraient à nous -guérir de la croyance qu'il est nécessaire, -pour vivre, de se trouver aux portes du -Louvre ou de l'Institut Pasteur!</p> - -<p>Le lendemain matin, Eliézer ayant la -migraine demeura au lit. Je me dirigeai -seul, à pied, vers cet Ayherre où la légende -situait le foyer d'Iguskia et d'Ithargia.</p> - -<p>J'aperçus le château démantelé de Belzuncia. -L'air était blond et argenté comme -une perle, où les blés prenaient déjà la -teinte sombre de la terre.</p> - -<p>Au flanc de la colline était un champ -modeste où vinrent deux faucheurs, un -jeune homme et une jeune femme. Je songeai -à Iguskia et à Ithargia qui s'étaient -épousés dans les flammes de la moisson.</p> - -<p>Je me rapprochai de ce couple qui était -d'une indicible beauté, transmise à travers -les âges sur l'aile de l'Amour selon le vœu -d'Ondicola. Leurs regards étaient tels -qu'ils donnaient à penser que la lumière -peut être noire.</p> - -<p>Je leur dis que j'étais venu de Hasparren, -visiter les ruines proches de leur ferme, -ce dont ils ne s'étonnèrent point car elles -éveillaient parfois la curiosité des promeneurs. -Ils ne souffrirent point que j'allasse -prendre mon repas à l'auberge et, avec -cette simplicité habituelle à leur race, ils -m'invitèrent chez eux.</p> - -<p>La femme nous servit, après quoi leurs -quatre petits garçons, qui se suivaient de -tout près par l'âge, vinrent manger debout -la soupe qu'on leur présenta dans une -écuelle. Ils burent de l'eau dans un bol ébréché, -puis s'en allèrent satisfaits. Sur deux -chaises, l'un en face de l'autre, un aïeul -et une aïeule somnolaient.</p> - -<p>Je sortis pour aller contempler l'ancien -château, mais plutôt pour évoquer le premier -foyer eskuarien qui l'avait précédé -de bien des siècles.</p> - -<p>Les remparts tombent, mais la terre ne -meurt pas. Aussi magnifique était peut-être -cette campagne qu'aux jours premiers -d'Iguskia et d'Ithargia.</p> - -<p>Avant de regagner Hasparren, j'allai remercier -mes hôtes. Ils étaient assis sous -un noyer qu'on eût dit tout chargé de nuit -fraîche. Ils se tenaient par la main avant -que d'aller reprendre leurs faucilles. Une -caille au loin appela.</p> - -<p>Je ne fis part ni de mon rêve ni de mon -excursion aux ruines d'Ayherre à Eliézer.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch6">LE SIÈGE DE PAMPELUNE</h2> - - -<p>Peu de jours après notre course a Ascain, -je me retrouvai avec Eliézer chez son -oncle dans ce vieux Bayonne si pittoresque -où jadis aborda, au retour des Indes -occidentales, l'une des caravelles de Christophe -Colomb.</p> - -<p>Pays de Robinsons, d'explorateurs, de -pêcheurs, de corsaires, que n'as-tu ajouté -cette devise à ton blason, lue sur un vieux -pot anglais : « <i>Les aventures sont pour les -aventureux.</i> »</p> - -<p>J'attendais avec une certaine impatience -la suite, à laquelle j'avais été convié, de la -légende basque.</p> - -<p>Le début du deuxième chant me surprit.</p> - -<p>C'était une sorte de préambule, davantage -un exposé qui semblait, plutôt que d'un -poète, l'œuvre, eût-on parié, du copiste.</p> - -<p>Quel copiste? Que, dans une langue non -écrite, ou dont le graphique a disparu, il y -ait quelques exceptions, soit! Il n'en est -pas moins vrai que ce Juif aux yeux verts, -affublé d'un prénom si extravagant, me -donna un léger choc lorsque je l'entendis, -comme on va le voir tout à l'heure, employer -le mot <i>curé</i> dans sa traduction.</p> - -<p>A la vérité, ce mot ne semble avoir que -faire avec, je ne dis pas la religion, mais -l'esprit d'une époque aussi reculée. Ce pouvait -être une faute de goût de la part du -neveu de Jacob Meyer, tout au moins une -bizarrerie. Mais je dois prévenir les lecteurs, -afin qu'ils ne me tiennent point pour -un naïf, qu'à partir de cet instant, je fus -assailli par le doute. Eliézer ne m'étonna -pas moins que, dans la même séance, après -avoir ouvert une parenthèse explicative -que je n'ai pas consignée, mais qui avait -trait au procédé d'Ondicola pour sélectionner -la race eskuarienne, il prononça : -« Et, d'ailleurs, la diplomatie est la science -de l'amour. »</p> - -<p>Allais-je me lever, faire éclater mon -mépris, ou m'esquiver sans bonjour ni -bonsoir? J'eus la sagesse de n'en rien -faire.</p> - -<p>Je remis à plus tard la clef d'or du mystère. -Qu'importait son auteur véritable si -l'œuvre continuait de me ravir, et ne faut-il -pas, après tout, que toujours par quelqu'un -le Robinson commence?</p> - -<p>— En Labourd, en Soule, en Basse-Navarre, -traduisit Eliézer qui semblait suivre -le mot à mot du texte rapporté d'Aix, on vit, -huit cents ans après la destruction de l'<i>Eskualdunak</i>, -s'élever çà et là de jolies églises -à triple clocher, adossées à leurs presbytères -dont les jardins produisaient des -légumes, des fruits, des lys blancs et des -pois de senteur.</p> - -<p>Ces paroisses naissantes vécurent longtemps -en paix, mais les curés (<i>sic</i>) représentèrent -à leurs brebis, capables de se -transformer en lions, que le diable donnait -depuis longtemps le siège à leurs frères -basques d'Espagne.</p> - -<p>On sait que ceux-ci avaient appris des -Maures l'industrie du cuir et l'agriculture -raisonnée, qu'ils avaient transmises à leurs -parents restés en France quand ils les y -allaient visiter. Mais ils ne furent pas longs -à s'apercevoir que la race maudite de Mahomet, -pleine de dissimulation, ne leur -voulait que du mal. Et ce qui mit le comble -à leur indignation, ce fut le martyre -que de tels barbares infligèrent à la chrétienne -Eurosie qui s'était refusée à épouser -l'émir. Les Basques de France se portèrent -au secours de leurs frères outragés -et, les secondant, s'emparèrent de Pampelune.</p> - -<p>Le texte de la légende, observa ici Eliézer, -emploie le style lyrique dans le passage -qui suit et qui a trait précisément à la prise -de cette ville. Il y a même, dans la seconde -partie, un essai que je crois devoir traduire -en en respectant la prosodie.</p> - -<p>Quand les descendants d'Iguskia et -d'Ithargia arrivèrent sous Pampelune, le -crépuscule était comme un grand oranger -parfumé.</p> - -<p>L'émir reposait dans son pavillon avec -ses femmes couronnées de fleurs de grenadier. -Le bourdonnement des guitares énervait -leurs amours.</p> - -<p>Ah! l'on te retrouve bien là, mollesse -orientale dont Ondicola vint à bout lorsqu'il -fit exploser son <i>Eskualdunak</i> d'or, -après avoir lâché sur une terre incomparable -un couple vierge!</p> - -<p>Les fils d'Iguskia et d'Ithargia sont sous -tes murs, ô Pampelune! Ils viennent enfin -brûler les dieux qu'ils eussent adorés sans -un maître audacieux qui anéantit son équipage -avec lui.</p> - -<p>Voici les principaux comtes basques : -Arnaud de Macaye ; Sanche d'Espelette ; -Ramoun de Tardets ; Bernard d'Iholdy ; -Auger de Mauléon ; Ondicola d'Ascain.</p> - -<p>Qu'ils ressemblent peu à ces païens, -obèses la plupart, vautrés dans l'orgie, -empêtrés dans leurs tuniques, gavés de -confitures de roses!</p> - -<p>Arnaud de Macaye descend de Zoardia, -l'aîné de ceux qui avaient épousé les -belles enfants dont l'une avait séduit le -Zéphire à bord de l'Amodioa. Après avoir -navigué au long des côtes, il est revenu dans -son village au milieu de sa tribu. Et, avec -ses mules, passant et repassant la frontière, -il fait commerce d'huile et de vin.</p> - -<p>— Où est, s'écrie-t-il, en avançant vers -le rempart, l'émir, que je le crève comme -une outre?</p> - -<p>Arnaud de Macaye ne porte casque ni -cuirasse, ni autre vêtement de guerre, mais -le petit béret basque, le chamar, et un pantalon -aussi léger qu'une feuille. Ses longs -cils ombragent son regard :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Il tient serré son makhila flexible</div> -<div class="verse">Dont on voit bien qu'un seul coup abattrait</div> -<div class="verse">Le Sarrazin avec son minaret.</div> -<div class="verse">Il porte un cor de chasse à la ceinture</div> -<div class="verse">Ses compagnons sont armés comme lui</div> -<div class="verse">Du makhila qui ne sait faire grâce.</div> - -<div class="verse stanza">Sanche est celui qui descend d'Aritza.</div> -<div class="verse">Son fief domine un sommet d'Espelette</div> -<div class="verse">Qu'on a nommé le mont du Mondarin.</div> -<div class="verse">Navigateur intrépide il s'en fut,</div> -<div class="verse">Accompagné de ceux de la Bretagne,</div> -<div class="verse">Depuis le cap extrême de l'Espagne</div> -<div class="verse">Jusqu'au pays que l'on ne connaît plus.</div> -<div class="verse">Quand il revint, Gachucha fut sa femme.</div> -<div class="verse">Et depuis lors il tisse des lainages,</div> -<div class="verse">Qu'un de ses fils va vendre en Oloron.</div> - -<div class="verse stanza">Quant à Ramoun, qui descend de Suâ,</div> -<div class="verse">Dedans Tardets, la céleste vallée</div> -<div class="verse">Qu'il n'a jamais jusqu'à ce jour quittée,</div> -<div class="verse">On ne peut pas dénombrer ses brebis.</div> -<div class="verse">Il vend sa laine à Sanche d'Espelette.</div> -<div class="verse">Il est danseur et, toujours sous ses pieds,</div> -<div class="verse">On voit le vide et le soleil briller.</div> - -<div class="verse stanza">Après s'en vient Bernard, chef d'Iholdy,</div> -<div class="verse">Qui fit, dit-on, premier le tour du monde,</div> -<div class="verse">Puis s'enrichit à bien tanner le cuir.</div> -<div class="verse">Et, plus que tous, il en veut à l'émir,</div> -<div class="verse">Parce qu'il est beau-frère d'Eurosie.</div> - -<div class="verse stanza">Auger qui sort de Mauléon la terre</div> -<div class="verse">Contre la gent est si fort en colère</div> -<div class="verse">Que l'on croirait qu'il porte le tonnerre.</div> -<div class="verse">Et cependant, par ordre de Clotaire,</div> -<div class="verse">De père en fils sont en leurs lieux notaires.</div> - -<div class="verse stanza">Ondicola d'Ascain paraît ensuite</div> -<div class="verse">Toujours lequel fut un pilotari.</div> -<div class="verse">Au makhila s'adjoint sa plus rude arme,</div> -<div class="verse">Son chistéra qu'il porte sur le dos.</div> -<div class="verse">Qu'on le redoute, il est si fort qu'il peut</div> -<div class="verse">Lancer la balle aussi loin qu'il le veut.</div> -</div> - -<p>Dans leur fureur vengeresse, ils étaient -tellement sûrs de leur triomphe, ces comtes -et leurs vassaux, qu'ils avaient demandé -aux plus jolies filles basques de les accompagner.</p> - -<p>Le choix ne fut point facile, elles sont -légion. On en dut réduire le nombre et -faire pleurer de doux yeux. Les favorisées -partirent donc, le cœur léger.</p> - -<p>Que l'on n'aille pas croire que ce fut pour -bafouer la morale. Elles étaient honnêtes. -Mais Arnaud, mais Sanche, mais Ramoun, -mais Bernard, mais Auger, mais Ondicola -d'Ascain avaient jugé que le plus dur supplice -qu'ils puissent infliger à des mahométans -enchaînés était de faire défiler devant -eux ces beautés merveilleuses. Ce -qu'ils firent. Et l'émir en mourut.</p> - -<p>Je ne savais, tandis qu'Eliézer suspendait -là cette partie de la légende basque, s'il me -fallait éclater de rire ou me fâcher, ou garder -mon calme. J'optai pour cette dernière -attitude. Jacob Meyer, opinant du bonnet, -applaudit cette fin du chant.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch7">CHANT D'AMOUR -DE TIRUZTAYA ET DE LÔRÉA</h2> - - -<p>J'ai dit que le prétexte qui avait été donné -par son oncle, de la venue d'Eliézer, -était d'une eau salée dont on s'occupait fort -en ce moment pour la conduire à Biarritz.</p> - -<p>Des hommes autorisés tels que MM. Raymond -Baron, Hézard et Bergeroo, étaient -parmi les membres de la Société qui s'était -fondée.</p> - -<p>Il me serait bien impossible d'informer -sur le rôle que joua dans cette affaire le -neveu de Jacob Meyer durant les quelques -semaines qu'elle le retint ici. Il semblait -s'intéresser alors à la minéralogie du système -cantabrique, mais je ne pus me défendre -d'une certaine méfiance touchant ses -capacités, quand il me fit part, à propos -d'un soulèvement d'ophite d'une théorie -qui ne tenait pas debout. Je n'en jugeai -pourtant que par les vagues leçons d'histoire -naturelle apprises par moi au lycée -de Bordeaux, d'un professeur, il est vrai -fort distingué, M. Kuntsler.</p> - -<p>Eliézer me montra un perforateur à -pointe de diamant, dont il me dit qu'il lui -servirait à atteindre une nappe de pétrole -située à Saint-Boës, près d'Orthez.</p> - -<p>Il ne me parla plus, momentanément, de -la suite de la légende basque.</p> - -<p>Etait-ce que, cette suite, il prenait le -temps de la composer ou qu'il voulût me la -laisser désirer? Mystère. Je n'y fis aucune -allusion, encore qu'un mot de Jacob Meyer -m'eût fait entendre naguère que l'un des -plus sublimes passages des Robinsons serait -un duo d'amour, chanté par des descendants -de Zoardia, au printemps, à l'entrée -de ces grottes d'Isturitz, dont je possédais -la clef.</p> - -<p>Cette clef, combien je sentais l'oncle et -le neveu vivement possédés du désir de -l'introduire dans la serrure interdite!</p> - -<p>Je continuais de fréquenter chez le vieux, -le trouvant mainte fois occupé à quelque -délicat travail, comme d'examiner les arborisations -d'une émeraude ou, ce qui ne -l'est pas moins, d'en discuter le prix avec -quelque femme du monde.</p> - -<p>Il ne se gênait point ; il semblait même -que ma présence le stimulât pour exiger -d'âpres conditions de belles clientes qui -connaissaient les détours d'ombre de -l'étroit et discret escalier de la rue Pontrique.</p> - -<p>Parfois nous reprenions le cours de nos -conversations littéraires, ou nous allions -pêcher les petits muges de la Nive. J'aime -ce passe-temps populaire, et de me retrouver -dans la compagnie de ces maniaques -s'efforçant de fixer autour d'un hameçon -l'appât, si vite désagrégé, d'œufs de merluche.</p> - -<p>— Il est une science, me dit Eliézer, un -après-midi que je le rencontrai chez son -oncle, à laquelle je m'adonne passionnément : -l'anthropologie préhistorique. Les -grottes d'Isturitz…</p> - -<p>Encore! me dis-je. L'oncle et le neveu -ont dû se passer le mot! Faut-il donc qu'ils -soient têtus et indélicats pour me reparler -de ces grottes, vouloir me faire manquer à -mon engagement, alors qu'ils savent que -c'est moi précisément et le cerbère qui devons -nous opposer à toute infraction.</p> - -<p>— Les grottes d'Isturitz, insista Eliézer, -offrent aux spécialistes de l'âge de pierre -un intérêt qui se double pour moi de tout -ce que m'a fait connaître des origines du -peuple basque la légende ondicolienne. Isturitz, -quel nom! Est-ce que des descendants -de Zoardia et d'Aritza, s'il faut en -croire un magnifique passage que je vous -traduirai prochainement, ne le rendent pas -plus harmonieux encore par les accents -d'un amour ineffable qui, après plusieurs -siècles, commémore les élévations d'âme de -leurs ancêtres? Ce n'est que chants d'oiseaux -buvant aux calices de fleurs printanières.</p> - -<p>Il fallait bien que je m'avouasse que, -trompeurs ou non, Eliézer et son oncle se -servaient d'un joli langage, et que la perspective -d'entendre ce pur duo auquel ce -dernier avait déjà fait allusion excitait ma -passion poétique.</p> - -<p>Mais je ne pouvais me déprendre d'un -certain malaise. Et, de penser qu'on avait -influencé mes nerfs, jusqu'à m'avoir fait -rêver si étrangement à la légende basque -dans le cimetière d'Ascain, augmentait mon -trouble. Ces Hébreux agissaient sur moi -comme s'ils m'eussent dosé les drogues -dont usaient les passagers de l'<i>Eskualdunak</i>. -Il me faudrait réagir à temps.</p> - -<p>— J'ai d'ailleurs, poursuivit Eliézer, promis -à Salomon Reinach de me mettre en -quête d'un ours en pierre tendre, catalogué -par Pierre Loti, et que les primaires de ces -grottes ont sculpté plusieurs siècles avant -que s'y réfugiassent Iguskia et Ithargia. -Les savants actuels suivent un plantigrade -pétrifié avec autant d'ardeur que les sauvages -qui l'ont exécuté le poursuivaient, vivant, -de leurs flèches de silex et d'os. -Vraiment, ne pourrait-on explorer des lieux -si attirants dont, bien entendu, aucun objet -ne serait distrait, mais infiniment respecté? -Quant à l'ours, cher monsieur, si on le -retrouve, il n'est que d'en référer à son propriétaire. -Nous n'en serons que les montreurs. -Qui dit Salomon Reinach dit prince -munificent.</p> - -<p>Comme il me voyait inquiet, gêné, hésitant, -Eliézer continua :</p> - -<p>— Ecoutez-moi bien. Je ne vous demande, -pour une première entrevue avec -les grottes d'Isturitz, et jusqu'à ce que vous -nous ayez obtenu de M. Passerose la permission -d'y pénétrer, que d'aller vous y -lire, à l'entrée, le duo d'amour de la légende, -et, seulement dans le cas où vous -le jugeriez digue de votre reconnaissance, -vous vous emploieriez à nous obtenir la -permission que nous désirons tant.</p> - -<p>— Eh bien! soit, prononçai-je.</p> - -<hr /> - - -<p>Mais j'éprouvai quelque honte de cette -lâcheté où venait de m'induire moins sans -doute l'amour de la poésie que ma vive -curiosité pour le roman en action que me -tramaient ces Juifs, sous prétexte de Robinsons -basques.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<p class="top4em">Une journée sans nuages enveloppant de -sa netteté la trouble et bleuâtre colline d'Isturitz -nous réunit tous trois à l'entrée de -ses grottes. Nous avions laissé, à quelque -distance, dans une auberge, voiture et cocher.</p> - -<p>Nous retirâmes de nos paniers une langouste, -une galantine et un pâté de foie -qui me donnèrent à réfléchir sur les animaux -que proscrit la loi mosaïque. Quant -aux vins, ils lançaient, entre les doigts de -Jacob Meyer, des éclairs de rubis et de topaze. -Horace et ses convives ne se fussent -pas mieux traités dans la villa de Castétis.</p> - -<p>Lorsque la douce langueur, qui suit sur -l'herbe ombreuse le repas de midi, m'eut -quelque peu enveloppé, Eliézer retira de -sa musette le précieux texte, ou sa traduction, -ou son adaptation, comme il vous -plaira.</p> - -<p>Et il lut :</p> - -<p>— Voici le duo nuptial que chantèrent, -pour la première fois, dans la région d'Isturitz -où leurs antiques parents, Iguskia et -Ithargia, les ont précédés dans la jeunesse -et dans l'amour, Tiruztaya, homme du -foyer de Zoardia, et Lôréa, fille de la tribu -d'Aritza.</p> - -<p class="c small">TIRUZTAYA</p> - -<p>J'ai trouvé, sur le sommet d'Abbaratia, -une rose sauvage dont le charme est incomparable, -non pas qu'elle soit moins ou plus -rose qu'une autre, ni davantage odorante, -mais, à mesure que je gravissais vers elle -et que mes yeux en buvaient la rosée, ah! -je comprenais qu'elle n'avait été touchée -même par une abeille : par le ciel seulement.</p> - -<p class="c small">LÔRÉA</p> - -<p>Sur la cime de la montagne cette rose -s'est plu à incliner sa tige, formant un arc -aussi doux que ton nom, ô Tiruztaya!</p> - -<p>Mais, brusquement, s'est détendue la tige, -et moi qui en étais la fleur, je me suis décochée -avec force pour venir me poser sur -ton cœur.</p> - -<p class="c small">TIRUZTAYA</p> - -<p>Que nos petits cousins appellent les fauvettes -avec les fifres dont ils enchantent -le long après-midi. Elles ne répondront -plus à leur invitation, ô Lôréa, si elles t'ont -entendue, mortes de jalousie.</p> - -<p class="c small">LÔRÉA</p> - -<p>Lorsqu'on célébra, il y a un an, la fête -ondicolienne, c'est alors que, pour la première -fois, je te distinguai parmi les pilotaris.</p> - -<p>Et quand, avec un geste que je ne peux -pas dire, tant il fut mesuré dans l'espace, -tu brandis le gracieux berceau d'osier du -chistéra, mon cœur, que tu avais mis -dedans, ne fit qu'un bond.</p> - -<p>Et je vis, ô joie! mon cœur monter et redescendre -vers un rival que tu provoquais.</p> - -<p>Mais toi, comme donnant un ordre à ce -cœur, tu t'en jouais, le rappelant sans -cesse, le relançant, le reprenant encore, le -renvoyant jusqu'à ce que te restât la victoire -au milieu des applaudissements.</p> - -<p class="c small">TIRUZTAYA</p> - -<p>Je bercerai ton cœur dans ce hamac -d'osier où roule la pelote afin qu'un jour, -auprès de notre couche nuptiale, j'y berce -aussi nos petits.</p> - -<p class="c small">LÔRÉA</p> - -<p>Ne me fais point rougir, ô Tiruztaya!</p> - -<p class="c small">TIRUZTAYA</p> - -<p>Comment te ferais-je rougir puisque, -déjà, tu es rose? Mais si tu veux à moi-même -voiler ton teint d'églantine, laisse -mon front se rapprocher du tien jusqu'à -ce que je n'y voie plus.</p> - -<p class="c small">LÔRÉA</p> - -<p>Attends encore, Tiruztaya.</p> - -<p>C'est dans le front que les jeunes filles -cachent leur pensée la plus pure.</p> - -<p>Et lorsque tu les vois se tenir si droites, -elles veulent que la poussière soulevée par -leurs pieds ne puisse atteindre cette plaque -de marbre où, invisiblement, le nom -du bien-aimé est gravé.</p> - -<p class="c small">TIRUZTAYA</p> - -<p>Rien ne courbe donc votre fierté?</p> - -<p class="c small">LÔRÉA</p> - -<p>Il faudrait, pour que je consentisse à -abaisser ton nom chéri, que je porte à la -cime de mon être, que tu me tuasses d'un -coup de flèche en me trahissant.</p> - -<p>Alors, ô tristesse! je ne saurais que -m'abattre tout du long, ma tête à tes pieds.</p> - -<p class="c small">TIRUZTAYA</p> - -<p>Ma Lôréa, n'aie point d'aussi folles pensées -qui pourraient engendrer la tristesse.</p> - -<p>Tu sais l'honneur du pays basque, le -foyer où Iguskia et Ithargia cuisaient leur -pain d'asphodèle.</p> - -<p>Si, parfois, hélas! de tes compagnes -étourdies glissèrent sur la mousse de la -colline en poursuivant un lièvre matinal, -enveloppées aussitôt par les filets des pâtres, -jamais épouse qui jura par sa foi n'a -menti à la vallée paisible.</p> - -<p class="c small">LÔRÉA</p> - -<p>Il faut que la jeune fille devienne -épouse, et que celle-ci présente à ses enfants -un visage dont les yeux n'ont miré -que le regard de leur père.</p> - -<p>Et il faut qu'on l'ensevelisse dans sa tunique -nuptiale.</p> - -<p class="c small">TIRUZTAYA</p> - -<p>La tradition raconte que les belles-filles -d'Ithargia, ayant que d'épouser ses fils, -toutes élégantes encore des parures qu'elles -portaient sur l'<i>Amodioa</i>, déposèrent dans -ces grottes et scellèrent dans le roc leurs -légers vêtements d'Asie.</p> - -<p>Ils étaient de soie, et chacun n'avait d'autre -ornement qu'un long narcisse brodé.</p> - -<p class="c small">LÔRÉA</p> - -<p>Je n'ai point de robe de noces si belle. -Et tu ne m'en voudras pas de ne t'apporter -que moi-même au lieu d'un vêtement -brodé.</p> - -<hr /> - - -<p>Cette finale, certes, était ravissante, et -l'ensemble du morceau d'une haute tenue. -Mais le modernisme, si je peux dire, y paraissait -en transparence comme à travers -un sujet ancien la grâce, jadis neuve, d'un -Sandro Botticelli.</p> - -<p>Le narcisse brodé me semblait être un -impudent défi à ma crédulité.</p> - -<p>Si sot qu'on croie un poète (et je passais -alors par cette épreuve du mépris que -fait peser sur nous, le monde en général), -je ne l'étais point tellement que je donnasse -dans ce panneau, si recouvert de -fleurs fût-il! Ce qui me faisait trouver la -plaisanterie plus mauvaise encore c'était -qu'elle me fût servie non seulement par des -gens d'un goût très averti mais qui, s'ils -étaient les auteurs des Robinsons basques, -étaient doués d'un génie poétique au moins -égal au mien. Et, d'envisager cette dernière -hypothèse, n'allait point de ma part sans -aigreur.</p> - -<p>Je faillis leur crier : « Prenez-vous donc -Pégase pour une bourrique? » Mais j'en -fus retenu par la noblesse même de ce -chant nuptial, et, dis-je, par le désir de -connaître le but et l'issue d'une machination -aussi baroque.</p> - -<p>Nul doute que les deux gaillards ne voulussent -entrer en possession de la clef des -grottes d'Isturitz. Mais à quelles fins? Je -me méfiais que ce ne fût point pour en -inventorier les curiosités préhistoriques, -pensait-il que je l'autoriserais, me -sentant piqué au jeu, à s'en aller, en compagnie -de son oncle, rechercher dans la -noirceur de ces cryptes les mousselines où -neigeait le légendaire narcisse d'amoureuses?</p> - -<p>Je dois à la vérité de dire que, faisant -preuve, ce jour-là, d'autant de tact que -d'adresse, Jacob non plus qu'Eliézer ne me -sollicitèrent au sujet de la clef.</p> - -<p>Ils n'en parlèrent point davantage au -gardien lorsque nous allâmes, au retour, -serrer sa patte velue. Il vivait, non loin -d'une caverne, dans la compagnie de ses -quatorze jeunes enfants et de leur mère. -De celle-ci il nous dit qu'elle avait autant -de lait qu'une vache bretonne, et qu'il ne -serait point embarrassé, en l'absence de -nourrissons, d'en tirer cinq francs par -jour, s'il l'allait vendre à la ville ; Cette -rusticité dans le propos cadrait avec cette -féroce observance de la consigne qu'il ne -levait qu'en faveur de M. Passerose — le -propriétaire même des lieux — ou que pour -moi. De toutes autres gens, même que je -lui eusse recommandés, il eût exigé, encore -qu'il ne sût pas lire, une autorisation -écrite de M. Passerose.</p> - -<p>Cet indigène, nommé Salbaya, nous indiqua -d'un geste du menton, qu'il accompagna -d'un sourire lacustre, un fusil rangé -au-dessus de la cheminée, nous disant -l'avoir chargé de grenaille et de gravier. -Puis, il pointa un index terrible dans la -direction des grottes.</p> - -<p>Salbaya n'était, au fond, qu'un de ces -hommes nés pour se dévouer jusqu'au sang -à de nobles causes, mais qui ne trouvent -point emploi de leur courage. Moins éloignés -du monde, plus instruits, sans doute eussent-ils -joué des rôles de partisans ou de -soldats. Ne s'étant pu réaliser ainsi, en aucune -façon, Salbaya concevait une fierté -désordonnée d'avoir été investi — la rase -campagne aidant — de cette fonction de -gardien-chef d'un refuge d'ours antiques.</p> - -<p>En prenant congé de lui, nous remîmes -nos doigts dans sa griffe. Puis notre calèche -nous ramena lentement, par Saint-Martin, -Saint-Esteben et Bonloc, à la place de -Hasparren.</p> - -<p>Chemin faisant, nous fîmes halte au -pont de l'Arbéroue, et nous nous plûmes à -regarder trois jeunes gens qui, la culotte -relevée au-dessus du genou, fouillaient avec -un filet les dessous de la berge pour y puiser -des truites.</p> - -<p>Ils les enfermaient en des vanneries en -forme de carafe, tressées par des Bohémiens, -et qu'ils bouchaient avec des feuilles -d'aulne.</p> - -<p>Nous observâmes qu'ils rejetaient avec -mépris, en retirant les poissons du piège, -les écrevisses qui y grouillaient. Nous les -priâmes de vouloir bien nous réserver -celles-ci. Ils le firent de la meilleure grâce -du monde, et nous remportâmes ainsi, pour -quelques sous, un plein panier de ces excellents -crustacés, bien loin que je pusse -soupçonner le rôle qu'ils allaient jouer -avant peu dans la légende ondicolienne. -A ce moment je me fis cette seule réflexion -que les jeunes pêcheurs qui pratiquaient -un sport aussi simple ne devaient point différer -beaucoup des premiers Robinsons -basques.</p> - -<p>Nous fîmes cuire et mangeâmes nos petites -bêtes, le soir même, dans l'hôtel de la -gracieuse petite ville, l'hôtel Gascoïna. Puis -nous regagnâmes, non Bayonne qui était -assez éloigné, mais ma villa où j'avais fait -préparer des chambres pour mes compagnons -de voyage.</p> - -<p>S'ils furent imprudents d'accepter mon -hospitalité, la suite va le dire. Mais j'étais -loin de me douter, quelques heures avant -de les loger, que le mystère dont ils entouraient -leurs faits et gestes à mon égard allait -s'éclaircir.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch8">LA VÉRITÉ DANS LE RÊVE</h2> - - -<p>Je les croyais profondément endormis. Il -était une heure du matin. Je ne m'étais -pas encore déshabillé. J'avais ouvert un -volume d'Alfred de Musset, comme tant de -fois au cours de mes veilles, et je m'étais -laissé gagner par le triste charme du plus -fiévreux de ses poèmes, cette Nuit de décembre -que je ne peux lire sans frissonner. -J'en étais à ces vers :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Mais tout à coup j'ai vu dans la nuit sombre</div> -<div class="verse i2">Une forme glisser sans bruit.</div> -<div class="verse">Sur mon rideau j'ai vu passer une ombre,</div> -<div class="verse i2">Elle vient s'asseoir sur mon lit.</div> -<div class="verse">Qui donc es-tu, morne et pâle visage,</div> -<div class="verse i2">Sombre portrait vêtu de noir?</div> -<div class="verse">Que me veux-tu, triste oiseau de passage?…</div> -</div> - -<p class="noindent">… lorsque, la porte s'ouvrant, Eliézer parut, -silencieux comme un fantôme et qui prit -place sur ma couche dont le drap n'était -point plus blafard que sa face.</p> - -<p>Il portait comme à l'habitude un costume -de deuil.</p> - -<p>Je claquai des dents, puis lui demandai :</p> - -<p>— Vous êtes malade sans doute? Voulez-vous -lire la dernière chronique de Francisque -Sarcey dans le journal le <i>Temps</i>?</p> - -<p>J'eus conscience, tant cette vision me terrifiait, -je ne sais pourquoi vraiment, que ce -que je venais de dire n'avait aucun sens et -que je lui offrais le <i>Temps</i>, auquel je n'ai -jamais été abonné, comme j'eusse pu lui -proposer une chasse au tigre dans une forêt -du Bengale.</p> - -<p>— Ce n'est point tout ça, me répondit-il -d'une voix très nette et qui ne laissait point -supposer qu'il ne fût là en chair et en os : -parlons!</p> - -<p>— Allez! dis-je, sans que je perdisse un -seul grain de ma chair de poule.</p> - -<p>— Eh bien! voici : mon oncle et moi -nous sommes Juifs.</p> - -<p>Je m'inclinai avec la déférence polie que -l'on marque à un homme qui vous confie -qu'il est sourd.</p> - -<p>Et il poursuivit en donnant à son langage -autant de précision qu'à l'ordinaire :</p> - -<p>— Et vous vous êtes aperçu que nous -nous moquions de vous?</p> - -<p>Ma main se souleva comme un clapet, -du bras du fauteuil où j'étais assis et s'y -reposa.</p> - -<p>— Ne pensez pas, continua-t-il, que cependant -je ne puisse être sincère. Et la -preuve en est que je viens, au milieu des ténèbres, -vous faire ma confession, aussi pénible, -aussi humiliante qu'elle puisse être -à un <i>déshabitué</i>.</p> - -<p>Il prononça <i>déshabitué</i> d'une manière si -aiguë et si étrange, modulant chaque syllabe, -que l'on eût cru d'une hulotte.</p> - -<p>— Je vous le déclare sans ambages : nous -sommes des voleurs, mon oncle et moi, -celui-ci ayant découvert chez un bouquiniste -du vieux Bayonne, et s'étant approprié, -un document qu'il aurait dû remettre -aussitôt à la famille Passerose ; et moi, -en lui prêtant mon concours, afin de nous -emparer seuls d'un trésor dont ce parchemin -fait mention. Ce trésor est enfoui dans -les grottes d'Isturitz. De là notre acharnement -à nous faire remettre par vous la clef -du souterrain. De là…</p> - -<p>— … cette invention de la légende basque, -bien capable de séduire et d'envoûter une -nature comme la mienne. M'est-il à présent -permis, cher monsieur, de vous demander à -quelle source, si proche de nous qu'elle soit, -vous avez été puiser votre rhapsodie?</p> - -<p>— La source? déclara Eliézer de la manière -que Louis XIV affirmait : « L'Etat -c'est moi », la source et moi nous ne faisons -qu'un.</p> - -<p>— Mais cette étrange entrée en matière -de M. Jacob Meyer touchant l'<i>Eskualdunak</i> -et les premiers Robinsons basques?…</p> - -<p>— Mon oncle n'a été que le canal. Je fus -l'amorce. Il fallait vous gagner à tout prix -pour tâcher d'obtenir, grâce à vous, de l'inflexible -M. Passerose, l'autorisation d'entrer -librement dans le flanc de la colline. -Nous savions que vous rejetteriez avec dédain -toute offre de participer avec nous au -partage du contenu du coffre, car c'est bien -d'un coffre qu'il s'agit. Il se trouve à une -distance (conversion au système décimal -actuel) de soixante-cinq mètres trente-deux -centimètres de l'entrée, le long de la paroi -droite, et à un mètre vingt-six centimètres -de profondeur. Il a été déposé là, durant la -Terreur, par un Antoine Passerose, ascendant -du propriétaire actuel, et qui gagna -la Hollande pour se soustraire à la guillotine -qui allait se déclencher à Bayonne. -Il émigra après avoir confié à un sans-culotte -de façade, pour le remettre à qui de -droit, la paix revenue, le plan détaillé des -lieux. Le sans-culotte, devenu suspect, fut -décapité sans qu'Antoine Passerose, décédé -en Hollande, eût pu s'enquérir du trésor et -du document. Celui-ci avait été remis par -le condamné, au moment qu'il allait monter -dans la charrette, à un prêtre qui l'oublia -dans son bréviaire avant de mourir -d'indigestion. Le pieux livre passa aux -mains des bric-à-brac de la Synagogue et, -dès que mon oncle Jacob Meyer s'en fut -rendu acquéreur, il songea bien à informer -les héritiers légitimes en leur réclamant -ce qui lui revenait pour une telle découverte. -Mais sa rapacité l'emportant sur -sa conscience, il n'en fit rien, voulant être -seul possesseur du trésor qui monte, en pièces -d'or, en argent, en pierres et perles, à -plus de cent mille pistoles. Et il m'a fait -jurer sur les éclairs du Sinaï que je n'en -réclamerais pas une obole, qu'il ne m'eût -couché sur son testament et qu'il ne fût entré -dans le sein d'Abraham. Et même, il ne -me confiait son secret que par l'absolue nécessité -où il était d'exploiter mon génie -poétique afin de peser sur vous dont il -connaissait les goûts. Il les partage, il est -vrai, ceux du moins de la pêche et de la -poésie.</p> - -<p>— Vos Robinsons basques, dis-je alors -avec une amabilité d'autant plus sincère -que j'étais au fond touché d'une amende -aussi honorable, et que je sentais Eliézer -mortifié, sont des plus ravissants caprices -que l'on puisse rêver — que dis-je? que -vous m'avez fait rêver, apprenez-le maintenant, -dans le cimetière d'Ascain.</p> - -<p>Le pauvre homme se laissa glisser du -lit où il était demeuré assis. Il faisait -pitié, paraissait à bout de force après cet -aveu.</p> - -<p>Il rouvrit la porte, tituba dans le corridor, -rentra <i>à reculons</i> dans sa chambre où, -sans ajouter un mot, les yeux fixes, il se -déshabilla et se recoucha.</p> - -<hr /> - - -<p>Ce n'est qu'alors que je compris qu'Eliézer -était un hystérique somnambule, qui disait -la vérité en dormant, et qu'il venait -d'être victime d'une de ces crises que le -plus grand ancêtre de Freud affirme se produire -chez certains sujets, après l'absorption -d'écrevisses qui les forcent de marcher -comme elles.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch9">LES FIANÇAILLES -DE ROLAND ET D'AUDE</h2> - - -<p>Le lendemain matin, à l'heure du café -au lait, je compris qu'Eliézer, inconscient -du phénomène nocturne dont il avait -été victime, avait récupéré vis-à-vis de moi -toute sa discrète mais arrogante supériorité.</p> - -<p>Je jubilais en moi-même de me trouver -en possession du secret de l'oncle et -du neveu, sans que ni l'un ni l'autre s'en -doutât. Leur farce intéressée se retournait -contre eux. J'avais, pour moi, tout à coup, -ce que l'on pourrait nommer : les rieurs de -l'invisible.</p> - -<p>Par malice, et sachant bien ce qui me -restait à faire, j'exagérai l'intérêt que -j'avais pris au duo d'amour des Robinsons -basques, je réclamai de connaître la suite -de la légende, j'allai jusqu'à prétendre que -la lecture donnée devant les grottes d'Isturitz -ne m'avait point permis, la précédente -nuit, de fermer les paupières. Je surpris, -d'Eliézer à Jacob, des signes d'intelligence -qui signifiaient : « Nous le tenons! »</p> - -<p>Le premier de ces faquins, redoublant -d'audace, me donna lieu d'espérer qu'il -m'accorderait la faveur d'un nouveau -chant qui célébrait un repas, dans une forêt -des Aldudes, auquel auraient pris part -Charlemagne, et Roland. Duquel chant il résultait -que la fiancée de ce dernier, la belle -Aude, n'aurait été qu'une Robinsonne du -nom d'Alba, inhumée dans les grottes d'Isturitz.</p> - -<p>On me tenait décidément pour un parfait -idiot. Mais je me demandai dans quel -but Eliézer semblait m'inviter à faire -exécuter des fouilles dans le souterrain -alors que son oncle avait tout intérêt à les -pratiquer seul avec lui. Je compris assez -vite qu'il en agissait avec une prévoyance -fort habile : il ne voulait point que je -m'étonnasse, s'il me prenait fantaisie d'aller -quelque jour les observer dans leurs -travaux, de les voir remuer le sol en divers -endroits pour y rechercher, soi-disant, les -tuniques nuptiales ou la momie de la belle -Aude : en réalité pour mettre la main sur le -trésor, quand ils se sauraient bien solitaires.</p> - -<p>Donc je feignis de souhaiter avec ardeur -qu'Eliézer me lût le nouveau passage lyrique, -dont il remit la déclamation à quinzaine, -évidemment pour la raison bien -simple qu'il fallait qu'il le composât. Oncle, -et neveu parurent tellement ravis de me -voir dans cette disposition que, lorsqu'ils -remontèrent en voiture pour rejoindre Bayonne, -Jacob Meyer, en guise d'au revoir, -fit le geste de se servir d'une clef. Je lui -répondis par le plus prometteur des sourires.</p> - -<p>Mais sitôt qu'ils eurent décampé, je n'hésitai -point.</p> - -<p>Je sellai un petit cheval et, en moins de -temps qu'il ne faut pour l'écrire, je me retrouvai -devant les grottes d'Isturitz et, aussitôt, -chez Salbaya.</p> - -<p>— Mon ami, dis-je à celui-ci, vous êtes un -butor mais l'homme le plus honnête que je -sache. Vous possédez l'une des clefs du souterrain, -moi l'autre, et nous sommes autorisés -à y pénétrer. Je sais que vous feriez -un très mauvais parti à quiconque tenterait -de violer la consigne de M. Passerose. -Mais, en supposant même que vous veilliez -jour et nuit pour les en empêcher, apprenez -que de très habiles malandrins qui -guettent une occasion de retirer de la grotte -un coffre plein d'or et de bijoux et de se -l'approprier pourraient bien surprendre -votre zèle. Ce trésor fut déposé durant la -Révolution par un ancêtre de M. Passerose. -Je n'aurai de tranquillité qu'il ne soit en -sûreté chez vous en attendant que nous le -puissions remettre, avec explications, à un -ami qui en disposera selon les lois.</p> - -<p>Le cerbère poussa le plus grossier juron -du pays basque, fit mine de décrocher son -fusil et me dit :</p> - -<p>— Je suis sûr, monsieur, que ces voleurs -que vous redoutez ne sont autres que ces -deux députés qui sont venus ici avec vous.</p> - -<p>— Comment! députés? demandai-je.</p> - -<p>— Peut-être pas, reprit-il ; mais depuis -que j'en ai vu deux pendant que je faisais -mon service militaire, je me suis dit que -j'en reconnaîtrais toujours l'espèce.</p> - -<p>Il ne faut point sonder les arcanes, souvent -profondes, du sentiment populaire.</p> - -<p>— Eh bien! repris-je pour presser les -choses, êtes-vous prêt à me suivre?</p> - -<p>— Oui.</p> - -<p>— En ce cas veuillez garer mon cheval -et prendre des allumettes et des chandelles.</p> - -<p>Il mit à l'abri ma monture et, en outre de -ce dont je lui avais dit de se munir, il emporta -une grosse botte de paille sur son dos.</p> - -<p>— Allons! fit-il, mais la grotte est étendue.</p> - -<p>— N'ayez crainte : je connais l'emplacement -du trésor.</p> - -<p>Je me souvenais, au plus juste, des mesures -et indications à moi fournies par Eliézer -durant son état d'hypnose, et j'avais -emporté un décamètre que nous eûmes à -peine besoin d'utiliser.</p> - -<p>Nous partons, et nous voilà. Feu de -paille, d'abord. La gorge m'en cuit encore, -si âcre en était la fumée.</p> - -<p>Les reflets se propagent, si bien qu'il ne -nous faut que trois minutes pour apercevoir, -à quelque soixante mètres de l'ouverture -de la grotte, un rocher isolé des autres -et servant, je l'eusse parié, à recouvrir une -excavation. L'on eût dit d'un de ces monolithes, -si adroitement modelés par les érosions, -qu'une main d'enfant suffit à les faire -basculer. Or Salbaya n'avait pas des doigts -de rossignol, et, d'une poussée de ses paumes, -il envoie le roc rouler à dix pas. Nous -nous penchons sur les ténèbres béantes où -nous distinguons bientôt, à peu de profondeur, -le coffre défoncé, d'un bois pourri par -l'humidité d'un siècle, et qui laisse scintiller, -à la lueur de nos flambeaux de suif, -les métaux, les escarboucles, les diamants -et autres pierres des mille et une nuits.</p> - -<p>— Je vous attends ici, dis-je à mon -homme. Allez jusqu'à chez vous et m'en -rapportez une solide corbeille.</p> - -<p>Heureux de songer qu'il allait pouvoir -donner une marque nouvelle de son dévouement -et de sa probité, il part en courant -et revient avec un panier convenable.</p> - -<p>Je n'ai nulle difficulté à plonger les bras -dans cette masse précieuse, je fais jaillir -de ce filon, dans une ombre à la Rembrandt, -les regards longtemps retenus de ces -joyaux prisonniers. Nous emplissons le panier, -Salbaya va le vider chez lui, en lieu -sûr, revient, le charge à nouveau, repart, -et ainsi de suite jusqu'à sept fois. Il ne reste -plus dans la fosse que la carcasse vermoulue -de la caisse, que nous enlevons aussi, -car l'inspiration de ce à quoi je vais l'utiliser -m'est soufflée par le génie de la -grotte. Il n'a pas fallu trois heures pour -que le rocher soit remis en place, la trace -de notre passage effacée, la magnifique fortune -dans la maison du gardien qui, en -découvrant le vaste amphithéâtre de ses -mâchoires, prononça :</p> - -<p>— Ma joie eût été complète (et il me -montrait encore son arme à feu), si je les -avais descendus tous les deux.</p> - -<p>L'ombre de la colline d'Isturitz s'étendait -jusqu'à nous, je songeais à nos ancêtres de -l'âge de pierre qui ne furent peut-être pas -tous des Robinsons venus d'Asie sur une -galère enchantée, mais qui, à fréquenter -l'ours des cavernes, en avaient pris quelques -usages, à l'espingole près.</p> - -<p>Je fis part à M. Passerose, le lendemain, -en une longue lettre, de tant de fantastiques -péripéties.</p> - -<p>La découverte est de trop d'importance, -lui mandais-je, pour que vous ne hâtiez -point votre retour, calmant ainsi l'impatience -qu'ont de vous revoir vos amis. Les -ailes bleues et légères des montagnes de -Hasparren, de Macaye et d'Isturitz valent -bien les coiffes de vos sphinx stupides, dont -l'énigme cependant demeure plus difficile -à déchiffrer que ne le fut celle de votre -grotte. Les fruits de pierre précieuse, d'or -et d'argent de ce nouveau verger d'Aladin -vous attendent chez ce brave Salbaya.</p> - -<p>Je fis part encore à M. Passerose de circonstances -qui ne sont pas relatées ici, -parce qu'elles n'ont pas trait à cette histoire.</p> - -<p>Ma signature apposée, il ne me restait -plus qu'à me distraire en m'amusant -du prochain, ce qui est le meilleur passe-temps -et le plus varié du poète.</p> - -<p>Je partis deux jours après pour Toulouse, -où les brodeuses sont expertes, et je -commandai à l'une d'elles une longue et -fine tunique, tout au long de laquelle je fis -broder un gigantesque narcisse que voulut -bien dessiner pour moi Charles Lacoste lui-même. -J'avais écrit aux Meyer que je -m'absentais, sans plus, ajoutant toutefois -que je n'aspirais qu'à revenir bien vite, plus -désireux que jamais d'entendre, d'Eliézer, -le repas de Charlemagne au pays basque.</p> - -<p>Je crois, terminai-je, que vous finirez -l'un et l'autre par charmer la roche d'Isturitz, -émules d'Orphée aux enfers.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<p class="top4em">Lorsque je fus en possession de la tunique -nuptiale, qui eût donné à rêver à la -plus galante des épouses, je la rangeai -dans une armoire familiale qui fleurait la -lavande et me promis de l'utiliser à mes -desseins.</p> - -<p>Mais, avant que de jouer ma pièce, je -résolus de m'entraîner à mon rôle en allant -ouïr le passage annoncé de la légende ondicolienne.</p> - -<p>Je me promettais d'en jouir d'autant plus -que la fatigante question ne m'obsédait plus -qui me faisait me demander naguère à quel -motif obéissaient mes deux Juifs. Le dormeur -éveillé m'avait renseigné de telle façon -que je ne pouvais plus m'en irriter, puisque -je m'étais déjà vengé de lui et de son -oncle en leur damant le pion, et le coffre.</p> - -<p>Ils me retrouvèrent donc de fort telle -humeur. Je n'eus pas assez d'éloges sur le -déjeuner qu'ils me servirent. Après un café -digne du sultan du Maroc, Charlemagne et -Roland entrèrent en scène.</p> - -<p>Dois-je attribuer au bien-être que je ressentais -en ce moment, ou à plus de justice -de ma part, vis-à-vis d'un confrère, le plaisir -tout particulier que je pris à cette déclamation? -Jamais le déconcertant et funambulesque -génie d'Eliézer ne me séduisit -davantage, et ce fut avec un soin scrupuleux -que je transcrivis le texte du <i>Repas des -Aldudes</i> qu'après lecture me confia son -véritable auteur, comme il avait fait de -maints autres passages, la prise de Pampelune -par exemple.</p> - -<p>Par son contraste même, notre cadre ne -manquait pas de poésie, dans une lumière -qui, à travers les culs de bouteille des avares -croisées de la rue Pontrique, lui donnait -la teinte d'un aquarium ; cet établi d'orfèvrerie -où scintillaient les outils délicats -et les pierres et les montures, et ce fauteuil -monumental où trônait le vieux Jacob, -tel qu'un roi déchu d'Israël ; Eliézer, plus -grave encore que de coutume, tenant dans -sa main gauche la traduction qu'il disait -avoir faite, et élevant son autre main à -plat comme pour commander le silence.</p> - -<p>Il semblait avoir conscience de s'être surpassé.</p> - -<p>Il lut :</p> - -<div class="chapter"></div> - -<p class="top4em">Quand l'Empereur eut tourné sa barbe -vers l'Orient, il vint dessus elle un parfum -si délicieux qu'il demanda au duc -Naimes :</p> - -<p>— D'où vient-il?</p> - -<p>Et Naimes :</p> - -<p>— C'est quand la fiancée de votre neveu -Roland se lève que l'aurore a ce parfum -de fleur.</p> - -<p>Et l'un des barons à l'Empereur :</p> - -<p>— N'oubliez pas, sire, que c'est aujourd'hui -liesse dans le bois des Aldudes et -qu'avant de gagner l'Espagne pour combattre -les Sarrazins, Roland veut vous présenter -Alba afin que vous bénissiez leurs -fiançailles.</p> - -<p>— Seigneurs barons, dit Charlemagne, -tenez-vous prêts à honorer celle qu'un si -aimable comte a choisie dans ce pays.</p> - -<p>L'armée se mit sur deux rangs, afin de -former la haie, car, déjà, tenant par la -main Roland, Alba la Basquaise descendait -la montagne des Aldudes dont les sources -tumultueuses éparpillaient, au bas, leurs -neiges libérées.</p> - -<p>La traîne d'Alba était retenue par un -nain mauresque, noir comme le diable, et -que l'on affirmait être né du commerce -d'Apollon avec une Chananéenne.</p> - -<p>C'est Olivier qui s'est saisi, dans la forêt, -de ce singe grimaçant, l'a offert à son ami -Roland qui en a fait don à Alba.</p> - -<p>Au pied d'un puy, sous un chêne, se tient -Charles. Sa barbe ne cesse de ruisseler dans -le vent, telle une oriflamme. Il hoche le -chef. Et lui, qui a essuyé tant de chocs, -remporté mille victoires sanglantes, et qui -en verra bien d'autres puisque demain il -va marcher contre Marsile, lui, dont les -larmes semblaient à jamais taries, il pleure. -Ses larmes sont comme une rosée, car -l'amour de la jeunesse porte au cœur du -vieillard qui se souvient de la sienne.</p> - -<p>Alba, apercevant soudain l'Empereur -qui tient les marches, lui sourit. Et ce -sourire, tel qu'un rayon qui tombe d'entre -les nuages, éclaire toute la vallée qu'il -émaille.</p> - -<p>Qu'ils sont beaux, ces bois des Aldudes, -lorsqu'Alba illumine leurs cimes!</p> - -<p>Elle pose son pied sur un caillou tremblant, -au-dessus d'une source, et fait signe -qu'elle en veut goûter de l'eau.</p> - -<p>Toute l'armée se le redit.</p> - -<p>Roland emplit son cor d'ivoire et, comme -d'un lys qui se déverserait dans une rose, il -en appuie le bord incliné sur la lèvre de -son amie.</p> - -<p>Elle ne sait pas que, bientôt, c'est le -même olifant qui recevra la pourpre rosée, -échappée des veines rompues du comte.</p> - -<p>Et le sourire d'Alba se mêle à l'eau -qu'elle boit</p> - -<p>Charles dit à ses barons : — Maintenant, -je ne connais que la peine -que me causent les maudits Sarrazins, et -je ne me repose que sur ma selle dure ; -quand j'étais jeune, j'ai dormi dans un pareil -val, ayant pour oreiller la chevelure -de la souveraine.</p> - -<p>Mais que ces deux-ci m'émeuvent en me -rappelant à moi-même!</p> - -<p>Roland s'avance avec Alba dont il a repris -la main.</p> - -<p>A mesure qu'ils se rapprochent de l'Empereur, -elle pâlit.</p> - -<p>Elle songe à tout ce qu'on lui a rapporté -de Charles : sa piété, son courage inégalable -qui fait qu'à Aix les aigles invinciblement -attirés planent jour et nuit au-dessus -de son palais.</p> - -<p>Elle pose sa main libre sur son cœur -de tourterelle, baisse la tête, et, tant est lisse -et blonde sa chevelure, on dirait que c'est -la sœur du soleil qui s'incline.</p> - -<p>Elle et Roland se mettent à genoux. -L'Empereur leur dit :</p> - -<p>— Je suis l'arbre à la rude écorce au pied -duquel s'étend la mousse dont les nids sont -faits.</p> - -<p>Alba répond :</p> - -<p>— Sire, vous êtes le chêne qui les protège, -et l'on n'ose lever les yeux vers vous -de crainte d'être ébloui, tant vous supportez -d'orages sans faiblir.</p> - -<hr /> - - -<p>Ainsi s'exprime-t-elle en langue basque, -traduite aussitôt par les interprètes.</p> - -<p>La table est dressée dans la fraîcheur du -bois. Les agneaux, les perdreaux, les coqs -de bruyère, les bœufs découpés en quartiers -et les vins y abondent. Des jeux basques -s'organisent. Filles et garçons vont représenter -devant l'Empereur la pastorale -qui commémore leur origine.</p> - -<p>Voici Ondicola, chef de la race, monté -sur un destrier dont la housse est faite de -ces dentelles qui évoquent le luxe de l'Asie -originelle. Il porte une mitre et un sceptre, -symboles de sa puissance. Il s'élève contre -sa cour voluptueuse, au moment qu'elle a -abordé sur la terre basque, et il lui déclare :</p> - -<p>— Il n'est pas bon qu'une race, indigne -comme est la vôtre, se perpétue sur ce sol -vierge.</p> - -<p>Sa cour lui répond :</p> - -<p>— Que feras-tu donc de nous, Ondicola?</p> - -<p>Et lui :</p> - -<p>— Je vous tuerai et je ne laisserai vivre -qu'Iguskia et Ithargia.</p> - -<p>Et voici que s'avancent les plus beaux -adolescents des Aldudes, déguisés en Iguskia -et en Ithargia. Ils ne portent d'autres -vêtements que celui des pâtres, leur beauté -éclate.</p> - -<p>Iguskia dit :</p> - -<p>— Maintenant tout le monde est mort autour -de nous. La mer est refermée. Jusqu'à -présent, ô Ithargia, je n'avais pas entendu -mon cœur battre. Mais, en portant -plus avant mes pas sur ces terres sans habitants, -je le sens frissonner comme un nid -plein de chansons. Qu'est-ce?</p> - -<p>Et Ithargia :</p> - -<p>— Il se passe dans mon cœur la même -chose que dans le tien : le pays basque bat -de l'aile et veut naître.</p> - -<p>Ainsi la pastorale se déroule devant -l'Empereur. Les bergers, les cultivateurs, -les petits industriels naissants y jouent leur -rôle. Alba a posé avec amour sa tête sur -l'épaule de Roland. Elle ne sait pas que demain, -elfe ne le reverra plus. L'empereur -les bénit. Et, sur une roche blanche, il y a -un aubépin noir de soleil, et seul.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch10">LES ÉTATS-GÉNÉRAUX</h2> - - -<p>Ayant retiré de sa houppelande un mouchoir -de soie brodé, si usé qu'il eût pu -appartenir au Juif errant, et ayant enlevé -ses lunettes, Jacob Meyer pleura.</p> - -<p>Cette sorte de broderie, dont le sujet, habilement -mené, teinté, se déroulait autour -d'une chanson de geste que l'auteur des -Robinsons basques avait cru bon d'introduire -là tout d'un coup, ne fit que déconcerter -davantage mon esprit critique.</p> - -<p>Nier le génie très personnel d'Eliézer, -malgré le choix, ici, d'un thème rebattu, -autant prétendre que ma cousine Eva n'a -pas les yeux bleus. Mais quoi! Fallait-il -que l'auteur fît entrer pêle-mêle, dans son -poème, tout ce qui lui passait et chantait -par la tête, et qui se rapportait, de près ou -de loin, au pays basque? Et n'aurait-il pas -relaté l'enterrement de Roland dans la -lune si sa cuisinière, comme celle que -j'avais jadis à Saint-Palais, le lui eût -narré?</p> - -<p>Sans doute ; car dans son genre d'affection -hystérique, les étrangetés, les contradictions, -les inventions, les lacunes, les -mimétismes, les vraisemblances même, -s'amalgament, cristallisent en formes très -diverses.</p> - -<p>Je dis à l'oncle et au neveu que je demeurais -sous le charme, que j'étais prêt à -leur remettre avant peu la clef des grottes -d'Isturitz (à cette nouvelle ils poussèrent -ensemble un soupir de soulagement), et -l'autorisation, pour eux, que j'attendais, -d'un jour à l'autre, de M. Passerose.</p> - -<p>J'ajoutai que je désirais auparavant leur -rendre tant de gracieuses attentions de leur -part et les convier à un déjeuner qui, pour -n'avoir pas lieu aux Aldudes, en compagnie -de Charlemagne et de Roland, ne les -intéresserait pas moins.</p> - -<p>Ce sera, fis-je observer à Eliézer, une occasion -de mettre en jeu, une fois de plus, -vos belles qualités de synthèse, et de retrouver -dans le repas que je vous offrirai, et -chez les convives, les éléments de l'incomparable -régal spirituel que vous venez de -me servir.</p> - -<p>Voici, messieurs, continuai-je :</p> - -<p>Il est un antique usage basque dont ne -fait pas mention votre légende, puisqu'elle -lui est antérieure, une tradition tout intime -à laquelle je voudrais vous initier : -<i>les Etats-généraux du pays basque</i>, qui -n'ont aucune sorte de rapport avec une -constitution politique, dont ils s'éloignent -par un caractère de franchise et de naturel. -Ces <i>Etats-généraux</i> consistent en un déjeuner -qui groupe annuellement ses élus, tour -à tour dans l'une de nos trois provinces, -et chez leur président temporaire. Cette -assemblée se compose de vingt-cinq membres, -choisis parmi les plus marquants de -l'<i>Eskualdunak</i>. En eux vous pourrez voir -revivre les origines ondicoliennes car, ayant -l'honneur présentement d'être à leur tête, -Je vous convie, messieurs, à titre d'érudits -et conservateurs de notre charte, au prochain -repas de nos <i>Etats-généraux</i> qui siégeront -le trente août prochain, dans ma -ferme de Garris.</p> - -<p>Jacob Meyer et son neveu acceptèrent en -me remerciant beaucoup.</p> - -<p>Mes <i>Etats-généraux</i> n'étaient, en réalité, -qu'un repas plantureux que je voulais -offrir à certaines personnalités du pays, -qui s'étaient employées avec moi pour -soutenir la candidature d'un mien cousin -royaliste, Bathita Yturbide. Le nombre -de mes invitations s'élevait donc à -vingt-six.</p> - -<p>Cette ripaille, je l'offris dans l'épaisse -maison, bien blanchie pour la circonstance, -et dont on eût dit les contrevents passés au -chocolat, de ma propriété de Garris où, -chaque année, j'allais faire l'ouverture de -la chasse.</p> - -<p>Garris est situé non loin de Saint-Palais -où, dès la veille, Jacob et Eliézer étaient -descendus à l'hôtel Biracouritz.</p> - -<p>La matinée se leva radieuse, stridente de -cigales, et l'ombre de mes chênes massifs -était, autant que la chaleur, écrasante.</p> - -<p>Je fis mes ablutions dans la source du -verger où je me promenai quelques temps -en bretelles claires, tout réjoui par la perspective -de ce groupement de types basques, -bien purs, comme les vins que j'allais leur -servir, et amusé à l'avance de la morale -qu'en tireraient mes Juifs.</p> - -<p>Une prudence élémentaire exigeait que -je ne les présentasse l'un et l'autre aux -<i>Etats-généraux</i> que vaguement.</p> - -<p>Que je n'omette pas de dire que, pour me -conformer à l'esprit du pays, j'avais exclu -les femmes, sinon cinq, pour cuisiner et -nous servir avec la meilleure grâce du -monde. Le cordon bleu avait nom Magnana -et ses satellites Maïana, Yuana, Graciousa, -Beronikéa.</p> - -<p>Deux seulement des membres conviés -aux <i>Etats-généraux</i> par leur président s'excusèrent.</p> - -<p>Les vingt-deux autres, je les vis arriver -un peu après midi, dans mon domaine de -Khourutçaidia, la plupart en de petits tape-cul -les plus inconfortables du monde, et -que traînaient des haridelles.</p> - -<p>Mais un mélange de bonhomie et d'orgueil -national se lisait sur leurs faces.</p> - -<p>Plusieurs étaient vêtus ainsi qu'à l'habitude -le noble ou le bourgeois basque, avec -beaucoup de soin et de propreté, de jaquettes -et chaussés de souliers à guêtres.</p> - -<p>Quelques vieillards, à barbe aussi blanche -que la laine des brebis après l'averse, -montraient des joues d'églantine et des -yeux bleus, d'un bleu de bourrache.</p> - -<p>Certains coiffaient des pailles de Panama, -d'autres des canotiers ou de larges -chapeaux melons.</p> - -<p>Les grands paysans portaient veston et -béret, comme les deux pilotaris et le danseur, -mais ceux-ci arboraient des bottines -jaunes.</p> - -<p>Quant aux prêtres, il y en avait deux, -l'un curé d'une paroisse infime, mais généreuse -envers lui d'agneaux et de haricots, -l'autre missionnaire diocésain, âgés mais -pleins de vie, de physionomie en relief, -autoritaires, brusques et sympathiques. On -sentait que, de leurs mains armées de gourdins, -ils auraient assommé un taureau du -premier coup et que, de leurs énormes -pieds enfouis dans des chaloupes de cuir -ferrées, ils eussent écrasé des lièvres. Quel -contraste entre leur solide et fruste architecture -et l'ossature de ces deux mauviettes -qui descendirent de leur calèche de louage, -les Meyer!</p> - -<p>Je présentai ces monteurs de légende, -en estropiant légèrement leur nom, ce -que me facilitait la langue basque, -« Meyera », comme étant des ingénieurs -de Bayonne.</p> - -<p>J'avais naturellement attribué les places -d'honneur à M. le curé d'Aïciritz et au père -Bidondoa Ihidoïpé, de Hasparren.</p> - -<p>Etaient présents encore Bathita Yturbide, -mon cousin et député monarchiste, qui, durant -sa législature, d'assez fraîche date il -est vrai, et, il est vrai aussi, pour défendre -une noble cause, n'avait trouvé qu'un juron -navarrais qu'il vaut mieux que je ne rapporte -pas ici ;</p> - -<p>Etchechoury, conseiller général, grand -éleveur de chevaux, esprit averti, mais si -plein de son propre pays, que l'idée que -l'on pût, dans un poème, raconter que des -Basques avaient vidé leurs assiettes jusqu'à -les faire miroiter l'enthousiasmait comme -d'un chant d'Homère ;</p> - -<p>Le comte de Macaye, grand amateur de -déjeuners qui, en été, se prolongent dans -la fraîcheur des salles ombreuses et dallées, -et, en hiver, dans la tiédeur des hautes -flammes rousses et crépitantes ; cavalier -qui, au retour des foires, interpelle vertement -les filles pédestres ;</p> - -<p>Pochelu, le juge de paix qui, à l'audience, -tirait par les oreilles toute femme -qui prétendait avoir raison contre un -homme ;</p> - -<p>Algalarondo, le médecin, qui prescrivait -à ses clients le jus d'herbes de sa prairie, -et les saignait à tout propos, avec son rasoir, -dans son plat à barbe ;</p> - -<p>Oyharçabal, le potard, capable d'avaler -sans nausée du boudin cru en l'arrosant de -maints cognacs, bitters, vermouths et litres -de vins rouges et blancs ;</p> - -<p>Bidondo, le notaire, qui gavait des ortolans -dans son étude ;</p> - -<p>Etchecoin, le maire laboureur, vieux-garçon -(carloche est le terme basque), -vivant avec ses onze sœurs célibataires -(ou moutchourdines), et chez qui l'on se régalait -de chipes en sauce et d'une panchetta -célèbre ;</p> - -<p>Mendigaray, son collègue, qui avait tenu -et gagné le pari de manger en un quart -d'heure deux énormes foies de canard y -compris leur graisse chaude ;</p> - -<p>Etcheto, un rougeaud, fabricant de chocolat ;</p> - -<p>Haramboure l'Américain, enrichi, à -Buenos-Ayres, dans le commerce du cuir, et -retiré à Hasparren ; Larronde, le boulanger, -qui buvait d'un bouillon de corbeaux, -enterrés préalablement ;</p> - -<p>Mercapide, le boucher, qui vendait aux -pêcheurs les asticots de sa viande d'été, et -ouvrait, à la même saison, un établissement -de bains ; sa femme fabriquait des meringues ;</p> - -<p>Hirigoyen, l'épicier, qui, lorsqu'il pesait -du fromage, en rognait l'excédent qu'il dégustait -en lamelles devant l'acheteur ; mais -quelle bonne odeur de café grillé dans sa -boutique!</p> - -<p>Bordato, l'ancien marin de Terre-Neuve, -qui représentait une compagnie d'assurances : -« la Céleste » ;</p> - -<p>Bordachoury, le chasseur qui avait pris -au piège à loup le lieutenant de gendarmerie -de Mauléon ;</p> - -<p>Etchégaray, le contrebandier d'Ainhoa, et -pilotari, dont les bidons d'alcool avaient -été troués par les balles des douaniers ;</p> - -<p>Salagoïty, pilotari également, champion -du monde à qui les Anglaises mendiaient -ses vieilles savates et sa culotte plus blanche -qu'une maison basque en août. Sur le -carnet de l'une de ses admiratrices, il avait -écrit : « Amia nu, je n'ai pas peur de personne » ;</p> - -<p>Pitphariatéguy, de Barcus, fils d'un amiral, -mais qui, au grand désespoir de la -marine et des siens, se mêlait aux baladins, -et, en costume éclatant, faisait valser et -pirouetter son cheval de bois ;</p> - -<p>Enfin Paul Dupont, rentier, qui, malgré -un nom si peu basque, l'était à lui seul plus -que tous les autres convives ensemble, mais -on ne saurait dire pourquoi : c'est une impression -indéfinissable, une manière de se -montrer réservé après les libations nombreuses -qu'il décidait à toute occasion, avec -le comte de Macaye et quelques hobereaux -de la même sorte.</p> - -<p>L'abbé Harriague, dans son livre sur -la noblesse basque, démontre que les ancêtres -maternels de Paul Dupont prirent -part à la croisade avec saint Louis et Thibaut -II.</p> - -<p>Il ne restait plus à leur descendant d'autre -héroïsme que la chasse au lièvre et à la -palombe.</p> - -<p>Et je pense que voilà des <i>Etats-généraux</i>!</p> - -<p>Le gros et rubicond doyen d'Aïciritz récita -le <i lang="la" xml:lang="la">Benedicite</i>, après quoi le repas -commença dans une sorte de silence que -n'interrompaient que les humements provoqués -par le potage.</p> - -<p>Tous les Basques avaient la serviette -passée au col, et même l'un d'eux portait -la sienne comme un enfant, de manière -qu'elle imite sur la nuque deux oreilles de -lapin.</p> - -<p>Tandis que Jacob Meyer et son neveu -prenaient des cachets, les autres invités -et moi-même ne songions qu'à remplir -notre panse, et à ravir notre odorat de ce -nectar qui unissait à la saveur la plus -délicate et la plus onctueuse tout l'arome -des potagers.</p> - -<p>Ma joie était grande d'entendre, à mesure -que baissait le niveau du consommé, l'argenterie -taper du cul sur les assiettes, et de -voir mes hôtes, qui n'en voulaient perdre -goutte, les soulever en les inclinant.</p> - -<p>La gourmandise a, dès l'abord, toutes les -apparences de la timidité.</p> - -<p>C'est qu'un tel potage est rare. Il contient -la sève même des graines, convertie en une -graisse fine qui vous regarde avec des œils -d'or, il a la couleur rousse des volailles qui -font se battre entre eux les coqs, et il est -brûlant comme le soleil des moissons.</p> - -<p>Mon ordinaire était d'un vin d'Irouléguy, -âpre comme une nèfle, un peu pétillant, -et qui satisfait, en les râpant, les langues -et les gosiers. Les Meyer seuls le -mouillèrent.</p> - -<p>On attendait qu'un convive élevât la voix -pour que la conversation, qui ne s'ébauchait -qu'en sourdine, prît une tournure générale. -Le docteur Algalarondo ouvrit le -feu en racontant que, la veille au soir, -un maquignon d'Uhart-Mixe avait porté -un tel coup à un Bohémien qu'il lui -avait fallu beaucoup d'adresse pour extraire -du crâne la douille de cuivre éclatée -du makhila.</p> - -<p>— Un sacripant de moins! s'écria le chocolatier -Etcheto, qui redoutait les malandrins.</p> - -<p>Ces vers de la légende basque me chantèrent :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Il tient serré son makhila flexible</div> -<div class="verse">Dont on voit bien qu'un seul coup abattrait</div> -<div class="verse">Le Sarrazin avec son minaret.</div> -</div> - -<p>— Messieurs, interrogea doucement Eliézer, -quelle origine pensez-vous que l'on -puisse assigner au Bohémien dont vous -parlez? Ne serait-ce pas un ancien Maure?</p> - -<p>Le père Bidondoa Ihidoïpé, qui ne manquait -jamais de risquer un de ces lamentables -jeux de mots dont s'enorgueillissent, -hélas! les gens d'Eglise, prononça :</p> - -<p>— Il aurait pu rester dans sa tombe!</p> - -<p>Un mutisme incompréhensif accueillit ce -trait d'esprit. Mais lorsque Etchechoury, le -conseiller général, l'eut traduit en basque -et en français, et fait entendre que le calembour -portait sur « maure » et « mort », -l'éclat de rire fut homérique, et le père Bidondoa -Ihidoïpé sourit de satisfaction.</p> - -<p>Bathita Yturbide alors déclara en se servant -copieusement de poule-au-pot, de -farce, et d'un pimenton rouge comme une -course aux taureaux, qu'Edouard Drumont, -qu'il avait tout récemment rencontré à la -buvette de la Chambre des députés, l'avait -assuré que les Bohémiens de Saint-Palais -ne sont qu'une lignée d'anciens Juifs, -échappés jadis d'un bagne du pays basque.</p> - -<p>Mon cousin fit part bien innocemment -de cette opinion, mais les deux Meyer en -piquèrent un nez dans leurs assiettes.</p> - -<p>— Je reconnais bien l'idée fixe de Drumont, -dis-je, pour amortir le choc.</p> - -<p>— Moi, dit Mercapide, le boucher et baigneur, -je n'ai vu ni Juif ni nègre, mais -je sais bien que si je rencontrais l'un ou -l'autre je lui fourrerais mon pied quelque -part.</p> - -<p>En écoutant ces paroles si candides, comment -n'aurais-je pas songé à cette marche -vers la race maudite, dans Pampelune, que -peu de semaines auparavant Eliézer avait -évoquée :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Auger qui sort de Mauléon la terre</div> -<div class="verse">Contre la gent est si fort en colère</div> -<div class="verse">Que l'on croirait qu'il porte le tonnerre.</div> -</div> - -<p>Je détournai, heureusement, la conversation ; -Hirigoyen, l'épicier, me demanda si, -réellement, la soupe dite « tortue » qui -était inscrite au menu d'une noce à laquelle -il venait d'assister à Biarritz, était bien de -cet animal dont il avait vu un exemplaire -dans un jardin. Je le dissuadai.</p> - -<p>Haramboure l'Américain prit alors la -parole :</p> - -<p>— Au Mexique, nous mangions d'excellent -pot-au-feu de vraie tortue.</p> - -<p>— La fait-on bouillir avec sa tuile sur -le dos? questionna Hirigoyen.</p> - -<p>— Non, fit Haramboure, on ouvre la bête -à coup de hache.</p> - -<p>— Vous êtes un peu pâle, remarquai-je -à voix basse, en me penchant vers Eliézer.</p> - -<p>— Ce n'est rien. Le laxatif que j'ai pris -aura raison d'un léger trouble. Vos crus -sont un peu forts.</p> - -<p>— Ne me parlez plus de toutes ces saletés, -reprit Paul Dupont dont la pensée -allait au train de la tortue. Je voulus, il y -a trente ans, goûter une huître et je crus -que j'allais rendre toute la mer.</p> - -<p>Graciousa et Beronikéa apportèrent les -choux farcis, pressés et flanqués de tranches -d'andouille à vous emporter la bouche.</p> - -<p>— Quelle est la viande que vous préférez? -demanda le comte de Macaye à Paul -Dupont.</p> - -<p>— En fait de chair, répondit textuellement -celui-ci, en fait de chair, je mangerais -tout. Mais je déteste le poisson, excepté les -truites.</p> - -<p>— Vous serez servi à souhait tout à -l'heure, monsieur Dupont, annonçai-je -avec la fierté du maître de céans.</p> - -<p>Les dialogues varièrent :</p> - -<p>— Il faudrait, déclara Mendigaray, le -grand mangeur, maire d'Amorots, qui était -vraiment imposant de calme et de dignité, -que l'on nous laissât vivre en paix dans -notre province. Pourquoi les Français veulent-ils -nous obliger à leur payer l'impôt?</p> - -<p>— Comment, insinua Jacob Meyer, l'Etat -pourrait-il subvenir à ses lourdes charges -si le contribuable se récuse et ne remplit -pas son devoir de citoyen?</p> - -<p>Avec le même flegme, et le même œil -bleu, si je peux dire, Mendigaray repartit :</p> - -<p>— Je m'en fous, et vous aussi vous vous -en foutez.</p> - -<p>— Moi, dit Etcheto, voici comme je raisonne : -ma sœur fabrique de l'eau de noix -avec un sirop et de l'eau-de-vie. Si j'achète -celle-ci chez un épicier ou chez le pharmacien, -je la paie cinq fois plus que si je me -la procure chez un contrebandier.</p> - -<p>— Vous portez atteinte à l'Etat, appuya -sévèrement Eliézer qui soutenait son oncle.</p> - -<p>— Qu'est-ce que l'Etat? demanda Etcheto.</p> - -<p>L'énorme curé d'Aïciritz, qui avait du -bon sens, et parfois de l'esprit, répliqua :</p> - -<p>— L'Etat, c'est d'une autre eau-de-vie.</p> - -<p>Cette définition rendit rêveurs ceux qui -l'avaient, ou non, comprise.</p> - -<p>Les truites frites furent servies simplement -avec des citrons.</p> - -<p>— Pour vous, monsieur Dupont, dis-je.</p> - -<p>— Merci! Elles sont d'une jolie robe, et -doivent être à point. Vraiment, il n'est de -bon poisson que la truite. J'admets encore -les anguilles en matelote.</p> - -<p>— D'anguilles, raconta Larronde, l'homme -au bouillon de corbeau, nous en avons -pris beaucoup à Amendeuch, cette année. Il -n'est que d'avoir un couteau bien aiguisé, -à se mettre à califourchon au-dessus d'un -ruisseau, à bien épier au fond, et si l'on -en voit une, de la décapiter lestement.</p> - -<p>— Sapristi, s'écria Eliézer qui paraissait -plutôt nerveux, mais… mais…</p> - -<p>— Ce sont les descendants des guerriers -de Pampelune, lui dis-je en souriant.</p> - -<p>— Il est vrai, fit-il après un léger effort -pour se remémorer. Et il se tut.</p> - -<p>— Mes amis, proposai-je, acclamons Bordachoury?</p> - -<p>On venait de servir les lièvres.</p> - -<p>— Où les as-tu tués? demanda au vieux -braconnier le comte de Macaye, dont une -rose ornait la boutonnière et qui buvait à -plein bord les vins d'Irouléguy, de Bordeaux -et de Bourgogne.</p> - -<p>— Deux à Luxe-Sumberraute, monsieur -le comte, le troisième, à Sala.</p> - -<p>— Et tu n'as plus pris de lieutenant de -gendarmerie au piège?</p> - -<p>— Il en fut quitte pour une mâchure à la -jambe, et attendit honteusement jusqu'à ce -qu'on l'en retirât. Un Basque n'agit pas -ainsi! Il était étranger.</p> - -<p>Je me penchai vers Eliézer et lui expliquai :</p> - -<p>— Bordachoury fait allusion à un braconnier -de Mendionde qui, pris à un horrible -traquenard, n'hésita point à achever de -s'arracher le pied avec son couteau, pour -s'enfuir.</p> - -<p>A ce moment, sans doute parce que ce -trait, d'un caractère un peu trop basque, lui -porta au cœur, Eliézer s'évanouit sur sa -chaise.</p> - -<p>Les prêtres qui venaient de se servir chacun -une montagne de civet, agrémenté de -persil cru, dont l'un avait à sa bouche une -branche bougeante, n'eurent pas l'air de -penser que leur commensal en fût à l'article -de la mort. Ils n'en perdirent pas une -bouchée. Le père Bidondoa Ihidoïpé s'écria :</p> - -<p>— Gaïchua!</p> - -<p>Le bon apôtre ne plaignait, par ce mot -intraduisible, que la délicatesse d'estomac -d'Eliézer. Il ne concevait point, étant natif -de Larceveau, que les brutales et sanglantes -conversations qui assaisonnaient ce repas -pussent le moins du monde réagir sur -un organisme délicat.</p> - -<p>Jacob Meyer, fort ému, s'était levé pour -étendre son neveu, lui frictionner la poitrine, -lui cingler la paume des mains.</p> - -<p>— Avez-vous de l'éther? me demanda-t-il.</p> - -<p>Je n'en avais pas.</p> - -<p>Le contrebandier Etchégaray dit :</p> - -<p>— J'ai apporté dans mon chahakoa un -échantillon d'un tord-boyau espagnol qui -réveillerait un mort. Il n'y a qu'à desserrer -les dents de ce monsieur avec sa fourchette, -et à lui faire avaler une gorgée en pressant -le cuir de l'outre. Elle pisse très bien.</p> - -<p>Je compris qu'un propos et un remède -aussi grossiers révoltaient Jacob Meyer.</p> - -<p>— Je ne peux admettre, déclara-t-il, ces -mœurs de Papou!</p> - -<p>Bien heureusement fus-je seul, pas même -les prêtres exceptés, à entendre ce dernier -mot. Je m'opposai de mon côté à ce que fût -utilisée la vertu de l'eau de feu, bien qu'Etchégaray -ne comprît pas cette répugnance.</p> - -<p>Eliézer déjà revenait à lui lorsqu'on nous -servit le filet de vache et la salade. Il insista, -car il avait de l'énergie, pour se rasseoir -à table où je lui fis servir une infusion -brûlante qui le ragaillardit tout à fait.</p> - -<p>Je regrettais beaucoup d'avoir embarqué -l'oncle et le neveu dans une pareille galère, -avec des passagers si frustes, qui, pour -n'être pas moins, bien au contraire, de la -race d'Ondicola, n'avaient rien conservé -des raffinements en usage sur la caravelle -enchantée : l'<i>Eskualdunak</i>.</p> - -<p>Tandis que se succédaient les bouteilles, -deux koblaris se levèrent tour à tour, Etchechoury, -l'éleveur de chevaux, conseiller -général, et le pilotari contrebandier, Etchégaray.</p> - -<p class="c small">ETCHECHOURY</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Ma joie est de vous rencontrer ici, Etchégaray.</div> -<div class="verse">Le repas que nous prenons nourrit mieux</div> -<div class="verse">Que le vent qui souffle à la frontière,</div> -<div class="verse">Et il vaut mieux contempler votre visage épanoui</div> -<div class="verse">Que les culottes de la douane.</div> -</div> - -<p class="c small">ETCHEGARAY</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Vous me lancez la balle. Je vous la renverrai,</div> -<div class="verse">Car n'oubliez pas que je fus champion du monde</div> -<div class="verse">Avec les Gascoïna, les Goroztiague.</div> -<div class="verse">Et, pour ce métier, mieux vaut avoir la minceur du peuplier</div> -<div class="verse">Que l'obésité de l'outre, fût-elle emplie du meilleur vin de Catalogne.</div> -</div> - -<p class="c small">ETCHECHOURY</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Tu fais allusion à ma rotondité.</div> -<div class="verse">Pourrais-je, si je n'avais pas d'embonpoint,</div> -<div class="verse">Etaler aussi largement</div> -<div class="verse">Ma chaîne de montre aux yeux du peuple</div> -<div class="verse">Quand celui-ci se presse en foule</div> -<div class="verse">Aux rebots, quand tu joues à Pasaka?</div> -</div> - -<p class="c small">ETCHEGARAY</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Vous êtes une figure connue.</div> -<div class="verse">Dès que la première pelote est lancée,</div> -<div class="verse">On vous aperçoit assis sur le mur,</div> -<div class="verse">Tenant d'une main un chistéra,</div> -<div class="verse">Et, de l'autre, une ombrelle que vous faites tourner</div> -<div class="verse">Comme une auréole au-dessus de votre tête.</div> -<div class="verse">Seriez-vous déjà un saint?</div> -</div> - -<p class="c small">EICHECHOURY</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse">J'espère, du moins, de le devenir</div> -<div class="verse">A force de dîner dans la compagnie des prêtres,</div> -<div class="verse">C'est le cas de dire que, lorsqu'on a mangé avec eux,</div> -<div class="verse">Tous les plats sont bien curés.</div> -</div> - -<p>Une triple salve d'applaudissements salua -ce jeu de mots que je n'ai pas à traduire, -car l'éleveur de chevaux le commit -en français.</p> - -<p>Personnalité singulière que cet Etchechoury, -parfaitement conscient de cette -vulgarité de langage et d'attitude, entretenue -par lui à cause de son amour de la tradition.</p> - -<p>Aucun koblari ne l'égalait dans ce terre-à-terre -de la ripaille qui rejoint, plus qu'un -Eliézer ne le pense, le génie homérique.</p> - -<p>Dirai-je qu'à mon goût ce court dialogue -égale, par sa grosse simplicité, les plus -belles pièces de l'antique?</p> - -<p>Mais il n'est pas que cette veine en pays -eskuarien. Et Haramboure, l'Américain enrichi -retiré à Hasparren, nous montra -quelle délicatesse de sentiment peut s'allier -à cette lourde joie de vivre.</p> - -<p>En effet, il chanta :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse">O ma bien-aimée, tu m'as dit :</div> -<div class="verse">— Le plus beau des arbres c'est le hêtre</div> -<div class="verse">A cause de son ombre.</div> -<div class="verse">— Voici le plus noir de la forêt,</div> -<div class="verse">T'ai-je répondu. Je te le donne,</div> -<div class="verse">Fais-y notre nid.</div> - -<div class="verse stanza">— Le saule est plus gracieux que le hêtre,</div> -<div class="verse">As-tu repris aussitôt, car il pleure.</div> -<div class="verse">— O ma bien-aimée,</div> -<div class="verse">Tant de sanglots sont sortis de mon cœur,</div> -<div class="verse">Qu'il y avait un étang à mes pieds</div> -<div class="verse">Où se reflétait le saule.</div> -<div class="verse">Mais tu as tout à coup déclaré ;</div> -<div class="verse">— Au saule, je préfère le tilleul odorant</div> -<div class="verse">Où chante le rossignol.</div> - -<div class="verse stanza">Alors, ô ma bien-aimée,</div> -<div class="verse">J'ai acheté du parfum à une Bohémienne</div> -<div class="verse">Habile aux philtres qui séduisent ;</div> -<div class="verse">Et, pour ressembler tout à fait au tilleul,</div> -<div class="verse">J'ai mis un rossignol dans mon cœur,</div> -<div class="verse">Et il te chante ce chant.</div> -<div class="verse">Mais déjà, ô cruelle, je t'entends me dire :</div> -<div class="verse">— Le plus beau des arbres, c'est le chêne…</div> - -<div class="verse stanza">— S'il en est ainsi, ô ma bien-aimée,</div> -<div class="verse">Fais, avec son bois, mon cercueil.</div> -</div> - -<p>— Comment, me demanda Eliézer dans -l'admiration (et il y avait de quoi), pouvez-vous -concevoir un peuple à la fois si -barbare et si raffiné?</p> - -<p>— Eh quoi! remarquai-je, Cythère n'est-elle -ardue et montagneuse, hantée des seuls -chevriers, et dont pourtant Vénus est sortie… -Et la légende basque?…</p> - -<hr /> - - -<p>Lorsque prirent fin ces singulières assises -des <i>Etats-généraux</i> basques, la soirée était -déjà avancée.</p> - -<p>J'entendis un à un s'égrener les grelots -des calèches, des tape-cul et des coucous, -remportant aux quatre coins de l'horizon -mes pittoresques convives dont certains se -détachaient jusqu'au torse sur un ciel couleur -d'omelette, de sauce tomate et de vin -d'Irouléguy.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch11">MA COUSINE ÉVA, UN TRÉSOR</h2> - - -<p>Ma cousine Eva, de Bayonne, Basquaise -pure, comptait dix-neuf ans.</p> - -<p>D'une forme joliment ronde, la joue -rose, j'ai dit ailleurs que ses yeux étaient -bleus. Elle possédait ce caractère épanoui -qu'ont les petites filles sans dot.</p> - -<p>Elle était née d'un officier du génie et, -demeurée seule dès son bas âge avec sa -mère, elle affectait des allures un peu trop -libres dans le monde. C'est que les mamans, -et je n'ai pas le courage de les en -trop blâmer, lancent plutôt qu'elles ne retiennent -une fille sans fortune à la conquête -d'improbables maris.</p> - -<p>Eva n'avait point à employer d'artifices -pour connaître le succès, mais, hélas! -comme il arrive aux plus charmantes de -son espèce, elle voyait tour à tour ceux qui -l'eussent volontiers épousée se décider -plutôt pour des laiderons d'or.</p> - -<p>De là, et bien qu'elle fût si jeune, une -sorte de philosophie bonne enfant, faite -d'un peu de scepticisme et de beaucoup de -gaieté.</p> - -<p>Eva jouait parfaitement la comédie, et -je l'avais amenée, par exemple, dans une -comédie d'Alfred de Musset que je lui avais -fait répéter, à mettre en délire son auditoire.</p> - -<p>Eva était Eva. Et, quand on nommait -Eva, les vieux et jeunes salonniers, que -Forain stigmatisait alors, se prenaient à -sourire de la manière la plus admirative et -la plus bébête.</p> - -<p>J'invitais souvent Eva et sa mère à villégiaturer -chez moi, en assez nombreuse -compagnie.</p> - -<p>Sans grand luxe, on se distrayait beaucoup. -Les promenades à âne dans la vallée, -des parties de pêche à la ligne sont tout ce -qu'il y a de mieux. Nous composions aussi -des charades animées où Eva excellait.</p> - -<p>Un soir que nous nous livrions à cet amusement, -je me plus à tirer de mon armoire -la fameuse tunique nuptiale que j'avais fait -couper et broder à Toulouse, et je priai -Eva de s'en revêtir dans la coulisse de notre -petite scène improvisée.</p> - -<p>Ce fut un ravissement.</p> - -<p>Si elle n'avait été ma cousine, je crois -que je l'eusse demandée en mariage ce soir-là, -tant cette vieille dentelle, parcourue par -ce long narcisse, lui seyait.</p> - -<p>Eva et ses compagnes se montrèrent fort -curieuses de connaître l'origine de ce travail -de fée. Et je leur appris, ce qui était -la vérité, que je m'étais passé la coûteuse -fantaisie de le faire exécuter à Toulouse, -par des spécialistes hors de pair, sur un -modèle proposé par une légende basque.</p> - -<p>Ces petites se contentèrent d'admirer ce -chef-d'œuvre, sans autrement se soucier de -contrôler si, comme je le leur avais dit, les -toutes premières Basquaises comparaissaient -dans ce costume devant leurs époux -enivrés.</p> - -<p>Dans la huitaine qui suivit son exhibition, -la tunique nuptiale fut à l'ordre du -jour.</p> - -<p>Et Eva, qui était la meilleure fille du -monde, la plus franche et la plus sans façon, -me prit à part pour me dire :</p> - -<p>— Mon cousin, tu commets une vilaine -action en cachant une aussi merveilleuse -jupe dans un meuble, car tu peux bien -penser que, si je me montrais une seule -fois à Biarritz, l'ayant mise, tous mes admirateurs -tomberaient à genoux en implorant -ma main.</p> - -<p>— Il est vrai, Eva, qu'en te voyant ainsi -déguisée pour la charade, je me disais que -la beauté des premières Basquaises, célébrée -par la légende, eût pâli devant la tienne.</p> - -<p>Elle éclata franchement de rire :</p> - -<p>— Il se peut, après tout, fit-elle. Me faut-il -donc insister beaucoup pour que je -puisse me produire dans cet appareil devant -un public, plus intéressant pour moi -que celui que tu as convié ici?</p> - -<p>— Je te remercie, dis-je sans me fâcher, -de faire un si grand cas de mes hôtes.</p> - -<p>— J'entends par « intéressant », reprit-elle, -ce qui peut conduire au mariage une -jeune fille.</p> - -<p>— A la bonne heure! Voilà qui est net.</p> - -<p>— Tu ne veux cependant point que je -tourne mal?</p> - -<p>— Non, car tu es trop bien faite pour -cela.</p> - -<p>— En ce cas, répondit-elle avec une délicieuse -ellipse, remets-moi ce que je te -demande.</p> - -<p>— La tunique?</p> - -<p>— Oui.</p> - -<p>— Eh bien, soit ; mais à une condition.</p> - -<p>— Celle que tu voudras.</p> - -<p>— Eh bien! Eva, voici. J'ai résolu de -monter, pour la fin de l'automne, aux grottes -d'Isturitz, un spectacle impressionnant -auquel je veux convier tout ce que notre -pays compte de plus distingué. Il s'agit de -faire représenter, de cette légende basque -dont je t'ai parlé, l'acte qui m'engagea à -confier l'exécution du vêtement à une vraie -artiste. Tu es ma principale vedette. Tu -joues le rôle d'une Robinsonne basque. Tu -rends tous les hommes qui te verront ainsi -fous de toi. Tu choisis qui t'agréera le -mieux. Et je mets dans ta corbeille la tunique -nuptiale.</p> - -<p>— Tu es un bijou de poète, et me fais regretter -presque de n'être que ta cousine, et -de ne pouvoir t'aimer qu'en partie!</p> - -<p>— Ce n'est pas tout, repris-je sans relever -sa malice : il faudra t'exercer, et, dans le -lieu même que j'ai choisi, à Isturitz.</p> - -<p>— Cent fois plutôt qu'une, puisque la -dentelle est à moi!</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch12">LA RÉPÉTITION GÉNÉRALE</h2> - - -<p>Et, par un doux après-midi, nous allâmes -donc, quelques jeunes fous et folles, à -la grotte dont le cerbère ne savait plus -quelles attentions délicates me témoigner -depuis que je lui avais donné l'insigne -marque de confiance de déposer chez lui -le trésor ; et tantôt c'était d'un pot de miel -ou d'un lièvre, ou de truites, ou de ces -écrevisses dont l'ingestion avait déterminé -chez Eliézer un accès de franchise somnambulique.</p> - -<p>Ce jour là, Salbaya mit à la disposition -de notre joyeuse bande ses meilleurs fruits, -son fromage frais, ses bottes de paille sèches, -renforcées de toutes ses chandelles, -pour en illuminer jusqu'aux plus sombres -recoins de la crypte.</p> - -<p>Nous nous amusâmes fort, en esquissant -la représentation de la Légende dans ce -même abri naturel dont la clémence avait -jadis protégé Iguskia et Ithargia.</p> - -<p>Eva n'était plus qu'un éblouissant éclat -de rire.</p> - -<p>Mais, lorsque je la fis se coucher, tant -soit peu en chien de fusil, dans la fosse -qui avait renfermé un trésor moins beau -qu'elle, et dont il fallait qu'elle ressurgît, -après un sommeil de tant de siècles, revêtue -de la robe nuptiale, et telle qu'une Robinsonne -ou Belle au Bois dormant, on ne -savait plus s'il fallait ou non garder son -sérieux.</p> - -<p>— Le rôle que tu me fais jouer là est un -peu lugubre? fit-elle. Tu as l'air de mesurer -mon caveau avant que je sois morte. Rappelle-toi -que je n'ai nulle envie de -prendre mon rôle à la lettre.</p> - -<p>— Il faudra, ordonnai-je à Salbaya qui -restait bouche bée devant ce qu'il devait -prendre pour une opération de sorcellerie, -mais qui tolérait décidément, sans le moindre -murmure, mes faits et gestes les plus -extravagants, que vous agrandissiez un peu -cette ouverture avant d'y replacer le rocher -que vous venez d'ôter.</p> - -<p>— Le fait est, fit Eva, que si ce trou doit -devenir mon lit nuptial je n'y serai pas au -large.</p> - -<p>Elle ne croyait pas si bien dire.</p> - -<p>Tous les préparatifs qui devaient servir -mon plan s'enchaînaient à merveille, le -plus simplement du monde, pour confondre -Jacob Meyer et son neveu.</p> - -<p>Lorsque je les revis chez eux, je leur déclarai -que la clef était à leur disposition, -mais que M. Passerose m'avait déclaré ne -consentir à la leur livrer que s'ils la remettaient -chaque soir au gardien ou à moi-même.</p> - -<p>— Croyez, messieurs, leur dis-je, que je -ne demande à conduire cette affaire qu'à -la plus grande satisfaction de tous, pour -vous obliger le mieux possible, et ne déplaire -en rien à mon ami M. Passerose. -Tout se peut concilier. Il est donc convenu -que, d'aujourd'hui en quinze, la clef sera -en votre possession, de dix heures du matin -à six heures du soir. J'ai donné ordre à -Salbaya, qui vous la remettra, de vous laisser -seuls à vos fouilles. Quant à moi, vous -m'excuserez de ne pouvoir me joindre à -vous, et m'associer à vos savantes recherches. -Je m'absenterai à ce moment.</p> - -<p>Je surpris un signe d'intelligence satisfait -dans le double clin d'œil qu'échangèrent -Jacob et Eliézer.</p> - -<p>Il ne me restait plus qu'à mobiliser ma -cousine Eva au moment opportun.</p> - -<p>La veille du jour où la clef devait être -prêtée à mes Juifs (je ne doutais pas qu'ils -ne voulussent se rendre à la grotte dès la -première minute) je leur fis tenir ce mot :</p> - -<p>« Demain, à dix heures précises, Salbaya -vous confiera la clef. »</p> - -<div class="chapter"></div> - -<p class="top4em">Il n'avait pas été difficile d'obtenir d'Eva -et de sa mère qu'elles revinssent passer -une quinzaine dans ma villa, d'où l'on sait -qu'en peu de temps on peut gagner les -grottes d'Isturitz.</p> - -<p>La belle enfant était toujours bonne, -aussi heureuse de vivre, encore qu'elle eût -pu avoir alors quelque sujet de souci, ma -tante ayant reçu, deux jours avant leur -arrivée, la visite de l'huissier.</p> - -<p>Ce n'est point que cette pauvre femme -administrât mal sa fortune, mais elle n'en -avait point. J'avais gros cœur de cette situation. -Je les aidais bien dans quelque -mesure, mais pas autant que je l'eusse désiré. -J'ai toujours eu un faible pour la -Bohême innocente, et ma tante était quelque -peu de ce pays.</p> - -<p>Quant à sa fille, je l'eusse sans doute -épousée si, comme je l'ai expliqué, notre -genre d'affection mutuelle, et nos jeux -d'enfance qui se continuaient en somme -dans les grottes, n'avaient fait d'elle ma -sœur et, de moi, son frère.</p> - -<p>Mais elle était si jolie que je ne désespérais -pas qu'elle sauvât, par un mariage, une -situation si obérée. Son alerte démarche de -Basquaise, aux pieds pointus, chaussés de -blanches sandales, semblait chanter toujours : -« Suivez-moi! »</p> - -<p>Je m'imaginais très bien de la sorte une -descendante immédiate d'Iguskia et d'Ithargia, -et je savais qu'elle jouerait à ravir, -pour mes fins vengeresses, devant Jacob et -Eliézer, son rôle de Robinsonne de la Légende.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch13">LE TRIOMPHE D'ÉVA</h2> - - -<p>La veille du jour qu'elle devait tenir le -délicieux rôle que je lui destinais :</p> - -<p>— Eva, dis-je, nous irons demain à Isturitz -où tu voudras bien mettre en œuvre -mes moindres instructions. Il te suffira de -passer la tunique, elle te sied à ravir, de te -bien attifer et coiffer, et de te dissimuler -quelques minutes dans la fosse de la grotte, -comme l'autre jour, jusqu'à ce que deux -originaux t'y découvrent, à leur grande surprise.</p> - -<p>— De quels originaux parles-tu?</p> - -<p>— Peu importe ; tu n'as rien à redouter -de leur présence ; et, d'ailleurs, je me tiendrai -caché non loin de toi, tandis que tu -rempliras cet office d'enterrée.</p> - -<p>— Tu mets bien du mystère à ton jeu : -ce n'est pas dans ton habitude. Hais puisque -le prix à remporter, si je me rends à -tes caprices, est cette robe de fée, sache que -je suis à tes ordres.</p> - -<p>— Il te suffira, continuai-je, dès que tu -te verras découverte — comme on joue au -cache-cache — de te redresser, soudain et, -tel qu'un fantôme gracieux, de gagner à -pas lents et en silence la sortie. De là, en -quelques bonds, tu seras chez Salbaya, hors -d'atteinte, jusqu'à ce que je te rejoigne.</p> - -<p>L'action fut menée avec un art parfait. -Sous prétexte de partie de pêche, Eva et -moi gagnâmes à l'aurore les grottes d'Isturitz -et, avant dix heures, elle revêtit -la tunique légendaire, peu de temps avant -que le cerbère accompagnât, au même lieu, -les Meyer empressés.</p> - -<p>Elle s'établit, sans froisser sa dentelle, -dans la cachette où reposait naguère le trésor. -Le rocher qui en fermait l'entrée avait -été, sur mon avis, mis de côté par Salbaya. -Quant à moi, le diable, avant même que la -chandelle fût morte, n'aurait su me distinguer -des stalactites environnantes.</p> - -<hr /> - - -<p>Voici Jacob et Eliézer.</p> - -<p>J'entends gémir la grille, et que Salbaya -remporte sa clef à lui, sans refermer la -serrure, et, tout à fait comme je lui en avais -intimé l'ordre, leur laissant croire qu'ils -sont seuls tous les deux.</p> - -<p>Une lampe des plus perfectionnées, de -spéléologue sans doute, qu'allume Eliézer, -transforme en palais radieux cette annexe -de l'enfer.</p> - -<p>La luxuriante forêt de pierre apparaît, -qui semble recouverte de rosée par le scintillement -des prismes naturels. Mais les -deux coquins n'ont cure de cette métamorphose -souterraine. Ils déroulent leur décamètre ; -la route s'ouvre librement devant -eux, avec, au bout pensent-ils, l'objet -de leur longue convoitise.</p> - -<p>— C'est ici! prononcent-ils bientôt sans -hésiter.</p> - -<p>— Ah! laisse-moi le premier mettre la -main dessus! s'écrie Jacob Meyer d'une -voix rendue gutturale par la cupidité.</p> - -<p>Et, contournant le couvercle rocheux, il -projette dans le trou un faisceau de rayons.</p> - -<p>Aussitôt, comme enveloppée d'une lueur -d'aube où s'épanouit le narcisse, surgit Eva -que je ne vois que de profil.</p> - -<p>Mais qu'elle est belle!</p> - -<p>Elle sourit. Elle fait, de ses bras ronds -et de ses mains unies sous sa nuque, -un arc charmant, et elle bâille comme si -elle sortait d'un profond sommeil, montrant -des dents qui valent toutes les perles -du trésor de la famille Passerose.</p> - -<p>Et, sous les yeux des deux Juifs pétrifiés -comme les végétaux de la grotte, elle s'en -va.</p> - -<p>Je suis ravi de la perfection de son jeu -et, tandis qu'il me faut réprimer mon envie -d'applaudir, je suis le témoin de ce dialogue -invraisemblable :</p> - -<p>— Eliézer?</p> - -<p>— Mon oncle?</p> - -<p>— Est-ce vrai?</p> - -<p>— Suis-je somnambule?</p> - -<p>— Suis-je somnambule?</p> - -<p>— Vous l'êtes.</p> - -<p>— Tu l'es.</p> - -<p>— L'avez-vous vue, mon oncle?</p> - -<p>— L'as-tu vue, Eliézer?</p> - -<p>— C'est une fille d'Ithargia.</p> - -<p>— C'est une fille d'Ithargia.</p> - -<p>— Elle portait la tunique nuptiale.</p> - -<p>— Le narcisse de la légende montait -comme un jet d'eau jusqu'à son sein neigeux.</p> - -<p>— Mais puisque nous avons inventé la -légende?</p> - -<p>— Alors nous sommes fous?</p> - -<p>— Sommes-nous fous alors?</p> - -<hr /> - - -<p>Mais tout à coup Jacob Meyer se ressaisit -et s'écria :</p> - -<p>— Nous sommes volés!</p> - -<p>Et l'écho de la grotte répéta cette phrase.</p> - -<p>Ils ne furent pas longs à décamper -comme des péteux, et n'allèrent point demander -des explications sur leur mésaventure -à Salbaya, chez qui bientôt je rejoignis -Eva.</p> - -<p>La pauvre petite, avec qui je déjeunai -gaiement en lui faisant part, cette fois, sans -en rien réserver, du mot de l'énigme, avait -bien gagné sa chemise de noces! Je souhaitais -vivement de lui faire aussi don de -l'époux. Ce qui arriva comme on va le voir.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch14">LA CONCLUSION INATTENDUE</h2> - - -<p>Monsieur, commença Eliézer en s'asseyant -dans le fauteuil que je lui -avançai, lorsqu'il vint me rendre visite -deux mois après la farce qu'Eva et moi lui -avions si bien jouée, mon oncle et moi nous -sommes deux Juifs.</p> - -<p>Je reconnus la même phrase que le -même Eliézer avait prononcée durant son -accès de somnambulisme, après avoir -mangé des écrevisses, en cette nuit qu'il -m'avait tant effrayé.</p> - -<p>Mais, cette fois, il veillait, et je ressentais -qu'il était on ne peut plus conscient de lui-même.</p> - -<p>Cependant il continuait à me révéler ces -mêmes choses qu'il m'avait confessées, à -son insu, durant son sommeil :</p> - -<p>— Et vous vous êtes aperçu que nous -nous moquions de vous… Ne pensez pas -que je ne puisse être sincère… Et, la preuve -en est, que je viens vous faire cet aveu si -pénible et si humiliant… Je vous le déclare -sans ambages : nous sommes des voleurs, -mon oncle et moi, celui-ci ayant découvert -chez un bouquiniste du vieux Bayonne, -et s'étant approprié un document qu'il -aurait dû remettre à la famille Passerose ; -et moi, en lui prêtant mon concours, -afin de nous emparer seuls d'un trésor dont -ce parchemin fait mention… Ce trésor…</p> - -<p>Eliézer poursuivit son discours, et j'en -reconnaissais chaque mot comme déjà -l'ayant entendu au cours de sa crise nocturne :</p> - -<p>— Il fallait, disait-il, vous gagner, afin -d'obtenir la clef des grottes et le droit de -pénétrer librement dans le flanc de la colline.</p> - -<hr /> - - -<p>Quand ce singulier pénitent, fort bien -éveillé, en eut terminé avec sa confession -renouvelée, il y ajouta, si je peux dire, un -inédit qui me stupéfia par sa conclusion -inattendue.</p> - -<p>— Nul doute, fit-il, monsieur, que notre -obscure machination ne vous ait été révélée -par une voie que j'ignore, et que vous l'ayez -prévenue et déjouée avec beaucoup d'esprit.</p> - -<p>J'eus un sourire d'approbation flattée.</p> - -<p>— Vous avez, continua-t-il, commencé de -nous brimer en nous mettant, mon oncle et -moi, en contact avec le réalisme un peu -brutal de vos <i>Etats-généraux</i> de Garris, -dont j'avais compris l'allusion. Et vous -avez ensuite substitué au trésor que vous -avez mis en sûreté la plus jolie fille du -monde.</p> - -<p>Je souris encore.</p> - -<p>— Il n'est pas de beauté, fit Eliézer, qui -puisse être, même de loin, comparée à la -sienne ; ni d'Ithargia ; ni des vierges de -l'<i>Amodioa</i> dont les voiles étaient gonflées -par la brise qui sortait des joues rebondies -de l'Amour. Mon inspiration poétique, si -géniale soit-elle, demeure, monsieur, tellement -au-dessous du modèle que m'offre, -après coup, la vérité vivante, que j'en demeure -confus. Je ne saurais me payer de -mots. Comment ma pâle invention lyrique -a-t-elle pu susciter, en chair et en os, la -vraie Robinsonne basque, le moule parfait, -capable, selon le vœu d'Ondicola, de refaire -une race. Or…</p> - -<p>— Or?</p> - -<p>— Je veux reconstituer la mienne.</p> - -<p>— Quoi? dis-je, vous voulez épouser -Eva?</p> - -<p>(Je lui jetai ainsi le prénom de ma cousine, -tant cet épilogue me jetait dans le désarroi.)</p> - -<p>— Oui, monsieur, je veux m'unir à elle, -en lui offrant, avec une dotation de huit -cent mille francs de rente, ma sincère conversion -religieuse.</p> - -<p>— Ah! bah?</p> - -<p>— Une pareille beauté, dont la grâce ne -m'a point permis de supposer un seul instant -qu'elle n'appartînt à une vierge, ne -saurait être dans l'erreur.</p> - -<p>— Peste! fis-je, me demandant quelle -valeur un théologien accorderait à cette -manière d'envisager la foi catholique!… -Mais… Ne m'a-t-on pas assuré que vous êtes -parfois sujet à des crises somnambuliques?</p> - -<p>— Croyez, monsieur, qu'avec Eva, puisque -ainsi elle s'appelle, je ne saurais vivre -que dans un rêve enchanté, ou rêver dans -la plus suave des veilles : ce qui est le lot -des plus fortunés.</p> - -<p>Eliézer se retira sur ces paroles exquises, -après m'avoir chargé de demander pour lui -à ma tante la main de ma cousine, que je -comptais bien qu'après une entrevue prochaine -il n'obtiendrait pas.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<p class="top4em">— Je ne trouve pas Eliézer mal du tout, -me dit Eva après cette entrevue qui se -passa chez moi. Il m'a très franchement -marqué son repentir d'avoir trempé dans -les roueries de son oncle, et il m'a déclaré -n'en vouloir retenir que l'amusant poème -auquel elles ont donné lieu, et où l'on se -moque de toi délicieusement. Il m'en a lu -quelques passages, mais sais-tu qu'ils sont -fort beaux?</p> - -<p>— Oui.</p> - -<p>— J'apprécie tes vers ; mais laisse-moi -t'avouer que rien, dans ton œuvre, ne m'a -ému autant que cette légende basque. Et, -puisque son auteur m'a choisie pour être, -en chair et en os, et d'esprit, la Robinsonne -qui l'inspire, apprends que je me sens apte -tout à fait à lui susciter une race de choix.</p> - -<p>— Celle même d'un somnambule? demandai-je -piqué.</p> - -<p>— Rien, me répondit-elle, n'est plus charmant -que l'Amour endormi.</p> - -<p>Bref, il me fallut rengainer ma mauvaise -humeur et mon dépit. La pauvre chose -qu'un cœur d'homme!</p> - -<p>Voici quelques jours à peine, je désirais -d'autant plus le bonheur et la prospérité -de cette enfant que je craignais qu'elle ne -fût condamnée au célibat des jeunes filles -sans dot.</p> - -<p>Quant à l'affection de camarade que je -lui portais, et qu'elle me rendait, je m'en -suis expliqué : elle était de telle sorte -qu'elle semblait ne pouvoir engendrer cette -jalousie où la beauté physique entre -comme élément.</p> - -<p>Et, néanmoins, je rongeais mon frein, -tout capot qu'Eliézer eût, ne fût-ce que par -sa fortune, fait la conquête d'Eva.</p> - -<p>La mère de celle-ci, trop satisfaite -d'échapper à ses créanciers, ne fit aucune -opposition, bien au contraire ; et il me -fallut, bon gré, mal gré, par convenance, -chaperonner Eta et Eliézer à travers la -lune de miel de leurs fiançailles, me prêter -à leurs fantaisies, et, ce qui me fut le plus -humiliant, les surveiller.</p> - -<p>Je ne pus même me refuser à les ramener -à Isturitz où ma cousine eut un accès d'hilarité -en revoyant la fosse qui lui avait -servi de sépulcre et qu'elle nomma Cette -foi : « Le berceau de la race. »</p> - -<p>J'enrageais. Quant au futur époux, il -était tout transformé. Il me demanda, pour -lui éclaircir quelques points d'une théologie -qu'il avait déjà pas mal étudiée, un guide -averti, et je ne sus mieux faire que de le -confier au missionnaire qu'il avait rencontré -au cours du repas des <i>Etats-généraux</i> -basques : le père Bidondoa Ihidoïpé.</p> - -<p>Celui-ci trouva fort édifiant son catéchumène -qui lui fit cadeau d'un microscope, -d'une jumelle de spectacle et de l'<i>Histoire -de la Révolution française</i>, en dix volumes, -de M. Thiers, œuvre que le donateur ne -voulut point conserver la trouvant désormais -entachée d'hérésies.</p> - -<p>Au physique, peut-être à cause que le -Malin se retirait de lui, Eliézer était devenu -presque un joli homme. Grâce à un nommé -Perron, poète et coiffeur de Bayonne, qui -avait résolu, pour son client, une coupe de -cheveux et de barbe dite « jardin à la française », -il avait quinze ans de moins.</p> - -<p>Ce rajeunissement m'agaçait tout autant -que le reste du personnage, mais ce qui -porta au comble mon dépit fut d'avoir à -réentendre l'étonnant chapitre de la Légende -où Roland et Aude, dans les montagnes -des Aldudes, viennent saluer Charlemagne.</p> - -<p>J'eus beau me répéter que le poème -n'avait ni queue ni tête, il fallut bien me -rendre à l'évidence du contraire lorsque se -penchant vers Eliézer assis sur l'un des -bancs de mon petit parc, Eva lui décocha -le plus sonore des baisers.</p> - -<p>Alors, je devins ridicule. Et, poussé par -l'esprit de bassesse que la rivalité fait naître -chez ceux-là mêmes qui ne sont pas les -pires, j'allai jusqu'à lui déclarer, lorsque, -nous fûmes en tête à tête, que je trouvais -fâcheux qu'elle consentît à épouser un -homme qui, ne fût-ce qu'un moment, s'était -fait le complice d'un vol.</p> - -<p>Elle me répondit que je n'étais qu'un -pharisien ; qu'il est d'autres larcins plus -graves que de perles, dont le commun fait -assez bon marché, ne serait-ce que de -ravir les femmes d'autrui ; et que, d'ailleurs, -si j'étais chrétien le moins du monde, -il me fallait bien admettre que le passage -du judaïsme au christianisme sanctifierait -son cher <i>Zézer</i>.</p> - -<p>Je faillis gifler la superbe fille en l'entendant -forger un si amoureux diminutif.</p> - -<p>Elle ajouta que, si invraisemblable et si -décousue que fût la Légende, elle faisait -siennes les idées d'Ondicola sur la réfection -d'un peuple, et que, n'ayant jamais -rencontré, parmi les jeunes coureurs de -plages, un seul Iguskia, elle leur substituerait -Eliézer. Ce n'est pas que l'esprit lui -manque, ni même le génie, assura-t-elle, en -me regardant bien en face. Il n'en a que -trop. Quant à ce qui regarde le reste, tu m'as -vu faire, à la nage, le tour du grand rocher -de Biarritz. Je ne demanderai à mes enfants -que de…</p> - -<p>— Passer la mer Rouge avec les chameaux -de leur père?</p> - -<p>Elle me regarda avec un certain mépris -attristé :</p> - -<p>— On dirait, ma parole, que tu es jaloux!</p> - -<p>Jacob Meyer fut ému jusqu'aux larmes, -car il était sentimental, en apprenant, de -son neveu, la conclusion pratique d'une histoire -aussi irréelle.</p> - -<p>Il s'excusa de la tentative indélicate ou -il l'avait engagé. De son meuble le plus -secret il retira, pour les offrir à sa future -nièce, de tels joyaux que le trésor de la famille -Passerose ne les égalait point.</p> - -<p>La persuasion se fit alors en moi que le -vieil artiste antiquaire avait moins agi par -amour du lucre qu'à cause de la passion -innée de l'Israélite pour les pierres.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch15">OÙ LA RACE BASQUE -TRIOMPHE DE L'ÉTRANGER</h2> - - -<p>Le mariage eut lieu, béni par le père -Bidondoa Ihidoïpé.</p> - -<p>Quatorze mois après j'invitai mes cousin -et cousine dans la même ferme de -Garris où j'avais convié, deux années auparavant, -les soi-disant membres des Etats -généraux.</p> - -<p>Sur le désir que m'en exprima Eliézer, -je réinvitai à un large déjeuner les -mêmes bons Basques devant lesquels il -s'était évanoui. Il avait si bonne mine que -je doute qu'ils le reconnurent. Il ne décela -aucune faiblesse, se montra gaillard dans -la conversation, mangea comme quatre des -mets les plus lourds, et dégusta, en regardant -sa femme qui l'y poussait, bon nombre -d'écrevisses que j'avais fait servir par -malignité. Il but des vins les plus forts. A -peine si Paul Dupont put tenir devant lui. -On eût dit qu'Eva lui avait infusé la vieille -sève des Robinsons basques.</p> - -<p>Et ce fut une ovation lorsque, au dessert, -on nous présenta un enfant qui -semblait être le fils de Gargantua et de -Gargamelle.</p> - -<p>— Regarde-le, me cria Eva qui était allée -lui donner à téter, et qui revenait vêtue de -la tunique nuptiale qui la rendait plus séduisante -encore, mais regarde-le donc! -C'est le fils d'Iguskia et d'Ithargia! Et -viens, après cela, prétendre que la légende -basque n'est point vraie!</p> - -<hr /> - - -<p>Eliézer, qui s'appelait maintenant Philippe, -sourit dans sa barbe.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak">TABLE DES MATIÈRES</h2> - - -<table summary=""> -<tr><td class="drap small">INTRODUCTION</td> -<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch0">5</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap small top1em">LES BASQUES ABORDENT EN TERRE VIERGE</td> -<td class="bot top1em"><div class="r"><a href="#ch1">7</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap small">FONDATION DU PREMIER FOYER</td> -<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch2">26</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap small">LA GÉNÉALOGIE</td> -<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch3">38</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap small">FORMATION DES PRINCIPAUX COUPLES</td> -<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch4">46</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap small">LE JOUR ET LA NUIT A ASCAIN</td> -<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch5">57</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap small">LE SIÈGE DE PAMPELUNE</td> -<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch6">75</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap small">CHANT D'AMOUR DE TIRUZTAYA ET DE LÔRÉA</td> -<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch7">86</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap small">LA VÉRITÉ DANS LE RÊVE</td> -<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch8">108</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap small">LES FIANÇAILLES DE ROLAND ET D'AUDE</td> -<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch9">117</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap small">LES ÉTATS-GÉNÉRAUX</td> -<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch10">139</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap small">MA COUSINE ÉVA, UN TRÉSOR</td> -<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch11">173</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap small">LA RÉPÉTITION GÉNÉRALE</td> -<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch12">180</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap small">LE TRIOMPHE D'ÉVA</td> -<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch13">187</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap small">LA CONCLUSION INATTENDUE</td> -<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch14">194</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap small">OÙ LA RACE BASQUE TRIOMPHE DE L'ÉTRANGER</td> -<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch15">207</a></div></td></tr> -</table> -<div class="break"></div> - - -<p class="c top4em small"><i>ACHEVÉ D'IMPRIMER</i><br /> -le vingt-six janvier mil neuf cent vingt-cinq<br /> -PAR<br /> -<span class="large">MARC TEXIER</span><br /> -A POITIERS<br /> -pour le<br /> -<span class="large">MERCVRE</span><br /> -DE<br /> -FRANCE</p> - - -<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROBINSONS BASQUES ***</div> -<div style='text-align:left'> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Updated editions will replace the previous one—the old editions will -be renamed. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread -public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine-readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. Compliance requirements are not uniform and it takes a -considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up -with these requirements. We do not solicit donations in locations -where we have not received written confirmation of compliance. To SEND -DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state -visit <a href="https://www.gutenberg.org/donate/">www.gutenberg.org/donate</a>. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -While we cannot and do not solicit contributions from states where we -have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition -against accepting unsolicited donations from donors in such states who -approach us with offers to donate. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -International donations are gratefully accepted, but we cannot make -any statements concerning tax treatment of donations received from -outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Please check the Project Gutenberg web pages for current donation -methods and addresses. 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