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-The Project Gutenberg eBook of Les Robinsons basques, by Francis Jammes
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
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-using this eBook.
-
-Title: Les Robinsons basques
-
-Author: Francis Jammes
-
-Release Date: February 17, 2021 [eBook #64582]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-Produced by: Laurent Vogel (This file was produced from images generously
- made available by the Bibliothèque nationale de France
- (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
-
-*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROBINSONS BASQUES ***
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-
- FRANCIS JAMMES
-
- Les
- Robinsons basques
-
- PARIS
- MERCVRE DE FRANCE
- XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI
-
- MCMXXV
-
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-DU MÊME AUTEUR
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-
-Poésie.
-
- DE L'ANGELUS DE L'AUBE A L'ANGELUS DU SOIR, 1888-1897 1 vol.
- LE DEUIL DES PRIMEVÈRES, 1898-1900 1 vol.
- LE TRIOMPHE DE LA VIE (Jean de Noarrieu. Existences.) 1 vol.
- CLAIRIÈRES DANS LE CIEL, 1902-1906. (En Dieu. Tristesses.
- Le Poète et sa femme. Poésies diverses. L'Eglise habillée
- de feuilles.) 1 vol.
- LES GÉORGIQUES CHRÉTIENNES 1 vol.
- LA VIERGE ET LES SONNETS 1 vol.
- LE TOMBEAU DE JEAN DE LA FONTAINE suivi de POÈMES MESURÉS 1 vol.
- CHOIX DE POÈMES, avec un portrait 1 vol.
- LE PREMIER LIVRE DES QUATRAINS 1 vol.
- LE DEUXIÈME LIVRE DES QUATRAINS 1 vol.
- LE TROISIÈME LIVRE DES QUATRAINS 1 vol.
-
-Prose.
-
- LE ROMAN DU LIÈVRE. (Le Roman du Lièvre. Clara d'Ellébeuse.
- Almaïde d'Etremont. Des choses. Contes. Notes sur des Oasis
- et sur Alger. Le 15 août à Laruns. Deux Proses. Notes sur
- Jean-Jacques Rousseau et Mme de Warens aux Charmettes et à
- Chambéry.) 1 vol.
- MA FILLE BERNADETTE 1 vol.
- FEUILLES DANS LE VENT. (Méditations. Quelques Hommes. Pomme
- d'Anit. La Brebis égarée.) 1 vol.
- LE ROSAIRE AU SOLEIL, roman 1 vol.
- MONSIEUR LE CURÉ D'OZERON, roman 1 vol.
- LE POÈTE RUSTIQUE, roman, suivi de l'ALMANACH DU POÈTE
- RUSTIQUE 1 vol.
- CLOCHES POUR DEUX MARIAGES. (Le Mariage basque. Le Mariage
- de raison.) 1 vol.
-
-A LA LIBRAIRIE PLON-NOURRIT ET Cie
-
- LE BON DIEU CHEZ LES ENFANTS, album avec illustrations en
- couleurs d'après les dessins de Mme Franc-Nohain 1 vol.
- LE LIVRE DE SAINT JOSEPH 1 vol.
- DE L'AGE DIVIN A L'AGE INGRAT. Mémoires: I 1 vol.
- L'AMOUR, LES MUSES ET LA CHASSE. Mémoires: II 1 vol.
- LES CAPRICES DU POETE. Mémoires: III 1 vol.
-
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-LES ROBINSONS BASQUES
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-_A la mémoire de Goya y Lucientes_
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- IL A ÉTÉ TIRÉ:
-
- 56 exemplaires sur papier de Madagascar, savoir:
- 55 ex. numérotés à la presse, de 1 à 55 et 1 hors commerce
-
- 247 exemplaires sur Hollande van Gelder
- numérotés, à la presse, de 56 à 302
-
- La première édition a été tirée sur papier de fil Montgolfier,
- savoir:
- 1075 exemplaires numérotés de 303 à 1377
- 25 exemplaires (hors commerce) marqués à la presse de A à Z
-
-
-JUSTIFICATION DU TIRAGE:
-
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-
-Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction réservés pour
-tous pays.
-
-Copyright by MERCVRE DE FRANCE 1924
-
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-
-INTRODUCTION
-
-
-Il y a quelque trente ans vivait à Bayonne un de ces Juifs qui portent
-besicles de corne sur nez crochu; dont le front et les joues ridés
-reproduisent assez exactement une page criblée de caractères talmudiques
-et dont les mains, semblables à des araignées, tantôt tissent la toile
-grise de leur barbe, tantôt arpentent l'oscillante balance du peseur
-d'or ou du joaillier.
-
-Jacob Meyer était son nom.
-
-Nous étions rejoints, lui et moi, par un goût commun de la pêche et de
-la poésie. Il arrivait qu'après avoir parlé littérature nous
-descendissions à l'Adour pour y tendre un filet. Nous nous fortifiions
-avec l'odeur du goudron et de la mer toute proche. Il ne recevait guère
-de visites que la mienne et de dames qui venaient lui régler les
-intérêts d'un emprunt ou l'acompte d'une émeraude.
-
-Avant que de me révéler le début des _Robinsons basques_, il me dit en
-tenir la version de sa famille, et que celle-ci, de père en fils, se
-l'était transmise.
-
-De cette famille, un membre, le premier sans doute qui donna lieu à la
-souche de Bayonne, repose dans le cimetière de La Bastide Clairence sous
-le prénom d'Abraham.
-
-Ce qui a laissé entendre à quelques simples d'esprit que le père d'Isaac
-est enterré dans cette commune.
-
-
-
-
-LES BASQUES ABORDENT EN TERRE VIERGE
-
-
-La légende rapporte que, il y a vingt-cinq siècles, un navire dont la
-coque portait le nom d'_Eskualdunak_ pénétra dans les eaux de l'Adour.
-
-Ce navire était magnifique et témoignait que la contrée d'Asie d'où il
-arrivait connaissait la civilisation la plus raffinée, à l'époque où les
-habitants de l'Europe future se servaient de haches de pierre et de
-pieux durcis pour assommer ou percer les ours et sangliers qu'ils
-dévoraient crus.
-
-Le capitaine de l'_Eskualdunak_ s'appelait Ondicola. Un équipage
-l'accompagnait qui se ressentait davantage d'une vie passée dans le luxe
-et la volupté que guerrière ou simplement active. Il se composait de
-matelots, de leurs femmes et d'un groupe de jeunes gens et jeunes filles
-dont le moins âgé, Iguskia, avait seize ans, et la plus jeune, Ithargia,
-quinze.
-
-Si, vivant alors, avec l'esprit d'à présent, nous eussions vu se
-promener sur la rive gasconne tant d'aimables Orientaux, ils nous
-auraient fait songer davantage à un débarquement à Cythère qu'à une
-descente dans les entrepôts de Bayonne.
-
-La saison étant fort belle, Ondicola fit jeter l'ancre et dresser à
-quelque distance de la mer les tentes d'un campement. C'était dans sa
-manière de suivre son caprice, et si un nouveau pays lui agréait par son
-climat et ses aspects, il s'y installait avec sa tribu nomade jusqu'à ce
-que le froid ou la lassitude les en chassât.
-
-Hommes et femmes déménagèrent le contenu du bateau sur l'arène. Des
-flancs de l'_Eskualdunak_ jaillirent des merveilles: des hamacs qu'on
-eût dit tissés de rosée; des robes d'un azur si transparent qu'on ne les
-soupçonnait que si les beaux corps s'y enfermaient; des pierres uniques;
-des ivoires sans défaut; et, dans des cristaux de roche à facettes
-ingénieuses, des parfums empruntés aux jardins des _Mille et une Nuits_.
-
-Les jeunes filles vivaient à part, les jeunes gens aussi de leur côté,
-car Ondicola ne souffrait point que rien altérât leur pureté jusqu'au
-jour de leurs noces. Non point qu'il eût aucune morale. Toute trace de
-religion avait disparu de ce peuple: Mais afin que la corolle s'épanouît
-dans toute sa grâce, tout, son éclat, tout son arome, Ondicola en
-faisait respecter la pré-floraison. Ainsi le produit serait superbe.
-
-Cette loi mise à part, que tout naturaliste aurait pu édicter, on ne
-voyait pas régner beaucoup de vertus parmi les hôtes de l'_Eskualdunak_,
-ni à bord ni à terre.
-
-Tant de siestes sous les arbres capiteux, de danses lascives, de fruits
-défendus, de complications du coeur mettaient à nu les nerfs de
-l'équipage ou le déprimaient.
-
-Ondicola, bien qu'il se laissât aller à ses moeurs, en éprouvait souvent
-du dégoût. Si imposant que fût le port des femmes, si élancée la ligne
-des adolescentes, si nette la carrure des mâles: il y avait tout à
-craindre pour l'avenir. Une lourde inquiétude envahissait Ondicola
-touchant la descendance de ceux qu'il abritait dans son navire et qu'il
-avait choisis parmi les types les plus parfaits de sa patrie indienne.
-
-Le seul culte de la beauté l'avait guidé lorsque, par exemple, il avait
-détaché Iguskia et Ithargia d'un plateau perdu de l'Himalaya où
-n'habitaient que de rares pasteurs. L'instinct puissant de conserver la
-race à laquelle il appartenait le dressait peu à peu contre les moeurs
-qu'il voyait affoler et anémier de plus en plus ceux de l'_Eskualdunak_.
-
-Lorsque, la nuit, sur le rivage de cet Adour que fait se plisser une
-brise si pure, il flânait au sortir de quelque débauche, il lui arrivait
-de rejeter le suc épaissi du pavot qu'il s'apprêtait à fumer.
-
-Alors, plus calme, il contemplait avec attendrissement, dans la
-diffusion de la lune, deux tentes isolées, en dehors du campement, qui
-se distinguaient entre toutes par leur blancheur particulière.
-
-Dans l'une, dormait Iguskia, seul; seule, dans l'autre, Ithargia.
-
-
-
-
-Nul n'ignore, reprit à quelques jours de là Jacob Meyer, que les
-Asiatiques connurent la poudre avant l'ère chrétienne, aussi bien qu'ils
-avaient inventé la brouette et la boussole.
-
-Je ne dis pas cela pour les Juifs (ajoutait-il), car ils n'ont pas
-voulu, encore qu'ils ne les ignorassent point, utiliser de telles
-découvertes: il nous suffit d'une mâchoire d'âne pour remporter la
-victoire; du dos du même animal pour transporter notre butin; de sa
-queue pour remorquer un captif; et, quant à la boussole, je vous demande
-quelle orientation pourrait prendre une race toujours errante?
-
-Donc, il y a deux mille cinq cents ans, Ondicola se servait de fusils de
-chasse dont l'amorce présentait une autre garantie que l'éclat de silex
-adapté à l'espingole de vos ancêtres. C'est ainsi qu'Ondicola et ses
-compagnons se procuraient du gibier, et d'autant plus aisément qu'il
-était alors peu farouche dans les contrées d'Europe qu'ils visitaient.
-Ondicola s'adonnait aussi à la pêche au lancer.
-
-Mais, tout de même, cette existence de plein air ne le maintenait point
-dans cette forme cynégétique, privilège des chasseurs à qui suffisent un
-croûton de pain, une gousse d'ail, un verre de vin et une femme.
-
-C'est pourquoi il résolut, pour retremper ses muscles, de s'en aller à
-la découverte, escorté de quatre bons tireurs et marcheurs, par ce pays
-qui leur était absolument étranger.
-
-Et d'abord il pénétra, par les bords de la Nive, dans la région de
-l'actuel Cambo. A mesure qu'il portait plus avant ses pas, un curieux
-phénomène se confirmait: pas un seul habitant n'y apparaissait. Telle
-était cette absence de l'homme que les écureuils eux-mêmes se montraient
-familiers jusqu'à sauter sur les épaules d'Ondicola et de ses
-compagnons. On voyait de ces rongeurs descendre deux par deux vers la
-rivière, se tenant par les doigts comme de jolis petits ménages. Ils
-rafraîchissaient leurs pattes. Ondicola admirait leurs moeurs plus
-simples que celles de l'_Eskualdunak_ où l'on usait, pour se baigner, de
-cuves d'or emplies d'eaux suaves.
-
-Par une réaction naturelle, au souvenir écoeurant de ces parfums, il se
-jeta dans la Nive à la nage. Et, quand il en ressortit, des gouttes qui
-n'avaient que l'odeur de l'air pur roulèrent à ses pieds dans l'herbe.
-
-Cette course à travers des bois qui n'exhalaient point les essences de
-l'Asie, mais à peine une senteur d'averse sous l'orage, le remontait. Il
-défendit au cuisinier d'épicer davantage les mets, et il proscrivit les
-sauces. Mais, faisant creuser dans l'argile un four que l'on garnissait
-de galets demeurés longtemps sur la braise, il ordonnait qu'on y rôtît
-la chair des lapereaux et des perdrix. La confiserie dont il s'était
-fait suivre lui répugna bientôt tellement, qu'il la fit abandonner à un
-ours débonnaire. Mais celui-ci, l'ayant flairée, s'enfuit sur un chêne
-d'où découla un délicieux rayon de miel.
-
-Un autre charme de cette vie errante était pour Ondicola d'échapper à la
-polygamie que pratiquaient, selon l'usage oriental, les gens de
-l'_Eskualdunak_. Mais que dis-je! Ce lui était un délice de se
-soustraire même à sa favorite qui, si belle qu'elle fût, et autant
-qu'elle dît l'adorer, et si fort qu'il crût l'aimer, l'excédait par les
-caresses qu'elle lui prodiguait, et aussi par sa jalousie. Les nuits
-étaient douces. On était en juillet. Il s'éveillait au chant des oiseaux
-et ne se sentait pas de joie, les yeux clos encore, de palper la mousse
-qu'aucune femme n'avait foulée.
-
-Si la tradition est exacte, Ondicola et ses compagnons remontèrent
-l'affluent de l'Adour jusqu'à la place d'Itxassou.
-
-Les forêts, quelque peu impénétrables, retardèrent leur marche, bien
-qu'ils continuassent de longer les rives. Si loin qu'ils aboutirent, ils
-ne rencontrèrent âme qui vive.
-
-Le chef de l'_Eskualdunak_ se faisait à cette existence élémentaire qui
-engendrait le calme du coeur, à ce silence que ne troublaient même plus
-les détonations des armes, puisque les bêtes les plus craintives se
-laissaient prendre à la main, les truites même.
-
-Je doute, se disait Ondicola, que, placée de bonne heure dans une
-contrée aussi vierge, une famille humaine, même la nôtre, si encline à
-la débauche, se fût corrompue. O pays idéal! Terre qui attend son
-premier couple!
-
-Plus de trente fois depuis leur départ le soleil s'était levé sur
-Ondicola et ses compagnons. Une tristesse infinie s'étendait sur le
-coeur du capitaine, cependant qu'il voyait venir le temps de rejoindre
-l'_Eskualdunak_.
-
-Il ne le fit qu'à pas lents. Mais lorsque, au soixante-dixième jour, il
-arriva en vue du navire et du campement, l'acte formidable qu'il allait
-accomplir avait pris corps dans sa volonté.
-
-L'_Eskualdunak_ se balançait indolemment sur son ancre; son équipage
-était en liesse.
-
-Durant les deux mois qui venaient de s'écouler, la dépravation de ces
-gens demeurés sédentaires avait atteint son comble. Ondicola éprouva la
-sensation d'un homme qui, d'une cime vivifiée par l'air le plus pur,
-chuterait dans un cloaque.
-
-Si dénué qu'il se montrât de toute morale, il imposait aux siens une
-sorte de crainte et d'ordre dans le désordre. On le savait désireux
-d'être obéi; prompt à infliger une sanction et, plus d'une fois, il
-n'avait pas hésité à brûler la cervelle à des mutins.
-
-Il constata que sa petite colonie avait tout à fait perdu l'équilibre.
-Les gynécées, mêlés entre eux, avaient changé de maîtres. Et bien que,
-craignant la mort, la favorite d'Ondicola s'employât à lui prouver
-qu'elle lui était demeurée fidèle, il s'aperçut bien vite qu'elle le
-trompait.
-
-Le mal dont il souffrait se fit plus aigu sous sa tente, une nuit que,
-ne parvenant pas à prendre le sommeil, il entendait au loin le bruit des
-violons et des flûtes exaspérer jusqu'à la folie les sens de l'équipage.
-
-L'illusion qu'il avait longtemps entretenue d'établir, dans la
-dissolution même, une sorte de règle, basée sur la notion du beau, se
-dissipait.
-
-Trop de vices s'étaient insinués même parmi ces adolescents et
-adolescentes qu'il avait longtemps préservés.
-
-Un contraste insultait à cette dépravation: ce vierge pays qu'il venait
-de parcourir, ses sommets fiers et doux qui font un second ciel à la
-vallée.
-
-Il se souvint alors que, depuis son retour, il n'avait aperçu ni Iguskia
-ni Ithargia.
-
-Sans doute eux aussi avaient-ils sombré dans cette décadence,
-s'étaient-ils cachés des yeux du maître que, du moins, ils respectaient
-encore.
-
-Renonçant à dormir, il sortit. L'orgie avait fait silence. Tout semblait
-au repos. Il se garda bien de se rapprocher de son harem qui, là-bas, se
-profilait sous la lune. A quoi bon accroître son dégoût? Il savait bien
-qu'une visite à l'impromptu ne lui eût réservé que déboires. Que lui
-importait d'ailleurs le mensonge de ces femmes?
-
-Il se trouva sur la grève déserte, à deux heures du matin, lorsque
-courent des frissons d'argent sur la mer qui n'a qu'un doux clapotement.
-
-Au milieu d'un semis d'étoiles, Phébé était une perle incrustée dans la
-nacre du ciel. A quelque deux cents mètres se dressait la tente
-d'Iguskia et, plus loin, à une distance égale, celle d'Ithargia. De
-chacune sortit une ombre.
-
-Le jeune homme et la jeune fille s'abordèrent à la limite du flot et se
-donnèrent la main. Ondicola, dissimulé par les rochers, les épiait
-curieusement.
-
-Ils longeaient la rive, s'arrêtaient parfois, élevaient leurs charmants
-visages dans l'air vif et salé. Les lignes de leur corps, modestement
-vêtus, ne se déplaçaient que suivant une grâce calme, d'autant plus sûre
-d'elle-même qu'elle s'ignorait. Pas un mot, pas un soupir, pas un
-murmure ne montaient d'eux. Mais il semblait s'exhaler vers Dieu, de ces
-deux corolles vierges, un immortel parfum, l'essence même de ce que
-l'amour peut donner de plus pur en ce monde.
-
-Ondicola retenait son souffle. Son coeur battait à peine, d'où
-s'envolait une prière confuse et muette vers ces bois récemment
-découverts où il avait vécu les plus belles heures de sa vie.
-
-II lui semblait qu'il n'eût eu qu'à se saisir de ces deux enfants de
-lumière, et à les déposer dans cette région bénie qu'il avait entrevue,
-pour que leur race s'y étendît à jamais comme les arceaux renaissants
-d'un verger aveuglant de fleurs.
-
-La radieuse vision s'éteignit avec l'aurore ou, plutôt, sembla résorbée,
-quand Iguskia et Ithargia se séparèrent.
-
-Ondicola les vit lentement remonter chacun à sa tente, sans qu'ils se
-fussent davantage parlé ou touché.
-
-Il ne restait plus d'eux qu'un souvenir, de roses bues par l'azur, dans
-la phrase interminable et doucement heurtée de la mer.
-
- * * * * *
-
-Lorsque Ondicola retrouva sa couche, le soleil brillait. Il put prendre
-du repos jusqu'à midi sans être énervé par les échos de la saturnale qui
-avaient mis en fuite son sommeil. De tristes tableaux ne hantèrent plus
-son imagination. Bien au contraire, ce fut la promenade étoilée
-d'Iguskia et d'Ithargia qui enchanta ses rêves.
-
-Quand il s'éveilla, sa résolution, était prise.
-
-Il manda des hérauts auxquels, avec un singulier accent d'autorité qu'il
-semblait avoir laissé faiblir depuis son retour, il ordonna d'annoncer à
-son de trompe que l'équipage eût à se grouper sur l'_Eskualdunak_. Il
-prescrivit en outre que les femmes et les hommes s'y rendissent dans
-leurs plus beaux atours; que toutes les oriflammes fussent déployées aux
-cordages et aux mâts, que les musiciens fissent entendre, au moment
-qu'il en donnerait le signal, l'hymne le plus languide et le plus
-amoureux.
-
-Personne ne manqua à l'appel. Tout le monde fut sur le pont, excepté
-Iguskia et Ithargia qu'Ondicola fit sagement s'asseoir en face du
-navire, assez loin sur la plage.
-
-Il monta le dernier à bord.
-
-Lorsque les femmes se furent épanouies de toute leur beauté sous leurs
-éventails d'autruche; lorsque le dernier soupir de l'orchestre se fut tu
-dans la splendeur du soleil qui déclinait sur la mer:
-
---Orientaux, et vous, Orientales, leur dit-il, fils et filles de la
-Volupté! J'ai compris, après avoir exploré le pays d'alentour, ce qui
-vous en sépare. Il est temps de lever l'ancre. Mais en deux mois vous
-avez rendu la colonie si intéressante que je descends à fond de cale
-pour y chercher l'ordre du jour dont vous êtes dignes. Je vais vous le
-dire. Attendez-moi.
-
-Ondicola disparut. Il entra dans la soute et mit le feu aux poudres.
-
-
-
-
-FONDATION DU PREMIER FOYER
-
-
-Iguskia et Ithargia n'éprouvèrent pas la moindre émotion en voyant tout
-à coup s'abîmer dans les flots la galante galère. Mais ils rirent, car
-leurs coeurs étaient neufs.
-
-Cet embrasement sonore, qui précéda le plongeon de l'_Eskualdunak_, les
-amusa comme d'un feu d'artifice. La mer immense s'était refermée sur les
-victimes.
-
-Depuis trois ans qu'Ondicola les avait enlevés à leur plateau pastoral
-et mêlés à son équipage, il leur était apparu tel qu'un maître assez
-sévère, mais bon. Jamais ils n'avaient eu de peine à le comprendre, car
-sa langue était la leur, cette mystérieuse langue basque.
-
-La plupart des souvenirs qu'Iguskia et Ithargia eussent pu conserver
-touchant la religion de leurs familles, amies l'une de l'autre,
-s'étaient effacés. Mais ils possédaient une vertu naturelle qu'Ondicola
-s'était plu à respecter et à cultiver jusqu'à prendre la tragique
-détermination dont il fut la première et volontaire victime. Il avait
-craint que, plus tard, ces enfants ne fussent gagnés par l'abomination
-de ceux qu'ils eussent fréquentés davantage.
-
-Cette perspective lui était devenue d'autant plus insupportable, dès là
-qu'il avait saisi l'harmonie qui coexistait entre les vertus d'une
-contrée vierge, inhabitée, et celles qui étaient innées à Iguskia et à
-Ithargia.
-
-Ceux-ci, tournant le dos à l'océan où venait de sombrer l'_Eskualdunak_,
-s'en allèrent prendre ou vêtir, chacun dans sa tente, quelques manteaux
-de laine qui les préservassent d'une fraîche brise soufflant du golfe.
-
-Ils se réunirent ensuite pour leur repas du soir. Sous les abris
-nombreux des courtisanes qui maintenant reposaient au sein des flots,
-des aliments singuliers traînaient parmi les bijoux et les toilettes. De
-ces toilettes et de ces bijoux, qu'eussent fait ces deux antiques
-Robinsons? N'ayant point trouvé là ces nourritures simples qu'ils
-aimaient, ils les allèrent prendre dans la tente d'Ondicola.
-
-Après dîner, Iguskia et Ithargia se séparèrent; chacun regagna sa tente
-ayant pris rendez-vous pour le lendemain.
-
-Ils furent debout dès l'aube et gagnèrent le sommet des dunes, couverts
-des mêmes tuniques de laine qu'ils portaient la veille. Mais Iguskia
-avait jeté sur l'épaule, en prévision des nuits qu'ils auraient à passer
-en plein air, deux sacs d'une souple fourrure, empruntée sans doute aux
-chèvres de la Mongolie. Il emportait aussi son coutelas, et, dans un sac
-de cuir, des champignons desséchés et le silex avec quoi on les allume.
-
-Ils remontèrent vers le sud-est, choisissant cette même voie tracée par
-la Nive dans laquelle s'étaient engagés naguère Ondicola et ses quatre
-compagnons.
-
-Le passage de ceux-ci était encore marqué çà et là par des coupes de
-fougères et de branches.
-
-En moins de deux mois Iguskia et Ithargia parvinrent, sans grand effort,
-au gré d'une flânerie charmante, sur les lieux où s'élève aujourd'hui
-l'ombreux et lumineux village d'Itxassou. Là, ils cessèrent de remonter
-l'affluent de l'Adour, poursuivirent au nord-est vers Macaye et
-Mendionde, sans y être autrement poussés que par l'attrait de ces
-vallées heureuses que protègent de leurs remparts l'Ursuya et le
-Baygura.
-
-Comme Ondicola et ses compagnons, ils se nourrissaient de truites qui
-abondaient dans les moindres ruisseaux, et de gibier facile à prendre à
-la main. Une racine, celle de l'asphodèle, dont Pline nous apprend que,
-cuite sous la cendre, elle donne un excellent pain, leur fut une
-ressource. Ils avaient connu, dans leur pays natal, l'utilité de cette
-même plante qui croît en abondance dans les landes du pays basque. On
-voit, au printemps, ses quenouilles jaspées filer l'air bleu qui les
-charge. Des mûres et, plus tard, les fruits du néflier dont la branche
-flexible et dure fournit à Iguskia le premier makhila, leur furent un
-dessert agréable.
-
---Si, observait Jacob Meyer, le calcul est juste de ceux qui, parmi les
-miens, ont scruté avec le plus de soin les archives de cette histoire,
-Iguskia et Ithargia se seraient trouvés aux grottes d'Isturitz vers
-l'été de la Saint-Martin de la même année. Ces grottes, vous m'avez dit
-les connaître, mon cher poète, et vous avez bien de la chance, car on
-les dit extrêmement riches en ossements, sculptures et armes
-préhistoriques. Les propriétaires sont intraitables sur le point de les
-laisser visiter, et ils ont préposé, à l'entrée, un cerbère vraiment
-infernal qui ne le cède en rien à ses ancêtres de l'âge de pierre. J'ai
-causé avec lui, et il paraît tout disposé à assommer quiconque oserait
-s'aventurer dans cette caverne, sans l'autorisation la plus formelle.
-
-... Et vous seul, m'a-t-on rapporté, l'auriez obtenue?
-
---C'est-à-dire, répondis-je, qu'une très vieille amitié lie ma famille à
-celle de M. Passerose, qui est en possession de ce très curieux document
-d'histoire humaine et de géologie. Il est vrai que, à part moi, je ne
-sache personne, sinon Pierre Loti, qui a fort bien décrit Isturitz, en
-faveur de qui l'on ait fait exception. Je suis le conservateur d'une des
-clefs de la solide grille d'entrée. M. Passerose me la confia, voici
-deux ans, avant son départ pour l'Abyssinie dont il ne reviendra pas de
-sitôt. J'ai vu là, de sa part, à mon endroit, une grande marque de
-confiance. Mais je n'ai guère profité de la permission que me confère la
-garde de cette clef dont le cerbère, que vous avez l'air de connaître,
-possède le double.
-
---Alors... même en vous suppliant?
-
---J'ai compris, insistai-je, que M. Passerose ne m'a choisi, entre ses
-plus intimes, que parce qu'il compte bien que j'observerai son
-inflexible consigne.
-
---Orphée, conclut en souriant le vieux Juif, sans que je comprisse très
-bien alors son allusion, avait ému les rochers mêmes de l'Enfer...
-
- * * * * *
-
-Iguskia captura à Isturitz beaucoup de palombes. Celles-ci, venant de
-loin, étaient farouches et filaient haut. Mais, dissimulé dans un chêne,
-il réussissait à les faire descendre en leur lançant des bâtons qui
-imitaient le vol du milan. Les Basques les prennent encore ainsi.
-
-Lui et Ithargia passèrent l'hiver à l'entrée de ces cavernes, sans se
-douter que les chasseurs de l'âge de pierre les avaient habitées. Nul
-vestige humain autour d'eux, sinon, à quoi ils ne prêtaient nulle
-attention, des haches et des flèches qui témoignaient d'une barbarie de
-chasseurs qui s'étaient tenus sur la défensive. Mais ceux-ci avaient si
-bien disparu depuis si longtemps, qu'à part les oiseaux de passage toute
-la faune était redevenue familière comme aux jours premiers de la
-création.
-
-Jusqu'au printemps de l'année qui suivit, Iguskia et Ithargia restèrent
-dans ces parages.
-
-Quand reparut le mois de mai, leurs coeurs s'emplirent d'amour à tel
-point qu'il semblait à l'un que les battements du sien eussent lieu dans
-celui de l'autre. Mais cette ivresse ne troubla point encore leurs corps
-dissimulés sous les blanches toisons, comme des sources sous la neige.
-
-Ils assistaient à la fête nuptiale que le renouveau fait plus gracieuse
-et plus grandiose. Tantôt ils voyaient deux fauvettes se fuir en se
-rapprochant sur une branche trop flexible, tantôt ils regardaient
-s'allonger l'un vers l'autre, et se rejoindre dans une combe, deux
-fleuves de brume d'où émergeait la cime découpée des bois.
-
-Quand les fortes chaleurs sévirent, ils se baignaient sous les
-feuillages de la rivière qui, de nos jours, porte le nom de Joyeuse. Et
-c'est ainsi que, de branche en branche, ils atteignirent le coteau
-d'Ayherre, non loin du futur Hasparren. La clémence des nuits leur
-permettait maintenant de dormir en plein air dans leurs fourrures. Ce
-fut par un torride jour d'or que la Providence décréta que la race
-bienheureuse, la race basque, naîtrait de ces deux Robinsons, prendrait
-racine en eux comme une vigne au flanc d'une belle colline.
-
-Une ruine surplombe aujourd'hui le bourg d'Ayherre et toute la contrée
-environnante, restes d'un château dont Albert Dürer se fût inspiré, car
-ils se confondent avec la lèpre même du lierre qu'ils opposent au
-soleil.
-
-Cette redoute seigneuriale, fréquentée des oiseaux de proie, porte le
-nom de Belzuncia. C'est sur l'aire de Belzuncia, qui ne devait être
-édifié que bien des siècles après, qu'Iguskia et Ithargia, au mois de
-juillet, se trouvèrent en présence d'un tapis dont les plus radieuses
-soieries qu'ils avaient vues sur l'_Eskualdunak_ n'approchaient point.
-
-Ce tapis vivait, car c'était un champ de froment. Ensemencé par qui? Nul
-ne l'a jamais su. Mais il suffit d'un coup de foudre sur une terre
-intègre, et d'une graine apportée par le vent, pour que, d'année en
-année, se multiplie la moisson comme sur l'échiquier du conte arabe.
-
-Iguskia et Ithargia en furent si éblouis qu'ils s'assirent pour
-contempler plus à l'aise la merveille. Chaque épi barbelé amenuisait la
-lumière bleue où criaient les cigales. Iguskia et Ithargia ressentirent
-que dans la béante profondeur il y avait Quelqu'un. Leur amour éclatait
-dans un plus grand Amour. Ils comprirent que dans cette splendeur
-visible, et au delà, Dieu est.
-
-En face de cette Présence qui les illuminait comme le soleil les
-coquelicots à la lisière du champ tout allumé de cerises sauvages, ils
-prirent le ciel à témoin de leur union.
-
-
-
-
-LA GÉNÉALOGIE
-
-
-Ithargia donna un fils à Iguskia. Le second des enfants fut une fille
-qui mourut à deux ans, et c'est ainsi qu'ils connurent la douleur.
-
-Cette petite étant tombée malade, sa mère pensa la relever de son
-abattement, ainsi qu'elle faisait à l'ordinaire, en lui présentant
-quelque fleur. Celle-ci était bien du pays basque. Qu'elle ressemblait
-peu aux corolles de l'Asie, somptueuses sans doute, mais dont les
-couleurs et les nectars trop violents fatiguent! Ce fut une digitale
-pourprée, dont les cloches, à l'intérieur ponctuées comme des pulpes
-d'abricot, tamisent une lumière d'aube.
-
-Dans la cabane qu'Iguskia avait construite avec des branches, des
-pierres et de l'argile, l'enfant, étendue sur une peau d'agneau, agonisa
-doucement. Bientôt elle n'eut plus la force de tenir ni même de regarder
-la plante que sa mère lui avait donnée.
-
-Elle mourut, bercée par le bourdonnement des abeilles qui s'échappaient
-du toit comme les braises d'un incendie. Quand elle fut muette, immobile
-et refroidie, Iguskia et Ithargia se mirent à genoux devant sa couche.
-Et leur prière, faite de sanglots, monta vers Celui qu'ils avaient
-pressenti dans la lumière de bluet de leurs fiançailles.
-
-Iguskia ensevelit au pied d'un cerisier sauvage son enfant dont l'âme,
-aux jours en feu, semblait crier par les voix des cigales.
-
-C'est ainsi que les Robinsons basques surent ce qu'était la mort qu'ils
-n'avaient jusque-là connue que chez les animaux et les arbres, la mer
-leur ayant caché les cadavres d'Ondicola et de ses compagnons.
-
-Ithargia souhaitait de ravoir une autre petite fille, mais Dieu ne lui
-envoya plus que des garçons qui naquirent à peu d'intervalle les uns des
-autres.
-
-Ils étaient au nombre de six quand leur mère, à peine plus jeune que le
-père, entra dans sa vingt-cinquième année. Sans l'ombre légère qui
-s'étendait sous le cerisier, le foyer n'eût été que joie.
-
-La culture était facile autour de la fruste habitation, le blé
-repoussait de lui-même, comme encore au bord du Nil. Iguskia l'égrenait,
-le lavait, le broyait, et Ithargia le pétrissait et le cuisait.
-
-Leur basse-cour s'était formée toute seule d'oiseaux, comme de coqs de
-bruyère et de tourterelles, qui venaient y picorer, et de biches
-gracieuses et de faons et de lapins et de lièvres.
-
-Jamais ils ne songèrent à quitter cet éden, car, à mesure que
-grandissaient les six garçons, à qui ils enseignaient la primitive
-langue basque et les travaux familiers, ils s'attachaient davantage au
-sol qu'ils avaient consacré avec la mort.
-
-Les trois aînés accusaient un goût plus particulier pour la pêche et la
-capture des palombes. Il leur arrivait de ne rentrer au foyer qu'après
-des excursions de plusieurs jours à travers bois. C'est ainsi qu'en
-suivant la Nive et l'Adour, refaisant en sens inverse le chemin
-autrefois parcouru par Iguskia et Ithargia, ils atteignirent la plage
-même devant laquelle, vingt ans plus tôt, avait sombré l'_Eskualdunak_.
-
-C'est là qu'ils s'endormirent un soir, lassés de leur longue marche, et
-par une nuit aussi sereine que celle durant laquelle leurs père et mère,
-adolescents, avaient laissé leur pur amour paraître aux yeux d'Ondicola
-ravi.
-
-Ces trois frères étaient d'une grande beauté: le plus âgé comptait vingt
-ans alors, à peine un peu moins les deux autres. Ils se nommaient
-Zoardia, Aritza et Sua.
-
-Zoardia et Aritza étaient à peu près du même type, souple et brun, aux
-cheveux un peu crépus et durs, aux yeux bridés et placés presque sur les
-tempes, l'allure si leste qu'on les eût dits toujours prêts à bondir.
-Sua était un peu gros et blond, avec d'étranges yeux glauques très
-obliques et perçants; d'une taille aussi élevée que ses frères, mais qui
-paraissait moindre, à cause du développement du torse; ses épaules
-étaient étroites. Il ne le cédait en rien aux deux autres pour
-l'agilité, soit qu'ils exécutassent des danses que leurs parents leur
-avaient apprises de l'Asie, et pour lesquelles ils se paraient de
-plumes, de minéraux brillants et de fleurs, et qu'ils accompagnaient
-d'un fifre de roseau; soit qu'à de longues distances ils se lançassent
-et se renvoyassent des projectiles ronds, faits de lames de cuir avec un
-noyau de silex.
-
-Donc Zoardia, Aritza et Sua s'étaient endormis sur la plage.
-
-
-
-
---Ici, observa le narrateur Jacob Meyer, qui n'hésitait jamais,
-paraissait connaître par coeur la légende basque, et ne faisait appel
-qu'à de rares notes, je me trouve fort embarrassé. Il me faudrait vous
-soumettre le manuscrit qui est à Aix, chez un mien neveu, qui en est
-fort avare. En effet, tout le passage suivant est écrit dans la même
-langue, mais en vers heptamètres, et constitue une sorte de nocturne.
-
-Ce chant commence après que Zoardia, Aritza et Sua viennent de
-s'assoupir sur cette arène d'où leurs parents partirent pour gagner les
-vallées de la Nive et de la Joyeuse. Ma mémoire n'est pas telle que j'en
-aie pu conserver les nuances, n'ayant point ce don qui est vôtre. Vous
-n'aurez donc qu'un faible écho du génie d'un koblari[1] lointain qui
-mêla sans doute sa propre inspiration aux documents laissés dans un
-rocher par Ondicola, et à ceux que nous ont transmis les premiers foyers
-qui s'allumèrent aux flammes de l'_Eskualdunak_.
-
- [1] Improvisateur basque.
-
-Voici le récit de ce barde et comme il s'enchaîne à ce qui précède.
-
-
-
-
-FORMATION DES PRINCIPAUX COUPLES
-
-
-Il y avait six jeunes filles dans une contrée d'Asie, plus belles les
-unes que les autres, longues et gracieuses comme les feuilles de l'iris.
-
-Et lorsqu'elles riaient, on eût dit d'une averse de grêlons dans des
-roses vermeilles.
-
-Toutes étaient brunes, toutes avaient les bras en arc, et leurs longues
-jambes rivalisaient de vitesse à la poursuite des chèvres égarées, car
-elles appartenaient au peuple pastoral.
-
-L'une avait vingt ans et les autres dix-neuf, dix-huit, seize, quatorze
-et quinze.
-
-Un prince, frère d'Ondicola, les avait aperçues en chassant, et il s'en
-était épris tellement qu'il avait demandé de les mettre dans les jardins
-de son palais à leurs parents qui avaient consenti.
-
-Il espérait bien d'en faire ses femmes. Mais elles étaient si belles,
-quand elles se penchaient hors de leurs pavillons de roses, qu'il n'osa
-les approcher.
-
-Et il tomba malade, comprenant qu'il est vain de poursuivre un amour
-dont on ne se sent pas digne.
-
-Lorsqu'il les considérait, il était comme un homme qui n'ose porter à
-ses lèvres la coupe, tant elle exhale un parfum enivrant.
-
-Durant six mois qu'aux portes de son harem elles furent ses
-prisonnières, il les fit combler de faveurs et de soins. Et le respect
-qu'il témoignait à leurs grâces était tel que, de la partie du bosquet
-où elles se baignaient, il était défendu de s'approcher sous peine de
-mort. Et lui, tout le premier, observait sa consigne.
-
-Mais il continuait de dépérir. Il consulta les sages qui guérissent avec
-des simples, mais ils lui déclarèrent qu'il n'était nul philtre qui pût
-venir à bout de son mal, et que le seul remède était, ou bien de
-s'exiler soi-même, ou de renvoyer ces beautés.
-
-Il opta pour ce dernier moyen, et les six jeunes filles retournèrent à
-leur plateau natal, le même où Iguskia et Ithargia avaient vu le jour.
-
-Mais son agonie continua, parce que, la nuit, le parfum des fleurs lui
-semblait être celui des bien-aimées, apporté par la brise. Il songea à
-s'expatrier, mais la dynastie des Ondicola le supplia de n'en rien
-faire, lui représentant que son frère avait mystérieusement disparu, il
-y avait un quart de siècle, avec l'_Eskualdunak_.
-
-Il resta, mais il résolut de donner la mort à celles qui l'empêchaient
-de vivre, et dont il n'aurait pu supporter qu'elles appartinssent à
-quiconque.
-
-Sur son ordre une galère appareilla--ainsi en avait décidé son frère
-jadis de l'_Eskualdunak_. Mais le luxueux équipage n'était, ici, que des
-six vierges.
-
-Néanmoins il para le navire de roses. Il en fit un jardin suspendu sur
-la mer. Il l'emplit d'autant de merveilles qu'en avait connu le vaisseau
-de son frère, et il fit peindre sur la coque ce mot: _Amodioa_.
-
-Puis, ayant fait s'embarquer les jeunes filles, il les abandonna seules,
-sans pilote, au gré des vents.
-
-Mais de ceux-ci, le plus doux, le Zéphire, s'étant épris de la plus
-jeune, ne cessa de souffler avec douceur dans la voilure, si bien que la
-navigation ne fut pas le moins du monde mouvementée; que les passagères
-purent descendre sans peine sur diverses plages, s'y approvisionner, et
-continuer leur voyage aussi facilement que si elles avaient eu, pour les
-conduire, le patron des nautoniers.
-
-Ainsi, et plus d'un an, elles naviguèrent sans que les récifs
-entamassent les flancs de l'_Amodioa_. Elles étaient plus gracieuses que
-jamais, tannées par l'embrun, dorées par les soleils, quand elles
-ressentirent les traits du dieu qui ne pardonne pas. Il souleva leurs
-seins comme des voiles, et, maintenant, elles tendaient leurs mains vers
-l'inconnu.
-
-Par une calme nuit l'_Amodioa_ entra dans la baie de Biscaye, toujours
-poussé par le vent qui ne cessait de caresser les cheveux de la cadette.
-
-Mais les mortelles aux Immortels préfèrent les mortels.
-
-Et c'est en vain que Zéphire étendit l'éventail de ses pennes au-dessus
-de celle qu'il chérissait. Lorsqu'elle fut descendue à terre avec ses
-soeurs, il comprit qu'elle était désormais perdue pour lui. Et, jaloux,
-il fit appel à Borée qui coula le navire aussitôt.
-
-Ainsi, l'un avec son équipage dont Iguskia et Ithargia avaient été
-réservés--l'autre sans ses passagères,--à plusieurs années de distance,
-l'_Eskualdunak_ et l'_Amodioa_ subirent, par des moyens différents, le
-même sort.
-
-Le Destin suivait son plan.
-
-L'embellie revint après cette tempête qui n'avait point altéré le visage
-des jeunes filles qui s'étaient endormies.
-
-La première, qui s'éveilla en bâillant et en étirant ses bras ronds, ne
-s'émut pas davantage de ne plus apercevoir le bateau qui les avait
-longuement promenées, puis déposées enfin sur cette nouvelle plage.
-Elles étaient, toutes les six, des païennes pour qui le passé compte à
-peine, l'avenir pas du tout, le présent seul. Maintenant, debout et
-radieuses, hors de leurs légères couches improvisées, elles écoutaient
-les chansons du golfe et leurs bouches et leurs coeurs avaient faim.
-
-A travers l'ombre épaisse de leurs cils, leurs regards glissèrent vers
-les trois jeunes hommes qui les aperçurent et vinrent vers elles avec
-des fraises, des cerises, du fromage de biche et du pain. Elles
-mangèrent en riant, et, dans la joie et l'espoir de l'amour, elles les
-suivirent quand ils s'en retournèrent chez eux.
-
-Ici, me fit observer Jacob Meyer, en compulsant un cahier, la prosodie
-s'interrompt, et le récit reprend son cours naturel en langue vulgaire
-jusqu'au deuxième chapitre.
-
-
-
-
-Ces belles créatures s'unirent aux six frères dont le plus jeune
-comptait environ dix-huit ans.
-
-Iguskia et Ithargia moururent nonagénaires, laissant une postérité si
-nombreuse que déjà elle formait la colonie de Hasparren.
-
-C'est ainsi que, soustraite à la civilisation corrompue de l'Orient,
-rattachée à une sorte de morale naturelle que fortifia la saine et pure
-solitude d'un pays en équilibre, la race basque fut fondée.
-
-Sans effort, comme Iguskia et Ithargia, les merveilleuses jeunes femmes
-s'adaptèrent à cette simple vie, toute faite de tâches faciles, et d'un
-amour sans mélange qui de lui-même proscrivait la polygamie. Aux nectars
-lydiens, tout de suite elles préférèrent l'eau qui stille des rochers
-d'Ursuya.
-
-Les deux ancêtres furent ensevelis à Ayherre, non loin du lieu où
-reposaient leur unique petite fille et tous ceux qui, dans la suite,
-trépassèrent avant eux.
-
-Ils transmirent à leur lignée une sorte de culte des cieux,
-mi-spirituel, mi-matériel, dont on retrouve la trace encore dans les
-signes des pierres tombales actuelles.
-
-Bien avant la conquête romaine, des groupes familiaux, dérivant de cette
-souche primordiale, se formèrent çà et là. Les trois fils aînés,
-Zoardia, Aritza et Sua, occupèrent le premier le Labourd, le second ce
-qui devait être la Basse-Navarre et le troisième la Soule. D'autres,
-parmi les cadets, se fixèrent en Espagne, dans l'actuel Guipuzcoa, où
-ils trouvèrent un peuple mauresque habile à corroyer, auquel ils ne
-s'unirent jamais, qu'ils méprisèrent, mais dont les instruments et
-méthodes les initièrent à une industrie qui se continue, et qui leur
-permit encore de se perfectionner dans l'agriculture et l'élevage. Ils
-en instruisirent ceux de leurs parents qui n'avaient point quitté la
-terre natale, quand ils les y allaient voir, et c'est ainsi que se
-développa rapidement, chez les uns et chez les autres, le génie
-commercial qui appartient au pays basque.
-
-
-
-
-LE JOUR ET LA NUIT A ASCAIN
-
-
-J'ai une excellente nouvelle à vous annoncer, me dit Jacob Meyer peu de
-jours après qu'il eut fini de me narrer, en s'aidant du peu de notes que
-l'on sait, la première partie de la légende basque. Le légataire de
-notre manuscrit familial, ce neveu dont je vous ai parlé, qui habite
-Aix, va descendre sous peu chez moi. Il doit examiner, à Biarritz, le
-projet d'adduction d'eaux salées que l'on a découvertes à Briscous, et
-dont il voudrait se rendre concessionnaire. Mais n'allez pas croire que
-ce fils de mon frère aîné, encore qu'il soit sorti le premier de l'Ecole
-Centrale, dédaigne la poésie. Il est parfaitement digne d'être le
-gardien de notre trésor, bien que je vous aie déclaré qu'il ne tient pas
-à le communiquer. Je lui ai écrit de vous; il apprécie, autant que je
-les prise, vos oeuvres, et, sachant que vous vous êtes intéressé à la
-légende basque, il consent à nous en apporter le texte tout entier. Que
-ce second chapitre, où nous en sommes, soit ou non une interpolation, il
-est souvent conçu dans cette forme lyrique dont nous fournit un exemple
-le passage qui a trait à l'histoire des six jeunes filles, dont chacune
-épouse l'un des fils d'Iguskia et d'Ithargia. Vous vous souvenez qu'à ce
-moment j'étais navré de n'avoir pas le manuscrit original, et de ternir
-les nuances de cet épisode, déjà affaiblies par la traduction du basque
-au français. Il ne faut plus qu'il en soit de même. Je parle
-d'interpolation: il est certain que brusque est le saut qui, du foyer
-primitif, nous introduit dans une Eskuarie christianisée, encore que je
-ne doute point que votre religion n'ait pénétré dans cette partie de la
-Gaule dès le voyage de saint Saturnin. Une poétique fontaine, située sur
-le bord de l'antique route qui joignait Hasparren à Alphat-Hôpital,
-porte le nom de cet apôtre envoyé par saint Pierre. Mais cela ne veut
-pas absolument dire que l'oeuvre ne soit pas d'un seul poète, qui a pu
-l'écrire à l'aide de très antiques documents attribués au premier
-Ondicola et de récits recueillis çà et là chez les koblaris. Que des
-professionnels débrouillent l'écheveau de la vérité! Quant à nous, il ne
-nous importe que de le tenir bien en main en admirant ses variations
-infinies. Peu nous chaut que, dans une chevelure toute ruisselante d'or,
-quelques cheveux aient été emmêlés par une folle brise.
-
-Je marquai toute ma reconnaissance à Jacob Meyer de ce qu'il m'avait
-admis à la confidence de cette sorte de romancero dont je consignais par
-écrit le moindre fragment dès que je me retrouvais seul avec moi-même,
-et le félicitai de l'élégance de sa traduction.
-
-Je n'attendais plus que la venue du Juif aixois, et je me trouvai là
-précisément lorsqu'il arriva chez son oncle qui le bénit en l'appelant
-Eliézer.
-
-C'était un homme de trente ans dont on ne pouvait dire qu'il manquât de
-race, quoique son profil fût d'un dromadaire dont le front serait
-couronné, et la joue encadrée d'un astrakan blond. Ses yeux avaient la
-couleur de liards devenus verts à toutes les intempéries. Il portait un
-vêtement de confection, qui n'eût présenté rien d'étrange sans une
-musette de soldat, passée en bandoulière, et dont il me dit qu'elle
-contenait le fameux manuscrit et ses instruments de minéralogiste.
-
-Il m'avisa que, le lendemain, il désirait se rendre à Ascain pour
-assister à une importante partie de pelote.
-
-Voulant dès l'abord me montrer aimable, je lui offris, ainsi qu'à son
-oncle, de me joindre à eux, mettant à leur disposition une voiture qui
-nous emmènerait de Bayonne, conduite par mon loueur habituel. Jacob
-Meyer se récusa, mais engagea son neveu à accepter, qui d'ailleurs ne se
-fit point prier.
-
-Je le pris donc avec moi, et tandis que nous roulions vers le but en
-traversant les délicieux trumeaux émaillés que sont les villages du
-Labourd, notre conversation ne tarit pas sur la légende basque. Eliézer
-Meyer connaissait à fond la langue de ce pays où il était né quand son
-père était officier d'administration à la forteresse de Bayonne.
-
---Oui, disait-il, elle est vraiment belle, n'est-ce pas, cette légende
-d'Ondicola que nous gardons aussi précieusement qu'Aladin sa lampe
-merveilleuse? Et vous dirai-je que, depuis que je l'approfondis
-davantage, ma grande occupation est d'en faire la synthèse, et mon grand
-attrait d'y réussir, c'est-à-dire de voir revivre dans ce peuple tous
-les germes en puissance dans les héros de cette charte?
-
-Et comme, assis tous deux sur un mur, les jambes pendantes, tout près du
-fronton d'Ascain, nous venions de suivre du regard, saisis d'un frisson
-sacré, la pelote gravissant, tel qu'un astre d'ombre, dans l'azur
-immaculé:
-
---Regardez, mais regardez donc cette assistance, me dit Eliézer. Admirez
-ces femmes de la race d'Ithargia, cette suprême et fine grâce
-mouvementée comme la vague qui l'apporta; ces mantilles pareilles à de
-légères voiles déployées sur la nuit des cheveux et des yeux; ce corail
-et ces perles des bouches; tout ne décèle-t-il pas l'origine orientale,
-l'aristocratie d'une race éclose au pays des gazelles?
-
---Quant aux Orientaux, reprenait Eliézer, la partie terminée, et tandis
-que nous nous rafraîchissions dans la naïve auberge, les voici, mais
-reconstitués par Ondicola, rapprochés de notre paradis terrestre. Ils
-n'ont guère conservé de défauts que cette indolence qui les porte à
-laisser leurs femmes se substituer à eux dans les travaux et les comptes
-de la cordonnerie, le premier de leur art. Et puis, n'aiment-ils point,
-à l'exemple de leur ancêtre Hafiz, de goûter sous les tonnelles un vin
-de la couleur des roses? Et, puisque nous parlons de Hafiz, voyez Hafiz
-ressusciter en eux!
-
-Deux hommes s'étaient levés gravement et se faisaient face d'une
-extrémité de la salle à l'autre, tandis que la multitude, se massant
-pour les entendre, s'imposait silence.
-
-Leur chant mélancolique monta.
-
-Ils se répondaient tour à tour, et la lumière baignait dans l'ombre
-leurs masques inspirés.
-
-Leurs voix vibrèrent longtemps dans le crépuscule.
-
-Pour prolonger l'extase d'une si belle journée, nous décidâmes de ne
-regagner Bayonne que le lendemain; et d'ailleurs, la nuit, le col de
-Saint-Ignace est dangereux.
-
-Nous flânions avant souper:
-
---Voilà, me dit Eliézer, de la digitale encore en fleur. C'est une
-digitale, vous en souvenez-vous, qu'Ithargia plaça entre les doigts de
-sa fille expirante.
-
---Comment, répondis-je, ne me rapellerais-je pas le moindre détail de
-cet admirable poème?
-
---La digitale, reprit-il, habite le silex qui lui donne peut-être cette
-divine flamme rose qu'ont aussi les étincelles qui jaillissent de lui.
-
-Je regardai Eliézer. Avait-il du génie? Il ne paraissait point s'en
-douter.
-
-Nous revînmes à l'hôtellerie du Jeu de l'Oie, où l'on nous servit de la
-truite et du confit.
-
-Nous errâmes ensuite dans le clair de lune. Eliézer semblait devenu
-muet, mais il était impossible de ne pas s'apercevoir qu'il avait la
-connaissance détaillée des lieux où nous nous trouvions.
-
-Peut-être la recherche des métaux et des sources l'avait-elle conduit
-déjà là? Il se baissait, de temps à autre, prenait pour l'examiner à la
-lueur de la lune quelque fragment de roche éruptive où, parmi les noires
-constellations du mica, fulgurait un éclair de cuivre.
-
-Minuit sonna au clocher d'Ascain.
-
-Eliézer entra au cimetière. Je le suivis.
-
-Quelle calme poésie dans ce jardin des morts! L'Israélite qui s'était
-découvert me fit un signe du doigt, me montrant, sur une vaste pierre
-tombale que pâlissait le soleil de la nuit, ces huit lettres gravées:
-_ONDICOLA_, sans date, ni autre indication.
-
---Ce nom, me dit-il enfin, est d'une famille célèbre par ses pilotaris.
-Je ne sache rien de plus, sinon, comme vous l'avez appris vous-même,
-qu'il est le plus vieux du pays basque, celui du fondateur que la
-légende nous révèle; et je ne serais point surpris que l'un des six fils
-d'Iguskia et d'Ithargia l'eût porté, et que la longue lignée l'ait
-conservé par respect des ancêtres. Les Ondicola sont maintenant de
-pauvres hères, mais qui sait?
-
-Nous reculâmes, car nous voyions la vieille pierre se soulever
-d'elle-même et Ondicola sortir du sépulcre.
-
-Il regagnait le ciel, vêtu splendidement comme une constellation.
-
-Il était suivi de tout son peuple. En tête s'avançaient, d'une
-incomparable beauté, tels que dans leur pure adolescence, Iguskia et
-Ithargia; puis leurs fils, et les femmes de ceux-ci, et leurs
-descendants dont l'un se faisait remarquer par son audace: il montait
-seul un esquif sous qui roulaient les nuages et, soudain, il lançait le
-harpon. Des flottilles escortaient ce marin qui semblait être l'amiral
-de ces Basques, épris de contrées lointaines et qui ne cessent
-d'affronter l'inconnu.
-
-Certains sombraient avec leurs barques, mais d'autres abordaient en des
-archipels de lumière.
-
-Puis venaient les agriculteurs qui labouraient l'espace, d'une
-simplicité d'attitude et de mise qui regagnait celle des pasteurs dont
-on voyait neiger les brebis dans l'aube naissante.
-
-Un groupe de guerriers menaçait de makhilas des fils de Mahomet.
-
-A la suite de saint Léon, processionnaient les innombrables enfants du
-pays qui ont épousé le Christ. Ils portaient des vêtements noirs ou
-blancs dont quelques-uns étaient tachés de sang. Ils étaient les martyrs
-de Chine et d'ailleurs, qui avaient quitté la maison bien-aimée aux
-longues ailes pendantes. L'un d'eux portait le Sacrement autour duquel,
-comme à Hélette encore, les hommes dansaient, graves de joie. Des
-pilotaris l'ombrageaient avec leurs gants de cuir ou d'osier.
-
-Puis venait le troupeau des fidèles, l'humble peuple au coeur d'or des
-petits négociants qui taille le cuir, débite la viande, fait griller le
-café devant les portes.
-
-L'angélus m'éveilla. Je m'étais laissé gagner par le sommeil dans le
-champ des morts, la tête contre une touffe de romarin. Eliézer dormait à
-quelque distance. La tombe d'Ondicola était toujours là, mais close.
-
-La sonnerie des cloches reprit en s'accentuant. La douce vallée était
-bercée par elle. C'était au matin de la Fête-Dieu.
-
-Une louange sans nom monta de la matinée.
-
-De vivants chemins, à onze heures, se mirent en marche: on ne savait
-plus si c'étaient les cerisiers qui s'avançaient, où la foule. On
-entendait l'orage des tambours et, par moment, entre leurs batteries et
-celles des clairons, l'hymne montait et s'affaissait comme la mer. Puis
-le grondement reprenait dans le rire des cloches en extase, et le regard
-bleu du ciel se reposait avec amour sur les blés.
-
-Que ce paysage était simple! Simple comme cette race unique fondue à la
-sérénité des collines, à la clémence du climat, à la frugalité des
-terres! Elle suivait ce morceau de Pain qu'est son Seigneur et son Dieu.
-Elle le suivait sans hésitation, le coeur au large et tout baigné d'une
-rosée angélique. Ils allaient, leurs grains de bois sec dans une de
-leurs mains calleuses et, dans l'autre, le béret dont ils montraient la
-belle doublure neuve, vêtus du court chamar ou de la veste commune, le
-pantalon arrêté au-dessus de la cheville pour que la poussière ou la
-boue n'atteignît que les gros souliers.
-
-Es-tu content de ton peuple; est-ce ainsi que tu l'as voulu, Ondicola?
-
-Lorsque, dans la soirée, Eliézer et moi nous nous en retournâmes, les
-sentiers étaient jonchés d'herbages et de fleurs et tout parfumés de
-menthe.
-
-Nous relayâmes à Hasparren où nous couchâmes. Ville délicieuse, charme
-premier du pays basque où les magasins bas, avec leurs porches romans,
-leurs naïves enseigne, la pauvreté de leurs denrées exposées aux
-devantures, suffiraient à nous guérir de la croyance qu'il est
-nécessaire, pour vivre, de se trouver aux portes du Louvre ou de
-l'Institut Pasteur!
-
-Le lendemain matin, Eliézer ayant la migraine demeura au lit. Je me
-dirigeai seul, à pied, vers cet Ayherre où la légende situait le foyer
-d'Iguskia et d'Ithargia.
-
-J'aperçus le château démantelé de Belzuncia. L'air était blond et
-argenté comme une perle, où les blés prenaient déjà la teinte sombre de
-la terre.
-
-Au flanc de la colline était un champ modeste où vinrent deux faucheurs,
-un jeune homme et une jeune femme. Je songeai à Iguskia et à Ithargia
-qui s'étaient épousés dans les flammes de la moisson.
-
-Je me rapprochai de ce couple qui était d'une indicible beauté,
-transmise à travers les âges sur l'aile de l'Amour selon le voeu
-d'Ondicola. Leurs regards étaient tels qu'ils donnaient à penser que la
-lumière peut être noire.
-
-Je leur dis que j'étais venu de Hasparren, visiter les ruines proches de
-leur ferme, ce dont ils ne s'étonnèrent point car elles éveillaient
-parfois la curiosité des promeneurs. Ils ne souffrirent point que
-j'allasse prendre mon repas à l'auberge et, avec cette simplicité
-habituelle à leur race, ils m'invitèrent chez eux.
-
-La femme nous servit, après quoi leurs quatre petits garçons, qui se
-suivaient de tout près par l'âge, vinrent manger debout la soupe qu'on
-leur présenta dans une écuelle. Ils burent de l'eau dans un bol ébréché,
-puis s'en allèrent satisfaits. Sur deux chaises, l'un en face de
-l'autre, un aïeul et une aïeule somnolaient.
-
-Je sortis pour aller contempler l'ancien château, mais plutôt pour
-évoquer le premier foyer eskuarien qui l'avait précédé de bien des
-siècles.
-
-Les remparts tombent, mais la terre ne meurt pas. Aussi magnifique était
-peut-être cette campagne qu'aux jours premiers d'Iguskia et d'Ithargia.
-
-Avant de regagner Hasparren, j'allai remercier mes hôtes. Ils étaient
-assis sous un noyer qu'on eût dit tout chargé de nuit fraîche. Ils se
-tenaient par la main avant que d'aller reprendre leurs faucilles. Une
-caille au loin appela.
-
-Je ne fis part ni de mon rêve ni de mon excursion aux ruines d'Ayherre à
-Eliézer.
-
-
-
-
-LE SIÈGE DE PAMPELUNE
-
-
-Peu de jours après notre course a Ascain, je me retrouvai avec Eliézer
-chez son oncle dans ce vieux Bayonne si pittoresque où jadis aborda, au
-retour des Indes occidentales, l'une des caravelles de Christophe
-Colomb.
-
-Pays de Robinsons, d'explorateurs, de pêcheurs, de corsaires, que
-n'as-tu ajouté cette devise à ton blason, lue sur un vieux pot anglais:
-«_Les aventures sont pour les aventureux._»
-
-J'attendais avec une certaine impatience la suite, à laquelle j'avais
-été convié, de la légende basque.
-
-Le début du deuxième chant me surprit.
-
-C'était une sorte de préambule, davantage un exposé qui semblait, plutôt
-que d'un poète, l'oeuvre, eût-on parié, du copiste.
-
-Quel copiste? Que, dans une langue non écrite, ou dont le graphique a
-disparu, il y ait quelques exceptions, soit! Il n'en est pas moins vrai
-que ce Juif aux yeux verts, affublé d'un prénom si extravagant, me donna
-un léger choc lorsque je l'entendis, comme on va le voir tout à l'heure,
-employer le mot _curé_ dans sa traduction.
-
-A la vérité, ce mot ne semble avoir que faire avec, je ne dis pas la
-religion, mais l'esprit d'une époque aussi reculée. Ce pouvait être une
-faute de goût de la part du neveu de Jacob Meyer, tout au moins une
-bizarrerie. Mais je dois prévenir les lecteurs, afin qu'ils ne me
-tiennent point pour un naïf, qu'à partir de cet instant, je fus assailli
-par le doute. Eliézer ne m'étonna pas moins que, dans la même séance,
-après avoir ouvert une parenthèse explicative que je n'ai pas consignée,
-mais qui avait trait au procédé d'Ondicola pour sélectionner la race
-eskuarienne, il prononça: «Et, d'ailleurs, la diplomatie est la science
-de l'amour.»
-
-Allais-je me lever, faire éclater mon mépris, ou m'esquiver sans bonjour
-ni bonsoir? J'eus la sagesse de n'en rien faire.
-
-Je remis à plus tard la clef d'or du mystère. Qu'importait son auteur
-véritable si l'oeuvre continuait de me ravir, et ne faut-il pas, après
-tout, que toujours par quelqu'un le Robinson commence?
-
---En Labourd, en Soule, en Basse-Navarre, traduisit Eliézer qui semblait
-suivre le mot à mot du texte rapporté d'Aix, on vit, huit cents ans
-après la destruction de l'_Eskualdunak_, s'élever çà et là de jolies
-églises à triple clocher, adossées à leurs presbytères dont les jardins
-produisaient des légumes, des fruits, des lys blancs et des pois de
-senteur.
-
-Ces paroisses naissantes vécurent longtemps en paix, mais les curés
-(_sic_) représentèrent à leurs brebis, capables de se transformer en
-lions, que le diable donnait depuis longtemps le siège à leurs frères
-basques d'Espagne.
-
-On sait que ceux-ci avaient appris des Maures l'industrie du cuir et
-l'agriculture raisonnée, qu'ils avaient transmises à leurs parents
-restés en France quand ils les y allaient visiter. Mais ils ne furent
-pas longs à s'apercevoir que la race maudite de Mahomet, pleine de
-dissimulation, ne leur voulait que du mal. Et ce qui mit le comble à
-leur indignation, ce fut le martyre que de tels barbares infligèrent à
-la chrétienne Eurosie qui s'était refusée à épouser l'émir. Les Basques
-de France se portèrent au secours de leurs frères outragés et, les
-secondant, s'emparèrent de Pampelune.
-
-Le texte de la légende, observa ici Eliézer, emploie le style lyrique
-dans le passage qui suit et qui a trait précisément à la prise de cette
-ville. Il y a même, dans la seconde partie, un essai que je crois devoir
-traduire en en respectant la prosodie.
-
-Quand les descendants d'Iguskia et d'Ithargia arrivèrent sous Pampelune,
-le crépuscule était comme un grand oranger parfumé.
-
-L'émir reposait dans son pavillon avec ses femmes couronnées de fleurs
-de grenadier. Le bourdonnement des guitares énervait leurs amours.
-
-Ah! l'on te retrouve bien là, mollesse orientale dont Ondicola vint à
-bout lorsqu'il fit exploser son _Eskualdunak_ d'or, après avoir lâché
-sur une terre incomparable un couple vierge!
-
-Les fils d'Iguskia et d'Ithargia sont sous tes murs, ô Pampelune! Ils
-viennent enfin brûler les dieux qu'ils eussent adorés sans un maître
-audacieux qui anéantit son équipage avec lui.
-
-Voici les principaux comtes basques: Arnaud de Macaye; Sanche
-d'Espelette; Ramoun de Tardets; Bernard d'Iholdy; Auger de Mauléon;
-Ondicola d'Ascain.
-
-Qu'ils ressemblent peu à ces païens, obèses la plupart, vautrés dans
-l'orgie, empêtrés dans leurs tuniques, gavés de confitures de roses!
-
-Arnaud de Macaye descend de Zoardia, l'aîné de ceux qui avaient épousé
-les belles enfants dont l'une avait séduit le Zéphire à bord de
-l'Amodioa. Après avoir navigué au long des côtes, il est revenu dans son
-village au milieu de sa tribu. Et, avec ses mules, passant et repassant
-la frontière, il fait commerce d'huile et de vin.
-
---Où est, s'écrie-t-il, en avançant vers le rempart, l'émir, que je le
-crève comme une outre?
-
-Arnaud de Macaye ne porte casque ni cuirasse, ni autre vêtement de
-guerre, mais le petit béret basque, le chamar, et un pantalon aussi
-léger qu'une feuille. Ses longs cils ombragent son regard:
-
- Il tient serré son makhila flexible
- Dont on voit bien qu'un seul coup abattrait
- Le Sarrazin avec son minaret.
- Il porte un cor de chasse à la ceinture
- Ses compagnons sont armés comme lui
- Du makhila qui ne sait faire grâce.
-
- Sanche est celui qui descend d'Aritza.
- Son fief domine un sommet d'Espelette
- Qu'on a nommé le mont du Mondarin.
- Navigateur intrépide il s'en fut,
- Accompagné de ceux de la Bretagne,
- Depuis le cap extrême de l'Espagne
- Jusqu'au pays que l'on ne connaît plus.
- Quand il revint, Gachucha fut sa femme.
- Et depuis lors il tisse des lainages,
- Qu'un de ses fils va vendre en Oloron.
-
- Quant à Ramoun, qui descend de Suâ,
- Dedans Tardets, la céleste vallée
- Qu'il n'a jamais jusqu'à ce jour quittée,
- On ne peut pas dénombrer ses brebis.
- Il vend sa laine à Sanche d'Espelette.
- Il est danseur et, toujours sous ses pieds,
- On voit le vide et le soleil briller.
-
- Après s'en vient Bernard, chef d'Iholdy,
- Qui fit, dit-on, premier le tour du monde,
- Puis s'enrichit à bien tanner le cuir.
- Et, plus que tous, il en veut à l'émir,
- Parce qu'il est beau-frère d'Eurosie.
-
- Auger qui sort de Mauléon la terre
- Contre la gent est si fort en colère
- Que l'on croirait qu'il porte le tonnerre.
- Et cependant, par ordre de Clotaire,
- De père en fils sont en leurs lieux notaires.
-
- Ondicola d'Ascain paraît ensuite
- Toujours lequel fut un pilotari.
- Au makhila s'adjoint sa plus rude arme,
- Son chistéra qu'il porte sur le dos.
- Qu'on le redoute, il est si fort qu'il peut
- Lancer la balle aussi loin qu'il le veut.
-
-Dans leur fureur vengeresse, ils étaient tellement sûrs de leur
-triomphe, ces comtes et leurs vassaux, qu'ils avaient demandé aux plus
-jolies filles basques de les accompagner.
-
-Le choix ne fut point facile, elles sont légion. On en dut réduire le
-nombre et faire pleurer de doux yeux. Les favorisées partirent donc, le
-coeur léger.
-
-Que l'on n'aille pas croire que ce fut pour bafouer la morale. Elles
-étaient honnêtes. Mais Arnaud, mais Sanche, mais Ramoun, mais Bernard,
-mais Auger, mais Ondicola d'Ascain avaient jugé que le plus dur supplice
-qu'ils puissent infliger à des mahométans enchaînés était de faire
-défiler devant eux ces beautés merveilleuses. Ce qu'ils firent. Et
-l'émir en mourut.
-
-Je ne savais, tandis qu'Eliézer suspendait là cette partie de la légende
-basque, s'il me fallait éclater de rire ou me fâcher, ou garder mon
-calme. J'optai pour cette dernière attitude. Jacob Meyer, opinant du
-bonnet, applaudit cette fin du chant.
-
-
-
-
-CHANT D'AMOUR DE TIRUZTAYA ET DE LÔRÉA
-
-
-J'ai dit que le prétexte qui avait été donné par son oncle, de la venue
-d'Eliézer, était d'une eau salée dont on s'occupait fort en ce moment
-pour la conduire à Biarritz.
-
-Des hommes autorisés tels que MM. Raymond Baron, Hézard et Bergeroo,
-étaient parmi les membres de la Société qui s'était fondée.
-
-Il me serait bien impossible d'informer sur le rôle que joua dans cette
-affaire le neveu de Jacob Meyer durant les quelques semaines qu'elle le
-retint ici. Il semblait s'intéresser alors à la minéralogie du système
-cantabrique, mais je ne pus me défendre d'une certaine méfiance touchant
-ses capacités, quand il me fit part, à propos d'un soulèvement d'ophite
-d'une théorie qui ne tenait pas debout. Je n'en jugeai pourtant que par
-les vagues leçons d'histoire naturelle apprises par moi au lycée de
-Bordeaux, d'un professeur, il est vrai fort distingué, M. Kuntsler.
-
-Eliézer me montra un perforateur à pointe de diamant, dont il me dit
-qu'il lui servirait à atteindre une nappe de pétrole située à
-Saint-Boës, près d'Orthez.
-
-Il ne me parla plus, momentanément, de la suite de la légende basque.
-
-Etait-ce que, cette suite, il prenait le temps de la composer ou qu'il
-voulût me la laisser désirer? Mystère. Je n'y fis aucune allusion,
-encore qu'un mot de Jacob Meyer m'eût fait entendre naguère que l'un des
-plus sublimes passages des Robinsons serait un duo d'amour, chanté par
-des descendants de Zoardia, au printemps, à l'entrée de ces grottes
-d'Isturitz, dont je possédais la clef.
-
-Cette clef, combien je sentais l'oncle et le neveu vivement possédés du
-désir de l'introduire dans la serrure interdite!
-
-Je continuais de fréquenter chez le vieux, le trouvant mainte fois
-occupé à quelque délicat travail, comme d'examiner les arborisations
-d'une émeraude ou, ce qui ne l'est pas moins, d'en discuter le prix avec
-quelque femme du monde.
-
-Il ne se gênait point; il semblait même que ma présence le stimulât pour
-exiger d'âpres conditions de belles clientes qui connaissaient les
-détours d'ombre de l'étroit et discret escalier de la rue Pontrique.
-
-Parfois nous reprenions le cours de nos conversations littéraires, ou
-nous allions pêcher les petits muges de la Nive. J'aime ce passe-temps
-populaire, et de me retrouver dans la compagnie de ces maniaques
-s'efforçant de fixer autour d'un hameçon l'appât, si vite désagrégé,
-d'oeufs de merluche.
-
---Il est une science, me dit Eliézer, un après-midi que je le rencontrai
-chez son oncle, à laquelle je m'adonne passionnément: l'anthropologie
-préhistorique. Les grottes d'Isturitz...
-
-Encore! me dis-je. L'oncle et le neveu ont dû se passer le mot! Faut-il
-donc qu'ils soient têtus et indélicats pour me reparler de ces grottes,
-vouloir me faire manquer à mon engagement, alors qu'ils savent que c'est
-moi précisément et le cerbère qui devons nous opposer à toute
-infraction.
-
---Les grottes d'Isturitz, insista Eliézer, offrent aux spécialistes de
-l'âge de pierre un intérêt qui se double pour moi de tout ce que m'a
-fait connaître des origines du peuple basque la légende ondicolienne.
-Isturitz, quel nom! Est-ce que des descendants de Zoardia et d'Aritza,
-s'il faut en croire un magnifique passage que je vous traduirai
-prochainement, ne le rendent pas plus harmonieux encore par les accents
-d'un amour ineffable qui, après plusieurs siècles, commémore les
-élévations d'âme de leurs ancêtres? Ce n'est que chants d'oiseaux buvant
-aux calices de fleurs printanières.
-
-Il fallait bien que je m'avouasse que, trompeurs ou non, Eliézer et son
-oncle se servaient d'un joli langage, et que la perspective d'entendre
-ce pur duo auquel ce dernier avait déjà fait allusion excitait ma
-passion poétique.
-
-Mais je ne pouvais me déprendre d'un certain malaise. Et, de penser
-qu'on avait influencé mes nerfs, jusqu'à m'avoir fait rêver si
-étrangement à la légende basque dans le cimetière d'Ascain, augmentait
-mon trouble. Ces Hébreux agissaient sur moi comme s'ils m'eussent dosé
-les drogues dont usaient les passagers de l'_Eskualdunak_. Il me
-faudrait réagir à temps.
-
---J'ai d'ailleurs, poursuivit Eliézer, promis à Salomon Reinach de me
-mettre en quête d'un ours en pierre tendre, catalogué par Pierre Loti,
-et que les primaires de ces grottes ont sculpté plusieurs siècles avant
-que s'y réfugiassent Iguskia et Ithargia. Les savants actuels suivent un
-plantigrade pétrifié avec autant d'ardeur que les sauvages qui l'ont
-exécuté le poursuivaient, vivant, de leurs flèches de silex et d'os.
-Vraiment, ne pourrait-on explorer des lieux si attirants dont, bien
-entendu, aucun objet ne serait distrait, mais infiniment respecté? Quant
-à l'ours, cher monsieur, si on le retrouve, il n'est que d'en référer à
-son propriétaire. Nous n'en serons que les montreurs. Qui dit Salomon
-Reinach dit prince munificent.
-
-Comme il me voyait inquiet, gêné, hésitant, Eliézer continua:
-
---Ecoutez-moi bien. Je ne vous demande, pour une première entrevue avec
-les grottes d'Isturitz, et jusqu'à ce que vous nous ayez obtenu de M.
-Passerose la permission d'y pénétrer, que d'aller vous y lire, à
-l'entrée, le duo d'amour de la légende, et, seulement dans le cas où
-vous le jugeriez digue de votre reconnaissance, vous vous emploieriez à
-nous obtenir la permission que nous désirons tant.
-
---Eh bien! soit, prononçai-je.
-
- * * * * *
-
-Mais j'éprouvai quelque honte de cette lâcheté où venait de m'induire
-moins sans doute l'amour de la poésie que ma vive curiosité pour le
-roman en action que me tramaient ces Juifs, sous prétexte de Robinsons
-basques.
-
-
-
-
-Une journée sans nuages enveloppant de sa netteté la trouble et bleuâtre
-colline d'Isturitz nous réunit tous trois à l'entrée de ses grottes.
-Nous avions laissé, à quelque distance, dans une auberge, voiture et
-cocher.
-
-Nous retirâmes de nos paniers une langouste, une galantine et un pâté de
-foie qui me donnèrent à réfléchir sur les animaux que proscrit la loi
-mosaïque. Quant aux vins, ils lançaient, entre les doigts de Jacob
-Meyer, des éclairs de rubis et de topaze. Horace et ses convives ne se
-fussent pas mieux traités dans la villa de Castétis.
-
-Lorsque la douce langueur, qui suit sur l'herbe ombreuse le repas de
-midi, m'eut quelque peu enveloppé, Eliézer retira de sa musette le
-précieux texte, ou sa traduction, ou son adaptation, comme il vous
-plaira.
-
-Et il lut:
-
---Voici le duo nuptial que chantèrent, pour la première fois, dans la
-région d'Isturitz où leurs antiques parents, Iguskia et Ithargia, les
-ont précédés dans la jeunesse et dans l'amour, Tiruztaya, homme du foyer
-de Zoardia, et Lôréa, fille de la tribu d'Aritza.
-
-TIRUZTAYA
-
-J'ai trouvé, sur le sommet d'Abbaratia, une rose sauvage dont le charme
-est incomparable, non pas qu'elle soit moins ou plus rose qu'une autre,
-ni davantage odorante, mais, à mesure que je gravissais vers elle et que
-mes yeux en buvaient la rosée, ah! je comprenais qu'elle n'avait été
-touchée même par une abeille: par le ciel seulement.
-
-LÔRÉA
-
-Sur la cime de la montagne cette rose s'est plu à incliner sa tige,
-formant un arc aussi doux que ton nom, ô Tiruztaya!
-
-Mais, brusquement, s'est détendue la tige, et moi qui en étais la fleur,
-je me suis décochée avec force pour venir me poser sur ton coeur.
-
-TIRUZTAYA
-
-Que nos petits cousins appellent les fauvettes avec les fifres dont ils
-enchantent le long après-midi. Elles ne répondront plus à leur
-invitation, ô Lôréa, si elles t'ont entendue, mortes de jalousie.
-
-LÔRÉA
-
-Lorsqu'on célébra, il y a un an, la fête ondicolienne, c'est alors que,
-pour la première fois, je te distinguai parmi les pilotaris.
-
-Et quand, avec un geste que je ne peux pas dire, tant il fut mesuré dans
-l'espace, tu brandis le gracieux berceau d'osier du chistéra, mon coeur,
-que tu avais mis dedans, ne fit qu'un bond.
-
-Et je vis, ô joie! mon coeur monter et redescendre vers un rival que tu
-provoquais.
-
-Mais toi, comme donnant un ordre à ce coeur, tu t'en jouais, le
-rappelant sans cesse, le relançant, le reprenant encore, le renvoyant
-jusqu'à ce que te restât la victoire au milieu des applaudissements.
-
-TIRUZTAYA
-
-Je bercerai ton coeur dans ce hamac d'osier où roule la pelote afin
-qu'un jour, auprès de notre couche nuptiale, j'y berce aussi nos petits.
-
-LÔRÉA
-
-Ne me fais point rougir, ô Tiruztaya!
-
-TIRUZTAYA
-
-Comment te ferais-je rougir puisque, déjà, tu es rose? Mais si tu veux à
-moi-même voiler ton teint d'églantine, laisse mon front se rapprocher du
-tien jusqu'à ce que je n'y voie plus.
-
-LÔRÉA
-
-Attends encore, Tiruztaya.
-
-C'est dans le front que les jeunes filles cachent leur pensée la plus
-pure.
-
-Et lorsque tu les vois se tenir si droites, elles veulent que la
-poussière soulevée par leurs pieds ne puisse atteindre cette plaque de
-marbre où, invisiblement, le nom du bien-aimé est gravé.
-
-TIRUZTAYA
-
-Rien ne courbe donc votre fierté?
-
-LÔRÉA
-
-Il faudrait, pour que je consentisse à abaisser ton nom chéri, que je
-porte à la cime de mon être, que tu me tuasses d'un coup de flèche en me
-trahissant.
-
-Alors, ô tristesse! je ne saurais que m'abattre tout du long, ma tête à
-tes pieds.
-
-TIRUZTAYA
-
-Ma Lôréa, n'aie point d'aussi folles pensées qui pourraient engendrer la
-tristesse.
-
-Tu sais l'honneur du pays basque, le foyer où Iguskia et Ithargia
-cuisaient leur pain d'asphodèle.
-
-Si, parfois, hélas! de tes compagnes étourdies glissèrent sur la mousse
-de la colline en poursuivant un lièvre matinal, enveloppées aussitôt par
-les filets des pâtres, jamais épouse qui jura par sa foi n'a menti à la
-vallée paisible.
-
-LÔRÉA
-
-Il faut que la jeune fille devienne épouse, et que celle-ci présente à
-ses enfants un visage dont les yeux n'ont miré que le regard de leur
-père.
-
-Et il faut qu'on l'ensevelisse dans sa tunique nuptiale.
-
-TIRUZTAYA
-
-La tradition raconte que les belles-filles d'Ithargia, ayant que
-d'épouser ses fils, toutes élégantes encore des parures qu'elles
-portaient sur l'_Amodioa_, déposèrent dans ces grottes et scellèrent
-dans le roc leurs légers vêtements d'Asie.
-
-Ils étaient de soie, et chacun n'avait d'autre ornement qu'un long
-narcisse brodé.
-
-LÔRÉA
-
-Je n'ai point de robe de noces si belle. Et tu ne m'en voudras pas de ne
-t'apporter que moi-même au lieu d'un vêtement brodé.
-
- * * * * *
-
-Cette finale, certes, était ravissante, et l'ensemble du morceau d'une
-haute tenue. Mais le modernisme, si je peux dire, y paraissait en
-transparence comme à travers un sujet ancien la grâce, jadis neuve, d'un
-Sandro Botticelli.
-
-Le narcisse brodé me semblait être un impudent défi à ma crédulité.
-
-Si sot qu'on croie un poète (et je passais alors par cette épreuve du
-mépris que fait peser sur nous, le monde en général), je ne l'étais
-point tellement que je donnasse dans ce panneau, si recouvert de fleurs
-fût-il! Ce qui me faisait trouver la plaisanterie plus mauvaise encore
-c'était qu'elle me fût servie non seulement par des gens d'un goût très
-averti mais qui, s'ils étaient les auteurs des Robinsons basques,
-étaient doués d'un génie poétique au moins égal au mien. Et, d'envisager
-cette dernière hypothèse, n'allait point de ma part sans aigreur.
-
-Je faillis leur crier: «Prenez-vous donc Pégase pour une bourrique?»
-Mais j'en fus retenu par la noblesse même de ce chant nuptial, et,
-dis-je, par le désir de connaître le but et l'issue d'une machination
-aussi baroque.
-
-Nul doute que les deux gaillards ne voulussent entrer en possession de
-la clef des grottes d'Isturitz. Mais à quelles fins? Je me méfiais que
-ce ne fût point pour en inventorier les curiosités préhistoriques,
-pensait-il que je l'autoriserais, me sentant piqué au jeu, à s'en aller,
-en compagnie de son oncle, rechercher dans la noirceur de ces cryptes
-les mousselines où neigeait le légendaire narcisse d'amoureuses?
-
-Je dois à la vérité de dire que, faisant preuve, ce jour-là, d'autant de
-tact que d'adresse, Jacob non plus qu'Eliézer ne me sollicitèrent au
-sujet de la clef.
-
-Ils n'en parlèrent point davantage au gardien lorsque nous allâmes, au
-retour, serrer sa patte velue. Il vivait, non loin d'une caverne, dans
-la compagnie de ses quatorze jeunes enfants et de leur mère. De celle-ci
-il nous dit qu'elle avait autant de lait qu'une vache bretonne, et qu'il
-ne serait point embarrassé, en l'absence de nourrissons, d'en tirer cinq
-francs par jour, s'il l'allait vendre à la ville; Cette rusticité dans
-le propos cadrait avec cette féroce observance de la consigne qu'il ne
-levait qu'en faveur de M. Passerose--le propriétaire même des lieux--ou
-que pour moi. De toutes autres gens, même que je lui eusse recommandés,
-il eût exigé, encore qu'il ne sût pas lire, une autorisation écrite de
-M. Passerose.
-
-Cet indigène, nommé Salbaya, nous indiqua d'un geste du menton, qu'il
-accompagna d'un sourire lacustre, un fusil rangé au-dessus de la
-cheminée, nous disant l'avoir chargé de grenaille et de gravier. Puis,
-il pointa un index terrible dans la direction des grottes.
-
-Salbaya n'était, au fond, qu'un de ces hommes nés pour se dévouer
-jusqu'au sang à de nobles causes, mais qui ne trouvent point emploi de
-leur courage. Moins éloignés du monde, plus instruits, sans doute
-eussent-ils joué des rôles de partisans ou de soldats. Ne s'étant pu
-réaliser ainsi, en aucune façon, Salbaya concevait une fierté
-désordonnée d'avoir été investi--la rase campagne aidant--de cette
-fonction de gardien-chef d'un refuge d'ours antiques.
-
-En prenant congé de lui, nous remîmes nos doigts dans sa griffe. Puis
-notre calèche nous ramena lentement, par Saint-Martin, Saint-Esteben et
-Bonloc, à la place de Hasparren.
-
-Chemin faisant, nous fîmes halte au pont de l'Arbéroue, et nous nous
-plûmes à regarder trois jeunes gens qui, la culotte relevée au-dessus du
-genou, fouillaient avec un filet les dessous de la berge pour y puiser
-des truites.
-
-Ils les enfermaient en des vanneries en forme de carafe, tressées par
-des Bohémiens, et qu'ils bouchaient avec des feuilles d'aulne.
-
-Nous observâmes qu'ils rejetaient avec mépris, en retirant les poissons
-du piège, les écrevisses qui y grouillaient. Nous les priâmes de vouloir
-bien nous réserver celles-ci. Ils le firent de la meilleure grâce du
-monde, et nous remportâmes ainsi, pour quelques sous, un plein panier de
-ces excellents crustacés, bien loin que je pusse soupçonner le rôle
-qu'ils allaient jouer avant peu dans la légende ondicolienne. A ce
-moment je me fis cette seule réflexion que les jeunes pêcheurs qui
-pratiquaient un sport aussi simple ne devaient point différer beaucoup
-des premiers Robinsons basques.
-
-Nous fîmes cuire et mangeâmes nos petites bêtes, le soir même, dans
-l'hôtel de la gracieuse petite ville, l'hôtel Gascoïna. Puis nous
-regagnâmes, non Bayonne qui était assez éloigné, mais ma villa où
-j'avais fait préparer des chambres pour mes compagnons de voyage.
-
-S'ils furent imprudents d'accepter mon hospitalité, la suite va le dire.
-Mais j'étais loin de me douter, quelques heures avant de les loger, que
-le mystère dont ils entouraient leurs faits et gestes à mon égard allait
-s'éclaircir.
-
-
-
-
-LA VÉRITÉ DANS LE RÊVE
-
-
-Je les croyais profondément endormis. Il était une heure du matin. Je ne
-m'étais pas encore déshabillé. J'avais ouvert un volume d'Alfred de
-Musset, comme tant de fois au cours de mes veilles, et je m'étais laissé
-gagner par le triste charme du plus fiévreux de ses poèmes, cette Nuit
-de décembre que je ne peux lire sans frissonner. J'en étais à ces vers:
-
- Mais tout à coup j'ai vu dans la nuit sombre
- Une forme glisser sans bruit.
- Sur mon rideau j'ai vu passer une ombre,
- Elle vient s'asseoir sur mon lit.
- Qui donc es-tu, morne et pâle visage,
- Sombre portrait vêtu de noir?
- Que me veux-tu, triste oiseau de passage?...
-
-... lorsque, la porte s'ouvrant, Eliézer parut, silencieux comme un
-fantôme et qui prit place sur ma couche dont le drap n'était point plus
-blafard que sa face.
-
-Il portait comme à l'habitude un costume de deuil.
-
-Je claquai des dents, puis lui demandai:
-
---Vous êtes malade sans doute? Voulez-vous lire la dernière chronique de
-Francisque Sarcey dans le journal le _Temps_?
-
-J'eus conscience, tant cette vision me terrifiait, je ne sais pourquoi
-vraiment, que ce que je venais de dire n'avait aucun sens et que je lui
-offrais le _Temps_, auquel je n'ai jamais été abonné, comme j'eusse pu
-lui proposer une chasse au tigre dans une forêt du Bengale.
-
---Ce n'est point tout ça, me répondit-il d'une voix très nette et qui ne
-laissait point supposer qu'il ne fût là en chair et en os: parlons!
-
---Allez! dis-je, sans que je perdisse un seul grain de ma chair de
-poule.
-
---Eh bien! voici: mon oncle et moi nous sommes Juifs.
-
-Je m'inclinai avec la déférence polie que l'on marque à un homme qui
-vous confie qu'il est sourd.
-
-Et il poursuivit en donnant à son langage autant de précision qu'à
-l'ordinaire:
-
---Et vous vous êtes aperçu que nous nous moquions de vous?
-
-Ma main se souleva comme un clapet, du bras du fauteuil où j'étais assis
-et s'y reposa.
-
---Ne pensez pas, continua-t-il, que cependant je ne puisse être sincère.
-Et la preuve en est que je viens, au milieu des ténèbres, vous faire ma
-confession, aussi pénible, aussi humiliante qu'elle puisse être à un
-_déshabitué_.
-
-Il prononça _déshabitué_ d'une manière si aiguë et si étrange, modulant
-chaque syllabe, que l'on eût cru d'une hulotte.
-
---Je vous le déclare sans ambages: nous sommes des voleurs, mon oncle et
-moi, celui-ci ayant découvert chez un bouquiniste du vieux Bayonne, et
-s'étant approprié, un document qu'il aurait dû remettre aussitôt à la
-famille Passerose; et moi, en lui prêtant mon concours, afin de nous
-emparer seuls d'un trésor dont ce parchemin fait mention. Ce trésor est
-enfoui dans les grottes d'Isturitz. De là notre acharnement à nous faire
-remettre par vous la clef du souterrain. De là...
-
---... cette invention de la légende basque, bien capable de séduire et
-d'envoûter une nature comme la mienne. M'est-il à présent permis, cher
-monsieur, de vous demander à quelle source, si proche de nous qu'elle
-soit, vous avez été puiser votre rhapsodie?
-
---La source? déclara Eliézer de la manière que Louis XIV affirmait:
-«L'Etat c'est moi», la source et moi nous ne faisons qu'un.
-
---Mais cette étrange entrée en matière de M. Jacob Meyer touchant
-l'_Eskualdunak_ et les premiers Robinsons basques?...
-
---Mon oncle n'a été que le canal. Je fus l'amorce. Il fallait vous
-gagner à tout prix pour tâcher d'obtenir, grâce à vous, de l'inflexible
-M. Passerose, l'autorisation d'entrer librement dans le flanc de la
-colline. Nous savions que vous rejetteriez avec dédain toute offre de
-participer avec nous au partage du contenu du coffre, car c'est bien
-d'un coffre qu'il s'agit. Il se trouve à une distance (conversion au
-système décimal actuel) de soixante-cinq mètres trente-deux centimètres
-de l'entrée, le long de la paroi droite, et à un mètre vingt-six
-centimètres de profondeur. Il a été déposé là, durant la Terreur, par un
-Antoine Passerose, ascendant du propriétaire actuel, et qui gagna la
-Hollande pour se soustraire à la guillotine qui allait se déclencher à
-Bayonne. Il émigra après avoir confié à un sans-culotte de façade, pour
-le remettre à qui de droit, la paix revenue, le plan détaillé des lieux.
-Le sans-culotte, devenu suspect, fut décapité sans qu'Antoine Passerose,
-décédé en Hollande, eût pu s'enquérir du trésor et du document. Celui-ci
-avait été remis par le condamné, au moment qu'il allait monter dans la
-charrette, à un prêtre qui l'oublia dans son bréviaire avant de mourir
-d'indigestion. Le pieux livre passa aux mains des bric-à-brac de la
-Synagogue et, dès que mon oncle Jacob Meyer s'en fut rendu acquéreur, il
-songea bien à informer les héritiers légitimes en leur réclamant ce qui
-lui revenait pour une telle découverte. Mais sa rapacité l'emportant sur
-sa conscience, il n'en fit rien, voulant être seul possesseur du trésor
-qui monte, en pièces d'or, en argent, en pierres et perles, à plus de
-cent mille pistoles. Et il m'a fait jurer sur les éclairs du Sinaï que
-je n'en réclamerais pas une obole, qu'il ne m'eût couché sur son
-testament et qu'il ne fût entré dans le sein d'Abraham. Et même, il ne
-me confiait son secret que par l'absolue nécessité où il était
-d'exploiter mon génie poétique afin de peser sur vous dont il
-connaissait les goûts. Il les partage, il est vrai, ceux du moins de la
-pêche et de la poésie.
-
---Vos Robinsons basques, dis-je alors avec une amabilité d'autant plus
-sincère que j'étais au fond touché d'une amende aussi honorable, et que
-je sentais Eliézer mortifié, sont des plus ravissants caprices que l'on
-puisse rêver--que dis-je? que vous m'avez fait rêver, apprenez-le
-maintenant, dans le cimetière d'Ascain.
-
-Le pauvre homme se laissa glisser du lit où il était demeuré assis. Il
-faisait pitié, paraissait à bout de force après cet aveu.
-
-Il rouvrit la porte, tituba dans le corridor, rentra _à reculons_ dans
-sa chambre où, sans ajouter un mot, les yeux fixes, il se déshabilla et
-se recoucha.
-
- * * * * *
-
-Ce n'est qu'alors que je compris qu'Eliézer était un hystérique
-somnambule, qui disait la vérité en dormant, et qu'il venait d'être
-victime d'une de ces crises que le plus grand ancêtre de Freud affirme
-se produire chez certains sujets, après l'absorption d'écrevisses qui
-les forcent de marcher comme elles.
-
-
-
-
-LES FIANÇAILLES DE ROLAND ET D'AUDE
-
-
-Le lendemain matin, à l'heure du café au lait, je compris qu'Eliézer,
-inconscient du phénomène nocturne dont il avait été victime, avait
-récupéré vis-à-vis de moi toute sa discrète mais arrogante supériorité.
-
-Je jubilais en moi-même de me trouver en possession du secret de l'oncle
-et du neveu, sans que ni l'un ni l'autre s'en doutât. Leur farce
-intéressée se retournait contre eux. J'avais, pour moi, tout à coup, ce
-que l'on pourrait nommer: les rieurs de l'invisible.
-
-Par malice, et sachant bien ce qui me restait à faire, j'exagérai
-l'intérêt que j'avais pris au duo d'amour des Robinsons basques, je
-réclamai de connaître la suite de la légende, j'allai jusqu'à prétendre
-que la lecture donnée devant les grottes d'Isturitz ne m'avait point
-permis, la précédente nuit, de fermer les paupières. Je surpris,
-d'Eliézer à Jacob, des signes d'intelligence qui signifiaient: «Nous le
-tenons!»
-
-Le premier de ces faquins, redoublant d'audace, me donna lieu d'espérer
-qu'il m'accorderait la faveur d'un nouveau chant qui célébrait un repas,
-dans une forêt des Aldudes, auquel auraient pris part Charlemagne, et
-Roland. Duquel chant il résultait que la fiancée de ce dernier, la belle
-Aude, n'aurait été qu'une Robinsonne du nom d'Alba, inhumée dans les
-grottes d'Isturitz.
-
-On me tenait décidément pour un parfait idiot. Mais je me demandai dans
-quel but Eliézer semblait m'inviter à faire exécuter des fouilles dans
-le souterrain alors que son oncle avait tout intérêt à les pratiquer
-seul avec lui. Je compris assez vite qu'il en agissait avec une
-prévoyance fort habile: il ne voulait point que je m'étonnasse, s'il me
-prenait fantaisie d'aller quelque jour les observer dans leurs travaux,
-de les voir remuer le sol en divers endroits pour y rechercher,
-soi-disant, les tuniques nuptiales ou la momie de la belle Aude: en
-réalité pour mettre la main sur le trésor, quand ils se sauraient bien
-solitaires.
-
-Donc je feignis de souhaiter avec ardeur qu'Eliézer me lût le nouveau
-passage lyrique, dont il remit la déclamation à quinzaine, évidemment
-pour la raison bien simple qu'il fallait qu'il le composât. Oncle, et
-neveu parurent tellement ravis de me voir dans cette disposition que,
-lorsqu'ils remontèrent en voiture pour rejoindre Bayonne, Jacob Meyer,
-en guise d'au revoir, fit le geste de se servir d'une clef. Je lui
-répondis par le plus prometteur des sourires.
-
-Mais sitôt qu'ils eurent décampé, je n'hésitai point.
-
-Je sellai un petit cheval et, en moins de temps qu'il ne faut pour
-l'écrire, je me retrouvai devant les grottes d'Isturitz et, aussitôt,
-chez Salbaya.
-
---Mon ami, dis-je à celui-ci, vous êtes un butor mais l'homme le plus
-honnête que je sache. Vous possédez l'une des clefs du souterrain, moi
-l'autre, et nous sommes autorisés à y pénétrer. Je sais que vous feriez
-un très mauvais parti à quiconque tenterait de violer la consigne de M.
-Passerose. Mais, en supposant même que vous veilliez jour et nuit pour
-les en empêcher, apprenez que de très habiles malandrins qui guettent
-une occasion de retirer de la grotte un coffre plein d'or et de bijoux
-et de se l'approprier pourraient bien surprendre votre zèle. Ce trésor
-fut déposé durant la Révolution par un ancêtre de M. Passerose. Je
-n'aurai de tranquillité qu'il ne soit en sûreté chez vous en attendant
-que nous le puissions remettre, avec explications, à un ami qui en
-disposera selon les lois.
-
-Le cerbère poussa le plus grossier juron du pays basque, fit mine de
-décrocher son fusil et me dit:
-
---Je suis sûr, monsieur, que ces voleurs que vous redoutez ne sont
-autres que ces deux députés qui sont venus ici avec vous.
-
---Comment! députés? demandai-je.
-
---Peut-être pas, reprit-il; mais depuis que j'en ai vu deux pendant que
-je faisais mon service militaire, je me suis dit que j'en reconnaîtrais
-toujours l'espèce.
-
-Il ne faut point sonder les arcanes, souvent profondes, du sentiment
-populaire.
-
---Eh bien! repris-je pour presser les choses, êtes-vous prêt à me
-suivre?
-
---Oui.
-
---En ce cas veuillez garer mon cheval et prendre des allumettes et des
-chandelles.
-
-Il mit à l'abri ma monture et, en outre de ce dont je lui avais dit de
-se munir, il emporta une grosse botte de paille sur son dos.
-
---Allons! fit-il, mais la grotte est étendue.
-
---N'ayez crainte: je connais l'emplacement du trésor.
-
-Je me souvenais, au plus juste, des mesures et indications à moi
-fournies par Eliézer durant son état d'hypnose, et j'avais emporté un
-décamètre que nous eûmes à peine besoin d'utiliser.
-
-Nous partons, et nous voilà. Feu de paille, d'abord. La gorge m'en cuit
-encore, si âcre en était la fumée.
-
-Les reflets se propagent, si bien qu'il ne nous faut que trois minutes
-pour apercevoir, à quelque soixante mètres de l'ouverture de la grotte,
-un rocher isolé des autres et servant, je l'eusse parié, à recouvrir une
-excavation. L'on eût dit d'un de ces monolithes, si adroitement modelés
-par les érosions, qu'une main d'enfant suffit à les faire basculer. Or
-Salbaya n'avait pas des doigts de rossignol, et, d'une poussée de ses
-paumes, il envoie le roc rouler à dix pas. Nous nous penchons sur les
-ténèbres béantes où nous distinguons bientôt, à peu de profondeur, le
-coffre défoncé, d'un bois pourri par l'humidité d'un siècle, et qui
-laisse scintiller, à la lueur de nos flambeaux de suif, les métaux, les
-escarboucles, les diamants et autres pierres des mille et une nuits.
-
---Je vous attends ici, dis-je à mon homme. Allez jusqu'à chez vous et
-m'en rapportez une solide corbeille.
-
-Heureux de songer qu'il allait pouvoir donner une marque nouvelle de son
-dévouement et de sa probité, il part en courant et revient avec un
-panier convenable.
-
-Je n'ai nulle difficulté à plonger les bras dans cette masse précieuse,
-je fais jaillir de ce filon, dans une ombre à la Rembrandt, les regards
-longtemps retenus de ces joyaux prisonniers. Nous emplissons le panier,
-Salbaya va le vider chez lui, en lieu sûr, revient, le charge à nouveau,
-repart, et ainsi de suite jusqu'à sept fois. Il ne reste plus dans la
-fosse que la carcasse vermoulue de la caisse, que nous enlevons aussi,
-car l'inspiration de ce à quoi je vais l'utiliser m'est soufflée par le
-génie de la grotte. Il n'a pas fallu trois heures pour que le rocher
-soit remis en place, la trace de notre passage effacée, la magnifique
-fortune dans la maison du gardien qui, en découvrant le vaste
-amphithéâtre de ses mâchoires, prononça:
-
---Ma joie eût été complète (et il me montrait encore son arme à feu), si
-je les avais descendus tous les deux.
-
-L'ombre de la colline d'Isturitz s'étendait jusqu'à nous, je songeais à
-nos ancêtres de l'âge de pierre qui ne furent peut-être pas tous des
-Robinsons venus d'Asie sur une galère enchantée, mais qui, à fréquenter
-l'ours des cavernes, en avaient pris quelques usages, à l'espingole
-près.
-
-Je fis part à M. Passerose, le lendemain, en une longue lettre, de tant
-de fantastiques péripéties.
-
-La découverte est de trop d'importance, lui mandais-je, pour que vous ne
-hâtiez point votre retour, calmant ainsi l'impatience qu'ont de vous
-revoir vos amis. Les ailes bleues et légères des montagnes de Hasparren,
-de Macaye et d'Isturitz valent bien les coiffes de vos sphinx stupides,
-dont l'énigme cependant demeure plus difficile à déchiffrer que ne le
-fut celle de votre grotte. Les fruits de pierre précieuse, d'or et
-d'argent de ce nouveau verger d'Aladin vous attendent chez ce brave
-Salbaya.
-
-Je fis part encore à M. Passerose de circonstances qui ne sont pas
-relatées ici, parce qu'elles n'ont pas trait à cette histoire.
-
-Ma signature apposée, il ne me restait plus qu'à me distraire en
-m'amusant du prochain, ce qui est le meilleur passe-temps et le plus
-varié du poète.
-
-Je partis deux jours après pour Toulouse, où les brodeuses sont
-expertes, et je commandai à l'une d'elles une longue et fine tunique,
-tout au long de laquelle je fis broder un gigantesque narcisse que
-voulut bien dessiner pour moi Charles Lacoste lui-même. J'avais écrit
-aux Meyer que je m'absentais, sans plus, ajoutant toutefois que je
-n'aspirais qu'à revenir bien vite, plus désireux que jamais d'entendre,
-d'Eliézer, le repas de Charlemagne au pays basque.
-
-Je crois, terminai-je, que vous finirez l'un et l'autre par charmer la
-roche d'Isturitz, émules d'Orphée aux enfers.
-
-
-
-
-Lorsque je fus en possession de la tunique nuptiale, qui eût donné à
-rêver à la plus galante des épouses, je la rangeai dans une armoire
-familiale qui fleurait la lavande et me promis de l'utiliser à mes
-desseins.
-
-Mais, avant que de jouer ma pièce, je résolus de m'entraîner à mon rôle
-en allant ouïr le passage annoncé de la légende ondicolienne.
-
-Je me promettais d'en jouir d'autant plus que la fatigante question ne
-m'obsédait plus qui me faisait me demander naguère à quel motif
-obéissaient mes deux Juifs. Le dormeur éveillé m'avait renseigné de
-telle façon que je ne pouvais plus m'en irriter, puisque je m'étais déjà
-vengé de lui et de son oncle en leur damant le pion, et le coffre.
-
-Ils me retrouvèrent donc de fort telle humeur. Je n'eus pas assez
-d'éloges sur le déjeuner qu'ils me servirent. Après un café digne du
-sultan du Maroc, Charlemagne et Roland entrèrent en scène.
-
-Dois-je attribuer au bien-être que je ressentais en ce moment, ou à plus
-de justice de ma part, vis-à-vis d'un confrère, le plaisir tout
-particulier que je pris à cette déclamation? Jamais le déconcertant et
-funambulesque génie d'Eliézer ne me séduisit davantage, et ce fut avec
-un soin scrupuleux que je transcrivis le texte du _Repas des Aldudes_
-qu'après lecture me confia son véritable auteur, comme il avait fait de
-maints autres passages, la prise de Pampelune par exemple.
-
-Par son contraste même, notre cadre ne manquait pas de poésie, dans une
-lumière qui, à travers les culs de bouteille des avares croisées de la
-rue Pontrique, lui donnait la teinte d'un aquarium; cet établi
-d'orfèvrerie où scintillaient les outils délicats et les pierres et les
-montures, et ce fauteuil monumental où trônait le vieux Jacob, tel qu'un
-roi déchu d'Israël; Eliézer, plus grave encore que de coutume, tenant
-dans sa main gauche la traduction qu'il disait avoir faite, et élevant
-son autre main à plat comme pour commander le silence.
-
-Il semblait avoir conscience de s'être surpassé.
-
-Il lut:
-
-
-
-
-Quand l'Empereur eut tourné sa barbe vers l'Orient, il vint dessus elle
-un parfum si délicieux qu'il demanda au duc Naimes:
-
---D'où vient-il?
-
-Et Naimes:
-
---C'est quand la fiancée de votre neveu Roland se lève que l'aurore a ce
-parfum de fleur.
-
-Et l'un des barons à l'Empereur:
-
---N'oubliez pas, sire, que c'est aujourd'hui liesse dans le bois des
-Aldudes et qu'avant de gagner l'Espagne pour combattre les Sarrazins,
-Roland veut vous présenter Alba afin que vous bénissiez leurs
-fiançailles.
-
---Seigneurs barons, dit Charlemagne, tenez-vous prêts à honorer celle
-qu'un si aimable comte a choisie dans ce pays.
-
-L'armée se mit sur deux rangs, afin de former la haie, car, déjà, tenant
-par la main Roland, Alba la Basquaise descendait la montagne des Aldudes
-dont les sources tumultueuses éparpillaient, au bas, leurs neiges
-libérées.
-
-La traîne d'Alba était retenue par un nain mauresque, noir comme le
-diable, et que l'on affirmait être né du commerce d'Apollon avec une
-Chananéenne.
-
-C'est Olivier qui s'est saisi, dans la forêt, de ce singe grimaçant, l'a
-offert à son ami Roland qui en a fait don à Alba.
-
-Au pied d'un puy, sous un chêne, se tient Charles. Sa barbe ne cesse de
-ruisseler dans le vent, telle une oriflamme. Il hoche le chef. Et lui,
-qui a essuyé tant de chocs, remporté mille victoires sanglantes, et qui
-en verra bien d'autres puisque demain il va marcher contre Marsile, lui,
-dont les larmes semblaient à jamais taries, il pleure. Ses larmes sont
-comme une rosée, car l'amour de la jeunesse porte au coeur du vieillard
-qui se souvient de la sienne.
-
-Alba, apercevant soudain l'Empereur qui tient les marches, lui sourit.
-Et ce sourire, tel qu'un rayon qui tombe d'entre les nuages, éclaire
-toute la vallée qu'il émaille.
-
-Qu'ils sont beaux, ces bois des Aldudes, lorsqu'Alba illumine leurs
-cimes!
-
-Elle pose son pied sur un caillou tremblant, au-dessus d'une source, et
-fait signe qu'elle en veut goûter de l'eau.
-
-Toute l'armée se le redit.
-
-Roland emplit son cor d'ivoire et, comme d'un lys qui se déverserait
-dans une rose, il en appuie le bord incliné sur la lèvre de son amie.
-
-Elle ne sait pas que, bientôt, c'est le même olifant qui recevra la
-pourpre rosée, échappée des veines rompues du comte.
-
-Et le sourire d'Alba se mêle à l'eau qu'elle boit
-
-Charles dit à ses barons:--Maintenant, je ne connais que la peine que me
-causent les maudits Sarrazins, et je ne me repose que sur ma selle dure;
-quand j'étais jeune, j'ai dormi dans un pareil val, ayant pour oreiller
-la chevelure de la souveraine.
-
-Mais que ces deux-ci m'émeuvent en me rappelant à moi-même!
-
-Roland s'avance avec Alba dont il a repris la main.
-
-A mesure qu'ils se rapprochent de l'Empereur, elle pâlit.
-
-Elle songe à tout ce qu'on lui a rapporté de Charles: sa piété, son
-courage inégalable qui fait qu'à Aix les aigles invinciblement attirés
-planent jour et nuit au-dessus de son palais.
-
-Elle pose sa main libre sur son coeur de tourterelle, baisse la tête,
-et, tant est lisse et blonde sa chevelure, on dirait que c'est la soeur
-du soleil qui s'incline.
-
-Elle et Roland se mettent à genoux. L'Empereur leur dit:
-
---Je suis l'arbre à la rude écorce au pied duquel s'étend la mousse dont
-les nids sont faits.
-
-Alba répond:
-
---Sire, vous êtes le chêne qui les protège, et l'on n'ose lever les yeux
-vers vous de crainte d'être ébloui, tant vous supportez d'orages sans
-faiblir.
-
- * * * * *
-
-Ainsi s'exprime-t-elle en langue basque, traduite aussitôt par les
-interprètes.
-
-La table est dressée dans la fraîcheur du bois. Les agneaux, les
-perdreaux, les coqs de bruyère, les boeufs découpés en quartiers et les
-vins y abondent. Des jeux basques s'organisent. Filles et garçons vont
-représenter devant l'Empereur la pastorale qui commémore leur origine.
-
-Voici Ondicola, chef de la race, monté sur un destrier dont la housse
-est faite de ces dentelles qui évoquent le luxe de l'Asie originelle. Il
-porte une mitre et un sceptre, symboles de sa puissance. Il s'élève
-contre sa cour voluptueuse, au moment qu'elle a abordé sur la terre
-basque, et il lui déclare:
-
---Il n'est pas bon qu'une race, indigne comme est la vôtre, se perpétue
-sur ce sol vierge.
-
-Sa cour lui répond:
-
---Que feras-tu donc de nous, Ondicola?
-
-Et lui:
-
---Je vous tuerai et je ne laisserai vivre qu'Iguskia et Ithargia.
-
-Et voici que s'avancent les plus beaux adolescents des Aldudes, déguisés
-en Iguskia et en Ithargia. Ils ne portent d'autres vêtements que celui
-des pâtres, leur beauté éclate.
-
-Iguskia dit:
-
---Maintenant tout le monde est mort autour de nous. La mer est refermée.
-Jusqu'à présent, ô Ithargia, je n'avais pas entendu mon coeur battre.
-Mais, en portant plus avant mes pas sur ces terres sans habitants, je le
-sens frissonner comme un nid plein de chansons. Qu'est-ce?
-
-Et Ithargia:
-
---Il se passe dans mon coeur la même chose que dans le tien: le pays
-basque bat de l'aile et veut naître.
-
-Ainsi la pastorale se déroule devant l'Empereur. Les bergers, les
-cultivateurs, les petits industriels naissants y jouent leur rôle. Alba
-a posé avec amour sa tête sur l'épaule de Roland. Elle ne sait pas que
-demain, elfe ne le reverra plus. L'empereur les bénit. Et, sur une roche
-blanche, il y a un aubépin noir de soleil, et seul.
-
-
-
-
-LES ÉTATS-GÉNÉRAUX
-
-
-Ayant retiré de sa houppelande un mouchoir de soie brodé, si usé qu'il
-eût pu appartenir au Juif errant, et ayant enlevé ses lunettes, Jacob
-Meyer pleura.
-
-Cette sorte de broderie, dont le sujet, habilement mené, teinté, se
-déroulait autour d'une chanson de geste que l'auteur des Robinsons
-basques avait cru bon d'introduire là tout d'un coup, ne fit que
-déconcerter davantage mon esprit critique.
-
-Nier le génie très personnel d'Eliézer, malgré le choix, ici, d'un thème
-rebattu, autant prétendre que ma cousine Eva n'a pas les yeux bleus.
-Mais quoi! Fallait-il que l'auteur fît entrer pêle-mêle, dans son poème,
-tout ce qui lui passait et chantait par la tête, et qui se rapportait,
-de près ou de loin, au pays basque? Et n'aurait-il pas relaté
-l'enterrement de Roland dans la lune si sa cuisinière, comme celle que
-j'avais jadis à Saint-Palais, le lui eût narré?
-
-Sans doute; car dans son genre d'affection hystérique, les étrangetés,
-les contradictions, les inventions, les lacunes, les mimétismes, les
-vraisemblances même, s'amalgament, cristallisent en formes très
-diverses.
-
-Je dis à l'oncle et au neveu que je demeurais sous le charme, que
-j'étais prêt à leur remettre avant peu la clef des grottes d'Isturitz (à
-cette nouvelle ils poussèrent ensemble un soupir de soulagement), et
-l'autorisation, pour eux, que j'attendais, d'un jour à l'autre, de M.
-Passerose.
-
-J'ajoutai que je désirais auparavant leur rendre tant de gracieuses
-attentions de leur part et les convier à un déjeuner qui, pour n'avoir
-pas lieu aux Aldudes, en compagnie de Charlemagne et de Roland, ne les
-intéresserait pas moins.
-
-Ce sera, fis-je observer à Eliézer, une occasion de mettre en jeu, une
-fois de plus, vos belles qualités de synthèse, et de retrouver dans le
-repas que je vous offrirai, et chez les convives, les éléments de
-l'incomparable régal spirituel que vous venez de me servir.
-
-Voici, messieurs, continuai-je:
-
-Il est un antique usage basque dont ne fait pas mention votre légende,
-puisqu'elle lui est antérieure, une tradition tout intime à laquelle je
-voudrais vous initier: _les Etats-généraux du pays basque_, qui n'ont
-aucune sorte de rapport avec une constitution politique, dont ils
-s'éloignent par un caractère de franchise et de naturel. Ces
-_Etats-généraux_ consistent en un déjeuner qui groupe annuellement ses
-élus, tour à tour dans l'une de nos trois provinces, et chez leur
-président temporaire. Cette assemblée se compose de vingt-cinq membres,
-choisis parmi les plus marquants de l'_Eskualdunak_. En eux vous pourrez
-voir revivre les origines ondicoliennes car, ayant l'honneur
-présentement d'être à leur tête, Je vous convie, messieurs, à titre
-d'érudits et conservateurs de notre charte, au prochain repas de nos
-_Etats-généraux_ qui siégeront le trente août prochain, dans ma ferme de
-Garris.
-
-Jacob Meyer et son neveu acceptèrent en me remerciant beaucoup.
-
-Mes _Etats-généraux_ n'étaient, en réalité, qu'un repas plantureux que
-je voulais offrir à certaines personnalités du pays, qui s'étaient
-employées avec moi pour soutenir la candidature d'un mien cousin
-royaliste, Bathita Yturbide. Le nombre de mes invitations s'élevait donc
-à vingt-six.
-
-Cette ripaille, je l'offris dans l'épaisse maison, bien blanchie pour la
-circonstance, et dont on eût dit les contrevents passés au chocolat, de
-ma propriété de Garris où, chaque année, j'allais faire l'ouverture de
-la chasse.
-
-Garris est situé non loin de Saint-Palais où, dès la veille, Jacob et
-Eliézer étaient descendus à l'hôtel Biracouritz.
-
-La matinée se leva radieuse, stridente de cigales, et l'ombre de mes
-chênes massifs était, autant que la chaleur, écrasante.
-
-Je fis mes ablutions dans la source du verger où je me promenai quelques
-temps en bretelles claires, tout réjoui par la perspective de ce
-groupement de types basques, bien purs, comme les vins que j'allais leur
-servir, et amusé à l'avance de la morale qu'en tireraient mes Juifs.
-
-Une prudence élémentaire exigeait que je ne les présentasse l'un et
-l'autre aux _Etats-généraux_ que vaguement.
-
-Que je n'omette pas de dire que, pour me conformer à l'esprit du pays,
-j'avais exclu les femmes, sinon cinq, pour cuisiner et nous servir avec
-la meilleure grâce du monde. Le cordon bleu avait nom Magnana et ses
-satellites Maïana, Yuana, Graciousa, Beronikéa.
-
-Deux seulement des membres conviés aux _Etats-généraux_ par leur
-président s'excusèrent.
-
-Les vingt-deux autres, je les vis arriver un peu après midi, dans mon
-domaine de Khourutçaidia, la plupart en de petits tape-cul les plus
-inconfortables du monde, et que traînaient des haridelles.
-
-Mais un mélange de bonhomie et d'orgueil national se lisait sur leurs
-faces.
-
-Plusieurs étaient vêtus ainsi qu'à l'habitude le noble ou le bourgeois
-basque, avec beaucoup de soin et de propreté, de jaquettes et chaussés
-de souliers à guêtres.
-
-Quelques vieillards, à barbe aussi blanche que la laine des brebis après
-l'averse, montraient des joues d'églantine et des yeux bleus, d'un bleu
-de bourrache.
-
-Certains coiffaient des pailles de Panama, d'autres des canotiers ou de
-larges chapeaux melons.
-
-Les grands paysans portaient veston et béret, comme les deux pilotaris
-et le danseur, mais ceux-ci arboraient des bottines jaunes.
-
-Quant aux prêtres, il y en avait deux, l'un curé d'une paroisse infime,
-mais généreuse envers lui d'agneaux et de haricots, l'autre missionnaire
-diocésain, âgés mais pleins de vie, de physionomie en relief,
-autoritaires, brusques et sympathiques. On sentait que, de leurs mains
-armées de gourdins, ils auraient assommé un taureau du premier coup et
-que, de leurs énormes pieds enfouis dans des chaloupes de cuir ferrées,
-ils eussent écrasé des lièvres. Quel contraste entre leur solide et
-fruste architecture et l'ossature de ces deux mauviettes qui
-descendirent de leur calèche de louage, les Meyer!
-
-Je présentai ces monteurs de légende, en estropiant légèrement leur nom,
-ce que me facilitait la langue basque, «Meyera», comme étant des
-ingénieurs de Bayonne.
-
-J'avais naturellement attribué les places d'honneur à M. le curé
-d'Aïciritz et au père Bidondoa Ihidoïpé, de Hasparren.
-
-Etaient présents encore Bathita Yturbide, mon cousin et député
-monarchiste, qui, durant sa législature, d'assez fraîche date il est
-vrai, et, il est vrai aussi, pour défendre une noble cause, n'avait
-trouvé qu'un juron navarrais qu'il vaut mieux que je ne rapporte pas
-ici;
-
-Etchechoury, conseiller général, grand éleveur de chevaux, esprit
-averti, mais si plein de son propre pays, que l'idée que l'on pût, dans
-un poème, raconter que des Basques avaient vidé leurs assiettes jusqu'à
-les faire miroiter l'enthousiasmait comme d'un chant d'Homère;
-
-Le comte de Macaye, grand amateur de déjeuners qui, en été, se
-prolongent dans la fraîcheur des salles ombreuses et dallées, et, en
-hiver, dans la tiédeur des hautes flammes rousses et crépitantes;
-cavalier qui, au retour des foires, interpelle vertement les filles
-pédestres;
-
-Pochelu, le juge de paix qui, à l'audience, tirait par les oreilles
-toute femme qui prétendait avoir raison contre un homme;
-
-Algalarondo, le médecin, qui prescrivait à ses clients le jus d'herbes
-de sa prairie, et les saignait à tout propos, avec son rasoir, dans son
-plat à barbe;
-
-Oyharçabal, le potard, capable d'avaler sans nausée du boudin cru en
-l'arrosant de maints cognacs, bitters, vermouths et litres de vins
-rouges et blancs;
-
-Bidondo, le notaire, qui gavait des ortolans dans son étude;
-
-Etchecoin, le maire laboureur, vieux-garçon (carloche est le terme
-basque), vivant avec ses onze soeurs célibataires (ou moutchourdines),
-et chez qui l'on se régalait de chipes en sauce et d'une panchetta
-célèbre;
-
-Mendigaray, son collègue, qui avait tenu et gagné le pari de manger en
-un quart d'heure deux énormes foies de canard y compris leur graisse
-chaude;
-
-Etcheto, un rougeaud, fabricant de chocolat;
-
-Haramboure l'Américain, enrichi, à Buenos-Ayres, dans le commerce du
-cuir, et retiré à Hasparren; Larronde, le boulanger, qui buvait d'un
-bouillon de corbeaux, enterrés préalablement;
-
-Mercapide, le boucher, qui vendait aux pêcheurs les asticots de sa
-viande d'été, et ouvrait, à la même saison, un établissement de bains;
-sa femme fabriquait des meringues;
-
-Hirigoyen, l'épicier, qui, lorsqu'il pesait du fromage, en rognait
-l'excédent qu'il dégustait en lamelles devant l'acheteur; mais quelle
-bonne odeur de café grillé dans sa boutique!
-
-Bordato, l'ancien marin de Terre-Neuve, qui représentait une compagnie
-d'assurances: «la Céleste»;
-
-Bordachoury, le chasseur qui avait pris au piège à loup le lieutenant de
-gendarmerie de Mauléon;
-
-Etchégaray, le contrebandier d'Ainhoa, et pilotari, dont les bidons
-d'alcool avaient été troués par les balles des douaniers;
-
-Salagoïty, pilotari également, champion du monde à qui les Anglaises
-mendiaient ses vieilles savates et sa culotte plus blanche qu'une maison
-basque en août. Sur le carnet de l'une de ses admiratrices, il avait
-écrit: «Amia nu, je n'ai pas peur de personne»;
-
-Pitphariatéguy, de Barcus, fils d'un amiral, mais qui, au grand
-désespoir de la marine et des siens, se mêlait aux baladins, et, en
-costume éclatant, faisait valser et pirouetter son cheval de bois;
-
-Enfin Paul Dupont, rentier, qui, malgré un nom si peu basque, l'était à
-lui seul plus que tous les autres convives ensemble, mais on ne saurait
-dire pourquoi: c'est une impression indéfinissable, une manière de se
-montrer réservé après les libations nombreuses qu'il décidait à toute
-occasion, avec le comte de Macaye et quelques hobereaux de la même
-sorte.
-
-L'abbé Harriague, dans son livre sur la noblesse basque, démontre que
-les ancêtres maternels de Paul Dupont prirent part à la croisade avec
-saint Louis et Thibaut II.
-
-Il ne restait plus à leur descendant d'autre héroïsme que la chasse au
-lièvre et à la palombe.
-
-Et je pense que voilà des _Etats-généraux_!
-
-Le gros et rubicond doyen d'Aïciritz récita le _Benedicite_, après quoi
-le repas commença dans une sorte de silence que n'interrompaient que les
-humements provoqués par le potage.
-
-Tous les Basques avaient la serviette passée au col, et même l'un d'eux
-portait la sienne comme un enfant, de manière qu'elle imite sur la nuque
-deux oreilles de lapin.
-
-Tandis que Jacob Meyer et son neveu prenaient des cachets, les autres
-invités et moi-même ne songions qu'à remplir notre panse, et à ravir
-notre odorat de ce nectar qui unissait à la saveur la plus délicate et
-la plus onctueuse tout l'arome des potagers.
-
-Ma joie était grande d'entendre, à mesure que baissait le niveau du
-consommé, l'argenterie taper du cul sur les assiettes, et de voir mes
-hôtes, qui n'en voulaient perdre goutte, les soulever en les inclinant.
-
-La gourmandise a, dès l'abord, toutes les apparences de la timidité.
-
-C'est qu'un tel potage est rare. Il contient la sève même des graines,
-convertie en une graisse fine qui vous regarde avec des oeils d'or, il a
-la couleur rousse des volailles qui font se battre entre eux les coqs,
-et il est brûlant comme le soleil des moissons.
-
-Mon ordinaire était d'un vin d'Irouléguy, âpre comme une nèfle, un peu
-pétillant, et qui satisfait, en les râpant, les langues et les gosiers.
-Les Meyer seuls le mouillèrent.
-
-On attendait qu'un convive élevât la voix pour que la conversation, qui
-ne s'ébauchait qu'en sourdine, prît une tournure générale. Le docteur
-Algalarondo ouvrit le feu en racontant que, la veille au soir, un
-maquignon d'Uhart-Mixe avait porté un tel coup à un Bohémien qu'il lui
-avait fallu beaucoup d'adresse pour extraire du crâne la douille de
-cuivre éclatée du makhila.
-
---Un sacripant de moins! s'écria le chocolatier Etcheto, qui redoutait
-les malandrins.
-
-Ces vers de la légende basque me chantèrent:
-
- Il tient serré son makhila flexible
- Dont on voit bien qu'un seul coup abattrait
- Le Sarrazin avec son minaret.
-
---Messieurs, interrogea doucement Eliézer, quelle origine pensez-vous
-que l'on puisse assigner au Bohémien dont vous parlez? Ne serait-ce pas
-un ancien Maure?
-
-Le père Bidondoa Ihidoïpé, qui ne manquait jamais de risquer un de ces
-lamentables jeux de mots dont s'enorgueillissent, hélas! les gens
-d'Eglise, prononça:
-
---Il aurait pu rester dans sa tombe!
-
-Un mutisme incompréhensif accueillit ce trait d'esprit. Mais lorsque
-Etchechoury, le conseiller général, l'eut traduit en basque et en
-français, et fait entendre que le calembour portait sur «maure» et
-«mort», l'éclat de rire fut homérique, et le père Bidondoa Ihidoïpé
-sourit de satisfaction.
-
-Bathita Yturbide alors déclara en se servant copieusement de
-poule-au-pot, de farce, et d'un pimenton rouge comme une course aux
-taureaux, qu'Edouard Drumont, qu'il avait tout récemment rencontré à la
-buvette de la Chambre des députés, l'avait assuré que les Bohémiens de
-Saint-Palais ne sont qu'une lignée d'anciens Juifs, échappés jadis d'un
-bagne du pays basque.
-
-Mon cousin fit part bien innocemment de cette opinion, mais les deux
-Meyer en piquèrent un nez dans leurs assiettes.
-
---Je reconnais bien l'idée fixe de Drumont, dis-je, pour amortir le
-choc.
-
---Moi, dit Mercapide, le boucher et baigneur, je n'ai vu ni Juif ni
-nègre, mais je sais bien que si je rencontrais l'un ou l'autre je lui
-fourrerais mon pied quelque part.
-
-En écoutant ces paroles si candides, comment n'aurais-je pas songé à
-cette marche vers la race maudite, dans Pampelune, que peu de semaines
-auparavant Eliézer avait évoquée:
-
- Auger qui sort de Mauléon la terre
- Contre la gent est si fort en colère
- Que l'on croirait qu'il porte le tonnerre.
-
-Je détournai, heureusement, la conversation; Hirigoyen, l'épicier, me
-demanda si, réellement, la soupe dite «tortue» qui était inscrite au
-menu d'une noce à laquelle il venait d'assister à Biarritz, était bien
-de cet animal dont il avait vu un exemplaire dans un jardin. Je le
-dissuadai.
-
-Haramboure l'Américain prit alors la parole:
-
---Au Mexique, nous mangions d'excellent pot-au-feu de vraie tortue.
-
---La fait-on bouillir avec sa tuile sur le dos? questionna Hirigoyen.
-
---Non, fit Haramboure, on ouvre la bête à coup de hache.
-
---Vous êtes un peu pâle, remarquai-je à voix basse, en me penchant vers
-Eliézer.
-
---Ce n'est rien. Le laxatif que j'ai pris aura raison d'un léger
-trouble. Vos crus sont un peu forts.
-
---Ne me parlez plus de toutes ces saletés, reprit Paul Dupont dont la
-pensée allait au train de la tortue. Je voulus, il y a trente ans,
-goûter une huître et je crus que j'allais rendre toute la mer.
-
-Graciousa et Beronikéa apportèrent les choux farcis, pressés et flanqués
-de tranches d'andouille à vous emporter la bouche.
-
---Quelle est la viande que vous préférez? demanda le comte de Macaye à
-Paul Dupont.
-
---En fait de chair, répondit textuellement celui-ci, en fait de chair,
-je mangerais tout. Mais je déteste le poisson, excepté les truites.
-
---Vous serez servi à souhait tout à l'heure, monsieur Dupont,
-annonçai-je avec la fierté du maître de céans.
-
-Les dialogues varièrent:
-
---Il faudrait, déclara Mendigaray, le grand mangeur, maire d'Amorots,
-qui était vraiment imposant de calme et de dignité, que l'on nous
-laissât vivre en paix dans notre province. Pourquoi les Français
-veulent-ils nous obliger à leur payer l'impôt?
-
---Comment, insinua Jacob Meyer, l'Etat pourrait-il subvenir à ses
-lourdes charges si le contribuable se récuse et ne remplit pas son
-devoir de citoyen?
-
-Avec le même flegme, et le même oeil bleu, si je peux dire, Mendigaray
-repartit:
-
---Je m'en fous, et vous aussi vous vous en foutez.
-
---Moi, dit Etcheto, voici comme je raisonne: ma soeur fabrique de l'eau
-de noix avec un sirop et de l'eau-de-vie. Si j'achète celle-ci chez un
-épicier ou chez le pharmacien, je la paie cinq fois plus que si je me la
-procure chez un contrebandier.
-
---Vous portez atteinte à l'Etat, appuya sévèrement Eliézer qui soutenait
-son oncle.
-
---Qu'est-ce que l'Etat? demanda Etcheto.
-
-L'énorme curé d'Aïciritz, qui avait du bon sens, et parfois de l'esprit,
-répliqua:
-
---L'Etat, c'est d'une autre eau-de-vie.
-
-Cette définition rendit rêveurs ceux qui l'avaient, ou non, comprise.
-
-Les truites frites furent servies simplement avec des citrons.
-
---Pour vous, monsieur Dupont, dis-je.
-
---Merci! Elles sont d'une jolie robe, et doivent être à point. Vraiment,
-il n'est de bon poisson que la truite. J'admets encore les anguilles en
-matelote.
-
---D'anguilles, raconta Larronde, l'homme au bouillon de corbeau, nous en
-avons pris beaucoup à Amendeuch, cette année. Il n'est que d'avoir un
-couteau bien aiguisé, à se mettre à califourchon au-dessus d'un
-ruisseau, à bien épier au fond, et si l'on en voit une, de la décapiter
-lestement.
-
---Sapristi, s'écria Eliézer qui paraissait plutôt nerveux, mais...
-mais...
-
---Ce sont les descendants des guerriers de Pampelune, lui dis-je en
-souriant.
-
---Il est vrai, fit-il après un léger effort pour se remémorer. Et il se
-tut.
-
---Mes amis, proposai-je, acclamons Bordachoury?
-
-On venait de servir les lièvres.
-
---Où les as-tu tués? demanda au vieux braconnier le comte de Macaye,
-dont une rose ornait la boutonnière et qui buvait à plein bord les vins
-d'Irouléguy, de Bordeaux et de Bourgogne.
-
---Deux à Luxe-Sumberraute, monsieur le comte, le troisième, à Sala.
-
---Et tu n'as plus pris de lieutenant de gendarmerie au piège?
-
---Il en fut quitte pour une mâchure à la jambe, et attendit honteusement
-jusqu'à ce qu'on l'en retirât. Un Basque n'agit pas ainsi! Il était
-étranger.
-
-Je me penchai vers Eliézer et lui expliquai:
-
---Bordachoury fait allusion à un braconnier de Mendionde qui, pris à un
-horrible traquenard, n'hésita point à achever de s'arracher le pied avec
-son couteau, pour s'enfuir.
-
-A ce moment, sans doute parce que ce trait, d'un caractère un peu trop
-basque, lui porta au coeur, Eliézer s'évanouit sur sa chaise.
-
-Les prêtres qui venaient de se servir chacun une montagne de civet,
-agrémenté de persil cru, dont l'un avait à sa bouche une branche
-bougeante, n'eurent pas l'air de penser que leur commensal en fût à
-l'article de la mort. Ils n'en perdirent pas une bouchée. Le père
-Bidondoa Ihidoïpé s'écria:
-
---Gaïchua!
-
-Le bon apôtre ne plaignait, par ce mot intraduisible, que la délicatesse
-d'estomac d'Eliézer. Il ne concevait point, étant natif de Larceveau,
-que les brutales et sanglantes conversations qui assaisonnaient ce repas
-pussent le moins du monde réagir sur un organisme délicat.
-
-Jacob Meyer, fort ému, s'était levé pour étendre son neveu, lui
-frictionner la poitrine, lui cingler la paume des mains.
-
---Avez-vous de l'éther? me demanda-t-il.
-
-Je n'en avais pas.
-
-Le contrebandier Etchégaray dit:
-
---J'ai apporté dans mon chahakoa un échantillon d'un tord-boyau espagnol
-qui réveillerait un mort. Il n'y a qu'à desserrer les dents de ce
-monsieur avec sa fourchette, et à lui faire avaler une gorgée en
-pressant le cuir de l'outre. Elle pisse très bien.
-
-Je compris qu'un propos et un remède aussi grossiers révoltaient Jacob
-Meyer.
-
---Je ne peux admettre, déclara-t-il, ces moeurs de Papou!
-
-Bien heureusement fus-je seul, pas même les prêtres exceptés, à entendre
-ce dernier mot. Je m'opposai de mon côté à ce que fût utilisée la vertu
-de l'eau de feu, bien qu'Etchégaray ne comprît pas cette répugnance.
-
-Eliézer déjà revenait à lui lorsqu'on nous servit le filet de vache et
-la salade. Il insista, car il avait de l'énergie, pour se rasseoir à
-table où je lui fis servir une infusion brûlante qui le ragaillardit
-tout à fait.
-
-Je regrettais beaucoup d'avoir embarqué l'oncle et le neveu dans une
-pareille galère, avec des passagers si frustes, qui, pour n'être pas
-moins, bien au contraire, de la race d'Ondicola, n'avaient rien conservé
-des raffinements en usage sur la caravelle enchantée: l'_Eskualdunak_.
-
-Tandis que se succédaient les bouteilles, deux koblaris se levèrent tour
-à tour, Etchechoury, l'éleveur de chevaux, conseiller général, et le
-pilotari contrebandier, Etchégaray.
-
-ETCHECHOURY
-
- Ma joie est de vous rencontrer ici, Etchégaray.
- Le repas que nous prenons nourrit mieux
- Que le vent qui souffle à la frontière,
- Et il vaut mieux contempler votre visage épanoui
- Que les culottes de la douane.
-
-ETCHEGARAY
-
- Vous me lancez la balle. Je vous la renverrai,
- Car n'oubliez pas que je fus champion du monde
- Avec les Gascoïna, les Goroztiague.
- Et, pour ce métier, mieux vaut avoir la minceur du peuplier
- Que l'obésité de l'outre, fût-elle emplie du meilleur vin de
- Catalogne.
-
-ETCHECHOURY
-
- Tu fais allusion à ma rotondité.
- Pourrais-je, si je n'avais pas d'embonpoint,
- Etaler aussi largement
- Ma chaîne de montre aux yeux du peuple
- Quand celui-ci se presse en foule
- Aux rebots, quand tu joues à Pasaka?
-
-ETCHEGARAY
-
- Vous êtes une figure connue.
- Dès que la première pelote est lancée,
- On vous aperçoit assis sur le mur,
- Tenant d'une main un chistéra,
- Et, de l'autre, une ombrelle que vous faites tourner
- Comme une auréole au-dessus de votre tête.
- Seriez-vous déjà un saint?
-
-EICHECHOURY
-
- J'espère, du moins, de le devenir
- A force de dîner dans la compagnie des prêtres,
- C'est le cas de dire que, lorsqu'on a mangé avec eux,
- Tous les plats sont bien curés.
-
-Une triple salve d'applaudissements salua ce jeu de mots que je n'ai pas
-à traduire, car l'éleveur de chevaux le commit en français.
-
-Personnalité singulière que cet Etchechoury, parfaitement conscient de
-cette vulgarité de langage et d'attitude, entretenue par lui à cause de
-son amour de la tradition.
-
-Aucun koblari ne l'égalait dans ce terre-à-terre de la ripaille qui
-rejoint, plus qu'un Eliézer ne le pense, le génie homérique.
-
-Dirai-je qu'à mon goût ce court dialogue égale, par sa grosse
-simplicité, les plus belles pièces de l'antique?
-
-Mais il n'est pas que cette veine en pays eskuarien. Et Haramboure,
-l'Américain enrichi retiré à Hasparren, nous montra quelle délicatesse
-de sentiment peut s'allier à cette lourde joie de vivre.
-
-En effet, il chanta:
-
- O ma bien-aimée, tu m'as dit:
- --Le plus beau des arbres c'est le hêtre
- A cause de son ombre.
- --Voici le plus noir de la forêt,
- T'ai-je répondu. Je te le donne,
- Fais-y notre nid.
-
- --Le saule est plus gracieux que le hêtre,
- As-tu repris aussitôt, car il pleure.
- --O ma bien-aimée,
- Tant de sanglots sont sortis de mon coeur,
- Qu'il y avait un étang à mes pieds
- Où se reflétait le saule.
- Mais tu as tout à coup déclaré;
- --Au saule, je préfère le tilleul odorant
- Où chante le rossignol.
-
- Alors, ô ma bien-aimée,
- J'ai acheté du parfum à une Bohémienne
- Habile aux philtres qui séduisent;
- Et, pour ressembler tout à fait au tilleul,
- J'ai mis un rossignol dans mon coeur,
- Et il te chante ce chant.
- Mais déjà, ô cruelle, je t'entends me dire:
- --Le plus beau des arbres, c'est le chêne...
-
- --S'il en est ainsi, ô ma bien-aimée,
- Fais, avec son bois, mon cercueil.
-
---Comment, me demanda Eliézer dans l'admiration (et il y avait de quoi),
-pouvez-vous concevoir un peuple à la fois si barbare et si raffiné?
-
---Eh quoi! remarquai-je, Cythère n'est-elle ardue et montagneuse, hantée
-des seuls chevriers, et dont pourtant Vénus est sortie... Et la légende
-basque?...
-
- * * * * *
-
-Lorsque prirent fin ces singulières assises des _Etats-généraux_
-basques, la soirée était déjà avancée.
-
-J'entendis un à un s'égrener les grelots des calèches, des tape-cul et
-des coucous, remportant aux quatre coins de l'horizon mes pittoresques
-convives dont certains se détachaient jusqu'au torse sur un ciel couleur
-d'omelette, de sauce tomate et de vin d'Irouléguy.
-
-
-
-
-MA COUSINE ÉVA, UN TRÉSOR
-
-
-Ma cousine Eva, de Bayonne, Basquaise pure, comptait dix-neuf ans.
-
-D'une forme joliment ronde, la joue rose, j'ai dit ailleurs que ses yeux
-étaient bleus. Elle possédait ce caractère épanoui qu'ont les petites
-filles sans dot.
-
-Elle était née d'un officier du génie et, demeurée seule dès son bas âge
-avec sa mère, elle affectait des allures un peu trop libres dans le
-monde. C'est que les mamans, et je n'ai pas le courage de les en trop
-blâmer, lancent plutôt qu'elles ne retiennent une fille sans fortune à
-la conquête d'improbables maris.
-
-Eva n'avait point à employer d'artifices pour connaître le succès, mais,
-hélas! comme il arrive aux plus charmantes de son espèce, elle voyait
-tour à tour ceux qui l'eussent volontiers épousée se décider plutôt pour
-des laiderons d'or.
-
-De là, et bien qu'elle fût si jeune, une sorte de philosophie bonne
-enfant, faite d'un peu de scepticisme et de beaucoup de gaieté.
-
-Eva jouait parfaitement la comédie, et je l'avais amenée, par exemple,
-dans une comédie d'Alfred de Musset que je lui avais fait répéter, à
-mettre en délire son auditoire.
-
-Eva était Eva. Et, quand on nommait Eva, les vieux et jeunes salonniers,
-que Forain stigmatisait alors, se prenaient à sourire de la manière la
-plus admirative et la plus bébête.
-
-J'invitais souvent Eva et sa mère à villégiaturer chez moi, en assez
-nombreuse compagnie.
-
-Sans grand luxe, on se distrayait beaucoup. Les promenades à âne dans la
-vallée, des parties de pêche à la ligne sont tout ce qu'il y a de mieux.
-Nous composions aussi des charades animées où Eva excellait.
-
-Un soir que nous nous livrions à cet amusement, je me plus à tirer de
-mon armoire la fameuse tunique nuptiale que j'avais fait couper et
-broder à Toulouse, et je priai Eva de s'en revêtir dans la coulisse de
-notre petite scène improvisée.
-
-Ce fut un ravissement.
-
-Si elle n'avait été ma cousine, je crois que je l'eusse demandée en
-mariage ce soir-là, tant cette vieille dentelle, parcourue par ce long
-narcisse, lui seyait.
-
-Eva et ses compagnes se montrèrent fort curieuses de connaître l'origine
-de ce travail de fée. Et je leur appris, ce qui était la vérité, que je
-m'étais passé la coûteuse fantaisie de le faire exécuter à Toulouse, par
-des spécialistes hors de pair, sur un modèle proposé par une légende
-basque.
-
-Ces petites se contentèrent d'admirer ce chef-d'oeuvre, sans autrement
-se soucier de contrôler si, comme je le leur avais dit, les toutes
-premières Basquaises comparaissaient dans ce costume devant leurs époux
-enivrés.
-
-Dans la huitaine qui suivit son exhibition, la tunique nuptiale fut à
-l'ordre du jour.
-
-Et Eva, qui était la meilleure fille du monde, la plus franche et la
-plus sans façon, me prit à part pour me dire:
-
---Mon cousin, tu commets une vilaine action en cachant une aussi
-merveilleuse jupe dans un meuble, car tu peux bien penser que, si je me
-montrais une seule fois à Biarritz, l'ayant mise, tous mes admirateurs
-tomberaient à genoux en implorant ma main.
-
---Il est vrai, Eva, qu'en te voyant ainsi déguisée pour la charade, je
-me disais que la beauté des premières Basquaises, célébrée par la
-légende, eût pâli devant la tienne.
-
-Elle éclata franchement de rire:
-
---Il se peut, après tout, fit-elle. Me faut-il donc insister beaucoup
-pour que je puisse me produire dans cet appareil devant un public, plus
-intéressant pour moi que celui que tu as convié ici?
-
---Je te remercie, dis-je sans me fâcher, de faire un si grand cas de mes
-hôtes.
-
---J'entends par «intéressant», reprit-elle, ce qui peut conduire au
-mariage une jeune fille.
-
---A la bonne heure! Voilà qui est net.
-
---Tu ne veux cependant point que je tourne mal?
-
---Non, car tu es trop bien faite pour cela.
-
---En ce cas, répondit-elle avec une délicieuse ellipse, remets-moi ce
-que je te demande.
-
---La tunique?
-
---Oui.
-
---Eh bien, soit; mais à une condition.
-
---Celle que tu voudras.
-
---Eh bien! Eva, voici. J'ai résolu de monter, pour la fin de l'automne,
-aux grottes d'Isturitz, un spectacle impressionnant auquel je veux
-convier tout ce que notre pays compte de plus distingué. Il s'agit de
-faire représenter, de cette légende basque dont je t'ai parlé, l'acte
-qui m'engagea à confier l'exécution du vêtement à une vraie artiste. Tu
-es ma principale vedette. Tu joues le rôle d'une Robinsonne basque. Tu
-rends tous les hommes qui te verront ainsi fous de toi. Tu choisis qui
-t'agréera le mieux. Et je mets dans ta corbeille la tunique nuptiale.
-
---Tu es un bijou de poète, et me fais regretter presque de n'être que ta
-cousine, et de ne pouvoir t'aimer qu'en partie!
-
---Ce n'est pas tout, repris-je sans relever sa malice: il faudra
-t'exercer, et, dans le lieu même que j'ai choisi, à Isturitz.
-
---Cent fois plutôt qu'une, puisque la dentelle est à moi!
-
-
-
-
-LA RÉPÉTITION GÉNÉRALE
-
-
-Et, par un doux après-midi, nous allâmes donc, quelques jeunes fous et
-folles, à la grotte dont le cerbère ne savait plus quelles attentions
-délicates me témoigner depuis que je lui avais donné l'insigne marque de
-confiance de déposer chez lui le trésor; et tantôt c'était d'un pot de
-miel ou d'un lièvre, ou de truites, ou de ces écrevisses dont
-l'ingestion avait déterminé chez Eliézer un accès de franchise
-somnambulique.
-
-Ce jour là, Salbaya mit à la disposition de notre joyeuse bande ses
-meilleurs fruits, son fromage frais, ses bottes de paille sèches,
-renforcées de toutes ses chandelles, pour en illuminer jusqu'aux plus
-sombres recoins de la crypte.
-
-Nous nous amusâmes fort, en esquissant la représentation de la Légende
-dans ce même abri naturel dont la clémence avait jadis protégé Iguskia
-et Ithargia.
-
-Eva n'était plus qu'un éblouissant éclat de rire.
-
-Mais, lorsque je la fis se coucher, tant soit peu en chien de fusil,
-dans la fosse qui avait renfermé un trésor moins beau qu'elle, et dont
-il fallait qu'elle ressurgît, après un sommeil de tant de siècles,
-revêtue de la robe nuptiale, et telle qu'une Robinsonne ou Belle au Bois
-dormant, on ne savait plus s'il fallait ou non garder son sérieux.
-
---Le rôle que tu me fais jouer là est un peu lugubre? fit-elle. Tu as
-l'air de mesurer mon caveau avant que je sois morte. Rappelle-toi que je
-n'ai nulle envie de prendre mon rôle à la lettre.
-
---Il faudra, ordonnai-je à Salbaya qui restait bouche bée devant ce
-qu'il devait prendre pour une opération de sorcellerie, mais qui
-tolérait décidément, sans le moindre murmure, mes faits et gestes les
-plus extravagants, que vous agrandissiez un peu cette ouverture avant
-d'y replacer le rocher que vous venez d'ôter.
-
---Le fait est, fit Eva, que si ce trou doit devenir mon lit nuptial je
-n'y serai pas au large.
-
-Elle ne croyait pas si bien dire.
-
-Tous les préparatifs qui devaient servir mon plan s'enchaînaient à
-merveille, le plus simplement du monde, pour confondre Jacob Meyer et
-son neveu.
-
-Lorsque je les revis chez eux, je leur déclarai que la clef était à leur
-disposition, mais que M. Passerose m'avait déclaré ne consentir à la
-leur livrer que s'ils la remettaient chaque soir au gardien ou à
-moi-même.
-
---Croyez, messieurs, leur dis-je, que je ne demande à conduire cette
-affaire qu'à la plus grande satisfaction de tous, pour vous obliger le
-mieux possible, et ne déplaire en rien à mon ami M. Passerose. Tout se
-peut concilier. Il est donc convenu que, d'aujourd'hui en quinze, la
-clef sera en votre possession, de dix heures du matin à six heures du
-soir. J'ai donné ordre à Salbaya, qui vous la remettra, de vous laisser
-seuls à vos fouilles. Quant à moi, vous m'excuserez de ne pouvoir me
-joindre à vous, et m'associer à vos savantes recherches. Je m'absenterai
-à ce moment.
-
-Je surpris un signe d'intelligence satisfait dans le double clin d'oeil
-qu'échangèrent Jacob et Eliézer.
-
-Il ne me restait plus qu'à mobiliser ma cousine Eva au moment opportun.
-
-La veille du jour où la clef devait être prêtée à mes Juifs (je ne
-doutais pas qu'ils ne voulussent se rendre à la grotte dès la première
-minute) je leur fis tenir ce mot:
-
-«Demain, à dix heures précises, Salbaya vous confiera la clef.»
-
-
-
-
-Il n'avait pas été difficile d'obtenir d'Eva et de sa mère qu'elles
-revinssent passer une quinzaine dans ma villa, d'où l'on sait qu'en peu
-de temps on peut gagner les grottes d'Isturitz.
-
-La belle enfant était toujours bonne, aussi heureuse de vivre, encore
-qu'elle eût pu avoir alors quelque sujet de souci, ma tante ayant reçu,
-deux jours avant leur arrivée, la visite de l'huissier.
-
-Ce n'est point que cette pauvre femme administrât mal sa fortune, mais
-elle n'en avait point. J'avais gros coeur de cette situation. Je les
-aidais bien dans quelque mesure, mais pas autant que je l'eusse désiré.
-J'ai toujours eu un faible pour la Bohême innocente, et ma tante était
-quelque peu de ce pays.
-
-Quant à sa fille, je l'eusse sans doute épousée si, comme je l'ai
-expliqué, notre genre d'affection mutuelle, et nos jeux d'enfance qui se
-continuaient en somme dans les grottes, n'avaient fait d'elle ma soeur
-et, de moi, son frère.
-
-Mais elle était si jolie que je ne désespérais pas qu'elle sauvât, par
-un mariage, une situation si obérée. Son alerte démarche de Basquaise,
-aux pieds pointus, chaussés de blanches sandales, semblait chanter
-toujours: «Suivez-moi!»
-
-Je m'imaginais très bien de la sorte une descendante immédiate d'Iguskia
-et d'Ithargia, et je savais qu'elle jouerait à ravir, pour mes fins
-vengeresses, devant Jacob et Eliézer, son rôle de Robinsonne de la
-Légende.
-
-
-
-
-LE TRIOMPHE D'ÉVA
-
-
-La veille du jour qu'elle devait tenir le délicieux rôle que je lui
-destinais:
-
---Eva, dis-je, nous irons demain à Isturitz où tu voudras bien mettre en
-oeuvre mes moindres instructions. Il te suffira de passer la tunique,
-elle te sied à ravir, de te bien attifer et coiffer, et de te dissimuler
-quelques minutes dans la fosse de la grotte, comme l'autre jour, jusqu'à
-ce que deux originaux t'y découvrent, à leur grande surprise.
-
---De quels originaux parles-tu?
-
---Peu importe; tu n'as rien à redouter de leur présence; et, d'ailleurs,
-je me tiendrai caché non loin de toi, tandis que tu rempliras cet office
-d'enterrée.
-
---Tu mets bien du mystère à ton jeu: ce n'est pas dans ton habitude.
-Hais puisque le prix à remporter, si je me rends à tes caprices, est
-cette robe de fée, sache que je suis à tes ordres.
-
---Il te suffira, continuai-je, dès que tu te verras découverte--comme on
-joue au cache-cache--de te redresser, soudain et, tel qu'un fantôme
-gracieux, de gagner à pas lents et en silence la sortie. De là, en
-quelques bonds, tu seras chez Salbaya, hors d'atteinte, jusqu'à ce que
-je te rejoigne.
-
-L'action fut menée avec un art parfait. Sous prétexte de partie de
-pêche, Eva et moi gagnâmes à l'aurore les grottes d'Isturitz et, avant
-dix heures, elle revêtit la tunique légendaire, peu de temps avant que
-le cerbère accompagnât, au même lieu, les Meyer empressés.
-
-Elle s'établit, sans froisser sa dentelle, dans la cachette où reposait
-naguère le trésor. Le rocher qui en fermait l'entrée avait été, sur mon
-avis, mis de côté par Salbaya. Quant à moi, le diable, avant même que la
-chandelle fût morte, n'aurait su me distinguer des stalactites
-environnantes.
-
- * * * * *
-
-Voici Jacob et Eliézer.
-
-J'entends gémir la grille, et que Salbaya remporte sa clef à lui, sans
-refermer la serrure, et, tout à fait comme je lui en avais intimé
-l'ordre, leur laissant croire qu'ils sont seuls tous les deux.
-
-Une lampe des plus perfectionnées, de spéléologue sans doute, qu'allume
-Eliézer, transforme en palais radieux cette annexe de l'enfer.
-
-La luxuriante forêt de pierre apparaît, qui semble recouverte de rosée
-par le scintillement des prismes naturels. Mais les deux coquins n'ont
-cure de cette métamorphose souterraine. Ils déroulent leur décamètre; la
-route s'ouvre librement devant eux, avec, au bout pensent-ils, l'objet
-de leur longue convoitise.
-
---C'est ici! prononcent-ils bientôt sans hésiter.
-
---Ah! laisse-moi le premier mettre la main dessus! s'écrie Jacob Meyer
-d'une voix rendue gutturale par la cupidité.
-
-Et, contournant le couvercle rocheux, il projette dans le trou un
-faisceau de rayons.
-
-Aussitôt, comme enveloppée d'une lueur d'aube où s'épanouit le narcisse,
-surgit Eva que je ne vois que de profil.
-
-Mais qu'elle est belle!
-
-Elle sourit. Elle fait, de ses bras ronds et de ses mains unies sous sa
-nuque, un arc charmant, et elle bâille comme si elle sortait d'un
-profond sommeil, montrant des dents qui valent toutes les perles du
-trésor de la famille Passerose.
-
-Et, sous les yeux des deux Juifs pétrifiés comme les végétaux de la
-grotte, elle s'en va.
-
-Je suis ravi de la perfection de son jeu et, tandis qu'il me faut
-réprimer mon envie d'applaudir, je suis le témoin de ce dialogue
-invraisemblable:
-
---Eliézer?
-
---Mon oncle?
-
---Est-ce vrai?
-
---Suis-je somnambule?
-
---Suis-je somnambule?
-
---Vous l'êtes.
-
---Tu l'es.
-
---L'avez-vous vue, mon oncle?
-
---L'as-tu vue, Eliézer?
-
---C'est une fille d'Ithargia.
-
---C'est une fille d'Ithargia.
-
---Elle portait la tunique nuptiale.
-
---Le narcisse de la légende montait comme un jet d'eau jusqu'à son sein
-neigeux.
-
---Mais puisque nous avons inventé la légende?
-
---Alors nous sommes fous?
-
---Sommes-nous fous alors?
-
- * * * * *
-
-Mais tout à coup Jacob Meyer se ressaisit et s'écria:
-
---Nous sommes volés!
-
-Et l'écho de la grotte répéta cette phrase.
-
-Ils ne furent pas longs à décamper comme des péteux, et n'allèrent point
-demander des explications sur leur mésaventure à Salbaya, chez qui
-bientôt je rejoignis Eva.
-
-La pauvre petite, avec qui je déjeunai gaiement en lui faisant part,
-cette fois, sans en rien réserver, du mot de l'énigme, avait bien gagné
-sa chemise de noces! Je souhaitais vivement de lui faire aussi don de
-l'époux. Ce qui arriva comme on va le voir.
-
-
-
-
-LA CONCLUSION INATTENDUE
-
-
-Monsieur, commença Eliézer en s'asseyant dans le fauteuil que je lui
-avançai, lorsqu'il vint me rendre visite deux mois après la farce qu'Eva
-et moi lui avions si bien jouée, mon oncle et moi nous sommes deux
-Juifs.
-
-Je reconnus la même phrase que le même Eliézer avait prononcée durant
-son accès de somnambulisme, après avoir mangé des écrevisses, en cette
-nuit qu'il m'avait tant effrayé.
-
-Mais, cette fois, il veillait, et je ressentais qu'il était on ne peut
-plus conscient de lui-même.
-
-Cependant il continuait à me révéler ces mêmes choses qu'il m'avait
-confessées, à son insu, durant son sommeil:
-
---Et vous vous êtes aperçu que nous nous moquions de vous... Ne pensez
-pas que je ne puisse être sincère... Et, la preuve en est, que je viens
-vous faire cet aveu si pénible et si humiliant... Je vous le déclare
-sans ambages: nous sommes des voleurs, mon oncle et moi, celui-ci ayant
-découvert chez un bouquiniste du vieux Bayonne, et s'étant approprié un
-document qu'il aurait dû remettre à la famille Passerose; et moi, en lui
-prêtant mon concours, afin de nous emparer seuls d'un trésor dont ce
-parchemin fait mention... Ce trésor...
-
-Eliézer poursuivit son discours, et j'en reconnaissais chaque mot comme
-déjà l'ayant entendu au cours de sa crise nocturne:
-
---Il fallait, disait-il, vous gagner, afin d'obtenir la clef des grottes
-et le droit de pénétrer librement dans le flanc de la colline.
-
- * * * * *
-
-Quand ce singulier pénitent, fort bien éveillé, en eut terminé avec sa
-confession renouvelée, il y ajouta, si je peux dire, un inédit qui me
-stupéfia par sa conclusion inattendue.
-
---Nul doute, fit-il, monsieur, que notre obscure machination ne vous ait
-été révélée par une voie que j'ignore, et que vous l'ayez prévenue et
-déjouée avec beaucoup d'esprit.
-
-J'eus un sourire d'approbation flattée.
-
---Vous avez, continua-t-il, commencé de nous brimer en nous mettant, mon
-oncle et moi, en contact avec le réalisme un peu brutal de vos
-_Etats-généraux_ de Garris, dont j'avais compris l'allusion. Et vous
-avez ensuite substitué au trésor que vous avez mis en sûreté la plus
-jolie fille du monde.
-
-Je souris encore.
-
---Il n'est pas de beauté, fit Eliézer, qui puisse être, même de loin,
-comparée à la sienne; ni d'Ithargia; ni des vierges de l'_Amodioa_ dont
-les voiles étaient gonflées par la brise qui sortait des joues rebondies
-de l'Amour. Mon inspiration poétique, si géniale soit-elle, demeure,
-monsieur, tellement au-dessous du modèle que m'offre, après coup, la
-vérité vivante, que j'en demeure confus. Je ne saurais me payer de mots.
-Comment ma pâle invention lyrique a-t-elle pu susciter, en chair et en
-os, la vraie Robinsonne basque, le moule parfait, capable, selon le voeu
-d'Ondicola, de refaire une race. Or...
-
---Or?
-
---Je veux reconstituer la mienne.
-
---Quoi? dis-je, vous voulez épouser Eva?
-
-(Je lui jetai ainsi le prénom de ma cousine, tant cet épilogue me jetait
-dans le désarroi.)
-
---Oui, monsieur, je veux m'unir à elle, en lui offrant, avec une
-dotation de huit cent mille francs de rente, ma sincère conversion
-religieuse.
-
---Ah! bah?
-
---Une pareille beauté, dont la grâce ne m'a point permis de supposer un
-seul instant qu'elle n'appartînt à une vierge, ne saurait être dans
-l'erreur.
-
---Peste! fis-je, me demandant quelle valeur un théologien accorderait à
-cette manière d'envisager la foi catholique!... Mais... Ne m'a-t-on pas
-assuré que vous êtes parfois sujet à des crises somnambuliques?
-
---Croyez, monsieur, qu'avec Eva, puisque ainsi elle s'appelle, je ne
-saurais vivre que dans un rêve enchanté, ou rêver dans la plus suave des
-veilles: ce qui est le lot des plus fortunés.
-
-Eliézer se retira sur ces paroles exquises, après m'avoir chargé de
-demander pour lui à ma tante la main de ma cousine, que je comptais bien
-qu'après une entrevue prochaine il n'obtiendrait pas.
-
-
-
-
---Je ne trouve pas Eliézer mal du tout, me dit Eva après cette entrevue
-qui se passa chez moi. Il m'a très franchement marqué son repentir
-d'avoir trempé dans les roueries de son oncle, et il m'a déclaré n'en
-vouloir retenir que l'amusant poème auquel elles ont donné lieu, et où
-l'on se moque de toi délicieusement. Il m'en a lu quelques passages,
-mais sais-tu qu'ils sont fort beaux?
-
---Oui.
-
---J'apprécie tes vers; mais laisse-moi t'avouer que rien, dans ton
-oeuvre, ne m'a ému autant que cette légende basque. Et, puisque son
-auteur m'a choisie pour être, en chair et en os, et d'esprit, la
-Robinsonne qui l'inspire, apprends que je me sens apte tout à fait à lui
-susciter une race de choix.
-
---Celle même d'un somnambule? demandai-je piqué.
-
---Rien, me répondit-elle, n'est plus charmant que l'Amour endormi.
-
-Bref, il me fallut rengainer ma mauvaise humeur et mon dépit. La pauvre
-chose qu'un coeur d'homme!
-
-Voici quelques jours à peine, je désirais d'autant plus le bonheur et la
-prospérité de cette enfant que je craignais qu'elle ne fût condamnée au
-célibat des jeunes filles sans dot.
-
-Quant à l'affection de camarade que je lui portais, et qu'elle me
-rendait, je m'en suis expliqué: elle était de telle sorte qu'elle
-semblait ne pouvoir engendrer cette jalousie où la beauté physique entre
-comme élément.
-
-Et, néanmoins, je rongeais mon frein, tout capot qu'Eliézer eût, ne
-fût-ce que par sa fortune, fait la conquête d'Eva.
-
-La mère de celle-ci, trop satisfaite d'échapper à ses créanciers, ne fit
-aucune opposition, bien au contraire; et il me fallut, bon gré, mal gré,
-par convenance, chaperonner Eta et Eliézer à travers la lune de miel de
-leurs fiançailles, me prêter à leurs fantaisies, et, ce qui me fut le
-plus humiliant, les surveiller.
-
-Je ne pus même me refuser à les ramener à Isturitz où ma cousine eut un
-accès d'hilarité en revoyant la fosse qui lui avait servi de sépulcre et
-qu'elle nomma Cette foi: «Le berceau de la race.»
-
-J'enrageais. Quant au futur époux, il était tout transformé. Il me
-demanda, pour lui éclaircir quelques points d'une théologie qu'il avait
-déjà pas mal étudiée, un guide averti, et je ne sus mieux faire que de
-le confier au missionnaire qu'il avait rencontré au cours du repas des
-_Etats-généraux_ basques: le père Bidondoa Ihidoïpé.
-
-Celui-ci trouva fort édifiant son catéchumène qui lui fit cadeau d'un
-microscope, d'une jumelle de spectacle et de l'_Histoire de la
-Révolution française_, en dix volumes, de M. Thiers, oeuvre que le
-donateur ne voulut point conserver la trouvant désormais entachée
-d'hérésies.
-
-Au physique, peut-être à cause que le Malin se retirait de lui, Eliézer
-était devenu presque un joli homme. Grâce à un nommé Perron, poète et
-coiffeur de Bayonne, qui avait résolu, pour son client, une coupe de
-cheveux et de barbe dite «jardin à la française», il avait quinze ans de
-moins.
-
-Ce rajeunissement m'agaçait tout autant que le reste du personnage, mais
-ce qui porta au comble mon dépit fut d'avoir à réentendre l'étonnant
-chapitre de la Légende où Roland et Aude, dans les montagnes des
-Aldudes, viennent saluer Charlemagne.
-
-J'eus beau me répéter que le poème n'avait ni queue ni tête, il fallut
-bien me rendre à l'évidence du contraire lorsque se penchant vers
-Eliézer assis sur l'un des bancs de mon petit parc, Eva lui décocha le
-plus sonore des baisers.
-
-Alors, je devins ridicule. Et, poussé par l'esprit de bassesse que la
-rivalité fait naître chez ceux-là mêmes qui ne sont pas les pires,
-j'allai jusqu'à lui déclarer, lorsque, nous fûmes en tête à tête, que je
-trouvais fâcheux qu'elle consentît à épouser un homme qui, ne fût-ce
-qu'un moment, s'était fait le complice d'un vol.
-
-Elle me répondit que je n'étais qu'un pharisien; qu'il est d'autres
-larcins plus graves que de perles, dont le commun fait assez bon marché,
-ne serait-ce que de ravir les femmes d'autrui; et que, d'ailleurs, si
-j'étais chrétien le moins du monde, il me fallait bien admettre que le
-passage du judaïsme au christianisme sanctifierait son cher _Zézer_.
-
-Je faillis gifler la superbe fille en l'entendant forger un si amoureux
-diminutif.
-
-Elle ajouta que, si invraisemblable et si décousue que fût la Légende,
-elle faisait siennes les idées d'Ondicola sur la réfection d'un peuple,
-et que, n'ayant jamais rencontré, parmi les jeunes coureurs de plages,
-un seul Iguskia, elle leur substituerait Eliézer. Ce n'est pas que
-l'esprit lui manque, ni même le génie, assura-t-elle, en me regardant
-bien en face. Il n'en a que trop. Quant à ce qui regarde le reste, tu
-m'as vu faire, à la nage, le tour du grand rocher de Biarritz. Je ne
-demanderai à mes enfants que de...
-
---Passer la mer Rouge avec les chameaux de leur père?
-
-Elle me regarda avec un certain mépris attristé:
-
---On dirait, ma parole, que tu es jaloux!
-
-Jacob Meyer fut ému jusqu'aux larmes, car il était sentimental, en
-apprenant, de son neveu, la conclusion pratique d'une histoire aussi
-irréelle.
-
-Il s'excusa de la tentative indélicate ou il l'avait engagé. De son
-meuble le plus secret il retira, pour les offrir à sa future nièce, de
-tels joyaux que le trésor de la famille Passerose ne les égalait point.
-
-La persuasion se fit alors en moi que le vieil artiste antiquaire avait
-moins agi par amour du lucre qu'à cause de la passion innée de
-l'Israélite pour les pierres.
-
-
-
-
-OÙ LA RACE BASQUE TRIOMPHE DE L'ÉTRANGER
-
-
-Le mariage eut lieu, béni par le père Bidondoa Ihidoïpé.
-
-Quatorze mois après j'invitai mes cousin et cousine dans la même ferme
-de Garris où j'avais convié, deux années auparavant, les soi-disant
-membres des Etats généraux.
-
-Sur le désir que m'en exprima Eliézer, je réinvitai à un large déjeuner
-les mêmes bons Basques devant lesquels il s'était évanoui. Il avait si
-bonne mine que je doute qu'ils le reconnurent. Il ne décela aucune
-faiblesse, se montra gaillard dans la conversation, mangea comme quatre
-des mets les plus lourds, et dégusta, en regardant sa femme qui l'y
-poussait, bon nombre d'écrevisses que j'avais fait servir par malignité.
-Il but des vins les plus forts. A peine si Paul Dupont put tenir devant
-lui. On eût dit qu'Eva lui avait infusé la vieille sève des Robinsons
-basques.
-
-Et ce fut une ovation lorsque, au dessert, on nous présenta un enfant
-qui semblait être le fils de Gargantua et de Gargamelle.
-
---Regarde-le, me cria Eva qui était allée lui donner à téter, et qui
-revenait vêtue de la tunique nuptiale qui la rendait plus séduisante
-encore, mais regarde-le donc! C'est le fils d'Iguskia et d'Ithargia! Et
-viens, après cela, prétendre que la légende basque n'est point vraie!
-
- * * * * *
-
-Eliézer, qui s'appelait maintenant Philippe, sourit dans sa barbe.
-
-
-
-
-TABLE DES MATIÈRES
-
-
- INTRODUCTION 5
-
- LES BASQUES ABORDENT EN TERRE VIERGE 7
- FONDATION DU PREMIER FOYER 26
- LA GÉNÉALOGIE 38
- FORMATION DES PRINCIPAUX COUPLES 46
- LE JOUR ET LA NUIT A ASCAIN 57
- LE SIÈGE DE PAMPELUNE 75
- CHANT D'AMOUR DE TIRUZTAYA ET DE LÔRÉA 86
- LA VÉRITÉ DANS LE RÊVE 108
- LES FIANÇAILLES DE ROLAND ET D'AUDE 117
- LES ÉTATS-GÉNÉRAUX 139
- MA COUSINE ÉVA, UN TRÉSOR 173
- LA RÉPÉTITION GÉNÉRALE 180
- LE TRIOMPHE D'ÉVA 187
- LA CONCLUSION INATTENDUE 194
- OÙ LA RACE BASQUE TRIOMPHE DE L'ÉTRANGER 207
-
-
-
-
- ACHEVÉ D'IMPRIMER
- le vingt-six janvier mil neuf cent vingt-cinq
- PAR
- MARC TEXIER
- A POITIERS
- pour le
- MERCVRE
- DE
- FRANCE
-
-
-*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROBINSONS BASQUES ***
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