diff options
Diffstat (limited to 'old/64582-0.txt')
| -rw-r--r-- | old/64582-0.txt | 3767 |
1 files changed, 0 insertions, 3767 deletions
diff --git a/old/64582-0.txt b/old/64582-0.txt deleted file mode 100644 index 93bcc26..0000000 --- a/old/64582-0.txt +++ /dev/null @@ -1,3767 +0,0 @@ -The Project Gutenberg eBook of Les Robinsons basques, by Francis Jammes - -This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and -most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions -whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms -of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at -www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you -will have to check the laws of the country where you are located before -using this eBook. - -Title: Les Robinsons basques - -Author: Francis Jammes - -Release Date: February 17, 2021 [eBook #64582] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -Produced by: Laurent Vogel (This file was produced from images generously - made available by the Bibliothèque nationale de France - (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) - -*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROBINSONS BASQUES *** - - - - - FRANCIS JAMMES - - Les - Robinsons basques - - PARIS - MERCVRE DE FRANCE - XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI - - MCMXXV - - - - -DU MÊME AUTEUR - - -Poésie. - - DE L'ANGELUS DE L'AUBE A L'ANGELUS DU SOIR, 1888-1897 1 vol. - LE DEUIL DES PRIMEVÈRES, 1898-1900 1 vol. - LE TRIOMPHE DE LA VIE (Jean de Noarrieu. Existences.) 1 vol. - CLAIRIÈRES DANS LE CIEL, 1902-1906. (En Dieu. Tristesses. - Le Poète et sa femme. Poésies diverses. L'Eglise habillée - de feuilles.) 1 vol. - LES GÉORGIQUES CHRÉTIENNES 1 vol. - LA VIERGE ET LES SONNETS 1 vol. - LE TOMBEAU DE JEAN DE LA FONTAINE suivi de POÈMES MESURÉS 1 vol. - CHOIX DE POÈMES, avec un portrait 1 vol. - LE PREMIER LIVRE DES QUATRAINS 1 vol. - LE DEUXIÈME LIVRE DES QUATRAINS 1 vol. - LE TROISIÈME LIVRE DES QUATRAINS 1 vol. - -Prose. - - LE ROMAN DU LIÈVRE. (Le Roman du Lièvre. Clara d'Ellébeuse. - Almaïde d'Etremont. Des choses. Contes. Notes sur des Oasis - et sur Alger. Le 15 août à Laruns. Deux Proses. Notes sur - Jean-Jacques Rousseau et Mme de Warens aux Charmettes et à - Chambéry.) 1 vol. - MA FILLE BERNADETTE 1 vol. - FEUILLES DANS LE VENT. (Méditations. Quelques Hommes. Pomme - d'Anit. La Brebis égarée.) 1 vol. - LE ROSAIRE AU SOLEIL, roman 1 vol. - MONSIEUR LE CURÉ D'OZERON, roman 1 vol. - LE POÈTE RUSTIQUE, roman, suivi de l'ALMANACH DU POÈTE - RUSTIQUE 1 vol. - CLOCHES POUR DEUX MARIAGES. (Le Mariage basque. Le Mariage - de raison.) 1 vol. - -A LA LIBRAIRIE PLON-NOURRIT ET Cie - - LE BON DIEU CHEZ LES ENFANTS, album avec illustrations en - couleurs d'après les dessins de Mme Franc-Nohain 1 vol. - LE LIVRE DE SAINT JOSEPH 1 vol. - DE L'AGE DIVIN A L'AGE INGRAT. Mémoires: I 1 vol. - L'AMOUR, LES MUSES ET LA CHASSE. Mémoires: II 1 vol. - LES CAPRICES DU POETE. Mémoires: III 1 vol. - - - - -LES ROBINSONS BASQUES - - -_A la mémoire de Goya y Lucientes_ - - - - - IL A ÉTÉ TIRÉ: - - 56 exemplaires sur papier de Madagascar, savoir: - 55 ex. numérotés à la presse, de 1 à 55 et 1 hors commerce - - 247 exemplaires sur Hollande van Gelder - numérotés, à la presse, de 56 à 302 - - La première édition a été tirée sur papier de fil Montgolfier, - savoir: - 1075 exemplaires numérotés de 303 à 1377 - 25 exemplaires (hors commerce) marqués à la presse de A à Z - - -JUSTIFICATION DU TIRAGE: - - - - -Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction réservés pour -tous pays. - -Copyright by MERCVRE DE FRANCE 1924 - - - - -INTRODUCTION - - -Il y a quelque trente ans vivait à Bayonne un de ces Juifs qui portent -besicles de corne sur nez crochu; dont le front et les joues ridés -reproduisent assez exactement une page criblée de caractères talmudiques -et dont les mains, semblables à des araignées, tantôt tissent la toile -grise de leur barbe, tantôt arpentent l'oscillante balance du peseur -d'or ou du joaillier. - -Jacob Meyer était son nom. - -Nous étions rejoints, lui et moi, par un goût commun de la pêche et de -la poésie. Il arrivait qu'après avoir parlé littérature nous -descendissions à l'Adour pour y tendre un filet. Nous nous fortifiions -avec l'odeur du goudron et de la mer toute proche. Il ne recevait guère -de visites que la mienne et de dames qui venaient lui régler les -intérêts d'un emprunt ou l'acompte d'une émeraude. - -Avant que de me révéler le début des _Robinsons basques_, il me dit en -tenir la version de sa famille, et que celle-ci, de père en fils, se -l'était transmise. - -De cette famille, un membre, le premier sans doute qui donna lieu à la -souche de Bayonne, repose dans le cimetière de La Bastide Clairence sous -le prénom d'Abraham. - -Ce qui a laissé entendre à quelques simples d'esprit que le père d'Isaac -est enterré dans cette commune. - - - - -LES BASQUES ABORDENT EN TERRE VIERGE - - -La légende rapporte que, il y a vingt-cinq siècles, un navire dont la -coque portait le nom d'_Eskualdunak_ pénétra dans les eaux de l'Adour. - -Ce navire était magnifique et témoignait que la contrée d'Asie d'où il -arrivait connaissait la civilisation la plus raffinée, à l'époque où les -habitants de l'Europe future se servaient de haches de pierre et de -pieux durcis pour assommer ou percer les ours et sangliers qu'ils -dévoraient crus. - -Le capitaine de l'_Eskualdunak_ s'appelait Ondicola. Un équipage -l'accompagnait qui se ressentait davantage d'une vie passée dans le luxe -et la volupté que guerrière ou simplement active. Il se composait de -matelots, de leurs femmes et d'un groupe de jeunes gens et jeunes filles -dont le moins âgé, Iguskia, avait seize ans, et la plus jeune, Ithargia, -quinze. - -Si, vivant alors, avec l'esprit d'à présent, nous eussions vu se -promener sur la rive gasconne tant d'aimables Orientaux, ils nous -auraient fait songer davantage à un débarquement à Cythère qu'à une -descente dans les entrepôts de Bayonne. - -La saison étant fort belle, Ondicola fit jeter l'ancre et dresser à -quelque distance de la mer les tentes d'un campement. C'était dans sa -manière de suivre son caprice, et si un nouveau pays lui agréait par son -climat et ses aspects, il s'y installait avec sa tribu nomade jusqu'à ce -que le froid ou la lassitude les en chassât. - -Hommes et femmes déménagèrent le contenu du bateau sur l'arène. Des -flancs de l'_Eskualdunak_ jaillirent des merveilles: des hamacs qu'on -eût dit tissés de rosée; des robes d'un azur si transparent qu'on ne les -soupçonnait que si les beaux corps s'y enfermaient; des pierres uniques; -des ivoires sans défaut; et, dans des cristaux de roche à facettes -ingénieuses, des parfums empruntés aux jardins des _Mille et une Nuits_. - -Les jeunes filles vivaient à part, les jeunes gens aussi de leur côté, -car Ondicola ne souffrait point que rien altérât leur pureté jusqu'au -jour de leurs noces. Non point qu'il eût aucune morale. Toute trace de -religion avait disparu de ce peuple: Mais afin que la corolle s'épanouît -dans toute sa grâce, tout, son éclat, tout son arome, Ondicola en -faisait respecter la pré-floraison. Ainsi le produit serait superbe. - -Cette loi mise à part, que tout naturaliste aurait pu édicter, on ne -voyait pas régner beaucoup de vertus parmi les hôtes de l'_Eskualdunak_, -ni à bord ni à terre. - -Tant de siestes sous les arbres capiteux, de danses lascives, de fruits -défendus, de complications du coeur mettaient à nu les nerfs de -l'équipage ou le déprimaient. - -Ondicola, bien qu'il se laissât aller à ses moeurs, en éprouvait souvent -du dégoût. Si imposant que fût le port des femmes, si élancée la ligne -des adolescentes, si nette la carrure des mâles: il y avait tout à -craindre pour l'avenir. Une lourde inquiétude envahissait Ondicola -touchant la descendance de ceux qu'il abritait dans son navire et qu'il -avait choisis parmi les types les plus parfaits de sa patrie indienne. - -Le seul culte de la beauté l'avait guidé lorsque, par exemple, il avait -détaché Iguskia et Ithargia d'un plateau perdu de l'Himalaya où -n'habitaient que de rares pasteurs. L'instinct puissant de conserver la -race à laquelle il appartenait le dressait peu à peu contre les moeurs -qu'il voyait affoler et anémier de plus en plus ceux de l'_Eskualdunak_. - -Lorsque, la nuit, sur le rivage de cet Adour que fait se plisser une -brise si pure, il flânait au sortir de quelque débauche, il lui arrivait -de rejeter le suc épaissi du pavot qu'il s'apprêtait à fumer. - -Alors, plus calme, il contemplait avec attendrissement, dans la -diffusion de la lune, deux tentes isolées, en dehors du campement, qui -se distinguaient entre toutes par leur blancheur particulière. - -Dans l'une, dormait Iguskia, seul; seule, dans l'autre, Ithargia. - - - - -Nul n'ignore, reprit à quelques jours de là Jacob Meyer, que les -Asiatiques connurent la poudre avant l'ère chrétienne, aussi bien qu'ils -avaient inventé la brouette et la boussole. - -Je ne dis pas cela pour les Juifs (ajoutait-il), car ils n'ont pas -voulu, encore qu'ils ne les ignorassent point, utiliser de telles -découvertes: il nous suffit d'une mâchoire d'âne pour remporter la -victoire; du dos du même animal pour transporter notre butin; de sa -queue pour remorquer un captif; et, quant à la boussole, je vous demande -quelle orientation pourrait prendre une race toujours errante? - -Donc, il y a deux mille cinq cents ans, Ondicola se servait de fusils de -chasse dont l'amorce présentait une autre garantie que l'éclat de silex -adapté à l'espingole de vos ancêtres. C'est ainsi qu'Ondicola et ses -compagnons se procuraient du gibier, et d'autant plus aisément qu'il -était alors peu farouche dans les contrées d'Europe qu'ils visitaient. -Ondicola s'adonnait aussi à la pêche au lancer. - -Mais, tout de même, cette existence de plein air ne le maintenait point -dans cette forme cynégétique, privilège des chasseurs à qui suffisent un -croûton de pain, une gousse d'ail, un verre de vin et une femme. - -C'est pourquoi il résolut, pour retremper ses muscles, de s'en aller à -la découverte, escorté de quatre bons tireurs et marcheurs, par ce pays -qui leur était absolument étranger. - -Et d'abord il pénétra, par les bords de la Nive, dans la région de -l'actuel Cambo. A mesure qu'il portait plus avant ses pas, un curieux -phénomène se confirmait: pas un seul habitant n'y apparaissait. Telle -était cette absence de l'homme que les écureuils eux-mêmes se montraient -familiers jusqu'à sauter sur les épaules d'Ondicola et de ses -compagnons. On voyait de ces rongeurs descendre deux par deux vers la -rivière, se tenant par les doigts comme de jolis petits ménages. Ils -rafraîchissaient leurs pattes. Ondicola admirait leurs moeurs plus -simples que celles de l'_Eskualdunak_ où l'on usait, pour se baigner, de -cuves d'or emplies d'eaux suaves. - -Par une réaction naturelle, au souvenir écoeurant de ces parfums, il se -jeta dans la Nive à la nage. Et, quand il en ressortit, des gouttes qui -n'avaient que l'odeur de l'air pur roulèrent à ses pieds dans l'herbe. - -Cette course à travers des bois qui n'exhalaient point les essences de -l'Asie, mais à peine une senteur d'averse sous l'orage, le remontait. Il -défendit au cuisinier d'épicer davantage les mets, et il proscrivit les -sauces. Mais, faisant creuser dans l'argile un four que l'on garnissait -de galets demeurés longtemps sur la braise, il ordonnait qu'on y rôtît -la chair des lapereaux et des perdrix. La confiserie dont il s'était -fait suivre lui répugna bientôt tellement, qu'il la fit abandonner à un -ours débonnaire. Mais celui-ci, l'ayant flairée, s'enfuit sur un chêne -d'où découla un délicieux rayon de miel. - -Un autre charme de cette vie errante était pour Ondicola d'échapper à la -polygamie que pratiquaient, selon l'usage oriental, les gens de -l'_Eskualdunak_. Mais que dis-je! Ce lui était un délice de se -soustraire même à sa favorite qui, si belle qu'elle fût, et autant -qu'elle dît l'adorer, et si fort qu'il crût l'aimer, l'excédait par les -caresses qu'elle lui prodiguait, et aussi par sa jalousie. Les nuits -étaient douces. On était en juillet. Il s'éveillait au chant des oiseaux -et ne se sentait pas de joie, les yeux clos encore, de palper la mousse -qu'aucune femme n'avait foulée. - -Si la tradition est exacte, Ondicola et ses compagnons remontèrent -l'affluent de l'Adour jusqu'à la place d'Itxassou. - -Les forêts, quelque peu impénétrables, retardèrent leur marche, bien -qu'ils continuassent de longer les rives. Si loin qu'ils aboutirent, ils -ne rencontrèrent âme qui vive. - -Le chef de l'_Eskualdunak_ se faisait à cette existence élémentaire qui -engendrait le calme du coeur, à ce silence que ne troublaient même plus -les détonations des armes, puisque les bêtes les plus craintives se -laissaient prendre à la main, les truites même. - -Je doute, se disait Ondicola, que, placée de bonne heure dans une -contrée aussi vierge, une famille humaine, même la nôtre, si encline à -la débauche, se fût corrompue. O pays idéal! Terre qui attend son -premier couple! - -Plus de trente fois depuis leur départ le soleil s'était levé sur -Ondicola et ses compagnons. Une tristesse infinie s'étendait sur le -coeur du capitaine, cependant qu'il voyait venir le temps de rejoindre -l'_Eskualdunak_. - -Il ne le fit qu'à pas lents. Mais lorsque, au soixante-dixième jour, il -arriva en vue du navire et du campement, l'acte formidable qu'il allait -accomplir avait pris corps dans sa volonté. - -L'_Eskualdunak_ se balançait indolemment sur son ancre; son équipage -était en liesse. - -Durant les deux mois qui venaient de s'écouler, la dépravation de ces -gens demeurés sédentaires avait atteint son comble. Ondicola éprouva la -sensation d'un homme qui, d'une cime vivifiée par l'air le plus pur, -chuterait dans un cloaque. - -Si dénué qu'il se montrât de toute morale, il imposait aux siens une -sorte de crainte et d'ordre dans le désordre. On le savait désireux -d'être obéi; prompt à infliger une sanction et, plus d'une fois, il -n'avait pas hésité à brûler la cervelle à des mutins. - -Il constata que sa petite colonie avait tout à fait perdu l'équilibre. -Les gynécées, mêlés entre eux, avaient changé de maîtres. Et bien que, -craignant la mort, la favorite d'Ondicola s'employât à lui prouver -qu'elle lui était demeurée fidèle, il s'aperçut bien vite qu'elle le -trompait. - -Le mal dont il souffrait se fit plus aigu sous sa tente, une nuit que, -ne parvenant pas à prendre le sommeil, il entendait au loin le bruit des -violons et des flûtes exaspérer jusqu'à la folie les sens de l'équipage. - -L'illusion qu'il avait longtemps entretenue d'établir, dans la -dissolution même, une sorte de règle, basée sur la notion du beau, se -dissipait. - -Trop de vices s'étaient insinués même parmi ces adolescents et -adolescentes qu'il avait longtemps préservés. - -Un contraste insultait à cette dépravation: ce vierge pays qu'il venait -de parcourir, ses sommets fiers et doux qui font un second ciel à la -vallée. - -Il se souvint alors que, depuis son retour, il n'avait aperçu ni Iguskia -ni Ithargia. - -Sans doute eux aussi avaient-ils sombré dans cette décadence, -s'étaient-ils cachés des yeux du maître que, du moins, ils respectaient -encore. - -Renonçant à dormir, il sortit. L'orgie avait fait silence. Tout semblait -au repos. Il se garda bien de se rapprocher de son harem qui, là-bas, se -profilait sous la lune. A quoi bon accroître son dégoût? Il savait bien -qu'une visite à l'impromptu ne lui eût réservé que déboires. Que lui -importait d'ailleurs le mensonge de ces femmes? - -Il se trouva sur la grève déserte, à deux heures du matin, lorsque -courent des frissons d'argent sur la mer qui n'a qu'un doux clapotement. - -Au milieu d'un semis d'étoiles, Phébé était une perle incrustée dans la -nacre du ciel. A quelque deux cents mètres se dressait la tente -d'Iguskia et, plus loin, à une distance égale, celle d'Ithargia. De -chacune sortit une ombre. - -Le jeune homme et la jeune fille s'abordèrent à la limite du flot et se -donnèrent la main. Ondicola, dissimulé par les rochers, les épiait -curieusement. - -Ils longeaient la rive, s'arrêtaient parfois, élevaient leurs charmants -visages dans l'air vif et salé. Les lignes de leur corps, modestement -vêtus, ne se déplaçaient que suivant une grâce calme, d'autant plus sûre -d'elle-même qu'elle s'ignorait. Pas un mot, pas un soupir, pas un -murmure ne montaient d'eux. Mais il semblait s'exhaler vers Dieu, de ces -deux corolles vierges, un immortel parfum, l'essence même de ce que -l'amour peut donner de plus pur en ce monde. - -Ondicola retenait son souffle. Son coeur battait à peine, d'où -s'envolait une prière confuse et muette vers ces bois récemment -découverts où il avait vécu les plus belles heures de sa vie. - -II lui semblait qu'il n'eût eu qu'à se saisir de ces deux enfants de -lumière, et à les déposer dans cette région bénie qu'il avait entrevue, -pour que leur race s'y étendît à jamais comme les arceaux renaissants -d'un verger aveuglant de fleurs. - -La radieuse vision s'éteignit avec l'aurore ou, plutôt, sembla résorbée, -quand Iguskia et Ithargia se séparèrent. - -Ondicola les vit lentement remonter chacun à sa tente, sans qu'ils se -fussent davantage parlé ou touché. - -Il ne restait plus d'eux qu'un souvenir, de roses bues par l'azur, dans -la phrase interminable et doucement heurtée de la mer. - - * * * * * - -Lorsque Ondicola retrouva sa couche, le soleil brillait. Il put prendre -du repos jusqu'à midi sans être énervé par les échos de la saturnale qui -avaient mis en fuite son sommeil. De tristes tableaux ne hantèrent plus -son imagination. Bien au contraire, ce fut la promenade étoilée -d'Iguskia et d'Ithargia qui enchanta ses rêves. - -Quand il s'éveilla, sa résolution, était prise. - -Il manda des hérauts auxquels, avec un singulier accent d'autorité qu'il -semblait avoir laissé faiblir depuis son retour, il ordonna d'annoncer à -son de trompe que l'équipage eût à se grouper sur l'_Eskualdunak_. Il -prescrivit en outre que les femmes et les hommes s'y rendissent dans -leurs plus beaux atours; que toutes les oriflammes fussent déployées aux -cordages et aux mâts, que les musiciens fissent entendre, au moment -qu'il en donnerait le signal, l'hymne le plus languide et le plus -amoureux. - -Personne ne manqua à l'appel. Tout le monde fut sur le pont, excepté -Iguskia et Ithargia qu'Ondicola fit sagement s'asseoir en face du -navire, assez loin sur la plage. - -Il monta le dernier à bord. - -Lorsque les femmes se furent épanouies de toute leur beauté sous leurs -éventails d'autruche; lorsque le dernier soupir de l'orchestre se fut tu -dans la splendeur du soleil qui déclinait sur la mer: - ---Orientaux, et vous, Orientales, leur dit-il, fils et filles de la -Volupté! J'ai compris, après avoir exploré le pays d'alentour, ce qui -vous en sépare. Il est temps de lever l'ancre. Mais en deux mois vous -avez rendu la colonie si intéressante que je descends à fond de cale -pour y chercher l'ordre du jour dont vous êtes dignes. Je vais vous le -dire. Attendez-moi. - -Ondicola disparut. Il entra dans la soute et mit le feu aux poudres. - - - - -FONDATION DU PREMIER FOYER - - -Iguskia et Ithargia n'éprouvèrent pas la moindre émotion en voyant tout -à coup s'abîmer dans les flots la galante galère. Mais ils rirent, car -leurs coeurs étaient neufs. - -Cet embrasement sonore, qui précéda le plongeon de l'_Eskualdunak_, les -amusa comme d'un feu d'artifice. La mer immense s'était refermée sur les -victimes. - -Depuis trois ans qu'Ondicola les avait enlevés à leur plateau pastoral -et mêlés à son équipage, il leur était apparu tel qu'un maître assez -sévère, mais bon. Jamais ils n'avaient eu de peine à le comprendre, car -sa langue était la leur, cette mystérieuse langue basque. - -La plupart des souvenirs qu'Iguskia et Ithargia eussent pu conserver -touchant la religion de leurs familles, amies l'une de l'autre, -s'étaient effacés. Mais ils possédaient une vertu naturelle qu'Ondicola -s'était plu à respecter et à cultiver jusqu'à prendre la tragique -détermination dont il fut la première et volontaire victime. Il avait -craint que, plus tard, ces enfants ne fussent gagnés par l'abomination -de ceux qu'ils eussent fréquentés davantage. - -Cette perspective lui était devenue d'autant plus insupportable, dès là -qu'il avait saisi l'harmonie qui coexistait entre les vertus d'une -contrée vierge, inhabitée, et celles qui étaient innées à Iguskia et à -Ithargia. - -Ceux-ci, tournant le dos à l'océan où venait de sombrer l'_Eskualdunak_, -s'en allèrent prendre ou vêtir, chacun dans sa tente, quelques manteaux -de laine qui les préservassent d'une fraîche brise soufflant du golfe. - -Ils se réunirent ensuite pour leur repas du soir. Sous les abris -nombreux des courtisanes qui maintenant reposaient au sein des flots, -des aliments singuliers traînaient parmi les bijoux et les toilettes. De -ces toilettes et de ces bijoux, qu'eussent fait ces deux antiques -Robinsons? N'ayant point trouvé là ces nourritures simples qu'ils -aimaient, ils les allèrent prendre dans la tente d'Ondicola. - -Après dîner, Iguskia et Ithargia se séparèrent; chacun regagna sa tente -ayant pris rendez-vous pour le lendemain. - -Ils furent debout dès l'aube et gagnèrent le sommet des dunes, couverts -des mêmes tuniques de laine qu'ils portaient la veille. Mais Iguskia -avait jeté sur l'épaule, en prévision des nuits qu'ils auraient à passer -en plein air, deux sacs d'une souple fourrure, empruntée sans doute aux -chèvres de la Mongolie. Il emportait aussi son coutelas, et, dans un sac -de cuir, des champignons desséchés et le silex avec quoi on les allume. - -Ils remontèrent vers le sud-est, choisissant cette même voie tracée par -la Nive dans laquelle s'étaient engagés naguère Ondicola et ses quatre -compagnons. - -Le passage de ceux-ci était encore marqué çà et là par des coupes de -fougères et de branches. - -En moins de deux mois Iguskia et Ithargia parvinrent, sans grand effort, -au gré d'une flânerie charmante, sur les lieux où s'élève aujourd'hui -l'ombreux et lumineux village d'Itxassou. Là, ils cessèrent de remonter -l'affluent de l'Adour, poursuivirent au nord-est vers Macaye et -Mendionde, sans y être autrement poussés que par l'attrait de ces -vallées heureuses que protègent de leurs remparts l'Ursuya et le -Baygura. - -Comme Ondicola et ses compagnons, ils se nourrissaient de truites qui -abondaient dans les moindres ruisseaux, et de gibier facile à prendre à -la main. Une racine, celle de l'asphodèle, dont Pline nous apprend que, -cuite sous la cendre, elle donne un excellent pain, leur fut une -ressource. Ils avaient connu, dans leur pays natal, l'utilité de cette -même plante qui croît en abondance dans les landes du pays basque. On -voit, au printemps, ses quenouilles jaspées filer l'air bleu qui les -charge. Des mûres et, plus tard, les fruits du néflier dont la branche -flexible et dure fournit à Iguskia le premier makhila, leur furent un -dessert agréable. - ---Si, observait Jacob Meyer, le calcul est juste de ceux qui, parmi les -miens, ont scruté avec le plus de soin les archives de cette histoire, -Iguskia et Ithargia se seraient trouvés aux grottes d'Isturitz vers -l'été de la Saint-Martin de la même année. Ces grottes, vous m'avez dit -les connaître, mon cher poète, et vous avez bien de la chance, car on -les dit extrêmement riches en ossements, sculptures et armes -préhistoriques. Les propriétaires sont intraitables sur le point de les -laisser visiter, et ils ont préposé, à l'entrée, un cerbère vraiment -infernal qui ne le cède en rien à ses ancêtres de l'âge de pierre. J'ai -causé avec lui, et il paraît tout disposé à assommer quiconque oserait -s'aventurer dans cette caverne, sans l'autorisation la plus formelle. - -... Et vous seul, m'a-t-on rapporté, l'auriez obtenue? - ---C'est-à-dire, répondis-je, qu'une très vieille amitié lie ma famille à -celle de M. Passerose, qui est en possession de ce très curieux document -d'histoire humaine et de géologie. Il est vrai que, à part moi, je ne -sache personne, sinon Pierre Loti, qui a fort bien décrit Isturitz, en -faveur de qui l'on ait fait exception. Je suis le conservateur d'une des -clefs de la solide grille d'entrée. M. Passerose me la confia, voici -deux ans, avant son départ pour l'Abyssinie dont il ne reviendra pas de -sitôt. J'ai vu là, de sa part, à mon endroit, une grande marque de -confiance. Mais je n'ai guère profité de la permission que me confère la -garde de cette clef dont le cerbère, que vous avez l'air de connaître, -possède le double. - ---Alors... même en vous suppliant? - ---J'ai compris, insistai-je, que M. Passerose ne m'a choisi, entre ses -plus intimes, que parce qu'il compte bien que j'observerai son -inflexible consigne. - ---Orphée, conclut en souriant le vieux Juif, sans que je comprisse très -bien alors son allusion, avait ému les rochers mêmes de l'Enfer... - - * * * * * - -Iguskia captura à Isturitz beaucoup de palombes. Celles-ci, venant de -loin, étaient farouches et filaient haut. Mais, dissimulé dans un chêne, -il réussissait à les faire descendre en leur lançant des bâtons qui -imitaient le vol du milan. Les Basques les prennent encore ainsi. - -Lui et Ithargia passèrent l'hiver à l'entrée de ces cavernes, sans se -douter que les chasseurs de l'âge de pierre les avaient habitées. Nul -vestige humain autour d'eux, sinon, à quoi ils ne prêtaient nulle -attention, des haches et des flèches qui témoignaient d'une barbarie de -chasseurs qui s'étaient tenus sur la défensive. Mais ceux-ci avaient si -bien disparu depuis si longtemps, qu'à part les oiseaux de passage toute -la faune était redevenue familière comme aux jours premiers de la -création. - -Jusqu'au printemps de l'année qui suivit, Iguskia et Ithargia restèrent -dans ces parages. - -Quand reparut le mois de mai, leurs coeurs s'emplirent d'amour à tel -point qu'il semblait à l'un que les battements du sien eussent lieu dans -celui de l'autre. Mais cette ivresse ne troubla point encore leurs corps -dissimulés sous les blanches toisons, comme des sources sous la neige. - -Ils assistaient à la fête nuptiale que le renouveau fait plus gracieuse -et plus grandiose. Tantôt ils voyaient deux fauvettes se fuir en se -rapprochant sur une branche trop flexible, tantôt ils regardaient -s'allonger l'un vers l'autre, et se rejoindre dans une combe, deux -fleuves de brume d'où émergeait la cime découpée des bois. - -Quand les fortes chaleurs sévirent, ils se baignaient sous les -feuillages de la rivière qui, de nos jours, porte le nom de Joyeuse. Et -c'est ainsi que, de branche en branche, ils atteignirent le coteau -d'Ayherre, non loin du futur Hasparren. La clémence des nuits leur -permettait maintenant de dormir en plein air dans leurs fourrures. Ce -fut par un torride jour d'or que la Providence décréta que la race -bienheureuse, la race basque, naîtrait de ces deux Robinsons, prendrait -racine en eux comme une vigne au flanc d'une belle colline. - -Une ruine surplombe aujourd'hui le bourg d'Ayherre et toute la contrée -environnante, restes d'un château dont Albert Dürer se fût inspiré, car -ils se confondent avec la lèpre même du lierre qu'ils opposent au -soleil. - -Cette redoute seigneuriale, fréquentée des oiseaux de proie, porte le -nom de Belzuncia. C'est sur l'aire de Belzuncia, qui ne devait être -édifié que bien des siècles après, qu'Iguskia et Ithargia, au mois de -juillet, se trouvèrent en présence d'un tapis dont les plus radieuses -soieries qu'ils avaient vues sur l'_Eskualdunak_ n'approchaient point. - -Ce tapis vivait, car c'était un champ de froment. Ensemencé par qui? Nul -ne l'a jamais su. Mais il suffit d'un coup de foudre sur une terre -intègre, et d'une graine apportée par le vent, pour que, d'année en -année, se multiplie la moisson comme sur l'échiquier du conte arabe. - -Iguskia et Ithargia en furent si éblouis qu'ils s'assirent pour -contempler plus à l'aise la merveille. Chaque épi barbelé amenuisait la -lumière bleue où criaient les cigales. Iguskia et Ithargia ressentirent -que dans la béante profondeur il y avait Quelqu'un. Leur amour éclatait -dans un plus grand Amour. Ils comprirent que dans cette splendeur -visible, et au delà, Dieu est. - -En face de cette Présence qui les illuminait comme le soleil les -coquelicots à la lisière du champ tout allumé de cerises sauvages, ils -prirent le ciel à témoin de leur union. - - - - -LA GÉNÉALOGIE - - -Ithargia donna un fils à Iguskia. Le second des enfants fut une fille -qui mourut à deux ans, et c'est ainsi qu'ils connurent la douleur. - -Cette petite étant tombée malade, sa mère pensa la relever de son -abattement, ainsi qu'elle faisait à l'ordinaire, en lui présentant -quelque fleur. Celle-ci était bien du pays basque. Qu'elle ressemblait -peu aux corolles de l'Asie, somptueuses sans doute, mais dont les -couleurs et les nectars trop violents fatiguent! Ce fut une digitale -pourprée, dont les cloches, à l'intérieur ponctuées comme des pulpes -d'abricot, tamisent une lumière d'aube. - -Dans la cabane qu'Iguskia avait construite avec des branches, des -pierres et de l'argile, l'enfant, étendue sur une peau d'agneau, agonisa -doucement. Bientôt elle n'eut plus la force de tenir ni même de regarder -la plante que sa mère lui avait donnée. - -Elle mourut, bercée par le bourdonnement des abeilles qui s'échappaient -du toit comme les braises d'un incendie. Quand elle fut muette, immobile -et refroidie, Iguskia et Ithargia se mirent à genoux devant sa couche. -Et leur prière, faite de sanglots, monta vers Celui qu'ils avaient -pressenti dans la lumière de bluet de leurs fiançailles. - -Iguskia ensevelit au pied d'un cerisier sauvage son enfant dont l'âme, -aux jours en feu, semblait crier par les voix des cigales. - -C'est ainsi que les Robinsons basques surent ce qu'était la mort qu'ils -n'avaient jusque-là connue que chez les animaux et les arbres, la mer -leur ayant caché les cadavres d'Ondicola et de ses compagnons. - -Ithargia souhaitait de ravoir une autre petite fille, mais Dieu ne lui -envoya plus que des garçons qui naquirent à peu d'intervalle les uns des -autres. - -Ils étaient au nombre de six quand leur mère, à peine plus jeune que le -père, entra dans sa vingt-cinquième année. Sans l'ombre légère qui -s'étendait sous le cerisier, le foyer n'eût été que joie. - -La culture était facile autour de la fruste habitation, le blé -repoussait de lui-même, comme encore au bord du Nil. Iguskia l'égrenait, -le lavait, le broyait, et Ithargia le pétrissait et le cuisait. - -Leur basse-cour s'était formée toute seule d'oiseaux, comme de coqs de -bruyère et de tourterelles, qui venaient y picorer, et de biches -gracieuses et de faons et de lapins et de lièvres. - -Jamais ils ne songèrent à quitter cet éden, car, à mesure que -grandissaient les six garçons, à qui ils enseignaient la primitive -langue basque et les travaux familiers, ils s'attachaient davantage au -sol qu'ils avaient consacré avec la mort. - -Les trois aînés accusaient un goût plus particulier pour la pêche et la -capture des palombes. Il leur arrivait de ne rentrer au foyer qu'après -des excursions de plusieurs jours à travers bois. C'est ainsi qu'en -suivant la Nive et l'Adour, refaisant en sens inverse le chemin -autrefois parcouru par Iguskia et Ithargia, ils atteignirent la plage -même devant laquelle, vingt ans plus tôt, avait sombré l'_Eskualdunak_. - -C'est là qu'ils s'endormirent un soir, lassés de leur longue marche, et -par une nuit aussi sereine que celle durant laquelle leurs père et mère, -adolescents, avaient laissé leur pur amour paraître aux yeux d'Ondicola -ravi. - -Ces trois frères étaient d'une grande beauté: le plus âgé comptait vingt -ans alors, à peine un peu moins les deux autres. Ils se nommaient -Zoardia, Aritza et Sua. - -Zoardia et Aritza étaient à peu près du même type, souple et brun, aux -cheveux un peu crépus et durs, aux yeux bridés et placés presque sur les -tempes, l'allure si leste qu'on les eût dits toujours prêts à bondir. -Sua était un peu gros et blond, avec d'étranges yeux glauques très -obliques et perçants; d'une taille aussi élevée que ses frères, mais qui -paraissait moindre, à cause du développement du torse; ses épaules -étaient étroites. Il ne le cédait en rien aux deux autres pour -l'agilité, soit qu'ils exécutassent des danses que leurs parents leur -avaient apprises de l'Asie, et pour lesquelles ils se paraient de -plumes, de minéraux brillants et de fleurs, et qu'ils accompagnaient -d'un fifre de roseau; soit qu'à de longues distances ils se lançassent -et se renvoyassent des projectiles ronds, faits de lames de cuir avec un -noyau de silex. - -Donc Zoardia, Aritza et Sua s'étaient endormis sur la plage. - - - - ---Ici, observa le narrateur Jacob Meyer, qui n'hésitait jamais, -paraissait connaître par coeur la légende basque, et ne faisait appel -qu'à de rares notes, je me trouve fort embarrassé. Il me faudrait vous -soumettre le manuscrit qui est à Aix, chez un mien neveu, qui en est -fort avare. En effet, tout le passage suivant est écrit dans la même -langue, mais en vers heptamètres, et constitue une sorte de nocturne. - -Ce chant commence après que Zoardia, Aritza et Sua viennent de -s'assoupir sur cette arène d'où leurs parents partirent pour gagner les -vallées de la Nive et de la Joyeuse. Ma mémoire n'est pas telle que j'en -aie pu conserver les nuances, n'ayant point ce don qui est vôtre. Vous -n'aurez donc qu'un faible écho du génie d'un koblari[1] lointain qui -mêla sans doute sa propre inspiration aux documents laissés dans un -rocher par Ondicola, et à ceux que nous ont transmis les premiers foyers -qui s'allumèrent aux flammes de l'_Eskualdunak_. - - [1] Improvisateur basque. - -Voici le récit de ce barde et comme il s'enchaîne à ce qui précède. - - - - -FORMATION DES PRINCIPAUX COUPLES - - -Il y avait six jeunes filles dans une contrée d'Asie, plus belles les -unes que les autres, longues et gracieuses comme les feuilles de l'iris. - -Et lorsqu'elles riaient, on eût dit d'une averse de grêlons dans des -roses vermeilles. - -Toutes étaient brunes, toutes avaient les bras en arc, et leurs longues -jambes rivalisaient de vitesse à la poursuite des chèvres égarées, car -elles appartenaient au peuple pastoral. - -L'une avait vingt ans et les autres dix-neuf, dix-huit, seize, quatorze -et quinze. - -Un prince, frère d'Ondicola, les avait aperçues en chassant, et il s'en -était épris tellement qu'il avait demandé de les mettre dans les jardins -de son palais à leurs parents qui avaient consenti. - -Il espérait bien d'en faire ses femmes. Mais elles étaient si belles, -quand elles se penchaient hors de leurs pavillons de roses, qu'il n'osa -les approcher. - -Et il tomba malade, comprenant qu'il est vain de poursuivre un amour -dont on ne se sent pas digne. - -Lorsqu'il les considérait, il était comme un homme qui n'ose porter à -ses lèvres la coupe, tant elle exhale un parfum enivrant. - -Durant six mois qu'aux portes de son harem elles furent ses -prisonnières, il les fit combler de faveurs et de soins. Et le respect -qu'il témoignait à leurs grâces était tel que, de la partie du bosquet -où elles se baignaient, il était défendu de s'approcher sous peine de -mort. Et lui, tout le premier, observait sa consigne. - -Mais il continuait de dépérir. Il consulta les sages qui guérissent avec -des simples, mais ils lui déclarèrent qu'il n'était nul philtre qui pût -venir à bout de son mal, et que le seul remède était, ou bien de -s'exiler soi-même, ou de renvoyer ces beautés. - -Il opta pour ce dernier moyen, et les six jeunes filles retournèrent à -leur plateau natal, le même où Iguskia et Ithargia avaient vu le jour. - -Mais son agonie continua, parce que, la nuit, le parfum des fleurs lui -semblait être celui des bien-aimées, apporté par la brise. Il songea à -s'expatrier, mais la dynastie des Ondicola le supplia de n'en rien -faire, lui représentant que son frère avait mystérieusement disparu, il -y avait un quart de siècle, avec l'_Eskualdunak_. - -Il resta, mais il résolut de donner la mort à celles qui l'empêchaient -de vivre, et dont il n'aurait pu supporter qu'elles appartinssent à -quiconque. - -Sur son ordre une galère appareilla--ainsi en avait décidé son frère -jadis de l'_Eskualdunak_. Mais le luxueux équipage n'était, ici, que des -six vierges. - -Néanmoins il para le navire de roses. Il en fit un jardin suspendu sur -la mer. Il l'emplit d'autant de merveilles qu'en avait connu le vaisseau -de son frère, et il fit peindre sur la coque ce mot: _Amodioa_. - -Puis, ayant fait s'embarquer les jeunes filles, il les abandonna seules, -sans pilote, au gré des vents. - -Mais de ceux-ci, le plus doux, le Zéphire, s'étant épris de la plus -jeune, ne cessa de souffler avec douceur dans la voilure, si bien que la -navigation ne fut pas le moins du monde mouvementée; que les passagères -purent descendre sans peine sur diverses plages, s'y approvisionner, et -continuer leur voyage aussi facilement que si elles avaient eu, pour les -conduire, le patron des nautoniers. - -Ainsi, et plus d'un an, elles naviguèrent sans que les récifs -entamassent les flancs de l'_Amodioa_. Elles étaient plus gracieuses que -jamais, tannées par l'embrun, dorées par les soleils, quand elles -ressentirent les traits du dieu qui ne pardonne pas. Il souleva leurs -seins comme des voiles, et, maintenant, elles tendaient leurs mains vers -l'inconnu. - -Par une calme nuit l'_Amodioa_ entra dans la baie de Biscaye, toujours -poussé par le vent qui ne cessait de caresser les cheveux de la cadette. - -Mais les mortelles aux Immortels préfèrent les mortels. - -Et c'est en vain que Zéphire étendit l'éventail de ses pennes au-dessus -de celle qu'il chérissait. Lorsqu'elle fut descendue à terre avec ses -soeurs, il comprit qu'elle était désormais perdue pour lui. Et, jaloux, -il fit appel à Borée qui coula le navire aussitôt. - -Ainsi, l'un avec son équipage dont Iguskia et Ithargia avaient été -réservés--l'autre sans ses passagères,--à plusieurs années de distance, -l'_Eskualdunak_ et l'_Amodioa_ subirent, par des moyens différents, le -même sort. - -Le Destin suivait son plan. - -L'embellie revint après cette tempête qui n'avait point altéré le visage -des jeunes filles qui s'étaient endormies. - -La première, qui s'éveilla en bâillant et en étirant ses bras ronds, ne -s'émut pas davantage de ne plus apercevoir le bateau qui les avait -longuement promenées, puis déposées enfin sur cette nouvelle plage. -Elles étaient, toutes les six, des païennes pour qui le passé compte à -peine, l'avenir pas du tout, le présent seul. Maintenant, debout et -radieuses, hors de leurs légères couches improvisées, elles écoutaient -les chansons du golfe et leurs bouches et leurs coeurs avaient faim. - -A travers l'ombre épaisse de leurs cils, leurs regards glissèrent vers -les trois jeunes hommes qui les aperçurent et vinrent vers elles avec -des fraises, des cerises, du fromage de biche et du pain. Elles -mangèrent en riant, et, dans la joie et l'espoir de l'amour, elles les -suivirent quand ils s'en retournèrent chez eux. - -Ici, me fit observer Jacob Meyer, en compulsant un cahier, la prosodie -s'interrompt, et le récit reprend son cours naturel en langue vulgaire -jusqu'au deuxième chapitre. - - - - -Ces belles créatures s'unirent aux six frères dont le plus jeune -comptait environ dix-huit ans. - -Iguskia et Ithargia moururent nonagénaires, laissant une postérité si -nombreuse que déjà elle formait la colonie de Hasparren. - -C'est ainsi que, soustraite à la civilisation corrompue de l'Orient, -rattachée à une sorte de morale naturelle que fortifia la saine et pure -solitude d'un pays en équilibre, la race basque fut fondée. - -Sans effort, comme Iguskia et Ithargia, les merveilleuses jeunes femmes -s'adaptèrent à cette simple vie, toute faite de tâches faciles, et d'un -amour sans mélange qui de lui-même proscrivait la polygamie. Aux nectars -lydiens, tout de suite elles préférèrent l'eau qui stille des rochers -d'Ursuya. - -Les deux ancêtres furent ensevelis à Ayherre, non loin du lieu où -reposaient leur unique petite fille et tous ceux qui, dans la suite, -trépassèrent avant eux. - -Ils transmirent à leur lignée une sorte de culte des cieux, -mi-spirituel, mi-matériel, dont on retrouve la trace encore dans les -signes des pierres tombales actuelles. - -Bien avant la conquête romaine, des groupes familiaux, dérivant de cette -souche primordiale, se formèrent çà et là. Les trois fils aînés, -Zoardia, Aritza et Sua, occupèrent le premier le Labourd, le second ce -qui devait être la Basse-Navarre et le troisième la Soule. D'autres, -parmi les cadets, se fixèrent en Espagne, dans l'actuel Guipuzcoa, où -ils trouvèrent un peuple mauresque habile à corroyer, auquel ils ne -s'unirent jamais, qu'ils méprisèrent, mais dont les instruments et -méthodes les initièrent à une industrie qui se continue, et qui leur -permit encore de se perfectionner dans l'agriculture et l'élevage. Ils -en instruisirent ceux de leurs parents qui n'avaient point quitté la -terre natale, quand ils les y allaient voir, et c'est ainsi que se -développa rapidement, chez les uns et chez les autres, le génie -commercial qui appartient au pays basque. - - - - -LE JOUR ET LA NUIT A ASCAIN - - -J'ai une excellente nouvelle à vous annoncer, me dit Jacob Meyer peu de -jours après qu'il eut fini de me narrer, en s'aidant du peu de notes que -l'on sait, la première partie de la légende basque. Le légataire de -notre manuscrit familial, ce neveu dont je vous ai parlé, qui habite -Aix, va descendre sous peu chez moi. Il doit examiner, à Biarritz, le -projet d'adduction d'eaux salées que l'on a découvertes à Briscous, et -dont il voudrait se rendre concessionnaire. Mais n'allez pas croire que -ce fils de mon frère aîné, encore qu'il soit sorti le premier de l'Ecole -Centrale, dédaigne la poésie. Il est parfaitement digne d'être le -gardien de notre trésor, bien que je vous aie déclaré qu'il ne tient pas -à le communiquer. Je lui ai écrit de vous; il apprécie, autant que je -les prise, vos oeuvres, et, sachant que vous vous êtes intéressé à la -légende basque, il consent à nous en apporter le texte tout entier. Que -ce second chapitre, où nous en sommes, soit ou non une interpolation, il -est souvent conçu dans cette forme lyrique dont nous fournit un exemple -le passage qui a trait à l'histoire des six jeunes filles, dont chacune -épouse l'un des fils d'Iguskia et d'Ithargia. Vous vous souvenez qu'à ce -moment j'étais navré de n'avoir pas le manuscrit original, et de ternir -les nuances de cet épisode, déjà affaiblies par la traduction du basque -au français. Il ne faut plus qu'il en soit de même. Je parle -d'interpolation: il est certain que brusque est le saut qui, du foyer -primitif, nous introduit dans une Eskuarie christianisée, encore que je -ne doute point que votre religion n'ait pénétré dans cette partie de la -Gaule dès le voyage de saint Saturnin. Une poétique fontaine, située sur -le bord de l'antique route qui joignait Hasparren à Alphat-Hôpital, -porte le nom de cet apôtre envoyé par saint Pierre. Mais cela ne veut -pas absolument dire que l'oeuvre ne soit pas d'un seul poète, qui a pu -l'écrire à l'aide de très antiques documents attribués au premier -Ondicola et de récits recueillis çà et là chez les koblaris. Que des -professionnels débrouillent l'écheveau de la vérité! Quant à nous, il ne -nous importe que de le tenir bien en main en admirant ses variations -infinies. Peu nous chaut que, dans une chevelure toute ruisselante d'or, -quelques cheveux aient été emmêlés par une folle brise. - -Je marquai toute ma reconnaissance à Jacob Meyer de ce qu'il m'avait -admis à la confidence de cette sorte de romancero dont je consignais par -écrit le moindre fragment dès que je me retrouvais seul avec moi-même, -et le félicitai de l'élégance de sa traduction. - -Je n'attendais plus que la venue du Juif aixois, et je me trouvai là -précisément lorsqu'il arriva chez son oncle qui le bénit en l'appelant -Eliézer. - -C'était un homme de trente ans dont on ne pouvait dire qu'il manquât de -race, quoique son profil fût d'un dromadaire dont le front serait -couronné, et la joue encadrée d'un astrakan blond. Ses yeux avaient la -couleur de liards devenus verts à toutes les intempéries. Il portait un -vêtement de confection, qui n'eût présenté rien d'étrange sans une -musette de soldat, passée en bandoulière, et dont il me dit qu'elle -contenait le fameux manuscrit et ses instruments de minéralogiste. - -Il m'avisa que, le lendemain, il désirait se rendre à Ascain pour -assister à une importante partie de pelote. - -Voulant dès l'abord me montrer aimable, je lui offris, ainsi qu'à son -oncle, de me joindre à eux, mettant à leur disposition une voiture qui -nous emmènerait de Bayonne, conduite par mon loueur habituel. Jacob -Meyer se récusa, mais engagea son neveu à accepter, qui d'ailleurs ne se -fit point prier. - -Je le pris donc avec moi, et tandis que nous roulions vers le but en -traversant les délicieux trumeaux émaillés que sont les villages du -Labourd, notre conversation ne tarit pas sur la légende basque. Eliézer -Meyer connaissait à fond la langue de ce pays où il était né quand son -père était officier d'administration à la forteresse de Bayonne. - ---Oui, disait-il, elle est vraiment belle, n'est-ce pas, cette légende -d'Ondicola que nous gardons aussi précieusement qu'Aladin sa lampe -merveilleuse? Et vous dirai-je que, depuis que je l'approfondis -davantage, ma grande occupation est d'en faire la synthèse, et mon grand -attrait d'y réussir, c'est-à-dire de voir revivre dans ce peuple tous -les germes en puissance dans les héros de cette charte? - -Et comme, assis tous deux sur un mur, les jambes pendantes, tout près du -fronton d'Ascain, nous venions de suivre du regard, saisis d'un frisson -sacré, la pelote gravissant, tel qu'un astre d'ombre, dans l'azur -immaculé: - ---Regardez, mais regardez donc cette assistance, me dit Eliézer. Admirez -ces femmes de la race d'Ithargia, cette suprême et fine grâce -mouvementée comme la vague qui l'apporta; ces mantilles pareilles à de -légères voiles déployées sur la nuit des cheveux et des yeux; ce corail -et ces perles des bouches; tout ne décèle-t-il pas l'origine orientale, -l'aristocratie d'une race éclose au pays des gazelles? - ---Quant aux Orientaux, reprenait Eliézer, la partie terminée, et tandis -que nous nous rafraîchissions dans la naïve auberge, les voici, mais -reconstitués par Ondicola, rapprochés de notre paradis terrestre. Ils -n'ont guère conservé de défauts que cette indolence qui les porte à -laisser leurs femmes se substituer à eux dans les travaux et les comptes -de la cordonnerie, le premier de leur art. Et puis, n'aiment-ils point, -à l'exemple de leur ancêtre Hafiz, de goûter sous les tonnelles un vin -de la couleur des roses? Et, puisque nous parlons de Hafiz, voyez Hafiz -ressusciter en eux! - -Deux hommes s'étaient levés gravement et se faisaient face d'une -extrémité de la salle à l'autre, tandis que la multitude, se massant -pour les entendre, s'imposait silence. - -Leur chant mélancolique monta. - -Ils se répondaient tour à tour, et la lumière baignait dans l'ombre -leurs masques inspirés. - -Leurs voix vibrèrent longtemps dans le crépuscule. - -Pour prolonger l'extase d'une si belle journée, nous décidâmes de ne -regagner Bayonne que le lendemain; et d'ailleurs, la nuit, le col de -Saint-Ignace est dangereux. - -Nous flânions avant souper: - ---Voilà, me dit Eliézer, de la digitale encore en fleur. C'est une -digitale, vous en souvenez-vous, qu'Ithargia plaça entre les doigts de -sa fille expirante. - ---Comment, répondis-je, ne me rapellerais-je pas le moindre détail de -cet admirable poème? - ---La digitale, reprit-il, habite le silex qui lui donne peut-être cette -divine flamme rose qu'ont aussi les étincelles qui jaillissent de lui. - -Je regardai Eliézer. Avait-il du génie? Il ne paraissait point s'en -douter. - -Nous revînmes à l'hôtellerie du Jeu de l'Oie, où l'on nous servit de la -truite et du confit. - -Nous errâmes ensuite dans le clair de lune. Eliézer semblait devenu -muet, mais il était impossible de ne pas s'apercevoir qu'il avait la -connaissance détaillée des lieux où nous nous trouvions. - -Peut-être la recherche des métaux et des sources l'avait-elle conduit -déjà là? Il se baissait, de temps à autre, prenait pour l'examiner à la -lueur de la lune quelque fragment de roche éruptive où, parmi les noires -constellations du mica, fulgurait un éclair de cuivre. - -Minuit sonna au clocher d'Ascain. - -Eliézer entra au cimetière. Je le suivis. - -Quelle calme poésie dans ce jardin des morts! L'Israélite qui s'était -découvert me fit un signe du doigt, me montrant, sur une vaste pierre -tombale que pâlissait le soleil de la nuit, ces huit lettres gravées: -_ONDICOLA_, sans date, ni autre indication. - ---Ce nom, me dit-il enfin, est d'une famille célèbre par ses pilotaris. -Je ne sache rien de plus, sinon, comme vous l'avez appris vous-même, -qu'il est le plus vieux du pays basque, celui du fondateur que la -légende nous révèle; et je ne serais point surpris que l'un des six fils -d'Iguskia et d'Ithargia l'eût porté, et que la longue lignée l'ait -conservé par respect des ancêtres. Les Ondicola sont maintenant de -pauvres hères, mais qui sait? - -Nous reculâmes, car nous voyions la vieille pierre se soulever -d'elle-même et Ondicola sortir du sépulcre. - -Il regagnait le ciel, vêtu splendidement comme une constellation. - -Il était suivi de tout son peuple. En tête s'avançaient, d'une -incomparable beauté, tels que dans leur pure adolescence, Iguskia et -Ithargia; puis leurs fils, et les femmes de ceux-ci, et leurs -descendants dont l'un se faisait remarquer par son audace: il montait -seul un esquif sous qui roulaient les nuages et, soudain, il lançait le -harpon. Des flottilles escortaient ce marin qui semblait être l'amiral -de ces Basques, épris de contrées lointaines et qui ne cessent -d'affronter l'inconnu. - -Certains sombraient avec leurs barques, mais d'autres abordaient en des -archipels de lumière. - -Puis venaient les agriculteurs qui labouraient l'espace, d'une -simplicité d'attitude et de mise qui regagnait celle des pasteurs dont -on voyait neiger les brebis dans l'aube naissante. - -Un groupe de guerriers menaçait de makhilas des fils de Mahomet. - -A la suite de saint Léon, processionnaient les innombrables enfants du -pays qui ont épousé le Christ. Ils portaient des vêtements noirs ou -blancs dont quelques-uns étaient tachés de sang. Ils étaient les martyrs -de Chine et d'ailleurs, qui avaient quitté la maison bien-aimée aux -longues ailes pendantes. L'un d'eux portait le Sacrement autour duquel, -comme à Hélette encore, les hommes dansaient, graves de joie. Des -pilotaris l'ombrageaient avec leurs gants de cuir ou d'osier. - -Puis venait le troupeau des fidèles, l'humble peuple au coeur d'or des -petits négociants qui taille le cuir, débite la viande, fait griller le -café devant les portes. - -L'angélus m'éveilla. Je m'étais laissé gagner par le sommeil dans le -champ des morts, la tête contre une touffe de romarin. Eliézer dormait à -quelque distance. La tombe d'Ondicola était toujours là, mais close. - -La sonnerie des cloches reprit en s'accentuant. La douce vallée était -bercée par elle. C'était au matin de la Fête-Dieu. - -Une louange sans nom monta de la matinée. - -De vivants chemins, à onze heures, se mirent en marche: on ne savait -plus si c'étaient les cerisiers qui s'avançaient, où la foule. On -entendait l'orage des tambours et, par moment, entre leurs batteries et -celles des clairons, l'hymne montait et s'affaissait comme la mer. Puis -le grondement reprenait dans le rire des cloches en extase, et le regard -bleu du ciel se reposait avec amour sur les blés. - -Que ce paysage était simple! Simple comme cette race unique fondue à la -sérénité des collines, à la clémence du climat, à la frugalité des -terres! Elle suivait ce morceau de Pain qu'est son Seigneur et son Dieu. -Elle le suivait sans hésitation, le coeur au large et tout baigné d'une -rosée angélique. Ils allaient, leurs grains de bois sec dans une de -leurs mains calleuses et, dans l'autre, le béret dont ils montraient la -belle doublure neuve, vêtus du court chamar ou de la veste commune, le -pantalon arrêté au-dessus de la cheville pour que la poussière ou la -boue n'atteignît que les gros souliers. - -Es-tu content de ton peuple; est-ce ainsi que tu l'as voulu, Ondicola? - -Lorsque, dans la soirée, Eliézer et moi nous nous en retournâmes, les -sentiers étaient jonchés d'herbages et de fleurs et tout parfumés de -menthe. - -Nous relayâmes à Hasparren où nous couchâmes. Ville délicieuse, charme -premier du pays basque où les magasins bas, avec leurs porches romans, -leurs naïves enseigne, la pauvreté de leurs denrées exposées aux -devantures, suffiraient à nous guérir de la croyance qu'il est -nécessaire, pour vivre, de se trouver aux portes du Louvre ou de -l'Institut Pasteur! - -Le lendemain matin, Eliézer ayant la migraine demeura au lit. Je me -dirigeai seul, à pied, vers cet Ayherre où la légende situait le foyer -d'Iguskia et d'Ithargia. - -J'aperçus le château démantelé de Belzuncia. L'air était blond et -argenté comme une perle, où les blés prenaient déjà la teinte sombre de -la terre. - -Au flanc de la colline était un champ modeste où vinrent deux faucheurs, -un jeune homme et une jeune femme. Je songeai à Iguskia et à Ithargia -qui s'étaient épousés dans les flammes de la moisson. - -Je me rapprochai de ce couple qui était d'une indicible beauté, -transmise à travers les âges sur l'aile de l'Amour selon le voeu -d'Ondicola. Leurs regards étaient tels qu'ils donnaient à penser que la -lumière peut être noire. - -Je leur dis que j'étais venu de Hasparren, visiter les ruines proches de -leur ferme, ce dont ils ne s'étonnèrent point car elles éveillaient -parfois la curiosité des promeneurs. Ils ne souffrirent point que -j'allasse prendre mon repas à l'auberge et, avec cette simplicité -habituelle à leur race, ils m'invitèrent chez eux. - -La femme nous servit, après quoi leurs quatre petits garçons, qui se -suivaient de tout près par l'âge, vinrent manger debout la soupe qu'on -leur présenta dans une écuelle. Ils burent de l'eau dans un bol ébréché, -puis s'en allèrent satisfaits. Sur deux chaises, l'un en face de -l'autre, un aïeul et une aïeule somnolaient. - -Je sortis pour aller contempler l'ancien château, mais plutôt pour -évoquer le premier foyer eskuarien qui l'avait précédé de bien des -siècles. - -Les remparts tombent, mais la terre ne meurt pas. Aussi magnifique était -peut-être cette campagne qu'aux jours premiers d'Iguskia et d'Ithargia. - -Avant de regagner Hasparren, j'allai remercier mes hôtes. Ils étaient -assis sous un noyer qu'on eût dit tout chargé de nuit fraîche. Ils se -tenaient par la main avant que d'aller reprendre leurs faucilles. Une -caille au loin appela. - -Je ne fis part ni de mon rêve ni de mon excursion aux ruines d'Ayherre à -Eliézer. - - - - -LE SIÈGE DE PAMPELUNE - - -Peu de jours après notre course a Ascain, je me retrouvai avec Eliézer -chez son oncle dans ce vieux Bayonne si pittoresque où jadis aborda, au -retour des Indes occidentales, l'une des caravelles de Christophe -Colomb. - -Pays de Robinsons, d'explorateurs, de pêcheurs, de corsaires, que -n'as-tu ajouté cette devise à ton blason, lue sur un vieux pot anglais: -«_Les aventures sont pour les aventureux._» - -J'attendais avec une certaine impatience la suite, à laquelle j'avais -été convié, de la légende basque. - -Le début du deuxième chant me surprit. - -C'était une sorte de préambule, davantage un exposé qui semblait, plutôt -que d'un poète, l'oeuvre, eût-on parié, du copiste. - -Quel copiste? Que, dans une langue non écrite, ou dont le graphique a -disparu, il y ait quelques exceptions, soit! Il n'en est pas moins vrai -que ce Juif aux yeux verts, affublé d'un prénom si extravagant, me donna -un léger choc lorsque je l'entendis, comme on va le voir tout à l'heure, -employer le mot _curé_ dans sa traduction. - -A la vérité, ce mot ne semble avoir que faire avec, je ne dis pas la -religion, mais l'esprit d'une époque aussi reculée. Ce pouvait être une -faute de goût de la part du neveu de Jacob Meyer, tout au moins une -bizarrerie. Mais je dois prévenir les lecteurs, afin qu'ils ne me -tiennent point pour un naïf, qu'à partir de cet instant, je fus assailli -par le doute. Eliézer ne m'étonna pas moins que, dans la même séance, -après avoir ouvert une parenthèse explicative que je n'ai pas consignée, -mais qui avait trait au procédé d'Ondicola pour sélectionner la race -eskuarienne, il prononça: «Et, d'ailleurs, la diplomatie est la science -de l'amour.» - -Allais-je me lever, faire éclater mon mépris, ou m'esquiver sans bonjour -ni bonsoir? J'eus la sagesse de n'en rien faire. - -Je remis à plus tard la clef d'or du mystère. Qu'importait son auteur -véritable si l'oeuvre continuait de me ravir, et ne faut-il pas, après -tout, que toujours par quelqu'un le Robinson commence? - ---En Labourd, en Soule, en Basse-Navarre, traduisit Eliézer qui semblait -suivre le mot à mot du texte rapporté d'Aix, on vit, huit cents ans -après la destruction de l'_Eskualdunak_, s'élever çà et là de jolies -églises à triple clocher, adossées à leurs presbytères dont les jardins -produisaient des légumes, des fruits, des lys blancs et des pois de -senteur. - -Ces paroisses naissantes vécurent longtemps en paix, mais les curés -(_sic_) représentèrent à leurs brebis, capables de se transformer en -lions, que le diable donnait depuis longtemps le siège à leurs frères -basques d'Espagne. - -On sait que ceux-ci avaient appris des Maures l'industrie du cuir et -l'agriculture raisonnée, qu'ils avaient transmises à leurs parents -restés en France quand ils les y allaient visiter. Mais ils ne furent -pas longs à s'apercevoir que la race maudite de Mahomet, pleine de -dissimulation, ne leur voulait que du mal. Et ce qui mit le comble à -leur indignation, ce fut le martyre que de tels barbares infligèrent à -la chrétienne Eurosie qui s'était refusée à épouser l'émir. Les Basques -de France se portèrent au secours de leurs frères outragés et, les -secondant, s'emparèrent de Pampelune. - -Le texte de la légende, observa ici Eliézer, emploie le style lyrique -dans le passage qui suit et qui a trait précisément à la prise de cette -ville. Il y a même, dans la seconde partie, un essai que je crois devoir -traduire en en respectant la prosodie. - -Quand les descendants d'Iguskia et d'Ithargia arrivèrent sous Pampelune, -le crépuscule était comme un grand oranger parfumé. - -L'émir reposait dans son pavillon avec ses femmes couronnées de fleurs -de grenadier. Le bourdonnement des guitares énervait leurs amours. - -Ah! l'on te retrouve bien là, mollesse orientale dont Ondicola vint à -bout lorsqu'il fit exploser son _Eskualdunak_ d'or, après avoir lâché -sur une terre incomparable un couple vierge! - -Les fils d'Iguskia et d'Ithargia sont sous tes murs, ô Pampelune! Ils -viennent enfin brûler les dieux qu'ils eussent adorés sans un maître -audacieux qui anéantit son équipage avec lui. - -Voici les principaux comtes basques: Arnaud de Macaye; Sanche -d'Espelette; Ramoun de Tardets; Bernard d'Iholdy; Auger de Mauléon; -Ondicola d'Ascain. - -Qu'ils ressemblent peu à ces païens, obèses la plupart, vautrés dans -l'orgie, empêtrés dans leurs tuniques, gavés de confitures de roses! - -Arnaud de Macaye descend de Zoardia, l'aîné de ceux qui avaient épousé -les belles enfants dont l'une avait séduit le Zéphire à bord de -l'Amodioa. Après avoir navigué au long des côtes, il est revenu dans son -village au milieu de sa tribu. Et, avec ses mules, passant et repassant -la frontière, il fait commerce d'huile et de vin. - ---Où est, s'écrie-t-il, en avançant vers le rempart, l'émir, que je le -crève comme une outre? - -Arnaud de Macaye ne porte casque ni cuirasse, ni autre vêtement de -guerre, mais le petit béret basque, le chamar, et un pantalon aussi -léger qu'une feuille. Ses longs cils ombragent son regard: - - Il tient serré son makhila flexible - Dont on voit bien qu'un seul coup abattrait - Le Sarrazin avec son minaret. - Il porte un cor de chasse à la ceinture - Ses compagnons sont armés comme lui - Du makhila qui ne sait faire grâce. - - Sanche est celui qui descend d'Aritza. - Son fief domine un sommet d'Espelette - Qu'on a nommé le mont du Mondarin. - Navigateur intrépide il s'en fut, - Accompagné de ceux de la Bretagne, - Depuis le cap extrême de l'Espagne - Jusqu'au pays que l'on ne connaît plus. - Quand il revint, Gachucha fut sa femme. - Et depuis lors il tisse des lainages, - Qu'un de ses fils va vendre en Oloron. - - Quant à Ramoun, qui descend de Suâ, - Dedans Tardets, la céleste vallée - Qu'il n'a jamais jusqu'à ce jour quittée, - On ne peut pas dénombrer ses brebis. - Il vend sa laine à Sanche d'Espelette. - Il est danseur et, toujours sous ses pieds, - On voit le vide et le soleil briller. - - Après s'en vient Bernard, chef d'Iholdy, - Qui fit, dit-on, premier le tour du monde, - Puis s'enrichit à bien tanner le cuir. - Et, plus que tous, il en veut à l'émir, - Parce qu'il est beau-frère d'Eurosie. - - Auger qui sort de Mauléon la terre - Contre la gent est si fort en colère - Que l'on croirait qu'il porte le tonnerre. - Et cependant, par ordre de Clotaire, - De père en fils sont en leurs lieux notaires. - - Ondicola d'Ascain paraît ensuite - Toujours lequel fut un pilotari. - Au makhila s'adjoint sa plus rude arme, - Son chistéra qu'il porte sur le dos. - Qu'on le redoute, il est si fort qu'il peut - Lancer la balle aussi loin qu'il le veut. - -Dans leur fureur vengeresse, ils étaient tellement sûrs de leur -triomphe, ces comtes et leurs vassaux, qu'ils avaient demandé aux plus -jolies filles basques de les accompagner. - -Le choix ne fut point facile, elles sont légion. On en dut réduire le -nombre et faire pleurer de doux yeux. Les favorisées partirent donc, le -coeur léger. - -Que l'on n'aille pas croire que ce fut pour bafouer la morale. Elles -étaient honnêtes. Mais Arnaud, mais Sanche, mais Ramoun, mais Bernard, -mais Auger, mais Ondicola d'Ascain avaient jugé que le plus dur supplice -qu'ils puissent infliger à des mahométans enchaînés était de faire -défiler devant eux ces beautés merveilleuses. Ce qu'ils firent. Et -l'émir en mourut. - -Je ne savais, tandis qu'Eliézer suspendait là cette partie de la légende -basque, s'il me fallait éclater de rire ou me fâcher, ou garder mon -calme. J'optai pour cette dernière attitude. Jacob Meyer, opinant du -bonnet, applaudit cette fin du chant. - - - - -CHANT D'AMOUR DE TIRUZTAYA ET DE LÔRÉA - - -J'ai dit que le prétexte qui avait été donné par son oncle, de la venue -d'Eliézer, était d'une eau salée dont on s'occupait fort en ce moment -pour la conduire à Biarritz. - -Des hommes autorisés tels que MM. Raymond Baron, Hézard et Bergeroo, -étaient parmi les membres de la Société qui s'était fondée. - -Il me serait bien impossible d'informer sur le rôle que joua dans cette -affaire le neveu de Jacob Meyer durant les quelques semaines qu'elle le -retint ici. Il semblait s'intéresser alors à la minéralogie du système -cantabrique, mais je ne pus me défendre d'une certaine méfiance touchant -ses capacités, quand il me fit part, à propos d'un soulèvement d'ophite -d'une théorie qui ne tenait pas debout. Je n'en jugeai pourtant que par -les vagues leçons d'histoire naturelle apprises par moi au lycée de -Bordeaux, d'un professeur, il est vrai fort distingué, M. Kuntsler. - -Eliézer me montra un perforateur à pointe de diamant, dont il me dit -qu'il lui servirait à atteindre une nappe de pétrole située à -Saint-Boës, près d'Orthez. - -Il ne me parla plus, momentanément, de la suite de la légende basque. - -Etait-ce que, cette suite, il prenait le temps de la composer ou qu'il -voulût me la laisser désirer? Mystère. Je n'y fis aucune allusion, -encore qu'un mot de Jacob Meyer m'eût fait entendre naguère que l'un des -plus sublimes passages des Robinsons serait un duo d'amour, chanté par -des descendants de Zoardia, au printemps, à l'entrée de ces grottes -d'Isturitz, dont je possédais la clef. - -Cette clef, combien je sentais l'oncle et le neveu vivement possédés du -désir de l'introduire dans la serrure interdite! - -Je continuais de fréquenter chez le vieux, le trouvant mainte fois -occupé à quelque délicat travail, comme d'examiner les arborisations -d'une émeraude ou, ce qui ne l'est pas moins, d'en discuter le prix avec -quelque femme du monde. - -Il ne se gênait point; il semblait même que ma présence le stimulât pour -exiger d'âpres conditions de belles clientes qui connaissaient les -détours d'ombre de l'étroit et discret escalier de la rue Pontrique. - -Parfois nous reprenions le cours de nos conversations littéraires, ou -nous allions pêcher les petits muges de la Nive. J'aime ce passe-temps -populaire, et de me retrouver dans la compagnie de ces maniaques -s'efforçant de fixer autour d'un hameçon l'appât, si vite désagrégé, -d'oeufs de merluche. - ---Il est une science, me dit Eliézer, un après-midi que je le rencontrai -chez son oncle, à laquelle je m'adonne passionnément: l'anthropologie -préhistorique. Les grottes d'Isturitz... - -Encore! me dis-je. L'oncle et le neveu ont dû se passer le mot! Faut-il -donc qu'ils soient têtus et indélicats pour me reparler de ces grottes, -vouloir me faire manquer à mon engagement, alors qu'ils savent que c'est -moi précisément et le cerbère qui devons nous opposer à toute -infraction. - ---Les grottes d'Isturitz, insista Eliézer, offrent aux spécialistes de -l'âge de pierre un intérêt qui se double pour moi de tout ce que m'a -fait connaître des origines du peuple basque la légende ondicolienne. -Isturitz, quel nom! Est-ce que des descendants de Zoardia et d'Aritza, -s'il faut en croire un magnifique passage que je vous traduirai -prochainement, ne le rendent pas plus harmonieux encore par les accents -d'un amour ineffable qui, après plusieurs siècles, commémore les -élévations d'âme de leurs ancêtres? Ce n'est que chants d'oiseaux buvant -aux calices de fleurs printanières. - -Il fallait bien que je m'avouasse que, trompeurs ou non, Eliézer et son -oncle se servaient d'un joli langage, et que la perspective d'entendre -ce pur duo auquel ce dernier avait déjà fait allusion excitait ma -passion poétique. - -Mais je ne pouvais me déprendre d'un certain malaise. Et, de penser -qu'on avait influencé mes nerfs, jusqu'à m'avoir fait rêver si -étrangement à la légende basque dans le cimetière d'Ascain, augmentait -mon trouble. Ces Hébreux agissaient sur moi comme s'ils m'eussent dosé -les drogues dont usaient les passagers de l'_Eskualdunak_. Il me -faudrait réagir à temps. - ---J'ai d'ailleurs, poursuivit Eliézer, promis à Salomon Reinach de me -mettre en quête d'un ours en pierre tendre, catalogué par Pierre Loti, -et que les primaires de ces grottes ont sculpté plusieurs siècles avant -que s'y réfugiassent Iguskia et Ithargia. Les savants actuels suivent un -plantigrade pétrifié avec autant d'ardeur que les sauvages qui l'ont -exécuté le poursuivaient, vivant, de leurs flèches de silex et d'os. -Vraiment, ne pourrait-on explorer des lieux si attirants dont, bien -entendu, aucun objet ne serait distrait, mais infiniment respecté? Quant -à l'ours, cher monsieur, si on le retrouve, il n'est que d'en référer à -son propriétaire. Nous n'en serons que les montreurs. Qui dit Salomon -Reinach dit prince munificent. - -Comme il me voyait inquiet, gêné, hésitant, Eliézer continua: - ---Ecoutez-moi bien. Je ne vous demande, pour une première entrevue avec -les grottes d'Isturitz, et jusqu'à ce que vous nous ayez obtenu de M. -Passerose la permission d'y pénétrer, que d'aller vous y lire, à -l'entrée, le duo d'amour de la légende, et, seulement dans le cas où -vous le jugeriez digue de votre reconnaissance, vous vous emploieriez à -nous obtenir la permission que nous désirons tant. - ---Eh bien! soit, prononçai-je. - - * * * * * - -Mais j'éprouvai quelque honte de cette lâcheté où venait de m'induire -moins sans doute l'amour de la poésie que ma vive curiosité pour le -roman en action que me tramaient ces Juifs, sous prétexte de Robinsons -basques. - - - - -Une journée sans nuages enveloppant de sa netteté la trouble et bleuâtre -colline d'Isturitz nous réunit tous trois à l'entrée de ses grottes. -Nous avions laissé, à quelque distance, dans une auberge, voiture et -cocher. - -Nous retirâmes de nos paniers une langouste, une galantine et un pâté de -foie qui me donnèrent à réfléchir sur les animaux que proscrit la loi -mosaïque. Quant aux vins, ils lançaient, entre les doigts de Jacob -Meyer, des éclairs de rubis et de topaze. Horace et ses convives ne se -fussent pas mieux traités dans la villa de Castétis. - -Lorsque la douce langueur, qui suit sur l'herbe ombreuse le repas de -midi, m'eut quelque peu enveloppé, Eliézer retira de sa musette le -précieux texte, ou sa traduction, ou son adaptation, comme il vous -plaira. - -Et il lut: - ---Voici le duo nuptial que chantèrent, pour la première fois, dans la -région d'Isturitz où leurs antiques parents, Iguskia et Ithargia, les -ont précédés dans la jeunesse et dans l'amour, Tiruztaya, homme du foyer -de Zoardia, et Lôréa, fille de la tribu d'Aritza. - -TIRUZTAYA - -J'ai trouvé, sur le sommet d'Abbaratia, une rose sauvage dont le charme -est incomparable, non pas qu'elle soit moins ou plus rose qu'une autre, -ni davantage odorante, mais, à mesure que je gravissais vers elle et que -mes yeux en buvaient la rosée, ah! je comprenais qu'elle n'avait été -touchée même par une abeille: par le ciel seulement. - -LÔRÉA - -Sur la cime de la montagne cette rose s'est plu à incliner sa tige, -formant un arc aussi doux que ton nom, ô Tiruztaya! - -Mais, brusquement, s'est détendue la tige, et moi qui en étais la fleur, -je me suis décochée avec force pour venir me poser sur ton coeur. - -TIRUZTAYA - -Que nos petits cousins appellent les fauvettes avec les fifres dont ils -enchantent le long après-midi. Elles ne répondront plus à leur -invitation, ô Lôréa, si elles t'ont entendue, mortes de jalousie. - -LÔRÉA - -Lorsqu'on célébra, il y a un an, la fête ondicolienne, c'est alors que, -pour la première fois, je te distinguai parmi les pilotaris. - -Et quand, avec un geste que je ne peux pas dire, tant il fut mesuré dans -l'espace, tu brandis le gracieux berceau d'osier du chistéra, mon coeur, -que tu avais mis dedans, ne fit qu'un bond. - -Et je vis, ô joie! mon coeur monter et redescendre vers un rival que tu -provoquais. - -Mais toi, comme donnant un ordre à ce coeur, tu t'en jouais, le -rappelant sans cesse, le relançant, le reprenant encore, le renvoyant -jusqu'à ce que te restât la victoire au milieu des applaudissements. - -TIRUZTAYA - -Je bercerai ton coeur dans ce hamac d'osier où roule la pelote afin -qu'un jour, auprès de notre couche nuptiale, j'y berce aussi nos petits. - -LÔRÉA - -Ne me fais point rougir, ô Tiruztaya! - -TIRUZTAYA - -Comment te ferais-je rougir puisque, déjà, tu es rose? Mais si tu veux à -moi-même voiler ton teint d'églantine, laisse mon front se rapprocher du -tien jusqu'à ce que je n'y voie plus. - -LÔRÉA - -Attends encore, Tiruztaya. - -C'est dans le front que les jeunes filles cachent leur pensée la plus -pure. - -Et lorsque tu les vois se tenir si droites, elles veulent que la -poussière soulevée par leurs pieds ne puisse atteindre cette plaque de -marbre où, invisiblement, le nom du bien-aimé est gravé. - -TIRUZTAYA - -Rien ne courbe donc votre fierté? - -LÔRÉA - -Il faudrait, pour que je consentisse à abaisser ton nom chéri, que je -porte à la cime de mon être, que tu me tuasses d'un coup de flèche en me -trahissant. - -Alors, ô tristesse! je ne saurais que m'abattre tout du long, ma tête à -tes pieds. - -TIRUZTAYA - -Ma Lôréa, n'aie point d'aussi folles pensées qui pourraient engendrer la -tristesse. - -Tu sais l'honneur du pays basque, le foyer où Iguskia et Ithargia -cuisaient leur pain d'asphodèle. - -Si, parfois, hélas! de tes compagnes étourdies glissèrent sur la mousse -de la colline en poursuivant un lièvre matinal, enveloppées aussitôt par -les filets des pâtres, jamais épouse qui jura par sa foi n'a menti à la -vallée paisible. - -LÔRÉA - -Il faut que la jeune fille devienne épouse, et que celle-ci présente à -ses enfants un visage dont les yeux n'ont miré que le regard de leur -père. - -Et il faut qu'on l'ensevelisse dans sa tunique nuptiale. - -TIRUZTAYA - -La tradition raconte que les belles-filles d'Ithargia, ayant que -d'épouser ses fils, toutes élégantes encore des parures qu'elles -portaient sur l'_Amodioa_, déposèrent dans ces grottes et scellèrent -dans le roc leurs légers vêtements d'Asie. - -Ils étaient de soie, et chacun n'avait d'autre ornement qu'un long -narcisse brodé. - -LÔRÉA - -Je n'ai point de robe de noces si belle. Et tu ne m'en voudras pas de ne -t'apporter que moi-même au lieu d'un vêtement brodé. - - * * * * * - -Cette finale, certes, était ravissante, et l'ensemble du morceau d'une -haute tenue. Mais le modernisme, si je peux dire, y paraissait en -transparence comme à travers un sujet ancien la grâce, jadis neuve, d'un -Sandro Botticelli. - -Le narcisse brodé me semblait être un impudent défi à ma crédulité. - -Si sot qu'on croie un poète (et je passais alors par cette épreuve du -mépris que fait peser sur nous, le monde en général), je ne l'étais -point tellement que je donnasse dans ce panneau, si recouvert de fleurs -fût-il! Ce qui me faisait trouver la plaisanterie plus mauvaise encore -c'était qu'elle me fût servie non seulement par des gens d'un goût très -averti mais qui, s'ils étaient les auteurs des Robinsons basques, -étaient doués d'un génie poétique au moins égal au mien. Et, d'envisager -cette dernière hypothèse, n'allait point de ma part sans aigreur. - -Je faillis leur crier: «Prenez-vous donc Pégase pour une bourrique?» -Mais j'en fus retenu par la noblesse même de ce chant nuptial, et, -dis-je, par le désir de connaître le but et l'issue d'une machination -aussi baroque. - -Nul doute que les deux gaillards ne voulussent entrer en possession de -la clef des grottes d'Isturitz. Mais à quelles fins? Je me méfiais que -ce ne fût point pour en inventorier les curiosités préhistoriques, -pensait-il que je l'autoriserais, me sentant piqué au jeu, à s'en aller, -en compagnie de son oncle, rechercher dans la noirceur de ces cryptes -les mousselines où neigeait le légendaire narcisse d'amoureuses? - -Je dois à la vérité de dire que, faisant preuve, ce jour-là, d'autant de -tact que d'adresse, Jacob non plus qu'Eliézer ne me sollicitèrent au -sujet de la clef. - -Ils n'en parlèrent point davantage au gardien lorsque nous allâmes, au -retour, serrer sa patte velue. Il vivait, non loin d'une caverne, dans -la compagnie de ses quatorze jeunes enfants et de leur mère. De celle-ci -il nous dit qu'elle avait autant de lait qu'une vache bretonne, et qu'il -ne serait point embarrassé, en l'absence de nourrissons, d'en tirer cinq -francs par jour, s'il l'allait vendre à la ville; Cette rusticité dans -le propos cadrait avec cette féroce observance de la consigne qu'il ne -levait qu'en faveur de M. Passerose--le propriétaire même des lieux--ou -que pour moi. De toutes autres gens, même que je lui eusse recommandés, -il eût exigé, encore qu'il ne sût pas lire, une autorisation écrite de -M. Passerose. - -Cet indigène, nommé Salbaya, nous indiqua d'un geste du menton, qu'il -accompagna d'un sourire lacustre, un fusil rangé au-dessus de la -cheminée, nous disant l'avoir chargé de grenaille et de gravier. Puis, -il pointa un index terrible dans la direction des grottes. - -Salbaya n'était, au fond, qu'un de ces hommes nés pour se dévouer -jusqu'au sang à de nobles causes, mais qui ne trouvent point emploi de -leur courage. Moins éloignés du monde, plus instruits, sans doute -eussent-ils joué des rôles de partisans ou de soldats. Ne s'étant pu -réaliser ainsi, en aucune façon, Salbaya concevait une fierté -désordonnée d'avoir été investi--la rase campagne aidant--de cette -fonction de gardien-chef d'un refuge d'ours antiques. - -En prenant congé de lui, nous remîmes nos doigts dans sa griffe. Puis -notre calèche nous ramena lentement, par Saint-Martin, Saint-Esteben et -Bonloc, à la place de Hasparren. - -Chemin faisant, nous fîmes halte au pont de l'Arbéroue, et nous nous -plûmes à regarder trois jeunes gens qui, la culotte relevée au-dessus du -genou, fouillaient avec un filet les dessous de la berge pour y puiser -des truites. - -Ils les enfermaient en des vanneries en forme de carafe, tressées par -des Bohémiens, et qu'ils bouchaient avec des feuilles d'aulne. - -Nous observâmes qu'ils rejetaient avec mépris, en retirant les poissons -du piège, les écrevisses qui y grouillaient. Nous les priâmes de vouloir -bien nous réserver celles-ci. Ils le firent de la meilleure grâce du -monde, et nous remportâmes ainsi, pour quelques sous, un plein panier de -ces excellents crustacés, bien loin que je pusse soupçonner le rôle -qu'ils allaient jouer avant peu dans la légende ondicolienne. A ce -moment je me fis cette seule réflexion que les jeunes pêcheurs qui -pratiquaient un sport aussi simple ne devaient point différer beaucoup -des premiers Robinsons basques. - -Nous fîmes cuire et mangeâmes nos petites bêtes, le soir même, dans -l'hôtel de la gracieuse petite ville, l'hôtel Gascoïna. Puis nous -regagnâmes, non Bayonne qui était assez éloigné, mais ma villa où -j'avais fait préparer des chambres pour mes compagnons de voyage. - -S'ils furent imprudents d'accepter mon hospitalité, la suite va le dire. -Mais j'étais loin de me douter, quelques heures avant de les loger, que -le mystère dont ils entouraient leurs faits et gestes à mon égard allait -s'éclaircir. - - - - -LA VÉRITÉ DANS LE RÊVE - - -Je les croyais profondément endormis. Il était une heure du matin. Je ne -m'étais pas encore déshabillé. J'avais ouvert un volume d'Alfred de -Musset, comme tant de fois au cours de mes veilles, et je m'étais laissé -gagner par le triste charme du plus fiévreux de ses poèmes, cette Nuit -de décembre que je ne peux lire sans frissonner. J'en étais à ces vers: - - Mais tout à coup j'ai vu dans la nuit sombre - Une forme glisser sans bruit. - Sur mon rideau j'ai vu passer une ombre, - Elle vient s'asseoir sur mon lit. - Qui donc es-tu, morne et pâle visage, - Sombre portrait vêtu de noir? - Que me veux-tu, triste oiseau de passage?... - -... lorsque, la porte s'ouvrant, Eliézer parut, silencieux comme un -fantôme et qui prit place sur ma couche dont le drap n'était point plus -blafard que sa face. - -Il portait comme à l'habitude un costume de deuil. - -Je claquai des dents, puis lui demandai: - ---Vous êtes malade sans doute? Voulez-vous lire la dernière chronique de -Francisque Sarcey dans le journal le _Temps_? - -J'eus conscience, tant cette vision me terrifiait, je ne sais pourquoi -vraiment, que ce que je venais de dire n'avait aucun sens et que je lui -offrais le _Temps_, auquel je n'ai jamais été abonné, comme j'eusse pu -lui proposer une chasse au tigre dans une forêt du Bengale. - ---Ce n'est point tout ça, me répondit-il d'une voix très nette et qui ne -laissait point supposer qu'il ne fût là en chair et en os: parlons! - ---Allez! dis-je, sans que je perdisse un seul grain de ma chair de -poule. - ---Eh bien! voici: mon oncle et moi nous sommes Juifs. - -Je m'inclinai avec la déférence polie que l'on marque à un homme qui -vous confie qu'il est sourd. - -Et il poursuivit en donnant à son langage autant de précision qu'à -l'ordinaire: - ---Et vous vous êtes aperçu que nous nous moquions de vous? - -Ma main se souleva comme un clapet, du bras du fauteuil où j'étais assis -et s'y reposa. - ---Ne pensez pas, continua-t-il, que cependant je ne puisse être sincère. -Et la preuve en est que je viens, au milieu des ténèbres, vous faire ma -confession, aussi pénible, aussi humiliante qu'elle puisse être à un -_déshabitué_. - -Il prononça _déshabitué_ d'une manière si aiguë et si étrange, modulant -chaque syllabe, que l'on eût cru d'une hulotte. - ---Je vous le déclare sans ambages: nous sommes des voleurs, mon oncle et -moi, celui-ci ayant découvert chez un bouquiniste du vieux Bayonne, et -s'étant approprié, un document qu'il aurait dû remettre aussitôt à la -famille Passerose; et moi, en lui prêtant mon concours, afin de nous -emparer seuls d'un trésor dont ce parchemin fait mention. Ce trésor est -enfoui dans les grottes d'Isturitz. De là notre acharnement à nous faire -remettre par vous la clef du souterrain. De là... - ---... cette invention de la légende basque, bien capable de séduire et -d'envoûter une nature comme la mienne. M'est-il à présent permis, cher -monsieur, de vous demander à quelle source, si proche de nous qu'elle -soit, vous avez été puiser votre rhapsodie? - ---La source? déclara Eliézer de la manière que Louis XIV affirmait: -«L'Etat c'est moi», la source et moi nous ne faisons qu'un. - ---Mais cette étrange entrée en matière de M. Jacob Meyer touchant -l'_Eskualdunak_ et les premiers Robinsons basques?... - ---Mon oncle n'a été que le canal. Je fus l'amorce. Il fallait vous -gagner à tout prix pour tâcher d'obtenir, grâce à vous, de l'inflexible -M. Passerose, l'autorisation d'entrer librement dans le flanc de la -colline. Nous savions que vous rejetteriez avec dédain toute offre de -participer avec nous au partage du contenu du coffre, car c'est bien -d'un coffre qu'il s'agit. Il se trouve à une distance (conversion au -système décimal actuel) de soixante-cinq mètres trente-deux centimètres -de l'entrée, le long de la paroi droite, et à un mètre vingt-six -centimètres de profondeur. Il a été déposé là, durant la Terreur, par un -Antoine Passerose, ascendant du propriétaire actuel, et qui gagna la -Hollande pour se soustraire à la guillotine qui allait se déclencher à -Bayonne. Il émigra après avoir confié à un sans-culotte de façade, pour -le remettre à qui de droit, la paix revenue, le plan détaillé des lieux. -Le sans-culotte, devenu suspect, fut décapité sans qu'Antoine Passerose, -décédé en Hollande, eût pu s'enquérir du trésor et du document. Celui-ci -avait été remis par le condamné, au moment qu'il allait monter dans la -charrette, à un prêtre qui l'oublia dans son bréviaire avant de mourir -d'indigestion. Le pieux livre passa aux mains des bric-à-brac de la -Synagogue et, dès que mon oncle Jacob Meyer s'en fut rendu acquéreur, il -songea bien à informer les héritiers légitimes en leur réclamant ce qui -lui revenait pour une telle découverte. Mais sa rapacité l'emportant sur -sa conscience, il n'en fit rien, voulant être seul possesseur du trésor -qui monte, en pièces d'or, en argent, en pierres et perles, à plus de -cent mille pistoles. Et il m'a fait jurer sur les éclairs du Sinaï que -je n'en réclamerais pas une obole, qu'il ne m'eût couché sur son -testament et qu'il ne fût entré dans le sein d'Abraham. Et même, il ne -me confiait son secret que par l'absolue nécessité où il était -d'exploiter mon génie poétique afin de peser sur vous dont il -connaissait les goûts. Il les partage, il est vrai, ceux du moins de la -pêche et de la poésie. - ---Vos Robinsons basques, dis-je alors avec une amabilité d'autant plus -sincère que j'étais au fond touché d'une amende aussi honorable, et que -je sentais Eliézer mortifié, sont des plus ravissants caprices que l'on -puisse rêver--que dis-je? que vous m'avez fait rêver, apprenez-le -maintenant, dans le cimetière d'Ascain. - -Le pauvre homme se laissa glisser du lit où il était demeuré assis. Il -faisait pitié, paraissait à bout de force après cet aveu. - -Il rouvrit la porte, tituba dans le corridor, rentra _à reculons_ dans -sa chambre où, sans ajouter un mot, les yeux fixes, il se déshabilla et -se recoucha. - - * * * * * - -Ce n'est qu'alors que je compris qu'Eliézer était un hystérique -somnambule, qui disait la vérité en dormant, et qu'il venait d'être -victime d'une de ces crises que le plus grand ancêtre de Freud affirme -se produire chez certains sujets, après l'absorption d'écrevisses qui -les forcent de marcher comme elles. - - - - -LES FIANÇAILLES DE ROLAND ET D'AUDE - - -Le lendemain matin, à l'heure du café au lait, je compris qu'Eliézer, -inconscient du phénomène nocturne dont il avait été victime, avait -récupéré vis-à-vis de moi toute sa discrète mais arrogante supériorité. - -Je jubilais en moi-même de me trouver en possession du secret de l'oncle -et du neveu, sans que ni l'un ni l'autre s'en doutât. Leur farce -intéressée se retournait contre eux. J'avais, pour moi, tout à coup, ce -que l'on pourrait nommer: les rieurs de l'invisible. - -Par malice, et sachant bien ce qui me restait à faire, j'exagérai -l'intérêt que j'avais pris au duo d'amour des Robinsons basques, je -réclamai de connaître la suite de la légende, j'allai jusqu'à prétendre -que la lecture donnée devant les grottes d'Isturitz ne m'avait point -permis, la précédente nuit, de fermer les paupières. Je surpris, -d'Eliézer à Jacob, des signes d'intelligence qui signifiaient: «Nous le -tenons!» - -Le premier de ces faquins, redoublant d'audace, me donna lieu d'espérer -qu'il m'accorderait la faveur d'un nouveau chant qui célébrait un repas, -dans une forêt des Aldudes, auquel auraient pris part Charlemagne, et -Roland. Duquel chant il résultait que la fiancée de ce dernier, la belle -Aude, n'aurait été qu'une Robinsonne du nom d'Alba, inhumée dans les -grottes d'Isturitz. - -On me tenait décidément pour un parfait idiot. Mais je me demandai dans -quel but Eliézer semblait m'inviter à faire exécuter des fouilles dans -le souterrain alors que son oncle avait tout intérêt à les pratiquer -seul avec lui. Je compris assez vite qu'il en agissait avec une -prévoyance fort habile: il ne voulait point que je m'étonnasse, s'il me -prenait fantaisie d'aller quelque jour les observer dans leurs travaux, -de les voir remuer le sol en divers endroits pour y rechercher, -soi-disant, les tuniques nuptiales ou la momie de la belle Aude: en -réalité pour mettre la main sur le trésor, quand ils se sauraient bien -solitaires. - -Donc je feignis de souhaiter avec ardeur qu'Eliézer me lût le nouveau -passage lyrique, dont il remit la déclamation à quinzaine, évidemment -pour la raison bien simple qu'il fallait qu'il le composât. Oncle, et -neveu parurent tellement ravis de me voir dans cette disposition que, -lorsqu'ils remontèrent en voiture pour rejoindre Bayonne, Jacob Meyer, -en guise d'au revoir, fit le geste de se servir d'une clef. Je lui -répondis par le plus prometteur des sourires. - -Mais sitôt qu'ils eurent décampé, je n'hésitai point. - -Je sellai un petit cheval et, en moins de temps qu'il ne faut pour -l'écrire, je me retrouvai devant les grottes d'Isturitz et, aussitôt, -chez Salbaya. - ---Mon ami, dis-je à celui-ci, vous êtes un butor mais l'homme le plus -honnête que je sache. Vous possédez l'une des clefs du souterrain, moi -l'autre, et nous sommes autorisés à y pénétrer. Je sais que vous feriez -un très mauvais parti à quiconque tenterait de violer la consigne de M. -Passerose. Mais, en supposant même que vous veilliez jour et nuit pour -les en empêcher, apprenez que de très habiles malandrins qui guettent -une occasion de retirer de la grotte un coffre plein d'or et de bijoux -et de se l'approprier pourraient bien surprendre votre zèle. Ce trésor -fut déposé durant la Révolution par un ancêtre de M. Passerose. Je -n'aurai de tranquillité qu'il ne soit en sûreté chez vous en attendant -que nous le puissions remettre, avec explications, à un ami qui en -disposera selon les lois. - -Le cerbère poussa le plus grossier juron du pays basque, fit mine de -décrocher son fusil et me dit: - ---Je suis sûr, monsieur, que ces voleurs que vous redoutez ne sont -autres que ces deux députés qui sont venus ici avec vous. - ---Comment! députés? demandai-je. - ---Peut-être pas, reprit-il; mais depuis que j'en ai vu deux pendant que -je faisais mon service militaire, je me suis dit que j'en reconnaîtrais -toujours l'espèce. - -Il ne faut point sonder les arcanes, souvent profondes, du sentiment -populaire. - ---Eh bien! repris-je pour presser les choses, êtes-vous prêt à me -suivre? - ---Oui. - ---En ce cas veuillez garer mon cheval et prendre des allumettes et des -chandelles. - -Il mit à l'abri ma monture et, en outre de ce dont je lui avais dit de -se munir, il emporta une grosse botte de paille sur son dos. - ---Allons! fit-il, mais la grotte est étendue. - ---N'ayez crainte: je connais l'emplacement du trésor. - -Je me souvenais, au plus juste, des mesures et indications à moi -fournies par Eliézer durant son état d'hypnose, et j'avais emporté un -décamètre que nous eûmes à peine besoin d'utiliser. - -Nous partons, et nous voilà. Feu de paille, d'abord. La gorge m'en cuit -encore, si âcre en était la fumée. - -Les reflets se propagent, si bien qu'il ne nous faut que trois minutes -pour apercevoir, à quelque soixante mètres de l'ouverture de la grotte, -un rocher isolé des autres et servant, je l'eusse parié, à recouvrir une -excavation. L'on eût dit d'un de ces monolithes, si adroitement modelés -par les érosions, qu'une main d'enfant suffit à les faire basculer. Or -Salbaya n'avait pas des doigts de rossignol, et, d'une poussée de ses -paumes, il envoie le roc rouler à dix pas. Nous nous penchons sur les -ténèbres béantes où nous distinguons bientôt, à peu de profondeur, le -coffre défoncé, d'un bois pourri par l'humidité d'un siècle, et qui -laisse scintiller, à la lueur de nos flambeaux de suif, les métaux, les -escarboucles, les diamants et autres pierres des mille et une nuits. - ---Je vous attends ici, dis-je à mon homme. Allez jusqu'à chez vous et -m'en rapportez une solide corbeille. - -Heureux de songer qu'il allait pouvoir donner une marque nouvelle de son -dévouement et de sa probité, il part en courant et revient avec un -panier convenable. - -Je n'ai nulle difficulté à plonger les bras dans cette masse précieuse, -je fais jaillir de ce filon, dans une ombre à la Rembrandt, les regards -longtemps retenus de ces joyaux prisonniers. Nous emplissons le panier, -Salbaya va le vider chez lui, en lieu sûr, revient, le charge à nouveau, -repart, et ainsi de suite jusqu'à sept fois. Il ne reste plus dans la -fosse que la carcasse vermoulue de la caisse, que nous enlevons aussi, -car l'inspiration de ce à quoi je vais l'utiliser m'est soufflée par le -génie de la grotte. Il n'a pas fallu trois heures pour que le rocher -soit remis en place, la trace de notre passage effacée, la magnifique -fortune dans la maison du gardien qui, en découvrant le vaste -amphithéâtre de ses mâchoires, prononça: - ---Ma joie eût été complète (et il me montrait encore son arme à feu), si -je les avais descendus tous les deux. - -L'ombre de la colline d'Isturitz s'étendait jusqu'à nous, je songeais à -nos ancêtres de l'âge de pierre qui ne furent peut-être pas tous des -Robinsons venus d'Asie sur une galère enchantée, mais qui, à fréquenter -l'ours des cavernes, en avaient pris quelques usages, à l'espingole -près. - -Je fis part à M. Passerose, le lendemain, en une longue lettre, de tant -de fantastiques péripéties. - -La découverte est de trop d'importance, lui mandais-je, pour que vous ne -hâtiez point votre retour, calmant ainsi l'impatience qu'ont de vous -revoir vos amis. Les ailes bleues et légères des montagnes de Hasparren, -de Macaye et d'Isturitz valent bien les coiffes de vos sphinx stupides, -dont l'énigme cependant demeure plus difficile à déchiffrer que ne le -fut celle de votre grotte. Les fruits de pierre précieuse, d'or et -d'argent de ce nouveau verger d'Aladin vous attendent chez ce brave -Salbaya. - -Je fis part encore à M. Passerose de circonstances qui ne sont pas -relatées ici, parce qu'elles n'ont pas trait à cette histoire. - -Ma signature apposée, il ne me restait plus qu'à me distraire en -m'amusant du prochain, ce qui est le meilleur passe-temps et le plus -varié du poète. - -Je partis deux jours après pour Toulouse, où les brodeuses sont -expertes, et je commandai à l'une d'elles une longue et fine tunique, -tout au long de laquelle je fis broder un gigantesque narcisse que -voulut bien dessiner pour moi Charles Lacoste lui-même. J'avais écrit -aux Meyer que je m'absentais, sans plus, ajoutant toutefois que je -n'aspirais qu'à revenir bien vite, plus désireux que jamais d'entendre, -d'Eliézer, le repas de Charlemagne au pays basque. - -Je crois, terminai-je, que vous finirez l'un et l'autre par charmer la -roche d'Isturitz, émules d'Orphée aux enfers. - - - - -Lorsque je fus en possession de la tunique nuptiale, qui eût donné à -rêver à la plus galante des épouses, je la rangeai dans une armoire -familiale qui fleurait la lavande et me promis de l'utiliser à mes -desseins. - -Mais, avant que de jouer ma pièce, je résolus de m'entraîner à mon rôle -en allant ouïr le passage annoncé de la légende ondicolienne. - -Je me promettais d'en jouir d'autant plus que la fatigante question ne -m'obsédait plus qui me faisait me demander naguère à quel motif -obéissaient mes deux Juifs. Le dormeur éveillé m'avait renseigné de -telle façon que je ne pouvais plus m'en irriter, puisque je m'étais déjà -vengé de lui et de son oncle en leur damant le pion, et le coffre. - -Ils me retrouvèrent donc de fort telle humeur. Je n'eus pas assez -d'éloges sur le déjeuner qu'ils me servirent. Après un café digne du -sultan du Maroc, Charlemagne et Roland entrèrent en scène. - -Dois-je attribuer au bien-être que je ressentais en ce moment, ou à plus -de justice de ma part, vis-à-vis d'un confrère, le plaisir tout -particulier que je pris à cette déclamation? Jamais le déconcertant et -funambulesque génie d'Eliézer ne me séduisit davantage, et ce fut avec -un soin scrupuleux que je transcrivis le texte du _Repas des Aldudes_ -qu'après lecture me confia son véritable auteur, comme il avait fait de -maints autres passages, la prise de Pampelune par exemple. - -Par son contraste même, notre cadre ne manquait pas de poésie, dans une -lumière qui, à travers les culs de bouteille des avares croisées de la -rue Pontrique, lui donnait la teinte d'un aquarium; cet établi -d'orfèvrerie où scintillaient les outils délicats et les pierres et les -montures, et ce fauteuil monumental où trônait le vieux Jacob, tel qu'un -roi déchu d'Israël; Eliézer, plus grave encore que de coutume, tenant -dans sa main gauche la traduction qu'il disait avoir faite, et élevant -son autre main à plat comme pour commander le silence. - -Il semblait avoir conscience de s'être surpassé. - -Il lut: - - - - -Quand l'Empereur eut tourné sa barbe vers l'Orient, il vint dessus elle -un parfum si délicieux qu'il demanda au duc Naimes: - ---D'où vient-il? - -Et Naimes: - ---C'est quand la fiancée de votre neveu Roland se lève que l'aurore a ce -parfum de fleur. - -Et l'un des barons à l'Empereur: - ---N'oubliez pas, sire, que c'est aujourd'hui liesse dans le bois des -Aldudes et qu'avant de gagner l'Espagne pour combattre les Sarrazins, -Roland veut vous présenter Alba afin que vous bénissiez leurs -fiançailles. - ---Seigneurs barons, dit Charlemagne, tenez-vous prêts à honorer celle -qu'un si aimable comte a choisie dans ce pays. - -L'armée se mit sur deux rangs, afin de former la haie, car, déjà, tenant -par la main Roland, Alba la Basquaise descendait la montagne des Aldudes -dont les sources tumultueuses éparpillaient, au bas, leurs neiges -libérées. - -La traîne d'Alba était retenue par un nain mauresque, noir comme le -diable, et que l'on affirmait être né du commerce d'Apollon avec une -Chananéenne. - -C'est Olivier qui s'est saisi, dans la forêt, de ce singe grimaçant, l'a -offert à son ami Roland qui en a fait don à Alba. - -Au pied d'un puy, sous un chêne, se tient Charles. Sa barbe ne cesse de -ruisseler dans le vent, telle une oriflamme. Il hoche le chef. Et lui, -qui a essuyé tant de chocs, remporté mille victoires sanglantes, et qui -en verra bien d'autres puisque demain il va marcher contre Marsile, lui, -dont les larmes semblaient à jamais taries, il pleure. Ses larmes sont -comme une rosée, car l'amour de la jeunesse porte au coeur du vieillard -qui se souvient de la sienne. - -Alba, apercevant soudain l'Empereur qui tient les marches, lui sourit. -Et ce sourire, tel qu'un rayon qui tombe d'entre les nuages, éclaire -toute la vallée qu'il émaille. - -Qu'ils sont beaux, ces bois des Aldudes, lorsqu'Alba illumine leurs -cimes! - -Elle pose son pied sur un caillou tremblant, au-dessus d'une source, et -fait signe qu'elle en veut goûter de l'eau. - -Toute l'armée se le redit. - -Roland emplit son cor d'ivoire et, comme d'un lys qui se déverserait -dans une rose, il en appuie le bord incliné sur la lèvre de son amie. - -Elle ne sait pas que, bientôt, c'est le même olifant qui recevra la -pourpre rosée, échappée des veines rompues du comte. - -Et le sourire d'Alba se mêle à l'eau qu'elle boit - -Charles dit à ses barons:--Maintenant, je ne connais que la peine que me -causent les maudits Sarrazins, et je ne me repose que sur ma selle dure; -quand j'étais jeune, j'ai dormi dans un pareil val, ayant pour oreiller -la chevelure de la souveraine. - -Mais que ces deux-ci m'émeuvent en me rappelant à moi-même! - -Roland s'avance avec Alba dont il a repris la main. - -A mesure qu'ils se rapprochent de l'Empereur, elle pâlit. - -Elle songe à tout ce qu'on lui a rapporté de Charles: sa piété, son -courage inégalable qui fait qu'à Aix les aigles invinciblement attirés -planent jour et nuit au-dessus de son palais. - -Elle pose sa main libre sur son coeur de tourterelle, baisse la tête, -et, tant est lisse et blonde sa chevelure, on dirait que c'est la soeur -du soleil qui s'incline. - -Elle et Roland se mettent à genoux. L'Empereur leur dit: - ---Je suis l'arbre à la rude écorce au pied duquel s'étend la mousse dont -les nids sont faits. - -Alba répond: - ---Sire, vous êtes le chêne qui les protège, et l'on n'ose lever les yeux -vers vous de crainte d'être ébloui, tant vous supportez d'orages sans -faiblir. - - * * * * * - -Ainsi s'exprime-t-elle en langue basque, traduite aussitôt par les -interprètes. - -La table est dressée dans la fraîcheur du bois. Les agneaux, les -perdreaux, les coqs de bruyère, les boeufs découpés en quartiers et les -vins y abondent. Des jeux basques s'organisent. Filles et garçons vont -représenter devant l'Empereur la pastorale qui commémore leur origine. - -Voici Ondicola, chef de la race, monté sur un destrier dont la housse -est faite de ces dentelles qui évoquent le luxe de l'Asie originelle. Il -porte une mitre et un sceptre, symboles de sa puissance. Il s'élève -contre sa cour voluptueuse, au moment qu'elle a abordé sur la terre -basque, et il lui déclare: - ---Il n'est pas bon qu'une race, indigne comme est la vôtre, se perpétue -sur ce sol vierge. - -Sa cour lui répond: - ---Que feras-tu donc de nous, Ondicola? - -Et lui: - ---Je vous tuerai et je ne laisserai vivre qu'Iguskia et Ithargia. - -Et voici que s'avancent les plus beaux adolescents des Aldudes, déguisés -en Iguskia et en Ithargia. Ils ne portent d'autres vêtements que celui -des pâtres, leur beauté éclate. - -Iguskia dit: - ---Maintenant tout le monde est mort autour de nous. La mer est refermée. -Jusqu'à présent, ô Ithargia, je n'avais pas entendu mon coeur battre. -Mais, en portant plus avant mes pas sur ces terres sans habitants, je le -sens frissonner comme un nid plein de chansons. Qu'est-ce? - -Et Ithargia: - ---Il se passe dans mon coeur la même chose que dans le tien: le pays -basque bat de l'aile et veut naître. - -Ainsi la pastorale se déroule devant l'Empereur. Les bergers, les -cultivateurs, les petits industriels naissants y jouent leur rôle. Alba -a posé avec amour sa tête sur l'épaule de Roland. Elle ne sait pas que -demain, elfe ne le reverra plus. L'empereur les bénit. Et, sur une roche -blanche, il y a un aubépin noir de soleil, et seul. - - - - -LES ÉTATS-GÉNÉRAUX - - -Ayant retiré de sa houppelande un mouchoir de soie brodé, si usé qu'il -eût pu appartenir au Juif errant, et ayant enlevé ses lunettes, Jacob -Meyer pleura. - -Cette sorte de broderie, dont le sujet, habilement mené, teinté, se -déroulait autour d'une chanson de geste que l'auteur des Robinsons -basques avait cru bon d'introduire là tout d'un coup, ne fit que -déconcerter davantage mon esprit critique. - -Nier le génie très personnel d'Eliézer, malgré le choix, ici, d'un thème -rebattu, autant prétendre que ma cousine Eva n'a pas les yeux bleus. -Mais quoi! Fallait-il que l'auteur fît entrer pêle-mêle, dans son poème, -tout ce qui lui passait et chantait par la tête, et qui se rapportait, -de près ou de loin, au pays basque? Et n'aurait-il pas relaté -l'enterrement de Roland dans la lune si sa cuisinière, comme celle que -j'avais jadis à Saint-Palais, le lui eût narré? - -Sans doute; car dans son genre d'affection hystérique, les étrangetés, -les contradictions, les inventions, les lacunes, les mimétismes, les -vraisemblances même, s'amalgament, cristallisent en formes très -diverses. - -Je dis à l'oncle et au neveu que je demeurais sous le charme, que -j'étais prêt à leur remettre avant peu la clef des grottes d'Isturitz (à -cette nouvelle ils poussèrent ensemble un soupir de soulagement), et -l'autorisation, pour eux, que j'attendais, d'un jour à l'autre, de M. -Passerose. - -J'ajoutai que je désirais auparavant leur rendre tant de gracieuses -attentions de leur part et les convier à un déjeuner qui, pour n'avoir -pas lieu aux Aldudes, en compagnie de Charlemagne et de Roland, ne les -intéresserait pas moins. - -Ce sera, fis-je observer à Eliézer, une occasion de mettre en jeu, une -fois de plus, vos belles qualités de synthèse, et de retrouver dans le -repas que je vous offrirai, et chez les convives, les éléments de -l'incomparable régal spirituel que vous venez de me servir. - -Voici, messieurs, continuai-je: - -Il est un antique usage basque dont ne fait pas mention votre légende, -puisqu'elle lui est antérieure, une tradition tout intime à laquelle je -voudrais vous initier: _les Etats-généraux du pays basque_, qui n'ont -aucune sorte de rapport avec une constitution politique, dont ils -s'éloignent par un caractère de franchise et de naturel. Ces -_Etats-généraux_ consistent en un déjeuner qui groupe annuellement ses -élus, tour à tour dans l'une de nos trois provinces, et chez leur -président temporaire. Cette assemblée se compose de vingt-cinq membres, -choisis parmi les plus marquants de l'_Eskualdunak_. En eux vous pourrez -voir revivre les origines ondicoliennes car, ayant l'honneur -présentement d'être à leur tête, Je vous convie, messieurs, à titre -d'érudits et conservateurs de notre charte, au prochain repas de nos -_Etats-généraux_ qui siégeront le trente août prochain, dans ma ferme de -Garris. - -Jacob Meyer et son neveu acceptèrent en me remerciant beaucoup. - -Mes _Etats-généraux_ n'étaient, en réalité, qu'un repas plantureux que -je voulais offrir à certaines personnalités du pays, qui s'étaient -employées avec moi pour soutenir la candidature d'un mien cousin -royaliste, Bathita Yturbide. Le nombre de mes invitations s'élevait donc -à vingt-six. - -Cette ripaille, je l'offris dans l'épaisse maison, bien blanchie pour la -circonstance, et dont on eût dit les contrevents passés au chocolat, de -ma propriété de Garris où, chaque année, j'allais faire l'ouverture de -la chasse. - -Garris est situé non loin de Saint-Palais où, dès la veille, Jacob et -Eliézer étaient descendus à l'hôtel Biracouritz. - -La matinée se leva radieuse, stridente de cigales, et l'ombre de mes -chênes massifs était, autant que la chaleur, écrasante. - -Je fis mes ablutions dans la source du verger où je me promenai quelques -temps en bretelles claires, tout réjoui par la perspective de ce -groupement de types basques, bien purs, comme les vins que j'allais leur -servir, et amusé à l'avance de la morale qu'en tireraient mes Juifs. - -Une prudence élémentaire exigeait que je ne les présentasse l'un et -l'autre aux _Etats-généraux_ que vaguement. - -Que je n'omette pas de dire que, pour me conformer à l'esprit du pays, -j'avais exclu les femmes, sinon cinq, pour cuisiner et nous servir avec -la meilleure grâce du monde. Le cordon bleu avait nom Magnana et ses -satellites Maïana, Yuana, Graciousa, Beronikéa. - -Deux seulement des membres conviés aux _Etats-généraux_ par leur -président s'excusèrent. - -Les vingt-deux autres, je les vis arriver un peu après midi, dans mon -domaine de Khourutçaidia, la plupart en de petits tape-cul les plus -inconfortables du monde, et que traînaient des haridelles. - -Mais un mélange de bonhomie et d'orgueil national se lisait sur leurs -faces. - -Plusieurs étaient vêtus ainsi qu'à l'habitude le noble ou le bourgeois -basque, avec beaucoup de soin et de propreté, de jaquettes et chaussés -de souliers à guêtres. - -Quelques vieillards, à barbe aussi blanche que la laine des brebis après -l'averse, montraient des joues d'églantine et des yeux bleus, d'un bleu -de bourrache. - -Certains coiffaient des pailles de Panama, d'autres des canotiers ou de -larges chapeaux melons. - -Les grands paysans portaient veston et béret, comme les deux pilotaris -et le danseur, mais ceux-ci arboraient des bottines jaunes. - -Quant aux prêtres, il y en avait deux, l'un curé d'une paroisse infime, -mais généreuse envers lui d'agneaux et de haricots, l'autre missionnaire -diocésain, âgés mais pleins de vie, de physionomie en relief, -autoritaires, brusques et sympathiques. On sentait que, de leurs mains -armées de gourdins, ils auraient assommé un taureau du premier coup et -que, de leurs énormes pieds enfouis dans des chaloupes de cuir ferrées, -ils eussent écrasé des lièvres. Quel contraste entre leur solide et -fruste architecture et l'ossature de ces deux mauviettes qui -descendirent de leur calèche de louage, les Meyer! - -Je présentai ces monteurs de légende, en estropiant légèrement leur nom, -ce que me facilitait la langue basque, «Meyera», comme étant des -ingénieurs de Bayonne. - -J'avais naturellement attribué les places d'honneur à M. le curé -d'Aïciritz et au père Bidondoa Ihidoïpé, de Hasparren. - -Etaient présents encore Bathita Yturbide, mon cousin et député -monarchiste, qui, durant sa législature, d'assez fraîche date il est -vrai, et, il est vrai aussi, pour défendre une noble cause, n'avait -trouvé qu'un juron navarrais qu'il vaut mieux que je ne rapporte pas -ici; - -Etchechoury, conseiller général, grand éleveur de chevaux, esprit -averti, mais si plein de son propre pays, que l'idée que l'on pût, dans -un poème, raconter que des Basques avaient vidé leurs assiettes jusqu'à -les faire miroiter l'enthousiasmait comme d'un chant d'Homère; - -Le comte de Macaye, grand amateur de déjeuners qui, en été, se -prolongent dans la fraîcheur des salles ombreuses et dallées, et, en -hiver, dans la tiédeur des hautes flammes rousses et crépitantes; -cavalier qui, au retour des foires, interpelle vertement les filles -pédestres; - -Pochelu, le juge de paix qui, à l'audience, tirait par les oreilles -toute femme qui prétendait avoir raison contre un homme; - -Algalarondo, le médecin, qui prescrivait à ses clients le jus d'herbes -de sa prairie, et les saignait à tout propos, avec son rasoir, dans son -plat à barbe; - -Oyharçabal, le potard, capable d'avaler sans nausée du boudin cru en -l'arrosant de maints cognacs, bitters, vermouths et litres de vins -rouges et blancs; - -Bidondo, le notaire, qui gavait des ortolans dans son étude; - -Etchecoin, le maire laboureur, vieux-garçon (carloche est le terme -basque), vivant avec ses onze soeurs célibataires (ou moutchourdines), -et chez qui l'on se régalait de chipes en sauce et d'une panchetta -célèbre; - -Mendigaray, son collègue, qui avait tenu et gagné le pari de manger en -un quart d'heure deux énormes foies de canard y compris leur graisse -chaude; - -Etcheto, un rougeaud, fabricant de chocolat; - -Haramboure l'Américain, enrichi, à Buenos-Ayres, dans le commerce du -cuir, et retiré à Hasparren; Larronde, le boulanger, qui buvait d'un -bouillon de corbeaux, enterrés préalablement; - -Mercapide, le boucher, qui vendait aux pêcheurs les asticots de sa -viande d'été, et ouvrait, à la même saison, un établissement de bains; -sa femme fabriquait des meringues; - -Hirigoyen, l'épicier, qui, lorsqu'il pesait du fromage, en rognait -l'excédent qu'il dégustait en lamelles devant l'acheteur; mais quelle -bonne odeur de café grillé dans sa boutique! - -Bordato, l'ancien marin de Terre-Neuve, qui représentait une compagnie -d'assurances: «la Céleste»; - -Bordachoury, le chasseur qui avait pris au piège à loup le lieutenant de -gendarmerie de Mauléon; - -Etchégaray, le contrebandier d'Ainhoa, et pilotari, dont les bidons -d'alcool avaient été troués par les balles des douaniers; - -Salagoïty, pilotari également, champion du monde à qui les Anglaises -mendiaient ses vieilles savates et sa culotte plus blanche qu'une maison -basque en août. Sur le carnet de l'une de ses admiratrices, il avait -écrit: «Amia nu, je n'ai pas peur de personne»; - -Pitphariatéguy, de Barcus, fils d'un amiral, mais qui, au grand -désespoir de la marine et des siens, se mêlait aux baladins, et, en -costume éclatant, faisait valser et pirouetter son cheval de bois; - -Enfin Paul Dupont, rentier, qui, malgré un nom si peu basque, l'était à -lui seul plus que tous les autres convives ensemble, mais on ne saurait -dire pourquoi: c'est une impression indéfinissable, une manière de se -montrer réservé après les libations nombreuses qu'il décidait à toute -occasion, avec le comte de Macaye et quelques hobereaux de la même -sorte. - -L'abbé Harriague, dans son livre sur la noblesse basque, démontre que -les ancêtres maternels de Paul Dupont prirent part à la croisade avec -saint Louis et Thibaut II. - -Il ne restait plus à leur descendant d'autre héroïsme que la chasse au -lièvre et à la palombe. - -Et je pense que voilà des _Etats-généraux_! - -Le gros et rubicond doyen d'Aïciritz récita le _Benedicite_, après quoi -le repas commença dans une sorte de silence que n'interrompaient que les -humements provoqués par le potage. - -Tous les Basques avaient la serviette passée au col, et même l'un d'eux -portait la sienne comme un enfant, de manière qu'elle imite sur la nuque -deux oreilles de lapin. - -Tandis que Jacob Meyer et son neveu prenaient des cachets, les autres -invités et moi-même ne songions qu'à remplir notre panse, et à ravir -notre odorat de ce nectar qui unissait à la saveur la plus délicate et -la plus onctueuse tout l'arome des potagers. - -Ma joie était grande d'entendre, à mesure que baissait le niveau du -consommé, l'argenterie taper du cul sur les assiettes, et de voir mes -hôtes, qui n'en voulaient perdre goutte, les soulever en les inclinant. - -La gourmandise a, dès l'abord, toutes les apparences de la timidité. - -C'est qu'un tel potage est rare. Il contient la sève même des graines, -convertie en une graisse fine qui vous regarde avec des oeils d'or, il a -la couleur rousse des volailles qui font se battre entre eux les coqs, -et il est brûlant comme le soleil des moissons. - -Mon ordinaire était d'un vin d'Irouléguy, âpre comme une nèfle, un peu -pétillant, et qui satisfait, en les râpant, les langues et les gosiers. -Les Meyer seuls le mouillèrent. - -On attendait qu'un convive élevât la voix pour que la conversation, qui -ne s'ébauchait qu'en sourdine, prît une tournure générale. Le docteur -Algalarondo ouvrit le feu en racontant que, la veille au soir, un -maquignon d'Uhart-Mixe avait porté un tel coup à un Bohémien qu'il lui -avait fallu beaucoup d'adresse pour extraire du crâne la douille de -cuivre éclatée du makhila. - ---Un sacripant de moins! s'écria le chocolatier Etcheto, qui redoutait -les malandrins. - -Ces vers de la légende basque me chantèrent: - - Il tient serré son makhila flexible - Dont on voit bien qu'un seul coup abattrait - Le Sarrazin avec son minaret. - ---Messieurs, interrogea doucement Eliézer, quelle origine pensez-vous -que l'on puisse assigner au Bohémien dont vous parlez? Ne serait-ce pas -un ancien Maure? - -Le père Bidondoa Ihidoïpé, qui ne manquait jamais de risquer un de ces -lamentables jeux de mots dont s'enorgueillissent, hélas! les gens -d'Eglise, prononça: - ---Il aurait pu rester dans sa tombe! - -Un mutisme incompréhensif accueillit ce trait d'esprit. Mais lorsque -Etchechoury, le conseiller général, l'eut traduit en basque et en -français, et fait entendre que le calembour portait sur «maure» et -«mort», l'éclat de rire fut homérique, et le père Bidondoa Ihidoïpé -sourit de satisfaction. - -Bathita Yturbide alors déclara en se servant copieusement de -poule-au-pot, de farce, et d'un pimenton rouge comme une course aux -taureaux, qu'Edouard Drumont, qu'il avait tout récemment rencontré à la -buvette de la Chambre des députés, l'avait assuré que les Bohémiens de -Saint-Palais ne sont qu'une lignée d'anciens Juifs, échappés jadis d'un -bagne du pays basque. - -Mon cousin fit part bien innocemment de cette opinion, mais les deux -Meyer en piquèrent un nez dans leurs assiettes. - ---Je reconnais bien l'idée fixe de Drumont, dis-je, pour amortir le -choc. - ---Moi, dit Mercapide, le boucher et baigneur, je n'ai vu ni Juif ni -nègre, mais je sais bien que si je rencontrais l'un ou l'autre je lui -fourrerais mon pied quelque part. - -En écoutant ces paroles si candides, comment n'aurais-je pas songé à -cette marche vers la race maudite, dans Pampelune, que peu de semaines -auparavant Eliézer avait évoquée: - - Auger qui sort de Mauléon la terre - Contre la gent est si fort en colère - Que l'on croirait qu'il porte le tonnerre. - -Je détournai, heureusement, la conversation; Hirigoyen, l'épicier, me -demanda si, réellement, la soupe dite «tortue» qui était inscrite au -menu d'une noce à laquelle il venait d'assister à Biarritz, était bien -de cet animal dont il avait vu un exemplaire dans un jardin. Je le -dissuadai. - -Haramboure l'Américain prit alors la parole: - ---Au Mexique, nous mangions d'excellent pot-au-feu de vraie tortue. - ---La fait-on bouillir avec sa tuile sur le dos? questionna Hirigoyen. - ---Non, fit Haramboure, on ouvre la bête à coup de hache. - ---Vous êtes un peu pâle, remarquai-je à voix basse, en me penchant vers -Eliézer. - ---Ce n'est rien. Le laxatif que j'ai pris aura raison d'un léger -trouble. Vos crus sont un peu forts. - ---Ne me parlez plus de toutes ces saletés, reprit Paul Dupont dont la -pensée allait au train de la tortue. Je voulus, il y a trente ans, -goûter une huître et je crus que j'allais rendre toute la mer. - -Graciousa et Beronikéa apportèrent les choux farcis, pressés et flanqués -de tranches d'andouille à vous emporter la bouche. - ---Quelle est la viande que vous préférez? demanda le comte de Macaye à -Paul Dupont. - ---En fait de chair, répondit textuellement celui-ci, en fait de chair, -je mangerais tout. Mais je déteste le poisson, excepté les truites. - ---Vous serez servi à souhait tout à l'heure, monsieur Dupont, -annonçai-je avec la fierté du maître de céans. - -Les dialogues varièrent: - ---Il faudrait, déclara Mendigaray, le grand mangeur, maire d'Amorots, -qui était vraiment imposant de calme et de dignité, que l'on nous -laissât vivre en paix dans notre province. Pourquoi les Français -veulent-ils nous obliger à leur payer l'impôt? - ---Comment, insinua Jacob Meyer, l'Etat pourrait-il subvenir à ses -lourdes charges si le contribuable se récuse et ne remplit pas son -devoir de citoyen? - -Avec le même flegme, et le même oeil bleu, si je peux dire, Mendigaray -repartit: - ---Je m'en fous, et vous aussi vous vous en foutez. - ---Moi, dit Etcheto, voici comme je raisonne: ma soeur fabrique de l'eau -de noix avec un sirop et de l'eau-de-vie. Si j'achète celle-ci chez un -épicier ou chez le pharmacien, je la paie cinq fois plus que si je me la -procure chez un contrebandier. - ---Vous portez atteinte à l'Etat, appuya sévèrement Eliézer qui soutenait -son oncle. - ---Qu'est-ce que l'Etat? demanda Etcheto. - -L'énorme curé d'Aïciritz, qui avait du bon sens, et parfois de l'esprit, -répliqua: - ---L'Etat, c'est d'une autre eau-de-vie. - -Cette définition rendit rêveurs ceux qui l'avaient, ou non, comprise. - -Les truites frites furent servies simplement avec des citrons. - ---Pour vous, monsieur Dupont, dis-je. - ---Merci! Elles sont d'une jolie robe, et doivent être à point. Vraiment, -il n'est de bon poisson que la truite. J'admets encore les anguilles en -matelote. - ---D'anguilles, raconta Larronde, l'homme au bouillon de corbeau, nous en -avons pris beaucoup à Amendeuch, cette année. Il n'est que d'avoir un -couteau bien aiguisé, à se mettre à califourchon au-dessus d'un -ruisseau, à bien épier au fond, et si l'on en voit une, de la décapiter -lestement. - ---Sapristi, s'écria Eliézer qui paraissait plutôt nerveux, mais... -mais... - ---Ce sont les descendants des guerriers de Pampelune, lui dis-je en -souriant. - ---Il est vrai, fit-il après un léger effort pour se remémorer. Et il se -tut. - ---Mes amis, proposai-je, acclamons Bordachoury? - -On venait de servir les lièvres. - ---Où les as-tu tués? demanda au vieux braconnier le comte de Macaye, -dont une rose ornait la boutonnière et qui buvait à plein bord les vins -d'Irouléguy, de Bordeaux et de Bourgogne. - ---Deux à Luxe-Sumberraute, monsieur le comte, le troisième, à Sala. - ---Et tu n'as plus pris de lieutenant de gendarmerie au piège? - ---Il en fut quitte pour une mâchure à la jambe, et attendit honteusement -jusqu'à ce qu'on l'en retirât. Un Basque n'agit pas ainsi! Il était -étranger. - -Je me penchai vers Eliézer et lui expliquai: - ---Bordachoury fait allusion à un braconnier de Mendionde qui, pris à un -horrible traquenard, n'hésita point à achever de s'arracher le pied avec -son couteau, pour s'enfuir. - -A ce moment, sans doute parce que ce trait, d'un caractère un peu trop -basque, lui porta au coeur, Eliézer s'évanouit sur sa chaise. - -Les prêtres qui venaient de se servir chacun une montagne de civet, -agrémenté de persil cru, dont l'un avait à sa bouche une branche -bougeante, n'eurent pas l'air de penser que leur commensal en fût à -l'article de la mort. Ils n'en perdirent pas une bouchée. Le père -Bidondoa Ihidoïpé s'écria: - ---Gaïchua! - -Le bon apôtre ne plaignait, par ce mot intraduisible, que la délicatesse -d'estomac d'Eliézer. Il ne concevait point, étant natif de Larceveau, -que les brutales et sanglantes conversations qui assaisonnaient ce repas -pussent le moins du monde réagir sur un organisme délicat. - -Jacob Meyer, fort ému, s'était levé pour étendre son neveu, lui -frictionner la poitrine, lui cingler la paume des mains. - ---Avez-vous de l'éther? me demanda-t-il. - -Je n'en avais pas. - -Le contrebandier Etchégaray dit: - ---J'ai apporté dans mon chahakoa un échantillon d'un tord-boyau espagnol -qui réveillerait un mort. Il n'y a qu'à desserrer les dents de ce -monsieur avec sa fourchette, et à lui faire avaler une gorgée en -pressant le cuir de l'outre. Elle pisse très bien. - -Je compris qu'un propos et un remède aussi grossiers révoltaient Jacob -Meyer. - ---Je ne peux admettre, déclara-t-il, ces moeurs de Papou! - -Bien heureusement fus-je seul, pas même les prêtres exceptés, à entendre -ce dernier mot. Je m'opposai de mon côté à ce que fût utilisée la vertu -de l'eau de feu, bien qu'Etchégaray ne comprît pas cette répugnance. - -Eliézer déjà revenait à lui lorsqu'on nous servit le filet de vache et -la salade. Il insista, car il avait de l'énergie, pour se rasseoir à -table où je lui fis servir une infusion brûlante qui le ragaillardit -tout à fait. - -Je regrettais beaucoup d'avoir embarqué l'oncle et le neveu dans une -pareille galère, avec des passagers si frustes, qui, pour n'être pas -moins, bien au contraire, de la race d'Ondicola, n'avaient rien conservé -des raffinements en usage sur la caravelle enchantée: l'_Eskualdunak_. - -Tandis que se succédaient les bouteilles, deux koblaris se levèrent tour -à tour, Etchechoury, l'éleveur de chevaux, conseiller général, et le -pilotari contrebandier, Etchégaray. - -ETCHECHOURY - - Ma joie est de vous rencontrer ici, Etchégaray. - Le repas que nous prenons nourrit mieux - Que le vent qui souffle à la frontière, - Et il vaut mieux contempler votre visage épanoui - Que les culottes de la douane. - -ETCHEGARAY - - Vous me lancez la balle. Je vous la renverrai, - Car n'oubliez pas que je fus champion du monde - Avec les Gascoïna, les Goroztiague. - Et, pour ce métier, mieux vaut avoir la minceur du peuplier - Que l'obésité de l'outre, fût-elle emplie du meilleur vin de - Catalogne. - -ETCHECHOURY - - Tu fais allusion à ma rotondité. - Pourrais-je, si je n'avais pas d'embonpoint, - Etaler aussi largement - Ma chaîne de montre aux yeux du peuple - Quand celui-ci se presse en foule - Aux rebots, quand tu joues à Pasaka? - -ETCHEGARAY - - Vous êtes une figure connue. - Dès que la première pelote est lancée, - On vous aperçoit assis sur le mur, - Tenant d'une main un chistéra, - Et, de l'autre, une ombrelle que vous faites tourner - Comme une auréole au-dessus de votre tête. - Seriez-vous déjà un saint? - -EICHECHOURY - - J'espère, du moins, de le devenir - A force de dîner dans la compagnie des prêtres, - C'est le cas de dire que, lorsqu'on a mangé avec eux, - Tous les plats sont bien curés. - -Une triple salve d'applaudissements salua ce jeu de mots que je n'ai pas -à traduire, car l'éleveur de chevaux le commit en français. - -Personnalité singulière que cet Etchechoury, parfaitement conscient de -cette vulgarité de langage et d'attitude, entretenue par lui à cause de -son amour de la tradition. - -Aucun koblari ne l'égalait dans ce terre-à-terre de la ripaille qui -rejoint, plus qu'un Eliézer ne le pense, le génie homérique. - -Dirai-je qu'à mon goût ce court dialogue égale, par sa grosse -simplicité, les plus belles pièces de l'antique? - -Mais il n'est pas que cette veine en pays eskuarien. Et Haramboure, -l'Américain enrichi retiré à Hasparren, nous montra quelle délicatesse -de sentiment peut s'allier à cette lourde joie de vivre. - -En effet, il chanta: - - O ma bien-aimée, tu m'as dit: - --Le plus beau des arbres c'est le hêtre - A cause de son ombre. - --Voici le plus noir de la forêt, - T'ai-je répondu. Je te le donne, - Fais-y notre nid. - - --Le saule est plus gracieux que le hêtre, - As-tu repris aussitôt, car il pleure. - --O ma bien-aimée, - Tant de sanglots sont sortis de mon coeur, - Qu'il y avait un étang à mes pieds - Où se reflétait le saule. - Mais tu as tout à coup déclaré; - --Au saule, je préfère le tilleul odorant - Où chante le rossignol. - - Alors, ô ma bien-aimée, - J'ai acheté du parfum à une Bohémienne - Habile aux philtres qui séduisent; - Et, pour ressembler tout à fait au tilleul, - J'ai mis un rossignol dans mon coeur, - Et il te chante ce chant. - Mais déjà, ô cruelle, je t'entends me dire: - --Le plus beau des arbres, c'est le chêne... - - --S'il en est ainsi, ô ma bien-aimée, - Fais, avec son bois, mon cercueil. - ---Comment, me demanda Eliézer dans l'admiration (et il y avait de quoi), -pouvez-vous concevoir un peuple à la fois si barbare et si raffiné? - ---Eh quoi! remarquai-je, Cythère n'est-elle ardue et montagneuse, hantée -des seuls chevriers, et dont pourtant Vénus est sortie... Et la légende -basque?... - - * * * * * - -Lorsque prirent fin ces singulières assises des _Etats-généraux_ -basques, la soirée était déjà avancée. - -J'entendis un à un s'égrener les grelots des calèches, des tape-cul et -des coucous, remportant aux quatre coins de l'horizon mes pittoresques -convives dont certains se détachaient jusqu'au torse sur un ciel couleur -d'omelette, de sauce tomate et de vin d'Irouléguy. - - - - -MA COUSINE ÉVA, UN TRÉSOR - - -Ma cousine Eva, de Bayonne, Basquaise pure, comptait dix-neuf ans. - -D'une forme joliment ronde, la joue rose, j'ai dit ailleurs que ses yeux -étaient bleus. Elle possédait ce caractère épanoui qu'ont les petites -filles sans dot. - -Elle était née d'un officier du génie et, demeurée seule dès son bas âge -avec sa mère, elle affectait des allures un peu trop libres dans le -monde. C'est que les mamans, et je n'ai pas le courage de les en trop -blâmer, lancent plutôt qu'elles ne retiennent une fille sans fortune à -la conquête d'improbables maris. - -Eva n'avait point à employer d'artifices pour connaître le succès, mais, -hélas! comme il arrive aux plus charmantes de son espèce, elle voyait -tour à tour ceux qui l'eussent volontiers épousée se décider plutôt pour -des laiderons d'or. - -De là, et bien qu'elle fût si jeune, une sorte de philosophie bonne -enfant, faite d'un peu de scepticisme et de beaucoup de gaieté. - -Eva jouait parfaitement la comédie, et je l'avais amenée, par exemple, -dans une comédie d'Alfred de Musset que je lui avais fait répéter, à -mettre en délire son auditoire. - -Eva était Eva. Et, quand on nommait Eva, les vieux et jeunes salonniers, -que Forain stigmatisait alors, se prenaient à sourire de la manière la -plus admirative et la plus bébête. - -J'invitais souvent Eva et sa mère à villégiaturer chez moi, en assez -nombreuse compagnie. - -Sans grand luxe, on se distrayait beaucoup. Les promenades à âne dans la -vallée, des parties de pêche à la ligne sont tout ce qu'il y a de mieux. -Nous composions aussi des charades animées où Eva excellait. - -Un soir que nous nous livrions à cet amusement, je me plus à tirer de -mon armoire la fameuse tunique nuptiale que j'avais fait couper et -broder à Toulouse, et je priai Eva de s'en revêtir dans la coulisse de -notre petite scène improvisée. - -Ce fut un ravissement. - -Si elle n'avait été ma cousine, je crois que je l'eusse demandée en -mariage ce soir-là, tant cette vieille dentelle, parcourue par ce long -narcisse, lui seyait. - -Eva et ses compagnes se montrèrent fort curieuses de connaître l'origine -de ce travail de fée. Et je leur appris, ce qui était la vérité, que je -m'étais passé la coûteuse fantaisie de le faire exécuter à Toulouse, par -des spécialistes hors de pair, sur un modèle proposé par une légende -basque. - -Ces petites se contentèrent d'admirer ce chef-d'oeuvre, sans autrement -se soucier de contrôler si, comme je le leur avais dit, les toutes -premières Basquaises comparaissaient dans ce costume devant leurs époux -enivrés. - -Dans la huitaine qui suivit son exhibition, la tunique nuptiale fut à -l'ordre du jour. - -Et Eva, qui était la meilleure fille du monde, la plus franche et la -plus sans façon, me prit à part pour me dire: - ---Mon cousin, tu commets une vilaine action en cachant une aussi -merveilleuse jupe dans un meuble, car tu peux bien penser que, si je me -montrais une seule fois à Biarritz, l'ayant mise, tous mes admirateurs -tomberaient à genoux en implorant ma main. - ---Il est vrai, Eva, qu'en te voyant ainsi déguisée pour la charade, je -me disais que la beauté des premières Basquaises, célébrée par la -légende, eût pâli devant la tienne. - -Elle éclata franchement de rire: - ---Il se peut, après tout, fit-elle. Me faut-il donc insister beaucoup -pour que je puisse me produire dans cet appareil devant un public, plus -intéressant pour moi que celui que tu as convié ici? - ---Je te remercie, dis-je sans me fâcher, de faire un si grand cas de mes -hôtes. - ---J'entends par «intéressant», reprit-elle, ce qui peut conduire au -mariage une jeune fille. - ---A la bonne heure! Voilà qui est net. - ---Tu ne veux cependant point que je tourne mal? - ---Non, car tu es trop bien faite pour cela. - ---En ce cas, répondit-elle avec une délicieuse ellipse, remets-moi ce -que je te demande. - ---La tunique? - ---Oui. - ---Eh bien, soit; mais à une condition. - ---Celle que tu voudras. - ---Eh bien! Eva, voici. J'ai résolu de monter, pour la fin de l'automne, -aux grottes d'Isturitz, un spectacle impressionnant auquel je veux -convier tout ce que notre pays compte de plus distingué. Il s'agit de -faire représenter, de cette légende basque dont je t'ai parlé, l'acte -qui m'engagea à confier l'exécution du vêtement à une vraie artiste. Tu -es ma principale vedette. Tu joues le rôle d'une Robinsonne basque. Tu -rends tous les hommes qui te verront ainsi fous de toi. Tu choisis qui -t'agréera le mieux. Et je mets dans ta corbeille la tunique nuptiale. - ---Tu es un bijou de poète, et me fais regretter presque de n'être que ta -cousine, et de ne pouvoir t'aimer qu'en partie! - ---Ce n'est pas tout, repris-je sans relever sa malice: il faudra -t'exercer, et, dans le lieu même que j'ai choisi, à Isturitz. - ---Cent fois plutôt qu'une, puisque la dentelle est à moi! - - - - -LA RÉPÉTITION GÉNÉRALE - - -Et, par un doux après-midi, nous allâmes donc, quelques jeunes fous et -folles, à la grotte dont le cerbère ne savait plus quelles attentions -délicates me témoigner depuis que je lui avais donné l'insigne marque de -confiance de déposer chez lui le trésor; et tantôt c'était d'un pot de -miel ou d'un lièvre, ou de truites, ou de ces écrevisses dont -l'ingestion avait déterminé chez Eliézer un accès de franchise -somnambulique. - -Ce jour là, Salbaya mit à la disposition de notre joyeuse bande ses -meilleurs fruits, son fromage frais, ses bottes de paille sèches, -renforcées de toutes ses chandelles, pour en illuminer jusqu'aux plus -sombres recoins de la crypte. - -Nous nous amusâmes fort, en esquissant la représentation de la Légende -dans ce même abri naturel dont la clémence avait jadis protégé Iguskia -et Ithargia. - -Eva n'était plus qu'un éblouissant éclat de rire. - -Mais, lorsque je la fis se coucher, tant soit peu en chien de fusil, -dans la fosse qui avait renfermé un trésor moins beau qu'elle, et dont -il fallait qu'elle ressurgît, après un sommeil de tant de siècles, -revêtue de la robe nuptiale, et telle qu'une Robinsonne ou Belle au Bois -dormant, on ne savait plus s'il fallait ou non garder son sérieux. - ---Le rôle que tu me fais jouer là est un peu lugubre? fit-elle. Tu as -l'air de mesurer mon caveau avant que je sois morte. Rappelle-toi que je -n'ai nulle envie de prendre mon rôle à la lettre. - ---Il faudra, ordonnai-je à Salbaya qui restait bouche bée devant ce -qu'il devait prendre pour une opération de sorcellerie, mais qui -tolérait décidément, sans le moindre murmure, mes faits et gestes les -plus extravagants, que vous agrandissiez un peu cette ouverture avant -d'y replacer le rocher que vous venez d'ôter. - ---Le fait est, fit Eva, que si ce trou doit devenir mon lit nuptial je -n'y serai pas au large. - -Elle ne croyait pas si bien dire. - -Tous les préparatifs qui devaient servir mon plan s'enchaînaient à -merveille, le plus simplement du monde, pour confondre Jacob Meyer et -son neveu. - -Lorsque je les revis chez eux, je leur déclarai que la clef était à leur -disposition, mais que M. Passerose m'avait déclaré ne consentir à la -leur livrer que s'ils la remettaient chaque soir au gardien ou à -moi-même. - ---Croyez, messieurs, leur dis-je, que je ne demande à conduire cette -affaire qu'à la plus grande satisfaction de tous, pour vous obliger le -mieux possible, et ne déplaire en rien à mon ami M. Passerose. Tout se -peut concilier. Il est donc convenu que, d'aujourd'hui en quinze, la -clef sera en votre possession, de dix heures du matin à six heures du -soir. J'ai donné ordre à Salbaya, qui vous la remettra, de vous laisser -seuls à vos fouilles. Quant à moi, vous m'excuserez de ne pouvoir me -joindre à vous, et m'associer à vos savantes recherches. Je m'absenterai -à ce moment. - -Je surpris un signe d'intelligence satisfait dans le double clin d'oeil -qu'échangèrent Jacob et Eliézer. - -Il ne me restait plus qu'à mobiliser ma cousine Eva au moment opportun. - -La veille du jour où la clef devait être prêtée à mes Juifs (je ne -doutais pas qu'ils ne voulussent se rendre à la grotte dès la première -minute) je leur fis tenir ce mot: - -«Demain, à dix heures précises, Salbaya vous confiera la clef.» - - - - -Il n'avait pas été difficile d'obtenir d'Eva et de sa mère qu'elles -revinssent passer une quinzaine dans ma villa, d'où l'on sait qu'en peu -de temps on peut gagner les grottes d'Isturitz. - -La belle enfant était toujours bonne, aussi heureuse de vivre, encore -qu'elle eût pu avoir alors quelque sujet de souci, ma tante ayant reçu, -deux jours avant leur arrivée, la visite de l'huissier. - -Ce n'est point que cette pauvre femme administrât mal sa fortune, mais -elle n'en avait point. J'avais gros coeur de cette situation. Je les -aidais bien dans quelque mesure, mais pas autant que je l'eusse désiré. -J'ai toujours eu un faible pour la Bohême innocente, et ma tante était -quelque peu de ce pays. - -Quant à sa fille, je l'eusse sans doute épousée si, comme je l'ai -expliqué, notre genre d'affection mutuelle, et nos jeux d'enfance qui se -continuaient en somme dans les grottes, n'avaient fait d'elle ma soeur -et, de moi, son frère. - -Mais elle était si jolie que je ne désespérais pas qu'elle sauvât, par -un mariage, une situation si obérée. Son alerte démarche de Basquaise, -aux pieds pointus, chaussés de blanches sandales, semblait chanter -toujours: «Suivez-moi!» - -Je m'imaginais très bien de la sorte une descendante immédiate d'Iguskia -et d'Ithargia, et je savais qu'elle jouerait à ravir, pour mes fins -vengeresses, devant Jacob et Eliézer, son rôle de Robinsonne de la -Légende. - - - - -LE TRIOMPHE D'ÉVA - - -La veille du jour qu'elle devait tenir le délicieux rôle que je lui -destinais: - ---Eva, dis-je, nous irons demain à Isturitz où tu voudras bien mettre en -oeuvre mes moindres instructions. Il te suffira de passer la tunique, -elle te sied à ravir, de te bien attifer et coiffer, et de te dissimuler -quelques minutes dans la fosse de la grotte, comme l'autre jour, jusqu'à -ce que deux originaux t'y découvrent, à leur grande surprise. - ---De quels originaux parles-tu? - ---Peu importe; tu n'as rien à redouter de leur présence; et, d'ailleurs, -je me tiendrai caché non loin de toi, tandis que tu rempliras cet office -d'enterrée. - ---Tu mets bien du mystère à ton jeu: ce n'est pas dans ton habitude. -Hais puisque le prix à remporter, si je me rends à tes caprices, est -cette robe de fée, sache que je suis à tes ordres. - ---Il te suffira, continuai-je, dès que tu te verras découverte--comme on -joue au cache-cache--de te redresser, soudain et, tel qu'un fantôme -gracieux, de gagner à pas lents et en silence la sortie. De là, en -quelques bonds, tu seras chez Salbaya, hors d'atteinte, jusqu'à ce que -je te rejoigne. - -L'action fut menée avec un art parfait. Sous prétexte de partie de -pêche, Eva et moi gagnâmes à l'aurore les grottes d'Isturitz et, avant -dix heures, elle revêtit la tunique légendaire, peu de temps avant que -le cerbère accompagnât, au même lieu, les Meyer empressés. - -Elle s'établit, sans froisser sa dentelle, dans la cachette où reposait -naguère le trésor. Le rocher qui en fermait l'entrée avait été, sur mon -avis, mis de côté par Salbaya. Quant à moi, le diable, avant même que la -chandelle fût morte, n'aurait su me distinguer des stalactites -environnantes. - - * * * * * - -Voici Jacob et Eliézer. - -J'entends gémir la grille, et que Salbaya remporte sa clef à lui, sans -refermer la serrure, et, tout à fait comme je lui en avais intimé -l'ordre, leur laissant croire qu'ils sont seuls tous les deux. - -Une lampe des plus perfectionnées, de spéléologue sans doute, qu'allume -Eliézer, transforme en palais radieux cette annexe de l'enfer. - -La luxuriante forêt de pierre apparaît, qui semble recouverte de rosée -par le scintillement des prismes naturels. Mais les deux coquins n'ont -cure de cette métamorphose souterraine. Ils déroulent leur décamètre; la -route s'ouvre librement devant eux, avec, au bout pensent-ils, l'objet -de leur longue convoitise. - ---C'est ici! prononcent-ils bientôt sans hésiter. - ---Ah! laisse-moi le premier mettre la main dessus! s'écrie Jacob Meyer -d'une voix rendue gutturale par la cupidité. - -Et, contournant le couvercle rocheux, il projette dans le trou un -faisceau de rayons. - -Aussitôt, comme enveloppée d'une lueur d'aube où s'épanouit le narcisse, -surgit Eva que je ne vois que de profil. - -Mais qu'elle est belle! - -Elle sourit. Elle fait, de ses bras ronds et de ses mains unies sous sa -nuque, un arc charmant, et elle bâille comme si elle sortait d'un -profond sommeil, montrant des dents qui valent toutes les perles du -trésor de la famille Passerose. - -Et, sous les yeux des deux Juifs pétrifiés comme les végétaux de la -grotte, elle s'en va. - -Je suis ravi de la perfection de son jeu et, tandis qu'il me faut -réprimer mon envie d'applaudir, je suis le témoin de ce dialogue -invraisemblable: - ---Eliézer? - ---Mon oncle? - ---Est-ce vrai? - ---Suis-je somnambule? - ---Suis-je somnambule? - ---Vous l'êtes. - ---Tu l'es. - ---L'avez-vous vue, mon oncle? - ---L'as-tu vue, Eliézer? - ---C'est une fille d'Ithargia. - ---C'est une fille d'Ithargia. - ---Elle portait la tunique nuptiale. - ---Le narcisse de la légende montait comme un jet d'eau jusqu'à son sein -neigeux. - ---Mais puisque nous avons inventé la légende? - ---Alors nous sommes fous? - ---Sommes-nous fous alors? - - * * * * * - -Mais tout à coup Jacob Meyer se ressaisit et s'écria: - ---Nous sommes volés! - -Et l'écho de la grotte répéta cette phrase. - -Ils ne furent pas longs à décamper comme des péteux, et n'allèrent point -demander des explications sur leur mésaventure à Salbaya, chez qui -bientôt je rejoignis Eva. - -La pauvre petite, avec qui je déjeunai gaiement en lui faisant part, -cette fois, sans en rien réserver, du mot de l'énigme, avait bien gagné -sa chemise de noces! Je souhaitais vivement de lui faire aussi don de -l'époux. Ce qui arriva comme on va le voir. - - - - -LA CONCLUSION INATTENDUE - - -Monsieur, commença Eliézer en s'asseyant dans le fauteuil que je lui -avançai, lorsqu'il vint me rendre visite deux mois après la farce qu'Eva -et moi lui avions si bien jouée, mon oncle et moi nous sommes deux -Juifs. - -Je reconnus la même phrase que le même Eliézer avait prononcée durant -son accès de somnambulisme, après avoir mangé des écrevisses, en cette -nuit qu'il m'avait tant effrayé. - -Mais, cette fois, il veillait, et je ressentais qu'il était on ne peut -plus conscient de lui-même. - -Cependant il continuait à me révéler ces mêmes choses qu'il m'avait -confessées, à son insu, durant son sommeil: - ---Et vous vous êtes aperçu que nous nous moquions de vous... Ne pensez -pas que je ne puisse être sincère... Et, la preuve en est, que je viens -vous faire cet aveu si pénible et si humiliant... Je vous le déclare -sans ambages: nous sommes des voleurs, mon oncle et moi, celui-ci ayant -découvert chez un bouquiniste du vieux Bayonne, et s'étant approprié un -document qu'il aurait dû remettre à la famille Passerose; et moi, en lui -prêtant mon concours, afin de nous emparer seuls d'un trésor dont ce -parchemin fait mention... Ce trésor... - -Eliézer poursuivit son discours, et j'en reconnaissais chaque mot comme -déjà l'ayant entendu au cours de sa crise nocturne: - ---Il fallait, disait-il, vous gagner, afin d'obtenir la clef des grottes -et le droit de pénétrer librement dans le flanc de la colline. - - * * * * * - -Quand ce singulier pénitent, fort bien éveillé, en eut terminé avec sa -confession renouvelée, il y ajouta, si je peux dire, un inédit qui me -stupéfia par sa conclusion inattendue. - ---Nul doute, fit-il, monsieur, que notre obscure machination ne vous ait -été révélée par une voie que j'ignore, et que vous l'ayez prévenue et -déjouée avec beaucoup d'esprit. - -J'eus un sourire d'approbation flattée. - ---Vous avez, continua-t-il, commencé de nous brimer en nous mettant, mon -oncle et moi, en contact avec le réalisme un peu brutal de vos -_Etats-généraux_ de Garris, dont j'avais compris l'allusion. Et vous -avez ensuite substitué au trésor que vous avez mis en sûreté la plus -jolie fille du monde. - -Je souris encore. - ---Il n'est pas de beauté, fit Eliézer, qui puisse être, même de loin, -comparée à la sienne; ni d'Ithargia; ni des vierges de l'_Amodioa_ dont -les voiles étaient gonflées par la brise qui sortait des joues rebondies -de l'Amour. Mon inspiration poétique, si géniale soit-elle, demeure, -monsieur, tellement au-dessous du modèle que m'offre, après coup, la -vérité vivante, que j'en demeure confus. Je ne saurais me payer de mots. -Comment ma pâle invention lyrique a-t-elle pu susciter, en chair et en -os, la vraie Robinsonne basque, le moule parfait, capable, selon le voeu -d'Ondicola, de refaire une race. Or... - ---Or? - ---Je veux reconstituer la mienne. - ---Quoi? dis-je, vous voulez épouser Eva? - -(Je lui jetai ainsi le prénom de ma cousine, tant cet épilogue me jetait -dans le désarroi.) - ---Oui, monsieur, je veux m'unir à elle, en lui offrant, avec une -dotation de huit cent mille francs de rente, ma sincère conversion -religieuse. - ---Ah! bah? - ---Une pareille beauté, dont la grâce ne m'a point permis de supposer un -seul instant qu'elle n'appartînt à une vierge, ne saurait être dans -l'erreur. - ---Peste! fis-je, me demandant quelle valeur un théologien accorderait à -cette manière d'envisager la foi catholique!... Mais... Ne m'a-t-on pas -assuré que vous êtes parfois sujet à des crises somnambuliques? - ---Croyez, monsieur, qu'avec Eva, puisque ainsi elle s'appelle, je ne -saurais vivre que dans un rêve enchanté, ou rêver dans la plus suave des -veilles: ce qui est le lot des plus fortunés. - -Eliézer se retira sur ces paroles exquises, après m'avoir chargé de -demander pour lui à ma tante la main de ma cousine, que je comptais bien -qu'après une entrevue prochaine il n'obtiendrait pas. - - - - ---Je ne trouve pas Eliézer mal du tout, me dit Eva après cette entrevue -qui se passa chez moi. Il m'a très franchement marqué son repentir -d'avoir trempé dans les roueries de son oncle, et il m'a déclaré n'en -vouloir retenir que l'amusant poème auquel elles ont donné lieu, et où -l'on se moque de toi délicieusement. Il m'en a lu quelques passages, -mais sais-tu qu'ils sont fort beaux? - ---Oui. - ---J'apprécie tes vers; mais laisse-moi t'avouer que rien, dans ton -oeuvre, ne m'a ému autant que cette légende basque. Et, puisque son -auteur m'a choisie pour être, en chair et en os, et d'esprit, la -Robinsonne qui l'inspire, apprends que je me sens apte tout à fait à lui -susciter une race de choix. - ---Celle même d'un somnambule? demandai-je piqué. - ---Rien, me répondit-elle, n'est plus charmant que l'Amour endormi. - -Bref, il me fallut rengainer ma mauvaise humeur et mon dépit. La pauvre -chose qu'un coeur d'homme! - -Voici quelques jours à peine, je désirais d'autant plus le bonheur et la -prospérité de cette enfant que je craignais qu'elle ne fût condamnée au -célibat des jeunes filles sans dot. - -Quant à l'affection de camarade que je lui portais, et qu'elle me -rendait, je m'en suis expliqué: elle était de telle sorte qu'elle -semblait ne pouvoir engendrer cette jalousie où la beauté physique entre -comme élément. - -Et, néanmoins, je rongeais mon frein, tout capot qu'Eliézer eût, ne -fût-ce que par sa fortune, fait la conquête d'Eva. - -La mère de celle-ci, trop satisfaite d'échapper à ses créanciers, ne fit -aucune opposition, bien au contraire; et il me fallut, bon gré, mal gré, -par convenance, chaperonner Eta et Eliézer à travers la lune de miel de -leurs fiançailles, me prêter à leurs fantaisies, et, ce qui me fut le -plus humiliant, les surveiller. - -Je ne pus même me refuser à les ramener à Isturitz où ma cousine eut un -accès d'hilarité en revoyant la fosse qui lui avait servi de sépulcre et -qu'elle nomma Cette foi: «Le berceau de la race.» - -J'enrageais. Quant au futur époux, il était tout transformé. Il me -demanda, pour lui éclaircir quelques points d'une théologie qu'il avait -déjà pas mal étudiée, un guide averti, et je ne sus mieux faire que de -le confier au missionnaire qu'il avait rencontré au cours du repas des -_Etats-généraux_ basques: le père Bidondoa Ihidoïpé. - -Celui-ci trouva fort édifiant son catéchumène qui lui fit cadeau d'un -microscope, d'une jumelle de spectacle et de l'_Histoire de la -Révolution française_, en dix volumes, de M. Thiers, oeuvre que le -donateur ne voulut point conserver la trouvant désormais entachée -d'hérésies. - -Au physique, peut-être à cause que le Malin se retirait de lui, Eliézer -était devenu presque un joli homme. Grâce à un nommé Perron, poète et -coiffeur de Bayonne, qui avait résolu, pour son client, une coupe de -cheveux et de barbe dite «jardin à la française», il avait quinze ans de -moins. - -Ce rajeunissement m'agaçait tout autant que le reste du personnage, mais -ce qui porta au comble mon dépit fut d'avoir à réentendre l'étonnant -chapitre de la Légende où Roland et Aude, dans les montagnes des -Aldudes, viennent saluer Charlemagne. - -J'eus beau me répéter que le poème n'avait ni queue ni tête, il fallut -bien me rendre à l'évidence du contraire lorsque se penchant vers -Eliézer assis sur l'un des bancs de mon petit parc, Eva lui décocha le -plus sonore des baisers. - -Alors, je devins ridicule. Et, poussé par l'esprit de bassesse que la -rivalité fait naître chez ceux-là mêmes qui ne sont pas les pires, -j'allai jusqu'à lui déclarer, lorsque, nous fûmes en tête à tête, que je -trouvais fâcheux qu'elle consentît à épouser un homme qui, ne fût-ce -qu'un moment, s'était fait le complice d'un vol. - -Elle me répondit que je n'étais qu'un pharisien; qu'il est d'autres -larcins plus graves que de perles, dont le commun fait assez bon marché, -ne serait-ce que de ravir les femmes d'autrui; et que, d'ailleurs, si -j'étais chrétien le moins du monde, il me fallait bien admettre que le -passage du judaïsme au christianisme sanctifierait son cher _Zézer_. - -Je faillis gifler la superbe fille en l'entendant forger un si amoureux -diminutif. - -Elle ajouta que, si invraisemblable et si décousue que fût la Légende, -elle faisait siennes les idées d'Ondicola sur la réfection d'un peuple, -et que, n'ayant jamais rencontré, parmi les jeunes coureurs de plages, -un seul Iguskia, elle leur substituerait Eliézer. Ce n'est pas que -l'esprit lui manque, ni même le génie, assura-t-elle, en me regardant -bien en face. Il n'en a que trop. Quant à ce qui regarde le reste, tu -m'as vu faire, à la nage, le tour du grand rocher de Biarritz. Je ne -demanderai à mes enfants que de... - ---Passer la mer Rouge avec les chameaux de leur père? - -Elle me regarda avec un certain mépris attristé: - ---On dirait, ma parole, que tu es jaloux! - -Jacob Meyer fut ému jusqu'aux larmes, car il était sentimental, en -apprenant, de son neveu, la conclusion pratique d'une histoire aussi -irréelle. - -Il s'excusa de la tentative indélicate ou il l'avait engagé. De son -meuble le plus secret il retira, pour les offrir à sa future nièce, de -tels joyaux que le trésor de la famille Passerose ne les égalait point. - -La persuasion se fit alors en moi que le vieil artiste antiquaire avait -moins agi par amour du lucre qu'à cause de la passion innée de -l'Israélite pour les pierres. - - - - -OÙ LA RACE BASQUE TRIOMPHE DE L'ÉTRANGER - - -Le mariage eut lieu, béni par le père Bidondoa Ihidoïpé. - -Quatorze mois après j'invitai mes cousin et cousine dans la même ferme -de Garris où j'avais convié, deux années auparavant, les soi-disant -membres des Etats généraux. - -Sur le désir que m'en exprima Eliézer, je réinvitai à un large déjeuner -les mêmes bons Basques devant lesquels il s'était évanoui. Il avait si -bonne mine que je doute qu'ils le reconnurent. Il ne décela aucune -faiblesse, se montra gaillard dans la conversation, mangea comme quatre -des mets les plus lourds, et dégusta, en regardant sa femme qui l'y -poussait, bon nombre d'écrevisses que j'avais fait servir par malignité. -Il but des vins les plus forts. A peine si Paul Dupont put tenir devant -lui. On eût dit qu'Eva lui avait infusé la vieille sève des Robinsons -basques. - -Et ce fut une ovation lorsque, au dessert, on nous présenta un enfant -qui semblait être le fils de Gargantua et de Gargamelle. - ---Regarde-le, me cria Eva qui était allée lui donner à téter, et qui -revenait vêtue de la tunique nuptiale qui la rendait plus séduisante -encore, mais regarde-le donc! C'est le fils d'Iguskia et d'Ithargia! Et -viens, après cela, prétendre que la légende basque n'est point vraie! - - * * * * * - -Eliézer, qui s'appelait maintenant Philippe, sourit dans sa barbe. - - - - -TABLE DES MATIÈRES - - - INTRODUCTION 5 - - LES BASQUES ABORDENT EN TERRE VIERGE 7 - FONDATION DU PREMIER FOYER 26 - LA GÉNÉALOGIE 38 - FORMATION DES PRINCIPAUX COUPLES 46 - LE JOUR ET LA NUIT A ASCAIN 57 - LE SIÈGE DE PAMPELUNE 75 - CHANT D'AMOUR DE TIRUZTAYA ET DE LÔRÉA 86 - LA VÉRITÉ DANS LE RÊVE 108 - LES FIANÇAILLES DE ROLAND ET D'AUDE 117 - LES ÉTATS-GÉNÉRAUX 139 - MA COUSINE ÉVA, UN TRÉSOR 173 - LA RÉPÉTITION GÉNÉRALE 180 - LE TRIOMPHE D'ÉVA 187 - LA CONCLUSION INATTENDUE 194 - OÙ LA RACE BASQUE TRIOMPHE DE L'ÉTRANGER 207 - - - - - ACHEVÉ D'IMPRIMER - le vingt-six janvier mil neuf cent vingt-cinq - PAR - MARC TEXIER - A POITIERS - pour le - MERCVRE - DE - FRANCE - - -*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROBINSONS BASQUES *** - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the -United States without permission and without paying copyright -royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part -of this license, apply to copying and distributing Project -Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm -concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, -and may not be used if you charge for an eBook, except by following -the terms of the trademark license, including paying royalties for use -of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for -copies of this eBook, complying with the trademark license is very -easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation -of derivative works, reports, performances and research. Project -Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away--you may -do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected -by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark -license, especially commercial redistribution. - -START: FULL LICENSE - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg-tm License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project -Gutenberg-tm electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all -the terms of this agreement, you must cease using and return or -destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your -possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a -Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound -by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the -person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph -1.E.8. - -1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be -used on or associated in any way with an electronic work by people who -agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few -things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works -even without complying with the full terms of this agreement. See -paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project -Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this -agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm -electronic works. See paragraph 1.E below. - -1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the -Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection -of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual -works in the collection are in the public domain in the United -States. If an individual work is unprotected by copyright law in the -United States and you are located in the United States, we do not -claim a right to prevent you from copying, distributing, performing, -displaying or creating derivative works based on the work as long as -all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope -that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting -free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg-tm -works in compliance with the terms of this agreement for keeping the -Project Gutenberg-tm name associated with the work. You can easily -comply with the terms of this agreement by keeping this work in the -same format with its attached full Project Gutenberg-tm License when -you share it without charge with others. - -1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern -what you can do with this work. Copyright laws in most countries are -in a constant state of change. If you are outside the United States, -check the laws of your country in addition to the terms of this -agreement before downloading, copying, displaying, performing, -distributing or creating derivative works based on this work or any -other Project Gutenberg-tm work. The Foundation makes no -representations concerning the copyright status of any work in any -country other than the United States. - -1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: - -1.E.1. The following sentence, with active links to, or other -immediate access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear -prominently whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work -on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the -phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, -performed, viewed, copied or distributed: - - This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and - most other parts of the world at no cost and with almost no - restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it - under the terms of the Project Gutenberg License included with this - eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the - United States, you will have to check the laws of the country where - you are located before using this eBook. - -1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is -derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not -contain a notice indicating that it is posted with permission of the -copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in -the United States without paying any fees or charges. If you are -redistributing or providing access to a work with the phrase "Project -Gutenberg" associated with or appearing on the work, you must comply -either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or -obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg-tm -trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9. - -1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted -with the permission of the copyright holder, your use and distribution -must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any -additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms -will be linked to the Project Gutenberg-tm License for all works -posted with the permission of the copyright holder found at the -beginning of this work. - -1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm -License terms from this work, or any files containing a part of this -work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. - -1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this -electronic work, or any part of this electronic work, without -prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with -active links or immediate access to the full terms of the Project -Gutenberg-tm License. - -1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, -compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including -any word processing or hypertext form. However, if you provide access -to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format -other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official -version posted on the official Project Gutenberg-tm website -(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense -to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means -of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain -Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the -full Project Gutenberg-tm License as specified in paragraph 1.E.1. - -1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, -performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works -unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. - -1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing -access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works -provided that: - -* You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from - the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method - you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed - to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has - agreed to donate royalties under this paragraph to the Project - Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid - within 60 days following each date on which you prepare (or are - legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty - payments should be clearly marked as such and sent to the Project - Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in - Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg - Literary Archive Foundation." - -* You provide a full refund of any money paid by a user who notifies - you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he - does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm - License. You must require such a user to return or destroy all - copies of the works possessed in a physical medium and discontinue - all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm - works. - -* You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of - any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the - electronic work is discovered and reported to you within 90 days of - receipt of the work. - -* You comply with all other terms of this agreement for free - distribution of Project Gutenberg-tm works. - -1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project -Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than -are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing -from the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager of -the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the Foundation as set -forth in Section 3 below. - -1.F. - -1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable -effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread -works not protected by U.S. copyright law in creating the Project -Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm -electronic works, and the medium on which they may be stored, may -contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate -or corrupt data, transcription errors, a copyright or other -intellectual property infringement, a defective or damaged disk or -other medium, a computer virus, or computer codes that damage or -cannot be read by your equipment. - -1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right -of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project -Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project -Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all -liability to you for damages, costs and expenses, including legal -fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT -LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE -PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE -TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE -LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR -INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH -DAMAGE. - -1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a -defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can -receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a -written explanation to the person you received the work from. If you -received the work on a physical medium, you must return the medium -with your written explanation. The person or entity that provided you -with the defective work may elect to provide a replacement copy in -lieu of a refund. If you received the work electronically, the person -or entity providing it to you may choose to give you a second -opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If -the second copy is also defective, you may demand a refund in writing -without further opportunities to fix the problem. - -1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth -in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO -OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT -LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. - -1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied -warranties or the exclusion or limitation of certain types of -damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement -violates the law of the state applicable to this agreement, the -agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or -limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or -unenforceability of any provision of this agreement shall not void the -remaining provisions. - -1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the -trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone -providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in -accordance with this agreement, and any volunteers associated with the -production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm -electronic works, harmless from all liability, costs and expenses, -including legal fees, that arise directly or indirectly from any of -the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this -or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or -additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any -Defect you cause. - -Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm - -Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of -electronic works in formats readable by the widest variety of -computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It -exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations -from people in all walks of life. - -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's -goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg-tm and future -generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see -Sections 3 and 4 and the Foundation information page at -www.gutenberg.org - -Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation - -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by -U.S. federal laws and your state's laws. - -The Foundation's business office is located at 809 North 1500 West, -Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up -to date contact information can be found at the Foundation's website -and official page at www.gutenberg.org/contact - -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without -widespread public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine-readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. - -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. Compliance requirements are not uniform and it takes a -considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up -with these requirements. We do not solicit donations in locations -where we have not received written confirmation of compliance. To SEND -DONATIONS or determine the status of compliance for any particular -state visit www.gutenberg.org/donate - -While we cannot and do not solicit contributions from states where we -have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition -against accepting unsolicited donations from donors in such states who -approach us with offers to donate. - -International donations are gratefully accepted, but we cannot make -any statements concerning tax treatment of donations received from -outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. - -Please check the Project Gutenberg web pages for current donation -methods and addresses. Donations are accepted in a number of other -ways including checks, online payments and credit card donations. To -donate, please visit: www.gutenberg.org/donate - -Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works - -Professor Michael S. Hart was the originator of the Project -Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be -freely shared with anyone. For forty years, he produced and -distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of -volunteer support. - -Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in -the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not -necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper -edition. - -Most people start at our website which has the main PG search -facility: www.gutenberg.org - -This website includes information about Project Gutenberg-tm, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. |
