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+<title>The Project Gutenberg EBook of Les Fleurs du Mal, par Charles Baudelaire</title>
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+<pre>
+The Project Gutenberg EBook of Les Fleurs du Mal, by Charles Baudelaire
+
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+
+Title: Les Fleurs du Mal
+
+Author: Charles Baudelaire
+
+Release Date: July, 2004 [EBook #6099]
+[Yes, we are more than one year ahead of schedule]
+[This file was first posted on November 5, 2002]
+
+Edition: 10
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES FLEURS DU MAL ***
+
+
+
+
+Produced by Tonya Allen, Julie Barkley, Juliet Sutherland,
+Charles Franks and the Online Distributed Proofreading Team.
+
+
+
+
+
+</pre>
+<h1>
+LES FLEURS DU MAL</h1>
+
+<h2>
+par</h2>
+
+<h2>
+CHARLES BAUDELAIRE</h2>
+
+<p>
+<i>Pr&eacute;face par Henry FRICHET</i></p>
+
+
+
+<p>[Illustration]</p>
+
+<h2>
+PR&Eacute;FACE</h2>
+
+
+<p>
+Charles Baudelaire avait un ami, Auguste Poulet-Malassis, ancien &eacute;l&egrave;ve
+de l'&eacute;cole des Chartes, qui s'&eacute;tait fait &eacute;diteur par go&ucirc;t pour les
+raffinements typographiques et pour la litt&eacute;rature qu'il jugeait en
+&eacute;rudit et en artiste beaucoup plus qu'en commer&ccedil;ant; aussi bien ne fit-
+il jamais fortune, mais ses livres devenus assez rares sont depuis
+longtemps tr&egrave;s recherch&eacute;s des bibliophiles.</p>
+
+<p>
+Les po&eacute;sies de Baudelaire diss&eacute;min&eacute;es un peu partout dans les petits
+journaux d'avant-garde comme le <i>Corsaire</i> et jusque dans la grave
+<i>Revue des Deux-Mondes,</i> n'avaient point encore, en 1857, &eacute;t&eacute;
+r&eacute;unies en volume. Poulet-Malassis, que le g&eacute;nie original de Baudelaire
+enthousiasmait, s'offrit de les publier sous le titre de <i>Fleurs du
+Mal,</i> titre neuf, audacieux, longtemps cherch&eacute; et trouv&eacute; enfin non
+point par Baudelaire ni par l'&eacute;diteur, mais par Hippolyte Babou.</p>
+
+<p>
+Les <i>Fleurs du Mal</i> se pr&eacute;sentaient comme un bouquet po&eacute;tique
+compos&eacute; de fleurs rares et v&eacute;n&eacute;neuses d'un parfum encore ignor&eacute;. Ce fut
+un succ&egrave;s--succ&egrave;s d'ailleurs pr&eacute;par&eacute; par la <i>Revue des Deux-
+Mondes</i> qui, en accueillant un an auparavant quelques po&eacute;sies de
+Baudelaire, avait mis sa responsabilit&eacute; &agrave; couvert par une note
+singuli&egrave;rement prudente. De nos jours une pareille note ressemblerait
+fort &agrave; une r&eacute;clame d&eacute;guis&eacute;e:</p>
+
+<p>
+&laquo; Ce qui nous para&icirc;t ici m&eacute;riter l'int&eacute;r&ecirc;t, disait-elle, c'est
+l'expression vive, curieuse, m&ecirc;me dans sa violence, de quelques
+d&eacute;faillances, de quelques douleurs morales, que, sans les partager ni
+les discuter, on doit tenir &agrave; conna&icirc;tre comme un des signes de notre
+temps. Il nous semble, d'ailleurs, qu'il est des cas o&ugrave; la publicit&eacute;
+n'est pas seulement un encouragement, o&ugrave; elle peut avoir l'influence
+d'un conseil utile et appeler le vrai talent &agrave; se d&eacute;gager, &agrave; se
+fortifier, en &eacute;largissant ses voies, en &eacute;tendant son horizon. &raquo;</p>
+
+<p>
+C'&eacute;tait se m&eacute;prendre &eacute;trangement que de compter sur la publicit&eacute; pour
+amener Baudelaire &agrave; r&eacute;sipiscence; le parquet imp&eacute;rial ne prit pas tant
+de m&eacute;nagements. Le livre &agrave; peine paru, fut d&eacute;f&eacute;r&eacute; aux tribunaux. Tandis
+que Baudelaire se h&acirc;tait de recueillir en brochure les articles
+justificatifs d'Edmond Thierry, Barbey d'Aurevilly, Charles Asselineau,
+etc..., il sollicitait l'amiti&eacute; de Sainte-Beuve et de Flaubert (tout
+r&eacute;cemment poursuivi pour avoir &eacute;crit <i>Madame Bovary</i>), des moyens
+de d&eacute;fense dont les minutes ont &eacute;t&eacute; conserv&eacute;es et dont il transmettait
+la teneur &agrave; son avocat, Me Chaix d'Est-Ange. Sur le r&eacute;quisitoire de M.
+Pinard (alors avocat g&eacute;n&eacute;ral et plus tard ministre de l'Int&eacute;rieur), le
+d&eacute;lit d'offense &agrave; la morale religieuse fut &eacute;cart&eacute;, mais en raison de la
+pr&eacute;vention d'outrage &agrave; la morale publiques et aux bonnes moeurs, la
+Cour pronon&ccedil;a la suppression de six pi&egrave;ces: <i>Lesbos, Femmes damn&eacute;es,
+le Leth&eacute;, A celle qui est trop gaie, les Bijoux et les M&eacute;tamorphoses du
+Vampire,</i> et la condamnation &agrave; une amende de l'auteur et de
+l'&eacute;diteur (21 ao&ucirc;t 1857).</p>
+
+<p>
+Le dommage mat&eacute;riel ne fut pas consid&eacute;rable pour Malassis; l'&eacute;dition
+&eacute;tait presque &eacute;puis&eacute;e lors de la saisie.</p>
+
+<p>
+Tout d'abord, Baudelaire voulut protester. On a retrouv&eacute; dans ses
+papiers le brouillon de divers projets de pr&eacute;faces qu'il abandonna lors
+de la r&eacute;impression &agrave; la fois diminu&eacute;e et augment&eacute;e des <i>Fleurs du
+Mal</i> en 1861. Cette mutilation de sa pens&eacute;e par autorit&eacute; de justice
+avait eu pour r&eacute;sultat de rendre les directeurs de journaux et de
+revues tr&egrave;s m&eacute;fiants &agrave; son &eacute;gard, lorsqu'il leur pr&eacute;sentait quelques
+pages de prose ou des po&eacute;sies nouvelles; sa situation p&eacute;cuniaire s'en
+ressentit. Il travaillait lentement, &agrave; ses heures, toujours pr&eacute;occup&eacute;
+d'atteindre l'id&eacute;ale perfection et ne traitant d'ailleurs que des
+sujets auxquels le grand public &eacute;tait alors (encore plus
+qu'aujourd'hui) compl&egrave;tement &eacute;tranger.</p>
+
+<p>
+Lorsque Baudelaire posa en 1862 sa candidature aux fauteuils
+acad&eacute;miques laiss&eacute;s vacants par la mort de Scribe et du P&egrave;re
+Lacordaire, il &eacute;tait, dans sa pens&eacute;e, de protester ainsi contre la
+condamnation des <i>Fleurs du Mal.</i> L'insucc&egrave;s de Baudelaire &agrave;
+l'Acad&eacute;mie n'&eacute;tait pas douteux. Ses amis, ses vrais amis, Alfred de
+Vigny et Sainte-Beuve, lui conseill&egrave;rent de se d&eacute;sister, ce qu'il fit
+d'ailleurs en des termes dont on appr&eacute;cia la modestie et la convenance.</p>
+
+<p>
+On a beaucoup parl&eacute; de la vie douloureuse de Baudelaire: manque
+d'argent, sant&eacute; pr&eacute;caire, absence de tendresse f&eacute;minine, car sa
+ma&icirc;tresse Jeanne Duval, une jolie fille de couleur qu'il appelait son &laquo;
+vase de tristesse &raquo;, n'&eacute;tait qu'une sotte dont le c&oelig;ur et la pens&eacute;e
+&eacute;taient loin de lui. Son seul esprit, son m&eacute;chant esprit &eacute;tait de
+tourner en ridicule les manies de son ami. Cependant elle &eacute;tait
+charmante, nous dit Th&eacute;odore de Banville, &laquo; elle portait bien sa brune
+t&ecirc;te ing&eacute;nue et superbe, couronn&eacute;e d'une chevelure violemment crespel&eacute;e
+et dont la d&eacute;marche de reine pleine d'une gr&acirc;ce farouche, avait &agrave; la
+fois quelque chose de divin et de bestial &raquo;. Et Banville ajoute: &laquo;
+Baudelaire faisait parfois asseoir Jeanne devant lui dans un grand
+fauteuil; il la regardait avec amour et l'admirait longuement; il lui
+disait des vers dans une langue qu'elle ne savait pas. Certes, c'est l&agrave;
+peut-&ecirc;tre le meilleur moyen de causer avec une femme dont les paroles
+d&eacute;tonneraient, sans doute, dans l'ardente symphonie que chante sa
+beaut&eacute;; mais il est naturel aussi que la femme n'en convienne pas et
+s'&eacute;tonne d'&ecirc;tre ador&eacute;e au m&ecirc;me titre qu'une belle chatte. &raquo;</p>
+
+<p>
+Baudelaire n'aima qu'elle et il l'aima exclusivement pour sa beaut&eacute;,
+car depuis longtemps, peut-&ecirc;tre depuis toujours, il avait senti qu'il
+&eacute;tait seul aupr&egrave;s d'elle, que les hommes sont irr&eacute;vocablement seuls.
+Personne ne comprend personne. Nous n'avons d'autre demeure que nous-
+m&ecirc;mes. Tout son dandysme fut fait de ce splendide isolement. Toutefois
+sa sensibilit&eacute; &eacute;tait d'autant plus profonde qu'elle semblait moins
+apparente. Rien ne la r&eacute;v&eacute;lait. Il avait l'air froid, quelque peu
+distant, mais il subjuguait. Ses yeux couleur de tabac d'Espagne, son
+&eacute;paisse chevelure sombre, son &eacute;l&eacute;gance, son intelligence,
+l'enchantement de sa voix chaude et bien timbr&eacute;e, plus encore que son
+&eacute;loquence naturelle qui lui faisait d&eacute;velopper des paradoxes avec une
+magnifique intelligence et on ne saurait dire quel magn&eacute;tisme personnel
+qui se d&eacute;gageait de toutes les impressions refoul&eacute;es au-dedans de lui,
+le rendaient extr&ecirc;mement s&eacute;duisant. H&eacute;las! toutes ces belles qualit&eacute;s
+ne le servirent point--du moins financi&egrave;rement--il ignorait l'art de
+monnayer son g&eacute;nie. Ainsi, pratiquement du moins, comme tant d'autres,
+il se trouva desservi par sa fiert&eacute;, sa d&eacute;licatesse, par le meilleur de
+lui-m&ecirc;me.</p>
+
+<p>
+Baudelaire habitait dans l'&icirc;le Saint-Louis, sur le quai d'Anjou, en ce
+vieil et triste h&ocirc;tel Pimodan plein de souvenirs somptueux et
+nostalgiques. Il avait choisi l&agrave; un appartement compos&eacute; de plusieurs
+pi&egrave;ces tr&egrave;s hautes de plafond et dont les fen&ecirc;tres s'ouvraient sur le
+fleuve qui roule ses eaux glauques et indiff&eacute;rentes au milieu de la vie
+morbide et fi&eacute;vreuse. Les pi&egrave;ces &eacute;taient tapiss&eacute;es d'un papier aux
+larges rayures rouges et noires, couleurs diaboliques, qui
+s'accordaient avec les draperies d'un lourd damas. Les meubles &eacute;taient
+antiques, voluptueux. De larges fauteuils, de paresseux divans
+invitaient &agrave; la r&ecirc;verie. Aux murs des lithographies et des tableaux
+sign&eacute;s de son ami Delacroix, pures merveilles presque sans importance
+alors, mais que se disputeraient aujourd'hui &agrave; coups de millions les
+princes de la finance am&eacute;ricaine.</p>
+
+<p>
+Au temps de Baudelaire, c'est-&agrave;-dire vers le milieu du dix-neuvi&egrave;me
+si&egrave;cle, l'&icirc;le Saint-Louis ressemblait par la paix silencieuse qui
+r&eacute;gnait &agrave; travers ses rues et ses quais &agrave; certaines villes de province
+o&ugrave; l'on va nu-t&ecirc;te chez le voisin, o&ugrave; l'on s'attarde &agrave; bavarder au
+seuil des maisons et &agrave; y prendre le frais par les beaux soirs d'&eacute;t&eacute; &agrave;
+l'heure o&ugrave; la nuit tombe. Artistes et &eacute;crivains allaient se dire
+bonjour sans quitter leur costume d'int&eacute;rieur et fl&acirc;naient en n&eacute;glig&eacute;
+sur le quai Bourbon et sur le quai d'Anjou, si parfaitement d&eacute;serts que
+c'&eacute;tait une joie d'y regarder couler l'eau et d'y boire la lumi&egrave;re.</p>
+
+<p>
+Un jour, Baudelaire, coiff&eacute; uniquement de sa noire chevelure, prenait
+un bain de soleil sur le quai d'Anjou, tout en croquant de d&eacute;licieuses
+pommes de terre frites qu'il prenait une &agrave; une dans un cornet de
+papier, lorsque vinrent &agrave; passer en cal&egrave;che d&eacute;couverte de tr&egrave;s grandes
+dames amies de sa m&egrave;re, l'ambassadrice, et qui s'amus&egrave;rent beaucoup &agrave;
+voir ainsi le po&egrave;te picorer une nourriture aussi d&eacute;mocratique. L'une
+d'elles, une duchesse, fit arr&ecirc;ter la voiture et appela Baudelaire.</p>
+
+<p>
+--&laquo; C'est donc bien bon, demanda-t-elle ce que vous mangez l&agrave;?</p>
+
+<p>
+--Go&ucirc;tez, madame, dit le po&egrave;te en faisant les honneurs de son cornet de
+pommes de terre frites avec une gr&acirc;ce supr&ecirc;me. &raquo;</p>
+
+<p>
+Et il les amusa si bien par ce r&eacute;gal inattendu et par sa conversation
+qu'elles seraient rest&eacute;es l&agrave; jusqu'&agrave; la fin du monde.</p>
+
+<p>
+Quelques jours plus tard, la duchesse rencontrant Baudelaire dans le
+salon d'une vieille parente &agrave; elle, lui demanda si elle n'aurait pas
+l'occasion de manger encore des pommes de terre frites.</p>
+
+<p>
+--&laquo; Non, madame, r&eacute;pondit finement le po&egrave;te, car elles sont, en effet,
+tr&egrave;s bonnes, mais seulement la premi&egrave;re fois qu'on en mange. &raquo;</p>
+
+<p>
+Cette petite anecdote racont&eacute;e par les historiens du po&egrave;te est devenue
+classique; mais nous n'avons pu r&eacute;sister au plaisir de la r&eacute;p&eacute;ter ici.</p>
+
+<p>
+Baudelaire, plus ou moins pauvre, car la fortune laiss&eacute;e par son p&egrave;re
+avait &eacute;t&eacute; d&eacute;vor&eacute;e rapidement, fut toujours plein de d&eacute;licatesse et dou&eacute;
+de cet esprit de finesse fait de belle humeur et d'ironie souriante.
+Cependant ses embarras d'argent devenus chroniques, aussi bien que son
+&eacute;tat maladif, rendirent lamentables les derni&egrave;res ann&eacute;es du po&egrave;te.
+Frapp&eacute; de paralysie g&eacute;n&eacute;rale, ayant perdu la m&eacute;moire des mots, apr&egrave;s
+une longue agonie, il s'&eacute;teignit &agrave; quarante-six ans. Sa m&egrave;re et son ami
+Charles Asselineau &eacute;taient &agrave; son chevet. Ses &oelig;uvres lui ont surv&eacute;cu,
+mais la place d'honneur qu'il m&eacute;ritait par son g&eacute;nie parmi les
+romantiques ne lui fut vraiment accord&eacute;e qu'&agrave; l'aube de ce si&egrave;cle. On
+l'avait tenu jusqu'alors pour un tr&egrave;s habile ciseleur de phrases, le
+Benvenuto Cellini des vers, mais c'&eacute;tait presque un incompris, un
+n&eacute;vros&eacute;.</p>
+
+<p>
+Il commen&ccedil;a, dit-on, par &eacute;tonner les sots, mais il devait &eacute;tonner bien
+davantage les gens d'esprit en laissant &agrave; la post&eacute;rit&eacute; ce livre
+immortel: <i>les Fleurs du Mal.</i></p>
+
+
+<p>
+Henry FRICHET.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+AU LECTEUR</h2>
+
+
+<p>
+La sottise, l'erreur, le p&eacute;ch&eacute;, la l&eacute;sine,<br>
+Occupent nos esprits et travaillent nos corps,<br>
+Et nous alimentons nos aimables remords,<br>
+Comme les mendiants nourrissent leur vermine.</p>
+
+<p>
+Nos p&eacute;ch&eacute;s sont t&ecirc;tus, nos repentirs sont l&acirc;ches,<br>
+Nous nous faisons payer grassement nos aveux,<br>
+Et nous rentrons ga&icirc;ment dans le chemin bourbeux,<br>
+Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.</p>
+
+<p>
+Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trism&eacute;giste<br>
+Qui berce longuement notre esprit enchant&eacute;,<br>
+Et le riche m&eacute;tal de notre volont&eacute;<br>
+Est tout vaporis&eacute; par ce savant chimiste.</p>
+
+<p>
+C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent!<br>
+Aux objets r&eacute;pugnants nous trouvons des appas;<br>
+Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas,<br>
+Sans horreur, &agrave; travers des t&eacute;n&egrave;bres qui puent.</p>
+
+<p>
+Ainsi qu'un d&eacute;bauch&eacute; pauvre qui baise et mange<br>
+Le sein martyris&eacute; d'une antique catin,<br>
+Nous volons au passage un plaisir clandestin<br>
+Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.</p>
+
+<p>
+Serr&eacute;, fourmillant, comme un million d'helminthes,<br>
+Dans nos cerveaux ribote un peuple de D&eacute;mons,<br>
+Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons<br>
+Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.</p>
+
+<p>
+Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,<br>
+N'ont pas encore brod&eacute; de leurs plaisants desseins<br>
+Le canevas banal de nos piteux destins,<br>
+C'est que notre &acirc;me, h&eacute;las! n'est pas assez hardie.</p>
+
+<p>
+Mais parmi les chacals, les panth&egrave;res, les lices,<br>
+Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,<br>
+Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants<br>
+Dans la m&eacute;nagerie inf&acirc;me de nos vices,</p>
+
+<p>
+Il en est un plus laid, plus m&eacute;chant, plus immonde!<br>
+Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,<br>
+Il ferait volontiers de la terre un d&eacute;bris<br>
+Et dans un b&acirc;illement avalerait le monde;</p>
+
+<p>
+C'est l'Ennui!--L'&oelig;il charg&eacute; d'un pleur involontaire,<br>
+Il r&ecirc;ve d'&eacute;chafauds en fumant son houka.<br>
+Tu le connais, lecteur, ce monstre d&eacute;licat,<br>
+--Hypocrite lecteur,--mon semblable,--mon fr&egrave;re!</p>
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+SPLEEN ET ID&Eacute;AL</h2>
+<p>
+BENEDICTION</p>
+
+
+<p>
+Lorsque, par un d&eacute;cret des puissances supr&ecirc;mes,<br>
+Le Po&egrave;te appara&icirc;t en ce monde ennuy&eacute;,<br>
+Sa m&egrave;re &eacute;pouvant&eacute;e et pleine de blasph&egrave;mes<br>
+Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en piti&eacute;:</p>
+
+<p>
+&laquo; Ah! que n'ai-je mis bas tout un n&oelig;ud de vip&egrave;res,<br>
+Plut&ocirc;t que de nourrir cette d&eacute;rision!<br>
+Maudite soit la nuit aux plaisirs &eacute;ph&eacute;m&egrave;res<br>
+O&ugrave; mon ventre a con&ccedil;u mon expiation!</p>
+
+<p>
+&laquo; Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes<br>
+Pour &ecirc;tre le d&eacute;go&ucirc;t de mon triste mari,<br>
+Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes,<br>
+Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri,</p>
+
+<p>
+&laquo; Je ferai rejaillir la haine qui m'accable<br>
+Sur l'instrument maudit de tes m&eacute;chancet&eacute;s,<br>
+Et je tordrai si bien cet arbre mis&eacute;rable,<br>
+Qu'il ne pourra poussa ses boutons empest&eacute;s! &raquo;</p>
+
+<p>
+Elle ravale ainsi l'&eacute;cume de sa haine,<br>
+Et, ne comprenant pas les desseins &eacute;ternels,<br>
+Elle-m&ecirc;me pr&eacute;pare au fond de la G&eacute;henne<br>
+Les b&ucirc;chers consacr&eacute;s aux crimes maternels.</p>
+
+<p>
+Pourtant, sous la tutelle invisible d'un Ange,<br>
+L'Enfant d&eacute;sh&eacute;rit&eacute; s'enivre de soleil,<br>
+Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange<br>
+Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil.</p>
+
+<p>
+Il joue avec le vent, cause avec le nuage<br>
+Et s'enivre en chantant du chemin de la croix;<br>
+Et l'Esprit qui le suit dans son p&egrave;lerinage<br>
+Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.</p>
+
+<p>
+Tous ceux qu'il veut aimer l'observent avec crainte,<br>
+Ou bien, s'enhardissant de sa tranquillit&eacute;,<br>
+Cherchent &agrave; qui saura lui tirer une plainte,<br>
+Et font sur lui l'essai de leur f&eacute;rocit&eacute;.</p>
+
+<p>
+Dans le pain et le vin destin&eacute;s &agrave; sa bouche<br>
+Ils m&ecirc;lent de la cendre avec d'impurs crachats;<br>
+Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche,<br>
+Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas.</p>
+
+<p>
+Sa femme va criant sur les places publiques:<br>
+&laquo; Puisqu'il me trouve assez belle pour m'adorer,<br>
+Je ferai le m&eacute;tier des idoles antiques,<br>
+Et comme elles je veux me faire redorer;</p>
+
+<p>
+&laquo; Et je me so&ucirc;lerai de nard, d'encens, de myrrhe,<br>
+De g&eacute;nuflexions, de viandes et de vins,<br>
+Pour savoir si je puis dans un c&oelig;ur qui m'admire<br>
+Usurper en riant les hommages divins!</p>
+
+<p>
+&laquo; Et, quand je m'ennu&icirc;rai de ces farces impies,<br>
+Je poserai sur lui ma fr&ecirc;le et forte main;<br>
+Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies,<br>
+Sauront jusqu'&agrave; son c&oelig;ur se frayer un chemin.</p>
+
+<p>
+&laquo; Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite,<br>
+J'arracherai ce c&oelig;ur tout rouge de son sein,<br>
+Et, pour rassasier ma b&ecirc;te favorite,<br>
+Je le lui jetterai par terre avec d&eacute;dain! &raquo;</p>
+
+<p>
+Vers le Ciel, o&ugrave; son &oelig;il voit un tr&ocirc;ne splendide,<br>
+Le Po&egrave;te serein l&egrave;ve ses bras pieux,<br>
+Et les vastes &eacute;clairs de son esprit lucide<br>
+Lui d&eacute;robent l'aspect des peuples furieux:</p>
+
+<p>
+&laquo; Soyez b&eacute;ni, mon Dieu, qui donnez la souffrance<br>
+Comme un divin rem&egrave;de &agrave; nos impuret&eacute;s,<br>
+Et comme la meilleure et la plus pure essence<br>
+Qui pr&eacute;pare les forts aux saintes volupt&eacute;s!</p>
+
+<p>
+&laquo; Je sais que vous gardez une place au Po&egrave;te<br>
+Dans les rangs bienheureux des saintes L&eacute;gions,<br>
+Et que vous l'invitez &agrave; l'&eacute;ternelle f&ecirc;te<br>
+Des Tr&ocirc;nes, des Vertus, des Dominations.</p>
+
+<p>
+&laquo; Je sais que la douleur est la noblesse unique<br>
+O&ugrave; ne mordront jamais la terre et les enfers,<br>
+Et qu'il faut pour tresser ma couronne mystique<br>
+Imposer tous les temps et tous les univers.</p>
+
+<p>
+&laquo; Mais les bijoux perdus de l'antique Palmyre,<br>
+Les m&eacute;taux inconnus, les perles de la mer,<br>
+Par votre main mont&eacute;s, ne pourraient pas suffire<br>
+A ce beau diad&egrave;me &eacute;blouissant et clair;</p>
+
+<p>
+&laquo; Car il ne sera fait que de pure lumi&egrave;re,<br>
+Puis&eacute;e au foyer saint des rayons primitifs,<br>
+Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur enti&egrave;re,<br>
+Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs! &raquo;</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+L'ALBATROS</h2>
+
+
+<p>
+Souvent, pour s'amuser, les hommes d'&eacute;quipage<br>
+Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,<br>
+Qui suivent, indolents compagnons de voyage,<br>
+Le navire glissant sur les gouffres amers.</p>
+
+<p>
+A peine les ont-ils d&eacute;pos&eacute;s sur les planches,<br>
+Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,<br>
+Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches<br>
+Comme des avirons tra&icirc;ner &agrave; c&ocirc;t&eacute; d'eux.</p>
+
+<p>
+Ce voyageur ail&eacute;, comme il est gauche et veule!<br>
+Lui, nagu&egrave;re si beau, qu'il est comique et laid!<br>
+L'un agace son bec avec un br&ucirc;le-gueule,<br>
+L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!</p>
+
+<p>
+Le Po&egrave;te est semblable au prince des nu&eacute;es<br>
+Qui hante la temp&ecirc;te et se rit de l'archer;<br>
+Exil&eacute; sur le sol au milieu des hu&eacute;es,<br>
+Ses ailes de g&eacute;ant l'emp&ecirc;chent de marcher.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+ELEVATION</h2>
+
+
+<p>
+Au-dessus des &eacute;tangs, au-dessus des vall&eacute;es,<br>
+Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,<br>
+Par del&agrave; le soleil, par del&agrave; les &eacute;thers,<br>
+Par del&agrave; les confins des sph&egrave;res &eacute;toil&eacute;es,</p>
+
+<p>
+Mon esprit, tu te meus avec agilit&eacute;,<br>
+Et, comme un bon nageur qui se p&acirc;me dans l'onde,<br>
+Tu sillonnes ga&icirc;ment l'immensit&eacute; profonde<br>
+Avec une indicible et m&acirc;le volupt&eacute;.</p>
+
+<p>
+Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides,<br>
+Va te purifier dans l'air sup&eacute;rieur,<br>
+Et bois, comme une pure et divine liqueur,<br>
+Le feu clair qui remplit les espaces limpides.</p>
+
+<p>
+Derri&egrave;re les ennuis et les vastes chagrins<br>
+Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,<br>
+Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse<br>
+S'&eacute;lancer vers les champs lumineux et sereins!</p>
+
+<p>
+Celui dont les pensers, comme des alouettes,<br>
+Vers les cieux le matin prennent un libre essor,<br>
+--Qui plane sur la vie et comprend sans effort<br>
+Le langage des fleurs et des choses muettes!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LES PHARES</h2>
+
+
+<p>
+Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse,<br>
+Oreiller de chair fra&icirc;che o&ugrave; l'on ne peut aimer,<br>
+Mais o&ugrave; la vie afflue et s'agite sans cesse,<br>
+Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer;</p>
+
+<p>
+L&eacute;onard de Vinci, miroir profond et sombre,<br>
+O&ugrave; des anges charmants, avec un doux souris<br>
+Tout charg&eacute; de myst&egrave;re, apparaissent &agrave; l'ombre<br>
+Des glaciers et des pins qui ferment leur pays;</p>
+
+<p>
+Rembrandt, triste h&ocirc;pital tout rempli de murmures,<br>
+Et d'un grand crucifix d&eacute;cor&eacute; seulement,<br>
+O&ugrave; la pri&egrave;re en pleurs s'exhale des ordures,<br>
+Et d'un rayon d'hiver travers&eacute; brusquement;</p>
+
+<p>
+Michel-Ange, lieu vague o&ugrave; l'on voit des Hercules<br>
+Se m&ecirc;ler &agrave; des Christ, et se lever tout droits<br>
+Des fant&ocirc;mes puissants, qui dans les cr&eacute;puscules<br>
+D&eacute;chirent leur suaire en &eacute;tirant leurs doigts;</p>
+
+<p>
+Col&egrave;res de boxeur, impudences de faune,<br>
+Toi qui sus ramasser la beaut&eacute; des goujats,<br>
+Grand c&oelig;ur gonfl&eacute; d'orgueil, homme d&eacute;bile et jaune,<br>
+Puget, m&eacute;lancolique empereur des for&ccedil;ats;</p>
+
+<p>
+Watteau, ce carnaval o&ugrave; bien des c&oelig;urs illustres,<br>
+Comme des papillons, errent en flamboyant,<br>
+D&eacute;cors frais et l&eacute;gers &eacute;clair&eacute;s par des lustres<br>
+Qui versent la folie &agrave; ce bal tournoyant;</p>
+
+<p>
+Goya, cauchemar plein de choses inconnues,<br>
+De f&oelig;tus qu'on fait cuire au milieu des sabbats,<br>
+De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues,<br>
+Pour tenter les D&eacute;mons ajustant bien leurs bas;</p>
+
+<p>
+Delacroix, lac de sang hant&eacute; des mauvais anges,<br>
+Ombrag&eacute; par un bois de sapin toujours vert,<br>
+O&ugrave;, sous un ciel chagrin, des fanfares &eacute;tranges<br>
+Passent, comme un soupir &eacute;touff&eacute; de Weber;</p>
+
+<p>
+Ces mal&eacute;dictions, ces blasph&egrave;mes, ces plaintes,<br>
+Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces <i>Te Deum,</i><br>
+Sont un &eacute;cho redit par mille labyrinthes;<br>
+C'est pour les c&oelig;urs mortels un divin opium.</p>
+
+<p>
+C'est un cri r&eacute;p&eacute;t&eacute; par mille sentinelles,<br>
+Un ordre renvoy&eacute; par mille porte-voix;<br>
+C'est un phare allum&eacute; sur mille citadelles,<br>
+Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois!</p>
+
+<p>
+Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur t&eacute;moignage<br>
+Que nous puissions donner de notre dignit&eacute;<br>
+Que cet ardent sanglot qui roule d'&acirc;ge en &acirc;ge<br>
+Et vient mourir au bord de votre &eacute;ternit&eacute;!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LA MUSE VENALE</h2>
+
+
+<p>
+O Muse de mon c&oelig;ur, amante des palais,<br>
+Auras-tu, quand Janvier l&acirc;chera ses Bor&eacute;es,<br>
+Durant les noirs ennuis des neigeuses soir&eacute;es,<br>
+Un tison pour chauffer tes deux pieds violets?</p>
+
+<p>
+Ranimeras-tu donc tes &eacute;paules marbr&eacute;es<br>
+Aux nocturnes rayons qui percent les volets?<br>
+Sentant ta bourse &agrave; sec autant que ton palais,<br>
+R&eacute;colteras-tu l'or des vo&ucirc;tes azur&eacute;es?</p>
+
+<p>
+Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir,<br>
+Comme un enfant de choeur, jouer de l'encensoir,<br>
+Chantes des <i>Te Deum</i> auxquels tu ne crois gu&egrave;re,</p>
+
+<p>
+Ou, saltimbanque &agrave; jeun, &eacute;taler les appas<br>
+Et ton rire tremp&eacute; de pleurs qu'on ne voit pas,<br>
+Pour faire &eacute;panouir la rate du vulgaire.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+L'ENNEMI</h2>
+
+
+<p>
+Ma jeunesse ne fut qu'un t&eacute;n&eacute;breux orage,<br>
+Travers&eacute; &ccedil;a et l&agrave; par de brillants soleils;<br>
+Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage<br>
+Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.</p>
+
+<p>
+Voil&agrave; que j'ai touch&eacute; l'automne des id&eacute;es,<br>
+Et qu'il faut employer la pelle et les r&acirc;teaux<br>
+Pour rassembler &agrave; neuf les terres inond&eacute;es,<br>
+O&ugrave; l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.</p>
+
+<p>
+Et qui sait si les fleurs nouvelles que je r&ecirc;ve<br>
+Trouveront dans ce sol lav&eacute; comme une gr&egrave;ve<br>
+Le mystique aliment qui ferait leur vigueur?</p>
+
+<p>
+--O douleur! &ocirc; douleur! Le Temps mange la vie,<br>
+Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le c&oelig;ur<br>
+Du sang que nous perdons cro&icirc;t et se fortifie!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LA VIE ANTERIEURE</h2>
+
+
+<p>
+J'ai longtemps habit&eacute; sous de vastes portiques<br>
+Que les soleils marins teignaient de mille feux,<br>
+Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,<br>
+Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.</p>
+
+<p>
+Les houles, en roulant les images des cieux,<br>
+M&ecirc;laient d'une fa&ccedil;on solennelle et mystique<br>
+Les tout-puissants accords de leur riche musique<br>
+Aux couleurs du couchant refl&eacute;t&eacute; par mes yeux.</p>
+
+<p>
+C'est l&agrave; que j'ai v&eacute;cu dans les volupt&eacute;s calmes,<br>
+Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs<br>
+Et des esclaves nus, tout impr&eacute;gn&eacute;s d'odeurs,</p>
+
+<p>
+Qui me rafra&icirc;chissaient le front avec des palmes,<br>
+Et dont l'unique soin &eacute;tait d'approfondir<br>
+Le secret douloureux qui me faisait languir.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+BOHEMIENS EN VOYAGE</h2>
+
+
+<p>
+La tribu proph&eacute;tique aux prunelles ardentes<br>
+Hier s'est mise en route, emportant ses petits<br>
+Sur son dos, ou livrant &agrave; leurs fiers app&eacute;tits<br>
+Le tr&eacute;sor toujours pr&ecirc;t des mamelles pendantes.</p>
+
+<p>
+Les hommes vont &agrave; pied sous leurs armes luisantes<br>
+Le long des chariots o&ugrave; les leurs sont blottis,<br>
+Promenant sur le ciel des yeux appesantis<br>
+Par le morne regret des chim&egrave;res absentes.</p>
+
+<p>
+Du fond de son r&eacute;duit sablonneux, le grillon,<br>
+Les regardant passer, redouble sa chanson;<br>
+Cyb&egrave;le, qui les aime, augmente ses verdures,</p>
+
+<p>
+Fait couler le rocher et fleurir le d&eacute;sert<br>
+Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert<br>
+L'empire familier des t&eacute;n&egrave;bres futures.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+L'HOMME ET LA MER</h2>
+
+
+<p>
+Homme libre, toujours tu ch&eacute;riras la mer!<br>
+La mer est ton miroir; tu contemples ton &acirc;me<br>
+Dans le d&eacute;roulement infini de sa lame,<br>
+Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.</p>
+
+<p>
+Tu te plais &agrave; plonger au sein de ton image;<br>
+Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton c&oelig;ur<br>
+Se distrait quelquefois de sa propre rumeur<br>
+Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.</p>
+
+<p>
+Vous &ecirc;tes tous les deux t&eacute;n&eacute;breux et discrets,<br>
+Homme, nul n'a sond&eacute; le fond de tes ab&icirc;mes;<br>
+O mer, nul ne conna&icirc;t tes richesses intimes,<br>
+Tant vous &ecirc;tes jaloux de garder vos secrets!</p>
+
+<p>
+Et cependant voil&agrave; des si&egrave;cles innombrables<br>
+Que vous vous combattez sans piti&eacute; ni remord,<br>
+Tellement vous aimez le carnage et la mort,<br>
+O lutteurs &eacute;ternels, &ocirc; fr&egrave;res implacables!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+DON JUAN AUX ENFERS</h2>
+
+
+<p>
+Quand don Juan descendit vers l'onde souterraine,<br>
+Et lorsqu'il eut donn&eacute; son obole &agrave; Charon,<br>
+Un sombre mendiant, l'&oelig;il fier comme Antisth&egrave;ne,<br>
+D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.</p>
+
+<p>
+Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,<br>
+Des femmes se tordaient sous le noir firmament,<br>
+Et, comme un grand troupeau de victimes offertes,<br>
+Derri&egrave;re lui tra&icirc;naient un long mugissement.</p>
+
+<p>
+Sganarelle en riant lui r&eacute;clamait ses gages,<br>
+Tandis que don Luis avec un doigt tremblant<br>
+Montrait &agrave; tous les morts errant sur les rivages<br>
+Le fils audacieux qui railla son front blanc.</p>
+
+<p>
+Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire,<br>
+Pr&egrave;s de l'&eacute;poux perfide et qui fui son amant<br>
+Semblait lui r&eacute;clamer un supr&ecirc;me sourire<br>
+O&ugrave; brill&acirc;t la douceur de son premier serment.</p>
+
+<p>
+Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre<br>
+Se tenait &agrave; la barre et coupait le flot noir;<br>
+Mais le calme h&eacute;ros, courb&eacute; sur sa rapi&egrave;re,<br>
+Regardait le sillage et ne daignait rien voir.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+CHATIMENT DE L'ORGUEIL</h2>
+
+
+<p>
+En ces temps merveilleux o&ugrave; la Th&eacute;ologie<br>
+Fleurit avec le plus de s&egrave;ve et d'&eacute;nergie,<br>
+On raconte qu'un jour un docteur des plus grands<br>
+--Apr&egrave;s avoir forc&eacute; les c&oelig;urs indiff&eacute;rents,<br>
+Les avoir remu&eacute;s dans leurs profondeurs noires;<br>
+Apr&egrave;s avoir franchi vers les c&eacute;lestes gloires<br>
+Des chemins singuliers &agrave; lui-m&ecirc;me inconnus,<br>
+O&ugrave; les purs Esprits seuls peut-&ecirc;tre &eacute;taient venus,<br>
+--Comme un homme mont&eacute; trop haut, pris de panique,<br>
+S'&eacute;cria, transport&eacute; d'un orgueil satanique:<br>
+&laquo; J&eacute;sus, petit J&eacute;sus! je t'ai pouss&eacute; bien haut!<br>
+Mais, si j'avais voulu t'attaquer au d&eacute;faut<br>
+De l'armure, ta honte &eacute;galerait ta gloire,<br>
+Et tu ne serais plus qu'un f&oelig;tus d&eacute;risoire! &raquo;</p>
+
+<p>
+Imm&eacute;diatement sa raison s'en alla.<br>
+L'&eacute;clat de ce soleil d'un cr&ecirc;pe se voila;<br>
+Tout le chaos roula dans cette intelligence,<br>
+Temple autrefois vivant, plein d'ordre et d'opulence.<br>
+Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui.<br>
+Le silence et la nuit s'install&egrave;rent en lui,<br>
+Comme dans un caveau dont la clef est perdue.<br>
+D&egrave;s lors il fut semblable aux b&ecirc;tes de la rue,<br>
+Et, quand il s'en allait sans rien voir, &agrave; travers<br>
+Les champs, sans distinguer les &eacute;t&eacute;s des hivers,<br>
+Sale, inutile et laid comme une chose us&eacute;e,<br>
+Il faisait des enfants la joie et la ris&eacute;e.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LA BEAUTE</h2>
+
+
+<p>
+Je suis belle, &ocirc; mortels! comme un r&ecirc;ve de pierre,<br>
+Et mon sein, o&ugrave; chacun s'est meurtri tour &agrave; tour,<br>
+Est fait pour inspirer au po&egrave;te un amour<br>
+Eternel et muet ainsi que la mati&egrave;re.</p>
+
+<p>
+Je tr&ocirc;ne dans l'azur comme un sphinx incompris;<br>
+J'unis un c&oelig;ur de neige &agrave; la blancheur des cygnes;<br>
+Je hais le mouvement qui d&eacute;place les lignes,<br>
+Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.</p>
+
+<p>
+Les po&egrave;tes, devant mes grandes attitudes.<br>
+Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,<br>
+Consumeront leurs jours en d'aust&egrave;res &eacute;tudes;</p>
+
+<p>
+Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,<br>
+De purs miroirs qui font toutes choses plus belles:<br>
+Mes yeux, mes larges yeux aux clart&eacute;s &eacute;ternelles!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+L'IDEAL</h2>
+
+
+<p>
+Ce ne seront jamais ces beaut&eacute;s de vignettes,<br>
+Produits avari&eacute;s, n&eacute;s d'un si&egrave;cle vaurien,<br>
+Ces pieds &agrave; brodequins, ces doigts &agrave; castagnettes,<br>
+Qui sauront satisfaire un c&oelig;ur comme le mien.</p>
+
+<p>
+Je laisse, &agrave; Gavarni, po&egrave;te des chloroses,<br>
+Soa troupeau gazouillant de beaut&eacute;s d'h&ocirc;pital,<br>
+Car je ne puis trouver parmi ces p&acirc;les roses<br>
+Une fleur qui ressemble &agrave; mon rouge id&eacute;al.</p>
+
+<p>
+Ce qu'il faut &agrave; ce c&oelig;ur profond comme un ab&icirc;me,<br>
+C'est vous, Lady Macbeth, &acirc;me puissante au crime,<br>
+R&ecirc;ve d'Eschyle &eacute;clos au climat des autans;</p>
+
+<p>
+Ou bien toi, grand Nuit, fille de Michel-Ange,<br>
+Qui tors paisiblement dans une pose &eacute;trange<br>
+Tes appas fa&ccedil;onn&eacute;s aux bouches des Titans!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE MASQUE</h2>
+
+<p>
+STATUE ALL&Eacute;GORIQUE DANS LE GOUT DE LA RENAISSANCE</p>
+
+<p>
+A ERNEST CHRISTOPHE<br>
+STATUAIRE</p>
+
+
+<p>
+Contemplons ce tr&eacute;sor de gr&acirc;ces florentines;<br>
+Dans l'ondulation de ce corps musculeux<br>
+L'El&eacute;gance et la Force abondent, s&oelig;urs divines.<br>
+Cette femme, morceau vraiment miraculeux,<br>
+Divinement robuste, adorablement mince,<br>
+Est faite pour tr&ocirc;ner sur des lits somptueux,<br>
+Et charmer les loisirs d'un pontife ou d'un prince.</p>
+
+<p>
+--Aussi, vois ce souris fin et voluptueux<br>
+O&ugrave; la Fatuit&eacute; prom&egrave;ne son extase;<br>
+Ce long regard sournois, langoureux et moqueur;<br>
+Ce visage mignard, tout encadr&eacute; de gaze,<br>
+Dont chaque trait nous dit avec un air vainqueur:<br>
+&laquo; La Volupt&eacute; m'appelle et l'Amour me couronne! &raquo;<br>
+A cet &ecirc;tre dou&eacute; de tant de majest&eacute;<br>
+Vois quel charme excitant la gentillesse donne!<br>
+Approchons, et tournons autour de sa beaut&eacute;.</p>
+
+<p>
+O blasph&egrave;me de l'art! &ocirc; surprise fatale!<br>
+La femme au corps divin, promettant le bonheur,<br>
+Par le haut se termine en monstre bic&eacute;phale!</p>
+
+<p>
+Mais non! Ce n'est qu'un masque, un d&eacute;cor suborneur,<br>
+Ce visage &eacute;clair&eacute; d'une exquise grimace,<br>
+Et, regarde, voici, crisp&eacute;e atrocement,<br>
+La v&eacute;ritable t&ecirc;te, et la sinc&egrave;re face<br>
+Renvers&eacute;e &agrave; l'abri de la face qui ment.<br>
+--Pauvre grande beaut&eacute;! le magnifique fleuve<br>
+De tes pleurs aboutit dans mon c&oelig;ur soucieux;<br>
+Ton mensonge m'enivre, et mon &acirc;me s'abreuve<br>
+Aux flots que la Douleur fait jaillir de tes yeux!</p>
+
+<p>
+--Mais pourquoi pleure-t-elle? Elle, beaut&eacute; parfaite<br>
+Qui mettrait &agrave; ses pieds le genre humain vaincu,<br>
+Quel mal myst&eacute;rieux ronge son flanc d'athl&egrave;te?</p>
+
+<p>
+--Elle pleure, insens&eacute;, parce qu'elle a v&eacute;cu!<br>
+Et parce qu'elle vit! Mais ce qu'elle d&eacute;plore<br>
+Surtout, ce qui la fait fr&eacute;mir jusqu'aux genoux,<br>
+C'est que demain, h&eacute;las! il faudra vivre encore!<br>
+Demain, apr&egrave;s-demain et toujours!--comme nous!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+HYMNE A LA BEAUTE</h2>
+
+
+<p>
+Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'ab&icirc;me,<br>
+O Beaut&eacute;? Ton regard, infernal et divin,<br>
+Verse confus&eacute;ment le bienfait et le crime,<br>
+Et l'on peut pour cela te comparer au vin.<br>
+Tu contiens dans ton &oelig;il le couchant et l'aurore;</p>
+
+<p>
+Tu r&eacute;pands des parfums comme un soir orageux;<br>
+Tes baisers sont un filtre et ta bouche une amphore<br>
+Qui font le h&eacute;ros l&acirc;che et l'enfant courageux.<br>
+Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres?</p>
+
+<p>
+Le Destin charm&eacute; suit tes jupons comme un chien;<br>
+Tu s&egrave;mes au hasard la joie et les d&eacute;sastres,<br>
+Et tu gouvernes tout et ne r&eacute;ponds de rien.</p>
+
+<p>
+Tu marches sur des morts. Beaut&eacute;, dont tu te moques;<br>
+De tes bijoux l'Horreur n'est pas le moins charmant,<br>
+Et le Meurtre, parmi tes plus ch&egrave;res breloques,<br>
+Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.</p>
+
+<p>
+L'&eacute;ph&eacute;m&egrave;re &eacute;bloui vole vers toi, chandelle,<br>
+Cr&eacute;pite, flambe et dit: B&eacute;nissons ce flambeau!<br>
+L'amoureux pantelant inclin&eacute; sur sa belle<br>
+A l'air d'un moribond caressant son tombeau.</p>
+
+<p>
+Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,<br>
+O Beaut&eacute;! monstre &eacute;norme, effrayant, ing&eacute;nu!<br>
+Si ton &oelig;il, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte<br>
+D'un infini que j'aime et n'ai jamais connu?</p>
+
+<p>
+De Satan ou de Dieu, qu'importe? Ange ou Sir&egrave;ne,<br>
+Qu'import&eacute;, si tu rends,--f&eacute;e aux yeux de velours,<br>
+Rythme, parfum, lueur, &ocirc; mon unique reine!--<br>
+L'univers moins hideux et les instants moins lourds?</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LA CHEVELURE</h2>
+
+
+<p>
+O toison, moutonnant jusque sur l'encolure!<br>
+O boucles! O parfum charg&eacute; de nonchaloir!<br>
+Extase! Pour peupler ce soir l'alc&ocirc;ve obscure<br>
+Des souvenirs dormant dans cette chevelure,<br>
+Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir.</p>
+
+<p>
+La langoureuse Asie et la br&ucirc;lante Afrique,<br>
+Tout un monde lointain, absent, presque d&eacute;funt,<br>
+Vit dans tes profondeurs, for&ecirc;t aromatique!<br>
+Comme d'autres esprits voguent sur la musique,<br>
+Le mien, &ocirc; mon amour! nage sur ton parfum.</p>
+
+<p>
+J'irai l&agrave;-bas o&ugrave; l'arbre et l'homme, pleins de s&egrave;ve,<br>
+Se p&acirc;ment longuement sous l'ardeur des climats;<br>
+Fortes tresses, soyez la houle qui m'enl&egrave;ve!<br>
+Tu contiens, mer d'&eacute;b&egrave;ne, un &eacute;blouissant r&ecirc;ve<br>
+De voiles, de rameurs, de flammes et de m&acirc;ts:</p>
+
+<p>
+Un port retentissant o&ugrave; mon &acirc;me peut boire<br>
+A grands flots le parfum, le son et la couleur;<br>
+O&ugrave; les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire,<br>
+Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire<br>
+D'un ciel pur o&ugrave; fr&eacute;mit l'&eacute;ternelle chaleur.</p>
+
+<p>
+Je plongerai ma t&ecirc;te amoureuse d'ivresse<br>
+Dans ce noir oc&eacute;an o&ugrave; l'autre est enferm&eacute;;<br>
+Et mon esprit subtil que le roulis caresse<br>
+Saura vous retrouver, &ocirc; f&eacute;conde paresse,<br>
+Infinis bercements du loisir embaum&eacute;!</p>
+
+<p>
+Cheveux bleus, pavillon de t&eacute;n&egrave;bres tendues,<br>
+Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond;<br>
+Sur les bords duvet&eacute;s de vos m&egrave;ches tordues<br>
+Je m'enivre ardemment des senteurs confondues<br>
+De l'huile de coco, du musc et du goudron.</p>
+
+<p>
+Longtemps! toujours! ma main dans ta crini&egrave;re lourde<br>
+S&egrave;mera le rubis, la perle et le saphir,<br>
+Afin qu'&agrave; mon, d&eacute;sir tu ne sois jamais sourde!<br>
+N'es-tu pas l'oasis o&ugrave; je r&ecirc;ve, et la gourde<br>
+O&ugrave; je hume &agrave; longs traits le vin du souvenir?</p>
+
+<p>
+Je t'adore &agrave; l'&eacute;gal de la vo&ucirc;te nocturne,<br>
+O vase de tristesse, &ocirc; grande taciturne,<br>
+Et t'aime d'autant plus, belle, que tu me fuis,<br>
+Et que tu me parais, ornement de mes nuits,<br>
+Plus ironiquement accumuler les lieues<br>
+Qui s&eacute;parent mes bras des immensit&eacute;s bleues.</p>
+
+<p>
+Je m'avance &agrave; l'attaque, et je grimpe aux assauts,<br>
+Comme apr&egrave;s un cadavre un ch&oelig;ur de vermisseaux,<br>
+Et je ch&eacute;ris, &ocirc; b&ecirc;te implacable et cruelle,<br>
+Jusqu'&agrave; cette froideur par o&ugrave; tu m'es plus belle!</p>
+
+<p>
+Tu mettrais l'univers entier dans ta ruelle,<br>
+Femme impure! L'ennui rend ton &acirc;me cruelle.<br>
+Pour exercer tes dents &agrave; ce jeu singulier,<br>
+Il te faut chaque jour un c&oelig;ur au r&acirc;telier.<br>
+Tes yeux, illumin&eacute;s ainsi que des boutiques<br>
+Ou des ifs flamboyants dans les f&ecirc;tes publiques,<br>
+Usent insolemment d'un pouvoir emprunt&eacute;,<br>
+Sans conna&icirc;tre jamais la loi de leur beaut&eacute;.</p>
+
+<p>
+Machine aveugle et sourde en cruaut&eacute; f&eacute;conde!<br>
+Salutaire instrument, buveur du sang du monde,<br>
+Comment n'as-tu pas honte, et comment n'as-tu pas<br>
+Devant tous les miroirs vu p&acirc;lir tes appas?<br>
+La grandeur de ce mal o&ugrave; tu te crois savante<br>
+Ne t'a donc jamais fait reculer d'&eacute;pouvante,<br>
+Quand la nature, grande en ses desseins cach&eacute;s,<br>
+De toi se sert, &ocirc; femme, &ocirc; reine des p&eacute;ch&eacute;s,<br>
+--De toi, vil animal,--pour p&eacute;trir un g&eacute;nie?</p>
+
+<p>
+O fangeuse grandeur, sublime ignominie!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+SED NON SATIATA</h2>
+
+
+<p>
+Bizarre d&eacute;it&eacute;, brune comme les nuits,<br>
+Au parfum m&eacute;lang&eacute; de musc et de havane,<br>
+&OElig;uvre de quelque obi, le Faust de la savane,<br>
+Sorci&egrave;re au flanc d'&eacute;b&egrave;ne, enfant des noirs minuits,</p>
+
+<p>
+Je pr&eacute;f&egrave;re au constance, &agrave; l'opium, au nuits,<br>
+L'&eacute;lixir de ta bouche o&ugrave; l'amour se pavane;<br>
+Quand vers toi mes d&eacute;sirs partent en caravane,<br>
+Tes yeux sont la citerne o&ugrave; boivent mes ennuis.</p>
+
+<p>
+Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton &acirc;me,<br>
+O d&eacute;mon sans piti&eacute;, verse-moi moins de flamme;<br>
+Je ne suis pas le Styx pour t'embrasser neuf fois,</p>
+
+<p>
+H&eacute;las! et je ne puis, M&eacute;g&egrave;re libertine,<br>
+Pour briser ton courage et te mettre aux abois,<br>
+Dans l'enfer de ton lit devenir Proserpine!</p>
+
+<p>
+Avec ses v&ecirc;tements ondoyants et nacr&eacute;s,<br>
+M&ecirc;me quand elle marche, on croirait qu'elle danse,<br>
+Comme ces longs serpents que les jongleurs sacr&eacute;s<br>
+Au bout de leurs b&acirc;tons agitent en cadence.</p>
+
+<p>
+Comme le sable morne et l'azur des d&eacute;serts,<br>
+Insensibles tous deux &agrave; l'humaine souffrance,<br>
+Comme les longs r&eacute;seaux de la houle des mers,<br>
+Elle se d&eacute;veloppe avec indiff&eacute;rence.</p>
+
+<p>
+Ses yeux polis sont faits de min&eacute;raux charmants,<br>
+Et dans cette nature &eacute;trange et symbolique<br>
+O&ugrave; l'ange inviol&eacute; se m&ecirc;le au sphinx antique,</p>
+
+<p>
+O&ugrave; tout n'est qu'or, acier, lumi&egrave;re et diamants,<br>
+Resplendit &agrave; jamais, comme un astre inutile,<br>
+La froide majest&eacute; de la femme st&eacute;rile.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE SERPENT QUI DANSE</h2>
+
+
+<p>
+Que j'aime voir, ch&egrave;re indolente,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;De ton corps si beau,<br>
+Comme une &eacute;toile vacillante,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Miroiter la peau!</p>
+
+<p>
+Sur ta chevelure profonde<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Aux &acirc;cres parfums,<br>
+Mer odorante et vagabonde<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Aux flots bleus et bruns.</p>
+
+<p>
+Comme un navire qui s'&eacute;veille<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Au vent du matin,<br>
+Mon &acirc;me r&ecirc;veuse appareille<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Pour un ciel lointain.</p>
+
+<p>
+Tes yeux, o&ugrave; rien ne se r&eacute;v&egrave;le<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;De doux ni d'amer,<br>
+Sont deux bijoux froids o&ugrave; se m&ecirc;le<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;L'or avec le fer.</p>
+
+<p>
+A te voir marcher en cadence,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Belle d'abandon,<br>
+On dirait un serpent qui danse<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Au bout d'un b&acirc;ton;</p>
+
+<p>
+Sous le fardeau de ta paresse<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Ta t&ecirc;te d'enfant<br>
+Se balance avec la mollesse<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;D'un jeune &eacute;l&eacute;phant,</p>
+
+<p>
+Et son corps se penche et s'allonge<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Comme un fin vaisseau<br>
+Qui roule bord sur bord, et plonge<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Ses vergues dans l'eau.</p>
+
+<p>
+Comme un flot grossi par la fonte<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Des glaciers grondants,<br>
+Quand l'eau de ta bouche remonte<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Au bord de tes dents,</p>
+
+<p>
+Je crois boire un vin de Boh&ecirc;me,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Amer et vainqueur,<br>
+Un ciel liquide qui pars&egrave;me<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;D'&eacute;toiles mon c&oelig;ur!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+UNE CHAROGNE</h2>
+
+
+<p>
+Rappelez-vous l'objet que nous v&icirc;mes, mon &acirc;me,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Ce beau matin d'&eacute;t&eacute; si doux:<br>
+Au d&eacute;tour d'un sentier une charogne inf&acirc;me<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Sur un lit sem&eacute; de cailloux,</p>
+
+<p>
+Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Br&ucirc;lante et suant les poisons,<br>
+Ouvrait d'une fa&ccedil;on nonchalante et cynique<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Son ventre plein d'exhalaisons.</p>
+
+<p>
+Le soleil rayonnait sur cette pourriture,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Comme afin de la cuire &agrave; point,<br>
+Et de rendre au centuple &agrave; la grande Nature<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Tout ce qu'ensemble elle avait joint.</p>
+
+<p>
+Et le ciel regardait la carcasse superbe<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Comme une fleur s'&eacute;panouir;<br>
+La puanteur &eacute;tait si forte que sur l'herbe<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Vous cr&ucirc;tes vous &eacute;vanouir.</p>
+
+<p>
+Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;D'o&ugrave; sortaient de noirs bataillons<br>
+De larves qui coulaient comme un &eacute;pais liquide<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Le long de ces vivants haillons.</p>
+
+<p>
+Tout cela descendait, montait comme une vague,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;O&ugrave; s'&eacute;lan&ccedil;ait en p&eacute;tillant;<br>
+On e&ucirc;t dit que le corps, enfl&eacute; d'un souffle vague,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Vivait en se multipliant.</p>
+
+<p>
+Et ce monde rendait une &eacute;trange musique<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Comme l'eau courante et le vent,<br>
+Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Agite et tourne dans son van.</p>
+
+<p>
+Les formes s'effa&ccedil;aient et n'&eacute;taient plus qu'un r&ecirc;ve,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Une &eacute;bauche lente &agrave; venir<br>
+Sur la toile oubli&eacute;e, et que l'artiste ach&egrave;ve<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Seulement par le souvenir.</p>
+
+<p>
+Derri&egrave;re les rochers une chienne inqui&egrave;te<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Nous regardait d'un &oelig;il f&acirc;ch&eacute;,<br>
+Epiant le moment de reprendre au squelette<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Le morceau qu'elle avait l&acirc;ch&eacute;.</p>
+
+<p>
+--Et pourtant vous serez semblable &agrave; cette ordure,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;A cette horrible infection,<br>
+Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Vous, mon ange et ma passion!</p>
+
+<p>
+Oui! telle vous serez, &ocirc; la reine des gr&acirc;ces,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Apr&egrave;s les derniers sacrements,<br>
+Quand vous irez sous l'herbe et les floraisons grasses,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Moisir parmi les ossements.</p>
+
+<p>
+Alors, &ocirc; ma beaut&eacute;, dites &agrave; la vermine<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Qui vous mangera de baisers,<br>
+Que j'ai gard&eacute; la forme et l'essence divine<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;De mes amours d&eacute;compos&eacute;s!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+DE PROFUNDIS CLAMAVI</h2>
+
+
+<p>
+J'implore ta piti&eacute;. Toi, l'unique que j'aime,<br>
+Du fond du gouffre obscur o&ugrave; mon c&oelig;ur est tomb&eacute;.<br>
+C'est un univers morne &agrave; l'horizon plomb&eacute;,<br>
+O&ugrave; nagent dans la nuit l'horreur et le blasph&egrave;me;</p>
+
+<p>
+Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois,<br>
+Et les six autres mois la nuit couvre la terre;<br>
+C'est un pays plus nu que la terre polaire;<br>
+Ni b&ecirc;tes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois!</p>
+
+<p>
+Or il n'est d'horreur au monde qui surpasse<br>
+La froide cruaut&eacute; de ce soleil de glace<br>
+Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos;</p>
+
+<p>
+Je jalouse le sort des plus vils animaux<br>
+Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide,<br>
+Tant l'&eacute;cheveau du temps lentement se d&eacute;vide!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE VAMPIRE</h2>
+
+
+<p>
+Toi qui, comme un coup de couteau.<br>
+Dans mon c&oelig;ur plaintif est entr&eacute;e;<br>
+Toi qui, forte comme un troupeau<br>
+De d&eacute;mons, vins, folle et par&eacute;e,</p>
+
+<p>
+De mon esprit humili&eacute;<br>
+Faire ton lit et ton domaine.<br>
+--Inf&acirc;me &agrave; qui je suis li&eacute;<br>
+Comme le for&ccedil;at &agrave; la cha&icirc;ne,</p>
+
+<p>
+Comme au jeu le joueur t&ecirc;tu,<br>
+Comme &agrave; la bouteille l'ivrogne,<br>
+Comme aux vermines la charogne,<br>
+--Maudite, maudite sois-tu!</p>
+
+<p>
+J'ai pri&eacute; le glaive rapide<br>
+De conqu&eacute;rir ma libert&eacute;,<br>
+Et j'ai dit au poison perfide<br>
+De secourir ma l&acirc;chet&eacute;.</p>
+
+<p>
+H&eacute;las! le poison et le glaive<br>
+M'ont pris en d&eacute;dain et m'ont dit:<br>
+&laquo; Tu n'es pas digne qu'on t'enl&egrave;ve<br>
+A ton esclavage maudit,</p>
+
+<p>
+Imb&eacute;cile!--de son empire<br>
+Si nos efforts te d&eacute;livraient,<br>
+Tes baisers ressusciteraient<br>
+Le cadavre de ton vampire! &raquo;</p>
+
+<p>
+Une nuit que j'&eacute;tais pr&egrave;s d'une affreuse Juive,<br>
+Comme au long d'un cadavre un cadavre &eacute;tendu,<br>
+Je me pris &agrave; songer pr&egrave;s de ce corps vendu<br>
+A la triste beaut&eacute; dont mon d&eacute;sir se prive.</p>
+
+<p>
+Je me repr&eacute;sentai sa majest&eacute; native,<br>
+Son regard de vigueur et de gr&acirc;ces arm&eacute;,<br>
+Ses cheveux qui lui font un casque parfum&eacute;,<br>
+Et dont le souvenir pour l'amour me ravive.</p>
+
+<p>
+Car j'eusse avec ferveur bais&eacute; ton noble corps,<br>
+Et depuis tes pieds frais jusqu'&agrave; tes noires tresses<br>
+D&eacute;roul&eacute; le tr&eacute;sor des profondes caresses,</p>
+
+<p>
+Si, quelque soir, d'un pleur obtenu sans effort<br>
+Tu pouvais seulement, &ocirc; reine des cruelles,<br>
+Obscurcir la splendeur de tes froides prunelles.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+REMORDS POSTHUME</h2>
+
+
+<p>
+Lorsque tu dormiras, ma belle t&eacute;n&eacute;breuse,<br>
+Au fond d'un monument construit en marbre noir,<br>
+Et lorsque tu n'auras pour alc&ocirc;ve et manoir<br>
+Qu'un caveau pluvieux et qu'une fosse creuse;</p>
+
+<p>
+Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse<br>
+Et tes flancs qu'assouplit un charmant nonchaloir,<br>
+Emp&ecirc;chera ton c&oelig;ur de battre et de vouloir,<br>
+Et tes pieds de courir leur course aventureuse,</p>
+
+<p>
+Le tombeau, confident de mon r&ecirc;ve infini,<br>
+--Car le tombeau toujours comprendra le po&egrave;te,--<br>
+Durant ces longues nuits d'o&ugrave; le somme est banni,</p>
+
+<p>
+Te dira: &laquo; Que vous sert, courtisane imparfaite,<br>
+De n'avoir pas connu ce que pleurent les morts? &raquo;<br>
+--Et le ver rongera ta peau comme un remords.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE CHAT</h2>
+
+
+<p>
+Viens, mon beau chat, sur mon c&oelig;ur amoureux:<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Retiens les griffes de ta patte,<br>
+Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;M&ecirc;l&eacute;s de m&eacute;tal et d'agate.</p>
+
+<p>
+Lorsque mes doigts caressent &agrave; loisir<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Ta t&ecirc;te et ton dos &eacute;lastique,<br>
+Et que ma main s'enivre du plaisir<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;De palper ton corps &eacute;lectrique,</p>
+
+<p>
+Je vois ma femme en esprit; son regard,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Comme le tien, aimable b&ecirc;te,<br>
+Profond et froid, coupe et fend comme un dard.</p>
+
+<p>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Et, des pieds jusques &agrave; la t&ecirc;te,<br>
+Un air subtil, un dangereux parfum<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Nagent autour de son corps brun.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE BALCON</h2>
+
+
+<p>
+M&egrave;re des souvenirs, ma&icirc;tresse des ma&icirc;tresses,<br>
+O toi, tous mes plaisirs, &ocirc; toi, tous mes devoirs!<br>
+Tu te rappelleras la beaut&eacute; des caresses,<br>
+La douceur du foyer et le charme des soirs,<br>
+M&egrave;re des souvenirs, ma&icirc;tresse des ma&icirc;tresses!</p>
+
+<p>
+Les soirs illumin&eacute;s par l'ardeur du charbon,<br>
+Et les soirs au balcon, voil&eacute;s de vapeurs roses;<br>
+Que ton sein m'&eacute;tait doux! que ton c&oelig;ur m'&eacute;tait bon!<br>
+Nous avons dit souvent d'imp&eacute;rissables choses<br>
+Les soirs illumin&eacute;s par l'ardeur du charbon.</p>
+
+<p>
+Que les soleils sont beaux dans les chaudes soir&eacute;es!<br>
+Que l'espace est profond! que le c&oelig;ur est puissant!<br>
+En me penchant vers toi, reine des ador&eacute;es,<br>
+Je croyais respirer le parfum de ton sang.<br>
+Que les soleils sont beaux dans les chaudes soir&eacute;es!</p>
+
+<p>
+La nuit s'&eacute;paississait ainsi qu'une cloison,<br>
+Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles<br>
+Et je buvais ton souffle, &ocirc; douceur, &ocirc; poison!<br>
+Et tes pieds s'endormaient dans mes mains fraternelles,<br>
+La nuit s'&eacute;paississait ainsi qu'une cloison.</p>
+
+<p>
+Je sais l'art d'&eacute;voquer les minutes heureuses,<br>
+Et revis mon pass&eacute; blotti dans tes genoux.<br>
+Car &agrave; quoi bon chercher tes beaut&eacute;s langoureuses<br>
+Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton c&oelig;ur si doux?<br>
+Je sais l'art d'&eacute;voquer les minutes heureuses!</p>
+
+<p>
+Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,<br>
+Rena&icirc;tront-ils d'un gouffre interdit &agrave; nos sondes,<br>
+Comme montent au ciel les soleils rajeunis<br>
+Apr&egrave;s s'&ecirc;tre lac&eacute;s au fond des mers profondes!<br>
+--O serments! &ocirc; parfums! &ocirc; baisers infinis!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE POSSEDE</h2>
+
+
+<p>
+Le soleil s'est couvert d'un cr&ecirc;pe. Comme lui,<br>
+O Lune de ma vie! emmitoufle-toi d'ombre;<br>
+Dors ou fume &agrave; ton gr&eacute;; sois muette, sois sombre,<br>
+Et plonge tout enti&egrave;re au gouffre de l'Ennui;</p>
+
+<p>
+Je t'aime ainsi! Pourtant, si tu veux aujourd'hui,<br>
+Comme un astre &eacute;clips&eacute; qui sort de la p&eacute;nombre,<br>
+Te pavaner aux lieux que la Folie encombre,<br>
+C'est bien! Charmant poignard, jaillis de ton &eacute;tui!</p>
+
+<p>
+Allume ta prunelle &agrave; la flamme des lustres!<br>
+Allume le d&eacute;sir dans les regards des rustres!<br>
+Tout de toi m'est plaisir, morbide ou p&eacute;tulant;</p>
+
+<p>
+Sois ce que tu voudras, nuit noire, rouge aurore;<br>
+Il n'est pas une fibre en tout mon corps tremblant<br>
+Qui ne crie: <i>O mon cher Belz&eacute;buth, je t'adore!</i></p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+UN FANTOME</h2>
+
+<h2>
+I</h2>
+
+<p>
+LES T&Eacute;N&Eacute;BRES</p>
+
+
+<p>
+Dans les caveaux d'insondable tristesse<br>
+O&ugrave; le Destin m'a d&eacute;j&agrave; rel&eacute;gu&eacute;;<br>
+O&ugrave; jamais n'entre un rayon ros&eacute; et gai;<br>
+O&ugrave;, seul avec la Nuit, maussade h&ocirc;tesse,</p>
+
+<p>
+Je suis comme un peintre qu'un Dieu moqueur<br>
+Condamne &agrave; peindre, h&eacute;las! sur les t&eacute;n&egrave;bres;<br>
+O&ugrave;, cuisinier aux app&eacute;tits fun&egrave;bres,<br>
+Je fais bouillir et je mange mon c&oelig;ur,</p>
+
+<p>
+Par instants brille, et s'allonge, et s'&eacute;tale<br>
+Un spectre fait de gr&acirc;ce et de splendeur:<br>
+A sa r&ecirc;veuse allure orientale,</p>
+
+<p>
+Quand il atteint sa totale grandeur,<br>
+Je reconnais ma belle visiteuse:<br>
+C'est Elle! sombre et pourtant lumineuse.</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+II</h2>
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE PARFUM</h2>
+
+
+<p>
+Lecteur, as-tu quelquefois respir&eacute;<br>
+Avec ivresse et lente gourmandise<br>
+Ce grain d'encens qui remplit une &eacute;glise,<br>
+Ou d'un sachet le musc inv&eacute;t&eacute;r&eacute;?</p>
+
+<p>
+Charme profond, magique, dont nous grise<br>
+Dans le pr&eacute;sent le pass&eacute; restaur&eacute;!<br>
+Ainsi l'amant sur un corps ador&eacute;<br>
+Du souvenir cueille la fleur exquise.</p>
+
+<p>
+De ses cheveux &eacute;lastiques et lourds,<br>
+Vivant sachet, encensoir de l'alc&ocirc;ve,<br>
+Une senteur montait, sauvage et fauve,</p>
+
+<p>
+Et des habits, mousseline ou velours,<br>
+Tout impr&eacute;gn&eacute;s de sa jeunesse pure,<br>
+Se d&eacute;gageait un parfum de fourrure.</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+III</h2>
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE CADRE</h2>
+
+
+<p>
+Comme un beau cadre ajoute &agrave; la peinture,<br>
+Bien qu'elle soit d'un pinceau tr&egrave;s vant&eacute;,<br>
+Je ne sais quoi d'&eacute;trange et d'enchant&eacute;<br>
+En l'isolant de l'immense nature.</p>
+
+<p>
+Ainsi bijoux, meubles, m&eacute;taux, dorure,<br>
+S'adaptaient juste &agrave; sa rare beaut&eacute;;<br>
+Rien n'offusquait sa parfaite clart&eacute;,<br>
+Et tout semblait lui servir de bordure.</p>
+
+<p>
+M&ecirc;me on e&ucirc;t dit parfois qu'elle croyait<br>
+Que tout voulait l'aimer; elle noyait<br>
+Dans les baisers du satin et du linge</p>
+
+<p>
+Son beau corps nu, plein de frissonnements,<br>
+Et, lente ou brusque, en tous ses mouvements,<br>
+Montrait la gr&acirc;ce enfantine du singe.</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+IV</h2>
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE PORTRAIT</h2>
+
+
+<p>
+La Maladie et la Mort font des cendres<br>
+De tout le feu qui pour nous flamboya.<br>
+De ces grands yeux si fervents et si tendres,<br>
+De cette bouche o&ugrave; mon c&oelig;ur se noya,</p>
+
+<p>
+De ces baisers puissants comme un dictame,<br>
+De ces transports plus vifs que des rayons.<br>
+Que reste-t-il? C'est affreux, &ocirc; mon &acirc;me!<br>
+Rien qu'un dessin fort p&acirc;le, aux trois crayons,</p>
+
+<p>
+Qui, comme moi, meurt dans la solitude,<br>
+Et que le Temps, injurieux vieillard,<br>
+Chaque jour frotte avec son aile rude...</p>
+
+<p>
+Noir assassin de la Vie et de l'Art,<br>
+Tu ne tueras jamais dans ma m&eacute;moire<br>
+Celle qui fut mon plaisir et ma gloire!</p>
+
+<p>
+Je te donne ces vers afin que, si mon nom<br>
+Aborde heureusement aux &eacute;poques lointaines<br>
+Et fait r&ecirc;ver un soir les cervelles humaines,<br>
+Vaisseau favoris&eacute; par un grand aquilon,</p>
+
+<p>
+Ta m&eacute;moire, pareille aux fables incertaines,<br>
+Fatigue le lecteur ainsi qu'un tympanon,<br>
+Et par un fraternel et mystique cha&icirc;non<br>
+Reste comme pendue &agrave; mes rimes hautaines;</p>
+
+<p>
+Etre maudit &agrave; qui de l'ab&icirc;me profond<br>
+Jusqu'au plus haut du ciel rien, hors moi, ne r&eacute;pond;<br>
+--O toi qui, comme une ombre &agrave; la trace &eacute;ph&eacute;m&egrave;re,</p>
+
+<p>
+Foules d'un pied l&eacute;ger et d'un regard serein<br>
+Les stupides mortels qui t'ont jug&eacute;e am&egrave;re,<br>
+Statue aux yeux de jais, grand ange au front d'airain!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+SEMPER EADEM</h2>
+
+
+<p>
+&laquo; D'o&ugrave; vous vient, disiez-vous, cette tristesse &eacute;trange,<br>
+Montant comme la mer sur le roc noir et nu? &raquo;<br>
+--Quand notre c&oelig;ur a fait une fois sa vendange,<br>
+Vivre est un mal! C'est un secret de tous connu,</p>
+
+<p>
+Une douleur tr&egrave;s simple et non myst&eacute;rieuse,<br>
+Et, comme votre joie, &eacute;clatante pour tous.<br>
+Cessez donc de chercher, &ocirc; belle curieuse!<br>
+Et, bien que votre voix soit douce, taisez-vous!</p>
+
+<p>
+Taisez-vous, ignorante! &acirc;me toujours ravie!<br>
+Bouche au rire enfantin! Plus encore que la Vie,<br>
+La Mort nous tient souvent par des liens subtils.</p>
+
+<p>
+Laissez, laissez mon c&oelig;ur s'enivrer d'un <i>mensonge,</i><br>
+Plonger dans vos beaux yeux comme dans un beau songe,<br>
+Et sommeiller longtemps &agrave; l'ombre de vos cils!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+TOUT ENTIERE</h2>
+
+
+<p>
+Le D&eacute;mon, dans ma chambre haute,<br>
+Ce matin est venu me voir,<br>
+Et, t&acirc;chant &agrave; me prendre en faute,<br>
+Me dit: &laquo; Je voudrais bien savoir,</p>
+
+<p>
+Parmi toutes les belles choses<br>
+Dont est fait son enchantement,<br>
+Parmi les objets noirs ou roses<br>
+Qui composent son corps charmant,</p>
+
+<p>
+Quel est le plus doux. &raquo;--O mon &acirc;me!<br>
+Tu r&eacute;pondis &agrave; l'Abhorr&eacute;:<br>
+&laquo; Puisqu'en elle tout est dictame,<br>
+Rien ne peut &ecirc;tre pr&eacute;f&eacute;r&eacute;.</p>
+
+<p>
+Lorsque tout me ravit, j'ignore<br>
+Si quelque chose me s&eacute;duit.<br>
+Elle &eacute;blouit comme l'Aurore<br>
+Et console comme la Nuit;</p>
+
+<p>
+Et l'harmonie est trop exquise,<br>
+Qui gouverne tout son beau corps,<br>
+Pour que l'impuissante analyse<br>
+En note les nombreux accords.</p>
+
+<p>
+O m&eacute;tamorphose mystique<br>
+De tous mes sens fondus en un!<br>
+Son haleine fait la musique,<br>
+Comme sa voix fait le parfum! &raquo;</p>
+
+<p>
+Que diras-tu ce soir, pauvre &acirc;me solitaire,<br>
+Que diras-tu, mon c&oelig;ur, c&oelig;ur autrefois fl&eacute;tri,<br>
+A la tr&egrave;s belle, &agrave; la tr&egrave;s bonne, &agrave; la tr&egrave;s ch&egrave;re,<br>
+Dont le regard divin t'a soudain refleuri?</p>
+
+<p>
+--Nous mettrons noire orgueil &agrave; chanter ses louanges,<br>
+Rien ne vaut la douceur de son autorit&eacute;;<br>
+Sa chair spirituelle a le parfum des Anges,<br>
+Et son &oelig;il nous rev&ecirc;t d'un habit de clart&eacute;.</p>
+
+<p>
+Que ce soit dans la nuit et dans la solitude.<br>
+Que ce soit dans la rue et dans la multitude;<br>
+Son fant&ocirc;me dans l'air danse comme un flambeau.</p>
+
+<p>
+Parfois il parle et dit: &laquo; Je suis belle, et j'ordonne<br>
+Que pour l'amour de moi vous n'aimiez que le Beau.<br>
+Je suis l'Ange gardien, la Muse et la Madone. &raquo;</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+CONFESSION</h2>
+
+
+<p>
+Une fois, une seule, aimable et douce femme,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;A mon bras votre bras poli<br>
+S'appuya (sur le fond t&eacute;n&eacute;breux de mon &acirc;me<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Ce souvenir n'est point p&acirc;li).</p>
+
+<p>
+Il &eacute;tait tard; ainsi qu'une m&eacute;daille neuve<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;La pleine lune s'&eacute;talait,<br>
+Et la solennit&eacute; de la nuit, comme un fleuve,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Sur Paris dormant ruisselait.</p>
+
+<p>
+Et le long des maisons, sous les portes coch&egrave;res,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Des chats passaient furtivement,<br>
+L'oreille au guet, ou bien, comme des ombres ch&egrave;res,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Nous accompagnaient lentement.</p>
+
+<p>
+Tout &agrave; coup, au milieu de l'intimit&eacute; libre<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Eclose &agrave; la p&acirc;le clart&eacute;,<br>
+De vous, riche et sonore instrument o&ugrave; ne vibre<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Que la radieuse ga&icirc;t&eacute;,</p>
+
+<p>
+De vous, claire et joyeuse ainsi qu'une fanfare<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Dans le matin &eacute;tincelant,<br>
+Une note plaintive, une note bizarre<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;S'&eacute;chappa, tout en chancelant.</p>
+
+<p>
+Comme une enfant ch&eacute;tive, horrible, sombre, immonde<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Dont sa famille rougirait,<br>
+Et qu'elle aurait longtemps, pour la cacher au monde,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Dans un caveau mise au secret!</p>
+
+<p>
+Pauvre ange, elle chantait, votre note criarde:<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&laquo; Que rien ici-bas n'est certain,<br>
+Et que toujours, avec quelque soin qu'il se farde,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Se trahit l'&eacute;go&iuml;sme humain;</p>
+
+<p>
+Que c'est un dur m&eacute;tier que d'&ecirc;tre belle femme,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Et que c'est le travail banal<br>
+De la danseuse folle et froide qui se p&acirc;me<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Dans un sourire machinal;</p>
+
+<p>
+Que b&acirc;tir sur les c&oelig;urs est une chose sotte,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Que tout craque, amour et beaut&eacute;,<br>
+Jusqu'&agrave; ce que l'Oubli les jette dans sa hotte<br>
+Pour les rendre &agrave; l'Eternit&eacute;! &raquo;</p>
+
+<p>
+J'ai souvent &eacute;voqu&eacute; cette lune enchant&eacute;e,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Ce silence et cette langueur,<br>
+Et cette confidence horrible chuchot&eacute;e<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Au confessionnal du c&oelig;ur.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE FLACON</h2>
+
+
+<p>
+Il est de forts parfums pour qui toute mati&egrave;re<br>
+Est poreuse. On dirait qu'ils p&eacute;n&egrave;trent le verre.<br>
+En ouvrant un coffret venu de l'orient<br>
+Dont la serrure grince et rechigne en criant,</p>
+
+<p>
+Ou dans une maison d&eacute;serte quelque armoire<br>
+Pleine de l'&acirc;cre odeur des temps, poudreuse et noire,<br>
+Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,<br>
+D'o&ugrave; jaillit toute vive une &acirc;me qui revient.</p>
+
+<p>
+Mille pensers dormaient, chrysalides fun&egrave;bres,<br>
+Fr&eacute;missant doucement dans tes lourdes t&eacute;n&egrave;bres,<br>
+Qui d&eacute;gagent leur aile et prennent leur essor,<br>
+Teint&eacute;s d'azur, glac&eacute;s de rose, lam&eacute;s d'or.</p>
+
+<p>
+Voil&agrave; le souvenir enivrant qui voltige<br>
+Dans l'air troubl&eacute;; les yeux se ferment; le Vertige<br>
+Saisit l'&acirc;me vaincue et la pousse &agrave; deux mains<br>
+Vers un gouffre obscurci de miasmes humains;</p>
+
+<p>
+Il la terrasse au bord d'un gouffre s&eacute;culaire,<br>
+O&ugrave;, Lazare odorant d&eacute;chirant son suaire,<br>
+Se meut dans son r&eacute;veil le cadavre spectral<br>
+D'un vieil amour ranci, charmant et s&eacute;pulcral.</p>
+
+<p>
+Ainsi, quand je serai perdu dans la m&eacute;moire<br>
+Des hommes, dans le coin d'une sinistre armoire;<br>
+Quand on m'aura jet&eacute;, vieux flacon d&eacute;sol&eacute;,<br>
+D&eacute;cr&eacute;pit, poudreux, sale, abject, visqueux, f&ecirc;l&eacute;,</p>
+
+<p>
+Je serai ton cercueil, aimable pestilence!<br>
+Le t&eacute;moin de ta force et de ta virulence,<br>
+Cher poison pr&eacute;par&eacute; par les anges! liqueur<br>
+Qui me ronge, &ocirc; la vie et la mort de mon c&oelig;ur!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE POISON</h2>
+
+
+<p>
+Le vin sait rev&ecirc;tir le plus sordide bouge<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;D'un luxe miraculeux,<br>
+Et fait surgir plus d'un portique fabuleux<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Dans l'or de sa vapeur rouge,<br>
+Comme un soleil couchant dans un ciel n&eacute;buleux.</p>
+
+<p>
+L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Allonge l'illimit&eacute;,<br>
+Approfondit le temps, creuse la volupt&eacute;,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Et de plaisirs noirs et mornes<br>
+Remplit l'&acirc;me au del&agrave; de sa capacit&eacute;.</p>
+
+<p>
+Tout cela ne vaut pas le poison qui d&eacute;coule<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;De tes yeux, de tes yeux verts,<br>
+Lacs o&ugrave; mon &acirc;me tremble et se voit &agrave; l'envers...<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Mes songes viennent en foule<br>
+Pour se d&eacute;salt&eacute;rer &agrave; ces gouffres amers.</p>
+
+<p>
+Tout cela ne vaut pas le terrible prodige<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;De ta salive qui mord,<br>
+Qui plonge dans l'oubli mon &acirc;me sans remord,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Et, charriant le vertige,<br>
+La roule d&eacute;faillante aux rives de la mort!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE CHAT</h2>
+
+<h2>
+I</h2>
+
+
+<p>
+Dans ma cervelle se prom&egrave;ne<br>
+Ainsi qu'en son appartement,<br>
+Un beau chat, fort, doux et charmant,<br>
+Quand il miaule, on l'entend &agrave; peine,</p>
+
+<p>
+Tant son timbre est tendre et discret;<br>
+Mais que sa voix s'apaise ou gronde,<br>
+Elle est toujours riche et profonde.<br>
+C'est l&agrave; son charme et son secret.</p>
+
+<p>
+Cette voix, qui perle et qui filtre<br>
+Dans mon fond le plus t&eacute;n&eacute;breux,<br>
+Me remplit comme un vers nombreux<br>
+Et me r&eacute;jouit comme un philtre.</p>
+
+<p>
+Elle endort les plus cruels maux<br>
+Et contient toutes les extases;<br>
+Pour dire les plus longues phrases,<br>
+Elle n'a pas besoin de mots.</p>
+
+<p>
+Non, il n'est pas d'archet qui morde<br>
+Sur mon c&oelig;ur, parfait instrument,<br>
+Et fasse plus royalement<br>
+Chanter sa plus vibrante corde</p>
+
+<p>
+Que ta voix, chat myst&eacute;rieux,<br>
+Chat s&eacute;raphique, chat &eacute;trange,<br>
+En qui tout est, comme un ange,<br>
+Aussi subtil qu'harmonieux.</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+II</h2>
+
+
+<p>
+De sa fourrure blonde et brune<br>
+Sort un parfum si doux, qu'un soir<br>
+J'en fus embaum&eacute;, pour l'avoir<br>
+Caress&eacute;e une fois, rien qu'une.</p>
+
+<p>
+C'est l'esprit familier du lieu;<br>
+Il juge, il pr&eacute;side, il inspire<br>
+Toutes choses dans son empire;<br>
+Peut-&ecirc;tre est-il f&eacute;e, est-il dieu?</p>
+
+<p>
+Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime<br>
+Tir&eacute;s comme par un aimant,<br>
+Se retournent docilement,<br>
+Et que je regarde en moi-m&ecirc;me,</p>
+
+<p>
+Je vois avec &eacute;tonnement<br>
+Le feu de ses prunelles p&acirc;les,<br>
+Clairs fanaux, vivantes opales,<br>
+Qui me contemplent fixement.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE BEAU NAVIRE</h2>
+
+
+<p>
+Je veux te raconter, &ocirc; molle enchanteresse,<br>
+Les diverses beaut&eacute;s qui parent ta jeunesse;<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Je veux te peindre ta beaut&eacute;<br>
+O&ugrave; l'enfance s'allie &agrave; la maturit&eacute;.</p>
+
+<p>
+Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,<br>
+Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Charg&eacute; de toile, et va roulant<br>
+Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.</p>
+
+<p>
+Sur ton cou large et rond, sur tes &eacute;paules grasses,<br>
+Ta t&ecirc;te se pavane avec d'&eacute;tranges gr&acirc;ces;<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;D'un air placide et triomphant<br>
+Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.</p>
+
+<p>
+Je veux te raconter, &ocirc; molle enchanteresse,<br>
+Les diverses beaut&eacute;s qui parent ta jeunesse;<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Je veux te peindre ta beaut&eacute;<br>
+O&ugrave; l'enfance s'allie &agrave; la maturit&eacute;.</p>
+
+<p>
+Ta gorge qui s'avance et qui pousse la moire,<br>
+Ta gorge triomphante est une belle armoire<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Dont les panneaux bomb&eacute;s et clairs<br>
+Comme les boucliers accrochent des &eacute;clairs;</p>
+
+<p>
+Boucliers provoquants, arm&eacute;s de pointes roses!<br>
+Armoire &agrave; doux secrets, pleine de bonnes choses,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;De vins, de parfums, de liqueurs<br>
+Qui feraient d&eacute;lirer les cerveaux et les c&oelig;urs!</p>
+
+<p>
+Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,<br>
+Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Charg&eacute; de toile, et va roulant<br>
+Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.</p>
+
+<p>
+Tes nobles jambes sons les volants qu'elles chassent,<br>
+Tourmentent les d&eacute;sirs obscurs et les agacent<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Comme deux sorci&egrave;res qui font<br>
+Tourner un philtre noir dans un vase profond.</p>
+
+<p>
+Tes bras qui se joueraient des pr&eacute;coces hercules<br>
+Sont des boas luisants les solides &eacute;mules,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Faits pour serrer obstin&eacute;ment,<br>
+Comme pour l'imprimer dans ton c&oelig;ur, ton amant.</p>
+
+<p>
+Sur ton cou large et rond, sur tes &eacute;paules grasses,<br>
+Ta t&ecirc;te se pavane avec d'&eacute;tranches gr&acirc;ces;<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;D'un air placide et triomphant<br>
+Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+L'IRREPARABLE</h2>
+
+<h2>
+I</h2>
+
+
+<p>
+Pouvons-nous &eacute;touffer le vieux, le long Remords,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Qui vit, s'agite et se tortille,<br>
+Et se nourrit de nous comme le ver des morts,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Comme du ch&ecirc;ne la chenille?<br>
+Pouvons-nous &eacute;touffer l'implacable Remords?</p>
+
+<p>
+Dans quel philtre, dans quel vin, dans quelle tisane<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Noierons-nous ce vieil ennemi,<br>
+Destructeur et gourmand comme la courtisane,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Patient comme la fourmi?<br>
+Dans quel philtre?--dans quel vin?--dans quelle tisane?</p>
+
+<p>
+Dis-le, belle sorci&egrave;re, oh! dis, si tu le sais,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;A cet esprit combl&eacute; d'angoisse<br>
+Et pareil au mourant qu'&eacute;crasent les bless&eacute;s,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Que le sabot du cheval froisse,<br>
+Dis-le, belle sorci&egrave;re, oh! dis, si tu le sais,</p>
+
+<p>
+A cet agonisant que le loup d&eacute;j&agrave; flaire<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Et que surveille le corbeau,<br>
+A ce soldat bris&eacute;, s'il faut qu'il d&eacute;sesp&egrave;re<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;D'avoir sa croix et son tombeau;<br>
+Ce pauvre agonisant que le loup d&eacute;j&agrave; flaire!</p>
+
+<p>
+Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir?<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Peut-on d&eacute;chirer des t&eacute;n&egrave;bres<br>
+Plus denses que la poix, sans matin et sans soir,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Sans astres, sans &eacute;clairs fun&egrave;bres?<br>
+Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir?</p>
+
+<p>
+L'Esp&eacute;rance qui brille aux carreaux de l'Auberge<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Est souill&eacute;e, est morte &agrave; jamais!<br>
+Sans lune et sans rayons trouver o&ugrave; l'on h&eacute;berge<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Les martyrs d'un chemin mauvais!<br>
+Le Diable a tout &eacute;teint aux carreaux de l'Auberge!</p>
+
+<p>
+Adorable sorci&egrave;re, aimes-tu les damn&eacute;s!<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Dis, connais-tu l'irr&eacute;missible?<br>
+Connais-tu le Remords, aux traits empoisonn&eacute;s,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;A qui notre c&oelig;ur sert de cible?<br>
+Adorable sorci&egrave;re, aimes-tu les damn&eacute;s?</p>
+
+<p>
+L'irr&eacute;parable ronge avec sa dent maudite<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Notre &acirc;me, piteux monument,<br>
+Et souvent il attaque, ainsi que le termite,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Par la base le b&acirc;timent.<br>
+L'irr&eacute;parable ronge avec sa dent maudite!</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+II</h2>
+
+
+<p>
+J'ai vu parfois, au fond d'un th&eacute;&acirc;tre banal<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Qu'enflammait l'orchestre sonore,<br>
+Une f&eacute;e allumer dans un ciel infernal<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Une miraculeuse aurore;<br>
+J'ai vu parfois au fond d'un th&eacute;&acirc;tre banal</p>
+
+<p>
+Un &ecirc;tre qui n'&eacute;tait que lumi&egrave;re, or et gaze,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Terrasser l'&eacute;norme Satan<br>
+Mais mon c&oelig;ur, que jamais ne visite l'extase<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Est un th&eacute;&acirc;tre o&ugrave; l'on attend<br>
+Toujours, toujours en vain, l'Etre aux ailes de gaze!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+CAUSERIE</h2>
+
+
+<p>
+Vous &ecirc;tes un beau ciel d'automne, clair et rose!<br>
+Mais la tristesse en moi monte comme la mer,<br>
+Et laisse, en refluant, sur ma l&egrave;vre morose<br>
+Le souvenir cuisant de son limon amer.</p>
+
+<p>
+--Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se p&acirc;me;<br>
+Ce qu'elle cherche, amie, est un lieu saccag&eacute;<br>
+Par la griffe et la dent f&eacute;roce de la femme.<br>
+Ne cherchez plus mon c&oelig;ur; les b&ecirc;tes l'ont mang&eacute;.</p>
+
+<p>
+Mon c&oelig;ur est un palais fl&eacute;tri par la cohue;<br>
+On s'y so&ucirc;le, on s'y tue, on s'y prend aux cheveux.<br>
+--Un parfum nage autour de votre gorge nue!...</p>
+
+<p>
+O Beaut&eacute;, dur fl&eacute;au des &acirc;mes! tu le veux!<br>
+Avec tes yeux de feu, brillants comme des f&ecirc;tes!<br>
+Calcine ces lambeaux qu'ont &eacute;pargn&eacute;s les b&ecirc;tes!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+CHANT D'AUTOMNE</h2>
+
+<h2>
+I</h2>
+
+
+<p>
+Bient&ocirc;t nous plongerons dans les froides t&eacute;n&egrave;bres;<br>
+Adieu, vive clart&eacute; de nos &eacute;t&eacute;s trop courts!<br>
+J'entends d&eacute;j&agrave; tomber avec des chocs fun&egrave;bres<br>
+Le bois retentissant sur le pav&eacute; des cours.</p>
+
+<p>
+Tout l'hiver va rentrer dans mon &ecirc;tre: col&egrave;re,<br>
+Haine, frissons, horreur, labeur dur et forc&eacute;,<br>
+Et, comme le soleil dans son enfer polaire.<br>
+Mon c&oelig;ur ne sera plus qu'un bloc rouge et glac&eacute;.</p>
+
+<p>
+J'&eacute;coute en fr&eacute;missant chaque b&ucirc;che qui tombe;<br>
+L'&eacute;chafaud qu'on b&acirc;tit n'a pas d'&eacute;cho plus sourd.<br>
+Mon esprit est pareil &agrave; la tour qui succombe<br>
+Sous les coups du b&eacute;lier infatigable et lourd.</p>
+
+<p>
+Il me semble, berc&eacute; par ce choc monotone,<br>
+Qu'on cloue en grande h&acirc;te un cercueil quelque part...<br>
+Pour qui?--C'&eacute;tait hier l'&eacute;t&eacute;; voici l'automne!<br>
+Ce bruit myst&eacute;rieux sonne comme un d&eacute;part.</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+II</h2>
+
+
+<p>
+J'aime de vos longs yeux la lumi&egrave;re verd&acirc;tre,<br>
+Douce beaut&eacute;, mais tout aujourd'hui m'est amer,<br>
+Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l'&acirc;tre,<br>
+Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.</p>
+
+<p>
+Et pourtant aimez-moi, tendre c&oelig;ur! soyez m&egrave;re<br>
+M&ecirc;me pour un ingrat, m&ecirc;me pour un m&eacute;chant;<br>
+Amante ou s&oelig;ur, soyez la douceur &eacute;ph&eacute;m&egrave;re<br>
+D'un glorieux automne ou d'un soleil couchant.</p>
+
+<p>
+Courte t&acirc;che! La tombe attend; elle est avide!<br>
+Ah! laissez-moi, mon front pos&eacute; sur vos genoux,<br>
+Go&ucirc;ter, en regrettant l'&eacute;t&eacute; blanc et torride,<br>
+De l'arri&egrave;re-saison le rayon jaune et doux!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+CHANSON D'APRES-MIDI</h2>
+
+
+<p>
+Quoique tes sourcils m&eacute;chants<br>
+Te donnent un air &eacute;trange<br>
+Qui n'est pas celui d'un ange,<br>
+Sorci&egrave;re aux yeux all&eacute;chants,</p>
+
+<p>
+Je t'adore, &ocirc; ma frivole,<br>
+Ma terrible passion!<br>
+Avec la d&eacute;votion<br>
+Du pr&ecirc;tre pour son idole.</p>
+
+<p>
+Le d&eacute;sert et la for&ecirc;t<br>
+Embaument tes tresses rudes,<br>
+Ta t&ecirc;te a les attitudes<br>
+De l'&eacute;nigme et du secret.</p>
+
+<p>
+Sur ta chair le parfum r&ocirc;de<br>
+Comme autour d'un encensoir;<br>
+Tu charmes comme le soir,<br>
+Nymphe t&eacute;n&eacute;breuse et chaude.</p>
+
+<p>
+Ah! les philtres les plus forts<br>
+Ne valent pas ta paresse,<br>
+Et tu connais la caresse<br>
+Qui fait revivre les morts!</p>
+
+<p>
+Tes hanches sont amoureuses<br>
+De ton dos et de tes seins,<br>
+Et tu ravis les coussins<br>
+Par tes poses langoureuses.</p>
+
+<p>
+Quelquefois pour apaiser<br>
+Ta rage myst&eacute;rieuse,<br>
+Tu prodigues, s&eacute;rieuse,<br>
+La morsure et le baiser;</p>
+
+<p>
+Tu me d&eacute;chires, ma brune,<br>
+Avec un rire moqueur,<br>
+Et puis tu mets sur mon c&oelig;ur<br>
+Ton &oelig;il doux comme la lune.</p>
+
+<p>
+Sous tes souliers de satin,<br>
+Sous tes charmants pieds de soie,<br>
+Moi, je mets ma grande joie,<br>
+Mon g&eacute;nie et mon destin,</p>
+
+<p>
+Mon &acirc;me par toi gu&eacute;rie,<br>
+Par toi, lumi&egrave;re et couleur!<br>
+Explosion de chaleur<br>
+Dans ma noire Sib&eacute;rie!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+SISINA</h2>
+
+
+<p>
+Imaginez Diane en galant &eacute;quipage,<br>
+Parcourant les for&ecirc;ts ou battant les halliers,<br>
+Cheveux et gorge au vent, s'enivrant de tapage,<br>
+Superbe et d&eacute;fiant les meilleurs cavaliers!</p>
+
+<p>
+Avez-vous vu Th&eacute;roigne, amante du carnage,<br>
+Excitant &agrave; l'assaut un peuple sans souliers,<br>
+La joue et l'&oelig;il en feu, jouant son personnage,<br>
+Et montant, sabre au poing, les royaux escaliers?</p>
+
+<p>
+Telle la Sisina! Mais la douce guerri&egrave;re<br>
+A l'&acirc;me charitable autant que meurtri&egrave;re,<br>
+Son courage, affol&eacute; de poudre et de tambours,</p>
+
+<p>
+Devant les suppliants sait mettre bas les armes,<br>
+Et son c&oelig;ur, ravag&eacute; par la flamme, a toujours,<br>
+Pour qui s'en montre digne, un r&eacute;servoir de larmes.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+A UNE DAME CREOLE</h2>
+
+
+<p>
+Au pays parfum&eacute; que le soleil caresse,<br>
+J'ai connu sous un dais d'arbres tout empourpr&eacute;s<br>
+Et de palmiers, d'o&ugrave; pleut sur les yeux la paresse,<br>
+Une dame cr&eacute;ole aux charmes ignor&eacute;s.</p>
+
+<p>
+Son teint est p&acirc;le et chaud; la brune enchanteresse<br>
+A dans le col des airs noblement mani&eacute;r&eacute;s;<br>
+Grande et svelte en marchant comme une chasseresse,<br>
+Son sourire est tranquille et ses yeux assur&eacute;s.</p>
+
+<p>
+Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire,<br>
+Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire,<br>
+Belle digne d'orner les antiques manoirs,</p>
+
+<p>
+Vous feriez, &agrave; l'abri des ombreuses retraites,<br>
+Germer mille sonnets dans le c&oelig;ur des po&egrave;tes,<br>
+Que vos grands yeux rendraient plus soumis que vos noirs.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE REVENANT</h2>
+
+
+<p>
+Comme les anges &agrave; l'&oelig;il fauve,<br>
+Je reviendrai dans ton alc&ocirc;ve<br>
+Et vers toi glisserai sans bruit<br>
+Avec les ombres de la nuit;</p>
+
+<p>
+Et je te donnerai, ma brune,<br>
+Des baisers froids comme la lune<br>
+Et des caresses de serpent<br>
+Autour d'une fosse rampant.</p>
+
+<p>
+Quand viendra le matin livide,<br>
+Tu trouveras ma place vide,<br>
+O&ugrave; jusqu'au soir il fera froid.</p>
+
+<p>
+Comme d'autres par la tendresse,<br>
+Sur ta vie et sur ta jeunesse,<br>
+Moi, je veux r&eacute;gner par l'effroi!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+SONNET D'AUTOMNE</h2>
+
+
+<p>
+Ils me disent, tes yeux, clairs comme le cristal:<br>
+&laquo; Pour toi, bizarre amant, quel est donc mon m&eacute;rite? &raquo;<br>
+--Sois charmante et tais-toi! Mon c&oelig;ur, que tout irrite,<br>
+Except&eacute; la candeur de l'antique animal,</p>
+
+<p>
+Ne veut pas te montrer son secret infernal,<br>
+Berceuse dont la main aux longs sommeils m'invite,<br>
+Ni sa noire l&eacute;gende avec la flamme &eacute;crite.<br>
+Je hais la passion et l'esprit me fait mal!</p>
+
+<p>
+Aimons-nous doucement. L'Amour dans sa gu&eacute;rite,<br>
+T&eacute;n&eacute;breux, embusqu&eacute;, bande son arc fatal.<br>
+Je connais les engins de son vieil arsenal:</p>
+
+<p>
+Crime, horreur et folie!--O p&acirc;le marguerite!<br>
+Comme moi n'es-tu pas un soleil automnal,<br>
+O ma si blanche, &ocirc; ma si froide Marguerite?</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+TRISTESSE DE LA LUNE</h2>
+
+
+<p>
+Ce soir, la lune r&ecirc;ve avec plus de paresse;<br>
+Ainsi qu'une beaut&eacute;, sur de nombreux coussins,<br>
+Qui d'une main distraite et l&eacute;g&egrave;re caresse,<br>
+Avant de s'endormir, le contour de ses seins,</p>
+
+<p>
+Sur le dos satin&eacute; des molles avalanches,<br>
+Mourante, elle se livre aux longues p&acirc;moisons,<br>
+Et prom&egrave;ne ses yeux sur les visions blanches<br>
+Qui montent dans l'azur comme des floraisons.</p>
+
+<p>
+Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,<br>
+Elle laisse filer une larme furtive,<br>
+Un po&egrave;te pieux, ennemi du sommeil,</p>
+
+<p>
+Dans le creux de sa main prend cette larme p&acirc;le,<br>
+Aux reflets iris&eacute;s comme un fragment d'opale,<br>
+Et la met dans son c&oelig;ur loin des yeux du soleil.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LES CHATS</h2>
+
+
+<p>
+Les amoureux fervents et les savants aust&egrave;res<br>
+Aiment &eacute;galement dans leur m&ucirc;re saison,<br>
+Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,<br>
+Qui comme eux sont frileux et comme eux s&eacute;dentaires.</p>
+
+<p>
+Amis de la science et de la volupt&eacute;,<br>
+Ils cherchent le silence et l'horreur des t&eacute;n&egrave;bres;<br>
+L'Er&egrave;be les e&ucirc;t pris pour ses coursiers fun&egrave;bres,<br>
+S'ils pouvaient au servage incliner leur fiert&eacute;.</p>
+
+<p>
+Ils prennent en songeant les nobles attitudes<br>
+Des grands sphinx allong&eacute;s au fond des solitudes,<br>
+Qui semblent s'endormir dans un r&ecirc;ve sans fin;</p>
+
+<p>
+Leurs reins f&eacute;conds sont pleins d'&eacute;tincelles magiques,<br>
+Et des parcelles d'or, ainsi qu'un sable fin,<br>
+Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LA PIPE</h2>
+
+
+<p>
+Je suis la pipe d'un auteur;<br>
+On voit, &agrave; contempler ma mine<br>
+D'Abyssienne ou de Cafrine,<br>
+Que mon ma&icirc;tre est un grand fumeur.</p>
+
+<p>
+Quand il est combl&eacute; de douleur,<br>
+Je fume comme la chaumine<br>
+O&ugrave; se pr&eacute;pare la cuisine<br>
+Pour le retour du laboureur.</p>
+
+<p>
+J'enlace et je berce son &acirc;me<br>
+Dans le r&eacute;seau mobile et bleu<br>
+Qui monte de ma bouche en feu,</p>
+
+<p>
+Et je roule un puissant dictame<br>
+Qui charme son c&oelig;ur et gu&eacute;rit<br>
+De ses fatigues son esprit.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LA MUSIQUE</h2>
+
+
+<p>
+La musique souvent me prend comme une mer!<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Vers ma p&acirc;le &eacute;toile,<br>
+Sous un plafond de brume ou dans un vaste &eacute;ther,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Je mets &agrave; la voile;</p>
+
+<p>
+La poitrine en avant et les poumons gonfl&eacute;s<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Comme de la toile,<br>
+J'escalade le dos des flots amoncel&eacute;s<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Que la nuit me voile;</p>
+
+<p>
+Je sens vibrer en moi toutes les passions<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;D'un vaisseau qui souffre;<br>
+Le bon vent, la temp&ecirc;te et ses convulsions</p>
+
+<p>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Sur l'immense gouffre<br>
+Me bercent.--D'autres fois, calme plat, grand mimoir<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;De mon d&eacute;sespoir!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+SEPULTURE D'UN POETE MAUDIT</h2>
+
+
+<p>
+Si par une nuit lourde et sombre<br>
+Un bon chr&eacute;tien, par charit&eacute;,<br>
+Derri&egrave;re quelque vieux d&eacute;combre<br>
+Enterre votre corps vant&eacute;,</p>
+
+<p>
+A l'heure o&ugrave; les chastes &eacute;toiles<br>
+Ferment leurs yeux appesantis,<br>
+L'araign&eacute;e y fera ses toiles,<br>
+Et la vip&egrave;re ses petits;</p>
+
+<p>
+Vous entendrez toute l'ann&eacute;e<br>
+Sur votre t&ecirc;te condamn&eacute;e<br>
+Les cris lamentables des loups</p>
+
+<p>
+Et des sorci&egrave;res fam&eacute;liques,<br>
+Les &eacute;bats des vieillards lubriques<br>
+Et les complots des noirs filous.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE MORT JOYEUX</h2>
+
+
+<p>
+Dans une terre grasse et pleine d'escargots<br>
+Je veux creuser moi-m&ecirc;me une fosse profonde,<br>
+O&ugrave; je puisse &agrave; loisir &eacute;taler mes vieux os<br>
+Et dormir dans l'oubli comme un requin dans l'onde.</p>
+
+<p>
+Je hais les testaments et je hais les tombeaux;<br>
+Plut&ocirc;t que d'implorer une larme du monde,<br>
+Vivant, j'aimerais mieux inviter les corbeaux<br>
+A saigner tous les bouts de ma carcasse immonde.</p>
+
+<p>
+O vers! noirs compagnons sans oreille et sans yeux,<br>
+Voyez venir &agrave; vous un mort libre et joyeux;<br>
+Philosophes viveurs, fils de la pourriture,</p>
+
+<p>
+A travers ma ruine allez donc sans remords,<br>
+Et dites-moi s'il est encor quelque torture<br>
+Pour ce vieux corps sans &acirc;me et mort parmi les morts?</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LA CLOCHE FELEE</h2>
+
+
+<p>
+Il est amer et doux, pendant les nuits d'hiver,<br>
+D'&eacute;couter pr&egrave;s du feu qui palpite et qui fume<br>
+Les souvenirs lointains lentement s'&eacute;lever<br>
+Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.</p>
+
+<p>
+Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux<br>
+Qui, malgr&eacute; sa vieillesse, alerte et bien portante,<br>
+Jette fid&egrave;lement son cri religieux,<br>
+Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente!</p>
+
+<p>
+Moi, mon &acirc;me est f&ecirc;l&eacute;e, et lorsqu'en ses ennuis<br>
+Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits,<br>
+Il arrive souvent que sa voix affaiblie</p>
+
+<p>
+Semble le r&acirc;le &eacute;pais d'un bless&eacute; qu'on oublie<br>
+Au bord d'un lac de sang sous un grand tas de morts,<br>
+Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+SPLEEN</h2>
+
+
+<p>
+Pluvi&ocirc;se, irrit&eacute; contre la vie enti&egrave;re,<br>
+De son urne &agrave; grands flots vers un froid t&eacute;n&eacute;breux<br>
+Aux p&acirc;les habitants du voisin cimeti&egrave;re<br>
+Et la mortalit&eacute; sur les faubourgs brumeux.</p>
+
+<p>
+Mon chat sur le carreau cherchant une liti&egrave;re<br>
+Agite sans repos son corps maigre et galeux;<br>
+L'&acirc;me d'un vieux po&egrave;te erre dans la goutti&egrave;re<br>
+Avec la triste voix d'un fant&ocirc;me frileux.</p>
+
+<p>
+Le bourdon se lamente, et la b&ucirc;che enfum&eacute;e<br>
+Accompagne en fausset la pendule enrhum&eacute;e,<br>
+Cependant qu'en un jeu plein de sales parfums,</p>
+
+<p>
+H&eacute;ritage fatal d'une vieille hydropique,<br>
+Le beau valet de c&oelig;ur et la dame de pique<br>
+Causent sinistrement de leurs amours d&eacute;funts.<br>
+J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.</p>
+
+<p>
+Un gros meuble &agrave; tiroirs encombr&eacute; de bilans,<br>
+De vers, de billets doux, de proc&egrave;s, de romances,<br>
+Avec de lourds cheveux roul&eacute;s dans des quittances,<br>
+Cache moins de secrets que mon triste cerveau.<br>
+C'est une pyramide, un immense caveau,<br>
+Qui contient plus de morts que la fosse commune.<br>
+--Je suis un cimeti&egrave;re abhorr&eacute; de la lune,<br>
+O&ugrave; comme des remords se tra&icirc;nent de longs vers<br>
+Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers.<br>
+Je suis un vieux boudoir plein de roses fan&eacute;es,<br>
+O&ugrave; g&icirc;t tout un fouillis de modes surann&eacute;es,<br>
+O&ugrave; les pastels plaintifs et les p&acirc;les Boucher,<br>
+Seuls, respirent l'odeur d'un flacon d&eacute;bouch&eacute;.</p>
+
+<p>
+Rien n'&eacute;gale en longueur les boiteuses journ&eacute;es,<br>
+Quand sous les lourds flocons des neigeuses ann&eacute;es<br>
+L'ennui, fruit de la morne incuriosit&eacute;,<br>
+Prend les proportions de l'immortalit&eacute;.<br>
+--D&eacute;sormais tu n'es plus, &ocirc; mati&egrave;re vivante!<br>
+Qu'un granit entour&eacute; d'une vague &eacute;pouvante,<br>
+Assoupi dans le fond d'un Saharah brumeux!<br>
+Un vieux sphinx ignor&eacute; du monde insoucieux,<br>
+Oubli&eacute; sur la carte, et dont l'humeur farouche<br>
+Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche.</p>
+
+<p>
+Je suis comme le roi d'un pays pluvieux,<br>
+Riche, mais impuissant, jeune et pourtant tr&egrave;s vieux,<br>
+Qui, de ses pr&eacute;cepteurs m&eacute;prisant les courbettes,<br>
+S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres b&ecirc;tes.<br>
+Rien ne peut l'&eacute;gayer, ni gibier, ni faucon,<br>
+Ni son peuple mourant en face du balcon,<br>
+Du bouffon favori la grotesque ballade<br>
+Ne distrait plus le front de ce cruel malade;<br>
+Son lit fleurdelis&eacute; se transforme en tombeau,<br>
+Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau,<br>
+Ne savent plus trouver d'impudique toilette<br>
+Pour tirer un souris de ce jeune squelette.<br>
+Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais pu<br>
+De son &ecirc;tre extirper l'&eacute;l&eacute;ment corrompu,<br>
+Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent<br>
+Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent,<br>
+Il n'a su r&eacute;chauffer ce cadavre h&eacute;b&eacute;t&eacute;<br>
+O&ugrave; coule au lieu de sang l'eau verte du L&eacute;th&eacute;.</p>
+
+<p>
+Quand le ciel bas et lourd p&egrave;se comme un couvercle<br>
+Sur l'esprit g&eacute;missant en proie aux longs ennuis,<br>
+Et que de l'horizon embrassant tout le cercle<br>
+Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits;</p>
+
+<p>
+Quand la terre est chang&eacute;e en un cachot humide,<br>
+O&ugrave; l'Esp&eacute;rance, comme une chauve-souris,<br>
+S'en va battant les murs de son aile timide<br>
+Et se cognant la t&ecirc;te &agrave; des plafonds pourris;</p>
+
+<p>
+Quand la pluie &eacute;talant ses immenses tra&icirc;n&eacute;es<br>
+D'une vaste prison imite les barreaux,<br>
+Et qu'un peuple muet d'inf&acirc;mes araign&eacute;es<br>
+Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,</p>
+
+<p>
+Des cloches tout &agrave; coup sautent avec furie<br>
+Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,<br>
+Ainsi que des esprits errants et sans patrie<br>
+Qui se mettent &agrave; geindre opini&acirc;trement.</p>
+
+<p>
+--Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,<br>
+D&eacute;filent lentement dans mon &acirc;me; l'Espoir,<br>
+Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,<br>
+Sur mon cr&acirc;ne inclin&eacute; plante son drapeau noir.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE GOUT DU NEANT</h2>
+
+
+<p>
+Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte,<br>
+L'Espoir, dont l'&eacute;peron attisait ton ardeur,<br>
+Ne veut plus t'enfourcher! Couche-toi sans pudeur,<br>
+Vieux cheval dont le pied &agrave; chaque obstacle butte.</p>
+
+<p>
+R&eacute;signe-toi, mon c&oelig;ur; dors ton sommeil de brute.</p>
+
+<p>
+Esprit vaincu, fourbu! Pour toi, vieux maraudeur,<br>
+L'amour n'a plus de go&ucirc;t, non plus que la dispute;<br>
+Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la fl&ucirc;te!<br>
+Plaisirs, ne tentez plus un c&oelig;ur sombre et boudeur!</p>
+
+<p>
+Le Printemps adorable a perdu son odeur!</p>
+
+<p>
+Et le Temps m'engloutit minute par minute,<br>
+Comme la neige immense un corps pris de roideur;<br>
+Et je n'y cherche plus l'abri d'une cahute!<br>
+Je contemple d'en haut le globe en sa rondeur,</p>
+
+<p>
+Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute?</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+ALCHIMIE DE LA DOULEUR</h2>
+
+
+<p>
+L'un t'&eacute;claire avec son ardeur<br>
+L'autre en toi met son deuil. Naturel<br>
+Ce qui dit &agrave; l'un: S&eacute;pulture!<br>
+Dit &agrave; l'autre: Vie et splendeur!</p>
+
+<p>
+Herm&egrave;s inconnu qui m'assistes<br>
+Et qui toujours m'intimidas,<br>
+Tu me rends l'&eacute;gal de Midas,<br>
+Le plus triste des alchimistes;</p>
+
+<p>
+Par toi je change l'or en fer<br>
+Et le paradis en enfer;<br>
+Dans le suaire des nuages</p>
+
+<p>
+Je d&eacute;couvre un cadavre cher.<br>
+Et sur les c&eacute;lestes rivages<br>
+Je b&acirc;tis de grands sarcophages.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LA PRIERE D'UN PA&Iuml;EN</h2>
+
+
+<p>
+Ah! ne ralentis pas tes flammes;<br>
+R&eacute;chauffe mon c&oelig;ur engourdi,<br>
+Volupt&eacute;, torture des &acirc;mes!<br>
+<i>Diva! supplicem exaudi!</i></p>
+
+<p>
+D&eacute;esse dans l'air r&eacute;pandue,<br>
+Flamme dans notre souterrain!<br>
+Exauce une &acirc;me morfondue,<br>
+Qui te consacre un chant d'airain.</p>
+
+<p>
+Volupt&eacute;, sois toujours ma reine!<br>
+Prends le masque d'une sir&egrave;ne<br>
+Fa&icirc;te de chair et de velours.</p>
+
+<p>
+Ou verse-moi tes sommeils lourds<br>
+Dans le vin informe et mystique,<br>
+Volupt&eacute;, fant&ocirc;me &eacute;lastique!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE COUVERCLE</h2>
+
+
+<p>
+En quelque lieu qu'il aille, ou sur mer ou sur terre,<br>
+Sous un climat de flamme ou sous un soleil blanc,<br>
+Serviteur de J&eacute;sus, courtisan de Cyth&egrave;re,<br>
+Mendiant t&eacute;n&eacute;breux ou Cr&eacute;sus rutilant,</p>
+
+<p>
+Citadin, campagnard, vagabond, s&eacute;dentaire,<br>
+Que son petit cerveau soit actif ou soit lent,<br>
+Partout l'homme subit la terreur du myst&egrave;re,<br>
+Et ne regarde en haut qu'avec un &oelig;il tremblant.</p>
+
+<p>
+En haut, le Ciel! ce mur de caveau qui l'&eacute;touffe,<br>
+Plafond illumin&eacute; pour un op&eacute;ra bouffe<br>
+O&ugrave; chaque histrion foule un sol ensanglant&eacute;,</p>
+
+<p>
+Terreur du libertin, espoir du fol ermite;<br>
+Le Ciel! couvercle noir de la grande marmite<br>
+O&ugrave; bout l'imperceptible et vaste Humanit&eacute;.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+L'IMPREVU</h2>
+
+
+<p>
+Harpagon, qui veillait son p&egrave;re agonisant,<br>
+Se dit, r&ecirc;veur, devant ces l&egrave;vres d&eacute;j&agrave; blanches;<br>
+&laquo; Nous avons au grenier un nombre suffisant,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Ce me semble, de vieilles planches? &raquo;</p>
+
+<p>
+C&eacute;lim&egrave;ne roucoule et dit: &laquo; Mon c&oelig;ur est bon,<br>
+Et naturellement, Dieu m'a faite tr&egrave;s belle. &raquo;<br>
+--Son c&oelig;ur! c&oelig;ur racorni, fum&eacute; comme un jambon,<br>
+Recuit &agrave; la flamme &eacute;ternelle!</p>
+
+<p>
+Un gazetier fumeux, qui se croit un flambeau,<br>
+Dit au pauvre, qu'il a noy&eacute; dans les t&eacute;n&egrave;bres:<br>
+&laquo; O&ugrave; donc l'aper&ccedil;ois-tu, ce cr&eacute;ateur du Beau,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Ce Redresseur que tu c&eacute;l&egrave;bres? &raquo;</p>
+
+<p>
+Mieux que tous, je connais certains voluptueux<br>
+Qui b&acirc;ille nuit et jour, et se lamente et pleure,<br>
+R&eacute;p&eacute;tant, l'impuissant et le fat: &laquo; Oui, je veux<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Etre vertueux, dans une heure! &raquo;</p>
+
+<p>
+L'horloge, &agrave; son tour, dit &agrave; voix basse: &laquo; Il est m&ucirc;r,<br>
+Le damn&eacute;! J'avertis en vain la chair infecte.<br>
+L'homme est aveugle, sourd, fragile, comme un mur<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Qu'habite et que ronge un insecte! &raquo;</p>
+
+<p>
+Et puis, Quelqu'un para&icirc;t, que tous avaient ni&eacute;,<br>
+Et qui leur dit, railleur et fier: &laquo; Dans mon ciboire,<br>
+Vous avez, que je crois, assez communi&eacute;,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;A la joyeuse Messe noire?</p>
+
+<p>
+Chacun de vous m'a fait un temple dans son c&oelig;ur;<br>
+Vous avez, en secret, bais&eacute; ma fesse immonde!<br>
+Reconnaissez Satan &agrave; son rire vainqueur,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Enorme et laid comme le monde!</p>
+
+<p>
+Avez-vous donc pu croire, hypocrites surpris,<br>
+Qu'on se moque du ma&icirc;tre, et qu'avec lui l'on triche,<br>
+Et qu'il soit naturel de recevoir deux prix.<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;D'aller au Ciel et d'&ecirc;tre riche?</p>
+
+<p>
+Il faut que le gibier paye le vieux chasseur<br>
+Qui se morfond longtemps &agrave; l'aff&ucirc;t de la proie.<br>
+Je vais vous emporter &agrave; travers l'&eacute;paisseur,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Compagnons de ma triste joie,</p>
+
+<p>
+A travers l'&eacute;paisseur de la terre et du roc,<br>
+A travers les amas confus de votre cendre,<br>
+Dans un palais aussi grand que moi, d'un seul bloc,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Et qui n'est pas de pierre tendre;</p>
+
+<p>
+Car il fait avec l'universel P&eacute;ch&eacute;,<br>
+Et contient mon orgueil, ma douleur et ma gloire!<br>
+--Cependant, tout en haut de l'univers juch&eacute;,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Un Ange sonne la victoire</p>
+
+<p>
+De ceux dont le c&oelig;ur dit: &laquo; Que b&eacute;ni soit ton fouet,<br>
+Seigneur! que la douleur, &ocirc; P&egrave;re, soit b&eacute;nie!<br>
+Mon &acirc;me dans tes mains n'est pas un vain jouet,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Et ta prudence est infinie. &raquo;</p>
+
+<p>
+Le son de la trompette est si d&eacute;licieux,<br>
+Dans ces soirs solennels de c&eacute;lestes vendanges,<br>
+Qu'il s'infiltre comme une extase dans tous ceux<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Dont elle chante les louanges.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+L'EXAMEN DE MINUIT</h2>
+
+
+<p>
+La pendule, sonnant minuit,<br>
+Ironiquement nous engage<br>
+A nous rappeler quel usage<br>
+Nous f&icirc;mes du jour qui s'enfuit:<br>
+--Aujourd'hui, date fatidique,<br>
+Vendredi, treize, nous avons,<br>
+Malgr&eacute; tout ce que nous savons,<br>
+Men&eacute; le train d'un h&eacute;r&eacute;tique.</p>
+
+<p>
+Nous avons blasph&eacute;m&eacute; J&eacute;sus,<br>
+Des Dieux le plus incontestable!<br>
+Comme un parasite &agrave; la table<br>
+De quelque monstrueux Cr&eacute;sus,<br>
+Nous avons, pour plaire &agrave; la brute,<br>
+Digne vassale des D&eacute;mons,<br>
+Insult&eacute; ce que nous aimons<br>
+Et flatt&eacute; ce qui nous rebute;</p>
+
+<p>
+Contrist&eacute;, servile bourreau,<br>
+Le faible qu'&agrave; tort on m&eacute;prise;<br>
+Salu&eacute; l'&eacute;norme B&ecirc;tise,<br>
+La B&ecirc;tise au front de taureau;<br>
+Bais&eacute; la stupide Mati&egrave;re<br>
+Avec grande d&eacute;votion,<br>
+Et de la putr&eacute;faction<br>
+B&eacute;ni la blafarde lumi&egrave;re.</p>
+
+<p>
+Enfin, nous avons, pour noyer<br>
+Le vertige dans le d&eacute;lire,<br>
+Nous, pr&ecirc;tre orgueilleux de la Lyre,<br>
+Dont la gloire est de d&eacute;ployer<br>
+L'ivresse des choses fun&egrave;bres,<br>
+Bu sans soif et mang&eacute; sans faim!...<br>
+--Vite soufflons la lampe, afin<br>
+De nous cacher dans les t&eacute;n&egrave;bres!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+MADRIGAL TRISTE</h2>
+
+
+<p>
+Que m'importe que tu sois sage?<br>
+Sois belle! et sois triste! Les pleurs<br>
+Ajoutent un charme au visage,<br>
+Comme le fleuve au paysage;<br>
+L'orage rajeunit les fleurs.</p>
+
+<p>
+Je t'aime surtout quand la joie<br>
+S'enfuit de ton front terrass&eacute;;<br>
+Quand ton c&oelig;ur dans l'horreur se noie;<br>
+Quand sur ton pr&eacute;sent se d&eacute;ploie<br>
+Le nuage affreux du pass&eacute;.</p>
+
+<p>
+Je t'aime quand ton grand &oelig;il verse<br>
+Une eau chaude comme le sang;<br>
+Quand, malgr&eacute; ma main qui te berce,<br>
+Ton angoisse, trop lourde, perce<br>
+Comme un r&acirc;le d'agonisant.<br>
+J'aspire, volupt&eacute; divine!</p>
+
+<p>
+Hymne profond, d&eacute;licieux!<br>
+Tous les sanglots de ta poitrine,<br>
+Et crois que ton c&oelig;ur s'illumine<br>
+Des perles que versent tes yeux!</p>
+
+<p>
+Je sais que ton c&oelig;ur, qui regorge<br>
+De vieux amours d&eacute;racin&eacute;s,<br>
+Flamboie encor comme une forge,<br>
+Et que tu couves sous ta gorge<br>
+Un peu de l'orgueil des damn&eacute;s;</p>
+
+<p>
+Mais tant, ma ch&egrave;re, que tes r&ecirc;ves<br>
+N'auront pas refl&eacute;t&eacute; l'Enfer,<br>
+Et qu'en un cauchemar sans tr&ecirc;ves,<br>
+Songeant de poisons et de glaives,<br>
+Eprise de poudre et de fer,</p>
+
+<p>
+N'ouvrant &agrave; chacun qu'avec crainte,<br>
+D&eacute;chiffrant le malheur partout,<br>
+Te convulsant quand l'heure tinte,<br>
+Tu n'auras pas senti l'&eacute;treinte<br>
+De l'irr&eacute;sistible D&eacute;go&ucirc;t,</p>
+
+<p>
+Tu ne pourras, esclave reine<br>
+Qui ne m'aimes qu'avec effroi,<br>
+Dans l'horreur de la nuit malsaine<br>
+Me dire, l'&acirc;me de cris pleine:<br>
+&laquo; Je suis ton &eacute;gale, &ocirc; mon Roi! &raquo;</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+L'AVERTISSEUR</h2>
+
+
+<p>
+Tout homme digne de ce nom<br>
+A dans le c&oelig;ur un Serpent jaune,<br>
+Install&eacute; comme sur un tr&ocirc;ne,<br>
+Qui, s'il dit: &laquo; Je veux! &raquo; r&eacute;pond: &laquo; Non! &raquo;</p>
+
+<p>
+Plonge tes yeux dans les yeux fixes<br>
+Des Satyresses ou des Nixes,<br>
+La Dent dit: &laquo; Pense &agrave; ton devoir! &raquo;</p>
+
+<p>
+Fais des enfants, plante des arbres &raquo;.<br>
+Polis des vers, sculpte des marbres,<br>
+La Dent dit: &laquo; Vivras-tu ce soir? &raquo;</p>
+
+<p>
+Quoi qu'il &eacute;bauche ou qu'il esp&egrave;re,<br>
+L'homme ne vit pas un moment<br>
+Sans subir l'avertissement<br>
+De l'insupportable Vip&egrave;re.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+A UNE MALABARAISE</h2>
+
+
+<p>
+Tes pieds sont aussi fins que tes mains, et ta hanche<br>
+Est large &agrave; faire envie &agrave; la plus belle blanche;<br>
+A l'artiste pensif ton corps est doux et cher;<br>
+Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair<br>
+Aux pays chauds et bleus o&ugrave; ton Dieu t'a fait na&icirc;tre,<br>
+Ta t&acirc;che est d'allumer la pipe de ton ma&icirc;tre,<br>
+De pourvoir les flacons d'eaux fra&icirc;ches et d'odeurs,<br>
+De chasser loin du lit les moustiques r&ocirc;deurs,<br>
+Et, d&egrave;s que le matin fait chanter les platanes,<br>
+D'acheter au bazar ananas et bananes.<br>
+Tout le jour, o&ugrave; tu veux, tu m&egrave;nes tes pieds nus,<br>
+Et fredonnes tout bas de vieux airs inconnus;<br>
+Et quand descend le soir au manteau d'&eacute;carlate,<br>
+Tu poses doucement ton corps sur une natte,<br>
+O&ugrave; tes r&ecirc;ves flottants sont pleins de colibris,<br>
+Et toujours, comme toi, gracieux et fleuris.<br>
+Pourquoi, l'heureuse enfant, veux-tu voir notre France,<br>
+Ce pays trop peupl&eacute; que fauche la souffrance,<br>
+Et, confiant ta vie aux bras forts des marins,<br>
+Faire de grands adieux &agrave; tes chers tamarins?<br>
+Toi, v&ecirc;tue &agrave; moiti&eacute; de mousselines fr&ecirc;les,<br>
+Frissonnante l&agrave;-bas sous la neige et les gr&ecirc;les,<br>
+Comme tu pleurerais tes loisirs doux et francs,<br>
+Si, le corset brutal emprisonnant tes flancs,<br>
+Il te fallait glaner ton souper dans nos fanges<br>
+Et vendre le parfum de tes charmes &eacute;tranges,<br>
+L'&oelig;il pensif, et suivant, dans nos sales brouillards,<br>
+Des cocotiers absents les fant&ocirc;mes &eacute;pars!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LA VOIX</h2>
+
+
+<p>
+Mon berceau s'adossait &agrave; la biblioth&egrave;que,<br>
+Babel sombre, o&ugrave; roman, science, fabliau,<br>
+Tout, la cendre latine et la poussi&egrave;re grecque,<br>
+Se m&ecirc;laient. J'&eacute;tais haut comme un in-folio.<br>
+Deux voix me parlaient. L'une, insidieuse et ferme,<br>
+Disait: &laquo; La Terre est un g&acirc;teau plein de douceur;<br>
+Je puis (et ton plaisir serait alors sans terme!)<br>
+Te faire un app&eacute;tit d'une &eacute;gale grosseur. &raquo;<br>
+Et l'autre: &laquo; Viens, oh! viens voyager dans les r&ecirc;ves<br>
+Au del&agrave; du possible, au del&agrave; du connu! &raquo;<br>
+Et celle-l&agrave; chantait comme le vent des gr&egrave;ves,<br>
+Fant&ocirc;me vagissant, on ne sait d'o&ugrave; venu,<br>
+Qui caresse l'oreille et cependant l'effraie.<br>
+Je te r&eacute;pondis: &laquo; Oui! douce voix! &raquo; C'est d'alors<br>
+Que date ce qu'on peut, h&eacute;las! nommer ma plaie<br>
+Et ma fatalit&eacute;. Derri&egrave;re les d&eacute;cors<br>
+De l'existence immense, au plus noir de l'ab&icirc;me,<br>
+Je vois distinctement des mondes singuliers,<br>
+Et, de ma clairvoyance extatique victime,<br>
+Je tra&icirc;ne des serpents qui mordent mes souliers.<br>
+Et c'est depuis ce temps que, pareil aux proph&egrave;tes,<br>
+J'aime si tendrement le d&eacute;sert et la mer;<br>
+Que je ris dans les deuils et pleure dans les f&ecirc;tes,<br>
+Et trouve un go&ucirc;t suave au vin le plus amer;<br>
+Que je prends tr&egrave;s souvent les faits pour des mensonges<br>
+Et que, les yeux au ciel, je tombe dans des trous.<br>
+Mais la Voix me console et dit: &laquo; Garde des songes;<br>
+Les sages n'en ont pas d'aussi beaux que les fous! &raquo;.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+HYMNE</h2>
+
+
+<p>
+A la tr&egrave;s ch&egrave;re, &agrave; la tr&egrave;s belle<br>
+Qui remplit mon c&oelig;ur de clart&eacute;,<br>
+A l'ange, &agrave; l'idole immortelle,<br>
+Salut en immortalit&eacute;!</p>
+
+<p>
+Elle se r&eacute;pand dans ma vie<br>
+Comme un air impr&eacute;gn&eacute; de sel,<br>
+Et dans mon &acirc;me inassouvie,<br>
+Verse le go&ucirc;t de l'&eacute;ternel.</p>
+
+<p>
+Sachet toujours frais qui parfume<br>
+L'atmosph&egrave;re d'un cher r&eacute;duit,<br>
+Encensoir oubli&eacute; qui fume<br>
+En secret &agrave; travers la nuit,</p>
+
+<p>
+Comment, amour incorruptible,<br>
+T'exprimer avec v&eacute;rit&eacute;?<br>
+Grain de musc qui gis, invisible,<br>
+Au fond de mon &eacute;ternit&eacute;!</p>
+
+<p>
+A l'ange, &agrave; l'idole immortelle,<br>
+A la tr&egrave;s bonne, &agrave; la tr&egrave;s belle<br>
+Qui fait ma joie et ma sant&eacute;,<br>
+Salut en immortalit&eacute;!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE REBELLE</h2>
+
+
+<p>
+Un Ange furieux fond du ciel comme un aigle,<br>
+Du m&eacute;cr&eacute;ant saisit &agrave; plein poing les cheveux,<br>
+Et dit, le secouant: &laquo; Ta conna&icirc;tras la r&egrave;gle!<br>
+(Car je suis ton bon Ange, entends-tu?) Je le veux!</p>
+
+<p>
+Sache qu'il faut aimer, sans faire la grimace,<br>
+Le pauvre, le m&eacute;chant, le tortu, l'h&eacute;b&eacute;t&eacute;,<br>
+Pour que tu puisses faire &agrave; J&eacute;sus, quand il passe,<br>
+Un tapis triomphal avec ta charit&eacute;.</p>
+
+<p>
+Tel est l'Amour! Avant que ton c&oelig;ur ne se blase,<br>
+A la gloire de Dieu rallume ton extase;<br>
+C'est la Volupt&eacute; vraie aux durables appas! &raquo;</p>
+
+<p>
+Et l'Ange, ch&acirc;tiant autant, ma foi! qu'il aime,<br>
+De ses poings de g&eacute;ant torture l'anath&egrave;me;<br>
+Mais le damn&eacute; r&eacute;pond toujours; &laquo; Je ne veux pas! &raquo;</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE JET D'EAU</h2>
+
+
+<p>
+Tes beaux yeux sont las, pauvre amante!<br>
+Reste longtemps sans les rouvrir,<br>
+Dans cette pose nonchalante<br>
+O&ugrave; t'a surprise le plaisir.<br>
+Dans la cour le jet d'eau qui jase<br>
+Et ne se tait ni nuit ni jour,<br>
+Entretient doucement l'extase<br>
+O&ugrave; ce soir m'a plong&eacute; l'amour.</p>
+
+<p>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;La gerbe &eacute;panouie<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;En mille fleurs,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;O&ugrave; Ph&oelig;b&eacute; r&eacute;jouie<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Met ses couleurs,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Tombe comme une pluie<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;De larges pleurs.</p>
+
+<p>
+Ainsi ton &acirc;me qu'incendie<br>
+L'&eacute;clair br&ucirc;lant des volupt&eacute;s<br>
+S'&eacute;lance, rapide et hardie,<br>
+Vers les vastes cieux enchant&eacute;s.<br>
+Puis, elle s'&eacute;panche, mourante,<br>
+En un flot de triste langueur,<br>
+Qui par une invisible pente<br>
+Descend jusqu'au fond de mon c&oelig;ur.</p>
+
+<p>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;La gerbe &eacute;panouie<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;En mille fleurs,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;O&ugrave; Ph&oelig;b&eacute; r&eacute;jouie<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Met ses couleurs,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Tombe comme une pluie<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;De larges pleurs.</p>
+
+<p>
+0 toi, que la nuit rend si belle,<br>
+Qu'il m'est doux, pench&eacute; vers tes seins,<br>
+D'&eacute;couter la plainte &eacute;ternelle<br>
+Qui sanglote dans les bassins!<br>
+Lune, eau sonore, nuit b&eacute;nie,<br>
+Arbres qui frissonnez autour,<br>
+Votre pure m&eacute;lancolie<br>
+Est le miroir de mon amour.</p>
+
+<p>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;La gerbe &eacute;panouie<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;En mille fleurs,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;O&ugrave; Ph&oelig;b&eacute; r&eacute;jouie<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Met ses couleurs,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Tombe comme une pluie<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;De larges pleurs.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE COUCHER DU SOLEIL ROMANTIQUE</h2>
+
+
+<p>
+Que le Soleil est beau quand tout frais il se l&egrave;ve,<br>
+Comme une explosion nous lan&ccedil;ant son bonjour!<br>
+--Bienheureux celui-l&agrave; qui peut avec amour<br>
+Saluer son coucher plus glorieux qu'un r&ecirc;ve!</p>
+
+<p>
+Je me souviens!... J'ai vu tout, fleur, source, sillon,<br>
+Se p&acirc;mer sous son &oelig;il comme un c&oelig;ur qui palpite,..<br>
+--Courons vers l'horizon, il est tard, courons vite,<br>
+Pour attraper au moins un oblique rayon!</p>
+
+<p>
+Mais je poursuis en vain le Dieu qui se retire;<br>
+L'irr&eacute;sistible Nuit &eacute;tablit son empire,<br>
+Noire, humide, funeste et pleine de frissons;</p>
+
+<p>
+Une odeur de tombeau dans les t&eacute;n&egrave;bres nage,<br>
+Et mon pied peureux froisse, au bord du mar&eacute;cage,<br>
+Des crapauds impr&eacute;vus et de froids lima&ccedil;ons.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE GOUFFRE</h2>
+
+
+<p>
+Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant.<br>
+--H&eacute;las! tout est ab&icirc;me,--action, d&eacute;sir, r&ecirc;ve,<br>
+Parole! et sur mon poil qui tout droit se rel&egrave;ve<br>
+Mainte fois de la Peur je sens passer le vent.</p>
+
+<p>
+En haut, en bas, partout, la profondeur, la gr&egrave;ve,<br>
+Le silence, l'espace affreux et captivant...<br>
+Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant<br>
+Dessine un cauchemar multiforme et sans tr&ecirc;ve.</p>
+
+<p>
+J'ai peur du sommeil comme on a peur d'un grand trou,<br>
+Tout plein de vague horreur, menant on ne sait o&ugrave;;<br>
+Je ne vois qu'infini par toutes les fen&ecirc;tres,</p>
+
+<p>
+Et mon esprit, toujours du vertige hant&eacute;,<br>
+Jalouse du n&eacute;ant l'insensibilit&eacute;.<br>
+--Ah! ne jamais sortir des Nombres et des Etres!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LES PLAINTES D'UN ICARE</h2>
+
+
+<p>
+Les amants des prostitu&eacute;es<br>
+Sont heureux, dispos et repus;<br>
+Quant &agrave; moi, mes bras sont rompus<br>
+Pour avoir &eacute;treint des nu&eacute;es.</p>
+
+<p>
+C'est gr&acirc;ce aux astres non pareils,<br>
+Qui tout au fond du ciel flamboient,<br>
+Que mes yeux consum&eacute;s ne voient<br>
+Que des souvenirs de soleils.</p>
+
+<p>
+En vain j'ai voulu de l'espace,<br>
+Trouver la fin et le milieu;<br>
+Sous je ne sais quel &oelig;il de feu<br>
+Je sens mon aile qui se casse;</p>
+
+<p>
+Et br&ucirc;l&eacute; par l'amour du beau,<br>
+Je n'aurai pas l'honneur sublime<br>
+De donner mon nom &agrave; l'ab&icirc;me<br>
+Qui me servira de tombeau.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+RECUEILLEMENT</h2>
+
+
+<p>
+Sois sage, &ocirc; ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille,<br>
+Tu r&eacute;clamais le Soir; il descend; le voici:<br>
+Une atmosph&egrave;re obscure enveloppe la ville,<br>
+Aux uns portant la paix, aux autres le souci.</p>
+
+<p>
+Pendant que des mortels la multitude vile,<br>
+Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,<br>
+Va cueillir des remords dans la f&ecirc;te servile,<br>
+Ma Douleur, donne-moi la main; viens par ici,</p>
+
+<p>
+Loin d'eux. Vois se pencher les d&eacute;funtes Ann&eacute;es,<br>
+Sur les balcons du ciel, en robes surann&eacute;es;<br>
+Surgir du fond des eaux le Regret souriant;</p>
+
+<p>
+Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,<br>
+Et, comme un long linceul tra&icirc;nant &agrave; l'Orient,<br>
+Entends, ma ch&egrave;re, entends la douce Nuit qui marche.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+L'HEAUTONTIMOROUMENOS</h2>
+
+<p>
+A. J. G. F.</p>
+
+
+<p>
+Je te frapperai sans col&egrave;re<br>
+Et sans haine,--comme un boucher!<br>
+Comme Mo&iuml;se le rocher,<br>
+--Et je ferai de ta paupi&egrave;re,</p>
+
+<p>
+Pour abreuver mon Sahara,<br>
+Jaillir les eaux de la souffrance,<br>
+Mon d&eacute;sir gonfl&eacute; d'esp&eacute;rance<br>
+Sur tes pleurs sal&eacute;s nagera</p>
+
+<p>
+Comme un vaisseau qui prend le large,<br>
+Et dans mon c&oelig;ur qu'ils so&ucirc;leront<br>
+Tes chers sanglots retentiront<br>
+Comme un tambour qui bat la charge!</p>
+
+<p>
+Ne suis-je pas un faux accord<br>
+Dans la divine symphonie,<br>
+Gr&acirc;ce &agrave; la vorace Ironie<br>
+Qui me secoue et qui me mord?</p>
+
+<p>
+Elle est dans ma voix, la criarde!<br>
+C'est tout mon sang, ce poison noir!<br>
+Je suis le sinistre miroir<br>
+O&ugrave; la m&eacute;g&egrave;re se regarde.</p>
+
+<p>
+Je suis la plaie et le couteau!<br>
+Je suis le soufflet et la joue!<br>
+Je suis les membres et la roue,<br>
+Et la victime et le bourreau!</p>
+
+<p>
+Je suis de mon c&oelig;ur le vampire,<br>
+--Un de ces grands abandonn&eacute;s<br>
+Au rire &eacute;ternel condamn&eacute;s,<br>
+Et qui ne peuvent plus sourire!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+L'IRREMEDIABLE</h2>
+
+<h2>
+I</h2>
+
+
+<p>
+Une Id&eacute;e, une Forme, un Etre<br>
+Parti de l'azur et tomb&eacute;<br>
+Dans un Styx bourbeux et plomb&eacute;<br>
+O&ugrave; nul &oelig;il du Ciel ne p&eacute;n&egrave;tre;</p>
+
+<p>
+Un Ange, imprudent voyageur<br>
+Qu'a tent&eacute; l'amour du difforme,<br>
+Au fond d'un cauchemar &eacute;norme<br>
+Se d&eacute;battant comme un nageur,</p>
+
+<p>
+Et luttant, angoisses fun&egrave;bres!<br>
+Contre un gigantesque remous<br>
+Qui va chantant comme les fous<br>
+Et pirouettant dans les t&eacute;n&egrave;bres;</p>
+
+<p>
+Un malheureux ensorcel&eacute;<br>
+Dans ses t&acirc;tonnements futiles,<br>
+Pour fuir d'un lieu plein de reptiles,<br>
+Cherchant la lumi&egrave;re et la cl&eacute;;</p>
+
+<p>
+Un damn&eacute; descendant sans lampe,<br>
+Au bord d'un gouffre dont l'odeur<br>
+Trahit l'humide profondeur,<br>
+D'&eacute;ternels escaliers sans rampe,</p>
+
+<p>
+O&ugrave; veillent des monstres visqueux<br>
+Dont les larges yeux de phosphore<br>
+Font une nuit plus noire encore<br>
+Et ne rendent visibles qu'eux;</p>
+
+<p>
+Un navire pris dans le p&ocirc;le,<br>
+Comme en un pi&egrave;ge de cristal,<br>
+Cherchant par quel d&eacute;troit fatal<br>
+Il est tomb&eacute; dans cette ge&ocirc;le;</p>
+
+<p>
+--Embl&egrave;mes nets, tableau parfait<br>
+D'une fortune irr&eacute;m&eacute;diable,<br>
+Qui donne &agrave; penser que le Diable<br>
+Fait toujours bien tout ce qu'il fait!</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+II</h2>
+
+
+<p>
+T&ecirc;te-&agrave;-t&ecirc;te sombre et limpide<br>
+Qu'un c&oelig;ur devenu son miroir<br>
+Puits de V&eacute;rit&eacute;, clair et noir,<br>
+O&ugrave; tremble une &eacute;toile livide,</p>
+
+<p>
+Un phare ironique, infernal,<br>
+Flambeau des gr&acirc;ces sataniques,<br>
+Soulagement et gloire uniques,<br>
+--La conscience dans le Mal!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+L'HORLOGE</h2>
+
+
+<p>
+Horloge dieu sinistre, effrayant, impassible,<br>
+Dont le doigt nous menace et nous dit: <i>Souviens-toi!</i><br>
+Les bivrantes Douleurs dans ton c&oelig;ur plein d'effroi<br>
+Se planteront bient&ocirc;t comme dans une cible;</p>
+
+<p>
+Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon<br>
+Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse;<br>
+Chaque instant te d&eacute;vore un morceau du d&eacute;lice<br>
+A chaque homme accord&eacute; pour toute sa saison.</p>
+
+<p>
+Trois mille six cents fois par heure, la Seconde<br>
+Chuchote: <i>Souviens-toi!</i>--Rapide, avec sa voix<br>
+D'insecte, Maintenant dit: Je sais Autrefois,<br>
+Et j'ai pomp&eacute; ta vie avec ma trompe immonde!</p>
+
+<p>
+<i>Remember! Souviens-toi!</i> prodigue! <i>Esto memor!</i>
+(Mon gosier de m&eacute;tal parle toutes les langues.)<br>
+Les minutes, mortel fol&acirc;tre, sont des gangues<br>
+Qu'il ne faut pas l&acirc;cher sans en extraire l'or!</p>
+
+<p>
+<i>Souviens-toi</i> que le Temps est un joueur avide
+Qui gagne sans tricher, &agrave; tout coup! c'est la loi.<br>
+Le jour d&eacute;cro&icirc;t; la nuit augmente, <i>souviens-toi!</i><br>
+Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.</p>
+
+<p>
+Tant&ocirc;t sonnera l'heure o&ugrave; le divin Hasard,<br>
+O&ugrave; l'auguste Vertu, ton &eacute;pouse encor vierge,<br>
+O&ugrave; le Repentir m&ecirc;me (oh! la derni&egrave;re auberge!),<br>
+O&ugrave; tout te dira: Meurs, vieux l&acirc;che! il est trop tard! &raquo;</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+TABLEAUX PARISIENS</h2>
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE SOLEIL</h2>
+
+
+<p>
+Le long du vieux faubourg, o&ugrave; pendant aux masures<br>
+Les persiennes, abri des secr&egrave;tes luxures,<br>
+Quand le soleil cruel frappe &agrave; traits redoubl&eacute;s<br>
+Sur la ville et les champs, sur les toits et les bl&eacute;s.<br>
+Je vais m'exercer seul &agrave; ma fantasque escrime,<br>
+Flairant dans tous les coins les hasards de la rime.<br>
+Tr&eacute;buchant sur les mots comme sur les pav&eacute;s,<br>
+Heurtant parfois des vers depuis longtemps r&ecirc;v&eacute;s.</p>
+
+<p>
+Ce p&egrave;re nourricier, ennemi des chloroses,<br>
+Eveille dans les champs les vers comme les roses;<br>
+Il fait s'&eacute;vaporer les soucis vers le ciel,<br>
+Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.<br>
+C'est lui qui rajeunit les porteurs de b&eacute;quilles<br>
+Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,<br>
+Et commande aux moissons de cro&icirc;tre et de m&ucirc;rir<br>
+Dans le c&oelig;ur immortel qui toujours veut fleurir!<br>
+Quand, ainsi qu'un po&egrave;te, il descend dans les villes,<br>
+Il ennoblit le sort des choses les plus viles,<br>
+Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets,<br>
+Dans tous les h&ocirc;pitaux et dans tous les palais.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LA LUNE OFFENSEE</h2>
+
+
+<p>
+O Lune qu'adoraient discr&egrave;tement nos p&egrave;res,<br>
+Du haut des pays bleus o&ugrave;, radieux s&eacute;rail,<br>
+Les astres vont te suivre en pimpant attirail,<br>
+Ma vieille Cynthia, lampe de nos repaires,</p>
+
+<p>
+Vois-tu les amoureux sur leurs grabats prosp&egrave;res,<br>
+De leur bouche en dormant montrer le frais &eacute;mail?<br>
+Le po&egrave;te buter du front sur son travail?<br>
+O&ugrave; sous les gazons secs s'accoupler les vip&egrave;res?</p>
+
+<p>
+Sous ton domino jaune, et d'un pied clandestin,<br>
+Vas-tu, comme jadis, du soir jusqu'au matin,<br>
+Baiser d'Endymion les gr&acirc;ces surann&eacute;es?</p>
+
+<p>
+&laquo; --Je vois ta m&egrave;re, enfant de ce si&egrave;cle appauvri,<br>
+Qui vers son miroir penche un lourd amas d'ann&eacute;es,<br>
+Et pl&acirc;tre artistement le sein qui t'a nourri! &raquo;</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+A UNE MENDIANTE ROUSSE</h2>
+
+
+<p>
+Blanche fille aux cheveux roux,<br>
+Dont ta robe par ses trous<br>
+Laisse voir la pauvret&eacute;<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Et la beaut&eacute;,</p>
+
+<p>
+Pour moi, po&egrave;te ch&eacute;tif,<br>
+Ton jeune corps maladif<br>
+Plein de taches de rousseur<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;A sa douceur.</p>
+
+<p>
+Tu portes plus galamment<br>
+Qu'une reine de roman<br>
+Ses cothurnes de velours<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Tes sabots lourds.</p>
+
+<p>
+Au lieu d'un haillon trop court,<br>
+Qu'un superbe habit de cour<br>
+Tra&icirc;ne &agrave; plis bruyants et longs<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Sur tes talons;</p>
+
+<p>
+Et place de bas trou&eacute;s,<br>
+Que pour les yeux des rou&eacute;s<br>
+Sur ta jambe un poignard d'or<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Reluise encor;</p>
+
+<p>
+Que des n&oelig;uds mal attach&eacute;s<br>
+D&eacute;voilent pour nos p&eacute;ch&eacute;s<br>
+Tes deux beaux seins, radieux<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Comme des yeux;</p>
+
+<p>
+Que pour te d&eacute;shabiller<br>
+Tes bras se fassent prier<br>
+Et chassent &agrave; coups mutins<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Les doigts lutins;</p>
+
+<p>
+--Perles de la plus belle eau,<br>
+Sonnets de ma&icirc;tre Belleau<br>
+Par tes galants mis aux fers<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Sans cesse offerts,</p>
+
+<p>
+Valetaille de rimeurs<br>
+Te d&eacute;diant leurs primeurs<br>
+Et contemplant ton soulier<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Sous l'escalier,</p>
+
+<p>
+Maint page &eacute;pris du hasard,<br>
+Maint seigneur et maint Ronsard<br>
+Epieraient pour le d&eacute;duit<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Ton frais r&eacute;duit!</p>
+
+<p>
+Tu compterais dans tes lits<br>
+Plus de baisers que de lys<br>
+Et rangerais sous tes lois<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Plus d'un Valois!</p>
+
+<p>
+--Cependant tu vas gueusant<br>
+Quelque vieux d&eacute;bris gisant<br>
+Au seuil de quelque V&eacute;four<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;De carrefour;</p>
+
+<p>
+Tu vas lorgnant en dessous<br>
+Des bijoux de vingt-neuf sous<br>
+Dont je ne puis, oh! pardon!<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Te faire don;</p>
+
+<p>
+Va donc, sans autre ornement,<br>
+Parfum, perles, diamant,<br>
+Que ta maigre nudit&eacute;,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;O ma beaut&eacute;!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE CYGNE</h2>
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+A VICTOR HUGO</h2>
+
+<h2>
+I</h2>
+
+
+<p>
+Andromaque, je pense &agrave; vous!--Ce petit fleuve,<br>
+Pauvre et triste miroir o&ugrave; jadis resplendit<br>
+L'immense majest&eacute; de vos douleurs de veuve,<br>
+Ce Simo&iuml;s menteur qui par vos pleurs grandit,</p>
+
+<p>
+A f&eacute;cond&eacute; soudain ma m&eacute;moire fertile,<br>
+Comme je traversais le nouveau Carrousel.<br>
+--Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville<br>
+Change plus vite, h&eacute;las! que le c&oelig;ur d'un mortel);</p>
+
+<p>
+Je ne vois qu'en esprit tout ce camp de baraques,<br>
+Ces tas de chapiteaux &eacute;bauch&eacute;s et de f&ucirc;ts,<br>
+Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des flasques<br>
+Et, brillant aux carreaux, le bric-&agrave;-brac confus.</p>
+
+<p>
+L&agrave; s'&eacute;talait jadis une m&eacute;nagerie;<br>
+L&agrave; je vis, un matin, &agrave; l'heure o&ugrave; sous les cieux<br>
+Clairs et froids le Travail s'&eacute;veille, o&ugrave; la voirie<br>
+Pousse un sombre ouragan dans l'air silencieux,</p>
+
+<p>
+Un cygne qui s'&eacute;tait &eacute;vad&eacute; de sa cage,<br>
+Et, de ses pieds palm&eacute;s frottant le pav&eacute; sec,<br>
+Sur le sol raboteux tra&icirc;nait son grand plumage.<br>
+Pr&egrave;s d'un ruisseau sans eau la b&ecirc;te ouvrant le bec,</p>
+
+<p>
+Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,<br>
+Et disait, le c&oelig;ur plein de son beau lac natal:<br>
+&laquo; Eau, quand donc pleuvras-tu? quand tonneras-tu,<br>
+Je vois ce malheureux, mythe &eacute;trange et fatal, foudre?</p>
+
+<p>
+Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide,<br>
+Vers le ciel ironique et cruellement bleu,<br>
+Sur son cou convulsif tendant sa t&ecirc;te avide,<br>
+Comme s'il adressait des reproches &agrave; Dieu!</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+II</h2>
+
+
+<p>
+Paris change, mais rien dans ma m&eacute;lancolie<br>
+N'a boug&eacute;! palais neufs, &eacute;chafaudages, blocs,<br>
+Vieux faubourgs, tout pour moi devient all&eacute;gorie,<br>
+Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.</p>
+
+<p>
+Aussi devant ce Louvre une image m'opprime:<br>
+Je pense &agrave; mon grand cygne, avec ses gestes fous,<br>
+Comme les exil&eacute;s, ridicule et sublime,<br>
+Et rong&eacute; d'un d&eacute;sir sans tr&ecirc;ve! et puis &agrave; vous,</p>
+
+<p>
+Andromaque, des bras d'un grand &eacute;poux tomb&eacute;e,<br>
+Vil b&eacute;tail, sous la main du superbe Pyrrhus,<br>
+Aupr&egrave;s d'un tombeau vide en extase courb&eacute;e;<br>
+Veuve d'Hector, h&eacute;las! et femme d'H&eacute;l&eacute;nus!</p>
+
+<p>
+Je pense &agrave; la n&eacute;gresse, amaigrie et phtisique,<br>
+Pi&eacute;tinant dans la boue, et cherchant, l'&oelig;il hagard,<br>
+Les cocotiers absents de la superbe Afrique<br>
+Derri&egrave;re la muraille immense du brouillard;</p>
+
+<p>
+A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve<br>
+Jamais! jamais! &agrave; ceux qui s'abreuvent de pleurs<br>
+Et tettent la Douleur comme une bonne louve!<br>
+Aux maigres orphelins s&eacute;chant comme des fleurs!</p>
+
+<p>
+Ainsi dans la for&ecirc;t o&ugrave; mon esprit s'exile<br>
+Un vieux Souvenir sonne &agrave; plein souffle du cor!<br>
+Je pense aux matelots oubli&eacute;s dans une &icirc;le,<br>
+Aux captifs, aux vaincus!... &agrave; bien d'autres encor!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LES SEPT VIEILLARDS</h2>
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+A VICTOR HUGO</h2>
+
+
+<p>
+Fourmillante cit&eacute;, cit&eacute; pleine de r&ecirc;ves,<br>
+O&ugrave; le spectre en plein jour raccroche le passant!<br>
+Les myst&egrave;res partout coulent comme des s&egrave;ves<br>
+Dans les canaux &eacute;troits du colosse puissant.</p>
+
+<p>
+Un matin, cependant que dans la triste rue<br>
+Les maisons, dont la brume allongeait la hauteur,<br>
+Simulaient les deux quais d'une rivi&egrave;re accrue,<br>
+Et que, d&eacute;cor semblable &agrave; l'&acirc;me de l'acteur,</p>
+
+<p>
+Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace,<br>
+Je suivais, roidissant mes nerfs comme un h&eacute;ros<br>
+Et discutant avec mon &acirc;me d&eacute;j&agrave; lasse,<br>
+Le faubourg secou&eacute; par les lourds tombereaux.</p>
+
+<p>
+Tout &agrave; coup, un vieillard dont les guenilles jaunes<br>
+Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,<br>
+Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aum&ocirc;nes,<br>
+Sans la m&eacute;chancet&eacute; qui luisait dans ses yeux,</p>
+
+<p>
+M'apparut. On e&ucirc;t dit sa prunelle tremp&eacute;e<br>
+Dans le fiel; son regard aiguisait les frimas,<br>
+Et sa barbe &agrave; longs poils, roide comme une &eacute;p&eacute;e,<br>
+Se projetait, pareille &agrave; celle de Judas.</p>
+
+<p>
+Il n'&eacute;tait pas vo&ucirc;t&eacute;, mais cass&eacute;, son &eacute;chine<br>
+Faisant avec sa jambe un parfait angle droit,<br>
+Si bien que son b&acirc;ton, parachevant sa mine,<br>
+Lui donnait la tournure et le pas maladroit</p>
+
+<p>
+D'un quadrup&egrave;de infirme ou d'un juif &agrave; trois pattes.<br>
+Dans la neige et la boue il allait s'emp&ecirc;trant,<br>
+Comme s'il &eacute;crasait des morts sous ses savates,<br>
+Hostile &agrave; l'univers plut&ocirc;t qu'indiff&eacute;rent.</p>
+
+<p>
+Son pareil le suivait: barbe, &oelig;il, dos, b&acirc;ton, loques,<br>
+Nul trait ne distinguait, du m&ecirc;me enfer venu,<br>
+Ce jumeau centenaire, et ces spectres baroques<br>
+Marchaient du m&ecirc;me pas vers un but inconnu.</p>
+
+<p>
+A quel complot inf&acirc;me &eacute;tais-je donc en butte,<br>
+Ou quel m&eacute;chant hasard ainsi m'humiliait?<br>
+Car je comptai sept fois, de minute en minute,<br>
+Ce sinistre vieillard qui se multipliait!</p>
+
+<p>
+Que celui-l&agrave; qui rit de mon inqui&eacute;tude,<br>
+Et qui n'est pas saisi d'un frisson fraternel<br>
+Songe bien que malgr&eacute; tant de d&eacute;cr&eacute;pitude<br>
+Ces sept monstres hideux avaient l'air &eacute;ternel!</p>
+
+<p>
+Aurais-je, sans mourir, contempl&eacute; le huiti&egrave;me,<br>
+Sosie inexorable, ironique et fatal,<br>
+D&eacute;go&ucirc;tant Ph&eacute;nix, fils et p&egrave;re de lui-m&ecirc;me?<br>
+--Mais je tournai le dos au cort&egrave;ge infernal.</p>
+
+<p>
+Exasp&eacute;r&eacute; comme un ivrogne qui voit double,<br>
+Je rentrai, je fermai ma porte, &eacute;pouvant&eacute;,<br>
+Malade et morfondu, l'esprit fi&eacute;vreux et trouble,<br>
+Bless&eacute; par le myst&egrave;re et par l'absurdit&eacute;!</p>
+
+<p>
+Vainement ma raison voulait prendre la barre;<br>
+La temp&ecirc;te en jouant d&eacute;routait ses efforts,<br>
+Et mon &acirc;me dansait, dansait, vieille gabarre<br>
+Sans m&acirc;ts, sur une mer monstrueuse et sans bords!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LES PETITES VIEILLES</h2>
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+A VICTOR HUGO</h2>
+
+<h2>
+I</h2>
+
+
+<p>
+Dans les plis sinueux des vieilles capitales,<br>
+O&ugrave; tout, m&ecirc;me l'horreur, tourne aux enchantements,<br>
+Je guette, ob&eacute;issant &agrave; mes humeurs fatales,<br>
+Des &ecirc;tres singuliers, d&eacute;cr&eacute;pits et charmants.</p>
+
+<p>
+Ces monstres disloqu&eacute;s furent jadis des femmes,<br>
+Eponine ou La&iuml;s!--Monstres bris&eacute;s, bossus<br>
+Ou tordus, aimons-les! ce sont encor des &acirc;mes.<br>
+Sous des jupons trou&eacute;s et sous de froids tissus</p>
+
+<p>
+Ils rampent, flagell&eacute;s par les bises iniques,<br>
+Fr&eacute;missant au fracas roulant des omnibus,<br>
+Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques,<br>
+Un petit sac brod&eacute; de fleurs ou de r&eacute;bus;</p>
+
+<p>
+Ils trottent, tout pareils &agrave; des marionnettes;<br>
+Se tra&icirc;nent, comme font les animaux bless&eacute;s,<br>
+Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes<br>
+O&ugrave; se pend un D&eacute;mon sans piti&eacute;! Tout cass&eacute;s</p>
+
+<p>
+Qu'ils sont, ils ont des yeux per&ccedil;ants comme une vrille,<br>
+Luisants comme ces trous o&ugrave; l'eau dort dans la nuit;<br>
+Ils ont les yeux divins de la petite fille<br>
+Qui s'&eacute;tonne et qui rit &agrave; tout ce qui reluit.</p>
+
+<p>
+--Avez-vous observ&eacute; que maints cercueils de vieilles<br>
+Sont presque aussi petits que celui d'un enfant?<br>
+La Mort savante met dans ces bi&egrave;res pareilles<br>
+Un symbole d'un go&ucirc;t bizarre et captivant,</p>
+
+<p>
+Et lorsque j'entrevois un fant&ocirc;me d&eacute;bile<br>
+Traversant de Paris le fourmillant tableau,<br>
+Il me semble toujours que cet &ecirc;tre fragile<br>
+S'en va tout doucement vers un nouveau berceau;</p>
+
+<p>
+A moins que, m&eacute;ditant sur la g&eacute;om&eacute;trie,<br>
+Je ne cherche, &agrave; l'aspect de ces membres discords,<br>
+Combien de fois il faut que l'ouvrier varie<br>
+La forme de la bo&icirc;te o&ugrave; l'on met tous ces corps.</p>
+
+<p>
+--Ces yeux sont des puits faits d'un million de larmes,<br>
+Des creusets qu'un m&eacute;tal refroidi pailleta...<br>
+Ces yeux myst&eacute;rieux ont d'invincibles charmes<br>
+Pour celui que l'aust&egrave;re Infortune allaita!</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+II</h2>
+
+
+<p>
+De l'ancien Frascati Vestale &eacute;namour&eacute;e;<br>
+Pr&ecirc;tresse de Thalie, h&eacute;las! dont le souffleur<br>
+D&eacute;funt, seul, sait le nom; c&eacute;l&egrave;bre &eacute;vapor&eacute;e<br>
+Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur,</p>
+
+<p>
+Toutes m'enivrent! mais parmi ces &ecirc;tres fr&ecirc;les<br>
+Il en est qui, faisant de la douleur un miel,<br>
+Ont dit au D&eacute;vouement qui leur pr&ecirc;tait ses ailes:<br>
+&laquo; Hippogriffe puissant, m&egrave;ne-moi jusqu'au ciel! &raquo;</p>
+
+<p>
+L'une, par sa patrie au malheur exerc&eacute;e,<br>
+L'autre, que son &eacute;poux surchargea de douleurs,<br>
+L'autre, par son enfant Madone transperc&eacute;e,<br>
+Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs!</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+III</h2>
+
+
+<p>
+Ah! que j'en ai suivi, de ces petites vieilles!<br>
+Une, entre autres, &agrave; l'heure o&ugrave; le soleil tombant<br>
+Ensanglante le ciel de blessures vermeilles,<br>
+Pensive, s'asseyait &agrave; l'&eacute;cart sur un banc,</p>
+
+<p>
+Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre,<br>
+Dont les soldats parfois inondent nos jardins,<br>
+Et qui, dans ces soirs dor o&ugrave; l'on se sent revivre,<br>
+Versent quelque h&eacute;ro&iuml;sme au c&oelig;ur des citadins.</p>
+
+<p>
+Celle-l&agrave; droite encor, fi&egrave;re et sentant la r&egrave;gle,<br>
+Humait avidement ce chant vif et guerrier;<br>
+Son &oelig;il parfois s'ouvrait comme l'&oelig;il d'un vieil aigle;<br>
+Son front de marbre avait l'air fait pour le laurier!</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+IV</h2>
+
+
+<p>
+Telles vous cheminez, sto&iuml;ques et sans plaintes,<br>
+A travers le chaos des vivantes cit&eacute;s,<br>
+M&egrave;res au c&oelig;ur saignant, courtisanes ou saintes,<br>
+Dont autrefois les noms par tous &eacute;taient cit&eacute;s.</p>
+
+<p>
+Vous qui f&ucirc;tes la gr&acirc;ce ou qui f&ucirc;tes la gloire,<br>
+Nul ne vous reconna&icirc;t! un ivrogne incivil<br>
+Vous insulte en passant d'un amour d&eacute;risoire;<br>
+Sur vos talons gambade un enfant l&acirc;che et vil.</p>
+
+<p>
+Honteuses d'exister, ombres ratatin&eacute;es,<br>
+Peureuses, le dos bas, vous c&ocirc;toyer les murs,<br>
+Et nul ne vous salue, &eacute;tranges destin&eacute;es!<br>
+D&eacute;bris d'humanit&eacute; pour l'&eacute;ternit&eacute; m&ucirc;rs!</p>
+
+<p>
+Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille,<br>
+L'&oelig;il inquiet, fix&eacute; sur vos pas incertains,<br>
+Tout comme si j'&eacute;tais votre p&egrave;re, &ocirc; merveille!<br>
+Je go&ucirc;te &agrave; votre insu des plaisirs clandestins:</p>
+
+<p>
+Je vois s'&eacute;panouir vos passions novices;<br>
+Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus;<br>
+Mon c&oelig;ur multipli&eacute; jouit de tous vos vices!<br>
+Mon &acirc;me resplendit de toutes vos vertus!</p>
+
+<p>
+Ruines! ma famille! &ocirc; cerveaux cong&eacute;n&egrave;res!<br>
+Je vous fais chaque soir un solennel adieu!<br>
+O&ugrave; serez-vous demain, Eves octog&eacute;naires,<br>
+Sur qui p&egrave;se la griffe effroyable de Dieu?</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+A UNE PASSANTE</h2>
+
+
+<p>
+La rue assourdissante autour de moi hurlait.<br>
+Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,<br>
+Une femme passa, d'une main fastueuse<br>
+Soulevant, balan&ccedil;ant le feston et l'ourlet;</p>
+
+<p>
+Agile et noble, avec sa jambe de statue.<br>
+Moi, je buvais, crisp&eacute; comme un extravagant,<br>
+Dans son &oelig;il, ciel livide o&ugrave; germe l'ouragan,<br>
+La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.</p>
+
+<p>
+Un &eacute;clair... puis la nuit!--Fugitive beaut&eacute;<br>
+Dont le regard m'a fait soudainement rena&icirc;tre,<br>
+Ne te verrai-je plus que dans l'&eacute;ternit&eacute;?</p>
+
+<p>
+Ailleurs, bien loin d'ici! trop tard! <i>jamais</i> peut-&ecirc;tre!<br>
+Car j'ignore o&ugrave; tu fuis, tu ne sais o&ugrave; je vais,<br>
+O toi que j'eusse aim&eacute;e, &ocirc; toi qui le savais!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE CREPUSCULE DU SOIR</h2>
+
+
+<p>
+Voici le soir charmant, ami du criminel;<br>
+Il vient comme un complice, &agrave; pas de loup; le ciel<br>
+Se ferme lentement comme une grande alc&ocirc;ve,<br>
+Et l'homme impatient se change en b&ecirc;te fauve.</p>
+
+<p>
+O soir, aimable soir, d&eacute;sir&eacute; par celui<br>
+Dont les bras, sans mentir, peuvent dire: Aujourd'hui<br>
+Nous avons travaill&eacute;!--C'est le soir qui soulage<br>
+Les esprits que d&eacute;vore une douleur sauvage,<br>
+Le savant obstin&eacute; dont le front s'alourdit,<br>
+Et l'ouvrier courb&eacute; qui regagne son lit.</p>
+
+<p>
+Cependant des d&eacute;mons malsains dans l'atmosph&egrave;re<br>
+S'&eacute;veillent lourdement, comme des gens d'affaire,<br>
+Et cognent en volant les volets et l'auvent.<br>
+A travers les lueurs que tourmente le vent<br>
+La Prostitution s'allume dans les rues;<br>
+Comme une fourmili&egrave;re elle ouvre ses issues;</p>
+
+<p>
+Partout elle se fraye un occulte chemin,<br>
+Ainsi que l'ennemi qui tente un coup de main;<br>
+Elle remue au sein de la cit&eacute; de fange<br>
+Comme un ver qui d&eacute;robe &agrave; l'Homme ce qu'il mange.<br>
+On entend &ccedil;a et l&agrave; les cuisines siffler,<br>
+Les th&eacute;&acirc;tres glapir, les orchestres ronfler;<br>
+Les tables d'h&ocirc;te, dont le jeu fait les d&eacute;lices,<br>
+S'emplissent de catins et d'escrocs, leurs complices,<br>
+Et les voleurs, qui n'ont ni tr&ecirc;ve ni merci,<br>
+Vont bient&ocirc;t commencer leur travail, eux aussi,<br>
+Et forcer doucement les portes et les caisses<br>
+Pour vivre quelques jours et v&ecirc;tir leurs ma&icirc;tresses.</p>
+
+<p>
+Recueille-toi, mon &acirc;me, en ce grave moment,<br>
+Et ferme ton oreille &agrave; ce rugissement.<br>
+C'est l'heure o&ugrave; les douleurs des malades s'aigrissent!<br>
+La sombre Nuit les prend &agrave; la gorge; ils finissent<br>
+Leur destin&eacute;e et vont vers le gouffre commun;<br>
+L'h&ocirc;pital se remplit de leurs soupirs.--Plus d'un<br>
+Ne viendra plus chercher la soupe parfum&eacute;e,<br>
+Au coin du feu, le soir, aupr&egrave;s d'une &acirc;me aim&eacute;e.</p>
+
+<p>
+Encore la plupart n'ont-ils jamais connu<br>
+La douceur du foyer et n'ont jamais v&eacute;cu!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE JEU</h2>
+
+
+<p>
+Dans des fauteuils fan&eacute;s des courtisanes vieilles,<br>
+P&acirc;les, le sourcil peint, l'&oelig;il c&acirc;lin et fatal,<br>
+Minaudant, et faisant de leurs maigres oreilles<br>
+Tomber un cliquetis de pierre et de m&eacute;tal;</p>
+
+<p>
+Autour des verts tapis des visages sans l&egrave;vre,<br>
+Des l&egrave;vres sans couleur, des m&acirc;choires sans dent,<br>
+Et des doigts convuls&eacute;s d'une infernale fi&egrave;vre,<br>
+Fouillant la poche vide ou le sein palpitant;</p>
+
+<p>
+Sous de sales plafonds un rang de p&acirc;les lustres<br>
+Et d'&eacute;normes quinquets projetant leurs lueurs<br>
+Sur des fronts t&eacute;n&eacute;breux de po&egrave;tes illustres<br>
+Qui viennent gaspiller leurs sanglantes sueurs:</p>
+
+<p>
+--Voil&agrave; le noir tableau qu'en un r&ecirc;ve nocturne<br>
+Je vis se d&eacute;rouler sous mon &oelig;il clairvoyant,<br>
+Moi-m&ecirc;me, dans un coin de l'antre taciturne,<br>
+Je me vis accoud&eacute;, froid, muet, enviant,</p>
+
+<p>
+Enviant de ces gens la passion tenace,<br>
+De ces vieilles putains la fun&egrave;bre ga&icirc;t&eacute;,<br>
+Et tous gaillardement trafiquant &agrave; ma face,<br>
+L'un de son vieil honneur, l'autre de sa beaut&eacute;!</p>
+
+<p>
+Et mon c&oelig;ur s'effraya d'envier maint pauvre homme<br>
+Courant avec ferveur &agrave; l'ab&icirc;me b&eacute;ant,<br>
+Et qui, so&ucirc;l de son sang, pr&eacute;f&eacute;rerait en somme<br>
+La douleur &agrave; la mort et l'enfer au n&eacute;ant!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+DANSE MACABRE</h2>
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+A ERNEST CHRISTOPHE</h2>
+
+
+<p>
+Fi&egrave;re, autant qu'un vivant, de sa noble stature,<br>
+Avec son gros bouquet, son mouchoir et ses gants,<br>
+Elle a la nonchalance et la d&eacute;sinvolture<br>
+D'une coquette maigre aux airs extravagants.</p>
+
+<p>
+Vit-on jamais au bal une taille plus mince?<br>
+Sa robe exag&eacute;r&eacute;e, en sa royale ampleur,<br>
+S'&eacute;croule abondamment sur un pied sec que pince<br>
+Un soulier pomponn&eacute;, joli comme une fleur.</p>
+
+<p>
+La ruche qui se joue au bord des clavicules,<br>
+Comme un ruisseau lascif qui se frotte au rocher,<br>
+D&eacute;fend pudiquement des lazzi ridicules<br>
+Les fun&egrave;bres appas qu'elle tient &agrave; cacher.</p>
+
+<p>
+Ses yeux profonds sont faits de vide et de t&eacute;n&egrave;bres<br>
+Et son cr&acirc;ne, de fleurs artistement coiff&eacute;,<br>
+Oscille mollement sur ses fr&ecirc;les vert&egrave;bres.<br>
+--O charme d'un n&eacute;ant follement attif&eacute;!</p>
+
+<p>
+Aucuns t'appelleront une caricature,<br>
+Qui ne comprennent pas, amants ivres de chair,<br>
+L'&eacute;l&eacute;gance sans nom de l'humaine armature.<br>
+Tu r&eacute;ponds, grand squelette, &agrave; mon go&ucirc;t le plus cher!</p>
+
+<p>
+Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace,<br>
+La f&ecirc;te de la Vie? ou quelque vieux d&eacute;sir,<br>
+Eperonnant encor ta vivante carcasse,<br>
+Te pousse-t-il, cr&eacute;dule, au sabbat du Plaisir?</p>
+
+<p>
+Au chant des violons, aux flammes des bougies,<br>
+Esp&egrave;res-tu chasser ton cauchemar moqueur,<br>
+Et viens-tu demander au torrent des orgies<br>
+De refra&icirc;chir l'enfer allum&eacute; dans ton c&oelig;ur?</p>
+
+<p>
+In&eacute;puisable puits de sottise et de fautes!<br>
+De l'antique douleur &eacute;ternel alambic!<br>
+A travers le treillis recourb&eacute; de tes c&ocirc;tes<br>
+Je vois, errant encor, l'insatiable aspic.</p>
+
+<p>
+Pour dire vrai, je crains que ta coquetterie<br>
+Ne trouve pas un prix digne de ses efforts:<br>
+Qui, de ces c&oelig;urs mortels, entend la raillerie?<br>
+Les charmes de l'horreur n'enivrent que les forts.</p>
+
+<p>
+Le gouffre de tes yeux, plein d'horribles pens&eacute;es,<br>
+Exalte le vertige, et les danseurs prudents<br>
+Ne contempleront pas sans d'am&egrave;res naus&eacute;es<br>
+Le sourire &eacute;ternel de tes trente-deux dents.</p>
+
+<p>
+Pourtant, qui n'a serr&eacute; dans ses bras un squelette,<br>
+Et qui ne s'est nourri des choses du tombeau?<br>
+Qu'import&eacute; le parfum, l'habit ou la toilette?<br>
+Qui fait le d&eacute;go&ucirc;t&eacute; montre qu'il se croit beau.</p>
+
+<p>
+Bayad&egrave;re sans nez, irr&eacute;sistible gouge,<br>
+Dis donc &agrave; ces danseurs qui font les offusqu&eacute;s:<br>
+&laquo; Fiers mignons, malgr&eacute; l'art des poudres et du rouge,<br>
+Vous sentez tous la mort! O squelettes musqu&eacute;s,</p>
+
+<p>
+Antino&uuml;s fl&eacute;tris, dandys &agrave; face glabre,<br>
+Cadavres verniss&eacute;s, lovelaces chenus,<br>
+Le branle universel de la danse macabre<br>
+Vous entra&icirc;ne en des lieux qui ne sont pas connus!</p>
+
+<p>
+Des quais froids de la Seine aux bords br&ucirc;lants du Gange,<br>
+Le troupeau mortel saute et se p&acirc;me, sans voir<br>
+Dans un trou du plafond la trompette de l'Ange<br>
+Sinistrement b&eacute;ante ainsi qu'un tromblon noir.</p>
+
+<p>
+En tout climat, sous ton soleil, la Mort t'admire<br>
+En tes contorsions, risible Humanit&eacute;,<br>
+Et souvent, comme toi, se parfumant de myrrhe,<br>
+M&ecirc;le son ironie &agrave; ton insanit&eacute;! &raquo;</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+L'AMOUR DU MENSONGE</h2>
+
+
+<p>
+Quand je te vois passer, &ocirc; ma ch&egrave;re indolente,<br>
+Au chant des instruments qui se brise au plafond,<br>
+Suspendant ton allure harmonieuse et lente,<br>
+Et promenant l'ennui de ton regard profond;</p>
+
+<p>
+Quand je contemple, aux feux du gaz qui le colore,<br>
+Ton front p&acirc;le, embelli par un morbide attrait,<br>
+O&ugrave; les torches du soir allument une aurore,<br>
+Et tes yeux attirants comme ceux d'un portrait,</p>
+
+<p>
+Je me dis: Qu'elle est belle! et bizarrement fra&icirc;che!<br>
+Le souvenir massif, royale et lourde tour,<br>
+La couronne, et son c&oelig;ur, meurtri comme une p&ecirc;che,<br>
+Est m&ucirc;r, comme son corps, pour le savant amour.</p>
+
+<p>
+Es-tu le fruit d'automne aux saveurs souveraines?<br>
+Es-tu vase fun&egrave;bre attendant quelques pleurs,<br>
+Parfum qui fait r&ecirc;ver aux oasis lointaines,<br>
+Oreiller caressant, ou corbeille de fleurs?</p>
+
+<p>
+Je sais qu'il est des yeux, des plus m&eacute;lancoliques,<br>
+Qui ne rec&egrave;lent point de secrets pr&eacute;cieux;<br>
+Beaux &eacute;crins sans joyaux, m&eacute;daillons sans reliques,<br>
+Plus vides, plus profonds que vous-m&ecirc;mes, &ocirc; Cieux!</p>
+
+<p>
+Mais ne suffit-il pas que tu sois l'apparence,<br>
+Pour r&eacute;jouir un c&oelig;ur qui fuit la v&eacute;rit&eacute;?<br>
+Qu'importe ta b&ecirc;tise ou ton indiff&eacute;rence?<br>
+Masque ou d&eacute;cor, salut! J'adore ta beaut&eacute;.</p>
+
+<p>
+Je n'ai pas oubli&eacute;, voisine de la ville,<br>
+Notre blanche maison, petite mais tranquille,<br>
+Sa Pomone de pl&acirc;tre et sa vieille V&eacute;nus<br>
+Dans un bosquet ch&eacute;tif cachant leurs membres nus;<br>
+Et le soleil, le soir, ruisselant et superbe,<br>
+Qui, derri&egrave;re la vitre o&ugrave; se brisait sa gerbe,<br>
+Semblait, grand &oelig;il ouvert dans le ciel curieux,<br>
+Contempler nos d&icirc;ners longs et silencieux,<br>
+R&eacute;pandant largement ses beaux reflets de cierge<br>
+Sur la nappe frugale et les rideaux de serge.</p>
+
+<p>
+La servante au grand c&oelig;ur dont vous &eacute;tiez jalouse,<br>
+Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,<br>
+Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.<br>
+Les morts, les pauvres morts ont de grandes douleurs,<br>
+Et quand Octobre souffle, &eacute;mondeur des vieux arbres,<br>
+Son vent m&eacute;lancolique &agrave;, l'entour de leurs marbres,<br>
+Certe, ils doivent trouver les vivants bien ingrats,<br>
+De dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps,<br>
+Tandis que, d&eacute;vor&eacute;s de noires songeries,<br>
+Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries,<br>
+Vieux squelettes gel&eacute;s travaill&eacute;s par le ver,<br>
+Ils sentent s'&eacute;goutter les neiges de l'hiver<br>
+Et le si&egrave;cle couler, sans qu'amis ni famille<br>
+Remplacent les lambeaux qui pendent &agrave; leur grille.</p>
+
+<p>
+Lorsque la b&ucirc;che siffle et chante, si le soir,<br>
+Calme, dans le fauteuil je la voyais s'asseoir,<br>
+Si, par une nuit bleue et froide de d&eacute;cembre,<br>
+Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre,<br>
+Grave, et venant du fond de son lit &eacute;ternel<br>
+Couver l'enfant grandi de son &oelig;il maternel,<br>
+Que pourrais-je r&eacute;pondre &agrave; cette &acirc;me pieuse<br>
+Voyant tomber des pleurs de sa paupi&egrave;re creuse?</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+BRUMES ET PLUIES</h2>
+
+
+<p>
+O fins d'automne, hivers, printemps tremp&eacute;s de boue,<br>
+Endormeuses saisons! je vous aime et vous loue<br>
+D'envelopper ainsi mon c&oelig;ur et mon cerveau<br>
+D'un linceul vaporeux et d'un vague tombeau.</p>
+
+<p>
+Dans cette grande plaine o&ugrave; l'autan froid se joue,<br>
+O&ugrave; par les longues nuits la girouette s'enroue,<br>
+Mon &acirc;me mieux qu'au temps du ti&egrave;de renouveau<br>
+Ouvrira largement ses ailes de corbeau.</p>
+
+<p>
+Rien n'est plus doux au c&oelig;ur plein de choses fun&egrave;bres,<br>
+Et sur qui d&egrave;s longtemps descendent les frimas,<br>
+O blafardes saisons, reines de nos climats!</p>
+
+<p>
+Que l'aspect permanent de vos p&acirc;les t&eacute;n&egrave;bres,<br>
+--Si ce n'est par un soir sans lune, deux &agrave; deux,<br>
+D'endormir la douleur sur un lit hasardeux.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE VIN</h2>
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+L'AME DU VIN</h2>
+
+
+<p>
+Un soir, l'&acirc;me du vin chantait dans les bouteilles:<br>
+&laquo; Homme, vers toi je pousse, &ocirc; cher d&eacute;sh&eacute;rit&eacute;,<br>
+Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,<br>
+Un chant plein de lumi&egrave;re et de fraternit&eacute;!</p>
+
+<p>
+Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,<br>
+De peine, de sueur et de soleil cuisant<br>
+Pour engendrer ma vie et pour me donner l'&acirc;me;<br>
+Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,</p>
+
+<p>
+Car j'&eacute;prouve une joie immense quand je tombe<br>
+Dans le gosier d'un homme us&eacute; par ses travaux,<br>
+Et sa chaude poitrine est une douce tombe<br>
+O&ugrave; je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.</p>
+
+<p>
+Entends-tu retentir les refrains des dimanches<br>
+Et l'espoir qui gazouille en mon sein palpitant?<br>
+Les coudes sur la table et retroussant tes manches,<br>
+Tu me glorifieras et tu seras content:</p>
+
+<p>
+J'allumerai les yeux de ta femme ravie;<br>
+A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs<br>
+Et serai pour ce fr&ecirc;le athl&egrave;te de la vie<br>
+L'huile qui raffermit les muscles des lutteurs.</p>
+
+<p>
+En toi je tomberai, v&eacute;g&eacute;tale ambroisie,<br>
+Grain pr&eacute;cieux jet&eacute; par l'&eacute;ternel Semeur,<br>
+Pour que de notre amour naisse la po&eacute;sie<br>
+Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur! &raquo;</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE VIN DES CHIFFONNIERS</h2>
+
+
+<p>
+Souvent, &agrave; la clart&eacute; rouge d'un r&eacute;verb&egrave;re<br>
+Dont le vent bat la flamme et tourmente le verre.<br>
+Au c&oelig;ur d'un vieux faubourg, labyrinthe fangeux,<br>
+O&ugrave; l'humanit&eacute; grouille en ferments orageux,</p>
+
+<p>
+On voit un chiffonnier qui vient, hochant la t&ecirc;te,<br>
+Buttant, et se cognant aux murs comme un po&egrave;te,<br>
+Et, sans prendre souci des mouchards, ses sujets,<br>
+Epanche tout son c&oelig;ur en glorieux projets.</p>
+
+<p>
+Il pr&ecirc;te des serments, dicte des lois sublimes,<br>
+Terrasse les m&eacute;chants, rel&egrave;ve les victimes,<br>
+Et sous le firmament comme un dais suspendu<br>
+S'enivre des splendeurs de sa propre vertu.</p>
+
+<p>
+Oui, ces gens harcel&eacute;s de chagrins de m&eacute;nage,<br>
+Moulus par le travail et tourment&eacute;s par l'&acirc;ge,<br>
+Ereint&eacute;s et pliant sous un tas de d&eacute;bris,<br>
+Vomissement confus de l'&eacute;norme Paris,</p>
+
+<p>
+Reviennent, parfum&eacute;s d'une odeur de futailles,<br>
+Suivis de compagnons blanchis dans les batailles,<br>
+Dont la moustache pend comme les vieux drapeaux!<br>
+Les banni&egrave;res, les fleurs et les arcs triomphaux</p>
+
+<p>
+Se dressent devant eux, solennelle magie!<br>
+Et dans l'&eacute;tourdissante et lumineuse orgie<br>
+Des clairons, du soleil, des cris et du tambour,<br>
+Ils apportent la gloire au peuple ivre d'amour!</p>
+
+<p>
+C'est ainsi qu'&agrave; travers l'Humanit&eacute; frivole<br>
+Le vin roule de l'or, &eacute;blouissant Pactole;<br>
+Par le gosier de l'homme il chante ses exploits<br>
+Et r&egrave;gne par ses dons ainsi que les vrais rois.</p>
+
+<p>
+Pour noyer la ranc&oelig;ur et bercer l'indolence<br>
+De tous ces vieux maudits qui meurent en silence,<br>
+Dieu, touch&eacute; de remords, avait fait le sommeil;<br>
+L'Homme ajouta le Vin, fils sacr&eacute; du Soleil!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE VIN DE L'ASSASSIN</h2>
+
+
+<p>
+Ma femme est morte, je suis libre!<br>
+Je puis donc boire tout mon so&ucirc;l.<br>
+Lorsque je rentrais sans un sou,<br>
+Ses cris me d&eacute;chiraient la fibre.</p>
+
+<p>
+Autant qu'un roi je suis heureux;<br>
+L'air est pur, le ciel admirable...<br>
+--Nous avions un &eacute;t&eacute; semblable<br>
+Lorsque je devins amoureux!</p>
+
+<p>
+--L'horrible soif qui me d&eacute;chire<br>
+Aurait besoin pour s'assouvir<br>
+D'autant de vin qu'en peut tenir<br>
+Son tombeau;--ce n'est pas peu dire</p>
+
+<p>
+Je l'ai jet&eacute;e au fond d'un puits,<br>
+Et j'ai m&ecirc;me pouss&eacute; sur elle<br>
+Tous les pav&eacute;s de la margelle.<br>
+--Je l'oublierai si je le puis!</p>
+
+<p>
+Au nom des serments de tendresse,<br>
+Dont rien ne peut nous d&eacute;lier,<br>
+Et pour nous r&eacute;concilier<br>
+Comme au beau temps de notre ivresse,</p>
+
+<p>
+J'implorai d'elle un rendez-vous,<br>
+Le soir, sur une route obscure,<br>
+Elle y vint! folle cr&eacute;ature!<br>
+--Nous sommes tous plus ou moins fous!</p>
+
+<p>
+Elle &eacute;tait encore jolie,<br>
+Quoique bien fatigu&eacute;e! et moi,<br>
+Je l'aimai trop;--voil&agrave; pourquoi<br>
+Je lui dis: sors de cette vie!</p>
+
+<p>
+Nul ne peut me comprendre. Un seul<br>
+Parmi ces ivrognes stupides<br>
+Songea-t-il dans ses nuits morbides<br>
+A faire du vin un linceul?</p>
+
+<p>
+Cette crapule invuln&eacute;rable<br>
+Comme les machines de fer,<br>
+Jamais, ni l'&eacute;t&eacute; ni l'hiver,<br>
+N'a connu l'amour v&eacute;ritable,</p>
+
+<p>
+Avec ses noirs enchantements,<br>
+Son cort&egrave;ge infernal d'alarmes,<br>
+Ses fioles de poison, ses larmes,<br>
+Ses bruits de cha&icirc;ne et d'ossements!</p>
+
+<p>
+--Me voil&agrave; libre et solitaire!<br>
+Je serai ce soir ivre-mort;<br>
+Alors, sans peur et sans remord,<br>
+Je me coucherai sur la terre,</p>
+
+<p>
+Et je dormirai comme un chien.<br>
+Le chariot aux lourdes roues<br>
+Charg&eacute; de pierres et de boues,<br>
+Le wagon enray&eacute; peut bien</p>
+
+<p>
+Ecraser ma t&ecirc;te coupable,<br>
+Ou me couper par le milieu,<br>
+Je m'en moque comme de Dieu,<br>
+Du Diable ou de la Sainte Table!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE VIN DU SOLITAIRE</h2>
+
+
+<p>
+Le regard singulier d'une femme galante<br>
+Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc<br>
+Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant,<br>
+Quand elle y veux baigner sa beaut&eacute; nonchalante,</p>
+
+<p>
+Le dernier sac d'&eacute;cus dans les doigts d'un joueur,<br>
+Un baiser libertin de la maigre Adeline,<br>
+Les sons d'une musique &eacute;nervante et c&acirc;line,<br>
+Semblable au cri lointain de l'humaine douleur,</p>
+
+<p>
+Tout cela ne vaut pas, &ocirc; bouteille profonde,<br>
+Les baumes p&eacute;n&eacute;trants que ta panse f&eacute;conde<br>
+Garde au c&oelig;ur alt&eacute;r&eacute; du po&egrave;te pieux;</p>
+
+<p>
+Tu lui verses l'espoir, la jeunesse et la vie,<br>
+--Et l'orgueil, ce tr&eacute;sor de toute gueuserie,<br>
+Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE VIN DES AMANTS</h2>
+
+
+<p>
+Aujourd'hui l'espace est splendide!<br>
+Sans mors, sans &eacute;perons, sans bride,<br>
+Partons &agrave; cheval sur le vin<br>
+Pour un ciel f&eacute;erique et divin!</p>
+
+<p>
+Comme deux anges que torture<br>
+Une implacable calenture,<br>
+Dans le bleu cristal du matin<br>
+Suivons le mirage lointain!</p>
+
+<p>
+Mollement balanc&eacute;s sur l'aile<br>
+Du tourbillon intelligent,<br>
+Dans un d&eacute;lire parall&egrave;le,</p>
+
+<p>
+Ma soeur, c&ocirc;te &agrave; c&ocirc;te nageant,<br>
+Nous fuirons sans repos ni tr&ecirc;ves<br>
+Vers le paradis de mes r&ecirc;ves!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+UNE MARTYRE</h2>
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+DESSIN D'UN MAITRE INCONNU</h2>
+
+
+<p>
+Au milieu des flacons, des &eacute;toffes lam&eacute;es<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Et des meubles voluptueux,<br>
+Des marbres, des tableaux, des robes parfum&eacute;es<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Qui trament &agrave; plis sompteux,</p>
+
+<p>
+Dans une chambre ti&egrave;de o&ugrave;, comme en une serre,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;L'air est dangereux et fatal,<br>
+O&ugrave; des bouquets mourants dans leurs cercueils de verre,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Exhalent leur soupir final,</p>
+
+<p>
+Un cadavre sans t&ecirc;te &eacute;panche, comme un fleuve,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Sur l'oreiller d&eacute;salt&eacute;r&eacute;<br>
+Un sang rouge et vivant, dont la toile s'abreuve<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Avec l'avidit&eacute; d'un pr&eacute;.</p>
+
+<p>
+Semblable aux visions p&acirc;les qu'enfante l'ombre<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Et qui nous encha&icirc;nent les yeux,<br>
+La t&ecirc;te, avec l'amas de sa crini&egrave;re sombre<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Et de ses bijoux pr&eacute;cieux,</p>
+
+<p>
+Sur la table de nuit, comme une renoncule,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Repose, et, vide de pensers,<br>
+Un regard vague et blanc comme le cr&eacute;puscule<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;S'&eacute;chappe des yeux r&eacute;vuls&eacute;s.</p>
+
+<p>
+Sur le lit, le tronc nu sans scrupule &eacute;tale<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Dans le plus complet abandon<br>
+La secr&egrave;te splendeur et la beaut&eacute; fatale<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Dont la nature lui fit don;</p>
+
+<p>
+Un bas ros&acirc;tre, orn&eacute; de coins d'or, &agrave; la jambe<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Comme un souvenir est rest&eacute;;<br>
+La jarreti&egrave;re, ainsi qu'un &oelig;il secret qui flambe,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Darde un regard diamant&eacute;.</p>
+
+<p>
+Le singulier aspect de cette solitude<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Et d'un grand portrait langoureux,<br>
+Aux yeux provocateurs comme son attitude,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;R&eacute;v&egrave;le un amour t&eacute;n&eacute;breux,</p>
+
+<p>
+Une coupable joie et des f&ecirc;tes &eacute;tranges<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Pleines de baisers infernaux.<br>
+Dont se r&eacute;jouissait l'essaim de mauvais anges<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Nageant dans les plis des rideaux;</p>
+
+<p>
+Et cependant, &agrave; voir la maigreur &eacute;l&eacute;gante<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;De l'&eacute;paule au contour heurt&eacute;,<br>
+La hanche un peu pointue et la taille fringante<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Ainsi qu'an reptile irrit&eacute;,</p>
+
+<p>
+Elle est bien jeune encor!--Son &acirc;me exasp&eacute;r&eacute;e<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Et ses sens par l'ennui mordus<br>
+S'&eacute;taient-ils entr'ouverts &agrave; la meute alt&eacute;r&eacute;e<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Des d&eacute;sirs errants et perdus?</p>
+
+<p>
+L'homme vindicatif que tu n'as pu, vivante,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Malgr&eacute; tant d'amour, assouvir,<br>
+Combla-t-il sur ta chair inerte et complaisante<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;L'immensit&eacute; de son d&eacute;sir?</p>
+
+<p>
+R&eacute;ponds, cadavre impur! et par tes tresses roides<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Te soulevant d'un bras fi&eacute;vreux,<br>
+Dis-moi, t&ecirc;te effrayante, as-tu sur tes dents froides,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Coll&eacute; les supr&ecirc;mes adieux?</p>
+
+<p>
+--Loin du monde railleur, loin de la foule impure,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Loin des magistrats curieux,<br>
+Dors en paix, dors en paix, &eacute;trange cr&eacute;ature,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Dans ton tombeau myst&eacute;rieux;</p>
+
+
+<p>
+Ton &eacute;poux court le monde, et ta forme immortelle<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Veille pr&egrave;s de lui quand il dort;<br>
+Autant que toi sans doute il te sera fid&egrave;le,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Et constant jusques &agrave; la mort.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+FEMMES DAMNEES</h2>
+
+
+<p>
+Comme un b&eacute;tail pensif sur le sable couch&eacute;es,<br>
+Elles tournent leurs yeux vers l'horizon des mers,<br>
+Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapproch&eacute;es<br>
+Ont de douces langueurs et des frissons amers:</p>
+
+<p>
+Les unes, c&oelig;urs &eacute;pris des longues confidences,<br>
+Dans le fond des bosquets o&ugrave; jasent les ruisseaux,<br>
+Vont &eacute;pelant l'amour des craintives enfances<br>
+Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux;</p>
+
+<p>
+D'autres, comme des s&oelig;urs, marchent lentes et graves<br>
+A travers les rochers pleins d'apparitions,<br>
+O&ugrave; saint Antoine a vu surgir comme des laves<br>
+Les seins nus et pourpr&eacute;s de ses tentations;</p>
+
+<p>
+Il en est, aux lueurs des r&eacute;sines croulantes,<br>
+Qui dans le creux muet des vieux antres pa&iuml;ens<br>
+T'appellent au secours de leurs fi&egrave;vres hurlantes,<br>
+O Bacchus, endormeur des remords anciens!</p>
+
+<p>
+Et d'autres, dont la gorge aime les scapulaires,<br>
+Qui, recelant un fouet sous leurs longs v&ecirc;tements,<br>
+M&ecirc;lent dans le bois sombre et les nuits solitaires<br>
+L'&eacute;cume du plaisir aux larmes des tourments.</p>
+
+<p>
+O vierges, &ocirc; d&eacute;mons, &ocirc; monstres, &ocirc; martyres,<br>
+De la r&eacute;alit&eacute; grands esprits contempteurs,<br>
+Chercheuses d'infini, d&eacute;votes et satyres,<br>
+Tant&ocirc;t pleines de cris, tant&ocirc;t pleines de pleurs,</p>
+
+<p>
+Vous que dans votre enfer mon &acirc;me a poursuivies,<br>
+Pauvres s&oelig;urs, je vous aime autant que je vous plains,<br>
+Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies,<br>
+Et les urnes d'amour dont vos grands c&oelig;urs sont pleins!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LES DEUX BONNES S&OElig;URS</h2>
+
+
+<p>
+La D&eacute;bauche et la Mort sont deux aimables filles,<br>
+Prodigues de baisers et riches de sant&eacute;,<br>
+Dont le flanc toujours vierge et drap&eacute; de guenilles<br>
+Sous l'&eacute;ternel labeur n'a jamais enfant&eacute;.</p>
+
+<p>
+Au po&egrave;te sinistre, ennemi des familles.<br>
+Favori de l'enfer, courtisan mal rent&eacute;,<br>
+Tombeaux et lupanars montrent sous leurs charmilles<br>
+Un lit que le remords n'a jamais fr&eacute;quent&eacute;.</p>
+
+<p>
+Et la bi&egrave;re et l'alc&ocirc;ve en blasph&egrave;mes f&eacute;condes<br>
+Nous offrent tour &agrave; tour, comme deux bonnes s&oelig;urs,<br>
+De terribles plaisirs et d'affreuses douceurs.</p>
+
+<p>
+Quand veux-tu m'enterrer, D&eacute;bauche aux bras immondes?<br>
+O Mort, quand viendras-tu, sa rivale en attraits,<br>
+Sur ses myrtes infects entre tes noirs cypr&egrave;s?</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+ALLEGORIE</h2>
+
+
+<p>
+C'est une femme belle et de riche encolure,<br>
+Qui laisse dans son vin tra&icirc;ner sa chevelure.<br>
+Les griffes de l'amour, les poisons du tripot,<br>
+Tout glisse et tout s'&eacute;mousse au granit de sa peau.<br>
+Elle rit &agrave; la Mort et nargue la D&eacute;bauche,<br>
+Ces monstres dont la main, qui toujours gratte et fauche,<br>
+Dans ses jeux destructeurs a pourtant respect&eacute;<br>
+De ce corps ferme et droit la rude majest&eacute;.<br>
+Elle marche en d&eacute;esse et repose en sultane;<br>
+Elle a dans le plaisir la foi mahom&eacute;tane,<br>
+Et dans ses bras ouverts que remplissent ses seins,<br>
+Elle appelle des yeux la race des humains.<br>
+Elle croit, elle sait, cette vierge inf&eacute;conde<br>
+Et pourtant n&eacute;cessaire &agrave; la marche du monde,<br>
+Que la beaut&eacute; du corps est un sublime don<br>
+Qui de toute infamie arrache le pardon;<br>
+Elle ignore l'Enfer comme le Purgatoire,<br>
+Et, quand l'heure viendra d'entrer dans la Nuit noire,<br>
+Elle regardera la face de la Mort,<br>
+Ainsi qu'un nouveau-n&eacute;,--sans haine et sans remord.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+UN VOYAGE A CYTHERE</h2>
+
+
+<p>
+Mon c&oelig;ur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeux<br>
+Et planait librement &agrave; l'entour des cordages;<br>
+Le navire roulait sous un ciel sans nuages,<br>
+Comme un ange enivr&eacute; du soleil radieux.</p>
+
+<p>
+Quelle est cette &icirc;le triste et noire?--C'est Cyth&egrave;re,<br>
+Nous dit-on, un pays fameux dans les chansons,<br>
+Eldorado banal de tous les vieux gar&ccedil;ons.<br>
+Regardez, apr&egrave;s tout, c'est une pauvre terre.</p>
+
+<p>
+--Il des doux secrets et des f&ecirc;tes du c&oelig;ur!<br>
+De l'antique V&eacute;nus le superbe fant&ocirc;me<br>
+Au-dessus de tes mers plane comme un arome,<br>
+Et charge les esprits d'amour et de langueur.</p>
+
+<p>
+Belle &icirc;le aux myrtes verts, pleine de fleurs &eacute;closes,<br>
+V&eacute;n&eacute;r&eacute;e &agrave; jamais par toute nation,<br>
+O&ugrave; les soupirs des c&oelig;urs en adoration<br>
+Roulent comme l'encens sur un jardin de roses</p>
+
+<p>
+Ou le roucoulement &eacute;ternel d'un ramier<br>
+--Cyth&egrave;re n'&eacute;tait plus qu'un terrain des plus maigres,<br>
+Un d&eacute;sert rocailleux troubl&eacute; par des cris aigres.<br>
+J'entrevoyais pourtant un objet singulier;</p>
+
+<p>
+Ce n'&eacute;tait pas un temple aux ombres bocag&egrave;res,<br>
+O&ugrave; la jeune pr&ecirc;tresse, amoureuse des fleurs,<br>
+Allait, le corps br&ucirc;l&eacute; de secr&egrave;tes chaleurs,<br>
+Entre-b&acirc;illant sa robe aux brises passag&egrave;res;</p>
+
+<p>
+Mais voil&agrave; qu'en rasant la c&ocirc;te d'assez pr&egrave;s<br>
+Pour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches<br>
+Nous v&icirc;mes que c'&eacute;tait un gibet &agrave; trois branches,<br>
+Du ciel se d&eacute;tachant en noir, comme un cypr&egrave;s.</p>
+
+<p>
+De f&eacute;roces oiseaux perch&eacute;s sur leur p&acirc;ture<br>
+D&eacute;truisaient avec rage un pendu d&eacute;j&agrave; m&ucirc;r,<br>
+Chacun plantant, comme un outil, son bec impur<br>
+Dans tous les coins saignants de cette pourriture;</p>
+
+<p>
+Les yeux &eacute;taient deux trous, et du ventre effondr&eacute;<br>
+Les intestins pesants lui coulaient sur les cuisses,<br>
+Et ses bourreaux gorg&eacute;s de hideuses d&eacute;lices<br>
+L'avaient &agrave; coups de bec absolument ch&acirc;tr&eacute;.</p>
+
+<p>
+Sous les pieds, un troupeau de jaloux quadrup&egrave;des,<br>
+Le museau relev&eacute;, tournoyait et r&ocirc;dait;<br>
+Une plus grande b&ecirc;te au milieu s'agitait<br>
+Comme un ex&eacute;cuteur entour&eacute; de ses aides.</p>
+
+<p>
+Habitant de Cyth&egrave;re, enfant d'un ciel si beau,<br>
+Silencieusement tu souffrais ces insultes<br>
+En expiation de tes inf&acirc;mes cultes<br>
+Et des p&eacute;ch&eacute;s qui t'ont interdit le tombeau.</p>
+
+<p>
+Ridicule pendu, tes douleurs sont les miennes!<br>
+Je sentis &agrave; l'aspect de tes membres flottants,<br>
+Comme un vomissement, remonter vers mes dents<br>
+Le long fleuve de fiel des douleurs anciennes;</p>
+
+<p>
+Devant toi, pauvre diable au souvenir si cher,<br>
+J'ai senti tous les becs et toutes les m&acirc;choires<br>
+Des corbeaux lancinants et des panth&egrave;res noires<br>
+Qui jadis aimaient tant &agrave; triturer ma chair.</p>
+
+<p>
+--Le ciel &eacute;tait charmant, la mer &eacute;tait unie;<br>
+Pour moi tout &eacute;tait noir et sanglant d&eacute;sormais,<br>
+H&eacute;las! et j'avais, comme en un suair &eacute;pais,<br>
+Le c&oelig;ur enseveli dans cette all&eacute;gorie.</p>
+
+<p>
+Dans ton &icirc;le, &ocirc; V&eacute;nus! je n'ai trouv&eacute; debout<br>
+Qu'un gibet symbolique o&ugrave; pendait mon image.<br>
+--Ah! Seigneur! donnez-moi la force et le courage<br>
+De contempler mon c&oelig;ur et mon corps sans d&eacute;go&ucirc;t!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+R&Eacute;VOLTE</h2>
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+ABEL ET CA&Iuml;N</h2>
+
+<h2>
+I</h2>
+
+
+<p>
+Race d'Abel, dors, bois et mange:<br>
+Dieu le sourit complaisamment,</p>
+
+<p>
+Race de Ca&iuml;n, dans la fange<br>
+Rampe et meurs mis&eacute;rablement.</p>
+
+<p>
+Race d'Abel, ton sacrifice<br>
+Flatte le nez du S&eacute;raphin!</p>
+
+<p>
+Race de Ca&iuml;n, ton supplice<br>
+Aura-t-il jamais une fin?</p>
+
+<p>
+Race d'Abel, vois tes semailles<br>
+Et ton b&eacute;tail venir &agrave; bien;</p>
+
+<p>
+Race de Ca&iuml;n, tes entrailles<br>
+Hurlent la faim comme un vieux chien.</p>
+
+<p>
+Race d'Abel, chauffe ton ventre<br>
+A ton foyer patriarcal;</p>
+
+<p>
+Race de Ca&iuml;n, dans ton antre<br>
+Tremble de froid, pauvre chacal!<br>
+Race d'Abel, aime et pullule:<br>
+Ton or fait aussi des petits;</p>
+
+<p>
+Race de Ca&iuml;n, c&oelig;ur qui br&ucirc;le,<br>
+Prends garde &agrave; ces grands app&eacute;tits.</p>
+
+<p>
+Race d'Abel, tu cro&icirc;s et broutes<br>
+Comme les punaises des bois!</p>
+
+<p>
+Race de Ca&iuml;n, sur les routes<br>
+Tra&icirc;ne ta famille aux abois.</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+II</h2>
+
+
+<p>
+Ah! race d'Abel, ta charogne<br>
+Engraissera le sol fumant!</p>
+
+<p>
+Race de Ca&iuml;n, ta besogne<br>
+N'est pas faite suffisamment;</p>
+
+<p>
+Race d'Abel, voici ta honte:<br>
+Le fer est vaincu par l'&eacute;pieu!</p>
+
+<p>
+Race de Ca&iuml;n, au ciel monte<br>
+Et sur la terre jette Dieu!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LES LITANIES DE SATAN</h2>
+
+
+<p>
+O toi, le plus savant et le plus beau des Anges,<br>
+Dieu trahi par le sort et priv&eacute; de louanges,</p>
+
+<p>
+O Satan, prends piti&eacute; de ma longue mis&egrave;re!</p>
+
+<p>
+O Prince de l'exil, &agrave; qui l'on a fait tort,<br>
+Et qui, vaincu, toujours te redresses plus fort,</p>
+
+<p>
+O Satan, prends piti&eacute; de ma longue mis&egrave;re!</p>
+
+<p>
+Toi qui sais tout, grand roi des choses souterraines,<br>
+Gu&eacute;risseur familier des angoisses humaines,</p>
+
+<p>
+O Satan, prends piti&eacute; de ma longue mis&egrave;re!</p>
+
+<p>
+Toi qui, m&ecirc;me aux l&eacute;preux, aux parias maudits,<br>
+Enseignes par l'amour le go&ucirc;t du Paradis,</p>
+
+<p>
+O Satan, prends piti&eacute; de ma longue mis&egrave;re!</p>
+
+<p>
+O toi, qui de la Mort, ta vieille et forte amante,<br>
+Engendras l'Esp&eacute;rance,--une folle charmante!</p>
+
+<p>
+O Satan, prends piti&eacute; de ma longue mis&egrave;re!</p>
+
+<p>
+Toi qui fais au proscrit ce regard calme et haut<br>
+Qui damne tout un peuple autour d'un &eacute;chafaud,</p>
+
+<p>
+O Satan, prends piti&eacute; de ma longue mis&egrave;re!</p>
+
+<p>
+Toi qui sais en quel coin des terres envieuses<br>
+Le Dieu jaloux cacha les pierres pr&eacute;cieuses,</p>
+
+<p>
+O Satan, prends piti&eacute; de ma longue mis&egrave;re!</p>
+
+<p>
+Toi dont l'&oelig;il clair conna&icirc;t les profonds arsenaux<br>
+O&ugrave; dort enseveli le peuple des m&eacute;taux,</p>
+
+<p>
+O Satan, prends piti&eacute; de ma longue mis&egrave;re!</p>
+
+<p>
+Toi dont la large main cache les pr&eacute;cipices<br>
+Au somnambule errant au bord des &eacute;difices,</p>
+
+<p>
+O Satan, prends piti&eacute; de ma longue mis&egrave;re!</p>
+
+<p>
+Toi qui, magiquement, assouplis les vieux os<br>
+De l'ivrogne attard&eacute; foul&eacute; par les chevaux,</p>
+
+<p>
+O Satan, prends piti&eacute; de ma longue mis&egrave;re!</p>
+
+<p>
+Toi qui, pour consoler l'homme fr&ecirc;le qui souffre,<br>
+Nous appris &agrave; m&ecirc;ler le salp&ecirc;tre et le soufre.</p>
+
+<p>
+O Satan, prends piti&eacute; de ma longue mis&egrave;re!</p>
+
+<p>
+Toi qui poses ta marque, &ocirc; complice subtil,<br>
+Sur le front du Cr&eacute;sus impitoyable et vil,</p>
+
+<p>
+O Satan, prends piti&eacute; de ma longue mis&egrave;re!</p>
+
+<p>
+Toi qui mets dans les yeux et dans le c&oelig;ur des filles<br>
+Le culte de la plaie et l'amour des guenilles,</p>
+
+<p>
+O Satan, prends piti&eacute; de ma longue mis&egrave;re!</p>
+
+<p>
+B&acirc;ton des exil&eacute;s, lampe des inventeurs,<br>
+Confesseur des pendus et des conspirateurs,</p>
+
+<p>
+O Satan, prends piti&eacute; de ma longue mis&egrave;re!</p>
+
+<p>
+P&egrave;re adoptif de ceux qu'en sa noire col&egrave;re<br>
+Du Paradis terrestre a chass&eacute;s Dieu le P&egrave;re,<br>
+O Satan, prends piti&eacute; de ma longue mis&egrave;re!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+PRI&Eacute;RE</h2>
+
+
+<p>
+Gloire et louange &agrave; toi, Satan, dans les hauteurs<br>
+Du Ciel, o&ugrave; tu r&eacute;gnas, et dans les profondeurs<br>
+De l'Enfer o&ugrave;, vaincu, tu r&ecirc;ves en silence!<br>
+Fais que mon &acirc;me un jour, sous l'Arbre de Science,<br>
+Pr&egrave;s de toi se repose, &agrave; l'heure o&ugrave; sur ton front<br>
+Comme un Temple nouveau ses rameaux s'&eacute;pandront!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LA MORT</h2>
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LA MORT DES AMANTS</h2>
+
+
+<p>
+Nous aurons des lits pleins d'odeurs l&eacute;g&egrave;res,<br>
+Des divans profonds comme des tombeaux,<br>
+Et d'&eacute;tranges fleurs sur des &eacute;tag&egrave;res,<br>
+Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.</p>
+
+<p>
+Usant &agrave; l'envi leurs chaleurs derni&egrave;res,<br>
+Nos deux c&oelig;urs seront deux vastes flambeaux,<br>
+Qui r&eacute;fl&eacute;chiront leurs doubles lumi&egrave;res<br>
+Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.</p>
+
+<p>
+Un soir fait de rose et de bleu mystique,<br>
+Nous &eacute;changerons un &eacute;clair unique,<br>
+Comme un long sanglot, tout charg&eacute; d'adieux;</p>
+
+<p>
+Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes,<br>
+Viendra ranimer, fid&egrave;le et joyeux,<br>
+Les miroirs ternis et les flammes mortes.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LA MORT DES PAUVRES</h2>
+
+
+<p>
+C'est la Mort qui console, h&eacute;las! et qui fait vivre;<br>
+C'est le but de la vie, et c'est le seul espoir<br>
+Qui, comme un &eacute;lixir, nous monte et nous enivre,<br>
+Et nous donne le c&oelig;ur de marcher jusqu'au soir;</p>
+
+<p>
+A travers la temp&ecirc;te, et la neige et le givre,<br>
+C'est la clart&eacute; vibrante &agrave; notre horizon noir;<br>
+C'est l'auberge fameuse inscrite sur le livre,<br>
+O&ugrave; l'on pourra manger, et dormir, et s'asseoir;</p>
+
+<p>
+C'est un Ange qui tient dans ses doigts magn&eacute;tiques<br>
+Le sommeil et le don des r&ecirc;ves extatiques,<br>
+Et qui refait le lit des gens pauvres et nus;</p>
+
+<p>
+C'est la gloire des Dieux, c'est le grenier mystique,<br>
+C'est la bourse du pauvre et sa patrie antique,<br>
+C'est le portique ouvert sur les Cieux inconnus!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE REVE D'UN CURIEUX</h2>
+
+
+<p>
+Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse,<br>
+Et de toi fais-tu dire: &laquo; Oh! l'homme singulier! &raquo;<br>
+--J'allais mourir. C'&eacute;tait dans mon &acirc;me amoureuse,<br>
+D&eacute;sir m&ecirc;l&eacute; d'horreur, un mal particulier;</p>
+
+<p>
+Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse.<br>
+Plus allait se vidant le fatal sablier,<br>
+Plus ma torture &eacute;tait &acirc;pre et d&eacute;licieuse;<br>
+Tout mon c&oelig;ur s'arrachait au monde familier.</p>
+
+<p>
+J'&eacute;tais comme l'enfant avide du spectacle,<br>
+Ha&iuml;ssant le rideau comme on hait un obstacle...<br>
+Enfin la v&eacute;rit&eacute; froide se r&eacute;v&eacute;la:</p>
+
+<p>
+J'&eacute;tais mort sans surprise, et la terrible aurore<br>
+M'enveloppait.--Eh quoi! n'est-ce donc que cela?<br>
+La toile &eacute;tait lev&eacute;e et j'attendais encore.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE VOYAGE</h2>
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+A MAXIME DU CAMP</h2>
+
+<h2>
+I</h2>
+
+
+<p>
+Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,<br>
+L'univers est &eacute;gal &agrave; son vaste app&eacute;tit.<br>
+Ah! que le monde est grand &agrave; la clart&eacute; des lampes!<br>
+Aux yeux du souvenir que le monde est petit!</p>
+
+<p>
+Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,<br>
+Le c&oelig;ur gros de rancune et de d&eacute;sirs amers,<br>
+Et nous allons, suivant le rythme de la lame,<br>
+Ber&ccedil;ant notre infini sur le fini des mers:</p>
+
+<p>
+Les uns, joyeux de fuir une patrie inf&acirc;me;<br>
+D'autres, l'horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,<br>
+Astrologues noy&eacute;s dans les yeux d'une femme,<br>
+La Circ&eacute; tyrannique aux dangereux parfums.</p>
+
+<p>
+Pour n'&ecirc;tre pas chang&eacute;s en b&ecirc;tes, ils s'enivrent<br>
+D'espace et de lumi&egrave;re et de cieux embras&eacute;s;<br>
+La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,<br>
+Effacent lentement la marque des baisers.</p>
+
+<p>
+Mais les vrais voyageurs sont ceux-l&agrave; seuls qui partent<br>
+Pour partir; c&oelig;urs l&eacute;gers, semblables aux ballons,<br>
+De leur fatalit&eacute; jamais ils ne s'&eacute;cartent,<br>
+Et, sans savoir pourquoi, disent toujours: Allons!</p>
+
+<p>
+Ceux-l&agrave; dont les d&eacute;sirs ont la forme des nues,<br>
+Et qui r&ecirc;vent, ainsi qu'un conscrit le canon,<br>
+De vastes volupt&eacute;s, changeantes, inconnues,<br>
+Et dont l'esprit humain n'a jamais su le nom!</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+II</h2>
+
+
+<p>
+Nous imitons, horreur! la toupie et la boule<br>
+Dans leur valse et leurs bonds; m&ecirc;me dans nos sommeils<br>
+La Curiosit&eacute; nous tourmente et nous roule,<br>
+Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.</p>
+
+<p>
+Singuli&egrave;re fortune o&ugrave; le but se d&eacute;place,<br>
+Et, n'&eacute;tant nulle part, peut &ecirc;tre n'importe o&ugrave;!<br>
+O&ugrave; l'Homme, dont jamais l'esp&eacute;rance n'est lasse,<br>
+Pour trouver le repos court toujours comme un fou!</p>
+
+<p>
+Notre &acirc;me est un trois-m&acirc;ts cherchant son Icarie;<br>
+Une voix retentit sur le pont: &laquo; Ouvre l'&oelig;il! &raquo;<br>
+Une voix de la hune, ardente et folle, crie:<br>
+&laquo; Amour... gloire... bonheur! &raquo; Enfer! c'est un &eacute;cueil!</p>
+
+<p>
+Chaque &icirc;lot signal&eacute; par l'homme de vigie<br>
+Est un Eldorado promis par le Destin;<br>
+L'Imagination qui dresse son orgie<br>
+Ne trouve qu'un r&eacute;cit aux clart&eacute;s du matin.</p>
+
+<p>
+O le pauvre amoureux des pays chim&eacute;riques!<br>
+Faut-il le mettre aux fers, le jeter &agrave; la mer,<br>
+Ce matelot ivrogne, inventeur d'Am&eacute;riques<br>
+Dont le mirage rend le gouffre plus amer?</p>
+
+<p>
+Tel le vieux vagabond, pi&eacute;tinant dans la boue,<br>
+R&ecirc;ve, le nez en l'air, de brillants paradis;<br>
+Son &oelig;il ensorcel&eacute; d&eacute;couvre une Capoue<br>
+Partout o&ugrave; la chandelle illumine un taudis.</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+III</h2>
+
+
+<p>
+Etonnants voyageurs! quelles nobles histoires<br>
+Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers!<br>
+Montrez-nous les &eacute;crins de vos riches m&eacute;moires,<br>
+Les bijoux merveilleux, faits d'astres et d'&eacute;thers.</p>
+
+<p>
+Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile!<br>
+Faites, pour &eacute;gayer l'ennui de nos prisons,<br>
+Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,<br>
+Vos souvenirs avec leurs cadres d'horizons.</p>
+
+<p>
+Dites, qu'avez-vous vu?</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+IV</h2>
+
+
+<p>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&laquo; Nous avons vu des astres<br>
+Et des flots; nous avons vu des sables aussi;<br>
+Et, malgr&eacute; bien des chocs et d'impr&eacute;vus d&eacute;sastres,<br>
+Nous nous sommes souvent ennuy&eacute;s, comme ici.</p>
+
+<p>
+La gloire du soleil sur la mer violette,<br>
+La gloire des cit&eacute;s dans le soleil couchant,<br>
+Allumaient dans nos c&oelig;urs une ardeur inqui&egrave;te<br>
+De plonger dans un ciel au reflet all&eacute;chant.</p>
+
+<p>
+Les plus riches cit&eacute;s, les plus grands paysages,<br>
+Jamais ne contenaient l'attrait myst&eacute;rieux<br>
+De ceux que le hasard fait avec les nuages,<br>
+Et toujours le d&eacute;sir nous rendait soucieux!</p>
+
+<p>
+--La jouissance ajoute au d&eacute;sir de la force.<br>
+D&eacute;sir, vieil arbre &agrave; qui le plaisir sert d'engrais,<br>
+Cependant que grossit et durcit ton &eacute;corce,<br>
+Tes branches veulent voir le soleil de plus pr&egrave;s!</p>
+
+<p>
+Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace<br>
+Que le cypr&egrave;s?--Pourtant nous avons, avec soin,<br>
+Cueilli quelques croquis pour votre album vorace,<br>
+Fr&egrave;res qui trouvez beau tout ce qui vient de loin!</p>
+
+<p>
+Nous avons salu&eacute; des idoles &agrave; trompe;<br>
+Des tr&ocirc;nes constell&eacute;s de joyaux lumineux;<br>
+Des palais ouvrag&eacute;s dont la f&eacute;erique pompe<br>
+Serait pour vos banquiers un r&ecirc;ve ruineux;</p>
+
+<p>
+Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse;<br>
+Des femmes dont les dents et les ongles sont teints<br>
+Et des jongleurs savants que le serpent caresse. &raquo;</p>
+
+
+<p>
+V</p>
+
+<p>
+Et puis, et puis encore?</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+VI</h2>
+
+
+<p>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&laquo; O cerveaux enfantins!<br>
+Pour ne pas oublier la chose capitale,<br>
+Nous avons vu partout, et sans l'avoir cherch&eacute;,<br>
+Du haut jusques en bas de l'&eacute;chelle fatale,<br>
+Le spectacle ennuyeux de l'immortel p&eacute;ch&eacute;:</p>
+
+<p>
+La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,<br>
+Sans rire s'adorant et s'aimant sans d&eacute;go&ucirc;t:<br>
+L'homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,<br>
+Esclave de l'esclave et ruisseau dans l'&eacute;gout;</p>
+
+<p>
+Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote;<br>
+La f&ecirc;te qu'assaisonne et parfume le sang;<br>
+Le poison du pouvoir &eacute;nervant le despote,<br>
+Et le peuple amoureux du fouet abrutissant;</p>
+
+<p>
+Plusieurs religions semblables &agrave; la n&ocirc;tre,<br>
+Toutes escaladant le ciel; la Saintet&eacute;,<br>
+Comme en un lit de plume un d&eacute;licat se vautre,<br>
+Dans les clous et le crin cherchant la volupt&eacute;;</p>
+
+<p>
+L'Humanit&eacute; bavarde, ivre de son g&eacute;nie,<br>
+Et, folle maintenant comme elle &eacute;tait jadis,<br>
+Criant &agrave; Dieu, dans sa furibonde agonie:<br>
+&laquo; O mon semblable, &ocirc; mon ma&icirc;tre, je te maudis! &raquo;</p>
+
+<p>
+Et les moins sots, hardis amants de la D&eacute;mence,<br>
+Fuyant le grand troupeau parqu&eacute; par le Destin,<br>
+Et se r&eacute;fugiant dans l'opium immense!<br>
+--Tel est du globe entier l'&eacute;ternel bulletin. &raquo;</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+VII</h2>
+
+
+<p>
+Amer savoir, celui qu'on tire du voyage!<br>
+Le monde, monotone et petit, aujourd'hui,<br>
+Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image;<br>
+Une oasis d'horreur dans un d&eacute;sert d'ennui!</p>
+
+<p>
+Faut-il partir? rester? Si tu peux rester, reste;<br>
+Pars, s'il le faut. L'un court, et l'autre se tapit<br>
+Pour tromper l'ennemi vigilant et funeste,<br>
+Le Temps! Il est, h&eacute;las! des coureurs sans r&eacute;pit,</p>
+
+<p>
+Comme le Juif errant et comme les ap&ocirc;tres,<br>
+A qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,<br>
+Pour fuir ce r&eacute;tiaire inf&acirc;me; il en est d'autres<br>
+Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.</p>
+
+<p>
+Lorsque enfin il mettra le pied sur notre &eacute;chine,<br>
+Nous pourrons esp&eacute;rer et crier: En avant!<br>
+De m&ecirc;me qu'autrefois nous partions pour la Chine,<br>
+Les yeux fix&eacute;s an large et les cheveux au vent,</p>
+
+<p>
+Nous nous embarquerons sur la mer des T&eacute;n&egrave;bres<br>
+Avec le c&oelig;ur joyeux d'un jeune passager.<br>
+Entendez-vous ces voix, charmantes et fun&egrave;bres,<br>
+Qui chantent: &laquo; Par ici! vous qui voulez manger</p>
+
+<p>
+Le Lotus parfum&eacute;! c'est ici qu'on vendange<br>
+Les fruits miraculeux dont votre c&oelig;ur a faim;<br>
+Venez vous enivrer de la couleur &eacute;trange<br>
+De cette apr&egrave;s-midi qui n'a jamais de fin? &raquo;</p>
+
+<p>
+A l'accent familier nous devinons le spectre;<br>
+Nos Pylades l&agrave;-bas tendent leurs bras vers nous.<br>
+&laquo; Pour rafra&icirc;chir ton c&oelig;ur nage vers ton Electre! &raquo;<br>
+Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+VIII</h2>
+
+
+<p>
+O Mort, vieux capitaine, il est temps! levons l'ancre!<br>
+Ce pays nous ennuie, &ocirc; Mort! Appareillons!<br>
+Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,<br>
+Nos c&oelig;urs que tu connais sont remplis de rayons!</p>
+
+<p>
+Verse-nous ton poison pour qu'il nous r&eacute;conforte!<br>
+Nous voulons, tant ce feu nous br&ucirc;le le cerveau,<br>
+Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe?<br>
+Au fond de l'Inconnu pour trouver du <i>nouveau!</i></p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+PI&Eacute;CES CONDAMN&Eacute;ES</h2>
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LES BIJOUX</h2>
+
+
+<p>
+La tr&egrave;s ch&egrave;re &eacute;tait nue, et, connaissant mon c&oelig;ur,<br>
+Elle n'avait gard&eacute; que ses bijoux sonores,<br>
+Dont le riche attirail lui donnait l'air vainqueur<br>
+Qu'ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures</p>
+
+<p>
+Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,<br>
+Ce monde rayonnant de m&eacute;tal et de pierre<br>
+Me ravit en extase, et j'aime avec fureur<br>
+Les choses o&ugrave; le son se m&ecirc;le &agrave; la lumi&egrave;re.</p>
+
+<p>
+Elle &eacute;tait donc couch&eacute;e, et se laissait aimer,<br>
+Et du haut du divan elle souriait d'aise<br>
+A mon amour profond et doux comme la mer<br>
+Qui vers elle montait comme vers sa falaise.</p>
+
+<p>
+Les yeux fix&eacute;s sur moi, comme un tigre dompt&eacute;,<br>
+D'un air vague et r&ecirc;veur elle essayait des poses,<br>
+Et la candeur unie &agrave; la lubricit&eacute;<br>
+Donnait un charme neuf &agrave; ses m&eacute;tamorphoses.</p>
+
+<p>
+Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,<br>
+Polis comme de l'huile, onduleux comme un cygne,<br>
+Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins;<br>
+Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne</p>
+
+<p>
+S'avan&ccedil;aient plus c&acirc;lins que les anges du mal,<br>
+Pour troubler le repos o&ugrave; mon &acirc;me &eacute;tait mise,<br>
+Et pour la d&eacute;ranger du rocher de cristal,<br>
+O&ugrave; calme et solitaire elle s'&eacute;tait assise.</p>
+
+<p>
+Je croyais voir unis par un nouveau dessin<br>
+Les hanches de l'Antiope au buste d'un imberbe,<br>
+Tant sa taille faisait ressortir son bassin.<br>
+Sur ce teint fauve et brun le fard &eacute;tait superbe!</p>
+
+<p>
+--Et la lampe s'&eacute;tant r&eacute;sign&eacute;e &agrave; mourir,<br>
+Comme le foyer seul illuminait la chambre,<br>
+Chaque fois qu'il poussait un flamboyant soupir,<br>
+Il inondait de sang cette peau couleur d'ambre!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LE LETHE</h2>
+
+
+<p>
+Viens sur mon c&oelig;ur, &acirc;me cruelle et sourde,<br>
+Tigre ador&eacute;, monstre aux airs indolents;<br>
+Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants<br>
+Dans l'&eacute;paisseur de ta crini&egrave;re lourde;</p>
+
+<p>
+Dans tes jupons remplis de ton parfum<br>
+Ensevelir ma t&ecirc;te endolorie,<br>
+Et respirer, comme une fleur fl&eacute;trie,<br>
+Le doux relent de mon amour d&eacute;funt.</p>
+
+<p>
+Je veux dormir! dormir plut&ocirc;t que vivre!<br>
+Dans un sommeil, douteux comme la mort,<br>
+J'&eacute;talerai mes baisers sans remord<br>
+Sur ton beau corps poli comme le cuivre.</p>
+
+<p>
+Pour engloutir mes sanglots apais&eacute;s<br>
+Rien ne me vaut l'ab&icirc;me de ta couche;<br>
+L'oubli puissant habite sur ta bouche,<br>
+Et le L&eacute;th&eacute; coule dans tes baisers.</p>
+
+<p>
+A mon destin, d&eacute;sormais mon d&eacute;lice,<br>
+J'ob&eacute;irai comme un pr&eacute;destin&eacute;;<br>
+Martyr docile, innocent condamn&eacute;,<br>
+Dont la ferveur attise le supplice,</p>
+
+<p>
+Je sucerai, pour noyer ma ranc&oelig;ur,<br>
+Le n&eacute;penth&egrave;s et la bonne cigu&euml;<br>
+Aux bouts charmants de cette gorge aigu&euml;<br>
+Qui n'a jamais emprisonn&eacute; de c&oelig;ur.</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+A CELLE QUI EST TROP GAIE</h2>
+
+
+<p>
+Ta t&ecirc;te, ton geste, ton air<br>
+Sont beaux comme un beau paysage;<br>
+Le rire joue en ton visage<br>
+Comme un vent frais dans un ciel clair.</p>
+
+<p>
+Le passant chagrin que tu fr&ocirc;les<br>
+Est &eacute;bloui par la sant&eacute;<br>
+Qui jaillit comme une clart&eacute;<br>
+De tes bras et de tes &eacute;paules.</p>
+
+<p>
+Les retentissantes couleurs<br>
+Dont tu pars&egrave;mes tes toilettes<br>
+Jettent dans l'esprit des po&egrave;tes<br>
+L'image d'un ballet de fleurs.</p>
+
+<p>
+Ces robes folles sont l'embl&egrave;me<br>
+De ton esprit bariol&eacute;;<br>
+Folle dont je suis affol&eacute;,<br>
+Je te hais autant que je t'aime!</p>
+
+<p>
+Quelquefois dans un beau jardin,<br>
+O&ugrave; je tra&icirc;nais mon atonie,<br>
+J'ai senti comme une ironie<br>
+Le soleil d&eacute;chirer mon sein;</p>
+
+<p>
+Et le printemps et la verdure<br>
+Ont tant humili&eacute; mon c&oelig;ur<br>
+Que j'ai puni sur une fleur<br>
+L'insolence de la nature.</p>
+
+<p>
+Ainsi, je voudrais, une nuit,<br>
+Quand l'heure des volupt&eacute;s sonne,<br>
+Vers les tr&eacute;sors de ta personne<br>
+Comme un l&acirc;che ramper sans bruit,</p>
+
+<p>
+Pour ch&acirc;tier ta chair joyeuse,<br>
+Pour meurtrir ton sein pardonn&eacute;,<br>
+Et faire &agrave; ton flanc &eacute;tonn&eacute;<br>
+Une blessure large et creuse,</p>
+
+<p>
+Et, vertigineuse douceur!<br>
+A travers ces l&egrave;vres nouvelles,<br>
+Plus &eacute;clatantes et plus belles,<br>
+T'infuser mon venin, ma soeur!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LESBOS</h2>
+
+
+<p>
+M&egrave;re des jeux latins et des volupt&eacute;s grecques,<br>
+Lesbos, o&ugrave; les baisers languissants ou joyeux,<br>
+Chauds comme les soleils, frais comme les past&egrave;ques,<br>
+Font l'ornement des nuits et des jours glorieux,<br>
+--M&egrave;re des jeux latins et des volupt&eacute;s grecques,</p>
+
+<p>
+Lesbos, o&ugrave; les baisers sont comme les cascades<br>
+Qui se jettent sans peur dans les gouffres sans fonds<br>
+Et courent, sanglotant et gloussant par saccades,<br>
+--Orageux et secrets, fourmillants et profonds;<br>
+Lesbos, o&ugrave; les baisers sont comme les cascades!</p>
+
+<p>
+Lesbos o&ugrave; les Phryn&eacute;s l'une l'autre s'attirent,<br>
+O&ugrave; jamais un soupir ne resta sans &eacute;cho,<br>
+A l'&eacute;gal de Paphos les &eacute;toiles t'admirent,<br>
+Et V&eacute;nus &agrave; bon droit peut jalouser Sapho!<br>
+--Lesbos o&ugrave; les Phryn&eacute;s l'une l'autre s'attirent.</p>
+
+<p>
+Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses,<br>
+Qui font qu'&agrave; leurs miroirs, st&eacute;rile volupt&eacute;,<br>
+Les filles aux yeux creux, de leurs corps amoureuses,<br>
+Caressent les fruits m&ucirc;rs de leur nubilit&eacute;,<br>
+Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses,</p>
+
+<p>
+Laisse du vieux Platon se froncer l'&oelig;il aust&egrave;re;<br>
+Tu tires ton pardon de l'exc&egrave;s des baisers,<br>
+Reine du doux empire, aimable et noble terre,<br>
+Et des raffinements toujours in&eacute;puis&eacute;s.<br>
+Laisse du vieux Platon se froncer l'&oelig;il aust&egrave;re.</p>
+
+<p>
+Tu tires ton pardon de l'&eacute;ternel martyre<br>
+Inflig&eacute; sans rel&acirc;che aux c&oelig;urs ambitieux<br>
+Qu'attir&eacute; loin de nous le radieux sourire<br>
+Entrevue vaguement au bord des autres cieux;<br>
+Tu tires ton pardon de l'&eacute;ternel martyre!</p>
+
+<p>
+Qui des Dieux osera, Lesbos, &ecirc;tre ton juge,<br>
+Et condamner ton front p&acirc;li dans les travaux,<br>
+Si ses balances d'or n'ont pes&eacute; le d&eacute;luge<br>
+De larmes qu'&agrave; la mer ont vers&eacute; tes ruisseaux?<br>
+Qui des Dieux osera, Lesbos, &ecirc;tre ton juge?</p>
+
+<p>
+Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste?<br>
+Vierges au c&oelig;ur sublime, honneur de l'archipel,<br>
+Votre religion comme une autre est auguste,<br>
+Et l'amour se rira de l'enfer et du ciel!<br>
+--Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste?</p>
+
+<p>
+Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre<br>
+Pour chanter le secret de ses vierges en fleur,<br>
+Et je fus d&egrave;s l'enfance admis au noir myst&egrave;re<br>
+Des rires effr&eacute;n&eacute;s m&ecirc;l&eacute;s au sombre pleur;,<br>
+Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre,</p>
+
+<p>
+Et depuis lors je veille au sommet de Leucate,<br>
+Comme une sentinelle, &agrave; l'&oelig;il per&ccedil;ant et s&ucirc;r,<br>
+Qui guette nuit et jour brick, tartane ou fr&eacute;gate,<br>
+Dont les formes au loin frissonnent dans l'azur,<br>
+--Et depuis lors je veille au sommet de Leucate</p>
+
+<p>
+Pour savoir si la mer est indulgente et bonne,<br>
+Et parmi les sanglots dont le roc retentit<br>
+Un soir ram&egrave;nera vers Lesbos qui pardonne<br>
+Le cadavre ador&eacute; de Sapho qui partit<br>
+Pour savoir si la mer est indulgente et bonne!</p>
+
+<p>
+De la m&acirc;le Sapho, l'amante et le po&egrave;te,<br>
+Plus belle que V&eacute;nus par ses mornes p&acirc;leurs!<br>
+--L'&oelig;il d'azur est vaincu par l'&oelig;il noir que tachette<br>
+Le cercle t&eacute;n&eacute;breux trac&eacute; par les douleurs<br>
+De la m&acirc;le Sapho, l'amante et le po&egrave;te!</p>
+
+<p>
+--Plus belle que V&eacute;nus se dressant sur le monde<br>
+Et versant les tr&eacute;sors de sa s&eacute;r&eacute;nit&eacute;<br>
+Et le rayonnement de sa jeunesse blonde<br>
+Sur le vieil Oc&eacute;an de sa fille enchant&eacute;;<br>
+Plus belle que V&eacute;nus se dressant sur le monde!</p>
+
+<p>
+--De Sapho qui mourut le jour de son blasph&egrave;me,<br>
+Quand, insultant le rite et le culte invent&eacute;,<br>
+Elle fit son beau corps la p&acirc;ture supr&ecirc;me<br>
+D'un brutal dont l'orgueil punit l'impi&eacute;t&eacute;<br>
+De Sapho qui mourut le jour de son blasph&egrave;me.</p>
+
+<p>
+Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente,<br>
+Et, malgr&eacute; les honneurs que lui rend l'univers,<br>
+S'enivre chaque nuit du cri de la tourmente<br>
+Que poussent vers les deux ses rivages d&eacute;serts.<br>
+Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+FEMMES DAMNEES</h2>
+
+
+<p>
+A la p&acirc;le clart&eacute; des lampes languissantes,<br>
+Sur de profonds coussins tout impr&eacute;gn&eacute;s d'odeur,<br>
+Hippolyte r&ecirc;vait aux caresses puissantes<br>
+Qui levaient le rideau de sa jeune candeur.</p>
+
+<p>
+Elle cherchait d'un &oelig;il troubl&eacute; par la temp&ecirc;te<br>
+De sa na&iuml;vet&eacute; le ciel d&eacute;j&agrave; lointain,<br>
+Ainsi qu'un voyageur qui retourne la t&ecirc;te<br>
+Vers les horizons bleus d&eacute;pass&eacute;s le matin.</p>
+
+<p>
+De ses yeux amortis les paresseuses larmes,<br>
+L'air bris&eacute;, la stupeur, la morne volupt&eacute;,<br>
+Ses bras vaincus, jet&eacute;s comme de vaines armes,<br>
+Tout servait, tout parait sa fragile beaut&eacute;.</p>
+
+<p>
+Etendue &agrave; ses pieds, calme et pleine de joie,<br>
+Delphine la couvait avec des yeux ardents,<br>
+Comme un animal fort qui surveille une proie,<br>
+Apr&egrave;s l'avoir d'abord marqu&eacute;e avec les dents.</p>
+
+<p>
+Beaut&eacute; forte &agrave; genoux devant la beaut&eacute; fr&ecirc;le,<br>
+Superbe, elle humait voluptueusement<br>
+Le vin de son triomphe, et s'allongeait vers elle<br>
+Comme pour recueillir un doux remerc&icirc;ment.</p>
+
+<p>
+Elle cherchait dans l'&oelig;il de sa p&acirc;le victime<br>
+Le cantique muet que chante le plaisir<br>
+Et cette gratitude infinie et sublime<br>
+Qui sort de la paupi&egrave;re ainsi qu'un long soupir:</p>
+
+<p>
+--&laquo; Hippolyte, cher c&oelig;ur, que dis-tu de ces choses?<br>
+Comprends-tu maintenant qu'il ne faut pas offrir<br>
+L'holocauste sacr&eacute; de tes premi&egrave;res roses<br>
+Aux souffles violents qui pourraient les fl&eacute;trir?</p>
+
+<p>
+Mes baisers sont l&eacute;gers comme ces &eacute;ph&eacute;m&egrave;res<br>
+Qui caressent le soir les grands lacs transparents,<br>
+Et ceux de ton amant creuseront leurs orni&egrave;res<br>
+Comme des chariots ou des socs d&eacute;chirants;</p>
+
+<p>
+Ils passeront sur toi comme un lourd attelage<br>
+De chevaux et de boeufs aux sabots sans piti&eacute;...<br>
+Hippolyte, &ocirc; ma soeur! tourne donc ton visage,<br>
+Toi, mon &acirc;me et mon c&oelig;ur, mon tout et ma moiti&eacute;,</p>
+
+<p>
+Tourne vers moi tes yeux pleins d'azur et d'&eacute;toiles!<br>
+Pour un de ces regards charmants, baume divin,<br>
+Des plaisirs plus obscurs je l&egrave;verai les voiles,<br>
+Et je t'endormirai dans un r&ecirc;ve sans fin! &raquo;</p>
+
+<p>
+Mais Hippolyte alors, levant sa jeune t&ecirc;te:<br>
+--&laquo; Je ne suis point ingrate et ne me repens pas,<br>
+Ma Delphine, je souffre et je suis inqui&egrave;te,<br>
+Comme apr&egrave;s un nocturne et terrible repas.</p>
+
+<p>
+Je sens fondre sur moi de lourdes &eacute;pouvantes<br>
+Et de noirs bataillons de fant&ocirc;mes &eacute;pars,<br>
+Qui veulent me conduire en des routes mouvantes<br>
+Qu'un horizon sanglant ferme de toutes parts.</p>
+
+<p>
+Avons-nous donc commis une action &eacute;trange?<br>
+Expliques, si tu peux, mon trouble et mon effroi:<br>
+Je frissonne de peur quand tu me dis: mon ange!<br>
+Et cependant je sens ma bouche aller vers toi.</p>
+
+<p>
+Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pens&eacute;e,<br>
+Toi que j'aime &agrave; jamais, ma soeur d'&eacute;lection,<br>
+Quand m&ecirc;me tu serais une emb&ucirc;che dress&eacute;e,<br>
+Et le commencement de ma perdition! &raquo;</p>
+
+<p>
+Delphine secouant sa crini&egrave;re tragique,<br>
+Et comme tr&eacute;pignant sur le tr&eacute;pied de fer,<br>
+L'&oelig;il fatal, r&eacute;pondit d'une voix despotique:<br>
+--&laquo; Qui donc devant l'amour ose parler d'enfer?</p>
+
+<p>
+Maudit soit &agrave; jamais le r&ecirc;veur inutile,<br>
+Qui voulut le premier dans sa stupidit&eacute;,<br>
+S'&eacute;prenant d'un probl&egrave;me insoluble et st&eacute;rile,<br>
+Aux choses de l'amour m&ecirc;ler l'honn&ecirc;tet&eacute;!</p>
+
+<p>
+Celui qui veut unir dans un accord mystique<br>
+L'ombre avec la chaleur, la nuit avec le jour,<br>
+Ne chauffera jamais son corps paralytique<br>
+A ce rouge soleil que l'on nomme l'amour!</p>
+
+<p>
+Va, si tu veux, chercher un fianc&eacute; stupide;<br>
+Cours offrir un c&oelig;ur vierge &agrave; ses cruels baisers;<br>
+Et, pleine de remords et d'horreur, et livide,<br>
+Tu me rapporteras tes seins stigmatis&eacute;s;</p>
+
+<p>
+On ne peut ici-bas contenter qu'un seul ma&icirc;tre! &raquo;<br>
+Mais l'enfant, &eacute;panchant une immense douleur,<br>
+Cria soudain: &laquo; Je sens s'&eacute;largir dans mon &ecirc;tre<br>
+Un ab&icirc;me b&eacute;ant; cet ab&icirc;me est mon c&oelig;ur,</p>
+
+<p>
+Br&ucirc;lant comme un volcan, profond comme le vide;<br>
+Rien ne ressasiera ce monstre g&eacute;missant<br>
+Et ne refra&icirc;chira la choif de l'Eum&eacute;nide,<br>
+Qui, la torche &agrave; la main, le br&ucirc;le jusqu'au sang.</p>
+
+<p>
+Que nos rideaux ferm&eacute;s nous s&eacute;parent du monde,<br>
+Et que la lassitude am&egrave;ne le repos!<br>
+Je veux m'an&eacute;antir dans ta gorge profonde,<br>
+Et trouver sur ton sein la fra&icirc;cheur des tombeaux. &raquo;</p>
+
+<p>
+Descendez, descendez, lamentables victimes,<br>
+Descendez le chemin de l'enfer &eacute;ternel;<br>
+Plongez au plus profond du gouffre o&ugrave; tous les crimes,<br>
+Flagell&eacute;s par un vent qui ne vient pas du ciel,</p>
+
+<p>
+Bouillonnent p&ecirc;le-m&ecirc;le avec un bruit d'orage;<br>
+Ombres folles, courez au but de vos d&eacute;sirs;<br>
+Jamais vous ne pourrez assouvir votre rage,<br>
+Et votre ch&acirc;timent na&icirc;tra de vos plaisirs.</p>
+
+<p>
+Jamais un rayon frais n'&eacute;claira vos cavernes;<br>
+Par les fentes des murs des miasmes fi&eacute;vreux<br>
+Filent en s'enflammant ainsi que des lanternes<br>
+Et p&eacute;n&egrave;trent vos corps de leurs parfums affreux.</p>
+
+<p>
+L'&acirc;pre st&eacute;rilit&eacute; de votre jouissance<br>
+Alt&egrave;re votre soif et roidit votre peau,<br>
+Et le vent furibond de la concupiscence<br>
+Fait claquer votre chair ainsi qu'un vieux drapeau.</p>
+
+<p>
+Loin des peuples vivants, errantes, condamn&eacute;es,<br>
+A travers les d&eacute;serts courez comme les loups;<br>
+Faites votre destin, &acirc;mes d&eacute;sordonn&eacute;es,<br>
+Et fuyez l'infini que vous portez en vous!</p>
+
+
+
+<p>&nbsp;</p>
+<h2>
+LES METAMORPHOSES DU VAMPIRE</h2>
+
+
+<p>
+La femme cependant de sa bouche de fraise,<br>
+En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise,<br>
+Et p&eacute;trissant ses seins sur le fer de son busc,<br>
+Laissait couler ces mots tout impr&eacute;gn&eacute;s de musc:<br>
+--&laquo; Moi, j'ai la l&egrave;vre humide, et je sais la science<br>
+De perdre au fond d'un lit l'antique conscience.<br>
+Je s&egrave;che tous les pleurs sur mes seins triomphants<br>
+Et fais rire les vieux du rire des enfants.<br>
+Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,<br>
+La lune, le soleil, le ciel et les &eacute;toiles!<br>
+Je suis, mon cher savant, si docte aux volupt&eacute;s,<br>
+Lorsque j'&eacute;touffe un homme en mes bras velout&eacute;s,<br>
+Ou lorsque j'abandonne aux morsures mon buste,<br>
+Timide et libertine, et fragile et robuste,<br>
+Que sur ces matelas qui se p&acirc;me d'&eacute;moi<br>
+Les Anges impuissants se damneraient pour moi! &raquo;</p>
+
+<p>
+Quand elle eut de mes os suc&eacute; toute la moelle,<br>
+Et que languissamment je me tournai vers elle<br>
+Pour lui rendre un baiser d'amour, je ne vis plus<br>
+Qu'une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus!<br>
+Je fermai les deux yeux dans ma froide &eacute;pouvante,<br>
+Et, quand je les rouvris &agrave; la clart&eacute; vivante,<br>
+A mes c&ocirc;t&eacute;s, au lieu du mannequin puissant<br>
+Qui semblait avoir fait provision de sang,<br>
+Tremblaient confus&eacute;ment des d&eacute;bris de squelette,<br>
+Qui d'eux-m&ecirc;mes rendaient le cri d'une girouette<br>
+Ou d'une enseigne, au bout d'une tringle de fer,<br>
+Que balance le vent pendant les nuits d'hiver.</p>
+<br>
+
+<p>&nbsp;</p>
+End of the Project Gutenberg EBook of Les Fleurs du Mal, by Charles Baudelaire
+
+<pre>
+
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES FLEURS DU MAL ***
+
+This file should be named 8flrm10h.htm or 8flrm10h.zip
+Corrected EDITIONS of our eBooks get a new NUMBER, 8flrm11h.txt
+VERSIONS based on separate sources get new LETTER, 8flrm10ah.txt
+
+Produced by Tonya Allen, Julie Barkley, Juliet Sutherland,
+Charles Franks and the Online Distributed Proofreading Team.
+
+Project Gutenberg eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the US
+unless a copyright notice is included. Thus, we usually do not
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+We are now trying to release all our eBooks one year in advance
+of the official release dates, leaving time for better editing.
+Please be encouraged to tell us about any error or corrections,
+even years after the official publication date.
+
+Please note neither this listing nor its contents are final til
+midnight of the last day of the month of any such announcement.
+The official release date of all Project Gutenberg eBooks is at
+Midnight, Central Time, of the last day of the stated month. A
+preliminary version may often be posted for suggestion, comment
+and editing by those who wish to do so.
+
+Most people start at our Web sites at:
+http://gutenberg.net or
+http://promo.net/pg
+
+These Web sites include award-winning information about Project
+Gutenberg, including how to donate, how to help produce our new
+eBooks, and how to subscribe to our email newsletter (free!).
+
+
+Those of you who want to download any eBook before announcement
+can get to them as follows, and just download by date. This is
+also a good way to get them instantly upon announcement, as the
+indexes our cataloguers produce obviously take a while after an
+announcement goes out in the Project Gutenberg Newsletter.
+
+http://www.ibiblio.org/gutenberg/etext03 or
+ftp://ftp.ibiblio.org/pub/docs/books/gutenberg/etext03
+
+Or /etext02, 01, 00, 99, 98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90
+
+Just search by the first five letters of the filename you want,
+as it appears in our Newsletters.
+
+
+Information about Project Gutenberg (one page)
+
+We produce about two million dollars for each hour we work. The
+time it takes us, a rather conservative estimate, is fifty hours
+to get any eBook selected, entered, proofread, edited, copyright
+searched and analyzed, the copyright letters written, etc. Our
+projected audience is one hundred million readers. If the value
+per text is nominally estimated at one dollar then we produce $2
+million dollars per hour in 2002 as we release over 100 new text
+files per month: 1240 more eBooks in 2001 for a total of 4000+
+We are already on our way to trying for 2000 more eBooks in 2002
+If they reach just 1-2% of the world's population then the total
+will reach over half a trillion eBooks given away by year's end.
+
+The Goal of Project Gutenberg is to Give Away 1 Trillion eBooks!
+This is ten thousand titles each to one hundred million readers,
+which is only about 4% of the present number of computer users.
+
+Here is the briefest record of our progress (* means estimated):
+
+eBooks Year Month
+
+ 1 1971 July
+ 10 1991 January
+ 100 1994 January
+ 1000 1997 August
+ 1500 1998 October
+ 2000 1999 December
+ 2500 2000 December
+ 3000 2001 November
+ 4000 2001 October/November
+ 6000 2002 December*
+ 9000 2003 November*
+10000 2004 January*
+
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation has been created
+to secure a future for Project Gutenberg into the next millennium.
+
+We need your donations more than ever!
+
+As of February, 2002, contributions are being solicited from people
+and organizations in: Alabama, Alaska, Arkansas, Connecticut,
+Delaware, District of Columbia, Florida, Georgia, Hawaii, Illinois,
+Indiana, Iowa, Kansas, Kentucky, Louisiana, Maine, Massachusetts,
+Michigan, Mississippi, Missouri, Montana, Nebraska, Nevada, New
+Hampshire, New Jersey, New Mexico, New York, North Carolina, Ohio,
+Oklahoma, Oregon, Pennsylvania, Rhode Island, South Carolina, South
+Dakota, Tennessee, Texas, Utah, Vermont, Virginia, Washington, West
+Virginia, Wisconsin, and Wyoming.
+
+We have filed in all 50 states now, but these are the only ones
+that have responded.
+
+As the requirements for other states are met, additions to this list
+will be made and fund raising will begin in the additional states.
+Please feel free to ask to check the status of your state.
+
+In answer to various questions we have received on this:
+
+We are constantly working on finishing the paperwork to legally
+request donations in all 50 states. If your state is not listed and
+you would like to know if we have added it since the list you have,
+just ask.
+
+While we cannot solicit donations from people in states where we are
+not yet registered, we know of no prohibition against accepting
+donations from donors in these states who approach us with an offer to
+donate.
+
+International donations are accepted, but we don't know ANYTHING about
+how to make them tax-deductible, or even if they CAN be made
+deductible, and don't have the staff to handle it even if there are
+ways.
+
+Donations by check or money order may be sent to:
+
+Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+PMB 113
+1739 University Ave.
+Oxford, MS 38655-4109
+
+Contact us if you want to arrange for a wire transfer or payment
+method other than by check or money order.
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation has been approved by
+the US Internal Revenue Service as a 501(c)(3) organization with EIN
+[Employee Identification Number] 64-622154. Donations are
+tax-deductible to the maximum extent permitted by law. As fund-raising
+requirements for other states are met, additions to this list will be
+made and fund-raising will begin in the additional states.
+
+We need your donations more than ever!
+
+You can get up to date donation information online at:
+
+http://www.gutenberg.net/donation.html
+
+
+***
+
+If you can't reach Project Gutenberg,
+you can always email directly to:
+
+Michael S. Hart hart@pobox.com
+
+Prof. Hart will answer or forward your message.
+
+We would prefer to send you information by email.
+
+
+**The Legal Small Print**
+
+
+(Three Pages)
+
+***START**THE SMALL PRINT!**FOR PUBLIC DOMAIN EBOOKS**START***
+Why is this "Small Print!" statement here? You know: lawyers.
+They tell us you might sue us if there is something wrong with
+your copy of this eBook, even if you got it for free from
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+fault. So, among other things, this "Small Print!" statement
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+TO THE EBOOK OR ANY MEDIUM IT MAY BE ON, INCLUDING BUT NOT
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+ if you wish, distribute this eBook in machine readable
+ binary, compressed, mark-up, or proprietary form,
+ including any form resulting from conversion by word
+ processing or hypertext software, but only so long as
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+ does *not* contain characters other than those
+ intended by the author of the work, although tilde
+ (~), asterisk (*) and underline (_) characters may
+ be used to convey punctuation intended by the
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+ the case, for instance, with most word processors);
+ OR
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+
+</pre>
+</body>
+</html>
+