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+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57506 ***
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+OEUVRES COMPLÈTES
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+DE
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+CHARLES PÉGUY
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+1873-1914
+
+OEUVRES DE POÉSIE
+
+LE MYSTÈRE
+
+DES SAINTS INNOCENTS
+
+LA TAPISSERIE DE SAINTE
+
+GENEVIÈVE ET DE JEANNE D'ARC
+
+LA TAPISSERIE DE NOTRE DAME
+
+[nrf]
+
+PARIS
+
+ÉDITIONS DE LA
+
+NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
+
+35 ET 37, RUE MADAME
+
+MCMXIX
+
+
+
+
+CETTE ÉDITION DÉFINITIVE DES OEUVRES COMPLÈTES DE CHARLES PÉGUY
+
+EST TIRÉE A DOUZE CENTS EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS PAR L'IMPRIMERIE PROTAT
+FRÈRES
+
+SUR PAPIER VERGÉ PUR FIL DES PAPETERIES LAFUMA DE VOIRON
+
+AU FILIGRANE DE LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
+
+
+EXEMPLAIRE Nº 334
+
+
+TOUS DROITS DE REPRODUCTION, DE TRADUCTION ET D'ADAPTATION RÉSERVÉS POUR
+TOUS PAYS Y COMPRIS LA RUSSIE
+
+COPYRIGHT BY LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE 1916
+
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+OEUVRES COMPLÈTES DE CHARLES PÉGUY
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+OEUVRES DE PROSE
+
+ TOME I _INTRODUCTION PAR ALEXANDRE MILLERAND_
+
+ Lettre du Provincial. Réponse. Le Triomphe de la
+ République.--Du second Provincial.--De la Grippe. Encore
+ de la Grippe. Toujours de la Grippe.--Entre deux
+ trains.--Pour ma maison (cité socialiste). Pour
+ moi.--Compte rendu de mandat.--La Chanson du roi Dagobert.
+ Suite de cette chanson.
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+ TOME II _INTRODUCTION PAR MAURICE BARRÈS_
+
+ De Jean Coste.--Les récentes oeuvres de Zola.--Orléans
+ vu de Montargis.--Zangwill.--Notre Patrie.--Courrier de
+ Russie.--Les suppliants parallèles.--Louis de Gonzague.
+
+ TOME III _INTRODUCTION PAR HENRI BERGSON_
+
+ De la situation faite à l'histoire et à la sociologie.--De
+ la situation faite au parti intellectuel devant les
+ accidents de la gloire temporelle.--A nos amis, à nos
+ abonnés.--L'argent.
+
+ TOME IV _INTRODUCTION PAR ANDRÉ SUARÈS_
+
+ Notre Jeunesse.--Victor Marie, comte Hugo.
+
+
+OEUVRES DE POÉSIE
+
+ TOME V Le Mystère de la Charité de Jeanne d'Arc.--Le Porche du
+ Mystère de la deuxième vertu.
+
+ TOME VI Le Mystère des Saints Innocents.--La tapisserie de sainte
+ Geneviève et de Jeanne d'Arc.--La tapisserie de Notre-Dame.
+
+ TOME VII Ève.--Sonnets.
+
+
+OEUVRES POSTHUMES
+
+ TOME VIII Clio.
+
+ TOME IX Note conjointe sur Descartes (précédée de la note sur
+ M. Bergson).
+
+ TOME X Autres ouvrages et fragments inédits.
+
+
+POLÉMIQUE ET DOSSIERS
+
+ TOME XI Texte et commentaires se rapportant à la gérance et au rôle
+ littéraire des Cahiers (préfaces).
+
+ TOME XII Texte et commentaires se rapportant au rôle politique joué
+ par les Cahiers (compte rendu de Congrès.--Affaire Dreyfus,
+ etc.).
+
+ TOME XIII Un nouveau théologien, M. Fernand Laudet.--Langlois
+ tel qu'on le parle.--L'argent (suite).
+
+ TOME XIV Marcel. La première Jeanne d'Arc.
+
+ TOME XV Correspondance. Biographie et Histoire des Cahiers de la
+ Quinzaine, par _ÉMILE BOIVIN_ et _MARCEL PÉGUY_.
+
+
+
+
+_le mystère
+
+des saints Innocents_
+
+
+
+
+DELECTISSIMIS
+
+IN INTIMO CORDE
+
+
+
+
+_cahier pour le dimanche des Rameaux
+
+et pour le dimanche de Pâques de la treizième série;_
+
+
+_cahier préparatoire
+
+pour le quatre cent quatre-vingt-troisième anniversaire
+
+de la délivrance d'Orléans,
+
+anniversaire qui tombera
+
+le mercredi 8 mai de l'an 1912._
+
+
+
+
+LE MYSTÈRE
+
+DES SAINTS INNOCENTS
+
+
+
+MADAME GERVAISE
+
+
+
+ Je suis, dit Dieu, Maître des Trois Vertus.
+
+ La Foi est une épouse fidèle.
+ La Charité est une mère ardente.
+ Mais l'espérance est une toute petite fille.
+
+
+
+ Je suis, dit Dieu, le Maître des Vertus.
+
+
+
+ La Foi est celle qui tient bon dans les siècles des siècles.
+ La Charité est celle qui se donne dans les siècles des siècles.
+ Mais ma petite espérance est celle
+ qui se lève tous les matins.
+
+
+
+ Je suis, dit Dieu, le Seigneur des Vertus.
+
+
+
+ La Foi est celle qui est tendue dans les siècles des siècles.
+ La Charité est celle qui se détend dans les siècles des siècles.
+ Mais ma petite espérance
+ est celle qui tous les matins
+ nous donne le bonjour.
+
+
+
+ Je suis, dit Dieu, le Seigneur des Vertus.
+
+
+
+ La Foi est un soldat, c'est un capitaine qui défend une forteresse,
+ Une ville du roi,
+ Aux marches de Gascogne, aux marches de Lorraine.
+ La Charité est un médecin, c'est une petite soeur des pauvres,
+ Qui soigne les malades, qui soigne les blessés,
+ Les pauvres du roi,
+ Aux marches de Gascogne, aux marches de Lorraine.
+ Mais ma petite espérance est celle
+ qui dit bonjour au pauvre et à l'orphelin.
+
+
+
+ Je suis, dit Dieu, le Seigneur des Vertus.
+
+
+
+ La Foi est une église, c'est une cathédrale enracinée au sol de
+ France.
+ La Charité est un hôpital, un hôtel-Dieu qui ramasse toutes les
+ misères du monde.
+ Mais sans l'espérance, tout ça ne serait qu'un cimetière.
+
+
+
+ Je suis, dit Dieu, le Seigneur des Vertus.
+
+
+
+ La Foi est celle qui veille dans les siècles des siècles.
+ La Charité est celle qui veille dans les siècles des siècles.
+ Mais ma petite espérance est celle
+ qui se couche tous les soirs
+ et se lève tous les matins
+ et fait vraiment de très bonnes nuits.
+
+
+
+ Je suis, dit Dieu, le Seigneur de cette vertu-là.
+
+
+
+ Ma petite espérance est celle
+ qui s'endort tous les soirs,
+ dans son lit d'enfant,
+ après avoir bien fait sa prière,
+ et qui tous les matins se réveille et se lève
+ et fait sa prière avec un regard nouveau.
+
+
+
+ Je suis, dit Dieu, Seigneur des Trois Vertus.
+
+
+
+ La Foi est un grand arbre, c'est un chêne enraciné au coeur de France.
+ Et sous les ailes de cet arbre la Charité, ma fille la Charité abrite
+ toutes les détresses du monde.
+ Et ma petite espérance n'est rien que cette petite promesse de
+ bourgeon qui s'annonce au fin commencement d'avril.
+
+
+
+ Et quand on voit l'arbre, quand vous regardez le chêne,
+ Cette rude écorce du chêne treize et quatorze fois et dix-huit fois
+ centenaire,
+ Et qui sera centenaire et séculaire dans les siècles des siècles,
+ Cette dure écorce rugueuse et ces branches qui sont comme un fouillis
+ de bras énormes,
+ (Un fouillis qui est un ordre),
+ Et ces racines qui s'enfoncent et qui empoignent la terre comme un
+ fouillis de jambes énormes,
+ (Un fouillis qui est un ordre),
+ Quand vous voyez tant de force et tant de rudesse le petit bourgeon
+ tendre ne paraît plus rien du tout.
+ C'est lui qui a l'air de parasiter l'arbre, de manger à la table de
+ l'arbre.
+ Comme un gui, comme un champignon.
+ C'est lui qui a l'air de se nourrir de l'arbre (et le paysan les
+ appelle des _gourmands_), c'est lui qui a l'air de s'appuyer sur
+ l'arbre, de sortir de l'arbre, de ne rien pouvoir être, de ne pas
+ pouvoir exister sans l'arbre. Et en effet aujourd'hui il sort de
+ l'arbre, à l'aisselle des branches, à l'aisselle des feuilles et il
+ ne peut plus exister sans l'arbre. Il a l'air de venir de l'arbre,
+ de dérober la nourriture de l'arbre.
+ Et pourtant c'est de lui que tout vient au contraire. Sans un
+ bourgeon qui est une fois venu, l'arbre ne serait pas. Sans ces
+ milliers de bourgeons, qui viennent une fois au fin commencement
+ d'avril et peut-être dans les derniers jours de mars, rien ne
+ durerait, l'arbre ne durerait pas, et ne tiendrait pas sa place
+ d'arbre, (il faut que cette place soit tenue), sans cette sève qui
+ monte et pleure au mois de mai, sans ces milliers de bourgeons qui
+ pointent tendrement à l'aisselle des dures branches.
+ Il faut que toute place soit tenue. Toute vie vient de tendresse.
+ Toute vie vient de ce tendre, de ce fin bourgeon d'avril, et de
+ cette sève qui pleure en mai, et de la ouate et du coton de ce fin
+ bourgeon blanc qui est vêtu, qui est chaudement, qui est tendrement
+ protégé d'un flocon d'une toison d'une laine végétale, d'une laine
+ d'arbre. En ce flocon cotonneux est le secret de toute vie. La rude
+ écorce a l'air d'une cuirasse, en comparaison de ce tendre
+ bourgeon. Mais la rude écorce n'est rien, que du bourgeon durci,
+ que du bourgeon vieilli. Et c'est pour cela que le tendre bourgeon
+ perce toujours, jaillit toujours dessous la dure écorce.
+ L'homme de guerre le plus dur a été un tendre enfant nourri de lait;
+ et le plus rude martyr, le martyr le plus dur sur le chevalet, le
+ martyr à la plus rude écorce, à la plus rugueuse peau, le martyr le
+ plus dur à la serre et à l'onglet a été un tendre enfant laiteux.
+ Sans ce bourgeon, qui n'a l'air de rien, qui ne semble rien, tout
+ cela ne serait que du bois mort.
+ Et le bois mort sera jeté au feu.
+
+
+
+ Ce qui vous trompe, c'est que cette rude écorce vous écorche les
+ mains; et ni de l'épaule vous ne faites bouger le tronc d'un
+ millième de millimètre, ni du pied vous ne pouvez faire bouger une
+ de ces grosses racines d'un millième de millimètre; ni de la main
+ une seule de ces grosses branches; et c'est à peine si vous
+ ébranleriez quelques-unes de ces petites branches; et si vous les
+ feriez balancer;
+ au lieu que le bourgeon ne résiste point sous le doigt et d'un coup
+ d'ongle le premier venu vous fait sauter un bourgeon;
+ qui développé vous ferait une branche plus grosse que la cuisse;
+
+ Car il est plus facile, dit Dieu, de ruiner que de fonder;
+ Et de faire mourir que de faire naître;
+ Et de donner la mort que de donner la vie;
+
+ Et le bourgeon ne résiste point. C'est qu'aussi il n'est point fait
+ pour la résistance, il n'est point chargé de résister.
+ C'est le tronc, et la branche, et cette maîtresse racine qui sont
+ faits pour la résistance, qui sont chargés de résister.
+ Et c'est la rude écorce qui est faite pour la rudesse et qui est
+ chargée d'être rude.
+ Mais le tendre bourgeon n'est fait que pour la naissance et il n'est
+ chargé que de faire naître.
+
+ (Et de faire durer).
+
+
+
+ (Et de se faire aimer).
+
+
+
+ Or je vous le dis, dit Dieu, sans ce bourgeonnement de fin avril,
+ sans ces milliers, sans cet unique petit bourgeonnement de
+ l'espérance, qu'évidemment tout le monde peut casser, sans ce
+ tendre bourgeon cotonneux, que le premier venu peut faire sauter de
+ l'ongle, toute ma création ne serait que du bois mort.
+ Et le bois mort sera jeté au feu.
+
+
+
+ Et toute ma création ne serait qu'un immense cimetière.
+ Or mon fils le leur a dit: _Il faut laisser les morts ensevelir leurs
+ morts._
+
+
+
+ Hélas mon fils, hélas mon fils, hélas mon fils;
+ Mon fils qui sur la croix avait une peau sèche comme une sèche écorce;
+ une peau flétrie, une peau ridée, une peau tannée;
+ une peau qui se fendait sous les clous;
+ mon fils avait été un tendre enfant laiteux;
+
+
+
+ une enfance, un bourgeonnement, une promesse, un engagement;
+ un essai; une origine; un commencement de rédempteur;
+ une espérance de salut, une espérance de rédemption
+
+
+
+ O jour, ô soir, ô nuit de l'ensevelissement.
+ Tombée de cette nuit que je ne reverrai jamais.
+ O nuit si douce au coeur parce que tu accomplis.
+ Et tu calmes comme un baume.
+ Nuit sur cette montagne et dans cette vallée.
+ O nuit j'avais tant dit que je ne te verrais plus.
+ O nuit je te verrai dans mon éternité.
+ Que ma volonté soit faite. O ce fut cette fois-là que ma volonté fut
+ faite.
+ Nuit je te vois encore. Trois grands gibets montaient. Et mon fils au
+ milieu.
+ Une colline, une vallée. Ils étaient partis de cette ville que
+ j'avais donnée à mon peuple. Ils étaient montés.
+ Mon fils entre ces deux voleurs. Une plaie au flanc. Deux plaies aux
+ mains. Deux plaies aux pieds. Des plaies au front.
+ Des femmes qui pleuraient tout debout. Et cette tête penchée qui
+ retombait sur le haut de la poitrine.
+ Et cette pauvre barbe sale, toute souillée de poussière et de sang.
+ Cette barbe rousse à deux pointes.
+ Et ces cheveux souillés, en quel désordre, que j'eusse tant baisés.
+ Ces beaux cheveux roux, encore tout ensanglantés de la couronne
+ d'épines.
+ Tout souillés, tout collés de caillots. Tout était accompli.
+ Il en avait trop supporté.
+ Cette tête qui penchait, que j'eusse appuyée sur mon sein.
+ Cette épaule que j'eusse appuyée à mon épaule.
+ Et ce coeur ne battait plus, qui avait tant battu d'amour.
+ Trois ou quatre femmes qui pleuraient tout debout. Des hommes je ne
+ me rappelle pas, je crois qu'il n'y en avait plus.
+ Ils avaient peut-être trouvé que ça montait trop. Tout était fini.
+ Tout était consommé. C'était fini.
+ Et les soldats s'en retournaient, et dans leurs épaules rondes ils
+ emportaient la force romaine:
+
+ C'est alors, ô Nuit, que tu vins. O nuit la même.
+ La même qui viens tous les soirs et qui étais venue tant de fois
+ depuis les ténèbres premières.
+ La même qui étais venue sur l'autel fumant d'Abel et sur le cadavre
+ d'Abel, sur ce corps déchiré, sur le premier assassinat du monde;
+ ô nuit la même tu vins sur le corps lacéré, sur le premier, sur le
+ plus grand assassinat du monde. C'est alors, ô nuit, que tu vins.
+ La même qui étais venue sur tant de crimes depuis le commencement du
+ monde;
+ Et sur tant de souillures et sur tant d'amertumes;
+ Et sur cette mer d'ingratitude, la même tu vins sur mon deuil;
+ Et sur cette colline et sur cette vallée de ma désolation c'est
+ alors, ô nuit, que tu vins.
+ O nuit faudra-t-il donc, faudra-t-il que mon paradis
+ Ne soit qu'une grande nuit de clarté qui tombera sur les péchés du
+ monde.
+ Sera-ce alors, ô nuit, que tu viendras.
+ C'est alors, ô nuit, que tu vins; et seule tu pus finir, seule tu pus
+ accomplir ce jour entre les jours.
+ Comme tu accomplis ce jour, ô nuit accompliras-tu le monde.
+ Et mon paradis sera-t-il une grande nuit de lumière.
+ Et tout ce que je pourrai offrir
+ Dans mon offrande et moi aussi dans mon Offertoire
+ A tant de martyrs et à tant de bourreaux,
+ A tant d'âmes et à tant de corps,
+ A tant de purs et à tant d'impurs,
+ A tant de pécheurs et à tant de saints,
+ A tant de fidèles et à tant de pénitents,
+ Et à tant de peines, et à tant de deuils, et à tant de larmes et à
+ tant de plaies,
+ Et à tant de sang,
+ Et à tant de coeurs qui auront tant battu,
+ D'amour, de haine,
+ Et à tant de coeurs qui auront tant saigné
+ D'amour, de haine,
+ Sera-t-il dit qu'il faut que ce soit
+ Qu'il faudra que je leur offre
+ Et qu'ils ne demanderont que cela,
+ Qu'ils ne voudront que de cela,
+ Qu'ils n'auront de goût que pour cela,
+ Sur ces souillures et sur tant d'amertumes,
+ Et sur cette mer immense d'ingratitude
+ La longue retombée d'une nuit éternelle.
+
+
+
+ O nuit tu n'avais pas eu besoin d'aller demander la permission à
+ Pilate. C'est pourquoi je t'aime et je te salue.
+ Et entre toutes je te glorifie, et entre toutes tu me glorifies.
+ Et tu me fais honneur et gloire
+ Car tu obtiens quelquefois ce qu'il y a de plus difficile au monde,
+ Le désistement de l'homme.
+ L'abandonnement de l'homme entre mes mains.
+ Je connais bien l'homme. C'est moi qui l'ai fait. C'est un drôle
+ d'être.
+ Car en lui joue cette liberté qui est le mystère des mystères.
+ On peut encore lui demander beaucoup. Il n'est pas trop mauvais. Il
+ ne faut pas dire, qu'il est mauvais.
+ Quand on sait le prendre, on peut encore lui demander beaucoup.
+ Lui faire rendre beaucoup. Et Dieu sait si ma grâce
+ Sait le prendre, si avec ma grâce
+ Je sais le prendre. Si ma grâce est insidieuse, habile comme un
+ voleur.
+ Et comme un homme qui chasse le renard.
+ Je sais le prendre. C'est mon métier. Et cette liberté même est ma
+ création.
+ On peut lui demander beaucoup de coeur, beaucoup de charité, beaucoup
+ de sacrifice.
+ Il a beaucoup de foi et beaucoup de charité.
+ Mais ce qu'on ne peut pas lui demander, sacredié, c'est un peu
+ d'espérance.
+ Un peu de confiance, quoi, un peu de détente,
+ Un peu de remise, un peu d'abandonnement dans mes mains,
+ Un peu de désistement. Il se raidit tout le temps.
+ Or toi, ma fille la nuit, tu réussis, quelquefois, tu obtiens
+ quelquefois cela
+ De l'homme rebelle.
+ Qu'il consente, ce monsieur, qu'il se rende un peu à moi.
+ Qu'il détende un peu ses pauvres membres las sur un lit de repos.
+ Qu'il détende un peu sur un lit de repos son coeur endolori.
+ Que sa tête surtout ne marche plus. Elle ne marche que trop, sa tête.
+ Et il croit que c'est du travail, que sa tête marche comme ça.
+ Et ses pensées, non, pour ce qu'il appelle ses pensées.
+ Que ses idées ne marchent plus et ne se battent plus dans sa tête et
+ ne grelottent plus comme des grains de calebasse.
+ Comme un grelot dans une courge vide.
+ Quand on voit ce que c'est, que ce qu'il appelle ses idées.
+ Pauvre être. Je n'aime pas, dit Dieu, l'homme qui ne dort pas.
+ Celui qui brûle, dans son lit, d'inquiétude et de fièvre.
+ Je suis partisan, dit Dieu, que tous les soirs on fasse son examen de
+ conscience.
+ C'est un bon exercice.
+ Mais enfin il ne faut pas s'en torturer au point d'en perdre le
+ sommeil.
+ A cette heure-là la journée est faite, et bien faite; il n'y a plus à
+ la refaire.
+ Il n'y a plus à y revenir.
+ Ces péchés qui vous font tant de peine, mon garçon, eh bien c'était
+ bien simple.
+ Mon ami il ne fallait pas les commettre.
+ A l'heure où tu pouvais encore ne pas les commettre.
+ A présent, c'est fait, va, dors, demain tu ne recommenceras plus.
+ Mais celui qui le soir en se couchant fait des plans pour le
+ lendemain.
+ Celui-là je ne l'aime pas, dit Dieu.
+ Le sot, est-ce qu'il sait seulement comment demain sera fait.
+ Est-ce qu'il connaît seulement la couleur du temps.
+ Il ferait mieux de faire sa prière. Je n'ai jamais refusé le pain du
+ lendemain.
+ Celui qui est dans ma main comme le bâton dans la main du voyageur,
+ Celui-là m'est agréable, dit Dieu.
+ Celui qui est posé dans mon bras comme un nourrisson qui rit,
+ Et qui ne s'occupe de rien,
+ Et qui voit le monde dans les yeux de sa mère, et de sa nourrice,
+ Et qui ne le voit et ne le regarde que là,
+ Celui-là m'est agréable, dit Dieu.
+ Mais celui qui fait des combinaisons, celui qui en lui-même pour
+ demain dans sa tête
+ Travaille comme un mercenaire.
+ Travaille affreusement comme un esclave qui tourne une roue éternelle.
+ (Et entre nous comme un imbécile).
+ Eh bien celui-là ne m'est pas agréable du tout, dit Dieu.
+ Celui qui s'abandonne, je l'aime. Celui qui ne s'abandonne pas, je ne
+ l'aime pas, c'est pourtant simple.
+ Celui qui s'abandonne ne s'abandonne pas et il est le seul qui ne
+ s'abandonne pas.
+ Celui qui ne s'abandonne pas s'abandonne et il est le seul qui
+ s'abandonne.
+ Or toi, ma fille la nuit, ma fille au grand manteau, ma fille au
+ manteau d'argent,
+ Tu es la seule qui vaincs quelquefois ce rebelle et qui fais plier
+ cette nuque dure.
+ C'est alors, ô Nuit que tu viens.
+ Et ce que tu as fait une fois,
+ Tu le fais toutes les fois.
+ Ce que tu as fait un jour,
+ Tu le fais tous les jours.
+ Comme tu es tombée un soir,
+ Ainsi tu tombes tous les soirs.
+ Ce que tu as fait pour mon fils fait homme,
+ O grande Charitable tu le fais pour tous les hommes ses frères
+ Tu les ensevelis dans le silence et l'ombre
+ Et dans le salutaire oubli
+ De la mortelle inquiétude
+ Du jour.
+ Ce que tu as fait une fois pour mon fils fait homme,
+ Ce que tu as fait un soir entre les soirs.
+ O nuit tu le refais tous les soirs pour le dernier des hommes
+ (C'est alors, ô nuit, que tu viens)
+ Tant il est vrai, tant il est réel qu'il était devenu l'un d'eux
+ Et qu'il s'était lié à leur sort mortel
+ Et qu'il était devenu l'un d'eux, pour ainsi dire au hasard,
+ Et qu'il s'était fait l'un d'eux
+ Sans aucune limitation ni mesure.
+ Car avant cette perpétuelle, cette imparfaite,
+ Cette perpétuellement imparfaite _imitation de Jésus-Christ_,
+ Dont ils parlent toujours,
+ Il y a eu cette très parfaite imitation de l'homme par Jésus-Christ,
+ Cette inexorable imitation, par Jésus-Christ,
+ De la misère mortelle et de la condition de l'homme.
+
+
+
+ Je comprends très bien, dit Dieu, qu'on fasse son examen de
+ conscience.
+ C'est un excellent exercice. Il ne faut pas en abuser.
+ C'est même recommandé. C'est très bien.
+ Tout ce qui est recommandé est très bien.
+ Et même ce n'est pas seulement recommandé. C'est prescrit.
+ Par conséquent c'est très bien.
+ Mais enfin vous êtes dans votre lit. Qu'est-ce que vous nommez votre
+ examen de conscience, faire votre examen de conscience.
+ Si c'est penser à toutes les bêtises que vous avez faites dans la
+ journée, si c'est vous rappeler toutes les bêtises que vous avez
+ faites dans la journée
+ Avec un sentiment de repentance et je ne dirai peut-être pas de
+ contrition,
+ Mais enfin avec un sentiment de pénitence que vous m'offrez, eh bien,
+ c'est bien.
+ Votre pénitence je l'accepte. Vous êtes des braves gens, des bons
+ garçons.
+ Mais si c'est que vous voulez ressasser et ruminer la nuit toutes les
+ ingratitudes du jour,
+ Toutes les fièvres et toutes les amertumes du jour,
+ Et si c'est que vous voulez remâcher la nuit tous vos aigres péchés
+ du jour,
+ Vos fièvres aigres et vos regrets et vos repentirs et vos remords
+ plus aigres encore,
+ Et si c'est que vous voulez tenir un registre parfait de vos péchés,
+ De toutes ces bêtises et de toutes ces sottises,
+ Non, laissez-moi tenir moi-même le Livre du Jugement.
+ Vous y gagnerez peut-être encore.
+ Et si c'est que vous voulez compter, calculer, supputer comme un
+ notaire et comme un usurier et comme un publicain,
+ C'est-à-dire comme un collecteur d'impôts,
+ C'est-à-dire comme celui qui ramasse les impôts,
+ Laissez-moi donc faire mon métier et ne faites pas
+ Des métiers qui n'ont pas à être faits.
+ Vos péchés sont-ils si précieux qu'il faille les cataloguer et les
+ classer
+ Et les enregistrer et les aligner sur des tables de pierre
+ Et les graver et les compter et les calculer et les compulser
+ Et les compiler et les revoir et les repasser
+ Et les supputer et vous les imputer éternellement
+ Et les commémorer avec on ne sait quelle sorte de piété.
+ Comme nous dans le ciel nous lions les gerbes éternelles,
+ Et les sacs de prière et les sacs de mérite
+ Et les sacs de vertus et les sacs de grâce dans nos impérissables
+ greniers
+ Pauvres imitateurs, allez-vous à présent vous mêler,--
+ Et imitateurs contraires, imitateurs à l'envers,--
+ Allez-vous vous mettre à lier tous les soirs
+ Les misérables gerbes de vos affreux péchés de chaque jour.
+ Quand ce ne serait que pour les brûler, c'est encore trop. Ils n'en
+ valent même pas la peine.
+ Pas même de cela même.
+ Vous n'y pensez que trop, à vos péchés.
+ Vous feriez mieux d'y penser pour ne point les commettre.
+ Pendant qu'il en est encore temps, mon garçon, pendant qu'ils ne sont
+ point encore commis. Vous feriez mieux d'y penser un peu plus alors.
+ Mais le soir ne liez point ces gerbes vaines. Depuis quand le
+ laboureur
+ Fait-il des gerbes d'ivraie et de chiendent. On fait des gerbes de
+ blé, mon ami.
+ Ne dressez point ces comptes et ces nomenclatures. C'est beaucoup
+ d'orgueil.
+ C'est aussi beaucoup de traînasserie. Et de paperasserie. Quand le
+ pèlerin, quand l'hôte, quand le voyageur
+ A longtemps traîné dans la boue des chemins,
+ Avant de passer le seuil de l'église il s'essuie soigneusement les
+ pieds,
+ Avant d'entrer,
+ Parce qu'il est très propre.
+ Et il ne faut pas que la boue des chemins souille les dalles de
+ l'église.
+ Mais une fois que c'est fait, une fois qu'il s'est essuyé les pieds
+ avant d'entrer,
+ Une fois qu'il est entré il ne pense plus toujours à ses pieds,
+ Il ne regarde plus toujours si ses pieds sont bien essuyés.
+ Il n'a plus de coeur, il n'a plus de regard, il n'a plus de voix
+ Que pour cet autel où le corps de Jésus
+ Et le souvenir et l'attente du corps de Jésus
+ Brille éternellement.
+ Il suffit que la boue des chemins n'ait point passé le seuil du
+ temple.
+ Il suffit qu'ils se soient bien essuyé les pieds une fois avant de
+ passer le seuil du temple.
+ Bien soigneusement, bien proprement et n'en parlons plus.
+ On ne parle pas toujours de la boue. Ce n'est pas propre.
+ Transporter dans le temple la mémoire même et le souci de la boue
+ Et la préoccupation et la pensée de la boue
+ C'est encore transporter de la boue dans le temple.
+ Or il ne faut point que la boue passe le seuil de la porte.
+ Quand l'hôte arrive chez l'hôte qu'il s'essuie simplement les pieds
+ avant d'entrer
+ Qu'il entre propre et les pieds propres et qu'ensuite
+ Il ne pense pas toujours à ses pieds et à la boue de ses pieds.
+ Or vous êtes mes hôtes, dit Dieu, et je vaux bien ce Dieu qui était
+ le Dieu des hôtes.
+ Vous êtes mes hôtes et mes enfants qui venez dans mon temple.
+ Vous êtes mes hôtes et mes enfants qui venez dans ma nuit.
+ Au seuil de mon temple, au seuil de ma nuit, essuyez-vous les pieds
+ et qu'on n'en parle plus.
+ Faites votre examen de conscience, mais que ce soit de vous essuyer
+ les pieds.
+ Et nullement au contraire que ce ne soit pas
+ De transporter dans le temple les boues et le souvenir des boues du
+ chemin
+ Et que ce ne soit pas de faire traîner sur le seuil auguste de ma nuit
+ Les traces, les marques des boues
+ De vos sales chemins de la journée.
+ Débarbouillez-vous le soir. C'est ça, faire votre examen de
+ conscience. On ne se débarbouille pas tout le temps.
+ Soyez comme ce pèlerin qui prend de l'eau bénite en entrant dans
+ l'église
+ Et qui fait le signe de la croix. Ensuite il entre dans l'église.
+ Et il ne prend pas tout le temps de l'eau bénite.
+ Et l'église n'est pas composée uniquement de bénitiers.
+ Il y a ce qui est avant le seuil. Il y a ce qui est au seuil. Et il y
+ a ce qui est dans la maison.
+ Il faut entrer une fois, et ne pas sortir et entrer tout le temps.
+ Soyez comme ce pèlerin qui ne regarde plus que le sanctuaire.
+ Et qui n'entend plus.
+ Et qui ne voit plus que cet autel où mon fils a été sacrifié tant de
+ fois.
+ Imitez ce pèlerin qui ne voit plus que l'éclat
+ Du resplendissement de mon fils
+ Entrez dans ma nuit comme chez moi. Car c'est là que je me suis
+ réservé
+ D'être le maître.
+ Et si vous tenez absolument à m'offrir quelque chose
+ Le soir en vous couchant
+ Que ce soit d'abord une action de grâces
+ Pour tous les services que je vous rends
+ Pour les innombrables bienfaits dont je vous comble chaque jour
+ Dont je vous ai comblés ce jour-là même.
+ Remerciez-moi d'abord, c'est le plus pressé
+ Et c'est aussi le plus juste.
+ Ensuite que votre examen de conscience
+ Soit un débarbouillement une fois fait
+ Et non point au contraire un traînassement de marques et de
+ souillures.
+ La journée d'hier est faite, mon garçon, pense à celle de demain.
+ Et à ton salut qui est au bout de la journée de demain.
+ Pour hier il est trop tard. Mais pour demain il n'est pas trop tard
+ Et pour ton salut qui est au bout de la journée de demain.
+ Ton salut n'est plus hier. Mais il peut être demain.
+ Hier est fait. Mais demain n'est pas fait, demain est à faire
+ Et ton salut qui est au bout de la journée de demain.
+ Ton salut n'est pas dans le sens d'hier, il est dans le sens de
+ demain.
+ Porte-toi sur demain, ne te reporte pas sur hier.
+ Pensez donc un peu moins à vos péchés quand vous les avez commis
+ Et pensez-y un peu plus au moment de les commettre.
+ Avant de les commettre.
+ Ce sera plus utile, dit Dieu.
+ Quand ils sont commis, quand ils sont faits il est trop tard.
+ Il n'est pas trop tard pour la pénitence.
+ Mais il est trop tard pour ne pas les commettre
+ Et ne pas les avoir commis.
+ Quand vous avez passé par dessus vos péchés, vous les faites gros
+ comme des montagnes, dit Dieu.
+ C'est au moment de les passer qu'il faut voir que ce sont en effet
+ des montagnes et qu'elles sont affreuses.
+ Vous êtes vertueux après. Soyez donc vertueux avant
+ Et pendant.
+ L'heure qui sonne est sonnée. Le jour qui passe est passé. Demain
+ seul reste, et les après demains
+ Et ils ne resteront pas longtemps.
+ Que vos examens de conscience et que vos pénitences
+ Ne soient donc point des raidissements et des cabrements en arrière,
+ Peuple à la nuque dure,
+ Mais qu'ils soient des assouplissements et que vos examens de
+ conscience et que vos pénitences et que vos contritions même les
+ plus amères
+ Soient des pénitences de détente, malheureux enfants, et des
+ contritions de rémission
+ Et de remise en mes mains et de démission.
+ (De démission de vous).
+ Mais je vous connais, vous êtes toujours les mêmes.
+ Vous voulez bien me faire de grands sacrifices, pourvu que vous les
+ choisissiez.
+ Vous aimez mieux me faire de grands sacrifices, pourvu que ce ne soit
+ pas ceux que je vous demande
+ Que de m'en faire de petits que je vous demanderais.
+ Vous êtes ainsi, je vous connais.
+ Vous ferez tout pour moi, excepté ce peu d'abandonnement
+ Qui est tout pour moi.
+ Soyez donc enfin, soyez comme un homme
+ Qui est dans un bateau sur la rivière
+ Et qui ne rame pas tout le temps
+ Et qui quelquefois se laisse aller au fil de l'eau.
+
+ Ainsi vous et votre canot
+ Laissez-vous aller quelquefois au fil du temps
+ Et laissez-vous entrer bravement
+ Sous l'arche du pont de la nuit.
+
+
+
+ On parle toujours, dit Dieu, de l'_imitation de Jésus-Christ_
+ Qui est l'imitation,
+ La fidèle imitation de mon fils par les hommes.
+ Et j'en ai connu et j'en connaîtrai des imitations si fidèles, dit
+ Dieu,
+ Et si approchées,
+ Que moi-même j'en demeure saisi d'admiration et de respect.
+ Mais enfin il ne faut pas oublier
+ Que mon fils avait commencé par cette singulière imitation de l'homme.
+ Singulièrement fidèle.
+ Qui elle fut poussée jusqu'à l'identité parfaite.
+ Quand si fidèlement si parfaitement il revêtit le sort mortel.
+ Quand si fidèlement si parfaitement il imita de naître.
+ Et de souffrir.
+ Et de vivre.
+ Et de mourir.
+
+
+
+ Mais quand je vous dis: Pensez plutôt à demain je ne vous dis pas:
+ Calculez ce demain.
+ Pensez-y comme à un jour qui viendra; et que c'est tout ce que vous
+ en savez.
+ Ne soyez point ce malheureux qui se retourne et se consume dans son
+ lit
+ Pour saisir la journée de demain.
+ Ne portez point votre main
+ Sur le fruit qui n'est pas mûr.
+ Sachez seulement que ce demain
+ Dont on parle toujours
+ Est le jour qui va venir,
+ Et qu'il sera de mon gouvernement
+ Comme les autres.
+ Et qu'il sera sous mon commandement
+ Comme les autres.
+ C'est tout ce qu'il vous faut. Pour le reste, attendez.
+ J'attends bien, moi, Dieu. Vous me faites assez attendre.
+ Vous me faites assez attendre la pénitence après la faute.
+ Et la contrition après le péché.
+ Et depuis le commencement des temps j'attends
+ Le jugement jusqu'au jour du jugement.
+ Je n'aime pas, dit Dieu, l'homme qui spécule sur demain.
+ Je n'aime pas celui qui sait mieux que moi ce que je vais faire.
+ Je n'aime pas celui qui sait ce que je ferai demain.
+ Je n'aime pas celui qui fait le malin. L'homme fort ce n'est pas mon
+ fort.
+ Penser au lendemain, quelle vanité. Gardez pour demain les larmes de
+ demain.
+ Il y en aura toujours assez.
+ Et ces sanglots qui vous remontent et qui vous étranglent.
+ Penser à demain, savez-vous seulement comment je ferai demain.
+ Quel demain je vous ferai.
+ Savez-vous si moi-même je l'ai arrêté encore.
+ Je n'aime pas, dit Dieu, celui qui se méfie de moi.
+ Croyez-vous que je vais m'amuser à vous faire des attrapes, comme un
+ roi barbare.
+ Croyez-vous que je passe ma vie à vous tendre des pièges et à prendre
+ plaisir à vous voir tomber dedans.
+ Je suis honnête homme, dit Dieu, et j'agis toujours droitement.
+ Je suis l'honneur même, et la droiture, et l'honnêteté.
+ Je suis bon Français, dit Dieu, droit comme un Français.
+ Loyal comme un Français.
+ Je suis le roi de France, droit comme le roi de France.
+ Ce que le dernier des pauvres n'eût pas craint de saint Louis,
+ allez-vous le craindre de moi?
+ Enfin je vaux peut-être saint Louis.
+ Croyez-vous que je vais m'amuser à vous faire des feintes comme un
+ bretteur.
+ Toute la malice que j'ai, c'est la malice de ma grâce, et la feinte
+ et la ruse de ma grâce, qui si souvent joue avec le pécheur pour
+ son salut, pour l'empêcher de pécher.
+ Qui séduit le pécheur; pour le sauver. Mais croyez-vous. Croyez-vous
+ que moi Dieu que je vais m'amuser à leur faire des misères et ce
+ que ne ferait pas un honnête homme. Je suis bon chrétien, dit Dieu.
+ Croyez-vous que je vais m'amuser à les surprendre comme un assassin
+ de nuit.
+
+JEANNETTE
+
+ Il viendra comme un larron et comme un voleur de nuit.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ Et il prendra comme au filet. _Le royaume des cieux est encore
+ semblable à une senne jetée dans la mer, et rassemblant de tout
+ genre de poissons._
+
+JEANNETTE
+
+ _Laquelle, quand elle fut emplie, tirant de l'eau, et assis sur le
+ bord du rivage, ils choisirent les bons pour leurs vaisseaux, mais
+ jetèrent les mauvais dehors._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Il en sera ainsi dans la consommation du siècle: les anges sortiront
+ et sépareront les mauvais du milieu des justes._
+
+JEANNETTE
+
+ _Et répondant Jésus leur dit: Voyez que personne ne vous séduise._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Mais de ce jour-là et de l'heure personne ne le sait, ni les anges
+ des cieux, sinon le père seul._
+
+ _Mais comme dans les jours de Noé, ainsi sera aussi l'avènement du
+ Fils de l'homme.
+ (Le ciel et la terre passeront; mais mes paroles ne passeront pas)._
+
+ _Ainsi en effet qu'il y avait dans les jours avant le déluge des gens
+ qui mangeaient et buvaient, se mariaient et donnaient en mariage,
+ jusqu'à ce jour où Noé entra dans l'arche._
+
+ _Et ils ne connurent pas jusqu'à ce que vint le déluge, et les
+ emporta tous:_
+
+JEANNETTE
+
+ _Ainsi sera aussi l'avènement du Fils de l'homme._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ Je suis leur père, dit Dieu. _Notre Père, qui êtes aux Cieux._ Mon
+ fils le leur a assez dit, que je suis leur père.
+ Je suis leur juge. Mon fils le leur a dit. Je suis aussi leur père.
+ Je suis surtout leur père.
+ Enfin je suis leur père. Celui qui est père est surtout père. _Notre
+ Père qui êtes aux Cieux._ Celui qui a été une fois père ne peut
+ plus être que père.
+ Ils sont les frères de mon fils; ils sont mes enfants; je suis leur
+ père.
+ _Notre Père qui êtes aux cieux_, mon fils leur a enseigné cette
+ prière. _Sic ergo vos orabitis. Vous prierez donc ainsi.
+ Notre Père qui êtes aux cieux_, il a bien su ce qu'il faisait ce
+ jour-là, mon fils qui les aimait tant.
+ Qui a vécu parmi eux, qui était un comme eux.
+ Qui allait comme eux, qui parlait comme eux, qui vivait comme eux.
+ Qui souffrait.
+ Qui souffrit comme eux, qui mourut comme eux.
+ Et qui les aime tant les ayant connus.
+ Qui a rapporté dans le ciel un certain goût de l'homme, un certain
+ goût de la terre.
+ Mon fils qui les a tant aimés, qui les aime éternellement dans le
+ ciel.
+ Il a bien su ce qu'il faisait ce jour-là, mon fils qui les aime tant.
+ Quand il a mis cette barrière entre eux et moi, _Notre Père qui êtes
+ aux cieux_, ces trois ou quatre mots.
+ Cette barrière que ma colère et peut-être ma justice ne franchira
+ jamais.
+ Heureux celui qui s'endort sous la protection de l'avancée de ces
+ trois ou quatre mots.
+ Ces mots qui marchent devant toute prière comme les mains du
+ suppliant marchent devant sa face.
+ Comme les deux mains jointes du suppliant s'avancent devant sa face
+ et les larmes de sa face.
+ Ces trois ou quatre mots qui me vainquent, moi l'invincible.
+ Et qu'ils font marcher devant leur détresse comme deux mains jointes
+ invincibles.
+ Ces trois ou quatre mots qui s'avancent comme un bel éperon devant un
+ pauvre navire.
+ Et qui fendent le flot de ma colère.
+ Et quand l'éperon est passé, le navire passe, et toute la flotte
+ derrière.
+ Actuellement, dit Dieu, c'est ainsi que je les vois;
+ Et pour mon éternité, éternellement, dit Dieu,
+ Par cette invention de mon Fils éternellement c'est ainsi qu'il faut
+ que je les voie.
+ (Et qu'il faut que je les juge. Comment voulez-vous, à présent, que
+ je les juge.
+ Après cela).
+ _Notre Père qui êtes aux cieux_, mon fils a très bien su s'y prendre.
+ Pour lier les bras de ma justice et pour délier les bras de ma
+ miséricorde.
+ (Je ne parle pas de ma colère, qui n'a jamais été que ma justice.
+ Et quelquefois ma charité).
+ Et à présent il faut que je les juge comme un père. Pour ce que ça
+ peut juger, un père. _Un homme avait deux fils_.
+ Pour ce que c'est capable de juger. _Un homme avait deux fils_. On
+ sait assez comment un père juge. Il y en a un exemple connu.
+ On sait assez comment le père a jugé le fils qui était parti et qui
+ est revenu.
+ C'est encore le père qui pleurait le plus.
+ Voilà ce que mon fils leur a conté. Mon fils leur a livré
+ le secret du jugement même.
+ Et à présent voici comme ils me paraissent; voici comme je les vois;
+ Voici comme je suis forcé de les voir.
+ De même que le sillage d'un beau vaisseau va en s'élargissant jusqu'à
+ disparaître et se perdre,
+ Mais commence par une pointe, qui est la pointe même du vaisseau.
+ Ainsi le sillage immense des pécheurs s'élargit jusqu'à disparaître
+ et se perdre
+ Mais il commence par une pointe, et c'est cette pointe qui vient vers
+ moi,
+ Qui est tournée vers moi.
+ Il commence par une pointe, qui est la pointe même du vaisseau.
+ Et le vaisseau est mon propre fils, chargé de tous les péchés du
+ monde.
+ Et la pointe du vaisseau ce sont les deux mains jointes de mon fils.
+ Et devant le regard de ma colère et devant le regard de ma justice
+ Ils se sont tous dérobés derrière lui.
+ Et tout cet immense cortège des prières, tout ce sillage immense
+ s'élargit jusqu'à disparaître et se perdre.
+ Mais il commence par une pointe et c'est cette pointe qui est tournée
+ vers moi.
+ Qui s'avance vers moi.
+ Et cette pointe ce sont ces trois ou quatre mots: _Notre Père qui
+ êtes aux cieux_; mon fils en vérité savait ce qu'il faisait.
+ Et toute prière monte vers moi dérobée derrière ces trois ou quatre
+ mots.
+ Et il y a une pointe de la pointe. C'est cette prière même non plus
+ seulement dans son texte.
+ Mais dans son invention même. Cette première fois que réellement dans
+ le temps elle fut prononcée.
+ Cette première fois que mon fils la prononça.
+ Non plus seulement dans son texte comme elle est devenue un texte.
+ Mais dans son invention même et dans son sourcement et dans son
+ forcement.
+ Quand elle-même fut une naissance de prière, une incarnation et une
+ naissance de prière. Une espérance.
+ Une naissance d'espérance.
+ Une parole naissante.
+ Un rameau et un germe et un bourgeon et une feuille et une fleur et
+ un fruit de parole.
+ Une semence, un naissement de prière.
+ Un verbe entre les verbes.
+ Cette première fois qu'elle sortit charnellement, temporellement des
+ lèvres d'homme de mon fils.
+ Et dans la pointe de la pointe, dans cette pointe même il y avait une
+ pointe.
+ Et c'étaient ces trois ou quatre mots, _Notre Père qui êtes aux
+ cieux_, non plus seulement comme un texte, non plus seulement dans
+ leur texte.
+ Mais dans leur source même.
+ Dans leur invention et dans leur bourgeonnement.
+ La première fois que mon fils les prononça sur cette montagne.
+ Les prononça, les fit sortir de ses lèvres d'homme.
+ La première fois qu'elles sortirent réellement, temporellement,
+ charnellement,
+ De ces lèvres de tendresse.
+ Et il était debout sur cette montagne qui sera célèbre dans les
+ siècles des siècles.
+ Sur cette montagne de la terre des hommes au-dessus de cette vallée
+ qui allait en descendant.
+ _Notre Père qui êtes aux cieux_, il inventa cela.
+ Il était avec eux, il était comme eux, il était un d'eux.
+ _Notre Père_. Comme un homme qui jette un grand manteau sur ses
+ épaules,
+ Tourné vers moi il s'était revêtu,
+ Il avait jeté sur ses épaules
+ Le manteau des péchés du monde.
+ _Notre Père qui êtes aux Cieux_. Et à présent derrière lui le pécheur
+ se dérobe à ma face. Et voici comme je vois, voici comme je suis
+ forcé de les voir. Voici comment je me représente ce cortège.
+ Tout part d'un point, qui est tourné vers moi, de l'extrême pointe
+ d'une pointe.
+ Et ce point de pointe ce sont ces trois ou quatre mots comme ils
+ furent inventés, comme ils furent introduits dans la création du
+ monde.
+ Comme ils furent prononcés pour la première fois par mon propre fils.
+ _Notre Père qui êtes aux cieux_.
+ Et derrière ce point s'avance la pointe elle-même, c'est-à-dire la
+ prière tout entière.
+ Comme elle fut prononcée cette première fois-là.
+ Et derrière s'élargit jusqu'à disparaître et se perdre
+ Le sillage des prières innombrables
+ Comme elles sont prononcées dans leur texte dans les jours
+ innombrables
+ Par les hommes innombrables,
+ (Par les simples hommes, ses frères).
+ Prières du matin, prières du soir;
+ (Prières prononcées toutes les autres fois);
+ Tant d'autres fois dans les innombrables jours;
+ Prières du midi et de toute la journée;
+ Prières des moines pour toutes les heures du jour,
+ Et pour les heures de la nuit;
+ Prières des laïcs et prières des clercs
+ Comme elles furent prononcées d'innombrables fois
+ Dans les innombrables jours.
+ (Il parlait comme eux, il parlait avec eux, il parlait l'un d'eux).
+ Toute cette immense flotte de prières chargée des péchés du monde.
+ Toute cette immense flotte de prières et de pénitences m'attaque
+ Ayant l'éperon que vous savez,
+ S'avance vers moi ayant l'éperon que vous savez.
+ C'est une flotte de charge, _classis oneraria_.
+ Et c'est une flotte de ligne,
+ Une flotte de combat.
+ Comme une belle flotte antique, comme une flotte de trirèmes
+ Qui s'avancerait à l'attaque du roi.
+ Et moi que voulez-vous que je fasse: je suis attaqué.
+ Et dans cette flotte, dans cette innombrable flotte
+ Chaque _Pater_ est comme un vaisseau de haut bord
+ Qui a lui-même son propre éperon, _Notre Père qui êtes aux cieux_
+ Tourné vers moi, et qui s'avance derrière ce propre éperon.
+ _Notre Père qui êtes aux cieux_, ce n'est pas malin. Évidemment quand
+ un homme a dit ça, il peut se cacher derrière.
+ Quand il a prononcé ces trois ou quatre mots.
+ Et derrière ces beaux vaisseaux de haut bord les _Ave Maria_
+ S'avancent comme des galères innocentes, comme de virginales birèmes.
+ Comme des vaisseaux plats, qui ne blessent point l'humilité de la mer.
+ Qui ne blessent point la règle, qui suivent, humbles et fidèles et
+ soumis au ras de l'eau.
+ _Notre Père qui êtes aux cieux_. Évidemment quand un homme a commencé
+ comme ça.
+ Quand il m'a dit ces trois ou quatre mots.
+ Quand il a commencé par faire marcher devant lui ces trois ou quatre
+ mots.
+ Après il peut continuer, il peut me dire ce qu'il voudra.
+ Vous comprenez, moi, je suis désarmé.
+ Et mon fils le savait bien.
+ Qui a tant aimé ces hommes.
+ Qui avait pris goût à eux, et à la terre, et à tout ce qui s'ensuit.
+ Et dans cette flotte innombrable je distingue nettement trois grandes
+ flottes innombrables.
+ (Je suis Dieu, je vois clair).
+ Et voici ce que je vois dans cet immense sillage qui commence par
+ cette pointe et qui de proche en proche peu à peu se perd à
+ l'horizon de mon regard.
+ Ils sont tous l'un derrière l'autre, même ceux qui débordent le
+ sillage
+ Vers ma main gauche et vers ma main droite.
+ En tête marche la flotte innombrable des _Pater_
+ Fendant et bravant le flot de ma colère.
+ Puissamment assis sur leurs trois rangs de rames.
+ (Voilà comme je suis attaqué. Je vous le demande. Est-ce juste?)
+ (Non, ce n'est point juste, car tout ceci est du règne de ma
+ Miséricorde)
+ Et tous ces pécheurs et tous ces saints ensemble marchent derrière
+ mon fils
+ Et derrière les mains jointes de mon fils.
+ Et eux-mêmes ont les mains jointes comme s'ils fussent mon fils.
+ Enfin mes fils. Enfin chacun un fils comme mon fils.
+ En tête marche la lourde flotte des _Pater_ et c'est une flotte
+ innombrable.
+ C'est dans cette formation qu'ils m'attaquent. Je pense que vous
+ m'avez compris.
+ _Le royaume du ciel souffre la force, et les hommes de force le
+ prendront de force_. Ils le savent bien. Mon fils leur a tout dit.
+ _Regnum coeli_, le royaume du ciel. Ou _regnum coelorum_, le
+ royaume des cieux.
+ _Regnum coeli vim patitur. Et violenti rapient illud_. Ou _rapiunt_.
+ Le royaume du ciel souffre la violence. Et les violents le violent.
+ Ou le violeront.
+ Comment voulez-vous que je me défende. Mon fils leur a tout dit. Et
+ non seulement cela. Mais dans le temps il s'est mis à leur tête. Et
+ ils sont comme une grande flotte antique, comme une flotte
+ innombrable qui s'attaquerait au grand roi. Derrière le point,
+ derrière l'extrême point de cette extrême pointe cette extrême
+ pointe s'avance et derrière et se tenant serrée comme un faisceau
+ que je ne puis rompre cette pointe elle-même et aussitôt derrière
+ s'avancent effrontément ces lourdes trirèmes antiques et elles
+ fendent, plus serrées que la phalange macédonienne, impudemment
+ elles fendent le flot de ma colère, et de la colère de ma justice.
+ (Et de la justice de ma colère).
+ Liées comme un faisceau d'hommes à la guerre elles s'avancent
+ lourdement portées sur leurs trois rangs de rames.
+ Et cette flotte est plus innombrable que la flotte des Achéens.
+ Et reculant je reconnais les trois ponts superposés, les trois
+ invincibles, les trois insubmersibles ponts.
+ Plus forts que l'océan de ma colère.
+ Et je reconnais les trois rangs de rames.
+ Et ce sont des rames juives et ce sont des rames grecques.
+ Et ce sont des rames latines et ce sont des rames françaises.
+ Et le premier rang de rames est:
+
+
+ (S'il n'y a que la justice, qui sera sauvé.
+ Mais s'il y a la miséricorde, qui sera perdu.
+ S'il y a la miséricorde, qui peut se vanter de se perdre.
+
+
+ Se sauver est impossible à l'homme; mais rien n'est impossible à Dieu.
+
+
+ Du haut de mon promontoire,
+ Du promontoire de ma justice,
+ Et du siège de ma colère,
+ Et de la chaire de ma jurisprudence,
+ _In cathedra jurisprudentiae_,
+ Du trône de mon éternelle grandeur
+ Je vois monter vers moi, du fond de l'horizon je vois venir
+ Cette flotte qui m'assaille,
+ La triangulaire flotte,
+ Me présentant cette pointe que vous savez.
+
+
+ Comme les grues volent en triangle dans le ciel,
+ Et ainsi vont où elles veulent,
+ Fendant l'air et refoulant la force du vent même,
+ Et la plus forte est devant faisant la pointe du triangle,
+ Ainsi cette grande flotte triangulaire
+ Vole et navigue et vogue
+ Et pour ainsi dire vole
+ Pour traverser l'océan de ma colère.
+ Et le plus fort est devant faisant la pointe du triangle.
+ Et ils se sont mis derrière lui de proche en proche
+ Et de proche en proche ils disparaissent tous au regard de ma colère.
+ Ils sont massés comme des peureux; et qui leur en ferait un reproche.
+ Comme des passereaux timides ils sont massés derrière celui qui est
+ fort.
+ Et ils me présentent cette pointe.
+ Et ils fendent ainsi le vent de ma colère et ils refoulent la force
+ même des tempêtes de ma justice.
+ Et le souffle de ma colère n'a plus aucune prise sur cette masse
+ angulaire,
+ Aux fuyantes ailes.
+ Car ils me présentent cet angle et je ne puis les prendre que sous
+ cet angle.
+ Que sont ici les flottes grecques et les flottes persiques;
+ Et les flottes puniques et les flottes romaines;
+ Et les flottes anglaises et les flottes françaises
+ Qu'une lame de fond roule éternellement.
+ Ici s'avance une flotte que nulle lame de fond de ma colère ne
+ roulera jamais.
+ Et dérobés les uns derrière les autres je découvre une flotte
+ innombrable.
+ Et les derniers se perdent comme dans une brume à l'horizon de mon
+ regard.
+ Et dans cette flotte innombrable je découvre trois flottes également
+ innombrables.
+ Et la première est devant, pour m'attaquer plus durement. C'est la
+ flotte de haut bord,
+ Les navires à la puissante carène,
+ Cuirassés comme des hoplites,
+ C'est-à-dire comme des soldats pesamment armés.
+ Et ils se meuvent invinciblement portés sur leurs trois rangs de
+ rames.
+
+ Et le premier rang de rames est:
+ _Que votre nom soit sanctifié,
+ Le vôtre;_
+
+ Et le deuxième rang de rames est:
+ _Que votre règne arrive,
+ Le vôtre;_
+
+ Et le troisième rang de rames est la parole entre toutes
+ insurmontable:
+ _Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel,
+ La vôtre._
+
+ _Sanctificetur nomen
+ Tuum._
+
+ _Adveniat regnum
+ Tuum._
+
+ _Fiat voluntas
+ Tua
+ Sicut in coelo et in terra._
+
+ Et telle est la flotte des _Pater_, solide et plus innombrable que
+ les étoiles du ciel. Et derrière je vois la deuxième flotte, et
+ c'est une flotte innombrable, car c'est la flotte aux blanches
+ voiles, l'innombrable flotte des _Ave Maria_.
+ Et c'est une flotte de birèmes. Et le premier rang de rames est:
+ _Ave Maria, gratia plena;_
+
+ Et le deuxième rang de rames est:
+ _Sancta Maria, mater Dei._
+
+
+
+ Et tous ces _Ave Maria_, et toutes ces prières de la Vierge et le
+ noble _Salve Regina_ sont de blanches caravelles, humblement
+ couchées sous leurs voiles au ras de l'eau; comme de blanches
+ colombes que l'on prendrait dans la main.
+ Or ces douces colombes sous leurs ailes,
+ Ces blanches colombes familières, ces colombes dans la main,
+ Ces humbles colombes couchées au ras de la main,
+ Ces colombes accoutumées à la main,
+ Ces caravelles vêtues de voilures
+ De tous les vaisseaux ce sont les plus opportunes,
+ C'est-à-dire celles qui se présentent le plus directement devant le
+ port.
+
+
+
+ Telle est la deuxième flotte, ce sont les prières de la Vierge. Et la
+ troisième flotte ce sont les autres innombrables prières.
+ Toutes. Celles qui se disent à la messe et aux vêpres. Et au salut.
+ Et les prières des moines qui marquent toutes les heures du jour. Et
+ les heures de la nuit.
+ Et le _Benedicite_ qui se dit pour se mettre à table.
+ Devant une bonne soupière fumante.
+ Toutes, enfin toutes. Et il n'en reste plus.
+
+
+
+ Or je vois la quatrième flotte. Je vois la flotte invisible. Et ce
+ sont toutes les prières qui ne sont pas même dites, les paroles qui
+ ne sont pas prononcées.
+ Mais moi je les entends. Ces obscurs mouvements du coeur, les obscurs
+ bons mouvements, les secrets bons mouvements.
+ Qui jaillissent inconsciemment et qui naissent et inconsciemment
+ montent vers moi.
+ Celui qui en est le siège ne les aperçoit même pas. Il n'en sait
+ rien, et il n'en est vraiment que le siège.
+ Mais moi je les recueille, dit Dieu, et je les compte et je les pèse.
+ Parce que je suis le juge secret.
+
+
+
+ Telles sont, dit Dieu, ces trois flottes innombrables. Et la
+ quatrième.
+ Ces trois flottes visibles et cette quatrième invisible.
+ Ces prières secrètes dont un coeur est le siège, ces prières secrètes
+ du coeur. Ces mouvements secrets.
+ Et assailli aussi effrontément, assailli de prières et de larmes,
+ Directement assailli, assailli en pleine face
+ Après cela on veut que je les condamne. Comme c'est commode.
+ On veut que je les juge. On sait assez comment finissent tous ces
+ jugements-là et toutes ces condamnations.
+ _Un homme avait deux fils_. Ça finit toujours par des embrassements.
+ (Et c'est encore le père qui pleure le plus).
+ Et par cette tendresse qui est, que je mettrais au-dessus des Vertus
+ même.
+ Parce qu'avec sa soeur la Pureté elle procède directement de la
+ Vierge.
+
+
+ D'autres galères, dit Dieu, en d'autres temps
+ D'autres galères ont vogué vers les sanctuaires des îles
+ Et vers les temples qui étaient sur les promontoires.
+ Mais cette fois-ci voici la flotte
+ Qui assaille le saint des saints.
+
+
+
+ _Le royaume des cieux souffre la violence. Et les violents le
+ ravissent._
+ Et voici l'ordre de ce rapt et de ce ravissement.
+ En tête c'est comme un coin ces trois ou quatre paroles, _Notre Père
+ qui êtes aux cieux_, celles qui furent prononcées réellement pour
+ la première fois par mon fils.
+ Derrière c'est toute la prière, celle qui fut prononcée réellement
+ pour la première fois par mon fils.
+ Derrière, achevant, constituant la première flotte ce sont tous les
+ autres _Notre Père_
+ Mais chacun précédé de sa propre pointe
+ Qui est ces trois ou quatre mots.
+ Et derrière seulement viennent les trois autres flottes.
+ Et toutes ces quatre flottes sont sur voiles.
+ Et ces _Pater_, qui sont des hommes, ont de fortes voiles brunes
+ Pleines et rugueuses, au tissu serré.
+ En toile bise, en toile écrue. Mais les _Ave Maria_
+ Courent sous de souples et courbes voiles blanches. Et toutes ces
+ quatre flottes
+ S'avancent incurvées.
+ Ainsi le coin fend le bois par la pointe.
+ Ainsi quand des soldats veulent monter à l'assaut,
+ Quand ils vont monter au moment même ils font une pointe, un
+ avancement
+ Un toit de leurs boucliers et quelquefois de leurs corps.
+ Ainsi le front du bélier enfonce la plus lourde porte.
+ Et ces caravelles de la deuxième flotte
+ Sont comme des colombes blotties dans la main.
+
+
+
+ Ce _Notre Père_, dit Dieu est le père des prières. C'est comme celui
+ qui marche en tête.
+ C'est un homme robuste, et la prière du _Je vous salue Marie_ est
+ comme une humble femme.
+ Et les autres prières sont derrière eux comme des enfants.
+ Et le _Notre Père_ et le _Je vous salue Marie_ sont comme l'homme et
+ la femme.
+ Qui vont l'un derrière l'autre et qui fendent la foule qui est venue
+ pour la procession.
+ L'homme va devant et fend le flot de la foule,
+ La foule de ma colère,
+ Et la femme suit derrière dans le sillage.
+ Et l'homme a pris sur ses épaules à califourchon
+ Cette curieuse enfant Espérance.
+ Et le _Notre Père_ est le roi et le _Je vous salue Marie_ est la
+ reine et l'espérance est la dauphine.
+ Et c'est un jeu de cartes et le _Notre Père_ est le roi et le _Je
+ vous salue Marie_ est la reine et tous les autres sont
+ les fidèles valets.
+
+
+ J'ai souvent joué avec l'homme, dit Dieu. Mais quel jeu, c'est un jeu
+ dont je tremble encore.
+ J'ai souvent joué avec l'homme, mais Dieu c'était pour le sauver et
+ j'ai assez tremblé de ne pas pouvoir le sauver,
+ De ne pas réussir à le sauver. Je veux dire j'ai assez tremblé
+ redoutant de ne pouvoir le sauver,
+ Me demandant si je réussirais à le sauver.
+
+
+ J'ai souvent joué avec l'homme, et je sais que ma grâce est
+ insidieuse, et combien et comment elle se tourne et elle joue. Elle
+ est plus rusée qu'une femme.
+ Mais elle joue avec l'homme et le tourne et tourne l'événement et
+ c'est pour sauver l'homme et l'empêcher de pécher.
+
+
+ Je joue souvent contre l'homme, dit Dieu, mais c'est lui qui veut
+ perdre, l'imbécile, et c'est moi qui veux qu'il gagne.
+ Et je réussis quelquefois
+ A ce qu'il gagne.
+
+
+
+ C'est le cas de le dire, nous jouons à qui perd gagne.
+ Du moins lui, car moi si je perdais, je perds.
+ Mais lui quand il perd, alors seulement il gagne.
+ Singulier jeu, je suis son partenaire et son adversaire
+ Et il veut gagner, contre moi, c'est-à-dire perdre.
+ Et moi son adversaire je veux le faire gagner.
+
+
+ Et le royaume du _Notre Père_ est le royaume même de l'espérance:
+ _Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour._
+ (Et le royaume du _Je vous salue Marie_ est un royaume plus secret).
+
+
+ Celui qui a dit le soir son _Notre Père_ peut dormir tranquille.
+ Croyez-vous que je vais m'amuser à faire des misères à ces pauvres
+ enfants.
+ Suis-je pas leur père.
+ Et que je vais m'amuser à leur faire des surprises comme on en fait à
+ la guerre.
+ Est-ce que je leur fais la guerre?
+ Oui je leur fais la guerre, mais sait bien pourquoi.
+ C'est pour les empêcher de perdre la bataille.
+ Je suis un honnête homme, dit Dieu.
+ Croyez-vous que je vais m'amuser à les prendre dans leur sommeil
+ Comme un homme de guerre qui prend son ennemi.
+ Croyez-vous que j'aie quelque goût à les prendre en défaut.
+ Et que ça m'amuse, de condamner.
+ Pauvres gens. Je vous le demande.
+ Suis-je donc un bourreau d'Orient?
+ Sans doute il est arrivé quelquefois,--
+ Rarement,--
+ Que j'ai saisi un criminel tout endormi
+ Dans la nuit qui précédait l'accomplissement,
+ La perpétration de son crime,
+ Et que je l'ai pris par la peau du cou.
+ Et que je l'ai traîné tout pantelant devant mon Tribunal.
+ Comme un chien crevé.
+ Mais cela même je l'ai fait pour bien peu. Pour trop peu.
+ Je ne l'ai pas fait assez souvent. J'aurais dû le faire plus souvent.
+ J'ai laissé Caïphe, et Pilate, et Judas
+ Dormir tout le sommeil jusqu'au matin
+ De la nuit qui précédait l'accomplissement,
+ La perpétration de leur forfait.
+ Et ce que je n'ai pas fait pour ces trois là, et pour tant d'autres.
+ Ce que j'ai fait à peine pour les rois d'Orient.
+ _Mane, Thecel, Pharès_ vous voudriez que je le fasse.
+ Pour un bon chrétien, pour un bon paysan de mes paroisses françaises.
+ Qui a labouré tout le jour, qui a travaillé, comme c'est la loi, pour
+ nourrir sa femme et ses trois enfants.
+ Qui le soir a mangé une bonne assiettée de soupe et bu un malheureux
+ verre de vin.
+ Et qui s'est couché dans son lit recru de fatigue,
+ Rompu.
+ Ce que je n'ai pas fait pour les rois d'Égypte et pour les rois de
+ Babylonie.
+ Vous voudriez que je le fasse pour ce malheureux.
+ Qui a femme et enfants.
+ Croyez-vous que je vais le prendre en traître?
+ Et qui serais-je, moi leur père. Non, non, rassurez-vous.
+ Suis-je donc un mercenaire qui ramasserait
+ Et qui volerait du bois pour son feu.
+ Quand un de ces malheureux meurt dans son sommeil,
+ Ayant fait sa prière du soir,
+ Son _Notre Père_ et son _Je vous salue Marie_,
+ C'est bon signe; son affaire est bonne.
+ C'est signe qu'il était mûr pour paraître devant mon tribunal.
+ Mûr dans le bon sens.
+ Voilà les surprises que je fais. Je le jugerai comme un père.
+ _Un homme avait deux fils_. Et l'on sait comment les pères jugent.
+ Celui qui a fait sa prière peut lever l'ancre
+ _Pour la traversée de la nuit_.
+ O nuit, dit Dieu, ma fille au grand manteau, ma fille au manteau
+ d'argent.
+ Par toi j'obtiens quelquefois le désistement de l'homme.
+ Et le renoncement de l'homme.
+ Et le déraidissement de l'homme.
+ Et qu'il se taise, surtout, qu'il se taise, il n'en finit pas de
+ parler.
+ Pour ce qu'il dit. Pour ce que ça vaut ce qu'il dit.
+ Et qu'il cesse de penser. Pour ce que ça vaut.
+ Créature à la nuque raide. Créature aux tempes barrées. Je n'aime
+ pas, dit Dieu,
+ Celui qui a la tête comme un morceau de bois. Les idoles aussi
+ étaient en bois.
+ Celui qui dans un perpétuel raidissement roule une perpétuelle
+ migraine.
+ Je n'aime pas, dit Dieu, celui qui pense
+ Et qui se tourmente et qui se soucie
+ Et qui roule une migraine perpétuelle
+ Dans la barre du front et un mal de tête
+ Dans le creux de la nuque dans le derrière de la tête.
+ Au point d'inquiétude.
+ Et qui a les sourcils froncés perpétuellement
+ Comme un secrètement malheureux.
+ Et les tempes battantes et qui est brûlé de fièvre.
+ Et aussi qui a les bords des paupières fripés
+ A force de regarder le jour du lendemain.
+ Ne suffit-il pas que moi je le regarde, le jour du lendemain.
+ O nuit tu obtiens quelquefois le désistement de ce malheureux.
+ Et qu'il se détende. C'est tout ce que je leur demande.
+ Qu'il ne roule point un flot perpétuel dans sa tête,
+ Un océan d'inquiétude.
+ Qu'est-ce que je leur demande. Qu'ils ferment un peu les yeux.
+ Qu'ayant fait leur prière ils se couchent dans leur lit en long.
+ Les jambes au bout des pieds et le corps au bout des jambes et la
+ tête au bout du corps.
+ Qu'ils désarment enfin, ces pauvres enfants, qu'ils ne prennent plus
+ des gardes contre moi.
+ Qu'ils dorment comme des bêtes, comme un bon cheval de labour sur de
+ la bonne paille, sans penser,
+ Sans prévoir, sans calculer,
+ Voilà ce que je demande, ce n'est pourtant pas difficile.
+ Voilà ce que je ne peux pas obtenir.
+ Ils veulent toujours faire mon métier, qui est de peser le lendemain.
+ Ils ne veulent jamais faire le leur, qui est de le subir.
+ Voilà ce que je ne peux jamais obtenir.
+ Ils se tourmentent, ils se tendent, ils se travaillent.
+ Et toi seule ô nuit quelquefois tu l'obtiens,
+ Qu'ils tombent dans un lit perdus de lassitude.
+ O nuit sera-t-il dit que tout ce que je pourrai leur offrir et tout
+ ce que je pourrai inventer.
+ Et que mon Paradis sera cela.
+ Et que tout ce qu'ils voudront ce sera cela.
+ Et qu'ils seront si fatigués de la vie, et qu'ils seront si ridés,
+ Et qu'ils auront été si fripés par une telle existence,
+ Par la vie de cette terre
+ Qu'ils ne voudront entendre que cela.
+ Sera-t-il dit qu'il y aura des fronts si courbés qu'ils ne se
+ relèveront jamais.
+ Et des reins si rompus qu'ils ne se redresseront jamais.
+ Et des épaules si voûtées que jamais elles ne se redresseront.
+ Et des fronts si ridés que jamais ils ne se dérideront.
+ Et des yeux si voilés qu'ils ne se dévoileront jamais.
+ Et des peaux si flétries que jamais elles ne redeviendront fraîches.
+ Et des peaux si fanées que jamais elles ne redeviendront jeunes.
+ Et des peaux si tannées que jamais elles ne redeviendront neuves.
+ Et des peaux si meurtries que jamais elles ne redeviendront saines.
+ Et des âmes si flétries que jamais elles ne redeviendront pures.
+ Et des mémoires si pleines que jamais elles ne redeviendront vides.
+ Et des bords de paupière si ourlés que jamais ils ne redeviendront
+ purs.
+ Et des paupières si usées de travail que jamais elles ne
+ redeviendront lisses.
+ Et des voix si voilées que jamais elles ne redeviendront pures. Que
+ jamais elles ne redeviendront jeunes.
+ Et des regards si voilés que jamais ils ne redeviendront profonds.
+ Et des voix si noyées de sanglots.
+ Et des yeux si noyés de travail, et des yeux si noyés de larmes.
+ Des yeux perdus, des voix perdues.
+ Et des mémoires si perdues de peines que jamais elles ne
+ redeviendront neuves.
+ Et des âmes si perdues de détresse que jamais elles ne redeviendront
+ jeunes.
+ Que jamais elles ne redeviendront enfants.
+ Et que les cheveux blancs jamais ne redeviendront
+ Des cheveux bouclés de jeunesse.
+ Et que ces pauvres créatures auront passé par de telles détresses.
+ Par de telles épreuves.
+ Et qu'elles auront dans leurs mémoires des histoires telles.
+ Qu'elles ne pourront les oublier jamais.
+ Sera-t-il dit qu'il y a des plis qu'on ne pourra pas défaire.
+ Avec un fer à repasser.
+ Des traces que l'on ne pourra pas effacer.
+ Laver au battoir à la rivière. Laver au lavoir.
+ Et que les épreuves uniques et que les uniques détresses de cette
+ terre
+ Les auront marqués pour éternellement.
+ Et qu'ils ne voudront rien savoir
+ Et qu'ils ne voudront entendre à rien
+ (Je joue toujours contre moi, dit Dieu.
+ Sans doute il est arrivé quelquefois,
+ Trop rarement,
+ (Et je regrette bien de ne pas l'avoir fait plus souvent,
+ Au moins quelquefois plus souvent)
+ Que j'ai saisi un criminel tout chaud dans la nuit de son crime.
+ Et que je l'ai pris par la peau du cou.
+ Et que je l'ai traîné tout pantelant devant mon Tribunal.
+ Comme un chien crevé.
+ Mais c'est qu'ils préparaient de telles horreurs et de telles
+ monstruosités.
+ Que moi Dieu j'en ai été épouvanté.
+ Et que dans ma propre nuit j'en ai été saisi d'horreur.
+ Et que je n'ai pas pu attendre au soir du jour qu'ils préparaient.
+ Et que je n'ai pas même pu supporter l'idée.
+ Que cela se ferait, que cela se passerait, que cela aurait lieu,
+ Qu'ils préparaient.
+ Et que j'ai perdu patience. Et pourtant je suis patient.
+ Parce que je suis éternel.
+ Et je les ai saisis dans la préparation de l'accomplissement.
+ Mais je n'ai pas pu me retenir. C'était plus fort que moi. J'ai aussi
+ ma face de colère.
+ Mais ces bourreaux et ces criminels.
+ Que j'ai pris par la peau de l'échine et que j'ai traînés tout
+ vivants.
+ Combien étaient-ils et combien de fois cela est-il arrivé.
+ Or ce que je n'ai pas fait pour Cyrus et pour Cambyse.
+ Et pour les festins de Sardanapale.
+ Et pour les rois de Ninive et de Babylone.
+ Et pour les peuples de Babel.
+ Et pour Nabuchodonosor et pour Téglath-Phalazar.
+ Croyez-vous que je vais le faire à présent contre un pauvre laboureur.
+ Pour qui me prenez-vous. Qui me faites-vous.
+ Croyez-vous que je vais mobiliser la foudre et les éclairs.
+ Et déranger le tonnerre de Dieu.
+ Et tout le tremblement contre mes vieilles paroisses françaises.
+ Non, non, bonnes gens, mangez votre soupe et dormez.
+ Faites une bonne journée, (si vous pouvez), mangez votre soupe, une
+ bonne platée de soupe, une pleine soupière si vous pouvez, s'il y
+ en a, une bonne soupière bien fumante pleine de pommes de terre;
+ faites votre prière; et dormez.
+ Celui qui fait sa prière, _Notre Père qui êtes aux cieux_, pose entre
+ lui et moi
+ Une barrière infranchissable à ma colère.
+ Et peut s'abandonner au sommeil de la nuit.
+ (O nuit, je t'ai créée la première). _Que votre volonté soit faite_.
+ Or ce que je n'ai pas fait contre les races perdues.
+ Vous voudriez que je le fasse contre mes paroisses françaises.
+ Un événement s'est passé dans l'intervalle, un événement est
+ intervenu, un événement a fait barrière.
+ C'est que mon fils est venu.
+ Et moi qu'est-ce que je serais sans mes vieilles paroisses françaises.
+ Qu'est-ce que je deviendrais. C'est là que mon nom monte
+ éternellement.
+ Depuis quand le général décime-t-il ses meilleurs soldats. Ce sont
+ mes meilleures troupes.
+ Croyez-vous que je vais aller surprendre dans son sommeil mon propre
+ camp.
+ Ils sont mes propres hommes. Vais-je me mettre
+ A décimer mes propres hommes.
+ Je ferais une belle bataille, après.
+ Oh je sais bien qu'ils ne sont pas parfaits.
+ Ils sont comme ils sont. Ce sont mes meilleures troupes.
+ Il faut aimer ces créatures comme elles sont.
+ Quand on aime un être, on l'aime comme il est.
+ Il n'y a que moi qui est parfait.
+ C'est même pour cela peut-être
+ Que je sais ce que c'est que la perfection
+ Et que je demande moins de perfection à ces pauvres gens.
+ Je sais, moi, combien c'est difficile.
+ Et combien de fois quand ils peinent tant dans leurs épreuves
+ J'ai envie, je suis tenté de leur mettre la main sous le ventre
+ Pour les soutenir dans ma large main
+ Comme un père qui apprend à nager à son fils
+ Dans le courant de la rivière
+ Et qui est partagé entre deux sentiments.
+ Car d'une part s'il le soutient toujours et s'il le soutient trop
+ L'enfant s'y fiera et il n'apprendra jamais à nager.
+ Mais aussi s'il ne le soutient pas juste au bon moment
+ Cet enfant boira un mauvais coup.
+ Ainsi moi quand je leur apprends à nager dans leurs épreuves
+ Moi aussi je suis partagé entre ces deux sentiments.
+ Car si je les soutiens toujours et je les soutiens trop
+ Ils ne sauront jamais nager eux-mêmes.
+ Mais si je ne les soutiens pas juste au bon moment
+ Ces pauvres enfants boiraient peut-être un mauvais coup.
+ Telle est la difficulté, elle est grande.
+ Et telle la duplicité même, la double face du problème.
+ D'une part il faut qu'ils fassent leur salut eux-mêmes. C'est la
+ règle.
+ Et elle est formelle. Autrement ce ne serait pas intéressant. Ils ne
+ seraient pas des hommes.
+ Or je veux qu'ils soient virils, qu'ils soient des hommes et qu'ils
+ gagnent eux-mêmes
+ Leurs éperons de chevaliers.
+ D'autre part il ne faut pas qu'ils boivent un mauvais coup
+ Ayant fait un plongeon dans l'ingratitude du péché.
+ Tel est le mystère de la liberté de l'homme, dit Dieu,
+ Et de mon gouvernement envers lui et envers sa liberté.
+ Si je le soutiens trop, il n'est plus libre
+ Et si je ne le soutiens pas assez, il tombe.
+ Si je le soutiens trop, j'expose sa liberté
+ Si je ne le soutiens pas assez, j'expose son salut:
+ Deux biens en un sens presque également précieux.
+ Car ce salut a un prix infini.
+ Mais qu'est-ce qu'un salut qui ne serait pas libre.
+ Comment serait-il qualifié.
+ Nous voulons que ce salut soit acquis par lui-même.
+ Par lui-même l'homme. Soit procuré par lui-même.
+ Vienne en un sens de lui-même. Tel est le secret,
+ Tel est le mystère de la liberté de l'homme.
+ Tel est le prix que nous mettons à la liberté de l'homme.
+ Parce que moi-même je suis libre, dit Dieu, et que j'ai créé l'homme
+ à mon image et à ma ressemblance.
+ Tel est le mystère, tel est le secret, tel est le prix
+ De toute liberté.
+ Cette liberté de cette créature est le plus beau reflet qu'il y ait
+ dans le monde
+ De la Liberté du Créateur. C'est pour cela que nous y attachons,
+ Que nous y mettons un prix propre.
+ Un salut qui ne serait pas libre, qui ne serait pas, qui ne viendrait
+ pas d'un homme libre ne nous dirait plus rien. Qu'est-ce que ce
+ serait.
+ Qu'est-ce que ça voudrait dire.
+ Quel intérêt un tel salut présenterait-il.
+ Une béatitude d'esclaves, un salut d'esclaves, une béatitude serve,
+ en quoi voulez-vous que ça m'intéresse. Aime-t-on à être aimé par
+ des esclaves.
+ S'il ne s'agit que de faire la preuve de ma puissance, ma puissance
+ n'a pas besoin de ces esclaves, ma puissance est assez connue, on
+ sait assez que je suis le Tout-Puissant.
+ Ma puissance éclate assez dans toute matière et dans tout événement.
+ Ma puissance éclate assez dans les sables de la mer et dans les
+ étoiles du ciel.
+ Elle n'est point contestée, elle est connue, elle éclate assez dans
+ la création inanimée.
+ Elle éclate assez dans le gouvernement,
+ Dans l'événement même de l'homme.
+ Mais dans ma création animée, dit Dieu, j'ai voulu mieux, j'ai voulu
+ plus.
+ Infiniment mieux. Infiniment plus. Car j'ai voulu cette liberté.
+ J'ai _créé_ cette liberté même. Il y a plusieurs degrés de mon trône.
+ Quand une fois on a connu d'être aimé librement, les soumissions
+ n'ont plus aucun goût.
+ Quand on a connu d'être aimé par des hommes libres, les
+ prosternements d'esclaves ne vous disent plus rien.
+ Quand on a vu saint Louis à genoux, on n'a plus envie de voir
+ Ces esclaves d'Orient couchés par terre
+ Tout de leur long à plat ventre par terre. Être aimé librement,
+ Rien ne pèse ce poids, rien ne pèse ce prix.
+ C'est certainement ma plus grande invention.
+ Quand on a une fois goûté
+ D'être aimé librement
+ Tout le reste n'est plus que soumissions.
+ C'est pour cela, dit Dieu, que nous aimons tant ces Français,
+ Et que nous les aimons entre tous uniquement
+ Et qu'ils seront toujours mes fils aînés.
+ Ils ont la liberté dans le sang. Tout ce qu'ils font, ils le font
+ librement.
+ Ils sont moins esclaves et plus libres dans le péché même
+ Que les autres ne le sont dans leurs exercices. Par eux nous avons
+ goûté.
+ Par eux nous avons inventé. Par eux nous avons créé
+ D'être aimés par des hommes libres. Quand saint Louis m'aime, dit
+ Dieu,
+ Je sais qu'il m'aime.
+ Au moins je sais qu'il m'aime, celui-là, parce que c'est un baron
+ français. Par eux nous avons connu
+ D'être aimés par des hommes libres. Tous les prosternements du monde
+ Ne valent pas le bel agenouillement droit d'un homme libre. Toutes
+ les soumissions, tous les accablements du monde
+ Ne valent pas une belle prière, bien droite agenouillée, de ces
+ hommes libres-là. Toutes les soumissions du monde
+ Ne valent pas le point d'élancement
+ Le bel élancement droit d'une seule invocation
+ D'un libre amour. Quand saint Louis m'aime, dit Dieu, je suis sûr,
+ Je sais de quoi on parle. C'est un homme libre, c'est un libre baron
+ de l'Ile de France. Quand saint Louis m'aime
+ Je sais, je connais ce que c'est que d'être aimé.
+ (Or c'est tout). Sans doute il craint Dieu.
+ Mais c'est d'une noble crainte, toute emplie, toute gonflée,
+ Toute pleine d'amour, comme un fruit gonflé de jus.
+ Nullement quelque lâche, quelque basse crainte, quelque sale peur
+ Qui prend dans le ventre. Mais une grande, mais une haute, mais une
+ noble crainte,
+ La peur de me déplaire, parce qu'il m'aime, et de me désobéir, parce
+ qu'il m'aime,
+ Et, parce qu'il m'aime, la peur
+ De ne pas être trouvé agréable
+ Et aimant et aimé sous mon regard. Nulle infiltration, dans cette
+ noble crainte,
+ D'une mauvaise peur et d'une pernicieuse et vile lâcheté.
+ Et quand il m'aime, c'est vrai. Et quand il dit qu'il m'aime, c'est
+ vrai. Et quand il dit qu'il aimerait mieux
+ Être lépreux que de tomber en péché mortel (tant il m'aime), c'est
+ vrai.
+ Lui je sais que c'est vrai.
+ Ce n'est pas vrai seulement qu'il le dit. C'est vrai que c'est vrai.
+ Il ne dit pas ça pour que ça fasse bien.
+ Il ne dit pas ça parce qu'il a vu ça dans les livres ni parce qu'on
+ lui a dit de le dire. Il dit ça parce que ça est.
+ Il m'aime à ce point. Il m'aime ainsi. Librement. La preuve que j'en
+ ai dans la même race
+ C'est que le sire de Joinville (que j'aime tant tout de même) qui est
+ un autre baron français,
+ Qui aimerait mieux au contraire avoir commis trente péchés mortels
+ que de devenir lépreux,
+ (Trente, le malheureux, comme il ne sait pas ce qu'il dit)
+ Ne se gêne pas non plus pour dire ce qu'il pense
+ C'est-à-dire pour dire le contraire
+ En présence même d'un si grand roi
+ Et d'un si grand saint
+ Que pourtant il connaissait pour tel,
+ C'est-à-dire pour contrarier un si grand roi et un si grand saint. La
+ liberté de parole
+ De celui qui ne veut pas risquer le coup
+ D'être lépreux plutôt que de tomber en péché mortel
+ Me garantit la liberté de parole de celui qui aime mieux être lépreux
+ Que de tomber en péché mortel.
+ Si l'un dit ce qu'il pense, l'autre aussi dit ce qu'il pense.
+ L'un prouve l'autre.
+ Ils n'ont pas peur de contrarier même le roi, même le saint.
+ Mais aussi quand ils parlent, on sait qu'ils parlent comme ils sont.
+ Et qu'ils pensent ce qu'ils disent. Et qu'ils disent ce qu'ils
+ pensent. C'est tout un.
+ Que ne ferait-on pas pour être aimé par de tels hommes.
+ La servitude est un air que l'on respire dans une prison
+ Et dans une chambre de malade. Mais la liberté
+ Est ce grand air que l'on respire dans une belle vallée
+ Et encore plus à flanc de coteau et encore plus sur un large plateau
+ bien aéré.
+ Or il y a un certain goût de l'air pur et du grand air
+ Qui fait les hommes forts, un certain goût de santé,
+ D'une pleine santé, virile, qui fait paraître tout autre air
+ Enfermé, malade, confiné.
+ Celui-là seul qui vit au grand air
+ A la peau assez cuite et l'oeil assez profond et le sang de sa race.
+ Ainsi celui-là seul qui vit à la grande liberté
+ A la peau assez cuite et l'âme assez profonde et le sang de ma grâce.
+ Que ne ferait-on pas pour être aimé par de tels hommes.
+ Comme ils sont francs entre eux, ainsi ils sont francs avec moi.
+ Comme ils se disent la vérité entre eux, ainsi ils me disent la
+ vérité à moi.
+ Et comme le baron n'a point peur de contrarier le roi et le saint
+ même,
+ (Qu'il aime tant, qu'il estime à son prix, pour qui il se ferait
+ tuer),
+ Ainsi je l'avoue ils n'ont quelquefois pas peur de me contrarier.
+ Moi le roi, moi le saint. Mais quand ils m'aiment, ils m'aiment.
+ Ils m'estiment mon prix. Ils se feraient tuer pour moi.
+ J'en ai pour garant même leur âpre liberté.
+ Leur liberté de parole, leur liberté d'acte. Ces hommes libres
+ Savent donner à l'amour un certain goût âpre, un certain goût propre
+ et cette liberté
+ Est le plus beau reflet qu'il y ait dans le monde car elle me
+ rappelle, car elle me renvoie
+ Car c'est un reflet de ma propre Liberté
+ Qui est le secret même et le mystère
+ Et le centre et le coeur et le germe de ma Création.
+ Comme j'ai créé l'homme à mon image et à ma ressemblance,
+ Ainsi j'ai créé la liberté de l'homme à l'image et à la ressemblance
+ De ma propre, de mon originelle liberté. Aussi quand saint Louis
+ tombe à genoux
+ Sur les dalles de la Sainte-Chapelle, sur les dalles de Notre-Dame
+ C'est un homme qui tombe à genoux, ce n'est pas une chiffe, ce n'est
+ pas une loque
+ Un tremblant esclave d'Orient
+ C'est un homme et c'est un Français et quand saint Louis m'aime
+ C'est un homme qui m'aime et quand saint Louis se donne
+ C'est un homme qui se donne. Et quand saint Louis me donne son coeur
+ Il me donne un coeur d'homme et un coeur de Français. Et quand il
+ m'estime mon prix
+ C'est-à-dire quand il m'estime Dieu,
+ C'est une tête d'homme qui m'estime, une saine tête de Français.
+ (Et Joinville même, Joinville qu'il ne faut point oublier.
+ Quand il m'aime (car il m'aime aussi),
+ Quand il m'estime (car il m'estime aussi),
+ Quand il se donne (car il se donne aussi) et quand il me donne son
+ coeur,
+ Il sait ce qu'il est, qui il est,
+ Il sait ce qu'il vaut, il sait ce qu'il pèse, il sait ce qu'il donne,
+ il sait ce qu'il apporte
+ Et je le sais aussi.
+ Quand Joinville même, et je ne dis pas seulement saint Louis,
+ Quand Joinville tombe à genoux sur la dalle
+ Dans la cathédrale de Reims
+ Ou dans la simple chapelle de son château de Joinville,
+ Ce n'est pas un esclave d'Orient qui s'écroule,
+ Dans la peur et dans quelque lâche et dans quelque sale tremblement
+ Aux genoux et aux pieds de quelque potentat
+ D'Orient. C'est un homme libre et un baron français,
+ Joinville sire de Joinville,
+ Qui donne, qui apporte et qui fait tomber à genoux
+ Librement et pour ainsi dire et en un certain sens gratuitement
+ Et un homme libre et un baron français,
+ Joinville sire de Joinville de la comté de Champagne,
+ Jean, sire de Joinville, sénéchal de Champagne.
+
+
+
+ Il ne faut pas oublier non plus Joinville, dit Dieu.
+ Il osait reprendre même le roi.
+ Il me reprenait bien un peu moi-même
+ Avec son histoire de la lèpre et des péchés mortels.
+ Mais je leur en passe tant, je leur passe tout ce qu'ils veulent.
+
+
+
+ Il ne faut pas oublier Joinville, dit Dieu. C'étaient de nobles
+ hommes.
+ Si l'on oubliait les pécheurs, il n'en resterait pas beaucoup.
+ Peu de saints, beaucoup de pécheurs, comme partout.
+ Mais il faut ce grand cortège de pécheurs
+ Pour accompagner ces quelques saints. Il faut penser aussi au sire de
+ Joinville.
+
+
+
+ Quelques saints marchent en tête. Et le grand cortège des pécheurs
+ suit derrière. Ainsi est faite ma chrétienté.
+ C'est ainsi qu'on obtient les grandes processions.
+ Quelques pasteurs marchent devant. Et le grand troupeau suit
+ derrière. Ainsi est fait le cortège de ma chrétienté.
+
+
+
+ Comme leur liberté a été créée à l'image et à la ressemblance de ma
+ liberté, dit Dieu,
+ Comme leur liberté est le reflet de ma liberté,
+ Ainsi j'aime à trouver en eux comme une certaine gratuité
+ Qui soit comme un reflet de la gratuité de ma grâce,
+
+ Qui soit comme créée à l'image et à la ressemblance de la gratuité de
+ ma grâce.
+
+ J'aime qu'en un sens ils prient non seulement librement mais comme
+ gratuitement.
+ J'aime qu'ils tombent à genoux non seulement librement mais comme
+ gratuitement.
+ J'aime qu'ils se donnent et qu'ils donnent leur coeur et qu'ils se
+ remettent et qu'ils supportent et qu'ils estiment non seulement
+ librement mais comme gratuitement.
+ J'aime qu'ils aiment enfin, dit Dieu, non seulement librement mais
+ comme gratuitement.
+ Or pour cela, dit Dieu, avec mes Français je suis bien servi.
+ C'est un peuple qui est venu au monde la main ouverte et le coeur
+ libéral.
+ Il donne, il sait donner. Il est naturellement gratuit.
+ Quand il donne, il ne vend pas, celui-là, et il ne prête pas à la
+ petite semaine.
+ Il donne pour rien. Autrement est-ce donner.
+ Il aime pour rien. Autrement est-ce aimer.
+ Il ne me propose point toujours des marchés généralement honteux.
+ Peuple libre, peuple gratuit, et non plus seulement peuple jardinier.
+ Peuple gratuit, peuple gracieux.
+ Peuple de barons français, peuple qui lève la tête, peuple qui sais
+ parler aux grands
+ Et par conséquent à moi le Très-Grand. Ceux qui baissent toujours la
+ tête
+ On ne voit pas qu'ils baissent aussi la tête
+ A l'Offertoire et à l'Élévation du Corps de mon Fils.
+ Mais ces Français qui lèvent toujours la tête,
+ Qui ont toujours la tête droite
+ Et haute,
+ Quand dans une église cent cinquante ou deux cents rangées de
+ Français à genoux
+ Baissent la tête ensemble en même temps trois fois aux trois coups de
+ la sonnette
+ Pour l'offrande et l'offertoire
+ Et pour la consécration et pour l'élévation du corps de mon fils,
+ Ça se voit, qu'ils baissent la tête et tout le monde comprend
+ Que ça en vaut la peine,
+ Que c'est un instant solennel et le plus grand mystère et le plus
+ grand instant qu'il y ait dans le monde.
+
+
+
+ C'est un peuple, dit Dieu, qui a la gratuité dans le sang. Il donne
+ et ne retient pas.
+ Il donne et ne reprend pas.
+ Sa main gauche ne retient pas ce que donne sa main droite.
+ Sa main gauche ne reprend pas ce que donne sa main droite.
+ Sa main gauche ignore littéralement ce que fait sa main droite.
+ Et ainsi c'est le peuple qui se conforme le plus littéralement
+ Aux paroles de mon fils. Et qui le plus littéralement réalise
+ Les paroles de mon fils.
+
+
+
+ Peuple naturellement libéral, dit Dieu, peuple aux mains libérales
+ Il ne sait pas marchander. Il ne marchande pas sur une prière.
+ Il ne marchande pas sur un voeu. Quand il donne, il donne. Quand il
+ demande, il demande.
+ Il ne fait pas traîner ce qu'il donne dans ce qu'il demande et ce
+ qu'il demande dans ce qu'il donne.
+ Il n'embarbouille pas tout ça l'un dans l'autre.
+ Il n'emmêle pas. Il ne demande pas pour donner, il ne donne pas pour
+ demander, il ne donne pas pour recevoir. Il sait très bien
+ Que tout ce qu'on m'apporte n'est rien auprès,
+ En comparaison, au prix de ce que je donne.
+ Aussi ces Français ne me proposent-ils jamais un échange, un marché.
+ Ils savent très bien
+ Que ma grâce est gratuite, qu'il n'est que de me plaire, que je fais
+ ce que je veux
+ Et ils y répondent par une sorte de prière gratuite et même
+ Par des sortes de voeux gratuits. Ils savent très bien
+ Qu'ils ne m'apportent aucuns mérites et que ce que je fais,
+ Je le fais pour les mérites et par les mérites de mon fils et des
+ saints.
+
+
+
+ A une gratuité de ma grâce ils répondent par une certaine gratuité de
+ la prière.
+ Et par une certaine gratuité du voeu même.
+
+
+
+ Ils me répondent comme je demande. Or s'il en est ainsi du menu
+ peuple et d'un baron français
+ Que sera-ce d'un saint Louis, baron lui-même et roi des barons.
+ Dans leur histoire de la lèpre et du péché mortel voici comme je
+ calcule, dit Dieu.
+ Quand Joinville aime mieux avoir commis trente péchés mortels que
+ d'être lépreux
+ Et quand saint Louis aime mieux être lépreux que de tomber en un seul
+ péché mortel,
+ Je n'en retiens pas, dit Dieu, que saint Louis m'aime ordinairement
+ Et que Joinville m'aime trente fois moins qu'ordinairement.
+ Que saint Louis m'aime suivant la mesure, à la mesure,
+ Et que Joinville m'aime trente fois moins que la mesure.
+ Je compte au contraire, dit Dieu. Voici comme je calcule. Voici ce
+ que je retiens.
+ J'en retiens au contraire que Joinville m'aime ordinairement
+ Honnêtement, comme un pauvre homme peut m'aimer,
+ Doit m'aimer.
+ Et que saint Louis au contraire m'aime trente fois plus
+ qu'ordinairement,
+ Trente fois plus qu'honnêtement.
+ Que Joinville m'aime à la mesure,
+ Et que saint Louis m'aime trente fois plus qu'à la mesure.
+ (Et si je l'ai mis dans mon ciel, celui-là, au moins je sais
+ pourquoi).
+
+
+
+ Voilà comme je compte, dit Dieu. Et alors mon compte est bon. Car
+ cette lèpre dont il s'agissait,
+ Cette lèpre dont ils parlaient et d'être lépreux
+ Ce n'était pas une lèpre d'imagination et une lèpre d'invention et
+ une lèpre d'exercice.
+ Ce n'était pas une lèpre qu'ils avaient vue dans les livres ou dont
+ ils avaient entendu parler
+ Plus ou moins vaguement
+ Ce n'était pas une lèpre pour en parler ni une lèpre pour faire peur
+ en conversation et en figures,
+ Mais c'était la réelle lèpre et ils parlaient de l'avoir, eux-mêmes,
+ réellement,
+ Qu'ils connaissaient bien, qu'ils avaient vue vingt fois
+ En France et en Terre-Sainte,
+ Cette dégoûtante maladie farineuse, cette sale gale, cette mauvaise
+ teigne,
+ Cette répugnante maladie de croûtes qui fait d'un homme
+ L'horreur et la honte de l'homme,
+ Cet ulcère, cette pourriture sèche, enfin cette définitive lèpre
+ Qui ronge la peau et la face et le bras et la main,
+ Et la cuisse et la jambe et le pied
+ Et le ventre et la peau et les os et les nerfs et les veines,
+ Cette sèche moisissure blanche qui gagne de proche en proche
+ Et qui mord comme avec des dents de souris,
+ Et qui fait d'un homme le rebut et la fuite de l'homme,
+ Et qui détruit un corps comme une granuleuse moisissure
+ Et qui pousse sur le corps ces affreuses blanches lèvres,
+ Ces affreuses lèvres sèches de plaies
+ Et qui avance toujours et jamais ne recule
+ Et qui gagne toujours et qui jamais ne perd
+ Et qui va jusqu'au bout,
+ Et qui fait d'un homme un cadavre qui marche,
+ C'est de cette lèpre-là qu'ils parlaient, de nulle autre.
+ C'est de cette lèpre-là qu'ils pensaient, de nulle autre.
+ D'une lèpre réelle, nullement d'une lèpre d'exercice.
+ C'est cette lèpre-là qu'il aimait mieux avoir, nulle autre.
+ Eh bien moi je trouve que c'est trente fois saisissant
+ Et que c'est m'aimer trente fois et que c'est trente fois de l'amour.
+
+
+
+ Ah sans doute si Joinville avec les yeux de l'âme avait vu
+ Ce que c'est que cette lèpre de l'âme
+ Que nous ne nommons pas en vain le péché _mortel_,
+ Si avec les yeux de l'âme il avait vu
+ Cette pourriture sèche de l'âme infiniment plus mauvaise,
+ Infiniment plus laide, infiniment plus pernicieuse,
+ Infiniment plus maligne, infiniment plus odieuse
+ Lui-même il eût tout de suite compris combien son propos était
+ absurde.
+ Et que la question ne se pose même pas. Mais tous ne voient pas avec
+ les yeux de l'âme.
+ Je comprends cela, dit Dieu, tous ne sont pas des saints, ainsi est
+ ma chrétienté.
+ Il y a aussi les pécheurs, il en faut, c'est ainsi.
+ C'était un bon chrétien, tout de même, ensemble, c'était un pécheur,
+ il en faut dans la chrétienté.
+ C'était un bon Français, Jean, sire de Joinville, un baron de saint
+ Louis. Au moins il disait ce qu'il pense.
+ Ces gens-là font le gros de l'armée. Il faut aussi des troupes. Il ne
+ suffit pas d'avoir des chefs qui marchent en tête.
+ Ces gens-là partent fort honnêtement en croisade, au moins une fois
+ sur les deux, et font très honnêtement la croisade.
+ Ils se battent très bien et se font tuer très proprement et gagnent
+ le royaume du ciel
+ Tout comme un autre.
+ (Je veux dire comme un autre gagnerait le royaume du ciel.
+ Ou je veux dire comme eux-mêmes ils gagneraient un autre royaume,
+ Un royaume de la terre.) C'est ce qu'il y a de plus remarquable en
+ eux.
+ Ils s'en vont les uns comme les autres, en troupe, les uns derrière
+ les autres.
+ Sans se presser, sans s'étonner, sans faire des grands gestes,
+ Très honnêtement, fort ordinairement,
+ Sans faire un éclat et ils finissent tout de même
+ Par conquérir le royaume du ciel.
+ Ou encore ils gagnent le royaume du ciel comme on gagne un royaume de
+ la terre,
+ Ils attaquent le royaume du ciel comme on attaque un royaume de la
+ terre,
+ A main forte et cela ne réussit déjà pas si mal. _Violenti rapiunt_.
+ Ils vous font d'ailleurs tout cela fort honnêtement, très
+ communément, comme allant de soi.
+ Comme si ce fût la chose la plus naturelle du monde.
+ Seulement ces malheureux ne veulent pas avoir la lèpre. Ils trouvent
+ sans doute que ce n'est pas propre. Ils aimeraient mieux autre
+ chose.
+ Les malheureux, les sots, s'ils voyaient la lèpre de l'âme
+ Et s'ils voyaient la saleté ou la propreté de l'âme.
+ Mais voilà, ils se disent: Je n'ai qu'un corps (les sots, ils
+ oublient le principal,
+ Ils oublient non pas seulement l'âme, mais le corps de leur éternité,
+ Le corps de la résurrection des corps),
+ Je n'ai qu'un corps, pensent-ils (ne pensant qu'à leur corps
+ terrestre)
+ Si cette sale lèpre me prend, je suis perdu
+ (Ils veulent dire que leur corps temporel est temporellement perdu).
+ C'est une maladie qui prend toujours et qui ne rend jamais.
+ C'est une pourriture sèche qui fait avancer toujours et toujours
+ Les bords des lèvres de ses affreuses plaies.
+ Si je suis pris, je suis perdu.
+ Ça commence par un point, ça finit par tout le corps.
+ Ça ne pardonne pas, quand c'est commencé c'est fini.
+ C'est une maladie impossible à défaire.
+ Elle défait tout, ce qui est parti ne revient jamais plus. Elle rompt
+ tout.
+ Ce corps que j'ai (et qu'ils aiment tant) tomberait en poussière et
+ en lambeaux
+ Et en cette sale farine granuleuse et ne me reviendrait jamais plus.
+ C'est une gangrène irrévocable et qui ne retourne jamais en arrière.
+ Or ils y tiennent à leur corps. On dirait qu'ils croient qu'ils n'ont
+ que ça.
+ Ils savent pourtant bien qu'ils ont une âme. La vie est l'union de
+ l'âme et du corps,
+ La mort est leur séparation. Mais leur corps leur paraît
+ Solide et bon vivant.
+ Ils ont l'impression que la lèpre anéantira tout leur corps et
+ qu'elle les tiendra jusqu'au bout (ils ne considèrent point qu'au
+ bout de ce bout
+ Commence le véritable commencement)
+ Et alors ils aimeraient mieux avoir autre chose que la lèpre.
+ Je pense qu'ils aimeraient mieux attraper
+ Une maladie qui leur plairait. C'est toujours le même système.
+ Ils veulent bien affronter les plus terribles épreuves
+ Et m'offrir les plus redoutables exercices,
+ Pourvu que ce soient eux qui les aient préalablement
+ Choisis. Là-dessus les Pharisiens s'écrient et font des éclats
+ Et poussent des cris et font des mines et ces exécrables Pharisiens
+ Surtout prient disant: Seigneur nous vous rendons grâces
+ De ce que vous ne nous avez point fait semblables à cet homme
+ Qui a peur d'attraper la lèpre. Or moi je dis au contraire, dit Dieu,
+ C'est moi qui dis: Ce n'est pas rien que d'attraper la lèpre.
+ Je sais ce que c'est que la lèpre. C'est moi qui l'ai faite.
+ Je la connais. Je dis: Ce n'est pas rien que d'attraper la lèpre.
+ Et je n'ai jamais dit que les épreuves et les exercices de leur vie,
+ Et les maladies et les misères de leur vie,
+ Et les détresses de leur vie ce n'était rien.
+ J'ai toujours dit au contraire et j'ai toujours pensé
+ Et j'ai toujours pesé que ce n'était pas rien.
+ Et il faut bien croire qu'en effet ce n'était pas rien
+ Puisque mon fils a fait tant de miracles sur les malades
+ Et puisque j'ai donné au roi de France
+ De toucher les écrouelles.
+
+
+
+ Les Pharisiens poussent des cris sur celui qui ne veut pas attraper
+ la lèpre.
+ Et ils sont scandalisés, ces vertueux.
+ Mais moi qui ne suis pas vertueux,
+ Dit Dieu,
+ Je ne pousse pas des cris et je ne suis pas scandalisé.
+
+
+
+ Je ne compte pas, je n'en retiens pas que ce Joinville est trente
+ fois au dessous de l'ordinaire.
+ Mais j'en retiens, mais je compte au contraire
+ Que c'est ce saint Louis qui est peu ordinaire, trente fois peu
+ ordinaire, trente fois extraordinaire, trente fois au dessus de
+ l'ordinaire.
+
+
+ Je ne compte pas, je n'en retiens pas
+ Que Joinville est trente fois lâche.
+ Mais au contraire j'en retiens et je compte
+ Que c'est ce saint Louis qui est trente fois brave,
+ Trente fois brave au dessus de l'ordinaire et plus que la mesure.
+
+
+ Je ne compte pas, je n'en retiens pas
+ Que Joinville est trente fois plus bas.
+ Mais au contraire j'en retiens et je compte
+ Que c'est ce saint Louis qui est trente fois haut,
+ Trente fois haut au dessus de l'ordinaire et plus que la mesure.
+
+
+ Je ne compte pas, je n'en retiens pas
+ Que Joinville est trente fois petit.
+ Mais je sais seulement qu'il est homme.
+ Et au contraire j'en retiens et je compte,
+ Voici comme je compte,
+ Et c'est ainsi.
+ J'en retiens et je compte que c'est ce saint Louis, roi de France,
+ Qui est trente fois grand, trente fois au dessus de l'ordinaire et
+ plus que la mesure
+
+ Et qui est trente fois près de mon coeur et trente fois le frère de
+ mon fils.
+
+
+ Les Pharisiens crient le haro sur celui qui ne veut pas attraper la
+ lèpre.
+ Mais le saint ne crie pas le haro et il n'est pas scandalisé.
+ Il connaît trop la nature de l'homme et l'infirmité de l'homme et il
+ est seulement profondément peiné.
+
+
+
+ Les Pharisiens crient le haro sur cet homme qui ne veut pas attraper
+ la lèpre.
+ Voyez au contraire comme le Saint lui parle doucement.
+ Fermement mais doucement.
+ Et cette fermeté est d'autant plus sûre et me donne d'autant plus de
+ certitude et plus d'assurance et plus de garantie qu'elle est plus
+ douce.
+ Les coeurs des pécheurs ne se prennent point par effraction.
+
+
+
+ Ils ne sont pas assez purs. Le seul royaume du ciel se prend par
+ effraction.
+
+
+
+ Les Pharisiens courent sus à l'homme qui ne veut pas attraper la
+ lèpre.
+ Voyez comme au contraire le Saint le reprend doucement.
+ Le Saint est envahi d'une peine affreuse à cette parole du pécheur.
+ Mais il absorbe, il dévore sa peine et la souffre lui-même pour
+ lui-même en lui-même.
+ Et voyez comme il reprend doucement le pécheur.
+
+
+
+ Or moi, dit Dieu, je suis du côté des saints et nullement du côté des
+ Pharisiens.
+ Aussi j'absorbe et je dévore ma peine et je la souffre moi-même en
+ moi-même pour moi-même,
+ Et voyez comme je parle doucement au pécheur
+ Et comme je reprends doucement le pécheur.
+
+
+ _Et quand les frères s'en furent partis_,
+ (Il attend que les deux frères qu'il avait appelés,
+ Qu'il avait fait venir s'en soient partis. Il attend qu'ils soient
+ seuls. Il ne veut pas
+ Faire un semblant d'affront à un baron français),
+ _il m'appela tout seul, et me fit seoir à ses pieds et me dit:
+ «Comment me dîtes-vous hier ce?»
+ Et je lui dis que encore lui disais-je._
+
+
+ _Et je, qui onques ne lui mentis;
+ Et je lui dis que encore lui disais-je;_ en vérité, dit Dieu,
+ Cette franchise de Joinville, qui ose répéter cela au roi,
+ Est précisément ce qui me garantit la franchise de saint Louis.
+ Cette franchise de péché de Joinville et de cette certaine impiété
+ Est justement ce qui me couvre, ce qui me garantit,
+ Ce qui pour ainsi dire me contrebalance
+ La franchise de sainteté de saint Louis. Et ce qui me la vérifie.
+ Entendez-moi, dit Dieu, c'est la liberté de Joinville
+ Qui me couvre, qui me garantit la liberté de saint Louis.
+ C'est la gratuité de Joinville
+ Qui me couvre, qui me garantit la gratuité, la grâce de saint Louis.
+ Entendez-moi c'est le péché de Joinville, ce bon chrétien,
+ Qui me couvre, qui me garantit la sainteté même de saint Louis.
+
+
+
+ _Je, qui onques ne lui mentis_, c'est parce que Joinville ne mentit
+ jamais à saint Louis,
+ Même au risque de lui déplaire, même au risque de le contrarier et de
+ lui faire une grande peine,
+ Que je suis sûr aussi et que je suis garanti
+ Que saint Louis ne me ment jamais,
+ Que son amour, que sa sainteté ne me ment pas,
+ Que ce n'est point un amour, une sainteté de convention,
+ De complaisance, imaginaire,
+ Mais que c'est un amour, une sainteté réelle,
+ Franche, terrienne,
+ Terreuse, une sainteté de race et de belle race,
+ Libre, gratuite.
+
+
+ _Et il me dit: «Vous dîtes comme vif étourdi;_
+
+ (Rien de plus, comme vif étourdi, comme vif étourneau);
+
+ _car vous devez savoir que nulle si laide lèpre n'est comme d'être en
+ péché mortel, pour ce que l'âme qui est en péché mortel est
+ semblable au diable; par quoi nulle si laide lèpre ne peut être._
+
+ _«Et bien est vrai que quand l'homme meurt, il est guéri de la lèpre
+ du corps; mais quand l'homme qui a fait le péché mortel meurt, il
+ ne sait pas ni n'est certain que il ait eu en sa vie telle
+ repentance que Dieu lui ait pardonné: par quoi grand peur doit
+ avoir que cette lèpre lui dure tant comme Dieu sera en paradis. Si
+ vous prie, fit-il, tant comme je puis, que vous mettiez votre coeur
+ à ce, pour l'amour de Dieu et de moi, que vous aimassiez mieux que
+ tout méchef avînt au corps, de lèpre et de toute maladie, que ce
+ que le péché mortel vînt à l'âme de vous._
+
+
+
+ Quelle douceur, mon enfant, quelle fermeté dans la douceur, quelle
+ douceur dans la fermeté.
+ L'une et l'autre ensemble liées indissolubles, l'une poussant
+ l'autre, l'une faisant valoir l'autre, l'une soutenant l'autre,
+ l'une nourrissant l'autre.
+ La douceur toute armée de fermeté, la fermeté toute armée de douceur.
+ L'une enfermée dans l'autre, l'autre enfermée dans l'une, comme un
+ double noyau dans un double fruit
+ De fermeté.
+ Une douceur d'autant mieux garantie par la fermeté, une fermeté
+ d'autant mieux garantie par la douceur.
+ L'une portant l'autre.
+ Car il n'est point de véritable douceur que fondée sur la fermeté,
+ Vêtue de fermeté.
+ Et il n'est point de véritable fermeté que vêtue de douceur.
+
+
+
+ Quelle douceur, quelle tendresse. Celui qui aime
+ Entre en la sujétion de celui qui est aimé.
+ Voilà comme il parle, lui le roi de France.
+ Il est vrai que c'est à un baron français.
+ Quel soin de ne point offenser.
+ De ne meurtrir aucunement, de ne point léser.
+ De ne point blesser.
+ De ne laisser aucune trace,
+ Aucun souvenir de blessure et de meurtrissure.
+ Quelle attention, quelle dilection.
+ Quel soin de ne pas donner même une apparence de tort.
+ Quel soin de ne pas commettre la moindre offense.
+ Lui le roi, parlant pour Dieu et pour lui-même
+ Pour Dieu et pour le roi de France il parle humblement.
+ Il parle comme un tremblant solliciteur.
+ C'est qu'il tremble en effet et c'est qu'il sollicite.
+ Il tremble que son fidèle Joinville ne fasse pas son salut.
+ Et il demande à Joinville, il sollicite que le fidèle Joinville
+ Fasse son salut. Veuille bien faire son salut. Quelle sollicitation.
+ Il a soin de le prendre à part. Il attend que les deux frères
+ soient partis.
+ Quelle douceur, quel père parlerait plus doucement à son fils.
+ _Comment me dîtes-vous hier ce?
+ Et je lui dis que encore lui disais-je.
+ Et il me dit: Vous dîtes comme hastis musars;_ (comme hâtif musard,
+ comme hâtif étourdi, comme hâtif étourneau);
+ Il feint presque de plaisanter, de commencer sur un ton assez
+ plaisant, justement comme un qui a peur,
+ Précisément comme celui qui va entrer dans le propos le plus grave,
+ Qui va causer, qui va traiter de l'intérêt le plus grave);
+ (ainsi commencent les joutes les plus redoutables);
+ Et le sérieux profond arrive tout aussitôt après,
+ Entre incontinent dans le corps même et dans le texte de cette
+ plaisante,
+ De cette redoutable entrée. _Vous dîtes comme hâtis musars;
+ car vous devez savoir que nulle si laide lèpre
+ n'est comme d'être en péché mortel,
+ pour ce que l'âme qui est en péché mortel est semblable au diable:
+ par quoi nulle si laide lèpre ne peut être._
+
+
+
+ Et les paroles qui suivent ne sont point indignes, mon enfant, des
+ plus belles paroles des Évangiles,
+ Des plus grandes paroles de Jésus dans les Évangiles. Car en
+ imitation de Jésus
+ Il a été donné à des saints de prononcer des paroles non indignes
+ De Jésus, des paroles de Jésus,
+ Comme en imitation et en l'honneur de Jésus
+ Il a été donné à des martyrs de subir une mort
+ Non indigne de la mort de Jésus. Ainsi ces paroles qui viennent
+ Ne sont point indignes de la prédication de Jésus même.
+ _Et bien est vrai que quand l'homme meurt, il est guéri de la lèpre
+ du corps;_
+ (comme c'est la même voix que dans les Évangiles, mon enfant, la même
+ profondeur,
+ La même résonance de la même voix dans la même profondeur)
+ (c'est qu'aussi c'est la même sainteté. Jésus et les _autres_ saints.
+ La même commune éternelle sainteté,
+ La même communion des saints);
+ _mais quand l'homme qui a fait le péché mortel meurt,
+ il ne sait pas ni n'est certain que il ait eu en sa vie telle
+ repentance
+ que Dieu lui ait pardonné:
+ par quoi grand peur doit avoir que cette lèpre lui dure
+ tant comme Dieu sera en paradis._ Mais les paroles qui viennent, mon
+ enfant,
+ Ne sont pas indignes du coeur des Évangiles,
+ Des trois paraboles de l'Espérance.
+ Elles sont le reflet, elles sont le report, elles sont le rappel
+ Dans la même résonance et dans la même ligne
+ Des trois paraboles de l'Espérance. _Un homme avait deux fils._ Un
+ roi avait un baron.
+ Un roi avait un fidèle. Un roi avait un fils. Un roi avait un féal.
+ Et comme les trois paraboles de l'espérance
+ Sont le coeur peut-être et sans doute et le couronnement des
+ Évangiles,
+ Ainsi ces paroles de saint Louis qui viennent sont le coeur peut-être
+ et sans doute et le couronnement
+ Non seulement de saint Louis et de la sainteté de saint Louis.
+ Mais de toute sainteté peut-être après les Évangiles,
+ De toute sainteté issue des Évangiles. Car elle est le reflet, et le
+ report, et le rappel
+ De cette unique parabole de l'enfant qui était perdu. Comme il
+ s'abaisse, le roi de France.
+ Quelle chrétienne humiliation, quelle humiliation de saint. Celui qui
+ aime
+ Entre dans la dépendance de celui qui est aimé. Quelle noble
+ humilité. Il ne commande pas, il demande.
+ Il attend, il espère, il reprend doucement. Il prie. Quelle humilité
+ toute vêtue de noblesse.
+ _Si vous prie, fit-il, tant comme je puis, que vous mettiez votre
+ coeur à ce,
+ pour l'amour de Dieu et de moi,
+ que vous aimassiez mieux que tout méchef avînt au corps,
+ de lèpre et de toute maladie,
+ que ce que le péché mortel vînt à l'âme de vous._
+
+
+
+ Quelle instance, quelle humble instance, quelle noble instance,
+ quelle tendre instance.
+ Voilà comme le saint parle au pécheur,
+ Pour son salut. Jésus même
+ N'a jamais été plus tendre au pécheur. C'est que le saint par
+ lui-même sait
+ Ce que c'est que d'être homme et ce qu'est la faiblesse humaine
+ Et l'infirmité de l'homme
+ Et ce que c'est pour l'homme que la tentation
+ De sa propre faiblesse. _Car l'esprit est prompt, mais la chair est
+ faible._
+ Et moi, dit Dieu, qui suis du côté des saints et nullement du côté
+ des Pharisiens,
+ Moi qui suis tout au bout du côté des saints
+ Moi aussi je sais quelle est la faiblesse et l'infirmité de l'homme
+ (c'est moi qui l'ai fait),
+ Et je parle à Joinville comme saint Louis.
+
+
+
+ Comment serais-je moins tendre que saint Louis. Comme lui je tremble
+ Pour leur salut. Comme lui je sollicite, hélas,
+ Pour leur salut. Les Pharisiens veulent que les autres soient
+ parfaits.
+ Et ils exigent et ils réclament. Et ils ne parlent que de cela. Mais
+ moi je ne suis pas si exigeant.
+ Parce que je sais ce que c'est que la perfection, je ne leur en
+ demande pas tant.
+ Parce que je suis parfait et il n'y a que moi qui est parfait.
+ Je suis le Tout-Parfait. Aussi je suis moins difficile.
+ Moins exigeant. Je suis le Saint des saints.
+ Je sais ce que c'est. Je sais ce qu'il en coûte.
+ Je sais ce que ça coûte, je sais ce que ça vaut. Les Pharisiens
+ veulent toujours de la perfection
+ Pour les autres. Chez les autres.
+ Mais le saint qui veut de la perfection pour lui-même
+ En lui-même
+ Et qui cherche et qui peine dans le labeur et dans les larmes
+ Et qui obtient quelquefois quelque perfection,
+ Le saint est moins difficile pour les autres.
+ Il est moins exigeant pour les autres. Il sait ce que c'est.
+ Il est exigeant pour soi, difficile pour soi. C'est plus difficile.
+
+
+
+ Les Pharisiens trouvent toujours les autres indignes et tout le monde
+ indigne.
+ Mais moi qui ne vaux peut-être pas ces hommes de bien, dit Dieu,
+ Je suis moins difficile, je trouve
+ Que ce Joinville est homme et que c'est saint Louis qui a trente fois
+ vaincu,
+ Trente fois surmonté, trente fois remonté, trente fois surpassé la
+ nature de l'homme.
+ Je trouve que ce Joinville est commun, que c'est un bon chrétien, un
+ bon pécheur de l'espèce commune,
+ Et que c'est ce saint Louis au contraire qui est trente fois hors du
+ commun, trente fois saint, trente fois hors de l'espèce ordinaire.
+ Je trouve que ce Joinville n'est pas indigne et même qu'il est digne,
+ Et que c'est ce saint Louis qui est trente fois digne
+ D'être mon fils dans mon coeur et d'appuyer son épaule
+ Contre mon épaule.
+
+
+
+ D'ailleurs ce qu'il avait eu en Égypte, dit Dieu,
+ Et ce qu'il attrapa en Tunisie,
+ Ce grand épuisement de tout son corps
+ Et cet incoercible
+ Flux de ventre dont il mourut
+ Ne valaient pas mieux que cette lèpre qu'il consentait d'avoir.
+ Il n'y a point de maladie de bonne, dit Dieu. Je le sais, c'est moi
+ qui les ai faites.
+ C'est pour cela qu'il se fait tant de saluts, et des plus beaux, dans
+ la maladie,
+ Et des plus grands.
+ Et que tant de saints sortent de la maladie
+ Naturellement comme du ventre de leur mère et que tant de saintetés
+ Sortent naturellement de la maladie les plus éclatantes, les plus
+ tendres, les plus chères, les plus fleurissantes de toutes,
+ Et qu'il y a manière de tourner la maladie et la mort par la maladie
+ en martyre même.
+
+
+
+ Pour moi, dit Dieu, quand je vois,
+ Quand je considère cette maladie qu'est réellement la lèpre,
+ Cette inexpiable maladie farineuse aux croûtes blanches,
+ Qui les défait morceau par morceau,
+ (Qui défait leur corps charnel),
+ Qu'un homme qui en a vu, réellement,
+ Qui a vu de la lèpre et des vrais lépreux
+ Dise tranquillement qu'il aimerait mieux attraper la lèpre que de
+ tomber en péché mortel,
+ C'est-à-dire dise réellement qu'il aimerait mieux attraper cette
+ maladie-là que de me déplaire,
+ J'en suis saisi moi-même, dit Dieu, et je tremble d'admiration
+ Devant tant d'amour et je suis honteux
+ D'être tant aimé.
+
+
+
+ Mon fils qui les aimait tant, comme il avait raison de les aimer.
+ Qu'un homme, que ce roi qui n'a que ce corps après tout
+ (enfin ce corps sur terre et qui n'en aura jamais d'autre sur terre)
+ (et quand il en est dépouillé,--de quel dépouillement,--c'est une
+ fois pour toutes)
+ Dise tranquillement qu'il aimerait mieux attraper la lèpre que de
+ tomber en péché mortel,
+ C'est-à-dire dise tranquillement qu'il aimerait mieux attraper cette
+ maladie-là que de me déplaire,
+ Moi-même je n'en reviens pas, dit Dieu, qu'il y ait un homme comme ce
+ saint Louis,
+ (et tant d'autres saints et tant d'autres martyrs)
+ Et je suis confondu d'être tant aimé.
+
+
+ Et il faut que ma grâce soit tellement grande.
+
+
+ Et éternellement je serai en reste avec eux
+ Car dans mon paradis même ils m'aimeront éternellement autant.
+
+
+ Je demeure tremblant, dit Dieu, je demeure confondu de cette preuve
+ d'amour.
+ De tant de preuve d'amour et il n'y a que mon fils
+ Qui n'est point en reste avec eux, car pour eux comme eux il a
+ souffert
+ Un martyre d'homme.
+ Et il est mort pour eux comme ils sont morts pour lui.
+
+
+ Et qu'il y ait un homme qui ait dit cela non point comme un propos,
+ Non point comme une lèpre de propos,
+ De discours,
+ Mais réellement d'une lèpre réelle,
+ De la lèpre non point d'une lèpre de parole, d'une lèpre de récit,
+ Mais d'une lèpre toute prête, toute proposée.
+
+
+ Et qu'il n'ait pas dit cela, cette sorte d'énormité,
+ Avec un grand geste, avec éclat,
+ Mais qu'il ait dit cela simplement,
+ Comme allant de soi, comme une chose ordinaire,
+ Dans le texte même de son propos, dans le tissu ordinaire de sa vie,
+ Cela c'est la fleur, dit Dieu, cette aisance,
+ Et à cela je reconnais le Français,
+ La race à qui tout est simple et commun et ordinaire,
+ Cette race de toute gentillesse.
+
+
+
+ Et je reconnais ici la résonance et le rang du Français
+ Et je salue
+ Leur ordre propre.
+ Peuple à qui les plus grandes grandeurs
+ Sont ordinaires.
+ Je salue ici ta liberté, ta grâce,
+ Ta courtoisie.
+
+
+
+ Ta gracieuseté.
+ Ta gratitude.
+ Ta gratuité.
+
+
+
+ Demandez à ce père si le meilleur moment
+ N'est pas quand ses fils commencent à l'aimer comme des hommes,
+ Lui-même comme un homme,
+ Librement,
+ Gratuitement,
+ Demandez à ce père dont les enfants grandissent.
+
+
+
+ Demandez à ce père s'il n'y a point une heure secrète,
+ Un moment secret,
+ Et si ce n'est pas
+ Quand ses fils commencent à devenir des hommes,
+ Libres,
+ Et lui-même le traitent comme un homme,
+ Libre,
+ L'aiment comme un homme,
+ Libre,
+ Demandez à ce père dont les enfants grandissent.
+
+
+
+ Demandez à ce père s'il n'y a point une élection entre toutes
+ Et si ce n'est pas
+ Quand la soumission précisément cesse et quand ses fils devenus hommes
+ L'aiment, (le traitent), pour ainsi dire en connaisseurs,
+ D'homme à homme,
+ Librement,
+ Gratuitement. L'estiment ainsi.
+ Demandez à ce père s'il ne sait pas que rien ne vaut
+ Un regard d'homme qui se croise avec un regard d'homme.
+
+
+ Or je suis leur père, dit Dieu, et je connais la condition de l'homme.
+ C'est moi qui l'ai faite.
+ Je ne leur en demande pas trop. Je ne demande que leur coeur.
+ Quand j'ai le coeur, je trouve que c'est bien. Je ne suis pas
+ difficile.
+
+
+ Toutes les soumissions d'esclaves du monde ne valent pas un beau
+ regard d'homme libre.
+ Ou plutôt toutes les soumissions d'esclaves du monde me répugnent et
+ je donnerais tout
+ Pour un beau regard d'homme libre,
+ Pour une belle obéissance et tendresse et dévotion d'homme libre,
+ Pour un regard de saint Louis,
+ Et même pour un regard de Joinville,
+ Car Joinville est moins saint mais il n'est pas moins libre,
+
+
+ (Et il n'est pas moins chrétien).
+
+
+ Et il n'est pas moins gratuit.
+
+
+ Et mon fils est mort aussi pour Joinville.
+ A cette liberté, à cette gratuité j'ai tout sacrifié, dit Dieu,
+ A ce goût que j'ai d'être aimé par des hommes libres,
+ Librement,
+ Gratuitement,
+ Par de vrais hommes, virils, adultes, fermes.
+ Nobles, tendres, mais d'une tendresse ferme.
+ Pour obtenir cette liberté, cette gratuité j'ai tout sacrifié,
+ Pour créer cette liberté, cette gratuité,
+ Pour faire jouer cette liberté, cette gratuité.
+
+
+ Pour lui apprendre la liberté.
+
+
+ Or je n'ai pas trop de toute ma Sagesse
+ Pour lui apprendre la liberté,
+ Je n'ai pas trop de toute la Sagesse de ma Providence.
+ Et de la duplicité même de ma Sagesse pour ce double enseignement.
+ Quelle mesure il faut que je garde, et comment la calculer.
+ Quel autre pourrait la calculer. Et comme il faut que je sois double
+ Et comme il faut que je compose prudemment ce doublement,
+ (Voilà qui va encore scandaliser nos Pharisiens),
+ Comme il faut que je calcule prudemment cette duplicité même.
+ Quelle ne faut-il pas que soit ma prudence. Il faut créer, il faut
+ enseigner cette liberté
+ Sans exposer leur salut. Car si je les soutiens trop
+ Ils n'apprennent jamais à nager.
+ Mais si je ne les soutiens pas juste au bon moment,
+ Ils piquent du nez, ils boivent un mauvais bouillon, ils plongent
+ Et il ne faut pas qu'ils sombrent
+ Dans cet océan de turpitudes.
+
+
+ Je suis leur père, dit Dieu, je suis roi, ma situation est exactement
+ la même,
+ Je suis exactement comme ce roi, qui était je pense un roi
+ d'Angleterre,
+ Qui ne voulut point envoyer de secours, aucune aide
+ A son fils engagé dans une mauvaise bataille.
+ Parce qu'il voulait que l'enfant
+ Gagnât lui-même ses éperons de chevalier.
+ Il faut qu'ils gagnent le ciel eux-mêmes et qu'ils fassent eux-mêmes
+ leur salut.
+ Tel est l'ordre, tel est le secret, tel est le mystère. Or dans cet
+ ordre, et dans ce secret, et dans ce mystère
+ Nos Français sont avancés entre tous. Ils sont mes témoins.
+ Préférés.
+ Ce sont eux qui marchent le plus tout seuls.
+ Ce sont eux qui marchent le plus eux-mêmes.
+ Entre tous ils sont libres et entre tous ils sont gratuits.
+ Ils n'ont pas besoin qu'on leur explique vingt fois la même chose.
+ Avant qu'on ait fini de parler, ils sont partis.
+ Peuple intelligent,
+ Avant qu'on ait fini de parler, ils ont compris.
+ Peuple laborieux,
+ Avant qu'on ait fini de parler, l'oeuvre est faite.
+ Peuple militaire,
+ Avant qu'on ait fini de parler, la bataille est donnée.
+
+
+ Peuple soldat, dit Dieu, rien ne vaut le Français dans la bataille.
+ (Et ainsi rien ne vaut le Français dans la croisade).
+ Ils ne demandent pas toujours des ordres et ils ne demandent pas
+ toujours des explications sur ce qu'il faut faire et sur ce qui va
+ se passer.
+ Ils trouvent tout d'eux-mêmes, ils inventent tout d'eux-mêmes, à
+ mesure qu'il faut.
+ Ils savent tout tout seuls. On n'a pas besoin de leur envoyer des
+ ordres à chaque instant.
+ Ils se débrouillent tout seuls. Ils comprennent tout seuls. En pleine
+ bataille. Ils suivent l'événement.
+ Ils se modifient suivant l'événement. Ils se plient à l'événement.
+ Ils se moulent sur l'événement. Ils guettent, ils devancent
+ l'événement.
+ Ils se retournent, ils savent toujours ce qu'il faut faire sans aller
+ demander au général.
+ Sans déranger le général. Or il y a toujours la bataille, dit Dieu,
+ Il y a toujours la croisade.
+ Et on est toujours loin du général.
+
+
+
+ C'est embêtant, dit Dieu. Quand il n'y aura plus ces Français,
+ Il y a des choses que je fais, il n'y aura plus personne pour les
+ comprendre.
+
+
+
+ Peuple, les peuples de la terre te disent léger
+ Parce que tu es un peuple prompt.
+ Les peuples pharisiens te disent léger
+ Parce que tu es un peuple vite.
+ Tu es arrivé avant que les autres soient partis.
+ Mais moi je t'ai pesé, dit Dieu, et je ne t'ai point trouvé léger.
+ O peuple inventeur de la cathédrale, je ne t'ai point trouvé léger en
+ foi.
+ O peuple inventeur de la croisade je ne t'ai point trouvé léger en
+ charité.
+ Quant à l'espérance, il vaut mieux ne pas en parler, il n'y en a que
+ pour eux.
+
+
+
+ Tels sont nos Français, dit Dieu. Ils ne sont pas sans défauts. Il
+ s'en faut. Ils ont même beaucoup de défauts.
+ Ils ont plus de défauts que les autres.
+ Mais avec tous leurs défauts je les aime encore mieux que tous les
+ autres avec censément moins de défauts.
+ Je les aime comme ils sont. Il n'y a que moi, dit Dieu, qui suis sans
+ défauts. Mon fils et moi. Un Dieu avait un fils.
+ Et comme créatures il n'y en a que trois qui aient été sans défauts.
+ Sans compter les anges.
+ Et c'est Adam et Ève avant le péché.
+ Et c'est la Vierge temporellement et éternellement.
+ Dans sa double éternité.
+ Et deux femmes seulement ont été pures étant charnelles.
+ Et ont été charnelles étant pures.
+ Et c'est Ève et Marie.
+ Ève jusqu'au péché.
+ Marie éternellement.
+
+
+
+ Nos Français sont comme tout le monde, dit Dieu. Peu de saints,
+ beaucoup de pécheurs.
+ Un saint, trois pécheurs. Et trente pécheurs. Et trois cents
+ pécheurs. Et plus.
+ Mais j'aime mieux un saint qui a des défauts qu'un pécheur qui n'en a
+ pas. Non, je veux dire:
+ J'aime mieux un saint qui a des défauts qu'un neutre qui n'en a pas.
+ Je suis ainsi. _Un homme avait deux fils_.
+ Or ces Français, comme ils sont, ce sont mes meilleurs serviteurs.
+ Ils ont été, ils seront toujours mes meilleurs soldats dans la
+ croisade.
+ Or il y aura toujours la croisade.
+ Enfin ils me plaisent. C'est tout dire. Ils ont du bon et du mauvais.
+ Ils ont du pour et du contre. Je connais l'homme.
+ Je sais trop ce qu'il faut demander à l'homme.
+ Et surtout ce qu'il ne faut pas lui demander.
+ Si quelqu'un le sait, c'est moi.
+ Depuis que l'ayant créé à mon image et à ma ressemblance.
+ Par le mystère de cette liberté ma créature
+ Je lui abandonnai dans mon royaume
+ Une part de mon gouvernement même.
+ Une part de mon invention.
+ Il faut le dire une part de ma création.
+ Il faut les prendre comme ils sont. Si quelqu'un le sait, c'est moi.
+ Et aussi savez-vous
+ Combien une seule goutte de sang de Jésus
+ Pèse dans mes balances éternelles.
+ Que donc celui qui est né pour dormir, dorme. _La terre était informe
+ et nue; les ténèbres couvraient la face de l'abîme; et l'Esprit de
+ Dieu était porté sur les eaux._ Et ce ne fut qu'ensuite que j'ai
+ créé la lumière. _Or Dieu dit: Que la lumière soit: et la lumière
+ fut.
+ Dieu vit que la lumière était bonne, et il sépara la lumière d'avec
+ les ténèbres.
+ Il donna à la lumière le nom de jour, et aux ténèbres le nom de nuit:
+ et du soir et du matin se fit le premier jour._
+ Sera-t-il dit qu'il y aura des regards si éteints, des regards si
+ pâlis
+ Que nulle étincelle ne les allumera plus.
+ Et qu'il y aura des voix si fanées, et des âmes si blettes
+ Que nul ressourcement ne les approfondira plus.
+ Et qu'il y aura des âmes si fanées
+ D'épreuves, de détresse,
+ De larmes, de prière, de travail,
+ Et d'avoir vu ce qu'elles ont vu. Et d'avoir souffert ce qu'elles ont
+ souffert.
+ Et d'avoir passé par où elles ont passé. Et de savoir ce qu'elles
+ savent.
+
+ Qu'ils en auront assez.
+ Pour éternellement assez et que tout ce qu'ils demanderont c'est
+ qu'on leur fiche la paix.
+ _Dona eis, Domine, pacem,
+ Et requiem aeternam._ La paix et le repos éternel.
+ Parce qu'ils auront connu certaines histoires de la terre.
+ Et qu'ils ne voudront plus entendre de rien que d'un champ de repos.
+ Et de se coucher pour dormir.
+ Dormir, dormir enfin.
+ Et que tout ce qu'ils supporteront et que tout ce que je pourrai
+ mettre
+ Et apporter
+ (Celui que je prends dans son sommeil de la terre est bien heureux,
+ et c'est bon signe, mes enfants)
+ Comme le trop malade et le trop blessé ne supporte plus la vie et le
+ remède et l'idée même de la guérison.
+ Mais seulement le baume sur la blessure.
+ Et n'a plus aucun goût pour la santé.
+ Ainsi sera-t-il dit que sur tant de blessures.
+ Ils ne supporteront que la fraîcheur du baume.
+ Comme un blessé fiévreux.
+ Et qu'ils n'auront (plus) aucun goût pour mon paradis
+ Et pour ma vie éternelle.
+ Et que tout ce que je pourrai mettre sur tant de blessures;
+ Sur tant de cicatrices et sur tant de sacrifices;
+ Et sur l'amertume de tant de calices;
+ Et sur les ingratitudes de tant de malices;
+ Et sur les pointes d'épines de tant de cilices;
+ Et sur les écartèlements de tant de supplices;
+
+ Et sur les éclaboussements de tant de sang;
+
+ (J'ai pris le criminel accroupi sur son crime
+ Dit Dieu. Sera-t-il dit que sur tant de fatigues.
+ Et tant de navrements et de meurtres complices.
+ Sur tant d'hébétements et de vicissitudes.
+ Sur tant d'inquiétude et sur tant d'habitude.
+ Sur tant de solitude et de décrépitude.
+ Sur tant de lassitude et de sollicitude.
+ Sur tant d'ingratitude et d'inexactitude.
+ Sur tant d'incertitude et tant de solitude.
+ Et tant de servitude et de désuétude.
+ Et tant de platitude et sur tant d'amertume.
+ Et sur cette écume
+ De sang.
+ Et sur cette écume
+ De haine.
+ Et sur cette écume
+ D'ingratitude.
+ Et sur cette écume
+ D'amour.
+
+
+ Et sur tant de blessures sera-t-il dit.
+ Que sur tant de blessures tout ce que je pourrai mettre.
+ Et sur tant de flétrissures et sur tant de meurtrissures.
+ Et sur tant d'éclaboussures et sur tant de morsures.
+ Ce sera de faire descendre comme un baume du soir.
+ Comme après la blessure d'un ardent midi la grande tombée d'un beau
+ soir d'été
+ La lente descension d'une nuit éternelle.
+
+
+ O nuit sera-t-il dit que je t'aurai créée la dernière.
+ Et que mon Paradis et que ma Béatitude
+ Ne sera qu'une grande nuit de clarté.
+ Une grande nuit éternelle
+ Et que le couronnement du jugement et le commencement du Paradis et
+ de ma Béatitude sera
+ Le coucher de soleil d'un éternel été.
+
+
+
+ Or il en serait ainsi, dit Dieu.
+ Et tout ce que je pourrais mettre sur les bords des lèvres
+ Des plaies des martyrs
+ Ce serait le baume, et l'oubli, et la nuit.
+ Et tout s'achèverait de lassitude,
+ Cette énorme aventure,
+ Comme après une ardente moisson
+ La lente descension d'un grand soir d'été.
+ S'il n'y avait pas ma petite espérance.
+ C'est par ma petite espérance seule que l'éternité sera.
+ Et que la Béatitude sera.
+ Et que le Paradis sera. Et le ciel et tout.
+ Car elle seule, comme elle seule dans les jours de cette terre
+ D'une vieille veille fait jaillir un lendemain nouveau
+ Ainsi elle seule des résidus du Jugement et des ruines et du débris
+ du temps
+ Fera jaillir une éternité neuve.
+
+
+
+ Je suis, dit Dieu, le Seigneur des vertus.
+ La Foi est la lampe du sanctuaire.
+ Qui brûle éternellement.
+ La Charité est ce grand beau feu de bois
+ Que vous allumez dans votre cheminée
+ Pour que mes enfants les pauvres viennent s'y chauffer dans les soirs
+ d'hiver.
+ Et autour de la Foi je vois tous mes fidèles
+ Ensemble agenouillés dans le même geste et dans la même voix
+ De la même prière.
+ Et autour de la Charité je vois tous mes pauvres
+ Assis en rond autour de ce feu
+ Et tendant leurs paumes à la chaleur du foyer.
+ Mais mon espérance est la fleur et le fruit et la feuille et la
+ branche.
+ Et le rameau et le bourgeon et le germe et le bouton.
+ Et elle est le bourgeon et le bouton de la fleur
+ De l'éternité même.
+
+
+
+ O mon peuple français, dit Dieu, tu es le seul qui ne fasses point
+ des contorsions.
+ Ni des contorsions de raideur, ni des contorsions de mollesse.
+ Et dans ton péché même tu fais moins de contorsions
+ Que les autres n'en font dans leurs exercices.
+ Quand tu pries, agenouillé tu as le buste droit.
+ Et les jambes bien jointes bien droites au ras du sol.
+ Et les deux pieds bien joints.
+ Et les deux mains bien jointes bien appliquées bien droites.
+ Et les deux regards des deux yeux bien parallèlement montants droit
+ au ciel.
+ O seul peuple qui regardes en face.
+ Et qui regardes en face la fortune et l'épreuve
+ Et le péché même.
+ Et qui moi-même me regardes en face.
+ Et quand tu es couché sur la pierre des tombeaux
+ L'homme et la femme se tiennent bien droits l'un à côté de l'autre.
+ Sans raideur et sans aucune contorsion.
+ Bien couchés droits l'un à côté de l'autre sans faute.
+ Sans manque et sans erreur.
+ Bien pareils. Bien parallèlement.
+ Les mains jointes, les corps joints et séparés parallèles.
+ Les regards joints.
+ Les destinées jointes. Joints dans le jugement et dans l'éternité.
+ Et le noble lévrier bien aux pieds.
+ Peuple, le seul qui pries et le seul qui pleures sans contorsion.
+
+ Le seul qui ne verses que des larmes décentes.
+ Et des larmes perpendiculaires.
+
+ Le seul qui ne fasses monter que des prières décentes
+ Et des prières et des voeux perpendiculaires.
+
+
+
+ Dans toute famille, dit Dieu, il y a un dernier-né.
+ Et il est plus tendre.
+ Cette petite espérance qui sauterait à la corde dans les processions.
+ Elle est dans la maison des vertus
+ Comme était Benjamin dans la maison de Jacob.
+
+
+
+ _Un homme avait douze fils._ Comme les quarante-six livres de
+ l'Ancien Testament marchent devant les quatre Évangiles et les
+ Actes et les Épîtres et l'Apocalypse.
+ Qui ferme la marche.
+ Comme les quarante-six livres de l'Ancien Testament marchent devant
+ les vingt-sept livres du Nouveau Testament.
+ Ayant posé leurs quarante-six tentes dans le désert.
+ Et comme Israël marche devant la chrétienté.
+ Et comme le bataillon des justes marche devant le bataillon des
+ saints.
+ Et Adam devant Jésus-Christ
+ Qui est le deuxième Adam.
+ Ainsi devant toute histoire et devant toute similitude du Nouveau
+ Testament
+ Marche une histoire de l'Ancien Testament qui est sa parallèle et qui
+ est sa pareille.
+ _Un homme avait deux fils. Un homme avait douze fils._ Et ainsi
+ devant toute soeur chrétienne
+ S'avance une soeur juive qui est sa soeur aînée et qui l'annonce et
+ qui va devant.
+ Et qui a posé sa tente dans le désert. Et le puits de Rébecca
+ Avait été creusé avant le puits de la Samaritaine.
+ Or entre toutes une histoire a planté sa tente.
+ Et avant l'histoire de l'homme qui avait deux fils
+ Mon enfant c'est l'histoire de l'homme qui avait douze fils.
+ Et comme était Benjamin dans la famille de cet homme,
+ Ainsi est mon Espérance dans la famille des vertus.
+ Parmi les trois Théologales et parmi les quatre Cardinales.
+ Sans compter toutes les autres et notamment parmi celles,
+ Parmi les sept qui s'opposent directement aux Capitaux.
+ Et avant le fils qui fut retrouvé gardien de cochons,
+ Marche le fils qui fut retrouvé roi,
+ Je veux dire ministre du roi et réellement gouverneur du royaume.
+ Ministre du Pharaon et gouverneur du royaume d'Égypte.
+ --_Je suis Joseph, votre frère._ Quel Juif, quel chrétien
+ N'a pleuré à cette retrouvaille. _Israël aimait Joseph plus que tous
+ ses autres enfants, parce qu'il l'avait eu étant déjà vieux;_
+
+JEANNETTE
+
+ _Et il lui avait fait faire une robe de plusieurs couleurs._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Il arriva aussi que Joseph rapporta à ses frères un songe qu'il
+ avait eu, qui fut la semence d'une plus grande haine._
+
+JEANNETTE
+
+ _Car il leur dit:_
+
+MADAME GERVAISE
+
+ Quel coeur juif, quel coeur chrétien n'a tressailli au fil de cette
+ histoire. Quel coeur juif, quel coeur chrétien n'a tressailli à
+ cette retrouvaille.
+
+JEANNETTE
+
+ _Car il leur dit: Écoutez le songe que j'ai eu._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ Juif, chrétien, qui n'a pleuré à cette reconnaissance.
+
+JEANNETTE
+
+ _Il me semblait que je liais avec vous des gerbes dans le champ; que
+ ma gerbe se leva et se tint debout; et que les vôtres étant autour
+ de la mienne, l'adoraient._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Ses frères lui répondirent: Est-ce que vous serez notre Roi, et que
+ nous serons soumis à votre puissance? Ces songes et ces entretiens
+ allumèrent donc encore davantage l'envie et la haine qu'ils avaient
+ contre lui._
+
+JEANNETTE
+
+ _Il est encore un autre songe qu'il raconta à ses frères en leur
+ disant: J'ai cru voir en songe que le soleil et la lune, et onze
+ étoiles m'adoraient._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Lorsqu'il eut rapporté ce songe à son père et à ses frères, son père
+ lui en fit réprimande, et lui dit: Que voudrait dire ce songe que
+ vous avez eu? Est-ce que votre mère, vos frères et moi nous vous
+ adorerons sur la terre?_
+
+JEANNETTE
+
+ _Ainsi ses frères étaient transportés d'envie contre lui: mais le
+ père considérait tout ceci dans le silence._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Il arriva alors que les frères de Joseph s'arrêtèrent à Sichem où
+ ils faisaient paître les troupeaux de leur père._
+
+JEANNETTE
+
+ _Et Israël dit à Joseph: Vos frères font paître nos brebis dans le
+ pays de Sichem. Venez, et je vous enverrai vers eux._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _(Je suis tout prêt, lui dit Joseph).--Allez, et voyez si vos frères
+ se portent bien, et si les troupeaux sont en bon état; et vous me
+ rapporterez ce qui se passe.--Ayant (donc) été envoyé de la vallée
+ d'Hébron, il vint à Sichem;_
+
+JEANNETTE
+
+ _et un homme l'ayant trouvé errant dans un champ, lui demanda ce
+ qu'il cherchait._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Il lui répondit: Je cherche mes frères; je vous prie de me dire où
+ ils font paître leurs troupeaux._
+
+JEANNETTE
+
+ _Cet homme lui répondit: Ils se sont retirés de ce lieu; et j'ai
+ entendu qu'ils se disaient: Allons vers Dothaïn. Joseph alla donc
+ après ses frères; et il les trouva dans (la plaine de) Dothaïn._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Lorsqu'ils l'eurent aperçu de loin, avant qu'il se fût approché
+ d'eux, ils résolurent de le tuer;_
+
+JEANNETTE
+
+ _Et ils se disaient l'un à l'autre: Voici notre songeur qui vient._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Allons, tuons-le, et le jettons dans cette vieille citerne: nous
+ dirons qu'une bête sauvage l'a dévoré; et après cela on verra à
+ quoi ses songes lui auront servi._
+
+JEANNETTE
+
+ _Ruben les ayant entendu parler ainsi, tâchait de le tirer d'entre
+ leurs mains, et il disait:_
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Ne le tuez point, et ne répandez point son sang, mais jettez-le dans
+ cette citerne qui est dans le désert, et conservez vos mains pures._
+
+JEANNETTE
+
+comme donnant un renseignement, pour qu'on n'aille point s'égarer:
+
+ _Il disait ceci dans le dessein de le tirer de leurs mains, et de le
+ rendre à son père._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Aussitôt donc qu'il fut arrivé près de ses frères, ils lui ôtèrent
+ sa robe de plusieurs couleurs qui le couvrait jusqu'en bas;_
+
+JEANNETTE
+
+ _Et ils le jettèrent dans cette vieille citerne qui était sans eau._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _S'étant ensuite assis pour manger, ils virent des Ismaëlites qui
+ passaient, et qui venant de Galaad portaient sur leurs chameaux des
+ parfums, de la résine et de la myrrhe,..._
+
+JEANNETTE
+
+ Déjà l'or, déjà l'encens, déjà la myrrhe.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _... et s'en allaient en Égypte._
+
+JEANNETTE
+
+ Et ce fut la première fuite en Égypte.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Alors Juda dit à ses frères: Que nous servira d'avoir tué notre
+ frère, et d'avoir caché sa mort?_
+
+ _Il vaut mieux le vendre..._
+
+JEANNETTE
+
+ _Il vaut mieux le vendre à ces Ismaëlites, et ne point souiller nos
+ mains; car il est notre frère et notre chair._
+
+comme condescendant:
+
+ _Ses frères consentirent à ce qu'il disait:_
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _L'ayant donc tiré de la citerne, et voyant ces marchands Madianites
+ qui passaient, ils le vendirent vingt pièces d'argent aux
+ Ismaëlites, qui le menèrent en Égypte._
+
+JEANNETTE
+
+ _Ils le vendirent vingt pièces d'argent._ Un autre,
+ Un autre fut vendu.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ Un autre fut envoyé vers ses frères, pour savoir comment les brebis
+ se portaient. Un autre fut dépouillé de sa robe et jeté dans cette
+ vieille citerne qui était sans eau. Un autre fut vendu.
+
+JEANNETTE
+
+ Un autre fut emmené en Égypte, dans la même, dans une autre Égypte.
+ Un autre fut vendu.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ C'est une figure, mon enfant. C'est une histoire unique et elle fut
+ jouée deux fois. Une fois en juiverie, une fois en chrétiennerie.
+ Et pour celui qui regarde les deux fois se voient en transparence
+ l'une sur l'autre.
+
+JEANNETTE
+
+ Un autre fut lié, un autre fut vendu.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ Un autre fut vendu esclave.
+
+JEANNETTE
+
+ Un autre aussi fut retrouvé. Un autre aussi fut reconnu. Un autre
+ aussi se dévoila. _Je suis Jésus, votre frère._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ Un autre se manifesta dans sa gloire, et dans le ministère et dans le
+ gouvernement du royaume.
+
+JEANNETTE
+
+ Dans le gouvernement d'une Égypte éternelle. _Ruben étant retourné à
+ la citerne, et n'y ayant point trouvé l'enfant._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ Un autre a rompu le sceau de son secret. Un autre est apparu dans sa
+ gloire. Un autre est apparu à la droite. Un autre est apparu dans
+ le gouvernement. Un autre est apparu sur les degrés du trône. Un
+ autre est apparu dans son ascension.
+
+JEANNETTE
+
+ Et c'était Jésus notre frère. _Je suis Jésus,
+ Je suis Jésus votre frère._
+ Et nous autres nous sommes ces gerbes et ces onze étoiles.
+ _Un homme avait douze fils._ Et nous autres nous sommes ces frères
+ ingrats,
+ les onze ou enfin les dix ou enfin les neuf mauvais fils de Jacob.
+ _Ruben étant retourné à la citerne, et n'y ayant point retrouvé
+ l'enfant,_
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _déchira ses vêtements, et vint dire à ses frères: L'enfant ne paraît
+ plus, et que deviendrai-je?_
+
+ _Après cela ils prirent la robe..._
+
+JEANNETTE
+
+ Une autre robe fut ravie. _Après cela ils prirent la robe de Joseph,
+ et l'ayant trempée dans le sang d'un chevreau qu'ils avaient tué,_
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _ils l'envoyèrent au père, lui faisant dire par ceux qui la lui
+ portaient: Voici une robe que nous avons trouvée, voyez si c'est
+ celle de votre fils, ou non._
+
+JEANNETTE
+
+ _Le père l'ayant reconnue, dit: C'est la robe de mon fils, une bête
+ cruelle l'a dévoré, une bête a dévoré Joseph._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Et ayant déchiré ses vêtements, il se couvrit d'un cilice, pleurant
+ son fils fort longtemps._
+
+JEANNETTE
+
+ _Alors tous ses enfants s'assemblèrent, pour tâcher de soulager leur
+ père dans sa douleur: mais il ne voulut point recevoir de
+ consolation, et il dit: Je pleurerai toujours jusqu'à ce que je
+ descende avec mon fils au fond de la terre. Ainsi il continua
+ toujours de pleurer._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Cependant les Madianites vendirent Joseph en Égypte._
+
+ Un homme avait douze fils. Or celui qu'il aimait plus que tous les
+ autres (_Israël aimait Joseph plus que tous ses autres enfants,
+ parce qu'il l'avait eu étant déjà vieux, et il lui avait fait faire
+ une robe de plusieurs couleurs_) celui-là même était esclave en
+ Égypte et il croyait qu'il était mort.
+ Or c'est pour cela même qu'il eut plus tard cette grande joie.
+ Qu'il ne pouvait pas en avoir autrement.
+
+JEANNETTE
+
+ _... et je n'aurai au-dessus de vous que le trône et la qualité de
+ Roi._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Pharaon dit encore à Joseph: Je vous établis aujourd'hui pour
+ commander à toute l'Égypte._
+
+JEANNETTE
+
+ _Ensemble il ôta son anneau de sa main et le mit en celle de Joseph;
+ il le fit revêtir d'une robe de fin lin, et lui mit au cou un
+ collier d'or._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Il le fit monter sur l'un de ses chars, qui était le second après le
+ sien, et fit crier par un Héraut, que tout le monde fléchît le
+ genou devant lui, et que tous reconnussent qu'il avait été établi
+ pour commander à toute l'Égypte._
+
+JEANNETTE
+
+ _Le Roi dit encore à Joseph: Je suis Pharaon; nul ne remuera ni le
+ pied ni la main dans toute l'Égypte que par votre commandement._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Il changea aussi son nom, et il l'appela en langue Égyptienne..._
+
+JEANNETTE
+
+ _... le Sauveur du Monde._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Les sept années de fertilité vinrent donc; et le blé ayant été mis
+ en gerbes, fut serré ensuite dans les greniers de l'Égypte._
+
+JEANNETTE
+
+ Trente et trois années de fertilité vinrent donc; et le blé ayant été
+ mis en gerbes, fut serré ensuite dans les greniers d'une Égypte
+ éternelle.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _On mit aussi en réserve dans toutes les villes cette grande
+ abondance de grains._
+
+JEANNETTE
+
+ On mit aussi en réserve dans tout le ciel cette grande abondance de
+ grâces.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Car il y eut si grande quantité de froment, qu'elle égalait le sable
+ de la mer, et qu'elle ne pouvait pas même se mesurer._
+
+JEANNETTE
+
+ Car il y eut une si grande quantité de grâces, qu'elle égalait le
+ sable de la mer, et qu'elle ne pouvait pas même se mesurer.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Ces sept années..._
+
+JEANNETTE
+
+ Il avait lié les sacs de blé pour les greniers à blé. Un autre
+ Un autre lia les sacs de grâces pour les greniers à grâces.
+ Un autre lia les sacs de grâces pour les greniers du ciel.
+ Un autre lia les sacs de grâces pour les greniers
+ Éternels.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Ces sept années..._
+
+JEANNETTE
+
+ Dans les sept années grasses il avait lié les sacs de blé pour les
+ greniers à blé du pays
+ D'Égypte. Un autre
+ Dans les trente-trois années grasses un autre
+ Lia les sacs de vertus, les sacs de mérites, les sacs de grâces
+ Pour les greniers à blé du pays éternel.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Ces sept années de fertilité d'Égypte étant donc passées,_
+
+JEANNETTE
+
+ Ces trente-trois années de fertilité du coeur étant donc passées,
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Les sept années de stérilité vinrent ensuite, selon la prédiction de
+ Joseph:_
+
+JEANNETTE
+
+ Les innombrables années de la stérilité du coeur
+ Vinrent ensuite,
+ Selon la prédiction de Jésus:
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Une grande famine survint dans tout le monde;_
+
+JEANNETTE
+
+ Une grande famine survint dans tout le monde;
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Mais il y avait du blé dans toute l'Égypte._
+
+JEANNETTE
+
+ Mais il y a du blé dans toute cette Égypte
+ Éternelle.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Le peuple étant pressé à la famine,
+ cria à Pharaon,
+ et lui demanda de quoi vivre._
+
+JEANNETTE
+
+ Et aujourd'hui.
+ Et à présent c'est nous ce peuple qui est pressé de la famine.
+ Et nous crions vers Dieu,
+ Lui demandant de quoi vivre.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Mais il leur dit: Allez trouver Joseph,
+ Et faites tout ce qu'il vous dira._
+
+JEANNETTE
+
+ Mais il nous dit: Allez trouver Jésus,
+ Et faites tout ce qu'il vous dira.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Cependant la famine croissait tous les jours dans toute la terre:_
+
+JEANNETTE
+
+ et Jésus...
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _et Joseph ouvrant tous les greniers,_
+
+JEANNETTE
+
+ _vendait du blé aux Égyptiens,_
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _parce qu'ils étaient tourmentés eux-mêmes de la famine._
+
+ _Et on venait de toutes les provinces en Égypte pour acheter de quoi
+ vivre, et pour trouver quelque soulagement_
+
+JEANNETTE
+
+ _dans la rigueur de cette famine._
+
+ _Cependant Jacob ayant ouï dire qu'on vendait du blé en Égypte, dit à
+ ses enfants: Pourquoi négligez-vous?_
+
+ _J'ai appris qu'on vend du blé en Égypte; allez-y acheter ce qui nous
+ est nécessaire, afin que nous puissions vivre et que nous ne
+ mourions pas de faim._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Les dix frères de Joseph allèrent donc en Égypte pour y acheter du
+ blé;_
+
+JEANNETTE
+
+ _Jacob retint Benjamin avec lui, ayant dit à ses frères qu'il
+ craignait_
+
+ _qu'il ne lui arrivât quelque accident dans le chemin._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Ils entrèrent dans l'Égypte avec les autres qui y allaient pour y
+ acheter;_
+
+ _parce que la famine était dans le pays de Chanaan._
+
+JEANNETTE
+
+ _Joseph commandait dans toute l'Égypte,_
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _et le blé ne se vendait aux peuples que par son ordre. Ses frères
+ l'ayant donc adoré,
+ il les reconnut: et leur parlant assez rudement, comme à des
+ étrangers, il leur dit:_
+
+JEANNETTE
+
+faisant un peu la grosse voix
+
+ _D'où venez-vous?_
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Ils lui répondirent:_
+
+JEANNETTE
+
+faisant un peu la petite voix
+
+ _Du pays de Chanaan pour acheter ici de quoi vivre._
+
+ _Et quoi qu'il connût bien ses frères, il ne fut point néanmoins
+ connu d'eux._
+
+ _Alors se souvenant des songes qu'il avait eus autrefois,_
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _il leur dit: Vous êtes des espions, et vous êtes venus ici pour
+ considérer les endroits les plus faibles de l'Égypte._
+
+JEANNETTE
+
+ _Ils répondirent: Seigneur, cela n'est pas ainsi; mais vos serviteurs
+ sont venus ici pour acheter du blé._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Nous sommes tous enfants d'un seul homme,_
+
+JEANNETTE
+
+ Nous sommes tous enfants d'un seul Dieu.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Nous sommes tous enfants d'un seul homme, nous venons avec des
+ pensées de paix,_
+
+JEANNETTE
+
+ Et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _et vos serviteurs n'ont aucun mauvais dessein._
+
+ _Leur répondit: Non cela n'est pas; mais vous êtes venus pour
+ remarquer ce qu'il y a de moins fortifié dans l'Égypte._
+
+ _Ils lui dirent: Nous sommes douze frères, enfants d'un même homme
+ dans le pays de Chanaan, et vos serviteurs. Le dernier est avec
+ notre père, et l'autre n'est plus._
+
+JEANNETTE
+
+ Comme était Benjamin dans la maison de Jacob, _le dernier est avec
+ notre père,_ ainsi est l'espérance dans la maison des vertus.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Voilà, dit Joseph, ce que je disais: Vous êtes des espions_
+
+JEANNETTE
+
+faisant la grosse voix et s'adoucissant peu à peu
+
+[d'ailleurs toute cette récitation sacrée, venue dans le courant même
+de leur commune oraison, se fait: avant tout comme d'une belle
+histoire; ensemble comme d'une histoire amusante; en dessous comme
+d'une histoire de tendresse; d'une tendresse grandissante, si grande
+qu'en même temps on s'en défend constamment jusqu'à l'éclatement final]
+
+ _Je m'en vais éprouver si vous dites la vérité. Vive Pharaon,_
+
+[c'est surtout ce _Vive Pharaon_ qui les amuse. Elles le font dans une
+très grosse voix]
+
+ _Vive Pharaon, vous ne sortirez point d'ici jusqu'à ce que le dernier
+ de vos frères y soit venu._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Envoyez l'un de vous pour l'y amener: cependant vous demeurerez en
+ prison jusqu'à ce que j'aye reconnu si ce que vous dites est vrai
+ ou faux, autrement,_ même jeu, _vive Pharaon, vous êtes des
+ espions._
+
+ _Il les fit donc mettre en prison pour trois jours._
+
+ _Et le troisième jour il les fit sortir de prison, et leur dit:
+ Faites ce que je vous dis, et vous vivrez: car je crains Dieu._
+
+ _Si vous venez ici dans un esprit de paix, que l'un de vos frères
+ demeure lié dans la prison; et allez-vous-en vous; emportez en
+ votre pays le blé que vous avez acheté,_
+
+ _et amenez-moi le dernier de vos frères, afin que je puisse
+ reconnaître si ce que vous dites est véritable, et que vous ne
+ mouriez point. Ils firent ce qu'il leur avait ordonné._
+
+JEANNETTE
+
+ _Et ils se disaient l'un à l'autre: C'est justement que nous
+ souffrons tout ceci, parce que nous avons péché contre notre frère,
+ et que voyant la douleur de son âme lorsqu'il nous priait, nous ne
+ l'écoutâmes point: c'est pour cela que nous sommes tombés dans
+ cette affliction._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Ruben l'un d'entre eux leur disait: Ne vous dis-je pas: Ne commettez
+ point un si grand crime contre cet enfant? Et vous ne m'écoutâtes
+ point. C'est son sang maintenant que l'on redemande._
+
+JEANNETTE
+
+ _Ils ne savaient pas que Joseph les entendît, parce qu'il leur
+ parlait par un truchement.
+ Mais il se retira pour un peu de temps, et versa des larmes._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Et étant revenu il leur parla._
+
+ _Il fit prendre Siméon, et le fit lier devant eux; et il commanda à
+ ses officiers d'emplir leurs sacs de blé, et de remettre dans le
+ sac de chacun d'eux l'argent, en y ajoutant encore des vivres pour
+ se nourrir pendant le chemin: ce qui fut exécuté aussitôt._
+
+ _Les frères de Joseph s'en allèrent donc, emportant leur blé sur
+ leurs ânes._
+
+ _Et l'un d'eux ayant ouvert son sac dans l'hôtellerie pour donner à
+ manger à son âne, vit son argent à l'entrée du sac,_
+
+ _et il dit à ses frères: On m'a rendu mon argent; le voici dans mon
+ sac. Ils furent tous saisis d'étonnement et de trouble; et ils
+ s'entredisaient: Quelle est cette conduite de Dieu sur nous?_
+
+ _Lorsqu'ils furent arrivés chez Jacob leur père au pays de Chanaan,
+ ils lui racontèrent tout ce qui leur était arrivé, en disant:_
+
+ _Le Seigneur de ce pays-là nous a parlé rudement, et il nous a pris
+ pour des espions qui venaient observer le royaume._
+
+ _Nous lui avons répondu: Nous sommes gens paisibles, et très éloignés
+ d'avoir aucun mauvais dessein._
+
+ _Nous étions douze frères enfants d'un même père._
+
+JEANNETTE
+
+ _Nous étions douze frères enfants d'un même père. L'un n'est plus, le
+ plus jeune est avec notre père au pays de Chanaan._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Il nous a répondu: Je veux éprouver s'il est vrai que vous n'ayez
+ que des pensées de paix. Laissez-moi donc ici l'un de vos frères;
+ prenez le blé qui vous est nécessaire pour vos maisons, et vous en
+ allez;_
+
+ _et amenez-moi le plus jeune de vos frères, afin que je sache que
+ vous n'êtes point des espions; que vous puissiez ensuite remener
+ avec vous celui que je retiens prisonnier, et qu'il vous soit
+ permis à l'avenir d'acheter ici ce que vous voudrez._
+
+ _Après avoir ainsi parlé, comme ils jetaient leur blé hors de leurs
+ sacs, ils trouvèrent chacun leur argent lié à l'entrée du sac, et
+ ils en furent tous épouvantés._
+
+JEANNETTE
+
+ _Alors Jacob, leur père, leur dit:_
+
+ _Vous m'avez réduit à être sans enfants. Joseph n'est plus au monde,
+ Siméon est en prison, et vous voulez m'enlever Benjamin. Tous ces
+ maux sont retombés sur moi._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Ruben lui répondit: Faites mourir mes deux enfants, si je ne vous le
+ ramène. Confiez-le moi, et je vous le rendrai._
+
+JEANNETTE
+
+ _Non, dit Jacob, mon fils n'ira point avec vous. Son frère est mort,
+ et il est demeuré seul. S'il lui arrive quelque malheur au pays où
+ vous allez, vous accablerez ma vieillesse d'une douleur qui
+ m'emportera dans le tombeau._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Cependant la famine désolait extraordinairement tout le pays;_
+
+ _et le blé que les enfants de Jacob avaient apporté d'Égypte étant
+ consumé, Jacob leur dit:_
+
+ _Retournez pour nous acheter un peu de blé._
+
+
+
+ _Juda lui répondit: Celui qui commande en ce pays-là nous a déclaré
+ sa volonté avec serment, en disant: Vous ne verrez point mon visage
+ à moins que vous n'ameniez avec vous le plus jeune de vos frères._
+
+ _Si vous voulez donc l'envoyer avec nous, nous irons ensemble, et
+ nous achèterons ce qui vous est nécessaire._
+
+ _Que si vous ne le voulez pas, nous n'irons point: car cet homme,
+ comme nous l'avons dit plusieurs fois, nous a déclaré que nous ne
+ verrions point son visage, si nous n'avions avec nous notre jeune
+ frère._
+
+
+
+ _Israël leur dit: C'est pour mon malheur que vous lui avez appris que
+ vous aviez encore un autre frère._
+
+
+
+ _Mais ils lui répondirent: Il nous demanda par ordre toute la suite
+ de notre famille: Si notre père vivait; si nous avions un frère: et
+ nous lui répondîmes conformément à ce qu'il nous avait demandé.
+ Pouvions-nous deviner qu'il nous dirait: Amenez avec vous votre
+ frère?_
+
+
+
+ _Juda dit encore à son père: Envoyez l'enfant avec moi, afin que nous
+ puissions partir et avoir de quoi vivre, et que nous ne mourions
+ pas nous et nos petits enfants._
+
+ _Je me charge de cet enfant, et c'est à moi à qui vous en demanderez
+ compte. Si je ne le ramène, et si je ne vous le rends, je consens
+ que vous ne me pardonniez jamais cette faute._
+
+ _Si nous n'avions point tant différé, nous serions déjà revenus une
+ seconde fois._
+
+
+
+ _Israël leur père leur dit donc: Si c'est une nécessité, faites ce
+ que vous voudrez. Prenez avec vous des plus excellents fruits de ce
+ pays-ci, pour en faire présent à celui qui commande; un peu de
+ résine, de miel, de storax, de myrrhe, de térébenthine et
+ d'amandes._
+
+JEANNETTE
+
+ De l'or, de l'encens, de la myrrhe.
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Portez aussi deux fois autant d'argent qu'au premier voyage, et
+ reportez celui que vous avez trouvé dans vos sacs, de peur que ce
+ ne soit une méprise._
+
+ _Enfin menez votre frère avec vous, et allez vers cet homme._
+
+JEANNETTE
+
+ _Je prie mon Dieu le tout-puissant de vous le rendre favorable, qu'il
+ renvoye avec vous votre frère qu'il tient prisonnier, et Benjamin:
+ cependant je demeurerai seul, comme si j'étais sans enfants._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Ils prirent donc avec eux les présents, et le double de l'argent,
+ avec Benjamin; et étant partis ils arrivèrent en Égypte, où ils se
+ présentèrent devant Joseph._
+
+JEANNETTE
+
+ _Joseph les ayant vus, et Benjamin avec eux, dit à son Intendant:
+ Faites entrer ces personnes chez moi; tuez des victimes, et
+ préparez un festin: parce qu'ils mangeront à midi avec moi._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _L'Intendant exécuta ce qui lui avait été commandé, et il les fit
+ entrer dans la maison._
+
+ _Alors étant saisis de crainte, ils s'entredisaient: C'est à cause de
+ cet argent que nous avons remporté dans nos sacs qu'il nous fait
+ entrer ici, pour faire retomber sur nous ce reproche, et nous
+ opprimer en nous réduisant en servitude, nous et nos ânes._
+
+ _C'est pourquoi étant encore à la porte, ils s'approchèrent de
+ l'Intendant de Joseph,
+ et lui dirent: Seigneur, nous vous supplions de nous écouter. Nous
+ sommes déjà venus une fois acheter du blé:_
+
+ _et après l'avoir acheté, lorsque nous fûmes arrivés à l'hôtellerie,
+ en ouvrant nos sacs, nous y trouvâmes notre argent, que nous vous
+ rapportons maintenant au même poids._
+
+ _Et nous vous en rapportons encore d'autre, pour acheter ce qui nous
+ est nécessaire: mais nous ne savons en aucune sorte qui a pu
+ remettre cet argent dans nos sacs._
+
+JEANNETTE
+
+ _L'Intendant leur répondit: Ayez l'esprit en repos; ne craignez
+ point. Votre Dieu et le Dieu de votre père vous a donné des trésors
+ dans vos sacs: car pour moi j'ai reçu l'argent que vous m'avez
+ donné, et j'en suis content. Il fit sortir aussi Siméon, et il le
+ leur amena._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Après les avoir fait entrer en la maison, il leur apporta de l'eau,
+ ils se lavèrent les pieds, et il donna à manger à leurs ânes._
+
+JEANNETTE
+
+ _Cependant ils tinrent leurs présents tout prêts, attendant que
+ Joseph entrât sur le midi, parce qu'on leur avait dit qu'ils
+ devaient manger en ce lieu-là._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Joseph étant donc entré dans sa maison, ils lui offrirent leurs
+ présents qu'ils tenaient en leurs mains, et ils l'adorèrent en se
+ baissant jusqu'en terre._
+
+JEANNETTE
+
+ _Il les salua aussi, en leur faisant bon visage, et il leur demanda:
+ Votre père, ce vieillard dont vous m'aviez parlé, vit-il encore? Se
+ porte-t-il bien?_
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Ils lui répondirent: Notre père votre serviteur est encore en vie,
+ et il se porte bien: et en se baissant profondément, ils
+ l'adorèrent._
+
+JEANNETTE
+
+ _Joseph levant les yeux vit Benjamin son frère, fils de Rachel sa
+ mère, et leur dit: Est-ce là le plus jeune de vos frères dont vous
+ m'aviez parlé? Mon fils, ajouta-t-il, je prie Dieu qu'il vous soit
+ toujours favorable._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Et il se hâta, parce que ses entrailles avaient été émues en voyant
+ son frère, et qu'il ne pouvait plus retenir ses larmes. Passant
+ donc dans une chambre, il pleura._
+
+JEANNETTE
+
+ _Et après s'être lavé le visage il revint, se faisant violence, et il
+ dit: Servez à manger._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _On servit Joseph à part, et ses frères à part, et les Égyptiens qui
+ mangeaient avec lui à part: (car il n'est pas permis aux Égyptiens
+ de manger avec les Hébreux, et ils croient qu'un festin de cette
+ sorte serait profane)._
+
+JEANNETTE
+
+ _Ils s'assirent donc en présence de Joseph, l'aîné le premier selon
+ son rang, et le plus jeune selon son âge. Et ils furent extrêmement
+ surpris,_
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _en voyant les parts qu'il leur avait données, de ce que la part la
+ plus grande était venue à Benjamin; car elle était cinq fois plus
+ grande que celle des autres. Ils burent ainsi avec Joseph, et ils
+ firent grande chère._
+
+
+
+ _Or Joseph donna cet ordre à l'Intendant de sa maison, et lui dit:
+ Mettez dans les sacs de ces personnes autant de blé qu'ils en
+ pourront tenir, et l'argent de chacun à l'entrée du sac;
+ et mettez ma coupe d'argent à rentrée du sac du plus jeune, avec
+ l'argent qu'il a donné pour le blé. Cet ordre fut donc exécuté._
+
+ _Et dès le matin on les laissa aller avec leurs ânes._
+
+ _Lorsqu'ils furent sortis de la ville, comme ils n'avaient fait
+ encore que peu de chemin, Joseph appela l'Intendant de sa maison,
+ et lui dit: Courez vite après ces gens; arrêtez-les, et leur dites:
+ Pourquoi avez-vous rendu le mal pour le bien?_
+
+ _La coupe que vous avez dérobée, est celle dans laquelle mon Seigneur
+ boit, et dont il se sert pour deviner. Vous avez fait une très
+ méchante action._
+
+ _L'Intendant fit ce qui lui avait été commandé; et les ayant arrêtés,
+ il leur dit tout ce qu'il lui avait été ordonné de leur dire._
+
+JEANNETTE
+
+ _Ils lui répondirent: Pourquoi mon seigneur parle-t-il ainsi à ses
+ serviteurs, et les croit-il capables d'une action si honteuse?_
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Nous vous avons rapporté du pays de Chanaan l'argent que nous
+ trouvâmes à l'entrée de nos sacs. Comment donc se pourrait-il faire
+ que nous eussions dérobé de la maison de votre Seigneur de l'or ou
+ de l'argent?_
+
+JEANNETTE
+
+ _Que celui de vos serviteurs,..._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _quel qu'il puisse être, à qui l'on trouvera ce que vous cherchez,
+ meure; et nous serons esclaves de mon seigneur._
+
+JEANNETTE
+
+ _Il leur dit: Oui, que ce que vous prononcez soit exécuté. Quiconque
+ se trouvera avoir pris ce que je cherche, sera mon esclave, et vous
+ en serez innocents._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Ils déchargèrent donc aussitôt leurs sacs à terre, et chacun ouvrit
+ le sien._
+
+JEANNETTE
+
+ _Les ayant fouillés, du plus grand au plus petit, on trouva la coupe
+ dans le sac de Benjamin._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Alors ayant déchiré leurs vêtements et déchargé leurs ânes, ils
+ revinrent à la ville._
+
+JEANNETTE
+
+ _Juda se présenta le premier avec ses frères devant Joseph, qui
+ n'était pas encore sorti du lieu où il était; et ils se
+ prosternèrent tous ensemble à terre devant lui._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Joseph leur dit: Pourquoi avez-vous agi ainsi? Ignorez-vous qu'il
+ n'y a personne qui m'égale dans la science de deviner les choses
+ cachées?_
+
+JEANNETTE
+
+ _Juda lui dit: Que répondrons-nous à mon Seigneur? Que lui
+ dirons-nous, et que pouvons-nous lui représenter avec quelque ombre
+ de justice pour notre défense? Dieu a trouvé l'iniquité de vos
+ serviteurs. Nous sommes tous les esclaves de mon Seigneur, nous et
+ celui à qui on a trouvé la coupe._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Joseph répondit: Dieu me garde d'agir de la sorte. Que celui qui a
+ pris ma coupe soit mon esclave; et pour vous autres, allez en
+ liberté retrouver votre père._
+
+JEANNETTE
+
+ _Juda s'approchant alors plus près de Joseph lui dit avec assurance:
+ Mon Seigneur, permettez, je vous prie, à votre serviteur de vous
+ adresser sa parole, et ne vous mettez pas en colère contre votre
+ esclave: car après Pharaon, c'est vous qui êtes_
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _mon Seigneur. Vous avez demandé d'abord à vos serviteurs: Avez-vous
+ encore votre père ou quelque autre frère?_
+
+ _Et nous vous avons répondu, mon Seigneur: Nous avons un père qui est
+ vieux, et un jeune frère qu'il a eu dans sa vieillesse, dont le
+ frère qui était né de la même mère est mort: il ne reste plus que
+ celui-là, et son père l'aime tendrement._
+
+ _Vous dîtes alors à vos serviteurs: Amenez-le moi, je serai bien aise
+ de le voir._
+
+ _Mais nous vous répondîmes, mon Seigneur: Cet enfant ne peut quitter
+ son père, car s'il le quitte, il le fera mourir._
+
+ _Vous dîtes à vos serviteurs: Si le dernier de vos frères ne vient
+ avec vous, vous ne verrez plus mon visage._
+
+ _Lors donc que nous fûmes retournés vers notre père votre serviteur,
+ nous lui rapportâmes tout ce que vous aviez dit, mon Seigneur._
+
+ _Et notre père nous ayant dit: Retournez pour nous acheter un peu de
+ blé;_
+
+ _nous lui répondîmes: Nous ne pouvons y aller. Si notre jeune frère y
+ vient avec nous, nous irons ensemble: mais à moins qu'il ne vienne,
+ nous n'osons nous présenter devant celui qui commande._
+
+ _Il nous répondit: Vous savez que j'ai eu deux fils de Rachel ma
+ femme._
+
+ _L'un d'eux étant allé aux champs, vous m'avez dit qu'une bête
+ l'avait dévoré, et il ne paraît plus jusqu'à cette heure._
+
+ _Si vous emmenez encore celui-ci, et qu'il lui arrive quelque
+ accident dans le chemin, vous accablerez ma vieillesse d'une
+ affliction qui la conduira dans le tombeau._
+
+ _Si je me présente donc à mon père votre serviteur, et que l'enfant
+ n'y soit pas, comme sa vie dépend de celle de son fils,_
+
+ _lorsqu'il verra qu'il n'est point avec nous, il mourra, et vos
+ serviteurs accableront sa vieillesse d'une douleur qui le mènera au
+ tombeau._
+
+ _Que ce soit donc plutôt moi qui sois votre esclave, puisque je me
+ suis rendu caution de cet enfant, et que j'en ai répondu à mon
+ père, en lui disant: Si je ne le ramène, je veux bien que mon père
+ m'impute cette faute, et qu'il ne me la pardonne jamais._
+
+ _Ainsi je demeurerai votre esclave, et servirai mon Seigneur en la
+ place de l'enfant, afin qu'il retourne avec ses frères._
+
+ _Car je ne puis pas retourner vers mon père sans que l'enfant soit
+ avec nous, de peur que je ne sois moi-même témoin de l'extrême
+ affliction qui accablera notre père._
+
+JEANNETTE
+
+elle va au devant de la récitation.
+
+ Joseph ne pouvait plus se retenir;
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Joseph ne pouvait plus se retenir; et parce qu'il était environné de
+ plusieurs personnes,_
+
+JEANNETTE
+
+ne se retenant plus elle-même et saisissant d'autorité la récitation.
+
+ _il commanda..._
+
+elle recommence pour avoir la reconnaissance dans son plein.
+
+ _Joseph ne pouvait plus se retenir; et parce qu'il était environné de
+ plusieurs personnes, il commanda que l'on fît sortir tout le monde;
+ afin que nul étranger ne fût présent lorsqu'il se ferait connaître
+ à ses frères,_
+
+
+ _Alors les larmes lui tombant des yeux, il éleva sa voix, qui fut
+ entendue des Égyptiens, et de toute la maison de Pharaon._
+
+ _Et il dit à ses frères: Je suis Joseph. Mon père vit-il encore?_
+
+
+
+ Je suis Joseph; je suis Joseph; je suis Jésus votre frère.
+ Qu'attendez-vous? _Mon père vit-il encore?_
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Mais ses frères ne purent point lui répondre, tant ils étaient
+ saisis de frayeur._
+
+JEANNETTE
+
+ _Il leur parla avec douceur, et leur dit: Approchez-vous de moi. Et
+ s'étant approchés de lui, il ajouta: Je suis Joseph votre frère que
+ vous avez vendu en Égypte._
+
+ _Ne craignez point et ne vous affligez point de ce que vous m'avez
+ vendu en ce pays-ci: car Dieu m'a envoyé en Égypte avant vous pour
+ votre salut._
+
+ _Il y a déjà deux ans que la famine a commencé sur la terre, et il en
+ reste encore cinq, pendant lesquels on ne pourra ni labourer ni
+ recueillir._
+
+ _Dieu m'a fait venir ici avant vous, pour vous conserver la vie, et
+ afin que vous puissiez avoir des vivres pour subsister._
+
+ _Ce n'est point par votre conseil que j'ai été envoyé ici, mais par
+ la volonté de Dieu, qui m'a rendu comme le père de Pharaon, le
+ maître de sa maison, et le prince de toute l'Égypte._
+
+ _Hâtez-vous d'aller trouver mon père, et dites-lui: Voici ce que vous
+ mande votre fils Joseph: Dieu m'a rendu le maître de toute
+ l'Égypte. Venez me trouver, ne différez point;_
+
+ _vous demeurerez dans la terre de Gessen, vous serez près de moi vous
+ et vos enfants; et les enfants de vos enfants; vos brebis, vos
+ troupeaux de boeufs, et tout ce que vous possédez._
+
+ _Et je vous nourrirai là parce qu'il reste encore cinq années de
+ famine, de peur qu'autrement vous ne périssiez avec toute votre
+ famille et tout ce qui est à vous._
+
+ _Vous voyez de vos yeux, vous et mon frère Benjamin, que c'est
+ moi-même qui vous parle de ma propre bouche._
+
+ _Annoncez à mon père quelle est cette gloire, et tout ce que vous
+ avez vu dans l'Égypte. Hâtez-vous de me l'amener._
+
+ _Et s'étant jeté au cou de Benjamin son frère pour l'embrasser, il
+ pleura; et Benjamin pleura aussi en le tenant embrassé._
+
+ _Joseph embrassa aussi tous ses frères, il pleura sur chacun d'eux;
+ et après cela ils se rassurèrent pour lui parler._
+
+ _Aussitôt il se répandit un grand bruit dans toute la Cour du Roi,
+ que les frères de Joseph étaient venus. Pharaon s'en réjouit avec
+ toute sa maison._
+
+ _Et il dit à Joseph qu'il donnât cet ordre à ses frères: Chargez vos
+ ânes de blé, retournez en Chanaan;_
+
+ _amenez de là votre père et toute votre famille, et venez me trouver.
+ Je vous donnerai tous les biens de l'Égypte, et vous serez nourris
+ de ce qu'il y a de meilleur dans cette terre._
+
+ _Ordonnez-leur aussi d'emmener des chariots de l'Égypte, pour faire
+ venir leurs femmes avec leurs petits enfants, et dites-leur: Amenez
+ votre père, et hâtez-vous de revenir le plus tôt que vous pourrez,_
+
+ _sans rien laisser de ce qui est dans vos maisons, parce que toutes
+ les richesses de l'Égypte seront à vous._
+
+ _Les enfants d'Israël..._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Les enfants d'Israël firent ce qui leur avait été ordonné. Et Joseph
+ leur fit donner des chariots, selon l'ordre qu'il en avait reçu de
+ Pharaon, et des vivres pour le chemin._
+
+JEANNETTE
+
+ _Il commanda aussi que l'on donnât deux robes à chacun de ses frères;
+ mais il en donna cinq des plus belles à Benjamin, et trois cents
+ pièces d'argent._
+
+ _Il envoya autant d'argent et de robes pour son père, avec dix ânes
+ chargés de tout ce qu'il y avait de plus précieux dans l'Égypte, et
+ autant d'ânesses qui portaient du blé et du pain pour le chemin._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Il renvoya donc ses frères, et leur dit en partant: Ne vous mettez
+ point en colère pendant le chemin._
+
+ _Ils vinrent donc de l'Égypte au pays de Chanaan vers Jacob leur
+ père._
+
+JEANNETTE
+
+ _Et ils lui dirent cette nouvelle; Votre fils Joseph est vivant et
+ commande dans toute la terre d'Égypte. Ce que Jacob ayant entendu,
+ il se réveilla comme d'un profond sommeil, et cependant il ne
+ pouvait croire ce qu'ils lui disaient._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Ses enfants insistaient au contraire, en lui rapportant comment
+ toute la chose s'était passée. Enfin ayant vu les chariots, et tout
+ ce que Joseph lui envoyait, il reprit ses esprits;_
+
+JEANNETTE
+
+ _et il dit: Je n'ai plus rien à souhaiter, puisque mon fils Joseph
+ vit encore. J'irai et je le verrai avant que je meure._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Israël partit donc avec tout ce qu'il avait, et vint au Puits du
+ jurement, et ayant immolé en ce lieu des victimes au Dieu de son
+ père Isaac,_
+
+ _il l'entendit dans une vision pendant la nuit, qui l'appelait, et
+ qui lui disait: Jacob, Jacob. Il lui répondit: Me voici._
+
+ _Et Dieu ajouta: Je suis le Dieu très puissant de votre père, ne
+ craignez point, allez en Égypte, parce que je vous y rendrai le
+ chef d'un grand peuple._
+
+ _J'irai là avec vous, et je vous en ramènerai lorsque vous en
+ reviendrez._
+
+JEANNETTE
+
+ _Joseph aussi vous fermera les yeux de ses mains._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Jacob étant donc parti du Puits du jurement, ses enfants l'amenèrent
+ avec ses petits enfants et leurs femmes, dans les chariots que
+ Pharaon avait envoyés pour faire venir ce vieillard,_
+
+ _avec tout ce qu'il possédait au pays de Chanaan; et il arriva en
+ Égypte avec toute sa race;_
+
+ _ses fils, ses petits-fils, ses filles, et tout ce qui était né de
+ lui._
+
+
+
+ _Tous ceux qui vinrent en Égypte avec Jacob, et qui étaient sortis de
+ lui, sans compter les femmes de ses fils, étaient en tout soixante
+ et six personnes._
+
+ _Plus les deux enfants de Joseph qui lui étaient nés en Égypte. Ainsi
+ toutes les personnes de la maison de Jacob qui vinrent en Égypte,
+ furent au nombre de soixante et dix._
+
+JEANNETTE
+
+ _Or Jacob envoya Juda devant lui vers Joseph pour l'avertir de sa
+ venue, afin qu'il vînt au-devant de lui en la terre de Gessen._
+
+ _Quand Jacob y fut arrivé, Joseph fit mettre les chevaux à son
+ chariot, et vint au même lieu au-devant de son père: et le voyant
+ il se jeta à son cou, et l'embrassa en pleurant._
+
+ _Jacob dit à Joseph: Je mourrai maintenant avec joie, puisque j'ai vu
+ votre visage, et que je vous laisse après moi._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Joseph dit à ses frères, et à toute la maison de son père: Je m'en
+ vais dire à Pharaon, que mes frères et tous ceux de la maison de
+ mon père sont venus me trouver de la terre de Chanaan où ils
+ demeuraient:_
+
+ _que ce sont des pasteurs de brebis qui s'occupent à nourrir des
+ troupeaux, et qu'ils ont amené avec eux leurs brebis, leurs boeufs
+ et tout ce qu'ils pouvaient avoir._
+
+ _Et lorsque Pharaon vous fera venir, et vous demandera: Quelle est
+ votre occupation?_
+
+ _vous lui répondrez: Vos serviteurs sont pasteurs depuis leur enfance
+ jusqu'à présent, et nos pères l'ont toujours été comme nous. Vous
+ direz ceci pour pouvoir demeurer dans la terre de Gessen; parce que
+ les Égyptiens ont en abomination tous les pasteurs de brebis._
+
+
+
+ _Joseph étant donc allé trouver Pharaon, lui dit: Mon père et mes
+ frères sont venus du pays de Chanaan, avec leurs brebis, leurs
+ troupeaux, et tout ce qu'ils possèdent, et ils se sont arrêtés en
+ la terre de Gessen._
+
+ _Il présenta aussi au Roi cinq de ses frères;_
+
+ _Et le Roi leur ayant demandé: A quoi vous occupez-vous? ils lui
+ répondirent: Vos serviteurs sont pasteurs de brebis, comme l'ont
+ été nos pères._
+
+ _Nous sommes venus passer quelque temps dans vos terres, parce que la
+ famine est si grande dans le pays de Chanaan, qu'il n'y a plus
+ d'herbe pour les troupeaux de vos serviteurs. Et nous vous
+ supplions d'agréer que vos serviteurs demeurent dans la terre de
+ Gessen._
+
+JEANNETTE
+
+ _Le Roi dit donc à Joseph: Votre père et vos frères vous sont venus
+ trouver._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Vous pouvez choisir dans toute l'Égypte; faites-les demeurer dans
+ l'endroit du pays qui vous paraîtra le meilleur, et donnez-leur la
+ terre de Gessen. Que si vous connaissez qu'il y ait parmi eux des
+ hommes habiles, donnez-leur l'intendance sur mes troupeaux._
+
+ _Joseph introduisit ensuite son père devant le Roi, et il le lui
+ présenta. Jacob salua Pharaon, et lui souhaita toute sorte de
+ prospérité._
+
+ _Le Roi lui ayant demandé quel âge il avait:_
+
+JEANNETTE
+
+ _il lui répondit: Il y a cent trente ans que je suis voyageur, et ce
+ petit nombre d'années, qui n'est pas venu jusqu'à égaler celui des
+ années de mes pères, a été traversé de beaucoup de maux._
+
+MADAME GERVAISE
+
+ _Et après avoir souhaité toute sorte de bonheur au Roi, il se retira._
+
+ _Joseph selon le commandement de Pharaon, mit son père et ses frères
+ en possession de Ramessès dans le pays le plus fertile de l'Égypte._
+
+ _Et il les nourrissait avec toute la maison de son père, donnant à
+ chacun ce qui lui était nécessaire pour vivre._
+
+ _Car le pain manquait dans tout le monde, et la famine affligeait
+ toute la terre; mais principalement l'Égypte et le pays de Chanaan._
+
+
+
+ _Israël demeura donc en Égypte, c'est-à-dire, dans la terre de
+ Gessen, dont il jouit comme de son bien propre, et où sa famille
+ s'accrut et se multiplia extraordinairement._
+
+ _Il y vécut dix-sept ans; et tout le temps de sa vie fut de cent
+ quarante-sept ans._
+
+ _Comme il vit que le jour de sa mort approchait, il appela son fils
+ Joseph, et lui dit: Si j'ai trouvé grâce devant vous, mettez votre
+ main sous ma cuisse, et donnez-moi cette marque de la bonté que
+ vous avez pour moi, de me promettre avec vérité, que vous ne
+ m'enterrerez point dans l'Égypte;_
+
+ _mais que je reposerai avec mes pères; que vous me transporterez hors
+ de ce pays, et me mettrez dans le sépulcre de mes ancêtres. Joseph
+ lui répondit: Je ferai ce que vous me commandez._
+
+ _Jurez-le moi donc, dit Jacob. Et pendant que Joseph jurait, Israël
+ adora Dieu, se tournant vers le chevet de son lit._
+
+
+
+ _Après cela on vint dire un jour à Joseph que son père était malade:
+ alors prenant avec lui ses deux fils, Manassé, et Ephraïm, il
+ l'alla voir._
+
+ _On dit donc à Jacob: Voici votre fils Joseph qui vient vous rendre
+ visite. Jacob reprenant ses forces se mit sur son séant dans son
+ lit._
+
+
+
+ _Et_
+
+ _Il leur fit aussi ce commandement, et leur dit: Je vais être réuni à
+ mon peuple; ensevelissez-moi avec mes pères dans la caverne double
+ qui est dans le champ d'Ephron Hethéen._
+
+ _qui regarde Mambré au pays de Chanaan, et qu'Abraham acheta d'Ephron
+ Hethéen, avec tout le champ où elle est, pour y avoir son sépulcre._
+
+ _C'est là qu'il a été enseveli avec Sara sa femme. C'est aussi où
+ Isaac a été enseveli avec Rébecca sa femme, et où Lia est encore
+ ensevelie._
+
+ _Après avoir achevé de donner ces ordres et ces instructions à ses
+ enfants, il joignit ses pieds sur son lit, et mourut; et il fut
+ réuni avec son peuple._
+
+
+
+ _Un homme avait douze fils._ Telle fut, mon enfant,
+ Ce fut la première fois qu'un enfant s'est perdu.
+ Ce fut la première fois qu'une brebis s'est perdue.
+ Ce fut la première fois qu'une drachme s'est perdue.
+
+
+
+ Mais cette drachme que l'on avait égarée,
+ Mais cette brebis qui s'était égarée,
+ Mais cet enfant, ce fils qui s'était égaré
+ Fut retrouvé sur le trône,
+ Gouvernant la maison de Pharaon
+ Et ravitaillant tout le royaume d'Égypte.
+ Et celui de Jésus au contraire, (c'est toujours le contraire),
+ Celui de Jésus, l'enfant perdu par Jésus,
+ Dans la parabole de Jésus,
+ Celui de Jésus fut retrouvé qui revenait de gouverner un troupeau de
+ porcs.
+ Et je pense que ses trente ou quarante cochons,
+ Il les ravitaillait de glands et peut-être de quelque sale pâtée.
+ C'est ainsi, mon enfant. Ainsi est l'ancien, ainsi est le nouveau
+ testament.
+ Dans l'ancien testament il est plus souvent question du trône.
+ Et dans le nouveau testament il est plus souvent question de garder
+ les cochons.
+ (Et les autres animaux, qui ne sont pas moins nobles).
+
+
+ Dans l'ancien testament il y a toujours une vue, une pensée vers le
+ commandement.
+ Et dans le nouveau testament il y a toujours une pensée,
+ Une arrière-pensée vers le service au contraire
+ Et vers la servitude.
+
+
+
+ Dans l'ancien testament il y a toujours un regard, une pensée vers le
+ gouvernement.
+ Et dans le nouveau testament il y a toujours un regard, une pensée
+ vers l'obéissance
+ Et vers la simple condition.
+ Vers la simple condition de sujet.
+ Vers la simple condition d'homme.
+
+
+
+ Ou s'il y a une pensée vers un commandement, et vers un gouvernement,
+ et vers un royaume,
+ Dans le nouveau testament c'est vers un commandement et vers un
+ gouvernement et vers un royaume
+ Qui n'est point le gouvernement et le commandement d'un royaume
+ d'Égypte.
+
+
+
+ Et dans le nouveau testament il n'y a de pensée que pour un royaume
+ qui n'est pas de ce monde.
+
+
+
+ Dans l'ancien testament il y a toujours une pensée vers les
+ richesses, vers les trésors d'Égypte et de Babylonie,
+ Vers les talents d'or et d'argent.
+ Et les richesses, et le trône, et le royaume, et le gouvernement et
+ le commandement
+ Sont présentées comme le couronnement.
+ Dans le nouveau testament il y a toujours une pensée,
+ La pensée secrète est vers l'épreuve, et vers la misère, et vers la
+ pauvreté.
+ Et c'est elle l'épreuve, et c'est elle la misère, et c'est elle la
+ pauvreté
+ Qui est toujours présentée,
+ Qui est le faîte et le couronnement.
+
+
+
+ C'est elle qui est la dame et la très chère et la très sainte
+ pauvreté.
+
+
+
+ Dans l'ancien testament on redoute toujours, il y a toujours une
+ pensée
+ De redoutement vers la famine de la faim.
+ Dans le nouveau testament on redoute toujours
+ Une autre faim inapaisée,
+ Il y a toujours une pensée
+ De redoutement vers une autre famine d'une autre faim.
+ Car c'est une spirituelle famine.
+ D'une faim spirituelle.
+
+
+
+ Ainsi marche l'ancien testament devant le nouveau testament.
+ Ainsi les histoires marchent devant les similitudes.
+ Et les hymnes et les prières et les psaumes
+ Devant les hymnes et les prières et les oraisons
+ Et la lente et la longue lignée des prophètes
+ Devant les bataillons serrés,
+ Devant les bataillons carrés
+ Des saints.
+
+
+
+ Ainsi marche le gouvernement des biens de ce monde
+ Avant le gouvernement des biens qui ne sont pas de ce monde.
+
+
+
+ Ainsi marche le commandement charnel
+ Avant le commandement spirituel.
+
+
+
+ Ainsi le royaume temporel
+ Marche avant le royaume éternel.
+
+
+
+ Et ainsi les tentes du peuple d'Israël se sont plantées dans le désert
+ Des siècles et des siècles avant que les basiliques,
+ Avant que les églises, avant que les cathédrales
+ Se soient plantées au sol de France.
+
+
+
+ Et dans l'ancien testament il s'agit d'emplir des sacs de blé, il y
+ a, (toujours),
+ une pensée sur les sacs de blé.
+ Et après ça il s'agit, (dans l'ancien testament),
+ Ces sacs pleins il s'agit de les empiler dans les greniers à blé.
+ Mais dans le nouveau testament il s'agit de bien autres sacs et de
+ bien autres greniers.
+ Car il s'agit, dans le nouveau testament il s'agit, ce sont
+ Des sacs de misère, des sacs d'épreuves, des sacs de misères.
+ Et des sacs à mettre les vertus et les mérites et les grâces
+ Que l'on a récoltées comme on a pu
+ Pour les années de disette
+ Et ce sont enfin
+ Les greniers éternels
+
+
+
+ Et dans l'ancien testament c'est le père qui finit par venir trouver
+ son fils
+ Et qui le retrouve plein de gloire
+ Tout vêtu.
+ Mais dans le nouveau testament c'est le fils tout nud
+ Qui finit par venir trouver son père
+
+
+
+ Ainsi l'ancien testament est l'appariteur et le fourrier
+ Et le préparateur et l'annonciateur du nouveau testament.
+ C'est lui qui lui prépare les voies, c'est lui qui lui fait sa maison.
+ C'est l'ancien testament qui fait dans le désert
+ La longue voie temporelle.
+ C'est l'ancien testament qui patiemment bâtit
+ La maison temporelle.
+ _Voici, j'envoie mon ange devant ta face, qui préparera ton chemin
+ devant toi._
+
+
+
+ Et aussi l'ancien testament est comme une image qui marche devant le
+ nouveau testament.
+ Et comme une image en même temps il est très fidèle et en même temps
+ il est à l'envers.
+ Il est contraire. Ainsi est l'histoire sainte.
+ Le testament charnel est une histoire, une image du testament
+ spirituel.
+ L'ancien testament temporel est une image du nouveau testament
+ éternel.
+ Et dans le nouveau testament s'il s'agit de gloire,
+ Il s'agit d'une gloire qui ne se ramasse guère sur les trônes,
+ (Excepté saint Louis et le trône de France).
+
+
+
+ Tout l'ancien testament est une figure, une image d'ensemble et de
+ détail
+ Très fidèle, très exacte,
+ (Mais fidèlement inverse, exactement inverse),
+ Du nouveau testament dans son ensemble et dans son détail.
+ Dans l'ancien testament la création est au seuil,
+ Au commencement qui est le commencement du monde.
+ Et dans le nouveau testament le jugement est à la fin.
+ Le jugement qui est proprement le contraire de la création,
+ Le pied opposé, qui est proprement une contre-création.
+ Car dans la création j'ai fait le monde,
+ (Temporel)
+ Et dans le jugement je le défais.
+ Ainsi le jugement est proprement le contraire et ce qui balance la
+ création.
+ Ce que l'on peut mettre, ce qui est en face de la création.
+
+
+
+ J'ai découpé le temps dans l'éternité, dit Dieu.
+ Le temps et le monde du temps.
+ La création fut le commencement et le jugement sera la fin.
+ (Du temps) (Du monde du temps).
+ C'est exactement une symétrie, un balancement.
+ Ce que j'ai ouvert, je le fermerai.
+ Le jour de la création (les six jours) j'ai ouvert un certain monde
+ (On le connaît de reste)
+ (On le sait, on en a assez parlé)
+ Enfin la première heure du premier des six jours de la création j'ai
+ commencé une certaine histoire,
+ Et le jour du jugement je la fermerai.
+ Or tout l'ancien testament part de ce jugement que je fis de créer.
+ Et tout le nouveau testament va vers ce jugement que je ferai de
+ juger.
+ Ainsi l'ancien testament est symétrique au nouveau.
+ Et (contre) balance le nouveau.
+ Et tout l'ancien testament part de cette création.
+ Et tout le nouveau testament va vers ce jugement
+ Et dans l'ancien testament le Paradis est au commencement.
+ Et c'est un Paradis terrestre.
+ Mais dans le nouveau testament le Paradis est à la fin.
+ Et je vous le dis c'est un Paradis
+ céleste.
+ Et tout l'ancien testament va vers Jean le Baptiste et vers Jésus.
+ Mais tout le nouveau testament vient de Jésus.
+ C'est comme une belle voûte qui monte des deux côtés vers la clef de
+ voûte.
+ Et Jésus est la clef de voûte. Ainsi est la voûte de cette nef.
+ Et la pierre qui monte suivant la courbe de cette nef,
+ Décidant, dessinant, d'avance et à mesure, la courbe de cette voûte,
+ Formant la courbe de cette voûte,
+ La pierre qui monte du bas s'avance hardiment,
+ Et fidèlement et sûrement,
+ En toute sécurité sans aucune inquiétude,
+ Parce que montante elle sait très bien
+ Qu'elle trouvera la clef de voûte exacte au rendez-vous,
+ A la juste intersection, au sacré croisement et la clef de voûte,
+ c'est Jésus.
+ Et ensemble toute la voûte soutient et porte et hausse et maintient
+ la clef
+ Comme une énorme épaule ronde qui sans cou soutiendrait une seule
+ tête mais la clef seule,
+ La clef qui parachève,
+ Seule aussi ensemble est ce qui soutient seule la voûte et le tout.
+ Et la dernière pierre avant la clef est Jean le Baptiste.
+ Mais la première pierre après la clef est Pierre le fondateur.
+ _Tu es Pierre et sur cette pierre._
+ Et il fut crucifié la tête en bas,
+ C'est-à-dire en redescendant.
+ Et comme la pierre est quadrangulaire,
+ Il y a les quatre angles et les quatre lignes du carré.
+ Et l'on dit _selon Matthieu, selon Marc, selon Luc, selon Jean,_
+ C'est-à-dire _en suivant la ligne de Matthieu, en suivant la ligne de
+ Marc, en suivant la ligne de Luc,_
+ Et _en suivant la ligne de Jean._
+ Et aux quatre coins sont assis le jeune homme, le lion, le taureau et
+ l'aigle.
+ Car l'Église est quadrangulaire,
+ Comme elle est lapidaire étant fondée sur la quadrangulaire
+ Pierre.
+
+
+
+ Et encore l'ancien testament est tout linéaire.
+ C'est une longue, c'est une grêle ligne des prophètes.
+ Et les prophètes y viennent l'un après l'autre
+ Comme les peupliers viennent l'un après l'autre dans cette belle
+ lignée.
+ Dans cette belle avenue de peupliers.
+ Et tout l'ancien testament c'est cette belle, cette longue avenue de
+ peupliers.
+ Venue des profondeurs de la plaine et marchant droit sur la plaine.
+ Cette longue avenue, cette longue lignée fidèle
+ (Sans largeur).
+ Les peupliers y sont placés l'un après l'autre, les prophètes y sont
+ placés l'un après l'autre.
+ Sur la rangée double.
+ Venante, sortie, venue des profondeurs de l'horizon la noble allée,
+ La fidèle, la directe allée droite linéaire
+ Droite l'avenue s'avance sur la plaine droite.
+ Car elle sait où elle va.
+ Et elle ne va pas moins que.
+ Directement elle va droit au seuil du château.
+ Et elle conduit, et elle amène, et elle introduit le regard et le pas.
+ Elle seule conduit au seuil mais elle ne franchit pas le seuil, elle
+ ne passe pas le pas de la porte.
+ Elle ne se prolonge pas à l'intérieur du château.
+ Mais le quadrangulaire château du nouveau testament
+ S'ouvre à ce seuil et la longue allée de peupliers ne s'y continue
+ pas.
+ Mais la cour d'honneur s'y ouvre, et les bâtiments du château.
+ Et le beau perron pour monter et les quadrangulaires murailles.
+ Et ainsi le nouveau testament a une dimension de plus.
+ Car l'ancien testament est une ligne
+ Mais le nouveau couvre une surface.
+
+
+
+ Ou encore l'ancien testament est cette fine, cette grêle
+ Cette uniquement fidèle allée de peupliers,
+ Perdue dans la plaine rase
+ Mais le nouveau testament est le solide parc du château.
+ Le robuste bois de chênes, carré,
+ Bien clos derrière ses quadrangulaires murailles,
+ Et qui couvre toute la surface.
+
+
+
+ Ou encore l'ancien testament est cette voûte qui monte en une seule
+ arête,
+ En une seule nervure et le nouveau testament
+ C'est la même voûte qui retombe,
+ Qui redescend en toute une nappe.
+ Et l'arête qui monte part de la terre et c'est une arête charnelle.
+ Mais cette nappe qui redescend vient de l'esprit
+ Et c'est une nappe spirituelle.
+ Et l'arête et la nervure qui monte part du temps et est une
+ temporelle arête.
+ Mais la nappe qui redescend vient de l'éternité et c'est
+ Une éternelle nappe.
+
+
+
+ Et la clef de cette mystique voûte.
+ La clef elle-même
+ Charnelle, spirituelle,
+ Temporelle, éternelle,
+ C'est Jésus,
+ Homme,
+ Dieu.
+
+
+
+ Et la création fut une sorte d'ouverture du temps et de fermeture en
+ quelque sorte de l'éternité.
+ Or le jugement sera proprement la fermeture du temps
+ Et la totale et la définitive
+ Réouverture de l'éternité.
+
+
+
+ Ou encore l'ancien testament est le lac profond qui reflète la haute
+ forêt.
+ Et la forêt est toute dans le lac mais elle n'y est pas.
+ Et le lac sombre et le lac profond est enfoncé dans la terre.
+ Et dans le lac le ciel est au fond.
+ Mais vers le haut la haute forêt.
+ Partant du bord du lac. La haute forêt réelle.
+ Hausse une tête réelle.
+ Fait monter une sève réelle.
+ Vers le seul profond ciel réel.
+
+
+
+ On envoie les enfants à l'école, dit Dieu.
+ Je pense que c'est pour oublier le peu qu'ils savent.
+ On ferait mieux d'envoyer les parents à l'école.
+ C'est eux qui en ont besoin.
+ Mais naturellement il faudrait une école de moi.
+ Et non pas une école d'hommes.
+
+
+
+ On croit que les enfants ne savent rien.
+ Et que les parents et que les grandes personnes savent quelque chose.
+ Or je vous le dis, c'est le contraire.
+ (C'est toujours le contraire).
+ Ce sont les parents, ce sont les grandes personnes qui ne savent rien.
+ Et ce sont les enfants qui savent
+ Tout.
+
+
+
+ Car ils savent l'innocence première.
+ Qui est tout.
+
+
+
+ Le monde est toujours à l'envers, dit Dieu.
+ Et dans le sens contraire.
+ Heureux celui qui resterait comme un enfant
+ Et qui comme un enfant garderait
+ Cette innocence première.
+
+
+
+ Mon fils le leur a assez dit.
+ Sans aucun détour et sans aucune atténuation.
+ Car il parlait net et ferme.
+ Et clair.
+ Heureux non pas même, non pas seulement celui
+ Qui serait comme un enfant, qui resterait comme un enfant.
+ Mais proprement heureux celui qui est (un) enfant, qui reste un
+ enfant.
+ Proprement, précisément l'enfant même qu'il a été.
+ Puisque justement il a été donné à tout homme
+ D'être.
+ Puisqu'il est donné à tout homme d'avoir été
+ Un jeune enfant laiteux.
+
+
+
+ Puisqu'il a été donné à tout homme cette bénédiction.
+ Cette grâce unique.
+
+
+
+ Et le royaume du ciel n'est pas à un moindre prix.
+ A un autre prix.
+ Mon fils le leur a assez dit.
+ Et en termes assez exprès.
+
+
+
+ Le royaume du ciel ne sera que pour eux.
+ Et il n'y en aura que pour eux.
+ _A cette heure-là s'approchèrent les disciples de Jésus, disant: Qui,
+ penses-tu, est plus grand dans le royaume des cieux?_
+
+ _Et appelant Jésus un petit enfant, le plaça au milieu d'eux,_
+
+ _Et dit: En vérité je vous le dis, si vous ne vous convertissez
+ point, et ne vous rendez point comme ces petits enfants, vous
+ n'entrerez pas dans le royaume des cieux._
+
+ _Quiconque donc se sera humilié comme ce petit enfant, voilà celui
+ qui est plus grand dans le royaume des cieux._
+
+ _Et celui qui reçoit un tel enfant en mon nom, me reçoit._
+
+ _Mais celui qui aura scandalisé un seul de ces tout petits qui
+ croient en moi, il vaut mieux pour lui qu'on lui pende au cou une
+ meule d'âne, et qu'on le jette au profond de la mer._
+
+
+
+ On a des écoles, dit Dieu. Je pense que c'est pour désapprendre
+ Le peu que l'on sait.
+ La vie aussi est une école, disent-ils. On y apprend tous les jours.
+ Je la connais, cette vie qui commence au baptême et qui finit à
+ l'extrême-onction.
+ C'est une usure perpétuelle, une constante, une croissante
+ flétrissure. On descend tout le temps.
+ Heureux celui qui peut rester tel que le jour de son baptême
+ Et de sa première communion. La vie commence au baptême, dit Dieu.
+ Sera-t-il dit qu'elle finit à la première.
+ Et non point à la dernière communion.
+
+
+ Sera-t-il dit que l'homme finit à sa première communion.
+ Et non point au viatique, qui est sa dernière communion.
+
+
+
+ Ils s'emplissent d'expérience, disent-ils; ils gagnent de
+ l'expérience; ils apprennent la vie; de jour en jour ils amassent
+ de l'expérience. Singulier trésor, dit Dieu
+ Trésor de vide et de disette.
+ Trésor de la disette des sept années, trésor de vide et de
+ flétrissure et de vieillissement.
+ Trésor de rides et d'inquiétudes.
+ Trésor des années maigres. Accroissez-le, ce trésor, dit Dieu. Dans
+ des greniers vides
+ Vous entasserez des sacs vides
+ D'une Égypte vide.
+ Vous accroissez le trésor de vos peines et de vos misères.
+ Et les sacs de vos soucis et de vos petitesses.
+ Vous acquérez de l'expérience, dites-vous, vous accroissez votre
+ expérience.
+ Vous allez toujours en descendant, dit Dieu, vous allez toujours en
+ diminuant, vous allez toujours en perdant.
+ Vous allez toujours en pente. Vous allez toujours en vous flétrissant
+ et en vous ridant et en vieillissant.
+ Et vous ne remonterez jamais cette pente.
+ Ce que vous nommez l'expérience, votre expérience, moi je le nomme
+ La déperdition, la diminution, le décroissement, la perte de
+ l'espérance.
+
+ Car je le nomme la déperdition prétentieuse,
+ La diminution, le décroissement, la perte de l'innocence.
+
+
+
+ Et c'est une dégradation perpétuelle.
+
+
+
+ Or c'est l'innocence qui est pleine et c'est l'expérience qui est
+ vide.
+ C'est l'innocence qui gagne et c'est l'expérience qui perd.
+
+ C'est l'innocence qui est jeune et c'est l'expérience qui est vieille.
+ C'est l'innocence qui croît et c'est l'expérience qui décroît.
+
+ C'est l'innocence qui naît et c'est l'expérience, qui meurt.
+ C'est l'innocence qui sait et c'est l'expérience qui ne sait pas.
+
+ C'est l'enfant qui est plein et c'est l'homme qui est vide.
+ Vide comme une courge vide et comme un tonneau vide:
+
+ Voilà, dit Dieu, ce que j'en fais, de votre expérience.
+
+
+
+ Allez, mes enfants, allez à l'école.
+ Et vous, hommes, allez à l'école de la vie.
+ Allez apprendre
+ A désapprendre.
+
+
+
+ Toute histoire s'est jouée deux fois, dit Dieu. Une fois en juiverie.
+ Et une fois en chrétiennerie. L'enfant (Jésus) s'est joué deux fois.
+ Une fois en Benjamin et une fois dans l'enfant Jésus.
+ Et l'enfant perdu et la brebis perdue et la drachme perdue s'est
+ jouée deux fois.
+ Et la première fois ce fut dans Joseph, _je suis Joseph votre frère_.
+ Il fallait que cela fût joué, dit Dieu. Et deux fois plutôt qu'une.
+ Car il y a dans l'enfant, car il y a dans l'enfance une grâce unique.
+ Une entièreté, une premièreté
+ Totale.
+ Une origine, un secret, une source, un point d'origine.
+ Un commencement pour ainsi dire absolu.
+ Les enfants sont des créatures neuves.
+ Eux aussi, eux surtout, eux premiers ils prennent le ciel de force.
+ _Rapiunt_, ils ravissent. Mais quelle douce violence.
+ Et quelle agréable force et quelle tendresse de force.
+ Comme un père endure volontiers
+ Comme il aime à endurer les violences de cette force,
+ Les embrassements de cette tendresse.
+ Pour moi, dit Dieu, je ne connais rien d'aussi beau dans tout le monde
+ Qu'un gamin d'enfant qui cause avec le bon Dieu
+ Dans le fond d'un jardin.
+ Et qui fait les demandes et les réponses (C'est plus sûr).
+ Un petit homme qui raconte ses peines au bon Dieu
+ Le plus sérieusement du monde.
+ Et qui se fait lui-même les consolations du bon Dieu.
+ Or je vous le dis ces consolations qu'il se fait.
+ Elles viennent directement et proprement de moi.
+
+
+
+ Je ne connais rien d'aussi beau dans tout le monde, dit Dieu.
+ Qu'un petit joufflu d'enfant, hardi comme un page,
+ Timide comme un ange,
+ Qui dit vingt fois bonjour, vingt fois bonsoir en sautant.
+ Et en riant et en (se) jouant.
+ Une fois ne lui suffit pas. Il s'en faut. Il n'y a pas de danger.
+ Il leur en faut, de dire bonjour et bonsoir. Ils n'en ont jamais
+ assez.
+ C'est que pour eux la vingtième fois est comme la première. Ils
+ comptent comme moi.
+ C'est ainsi que je compte les heures.
+
+
+
+ Et c'est pour cela que toute l'éternité et que tout le temps
+ Est (comme) un instant dans le creux de ma main.
+
+
+
+ Rien n'est beau comme un enfant qui s'endort en faisant sa prière,
+ dit Dieu.
+ Je vous le dis, rien n'est aussi beau dans le monde.
+ Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau dans le monde.
+ Et pourtant j'en ai vu des beautés dans le monde
+ Et je m'y connais. Ma création regorge de beautés.
+ Ma création regorge de merveilles.
+ Il y en a tant qu'on ne sait pas où les mettre.
+ J'ai vu des millions et des millions d'astres rouler sous mes pieds
+ comme les sables de la mer.
+ J'ai vu des journées ardentes comme des flammes.
+ Des jours d'été de juin, de juillet et d'août.
+ J'ai vu des soirs d'hiver posés comme un manteau.
+ J'ai vu des soirs d'été calmes et doux comme une tombée de paradis
+ Tout constellés d'étoiles.
+ J'ai vu ces coteaux de la Meuse et ces églises qui sont mes propres
+ maisons.
+ Et Paris et Reims et Rouen et des cathédrales qui sont mes propres
+ palais et mes propres châteaux.
+ Si beaux que je les garderai dans le ciel.
+ J'ai vu la capitale du royaume et Rome capitale de chrétienté.
+ J'ai entendu chanter la messe et les triomphantes vêpres.
+ Et j'ai vu ces plaines et ces vallonnements de France.
+ Qui sont plus beaux que tout.
+ J'ai vu la profonde mer, et la forêt profonde, et le coeur profond de
+ l'homme.
+ J'ai vu des coeurs dévorés d'amour
+ Pendant des vies entières
+ Perdus de charité.
+ Brûlant comme des flammes.
+ J'ai vu des martyrs si animés de foi
+ Tenir comme un roc sur le chevalet
+ Sous les dents de fer.
+ (Comme un soldat qui tiendrait bon tout seul toute une vie
+ Par foi
+ Pour son général (apparemment) absent).
+ J'ai vu des martyrs flamber comme des torches
+ Se préparant ainsi les palmes toujours vertes.
+ Et j'ai vu perler sous les griffes de fer
+ Des gouttes de sang qui resplendissaient comme des diamants.
+ Et j'ai vu perler des larmes d'amour
+ Qui dureront plus longtemps que les étoiles du ciel.
+ Et j'ai vu des regards de prière, des regards de tendresse,
+ Perdus de charité
+ Qui brilleront éternellement dans les nuits et les nuits.
+ Et j'ai vu des vies tout entières de la naissance à la mort,
+ Du baptême au viatique,
+ Se dérouler comme un bel écheveau de laine.
+ Or je le dis, dit Dieu, je ne connais rien d'aussi beau dans tout le
+ monde
+ Qu'un petit enfant qui s'endort en faisant sa prière
+ Sous l'aile de son ange gardien
+ Et qui rit aux anges en commençant de s'endormir.
+ Et qui déjà mêle tout ça ensemble et qui n'y comprend plus rien
+ Et qui fourre les paroles du _Notre Père_ à tort et à travers
+ pêle-mêle dans les paroles du _Je vous salue Marie_.
+ Pendant qu'un voile déjà descend sur ses paupières
+ Le voile de la nuit sur son regard et sur sa voix.
+ J'ai vu les plus grands saints, dit Dieu. Eh bien je vous le dis.
+ Je n'ai jamais rien vu de si drôle et par conséquent je ne connais
+ rien de si beau dans le monde
+ Que cet enfant qui s'endort en faisant sa prière
+ (Que ce petit être qui s'endort de confiance)
+ Et qui mélange son _Notre Père_ avec son _Je vous salue Marie_.
+ Rien n'est aussi beau et c'est même un point
+ Où la sainte Vierge est de mon avis.
+ Là-dessus.
+ Et je peux bien dire que c'est le seul point où nous soyons du même
+ avis. Car généralement nous sommes d'un avis contraire.
+ Parce qu'elle est pour la miséricorde.
+ Et moi il faut bien que je sois pour la justice.
+
+
+
+ Aussi, dit Dieu, comme je comprends mon fils. Mon fils le leur a
+ assez dit. (Or il faut entendre toutes les paroles de mon fils au
+ pied de la lettre). _Sinite parvulos._ Laissez venir.
+ _Sinite parvulos venire ad me._ Laissez les tout petits venir à moi.
+ Les petits enfants.
+ _Alors lui furent offerts des tout petits pour qu'il leur imposât les
+ mains, et priât. Or les disciples les rabrouaient._
+
+
+ _Mais Jésus leur dit: Laissez les tout petits, et ne les empêchez
+ point de venir à moi: talium est enim regnum coelorum. De tels en
+ effet est le royaume des cieux._ Aux tels, aux comme eux appartient
+ le royaume des cieux.
+
+
+ _Et quand il leur eut imposé les mains, il s'en alla._
+
+
+
+ Vous autres hommes, (dit Dieu), essayez donc seulement de faire un
+ mot d'enfant.
+ Vous savez bien que vous ne pouvez pas.
+ Et non seulement vous ne pouvez pas en faire.
+ Pas même un seul, mais quand on vous en fait
+ Vous ne pouvez pas même les retenir. Quand un mot d'enfant éclate
+ parmi vous
+ Vous vous récriez, vous éclatez vous-mêmes d'une admiration
+ Sincère et profonde et qui vous rachèterait et à laquelle je rends
+ justice.
+ Et vous dites, de partout vous dites,
+ Vous dites des yeux, vous dites de la voix,
+ Vous riez, vous dites en vous-mêmes et vous dites tout haut à table:
+ Il est bon, celui-là, je le retiens. Et vous vous jurez
+ D'en faire part à vos amis, de le dire à tout le monde,
+ Tant vous avez d'orgueil pour vos enfants (je ne vous en veux pas,
+ dit Dieu.
+ C'est encore ce que vous avez de meilleur et c'est ce qui vous
+ rachèterait).
+ Vous croyez que vous allez facilement le rapporter.
+ Mais quand vous allez tout flambants pour le rapporter,
+ Vous vous apercevez que vous ne le savez plus.
+ Et non seulement cela, mais que vous ne pourrez plus le retrouver. Il
+ s'est évanoui de votre mémoire.
+ C'est une eau trop pure qui a fui de votre sale mémoire, de votre
+ mémoire souillée.
+ Qui a voulu fuir, qui n'a pas voulu y rester.
+ Vous vous rendez très bien compte qu'il était à une certaine place,
+ qu'il avait un certain goût,
+ Qu'il était là, qu'il occupait cette certaine place, qu'il était dans
+ cette région, qu'il tenait cette place, qu'il avait un certain
+ volume. Mais vous avez la sensation nette
+ Qu'il est parti ou plutôt qu'il est reparti et qu'il ne reviendra
+ jamais plus,
+ Que d'ailleurs vous étiez parfaitement indigne
+ Qu'il demeurât et vous restez bouche bée et vous avez parfaitement la
+ sensation
+ Que vous seriez parfaitement incapable de le retrouver,
+ C'est-à-dire de le faire revenir,
+ Parce que c'est d'une tout autre qualité d'âme.
+
+
+
+ Et vous le sentez bien, que c'est ainsi, que c'est juste, et que rien
+ n'y reviendra, et que rien n'y fera plus.
+ Et que c'est votre ancienne âme,
+ ô hommes,
+ qui a passé,
+
+
+
+ Hommes malins alors vous ne faites plus le malin.
+ Hommes savants alors vous ne faites plus le savant.
+ Hommes qui avez été à l'école alors vous ne savez plus rien
+ Et vous n'avez plus qu'à courber le front
+ (C'est d'ailleurs ce que vous faites, il faut vous rendre cette
+ justice)
+ Quand un mot d'enfant passe dans le cercle de famille,
+ Quand un mot d'enfant
+ Tombe
+ Dans le fatras quotidien,
+ Dans le bruit quotidien,
+ (Dans le soudain silence)
+ Dans le recueillement soudain
+ De la table de famille.
+ O hommes et femmes assis à cette table soudain courbant le front vous
+ écoutez passer
+ Votre ancienne âme.
+
+
+
+ Quand un mot d'enfant tombe
+ Comme une source, comme un rire,
+ Comme une larme dans un lac.
+
+
+
+ O hommes et femmes assis à cette table soudain courbant le front,
+ l'oeil fixe, et les doigts immobiles et arrêtés et légèrement
+ tremblants sur le morceau de pain,
+ Les doigts agités d'un léger tremblement, la respiration arrêtée,
+ Vous écoutez passer
+ Votre ancienne âme.
+
+
+
+ Une voix est venue,
+ Hommes à table,
+ Comme d'une autre création même.
+
+
+
+ Une voix est montée,
+ Hommes à table,
+ Une voix est venue,
+ C'est d'un monde où vous étiez.
+
+
+
+ Une source a jailli,
+ Hommes à table,
+ C'est la source de votre première âme.
+ Vous aussi vous avez ainsi parlé.
+
+
+
+ Vous étiez d'autres hommes, hommes à table.
+ Vous étiez d'autres êtres, hommes à table.
+ Vous étiez des enfants comme eux.
+
+
+
+ Vous faisiez des mots d'enfants, hommes à table.
+ Allez donc à présent faire des mots d'enfants.
+
+
+
+ Un mot est passé, un mot est monté, un mot est venu, hommes à table.
+ Un mot est tombé dans le silence de votre table.
+ Et soudain vous avez reconnu.
+ Et soudain vous avez salué.
+ Votre ancienne âme.
+
+
+
+ Un mot a jailli étourdi.
+ Un mot a volé étourneau.
+ _Hastis musars._
+ Et frémissants vous avez senti passer
+ Toute la jeunesse
+ Du vieux
+ Dieu.
+
+
+
+ Ils sont le lait et le miel, dit Dieu, une innocence dont on n'a pas
+ idée. (Et les hommes sont le pain et le vin).
+ Lavés de l'eau ils sont comme une autre chair, n'étant pas seulement
+ d'une autre âme.
+ D'une autre qualité d'âme.
+ Lavés de l'eau ils sont une autre nourriture, une chair plus tendre,
+ ils sont le lait même et le miel.
+
+
+
+ Et l'homme, Hommes à la sainte Table, Hommes à la Table éternelle,
+ L'Homme est le Pain et le Vin
+ L'Homme est une nourriture plus forte, une nourriture virile.
+ Mais l'enfant est une blanche nourriture, une pure nourriture, une
+ nourriture plus tendre.
+ Et le Pain et le Vin sont des Nourritures adultes, de dures
+ Nourritures d'homme.
+ Et ce Vin venait de cette Grappe. Mais ce lait et ce miel venaient
+ des ruisseaux mêmes.
+ _Et étant allés jusqu'au Torrent-de-la-Grappe de raisin, ils
+ coupèrent une branche de vigne avec sa grappe, que deux hommes
+ portèrent sur un levier. Ils prirent aussi des grenades et des
+ figues de ce lieu-là,_
+
+ _qui fut appelé depuis Nehel-escol, le Torrent-de-la-Grappe, parce
+ que les enfants d'Israël emportèrent de là cette grappe de raisin._
+
+
+
+ _Ils leur dirent: Nous avons été dans le pays où vous nous avez
+ envoyés, et où coulent véritablement des ruisseaux de lait et de
+ miel, comme on le peut connaître par ces fruits._
+
+ _Mais elle a des habitants très forts, et de grandes villes fermées
+ de murailles. Nous y avons vu la race d'Enac._
+
+
+
+ _Sinite parvulos venire ad me.
+ Talium est enim regnum coelorum_ c'est le mot de mon fils.
+ Mais ce n'est pas seulement le mot de mon fils. C'est mon mot.
+ Quel engagement, l'Église, ma fille l'Église me le fait reprendre
+ Et me le fait dire (or je ne démentirai jamais une liturgie.
+ Une prière, une oraison de ma fille l'Église).
+ Par l'Église, par le ministère du prêtre j'ai repris l'engagement,
+ j'ai repris le mot de mon fils:
+ _Laissez venir à moi les tout petits.
+ Des tels est en effet le royaume des cieux._
+ Ainsi ma liturgie romaine se noue à ma prédication centrale et
+ cardinale
+ Et à ma prophétie judéenne.
+ Et la chaîne est juive et romaine en passant par un gond, par une
+ articulation.
+ Par une origine centrale.
+ Tout est annoncé par ma prophétie juive.
+ Tout au centre, tout au coeur est réalisé, tout est consommé par mon
+ fils.
+ Tout est consommé, tout est célébré par ma liturgie romaine.
+
+ Le prophète juif prédit.
+ Mon fils dit.
+ Et moi je redis.
+
+ Et on me fait redire.
+
+
+
+ Et il y a un rappel, un écho, un report et comme un retour, qui est
+ saint Louis.
+ Je veux dire: Il y a un rappel, un écho, un report et comme un retour
+ qui sont les saints.
+
+
+
+ Il y a un reflet.
+
+
+
+ Il y a une lumière avant, une lumière pendant, une lumière, un reflet
+ après.
+
+
+
+ On a été trois fois en Égypte, dit Dieu. Et une fois c'est Joseph.
+ Et une fois c'est Jésus.
+ Et une fois c'est saint Louis.
+
+
+
+ On a été trois fois en Égypte et c'est une terre singulière.
+
+
+
+ Et une fois c'était Joseph conduisant Jacob c'est-à-dire Israël.
+ Et une fois ce fut le Joseph conduisant Jésus.
+ Et une fois ce fut saint Louis conduisant Joinville
+ Et le menu peuple de France et les autres barons français.
+
+
+
+ Singulière Égypte, dit Dieu, singulière destinée de cette Égypte
+ temporelle.
+ Haute et triple destinée. On y fit trois voyages.
+ Une fuite. Une fuite. Une croisade.
+ Une entrée. Une retraite. Une croisade.
+ Un enfant vendu. Un enfant en fuite. Un roi en croisade.
+ Un ministre du roi. Un roi sur son âne. Un roi en prison.
+ O théâtre d'Égypte, on y a joué trois fois.
+
+
+
+ Une fois avant. Une fois pendant. Une fois après.
+
+
+
+ Longue destinée temporelle, dit Dieu, patience temporelle, en vérité
+ cette terre a été fort honorée.
+ Les pas ont marché dans les pas, dit Dieu, le talon juste dans le
+ talon et les pieds ont retrouvé leur propre trace.
+ C'est un pays de désert, dit Dieu, du moins on le dit.
+ Ou plutôt c'est une grasse vallée longue toute bordée, toute entourée
+ de déserts et l'on n'y accède point autrement que par le désert et
+ le sable.
+ Mais sur ce sable les traces ne se sont point effacées et les pieds
+ ont retrouvé la trace des pieds.
+ Les pieds nouveaux sont retombés juste dans les pieds antiques.
+ O terre antique, de loin en loin par le désert, par la mer le
+ voyageur est venu.
+ Des siècles passaient, ô terre antique, des siècles d'intervalle, et
+ tout paraissait oublié.
+ Mais après des siècles d'intervalle par le désert, par la mer ton roi
+ revenait, ô terre antique, ton roi voyageur.
+ Et les pieds n'hésitaient point pour se poser dans la trace des pieds.
+ Ton roi est venu trois fois, ô terre antique, ô terre destinée.
+
+ La première fois c'était un petit garçon vendu esclave
+ A des marchands
+ Et tu en fis le ministre de ton roi.
+
+ La deuxième fois c'était un petit garçon qu'on faisait fuir à dos
+ d'âne.
+ Et un jour tu le renvoyas pour devenir le Roi des rois.
+
+ _Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait._ Et la
+ troisième fois c'était
+ le roi de France,
+ Récemment débarqué de ses royales
+ Galères.
+
+
+
+ Des siècles et des siècles passaient, ô terre d'Égypte, des siècles
+ d'intervalle,
+ Et tout paraissait oublié.
+ Mais toujours ton roi est revenu
+ Au rendez-vous.
+
+
+
+ Terre antique, au coeur fertile, au front couronné de sables,
+ Nul sable jamais n'a effacé,
+ Terre antique nul sable n'effacera
+ La trace de ces pas.
+
+
+
+ Terre antique entourée, terre antique cernée d'un infranchissable
+ Sable, désert aux plis infranchissables tu as été franchi trois fois.
+ Terre antique trois fois ton roi
+ A trouvé le chemin de ton coeur.
+
+
+
+ Terre antique entre toutes, antique sur toutes tu t'endors dans un
+ long sommeil mais tu as été réveillée trois fois.
+
+
+
+ Et une fois c'était un petit juif.
+ Et une fois c'était un petit juif.
+ Et une fois c'était un baron français.
+
+
+
+ Et la première fois c'était le Prophète.
+ Et la troisième fois c'était le Saint.
+ Mais la deuxième fois qui était-ce, sinon à la fois le Prophète et le
+ Saint.
+
+
+
+ O terre antique, terre d'Égypte tu parais dormir, mais tu as été
+ honorée trois fois.
+
+
+
+ Et la première fois c'était sous l'ancienne loi,
+ Presque au commencement de l'ancienne loi.
+
+ Et la deuxième fois; et la troisième fois c'était sous la loi
+ nouvelle,
+ Dans la floraison de la loi nouvelle.
+
+ Mais la deuxième fois qu'est-ce que c'était,
+ Sinon sous cet achèvement, sous ce couronnement de l'ancienne loi
+ Que fut cette naissance et cette enfance et ce commencement de la loi
+ nouvelle.
+
+
+
+ O terre antique, terre d'Égypte tu parais dormir, mais tu as été
+ visitée trois fois.
+
+
+
+ Et la première fois c'était le Juste.
+ Et la troisième fois c'était le Saint.
+ Mais la deuxième fois qui était-ce, sinon à la fois le Juste et le
+ Saint.
+
+
+
+ O terre antique, terre d'Égypte, terre à la longue mémoire tu parais
+ dormir mais tu as été foulée trois fois.
+
+
+
+ Et la première fois c'était le roi des Juifs.
+ Et la troisième fois c'était le roi de Chrétienté.
+ Mais la deuxième fois, qui était-ce, _rex Judaeorum_, sinon à la fois
+ le roi des Juifs
+ Et le roi de Chrétienté.
+
+
+
+ Terre antique, terre d'Égypte tu parais endormie, mais ton sommeil a
+ été troublé trois fois
+ Par les pas qui venaient.
+
+
+
+ Terre tu as été bénie trois fois et toi désert stérile tu as été
+ arrosé trois fois.
+ _Rorate, coeli, desuper. Et nubes pluant justum.
+ Cieux, faites votre rosée, d'en haut. Et que les nuages pleuvent le
+ Juste._
+
+
+
+ _Cieux, faites descendre votre rosée._ O terre d'Égypte, dit Dieu,
+ singulière terre,
+ Tu as fourni une singulière histoire,
+ Tu as fourni une singulière destinée.
+ Tu as été grandement honorée temporellement,
+ Terre endormie trois fois réveillée,
+ Terre ignorée trois fois visitée,
+ Terre oubliée trois fois remémorée
+
+
+
+ Ainsi, dit Dieu, tout se joue trois fois. Le prophète parle avant.
+ Mon fils parle pendant.
+ Le saint parle après.
+
+ Et moi je parle toujours.
+
+
+
+ Et c'est là que l'on voit que mon fils est le centre et le coeur et
+ la voûte et la clef
+ Et la nef et le croisement de l'axe,
+ Et le point de l'articulation.
+ Et le gond qui fait tourner la porte.
+ Le prince des prophètes et le prince des saints.
+
+
+
+ Le prophète, le juste vient devant.
+ Mon fils vient pendant.
+ Le saint vient après.
+
+ Et moi je viens toujours.
+
+ Et l'Église, qui est la communion des saints et la communion des
+ fidèles vient aussi après, vient aussi toujours.
+
+
+
+ Or je ne laisserai pas manquer mon Église, dit Dieu, je ne la
+ laisserai pas errer, je ne la laisserai pas faillir.
+ Terre antique d'Égypte qui dors faussement, dit Dieu, qui réellement
+ veilles,
+ Je m'engage autant dans les commandements de l'Église que dans mes
+ propres
+ Commandements.
+ Je m'engage autant dans les enseignements de l'Église que dans mes
+ propres
+ Enseignements.
+ Je m'engage autant dans une liturgie que je me suis engagé avec Moïse
+ Et que mon fils avec eux s'est engagé sur la montagne.
+ Or cela, ce que mon fils a dit une fois, _sinite parvulos venire ad
+ me,--laissez les petits venir à moi,_--je le redis, on me le fait
+ redire toutes les fois (quel engagement).
+ Et mon fils l'avait dit de quelques enfants qui jouaient, et qui,
+ aussitôt bénis, le quittèrent pour retourner jouer.
+ Mais moi je le dis, on me le fait dire à chaque enfant qui ne
+ retournera plus jouer,
+ Sinon dans mon paradis.
+
+
+
+ Or cela (quel engagement) je le redis à cet office des morts, à qui
+ tout vient aboutir.
+ Auquel tout s'achemine. _Office des morts pour l'enterrement d'un
+ enfant._ Le Célébrant se revêt d'un surplis et d'une étole blanche.
+ Et comme le jour du baptême il est allé chercher l'enfant jusqu'au
+ seuil de l'église,
+ Qui est le seuil de ma maison,
+ Et ainsi le seuil de la Maison de son Père,
+ Ainsi le jour de cet enterrement il va chercher l'enfant dans la
+ paroisse jusqu'à la Maison de son père.
+ Jusqu'au seuil de la maison de son père.
+ Et la Croix même marche portée au-devant de cet enfant qui est mort
+ dans la paroisse.
+ Et quand le cortège revient vers l'église
+ La croix marche portée devant.
+ La croix et le prêtre et le répondant et les enfants de choeur
+ marchent en avant.
+ Et par la grande rue du village tout le village.
+ Toute la paroisse suit derrière.
+ Les hommes et les femmes et les enfants.
+ Et les femmes pleurent. Et tout est blanc.
+ Et le célébrant chante
+ le vieux psaume du roi David,
+ _Beati immaculati in via.
+ Heureux les sans tache dans la voie._
+
+
+
+ _Heureux les immaculés dans la voie.
+ Beati immaculati in via._
+ Sera-t-il dit, dit Dieu, que de tant de saints et de tant de martyrs.
+ Les seuls qui seront réellement blancs.
+ Réellement purs.
+ Les seuls qui seront réellement sans tache ce seront
+ Ces malheureux enfants que les soldats d'Hérode
+ Massacrèrent au bras de leur mère.
+ O saints Innocents serez-vous donc les seuls.
+ Saints Innocents serez-vous donc les purs.
+ Saints Innocents serez-vous donc les blancs et les sans tache.
+ _Beati immaculati in via.
+ Bienheureux les innocents, les sans tache dans la voie.
+ Ego sum via, veritas et vita.
+ Je suis la voie, la vérité et la vie._
+ O saints innocents sera-t-il dit que vous serez et que vous êtes
+ Les seuls innocents.
+ Et que François même mon serviteur auprès de vous n'est point pauvre.
+ Et que mon serviteur saint Louis des Français
+ Auprès de vous n'est point innocent.
+ Sera-t-il dit qu'il y a dans la vie, et dans l'existence de cette
+ terre, une telle amertume, une telle lassitude.
+ Une telle ingratitude.
+ Une telle flétrissure.
+ Un tel voilement.
+ Un tel irrévocable vieillissement de l'âme et du corps.
+ Une telle marque, de telles rides ineffaçables.
+ Un tel hébétement qui ne sera plus aiguisé.
+ Une telle fièvre qui ne sera plus rafraîchie.
+ Une telle pente qui ne sera point remontée.
+ Un tel pli de mémoire, d'impuissance d'oublier.
+ Un tel principe, un tel pli de blessure au coin des lèvres
+ Que les plus grandes saintetés du monde n'effaceront jamais ce pli.
+ Et que les plus grandes saintetés du monde ne vaudront jamais
+ Les lèvres sans pli, les âmes sans mémoire,
+ les corps sans blessure
+ De ces grands saints et de ces grands martyrs qui ne quittèrent le
+ sein de leur mère
+ Que pour entrer dans le royaume des cieux.
+ Et qui ne connurent rien de la vie et qui ne reçurent de la vie
+ aucune blessure
+ Que cette blessure qui les fit entrer dans le royaume des cieux.
+ Les seuls des chrétiens assurément qui sur terre n'aient jamais
+ entendu parler d'Hérode.
+ Et à qui le nom d'Hérode sur terre n'ait jamais rien dit.
+ Sera-t-il dit que les plus grandes saintetés du monde
+ Des vies entières de sainteté
+ N'auront pas déplié, n'auront pas déridé les âmes.
+ Et que le chevalet même n'aura point acquis aux martyrs
+ Une certaine blancheur, une certaine premièreté,
+ Une certaine entièreté
+ De la toute première
+ Innocente enfance.
+ Et que ce qui est regagné, défendu pied à pied, repris, gagné,
+ N'est point le même que ce qui n'a jamais été perdu.
+ Et qu'un papier blanchi n'est point un papier blanc.
+ Et qu'un tissu blanchi n'est point une blanche toile.
+ Et qu'une âme blanchie n'est point une âme blanche.
+ Et que les plus près de moi ce seront ces blancs enfants laiteux
+ Qui n'ont jamais rien su de la vie et rien fait de l'existence
+ Que de recevoir un bon coup de sabre,
+ Je veux dire placé au bon moment.
+
+
+
+ _En ce temps-là, l'Ange du Seigneur apparut en songe à Joseph,
+ disant: Lève-toi, et prends ton enfant, et sa mère, et fuis en
+ Égypte, et restes-y jusqu'à ce que je te le dise. Car il arrivera
+ qu'Hérode cherchera l'enfant pour le perdre. Lequel se levant, prit
+ l'enfant, et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte: et il y
+ resta jusqu'à la mort d'Hérode: afin que fût accompli ce qui fut
+ dit par le Seigneur parlant par son Prophète: D'Égypte j'ai appelé
+ mon fils. Alors Hérode, voyant qu'il avait été trompé par les Mages
+ entra dans une grande colère, et envoya tuer tous les enfants, qui
+ étaient à Béthlehem, et dans toute sa contrée, depuis deux ans et
+ au-dessous, selon, le temps qu'il s'était informé des Mages. Alors
+ fut accompli ce qui fut dit par le Prophète Jérémie disant: Vox in
+ Rama audita est, ploratus et ululatus multus: Rachel plorans filios
+ suos, et noluit consolari, quia non sunt._
+
+
+
+ _Une voix fut entendue dans Rama, un pleurement et un grand
+ hululement: Rachel pleurant ses fils, et elle ne voulut pas être
+ consolée,--quia non sunt,--parce qu'ils ne sont pas._
+
+
+
+ _J'ai vu_, dit Jean,
+
+ _En ces jours-là: J'ai vu sur la montagne de Sion l'Agneau debout, et
+ avec lui cent quarante-quatre mille qui avaient son nom, et le nom
+ de son Père écrit sur le front. Et j'entendis une voix du ciel,
+ comme une voix de beaucoup d'eaux, et comme la voix d'un grand
+ tonnerre: et une voix, que j'entendis, comme de citharaèdes
+ citharizant sur leurs cithares._
+
+ _Et ils chantaient_
+
+ _quasi canticum novum,_
+
+ _comme un cantique nouveau devant le siège,_
+
+ _et devant les quatre animaux, et les vieillards:_
+
+
+
+ _et nemo poterat dicere canticum,_
+
+
+
+ _et personne ne pouvait dire ce cantique,_
+
+
+
+ _nisi illa centum quadraginta quatuor millia,_
+
+
+
+ _sinon ces cent quarante-quatre mille,_
+
+
+
+ _qui empti sunt de terra._
+
+ _qui furent enlevés,_
+
+ _qui ont été enlevés de la terre._
+
+
+
+ Tu entends bien, mon enfant, _qui empti sunt de terra, qui ont été
+ enlevés de la terre_. Tout le monde est enlevé de la terre, à son
+ jour, à son heure.
+ Mais tout le monde est enlevé de la terre trop tard, quand déjà la
+ terre a pris sur lui.
+ Tout le monde est enlevé de la terre quand il est déjà terreux.
+ Quand sa mémoire est terreuse et quand son âme est terreuse.
+ Quand la terre s'est collée à lui et quand elle a laissé sur lui
+ Une ineffaçable marque.
+ Mais eux, eux seuls, _empti sunt de terra_, littéralement _ils furent
+ enlevés de la terre_
+ Avant qu'ils fussent aucunement entrés en terre.
+ Avant que cette terre leur eût donné, leur ait laissé
+ La moindre marque terreuse.
+ _Empti sunt de terra_. La terre ne les prit point, ne les eut point.
+ La terre n'eut point commandement sur eux.
+ Ne les nourrit point. N'imprima point sur eux cette empreinte.
+ Cette marque indélébile.
+ _Ils furent enlevés de la terre_, c'est-à-dire de cette ingratitude
+ terreuse,
+ Et de cette amertume terrienne et de ce vieillissement terrien.
+ _Ils furent enlevés de la terre_, non pas y ayant été, comme nous,
+ comme tout le monde.
+ Mais _ils furent enlevés de la terre_, c'est-à-dire d'y être même.
+ D'y être et éternellement d'y avoir été.
+ Sera-t-il dit, dit Dieu, que toutes les grandeurs de la terre et le
+ sang même des martyrs
+ Ne vaudront pas de n'avoir pas été de la terre.
+ De n'avoir pas ce goût terreux.
+ D'avoir été _enlevé_ au commencement,
+ A l'origine, au point d'origine de cette vie terrestre.
+ De n'avoir pas ce pli et ce goût d'une ingratitude.
+ D'une amertume.
+ Terreuse.
+
+
+ _Beati ac sancti._ Heureux et saints ces saints
+ Innocents. _Ceux-ci_, dit Jean,
+
+ _Ceux-ci suivent l'Agneau partout où il ira._
+
+ _Hi sequuntur Agnum quocumque ierit._
+
+ _Hi empti sunt._ Encore. _Empti sunt. Furent enlevés_
+
+ _Hi empti sunt ex hominibus._
+
+ _Ceux-ci furent enlevés des hommes,
+ (D'entre les hommes, de parmi les hommes),_
+
+ _primitiae Deo, et Agno:_
+
+ _prémices à Dieu, et à l'Agneau:_
+
+ _et in ore eorum non est inventum mendacium:_
+
+ _et dans leur bouche,
+ et sur leur lèvre ne fut point trouvé le mensonge:_
+
+ (Le mensonge d'homme, le mensonge adulte, le mensonge terrestre.
+ Le mensonge terrien.
+ Le mensonge terreux).
+
+ _sine macula enim sunt ante thronum Dei._
+
+ _sans tache ils sont en effet devant le trône de Dieu._
+
+
+
+ Tel est, dit Dieu, ce secret de tendresse et de grâce
+ Qui est dans l'enfance même, au point d'origine de l'enfant.
+ Telle est cette innocence, cette blancheur, cet incommencement.
+ Tel est ce secret, cette faveur de ma grâce,
+ (Cette justice injustifiable),
+ Qu'il y a ceux qui ont trempé dans la terre et ceux qui n'ont pas
+ trempé dans la terre.
+ Ceux qui sont marqués, tachés, éclaboussés de la terre et ceux qui ne
+ sont pas éclaboussés de la terre.
+ Et qu'il n'y en a que pour ceux qui n'ont pas trempé dans la terre et
+ qui ne sont pas éclaboussés de la terre.
+ Ce sont eux, dit l'Apôtre, qui sur le mont de Sion entourent l'Agneau
+ debout.
+ Ils sont cent quarante-quatre mille et ce sont eux qui ont
+ Mon nom et le nom de mon Fils écrit sur le front.
+ Et l'apôtre entendit une voix du ciel
+ Comme une voix de beaucoup d'eaux.
+ Et comme la voix d'un grand tonnerre.
+ Et comme la voix de joueurs de cithare jouant de la cithare sur leur
+ cithare.
+ Et attention ils ne chantaient pas seulement un cantique.
+ Mais ils chantaient comme un cantique _nouveau_ devant le siège.
+ Et devant les quatre animaux, et les vieillards:
+ C'est un cantique _nouveau_ pour marquer
+ Cette éternelle nouveauté qu'il y a dans l'enfance.
+ Et qui est le grand secret de ma grâce.
+ Cette renaissante, cette perpétuellement renaissante, cette
+ éternellement renaissante nouveauté.
+ Et ce cantique nouveau vient de cette nouveauté même. Il en sort. Il
+ en naît.
+ Or tel est leur privilège. Et il n'y en a point de plus grand:
+ _Personne_, (c'est-à-dire les plus grands saints et les martyrs mêmes,
+ Des siècles et des vies d'épreuves et de sainteté,
+ D'exercices, de prières,
+ De travail,
+ De sang, de larmes;
+
+ _Nemo, personne_, c'est-à-dire pas même François mon serviteur et pas
+ même saint Louis mon serviteur;
+
+ _Nemo, personne_, c'est-à-dire pas même les quatre témoins, les
+ quatre rapporteurs;
+ Matthieu, et Marc, et Luc, et Jean; et le jeune homme, et le lion, et
+ le taureau, et l'aigle;
+
+ _Nemo, personne_, c'est-à-dire pas même Pierre le Fondateur;
+
+ Et pas même ceux qui trouvèrent la mort combattant pour la délivrance
+ du Saint-Sépulcre;
+
+ _Nemo poterat dicere canticum_, personne ne pouvait dire ce cantique.
+ (Tel est leur exorbitant privilège et la grande faveur injuste
+ De ma grâce éternellement juste).
+
+ _nisi illa centum quadraginta quatuor millia, qui empti sunt de
+ terra._
+
+ _si ce n'est ces cent quarante-quatre mille, qui furent enlevés de la
+ terre._
+
+
+
+ _Christianus sum, je suis chrétien_, ce cri du témoignage,
+ Proféré dans les supplices les plus affreux,
+ Crié à la face du ciel,
+ Crié doucement à la face des bourreaux,
+ Ce cri du témoignage, de ce témoignage que nous nommons le martyre,
+ Proféré sur un tel théâtre et dans une telle, dans une si dure
+ condition,
+ Aux plus grands martyrs n'a point ouvert ce singulier, cet éminent
+ privilège.
+ Ce privilège exorbitant, cet unique privilège.
+ Injuste. Juste. Purement gracieux.
+ Proprement gracieux. Et voici.
+ Voici que ces cent quarante-quatre mille innocents.
+ Voici que ces cent quarante-quatre mille enfants
+ N'ont eu qu'à naître, et rien de plus. Tels sont les mystères, tels
+ sont les secrets.
+ Tels sont les jeux, telles sont les inégalités de ma grâce.
+ Et le secret apparentement, la secrète accointance
+ De ma grâce avec la tendresse et le lait. Tant d'autres.
+ Tant d'autres ont témoigné sous la serre et le bec
+ Et sous l'onglet
+ Sous la dent des lions et sous la lanière et sous la tenaille ardente
+ (Car il y en a eu de toutes sortes)
+ Et sous les huées des nations et sous la ruée du peuple et sous la
+ clameur du peuple.
+ Et sous l'interrogatoire du préteur.
+
+
+
+ Et à tous ces témoins et à tous ces martyrs. Tant d'autres.
+
+
+
+ Tant d'autres sont morts sur des routes perdues dans des plaines
+ perdues marchant à la délivrance du Saint-Sépulcre.
+ Les reins brisés, gisant par terre, crevant de fatigue.
+ Crevant de faim, crevant de soif, crevant de sable.
+ Les côtes rompues, couchés par terre, à dix-huit cents lieues de leur
+ château.
+ Mourant de leurs blessures. Vidés de leur sang comme des outres
+ percées.
+ (De leur sang qui coulait sur le sable, et que le sable buvait, et
+ qui se perdait dans le sable,
+ Pour jusqu'à la résurrection des corps). Tant d'autres.
+ Tant d'autres sont partis, tant d'autres sont morts.
+ Crevés de bataille, crevés de misère, crevés de lèpre.
+ Et à tant d'autres.
+
+
+
+ (Et ils étaient partis pour la délivrance du Saint-Sépulcre. Et ils
+ ne trouvèrent
+ Que le royaume de Dieu et la vie éternelle).
+
+
+
+ A tant d'autres. A tous ces autres témoins, à tous ces autres martyrs
+ il ne fut pas donné.
+ Éternellement il n'est pas donné de chanter ce cantique _nouveau_.
+ Tel est mon ordre, tel est le secret de ma hiérarchie.
+ Une vie entière d'exercice et de prière.
+ Une vie d'épreuve, une vie d'humilité n'y suffit pas.
+ Une vie de mérite, une vie de vertu n'y sert de rien.
+ Une vie de sang, une vie de larmes, une vie même de grâce n'y est
+ pour rien.
+ Car ce qu'il y faut précisément c'est une vie qui ne soit pas entière.
+ Qui soit même exactement tout le contraire d'être entière.
+ Qui soit le moins vécue, qui soit à peine commencée.
+ Qui soit le moins commencée possible. _Et nemo poterat dicere
+ canticum._ Or ces cent quarante-quatre mille
+ Qui seuls pouvaient chanter ce cantique nouveau, qu'est-ce qu'ils
+ avaient fait?
+ Admirez ici l'ordre de ma grâce. Ils avaient fait ceci
+ Qu'ils étaient venus au monde. Un point, c'est tout. Ou si vous
+ préférez,
+ Ils avaient fait ceci qu'ils étaient des petits nouveau-nés.
+ C'étaient des espèces de petits nourrissons juifs. Des garçons et des
+ filles.
+ Leurs mères disaient comme dans tous les pays du monde: _C'est le
+ mien qui est le plus beau._
+ Eux, ça leur était bien égal, d'être beaux. Pourvu qu'ils dorment et
+ qu'ils tettent.
+ Quand ils avaient sommeil,
+ Quand ils avaient envie de dormir ils dormaient;
+ Quand ils avaient faim et soif (ensemble)
+ Quand ils avaient envie de téter, ils tétaient;
+ Quand ils avaient envie de crier ils criaient:
+ C'étaient leurs plus grandes occupations. C'est ainsi qu'ils
+ trouvèrent
+ Non seulement le royaume de Dieu et la vie éternelle.
+ Mais seuls d'y porter écrit sur le front mon nom et le nom de mon
+ Fils.
+ Et seuls d'y chanter ce cantique nouveau.
+
+
+
+ _Qui empti sunt de terra._ Tant d'autres sont morts au nom de mon
+ Fils.
+ _In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti._
+ Tant d'autres sont morts pour sauver l'honneur
+ Du Nom de mon fils. Et eux.
+ Qui seuls portent ce nom écrit sur le front
+ Et seuls peuvent chanter ce cantique nouveau,
+ Ils sont les seuls aussi assurément qui sur terre
+ Aient jamais ignoré totalement le nom de mon fils. Tel est mon décret.
+ Ce nom pour lequel ils sont morts, ils ne le connaissaient pas.
+ Ils ne l'ont jamais connu sur terre. Voilà ce que j'aime, dit Dieu.
+ A présent ils le connaissent peut-être. Éternellement on peut le lire
+ écrit
+ Sur cent quarante-quatre mille fronts. Sur nul autre.
+ Sur pas un de plus. Mais vivant, mais sur terre
+ On peut dire qu'ils n'ont jamais su de quoi on parlait
+ Ni même que l'on parlait et que l'on pouvait parler
+ (De quelque chose). Voilà ce qui me plaît, dit Dieu.
+ Or ils pleuraient, et ils riaient, et ils tétaient, et ils criaient,
+ et ils dormaient.
+ C'était leur grande, c'était leur plus sérieuse occupation.
+ Et un jour vint.
+ Que.
+ Un jour (ils ne connaissaient pas plus le nom d'Hérode que le nom de
+ Jésus)
+ (et ils ne connaissaient pas plus le nom de Jésus que le nom
+ d'Hérode. J'ose dire
+ Que ces deux noms leur étaient également indifférents). Or ces deux
+ hommes,
+ Jésus, Hérode, Hérode, Jésus,
+ Antagonistes allaient tout simplement leur procurer
+ La gloire de mon paradis.
+ Le royaume des cieux et la gloire éternelle. Un jour vint
+ Qu'une horde de brutes soldats, qui faisaient leur métier,
+ (Mais qui le dépassaient peut-être un peu)
+ Une ruée de brutes passa, des espèces de gendarmes, des ogres comme
+ dans les contes de fées, des Croquemitaines pour les enfants.
+ Portant des sabres qui étaient comme des grands coutelas.
+ Et c'étaient les soldats d'Hérode.
+ Une ruée, un tumulte. Un fracas, des bras retroussés. Une clameur.
+ Des cris. Des dents. Des regards luisants.
+ Des femmes qui fuyaient, des femmes qui mordaient
+ Comme elles mordent toujours quand elles ne sont pas les plus fortes.
+ Et il n'y eut plus dans le sang et dans le lait
+ Qu'une grande jonchée de corps morts
+ Un cimetière de poupons et de jeunes femmes juives.
+ Vous savez, dit Dieu, ce que nous en avons fait.
+ Ces yeux qui s'étaient à peine ouverts à la lumière du soleil charnel.
+ Pour éternellement furent clos à la lumière du soleil charnel
+ Ces yeux qui s'étaient à peine ouverts à la lumière du soleil
+ terrestre
+ Pour éternellement furent clos à la lumière du soleil terrestre.
+ Ces yeux qui s'étaient à peine ouverts à la lumière du soleil temporel
+ Pour éternellement furent clos à la lumière du soleil temporel.
+ Ces regards qui étaient à peine montés vers le jour et vers le soleil
+ du temps
+ Pour éternellement furent clos à ces passagères,
+ A ces périssables lumières.
+ Ces voix, ces lèvres qui n'avaient jamais chanté les louanges de Dieu
+ sur terre,
+ Qui ne s'étaient jamais ouvertes que pour demander à téter. (Mais il
+ me plaît ainsi, dit Dieu).
+ Sont ainsi les seules, sont aujourd'hui les seules,
+ Sont aussi les seules qui puissent chanter ce cantique nouveau.
+ _Qui empti sunt de terra._ Vous voyez ce que nous en avons fait, dit
+ Dieu.
+ _Aux Innocents les mains pleines._ C'est le cas de le dire. Ces
+ Innocents avaient simplement ramassé dans la bagarre
+ Le royaume de Dieu et la vie éternelle. Qu'importe aujourd'hui
+ Leurs membres blancs rompus dans tous les bourgs de Judée.
+ Et leurs petits bras potelés coupés comme par des hommes qui émondent.
+ Et leurs petits doigts crispés qui se refermaient sur la paume de la
+ main.
+ Et les cris renfoncés dans la gorge, les mains criminelles les
+ renfonçant, s'enfonçant dans la gorge comme un bouchon. Comme un
+ tampon.
+ Et le jeune sang jaillissant du coeur. Qu'importent les membres
+ coupés.
+ Les cuisses blanches comme de la viande de chevreau et comme des
+ cuisses tendres de petits cochons de lait.
+ Et leurs mères qui criaient comme des folles et qui mordaient les
+ soldats au poignet. Comme dans une bataille, après la bataille
+ Les rôdeurs, les voleurs viennent dépouiller les blessés et les morts
+ et les mourants et emporter et dérober tout ce qui compte.
+ Tout ce qui vaut quelque chose, nouveaux rôdeurs, nouveaux voleurs
+ ces innocents
+ Dans cette bataille après cette bataille se sont dépouillés eux-mêmes
+ Et dans le fracas des armes, dans le tumulte et dans les cris.
+ Dans la galopade affolée, dans la poursuite effrénée, dans les femmes
+ par terre ils ont ramassé tout ce qui compte.
+ Ils ont dérobé tout ce qui vaut quelque chose car ils ont fait main
+ basse
+ Comme des détrousseurs de cadavres et ils se sont détroussés
+ eux-mêmes et ce qu'ils ont ramassé dans la bagarre ce n'est pas
+ moins
+ Que le royaume des cieux et la vie éternelle. _Hi empti sunt ex
+ hominibus._ Eux seuls,
+ Qui seuls peut-être sur terre non seulement n'avaient jamais chanté
+ les louanges de Dieu,
+ Mais n'avaient jamais prononcé même mon nom ni le nom de mon fils,
+ Eux seuls aussi ne portent point aux commissures des lèvres
+ l'ineffaçable pli,
+ Ce pli de l'infortune et de l'ingratitude
+ Et d'une amertume qui ne sera jamais rassasiée. Or si nous avons fait
+ d'eux ce que vous voyez, dit Dieu,
+ Il y en a sept raisons que je veux bien vous dire.
+
+
+
+ La première, c'est que je les aime, dit Dieu, et celle-là suffit.
+ Telle est la hiérarchie de ma grâce.
+
+
+
+ La deuxième, c'est qu'ils me plaisent, dit Dieu, et celle-là suffit.
+ Telle est la hiérarchie de ma grâce.
+
+
+
+ La troisième, c'est qu'il me plaît ainsi, dit Dieu, et celle-là
+ suffit.
+ Telle est la hiérarchie, tel est l'ordre, telle est l'ordonnance de
+ ma grâce.
+
+
+
+ Maintenant je vais vous dire, dit Dieu, la quatrième
+ C'est précisément qu'ils n'ont point aux commissures des lèvres
+ Ce pli d'ingratitude et d'amertume, cette blessure de vieillissement,
+ Ce pli d'avertissement, ce pli de mémoire que nous voyons à toutes
+ les lèvres.
+
+
+
+ La cinquième, dit Dieu, c'est que par une sorte d'équivalence,
+ Par une sorte de balancement ces innocents ont payé pour mon fils.
+ Pendant qu'ils gisaient sur le pavé des routes, sur le pavé des
+ villes, sur le pavé des bourgs
+ Dans la poussière et dans la boue, moins considérés que des agneaux
+ et des chevreaux et des cochonneaux.
+ (Car les agneaux et les chevreaux et les cochonneaux
+ Sont très considérés par le boucher et par le consommateur)
+ Abandonnés sur les corps de leurs mères
+ Pendant ce temps-là mon fils fuyait. Il faut le dire.
+ C'est donc, c'est une sorte de quiproquo. Il faut le dire.
+ C'est un malentendu.
+ Voulu, ce qui est grave. Il faut le dire.
+ Ils furent pris pour lui. Ils furent massacrés pour lui. En son lieu.
+ A sa place.
+ Non seulement à cause de lui, mais pour lui, comptant pour lui.
+ Le représentant pour ainsi dire. Étant substitués à lui. Étant comme
+ lui. Presque étant (d'autres) luis.
+ En représentation, en substitution, en remplacement de lui. Or tout
+ cela est grave, dit Dieu, tout cela compte. Ils furent semblables à
+ mon fils et le remplacèrent.
+ Exactement quand il ne s'agissait pas moins
+ Quand il n'y allait pas de moins que de le massacrer,
+ (Prématurément, avant qu'il fût mûr),
+ Quand Hérode voulait le massacrer. Tout cela se paye, dit Dieu.
+ Et puisqu'ils ont été trouvés semblables à mon fils exactement à
+ l'heure de ce massacre.
+ A présent, c'est pour cela qu'à présent ils sont trouvés semblables à
+ l'Agneau dans cette gloire éternelle.
+ Pendant ce temps conduit par un deuxième Joseph
+ Mon fils fuyait vers l'antique Égypte. Ils acquéraient ainsi.
+ Ces gamins, ces moins que gamins se procuraient ainsi
+ Une créance sur nous. Monté sur un âne avec sa mère
+ (Comme trente ans plus tard monté sur l'ânon d'une ânesse
+ Il devait entrer à Jérusalem)
+ Trente ans plus tôt monté sur un âne avec sa mère mon fils
+ Refaisait le voyage de l'antique Jacob. Et ces enfants ramassaient
+ dans la mêlée.
+ Dans leur propre sang ces nourrissons ramassaient
+ Une créance sur moi. Ils avaient bien raison.
+ Heureux ceux qui ont une créance sur nous. Nous sommes très bons
+ débiteurs.
+
+
+
+ La sixième raison, dit Dieu, (je crois que c'est la sixième),
+ (c'est une très bonne affaire que d'être pris pour mon fils et ça
+ rapporte),
+ la sixième raison, c'est qu'ils étaient contemporains de mon fils.
+ Du même âge et nés dans le même temps.
+ Juste à ce point du temps.
+ Nous aussi nous favorisons nos camarades de promotion.
+ Telle est la fortune que nous avons faite au temps.
+ C'est une grande fortune ou une grande infortune pour tout homme.
+ Que de naître ou de ne pas naître à tel moment du temps.
+ C'est une fortune ou une infortune sur laquelle rien ne prévaut.
+ Sur laquelle on ne revient pas, sur laquelle rien ne revient.
+ Et c'est un des plus grands mystères de ma grâce que cette part de
+ fortune,
+ Que cette part irrévocable, indéfaisable
+ Que nous avons laissée aux biens de fortune devant les biens qui ne
+ sont pas de fortune;
+ Au charnel devant et dans le spirituel;
+ Au temporel devant et dans l'éternel, c'est-à-dire
+ A la matière dans la création, et à la créature, et à la création, et
+ à la matière même de la création devant le Créateur.
+
+
+
+ A ce point, dit Dieu, que nous-mêmes nous ne sommes pas indifférents
+ à la date; au temps;
+ A la prise de date et que nous aimons secrètement ces cent
+ quarante-quatre mille
+ parce qu'ils se sont trouvés là et nous les aimons d'un secret amour
+ unique
+ parce qu'ils se sont trouvés naître là, parce qu'ils étaient,
+ parce qu'ils se sont trouvés être
+ Du même âge que mon fils, nés du même temps, de la même race.
+ A la même date.
+ Enfin parce qu'ils faisaient ensemble une promotion.
+ Non plus seulement une promotion de Juifs mais une promotion d'hommes.
+ (Telle était la nouvelle loi)
+ La promotion de Jésus-Christ.
+ Et indéniablement ils étaient
+ (le temps a toujours une certaine force, apporte toujours une
+ certaine preuve d'indéniable)
+ Indéniablement ils étaient
+ Ses camarades de promotion.
+ (Il y a toujours dans le temps, dans la date
+ On ne sait quoi d'irréfutable).
+
+
+
+ La septième raison, dit Dieu, pourquoi la taire. C'est qu'ils étaient
+ semblables à mon fils.
+ Et lui était semblable à eux.
+ (Une génération d'hommes, dit Dieu,
+ une promotion c'est comme une belle longue vague
+ qui s'avance d'un bout à l'autre sur un même front
+ et qui d'un seul coup sur un même front d'un bout à l'autre
+ toute ensemble déferle sur le rivage de la mer.
+ ainsi une génération, une promotion est une vague d'hommes.
+ toute ensemble elle s'avance sur un même front,
+ et toute ensemble sur un même front elle s'écroule comme une muraille
+ d'eau
+ quand elle touche au rivage éternel).
+ Mon fils était tendre comme eux et comme eux il était nouveau.
+ Il était assez inconnu. Comme eux.
+ Cette grande adoration double, qui (sans cela) l'avait déjà mis hors
+ de pair.
+ La grande adoration double des bergers et des mages était déjà un peu
+ oubliée.
+ Il était redevenu assez inconnu. Et les mages s'étaient moqués
+ d'Hérode.
+
+ Il n'avait pas deux ans, il était comme eux.
+ C'était un bel enfant, et sa mère le disait.
+
+ Il ne soupçonnait point encore
+ l'ingratitude de l'homme.
+
+ Il n'avait point encore aux commissures des lèvres
+ le pli de l'amertume et de l'ingratitude.
+
+ Il n'avait point encore aux commissures des paupières
+ sa ride, le pli des larmes et d'en avoir trop vu.
+
+ Il n'avait point encore aux commissures de la mémoire
+ le pli de ne pouvoir point oublier.
+
+
+ Il ignorait encore, comme homme il ignorait les vicissitudes.
+ Il ignorait, comme homme il ignorait ce qui laissera une éternelle
+ trace.
+ la couronne d'épines et le sceptre de roseau.
+ et cette affreuse agonie du Calvaire.
+ et cette agonie encore plus affreuse de la veille au soir
+ au mont des Oliviers.
+ Comme eux il était un vase d'albâtre
+ Que n'avait encore souillé aucune trace,
+ Aucune lie d'aucune écume.
+ Et c'est la sixième raison, dit Dieu, et la septième, ils me
+ rappellent mon fils.
+ Comme il était s'il n'eût point changé depuis, quand il était si
+ beau. Si cette énorme aventure
+ Se fût arrêtée là. Voilà pourquoi je les aime, dit Dieu, entre tous
+ ils sont les _témoins_ de mon fils.
+ Ils me montrent, ils sont comme il était, si seulement
+ Il n'eût point changé. De toutes les imitations de Jésus-Christ
+ C'est la première et c'est la toute neuve; et c'est la seule
+ Qui ne soit à aucun degré
+ Qui ne soit pas même pour un atome
+ Une imitation de quelque flétrissure et de quelque meurtrissure et de
+ quelque blessure de l'âme de Jésus.
+ C'est une ignorance totale de l'avanie et de l'affront.
+ Et de l'injure et de l'offense.
+ Ils ne connaissent que le meurtre, et d'avoir été tués, ce qui ne
+ serait rien.
+ Ils ne furent jamais tournés en dérision.
+ Voilà ce que j'aime en eux, dit Dieu. Voilà en quoi, pourquoi je les
+ aime.
+ Ils sont pour moi des enfants qui ne sont jamais devenus des hommes.
+ Des agneaux qui ne sont jamais devenus des boucs.
+ Ni des brebis. (_Et ceux-ci suivent l'agneau partout où il ira_).
+ Des enfants Jésus qui ne vieillirent jamais. Qui ne grandirent point.
+ Or _le mien profitait
+ en sagesse, et en âge, et en grâce
+ auprès de Dieu et auprès des hommes_.
+
+
+
+ Je les aime innocemment, dit Dieu. Et c'est la septième raison.
+ (C'est ainsi qu'il faut aimer ces innocents)
+ Comme un père de famille aime les camarades de son fils
+ Qui vont à l'école avec lui.
+
+
+
+ Mais eux ils n'ont point bougé depuis ce temps-là.
+
+
+
+ Ils sont les imitations éternelles
+ De ce que Jésus fut pendant un temps très court
+ Car il _profitait_, lui. Il croissait
+ pour cette énorme aventure.
+
+
+
+ Et la septuple raison, dit Dieu, c'est qu'ils sont ainsi comme David
+ les voulait.
+ _Immaculati in via._ Ainsi est l'ordre, dit Dieu.
+ Le prophète prédit.
+ Mon fils dit.
+ Et moi je redis.
+
+
+
+ Ou encore:
+ Le prophète prédit.
+ Mon fils dit.
+ Et moi je confirme et je consacre.
+
+ Et mon Église confirme et célèbre,
+ Et consacre et commémore.
+
+
+
+ Ainsi l'Apôtre les reprend du Prophète et Jean les reprend de David.
+ Et comme David avait voulu qu'ils fussent
+ _Immaculés dans la voie_ ainsi Jean les a vus
+ _Sur la montagne de Sion
+ Autour de l'Agneau debout._ Il n'y en a que pour eux. _Ceux-ci
+ suivent l'Agneau partout où il ira._
+ (Les plus grands saints ne le suivent apparemment pas partout).
+
+ _Ceux-ci ont été enlevés des hommes:
+ (d'entre les hommes, de parmi les hommes, d'être des hommes)_
+ Les plus grands saints ont été des hommes, n'ont point été enlevés
+ d'être des hommes).
+
+ _et dans leur bouche n'a pas été trouvé le mensonge:_
+
+ _ils sont en effet sans tache devant le trône de Dieu._
+
+
+
+ Et l'Apôtre les nomme _primitiae Deo, et Agno_: _prémices à Dieu, et
+ à l'Agneau_. C'est-à-dire premiers fruits de la terre que l'on
+ offre à Dieu et à l'Agneau. Les autres saints sont les fruits
+ ordinaires, les fruits de la saison. Mais eux ils sont les fruits
+ De la promesse même de la saison.
+
+
+
+ Et suivant l'Apôtre l'Église répète: _Innocentes pro Christo
+ infantes occisi sunt_,
+
+ _les Innocents pour le Christ
+ enfants furent massacrés,_
+
+ (_infantes_, tout jeunes enfants, tout petit enfant ne parlant pas
+ encore)
+
+ _ab iniquo rege
+ lactentes interfecti sunt:_
+
+ _par un inique Roi
+ laiteux ils furent assassinés:_
+
+ (_lactentes_, pleins de lait, laiteux, à l'âge du lait, étant encore
+ au régime du lait,
+ nourris de lait)
+
+ _ipsum sequuntur Agnum sine macula
+ ils suivent l'Agneau lui-même sans tache_
+
+ (et le texte est tel, mon enfant, que c'est ensemble l'Agneau qui est
+ sans tache
+ et eux avec lui qui sont sans tache)
+
+
+
+ Mais l'Église va plus loin, l'Église passe outre, l'Église dépasse
+ l'Apôtre.
+
+ L'Église ne dit plus seulement qu'ils sont des prémices à Dieu, et à
+ l'Agneau.
+ L'Église les invoque et les nomme
+
+ _fleurs des Martyrs._
+
+ Entendant littéralement par là que les _autres_ martyrs sont les
+ fruits mais que ceux-ci, parmi les martyrs, sont les fleurs mêmes.
+
+ _SALVETE flores Martyrum,_
+
+ _Salut FLEURS des Martyrs._
+
+ Couchés sur le chevalet, liés au chevalet comme des fruits liés à
+ l'espalier
+ Les autres martyrs, vingt siècles de martyrs
+ Les siècles des siècles de martyrs
+ Sont littéralement les fruits de saison,
+ De chaque saison échelonnés sur l'espalier
+ Et notamment des fruits d'automne
+ Et mon fils même fut cueilli
+ Dans sa trente-troisième saison. Mais eux ces simples innocents,
+ Ils sont avant les fruits mêmes, ils sont la promesse du fruit.
+ _Salvete flores Martyrum_, ces enfants de moins de deux ans sont les
+ fleurs de tous les autres Martyrs.
+ C'est-à-dire les fleurs qui donnent les autres martyrs.
+ Au fin commencement d'avril ils sont la rose fleur du pêcher.
+ Au plein avril, au fin commencement de mai ils sont la blanche fleur
+ du poirier.
+ Au plein mai ils sont la rouge fleur du pommier.
+ Blanche et rouge.
+ Ils sont la fleur même et le bouton de la fleur et le coton du bouton.
+ Ils sont le bourgeon du rameau et le bourgeon de la fleur.
+ Ils sont l'honneur d'avril et la douce espérance.
+ Ils sont l'honneur et des bois et des mois.
+ Ils sont la jeune enfance.
+ Le dimanche de _Reminiscere_ n'est que pour eux, parce qu'ils se
+ rappellent.
+ Le dimanche d'_Oculi_ n'est que pour eux, parce qu'ils voient.
+ Le dimanche de _Laetare_ n'est que pour eux, parce qu'ils se
+ réjouissent.
+ Le dimanche de la Passion n'est que pour eux, parce qu'ils furent la
+ première Passion.
+ Le dimanche des Rameaux n'est que pour eux, parce qu'ils sont le
+ rameau même qui a porté tant de fruits.
+ Et le dimanche du jour de Pâques n'est que pour eux, parce qu'ils
+ sont ressuscités.
+ Ils sont la fleur de l'aubépine qui fleurit pendant la semaine sainte
+ Et la fleur de l'avant-courrière épine noire, qui fleurit cinq
+ semaines plus tôt
+ Ils sont la fleur de toutes ces plantes et de tous ces arbres rosacés.
+ Promesse de tant de martyrs, ils sont les boutons de rose
+ De cette rosée de sang.
+ _Salvete flores Martyrum,
+ Salut fleurs des Martyrs,_
+
+ _quos, lucis ipso in limine,
+ Christi insecutor sustulit,_
+
+ _ceu turbo nascentes rosas._
+
+ _que, sur le seuil même de la lumière,
+ le persécuteur du Christ enleva,
+ (emporta)_
+
+ _ceu turbo nascentes rosas._
+
+ _comme la tempête de naissantes roses._
+ (c'est-à-dire comme la tempête, comme une tempête enlève, emporte de
+ naissantes roses).
+
+
+
+ _Vos prima Christi victima,
+ Grex immolatorum tener,
+ Aram sub ipsam simplices
+ Palma et coronis luditis._
+
+ _Vous première victime du Christ,
+ Troupeau tendre des immolés,
+ Au pied de l'autel même simples,
+ Simplices_, âmes simples, simples enfants,
+ _Palma et coronis luditis. Vous jouez avec la palme et les couronnes.
+ Avec votre palme et vos couronnes._
+
+
+
+ Tel est mon paradis, dit Dieu. Mon paradis est tout ce qu'il y a de
+ plus simple.
+ Rien n'est aussi dépouillé que mon paradis.
+ _Aram sub ipsam_ au pied de l'autel même
+ Ces simples enfants _jouent_ avec leur palme et avec leurs couronnes
+ de martyrs.
+ Voilà ce qui se passe dans mon paradis. A quoi peut-on bien jouer
+ Avec une palme et des couronnes de martyrs.
+ Je pense qu'ils jouent au cerceau, dit Dieu, et peut-être aux grâces
+ (du moins je le pense, car ne croyez point
+ qu'on me demande jamais la permission)
+ Et la palme toujours verte leur sert apparemment de bâtonnet.
+
+
+
+
+_la tapisserie
+
+de sainte Geneviève
+
+et de Jeanne d'Arc_
+
+
+
+
+_cahier pour le jour de Noël
+
+et pour la neuvaine de sainte Geneviève
+
+de la quatorzième série;_
+
+à madame Geneviève Favre
+
+_communis urbis atque antiquae
+
+patronae in fidem aeternam_
+
+
+
+
+PREMIER JOUR
+
+POUR LE VENDREDI 3 JANVIER 1913
+
+FÊTE DE SAINTE GENEVIÈVE
+
+QUATORZE CENT UNIÈME ANNIVERSAIRE
+
+DE SA MORT
+
+I
+
+
+ Comme elle avait gardé les moutons à Nanterre,
+ On la mit à garder un bien autre troupeau,
+ La plus énorme horde où le loup et l'agneau
+ Aient jamais confondu leur commune misère.
+
+ Et comme elle veillait tous les soirs solitaire
+ Dans la cour de la ferme ou sur le bord de l'eau,
+ Du pied du même saule et du même bouleau
+ Elle veille aujourd'hui sur ce monstre de pierre.
+
+ Et quand le soir viendra qui fermera le jour,
+ C'est elle la caduque et l'antique bergère,
+ Qui ramassant Paris et tout son alentour
+
+ Conduira d'un pas ferme et d'une main légère
+ Pour la dernière fois dans la dernière cour
+ Le troupeau le plus vaste à la droite du père.
+
+
+
+
+DEUXIÈME JOUR
+
+POUR LE SAMEDI 4 JANVIER 1913
+
+II
+
+
+ Comme elle avait gardé les moutons à Nanterre
+ Et qu'on était content de son exactitude,
+ On mit sous sa houlette et son inquiétude
+ Le plus mouvant troupeau, mais le plus volontaire.
+
+ Et comme elle veillait devant le presbytère,
+ Dans les soirs et les soirs d'une longue habitude,
+ Elle veille aujourd'hui sur cette ingratitude,
+ Sur cette auberge énorme et sur ce phalanstère.
+
+ Et quand le soir viendra de toute plénitude,
+ C'est elle la savante et l'antique bergère,
+ Qui ramassant Paris dans sa sollicitude
+
+ Conduira d'un pas ferme et d'une main légère
+ Dans la cour de justice et de béatitude
+ Le troupeau le plus sage à la droite du père.
+
+
+
+
+TROISIÈME JOUR
+
+POUR LE DIMANCHE 5 JANVIER 1913
+
+III
+
+
+ Elle avait jusqu'au fond du plus secret hameau
+ La réputation dans toute Seine et Oise
+ Que jamais ni le loup ni le chercheur de noise
+ N'avaient pu lui ravir le plus chétif agneau.
+
+ Tout le monde savait de Limours à Pontoise
+ Et les vieux bateliers contaient au fil de l'eau
+ Qu'assise au pied du saule et du même bouleau
+ Nul n'avait pu jouer cette humble villageoise.
+
+ Sainte qui rameniez tous les soirs au bercail
+ Le troupeau tout entier, diligente bergère,
+ Quand le monde et Paris viendront à fin de bail
+
+ Puissiez-vous d'un pas ferme et d'une main légère
+ Dans la dernière cour par le dernier portail
+ Ramener par la voûte et le double vantail
+
+ Le troupeau tout entier à la droite du père.
+
+
+
+
+QUATRIÈME JOUR
+
+POUR LE LUNDI 6 JANVIER 1913
+
+JOUR DES ROIS
+
+CINQ CENT UNIÈME ANNIVERSAIRE
+
+DE LA NAISSANCE DE JEANNE D'ARC
+
+IV
+
+
+ Comme la vieille aïeule au plus fort de son âge
+ Se réjouit de voir le tendre nourrisson,
+ L'enfant à la mamelle et le dernier besson
+ Recommencer la vie ainsi qu'un héritage;
+
+ Elle en fait par avance un très grand personnage,
+ Le plus hardi faucheur au temps de la moisson,
+ Le plus hardi chanteur au temps de la chanson
+ Qu'on aura jamais vu dans cet humble village:
+
+ Telle la vieille sainte éternellement sage
+ Connut ce qui serait l'honneur de sa maison
+ Quand elle vit venir, habillée en garçon,
+
+ Bien prise en sa cuirasse et droite sur l'arçon,
+ Priant sur le pommeau de son estramaçon,
+ Après neuf cent vingt ans la fille au dur corsage;
+
+ Et qu'elle vit monter de dessus l'horizon,
+ Souple sur le cheval et le caparaçon,
+ La plus grande beauté de tout son parentage.
+
+
+
+
+CINQUIÈME JOUR
+
+POUR LE MARDI 7 JANVIER 1913
+
+V
+
+
+ Comme la vieille aïeule au fin fond de son âge
+ Se plaît à regarder sa plus arrière fille,
+ Naissante à l'autre bout de la longue famille.
+ Recommencer la vie ainsi qu'un héritage;
+
+ Elle en fait par avance un très grand personnage.
+ Fileuse, moissonneuse à la pleine faucille,
+ Le plus preste fuseau, la plus savante aiguille
+ Qu'on aura jamais vu dans ce simple village:
+
+ Telle la vieille sainte éternellement sage,
+ Du bord de la montagne et de la double berge
+ Regardait s'avancer dans tout son équipage,
+
+ Dans un encadrement de cierge et de flamberge,
+ Et le casque remis aux mains du petit page,
+ La fille la plus sainte après la sainte Vierge.
+
+
+
+
+SIXIÈME JOUR
+
+POUR LE MERCREDI 8 JANVIER 1913
+
+VI
+
+
+ Comme Dieu ne fait rien que par miséricordes,
+ Il fallut qu'elle vît le royaume en lambeaux,
+ Et sa filleule ville embrasée aux flambeaux,
+ Et ravagée aux mains des plus sinistres hordes;
+
+ Et les coeurs dévorés des plus basses discordes,
+ Et les morts poursuivis jusque dans les tombeaux,
+ Et cent mille Innocents exposés aux corbeaux,
+ Et les pendus tirant la langue au bout des cordes:
+
+ Pour qu'elle vît fleurir la plus grande merveille
+ Que jamais Dieu le père en sa simplicité
+ Aux jardins de sa grâce et de sa volonté
+ Ait fait jaillir par force et par nécessité;
+
+ Après neuf cent vingt ans de prière et de veille
+ Quand elle vit venir vers l'antique cité,
+ Gardant son coeur intact en pleine adversité,
+ Masquant sous sa visière une efficacité;
+
+ Tenant tout un royaume en sa ténacité,
+ Vivant en plein mystère avec sagacité,
+ Mourant en plein martyre avec vivacité,
+
+ La fille de Lorraine à nulle autre pareille.
+
+
+
+
+SEPTIÈME JOUR
+
+POUR LE JEUDI 9 JANVIER 1913
+
+VII
+
+
+ Comme Dieu ne fait rien que par simple bergère,
+ Il fallut qu'elle vît la discorde civile
+ Secouer son flambeau sur les toits de la ville
+ Et joindre sa fureur à la guerre étrangère;
+
+ Il fallut qu'elle vît l'horrible harengère
+ Haranguer le bas peuple et la tourbe servile,
+ Et de la halle au blé jusqu'à l'hôtel de ville
+ Refluer le hoquet de l'odieuse mégère:
+
+ Pour qu'elle vît venir merveilleuse et légère,
+ Par les chemins de ronce et de frêle fougère,
+ Pliant ses beaux drapeaux comme une humble lingère;
+
+ Gouvernant sa bataille en bonne ménagère,
+ Traînant les trois Vertus dans quelque fourragère,
+ Vers l'antique vaisseau la jeune passagère.
+
+
+
+
+HUITIÈME JOUR
+
+POUR LE VENDREDI 10 JANVIER 1913
+
+VIII
+
+
+ Comme Dieu ne fait rien que par pauvre misère,
+ Il fallut qu'elle vît sa ville endolorie,
+ Et les peuples foulés et sa race flétrie,
+ L'émeute suppurant comme un secret ulcère;
+
+ Il fallut qu'elle vît pour son anniversaire
+ Les cadavres crevés que la Seine charrie,
+ Et la source de grâce apparemment tarie,
+ Et l'enfant et la femme aux mains du garnisaire:
+
+ Pour qu'elle vît venir sur un cheval de guerre,
+ Conduisant tout un peuple au nom du Notre Père,
+ Seule devant sa garde et sa gendarmerie;
+
+ Engagée en journée ainsi qu'une ouvrière,
+ Sous la vieille oriflamme et la jeune bannière
+ Jetant toute une armée aux pieds de la prière;
+
+ Arborant l'étendard semé de broderie
+ Où le nom de Jésus vient en argenterie,
+ Et les armes du même en même orfèvrerie;
+
+ Filant pour ses drapeaux comme une filandière,
+ Les faisant essanger par quelque buandière,
+ Les mettant à couler dans l'énorme chaudière;
+
+ Les armes de Jésus c'est sa croix équarrie,
+ Voilà son armement, voilà son armoirie,
+ Voilà son armature et son armurerie;
+
+ Rinçant ses beaux drapeaux à l'eau de la rivière,
+ Les lavant au lavoir comme une lavandière,
+ Les battant au battoir comme une mercenaire;
+
+ Les armes de Jésus c'est sa face maigrie,
+ Et les pleurs et le sang dans sa barbe meurtrie,
+ Et l'injure et l'outrage en sa propre patrie;
+
+ Ravaudant ses drapeaux comme une roturière,
+ Les mettant à sécher sur le front de bandière,
+ Les donnant à garder à quelque vivandière;
+
+ Les armes de Jésus c'est la foule en furie
+ Acclamant Barabbas et c'est la plaidoirie,
+ Et c'est le tribunal et voilà son hoirie;
+
+ Teignant ses beaux drapeaux comme une teinturière,
+ Les faisant repasser par quelque culottière,
+ Adorant le bon Dieu comme une couturière;
+
+ Les armes de Jésus c'est cette barbarie,
+ Et le décurion menant la décurie,
+ Et le centurion menant la centurie;
+
+ Les armes de Jésus c'est l'interrogatoire,
+ Et les lanciers romains debout dans le prétoire,
+ Et les dérisions fusant dans l'auditoire;
+
+ Les armes de Jésus c'est cette pénurie,
+ Et sa chair exposée à toute intempérie,
+ Et les chiens dévorants et la meute ahurie;
+
+ Les armes de Jésus c'est sa croix de par Dieu,
+ C'est d'être un vagabond couchant sans feu ni lieu,
+ Et les trois croix debout et la sienne au milieu;
+
+ Les armes de Jésus c'est cette pillerie
+ De son pauvre troupeau, c'est cette loterie
+ De son pauvre trousseau qu'un soldat s'approprie;
+
+ Les armes de Jésus c'est ce frêle roseau,
+ Et le sang de son flanc coulant comme un ruisseau,
+ Et le licteur antique et l'antique faisceau;
+
+ Les armes de Jésus c'est cette raillerie
+ Jusqu'au pied de la croix, c'est cette moquerie
+ Jusqu'au pied de la mort et c'est la brusquerie
+
+ Du bourreau, de la troupe et du gouvernement,
+ C'est le froid du sépulcre et c'est l'enterrement,
+ Les armes de Jésus c'est le désarmement;
+
+ L'avanie et l'affront voilà son industrie,
+ La cendre et les cailloux voilà sa métairie
+ Et ses appartements et son duché-pairie;
+
+ Les armes de Jésus c'est le souple arbrisseau
+ Tressé sur son beau front comme un frêle réseau,
+ Scellant sa royauté d'un parodique sceau;
+
+ Les disciples poltrons voilà sa confrérie,
+ Pierre et le chant du coq voilà sa seigneurie,
+ Voilà sa lieutenance et capitainerie;
+
+ Le lavement de mains et la forfanterie
+ De ce garde des sceaux et la plaisanterie
+ De ces beaux damoiseaux et la galanterie
+
+ De ces beaux jouvenceaux c'est sa boulangerie,
+ Et son pain de poussière et de sueur pétrie,
+ Et l'éponge de fiel et de vinaigrerie;
+
+ La croix bien assemblée en double coulisseau,
+ L'ironique pancarte engravée au ciseau,
+ Le tasseau pour les pieds descendant en biseau;
+
+ Un autre bûcheron avait coupé ce bois,
+ Un autre charpentier avait taillé la croix,
+ Mais lui-même, et nul autre, avait porté ce poids;
+
+ L'image de la Vierge en tissu de soierie,
+ Et sainte Marguerite en fleurs de draperie,
+ Et sainte Catherine et la tapisserie
+
+ Où l'on voit saint Michel habillé de nouveau,
+ Le Saint-Esprit planant sous figure d'oiseau,
+ Et l'archange écrasant Satan sur le museau;
+
+ Mais Satan lui résiste et par sorcellerie
+ Et par atermoiement et par grivèlerie
+ S'est juré d'absorber et la Beauce et la Brie;
+
+ Les saints ont sur la tête un très léger cerceau
+ Pour bien voir que c'est eux, une sorte d'arceau
+ Ouvre le paradis, Jésus dans son berceau
+
+ Regarde saint Joseph et par espièglerie
+ Veut lui tirer la barbe et le vieux se récrie
+ Et fait semblant de mordre afin que l'enfant rie;
+
+ Mais Satan les regarde et fumant du naseau
+ Ce serpent venimeux, cet immonde pourceau
+ S'est juré d'empester le faubourg Saint-Marceau;
+
+ Ce serpent à sonnette avec sa sonnerie
+ S'est vanté qu'il ferait (voyez sa hâblerie)
+ Jeter par ses suppôts les saints à la voirie;
+
+ Les armes de Jésus c'est la paille et l'étable
+ Et le pain et le vin et la nappe et la table,
+ Et le plus malheureux, voilà son connétable;
+
+ Les armes de Satan c'est la supercherie,
+ Un aplomb infernal, une aigre drôlerie,
+ Le savoir des savants et la cafarderie;
+
+ Les armes de Jésus c'est la poignante épine,
+ C'est la fleur de son sang sur la blanche aubépine,
+ Et les fleurs de ses pleurs sur la rouge églantine;
+
+ La perle qui descend sur sa joue attendrie,
+ Et la perle qu'il boit sur sa lèvre appauvrie,
+ Voilà ses beaux cristaux et sa joaillerie;
+
+ Les armes de Jésus c'est la verte couronne,
+ C'est ce front que l'amour et la grâce environne,
+ Et l'éternelle fleur qui sur sa peau fleuronne;
+
+ La perle qui descend sur sa face amoindrie
+ Et qui vient humecter sa langue rabougrie,
+ Voilà son coffre-fort et sa bijouterie;
+
+ Les armes de Jésus c'est notre forfaiture,
+ Les clous et le marteau, la robe sans couture,
+ L'homme, l'ange et la bête et la double nature;
+
+ Les armes de Satan c'est la jobarderie,
+ C'est le scientificisme et c'est l'artisterie,
+ C'est le laboratoire et la flagornerie;
+
+ Les armes de Satan c'est notre forfaiture,
+ C'est d'avoir dispersé la robe sans couture,
+ C'est la bête sous l'ange et la double nature;
+
+ Les armes de Satan c'est la bouffonnerie,
+ Et c'est le moraliste et son infirmerie,
+ Et la haute éloquence et sa pâtisserie;
+
+ Les armes de Jésus c'est la peine de l'homme,
+ C'est le chemin qui mène et qui ramène à Rome,
+ C'est la main qui le frappe et le poing qui l'assomme;
+
+ Les armes de Satan c'est la parfumerie
+ De l'écrivain disert et c'est la sucrerie
+ De l'écrivain amer et c'est la pruderie,
+
+ La blette aridité de la vieille dévote,
+ C'est l'âme en confiture et la poire en compote,
+ Et le raisin coti moisissant dans la hotte;
+
+ Les armes de Satan c'est le clou dans la botte,
+ La nef sans nautonnier, la flotte sans pilote,
+ Le carcan, le garrot, l'entrave, la menotte;
+
+ Les armes de Satan c'est quelque jonglerie,
+ C'est le loup dans la ferme et dans la bergerie,
+ C'est le renard feutré dans la poulaillerie;
+
+ Les armes de Jésus c'est l'amour et la peine,
+ Les armes de Satan c'est l'envie et la haine,
+ Et la guerre est aux mains de toute châtelaine;
+
+ Les armes de Satan c'est quelque forgerie,
+ Un document secret dans quelque hôtellerie,
+ Les armes de Satan c'est toute diablerie;
+
+ Les armes de Jésus c'est la croix de Lorraine,
+ Et le sang dans l'artère et le sang dans la veine,
+ Et la source de grâce et la claire fontaine;
+
+ Les armes de Satan c'est la croix de Lorraine,
+ Et c'est la même artère et c'est la même veine
+ Et c'est le même sang et la trouble fontaine;
+
+ Les armes de Jésus c'est l'esclave et la reine
+ Et toute compagnie avec son capitaine
+ Et le double destin et la détresse humaine;
+
+ Les armes de Satan c'est l'esclave et la reine
+ Et toute compagnie avec son capitaine
+ Et le même destin et la même déveine;
+
+ Les armes de Jésus c'est la mort et la vie,
+ C'est la rugueuse route incessamment gravie,
+ C'est l'âme jusqu'au ciel insolemment ravie;
+
+ Les armes de Satan c'est la vie et la mort,
+ Le désir et la femme et les dés et le sort
+ Et le droit du plus dur et le droit du plus fort;
+
+ Les armes de Jésus c'est la mort et la vie,
+ C'est le glaive de Dieu qui hésite et dévie,
+ C'est la fidèle route obscurément suivie;
+
+ Les armes de Satan c'est la vie et la mort,
+ C'est l'écueil immobile en plein milieu du port,
+ C'est la peine immuable en plein milieu du sort;
+
+ Les armes de Jésus c'est la vie et la mort,
+ C'est un heureux naufrage en plein milieu du port,
+ C'est le plus beau présage en plein milieu du sort;
+
+ Les armes de Satan c'est la vie et la mort,
+ C'est le péril de mer, c'est l'homme dans son tort,
+ Le voleur aux aguets, le tyran dans son fort;
+
+ Les armes de Jésus c'est la vie et la mort,
+ C'est Dieu dans sa justice et Satan dans son tort,
+ La beauté du plus pur, le juste dans son fort;
+
+ Les armes de Jésus c'est la vie et la mort,
+ C'est l'enfant et la femme et le secret du sort,
+ Le navire acouflé dans le recreux du port;
+
+ Les armes de Satan c'est l'homme qui dévie,
+ C'est les deux poings liés et c'est l'âme asservie,
+ C'est la vengeance inlassablement poursuivie;
+
+ Les armes de Jésus ce sont les deux mains jointes,
+ Et l'épine et la rose et les clous et les pointes,
+ Et sur le lit de mort les pauvres âmes ointes;
+
+ C'est le choeur alterné des martyrs et des saintes,
+ C'est le choeur conjugué des sanglots et des plaintes,
+ Le temple, les degrés, les pilastres, les plinthes;
+
+ Les armes de Satan c'est le vert térébinthe,
+ Cet arbre résineux et c'est la coloquinte,
+ Cette citrouille amère et c'est la morne absinthe;
+
+ Les armes de Satan c'est les deux poings liés,
+ Les armes de Jésus les coeurs humiliés,
+ Les pauvres à genoux, les suppliants pliés;
+
+ Les armes de Jésus c'est la belle jacinthe
+ Posée en un tapis dans une belle enceinte,
+ Plus douce que la laine et plus souple et mieux teinte;
+
+ Les armes de Jésus c'est la cloche qui tinte
+ Pour les sept sacrements, c'est l'ordre et la contrainte,
+ Et le dessin fidèle de l'image bien peinte;
+
+ Les armes de Satan c'est la cloche qui tinte
+ Pour le feu de l'enfer, c'est la ville contrainte
+ A passer par le sort, c'est toute âme repeinte
+
+ Avec un faux pinceau, c'est toute règle enfreinte
+ Au nom de quelque règle et toute foi restreinte
+ Au nom de quelque maître et toute ville ceinte
+
+ D'un rempart frauduleux et toute fleur déteinte
+ A force de pleuvoir et toute flamme éteinte
+ A force de brûler, toute infortune atteinte
+
+ Au seuil de toute mort et la morne complainte
+ Au long de toute vie et l'éphémère empreinte
+ De nos pas sur le sable et la mortelle étreinte
+
+ Des deux amants impurs: le corps, l'âme contrainte;
+ Les armes de Satan c'est la ruse et la feinte,
+ L'épouvante, l'envie et la graisse qui suinte,
+
+ Et le double concert des asthmes et des quintes,
+ Et les coeurs compliqués et les soins et les craintes
+ Et les coeurs contournés comme des labyrinthes;
+
+ Les armes de Jésus c'est l'éternelle empreinte
+ De ses pas sur le sable et l'immortelle étreinte
+ Des deux époux très purs: le corps et l'âme astreinte;
+
+ Les armes de Jésus c'est la faim assouvie,
+ C'est le corps glorieux, ce n'est pas la survie,
+ C'est l'éternelle table abondamment servie;
+
+ Satan c'est la vengeance elle-même assouvie,
+ Les armes de Satan c'est une horlogerie,
+ Un chef-d'oeuvre d'adresse et de serrurerie;
+
+ Mais la clef c'est Jésus et Jésus est la porte,
+ Et la porte du ciel ne se prend qu'à main forte,
+ Et tous les serruriers resteront à la porte;
+
+ Les armes de Jésus c'est cette grande escorte
+ Que Rome lui prêta, c'est la rude cohorte
+ Qui lui faisait honneur et c'est la croix qu'il porte;
+
+ Les armes de Satan sont de la même sorte,
+ Car c'est la même Rome et c'est la même escorte
+ Et la même cohorte et la même mer Morte;
+
+ Les armes de Jésus c'est qu'il nous réconforte
+ En notre déconfort et c'est qu'il nous reporte
+ Au premier paradis et c'est qu'il nous apporte
+
+ Le pardon de son père et c'est qu'il nous emporte
+ Au dernier paradis et c'est qu'il nous déporte
+ De l'exil du péché vers ce qui seul importe
+
+ Et c'est notre salut et c'est qu'il nous transporte
+ Au royaume de grâce et c'est qu'il nous supporte,
+ Nous et notre péché cette immense mainmorte
+
+ Qu'il porte sur l'épaule et c'est qu'il nous exhorte
+ Par son silence même et qu'il frappe à la porte
+ Et que l'homme est au vent comme la feuille morte;
+
+ Les armes de Satan c'est la même mainmorte,
+ Le même désarroi, c'est qu'il nous déconforte
+ En notre réconfort et c'est qu'il nous reporte
+
+ Au péché d'origine et c'est qu'il nous rapporte
+ Le mépris du pardon et c'est qu'il nous remporte
+ A la science du mal et qu'il nous redéporte
+
+ Vers la terre du bagne et qu'il nous retransporte
+ Au ténébreux royaume où lui-même supporte
+ Le poids de tout un monde et c'est qu'il nous exhorte
+
+ Par les beaux compliments et qu'il gratte à la porte,
+ Et que l'homme est léger comme la feuille morte
+ Et comme elle pourrit sous les pieds du cloporte;
+
+ Les armes de Jésus c'est la vie et la mort,
+ C'est un solide ancrage au beau milieu du port,
+ Et c'est le grand partage au beau milieu du sort;
+
+ Les armes de Jésus c'est la vie et la mort,
+ C'est un heureux mouillage en plein milieu du port,
+ C'est le grand héritage en plein milieu du sort;
+
+ Les armes de Jésus c'est la vie et la mort,
+ C'est le bon voisinage en plein milieu du port
+ Et le pèlerinage en plein milieu du sort;
+
+ Les armes de Jésus c'est la vie et la mort,
+ C'est le compagnonnage en plein milieu du port,
+ Et c'est l'appareillage en plein milieu du sort:
+
+ Les armes de Satan ce sont les sept péchés,
+ Et la minauderie avec les airs penchés,
+ Et les honteux ressorts savamment déclanchés;
+
+ Les armes de Jésus ce sont les trois Vertus,
+ Et les torses courbés et les reins courbatus,
+ Et les galériens battus et rebattus;
+
+ Les armes de Satan c'est la méthode torte,
+ Le sang de l'oreillette et le sang de l'aorte,
+ Le sang du ventricule et de la veine porte;
+
+ Les armes de Jésus c'est tout le sang du coeur,
+ Le sang de la victime et le sang du vainqueur,
+ Le sang du noble cerf et le sang du piqueur;
+
+ Les armes de Satan ce sont les sept péchés
+ Embarqués quatre à quatre et mollement couchés
+ Dans la folle galère aux dais empanachés;
+
+ Les armes de Jésus c'est la barque de Pierre,
+ Qui toujours fluctuante et toujours batelière,
+ Racle de ses filets le fond de la rivière;
+
+ Les armes de Jésus c'est la barque de Pierre,
+ C'est le vieux pêcheur d'homme assis sur son derrière,
+ Dépeuplant l'Océan, le lac et la rivière;
+
+ Les armes de Jésus c'est les sept sacrements
+ Dans la barque de Pierre et les sept bâtiments
+ Qui suivent par derrière et les sept monuments
+
+ Qui ne périront point, les sept couronnements,
+ Qui sont les sept douleurs, les sept fleuronnements
+ De l'arbre de la grâce et les sept firmaments;
+
+ Les armes de Jésus c'est cette unique nef,
+ Gouvernant au plus près sous cet unique chef,
+ Toujours en plein péril et toujours sans méchef;
+
+ Les armes de Jésus c'est cet unique fief,
+ Tenu par un seul homme armé de quelque bref,
+ Toujours en plein péril et toujours sans grief;
+
+ Les armes de Jésus c'est l'éternelle peine
+ Assise au creux du lit de toute race humaine
+ Et la mort est aux mains de toute châtelaine;
+
+ Les armes de Jésus c'est la grande semaine
+ Qui part du lundi saint, c'est la grande neuvaine
+ Qui part du trois janvier et c'est la barque pleine
+
+ Les armes de Jésus c'est cette unique nef,
+ Le bateau vers l'écluse amarré dans le bief,
+ Le bateau charpenté par le vieux saint Joseph;
+
+ Mais c'est aussi Jacob et le premier Joseph,
+ Moïse sur le Nil dans une étroite nef,
+ Et le peuple de Dieu gouverné derechef;
+
+ Les armes de Jésus c'est le sang de sa veine
+ Et le sang de son coeur, les sanglots de sa peine
+ Et l'immense sanglot de toute race humaine;
+
+ Les armes de Satan c'est la sourde gangrène
+ Et l'obscur mal de tête et la lourde migraine
+ Et l'orgueil et l'ivraie et la mauvaise graine;
+
+ Les armes de Jésus c'est la double prière,
+ L'une marchant devant, l'autre marchant derrière,
+ Comme lui matinale et vers lui journalière;
+
+ Les armes de Jésus c'est la double prière,
+ L'une arrivant devant, l'autre avançant derrière,
+ Comme lui vespérale et vers lui journalière;
+
+ C'est aussi le secret, la prière nocturne,
+ L'immuable regret dans un coeur taciturne,
+ Et la mort de l'amour et la cendre dans l'urne;
+
+ Les armes de Jésus c'est l'angélus du soir
+ Et celui du matin, le calme reposoir
+ Dans la procession, l'éclatant ostensoir
+
+ Balancé sur les fronts comme un soleil ardent;
+ Les armes de Satan c'est la griffe et la dent,
+ Le nez mal retroussé, le regard impudent
+
+ Les armes de Jésus c'est le calme du soir,
+ C'est la procession assise au reposoir.
+ De feuilles et de fleurs, c'est le lourd ostensoir
+
+ Levé dessus les fronts comme un soleil levant,
+ Les armes de Jésus c'est la pluie et le vent
+ Qui souffle sur la nef et c'est le coeur fervent;
+
+ C'est le fruit qui mûrit aux planches du dressoir,
+ C'est l'enfant qui se couche et qui vous dit bonsoir,
+ Et s'endort en priant, c'est le lourd ostensoir
+
+ Haussé dessus les fronts comme un soleil couchant,
+ C'est le souple vallon, c'est le coteau penchant,
+ L'église dans la plaine et la prose et le chant;
+
+ C'est la grappe giclant sous l'énorme pressoir,
+ C'est l'étang répandu dessus le déversoir,
+ C'est l'encens balancé dans le lourd encensoir;
+
+ Les armes de Satan c'est l'écu trébuchant,
+ Le propos alléchant, le souffle desséchant,
+ La plaine sans église et l'ortie et le champ;
+
+ Les armes de Jésus c'est l'écuyer tranchant,
+ Le bon et le méchant, le beau vaisseau marchand,
+ L'église sur la plaine et l'homme sur le champ;
+
+ Les armes de Jésus, c'est la belle marraine
+ Et c'est le beau baptême et c'est la belle étrenne
+ Et l'avoine et le seigle et c'est la bonne graine
+
+ Et c'est le seneçon et c'est les sept péchés
+ Par la contrition et les noeuds relâchés
+ Du filet de Satan et les cordons tranchés;
+
+ Les armes de Satan c'est les sept débauchés,
+ Et c'est le prince-évêque et les sept évêchés,
+ Et les tentations courant sur les marchés;
+
+ Les armes de Jésus c'est sept cents évêchés,
+ Et c'est le pape-évêque et cent archevêchés,
+ Et l'esclave et l'enfant vendus sur les marchés;
+
+ Les armes de Jésus c'est sa tête penchée;
+ Son coude, son genou, son épaule écorchée,
+ Son estomac, ses reins, sa hanche démanchée;
+
+ Sa barbe, ses cheveux, ses habits arrachés,
+ Sa poitrine, ses bras, ses poignets attachés,
+ Les plus savants ressorts à l'instant décrochés;
+
+ C'est dans le vieux Paris la foule endimanchée
+ Le dimanche matin, c'est la soif étanchée
+ Au calice d'or pur, la pauvresse penchée
+
+ Sur une plus pauvresse et c'est l'amour cachée
+ Dans l'âme la plus pauvre et la douleur couchée
+ Dans le lit de tout homme et toute orge fauchée;
+
+ Les armes de Jésus c'est toute onde épanchée
+ Dans un gosier de fièvre et toute âme ébauchée
+ Au coin de toute lèvre et toute fleur jonchée
+
+ Au pied des pieds saignants et toute arme ébréchée
+ A force de servir et la tige ébranchée
+ A force de produire et la paille hachée;
+
+ Les armes de Jésus c'est l'amour et la peine,
+ Et l'amour est aux mains des suppôts de la haine,
+ Et la mort est aux mains de toute châtelaine;
+
+ Les armes de Jésus c'est la vie et la mort,
+ C'est le fleuve fécond, c'est l'éternel apport
+ De vase et de limon en plein milieu du port;
+
+ Les armes de Jésus c'est ce gamin qui dort,
+ C'est la honte et la peine et son frère le sort,
+ Et l'amour est aux mains des suppôts de la mort;
+
+ Les armes de Satan c'est la sensiblerie,
+ C'est censément le droit, l'humanitairerie,
+ Et c'est la fourberie et c'est la ladrerie;
+
+ Les armes de Satan c'est la bête lâchée,
+ Le déshonneur gratuit, la honte remâchée,
+ Le troupeau mal conduit, la terre mal bêchée;
+
+ Les armes de Satan c'est le membre arraché,
+ Le bourgeon retranché, le rameau détaché,
+ Le boeuf aiguillonné, le cheval cravaché;
+
+ Les armes de Jésus c'est la haute terrasse
+ D'où retombe en jet d'eau la source de la grâce,
+ Et la vasque au flanc grave et le sang de la race;
+
+ Les armes de Satan c'est la basse menace
+ Aux coins de toute lèvre et la gluante trace
+ Que laisse sur la fleur la visqueuse limace;
+
+ Les armes de Satan c'est un esprit pointu,
+ C'est le corps en lambeaux, c'est le coeur combattu,
+ Le bourreau mal payé, le procès débattu;
+
+ Les armes de Jésus c'est le coeur combattu,
+ C'est le corps tout entier et la même vertu
+ Et la grappe écrasée et le froment battu;
+
+ Les armes de Jésus c'est le grain sous la meule,
+ Le raisin sous la presse et l'oiseau dans la gueule,
+ Et le fils dans le père et l'enfant dans l'aïeule;
+
+ Mais Satan le regarde et ce vil vermisseau
+ A juré d'étouffer sous l'ombre et le boisseau
+ La lumière et la lampe et la plaine Monceau;
+
+ Les armes de Satan c'est une gagerie,
+ C'est sa forfanterie et son effronterie.
+ Et c'est le philologue et sa quincaillerie;
+
+ Les armes de Satan c'est notre servitude,
+ C'est notre hébétement, notre longue habitude
+ Et la nuit et la veille et la lampe et l'étude;
+
+ Les armes de Jésus c'est la béatitude
+ Et c'est la parabole et la mansuétude
+ Et c'est quand il pleura sur cette multitude;
+
+ Les armes de Satan c'est notre quiétude
+ Et c'est le théorème et c'est la certitude,
+ Le pouvoir, le savoir et la décrépitude;
+
+ Les armes de Jésus c'est le tranchant du sort,
+ C'est ce point sur le glaive où la vie et la mort
+ Déjouent le corps et l'âme en plein milieu du port;
+
+ Les armes de Jésus c'est notre inquiétude,
+ L'axiome, la règle et notre incertitude,
+ Le devoir, le pouvoir et la vicissitude;
+
+ Les armes de Jésus c'est notre servitude,
+ C'est toute solitude et toute plénitude,
+ Et notre turpitude et notre lassitude;
+
+ Les armes de Satan c'est la criaillerie,
+ Le vote, le mandat et la suffragerie,
+ Et l'avocasserie et la haranguerie;
+
+ Les armes de Jésus c'est sa sollicitude,
+ Et notre ingratitude et son exactitude,
+ Et la similitude et toute rectitude;
+
+ Les armes de Satan c'est pure vanterie,
+ C'est du vieux bric à brac, de l'antiquaillerie,
+ Du fabriqué, du faux, de la ferronnerie;
+
+ Les armes de Satan c'est le fruit défendu,
+ C'est le meurtre d'Abel, c'est le sang répandu,
+ C'est Judas dépendu, c'est Judas rependu;
+
+ Les armes de Satan c'est le filet tendu,
+ C'est le propos douteux et le sous-entendu,
+ Et toute controverse et tout malentendu;
+
+ Les armes de Satan c'est Jésus-Christ vendu,
+ C'est les trente deniers, c'est Joseph descendu
+ Au fond de la citerne et captif revendu;
+
+ Les armes de Satan c'est la race perdue,
+ C'est le lacet tressé, c'est la corde tordue,
+ Toute chair assaillie de toute chair mordue;
+
+ Les armes de Satan c'est tout le résidu
+ Et la lie et l'écume et c'est l'individu
+ Et c'est le commentaire et le compte rendu;
+
+ Les armes de Satan c'est toute dette due
+ Irrémissiblement, la honte suspendue,
+ Et par son gouverneur toute ville rendue;
+
+ Les armes de Jésus c'est Satan confondu,
+ Tout fossé remparé, tout rempart défendu,
+ Tout terrain regagné sur le terrain perdu;
+
+ Et la dette remise et la dette rendue
+ Par le frère à son frère et la brebis perdue
+ Et toute âme assaillie et toute âme mordue;
+
+ Les armes de Jésus c'est la nuit répandue
+ Pour le repos de l'homme et la ferme vendue
+ Pour payer les impôts et la brebis tondue;
+
+ Les armes de Jésus c'est la neige fondue
+ Au soleil du printemps, la hache suspendue
+ Au jour du jugement et c'est l'âme éperdue
+
+ De son indignité, c'est la grande étendue
+ Et l'arbre de Noël et la bûche fendue
+ Et c'est depuis Adam la nouvelle attendue;
+
+ Les armes de Jésus c'est la bonne aventure,
+ Et c'est le Créateur créant la créature,
+ Et le sceau du Seigneur mettant la signature;
+
+ Les armes de Satan c'est la caricature
+ Et la contrefaçon de toute signature
+ Et l'homme jugeant l'homme et la magistrature
+
+ Assise au tribunal, c'est la lettre surie,
+ La littéralité morne et déjà pourrie,
+ Les armes de Satan c'est la chancellerie;
+
+ Les armes de Satan c'est la plaisanterie,
+ Cette sauce tournée et c'est l'hôtellerie
+ Pour les mauvais passants et c'est l'ivrognerie
+
+ Les coudes sur la table et la clabauderie
+ Et la ribauderie et la maussaderie
+ Et la badauderie et la nigauderie;
+
+ Les armes de Jésus c'est la charpenterie,
+ L'établi, la varlope et la menuiserie,
+ La scie et le rabot et l'ébénisterie,
+
+ Le denier de la veuve et le bon ouvrier;
+ Les armes de Satan c'est le vil usurier,
+ L'armurier, le guerrier, le manufacturier;
+
+ Les armes de Satan c'est la truanderie,
+ Le mauvais compagnon, la camaraderie,
+ Le mauvais camarade et la cafarderie
+
+ Et le mauvais garçon; c'est le regard oblique
+ Jeté sur le voisin, le peuple famélique
+ Sous la bombance énorme et pantagruélique;
+
+ Les armes de Jésus c'est la foi catholique
+ Enchâssée à prix d'or, la ronde basilique,
+ Et c'est la paix publique et la sainte relique;
+
+ Les armes de Satan c'est tout ce qui complique
+ La très simple existence et c'est quand il implique
+ L'innocent dans le crime et dans le diabolique;
+
+ Les armes de Jésus c'est le cèdre biblique,
+ La salutation, la ferveur angélique,
+ L'annonciation de l'ère évangélique;
+
+ Les armes de Satan c'est sa ruse et sa clique
+ Et sa claque sournoise et méphistophélique,
+ Et sa noise en sourdine et machiavélique;
+
+ Les armes de Jésus c'est le léger caïque
+ De Pierre sur le lac, c'est l'archange archaïque
+ Fermant le paradis, c'est la foi judaïque.
+
+ Et la première loi, c'est la race hébraïque
+ Et le tronc d'Israël, et c'est la mosaïque
+ De la vertu des clercs, de la vertu laïque;
+
+ Les armes de Jésus c'est la loi mosaïque,
+ Les dix commandements au peuple liturgique,
+ Et qu'il n'a point rayés de Rome apostolique;
+
+ Les armes de Jésus c'est la mort héroïque
+ Du martyr dans l'arène et la douceur stoïque
+ Du saint et c'est aussi la vertu prosaïque;
+
+ Les armes de Satan c'est la courbe saïque,
+ Souple vaisseau de charge et c'est l'art chaldaïque
+ Et la vertu du riche et du pharisaïque;
+
+ Et c'est l'aigre réplique et le somnambulique,
+ Et le cyrénaïque et l'aristotélique,
+ Et le pire de tout c'est bien quand il explique;
+
+ Les armes de Jésus c'est l'ardente supplique
+ Du pauvre au gouverneur, c'est le parabolique,
+ Et c'est les huit bonheurs sous Rome apostolique,
+
+ Et c'est le roi de France et c'est la république
+ Et c'est le bref du pape et la lourde encyclique
+ Parmi les deuils privés et la vertu publique;
+
+ Les armes de Satan c'est le vil publicain,
+ Le percepteur de Rome et le fieffé coquin
+ Qui berne l'honnête homme et qui fait le faquin;
+
+ L'avare péager, le servile sequin,
+ L'infidèle berger, le manteau d'Arlequin
+ De vice et de vertu, le grossier mannequin
+
+ Qui fait peur aux moineaux, le rude casaquin
+ Sur l'armure de guerre et le lourd troussequin
+ Sur le cheval de guerre et l'ennuyeux pasquin;
+
+ Les armes de Jésus c'est le Samaritain,
+ Le blessé recueilli, le pauvre franciscain,
+ Les armes de Jésus c'est le républicain;
+
+ Les armes de Satan c'est le faux symbolique,
+ La pierre en comprimé, le marbre en majolique,
+ (La pierre de Jésus, c'est le pur pentélique);
+
+ Les armes de Satan c'est toute hyperbolique,
+ Le masque de Satan c'est toute bucolique
+ Modulant sous le hêtre une pure idyllique;
+
+ Les armes de tous deux c'est le mélancolique,
+ Soit qu'il soit descendu du vieux cèdre biblique,
+ Soit qu'il soit remonté de jeune république;
+
+ Les armes de Satan c'est toute idolâtrie,
+ Tout réassortiment, toute replâtrerie,
+ Tout fatras, tout raccord, toute folâtrerie;
+
+ Les armes de Jésus c'est culte de doulie
+ Ou d'asservissement, c'est culte de latrie
+ Ou d'adoration, c'est culte de patrie
+
+ Ou de terre natale; et démonolâtrie
+ Retourne vers Satan avec zoolâtrie,
+ Avec psychiâtrie, avec chimiâtrie,
+
+ Avec l'ergot du seigle et les autres caries,
+ Et les phylloxéras et les vignes flétries,
+ Et les puits desséchés et les races taries;
+
+ Les armes de Jésus c'est la pauvre monture,
+ L'ânon de cette ânesse et c'est la courbature
+ De ses reins bâtonnés et c'est la sépulture
+
+ Dans un caveau prêté, c'est l'agneau sans pâture,
+ C'est la barque de Pierre errante et sans mâture,
+ Et le préteur de Rome et c'est la préfecture
+
+ Et le préfet de Rome et cette humble toiture,
+ Ce chaume au ras du sol et l'unique voiture
+ Avec un seul cheval et la vieille clôture
+
+ En mauvais fil de fer et la progéniture
+ Attendant sous la lampe une humble nourriture,
+ Espérant vaguement un pot de confiture;
+
+ Les armes de Satan c'est cette dictature
+ De ces sept qui sont sept sur la même monture,
+ Sur un cheval pourri tenus par la ceinture;
+
+ Les armes de Jésus c'est la sainte Écriture
+ Depuis le premier livre et c'est toute droiture
+ Depuis le premier pas et c'est toute armature
+
+ Tenant son homme roide et c'est toute ossature
+ Tenant son homme ferme et toute architecture
+ Tenant la maison pleine et basse de stature;
+
+ Les armes de Satan c'est le mauvais docteur,
+ (Mais en est-il de bons?), c'est le mauvais acteur
+ Qui joue à contre sens et le mauvais lecteur
+
+ Qui lit à contre texte et c'est le détracteur
+ Qui détracte et détraque et le simple électeur
+ Qui rétracte et qui vote et le morne inspecteur
+
+ Qui regarde et surveille et le dur directeur
+ Qui regarde et gouverne et le lourd protecteur
+ Qui regarde et qui pèse et qui fait le recteur;
+
+ Les armes de Satan c'est le contradicteur
+ Qui dit d'abord: Mais non, c'est l'antique licteur
+ Et l'antique faisceau, c'est Satan destructeur;
+
+ Les armes de Satan c'est Satan constructeur
+ Du satané parvis, c'est Satan conducteur
+ De l'homme vers sa perte et Satan rédacteur
+
+ De la fausse nouvelle et c'est tout abstracteur
+ De la cinquième essence et tout contrefacteur
+ Qui sera poursuivi, c'est Satan collecteur
+
+ D'impôts pour son État, c'est Satan correcteur
+ Dans son mauvais journal, et traître traducteur
+ Dans son mauvais patois, et fourbe producteur
+
+ De produits frelatés, brillant introducteur
+ Au royaume d'enfer, décevant instructeur
+ De mauvaise recrue et sinistre amateur
+
+ D'art pour ses collections et savant armateur
+ De naufrage et superbe et docile imposteur,
+ Les armes de Satan c'est Satan séducteur;
+
+ Les armes de Satan c'est la sévère cotte
+ De maille et c'est aussi le regard qui clignotte
+ Sous la lourde visière et sous la bourguignotte;
+
+ Les armes de Jésus c'est la race future,
+ C'est le riche missel, c'est la miniature,
+ Et le ciel et l'enfer et la terre en peinture;
+
+ Les armes de Satan c'est la mésaventure,
+ Le traître couronné, la mauvaise lecture,
+ Les armes de Satan c'est la littérature;
+
+ Les armes de Jésus c'est noblesse et roture
+ Égales vers sa face et la belle sculpture
+ Au portail de l'église et la fine moulure;
+
+ Les armes de Jésus c'est la riche tenture
+ Devant le tabernacle et la rouge teinture
+ De la robe du prêtre et des croix de torture;
+
+ Les armes de Satan c'est toute conjecture
+ Maraudant sur le texte et c'est toute imposture,
+ Toute note au crayon, toute maculature;
+
+ Et c'est toute leçon qui n'est pas la lecture,
+ Et c'est toute façon qui n'est pas la facture,
+ Et c'est toute moisson qui n'est pas drue et dure;
+
+ Et c'est toute prison qui n'est pas la capture,
+ Et toute liaison qui n'est pas la rupture,
+ Toute cendre, tout feu qui n'est pas feu qui dure;
+
+ Les armes de Satan c'est la désinvolture,
+ C'est la fausse élégance et toute conjoncture
+ Où l'homme droit est mis en oblique posture;
+
+ Les armes de Satan c'est la fausse culture
+ Qui sème le chiendent et c'est la couverture
+ Volée au vieux cheval et c'est toute ouverture
+
+ Que l'on n'a pas ouvert et toute fermeture
+ Que l'on n'a pas fermée et toute quadrature
+ Que l'on n'a pas quarrée et c'est toute arcature
+
+ Que l'on n'a pas arquée et c'est toute rature
+ Au milieu de la page et toute ligature
+ Qui n'est pas pour la greffe et toute horticulture
+
+ Qui n'est pas pour la fleur, toute arboriculture
+ Qui n'est pas pour le fruit, toute viticulture
+ Qui n'est pas pour le vin, c'est toute agriculture
+
+ Qui n'est pas pour le blé, c'est toute apiculture
+ Qui n'est pas pour le miel, toute sylviculture
+ Qui n'est pas pour le bois et c'est toute bouture
+
+ Qui n'a pas pris racine et c'est toute mouture
+ Qui n'est pas du moulin et toute portraiture
+ Qui n'est pas le modèle et toute investiture
+
+ Qui ne vient pas de Dieu, c'est le point de suture
+ Quand il est mal cousu, c'est la judicature
+ De l'homme sur un homme et la candidature
+
+ Assise en robe blanche au seuil de la préture;
+ Les armes de Satan c'est la nomenclature
+ Et le dénombrement, c'est toute fourniture
+
+ Qui n'est pas à bon poids, c'est la belle denture
+ Des bêtes dans l'arène et c'est la devanture
+ Qui masque la maison et c'est toute jointure
+
+ Qui s'articule mal et c'est toute fracture
+ Qui ne se réduit pas, c'est toute contracture
+ Qui ne se résoud pas et c'est toute structure
+
+ Qui n'est pas organique et c'est toute questure
+ Où l'on est candidat et c'est toute texture
+ Qui n'est pas de bon fil et c'est toute mixture
+
+ Qui n'est pas du bon vin et c'est toute mouture
+ Qui n'est pas du bon pain et c'est toute pâture
+ Qui n'est pas du bon grain et c'est toute clôture
+
+ Qui n'est pas de bon bois et c'est toute questure
+ Qui requiert à faux poids, frappe à fausse mesure,
+ Paie à fausse monnaie et prête avec usure;
+
+ Les armes de Jésus c'est la législature
+ Des dix commandements et c'est la tablature
+ Des tables de la loi, c'est la nonciature
+
+ Quand le nonce est du pape et la judicature
+ Quand le juge craint Dieu, c'est la magistrature
+ Quand elle est magistrale et la cléricature
+
+ Quand le clerc est prudhomme et c'est la prélature
+ Quand l'évêque est Aignan ou saint Bonaventure
+ Ou saint Côme ou saint Loup, la sacrificature
+
+ Quand c'est lui la victime et c'est toute vêture
+ Qui vêt l'âme et le corps et c'est toute tonture
+ Qui n'écorchera pas la faible créature;
+
+ Les armes de Jésus c'est la belle paroisse
+ Assise au coeur de France et c'est la noble angoisse
+ Du curé soucieux que son troupeau recroisse;
+
+ Les armes de Jésus c'est la belle provende
+ Éparse au râtelier, c'est le thym, la lavande,
+ Et la rose et l'oeillet et la souple guirlande;
+
+ Les armée de Jésus c'est le bon voisinage
+ Entre les pauvres gens, c'est le pauvre village
+ Et l'église au milieu, c'est le compagnonnage
+
+ Entre bons compagnons, c'est le pèlerinage
+ Entre bons pèlerins, c'est le pauvre ménage
+ Entre l'homme et la femme et le long mariage;
+
+ Les armes de Jésus c'est les enfants bien sages
+ Assis au coin du feu, c'est les belles images
+ Qu'on voit sur les vitraux et c'est les trois rois mages;
+
+ Les armes de Satan c'est les magiciens
+ Et la magicerie et les faux entretiens
+ Et les libres discours au conseil des anciens;
+
+ Les armes de Jésus c'est la pauvre famille,
+ Les frères et la soeur, les garçons et la fille,
+ Le fuseau lourd de laine et la savante aiguille;
+
+ Les armes de Jésus c'est tous les coeurs païens:
+ Pourvu qu'on les baptise et les rende chrétiens,
+ Il en fait les plus purs de tous ses paroissiens;
+
+ Les armes de Jésus c'est tous les plébéiens:
+ A moins qu'on les courtise et les rende vauriens,
+ Il en fait les plus durs de ses fermes soutiens;
+
+ Les armes de Jésus c'est les bons citoyens:
+ Quand la grâce les prend par ses secrets moyens,
+ Il en fait les plus sûrs de ses curés doyens;
+
+ Les armes de Jésus c'est la docilité,
+ C'est la foi, l'espérance et c'est la charité,
+ C'est la femme et l'enfant et la fidélité;
+
+ Les armes de Jésus c'est la fragilité,
+ C'est la vertu civique et c'est la liberté,
+ C'est la femme et l'enfant et c'est la pauvreté;
+
+ Les armes de Jésus c'est la simplicité,
+ C'est la paix éternelle et c'est dans la cité
+ Tout un fleuve de grâce et d'efficacité;
+
+ Les armes de Jésus c'est la nécessité
+ Du travail et du pain et c'est dans la cité
+ Tout un fleuve de grâce et de félicité;
+
+ Les armes de Jésus c'est la sagacité,
+ Le pardon de l'offense et c'est dans la cité
+ Tout un fleuve de grâce et de vivacité;
+
+ Les armes de Jésus c'est la mendicité
+ Du dernier misérable et c'est dans la cité
+ Tout un fleuve de grâce et de ténacité;
+
+ Les armes de Satan c'est le chemin tortu,
+ Le sentier dérobé, le cheval abattu
+ Les quatre fers en l'air, et le mulet têtu;
+
+ Les armes de Satan c'est la fausse tendresse
+ Couchée au lit de l'homme et la molle paresse
+ Qui dort le long du jour et se désintéresse
+
+ Du pauvre et de l'enfant et c'est la charmeresse
+ Avec ses mots savants et la devineresse
+ Et sa vieille grimace et c'est l'enchanteresse
+
+ Avec ses vieux onguents et c'est la sécheresse
+ Du coeur et c'est la vraie et c'est la fausse adresse
+ De l'homme très malin; c'est l'homme qui transgresse
+
+ Les vieilles lois de l'homme et c'est l'homme qui tresse
+ Le chanvre du gibet et l'homme qui progresse.
+ Les armes de Satan c'est l'homme qui s'engraisse
+
+ Du sang du malheureux, le serpent qui redresse
+ La tête et c'est aussi le vigneron qui presse
+ La grappe et fait jaillir le vin doux et l'ivresse;
+
+ Les armes de Jésus c'est toute forteresse
+ Qui tient et c'est la noble et la pure caresse
+ De la mère à l'enfant et c'est la maladresse
+
+ De l'homme pas malin et la sourde tendresse
+ De la mère à la fille afin que reparaisse
+ En cette enfant naissante une même tendresse
+
+ Et dans le temps futur une même caresse
+ Et ce même regard et cette même tresse
+ Blonde qui fleurira, cette même détresse
+
+ Qui sera consolée, et cette âme pauvresse
+ Et dans le dernier temps une même allégresse;
+ Les armes de Jésus c'est l'homme qui s'adresse
+
+ Directement à Dieu, c'est l'homme qui s'adresse
+ A quelque saint patron, c'est l'homme qui se dresse
+ Contre l'iniquité, c'est l'homme qui s'empresse
+
+ A panser le blessé, c'est la fraîche compresse
+ Sur la cuisante plaie et l'homme qui s'engraisse
+ De sanglots et de pleurs, de peine et de détresse,
+
+ Et d'un regret plus beau que la même tendresse,
+ Et l'arme aux mains de l'ange ardente et vengeresse
+ Au seuil du paradis afin que comparaisse
+
+ L'âme toujours chassée et toujours chasseresse,
+ L'âme toujours esclave et ensemble maîtresse,
+ L'âme toujours enfant et toujours pécheresse;
+
+ Les armes de Jésus c'est la lettre et l'esprit,
+ Mais c'est l'esprit qui mène et l'esprit qui nourrit,
+ Et la lettre n'est là que comme un mot d'écrit;
+
+ Les armes de Jésus c'est la lettre et l'esprit,
+ C'est le père qui gronde et l'enfant qui sourit,
+ C'est le Père et le Fils et c'est le Saint-Esprit;
+
+ La lettre est ce qui tue et l'esprit vivifie,
+ Et la lettre est la mort et l'esprit est la vie,
+ Et la lettre est l'orgueil et la lettre est l'envie;
+
+ C'est l'esprit qui commande et la lettre qui sert,
+ C'est l'esprit qui demande et la lettre qui perd
+ Et c'est l'esprit qui sauve et prêche en plein désert;
+
+ C'est l'esprit qui gouverne et l'esprit qui conduit
+ L'homme vers un seul point et la lettre qui suit
+ Vers la lampe de l'ogre et c'est l'esprit qui cuit
+
+ Le pain quand il est chaud, c'est l'esprit qui déduit
+ Jésus du vieil Adam et derechef induit
+ Israël en Jésus que la lettre réduit;
+
+ C'est l'esprit qui combat et la lettre qui fuit,
+ C'est l'esprit qui travaille et l'esprit qui produit
+ La paille, le bon grain, la feuille, le bon fruit;
+
+ Et la lettre n'a jamais fait qu'un peu de bruit,
+ C'est elle qui séduit et c'est elle qui nuit,
+ Et la lettre et l'esprit c'est le jour et la nuit;
+
+ Mais l'esprit et la lettre est la nuit et le jour,
+ Les armes de Jésus c'est l'honneur et l'amour
+ Et le roi dans son camp et le roi dans sa cour;
+
+ Les armes de Jésus c'est le feu dans le four,
+ La pâte et le levain et c'est le pain du jour,
+ Et c'est le roi David retiré dans sa tour;
+
+ Les armes de Jésus c'est tout homme proscrit
+ Qui sera rappelé, c'est le jeune conscrit
+ Qui sera convoqué, c'est le jeune homme inscrit
+
+ Sur le livre éternel et c'est le coeur contrit
+ Qui sera fomenté, c'est le billet souscrit
+ Qui sera présenté, c'est le bonheur décrit
+
+ Un jour sur la montagne et l'honnête rescrit
+ De par le roi du ciel et le pardon prescrit
+ Par la nouvelle loi, c'est Dieu même transcrit
+
+ De Moïse en Jésus, c'est Satan circonscrit,
+ C'est tout ce qu'il fallait pour que Jésus souffrît,
+ Les armes de Jésus c'est surtout Jésus-Christ;
+
+ C'est tout ce qu'il fallait pour que Jésus ouvrît
+ La porte du tombeau, pour que Jésus offrît
+ Le premier sacrifice et qu'il rendît l'esprit;
+
+ C'est tout ce qu'il fallait pour que Jésus couvrît
+ Le pécheur devant Dieu, pour qu'il redécouvrît
+ Le chemin du salut et pour qu'il entreprît
+
+ De remonter la pente et pour qu'il se reprît
+ Et qu'il reprît le monde et pour que l'homme apprît
+ Le chemin difficile et pour qu'il désapprît
+
+ La route sans cailloux et pour qu'un jour en Gaule,
+ D'autres soldats romains, le manteau sur l'épaule,
+ Le torse bien moulé dans leurs lames de tôle,
+
+ Chevauchant par la route épaisse comme un môle,
+ La lance entre les doigts comme on tient une gaule,
+ Un jour en plein hiver sous la neige du pôle,
+
+ Le long des blancs bouleaux, le long du même saule,
+ Voyant un vagabond, quelque échappé de geôle,
+ Un autre centurion, de ceux que Rome enrôle,
+
+ Du manteau militaire enfin se découvrît;
+ C'est tout ce qu'il fallait pour que l'homme s'éprît
+ Du seul amour qui dure et pour qu'il se déprît
+
+ Du seul amour qui passe et pour qu'il se méprît
+ Comme il faut se méprendre et qu'alors il comprît
+ Tout ce qu'il faut comprendre et qu'alors il en prît
+
+ Tout ce qu'il faut en prendre et qu'alors il surprît
+ Le secret mal gardé, le secret manuscrit
+ Qui n'est pas dans la lettre et se cache en esprit;
+
+ Les armes de Jésus c'est le chemin fleuri,
+ Mais plus que le printemps galamment refleuri,
+ C'est le sévère automne à l'instant défleuri;
+
+ Et la fleur de Marie est la rose fleurie,
+ Mais plus que l'humble rose au printemps refleurie,
+ C'est la rose d'automne humblement défleurie;
+
+ Les armes de Jésus c'est le vallon fleuri,
+ Mais plus que le printemps incessamment fleuri,
+ Et plus que le printemps insolemment fleuri,
+
+ Et plus que le printemps impudemment fleuri.
+ Et plus que le printemps effrontément fleuri,
+ C'est le pudique automne à jamais défleuri;
+
+ Les armes de Jésus c'est un peuple chéri
+ Comme un fils qui revient, c'est un mourant guéri
+ Par son extrême onction, c'est un peuple aguerri
+
+ Par une juste guerre et le marin péri
+ Au péril de la mer, le navire atterri
+ Dans le recreux du port, tout un peuple nourri
+
+ De quelques poissons secs, tout un monde nourri
+ D'une seule victime et le raisin mûri
+ Pour le vin du calice et l'autre vin suri
+
+ Pour l'éponge et la lance et le vinaigre aigri;
+ Les armes de Jésus c'est le levain pétri
+ Au milieu de la pâte et lui-même suri;
+
+ Les armes de Satan c'est le fleuve tari,
+ C'est chez l'équarrisseur le cheval équarri,
+ C'est l'enfant affamé, c'est le pain renchéri;
+
+ Les armes de Satan c'est le coeur mal guéri
+ De la vieille blessure et c'est le coeur tari
+ A force de saigner et le coeur mal nourri
+
+ A force de jeûner, c'est tout ce qui tarit,
+ C'est tout ce qui périt, tout ce qui dépérit,
+ Et tout ce qui surit et tout ce qui pourrit;
+
+ Les armes de Satan c'est la sève appauvrie,
+ C'est le sang répandu, la branche rabougrie,
+ Le rameau desséché, la prude renchérie;
+
+ Les armes de Satan c'est tout ce qui flétrit,
+ Rapetisse, avilit, injurie, amoindrit,
+ C'est tout ce qui méprise et tout ce qui meurtrit;
+
+ Les armes de Jésus c'est tout ce qui nourrit,
+ C'est tout ce qui boutonne et tout ce qui périt
+ Aux jardins de Touraine et tout ce qui mûrit;
+
+ Les armes de Jésus c'est un coeur tout fleuri,
+ Plus que le jeune coeur au printemps refleuri,
+ C'est le coeur à l'automne à jamais défleuri;
+
+ Les armes de Satan c'est la paix et la guerre,
+ Les peuples éventrés, les sacrements par terre,
+ La honte, la terreur, la rage militaire;
+
+ Les armes de Jésus c'est la guerre et la paix,
+ Les peuples respectés et les derniers harnais
+ De guerre suspendus aux frontons des palais;
+
+ Les armes de Satan c'est l'horreur de la guerre,
+ Les peuples affolés, Jésus sur le Calvaire,
+ Le sang, le cri de mort, le meurtre volontaire;
+
+ Les armes de Jésus c'est l'honneur de la guerre,
+ Les peuples rétablis, Jésus sur le Calvaire,
+ Le sang, le sacrifice et la mort volontaire;
+
+ Pour qu'elle vît venir sous un tel étendard
+ De Jésus-Christ soldat contre Satan soudard,
+ Vers le vieux saint Étienne et le vieux saint Médard;
+
+ Pour qu'elle vît venir par un chemin de terre,
+ Comme une jeune enfant qui vient vers sa grand'mère,
+ Par les bois de Puteaux, par les champs de Nanterre;
+
+ Pour qu'elle vît venir ardente et militaire,
+ Obéissante et ferme et douce et volontaire,
+ Sur Boulogne et Neuilly, sur Puteaux et Nanterre;
+
+ Hauturière et docile, alerte et droiturière,
+ Et prompte à la manoeuvre et peu procédurière,
+ Destinée à périr comme une aventurière;
+
+ Bien en selle en avant de sa cavalerie,
+ Masquant ses bombardiers et sa bombarderie,
+ Traînant comme un réseau sa lourde infanterie;
+
+ Ameutant ses tambours qui battaient pour la messe,
+ Gourmandant ces brigands qui couraient à confesse,
+ Déférente aux trois voix qui scellaient leur promesse;
+
+ Ayant mis les soldats au pas sacramentaire,
+ Ayant mis les curés au pas réglementaire,
+ Et logé les Vertus au train régimentaire;
+
+ Bien allante et vaillante et sans étourderie,
+ Bien venante et plaisante et sans coquetterie,
+ Bien disante et parlante et sans bavarderie;
+
+ Révérant les coffrets sertis de pierrerie
+ Où les reliefs des saints ouvrés d'orfèvrerie
+ Reposent sur l'autel et sur la broderie;
+
+ Sage comme une aïeule en sa tendre jeunesse,
+ Cadette ayant conquis le plus beau droit d'aînesse,
+ Grave et les yeux plus clairs que d'une chanoinesse,
+
+ La sainte la plus grande après sainte Marie.
+
+
+
+
+NEUVIÈME JOUR
+
+POUR LE SAMEDI 11 JANVIER 1913
+
+IX
+
+
+ Comme Dieu ne fait rien que par compagnonnage,
+ Il fallut qu'elle vît ces mauvais compagnons,
+ Les Anglais, (les Français), les traîtres Bourguignons
+ Dépecer le royaume ainsi qu'un apanage;
+
+ Il fallut qu'elle vît ce monstrueux ménage,
+ Et les gibets poussant comme des champignons,
+ Et le mur et le toit et l'angle des pignons
+ Tout dégouttants du meurtre et du sang du carnage;
+
+ Il fallut qu'elle vît tout ce maquignonnage,
+ Les cadavres tout nus serrés en rangs d'oignons,
+ Les blessés mutilés traînés sur leurs moignons,
+ Les morts et les mourants dérivant à la nage;
+
+ Il fallut qu'elle vît cet horrible engrenage
+ Happer tout le royaume et ces mauvais garçons
+ Rouer vif tout un peuple et rôtir les moissons,
+ Sortis du menu peuple ou du haut baronnage;
+
+ Les armes de Jésus c'est la belle marraine
+ Et c'est le beau baptême et les belles dragées,
+ Mais plus que le cortège et que les apogées
+ C'est le deuil et la ruine et la honte et la peine;
+
+ Il fallut qu'elle vît par ce libertinage
+ Dissiper ce trésor d'honneur que nous gagnons,
+ Et déserter le Dieu que nous accompagnons,
+ Comme on déserte un mort dans un pauvre village;
+
+ Il fallut qu'elle vît par ce vagabondage
+ Retourner ce passé dont nous nous éloignons,
+ Il fallut qu'elle vît les maux que nous soignons
+ Monter le long de nous comme un échafaudage;
+
+ Il fallut qu'elle vît par le faux témoignage
+ Démentir le propos pour qui nous témoignons,
+ Il fallut qu'elle vît l'urne où nous nous baignons
+ S'effondrer par souillure et par dévergondage;
+
+ Il fallut qu'elle vît par tout ce maraudage
+ Cueillir les fruits moisis et que nous dédaignons,
+ Il fallut qu'elle vît la ville où nous régnons
+ Démantelée aux mains de tout ce chapardage;
+
+ Il fallut qu'elle vît par tant d'enfantillage
+ Avilir cette foi dont nous nous imprégnons,
+ Il fallut qu'elle vît le sang dont nous saignons
+ Saigner du même coeur et du même courage;
+
+ Il fallut qu'elle vît par un sot bavardage
+ Flétrir le dogme auguste et que nous enseignons,
+ Et qu'elle vît tarir la grâce où nous baignons,
+ Lustrale et baptismale, en un lourd badinage;
+
+ Il fallut qu'elle vît par tout ce brigandage
+ Commettre les forfaits dont nous nous indignons,
+ Et les écus sonnants et que nous alignons
+ Fondre au creuset d'orgueil et de faux monnayage;
+
+ Il fallut qu'elle vît par tout ce forlignage
+ Dégénérer la race où nous nous alignons,
+ Et les mots éternels et que nous soulignons
+ Tomber dans le silence et dans le persiflage;
+
+ Il fallut qu'elle vît par tout ce maquillage
+ Fausser la signature où nous contresignons,
+ Et le terme et la mort que nous nous assignons
+ Approcher tous les jours comme un lointain rivage;
+
+ Il fallut qu'elle vît cette jalouse rage
+ Assaillir la caserne où nous nous consignons,
+ Et la taverne infâme et que nous désignons
+ D'un nom injurieux déborder sur la plage;
+
+ Il fallut qu'elle vît cette haine sauvage
+ Dénaturer le sort où nous nous résignons,
+ Et la ronce et l'ortie où nous égratignons
+ Nos mains s'enchevêtrer dans le jeune bocage;
+
+ Il fallut qu'elle vît au chemin de halage
+ Déraciner la borne à qui nous nous cognons,
+ Et qu'elle vît le coin où nous nous rencoignons
+ Nous refuser le gîte et le pain du voyage;
+
+ Il fallut qu'elle vît dans ce commun naufrage
+ Sombrer l'arche rompue et que nous empoignons,
+ Et qu'elle vît la grande armée où nous grognons,
+ (Mais nous marchons toujours), subir cet hivernage;
+
+ Il fallut qu'elle vît par un tel sabotage
+ Dénaturaliser l'oeuvre où nous besognons.
+ Et qu'elle vît l'injure à qui nous répugnons
+ Régner et gouverner sous figure d'outrage;
+
+ Il fallut qu'elle vît le long du bastingage
+ Précipiter à l'eau l'or que nous épargnons,
+ Et qu'elle vît la vergue où nous nous éborgnons
+ Chanceler et tomber par l'effet du tangage;
+
+ Il fallut qu'elle vît dans ce même hivernage
+ S'évanouir de froid l'ardeur que nous feignons,
+ Et qu'elle vît la peine où nous nous renfrognons
+ S'évanouir de mort dans un beau sarcophage;
+
+ Il fallut qu'elle vît dans cet appareillage
+ S'avancer la galère où captifs nous geignons,
+ Et qu'elle vît la nef lourde où nous nous plaignons
+ Gémir dans ses haubans et ses bois d'assemblage;
+
+ Il fallut qu'elle vît par un commun partage
+ Arriver justement le sort que nous craignons,
+ Et la loi qui nous sauve et que nous enfreignons
+ Exposée à périr dans ce même naufrage;
+
+ Il fallut qu'elle vît dans le même mouillage
+ Sombrer le désespoir que seul nous étreignons,
+ Et qu'elle vît cet ordre où nous nous astreignons
+ Perdre ses bancs de rame et son amarinage;
+
+ Il fallut qu'elle vît dans ce commun dommage
+ Plier la discipline où nous nous contraignons,
+ Et qu'elle vît l'astreinte où nous nous restreignons
+ Se détendre et crever comme un mauvais bordage;
+
+ Il fallut qu'elle vît dans le mouvant sillage
+ Flotter et s'enfoncer la mort que nous ceignons,
+ Et qu'elle vît couler le sang dont nous teignons
+ Notre robe lustrale et notre enfantillage;
+
+ Il fallut qu'elle vît par un jeu de mirage
+ Reculer le but fixe et que nous atteignons,
+ Et qu'elle vît le terme où nous nous rejoignons
+ Se dérober à nous en plein atterrissage;
+
+ Il fallut qu'elle vît en plein coeur de l'orage
+ Brûler la chère flamme et que nous éteignons
+ Et qu'elle vît les maux que nous nous adjoignons
+ Se coucher contre nous pour un noble servage;
+
+ Il fallût qu'elle vît dans tout ce gribouillage
+ Se raidir les devoirs que nous nous enjoignons,
+ Et les soucis aigus et dont nous nous poignons
+ Nous percer jusqu'au coeur dans tout ce barbouillage:
+
+ Pour qu'elle vît venir du fond de la campagne,
+ Au milieu de ses clercs, au milieu de ses pages,
+ Vers l'arène romaine et la roide montagne,
+
+ Traînant les trois Vertus au train des équipages,
+ Sa plus fine et plus ferme et plus douce compagne
+ Et la plus belle enfant de ses longs patronages.
+
+
+
+
+_la tapisserie
+
+de Notre Dame_
+
+
+_cahier pour le dimanche de la Pentecôte
+
+et pour le mois de mai
+
+de la quatorzième série_
+
+
+au fidèle Lotte
+
+et
+
+au _Bulletin des Professeurs catholiques de l'Université_
+
+
+Présentation de Paris à Notre Dame
+
+ Étoile de la mer voici la lourde nef
+ Où nous ramons tout nuds sous vos commandements
+ Voici notre détresse et nos désarmements;
+ Voici le quai du Louvre, et l'écluse, et le bief.
+
+ Voici notre appareil et voici notre chef.
+ C'est un gars de chez nous qui siffle par moments.
+ Il n'a pas son pareil pour les gouvernements.
+ Il a la tête dure et le geste un peu bref.
+
+ Reine qui vous levez sur tous les océans,
+ Vous penserez à nous quand nous serons au large.
+ Aujourd'hui c'est le jour d'embarquer notre charge.
+ Voici l'énorme grue et les longs meuglements.
+
+ S'il fallait le charger de nos pauvres vertus,
+ Ce vaisseau s'en irait vers votre auguste seuil
+ Plus creux que la noisette après que l'écureuil
+ L'a laissé retomber de ses ongles pointus.
+
+ Nuls ballots n'entreraient par les panneaux béants,
+ Et nous arriverions dans la mer de sargasse
+ Traînant cette inutile et grotesque carcasse
+ Et les Anglais diraient: Ils n'ont rien mis dedans.
+
+ Mais nous saurons l'emplir et nous vous le jurons,
+ Il sera plus beau dans cet illustre port.
+ La cargaison ira jusque sur le plat-bord.
+ Et quand il sera plein nous le couronnerons.
+
+ Nous n'y chargerons pas notre pauvre maïs,
+ Mais de l'or et du blé que nous emporterons.
+ Et il tiendra la mer: car nous le chargerons
+ Du poids de nos péchés payés par votre fils.
+
+
+Paris vaisseau de charge
+
+ Double vaisseau de charge aux deux rives de Seine,
+ Vaisseau de pourpre et d'or, de myrrhe et de cinname,
+ Vaisseau de blé, de seigle, et de justesse d'âme,
+ D'humilité, d'orgueil, et de simple verveine;
+
+ Nos pères t'ont comblé d'une si longue peine,
+ Depuis mille et mille ans que tu viens à la lame,
+ Que nulle cargaison n'est si lourde à la rame,
+ Et que nul bâtiment n'a la panse aussi pleine.
+
+ Mais nous apporterons un regret si sévère,
+ Et si nourri d'honneur, et si creusé de flamme,
+ Que le chef le prendra pour un sac de prière,
+
+ Et le fera hisser jusque sous l'oriflamme,
+ Navire appareillé sous Septime Sévère,
+ Double vaisseau de charge aux pieds de Notre Dame.
+
+
+Paris double galère
+
+ Depuis le Point du Jour jusqu'aux cèdres bibliques
+ Double galère assise au long du grand bazar,
+ Et du grand ministère, et du morne alcazar,
+ Parmi les deuils privés et les vertus publiques;
+
+ Sous les quatre-vingts rois et les trois Républiques,
+ Et sous Napoléon, Alexandre et César,
+ Nos pères ont tenté le centuple hasard,
+ Fidèlement courbés sur tes rames obliques.
+
+ Et nous prenant leur place au même banc de chêne,
+ Nous ramerons des reins, de la nuque, de l'âme,
+ Pliés, cassés, meurtris, saignants sous notre chaîne;
+
+ Et nous tiendrons le coup, rivés sur notre rame,
+ Forçats fils de forçats aux deux rives de Seine,
+ Galériens couchés aux pieds de Notre Dame.
+
+
+Paris vaisseau de guerre
+
+ Double vaisseau de ligne au long des colonnades
+ Autrefois bâtiment au centuple sabord,
+ Aujourd'hui lourde usine, énorme coffre-fort
+ Fermé sur le secret des sourdes canonnades.
+
+ Nos pères t'ont dansé de chaudes sérénades.
+ Ils t'ont fleuri du sang de la plus belle mort,
+ Quand au gaillard d'avant vers l'un et l'autre bord
+ Bondissait le troupeau des graves caronnades.
+
+ Mais nous apporterons à tes destins géants
+ Un coeur si sérieux et si brûlé de flamme,
+ Un coeur si curieux de tous les océans,
+
+ Soldats fils de soldats sous la même oriflamme,
+ Qu'on nous mettra valets de tes canons béants,
+ Monstres verts accroupis aux pieds de Notre-Dame.
+
+
+Présentation de la Beauce à Notre Dame de Chartres
+
+ Étoile de la mer voici la lourde nappe
+ Et la profonde houle et l'océan des blés
+ Et la mouvante écume et nos greniers comblés,
+ Voici votre regard sur cette immense chape
+
+ Et voici votre voix sur cette lourde plaine
+ Et nos amis absents et nos coeurs dépeuplés,
+ Voici le long de nous nos poings désassemblés
+ Et notre lassitude et notre force pleine.
+
+ Étoile du matin, inaccessible reine,
+ Voici que nous marchons vers votre illustre cour,
+ Et voici le plateau de notre pauvre amour,
+ Et voici l'océan de notre immense peine.
+
+ Un sanglot rôde et court par delà l'horizon.
+ A peine quelques toits font comme un archipel.
+ Du vieux clocher retombe une sorte d'appel.
+ L'épaisse église semble une basse maison.
+
+ Ainsi nous naviguons vers votre cathédrale.
+ De loin en loin surnage un chapelet de meules,
+ Rondes comme des tours, opulentes et seules
+ Comme un rang de châteaux sur la barque amirale.
+
+ Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre
+ Un réservoir sans fin pour les âges nouveaux.
+ Mille ans de votre grâce ont fait de ces travaux
+ Un reposoir sans fin pour l'âme solitaire.
+
+ Vous nous voyez marcher sur cette route droite,
+ Tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents.
+ Sur ce large éventail ouvert à tous les vents
+ La route nationale est notre porte étroite.
+
+ Nous allons devant nous, les mains le long des poches,
+ Sans aucun appareil, sans fatras, sans discours,
+ D'un pas toujours égal, sans hâte ni recours,
+ Des champs les plus présents vers les champs les plus proches.
+
+ Vous nous voyez marcher, nous sommes la piétaille.
+ Nous n'avançons jamais que d'un pas à la fois.
+ Mais vingt siècles de peuple et vingt siècles de rois,
+ Et toute leur séquelle et toute leur volaille
+
+ Et leurs chapeaux à plume avec leur valetaille
+ Ont appris ce que c'est que d'être familiers,
+ Et comme on peut marcher, les pieds dans ses souliers,
+ Vers un dernier carré le soir d'une bataille.
+
+ Nous sommes nés pour vous au bord de ce plateau,
+ Dans le recourbement de notre blonde Loire,
+ Et ce fleuve de sable et ce fleuve de gloire
+ N'est là que pour baiser votre auguste manteau.
+
+ Nous sommes nés au bord de ce vaste plateau,
+ Dans l'antique Orléans sévère et sérieuse,
+ Et la Loire coulante et souvent limoneuse
+ N'est là que pour laver les pieds de ce coteau.
+
+ Nous sommes nés au bord de votre plate Beauce
+ Et nous avons connu dès nos plus jeunes ans
+ Le portail de la ferme et les durs paysans
+ Et l'enclos dans le bourg et la bêche et la fosse.
+
+ Nous sommes nés au bord de votre Beauce plate
+ Et nous avons connu dès nos premiers regrets
+ Ce que peut receler de désespoirs secrets
+ Un soleil qui descend dans un ciel écarlate
+
+ Et qui se couche au ras d'un sol inévitable
+ Dur comme une justice, égal comme une barre,
+ Juste comme une loi, fermé comme une mare,
+ Ouvert comme un beau socle et plan comme une table.
+
+ Un homme de chez nous, de la glèbe féconde
+ A fait jaillir ici d'un seul enlèvement,
+ Et d'une seule source et d'un seul portement,
+ Vers votre assomption la flèche unique au monde.
+
+ Tour de David voici votre tour beauceronne.
+ C'est l'épi le plus dur qui soit jamais monté
+ Vers un ciel de clémence et de sérénité,
+ Et le plus beau fleuron dedans votre couronne.
+
+ Un homme de chez nous a fait ici jaillir,
+ Depuis le ras du sol jusqu'au pied de la croix,
+ Plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois,
+ La flèche irréprochable et qui ne peut faillir.
+
+ C'est la gerbe et le blé qui ne périra point,
+ Qui ne fanera point au soleil de septembre,
+ Qui ne gèlera point aux rigueurs de décembre,
+ C'est votre serviteur et c'est votre témoin.
+
+ C'est la tige et le blé qui ne pourrira pas,
+ Qui ne flétrira point aux ardeurs de l'été.
+ Qui ne moisira point dans un hiver gâté,
+ Qui ne transira point dans le commun trépas.
+
+ C'est la pierre sans tache et la pierre sans faute,
+ La plus haute oraison qu'on ait jamais portée,
+ La plus droite raison qu'on ait jamais jetée,
+ Et vers un ciel sans bord la ligne la plus haute.
+
+ Celle qui ne mourra le jour d'aucunes morts,
+ Le gage et le portrait de nos arrachements,
+ L'image et le tracé de nos redressements,
+ La laine et le fuseau des plus modestes sorts.
+
+ Nous arrivons vers vous du lointain Parisis.
+ Nous avons pour trois jours quitté notre boutique,
+ Et l'archéologie avec la sémantique,
+ Et la maigre Sorbonne et ses pauvres petits.
+
+ D'autres viendront vers vous du lointain Beauvaisis.
+ Nous avons pour trois jours laissé notre négoce,
+ Et la rumeur géante et la ville colosse,
+ D'autres viendront vers vous du lointain Cambrésis.
+
+ Nous arrivons vers vous de Paris capitale.
+ C'est là que nous avons notre gouvernement,
+ Et notre temps perdu dans le lanternement,
+ Et notre liberté décevante et totale.
+
+ Nous arrivons vers vous de l'autre Notre Dame,
+ De celle qui s'élève au coeur de la cité,
+ Dans sa royale robe et dans sa majesté,
+ Dans sa magnificence et sa justesse d'âme.
+
+ Comme vous commandez un océan d'épis,
+ Là-bas vous commandez un océan de têtes,
+ Et la moisson des deuils et la moisson des fêtes
+ Se couche chaque soir devant votre parvis.
+
+ Nous arrivons vers vous du noble Hurepoix.
+ C'est un commencement de Beauce à notre usage,
+ Des fermes et des champs taillés à votre image,
+ Mais coupés plus souvent par des rideaux de bois,
+
+ Et coupés plus souvent par de creuses vallées
+ Pour l'Yvette et la Bièvre et leurs accroissements,
+ Et leurs savants détours et leurs dégagements,
+ Et par les beaux châteaux et les longues allées.
+
+ D'autres viendront vers vous du noble Vermandois,
+ Et des vallonnements de bouleaux et de saules.
+ D'autres viendront vers vous des palais et des geôles.
+ Et du pays picard et du vert Vendômois.
+
+ Mais c'est toujours la France, ou petite ou plus grande,
+ Le pays des beaux blés et des encadrements,
+ Le pays de la grappe et des ruissellements,
+ Le pays de genêts, de bruyère, de lande.
+
+ Nous arrivons vers vous du lointain Palaiseau
+ Et des faubourgs d'Orsay par Gometz-le-Châtel,
+ Autrement dit Saint-Clair; ce n'est pas un castel;
+ C'est un village au bord d'une route en biseau.
+
+ Nous avons débouché, montant de ce coteau,
+ Sur le ras de la plaine et sur Gometz-la-Ville
+ Au-dessus de Saint-Clair; ce n'est pas une ville;
+ C'est un village au bord d'une route en plateau.
+
+ Nous avons descendu la côte de Limours.
+ Nous avons rencontré trois ou quatre gendarmes.
+ Ils nous ont regardé, non sans quelques alarmes,
+ Consulter les poteaux aux coins des carrefours.
+
+ Nous avons pu coucher dans le calme Dourdan.
+ C'est un gros bourg très riche et qui sent sa province.
+ Fiers nous avons longé, regardés comme un prince,
+ Les fossés du château coupés comme un redan.
+
+ Dans la maison amie, hôtesse et fraternelle
+ On nous a fait coucher dans le lit du garçon.
+ Vingt ans de souvenirs étaient notre échanson.
+ Le pain nous fut coupé d'une main maternelle.
+
+ Toute notre jeunesse était là sollennelle.
+ On prononça pour nous le Bénédicité.
+ Quatre siècles d'honneur et de fidélité
+ Faisaient des draps du lit une couche éternelle.
+
+ Nous avons fait semblant d'être un gai pèlerin
+ Et même un bon vivant et d'aimer les voyages,
+ Et d'avoir parcouru cent trente-et-un bailliages,
+ Et d'être accoutumés d'être sur le chemin.
+
+ La clarté de la lampe éblouissait la nappe.
+ On nous fit visiter le jardin potager.
+ Il donnait sur la treille et sur un beau verger.
+ Tel fut le premier gîte et la tête d'étape.
+
+ Le jardin était clos dans un coude de l'Orge.
+ Vers la droite il donnait sur un mur bocager
+ Surmonté de rameaux et d'un arceau léger.
+ En face un maréchal, et l'enclume, et la forge.
+
+ Nous nous sommes levés ce matin devant l'aube.
+ Nous nous sommes quittés après les beaux adieux.
+ Le temps s'annonçait bien. On nous a dit tant mieux.
+ On nous a fait goûter de quelque boeuf en daube,
+
+ Puisqu'il est entendu que le bon pèlerin
+ Est celui qui boit ferme et tient sa place à table,
+ Et qu'il n'a pas besoin de faire le comptable,
+ Et que c'est bien assez de se lever matin.
+
+ Le jour était en route et le soleil montait
+ Quand nous avons passé Sainte-Mesme et les autres.
+ Nous avancions déjà comme deux bons apôtres.
+ Et la gauche et la droite était ce qui comptait.
+
+ Nous sommes remontés par le Gué de Longroy,
+ C'en est fait désormais de nos atermoiements,
+ Et de l'iniquité des dénivellements:
+ Voici la juste plaine et le secret effroi
+
+ De nous trouver tout seuls et voici le charroi
+ Et la roue et les boeufs et le joug et la grange,
+ Et la poussière égale et l'équitable fange
+ Et la détresse égale et l'égal désarroi.
+
+ Nous voici parvenus sur la haute terrasse
+ Où rien ne cache plus l'homme de devant Dieu,
+ Où nul déguisement ni du temps ni du lieu
+ Ne pourra nous sauver Seigneur, de votre chasse.
+
+ Voici la gerbe immense et l'immense liasse,
+ Et le grain sous la meule et nos écrasements,
+ Et la grêle javelle et nos renoncements,
+ Et l'immense horizon que le regard embrasse.
+
+ Et notre indignité cette immuable masse,
+ Et notre basse peur en un pareil moment,
+ Et la juste terreur et le secret tourment
+ De nous trouver tout seuls par devant votre face.
+
+ Mais voici que c'est vous, reine de majesté.
+ Comment avons-nous pu nous laisser décevoir,
+ Et marcher devant vous sans vous apercevoir.
+ Nous serons donc toujours ce peuple inconcerté.
+
+ Ce pays est plus ras que la plus rase table.
+ A peine un creux du sol, à peine un léger pli.
+ C'est la table du juge et le fait accompli,
+ Et l'arrêt sans appel et l'ordre inéluctable.
+
+ Et c'est le prononcé du texte insurmontable,
+ Et la mesure comble et c'est le sort empli,
+ Et c'est la vie étale et l'homme enseveli,
+ Et c'est le héraut d'arme et le sceau redoutable.
+
+ Mais vous apparaissez, reine mystérieuse.
+ Cette pointe là-bas dans le moutonnement
+ Des moissons et des bois et dans le flottement
+ De l'extrême horizon ce n'est point une yeuse,
+
+ Ni le profil connu d'un arbre interchangeable.
+ C'est déjà plus distante, et plus basse, et plus haute,
+ Ferme comme un espoir sur la dernière côte,
+ Sur le dernier coteau la flèche inimitable.
+
+ D'ici vers vous, ô reine, il n'est plus que la route.
+ Celle-ci nous regarde, on en a bien fait d'autres.
+ Vous avez votre gloire et nous avons les nôtres.
+ Nous l'avons entamée, on la mangera toute.
+
+ Nous savons ce que c'est qu'un tronçon qui s'ajoute
+ Au tronçon déjà fait et ce qu'un kilomètre
+ Demande de jarret et ce qu'il faut en mettre:
+ Nous passerons ce soir par le pont et la voûte
+
+ Et ce fossé profond qui cerne le rempart.
+ Nous marchons dans le vent coupés par les autos.
+ C'est ici la contrée imprenable en photos,
+ La route nue et grave allant de part en part.
+
+ Nous avons eu bon vent de partir dès le jour.
+ Nous coucherons ce soir à deux pas de chez vous,
+ Dans cette vieille auberge où pour quarante sous
+ Nous dormirons tout près de votre illustre tour.
+
+ Nous serons si fourbus que nous regarderons,
+ Assis sur une chaise auprès de la fenêtre
+ Dans un écrasement du corps et de tout l'être,
+ Avec des yeux battus, presque avec des yeux ronds,
+
+ Et les sourcils haussés jusque dedans nos fronts,
+ L'angle une fois trouvé par un seul homme au monde,
+ Et l'unique montée ascendante et profonde,
+ Et nous serons recrus et nous contemplerons.
+
+ Voici l'axe et la ligne et la géante fleur.
+ Voici la dure pente et le contentement.
+ Voici l'exactitude et le consentement.
+ Et la sévère larme, ô reine de douleur.
+
+ Voici la nudité, le reste est vêtement.
+ Voici le vêtement, tout le reste est parure.
+ Voici la pureté, tout le reste est souillure.
+ Voici la pauvreté, le reste est ornement.
+
+ Voici la seule force et le reste est faiblesse.
+ Voici l'arête unique et le reste est bavure.
+ Et la seule noblesse et le reste est ordure.
+ Et la seule grandeur et le reste est bassesse.
+
+ Voici la seule foi qui ne soit point parjure.
+ Voici le seul élan qui sache un peu monter.
+ Voici le seul instant qui vaille de compter.
+ Voici le seul propos qui s'achève et qui dure.
+
+ Voici le monument, tout le reste est doublure.
+ Et voici notre amour et notre entendement.
+ Et notre port de tête et notre apaisement.
+ Et le rien de dentelle et l'exacte moulure.
+
+ Voici le beau serment, le reste est forfaiture.
+ Voici l'unique prix de nos arrachements,
+ Le salaire payé de nos retranchements.
+ Voici la vérité, le reste est imposture.
+
+ Voici le firmament, le reste est procédure.
+ Et vers le tribunal voici l'ajustement.
+ Et vers le paradis voici l'achèvement.
+ Et la feuille de pierre et l'exacte nervure.
+
+ Nous resterons cloués sur la chaise de paille.
+ Et nous n'entendrons pas et nous ne verrons pas
+ Le tumulte des voix, le tumulte des pas,
+ Et dans la salle en bas l'innocente ripaille.
+
+ Ni les rouliers venus pour le jour du marché.
+ Ni la feinte colère et l'éclat des jurons:
+ Car nous contemplerons et nous méditerons
+ D'un seul embrassement la flèche sans péché.
+
+ Nous ne sentirons pas ni nos faces raidies,
+ Ni la faim ni la soif ni nos renoncements,
+ Ni nos raides genoux ni nos raisonnements,
+ Ni dans nos pantalons nos jambes engourdies.
+
+ Perdus dans cette chambre et parmi tant d'hôtels,
+ Nous ne descendrons pas à l'heure du repas,
+ Et nous n'entendrons pas et nous ne verrons pas
+ La ville prosternée aux pieds de vos autels.
+
+ Et quand se lèvera le soleil de demain,
+ Nous nous réveillerons dans une aube lustrale,
+ A l'ombre des deux bras de votre cathédrale,
+ Heureux et malheureux et perclus du chemin.
+
+ Nous venons vous prier pour ce pauvre garçon
+ Qui mourut comme un sot au cours de cette année,
+ Presque dans la semaine et devers la journée
+ Où votre fils naquit dans la paille et le son.
+
+ ô Vierge il n'était pas le pire du troupeau.
+ Il n'avait qu'un défaut dans sa jeune cuirasse.
+ Mais la mort qui nous piste et nous suit à la trace
+ A passé par ce trou qu'il s'est fait dans la peau.
+
+ Il était né vers nous dans notre Gâtinais.
+ Il commençait la route où nous redescendons.
+ Il gagnait tous les jours tout ce que nous perdons.
+ Et pourtant c'était lui que tu te destinais,
+
+ ô mort qui fus vaincue en un premier caveau.
+ Il avait mis ses pas dans nos mêmes empreintes.
+ Mais le seul manquement d'une seule des craintes
+ Laissa passer la mort par un chemin nouveau.
+
+ Le voici maintenant dedans votre régence.
+ Vous êtes reine et mère et saurez le montrer.
+ C'était un être pur. Vous le ferez rentrer
+ Dans votre patronage et dans votre indulgence.
+
+ ô reine qui lisez dans le secret du coeur,
+ Vous savez ce que c'est que la vie ou la mort,
+ Et vous savez ainsi dans quel secret du sort
+ Se coud et se découd la ruse du traqueur.
+
+ Et vous savez ainsi sur quel accent de choeur
+ Se noue et se dénoue un accompagnement,
+ Et ce qu'il faut d'espace et de déboisement
+ Pour laisser débouler la meute du piqueur.
+
+ Et vous savez ainsi dans quel recreux du port
+ Se prépare et s'achève un noble enlèvement,
+ Et par quel jeu d'adresse et de gouvernement
+ Se dérobe ou se fige un illustre support.
+
+ Et vous savez ainsi sur quel tranchant du glaive
+ Se joue et se déjoue un épouvantement,
+ Et par quel coup de pouce et quel balancement
+ L'un des plateaux descend pour que l'autre s'élève.
+
+ Et ce que peut coûter la lèvre du moqueur,
+ Et ce qu'il faut de force et de recroisement
+ Pour faire par le coup d'un seul retournement
+ D'un vaincu malheureux un malheureux vainqueur.
+
+ Mère le voici donc, il était notre race,
+ Et vingt ans après nous notre redoublement.
+ Reine recevez-le dans votre amendement.
+ Où la mort a passé, passera bien la grâce.
+
+ Nous, nous retournerons par ce même chemin.
+ Ce sera de nouveau la terre sans cachette,
+ Le château sans un coin et sans une oubliette,
+ Et ce sol mieux gravé qu'un parfait parchemin.
+
+ _Et nunc et in hora_, nous vous prions pour nous
+ Qui sommes plus grands sots que ce pauvre gamin,
+ Et sans doute moins purs et moins dans votre main,
+ Et moins acheminés vers vos sacrés genoux.
+
+ Quand nous auront joué nos derniers personnages,
+ Quand nous aurons posé la cape et le manteau,
+ Quand nous aurons jeté le masque et le couteau,
+ Veuillez vous rappeler nos longs pèlerinages.
+
+ Quand nous retournerons en cette froide terre,
+ Ainsi qu'il fut prescrit pour le premier Adam,
+ Reine de Saint-Chéron, Saint-Arnould et Dourdan,
+ Veuillez vous rappeler ce chemin solitaire.
+
+ Quand on nous aura mis dans une étroite fosse,
+ Quand on aura sur nous dit l'absoute et la messe,
+ Veuillez vous rappeler, reine de la promesse,
+ Le long cheminement que nous faisons en Beauce.
+
+ Quand nous aurons quitté ce sac et cette corde,
+ Quand nous aurons tremblé nos derniers tremblements,
+ Quand nous aurons râlé nos derniers râclements,
+ Veuillez vous rappeler votre miséricorde.
+
+ Nous ne demandons rien, refuge du pécheur,
+ Que la dernière place en votre Purgatoire,
+ Pour pleurer longuement notre tragique histoire,
+ Et contempler de loin votre jeune splendeur.
+
+
+_les quatre prières dans la cathédrale de Chartres_
+
+
+1.--prière de résidence
+
+ O reine voici donc après la longue route,
+ Avant de repartir par ce même chemin,
+ Le seul asile ouvert au creux de votre main,
+ Et le jardin secret où l'âme s'ouvre toute.
+
+ Voici le lourd pilier et la montante voûte;
+ Et l'oubli pour hier, et l'oubli pour demain;
+ Et l'inutilité de tout calcul humain;
+ Et plus que le péché, la sagesse en déroute.
+
+ Voici le lieu du monde où tout devient facile,
+ Le regret, le départ, même l'événement,
+ Et l'adieu temporaire et le détournement,
+ Le seul coin de la terre où tout devient docile,
+
+ Et même ce vieux coeur qui faisait le rebelle;
+ Et cette vieille tête et ces raisonnements;
+ Et ces deux bras raidis dans les casernements;
+ Et cette jeune enfant qui faisait trop la belle.
+
+ Voici le lieu du monde où tout est reconnu,
+ Et cette vieille tête et la source des larmes;
+ Et ces deux bras raidis dans le métier des armes;
+ Le seul coin de la terre où tout soit contenu.
+
+ Voici le lieu du monde où tout est revenu
+ Après tant de départs, après tant d'arrivées.
+ Voici le lieu du monde où tout est pauvre et nu
+ Après tant de hasards, après tant de corvées.
+
+ Voici le lieu du monde et la seule retraite,
+ Et l'unique retour et le recueillement,
+ Et la feuille et le fruit et le défeuillement,
+ Et les rameaux cueillis pour cette unique fête.
+
+ Voici le lieu du monde où tout rentre et se tait,
+ Et le silence et l'ombre et la charnelle absence,
+ Et le commencement d'éternelle présence,
+ Le seul réduit où l'âme est tout ce qu'elle était.
+
+ Voici le lieu du monde où la tentation
+ Se retourne elle-même et se met à l'envers.
+ Car ce qui tente ici c'est la soumission;
+ Et c'est l'aveuglement dans l'immense univers.
+
+ Et le déposement est ici ce qui tente,
+ Et ce qui vient tout seul est l'abdication,
+ Et ce qui vient soi-même et ce qui se présente
+ N'est ici que grandesse et présentation.
+
+ C'est la révolte ici qui devient impossible,
+ Et ce qui se présente est la démission.
+ Et c'est l'effacement qui devient invincible,
+ Et tout n'est que bonjour et salutation.
+
+ Ce qui partout ailleurs est une accession
+ N'est ici qu'un total et sourd abrasement.
+ Ce qui partout ailleurs est un entassement
+ N'est ici que bassesse et que dépression.
+
+ Ce qui partout ailleurs est une oppression
+ N'est ici que l'effet d'un noble écrasement.
+ Ce qui partout ailleurs est un empressement
+ N'est ici qu'héritage et que succession.
+
+ Ce qui partout ailleurs est une rude guerre
+ N'est ici que la paix d'un long délaissement.
+ Ce qui partout ailleurs est un affaissement
+ Est ici la loi même et la norme vulgaire.
+
+ Ce qui partout ailleurs est une âpre bataille
+ Et sur le cou tendu le couteau du boucher,
+ Ce qui partout ailleurs est la greffe et la taille
+ N'est ici que la fleur et le fruit du pêcher.
+
+ Ce qui partout ailleurs est la rude montée
+ N'est ici que descente et qu'aboutissement.
+ Ce qui partout ailleurs est la mer démontée
+ N'est ici que bonace et qu'établissement.
+
+ Ce qui partout ailleurs est une dure loi
+ N'est ici qu'un beau pli sous vos commandements,
+ Et dans la liberté de nos amendements
+ Une fidélité plus tendre que la foi.
+
+ Ce qui partout ailleurs est une obsession
+ N'est ici sous vos lois qu'une place rendue.
+ Ce qui partout ailleurs est une âme vendue
+ N'est ici que prière et qu'intercession.
+
+ Ce qui partout ailleurs est une lassitude
+ N'est ici que des clefs sur un humble plateau.
+ Ce qui partout ailleurs est la vicissitude
+ N'est ici qu'une vigne à même le coteau.
+
+ Ce qui partout ailleurs est la longue habitude
+ Assise au coin du feu les poings sous le menton,
+ Ce qui partout ailleurs est une solitude
+ N'est ici qu'un vivace et ferme rejeton.
+
+ Ce qui partout ailleurs est la décrépitude
+ Assise au coin du feu les poings sur les genoux
+ N'est ici que tendresse et que sollicitude
+ Et deux bras maternels qui se tournent vers nous.
+
+ Nous nous sommes lavés d'une telle amertume
+ Étoile de la mer et des récifs salés,
+ Nous nous sommes lavés d'une si basse écume,
+ Étoile de la barque et des souples filets.
+
+ Nous avons délavé nos malheureuses têtes
+ D'un tel fatras d'ordure et de raisonnement,
+ Nous voici désormais, ô reine des prophètes,
+ Plus clairs que l'eau du puits de l'ancien testament.
+
+ Nous avons gouverné de si modestes arches,
+ Voile du seul vaisseau qui ne périra pas,
+ Nous avons consulté de si pauvres compas,
+ Arche du seul salut, reine des patriarches.
+
+ Nous avons consommé de si lointains voyages,
+ Nous n'avons plus de goût pour les pays étranges.
+ Reine des confesseurs, des vierges et des anges,
+ Nous voici retournés dans nos premiers villages.
+
+ On nous en a tant dit, ô reine des apôtres,
+ Nous n'avons plus de goût pour la péroraison.
+ Nous n'avons plus d'autels que ceux qui sont les vôtres,
+ Nous ne savons plus rien qu'une simple oraison.
+
+ Nous avons essuyé de si vastes naufrages,
+ Nous n'avons plus de goût pour le transbordement,
+ Nous voici revenus, au déclin de nos âges,
+ Étoile du seul Nord dans votre bâtiment.
+
+ Ce qui partout ailleurs est de dispersion
+ N'est ici que l'effet d'un beau rassemblement.
+ Ce qui partout ailleurs est un démembrement
+ N'est ici que cortège et que procession.
+
+ Ce qui partout ailleurs demande un examen
+ N'est ici que l'effet d'une pauvre jeunesse.
+ Ce qui partout ailleurs demande un lendemain
+ N'est ici que l'effet de soudaine faiblesse.
+
+ Ce qui partout ailleurs demande un parchemin
+ N'est ici que l'effet d'une pauvre tendresse.
+ Ce qui partout ailleurs demande un tour de main
+ N'est ici que l'effet d'une humble maladresse.
+
+ Ce qui partout ailleurs est un détraquement
+ N'est ici que justesse et que déclinaison.
+ Ce qui partout ailleurs est un baraquement
+ N'est ici qu'une épaisse et durable maison.
+
+ Ce qui partout ailleurs est la guerre et la paix
+ N'est ici que défaite et que reddition.
+ Ce qui partout ailleurs est de sédition
+ N'est ici qu'un beau peuple et des épis épais.
+
+ Ce qui partout ailleurs est une immense armée
+ Avec ses trains de vivre et ses encombrements,
+ Et ses trains de bagage et ses retardements,
+ N'est ici que décence et bonne renommée.
+
+ Ce qui partout ailleurs est un effondrement
+ N'est ici qu'une lente et courbe inclinaison.
+ Ce qui partout ailleurs est de comparaison
+ Est ici sans pareil et sans redoublement.
+
+ Ce qui partout ailleurs est un accablement
+ N'est ici que l'effet de pauvre obéissance.
+ Ce qui partout ailleurs est un grand parlement
+ N'est ici que l'effet de la seule audience.
+
+ Ce qui partout ailleurs est un encadrement
+ N'est ici qu'un candide et calme reposoir.
+ Ce qui partout ailleurs est un ajournement
+ N'est ici que l'oubli du matin et du soir.
+
+ Les matins sont partis vers les temps révolus,
+ Et les soirs partiront vers le soir éternel,
+ Et les jours entreront dans un jour solennel,
+ Et les fils deviendront des hommes résolus.
+
+ Les âges rentreront dans un âge absolu,
+ Les fils retourneront vers le seuil paternel
+ Et raviront de force et l'amour fraternel
+ Et l'antique héritage et le bien dévolu.
+
+ Voici le lieu du monde où tout devient enfant,
+ Et surtout ce vieil homme avec sa barbe grise,
+ Et ses cheveux mêlés au souffle de la brise,
+ Et son regard modeste et jadis triomphant.
+
+ Voici le lieu du monde où tout devient novice,
+ Et cette vieille tête et ses lanternements,
+ Et ces deux bras raidis dans les gouvernements,
+ Le seul coin de la terre où tout devient complice,
+
+ Et même ce grand sot qui faisait le malin,
+ (C'est votre serviteur, ô première servante),
+ Et qui tournait en rond dans une orbe savante,
+ Et qui portait de l'eau dans le bief du moulin.
+
+ Ce qui partout ailleurs est un arrachement
+ N'est ici que la fleur de la jeune saison.
+ Ce qui partout ailleurs est un retranchement
+ N'est ici qu'un soleil au ras de l'horizon.
+
+ Ce qui partout ailleurs est un dur labourage
+ N'est ici que récolte et dessaisissement.
+ Ce qui partout ailleurs est le déclin d'un âge
+ N'est ici qu'un candide et cher vieillissement.
+
+ Ce qui partout ailleurs est une résistance
+ N'est ici que de suite et d'accompagnement;
+ Ce qui partout ailleurs est un prosternement
+ N'est ici qu'une douce et longue obéissance.
+
+ Ce qui partout ailleurs est règle de contrainte
+ N'est ici que déclenche et qu'abandonnement;
+ Ce qui partout ailleurs est une dure astreinte
+ N'est ici que faiblesse et que soulèvement.
+
+ Ce qui partout ailleurs est règle de conduite
+ N'est ici que bonheur et que renforcement;
+ Ce qui partout ailleurs est épargne produite
+ N'est ici qu'un honneur et qu'un grave serment.
+
+ Ce qui partout ailleurs est une courbature
+ N'est ici que la fleur de la jeune oraison;
+ Ce qui partout ailleurs est la lourde armature
+ N'est ici que la laine et la blanche toison.
+
+ Ce qui partout ailleurs serait un tour de force
+ N'est ici que simplesse et que délassement;
+ Ce qui partout ailleurs est la rugueuse écorce
+ N'est ici que la sève et les pleurs du sarment.
+
+ Ce qui partout ailleurs est une longue usure
+ N'est ici que renfort et que recroissement;
+ Ce qui partout ailleurs est bouleversement
+ N'est ici que le jour de la bonne aventure.
+
+ Ce qui partout ailleurs se tient sur la réserve
+ N'est ici qu'abondance et que dépassement;
+ Ce qui partout ailleurs se gagne et se conserve
+ N'est ici que dépense et que désistement.
+
+ Ce qui partout ailleurs se tient sur la défense
+ N'est ici que liesse et démantèlement;
+ Et l'oubli de l'injure et l'oubli de l'offense
+ N'est ici que paresse et que bannissement.
+
+ Ce qui partout ailleurs est une liaison
+ N'est ici qu'un fidèle et noble attachement;
+ Ce qui partout ailleurs est un encerclement
+ N'est ici qu'un passant dedans votre maison.
+
+ Ce qui partout ailleurs est une obédience
+ N'est ici qu'une gerbe au temps de fauchaison;
+ Ce qui partout ailleurs se fait par surveillance
+ N'est ici qu'un beau coin au temps de fenaison.
+
+ Ce qui partout ailleurs est une forcerie
+ N'est ici que la plante à même le jardin;
+ Ce qui partout ailleurs est une gagerie
+ N'est ici que le seuil à même le gradin.
+
+ Ce qui partout ailleurs est une rétorsion
+ N'est ici que détente et que désarmement;
+ Ce qui partout ailleurs est une contraction
+ N'est ici qu'un muet et calme engagement;
+
+ Ce qui partout ailleurs est un bien périssable
+ N'est ici qu'un tranquille et bref dégagement;
+ Ce qui partout ailleurs est un rengorgement
+ N'est ici qu'une rose et des pas sur le sable.
+
+ Ce qui partout ailleurs est un efforcement
+ N'est ici que la fleur de la jeune raison;
+ Ce qui partout ailleurs est un redressement
+ N'est ici que la pente et le pli du gazon.
+
+ Ce qui partout ailleurs est une écorcherie
+ N'est ici qu'un modeste et beau dévêtement;
+ Ce qui partout ailleurs est une affouillerie
+ N'est ici qu'un durable et sûr dépouillement.
+
+ Ce qui partout ailleurs est un raidissement
+ N'est ici qu'une souple et candide fontaine;
+ Ce qui partout ailleurs est une illustre peine
+ N'est ici qu'un profond et pur jaillissement.
+
+ Ce qui partout ailleurs se querelle et se prend
+ N'est ici qu'un beau fleuve aux confins de sa source,
+ ô reine et c'est ici que tout âme se rend
+ Comme un jeune guerrier retombé dans sa course.
+
+ Ce qui partout ailleurs est la route gravie,
+ ô reine qui régnez dans votre illustre cour,
+ Étoile du matin, reine du dernier jour,
+ Ce qui partout ailleurs est la table servie,
+
+ Ce qui partout ailleurs est la route suivie
+ N'est ici qu'un paisible et fort détachement,
+ Et dans un calme temple et loin d'un plat tourment
+ L'attente d'une mort plus vivante que vie.
+
+
+2.--prière de demande
+
+ Nous ne demandons pas que le grain sous la meule
+ Soit jamais replacé dans le coeur de l'épi,
+ Nous ne demandons pas que l'âme errante et seule
+ Soit jamais reposée en un jardin fleuri.
+
+ Nous ne demandons pas que la grappe écrasée
+ Soit jamais replacée au fronton de la treille,
+ Et que le lourd frelon et que la jeune abeille
+ Y reviennent jamais se gorger de rosée.
+
+ Nous ne demandons pas que la rose vermeille
+ Soit jamais replacée aux cerceaux du rosier,
+ Et que le paneton et la lourde corbeille
+ Retourne vers le fleuve et redevienne osier.
+
+ Nous ne demandons pas que cette page écrite
+ Soit jamais effacée au livre de mémoire,
+ Et que le lourd soupçon et que la jeune histoire
+ Vienne remémorer cette peine prescrite.
+
+ Nous ne demandons pas que la tige ployée
+ Soit jamais redressée au livre de nature,
+ Et que le lourd bourgeon et la jeune nervure
+ Perce jamais l'écorce et soit redéployée.
+
+ Nous ne demandons pas que le rameau broyé
+ Reverdisse jamais au livre de la grâce,
+ Et que le lourd surgeon et que la jeune race
+ Rejaillisse jamais de l'arbre foudroyé.
+
+ Nous ne demandons pas que la branche effeuillée
+ Se tourne jamais plus vers un jeune printemps,
+ Et que la lourde sève et que le jeune temps
+ Sauve une cime au moins dans la forêt noyée.
+
+ Nous ne demandons pas que le pli de la nappe
+ Soit effacé devant que revienne le maître,
+ Et que votre servante et qu'un malheureux être
+ Soient libérés jamais de cette lourde chape.
+
+ Nous ne demandons pas que cette auguste table
+ Soit jamais resservie, à moins que pour un Dieu,
+ Mais nous n'espérons pas que le grand connétable
+ Chauffe deux fois ses mains vers un si maigre feu.
+
+ Nous ne demandons pas qu'une âme fourvoyée
+ Soit jamais replacée au chemin du bonheur.
+ O reine il nous suffit d'avoir gardé l'honneur
+ Et nous ne voulons pas qu'une aide apitoyée
+
+ Nous remette jamais au chemin de plaisance,
+ Et nous ne voulons pas qu'une amour soudoyée
+ Nous remette jamais au chemin d'allégeance,
+ ô seul gouvernement d'une âme guerroyée,
+
+ Régente de la mer et de l'illustre port
+ Nous ne demandons rien dans ces amendements
+ Reine que de garder sous vos commandements
+ Une fidélité plus forte que la mort.
+
+
+3.--prière de confidence
+
+ Nous ne demandons pas que cette belle nappe
+ Soit jamais repliée aux rayons de l'armoire,
+ Nous ne demandons pas qu'un pli de la mémoire
+ Soit jamais effacé de cette lourde chape.
+
+ Maîtresse de la voie et du raccordement,
+ ô miroir de justice et de justesse d'âme,
+ Vous seule vous savez, ô grande notre Dame,
+ Ce que c'est que la halte et le recueillement.
+
+ Maîtresse de la race et du recroisement,
+ ô temple de sagesse et de jurisprudence,
+ Vous seule connaissez, ô sévère prudence,
+ Ce que c'est que le juge et le balancement.
+
+ Quand il fallut s'asseoir à la croix des deux routes
+ Et choisir le regret d'avecque le remords,
+ Quand il fallut s'asseoir au coin des doubles sorts
+ Et fixer le regard sur la clef des deux voûtes,
+
+ Vous seule vous savez, maîtresse du secret,
+ Que l'un des deux chemins allait en contre-bas,
+ Vous connaissez celui que choisirent nos pas,
+ Comme on choisit un cèdre et le bois d'un coffret.
+
+ Et non point par vertu car nous n'en avons guère,
+ Et non point par devoir car nous ne l'aimons pas,
+ Mais comme un charpentier s'arme de son compas,
+ Par besoin de nous mettre au centre de misère,
+
+ Et pour bien nous placer dans l'axe de détresse,
+ Et par ce besoin sourd d'être plus malheureux,
+ Et d'aller au plus dur et de souffrir plus creux,
+ Et de prendre le mal dans la pleine justesse.
+
+ Par ce vieux tour de main, par cette même adresse,
+ Qui ne servira plus à courir le bonheur,
+ Puissions-nous, ô régente, au moins tenir l'honneur,
+ Et lui garder lui seul notre pauvre tendresse.
+
+
+4.--prière de report
+
+ Nous avons gouverné de si vastes royaumes,
+ ô régente des rois et des gouvernements,
+ Nous avons tant couché dans la paille et les chaumes,
+ Régente des grands gueux et des soulèvements.
+
+ Nous n'avons plus de goût pour les grands majordomes,
+ Régente du pouvoir et des renversements,
+ Nous n'avons plus de goût pour les chambardements,
+ Régente des frontons, des palais et des dômes.
+
+ Nous avons combattu de si ferventes guerres
+ Par devant le Seigneur et le Dieu des armées,
+ Nous avons parcouru de si mouvantes terres,
+ Nous nous sommes acquis si hautes renommées.
+
+ Nous n'avons plus de goût pour le métier des armes,
+ Reine des grandes paix et des désarmements,
+ Nous n'avons plus de goût pour le métier des larmes,
+ Reine des sept douleurs et des sept sacrements.
+
+ Nous avons gouverné de si vastes provinces,
+ Régente des préfets et des procurateurs,
+ Nous avons lanterné tous tant d'augustes princes,
+ Reine des tableaux peints et des deux donateurs.
+
+ Nous n'avons plus de goût pour les départements,
+ Ni pour la préfecture et pour la capitale,
+ Nous n'avons plus de goût pour les embarquements,
+ Nous ne respirons plus vers la terre natale.
+
+ Nous avons encouru de si hautes fortunes,
+ ô clef du seul honneur qui ne périra point,
+ Nous avons dépouillé de si basses rancunes,
+ Reine du témoignage et du double témoin.
+
+ Nous n'avons plus de goût pour les forfanteries,
+ Maîtresse de sagesse et de silence et d'ombre,
+ Nous n'avons plus de goût pour les argenteries,
+ ô clef du seul trésor et d'un bonheur sans nombre.
+
+ Nous en avons tant vu, dame de pauvreté,
+ Nous n'avons plus de goût pour de nouveaux regards,
+ Nous en avons tant fait, temple de pureté,
+ Nous n'avons plus de goût pour de nouveaux hasards.
+
+ Nous avons tant péché, refuge du pécheur,
+ Nous n'avons plus de goût pour les atermoiements,
+ Nous avons tant cherché, miracle de candeur,
+ Nous n'avons plus de goût pour les enseignements.
+
+ Nous avons tant appris dans les maisons d'école,
+ Nous ne savons plus rien que vos commandements,
+ Nous avons tant failli par l'acte et la parole,
+ Nous ne savons plus rien que nos amendements.
+
+ Nous sommes ces soldats qui grognaient par le monde,
+ Mais qui marchaient toujours et n'ont jamais plié,
+ Nous sommes cette Église et ce faisceau lié,
+ Nous sommes cette race internelle et profonde.
+
+ Nous ne demandons plus de ces biens périssables,
+ Nous ne demandons plus vos grâces de bonheur,
+ Nous ne demandons plus que vos grâces d'honneur,
+ Nous ne bâtirons plus nos maisons sur ces sables.
+
+ Nous ne savons plus rien de ce qu'on nous a lu,
+ Nous ne savons plus rien de ce qu'on nous a dit.
+ Nous ne connaissons plus qu'un éternel édit,
+ Noua ne savons plus rien que votre ordre absolu.
+
+ Nous en avons trop pris, nous sommes résolus.
+ Nous ne voulons plus rien que par obéissance,
+ Et rester sous les coups d'une auguste puissance,
+ Miroir des temps futurs et des temps révolus.
+
+ S'il est permis pourtant que celui qui n'a rien
+ Puisse un jour disposer, et léguer quelque chose.
+ S'il n'est pas défendu, mystérieuse rose,
+ Que celui qui n'a pas reporte un jour son bien;
+
+ S'il est permis au gueux de faire un testament,
+ Et de léguer l'asile et la paille et le chaume,
+ S'il est permis au roi de léguer le royaume,
+ Et si le grand dauphin prête un nouveau serment;
+
+ S'il est admis pourtant que celui qui doit tout
+ Se fasse ouvrir un compte et porter un crédit,
+ Si le virement tourne et n'est pas interdit,
+ Nous ne demandons rien, nous irons jusqu'au bout,
+
+ Si donc il est admis qu'un humble débiteur
+ Puisse élever la voix pour ce qui n'est pas dû,
+ S'il peut toucher un prix quand il n'a pas vendu,
+ Et faire balancer par solde créditeur;
+
+ Nous qui n'avons connu que vos grâces de guerre
+ Et vos grâces de deuil et vos grâces de peine,
+ (Et vos grâces de joie et cette lourde plaine),
+ Et le cheminement des grâces de misère;
+
+ Et la procession des grâces de détresse,
+ Et les champs labourés et les sentiers battus,
+ Et les coeurs lacérés et les reins courbatus,
+ Nous ne demandons rien, vigilante maîtresse.
+
+ Nous qui n'avons connu que votre adversité,
+ (Mais qu'elle soit bénie, ô temple de sagesse),
+ ô veuillez reporter, merveille de largesse,
+ Vos grâces de bonheur et de prospérité.
+
+ Veuillez les reposer sur quatre jeunes têtes,
+ Vos grâces de douceur et de consentement,
+ Et tresser pour ces fronts, reine du pur froment,
+ Quelques épis cueillis dans la moisson des fêtes.
+
+
+
+
+TABLE DES MATIÈRES
+
+ LE MYSTÈRE DES SAINTS INNOCENTS PAGE 13
+ LA TAPISSERIE DE SAINTE GENEVIÈVE ET DE JEANNE D'ARC PAGE 247
+ LA TAPISSERIE DE NOTRE DAME PAGE 343
+
+
+
+
+ACHEVÉ D'IMPRIMER LE TRENTE SEPTEMBRE MIL NEUF CENT DIX-NEUF, PAR
+L'IMPRIMERIE PROTAT FRÈRES, MACON.
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Oeuvres complètes de Charles Péguy,
+Oeuvres de poésie (tome 6), by Charles Péguy
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57506 ***
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@@ -1,9598 +0,0 @@
-The Project Gutenberg EBook of Oeuvres compltes de Charles Pguy, Oeuvres
-de posie (tome 6), by Charles Pguy
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
-almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
-re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
-with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
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-
-Title: Oeuvres compltes de Charles Pguy, Oeuvres de posie (tome 6)
- Le Mystre des Saints Innocents; La tapisserie de sainte
- Genevive et de Jeanne d'Arc; La tapisserie de Notre-Dame.
-
-Author: Charles Pguy
-
-Release Date: July 14, 2018 [EBook #57506]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES COMPLETES DE CHARLES PGUY ***
-
-
-
-
-Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
-Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was
-produced from scanned images of public domain material
-from the Google Books project.)
-
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-
-
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-
-
-
-
-
-OEUVRES COMPLTES
-
-DE
-
-CHARLES PGUY
-
-1873-1914
-
-OEUVRES DE POSIE
-
-LE MYSTRE
-
-DES SAINTS INNOCENTS
-
-LA TAPISSERIE DE SAINTE
-
-GENEVIVE ET DE JEANNE D'ARC
-
-LA TAPISSERIE DE NOTRE DAME
-
-[nrf]
-
-PARIS
-
-DITIONS DE LA
-
-NOUVELLE REVUE FRANAISE
-
-35 ET 37, RUE MADAME
-
-MCMXIX
-
-
-
-
-CETTE DITION DFINITIVE DES OEUVRES COMPLTES DE CHARLES PGUY
-
-EST TIRE A DOUZE CENTS EXEMPLAIRES NUMROTS PAR L'IMPRIMERIE PROTAT
-FRRES
-
-SUR PAPIER VERG PUR FIL DES PAPETERIES LAFUMA DE VOIRON
-
-AU FILIGRANE DE LA NOUVELLE REVUE FRANAISE
-
-
-EXEMPLAIRE N 334
-
-
-TOUS DROITS DE REPRODUCTION, DE TRADUCTION ET D'ADAPTATION RSERVS POUR
-TOUS PAYS Y COMPRIS LA RUSSIE
-
-COPYRIGHT BY LA NOUVELLE REVUE FRANAISE 1916
-
-
-
-
-OEUVRES COMPLTES DE CHARLES PGUY
-
-OEUVRES DE PROSE
-
- TOME I _INTRODUCTION PAR ALEXANDRE MILLERAND_
-
- Lettre du Provincial. Rponse. Le Triomphe de la
- Rpublique.--Du second Provincial.--De la Grippe. Encore
- de la Grippe. Toujours de la Grippe.--Entre deux
- trains.--Pour ma maison (cit socialiste). Pour
- moi.--Compte rendu de mandat.--La Chanson du roi Dagobert.
- Suite de cette chanson.
-
- TOME II _INTRODUCTION PAR MAURICE BARRS_
-
- De Jean Coste.--Les rcentes oeuvres de Zola.--Orlans
- vu de Montargis.--Zangwill.--Notre Patrie.--Courrier de
- Russie.--Les suppliants parallles.--Louis de Gonzague.
-
- TOME III _INTRODUCTION PAR HENRI BERGSON_
-
- De la situation faite l'histoire et la sociologie.--De
- la situation faite au parti intellectuel devant les
- accidents de la gloire temporelle.--A nos amis, nos
- abonns.--L'argent.
-
- TOME IV _INTRODUCTION PAR ANDR SUARS_
-
- Notre Jeunesse.--Victor Marie, comte Hugo.
-
-
-OEUVRES DE POSIE
-
- TOME V Le Mystre de la Charit de Jeanne d'Arc.--Le Porche du
- Mystre de la deuxime vertu.
-
- TOME VI Le Mystre des Saints Innocents.--La tapisserie de sainte
- Genevive et de Jeanne d'Arc.--La tapisserie de Notre-Dame.
-
- TOME VII ve.--Sonnets.
-
-
-OEUVRES POSTHUMES
-
- TOME VIII Clio.
-
- TOME IX Note conjointe sur Descartes (prcde de la note sur
- M. Bergson).
-
- TOME X Autres ouvrages et fragments indits.
-
-
-POLMIQUE ET DOSSIERS
-
- TOME XI Texte et commentaires se rapportant la grance et au rle
- littraire des Cahiers (prfaces).
-
- TOME XII Texte et commentaires se rapportant au rle politique jou
- par les Cahiers (compte rendu de Congrs.--Affaire Dreyfus,
- etc.).
-
- TOME XIII Un nouveau thologien, M. Fernand Laudet.--Langlois
- tel qu'on le parle.--L'argent (suite).
-
- TOME XIV Marcel. La premire Jeanne d'Arc.
-
- TOME XV Correspondance. Biographie et Histoire des Cahiers de la
- Quinzaine, par _MILE BOIVIN_ et _MARCEL PGUY_.
-
-
-
-
-_le mystre
-
-des saints Innocents_
-
-
-
-
-DELECTISSIMIS
-
-IN INTIMO CORDE
-
-
-
-
-_cahier pour le dimanche des Rameaux
-
-et pour le dimanche de Pques de la treizime srie;_
-
-
-_cahier prparatoire
-
-pour le quatre cent quatre-vingt-troisime anniversaire
-
-de la dlivrance d'Orlans,
-
-anniversaire qui tombera
-
-le mercredi 8 mai de l'an 1912._
-
-
-
-
-LE MYSTRE
-
-DES SAINTS INNOCENTS
-
-
-
-MADAME GERVAISE
-
-
-
- Je suis, dit Dieu, Matre des Trois Vertus.
-
- La Foi est une pouse fidle.
- La Charit est une mre ardente.
- Mais l'esprance est une toute petite fille.
-
-
-
- Je suis, dit Dieu, le Matre des Vertus.
-
-
-
- La Foi est celle qui tient bon dans les sicles des sicles.
- La Charit est celle qui se donne dans les sicles des sicles.
- Mais ma petite esprance est celle
- qui se lve tous les matins.
-
-
-
- Je suis, dit Dieu, le Seigneur des Vertus.
-
-
-
- La Foi est celle qui est tendue dans les sicles des sicles.
- La Charit est celle qui se dtend dans les sicles des sicles.
- Mais ma petite esprance
- est celle qui tous les matins
- nous donne le bonjour.
-
-
-
- Je suis, dit Dieu, le Seigneur des Vertus.
-
-
-
- La Foi est un soldat, c'est un capitaine qui dfend une forteresse,
- Une ville du roi,
- Aux marches de Gascogne, aux marches de Lorraine.
- La Charit est un mdecin, c'est une petite soeur des pauvres,
- Qui soigne les malades, qui soigne les blesss,
- Les pauvres du roi,
- Aux marches de Gascogne, aux marches de Lorraine.
- Mais ma petite esprance est celle
- qui dit bonjour au pauvre et l'orphelin.
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- Je suis, dit Dieu, le Seigneur des Vertus.
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- La Foi est une glise, c'est une cathdrale enracine au sol de
- France.
- La Charit est un hpital, un htel-Dieu qui ramasse toutes les
- misres du monde.
- Mais sans l'esprance, tout a ne serait qu'un cimetire.
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- Je suis, dit Dieu, le Seigneur des Vertus.
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- La Foi est celle qui veille dans les sicles des sicles.
- La Charit est celle qui veille dans les sicles des sicles.
- Mais ma petite esprance est celle
- qui se couche tous les soirs
- et se lve tous les matins
- et fait vraiment de trs bonnes nuits.
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- Je suis, dit Dieu, le Seigneur de cette vertu-l.
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- Ma petite esprance est celle
- qui s'endort tous les soirs,
- dans son lit d'enfant,
- aprs avoir bien fait sa prire,
- et qui tous les matins se rveille et se lve
- et fait sa prire avec un regard nouveau.
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- Je suis, dit Dieu, Seigneur des Trois Vertus.
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- La Foi est un grand arbre, c'est un chne enracin au coeur de France.
- Et sous les ailes de cet arbre la Charit, ma fille la Charit abrite
- toutes les dtresses du monde.
- Et ma petite esprance n'est rien que cette petite promesse de
- bourgeon qui s'annonce au fin commencement d'avril.
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- Et quand on voit l'arbre, quand vous regardez le chne,
- Cette rude corce du chne treize et quatorze fois et dix-huit fois
- centenaire,
- Et qui sera centenaire et sculaire dans les sicles des sicles,
- Cette dure corce rugueuse et ces branches qui sont comme un fouillis
- de bras normes,
- (Un fouillis qui est un ordre),
- Et ces racines qui s'enfoncent et qui empoignent la terre comme un
- fouillis de jambes normes,
- (Un fouillis qui est un ordre),
- Quand vous voyez tant de force et tant de rudesse le petit bourgeon
- tendre ne parat plus rien du tout.
- C'est lui qui a l'air de parasiter l'arbre, de manger la table de
- l'arbre.
- Comme un gui, comme un champignon.
- C'est lui qui a l'air de se nourrir de l'arbre (et le paysan les
- appelle des _gourmands_), c'est lui qui a l'air de s'appuyer sur
- l'arbre, de sortir de l'arbre, de ne rien pouvoir tre, de ne pas
- pouvoir exister sans l'arbre. Et en effet aujourd'hui il sort de
- l'arbre, l'aisselle des branches, l'aisselle des feuilles et il
- ne peut plus exister sans l'arbre. Il a l'air de venir de l'arbre,
- de drober la nourriture de l'arbre.
- Et pourtant c'est de lui que tout vient au contraire. Sans un
- bourgeon qui est une fois venu, l'arbre ne serait pas. Sans ces
- milliers de bourgeons, qui viennent une fois au fin commencement
- d'avril et peut-tre dans les derniers jours de mars, rien ne
- durerait, l'arbre ne durerait pas, et ne tiendrait pas sa place
- d'arbre, (il faut que cette place soit tenue), sans cette sve qui
- monte et pleure au mois de mai, sans ces milliers de bourgeons qui
- pointent tendrement l'aisselle des dures branches.
- Il faut que toute place soit tenue. Toute vie vient de tendresse.
- Toute vie vient de ce tendre, de ce fin bourgeon d'avril, et de
- cette sve qui pleure en mai, et de la ouate et du coton de ce fin
- bourgeon blanc qui est vtu, qui est chaudement, qui est tendrement
- protg d'un flocon d'une toison d'une laine vgtale, d'une laine
- d'arbre. En ce flocon cotonneux est le secret de toute vie. La rude
- corce a l'air d'une cuirasse, en comparaison de ce tendre
- bourgeon. Mais la rude corce n'est rien, que du bourgeon durci,
- que du bourgeon vieilli. Et c'est pour cela que le tendre bourgeon
- perce toujours, jaillit toujours dessous la dure corce.
- L'homme de guerre le plus dur a t un tendre enfant nourri de lait;
- et le plus rude martyr, le martyr le plus dur sur le chevalet, le
- martyr la plus rude corce, la plus rugueuse peau, le martyr le
- plus dur la serre et l'onglet a t un tendre enfant laiteux.
- Sans ce bourgeon, qui n'a l'air de rien, qui ne semble rien, tout
- cela ne serait que du bois mort.
- Et le bois mort sera jet au feu.
-
-
-
- Ce qui vous trompe, c'est que cette rude corce vous corche les
- mains; et ni de l'paule vous ne faites bouger le tronc d'un
- millime de millimtre, ni du pied vous ne pouvez faire bouger une
- de ces grosses racines d'un millime de millimtre; ni de la main
- une seule de ces grosses branches; et c'est peine si vous
- branleriez quelques-unes de ces petites branches; et si vous les
- feriez balancer;
- au lieu que le bourgeon ne rsiste point sous le doigt et d'un coup
- d'ongle le premier venu vous fait sauter un bourgeon;
- qui dvelopp vous ferait une branche plus grosse que la cuisse;
-
- Car il est plus facile, dit Dieu, de ruiner que de fonder;
- Et de faire mourir que de faire natre;
- Et de donner la mort que de donner la vie;
-
- Et le bourgeon ne rsiste point. C'est qu'aussi il n'est point fait
- pour la rsistance, il n'est point charg de rsister.
- C'est le tronc, et la branche, et cette matresse racine qui sont
- faits pour la rsistance, qui sont chargs de rsister.
- Et c'est la rude corce qui est faite pour la rudesse et qui est
- charge d'tre rude.
- Mais le tendre bourgeon n'est fait que pour la naissance et il n'est
- charg que de faire natre.
-
- (Et de faire durer).
-
-
-
- (Et de se faire aimer).
-
-
-
- Or je vous le dis, dit Dieu, sans ce bourgeonnement de fin avril,
- sans ces milliers, sans cet unique petit bourgeonnement de
- l'esprance, qu'videmment tout le monde peut casser, sans ce
- tendre bourgeon cotonneux, que le premier venu peut faire sauter de
- l'ongle, toute ma cration ne serait que du bois mort.
- Et le bois mort sera jet au feu.
-
-
-
- Et toute ma cration ne serait qu'un immense cimetire.
- Or mon fils le leur a dit: _Il faut laisser les morts ensevelir leurs
- morts._
-
-
-
- Hlas mon fils, hlas mon fils, hlas mon fils;
- Mon fils qui sur la croix avait une peau sche comme une sche corce;
- une peau fltrie, une peau ride, une peau tanne;
- une peau qui se fendait sous les clous;
- mon fils avait t un tendre enfant laiteux;
-
-
-
- une enfance, un bourgeonnement, une promesse, un engagement;
- un essai; une origine; un commencement de rdempteur;
- une esprance de salut, une esprance de rdemption
-
-
-
- O jour, soir, nuit de l'ensevelissement.
- Tombe de cette nuit que je ne reverrai jamais.
- O nuit si douce au coeur parce que tu accomplis.
- Et tu calmes comme un baume.
- Nuit sur cette montagne et dans cette valle.
- O nuit j'avais tant dit que je ne te verrais plus.
- O nuit je te verrai dans mon ternit.
- Que ma volont soit faite. O ce fut cette fois-l que ma volont fut
- faite.
- Nuit je te vois encore. Trois grands gibets montaient. Et mon fils au
- milieu.
- Une colline, une valle. Ils taient partis de cette ville que
- j'avais donne mon peuple. Ils taient monts.
- Mon fils entre ces deux voleurs. Une plaie au flanc. Deux plaies aux
- mains. Deux plaies aux pieds. Des plaies au front.
- Des femmes qui pleuraient tout debout. Et cette tte penche qui
- retombait sur le haut de la poitrine.
- Et cette pauvre barbe sale, toute souille de poussire et de sang.
- Cette barbe rousse deux pointes.
- Et ces cheveux souills, en quel dsordre, que j'eusse tant baiss.
- Ces beaux cheveux roux, encore tout ensanglants de la couronne
- d'pines.
- Tout souills, tout colls de caillots. Tout tait accompli.
- Il en avait trop support.
- Cette tte qui penchait, que j'eusse appuye sur mon sein.
- Cette paule que j'eusse appuye mon paule.
- Et ce coeur ne battait plus, qui avait tant battu d'amour.
- Trois ou quatre femmes qui pleuraient tout debout. Des hommes je ne
- me rappelle pas, je crois qu'il n'y en avait plus.
- Ils avaient peut-tre trouv que a montait trop. Tout tait fini.
- Tout tait consomm. C'tait fini.
- Et les soldats s'en retournaient, et dans leurs paules rondes ils
- emportaient la force romaine:
-
- C'est alors, Nuit, que tu vins. O nuit la mme.
- La mme qui viens tous les soirs et qui tais venue tant de fois
- depuis les tnbres premires.
- La mme qui tais venue sur l'autel fumant d'Abel et sur le cadavre
- d'Abel, sur ce corps dchir, sur le premier assassinat du monde;
- nuit la mme tu vins sur le corps lacr, sur le premier, sur le
- plus grand assassinat du monde. C'est alors, nuit, que tu vins.
- La mme qui tais venue sur tant de crimes depuis le commencement du
- monde;
- Et sur tant de souillures et sur tant d'amertumes;
- Et sur cette mer d'ingratitude, la mme tu vins sur mon deuil;
- Et sur cette colline et sur cette valle de ma dsolation c'est
- alors, nuit, que tu vins.
- O nuit faudra-t-il donc, faudra-t-il que mon paradis
- Ne soit qu'une grande nuit de clart qui tombera sur les pchs du
- monde.
- Sera-ce alors, nuit, que tu viendras.
- C'est alors, nuit, que tu vins; et seule tu pus finir, seule tu pus
- accomplir ce jour entre les jours.
- Comme tu accomplis ce jour, nuit accompliras-tu le monde.
- Et mon paradis sera-t-il une grande nuit de lumire.
- Et tout ce que je pourrai offrir
- Dans mon offrande et moi aussi dans mon Offertoire
- A tant de martyrs et tant de bourreaux,
- A tant d'mes et tant de corps,
- A tant de purs et tant d'impurs,
- A tant de pcheurs et tant de saints,
- A tant de fidles et tant de pnitents,
- Et tant de peines, et tant de deuils, et tant de larmes et
- tant de plaies,
- Et tant de sang,
- Et tant de coeurs qui auront tant battu,
- D'amour, de haine,
- Et tant de coeurs qui auront tant saign
- D'amour, de haine,
- Sera-t-il dit qu'il faut que ce soit
- Qu'il faudra que je leur offre
- Et qu'ils ne demanderont que cela,
- Qu'ils ne voudront que de cela,
- Qu'ils n'auront de got que pour cela,
- Sur ces souillures et sur tant d'amertumes,
- Et sur cette mer immense d'ingratitude
- La longue retombe d'une nuit ternelle.
-
-
-
- O nuit tu n'avais pas eu besoin d'aller demander la permission
- Pilate. C'est pourquoi je t'aime et je te salue.
- Et entre toutes je te glorifie, et entre toutes tu me glorifies.
- Et tu me fais honneur et gloire
- Car tu obtiens quelquefois ce qu'il y a de plus difficile au monde,
- Le dsistement de l'homme.
- L'abandonnement de l'homme entre mes mains.
- Je connais bien l'homme. C'est moi qui l'ai fait. C'est un drle
- d'tre.
- Car en lui joue cette libert qui est le mystre des mystres.
- On peut encore lui demander beaucoup. Il n'est pas trop mauvais. Il
- ne faut pas dire, qu'il est mauvais.
- Quand on sait le prendre, on peut encore lui demander beaucoup.
- Lui faire rendre beaucoup. Et Dieu sait si ma grce
- Sait le prendre, si avec ma grce
- Je sais le prendre. Si ma grce est insidieuse, habile comme un
- voleur.
- Et comme un homme qui chasse le renard.
- Je sais le prendre. C'est mon mtier. Et cette libert mme est ma
- cration.
- On peut lui demander beaucoup de coeur, beaucoup de charit, beaucoup
- de sacrifice.
- Il a beaucoup de foi et beaucoup de charit.
- Mais ce qu'on ne peut pas lui demander, sacredi, c'est un peu
- d'esprance.
- Un peu de confiance, quoi, un peu de dtente,
- Un peu de remise, un peu d'abandonnement dans mes mains,
- Un peu de dsistement. Il se raidit tout le temps.
- Or toi, ma fille la nuit, tu russis, quelquefois, tu obtiens
- quelquefois cela
- De l'homme rebelle.
- Qu'il consente, ce monsieur, qu'il se rende un peu moi.
- Qu'il dtende un peu ses pauvres membres las sur un lit de repos.
- Qu'il dtende un peu sur un lit de repos son coeur endolori.
- Que sa tte surtout ne marche plus. Elle ne marche que trop, sa tte.
- Et il croit que c'est du travail, que sa tte marche comme a.
- Et ses penses, non, pour ce qu'il appelle ses penses.
- Que ses ides ne marchent plus et ne se battent plus dans sa tte et
- ne grelottent plus comme des grains de calebasse.
- Comme un grelot dans une courge vide.
- Quand on voit ce que c'est, que ce qu'il appelle ses ides.
- Pauvre tre. Je n'aime pas, dit Dieu, l'homme qui ne dort pas.
- Celui qui brle, dans son lit, d'inquitude et de fivre.
- Je suis partisan, dit Dieu, que tous les soirs on fasse son examen de
- conscience.
- C'est un bon exercice.
- Mais enfin il ne faut pas s'en torturer au point d'en perdre le
- sommeil.
- A cette heure-l la journe est faite, et bien faite; il n'y a plus
- la refaire.
- Il n'y a plus y revenir.
- Ces pchs qui vous font tant de peine, mon garon, eh bien c'tait
- bien simple.
- Mon ami il ne fallait pas les commettre.
- A l'heure o tu pouvais encore ne pas les commettre.
- A prsent, c'est fait, va, dors, demain tu ne recommenceras plus.
- Mais celui qui le soir en se couchant fait des plans pour le
- lendemain.
- Celui-l je ne l'aime pas, dit Dieu.
- Le sot, est-ce qu'il sait seulement comment demain sera fait.
- Est-ce qu'il connat seulement la couleur du temps.
- Il ferait mieux de faire sa prire. Je n'ai jamais refus le pain du
- lendemain.
- Celui qui est dans ma main comme le bton dans la main du voyageur,
- Celui-l m'est agrable, dit Dieu.
- Celui qui est pos dans mon bras comme un nourrisson qui rit,
- Et qui ne s'occupe de rien,
- Et qui voit le monde dans les yeux de sa mre, et de sa nourrice,
- Et qui ne le voit et ne le regarde que l,
- Celui-l m'est agrable, dit Dieu.
- Mais celui qui fait des combinaisons, celui qui en lui-mme pour
- demain dans sa tte
- Travaille comme un mercenaire.
- Travaille affreusement comme un esclave qui tourne une roue ternelle.
- (Et entre nous comme un imbcile).
- Eh bien celui-l ne m'est pas agrable du tout, dit Dieu.
- Celui qui s'abandonne, je l'aime. Celui qui ne s'abandonne pas, je ne
- l'aime pas, c'est pourtant simple.
- Celui qui s'abandonne ne s'abandonne pas et il est le seul qui ne
- s'abandonne pas.
- Celui qui ne s'abandonne pas s'abandonne et il est le seul qui
- s'abandonne.
- Or toi, ma fille la nuit, ma fille au grand manteau, ma fille au
- manteau d'argent,
- Tu es la seule qui vaincs quelquefois ce rebelle et qui fais plier
- cette nuque dure.
- C'est alors, Nuit que tu viens.
- Et ce que tu as fait une fois,
- Tu le fais toutes les fois.
- Ce que tu as fait un jour,
- Tu le fais tous les jours.
- Comme tu es tombe un soir,
- Ainsi tu tombes tous les soirs.
- Ce que tu as fait pour mon fils fait homme,
- O grande Charitable tu le fais pour tous les hommes ses frres
- Tu les ensevelis dans le silence et l'ombre
- Et dans le salutaire oubli
- De la mortelle inquitude
- Du jour.
- Ce que tu as fait une fois pour mon fils fait homme,
- Ce que tu as fait un soir entre les soirs.
- O nuit tu le refais tous les soirs pour le dernier des hommes
- (C'est alors, nuit, que tu viens)
- Tant il est vrai, tant il est rel qu'il tait devenu l'un d'eux
- Et qu'il s'tait li leur sort mortel
- Et qu'il tait devenu l'un d'eux, pour ainsi dire au hasard,
- Et qu'il s'tait fait l'un d'eux
- Sans aucune limitation ni mesure.
- Car avant cette perptuelle, cette imparfaite,
- Cette perptuellement imparfaite _imitation de Jsus-Christ_,
- Dont ils parlent toujours,
- Il y a eu cette trs parfaite imitation de l'homme par Jsus-Christ,
- Cette inexorable imitation, par Jsus-Christ,
- De la misre mortelle et de la condition de l'homme.
-
-
-
- Je comprends trs bien, dit Dieu, qu'on fasse son examen de
- conscience.
- C'est un excellent exercice. Il ne faut pas en abuser.
- C'est mme recommand. C'est trs bien.
- Tout ce qui est recommand est trs bien.
- Et mme ce n'est pas seulement recommand. C'est prescrit.
- Par consquent c'est trs bien.
- Mais enfin vous tes dans votre lit. Qu'est-ce que vous nommez votre
- examen de conscience, faire votre examen de conscience.
- Si c'est penser toutes les btises que vous avez faites dans la
- journe, si c'est vous rappeler toutes les btises que vous avez
- faites dans la journe
- Avec un sentiment de repentance et je ne dirai peut-tre pas de
- contrition,
- Mais enfin avec un sentiment de pnitence que vous m'offrez, eh bien,
- c'est bien.
- Votre pnitence je l'accepte. Vous tes des braves gens, des bons
- garons.
- Mais si c'est que vous voulez ressasser et ruminer la nuit toutes les
- ingratitudes du jour,
- Toutes les fivres et toutes les amertumes du jour,
- Et si c'est que vous voulez remcher la nuit tous vos aigres pchs
- du jour,
- Vos fivres aigres et vos regrets et vos repentirs et vos remords
- plus aigres encore,
- Et si c'est que vous voulez tenir un registre parfait de vos pchs,
- De toutes ces btises et de toutes ces sottises,
- Non, laissez-moi tenir moi-mme le Livre du Jugement.
- Vous y gagnerez peut-tre encore.
- Et si c'est que vous voulez compter, calculer, supputer comme un
- notaire et comme un usurier et comme un publicain,
- C'est--dire comme un collecteur d'impts,
- C'est--dire comme celui qui ramasse les impts,
- Laissez-moi donc faire mon mtier et ne faites pas
- Des mtiers qui n'ont pas tre faits.
- Vos pchs sont-ils si prcieux qu'il faille les cataloguer et les
- classer
- Et les enregistrer et les aligner sur des tables de pierre
- Et les graver et les compter et les calculer et les compulser
- Et les compiler et les revoir et les repasser
- Et les supputer et vous les imputer ternellement
- Et les commmorer avec on ne sait quelle sorte de pit.
- Comme nous dans le ciel nous lions les gerbes ternelles,
- Et les sacs de prire et les sacs de mrite
- Et les sacs de vertus et les sacs de grce dans nos imprissables
- greniers
- Pauvres imitateurs, allez-vous prsent vous mler,--
- Et imitateurs contraires, imitateurs l'envers,--
- Allez-vous vous mettre lier tous les soirs
- Les misrables gerbes de vos affreux pchs de chaque jour.
- Quand ce ne serait que pour les brler, c'est encore trop. Ils n'en
- valent mme pas la peine.
- Pas mme de cela mme.
- Vous n'y pensez que trop, vos pchs.
- Vous feriez mieux d'y penser pour ne point les commettre.
- Pendant qu'il en est encore temps, mon garon, pendant qu'ils ne sont
- point encore commis. Vous feriez mieux d'y penser un peu plus alors.
- Mais le soir ne liez point ces gerbes vaines. Depuis quand le
- laboureur
- Fait-il des gerbes d'ivraie et de chiendent. On fait des gerbes de
- bl, mon ami.
- Ne dressez point ces comptes et ces nomenclatures. C'est beaucoup
- d'orgueil.
- C'est aussi beaucoup de tranasserie. Et de paperasserie. Quand le
- plerin, quand l'hte, quand le voyageur
- A longtemps tran dans la boue des chemins,
- Avant de passer le seuil de l'glise il s'essuie soigneusement les
- pieds,
- Avant d'entrer,
- Parce qu'il est trs propre.
- Et il ne faut pas que la boue des chemins souille les dalles de
- l'glise.
- Mais une fois que c'est fait, une fois qu'il s'est essuy les pieds
- avant d'entrer,
- Une fois qu'il est entr il ne pense plus toujours ses pieds,
- Il ne regarde plus toujours si ses pieds sont bien essuys.
- Il n'a plus de coeur, il n'a plus de regard, il n'a plus de voix
- Que pour cet autel o le corps de Jsus
- Et le souvenir et l'attente du corps de Jsus
- Brille ternellement.
- Il suffit que la boue des chemins n'ait point pass le seuil du
- temple.
- Il suffit qu'ils se soient bien essuy les pieds une fois avant de
- passer le seuil du temple.
- Bien soigneusement, bien proprement et n'en parlons plus.
- On ne parle pas toujours de la boue. Ce n'est pas propre.
- Transporter dans le temple la mmoire mme et le souci de la boue
- Et la proccupation et la pense de la boue
- C'est encore transporter de la boue dans le temple.
- Or il ne faut point que la boue passe le seuil de la porte.
- Quand l'hte arrive chez l'hte qu'il s'essuie simplement les pieds
- avant d'entrer
- Qu'il entre propre et les pieds propres et qu'ensuite
- Il ne pense pas toujours ses pieds et la boue de ses pieds.
- Or vous tes mes htes, dit Dieu, et je vaux bien ce Dieu qui tait
- le Dieu des htes.
- Vous tes mes htes et mes enfants qui venez dans mon temple.
- Vous tes mes htes et mes enfants qui venez dans ma nuit.
- Au seuil de mon temple, au seuil de ma nuit, essuyez-vous les pieds
- et qu'on n'en parle plus.
- Faites votre examen de conscience, mais que ce soit de vous essuyer
- les pieds.
- Et nullement au contraire que ce ne soit pas
- De transporter dans le temple les boues et le souvenir des boues du
- chemin
- Et que ce ne soit pas de faire traner sur le seuil auguste de ma nuit
- Les traces, les marques des boues
- De vos sales chemins de la journe.
- Dbarbouillez-vous le soir. C'est a, faire votre examen de
- conscience. On ne se dbarbouille pas tout le temps.
- Soyez comme ce plerin qui prend de l'eau bnite en entrant dans
- l'glise
- Et qui fait le signe de la croix. Ensuite il entre dans l'glise.
- Et il ne prend pas tout le temps de l'eau bnite.
- Et l'glise n'est pas compose uniquement de bnitiers.
- Il y a ce qui est avant le seuil. Il y a ce qui est au seuil. Et il y
- a ce qui est dans la maison.
- Il faut entrer une fois, et ne pas sortir et entrer tout le temps.
- Soyez comme ce plerin qui ne regarde plus que le sanctuaire.
- Et qui n'entend plus.
- Et qui ne voit plus que cet autel o mon fils a t sacrifi tant de
- fois.
- Imitez ce plerin qui ne voit plus que l'clat
- Du resplendissement de mon fils
- Entrez dans ma nuit comme chez moi. Car c'est l que je me suis
- rserv
- D'tre le matre.
- Et si vous tenez absolument m'offrir quelque chose
- Le soir en vous couchant
- Que ce soit d'abord une action de grces
- Pour tous les services que je vous rends
- Pour les innombrables bienfaits dont je vous comble chaque jour
- Dont je vous ai combls ce jour-l mme.
- Remerciez-moi d'abord, c'est le plus press
- Et c'est aussi le plus juste.
- Ensuite que votre examen de conscience
- Soit un dbarbouillement une fois fait
- Et non point au contraire un tranassement de marques et de
- souillures.
- La journe d'hier est faite, mon garon, pense celle de demain.
- Et ton salut qui est au bout de la journe de demain.
- Pour hier il est trop tard. Mais pour demain il n'est pas trop tard
- Et pour ton salut qui est au bout de la journe de demain.
- Ton salut n'est plus hier. Mais il peut tre demain.
- Hier est fait. Mais demain n'est pas fait, demain est faire
- Et ton salut qui est au bout de la journe de demain.
- Ton salut n'est pas dans le sens d'hier, il est dans le sens de
- demain.
- Porte-toi sur demain, ne te reporte pas sur hier.
- Pensez donc un peu moins vos pchs quand vous les avez commis
- Et pensez-y un peu plus au moment de les commettre.
- Avant de les commettre.
- Ce sera plus utile, dit Dieu.
- Quand ils sont commis, quand ils sont faits il est trop tard.
- Il n'est pas trop tard pour la pnitence.
- Mais il est trop tard pour ne pas les commettre
- Et ne pas les avoir commis.
- Quand vous avez pass par dessus vos pchs, vous les faites gros
- comme des montagnes, dit Dieu.
- C'est au moment de les passer qu'il faut voir que ce sont en effet
- des montagnes et qu'elles sont affreuses.
- Vous tes vertueux aprs. Soyez donc vertueux avant
- Et pendant.
- L'heure qui sonne est sonne. Le jour qui passe est pass. Demain
- seul reste, et les aprs demains
- Et ils ne resteront pas longtemps.
- Que vos examens de conscience et que vos pnitences
- Ne soient donc point des raidissements et des cabrements en arrire,
- Peuple la nuque dure,
- Mais qu'ils soient des assouplissements et que vos examens de
- conscience et que vos pnitences et que vos contritions mme les
- plus amres
- Soient des pnitences de dtente, malheureux enfants, et des
- contritions de rmission
- Et de remise en mes mains et de dmission.
- (De dmission de vous).
- Mais je vous connais, vous tes toujours les mmes.
- Vous voulez bien me faire de grands sacrifices, pourvu que vous les
- choisissiez.
- Vous aimez mieux me faire de grands sacrifices, pourvu que ce ne soit
- pas ceux que je vous demande
- Que de m'en faire de petits que je vous demanderais.
- Vous tes ainsi, je vous connais.
- Vous ferez tout pour moi, except ce peu d'abandonnement
- Qui est tout pour moi.
- Soyez donc enfin, soyez comme un homme
- Qui est dans un bateau sur la rivire
- Et qui ne rame pas tout le temps
- Et qui quelquefois se laisse aller au fil de l'eau.
-
- Ainsi vous et votre canot
- Laissez-vous aller quelquefois au fil du temps
- Et laissez-vous entrer bravement
- Sous l'arche du pont de la nuit.
-
-
-
- On parle toujours, dit Dieu, de l'_imitation de Jsus-Christ_
- Qui est l'imitation,
- La fidle imitation de mon fils par les hommes.
- Et j'en ai connu et j'en connatrai des imitations si fidles, dit
- Dieu,
- Et si approches,
- Que moi-mme j'en demeure saisi d'admiration et de respect.
- Mais enfin il ne faut pas oublier
- Que mon fils avait commenc par cette singulire imitation de l'homme.
- Singulirement fidle.
- Qui elle fut pousse jusqu' l'identit parfaite.
- Quand si fidlement si parfaitement il revtit le sort mortel.
- Quand si fidlement si parfaitement il imita de natre.
- Et de souffrir.
- Et de vivre.
- Et de mourir.
-
-
-
- Mais quand je vous dis: Pensez plutt demain je ne vous dis pas:
- Calculez ce demain.
- Pensez-y comme un jour qui viendra; et que c'est tout ce que vous
- en savez.
- Ne soyez point ce malheureux qui se retourne et se consume dans son
- lit
- Pour saisir la journe de demain.
- Ne portez point votre main
- Sur le fruit qui n'est pas mr.
- Sachez seulement que ce demain
- Dont on parle toujours
- Est le jour qui va venir,
- Et qu'il sera de mon gouvernement
- Comme les autres.
- Et qu'il sera sous mon commandement
- Comme les autres.
- C'est tout ce qu'il vous faut. Pour le reste, attendez.
- J'attends bien, moi, Dieu. Vous me faites assez attendre.
- Vous me faites assez attendre la pnitence aprs la faute.
- Et la contrition aprs le pch.
- Et depuis le commencement des temps j'attends
- Le jugement jusqu'au jour du jugement.
- Je n'aime pas, dit Dieu, l'homme qui spcule sur demain.
- Je n'aime pas celui qui sait mieux que moi ce que je vais faire.
- Je n'aime pas celui qui sait ce que je ferai demain.
- Je n'aime pas celui qui fait le malin. L'homme fort ce n'est pas mon
- fort.
- Penser au lendemain, quelle vanit. Gardez pour demain les larmes de
- demain.
- Il y en aura toujours assez.
- Et ces sanglots qui vous remontent et qui vous tranglent.
- Penser demain, savez-vous seulement comment je ferai demain.
- Quel demain je vous ferai.
- Savez-vous si moi-mme je l'ai arrt encore.
- Je n'aime pas, dit Dieu, celui qui se mfie de moi.
- Croyez-vous que je vais m'amuser vous faire des attrapes, comme un
- roi barbare.
- Croyez-vous que je passe ma vie vous tendre des piges et prendre
- plaisir vous voir tomber dedans.
- Je suis honnte homme, dit Dieu, et j'agis toujours droitement.
- Je suis l'honneur mme, et la droiture, et l'honntet.
- Je suis bon Franais, dit Dieu, droit comme un Franais.
- Loyal comme un Franais.
- Je suis le roi de France, droit comme le roi de France.
- Ce que le dernier des pauvres n'et pas craint de saint Louis,
- allez-vous le craindre de moi?
- Enfin je vaux peut-tre saint Louis.
- Croyez-vous que je vais m'amuser vous faire des feintes comme un
- bretteur.
- Toute la malice que j'ai, c'est la malice de ma grce, et la feinte
- et la ruse de ma grce, qui si souvent joue avec le pcheur pour
- son salut, pour l'empcher de pcher.
- Qui sduit le pcheur; pour le sauver. Mais croyez-vous. Croyez-vous
- que moi Dieu que je vais m'amuser leur faire des misres et ce
- que ne ferait pas un honnte homme. Je suis bon chrtien, dit Dieu.
- Croyez-vous que je vais m'amuser les surprendre comme un assassin
- de nuit.
-
-JEANNETTE
-
- Il viendra comme un larron et comme un voleur de nuit.
-
-MADAME GERVAISE
-
- Et il prendra comme au filet. _Le royaume des cieux est encore
- semblable une senne jete dans la mer, et rassemblant de tout
- genre de poissons._
-
-JEANNETTE
-
- _Laquelle, quand elle fut emplie, tirant de l'eau, et assis sur le
- bord du rivage, ils choisirent les bons pour leurs vaisseaux, mais
- jetrent les mauvais dehors._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Il en sera ainsi dans la consommation du sicle: les anges sortiront
- et spareront les mauvais du milieu des justes._
-
-JEANNETTE
-
- _Et rpondant Jsus leur dit: Voyez que personne ne vous sduise._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Mais de ce jour-l et de l'heure personne ne le sait, ni les anges
- des cieux, sinon le pre seul._
-
- _Mais comme dans les jours de No, ainsi sera aussi l'avnement du
- Fils de l'homme.
- (Le ciel et la terre passeront; mais mes paroles ne passeront pas)._
-
- _Ainsi en effet qu'il y avait dans les jours avant le dluge des gens
- qui mangeaient et buvaient, se mariaient et donnaient en mariage,
- jusqu' ce jour o No entra dans l'arche._
-
- _Et ils ne connurent pas jusqu' ce que vint le dluge, et les
- emporta tous:_
-
-JEANNETTE
-
- _Ainsi sera aussi l'avnement du Fils de l'homme._
-
-MADAME GERVAISE
-
- Je suis leur pre, dit Dieu. _Notre Pre, qui tes aux Cieux._ Mon
- fils le leur a assez dit, que je suis leur pre.
- Je suis leur juge. Mon fils le leur a dit. Je suis aussi leur pre.
- Je suis surtout leur pre.
- Enfin je suis leur pre. Celui qui est pre est surtout pre. _Notre
- Pre qui tes aux Cieux._ Celui qui a t une fois pre ne peut
- plus tre que pre.
- Ils sont les frres de mon fils; ils sont mes enfants; je suis leur
- pre.
- _Notre Pre qui tes aux cieux_, mon fils leur a enseign cette
- prire. _Sic ergo vos orabitis. Vous prierez donc ainsi.
- Notre Pre qui tes aux cieux_, il a bien su ce qu'il faisait ce
- jour-l, mon fils qui les aimait tant.
- Qui a vcu parmi eux, qui tait un comme eux.
- Qui allait comme eux, qui parlait comme eux, qui vivait comme eux.
- Qui souffrait.
- Qui souffrit comme eux, qui mourut comme eux.
- Et qui les aime tant les ayant connus.
- Qui a rapport dans le ciel un certain got de l'homme, un certain
- got de la terre.
- Mon fils qui les a tant aims, qui les aime ternellement dans le
- ciel.
- Il a bien su ce qu'il faisait ce jour-l, mon fils qui les aime tant.
- Quand il a mis cette barrire entre eux et moi, _Notre Pre qui tes
- aux cieux_, ces trois ou quatre mots.
- Cette barrire que ma colre et peut-tre ma justice ne franchira
- jamais.
- Heureux celui qui s'endort sous la protection de l'avance de ces
- trois ou quatre mots.
- Ces mots qui marchent devant toute prire comme les mains du
- suppliant marchent devant sa face.
- Comme les deux mains jointes du suppliant s'avancent devant sa face
- et les larmes de sa face.
- Ces trois ou quatre mots qui me vainquent, moi l'invincible.
- Et qu'ils font marcher devant leur dtresse comme deux mains jointes
- invincibles.
- Ces trois ou quatre mots qui s'avancent comme un bel peron devant un
- pauvre navire.
- Et qui fendent le flot de ma colre.
- Et quand l'peron est pass, le navire passe, et toute la flotte
- derrire.
- Actuellement, dit Dieu, c'est ainsi que je les vois;
- Et pour mon ternit, ternellement, dit Dieu,
- Par cette invention de mon Fils ternellement c'est ainsi qu'il faut
- que je les voie.
- (Et qu'il faut que je les juge. Comment voulez-vous, prsent, que
- je les juge.
- Aprs cela).
- _Notre Pre qui tes aux cieux_, mon fils a trs bien su s'y prendre.
- Pour lier les bras de ma justice et pour dlier les bras de ma
- misricorde.
- (Je ne parle pas de ma colre, qui n'a jamais t que ma justice.
- Et quelquefois ma charit).
- Et prsent il faut que je les juge comme un pre. Pour ce que a
- peut juger, un pre. _Un homme avait deux fils_.
- Pour ce que c'est capable de juger. _Un homme avait deux fils_. On
- sait assez comment un pre juge. Il y en a un exemple connu.
- On sait assez comment le pre a jug le fils qui tait parti et qui
- est revenu.
- C'est encore le pre qui pleurait le plus.
- Voil ce que mon fils leur a cont. Mon fils leur a livr
- le secret du jugement mme.
- Et prsent voici comme ils me paraissent; voici comme je les vois;
- Voici comme je suis forc de les voir.
- De mme que le sillage d'un beau vaisseau va en s'largissant jusqu'
- disparatre et se perdre,
- Mais commence par une pointe, qui est la pointe mme du vaisseau.
- Ainsi le sillage immense des pcheurs s'largit jusqu' disparatre
- et se perdre
- Mais il commence par une pointe, et c'est cette pointe qui vient vers
- moi,
- Qui est tourne vers moi.
- Il commence par une pointe, qui est la pointe mme du vaisseau.
- Et le vaisseau est mon propre fils, charg de tous les pchs du
- monde.
- Et la pointe du vaisseau ce sont les deux mains jointes de mon fils.
- Et devant le regard de ma colre et devant le regard de ma justice
- Ils se sont tous drobs derrire lui.
- Et tout cet immense cortge des prires, tout ce sillage immense
- s'largit jusqu' disparatre et se perdre.
- Mais il commence par une pointe et c'est cette pointe qui est tourne
- vers moi.
- Qui s'avance vers moi.
- Et cette pointe ce sont ces trois ou quatre mots: _Notre Pre qui
- tes aux cieux_; mon fils en vrit savait ce qu'il faisait.
- Et toute prire monte vers moi drobe derrire ces trois ou quatre
- mots.
- Et il y a une pointe de la pointe. C'est cette prire mme non plus
- seulement dans son texte.
- Mais dans son invention mme. Cette premire fois que rellement dans
- le temps elle fut prononce.
- Cette premire fois que mon fils la pronona.
- Non plus seulement dans son texte comme elle est devenue un texte.
- Mais dans son invention mme et dans son sourcement et dans son
- forcement.
- Quand elle-mme fut une naissance de prire, une incarnation et une
- naissance de prire. Une esprance.
- Une naissance d'esprance.
- Une parole naissante.
- Un rameau et un germe et un bourgeon et une feuille et une fleur et
- un fruit de parole.
- Une semence, un naissement de prire.
- Un verbe entre les verbes.
- Cette premire fois qu'elle sortit charnellement, temporellement des
- lvres d'homme de mon fils.
- Et dans la pointe de la pointe, dans cette pointe mme il y avait une
- pointe.
- Et c'taient ces trois ou quatre mots, _Notre Pre qui tes aux
- cieux_, non plus seulement comme un texte, non plus seulement dans
- leur texte.
- Mais dans leur source mme.
- Dans leur invention et dans leur bourgeonnement.
- La premire fois que mon fils les pronona sur cette montagne.
- Les pronona, les fit sortir de ses lvres d'homme.
- La premire fois qu'elles sortirent rellement, temporellement,
- charnellement,
- De ces lvres de tendresse.
- Et il tait debout sur cette montagne qui sera clbre dans les
- sicles des sicles.
- Sur cette montagne de la terre des hommes au-dessus de cette valle
- qui allait en descendant.
- _Notre Pre qui tes aux cieux_, il inventa cela.
- Il tait avec eux, il tait comme eux, il tait un d'eux.
- _Notre Pre_. Comme un homme qui jette un grand manteau sur ses
- paules,
- Tourn vers moi il s'tait revtu,
- Il avait jet sur ses paules
- Le manteau des pchs du monde.
- _Notre Pre qui tes aux Cieux_. Et prsent derrire lui le pcheur
- se drobe ma face. Et voici comme je vois, voici comme je suis
- forc de les voir. Voici comment je me reprsente ce cortge.
- Tout part d'un point, qui est tourn vers moi, de l'extrme pointe
- d'une pointe.
- Et ce point de pointe ce sont ces trois ou quatre mots comme ils
- furent invents, comme ils furent introduits dans la cration du
- monde.
- Comme ils furent prononcs pour la premire fois par mon propre fils.
- _Notre Pre qui tes aux cieux_.
- Et derrire ce point s'avance la pointe elle-mme, c'est--dire la
- prire tout entire.
- Comme elle fut prononce cette premire fois-l.
- Et derrire s'largit jusqu' disparatre et se perdre
- Le sillage des prires innombrables
- Comme elles sont prononces dans leur texte dans les jours
- innombrables
- Par les hommes innombrables,
- (Par les simples hommes, ses frres).
- Prires du matin, prires du soir;
- (Prires prononces toutes les autres fois);
- Tant d'autres fois dans les innombrables jours;
- Prires du midi et de toute la journe;
- Prires des moines pour toutes les heures du jour,
- Et pour les heures de la nuit;
- Prires des lacs et prires des clercs
- Comme elles furent prononces d'innombrables fois
- Dans les innombrables jours.
- (Il parlait comme eux, il parlait avec eux, il parlait l'un d'eux).
- Toute cette immense flotte de prires charge des pchs du monde.
- Toute cette immense flotte de prires et de pnitences m'attaque
- Ayant l'peron que vous savez,
- S'avance vers moi ayant l'peron que vous savez.
- C'est une flotte de charge, _classis oneraria_.
- Et c'est une flotte de ligne,
- Une flotte de combat.
- Comme une belle flotte antique, comme une flotte de trirmes
- Qui s'avancerait l'attaque du roi.
- Et moi que voulez-vous que je fasse: je suis attaqu.
- Et dans cette flotte, dans cette innombrable flotte
- Chaque _Pater_ est comme un vaisseau de haut bord
- Qui a lui-mme son propre peron, _Notre Pre qui tes aux cieux_
- Tourn vers moi, et qui s'avance derrire ce propre peron.
- _Notre Pre qui tes aux cieux_, ce n'est pas malin. videmment quand
- un homme a dit a, il peut se cacher derrire.
- Quand il a prononc ces trois ou quatre mots.
- Et derrire ces beaux vaisseaux de haut bord les _Ave Maria_
- S'avancent comme des galres innocentes, comme de virginales birmes.
- Comme des vaisseaux plats, qui ne blessent point l'humilit de la mer.
- Qui ne blessent point la rgle, qui suivent, humbles et fidles et
- soumis au ras de l'eau.
- _Notre Pre qui tes aux cieux_. videmment quand un homme a commenc
- comme a.
- Quand il m'a dit ces trois ou quatre mots.
- Quand il a commenc par faire marcher devant lui ces trois ou quatre
- mots.
- Aprs il peut continuer, il peut me dire ce qu'il voudra.
- Vous comprenez, moi, je suis dsarm.
- Et mon fils le savait bien.
- Qui a tant aim ces hommes.
- Qui avait pris got eux, et la terre, et tout ce qui s'ensuit.
- Et dans cette flotte innombrable je distingue nettement trois grandes
- flottes innombrables.
- (Je suis Dieu, je vois clair).
- Et voici ce que je vois dans cet immense sillage qui commence par
- cette pointe et qui de proche en proche peu peu se perd
- l'horizon de mon regard.
- Ils sont tous l'un derrire l'autre, mme ceux qui dbordent le
- sillage
- Vers ma main gauche et vers ma main droite.
- En tte marche la flotte innombrable des _Pater_
- Fendant et bravant le flot de ma colre.
- Puissamment assis sur leurs trois rangs de rames.
- (Voil comme je suis attaqu. Je vous le demande. Est-ce juste?)
- (Non, ce n'est point juste, car tout ceci est du rgne de ma
- Misricorde)
- Et tous ces pcheurs et tous ces saints ensemble marchent derrire
- mon fils
- Et derrire les mains jointes de mon fils.
- Et eux-mmes ont les mains jointes comme s'ils fussent mon fils.
- Enfin mes fils. Enfin chacun un fils comme mon fils.
- En tte marche la lourde flotte des _Pater_ et c'est une flotte
- innombrable.
- C'est dans cette formation qu'ils m'attaquent. Je pense que vous
- m'avez compris.
- _Le royaume du ciel souffre la force, et les hommes de force le
- prendront de force_. Ils le savent bien. Mon fils leur a tout dit.
- _Regnum coeli_, le royaume du ciel. Ou _regnum coelorum_, le
- royaume des cieux.
- _Regnum coeli vim patitur. Et violenti rapient illud_. Ou _rapiunt_.
- Le royaume du ciel souffre la violence. Et les violents le violent.
- Ou le violeront.
- Comment voulez-vous que je me dfende. Mon fils leur a tout dit. Et
- non seulement cela. Mais dans le temps il s'est mis leur tte. Et
- ils sont comme une grande flotte antique, comme une flotte
- innombrable qui s'attaquerait au grand roi. Derrire le point,
- derrire l'extrme point de cette extrme pointe cette extrme
- pointe s'avance et derrire et se tenant serre comme un faisceau
- que je ne puis rompre cette pointe elle-mme et aussitt derrire
- s'avancent effrontment ces lourdes trirmes antiques et elles
- fendent, plus serres que la phalange macdonienne, impudemment
- elles fendent le flot de ma colre, et de la colre de ma justice.
- (Et de la justice de ma colre).
- Lies comme un faisceau d'hommes la guerre elles s'avancent
- lourdement portes sur leurs trois rangs de rames.
- Et cette flotte est plus innombrable que la flotte des Achens.
- Et reculant je reconnais les trois ponts superposs, les trois
- invincibles, les trois insubmersibles ponts.
- Plus forts que l'ocan de ma colre.
- Et je reconnais les trois rangs de rames.
- Et ce sont des rames juives et ce sont des rames grecques.
- Et ce sont des rames latines et ce sont des rames franaises.
- Et le premier rang de rames est:
-
-
- (S'il n'y a que la justice, qui sera sauv.
- Mais s'il y a la misricorde, qui sera perdu.
- S'il y a la misricorde, qui peut se vanter de se perdre.
-
-
- Se sauver est impossible l'homme; mais rien n'est impossible Dieu.
-
-
- Du haut de mon promontoire,
- Du promontoire de ma justice,
- Et du sige de ma colre,
- Et de la chaire de ma jurisprudence,
- _In cathedra jurisprudentiae_,
- Du trne de mon ternelle grandeur
- Je vois monter vers moi, du fond de l'horizon je vois venir
- Cette flotte qui m'assaille,
- La triangulaire flotte,
- Me prsentant cette pointe que vous savez.
-
-
- Comme les grues volent en triangle dans le ciel,
- Et ainsi vont o elles veulent,
- Fendant l'air et refoulant la force du vent mme,
- Et la plus forte est devant faisant la pointe du triangle,
- Ainsi cette grande flotte triangulaire
- Vole et navigue et vogue
- Et pour ainsi dire vole
- Pour traverser l'ocan de ma colre.
- Et le plus fort est devant faisant la pointe du triangle.
- Et ils se sont mis derrire lui de proche en proche
- Et de proche en proche ils disparaissent tous au regard de ma colre.
- Ils sont masss comme des peureux; et qui leur en ferait un reproche.
- Comme des passereaux timides ils sont masss derrire celui qui est
- fort.
- Et ils me prsentent cette pointe.
- Et ils fendent ainsi le vent de ma colre et ils refoulent la force
- mme des temptes de ma justice.
- Et le souffle de ma colre n'a plus aucune prise sur cette masse
- angulaire,
- Aux fuyantes ailes.
- Car ils me prsentent cet angle et je ne puis les prendre que sous
- cet angle.
- Que sont ici les flottes grecques et les flottes persiques;
- Et les flottes puniques et les flottes romaines;
- Et les flottes anglaises et les flottes franaises
- Qu'une lame de fond roule ternellement.
- Ici s'avance une flotte que nulle lame de fond de ma colre ne
- roulera jamais.
- Et drobs les uns derrire les autres je dcouvre une flotte
- innombrable.
- Et les derniers se perdent comme dans une brume l'horizon de mon
- regard.
- Et dans cette flotte innombrable je dcouvre trois flottes galement
- innombrables.
- Et la premire est devant, pour m'attaquer plus durement. C'est la
- flotte de haut bord,
- Les navires la puissante carne,
- Cuirasss comme des hoplites,
- C'est--dire comme des soldats pesamment arms.
- Et ils se meuvent invinciblement ports sur leurs trois rangs de
- rames.
-
- Et le premier rang de rames est:
- _Que votre nom soit sanctifi,
- Le vtre;_
-
- Et le deuxime rang de rames est:
- _Que votre rgne arrive,
- Le vtre;_
-
- Et le troisime rang de rames est la parole entre toutes
- insurmontable:
- _Que votre volont soit faite sur la terre comme au ciel,
- La vtre._
-
- _Sanctificetur nomen
- Tuum._
-
- _Adveniat regnum
- Tuum._
-
- _Fiat voluntas
- Tua
- Sicut in coelo et in terra._
-
- Et telle est la flotte des _Pater_, solide et plus innombrable que
- les toiles du ciel. Et derrire je vois la deuxime flotte, et
- c'est une flotte innombrable, car c'est la flotte aux blanches
- voiles, l'innombrable flotte des _Ave Maria_.
- Et c'est une flotte de birmes. Et le premier rang de rames est:
- _Ave Maria, gratia plena;_
-
- Et le deuxime rang de rames est:
- _Sancta Maria, mater Dei._
-
-
-
- Et tous ces _Ave Maria_, et toutes ces prires de la Vierge et le
- noble _Salve Regina_ sont de blanches caravelles, humblement
- couches sous leurs voiles au ras de l'eau; comme de blanches
- colombes que l'on prendrait dans la main.
- Or ces douces colombes sous leurs ailes,
- Ces blanches colombes familires, ces colombes dans la main,
- Ces humbles colombes couches au ras de la main,
- Ces colombes accoutumes la main,
- Ces caravelles vtues de voilures
- De tous les vaisseaux ce sont les plus opportunes,
- C'est--dire celles qui se prsentent le plus directement devant le
- port.
-
-
-
- Telle est la deuxime flotte, ce sont les prires de la Vierge. Et la
- troisime flotte ce sont les autres innombrables prires.
- Toutes. Celles qui se disent la messe et aux vpres. Et au salut.
- Et les prires des moines qui marquent toutes les heures du jour. Et
- les heures de la nuit.
- Et le _Benedicite_ qui se dit pour se mettre table.
- Devant une bonne soupire fumante.
- Toutes, enfin toutes. Et il n'en reste plus.
-
-
-
- Or je vois la quatrime flotte. Je vois la flotte invisible. Et ce
- sont toutes les prires qui ne sont pas mme dites, les paroles qui
- ne sont pas prononces.
- Mais moi je les entends. Ces obscurs mouvements du coeur, les obscurs
- bons mouvements, les secrets bons mouvements.
- Qui jaillissent inconsciemment et qui naissent et inconsciemment
- montent vers moi.
- Celui qui en est le sige ne les aperoit mme pas. Il n'en sait
- rien, et il n'en est vraiment que le sige.
- Mais moi je les recueille, dit Dieu, et je les compte et je les pse.
- Parce que je suis le juge secret.
-
-
-
- Telles sont, dit Dieu, ces trois flottes innombrables. Et la
- quatrime.
- Ces trois flottes visibles et cette quatrime invisible.
- Ces prires secrtes dont un coeur est le sige, ces prires secrtes
- du coeur. Ces mouvements secrets.
- Et assailli aussi effrontment, assailli de prires et de larmes,
- Directement assailli, assailli en pleine face
- Aprs cela on veut que je les condamne. Comme c'est commode.
- On veut que je les juge. On sait assez comment finissent tous ces
- jugements-l et toutes ces condamnations.
- _Un homme avait deux fils_. a finit toujours par des embrassements.
- (Et c'est encore le pre qui pleure le plus).
- Et par cette tendresse qui est, que je mettrais au-dessus des Vertus
- mme.
- Parce qu'avec sa soeur la Puret elle procde directement de la
- Vierge.
-
-
- D'autres galres, dit Dieu, en d'autres temps
- D'autres galres ont vogu vers les sanctuaires des les
- Et vers les temples qui taient sur les promontoires.
- Mais cette fois-ci voici la flotte
- Qui assaille le saint des saints.
-
-
-
- _Le royaume des cieux souffre la violence. Et les violents le
- ravissent._
- Et voici l'ordre de ce rapt et de ce ravissement.
- En tte c'est comme un coin ces trois ou quatre paroles, _Notre Pre
- qui tes aux cieux_, celles qui furent prononces rellement pour
- la premire fois par mon fils.
- Derrire c'est toute la prire, celle qui fut prononce rellement
- pour la premire fois par mon fils.
- Derrire, achevant, constituant la premire flotte ce sont tous les
- autres _Notre Pre_
- Mais chacun prcd de sa propre pointe
- Qui est ces trois ou quatre mots.
- Et derrire seulement viennent les trois autres flottes.
- Et toutes ces quatre flottes sont sur voiles.
- Et ces _Pater_, qui sont des hommes, ont de fortes voiles brunes
- Pleines et rugueuses, au tissu serr.
- En toile bise, en toile crue. Mais les _Ave Maria_
- Courent sous de souples et courbes voiles blanches. Et toutes ces
- quatre flottes
- S'avancent incurves.
- Ainsi le coin fend le bois par la pointe.
- Ainsi quand des soldats veulent monter l'assaut,
- Quand ils vont monter au moment mme ils font une pointe, un
- avancement
- Un toit de leurs boucliers et quelquefois de leurs corps.
- Ainsi le front du blier enfonce la plus lourde porte.
- Et ces caravelles de la deuxime flotte
- Sont comme des colombes blotties dans la main.
-
-
-
- Ce _Notre Pre_, dit Dieu est le pre des prires. C'est comme celui
- qui marche en tte.
- C'est un homme robuste, et la prire du _Je vous salue Marie_ est
- comme une humble femme.
- Et les autres prires sont derrire eux comme des enfants.
- Et le _Notre Pre_ et le _Je vous salue Marie_ sont comme l'homme et
- la femme.
- Qui vont l'un derrire l'autre et qui fendent la foule qui est venue
- pour la procession.
- L'homme va devant et fend le flot de la foule,
- La foule de ma colre,
- Et la femme suit derrire dans le sillage.
- Et l'homme a pris sur ses paules califourchon
- Cette curieuse enfant Esprance.
- Et le _Notre Pre_ est le roi et le _Je vous salue Marie_ est la
- reine et l'esprance est la dauphine.
- Et c'est un jeu de cartes et le _Notre Pre_ est le roi et le _Je
- vous salue Marie_ est la reine et tous les autres sont
- les fidles valets.
-
-
- J'ai souvent jou avec l'homme, dit Dieu. Mais quel jeu, c'est un jeu
- dont je tremble encore.
- J'ai souvent jou avec l'homme, mais Dieu c'tait pour le sauver et
- j'ai assez trembl de ne pas pouvoir le sauver,
- De ne pas russir le sauver. Je veux dire j'ai assez trembl
- redoutant de ne pouvoir le sauver,
- Me demandant si je russirais le sauver.
-
-
- J'ai souvent jou avec l'homme, et je sais que ma grce est
- insidieuse, et combien et comment elle se tourne et elle joue. Elle
- est plus ruse qu'une femme.
- Mais elle joue avec l'homme et le tourne et tourne l'vnement et
- c'est pour sauver l'homme et l'empcher de pcher.
-
-
- Je joue souvent contre l'homme, dit Dieu, mais c'est lui qui veut
- perdre, l'imbcile, et c'est moi qui veux qu'il gagne.
- Et je russis quelquefois
- A ce qu'il gagne.
-
-
-
- C'est le cas de le dire, nous jouons qui perd gagne.
- Du moins lui, car moi si je perdais, je perds.
- Mais lui quand il perd, alors seulement il gagne.
- Singulier jeu, je suis son partenaire et son adversaire
- Et il veut gagner, contre moi, c'est--dire perdre.
- Et moi son adversaire je veux le faire gagner.
-
-
- Et le royaume du _Notre Pre_ est le royaume mme de l'esprance:
- _Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour._
- (Et le royaume du _Je vous salue Marie_ est un royaume plus secret).
-
-
- Celui qui a dit le soir son _Notre Pre_ peut dormir tranquille.
- Croyez-vous que je vais m'amuser faire des misres ces pauvres
- enfants.
- Suis-je pas leur pre.
- Et que je vais m'amuser leur faire des surprises comme on en fait
- la guerre.
- Est-ce que je leur fais la guerre?
- Oui je leur fais la guerre, mais sait bien pourquoi.
- C'est pour les empcher de perdre la bataille.
- Je suis un honnte homme, dit Dieu.
- Croyez-vous que je vais m'amuser les prendre dans leur sommeil
- Comme un homme de guerre qui prend son ennemi.
- Croyez-vous que j'aie quelque got les prendre en dfaut.
- Et que a m'amuse, de condamner.
- Pauvres gens. Je vous le demande.
- Suis-je donc un bourreau d'Orient?
- Sans doute il est arriv quelquefois,--
- Rarement,--
- Que j'ai saisi un criminel tout endormi
- Dans la nuit qui prcdait l'accomplissement,
- La perptration de son crime,
- Et que je l'ai pris par la peau du cou.
- Et que je l'ai tran tout pantelant devant mon Tribunal.
- Comme un chien crev.
- Mais cela mme je l'ai fait pour bien peu. Pour trop peu.
- Je ne l'ai pas fait assez souvent. J'aurais d le faire plus souvent.
- J'ai laiss Caphe, et Pilate, et Judas
- Dormir tout le sommeil jusqu'au matin
- De la nuit qui prcdait l'accomplissement,
- La perptration de leur forfait.
- Et ce que je n'ai pas fait pour ces trois l, et pour tant d'autres.
- Ce que j'ai fait peine pour les rois d'Orient.
- _Mane, Thecel, Phars_ vous voudriez que je le fasse.
- Pour un bon chrtien, pour un bon paysan de mes paroisses franaises.
- Qui a labour tout le jour, qui a travaill, comme c'est la loi, pour
- nourrir sa femme et ses trois enfants.
- Qui le soir a mang une bonne assiette de soupe et bu un malheureux
- verre de vin.
- Et qui s'est couch dans son lit recru de fatigue,
- Rompu.
- Ce que je n'ai pas fait pour les rois d'gypte et pour les rois de
- Babylonie.
- Vous voudriez que je le fasse pour ce malheureux.
- Qui a femme et enfants.
- Croyez-vous que je vais le prendre en tratre?
- Et qui serais-je, moi leur pre. Non, non, rassurez-vous.
- Suis-je donc un mercenaire qui ramasserait
- Et qui volerait du bois pour son feu.
- Quand un de ces malheureux meurt dans son sommeil,
- Ayant fait sa prire du soir,
- Son _Notre Pre_ et son _Je vous salue Marie_,
- C'est bon signe; son affaire est bonne.
- C'est signe qu'il tait mr pour paratre devant mon tribunal.
- Mr dans le bon sens.
- Voil les surprises que je fais. Je le jugerai comme un pre.
- _Un homme avait deux fils_. Et l'on sait comment les pres jugent.
- Celui qui a fait sa prire peut lever l'ancre
- _Pour la traverse de la nuit_.
- O nuit, dit Dieu, ma fille au grand manteau, ma fille au manteau
- d'argent.
- Par toi j'obtiens quelquefois le dsistement de l'homme.
- Et le renoncement de l'homme.
- Et le draidissement de l'homme.
- Et qu'il se taise, surtout, qu'il se taise, il n'en finit pas de
- parler.
- Pour ce qu'il dit. Pour ce que a vaut ce qu'il dit.
- Et qu'il cesse de penser. Pour ce que a vaut.
- Crature la nuque raide. Crature aux tempes barres. Je n'aime
- pas, dit Dieu,
- Celui qui a la tte comme un morceau de bois. Les idoles aussi
- taient en bois.
- Celui qui dans un perptuel raidissement roule une perptuelle
- migraine.
- Je n'aime pas, dit Dieu, celui qui pense
- Et qui se tourmente et qui se soucie
- Et qui roule une migraine perptuelle
- Dans la barre du front et un mal de tte
- Dans le creux de la nuque dans le derrire de la tte.
- Au point d'inquitude.
- Et qui a les sourcils froncs perptuellement
- Comme un secrtement malheureux.
- Et les tempes battantes et qui est brl de fivre.
- Et aussi qui a les bords des paupires frips
- A force de regarder le jour du lendemain.
- Ne suffit-il pas que moi je le regarde, le jour du lendemain.
- O nuit tu obtiens quelquefois le dsistement de ce malheureux.
- Et qu'il se dtende. C'est tout ce que je leur demande.
- Qu'il ne roule point un flot perptuel dans sa tte,
- Un ocan d'inquitude.
- Qu'est-ce que je leur demande. Qu'ils ferment un peu les yeux.
- Qu'ayant fait leur prire ils se couchent dans leur lit en long.
- Les jambes au bout des pieds et le corps au bout des jambes et la
- tte au bout du corps.
- Qu'ils dsarment enfin, ces pauvres enfants, qu'ils ne prennent plus
- des gardes contre moi.
- Qu'ils dorment comme des btes, comme un bon cheval de labour sur de
- la bonne paille, sans penser,
- Sans prvoir, sans calculer,
- Voil ce que je demande, ce n'est pourtant pas difficile.
- Voil ce que je ne peux pas obtenir.
- Ils veulent toujours faire mon mtier, qui est de peser le lendemain.
- Ils ne veulent jamais faire le leur, qui est de le subir.
- Voil ce que je ne peux jamais obtenir.
- Ils se tourmentent, ils se tendent, ils se travaillent.
- Et toi seule nuit quelquefois tu l'obtiens,
- Qu'ils tombent dans un lit perdus de lassitude.
- O nuit sera-t-il dit que tout ce que je pourrai leur offrir et tout
- ce que je pourrai inventer.
- Et que mon Paradis sera cela.
- Et que tout ce qu'ils voudront ce sera cela.
- Et qu'ils seront si fatigus de la vie, et qu'ils seront si rids,
- Et qu'ils auront t si frips par une telle existence,
- Par la vie de cette terre
- Qu'ils ne voudront entendre que cela.
- Sera-t-il dit qu'il y aura des fronts si courbs qu'ils ne se
- relveront jamais.
- Et des reins si rompus qu'ils ne se redresseront jamais.
- Et des paules si votes que jamais elles ne se redresseront.
- Et des fronts si rids que jamais ils ne se drideront.
- Et des yeux si voils qu'ils ne se dvoileront jamais.
- Et des peaux si fltries que jamais elles ne redeviendront fraches.
- Et des peaux si fanes que jamais elles ne redeviendront jeunes.
- Et des peaux si tannes que jamais elles ne redeviendront neuves.
- Et des peaux si meurtries que jamais elles ne redeviendront saines.
- Et des mes si fltries que jamais elles ne redeviendront pures.
- Et des mmoires si pleines que jamais elles ne redeviendront vides.
- Et des bords de paupire si ourls que jamais ils ne redeviendront
- purs.
- Et des paupires si uses de travail que jamais elles ne
- redeviendront lisses.
- Et des voix si voiles que jamais elles ne redeviendront pures. Que
- jamais elles ne redeviendront jeunes.
- Et des regards si voils que jamais ils ne redeviendront profonds.
- Et des voix si noyes de sanglots.
- Et des yeux si noys de travail, et des yeux si noys de larmes.
- Des yeux perdus, des voix perdues.
- Et des mmoires si perdues de peines que jamais elles ne
- redeviendront neuves.
- Et des mes si perdues de dtresse que jamais elles ne redeviendront
- jeunes.
- Que jamais elles ne redeviendront enfants.
- Et que les cheveux blancs jamais ne redeviendront
- Des cheveux boucls de jeunesse.
- Et que ces pauvres cratures auront pass par de telles dtresses.
- Par de telles preuves.
- Et qu'elles auront dans leurs mmoires des histoires telles.
- Qu'elles ne pourront les oublier jamais.
- Sera-t-il dit qu'il y a des plis qu'on ne pourra pas dfaire.
- Avec un fer repasser.
- Des traces que l'on ne pourra pas effacer.
- Laver au battoir la rivire. Laver au lavoir.
- Et que les preuves uniques et que les uniques dtresses de cette
- terre
- Les auront marqus pour ternellement.
- Et qu'ils ne voudront rien savoir
- Et qu'ils ne voudront entendre rien
- (Je joue toujours contre moi, dit Dieu.
- Sans doute il est arriv quelquefois,
- Trop rarement,
- (Et je regrette bien de ne pas l'avoir fait plus souvent,
- Au moins quelquefois plus souvent)
- Que j'ai saisi un criminel tout chaud dans la nuit de son crime.
- Et que je l'ai pris par la peau du cou.
- Et que je l'ai tran tout pantelant devant mon Tribunal.
- Comme un chien crev.
- Mais c'est qu'ils prparaient de telles horreurs et de telles
- monstruosits.
- Que moi Dieu j'en ai t pouvant.
- Et que dans ma propre nuit j'en ai t saisi d'horreur.
- Et que je n'ai pas pu attendre au soir du jour qu'ils prparaient.
- Et que je n'ai pas mme pu supporter l'ide.
- Que cela se ferait, que cela se passerait, que cela aurait lieu,
- Qu'ils prparaient.
- Et que j'ai perdu patience. Et pourtant je suis patient.
- Parce que je suis ternel.
- Et je les ai saisis dans la prparation de l'accomplissement.
- Mais je n'ai pas pu me retenir. C'tait plus fort que moi. J'ai aussi
- ma face de colre.
- Mais ces bourreaux et ces criminels.
- Que j'ai pris par la peau de l'chine et que j'ai trans tout
- vivants.
- Combien taient-ils et combien de fois cela est-il arriv.
- Or ce que je n'ai pas fait pour Cyrus et pour Cambyse.
- Et pour les festins de Sardanapale.
- Et pour les rois de Ninive et de Babylone.
- Et pour les peuples de Babel.
- Et pour Nabuchodonosor et pour Tglath-Phalazar.
- Croyez-vous que je vais le faire prsent contre un pauvre laboureur.
- Pour qui me prenez-vous. Qui me faites-vous.
- Croyez-vous que je vais mobiliser la foudre et les clairs.
- Et dranger le tonnerre de Dieu.
- Et tout le tremblement contre mes vieilles paroisses franaises.
- Non, non, bonnes gens, mangez votre soupe et dormez.
- Faites une bonne journe, (si vous pouvez), mangez votre soupe, une
- bonne plate de soupe, une pleine soupire si vous pouvez, s'il y
- en a, une bonne soupire bien fumante pleine de pommes de terre;
- faites votre prire; et dormez.
- Celui qui fait sa prire, _Notre Pre qui tes aux cieux_, pose entre
- lui et moi
- Une barrire infranchissable ma colre.
- Et peut s'abandonner au sommeil de la nuit.
- (O nuit, je t'ai cre la premire). _Que votre volont soit faite_.
- Or ce que je n'ai pas fait contre les races perdues.
- Vous voudriez que je le fasse contre mes paroisses franaises.
- Un vnement s'est pass dans l'intervalle, un vnement est
- intervenu, un vnement a fait barrire.
- C'est que mon fils est venu.
- Et moi qu'est-ce que je serais sans mes vieilles paroisses franaises.
- Qu'est-ce que je deviendrais. C'est l que mon nom monte
- ternellement.
- Depuis quand le gnral dcime-t-il ses meilleurs soldats. Ce sont
- mes meilleures troupes.
- Croyez-vous que je vais aller surprendre dans son sommeil mon propre
- camp.
- Ils sont mes propres hommes. Vais-je me mettre
- A dcimer mes propres hommes.
- Je ferais une belle bataille, aprs.
- Oh je sais bien qu'ils ne sont pas parfaits.
- Ils sont comme ils sont. Ce sont mes meilleures troupes.
- Il faut aimer ces cratures comme elles sont.
- Quand on aime un tre, on l'aime comme il est.
- Il n'y a que moi qui est parfait.
- C'est mme pour cela peut-tre
- Que je sais ce que c'est que la perfection
- Et que je demande moins de perfection ces pauvres gens.
- Je sais, moi, combien c'est difficile.
- Et combien de fois quand ils peinent tant dans leurs preuves
- J'ai envie, je suis tent de leur mettre la main sous le ventre
- Pour les soutenir dans ma large main
- Comme un pre qui apprend nager son fils
- Dans le courant de la rivire
- Et qui est partag entre deux sentiments.
- Car d'une part s'il le soutient toujours et s'il le soutient trop
- L'enfant s'y fiera et il n'apprendra jamais nager.
- Mais aussi s'il ne le soutient pas juste au bon moment
- Cet enfant boira un mauvais coup.
- Ainsi moi quand je leur apprends nager dans leurs preuves
- Moi aussi je suis partag entre ces deux sentiments.
- Car si je les soutiens toujours et je les soutiens trop
- Ils ne sauront jamais nager eux-mmes.
- Mais si je ne les soutiens pas juste au bon moment
- Ces pauvres enfants boiraient peut-tre un mauvais coup.
- Telle est la difficult, elle est grande.
- Et telle la duplicit mme, la double face du problme.
- D'une part il faut qu'ils fassent leur salut eux-mmes. C'est la
- rgle.
- Et elle est formelle. Autrement ce ne serait pas intressant. Ils ne
- seraient pas des hommes.
- Or je veux qu'ils soient virils, qu'ils soient des hommes et qu'ils
- gagnent eux-mmes
- Leurs perons de chevaliers.
- D'autre part il ne faut pas qu'ils boivent un mauvais coup
- Ayant fait un plongeon dans l'ingratitude du pch.
- Tel est le mystre de la libert de l'homme, dit Dieu,
- Et de mon gouvernement envers lui et envers sa libert.
- Si je le soutiens trop, il n'est plus libre
- Et si je ne le soutiens pas assez, il tombe.
- Si je le soutiens trop, j'expose sa libert
- Si je ne le soutiens pas assez, j'expose son salut:
- Deux biens en un sens presque galement prcieux.
- Car ce salut a un prix infini.
- Mais qu'est-ce qu'un salut qui ne serait pas libre.
- Comment serait-il qualifi.
- Nous voulons que ce salut soit acquis par lui-mme.
- Par lui-mme l'homme. Soit procur par lui-mme.
- Vienne en un sens de lui-mme. Tel est le secret,
- Tel est le mystre de la libert de l'homme.
- Tel est le prix que nous mettons la libert de l'homme.
- Parce que moi-mme je suis libre, dit Dieu, et que j'ai cr l'homme
- mon image et ma ressemblance.
- Tel est le mystre, tel est le secret, tel est le prix
- De toute libert.
- Cette libert de cette crature est le plus beau reflet qu'il y ait
- dans le monde
- De la Libert du Crateur. C'est pour cela que nous y attachons,
- Que nous y mettons un prix propre.
- Un salut qui ne serait pas libre, qui ne serait pas, qui ne viendrait
- pas d'un homme libre ne nous dirait plus rien. Qu'est-ce que ce
- serait.
- Qu'est-ce que a voudrait dire.
- Quel intrt un tel salut prsenterait-il.
- Une batitude d'esclaves, un salut d'esclaves, une batitude serve,
- en quoi voulez-vous que a m'intresse. Aime-t-on tre aim par
- des esclaves.
- S'il ne s'agit que de faire la preuve de ma puissance, ma puissance
- n'a pas besoin de ces esclaves, ma puissance est assez connue, on
- sait assez que je suis le Tout-Puissant.
- Ma puissance clate assez dans toute matire et dans tout vnement.
- Ma puissance clate assez dans les sables de la mer et dans les
- toiles du ciel.
- Elle n'est point conteste, elle est connue, elle clate assez dans
- la cration inanime.
- Elle clate assez dans le gouvernement,
- Dans l'vnement mme de l'homme.
- Mais dans ma cration anime, dit Dieu, j'ai voulu mieux, j'ai voulu
- plus.
- Infiniment mieux. Infiniment plus. Car j'ai voulu cette libert.
- J'ai _cr_ cette libert mme. Il y a plusieurs degrs de mon trne.
- Quand une fois on a connu d'tre aim librement, les soumissions
- n'ont plus aucun got.
- Quand on a connu d'tre aim par des hommes libres, les
- prosternements d'esclaves ne vous disent plus rien.
- Quand on a vu saint Louis genoux, on n'a plus envie de voir
- Ces esclaves d'Orient couchs par terre
- Tout de leur long plat ventre par terre. tre aim librement,
- Rien ne pse ce poids, rien ne pse ce prix.
- C'est certainement ma plus grande invention.
- Quand on a une fois got
- D'tre aim librement
- Tout le reste n'est plus que soumissions.
- C'est pour cela, dit Dieu, que nous aimons tant ces Franais,
- Et que nous les aimons entre tous uniquement
- Et qu'ils seront toujours mes fils ans.
- Ils ont la libert dans le sang. Tout ce qu'ils font, ils le font
- librement.
- Ils sont moins esclaves et plus libres dans le pch mme
- Que les autres ne le sont dans leurs exercices. Par eux nous avons
- got.
- Par eux nous avons invent. Par eux nous avons cr
- D'tre aims par des hommes libres. Quand saint Louis m'aime, dit
- Dieu,
- Je sais qu'il m'aime.
- Au moins je sais qu'il m'aime, celui-l, parce que c'est un baron
- franais. Par eux nous avons connu
- D'tre aims par des hommes libres. Tous les prosternements du monde
- Ne valent pas le bel agenouillement droit d'un homme libre. Toutes
- les soumissions, tous les accablements du monde
- Ne valent pas une belle prire, bien droite agenouille, de ces
- hommes libres-l. Toutes les soumissions du monde
- Ne valent pas le point d'lancement
- Le bel lancement droit d'une seule invocation
- D'un libre amour. Quand saint Louis m'aime, dit Dieu, je suis sr,
- Je sais de quoi on parle. C'est un homme libre, c'est un libre baron
- de l'Ile de France. Quand saint Louis m'aime
- Je sais, je connais ce que c'est que d'tre aim.
- (Or c'est tout). Sans doute il craint Dieu.
- Mais c'est d'une noble crainte, toute emplie, toute gonfle,
- Toute pleine d'amour, comme un fruit gonfl de jus.
- Nullement quelque lche, quelque basse crainte, quelque sale peur
- Qui prend dans le ventre. Mais une grande, mais une haute, mais une
- noble crainte,
- La peur de me dplaire, parce qu'il m'aime, et de me dsobir, parce
- qu'il m'aime,
- Et, parce qu'il m'aime, la peur
- De ne pas tre trouv agrable
- Et aimant et aim sous mon regard. Nulle infiltration, dans cette
- noble crainte,
- D'une mauvaise peur et d'une pernicieuse et vile lchet.
- Et quand il m'aime, c'est vrai. Et quand il dit qu'il m'aime, c'est
- vrai. Et quand il dit qu'il aimerait mieux
- tre lpreux que de tomber en pch mortel (tant il m'aime), c'est
- vrai.
- Lui je sais que c'est vrai.
- Ce n'est pas vrai seulement qu'il le dit. C'est vrai que c'est vrai.
- Il ne dit pas a pour que a fasse bien.
- Il ne dit pas a parce qu'il a vu a dans les livres ni parce qu'on
- lui a dit de le dire. Il dit a parce que a est.
- Il m'aime ce point. Il m'aime ainsi. Librement. La preuve que j'en
- ai dans la mme race
- C'est que le sire de Joinville (que j'aime tant tout de mme) qui est
- un autre baron franais,
- Qui aimerait mieux au contraire avoir commis trente pchs mortels
- que de devenir lpreux,
- (Trente, le malheureux, comme il ne sait pas ce qu'il dit)
- Ne se gne pas non plus pour dire ce qu'il pense
- C'est--dire pour dire le contraire
- En prsence mme d'un si grand roi
- Et d'un si grand saint
- Que pourtant il connaissait pour tel,
- C'est--dire pour contrarier un si grand roi et un si grand saint. La
- libert de parole
- De celui qui ne veut pas risquer le coup
- D'tre lpreux plutt que de tomber en pch mortel
- Me garantit la libert de parole de celui qui aime mieux tre lpreux
- Que de tomber en pch mortel.
- Si l'un dit ce qu'il pense, l'autre aussi dit ce qu'il pense.
- L'un prouve l'autre.
- Ils n'ont pas peur de contrarier mme le roi, mme le saint.
- Mais aussi quand ils parlent, on sait qu'ils parlent comme ils sont.
- Et qu'ils pensent ce qu'ils disent. Et qu'ils disent ce qu'ils
- pensent. C'est tout un.
- Que ne ferait-on pas pour tre aim par de tels hommes.
- La servitude est un air que l'on respire dans une prison
- Et dans une chambre de malade. Mais la libert
- Est ce grand air que l'on respire dans une belle valle
- Et encore plus flanc de coteau et encore plus sur un large plateau
- bien ar.
- Or il y a un certain got de l'air pur et du grand air
- Qui fait les hommes forts, un certain got de sant,
- D'une pleine sant, virile, qui fait paratre tout autre air
- Enferm, malade, confin.
- Celui-l seul qui vit au grand air
- A la peau assez cuite et l'oeil assez profond et le sang de sa race.
- Ainsi celui-l seul qui vit la grande libert
- A la peau assez cuite et l'me assez profonde et le sang de ma grce.
- Que ne ferait-on pas pour tre aim par de tels hommes.
- Comme ils sont francs entre eux, ainsi ils sont francs avec moi.
- Comme ils se disent la vrit entre eux, ainsi ils me disent la
- vrit moi.
- Et comme le baron n'a point peur de contrarier le roi et le saint
- mme,
- (Qu'il aime tant, qu'il estime son prix, pour qui il se ferait
- tuer),
- Ainsi je l'avoue ils n'ont quelquefois pas peur de me contrarier.
- Moi le roi, moi le saint. Mais quand ils m'aiment, ils m'aiment.
- Ils m'estiment mon prix. Ils se feraient tuer pour moi.
- J'en ai pour garant mme leur pre libert.
- Leur libert de parole, leur libert d'acte. Ces hommes libres
- Savent donner l'amour un certain got pre, un certain got propre
- et cette libert
- Est le plus beau reflet qu'il y ait dans le monde car elle me
- rappelle, car elle me renvoie
- Car c'est un reflet de ma propre Libert
- Qui est le secret mme et le mystre
- Et le centre et le coeur et le germe de ma Cration.
- Comme j'ai cr l'homme mon image et ma ressemblance,
- Ainsi j'ai cr la libert de l'homme l'image et la ressemblance
- De ma propre, de mon originelle libert. Aussi quand saint Louis
- tombe genoux
- Sur les dalles de la Sainte-Chapelle, sur les dalles de Notre-Dame
- C'est un homme qui tombe genoux, ce n'est pas une chiffe, ce n'est
- pas une loque
- Un tremblant esclave d'Orient
- C'est un homme et c'est un Franais et quand saint Louis m'aime
- C'est un homme qui m'aime et quand saint Louis se donne
- C'est un homme qui se donne. Et quand saint Louis me donne son coeur
- Il me donne un coeur d'homme et un coeur de Franais. Et quand il
- m'estime mon prix
- C'est--dire quand il m'estime Dieu,
- C'est une tte d'homme qui m'estime, une saine tte de Franais.
- (Et Joinville mme, Joinville qu'il ne faut point oublier.
- Quand il m'aime (car il m'aime aussi),
- Quand il m'estime (car il m'estime aussi),
- Quand il se donne (car il se donne aussi) et quand il me donne son
- coeur,
- Il sait ce qu'il est, qui il est,
- Il sait ce qu'il vaut, il sait ce qu'il pse, il sait ce qu'il donne,
- il sait ce qu'il apporte
- Et je le sais aussi.
- Quand Joinville mme, et je ne dis pas seulement saint Louis,
- Quand Joinville tombe genoux sur la dalle
- Dans la cathdrale de Reims
- Ou dans la simple chapelle de son chteau de Joinville,
- Ce n'est pas un esclave d'Orient qui s'croule,
- Dans la peur et dans quelque lche et dans quelque sale tremblement
- Aux genoux et aux pieds de quelque potentat
- D'Orient. C'est un homme libre et un baron franais,
- Joinville sire de Joinville,
- Qui donne, qui apporte et qui fait tomber genoux
- Librement et pour ainsi dire et en un certain sens gratuitement
- Et un homme libre et un baron franais,
- Joinville sire de Joinville de la comt de Champagne,
- Jean, sire de Joinville, snchal de Champagne.
-
-
-
- Il ne faut pas oublier non plus Joinville, dit Dieu.
- Il osait reprendre mme le roi.
- Il me reprenait bien un peu moi-mme
- Avec son histoire de la lpre et des pchs mortels.
- Mais je leur en passe tant, je leur passe tout ce qu'ils veulent.
-
-
-
- Il ne faut pas oublier Joinville, dit Dieu. C'taient de nobles
- hommes.
- Si l'on oubliait les pcheurs, il n'en resterait pas beaucoup.
- Peu de saints, beaucoup de pcheurs, comme partout.
- Mais il faut ce grand cortge de pcheurs
- Pour accompagner ces quelques saints. Il faut penser aussi au sire de
- Joinville.
-
-
-
- Quelques saints marchent en tte. Et le grand cortge des pcheurs
- suit derrire. Ainsi est faite ma chrtient.
- C'est ainsi qu'on obtient les grandes processions.
- Quelques pasteurs marchent devant. Et le grand troupeau suit
- derrire. Ainsi est fait le cortge de ma chrtient.
-
-
-
- Comme leur libert a t cre l'image et la ressemblance de ma
- libert, dit Dieu,
- Comme leur libert est le reflet de ma libert,
- Ainsi j'aime trouver en eux comme une certaine gratuit
- Qui soit comme un reflet de la gratuit de ma grce,
-
- Qui soit comme cre l'image et la ressemblance de la gratuit de
- ma grce.
-
- J'aime qu'en un sens ils prient non seulement librement mais comme
- gratuitement.
- J'aime qu'ils tombent genoux non seulement librement mais comme
- gratuitement.
- J'aime qu'ils se donnent et qu'ils donnent leur coeur et qu'ils se
- remettent et qu'ils supportent et qu'ils estiment non seulement
- librement mais comme gratuitement.
- J'aime qu'ils aiment enfin, dit Dieu, non seulement librement mais
- comme gratuitement.
- Or pour cela, dit Dieu, avec mes Franais je suis bien servi.
- C'est un peuple qui est venu au monde la main ouverte et le coeur
- libral.
- Il donne, il sait donner. Il est naturellement gratuit.
- Quand il donne, il ne vend pas, celui-l, et il ne prte pas la
- petite semaine.
- Il donne pour rien. Autrement est-ce donner.
- Il aime pour rien. Autrement est-ce aimer.
- Il ne me propose point toujours des marchs gnralement honteux.
- Peuple libre, peuple gratuit, et non plus seulement peuple jardinier.
- Peuple gratuit, peuple gracieux.
- Peuple de barons franais, peuple qui lve la tte, peuple qui sais
- parler aux grands
- Et par consquent moi le Trs-Grand. Ceux qui baissent toujours la
- tte
- On ne voit pas qu'ils baissent aussi la tte
- A l'Offertoire et l'lvation du Corps de mon Fils.
- Mais ces Franais qui lvent toujours la tte,
- Qui ont toujours la tte droite
- Et haute,
- Quand dans une glise cent cinquante ou deux cents ranges de
- Franais genoux
- Baissent la tte ensemble en mme temps trois fois aux trois coups de
- la sonnette
- Pour l'offrande et l'offertoire
- Et pour la conscration et pour l'lvation du corps de mon fils,
- a se voit, qu'ils baissent la tte et tout le monde comprend
- Que a en vaut la peine,
- Que c'est un instant solennel et le plus grand mystre et le plus
- grand instant qu'il y ait dans le monde.
-
-
-
- C'est un peuple, dit Dieu, qui a la gratuit dans le sang. Il donne
- et ne retient pas.
- Il donne et ne reprend pas.
- Sa main gauche ne retient pas ce que donne sa main droite.
- Sa main gauche ne reprend pas ce que donne sa main droite.
- Sa main gauche ignore littralement ce que fait sa main droite.
- Et ainsi c'est le peuple qui se conforme le plus littralement
- Aux paroles de mon fils. Et qui le plus littralement ralise
- Les paroles de mon fils.
-
-
-
- Peuple naturellement libral, dit Dieu, peuple aux mains librales
- Il ne sait pas marchander. Il ne marchande pas sur une prire.
- Il ne marchande pas sur un voeu. Quand il donne, il donne. Quand il
- demande, il demande.
- Il ne fait pas traner ce qu'il donne dans ce qu'il demande et ce
- qu'il demande dans ce qu'il donne.
- Il n'embarbouille pas tout a l'un dans l'autre.
- Il n'emmle pas. Il ne demande pas pour donner, il ne donne pas pour
- demander, il ne donne pas pour recevoir. Il sait trs bien
- Que tout ce qu'on m'apporte n'est rien auprs,
- En comparaison, au prix de ce que je donne.
- Aussi ces Franais ne me proposent-ils jamais un change, un march.
- Ils savent trs bien
- Que ma grce est gratuite, qu'il n'est que de me plaire, que je fais
- ce que je veux
- Et ils y rpondent par une sorte de prire gratuite et mme
- Par des sortes de voeux gratuits. Ils savent trs bien
- Qu'ils ne m'apportent aucuns mrites et que ce que je fais,
- Je le fais pour les mrites et par les mrites de mon fils et des
- saints.
-
-
-
- A une gratuit de ma grce ils rpondent par une certaine gratuit de
- la prire.
- Et par une certaine gratuit du voeu mme.
-
-
-
- Ils me rpondent comme je demande. Or s'il en est ainsi du menu
- peuple et d'un baron franais
- Que sera-ce d'un saint Louis, baron lui-mme et roi des barons.
- Dans leur histoire de la lpre et du pch mortel voici comme je
- calcule, dit Dieu.
- Quand Joinville aime mieux avoir commis trente pchs mortels que
- d'tre lpreux
- Et quand saint Louis aime mieux tre lpreux que de tomber en un seul
- pch mortel,
- Je n'en retiens pas, dit Dieu, que saint Louis m'aime ordinairement
- Et que Joinville m'aime trente fois moins qu'ordinairement.
- Que saint Louis m'aime suivant la mesure, la mesure,
- Et que Joinville m'aime trente fois moins que la mesure.
- Je compte au contraire, dit Dieu. Voici comme je calcule. Voici ce
- que je retiens.
- J'en retiens au contraire que Joinville m'aime ordinairement
- Honntement, comme un pauvre homme peut m'aimer,
- Doit m'aimer.
- Et que saint Louis au contraire m'aime trente fois plus
- qu'ordinairement,
- Trente fois plus qu'honntement.
- Que Joinville m'aime la mesure,
- Et que saint Louis m'aime trente fois plus qu' la mesure.
- (Et si je l'ai mis dans mon ciel, celui-l, au moins je sais
- pourquoi).
-
-
-
- Voil comme je compte, dit Dieu. Et alors mon compte est bon. Car
- cette lpre dont il s'agissait,
- Cette lpre dont ils parlaient et d'tre lpreux
- Ce n'tait pas une lpre d'imagination et une lpre d'invention et
- une lpre d'exercice.
- Ce n'tait pas une lpre qu'ils avaient vue dans les livres ou dont
- ils avaient entendu parler
- Plus ou moins vaguement
- Ce n'tait pas une lpre pour en parler ni une lpre pour faire peur
- en conversation et en figures,
- Mais c'tait la relle lpre et ils parlaient de l'avoir, eux-mmes,
- rellement,
- Qu'ils connaissaient bien, qu'ils avaient vue vingt fois
- En France et en Terre-Sainte,
- Cette dgotante maladie farineuse, cette sale gale, cette mauvaise
- teigne,
- Cette rpugnante maladie de crotes qui fait d'un homme
- L'horreur et la honte de l'homme,
- Cet ulcre, cette pourriture sche, enfin cette dfinitive lpre
- Qui ronge la peau et la face et le bras et la main,
- Et la cuisse et la jambe et le pied
- Et le ventre et la peau et les os et les nerfs et les veines,
- Cette sche moisissure blanche qui gagne de proche en proche
- Et qui mord comme avec des dents de souris,
- Et qui fait d'un homme le rebut et la fuite de l'homme,
- Et qui dtruit un corps comme une granuleuse moisissure
- Et qui pousse sur le corps ces affreuses blanches lvres,
- Ces affreuses lvres sches de plaies
- Et qui avance toujours et jamais ne recule
- Et qui gagne toujours et qui jamais ne perd
- Et qui va jusqu'au bout,
- Et qui fait d'un homme un cadavre qui marche,
- C'est de cette lpre-l qu'ils parlaient, de nulle autre.
- C'est de cette lpre-l qu'ils pensaient, de nulle autre.
- D'une lpre relle, nullement d'une lpre d'exercice.
- C'est cette lpre-l qu'il aimait mieux avoir, nulle autre.
- Eh bien moi je trouve que c'est trente fois saisissant
- Et que c'est m'aimer trente fois et que c'est trente fois de l'amour.
-
-
-
- Ah sans doute si Joinville avec les yeux de l'me avait vu
- Ce que c'est que cette lpre de l'me
- Que nous ne nommons pas en vain le pch _mortel_,
- Si avec les yeux de l'me il avait vu
- Cette pourriture sche de l'me infiniment plus mauvaise,
- Infiniment plus laide, infiniment plus pernicieuse,
- Infiniment plus maligne, infiniment plus odieuse
- Lui-mme il et tout de suite compris combien son propos tait
- absurde.
- Et que la question ne se pose mme pas. Mais tous ne voient pas avec
- les yeux de l'me.
- Je comprends cela, dit Dieu, tous ne sont pas des saints, ainsi est
- ma chrtient.
- Il y a aussi les pcheurs, il en faut, c'est ainsi.
- C'tait un bon chrtien, tout de mme, ensemble, c'tait un pcheur,
- il en faut dans la chrtient.
- C'tait un bon Franais, Jean, sire de Joinville, un baron de saint
- Louis. Au moins il disait ce qu'il pense.
- Ces gens-l font le gros de l'arme. Il faut aussi des troupes. Il ne
- suffit pas d'avoir des chefs qui marchent en tte.
- Ces gens-l partent fort honntement en croisade, au moins une fois
- sur les deux, et font trs honntement la croisade.
- Ils se battent trs bien et se font tuer trs proprement et gagnent
- le royaume du ciel
- Tout comme un autre.
- (Je veux dire comme un autre gagnerait le royaume du ciel.
- Ou je veux dire comme eux-mmes ils gagneraient un autre royaume,
- Un royaume de la terre.) C'est ce qu'il y a de plus remarquable en
- eux.
- Ils s'en vont les uns comme les autres, en troupe, les uns derrire
- les autres.
- Sans se presser, sans s'tonner, sans faire des grands gestes,
- Trs honntement, fort ordinairement,
- Sans faire un clat et ils finissent tout de mme
- Par conqurir le royaume du ciel.
- Ou encore ils gagnent le royaume du ciel comme on gagne un royaume de
- la terre,
- Ils attaquent le royaume du ciel comme on attaque un royaume de la
- terre,
- A main forte et cela ne russit dj pas si mal. _Violenti rapiunt_.
- Ils vous font d'ailleurs tout cela fort honntement, trs
- communment, comme allant de soi.
- Comme si ce ft la chose la plus naturelle du monde.
- Seulement ces malheureux ne veulent pas avoir la lpre. Ils trouvent
- sans doute que ce n'est pas propre. Ils aimeraient mieux autre
- chose.
- Les malheureux, les sots, s'ils voyaient la lpre de l'me
- Et s'ils voyaient la salet ou la propret de l'me.
- Mais voil, ils se disent: Je n'ai qu'un corps (les sots, ils
- oublient le principal,
- Ils oublient non pas seulement l'me, mais le corps de leur ternit,
- Le corps de la rsurrection des corps),
- Je n'ai qu'un corps, pensent-ils (ne pensant qu' leur corps
- terrestre)
- Si cette sale lpre me prend, je suis perdu
- (Ils veulent dire que leur corps temporel est temporellement perdu).
- C'est une maladie qui prend toujours et qui ne rend jamais.
- C'est une pourriture sche qui fait avancer toujours et toujours
- Les bords des lvres de ses affreuses plaies.
- Si je suis pris, je suis perdu.
- a commence par un point, a finit par tout le corps.
- a ne pardonne pas, quand c'est commenc c'est fini.
- C'est une maladie impossible dfaire.
- Elle dfait tout, ce qui est parti ne revient jamais plus. Elle rompt
- tout.
- Ce corps que j'ai (et qu'ils aiment tant) tomberait en poussire et
- en lambeaux
- Et en cette sale farine granuleuse et ne me reviendrait jamais plus.
- C'est une gangrne irrvocable et qui ne retourne jamais en arrire.
- Or ils y tiennent leur corps. On dirait qu'ils croient qu'ils n'ont
- que a.
- Ils savent pourtant bien qu'ils ont une me. La vie est l'union de
- l'me et du corps,
- La mort est leur sparation. Mais leur corps leur parat
- Solide et bon vivant.
- Ils ont l'impression que la lpre anantira tout leur corps et
- qu'elle les tiendra jusqu'au bout (ils ne considrent point qu'au
- bout de ce bout
- Commence le vritable commencement)
- Et alors ils aimeraient mieux avoir autre chose que la lpre.
- Je pense qu'ils aimeraient mieux attraper
- Une maladie qui leur plairait. C'est toujours le mme systme.
- Ils veulent bien affronter les plus terribles preuves
- Et m'offrir les plus redoutables exercices,
- Pourvu que ce soient eux qui les aient pralablement
- Choisis. L-dessus les Pharisiens s'crient et font des clats
- Et poussent des cris et font des mines et ces excrables Pharisiens
- Surtout prient disant: Seigneur nous vous rendons grces
- De ce que vous ne nous avez point fait semblables cet homme
- Qui a peur d'attraper la lpre. Or moi je dis au contraire, dit Dieu,
- C'est moi qui dis: Ce n'est pas rien que d'attraper la lpre.
- Je sais ce que c'est que la lpre. C'est moi qui l'ai faite.
- Je la connais. Je dis: Ce n'est pas rien que d'attraper la lpre.
- Et je n'ai jamais dit que les preuves et les exercices de leur vie,
- Et les maladies et les misres de leur vie,
- Et les dtresses de leur vie ce n'tait rien.
- J'ai toujours dit au contraire et j'ai toujours pens
- Et j'ai toujours pes que ce n'tait pas rien.
- Et il faut bien croire qu'en effet ce n'tait pas rien
- Puisque mon fils a fait tant de miracles sur les malades
- Et puisque j'ai donn au roi de France
- De toucher les crouelles.
-
-
-
- Les Pharisiens poussent des cris sur celui qui ne veut pas attraper
- la lpre.
- Et ils sont scandaliss, ces vertueux.
- Mais moi qui ne suis pas vertueux,
- Dit Dieu,
- Je ne pousse pas des cris et je ne suis pas scandalis.
-
-
-
- Je ne compte pas, je n'en retiens pas que ce Joinville est trente
- fois au dessous de l'ordinaire.
- Mais j'en retiens, mais je compte au contraire
- Que c'est ce saint Louis qui est peu ordinaire, trente fois peu
- ordinaire, trente fois extraordinaire, trente fois au dessus de
- l'ordinaire.
-
-
- Je ne compte pas, je n'en retiens pas
- Que Joinville est trente fois lche.
- Mais au contraire j'en retiens et je compte
- Que c'est ce saint Louis qui est trente fois brave,
- Trente fois brave au dessus de l'ordinaire et plus que la mesure.
-
-
- Je ne compte pas, je n'en retiens pas
- Que Joinville est trente fois plus bas.
- Mais au contraire j'en retiens et je compte
- Que c'est ce saint Louis qui est trente fois haut,
- Trente fois haut au dessus de l'ordinaire et plus que la mesure.
-
-
- Je ne compte pas, je n'en retiens pas
- Que Joinville est trente fois petit.
- Mais je sais seulement qu'il est homme.
- Et au contraire j'en retiens et je compte,
- Voici comme je compte,
- Et c'est ainsi.
- J'en retiens et je compte que c'est ce saint Louis, roi de France,
- Qui est trente fois grand, trente fois au dessus de l'ordinaire et
- plus que la mesure
-
- Et qui est trente fois prs de mon coeur et trente fois le frre de
- mon fils.
-
-
- Les Pharisiens crient le haro sur celui qui ne veut pas attraper la
- lpre.
- Mais le saint ne crie pas le haro et il n'est pas scandalis.
- Il connat trop la nature de l'homme et l'infirmit de l'homme et il
- est seulement profondment pein.
-
-
-
- Les Pharisiens crient le haro sur cet homme qui ne veut pas attraper
- la lpre.
- Voyez au contraire comme le Saint lui parle doucement.
- Fermement mais doucement.
- Et cette fermet est d'autant plus sre et me donne d'autant plus de
- certitude et plus d'assurance et plus de garantie qu'elle est plus
- douce.
- Les coeurs des pcheurs ne se prennent point par effraction.
-
-
-
- Ils ne sont pas assez purs. Le seul royaume du ciel se prend par
- effraction.
-
-
-
- Les Pharisiens courent sus l'homme qui ne veut pas attraper la
- lpre.
- Voyez comme au contraire le Saint le reprend doucement.
- Le Saint est envahi d'une peine affreuse cette parole du pcheur.
- Mais il absorbe, il dvore sa peine et la souffre lui-mme pour
- lui-mme en lui-mme.
- Et voyez comme il reprend doucement le pcheur.
-
-
-
- Or moi, dit Dieu, je suis du ct des saints et nullement du ct des
- Pharisiens.
- Aussi j'absorbe et je dvore ma peine et je la souffre moi-mme en
- moi-mme pour moi-mme,
- Et voyez comme je parle doucement au pcheur
- Et comme je reprends doucement le pcheur.
-
-
- _Et quand les frres s'en furent partis_,
- (Il attend que les deux frres qu'il avait appels,
- Qu'il avait fait venir s'en soient partis. Il attend qu'ils soient
- seuls. Il ne veut pas
- Faire un semblant d'affront un baron franais),
- _il m'appela tout seul, et me fit seoir ses pieds et me dit:
- Comment me dtes-vous hier ce?
- Et je lui dis que encore lui disais-je._
-
-
- _Et je, qui onques ne lui mentis;
- Et je lui dis que encore lui disais-je;_ en vrit, dit Dieu,
- Cette franchise de Joinville, qui ose rpter cela au roi,
- Est prcisment ce qui me garantit la franchise de saint Louis.
- Cette franchise de pch de Joinville et de cette certaine impit
- Est justement ce qui me couvre, ce qui me garantit,
- Ce qui pour ainsi dire me contrebalance
- La franchise de saintet de saint Louis. Et ce qui me la vrifie.
- Entendez-moi, dit Dieu, c'est la libert de Joinville
- Qui me couvre, qui me garantit la libert de saint Louis.
- C'est la gratuit de Joinville
- Qui me couvre, qui me garantit la gratuit, la grce de saint Louis.
- Entendez-moi c'est le pch de Joinville, ce bon chrtien,
- Qui me couvre, qui me garantit la saintet mme de saint Louis.
-
-
-
- _Je, qui onques ne lui mentis_, c'est parce que Joinville ne mentit
- jamais saint Louis,
- Mme au risque de lui dplaire, mme au risque de le contrarier et de
- lui faire une grande peine,
- Que je suis sr aussi et que je suis garanti
- Que saint Louis ne me ment jamais,
- Que son amour, que sa saintet ne me ment pas,
- Que ce n'est point un amour, une saintet de convention,
- De complaisance, imaginaire,
- Mais que c'est un amour, une saintet relle,
- Franche, terrienne,
- Terreuse, une saintet de race et de belle race,
- Libre, gratuite.
-
-
- _Et il me dit: Vous dtes comme vif tourdi;_
-
- (Rien de plus, comme vif tourdi, comme vif tourneau);
-
- _car vous devez savoir que nulle si laide lpre n'est comme d'tre en
- pch mortel, pour ce que l'me qui est en pch mortel est
- semblable au diable; par quoi nulle si laide lpre ne peut tre._
-
- _Et bien est vrai que quand l'homme meurt, il est guri de la lpre
- du corps; mais quand l'homme qui a fait le pch mortel meurt, il
- ne sait pas ni n'est certain que il ait eu en sa vie telle
- repentance que Dieu lui ait pardonn: par quoi grand peur doit
- avoir que cette lpre lui dure tant comme Dieu sera en paradis. Si
- vous prie, fit-il, tant comme je puis, que vous mettiez votre coeur
- ce, pour l'amour de Dieu et de moi, que vous aimassiez mieux que
- tout mchef avnt au corps, de lpre et de toute maladie, que ce
- que le pch mortel vnt l'me de vous._
-
-
-
- Quelle douceur, mon enfant, quelle fermet dans la douceur, quelle
- douceur dans la fermet.
- L'une et l'autre ensemble lies indissolubles, l'une poussant
- l'autre, l'une faisant valoir l'autre, l'une soutenant l'autre,
- l'une nourrissant l'autre.
- La douceur toute arme de fermet, la fermet toute arme de douceur.
- L'une enferme dans l'autre, l'autre enferme dans l'une, comme un
- double noyau dans un double fruit
- De fermet.
- Une douceur d'autant mieux garantie par la fermet, une fermet
- d'autant mieux garantie par la douceur.
- L'une portant l'autre.
- Car il n'est point de vritable douceur que fonde sur la fermet,
- Vtue de fermet.
- Et il n'est point de vritable fermet que vtue de douceur.
-
-
-
- Quelle douceur, quelle tendresse. Celui qui aime
- Entre en la sujtion de celui qui est aim.
- Voil comme il parle, lui le roi de France.
- Il est vrai que c'est un baron franais.
- Quel soin de ne point offenser.
- De ne meurtrir aucunement, de ne point lser.
- De ne point blesser.
- De ne laisser aucune trace,
- Aucun souvenir de blessure et de meurtrissure.
- Quelle attention, quelle dilection.
- Quel soin de ne pas donner mme une apparence de tort.
- Quel soin de ne pas commettre la moindre offense.
- Lui le roi, parlant pour Dieu et pour lui-mme
- Pour Dieu et pour le roi de France il parle humblement.
- Il parle comme un tremblant solliciteur.
- C'est qu'il tremble en effet et c'est qu'il sollicite.
- Il tremble que son fidle Joinville ne fasse pas son salut.
- Et il demande Joinville, il sollicite que le fidle Joinville
- Fasse son salut. Veuille bien faire son salut. Quelle sollicitation.
- Il a soin de le prendre part. Il attend que les deux frres
- soient partis.
- Quelle douceur, quel pre parlerait plus doucement son fils.
- _Comment me dtes-vous hier ce?
- Et je lui dis que encore lui disais-je.
- Et il me dit: Vous dtes comme hastis musars;_ (comme htif musard,
- comme htif tourdi, comme htif tourneau);
- Il feint presque de plaisanter, de commencer sur un ton assez
- plaisant, justement comme un qui a peur,
- Prcisment comme celui qui va entrer dans le propos le plus grave,
- Qui va causer, qui va traiter de l'intrt le plus grave);
- (ainsi commencent les joutes les plus redoutables);
- Et le srieux profond arrive tout aussitt aprs,
- Entre incontinent dans le corps mme et dans le texte de cette
- plaisante,
- De cette redoutable entre. _Vous dtes comme htis musars;
- car vous devez savoir que nulle si laide lpre
- n'est comme d'tre en pch mortel,
- pour ce que l'me qui est en pch mortel est semblable au diable:
- par quoi nulle si laide lpre ne peut tre._
-
-
-
- Et les paroles qui suivent ne sont point indignes, mon enfant, des
- plus belles paroles des vangiles,
- Des plus grandes paroles de Jsus dans les vangiles. Car en
- imitation de Jsus
- Il a t donn des saints de prononcer des paroles non indignes
- De Jsus, des paroles de Jsus,
- Comme en imitation et en l'honneur de Jsus
- Il a t donn des martyrs de subir une mort
- Non indigne de la mort de Jsus. Ainsi ces paroles qui viennent
- Ne sont point indignes de la prdication de Jsus mme.
- _Et bien est vrai que quand l'homme meurt, il est guri de la lpre
- du corps;_
- (comme c'est la mme voix que dans les vangiles, mon enfant, la mme
- profondeur,
- La mme rsonance de la mme voix dans la mme profondeur)
- (c'est qu'aussi c'est la mme saintet. Jsus et les _autres_ saints.
- La mme commune ternelle saintet,
- La mme communion des saints);
- _mais quand l'homme qui a fait le pch mortel meurt,
- il ne sait pas ni n'est certain que il ait eu en sa vie telle
- repentance
- que Dieu lui ait pardonn:
- par quoi grand peur doit avoir que cette lpre lui dure
- tant comme Dieu sera en paradis._ Mais les paroles qui viennent, mon
- enfant,
- Ne sont pas indignes du coeur des vangiles,
- Des trois paraboles de l'Esprance.
- Elles sont le reflet, elles sont le report, elles sont le rappel
- Dans la mme rsonance et dans la mme ligne
- Des trois paraboles de l'Esprance. _Un homme avait deux fils._ Un
- roi avait un baron.
- Un roi avait un fidle. Un roi avait un fils. Un roi avait un fal.
- Et comme les trois paraboles de l'esprance
- Sont le coeur peut-tre et sans doute et le couronnement des
- vangiles,
- Ainsi ces paroles de saint Louis qui viennent sont le coeur peut-tre
- et sans doute et le couronnement
- Non seulement de saint Louis et de la saintet de saint Louis.
- Mais de toute saintet peut-tre aprs les vangiles,
- De toute saintet issue des vangiles. Car elle est le reflet, et le
- report, et le rappel
- De cette unique parabole de l'enfant qui tait perdu. Comme il
- s'abaisse, le roi de France.
- Quelle chrtienne humiliation, quelle humiliation de saint. Celui qui
- aime
- Entre dans la dpendance de celui qui est aim. Quelle noble
- humilit. Il ne commande pas, il demande.
- Il attend, il espre, il reprend doucement. Il prie. Quelle humilit
- toute vtue de noblesse.
- _Si vous prie, fit-il, tant comme je puis, que vous mettiez votre
- coeur ce,
- pour l'amour de Dieu et de moi,
- que vous aimassiez mieux que tout mchef avnt au corps,
- de lpre et de toute maladie,
- que ce que le pch mortel vnt l'me de vous._
-
-
-
- Quelle instance, quelle humble instance, quelle noble instance,
- quelle tendre instance.
- Voil comme le saint parle au pcheur,
- Pour son salut. Jsus mme
- N'a jamais t plus tendre au pcheur. C'est que le saint par
- lui-mme sait
- Ce que c'est que d'tre homme et ce qu'est la faiblesse humaine
- Et l'infirmit de l'homme
- Et ce que c'est pour l'homme que la tentation
- De sa propre faiblesse. _Car l'esprit est prompt, mais la chair est
- faible._
- Et moi, dit Dieu, qui suis du ct des saints et nullement du ct
- des Pharisiens,
- Moi qui suis tout au bout du ct des saints
- Moi aussi je sais quelle est la faiblesse et l'infirmit de l'homme
- (c'est moi qui l'ai fait),
- Et je parle Joinville comme saint Louis.
-
-
-
- Comment serais-je moins tendre que saint Louis. Comme lui je tremble
- Pour leur salut. Comme lui je sollicite, hlas,
- Pour leur salut. Les Pharisiens veulent que les autres soient
- parfaits.
- Et ils exigent et ils rclament. Et ils ne parlent que de cela. Mais
- moi je ne suis pas si exigeant.
- Parce que je sais ce que c'est que la perfection, je ne leur en
- demande pas tant.
- Parce que je suis parfait et il n'y a que moi qui est parfait.
- Je suis le Tout-Parfait. Aussi je suis moins difficile.
- Moins exigeant. Je suis le Saint des saints.
- Je sais ce que c'est. Je sais ce qu'il en cote.
- Je sais ce que a cote, je sais ce que a vaut. Les Pharisiens
- veulent toujours de la perfection
- Pour les autres. Chez les autres.
- Mais le saint qui veut de la perfection pour lui-mme
- En lui-mme
- Et qui cherche et qui peine dans le labeur et dans les larmes
- Et qui obtient quelquefois quelque perfection,
- Le saint est moins difficile pour les autres.
- Il est moins exigeant pour les autres. Il sait ce que c'est.
- Il est exigeant pour soi, difficile pour soi. C'est plus difficile.
-
-
-
- Les Pharisiens trouvent toujours les autres indignes et tout le monde
- indigne.
- Mais moi qui ne vaux peut-tre pas ces hommes de bien, dit Dieu,
- Je suis moins difficile, je trouve
- Que ce Joinville est homme et que c'est saint Louis qui a trente fois
- vaincu,
- Trente fois surmont, trente fois remont, trente fois surpass la
- nature de l'homme.
- Je trouve que ce Joinville est commun, que c'est un bon chrtien, un
- bon pcheur de l'espce commune,
- Et que c'est ce saint Louis au contraire qui est trente fois hors du
- commun, trente fois saint, trente fois hors de l'espce ordinaire.
- Je trouve que ce Joinville n'est pas indigne et mme qu'il est digne,
- Et que c'est ce saint Louis qui est trente fois digne
- D'tre mon fils dans mon coeur et d'appuyer son paule
- Contre mon paule.
-
-
-
- D'ailleurs ce qu'il avait eu en gypte, dit Dieu,
- Et ce qu'il attrapa en Tunisie,
- Ce grand puisement de tout son corps
- Et cet incoercible
- Flux de ventre dont il mourut
- Ne valaient pas mieux que cette lpre qu'il consentait d'avoir.
- Il n'y a point de maladie de bonne, dit Dieu. Je le sais, c'est moi
- qui les ai faites.
- C'est pour cela qu'il se fait tant de saluts, et des plus beaux, dans
- la maladie,
- Et des plus grands.
- Et que tant de saints sortent de la maladie
- Naturellement comme du ventre de leur mre et que tant de saintets
- Sortent naturellement de la maladie les plus clatantes, les plus
- tendres, les plus chres, les plus fleurissantes de toutes,
- Et qu'il y a manire de tourner la maladie et la mort par la maladie
- en martyre mme.
-
-
-
- Pour moi, dit Dieu, quand je vois,
- Quand je considre cette maladie qu'est rellement la lpre,
- Cette inexpiable maladie farineuse aux crotes blanches,
- Qui les dfait morceau par morceau,
- (Qui dfait leur corps charnel),
- Qu'un homme qui en a vu, rellement,
- Qui a vu de la lpre et des vrais lpreux
- Dise tranquillement qu'il aimerait mieux attraper la lpre que de
- tomber en pch mortel,
- C'est--dire dise rellement qu'il aimerait mieux attraper cette
- maladie-l que de me dplaire,
- J'en suis saisi moi-mme, dit Dieu, et je tremble d'admiration
- Devant tant d'amour et je suis honteux
- D'tre tant aim.
-
-
-
- Mon fils qui les aimait tant, comme il avait raison de les aimer.
- Qu'un homme, que ce roi qui n'a que ce corps aprs tout
- (enfin ce corps sur terre et qui n'en aura jamais d'autre sur terre)
- (et quand il en est dpouill,--de quel dpouillement,--c'est une
- fois pour toutes)
- Dise tranquillement qu'il aimerait mieux attraper la lpre que de
- tomber en pch mortel,
- C'est--dire dise tranquillement qu'il aimerait mieux attraper cette
- maladie-l que de me dplaire,
- Moi-mme je n'en reviens pas, dit Dieu, qu'il y ait un homme comme ce
- saint Louis,
- (et tant d'autres saints et tant d'autres martyrs)
- Et je suis confondu d'tre tant aim.
-
-
- Et il faut que ma grce soit tellement grande.
-
-
- Et ternellement je serai en reste avec eux
- Car dans mon paradis mme ils m'aimeront ternellement autant.
-
-
- Je demeure tremblant, dit Dieu, je demeure confondu de cette preuve
- d'amour.
- De tant de preuve d'amour et il n'y a que mon fils
- Qui n'est point en reste avec eux, car pour eux comme eux il a
- souffert
- Un martyre d'homme.
- Et il est mort pour eux comme ils sont morts pour lui.
-
-
- Et qu'il y ait un homme qui ait dit cela non point comme un propos,
- Non point comme une lpre de propos,
- De discours,
- Mais rellement d'une lpre relle,
- De la lpre non point d'une lpre de parole, d'une lpre de rcit,
- Mais d'une lpre toute prte, toute propose.
-
-
- Et qu'il n'ait pas dit cela, cette sorte d'normit,
- Avec un grand geste, avec clat,
- Mais qu'il ait dit cela simplement,
- Comme allant de soi, comme une chose ordinaire,
- Dans le texte mme de son propos, dans le tissu ordinaire de sa vie,
- Cela c'est la fleur, dit Dieu, cette aisance,
- Et cela je reconnais le Franais,
- La race qui tout est simple et commun et ordinaire,
- Cette race de toute gentillesse.
-
-
-
- Et je reconnais ici la rsonance et le rang du Franais
- Et je salue
- Leur ordre propre.
- Peuple qui les plus grandes grandeurs
- Sont ordinaires.
- Je salue ici ta libert, ta grce,
- Ta courtoisie.
-
-
-
- Ta gracieuset.
- Ta gratitude.
- Ta gratuit.
-
-
-
- Demandez ce pre si le meilleur moment
- N'est pas quand ses fils commencent l'aimer comme des hommes,
- Lui-mme comme un homme,
- Librement,
- Gratuitement,
- Demandez ce pre dont les enfants grandissent.
-
-
-
- Demandez ce pre s'il n'y a point une heure secrte,
- Un moment secret,
- Et si ce n'est pas
- Quand ses fils commencent devenir des hommes,
- Libres,
- Et lui-mme le traitent comme un homme,
- Libre,
- L'aiment comme un homme,
- Libre,
- Demandez ce pre dont les enfants grandissent.
-
-
-
- Demandez ce pre s'il n'y a point une lection entre toutes
- Et si ce n'est pas
- Quand la soumission prcisment cesse et quand ses fils devenus hommes
- L'aiment, (le traitent), pour ainsi dire en connaisseurs,
- D'homme homme,
- Librement,
- Gratuitement. L'estiment ainsi.
- Demandez ce pre s'il ne sait pas que rien ne vaut
- Un regard d'homme qui se croise avec un regard d'homme.
-
-
- Or je suis leur pre, dit Dieu, et je connais la condition de l'homme.
- C'est moi qui l'ai faite.
- Je ne leur en demande pas trop. Je ne demande que leur coeur.
- Quand j'ai le coeur, je trouve que c'est bien. Je ne suis pas
- difficile.
-
-
- Toutes les soumissions d'esclaves du monde ne valent pas un beau
- regard d'homme libre.
- Ou plutt toutes les soumissions d'esclaves du monde me rpugnent et
- je donnerais tout
- Pour un beau regard d'homme libre,
- Pour une belle obissance et tendresse et dvotion d'homme libre,
- Pour un regard de saint Louis,
- Et mme pour un regard de Joinville,
- Car Joinville est moins saint mais il n'est pas moins libre,
-
-
- (Et il n'est pas moins chrtien).
-
-
- Et il n'est pas moins gratuit.
-
-
- Et mon fils est mort aussi pour Joinville.
- A cette libert, cette gratuit j'ai tout sacrifi, dit Dieu,
- A ce got que j'ai d'tre aim par des hommes libres,
- Librement,
- Gratuitement,
- Par de vrais hommes, virils, adultes, fermes.
- Nobles, tendres, mais d'une tendresse ferme.
- Pour obtenir cette libert, cette gratuit j'ai tout sacrifi,
- Pour crer cette libert, cette gratuit,
- Pour faire jouer cette libert, cette gratuit.
-
-
- Pour lui apprendre la libert.
-
-
- Or je n'ai pas trop de toute ma Sagesse
- Pour lui apprendre la libert,
- Je n'ai pas trop de toute la Sagesse de ma Providence.
- Et de la duplicit mme de ma Sagesse pour ce double enseignement.
- Quelle mesure il faut que je garde, et comment la calculer.
- Quel autre pourrait la calculer. Et comme il faut que je sois double
- Et comme il faut que je compose prudemment ce doublement,
- (Voil qui va encore scandaliser nos Pharisiens),
- Comme il faut que je calcule prudemment cette duplicit mme.
- Quelle ne faut-il pas que soit ma prudence. Il faut crer, il faut
- enseigner cette libert
- Sans exposer leur salut. Car si je les soutiens trop
- Ils n'apprennent jamais nager.
- Mais si je ne les soutiens pas juste au bon moment,
- Ils piquent du nez, ils boivent un mauvais bouillon, ils plongent
- Et il ne faut pas qu'ils sombrent
- Dans cet ocan de turpitudes.
-
-
- Je suis leur pre, dit Dieu, je suis roi, ma situation est exactement
- la mme,
- Je suis exactement comme ce roi, qui tait je pense un roi
- d'Angleterre,
- Qui ne voulut point envoyer de secours, aucune aide
- A son fils engag dans une mauvaise bataille.
- Parce qu'il voulait que l'enfant
- Gagnt lui-mme ses perons de chevalier.
- Il faut qu'ils gagnent le ciel eux-mmes et qu'ils fassent eux-mmes
- leur salut.
- Tel est l'ordre, tel est le secret, tel est le mystre. Or dans cet
- ordre, et dans ce secret, et dans ce mystre
- Nos Franais sont avancs entre tous. Ils sont mes tmoins.
- Prfrs.
- Ce sont eux qui marchent le plus tout seuls.
- Ce sont eux qui marchent le plus eux-mmes.
- Entre tous ils sont libres et entre tous ils sont gratuits.
- Ils n'ont pas besoin qu'on leur explique vingt fois la mme chose.
- Avant qu'on ait fini de parler, ils sont partis.
- Peuple intelligent,
- Avant qu'on ait fini de parler, ils ont compris.
- Peuple laborieux,
- Avant qu'on ait fini de parler, l'oeuvre est faite.
- Peuple militaire,
- Avant qu'on ait fini de parler, la bataille est donne.
-
-
- Peuple soldat, dit Dieu, rien ne vaut le Franais dans la bataille.
- (Et ainsi rien ne vaut le Franais dans la croisade).
- Ils ne demandent pas toujours des ordres et ils ne demandent pas
- toujours des explications sur ce qu'il faut faire et sur ce qui va
- se passer.
- Ils trouvent tout d'eux-mmes, ils inventent tout d'eux-mmes,
- mesure qu'il faut.
- Ils savent tout tout seuls. On n'a pas besoin de leur envoyer des
- ordres chaque instant.
- Ils se dbrouillent tout seuls. Ils comprennent tout seuls. En pleine
- bataille. Ils suivent l'vnement.
- Ils se modifient suivant l'vnement. Ils se plient l'vnement.
- Ils se moulent sur l'vnement. Ils guettent, ils devancent
- l'vnement.
- Ils se retournent, ils savent toujours ce qu'il faut faire sans aller
- demander au gnral.
- Sans dranger le gnral. Or il y a toujours la bataille, dit Dieu,
- Il y a toujours la croisade.
- Et on est toujours loin du gnral.
-
-
-
- C'est embtant, dit Dieu. Quand il n'y aura plus ces Franais,
- Il y a des choses que je fais, il n'y aura plus personne pour les
- comprendre.
-
-
-
- Peuple, les peuples de la terre te disent lger
- Parce que tu es un peuple prompt.
- Les peuples pharisiens te disent lger
- Parce que tu es un peuple vite.
- Tu es arriv avant que les autres soient partis.
- Mais moi je t'ai pes, dit Dieu, et je ne t'ai point trouv lger.
- O peuple inventeur de la cathdrale, je ne t'ai point trouv lger en
- foi.
- O peuple inventeur de la croisade je ne t'ai point trouv lger en
- charit.
- Quant l'esprance, il vaut mieux ne pas en parler, il n'y en a que
- pour eux.
-
-
-
- Tels sont nos Franais, dit Dieu. Ils ne sont pas sans dfauts. Il
- s'en faut. Ils ont mme beaucoup de dfauts.
- Ils ont plus de dfauts que les autres.
- Mais avec tous leurs dfauts je les aime encore mieux que tous les
- autres avec censment moins de dfauts.
- Je les aime comme ils sont. Il n'y a que moi, dit Dieu, qui suis sans
- dfauts. Mon fils et moi. Un Dieu avait un fils.
- Et comme cratures il n'y en a que trois qui aient t sans dfauts.
- Sans compter les anges.
- Et c'est Adam et ve avant le pch.
- Et c'est la Vierge temporellement et ternellement.
- Dans sa double ternit.
- Et deux femmes seulement ont t pures tant charnelles.
- Et ont t charnelles tant pures.
- Et c'est ve et Marie.
- ve jusqu'au pch.
- Marie ternellement.
-
-
-
- Nos Franais sont comme tout le monde, dit Dieu. Peu de saints,
- beaucoup de pcheurs.
- Un saint, trois pcheurs. Et trente pcheurs. Et trois cents
- pcheurs. Et plus.
- Mais j'aime mieux un saint qui a des dfauts qu'un pcheur qui n'en a
- pas. Non, je veux dire:
- J'aime mieux un saint qui a des dfauts qu'un neutre qui n'en a pas.
- Je suis ainsi. _Un homme avait deux fils_.
- Or ces Franais, comme ils sont, ce sont mes meilleurs serviteurs.
- Ils ont t, ils seront toujours mes meilleurs soldats dans la
- croisade.
- Or il y aura toujours la croisade.
- Enfin ils me plaisent. C'est tout dire. Ils ont du bon et du mauvais.
- Ils ont du pour et du contre. Je connais l'homme.
- Je sais trop ce qu'il faut demander l'homme.
- Et surtout ce qu'il ne faut pas lui demander.
- Si quelqu'un le sait, c'est moi.
- Depuis que l'ayant cr mon image et ma ressemblance.
- Par le mystre de cette libert ma crature
- Je lui abandonnai dans mon royaume
- Une part de mon gouvernement mme.
- Une part de mon invention.
- Il faut le dire une part de ma cration.
- Il faut les prendre comme ils sont. Si quelqu'un le sait, c'est moi.
- Et aussi savez-vous
- Combien une seule goutte de sang de Jsus
- Pse dans mes balances ternelles.
- Que donc celui qui est n pour dormir, dorme. _La terre tait informe
- et nue; les tnbres couvraient la face de l'abme; et l'Esprit de
- Dieu tait port sur les eaux._ Et ce ne fut qu'ensuite que j'ai
- cr la lumire. _Or Dieu dit: Que la lumire soit: et la lumire
- fut.
- Dieu vit que la lumire tait bonne, et il spara la lumire d'avec
- les tnbres.
- Il donna la lumire le nom de jour, et aux tnbres le nom de nuit:
- et du soir et du matin se fit le premier jour._
- Sera-t-il dit qu'il y aura des regards si teints, des regards si
- plis
- Que nulle tincelle ne les allumera plus.
- Et qu'il y aura des voix si fanes, et des mes si blettes
- Que nul ressourcement ne les approfondira plus.
- Et qu'il y aura des mes si fanes
- D'preuves, de dtresse,
- De larmes, de prire, de travail,
- Et d'avoir vu ce qu'elles ont vu. Et d'avoir souffert ce qu'elles ont
- souffert.
- Et d'avoir pass par o elles ont pass. Et de savoir ce qu'elles
- savent.
-
- Qu'ils en auront assez.
- Pour ternellement assez et que tout ce qu'ils demanderont c'est
- qu'on leur fiche la paix.
- _Dona eis, Domine, pacem,
- Et requiem aeternam._ La paix et le repos ternel.
- Parce qu'ils auront connu certaines histoires de la terre.
- Et qu'ils ne voudront plus entendre de rien que d'un champ de repos.
- Et de se coucher pour dormir.
- Dormir, dormir enfin.
- Et que tout ce qu'ils supporteront et que tout ce que je pourrai
- mettre
- Et apporter
- (Celui que je prends dans son sommeil de la terre est bien heureux,
- et c'est bon signe, mes enfants)
- Comme le trop malade et le trop bless ne supporte plus la vie et le
- remde et l'ide mme de la gurison.
- Mais seulement le baume sur la blessure.
- Et n'a plus aucun got pour la sant.
- Ainsi sera-t-il dit que sur tant de blessures.
- Ils ne supporteront que la fracheur du baume.
- Comme un bless fivreux.
- Et qu'ils n'auront (plus) aucun got pour mon paradis
- Et pour ma vie ternelle.
- Et que tout ce que je pourrai mettre sur tant de blessures;
- Sur tant de cicatrices et sur tant de sacrifices;
- Et sur l'amertume de tant de calices;
- Et sur les ingratitudes de tant de malices;
- Et sur les pointes d'pines de tant de cilices;
- Et sur les cartlements de tant de supplices;
-
- Et sur les claboussements de tant de sang;
-
- (J'ai pris le criminel accroupi sur son crime
- Dit Dieu. Sera-t-il dit que sur tant de fatigues.
- Et tant de navrements et de meurtres complices.
- Sur tant d'hbtements et de vicissitudes.
- Sur tant d'inquitude et sur tant d'habitude.
- Sur tant de solitude et de dcrpitude.
- Sur tant de lassitude et de sollicitude.
- Sur tant d'ingratitude et d'inexactitude.
- Sur tant d'incertitude et tant de solitude.
- Et tant de servitude et de dsutude.
- Et tant de platitude et sur tant d'amertume.
- Et sur cette cume
- De sang.
- Et sur cette cume
- De haine.
- Et sur cette cume
- D'ingratitude.
- Et sur cette cume
- D'amour.
-
-
- Et sur tant de blessures sera-t-il dit.
- Que sur tant de blessures tout ce que je pourrai mettre.
- Et sur tant de fltrissures et sur tant de meurtrissures.
- Et sur tant d'claboussures et sur tant de morsures.
- Ce sera de faire descendre comme un baume du soir.
- Comme aprs la blessure d'un ardent midi la grande tombe d'un beau
- soir d't
- La lente descension d'une nuit ternelle.
-
-
- O nuit sera-t-il dit que je t'aurai cre la dernire.
- Et que mon Paradis et que ma Batitude
- Ne sera qu'une grande nuit de clart.
- Une grande nuit ternelle
- Et que le couronnement du jugement et le commencement du Paradis et
- de ma Batitude sera
- Le coucher de soleil d'un ternel t.
-
-
-
- Or il en serait ainsi, dit Dieu.
- Et tout ce que je pourrais mettre sur les bords des lvres
- Des plaies des martyrs
- Ce serait le baume, et l'oubli, et la nuit.
- Et tout s'achverait de lassitude,
- Cette norme aventure,
- Comme aprs une ardente moisson
- La lente descension d'un grand soir d't.
- S'il n'y avait pas ma petite esprance.
- C'est par ma petite esprance seule que l'ternit sera.
- Et que la Batitude sera.
- Et que le Paradis sera. Et le ciel et tout.
- Car elle seule, comme elle seule dans les jours de cette terre
- D'une vieille veille fait jaillir un lendemain nouveau
- Ainsi elle seule des rsidus du Jugement et des ruines et du dbris
- du temps
- Fera jaillir une ternit neuve.
-
-
-
- Je suis, dit Dieu, le Seigneur des vertus.
- La Foi est la lampe du sanctuaire.
- Qui brle ternellement.
- La Charit est ce grand beau feu de bois
- Que vous allumez dans votre chemine
- Pour que mes enfants les pauvres viennent s'y chauffer dans les soirs
- d'hiver.
- Et autour de la Foi je vois tous mes fidles
- Ensemble agenouills dans le mme geste et dans la mme voix
- De la mme prire.
- Et autour de la Charit je vois tous mes pauvres
- Assis en rond autour de ce feu
- Et tendant leurs paumes la chaleur du foyer.
- Mais mon esprance est la fleur et le fruit et la feuille et la
- branche.
- Et le rameau et le bourgeon et le germe et le bouton.
- Et elle est le bourgeon et le bouton de la fleur
- De l'ternit mme.
-
-
-
- O mon peuple franais, dit Dieu, tu es le seul qui ne fasses point
- des contorsions.
- Ni des contorsions de raideur, ni des contorsions de mollesse.
- Et dans ton pch mme tu fais moins de contorsions
- Que les autres n'en font dans leurs exercices.
- Quand tu pries, agenouill tu as le buste droit.
- Et les jambes bien jointes bien droites au ras du sol.
- Et les deux pieds bien joints.
- Et les deux mains bien jointes bien appliques bien droites.
- Et les deux regards des deux yeux bien paralllement montants droit
- au ciel.
- O seul peuple qui regardes en face.
- Et qui regardes en face la fortune et l'preuve
- Et le pch mme.
- Et qui moi-mme me regardes en face.
- Et quand tu es couch sur la pierre des tombeaux
- L'homme et la femme se tiennent bien droits l'un ct de l'autre.
- Sans raideur et sans aucune contorsion.
- Bien couchs droits l'un ct de l'autre sans faute.
- Sans manque et sans erreur.
- Bien pareils. Bien paralllement.
- Les mains jointes, les corps joints et spars parallles.
- Les regards joints.
- Les destines jointes. Joints dans le jugement et dans l'ternit.
- Et le noble lvrier bien aux pieds.
- Peuple, le seul qui pries et le seul qui pleures sans contorsion.
-
- Le seul qui ne verses que des larmes dcentes.
- Et des larmes perpendiculaires.
-
- Le seul qui ne fasses monter que des prires dcentes
- Et des prires et des voeux perpendiculaires.
-
-
-
- Dans toute famille, dit Dieu, il y a un dernier-n.
- Et il est plus tendre.
- Cette petite esprance qui sauterait la corde dans les processions.
- Elle est dans la maison des vertus
- Comme tait Benjamin dans la maison de Jacob.
-
-
-
- _Un homme avait douze fils._ Comme les quarante-six livres de
- l'Ancien Testament marchent devant les quatre vangiles et les
- Actes et les ptres et l'Apocalypse.
- Qui ferme la marche.
- Comme les quarante-six livres de l'Ancien Testament marchent devant
- les vingt-sept livres du Nouveau Testament.
- Ayant pos leurs quarante-six tentes dans le dsert.
- Et comme Isral marche devant la chrtient.
- Et comme le bataillon des justes marche devant le bataillon des
- saints.
- Et Adam devant Jsus-Christ
- Qui est le deuxime Adam.
- Ainsi devant toute histoire et devant toute similitude du Nouveau
- Testament
- Marche une histoire de l'Ancien Testament qui est sa parallle et qui
- est sa pareille.
- _Un homme avait deux fils. Un homme avait douze fils._ Et ainsi
- devant toute soeur chrtienne
- S'avance une soeur juive qui est sa soeur ane et qui l'annonce et
- qui va devant.
- Et qui a pos sa tente dans le dsert. Et le puits de Rbecca
- Avait t creus avant le puits de la Samaritaine.
- Or entre toutes une histoire a plant sa tente.
- Et avant l'histoire de l'homme qui avait deux fils
- Mon enfant c'est l'histoire de l'homme qui avait douze fils.
- Et comme tait Benjamin dans la famille de cet homme,
- Ainsi est mon Esprance dans la famille des vertus.
- Parmi les trois Thologales et parmi les quatre Cardinales.
- Sans compter toutes les autres et notamment parmi celles,
- Parmi les sept qui s'opposent directement aux Capitaux.
- Et avant le fils qui fut retrouv gardien de cochons,
- Marche le fils qui fut retrouv roi,
- Je veux dire ministre du roi et rellement gouverneur du royaume.
- Ministre du Pharaon et gouverneur du royaume d'gypte.
- --_Je suis Joseph, votre frre._ Quel Juif, quel chrtien
- N'a pleur cette retrouvaille. _Isral aimait Joseph plus que tous
- ses autres enfants, parce qu'il l'avait eu tant dj vieux;_
-
-JEANNETTE
-
- _Et il lui avait fait faire une robe de plusieurs couleurs._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Il arriva aussi que Joseph rapporta ses frres un songe qu'il
- avait eu, qui fut la semence d'une plus grande haine._
-
-JEANNETTE
-
- _Car il leur dit:_
-
-MADAME GERVAISE
-
- Quel coeur juif, quel coeur chrtien n'a tressailli au fil de cette
- histoire. Quel coeur juif, quel coeur chrtien n'a tressailli
- cette retrouvaille.
-
-JEANNETTE
-
- _Car il leur dit: coutez le songe que j'ai eu._
-
-MADAME GERVAISE
-
- Juif, chrtien, qui n'a pleur cette reconnaissance.
-
-JEANNETTE
-
- _Il me semblait que je liais avec vous des gerbes dans le champ; que
- ma gerbe se leva et se tint debout; et que les vtres tant autour
- de la mienne, l'adoraient._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Ses frres lui rpondirent: Est-ce que vous serez notre Roi, et que
- nous serons soumis votre puissance? Ces songes et ces entretiens
- allumrent donc encore davantage l'envie et la haine qu'ils avaient
- contre lui._
-
-JEANNETTE
-
- _Il est encore un autre songe qu'il raconta ses frres en leur
- disant: J'ai cru voir en songe que le soleil et la lune, et onze
- toiles m'adoraient._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Lorsqu'il eut rapport ce songe son pre et ses frres, son pre
- lui en fit rprimande, et lui dit: Que voudrait dire ce songe que
- vous avez eu? Est-ce que votre mre, vos frres et moi nous vous
- adorerons sur la terre?_
-
-JEANNETTE
-
- _Ainsi ses frres taient transports d'envie contre lui: mais le
- pre considrait tout ceci dans le silence._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Il arriva alors que les frres de Joseph s'arrtrent Sichem o
- ils faisaient patre les troupeaux de leur pre._
-
-JEANNETTE
-
- _Et Isral dit Joseph: Vos frres font patre nos brebis dans le
- pays de Sichem. Venez, et je vous enverrai vers eux._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _(Je suis tout prt, lui dit Joseph).--Allez, et voyez si vos frres
- se portent bien, et si les troupeaux sont en bon tat; et vous me
- rapporterez ce qui se passe.--Ayant (donc) t envoy de la valle
- d'Hbron, il vint Sichem;_
-
-JEANNETTE
-
- _et un homme l'ayant trouv errant dans un champ, lui demanda ce
- qu'il cherchait._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Il lui rpondit: Je cherche mes frres; je vous prie de me dire o
- ils font patre leurs troupeaux._
-
-JEANNETTE
-
- _Cet homme lui rpondit: Ils se sont retirs de ce lieu; et j'ai
- entendu qu'ils se disaient: Allons vers Dothan. Joseph alla donc
- aprs ses frres; et il les trouva dans (la plaine de) Dothan._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Lorsqu'ils l'eurent aperu de loin, avant qu'il se ft approch
- d'eux, ils rsolurent de le tuer;_
-
-JEANNETTE
-
- _Et ils se disaient l'un l'autre: Voici notre songeur qui vient._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Allons, tuons-le, et le jettons dans cette vieille citerne: nous
- dirons qu'une bte sauvage l'a dvor; et aprs cela on verra
- quoi ses songes lui auront servi._
-
-JEANNETTE
-
- _Ruben les ayant entendu parler ainsi, tchait de le tirer d'entre
- leurs mains, et il disait:_
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Ne le tuez point, et ne rpandez point son sang, mais jettez-le dans
- cette citerne qui est dans le dsert, et conservez vos mains pures._
-
-JEANNETTE
-
-comme donnant un renseignement, pour qu'on n'aille point s'garer:
-
- _Il disait ceci dans le dessein de le tirer de leurs mains, et de le
- rendre son pre._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Aussitt donc qu'il fut arriv prs de ses frres, ils lui trent
- sa robe de plusieurs couleurs qui le couvrait jusqu'en bas;_
-
-JEANNETTE
-
- _Et ils le jettrent dans cette vieille citerne qui tait sans eau._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _S'tant ensuite assis pour manger, ils virent des Ismalites qui
- passaient, et qui venant de Galaad portaient sur leurs chameaux des
- parfums, de la rsine et de la myrrhe,..._
-
-JEANNETTE
-
- Dj l'or, dj l'encens, dj la myrrhe.
-
-MADAME GERVAISE
-
- _... et s'en allaient en gypte._
-
-JEANNETTE
-
- Et ce fut la premire fuite en gypte.
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Alors Juda dit ses frres: Que nous servira d'avoir tu notre
- frre, et d'avoir cach sa mort?_
-
- _Il vaut mieux le vendre..._
-
-JEANNETTE
-
- _Il vaut mieux le vendre ces Ismalites, et ne point souiller nos
- mains; car il est notre frre et notre chair._
-
-comme condescendant:
-
- _Ses frres consentirent ce qu'il disait:_
-
-MADAME GERVAISE
-
- _L'ayant donc tir de la citerne, et voyant ces marchands Madianites
- qui passaient, ils le vendirent vingt pices d'argent aux
- Ismalites, qui le menrent en gypte._
-
-JEANNETTE
-
- _Ils le vendirent vingt pices d'argent._ Un autre,
- Un autre fut vendu.
-
-MADAME GERVAISE
-
- Un autre fut envoy vers ses frres, pour savoir comment les brebis
- se portaient. Un autre fut dpouill de sa robe et jet dans cette
- vieille citerne qui tait sans eau. Un autre fut vendu.
-
-JEANNETTE
-
- Un autre fut emmen en gypte, dans la mme, dans une autre gypte.
- Un autre fut vendu.
-
-MADAME GERVAISE
-
- C'est une figure, mon enfant. C'est une histoire unique et elle fut
- joue deux fois. Une fois en juiverie, une fois en chrtiennerie.
- Et pour celui qui regarde les deux fois se voient en transparence
- l'une sur l'autre.
-
-JEANNETTE
-
- Un autre fut li, un autre fut vendu.
-
-MADAME GERVAISE
-
- Un autre fut vendu esclave.
-
-JEANNETTE
-
- Un autre aussi fut retrouv. Un autre aussi fut reconnu. Un autre
- aussi se dvoila. _Je suis Jsus, votre frre._
-
-MADAME GERVAISE
-
- Un autre se manifesta dans sa gloire, et dans le ministre et dans le
- gouvernement du royaume.
-
-JEANNETTE
-
- Dans le gouvernement d'une gypte ternelle. _Ruben tant retourn
- la citerne, et n'y ayant point trouv l'enfant._
-
-MADAME GERVAISE
-
- Un autre a rompu le sceau de son secret. Un autre est apparu dans sa
- gloire. Un autre est apparu la droite. Un autre est apparu dans
- le gouvernement. Un autre est apparu sur les degrs du trne. Un
- autre est apparu dans son ascension.
-
-JEANNETTE
-
- Et c'tait Jsus notre frre. _Je suis Jsus,
- Je suis Jsus votre frre._
- Et nous autres nous sommes ces gerbes et ces onze toiles.
- _Un homme avait douze fils._ Et nous autres nous sommes ces frres
- ingrats,
- les onze ou enfin les dix ou enfin les neuf mauvais fils de Jacob.
- _Ruben tant retourn la citerne, et n'y ayant point retrouv
- l'enfant,_
-
-MADAME GERVAISE
-
- _dchira ses vtements, et vint dire ses frres: L'enfant ne parat
- plus, et que deviendrai-je?_
-
- _Aprs cela ils prirent la robe..._
-
-JEANNETTE
-
- Une autre robe fut ravie. _Aprs cela ils prirent la robe de Joseph,
- et l'ayant trempe dans le sang d'un chevreau qu'ils avaient tu,_
-
-MADAME GERVAISE
-
- _ils l'envoyrent au pre, lui faisant dire par ceux qui la lui
- portaient: Voici une robe que nous avons trouve, voyez si c'est
- celle de votre fils, ou non._
-
-JEANNETTE
-
- _Le pre l'ayant reconnue, dit: C'est la robe de mon fils, une bte
- cruelle l'a dvor, une bte a dvor Joseph._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Et ayant dchir ses vtements, il se couvrit d'un cilice, pleurant
- son fils fort longtemps._
-
-JEANNETTE
-
- _Alors tous ses enfants s'assemblrent, pour tcher de soulager leur
- pre dans sa douleur: mais il ne voulut point recevoir de
- consolation, et il dit: Je pleurerai toujours jusqu' ce que je
- descende avec mon fils au fond de la terre. Ainsi il continua
- toujours de pleurer._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Cependant les Madianites vendirent Joseph en gypte._
-
- Un homme avait douze fils. Or celui qu'il aimait plus que tous les
- autres (_Isral aimait Joseph plus que tous ses autres enfants,
- parce qu'il l'avait eu tant dj vieux, et il lui avait fait faire
- une robe de plusieurs couleurs_) celui-l mme tait esclave en
- gypte et il croyait qu'il tait mort.
- Or c'est pour cela mme qu'il eut plus tard cette grande joie.
- Qu'il ne pouvait pas en avoir autrement.
-
-JEANNETTE
-
- _... et je n'aurai au-dessus de vous que le trne et la qualit de
- Roi._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Pharaon dit encore Joseph: Je vous tablis aujourd'hui pour
- commander toute l'gypte._
-
-JEANNETTE
-
- _Ensemble il ta son anneau de sa main et le mit en celle de Joseph;
- il le fit revtir d'une robe de fin lin, et lui mit au cou un
- collier d'or._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Il le fit monter sur l'un de ses chars, qui tait le second aprs le
- sien, et fit crier par un Hraut, que tout le monde flcht le
- genou devant lui, et que tous reconnussent qu'il avait t tabli
- pour commander toute l'gypte._
-
-JEANNETTE
-
- _Le Roi dit encore Joseph: Je suis Pharaon; nul ne remuera ni le
- pied ni la main dans toute l'gypte que par votre commandement._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Il changea aussi son nom, et il l'appela en langue gyptienne..._
-
-JEANNETTE
-
- _... le Sauveur du Monde._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Les sept annes de fertilit vinrent donc; et le bl ayant t mis
- en gerbes, fut serr ensuite dans les greniers de l'gypte._
-
-JEANNETTE
-
- Trente et trois annes de fertilit vinrent donc; et le bl ayant t
- mis en gerbes, fut serr ensuite dans les greniers d'une gypte
- ternelle.
-
-MADAME GERVAISE
-
- _On mit aussi en rserve dans toutes les villes cette grande
- abondance de grains._
-
-JEANNETTE
-
- On mit aussi en rserve dans tout le ciel cette grande abondance de
- grces.
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Car il y eut si grande quantit de froment, qu'elle galait le sable
- de la mer, et qu'elle ne pouvait pas mme se mesurer._
-
-JEANNETTE
-
- Car il y eut une si grande quantit de grces, qu'elle galait le
- sable de la mer, et qu'elle ne pouvait pas mme se mesurer.
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Ces sept annes..._
-
-JEANNETTE
-
- Il avait li les sacs de bl pour les greniers bl. Un autre
- Un autre lia les sacs de grces pour les greniers grces.
- Un autre lia les sacs de grces pour les greniers du ciel.
- Un autre lia les sacs de grces pour les greniers
- ternels.
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Ces sept annes..._
-
-JEANNETTE
-
- Dans les sept annes grasses il avait li les sacs de bl pour les
- greniers bl du pays
- D'gypte. Un autre
- Dans les trente-trois annes grasses un autre
- Lia les sacs de vertus, les sacs de mrites, les sacs de grces
- Pour les greniers bl du pays ternel.
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Ces sept annes de fertilit d'gypte tant donc passes,_
-
-JEANNETTE
-
- Ces trente-trois annes de fertilit du coeur tant donc passes,
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Les sept annes de strilit vinrent ensuite, selon la prdiction de
- Joseph:_
-
-JEANNETTE
-
- Les innombrables annes de la strilit du coeur
- Vinrent ensuite,
- Selon la prdiction de Jsus:
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Une grande famine survint dans tout le monde;_
-
-JEANNETTE
-
- Une grande famine survint dans tout le monde;
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Mais il y avait du bl dans toute l'gypte._
-
-JEANNETTE
-
- Mais il y a du bl dans toute cette gypte
- ternelle.
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Le peuple tant press la famine,
- cria Pharaon,
- et lui demanda de quoi vivre._
-
-JEANNETTE
-
- Et aujourd'hui.
- Et prsent c'est nous ce peuple qui est press de la famine.
- Et nous crions vers Dieu,
- Lui demandant de quoi vivre.
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Mais il leur dit: Allez trouver Joseph,
- Et faites tout ce qu'il vous dira._
-
-JEANNETTE
-
- Mais il nous dit: Allez trouver Jsus,
- Et faites tout ce qu'il vous dira.
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Cependant la famine croissait tous les jours dans toute la terre:_
-
-JEANNETTE
-
- et Jsus...
-
-MADAME GERVAISE
-
- _et Joseph ouvrant tous les greniers,_
-
-JEANNETTE
-
- _vendait du bl aux gyptiens,_
-
-MADAME GERVAISE
-
- _parce qu'ils taient tourments eux-mmes de la famine._
-
- _Et on venait de toutes les provinces en gypte pour acheter de quoi
- vivre, et pour trouver quelque soulagement_
-
-JEANNETTE
-
- _dans la rigueur de cette famine._
-
- _Cependant Jacob ayant ou dire qu'on vendait du bl en gypte, dit
- ses enfants: Pourquoi ngligez-vous?_
-
- _J'ai appris qu'on vend du bl en gypte; allez-y acheter ce qui nous
- est ncessaire, afin que nous puissions vivre et que nous ne
- mourions pas de faim._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Les dix frres de Joseph allrent donc en gypte pour y acheter du
- bl;_
-
-JEANNETTE
-
- _Jacob retint Benjamin avec lui, ayant dit ses frres qu'il
- craignait_
-
- _qu'il ne lui arrivt quelque accident dans le chemin._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Ils entrrent dans l'gypte avec les autres qui y allaient pour y
- acheter;_
-
- _parce que la famine tait dans le pays de Chanaan._
-
-JEANNETTE
-
- _Joseph commandait dans toute l'gypte,_
-
-MADAME GERVAISE
-
- _et le bl ne se vendait aux peuples que par son ordre. Ses frres
- l'ayant donc ador,
- il les reconnut: et leur parlant assez rudement, comme des
- trangers, il leur dit:_
-
-JEANNETTE
-
-faisant un peu la grosse voix
-
- _D'o venez-vous?_
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Ils lui rpondirent:_
-
-JEANNETTE
-
-faisant un peu la petite voix
-
- _Du pays de Chanaan pour acheter ici de quoi vivre._
-
- _Et quoi qu'il connt bien ses frres, il ne fut point nanmoins
- connu d'eux._
-
- _Alors se souvenant des songes qu'il avait eus autrefois,_
-
-MADAME GERVAISE
-
- _il leur dit: Vous tes des espions, et vous tes venus ici pour
- considrer les endroits les plus faibles de l'gypte._
-
-JEANNETTE
-
- _Ils rpondirent: Seigneur, cela n'est pas ainsi; mais vos serviteurs
- sont venus ici pour acheter du bl._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Nous sommes tous enfants d'un seul homme,_
-
-JEANNETTE
-
- Nous sommes tous enfants d'un seul Dieu.
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Nous sommes tous enfants d'un seul homme, nous venons avec des
- penses de paix,_
-
-JEANNETTE
-
- Et paix sur la terre aux hommes de bonne volont.
-
-MADAME GERVAISE
-
- _et vos serviteurs n'ont aucun mauvais dessein._
-
- _Leur rpondit: Non cela n'est pas; mais vous tes venus pour
- remarquer ce qu'il y a de moins fortifi dans l'gypte._
-
- _Ils lui dirent: Nous sommes douze frres, enfants d'un mme homme
- dans le pays de Chanaan, et vos serviteurs. Le dernier est avec
- notre pre, et l'autre n'est plus._
-
-JEANNETTE
-
- Comme tait Benjamin dans la maison de Jacob, _le dernier est avec
- notre pre,_ ainsi est l'esprance dans la maison des vertus.
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Voil, dit Joseph, ce que je disais: Vous tes des espions_
-
-JEANNETTE
-
-faisant la grosse voix et s'adoucissant peu peu
-
-[d'ailleurs toute cette rcitation sacre, venue dans le courant mme
-de leur commune oraison, se fait: avant tout comme d'une belle
-histoire; ensemble comme d'une histoire amusante; en dessous comme
-d'une histoire de tendresse; d'une tendresse grandissante, si grande
-qu'en mme temps on s'en dfend constamment jusqu' l'clatement final]
-
- _Je m'en vais prouver si vous dites la vrit. Vive Pharaon,_
-
-[c'est surtout ce _Vive Pharaon_ qui les amuse. Elles le font dans une
-trs grosse voix]
-
- _Vive Pharaon, vous ne sortirez point d'ici jusqu' ce que le dernier
- de vos frres y soit venu._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Envoyez l'un de vous pour l'y amener: cependant vous demeurerez en
- prison jusqu' ce que j'aye reconnu si ce que vous dites est vrai
- ou faux, autrement,_ mme jeu, _vive Pharaon, vous tes des
- espions._
-
- _Il les fit donc mettre en prison pour trois jours._
-
- _Et le troisime jour il les fit sortir de prison, et leur dit:
- Faites ce que je vous dis, et vous vivrez: car je crains Dieu._
-
- _Si vous venez ici dans un esprit de paix, que l'un de vos frres
- demeure li dans la prison; et allez-vous-en vous; emportez en
- votre pays le bl que vous avez achet,_
-
- _et amenez-moi le dernier de vos frres, afin que je puisse
- reconnatre si ce que vous dites est vritable, et que vous ne
- mouriez point. Ils firent ce qu'il leur avait ordonn._
-
-JEANNETTE
-
- _Et ils se disaient l'un l'autre: C'est justement que nous
- souffrons tout ceci, parce que nous avons pch contre notre frre,
- et que voyant la douleur de son me lorsqu'il nous priait, nous ne
- l'coutmes point: c'est pour cela que nous sommes tombs dans
- cette affliction._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Ruben l'un d'entre eux leur disait: Ne vous dis-je pas: Ne commettez
- point un si grand crime contre cet enfant? Et vous ne m'couttes
- point. C'est son sang maintenant que l'on redemande._
-
-JEANNETTE
-
- _Ils ne savaient pas que Joseph les entendt, parce qu'il leur
- parlait par un truchement.
- Mais il se retira pour un peu de temps, et versa des larmes._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Et tant revenu il leur parla._
-
- _Il fit prendre Simon, et le fit lier devant eux; et il commanda
- ses officiers d'emplir leurs sacs de bl, et de remettre dans le
- sac de chacun d'eux l'argent, en y ajoutant encore des vivres pour
- se nourrir pendant le chemin: ce qui fut excut aussitt._
-
- _Les frres de Joseph s'en allrent donc, emportant leur bl sur
- leurs nes._
-
- _Et l'un d'eux ayant ouvert son sac dans l'htellerie pour donner
- manger son ne, vit son argent l'entre du sac,_
-
- _et il dit ses frres: On m'a rendu mon argent; le voici dans mon
- sac. Ils furent tous saisis d'tonnement et de trouble; et ils
- s'entredisaient: Quelle est cette conduite de Dieu sur nous?_
-
- _Lorsqu'ils furent arrivs chez Jacob leur pre au pays de Chanaan,
- ils lui racontrent tout ce qui leur tait arriv, en disant:_
-
- _Le Seigneur de ce pays-l nous a parl rudement, et il nous a pris
- pour des espions qui venaient observer le royaume._
-
- _Nous lui avons rpondu: Nous sommes gens paisibles, et trs loigns
- d'avoir aucun mauvais dessein._
-
- _Nous tions douze frres enfants d'un mme pre._
-
-JEANNETTE
-
- _Nous tions douze frres enfants d'un mme pre. L'un n'est plus, le
- plus jeune est avec notre pre au pays de Chanaan._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Il nous a rpondu: Je veux prouver s'il est vrai que vous n'ayez
- que des penses de paix. Laissez-moi donc ici l'un de vos frres;
- prenez le bl qui vous est ncessaire pour vos maisons, et vous en
- allez;_
-
- _et amenez-moi le plus jeune de vos frres, afin que je sache que
- vous n'tes point des espions; que vous puissiez ensuite remener
- avec vous celui que je retiens prisonnier, et qu'il vous soit
- permis l'avenir d'acheter ici ce que vous voudrez._
-
- _Aprs avoir ainsi parl, comme ils jetaient leur bl hors de leurs
- sacs, ils trouvrent chacun leur argent li l'entre du sac, et
- ils en furent tous pouvants._
-
-JEANNETTE
-
- _Alors Jacob, leur pre, leur dit:_
-
- _Vous m'avez rduit tre sans enfants. Joseph n'est plus au monde,
- Simon est en prison, et vous voulez m'enlever Benjamin. Tous ces
- maux sont retombs sur moi._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Ruben lui rpondit: Faites mourir mes deux enfants, si je ne vous le
- ramne. Confiez-le moi, et je vous le rendrai._
-
-JEANNETTE
-
- _Non, dit Jacob, mon fils n'ira point avec vous. Son frre est mort,
- et il est demeur seul. S'il lui arrive quelque malheur au pays o
- vous allez, vous accablerez ma vieillesse d'une douleur qui
- m'emportera dans le tombeau._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Cependant la famine dsolait extraordinairement tout le pays;_
-
- _et le bl que les enfants de Jacob avaient apport d'gypte tant
- consum, Jacob leur dit:_
-
- _Retournez pour nous acheter un peu de bl._
-
-
-
- _Juda lui rpondit: Celui qui commande en ce pays-l nous a dclar
- sa volont avec serment, en disant: Vous ne verrez point mon visage
- moins que vous n'ameniez avec vous le plus jeune de vos frres._
-
- _Si vous voulez donc l'envoyer avec nous, nous irons ensemble, et
- nous achterons ce qui vous est ncessaire._
-
- _Que si vous ne le voulez pas, nous n'irons point: car cet homme,
- comme nous l'avons dit plusieurs fois, nous a dclar que nous ne
- verrions point son visage, si nous n'avions avec nous notre jeune
- frre._
-
-
-
- _Isral leur dit: C'est pour mon malheur que vous lui avez appris que
- vous aviez encore un autre frre._
-
-
-
- _Mais ils lui rpondirent: Il nous demanda par ordre toute la suite
- de notre famille: Si notre pre vivait; si nous avions un frre: et
- nous lui rpondmes conformment ce qu'il nous avait demand.
- Pouvions-nous deviner qu'il nous dirait: Amenez avec vous votre
- frre?_
-
-
-
- _Juda dit encore son pre: Envoyez l'enfant avec moi, afin que nous
- puissions partir et avoir de quoi vivre, et que nous ne mourions
- pas nous et nos petits enfants._
-
- _Je me charge de cet enfant, et c'est moi qui vous en demanderez
- compte. Si je ne le ramne, et si je ne vous le rends, je consens
- que vous ne me pardonniez jamais cette faute._
-
- _Si nous n'avions point tant diffr, nous serions dj revenus une
- seconde fois._
-
-
-
- _Isral leur pre leur dit donc: Si c'est une ncessit, faites ce
- que vous voudrez. Prenez avec vous des plus excellents fruits de ce
- pays-ci, pour en faire prsent celui qui commande; un peu de
- rsine, de miel, de storax, de myrrhe, de trbenthine et
- d'amandes._
-
-JEANNETTE
-
- De l'or, de l'encens, de la myrrhe.
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Portez aussi deux fois autant d'argent qu'au premier voyage, et
- reportez celui que vous avez trouv dans vos sacs, de peur que ce
- ne soit une mprise._
-
- _Enfin menez votre frre avec vous, et allez vers cet homme._
-
-JEANNETTE
-
- _Je prie mon Dieu le tout-puissant de vous le rendre favorable, qu'il
- renvoye avec vous votre frre qu'il tient prisonnier, et Benjamin:
- cependant je demeurerai seul, comme si j'tais sans enfants._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Ils prirent donc avec eux les prsents, et le double de l'argent,
- avec Benjamin; et tant partis ils arrivrent en gypte, o ils se
- prsentrent devant Joseph._
-
-JEANNETTE
-
- _Joseph les ayant vus, et Benjamin avec eux, dit son Intendant:
- Faites entrer ces personnes chez moi; tuez des victimes, et
- prparez un festin: parce qu'ils mangeront midi avec moi._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _L'Intendant excuta ce qui lui avait t command, et il les fit
- entrer dans la maison._
-
- _Alors tant saisis de crainte, ils s'entredisaient: C'est cause de
- cet argent que nous avons remport dans nos sacs qu'il nous fait
- entrer ici, pour faire retomber sur nous ce reproche, et nous
- opprimer en nous rduisant en servitude, nous et nos nes._
-
- _C'est pourquoi tant encore la porte, ils s'approchrent de
- l'Intendant de Joseph,
- et lui dirent: Seigneur, nous vous supplions de nous couter. Nous
- sommes dj venus une fois acheter du bl:_
-
- _et aprs l'avoir achet, lorsque nous fmes arrivs l'htellerie,
- en ouvrant nos sacs, nous y trouvmes notre argent, que nous vous
- rapportons maintenant au mme poids._
-
- _Et nous vous en rapportons encore d'autre, pour acheter ce qui nous
- est ncessaire: mais nous ne savons en aucune sorte qui a pu
- remettre cet argent dans nos sacs._
-
-JEANNETTE
-
- _L'Intendant leur rpondit: Ayez l'esprit en repos; ne craignez
- point. Votre Dieu et le Dieu de votre pre vous a donn des trsors
- dans vos sacs: car pour moi j'ai reu l'argent que vous m'avez
- donn, et j'en suis content. Il fit sortir aussi Simon, et il le
- leur amena._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Aprs les avoir fait entrer en la maison, il leur apporta de l'eau,
- ils se lavrent les pieds, et il donna manger leurs nes._
-
-JEANNETTE
-
- _Cependant ils tinrent leurs prsents tout prts, attendant que
- Joseph entrt sur le midi, parce qu'on leur avait dit qu'ils
- devaient manger en ce lieu-l._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Joseph tant donc entr dans sa maison, ils lui offrirent leurs
- prsents qu'ils tenaient en leurs mains, et ils l'adorrent en se
- baissant jusqu'en terre._
-
-JEANNETTE
-
- _Il les salua aussi, en leur faisant bon visage, et il leur demanda:
- Votre pre, ce vieillard dont vous m'aviez parl, vit-il encore? Se
- porte-t-il bien?_
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Ils lui rpondirent: Notre pre votre serviteur est encore en vie,
- et il se porte bien: et en se baissant profondment, ils
- l'adorrent._
-
-JEANNETTE
-
- _Joseph levant les yeux vit Benjamin son frre, fils de Rachel sa
- mre, et leur dit: Est-ce l le plus jeune de vos frres dont vous
- m'aviez parl? Mon fils, ajouta-t-il, je prie Dieu qu'il vous soit
- toujours favorable._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Et il se hta, parce que ses entrailles avaient t mues en voyant
- son frre, et qu'il ne pouvait plus retenir ses larmes. Passant
- donc dans une chambre, il pleura._
-
-JEANNETTE
-
- _Et aprs s'tre lav le visage il revint, se faisant violence, et il
- dit: Servez manger._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _On servit Joseph part, et ses frres part, et les gyptiens qui
- mangeaient avec lui part: (car il n'est pas permis aux gyptiens
- de manger avec les Hbreux, et ils croient qu'un festin de cette
- sorte serait profane)._
-
-JEANNETTE
-
- _Ils s'assirent donc en prsence de Joseph, l'an le premier selon
- son rang, et le plus jeune selon son ge. Et ils furent extrmement
- surpris,_
-
-MADAME GERVAISE
-
- _en voyant les parts qu'il leur avait donnes, de ce que la part la
- plus grande tait venue Benjamin; car elle tait cinq fois plus
- grande que celle des autres. Ils burent ainsi avec Joseph, et ils
- firent grande chre._
-
-
-
- _Or Joseph donna cet ordre l'Intendant de sa maison, et lui dit:
- Mettez dans les sacs de ces personnes autant de bl qu'ils en
- pourront tenir, et l'argent de chacun l'entre du sac;
- et mettez ma coupe d'argent rentre du sac du plus jeune, avec
- l'argent qu'il a donn pour le bl. Cet ordre fut donc excut._
-
- _Et ds le matin on les laissa aller avec leurs nes._
-
- _Lorsqu'ils furent sortis de la ville, comme ils n'avaient fait
- encore que peu de chemin, Joseph appela l'Intendant de sa maison,
- et lui dit: Courez vite aprs ces gens; arrtez-les, et leur dites:
- Pourquoi avez-vous rendu le mal pour le bien?_
-
- _La coupe que vous avez drobe, est celle dans laquelle mon Seigneur
- boit, et dont il se sert pour deviner. Vous avez fait une trs
- mchante action._
-
- _L'Intendant fit ce qui lui avait t command; et les ayant arrts,
- il leur dit tout ce qu'il lui avait t ordonn de leur dire._
-
-JEANNETTE
-
- _Ils lui rpondirent: Pourquoi mon seigneur parle-t-il ainsi ses
- serviteurs, et les croit-il capables d'une action si honteuse?_
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Nous vous avons rapport du pays de Chanaan l'argent que nous
- trouvmes l'entre de nos sacs. Comment donc se pourrait-il faire
- que nous eussions drob de la maison de votre Seigneur de l'or ou
- de l'argent?_
-
-JEANNETTE
-
- _Que celui de vos serviteurs,..._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _quel qu'il puisse tre, qui l'on trouvera ce que vous cherchez,
- meure; et nous serons esclaves de mon seigneur._
-
-JEANNETTE
-
- _Il leur dit: Oui, que ce que vous prononcez soit excut. Quiconque
- se trouvera avoir pris ce que je cherche, sera mon esclave, et vous
- en serez innocents._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Ils dchargrent donc aussitt leurs sacs terre, et chacun ouvrit
- le sien._
-
-JEANNETTE
-
- _Les ayant fouills, du plus grand au plus petit, on trouva la coupe
- dans le sac de Benjamin._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Alors ayant dchir leurs vtements et dcharg leurs nes, ils
- revinrent la ville._
-
-JEANNETTE
-
- _Juda se prsenta le premier avec ses frres devant Joseph, qui
- n'tait pas encore sorti du lieu o il tait; et ils se
- prosternrent tous ensemble terre devant lui._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Joseph leur dit: Pourquoi avez-vous agi ainsi? Ignorez-vous qu'il
- n'y a personne qui m'gale dans la science de deviner les choses
- caches?_
-
-JEANNETTE
-
- _Juda lui dit: Que rpondrons-nous mon Seigneur? Que lui
- dirons-nous, et que pouvons-nous lui reprsenter avec quelque ombre
- de justice pour notre dfense? Dieu a trouv l'iniquit de vos
- serviteurs. Nous sommes tous les esclaves de mon Seigneur, nous et
- celui qui on a trouv la coupe._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Joseph rpondit: Dieu me garde d'agir de la sorte. Que celui qui a
- pris ma coupe soit mon esclave; et pour vous autres, allez en
- libert retrouver votre pre._
-
-JEANNETTE
-
- _Juda s'approchant alors plus prs de Joseph lui dit avec assurance:
- Mon Seigneur, permettez, je vous prie, votre serviteur de vous
- adresser sa parole, et ne vous mettez pas en colre contre votre
- esclave: car aprs Pharaon, c'est vous qui tes_
-
-MADAME GERVAISE
-
- _mon Seigneur. Vous avez demand d'abord vos serviteurs: Avez-vous
- encore votre pre ou quelque autre frre?_
-
- _Et nous vous avons rpondu, mon Seigneur: Nous avons un pre qui est
- vieux, et un jeune frre qu'il a eu dans sa vieillesse, dont le
- frre qui tait n de la mme mre est mort: il ne reste plus que
- celui-l, et son pre l'aime tendrement._
-
- _Vous dtes alors vos serviteurs: Amenez-le moi, je serai bien aise
- de le voir._
-
- _Mais nous vous rpondmes, mon Seigneur: Cet enfant ne peut quitter
- son pre, car s'il le quitte, il le fera mourir._
-
- _Vous dtes vos serviteurs: Si le dernier de vos frres ne vient
- avec vous, vous ne verrez plus mon visage._
-
- _Lors donc que nous fmes retourns vers notre pre votre serviteur,
- nous lui rapportmes tout ce que vous aviez dit, mon Seigneur._
-
- _Et notre pre nous ayant dit: Retournez pour nous acheter un peu de
- bl;_
-
- _nous lui rpondmes: Nous ne pouvons y aller. Si notre jeune frre y
- vient avec nous, nous irons ensemble: mais moins qu'il ne vienne,
- nous n'osons nous prsenter devant celui qui commande._
-
- _Il nous rpondit: Vous savez que j'ai eu deux fils de Rachel ma
- femme._
-
- _L'un d'eux tant all aux champs, vous m'avez dit qu'une bte
- l'avait dvor, et il ne parat plus jusqu' cette heure._
-
- _Si vous emmenez encore celui-ci, et qu'il lui arrive quelque
- accident dans le chemin, vous accablerez ma vieillesse d'une
- affliction qui la conduira dans le tombeau._
-
- _Si je me prsente donc mon pre votre serviteur, et que l'enfant
- n'y soit pas, comme sa vie dpend de celle de son fils,_
-
- _lorsqu'il verra qu'il n'est point avec nous, il mourra, et vos
- serviteurs accableront sa vieillesse d'une douleur qui le mnera au
- tombeau._
-
- _Que ce soit donc plutt moi qui sois votre esclave, puisque je me
- suis rendu caution de cet enfant, et que j'en ai rpondu mon
- pre, en lui disant: Si je ne le ramne, je veux bien que mon pre
- m'impute cette faute, et qu'il ne me la pardonne jamais._
-
- _Ainsi je demeurerai votre esclave, et servirai mon Seigneur en la
- place de l'enfant, afin qu'il retourne avec ses frres._
-
- _Car je ne puis pas retourner vers mon pre sans que l'enfant soit
- avec nous, de peur que je ne sois moi-mme tmoin de l'extrme
- affliction qui accablera notre pre._
-
-JEANNETTE
-
-elle va au devant de la rcitation.
-
- Joseph ne pouvait plus se retenir;
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Joseph ne pouvait plus se retenir; et parce qu'il tait environn de
- plusieurs personnes,_
-
-JEANNETTE
-
-ne se retenant plus elle-mme et saisissant d'autorit la rcitation.
-
- _il commanda..._
-
-elle recommence pour avoir la reconnaissance dans son plein.
-
- _Joseph ne pouvait plus se retenir; et parce qu'il tait environn de
- plusieurs personnes, il commanda que l'on ft sortir tout le monde;
- afin que nul tranger ne ft prsent lorsqu'il se ferait connatre
- ses frres,_
-
-
- _Alors les larmes lui tombant des yeux, il leva sa voix, qui fut
- entendue des gyptiens, et de toute la maison de Pharaon._
-
- _Et il dit ses frres: Je suis Joseph. Mon pre vit-il encore?_
-
-
-
- Je suis Joseph; je suis Joseph; je suis Jsus votre frre.
- Qu'attendez-vous? _Mon pre vit-il encore?_
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Mais ses frres ne purent point lui rpondre, tant ils taient
- saisis de frayeur._
-
-JEANNETTE
-
- _Il leur parla avec douceur, et leur dit: Approchez-vous de moi. Et
- s'tant approchs de lui, il ajouta: Je suis Joseph votre frre que
- vous avez vendu en gypte._
-
- _Ne craignez point et ne vous affligez point de ce que vous m'avez
- vendu en ce pays-ci: car Dieu m'a envoy en gypte avant vous pour
- votre salut._
-
- _Il y a dj deux ans que la famine a commenc sur la terre, et il en
- reste encore cinq, pendant lesquels on ne pourra ni labourer ni
- recueillir._
-
- _Dieu m'a fait venir ici avant vous, pour vous conserver la vie, et
- afin que vous puissiez avoir des vivres pour subsister._
-
- _Ce n'est point par votre conseil que j'ai t envoy ici, mais par
- la volont de Dieu, qui m'a rendu comme le pre de Pharaon, le
- matre de sa maison, et le prince de toute l'gypte._
-
- _Htez-vous d'aller trouver mon pre, et dites-lui: Voici ce que vous
- mande votre fils Joseph: Dieu m'a rendu le matre de toute
- l'gypte. Venez me trouver, ne diffrez point;_
-
- _vous demeurerez dans la terre de Gessen, vous serez prs de moi vous
- et vos enfants; et les enfants de vos enfants; vos brebis, vos
- troupeaux de boeufs, et tout ce que vous possdez._
-
- _Et je vous nourrirai l parce qu'il reste encore cinq annes de
- famine, de peur qu'autrement vous ne prissiez avec toute votre
- famille et tout ce qui est vous._
-
- _Vous voyez de vos yeux, vous et mon frre Benjamin, que c'est
- moi-mme qui vous parle de ma propre bouche._
-
- _Annoncez mon pre quelle est cette gloire, et tout ce que vous
- avez vu dans l'gypte. Htez-vous de me l'amener._
-
- _Et s'tant jet au cou de Benjamin son frre pour l'embrasser, il
- pleura; et Benjamin pleura aussi en le tenant embrass._
-
- _Joseph embrassa aussi tous ses frres, il pleura sur chacun d'eux;
- et aprs cela ils se rassurrent pour lui parler._
-
- _Aussitt il se rpandit un grand bruit dans toute la Cour du Roi,
- que les frres de Joseph taient venus. Pharaon s'en rjouit avec
- toute sa maison._
-
- _Et il dit Joseph qu'il donnt cet ordre ses frres: Chargez vos
- nes de bl, retournez en Chanaan;_
-
- _amenez de l votre pre et toute votre famille, et venez me trouver.
- Je vous donnerai tous les biens de l'gypte, et vous serez nourris
- de ce qu'il y a de meilleur dans cette terre._
-
- _Ordonnez-leur aussi d'emmener des chariots de l'gypte, pour faire
- venir leurs femmes avec leurs petits enfants, et dites-leur: Amenez
- votre pre, et htez-vous de revenir le plus tt que vous pourrez,_
-
- _sans rien laisser de ce qui est dans vos maisons, parce que toutes
- les richesses de l'gypte seront vous._
-
- _Les enfants d'Isral..._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Les enfants d'Isral firent ce qui leur avait t ordonn. Et Joseph
- leur fit donner des chariots, selon l'ordre qu'il en avait reu de
- Pharaon, et des vivres pour le chemin._
-
-JEANNETTE
-
- _Il commanda aussi que l'on donnt deux robes chacun de ses frres;
- mais il en donna cinq des plus belles Benjamin, et trois cents
- pices d'argent._
-
- _Il envoya autant d'argent et de robes pour son pre, avec dix nes
- chargs de tout ce qu'il y avait de plus prcieux dans l'gypte, et
- autant d'nesses qui portaient du bl et du pain pour le chemin._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Il renvoya donc ses frres, et leur dit en partant: Ne vous mettez
- point en colre pendant le chemin._
-
- _Ils vinrent donc de l'gypte au pays de Chanaan vers Jacob leur
- pre._
-
-JEANNETTE
-
- _Et ils lui dirent cette nouvelle; Votre fils Joseph est vivant et
- commande dans toute la terre d'gypte. Ce que Jacob ayant entendu,
- il se rveilla comme d'un profond sommeil, et cependant il ne
- pouvait croire ce qu'ils lui disaient._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Ses enfants insistaient au contraire, en lui rapportant comment
- toute la chose s'tait passe. Enfin ayant vu les chariots, et tout
- ce que Joseph lui envoyait, il reprit ses esprits;_
-
-JEANNETTE
-
- _et il dit: Je n'ai plus rien souhaiter, puisque mon fils Joseph
- vit encore. J'irai et je le verrai avant que je meure._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Isral partit donc avec tout ce qu'il avait, et vint au Puits du
- jurement, et ayant immol en ce lieu des victimes au Dieu de son
- pre Isaac,_
-
- _il l'entendit dans une vision pendant la nuit, qui l'appelait, et
- qui lui disait: Jacob, Jacob. Il lui rpondit: Me voici._
-
- _Et Dieu ajouta: Je suis le Dieu trs puissant de votre pre, ne
- craignez point, allez en gypte, parce que je vous y rendrai le
- chef d'un grand peuple._
-
- _J'irai l avec vous, et je vous en ramnerai lorsque vous en
- reviendrez._
-
-JEANNETTE
-
- _Joseph aussi vous fermera les yeux de ses mains._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Jacob tant donc parti du Puits du jurement, ses enfants l'amenrent
- avec ses petits enfants et leurs femmes, dans les chariots que
- Pharaon avait envoys pour faire venir ce vieillard,_
-
- _avec tout ce qu'il possdait au pays de Chanaan; et il arriva en
- gypte avec toute sa race;_
-
- _ses fils, ses petits-fils, ses filles, et tout ce qui tait n de
- lui._
-
-
-
- _Tous ceux qui vinrent en gypte avec Jacob, et qui taient sortis de
- lui, sans compter les femmes de ses fils, taient en tout soixante
- et six personnes._
-
- _Plus les deux enfants de Joseph qui lui taient ns en gypte. Ainsi
- toutes les personnes de la maison de Jacob qui vinrent en gypte,
- furent au nombre de soixante et dix._
-
-JEANNETTE
-
- _Or Jacob envoya Juda devant lui vers Joseph pour l'avertir de sa
- venue, afin qu'il vnt au-devant de lui en la terre de Gessen._
-
- _Quand Jacob y fut arriv, Joseph fit mettre les chevaux son
- chariot, et vint au mme lieu au-devant de son pre: et le voyant
- il se jeta son cou, et l'embrassa en pleurant._
-
- _Jacob dit Joseph: Je mourrai maintenant avec joie, puisque j'ai vu
- votre visage, et que je vous laisse aprs moi._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Joseph dit ses frres, et toute la maison de son pre: Je m'en
- vais dire Pharaon, que mes frres et tous ceux de la maison de
- mon pre sont venus me trouver de la terre de Chanaan o ils
- demeuraient:_
-
- _que ce sont des pasteurs de brebis qui s'occupent nourrir des
- troupeaux, et qu'ils ont amen avec eux leurs brebis, leurs boeufs
- et tout ce qu'ils pouvaient avoir._
-
- _Et lorsque Pharaon vous fera venir, et vous demandera: Quelle est
- votre occupation?_
-
- _vous lui rpondrez: Vos serviteurs sont pasteurs depuis leur enfance
- jusqu' prsent, et nos pres l'ont toujours t comme nous. Vous
- direz ceci pour pouvoir demeurer dans la terre de Gessen; parce que
- les gyptiens ont en abomination tous les pasteurs de brebis._
-
-
-
- _Joseph tant donc all trouver Pharaon, lui dit: Mon pre et mes
- frres sont venus du pays de Chanaan, avec leurs brebis, leurs
- troupeaux, et tout ce qu'ils possdent, et ils se sont arrts en
- la terre de Gessen._
-
- _Il prsenta aussi au Roi cinq de ses frres;_
-
- _Et le Roi leur ayant demand: A quoi vous occupez-vous? ils lui
- rpondirent: Vos serviteurs sont pasteurs de brebis, comme l'ont
- t nos pres._
-
- _Nous sommes venus passer quelque temps dans vos terres, parce que la
- famine est si grande dans le pays de Chanaan, qu'il n'y a plus
- d'herbe pour les troupeaux de vos serviteurs. Et nous vous
- supplions d'agrer que vos serviteurs demeurent dans la terre de
- Gessen._
-
-JEANNETTE
-
- _Le Roi dit donc Joseph: Votre pre et vos frres vous sont venus
- trouver._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Vous pouvez choisir dans toute l'gypte; faites-les demeurer dans
- l'endroit du pays qui vous paratra le meilleur, et donnez-leur la
- terre de Gessen. Que si vous connaissez qu'il y ait parmi eux des
- hommes habiles, donnez-leur l'intendance sur mes troupeaux._
-
- _Joseph introduisit ensuite son pre devant le Roi, et il le lui
- prsenta. Jacob salua Pharaon, et lui souhaita toute sorte de
- prosprit._
-
- _Le Roi lui ayant demand quel ge il avait:_
-
-JEANNETTE
-
- _il lui rpondit: Il y a cent trente ans que je suis voyageur, et ce
- petit nombre d'annes, qui n'est pas venu jusqu' galer celui des
- annes de mes pres, a t travers de beaucoup de maux._
-
-MADAME GERVAISE
-
- _Et aprs avoir souhait toute sorte de bonheur au Roi, il se retira._
-
- _Joseph selon le commandement de Pharaon, mit son pre et ses frres
- en possession de Ramesss dans le pays le plus fertile de l'gypte._
-
- _Et il les nourrissait avec toute la maison de son pre, donnant
- chacun ce qui lui tait ncessaire pour vivre._
-
- _Car le pain manquait dans tout le monde, et la famine affligeait
- toute la terre; mais principalement l'gypte et le pays de Chanaan._
-
-
-
- _Isral demeura donc en gypte, c'est--dire, dans la terre de
- Gessen, dont il jouit comme de son bien propre, et o sa famille
- s'accrut et se multiplia extraordinairement._
-
- _Il y vcut dix-sept ans; et tout le temps de sa vie fut de cent
- quarante-sept ans._
-
- _Comme il vit que le jour de sa mort approchait, il appela son fils
- Joseph, et lui dit: Si j'ai trouv grce devant vous, mettez votre
- main sous ma cuisse, et donnez-moi cette marque de la bont que
- vous avez pour moi, de me promettre avec vrit, que vous ne
- m'enterrerez point dans l'gypte;_
-
- _mais que je reposerai avec mes pres; que vous me transporterez hors
- de ce pays, et me mettrez dans le spulcre de mes anctres. Joseph
- lui rpondit: Je ferai ce que vous me commandez._
-
- _Jurez-le moi donc, dit Jacob. Et pendant que Joseph jurait, Isral
- adora Dieu, se tournant vers le chevet de son lit._
-
-
-
- _Aprs cela on vint dire un jour Joseph que son pre tait malade:
- alors prenant avec lui ses deux fils, Manass, et Ephram, il
- l'alla voir._
-
- _On dit donc Jacob: Voici votre fils Joseph qui vient vous rendre
- visite. Jacob reprenant ses forces se mit sur son sant dans son
- lit._
-
-
-
- _Et_
-
- _Il leur fit aussi ce commandement, et leur dit: Je vais tre runi
- mon peuple; ensevelissez-moi avec mes pres dans la caverne double
- qui est dans le champ d'Ephron Hethen._
-
- _qui regarde Mambr au pays de Chanaan, et qu'Abraham acheta d'Ephron
- Hethen, avec tout le champ o elle est, pour y avoir son spulcre._
-
- _C'est l qu'il a t enseveli avec Sara sa femme. C'est aussi o
- Isaac a t enseveli avec Rbecca sa femme, et o Lia est encore
- ensevelie._
-
- _Aprs avoir achev de donner ces ordres et ces instructions ses
- enfants, il joignit ses pieds sur son lit, et mourut; et il fut
- runi avec son peuple._
-
-
-
- _Un homme avait douze fils._ Telle fut, mon enfant,
- Ce fut la premire fois qu'un enfant s'est perdu.
- Ce fut la premire fois qu'une brebis s'est perdue.
- Ce fut la premire fois qu'une drachme s'est perdue.
-
-
-
- Mais cette drachme que l'on avait gare,
- Mais cette brebis qui s'tait gare,
- Mais cet enfant, ce fils qui s'tait gar
- Fut retrouv sur le trne,
- Gouvernant la maison de Pharaon
- Et ravitaillant tout le royaume d'gypte.
- Et celui de Jsus au contraire, (c'est toujours le contraire),
- Celui de Jsus, l'enfant perdu par Jsus,
- Dans la parabole de Jsus,
- Celui de Jsus fut retrouv qui revenait de gouverner un troupeau de
- porcs.
- Et je pense que ses trente ou quarante cochons,
- Il les ravitaillait de glands et peut-tre de quelque sale pte.
- C'est ainsi, mon enfant. Ainsi est l'ancien, ainsi est le nouveau
- testament.
- Dans l'ancien testament il est plus souvent question du trne.
- Et dans le nouveau testament il est plus souvent question de garder
- les cochons.
- (Et les autres animaux, qui ne sont pas moins nobles).
-
-
- Dans l'ancien testament il y a toujours une vue, une pense vers le
- commandement.
- Et dans le nouveau testament il y a toujours une pense,
- Une arrire-pense vers le service au contraire
- Et vers la servitude.
-
-
-
- Dans l'ancien testament il y a toujours un regard, une pense vers le
- gouvernement.
- Et dans le nouveau testament il y a toujours un regard, une pense
- vers l'obissance
- Et vers la simple condition.
- Vers la simple condition de sujet.
- Vers la simple condition d'homme.
-
-
-
- Ou s'il y a une pense vers un commandement, et vers un gouvernement,
- et vers un royaume,
- Dans le nouveau testament c'est vers un commandement et vers un
- gouvernement et vers un royaume
- Qui n'est point le gouvernement et le commandement d'un royaume
- d'gypte.
-
-
-
- Et dans le nouveau testament il n'y a de pense que pour un royaume
- qui n'est pas de ce monde.
-
-
-
- Dans l'ancien testament il y a toujours une pense vers les
- richesses, vers les trsors d'gypte et de Babylonie,
- Vers les talents d'or et d'argent.
- Et les richesses, et le trne, et le royaume, et le gouvernement et
- le commandement
- Sont prsentes comme le couronnement.
- Dans le nouveau testament il y a toujours une pense,
- La pense secrte est vers l'preuve, et vers la misre, et vers la
- pauvret.
- Et c'est elle l'preuve, et c'est elle la misre, et c'est elle la
- pauvret
- Qui est toujours prsente,
- Qui est le fate et le couronnement.
-
-
-
- C'est elle qui est la dame et la trs chre et la trs sainte
- pauvret.
-
-
-
- Dans l'ancien testament on redoute toujours, il y a toujours une
- pense
- De redoutement vers la famine de la faim.
- Dans le nouveau testament on redoute toujours
- Une autre faim inapaise,
- Il y a toujours une pense
- De redoutement vers une autre famine d'une autre faim.
- Car c'est une spirituelle famine.
- D'une faim spirituelle.
-
-
-
- Ainsi marche l'ancien testament devant le nouveau testament.
- Ainsi les histoires marchent devant les similitudes.
- Et les hymnes et les prires et les psaumes
- Devant les hymnes et les prires et les oraisons
- Et la lente et la longue ligne des prophtes
- Devant les bataillons serrs,
- Devant les bataillons carrs
- Des saints.
-
-
-
- Ainsi marche le gouvernement des biens de ce monde
- Avant le gouvernement des biens qui ne sont pas de ce monde.
-
-
-
- Ainsi marche le commandement charnel
- Avant le commandement spirituel.
-
-
-
- Ainsi le royaume temporel
- Marche avant le royaume ternel.
-
-
-
- Et ainsi les tentes du peuple d'Isral se sont plantes dans le dsert
- Des sicles et des sicles avant que les basiliques,
- Avant que les glises, avant que les cathdrales
- Se soient plantes au sol de France.
-
-
-
- Et dans l'ancien testament il s'agit d'emplir des sacs de bl, il y
- a, (toujours),
- une pense sur les sacs de bl.
- Et aprs a il s'agit, (dans l'ancien testament),
- Ces sacs pleins il s'agit de les empiler dans les greniers bl.
- Mais dans le nouveau testament il s'agit de bien autres sacs et de
- bien autres greniers.
- Car il s'agit, dans le nouveau testament il s'agit, ce sont
- Des sacs de misre, des sacs d'preuves, des sacs de misres.
- Et des sacs mettre les vertus et les mrites et les grces
- Que l'on a rcoltes comme on a pu
- Pour les annes de disette
- Et ce sont enfin
- Les greniers ternels
-
-
-
- Et dans l'ancien testament c'est le pre qui finit par venir trouver
- son fils
- Et qui le retrouve plein de gloire
- Tout vtu.
- Mais dans le nouveau testament c'est le fils tout nud
- Qui finit par venir trouver son pre
-
-
-
- Ainsi l'ancien testament est l'appariteur et le fourrier
- Et le prparateur et l'annonciateur du nouveau testament.
- C'est lui qui lui prpare les voies, c'est lui qui lui fait sa maison.
- C'est l'ancien testament qui fait dans le dsert
- La longue voie temporelle.
- C'est l'ancien testament qui patiemment btit
- La maison temporelle.
- _Voici, j'envoie mon ange devant ta face, qui prparera ton chemin
- devant toi._
-
-
-
- Et aussi l'ancien testament est comme une image qui marche devant le
- nouveau testament.
- Et comme une image en mme temps il est trs fidle et en mme temps
- il est l'envers.
- Il est contraire. Ainsi est l'histoire sainte.
- Le testament charnel est une histoire, une image du testament
- spirituel.
- L'ancien testament temporel est une image du nouveau testament
- ternel.
- Et dans le nouveau testament s'il s'agit de gloire,
- Il s'agit d'une gloire qui ne se ramasse gure sur les trnes,
- (Except saint Louis et le trne de France).
-
-
-
- Tout l'ancien testament est une figure, une image d'ensemble et de
- dtail
- Trs fidle, trs exacte,
- (Mais fidlement inverse, exactement inverse),
- Du nouveau testament dans son ensemble et dans son dtail.
- Dans l'ancien testament la cration est au seuil,
- Au commencement qui est le commencement du monde.
- Et dans le nouveau testament le jugement est la fin.
- Le jugement qui est proprement le contraire de la cration,
- Le pied oppos, qui est proprement une contre-cration.
- Car dans la cration j'ai fait le monde,
- (Temporel)
- Et dans le jugement je le dfais.
- Ainsi le jugement est proprement le contraire et ce qui balance la
- cration.
- Ce que l'on peut mettre, ce qui est en face de la cration.
-
-
-
- J'ai dcoup le temps dans l'ternit, dit Dieu.
- Le temps et le monde du temps.
- La cration fut le commencement et le jugement sera la fin.
- (Du temps) (Du monde du temps).
- C'est exactement une symtrie, un balancement.
- Ce que j'ai ouvert, je le fermerai.
- Le jour de la cration (les six jours) j'ai ouvert un certain monde
- (On le connat de reste)
- (On le sait, on en a assez parl)
- Enfin la premire heure du premier des six jours de la cration j'ai
- commenc une certaine histoire,
- Et le jour du jugement je la fermerai.
- Or tout l'ancien testament part de ce jugement que je fis de crer.
- Et tout le nouveau testament va vers ce jugement que je ferai de
- juger.
- Ainsi l'ancien testament est symtrique au nouveau.
- Et (contre) balance le nouveau.
- Et tout l'ancien testament part de cette cration.
- Et tout le nouveau testament va vers ce jugement
- Et dans l'ancien testament le Paradis est au commencement.
- Et c'est un Paradis terrestre.
- Mais dans le nouveau testament le Paradis est la fin.
- Et je vous le dis c'est un Paradis
- cleste.
- Et tout l'ancien testament va vers Jean le Baptiste et vers Jsus.
- Mais tout le nouveau testament vient de Jsus.
- C'est comme une belle vote qui monte des deux cts vers la clef de
- vote.
- Et Jsus est la clef de vote. Ainsi est la vote de cette nef.
- Et la pierre qui monte suivant la courbe de cette nef,
- Dcidant, dessinant, d'avance et mesure, la courbe de cette vote,
- Formant la courbe de cette vote,
- La pierre qui monte du bas s'avance hardiment,
- Et fidlement et srement,
- En toute scurit sans aucune inquitude,
- Parce que montante elle sait trs bien
- Qu'elle trouvera la clef de vote exacte au rendez-vous,
- A la juste intersection, au sacr croisement et la clef de vote,
- c'est Jsus.
- Et ensemble toute la vote soutient et porte et hausse et maintient
- la clef
- Comme une norme paule ronde qui sans cou soutiendrait une seule
- tte mais la clef seule,
- La clef qui parachve,
- Seule aussi ensemble est ce qui soutient seule la vote et le tout.
- Et la dernire pierre avant la clef est Jean le Baptiste.
- Mais la premire pierre aprs la clef est Pierre le fondateur.
- _Tu es Pierre et sur cette pierre._
- Et il fut crucifi la tte en bas,
- C'est--dire en redescendant.
- Et comme la pierre est quadrangulaire,
- Il y a les quatre angles et les quatre lignes du carr.
- Et l'on dit _selon Matthieu, selon Marc, selon Luc, selon Jean,_
- C'est--dire _en suivant la ligne de Matthieu, en suivant la ligne de
- Marc, en suivant la ligne de Luc,_
- Et _en suivant la ligne de Jean._
- Et aux quatre coins sont assis le jeune homme, le lion, le taureau et
- l'aigle.
- Car l'glise est quadrangulaire,
- Comme elle est lapidaire tant fonde sur la quadrangulaire
- Pierre.
-
-
-
- Et encore l'ancien testament est tout linaire.
- C'est une longue, c'est une grle ligne des prophtes.
- Et les prophtes y viennent l'un aprs l'autre
- Comme les peupliers viennent l'un aprs l'autre dans cette belle
- ligne.
- Dans cette belle avenue de peupliers.
- Et tout l'ancien testament c'est cette belle, cette longue avenue de
- peupliers.
- Venue des profondeurs de la plaine et marchant droit sur la plaine.
- Cette longue avenue, cette longue ligne fidle
- (Sans largeur).
- Les peupliers y sont placs l'un aprs l'autre, les prophtes y sont
- placs l'un aprs l'autre.
- Sur la range double.
- Venante, sortie, venue des profondeurs de l'horizon la noble alle,
- La fidle, la directe alle droite linaire
- Droite l'avenue s'avance sur la plaine droite.
- Car elle sait o elle va.
- Et elle ne va pas moins que.
- Directement elle va droit au seuil du chteau.
- Et elle conduit, et elle amne, et elle introduit le regard et le pas.
- Elle seule conduit au seuil mais elle ne franchit pas le seuil, elle
- ne passe pas le pas de la porte.
- Elle ne se prolonge pas l'intrieur du chteau.
- Mais le quadrangulaire chteau du nouveau testament
- S'ouvre ce seuil et la longue alle de peupliers ne s'y continue
- pas.
- Mais la cour d'honneur s'y ouvre, et les btiments du chteau.
- Et le beau perron pour monter et les quadrangulaires murailles.
- Et ainsi le nouveau testament a une dimension de plus.
- Car l'ancien testament est une ligne
- Mais le nouveau couvre une surface.
-
-
-
- Ou encore l'ancien testament est cette fine, cette grle
- Cette uniquement fidle alle de peupliers,
- Perdue dans la plaine rase
- Mais le nouveau testament est le solide parc du chteau.
- Le robuste bois de chnes, carr,
- Bien clos derrire ses quadrangulaires murailles,
- Et qui couvre toute la surface.
-
-
-
- Ou encore l'ancien testament est cette vote qui monte en une seule
- arte,
- En une seule nervure et le nouveau testament
- C'est la mme vote qui retombe,
- Qui redescend en toute une nappe.
- Et l'arte qui monte part de la terre et c'est une arte charnelle.
- Mais cette nappe qui redescend vient de l'esprit
- Et c'est une nappe spirituelle.
- Et l'arte et la nervure qui monte part du temps et est une
- temporelle arte.
- Mais la nappe qui redescend vient de l'ternit et c'est
- Une ternelle nappe.
-
-
-
- Et la clef de cette mystique vote.
- La clef elle-mme
- Charnelle, spirituelle,
- Temporelle, ternelle,
- C'est Jsus,
- Homme,
- Dieu.
-
-
-
- Et la cration fut une sorte d'ouverture du temps et de fermeture en
- quelque sorte de l'ternit.
- Or le jugement sera proprement la fermeture du temps
- Et la totale et la dfinitive
- Rouverture de l'ternit.
-
-
-
- Ou encore l'ancien testament est le lac profond qui reflte la haute
- fort.
- Et la fort est toute dans le lac mais elle n'y est pas.
- Et le lac sombre et le lac profond est enfonc dans la terre.
- Et dans le lac le ciel est au fond.
- Mais vers le haut la haute fort.
- Partant du bord du lac. La haute fort relle.
- Hausse une tte relle.
- Fait monter une sve relle.
- Vers le seul profond ciel rel.
-
-
-
- On envoie les enfants l'cole, dit Dieu.
- Je pense que c'est pour oublier le peu qu'ils savent.
- On ferait mieux d'envoyer les parents l'cole.
- C'est eux qui en ont besoin.
- Mais naturellement il faudrait une cole de moi.
- Et non pas une cole d'hommes.
-
-
-
- On croit que les enfants ne savent rien.
- Et que les parents et que les grandes personnes savent quelque chose.
- Or je vous le dis, c'est le contraire.
- (C'est toujours le contraire).
- Ce sont les parents, ce sont les grandes personnes qui ne savent rien.
- Et ce sont les enfants qui savent
- Tout.
-
-
-
- Car ils savent l'innocence premire.
- Qui est tout.
-
-
-
- Le monde est toujours l'envers, dit Dieu.
- Et dans le sens contraire.
- Heureux celui qui resterait comme un enfant
- Et qui comme un enfant garderait
- Cette innocence premire.
-
-
-
- Mon fils le leur a assez dit.
- Sans aucun dtour et sans aucune attnuation.
- Car il parlait net et ferme.
- Et clair.
- Heureux non pas mme, non pas seulement celui
- Qui serait comme un enfant, qui resterait comme un enfant.
- Mais proprement heureux celui qui est (un) enfant, qui reste un
- enfant.
- Proprement, prcisment l'enfant mme qu'il a t.
- Puisque justement il a t donn tout homme
- D'tre.
- Puisqu'il est donn tout homme d'avoir t
- Un jeune enfant laiteux.
-
-
-
- Puisqu'il a t donn tout homme cette bndiction.
- Cette grce unique.
-
-
-
- Et le royaume du ciel n'est pas un moindre prix.
- A un autre prix.
- Mon fils le leur a assez dit.
- Et en termes assez exprs.
-
-
-
- Le royaume du ciel ne sera que pour eux.
- Et il n'y en aura que pour eux.
- _A cette heure-l s'approchrent les disciples de Jsus, disant: Qui,
- penses-tu, est plus grand dans le royaume des cieux?_
-
- _Et appelant Jsus un petit enfant, le plaa au milieu d'eux,_
-
- _Et dit: En vrit je vous le dis, si vous ne vous convertissez
- point, et ne vous rendez point comme ces petits enfants, vous
- n'entrerez pas dans le royaume des cieux._
-
- _Quiconque donc se sera humili comme ce petit enfant, voil celui
- qui est plus grand dans le royaume des cieux._
-
- _Et celui qui reoit un tel enfant en mon nom, me reoit._
-
- _Mais celui qui aura scandalis un seul de ces tout petits qui
- croient en moi, il vaut mieux pour lui qu'on lui pende au cou une
- meule d'ne, et qu'on le jette au profond de la mer._
-
-
-
- On a des coles, dit Dieu. Je pense que c'est pour dsapprendre
- Le peu que l'on sait.
- La vie aussi est une cole, disent-ils. On y apprend tous les jours.
- Je la connais, cette vie qui commence au baptme et qui finit
- l'extrme-onction.
- C'est une usure perptuelle, une constante, une croissante
- fltrissure. On descend tout le temps.
- Heureux celui qui peut rester tel que le jour de son baptme
- Et de sa premire communion. La vie commence au baptme, dit Dieu.
- Sera-t-il dit qu'elle finit la premire.
- Et non point la dernire communion.
-
-
- Sera-t-il dit que l'homme finit sa premire communion.
- Et non point au viatique, qui est sa dernire communion.
-
-
-
- Ils s'emplissent d'exprience, disent-ils; ils gagnent de
- l'exprience; ils apprennent la vie; de jour en jour ils amassent
- de l'exprience. Singulier trsor, dit Dieu
- Trsor de vide et de disette.
- Trsor de la disette des sept annes, trsor de vide et de
- fltrissure et de vieillissement.
- Trsor de rides et d'inquitudes.
- Trsor des annes maigres. Accroissez-le, ce trsor, dit Dieu. Dans
- des greniers vides
- Vous entasserez des sacs vides
- D'une gypte vide.
- Vous accroissez le trsor de vos peines et de vos misres.
- Et les sacs de vos soucis et de vos petitesses.
- Vous acqurez de l'exprience, dites-vous, vous accroissez votre
- exprience.
- Vous allez toujours en descendant, dit Dieu, vous allez toujours en
- diminuant, vous allez toujours en perdant.
- Vous allez toujours en pente. Vous allez toujours en vous fltrissant
- et en vous ridant et en vieillissant.
- Et vous ne remonterez jamais cette pente.
- Ce que vous nommez l'exprience, votre exprience, moi je le nomme
- La dperdition, la diminution, le dcroissement, la perte de
- l'esprance.
-
- Car je le nomme la dperdition prtentieuse,
- La diminution, le dcroissement, la perte de l'innocence.
-
-
-
- Et c'est une dgradation perptuelle.
-
-
-
- Or c'est l'innocence qui est pleine et c'est l'exprience qui est
- vide.
- C'est l'innocence qui gagne et c'est l'exprience qui perd.
-
- C'est l'innocence qui est jeune et c'est l'exprience qui est vieille.
- C'est l'innocence qui crot et c'est l'exprience qui dcrot.
-
- C'est l'innocence qui nat et c'est l'exprience, qui meurt.
- C'est l'innocence qui sait et c'est l'exprience qui ne sait pas.
-
- C'est l'enfant qui est plein et c'est l'homme qui est vide.
- Vide comme une courge vide et comme un tonneau vide:
-
- Voil, dit Dieu, ce que j'en fais, de votre exprience.
-
-
-
- Allez, mes enfants, allez l'cole.
- Et vous, hommes, allez l'cole de la vie.
- Allez apprendre
- A dsapprendre.
-
-
-
- Toute histoire s'est joue deux fois, dit Dieu. Une fois en juiverie.
- Et une fois en chrtiennerie. L'enfant (Jsus) s'est jou deux fois.
- Une fois en Benjamin et une fois dans l'enfant Jsus.
- Et l'enfant perdu et la brebis perdue et la drachme perdue s'est
- joue deux fois.
- Et la premire fois ce fut dans Joseph, _je suis Joseph votre frre_.
- Il fallait que cela ft jou, dit Dieu. Et deux fois plutt qu'une.
- Car il y a dans l'enfant, car il y a dans l'enfance une grce unique.
- Une entiret, une premiret
- Totale.
- Une origine, un secret, une source, un point d'origine.
- Un commencement pour ainsi dire absolu.
- Les enfants sont des cratures neuves.
- Eux aussi, eux surtout, eux premiers ils prennent le ciel de force.
- _Rapiunt_, ils ravissent. Mais quelle douce violence.
- Et quelle agrable force et quelle tendresse de force.
- Comme un pre endure volontiers
- Comme il aime endurer les violences de cette force,
- Les embrassements de cette tendresse.
- Pour moi, dit Dieu, je ne connais rien d'aussi beau dans tout le monde
- Qu'un gamin d'enfant qui cause avec le bon Dieu
- Dans le fond d'un jardin.
- Et qui fait les demandes et les rponses (C'est plus sr).
- Un petit homme qui raconte ses peines au bon Dieu
- Le plus srieusement du monde.
- Et qui se fait lui-mme les consolations du bon Dieu.
- Or je vous le dis ces consolations qu'il se fait.
- Elles viennent directement et proprement de moi.
-
-
-
- Je ne connais rien d'aussi beau dans tout le monde, dit Dieu.
- Qu'un petit joufflu d'enfant, hardi comme un page,
- Timide comme un ange,
- Qui dit vingt fois bonjour, vingt fois bonsoir en sautant.
- Et en riant et en (se) jouant.
- Une fois ne lui suffit pas. Il s'en faut. Il n'y a pas de danger.
- Il leur en faut, de dire bonjour et bonsoir. Ils n'en ont jamais
- assez.
- C'est que pour eux la vingtime fois est comme la premire. Ils
- comptent comme moi.
- C'est ainsi que je compte les heures.
-
-
-
- Et c'est pour cela que toute l'ternit et que tout le temps
- Est (comme) un instant dans le creux de ma main.
-
-
-
- Rien n'est beau comme un enfant qui s'endort en faisant sa prire,
- dit Dieu.
- Je vous le dis, rien n'est aussi beau dans le monde.
- Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau dans le monde.
- Et pourtant j'en ai vu des beauts dans le monde
- Et je m'y connais. Ma cration regorge de beauts.
- Ma cration regorge de merveilles.
- Il y en a tant qu'on ne sait pas o les mettre.
- J'ai vu des millions et des millions d'astres rouler sous mes pieds
- comme les sables de la mer.
- J'ai vu des journes ardentes comme des flammes.
- Des jours d't de juin, de juillet et d'aot.
- J'ai vu des soirs d'hiver poss comme un manteau.
- J'ai vu des soirs d't calmes et doux comme une tombe de paradis
- Tout constells d'toiles.
- J'ai vu ces coteaux de la Meuse et ces glises qui sont mes propres
- maisons.
- Et Paris et Reims et Rouen et des cathdrales qui sont mes propres
- palais et mes propres chteaux.
- Si beaux que je les garderai dans le ciel.
- J'ai vu la capitale du royaume et Rome capitale de chrtient.
- J'ai entendu chanter la messe et les triomphantes vpres.
- Et j'ai vu ces plaines et ces vallonnements de France.
- Qui sont plus beaux que tout.
- J'ai vu la profonde mer, et la fort profonde, et le coeur profond de
- l'homme.
- J'ai vu des coeurs dvors d'amour
- Pendant des vies entires
- Perdus de charit.
- Brlant comme des flammes.
- J'ai vu des martyrs si anims de foi
- Tenir comme un roc sur le chevalet
- Sous les dents de fer.
- (Comme un soldat qui tiendrait bon tout seul toute une vie
- Par foi
- Pour son gnral (apparemment) absent).
- J'ai vu des martyrs flamber comme des torches
- Se prparant ainsi les palmes toujours vertes.
- Et j'ai vu perler sous les griffes de fer
- Des gouttes de sang qui resplendissaient comme des diamants.
- Et j'ai vu perler des larmes d'amour
- Qui dureront plus longtemps que les toiles du ciel.
- Et j'ai vu des regards de prire, des regards de tendresse,
- Perdus de charit
- Qui brilleront ternellement dans les nuits et les nuits.
- Et j'ai vu des vies tout entires de la naissance la mort,
- Du baptme au viatique,
- Se drouler comme un bel cheveau de laine.
- Or je le dis, dit Dieu, je ne connais rien d'aussi beau dans tout le
- monde
- Qu'un petit enfant qui s'endort en faisant sa prire
- Sous l'aile de son ange gardien
- Et qui rit aux anges en commenant de s'endormir.
- Et qui dj mle tout a ensemble et qui n'y comprend plus rien
- Et qui fourre les paroles du _Notre Pre_ tort et travers
- ple-mle dans les paroles du _Je vous salue Marie_.
- Pendant qu'un voile dj descend sur ses paupires
- Le voile de la nuit sur son regard et sur sa voix.
- J'ai vu les plus grands saints, dit Dieu. Eh bien je vous le dis.
- Je n'ai jamais rien vu de si drle et par consquent je ne connais
- rien de si beau dans le monde
- Que cet enfant qui s'endort en faisant sa prire
- (Que ce petit tre qui s'endort de confiance)
- Et qui mlange son _Notre Pre_ avec son _Je vous salue Marie_.
- Rien n'est aussi beau et c'est mme un point
- O la sainte Vierge est de mon avis.
- L-dessus.
- Et je peux bien dire que c'est le seul point o nous soyons du mme
- avis. Car gnralement nous sommes d'un avis contraire.
- Parce qu'elle est pour la misricorde.
- Et moi il faut bien que je sois pour la justice.
-
-
-
- Aussi, dit Dieu, comme je comprends mon fils. Mon fils le leur a
- assez dit. (Or il faut entendre toutes les paroles de mon fils au
- pied de la lettre). _Sinite parvulos._ Laissez venir.
- _Sinite parvulos venire ad me._ Laissez les tout petits venir moi.
- Les petits enfants.
- _Alors lui furent offerts des tout petits pour qu'il leur impost les
- mains, et prit. Or les disciples les rabrouaient._
-
-
- _Mais Jsus leur dit: Laissez les tout petits, et ne les empchez
- point de venir moi: talium est enim regnum coelorum. De tels en
- effet est le royaume des cieux._ Aux tels, aux comme eux appartient
- le royaume des cieux.
-
-
- _Et quand il leur eut impos les mains, il s'en alla._
-
-
-
- Vous autres hommes, (dit Dieu), essayez donc seulement de faire un
- mot d'enfant.
- Vous savez bien que vous ne pouvez pas.
- Et non seulement vous ne pouvez pas en faire.
- Pas mme un seul, mais quand on vous en fait
- Vous ne pouvez pas mme les retenir. Quand un mot d'enfant clate
- parmi vous
- Vous vous rcriez, vous clatez vous-mmes d'une admiration
- Sincre et profonde et qui vous rachterait et laquelle je rends
- justice.
- Et vous dites, de partout vous dites,
- Vous dites des yeux, vous dites de la voix,
- Vous riez, vous dites en vous-mmes et vous dites tout haut table:
- Il est bon, celui-l, je le retiens. Et vous vous jurez
- D'en faire part vos amis, de le dire tout le monde,
- Tant vous avez d'orgueil pour vos enfants (je ne vous en veux pas,
- dit Dieu.
- C'est encore ce que vous avez de meilleur et c'est ce qui vous
- rachterait).
- Vous croyez que vous allez facilement le rapporter.
- Mais quand vous allez tout flambants pour le rapporter,
- Vous vous apercevez que vous ne le savez plus.
- Et non seulement cela, mais que vous ne pourrez plus le retrouver. Il
- s'est vanoui de votre mmoire.
- C'est une eau trop pure qui a fui de votre sale mmoire, de votre
- mmoire souille.
- Qui a voulu fuir, qui n'a pas voulu y rester.
- Vous vous rendez trs bien compte qu'il tait une certaine place,
- qu'il avait un certain got,
- Qu'il tait l, qu'il occupait cette certaine place, qu'il tait dans
- cette rgion, qu'il tenait cette place, qu'il avait un certain
- volume. Mais vous avez la sensation nette
- Qu'il est parti ou plutt qu'il est reparti et qu'il ne reviendra
- jamais plus,
- Que d'ailleurs vous tiez parfaitement indigne
- Qu'il demeurt et vous restez bouche be et vous avez parfaitement la
- sensation
- Que vous seriez parfaitement incapable de le retrouver,
- C'est--dire de le faire revenir,
- Parce que c'est d'une tout autre qualit d'me.
-
-
-
- Et vous le sentez bien, que c'est ainsi, que c'est juste, et que rien
- n'y reviendra, et que rien n'y fera plus.
- Et que c'est votre ancienne me,
- hommes,
- qui a pass,
-
-
-
- Hommes malins alors vous ne faites plus le malin.
- Hommes savants alors vous ne faites plus le savant.
- Hommes qui avez t l'cole alors vous ne savez plus rien
- Et vous n'avez plus qu' courber le front
- (C'est d'ailleurs ce que vous faites, il faut vous rendre cette
- justice)
- Quand un mot d'enfant passe dans le cercle de famille,
- Quand un mot d'enfant
- Tombe
- Dans le fatras quotidien,
- Dans le bruit quotidien,
- (Dans le soudain silence)
- Dans le recueillement soudain
- De la table de famille.
- O hommes et femmes assis cette table soudain courbant le front vous
- coutez passer
- Votre ancienne me.
-
-
-
- Quand un mot d'enfant tombe
- Comme une source, comme un rire,
- Comme une larme dans un lac.
-
-
-
- O hommes et femmes assis cette table soudain courbant le front,
- l'oeil fixe, et les doigts immobiles et arrts et lgrement
- tremblants sur le morceau de pain,
- Les doigts agits d'un lger tremblement, la respiration arrte,
- Vous coutez passer
- Votre ancienne me.
-
-
-
- Une voix est venue,
- Hommes table,
- Comme d'une autre cration mme.
-
-
-
- Une voix est monte,
- Hommes table,
- Une voix est venue,
- C'est d'un monde o vous tiez.
-
-
-
- Une source a jailli,
- Hommes table,
- C'est la source de votre premire me.
- Vous aussi vous avez ainsi parl.
-
-
-
- Vous tiez d'autres hommes, hommes table.
- Vous tiez d'autres tres, hommes table.
- Vous tiez des enfants comme eux.
-
-
-
- Vous faisiez des mots d'enfants, hommes table.
- Allez donc prsent faire des mots d'enfants.
-
-
-
- Un mot est pass, un mot est mont, un mot est venu, hommes table.
- Un mot est tomb dans le silence de votre table.
- Et soudain vous avez reconnu.
- Et soudain vous avez salu.
- Votre ancienne me.
-
-
-
- Un mot a jailli tourdi.
- Un mot a vol tourneau.
- _Hastis musars._
- Et frmissants vous avez senti passer
- Toute la jeunesse
- Du vieux
- Dieu.
-
-
-
- Ils sont le lait et le miel, dit Dieu, une innocence dont on n'a pas
- ide. (Et les hommes sont le pain et le vin).
- Lavs de l'eau ils sont comme une autre chair, n'tant pas seulement
- d'une autre me.
- D'une autre qualit d'me.
- Lavs de l'eau ils sont une autre nourriture, une chair plus tendre,
- ils sont le lait mme et le miel.
-
-
-
- Et l'homme, Hommes la sainte Table, Hommes la Table ternelle,
- L'Homme est le Pain et le Vin
- L'Homme est une nourriture plus forte, une nourriture virile.
- Mais l'enfant est une blanche nourriture, une pure nourriture, une
- nourriture plus tendre.
- Et le Pain et le Vin sont des Nourritures adultes, de dures
- Nourritures d'homme.
- Et ce Vin venait de cette Grappe. Mais ce lait et ce miel venaient
- des ruisseaux mmes.
- _Et tant alls jusqu'au Torrent-de-la-Grappe de raisin, ils
- couprent une branche de vigne avec sa grappe, que deux hommes
- portrent sur un levier. Ils prirent aussi des grenades et des
- figues de ce lieu-l,_
-
- _qui fut appel depuis Nehel-escol, le Torrent-de-la-Grappe, parce
- que les enfants d'Isral emportrent de l cette grappe de raisin._
-
-
-
- _Ils leur dirent: Nous avons t dans le pays o vous nous avez
- envoys, et o coulent vritablement des ruisseaux de lait et de
- miel, comme on le peut connatre par ces fruits._
-
- _Mais elle a des habitants trs forts, et de grandes villes fermes
- de murailles. Nous y avons vu la race d'Enac._
-
-
-
- _Sinite parvulos venire ad me.
- Talium est enim regnum coelorum_ c'est le mot de mon fils.
- Mais ce n'est pas seulement le mot de mon fils. C'est mon mot.
- Quel engagement, l'glise, ma fille l'glise me le fait reprendre
- Et me le fait dire (or je ne dmentirai jamais une liturgie.
- Une prire, une oraison de ma fille l'glise).
- Par l'glise, par le ministre du prtre j'ai repris l'engagement,
- j'ai repris le mot de mon fils:
- _Laissez venir moi les tout petits.
- Des tels est en effet le royaume des cieux._
- Ainsi ma liturgie romaine se noue ma prdication centrale et
- cardinale
- Et ma prophtie judenne.
- Et la chane est juive et romaine en passant par un gond, par une
- articulation.
- Par une origine centrale.
- Tout est annonc par ma prophtie juive.
- Tout au centre, tout au coeur est ralis, tout est consomm par mon
- fils.
- Tout est consomm, tout est clbr par ma liturgie romaine.
-
- Le prophte juif prdit.
- Mon fils dit.
- Et moi je redis.
-
- Et on me fait redire.
-
-
-
- Et il y a un rappel, un cho, un report et comme un retour, qui est
- saint Louis.
- Je veux dire: Il y a un rappel, un cho, un report et comme un retour
- qui sont les saints.
-
-
-
- Il y a un reflet.
-
-
-
- Il y a une lumire avant, une lumire pendant, une lumire, un reflet
- aprs.
-
-
-
- On a t trois fois en gypte, dit Dieu. Et une fois c'est Joseph.
- Et une fois c'est Jsus.
- Et une fois c'est saint Louis.
-
-
-
- On a t trois fois en gypte et c'est une terre singulire.
-
-
-
- Et une fois c'tait Joseph conduisant Jacob c'est--dire Isral.
- Et une fois ce fut le Joseph conduisant Jsus.
- Et une fois ce fut saint Louis conduisant Joinville
- Et le menu peuple de France et les autres barons franais.
-
-
-
- Singulire gypte, dit Dieu, singulire destine de cette gypte
- temporelle.
- Haute et triple destine. On y fit trois voyages.
- Une fuite. Une fuite. Une croisade.
- Une entre. Une retraite. Une croisade.
- Un enfant vendu. Un enfant en fuite. Un roi en croisade.
- Un ministre du roi. Un roi sur son ne. Un roi en prison.
- O thtre d'gypte, on y a jou trois fois.
-
-
-
- Une fois avant. Une fois pendant. Une fois aprs.
-
-
-
- Longue destine temporelle, dit Dieu, patience temporelle, en vrit
- cette terre a t fort honore.
- Les pas ont march dans les pas, dit Dieu, le talon juste dans le
- talon et les pieds ont retrouv leur propre trace.
- C'est un pays de dsert, dit Dieu, du moins on le dit.
- Ou plutt c'est une grasse valle longue toute borde, toute entoure
- de dserts et l'on n'y accde point autrement que par le dsert et
- le sable.
- Mais sur ce sable les traces ne se sont point effaces et les pieds
- ont retrouv la trace des pieds.
- Les pieds nouveaux sont retombs juste dans les pieds antiques.
- O terre antique, de loin en loin par le dsert, par la mer le
- voyageur est venu.
- Des sicles passaient, terre antique, des sicles d'intervalle, et
- tout paraissait oubli.
- Mais aprs des sicles d'intervalle par le dsert, par la mer ton roi
- revenait, terre antique, ton roi voyageur.
- Et les pieds n'hsitaient point pour se poser dans la trace des pieds.
- Ton roi est venu trois fois, terre antique, terre destine.
-
- La premire fois c'tait un petit garon vendu esclave
- A des marchands
- Et tu en fis le ministre de ton roi.
-
- La deuxime fois c'tait un petit garon qu'on faisait fuir dos
- d'ne.
- Et un jour tu le renvoyas pour devenir le Roi des rois.
-
- _Soyez parfaits comme votre Pre cleste est parfait._ Et la
- troisime fois c'tait
- le roi de France,
- Rcemment dbarqu de ses royales
- Galres.
-
-
-
- Des sicles et des sicles passaient, terre d'gypte, des sicles
- d'intervalle,
- Et tout paraissait oubli.
- Mais toujours ton roi est revenu
- Au rendez-vous.
-
-
-
- Terre antique, au coeur fertile, au front couronn de sables,
- Nul sable jamais n'a effac,
- Terre antique nul sable n'effacera
- La trace de ces pas.
-
-
-
- Terre antique entoure, terre antique cerne d'un infranchissable
- Sable, dsert aux plis infranchissables tu as t franchi trois fois.
- Terre antique trois fois ton roi
- A trouv le chemin de ton coeur.
-
-
-
- Terre antique entre toutes, antique sur toutes tu t'endors dans un
- long sommeil mais tu as t rveille trois fois.
-
-
-
- Et une fois c'tait un petit juif.
- Et une fois c'tait un petit juif.
- Et une fois c'tait un baron franais.
-
-
-
- Et la premire fois c'tait le Prophte.
- Et la troisime fois c'tait le Saint.
- Mais la deuxime fois qui tait-ce, sinon la fois le Prophte et le
- Saint.
-
-
-
- O terre antique, terre d'gypte tu parais dormir, mais tu as t
- honore trois fois.
-
-
-
- Et la premire fois c'tait sous l'ancienne loi,
- Presque au commencement de l'ancienne loi.
-
- Et la deuxime fois; et la troisime fois c'tait sous la loi
- nouvelle,
- Dans la floraison de la loi nouvelle.
-
- Mais la deuxime fois qu'est-ce que c'tait,
- Sinon sous cet achvement, sous ce couronnement de l'ancienne loi
- Que fut cette naissance et cette enfance et ce commencement de la loi
- nouvelle.
-
-
-
- O terre antique, terre d'gypte tu parais dormir, mais tu as t
- visite trois fois.
-
-
-
- Et la premire fois c'tait le Juste.
- Et la troisime fois c'tait le Saint.
- Mais la deuxime fois qui tait-ce, sinon la fois le Juste et le
- Saint.
-
-
-
- O terre antique, terre d'gypte, terre la longue mmoire tu parais
- dormir mais tu as t foule trois fois.
-
-
-
- Et la premire fois c'tait le roi des Juifs.
- Et la troisime fois c'tait le roi de Chrtient.
- Mais la deuxime fois, qui tait-ce, _rex Judaeorum_, sinon la fois
- le roi des Juifs
- Et le roi de Chrtient.
-
-
-
- Terre antique, terre d'gypte tu parais endormie, mais ton sommeil a
- t troubl trois fois
- Par les pas qui venaient.
-
-
-
- Terre tu as t bnie trois fois et toi dsert strile tu as t
- arros trois fois.
- _Rorate, coeli, desuper. Et nubes pluant justum.
- Cieux, faites votre rose, d'en haut. Et que les nuages pleuvent le
- Juste._
-
-
-
- _Cieux, faites descendre votre rose._ O terre d'gypte, dit Dieu,
- singulire terre,
- Tu as fourni une singulire histoire,
- Tu as fourni une singulire destine.
- Tu as t grandement honore temporellement,
- Terre endormie trois fois rveille,
- Terre ignore trois fois visite,
- Terre oublie trois fois remmore
-
-
-
- Ainsi, dit Dieu, tout se joue trois fois. Le prophte parle avant.
- Mon fils parle pendant.
- Le saint parle aprs.
-
- Et moi je parle toujours.
-
-
-
- Et c'est l que l'on voit que mon fils est le centre et le coeur et
- la vote et la clef
- Et la nef et le croisement de l'axe,
- Et le point de l'articulation.
- Et le gond qui fait tourner la porte.
- Le prince des prophtes et le prince des saints.
-
-
-
- Le prophte, le juste vient devant.
- Mon fils vient pendant.
- Le saint vient aprs.
-
- Et moi je viens toujours.
-
- Et l'glise, qui est la communion des saints et la communion des
- fidles vient aussi aprs, vient aussi toujours.
-
-
-
- Or je ne laisserai pas manquer mon glise, dit Dieu, je ne la
- laisserai pas errer, je ne la laisserai pas faillir.
- Terre antique d'gypte qui dors faussement, dit Dieu, qui rellement
- veilles,
- Je m'engage autant dans les commandements de l'glise que dans mes
- propres
- Commandements.
- Je m'engage autant dans les enseignements de l'glise que dans mes
- propres
- Enseignements.
- Je m'engage autant dans une liturgie que je me suis engag avec Mose
- Et que mon fils avec eux s'est engag sur la montagne.
- Or cela, ce que mon fils a dit une fois, _sinite parvulos venire ad
- me,--laissez les petits venir moi,_--je le redis, on me le fait
- redire toutes les fois (quel engagement).
- Et mon fils l'avait dit de quelques enfants qui jouaient, et qui,
- aussitt bnis, le quittrent pour retourner jouer.
- Mais moi je le dis, on me le fait dire chaque enfant qui ne
- retournera plus jouer,
- Sinon dans mon paradis.
-
-
-
- Or cela (quel engagement) je le redis cet office des morts, qui
- tout vient aboutir.
- Auquel tout s'achemine. _Office des morts pour l'enterrement d'un
- enfant._ Le Clbrant se revt d'un surplis et d'une tole blanche.
- Et comme le jour du baptme il est all chercher l'enfant jusqu'au
- seuil de l'glise,
- Qui est le seuil de ma maison,
- Et ainsi le seuil de la Maison de son Pre,
- Ainsi le jour de cet enterrement il va chercher l'enfant dans la
- paroisse jusqu' la Maison de son pre.
- Jusqu'au seuil de la maison de son pre.
- Et la Croix mme marche porte au-devant de cet enfant qui est mort
- dans la paroisse.
- Et quand le cortge revient vers l'glise
- La croix marche porte devant.
- La croix et le prtre et le rpondant et les enfants de choeur
- marchent en avant.
- Et par la grande rue du village tout le village.
- Toute la paroisse suit derrire.
- Les hommes et les femmes et les enfants.
- Et les femmes pleurent. Et tout est blanc.
- Et le clbrant chante
- le vieux psaume du roi David,
- _Beati immaculati in via.
- Heureux les sans tache dans la voie._
-
-
-
- _Heureux les immaculs dans la voie.
- Beati immaculati in via._
- Sera-t-il dit, dit Dieu, que de tant de saints et de tant de martyrs.
- Les seuls qui seront rellement blancs.
- Rellement purs.
- Les seuls qui seront rellement sans tache ce seront
- Ces malheureux enfants que les soldats d'Hrode
- Massacrrent au bras de leur mre.
- O saints Innocents serez-vous donc les seuls.
- Saints Innocents serez-vous donc les purs.
- Saints Innocents serez-vous donc les blancs et les sans tache.
- _Beati immaculati in via.
- Bienheureux les innocents, les sans tache dans la voie.
- Ego sum via, veritas et vita.
- Je suis la voie, la vrit et la vie._
- O saints innocents sera-t-il dit que vous serez et que vous tes
- Les seuls innocents.
- Et que Franois mme mon serviteur auprs de vous n'est point pauvre.
- Et que mon serviteur saint Louis des Franais
- Auprs de vous n'est point innocent.
- Sera-t-il dit qu'il y a dans la vie, et dans l'existence de cette
- terre, une telle amertume, une telle lassitude.
- Une telle ingratitude.
- Une telle fltrissure.
- Un tel voilement.
- Un tel irrvocable vieillissement de l'me et du corps.
- Une telle marque, de telles rides ineffaables.
- Un tel hbtement qui ne sera plus aiguis.
- Une telle fivre qui ne sera plus rafrachie.
- Une telle pente qui ne sera point remonte.
- Un tel pli de mmoire, d'impuissance d'oublier.
- Un tel principe, un tel pli de blessure au coin des lvres
- Que les plus grandes saintets du monde n'effaceront jamais ce pli.
- Et que les plus grandes saintets du monde ne vaudront jamais
- Les lvres sans pli, les mes sans mmoire,
- les corps sans blessure
- De ces grands saints et de ces grands martyrs qui ne quittrent le
- sein de leur mre
- Que pour entrer dans le royaume des cieux.
- Et qui ne connurent rien de la vie et qui ne reurent de la vie
- aucune blessure
- Que cette blessure qui les fit entrer dans le royaume des cieux.
- Les seuls des chrtiens assurment qui sur terre n'aient jamais
- entendu parler d'Hrode.
- Et qui le nom d'Hrode sur terre n'ait jamais rien dit.
- Sera-t-il dit que les plus grandes saintets du monde
- Des vies entires de saintet
- N'auront pas dpli, n'auront pas drid les mes.
- Et que le chevalet mme n'aura point acquis aux martyrs
- Une certaine blancheur, une certaine premiret,
- Une certaine entiret
- De la toute premire
- Innocente enfance.
- Et que ce qui est regagn, dfendu pied pied, repris, gagn,
- N'est point le mme que ce qui n'a jamais t perdu.
- Et qu'un papier blanchi n'est point un papier blanc.
- Et qu'un tissu blanchi n'est point une blanche toile.
- Et qu'une me blanchie n'est point une me blanche.
- Et que les plus prs de moi ce seront ces blancs enfants laiteux
- Qui n'ont jamais rien su de la vie et rien fait de l'existence
- Que de recevoir un bon coup de sabre,
- Je veux dire plac au bon moment.
-
-
-
- _En ce temps-l, l'Ange du Seigneur apparut en songe Joseph,
- disant: Lve-toi, et prends ton enfant, et sa mre, et fuis en
- gypte, et restes-y jusqu' ce que je te le dise. Car il arrivera
- qu'Hrode cherchera l'enfant pour le perdre. Lequel se levant, prit
- l'enfant, et sa mre, de nuit, et se retira en gypte: et il y
- resta jusqu' la mort d'Hrode: afin que ft accompli ce qui fut
- dit par le Seigneur parlant par son Prophte: D'gypte j'ai appel
- mon fils. Alors Hrode, voyant qu'il avait t tromp par les Mages
- entra dans une grande colre, et envoya tuer tous les enfants, qui
- taient Bthlehem, et dans toute sa contre, depuis deux ans et
- au-dessous, selon, le temps qu'il s'tait inform des Mages. Alors
- fut accompli ce qui fut dit par le Prophte Jrmie disant: Vox in
- Rama audita est, ploratus et ululatus multus: Rachel plorans filios
- suos, et noluit consolari, quia non sunt._
-
-
-
- _Une voix fut entendue dans Rama, un pleurement et un grand
- hululement: Rachel pleurant ses fils, et elle ne voulut pas tre
- console,--quia non sunt,--parce qu'ils ne sont pas._
-
-
-
- _J'ai vu_, dit Jean,
-
- _En ces jours-l: J'ai vu sur la montagne de Sion l'Agneau debout, et
- avec lui cent quarante-quatre mille qui avaient son nom, et le nom
- de son Pre crit sur le front. Et j'entendis une voix du ciel,
- comme une voix de beaucoup d'eaux, et comme la voix d'un grand
- tonnerre: et une voix, que j'entendis, comme de citharades
- citharizant sur leurs cithares._
-
- _Et ils chantaient_
-
- _quasi canticum novum,_
-
- _comme un cantique nouveau devant le sige,_
-
- _et devant les quatre animaux, et les vieillards:_
-
-
-
- _et nemo poterat dicere canticum,_
-
-
-
- _et personne ne pouvait dire ce cantique,_
-
-
-
- _nisi illa centum quadraginta quatuor millia,_
-
-
-
- _sinon ces cent quarante-quatre mille,_
-
-
-
- _qui empti sunt de terra._
-
- _qui furent enlevs,_
-
- _qui ont t enlevs de la terre._
-
-
-
- Tu entends bien, mon enfant, _qui empti sunt de terra, qui ont t
- enlevs de la terre_. Tout le monde est enlev de la terre, son
- jour, son heure.
- Mais tout le monde est enlev de la terre trop tard, quand dj la
- terre a pris sur lui.
- Tout le monde est enlev de la terre quand il est dj terreux.
- Quand sa mmoire est terreuse et quand son me est terreuse.
- Quand la terre s'est colle lui et quand elle a laiss sur lui
- Une ineffaable marque.
- Mais eux, eux seuls, _empti sunt de terra_, littralement _ils furent
- enlevs de la terre_
- Avant qu'ils fussent aucunement entrs en terre.
- Avant que cette terre leur et donn, leur ait laiss
- La moindre marque terreuse.
- _Empti sunt de terra_. La terre ne les prit point, ne les eut point.
- La terre n'eut point commandement sur eux.
- Ne les nourrit point. N'imprima point sur eux cette empreinte.
- Cette marque indlbile.
- _Ils furent enlevs de la terre_, c'est--dire de cette ingratitude
- terreuse,
- Et de cette amertume terrienne et de ce vieillissement terrien.
- _Ils furent enlevs de la terre_, non pas y ayant t, comme nous,
- comme tout le monde.
- Mais _ils furent enlevs de la terre_, c'est--dire d'y tre mme.
- D'y tre et ternellement d'y avoir t.
- Sera-t-il dit, dit Dieu, que toutes les grandeurs de la terre et le
- sang mme des martyrs
- Ne vaudront pas de n'avoir pas t de la terre.
- De n'avoir pas ce got terreux.
- D'avoir t _enlev_ au commencement,
- A l'origine, au point d'origine de cette vie terrestre.
- De n'avoir pas ce pli et ce got d'une ingratitude.
- D'une amertume.
- Terreuse.
-
-
- _Beati ac sancti._ Heureux et saints ces saints
- Innocents. _Ceux-ci_, dit Jean,
-
- _Ceux-ci suivent l'Agneau partout o il ira._
-
- _Hi sequuntur Agnum quocumque ierit._
-
- _Hi empti sunt._ Encore. _Empti sunt. Furent enlevs_
-
- _Hi empti sunt ex hominibus._
-
- _Ceux-ci furent enlevs des hommes,
- (D'entre les hommes, de parmi les hommes),_
-
- _primitiae Deo, et Agno:_
-
- _prmices Dieu, et l'Agneau:_
-
- _et in ore eorum non est inventum mendacium:_
-
- _et dans leur bouche,
- et sur leur lvre ne fut point trouv le mensonge:_
-
- (Le mensonge d'homme, le mensonge adulte, le mensonge terrestre.
- Le mensonge terrien.
- Le mensonge terreux).
-
- _sine macula enim sunt ante thronum Dei._
-
- _sans tache ils sont en effet devant le trne de Dieu._
-
-
-
- Tel est, dit Dieu, ce secret de tendresse et de grce
- Qui est dans l'enfance mme, au point d'origine de l'enfant.
- Telle est cette innocence, cette blancheur, cet incommencement.
- Tel est ce secret, cette faveur de ma grce,
- (Cette justice injustifiable),
- Qu'il y a ceux qui ont tremp dans la terre et ceux qui n'ont pas
- tremp dans la terre.
- Ceux qui sont marqus, tachs, clabousss de la terre et ceux qui ne
- sont pas clabousss de la terre.
- Et qu'il n'y en a que pour ceux qui n'ont pas tremp dans la terre et
- qui ne sont pas clabousss de la terre.
- Ce sont eux, dit l'Aptre, qui sur le mont de Sion entourent l'Agneau
- debout.
- Ils sont cent quarante-quatre mille et ce sont eux qui ont
- Mon nom et le nom de mon Fils crit sur le front.
- Et l'aptre entendit une voix du ciel
- Comme une voix de beaucoup d'eaux.
- Et comme la voix d'un grand tonnerre.
- Et comme la voix de joueurs de cithare jouant de la cithare sur leur
- cithare.
- Et attention ils ne chantaient pas seulement un cantique.
- Mais ils chantaient comme un cantique _nouveau_ devant le sige.
- Et devant les quatre animaux, et les vieillards:
- C'est un cantique _nouveau_ pour marquer
- Cette ternelle nouveaut qu'il y a dans l'enfance.
- Et qui est le grand secret de ma grce.
- Cette renaissante, cette perptuellement renaissante, cette
- ternellement renaissante nouveaut.
- Et ce cantique nouveau vient de cette nouveaut mme. Il en sort. Il
- en nat.
- Or tel est leur privilge. Et il n'y en a point de plus grand:
- _Personne_, (c'est--dire les plus grands saints et les martyrs mmes,
- Des sicles et des vies d'preuves et de saintet,
- D'exercices, de prires,
- De travail,
- De sang, de larmes;
-
- _Nemo, personne_, c'est--dire pas mme Franois mon serviteur et pas
- mme saint Louis mon serviteur;
-
- _Nemo, personne_, c'est--dire pas mme les quatre tmoins, les
- quatre rapporteurs;
- Matthieu, et Marc, et Luc, et Jean; et le jeune homme, et le lion, et
- le taureau, et l'aigle;
-
- _Nemo, personne_, c'est--dire pas mme Pierre le Fondateur;
-
- Et pas mme ceux qui trouvrent la mort combattant pour la dlivrance
- du Saint-Spulcre;
-
- _Nemo poterat dicere canticum_, personne ne pouvait dire ce cantique.
- (Tel est leur exorbitant privilge et la grande faveur injuste
- De ma grce ternellement juste).
-
- _nisi illa centum quadraginta quatuor millia, qui empti sunt de
- terra._
-
- _si ce n'est ces cent quarante-quatre mille, qui furent enlevs de la
- terre._
-
-
-
- _Christianus sum, je suis chrtien_, ce cri du tmoignage,
- Profr dans les supplices les plus affreux,
- Cri la face du ciel,
- Cri doucement la face des bourreaux,
- Ce cri du tmoignage, de ce tmoignage que nous nommons le martyre,
- Profr sur un tel thtre et dans une telle, dans une si dure
- condition,
- Aux plus grands martyrs n'a point ouvert ce singulier, cet minent
- privilge.
- Ce privilge exorbitant, cet unique privilge.
- Injuste. Juste. Purement gracieux.
- Proprement gracieux. Et voici.
- Voici que ces cent quarante-quatre mille innocents.
- Voici que ces cent quarante-quatre mille enfants
- N'ont eu qu' natre, et rien de plus. Tels sont les mystres, tels
- sont les secrets.
- Tels sont les jeux, telles sont les ingalits de ma grce.
- Et le secret apparentement, la secrte accointance
- De ma grce avec la tendresse et le lait. Tant d'autres.
- Tant d'autres ont tmoign sous la serre et le bec
- Et sous l'onglet
- Sous la dent des lions et sous la lanire et sous la tenaille ardente
- (Car il y en a eu de toutes sortes)
- Et sous les hues des nations et sous la rue du peuple et sous la
- clameur du peuple.
- Et sous l'interrogatoire du prteur.
-
-
-
- Et tous ces tmoins et tous ces martyrs. Tant d'autres.
-
-
-
- Tant d'autres sont morts sur des routes perdues dans des plaines
- perdues marchant la dlivrance du Saint-Spulcre.
- Les reins briss, gisant par terre, crevant de fatigue.
- Crevant de faim, crevant de soif, crevant de sable.
- Les ctes rompues, couchs par terre, dix-huit cents lieues de leur
- chteau.
- Mourant de leurs blessures. Vids de leur sang comme des outres
- perces.
- (De leur sang qui coulait sur le sable, et que le sable buvait, et
- qui se perdait dans le sable,
- Pour jusqu' la rsurrection des corps). Tant d'autres.
- Tant d'autres sont partis, tant d'autres sont morts.
- Crevs de bataille, crevs de misre, crevs de lpre.
- Et tant d'autres.
-
-
-
- (Et ils taient partis pour la dlivrance du Saint-Spulcre. Et ils
- ne trouvrent
- Que le royaume de Dieu et la vie ternelle).
-
-
-
- A tant d'autres. A tous ces autres tmoins, tous ces autres martyrs
- il ne fut pas donn.
- ternellement il n'est pas donn de chanter ce cantique _nouveau_.
- Tel est mon ordre, tel est le secret de ma hirarchie.
- Une vie entire d'exercice et de prire.
- Une vie d'preuve, une vie d'humilit n'y suffit pas.
- Une vie de mrite, une vie de vertu n'y sert de rien.
- Une vie de sang, une vie de larmes, une vie mme de grce n'y est
- pour rien.
- Car ce qu'il y faut prcisment c'est une vie qui ne soit pas entire.
- Qui soit mme exactement tout le contraire d'tre entire.
- Qui soit le moins vcue, qui soit peine commence.
- Qui soit le moins commence possible. _Et nemo poterat dicere
- canticum._ Or ces cent quarante-quatre mille
- Qui seuls pouvaient chanter ce cantique nouveau, qu'est-ce qu'ils
- avaient fait?
- Admirez ici l'ordre de ma grce. Ils avaient fait ceci
- Qu'ils taient venus au monde. Un point, c'est tout. Ou si vous
- prfrez,
- Ils avaient fait ceci qu'ils taient des petits nouveau-ns.
- C'taient des espces de petits nourrissons juifs. Des garons et des
- filles.
- Leurs mres disaient comme dans tous les pays du monde: _C'est le
- mien qui est le plus beau._
- Eux, a leur tait bien gal, d'tre beaux. Pourvu qu'ils dorment et
- qu'ils tettent.
- Quand ils avaient sommeil,
- Quand ils avaient envie de dormir ils dormaient;
- Quand ils avaient faim et soif (ensemble)
- Quand ils avaient envie de tter, ils ttaient;
- Quand ils avaient envie de crier ils criaient:
- C'taient leurs plus grandes occupations. C'est ainsi qu'ils
- trouvrent
- Non seulement le royaume de Dieu et la vie ternelle.
- Mais seuls d'y porter crit sur le front mon nom et le nom de mon
- Fils.
- Et seuls d'y chanter ce cantique nouveau.
-
-
-
- _Qui empti sunt de terra._ Tant d'autres sont morts au nom de mon
- Fils.
- _In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti._
- Tant d'autres sont morts pour sauver l'honneur
- Du Nom de mon fils. Et eux.
- Qui seuls portent ce nom crit sur le front
- Et seuls peuvent chanter ce cantique nouveau,
- Ils sont les seuls aussi assurment qui sur terre
- Aient jamais ignor totalement le nom de mon fils. Tel est mon dcret.
- Ce nom pour lequel ils sont morts, ils ne le connaissaient pas.
- Ils ne l'ont jamais connu sur terre. Voil ce que j'aime, dit Dieu.
- A prsent ils le connaissent peut-tre. ternellement on peut le lire
- crit
- Sur cent quarante-quatre mille fronts. Sur nul autre.
- Sur pas un de plus. Mais vivant, mais sur terre
- On peut dire qu'ils n'ont jamais su de quoi on parlait
- Ni mme que l'on parlait et que l'on pouvait parler
- (De quelque chose). Voil ce qui me plat, dit Dieu.
- Or ils pleuraient, et ils riaient, et ils ttaient, et ils criaient,
- et ils dormaient.
- C'tait leur grande, c'tait leur plus srieuse occupation.
- Et un jour vint.
- Que.
- Un jour (ils ne connaissaient pas plus le nom d'Hrode que le nom de
- Jsus)
- (et ils ne connaissaient pas plus le nom de Jsus que le nom
- d'Hrode. J'ose dire
- Que ces deux noms leur taient galement indiffrents). Or ces deux
- hommes,
- Jsus, Hrode, Hrode, Jsus,
- Antagonistes allaient tout simplement leur procurer
- La gloire de mon paradis.
- Le royaume des cieux et la gloire ternelle. Un jour vint
- Qu'une horde de brutes soldats, qui faisaient leur mtier,
- (Mais qui le dpassaient peut-tre un peu)
- Une rue de brutes passa, des espces de gendarmes, des ogres comme
- dans les contes de fes, des Croquemitaines pour les enfants.
- Portant des sabres qui taient comme des grands coutelas.
- Et c'taient les soldats d'Hrode.
- Une rue, un tumulte. Un fracas, des bras retrousss. Une clameur.
- Des cris. Des dents. Des regards luisants.
- Des femmes qui fuyaient, des femmes qui mordaient
- Comme elles mordent toujours quand elles ne sont pas les plus fortes.
- Et il n'y eut plus dans le sang et dans le lait
- Qu'une grande jonche de corps morts
- Un cimetire de poupons et de jeunes femmes juives.
- Vous savez, dit Dieu, ce que nous en avons fait.
- Ces yeux qui s'taient peine ouverts la lumire du soleil charnel.
- Pour ternellement furent clos la lumire du soleil charnel
- Ces yeux qui s'taient peine ouverts la lumire du soleil
- terrestre
- Pour ternellement furent clos la lumire du soleil terrestre.
- Ces yeux qui s'taient peine ouverts la lumire du soleil temporel
- Pour ternellement furent clos la lumire du soleil temporel.
- Ces regards qui taient peine monts vers le jour et vers le soleil
- du temps
- Pour ternellement furent clos ces passagres,
- A ces prissables lumires.
- Ces voix, ces lvres qui n'avaient jamais chant les louanges de Dieu
- sur terre,
- Qui ne s'taient jamais ouvertes que pour demander tter. (Mais il
- me plat ainsi, dit Dieu).
- Sont ainsi les seules, sont aujourd'hui les seules,
- Sont aussi les seules qui puissent chanter ce cantique nouveau.
- _Qui empti sunt de terra._ Vous voyez ce que nous en avons fait, dit
- Dieu.
- _Aux Innocents les mains pleines._ C'est le cas de le dire. Ces
- Innocents avaient simplement ramass dans la bagarre
- Le royaume de Dieu et la vie ternelle. Qu'importe aujourd'hui
- Leurs membres blancs rompus dans tous les bourgs de Jude.
- Et leurs petits bras potels coups comme par des hommes qui mondent.
- Et leurs petits doigts crisps qui se refermaient sur la paume de la
- main.
- Et les cris renfoncs dans la gorge, les mains criminelles les
- renfonant, s'enfonant dans la gorge comme un bouchon. Comme un
- tampon.
- Et le jeune sang jaillissant du coeur. Qu'importent les membres
- coups.
- Les cuisses blanches comme de la viande de chevreau et comme des
- cuisses tendres de petits cochons de lait.
- Et leurs mres qui criaient comme des folles et qui mordaient les
- soldats au poignet. Comme dans une bataille, aprs la bataille
- Les rdeurs, les voleurs viennent dpouiller les blesss et les morts
- et les mourants et emporter et drober tout ce qui compte.
- Tout ce qui vaut quelque chose, nouveaux rdeurs, nouveaux voleurs
- ces innocents
- Dans cette bataille aprs cette bataille se sont dpouills eux-mmes
- Et dans le fracas des armes, dans le tumulte et dans les cris.
- Dans la galopade affole, dans la poursuite effrne, dans les femmes
- par terre ils ont ramass tout ce qui compte.
- Ils ont drob tout ce qui vaut quelque chose car ils ont fait main
- basse
- Comme des dtrousseurs de cadavres et ils se sont dtrousss
- eux-mmes et ce qu'ils ont ramass dans la bagarre ce n'est pas
- moins
- Que le royaume des cieux et la vie ternelle. _Hi empti sunt ex
- hominibus._ Eux seuls,
- Qui seuls peut-tre sur terre non seulement n'avaient jamais chant
- les louanges de Dieu,
- Mais n'avaient jamais prononc mme mon nom ni le nom de mon fils,
- Eux seuls aussi ne portent point aux commissures des lvres
- l'ineffaable pli,
- Ce pli de l'infortune et de l'ingratitude
- Et d'une amertume qui ne sera jamais rassasie. Or si nous avons fait
- d'eux ce que vous voyez, dit Dieu,
- Il y en a sept raisons que je veux bien vous dire.
-
-
-
- La premire, c'est que je les aime, dit Dieu, et celle-l suffit.
- Telle est la hirarchie de ma grce.
-
-
-
- La deuxime, c'est qu'ils me plaisent, dit Dieu, et celle-l suffit.
- Telle est la hirarchie de ma grce.
-
-
-
- La troisime, c'est qu'il me plat ainsi, dit Dieu, et celle-l
- suffit.
- Telle est la hirarchie, tel est l'ordre, telle est l'ordonnance de
- ma grce.
-
-
-
- Maintenant je vais vous dire, dit Dieu, la quatrime
- C'est prcisment qu'ils n'ont point aux commissures des lvres
- Ce pli d'ingratitude et d'amertume, cette blessure de vieillissement,
- Ce pli d'avertissement, ce pli de mmoire que nous voyons toutes
- les lvres.
-
-
-
- La cinquime, dit Dieu, c'est que par une sorte d'quivalence,
- Par une sorte de balancement ces innocents ont pay pour mon fils.
- Pendant qu'ils gisaient sur le pav des routes, sur le pav des
- villes, sur le pav des bourgs
- Dans la poussire et dans la boue, moins considrs que des agneaux
- et des chevreaux et des cochonneaux.
- (Car les agneaux et les chevreaux et les cochonneaux
- Sont trs considrs par le boucher et par le consommateur)
- Abandonns sur les corps de leurs mres
- Pendant ce temps-l mon fils fuyait. Il faut le dire.
- C'est donc, c'est une sorte de quiproquo. Il faut le dire.
- C'est un malentendu.
- Voulu, ce qui est grave. Il faut le dire.
- Ils furent pris pour lui. Ils furent massacrs pour lui. En son lieu.
- A sa place.
- Non seulement cause de lui, mais pour lui, comptant pour lui.
- Le reprsentant pour ainsi dire. tant substitus lui. tant comme
- lui. Presque tant (d'autres) luis.
- En reprsentation, en substitution, en remplacement de lui. Or tout
- cela est grave, dit Dieu, tout cela compte. Ils furent semblables
- mon fils et le remplacrent.
- Exactement quand il ne s'agissait pas moins
- Quand il n'y allait pas de moins que de le massacrer,
- (Prmaturment, avant qu'il ft mr),
- Quand Hrode voulait le massacrer. Tout cela se paye, dit Dieu.
- Et puisqu'ils ont t trouvs semblables mon fils exactement
- l'heure de ce massacre.
- A prsent, c'est pour cela qu' prsent ils sont trouvs semblables
- l'Agneau dans cette gloire ternelle.
- Pendant ce temps conduit par un deuxime Joseph
- Mon fils fuyait vers l'antique gypte. Ils acquraient ainsi.
- Ces gamins, ces moins que gamins se procuraient ainsi
- Une crance sur nous. Mont sur un ne avec sa mre
- (Comme trente ans plus tard mont sur l'non d'une nesse
- Il devait entrer Jrusalem)
- Trente ans plus tt mont sur un ne avec sa mre mon fils
- Refaisait le voyage de l'antique Jacob. Et ces enfants ramassaient
- dans la mle.
- Dans leur propre sang ces nourrissons ramassaient
- Une crance sur moi. Ils avaient bien raison.
- Heureux ceux qui ont une crance sur nous. Nous sommes trs bons
- dbiteurs.
-
-
-
- La sixime raison, dit Dieu, (je crois que c'est la sixime),
- (c'est une trs bonne affaire que d'tre pris pour mon fils et a
- rapporte),
- la sixime raison, c'est qu'ils taient contemporains de mon fils.
- Du mme ge et ns dans le mme temps.
- Juste ce point du temps.
- Nous aussi nous favorisons nos camarades de promotion.
- Telle est la fortune que nous avons faite au temps.
- C'est une grande fortune ou une grande infortune pour tout homme.
- Que de natre ou de ne pas natre tel moment du temps.
- C'est une fortune ou une infortune sur laquelle rien ne prvaut.
- Sur laquelle on ne revient pas, sur laquelle rien ne revient.
- Et c'est un des plus grands mystres de ma grce que cette part de
- fortune,
- Que cette part irrvocable, indfaisable
- Que nous avons laisse aux biens de fortune devant les biens qui ne
- sont pas de fortune;
- Au charnel devant et dans le spirituel;
- Au temporel devant et dans l'ternel, c'est--dire
- A la matire dans la cration, et la crature, et la cration, et
- la matire mme de la cration devant le Crateur.
-
-
-
- A ce point, dit Dieu, que nous-mmes nous ne sommes pas indiffrents
- la date; au temps;
- A la prise de date et que nous aimons secrtement ces cent
- quarante-quatre mille
- parce qu'ils se sont trouvs l et nous les aimons d'un secret amour
- unique
- parce qu'ils se sont trouvs natre l, parce qu'ils taient,
- parce qu'ils se sont trouvs tre
- Du mme ge que mon fils, ns du mme temps, de la mme race.
- A la mme date.
- Enfin parce qu'ils faisaient ensemble une promotion.
- Non plus seulement une promotion de Juifs mais une promotion d'hommes.
- (Telle tait la nouvelle loi)
- La promotion de Jsus-Christ.
- Et indniablement ils taient
- (le temps a toujours une certaine force, apporte toujours une
- certaine preuve d'indniable)
- Indniablement ils taient
- Ses camarades de promotion.
- (Il y a toujours dans le temps, dans la date
- On ne sait quoi d'irrfutable).
-
-
-
- La septime raison, dit Dieu, pourquoi la taire. C'est qu'ils taient
- semblables mon fils.
- Et lui tait semblable eux.
- (Une gnration d'hommes, dit Dieu,
- une promotion c'est comme une belle longue vague
- qui s'avance d'un bout l'autre sur un mme front
- et qui d'un seul coup sur un mme front d'un bout l'autre
- toute ensemble dferle sur le rivage de la mer.
- ainsi une gnration, une promotion est une vague d'hommes.
- toute ensemble elle s'avance sur un mme front,
- et toute ensemble sur un mme front elle s'croule comme une muraille
- d'eau
- quand elle touche au rivage ternel).
- Mon fils tait tendre comme eux et comme eux il tait nouveau.
- Il tait assez inconnu. Comme eux.
- Cette grande adoration double, qui (sans cela) l'avait dj mis hors
- de pair.
- La grande adoration double des bergers et des mages tait dj un peu
- oublie.
- Il tait redevenu assez inconnu. Et les mages s'taient moqus
- d'Hrode.
-
- Il n'avait pas deux ans, il tait comme eux.
- C'tait un bel enfant, et sa mre le disait.
-
- Il ne souponnait point encore
- l'ingratitude de l'homme.
-
- Il n'avait point encore aux commissures des lvres
- le pli de l'amertume et de l'ingratitude.
-
- Il n'avait point encore aux commissures des paupires
- sa ride, le pli des larmes et d'en avoir trop vu.
-
- Il n'avait point encore aux commissures de la mmoire
- le pli de ne pouvoir point oublier.
-
-
- Il ignorait encore, comme homme il ignorait les vicissitudes.
- Il ignorait, comme homme il ignorait ce qui laissera une ternelle
- trace.
- la couronne d'pines et le sceptre de roseau.
- et cette affreuse agonie du Calvaire.
- et cette agonie encore plus affreuse de la veille au soir
- au mont des Oliviers.
- Comme eux il tait un vase d'albtre
- Que n'avait encore souill aucune trace,
- Aucune lie d'aucune cume.
- Et c'est la sixime raison, dit Dieu, et la septime, ils me
- rappellent mon fils.
- Comme il tait s'il n'et point chang depuis, quand il tait si
- beau. Si cette norme aventure
- Se ft arrte l. Voil pourquoi je les aime, dit Dieu, entre tous
- ils sont les _tmoins_ de mon fils.
- Ils me montrent, ils sont comme il tait, si seulement
- Il n'et point chang. De toutes les imitations de Jsus-Christ
- C'est la premire et c'est la toute neuve; et c'est la seule
- Qui ne soit aucun degr
- Qui ne soit pas mme pour un atome
- Une imitation de quelque fltrissure et de quelque meurtrissure et de
- quelque blessure de l'me de Jsus.
- C'est une ignorance totale de l'avanie et de l'affront.
- Et de l'injure et de l'offense.
- Ils ne connaissent que le meurtre, et d'avoir t tus, ce qui ne
- serait rien.
- Ils ne furent jamais tourns en drision.
- Voil ce que j'aime en eux, dit Dieu. Voil en quoi, pourquoi je les
- aime.
- Ils sont pour moi des enfants qui ne sont jamais devenus des hommes.
- Des agneaux qui ne sont jamais devenus des boucs.
- Ni des brebis. (_Et ceux-ci suivent l'agneau partout o il ira_).
- Des enfants Jsus qui ne vieillirent jamais. Qui ne grandirent point.
- Or _le mien profitait
- en sagesse, et en ge, et en grce
- auprs de Dieu et auprs des hommes_.
-
-
-
- Je les aime innocemment, dit Dieu. Et c'est la septime raison.
- (C'est ainsi qu'il faut aimer ces innocents)
- Comme un pre de famille aime les camarades de son fils
- Qui vont l'cole avec lui.
-
-
-
- Mais eux ils n'ont point boug depuis ce temps-l.
-
-
-
- Ils sont les imitations ternelles
- De ce que Jsus fut pendant un temps trs court
- Car il _profitait_, lui. Il croissait
- pour cette norme aventure.
-
-
-
- Et la septuple raison, dit Dieu, c'est qu'ils sont ainsi comme David
- les voulait.
- _Immaculati in via._ Ainsi est l'ordre, dit Dieu.
- Le prophte prdit.
- Mon fils dit.
- Et moi je redis.
-
-
-
- Ou encore:
- Le prophte prdit.
- Mon fils dit.
- Et moi je confirme et je consacre.
-
- Et mon glise confirme et clbre,
- Et consacre et commmore.
-
-
-
- Ainsi l'Aptre les reprend du Prophte et Jean les reprend de David.
- Et comme David avait voulu qu'ils fussent
- _Immaculs dans la voie_ ainsi Jean les a vus
- _Sur la montagne de Sion
- Autour de l'Agneau debout._ Il n'y en a que pour eux. _Ceux-ci
- suivent l'Agneau partout o il ira._
- (Les plus grands saints ne le suivent apparemment pas partout).
-
- _Ceux-ci ont t enlevs des hommes:
- (d'entre les hommes, de parmi les hommes, d'tre des hommes)_
- Les plus grands saints ont t des hommes, n'ont point t enlevs
- d'tre des hommes).
-
- _et dans leur bouche n'a pas t trouv le mensonge:_
-
- _ils sont en effet sans tache devant le trne de Dieu._
-
-
-
- Et l'Aptre les nomme _primitiae Deo, et Agno_: _prmices Dieu, et
- l'Agneau_. C'est--dire premiers fruits de la terre que l'on
- offre Dieu et l'Agneau. Les autres saints sont les fruits
- ordinaires, les fruits de la saison. Mais eux ils sont les fruits
- De la promesse mme de la saison.
-
-
-
- Et suivant l'Aptre l'glise rpte: _Innocentes pro Christo
- infantes occisi sunt_,
-
- _les Innocents pour le Christ
- enfants furent massacrs,_
-
- (_infantes_, tout jeunes enfants, tout petit enfant ne parlant pas
- encore)
-
- _ab iniquo rege
- lactentes interfecti sunt:_
-
- _par un inique Roi
- laiteux ils furent assassins:_
-
- (_lactentes_, pleins de lait, laiteux, l'ge du lait, tant encore
- au rgime du lait,
- nourris de lait)
-
- _ipsum sequuntur Agnum sine macula
- ils suivent l'Agneau lui-mme sans tache_
-
- (et le texte est tel, mon enfant, que c'est ensemble l'Agneau qui est
- sans tache
- et eux avec lui qui sont sans tache)
-
-
-
- Mais l'glise va plus loin, l'glise passe outre, l'glise dpasse
- l'Aptre.
-
- L'glise ne dit plus seulement qu'ils sont des prmices Dieu, et
- l'Agneau.
- L'glise les invoque et les nomme
-
- _fleurs des Martyrs._
-
- Entendant littralement par l que les _autres_ martyrs sont les
- fruits mais que ceux-ci, parmi les martyrs, sont les fleurs mmes.
-
- _SALVETE flores Martyrum,_
-
- _Salut FLEURS des Martyrs._
-
- Couchs sur le chevalet, lis au chevalet comme des fruits lis
- l'espalier
- Les autres martyrs, vingt sicles de martyrs
- Les sicles des sicles de martyrs
- Sont littralement les fruits de saison,
- De chaque saison chelonns sur l'espalier
- Et notamment des fruits d'automne
- Et mon fils mme fut cueilli
- Dans sa trente-troisime saison. Mais eux ces simples innocents,
- Ils sont avant les fruits mmes, ils sont la promesse du fruit.
- _Salvete flores Martyrum_, ces enfants de moins de deux ans sont les
- fleurs de tous les autres Martyrs.
- C'est--dire les fleurs qui donnent les autres martyrs.
- Au fin commencement d'avril ils sont la rose fleur du pcher.
- Au plein avril, au fin commencement de mai ils sont la blanche fleur
- du poirier.
- Au plein mai ils sont la rouge fleur du pommier.
- Blanche et rouge.
- Ils sont la fleur mme et le bouton de la fleur et le coton du bouton.
- Ils sont le bourgeon du rameau et le bourgeon de la fleur.
- Ils sont l'honneur d'avril et la douce esprance.
- Ils sont l'honneur et des bois et des mois.
- Ils sont la jeune enfance.
- Le dimanche de _Reminiscere_ n'est que pour eux, parce qu'ils se
- rappellent.
- Le dimanche d'_Oculi_ n'est que pour eux, parce qu'ils voient.
- Le dimanche de _Laetare_ n'est que pour eux, parce qu'ils se
- rjouissent.
- Le dimanche de la Passion n'est que pour eux, parce qu'ils furent la
- premire Passion.
- Le dimanche des Rameaux n'est que pour eux, parce qu'ils sont le
- rameau mme qui a port tant de fruits.
- Et le dimanche du jour de Pques n'est que pour eux, parce qu'ils
- sont ressuscits.
- Ils sont la fleur de l'aubpine qui fleurit pendant la semaine sainte
- Et la fleur de l'avant-courrire pine noire, qui fleurit cinq
- semaines plus tt
- Ils sont la fleur de toutes ces plantes et de tous ces arbres rosacs.
- Promesse de tant de martyrs, ils sont les boutons de rose
- De cette rose de sang.
- _Salvete flores Martyrum,
- Salut fleurs des Martyrs,_
-
- _quos, lucis ipso in limine,
- Christi insecutor sustulit,_
-
- _ceu turbo nascentes rosas._
-
- _que, sur le seuil mme de la lumire,
- le perscuteur du Christ enleva,
- (emporta)_
-
- _ceu turbo nascentes rosas._
-
- _comme la tempte de naissantes roses._
- (c'est--dire comme la tempte, comme une tempte enlve, emporte de
- naissantes roses).
-
-
-
- _Vos prima Christi victima,
- Grex immolatorum tener,
- Aram sub ipsam simplices
- Palma et coronis luditis._
-
- _Vous premire victime du Christ,
- Troupeau tendre des immols,
- Au pied de l'autel mme simples,
- Simplices_, mes simples, simples enfants,
- _Palma et coronis luditis. Vous jouez avec la palme et les couronnes.
- Avec votre palme et vos couronnes._
-
-
-
- Tel est mon paradis, dit Dieu. Mon paradis est tout ce qu'il y a de
- plus simple.
- Rien n'est aussi dpouill que mon paradis.
- _Aram sub ipsam_ au pied de l'autel mme
- Ces simples enfants _jouent_ avec leur palme et avec leurs couronnes
- de martyrs.
- Voil ce qui se passe dans mon paradis. A quoi peut-on bien jouer
- Avec une palme et des couronnes de martyrs.
- Je pense qu'ils jouent au cerceau, dit Dieu, et peut-tre aux grces
- (du moins je le pense, car ne croyez point
- qu'on me demande jamais la permission)
- Et la palme toujours verte leur sert apparemment de btonnet.
-
-
-
-
-_la tapisserie
-
-de sainte Genevive
-
-et de Jeanne d'Arc_
-
-
-
-
-_cahier pour le jour de Nol
-
-et pour la neuvaine de sainte Genevive
-
-de la quatorzime srie;_
-
- madame Genevive Favre
-
-_communis urbis atque antiquae
-
-patronae in fidem aeternam_
-
-
-
-
-PREMIER JOUR
-
-POUR LE VENDREDI 3 JANVIER 1913
-
-FTE DE SAINTE GENEVIVE
-
-QUATORZE CENT UNIME ANNIVERSAIRE
-
-DE SA MORT
-
-I
-
-
- Comme elle avait gard les moutons Nanterre,
- On la mit garder un bien autre troupeau,
- La plus norme horde o le loup et l'agneau
- Aient jamais confondu leur commune misre.
-
- Et comme elle veillait tous les soirs solitaire
- Dans la cour de la ferme ou sur le bord de l'eau,
- Du pied du mme saule et du mme bouleau
- Elle veille aujourd'hui sur ce monstre de pierre.
-
- Et quand le soir viendra qui fermera le jour,
- C'est elle la caduque et l'antique bergre,
- Qui ramassant Paris et tout son alentour
-
- Conduira d'un pas ferme et d'une main lgre
- Pour la dernire fois dans la dernire cour
- Le troupeau le plus vaste la droite du pre.
-
-
-
-
-DEUXIME JOUR
-
-POUR LE SAMEDI 4 JANVIER 1913
-
-II
-
-
- Comme elle avait gard les moutons Nanterre
- Et qu'on tait content de son exactitude,
- On mit sous sa houlette et son inquitude
- Le plus mouvant troupeau, mais le plus volontaire.
-
- Et comme elle veillait devant le presbytre,
- Dans les soirs et les soirs d'une longue habitude,
- Elle veille aujourd'hui sur cette ingratitude,
- Sur cette auberge norme et sur ce phalanstre.
-
- Et quand le soir viendra de toute plnitude,
- C'est elle la savante et l'antique bergre,
- Qui ramassant Paris dans sa sollicitude
-
- Conduira d'un pas ferme et d'une main lgre
- Dans la cour de justice et de batitude
- Le troupeau le plus sage la droite du pre.
-
-
-
-
-TROISIME JOUR
-
-POUR LE DIMANCHE 5 JANVIER 1913
-
-III
-
-
- Elle avait jusqu'au fond du plus secret hameau
- La rputation dans toute Seine et Oise
- Que jamais ni le loup ni le chercheur de noise
- N'avaient pu lui ravir le plus chtif agneau.
-
- Tout le monde savait de Limours Pontoise
- Et les vieux bateliers contaient au fil de l'eau
- Qu'assise au pied du saule et du mme bouleau
- Nul n'avait pu jouer cette humble villageoise.
-
- Sainte qui rameniez tous les soirs au bercail
- Le troupeau tout entier, diligente bergre,
- Quand le monde et Paris viendront fin de bail
-
- Puissiez-vous d'un pas ferme et d'une main lgre
- Dans la dernire cour par le dernier portail
- Ramener par la vote et le double vantail
-
- Le troupeau tout entier la droite du pre.
-
-
-
-
-QUATRIME JOUR
-
-POUR LE LUNDI 6 JANVIER 1913
-
-JOUR DES ROIS
-
-CINQ CENT UNIME ANNIVERSAIRE
-
-DE LA NAISSANCE DE JEANNE D'ARC
-
-IV
-
-
- Comme la vieille aeule au plus fort de son ge
- Se rjouit de voir le tendre nourrisson,
- L'enfant la mamelle et le dernier besson
- Recommencer la vie ainsi qu'un hritage;
-
- Elle en fait par avance un trs grand personnage,
- Le plus hardi faucheur au temps de la moisson,
- Le plus hardi chanteur au temps de la chanson
- Qu'on aura jamais vu dans cet humble village:
-
- Telle la vieille sainte ternellement sage
- Connut ce qui serait l'honneur de sa maison
- Quand elle vit venir, habille en garon,
-
- Bien prise en sa cuirasse et droite sur l'aron,
- Priant sur le pommeau de son estramaon,
- Aprs neuf cent vingt ans la fille au dur corsage;
-
- Et qu'elle vit monter de dessus l'horizon,
- Souple sur le cheval et le caparaon,
- La plus grande beaut de tout son parentage.
-
-
-
-
-CINQUIME JOUR
-
-POUR LE MARDI 7 JANVIER 1913
-
-V
-
-
- Comme la vieille aeule au fin fond de son ge
- Se plat regarder sa plus arrire fille,
- Naissante l'autre bout de la longue famille.
- Recommencer la vie ainsi qu'un hritage;
-
- Elle en fait par avance un trs grand personnage.
- Fileuse, moissonneuse la pleine faucille,
- Le plus preste fuseau, la plus savante aiguille
- Qu'on aura jamais vu dans ce simple village:
-
- Telle la vieille sainte ternellement sage,
- Du bord de la montagne et de la double berge
- Regardait s'avancer dans tout son quipage,
-
- Dans un encadrement de cierge et de flamberge,
- Et le casque remis aux mains du petit page,
- La fille la plus sainte aprs la sainte Vierge.
-
-
-
-
-SIXIME JOUR
-
-POUR LE MERCREDI 8 JANVIER 1913
-
-VI
-
-
- Comme Dieu ne fait rien que par misricordes,
- Il fallut qu'elle vt le royaume en lambeaux,
- Et sa filleule ville embrase aux flambeaux,
- Et ravage aux mains des plus sinistres hordes;
-
- Et les coeurs dvors des plus basses discordes,
- Et les morts poursuivis jusque dans les tombeaux,
- Et cent mille Innocents exposs aux corbeaux,
- Et les pendus tirant la langue au bout des cordes:
-
- Pour qu'elle vt fleurir la plus grande merveille
- Que jamais Dieu le pre en sa simplicit
- Aux jardins de sa grce et de sa volont
- Ait fait jaillir par force et par ncessit;
-
- Aprs neuf cent vingt ans de prire et de veille
- Quand elle vit venir vers l'antique cit,
- Gardant son coeur intact en pleine adversit,
- Masquant sous sa visire une efficacit;
-
- Tenant tout un royaume en sa tnacit,
- Vivant en plein mystre avec sagacit,
- Mourant en plein martyre avec vivacit,
-
- La fille de Lorraine nulle autre pareille.
-
-
-
-
-SEPTIME JOUR
-
-POUR LE JEUDI 9 JANVIER 1913
-
-VII
-
-
- Comme Dieu ne fait rien que par simple bergre,
- Il fallut qu'elle vt la discorde civile
- Secouer son flambeau sur les toits de la ville
- Et joindre sa fureur la guerre trangre;
-
- Il fallut qu'elle vt l'horrible harengre
- Haranguer le bas peuple et la tourbe servile,
- Et de la halle au bl jusqu' l'htel de ville
- Refluer le hoquet de l'odieuse mgre:
-
- Pour qu'elle vt venir merveilleuse et lgre,
- Par les chemins de ronce et de frle fougre,
- Pliant ses beaux drapeaux comme une humble lingre;
-
- Gouvernant sa bataille en bonne mnagre,
- Tranant les trois Vertus dans quelque fourragre,
- Vers l'antique vaisseau la jeune passagre.
-
-
-
-
-HUITIME JOUR
-
-POUR LE VENDREDI 10 JANVIER 1913
-
-VIII
-
-
- Comme Dieu ne fait rien que par pauvre misre,
- Il fallut qu'elle vt sa ville endolorie,
- Et les peuples fouls et sa race fltrie,
- L'meute suppurant comme un secret ulcre;
-
- Il fallut qu'elle vt pour son anniversaire
- Les cadavres crevs que la Seine charrie,
- Et la source de grce apparemment tarie,
- Et l'enfant et la femme aux mains du garnisaire:
-
- Pour qu'elle vt venir sur un cheval de guerre,
- Conduisant tout un peuple au nom du Notre Pre,
- Seule devant sa garde et sa gendarmerie;
-
- Engage en journe ainsi qu'une ouvrire,
- Sous la vieille oriflamme et la jeune bannire
- Jetant toute une arme aux pieds de la prire;
-
- Arborant l'tendard sem de broderie
- O le nom de Jsus vient en argenterie,
- Et les armes du mme en mme orfvrerie;
-
- Filant pour ses drapeaux comme une filandire,
- Les faisant essanger par quelque buandire,
- Les mettant couler dans l'norme chaudire;
-
- Les armes de Jsus c'est sa croix quarrie,
- Voil son armement, voil son armoirie,
- Voil son armature et son armurerie;
-
- Rinant ses beaux drapeaux l'eau de la rivire,
- Les lavant au lavoir comme une lavandire,
- Les battant au battoir comme une mercenaire;
-
- Les armes de Jsus c'est sa face maigrie,
- Et les pleurs et le sang dans sa barbe meurtrie,
- Et l'injure et l'outrage en sa propre patrie;
-
- Ravaudant ses drapeaux comme une roturire,
- Les mettant scher sur le front de bandire,
- Les donnant garder quelque vivandire;
-
- Les armes de Jsus c'est la foule en furie
- Acclamant Barabbas et c'est la plaidoirie,
- Et c'est le tribunal et voil son hoirie;
-
- Teignant ses beaux drapeaux comme une teinturire,
- Les faisant repasser par quelque culottire,
- Adorant le bon Dieu comme une couturire;
-
- Les armes de Jsus c'est cette barbarie,
- Et le dcurion menant la dcurie,
- Et le centurion menant la centurie;
-
- Les armes de Jsus c'est l'interrogatoire,
- Et les lanciers romains debout dans le prtoire,
- Et les drisions fusant dans l'auditoire;
-
- Les armes de Jsus c'est cette pnurie,
- Et sa chair expose toute intemprie,
- Et les chiens dvorants et la meute ahurie;
-
- Les armes de Jsus c'est sa croix de par Dieu,
- C'est d'tre un vagabond couchant sans feu ni lieu,
- Et les trois croix debout et la sienne au milieu;
-
- Les armes de Jsus c'est cette pillerie
- De son pauvre troupeau, c'est cette loterie
- De son pauvre trousseau qu'un soldat s'approprie;
-
- Les armes de Jsus c'est ce frle roseau,
- Et le sang de son flanc coulant comme un ruisseau,
- Et le licteur antique et l'antique faisceau;
-
- Les armes de Jsus c'est cette raillerie
- Jusqu'au pied de la croix, c'est cette moquerie
- Jusqu'au pied de la mort et c'est la brusquerie
-
- Du bourreau, de la troupe et du gouvernement,
- C'est le froid du spulcre et c'est l'enterrement,
- Les armes de Jsus c'est le dsarmement;
-
- L'avanie et l'affront voil son industrie,
- La cendre et les cailloux voil sa mtairie
- Et ses appartements et son duch-pairie;
-
- Les armes de Jsus c'est le souple arbrisseau
- Tress sur son beau front comme un frle rseau,
- Scellant sa royaut d'un parodique sceau;
-
- Les disciples poltrons voil sa confrrie,
- Pierre et le chant du coq voil sa seigneurie,
- Voil sa lieutenance et capitainerie;
-
- Le lavement de mains et la forfanterie
- De ce garde des sceaux et la plaisanterie
- De ces beaux damoiseaux et la galanterie
-
- De ces beaux jouvenceaux c'est sa boulangerie,
- Et son pain de poussire et de sueur ptrie,
- Et l'ponge de fiel et de vinaigrerie;
-
- La croix bien assemble en double coulisseau,
- L'ironique pancarte engrave au ciseau,
- Le tasseau pour les pieds descendant en biseau;
-
- Un autre bcheron avait coup ce bois,
- Un autre charpentier avait taill la croix,
- Mais lui-mme, et nul autre, avait port ce poids;
-
- L'image de la Vierge en tissu de soierie,
- Et sainte Marguerite en fleurs de draperie,
- Et sainte Catherine et la tapisserie
-
- O l'on voit saint Michel habill de nouveau,
- Le Saint-Esprit planant sous figure d'oiseau,
- Et l'archange crasant Satan sur le museau;
-
- Mais Satan lui rsiste et par sorcellerie
- Et par atermoiement et par grivlerie
- S'est jur d'absorber et la Beauce et la Brie;
-
- Les saints ont sur la tte un trs lger cerceau
- Pour bien voir que c'est eux, une sorte d'arceau
- Ouvre le paradis, Jsus dans son berceau
-
- Regarde saint Joseph et par espiglerie
- Veut lui tirer la barbe et le vieux se rcrie
- Et fait semblant de mordre afin que l'enfant rie;
-
- Mais Satan les regarde et fumant du naseau
- Ce serpent venimeux, cet immonde pourceau
- S'est jur d'empester le faubourg Saint-Marceau;
-
- Ce serpent sonnette avec sa sonnerie
- S'est vant qu'il ferait (voyez sa hblerie)
- Jeter par ses suppts les saints la voirie;
-
- Les armes de Jsus c'est la paille et l'table
- Et le pain et le vin et la nappe et la table,
- Et le plus malheureux, voil son conntable;
-
- Les armes de Satan c'est la supercherie,
- Un aplomb infernal, une aigre drlerie,
- Le savoir des savants et la cafarderie;
-
- Les armes de Jsus c'est la poignante pine,
- C'est la fleur de son sang sur la blanche aubpine,
- Et les fleurs de ses pleurs sur la rouge glantine;
-
- La perle qui descend sur sa joue attendrie,
- Et la perle qu'il boit sur sa lvre appauvrie,
- Voil ses beaux cristaux et sa joaillerie;
-
- Les armes de Jsus c'est la verte couronne,
- C'est ce front que l'amour et la grce environne,
- Et l'ternelle fleur qui sur sa peau fleuronne;
-
- La perle qui descend sur sa face amoindrie
- Et qui vient humecter sa langue rabougrie,
- Voil son coffre-fort et sa bijouterie;
-
- Les armes de Jsus c'est notre forfaiture,
- Les clous et le marteau, la robe sans couture,
- L'homme, l'ange et la bte et la double nature;
-
- Les armes de Satan c'est la jobarderie,
- C'est le scientificisme et c'est l'artisterie,
- C'est le laboratoire et la flagornerie;
-
- Les armes de Satan c'est notre forfaiture,
- C'est d'avoir dispers la robe sans couture,
- C'est la bte sous l'ange et la double nature;
-
- Les armes de Satan c'est la bouffonnerie,
- Et c'est le moraliste et son infirmerie,
- Et la haute loquence et sa ptisserie;
-
- Les armes de Jsus c'est la peine de l'homme,
- C'est le chemin qui mne et qui ramne Rome,
- C'est la main qui le frappe et le poing qui l'assomme;
-
- Les armes de Satan c'est la parfumerie
- De l'crivain disert et c'est la sucrerie
- De l'crivain amer et c'est la pruderie,
-
- La blette aridit de la vieille dvote,
- C'est l'me en confiture et la poire en compote,
- Et le raisin coti moisissant dans la hotte;
-
- Les armes de Satan c'est le clou dans la botte,
- La nef sans nautonnier, la flotte sans pilote,
- Le carcan, le garrot, l'entrave, la menotte;
-
- Les armes de Satan c'est quelque jonglerie,
- C'est le loup dans la ferme et dans la bergerie,
- C'est le renard feutr dans la poulaillerie;
-
- Les armes de Jsus c'est l'amour et la peine,
- Les armes de Satan c'est l'envie et la haine,
- Et la guerre est aux mains de toute chtelaine;
-
- Les armes de Satan c'est quelque forgerie,
- Un document secret dans quelque htellerie,
- Les armes de Satan c'est toute diablerie;
-
- Les armes de Jsus c'est la croix de Lorraine,
- Et le sang dans l'artre et le sang dans la veine,
- Et la source de grce et la claire fontaine;
-
- Les armes de Satan c'est la croix de Lorraine,
- Et c'est la mme artre et c'est la mme veine
- Et c'est le mme sang et la trouble fontaine;
-
- Les armes de Jsus c'est l'esclave et la reine
- Et toute compagnie avec son capitaine
- Et le double destin et la dtresse humaine;
-
- Les armes de Satan c'est l'esclave et la reine
- Et toute compagnie avec son capitaine
- Et le mme destin et la mme dveine;
-
- Les armes de Jsus c'est la mort et la vie,
- C'est la rugueuse route incessamment gravie,
- C'est l'me jusqu'au ciel insolemment ravie;
-
- Les armes de Satan c'est la vie et la mort,
- Le dsir et la femme et les ds et le sort
- Et le droit du plus dur et le droit du plus fort;
-
- Les armes de Jsus c'est la mort et la vie,
- C'est le glaive de Dieu qui hsite et dvie,
- C'est la fidle route obscurment suivie;
-
- Les armes de Satan c'est la vie et la mort,
- C'est l'cueil immobile en plein milieu du port,
- C'est la peine immuable en plein milieu du sort;
-
- Les armes de Jsus c'est la vie et la mort,
- C'est un heureux naufrage en plein milieu du port,
- C'est le plus beau prsage en plein milieu du sort;
-
- Les armes de Satan c'est la vie et la mort,
- C'est le pril de mer, c'est l'homme dans son tort,
- Le voleur aux aguets, le tyran dans son fort;
-
- Les armes de Jsus c'est la vie et la mort,
- C'est Dieu dans sa justice et Satan dans son tort,
- La beaut du plus pur, le juste dans son fort;
-
- Les armes de Jsus c'est la vie et la mort,
- C'est l'enfant et la femme et le secret du sort,
- Le navire acoufl dans le recreux du port;
-
- Les armes de Satan c'est l'homme qui dvie,
- C'est les deux poings lis et c'est l'me asservie,
- C'est la vengeance inlassablement poursuivie;
-
- Les armes de Jsus ce sont les deux mains jointes,
- Et l'pine et la rose et les clous et les pointes,
- Et sur le lit de mort les pauvres mes ointes;
-
- C'est le choeur altern des martyrs et des saintes,
- C'est le choeur conjugu des sanglots et des plaintes,
- Le temple, les degrs, les pilastres, les plinthes;
-
- Les armes de Satan c'est le vert trbinthe,
- Cet arbre rsineux et c'est la coloquinte,
- Cette citrouille amre et c'est la morne absinthe;
-
- Les armes de Satan c'est les deux poings lis,
- Les armes de Jsus les coeurs humilis,
- Les pauvres genoux, les suppliants plis;
-
- Les armes de Jsus c'est la belle jacinthe
- Pose en un tapis dans une belle enceinte,
- Plus douce que la laine et plus souple et mieux teinte;
-
- Les armes de Jsus c'est la cloche qui tinte
- Pour les sept sacrements, c'est l'ordre et la contrainte,
- Et le dessin fidle de l'image bien peinte;
-
- Les armes de Satan c'est la cloche qui tinte
- Pour le feu de l'enfer, c'est la ville contrainte
- A passer par le sort, c'est toute me repeinte
-
- Avec un faux pinceau, c'est toute rgle enfreinte
- Au nom de quelque rgle et toute foi restreinte
- Au nom de quelque matre et toute ville ceinte
-
- D'un rempart frauduleux et toute fleur dteinte
- A force de pleuvoir et toute flamme teinte
- A force de brler, toute infortune atteinte
-
- Au seuil de toute mort et la morne complainte
- Au long de toute vie et l'phmre empreinte
- De nos pas sur le sable et la mortelle treinte
-
- Des deux amants impurs: le corps, l'me contrainte;
- Les armes de Satan c'est la ruse et la feinte,
- L'pouvante, l'envie et la graisse qui suinte,
-
- Et le double concert des asthmes et des quintes,
- Et les coeurs compliqus et les soins et les craintes
- Et les coeurs contourns comme des labyrinthes;
-
- Les armes de Jsus c'est l'ternelle empreinte
- De ses pas sur le sable et l'immortelle treinte
- Des deux poux trs purs: le corps et l'me astreinte;
-
- Les armes de Jsus c'est la faim assouvie,
- C'est le corps glorieux, ce n'est pas la survie,
- C'est l'ternelle table abondamment servie;
-
- Satan c'est la vengeance elle-mme assouvie,
- Les armes de Satan c'est une horlogerie,
- Un chef-d'oeuvre d'adresse et de serrurerie;
-
- Mais la clef c'est Jsus et Jsus est la porte,
- Et la porte du ciel ne se prend qu' main forte,
- Et tous les serruriers resteront la porte;
-
- Les armes de Jsus c'est cette grande escorte
- Que Rome lui prta, c'est la rude cohorte
- Qui lui faisait honneur et c'est la croix qu'il porte;
-
- Les armes de Satan sont de la mme sorte,
- Car c'est la mme Rome et c'est la mme escorte
- Et la mme cohorte et la mme mer Morte;
-
- Les armes de Jsus c'est qu'il nous rconforte
- En notre dconfort et c'est qu'il nous reporte
- Au premier paradis et c'est qu'il nous apporte
-
- Le pardon de son pre et c'est qu'il nous emporte
- Au dernier paradis et c'est qu'il nous dporte
- De l'exil du pch vers ce qui seul importe
-
- Et c'est notre salut et c'est qu'il nous transporte
- Au royaume de grce et c'est qu'il nous supporte,
- Nous et notre pch cette immense mainmorte
-
- Qu'il porte sur l'paule et c'est qu'il nous exhorte
- Par son silence mme et qu'il frappe la porte
- Et que l'homme est au vent comme la feuille morte;
-
- Les armes de Satan c'est la mme mainmorte,
- Le mme dsarroi, c'est qu'il nous dconforte
- En notre rconfort et c'est qu'il nous reporte
-
- Au pch d'origine et c'est qu'il nous rapporte
- Le mpris du pardon et c'est qu'il nous remporte
- A la science du mal et qu'il nous redporte
-
- Vers la terre du bagne et qu'il nous retransporte
- Au tnbreux royaume o lui-mme supporte
- Le poids de tout un monde et c'est qu'il nous exhorte
-
- Par les beaux compliments et qu'il gratte la porte,
- Et que l'homme est lger comme la feuille morte
- Et comme elle pourrit sous les pieds du cloporte;
-
- Les armes de Jsus c'est la vie et la mort,
- C'est un solide ancrage au beau milieu du port,
- Et c'est le grand partage au beau milieu du sort;
-
- Les armes de Jsus c'est la vie et la mort,
- C'est un heureux mouillage en plein milieu du port,
- C'est le grand hritage en plein milieu du sort;
-
- Les armes de Jsus c'est la vie et la mort,
- C'est le bon voisinage en plein milieu du port
- Et le plerinage en plein milieu du sort;
-
- Les armes de Jsus c'est la vie et la mort,
- C'est le compagnonnage en plein milieu du port,
- Et c'est l'appareillage en plein milieu du sort:
-
- Les armes de Satan ce sont les sept pchs,
- Et la minauderie avec les airs penchs,
- Et les honteux ressorts savamment dclanchs;
-
- Les armes de Jsus ce sont les trois Vertus,
- Et les torses courbs et les reins courbatus,
- Et les galriens battus et rebattus;
-
- Les armes de Satan c'est la mthode torte,
- Le sang de l'oreillette et le sang de l'aorte,
- Le sang du ventricule et de la veine porte;
-
- Les armes de Jsus c'est tout le sang du coeur,
- Le sang de la victime et le sang du vainqueur,
- Le sang du noble cerf et le sang du piqueur;
-
- Les armes de Satan ce sont les sept pchs
- Embarqus quatre quatre et mollement couchs
- Dans la folle galre aux dais empanachs;
-
- Les armes de Jsus c'est la barque de Pierre,
- Qui toujours fluctuante et toujours batelire,
- Racle de ses filets le fond de la rivire;
-
- Les armes de Jsus c'est la barque de Pierre,
- C'est le vieux pcheur d'homme assis sur son derrire,
- Dpeuplant l'Ocan, le lac et la rivire;
-
- Les armes de Jsus c'est les sept sacrements
- Dans la barque de Pierre et les sept btiments
- Qui suivent par derrire et les sept monuments
-
- Qui ne priront point, les sept couronnements,
- Qui sont les sept douleurs, les sept fleuronnements
- De l'arbre de la grce et les sept firmaments;
-
- Les armes de Jsus c'est cette unique nef,
- Gouvernant au plus prs sous cet unique chef,
- Toujours en plein pril et toujours sans mchef;
-
- Les armes de Jsus c'est cet unique fief,
- Tenu par un seul homme arm de quelque bref,
- Toujours en plein pril et toujours sans grief;
-
- Les armes de Jsus c'est l'ternelle peine
- Assise au creux du lit de toute race humaine
- Et la mort est aux mains de toute chtelaine;
-
- Les armes de Jsus c'est la grande semaine
- Qui part du lundi saint, c'est la grande neuvaine
- Qui part du trois janvier et c'est la barque pleine
-
- Les armes de Jsus c'est cette unique nef,
- Le bateau vers l'cluse amarr dans le bief,
- Le bateau charpent par le vieux saint Joseph;
-
- Mais c'est aussi Jacob et le premier Joseph,
- Mose sur le Nil dans une troite nef,
- Et le peuple de Dieu gouvern derechef;
-
- Les armes de Jsus c'est le sang de sa veine
- Et le sang de son coeur, les sanglots de sa peine
- Et l'immense sanglot de toute race humaine;
-
- Les armes de Satan c'est la sourde gangrne
- Et l'obscur mal de tte et la lourde migraine
- Et l'orgueil et l'ivraie et la mauvaise graine;
-
- Les armes de Jsus c'est la double prire,
- L'une marchant devant, l'autre marchant derrire,
- Comme lui matinale et vers lui journalire;
-
- Les armes de Jsus c'est la double prire,
- L'une arrivant devant, l'autre avanant derrire,
- Comme lui vesprale et vers lui journalire;
-
- C'est aussi le secret, la prire nocturne,
- L'immuable regret dans un coeur taciturne,
- Et la mort de l'amour et la cendre dans l'urne;
-
- Les armes de Jsus c'est l'anglus du soir
- Et celui du matin, le calme reposoir
- Dans la procession, l'clatant ostensoir
-
- Balanc sur les fronts comme un soleil ardent;
- Les armes de Satan c'est la griffe et la dent,
- Le nez mal retrouss, le regard impudent
-
- Les armes de Jsus c'est le calme du soir,
- C'est la procession assise au reposoir.
- De feuilles et de fleurs, c'est le lourd ostensoir
-
- Lev dessus les fronts comme un soleil levant,
- Les armes de Jsus c'est la pluie et le vent
- Qui souffle sur la nef et c'est le coeur fervent;
-
- C'est le fruit qui mrit aux planches du dressoir,
- C'est l'enfant qui se couche et qui vous dit bonsoir,
- Et s'endort en priant, c'est le lourd ostensoir
-
- Hauss dessus les fronts comme un soleil couchant,
- C'est le souple vallon, c'est le coteau penchant,
- L'glise dans la plaine et la prose et le chant;
-
- C'est la grappe giclant sous l'norme pressoir,
- C'est l'tang rpandu dessus le dversoir,
- C'est l'encens balanc dans le lourd encensoir;
-
- Les armes de Satan c'est l'cu trbuchant,
- Le propos allchant, le souffle desschant,
- La plaine sans glise et l'ortie et le champ;
-
- Les armes de Jsus c'est l'cuyer tranchant,
- Le bon et le mchant, le beau vaisseau marchand,
- L'glise sur la plaine et l'homme sur le champ;
-
- Les armes de Jsus, c'est la belle marraine
- Et c'est le beau baptme et c'est la belle trenne
- Et l'avoine et le seigle et c'est la bonne graine
-
- Et c'est le seneon et c'est les sept pchs
- Par la contrition et les noeuds relchs
- Du filet de Satan et les cordons tranchs;
-
- Les armes de Satan c'est les sept dbauchs,
- Et c'est le prince-vque et les sept vchs,
- Et les tentations courant sur les marchs;
-
- Les armes de Jsus c'est sept cents vchs,
- Et c'est le pape-vque et cent archevchs,
- Et l'esclave et l'enfant vendus sur les marchs;
-
- Les armes de Jsus c'est sa tte penche;
- Son coude, son genou, son paule corche,
- Son estomac, ses reins, sa hanche dmanche;
-
- Sa barbe, ses cheveux, ses habits arrachs,
- Sa poitrine, ses bras, ses poignets attachs,
- Les plus savants ressorts l'instant dcrochs;
-
- C'est dans le vieux Paris la foule endimanche
- Le dimanche matin, c'est la soif tanche
- Au calice d'or pur, la pauvresse penche
-
- Sur une plus pauvresse et c'est l'amour cache
- Dans l'me la plus pauvre et la douleur couche
- Dans le lit de tout homme et toute orge fauche;
-
- Les armes de Jsus c'est toute onde panche
- Dans un gosier de fivre et toute me bauche
- Au coin de toute lvre et toute fleur jonche
-
- Au pied des pieds saignants et toute arme brche
- A force de servir et la tige branche
- A force de produire et la paille hache;
-
- Les armes de Jsus c'est l'amour et la peine,
- Et l'amour est aux mains des suppts de la haine,
- Et la mort est aux mains de toute chtelaine;
-
- Les armes de Jsus c'est la vie et la mort,
- C'est le fleuve fcond, c'est l'ternel apport
- De vase et de limon en plein milieu du port;
-
- Les armes de Jsus c'est ce gamin qui dort,
- C'est la honte et la peine et son frre le sort,
- Et l'amour est aux mains des suppts de la mort;
-
- Les armes de Satan c'est la sensiblerie,
- C'est censment le droit, l'humanitairerie,
- Et c'est la fourberie et c'est la ladrerie;
-
- Les armes de Satan c'est la bte lche,
- Le dshonneur gratuit, la honte remche,
- Le troupeau mal conduit, la terre mal bche;
-
- Les armes de Satan c'est le membre arrach,
- Le bourgeon retranch, le rameau dtach,
- Le boeuf aiguillonn, le cheval cravach;
-
- Les armes de Jsus c'est la haute terrasse
- D'o retombe en jet d'eau la source de la grce,
- Et la vasque au flanc grave et le sang de la race;
-
- Les armes de Satan c'est la basse menace
- Aux coins de toute lvre et la gluante trace
- Que laisse sur la fleur la visqueuse limace;
-
- Les armes de Satan c'est un esprit pointu,
- C'est le corps en lambeaux, c'est le coeur combattu,
- Le bourreau mal pay, le procs dbattu;
-
- Les armes de Jsus c'est le coeur combattu,
- C'est le corps tout entier et la mme vertu
- Et la grappe crase et le froment battu;
-
- Les armes de Jsus c'est le grain sous la meule,
- Le raisin sous la presse et l'oiseau dans la gueule,
- Et le fils dans le pre et l'enfant dans l'aeule;
-
- Mais Satan le regarde et ce vil vermisseau
- A jur d'touffer sous l'ombre et le boisseau
- La lumire et la lampe et la plaine Monceau;
-
- Les armes de Satan c'est une gagerie,
- C'est sa forfanterie et son effronterie.
- Et c'est le philologue et sa quincaillerie;
-
- Les armes de Satan c'est notre servitude,
- C'est notre hbtement, notre longue habitude
- Et la nuit et la veille et la lampe et l'tude;
-
- Les armes de Jsus c'est la batitude
- Et c'est la parabole et la mansutude
- Et c'est quand il pleura sur cette multitude;
-
- Les armes de Satan c'est notre quitude
- Et c'est le thorme et c'est la certitude,
- Le pouvoir, le savoir et la dcrpitude;
-
- Les armes de Jsus c'est le tranchant du sort,
- C'est ce point sur le glaive o la vie et la mort
- Djouent le corps et l'me en plein milieu du port;
-
- Les armes de Jsus c'est notre inquitude,
- L'axiome, la rgle et notre incertitude,
- Le devoir, le pouvoir et la vicissitude;
-
- Les armes de Jsus c'est notre servitude,
- C'est toute solitude et toute plnitude,
- Et notre turpitude et notre lassitude;
-
- Les armes de Satan c'est la criaillerie,
- Le vote, le mandat et la suffragerie,
- Et l'avocasserie et la haranguerie;
-
- Les armes de Jsus c'est sa sollicitude,
- Et notre ingratitude et son exactitude,
- Et la similitude et toute rectitude;
-
- Les armes de Satan c'est pure vanterie,
- C'est du vieux bric brac, de l'antiquaillerie,
- Du fabriqu, du faux, de la ferronnerie;
-
- Les armes de Satan c'est le fruit dfendu,
- C'est le meurtre d'Abel, c'est le sang rpandu,
- C'est Judas dpendu, c'est Judas rependu;
-
- Les armes de Satan c'est le filet tendu,
- C'est le propos douteux et le sous-entendu,
- Et toute controverse et tout malentendu;
-
- Les armes de Satan c'est Jsus-Christ vendu,
- C'est les trente deniers, c'est Joseph descendu
- Au fond de la citerne et captif revendu;
-
- Les armes de Satan c'est la race perdue,
- C'est le lacet tress, c'est la corde tordue,
- Toute chair assaillie de toute chair mordue;
-
- Les armes de Satan c'est tout le rsidu
- Et la lie et l'cume et c'est l'individu
- Et c'est le commentaire et le compte rendu;
-
- Les armes de Satan c'est toute dette due
- Irrmissiblement, la honte suspendue,
- Et par son gouverneur toute ville rendue;
-
- Les armes de Jsus c'est Satan confondu,
- Tout foss rempar, tout rempart dfendu,
- Tout terrain regagn sur le terrain perdu;
-
- Et la dette remise et la dette rendue
- Par le frre son frre et la brebis perdue
- Et toute me assaillie et toute me mordue;
-
- Les armes de Jsus c'est la nuit rpandue
- Pour le repos de l'homme et la ferme vendue
- Pour payer les impts et la brebis tondue;
-
- Les armes de Jsus c'est la neige fondue
- Au soleil du printemps, la hache suspendue
- Au jour du jugement et c'est l'me perdue
-
- De son indignit, c'est la grande tendue
- Et l'arbre de Nol et la bche fendue
- Et c'est depuis Adam la nouvelle attendue;
-
- Les armes de Jsus c'est la bonne aventure,
- Et c'est le Crateur crant la crature,
- Et le sceau du Seigneur mettant la signature;
-
- Les armes de Satan c'est la caricature
- Et la contrefaon de toute signature
- Et l'homme jugeant l'homme et la magistrature
-
- Assise au tribunal, c'est la lettre surie,
- La littralit morne et dj pourrie,
- Les armes de Satan c'est la chancellerie;
-
- Les armes de Satan c'est la plaisanterie,
- Cette sauce tourne et c'est l'htellerie
- Pour les mauvais passants et c'est l'ivrognerie
-
- Les coudes sur la table et la clabauderie
- Et la ribauderie et la maussaderie
- Et la badauderie et la nigauderie;
-
- Les armes de Jsus c'est la charpenterie,
- L'tabli, la varlope et la menuiserie,
- La scie et le rabot et l'bnisterie,
-
- Le denier de la veuve et le bon ouvrier;
- Les armes de Satan c'est le vil usurier,
- L'armurier, le guerrier, le manufacturier;
-
- Les armes de Satan c'est la truanderie,
- Le mauvais compagnon, la camaraderie,
- Le mauvais camarade et la cafarderie
-
- Et le mauvais garon; c'est le regard oblique
- Jet sur le voisin, le peuple famlique
- Sous la bombance norme et pantagrulique;
-
- Les armes de Jsus c'est la foi catholique
- Enchsse prix d'or, la ronde basilique,
- Et c'est la paix publique et la sainte relique;
-
- Les armes de Satan c'est tout ce qui complique
- La trs simple existence et c'est quand il implique
- L'innocent dans le crime et dans le diabolique;
-
- Les armes de Jsus c'est le cdre biblique,
- La salutation, la ferveur anglique,
- L'annonciation de l're vanglique;
-
- Les armes de Satan c'est sa ruse et sa clique
- Et sa claque sournoise et mphistophlique,
- Et sa noise en sourdine et machiavlique;
-
- Les armes de Jsus c'est le lger caque
- De Pierre sur le lac, c'est l'archange archaque
- Fermant le paradis, c'est la foi judaque.
-
- Et la premire loi, c'est la race hbraque
- Et le tronc d'Isral, et c'est la mosaque
- De la vertu des clercs, de la vertu laque;
-
- Les armes de Jsus c'est la loi mosaque,
- Les dix commandements au peuple liturgique,
- Et qu'il n'a point rays de Rome apostolique;
-
- Les armes de Jsus c'est la mort hroque
- Du martyr dans l'arne et la douceur stoque
- Du saint et c'est aussi la vertu prosaque;
-
- Les armes de Satan c'est la courbe saque,
- Souple vaisseau de charge et c'est l'art chaldaque
- Et la vertu du riche et du pharisaque;
-
- Et c'est l'aigre rplique et le somnambulique,
- Et le cyrnaque et l'aristotlique,
- Et le pire de tout c'est bien quand il explique;
-
- Les armes de Jsus c'est l'ardente supplique
- Du pauvre au gouverneur, c'est le parabolique,
- Et c'est les huit bonheurs sous Rome apostolique,
-
- Et c'est le roi de France et c'est la rpublique
- Et c'est le bref du pape et la lourde encyclique
- Parmi les deuils privs et la vertu publique;
-
- Les armes de Satan c'est le vil publicain,
- Le percepteur de Rome et le fieff coquin
- Qui berne l'honnte homme et qui fait le faquin;
-
- L'avare pager, le servile sequin,
- L'infidle berger, le manteau d'Arlequin
- De vice et de vertu, le grossier mannequin
-
- Qui fait peur aux moineaux, le rude casaquin
- Sur l'armure de guerre et le lourd troussequin
- Sur le cheval de guerre et l'ennuyeux pasquin;
-
- Les armes de Jsus c'est le Samaritain,
- Le bless recueilli, le pauvre franciscain,
- Les armes de Jsus c'est le rpublicain;
-
- Les armes de Satan c'est le faux symbolique,
- La pierre en comprim, le marbre en majolique,
- (La pierre de Jsus, c'est le pur pentlique);
-
- Les armes de Satan c'est toute hyperbolique,
- Le masque de Satan c'est toute bucolique
- Modulant sous le htre une pure idyllique;
-
- Les armes de tous deux c'est le mlancolique,
- Soit qu'il soit descendu du vieux cdre biblique,
- Soit qu'il soit remont de jeune rpublique;
-
- Les armes de Satan c'est toute idoltrie,
- Tout rassortiment, toute repltrerie,
- Tout fatras, tout raccord, toute foltrerie;
-
- Les armes de Jsus c'est culte de doulie
- Ou d'asservissement, c'est culte de latrie
- Ou d'adoration, c'est culte de patrie
-
- Ou de terre natale; et dmonoltrie
- Retourne vers Satan avec zooltrie,
- Avec psychitrie, avec chimitrie,
-
- Avec l'ergot du seigle et les autres caries,
- Et les phylloxras et les vignes fltries,
- Et les puits desschs et les races taries;
-
- Les armes de Jsus c'est la pauvre monture,
- L'non de cette nesse et c'est la courbature
- De ses reins btonns et c'est la spulture
-
- Dans un caveau prt, c'est l'agneau sans pture,
- C'est la barque de Pierre errante et sans mture,
- Et le prteur de Rome et c'est la prfecture
-
- Et le prfet de Rome et cette humble toiture,
- Ce chaume au ras du sol et l'unique voiture
- Avec un seul cheval et la vieille clture
-
- En mauvais fil de fer et la progniture
- Attendant sous la lampe une humble nourriture,
- Esprant vaguement un pot de confiture;
-
- Les armes de Satan c'est cette dictature
- De ces sept qui sont sept sur la mme monture,
- Sur un cheval pourri tenus par la ceinture;
-
- Les armes de Jsus c'est la sainte criture
- Depuis le premier livre et c'est toute droiture
- Depuis le premier pas et c'est toute armature
-
- Tenant son homme roide et c'est toute ossature
- Tenant son homme ferme et toute architecture
- Tenant la maison pleine et basse de stature;
-
- Les armes de Satan c'est le mauvais docteur,
- (Mais en est-il de bons?), c'est le mauvais acteur
- Qui joue contre sens et le mauvais lecteur
-
- Qui lit contre texte et c'est le dtracteur
- Qui dtracte et dtraque et le simple lecteur
- Qui rtracte et qui vote et le morne inspecteur
-
- Qui regarde et surveille et le dur directeur
- Qui regarde et gouverne et le lourd protecteur
- Qui regarde et qui pse et qui fait le recteur;
-
- Les armes de Satan c'est le contradicteur
- Qui dit d'abord: Mais non, c'est l'antique licteur
- Et l'antique faisceau, c'est Satan destructeur;
-
- Les armes de Satan c'est Satan constructeur
- Du satan parvis, c'est Satan conducteur
- De l'homme vers sa perte et Satan rdacteur
-
- De la fausse nouvelle et c'est tout abstracteur
- De la cinquime essence et tout contrefacteur
- Qui sera poursuivi, c'est Satan collecteur
-
- D'impts pour son tat, c'est Satan correcteur
- Dans son mauvais journal, et tratre traducteur
- Dans son mauvais patois, et fourbe producteur
-
- De produits frelats, brillant introducteur
- Au royaume d'enfer, dcevant instructeur
- De mauvaise recrue et sinistre amateur
-
- D'art pour ses collections et savant armateur
- De naufrage et superbe et docile imposteur,
- Les armes de Satan c'est Satan sducteur;
-
- Les armes de Satan c'est la svre cotte
- De maille et c'est aussi le regard qui clignotte
- Sous la lourde visire et sous la bourguignotte;
-
- Les armes de Jsus c'est la race future,
- C'est le riche missel, c'est la miniature,
- Et le ciel et l'enfer et la terre en peinture;
-
- Les armes de Satan c'est la msaventure,
- Le tratre couronn, la mauvaise lecture,
- Les armes de Satan c'est la littrature;
-
- Les armes de Jsus c'est noblesse et roture
- gales vers sa face et la belle sculpture
- Au portail de l'glise et la fine moulure;
-
- Les armes de Jsus c'est la riche tenture
- Devant le tabernacle et la rouge teinture
- De la robe du prtre et des croix de torture;
-
- Les armes de Satan c'est toute conjecture
- Maraudant sur le texte et c'est toute imposture,
- Toute note au crayon, toute maculature;
-
- Et c'est toute leon qui n'est pas la lecture,
- Et c'est toute faon qui n'est pas la facture,
- Et c'est toute moisson qui n'est pas drue et dure;
-
- Et c'est toute prison qui n'est pas la capture,
- Et toute liaison qui n'est pas la rupture,
- Toute cendre, tout feu qui n'est pas feu qui dure;
-
- Les armes de Satan c'est la dsinvolture,
- C'est la fausse lgance et toute conjoncture
- O l'homme droit est mis en oblique posture;
-
- Les armes de Satan c'est la fausse culture
- Qui sme le chiendent et c'est la couverture
- Vole au vieux cheval et c'est toute ouverture
-
- Que l'on n'a pas ouvert et toute fermeture
- Que l'on n'a pas ferme et toute quadrature
- Que l'on n'a pas quarre et c'est toute arcature
-
- Que l'on n'a pas arque et c'est toute rature
- Au milieu de la page et toute ligature
- Qui n'est pas pour la greffe et toute horticulture
-
- Qui n'est pas pour la fleur, toute arboriculture
- Qui n'est pas pour le fruit, toute viticulture
- Qui n'est pas pour le vin, c'est toute agriculture
-
- Qui n'est pas pour le bl, c'est toute apiculture
- Qui n'est pas pour le miel, toute sylviculture
- Qui n'est pas pour le bois et c'est toute bouture
-
- Qui n'a pas pris racine et c'est toute mouture
- Qui n'est pas du moulin et toute portraiture
- Qui n'est pas le modle et toute investiture
-
- Qui ne vient pas de Dieu, c'est le point de suture
- Quand il est mal cousu, c'est la judicature
- De l'homme sur un homme et la candidature
-
- Assise en robe blanche au seuil de la prture;
- Les armes de Satan c'est la nomenclature
- Et le dnombrement, c'est toute fourniture
-
- Qui n'est pas bon poids, c'est la belle denture
- Des btes dans l'arne et c'est la devanture
- Qui masque la maison et c'est toute jointure
-
- Qui s'articule mal et c'est toute fracture
- Qui ne se rduit pas, c'est toute contracture
- Qui ne se rsoud pas et c'est toute structure
-
- Qui n'est pas organique et c'est toute questure
- O l'on est candidat et c'est toute texture
- Qui n'est pas de bon fil et c'est toute mixture
-
- Qui n'est pas du bon vin et c'est toute mouture
- Qui n'est pas du bon pain et c'est toute pture
- Qui n'est pas du bon grain et c'est toute clture
-
- Qui n'est pas de bon bois et c'est toute questure
- Qui requiert faux poids, frappe fausse mesure,
- Paie fausse monnaie et prte avec usure;
-
- Les armes de Jsus c'est la lgislature
- Des dix commandements et c'est la tablature
- Des tables de la loi, c'est la nonciature
-
- Quand le nonce est du pape et la judicature
- Quand le juge craint Dieu, c'est la magistrature
- Quand elle est magistrale et la clricature
-
- Quand le clerc est prudhomme et c'est la prlature
- Quand l'vque est Aignan ou saint Bonaventure
- Ou saint Cme ou saint Loup, la sacrificature
-
- Quand c'est lui la victime et c'est toute vture
- Qui vt l'me et le corps et c'est toute tonture
- Qui n'corchera pas la faible crature;
-
- Les armes de Jsus c'est la belle paroisse
- Assise au coeur de France et c'est la noble angoisse
- Du cur soucieux que son troupeau recroisse;
-
- Les armes de Jsus c'est la belle provende
- parse au rtelier, c'est le thym, la lavande,
- Et la rose et l'oeillet et la souple guirlande;
-
- Les arme de Jsus c'est le bon voisinage
- Entre les pauvres gens, c'est le pauvre village
- Et l'glise au milieu, c'est le compagnonnage
-
- Entre bons compagnons, c'est le plerinage
- Entre bons plerins, c'est le pauvre mnage
- Entre l'homme et la femme et le long mariage;
-
- Les armes de Jsus c'est les enfants bien sages
- Assis au coin du feu, c'est les belles images
- Qu'on voit sur les vitraux et c'est les trois rois mages;
-
- Les armes de Satan c'est les magiciens
- Et la magicerie et les faux entretiens
- Et les libres discours au conseil des anciens;
-
- Les armes de Jsus c'est la pauvre famille,
- Les frres et la soeur, les garons et la fille,
- Le fuseau lourd de laine et la savante aiguille;
-
- Les armes de Jsus c'est tous les coeurs paens:
- Pourvu qu'on les baptise et les rende chrtiens,
- Il en fait les plus purs de tous ses paroissiens;
-
- Les armes de Jsus c'est tous les plbiens:
- A moins qu'on les courtise et les rende vauriens,
- Il en fait les plus durs de ses fermes soutiens;
-
- Les armes de Jsus c'est les bons citoyens:
- Quand la grce les prend par ses secrets moyens,
- Il en fait les plus srs de ses curs doyens;
-
- Les armes de Jsus c'est la docilit,
- C'est la foi, l'esprance et c'est la charit,
- C'est la femme et l'enfant et la fidlit;
-
- Les armes de Jsus c'est la fragilit,
- C'est la vertu civique et c'est la libert,
- C'est la femme et l'enfant et c'est la pauvret;
-
- Les armes de Jsus c'est la simplicit,
- C'est la paix ternelle et c'est dans la cit
- Tout un fleuve de grce et d'efficacit;
-
- Les armes de Jsus c'est la ncessit
- Du travail et du pain et c'est dans la cit
- Tout un fleuve de grce et de flicit;
-
- Les armes de Jsus c'est la sagacit,
- Le pardon de l'offense et c'est dans la cit
- Tout un fleuve de grce et de vivacit;
-
- Les armes de Jsus c'est la mendicit
- Du dernier misrable et c'est dans la cit
- Tout un fleuve de grce et de tnacit;
-
- Les armes de Satan c'est le chemin tortu,
- Le sentier drob, le cheval abattu
- Les quatre fers en l'air, et le mulet ttu;
-
- Les armes de Satan c'est la fausse tendresse
- Couche au lit de l'homme et la molle paresse
- Qui dort le long du jour et se dsintresse
-
- Du pauvre et de l'enfant et c'est la charmeresse
- Avec ses mots savants et la devineresse
- Et sa vieille grimace et c'est l'enchanteresse
-
- Avec ses vieux onguents et c'est la scheresse
- Du coeur et c'est la vraie et c'est la fausse adresse
- De l'homme trs malin; c'est l'homme qui transgresse
-
- Les vieilles lois de l'homme et c'est l'homme qui tresse
- Le chanvre du gibet et l'homme qui progresse.
- Les armes de Satan c'est l'homme qui s'engraisse
-
- Du sang du malheureux, le serpent qui redresse
- La tte et c'est aussi le vigneron qui presse
- La grappe et fait jaillir le vin doux et l'ivresse;
-
- Les armes de Jsus c'est toute forteresse
- Qui tient et c'est la noble et la pure caresse
- De la mre l'enfant et c'est la maladresse
-
- De l'homme pas malin et la sourde tendresse
- De la mre la fille afin que reparaisse
- En cette enfant naissante une mme tendresse
-
- Et dans le temps futur une mme caresse
- Et ce mme regard et cette mme tresse
- Blonde qui fleurira, cette mme dtresse
-
- Qui sera console, et cette me pauvresse
- Et dans le dernier temps une mme allgresse;
- Les armes de Jsus c'est l'homme qui s'adresse
-
- Directement Dieu, c'est l'homme qui s'adresse
- A quelque saint patron, c'est l'homme qui se dresse
- Contre l'iniquit, c'est l'homme qui s'empresse
-
- A panser le bless, c'est la frache compresse
- Sur la cuisante plaie et l'homme qui s'engraisse
- De sanglots et de pleurs, de peine et de dtresse,
-
- Et d'un regret plus beau que la mme tendresse,
- Et l'arme aux mains de l'ange ardente et vengeresse
- Au seuil du paradis afin que comparaisse
-
- L'me toujours chasse et toujours chasseresse,
- L'me toujours esclave et ensemble matresse,
- L'me toujours enfant et toujours pcheresse;
-
- Les armes de Jsus c'est la lettre et l'esprit,
- Mais c'est l'esprit qui mne et l'esprit qui nourrit,
- Et la lettre n'est l que comme un mot d'crit;
-
- Les armes de Jsus c'est la lettre et l'esprit,
- C'est le pre qui gronde et l'enfant qui sourit,
- C'est le Pre et le Fils et c'est le Saint-Esprit;
-
- La lettre est ce qui tue et l'esprit vivifie,
- Et la lettre est la mort et l'esprit est la vie,
- Et la lettre est l'orgueil et la lettre est l'envie;
-
- C'est l'esprit qui commande et la lettre qui sert,
- C'est l'esprit qui demande et la lettre qui perd
- Et c'est l'esprit qui sauve et prche en plein dsert;
-
- C'est l'esprit qui gouverne et l'esprit qui conduit
- L'homme vers un seul point et la lettre qui suit
- Vers la lampe de l'ogre et c'est l'esprit qui cuit
-
- Le pain quand il est chaud, c'est l'esprit qui dduit
- Jsus du vieil Adam et derechef induit
- Isral en Jsus que la lettre rduit;
-
- C'est l'esprit qui combat et la lettre qui fuit,
- C'est l'esprit qui travaille et l'esprit qui produit
- La paille, le bon grain, la feuille, le bon fruit;
-
- Et la lettre n'a jamais fait qu'un peu de bruit,
- C'est elle qui sduit et c'est elle qui nuit,
- Et la lettre et l'esprit c'est le jour et la nuit;
-
- Mais l'esprit et la lettre est la nuit et le jour,
- Les armes de Jsus c'est l'honneur et l'amour
- Et le roi dans son camp et le roi dans sa cour;
-
- Les armes de Jsus c'est le feu dans le four,
- La pte et le levain et c'est le pain du jour,
- Et c'est le roi David retir dans sa tour;
-
- Les armes de Jsus c'est tout homme proscrit
- Qui sera rappel, c'est le jeune conscrit
- Qui sera convoqu, c'est le jeune homme inscrit
-
- Sur le livre ternel et c'est le coeur contrit
- Qui sera foment, c'est le billet souscrit
- Qui sera prsent, c'est le bonheur dcrit
-
- Un jour sur la montagne et l'honnte rescrit
- De par le roi du ciel et le pardon prescrit
- Par la nouvelle loi, c'est Dieu mme transcrit
-
- De Mose en Jsus, c'est Satan circonscrit,
- C'est tout ce qu'il fallait pour que Jsus souffrt,
- Les armes de Jsus c'est surtout Jsus-Christ;
-
- C'est tout ce qu'il fallait pour que Jsus ouvrt
- La porte du tombeau, pour que Jsus offrt
- Le premier sacrifice et qu'il rendt l'esprit;
-
- C'est tout ce qu'il fallait pour que Jsus couvrt
- Le pcheur devant Dieu, pour qu'il redcouvrt
- Le chemin du salut et pour qu'il entreprt
-
- De remonter la pente et pour qu'il se reprt
- Et qu'il reprt le monde et pour que l'homme apprt
- Le chemin difficile et pour qu'il dsapprt
-
- La route sans cailloux et pour qu'un jour en Gaule,
- D'autres soldats romains, le manteau sur l'paule,
- Le torse bien moul dans leurs lames de tle,
-
- Chevauchant par la route paisse comme un mle,
- La lance entre les doigts comme on tient une gaule,
- Un jour en plein hiver sous la neige du ple,
-
- Le long des blancs bouleaux, le long du mme saule,
- Voyant un vagabond, quelque chapp de gele,
- Un autre centurion, de ceux que Rome enrle,
-
- Du manteau militaire enfin se dcouvrt;
- C'est tout ce qu'il fallait pour que l'homme s'prt
- Du seul amour qui dure et pour qu'il se dprt
-
- Du seul amour qui passe et pour qu'il se mprt
- Comme il faut se mprendre et qu'alors il comprt
- Tout ce qu'il faut comprendre et qu'alors il en prt
-
- Tout ce qu'il faut en prendre et qu'alors il surprt
- Le secret mal gard, le secret manuscrit
- Qui n'est pas dans la lettre et se cache en esprit;
-
- Les armes de Jsus c'est le chemin fleuri,
- Mais plus que le printemps galamment refleuri,
- C'est le svre automne l'instant dfleuri;
-
- Et la fleur de Marie est la rose fleurie,
- Mais plus que l'humble rose au printemps refleurie,
- C'est la rose d'automne humblement dfleurie;
-
- Les armes de Jsus c'est le vallon fleuri,
- Mais plus que le printemps incessamment fleuri,
- Et plus que le printemps insolemment fleuri,
-
- Et plus que le printemps impudemment fleuri.
- Et plus que le printemps effrontment fleuri,
- C'est le pudique automne jamais dfleuri;
-
- Les armes de Jsus c'est un peuple chri
- Comme un fils qui revient, c'est un mourant guri
- Par son extrme onction, c'est un peuple aguerri
-
- Par une juste guerre et le marin pri
- Au pril de la mer, le navire atterri
- Dans le recreux du port, tout un peuple nourri
-
- De quelques poissons secs, tout un monde nourri
- D'une seule victime et le raisin mri
- Pour le vin du calice et l'autre vin suri
-
- Pour l'ponge et la lance et le vinaigre aigri;
- Les armes de Jsus c'est le levain ptri
- Au milieu de la pte et lui-mme suri;
-
- Les armes de Satan c'est le fleuve tari,
- C'est chez l'quarrisseur le cheval quarri,
- C'est l'enfant affam, c'est le pain renchri;
-
- Les armes de Satan c'est le coeur mal guri
- De la vieille blessure et c'est le coeur tari
- A force de saigner et le coeur mal nourri
-
- A force de jener, c'est tout ce qui tarit,
- C'est tout ce qui prit, tout ce qui dprit,
- Et tout ce qui surit et tout ce qui pourrit;
-
- Les armes de Satan c'est la sve appauvrie,
- C'est le sang rpandu, la branche rabougrie,
- Le rameau dessch, la prude renchrie;
-
- Les armes de Satan c'est tout ce qui fltrit,
- Rapetisse, avilit, injurie, amoindrit,
- C'est tout ce qui mprise et tout ce qui meurtrit;
-
- Les armes de Jsus c'est tout ce qui nourrit,
- C'est tout ce qui boutonne et tout ce qui prit
- Aux jardins de Touraine et tout ce qui mrit;
-
- Les armes de Jsus c'est un coeur tout fleuri,
- Plus que le jeune coeur au printemps refleuri,
- C'est le coeur l'automne jamais dfleuri;
-
- Les armes de Satan c'est la paix et la guerre,
- Les peuples ventrs, les sacrements par terre,
- La honte, la terreur, la rage militaire;
-
- Les armes de Jsus c'est la guerre et la paix,
- Les peuples respects et les derniers harnais
- De guerre suspendus aux frontons des palais;
-
- Les armes de Satan c'est l'horreur de la guerre,
- Les peuples affols, Jsus sur le Calvaire,
- Le sang, le cri de mort, le meurtre volontaire;
-
- Les armes de Jsus c'est l'honneur de la guerre,
- Les peuples rtablis, Jsus sur le Calvaire,
- Le sang, le sacrifice et la mort volontaire;
-
- Pour qu'elle vt venir sous un tel tendard
- De Jsus-Christ soldat contre Satan soudard,
- Vers le vieux saint tienne et le vieux saint Mdard;
-
- Pour qu'elle vt venir par un chemin de terre,
- Comme une jeune enfant qui vient vers sa grand'mre,
- Par les bois de Puteaux, par les champs de Nanterre;
-
- Pour qu'elle vt venir ardente et militaire,
- Obissante et ferme et douce et volontaire,
- Sur Boulogne et Neuilly, sur Puteaux et Nanterre;
-
- Hauturire et docile, alerte et droiturire,
- Et prompte la manoeuvre et peu procdurire,
- Destine prir comme une aventurire;
-
- Bien en selle en avant de sa cavalerie,
- Masquant ses bombardiers et sa bombarderie,
- Tranant comme un rseau sa lourde infanterie;
-
- Ameutant ses tambours qui battaient pour la messe,
- Gourmandant ces brigands qui couraient confesse,
- Dfrente aux trois voix qui scellaient leur promesse;
-
- Ayant mis les soldats au pas sacramentaire,
- Ayant mis les curs au pas rglementaire,
- Et log les Vertus au train rgimentaire;
-
- Bien allante et vaillante et sans tourderie,
- Bien venante et plaisante et sans coquetterie,
- Bien disante et parlante et sans bavarderie;
-
- Rvrant les coffrets sertis de pierrerie
- O les reliefs des saints ouvrs d'orfvrerie
- Reposent sur l'autel et sur la broderie;
-
- Sage comme une aeule en sa tendre jeunesse,
- Cadette ayant conquis le plus beau droit d'anesse,
- Grave et les yeux plus clairs que d'une chanoinesse,
-
- La sainte la plus grande aprs sainte Marie.
-
-
-
-
-NEUVIME JOUR
-
-POUR LE SAMEDI 11 JANVIER 1913
-
-IX
-
-
- Comme Dieu ne fait rien que par compagnonnage,
- Il fallut qu'elle vt ces mauvais compagnons,
- Les Anglais, (les Franais), les tratres Bourguignons
- Dpecer le royaume ainsi qu'un apanage;
-
- Il fallut qu'elle vt ce monstrueux mnage,
- Et les gibets poussant comme des champignons,
- Et le mur et le toit et l'angle des pignons
- Tout dgouttants du meurtre et du sang du carnage;
-
- Il fallut qu'elle vt tout ce maquignonnage,
- Les cadavres tout nus serrs en rangs d'oignons,
- Les blesss mutils trans sur leurs moignons,
- Les morts et les mourants drivant la nage;
-
- Il fallut qu'elle vt cet horrible engrenage
- Happer tout le royaume et ces mauvais garons
- Rouer vif tout un peuple et rtir les moissons,
- Sortis du menu peuple ou du haut baronnage;
-
- Les armes de Jsus c'est la belle marraine
- Et c'est le beau baptme et les belles drages,
- Mais plus que le cortge et que les apoges
- C'est le deuil et la ruine et la honte et la peine;
-
- Il fallut qu'elle vt par ce libertinage
- Dissiper ce trsor d'honneur que nous gagnons,
- Et dserter le Dieu que nous accompagnons,
- Comme on dserte un mort dans un pauvre village;
-
- Il fallut qu'elle vt par ce vagabondage
- Retourner ce pass dont nous nous loignons,
- Il fallut qu'elle vt les maux que nous soignons
- Monter le long de nous comme un chafaudage;
-
- Il fallut qu'elle vt par le faux tmoignage
- Dmentir le propos pour qui nous tmoignons,
- Il fallut qu'elle vt l'urne o nous nous baignons
- S'effondrer par souillure et par dvergondage;
-
- Il fallut qu'elle vt par tout ce maraudage
- Cueillir les fruits moisis et que nous ddaignons,
- Il fallut qu'elle vt la ville o nous rgnons
- Dmantele aux mains de tout ce chapardage;
-
- Il fallut qu'elle vt par tant d'enfantillage
- Avilir cette foi dont nous nous imprgnons,
- Il fallut qu'elle vt le sang dont nous saignons
- Saigner du mme coeur et du mme courage;
-
- Il fallut qu'elle vt par un sot bavardage
- Fltrir le dogme auguste et que nous enseignons,
- Et qu'elle vt tarir la grce o nous baignons,
- Lustrale et baptismale, en un lourd badinage;
-
- Il fallut qu'elle vt par tout ce brigandage
- Commettre les forfaits dont nous nous indignons,
- Et les cus sonnants et que nous alignons
- Fondre au creuset d'orgueil et de faux monnayage;
-
- Il fallut qu'elle vt par tout ce forlignage
- Dgnrer la race o nous nous alignons,
- Et les mots ternels et que nous soulignons
- Tomber dans le silence et dans le persiflage;
-
- Il fallut qu'elle vt par tout ce maquillage
- Fausser la signature o nous contresignons,
- Et le terme et la mort que nous nous assignons
- Approcher tous les jours comme un lointain rivage;
-
- Il fallut qu'elle vt cette jalouse rage
- Assaillir la caserne o nous nous consignons,
- Et la taverne infme et que nous dsignons
- D'un nom injurieux dborder sur la plage;
-
- Il fallut qu'elle vt cette haine sauvage
- Dnaturer le sort o nous nous rsignons,
- Et la ronce et l'ortie o nous gratignons
- Nos mains s'enchevtrer dans le jeune bocage;
-
- Il fallut qu'elle vt au chemin de halage
- Draciner la borne qui nous nous cognons,
- Et qu'elle vt le coin o nous nous rencoignons
- Nous refuser le gte et le pain du voyage;
-
- Il fallut qu'elle vt dans ce commun naufrage
- Sombrer l'arche rompue et que nous empoignons,
- Et qu'elle vt la grande arme o nous grognons,
- (Mais nous marchons toujours), subir cet hivernage;
-
- Il fallut qu'elle vt par un tel sabotage
- Dnaturaliser l'oeuvre o nous besognons.
- Et qu'elle vt l'injure qui nous rpugnons
- Rgner et gouverner sous figure d'outrage;
-
- Il fallut qu'elle vt le long du bastingage
- Prcipiter l'eau l'or que nous pargnons,
- Et qu'elle vt la vergue o nous nous borgnons
- Chanceler et tomber par l'effet du tangage;
-
- Il fallut qu'elle vt dans ce mme hivernage
- S'vanouir de froid l'ardeur que nous feignons,
- Et qu'elle vt la peine o nous nous renfrognons
- S'vanouir de mort dans un beau sarcophage;
-
- Il fallut qu'elle vt dans cet appareillage
- S'avancer la galre o captifs nous geignons,
- Et qu'elle vt la nef lourde o nous nous plaignons
- Gmir dans ses haubans et ses bois d'assemblage;
-
- Il fallut qu'elle vt par un commun partage
- Arriver justement le sort que nous craignons,
- Et la loi qui nous sauve et que nous enfreignons
- Expose prir dans ce mme naufrage;
-
- Il fallut qu'elle vt dans le mme mouillage
- Sombrer le dsespoir que seul nous treignons,
- Et qu'elle vt cet ordre o nous nous astreignons
- Perdre ses bancs de rame et son amarinage;
-
- Il fallut qu'elle vt dans ce commun dommage
- Plier la discipline o nous nous contraignons,
- Et qu'elle vt l'astreinte o nous nous restreignons
- Se dtendre et crever comme un mauvais bordage;
-
- Il fallut qu'elle vt dans le mouvant sillage
- Flotter et s'enfoncer la mort que nous ceignons,
- Et qu'elle vt couler le sang dont nous teignons
- Notre robe lustrale et notre enfantillage;
-
- Il fallut qu'elle vt par un jeu de mirage
- Reculer le but fixe et que nous atteignons,
- Et qu'elle vt le terme o nous nous rejoignons
- Se drober nous en plein atterrissage;
-
- Il fallut qu'elle vt en plein coeur de l'orage
- Brler la chre flamme et que nous teignons
- Et qu'elle vt les maux que nous nous adjoignons
- Se coucher contre nous pour un noble servage;
-
- Il fallt qu'elle vt dans tout ce gribouillage
- Se raidir les devoirs que nous nous enjoignons,
- Et les soucis aigus et dont nous nous poignons
- Nous percer jusqu'au coeur dans tout ce barbouillage:
-
- Pour qu'elle vt venir du fond de la campagne,
- Au milieu de ses clercs, au milieu de ses pages,
- Vers l'arne romaine et la roide montagne,
-
- Tranant les trois Vertus au train des quipages,
- Sa plus fine et plus ferme et plus douce compagne
- Et la plus belle enfant de ses longs patronages.
-
-
-
-
-_la tapisserie
-
-de Notre Dame_
-
-
-_cahier pour le dimanche de la Pentecte
-
-et pour le mois de mai
-
-de la quatorzime srie_
-
-
-au fidle Lotte
-
-et
-
-au _Bulletin des Professeurs catholiques de l'Universit_
-
-
-Prsentation de Paris Notre Dame
-
- toile de la mer voici la lourde nef
- O nous ramons tout nuds sous vos commandements
- Voici notre dtresse et nos dsarmements;
- Voici le quai du Louvre, et l'cluse, et le bief.
-
- Voici notre appareil et voici notre chef.
- C'est un gars de chez nous qui siffle par moments.
- Il n'a pas son pareil pour les gouvernements.
- Il a la tte dure et le geste un peu bref.
-
- Reine qui vous levez sur tous les ocans,
- Vous penserez nous quand nous serons au large.
- Aujourd'hui c'est le jour d'embarquer notre charge.
- Voici l'norme grue et les longs meuglements.
-
- S'il fallait le charger de nos pauvres vertus,
- Ce vaisseau s'en irait vers votre auguste seuil
- Plus creux que la noisette aprs que l'cureuil
- L'a laiss retomber de ses ongles pointus.
-
- Nuls ballots n'entreraient par les panneaux bants,
- Et nous arriverions dans la mer de sargasse
- Tranant cette inutile et grotesque carcasse
- Et les Anglais diraient: Ils n'ont rien mis dedans.
-
- Mais nous saurons l'emplir et nous vous le jurons,
- Il sera plus beau dans cet illustre port.
- La cargaison ira jusque sur le plat-bord.
- Et quand il sera plein nous le couronnerons.
-
- Nous n'y chargerons pas notre pauvre mas,
- Mais de l'or et du bl que nous emporterons.
- Et il tiendra la mer: car nous le chargerons
- Du poids de nos pchs pays par votre fils.
-
-
-Paris vaisseau de charge
-
- Double vaisseau de charge aux deux rives de Seine,
- Vaisseau de pourpre et d'or, de myrrhe et de cinname,
- Vaisseau de bl, de seigle, et de justesse d'me,
- D'humilit, d'orgueil, et de simple verveine;
-
- Nos pres t'ont combl d'une si longue peine,
- Depuis mille et mille ans que tu viens la lame,
- Que nulle cargaison n'est si lourde la rame,
- Et que nul btiment n'a la panse aussi pleine.
-
- Mais nous apporterons un regret si svre,
- Et si nourri d'honneur, et si creus de flamme,
- Que le chef le prendra pour un sac de prire,
-
- Et le fera hisser jusque sous l'oriflamme,
- Navire appareill sous Septime Svre,
- Double vaisseau de charge aux pieds de Notre Dame.
-
-
-Paris double galre
-
- Depuis le Point du Jour jusqu'aux cdres bibliques
- Double galre assise au long du grand bazar,
- Et du grand ministre, et du morne alcazar,
- Parmi les deuils privs et les vertus publiques;
-
- Sous les quatre-vingts rois et les trois Rpubliques,
- Et sous Napolon, Alexandre et Csar,
- Nos pres ont tent le centuple hasard,
- Fidlement courbs sur tes rames obliques.
-
- Et nous prenant leur place au mme banc de chne,
- Nous ramerons des reins, de la nuque, de l'me,
- Plis, casss, meurtris, saignants sous notre chane;
-
- Et nous tiendrons le coup, rivs sur notre rame,
- Forats fils de forats aux deux rives de Seine,
- Galriens couchs aux pieds de Notre Dame.
-
-
-Paris vaisseau de guerre
-
- Double vaisseau de ligne au long des colonnades
- Autrefois btiment au centuple sabord,
- Aujourd'hui lourde usine, norme coffre-fort
- Ferm sur le secret des sourdes canonnades.
-
- Nos pres t'ont dans de chaudes srnades.
- Ils t'ont fleuri du sang de la plus belle mort,
- Quand au gaillard d'avant vers l'un et l'autre bord
- Bondissait le troupeau des graves caronnades.
-
- Mais nous apporterons tes destins gants
- Un coeur si srieux et si brl de flamme,
- Un coeur si curieux de tous les ocans,
-
- Soldats fils de soldats sous la mme oriflamme,
- Qu'on nous mettra valets de tes canons bants,
- Monstres verts accroupis aux pieds de Notre-Dame.
-
-
-Prsentation de la Beauce Notre Dame de Chartres
-
- toile de la mer voici la lourde nappe
- Et la profonde houle et l'ocan des bls
- Et la mouvante cume et nos greniers combls,
- Voici votre regard sur cette immense chape
-
- Et voici votre voix sur cette lourde plaine
- Et nos amis absents et nos coeurs dpeupls,
- Voici le long de nous nos poings dsassembls
- Et notre lassitude et notre force pleine.
-
- toile du matin, inaccessible reine,
- Voici que nous marchons vers votre illustre cour,
- Et voici le plateau de notre pauvre amour,
- Et voici l'ocan de notre immense peine.
-
- Un sanglot rde et court par del l'horizon.
- A peine quelques toits font comme un archipel.
- Du vieux clocher retombe une sorte d'appel.
- L'paisse glise semble une basse maison.
-
- Ainsi nous naviguons vers votre cathdrale.
- De loin en loin surnage un chapelet de meules,
- Rondes comme des tours, opulentes et seules
- Comme un rang de chteaux sur la barque amirale.
-
- Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre
- Un rservoir sans fin pour les ges nouveaux.
- Mille ans de votre grce ont fait de ces travaux
- Un reposoir sans fin pour l'me solitaire.
-
- Vous nous voyez marcher sur cette route droite,
- Tout poudreux, tout crotts, la pluie entre les dents.
- Sur ce large ventail ouvert tous les vents
- La route nationale est notre porte troite.
-
- Nous allons devant nous, les mains le long des poches,
- Sans aucun appareil, sans fatras, sans discours,
- D'un pas toujours gal, sans hte ni recours,
- Des champs les plus prsents vers les champs les plus proches.
-
- Vous nous voyez marcher, nous sommes la pitaille.
- Nous n'avanons jamais que d'un pas la fois.
- Mais vingt sicles de peuple et vingt sicles de rois,
- Et toute leur squelle et toute leur volaille
-
- Et leurs chapeaux plume avec leur valetaille
- Ont appris ce que c'est que d'tre familiers,
- Et comme on peut marcher, les pieds dans ses souliers,
- Vers un dernier carr le soir d'une bataille.
-
- Nous sommes ns pour vous au bord de ce plateau,
- Dans le recourbement de notre blonde Loire,
- Et ce fleuve de sable et ce fleuve de gloire
- N'est l que pour baiser votre auguste manteau.
-
- Nous sommes ns au bord de ce vaste plateau,
- Dans l'antique Orlans svre et srieuse,
- Et la Loire coulante et souvent limoneuse
- N'est l que pour laver les pieds de ce coteau.
-
- Nous sommes ns au bord de votre plate Beauce
- Et nous avons connu ds nos plus jeunes ans
- Le portail de la ferme et les durs paysans
- Et l'enclos dans le bourg et la bche et la fosse.
-
- Nous sommes ns au bord de votre Beauce plate
- Et nous avons connu ds nos premiers regrets
- Ce que peut receler de dsespoirs secrets
- Un soleil qui descend dans un ciel carlate
-
- Et qui se couche au ras d'un sol invitable
- Dur comme une justice, gal comme une barre,
- Juste comme une loi, ferm comme une mare,
- Ouvert comme un beau socle et plan comme une table.
-
- Un homme de chez nous, de la glbe fconde
- A fait jaillir ici d'un seul enlvement,
- Et d'une seule source et d'un seul portement,
- Vers votre assomption la flche unique au monde.
-
- Tour de David voici votre tour beauceronne.
- C'est l'pi le plus dur qui soit jamais mont
- Vers un ciel de clmence et de srnit,
- Et le plus beau fleuron dedans votre couronne.
-
- Un homme de chez nous a fait ici jaillir,
- Depuis le ras du sol jusqu'au pied de la croix,
- Plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois,
- La flche irrprochable et qui ne peut faillir.
-
- C'est la gerbe et le bl qui ne prira point,
- Qui ne fanera point au soleil de septembre,
- Qui ne glera point aux rigueurs de dcembre,
- C'est votre serviteur et c'est votre tmoin.
-
- C'est la tige et le bl qui ne pourrira pas,
- Qui ne fltrira point aux ardeurs de l't.
- Qui ne moisira point dans un hiver gt,
- Qui ne transira point dans le commun trpas.
-
- C'est la pierre sans tache et la pierre sans faute,
- La plus haute oraison qu'on ait jamais porte,
- La plus droite raison qu'on ait jamais jete,
- Et vers un ciel sans bord la ligne la plus haute.
-
- Celle qui ne mourra le jour d'aucunes morts,
- Le gage et le portrait de nos arrachements,
- L'image et le trac de nos redressements,
- La laine et le fuseau des plus modestes sorts.
-
- Nous arrivons vers vous du lointain Parisis.
- Nous avons pour trois jours quitt notre boutique,
- Et l'archologie avec la smantique,
- Et la maigre Sorbonne et ses pauvres petits.
-
- D'autres viendront vers vous du lointain Beauvaisis.
- Nous avons pour trois jours laiss notre ngoce,
- Et la rumeur gante et la ville colosse,
- D'autres viendront vers vous du lointain Cambrsis.
-
- Nous arrivons vers vous de Paris capitale.
- C'est l que nous avons notre gouvernement,
- Et notre temps perdu dans le lanternement,
- Et notre libert dcevante et totale.
-
- Nous arrivons vers vous de l'autre Notre Dame,
- De celle qui s'lve au coeur de la cit,
- Dans sa royale robe et dans sa majest,
- Dans sa magnificence et sa justesse d'me.
-
- Comme vous commandez un ocan d'pis,
- L-bas vous commandez un ocan de ttes,
- Et la moisson des deuils et la moisson des ftes
- Se couche chaque soir devant votre parvis.
-
- Nous arrivons vers vous du noble Hurepoix.
- C'est un commencement de Beauce notre usage,
- Des fermes et des champs taills votre image,
- Mais coups plus souvent par des rideaux de bois,
-
- Et coups plus souvent par de creuses valles
- Pour l'Yvette et la Bivre et leurs accroissements,
- Et leurs savants dtours et leurs dgagements,
- Et par les beaux chteaux et les longues alles.
-
- D'autres viendront vers vous du noble Vermandois,
- Et des vallonnements de bouleaux et de saules.
- D'autres viendront vers vous des palais et des geles.
- Et du pays picard et du vert Vendmois.
-
- Mais c'est toujours la France, ou petite ou plus grande,
- Le pays des beaux bls et des encadrements,
- Le pays de la grappe et des ruissellements,
- Le pays de gents, de bruyre, de lande.
-
- Nous arrivons vers vous du lointain Palaiseau
- Et des faubourgs d'Orsay par Gometz-le-Chtel,
- Autrement dit Saint-Clair; ce n'est pas un castel;
- C'est un village au bord d'une route en biseau.
-
- Nous avons dbouch, montant de ce coteau,
- Sur le ras de la plaine et sur Gometz-la-Ville
- Au-dessus de Saint-Clair; ce n'est pas une ville;
- C'est un village au bord d'une route en plateau.
-
- Nous avons descendu la cte de Limours.
- Nous avons rencontr trois ou quatre gendarmes.
- Ils nous ont regard, non sans quelques alarmes,
- Consulter les poteaux aux coins des carrefours.
-
- Nous avons pu coucher dans le calme Dourdan.
- C'est un gros bourg trs riche et qui sent sa province.
- Fiers nous avons long, regards comme un prince,
- Les fosss du chteau coups comme un redan.
-
- Dans la maison amie, htesse et fraternelle
- On nous a fait coucher dans le lit du garon.
- Vingt ans de souvenirs taient notre chanson.
- Le pain nous fut coup d'une main maternelle.
-
- Toute notre jeunesse tait l sollennelle.
- On pronona pour nous le Bndicit.
- Quatre sicles d'honneur et de fidlit
- Faisaient des draps du lit une couche ternelle.
-
- Nous avons fait semblant d'tre un gai plerin
- Et mme un bon vivant et d'aimer les voyages,
- Et d'avoir parcouru cent trente-et-un bailliages,
- Et d'tre accoutums d'tre sur le chemin.
-
- La clart de la lampe blouissait la nappe.
- On nous fit visiter le jardin potager.
- Il donnait sur la treille et sur un beau verger.
- Tel fut le premier gte et la tte d'tape.
-
- Le jardin tait clos dans un coude de l'Orge.
- Vers la droite il donnait sur un mur bocager
- Surmont de rameaux et d'un arceau lger.
- En face un marchal, et l'enclume, et la forge.
-
- Nous nous sommes levs ce matin devant l'aube.
- Nous nous sommes quitts aprs les beaux adieux.
- Le temps s'annonait bien. On nous a dit tant mieux.
- On nous a fait goter de quelque boeuf en daube,
-
- Puisqu'il est entendu que le bon plerin
- Est celui qui boit ferme et tient sa place table,
- Et qu'il n'a pas besoin de faire le comptable,
- Et que c'est bien assez de se lever matin.
-
- Le jour tait en route et le soleil montait
- Quand nous avons pass Sainte-Mesme et les autres.
- Nous avancions dj comme deux bons aptres.
- Et la gauche et la droite tait ce qui comptait.
-
- Nous sommes remonts par le Gu de Longroy,
- C'en est fait dsormais de nos atermoiements,
- Et de l'iniquit des dnivellements:
- Voici la juste plaine et le secret effroi
-
- De nous trouver tout seuls et voici le charroi
- Et la roue et les boeufs et le joug et la grange,
- Et la poussire gale et l'quitable fange
- Et la dtresse gale et l'gal dsarroi.
-
- Nous voici parvenus sur la haute terrasse
- O rien ne cache plus l'homme de devant Dieu,
- O nul dguisement ni du temps ni du lieu
- Ne pourra nous sauver Seigneur, de votre chasse.
-
- Voici la gerbe immense et l'immense liasse,
- Et le grain sous la meule et nos crasements,
- Et la grle javelle et nos renoncements,
- Et l'immense horizon que le regard embrasse.
-
- Et notre indignit cette immuable masse,
- Et notre basse peur en un pareil moment,
- Et la juste terreur et le secret tourment
- De nous trouver tout seuls par devant votre face.
-
- Mais voici que c'est vous, reine de majest.
- Comment avons-nous pu nous laisser dcevoir,
- Et marcher devant vous sans vous apercevoir.
- Nous serons donc toujours ce peuple inconcert.
-
- Ce pays est plus ras que la plus rase table.
- A peine un creux du sol, peine un lger pli.
- C'est la table du juge et le fait accompli,
- Et l'arrt sans appel et l'ordre inluctable.
-
- Et c'est le prononc du texte insurmontable,
- Et la mesure comble et c'est le sort empli,
- Et c'est la vie tale et l'homme enseveli,
- Et c'est le hraut d'arme et le sceau redoutable.
-
- Mais vous apparaissez, reine mystrieuse.
- Cette pointe l-bas dans le moutonnement
- Des moissons et des bois et dans le flottement
- De l'extrme horizon ce n'est point une yeuse,
-
- Ni le profil connu d'un arbre interchangeable.
- C'est dj plus distante, et plus basse, et plus haute,
- Ferme comme un espoir sur la dernire cte,
- Sur le dernier coteau la flche inimitable.
-
- D'ici vers vous, reine, il n'est plus que la route.
- Celle-ci nous regarde, on en a bien fait d'autres.
- Vous avez votre gloire et nous avons les ntres.
- Nous l'avons entame, on la mangera toute.
-
- Nous savons ce que c'est qu'un tronon qui s'ajoute
- Au tronon dj fait et ce qu'un kilomtre
- Demande de jarret et ce qu'il faut en mettre:
- Nous passerons ce soir par le pont et la vote
-
- Et ce foss profond qui cerne le rempart.
- Nous marchons dans le vent coups par les autos.
- C'est ici la contre imprenable en photos,
- La route nue et grave allant de part en part.
-
- Nous avons eu bon vent de partir ds le jour.
- Nous coucherons ce soir deux pas de chez vous,
- Dans cette vieille auberge o pour quarante sous
- Nous dormirons tout prs de votre illustre tour.
-
- Nous serons si fourbus que nous regarderons,
- Assis sur une chaise auprs de la fentre
- Dans un crasement du corps et de tout l'tre,
- Avec des yeux battus, presque avec des yeux ronds,
-
- Et les sourcils hausss jusque dedans nos fronts,
- L'angle une fois trouv par un seul homme au monde,
- Et l'unique monte ascendante et profonde,
- Et nous serons recrus et nous contemplerons.
-
- Voici l'axe et la ligne et la gante fleur.
- Voici la dure pente et le contentement.
- Voici l'exactitude et le consentement.
- Et la svre larme, reine de douleur.
-
- Voici la nudit, le reste est vtement.
- Voici le vtement, tout le reste est parure.
- Voici la puret, tout le reste est souillure.
- Voici la pauvret, le reste est ornement.
-
- Voici la seule force et le reste est faiblesse.
- Voici l'arte unique et le reste est bavure.
- Et la seule noblesse et le reste est ordure.
- Et la seule grandeur et le reste est bassesse.
-
- Voici la seule foi qui ne soit point parjure.
- Voici le seul lan qui sache un peu monter.
- Voici le seul instant qui vaille de compter.
- Voici le seul propos qui s'achve et qui dure.
-
- Voici le monument, tout le reste est doublure.
- Et voici notre amour et notre entendement.
- Et notre port de tte et notre apaisement.
- Et le rien de dentelle et l'exacte moulure.
-
- Voici le beau serment, le reste est forfaiture.
- Voici l'unique prix de nos arrachements,
- Le salaire pay de nos retranchements.
- Voici la vrit, le reste est imposture.
-
- Voici le firmament, le reste est procdure.
- Et vers le tribunal voici l'ajustement.
- Et vers le paradis voici l'achvement.
- Et la feuille de pierre et l'exacte nervure.
-
- Nous resterons clous sur la chaise de paille.
- Et nous n'entendrons pas et nous ne verrons pas
- Le tumulte des voix, le tumulte des pas,
- Et dans la salle en bas l'innocente ripaille.
-
- Ni les rouliers venus pour le jour du march.
- Ni la feinte colre et l'clat des jurons:
- Car nous contemplerons et nous mditerons
- D'un seul embrassement la flche sans pch.
-
- Nous ne sentirons pas ni nos faces raidies,
- Ni la faim ni la soif ni nos renoncements,
- Ni nos raides genoux ni nos raisonnements,
- Ni dans nos pantalons nos jambes engourdies.
-
- Perdus dans cette chambre et parmi tant d'htels,
- Nous ne descendrons pas l'heure du repas,
- Et nous n'entendrons pas et nous ne verrons pas
- La ville prosterne aux pieds de vos autels.
-
- Et quand se lvera le soleil de demain,
- Nous nous rveillerons dans une aube lustrale,
- A l'ombre des deux bras de votre cathdrale,
- Heureux et malheureux et perclus du chemin.
-
- Nous venons vous prier pour ce pauvre garon
- Qui mourut comme un sot au cours de cette anne,
- Presque dans la semaine et devers la journe
- O votre fils naquit dans la paille et le son.
-
- Vierge il n'tait pas le pire du troupeau.
- Il n'avait qu'un dfaut dans sa jeune cuirasse.
- Mais la mort qui nous piste et nous suit la trace
- A pass par ce trou qu'il s'est fait dans la peau.
-
- Il tait n vers nous dans notre Gtinais.
- Il commenait la route o nous redescendons.
- Il gagnait tous les jours tout ce que nous perdons.
- Et pourtant c'tait lui que tu te destinais,
-
- mort qui fus vaincue en un premier caveau.
- Il avait mis ses pas dans nos mmes empreintes.
- Mais le seul manquement d'une seule des craintes
- Laissa passer la mort par un chemin nouveau.
-
- Le voici maintenant dedans votre rgence.
- Vous tes reine et mre et saurez le montrer.
- C'tait un tre pur. Vous le ferez rentrer
- Dans votre patronage et dans votre indulgence.
-
- reine qui lisez dans le secret du coeur,
- Vous savez ce que c'est que la vie ou la mort,
- Et vous savez ainsi dans quel secret du sort
- Se coud et se dcoud la ruse du traqueur.
-
- Et vous savez ainsi sur quel accent de choeur
- Se noue et se dnoue un accompagnement,
- Et ce qu'il faut d'espace et de dboisement
- Pour laisser dbouler la meute du piqueur.
-
- Et vous savez ainsi dans quel recreux du port
- Se prpare et s'achve un noble enlvement,
- Et par quel jeu d'adresse et de gouvernement
- Se drobe ou se fige un illustre support.
-
- Et vous savez ainsi sur quel tranchant du glaive
- Se joue et se djoue un pouvantement,
- Et par quel coup de pouce et quel balancement
- L'un des plateaux descend pour que l'autre s'lve.
-
- Et ce que peut coter la lvre du moqueur,
- Et ce qu'il faut de force et de recroisement
- Pour faire par le coup d'un seul retournement
- D'un vaincu malheureux un malheureux vainqueur.
-
- Mre le voici donc, il tait notre race,
- Et vingt ans aprs nous notre redoublement.
- Reine recevez-le dans votre amendement.
- O la mort a pass, passera bien la grce.
-
- Nous, nous retournerons par ce mme chemin.
- Ce sera de nouveau la terre sans cachette,
- Le chteau sans un coin et sans une oubliette,
- Et ce sol mieux grav qu'un parfait parchemin.
-
- _Et nunc et in hora_, nous vous prions pour nous
- Qui sommes plus grands sots que ce pauvre gamin,
- Et sans doute moins purs et moins dans votre main,
- Et moins achemins vers vos sacrs genoux.
-
- Quand nous auront jou nos derniers personnages,
- Quand nous aurons pos la cape et le manteau,
- Quand nous aurons jet le masque et le couteau,
- Veuillez vous rappeler nos longs plerinages.
-
- Quand nous retournerons en cette froide terre,
- Ainsi qu'il fut prescrit pour le premier Adam,
- Reine de Saint-Chron, Saint-Arnould et Dourdan,
- Veuillez vous rappeler ce chemin solitaire.
-
- Quand on nous aura mis dans une troite fosse,
- Quand on aura sur nous dit l'absoute et la messe,
- Veuillez vous rappeler, reine de la promesse,
- Le long cheminement que nous faisons en Beauce.
-
- Quand nous aurons quitt ce sac et cette corde,
- Quand nous aurons trembl nos derniers tremblements,
- Quand nous aurons rl nos derniers rclements,
- Veuillez vous rappeler votre misricorde.
-
- Nous ne demandons rien, refuge du pcheur,
- Que la dernire place en votre Purgatoire,
- Pour pleurer longuement notre tragique histoire,
- Et contempler de loin votre jeune splendeur.
-
-
-_les quatre prires dans la cathdrale de Chartres_
-
-
-1.--prire de rsidence
-
- O reine voici donc aprs la longue route,
- Avant de repartir par ce mme chemin,
- Le seul asile ouvert au creux de votre main,
- Et le jardin secret o l'me s'ouvre toute.
-
- Voici le lourd pilier et la montante vote;
- Et l'oubli pour hier, et l'oubli pour demain;
- Et l'inutilit de tout calcul humain;
- Et plus que le pch, la sagesse en droute.
-
- Voici le lieu du monde o tout devient facile,
- Le regret, le dpart, mme l'vnement,
- Et l'adieu temporaire et le dtournement,
- Le seul coin de la terre o tout devient docile,
-
- Et mme ce vieux coeur qui faisait le rebelle;
- Et cette vieille tte et ces raisonnements;
- Et ces deux bras raidis dans les casernements;
- Et cette jeune enfant qui faisait trop la belle.
-
- Voici le lieu du monde o tout est reconnu,
- Et cette vieille tte et la source des larmes;
- Et ces deux bras raidis dans le mtier des armes;
- Le seul coin de la terre o tout soit contenu.
-
- Voici le lieu du monde o tout est revenu
- Aprs tant de dparts, aprs tant d'arrives.
- Voici le lieu du monde o tout est pauvre et nu
- Aprs tant de hasards, aprs tant de corves.
-
- Voici le lieu du monde et la seule retraite,
- Et l'unique retour et le recueillement,
- Et la feuille et le fruit et le dfeuillement,
- Et les rameaux cueillis pour cette unique fte.
-
- Voici le lieu du monde o tout rentre et se tait,
- Et le silence et l'ombre et la charnelle absence,
- Et le commencement d'ternelle prsence,
- Le seul rduit o l'me est tout ce qu'elle tait.
-
- Voici le lieu du monde o la tentation
- Se retourne elle-mme et se met l'envers.
- Car ce qui tente ici c'est la soumission;
- Et c'est l'aveuglement dans l'immense univers.
-
- Et le dposement est ici ce qui tente,
- Et ce qui vient tout seul est l'abdication,
- Et ce qui vient soi-mme et ce qui se prsente
- N'est ici que grandesse et prsentation.
-
- C'est la rvolte ici qui devient impossible,
- Et ce qui se prsente est la dmission.
- Et c'est l'effacement qui devient invincible,
- Et tout n'est que bonjour et salutation.
-
- Ce qui partout ailleurs est une accession
- N'est ici qu'un total et sourd abrasement.
- Ce qui partout ailleurs est un entassement
- N'est ici que bassesse et que dpression.
-
- Ce qui partout ailleurs est une oppression
- N'est ici que l'effet d'un noble crasement.
- Ce qui partout ailleurs est un empressement
- N'est ici qu'hritage et que succession.
-
- Ce qui partout ailleurs est une rude guerre
- N'est ici que la paix d'un long dlaissement.
- Ce qui partout ailleurs est un affaissement
- Est ici la loi mme et la norme vulgaire.
-
- Ce qui partout ailleurs est une pre bataille
- Et sur le cou tendu le couteau du boucher,
- Ce qui partout ailleurs est la greffe et la taille
- N'est ici que la fleur et le fruit du pcher.
-
- Ce qui partout ailleurs est la rude monte
- N'est ici que descente et qu'aboutissement.
- Ce qui partout ailleurs est la mer dmonte
- N'est ici que bonace et qu'tablissement.
-
- Ce qui partout ailleurs est une dure loi
- N'est ici qu'un beau pli sous vos commandements,
- Et dans la libert de nos amendements
- Une fidlit plus tendre que la foi.
-
- Ce qui partout ailleurs est une obsession
- N'est ici sous vos lois qu'une place rendue.
- Ce qui partout ailleurs est une me vendue
- N'est ici que prire et qu'intercession.
-
- Ce qui partout ailleurs est une lassitude
- N'est ici que des clefs sur un humble plateau.
- Ce qui partout ailleurs est la vicissitude
- N'est ici qu'une vigne mme le coteau.
-
- Ce qui partout ailleurs est la longue habitude
- Assise au coin du feu les poings sous le menton,
- Ce qui partout ailleurs est une solitude
- N'est ici qu'un vivace et ferme rejeton.
-
- Ce qui partout ailleurs est la dcrpitude
- Assise au coin du feu les poings sur les genoux
- N'est ici que tendresse et que sollicitude
- Et deux bras maternels qui se tournent vers nous.
-
- Nous nous sommes lavs d'une telle amertume
- toile de la mer et des rcifs sals,
- Nous nous sommes lavs d'une si basse cume,
- toile de la barque et des souples filets.
-
- Nous avons dlav nos malheureuses ttes
- D'un tel fatras d'ordure et de raisonnement,
- Nous voici dsormais, reine des prophtes,
- Plus clairs que l'eau du puits de l'ancien testament.
-
- Nous avons gouvern de si modestes arches,
- Voile du seul vaisseau qui ne prira pas,
- Nous avons consult de si pauvres compas,
- Arche du seul salut, reine des patriarches.
-
- Nous avons consomm de si lointains voyages,
- Nous n'avons plus de got pour les pays tranges.
- Reine des confesseurs, des vierges et des anges,
- Nous voici retourns dans nos premiers villages.
-
- On nous en a tant dit, reine des aptres,
- Nous n'avons plus de got pour la proraison.
- Nous n'avons plus d'autels que ceux qui sont les vtres,
- Nous ne savons plus rien qu'une simple oraison.
-
- Nous avons essuy de si vastes naufrages,
- Nous n'avons plus de got pour le transbordement,
- Nous voici revenus, au dclin de nos ges,
- toile du seul Nord dans votre btiment.
-
- Ce qui partout ailleurs est de dispersion
- N'est ici que l'effet d'un beau rassemblement.
- Ce qui partout ailleurs est un dmembrement
- N'est ici que cortge et que procession.
-
- Ce qui partout ailleurs demande un examen
- N'est ici que l'effet d'une pauvre jeunesse.
- Ce qui partout ailleurs demande un lendemain
- N'est ici que l'effet de soudaine faiblesse.
-
- Ce qui partout ailleurs demande un parchemin
- N'est ici que l'effet d'une pauvre tendresse.
- Ce qui partout ailleurs demande un tour de main
- N'est ici que l'effet d'une humble maladresse.
-
- Ce qui partout ailleurs est un dtraquement
- N'est ici que justesse et que dclinaison.
- Ce qui partout ailleurs est un baraquement
- N'est ici qu'une paisse et durable maison.
-
- Ce qui partout ailleurs est la guerre et la paix
- N'est ici que dfaite et que reddition.
- Ce qui partout ailleurs est de sdition
- N'est ici qu'un beau peuple et des pis pais.
-
- Ce qui partout ailleurs est une immense arme
- Avec ses trains de vivre et ses encombrements,
- Et ses trains de bagage et ses retardements,
- N'est ici que dcence et bonne renomme.
-
- Ce qui partout ailleurs est un effondrement
- N'est ici qu'une lente et courbe inclinaison.
- Ce qui partout ailleurs est de comparaison
- Est ici sans pareil et sans redoublement.
-
- Ce qui partout ailleurs est un accablement
- N'est ici que l'effet de pauvre obissance.
- Ce qui partout ailleurs est un grand parlement
- N'est ici que l'effet de la seule audience.
-
- Ce qui partout ailleurs est un encadrement
- N'est ici qu'un candide et calme reposoir.
- Ce qui partout ailleurs est un ajournement
- N'est ici que l'oubli du matin et du soir.
-
- Les matins sont partis vers les temps rvolus,
- Et les soirs partiront vers le soir ternel,
- Et les jours entreront dans un jour solennel,
- Et les fils deviendront des hommes rsolus.
-
- Les ges rentreront dans un ge absolu,
- Les fils retourneront vers le seuil paternel
- Et raviront de force et l'amour fraternel
- Et l'antique hritage et le bien dvolu.
-
- Voici le lieu du monde o tout devient enfant,
- Et surtout ce vieil homme avec sa barbe grise,
- Et ses cheveux mls au souffle de la brise,
- Et son regard modeste et jadis triomphant.
-
- Voici le lieu du monde o tout devient novice,
- Et cette vieille tte et ses lanternements,
- Et ces deux bras raidis dans les gouvernements,
- Le seul coin de la terre o tout devient complice,
-
- Et mme ce grand sot qui faisait le malin,
- (C'est votre serviteur, premire servante),
- Et qui tournait en rond dans une orbe savante,
- Et qui portait de l'eau dans le bief du moulin.
-
- Ce qui partout ailleurs est un arrachement
- N'est ici que la fleur de la jeune saison.
- Ce qui partout ailleurs est un retranchement
- N'est ici qu'un soleil au ras de l'horizon.
-
- Ce qui partout ailleurs est un dur labourage
- N'est ici que rcolte et dessaisissement.
- Ce qui partout ailleurs est le dclin d'un ge
- N'est ici qu'un candide et cher vieillissement.
-
- Ce qui partout ailleurs est une rsistance
- N'est ici que de suite et d'accompagnement;
- Ce qui partout ailleurs est un prosternement
- N'est ici qu'une douce et longue obissance.
-
- Ce qui partout ailleurs est rgle de contrainte
- N'est ici que dclenche et qu'abandonnement;
- Ce qui partout ailleurs est une dure astreinte
- N'est ici que faiblesse et que soulvement.
-
- Ce qui partout ailleurs est rgle de conduite
- N'est ici que bonheur et que renforcement;
- Ce qui partout ailleurs est pargne produite
- N'est ici qu'un honneur et qu'un grave serment.
-
- Ce qui partout ailleurs est une courbature
- N'est ici que la fleur de la jeune oraison;
- Ce qui partout ailleurs est la lourde armature
- N'est ici que la laine et la blanche toison.
-
- Ce qui partout ailleurs serait un tour de force
- N'est ici que simplesse et que dlassement;
- Ce qui partout ailleurs est la rugueuse corce
- N'est ici que la sve et les pleurs du sarment.
-
- Ce qui partout ailleurs est une longue usure
- N'est ici que renfort et que recroissement;
- Ce qui partout ailleurs est bouleversement
- N'est ici que le jour de la bonne aventure.
-
- Ce qui partout ailleurs se tient sur la rserve
- N'est ici qu'abondance et que dpassement;
- Ce qui partout ailleurs se gagne et se conserve
- N'est ici que dpense et que dsistement.
-
- Ce qui partout ailleurs se tient sur la dfense
- N'est ici que liesse et dmantlement;
- Et l'oubli de l'injure et l'oubli de l'offense
- N'est ici que paresse et que bannissement.
-
- Ce qui partout ailleurs est une liaison
- N'est ici qu'un fidle et noble attachement;
- Ce qui partout ailleurs est un encerclement
- N'est ici qu'un passant dedans votre maison.
-
- Ce qui partout ailleurs est une obdience
- N'est ici qu'une gerbe au temps de fauchaison;
- Ce qui partout ailleurs se fait par surveillance
- N'est ici qu'un beau coin au temps de fenaison.
-
- Ce qui partout ailleurs est une forcerie
- N'est ici que la plante mme le jardin;
- Ce qui partout ailleurs est une gagerie
- N'est ici que le seuil mme le gradin.
-
- Ce qui partout ailleurs est une rtorsion
- N'est ici que dtente et que dsarmement;
- Ce qui partout ailleurs est une contraction
- N'est ici qu'un muet et calme engagement;
-
- Ce qui partout ailleurs est un bien prissable
- N'est ici qu'un tranquille et bref dgagement;
- Ce qui partout ailleurs est un rengorgement
- N'est ici qu'une rose et des pas sur le sable.
-
- Ce qui partout ailleurs est un efforcement
- N'est ici que la fleur de la jeune raison;
- Ce qui partout ailleurs est un redressement
- N'est ici que la pente et le pli du gazon.
-
- Ce qui partout ailleurs est une corcherie
- N'est ici qu'un modeste et beau dvtement;
- Ce qui partout ailleurs est une affouillerie
- N'est ici qu'un durable et sr dpouillement.
-
- Ce qui partout ailleurs est un raidissement
- N'est ici qu'une souple et candide fontaine;
- Ce qui partout ailleurs est une illustre peine
- N'est ici qu'un profond et pur jaillissement.
-
- Ce qui partout ailleurs se querelle et se prend
- N'est ici qu'un beau fleuve aux confins de sa source,
- reine et c'est ici que tout me se rend
- Comme un jeune guerrier retomb dans sa course.
-
- Ce qui partout ailleurs est la route gravie,
- reine qui rgnez dans votre illustre cour,
- toile du matin, reine du dernier jour,
- Ce qui partout ailleurs est la table servie,
-
- Ce qui partout ailleurs est la route suivie
- N'est ici qu'un paisible et fort dtachement,
- Et dans un calme temple et loin d'un plat tourment
- L'attente d'une mort plus vivante que vie.
-
-
-2.--prire de demande
-
- Nous ne demandons pas que le grain sous la meule
- Soit jamais replac dans le coeur de l'pi,
- Nous ne demandons pas que l'me errante et seule
- Soit jamais repose en un jardin fleuri.
-
- Nous ne demandons pas que la grappe crase
- Soit jamais replace au fronton de la treille,
- Et que le lourd frelon et que la jeune abeille
- Y reviennent jamais se gorger de rose.
-
- Nous ne demandons pas que la rose vermeille
- Soit jamais replace aux cerceaux du rosier,
- Et que le paneton et la lourde corbeille
- Retourne vers le fleuve et redevienne osier.
-
- Nous ne demandons pas que cette page crite
- Soit jamais efface au livre de mmoire,
- Et que le lourd soupon et que la jeune histoire
- Vienne remmorer cette peine prescrite.
-
- Nous ne demandons pas que la tige ploye
- Soit jamais redresse au livre de nature,
- Et que le lourd bourgeon et la jeune nervure
- Perce jamais l'corce et soit redploye.
-
- Nous ne demandons pas que le rameau broy
- Reverdisse jamais au livre de la grce,
- Et que le lourd surgeon et que la jeune race
- Rejaillisse jamais de l'arbre foudroy.
-
- Nous ne demandons pas que la branche effeuille
- Se tourne jamais plus vers un jeune printemps,
- Et que la lourde sve et que le jeune temps
- Sauve une cime au moins dans la fort noye.
-
- Nous ne demandons pas que le pli de la nappe
- Soit effac devant que revienne le matre,
- Et que votre servante et qu'un malheureux tre
- Soient librs jamais de cette lourde chape.
-
- Nous ne demandons pas que cette auguste table
- Soit jamais resservie, moins que pour un Dieu,
- Mais nous n'esprons pas que le grand conntable
- Chauffe deux fois ses mains vers un si maigre feu.
-
- Nous ne demandons pas qu'une me fourvoye
- Soit jamais replace au chemin du bonheur.
- O reine il nous suffit d'avoir gard l'honneur
- Et nous ne voulons pas qu'une aide apitoye
-
- Nous remette jamais au chemin de plaisance,
- Et nous ne voulons pas qu'une amour soudoye
- Nous remette jamais au chemin d'allgeance,
- seul gouvernement d'une me guerroye,
-
- Rgente de la mer et de l'illustre port
- Nous ne demandons rien dans ces amendements
- Reine que de garder sous vos commandements
- Une fidlit plus forte que la mort.
-
-
-3.--prire de confidence
-
- Nous ne demandons pas que cette belle nappe
- Soit jamais replie aux rayons de l'armoire,
- Nous ne demandons pas qu'un pli de la mmoire
- Soit jamais effac de cette lourde chape.
-
- Matresse de la voie et du raccordement,
- miroir de justice et de justesse d'me,
- Vous seule vous savez, grande notre Dame,
- Ce que c'est que la halte et le recueillement.
-
- Matresse de la race et du recroisement,
- temple de sagesse et de jurisprudence,
- Vous seule connaissez, svre prudence,
- Ce que c'est que le juge et le balancement.
-
- Quand il fallut s'asseoir la croix des deux routes
- Et choisir le regret d'avecque le remords,
- Quand il fallut s'asseoir au coin des doubles sorts
- Et fixer le regard sur la clef des deux votes,
-
- Vous seule vous savez, matresse du secret,
- Que l'un des deux chemins allait en contre-bas,
- Vous connaissez celui que choisirent nos pas,
- Comme on choisit un cdre et le bois d'un coffret.
-
- Et non point par vertu car nous n'en avons gure,
- Et non point par devoir car nous ne l'aimons pas,
- Mais comme un charpentier s'arme de son compas,
- Par besoin de nous mettre au centre de misre,
-
- Et pour bien nous placer dans l'axe de dtresse,
- Et par ce besoin sourd d'tre plus malheureux,
- Et d'aller au plus dur et de souffrir plus creux,
- Et de prendre le mal dans la pleine justesse.
-
- Par ce vieux tour de main, par cette mme adresse,
- Qui ne servira plus courir le bonheur,
- Puissions-nous, rgente, au moins tenir l'honneur,
- Et lui garder lui seul notre pauvre tendresse.
-
-
-4.--prire de report
-
- Nous avons gouvern de si vastes royaumes,
- rgente des rois et des gouvernements,
- Nous avons tant couch dans la paille et les chaumes,
- Rgente des grands gueux et des soulvements.
-
- Nous n'avons plus de got pour les grands majordomes,
- Rgente du pouvoir et des renversements,
- Nous n'avons plus de got pour les chambardements,
- Rgente des frontons, des palais et des dmes.
-
- Nous avons combattu de si ferventes guerres
- Par devant le Seigneur et le Dieu des armes,
- Nous avons parcouru de si mouvantes terres,
- Nous nous sommes acquis si hautes renommes.
-
- Nous n'avons plus de got pour le mtier des armes,
- Reine des grandes paix et des dsarmements,
- Nous n'avons plus de got pour le mtier des larmes,
- Reine des sept douleurs et des sept sacrements.
-
- Nous avons gouvern de si vastes provinces,
- Rgente des prfets et des procurateurs,
- Nous avons lantern tous tant d'augustes princes,
- Reine des tableaux peints et des deux donateurs.
-
- Nous n'avons plus de got pour les dpartements,
- Ni pour la prfecture et pour la capitale,
- Nous n'avons plus de got pour les embarquements,
- Nous ne respirons plus vers la terre natale.
-
- Nous avons encouru de si hautes fortunes,
- clef du seul honneur qui ne prira point,
- Nous avons dpouill de si basses rancunes,
- Reine du tmoignage et du double tmoin.
-
- Nous n'avons plus de got pour les forfanteries,
- Matresse de sagesse et de silence et d'ombre,
- Nous n'avons plus de got pour les argenteries,
- clef du seul trsor et d'un bonheur sans nombre.
-
- Nous en avons tant vu, dame de pauvret,
- Nous n'avons plus de got pour de nouveaux regards,
- Nous en avons tant fait, temple de puret,
- Nous n'avons plus de got pour de nouveaux hasards.
-
- Nous avons tant pch, refuge du pcheur,
- Nous n'avons plus de got pour les atermoiements,
- Nous avons tant cherch, miracle de candeur,
- Nous n'avons plus de got pour les enseignements.
-
- Nous avons tant appris dans les maisons d'cole,
- Nous ne savons plus rien que vos commandements,
- Nous avons tant failli par l'acte et la parole,
- Nous ne savons plus rien que nos amendements.
-
- Nous sommes ces soldats qui grognaient par le monde,
- Mais qui marchaient toujours et n'ont jamais pli,
- Nous sommes cette glise et ce faisceau li,
- Nous sommes cette race internelle et profonde.
-
- Nous ne demandons plus de ces biens prissables,
- Nous ne demandons plus vos grces de bonheur,
- Nous ne demandons plus que vos grces d'honneur,
- Nous ne btirons plus nos maisons sur ces sables.
-
- Nous ne savons plus rien de ce qu'on nous a lu,
- Nous ne savons plus rien de ce qu'on nous a dit.
- Nous ne connaissons plus qu'un ternel dit,
- Noua ne savons plus rien que votre ordre absolu.
-
- Nous en avons trop pris, nous sommes rsolus.
- Nous ne voulons plus rien que par obissance,
- Et rester sous les coups d'une auguste puissance,
- Miroir des temps futurs et des temps rvolus.
-
- S'il est permis pourtant que celui qui n'a rien
- Puisse un jour disposer, et lguer quelque chose.
- S'il n'est pas dfendu, mystrieuse rose,
- Que celui qui n'a pas reporte un jour son bien;
-
- S'il est permis au gueux de faire un testament,
- Et de lguer l'asile et la paille et le chaume,
- S'il est permis au roi de lguer le royaume,
- Et si le grand dauphin prte un nouveau serment;
-
- S'il est admis pourtant que celui qui doit tout
- Se fasse ouvrir un compte et porter un crdit,
- Si le virement tourne et n'est pas interdit,
- Nous ne demandons rien, nous irons jusqu'au bout,
-
- Si donc il est admis qu'un humble dbiteur
- Puisse lever la voix pour ce qui n'est pas d,
- S'il peut toucher un prix quand il n'a pas vendu,
- Et faire balancer par solde crditeur;
-
- Nous qui n'avons connu que vos grces de guerre
- Et vos grces de deuil et vos grces de peine,
- (Et vos grces de joie et cette lourde plaine),
- Et le cheminement des grces de misre;
-
- Et la procession des grces de dtresse,
- Et les champs labours et les sentiers battus,
- Et les coeurs lacrs et les reins courbatus,
- Nous ne demandons rien, vigilante matresse.
-
- Nous qui n'avons connu que votre adversit,
- (Mais qu'elle soit bnie, temple de sagesse),
- veuillez reporter, merveille de largesse,
- Vos grces de bonheur et de prosprit.
-
- Veuillez les reposer sur quatre jeunes ttes,
- Vos grces de douceur et de consentement,
- Et tresser pour ces fronts, reine du pur froment,
- Quelques pis cueillis dans la moisson des ftes.
-
-
-
-
-TABLE DES MATIRES
-
- LE MYSTRE DES SAINTS INNOCENTS PAGE 13
- LA TAPISSERIE DE SAINTE GENEVIVE ET DE JEANNE D'ARC PAGE 247
- LA TAPISSERIE DE NOTRE DAME PAGE 343
-
-
-
-
-ACHEV D'IMPRIMER LE TRENTE SEPTEMBRE MIL NEUF CENT DIX-NEUF, PAR
-L'IMPRIMERIE PROTAT FRRES, MACON.
-
-
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Oeuvres compltes de Charles Pguy,
-Oeuvres de posie (tome 6), by Charles Pguy
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES COMPLETES DE CHARLES PGUY ***
-
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-throughout numerous locations. Its business office is located at
-809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
-business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
-information can be found at the Foundation's web site and official
-page at http://pglaf.org
-
-For additional contact information:
- Dr. Gregory B. Newby
- Chief Executive and Director
- gbnewby@pglaf.org
-
-
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
-
-Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
-spread public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To
-SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
-particular state visit http://pglaf.org
-
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-
-Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations.
-To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
-
-
-Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
-works.
-
-Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
-concept of a library of electronic works that could be freely shared
-with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
-Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
-
-
-Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
-unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
-keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
-
-
-Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
-
- http://www.gutenberg.org
-
-This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
-subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
diff --git a/57506-h/57506-h.htm b/57506-h/57506-h.htm
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-<pre>
-
-The Project Gutenberg EBook of Oeuvres compltes de Charles Pguy, Oeuvres
-de posie (tome 6), by Charles Pguy
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
-almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
-re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
-with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
-
-
-Title: Oeuvres compltes de Charles Pguy, Oeuvres de posie (tome 6)
- Le Mystre des Saints Innocents; La tapisserie de sainte
- Genevive et de Jeanne d'Arc; La tapisserie de Notre-Dame.
-
-Author: Charles Pguy
-
-Release Date: July 14, 2018 [EBook #57506]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES COMPLETES DE CHARLES PGUY ***
-
-
-
-
-Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
-Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was
-produced from scanned images of public domain material
-from the Google Books project.)
-
-
-
-
-
-
-</pre>
+<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57506 ***</div>
<h1>&OElig;UVRES COMPLTES<br/>
<span class="small">DE</span><br/>
@@ -10427,381 +10389,7 @@ PROTAT FRRES, MACON.</div>
-<pre>
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Oeuvres compltes de Charles Pguy,
-Oeuvres de posie (tome 6), by Charles Pguy
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES COMPLETES DE CHARLES PGUY ***
-
-***** This file should be named 57506-h.htm or 57506-h.zip *****
-This and all associated files of various formats will be found in:
- http://www.gutenberg.org/5/7/5/0/57506/
-
-Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
-Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was
-produced from scanned images of public domain material
-from the Google Books project.)
-
-
-Updated editions will replace the previous one--the old editions
-will be renamed.
-
-Creating the works from public domain print editions means that no
-one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
-(and you!) can copy and distribute it in the United States without
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-set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
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-protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project
-Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
-charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you
-do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
-rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose
-such as creation of derivative works, reports, performances and
-research. They may be modified and printed and given away--you may do
-practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is
-subject to the trademark license, especially commercial
-redistribution.
-
-
-
-*** START: FULL LICENSE ***
-
-THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
-PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK
-
-To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
-distribution of electronic works, by using or distributing this work
-(or any other work associated in any way with the phrase "Project
-Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project
-Gutenberg-tm License (available with this file or online at
-http://gutenberg.org/license).
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-Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm
-electronic works
-
-1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
-electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
-and accept all the terms of this license and intellectual property
-(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
-the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy
-all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession.
-If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
-Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
-terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or
-entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.
-
-1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
-used on or associated in any way with an electronic work by people who
-agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
-things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
-even without complying with the full terms of this agreement. See
-paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
-Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
-and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
-works. See paragraph 1.E below.
-
-1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
-or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
-Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
-collection are in the public domain in the United States. If an
-individual work is in the public domain in the United States and you are
-located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
-copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
-works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
-are removed. Of course, we hope that you will support the Project
-Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
-freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
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-the work. You can easily comply with the terms of this agreement by
-keeping this work in the same format with its attached full Project
-Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.
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-1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
-what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in
-a constant state of change. If you are outside the United States, check
-the laws of your country in addition to the terms of this agreement
-before downloading, copying, displaying, performing, distributing or
-creating derivative works based on this work or any other Project
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-States.
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-access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently
-whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the
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-Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed,
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-This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
-almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
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-with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
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-from the public domain (does not contain a notice indicating that it is
-posted with permission of the copyright holder), the work can be copied
-and distributed to anyone in the United States without paying any fees
-or charges. If you are redistributing or providing access to a work
-with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the
-work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
-through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
-Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or
-1.E.9.
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-1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
-with the permission of the copyright holder, your use and distribution
-must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional
-terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked
-to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
-permission of the copyright holder found at the beginning of this work.
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-License terms from this work, or any files containing a part of this
-work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.
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-electronic work, or any part of this electronic work, without
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-active links or immediate access to the full terms of the Project
-Gutenberg-tm License.
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-compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any
-word processing or hypertext form. However, if you provide access to or
-distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than
-"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version
-posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
-you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
-copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon
-request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other
-form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm
-License as specified in paragraph 1.E.1.
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-1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
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-unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.
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-1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
-access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided
-that
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-- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
- the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
- you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
- owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
- has agreed to donate royalties under this paragraph to the
- Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
- must be paid within 60 days following each date on which you
- prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
- returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
- sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
- address specified in Section 4, "Information about donations to
- the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
-
-- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
- you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
- does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
- License. You must require such a user to return or
- destroy all copies of the works possessed in a physical medium
- and discontinue all use of and all access to other copies of
- Project Gutenberg-tm works.
-
-- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
- money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
- electronic work is discovered and reported to you within 90 days
- of receipt of the work.
-
-- You comply with all other terms of this agreement for free
- distribution of Project Gutenberg-tm works.
-
-1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
-electronic work or group of works on different terms than are set
-forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
-both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
-Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
-Foundation as set forth in Section 3 below.
-
-1.F.
-
-1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
-effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
-public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
-collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
-works, and the medium on which they may be stored, may contain
-"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or
-corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
-property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
-computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by
-your equipment.
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-1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
-of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
-Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
-Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
-liability to you for damages, costs and expenses, including legal
-fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
-LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
-PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
-TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
-LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
-INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
-DAMAGE.
-
-1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
-defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
-receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
-written explanation to the person you received the work from. If you
-received the work on a physical medium, you must return the medium with
-your written explanation. The person or entity that provided you with
-the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
-refund. If you received the work electronically, the person or entity
-providing it to you may choose to give you a second opportunity to
-receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
-is also defective, you may demand a refund in writing without further
-opportunities to fix the problem.
-
-1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
-in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
-WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
-WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
-
-1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
-warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
-If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
-law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
-interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
-the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
-provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
-
-1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
-trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
-providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
-with this agreement, and any volunteers associated with the production,
-promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
-harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
-that arise directly or indirectly from any of the following which you do
-or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
-work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
-Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
-
-
-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
-
-Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of computers
-including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
-because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
-people in all walks of life.
-
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
-goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
-To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
-and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
-
-
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
-Foundation
-
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
-http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
-permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
-
-The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
-Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
-throughout numerous locations. Its business office is located at
-809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
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-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
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