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| author | nfenwick <nfenwick@pglaf.org> | 2025-02-08 07:04:36 -0800 |
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Réponse. Le Triomphe de la + République.--Du second Provincial.--De la Grippe. Encore + de la Grippe. Toujours de la Grippe.--Entre deux + trains.--Pour ma maison (cité socialiste). Pour + moi.--Compte rendu de mandat.--La Chanson du roi Dagobert. + Suite de cette chanson. + + TOME II _INTRODUCTION PAR MAURICE BARRÈS_ + + De Jean Coste.--Les récentes oeuvres de Zola.--Orléans + vu de Montargis.--Zangwill.--Notre Patrie.--Courrier de + Russie.--Les suppliants parallèles.--Louis de Gonzague. + + TOME III _INTRODUCTION PAR HENRI BERGSON_ + + De la situation faite à l'histoire et à la sociologie.--De + la situation faite au parti intellectuel devant les + accidents de la gloire temporelle.--A nos amis, à nos + abonnés.--L'argent. + + TOME IV _INTRODUCTION PAR ANDRÉ SUARÈS_ + + Notre Jeunesse.--Victor Marie, comte Hugo. + + +OEUVRES DE POÉSIE + + TOME V Le Mystère de la Charité de Jeanne d'Arc.--Le Porche du + Mystère de la deuxième vertu. + + TOME VI Le Mystère des Saints Innocents.--La tapisserie de sainte + Geneviève et de Jeanne d'Arc.--La tapisserie de Notre-Dame. + + TOME VII Ève.--Sonnets. + + +OEUVRES POSTHUMES + + TOME VIII Clio. + + TOME IX Note conjointe sur Descartes (précédée de la note sur + M. Bergson). + + TOME X Autres ouvrages et fragments inédits. + + +POLÉMIQUE ET DOSSIERS + + TOME XI Texte et commentaires se rapportant à la gérance et au rôle + littéraire des Cahiers (préfaces). + + TOME XII Texte et commentaires se rapportant au rôle politique joué + par les Cahiers (compte rendu de Congrès.--Affaire Dreyfus, + etc.). + + TOME XIII Un nouveau théologien, M. Fernand Laudet.--Langlois + tel qu'on le parle.--L'argent (suite). + + TOME XIV Marcel. La première Jeanne d'Arc. + + TOME XV Correspondance. Biographie et Histoire des Cahiers de la + Quinzaine, par _ÉMILE BOIVIN_ et _MARCEL PÉGUY_. + + + + +_le mystère + +des saints Innocents_ + + + + +DELECTISSIMIS + +IN INTIMO CORDE + + + + +_cahier pour le dimanche des Rameaux + +et pour le dimanche de Pâques de la treizième série;_ + + +_cahier préparatoire + +pour le quatre cent quatre-vingt-troisième anniversaire + +de la délivrance d'Orléans, + +anniversaire qui tombera + +le mercredi 8 mai de l'an 1912._ + + + + +LE MYSTÈRE + +DES SAINTS INNOCENTS + + + +MADAME GERVAISE + + + + Je suis, dit Dieu, Maître des Trois Vertus. + + La Foi est une épouse fidèle. + La Charité est une mère ardente. + Mais l'espérance est une toute petite fille. + + + + Je suis, dit Dieu, le Maître des Vertus. + + + + La Foi est celle qui tient bon dans les siècles des siècles. + La Charité est celle qui se donne dans les siècles des siècles. + Mais ma petite espérance est celle + qui se lève tous les matins. + + + + Je suis, dit Dieu, le Seigneur des Vertus. + + + + La Foi est celle qui est tendue dans les siècles des siècles. + La Charité est celle qui se détend dans les siècles des siècles. + Mais ma petite espérance + est celle qui tous les matins + nous donne le bonjour. + + + + Je suis, dit Dieu, le Seigneur des Vertus. + + + + La Foi est un soldat, c'est un capitaine qui défend une forteresse, + Une ville du roi, + Aux marches de Gascogne, aux marches de Lorraine. + La Charité est un médecin, c'est une petite soeur des pauvres, + Qui soigne les malades, qui soigne les blessés, + Les pauvres du roi, + Aux marches de Gascogne, aux marches de Lorraine. + Mais ma petite espérance est celle + qui dit bonjour au pauvre et à l'orphelin. + + + + Je suis, dit Dieu, le Seigneur des Vertus. + + + + La Foi est une église, c'est une cathédrale enracinée au sol de + France. + La Charité est un hôpital, un hôtel-Dieu qui ramasse toutes les + misères du monde. + Mais sans l'espérance, tout ça ne serait qu'un cimetière. + + + + Je suis, dit Dieu, le Seigneur des Vertus. + + + + La Foi est celle qui veille dans les siècles des siècles. + La Charité est celle qui veille dans les siècles des siècles. + Mais ma petite espérance est celle + qui se couche tous les soirs + et se lève tous les matins + et fait vraiment de très bonnes nuits. + + + + Je suis, dit Dieu, le Seigneur de cette vertu-là. + + + + Ma petite espérance est celle + qui s'endort tous les soirs, + dans son lit d'enfant, + après avoir bien fait sa prière, + et qui tous les matins se réveille et se lève + et fait sa prière avec un regard nouveau. + + + + Je suis, dit Dieu, Seigneur des Trois Vertus. + + + + La Foi est un grand arbre, c'est un chêne enraciné au coeur de France. + Et sous les ailes de cet arbre la Charité, ma fille la Charité abrite + toutes les détresses du monde. + Et ma petite espérance n'est rien que cette petite promesse de + bourgeon qui s'annonce au fin commencement d'avril. + + + + Et quand on voit l'arbre, quand vous regardez le chêne, + Cette rude écorce du chêne treize et quatorze fois et dix-huit fois + centenaire, + Et qui sera centenaire et séculaire dans les siècles des siècles, + Cette dure écorce rugueuse et ces branches qui sont comme un fouillis + de bras énormes, + (Un fouillis qui est un ordre), + Et ces racines qui s'enfoncent et qui empoignent la terre comme un + fouillis de jambes énormes, + (Un fouillis qui est un ordre), + Quand vous voyez tant de force et tant de rudesse le petit bourgeon + tendre ne paraît plus rien du tout. + C'est lui qui a l'air de parasiter l'arbre, de manger à la table de + l'arbre. + Comme un gui, comme un champignon. + C'est lui qui a l'air de se nourrir de l'arbre (et le paysan les + appelle des _gourmands_), c'est lui qui a l'air de s'appuyer sur + l'arbre, de sortir de l'arbre, de ne rien pouvoir être, de ne pas + pouvoir exister sans l'arbre. Et en effet aujourd'hui il sort de + l'arbre, à l'aisselle des branches, à l'aisselle des feuilles et il + ne peut plus exister sans l'arbre. Il a l'air de venir de l'arbre, + de dérober la nourriture de l'arbre. + Et pourtant c'est de lui que tout vient au contraire. Sans un + bourgeon qui est une fois venu, l'arbre ne serait pas. Sans ces + milliers de bourgeons, qui viennent une fois au fin commencement + d'avril et peut-être dans les derniers jours de mars, rien ne + durerait, l'arbre ne durerait pas, et ne tiendrait pas sa place + d'arbre, (il faut que cette place soit tenue), sans cette sève qui + monte et pleure au mois de mai, sans ces milliers de bourgeons qui + pointent tendrement à l'aisselle des dures branches. + Il faut que toute place soit tenue. Toute vie vient de tendresse. + Toute vie vient de ce tendre, de ce fin bourgeon d'avril, et de + cette sève qui pleure en mai, et de la ouate et du coton de ce fin + bourgeon blanc qui est vêtu, qui est chaudement, qui est tendrement + protégé d'un flocon d'une toison d'une laine végétale, d'une laine + d'arbre. En ce flocon cotonneux est le secret de toute vie. La rude + écorce a l'air d'une cuirasse, en comparaison de ce tendre + bourgeon. Mais la rude écorce n'est rien, que du bourgeon durci, + que du bourgeon vieilli. Et c'est pour cela que le tendre bourgeon + perce toujours, jaillit toujours dessous la dure écorce. + L'homme de guerre le plus dur a été un tendre enfant nourri de lait; + et le plus rude martyr, le martyr le plus dur sur le chevalet, le + martyr à la plus rude écorce, à la plus rugueuse peau, le martyr le + plus dur à la serre et à l'onglet a été un tendre enfant laiteux. + Sans ce bourgeon, qui n'a l'air de rien, qui ne semble rien, tout + cela ne serait que du bois mort. + Et le bois mort sera jeté au feu. + + + + Ce qui vous trompe, c'est que cette rude écorce vous écorche les + mains; et ni de l'épaule vous ne faites bouger le tronc d'un + millième de millimètre, ni du pied vous ne pouvez faire bouger une + de ces grosses racines d'un millième de millimètre; ni de la main + une seule de ces grosses branches; et c'est à peine si vous + ébranleriez quelques-unes de ces petites branches; et si vous les + feriez balancer; + au lieu que le bourgeon ne résiste point sous le doigt et d'un coup + d'ongle le premier venu vous fait sauter un bourgeon; + qui développé vous ferait une branche plus grosse que la cuisse; + + Car il est plus facile, dit Dieu, de ruiner que de fonder; + Et de faire mourir que de faire naître; + Et de donner la mort que de donner la vie; + + Et le bourgeon ne résiste point. C'est qu'aussi il n'est point fait + pour la résistance, il n'est point chargé de résister. + C'est le tronc, et la branche, et cette maîtresse racine qui sont + faits pour la résistance, qui sont chargés de résister. + Et c'est la rude écorce qui est faite pour la rudesse et qui est + chargée d'être rude. + Mais le tendre bourgeon n'est fait que pour la naissance et il n'est + chargé que de faire naître. + + (Et de faire durer). + + + + (Et de se faire aimer). + + + + Or je vous le dis, dit Dieu, sans ce bourgeonnement de fin avril, + sans ces milliers, sans cet unique petit bourgeonnement de + l'espérance, qu'évidemment tout le monde peut casser, sans ce + tendre bourgeon cotonneux, que le premier venu peut faire sauter de + l'ongle, toute ma création ne serait que du bois mort. + Et le bois mort sera jeté au feu. + + + + Et toute ma création ne serait qu'un immense cimetière. + Or mon fils le leur a dit: _Il faut laisser les morts ensevelir leurs + morts._ + + + + Hélas mon fils, hélas mon fils, hélas mon fils; + Mon fils qui sur la croix avait une peau sèche comme une sèche écorce; + une peau flétrie, une peau ridée, une peau tannée; + une peau qui se fendait sous les clous; + mon fils avait été un tendre enfant laiteux; + + + + une enfance, un bourgeonnement, une promesse, un engagement; + un essai; une origine; un commencement de rédempteur; + une espérance de salut, une espérance de rédemption + + + + O jour, ô soir, ô nuit de l'ensevelissement. + Tombée de cette nuit que je ne reverrai jamais. + O nuit si douce au coeur parce que tu accomplis. + Et tu calmes comme un baume. + Nuit sur cette montagne et dans cette vallée. + O nuit j'avais tant dit que je ne te verrais plus. + O nuit je te verrai dans mon éternité. + Que ma volonté soit faite. O ce fut cette fois-là que ma volonté fut + faite. + Nuit je te vois encore. Trois grands gibets montaient. Et mon fils au + milieu. + Une colline, une vallée. Ils étaient partis de cette ville que + j'avais donnée à mon peuple. Ils étaient montés. + Mon fils entre ces deux voleurs. Une plaie au flanc. Deux plaies aux + mains. Deux plaies aux pieds. Des plaies au front. + Des femmes qui pleuraient tout debout. Et cette tête penchée qui + retombait sur le haut de la poitrine. + Et cette pauvre barbe sale, toute souillée de poussière et de sang. + Cette barbe rousse à deux pointes. + Et ces cheveux souillés, en quel désordre, que j'eusse tant baisés. + Ces beaux cheveux roux, encore tout ensanglantés de la couronne + d'épines. + Tout souillés, tout collés de caillots. Tout était accompli. + Il en avait trop supporté. + Cette tête qui penchait, que j'eusse appuyée sur mon sein. + Cette épaule que j'eusse appuyée à mon épaule. + Et ce coeur ne battait plus, qui avait tant battu d'amour. + Trois ou quatre femmes qui pleuraient tout debout. Des hommes je ne + me rappelle pas, je crois qu'il n'y en avait plus. + Ils avaient peut-être trouvé que ça montait trop. Tout était fini. + Tout était consommé. C'était fini. + Et les soldats s'en retournaient, et dans leurs épaules rondes ils + emportaient la force romaine: + + C'est alors, ô Nuit, que tu vins. O nuit la même. + La même qui viens tous les soirs et qui étais venue tant de fois + depuis les ténèbres premières. + La même qui étais venue sur l'autel fumant d'Abel et sur le cadavre + d'Abel, sur ce corps déchiré, sur le premier assassinat du monde; + ô nuit la même tu vins sur le corps lacéré, sur le premier, sur le + plus grand assassinat du monde. C'est alors, ô nuit, que tu vins. + La même qui étais venue sur tant de crimes depuis le commencement du + monde; + Et sur tant de souillures et sur tant d'amertumes; + Et sur cette mer d'ingratitude, la même tu vins sur mon deuil; + Et sur cette colline et sur cette vallée de ma désolation c'est + alors, ô nuit, que tu vins. + O nuit faudra-t-il donc, faudra-t-il que mon paradis + Ne soit qu'une grande nuit de clarté qui tombera sur les péchés du + monde. + Sera-ce alors, ô nuit, que tu viendras. + C'est alors, ô nuit, que tu vins; et seule tu pus finir, seule tu pus + accomplir ce jour entre les jours. + Comme tu accomplis ce jour, ô nuit accompliras-tu le monde. + Et mon paradis sera-t-il une grande nuit de lumière. + Et tout ce que je pourrai offrir + Dans mon offrande et moi aussi dans mon Offertoire + A tant de martyrs et à tant de bourreaux, + A tant d'âmes et à tant de corps, + A tant de purs et à tant d'impurs, + A tant de pécheurs et à tant de saints, + A tant de fidèles et à tant de pénitents, + Et à tant de peines, et à tant de deuils, et à tant de larmes et à + tant de plaies, + Et à tant de sang, + Et à tant de coeurs qui auront tant battu, + D'amour, de haine, + Et à tant de coeurs qui auront tant saigné + D'amour, de haine, + Sera-t-il dit qu'il faut que ce soit + Qu'il faudra que je leur offre + Et qu'ils ne demanderont que cela, + Qu'ils ne voudront que de cela, + Qu'ils n'auront de goût que pour cela, + Sur ces souillures et sur tant d'amertumes, + Et sur cette mer immense d'ingratitude + La longue retombée d'une nuit éternelle. + + + + O nuit tu n'avais pas eu besoin d'aller demander la permission à + Pilate. C'est pourquoi je t'aime et je te salue. + Et entre toutes je te glorifie, et entre toutes tu me glorifies. + Et tu me fais honneur et gloire + Car tu obtiens quelquefois ce qu'il y a de plus difficile au monde, + Le désistement de l'homme. + L'abandonnement de l'homme entre mes mains. + Je connais bien l'homme. C'est moi qui l'ai fait. C'est un drôle + d'être. + Car en lui joue cette liberté qui est le mystère des mystères. + On peut encore lui demander beaucoup. Il n'est pas trop mauvais. Il + ne faut pas dire, qu'il est mauvais. + Quand on sait le prendre, on peut encore lui demander beaucoup. + Lui faire rendre beaucoup. Et Dieu sait si ma grâce + Sait le prendre, si avec ma grâce + Je sais le prendre. Si ma grâce est insidieuse, habile comme un + voleur. + Et comme un homme qui chasse le renard. + Je sais le prendre. C'est mon métier. Et cette liberté même est ma + création. + On peut lui demander beaucoup de coeur, beaucoup de charité, beaucoup + de sacrifice. + Il a beaucoup de foi et beaucoup de charité. + Mais ce qu'on ne peut pas lui demander, sacredié, c'est un peu + d'espérance. + Un peu de confiance, quoi, un peu de détente, + Un peu de remise, un peu d'abandonnement dans mes mains, + Un peu de désistement. Il se raidit tout le temps. + Or toi, ma fille la nuit, tu réussis, quelquefois, tu obtiens + quelquefois cela + De l'homme rebelle. + Qu'il consente, ce monsieur, qu'il se rende un peu à moi. + Qu'il détende un peu ses pauvres membres las sur un lit de repos. + Qu'il détende un peu sur un lit de repos son coeur endolori. + Que sa tête surtout ne marche plus. Elle ne marche que trop, sa tête. + Et il croit que c'est du travail, que sa tête marche comme ça. + Et ses pensées, non, pour ce qu'il appelle ses pensées. + Que ses idées ne marchent plus et ne se battent plus dans sa tête et + ne grelottent plus comme des grains de calebasse. + Comme un grelot dans une courge vide. + Quand on voit ce que c'est, que ce qu'il appelle ses idées. + Pauvre être. Je n'aime pas, dit Dieu, l'homme qui ne dort pas. + Celui qui brûle, dans son lit, d'inquiétude et de fièvre. + Je suis partisan, dit Dieu, que tous les soirs on fasse son examen de + conscience. + C'est un bon exercice. + Mais enfin il ne faut pas s'en torturer au point d'en perdre le + sommeil. + A cette heure-là la journée est faite, et bien faite; il n'y a plus à + la refaire. + Il n'y a plus à y revenir. + Ces péchés qui vous font tant de peine, mon garçon, eh bien c'était + bien simple. + Mon ami il ne fallait pas les commettre. + A l'heure où tu pouvais encore ne pas les commettre. + A présent, c'est fait, va, dors, demain tu ne recommenceras plus. + Mais celui qui le soir en se couchant fait des plans pour le + lendemain. + Celui-là je ne l'aime pas, dit Dieu. + Le sot, est-ce qu'il sait seulement comment demain sera fait. + Est-ce qu'il connaît seulement la couleur du temps. + Il ferait mieux de faire sa prière. Je n'ai jamais refusé le pain du + lendemain. + Celui qui est dans ma main comme le bâton dans la main du voyageur, + Celui-là m'est agréable, dit Dieu. + Celui qui est posé dans mon bras comme un nourrisson qui rit, + Et qui ne s'occupe de rien, + Et qui voit le monde dans les yeux de sa mère, et de sa nourrice, + Et qui ne le voit et ne le regarde que là, + Celui-là m'est agréable, dit Dieu. + Mais celui qui fait des combinaisons, celui qui en lui-même pour + demain dans sa tête + Travaille comme un mercenaire. + Travaille affreusement comme un esclave qui tourne une roue éternelle. + (Et entre nous comme un imbécile). + Eh bien celui-là ne m'est pas agréable du tout, dit Dieu. + Celui qui s'abandonne, je l'aime. Celui qui ne s'abandonne pas, je ne + l'aime pas, c'est pourtant simple. + Celui qui s'abandonne ne s'abandonne pas et il est le seul qui ne + s'abandonne pas. + Celui qui ne s'abandonne pas s'abandonne et il est le seul qui + s'abandonne. + Or toi, ma fille la nuit, ma fille au grand manteau, ma fille au + manteau d'argent, + Tu es la seule qui vaincs quelquefois ce rebelle et qui fais plier + cette nuque dure. + C'est alors, ô Nuit que tu viens. + Et ce que tu as fait une fois, + Tu le fais toutes les fois. + Ce que tu as fait un jour, + Tu le fais tous les jours. + Comme tu es tombée un soir, + Ainsi tu tombes tous les soirs. + Ce que tu as fait pour mon fils fait homme, + O grande Charitable tu le fais pour tous les hommes ses frères + Tu les ensevelis dans le silence et l'ombre + Et dans le salutaire oubli + De la mortelle inquiétude + Du jour. + Ce que tu as fait une fois pour mon fils fait homme, + Ce que tu as fait un soir entre les soirs. + O nuit tu le refais tous les soirs pour le dernier des hommes + (C'est alors, ô nuit, que tu viens) + Tant il est vrai, tant il est réel qu'il était devenu l'un d'eux + Et qu'il s'était lié à leur sort mortel + Et qu'il était devenu l'un d'eux, pour ainsi dire au hasard, + Et qu'il s'était fait l'un d'eux + Sans aucune limitation ni mesure. + Car avant cette perpétuelle, cette imparfaite, + Cette perpétuellement imparfaite _imitation de Jésus-Christ_, + Dont ils parlent toujours, + Il y a eu cette très parfaite imitation de l'homme par Jésus-Christ, + Cette inexorable imitation, par Jésus-Christ, + De la misère mortelle et de la condition de l'homme. + + + + Je comprends très bien, dit Dieu, qu'on fasse son examen de + conscience. + C'est un excellent exercice. Il ne faut pas en abuser. + C'est même recommandé. C'est très bien. + Tout ce qui est recommandé est très bien. + Et même ce n'est pas seulement recommandé. C'est prescrit. + Par conséquent c'est très bien. + Mais enfin vous êtes dans votre lit. Qu'est-ce que vous nommez votre + examen de conscience, faire votre examen de conscience. + Si c'est penser à toutes les bêtises que vous avez faites dans la + journée, si c'est vous rappeler toutes les bêtises que vous avez + faites dans la journée + Avec un sentiment de repentance et je ne dirai peut-être pas de + contrition, + Mais enfin avec un sentiment de pénitence que vous m'offrez, eh bien, + c'est bien. + Votre pénitence je l'accepte. Vous êtes des braves gens, des bons + garçons. + Mais si c'est que vous voulez ressasser et ruminer la nuit toutes les + ingratitudes du jour, + Toutes les fièvres et toutes les amertumes du jour, + Et si c'est que vous voulez remâcher la nuit tous vos aigres péchés + du jour, + Vos fièvres aigres et vos regrets et vos repentirs et vos remords + plus aigres encore, + Et si c'est que vous voulez tenir un registre parfait de vos péchés, + De toutes ces bêtises et de toutes ces sottises, + Non, laissez-moi tenir moi-même le Livre du Jugement. + Vous y gagnerez peut-être encore. + Et si c'est que vous voulez compter, calculer, supputer comme un + notaire et comme un usurier et comme un publicain, + C'est-à-dire comme un collecteur d'impôts, + C'est-à-dire comme celui qui ramasse les impôts, + Laissez-moi donc faire mon métier et ne faites pas + Des métiers qui n'ont pas à être faits. + Vos péchés sont-ils si précieux qu'il faille les cataloguer et les + classer + Et les enregistrer et les aligner sur des tables de pierre + Et les graver et les compter et les calculer et les compulser + Et les compiler et les revoir et les repasser + Et les supputer et vous les imputer éternellement + Et les commémorer avec on ne sait quelle sorte de piété. + Comme nous dans le ciel nous lions les gerbes éternelles, + Et les sacs de prière et les sacs de mérite + Et les sacs de vertus et les sacs de grâce dans nos impérissables + greniers + Pauvres imitateurs, allez-vous à présent vous mêler,-- + Et imitateurs contraires, imitateurs à l'envers,-- + Allez-vous vous mettre à lier tous les soirs + Les misérables gerbes de vos affreux péchés de chaque jour. + Quand ce ne serait que pour les brûler, c'est encore trop. Ils n'en + valent même pas la peine. + Pas même de cela même. + Vous n'y pensez que trop, à vos péchés. + Vous feriez mieux d'y penser pour ne point les commettre. + Pendant qu'il en est encore temps, mon garçon, pendant qu'ils ne sont + point encore commis. Vous feriez mieux d'y penser un peu plus alors. + Mais le soir ne liez point ces gerbes vaines. Depuis quand le + laboureur + Fait-il des gerbes d'ivraie et de chiendent. On fait des gerbes de + blé, mon ami. + Ne dressez point ces comptes et ces nomenclatures. C'est beaucoup + d'orgueil. + C'est aussi beaucoup de traînasserie. Et de paperasserie. Quand le + pèlerin, quand l'hôte, quand le voyageur + A longtemps traîné dans la boue des chemins, + Avant de passer le seuil de l'église il s'essuie soigneusement les + pieds, + Avant d'entrer, + Parce qu'il est très propre. + Et il ne faut pas que la boue des chemins souille les dalles de + l'église. + Mais une fois que c'est fait, une fois qu'il s'est essuyé les pieds + avant d'entrer, + Une fois qu'il est entré il ne pense plus toujours à ses pieds, + Il ne regarde plus toujours si ses pieds sont bien essuyés. + Il n'a plus de coeur, il n'a plus de regard, il n'a plus de voix + Que pour cet autel où le corps de Jésus + Et le souvenir et l'attente du corps de Jésus + Brille éternellement. + Il suffit que la boue des chemins n'ait point passé le seuil du + temple. + Il suffit qu'ils se soient bien essuyé les pieds une fois avant de + passer le seuil du temple. + Bien soigneusement, bien proprement et n'en parlons plus. + On ne parle pas toujours de la boue. Ce n'est pas propre. + Transporter dans le temple la mémoire même et le souci de la boue + Et la préoccupation et la pensée de la boue + C'est encore transporter de la boue dans le temple. + Or il ne faut point que la boue passe le seuil de la porte. + Quand l'hôte arrive chez l'hôte qu'il s'essuie simplement les pieds + avant d'entrer + Qu'il entre propre et les pieds propres et qu'ensuite + Il ne pense pas toujours à ses pieds et à la boue de ses pieds. + Or vous êtes mes hôtes, dit Dieu, et je vaux bien ce Dieu qui était + le Dieu des hôtes. + Vous êtes mes hôtes et mes enfants qui venez dans mon temple. + Vous êtes mes hôtes et mes enfants qui venez dans ma nuit. + Au seuil de mon temple, au seuil de ma nuit, essuyez-vous les pieds + et qu'on n'en parle plus. + Faites votre examen de conscience, mais que ce soit de vous essuyer + les pieds. + Et nullement au contraire que ce ne soit pas + De transporter dans le temple les boues et le souvenir des boues du + chemin + Et que ce ne soit pas de faire traîner sur le seuil auguste de ma nuit + Les traces, les marques des boues + De vos sales chemins de la journée. + Débarbouillez-vous le soir. C'est ça, faire votre examen de + conscience. On ne se débarbouille pas tout le temps. + Soyez comme ce pèlerin qui prend de l'eau bénite en entrant dans + l'église + Et qui fait le signe de la croix. Ensuite il entre dans l'église. + Et il ne prend pas tout le temps de l'eau bénite. + Et l'église n'est pas composée uniquement de bénitiers. + Il y a ce qui est avant le seuil. Il y a ce qui est au seuil. Et il y + a ce qui est dans la maison. + Il faut entrer une fois, et ne pas sortir et entrer tout le temps. + Soyez comme ce pèlerin qui ne regarde plus que le sanctuaire. + Et qui n'entend plus. + Et qui ne voit plus que cet autel où mon fils a été sacrifié tant de + fois. + Imitez ce pèlerin qui ne voit plus que l'éclat + Du resplendissement de mon fils + Entrez dans ma nuit comme chez moi. Car c'est là que je me suis + réservé + D'être le maître. + Et si vous tenez absolument à m'offrir quelque chose + Le soir en vous couchant + Que ce soit d'abord une action de grâces + Pour tous les services que je vous rends + Pour les innombrables bienfaits dont je vous comble chaque jour + Dont je vous ai comblés ce jour-là même. + Remerciez-moi d'abord, c'est le plus pressé + Et c'est aussi le plus juste. + Ensuite que votre examen de conscience + Soit un débarbouillement une fois fait + Et non point au contraire un traînassement de marques et de + souillures. + La journée d'hier est faite, mon garçon, pense à celle de demain. + Et à ton salut qui est au bout de la journée de demain. + Pour hier il est trop tard. Mais pour demain il n'est pas trop tard + Et pour ton salut qui est au bout de la journée de demain. + Ton salut n'est plus hier. Mais il peut être demain. + Hier est fait. Mais demain n'est pas fait, demain est à faire + Et ton salut qui est au bout de la journée de demain. + Ton salut n'est pas dans le sens d'hier, il est dans le sens de + demain. + Porte-toi sur demain, ne te reporte pas sur hier. + Pensez donc un peu moins à vos péchés quand vous les avez commis + Et pensez-y un peu plus au moment de les commettre. + Avant de les commettre. + Ce sera plus utile, dit Dieu. + Quand ils sont commis, quand ils sont faits il est trop tard. + Il n'est pas trop tard pour la pénitence. + Mais il est trop tard pour ne pas les commettre + Et ne pas les avoir commis. + Quand vous avez passé par dessus vos péchés, vous les faites gros + comme des montagnes, dit Dieu. + C'est au moment de les passer qu'il faut voir que ce sont en effet + des montagnes et qu'elles sont affreuses. + Vous êtes vertueux après. Soyez donc vertueux avant + Et pendant. + L'heure qui sonne est sonnée. Le jour qui passe est passé. Demain + seul reste, et les après demains + Et ils ne resteront pas longtemps. + Que vos examens de conscience et que vos pénitences + Ne soient donc point des raidissements et des cabrements en arrière, + Peuple à la nuque dure, + Mais qu'ils soient des assouplissements et que vos examens de + conscience et que vos pénitences et que vos contritions même les + plus amères + Soient des pénitences de détente, malheureux enfants, et des + contritions de rémission + Et de remise en mes mains et de démission. + (De démission de vous). + Mais je vous connais, vous êtes toujours les mêmes. + Vous voulez bien me faire de grands sacrifices, pourvu que vous les + choisissiez. + Vous aimez mieux me faire de grands sacrifices, pourvu que ce ne soit + pas ceux que je vous demande + Que de m'en faire de petits que je vous demanderais. + Vous êtes ainsi, je vous connais. + Vous ferez tout pour moi, excepté ce peu d'abandonnement + Qui est tout pour moi. + Soyez donc enfin, soyez comme un homme + Qui est dans un bateau sur la rivière + Et qui ne rame pas tout le temps + Et qui quelquefois se laisse aller au fil de l'eau. + + Ainsi vous et votre canot + Laissez-vous aller quelquefois au fil du temps + Et laissez-vous entrer bravement + Sous l'arche du pont de la nuit. + + + + On parle toujours, dit Dieu, de l'_imitation de Jésus-Christ_ + Qui est l'imitation, + La fidèle imitation de mon fils par les hommes. + Et j'en ai connu et j'en connaîtrai des imitations si fidèles, dit + Dieu, + Et si approchées, + Que moi-même j'en demeure saisi d'admiration et de respect. + Mais enfin il ne faut pas oublier + Que mon fils avait commencé par cette singulière imitation de l'homme. + Singulièrement fidèle. + Qui elle fut poussée jusqu'à l'identité parfaite. + Quand si fidèlement si parfaitement il revêtit le sort mortel. + Quand si fidèlement si parfaitement il imita de naître. + Et de souffrir. + Et de vivre. + Et de mourir. + + + + Mais quand je vous dis: Pensez plutôt à demain je ne vous dis pas: + Calculez ce demain. + Pensez-y comme à un jour qui viendra; et que c'est tout ce que vous + en savez. + Ne soyez point ce malheureux qui se retourne et se consume dans son + lit + Pour saisir la journée de demain. + Ne portez point votre main + Sur le fruit qui n'est pas mûr. + Sachez seulement que ce demain + Dont on parle toujours + Est le jour qui va venir, + Et qu'il sera de mon gouvernement + Comme les autres. + Et qu'il sera sous mon commandement + Comme les autres. + C'est tout ce qu'il vous faut. Pour le reste, attendez. + J'attends bien, moi, Dieu. Vous me faites assez attendre. + Vous me faites assez attendre la pénitence après la faute. + Et la contrition après le péché. + Et depuis le commencement des temps j'attends + Le jugement jusqu'au jour du jugement. + Je n'aime pas, dit Dieu, l'homme qui spécule sur demain. + Je n'aime pas celui qui sait mieux que moi ce que je vais faire. + Je n'aime pas celui qui sait ce que je ferai demain. + Je n'aime pas celui qui fait le malin. L'homme fort ce n'est pas mon + fort. + Penser au lendemain, quelle vanité. Gardez pour demain les larmes de + demain. + Il y en aura toujours assez. + Et ces sanglots qui vous remontent et qui vous étranglent. + Penser à demain, savez-vous seulement comment je ferai demain. + Quel demain je vous ferai. + Savez-vous si moi-même je l'ai arrêté encore. + Je n'aime pas, dit Dieu, celui qui se méfie de moi. + Croyez-vous que je vais m'amuser à vous faire des attrapes, comme un + roi barbare. + Croyez-vous que je passe ma vie à vous tendre des pièges et à prendre + plaisir à vous voir tomber dedans. + Je suis honnête homme, dit Dieu, et j'agis toujours droitement. + Je suis l'honneur même, et la droiture, et l'honnêteté. + Je suis bon Français, dit Dieu, droit comme un Français. + Loyal comme un Français. + Je suis le roi de France, droit comme le roi de France. + Ce que le dernier des pauvres n'eût pas craint de saint Louis, + allez-vous le craindre de moi? + Enfin je vaux peut-être saint Louis. + Croyez-vous que je vais m'amuser à vous faire des feintes comme un + bretteur. + Toute la malice que j'ai, c'est la malice de ma grâce, et la feinte + et la ruse de ma grâce, qui si souvent joue avec le pécheur pour + son salut, pour l'empêcher de pécher. + Qui séduit le pécheur; pour le sauver. Mais croyez-vous. Croyez-vous + que moi Dieu que je vais m'amuser à leur faire des misères et ce + que ne ferait pas un honnête homme. Je suis bon chrétien, dit Dieu. + Croyez-vous que je vais m'amuser à les surprendre comme un assassin + de nuit. + +JEANNETTE + + Il viendra comme un larron et comme un voleur de nuit. + +MADAME GERVAISE + + Et il prendra comme au filet. _Le royaume des cieux est encore + semblable à une senne jetée dans la mer, et rassemblant de tout + genre de poissons._ + +JEANNETTE + + _Laquelle, quand elle fut emplie, tirant de l'eau, et assis sur le + bord du rivage, ils choisirent les bons pour leurs vaisseaux, mais + jetèrent les mauvais dehors._ + +MADAME GERVAISE + + _Il en sera ainsi dans la consommation du siècle: les anges sortiront + et sépareront les mauvais du milieu des justes._ + +JEANNETTE + + _Et répondant Jésus leur dit: Voyez que personne ne vous séduise._ + +MADAME GERVAISE + + _Mais de ce jour-là et de l'heure personne ne le sait, ni les anges + des cieux, sinon le père seul._ + + _Mais comme dans les jours de Noé, ainsi sera aussi l'avènement du + Fils de l'homme. + (Le ciel et la terre passeront; mais mes paroles ne passeront pas)._ + + _Ainsi en effet qu'il y avait dans les jours avant le déluge des gens + qui mangeaient et buvaient, se mariaient et donnaient en mariage, + jusqu'à ce jour où Noé entra dans l'arche._ + + _Et ils ne connurent pas jusqu'à ce que vint le déluge, et les + emporta tous:_ + +JEANNETTE + + _Ainsi sera aussi l'avènement du Fils de l'homme._ + +MADAME GERVAISE + + Je suis leur père, dit Dieu. _Notre Père, qui êtes aux Cieux._ Mon + fils le leur a assez dit, que je suis leur père. + Je suis leur juge. Mon fils le leur a dit. Je suis aussi leur père. + Je suis surtout leur père. + Enfin je suis leur père. Celui qui est père est surtout père. _Notre + Père qui êtes aux Cieux._ Celui qui a été une fois père ne peut + plus être que père. + Ils sont les frères de mon fils; ils sont mes enfants; je suis leur + père. + _Notre Père qui êtes aux cieux_, mon fils leur a enseigné cette + prière. _Sic ergo vos orabitis. Vous prierez donc ainsi. + Notre Père qui êtes aux cieux_, il a bien su ce qu'il faisait ce + jour-là, mon fils qui les aimait tant. + Qui a vécu parmi eux, qui était un comme eux. + Qui allait comme eux, qui parlait comme eux, qui vivait comme eux. + Qui souffrait. + Qui souffrit comme eux, qui mourut comme eux. + Et qui les aime tant les ayant connus. + Qui a rapporté dans le ciel un certain goût de l'homme, un certain + goût de la terre. + Mon fils qui les a tant aimés, qui les aime éternellement dans le + ciel. + Il a bien su ce qu'il faisait ce jour-là, mon fils qui les aime tant. + Quand il a mis cette barrière entre eux et moi, _Notre Père qui êtes + aux cieux_, ces trois ou quatre mots. + Cette barrière que ma colère et peut-être ma justice ne franchira + jamais. + Heureux celui qui s'endort sous la protection de l'avancée de ces + trois ou quatre mots. + Ces mots qui marchent devant toute prière comme les mains du + suppliant marchent devant sa face. + Comme les deux mains jointes du suppliant s'avancent devant sa face + et les larmes de sa face. + Ces trois ou quatre mots qui me vainquent, moi l'invincible. + Et qu'ils font marcher devant leur détresse comme deux mains jointes + invincibles. + Ces trois ou quatre mots qui s'avancent comme un bel éperon devant un + pauvre navire. + Et qui fendent le flot de ma colère. + Et quand l'éperon est passé, le navire passe, et toute la flotte + derrière. + Actuellement, dit Dieu, c'est ainsi que je les vois; + Et pour mon éternité, éternellement, dit Dieu, + Par cette invention de mon Fils éternellement c'est ainsi qu'il faut + que je les voie. + (Et qu'il faut que je les juge. Comment voulez-vous, à présent, que + je les juge. + Après cela). + _Notre Père qui êtes aux cieux_, mon fils a très bien su s'y prendre. + Pour lier les bras de ma justice et pour délier les bras de ma + miséricorde. + (Je ne parle pas de ma colère, qui n'a jamais été que ma justice. + Et quelquefois ma charité). + Et à présent il faut que je les juge comme un père. Pour ce que ça + peut juger, un père. _Un homme avait deux fils_. + Pour ce que c'est capable de juger. _Un homme avait deux fils_. On + sait assez comment un père juge. Il y en a un exemple connu. + On sait assez comment le père a jugé le fils qui était parti et qui + est revenu. + C'est encore le père qui pleurait le plus. + Voilà ce que mon fils leur a conté. Mon fils leur a livré + le secret du jugement même. + Et à présent voici comme ils me paraissent; voici comme je les vois; + Voici comme je suis forcé de les voir. + De même que le sillage d'un beau vaisseau va en s'élargissant jusqu'à + disparaître et se perdre, + Mais commence par une pointe, qui est la pointe même du vaisseau. + Ainsi le sillage immense des pécheurs s'élargit jusqu'à disparaître + et se perdre + Mais il commence par une pointe, et c'est cette pointe qui vient vers + moi, + Qui est tournée vers moi. + Il commence par une pointe, qui est la pointe même du vaisseau. + Et le vaisseau est mon propre fils, chargé de tous les péchés du + monde. + Et la pointe du vaisseau ce sont les deux mains jointes de mon fils. + Et devant le regard de ma colère et devant le regard de ma justice + Ils se sont tous dérobés derrière lui. + Et tout cet immense cortège des prières, tout ce sillage immense + s'élargit jusqu'à disparaître et se perdre. + Mais il commence par une pointe et c'est cette pointe qui est tournée + vers moi. + Qui s'avance vers moi. + Et cette pointe ce sont ces trois ou quatre mots: _Notre Père qui + êtes aux cieux_; mon fils en vérité savait ce qu'il faisait. + Et toute prière monte vers moi dérobée derrière ces trois ou quatre + mots. + Et il y a une pointe de la pointe. C'est cette prière même non plus + seulement dans son texte. + Mais dans son invention même. Cette première fois que réellement dans + le temps elle fut prononcée. + Cette première fois que mon fils la prononça. + Non plus seulement dans son texte comme elle est devenue un texte. + Mais dans son invention même et dans son sourcement et dans son + forcement. + Quand elle-même fut une naissance de prière, une incarnation et une + naissance de prière. Une espérance. + Une naissance d'espérance. + Une parole naissante. + Un rameau et un germe et un bourgeon et une feuille et une fleur et + un fruit de parole. + Une semence, un naissement de prière. + Un verbe entre les verbes. + Cette première fois qu'elle sortit charnellement, temporellement des + lèvres d'homme de mon fils. + Et dans la pointe de la pointe, dans cette pointe même il y avait une + pointe. + Et c'étaient ces trois ou quatre mots, _Notre Père qui êtes aux + cieux_, non plus seulement comme un texte, non plus seulement dans + leur texte. + Mais dans leur source même. + Dans leur invention et dans leur bourgeonnement. + La première fois que mon fils les prononça sur cette montagne. + Les prononça, les fit sortir de ses lèvres d'homme. + La première fois qu'elles sortirent réellement, temporellement, + charnellement, + De ces lèvres de tendresse. + Et il était debout sur cette montagne qui sera célèbre dans les + siècles des siècles. + Sur cette montagne de la terre des hommes au-dessus de cette vallée + qui allait en descendant. + _Notre Père qui êtes aux cieux_, il inventa cela. + Il était avec eux, il était comme eux, il était un d'eux. + _Notre Père_. Comme un homme qui jette un grand manteau sur ses + épaules, + Tourné vers moi il s'était revêtu, + Il avait jeté sur ses épaules + Le manteau des péchés du monde. + _Notre Père qui êtes aux Cieux_. Et à présent derrière lui le pécheur + se dérobe à ma face. Et voici comme je vois, voici comme je suis + forcé de les voir. Voici comment je me représente ce cortège. + Tout part d'un point, qui est tourné vers moi, de l'extrême pointe + d'une pointe. + Et ce point de pointe ce sont ces trois ou quatre mots comme ils + furent inventés, comme ils furent introduits dans la création du + monde. + Comme ils furent prononcés pour la première fois par mon propre fils. + _Notre Père qui êtes aux cieux_. + Et derrière ce point s'avance la pointe elle-même, c'est-à-dire la + prière tout entière. + Comme elle fut prononcée cette première fois-là. + Et derrière s'élargit jusqu'à disparaître et se perdre + Le sillage des prières innombrables + Comme elles sont prononcées dans leur texte dans les jours + innombrables + Par les hommes innombrables, + (Par les simples hommes, ses frères). + Prières du matin, prières du soir; + (Prières prononcées toutes les autres fois); + Tant d'autres fois dans les innombrables jours; + Prières du midi et de toute la journée; + Prières des moines pour toutes les heures du jour, + Et pour les heures de la nuit; + Prières des laïcs et prières des clercs + Comme elles furent prononcées d'innombrables fois + Dans les innombrables jours. + (Il parlait comme eux, il parlait avec eux, il parlait l'un d'eux). + Toute cette immense flotte de prières chargée des péchés du monde. + Toute cette immense flotte de prières et de pénitences m'attaque + Ayant l'éperon que vous savez, + S'avance vers moi ayant l'éperon que vous savez. + C'est une flotte de charge, _classis oneraria_. + Et c'est une flotte de ligne, + Une flotte de combat. + Comme une belle flotte antique, comme une flotte de trirèmes + Qui s'avancerait à l'attaque du roi. + Et moi que voulez-vous que je fasse: je suis attaqué. + Et dans cette flotte, dans cette innombrable flotte + Chaque _Pater_ est comme un vaisseau de haut bord + Qui a lui-même son propre éperon, _Notre Père qui êtes aux cieux_ + Tourné vers moi, et qui s'avance derrière ce propre éperon. + _Notre Père qui êtes aux cieux_, ce n'est pas malin. Évidemment quand + un homme a dit ça, il peut se cacher derrière. + Quand il a prononcé ces trois ou quatre mots. + Et derrière ces beaux vaisseaux de haut bord les _Ave Maria_ + S'avancent comme des galères innocentes, comme de virginales birèmes. + Comme des vaisseaux plats, qui ne blessent point l'humilité de la mer. + Qui ne blessent point la règle, qui suivent, humbles et fidèles et + soumis au ras de l'eau. + _Notre Père qui êtes aux cieux_. Évidemment quand un homme a commencé + comme ça. + Quand il m'a dit ces trois ou quatre mots. + Quand il a commencé par faire marcher devant lui ces trois ou quatre + mots. + Après il peut continuer, il peut me dire ce qu'il voudra. + Vous comprenez, moi, je suis désarmé. + Et mon fils le savait bien. + Qui a tant aimé ces hommes. + Qui avait pris goût à eux, et à la terre, et à tout ce qui s'ensuit. + Et dans cette flotte innombrable je distingue nettement trois grandes + flottes innombrables. + (Je suis Dieu, je vois clair). + Et voici ce que je vois dans cet immense sillage qui commence par + cette pointe et qui de proche en proche peu à peu se perd à + l'horizon de mon regard. + Ils sont tous l'un derrière l'autre, même ceux qui débordent le + sillage + Vers ma main gauche et vers ma main droite. + En tête marche la flotte innombrable des _Pater_ + Fendant et bravant le flot de ma colère. + Puissamment assis sur leurs trois rangs de rames. + (Voilà comme je suis attaqué. Je vous le demande. Est-ce juste?) + (Non, ce n'est point juste, car tout ceci est du règne de ma + Miséricorde) + Et tous ces pécheurs et tous ces saints ensemble marchent derrière + mon fils + Et derrière les mains jointes de mon fils. + Et eux-mêmes ont les mains jointes comme s'ils fussent mon fils. + Enfin mes fils. Enfin chacun un fils comme mon fils. + En tête marche la lourde flotte des _Pater_ et c'est une flotte + innombrable. + C'est dans cette formation qu'ils m'attaquent. Je pense que vous + m'avez compris. + _Le royaume du ciel souffre la force, et les hommes de force le + prendront de force_. Ils le savent bien. Mon fils leur a tout dit. + _Regnum coeli_, le royaume du ciel. Ou _regnum coelorum_, le + royaume des cieux. + _Regnum coeli vim patitur. Et violenti rapient illud_. Ou _rapiunt_. + Le royaume du ciel souffre la violence. Et les violents le violent. + Ou le violeront. + Comment voulez-vous que je me défende. Mon fils leur a tout dit. Et + non seulement cela. Mais dans le temps il s'est mis à leur tête. Et + ils sont comme une grande flotte antique, comme une flotte + innombrable qui s'attaquerait au grand roi. Derrière le point, + derrière l'extrême point de cette extrême pointe cette extrême + pointe s'avance et derrière et se tenant serrée comme un faisceau + que je ne puis rompre cette pointe elle-même et aussitôt derrière + s'avancent effrontément ces lourdes trirèmes antiques et elles + fendent, plus serrées que la phalange macédonienne, impudemment + elles fendent le flot de ma colère, et de la colère de ma justice. + (Et de la justice de ma colère). + Liées comme un faisceau d'hommes à la guerre elles s'avancent + lourdement portées sur leurs trois rangs de rames. + Et cette flotte est plus innombrable que la flotte des Achéens. + Et reculant je reconnais les trois ponts superposés, les trois + invincibles, les trois insubmersibles ponts. + Plus forts que l'océan de ma colère. + Et je reconnais les trois rangs de rames. + Et ce sont des rames juives et ce sont des rames grecques. + Et ce sont des rames latines et ce sont des rames françaises. + Et le premier rang de rames est: + + + (S'il n'y a que la justice, qui sera sauvé. + Mais s'il y a la miséricorde, qui sera perdu. + S'il y a la miséricorde, qui peut se vanter de se perdre. + + + Se sauver est impossible à l'homme; mais rien n'est impossible à Dieu. + + + Du haut de mon promontoire, + Du promontoire de ma justice, + Et du siège de ma colère, + Et de la chaire de ma jurisprudence, + _In cathedra jurisprudentiae_, + Du trône de mon éternelle grandeur + Je vois monter vers moi, du fond de l'horizon je vois venir + Cette flotte qui m'assaille, + La triangulaire flotte, + Me présentant cette pointe que vous savez. + + + Comme les grues volent en triangle dans le ciel, + Et ainsi vont où elles veulent, + Fendant l'air et refoulant la force du vent même, + Et la plus forte est devant faisant la pointe du triangle, + Ainsi cette grande flotte triangulaire + Vole et navigue et vogue + Et pour ainsi dire vole + Pour traverser l'océan de ma colère. + Et le plus fort est devant faisant la pointe du triangle. + Et ils se sont mis derrière lui de proche en proche + Et de proche en proche ils disparaissent tous au regard de ma colère. + Ils sont massés comme des peureux; et qui leur en ferait un reproche. + Comme des passereaux timides ils sont massés derrière celui qui est + fort. + Et ils me présentent cette pointe. + Et ils fendent ainsi le vent de ma colère et ils refoulent la force + même des tempêtes de ma justice. + Et le souffle de ma colère n'a plus aucune prise sur cette masse + angulaire, + Aux fuyantes ailes. + Car ils me présentent cet angle et je ne puis les prendre que sous + cet angle. + Que sont ici les flottes grecques et les flottes persiques; + Et les flottes puniques et les flottes romaines; + Et les flottes anglaises et les flottes françaises + Qu'une lame de fond roule éternellement. + Ici s'avance une flotte que nulle lame de fond de ma colère ne + roulera jamais. + Et dérobés les uns derrière les autres je découvre une flotte + innombrable. + Et les derniers se perdent comme dans une brume à l'horizon de mon + regard. + Et dans cette flotte innombrable je découvre trois flottes également + innombrables. + Et la première est devant, pour m'attaquer plus durement. C'est la + flotte de haut bord, + Les navires à la puissante carène, + Cuirassés comme des hoplites, + C'est-à-dire comme des soldats pesamment armés. + Et ils se meuvent invinciblement portés sur leurs trois rangs de + rames. + + Et le premier rang de rames est: + _Que votre nom soit sanctifié, + Le vôtre;_ + + Et le deuxième rang de rames est: + _Que votre règne arrive, + Le vôtre;_ + + Et le troisième rang de rames est la parole entre toutes + insurmontable: + _Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, + La vôtre._ + + _Sanctificetur nomen + Tuum._ + + _Adveniat regnum + Tuum._ + + _Fiat voluntas + Tua + Sicut in coelo et in terra._ + + Et telle est la flotte des _Pater_, solide et plus innombrable que + les étoiles du ciel. Et derrière je vois la deuxième flotte, et + c'est une flotte innombrable, car c'est la flotte aux blanches + voiles, l'innombrable flotte des _Ave Maria_. + Et c'est une flotte de birèmes. Et le premier rang de rames est: + _Ave Maria, gratia plena;_ + + Et le deuxième rang de rames est: + _Sancta Maria, mater Dei._ + + + + Et tous ces _Ave Maria_, et toutes ces prières de la Vierge et le + noble _Salve Regina_ sont de blanches caravelles, humblement + couchées sous leurs voiles au ras de l'eau; comme de blanches + colombes que l'on prendrait dans la main. + Or ces douces colombes sous leurs ailes, + Ces blanches colombes familières, ces colombes dans la main, + Ces humbles colombes couchées au ras de la main, + Ces colombes accoutumées à la main, + Ces caravelles vêtues de voilures + De tous les vaisseaux ce sont les plus opportunes, + C'est-à-dire celles qui se présentent le plus directement devant le + port. + + + + Telle est la deuxième flotte, ce sont les prières de la Vierge. Et la + troisième flotte ce sont les autres innombrables prières. + Toutes. Celles qui se disent à la messe et aux vêpres. Et au salut. + Et les prières des moines qui marquent toutes les heures du jour. Et + les heures de la nuit. + Et le _Benedicite_ qui se dit pour se mettre à table. + Devant une bonne soupière fumante. + Toutes, enfin toutes. Et il n'en reste plus. + + + + Or je vois la quatrième flotte. Je vois la flotte invisible. Et ce + sont toutes les prières qui ne sont pas même dites, les paroles qui + ne sont pas prononcées. + Mais moi je les entends. Ces obscurs mouvements du coeur, les obscurs + bons mouvements, les secrets bons mouvements. + Qui jaillissent inconsciemment et qui naissent et inconsciemment + montent vers moi. + Celui qui en est le siège ne les aperçoit même pas. Il n'en sait + rien, et il n'en est vraiment que le siège. + Mais moi je les recueille, dit Dieu, et je les compte et je les pèse. + Parce que je suis le juge secret. + + + + Telles sont, dit Dieu, ces trois flottes innombrables. Et la + quatrième. + Ces trois flottes visibles et cette quatrième invisible. + Ces prières secrètes dont un coeur est le siège, ces prières secrètes + du coeur. Ces mouvements secrets. + Et assailli aussi effrontément, assailli de prières et de larmes, + Directement assailli, assailli en pleine face + Après cela on veut que je les condamne. Comme c'est commode. + On veut que je les juge. On sait assez comment finissent tous ces + jugements-là et toutes ces condamnations. + _Un homme avait deux fils_. Ça finit toujours par des embrassements. + (Et c'est encore le père qui pleure le plus). + Et par cette tendresse qui est, que je mettrais au-dessus des Vertus + même. + Parce qu'avec sa soeur la Pureté elle procède directement de la + Vierge. + + + D'autres galères, dit Dieu, en d'autres temps + D'autres galères ont vogué vers les sanctuaires des îles + Et vers les temples qui étaient sur les promontoires. + Mais cette fois-ci voici la flotte + Qui assaille le saint des saints. + + + + _Le royaume des cieux souffre la violence. Et les violents le + ravissent._ + Et voici l'ordre de ce rapt et de ce ravissement. + En tête c'est comme un coin ces trois ou quatre paroles, _Notre Père + qui êtes aux cieux_, celles qui furent prononcées réellement pour + la première fois par mon fils. + Derrière c'est toute la prière, celle qui fut prononcée réellement + pour la première fois par mon fils. + Derrière, achevant, constituant la première flotte ce sont tous les + autres _Notre Père_ + Mais chacun précédé de sa propre pointe + Qui est ces trois ou quatre mots. + Et derrière seulement viennent les trois autres flottes. + Et toutes ces quatre flottes sont sur voiles. + Et ces _Pater_, qui sont des hommes, ont de fortes voiles brunes + Pleines et rugueuses, au tissu serré. + En toile bise, en toile écrue. Mais les _Ave Maria_ + Courent sous de souples et courbes voiles blanches. Et toutes ces + quatre flottes + S'avancent incurvées. + Ainsi le coin fend le bois par la pointe. + Ainsi quand des soldats veulent monter à l'assaut, + Quand ils vont monter au moment même ils font une pointe, un + avancement + Un toit de leurs boucliers et quelquefois de leurs corps. + Ainsi le front du bélier enfonce la plus lourde porte. + Et ces caravelles de la deuxième flotte + Sont comme des colombes blotties dans la main. + + + + Ce _Notre Père_, dit Dieu est le père des prières. C'est comme celui + qui marche en tête. + C'est un homme robuste, et la prière du _Je vous salue Marie_ est + comme une humble femme. + Et les autres prières sont derrière eux comme des enfants. + Et le _Notre Père_ et le _Je vous salue Marie_ sont comme l'homme et + la femme. + Qui vont l'un derrière l'autre et qui fendent la foule qui est venue + pour la procession. + L'homme va devant et fend le flot de la foule, + La foule de ma colère, + Et la femme suit derrière dans le sillage. + Et l'homme a pris sur ses épaules à califourchon + Cette curieuse enfant Espérance. + Et le _Notre Père_ est le roi et le _Je vous salue Marie_ est la + reine et l'espérance est la dauphine. + Et c'est un jeu de cartes et le _Notre Père_ est le roi et le _Je + vous salue Marie_ est la reine et tous les autres sont + les fidèles valets. + + + J'ai souvent joué avec l'homme, dit Dieu. Mais quel jeu, c'est un jeu + dont je tremble encore. + J'ai souvent joué avec l'homme, mais Dieu c'était pour le sauver et + j'ai assez tremblé de ne pas pouvoir le sauver, + De ne pas réussir à le sauver. Je veux dire j'ai assez tremblé + redoutant de ne pouvoir le sauver, + Me demandant si je réussirais à le sauver. + + + J'ai souvent joué avec l'homme, et je sais que ma grâce est + insidieuse, et combien et comment elle se tourne et elle joue. Elle + est plus rusée qu'une femme. + Mais elle joue avec l'homme et le tourne et tourne l'événement et + c'est pour sauver l'homme et l'empêcher de pécher. + + + Je joue souvent contre l'homme, dit Dieu, mais c'est lui qui veut + perdre, l'imbécile, et c'est moi qui veux qu'il gagne. + Et je réussis quelquefois + A ce qu'il gagne. + + + + C'est le cas de le dire, nous jouons à qui perd gagne. + Du moins lui, car moi si je perdais, je perds. + Mais lui quand il perd, alors seulement il gagne. + Singulier jeu, je suis son partenaire et son adversaire + Et il veut gagner, contre moi, c'est-à-dire perdre. + Et moi son adversaire je veux le faire gagner. + + + Et le royaume du _Notre Père_ est le royaume même de l'espérance: + _Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour._ + (Et le royaume du _Je vous salue Marie_ est un royaume plus secret). + + + Celui qui a dit le soir son _Notre Père_ peut dormir tranquille. + Croyez-vous que je vais m'amuser à faire des misères à ces pauvres + enfants. + Suis-je pas leur père. + Et que je vais m'amuser à leur faire des surprises comme on en fait à + la guerre. + Est-ce que je leur fais la guerre? + Oui je leur fais la guerre, mais sait bien pourquoi. + C'est pour les empêcher de perdre la bataille. + Je suis un honnête homme, dit Dieu. + Croyez-vous que je vais m'amuser à les prendre dans leur sommeil + Comme un homme de guerre qui prend son ennemi. + Croyez-vous que j'aie quelque goût à les prendre en défaut. + Et que ça m'amuse, de condamner. + Pauvres gens. Je vous le demande. + Suis-je donc un bourreau d'Orient? + Sans doute il est arrivé quelquefois,-- + Rarement,-- + Que j'ai saisi un criminel tout endormi + Dans la nuit qui précédait l'accomplissement, + La perpétration de son crime, + Et que je l'ai pris par la peau du cou. + Et que je l'ai traîné tout pantelant devant mon Tribunal. + Comme un chien crevé. + Mais cela même je l'ai fait pour bien peu. Pour trop peu. + Je ne l'ai pas fait assez souvent. J'aurais dû le faire plus souvent. + J'ai laissé Caïphe, et Pilate, et Judas + Dormir tout le sommeil jusqu'au matin + De la nuit qui précédait l'accomplissement, + La perpétration de leur forfait. + Et ce que je n'ai pas fait pour ces trois là, et pour tant d'autres. + Ce que j'ai fait à peine pour les rois d'Orient. + _Mane, Thecel, Pharès_ vous voudriez que je le fasse. + Pour un bon chrétien, pour un bon paysan de mes paroisses françaises. + Qui a labouré tout le jour, qui a travaillé, comme c'est la loi, pour + nourrir sa femme et ses trois enfants. + Qui le soir a mangé une bonne assiettée de soupe et bu un malheureux + verre de vin. + Et qui s'est couché dans son lit recru de fatigue, + Rompu. + Ce que je n'ai pas fait pour les rois d'Égypte et pour les rois de + Babylonie. + Vous voudriez que je le fasse pour ce malheureux. + Qui a femme et enfants. + Croyez-vous que je vais le prendre en traître? + Et qui serais-je, moi leur père. Non, non, rassurez-vous. + Suis-je donc un mercenaire qui ramasserait + Et qui volerait du bois pour son feu. + Quand un de ces malheureux meurt dans son sommeil, + Ayant fait sa prière du soir, + Son _Notre Père_ et son _Je vous salue Marie_, + C'est bon signe; son affaire est bonne. + C'est signe qu'il était mûr pour paraître devant mon tribunal. + Mûr dans le bon sens. + Voilà les surprises que je fais. Je le jugerai comme un père. + _Un homme avait deux fils_. Et l'on sait comment les pères jugent. + Celui qui a fait sa prière peut lever l'ancre + _Pour la traversée de la nuit_. + O nuit, dit Dieu, ma fille au grand manteau, ma fille au manteau + d'argent. + Par toi j'obtiens quelquefois le désistement de l'homme. + Et le renoncement de l'homme. + Et le déraidissement de l'homme. + Et qu'il se taise, surtout, qu'il se taise, il n'en finit pas de + parler. + Pour ce qu'il dit. Pour ce que ça vaut ce qu'il dit. + Et qu'il cesse de penser. Pour ce que ça vaut. + Créature à la nuque raide. Créature aux tempes barrées. Je n'aime + pas, dit Dieu, + Celui qui a la tête comme un morceau de bois. Les idoles aussi + étaient en bois. + Celui qui dans un perpétuel raidissement roule une perpétuelle + migraine. + Je n'aime pas, dit Dieu, celui qui pense + Et qui se tourmente et qui se soucie + Et qui roule une migraine perpétuelle + Dans la barre du front et un mal de tête + Dans le creux de la nuque dans le derrière de la tête. + Au point d'inquiétude. + Et qui a les sourcils froncés perpétuellement + Comme un secrètement malheureux. + Et les tempes battantes et qui est brûlé de fièvre. + Et aussi qui a les bords des paupières fripés + A force de regarder le jour du lendemain. + Ne suffit-il pas que moi je le regarde, le jour du lendemain. + O nuit tu obtiens quelquefois le désistement de ce malheureux. + Et qu'il se détende. C'est tout ce que je leur demande. + Qu'il ne roule point un flot perpétuel dans sa tête, + Un océan d'inquiétude. + Qu'est-ce que je leur demande. Qu'ils ferment un peu les yeux. + Qu'ayant fait leur prière ils se couchent dans leur lit en long. + Les jambes au bout des pieds et le corps au bout des jambes et la + tête au bout du corps. + Qu'ils désarment enfin, ces pauvres enfants, qu'ils ne prennent plus + des gardes contre moi. + Qu'ils dorment comme des bêtes, comme un bon cheval de labour sur de + la bonne paille, sans penser, + Sans prévoir, sans calculer, + Voilà ce que je demande, ce n'est pourtant pas difficile. + Voilà ce que je ne peux pas obtenir. + Ils veulent toujours faire mon métier, qui est de peser le lendemain. + Ils ne veulent jamais faire le leur, qui est de le subir. + Voilà ce que je ne peux jamais obtenir. + Ils se tourmentent, ils se tendent, ils se travaillent. + Et toi seule ô nuit quelquefois tu l'obtiens, + Qu'ils tombent dans un lit perdus de lassitude. + O nuit sera-t-il dit que tout ce que je pourrai leur offrir et tout + ce que je pourrai inventer. + Et que mon Paradis sera cela. + Et que tout ce qu'ils voudront ce sera cela. + Et qu'ils seront si fatigués de la vie, et qu'ils seront si ridés, + Et qu'ils auront été si fripés par une telle existence, + Par la vie de cette terre + Qu'ils ne voudront entendre que cela. + Sera-t-il dit qu'il y aura des fronts si courbés qu'ils ne se + relèveront jamais. + Et des reins si rompus qu'ils ne se redresseront jamais. + Et des épaules si voûtées que jamais elles ne se redresseront. + Et des fronts si ridés que jamais ils ne se dérideront. + Et des yeux si voilés qu'ils ne se dévoileront jamais. + Et des peaux si flétries que jamais elles ne redeviendront fraîches. + Et des peaux si fanées que jamais elles ne redeviendront jeunes. + Et des peaux si tannées que jamais elles ne redeviendront neuves. + Et des peaux si meurtries que jamais elles ne redeviendront saines. + Et des âmes si flétries que jamais elles ne redeviendront pures. + Et des mémoires si pleines que jamais elles ne redeviendront vides. + Et des bords de paupière si ourlés que jamais ils ne redeviendront + purs. + Et des paupières si usées de travail que jamais elles ne + redeviendront lisses. + Et des voix si voilées que jamais elles ne redeviendront pures. Que + jamais elles ne redeviendront jeunes. + Et des regards si voilés que jamais ils ne redeviendront profonds. + Et des voix si noyées de sanglots. + Et des yeux si noyés de travail, et des yeux si noyés de larmes. + Des yeux perdus, des voix perdues. + Et des mémoires si perdues de peines que jamais elles ne + redeviendront neuves. + Et des âmes si perdues de détresse que jamais elles ne redeviendront + jeunes. + Que jamais elles ne redeviendront enfants. + Et que les cheveux blancs jamais ne redeviendront + Des cheveux bouclés de jeunesse. + Et que ces pauvres créatures auront passé par de telles détresses. + Par de telles épreuves. + Et qu'elles auront dans leurs mémoires des histoires telles. + Qu'elles ne pourront les oublier jamais. + Sera-t-il dit qu'il y a des plis qu'on ne pourra pas défaire. + Avec un fer à repasser. + Des traces que l'on ne pourra pas effacer. + Laver au battoir à la rivière. Laver au lavoir. + Et que les épreuves uniques et que les uniques détresses de cette + terre + Les auront marqués pour éternellement. + Et qu'ils ne voudront rien savoir + Et qu'ils ne voudront entendre à rien + (Je joue toujours contre moi, dit Dieu. + Sans doute il est arrivé quelquefois, + Trop rarement, + (Et je regrette bien de ne pas l'avoir fait plus souvent, + Au moins quelquefois plus souvent) + Que j'ai saisi un criminel tout chaud dans la nuit de son crime. + Et que je l'ai pris par la peau du cou. + Et que je l'ai traîné tout pantelant devant mon Tribunal. + Comme un chien crevé. + Mais c'est qu'ils préparaient de telles horreurs et de telles + monstruosités. + Que moi Dieu j'en ai été épouvanté. + Et que dans ma propre nuit j'en ai été saisi d'horreur. + Et que je n'ai pas pu attendre au soir du jour qu'ils préparaient. + Et que je n'ai pas même pu supporter l'idée. + Que cela se ferait, que cela se passerait, que cela aurait lieu, + Qu'ils préparaient. + Et que j'ai perdu patience. Et pourtant je suis patient. + Parce que je suis éternel. + Et je les ai saisis dans la préparation de l'accomplissement. + Mais je n'ai pas pu me retenir. C'était plus fort que moi. J'ai aussi + ma face de colère. + Mais ces bourreaux et ces criminels. + Que j'ai pris par la peau de l'échine et que j'ai traînés tout + vivants. + Combien étaient-ils et combien de fois cela est-il arrivé. + Or ce que je n'ai pas fait pour Cyrus et pour Cambyse. + Et pour les festins de Sardanapale. + Et pour les rois de Ninive et de Babylone. + Et pour les peuples de Babel. + Et pour Nabuchodonosor et pour Téglath-Phalazar. + Croyez-vous que je vais le faire à présent contre un pauvre laboureur. + Pour qui me prenez-vous. Qui me faites-vous. + Croyez-vous que je vais mobiliser la foudre et les éclairs. + Et déranger le tonnerre de Dieu. + Et tout le tremblement contre mes vieilles paroisses françaises. + Non, non, bonnes gens, mangez votre soupe et dormez. + Faites une bonne journée, (si vous pouvez), mangez votre soupe, une + bonne platée de soupe, une pleine soupière si vous pouvez, s'il y + en a, une bonne soupière bien fumante pleine de pommes de terre; + faites votre prière; et dormez. + Celui qui fait sa prière, _Notre Père qui êtes aux cieux_, pose entre + lui et moi + Une barrière infranchissable à ma colère. + Et peut s'abandonner au sommeil de la nuit. + (O nuit, je t'ai créée la première). _Que votre volonté soit faite_. + Or ce que je n'ai pas fait contre les races perdues. + Vous voudriez que je le fasse contre mes paroisses françaises. + Un événement s'est passé dans l'intervalle, un événement est + intervenu, un événement a fait barrière. + C'est que mon fils est venu. + Et moi qu'est-ce que je serais sans mes vieilles paroisses françaises. + Qu'est-ce que je deviendrais. C'est là que mon nom monte + éternellement. + Depuis quand le général décime-t-il ses meilleurs soldats. Ce sont + mes meilleures troupes. + Croyez-vous que je vais aller surprendre dans son sommeil mon propre + camp. + Ils sont mes propres hommes. Vais-je me mettre + A décimer mes propres hommes. + Je ferais une belle bataille, après. + Oh je sais bien qu'ils ne sont pas parfaits. + Ils sont comme ils sont. Ce sont mes meilleures troupes. + Il faut aimer ces créatures comme elles sont. + Quand on aime un être, on l'aime comme il est. + Il n'y a que moi qui est parfait. + C'est même pour cela peut-être + Que je sais ce que c'est que la perfection + Et que je demande moins de perfection à ces pauvres gens. + Je sais, moi, combien c'est difficile. + Et combien de fois quand ils peinent tant dans leurs épreuves + J'ai envie, je suis tenté de leur mettre la main sous le ventre + Pour les soutenir dans ma large main + Comme un père qui apprend à nager à son fils + Dans le courant de la rivière + Et qui est partagé entre deux sentiments. + Car d'une part s'il le soutient toujours et s'il le soutient trop + L'enfant s'y fiera et il n'apprendra jamais à nager. + Mais aussi s'il ne le soutient pas juste au bon moment + Cet enfant boira un mauvais coup. + Ainsi moi quand je leur apprends à nager dans leurs épreuves + Moi aussi je suis partagé entre ces deux sentiments. + Car si je les soutiens toujours et je les soutiens trop + Ils ne sauront jamais nager eux-mêmes. + Mais si je ne les soutiens pas juste au bon moment + Ces pauvres enfants boiraient peut-être un mauvais coup. + Telle est la difficulté, elle est grande. + Et telle la duplicité même, la double face du problème. + D'une part il faut qu'ils fassent leur salut eux-mêmes. C'est la + règle. + Et elle est formelle. Autrement ce ne serait pas intéressant. Ils ne + seraient pas des hommes. + Or je veux qu'ils soient virils, qu'ils soient des hommes et qu'ils + gagnent eux-mêmes + Leurs éperons de chevaliers. + D'autre part il ne faut pas qu'ils boivent un mauvais coup + Ayant fait un plongeon dans l'ingratitude du péché. + Tel est le mystère de la liberté de l'homme, dit Dieu, + Et de mon gouvernement envers lui et envers sa liberté. + Si je le soutiens trop, il n'est plus libre + Et si je ne le soutiens pas assez, il tombe. + Si je le soutiens trop, j'expose sa liberté + Si je ne le soutiens pas assez, j'expose son salut: + Deux biens en un sens presque également précieux. + Car ce salut a un prix infini. + Mais qu'est-ce qu'un salut qui ne serait pas libre. + Comment serait-il qualifié. + Nous voulons que ce salut soit acquis par lui-même. + Par lui-même l'homme. Soit procuré par lui-même. + Vienne en un sens de lui-même. Tel est le secret, + Tel est le mystère de la liberté de l'homme. + Tel est le prix que nous mettons à la liberté de l'homme. + Parce que moi-même je suis libre, dit Dieu, et que j'ai créé l'homme + à mon image et à ma ressemblance. + Tel est le mystère, tel est le secret, tel est le prix + De toute liberté. + Cette liberté de cette créature est le plus beau reflet qu'il y ait + dans le monde + De la Liberté du Créateur. C'est pour cela que nous y attachons, + Que nous y mettons un prix propre. + Un salut qui ne serait pas libre, qui ne serait pas, qui ne viendrait + pas d'un homme libre ne nous dirait plus rien. Qu'est-ce que ce + serait. + Qu'est-ce que ça voudrait dire. + Quel intérêt un tel salut présenterait-il. + Une béatitude d'esclaves, un salut d'esclaves, une béatitude serve, + en quoi voulez-vous que ça m'intéresse. Aime-t-on à être aimé par + des esclaves. + S'il ne s'agit que de faire la preuve de ma puissance, ma puissance + n'a pas besoin de ces esclaves, ma puissance est assez connue, on + sait assez que je suis le Tout-Puissant. + Ma puissance éclate assez dans toute matière et dans tout événement. + Ma puissance éclate assez dans les sables de la mer et dans les + étoiles du ciel. + Elle n'est point contestée, elle est connue, elle éclate assez dans + la création inanimée. + Elle éclate assez dans le gouvernement, + Dans l'événement même de l'homme. + Mais dans ma création animée, dit Dieu, j'ai voulu mieux, j'ai voulu + plus. + Infiniment mieux. Infiniment plus. Car j'ai voulu cette liberté. + J'ai _créé_ cette liberté même. Il y a plusieurs degrés de mon trône. + Quand une fois on a connu d'être aimé librement, les soumissions + n'ont plus aucun goût. + Quand on a connu d'être aimé par des hommes libres, les + prosternements d'esclaves ne vous disent plus rien. + Quand on a vu saint Louis à genoux, on n'a plus envie de voir + Ces esclaves d'Orient couchés par terre + Tout de leur long à plat ventre par terre. Être aimé librement, + Rien ne pèse ce poids, rien ne pèse ce prix. + C'est certainement ma plus grande invention. + Quand on a une fois goûté + D'être aimé librement + Tout le reste n'est plus que soumissions. + C'est pour cela, dit Dieu, que nous aimons tant ces Français, + Et que nous les aimons entre tous uniquement + Et qu'ils seront toujours mes fils aînés. + Ils ont la liberté dans le sang. Tout ce qu'ils font, ils le font + librement. + Ils sont moins esclaves et plus libres dans le péché même + Que les autres ne le sont dans leurs exercices. Par eux nous avons + goûté. + Par eux nous avons inventé. Par eux nous avons créé + D'être aimés par des hommes libres. Quand saint Louis m'aime, dit + Dieu, + Je sais qu'il m'aime. + Au moins je sais qu'il m'aime, celui-là, parce que c'est un baron + français. Par eux nous avons connu + D'être aimés par des hommes libres. Tous les prosternements du monde + Ne valent pas le bel agenouillement droit d'un homme libre. Toutes + les soumissions, tous les accablements du monde + Ne valent pas une belle prière, bien droite agenouillée, de ces + hommes libres-là. Toutes les soumissions du monde + Ne valent pas le point d'élancement + Le bel élancement droit d'une seule invocation + D'un libre amour. Quand saint Louis m'aime, dit Dieu, je suis sûr, + Je sais de quoi on parle. C'est un homme libre, c'est un libre baron + de l'Ile de France. Quand saint Louis m'aime + Je sais, je connais ce que c'est que d'être aimé. + (Or c'est tout). Sans doute il craint Dieu. + Mais c'est d'une noble crainte, toute emplie, toute gonflée, + Toute pleine d'amour, comme un fruit gonflé de jus. + Nullement quelque lâche, quelque basse crainte, quelque sale peur + Qui prend dans le ventre. Mais une grande, mais une haute, mais une + noble crainte, + La peur de me déplaire, parce qu'il m'aime, et de me désobéir, parce + qu'il m'aime, + Et, parce qu'il m'aime, la peur + De ne pas être trouvé agréable + Et aimant et aimé sous mon regard. Nulle infiltration, dans cette + noble crainte, + D'une mauvaise peur et d'une pernicieuse et vile lâcheté. + Et quand il m'aime, c'est vrai. Et quand il dit qu'il m'aime, c'est + vrai. Et quand il dit qu'il aimerait mieux + Être lépreux que de tomber en péché mortel (tant il m'aime), c'est + vrai. + Lui je sais que c'est vrai. + Ce n'est pas vrai seulement qu'il le dit. C'est vrai que c'est vrai. + Il ne dit pas ça pour que ça fasse bien. + Il ne dit pas ça parce qu'il a vu ça dans les livres ni parce qu'on + lui a dit de le dire. Il dit ça parce que ça est. + Il m'aime à ce point. Il m'aime ainsi. Librement. La preuve que j'en + ai dans la même race + C'est que le sire de Joinville (que j'aime tant tout de même) qui est + un autre baron français, + Qui aimerait mieux au contraire avoir commis trente péchés mortels + que de devenir lépreux, + (Trente, le malheureux, comme il ne sait pas ce qu'il dit) + Ne se gêne pas non plus pour dire ce qu'il pense + C'est-à-dire pour dire le contraire + En présence même d'un si grand roi + Et d'un si grand saint + Que pourtant il connaissait pour tel, + C'est-à-dire pour contrarier un si grand roi et un si grand saint. La + liberté de parole + De celui qui ne veut pas risquer le coup + D'être lépreux plutôt que de tomber en péché mortel + Me garantit la liberté de parole de celui qui aime mieux être lépreux + Que de tomber en péché mortel. + Si l'un dit ce qu'il pense, l'autre aussi dit ce qu'il pense. + L'un prouve l'autre. + Ils n'ont pas peur de contrarier même le roi, même le saint. + Mais aussi quand ils parlent, on sait qu'ils parlent comme ils sont. + Et qu'ils pensent ce qu'ils disent. Et qu'ils disent ce qu'ils + pensent. C'est tout un. + Que ne ferait-on pas pour être aimé par de tels hommes. + La servitude est un air que l'on respire dans une prison + Et dans une chambre de malade. Mais la liberté + Est ce grand air que l'on respire dans une belle vallée + Et encore plus à flanc de coteau et encore plus sur un large plateau + bien aéré. + Or il y a un certain goût de l'air pur et du grand air + Qui fait les hommes forts, un certain goût de santé, + D'une pleine santé, virile, qui fait paraître tout autre air + Enfermé, malade, confiné. + Celui-là seul qui vit au grand air + A la peau assez cuite et l'oeil assez profond et le sang de sa race. + Ainsi celui-là seul qui vit à la grande liberté + A la peau assez cuite et l'âme assez profonde et le sang de ma grâce. + Que ne ferait-on pas pour être aimé par de tels hommes. + Comme ils sont francs entre eux, ainsi ils sont francs avec moi. + Comme ils se disent la vérité entre eux, ainsi ils me disent la + vérité à moi. + Et comme le baron n'a point peur de contrarier le roi et le saint + même, + (Qu'il aime tant, qu'il estime à son prix, pour qui il se ferait + tuer), + Ainsi je l'avoue ils n'ont quelquefois pas peur de me contrarier. + Moi le roi, moi le saint. Mais quand ils m'aiment, ils m'aiment. + Ils m'estiment mon prix. Ils se feraient tuer pour moi. + J'en ai pour garant même leur âpre liberté. + Leur liberté de parole, leur liberté d'acte. Ces hommes libres + Savent donner à l'amour un certain goût âpre, un certain goût propre + et cette liberté + Est le plus beau reflet qu'il y ait dans le monde car elle me + rappelle, car elle me renvoie + Car c'est un reflet de ma propre Liberté + Qui est le secret même et le mystère + Et le centre et le coeur et le germe de ma Création. + Comme j'ai créé l'homme à mon image et à ma ressemblance, + Ainsi j'ai créé la liberté de l'homme à l'image et à la ressemblance + De ma propre, de mon originelle liberté. Aussi quand saint Louis + tombe à genoux + Sur les dalles de la Sainte-Chapelle, sur les dalles de Notre-Dame + C'est un homme qui tombe à genoux, ce n'est pas une chiffe, ce n'est + pas une loque + Un tremblant esclave d'Orient + C'est un homme et c'est un Français et quand saint Louis m'aime + C'est un homme qui m'aime et quand saint Louis se donne + C'est un homme qui se donne. Et quand saint Louis me donne son coeur + Il me donne un coeur d'homme et un coeur de Français. Et quand il + m'estime mon prix + C'est-à-dire quand il m'estime Dieu, + C'est une tête d'homme qui m'estime, une saine tête de Français. + (Et Joinville même, Joinville qu'il ne faut point oublier. + Quand il m'aime (car il m'aime aussi), + Quand il m'estime (car il m'estime aussi), + Quand il se donne (car il se donne aussi) et quand il me donne son + coeur, + Il sait ce qu'il est, qui il est, + Il sait ce qu'il vaut, il sait ce qu'il pèse, il sait ce qu'il donne, + il sait ce qu'il apporte + Et je le sais aussi. + Quand Joinville même, et je ne dis pas seulement saint Louis, + Quand Joinville tombe à genoux sur la dalle + Dans la cathédrale de Reims + Ou dans la simple chapelle de son château de Joinville, + Ce n'est pas un esclave d'Orient qui s'écroule, + Dans la peur et dans quelque lâche et dans quelque sale tremblement + Aux genoux et aux pieds de quelque potentat + D'Orient. C'est un homme libre et un baron français, + Joinville sire de Joinville, + Qui donne, qui apporte et qui fait tomber à genoux + Librement et pour ainsi dire et en un certain sens gratuitement + Et un homme libre et un baron français, + Joinville sire de Joinville de la comté de Champagne, + Jean, sire de Joinville, sénéchal de Champagne. + + + + Il ne faut pas oublier non plus Joinville, dit Dieu. + Il osait reprendre même le roi. + Il me reprenait bien un peu moi-même + Avec son histoire de la lèpre et des péchés mortels. + Mais je leur en passe tant, je leur passe tout ce qu'ils veulent. + + + + Il ne faut pas oublier Joinville, dit Dieu. C'étaient de nobles + hommes. + Si l'on oubliait les pécheurs, il n'en resterait pas beaucoup. + Peu de saints, beaucoup de pécheurs, comme partout. + Mais il faut ce grand cortège de pécheurs + Pour accompagner ces quelques saints. Il faut penser aussi au sire de + Joinville. + + + + Quelques saints marchent en tête. Et le grand cortège des pécheurs + suit derrière. Ainsi est faite ma chrétienté. + C'est ainsi qu'on obtient les grandes processions. + Quelques pasteurs marchent devant. Et le grand troupeau suit + derrière. Ainsi est fait le cortège de ma chrétienté. + + + + Comme leur liberté a été créée à l'image et à la ressemblance de ma + liberté, dit Dieu, + Comme leur liberté est le reflet de ma liberté, + Ainsi j'aime à trouver en eux comme une certaine gratuité + Qui soit comme un reflet de la gratuité de ma grâce, + + Qui soit comme créée à l'image et à la ressemblance de la gratuité de + ma grâce. + + J'aime qu'en un sens ils prient non seulement librement mais comme + gratuitement. + J'aime qu'ils tombent à genoux non seulement librement mais comme + gratuitement. + J'aime qu'ils se donnent et qu'ils donnent leur coeur et qu'ils se + remettent et qu'ils supportent et qu'ils estiment non seulement + librement mais comme gratuitement. + J'aime qu'ils aiment enfin, dit Dieu, non seulement librement mais + comme gratuitement. + Or pour cela, dit Dieu, avec mes Français je suis bien servi. + C'est un peuple qui est venu au monde la main ouverte et le coeur + libéral. + Il donne, il sait donner. Il est naturellement gratuit. + Quand il donne, il ne vend pas, celui-là, et il ne prête pas à la + petite semaine. + Il donne pour rien. Autrement est-ce donner. + Il aime pour rien. Autrement est-ce aimer. + Il ne me propose point toujours des marchés généralement honteux. + Peuple libre, peuple gratuit, et non plus seulement peuple jardinier. + Peuple gratuit, peuple gracieux. + Peuple de barons français, peuple qui lève la tête, peuple qui sais + parler aux grands + Et par conséquent à moi le Très-Grand. Ceux qui baissent toujours la + tête + On ne voit pas qu'ils baissent aussi la tête + A l'Offertoire et à l'Élévation du Corps de mon Fils. + Mais ces Français qui lèvent toujours la tête, + Qui ont toujours la tête droite + Et haute, + Quand dans une église cent cinquante ou deux cents rangées de + Français à genoux + Baissent la tête ensemble en même temps trois fois aux trois coups de + la sonnette + Pour l'offrande et l'offertoire + Et pour la consécration et pour l'élévation du corps de mon fils, + Ça se voit, qu'ils baissent la tête et tout le monde comprend + Que ça en vaut la peine, + Que c'est un instant solennel et le plus grand mystère et le plus + grand instant qu'il y ait dans le monde. + + + + C'est un peuple, dit Dieu, qui a la gratuité dans le sang. Il donne + et ne retient pas. + Il donne et ne reprend pas. + Sa main gauche ne retient pas ce que donne sa main droite. + Sa main gauche ne reprend pas ce que donne sa main droite. + Sa main gauche ignore littéralement ce que fait sa main droite. + Et ainsi c'est le peuple qui se conforme le plus littéralement + Aux paroles de mon fils. Et qui le plus littéralement réalise + Les paroles de mon fils. + + + + Peuple naturellement libéral, dit Dieu, peuple aux mains libérales + Il ne sait pas marchander. Il ne marchande pas sur une prière. + Il ne marchande pas sur un voeu. Quand il donne, il donne. Quand il + demande, il demande. + Il ne fait pas traîner ce qu'il donne dans ce qu'il demande et ce + qu'il demande dans ce qu'il donne. + Il n'embarbouille pas tout ça l'un dans l'autre. + Il n'emmêle pas. Il ne demande pas pour donner, il ne donne pas pour + demander, il ne donne pas pour recevoir. Il sait très bien + Que tout ce qu'on m'apporte n'est rien auprès, + En comparaison, au prix de ce que je donne. + Aussi ces Français ne me proposent-ils jamais un échange, un marché. + Ils savent très bien + Que ma grâce est gratuite, qu'il n'est que de me plaire, que je fais + ce que je veux + Et ils y répondent par une sorte de prière gratuite et même + Par des sortes de voeux gratuits. Ils savent très bien + Qu'ils ne m'apportent aucuns mérites et que ce que je fais, + Je le fais pour les mérites et par les mérites de mon fils et des + saints. + + + + A une gratuité de ma grâce ils répondent par une certaine gratuité de + la prière. + Et par une certaine gratuité du voeu même. + + + + Ils me répondent comme je demande. Or s'il en est ainsi du menu + peuple et d'un baron français + Que sera-ce d'un saint Louis, baron lui-même et roi des barons. + Dans leur histoire de la lèpre et du péché mortel voici comme je + calcule, dit Dieu. + Quand Joinville aime mieux avoir commis trente péchés mortels que + d'être lépreux + Et quand saint Louis aime mieux être lépreux que de tomber en un seul + péché mortel, + Je n'en retiens pas, dit Dieu, que saint Louis m'aime ordinairement + Et que Joinville m'aime trente fois moins qu'ordinairement. + Que saint Louis m'aime suivant la mesure, à la mesure, + Et que Joinville m'aime trente fois moins que la mesure. + Je compte au contraire, dit Dieu. Voici comme je calcule. Voici ce + que je retiens. + J'en retiens au contraire que Joinville m'aime ordinairement + Honnêtement, comme un pauvre homme peut m'aimer, + Doit m'aimer. + Et que saint Louis au contraire m'aime trente fois plus + qu'ordinairement, + Trente fois plus qu'honnêtement. + Que Joinville m'aime à la mesure, + Et que saint Louis m'aime trente fois plus qu'à la mesure. + (Et si je l'ai mis dans mon ciel, celui-là, au moins je sais + pourquoi). + + + + Voilà comme je compte, dit Dieu. Et alors mon compte est bon. Car + cette lèpre dont il s'agissait, + Cette lèpre dont ils parlaient et d'être lépreux + Ce n'était pas une lèpre d'imagination et une lèpre d'invention et + une lèpre d'exercice. + Ce n'était pas une lèpre qu'ils avaient vue dans les livres ou dont + ils avaient entendu parler + Plus ou moins vaguement + Ce n'était pas une lèpre pour en parler ni une lèpre pour faire peur + en conversation et en figures, + Mais c'était la réelle lèpre et ils parlaient de l'avoir, eux-mêmes, + réellement, + Qu'ils connaissaient bien, qu'ils avaient vue vingt fois + En France et en Terre-Sainte, + Cette dégoûtante maladie farineuse, cette sale gale, cette mauvaise + teigne, + Cette répugnante maladie de croûtes qui fait d'un homme + L'horreur et la honte de l'homme, + Cet ulcère, cette pourriture sèche, enfin cette définitive lèpre + Qui ronge la peau et la face et le bras et la main, + Et la cuisse et la jambe et le pied + Et le ventre et la peau et les os et les nerfs et les veines, + Cette sèche moisissure blanche qui gagne de proche en proche + Et qui mord comme avec des dents de souris, + Et qui fait d'un homme le rebut et la fuite de l'homme, + Et qui détruit un corps comme une granuleuse moisissure + Et qui pousse sur le corps ces affreuses blanches lèvres, + Ces affreuses lèvres sèches de plaies + Et qui avance toujours et jamais ne recule + Et qui gagne toujours et qui jamais ne perd + Et qui va jusqu'au bout, + Et qui fait d'un homme un cadavre qui marche, + C'est de cette lèpre-là qu'ils parlaient, de nulle autre. + C'est de cette lèpre-là qu'ils pensaient, de nulle autre. + D'une lèpre réelle, nullement d'une lèpre d'exercice. + C'est cette lèpre-là qu'il aimait mieux avoir, nulle autre. + Eh bien moi je trouve que c'est trente fois saisissant + Et que c'est m'aimer trente fois et que c'est trente fois de l'amour. + + + + Ah sans doute si Joinville avec les yeux de l'âme avait vu + Ce que c'est que cette lèpre de l'âme + Que nous ne nommons pas en vain le péché _mortel_, + Si avec les yeux de l'âme il avait vu + Cette pourriture sèche de l'âme infiniment plus mauvaise, + Infiniment plus laide, infiniment plus pernicieuse, + Infiniment plus maligne, infiniment plus odieuse + Lui-même il eût tout de suite compris combien son propos était + absurde. + Et que la question ne se pose même pas. Mais tous ne voient pas avec + les yeux de l'âme. + Je comprends cela, dit Dieu, tous ne sont pas des saints, ainsi est + ma chrétienté. + Il y a aussi les pécheurs, il en faut, c'est ainsi. + C'était un bon chrétien, tout de même, ensemble, c'était un pécheur, + il en faut dans la chrétienté. + C'était un bon Français, Jean, sire de Joinville, un baron de saint + Louis. Au moins il disait ce qu'il pense. + Ces gens-là font le gros de l'armée. Il faut aussi des troupes. Il ne + suffit pas d'avoir des chefs qui marchent en tête. + Ces gens-là partent fort honnêtement en croisade, au moins une fois + sur les deux, et font très honnêtement la croisade. + Ils se battent très bien et se font tuer très proprement et gagnent + le royaume du ciel + Tout comme un autre. + (Je veux dire comme un autre gagnerait le royaume du ciel. + Ou je veux dire comme eux-mêmes ils gagneraient un autre royaume, + Un royaume de la terre.) C'est ce qu'il y a de plus remarquable en + eux. + Ils s'en vont les uns comme les autres, en troupe, les uns derrière + les autres. + Sans se presser, sans s'étonner, sans faire des grands gestes, + Très honnêtement, fort ordinairement, + Sans faire un éclat et ils finissent tout de même + Par conquérir le royaume du ciel. + Ou encore ils gagnent le royaume du ciel comme on gagne un royaume de + la terre, + Ils attaquent le royaume du ciel comme on attaque un royaume de la + terre, + A main forte et cela ne réussit déjà pas si mal. _Violenti rapiunt_. + Ils vous font d'ailleurs tout cela fort honnêtement, très + communément, comme allant de soi. + Comme si ce fût la chose la plus naturelle du monde. + Seulement ces malheureux ne veulent pas avoir la lèpre. Ils trouvent + sans doute que ce n'est pas propre. Ils aimeraient mieux autre + chose. + Les malheureux, les sots, s'ils voyaient la lèpre de l'âme + Et s'ils voyaient la saleté ou la propreté de l'âme. + Mais voilà, ils se disent: Je n'ai qu'un corps (les sots, ils + oublient le principal, + Ils oublient non pas seulement l'âme, mais le corps de leur éternité, + Le corps de la résurrection des corps), + Je n'ai qu'un corps, pensent-ils (ne pensant qu'à leur corps + terrestre) + Si cette sale lèpre me prend, je suis perdu + (Ils veulent dire que leur corps temporel est temporellement perdu). + C'est une maladie qui prend toujours et qui ne rend jamais. + C'est une pourriture sèche qui fait avancer toujours et toujours + Les bords des lèvres de ses affreuses plaies. + Si je suis pris, je suis perdu. + Ça commence par un point, ça finit par tout le corps. + Ça ne pardonne pas, quand c'est commencé c'est fini. + C'est une maladie impossible à défaire. + Elle défait tout, ce qui est parti ne revient jamais plus. Elle rompt + tout. + Ce corps que j'ai (et qu'ils aiment tant) tomberait en poussière et + en lambeaux + Et en cette sale farine granuleuse et ne me reviendrait jamais plus. + C'est une gangrène irrévocable et qui ne retourne jamais en arrière. + Or ils y tiennent à leur corps. On dirait qu'ils croient qu'ils n'ont + que ça. + Ils savent pourtant bien qu'ils ont une âme. La vie est l'union de + l'âme et du corps, + La mort est leur séparation. Mais leur corps leur paraît + Solide et bon vivant. + Ils ont l'impression que la lèpre anéantira tout leur corps et + qu'elle les tiendra jusqu'au bout (ils ne considèrent point qu'au + bout de ce bout + Commence le véritable commencement) + Et alors ils aimeraient mieux avoir autre chose que la lèpre. + Je pense qu'ils aimeraient mieux attraper + Une maladie qui leur plairait. C'est toujours le même système. + Ils veulent bien affronter les plus terribles épreuves + Et m'offrir les plus redoutables exercices, + Pourvu que ce soient eux qui les aient préalablement + Choisis. Là-dessus les Pharisiens s'écrient et font des éclats + Et poussent des cris et font des mines et ces exécrables Pharisiens + Surtout prient disant: Seigneur nous vous rendons grâces + De ce que vous ne nous avez point fait semblables à cet homme + Qui a peur d'attraper la lèpre. Or moi je dis au contraire, dit Dieu, + C'est moi qui dis: Ce n'est pas rien que d'attraper la lèpre. + Je sais ce que c'est que la lèpre. C'est moi qui l'ai faite. + Je la connais. Je dis: Ce n'est pas rien que d'attraper la lèpre. + Et je n'ai jamais dit que les épreuves et les exercices de leur vie, + Et les maladies et les misères de leur vie, + Et les détresses de leur vie ce n'était rien. + J'ai toujours dit au contraire et j'ai toujours pensé + Et j'ai toujours pesé que ce n'était pas rien. + Et il faut bien croire qu'en effet ce n'était pas rien + Puisque mon fils a fait tant de miracles sur les malades + Et puisque j'ai donné au roi de France + De toucher les écrouelles. + + + + Les Pharisiens poussent des cris sur celui qui ne veut pas attraper + la lèpre. + Et ils sont scandalisés, ces vertueux. + Mais moi qui ne suis pas vertueux, + Dit Dieu, + Je ne pousse pas des cris et je ne suis pas scandalisé. + + + + Je ne compte pas, je n'en retiens pas que ce Joinville est trente + fois au dessous de l'ordinaire. + Mais j'en retiens, mais je compte au contraire + Que c'est ce saint Louis qui est peu ordinaire, trente fois peu + ordinaire, trente fois extraordinaire, trente fois au dessus de + l'ordinaire. + + + Je ne compte pas, je n'en retiens pas + Que Joinville est trente fois lâche. + Mais au contraire j'en retiens et je compte + Que c'est ce saint Louis qui est trente fois brave, + Trente fois brave au dessus de l'ordinaire et plus que la mesure. + + + Je ne compte pas, je n'en retiens pas + Que Joinville est trente fois plus bas. + Mais au contraire j'en retiens et je compte + Que c'est ce saint Louis qui est trente fois haut, + Trente fois haut au dessus de l'ordinaire et plus que la mesure. + + + Je ne compte pas, je n'en retiens pas + Que Joinville est trente fois petit. + Mais je sais seulement qu'il est homme. + Et au contraire j'en retiens et je compte, + Voici comme je compte, + Et c'est ainsi. + J'en retiens et je compte que c'est ce saint Louis, roi de France, + Qui est trente fois grand, trente fois au dessus de l'ordinaire et + plus que la mesure + + Et qui est trente fois près de mon coeur et trente fois le frère de + mon fils. + + + Les Pharisiens crient le haro sur celui qui ne veut pas attraper la + lèpre. + Mais le saint ne crie pas le haro et il n'est pas scandalisé. + Il connaît trop la nature de l'homme et l'infirmité de l'homme et il + est seulement profondément peiné. + + + + Les Pharisiens crient le haro sur cet homme qui ne veut pas attraper + la lèpre. + Voyez au contraire comme le Saint lui parle doucement. + Fermement mais doucement. + Et cette fermeté est d'autant plus sûre et me donne d'autant plus de + certitude et plus d'assurance et plus de garantie qu'elle est plus + douce. + Les coeurs des pécheurs ne se prennent point par effraction. + + + + Ils ne sont pas assez purs. Le seul royaume du ciel se prend par + effraction. + + + + Les Pharisiens courent sus à l'homme qui ne veut pas attraper la + lèpre. + Voyez comme au contraire le Saint le reprend doucement. + Le Saint est envahi d'une peine affreuse à cette parole du pécheur. + Mais il absorbe, il dévore sa peine et la souffre lui-même pour + lui-même en lui-même. + Et voyez comme il reprend doucement le pécheur. + + + + Or moi, dit Dieu, je suis du côté des saints et nullement du côté des + Pharisiens. + Aussi j'absorbe et je dévore ma peine et je la souffre moi-même en + moi-même pour moi-même, + Et voyez comme je parle doucement au pécheur + Et comme je reprends doucement le pécheur. + + + _Et quand les frères s'en furent partis_, + (Il attend que les deux frères qu'il avait appelés, + Qu'il avait fait venir s'en soient partis. Il attend qu'ils soient + seuls. Il ne veut pas + Faire un semblant d'affront à un baron français), + _il m'appela tout seul, et me fit seoir à ses pieds et me dit: + «Comment me dîtes-vous hier ce?» + Et je lui dis que encore lui disais-je._ + + + _Et je, qui onques ne lui mentis; + Et je lui dis que encore lui disais-je;_ en vérité, dit Dieu, + Cette franchise de Joinville, qui ose répéter cela au roi, + Est précisément ce qui me garantit la franchise de saint Louis. + Cette franchise de péché de Joinville et de cette certaine impiété + Est justement ce qui me couvre, ce qui me garantit, + Ce qui pour ainsi dire me contrebalance + La franchise de sainteté de saint Louis. Et ce qui me la vérifie. + Entendez-moi, dit Dieu, c'est la liberté de Joinville + Qui me couvre, qui me garantit la liberté de saint Louis. + C'est la gratuité de Joinville + Qui me couvre, qui me garantit la gratuité, la grâce de saint Louis. + Entendez-moi c'est le péché de Joinville, ce bon chrétien, + Qui me couvre, qui me garantit la sainteté même de saint Louis. + + + + _Je, qui onques ne lui mentis_, c'est parce que Joinville ne mentit + jamais à saint Louis, + Même au risque de lui déplaire, même au risque de le contrarier et de + lui faire une grande peine, + Que je suis sûr aussi et que je suis garanti + Que saint Louis ne me ment jamais, + Que son amour, que sa sainteté ne me ment pas, + Que ce n'est point un amour, une sainteté de convention, + De complaisance, imaginaire, + Mais que c'est un amour, une sainteté réelle, + Franche, terrienne, + Terreuse, une sainteté de race et de belle race, + Libre, gratuite. + + + _Et il me dit: «Vous dîtes comme vif étourdi;_ + + (Rien de plus, comme vif étourdi, comme vif étourneau); + + _car vous devez savoir que nulle si laide lèpre n'est comme d'être en + péché mortel, pour ce que l'âme qui est en péché mortel est + semblable au diable; par quoi nulle si laide lèpre ne peut être._ + + _«Et bien est vrai que quand l'homme meurt, il est guéri de la lèpre + du corps; mais quand l'homme qui a fait le péché mortel meurt, il + ne sait pas ni n'est certain que il ait eu en sa vie telle + repentance que Dieu lui ait pardonné: par quoi grand peur doit + avoir que cette lèpre lui dure tant comme Dieu sera en paradis. Si + vous prie, fit-il, tant comme je puis, que vous mettiez votre coeur + à ce, pour l'amour de Dieu et de moi, que vous aimassiez mieux que + tout méchef avînt au corps, de lèpre et de toute maladie, que ce + que le péché mortel vînt à l'âme de vous._ + + + + Quelle douceur, mon enfant, quelle fermeté dans la douceur, quelle + douceur dans la fermeté. + L'une et l'autre ensemble liées indissolubles, l'une poussant + l'autre, l'une faisant valoir l'autre, l'une soutenant l'autre, + l'une nourrissant l'autre. + La douceur toute armée de fermeté, la fermeté toute armée de douceur. + L'une enfermée dans l'autre, l'autre enfermée dans l'une, comme un + double noyau dans un double fruit + De fermeté. + Une douceur d'autant mieux garantie par la fermeté, une fermeté + d'autant mieux garantie par la douceur. + L'une portant l'autre. + Car il n'est point de véritable douceur que fondée sur la fermeté, + Vêtue de fermeté. + Et il n'est point de véritable fermeté que vêtue de douceur. + + + + Quelle douceur, quelle tendresse. Celui qui aime + Entre en la sujétion de celui qui est aimé. + Voilà comme il parle, lui le roi de France. + Il est vrai que c'est à un baron français. + Quel soin de ne point offenser. + De ne meurtrir aucunement, de ne point léser. + De ne point blesser. + De ne laisser aucune trace, + Aucun souvenir de blessure et de meurtrissure. + Quelle attention, quelle dilection. + Quel soin de ne pas donner même une apparence de tort. + Quel soin de ne pas commettre la moindre offense. + Lui le roi, parlant pour Dieu et pour lui-même + Pour Dieu et pour le roi de France il parle humblement. + Il parle comme un tremblant solliciteur. + C'est qu'il tremble en effet et c'est qu'il sollicite. + Il tremble que son fidèle Joinville ne fasse pas son salut. + Et il demande à Joinville, il sollicite que le fidèle Joinville + Fasse son salut. Veuille bien faire son salut. Quelle sollicitation. + Il a soin de le prendre à part. Il attend que les deux frères + soient partis. + Quelle douceur, quel père parlerait plus doucement à son fils. + _Comment me dîtes-vous hier ce? + Et je lui dis que encore lui disais-je. + Et il me dit: Vous dîtes comme hastis musars;_ (comme hâtif musard, + comme hâtif étourdi, comme hâtif étourneau); + Il feint presque de plaisanter, de commencer sur un ton assez + plaisant, justement comme un qui a peur, + Précisément comme celui qui va entrer dans le propos le plus grave, + Qui va causer, qui va traiter de l'intérêt le plus grave); + (ainsi commencent les joutes les plus redoutables); + Et le sérieux profond arrive tout aussitôt après, + Entre incontinent dans le corps même et dans le texte de cette + plaisante, + De cette redoutable entrée. _Vous dîtes comme hâtis musars; + car vous devez savoir que nulle si laide lèpre + n'est comme d'être en péché mortel, + pour ce que l'âme qui est en péché mortel est semblable au diable: + par quoi nulle si laide lèpre ne peut être._ + + + + Et les paroles qui suivent ne sont point indignes, mon enfant, des + plus belles paroles des Évangiles, + Des plus grandes paroles de Jésus dans les Évangiles. Car en + imitation de Jésus + Il a été donné à des saints de prononcer des paroles non indignes + De Jésus, des paroles de Jésus, + Comme en imitation et en l'honneur de Jésus + Il a été donné à des martyrs de subir une mort + Non indigne de la mort de Jésus. Ainsi ces paroles qui viennent + Ne sont point indignes de la prédication de Jésus même. + _Et bien est vrai que quand l'homme meurt, il est guéri de la lèpre + du corps;_ + (comme c'est la même voix que dans les Évangiles, mon enfant, la même + profondeur, + La même résonance de la même voix dans la même profondeur) + (c'est qu'aussi c'est la même sainteté. Jésus et les _autres_ saints. + La même commune éternelle sainteté, + La même communion des saints); + _mais quand l'homme qui a fait le péché mortel meurt, + il ne sait pas ni n'est certain que il ait eu en sa vie telle + repentance + que Dieu lui ait pardonné: + par quoi grand peur doit avoir que cette lèpre lui dure + tant comme Dieu sera en paradis._ Mais les paroles qui viennent, mon + enfant, + Ne sont pas indignes du coeur des Évangiles, + Des trois paraboles de l'Espérance. + Elles sont le reflet, elles sont le report, elles sont le rappel + Dans la même résonance et dans la même ligne + Des trois paraboles de l'Espérance. _Un homme avait deux fils._ Un + roi avait un baron. + Un roi avait un fidèle. Un roi avait un fils. Un roi avait un féal. + Et comme les trois paraboles de l'espérance + Sont le coeur peut-être et sans doute et le couronnement des + Évangiles, + Ainsi ces paroles de saint Louis qui viennent sont le coeur peut-être + et sans doute et le couronnement + Non seulement de saint Louis et de la sainteté de saint Louis. + Mais de toute sainteté peut-être après les Évangiles, + De toute sainteté issue des Évangiles. Car elle est le reflet, et le + report, et le rappel + De cette unique parabole de l'enfant qui était perdu. Comme il + s'abaisse, le roi de France. + Quelle chrétienne humiliation, quelle humiliation de saint. Celui qui + aime + Entre dans la dépendance de celui qui est aimé. Quelle noble + humilité. Il ne commande pas, il demande. + Il attend, il espère, il reprend doucement. Il prie. Quelle humilité + toute vêtue de noblesse. + _Si vous prie, fit-il, tant comme je puis, que vous mettiez votre + coeur à ce, + pour l'amour de Dieu et de moi, + que vous aimassiez mieux que tout méchef avînt au corps, + de lèpre et de toute maladie, + que ce que le péché mortel vînt à l'âme de vous._ + + + + Quelle instance, quelle humble instance, quelle noble instance, + quelle tendre instance. + Voilà comme le saint parle au pécheur, + Pour son salut. Jésus même + N'a jamais été plus tendre au pécheur. C'est que le saint par + lui-même sait + Ce que c'est que d'être homme et ce qu'est la faiblesse humaine + Et l'infirmité de l'homme + Et ce que c'est pour l'homme que la tentation + De sa propre faiblesse. _Car l'esprit est prompt, mais la chair est + faible._ + Et moi, dit Dieu, qui suis du côté des saints et nullement du côté + des Pharisiens, + Moi qui suis tout au bout du côté des saints + Moi aussi je sais quelle est la faiblesse et l'infirmité de l'homme + (c'est moi qui l'ai fait), + Et je parle à Joinville comme saint Louis. + + + + Comment serais-je moins tendre que saint Louis. Comme lui je tremble + Pour leur salut. Comme lui je sollicite, hélas, + Pour leur salut. Les Pharisiens veulent que les autres soient + parfaits. + Et ils exigent et ils réclament. Et ils ne parlent que de cela. Mais + moi je ne suis pas si exigeant. + Parce que je sais ce que c'est que la perfection, je ne leur en + demande pas tant. + Parce que je suis parfait et il n'y a que moi qui est parfait. + Je suis le Tout-Parfait. Aussi je suis moins difficile. + Moins exigeant. Je suis le Saint des saints. + Je sais ce que c'est. Je sais ce qu'il en coûte. + Je sais ce que ça coûte, je sais ce que ça vaut. Les Pharisiens + veulent toujours de la perfection + Pour les autres. Chez les autres. + Mais le saint qui veut de la perfection pour lui-même + En lui-même + Et qui cherche et qui peine dans le labeur et dans les larmes + Et qui obtient quelquefois quelque perfection, + Le saint est moins difficile pour les autres. + Il est moins exigeant pour les autres. Il sait ce que c'est. + Il est exigeant pour soi, difficile pour soi. C'est plus difficile. + + + + Les Pharisiens trouvent toujours les autres indignes et tout le monde + indigne. + Mais moi qui ne vaux peut-être pas ces hommes de bien, dit Dieu, + Je suis moins difficile, je trouve + Que ce Joinville est homme et que c'est saint Louis qui a trente fois + vaincu, + Trente fois surmonté, trente fois remonté, trente fois surpassé la + nature de l'homme. + Je trouve que ce Joinville est commun, que c'est un bon chrétien, un + bon pécheur de l'espèce commune, + Et que c'est ce saint Louis au contraire qui est trente fois hors du + commun, trente fois saint, trente fois hors de l'espèce ordinaire. + Je trouve que ce Joinville n'est pas indigne et même qu'il est digne, + Et que c'est ce saint Louis qui est trente fois digne + D'être mon fils dans mon coeur et d'appuyer son épaule + Contre mon épaule. + + + + D'ailleurs ce qu'il avait eu en Égypte, dit Dieu, + Et ce qu'il attrapa en Tunisie, + Ce grand épuisement de tout son corps + Et cet incoercible + Flux de ventre dont il mourut + Ne valaient pas mieux que cette lèpre qu'il consentait d'avoir. + Il n'y a point de maladie de bonne, dit Dieu. Je le sais, c'est moi + qui les ai faites. + C'est pour cela qu'il se fait tant de saluts, et des plus beaux, dans + la maladie, + Et des plus grands. + Et que tant de saints sortent de la maladie + Naturellement comme du ventre de leur mère et que tant de saintetés + Sortent naturellement de la maladie les plus éclatantes, les plus + tendres, les plus chères, les plus fleurissantes de toutes, + Et qu'il y a manière de tourner la maladie et la mort par la maladie + en martyre même. + + + + Pour moi, dit Dieu, quand je vois, + Quand je considère cette maladie qu'est réellement la lèpre, + Cette inexpiable maladie farineuse aux croûtes blanches, + Qui les défait morceau par morceau, + (Qui défait leur corps charnel), + Qu'un homme qui en a vu, réellement, + Qui a vu de la lèpre et des vrais lépreux + Dise tranquillement qu'il aimerait mieux attraper la lèpre que de + tomber en péché mortel, + C'est-à-dire dise réellement qu'il aimerait mieux attraper cette + maladie-là que de me déplaire, + J'en suis saisi moi-même, dit Dieu, et je tremble d'admiration + Devant tant d'amour et je suis honteux + D'être tant aimé. + + + + Mon fils qui les aimait tant, comme il avait raison de les aimer. + Qu'un homme, que ce roi qui n'a que ce corps après tout + (enfin ce corps sur terre et qui n'en aura jamais d'autre sur terre) + (et quand il en est dépouillé,--de quel dépouillement,--c'est une + fois pour toutes) + Dise tranquillement qu'il aimerait mieux attraper la lèpre que de + tomber en péché mortel, + C'est-à-dire dise tranquillement qu'il aimerait mieux attraper cette + maladie-là que de me déplaire, + Moi-même je n'en reviens pas, dit Dieu, qu'il y ait un homme comme ce + saint Louis, + (et tant d'autres saints et tant d'autres martyrs) + Et je suis confondu d'être tant aimé. + + + Et il faut que ma grâce soit tellement grande. + + + Et éternellement je serai en reste avec eux + Car dans mon paradis même ils m'aimeront éternellement autant. + + + Je demeure tremblant, dit Dieu, je demeure confondu de cette preuve + d'amour. + De tant de preuve d'amour et il n'y a que mon fils + Qui n'est point en reste avec eux, car pour eux comme eux il a + souffert + Un martyre d'homme. + Et il est mort pour eux comme ils sont morts pour lui. + + + Et qu'il y ait un homme qui ait dit cela non point comme un propos, + Non point comme une lèpre de propos, + De discours, + Mais réellement d'une lèpre réelle, + De la lèpre non point d'une lèpre de parole, d'une lèpre de récit, + Mais d'une lèpre toute prête, toute proposée. + + + Et qu'il n'ait pas dit cela, cette sorte d'énormité, + Avec un grand geste, avec éclat, + Mais qu'il ait dit cela simplement, + Comme allant de soi, comme une chose ordinaire, + Dans le texte même de son propos, dans le tissu ordinaire de sa vie, + Cela c'est la fleur, dit Dieu, cette aisance, + Et à cela je reconnais le Français, + La race à qui tout est simple et commun et ordinaire, + Cette race de toute gentillesse. + + + + Et je reconnais ici la résonance et le rang du Français + Et je salue + Leur ordre propre. + Peuple à qui les plus grandes grandeurs + Sont ordinaires. + Je salue ici ta liberté, ta grâce, + Ta courtoisie. + + + + Ta gracieuseté. + Ta gratitude. + Ta gratuité. + + + + Demandez à ce père si le meilleur moment + N'est pas quand ses fils commencent à l'aimer comme des hommes, + Lui-même comme un homme, + Librement, + Gratuitement, + Demandez à ce père dont les enfants grandissent. + + + + Demandez à ce père s'il n'y a point une heure secrète, + Un moment secret, + Et si ce n'est pas + Quand ses fils commencent à devenir des hommes, + Libres, + Et lui-même le traitent comme un homme, + Libre, + L'aiment comme un homme, + Libre, + Demandez à ce père dont les enfants grandissent. + + + + Demandez à ce père s'il n'y a point une élection entre toutes + Et si ce n'est pas + Quand la soumission précisément cesse et quand ses fils devenus hommes + L'aiment, (le traitent), pour ainsi dire en connaisseurs, + D'homme à homme, + Librement, + Gratuitement. L'estiment ainsi. + Demandez à ce père s'il ne sait pas que rien ne vaut + Un regard d'homme qui se croise avec un regard d'homme. + + + Or je suis leur père, dit Dieu, et je connais la condition de l'homme. + C'est moi qui l'ai faite. + Je ne leur en demande pas trop. Je ne demande que leur coeur. + Quand j'ai le coeur, je trouve que c'est bien. Je ne suis pas + difficile. + + + Toutes les soumissions d'esclaves du monde ne valent pas un beau + regard d'homme libre. + Ou plutôt toutes les soumissions d'esclaves du monde me répugnent et + je donnerais tout + Pour un beau regard d'homme libre, + Pour une belle obéissance et tendresse et dévotion d'homme libre, + Pour un regard de saint Louis, + Et même pour un regard de Joinville, + Car Joinville est moins saint mais il n'est pas moins libre, + + + (Et il n'est pas moins chrétien). + + + Et il n'est pas moins gratuit. + + + Et mon fils est mort aussi pour Joinville. + A cette liberté, à cette gratuité j'ai tout sacrifié, dit Dieu, + A ce goût que j'ai d'être aimé par des hommes libres, + Librement, + Gratuitement, + Par de vrais hommes, virils, adultes, fermes. + Nobles, tendres, mais d'une tendresse ferme. + Pour obtenir cette liberté, cette gratuité j'ai tout sacrifié, + Pour créer cette liberté, cette gratuité, + Pour faire jouer cette liberté, cette gratuité. + + + Pour lui apprendre la liberté. + + + Or je n'ai pas trop de toute ma Sagesse + Pour lui apprendre la liberté, + Je n'ai pas trop de toute la Sagesse de ma Providence. + Et de la duplicité même de ma Sagesse pour ce double enseignement. + Quelle mesure il faut que je garde, et comment la calculer. + Quel autre pourrait la calculer. Et comme il faut que je sois double + Et comme il faut que je compose prudemment ce doublement, + (Voilà qui va encore scandaliser nos Pharisiens), + Comme il faut que je calcule prudemment cette duplicité même. + Quelle ne faut-il pas que soit ma prudence. Il faut créer, il faut + enseigner cette liberté + Sans exposer leur salut. Car si je les soutiens trop + Ils n'apprennent jamais à nager. + Mais si je ne les soutiens pas juste au bon moment, + Ils piquent du nez, ils boivent un mauvais bouillon, ils plongent + Et il ne faut pas qu'ils sombrent + Dans cet océan de turpitudes. + + + Je suis leur père, dit Dieu, je suis roi, ma situation est exactement + la même, + Je suis exactement comme ce roi, qui était je pense un roi + d'Angleterre, + Qui ne voulut point envoyer de secours, aucune aide + A son fils engagé dans une mauvaise bataille. + Parce qu'il voulait que l'enfant + Gagnât lui-même ses éperons de chevalier. + Il faut qu'ils gagnent le ciel eux-mêmes et qu'ils fassent eux-mêmes + leur salut. + Tel est l'ordre, tel est le secret, tel est le mystère. Or dans cet + ordre, et dans ce secret, et dans ce mystère + Nos Français sont avancés entre tous. Ils sont mes témoins. + Préférés. + Ce sont eux qui marchent le plus tout seuls. + Ce sont eux qui marchent le plus eux-mêmes. + Entre tous ils sont libres et entre tous ils sont gratuits. + Ils n'ont pas besoin qu'on leur explique vingt fois la même chose. + Avant qu'on ait fini de parler, ils sont partis. + Peuple intelligent, + Avant qu'on ait fini de parler, ils ont compris. + Peuple laborieux, + Avant qu'on ait fini de parler, l'oeuvre est faite. + Peuple militaire, + Avant qu'on ait fini de parler, la bataille est donnée. + + + Peuple soldat, dit Dieu, rien ne vaut le Français dans la bataille. + (Et ainsi rien ne vaut le Français dans la croisade). + Ils ne demandent pas toujours des ordres et ils ne demandent pas + toujours des explications sur ce qu'il faut faire et sur ce qui va + se passer. + Ils trouvent tout d'eux-mêmes, ils inventent tout d'eux-mêmes, à + mesure qu'il faut. + Ils savent tout tout seuls. On n'a pas besoin de leur envoyer des + ordres à chaque instant. + Ils se débrouillent tout seuls. Ils comprennent tout seuls. En pleine + bataille. Ils suivent l'événement. + Ils se modifient suivant l'événement. Ils se plient à l'événement. + Ils se moulent sur l'événement. Ils guettent, ils devancent + l'événement. + Ils se retournent, ils savent toujours ce qu'il faut faire sans aller + demander au général. + Sans déranger le général. Or il y a toujours la bataille, dit Dieu, + Il y a toujours la croisade. + Et on est toujours loin du général. + + + + C'est embêtant, dit Dieu. Quand il n'y aura plus ces Français, + Il y a des choses que je fais, il n'y aura plus personne pour les + comprendre. + + + + Peuple, les peuples de la terre te disent léger + Parce que tu es un peuple prompt. + Les peuples pharisiens te disent léger + Parce que tu es un peuple vite. + Tu es arrivé avant que les autres soient partis. + Mais moi je t'ai pesé, dit Dieu, et je ne t'ai point trouvé léger. + O peuple inventeur de la cathédrale, je ne t'ai point trouvé léger en + foi. + O peuple inventeur de la croisade je ne t'ai point trouvé léger en + charité. + Quant à l'espérance, il vaut mieux ne pas en parler, il n'y en a que + pour eux. + + + + Tels sont nos Français, dit Dieu. Ils ne sont pas sans défauts. Il + s'en faut. Ils ont même beaucoup de défauts. + Ils ont plus de défauts que les autres. + Mais avec tous leurs défauts je les aime encore mieux que tous les + autres avec censément moins de défauts. + Je les aime comme ils sont. Il n'y a que moi, dit Dieu, qui suis sans + défauts. Mon fils et moi. Un Dieu avait un fils. + Et comme créatures il n'y en a que trois qui aient été sans défauts. + Sans compter les anges. + Et c'est Adam et Ève avant le péché. + Et c'est la Vierge temporellement et éternellement. + Dans sa double éternité. + Et deux femmes seulement ont été pures étant charnelles. + Et ont été charnelles étant pures. + Et c'est Ève et Marie. + Ève jusqu'au péché. + Marie éternellement. + + + + Nos Français sont comme tout le monde, dit Dieu. Peu de saints, + beaucoup de pécheurs. + Un saint, trois pécheurs. Et trente pécheurs. Et trois cents + pécheurs. Et plus. + Mais j'aime mieux un saint qui a des défauts qu'un pécheur qui n'en a + pas. Non, je veux dire: + J'aime mieux un saint qui a des défauts qu'un neutre qui n'en a pas. + Je suis ainsi. _Un homme avait deux fils_. + Or ces Français, comme ils sont, ce sont mes meilleurs serviteurs. + Ils ont été, ils seront toujours mes meilleurs soldats dans la + croisade. + Or il y aura toujours la croisade. + Enfin ils me plaisent. C'est tout dire. Ils ont du bon et du mauvais. + Ils ont du pour et du contre. Je connais l'homme. + Je sais trop ce qu'il faut demander à l'homme. + Et surtout ce qu'il ne faut pas lui demander. + Si quelqu'un le sait, c'est moi. + Depuis que l'ayant créé à mon image et à ma ressemblance. + Par le mystère de cette liberté ma créature + Je lui abandonnai dans mon royaume + Une part de mon gouvernement même. + Une part de mon invention. + Il faut le dire une part de ma création. + Il faut les prendre comme ils sont. Si quelqu'un le sait, c'est moi. + Et aussi savez-vous + Combien une seule goutte de sang de Jésus + Pèse dans mes balances éternelles. + Que donc celui qui est né pour dormir, dorme. _La terre était informe + et nue; les ténèbres couvraient la face de l'abîme; et l'Esprit de + Dieu était porté sur les eaux._ Et ce ne fut qu'ensuite que j'ai + créé la lumière. _Or Dieu dit: Que la lumière soit: et la lumière + fut. + Dieu vit que la lumière était bonne, et il sépara la lumière d'avec + les ténèbres. + Il donna à la lumière le nom de jour, et aux ténèbres le nom de nuit: + et du soir et du matin se fit le premier jour._ + Sera-t-il dit qu'il y aura des regards si éteints, des regards si + pâlis + Que nulle étincelle ne les allumera plus. + Et qu'il y aura des voix si fanées, et des âmes si blettes + Que nul ressourcement ne les approfondira plus. + Et qu'il y aura des âmes si fanées + D'épreuves, de détresse, + De larmes, de prière, de travail, + Et d'avoir vu ce qu'elles ont vu. Et d'avoir souffert ce qu'elles ont + souffert. + Et d'avoir passé par où elles ont passé. Et de savoir ce qu'elles + savent. + + Qu'ils en auront assez. + Pour éternellement assez et que tout ce qu'ils demanderont c'est + qu'on leur fiche la paix. + _Dona eis, Domine, pacem, + Et requiem aeternam._ La paix et le repos éternel. + Parce qu'ils auront connu certaines histoires de la terre. + Et qu'ils ne voudront plus entendre de rien que d'un champ de repos. + Et de se coucher pour dormir. + Dormir, dormir enfin. + Et que tout ce qu'ils supporteront et que tout ce que je pourrai + mettre + Et apporter + (Celui que je prends dans son sommeil de la terre est bien heureux, + et c'est bon signe, mes enfants) + Comme le trop malade et le trop blessé ne supporte plus la vie et le + remède et l'idée même de la guérison. + Mais seulement le baume sur la blessure. + Et n'a plus aucun goût pour la santé. + Ainsi sera-t-il dit que sur tant de blessures. + Ils ne supporteront que la fraîcheur du baume. + Comme un blessé fiévreux. + Et qu'ils n'auront (plus) aucun goût pour mon paradis + Et pour ma vie éternelle. + Et que tout ce que je pourrai mettre sur tant de blessures; + Sur tant de cicatrices et sur tant de sacrifices; + Et sur l'amertume de tant de calices; + Et sur les ingratitudes de tant de malices; + Et sur les pointes d'épines de tant de cilices; + Et sur les écartèlements de tant de supplices; + + Et sur les éclaboussements de tant de sang; + + (J'ai pris le criminel accroupi sur son crime + Dit Dieu. Sera-t-il dit que sur tant de fatigues. + Et tant de navrements et de meurtres complices. + Sur tant d'hébétements et de vicissitudes. + Sur tant d'inquiétude et sur tant d'habitude. + Sur tant de solitude et de décrépitude. + Sur tant de lassitude et de sollicitude. + Sur tant d'ingratitude et d'inexactitude. + Sur tant d'incertitude et tant de solitude. + Et tant de servitude et de désuétude. + Et tant de platitude et sur tant d'amertume. + Et sur cette écume + De sang. + Et sur cette écume + De haine. + Et sur cette écume + D'ingratitude. + Et sur cette écume + D'amour. + + + Et sur tant de blessures sera-t-il dit. + Que sur tant de blessures tout ce que je pourrai mettre. + Et sur tant de flétrissures et sur tant de meurtrissures. + Et sur tant d'éclaboussures et sur tant de morsures. + Ce sera de faire descendre comme un baume du soir. + Comme après la blessure d'un ardent midi la grande tombée d'un beau + soir d'été + La lente descension d'une nuit éternelle. + + + O nuit sera-t-il dit que je t'aurai créée la dernière. + Et que mon Paradis et que ma Béatitude + Ne sera qu'une grande nuit de clarté. + Une grande nuit éternelle + Et que le couronnement du jugement et le commencement du Paradis et + de ma Béatitude sera + Le coucher de soleil d'un éternel été. + + + + Or il en serait ainsi, dit Dieu. + Et tout ce que je pourrais mettre sur les bords des lèvres + Des plaies des martyrs + Ce serait le baume, et l'oubli, et la nuit. + Et tout s'achèverait de lassitude, + Cette énorme aventure, + Comme après une ardente moisson + La lente descension d'un grand soir d'été. + S'il n'y avait pas ma petite espérance. + C'est par ma petite espérance seule que l'éternité sera. + Et que la Béatitude sera. + Et que le Paradis sera. Et le ciel et tout. + Car elle seule, comme elle seule dans les jours de cette terre + D'une vieille veille fait jaillir un lendemain nouveau + Ainsi elle seule des résidus du Jugement et des ruines et du débris + du temps + Fera jaillir une éternité neuve. + + + + Je suis, dit Dieu, le Seigneur des vertus. + La Foi est la lampe du sanctuaire. + Qui brûle éternellement. + La Charité est ce grand beau feu de bois + Que vous allumez dans votre cheminée + Pour que mes enfants les pauvres viennent s'y chauffer dans les soirs + d'hiver. + Et autour de la Foi je vois tous mes fidèles + Ensemble agenouillés dans le même geste et dans la même voix + De la même prière. + Et autour de la Charité je vois tous mes pauvres + Assis en rond autour de ce feu + Et tendant leurs paumes à la chaleur du foyer. + Mais mon espérance est la fleur et le fruit et la feuille et la + branche. + Et le rameau et le bourgeon et le germe et le bouton. + Et elle est le bourgeon et le bouton de la fleur + De l'éternité même. + + + + O mon peuple français, dit Dieu, tu es le seul qui ne fasses point + des contorsions. + Ni des contorsions de raideur, ni des contorsions de mollesse. + Et dans ton péché même tu fais moins de contorsions + Que les autres n'en font dans leurs exercices. + Quand tu pries, agenouillé tu as le buste droit. + Et les jambes bien jointes bien droites au ras du sol. + Et les deux pieds bien joints. + Et les deux mains bien jointes bien appliquées bien droites. + Et les deux regards des deux yeux bien parallèlement montants droit + au ciel. + O seul peuple qui regardes en face. + Et qui regardes en face la fortune et l'épreuve + Et le péché même. + Et qui moi-même me regardes en face. + Et quand tu es couché sur la pierre des tombeaux + L'homme et la femme se tiennent bien droits l'un à côté de l'autre. + Sans raideur et sans aucune contorsion. + Bien couchés droits l'un à côté de l'autre sans faute. + Sans manque et sans erreur. + Bien pareils. Bien parallèlement. + Les mains jointes, les corps joints et séparés parallèles. + Les regards joints. + Les destinées jointes. Joints dans le jugement et dans l'éternité. + Et le noble lévrier bien aux pieds. + Peuple, le seul qui pries et le seul qui pleures sans contorsion. + + Le seul qui ne verses que des larmes décentes. + Et des larmes perpendiculaires. + + Le seul qui ne fasses monter que des prières décentes + Et des prières et des voeux perpendiculaires. + + + + Dans toute famille, dit Dieu, il y a un dernier-né. + Et il est plus tendre. + Cette petite espérance qui sauterait à la corde dans les processions. + Elle est dans la maison des vertus + Comme était Benjamin dans la maison de Jacob. + + + + _Un homme avait douze fils._ Comme les quarante-six livres de + l'Ancien Testament marchent devant les quatre Évangiles et les + Actes et les Épîtres et l'Apocalypse. + Qui ferme la marche. + Comme les quarante-six livres de l'Ancien Testament marchent devant + les vingt-sept livres du Nouveau Testament. + Ayant posé leurs quarante-six tentes dans le désert. + Et comme Israël marche devant la chrétienté. + Et comme le bataillon des justes marche devant le bataillon des + saints. + Et Adam devant Jésus-Christ + Qui est le deuxième Adam. + Ainsi devant toute histoire et devant toute similitude du Nouveau + Testament + Marche une histoire de l'Ancien Testament qui est sa parallèle et qui + est sa pareille. + _Un homme avait deux fils. Un homme avait douze fils._ Et ainsi + devant toute soeur chrétienne + S'avance une soeur juive qui est sa soeur aînée et qui l'annonce et + qui va devant. + Et qui a posé sa tente dans le désert. Et le puits de Rébecca + Avait été creusé avant le puits de la Samaritaine. + Or entre toutes une histoire a planté sa tente. + Et avant l'histoire de l'homme qui avait deux fils + Mon enfant c'est l'histoire de l'homme qui avait douze fils. + Et comme était Benjamin dans la famille de cet homme, + Ainsi est mon Espérance dans la famille des vertus. + Parmi les trois Théologales et parmi les quatre Cardinales. + Sans compter toutes les autres et notamment parmi celles, + Parmi les sept qui s'opposent directement aux Capitaux. + Et avant le fils qui fut retrouvé gardien de cochons, + Marche le fils qui fut retrouvé roi, + Je veux dire ministre du roi et réellement gouverneur du royaume. + Ministre du Pharaon et gouverneur du royaume d'Égypte. + --_Je suis Joseph, votre frère._ Quel Juif, quel chrétien + N'a pleuré à cette retrouvaille. _Israël aimait Joseph plus que tous + ses autres enfants, parce qu'il l'avait eu étant déjà vieux;_ + +JEANNETTE + + _Et il lui avait fait faire une robe de plusieurs couleurs._ + +MADAME GERVAISE + + _Il arriva aussi que Joseph rapporta à ses frères un songe qu'il + avait eu, qui fut la semence d'une plus grande haine._ + +JEANNETTE + + _Car il leur dit:_ + +MADAME GERVAISE + + Quel coeur juif, quel coeur chrétien n'a tressailli au fil de cette + histoire. Quel coeur juif, quel coeur chrétien n'a tressailli à + cette retrouvaille. + +JEANNETTE + + _Car il leur dit: Écoutez le songe que j'ai eu._ + +MADAME GERVAISE + + Juif, chrétien, qui n'a pleuré à cette reconnaissance. + +JEANNETTE + + _Il me semblait que je liais avec vous des gerbes dans le champ; que + ma gerbe se leva et se tint debout; et que les vôtres étant autour + de la mienne, l'adoraient._ + +MADAME GERVAISE + + _Ses frères lui répondirent: Est-ce que vous serez notre Roi, et que + nous serons soumis à votre puissance? Ces songes et ces entretiens + allumèrent donc encore davantage l'envie et la haine qu'ils avaient + contre lui._ + +JEANNETTE + + _Il est encore un autre songe qu'il raconta à ses frères en leur + disant: J'ai cru voir en songe que le soleil et la lune, et onze + étoiles m'adoraient._ + +MADAME GERVAISE + + _Lorsqu'il eut rapporté ce songe à son père et à ses frères, son père + lui en fit réprimande, et lui dit: Que voudrait dire ce songe que + vous avez eu? Est-ce que votre mère, vos frères et moi nous vous + adorerons sur la terre?_ + +JEANNETTE + + _Ainsi ses frères étaient transportés d'envie contre lui: mais le + père considérait tout ceci dans le silence._ + +MADAME GERVAISE + + _Il arriva alors que les frères de Joseph s'arrêtèrent à Sichem où + ils faisaient paître les troupeaux de leur père._ + +JEANNETTE + + _Et Israël dit à Joseph: Vos frères font paître nos brebis dans le + pays de Sichem. Venez, et je vous enverrai vers eux._ + +MADAME GERVAISE + + _(Je suis tout prêt, lui dit Joseph).--Allez, et voyez si vos frères + se portent bien, et si les troupeaux sont en bon état; et vous me + rapporterez ce qui se passe.--Ayant (donc) été envoyé de la vallée + d'Hébron, il vint à Sichem;_ + +JEANNETTE + + _et un homme l'ayant trouvé errant dans un champ, lui demanda ce + qu'il cherchait._ + +MADAME GERVAISE + + _Il lui répondit: Je cherche mes frères; je vous prie de me dire où + ils font paître leurs troupeaux._ + +JEANNETTE + + _Cet homme lui répondit: Ils se sont retirés de ce lieu; et j'ai + entendu qu'ils se disaient: Allons vers Dothaïn. Joseph alla donc + après ses frères; et il les trouva dans (la plaine de) Dothaïn._ + +MADAME GERVAISE + + _Lorsqu'ils l'eurent aperçu de loin, avant qu'il se fût approché + d'eux, ils résolurent de le tuer;_ + +JEANNETTE + + _Et ils se disaient l'un à l'autre: Voici notre songeur qui vient._ + +MADAME GERVAISE + + _Allons, tuons-le, et le jettons dans cette vieille citerne: nous + dirons qu'une bête sauvage l'a dévoré; et après cela on verra à + quoi ses songes lui auront servi._ + +JEANNETTE + + _Ruben les ayant entendu parler ainsi, tâchait de le tirer d'entre + leurs mains, et il disait:_ + +MADAME GERVAISE + + _Ne le tuez point, et ne répandez point son sang, mais jettez-le dans + cette citerne qui est dans le désert, et conservez vos mains pures._ + +JEANNETTE + +comme donnant un renseignement, pour qu'on n'aille point s'égarer: + + _Il disait ceci dans le dessein de le tirer de leurs mains, et de le + rendre à son père._ + +MADAME GERVAISE + + _Aussitôt donc qu'il fut arrivé près de ses frères, ils lui ôtèrent + sa robe de plusieurs couleurs qui le couvrait jusqu'en bas;_ + +JEANNETTE + + _Et ils le jettèrent dans cette vieille citerne qui était sans eau._ + +MADAME GERVAISE + + _S'étant ensuite assis pour manger, ils virent des Ismaëlites qui + passaient, et qui venant de Galaad portaient sur leurs chameaux des + parfums, de la résine et de la myrrhe,..._ + +JEANNETTE + + Déjà l'or, déjà l'encens, déjà la myrrhe. + +MADAME GERVAISE + + _... et s'en allaient en Égypte._ + +JEANNETTE + + Et ce fut la première fuite en Égypte. + +MADAME GERVAISE + + _Alors Juda dit à ses frères: Que nous servira d'avoir tué notre + frère, et d'avoir caché sa mort?_ + + _Il vaut mieux le vendre..._ + +JEANNETTE + + _Il vaut mieux le vendre à ces Ismaëlites, et ne point souiller nos + mains; car il est notre frère et notre chair._ + +comme condescendant: + + _Ses frères consentirent à ce qu'il disait:_ + +MADAME GERVAISE + + _L'ayant donc tiré de la citerne, et voyant ces marchands Madianites + qui passaient, ils le vendirent vingt pièces d'argent aux + Ismaëlites, qui le menèrent en Égypte._ + +JEANNETTE + + _Ils le vendirent vingt pièces d'argent._ Un autre, + Un autre fut vendu. + +MADAME GERVAISE + + Un autre fut envoyé vers ses frères, pour savoir comment les brebis + se portaient. Un autre fut dépouillé de sa robe et jeté dans cette + vieille citerne qui était sans eau. Un autre fut vendu. + +JEANNETTE + + Un autre fut emmené en Égypte, dans la même, dans une autre Égypte. + Un autre fut vendu. + +MADAME GERVAISE + + C'est une figure, mon enfant. C'est une histoire unique et elle fut + jouée deux fois. Une fois en juiverie, une fois en chrétiennerie. + Et pour celui qui regarde les deux fois se voient en transparence + l'une sur l'autre. + +JEANNETTE + + Un autre fut lié, un autre fut vendu. + +MADAME GERVAISE + + Un autre fut vendu esclave. + +JEANNETTE + + Un autre aussi fut retrouvé. Un autre aussi fut reconnu. Un autre + aussi se dévoila. _Je suis Jésus, votre frère._ + +MADAME GERVAISE + + Un autre se manifesta dans sa gloire, et dans le ministère et dans le + gouvernement du royaume. + +JEANNETTE + + Dans le gouvernement d'une Égypte éternelle. _Ruben étant retourné à + la citerne, et n'y ayant point trouvé l'enfant._ + +MADAME GERVAISE + + Un autre a rompu le sceau de son secret. Un autre est apparu dans sa + gloire. Un autre est apparu à la droite. Un autre est apparu dans + le gouvernement. Un autre est apparu sur les degrés du trône. Un + autre est apparu dans son ascension. + +JEANNETTE + + Et c'était Jésus notre frère. _Je suis Jésus, + Je suis Jésus votre frère._ + Et nous autres nous sommes ces gerbes et ces onze étoiles. + _Un homme avait douze fils._ Et nous autres nous sommes ces frères + ingrats, + les onze ou enfin les dix ou enfin les neuf mauvais fils de Jacob. + _Ruben étant retourné à la citerne, et n'y ayant point retrouvé + l'enfant,_ + +MADAME GERVAISE + + _déchira ses vêtements, et vint dire à ses frères: L'enfant ne paraît + plus, et que deviendrai-je?_ + + _Après cela ils prirent la robe..._ + +JEANNETTE + + Une autre robe fut ravie. _Après cela ils prirent la robe de Joseph, + et l'ayant trempée dans le sang d'un chevreau qu'ils avaient tué,_ + +MADAME GERVAISE + + _ils l'envoyèrent au père, lui faisant dire par ceux qui la lui + portaient: Voici une robe que nous avons trouvée, voyez si c'est + celle de votre fils, ou non._ + +JEANNETTE + + _Le père l'ayant reconnue, dit: C'est la robe de mon fils, une bête + cruelle l'a dévoré, une bête a dévoré Joseph._ + +MADAME GERVAISE + + _Et ayant déchiré ses vêtements, il se couvrit d'un cilice, pleurant + son fils fort longtemps._ + +JEANNETTE + + _Alors tous ses enfants s'assemblèrent, pour tâcher de soulager leur + père dans sa douleur: mais il ne voulut point recevoir de + consolation, et il dit: Je pleurerai toujours jusqu'à ce que je + descende avec mon fils au fond de la terre. Ainsi il continua + toujours de pleurer._ + +MADAME GERVAISE + + _Cependant les Madianites vendirent Joseph en Égypte._ + + Un homme avait douze fils. Or celui qu'il aimait plus que tous les + autres (_Israël aimait Joseph plus que tous ses autres enfants, + parce qu'il l'avait eu étant déjà vieux, et il lui avait fait faire + une robe de plusieurs couleurs_) celui-là même était esclave en + Égypte et il croyait qu'il était mort. + Or c'est pour cela même qu'il eut plus tard cette grande joie. + Qu'il ne pouvait pas en avoir autrement. + +JEANNETTE + + _... et je n'aurai au-dessus de vous que le trône et la qualité de + Roi._ + +MADAME GERVAISE + + _Pharaon dit encore à Joseph: Je vous établis aujourd'hui pour + commander à toute l'Égypte._ + +JEANNETTE + + _Ensemble il ôta son anneau de sa main et le mit en celle de Joseph; + il le fit revêtir d'une robe de fin lin, et lui mit au cou un + collier d'or._ + +MADAME GERVAISE + + _Il le fit monter sur l'un de ses chars, qui était le second après le + sien, et fit crier par un Héraut, que tout le monde fléchît le + genou devant lui, et que tous reconnussent qu'il avait été établi + pour commander à toute l'Égypte._ + +JEANNETTE + + _Le Roi dit encore à Joseph: Je suis Pharaon; nul ne remuera ni le + pied ni la main dans toute l'Égypte que par votre commandement._ + +MADAME GERVAISE + + _Il changea aussi son nom, et il l'appela en langue Égyptienne..._ + +JEANNETTE + + _... le Sauveur du Monde._ + +MADAME GERVAISE + + _Les sept années de fertilité vinrent donc; et le blé ayant été mis + en gerbes, fut serré ensuite dans les greniers de l'Égypte._ + +JEANNETTE + + Trente et trois années de fertilité vinrent donc; et le blé ayant été + mis en gerbes, fut serré ensuite dans les greniers d'une Égypte + éternelle. + +MADAME GERVAISE + + _On mit aussi en réserve dans toutes les villes cette grande + abondance de grains._ + +JEANNETTE + + On mit aussi en réserve dans tout le ciel cette grande abondance de + grâces. + +MADAME GERVAISE + + _Car il y eut si grande quantité de froment, qu'elle égalait le sable + de la mer, et qu'elle ne pouvait pas même se mesurer._ + +JEANNETTE + + Car il y eut une si grande quantité de grâces, qu'elle égalait le + sable de la mer, et qu'elle ne pouvait pas même se mesurer. + +MADAME GERVAISE + + _Ces sept années..._ + +JEANNETTE + + Il avait lié les sacs de blé pour les greniers à blé. Un autre + Un autre lia les sacs de grâces pour les greniers à grâces. + Un autre lia les sacs de grâces pour les greniers du ciel. + Un autre lia les sacs de grâces pour les greniers + Éternels. + +MADAME GERVAISE + + _Ces sept années..._ + +JEANNETTE + + Dans les sept années grasses il avait lié les sacs de blé pour les + greniers à blé du pays + D'Égypte. Un autre + Dans les trente-trois années grasses un autre + Lia les sacs de vertus, les sacs de mérites, les sacs de grâces + Pour les greniers à blé du pays éternel. + +MADAME GERVAISE + + _Ces sept années de fertilité d'Égypte étant donc passées,_ + +JEANNETTE + + Ces trente-trois années de fertilité du coeur étant donc passées, + +MADAME GERVAISE + + _Les sept années de stérilité vinrent ensuite, selon la prédiction de + Joseph:_ + +JEANNETTE + + Les innombrables années de la stérilité du coeur + Vinrent ensuite, + Selon la prédiction de Jésus: + +MADAME GERVAISE + + _Une grande famine survint dans tout le monde;_ + +JEANNETTE + + Une grande famine survint dans tout le monde; + +MADAME GERVAISE + + _Mais il y avait du blé dans toute l'Égypte._ + +JEANNETTE + + Mais il y a du blé dans toute cette Égypte + Éternelle. + +MADAME GERVAISE + + _Le peuple étant pressé à la famine, + cria à Pharaon, + et lui demanda de quoi vivre._ + +JEANNETTE + + Et aujourd'hui. + Et à présent c'est nous ce peuple qui est pressé de la famine. + Et nous crions vers Dieu, + Lui demandant de quoi vivre. + +MADAME GERVAISE + + _Mais il leur dit: Allez trouver Joseph, + Et faites tout ce qu'il vous dira._ + +JEANNETTE + + Mais il nous dit: Allez trouver Jésus, + Et faites tout ce qu'il vous dira. + +MADAME GERVAISE + + _Cependant la famine croissait tous les jours dans toute la terre:_ + +JEANNETTE + + et Jésus... + +MADAME GERVAISE + + _et Joseph ouvrant tous les greniers,_ + +JEANNETTE + + _vendait du blé aux Égyptiens,_ + +MADAME GERVAISE + + _parce qu'ils étaient tourmentés eux-mêmes de la famine._ + + _Et on venait de toutes les provinces en Égypte pour acheter de quoi + vivre, et pour trouver quelque soulagement_ + +JEANNETTE + + _dans la rigueur de cette famine._ + + _Cependant Jacob ayant ouï dire qu'on vendait du blé en Égypte, dit à + ses enfants: Pourquoi négligez-vous?_ + + _J'ai appris qu'on vend du blé en Égypte; allez-y acheter ce qui nous + est nécessaire, afin que nous puissions vivre et que nous ne + mourions pas de faim._ + +MADAME GERVAISE + + _Les dix frères de Joseph allèrent donc en Égypte pour y acheter du + blé;_ + +JEANNETTE + + _Jacob retint Benjamin avec lui, ayant dit à ses frères qu'il + craignait_ + + _qu'il ne lui arrivât quelque accident dans le chemin._ + +MADAME GERVAISE + + _Ils entrèrent dans l'Égypte avec les autres qui y allaient pour y + acheter;_ + + _parce que la famine était dans le pays de Chanaan._ + +JEANNETTE + + _Joseph commandait dans toute l'Égypte,_ + +MADAME GERVAISE + + _et le blé ne se vendait aux peuples que par son ordre. Ses frères + l'ayant donc adoré, + il les reconnut: et leur parlant assez rudement, comme à des + étrangers, il leur dit:_ + +JEANNETTE + +faisant un peu la grosse voix + + _D'où venez-vous?_ + +MADAME GERVAISE + + _Ils lui répondirent:_ + +JEANNETTE + +faisant un peu la petite voix + + _Du pays de Chanaan pour acheter ici de quoi vivre._ + + _Et quoi qu'il connût bien ses frères, il ne fut point néanmoins + connu d'eux._ + + _Alors se souvenant des songes qu'il avait eus autrefois,_ + +MADAME GERVAISE + + _il leur dit: Vous êtes des espions, et vous êtes venus ici pour + considérer les endroits les plus faibles de l'Égypte._ + +JEANNETTE + + _Ils répondirent: Seigneur, cela n'est pas ainsi; mais vos serviteurs + sont venus ici pour acheter du blé._ + +MADAME GERVAISE + + _Nous sommes tous enfants d'un seul homme,_ + +JEANNETTE + + Nous sommes tous enfants d'un seul Dieu. + +MADAME GERVAISE + + _Nous sommes tous enfants d'un seul homme, nous venons avec des + pensées de paix,_ + +JEANNETTE + + Et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. + +MADAME GERVAISE + + _et vos serviteurs n'ont aucun mauvais dessein._ + + _Leur répondit: Non cela n'est pas; mais vous êtes venus pour + remarquer ce qu'il y a de moins fortifié dans l'Égypte._ + + _Ils lui dirent: Nous sommes douze frères, enfants d'un même homme + dans le pays de Chanaan, et vos serviteurs. Le dernier est avec + notre père, et l'autre n'est plus._ + +JEANNETTE + + Comme était Benjamin dans la maison de Jacob, _le dernier est avec + notre père,_ ainsi est l'espérance dans la maison des vertus. + +MADAME GERVAISE + + _Voilà, dit Joseph, ce que je disais: Vous êtes des espions_ + +JEANNETTE + +faisant la grosse voix et s'adoucissant peu à peu + +[d'ailleurs toute cette récitation sacrée, venue dans le courant même +de leur commune oraison, se fait: avant tout comme d'une belle +histoire; ensemble comme d'une histoire amusante; en dessous comme +d'une histoire de tendresse; d'une tendresse grandissante, si grande +qu'en même temps on s'en défend constamment jusqu'à l'éclatement final] + + _Je m'en vais éprouver si vous dites la vérité. Vive Pharaon,_ + +[c'est surtout ce _Vive Pharaon_ qui les amuse. Elles le font dans une +très grosse voix] + + _Vive Pharaon, vous ne sortirez point d'ici jusqu'à ce que le dernier + de vos frères y soit venu._ + +MADAME GERVAISE + + _Envoyez l'un de vous pour l'y amener: cependant vous demeurerez en + prison jusqu'à ce que j'aye reconnu si ce que vous dites est vrai + ou faux, autrement,_ même jeu, _vive Pharaon, vous êtes des + espions._ + + _Il les fit donc mettre en prison pour trois jours._ + + _Et le troisième jour il les fit sortir de prison, et leur dit: + Faites ce que je vous dis, et vous vivrez: car je crains Dieu._ + + _Si vous venez ici dans un esprit de paix, que l'un de vos frères + demeure lié dans la prison; et allez-vous-en vous; emportez en + votre pays le blé que vous avez acheté,_ + + _et amenez-moi le dernier de vos frères, afin que je puisse + reconnaître si ce que vous dites est véritable, et que vous ne + mouriez point. Ils firent ce qu'il leur avait ordonné._ + +JEANNETTE + + _Et ils se disaient l'un à l'autre: C'est justement que nous + souffrons tout ceci, parce que nous avons péché contre notre frère, + et que voyant la douleur de son âme lorsqu'il nous priait, nous ne + l'écoutâmes point: c'est pour cela que nous sommes tombés dans + cette affliction._ + +MADAME GERVAISE + + _Ruben l'un d'entre eux leur disait: Ne vous dis-je pas: Ne commettez + point un si grand crime contre cet enfant? Et vous ne m'écoutâtes + point. C'est son sang maintenant que l'on redemande._ + +JEANNETTE + + _Ils ne savaient pas que Joseph les entendît, parce qu'il leur + parlait par un truchement. + Mais il se retira pour un peu de temps, et versa des larmes._ + +MADAME GERVAISE + + _Et étant revenu il leur parla._ + + _Il fit prendre Siméon, et le fit lier devant eux; et il commanda à + ses officiers d'emplir leurs sacs de blé, et de remettre dans le + sac de chacun d'eux l'argent, en y ajoutant encore des vivres pour + se nourrir pendant le chemin: ce qui fut exécuté aussitôt._ + + _Les frères de Joseph s'en allèrent donc, emportant leur blé sur + leurs ânes._ + + _Et l'un d'eux ayant ouvert son sac dans l'hôtellerie pour donner à + manger à son âne, vit son argent à l'entrée du sac,_ + + _et il dit à ses frères: On m'a rendu mon argent; le voici dans mon + sac. Ils furent tous saisis d'étonnement et de trouble; et ils + s'entredisaient: Quelle est cette conduite de Dieu sur nous?_ + + _Lorsqu'ils furent arrivés chez Jacob leur père au pays de Chanaan, + ils lui racontèrent tout ce qui leur était arrivé, en disant:_ + + _Le Seigneur de ce pays-là nous a parlé rudement, et il nous a pris + pour des espions qui venaient observer le royaume._ + + _Nous lui avons répondu: Nous sommes gens paisibles, et très éloignés + d'avoir aucun mauvais dessein._ + + _Nous étions douze frères enfants d'un même père._ + +JEANNETTE + + _Nous étions douze frères enfants d'un même père. L'un n'est plus, le + plus jeune est avec notre père au pays de Chanaan._ + +MADAME GERVAISE + + _Il nous a répondu: Je veux éprouver s'il est vrai que vous n'ayez + que des pensées de paix. Laissez-moi donc ici l'un de vos frères; + prenez le blé qui vous est nécessaire pour vos maisons, et vous en + allez;_ + + _et amenez-moi le plus jeune de vos frères, afin que je sache que + vous n'êtes point des espions; que vous puissiez ensuite remener + avec vous celui que je retiens prisonnier, et qu'il vous soit + permis à l'avenir d'acheter ici ce que vous voudrez._ + + _Après avoir ainsi parlé, comme ils jetaient leur blé hors de leurs + sacs, ils trouvèrent chacun leur argent lié à l'entrée du sac, et + ils en furent tous épouvantés._ + +JEANNETTE + + _Alors Jacob, leur père, leur dit:_ + + _Vous m'avez réduit à être sans enfants. Joseph n'est plus au monde, + Siméon est en prison, et vous voulez m'enlever Benjamin. Tous ces + maux sont retombés sur moi._ + +MADAME GERVAISE + + _Ruben lui répondit: Faites mourir mes deux enfants, si je ne vous le + ramène. Confiez-le moi, et je vous le rendrai._ + +JEANNETTE + + _Non, dit Jacob, mon fils n'ira point avec vous. Son frère est mort, + et il est demeuré seul. S'il lui arrive quelque malheur au pays où + vous allez, vous accablerez ma vieillesse d'une douleur qui + m'emportera dans le tombeau._ + +MADAME GERVAISE + + _Cependant la famine désolait extraordinairement tout le pays;_ + + _et le blé que les enfants de Jacob avaient apporté d'Égypte étant + consumé, Jacob leur dit:_ + + _Retournez pour nous acheter un peu de blé._ + + + + _Juda lui répondit: Celui qui commande en ce pays-là nous a déclaré + sa volonté avec serment, en disant: Vous ne verrez point mon visage + à moins que vous n'ameniez avec vous le plus jeune de vos frères._ + + _Si vous voulez donc l'envoyer avec nous, nous irons ensemble, et + nous achèterons ce qui vous est nécessaire._ + + _Que si vous ne le voulez pas, nous n'irons point: car cet homme, + comme nous l'avons dit plusieurs fois, nous a déclaré que nous ne + verrions point son visage, si nous n'avions avec nous notre jeune + frère._ + + + + _Israël leur dit: C'est pour mon malheur que vous lui avez appris que + vous aviez encore un autre frère._ + + + + _Mais ils lui répondirent: Il nous demanda par ordre toute la suite + de notre famille: Si notre père vivait; si nous avions un frère: et + nous lui répondîmes conformément à ce qu'il nous avait demandé. + Pouvions-nous deviner qu'il nous dirait: Amenez avec vous votre + frère?_ + + + + _Juda dit encore à son père: Envoyez l'enfant avec moi, afin que nous + puissions partir et avoir de quoi vivre, et que nous ne mourions + pas nous et nos petits enfants._ + + _Je me charge de cet enfant, et c'est à moi à qui vous en demanderez + compte. Si je ne le ramène, et si je ne vous le rends, je consens + que vous ne me pardonniez jamais cette faute._ + + _Si nous n'avions point tant différé, nous serions déjà revenus une + seconde fois._ + + + + _Israël leur père leur dit donc: Si c'est une nécessité, faites ce + que vous voudrez. Prenez avec vous des plus excellents fruits de ce + pays-ci, pour en faire présent à celui qui commande; un peu de + résine, de miel, de storax, de myrrhe, de térébenthine et + d'amandes._ + +JEANNETTE + + De l'or, de l'encens, de la myrrhe. + +MADAME GERVAISE + + _Portez aussi deux fois autant d'argent qu'au premier voyage, et + reportez celui que vous avez trouvé dans vos sacs, de peur que ce + ne soit une méprise._ + + _Enfin menez votre frère avec vous, et allez vers cet homme._ + +JEANNETTE + + _Je prie mon Dieu le tout-puissant de vous le rendre favorable, qu'il + renvoye avec vous votre frère qu'il tient prisonnier, et Benjamin: + cependant je demeurerai seul, comme si j'étais sans enfants._ + +MADAME GERVAISE + + _Ils prirent donc avec eux les présents, et le double de l'argent, + avec Benjamin; et étant partis ils arrivèrent en Égypte, où ils se + présentèrent devant Joseph._ + +JEANNETTE + + _Joseph les ayant vus, et Benjamin avec eux, dit à son Intendant: + Faites entrer ces personnes chez moi; tuez des victimes, et + préparez un festin: parce qu'ils mangeront à midi avec moi._ + +MADAME GERVAISE + + _L'Intendant exécuta ce qui lui avait été commandé, et il les fit + entrer dans la maison._ + + _Alors étant saisis de crainte, ils s'entredisaient: C'est à cause de + cet argent que nous avons remporté dans nos sacs qu'il nous fait + entrer ici, pour faire retomber sur nous ce reproche, et nous + opprimer en nous réduisant en servitude, nous et nos ânes._ + + _C'est pourquoi étant encore à la porte, ils s'approchèrent de + l'Intendant de Joseph, + et lui dirent: Seigneur, nous vous supplions de nous écouter. Nous + sommes déjà venus une fois acheter du blé:_ + + _et après l'avoir acheté, lorsque nous fûmes arrivés à l'hôtellerie, + en ouvrant nos sacs, nous y trouvâmes notre argent, que nous vous + rapportons maintenant au même poids._ + + _Et nous vous en rapportons encore d'autre, pour acheter ce qui nous + est nécessaire: mais nous ne savons en aucune sorte qui a pu + remettre cet argent dans nos sacs._ + +JEANNETTE + + _L'Intendant leur répondit: Ayez l'esprit en repos; ne craignez + point. Votre Dieu et le Dieu de votre père vous a donné des trésors + dans vos sacs: car pour moi j'ai reçu l'argent que vous m'avez + donné, et j'en suis content. Il fit sortir aussi Siméon, et il le + leur amena._ + +MADAME GERVAISE + + _Après les avoir fait entrer en la maison, il leur apporta de l'eau, + ils se lavèrent les pieds, et il donna à manger à leurs ânes._ + +JEANNETTE + + _Cependant ils tinrent leurs présents tout prêts, attendant que + Joseph entrât sur le midi, parce qu'on leur avait dit qu'ils + devaient manger en ce lieu-là._ + +MADAME GERVAISE + + _Joseph étant donc entré dans sa maison, ils lui offrirent leurs + présents qu'ils tenaient en leurs mains, et ils l'adorèrent en se + baissant jusqu'en terre._ + +JEANNETTE + + _Il les salua aussi, en leur faisant bon visage, et il leur demanda: + Votre père, ce vieillard dont vous m'aviez parlé, vit-il encore? Se + porte-t-il bien?_ + +MADAME GERVAISE + + _Ils lui répondirent: Notre père votre serviteur est encore en vie, + et il se porte bien: et en se baissant profondément, ils + l'adorèrent._ + +JEANNETTE + + _Joseph levant les yeux vit Benjamin son frère, fils de Rachel sa + mère, et leur dit: Est-ce là le plus jeune de vos frères dont vous + m'aviez parlé? Mon fils, ajouta-t-il, je prie Dieu qu'il vous soit + toujours favorable._ + +MADAME GERVAISE + + _Et il se hâta, parce que ses entrailles avaient été émues en voyant + son frère, et qu'il ne pouvait plus retenir ses larmes. Passant + donc dans une chambre, il pleura._ + +JEANNETTE + + _Et après s'être lavé le visage il revint, se faisant violence, et il + dit: Servez à manger._ + +MADAME GERVAISE + + _On servit Joseph à part, et ses frères à part, et les Égyptiens qui + mangeaient avec lui à part: (car il n'est pas permis aux Égyptiens + de manger avec les Hébreux, et ils croient qu'un festin de cette + sorte serait profane)._ + +JEANNETTE + + _Ils s'assirent donc en présence de Joseph, l'aîné le premier selon + son rang, et le plus jeune selon son âge. Et ils furent extrêmement + surpris,_ + +MADAME GERVAISE + + _en voyant les parts qu'il leur avait données, de ce que la part la + plus grande était venue à Benjamin; car elle était cinq fois plus + grande que celle des autres. Ils burent ainsi avec Joseph, et ils + firent grande chère._ + + + + _Or Joseph donna cet ordre à l'Intendant de sa maison, et lui dit: + Mettez dans les sacs de ces personnes autant de blé qu'ils en + pourront tenir, et l'argent de chacun à l'entrée du sac; + et mettez ma coupe d'argent à rentrée du sac du plus jeune, avec + l'argent qu'il a donné pour le blé. Cet ordre fut donc exécuté._ + + _Et dès le matin on les laissa aller avec leurs ânes._ + + _Lorsqu'ils furent sortis de la ville, comme ils n'avaient fait + encore que peu de chemin, Joseph appela l'Intendant de sa maison, + et lui dit: Courez vite après ces gens; arrêtez-les, et leur dites: + Pourquoi avez-vous rendu le mal pour le bien?_ + + _La coupe que vous avez dérobée, est celle dans laquelle mon Seigneur + boit, et dont il se sert pour deviner. Vous avez fait une très + méchante action._ + + _L'Intendant fit ce qui lui avait été commandé; et les ayant arrêtés, + il leur dit tout ce qu'il lui avait été ordonné de leur dire._ + +JEANNETTE + + _Ils lui répondirent: Pourquoi mon seigneur parle-t-il ainsi à ses + serviteurs, et les croit-il capables d'une action si honteuse?_ + +MADAME GERVAISE + + _Nous vous avons rapporté du pays de Chanaan l'argent que nous + trouvâmes à l'entrée de nos sacs. Comment donc se pourrait-il faire + que nous eussions dérobé de la maison de votre Seigneur de l'or ou + de l'argent?_ + +JEANNETTE + + _Que celui de vos serviteurs,..._ + +MADAME GERVAISE + + _quel qu'il puisse être, à qui l'on trouvera ce que vous cherchez, + meure; et nous serons esclaves de mon seigneur._ + +JEANNETTE + + _Il leur dit: Oui, que ce que vous prononcez soit exécuté. Quiconque + se trouvera avoir pris ce que je cherche, sera mon esclave, et vous + en serez innocents._ + +MADAME GERVAISE + + _Ils déchargèrent donc aussitôt leurs sacs à terre, et chacun ouvrit + le sien._ + +JEANNETTE + + _Les ayant fouillés, du plus grand au plus petit, on trouva la coupe + dans le sac de Benjamin._ + +MADAME GERVAISE + + _Alors ayant déchiré leurs vêtements et déchargé leurs ânes, ils + revinrent à la ville._ + +JEANNETTE + + _Juda se présenta le premier avec ses frères devant Joseph, qui + n'était pas encore sorti du lieu où il était; et ils se + prosternèrent tous ensemble à terre devant lui._ + +MADAME GERVAISE + + _Joseph leur dit: Pourquoi avez-vous agi ainsi? Ignorez-vous qu'il + n'y a personne qui m'égale dans la science de deviner les choses + cachées?_ + +JEANNETTE + + _Juda lui dit: Que répondrons-nous à mon Seigneur? Que lui + dirons-nous, et que pouvons-nous lui représenter avec quelque ombre + de justice pour notre défense? Dieu a trouvé l'iniquité de vos + serviteurs. Nous sommes tous les esclaves de mon Seigneur, nous et + celui à qui on a trouvé la coupe._ + +MADAME GERVAISE + + _Joseph répondit: Dieu me garde d'agir de la sorte. Que celui qui a + pris ma coupe soit mon esclave; et pour vous autres, allez en + liberté retrouver votre père._ + +JEANNETTE + + _Juda s'approchant alors plus près de Joseph lui dit avec assurance: + Mon Seigneur, permettez, je vous prie, à votre serviteur de vous + adresser sa parole, et ne vous mettez pas en colère contre votre + esclave: car après Pharaon, c'est vous qui êtes_ + +MADAME GERVAISE + + _mon Seigneur. Vous avez demandé d'abord à vos serviteurs: Avez-vous + encore votre père ou quelque autre frère?_ + + _Et nous vous avons répondu, mon Seigneur: Nous avons un père qui est + vieux, et un jeune frère qu'il a eu dans sa vieillesse, dont le + frère qui était né de la même mère est mort: il ne reste plus que + celui-là, et son père l'aime tendrement._ + + _Vous dîtes alors à vos serviteurs: Amenez-le moi, je serai bien aise + de le voir._ + + _Mais nous vous répondîmes, mon Seigneur: Cet enfant ne peut quitter + son père, car s'il le quitte, il le fera mourir._ + + _Vous dîtes à vos serviteurs: Si le dernier de vos frères ne vient + avec vous, vous ne verrez plus mon visage._ + + _Lors donc que nous fûmes retournés vers notre père votre serviteur, + nous lui rapportâmes tout ce que vous aviez dit, mon Seigneur._ + + _Et notre père nous ayant dit: Retournez pour nous acheter un peu de + blé;_ + + _nous lui répondîmes: Nous ne pouvons y aller. Si notre jeune frère y + vient avec nous, nous irons ensemble: mais à moins qu'il ne vienne, + nous n'osons nous présenter devant celui qui commande._ + + _Il nous répondit: Vous savez que j'ai eu deux fils de Rachel ma + femme._ + + _L'un d'eux étant allé aux champs, vous m'avez dit qu'une bête + l'avait dévoré, et il ne paraît plus jusqu'à cette heure._ + + _Si vous emmenez encore celui-ci, et qu'il lui arrive quelque + accident dans le chemin, vous accablerez ma vieillesse d'une + affliction qui la conduira dans le tombeau._ + + _Si je me présente donc à mon père votre serviteur, et que l'enfant + n'y soit pas, comme sa vie dépend de celle de son fils,_ + + _lorsqu'il verra qu'il n'est point avec nous, il mourra, et vos + serviteurs accableront sa vieillesse d'une douleur qui le mènera au + tombeau._ + + _Que ce soit donc plutôt moi qui sois votre esclave, puisque je me + suis rendu caution de cet enfant, et que j'en ai répondu à mon + père, en lui disant: Si je ne le ramène, je veux bien que mon père + m'impute cette faute, et qu'il ne me la pardonne jamais._ + + _Ainsi je demeurerai votre esclave, et servirai mon Seigneur en la + place de l'enfant, afin qu'il retourne avec ses frères._ + + _Car je ne puis pas retourner vers mon père sans que l'enfant soit + avec nous, de peur que je ne sois moi-même témoin de l'extrême + affliction qui accablera notre père._ + +JEANNETTE + +elle va au devant de la récitation. + + Joseph ne pouvait plus se retenir; + +MADAME GERVAISE + + _Joseph ne pouvait plus se retenir; et parce qu'il était environné de + plusieurs personnes,_ + +JEANNETTE + +ne se retenant plus elle-même et saisissant d'autorité la récitation. + + _il commanda..._ + +elle recommence pour avoir la reconnaissance dans son plein. + + _Joseph ne pouvait plus se retenir; et parce qu'il était environné de + plusieurs personnes, il commanda que l'on fît sortir tout le monde; + afin que nul étranger ne fût présent lorsqu'il se ferait connaître + à ses frères,_ + + + _Alors les larmes lui tombant des yeux, il éleva sa voix, qui fut + entendue des Égyptiens, et de toute la maison de Pharaon._ + + _Et il dit à ses frères: Je suis Joseph. Mon père vit-il encore?_ + + + + Je suis Joseph; je suis Joseph; je suis Jésus votre frère. + Qu'attendez-vous? _Mon père vit-il encore?_ + +MADAME GERVAISE + + _Mais ses frères ne purent point lui répondre, tant ils étaient + saisis de frayeur._ + +JEANNETTE + + _Il leur parla avec douceur, et leur dit: Approchez-vous de moi. Et + s'étant approchés de lui, il ajouta: Je suis Joseph votre frère que + vous avez vendu en Égypte._ + + _Ne craignez point et ne vous affligez point de ce que vous m'avez + vendu en ce pays-ci: car Dieu m'a envoyé en Égypte avant vous pour + votre salut._ + + _Il y a déjà deux ans que la famine a commencé sur la terre, et il en + reste encore cinq, pendant lesquels on ne pourra ni labourer ni + recueillir._ + + _Dieu m'a fait venir ici avant vous, pour vous conserver la vie, et + afin que vous puissiez avoir des vivres pour subsister._ + + _Ce n'est point par votre conseil que j'ai été envoyé ici, mais par + la volonté de Dieu, qui m'a rendu comme le père de Pharaon, le + maître de sa maison, et le prince de toute l'Égypte._ + + _Hâtez-vous d'aller trouver mon père, et dites-lui: Voici ce que vous + mande votre fils Joseph: Dieu m'a rendu le maître de toute + l'Égypte. Venez me trouver, ne différez point;_ + + _vous demeurerez dans la terre de Gessen, vous serez près de moi vous + et vos enfants; et les enfants de vos enfants; vos brebis, vos + troupeaux de boeufs, et tout ce que vous possédez._ + + _Et je vous nourrirai là parce qu'il reste encore cinq années de + famine, de peur qu'autrement vous ne périssiez avec toute votre + famille et tout ce qui est à vous._ + + _Vous voyez de vos yeux, vous et mon frère Benjamin, que c'est + moi-même qui vous parle de ma propre bouche._ + + _Annoncez à mon père quelle est cette gloire, et tout ce que vous + avez vu dans l'Égypte. Hâtez-vous de me l'amener._ + + _Et s'étant jeté au cou de Benjamin son frère pour l'embrasser, il + pleura; et Benjamin pleura aussi en le tenant embrassé._ + + _Joseph embrassa aussi tous ses frères, il pleura sur chacun d'eux; + et après cela ils se rassurèrent pour lui parler._ + + _Aussitôt il se répandit un grand bruit dans toute la Cour du Roi, + que les frères de Joseph étaient venus. Pharaon s'en réjouit avec + toute sa maison._ + + _Et il dit à Joseph qu'il donnât cet ordre à ses frères: Chargez vos + ânes de blé, retournez en Chanaan;_ + + _amenez de là votre père et toute votre famille, et venez me trouver. + Je vous donnerai tous les biens de l'Égypte, et vous serez nourris + de ce qu'il y a de meilleur dans cette terre._ + + _Ordonnez-leur aussi d'emmener des chariots de l'Égypte, pour faire + venir leurs femmes avec leurs petits enfants, et dites-leur: Amenez + votre père, et hâtez-vous de revenir le plus tôt que vous pourrez,_ + + _sans rien laisser de ce qui est dans vos maisons, parce que toutes + les richesses de l'Égypte seront à vous._ + + _Les enfants d'Israël..._ + +MADAME GERVAISE + + _Les enfants d'Israël firent ce qui leur avait été ordonné. Et Joseph + leur fit donner des chariots, selon l'ordre qu'il en avait reçu de + Pharaon, et des vivres pour le chemin._ + +JEANNETTE + + _Il commanda aussi que l'on donnât deux robes à chacun de ses frères; + mais il en donna cinq des plus belles à Benjamin, et trois cents + pièces d'argent._ + + _Il envoya autant d'argent et de robes pour son père, avec dix ânes + chargés de tout ce qu'il y avait de plus précieux dans l'Égypte, et + autant d'ânesses qui portaient du blé et du pain pour le chemin._ + +MADAME GERVAISE + + _Il renvoya donc ses frères, et leur dit en partant: Ne vous mettez + point en colère pendant le chemin._ + + _Ils vinrent donc de l'Égypte au pays de Chanaan vers Jacob leur + père._ + +JEANNETTE + + _Et ils lui dirent cette nouvelle; Votre fils Joseph est vivant et + commande dans toute la terre d'Égypte. Ce que Jacob ayant entendu, + il se réveilla comme d'un profond sommeil, et cependant il ne + pouvait croire ce qu'ils lui disaient._ + +MADAME GERVAISE + + _Ses enfants insistaient au contraire, en lui rapportant comment + toute la chose s'était passée. Enfin ayant vu les chariots, et tout + ce que Joseph lui envoyait, il reprit ses esprits;_ + +JEANNETTE + + _et il dit: Je n'ai plus rien à souhaiter, puisque mon fils Joseph + vit encore. J'irai et je le verrai avant que je meure._ + +MADAME GERVAISE + + _Israël partit donc avec tout ce qu'il avait, et vint au Puits du + jurement, et ayant immolé en ce lieu des victimes au Dieu de son + père Isaac,_ + + _il l'entendit dans une vision pendant la nuit, qui l'appelait, et + qui lui disait: Jacob, Jacob. Il lui répondit: Me voici._ + + _Et Dieu ajouta: Je suis le Dieu très puissant de votre père, ne + craignez point, allez en Égypte, parce que je vous y rendrai le + chef d'un grand peuple._ + + _J'irai là avec vous, et je vous en ramènerai lorsque vous en + reviendrez._ + +JEANNETTE + + _Joseph aussi vous fermera les yeux de ses mains._ + +MADAME GERVAISE + + _Jacob étant donc parti du Puits du jurement, ses enfants l'amenèrent + avec ses petits enfants et leurs femmes, dans les chariots que + Pharaon avait envoyés pour faire venir ce vieillard,_ + + _avec tout ce qu'il possédait au pays de Chanaan; et il arriva en + Égypte avec toute sa race;_ + + _ses fils, ses petits-fils, ses filles, et tout ce qui était né de + lui._ + + + + _Tous ceux qui vinrent en Égypte avec Jacob, et qui étaient sortis de + lui, sans compter les femmes de ses fils, étaient en tout soixante + et six personnes._ + + _Plus les deux enfants de Joseph qui lui étaient nés en Égypte. Ainsi + toutes les personnes de la maison de Jacob qui vinrent en Égypte, + furent au nombre de soixante et dix._ + +JEANNETTE + + _Or Jacob envoya Juda devant lui vers Joseph pour l'avertir de sa + venue, afin qu'il vînt au-devant de lui en la terre de Gessen._ + + _Quand Jacob y fut arrivé, Joseph fit mettre les chevaux à son + chariot, et vint au même lieu au-devant de son père: et le voyant + il se jeta à son cou, et l'embrassa en pleurant._ + + _Jacob dit à Joseph: Je mourrai maintenant avec joie, puisque j'ai vu + votre visage, et que je vous laisse après moi._ + +MADAME GERVAISE + + _Joseph dit à ses frères, et à toute la maison de son père: Je m'en + vais dire à Pharaon, que mes frères et tous ceux de la maison de + mon père sont venus me trouver de la terre de Chanaan où ils + demeuraient:_ + + _que ce sont des pasteurs de brebis qui s'occupent à nourrir des + troupeaux, et qu'ils ont amené avec eux leurs brebis, leurs boeufs + et tout ce qu'ils pouvaient avoir._ + + _Et lorsque Pharaon vous fera venir, et vous demandera: Quelle est + votre occupation?_ + + _vous lui répondrez: Vos serviteurs sont pasteurs depuis leur enfance + jusqu'à présent, et nos pères l'ont toujours été comme nous. Vous + direz ceci pour pouvoir demeurer dans la terre de Gessen; parce que + les Égyptiens ont en abomination tous les pasteurs de brebis._ + + + + _Joseph étant donc allé trouver Pharaon, lui dit: Mon père et mes + frères sont venus du pays de Chanaan, avec leurs brebis, leurs + troupeaux, et tout ce qu'ils possèdent, et ils se sont arrêtés en + la terre de Gessen._ + + _Il présenta aussi au Roi cinq de ses frères;_ + + _Et le Roi leur ayant demandé: A quoi vous occupez-vous? ils lui + répondirent: Vos serviteurs sont pasteurs de brebis, comme l'ont + été nos pères._ + + _Nous sommes venus passer quelque temps dans vos terres, parce que la + famine est si grande dans le pays de Chanaan, qu'il n'y a plus + d'herbe pour les troupeaux de vos serviteurs. Et nous vous + supplions d'agréer que vos serviteurs demeurent dans la terre de + Gessen._ + +JEANNETTE + + _Le Roi dit donc à Joseph: Votre père et vos frères vous sont venus + trouver._ + +MADAME GERVAISE + + _Vous pouvez choisir dans toute l'Égypte; faites-les demeurer dans + l'endroit du pays qui vous paraîtra le meilleur, et donnez-leur la + terre de Gessen. Que si vous connaissez qu'il y ait parmi eux des + hommes habiles, donnez-leur l'intendance sur mes troupeaux._ + + _Joseph introduisit ensuite son père devant le Roi, et il le lui + présenta. Jacob salua Pharaon, et lui souhaita toute sorte de + prospérité._ + + _Le Roi lui ayant demandé quel âge il avait:_ + +JEANNETTE + + _il lui répondit: Il y a cent trente ans que je suis voyageur, et ce + petit nombre d'années, qui n'est pas venu jusqu'à égaler celui des + années de mes pères, a été traversé de beaucoup de maux._ + +MADAME GERVAISE + + _Et après avoir souhaité toute sorte de bonheur au Roi, il se retira._ + + _Joseph selon le commandement de Pharaon, mit son père et ses frères + en possession de Ramessès dans le pays le plus fertile de l'Égypte._ + + _Et il les nourrissait avec toute la maison de son père, donnant à + chacun ce qui lui était nécessaire pour vivre._ + + _Car le pain manquait dans tout le monde, et la famine affligeait + toute la terre; mais principalement l'Égypte et le pays de Chanaan._ + + + + _Israël demeura donc en Égypte, c'est-à-dire, dans la terre de + Gessen, dont il jouit comme de son bien propre, et où sa famille + s'accrut et se multiplia extraordinairement._ + + _Il y vécut dix-sept ans; et tout le temps de sa vie fut de cent + quarante-sept ans._ + + _Comme il vit que le jour de sa mort approchait, il appela son fils + Joseph, et lui dit: Si j'ai trouvé grâce devant vous, mettez votre + main sous ma cuisse, et donnez-moi cette marque de la bonté que + vous avez pour moi, de me promettre avec vérité, que vous ne + m'enterrerez point dans l'Égypte;_ + + _mais que je reposerai avec mes pères; que vous me transporterez hors + de ce pays, et me mettrez dans le sépulcre de mes ancêtres. Joseph + lui répondit: Je ferai ce que vous me commandez._ + + _Jurez-le moi donc, dit Jacob. Et pendant que Joseph jurait, Israël + adora Dieu, se tournant vers le chevet de son lit._ + + + + _Après cela on vint dire un jour à Joseph que son père était malade: + alors prenant avec lui ses deux fils, Manassé, et Ephraïm, il + l'alla voir._ + + _On dit donc à Jacob: Voici votre fils Joseph qui vient vous rendre + visite. Jacob reprenant ses forces se mit sur son séant dans son + lit._ + + + + _Et_ + + _Il leur fit aussi ce commandement, et leur dit: Je vais être réuni à + mon peuple; ensevelissez-moi avec mes pères dans la caverne double + qui est dans le champ d'Ephron Hethéen._ + + _qui regarde Mambré au pays de Chanaan, et qu'Abraham acheta d'Ephron + Hethéen, avec tout le champ où elle est, pour y avoir son sépulcre._ + + _C'est là qu'il a été enseveli avec Sara sa femme. C'est aussi où + Isaac a été enseveli avec Rébecca sa femme, et où Lia est encore + ensevelie._ + + _Après avoir achevé de donner ces ordres et ces instructions à ses + enfants, il joignit ses pieds sur son lit, et mourut; et il fut + réuni avec son peuple._ + + + + _Un homme avait douze fils._ Telle fut, mon enfant, + Ce fut la première fois qu'un enfant s'est perdu. + Ce fut la première fois qu'une brebis s'est perdue. + Ce fut la première fois qu'une drachme s'est perdue. + + + + Mais cette drachme que l'on avait égarée, + Mais cette brebis qui s'était égarée, + Mais cet enfant, ce fils qui s'était égaré + Fut retrouvé sur le trône, + Gouvernant la maison de Pharaon + Et ravitaillant tout le royaume d'Égypte. + Et celui de Jésus au contraire, (c'est toujours le contraire), + Celui de Jésus, l'enfant perdu par Jésus, + Dans la parabole de Jésus, + Celui de Jésus fut retrouvé qui revenait de gouverner un troupeau de + porcs. + Et je pense que ses trente ou quarante cochons, + Il les ravitaillait de glands et peut-être de quelque sale pâtée. + C'est ainsi, mon enfant. Ainsi est l'ancien, ainsi est le nouveau + testament. + Dans l'ancien testament il est plus souvent question du trône. + Et dans le nouveau testament il est plus souvent question de garder + les cochons. + (Et les autres animaux, qui ne sont pas moins nobles). + + + Dans l'ancien testament il y a toujours une vue, une pensée vers le + commandement. + Et dans le nouveau testament il y a toujours une pensée, + Une arrière-pensée vers le service au contraire + Et vers la servitude. + + + + Dans l'ancien testament il y a toujours un regard, une pensée vers le + gouvernement. + Et dans le nouveau testament il y a toujours un regard, une pensée + vers l'obéissance + Et vers la simple condition. + Vers la simple condition de sujet. + Vers la simple condition d'homme. + + + + Ou s'il y a une pensée vers un commandement, et vers un gouvernement, + et vers un royaume, + Dans le nouveau testament c'est vers un commandement et vers un + gouvernement et vers un royaume + Qui n'est point le gouvernement et le commandement d'un royaume + d'Égypte. + + + + Et dans le nouveau testament il n'y a de pensée que pour un royaume + qui n'est pas de ce monde. + + + + Dans l'ancien testament il y a toujours une pensée vers les + richesses, vers les trésors d'Égypte et de Babylonie, + Vers les talents d'or et d'argent. + Et les richesses, et le trône, et le royaume, et le gouvernement et + le commandement + Sont présentées comme le couronnement. + Dans le nouveau testament il y a toujours une pensée, + La pensée secrète est vers l'épreuve, et vers la misère, et vers la + pauvreté. + Et c'est elle l'épreuve, et c'est elle la misère, et c'est elle la + pauvreté + Qui est toujours présentée, + Qui est le faîte et le couronnement. + + + + C'est elle qui est la dame et la très chère et la très sainte + pauvreté. + + + + Dans l'ancien testament on redoute toujours, il y a toujours une + pensée + De redoutement vers la famine de la faim. + Dans le nouveau testament on redoute toujours + Une autre faim inapaisée, + Il y a toujours une pensée + De redoutement vers une autre famine d'une autre faim. + Car c'est une spirituelle famine. + D'une faim spirituelle. + + + + Ainsi marche l'ancien testament devant le nouveau testament. + Ainsi les histoires marchent devant les similitudes. + Et les hymnes et les prières et les psaumes + Devant les hymnes et les prières et les oraisons + Et la lente et la longue lignée des prophètes + Devant les bataillons serrés, + Devant les bataillons carrés + Des saints. + + + + Ainsi marche le gouvernement des biens de ce monde + Avant le gouvernement des biens qui ne sont pas de ce monde. + + + + Ainsi marche le commandement charnel + Avant le commandement spirituel. + + + + Ainsi le royaume temporel + Marche avant le royaume éternel. + + + + Et ainsi les tentes du peuple d'Israël se sont plantées dans le désert + Des siècles et des siècles avant que les basiliques, + Avant que les églises, avant que les cathédrales + Se soient plantées au sol de France. + + + + Et dans l'ancien testament il s'agit d'emplir des sacs de blé, il y + a, (toujours), + une pensée sur les sacs de blé. + Et après ça il s'agit, (dans l'ancien testament), + Ces sacs pleins il s'agit de les empiler dans les greniers à blé. + Mais dans le nouveau testament il s'agit de bien autres sacs et de + bien autres greniers. + Car il s'agit, dans le nouveau testament il s'agit, ce sont + Des sacs de misère, des sacs d'épreuves, des sacs de misères. + Et des sacs à mettre les vertus et les mérites et les grâces + Que l'on a récoltées comme on a pu + Pour les années de disette + Et ce sont enfin + Les greniers éternels + + + + Et dans l'ancien testament c'est le père qui finit par venir trouver + son fils + Et qui le retrouve plein de gloire + Tout vêtu. + Mais dans le nouveau testament c'est le fils tout nud + Qui finit par venir trouver son père + + + + Ainsi l'ancien testament est l'appariteur et le fourrier + Et le préparateur et l'annonciateur du nouveau testament. + C'est lui qui lui prépare les voies, c'est lui qui lui fait sa maison. + C'est l'ancien testament qui fait dans le désert + La longue voie temporelle. + C'est l'ancien testament qui patiemment bâtit + La maison temporelle. + _Voici, j'envoie mon ange devant ta face, qui préparera ton chemin + devant toi._ + + + + Et aussi l'ancien testament est comme une image qui marche devant le + nouveau testament. + Et comme une image en même temps il est très fidèle et en même temps + il est à l'envers. + Il est contraire. Ainsi est l'histoire sainte. + Le testament charnel est une histoire, une image du testament + spirituel. + L'ancien testament temporel est une image du nouveau testament + éternel. + Et dans le nouveau testament s'il s'agit de gloire, + Il s'agit d'une gloire qui ne se ramasse guère sur les trônes, + (Excepté saint Louis et le trône de France). + + + + Tout l'ancien testament est une figure, une image d'ensemble et de + détail + Très fidèle, très exacte, + (Mais fidèlement inverse, exactement inverse), + Du nouveau testament dans son ensemble et dans son détail. + Dans l'ancien testament la création est au seuil, + Au commencement qui est le commencement du monde. + Et dans le nouveau testament le jugement est à la fin. + Le jugement qui est proprement le contraire de la création, + Le pied opposé, qui est proprement une contre-création. + Car dans la création j'ai fait le monde, + (Temporel) + Et dans le jugement je le défais. + Ainsi le jugement est proprement le contraire et ce qui balance la + création. + Ce que l'on peut mettre, ce qui est en face de la création. + + + + J'ai découpé le temps dans l'éternité, dit Dieu. + Le temps et le monde du temps. + La création fut le commencement et le jugement sera la fin. + (Du temps) (Du monde du temps). + C'est exactement une symétrie, un balancement. + Ce que j'ai ouvert, je le fermerai. + Le jour de la création (les six jours) j'ai ouvert un certain monde + (On le connaît de reste) + (On le sait, on en a assez parlé) + Enfin la première heure du premier des six jours de la création j'ai + commencé une certaine histoire, + Et le jour du jugement je la fermerai. + Or tout l'ancien testament part de ce jugement que je fis de créer. + Et tout le nouveau testament va vers ce jugement que je ferai de + juger. + Ainsi l'ancien testament est symétrique au nouveau. + Et (contre) balance le nouveau. + Et tout l'ancien testament part de cette création. + Et tout le nouveau testament va vers ce jugement + Et dans l'ancien testament le Paradis est au commencement. + Et c'est un Paradis terrestre. + Mais dans le nouveau testament le Paradis est à la fin. + Et je vous le dis c'est un Paradis + céleste. + Et tout l'ancien testament va vers Jean le Baptiste et vers Jésus. + Mais tout le nouveau testament vient de Jésus. + C'est comme une belle voûte qui monte des deux côtés vers la clef de + voûte. + Et Jésus est la clef de voûte. Ainsi est la voûte de cette nef. + Et la pierre qui monte suivant la courbe de cette nef, + Décidant, dessinant, d'avance et à mesure, la courbe de cette voûte, + Formant la courbe de cette voûte, + La pierre qui monte du bas s'avance hardiment, + Et fidèlement et sûrement, + En toute sécurité sans aucune inquiétude, + Parce que montante elle sait très bien + Qu'elle trouvera la clef de voûte exacte au rendez-vous, + A la juste intersection, au sacré croisement et la clef de voûte, + c'est Jésus. + Et ensemble toute la voûte soutient et porte et hausse et maintient + la clef + Comme une énorme épaule ronde qui sans cou soutiendrait une seule + tête mais la clef seule, + La clef qui parachève, + Seule aussi ensemble est ce qui soutient seule la voûte et le tout. + Et la dernière pierre avant la clef est Jean le Baptiste. + Mais la première pierre après la clef est Pierre le fondateur. + _Tu es Pierre et sur cette pierre._ + Et il fut crucifié la tête en bas, + C'est-à-dire en redescendant. + Et comme la pierre est quadrangulaire, + Il y a les quatre angles et les quatre lignes du carré. + Et l'on dit _selon Matthieu, selon Marc, selon Luc, selon Jean,_ + C'est-à-dire _en suivant la ligne de Matthieu, en suivant la ligne de + Marc, en suivant la ligne de Luc,_ + Et _en suivant la ligne de Jean._ + Et aux quatre coins sont assis le jeune homme, le lion, le taureau et + l'aigle. + Car l'Église est quadrangulaire, + Comme elle est lapidaire étant fondée sur la quadrangulaire + Pierre. + + + + Et encore l'ancien testament est tout linéaire. + C'est une longue, c'est une grêle ligne des prophètes. + Et les prophètes y viennent l'un après l'autre + Comme les peupliers viennent l'un après l'autre dans cette belle + lignée. + Dans cette belle avenue de peupliers. + Et tout l'ancien testament c'est cette belle, cette longue avenue de + peupliers. + Venue des profondeurs de la plaine et marchant droit sur la plaine. + Cette longue avenue, cette longue lignée fidèle + (Sans largeur). + Les peupliers y sont placés l'un après l'autre, les prophètes y sont + placés l'un après l'autre. + Sur la rangée double. + Venante, sortie, venue des profondeurs de l'horizon la noble allée, + La fidèle, la directe allée droite linéaire + Droite l'avenue s'avance sur la plaine droite. + Car elle sait où elle va. + Et elle ne va pas moins que. + Directement elle va droit au seuil du château. + Et elle conduit, et elle amène, et elle introduit le regard et le pas. + Elle seule conduit au seuil mais elle ne franchit pas le seuil, elle + ne passe pas le pas de la porte. + Elle ne se prolonge pas à l'intérieur du château. + Mais le quadrangulaire château du nouveau testament + S'ouvre à ce seuil et la longue allée de peupliers ne s'y continue + pas. + Mais la cour d'honneur s'y ouvre, et les bâtiments du château. + Et le beau perron pour monter et les quadrangulaires murailles. + Et ainsi le nouveau testament a une dimension de plus. + Car l'ancien testament est une ligne + Mais le nouveau couvre une surface. + + + + Ou encore l'ancien testament est cette fine, cette grêle + Cette uniquement fidèle allée de peupliers, + Perdue dans la plaine rase + Mais le nouveau testament est le solide parc du château. + Le robuste bois de chênes, carré, + Bien clos derrière ses quadrangulaires murailles, + Et qui couvre toute la surface. + + + + Ou encore l'ancien testament est cette voûte qui monte en une seule + arête, + En une seule nervure et le nouveau testament + C'est la même voûte qui retombe, + Qui redescend en toute une nappe. + Et l'arête qui monte part de la terre et c'est une arête charnelle. + Mais cette nappe qui redescend vient de l'esprit + Et c'est une nappe spirituelle. + Et l'arête et la nervure qui monte part du temps et est une + temporelle arête. + Mais la nappe qui redescend vient de l'éternité et c'est + Une éternelle nappe. + + + + Et la clef de cette mystique voûte. + La clef elle-même + Charnelle, spirituelle, + Temporelle, éternelle, + C'est Jésus, + Homme, + Dieu. + + + + Et la création fut une sorte d'ouverture du temps et de fermeture en + quelque sorte de l'éternité. + Or le jugement sera proprement la fermeture du temps + Et la totale et la définitive + Réouverture de l'éternité. + + + + Ou encore l'ancien testament est le lac profond qui reflète la haute + forêt. + Et la forêt est toute dans le lac mais elle n'y est pas. + Et le lac sombre et le lac profond est enfoncé dans la terre. + Et dans le lac le ciel est au fond. + Mais vers le haut la haute forêt. + Partant du bord du lac. La haute forêt réelle. + Hausse une tête réelle. + Fait monter une sève réelle. + Vers le seul profond ciel réel. + + + + On envoie les enfants à l'école, dit Dieu. + Je pense que c'est pour oublier le peu qu'ils savent. + On ferait mieux d'envoyer les parents à l'école. + C'est eux qui en ont besoin. + Mais naturellement il faudrait une école de moi. + Et non pas une école d'hommes. + + + + On croit que les enfants ne savent rien. + Et que les parents et que les grandes personnes savent quelque chose. + Or je vous le dis, c'est le contraire. + (C'est toujours le contraire). + Ce sont les parents, ce sont les grandes personnes qui ne savent rien. + Et ce sont les enfants qui savent + Tout. + + + + Car ils savent l'innocence première. + Qui est tout. + + + + Le monde est toujours à l'envers, dit Dieu. + Et dans le sens contraire. + Heureux celui qui resterait comme un enfant + Et qui comme un enfant garderait + Cette innocence première. + + + + Mon fils le leur a assez dit. + Sans aucun détour et sans aucune atténuation. + Car il parlait net et ferme. + Et clair. + Heureux non pas même, non pas seulement celui + Qui serait comme un enfant, qui resterait comme un enfant. + Mais proprement heureux celui qui est (un) enfant, qui reste un + enfant. + Proprement, précisément l'enfant même qu'il a été. + Puisque justement il a été donné à tout homme + D'être. + Puisqu'il est donné à tout homme d'avoir été + Un jeune enfant laiteux. + + + + Puisqu'il a été donné à tout homme cette bénédiction. + Cette grâce unique. + + + + Et le royaume du ciel n'est pas à un moindre prix. + A un autre prix. + Mon fils le leur a assez dit. + Et en termes assez exprès. + + + + Le royaume du ciel ne sera que pour eux. + Et il n'y en aura que pour eux. + _A cette heure-là s'approchèrent les disciples de Jésus, disant: Qui, + penses-tu, est plus grand dans le royaume des cieux?_ + + _Et appelant Jésus un petit enfant, le plaça au milieu d'eux,_ + + _Et dit: En vérité je vous le dis, si vous ne vous convertissez + point, et ne vous rendez point comme ces petits enfants, vous + n'entrerez pas dans le royaume des cieux._ + + _Quiconque donc se sera humilié comme ce petit enfant, voilà celui + qui est plus grand dans le royaume des cieux._ + + _Et celui qui reçoit un tel enfant en mon nom, me reçoit._ + + _Mais celui qui aura scandalisé un seul de ces tout petits qui + croient en moi, il vaut mieux pour lui qu'on lui pende au cou une + meule d'âne, et qu'on le jette au profond de la mer._ + + + + On a des écoles, dit Dieu. Je pense que c'est pour désapprendre + Le peu que l'on sait. + La vie aussi est une école, disent-ils. On y apprend tous les jours. + Je la connais, cette vie qui commence au baptême et qui finit à + l'extrême-onction. + C'est une usure perpétuelle, une constante, une croissante + flétrissure. On descend tout le temps. + Heureux celui qui peut rester tel que le jour de son baptême + Et de sa première communion. La vie commence au baptême, dit Dieu. + Sera-t-il dit qu'elle finit à la première. + Et non point à la dernière communion. + + + Sera-t-il dit que l'homme finit à sa première communion. + Et non point au viatique, qui est sa dernière communion. + + + + Ils s'emplissent d'expérience, disent-ils; ils gagnent de + l'expérience; ils apprennent la vie; de jour en jour ils amassent + de l'expérience. Singulier trésor, dit Dieu + Trésor de vide et de disette. + Trésor de la disette des sept années, trésor de vide et de + flétrissure et de vieillissement. + Trésor de rides et d'inquiétudes. + Trésor des années maigres. Accroissez-le, ce trésor, dit Dieu. Dans + des greniers vides + Vous entasserez des sacs vides + D'une Égypte vide. + Vous accroissez le trésor de vos peines et de vos misères. + Et les sacs de vos soucis et de vos petitesses. + Vous acquérez de l'expérience, dites-vous, vous accroissez votre + expérience. + Vous allez toujours en descendant, dit Dieu, vous allez toujours en + diminuant, vous allez toujours en perdant. + Vous allez toujours en pente. Vous allez toujours en vous flétrissant + et en vous ridant et en vieillissant. + Et vous ne remonterez jamais cette pente. + Ce que vous nommez l'expérience, votre expérience, moi je le nomme + La déperdition, la diminution, le décroissement, la perte de + l'espérance. + + Car je le nomme la déperdition prétentieuse, + La diminution, le décroissement, la perte de l'innocence. + + + + Et c'est une dégradation perpétuelle. + + + + Or c'est l'innocence qui est pleine et c'est l'expérience qui est + vide. + C'est l'innocence qui gagne et c'est l'expérience qui perd. + + C'est l'innocence qui est jeune et c'est l'expérience qui est vieille. + C'est l'innocence qui croît et c'est l'expérience qui décroît. + + C'est l'innocence qui naît et c'est l'expérience, qui meurt. + C'est l'innocence qui sait et c'est l'expérience qui ne sait pas. + + C'est l'enfant qui est plein et c'est l'homme qui est vide. + Vide comme une courge vide et comme un tonneau vide: + + Voilà, dit Dieu, ce que j'en fais, de votre expérience. + + + + Allez, mes enfants, allez à l'école. + Et vous, hommes, allez à l'école de la vie. + Allez apprendre + A désapprendre. + + + + Toute histoire s'est jouée deux fois, dit Dieu. Une fois en juiverie. + Et une fois en chrétiennerie. L'enfant (Jésus) s'est joué deux fois. + Une fois en Benjamin et une fois dans l'enfant Jésus. + Et l'enfant perdu et la brebis perdue et la drachme perdue s'est + jouée deux fois. + Et la première fois ce fut dans Joseph, _je suis Joseph votre frère_. + Il fallait que cela fût joué, dit Dieu. Et deux fois plutôt qu'une. + Car il y a dans l'enfant, car il y a dans l'enfance une grâce unique. + Une entièreté, une premièreté + Totale. + Une origine, un secret, une source, un point d'origine. + Un commencement pour ainsi dire absolu. + Les enfants sont des créatures neuves. + Eux aussi, eux surtout, eux premiers ils prennent le ciel de force. + _Rapiunt_, ils ravissent. Mais quelle douce violence. + Et quelle agréable force et quelle tendresse de force. + Comme un père endure volontiers + Comme il aime à endurer les violences de cette force, + Les embrassements de cette tendresse. + Pour moi, dit Dieu, je ne connais rien d'aussi beau dans tout le monde + Qu'un gamin d'enfant qui cause avec le bon Dieu + Dans le fond d'un jardin. + Et qui fait les demandes et les réponses (C'est plus sûr). + Un petit homme qui raconte ses peines au bon Dieu + Le plus sérieusement du monde. + Et qui se fait lui-même les consolations du bon Dieu. + Or je vous le dis ces consolations qu'il se fait. + Elles viennent directement et proprement de moi. + + + + Je ne connais rien d'aussi beau dans tout le monde, dit Dieu. + Qu'un petit joufflu d'enfant, hardi comme un page, + Timide comme un ange, + Qui dit vingt fois bonjour, vingt fois bonsoir en sautant. + Et en riant et en (se) jouant. + Une fois ne lui suffit pas. Il s'en faut. Il n'y a pas de danger. + Il leur en faut, de dire bonjour et bonsoir. Ils n'en ont jamais + assez. + C'est que pour eux la vingtième fois est comme la première. Ils + comptent comme moi. + C'est ainsi que je compte les heures. + + + + Et c'est pour cela que toute l'éternité et que tout le temps + Est (comme) un instant dans le creux de ma main. + + + + Rien n'est beau comme un enfant qui s'endort en faisant sa prière, + dit Dieu. + Je vous le dis, rien n'est aussi beau dans le monde. + Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau dans le monde. + Et pourtant j'en ai vu des beautés dans le monde + Et je m'y connais. Ma création regorge de beautés. + Ma création regorge de merveilles. + Il y en a tant qu'on ne sait pas où les mettre. + J'ai vu des millions et des millions d'astres rouler sous mes pieds + comme les sables de la mer. + J'ai vu des journées ardentes comme des flammes. + Des jours d'été de juin, de juillet et d'août. + J'ai vu des soirs d'hiver posés comme un manteau. + J'ai vu des soirs d'été calmes et doux comme une tombée de paradis + Tout constellés d'étoiles. + J'ai vu ces coteaux de la Meuse et ces églises qui sont mes propres + maisons. + Et Paris et Reims et Rouen et des cathédrales qui sont mes propres + palais et mes propres châteaux. + Si beaux que je les garderai dans le ciel. + J'ai vu la capitale du royaume et Rome capitale de chrétienté. + J'ai entendu chanter la messe et les triomphantes vêpres. + Et j'ai vu ces plaines et ces vallonnements de France. + Qui sont plus beaux que tout. + J'ai vu la profonde mer, et la forêt profonde, et le coeur profond de + l'homme. + J'ai vu des coeurs dévorés d'amour + Pendant des vies entières + Perdus de charité. + Brûlant comme des flammes. + J'ai vu des martyrs si animés de foi + Tenir comme un roc sur le chevalet + Sous les dents de fer. + (Comme un soldat qui tiendrait bon tout seul toute une vie + Par foi + Pour son général (apparemment) absent). + J'ai vu des martyrs flamber comme des torches + Se préparant ainsi les palmes toujours vertes. + Et j'ai vu perler sous les griffes de fer + Des gouttes de sang qui resplendissaient comme des diamants. + Et j'ai vu perler des larmes d'amour + Qui dureront plus longtemps que les étoiles du ciel. + Et j'ai vu des regards de prière, des regards de tendresse, + Perdus de charité + Qui brilleront éternellement dans les nuits et les nuits. + Et j'ai vu des vies tout entières de la naissance à la mort, + Du baptême au viatique, + Se dérouler comme un bel écheveau de laine. + Or je le dis, dit Dieu, je ne connais rien d'aussi beau dans tout le + monde + Qu'un petit enfant qui s'endort en faisant sa prière + Sous l'aile de son ange gardien + Et qui rit aux anges en commençant de s'endormir. + Et qui déjà mêle tout ça ensemble et qui n'y comprend plus rien + Et qui fourre les paroles du _Notre Père_ à tort et à travers + pêle-mêle dans les paroles du _Je vous salue Marie_. + Pendant qu'un voile déjà descend sur ses paupières + Le voile de la nuit sur son regard et sur sa voix. + J'ai vu les plus grands saints, dit Dieu. Eh bien je vous le dis. + Je n'ai jamais rien vu de si drôle et par conséquent je ne connais + rien de si beau dans le monde + Que cet enfant qui s'endort en faisant sa prière + (Que ce petit être qui s'endort de confiance) + Et qui mélange son _Notre Père_ avec son _Je vous salue Marie_. + Rien n'est aussi beau et c'est même un point + Où la sainte Vierge est de mon avis. + Là-dessus. + Et je peux bien dire que c'est le seul point où nous soyons du même + avis. Car généralement nous sommes d'un avis contraire. + Parce qu'elle est pour la miséricorde. + Et moi il faut bien que je sois pour la justice. + + + + Aussi, dit Dieu, comme je comprends mon fils. Mon fils le leur a + assez dit. (Or il faut entendre toutes les paroles de mon fils au + pied de la lettre). _Sinite parvulos._ Laissez venir. + _Sinite parvulos venire ad me._ Laissez les tout petits venir à moi. + Les petits enfants. + _Alors lui furent offerts des tout petits pour qu'il leur imposât les + mains, et priât. Or les disciples les rabrouaient._ + + + _Mais Jésus leur dit: Laissez les tout petits, et ne les empêchez + point de venir à moi: talium est enim regnum coelorum. De tels en + effet est le royaume des cieux._ Aux tels, aux comme eux appartient + le royaume des cieux. + + + _Et quand il leur eut imposé les mains, il s'en alla._ + + + + Vous autres hommes, (dit Dieu), essayez donc seulement de faire un + mot d'enfant. + Vous savez bien que vous ne pouvez pas. + Et non seulement vous ne pouvez pas en faire. + Pas même un seul, mais quand on vous en fait + Vous ne pouvez pas même les retenir. Quand un mot d'enfant éclate + parmi vous + Vous vous récriez, vous éclatez vous-mêmes d'une admiration + Sincère et profonde et qui vous rachèterait et à laquelle je rends + justice. + Et vous dites, de partout vous dites, + Vous dites des yeux, vous dites de la voix, + Vous riez, vous dites en vous-mêmes et vous dites tout haut à table: + Il est bon, celui-là, je le retiens. Et vous vous jurez + D'en faire part à vos amis, de le dire à tout le monde, + Tant vous avez d'orgueil pour vos enfants (je ne vous en veux pas, + dit Dieu. + C'est encore ce que vous avez de meilleur et c'est ce qui vous + rachèterait). + Vous croyez que vous allez facilement le rapporter. + Mais quand vous allez tout flambants pour le rapporter, + Vous vous apercevez que vous ne le savez plus. + Et non seulement cela, mais que vous ne pourrez plus le retrouver. Il + s'est évanoui de votre mémoire. + C'est une eau trop pure qui a fui de votre sale mémoire, de votre + mémoire souillée. + Qui a voulu fuir, qui n'a pas voulu y rester. + Vous vous rendez très bien compte qu'il était à une certaine place, + qu'il avait un certain goût, + Qu'il était là, qu'il occupait cette certaine place, qu'il était dans + cette région, qu'il tenait cette place, qu'il avait un certain + volume. Mais vous avez la sensation nette + Qu'il est parti ou plutôt qu'il est reparti et qu'il ne reviendra + jamais plus, + Que d'ailleurs vous étiez parfaitement indigne + Qu'il demeurât et vous restez bouche bée et vous avez parfaitement la + sensation + Que vous seriez parfaitement incapable de le retrouver, + C'est-à-dire de le faire revenir, + Parce que c'est d'une tout autre qualité d'âme. + + + + Et vous le sentez bien, que c'est ainsi, que c'est juste, et que rien + n'y reviendra, et que rien n'y fera plus. + Et que c'est votre ancienne âme, + ô hommes, + qui a passé, + + + + Hommes malins alors vous ne faites plus le malin. + Hommes savants alors vous ne faites plus le savant. + Hommes qui avez été à l'école alors vous ne savez plus rien + Et vous n'avez plus qu'à courber le front + (C'est d'ailleurs ce que vous faites, il faut vous rendre cette + justice) + Quand un mot d'enfant passe dans le cercle de famille, + Quand un mot d'enfant + Tombe + Dans le fatras quotidien, + Dans le bruit quotidien, + (Dans le soudain silence) + Dans le recueillement soudain + De la table de famille. + O hommes et femmes assis à cette table soudain courbant le front vous + écoutez passer + Votre ancienne âme. + + + + Quand un mot d'enfant tombe + Comme une source, comme un rire, + Comme une larme dans un lac. + + + + O hommes et femmes assis à cette table soudain courbant le front, + l'oeil fixe, et les doigts immobiles et arrêtés et légèrement + tremblants sur le morceau de pain, + Les doigts agités d'un léger tremblement, la respiration arrêtée, + Vous écoutez passer + Votre ancienne âme. + + + + Une voix est venue, + Hommes à table, + Comme d'une autre création même. + + + + Une voix est montée, + Hommes à table, + Une voix est venue, + C'est d'un monde où vous étiez. + + + + Une source a jailli, + Hommes à table, + C'est la source de votre première âme. + Vous aussi vous avez ainsi parlé. + + + + Vous étiez d'autres hommes, hommes à table. + Vous étiez d'autres êtres, hommes à table. + Vous étiez des enfants comme eux. + + + + Vous faisiez des mots d'enfants, hommes à table. + Allez donc à présent faire des mots d'enfants. + + + + Un mot est passé, un mot est monté, un mot est venu, hommes à table. + Un mot est tombé dans le silence de votre table. + Et soudain vous avez reconnu. + Et soudain vous avez salué. + Votre ancienne âme. + + + + Un mot a jailli étourdi. + Un mot a volé étourneau. + _Hastis musars._ + Et frémissants vous avez senti passer + Toute la jeunesse + Du vieux + Dieu. + + + + Ils sont le lait et le miel, dit Dieu, une innocence dont on n'a pas + idée. (Et les hommes sont le pain et le vin). + Lavés de l'eau ils sont comme une autre chair, n'étant pas seulement + d'une autre âme. + D'une autre qualité d'âme. + Lavés de l'eau ils sont une autre nourriture, une chair plus tendre, + ils sont le lait même et le miel. + + + + Et l'homme, Hommes à la sainte Table, Hommes à la Table éternelle, + L'Homme est le Pain et le Vin + L'Homme est une nourriture plus forte, une nourriture virile. + Mais l'enfant est une blanche nourriture, une pure nourriture, une + nourriture plus tendre. + Et le Pain et le Vin sont des Nourritures adultes, de dures + Nourritures d'homme. + Et ce Vin venait de cette Grappe. Mais ce lait et ce miel venaient + des ruisseaux mêmes. + _Et étant allés jusqu'au Torrent-de-la-Grappe de raisin, ils + coupèrent une branche de vigne avec sa grappe, que deux hommes + portèrent sur un levier. Ils prirent aussi des grenades et des + figues de ce lieu-là,_ + + _qui fut appelé depuis Nehel-escol, le Torrent-de-la-Grappe, parce + que les enfants d'Israël emportèrent de là cette grappe de raisin._ + + + + _Ils leur dirent: Nous avons été dans le pays où vous nous avez + envoyés, et où coulent véritablement des ruisseaux de lait et de + miel, comme on le peut connaître par ces fruits._ + + _Mais elle a des habitants très forts, et de grandes villes fermées + de murailles. Nous y avons vu la race d'Enac._ + + + + _Sinite parvulos venire ad me. + Talium est enim regnum coelorum_ c'est le mot de mon fils. + Mais ce n'est pas seulement le mot de mon fils. C'est mon mot. + Quel engagement, l'Église, ma fille l'Église me le fait reprendre + Et me le fait dire (or je ne démentirai jamais une liturgie. + Une prière, une oraison de ma fille l'Église). + Par l'Église, par le ministère du prêtre j'ai repris l'engagement, + j'ai repris le mot de mon fils: + _Laissez venir à moi les tout petits. + Des tels est en effet le royaume des cieux._ + Ainsi ma liturgie romaine se noue à ma prédication centrale et + cardinale + Et à ma prophétie judéenne. + Et la chaîne est juive et romaine en passant par un gond, par une + articulation. + Par une origine centrale. + Tout est annoncé par ma prophétie juive. + Tout au centre, tout au coeur est réalisé, tout est consommé par mon + fils. + Tout est consommé, tout est célébré par ma liturgie romaine. + + Le prophète juif prédit. + Mon fils dit. + Et moi je redis. + + Et on me fait redire. + + + + Et il y a un rappel, un écho, un report et comme un retour, qui est + saint Louis. + Je veux dire: Il y a un rappel, un écho, un report et comme un retour + qui sont les saints. + + + + Il y a un reflet. + + + + Il y a une lumière avant, une lumière pendant, une lumière, un reflet + après. + + + + On a été trois fois en Égypte, dit Dieu. Et une fois c'est Joseph. + Et une fois c'est Jésus. + Et une fois c'est saint Louis. + + + + On a été trois fois en Égypte et c'est une terre singulière. + + + + Et une fois c'était Joseph conduisant Jacob c'est-à-dire Israël. + Et une fois ce fut le Joseph conduisant Jésus. + Et une fois ce fut saint Louis conduisant Joinville + Et le menu peuple de France et les autres barons français. + + + + Singulière Égypte, dit Dieu, singulière destinée de cette Égypte + temporelle. + Haute et triple destinée. On y fit trois voyages. + Une fuite. Une fuite. Une croisade. + Une entrée. Une retraite. Une croisade. + Un enfant vendu. Un enfant en fuite. Un roi en croisade. + Un ministre du roi. Un roi sur son âne. Un roi en prison. + O théâtre d'Égypte, on y a joué trois fois. + + + + Une fois avant. Une fois pendant. Une fois après. + + + + Longue destinée temporelle, dit Dieu, patience temporelle, en vérité + cette terre a été fort honorée. + Les pas ont marché dans les pas, dit Dieu, le talon juste dans le + talon et les pieds ont retrouvé leur propre trace. + C'est un pays de désert, dit Dieu, du moins on le dit. + Ou plutôt c'est une grasse vallée longue toute bordée, toute entourée + de déserts et l'on n'y accède point autrement que par le désert et + le sable. + Mais sur ce sable les traces ne se sont point effacées et les pieds + ont retrouvé la trace des pieds. + Les pieds nouveaux sont retombés juste dans les pieds antiques. + O terre antique, de loin en loin par le désert, par la mer le + voyageur est venu. + Des siècles passaient, ô terre antique, des siècles d'intervalle, et + tout paraissait oublié. + Mais après des siècles d'intervalle par le désert, par la mer ton roi + revenait, ô terre antique, ton roi voyageur. + Et les pieds n'hésitaient point pour se poser dans la trace des pieds. + Ton roi est venu trois fois, ô terre antique, ô terre destinée. + + La première fois c'était un petit garçon vendu esclave + A des marchands + Et tu en fis le ministre de ton roi. + + La deuxième fois c'était un petit garçon qu'on faisait fuir à dos + d'âne. + Et un jour tu le renvoyas pour devenir le Roi des rois. + + _Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait._ Et la + troisième fois c'était + le roi de France, + Récemment débarqué de ses royales + Galères. + + + + Des siècles et des siècles passaient, ô terre d'Égypte, des siècles + d'intervalle, + Et tout paraissait oublié. + Mais toujours ton roi est revenu + Au rendez-vous. + + + + Terre antique, au coeur fertile, au front couronné de sables, + Nul sable jamais n'a effacé, + Terre antique nul sable n'effacera + La trace de ces pas. + + + + Terre antique entourée, terre antique cernée d'un infranchissable + Sable, désert aux plis infranchissables tu as été franchi trois fois. + Terre antique trois fois ton roi + A trouvé le chemin de ton coeur. + + + + Terre antique entre toutes, antique sur toutes tu t'endors dans un + long sommeil mais tu as été réveillée trois fois. + + + + Et une fois c'était un petit juif. + Et une fois c'était un petit juif. + Et une fois c'était un baron français. + + + + Et la première fois c'était le Prophète. + Et la troisième fois c'était le Saint. + Mais la deuxième fois qui était-ce, sinon à la fois le Prophète et le + Saint. + + + + O terre antique, terre d'Égypte tu parais dormir, mais tu as été + honorée trois fois. + + + + Et la première fois c'était sous l'ancienne loi, + Presque au commencement de l'ancienne loi. + + Et la deuxième fois; et la troisième fois c'était sous la loi + nouvelle, + Dans la floraison de la loi nouvelle. + + Mais la deuxième fois qu'est-ce que c'était, + Sinon sous cet achèvement, sous ce couronnement de l'ancienne loi + Que fut cette naissance et cette enfance et ce commencement de la loi + nouvelle. + + + + O terre antique, terre d'Égypte tu parais dormir, mais tu as été + visitée trois fois. + + + + Et la première fois c'était le Juste. + Et la troisième fois c'était le Saint. + Mais la deuxième fois qui était-ce, sinon à la fois le Juste et le + Saint. + + + + O terre antique, terre d'Égypte, terre à la longue mémoire tu parais + dormir mais tu as été foulée trois fois. + + + + Et la première fois c'était le roi des Juifs. + Et la troisième fois c'était le roi de Chrétienté. + Mais la deuxième fois, qui était-ce, _rex Judaeorum_, sinon à la fois + le roi des Juifs + Et le roi de Chrétienté. + + + + Terre antique, terre d'Égypte tu parais endormie, mais ton sommeil a + été troublé trois fois + Par les pas qui venaient. + + + + Terre tu as été bénie trois fois et toi désert stérile tu as été + arrosé trois fois. + _Rorate, coeli, desuper. Et nubes pluant justum. + Cieux, faites votre rosée, d'en haut. Et que les nuages pleuvent le + Juste._ + + + + _Cieux, faites descendre votre rosée._ O terre d'Égypte, dit Dieu, + singulière terre, + Tu as fourni une singulière histoire, + Tu as fourni une singulière destinée. + Tu as été grandement honorée temporellement, + Terre endormie trois fois réveillée, + Terre ignorée trois fois visitée, + Terre oubliée trois fois remémorée + + + + Ainsi, dit Dieu, tout se joue trois fois. Le prophète parle avant. + Mon fils parle pendant. + Le saint parle après. + + Et moi je parle toujours. + + + + Et c'est là que l'on voit que mon fils est le centre et le coeur et + la voûte et la clef + Et la nef et le croisement de l'axe, + Et le point de l'articulation. + Et le gond qui fait tourner la porte. + Le prince des prophètes et le prince des saints. + + + + Le prophète, le juste vient devant. + Mon fils vient pendant. + Le saint vient après. + + Et moi je viens toujours. + + Et l'Église, qui est la communion des saints et la communion des + fidèles vient aussi après, vient aussi toujours. + + + + Or je ne laisserai pas manquer mon Église, dit Dieu, je ne la + laisserai pas errer, je ne la laisserai pas faillir. + Terre antique d'Égypte qui dors faussement, dit Dieu, qui réellement + veilles, + Je m'engage autant dans les commandements de l'Église que dans mes + propres + Commandements. + Je m'engage autant dans les enseignements de l'Église que dans mes + propres + Enseignements. + Je m'engage autant dans une liturgie que je me suis engagé avec Moïse + Et que mon fils avec eux s'est engagé sur la montagne. + Or cela, ce que mon fils a dit une fois, _sinite parvulos venire ad + me,--laissez les petits venir à moi,_--je le redis, on me le fait + redire toutes les fois (quel engagement). + Et mon fils l'avait dit de quelques enfants qui jouaient, et qui, + aussitôt bénis, le quittèrent pour retourner jouer. + Mais moi je le dis, on me le fait dire à chaque enfant qui ne + retournera plus jouer, + Sinon dans mon paradis. + + + + Or cela (quel engagement) je le redis à cet office des morts, à qui + tout vient aboutir. + Auquel tout s'achemine. _Office des morts pour l'enterrement d'un + enfant._ Le Célébrant se revêt d'un surplis et d'une étole blanche. + Et comme le jour du baptême il est allé chercher l'enfant jusqu'au + seuil de l'église, + Qui est le seuil de ma maison, + Et ainsi le seuil de la Maison de son Père, + Ainsi le jour de cet enterrement il va chercher l'enfant dans la + paroisse jusqu'à la Maison de son père. + Jusqu'au seuil de la maison de son père. + Et la Croix même marche portée au-devant de cet enfant qui est mort + dans la paroisse. + Et quand le cortège revient vers l'église + La croix marche portée devant. + La croix et le prêtre et le répondant et les enfants de choeur + marchent en avant. + Et par la grande rue du village tout le village. + Toute la paroisse suit derrière. + Les hommes et les femmes et les enfants. + Et les femmes pleurent. Et tout est blanc. + Et le célébrant chante + le vieux psaume du roi David, + _Beati immaculati in via. + Heureux les sans tache dans la voie._ + + + + _Heureux les immaculés dans la voie. + Beati immaculati in via._ + Sera-t-il dit, dit Dieu, que de tant de saints et de tant de martyrs. + Les seuls qui seront réellement blancs. + Réellement purs. + Les seuls qui seront réellement sans tache ce seront + Ces malheureux enfants que les soldats d'Hérode + Massacrèrent au bras de leur mère. + O saints Innocents serez-vous donc les seuls. + Saints Innocents serez-vous donc les purs. + Saints Innocents serez-vous donc les blancs et les sans tache. + _Beati immaculati in via. + Bienheureux les innocents, les sans tache dans la voie. + Ego sum via, veritas et vita. + Je suis la voie, la vérité et la vie._ + O saints innocents sera-t-il dit que vous serez et que vous êtes + Les seuls innocents. + Et que François même mon serviteur auprès de vous n'est point pauvre. + Et que mon serviteur saint Louis des Français + Auprès de vous n'est point innocent. + Sera-t-il dit qu'il y a dans la vie, et dans l'existence de cette + terre, une telle amertume, une telle lassitude. + Une telle ingratitude. + Une telle flétrissure. + Un tel voilement. + Un tel irrévocable vieillissement de l'âme et du corps. + Une telle marque, de telles rides ineffaçables. + Un tel hébétement qui ne sera plus aiguisé. + Une telle fièvre qui ne sera plus rafraîchie. + Une telle pente qui ne sera point remontée. + Un tel pli de mémoire, d'impuissance d'oublier. + Un tel principe, un tel pli de blessure au coin des lèvres + Que les plus grandes saintetés du monde n'effaceront jamais ce pli. + Et que les plus grandes saintetés du monde ne vaudront jamais + Les lèvres sans pli, les âmes sans mémoire, + les corps sans blessure + De ces grands saints et de ces grands martyrs qui ne quittèrent le + sein de leur mère + Que pour entrer dans le royaume des cieux. + Et qui ne connurent rien de la vie et qui ne reçurent de la vie + aucune blessure + Que cette blessure qui les fit entrer dans le royaume des cieux. + Les seuls des chrétiens assurément qui sur terre n'aient jamais + entendu parler d'Hérode. + Et à qui le nom d'Hérode sur terre n'ait jamais rien dit. + Sera-t-il dit que les plus grandes saintetés du monde + Des vies entières de sainteté + N'auront pas déplié, n'auront pas déridé les âmes. + Et que le chevalet même n'aura point acquis aux martyrs + Une certaine blancheur, une certaine premièreté, + Une certaine entièreté + De la toute première + Innocente enfance. + Et que ce qui est regagné, défendu pied à pied, repris, gagné, + N'est point le même que ce qui n'a jamais été perdu. + Et qu'un papier blanchi n'est point un papier blanc. + Et qu'un tissu blanchi n'est point une blanche toile. + Et qu'une âme blanchie n'est point une âme blanche. + Et que les plus près de moi ce seront ces blancs enfants laiteux + Qui n'ont jamais rien su de la vie et rien fait de l'existence + Que de recevoir un bon coup de sabre, + Je veux dire placé au bon moment. + + + + _En ce temps-là, l'Ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, + disant: Lève-toi, et prends ton enfant, et sa mère, et fuis en + Égypte, et restes-y jusqu'à ce que je te le dise. Car il arrivera + qu'Hérode cherchera l'enfant pour le perdre. Lequel se levant, prit + l'enfant, et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte: et il y + resta jusqu'à la mort d'Hérode: afin que fût accompli ce qui fut + dit par le Seigneur parlant par son Prophète: D'Égypte j'ai appelé + mon fils. Alors Hérode, voyant qu'il avait été trompé par les Mages + entra dans une grande colère, et envoya tuer tous les enfants, qui + étaient à Béthlehem, et dans toute sa contrée, depuis deux ans et + au-dessous, selon, le temps qu'il s'était informé des Mages. Alors + fut accompli ce qui fut dit par le Prophète Jérémie disant: Vox in + Rama audita est, ploratus et ululatus multus: Rachel plorans filios + suos, et noluit consolari, quia non sunt._ + + + + _Une voix fut entendue dans Rama, un pleurement et un grand + hululement: Rachel pleurant ses fils, et elle ne voulut pas être + consolée,--quia non sunt,--parce qu'ils ne sont pas._ + + + + _J'ai vu_, dit Jean, + + _En ces jours-là: J'ai vu sur la montagne de Sion l'Agneau debout, et + avec lui cent quarante-quatre mille qui avaient son nom, et le nom + de son Père écrit sur le front. Et j'entendis une voix du ciel, + comme une voix de beaucoup d'eaux, et comme la voix d'un grand + tonnerre: et une voix, que j'entendis, comme de citharaèdes + citharizant sur leurs cithares._ + + _Et ils chantaient_ + + _quasi canticum novum,_ + + _comme un cantique nouveau devant le siège,_ + + _et devant les quatre animaux, et les vieillards:_ + + + + _et nemo poterat dicere canticum,_ + + + + _et personne ne pouvait dire ce cantique,_ + + + + _nisi illa centum quadraginta quatuor millia,_ + + + + _sinon ces cent quarante-quatre mille,_ + + + + _qui empti sunt de terra._ + + _qui furent enlevés,_ + + _qui ont été enlevés de la terre._ + + + + Tu entends bien, mon enfant, _qui empti sunt de terra, qui ont été + enlevés de la terre_. Tout le monde est enlevé de la terre, à son + jour, à son heure. + Mais tout le monde est enlevé de la terre trop tard, quand déjà la + terre a pris sur lui. + Tout le monde est enlevé de la terre quand il est déjà terreux. + Quand sa mémoire est terreuse et quand son âme est terreuse. + Quand la terre s'est collée à lui et quand elle a laissé sur lui + Une ineffaçable marque. + Mais eux, eux seuls, _empti sunt de terra_, littéralement _ils furent + enlevés de la terre_ + Avant qu'ils fussent aucunement entrés en terre. + Avant que cette terre leur eût donné, leur ait laissé + La moindre marque terreuse. + _Empti sunt de terra_. La terre ne les prit point, ne les eut point. + La terre n'eut point commandement sur eux. + Ne les nourrit point. N'imprima point sur eux cette empreinte. + Cette marque indélébile. + _Ils furent enlevés de la terre_, c'est-à-dire de cette ingratitude + terreuse, + Et de cette amertume terrienne et de ce vieillissement terrien. + _Ils furent enlevés de la terre_, non pas y ayant été, comme nous, + comme tout le monde. + Mais _ils furent enlevés de la terre_, c'est-à-dire d'y être même. + D'y être et éternellement d'y avoir été. + Sera-t-il dit, dit Dieu, que toutes les grandeurs de la terre et le + sang même des martyrs + Ne vaudront pas de n'avoir pas été de la terre. + De n'avoir pas ce goût terreux. + D'avoir été _enlevé_ au commencement, + A l'origine, au point d'origine de cette vie terrestre. + De n'avoir pas ce pli et ce goût d'une ingratitude. + D'une amertume. + Terreuse. + + + _Beati ac sancti._ Heureux et saints ces saints + Innocents. _Ceux-ci_, dit Jean, + + _Ceux-ci suivent l'Agneau partout où il ira._ + + _Hi sequuntur Agnum quocumque ierit._ + + _Hi empti sunt._ Encore. _Empti sunt. Furent enlevés_ + + _Hi empti sunt ex hominibus._ + + _Ceux-ci furent enlevés des hommes, + (D'entre les hommes, de parmi les hommes),_ + + _primitiae Deo, et Agno:_ + + _prémices à Dieu, et à l'Agneau:_ + + _et in ore eorum non est inventum mendacium:_ + + _et dans leur bouche, + et sur leur lèvre ne fut point trouvé le mensonge:_ + + (Le mensonge d'homme, le mensonge adulte, le mensonge terrestre. + Le mensonge terrien. + Le mensonge terreux). + + _sine macula enim sunt ante thronum Dei._ + + _sans tache ils sont en effet devant le trône de Dieu._ + + + + Tel est, dit Dieu, ce secret de tendresse et de grâce + Qui est dans l'enfance même, au point d'origine de l'enfant. + Telle est cette innocence, cette blancheur, cet incommencement. + Tel est ce secret, cette faveur de ma grâce, + (Cette justice injustifiable), + Qu'il y a ceux qui ont trempé dans la terre et ceux qui n'ont pas + trempé dans la terre. + Ceux qui sont marqués, tachés, éclaboussés de la terre et ceux qui ne + sont pas éclaboussés de la terre. + Et qu'il n'y en a que pour ceux qui n'ont pas trempé dans la terre et + qui ne sont pas éclaboussés de la terre. + Ce sont eux, dit l'Apôtre, qui sur le mont de Sion entourent l'Agneau + debout. + Ils sont cent quarante-quatre mille et ce sont eux qui ont + Mon nom et le nom de mon Fils écrit sur le front. + Et l'apôtre entendit une voix du ciel + Comme une voix de beaucoup d'eaux. + Et comme la voix d'un grand tonnerre. + Et comme la voix de joueurs de cithare jouant de la cithare sur leur + cithare. + Et attention ils ne chantaient pas seulement un cantique. + Mais ils chantaient comme un cantique _nouveau_ devant le siège. + Et devant les quatre animaux, et les vieillards: + C'est un cantique _nouveau_ pour marquer + Cette éternelle nouveauté qu'il y a dans l'enfance. + Et qui est le grand secret de ma grâce. + Cette renaissante, cette perpétuellement renaissante, cette + éternellement renaissante nouveauté. + Et ce cantique nouveau vient de cette nouveauté même. Il en sort. Il + en naît. + Or tel est leur privilège. Et il n'y en a point de plus grand: + _Personne_, (c'est-à-dire les plus grands saints et les martyrs mêmes, + Des siècles et des vies d'épreuves et de sainteté, + D'exercices, de prières, + De travail, + De sang, de larmes; + + _Nemo, personne_, c'est-à-dire pas même François mon serviteur et pas + même saint Louis mon serviteur; + + _Nemo, personne_, c'est-à-dire pas même les quatre témoins, les + quatre rapporteurs; + Matthieu, et Marc, et Luc, et Jean; et le jeune homme, et le lion, et + le taureau, et l'aigle; + + _Nemo, personne_, c'est-à-dire pas même Pierre le Fondateur; + + Et pas même ceux qui trouvèrent la mort combattant pour la délivrance + du Saint-Sépulcre; + + _Nemo poterat dicere canticum_, personne ne pouvait dire ce cantique. + (Tel est leur exorbitant privilège et la grande faveur injuste + De ma grâce éternellement juste). + + _nisi illa centum quadraginta quatuor millia, qui empti sunt de + terra._ + + _si ce n'est ces cent quarante-quatre mille, qui furent enlevés de la + terre._ + + + + _Christianus sum, je suis chrétien_, ce cri du témoignage, + Proféré dans les supplices les plus affreux, + Crié à la face du ciel, + Crié doucement à la face des bourreaux, + Ce cri du témoignage, de ce témoignage que nous nommons le martyre, + Proféré sur un tel théâtre et dans une telle, dans une si dure + condition, + Aux plus grands martyrs n'a point ouvert ce singulier, cet éminent + privilège. + Ce privilège exorbitant, cet unique privilège. + Injuste. Juste. Purement gracieux. + Proprement gracieux. Et voici. + Voici que ces cent quarante-quatre mille innocents. + Voici que ces cent quarante-quatre mille enfants + N'ont eu qu'à naître, et rien de plus. Tels sont les mystères, tels + sont les secrets. + Tels sont les jeux, telles sont les inégalités de ma grâce. + Et le secret apparentement, la secrète accointance + De ma grâce avec la tendresse et le lait. Tant d'autres. + Tant d'autres ont témoigné sous la serre et le bec + Et sous l'onglet + Sous la dent des lions et sous la lanière et sous la tenaille ardente + (Car il y en a eu de toutes sortes) + Et sous les huées des nations et sous la ruée du peuple et sous la + clameur du peuple. + Et sous l'interrogatoire du préteur. + + + + Et à tous ces témoins et à tous ces martyrs. Tant d'autres. + + + + Tant d'autres sont morts sur des routes perdues dans des plaines + perdues marchant à la délivrance du Saint-Sépulcre. + Les reins brisés, gisant par terre, crevant de fatigue. + Crevant de faim, crevant de soif, crevant de sable. + Les côtes rompues, couchés par terre, à dix-huit cents lieues de leur + château. + Mourant de leurs blessures. Vidés de leur sang comme des outres + percées. + (De leur sang qui coulait sur le sable, et que le sable buvait, et + qui se perdait dans le sable, + Pour jusqu'à la résurrection des corps). Tant d'autres. + Tant d'autres sont partis, tant d'autres sont morts. + Crevés de bataille, crevés de misère, crevés de lèpre. + Et à tant d'autres. + + + + (Et ils étaient partis pour la délivrance du Saint-Sépulcre. Et ils + ne trouvèrent + Que le royaume de Dieu et la vie éternelle). + + + + A tant d'autres. A tous ces autres témoins, à tous ces autres martyrs + il ne fut pas donné. + Éternellement il n'est pas donné de chanter ce cantique _nouveau_. + Tel est mon ordre, tel est le secret de ma hiérarchie. + Une vie entière d'exercice et de prière. + Une vie d'épreuve, une vie d'humilité n'y suffit pas. + Une vie de mérite, une vie de vertu n'y sert de rien. + Une vie de sang, une vie de larmes, une vie même de grâce n'y est + pour rien. + Car ce qu'il y faut précisément c'est une vie qui ne soit pas entière. + Qui soit même exactement tout le contraire d'être entière. + Qui soit le moins vécue, qui soit à peine commencée. + Qui soit le moins commencée possible. _Et nemo poterat dicere + canticum._ Or ces cent quarante-quatre mille + Qui seuls pouvaient chanter ce cantique nouveau, qu'est-ce qu'ils + avaient fait? + Admirez ici l'ordre de ma grâce. Ils avaient fait ceci + Qu'ils étaient venus au monde. Un point, c'est tout. Ou si vous + préférez, + Ils avaient fait ceci qu'ils étaient des petits nouveau-nés. + C'étaient des espèces de petits nourrissons juifs. Des garçons et des + filles. + Leurs mères disaient comme dans tous les pays du monde: _C'est le + mien qui est le plus beau._ + Eux, ça leur était bien égal, d'être beaux. Pourvu qu'ils dorment et + qu'ils tettent. + Quand ils avaient sommeil, + Quand ils avaient envie de dormir ils dormaient; + Quand ils avaient faim et soif (ensemble) + Quand ils avaient envie de téter, ils tétaient; + Quand ils avaient envie de crier ils criaient: + C'étaient leurs plus grandes occupations. C'est ainsi qu'ils + trouvèrent + Non seulement le royaume de Dieu et la vie éternelle. + Mais seuls d'y porter écrit sur le front mon nom et le nom de mon + Fils. + Et seuls d'y chanter ce cantique nouveau. + + + + _Qui empti sunt de terra._ Tant d'autres sont morts au nom de mon + Fils. + _In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti._ + Tant d'autres sont morts pour sauver l'honneur + Du Nom de mon fils. Et eux. + Qui seuls portent ce nom écrit sur le front + Et seuls peuvent chanter ce cantique nouveau, + Ils sont les seuls aussi assurément qui sur terre + Aient jamais ignoré totalement le nom de mon fils. Tel est mon décret. + Ce nom pour lequel ils sont morts, ils ne le connaissaient pas. + Ils ne l'ont jamais connu sur terre. Voilà ce que j'aime, dit Dieu. + A présent ils le connaissent peut-être. Éternellement on peut le lire + écrit + Sur cent quarante-quatre mille fronts. Sur nul autre. + Sur pas un de plus. Mais vivant, mais sur terre + On peut dire qu'ils n'ont jamais su de quoi on parlait + Ni même que l'on parlait et que l'on pouvait parler + (De quelque chose). Voilà ce qui me plaît, dit Dieu. + Or ils pleuraient, et ils riaient, et ils tétaient, et ils criaient, + et ils dormaient. + C'était leur grande, c'était leur plus sérieuse occupation. + Et un jour vint. + Que. + Un jour (ils ne connaissaient pas plus le nom d'Hérode que le nom de + Jésus) + (et ils ne connaissaient pas plus le nom de Jésus que le nom + d'Hérode. J'ose dire + Que ces deux noms leur étaient également indifférents). Or ces deux + hommes, + Jésus, Hérode, Hérode, Jésus, + Antagonistes allaient tout simplement leur procurer + La gloire de mon paradis. + Le royaume des cieux et la gloire éternelle. Un jour vint + Qu'une horde de brutes soldats, qui faisaient leur métier, + (Mais qui le dépassaient peut-être un peu) + Une ruée de brutes passa, des espèces de gendarmes, des ogres comme + dans les contes de fées, des Croquemitaines pour les enfants. + Portant des sabres qui étaient comme des grands coutelas. + Et c'étaient les soldats d'Hérode. + Une ruée, un tumulte. Un fracas, des bras retroussés. Une clameur. + Des cris. Des dents. Des regards luisants. + Des femmes qui fuyaient, des femmes qui mordaient + Comme elles mordent toujours quand elles ne sont pas les plus fortes. + Et il n'y eut plus dans le sang et dans le lait + Qu'une grande jonchée de corps morts + Un cimetière de poupons et de jeunes femmes juives. + Vous savez, dit Dieu, ce que nous en avons fait. + Ces yeux qui s'étaient à peine ouverts à la lumière du soleil charnel. + Pour éternellement furent clos à la lumière du soleil charnel + Ces yeux qui s'étaient à peine ouverts à la lumière du soleil + terrestre + Pour éternellement furent clos à la lumière du soleil terrestre. + Ces yeux qui s'étaient à peine ouverts à la lumière du soleil temporel + Pour éternellement furent clos à la lumière du soleil temporel. + Ces regards qui étaient à peine montés vers le jour et vers le soleil + du temps + Pour éternellement furent clos à ces passagères, + A ces périssables lumières. + Ces voix, ces lèvres qui n'avaient jamais chanté les louanges de Dieu + sur terre, + Qui ne s'étaient jamais ouvertes que pour demander à téter. (Mais il + me plaît ainsi, dit Dieu). + Sont ainsi les seules, sont aujourd'hui les seules, + Sont aussi les seules qui puissent chanter ce cantique nouveau. + _Qui empti sunt de terra._ Vous voyez ce que nous en avons fait, dit + Dieu. + _Aux Innocents les mains pleines._ C'est le cas de le dire. Ces + Innocents avaient simplement ramassé dans la bagarre + Le royaume de Dieu et la vie éternelle. Qu'importe aujourd'hui + Leurs membres blancs rompus dans tous les bourgs de Judée. + Et leurs petits bras potelés coupés comme par des hommes qui émondent. + Et leurs petits doigts crispés qui se refermaient sur la paume de la + main. + Et les cris renfoncés dans la gorge, les mains criminelles les + renfonçant, s'enfonçant dans la gorge comme un bouchon. Comme un + tampon. + Et le jeune sang jaillissant du coeur. Qu'importent les membres + coupés. + Les cuisses blanches comme de la viande de chevreau et comme des + cuisses tendres de petits cochons de lait. + Et leurs mères qui criaient comme des folles et qui mordaient les + soldats au poignet. Comme dans une bataille, après la bataille + Les rôdeurs, les voleurs viennent dépouiller les blessés et les morts + et les mourants et emporter et dérober tout ce qui compte. + Tout ce qui vaut quelque chose, nouveaux rôdeurs, nouveaux voleurs + ces innocents + Dans cette bataille après cette bataille se sont dépouillés eux-mêmes + Et dans le fracas des armes, dans le tumulte et dans les cris. + Dans la galopade affolée, dans la poursuite effrénée, dans les femmes + par terre ils ont ramassé tout ce qui compte. + Ils ont dérobé tout ce qui vaut quelque chose car ils ont fait main + basse + Comme des détrousseurs de cadavres et ils se sont détroussés + eux-mêmes et ce qu'ils ont ramassé dans la bagarre ce n'est pas + moins + Que le royaume des cieux et la vie éternelle. _Hi empti sunt ex + hominibus._ Eux seuls, + Qui seuls peut-être sur terre non seulement n'avaient jamais chanté + les louanges de Dieu, + Mais n'avaient jamais prononcé même mon nom ni le nom de mon fils, + Eux seuls aussi ne portent point aux commissures des lèvres + l'ineffaçable pli, + Ce pli de l'infortune et de l'ingratitude + Et d'une amertume qui ne sera jamais rassasiée. Or si nous avons fait + d'eux ce que vous voyez, dit Dieu, + Il y en a sept raisons que je veux bien vous dire. + + + + La première, c'est que je les aime, dit Dieu, et celle-là suffit. + Telle est la hiérarchie de ma grâce. + + + + La deuxième, c'est qu'ils me plaisent, dit Dieu, et celle-là suffit. + Telle est la hiérarchie de ma grâce. + + + + La troisième, c'est qu'il me plaît ainsi, dit Dieu, et celle-là + suffit. + Telle est la hiérarchie, tel est l'ordre, telle est l'ordonnance de + ma grâce. + + + + Maintenant je vais vous dire, dit Dieu, la quatrième + C'est précisément qu'ils n'ont point aux commissures des lèvres + Ce pli d'ingratitude et d'amertume, cette blessure de vieillissement, + Ce pli d'avertissement, ce pli de mémoire que nous voyons à toutes + les lèvres. + + + + La cinquième, dit Dieu, c'est que par une sorte d'équivalence, + Par une sorte de balancement ces innocents ont payé pour mon fils. + Pendant qu'ils gisaient sur le pavé des routes, sur le pavé des + villes, sur le pavé des bourgs + Dans la poussière et dans la boue, moins considérés que des agneaux + et des chevreaux et des cochonneaux. + (Car les agneaux et les chevreaux et les cochonneaux + Sont très considérés par le boucher et par le consommateur) + Abandonnés sur les corps de leurs mères + Pendant ce temps-là mon fils fuyait. Il faut le dire. + C'est donc, c'est une sorte de quiproquo. Il faut le dire. + C'est un malentendu. + Voulu, ce qui est grave. Il faut le dire. + Ils furent pris pour lui. Ils furent massacrés pour lui. En son lieu. + A sa place. + Non seulement à cause de lui, mais pour lui, comptant pour lui. + Le représentant pour ainsi dire. Étant substitués à lui. Étant comme + lui. Presque étant (d'autres) luis. + En représentation, en substitution, en remplacement de lui. Or tout + cela est grave, dit Dieu, tout cela compte. Ils furent semblables à + mon fils et le remplacèrent. + Exactement quand il ne s'agissait pas moins + Quand il n'y allait pas de moins que de le massacrer, + (Prématurément, avant qu'il fût mûr), + Quand Hérode voulait le massacrer. Tout cela se paye, dit Dieu. + Et puisqu'ils ont été trouvés semblables à mon fils exactement à + l'heure de ce massacre. + A présent, c'est pour cela qu'à présent ils sont trouvés semblables à + l'Agneau dans cette gloire éternelle. + Pendant ce temps conduit par un deuxième Joseph + Mon fils fuyait vers l'antique Égypte. Ils acquéraient ainsi. + Ces gamins, ces moins que gamins se procuraient ainsi + Une créance sur nous. Monté sur un âne avec sa mère + (Comme trente ans plus tard monté sur l'ânon d'une ânesse + Il devait entrer à Jérusalem) + Trente ans plus tôt monté sur un âne avec sa mère mon fils + Refaisait le voyage de l'antique Jacob. Et ces enfants ramassaient + dans la mêlée. + Dans leur propre sang ces nourrissons ramassaient + Une créance sur moi. Ils avaient bien raison. + Heureux ceux qui ont une créance sur nous. Nous sommes très bons + débiteurs. + + + + La sixième raison, dit Dieu, (je crois que c'est la sixième), + (c'est une très bonne affaire que d'être pris pour mon fils et ça + rapporte), + la sixième raison, c'est qu'ils étaient contemporains de mon fils. + Du même âge et nés dans le même temps. + Juste à ce point du temps. + Nous aussi nous favorisons nos camarades de promotion. + Telle est la fortune que nous avons faite au temps. + C'est une grande fortune ou une grande infortune pour tout homme. + Que de naître ou de ne pas naître à tel moment du temps. + C'est une fortune ou une infortune sur laquelle rien ne prévaut. + Sur laquelle on ne revient pas, sur laquelle rien ne revient. + Et c'est un des plus grands mystères de ma grâce que cette part de + fortune, + Que cette part irrévocable, indéfaisable + Que nous avons laissée aux biens de fortune devant les biens qui ne + sont pas de fortune; + Au charnel devant et dans le spirituel; + Au temporel devant et dans l'éternel, c'est-à-dire + A la matière dans la création, et à la créature, et à la création, et + à la matière même de la création devant le Créateur. + + + + A ce point, dit Dieu, que nous-mêmes nous ne sommes pas indifférents + à la date; au temps; + A la prise de date et que nous aimons secrètement ces cent + quarante-quatre mille + parce qu'ils se sont trouvés là et nous les aimons d'un secret amour + unique + parce qu'ils se sont trouvés naître là, parce qu'ils étaient, + parce qu'ils se sont trouvés être + Du même âge que mon fils, nés du même temps, de la même race. + A la même date. + Enfin parce qu'ils faisaient ensemble une promotion. + Non plus seulement une promotion de Juifs mais une promotion d'hommes. + (Telle était la nouvelle loi) + La promotion de Jésus-Christ. + Et indéniablement ils étaient + (le temps a toujours une certaine force, apporte toujours une + certaine preuve d'indéniable) + Indéniablement ils étaient + Ses camarades de promotion. + (Il y a toujours dans le temps, dans la date + On ne sait quoi d'irréfutable). + + + + La septième raison, dit Dieu, pourquoi la taire. C'est qu'ils étaient + semblables à mon fils. + Et lui était semblable à eux. + (Une génération d'hommes, dit Dieu, + une promotion c'est comme une belle longue vague + qui s'avance d'un bout à l'autre sur un même front + et qui d'un seul coup sur un même front d'un bout à l'autre + toute ensemble déferle sur le rivage de la mer. + ainsi une génération, une promotion est une vague d'hommes. + toute ensemble elle s'avance sur un même front, + et toute ensemble sur un même front elle s'écroule comme une muraille + d'eau + quand elle touche au rivage éternel). + Mon fils était tendre comme eux et comme eux il était nouveau. + Il était assez inconnu. Comme eux. + Cette grande adoration double, qui (sans cela) l'avait déjà mis hors + de pair. + La grande adoration double des bergers et des mages était déjà un peu + oubliée. + Il était redevenu assez inconnu. Et les mages s'étaient moqués + d'Hérode. + + Il n'avait pas deux ans, il était comme eux. + C'était un bel enfant, et sa mère le disait. + + Il ne soupçonnait point encore + l'ingratitude de l'homme. + + Il n'avait point encore aux commissures des lèvres + le pli de l'amertume et de l'ingratitude. + + Il n'avait point encore aux commissures des paupières + sa ride, le pli des larmes et d'en avoir trop vu. + + Il n'avait point encore aux commissures de la mémoire + le pli de ne pouvoir point oublier. + + + Il ignorait encore, comme homme il ignorait les vicissitudes. + Il ignorait, comme homme il ignorait ce qui laissera une éternelle + trace. + la couronne d'épines et le sceptre de roseau. + et cette affreuse agonie du Calvaire. + et cette agonie encore plus affreuse de la veille au soir + au mont des Oliviers. + Comme eux il était un vase d'albâtre + Que n'avait encore souillé aucune trace, + Aucune lie d'aucune écume. + Et c'est la sixième raison, dit Dieu, et la septième, ils me + rappellent mon fils. + Comme il était s'il n'eût point changé depuis, quand il était si + beau. Si cette énorme aventure + Se fût arrêtée là. Voilà pourquoi je les aime, dit Dieu, entre tous + ils sont les _témoins_ de mon fils. + Ils me montrent, ils sont comme il était, si seulement + Il n'eût point changé. De toutes les imitations de Jésus-Christ + C'est la première et c'est la toute neuve; et c'est la seule + Qui ne soit à aucun degré + Qui ne soit pas même pour un atome + Une imitation de quelque flétrissure et de quelque meurtrissure et de + quelque blessure de l'âme de Jésus. + C'est une ignorance totale de l'avanie et de l'affront. + Et de l'injure et de l'offense. + Ils ne connaissent que le meurtre, et d'avoir été tués, ce qui ne + serait rien. + Ils ne furent jamais tournés en dérision. + Voilà ce que j'aime en eux, dit Dieu. Voilà en quoi, pourquoi je les + aime. + Ils sont pour moi des enfants qui ne sont jamais devenus des hommes. + Des agneaux qui ne sont jamais devenus des boucs. + Ni des brebis. (_Et ceux-ci suivent l'agneau partout où il ira_). + Des enfants Jésus qui ne vieillirent jamais. Qui ne grandirent point. + Or _le mien profitait + en sagesse, et en âge, et en grâce + auprès de Dieu et auprès des hommes_. + + + + Je les aime innocemment, dit Dieu. Et c'est la septième raison. + (C'est ainsi qu'il faut aimer ces innocents) + Comme un père de famille aime les camarades de son fils + Qui vont à l'école avec lui. + + + + Mais eux ils n'ont point bougé depuis ce temps-là. + + + + Ils sont les imitations éternelles + De ce que Jésus fut pendant un temps très court + Car il _profitait_, lui. Il croissait + pour cette énorme aventure. + + + + Et la septuple raison, dit Dieu, c'est qu'ils sont ainsi comme David + les voulait. + _Immaculati in via._ Ainsi est l'ordre, dit Dieu. + Le prophète prédit. + Mon fils dit. + Et moi je redis. + + + + Ou encore: + Le prophète prédit. + Mon fils dit. + Et moi je confirme et je consacre. + + Et mon Église confirme et célèbre, + Et consacre et commémore. + + + + Ainsi l'Apôtre les reprend du Prophète et Jean les reprend de David. + Et comme David avait voulu qu'ils fussent + _Immaculés dans la voie_ ainsi Jean les a vus + _Sur la montagne de Sion + Autour de l'Agneau debout._ Il n'y en a que pour eux. _Ceux-ci + suivent l'Agneau partout où il ira._ + (Les plus grands saints ne le suivent apparemment pas partout). + + _Ceux-ci ont été enlevés des hommes: + (d'entre les hommes, de parmi les hommes, d'être des hommes)_ + Les plus grands saints ont été des hommes, n'ont point été enlevés + d'être des hommes). + + _et dans leur bouche n'a pas été trouvé le mensonge:_ + + _ils sont en effet sans tache devant le trône de Dieu._ + + + + Et l'Apôtre les nomme _primitiae Deo, et Agno_: _prémices à Dieu, et + à l'Agneau_. C'est-à-dire premiers fruits de la terre que l'on + offre à Dieu et à l'Agneau. Les autres saints sont les fruits + ordinaires, les fruits de la saison. Mais eux ils sont les fruits + De la promesse même de la saison. + + + + Et suivant l'Apôtre l'Église répète: _Innocentes pro Christo + infantes occisi sunt_, + + _les Innocents pour le Christ + enfants furent massacrés,_ + + (_infantes_, tout jeunes enfants, tout petit enfant ne parlant pas + encore) + + _ab iniquo rege + lactentes interfecti sunt:_ + + _par un inique Roi + laiteux ils furent assassinés:_ + + (_lactentes_, pleins de lait, laiteux, à l'âge du lait, étant encore + au régime du lait, + nourris de lait) + + _ipsum sequuntur Agnum sine macula + ils suivent l'Agneau lui-même sans tache_ + + (et le texte est tel, mon enfant, que c'est ensemble l'Agneau qui est + sans tache + et eux avec lui qui sont sans tache) + + + + Mais l'Église va plus loin, l'Église passe outre, l'Église dépasse + l'Apôtre. + + L'Église ne dit plus seulement qu'ils sont des prémices à Dieu, et à + l'Agneau. + L'Église les invoque et les nomme + + _fleurs des Martyrs._ + + Entendant littéralement par là que les _autres_ martyrs sont les + fruits mais que ceux-ci, parmi les martyrs, sont les fleurs mêmes. + + _SALVETE flores Martyrum,_ + + _Salut FLEURS des Martyrs._ + + Couchés sur le chevalet, liés au chevalet comme des fruits liés à + l'espalier + Les autres martyrs, vingt siècles de martyrs + Les siècles des siècles de martyrs + Sont littéralement les fruits de saison, + De chaque saison échelonnés sur l'espalier + Et notamment des fruits d'automne + Et mon fils même fut cueilli + Dans sa trente-troisième saison. Mais eux ces simples innocents, + Ils sont avant les fruits mêmes, ils sont la promesse du fruit. + _Salvete flores Martyrum_, ces enfants de moins de deux ans sont les + fleurs de tous les autres Martyrs. + C'est-à-dire les fleurs qui donnent les autres martyrs. + Au fin commencement d'avril ils sont la rose fleur du pêcher. + Au plein avril, au fin commencement de mai ils sont la blanche fleur + du poirier. + Au plein mai ils sont la rouge fleur du pommier. + Blanche et rouge. + Ils sont la fleur même et le bouton de la fleur et le coton du bouton. + Ils sont le bourgeon du rameau et le bourgeon de la fleur. + Ils sont l'honneur d'avril et la douce espérance. + Ils sont l'honneur et des bois et des mois. + Ils sont la jeune enfance. + Le dimanche de _Reminiscere_ n'est que pour eux, parce qu'ils se + rappellent. + Le dimanche d'_Oculi_ n'est que pour eux, parce qu'ils voient. + Le dimanche de _Laetare_ n'est que pour eux, parce qu'ils se + réjouissent. + Le dimanche de la Passion n'est que pour eux, parce qu'ils furent la + première Passion. + Le dimanche des Rameaux n'est que pour eux, parce qu'ils sont le + rameau même qui a porté tant de fruits. + Et le dimanche du jour de Pâques n'est que pour eux, parce qu'ils + sont ressuscités. + Ils sont la fleur de l'aubépine qui fleurit pendant la semaine sainte + Et la fleur de l'avant-courrière épine noire, qui fleurit cinq + semaines plus tôt + Ils sont la fleur de toutes ces plantes et de tous ces arbres rosacés. + Promesse de tant de martyrs, ils sont les boutons de rose + De cette rosée de sang. + _Salvete flores Martyrum, + Salut fleurs des Martyrs,_ + + _quos, lucis ipso in limine, + Christi insecutor sustulit,_ + + _ceu turbo nascentes rosas._ + + _que, sur le seuil même de la lumière, + le persécuteur du Christ enleva, + (emporta)_ + + _ceu turbo nascentes rosas._ + + _comme la tempête de naissantes roses._ + (c'est-à-dire comme la tempête, comme une tempête enlève, emporte de + naissantes roses). + + + + _Vos prima Christi victima, + Grex immolatorum tener, + Aram sub ipsam simplices + Palma et coronis luditis._ + + _Vous première victime du Christ, + Troupeau tendre des immolés, + Au pied de l'autel même simples, + Simplices_, âmes simples, simples enfants, + _Palma et coronis luditis. Vous jouez avec la palme et les couronnes. + Avec votre palme et vos couronnes._ + + + + Tel est mon paradis, dit Dieu. Mon paradis est tout ce qu'il y a de + plus simple. + Rien n'est aussi dépouillé que mon paradis. + _Aram sub ipsam_ au pied de l'autel même + Ces simples enfants _jouent_ avec leur palme et avec leurs couronnes + de martyrs. + Voilà ce qui se passe dans mon paradis. A quoi peut-on bien jouer + Avec une palme et des couronnes de martyrs. + Je pense qu'ils jouent au cerceau, dit Dieu, et peut-être aux grâces + (du moins je le pense, car ne croyez point + qu'on me demande jamais la permission) + Et la palme toujours verte leur sert apparemment de bâtonnet. + + + + +_la tapisserie + +de sainte Geneviève + +et de Jeanne d'Arc_ + + + + +_cahier pour le jour de Noël + +et pour la neuvaine de sainte Geneviève + +de la quatorzième série;_ + +à madame Geneviève Favre + +_communis urbis atque antiquae + +patronae in fidem aeternam_ + + + + +PREMIER JOUR + +POUR LE VENDREDI 3 JANVIER 1913 + +FÊTE DE SAINTE GENEVIÈVE + +QUATORZE CENT UNIÈME ANNIVERSAIRE + +DE SA MORT + +I + + + Comme elle avait gardé les moutons à Nanterre, + On la mit à garder un bien autre troupeau, + La plus énorme horde où le loup et l'agneau + Aient jamais confondu leur commune misère. + + Et comme elle veillait tous les soirs solitaire + Dans la cour de la ferme ou sur le bord de l'eau, + Du pied du même saule et du même bouleau + Elle veille aujourd'hui sur ce monstre de pierre. + + Et quand le soir viendra qui fermera le jour, + C'est elle la caduque et l'antique bergère, + Qui ramassant Paris et tout son alentour + + Conduira d'un pas ferme et d'une main légère + Pour la dernière fois dans la dernière cour + Le troupeau le plus vaste à la droite du père. + + + + +DEUXIÈME JOUR + +POUR LE SAMEDI 4 JANVIER 1913 + +II + + + Comme elle avait gardé les moutons à Nanterre + Et qu'on était content de son exactitude, + On mit sous sa houlette et son inquiétude + Le plus mouvant troupeau, mais le plus volontaire. + + Et comme elle veillait devant le presbytère, + Dans les soirs et les soirs d'une longue habitude, + Elle veille aujourd'hui sur cette ingratitude, + Sur cette auberge énorme et sur ce phalanstère. + + Et quand le soir viendra de toute plénitude, + C'est elle la savante et l'antique bergère, + Qui ramassant Paris dans sa sollicitude + + Conduira d'un pas ferme et d'une main légère + Dans la cour de justice et de béatitude + Le troupeau le plus sage à la droite du père. + + + + +TROISIÈME JOUR + +POUR LE DIMANCHE 5 JANVIER 1913 + +III + + + Elle avait jusqu'au fond du plus secret hameau + La réputation dans toute Seine et Oise + Que jamais ni le loup ni le chercheur de noise + N'avaient pu lui ravir le plus chétif agneau. + + Tout le monde savait de Limours à Pontoise + Et les vieux bateliers contaient au fil de l'eau + Qu'assise au pied du saule et du même bouleau + Nul n'avait pu jouer cette humble villageoise. + + Sainte qui rameniez tous les soirs au bercail + Le troupeau tout entier, diligente bergère, + Quand le monde et Paris viendront à fin de bail + + Puissiez-vous d'un pas ferme et d'une main légère + Dans la dernière cour par le dernier portail + Ramener par la voûte et le double vantail + + Le troupeau tout entier à la droite du père. + + + + +QUATRIÈME JOUR + +POUR LE LUNDI 6 JANVIER 1913 + +JOUR DES ROIS + +CINQ CENT UNIÈME ANNIVERSAIRE + +DE LA NAISSANCE DE JEANNE D'ARC + +IV + + + Comme la vieille aïeule au plus fort de son âge + Se réjouit de voir le tendre nourrisson, + L'enfant à la mamelle et le dernier besson + Recommencer la vie ainsi qu'un héritage; + + Elle en fait par avance un très grand personnage, + Le plus hardi faucheur au temps de la moisson, + Le plus hardi chanteur au temps de la chanson + Qu'on aura jamais vu dans cet humble village: + + Telle la vieille sainte éternellement sage + Connut ce qui serait l'honneur de sa maison + Quand elle vit venir, habillée en garçon, + + Bien prise en sa cuirasse et droite sur l'arçon, + Priant sur le pommeau de son estramaçon, + Après neuf cent vingt ans la fille au dur corsage; + + Et qu'elle vit monter de dessus l'horizon, + Souple sur le cheval et le caparaçon, + La plus grande beauté de tout son parentage. + + + + +CINQUIÈME JOUR + +POUR LE MARDI 7 JANVIER 1913 + +V + + + Comme la vieille aïeule au fin fond de son âge + Se plaît à regarder sa plus arrière fille, + Naissante à l'autre bout de la longue famille. + Recommencer la vie ainsi qu'un héritage; + + Elle en fait par avance un très grand personnage. + Fileuse, moissonneuse à la pleine faucille, + Le plus preste fuseau, la plus savante aiguille + Qu'on aura jamais vu dans ce simple village: + + Telle la vieille sainte éternellement sage, + Du bord de la montagne et de la double berge + Regardait s'avancer dans tout son équipage, + + Dans un encadrement de cierge et de flamberge, + Et le casque remis aux mains du petit page, + La fille la plus sainte après la sainte Vierge. + + + + +SIXIÈME JOUR + +POUR LE MERCREDI 8 JANVIER 1913 + +VI + + + Comme Dieu ne fait rien que par miséricordes, + Il fallut qu'elle vît le royaume en lambeaux, + Et sa filleule ville embrasée aux flambeaux, + Et ravagée aux mains des plus sinistres hordes; + + Et les coeurs dévorés des plus basses discordes, + Et les morts poursuivis jusque dans les tombeaux, + Et cent mille Innocents exposés aux corbeaux, + Et les pendus tirant la langue au bout des cordes: + + Pour qu'elle vît fleurir la plus grande merveille + Que jamais Dieu le père en sa simplicité + Aux jardins de sa grâce et de sa volonté + Ait fait jaillir par force et par nécessité; + + Après neuf cent vingt ans de prière et de veille + Quand elle vit venir vers l'antique cité, + Gardant son coeur intact en pleine adversité, + Masquant sous sa visière une efficacité; + + Tenant tout un royaume en sa ténacité, + Vivant en plein mystère avec sagacité, + Mourant en plein martyre avec vivacité, + + La fille de Lorraine à nulle autre pareille. + + + + +SEPTIÈME JOUR + +POUR LE JEUDI 9 JANVIER 1913 + +VII + + + Comme Dieu ne fait rien que par simple bergère, + Il fallut qu'elle vît la discorde civile + Secouer son flambeau sur les toits de la ville + Et joindre sa fureur à la guerre étrangère; + + Il fallut qu'elle vît l'horrible harengère + Haranguer le bas peuple et la tourbe servile, + Et de la halle au blé jusqu'à l'hôtel de ville + Refluer le hoquet de l'odieuse mégère: + + Pour qu'elle vît venir merveilleuse et légère, + Par les chemins de ronce et de frêle fougère, + Pliant ses beaux drapeaux comme une humble lingère; + + Gouvernant sa bataille en bonne ménagère, + Traînant les trois Vertus dans quelque fourragère, + Vers l'antique vaisseau la jeune passagère. + + + + +HUITIÈME JOUR + +POUR LE VENDREDI 10 JANVIER 1913 + +VIII + + + Comme Dieu ne fait rien que par pauvre misère, + Il fallut qu'elle vît sa ville endolorie, + Et les peuples foulés et sa race flétrie, + L'émeute suppurant comme un secret ulcère; + + Il fallut qu'elle vît pour son anniversaire + Les cadavres crevés que la Seine charrie, + Et la source de grâce apparemment tarie, + Et l'enfant et la femme aux mains du garnisaire: + + Pour qu'elle vît venir sur un cheval de guerre, + Conduisant tout un peuple au nom du Notre Père, + Seule devant sa garde et sa gendarmerie; + + Engagée en journée ainsi qu'une ouvrière, + Sous la vieille oriflamme et la jeune bannière + Jetant toute une armée aux pieds de la prière; + + Arborant l'étendard semé de broderie + Où le nom de Jésus vient en argenterie, + Et les armes du même en même orfèvrerie; + + Filant pour ses drapeaux comme une filandière, + Les faisant essanger par quelque buandière, + Les mettant à couler dans l'énorme chaudière; + + Les armes de Jésus c'est sa croix équarrie, + Voilà son armement, voilà son armoirie, + Voilà son armature et son armurerie; + + Rinçant ses beaux drapeaux à l'eau de la rivière, + Les lavant au lavoir comme une lavandière, + Les battant au battoir comme une mercenaire; + + Les armes de Jésus c'est sa face maigrie, + Et les pleurs et le sang dans sa barbe meurtrie, + Et l'injure et l'outrage en sa propre patrie; + + Ravaudant ses drapeaux comme une roturière, + Les mettant à sécher sur le front de bandière, + Les donnant à garder à quelque vivandière; + + Les armes de Jésus c'est la foule en furie + Acclamant Barabbas et c'est la plaidoirie, + Et c'est le tribunal et voilà son hoirie; + + Teignant ses beaux drapeaux comme une teinturière, + Les faisant repasser par quelque culottière, + Adorant le bon Dieu comme une couturière; + + Les armes de Jésus c'est cette barbarie, + Et le décurion menant la décurie, + Et le centurion menant la centurie; + + Les armes de Jésus c'est l'interrogatoire, + Et les lanciers romains debout dans le prétoire, + Et les dérisions fusant dans l'auditoire; + + Les armes de Jésus c'est cette pénurie, + Et sa chair exposée à toute intempérie, + Et les chiens dévorants et la meute ahurie; + + Les armes de Jésus c'est sa croix de par Dieu, + C'est d'être un vagabond couchant sans feu ni lieu, + Et les trois croix debout et la sienne au milieu; + + Les armes de Jésus c'est cette pillerie + De son pauvre troupeau, c'est cette loterie + De son pauvre trousseau qu'un soldat s'approprie; + + Les armes de Jésus c'est ce frêle roseau, + Et le sang de son flanc coulant comme un ruisseau, + Et le licteur antique et l'antique faisceau; + + Les armes de Jésus c'est cette raillerie + Jusqu'au pied de la croix, c'est cette moquerie + Jusqu'au pied de la mort et c'est la brusquerie + + Du bourreau, de la troupe et du gouvernement, + C'est le froid du sépulcre et c'est l'enterrement, + Les armes de Jésus c'est le désarmement; + + L'avanie et l'affront voilà son industrie, + La cendre et les cailloux voilà sa métairie + Et ses appartements et son duché-pairie; + + Les armes de Jésus c'est le souple arbrisseau + Tressé sur son beau front comme un frêle réseau, + Scellant sa royauté d'un parodique sceau; + + Les disciples poltrons voilà sa confrérie, + Pierre et le chant du coq voilà sa seigneurie, + Voilà sa lieutenance et capitainerie; + + Le lavement de mains et la forfanterie + De ce garde des sceaux et la plaisanterie + De ces beaux damoiseaux et la galanterie + + De ces beaux jouvenceaux c'est sa boulangerie, + Et son pain de poussière et de sueur pétrie, + Et l'éponge de fiel et de vinaigrerie; + + La croix bien assemblée en double coulisseau, + L'ironique pancarte engravée au ciseau, + Le tasseau pour les pieds descendant en biseau; + + Un autre bûcheron avait coupé ce bois, + Un autre charpentier avait taillé la croix, + Mais lui-même, et nul autre, avait porté ce poids; + + L'image de la Vierge en tissu de soierie, + Et sainte Marguerite en fleurs de draperie, + Et sainte Catherine et la tapisserie + + Où l'on voit saint Michel habillé de nouveau, + Le Saint-Esprit planant sous figure d'oiseau, + Et l'archange écrasant Satan sur le museau; + + Mais Satan lui résiste et par sorcellerie + Et par atermoiement et par grivèlerie + S'est juré d'absorber et la Beauce et la Brie; + + Les saints ont sur la tête un très léger cerceau + Pour bien voir que c'est eux, une sorte d'arceau + Ouvre le paradis, Jésus dans son berceau + + Regarde saint Joseph et par espièglerie + Veut lui tirer la barbe et le vieux se récrie + Et fait semblant de mordre afin que l'enfant rie; + + Mais Satan les regarde et fumant du naseau + Ce serpent venimeux, cet immonde pourceau + S'est juré d'empester le faubourg Saint-Marceau; + + Ce serpent à sonnette avec sa sonnerie + S'est vanté qu'il ferait (voyez sa hâblerie) + Jeter par ses suppôts les saints à la voirie; + + Les armes de Jésus c'est la paille et l'étable + Et le pain et le vin et la nappe et la table, + Et le plus malheureux, voilà son connétable; + + Les armes de Satan c'est la supercherie, + Un aplomb infernal, une aigre drôlerie, + Le savoir des savants et la cafarderie; + + Les armes de Jésus c'est la poignante épine, + C'est la fleur de son sang sur la blanche aubépine, + Et les fleurs de ses pleurs sur la rouge églantine; + + La perle qui descend sur sa joue attendrie, + Et la perle qu'il boit sur sa lèvre appauvrie, + Voilà ses beaux cristaux et sa joaillerie; + + Les armes de Jésus c'est la verte couronne, + C'est ce front que l'amour et la grâce environne, + Et l'éternelle fleur qui sur sa peau fleuronne; + + La perle qui descend sur sa face amoindrie + Et qui vient humecter sa langue rabougrie, + Voilà son coffre-fort et sa bijouterie; + + Les armes de Jésus c'est notre forfaiture, + Les clous et le marteau, la robe sans couture, + L'homme, l'ange et la bête et la double nature; + + Les armes de Satan c'est la jobarderie, + C'est le scientificisme et c'est l'artisterie, + C'est le laboratoire et la flagornerie; + + Les armes de Satan c'est notre forfaiture, + C'est d'avoir dispersé la robe sans couture, + C'est la bête sous l'ange et la double nature; + + Les armes de Satan c'est la bouffonnerie, + Et c'est le moraliste et son infirmerie, + Et la haute éloquence et sa pâtisserie; + + Les armes de Jésus c'est la peine de l'homme, + C'est le chemin qui mène et qui ramène à Rome, + C'est la main qui le frappe et le poing qui l'assomme; + + Les armes de Satan c'est la parfumerie + De l'écrivain disert et c'est la sucrerie + De l'écrivain amer et c'est la pruderie, + + La blette aridité de la vieille dévote, + C'est l'âme en confiture et la poire en compote, + Et le raisin coti moisissant dans la hotte; + + Les armes de Satan c'est le clou dans la botte, + La nef sans nautonnier, la flotte sans pilote, + Le carcan, le garrot, l'entrave, la menotte; + + Les armes de Satan c'est quelque jonglerie, + C'est le loup dans la ferme et dans la bergerie, + C'est le renard feutré dans la poulaillerie; + + Les armes de Jésus c'est l'amour et la peine, + Les armes de Satan c'est l'envie et la haine, + Et la guerre est aux mains de toute châtelaine; + + Les armes de Satan c'est quelque forgerie, + Un document secret dans quelque hôtellerie, + Les armes de Satan c'est toute diablerie; + + Les armes de Jésus c'est la croix de Lorraine, + Et le sang dans l'artère et le sang dans la veine, + Et la source de grâce et la claire fontaine; + + Les armes de Satan c'est la croix de Lorraine, + Et c'est la même artère et c'est la même veine + Et c'est le même sang et la trouble fontaine; + + Les armes de Jésus c'est l'esclave et la reine + Et toute compagnie avec son capitaine + Et le double destin et la détresse humaine; + + Les armes de Satan c'est l'esclave et la reine + Et toute compagnie avec son capitaine + Et le même destin et la même déveine; + + Les armes de Jésus c'est la mort et la vie, + C'est la rugueuse route incessamment gravie, + C'est l'âme jusqu'au ciel insolemment ravie; + + Les armes de Satan c'est la vie et la mort, + Le désir et la femme et les dés et le sort + Et le droit du plus dur et le droit du plus fort; + + Les armes de Jésus c'est la mort et la vie, + C'est le glaive de Dieu qui hésite et dévie, + C'est la fidèle route obscurément suivie; + + Les armes de Satan c'est la vie et la mort, + C'est l'écueil immobile en plein milieu du port, + C'est la peine immuable en plein milieu du sort; + + Les armes de Jésus c'est la vie et la mort, + C'est un heureux naufrage en plein milieu du port, + C'est le plus beau présage en plein milieu du sort; + + Les armes de Satan c'est la vie et la mort, + C'est le péril de mer, c'est l'homme dans son tort, + Le voleur aux aguets, le tyran dans son fort; + + Les armes de Jésus c'est la vie et la mort, + C'est Dieu dans sa justice et Satan dans son tort, + La beauté du plus pur, le juste dans son fort; + + Les armes de Jésus c'est la vie et la mort, + C'est l'enfant et la femme et le secret du sort, + Le navire acouflé dans le recreux du port; + + Les armes de Satan c'est l'homme qui dévie, + C'est les deux poings liés et c'est l'âme asservie, + C'est la vengeance inlassablement poursuivie; + + Les armes de Jésus ce sont les deux mains jointes, + Et l'épine et la rose et les clous et les pointes, + Et sur le lit de mort les pauvres âmes ointes; + + C'est le choeur alterné des martyrs et des saintes, + C'est le choeur conjugué des sanglots et des plaintes, + Le temple, les degrés, les pilastres, les plinthes; + + Les armes de Satan c'est le vert térébinthe, + Cet arbre résineux et c'est la coloquinte, + Cette citrouille amère et c'est la morne absinthe; + + Les armes de Satan c'est les deux poings liés, + Les armes de Jésus les coeurs humiliés, + Les pauvres à genoux, les suppliants pliés; + + Les armes de Jésus c'est la belle jacinthe + Posée en un tapis dans une belle enceinte, + Plus douce que la laine et plus souple et mieux teinte; + + Les armes de Jésus c'est la cloche qui tinte + Pour les sept sacrements, c'est l'ordre et la contrainte, + Et le dessin fidèle de l'image bien peinte; + + Les armes de Satan c'est la cloche qui tinte + Pour le feu de l'enfer, c'est la ville contrainte + A passer par le sort, c'est toute âme repeinte + + Avec un faux pinceau, c'est toute règle enfreinte + Au nom de quelque règle et toute foi restreinte + Au nom de quelque maître et toute ville ceinte + + D'un rempart frauduleux et toute fleur déteinte + A force de pleuvoir et toute flamme éteinte + A force de brûler, toute infortune atteinte + + Au seuil de toute mort et la morne complainte + Au long de toute vie et l'éphémère empreinte + De nos pas sur le sable et la mortelle étreinte + + Des deux amants impurs: le corps, l'âme contrainte; + Les armes de Satan c'est la ruse et la feinte, + L'épouvante, l'envie et la graisse qui suinte, + + Et le double concert des asthmes et des quintes, + Et les coeurs compliqués et les soins et les craintes + Et les coeurs contournés comme des labyrinthes; + + Les armes de Jésus c'est l'éternelle empreinte + De ses pas sur le sable et l'immortelle étreinte + Des deux époux très purs: le corps et l'âme astreinte; + + Les armes de Jésus c'est la faim assouvie, + C'est le corps glorieux, ce n'est pas la survie, + C'est l'éternelle table abondamment servie; + + Satan c'est la vengeance elle-même assouvie, + Les armes de Satan c'est une horlogerie, + Un chef-d'oeuvre d'adresse et de serrurerie; + + Mais la clef c'est Jésus et Jésus est la porte, + Et la porte du ciel ne se prend qu'à main forte, + Et tous les serruriers resteront à la porte; + + Les armes de Jésus c'est cette grande escorte + Que Rome lui prêta, c'est la rude cohorte + Qui lui faisait honneur et c'est la croix qu'il porte; + + Les armes de Satan sont de la même sorte, + Car c'est la même Rome et c'est la même escorte + Et la même cohorte et la même mer Morte; + + Les armes de Jésus c'est qu'il nous réconforte + En notre déconfort et c'est qu'il nous reporte + Au premier paradis et c'est qu'il nous apporte + + Le pardon de son père et c'est qu'il nous emporte + Au dernier paradis et c'est qu'il nous déporte + De l'exil du péché vers ce qui seul importe + + Et c'est notre salut et c'est qu'il nous transporte + Au royaume de grâce et c'est qu'il nous supporte, + Nous et notre péché cette immense mainmorte + + Qu'il porte sur l'épaule et c'est qu'il nous exhorte + Par son silence même et qu'il frappe à la porte + Et que l'homme est au vent comme la feuille morte; + + Les armes de Satan c'est la même mainmorte, + Le même désarroi, c'est qu'il nous déconforte + En notre réconfort et c'est qu'il nous reporte + + Au péché d'origine et c'est qu'il nous rapporte + Le mépris du pardon et c'est qu'il nous remporte + A la science du mal et qu'il nous redéporte + + Vers la terre du bagne et qu'il nous retransporte + Au ténébreux royaume où lui-même supporte + Le poids de tout un monde et c'est qu'il nous exhorte + + Par les beaux compliments et qu'il gratte à la porte, + Et que l'homme est léger comme la feuille morte + Et comme elle pourrit sous les pieds du cloporte; + + Les armes de Jésus c'est la vie et la mort, + C'est un solide ancrage au beau milieu du port, + Et c'est le grand partage au beau milieu du sort; + + Les armes de Jésus c'est la vie et la mort, + C'est un heureux mouillage en plein milieu du port, + C'est le grand héritage en plein milieu du sort; + + Les armes de Jésus c'est la vie et la mort, + C'est le bon voisinage en plein milieu du port + Et le pèlerinage en plein milieu du sort; + + Les armes de Jésus c'est la vie et la mort, + C'est le compagnonnage en plein milieu du port, + Et c'est l'appareillage en plein milieu du sort: + + Les armes de Satan ce sont les sept péchés, + Et la minauderie avec les airs penchés, + Et les honteux ressorts savamment déclanchés; + + Les armes de Jésus ce sont les trois Vertus, + Et les torses courbés et les reins courbatus, + Et les galériens battus et rebattus; + + Les armes de Satan c'est la méthode torte, + Le sang de l'oreillette et le sang de l'aorte, + Le sang du ventricule et de la veine porte; + + Les armes de Jésus c'est tout le sang du coeur, + Le sang de la victime et le sang du vainqueur, + Le sang du noble cerf et le sang du piqueur; + + Les armes de Satan ce sont les sept péchés + Embarqués quatre à quatre et mollement couchés + Dans la folle galère aux dais empanachés; + + Les armes de Jésus c'est la barque de Pierre, + Qui toujours fluctuante et toujours batelière, + Racle de ses filets le fond de la rivière; + + Les armes de Jésus c'est la barque de Pierre, + C'est le vieux pêcheur d'homme assis sur son derrière, + Dépeuplant l'Océan, le lac et la rivière; + + Les armes de Jésus c'est les sept sacrements + Dans la barque de Pierre et les sept bâtiments + Qui suivent par derrière et les sept monuments + + Qui ne périront point, les sept couronnements, + Qui sont les sept douleurs, les sept fleuronnements + De l'arbre de la grâce et les sept firmaments; + + Les armes de Jésus c'est cette unique nef, + Gouvernant au plus près sous cet unique chef, + Toujours en plein péril et toujours sans méchef; + + Les armes de Jésus c'est cet unique fief, + Tenu par un seul homme armé de quelque bref, + Toujours en plein péril et toujours sans grief; + + Les armes de Jésus c'est l'éternelle peine + Assise au creux du lit de toute race humaine + Et la mort est aux mains de toute châtelaine; + + Les armes de Jésus c'est la grande semaine + Qui part du lundi saint, c'est la grande neuvaine + Qui part du trois janvier et c'est la barque pleine + + Les armes de Jésus c'est cette unique nef, + Le bateau vers l'écluse amarré dans le bief, + Le bateau charpenté par le vieux saint Joseph; + + Mais c'est aussi Jacob et le premier Joseph, + Moïse sur le Nil dans une étroite nef, + Et le peuple de Dieu gouverné derechef; + + Les armes de Jésus c'est le sang de sa veine + Et le sang de son coeur, les sanglots de sa peine + Et l'immense sanglot de toute race humaine; + + Les armes de Satan c'est la sourde gangrène + Et l'obscur mal de tête et la lourde migraine + Et l'orgueil et l'ivraie et la mauvaise graine; + + Les armes de Jésus c'est la double prière, + L'une marchant devant, l'autre marchant derrière, + Comme lui matinale et vers lui journalière; + + Les armes de Jésus c'est la double prière, + L'une arrivant devant, l'autre avançant derrière, + Comme lui vespérale et vers lui journalière; + + C'est aussi le secret, la prière nocturne, + L'immuable regret dans un coeur taciturne, + Et la mort de l'amour et la cendre dans l'urne; + + Les armes de Jésus c'est l'angélus du soir + Et celui du matin, le calme reposoir + Dans la procession, l'éclatant ostensoir + + Balancé sur les fronts comme un soleil ardent; + Les armes de Satan c'est la griffe et la dent, + Le nez mal retroussé, le regard impudent + + Les armes de Jésus c'est le calme du soir, + C'est la procession assise au reposoir. + De feuilles et de fleurs, c'est le lourd ostensoir + + Levé dessus les fronts comme un soleil levant, + Les armes de Jésus c'est la pluie et le vent + Qui souffle sur la nef et c'est le coeur fervent; + + C'est le fruit qui mûrit aux planches du dressoir, + C'est l'enfant qui se couche et qui vous dit bonsoir, + Et s'endort en priant, c'est le lourd ostensoir + + Haussé dessus les fronts comme un soleil couchant, + C'est le souple vallon, c'est le coteau penchant, + L'église dans la plaine et la prose et le chant; + + C'est la grappe giclant sous l'énorme pressoir, + C'est l'étang répandu dessus le déversoir, + C'est l'encens balancé dans le lourd encensoir; + + Les armes de Satan c'est l'écu trébuchant, + Le propos alléchant, le souffle desséchant, + La plaine sans église et l'ortie et le champ; + + Les armes de Jésus c'est l'écuyer tranchant, + Le bon et le méchant, le beau vaisseau marchand, + L'église sur la plaine et l'homme sur le champ; + + Les armes de Jésus, c'est la belle marraine + Et c'est le beau baptême et c'est la belle étrenne + Et l'avoine et le seigle et c'est la bonne graine + + Et c'est le seneçon et c'est les sept péchés + Par la contrition et les noeuds relâchés + Du filet de Satan et les cordons tranchés; + + Les armes de Satan c'est les sept débauchés, + Et c'est le prince-évêque et les sept évêchés, + Et les tentations courant sur les marchés; + + Les armes de Jésus c'est sept cents évêchés, + Et c'est le pape-évêque et cent archevêchés, + Et l'esclave et l'enfant vendus sur les marchés; + + Les armes de Jésus c'est sa tête penchée; + Son coude, son genou, son épaule écorchée, + Son estomac, ses reins, sa hanche démanchée; + + Sa barbe, ses cheveux, ses habits arrachés, + Sa poitrine, ses bras, ses poignets attachés, + Les plus savants ressorts à l'instant décrochés; + + C'est dans le vieux Paris la foule endimanchée + Le dimanche matin, c'est la soif étanchée + Au calice d'or pur, la pauvresse penchée + + Sur une plus pauvresse et c'est l'amour cachée + Dans l'âme la plus pauvre et la douleur couchée + Dans le lit de tout homme et toute orge fauchée; + + Les armes de Jésus c'est toute onde épanchée + Dans un gosier de fièvre et toute âme ébauchée + Au coin de toute lèvre et toute fleur jonchée + + Au pied des pieds saignants et toute arme ébréchée + A force de servir et la tige ébranchée + A force de produire et la paille hachée; + + Les armes de Jésus c'est l'amour et la peine, + Et l'amour est aux mains des suppôts de la haine, + Et la mort est aux mains de toute châtelaine; + + Les armes de Jésus c'est la vie et la mort, + C'est le fleuve fécond, c'est l'éternel apport + De vase et de limon en plein milieu du port; + + Les armes de Jésus c'est ce gamin qui dort, + C'est la honte et la peine et son frère le sort, + Et l'amour est aux mains des suppôts de la mort; + + Les armes de Satan c'est la sensiblerie, + C'est censément le droit, l'humanitairerie, + Et c'est la fourberie et c'est la ladrerie; + + Les armes de Satan c'est la bête lâchée, + Le déshonneur gratuit, la honte remâchée, + Le troupeau mal conduit, la terre mal bêchée; + + Les armes de Satan c'est le membre arraché, + Le bourgeon retranché, le rameau détaché, + Le boeuf aiguillonné, le cheval cravaché; + + Les armes de Jésus c'est la haute terrasse + D'où retombe en jet d'eau la source de la grâce, + Et la vasque au flanc grave et le sang de la race; + + Les armes de Satan c'est la basse menace + Aux coins de toute lèvre et la gluante trace + Que laisse sur la fleur la visqueuse limace; + + Les armes de Satan c'est un esprit pointu, + C'est le corps en lambeaux, c'est le coeur combattu, + Le bourreau mal payé, le procès débattu; + + Les armes de Jésus c'est le coeur combattu, + C'est le corps tout entier et la même vertu + Et la grappe écrasée et le froment battu; + + Les armes de Jésus c'est le grain sous la meule, + Le raisin sous la presse et l'oiseau dans la gueule, + Et le fils dans le père et l'enfant dans l'aïeule; + + Mais Satan le regarde et ce vil vermisseau + A juré d'étouffer sous l'ombre et le boisseau + La lumière et la lampe et la plaine Monceau; + + Les armes de Satan c'est une gagerie, + C'est sa forfanterie et son effronterie. + Et c'est le philologue et sa quincaillerie; + + Les armes de Satan c'est notre servitude, + C'est notre hébétement, notre longue habitude + Et la nuit et la veille et la lampe et l'étude; + + Les armes de Jésus c'est la béatitude + Et c'est la parabole et la mansuétude + Et c'est quand il pleura sur cette multitude; + + Les armes de Satan c'est notre quiétude + Et c'est le théorème et c'est la certitude, + Le pouvoir, le savoir et la décrépitude; + + Les armes de Jésus c'est le tranchant du sort, + C'est ce point sur le glaive où la vie et la mort + Déjouent le corps et l'âme en plein milieu du port; + + Les armes de Jésus c'est notre inquiétude, + L'axiome, la règle et notre incertitude, + Le devoir, le pouvoir et la vicissitude; + + Les armes de Jésus c'est notre servitude, + C'est toute solitude et toute plénitude, + Et notre turpitude et notre lassitude; + + Les armes de Satan c'est la criaillerie, + Le vote, le mandat et la suffragerie, + Et l'avocasserie et la haranguerie; + + Les armes de Jésus c'est sa sollicitude, + Et notre ingratitude et son exactitude, + Et la similitude et toute rectitude; + + Les armes de Satan c'est pure vanterie, + C'est du vieux bric à brac, de l'antiquaillerie, + Du fabriqué, du faux, de la ferronnerie; + + Les armes de Satan c'est le fruit défendu, + C'est le meurtre d'Abel, c'est le sang répandu, + C'est Judas dépendu, c'est Judas rependu; + + Les armes de Satan c'est le filet tendu, + C'est le propos douteux et le sous-entendu, + Et toute controverse et tout malentendu; + + Les armes de Satan c'est Jésus-Christ vendu, + C'est les trente deniers, c'est Joseph descendu + Au fond de la citerne et captif revendu; + + Les armes de Satan c'est la race perdue, + C'est le lacet tressé, c'est la corde tordue, + Toute chair assaillie de toute chair mordue; + + Les armes de Satan c'est tout le résidu + Et la lie et l'écume et c'est l'individu + Et c'est le commentaire et le compte rendu; + + Les armes de Satan c'est toute dette due + Irrémissiblement, la honte suspendue, + Et par son gouverneur toute ville rendue; + + Les armes de Jésus c'est Satan confondu, + Tout fossé remparé, tout rempart défendu, + Tout terrain regagné sur le terrain perdu; + + Et la dette remise et la dette rendue + Par le frère à son frère et la brebis perdue + Et toute âme assaillie et toute âme mordue; + + Les armes de Jésus c'est la nuit répandue + Pour le repos de l'homme et la ferme vendue + Pour payer les impôts et la brebis tondue; + + Les armes de Jésus c'est la neige fondue + Au soleil du printemps, la hache suspendue + Au jour du jugement et c'est l'âme éperdue + + De son indignité, c'est la grande étendue + Et l'arbre de Noël et la bûche fendue + Et c'est depuis Adam la nouvelle attendue; + + Les armes de Jésus c'est la bonne aventure, + Et c'est le Créateur créant la créature, + Et le sceau du Seigneur mettant la signature; + + Les armes de Satan c'est la caricature + Et la contrefaçon de toute signature + Et l'homme jugeant l'homme et la magistrature + + Assise au tribunal, c'est la lettre surie, + La littéralité morne et déjà pourrie, + Les armes de Satan c'est la chancellerie; + + Les armes de Satan c'est la plaisanterie, + Cette sauce tournée et c'est l'hôtellerie + Pour les mauvais passants et c'est l'ivrognerie + + Les coudes sur la table et la clabauderie + Et la ribauderie et la maussaderie + Et la badauderie et la nigauderie; + + Les armes de Jésus c'est la charpenterie, + L'établi, la varlope et la menuiserie, + La scie et le rabot et l'ébénisterie, + + Le denier de la veuve et le bon ouvrier; + Les armes de Satan c'est le vil usurier, + L'armurier, le guerrier, le manufacturier; + + Les armes de Satan c'est la truanderie, + Le mauvais compagnon, la camaraderie, + Le mauvais camarade et la cafarderie + + Et le mauvais garçon; c'est le regard oblique + Jeté sur le voisin, le peuple famélique + Sous la bombance énorme et pantagruélique; + + Les armes de Jésus c'est la foi catholique + Enchâssée à prix d'or, la ronde basilique, + Et c'est la paix publique et la sainte relique; + + Les armes de Satan c'est tout ce qui complique + La très simple existence et c'est quand il implique + L'innocent dans le crime et dans le diabolique; + + Les armes de Jésus c'est le cèdre biblique, + La salutation, la ferveur angélique, + L'annonciation de l'ère évangélique; + + Les armes de Satan c'est sa ruse et sa clique + Et sa claque sournoise et méphistophélique, + Et sa noise en sourdine et machiavélique; + + Les armes de Jésus c'est le léger caïque + De Pierre sur le lac, c'est l'archange archaïque + Fermant le paradis, c'est la foi judaïque. + + Et la première loi, c'est la race hébraïque + Et le tronc d'Israël, et c'est la mosaïque + De la vertu des clercs, de la vertu laïque; + + Les armes de Jésus c'est la loi mosaïque, + Les dix commandements au peuple liturgique, + Et qu'il n'a point rayés de Rome apostolique; + + Les armes de Jésus c'est la mort héroïque + Du martyr dans l'arène et la douceur stoïque + Du saint et c'est aussi la vertu prosaïque; + + Les armes de Satan c'est la courbe saïque, + Souple vaisseau de charge et c'est l'art chaldaïque + Et la vertu du riche et du pharisaïque; + + Et c'est l'aigre réplique et le somnambulique, + Et le cyrénaïque et l'aristotélique, + Et le pire de tout c'est bien quand il explique; + + Les armes de Jésus c'est l'ardente supplique + Du pauvre au gouverneur, c'est le parabolique, + Et c'est les huit bonheurs sous Rome apostolique, + + Et c'est le roi de France et c'est la république + Et c'est le bref du pape et la lourde encyclique + Parmi les deuils privés et la vertu publique; + + Les armes de Satan c'est le vil publicain, + Le percepteur de Rome et le fieffé coquin + Qui berne l'honnête homme et qui fait le faquin; + + L'avare péager, le servile sequin, + L'infidèle berger, le manteau d'Arlequin + De vice et de vertu, le grossier mannequin + + Qui fait peur aux moineaux, le rude casaquin + Sur l'armure de guerre et le lourd troussequin + Sur le cheval de guerre et l'ennuyeux pasquin; + + Les armes de Jésus c'est le Samaritain, + Le blessé recueilli, le pauvre franciscain, + Les armes de Jésus c'est le républicain; + + Les armes de Satan c'est le faux symbolique, + La pierre en comprimé, le marbre en majolique, + (La pierre de Jésus, c'est le pur pentélique); + + Les armes de Satan c'est toute hyperbolique, + Le masque de Satan c'est toute bucolique + Modulant sous le hêtre une pure idyllique; + + Les armes de tous deux c'est le mélancolique, + Soit qu'il soit descendu du vieux cèdre biblique, + Soit qu'il soit remonté de jeune république; + + Les armes de Satan c'est toute idolâtrie, + Tout réassortiment, toute replâtrerie, + Tout fatras, tout raccord, toute folâtrerie; + + Les armes de Jésus c'est culte de doulie + Ou d'asservissement, c'est culte de latrie + Ou d'adoration, c'est culte de patrie + + Ou de terre natale; et démonolâtrie + Retourne vers Satan avec zoolâtrie, + Avec psychiâtrie, avec chimiâtrie, + + Avec l'ergot du seigle et les autres caries, + Et les phylloxéras et les vignes flétries, + Et les puits desséchés et les races taries; + + Les armes de Jésus c'est la pauvre monture, + L'ânon de cette ânesse et c'est la courbature + De ses reins bâtonnés et c'est la sépulture + + Dans un caveau prêté, c'est l'agneau sans pâture, + C'est la barque de Pierre errante et sans mâture, + Et le préteur de Rome et c'est la préfecture + + Et le préfet de Rome et cette humble toiture, + Ce chaume au ras du sol et l'unique voiture + Avec un seul cheval et la vieille clôture + + En mauvais fil de fer et la progéniture + Attendant sous la lampe une humble nourriture, + Espérant vaguement un pot de confiture; + + Les armes de Satan c'est cette dictature + De ces sept qui sont sept sur la même monture, + Sur un cheval pourri tenus par la ceinture; + + Les armes de Jésus c'est la sainte Écriture + Depuis le premier livre et c'est toute droiture + Depuis le premier pas et c'est toute armature + + Tenant son homme roide et c'est toute ossature + Tenant son homme ferme et toute architecture + Tenant la maison pleine et basse de stature; + + Les armes de Satan c'est le mauvais docteur, + (Mais en est-il de bons?), c'est le mauvais acteur + Qui joue à contre sens et le mauvais lecteur + + Qui lit à contre texte et c'est le détracteur + Qui détracte et détraque et le simple électeur + Qui rétracte et qui vote et le morne inspecteur + + Qui regarde et surveille et le dur directeur + Qui regarde et gouverne et le lourd protecteur + Qui regarde et qui pèse et qui fait le recteur; + + Les armes de Satan c'est le contradicteur + Qui dit d'abord: Mais non, c'est l'antique licteur + Et l'antique faisceau, c'est Satan destructeur; + + Les armes de Satan c'est Satan constructeur + Du satané parvis, c'est Satan conducteur + De l'homme vers sa perte et Satan rédacteur + + De la fausse nouvelle et c'est tout abstracteur + De la cinquième essence et tout contrefacteur + Qui sera poursuivi, c'est Satan collecteur + + D'impôts pour son État, c'est Satan correcteur + Dans son mauvais journal, et traître traducteur + Dans son mauvais patois, et fourbe producteur + + De produits frelatés, brillant introducteur + Au royaume d'enfer, décevant instructeur + De mauvaise recrue et sinistre amateur + + D'art pour ses collections et savant armateur + De naufrage et superbe et docile imposteur, + Les armes de Satan c'est Satan séducteur; + + Les armes de Satan c'est la sévère cotte + De maille et c'est aussi le regard qui clignotte + Sous la lourde visière et sous la bourguignotte; + + Les armes de Jésus c'est la race future, + C'est le riche missel, c'est la miniature, + Et le ciel et l'enfer et la terre en peinture; + + Les armes de Satan c'est la mésaventure, + Le traître couronné, la mauvaise lecture, + Les armes de Satan c'est la littérature; + + Les armes de Jésus c'est noblesse et roture + Égales vers sa face et la belle sculpture + Au portail de l'église et la fine moulure; + + Les armes de Jésus c'est la riche tenture + Devant le tabernacle et la rouge teinture + De la robe du prêtre et des croix de torture; + + Les armes de Satan c'est toute conjecture + Maraudant sur le texte et c'est toute imposture, + Toute note au crayon, toute maculature; + + Et c'est toute leçon qui n'est pas la lecture, + Et c'est toute façon qui n'est pas la facture, + Et c'est toute moisson qui n'est pas drue et dure; + + Et c'est toute prison qui n'est pas la capture, + Et toute liaison qui n'est pas la rupture, + Toute cendre, tout feu qui n'est pas feu qui dure; + + Les armes de Satan c'est la désinvolture, + C'est la fausse élégance et toute conjoncture + Où l'homme droit est mis en oblique posture; + + Les armes de Satan c'est la fausse culture + Qui sème le chiendent et c'est la couverture + Volée au vieux cheval et c'est toute ouverture + + Que l'on n'a pas ouvert et toute fermeture + Que l'on n'a pas fermée et toute quadrature + Que l'on n'a pas quarrée et c'est toute arcature + + Que l'on n'a pas arquée et c'est toute rature + Au milieu de la page et toute ligature + Qui n'est pas pour la greffe et toute horticulture + + Qui n'est pas pour la fleur, toute arboriculture + Qui n'est pas pour le fruit, toute viticulture + Qui n'est pas pour le vin, c'est toute agriculture + + Qui n'est pas pour le blé, c'est toute apiculture + Qui n'est pas pour le miel, toute sylviculture + Qui n'est pas pour le bois et c'est toute bouture + + Qui n'a pas pris racine et c'est toute mouture + Qui n'est pas du moulin et toute portraiture + Qui n'est pas le modèle et toute investiture + + Qui ne vient pas de Dieu, c'est le point de suture + Quand il est mal cousu, c'est la judicature + De l'homme sur un homme et la candidature + + Assise en robe blanche au seuil de la préture; + Les armes de Satan c'est la nomenclature + Et le dénombrement, c'est toute fourniture + + Qui n'est pas à bon poids, c'est la belle denture + Des bêtes dans l'arène et c'est la devanture + Qui masque la maison et c'est toute jointure + + Qui s'articule mal et c'est toute fracture + Qui ne se réduit pas, c'est toute contracture + Qui ne se résoud pas et c'est toute structure + + Qui n'est pas organique et c'est toute questure + Où l'on est candidat et c'est toute texture + Qui n'est pas de bon fil et c'est toute mixture + + Qui n'est pas du bon vin et c'est toute mouture + Qui n'est pas du bon pain et c'est toute pâture + Qui n'est pas du bon grain et c'est toute clôture + + Qui n'est pas de bon bois et c'est toute questure + Qui requiert à faux poids, frappe à fausse mesure, + Paie à fausse monnaie et prête avec usure; + + Les armes de Jésus c'est la législature + Des dix commandements et c'est la tablature + Des tables de la loi, c'est la nonciature + + Quand le nonce est du pape et la judicature + Quand le juge craint Dieu, c'est la magistrature + Quand elle est magistrale et la cléricature + + Quand le clerc est prudhomme et c'est la prélature + Quand l'évêque est Aignan ou saint Bonaventure + Ou saint Côme ou saint Loup, la sacrificature + + Quand c'est lui la victime et c'est toute vêture + Qui vêt l'âme et le corps et c'est toute tonture + Qui n'écorchera pas la faible créature; + + Les armes de Jésus c'est la belle paroisse + Assise au coeur de France et c'est la noble angoisse + Du curé soucieux que son troupeau recroisse; + + Les armes de Jésus c'est la belle provende + Éparse au râtelier, c'est le thym, la lavande, + Et la rose et l'oeillet et la souple guirlande; + + Les armée de Jésus c'est le bon voisinage + Entre les pauvres gens, c'est le pauvre village + Et l'église au milieu, c'est le compagnonnage + + Entre bons compagnons, c'est le pèlerinage + Entre bons pèlerins, c'est le pauvre ménage + Entre l'homme et la femme et le long mariage; + + Les armes de Jésus c'est les enfants bien sages + Assis au coin du feu, c'est les belles images + Qu'on voit sur les vitraux et c'est les trois rois mages; + + Les armes de Satan c'est les magiciens + Et la magicerie et les faux entretiens + Et les libres discours au conseil des anciens; + + Les armes de Jésus c'est la pauvre famille, + Les frères et la soeur, les garçons et la fille, + Le fuseau lourd de laine et la savante aiguille; + + Les armes de Jésus c'est tous les coeurs païens: + Pourvu qu'on les baptise et les rende chrétiens, + Il en fait les plus purs de tous ses paroissiens; + + Les armes de Jésus c'est tous les plébéiens: + A moins qu'on les courtise et les rende vauriens, + Il en fait les plus durs de ses fermes soutiens; + + Les armes de Jésus c'est les bons citoyens: + Quand la grâce les prend par ses secrets moyens, + Il en fait les plus sûrs de ses curés doyens; + + Les armes de Jésus c'est la docilité, + C'est la foi, l'espérance et c'est la charité, + C'est la femme et l'enfant et la fidélité; + + Les armes de Jésus c'est la fragilité, + C'est la vertu civique et c'est la liberté, + C'est la femme et l'enfant et c'est la pauvreté; + + Les armes de Jésus c'est la simplicité, + C'est la paix éternelle et c'est dans la cité + Tout un fleuve de grâce et d'efficacité; + + Les armes de Jésus c'est la nécessité + Du travail et du pain et c'est dans la cité + Tout un fleuve de grâce et de félicité; + + Les armes de Jésus c'est la sagacité, + Le pardon de l'offense et c'est dans la cité + Tout un fleuve de grâce et de vivacité; + + Les armes de Jésus c'est la mendicité + Du dernier misérable et c'est dans la cité + Tout un fleuve de grâce et de ténacité; + + Les armes de Satan c'est le chemin tortu, + Le sentier dérobé, le cheval abattu + Les quatre fers en l'air, et le mulet têtu; + + Les armes de Satan c'est la fausse tendresse + Couchée au lit de l'homme et la molle paresse + Qui dort le long du jour et se désintéresse + + Du pauvre et de l'enfant et c'est la charmeresse + Avec ses mots savants et la devineresse + Et sa vieille grimace et c'est l'enchanteresse + + Avec ses vieux onguents et c'est la sécheresse + Du coeur et c'est la vraie et c'est la fausse adresse + De l'homme très malin; c'est l'homme qui transgresse + + Les vieilles lois de l'homme et c'est l'homme qui tresse + Le chanvre du gibet et l'homme qui progresse. + Les armes de Satan c'est l'homme qui s'engraisse + + Du sang du malheureux, le serpent qui redresse + La tête et c'est aussi le vigneron qui presse + La grappe et fait jaillir le vin doux et l'ivresse; + + Les armes de Jésus c'est toute forteresse + Qui tient et c'est la noble et la pure caresse + De la mère à l'enfant et c'est la maladresse + + De l'homme pas malin et la sourde tendresse + De la mère à la fille afin que reparaisse + En cette enfant naissante une même tendresse + + Et dans le temps futur une même caresse + Et ce même regard et cette même tresse + Blonde qui fleurira, cette même détresse + + Qui sera consolée, et cette âme pauvresse + Et dans le dernier temps une même allégresse; + Les armes de Jésus c'est l'homme qui s'adresse + + Directement à Dieu, c'est l'homme qui s'adresse + A quelque saint patron, c'est l'homme qui se dresse + Contre l'iniquité, c'est l'homme qui s'empresse + + A panser le blessé, c'est la fraîche compresse + Sur la cuisante plaie et l'homme qui s'engraisse + De sanglots et de pleurs, de peine et de détresse, + + Et d'un regret plus beau que la même tendresse, + Et l'arme aux mains de l'ange ardente et vengeresse + Au seuil du paradis afin que comparaisse + + L'âme toujours chassée et toujours chasseresse, + L'âme toujours esclave et ensemble maîtresse, + L'âme toujours enfant et toujours pécheresse; + + Les armes de Jésus c'est la lettre et l'esprit, + Mais c'est l'esprit qui mène et l'esprit qui nourrit, + Et la lettre n'est là que comme un mot d'écrit; + + Les armes de Jésus c'est la lettre et l'esprit, + C'est le père qui gronde et l'enfant qui sourit, + C'est le Père et le Fils et c'est le Saint-Esprit; + + La lettre est ce qui tue et l'esprit vivifie, + Et la lettre est la mort et l'esprit est la vie, + Et la lettre est l'orgueil et la lettre est l'envie; + + C'est l'esprit qui commande et la lettre qui sert, + C'est l'esprit qui demande et la lettre qui perd + Et c'est l'esprit qui sauve et prêche en plein désert; + + C'est l'esprit qui gouverne et l'esprit qui conduit + L'homme vers un seul point et la lettre qui suit + Vers la lampe de l'ogre et c'est l'esprit qui cuit + + Le pain quand il est chaud, c'est l'esprit qui déduit + Jésus du vieil Adam et derechef induit + Israël en Jésus que la lettre réduit; + + C'est l'esprit qui combat et la lettre qui fuit, + C'est l'esprit qui travaille et l'esprit qui produit + La paille, le bon grain, la feuille, le bon fruit; + + Et la lettre n'a jamais fait qu'un peu de bruit, + C'est elle qui séduit et c'est elle qui nuit, + Et la lettre et l'esprit c'est le jour et la nuit; + + Mais l'esprit et la lettre est la nuit et le jour, + Les armes de Jésus c'est l'honneur et l'amour + Et le roi dans son camp et le roi dans sa cour; + + Les armes de Jésus c'est le feu dans le four, + La pâte et le levain et c'est le pain du jour, + Et c'est le roi David retiré dans sa tour; + + Les armes de Jésus c'est tout homme proscrit + Qui sera rappelé, c'est le jeune conscrit + Qui sera convoqué, c'est le jeune homme inscrit + + Sur le livre éternel et c'est le coeur contrit + Qui sera fomenté, c'est le billet souscrit + Qui sera présenté, c'est le bonheur décrit + + Un jour sur la montagne et l'honnête rescrit + De par le roi du ciel et le pardon prescrit + Par la nouvelle loi, c'est Dieu même transcrit + + De Moïse en Jésus, c'est Satan circonscrit, + C'est tout ce qu'il fallait pour que Jésus souffrît, + Les armes de Jésus c'est surtout Jésus-Christ; + + C'est tout ce qu'il fallait pour que Jésus ouvrît + La porte du tombeau, pour que Jésus offrît + Le premier sacrifice et qu'il rendît l'esprit; + + C'est tout ce qu'il fallait pour que Jésus couvrît + Le pécheur devant Dieu, pour qu'il redécouvrît + Le chemin du salut et pour qu'il entreprît + + De remonter la pente et pour qu'il se reprît + Et qu'il reprît le monde et pour que l'homme apprît + Le chemin difficile et pour qu'il désapprît + + La route sans cailloux et pour qu'un jour en Gaule, + D'autres soldats romains, le manteau sur l'épaule, + Le torse bien moulé dans leurs lames de tôle, + + Chevauchant par la route épaisse comme un môle, + La lance entre les doigts comme on tient une gaule, + Un jour en plein hiver sous la neige du pôle, + + Le long des blancs bouleaux, le long du même saule, + Voyant un vagabond, quelque échappé de geôle, + Un autre centurion, de ceux que Rome enrôle, + + Du manteau militaire enfin se découvrît; + C'est tout ce qu'il fallait pour que l'homme s'éprît + Du seul amour qui dure et pour qu'il se déprît + + Du seul amour qui passe et pour qu'il se méprît + Comme il faut se méprendre et qu'alors il comprît + Tout ce qu'il faut comprendre et qu'alors il en prît + + Tout ce qu'il faut en prendre et qu'alors il surprît + Le secret mal gardé, le secret manuscrit + Qui n'est pas dans la lettre et se cache en esprit; + + Les armes de Jésus c'est le chemin fleuri, + Mais plus que le printemps galamment refleuri, + C'est le sévère automne à l'instant défleuri; + + Et la fleur de Marie est la rose fleurie, + Mais plus que l'humble rose au printemps refleurie, + C'est la rose d'automne humblement défleurie; + + Les armes de Jésus c'est le vallon fleuri, + Mais plus que le printemps incessamment fleuri, + Et plus que le printemps insolemment fleuri, + + Et plus que le printemps impudemment fleuri. + Et plus que le printemps effrontément fleuri, + C'est le pudique automne à jamais défleuri; + + Les armes de Jésus c'est un peuple chéri + Comme un fils qui revient, c'est un mourant guéri + Par son extrême onction, c'est un peuple aguerri + + Par une juste guerre et le marin péri + Au péril de la mer, le navire atterri + Dans le recreux du port, tout un peuple nourri + + De quelques poissons secs, tout un monde nourri + D'une seule victime et le raisin mûri + Pour le vin du calice et l'autre vin suri + + Pour l'éponge et la lance et le vinaigre aigri; + Les armes de Jésus c'est le levain pétri + Au milieu de la pâte et lui-même suri; + + Les armes de Satan c'est le fleuve tari, + C'est chez l'équarrisseur le cheval équarri, + C'est l'enfant affamé, c'est le pain renchéri; + + Les armes de Satan c'est le coeur mal guéri + De la vieille blessure et c'est le coeur tari + A force de saigner et le coeur mal nourri + + A force de jeûner, c'est tout ce qui tarit, + C'est tout ce qui périt, tout ce qui dépérit, + Et tout ce qui surit et tout ce qui pourrit; + + Les armes de Satan c'est la sève appauvrie, + C'est le sang répandu, la branche rabougrie, + Le rameau desséché, la prude renchérie; + + Les armes de Satan c'est tout ce qui flétrit, + Rapetisse, avilit, injurie, amoindrit, + C'est tout ce qui méprise et tout ce qui meurtrit; + + Les armes de Jésus c'est tout ce qui nourrit, + C'est tout ce qui boutonne et tout ce qui périt + Aux jardins de Touraine et tout ce qui mûrit; + + Les armes de Jésus c'est un coeur tout fleuri, + Plus que le jeune coeur au printemps refleuri, + C'est le coeur à l'automne à jamais défleuri; + + Les armes de Satan c'est la paix et la guerre, + Les peuples éventrés, les sacrements par terre, + La honte, la terreur, la rage militaire; + + Les armes de Jésus c'est la guerre et la paix, + Les peuples respectés et les derniers harnais + De guerre suspendus aux frontons des palais; + + Les armes de Satan c'est l'horreur de la guerre, + Les peuples affolés, Jésus sur le Calvaire, + Le sang, le cri de mort, le meurtre volontaire; + + Les armes de Jésus c'est l'honneur de la guerre, + Les peuples rétablis, Jésus sur le Calvaire, + Le sang, le sacrifice et la mort volontaire; + + Pour qu'elle vît venir sous un tel étendard + De Jésus-Christ soldat contre Satan soudard, + Vers le vieux saint Étienne et le vieux saint Médard; + + Pour qu'elle vît venir par un chemin de terre, + Comme une jeune enfant qui vient vers sa grand'mère, + Par les bois de Puteaux, par les champs de Nanterre; + + Pour qu'elle vît venir ardente et militaire, + Obéissante et ferme et douce et volontaire, + Sur Boulogne et Neuilly, sur Puteaux et Nanterre; + + Hauturière et docile, alerte et droiturière, + Et prompte à la manoeuvre et peu procédurière, + Destinée à périr comme une aventurière; + + Bien en selle en avant de sa cavalerie, + Masquant ses bombardiers et sa bombarderie, + Traînant comme un réseau sa lourde infanterie; + + Ameutant ses tambours qui battaient pour la messe, + Gourmandant ces brigands qui couraient à confesse, + Déférente aux trois voix qui scellaient leur promesse; + + Ayant mis les soldats au pas sacramentaire, + Ayant mis les curés au pas réglementaire, + Et logé les Vertus au train régimentaire; + + Bien allante et vaillante et sans étourderie, + Bien venante et plaisante et sans coquetterie, + Bien disante et parlante et sans bavarderie; + + Révérant les coffrets sertis de pierrerie + Où les reliefs des saints ouvrés d'orfèvrerie + Reposent sur l'autel et sur la broderie; + + Sage comme une aïeule en sa tendre jeunesse, + Cadette ayant conquis le plus beau droit d'aînesse, + Grave et les yeux plus clairs que d'une chanoinesse, + + La sainte la plus grande après sainte Marie. + + + + +NEUVIÈME JOUR + +POUR LE SAMEDI 11 JANVIER 1913 + +IX + + + Comme Dieu ne fait rien que par compagnonnage, + Il fallut qu'elle vît ces mauvais compagnons, + Les Anglais, (les Français), les traîtres Bourguignons + Dépecer le royaume ainsi qu'un apanage; + + Il fallut qu'elle vît ce monstrueux ménage, + Et les gibets poussant comme des champignons, + Et le mur et le toit et l'angle des pignons + Tout dégouttants du meurtre et du sang du carnage; + + Il fallut qu'elle vît tout ce maquignonnage, + Les cadavres tout nus serrés en rangs d'oignons, + Les blessés mutilés traînés sur leurs moignons, + Les morts et les mourants dérivant à la nage; + + Il fallut qu'elle vît cet horrible engrenage + Happer tout le royaume et ces mauvais garçons + Rouer vif tout un peuple et rôtir les moissons, + Sortis du menu peuple ou du haut baronnage; + + Les armes de Jésus c'est la belle marraine + Et c'est le beau baptême et les belles dragées, + Mais plus que le cortège et que les apogées + C'est le deuil et la ruine et la honte et la peine; + + Il fallut qu'elle vît par ce libertinage + Dissiper ce trésor d'honneur que nous gagnons, + Et déserter le Dieu que nous accompagnons, + Comme on déserte un mort dans un pauvre village; + + Il fallut qu'elle vît par ce vagabondage + Retourner ce passé dont nous nous éloignons, + Il fallut qu'elle vît les maux que nous soignons + Monter le long de nous comme un échafaudage; + + Il fallut qu'elle vît par le faux témoignage + Démentir le propos pour qui nous témoignons, + Il fallut qu'elle vît l'urne où nous nous baignons + S'effondrer par souillure et par dévergondage; + + Il fallut qu'elle vît par tout ce maraudage + Cueillir les fruits moisis et que nous dédaignons, + Il fallut qu'elle vît la ville où nous régnons + Démantelée aux mains de tout ce chapardage; + + Il fallut qu'elle vît par tant d'enfantillage + Avilir cette foi dont nous nous imprégnons, + Il fallut qu'elle vît le sang dont nous saignons + Saigner du même coeur et du même courage; + + Il fallut qu'elle vît par un sot bavardage + Flétrir le dogme auguste et que nous enseignons, + Et qu'elle vît tarir la grâce où nous baignons, + Lustrale et baptismale, en un lourd badinage; + + Il fallut qu'elle vît par tout ce brigandage + Commettre les forfaits dont nous nous indignons, + Et les écus sonnants et que nous alignons + Fondre au creuset d'orgueil et de faux monnayage; + + Il fallut qu'elle vît par tout ce forlignage + Dégénérer la race où nous nous alignons, + Et les mots éternels et que nous soulignons + Tomber dans le silence et dans le persiflage; + + Il fallut qu'elle vît par tout ce maquillage + Fausser la signature où nous contresignons, + Et le terme et la mort que nous nous assignons + Approcher tous les jours comme un lointain rivage; + + Il fallut qu'elle vît cette jalouse rage + Assaillir la caserne où nous nous consignons, + Et la taverne infâme et que nous désignons + D'un nom injurieux déborder sur la plage; + + Il fallut qu'elle vît cette haine sauvage + Dénaturer le sort où nous nous résignons, + Et la ronce et l'ortie où nous égratignons + Nos mains s'enchevêtrer dans le jeune bocage; + + Il fallut qu'elle vît au chemin de halage + Déraciner la borne à qui nous nous cognons, + Et qu'elle vît le coin où nous nous rencoignons + Nous refuser le gîte et le pain du voyage; + + Il fallut qu'elle vît dans ce commun naufrage + Sombrer l'arche rompue et que nous empoignons, + Et qu'elle vît la grande armée où nous grognons, + (Mais nous marchons toujours), subir cet hivernage; + + Il fallut qu'elle vît par un tel sabotage + Dénaturaliser l'oeuvre où nous besognons. + Et qu'elle vît l'injure à qui nous répugnons + Régner et gouverner sous figure d'outrage; + + Il fallut qu'elle vît le long du bastingage + Précipiter à l'eau l'or que nous épargnons, + Et qu'elle vît la vergue où nous nous éborgnons + Chanceler et tomber par l'effet du tangage; + + Il fallut qu'elle vît dans ce même hivernage + S'évanouir de froid l'ardeur que nous feignons, + Et qu'elle vît la peine où nous nous renfrognons + S'évanouir de mort dans un beau sarcophage; + + Il fallut qu'elle vît dans cet appareillage + S'avancer la galère où captifs nous geignons, + Et qu'elle vît la nef lourde où nous nous plaignons + Gémir dans ses haubans et ses bois d'assemblage; + + Il fallut qu'elle vît par un commun partage + Arriver justement le sort que nous craignons, + Et la loi qui nous sauve et que nous enfreignons + Exposée à périr dans ce même naufrage; + + Il fallut qu'elle vît dans le même mouillage + Sombrer le désespoir que seul nous étreignons, + Et qu'elle vît cet ordre où nous nous astreignons + Perdre ses bancs de rame et son amarinage; + + Il fallut qu'elle vît dans ce commun dommage + Plier la discipline où nous nous contraignons, + Et qu'elle vît l'astreinte où nous nous restreignons + Se détendre et crever comme un mauvais bordage; + + Il fallut qu'elle vît dans le mouvant sillage + Flotter et s'enfoncer la mort que nous ceignons, + Et qu'elle vît couler le sang dont nous teignons + Notre robe lustrale et notre enfantillage; + + Il fallut qu'elle vît par un jeu de mirage + Reculer le but fixe et que nous atteignons, + Et qu'elle vît le terme où nous nous rejoignons + Se dérober à nous en plein atterrissage; + + Il fallut qu'elle vît en plein coeur de l'orage + Brûler la chère flamme et que nous éteignons + Et qu'elle vît les maux que nous nous adjoignons + Se coucher contre nous pour un noble servage; + + Il fallût qu'elle vît dans tout ce gribouillage + Se raidir les devoirs que nous nous enjoignons, + Et les soucis aigus et dont nous nous poignons + Nous percer jusqu'au coeur dans tout ce barbouillage: + + Pour qu'elle vît venir du fond de la campagne, + Au milieu de ses clercs, au milieu de ses pages, + Vers l'arène romaine et la roide montagne, + + Traînant les trois Vertus au train des équipages, + Sa plus fine et plus ferme et plus douce compagne + Et la plus belle enfant de ses longs patronages. + + + + +_la tapisserie + +de Notre Dame_ + + +_cahier pour le dimanche de la Pentecôte + +et pour le mois de mai + +de la quatorzième série_ + + +au fidèle Lotte + +et + +au _Bulletin des Professeurs catholiques de l'Université_ + + +Présentation de Paris à Notre Dame + + Étoile de la mer voici la lourde nef + Où nous ramons tout nuds sous vos commandements + Voici notre détresse et nos désarmements; + Voici le quai du Louvre, et l'écluse, et le bief. + + Voici notre appareil et voici notre chef. + C'est un gars de chez nous qui siffle par moments. + Il n'a pas son pareil pour les gouvernements. + Il a la tête dure et le geste un peu bref. + + Reine qui vous levez sur tous les océans, + Vous penserez à nous quand nous serons au large. + Aujourd'hui c'est le jour d'embarquer notre charge. + Voici l'énorme grue et les longs meuglements. + + S'il fallait le charger de nos pauvres vertus, + Ce vaisseau s'en irait vers votre auguste seuil + Plus creux que la noisette après que l'écureuil + L'a laissé retomber de ses ongles pointus. + + Nuls ballots n'entreraient par les panneaux béants, + Et nous arriverions dans la mer de sargasse + Traînant cette inutile et grotesque carcasse + Et les Anglais diraient: Ils n'ont rien mis dedans. + + Mais nous saurons l'emplir et nous vous le jurons, + Il sera plus beau dans cet illustre port. + La cargaison ira jusque sur le plat-bord. + Et quand il sera plein nous le couronnerons. + + Nous n'y chargerons pas notre pauvre maïs, + Mais de l'or et du blé que nous emporterons. + Et il tiendra la mer: car nous le chargerons + Du poids de nos péchés payés par votre fils. + + +Paris vaisseau de charge + + Double vaisseau de charge aux deux rives de Seine, + Vaisseau de pourpre et d'or, de myrrhe et de cinname, + Vaisseau de blé, de seigle, et de justesse d'âme, + D'humilité, d'orgueil, et de simple verveine; + + Nos pères t'ont comblé d'une si longue peine, + Depuis mille et mille ans que tu viens à la lame, + Que nulle cargaison n'est si lourde à la rame, + Et que nul bâtiment n'a la panse aussi pleine. + + Mais nous apporterons un regret si sévère, + Et si nourri d'honneur, et si creusé de flamme, + Que le chef le prendra pour un sac de prière, + + Et le fera hisser jusque sous l'oriflamme, + Navire appareillé sous Septime Sévère, + Double vaisseau de charge aux pieds de Notre Dame. + + +Paris double galère + + Depuis le Point du Jour jusqu'aux cèdres bibliques + Double galère assise au long du grand bazar, + Et du grand ministère, et du morne alcazar, + Parmi les deuils privés et les vertus publiques; + + Sous les quatre-vingts rois et les trois Républiques, + Et sous Napoléon, Alexandre et César, + Nos pères ont tenté le centuple hasard, + Fidèlement courbés sur tes rames obliques. + + Et nous prenant leur place au même banc de chêne, + Nous ramerons des reins, de la nuque, de l'âme, + Pliés, cassés, meurtris, saignants sous notre chaîne; + + Et nous tiendrons le coup, rivés sur notre rame, + Forçats fils de forçats aux deux rives de Seine, + Galériens couchés aux pieds de Notre Dame. + + +Paris vaisseau de guerre + + Double vaisseau de ligne au long des colonnades + Autrefois bâtiment au centuple sabord, + Aujourd'hui lourde usine, énorme coffre-fort + Fermé sur le secret des sourdes canonnades. + + Nos pères t'ont dansé de chaudes sérénades. + Ils t'ont fleuri du sang de la plus belle mort, + Quand au gaillard d'avant vers l'un et l'autre bord + Bondissait le troupeau des graves caronnades. + + Mais nous apporterons à tes destins géants + Un coeur si sérieux et si brûlé de flamme, + Un coeur si curieux de tous les océans, + + Soldats fils de soldats sous la même oriflamme, + Qu'on nous mettra valets de tes canons béants, + Monstres verts accroupis aux pieds de Notre-Dame. + + +Présentation de la Beauce à Notre Dame de Chartres + + Étoile de la mer voici la lourde nappe + Et la profonde houle et l'océan des blés + Et la mouvante écume et nos greniers comblés, + Voici votre regard sur cette immense chape + + Et voici votre voix sur cette lourde plaine + Et nos amis absents et nos coeurs dépeuplés, + Voici le long de nous nos poings désassemblés + Et notre lassitude et notre force pleine. + + Étoile du matin, inaccessible reine, + Voici que nous marchons vers votre illustre cour, + Et voici le plateau de notre pauvre amour, + Et voici l'océan de notre immense peine. + + Un sanglot rôde et court par delà l'horizon. + A peine quelques toits font comme un archipel. + Du vieux clocher retombe une sorte d'appel. + L'épaisse église semble une basse maison. + + Ainsi nous naviguons vers votre cathédrale. + De loin en loin surnage un chapelet de meules, + Rondes comme des tours, opulentes et seules + Comme un rang de châteaux sur la barque amirale. + + Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre + Un réservoir sans fin pour les âges nouveaux. + Mille ans de votre grâce ont fait de ces travaux + Un reposoir sans fin pour l'âme solitaire. + + Vous nous voyez marcher sur cette route droite, + Tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents. + Sur ce large éventail ouvert à tous les vents + La route nationale est notre porte étroite. + + Nous allons devant nous, les mains le long des poches, + Sans aucun appareil, sans fatras, sans discours, + D'un pas toujours égal, sans hâte ni recours, + Des champs les plus présents vers les champs les plus proches. + + Vous nous voyez marcher, nous sommes la piétaille. + Nous n'avançons jamais que d'un pas à la fois. + Mais vingt siècles de peuple et vingt siècles de rois, + Et toute leur séquelle et toute leur volaille + + Et leurs chapeaux à plume avec leur valetaille + Ont appris ce que c'est que d'être familiers, + Et comme on peut marcher, les pieds dans ses souliers, + Vers un dernier carré le soir d'une bataille. + + Nous sommes nés pour vous au bord de ce plateau, + Dans le recourbement de notre blonde Loire, + Et ce fleuve de sable et ce fleuve de gloire + N'est là que pour baiser votre auguste manteau. + + Nous sommes nés au bord de ce vaste plateau, + Dans l'antique Orléans sévère et sérieuse, + Et la Loire coulante et souvent limoneuse + N'est là que pour laver les pieds de ce coteau. + + Nous sommes nés au bord de votre plate Beauce + Et nous avons connu dès nos plus jeunes ans + Le portail de la ferme et les durs paysans + Et l'enclos dans le bourg et la bêche et la fosse. + + Nous sommes nés au bord de votre Beauce plate + Et nous avons connu dès nos premiers regrets + Ce que peut receler de désespoirs secrets + Un soleil qui descend dans un ciel écarlate + + Et qui se couche au ras d'un sol inévitable + Dur comme une justice, égal comme une barre, + Juste comme une loi, fermé comme une mare, + Ouvert comme un beau socle et plan comme une table. + + Un homme de chez nous, de la glèbe féconde + A fait jaillir ici d'un seul enlèvement, + Et d'une seule source et d'un seul portement, + Vers votre assomption la flèche unique au monde. + + Tour de David voici votre tour beauceronne. + C'est l'épi le plus dur qui soit jamais monté + Vers un ciel de clémence et de sérénité, + Et le plus beau fleuron dedans votre couronne. + + Un homme de chez nous a fait ici jaillir, + Depuis le ras du sol jusqu'au pied de la croix, + Plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois, + La flèche irréprochable et qui ne peut faillir. + + C'est la gerbe et le blé qui ne périra point, + Qui ne fanera point au soleil de septembre, + Qui ne gèlera point aux rigueurs de décembre, + C'est votre serviteur et c'est votre témoin. + + C'est la tige et le blé qui ne pourrira pas, + Qui ne flétrira point aux ardeurs de l'été. + Qui ne moisira point dans un hiver gâté, + Qui ne transira point dans le commun trépas. + + C'est la pierre sans tache et la pierre sans faute, + La plus haute oraison qu'on ait jamais portée, + La plus droite raison qu'on ait jamais jetée, + Et vers un ciel sans bord la ligne la plus haute. + + Celle qui ne mourra le jour d'aucunes morts, + Le gage et le portrait de nos arrachements, + L'image et le tracé de nos redressements, + La laine et le fuseau des plus modestes sorts. + + Nous arrivons vers vous du lointain Parisis. + Nous avons pour trois jours quitté notre boutique, + Et l'archéologie avec la sémantique, + Et la maigre Sorbonne et ses pauvres petits. + + D'autres viendront vers vous du lointain Beauvaisis. + Nous avons pour trois jours laissé notre négoce, + Et la rumeur géante et la ville colosse, + D'autres viendront vers vous du lointain Cambrésis. + + Nous arrivons vers vous de Paris capitale. + C'est là que nous avons notre gouvernement, + Et notre temps perdu dans le lanternement, + Et notre liberté décevante et totale. + + Nous arrivons vers vous de l'autre Notre Dame, + De celle qui s'élève au coeur de la cité, + Dans sa royale robe et dans sa majesté, + Dans sa magnificence et sa justesse d'âme. + + Comme vous commandez un océan d'épis, + Là-bas vous commandez un océan de têtes, + Et la moisson des deuils et la moisson des fêtes + Se couche chaque soir devant votre parvis. + + Nous arrivons vers vous du noble Hurepoix. + C'est un commencement de Beauce à notre usage, + Des fermes et des champs taillés à votre image, + Mais coupés plus souvent par des rideaux de bois, + + Et coupés plus souvent par de creuses vallées + Pour l'Yvette et la Bièvre et leurs accroissements, + Et leurs savants détours et leurs dégagements, + Et par les beaux châteaux et les longues allées. + + D'autres viendront vers vous du noble Vermandois, + Et des vallonnements de bouleaux et de saules. + D'autres viendront vers vous des palais et des geôles. + Et du pays picard et du vert Vendômois. + + Mais c'est toujours la France, ou petite ou plus grande, + Le pays des beaux blés et des encadrements, + Le pays de la grappe et des ruissellements, + Le pays de genêts, de bruyère, de lande. + + Nous arrivons vers vous du lointain Palaiseau + Et des faubourgs d'Orsay par Gometz-le-Châtel, + Autrement dit Saint-Clair; ce n'est pas un castel; + C'est un village au bord d'une route en biseau. + + Nous avons débouché, montant de ce coteau, + Sur le ras de la plaine et sur Gometz-la-Ville + Au-dessus de Saint-Clair; ce n'est pas une ville; + C'est un village au bord d'une route en plateau. + + Nous avons descendu la côte de Limours. + Nous avons rencontré trois ou quatre gendarmes. + Ils nous ont regardé, non sans quelques alarmes, + Consulter les poteaux aux coins des carrefours. + + Nous avons pu coucher dans le calme Dourdan. + C'est un gros bourg très riche et qui sent sa province. + Fiers nous avons longé, regardés comme un prince, + Les fossés du château coupés comme un redan. + + Dans la maison amie, hôtesse et fraternelle + On nous a fait coucher dans le lit du garçon. + Vingt ans de souvenirs étaient notre échanson. + Le pain nous fut coupé d'une main maternelle. + + Toute notre jeunesse était là sollennelle. + On prononça pour nous le Bénédicité. + Quatre siècles d'honneur et de fidélité + Faisaient des draps du lit une couche éternelle. + + Nous avons fait semblant d'être un gai pèlerin + Et même un bon vivant et d'aimer les voyages, + Et d'avoir parcouru cent trente-et-un bailliages, + Et d'être accoutumés d'être sur le chemin. + + La clarté de la lampe éblouissait la nappe. + On nous fit visiter le jardin potager. + Il donnait sur la treille et sur un beau verger. + Tel fut le premier gîte et la tête d'étape. + + Le jardin était clos dans un coude de l'Orge. + Vers la droite il donnait sur un mur bocager + Surmonté de rameaux et d'un arceau léger. + En face un maréchal, et l'enclume, et la forge. + + Nous nous sommes levés ce matin devant l'aube. + Nous nous sommes quittés après les beaux adieux. + Le temps s'annonçait bien. On nous a dit tant mieux. + On nous a fait goûter de quelque boeuf en daube, + + Puisqu'il est entendu que le bon pèlerin + Est celui qui boit ferme et tient sa place à table, + Et qu'il n'a pas besoin de faire le comptable, + Et que c'est bien assez de se lever matin. + + Le jour était en route et le soleil montait + Quand nous avons passé Sainte-Mesme et les autres. + Nous avancions déjà comme deux bons apôtres. + Et la gauche et la droite était ce qui comptait. + + Nous sommes remontés par le Gué de Longroy, + C'en est fait désormais de nos atermoiements, + Et de l'iniquité des dénivellements: + Voici la juste plaine et le secret effroi + + De nous trouver tout seuls et voici le charroi + Et la roue et les boeufs et le joug et la grange, + Et la poussière égale et l'équitable fange + Et la détresse égale et l'égal désarroi. + + Nous voici parvenus sur la haute terrasse + Où rien ne cache plus l'homme de devant Dieu, + Où nul déguisement ni du temps ni du lieu + Ne pourra nous sauver Seigneur, de votre chasse. + + Voici la gerbe immense et l'immense liasse, + Et le grain sous la meule et nos écrasements, + Et la grêle javelle et nos renoncements, + Et l'immense horizon que le regard embrasse. + + Et notre indignité cette immuable masse, + Et notre basse peur en un pareil moment, + Et la juste terreur et le secret tourment + De nous trouver tout seuls par devant votre face. + + Mais voici que c'est vous, reine de majesté. + Comment avons-nous pu nous laisser décevoir, + Et marcher devant vous sans vous apercevoir. + Nous serons donc toujours ce peuple inconcerté. + + Ce pays est plus ras que la plus rase table. + A peine un creux du sol, à peine un léger pli. + C'est la table du juge et le fait accompli, + Et l'arrêt sans appel et l'ordre inéluctable. + + Et c'est le prononcé du texte insurmontable, + Et la mesure comble et c'est le sort empli, + Et c'est la vie étale et l'homme enseveli, + Et c'est le héraut d'arme et le sceau redoutable. + + Mais vous apparaissez, reine mystérieuse. + Cette pointe là-bas dans le moutonnement + Des moissons et des bois et dans le flottement + De l'extrême horizon ce n'est point une yeuse, + + Ni le profil connu d'un arbre interchangeable. + C'est déjà plus distante, et plus basse, et plus haute, + Ferme comme un espoir sur la dernière côte, + Sur le dernier coteau la flèche inimitable. + + D'ici vers vous, ô reine, il n'est plus que la route. + Celle-ci nous regarde, on en a bien fait d'autres. + Vous avez votre gloire et nous avons les nôtres. + Nous l'avons entamée, on la mangera toute. + + Nous savons ce que c'est qu'un tronçon qui s'ajoute + Au tronçon déjà fait et ce qu'un kilomètre + Demande de jarret et ce qu'il faut en mettre: + Nous passerons ce soir par le pont et la voûte + + Et ce fossé profond qui cerne le rempart. + Nous marchons dans le vent coupés par les autos. + C'est ici la contrée imprenable en photos, + La route nue et grave allant de part en part. + + Nous avons eu bon vent de partir dès le jour. + Nous coucherons ce soir à deux pas de chez vous, + Dans cette vieille auberge où pour quarante sous + Nous dormirons tout près de votre illustre tour. + + Nous serons si fourbus que nous regarderons, + Assis sur une chaise auprès de la fenêtre + Dans un écrasement du corps et de tout l'être, + Avec des yeux battus, presque avec des yeux ronds, + + Et les sourcils haussés jusque dedans nos fronts, + L'angle une fois trouvé par un seul homme au monde, + Et l'unique montée ascendante et profonde, + Et nous serons recrus et nous contemplerons. + + Voici l'axe et la ligne et la géante fleur. + Voici la dure pente et le contentement. + Voici l'exactitude et le consentement. + Et la sévère larme, ô reine de douleur. + + Voici la nudité, le reste est vêtement. + Voici le vêtement, tout le reste est parure. + Voici la pureté, tout le reste est souillure. + Voici la pauvreté, le reste est ornement. + + Voici la seule force et le reste est faiblesse. + Voici l'arête unique et le reste est bavure. + Et la seule noblesse et le reste est ordure. + Et la seule grandeur et le reste est bassesse. + + Voici la seule foi qui ne soit point parjure. + Voici le seul élan qui sache un peu monter. + Voici le seul instant qui vaille de compter. + Voici le seul propos qui s'achève et qui dure. + + Voici le monument, tout le reste est doublure. + Et voici notre amour et notre entendement. + Et notre port de tête et notre apaisement. + Et le rien de dentelle et l'exacte moulure. + + Voici le beau serment, le reste est forfaiture. + Voici l'unique prix de nos arrachements, + Le salaire payé de nos retranchements. + Voici la vérité, le reste est imposture. + + Voici le firmament, le reste est procédure. + Et vers le tribunal voici l'ajustement. + Et vers le paradis voici l'achèvement. + Et la feuille de pierre et l'exacte nervure. + + Nous resterons cloués sur la chaise de paille. + Et nous n'entendrons pas et nous ne verrons pas + Le tumulte des voix, le tumulte des pas, + Et dans la salle en bas l'innocente ripaille. + + Ni les rouliers venus pour le jour du marché. + Ni la feinte colère et l'éclat des jurons: + Car nous contemplerons et nous méditerons + D'un seul embrassement la flèche sans péché. + + Nous ne sentirons pas ni nos faces raidies, + Ni la faim ni la soif ni nos renoncements, + Ni nos raides genoux ni nos raisonnements, + Ni dans nos pantalons nos jambes engourdies. + + Perdus dans cette chambre et parmi tant d'hôtels, + Nous ne descendrons pas à l'heure du repas, + Et nous n'entendrons pas et nous ne verrons pas + La ville prosternée aux pieds de vos autels. + + Et quand se lèvera le soleil de demain, + Nous nous réveillerons dans une aube lustrale, + A l'ombre des deux bras de votre cathédrale, + Heureux et malheureux et perclus du chemin. + + Nous venons vous prier pour ce pauvre garçon + Qui mourut comme un sot au cours de cette année, + Presque dans la semaine et devers la journée + Où votre fils naquit dans la paille et le son. + + ô Vierge il n'était pas le pire du troupeau. + Il n'avait qu'un défaut dans sa jeune cuirasse. + Mais la mort qui nous piste et nous suit à la trace + A passé par ce trou qu'il s'est fait dans la peau. + + Il était né vers nous dans notre Gâtinais. + Il commençait la route où nous redescendons. + Il gagnait tous les jours tout ce que nous perdons. + Et pourtant c'était lui que tu te destinais, + + ô mort qui fus vaincue en un premier caveau. + Il avait mis ses pas dans nos mêmes empreintes. + Mais le seul manquement d'une seule des craintes + Laissa passer la mort par un chemin nouveau. + + Le voici maintenant dedans votre régence. + Vous êtes reine et mère et saurez le montrer. + C'était un être pur. Vous le ferez rentrer + Dans votre patronage et dans votre indulgence. + + ô reine qui lisez dans le secret du coeur, + Vous savez ce que c'est que la vie ou la mort, + Et vous savez ainsi dans quel secret du sort + Se coud et se découd la ruse du traqueur. + + Et vous savez ainsi sur quel accent de choeur + Se noue et se dénoue un accompagnement, + Et ce qu'il faut d'espace et de déboisement + Pour laisser débouler la meute du piqueur. + + Et vous savez ainsi dans quel recreux du port + Se prépare et s'achève un noble enlèvement, + Et par quel jeu d'adresse et de gouvernement + Se dérobe ou se fige un illustre support. + + Et vous savez ainsi sur quel tranchant du glaive + Se joue et se déjoue un épouvantement, + Et par quel coup de pouce et quel balancement + L'un des plateaux descend pour que l'autre s'élève. + + Et ce que peut coûter la lèvre du moqueur, + Et ce qu'il faut de force et de recroisement + Pour faire par le coup d'un seul retournement + D'un vaincu malheureux un malheureux vainqueur. + + Mère le voici donc, il était notre race, + Et vingt ans après nous notre redoublement. + Reine recevez-le dans votre amendement. + Où la mort a passé, passera bien la grâce. + + Nous, nous retournerons par ce même chemin. + Ce sera de nouveau la terre sans cachette, + Le château sans un coin et sans une oubliette, + Et ce sol mieux gravé qu'un parfait parchemin. + + _Et nunc et in hora_, nous vous prions pour nous + Qui sommes plus grands sots que ce pauvre gamin, + Et sans doute moins purs et moins dans votre main, + Et moins acheminés vers vos sacrés genoux. + + Quand nous auront joué nos derniers personnages, + Quand nous aurons posé la cape et le manteau, + Quand nous aurons jeté le masque et le couteau, + Veuillez vous rappeler nos longs pèlerinages. + + Quand nous retournerons en cette froide terre, + Ainsi qu'il fut prescrit pour le premier Adam, + Reine de Saint-Chéron, Saint-Arnould et Dourdan, + Veuillez vous rappeler ce chemin solitaire. + + Quand on nous aura mis dans une étroite fosse, + Quand on aura sur nous dit l'absoute et la messe, + Veuillez vous rappeler, reine de la promesse, + Le long cheminement que nous faisons en Beauce. + + Quand nous aurons quitté ce sac et cette corde, + Quand nous aurons tremblé nos derniers tremblements, + Quand nous aurons râlé nos derniers râclements, + Veuillez vous rappeler votre miséricorde. + + Nous ne demandons rien, refuge du pécheur, + Que la dernière place en votre Purgatoire, + Pour pleurer longuement notre tragique histoire, + Et contempler de loin votre jeune splendeur. + + +_les quatre prières dans la cathédrale de Chartres_ + + +1.--prière de résidence + + O reine voici donc après la longue route, + Avant de repartir par ce même chemin, + Le seul asile ouvert au creux de votre main, + Et le jardin secret où l'âme s'ouvre toute. + + Voici le lourd pilier et la montante voûte; + Et l'oubli pour hier, et l'oubli pour demain; + Et l'inutilité de tout calcul humain; + Et plus que le péché, la sagesse en déroute. + + Voici le lieu du monde où tout devient facile, + Le regret, le départ, même l'événement, + Et l'adieu temporaire et le détournement, + Le seul coin de la terre où tout devient docile, + + Et même ce vieux coeur qui faisait le rebelle; + Et cette vieille tête et ces raisonnements; + Et ces deux bras raidis dans les casernements; + Et cette jeune enfant qui faisait trop la belle. + + Voici le lieu du monde où tout est reconnu, + Et cette vieille tête et la source des larmes; + Et ces deux bras raidis dans le métier des armes; + Le seul coin de la terre où tout soit contenu. + + Voici le lieu du monde où tout est revenu + Après tant de départs, après tant d'arrivées. + Voici le lieu du monde où tout est pauvre et nu + Après tant de hasards, après tant de corvées. + + Voici le lieu du monde et la seule retraite, + Et l'unique retour et le recueillement, + Et la feuille et le fruit et le défeuillement, + Et les rameaux cueillis pour cette unique fête. + + Voici le lieu du monde où tout rentre et se tait, + Et le silence et l'ombre et la charnelle absence, + Et le commencement d'éternelle présence, + Le seul réduit où l'âme est tout ce qu'elle était. + + Voici le lieu du monde où la tentation + Se retourne elle-même et se met à l'envers. + Car ce qui tente ici c'est la soumission; + Et c'est l'aveuglement dans l'immense univers. + + Et le déposement est ici ce qui tente, + Et ce qui vient tout seul est l'abdication, + Et ce qui vient soi-même et ce qui se présente + N'est ici que grandesse et présentation. + + C'est la révolte ici qui devient impossible, + Et ce qui se présente est la démission. + Et c'est l'effacement qui devient invincible, + Et tout n'est que bonjour et salutation. + + Ce qui partout ailleurs est une accession + N'est ici qu'un total et sourd abrasement. + Ce qui partout ailleurs est un entassement + N'est ici que bassesse et que dépression. + + Ce qui partout ailleurs est une oppression + N'est ici que l'effet d'un noble écrasement. + Ce qui partout ailleurs est un empressement + N'est ici qu'héritage et que succession. + + Ce qui partout ailleurs est une rude guerre + N'est ici que la paix d'un long délaissement. + Ce qui partout ailleurs est un affaissement + Est ici la loi même et la norme vulgaire. + + Ce qui partout ailleurs est une âpre bataille + Et sur le cou tendu le couteau du boucher, + Ce qui partout ailleurs est la greffe et la taille + N'est ici que la fleur et le fruit du pêcher. + + Ce qui partout ailleurs est la rude montée + N'est ici que descente et qu'aboutissement. + Ce qui partout ailleurs est la mer démontée + N'est ici que bonace et qu'établissement. + + Ce qui partout ailleurs est une dure loi + N'est ici qu'un beau pli sous vos commandements, + Et dans la liberté de nos amendements + Une fidélité plus tendre que la foi. + + Ce qui partout ailleurs est une obsession + N'est ici sous vos lois qu'une place rendue. + Ce qui partout ailleurs est une âme vendue + N'est ici que prière et qu'intercession. + + Ce qui partout ailleurs est une lassitude + N'est ici que des clefs sur un humble plateau. + Ce qui partout ailleurs est la vicissitude + N'est ici qu'une vigne à même le coteau. + + Ce qui partout ailleurs est la longue habitude + Assise au coin du feu les poings sous le menton, + Ce qui partout ailleurs est une solitude + N'est ici qu'un vivace et ferme rejeton. + + Ce qui partout ailleurs est la décrépitude + Assise au coin du feu les poings sur les genoux + N'est ici que tendresse et que sollicitude + Et deux bras maternels qui se tournent vers nous. + + Nous nous sommes lavés d'une telle amertume + Étoile de la mer et des récifs salés, + Nous nous sommes lavés d'une si basse écume, + Étoile de la barque et des souples filets. + + Nous avons délavé nos malheureuses têtes + D'un tel fatras d'ordure et de raisonnement, + Nous voici désormais, ô reine des prophètes, + Plus clairs que l'eau du puits de l'ancien testament. + + Nous avons gouverné de si modestes arches, + Voile du seul vaisseau qui ne périra pas, + Nous avons consulté de si pauvres compas, + Arche du seul salut, reine des patriarches. + + Nous avons consommé de si lointains voyages, + Nous n'avons plus de goût pour les pays étranges. + Reine des confesseurs, des vierges et des anges, + Nous voici retournés dans nos premiers villages. + + On nous en a tant dit, ô reine des apôtres, + Nous n'avons plus de goût pour la péroraison. + Nous n'avons plus d'autels que ceux qui sont les vôtres, + Nous ne savons plus rien qu'une simple oraison. + + Nous avons essuyé de si vastes naufrages, + Nous n'avons plus de goût pour le transbordement, + Nous voici revenus, au déclin de nos âges, + Étoile du seul Nord dans votre bâtiment. + + Ce qui partout ailleurs est de dispersion + N'est ici que l'effet d'un beau rassemblement. + Ce qui partout ailleurs est un démembrement + N'est ici que cortège et que procession. + + Ce qui partout ailleurs demande un examen + N'est ici que l'effet d'une pauvre jeunesse. + Ce qui partout ailleurs demande un lendemain + N'est ici que l'effet de soudaine faiblesse. + + Ce qui partout ailleurs demande un parchemin + N'est ici que l'effet d'une pauvre tendresse. + Ce qui partout ailleurs demande un tour de main + N'est ici que l'effet d'une humble maladresse. + + Ce qui partout ailleurs est un détraquement + N'est ici que justesse et que déclinaison. + Ce qui partout ailleurs est un baraquement + N'est ici qu'une épaisse et durable maison. + + Ce qui partout ailleurs est la guerre et la paix + N'est ici que défaite et que reddition. + Ce qui partout ailleurs est de sédition + N'est ici qu'un beau peuple et des épis épais. + + Ce qui partout ailleurs est une immense armée + Avec ses trains de vivre et ses encombrements, + Et ses trains de bagage et ses retardements, + N'est ici que décence et bonne renommée. + + Ce qui partout ailleurs est un effondrement + N'est ici qu'une lente et courbe inclinaison. + Ce qui partout ailleurs est de comparaison + Est ici sans pareil et sans redoublement. + + Ce qui partout ailleurs est un accablement + N'est ici que l'effet de pauvre obéissance. + Ce qui partout ailleurs est un grand parlement + N'est ici que l'effet de la seule audience. + + Ce qui partout ailleurs est un encadrement + N'est ici qu'un candide et calme reposoir. + Ce qui partout ailleurs est un ajournement + N'est ici que l'oubli du matin et du soir. + + Les matins sont partis vers les temps révolus, + Et les soirs partiront vers le soir éternel, + Et les jours entreront dans un jour solennel, + Et les fils deviendront des hommes résolus. + + Les âges rentreront dans un âge absolu, + Les fils retourneront vers le seuil paternel + Et raviront de force et l'amour fraternel + Et l'antique héritage et le bien dévolu. + + Voici le lieu du monde où tout devient enfant, + Et surtout ce vieil homme avec sa barbe grise, + Et ses cheveux mêlés au souffle de la brise, + Et son regard modeste et jadis triomphant. + + Voici le lieu du monde où tout devient novice, + Et cette vieille tête et ses lanternements, + Et ces deux bras raidis dans les gouvernements, + Le seul coin de la terre où tout devient complice, + + Et même ce grand sot qui faisait le malin, + (C'est votre serviteur, ô première servante), + Et qui tournait en rond dans une orbe savante, + Et qui portait de l'eau dans le bief du moulin. + + Ce qui partout ailleurs est un arrachement + N'est ici que la fleur de la jeune saison. + Ce qui partout ailleurs est un retranchement + N'est ici qu'un soleil au ras de l'horizon. + + Ce qui partout ailleurs est un dur labourage + N'est ici que récolte et dessaisissement. + Ce qui partout ailleurs est le déclin d'un âge + N'est ici qu'un candide et cher vieillissement. + + Ce qui partout ailleurs est une résistance + N'est ici que de suite et d'accompagnement; + Ce qui partout ailleurs est un prosternement + N'est ici qu'une douce et longue obéissance. + + Ce qui partout ailleurs est règle de contrainte + N'est ici que déclenche et qu'abandonnement; + Ce qui partout ailleurs est une dure astreinte + N'est ici que faiblesse et que soulèvement. + + Ce qui partout ailleurs est règle de conduite + N'est ici que bonheur et que renforcement; + Ce qui partout ailleurs est épargne produite + N'est ici qu'un honneur et qu'un grave serment. + + Ce qui partout ailleurs est une courbature + N'est ici que la fleur de la jeune oraison; + Ce qui partout ailleurs est la lourde armature + N'est ici que la laine et la blanche toison. + + Ce qui partout ailleurs serait un tour de force + N'est ici que simplesse et que délassement; + Ce qui partout ailleurs est la rugueuse écorce + N'est ici que la sève et les pleurs du sarment. + + Ce qui partout ailleurs est une longue usure + N'est ici que renfort et que recroissement; + Ce qui partout ailleurs est bouleversement + N'est ici que le jour de la bonne aventure. + + Ce qui partout ailleurs se tient sur la réserve + N'est ici qu'abondance et que dépassement; + Ce qui partout ailleurs se gagne et se conserve + N'est ici que dépense et que désistement. + + Ce qui partout ailleurs se tient sur la défense + N'est ici que liesse et démantèlement; + Et l'oubli de l'injure et l'oubli de l'offense + N'est ici que paresse et que bannissement. + + Ce qui partout ailleurs est une liaison + N'est ici qu'un fidèle et noble attachement; + Ce qui partout ailleurs est un encerclement + N'est ici qu'un passant dedans votre maison. + + Ce qui partout ailleurs est une obédience + N'est ici qu'une gerbe au temps de fauchaison; + Ce qui partout ailleurs se fait par surveillance + N'est ici qu'un beau coin au temps de fenaison. + + Ce qui partout ailleurs est une forcerie + N'est ici que la plante à même le jardin; + Ce qui partout ailleurs est une gagerie + N'est ici que le seuil à même le gradin. + + Ce qui partout ailleurs est une rétorsion + N'est ici que détente et que désarmement; + Ce qui partout ailleurs est une contraction + N'est ici qu'un muet et calme engagement; + + Ce qui partout ailleurs est un bien périssable + N'est ici qu'un tranquille et bref dégagement; + Ce qui partout ailleurs est un rengorgement + N'est ici qu'une rose et des pas sur le sable. + + Ce qui partout ailleurs est un efforcement + N'est ici que la fleur de la jeune raison; + Ce qui partout ailleurs est un redressement + N'est ici que la pente et le pli du gazon. + + Ce qui partout ailleurs est une écorcherie + N'est ici qu'un modeste et beau dévêtement; + Ce qui partout ailleurs est une affouillerie + N'est ici qu'un durable et sûr dépouillement. + + Ce qui partout ailleurs est un raidissement + N'est ici qu'une souple et candide fontaine; + Ce qui partout ailleurs est une illustre peine + N'est ici qu'un profond et pur jaillissement. + + Ce qui partout ailleurs se querelle et se prend + N'est ici qu'un beau fleuve aux confins de sa source, + ô reine et c'est ici que tout âme se rend + Comme un jeune guerrier retombé dans sa course. + + Ce qui partout ailleurs est la route gravie, + ô reine qui régnez dans votre illustre cour, + Étoile du matin, reine du dernier jour, + Ce qui partout ailleurs est la table servie, + + Ce qui partout ailleurs est la route suivie + N'est ici qu'un paisible et fort détachement, + Et dans un calme temple et loin d'un plat tourment + L'attente d'une mort plus vivante que vie. + + +2.--prière de demande + + Nous ne demandons pas que le grain sous la meule + Soit jamais replacé dans le coeur de l'épi, + Nous ne demandons pas que l'âme errante et seule + Soit jamais reposée en un jardin fleuri. + + Nous ne demandons pas que la grappe écrasée + Soit jamais replacée au fronton de la treille, + Et que le lourd frelon et que la jeune abeille + Y reviennent jamais se gorger de rosée. + + Nous ne demandons pas que la rose vermeille + Soit jamais replacée aux cerceaux du rosier, + Et que le paneton et la lourde corbeille + Retourne vers le fleuve et redevienne osier. + + Nous ne demandons pas que cette page écrite + Soit jamais effacée au livre de mémoire, + Et que le lourd soupçon et que la jeune histoire + Vienne remémorer cette peine prescrite. + + Nous ne demandons pas que la tige ployée + Soit jamais redressée au livre de nature, + Et que le lourd bourgeon et la jeune nervure + Perce jamais l'écorce et soit redéployée. + + Nous ne demandons pas que le rameau broyé + Reverdisse jamais au livre de la grâce, + Et que le lourd surgeon et que la jeune race + Rejaillisse jamais de l'arbre foudroyé. + + Nous ne demandons pas que la branche effeuillée + Se tourne jamais plus vers un jeune printemps, + Et que la lourde sève et que le jeune temps + Sauve une cime au moins dans la forêt noyée. + + Nous ne demandons pas que le pli de la nappe + Soit effacé devant que revienne le maître, + Et que votre servante et qu'un malheureux être + Soient libérés jamais de cette lourde chape. + + Nous ne demandons pas que cette auguste table + Soit jamais resservie, à moins que pour un Dieu, + Mais nous n'espérons pas que le grand connétable + Chauffe deux fois ses mains vers un si maigre feu. + + Nous ne demandons pas qu'une âme fourvoyée + Soit jamais replacée au chemin du bonheur. + O reine il nous suffit d'avoir gardé l'honneur + Et nous ne voulons pas qu'une aide apitoyée + + Nous remette jamais au chemin de plaisance, + Et nous ne voulons pas qu'une amour soudoyée + Nous remette jamais au chemin d'allégeance, + ô seul gouvernement d'une âme guerroyée, + + Régente de la mer et de l'illustre port + Nous ne demandons rien dans ces amendements + Reine que de garder sous vos commandements + Une fidélité plus forte que la mort. + + +3.--prière de confidence + + Nous ne demandons pas que cette belle nappe + Soit jamais repliée aux rayons de l'armoire, + Nous ne demandons pas qu'un pli de la mémoire + Soit jamais effacé de cette lourde chape. + + Maîtresse de la voie et du raccordement, + ô miroir de justice et de justesse d'âme, + Vous seule vous savez, ô grande notre Dame, + Ce que c'est que la halte et le recueillement. + + Maîtresse de la race et du recroisement, + ô temple de sagesse et de jurisprudence, + Vous seule connaissez, ô sévère prudence, + Ce que c'est que le juge et le balancement. + + Quand il fallut s'asseoir à la croix des deux routes + Et choisir le regret d'avecque le remords, + Quand il fallut s'asseoir au coin des doubles sorts + Et fixer le regard sur la clef des deux voûtes, + + Vous seule vous savez, maîtresse du secret, + Que l'un des deux chemins allait en contre-bas, + Vous connaissez celui que choisirent nos pas, + Comme on choisit un cèdre et le bois d'un coffret. + + Et non point par vertu car nous n'en avons guère, + Et non point par devoir car nous ne l'aimons pas, + Mais comme un charpentier s'arme de son compas, + Par besoin de nous mettre au centre de misère, + + Et pour bien nous placer dans l'axe de détresse, + Et par ce besoin sourd d'être plus malheureux, + Et d'aller au plus dur et de souffrir plus creux, + Et de prendre le mal dans la pleine justesse. + + Par ce vieux tour de main, par cette même adresse, + Qui ne servira plus à courir le bonheur, + Puissions-nous, ô régente, au moins tenir l'honneur, + Et lui garder lui seul notre pauvre tendresse. + + +4.--prière de report + + Nous avons gouverné de si vastes royaumes, + ô régente des rois et des gouvernements, + Nous avons tant couché dans la paille et les chaumes, + Régente des grands gueux et des soulèvements. + + Nous n'avons plus de goût pour les grands majordomes, + Régente du pouvoir et des renversements, + Nous n'avons plus de goût pour les chambardements, + Régente des frontons, des palais et des dômes. + + Nous avons combattu de si ferventes guerres + Par devant le Seigneur et le Dieu des armées, + Nous avons parcouru de si mouvantes terres, + Nous nous sommes acquis si hautes renommées. + + Nous n'avons plus de goût pour le métier des armes, + Reine des grandes paix et des désarmements, + Nous n'avons plus de goût pour le métier des larmes, + Reine des sept douleurs et des sept sacrements. + + Nous avons gouverné de si vastes provinces, + Régente des préfets et des procurateurs, + Nous avons lanterné tous tant d'augustes princes, + Reine des tableaux peints et des deux donateurs. + + Nous n'avons plus de goût pour les départements, + Ni pour la préfecture et pour la capitale, + Nous n'avons plus de goût pour les embarquements, + Nous ne respirons plus vers la terre natale. + + Nous avons encouru de si hautes fortunes, + ô clef du seul honneur qui ne périra point, + Nous avons dépouillé de si basses rancunes, + Reine du témoignage et du double témoin. + + Nous n'avons plus de goût pour les forfanteries, + Maîtresse de sagesse et de silence et d'ombre, + Nous n'avons plus de goût pour les argenteries, + ô clef du seul trésor et d'un bonheur sans nombre. + + Nous en avons tant vu, dame de pauvreté, + Nous n'avons plus de goût pour de nouveaux regards, + Nous en avons tant fait, temple de pureté, + Nous n'avons plus de goût pour de nouveaux hasards. + + Nous avons tant péché, refuge du pécheur, + Nous n'avons plus de goût pour les atermoiements, + Nous avons tant cherché, miracle de candeur, + Nous n'avons plus de goût pour les enseignements. + + Nous avons tant appris dans les maisons d'école, + Nous ne savons plus rien que vos commandements, + Nous avons tant failli par l'acte et la parole, + Nous ne savons plus rien que nos amendements. + + Nous sommes ces soldats qui grognaient par le monde, + Mais qui marchaient toujours et n'ont jamais plié, + Nous sommes cette Église et ce faisceau lié, + Nous sommes cette race internelle et profonde. + + Nous ne demandons plus de ces biens périssables, + Nous ne demandons plus vos grâces de bonheur, + Nous ne demandons plus que vos grâces d'honneur, + Nous ne bâtirons plus nos maisons sur ces sables. + + Nous ne savons plus rien de ce qu'on nous a lu, + Nous ne savons plus rien de ce qu'on nous a dit. + Nous ne connaissons plus qu'un éternel édit, + Noua ne savons plus rien que votre ordre absolu. + + Nous en avons trop pris, nous sommes résolus. + Nous ne voulons plus rien que par obéissance, + Et rester sous les coups d'une auguste puissance, + Miroir des temps futurs et des temps révolus. + + S'il est permis pourtant que celui qui n'a rien + Puisse un jour disposer, et léguer quelque chose. + S'il n'est pas défendu, mystérieuse rose, + Que celui qui n'a pas reporte un jour son bien; + + S'il est permis au gueux de faire un testament, + Et de léguer l'asile et la paille et le chaume, + S'il est permis au roi de léguer le royaume, + Et si le grand dauphin prête un nouveau serment; + + S'il est admis pourtant que celui qui doit tout + Se fasse ouvrir un compte et porter un crédit, + Si le virement tourne et n'est pas interdit, + Nous ne demandons rien, nous irons jusqu'au bout, + + Si donc il est admis qu'un humble débiteur + Puisse élever la voix pour ce qui n'est pas dû, + S'il peut toucher un prix quand il n'a pas vendu, + Et faire balancer par solde créditeur; + + Nous qui n'avons connu que vos grâces de guerre + Et vos grâces de deuil et vos grâces de peine, + (Et vos grâces de joie et cette lourde plaine), + Et le cheminement des grâces de misère; + + Et la procession des grâces de détresse, + Et les champs labourés et les sentiers battus, + Et les coeurs lacérés et les reins courbatus, + Nous ne demandons rien, vigilante maîtresse. + + Nous qui n'avons connu que votre adversité, + (Mais qu'elle soit bénie, ô temple de sagesse), + ô veuillez reporter, merveille de largesse, + Vos grâces de bonheur et de prospérité. + + Veuillez les reposer sur quatre jeunes têtes, + Vos grâces de douceur et de consentement, + Et tresser pour ces fronts, reine du pur froment, + Quelques épis cueillis dans la moisson des fêtes. + + + + +TABLE DES MATIÈRES + + LE MYSTÈRE DES SAINTS INNOCENTS PAGE 13 + LA TAPISSERIE DE SAINTE GENEVIÈVE ET DE JEANNE D'ARC PAGE 247 + LA TAPISSERIE DE NOTRE DAME PAGE 343 + + + + +ACHEVÉ D'IMPRIMER LE TRENTE SEPTEMBRE MIL NEUF CENT DIX-NEUF, PAR +L'IMPRIMERIE PROTAT FRÈRES, MACON. + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Oeuvres complètes de Charles Péguy, +Oeuvres de poésie (tome 6), by Charles Péguy + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57506 *** diff --git a/57506-8.txt b/57506-8.txt deleted file mode 100644 index 562f0c9..0000000 --- a/57506-8.txt +++ /dev/null @@ -1,9598 +0,0 @@ -The Project Gutenberg EBook of Oeuvres compltes de Charles Pguy, Oeuvres -de posie (tome 6), by Charles Pguy - -This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with -almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or -re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included -with this eBook or online at www.gutenberg.org/license - - -Title: Oeuvres compltes de Charles Pguy, Oeuvres de posie (tome 6) - Le Mystre des Saints Innocents; La tapisserie de sainte - Genevive et de Jeanne d'Arc; La tapisserie de Notre-Dame. - -Author: Charles Pguy - -Release Date: July 14, 2018 [EBook #57506] - -Language: French - -Character set encoding: ISO-8859-1 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES COMPLETES DE CHARLES PGUY *** - - - - -Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed -Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was -produced from scanned images of public domain material -from the Google Books project.) - - - - - - - - - - - - -OEUVRES COMPLTES - -DE - -CHARLES PGUY - -1873-1914 - -OEUVRES DE POSIE - -LE MYSTRE - -DES SAINTS INNOCENTS - -LA TAPISSERIE DE SAINTE - -GENEVIVE ET DE JEANNE D'ARC - -LA TAPISSERIE DE NOTRE DAME - -[nrf] - -PARIS - -DITIONS DE LA - -NOUVELLE REVUE FRANAISE - -35 ET 37, RUE MADAME - -MCMXIX - - - - -CETTE DITION DFINITIVE DES OEUVRES COMPLTES DE CHARLES PGUY - -EST TIRE A DOUZE CENTS EXEMPLAIRES NUMROTS PAR L'IMPRIMERIE PROTAT -FRRES - -SUR PAPIER VERG PUR FIL DES PAPETERIES LAFUMA DE VOIRON - -AU FILIGRANE DE LA NOUVELLE REVUE FRANAISE - - -EXEMPLAIRE N 334 - - -TOUS DROITS DE REPRODUCTION, DE TRADUCTION ET D'ADAPTATION RSERVS POUR -TOUS PAYS Y COMPRIS LA RUSSIE - -COPYRIGHT BY LA NOUVELLE REVUE FRANAISE 1916 - - - - -OEUVRES COMPLTES DE CHARLES PGUY - -OEUVRES DE PROSE - - TOME I _INTRODUCTION PAR ALEXANDRE MILLERAND_ - - Lettre du Provincial. Rponse. Le Triomphe de la - Rpublique.--Du second Provincial.--De la Grippe. Encore - de la Grippe. Toujours de la Grippe.--Entre deux - trains.--Pour ma maison (cit socialiste). Pour - moi.--Compte rendu de mandat.--La Chanson du roi Dagobert. - Suite de cette chanson. - - TOME II _INTRODUCTION PAR MAURICE BARRS_ - - De Jean Coste.--Les rcentes oeuvres de Zola.--Orlans - vu de Montargis.--Zangwill.--Notre Patrie.--Courrier de - Russie.--Les suppliants parallles.--Louis de Gonzague. - - TOME III _INTRODUCTION PAR HENRI BERGSON_ - - De la situation faite l'histoire et la sociologie.--De - la situation faite au parti intellectuel devant les - accidents de la gloire temporelle.--A nos amis, nos - abonns.--L'argent. - - TOME IV _INTRODUCTION PAR ANDR SUARS_ - - Notre Jeunesse.--Victor Marie, comte Hugo. - - -OEUVRES DE POSIE - - TOME V Le Mystre de la Charit de Jeanne d'Arc.--Le Porche du - Mystre de la deuxime vertu. - - TOME VI Le Mystre des Saints Innocents.--La tapisserie de sainte - Genevive et de Jeanne d'Arc.--La tapisserie de Notre-Dame. - - TOME VII ve.--Sonnets. - - -OEUVRES POSTHUMES - - TOME VIII Clio. - - TOME IX Note conjointe sur Descartes (prcde de la note sur - M. Bergson). - - TOME X Autres ouvrages et fragments indits. - - -POLMIQUE ET DOSSIERS - - TOME XI Texte et commentaires se rapportant la grance et au rle - littraire des Cahiers (prfaces). - - TOME XII Texte et commentaires se rapportant au rle politique jou - par les Cahiers (compte rendu de Congrs.--Affaire Dreyfus, - etc.). - - TOME XIII Un nouveau thologien, M. Fernand Laudet.--Langlois - tel qu'on le parle.--L'argent (suite). - - TOME XIV Marcel. La premire Jeanne d'Arc. - - TOME XV Correspondance. Biographie et Histoire des Cahiers de la - Quinzaine, par _MILE BOIVIN_ et _MARCEL PGUY_. - - - - -_le mystre - -des saints Innocents_ - - - - -DELECTISSIMIS - -IN INTIMO CORDE - - - - -_cahier pour le dimanche des Rameaux - -et pour le dimanche de Pques de la treizime srie;_ - - -_cahier prparatoire - -pour le quatre cent quatre-vingt-troisime anniversaire - -de la dlivrance d'Orlans, - -anniversaire qui tombera - -le mercredi 8 mai de l'an 1912._ - - - - -LE MYSTRE - -DES SAINTS INNOCENTS - - - -MADAME GERVAISE - - - - Je suis, dit Dieu, Matre des Trois Vertus. - - La Foi est une pouse fidle. - La Charit est une mre ardente. - Mais l'esprance est une toute petite fille. - - - - Je suis, dit Dieu, le Matre des Vertus. - - - - La Foi est celle qui tient bon dans les sicles des sicles. - La Charit est celle qui se donne dans les sicles des sicles. - Mais ma petite esprance est celle - qui se lve tous les matins. - - - - Je suis, dit Dieu, le Seigneur des Vertus. - - - - La Foi est celle qui est tendue dans les sicles des sicles. - La Charit est celle qui se dtend dans les sicles des sicles. - Mais ma petite esprance - est celle qui tous les matins - nous donne le bonjour. - - - - Je suis, dit Dieu, le Seigneur des Vertus. - - - - La Foi est un soldat, c'est un capitaine qui dfend une forteresse, - Une ville du roi, - Aux marches de Gascogne, aux marches de Lorraine. - La Charit est un mdecin, c'est une petite soeur des pauvres, - Qui soigne les malades, qui soigne les blesss, - Les pauvres du roi, - Aux marches de Gascogne, aux marches de Lorraine. - Mais ma petite esprance est celle - qui dit bonjour au pauvre et l'orphelin. - - - - Je suis, dit Dieu, le Seigneur des Vertus. - - - - La Foi est une glise, c'est une cathdrale enracine au sol de - France. - La Charit est un hpital, un htel-Dieu qui ramasse toutes les - misres du monde. - Mais sans l'esprance, tout a ne serait qu'un cimetire. - - - - Je suis, dit Dieu, le Seigneur des Vertus. - - - - La Foi est celle qui veille dans les sicles des sicles. - La Charit est celle qui veille dans les sicles des sicles. - Mais ma petite esprance est celle - qui se couche tous les soirs - et se lve tous les matins - et fait vraiment de trs bonnes nuits. - - - - Je suis, dit Dieu, le Seigneur de cette vertu-l. - - - - Ma petite esprance est celle - qui s'endort tous les soirs, - dans son lit d'enfant, - aprs avoir bien fait sa prire, - et qui tous les matins se rveille et se lve - et fait sa prire avec un regard nouveau. - - - - Je suis, dit Dieu, Seigneur des Trois Vertus. - - - - La Foi est un grand arbre, c'est un chne enracin au coeur de France. - Et sous les ailes de cet arbre la Charit, ma fille la Charit abrite - toutes les dtresses du monde. - Et ma petite esprance n'est rien que cette petite promesse de - bourgeon qui s'annonce au fin commencement d'avril. - - - - Et quand on voit l'arbre, quand vous regardez le chne, - Cette rude corce du chne treize et quatorze fois et dix-huit fois - centenaire, - Et qui sera centenaire et sculaire dans les sicles des sicles, - Cette dure corce rugueuse et ces branches qui sont comme un fouillis - de bras normes, - (Un fouillis qui est un ordre), - Et ces racines qui s'enfoncent et qui empoignent la terre comme un - fouillis de jambes normes, - (Un fouillis qui est un ordre), - Quand vous voyez tant de force et tant de rudesse le petit bourgeon - tendre ne parat plus rien du tout. - C'est lui qui a l'air de parasiter l'arbre, de manger la table de - l'arbre. - Comme un gui, comme un champignon. - C'est lui qui a l'air de se nourrir de l'arbre (et le paysan les - appelle des _gourmands_), c'est lui qui a l'air de s'appuyer sur - l'arbre, de sortir de l'arbre, de ne rien pouvoir tre, de ne pas - pouvoir exister sans l'arbre. Et en effet aujourd'hui il sort de - l'arbre, l'aisselle des branches, l'aisselle des feuilles et il - ne peut plus exister sans l'arbre. Il a l'air de venir de l'arbre, - de drober la nourriture de l'arbre. - Et pourtant c'est de lui que tout vient au contraire. Sans un - bourgeon qui est une fois venu, l'arbre ne serait pas. Sans ces - milliers de bourgeons, qui viennent une fois au fin commencement - d'avril et peut-tre dans les derniers jours de mars, rien ne - durerait, l'arbre ne durerait pas, et ne tiendrait pas sa place - d'arbre, (il faut que cette place soit tenue), sans cette sve qui - monte et pleure au mois de mai, sans ces milliers de bourgeons qui - pointent tendrement l'aisselle des dures branches. - Il faut que toute place soit tenue. Toute vie vient de tendresse. - Toute vie vient de ce tendre, de ce fin bourgeon d'avril, et de - cette sve qui pleure en mai, et de la ouate et du coton de ce fin - bourgeon blanc qui est vtu, qui est chaudement, qui est tendrement - protg d'un flocon d'une toison d'une laine vgtale, d'une laine - d'arbre. En ce flocon cotonneux est le secret de toute vie. La rude - corce a l'air d'une cuirasse, en comparaison de ce tendre - bourgeon. Mais la rude corce n'est rien, que du bourgeon durci, - que du bourgeon vieilli. Et c'est pour cela que le tendre bourgeon - perce toujours, jaillit toujours dessous la dure corce. - L'homme de guerre le plus dur a t un tendre enfant nourri de lait; - et le plus rude martyr, le martyr le plus dur sur le chevalet, le - martyr la plus rude corce, la plus rugueuse peau, le martyr le - plus dur la serre et l'onglet a t un tendre enfant laiteux. - Sans ce bourgeon, qui n'a l'air de rien, qui ne semble rien, tout - cela ne serait que du bois mort. - Et le bois mort sera jet au feu. - - - - Ce qui vous trompe, c'est que cette rude corce vous corche les - mains; et ni de l'paule vous ne faites bouger le tronc d'un - millime de millimtre, ni du pied vous ne pouvez faire bouger une - de ces grosses racines d'un millime de millimtre; ni de la main - une seule de ces grosses branches; et c'est peine si vous - branleriez quelques-unes de ces petites branches; et si vous les - feriez balancer; - au lieu que le bourgeon ne rsiste point sous le doigt et d'un coup - d'ongle le premier venu vous fait sauter un bourgeon; - qui dvelopp vous ferait une branche plus grosse que la cuisse; - - Car il est plus facile, dit Dieu, de ruiner que de fonder; - Et de faire mourir que de faire natre; - Et de donner la mort que de donner la vie; - - Et le bourgeon ne rsiste point. C'est qu'aussi il n'est point fait - pour la rsistance, il n'est point charg de rsister. - C'est le tronc, et la branche, et cette matresse racine qui sont - faits pour la rsistance, qui sont chargs de rsister. - Et c'est la rude corce qui est faite pour la rudesse et qui est - charge d'tre rude. - Mais le tendre bourgeon n'est fait que pour la naissance et il n'est - charg que de faire natre. - - (Et de faire durer). - - - - (Et de se faire aimer). - - - - Or je vous le dis, dit Dieu, sans ce bourgeonnement de fin avril, - sans ces milliers, sans cet unique petit bourgeonnement de - l'esprance, qu'videmment tout le monde peut casser, sans ce - tendre bourgeon cotonneux, que le premier venu peut faire sauter de - l'ongle, toute ma cration ne serait que du bois mort. - Et le bois mort sera jet au feu. - - - - Et toute ma cration ne serait qu'un immense cimetire. - Or mon fils le leur a dit: _Il faut laisser les morts ensevelir leurs - morts._ - - - - Hlas mon fils, hlas mon fils, hlas mon fils; - Mon fils qui sur la croix avait une peau sche comme une sche corce; - une peau fltrie, une peau ride, une peau tanne; - une peau qui se fendait sous les clous; - mon fils avait t un tendre enfant laiteux; - - - - une enfance, un bourgeonnement, une promesse, un engagement; - un essai; une origine; un commencement de rdempteur; - une esprance de salut, une esprance de rdemption - - - - O jour, soir, nuit de l'ensevelissement. - Tombe de cette nuit que je ne reverrai jamais. - O nuit si douce au coeur parce que tu accomplis. - Et tu calmes comme un baume. - Nuit sur cette montagne et dans cette valle. - O nuit j'avais tant dit que je ne te verrais plus. - O nuit je te verrai dans mon ternit. - Que ma volont soit faite. O ce fut cette fois-l que ma volont fut - faite. - Nuit je te vois encore. Trois grands gibets montaient. Et mon fils au - milieu. - Une colline, une valle. Ils taient partis de cette ville que - j'avais donne mon peuple. Ils taient monts. - Mon fils entre ces deux voleurs. Une plaie au flanc. Deux plaies aux - mains. Deux plaies aux pieds. Des plaies au front. - Des femmes qui pleuraient tout debout. Et cette tte penche qui - retombait sur le haut de la poitrine. - Et cette pauvre barbe sale, toute souille de poussire et de sang. - Cette barbe rousse deux pointes. - Et ces cheveux souills, en quel dsordre, que j'eusse tant baiss. - Ces beaux cheveux roux, encore tout ensanglants de la couronne - d'pines. - Tout souills, tout colls de caillots. Tout tait accompli. - Il en avait trop support. - Cette tte qui penchait, que j'eusse appuye sur mon sein. - Cette paule que j'eusse appuye mon paule. - Et ce coeur ne battait plus, qui avait tant battu d'amour. - Trois ou quatre femmes qui pleuraient tout debout. Des hommes je ne - me rappelle pas, je crois qu'il n'y en avait plus. - Ils avaient peut-tre trouv que a montait trop. Tout tait fini. - Tout tait consomm. C'tait fini. - Et les soldats s'en retournaient, et dans leurs paules rondes ils - emportaient la force romaine: - - C'est alors, Nuit, que tu vins. O nuit la mme. - La mme qui viens tous les soirs et qui tais venue tant de fois - depuis les tnbres premires. - La mme qui tais venue sur l'autel fumant d'Abel et sur le cadavre - d'Abel, sur ce corps dchir, sur le premier assassinat du monde; - nuit la mme tu vins sur le corps lacr, sur le premier, sur le - plus grand assassinat du monde. C'est alors, nuit, que tu vins. - La mme qui tais venue sur tant de crimes depuis le commencement du - monde; - Et sur tant de souillures et sur tant d'amertumes; - Et sur cette mer d'ingratitude, la mme tu vins sur mon deuil; - Et sur cette colline et sur cette valle de ma dsolation c'est - alors, nuit, que tu vins. - O nuit faudra-t-il donc, faudra-t-il que mon paradis - Ne soit qu'une grande nuit de clart qui tombera sur les pchs du - monde. - Sera-ce alors, nuit, que tu viendras. - C'est alors, nuit, que tu vins; et seule tu pus finir, seule tu pus - accomplir ce jour entre les jours. - Comme tu accomplis ce jour, nuit accompliras-tu le monde. - Et mon paradis sera-t-il une grande nuit de lumire. - Et tout ce que je pourrai offrir - Dans mon offrande et moi aussi dans mon Offertoire - A tant de martyrs et tant de bourreaux, - A tant d'mes et tant de corps, - A tant de purs et tant d'impurs, - A tant de pcheurs et tant de saints, - A tant de fidles et tant de pnitents, - Et tant de peines, et tant de deuils, et tant de larmes et - tant de plaies, - Et tant de sang, - Et tant de coeurs qui auront tant battu, - D'amour, de haine, - Et tant de coeurs qui auront tant saign - D'amour, de haine, - Sera-t-il dit qu'il faut que ce soit - Qu'il faudra que je leur offre - Et qu'ils ne demanderont que cela, - Qu'ils ne voudront que de cela, - Qu'ils n'auront de got que pour cela, - Sur ces souillures et sur tant d'amertumes, - Et sur cette mer immense d'ingratitude - La longue retombe d'une nuit ternelle. - - - - O nuit tu n'avais pas eu besoin d'aller demander la permission - Pilate. C'est pourquoi je t'aime et je te salue. - Et entre toutes je te glorifie, et entre toutes tu me glorifies. - Et tu me fais honneur et gloire - Car tu obtiens quelquefois ce qu'il y a de plus difficile au monde, - Le dsistement de l'homme. - L'abandonnement de l'homme entre mes mains. - Je connais bien l'homme. C'est moi qui l'ai fait. C'est un drle - d'tre. - Car en lui joue cette libert qui est le mystre des mystres. - On peut encore lui demander beaucoup. Il n'est pas trop mauvais. Il - ne faut pas dire, qu'il est mauvais. - Quand on sait le prendre, on peut encore lui demander beaucoup. - Lui faire rendre beaucoup. Et Dieu sait si ma grce - Sait le prendre, si avec ma grce - Je sais le prendre. Si ma grce est insidieuse, habile comme un - voleur. - Et comme un homme qui chasse le renard. - Je sais le prendre. C'est mon mtier. Et cette libert mme est ma - cration. - On peut lui demander beaucoup de coeur, beaucoup de charit, beaucoup - de sacrifice. - Il a beaucoup de foi et beaucoup de charit. - Mais ce qu'on ne peut pas lui demander, sacredi, c'est un peu - d'esprance. - Un peu de confiance, quoi, un peu de dtente, - Un peu de remise, un peu d'abandonnement dans mes mains, - Un peu de dsistement. Il se raidit tout le temps. - Or toi, ma fille la nuit, tu russis, quelquefois, tu obtiens - quelquefois cela - De l'homme rebelle. - Qu'il consente, ce monsieur, qu'il se rende un peu moi. - Qu'il dtende un peu ses pauvres membres las sur un lit de repos. - Qu'il dtende un peu sur un lit de repos son coeur endolori. - Que sa tte surtout ne marche plus. Elle ne marche que trop, sa tte. - Et il croit que c'est du travail, que sa tte marche comme a. - Et ses penses, non, pour ce qu'il appelle ses penses. - Que ses ides ne marchent plus et ne se battent plus dans sa tte et - ne grelottent plus comme des grains de calebasse. - Comme un grelot dans une courge vide. - Quand on voit ce que c'est, que ce qu'il appelle ses ides. - Pauvre tre. Je n'aime pas, dit Dieu, l'homme qui ne dort pas. - Celui qui brle, dans son lit, d'inquitude et de fivre. - Je suis partisan, dit Dieu, que tous les soirs on fasse son examen de - conscience. - C'est un bon exercice. - Mais enfin il ne faut pas s'en torturer au point d'en perdre le - sommeil. - A cette heure-l la journe est faite, et bien faite; il n'y a plus - la refaire. - Il n'y a plus y revenir. - Ces pchs qui vous font tant de peine, mon garon, eh bien c'tait - bien simple. - Mon ami il ne fallait pas les commettre. - A l'heure o tu pouvais encore ne pas les commettre. - A prsent, c'est fait, va, dors, demain tu ne recommenceras plus. - Mais celui qui le soir en se couchant fait des plans pour le - lendemain. - Celui-l je ne l'aime pas, dit Dieu. - Le sot, est-ce qu'il sait seulement comment demain sera fait. - Est-ce qu'il connat seulement la couleur du temps. - Il ferait mieux de faire sa prire. Je n'ai jamais refus le pain du - lendemain. - Celui qui est dans ma main comme le bton dans la main du voyageur, - Celui-l m'est agrable, dit Dieu. - Celui qui est pos dans mon bras comme un nourrisson qui rit, - Et qui ne s'occupe de rien, - Et qui voit le monde dans les yeux de sa mre, et de sa nourrice, - Et qui ne le voit et ne le regarde que l, - Celui-l m'est agrable, dit Dieu. - Mais celui qui fait des combinaisons, celui qui en lui-mme pour - demain dans sa tte - Travaille comme un mercenaire. - Travaille affreusement comme un esclave qui tourne une roue ternelle. - (Et entre nous comme un imbcile). - Eh bien celui-l ne m'est pas agrable du tout, dit Dieu. - Celui qui s'abandonne, je l'aime. Celui qui ne s'abandonne pas, je ne - l'aime pas, c'est pourtant simple. - Celui qui s'abandonne ne s'abandonne pas et il est le seul qui ne - s'abandonne pas. - Celui qui ne s'abandonne pas s'abandonne et il est le seul qui - s'abandonne. - Or toi, ma fille la nuit, ma fille au grand manteau, ma fille au - manteau d'argent, - Tu es la seule qui vaincs quelquefois ce rebelle et qui fais plier - cette nuque dure. - C'est alors, Nuit que tu viens. - Et ce que tu as fait une fois, - Tu le fais toutes les fois. - Ce que tu as fait un jour, - Tu le fais tous les jours. - Comme tu es tombe un soir, - Ainsi tu tombes tous les soirs. - Ce que tu as fait pour mon fils fait homme, - O grande Charitable tu le fais pour tous les hommes ses frres - Tu les ensevelis dans le silence et l'ombre - Et dans le salutaire oubli - De la mortelle inquitude - Du jour. - Ce que tu as fait une fois pour mon fils fait homme, - Ce que tu as fait un soir entre les soirs. - O nuit tu le refais tous les soirs pour le dernier des hommes - (C'est alors, nuit, que tu viens) - Tant il est vrai, tant il est rel qu'il tait devenu l'un d'eux - Et qu'il s'tait li leur sort mortel - Et qu'il tait devenu l'un d'eux, pour ainsi dire au hasard, - Et qu'il s'tait fait l'un d'eux - Sans aucune limitation ni mesure. - Car avant cette perptuelle, cette imparfaite, - Cette perptuellement imparfaite _imitation de Jsus-Christ_, - Dont ils parlent toujours, - Il y a eu cette trs parfaite imitation de l'homme par Jsus-Christ, - Cette inexorable imitation, par Jsus-Christ, - De la misre mortelle et de la condition de l'homme. - - - - Je comprends trs bien, dit Dieu, qu'on fasse son examen de - conscience. - C'est un excellent exercice. Il ne faut pas en abuser. - C'est mme recommand. C'est trs bien. - Tout ce qui est recommand est trs bien. - Et mme ce n'est pas seulement recommand. C'est prescrit. - Par consquent c'est trs bien. - Mais enfin vous tes dans votre lit. Qu'est-ce que vous nommez votre - examen de conscience, faire votre examen de conscience. - Si c'est penser toutes les btises que vous avez faites dans la - journe, si c'est vous rappeler toutes les btises que vous avez - faites dans la journe - Avec un sentiment de repentance et je ne dirai peut-tre pas de - contrition, - Mais enfin avec un sentiment de pnitence que vous m'offrez, eh bien, - c'est bien. - Votre pnitence je l'accepte. Vous tes des braves gens, des bons - garons. - Mais si c'est que vous voulez ressasser et ruminer la nuit toutes les - ingratitudes du jour, - Toutes les fivres et toutes les amertumes du jour, - Et si c'est que vous voulez remcher la nuit tous vos aigres pchs - du jour, - Vos fivres aigres et vos regrets et vos repentirs et vos remords - plus aigres encore, - Et si c'est que vous voulez tenir un registre parfait de vos pchs, - De toutes ces btises et de toutes ces sottises, - Non, laissez-moi tenir moi-mme le Livre du Jugement. - Vous y gagnerez peut-tre encore. - Et si c'est que vous voulez compter, calculer, supputer comme un - notaire et comme un usurier et comme un publicain, - C'est--dire comme un collecteur d'impts, - C'est--dire comme celui qui ramasse les impts, - Laissez-moi donc faire mon mtier et ne faites pas - Des mtiers qui n'ont pas tre faits. - Vos pchs sont-ils si prcieux qu'il faille les cataloguer et les - classer - Et les enregistrer et les aligner sur des tables de pierre - Et les graver et les compter et les calculer et les compulser - Et les compiler et les revoir et les repasser - Et les supputer et vous les imputer ternellement - Et les commmorer avec on ne sait quelle sorte de pit. - Comme nous dans le ciel nous lions les gerbes ternelles, - Et les sacs de prire et les sacs de mrite - Et les sacs de vertus et les sacs de grce dans nos imprissables - greniers - Pauvres imitateurs, allez-vous prsent vous mler,-- - Et imitateurs contraires, imitateurs l'envers,-- - Allez-vous vous mettre lier tous les soirs - Les misrables gerbes de vos affreux pchs de chaque jour. - Quand ce ne serait que pour les brler, c'est encore trop. Ils n'en - valent mme pas la peine. - Pas mme de cela mme. - Vous n'y pensez que trop, vos pchs. - Vous feriez mieux d'y penser pour ne point les commettre. - Pendant qu'il en est encore temps, mon garon, pendant qu'ils ne sont - point encore commis. Vous feriez mieux d'y penser un peu plus alors. - Mais le soir ne liez point ces gerbes vaines. Depuis quand le - laboureur - Fait-il des gerbes d'ivraie et de chiendent. On fait des gerbes de - bl, mon ami. - Ne dressez point ces comptes et ces nomenclatures. C'est beaucoup - d'orgueil. - C'est aussi beaucoup de tranasserie. Et de paperasserie. Quand le - plerin, quand l'hte, quand le voyageur - A longtemps tran dans la boue des chemins, - Avant de passer le seuil de l'glise il s'essuie soigneusement les - pieds, - Avant d'entrer, - Parce qu'il est trs propre. - Et il ne faut pas que la boue des chemins souille les dalles de - l'glise. - Mais une fois que c'est fait, une fois qu'il s'est essuy les pieds - avant d'entrer, - Une fois qu'il est entr il ne pense plus toujours ses pieds, - Il ne regarde plus toujours si ses pieds sont bien essuys. - Il n'a plus de coeur, il n'a plus de regard, il n'a plus de voix - Que pour cet autel o le corps de Jsus - Et le souvenir et l'attente du corps de Jsus - Brille ternellement. - Il suffit que la boue des chemins n'ait point pass le seuil du - temple. - Il suffit qu'ils se soient bien essuy les pieds une fois avant de - passer le seuil du temple. - Bien soigneusement, bien proprement et n'en parlons plus. - On ne parle pas toujours de la boue. Ce n'est pas propre. - Transporter dans le temple la mmoire mme et le souci de la boue - Et la proccupation et la pense de la boue - C'est encore transporter de la boue dans le temple. - Or il ne faut point que la boue passe le seuil de la porte. - Quand l'hte arrive chez l'hte qu'il s'essuie simplement les pieds - avant d'entrer - Qu'il entre propre et les pieds propres et qu'ensuite - Il ne pense pas toujours ses pieds et la boue de ses pieds. - Or vous tes mes htes, dit Dieu, et je vaux bien ce Dieu qui tait - le Dieu des htes. - Vous tes mes htes et mes enfants qui venez dans mon temple. - Vous tes mes htes et mes enfants qui venez dans ma nuit. - Au seuil de mon temple, au seuil de ma nuit, essuyez-vous les pieds - et qu'on n'en parle plus. - Faites votre examen de conscience, mais que ce soit de vous essuyer - les pieds. - Et nullement au contraire que ce ne soit pas - De transporter dans le temple les boues et le souvenir des boues du - chemin - Et que ce ne soit pas de faire traner sur le seuil auguste de ma nuit - Les traces, les marques des boues - De vos sales chemins de la journe. - Dbarbouillez-vous le soir. C'est a, faire votre examen de - conscience. On ne se dbarbouille pas tout le temps. - Soyez comme ce plerin qui prend de l'eau bnite en entrant dans - l'glise - Et qui fait le signe de la croix. Ensuite il entre dans l'glise. - Et il ne prend pas tout le temps de l'eau bnite. - Et l'glise n'est pas compose uniquement de bnitiers. - Il y a ce qui est avant le seuil. Il y a ce qui est au seuil. Et il y - a ce qui est dans la maison. - Il faut entrer une fois, et ne pas sortir et entrer tout le temps. - Soyez comme ce plerin qui ne regarde plus que le sanctuaire. - Et qui n'entend plus. - Et qui ne voit plus que cet autel o mon fils a t sacrifi tant de - fois. - Imitez ce plerin qui ne voit plus que l'clat - Du resplendissement de mon fils - Entrez dans ma nuit comme chez moi. Car c'est l que je me suis - rserv - D'tre le matre. - Et si vous tenez absolument m'offrir quelque chose - Le soir en vous couchant - Que ce soit d'abord une action de grces - Pour tous les services que je vous rends - Pour les innombrables bienfaits dont je vous comble chaque jour - Dont je vous ai combls ce jour-l mme. - Remerciez-moi d'abord, c'est le plus press - Et c'est aussi le plus juste. - Ensuite que votre examen de conscience - Soit un dbarbouillement une fois fait - Et non point au contraire un tranassement de marques et de - souillures. - La journe d'hier est faite, mon garon, pense celle de demain. - Et ton salut qui est au bout de la journe de demain. - Pour hier il est trop tard. Mais pour demain il n'est pas trop tard - Et pour ton salut qui est au bout de la journe de demain. - Ton salut n'est plus hier. Mais il peut tre demain. - Hier est fait. Mais demain n'est pas fait, demain est faire - Et ton salut qui est au bout de la journe de demain. - Ton salut n'est pas dans le sens d'hier, il est dans le sens de - demain. - Porte-toi sur demain, ne te reporte pas sur hier. - Pensez donc un peu moins vos pchs quand vous les avez commis - Et pensez-y un peu plus au moment de les commettre. - Avant de les commettre. - Ce sera plus utile, dit Dieu. - Quand ils sont commis, quand ils sont faits il est trop tard. - Il n'est pas trop tard pour la pnitence. - Mais il est trop tard pour ne pas les commettre - Et ne pas les avoir commis. - Quand vous avez pass par dessus vos pchs, vous les faites gros - comme des montagnes, dit Dieu. - C'est au moment de les passer qu'il faut voir que ce sont en effet - des montagnes et qu'elles sont affreuses. - Vous tes vertueux aprs. Soyez donc vertueux avant - Et pendant. - L'heure qui sonne est sonne. Le jour qui passe est pass. Demain - seul reste, et les aprs demains - Et ils ne resteront pas longtemps. - Que vos examens de conscience et que vos pnitences - Ne soient donc point des raidissements et des cabrements en arrire, - Peuple la nuque dure, - Mais qu'ils soient des assouplissements et que vos examens de - conscience et que vos pnitences et que vos contritions mme les - plus amres - Soient des pnitences de dtente, malheureux enfants, et des - contritions de rmission - Et de remise en mes mains et de dmission. - (De dmission de vous). - Mais je vous connais, vous tes toujours les mmes. - Vous voulez bien me faire de grands sacrifices, pourvu que vous les - choisissiez. - Vous aimez mieux me faire de grands sacrifices, pourvu que ce ne soit - pas ceux que je vous demande - Que de m'en faire de petits que je vous demanderais. - Vous tes ainsi, je vous connais. - Vous ferez tout pour moi, except ce peu d'abandonnement - Qui est tout pour moi. - Soyez donc enfin, soyez comme un homme - Qui est dans un bateau sur la rivire - Et qui ne rame pas tout le temps - Et qui quelquefois se laisse aller au fil de l'eau. - - Ainsi vous et votre canot - Laissez-vous aller quelquefois au fil du temps - Et laissez-vous entrer bravement - Sous l'arche du pont de la nuit. - - - - On parle toujours, dit Dieu, de l'_imitation de Jsus-Christ_ - Qui est l'imitation, - La fidle imitation de mon fils par les hommes. - Et j'en ai connu et j'en connatrai des imitations si fidles, dit - Dieu, - Et si approches, - Que moi-mme j'en demeure saisi d'admiration et de respect. - Mais enfin il ne faut pas oublier - Que mon fils avait commenc par cette singulire imitation de l'homme. - Singulirement fidle. - Qui elle fut pousse jusqu' l'identit parfaite. - Quand si fidlement si parfaitement il revtit le sort mortel. - Quand si fidlement si parfaitement il imita de natre. - Et de souffrir. - Et de vivre. - Et de mourir. - - - - Mais quand je vous dis: Pensez plutt demain je ne vous dis pas: - Calculez ce demain. - Pensez-y comme un jour qui viendra; et que c'est tout ce que vous - en savez. - Ne soyez point ce malheureux qui se retourne et se consume dans son - lit - Pour saisir la journe de demain. - Ne portez point votre main - Sur le fruit qui n'est pas mr. - Sachez seulement que ce demain - Dont on parle toujours - Est le jour qui va venir, - Et qu'il sera de mon gouvernement - Comme les autres. - Et qu'il sera sous mon commandement - Comme les autres. - C'est tout ce qu'il vous faut. Pour le reste, attendez. - J'attends bien, moi, Dieu. Vous me faites assez attendre. - Vous me faites assez attendre la pnitence aprs la faute. - Et la contrition aprs le pch. - Et depuis le commencement des temps j'attends - Le jugement jusqu'au jour du jugement. - Je n'aime pas, dit Dieu, l'homme qui spcule sur demain. - Je n'aime pas celui qui sait mieux que moi ce que je vais faire. - Je n'aime pas celui qui sait ce que je ferai demain. - Je n'aime pas celui qui fait le malin. L'homme fort ce n'est pas mon - fort. - Penser au lendemain, quelle vanit. Gardez pour demain les larmes de - demain. - Il y en aura toujours assez. - Et ces sanglots qui vous remontent et qui vous tranglent. - Penser demain, savez-vous seulement comment je ferai demain. - Quel demain je vous ferai. - Savez-vous si moi-mme je l'ai arrt encore. - Je n'aime pas, dit Dieu, celui qui se mfie de moi. - Croyez-vous que je vais m'amuser vous faire des attrapes, comme un - roi barbare. - Croyez-vous que je passe ma vie vous tendre des piges et prendre - plaisir vous voir tomber dedans. - Je suis honnte homme, dit Dieu, et j'agis toujours droitement. - Je suis l'honneur mme, et la droiture, et l'honntet. - Je suis bon Franais, dit Dieu, droit comme un Franais. - Loyal comme un Franais. - Je suis le roi de France, droit comme le roi de France. - Ce que le dernier des pauvres n'et pas craint de saint Louis, - allez-vous le craindre de moi? - Enfin je vaux peut-tre saint Louis. - Croyez-vous que je vais m'amuser vous faire des feintes comme un - bretteur. - Toute la malice que j'ai, c'est la malice de ma grce, et la feinte - et la ruse de ma grce, qui si souvent joue avec le pcheur pour - son salut, pour l'empcher de pcher. - Qui sduit le pcheur; pour le sauver. Mais croyez-vous. Croyez-vous - que moi Dieu que je vais m'amuser leur faire des misres et ce - que ne ferait pas un honnte homme. Je suis bon chrtien, dit Dieu. - Croyez-vous que je vais m'amuser les surprendre comme un assassin - de nuit. - -JEANNETTE - - Il viendra comme un larron et comme un voleur de nuit. - -MADAME GERVAISE - - Et il prendra comme au filet. _Le royaume des cieux est encore - semblable une senne jete dans la mer, et rassemblant de tout - genre de poissons._ - -JEANNETTE - - _Laquelle, quand elle fut emplie, tirant de l'eau, et assis sur le - bord du rivage, ils choisirent les bons pour leurs vaisseaux, mais - jetrent les mauvais dehors._ - -MADAME GERVAISE - - _Il en sera ainsi dans la consommation du sicle: les anges sortiront - et spareront les mauvais du milieu des justes._ - -JEANNETTE - - _Et rpondant Jsus leur dit: Voyez que personne ne vous sduise._ - -MADAME GERVAISE - - _Mais de ce jour-l et de l'heure personne ne le sait, ni les anges - des cieux, sinon le pre seul._ - - _Mais comme dans les jours de No, ainsi sera aussi l'avnement du - Fils de l'homme. - (Le ciel et la terre passeront; mais mes paroles ne passeront pas)._ - - _Ainsi en effet qu'il y avait dans les jours avant le dluge des gens - qui mangeaient et buvaient, se mariaient et donnaient en mariage, - jusqu' ce jour o No entra dans l'arche._ - - _Et ils ne connurent pas jusqu' ce que vint le dluge, et les - emporta tous:_ - -JEANNETTE - - _Ainsi sera aussi l'avnement du Fils de l'homme._ - -MADAME GERVAISE - - Je suis leur pre, dit Dieu. _Notre Pre, qui tes aux Cieux._ Mon - fils le leur a assez dit, que je suis leur pre. - Je suis leur juge. Mon fils le leur a dit. Je suis aussi leur pre. - Je suis surtout leur pre. - Enfin je suis leur pre. Celui qui est pre est surtout pre. _Notre - Pre qui tes aux Cieux._ Celui qui a t une fois pre ne peut - plus tre que pre. - Ils sont les frres de mon fils; ils sont mes enfants; je suis leur - pre. - _Notre Pre qui tes aux cieux_, mon fils leur a enseign cette - prire. _Sic ergo vos orabitis. Vous prierez donc ainsi. - Notre Pre qui tes aux cieux_, il a bien su ce qu'il faisait ce - jour-l, mon fils qui les aimait tant. - Qui a vcu parmi eux, qui tait un comme eux. - Qui allait comme eux, qui parlait comme eux, qui vivait comme eux. - Qui souffrait. - Qui souffrit comme eux, qui mourut comme eux. - Et qui les aime tant les ayant connus. - Qui a rapport dans le ciel un certain got de l'homme, un certain - got de la terre. - Mon fils qui les a tant aims, qui les aime ternellement dans le - ciel. - Il a bien su ce qu'il faisait ce jour-l, mon fils qui les aime tant. - Quand il a mis cette barrire entre eux et moi, _Notre Pre qui tes - aux cieux_, ces trois ou quatre mots. - Cette barrire que ma colre et peut-tre ma justice ne franchira - jamais. - Heureux celui qui s'endort sous la protection de l'avance de ces - trois ou quatre mots. - Ces mots qui marchent devant toute prire comme les mains du - suppliant marchent devant sa face. - Comme les deux mains jointes du suppliant s'avancent devant sa face - et les larmes de sa face. - Ces trois ou quatre mots qui me vainquent, moi l'invincible. - Et qu'ils font marcher devant leur dtresse comme deux mains jointes - invincibles. - Ces trois ou quatre mots qui s'avancent comme un bel peron devant un - pauvre navire. - Et qui fendent le flot de ma colre. - Et quand l'peron est pass, le navire passe, et toute la flotte - derrire. - Actuellement, dit Dieu, c'est ainsi que je les vois; - Et pour mon ternit, ternellement, dit Dieu, - Par cette invention de mon Fils ternellement c'est ainsi qu'il faut - que je les voie. - (Et qu'il faut que je les juge. Comment voulez-vous, prsent, que - je les juge. - Aprs cela). - _Notre Pre qui tes aux cieux_, mon fils a trs bien su s'y prendre. - Pour lier les bras de ma justice et pour dlier les bras de ma - misricorde. - (Je ne parle pas de ma colre, qui n'a jamais t que ma justice. - Et quelquefois ma charit). - Et prsent il faut que je les juge comme un pre. Pour ce que a - peut juger, un pre. _Un homme avait deux fils_. - Pour ce que c'est capable de juger. _Un homme avait deux fils_. On - sait assez comment un pre juge. Il y en a un exemple connu. - On sait assez comment le pre a jug le fils qui tait parti et qui - est revenu. - C'est encore le pre qui pleurait le plus. - Voil ce que mon fils leur a cont. Mon fils leur a livr - le secret du jugement mme. - Et prsent voici comme ils me paraissent; voici comme je les vois; - Voici comme je suis forc de les voir. - De mme que le sillage d'un beau vaisseau va en s'largissant jusqu' - disparatre et se perdre, - Mais commence par une pointe, qui est la pointe mme du vaisseau. - Ainsi le sillage immense des pcheurs s'largit jusqu' disparatre - et se perdre - Mais il commence par une pointe, et c'est cette pointe qui vient vers - moi, - Qui est tourne vers moi. - Il commence par une pointe, qui est la pointe mme du vaisseau. - Et le vaisseau est mon propre fils, charg de tous les pchs du - monde. - Et la pointe du vaisseau ce sont les deux mains jointes de mon fils. - Et devant le regard de ma colre et devant le regard de ma justice - Ils se sont tous drobs derrire lui. - Et tout cet immense cortge des prires, tout ce sillage immense - s'largit jusqu' disparatre et se perdre. - Mais il commence par une pointe et c'est cette pointe qui est tourne - vers moi. - Qui s'avance vers moi. - Et cette pointe ce sont ces trois ou quatre mots: _Notre Pre qui - tes aux cieux_; mon fils en vrit savait ce qu'il faisait. - Et toute prire monte vers moi drobe derrire ces trois ou quatre - mots. - Et il y a une pointe de la pointe. C'est cette prire mme non plus - seulement dans son texte. - Mais dans son invention mme. Cette premire fois que rellement dans - le temps elle fut prononce. - Cette premire fois que mon fils la pronona. - Non plus seulement dans son texte comme elle est devenue un texte. - Mais dans son invention mme et dans son sourcement et dans son - forcement. - Quand elle-mme fut une naissance de prire, une incarnation et une - naissance de prire. Une esprance. - Une naissance d'esprance. - Une parole naissante. - Un rameau et un germe et un bourgeon et une feuille et une fleur et - un fruit de parole. - Une semence, un naissement de prire. - Un verbe entre les verbes. - Cette premire fois qu'elle sortit charnellement, temporellement des - lvres d'homme de mon fils. - Et dans la pointe de la pointe, dans cette pointe mme il y avait une - pointe. - Et c'taient ces trois ou quatre mots, _Notre Pre qui tes aux - cieux_, non plus seulement comme un texte, non plus seulement dans - leur texte. - Mais dans leur source mme. - Dans leur invention et dans leur bourgeonnement. - La premire fois que mon fils les pronona sur cette montagne. - Les pronona, les fit sortir de ses lvres d'homme. - La premire fois qu'elles sortirent rellement, temporellement, - charnellement, - De ces lvres de tendresse. - Et il tait debout sur cette montagne qui sera clbre dans les - sicles des sicles. - Sur cette montagne de la terre des hommes au-dessus de cette valle - qui allait en descendant. - _Notre Pre qui tes aux cieux_, il inventa cela. - Il tait avec eux, il tait comme eux, il tait un d'eux. - _Notre Pre_. Comme un homme qui jette un grand manteau sur ses - paules, - Tourn vers moi il s'tait revtu, - Il avait jet sur ses paules - Le manteau des pchs du monde. - _Notre Pre qui tes aux Cieux_. Et prsent derrire lui le pcheur - se drobe ma face. Et voici comme je vois, voici comme je suis - forc de les voir. Voici comment je me reprsente ce cortge. - Tout part d'un point, qui est tourn vers moi, de l'extrme pointe - d'une pointe. - Et ce point de pointe ce sont ces trois ou quatre mots comme ils - furent invents, comme ils furent introduits dans la cration du - monde. - Comme ils furent prononcs pour la premire fois par mon propre fils. - _Notre Pre qui tes aux cieux_. - Et derrire ce point s'avance la pointe elle-mme, c'est--dire la - prire tout entire. - Comme elle fut prononce cette premire fois-l. - Et derrire s'largit jusqu' disparatre et se perdre - Le sillage des prires innombrables - Comme elles sont prononces dans leur texte dans les jours - innombrables - Par les hommes innombrables, - (Par les simples hommes, ses frres). - Prires du matin, prires du soir; - (Prires prononces toutes les autres fois); - Tant d'autres fois dans les innombrables jours; - Prires du midi et de toute la journe; - Prires des moines pour toutes les heures du jour, - Et pour les heures de la nuit; - Prires des lacs et prires des clercs - Comme elles furent prononces d'innombrables fois - Dans les innombrables jours. - (Il parlait comme eux, il parlait avec eux, il parlait l'un d'eux). - Toute cette immense flotte de prires charge des pchs du monde. - Toute cette immense flotte de prires et de pnitences m'attaque - Ayant l'peron que vous savez, - S'avance vers moi ayant l'peron que vous savez. - C'est une flotte de charge, _classis oneraria_. - Et c'est une flotte de ligne, - Une flotte de combat. - Comme une belle flotte antique, comme une flotte de trirmes - Qui s'avancerait l'attaque du roi. - Et moi que voulez-vous que je fasse: je suis attaqu. - Et dans cette flotte, dans cette innombrable flotte - Chaque _Pater_ est comme un vaisseau de haut bord - Qui a lui-mme son propre peron, _Notre Pre qui tes aux cieux_ - Tourn vers moi, et qui s'avance derrire ce propre peron. - _Notre Pre qui tes aux cieux_, ce n'est pas malin. videmment quand - un homme a dit a, il peut se cacher derrire. - Quand il a prononc ces trois ou quatre mots. - Et derrire ces beaux vaisseaux de haut bord les _Ave Maria_ - S'avancent comme des galres innocentes, comme de virginales birmes. - Comme des vaisseaux plats, qui ne blessent point l'humilit de la mer. - Qui ne blessent point la rgle, qui suivent, humbles et fidles et - soumis au ras de l'eau. - _Notre Pre qui tes aux cieux_. videmment quand un homme a commenc - comme a. - Quand il m'a dit ces trois ou quatre mots. - Quand il a commenc par faire marcher devant lui ces trois ou quatre - mots. - Aprs il peut continuer, il peut me dire ce qu'il voudra. - Vous comprenez, moi, je suis dsarm. - Et mon fils le savait bien. - Qui a tant aim ces hommes. - Qui avait pris got eux, et la terre, et tout ce qui s'ensuit. - Et dans cette flotte innombrable je distingue nettement trois grandes - flottes innombrables. - (Je suis Dieu, je vois clair). - Et voici ce que je vois dans cet immense sillage qui commence par - cette pointe et qui de proche en proche peu peu se perd - l'horizon de mon regard. - Ils sont tous l'un derrire l'autre, mme ceux qui dbordent le - sillage - Vers ma main gauche et vers ma main droite. - En tte marche la flotte innombrable des _Pater_ - Fendant et bravant le flot de ma colre. - Puissamment assis sur leurs trois rangs de rames. - (Voil comme je suis attaqu. Je vous le demande. Est-ce juste?) - (Non, ce n'est point juste, car tout ceci est du rgne de ma - Misricorde) - Et tous ces pcheurs et tous ces saints ensemble marchent derrire - mon fils - Et derrire les mains jointes de mon fils. - Et eux-mmes ont les mains jointes comme s'ils fussent mon fils. - Enfin mes fils. Enfin chacun un fils comme mon fils. - En tte marche la lourde flotte des _Pater_ et c'est une flotte - innombrable. - C'est dans cette formation qu'ils m'attaquent. Je pense que vous - m'avez compris. - _Le royaume du ciel souffre la force, et les hommes de force le - prendront de force_. Ils le savent bien. Mon fils leur a tout dit. - _Regnum coeli_, le royaume du ciel. Ou _regnum coelorum_, le - royaume des cieux. - _Regnum coeli vim patitur. Et violenti rapient illud_. Ou _rapiunt_. - Le royaume du ciel souffre la violence. Et les violents le violent. - Ou le violeront. - Comment voulez-vous que je me dfende. Mon fils leur a tout dit. Et - non seulement cela. Mais dans le temps il s'est mis leur tte. Et - ils sont comme une grande flotte antique, comme une flotte - innombrable qui s'attaquerait au grand roi. Derrire le point, - derrire l'extrme point de cette extrme pointe cette extrme - pointe s'avance et derrire et se tenant serre comme un faisceau - que je ne puis rompre cette pointe elle-mme et aussitt derrire - s'avancent effrontment ces lourdes trirmes antiques et elles - fendent, plus serres que la phalange macdonienne, impudemment - elles fendent le flot de ma colre, et de la colre de ma justice. - (Et de la justice de ma colre). - Lies comme un faisceau d'hommes la guerre elles s'avancent - lourdement portes sur leurs trois rangs de rames. - Et cette flotte est plus innombrable que la flotte des Achens. - Et reculant je reconnais les trois ponts superposs, les trois - invincibles, les trois insubmersibles ponts. - Plus forts que l'ocan de ma colre. - Et je reconnais les trois rangs de rames. - Et ce sont des rames juives et ce sont des rames grecques. - Et ce sont des rames latines et ce sont des rames franaises. - Et le premier rang de rames est: - - - (S'il n'y a que la justice, qui sera sauv. - Mais s'il y a la misricorde, qui sera perdu. - S'il y a la misricorde, qui peut se vanter de se perdre. - - - Se sauver est impossible l'homme; mais rien n'est impossible Dieu. - - - Du haut de mon promontoire, - Du promontoire de ma justice, - Et du sige de ma colre, - Et de la chaire de ma jurisprudence, - _In cathedra jurisprudentiae_, - Du trne de mon ternelle grandeur - Je vois monter vers moi, du fond de l'horizon je vois venir - Cette flotte qui m'assaille, - La triangulaire flotte, - Me prsentant cette pointe que vous savez. - - - Comme les grues volent en triangle dans le ciel, - Et ainsi vont o elles veulent, - Fendant l'air et refoulant la force du vent mme, - Et la plus forte est devant faisant la pointe du triangle, - Ainsi cette grande flotte triangulaire - Vole et navigue et vogue - Et pour ainsi dire vole - Pour traverser l'ocan de ma colre. - Et le plus fort est devant faisant la pointe du triangle. - Et ils se sont mis derrire lui de proche en proche - Et de proche en proche ils disparaissent tous au regard de ma colre. - Ils sont masss comme des peureux; et qui leur en ferait un reproche. - Comme des passereaux timides ils sont masss derrire celui qui est - fort. - Et ils me prsentent cette pointe. - Et ils fendent ainsi le vent de ma colre et ils refoulent la force - mme des temptes de ma justice. - Et le souffle de ma colre n'a plus aucune prise sur cette masse - angulaire, - Aux fuyantes ailes. - Car ils me prsentent cet angle et je ne puis les prendre que sous - cet angle. - Que sont ici les flottes grecques et les flottes persiques; - Et les flottes puniques et les flottes romaines; - Et les flottes anglaises et les flottes franaises - Qu'une lame de fond roule ternellement. - Ici s'avance une flotte que nulle lame de fond de ma colre ne - roulera jamais. - Et drobs les uns derrire les autres je dcouvre une flotte - innombrable. - Et les derniers se perdent comme dans une brume l'horizon de mon - regard. - Et dans cette flotte innombrable je dcouvre trois flottes galement - innombrables. - Et la premire est devant, pour m'attaquer plus durement. C'est la - flotte de haut bord, - Les navires la puissante carne, - Cuirasss comme des hoplites, - C'est--dire comme des soldats pesamment arms. - Et ils se meuvent invinciblement ports sur leurs trois rangs de - rames. - - Et le premier rang de rames est: - _Que votre nom soit sanctifi, - Le vtre;_ - - Et le deuxime rang de rames est: - _Que votre rgne arrive, - Le vtre;_ - - Et le troisime rang de rames est la parole entre toutes - insurmontable: - _Que votre volont soit faite sur la terre comme au ciel, - La vtre._ - - _Sanctificetur nomen - Tuum._ - - _Adveniat regnum - Tuum._ - - _Fiat voluntas - Tua - Sicut in coelo et in terra._ - - Et telle est la flotte des _Pater_, solide et plus innombrable que - les toiles du ciel. Et derrire je vois la deuxime flotte, et - c'est une flotte innombrable, car c'est la flotte aux blanches - voiles, l'innombrable flotte des _Ave Maria_. - Et c'est une flotte de birmes. Et le premier rang de rames est: - _Ave Maria, gratia plena;_ - - Et le deuxime rang de rames est: - _Sancta Maria, mater Dei._ - - - - Et tous ces _Ave Maria_, et toutes ces prires de la Vierge et le - noble _Salve Regina_ sont de blanches caravelles, humblement - couches sous leurs voiles au ras de l'eau; comme de blanches - colombes que l'on prendrait dans la main. - Or ces douces colombes sous leurs ailes, - Ces blanches colombes familires, ces colombes dans la main, - Ces humbles colombes couches au ras de la main, - Ces colombes accoutumes la main, - Ces caravelles vtues de voilures - De tous les vaisseaux ce sont les plus opportunes, - C'est--dire celles qui se prsentent le plus directement devant le - port. - - - - Telle est la deuxime flotte, ce sont les prires de la Vierge. Et la - troisime flotte ce sont les autres innombrables prires. - Toutes. Celles qui se disent la messe et aux vpres. Et au salut. - Et les prires des moines qui marquent toutes les heures du jour. Et - les heures de la nuit. - Et le _Benedicite_ qui se dit pour se mettre table. - Devant une bonne soupire fumante. - Toutes, enfin toutes. Et il n'en reste plus. - - - - Or je vois la quatrime flotte. Je vois la flotte invisible. Et ce - sont toutes les prires qui ne sont pas mme dites, les paroles qui - ne sont pas prononces. - Mais moi je les entends. Ces obscurs mouvements du coeur, les obscurs - bons mouvements, les secrets bons mouvements. - Qui jaillissent inconsciemment et qui naissent et inconsciemment - montent vers moi. - Celui qui en est le sige ne les aperoit mme pas. Il n'en sait - rien, et il n'en est vraiment que le sige. - Mais moi je les recueille, dit Dieu, et je les compte et je les pse. - Parce que je suis le juge secret. - - - - Telles sont, dit Dieu, ces trois flottes innombrables. Et la - quatrime. - Ces trois flottes visibles et cette quatrime invisible. - Ces prires secrtes dont un coeur est le sige, ces prires secrtes - du coeur. Ces mouvements secrets. - Et assailli aussi effrontment, assailli de prires et de larmes, - Directement assailli, assailli en pleine face - Aprs cela on veut que je les condamne. Comme c'est commode. - On veut que je les juge. On sait assez comment finissent tous ces - jugements-l et toutes ces condamnations. - _Un homme avait deux fils_. a finit toujours par des embrassements. - (Et c'est encore le pre qui pleure le plus). - Et par cette tendresse qui est, que je mettrais au-dessus des Vertus - mme. - Parce qu'avec sa soeur la Puret elle procde directement de la - Vierge. - - - D'autres galres, dit Dieu, en d'autres temps - D'autres galres ont vogu vers les sanctuaires des les - Et vers les temples qui taient sur les promontoires. - Mais cette fois-ci voici la flotte - Qui assaille le saint des saints. - - - - _Le royaume des cieux souffre la violence. Et les violents le - ravissent._ - Et voici l'ordre de ce rapt et de ce ravissement. - En tte c'est comme un coin ces trois ou quatre paroles, _Notre Pre - qui tes aux cieux_, celles qui furent prononces rellement pour - la premire fois par mon fils. - Derrire c'est toute la prire, celle qui fut prononce rellement - pour la premire fois par mon fils. - Derrire, achevant, constituant la premire flotte ce sont tous les - autres _Notre Pre_ - Mais chacun prcd de sa propre pointe - Qui est ces trois ou quatre mots. - Et derrire seulement viennent les trois autres flottes. - Et toutes ces quatre flottes sont sur voiles. - Et ces _Pater_, qui sont des hommes, ont de fortes voiles brunes - Pleines et rugueuses, au tissu serr. - En toile bise, en toile crue. Mais les _Ave Maria_ - Courent sous de souples et courbes voiles blanches. Et toutes ces - quatre flottes - S'avancent incurves. - Ainsi le coin fend le bois par la pointe. - Ainsi quand des soldats veulent monter l'assaut, - Quand ils vont monter au moment mme ils font une pointe, un - avancement - Un toit de leurs boucliers et quelquefois de leurs corps. - Ainsi le front du blier enfonce la plus lourde porte. - Et ces caravelles de la deuxime flotte - Sont comme des colombes blotties dans la main. - - - - Ce _Notre Pre_, dit Dieu est le pre des prires. C'est comme celui - qui marche en tte. - C'est un homme robuste, et la prire du _Je vous salue Marie_ est - comme une humble femme. - Et les autres prires sont derrire eux comme des enfants. - Et le _Notre Pre_ et le _Je vous salue Marie_ sont comme l'homme et - la femme. - Qui vont l'un derrire l'autre et qui fendent la foule qui est venue - pour la procession. - L'homme va devant et fend le flot de la foule, - La foule de ma colre, - Et la femme suit derrire dans le sillage. - Et l'homme a pris sur ses paules califourchon - Cette curieuse enfant Esprance. - Et le _Notre Pre_ est le roi et le _Je vous salue Marie_ est la - reine et l'esprance est la dauphine. - Et c'est un jeu de cartes et le _Notre Pre_ est le roi et le _Je - vous salue Marie_ est la reine et tous les autres sont - les fidles valets. - - - J'ai souvent jou avec l'homme, dit Dieu. Mais quel jeu, c'est un jeu - dont je tremble encore. - J'ai souvent jou avec l'homme, mais Dieu c'tait pour le sauver et - j'ai assez trembl de ne pas pouvoir le sauver, - De ne pas russir le sauver. Je veux dire j'ai assez trembl - redoutant de ne pouvoir le sauver, - Me demandant si je russirais le sauver. - - - J'ai souvent jou avec l'homme, et je sais que ma grce est - insidieuse, et combien et comment elle se tourne et elle joue. Elle - est plus ruse qu'une femme. - Mais elle joue avec l'homme et le tourne et tourne l'vnement et - c'est pour sauver l'homme et l'empcher de pcher. - - - Je joue souvent contre l'homme, dit Dieu, mais c'est lui qui veut - perdre, l'imbcile, et c'est moi qui veux qu'il gagne. - Et je russis quelquefois - A ce qu'il gagne. - - - - C'est le cas de le dire, nous jouons qui perd gagne. - Du moins lui, car moi si je perdais, je perds. - Mais lui quand il perd, alors seulement il gagne. - Singulier jeu, je suis son partenaire et son adversaire - Et il veut gagner, contre moi, c'est--dire perdre. - Et moi son adversaire je veux le faire gagner. - - - Et le royaume du _Notre Pre_ est le royaume mme de l'esprance: - _Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour._ - (Et le royaume du _Je vous salue Marie_ est un royaume plus secret). - - - Celui qui a dit le soir son _Notre Pre_ peut dormir tranquille. - Croyez-vous que je vais m'amuser faire des misres ces pauvres - enfants. - Suis-je pas leur pre. - Et que je vais m'amuser leur faire des surprises comme on en fait - la guerre. - Est-ce que je leur fais la guerre? - Oui je leur fais la guerre, mais sait bien pourquoi. - C'est pour les empcher de perdre la bataille. - Je suis un honnte homme, dit Dieu. - Croyez-vous que je vais m'amuser les prendre dans leur sommeil - Comme un homme de guerre qui prend son ennemi. - Croyez-vous que j'aie quelque got les prendre en dfaut. - Et que a m'amuse, de condamner. - Pauvres gens. Je vous le demande. - Suis-je donc un bourreau d'Orient? - Sans doute il est arriv quelquefois,-- - Rarement,-- - Que j'ai saisi un criminel tout endormi - Dans la nuit qui prcdait l'accomplissement, - La perptration de son crime, - Et que je l'ai pris par la peau du cou. - Et que je l'ai tran tout pantelant devant mon Tribunal. - Comme un chien crev. - Mais cela mme je l'ai fait pour bien peu. Pour trop peu. - Je ne l'ai pas fait assez souvent. J'aurais d le faire plus souvent. - J'ai laiss Caphe, et Pilate, et Judas - Dormir tout le sommeil jusqu'au matin - De la nuit qui prcdait l'accomplissement, - La perptration de leur forfait. - Et ce que je n'ai pas fait pour ces trois l, et pour tant d'autres. - Ce que j'ai fait peine pour les rois d'Orient. - _Mane, Thecel, Phars_ vous voudriez que je le fasse. - Pour un bon chrtien, pour un bon paysan de mes paroisses franaises. - Qui a labour tout le jour, qui a travaill, comme c'est la loi, pour - nourrir sa femme et ses trois enfants. - Qui le soir a mang une bonne assiette de soupe et bu un malheureux - verre de vin. - Et qui s'est couch dans son lit recru de fatigue, - Rompu. - Ce que je n'ai pas fait pour les rois d'gypte et pour les rois de - Babylonie. - Vous voudriez que je le fasse pour ce malheureux. - Qui a femme et enfants. - Croyez-vous que je vais le prendre en tratre? - Et qui serais-je, moi leur pre. Non, non, rassurez-vous. - Suis-je donc un mercenaire qui ramasserait - Et qui volerait du bois pour son feu. - Quand un de ces malheureux meurt dans son sommeil, - Ayant fait sa prire du soir, - Son _Notre Pre_ et son _Je vous salue Marie_, - C'est bon signe; son affaire est bonne. - C'est signe qu'il tait mr pour paratre devant mon tribunal. - Mr dans le bon sens. - Voil les surprises que je fais. Je le jugerai comme un pre. - _Un homme avait deux fils_. Et l'on sait comment les pres jugent. - Celui qui a fait sa prire peut lever l'ancre - _Pour la traverse de la nuit_. - O nuit, dit Dieu, ma fille au grand manteau, ma fille au manteau - d'argent. - Par toi j'obtiens quelquefois le dsistement de l'homme. - Et le renoncement de l'homme. - Et le draidissement de l'homme. - Et qu'il se taise, surtout, qu'il se taise, il n'en finit pas de - parler. - Pour ce qu'il dit. Pour ce que a vaut ce qu'il dit. - Et qu'il cesse de penser. Pour ce que a vaut. - Crature la nuque raide. Crature aux tempes barres. Je n'aime - pas, dit Dieu, - Celui qui a la tte comme un morceau de bois. Les idoles aussi - taient en bois. - Celui qui dans un perptuel raidissement roule une perptuelle - migraine. - Je n'aime pas, dit Dieu, celui qui pense - Et qui se tourmente et qui se soucie - Et qui roule une migraine perptuelle - Dans la barre du front et un mal de tte - Dans le creux de la nuque dans le derrire de la tte. - Au point d'inquitude. - Et qui a les sourcils froncs perptuellement - Comme un secrtement malheureux. - Et les tempes battantes et qui est brl de fivre. - Et aussi qui a les bords des paupires frips - A force de regarder le jour du lendemain. - Ne suffit-il pas que moi je le regarde, le jour du lendemain. - O nuit tu obtiens quelquefois le dsistement de ce malheureux. - Et qu'il se dtende. C'est tout ce que je leur demande. - Qu'il ne roule point un flot perptuel dans sa tte, - Un ocan d'inquitude. - Qu'est-ce que je leur demande. Qu'ils ferment un peu les yeux. - Qu'ayant fait leur prire ils se couchent dans leur lit en long. - Les jambes au bout des pieds et le corps au bout des jambes et la - tte au bout du corps. - Qu'ils dsarment enfin, ces pauvres enfants, qu'ils ne prennent plus - des gardes contre moi. - Qu'ils dorment comme des btes, comme un bon cheval de labour sur de - la bonne paille, sans penser, - Sans prvoir, sans calculer, - Voil ce que je demande, ce n'est pourtant pas difficile. - Voil ce que je ne peux pas obtenir. - Ils veulent toujours faire mon mtier, qui est de peser le lendemain. - Ils ne veulent jamais faire le leur, qui est de le subir. - Voil ce que je ne peux jamais obtenir. - Ils se tourmentent, ils se tendent, ils se travaillent. - Et toi seule nuit quelquefois tu l'obtiens, - Qu'ils tombent dans un lit perdus de lassitude. - O nuit sera-t-il dit que tout ce que je pourrai leur offrir et tout - ce que je pourrai inventer. - Et que mon Paradis sera cela. - Et que tout ce qu'ils voudront ce sera cela. - Et qu'ils seront si fatigus de la vie, et qu'ils seront si rids, - Et qu'ils auront t si frips par une telle existence, - Par la vie de cette terre - Qu'ils ne voudront entendre que cela. - Sera-t-il dit qu'il y aura des fronts si courbs qu'ils ne se - relveront jamais. - Et des reins si rompus qu'ils ne se redresseront jamais. - Et des paules si votes que jamais elles ne se redresseront. - Et des fronts si rids que jamais ils ne se drideront. - Et des yeux si voils qu'ils ne se dvoileront jamais. - Et des peaux si fltries que jamais elles ne redeviendront fraches. - Et des peaux si fanes que jamais elles ne redeviendront jeunes. - Et des peaux si tannes que jamais elles ne redeviendront neuves. - Et des peaux si meurtries que jamais elles ne redeviendront saines. - Et des mes si fltries que jamais elles ne redeviendront pures. - Et des mmoires si pleines que jamais elles ne redeviendront vides. - Et des bords de paupire si ourls que jamais ils ne redeviendront - purs. - Et des paupires si uses de travail que jamais elles ne - redeviendront lisses. - Et des voix si voiles que jamais elles ne redeviendront pures. Que - jamais elles ne redeviendront jeunes. - Et des regards si voils que jamais ils ne redeviendront profonds. - Et des voix si noyes de sanglots. - Et des yeux si noys de travail, et des yeux si noys de larmes. - Des yeux perdus, des voix perdues. - Et des mmoires si perdues de peines que jamais elles ne - redeviendront neuves. - Et des mes si perdues de dtresse que jamais elles ne redeviendront - jeunes. - Que jamais elles ne redeviendront enfants. - Et que les cheveux blancs jamais ne redeviendront - Des cheveux boucls de jeunesse. - Et que ces pauvres cratures auront pass par de telles dtresses. - Par de telles preuves. - Et qu'elles auront dans leurs mmoires des histoires telles. - Qu'elles ne pourront les oublier jamais. - Sera-t-il dit qu'il y a des plis qu'on ne pourra pas dfaire. - Avec un fer repasser. - Des traces que l'on ne pourra pas effacer. - Laver au battoir la rivire. Laver au lavoir. - Et que les preuves uniques et que les uniques dtresses de cette - terre - Les auront marqus pour ternellement. - Et qu'ils ne voudront rien savoir - Et qu'ils ne voudront entendre rien - (Je joue toujours contre moi, dit Dieu. - Sans doute il est arriv quelquefois, - Trop rarement, - (Et je regrette bien de ne pas l'avoir fait plus souvent, - Au moins quelquefois plus souvent) - Que j'ai saisi un criminel tout chaud dans la nuit de son crime. - Et que je l'ai pris par la peau du cou. - Et que je l'ai tran tout pantelant devant mon Tribunal. - Comme un chien crev. - Mais c'est qu'ils prparaient de telles horreurs et de telles - monstruosits. - Que moi Dieu j'en ai t pouvant. - Et que dans ma propre nuit j'en ai t saisi d'horreur. - Et que je n'ai pas pu attendre au soir du jour qu'ils prparaient. - Et que je n'ai pas mme pu supporter l'ide. - Que cela se ferait, que cela se passerait, que cela aurait lieu, - Qu'ils prparaient. - Et que j'ai perdu patience. Et pourtant je suis patient. - Parce que je suis ternel. - Et je les ai saisis dans la prparation de l'accomplissement. - Mais je n'ai pas pu me retenir. C'tait plus fort que moi. J'ai aussi - ma face de colre. - Mais ces bourreaux et ces criminels. - Que j'ai pris par la peau de l'chine et que j'ai trans tout - vivants. - Combien taient-ils et combien de fois cela est-il arriv. - Or ce que je n'ai pas fait pour Cyrus et pour Cambyse. - Et pour les festins de Sardanapale. - Et pour les rois de Ninive et de Babylone. - Et pour les peuples de Babel. - Et pour Nabuchodonosor et pour Tglath-Phalazar. - Croyez-vous que je vais le faire prsent contre un pauvre laboureur. - Pour qui me prenez-vous. Qui me faites-vous. - Croyez-vous que je vais mobiliser la foudre et les clairs. - Et dranger le tonnerre de Dieu. - Et tout le tremblement contre mes vieilles paroisses franaises. - Non, non, bonnes gens, mangez votre soupe et dormez. - Faites une bonne journe, (si vous pouvez), mangez votre soupe, une - bonne plate de soupe, une pleine soupire si vous pouvez, s'il y - en a, une bonne soupire bien fumante pleine de pommes de terre; - faites votre prire; et dormez. - Celui qui fait sa prire, _Notre Pre qui tes aux cieux_, pose entre - lui et moi - Une barrire infranchissable ma colre. - Et peut s'abandonner au sommeil de la nuit. - (O nuit, je t'ai cre la premire). _Que votre volont soit faite_. - Or ce que je n'ai pas fait contre les races perdues. - Vous voudriez que je le fasse contre mes paroisses franaises. - Un vnement s'est pass dans l'intervalle, un vnement est - intervenu, un vnement a fait barrire. - C'est que mon fils est venu. - Et moi qu'est-ce que je serais sans mes vieilles paroisses franaises. - Qu'est-ce que je deviendrais. C'est l que mon nom monte - ternellement. - Depuis quand le gnral dcime-t-il ses meilleurs soldats. Ce sont - mes meilleures troupes. - Croyez-vous que je vais aller surprendre dans son sommeil mon propre - camp. - Ils sont mes propres hommes. Vais-je me mettre - A dcimer mes propres hommes. - Je ferais une belle bataille, aprs. - Oh je sais bien qu'ils ne sont pas parfaits. - Ils sont comme ils sont. Ce sont mes meilleures troupes. - Il faut aimer ces cratures comme elles sont. - Quand on aime un tre, on l'aime comme il est. - Il n'y a que moi qui est parfait. - C'est mme pour cela peut-tre - Que je sais ce que c'est que la perfection - Et que je demande moins de perfection ces pauvres gens. - Je sais, moi, combien c'est difficile. - Et combien de fois quand ils peinent tant dans leurs preuves - J'ai envie, je suis tent de leur mettre la main sous le ventre - Pour les soutenir dans ma large main - Comme un pre qui apprend nager son fils - Dans le courant de la rivire - Et qui est partag entre deux sentiments. - Car d'une part s'il le soutient toujours et s'il le soutient trop - L'enfant s'y fiera et il n'apprendra jamais nager. - Mais aussi s'il ne le soutient pas juste au bon moment - Cet enfant boira un mauvais coup. - Ainsi moi quand je leur apprends nager dans leurs preuves - Moi aussi je suis partag entre ces deux sentiments. - Car si je les soutiens toujours et je les soutiens trop - Ils ne sauront jamais nager eux-mmes. - Mais si je ne les soutiens pas juste au bon moment - Ces pauvres enfants boiraient peut-tre un mauvais coup. - Telle est la difficult, elle est grande. - Et telle la duplicit mme, la double face du problme. - D'une part il faut qu'ils fassent leur salut eux-mmes. C'est la - rgle. - Et elle est formelle. Autrement ce ne serait pas intressant. Ils ne - seraient pas des hommes. - Or je veux qu'ils soient virils, qu'ils soient des hommes et qu'ils - gagnent eux-mmes - Leurs perons de chevaliers. - D'autre part il ne faut pas qu'ils boivent un mauvais coup - Ayant fait un plongeon dans l'ingratitude du pch. - Tel est le mystre de la libert de l'homme, dit Dieu, - Et de mon gouvernement envers lui et envers sa libert. - Si je le soutiens trop, il n'est plus libre - Et si je ne le soutiens pas assez, il tombe. - Si je le soutiens trop, j'expose sa libert - Si je ne le soutiens pas assez, j'expose son salut: - Deux biens en un sens presque galement prcieux. - Car ce salut a un prix infini. - Mais qu'est-ce qu'un salut qui ne serait pas libre. - Comment serait-il qualifi. - Nous voulons que ce salut soit acquis par lui-mme. - Par lui-mme l'homme. Soit procur par lui-mme. - Vienne en un sens de lui-mme. Tel est le secret, - Tel est le mystre de la libert de l'homme. - Tel est le prix que nous mettons la libert de l'homme. - Parce que moi-mme je suis libre, dit Dieu, et que j'ai cr l'homme - mon image et ma ressemblance. - Tel est le mystre, tel est le secret, tel est le prix - De toute libert. - Cette libert de cette crature est le plus beau reflet qu'il y ait - dans le monde - De la Libert du Crateur. C'est pour cela que nous y attachons, - Que nous y mettons un prix propre. - Un salut qui ne serait pas libre, qui ne serait pas, qui ne viendrait - pas d'un homme libre ne nous dirait plus rien. Qu'est-ce que ce - serait. - Qu'est-ce que a voudrait dire. - Quel intrt un tel salut prsenterait-il. - Une batitude d'esclaves, un salut d'esclaves, une batitude serve, - en quoi voulez-vous que a m'intresse. Aime-t-on tre aim par - des esclaves. - S'il ne s'agit que de faire la preuve de ma puissance, ma puissance - n'a pas besoin de ces esclaves, ma puissance est assez connue, on - sait assez que je suis le Tout-Puissant. - Ma puissance clate assez dans toute matire et dans tout vnement. - Ma puissance clate assez dans les sables de la mer et dans les - toiles du ciel. - Elle n'est point conteste, elle est connue, elle clate assez dans - la cration inanime. - Elle clate assez dans le gouvernement, - Dans l'vnement mme de l'homme. - Mais dans ma cration anime, dit Dieu, j'ai voulu mieux, j'ai voulu - plus. - Infiniment mieux. Infiniment plus. Car j'ai voulu cette libert. - J'ai _cr_ cette libert mme. Il y a plusieurs degrs de mon trne. - Quand une fois on a connu d'tre aim librement, les soumissions - n'ont plus aucun got. - Quand on a connu d'tre aim par des hommes libres, les - prosternements d'esclaves ne vous disent plus rien. - Quand on a vu saint Louis genoux, on n'a plus envie de voir - Ces esclaves d'Orient couchs par terre - Tout de leur long plat ventre par terre. tre aim librement, - Rien ne pse ce poids, rien ne pse ce prix. - C'est certainement ma plus grande invention. - Quand on a une fois got - D'tre aim librement - Tout le reste n'est plus que soumissions. - C'est pour cela, dit Dieu, que nous aimons tant ces Franais, - Et que nous les aimons entre tous uniquement - Et qu'ils seront toujours mes fils ans. - Ils ont la libert dans le sang. Tout ce qu'ils font, ils le font - librement. - Ils sont moins esclaves et plus libres dans le pch mme - Que les autres ne le sont dans leurs exercices. Par eux nous avons - got. - Par eux nous avons invent. Par eux nous avons cr - D'tre aims par des hommes libres. Quand saint Louis m'aime, dit - Dieu, - Je sais qu'il m'aime. - Au moins je sais qu'il m'aime, celui-l, parce que c'est un baron - franais. Par eux nous avons connu - D'tre aims par des hommes libres. Tous les prosternements du monde - Ne valent pas le bel agenouillement droit d'un homme libre. Toutes - les soumissions, tous les accablements du monde - Ne valent pas une belle prire, bien droite agenouille, de ces - hommes libres-l. Toutes les soumissions du monde - Ne valent pas le point d'lancement - Le bel lancement droit d'une seule invocation - D'un libre amour. Quand saint Louis m'aime, dit Dieu, je suis sr, - Je sais de quoi on parle. C'est un homme libre, c'est un libre baron - de l'Ile de France. Quand saint Louis m'aime - Je sais, je connais ce que c'est que d'tre aim. - (Or c'est tout). Sans doute il craint Dieu. - Mais c'est d'une noble crainte, toute emplie, toute gonfle, - Toute pleine d'amour, comme un fruit gonfl de jus. - Nullement quelque lche, quelque basse crainte, quelque sale peur - Qui prend dans le ventre. Mais une grande, mais une haute, mais une - noble crainte, - La peur de me dplaire, parce qu'il m'aime, et de me dsobir, parce - qu'il m'aime, - Et, parce qu'il m'aime, la peur - De ne pas tre trouv agrable - Et aimant et aim sous mon regard. Nulle infiltration, dans cette - noble crainte, - D'une mauvaise peur et d'une pernicieuse et vile lchet. - Et quand il m'aime, c'est vrai. Et quand il dit qu'il m'aime, c'est - vrai. Et quand il dit qu'il aimerait mieux - tre lpreux que de tomber en pch mortel (tant il m'aime), c'est - vrai. - Lui je sais que c'est vrai. - Ce n'est pas vrai seulement qu'il le dit. C'est vrai que c'est vrai. - Il ne dit pas a pour que a fasse bien. - Il ne dit pas a parce qu'il a vu a dans les livres ni parce qu'on - lui a dit de le dire. Il dit a parce que a est. - Il m'aime ce point. Il m'aime ainsi. Librement. La preuve que j'en - ai dans la mme race - C'est que le sire de Joinville (que j'aime tant tout de mme) qui est - un autre baron franais, - Qui aimerait mieux au contraire avoir commis trente pchs mortels - que de devenir lpreux, - (Trente, le malheureux, comme il ne sait pas ce qu'il dit) - Ne se gne pas non plus pour dire ce qu'il pense - C'est--dire pour dire le contraire - En prsence mme d'un si grand roi - Et d'un si grand saint - Que pourtant il connaissait pour tel, - C'est--dire pour contrarier un si grand roi et un si grand saint. La - libert de parole - De celui qui ne veut pas risquer le coup - D'tre lpreux plutt que de tomber en pch mortel - Me garantit la libert de parole de celui qui aime mieux tre lpreux - Que de tomber en pch mortel. - Si l'un dit ce qu'il pense, l'autre aussi dit ce qu'il pense. - L'un prouve l'autre. - Ils n'ont pas peur de contrarier mme le roi, mme le saint. - Mais aussi quand ils parlent, on sait qu'ils parlent comme ils sont. - Et qu'ils pensent ce qu'ils disent. Et qu'ils disent ce qu'ils - pensent. C'est tout un. - Que ne ferait-on pas pour tre aim par de tels hommes. - La servitude est un air que l'on respire dans une prison - Et dans une chambre de malade. Mais la libert - Est ce grand air que l'on respire dans une belle valle - Et encore plus flanc de coteau et encore plus sur un large plateau - bien ar. - Or il y a un certain got de l'air pur et du grand air - Qui fait les hommes forts, un certain got de sant, - D'une pleine sant, virile, qui fait paratre tout autre air - Enferm, malade, confin. - Celui-l seul qui vit au grand air - A la peau assez cuite et l'oeil assez profond et le sang de sa race. - Ainsi celui-l seul qui vit la grande libert - A la peau assez cuite et l'me assez profonde et le sang de ma grce. - Que ne ferait-on pas pour tre aim par de tels hommes. - Comme ils sont francs entre eux, ainsi ils sont francs avec moi. - Comme ils se disent la vrit entre eux, ainsi ils me disent la - vrit moi. - Et comme le baron n'a point peur de contrarier le roi et le saint - mme, - (Qu'il aime tant, qu'il estime son prix, pour qui il se ferait - tuer), - Ainsi je l'avoue ils n'ont quelquefois pas peur de me contrarier. - Moi le roi, moi le saint. Mais quand ils m'aiment, ils m'aiment. - Ils m'estiment mon prix. Ils se feraient tuer pour moi. - J'en ai pour garant mme leur pre libert. - Leur libert de parole, leur libert d'acte. Ces hommes libres - Savent donner l'amour un certain got pre, un certain got propre - et cette libert - Est le plus beau reflet qu'il y ait dans le monde car elle me - rappelle, car elle me renvoie - Car c'est un reflet de ma propre Libert - Qui est le secret mme et le mystre - Et le centre et le coeur et le germe de ma Cration. - Comme j'ai cr l'homme mon image et ma ressemblance, - Ainsi j'ai cr la libert de l'homme l'image et la ressemblance - De ma propre, de mon originelle libert. Aussi quand saint Louis - tombe genoux - Sur les dalles de la Sainte-Chapelle, sur les dalles de Notre-Dame - C'est un homme qui tombe genoux, ce n'est pas une chiffe, ce n'est - pas une loque - Un tremblant esclave d'Orient - C'est un homme et c'est un Franais et quand saint Louis m'aime - C'est un homme qui m'aime et quand saint Louis se donne - C'est un homme qui se donne. Et quand saint Louis me donne son coeur - Il me donne un coeur d'homme et un coeur de Franais. Et quand il - m'estime mon prix - C'est--dire quand il m'estime Dieu, - C'est une tte d'homme qui m'estime, une saine tte de Franais. - (Et Joinville mme, Joinville qu'il ne faut point oublier. - Quand il m'aime (car il m'aime aussi), - Quand il m'estime (car il m'estime aussi), - Quand il se donne (car il se donne aussi) et quand il me donne son - coeur, - Il sait ce qu'il est, qui il est, - Il sait ce qu'il vaut, il sait ce qu'il pse, il sait ce qu'il donne, - il sait ce qu'il apporte - Et je le sais aussi. - Quand Joinville mme, et je ne dis pas seulement saint Louis, - Quand Joinville tombe genoux sur la dalle - Dans la cathdrale de Reims - Ou dans la simple chapelle de son chteau de Joinville, - Ce n'est pas un esclave d'Orient qui s'croule, - Dans la peur et dans quelque lche et dans quelque sale tremblement - Aux genoux et aux pieds de quelque potentat - D'Orient. C'est un homme libre et un baron franais, - Joinville sire de Joinville, - Qui donne, qui apporte et qui fait tomber genoux - Librement et pour ainsi dire et en un certain sens gratuitement - Et un homme libre et un baron franais, - Joinville sire de Joinville de la comt de Champagne, - Jean, sire de Joinville, snchal de Champagne. - - - - Il ne faut pas oublier non plus Joinville, dit Dieu. - Il osait reprendre mme le roi. - Il me reprenait bien un peu moi-mme - Avec son histoire de la lpre et des pchs mortels. - Mais je leur en passe tant, je leur passe tout ce qu'ils veulent. - - - - Il ne faut pas oublier Joinville, dit Dieu. C'taient de nobles - hommes. - Si l'on oubliait les pcheurs, il n'en resterait pas beaucoup. - Peu de saints, beaucoup de pcheurs, comme partout. - Mais il faut ce grand cortge de pcheurs - Pour accompagner ces quelques saints. Il faut penser aussi au sire de - Joinville. - - - - Quelques saints marchent en tte. Et le grand cortge des pcheurs - suit derrire. Ainsi est faite ma chrtient. - C'est ainsi qu'on obtient les grandes processions. - Quelques pasteurs marchent devant. Et le grand troupeau suit - derrire. Ainsi est fait le cortge de ma chrtient. - - - - Comme leur libert a t cre l'image et la ressemblance de ma - libert, dit Dieu, - Comme leur libert est le reflet de ma libert, - Ainsi j'aime trouver en eux comme une certaine gratuit - Qui soit comme un reflet de la gratuit de ma grce, - - Qui soit comme cre l'image et la ressemblance de la gratuit de - ma grce. - - J'aime qu'en un sens ils prient non seulement librement mais comme - gratuitement. - J'aime qu'ils tombent genoux non seulement librement mais comme - gratuitement. - J'aime qu'ils se donnent et qu'ils donnent leur coeur et qu'ils se - remettent et qu'ils supportent et qu'ils estiment non seulement - librement mais comme gratuitement. - J'aime qu'ils aiment enfin, dit Dieu, non seulement librement mais - comme gratuitement. - Or pour cela, dit Dieu, avec mes Franais je suis bien servi. - C'est un peuple qui est venu au monde la main ouverte et le coeur - libral. - Il donne, il sait donner. Il est naturellement gratuit. - Quand il donne, il ne vend pas, celui-l, et il ne prte pas la - petite semaine. - Il donne pour rien. Autrement est-ce donner. - Il aime pour rien. Autrement est-ce aimer. - Il ne me propose point toujours des marchs gnralement honteux. - Peuple libre, peuple gratuit, et non plus seulement peuple jardinier. - Peuple gratuit, peuple gracieux. - Peuple de barons franais, peuple qui lve la tte, peuple qui sais - parler aux grands - Et par consquent moi le Trs-Grand. Ceux qui baissent toujours la - tte - On ne voit pas qu'ils baissent aussi la tte - A l'Offertoire et l'lvation du Corps de mon Fils. - Mais ces Franais qui lvent toujours la tte, - Qui ont toujours la tte droite - Et haute, - Quand dans une glise cent cinquante ou deux cents ranges de - Franais genoux - Baissent la tte ensemble en mme temps trois fois aux trois coups de - la sonnette - Pour l'offrande et l'offertoire - Et pour la conscration et pour l'lvation du corps de mon fils, - a se voit, qu'ils baissent la tte et tout le monde comprend - Que a en vaut la peine, - Que c'est un instant solennel et le plus grand mystre et le plus - grand instant qu'il y ait dans le monde. - - - - C'est un peuple, dit Dieu, qui a la gratuit dans le sang. Il donne - et ne retient pas. - Il donne et ne reprend pas. - Sa main gauche ne retient pas ce que donne sa main droite. - Sa main gauche ne reprend pas ce que donne sa main droite. - Sa main gauche ignore littralement ce que fait sa main droite. - Et ainsi c'est le peuple qui se conforme le plus littralement - Aux paroles de mon fils. Et qui le plus littralement ralise - Les paroles de mon fils. - - - - Peuple naturellement libral, dit Dieu, peuple aux mains librales - Il ne sait pas marchander. Il ne marchande pas sur une prire. - Il ne marchande pas sur un voeu. Quand il donne, il donne. Quand il - demande, il demande. - Il ne fait pas traner ce qu'il donne dans ce qu'il demande et ce - qu'il demande dans ce qu'il donne. - Il n'embarbouille pas tout a l'un dans l'autre. - Il n'emmle pas. Il ne demande pas pour donner, il ne donne pas pour - demander, il ne donne pas pour recevoir. Il sait trs bien - Que tout ce qu'on m'apporte n'est rien auprs, - En comparaison, au prix de ce que je donne. - Aussi ces Franais ne me proposent-ils jamais un change, un march. - Ils savent trs bien - Que ma grce est gratuite, qu'il n'est que de me plaire, que je fais - ce que je veux - Et ils y rpondent par une sorte de prire gratuite et mme - Par des sortes de voeux gratuits. Ils savent trs bien - Qu'ils ne m'apportent aucuns mrites et que ce que je fais, - Je le fais pour les mrites et par les mrites de mon fils et des - saints. - - - - A une gratuit de ma grce ils rpondent par une certaine gratuit de - la prire. - Et par une certaine gratuit du voeu mme. - - - - Ils me rpondent comme je demande. Or s'il en est ainsi du menu - peuple et d'un baron franais - Que sera-ce d'un saint Louis, baron lui-mme et roi des barons. - Dans leur histoire de la lpre et du pch mortel voici comme je - calcule, dit Dieu. - Quand Joinville aime mieux avoir commis trente pchs mortels que - d'tre lpreux - Et quand saint Louis aime mieux tre lpreux que de tomber en un seul - pch mortel, - Je n'en retiens pas, dit Dieu, que saint Louis m'aime ordinairement - Et que Joinville m'aime trente fois moins qu'ordinairement. - Que saint Louis m'aime suivant la mesure, la mesure, - Et que Joinville m'aime trente fois moins que la mesure. - Je compte au contraire, dit Dieu. Voici comme je calcule. Voici ce - que je retiens. - J'en retiens au contraire que Joinville m'aime ordinairement - Honntement, comme un pauvre homme peut m'aimer, - Doit m'aimer. - Et que saint Louis au contraire m'aime trente fois plus - qu'ordinairement, - Trente fois plus qu'honntement. - Que Joinville m'aime la mesure, - Et que saint Louis m'aime trente fois plus qu' la mesure. - (Et si je l'ai mis dans mon ciel, celui-l, au moins je sais - pourquoi). - - - - Voil comme je compte, dit Dieu. Et alors mon compte est bon. Car - cette lpre dont il s'agissait, - Cette lpre dont ils parlaient et d'tre lpreux - Ce n'tait pas une lpre d'imagination et une lpre d'invention et - une lpre d'exercice. - Ce n'tait pas une lpre qu'ils avaient vue dans les livres ou dont - ils avaient entendu parler - Plus ou moins vaguement - Ce n'tait pas une lpre pour en parler ni une lpre pour faire peur - en conversation et en figures, - Mais c'tait la relle lpre et ils parlaient de l'avoir, eux-mmes, - rellement, - Qu'ils connaissaient bien, qu'ils avaient vue vingt fois - En France et en Terre-Sainte, - Cette dgotante maladie farineuse, cette sale gale, cette mauvaise - teigne, - Cette rpugnante maladie de crotes qui fait d'un homme - L'horreur et la honte de l'homme, - Cet ulcre, cette pourriture sche, enfin cette dfinitive lpre - Qui ronge la peau et la face et le bras et la main, - Et la cuisse et la jambe et le pied - Et le ventre et la peau et les os et les nerfs et les veines, - Cette sche moisissure blanche qui gagne de proche en proche - Et qui mord comme avec des dents de souris, - Et qui fait d'un homme le rebut et la fuite de l'homme, - Et qui dtruit un corps comme une granuleuse moisissure - Et qui pousse sur le corps ces affreuses blanches lvres, - Ces affreuses lvres sches de plaies - Et qui avance toujours et jamais ne recule - Et qui gagne toujours et qui jamais ne perd - Et qui va jusqu'au bout, - Et qui fait d'un homme un cadavre qui marche, - C'est de cette lpre-l qu'ils parlaient, de nulle autre. - C'est de cette lpre-l qu'ils pensaient, de nulle autre. - D'une lpre relle, nullement d'une lpre d'exercice. - C'est cette lpre-l qu'il aimait mieux avoir, nulle autre. - Eh bien moi je trouve que c'est trente fois saisissant - Et que c'est m'aimer trente fois et que c'est trente fois de l'amour. - - - - Ah sans doute si Joinville avec les yeux de l'me avait vu - Ce que c'est que cette lpre de l'me - Que nous ne nommons pas en vain le pch _mortel_, - Si avec les yeux de l'me il avait vu - Cette pourriture sche de l'me infiniment plus mauvaise, - Infiniment plus laide, infiniment plus pernicieuse, - Infiniment plus maligne, infiniment plus odieuse - Lui-mme il et tout de suite compris combien son propos tait - absurde. - Et que la question ne se pose mme pas. Mais tous ne voient pas avec - les yeux de l'me. - Je comprends cela, dit Dieu, tous ne sont pas des saints, ainsi est - ma chrtient. - Il y a aussi les pcheurs, il en faut, c'est ainsi. - C'tait un bon chrtien, tout de mme, ensemble, c'tait un pcheur, - il en faut dans la chrtient. - C'tait un bon Franais, Jean, sire de Joinville, un baron de saint - Louis. Au moins il disait ce qu'il pense. - Ces gens-l font le gros de l'arme. Il faut aussi des troupes. Il ne - suffit pas d'avoir des chefs qui marchent en tte. - Ces gens-l partent fort honntement en croisade, au moins une fois - sur les deux, et font trs honntement la croisade. - Ils se battent trs bien et se font tuer trs proprement et gagnent - le royaume du ciel - Tout comme un autre. - (Je veux dire comme un autre gagnerait le royaume du ciel. - Ou je veux dire comme eux-mmes ils gagneraient un autre royaume, - Un royaume de la terre.) C'est ce qu'il y a de plus remarquable en - eux. - Ils s'en vont les uns comme les autres, en troupe, les uns derrire - les autres. - Sans se presser, sans s'tonner, sans faire des grands gestes, - Trs honntement, fort ordinairement, - Sans faire un clat et ils finissent tout de mme - Par conqurir le royaume du ciel. - Ou encore ils gagnent le royaume du ciel comme on gagne un royaume de - la terre, - Ils attaquent le royaume du ciel comme on attaque un royaume de la - terre, - A main forte et cela ne russit dj pas si mal. _Violenti rapiunt_. - Ils vous font d'ailleurs tout cela fort honntement, trs - communment, comme allant de soi. - Comme si ce ft la chose la plus naturelle du monde. - Seulement ces malheureux ne veulent pas avoir la lpre. Ils trouvent - sans doute que ce n'est pas propre. Ils aimeraient mieux autre - chose. - Les malheureux, les sots, s'ils voyaient la lpre de l'me - Et s'ils voyaient la salet ou la propret de l'me. - Mais voil, ils se disent: Je n'ai qu'un corps (les sots, ils - oublient le principal, - Ils oublient non pas seulement l'me, mais le corps de leur ternit, - Le corps de la rsurrection des corps), - Je n'ai qu'un corps, pensent-ils (ne pensant qu' leur corps - terrestre) - Si cette sale lpre me prend, je suis perdu - (Ils veulent dire que leur corps temporel est temporellement perdu). - C'est une maladie qui prend toujours et qui ne rend jamais. - C'est une pourriture sche qui fait avancer toujours et toujours - Les bords des lvres de ses affreuses plaies. - Si je suis pris, je suis perdu. - a commence par un point, a finit par tout le corps. - a ne pardonne pas, quand c'est commenc c'est fini. - C'est une maladie impossible dfaire. - Elle dfait tout, ce qui est parti ne revient jamais plus. Elle rompt - tout. - Ce corps que j'ai (et qu'ils aiment tant) tomberait en poussire et - en lambeaux - Et en cette sale farine granuleuse et ne me reviendrait jamais plus. - C'est une gangrne irrvocable et qui ne retourne jamais en arrire. - Or ils y tiennent leur corps. On dirait qu'ils croient qu'ils n'ont - que a. - Ils savent pourtant bien qu'ils ont une me. La vie est l'union de - l'me et du corps, - La mort est leur sparation. Mais leur corps leur parat - Solide et bon vivant. - Ils ont l'impression que la lpre anantira tout leur corps et - qu'elle les tiendra jusqu'au bout (ils ne considrent point qu'au - bout de ce bout - Commence le vritable commencement) - Et alors ils aimeraient mieux avoir autre chose que la lpre. - Je pense qu'ils aimeraient mieux attraper - Une maladie qui leur plairait. C'est toujours le mme systme. - Ils veulent bien affronter les plus terribles preuves - Et m'offrir les plus redoutables exercices, - Pourvu que ce soient eux qui les aient pralablement - Choisis. L-dessus les Pharisiens s'crient et font des clats - Et poussent des cris et font des mines et ces excrables Pharisiens - Surtout prient disant: Seigneur nous vous rendons grces - De ce que vous ne nous avez point fait semblables cet homme - Qui a peur d'attraper la lpre. Or moi je dis au contraire, dit Dieu, - C'est moi qui dis: Ce n'est pas rien que d'attraper la lpre. - Je sais ce que c'est que la lpre. C'est moi qui l'ai faite. - Je la connais. Je dis: Ce n'est pas rien que d'attraper la lpre. - Et je n'ai jamais dit que les preuves et les exercices de leur vie, - Et les maladies et les misres de leur vie, - Et les dtresses de leur vie ce n'tait rien. - J'ai toujours dit au contraire et j'ai toujours pens - Et j'ai toujours pes que ce n'tait pas rien. - Et il faut bien croire qu'en effet ce n'tait pas rien - Puisque mon fils a fait tant de miracles sur les malades - Et puisque j'ai donn au roi de France - De toucher les crouelles. - - - - Les Pharisiens poussent des cris sur celui qui ne veut pas attraper - la lpre. - Et ils sont scandaliss, ces vertueux. - Mais moi qui ne suis pas vertueux, - Dit Dieu, - Je ne pousse pas des cris et je ne suis pas scandalis. - - - - Je ne compte pas, je n'en retiens pas que ce Joinville est trente - fois au dessous de l'ordinaire. - Mais j'en retiens, mais je compte au contraire - Que c'est ce saint Louis qui est peu ordinaire, trente fois peu - ordinaire, trente fois extraordinaire, trente fois au dessus de - l'ordinaire. - - - Je ne compte pas, je n'en retiens pas - Que Joinville est trente fois lche. - Mais au contraire j'en retiens et je compte - Que c'est ce saint Louis qui est trente fois brave, - Trente fois brave au dessus de l'ordinaire et plus que la mesure. - - - Je ne compte pas, je n'en retiens pas - Que Joinville est trente fois plus bas. - Mais au contraire j'en retiens et je compte - Que c'est ce saint Louis qui est trente fois haut, - Trente fois haut au dessus de l'ordinaire et plus que la mesure. - - - Je ne compte pas, je n'en retiens pas - Que Joinville est trente fois petit. - Mais je sais seulement qu'il est homme. - Et au contraire j'en retiens et je compte, - Voici comme je compte, - Et c'est ainsi. - J'en retiens et je compte que c'est ce saint Louis, roi de France, - Qui est trente fois grand, trente fois au dessus de l'ordinaire et - plus que la mesure - - Et qui est trente fois prs de mon coeur et trente fois le frre de - mon fils. - - - Les Pharisiens crient le haro sur celui qui ne veut pas attraper la - lpre. - Mais le saint ne crie pas le haro et il n'est pas scandalis. - Il connat trop la nature de l'homme et l'infirmit de l'homme et il - est seulement profondment pein. - - - - Les Pharisiens crient le haro sur cet homme qui ne veut pas attraper - la lpre. - Voyez au contraire comme le Saint lui parle doucement. - Fermement mais doucement. - Et cette fermet est d'autant plus sre et me donne d'autant plus de - certitude et plus d'assurance et plus de garantie qu'elle est plus - douce. - Les coeurs des pcheurs ne se prennent point par effraction. - - - - Ils ne sont pas assez purs. Le seul royaume du ciel se prend par - effraction. - - - - Les Pharisiens courent sus l'homme qui ne veut pas attraper la - lpre. - Voyez comme au contraire le Saint le reprend doucement. - Le Saint est envahi d'une peine affreuse cette parole du pcheur. - Mais il absorbe, il dvore sa peine et la souffre lui-mme pour - lui-mme en lui-mme. - Et voyez comme il reprend doucement le pcheur. - - - - Or moi, dit Dieu, je suis du ct des saints et nullement du ct des - Pharisiens. - Aussi j'absorbe et je dvore ma peine et je la souffre moi-mme en - moi-mme pour moi-mme, - Et voyez comme je parle doucement au pcheur - Et comme je reprends doucement le pcheur. - - - _Et quand les frres s'en furent partis_, - (Il attend que les deux frres qu'il avait appels, - Qu'il avait fait venir s'en soient partis. Il attend qu'ils soient - seuls. Il ne veut pas - Faire un semblant d'affront un baron franais), - _il m'appela tout seul, et me fit seoir ses pieds et me dit: - Comment me dtes-vous hier ce? - Et je lui dis que encore lui disais-je._ - - - _Et je, qui onques ne lui mentis; - Et je lui dis que encore lui disais-je;_ en vrit, dit Dieu, - Cette franchise de Joinville, qui ose rpter cela au roi, - Est prcisment ce qui me garantit la franchise de saint Louis. - Cette franchise de pch de Joinville et de cette certaine impit - Est justement ce qui me couvre, ce qui me garantit, - Ce qui pour ainsi dire me contrebalance - La franchise de saintet de saint Louis. Et ce qui me la vrifie. - Entendez-moi, dit Dieu, c'est la libert de Joinville - Qui me couvre, qui me garantit la libert de saint Louis. - C'est la gratuit de Joinville - Qui me couvre, qui me garantit la gratuit, la grce de saint Louis. - Entendez-moi c'est le pch de Joinville, ce bon chrtien, - Qui me couvre, qui me garantit la saintet mme de saint Louis. - - - - _Je, qui onques ne lui mentis_, c'est parce que Joinville ne mentit - jamais saint Louis, - Mme au risque de lui dplaire, mme au risque de le contrarier et de - lui faire une grande peine, - Que je suis sr aussi et que je suis garanti - Que saint Louis ne me ment jamais, - Que son amour, que sa saintet ne me ment pas, - Que ce n'est point un amour, une saintet de convention, - De complaisance, imaginaire, - Mais que c'est un amour, une saintet relle, - Franche, terrienne, - Terreuse, une saintet de race et de belle race, - Libre, gratuite. - - - _Et il me dit: Vous dtes comme vif tourdi;_ - - (Rien de plus, comme vif tourdi, comme vif tourneau); - - _car vous devez savoir que nulle si laide lpre n'est comme d'tre en - pch mortel, pour ce que l'me qui est en pch mortel est - semblable au diable; par quoi nulle si laide lpre ne peut tre._ - - _Et bien est vrai que quand l'homme meurt, il est guri de la lpre - du corps; mais quand l'homme qui a fait le pch mortel meurt, il - ne sait pas ni n'est certain que il ait eu en sa vie telle - repentance que Dieu lui ait pardonn: par quoi grand peur doit - avoir que cette lpre lui dure tant comme Dieu sera en paradis. Si - vous prie, fit-il, tant comme je puis, que vous mettiez votre coeur - ce, pour l'amour de Dieu et de moi, que vous aimassiez mieux que - tout mchef avnt au corps, de lpre et de toute maladie, que ce - que le pch mortel vnt l'me de vous._ - - - - Quelle douceur, mon enfant, quelle fermet dans la douceur, quelle - douceur dans la fermet. - L'une et l'autre ensemble lies indissolubles, l'une poussant - l'autre, l'une faisant valoir l'autre, l'une soutenant l'autre, - l'une nourrissant l'autre. - La douceur toute arme de fermet, la fermet toute arme de douceur. - L'une enferme dans l'autre, l'autre enferme dans l'une, comme un - double noyau dans un double fruit - De fermet. - Une douceur d'autant mieux garantie par la fermet, une fermet - d'autant mieux garantie par la douceur. - L'une portant l'autre. - Car il n'est point de vritable douceur que fonde sur la fermet, - Vtue de fermet. - Et il n'est point de vritable fermet que vtue de douceur. - - - - Quelle douceur, quelle tendresse. Celui qui aime - Entre en la sujtion de celui qui est aim. - Voil comme il parle, lui le roi de France. - Il est vrai que c'est un baron franais. - Quel soin de ne point offenser. - De ne meurtrir aucunement, de ne point lser. - De ne point blesser. - De ne laisser aucune trace, - Aucun souvenir de blessure et de meurtrissure. - Quelle attention, quelle dilection. - Quel soin de ne pas donner mme une apparence de tort. - Quel soin de ne pas commettre la moindre offense. - Lui le roi, parlant pour Dieu et pour lui-mme - Pour Dieu et pour le roi de France il parle humblement. - Il parle comme un tremblant solliciteur. - C'est qu'il tremble en effet et c'est qu'il sollicite. - Il tremble que son fidle Joinville ne fasse pas son salut. - Et il demande Joinville, il sollicite que le fidle Joinville - Fasse son salut. Veuille bien faire son salut. Quelle sollicitation. - Il a soin de le prendre part. Il attend que les deux frres - soient partis. - Quelle douceur, quel pre parlerait plus doucement son fils. - _Comment me dtes-vous hier ce? - Et je lui dis que encore lui disais-je. - Et il me dit: Vous dtes comme hastis musars;_ (comme htif musard, - comme htif tourdi, comme htif tourneau); - Il feint presque de plaisanter, de commencer sur un ton assez - plaisant, justement comme un qui a peur, - Prcisment comme celui qui va entrer dans le propos le plus grave, - Qui va causer, qui va traiter de l'intrt le plus grave); - (ainsi commencent les joutes les plus redoutables); - Et le srieux profond arrive tout aussitt aprs, - Entre incontinent dans le corps mme et dans le texte de cette - plaisante, - De cette redoutable entre. _Vous dtes comme htis musars; - car vous devez savoir que nulle si laide lpre - n'est comme d'tre en pch mortel, - pour ce que l'me qui est en pch mortel est semblable au diable: - par quoi nulle si laide lpre ne peut tre._ - - - - Et les paroles qui suivent ne sont point indignes, mon enfant, des - plus belles paroles des vangiles, - Des plus grandes paroles de Jsus dans les vangiles. Car en - imitation de Jsus - Il a t donn des saints de prononcer des paroles non indignes - De Jsus, des paroles de Jsus, - Comme en imitation et en l'honneur de Jsus - Il a t donn des martyrs de subir une mort - Non indigne de la mort de Jsus. Ainsi ces paroles qui viennent - Ne sont point indignes de la prdication de Jsus mme. - _Et bien est vrai que quand l'homme meurt, il est guri de la lpre - du corps;_ - (comme c'est la mme voix que dans les vangiles, mon enfant, la mme - profondeur, - La mme rsonance de la mme voix dans la mme profondeur) - (c'est qu'aussi c'est la mme saintet. Jsus et les _autres_ saints. - La mme commune ternelle saintet, - La mme communion des saints); - _mais quand l'homme qui a fait le pch mortel meurt, - il ne sait pas ni n'est certain que il ait eu en sa vie telle - repentance - que Dieu lui ait pardonn: - par quoi grand peur doit avoir que cette lpre lui dure - tant comme Dieu sera en paradis._ Mais les paroles qui viennent, mon - enfant, - Ne sont pas indignes du coeur des vangiles, - Des trois paraboles de l'Esprance. - Elles sont le reflet, elles sont le report, elles sont le rappel - Dans la mme rsonance et dans la mme ligne - Des trois paraboles de l'Esprance. _Un homme avait deux fils._ Un - roi avait un baron. - Un roi avait un fidle. Un roi avait un fils. Un roi avait un fal. - Et comme les trois paraboles de l'esprance - Sont le coeur peut-tre et sans doute et le couronnement des - vangiles, - Ainsi ces paroles de saint Louis qui viennent sont le coeur peut-tre - et sans doute et le couronnement - Non seulement de saint Louis et de la saintet de saint Louis. - Mais de toute saintet peut-tre aprs les vangiles, - De toute saintet issue des vangiles. Car elle est le reflet, et le - report, et le rappel - De cette unique parabole de l'enfant qui tait perdu. Comme il - s'abaisse, le roi de France. - Quelle chrtienne humiliation, quelle humiliation de saint. Celui qui - aime - Entre dans la dpendance de celui qui est aim. Quelle noble - humilit. Il ne commande pas, il demande. - Il attend, il espre, il reprend doucement. Il prie. Quelle humilit - toute vtue de noblesse. - _Si vous prie, fit-il, tant comme je puis, que vous mettiez votre - coeur ce, - pour l'amour de Dieu et de moi, - que vous aimassiez mieux que tout mchef avnt au corps, - de lpre et de toute maladie, - que ce que le pch mortel vnt l'me de vous._ - - - - Quelle instance, quelle humble instance, quelle noble instance, - quelle tendre instance. - Voil comme le saint parle au pcheur, - Pour son salut. Jsus mme - N'a jamais t plus tendre au pcheur. C'est que le saint par - lui-mme sait - Ce que c'est que d'tre homme et ce qu'est la faiblesse humaine - Et l'infirmit de l'homme - Et ce que c'est pour l'homme que la tentation - De sa propre faiblesse. _Car l'esprit est prompt, mais la chair est - faible._ - Et moi, dit Dieu, qui suis du ct des saints et nullement du ct - des Pharisiens, - Moi qui suis tout au bout du ct des saints - Moi aussi je sais quelle est la faiblesse et l'infirmit de l'homme - (c'est moi qui l'ai fait), - Et je parle Joinville comme saint Louis. - - - - Comment serais-je moins tendre que saint Louis. Comme lui je tremble - Pour leur salut. Comme lui je sollicite, hlas, - Pour leur salut. Les Pharisiens veulent que les autres soient - parfaits. - Et ils exigent et ils rclament. Et ils ne parlent que de cela. Mais - moi je ne suis pas si exigeant. - Parce que je sais ce que c'est que la perfection, je ne leur en - demande pas tant. - Parce que je suis parfait et il n'y a que moi qui est parfait. - Je suis le Tout-Parfait. Aussi je suis moins difficile. - Moins exigeant. Je suis le Saint des saints. - Je sais ce que c'est. Je sais ce qu'il en cote. - Je sais ce que a cote, je sais ce que a vaut. Les Pharisiens - veulent toujours de la perfection - Pour les autres. Chez les autres. - Mais le saint qui veut de la perfection pour lui-mme - En lui-mme - Et qui cherche et qui peine dans le labeur et dans les larmes - Et qui obtient quelquefois quelque perfection, - Le saint est moins difficile pour les autres. - Il est moins exigeant pour les autres. Il sait ce que c'est. - Il est exigeant pour soi, difficile pour soi. C'est plus difficile. - - - - Les Pharisiens trouvent toujours les autres indignes et tout le monde - indigne. - Mais moi qui ne vaux peut-tre pas ces hommes de bien, dit Dieu, - Je suis moins difficile, je trouve - Que ce Joinville est homme et que c'est saint Louis qui a trente fois - vaincu, - Trente fois surmont, trente fois remont, trente fois surpass la - nature de l'homme. - Je trouve que ce Joinville est commun, que c'est un bon chrtien, un - bon pcheur de l'espce commune, - Et que c'est ce saint Louis au contraire qui est trente fois hors du - commun, trente fois saint, trente fois hors de l'espce ordinaire. - Je trouve que ce Joinville n'est pas indigne et mme qu'il est digne, - Et que c'est ce saint Louis qui est trente fois digne - D'tre mon fils dans mon coeur et d'appuyer son paule - Contre mon paule. - - - - D'ailleurs ce qu'il avait eu en gypte, dit Dieu, - Et ce qu'il attrapa en Tunisie, - Ce grand puisement de tout son corps - Et cet incoercible - Flux de ventre dont il mourut - Ne valaient pas mieux que cette lpre qu'il consentait d'avoir. - Il n'y a point de maladie de bonne, dit Dieu. Je le sais, c'est moi - qui les ai faites. - C'est pour cela qu'il se fait tant de saluts, et des plus beaux, dans - la maladie, - Et des plus grands. - Et que tant de saints sortent de la maladie - Naturellement comme du ventre de leur mre et que tant de saintets - Sortent naturellement de la maladie les plus clatantes, les plus - tendres, les plus chres, les plus fleurissantes de toutes, - Et qu'il y a manire de tourner la maladie et la mort par la maladie - en martyre mme. - - - - Pour moi, dit Dieu, quand je vois, - Quand je considre cette maladie qu'est rellement la lpre, - Cette inexpiable maladie farineuse aux crotes blanches, - Qui les dfait morceau par morceau, - (Qui dfait leur corps charnel), - Qu'un homme qui en a vu, rellement, - Qui a vu de la lpre et des vrais lpreux - Dise tranquillement qu'il aimerait mieux attraper la lpre que de - tomber en pch mortel, - C'est--dire dise rellement qu'il aimerait mieux attraper cette - maladie-l que de me dplaire, - J'en suis saisi moi-mme, dit Dieu, et je tremble d'admiration - Devant tant d'amour et je suis honteux - D'tre tant aim. - - - - Mon fils qui les aimait tant, comme il avait raison de les aimer. - Qu'un homme, que ce roi qui n'a que ce corps aprs tout - (enfin ce corps sur terre et qui n'en aura jamais d'autre sur terre) - (et quand il en est dpouill,--de quel dpouillement,--c'est une - fois pour toutes) - Dise tranquillement qu'il aimerait mieux attraper la lpre que de - tomber en pch mortel, - C'est--dire dise tranquillement qu'il aimerait mieux attraper cette - maladie-l que de me dplaire, - Moi-mme je n'en reviens pas, dit Dieu, qu'il y ait un homme comme ce - saint Louis, - (et tant d'autres saints et tant d'autres martyrs) - Et je suis confondu d'tre tant aim. - - - Et il faut que ma grce soit tellement grande. - - - Et ternellement je serai en reste avec eux - Car dans mon paradis mme ils m'aimeront ternellement autant. - - - Je demeure tremblant, dit Dieu, je demeure confondu de cette preuve - d'amour. - De tant de preuve d'amour et il n'y a que mon fils - Qui n'est point en reste avec eux, car pour eux comme eux il a - souffert - Un martyre d'homme. - Et il est mort pour eux comme ils sont morts pour lui. - - - Et qu'il y ait un homme qui ait dit cela non point comme un propos, - Non point comme une lpre de propos, - De discours, - Mais rellement d'une lpre relle, - De la lpre non point d'une lpre de parole, d'une lpre de rcit, - Mais d'une lpre toute prte, toute propose. - - - Et qu'il n'ait pas dit cela, cette sorte d'normit, - Avec un grand geste, avec clat, - Mais qu'il ait dit cela simplement, - Comme allant de soi, comme une chose ordinaire, - Dans le texte mme de son propos, dans le tissu ordinaire de sa vie, - Cela c'est la fleur, dit Dieu, cette aisance, - Et cela je reconnais le Franais, - La race qui tout est simple et commun et ordinaire, - Cette race de toute gentillesse. - - - - Et je reconnais ici la rsonance et le rang du Franais - Et je salue - Leur ordre propre. - Peuple qui les plus grandes grandeurs - Sont ordinaires. - Je salue ici ta libert, ta grce, - Ta courtoisie. - - - - Ta gracieuset. - Ta gratitude. - Ta gratuit. - - - - Demandez ce pre si le meilleur moment - N'est pas quand ses fils commencent l'aimer comme des hommes, - Lui-mme comme un homme, - Librement, - Gratuitement, - Demandez ce pre dont les enfants grandissent. - - - - Demandez ce pre s'il n'y a point une heure secrte, - Un moment secret, - Et si ce n'est pas - Quand ses fils commencent devenir des hommes, - Libres, - Et lui-mme le traitent comme un homme, - Libre, - L'aiment comme un homme, - Libre, - Demandez ce pre dont les enfants grandissent. - - - - Demandez ce pre s'il n'y a point une lection entre toutes - Et si ce n'est pas - Quand la soumission prcisment cesse et quand ses fils devenus hommes - L'aiment, (le traitent), pour ainsi dire en connaisseurs, - D'homme homme, - Librement, - Gratuitement. L'estiment ainsi. - Demandez ce pre s'il ne sait pas que rien ne vaut - Un regard d'homme qui se croise avec un regard d'homme. - - - Or je suis leur pre, dit Dieu, et je connais la condition de l'homme. - C'est moi qui l'ai faite. - Je ne leur en demande pas trop. Je ne demande que leur coeur. - Quand j'ai le coeur, je trouve que c'est bien. Je ne suis pas - difficile. - - - Toutes les soumissions d'esclaves du monde ne valent pas un beau - regard d'homme libre. - Ou plutt toutes les soumissions d'esclaves du monde me rpugnent et - je donnerais tout - Pour un beau regard d'homme libre, - Pour une belle obissance et tendresse et dvotion d'homme libre, - Pour un regard de saint Louis, - Et mme pour un regard de Joinville, - Car Joinville est moins saint mais il n'est pas moins libre, - - - (Et il n'est pas moins chrtien). - - - Et il n'est pas moins gratuit. - - - Et mon fils est mort aussi pour Joinville. - A cette libert, cette gratuit j'ai tout sacrifi, dit Dieu, - A ce got que j'ai d'tre aim par des hommes libres, - Librement, - Gratuitement, - Par de vrais hommes, virils, adultes, fermes. - Nobles, tendres, mais d'une tendresse ferme. - Pour obtenir cette libert, cette gratuit j'ai tout sacrifi, - Pour crer cette libert, cette gratuit, - Pour faire jouer cette libert, cette gratuit. - - - Pour lui apprendre la libert. - - - Or je n'ai pas trop de toute ma Sagesse - Pour lui apprendre la libert, - Je n'ai pas trop de toute la Sagesse de ma Providence. - Et de la duplicit mme de ma Sagesse pour ce double enseignement. - Quelle mesure il faut que je garde, et comment la calculer. - Quel autre pourrait la calculer. Et comme il faut que je sois double - Et comme il faut que je compose prudemment ce doublement, - (Voil qui va encore scandaliser nos Pharisiens), - Comme il faut que je calcule prudemment cette duplicit mme. - Quelle ne faut-il pas que soit ma prudence. Il faut crer, il faut - enseigner cette libert - Sans exposer leur salut. Car si je les soutiens trop - Ils n'apprennent jamais nager. - Mais si je ne les soutiens pas juste au bon moment, - Ils piquent du nez, ils boivent un mauvais bouillon, ils plongent - Et il ne faut pas qu'ils sombrent - Dans cet ocan de turpitudes. - - - Je suis leur pre, dit Dieu, je suis roi, ma situation est exactement - la mme, - Je suis exactement comme ce roi, qui tait je pense un roi - d'Angleterre, - Qui ne voulut point envoyer de secours, aucune aide - A son fils engag dans une mauvaise bataille. - Parce qu'il voulait que l'enfant - Gagnt lui-mme ses perons de chevalier. - Il faut qu'ils gagnent le ciel eux-mmes et qu'ils fassent eux-mmes - leur salut. - Tel est l'ordre, tel est le secret, tel est le mystre. Or dans cet - ordre, et dans ce secret, et dans ce mystre - Nos Franais sont avancs entre tous. Ils sont mes tmoins. - Prfrs. - Ce sont eux qui marchent le plus tout seuls. - Ce sont eux qui marchent le plus eux-mmes. - Entre tous ils sont libres et entre tous ils sont gratuits. - Ils n'ont pas besoin qu'on leur explique vingt fois la mme chose. - Avant qu'on ait fini de parler, ils sont partis. - Peuple intelligent, - Avant qu'on ait fini de parler, ils ont compris. - Peuple laborieux, - Avant qu'on ait fini de parler, l'oeuvre est faite. - Peuple militaire, - Avant qu'on ait fini de parler, la bataille est donne. - - - Peuple soldat, dit Dieu, rien ne vaut le Franais dans la bataille. - (Et ainsi rien ne vaut le Franais dans la croisade). - Ils ne demandent pas toujours des ordres et ils ne demandent pas - toujours des explications sur ce qu'il faut faire et sur ce qui va - se passer. - Ils trouvent tout d'eux-mmes, ils inventent tout d'eux-mmes, - mesure qu'il faut. - Ils savent tout tout seuls. On n'a pas besoin de leur envoyer des - ordres chaque instant. - Ils se dbrouillent tout seuls. Ils comprennent tout seuls. En pleine - bataille. Ils suivent l'vnement. - Ils se modifient suivant l'vnement. Ils se plient l'vnement. - Ils se moulent sur l'vnement. Ils guettent, ils devancent - l'vnement. - Ils se retournent, ils savent toujours ce qu'il faut faire sans aller - demander au gnral. - Sans dranger le gnral. Or il y a toujours la bataille, dit Dieu, - Il y a toujours la croisade. - Et on est toujours loin du gnral. - - - - C'est embtant, dit Dieu. Quand il n'y aura plus ces Franais, - Il y a des choses que je fais, il n'y aura plus personne pour les - comprendre. - - - - Peuple, les peuples de la terre te disent lger - Parce que tu es un peuple prompt. - Les peuples pharisiens te disent lger - Parce que tu es un peuple vite. - Tu es arriv avant que les autres soient partis. - Mais moi je t'ai pes, dit Dieu, et je ne t'ai point trouv lger. - O peuple inventeur de la cathdrale, je ne t'ai point trouv lger en - foi. - O peuple inventeur de la croisade je ne t'ai point trouv lger en - charit. - Quant l'esprance, il vaut mieux ne pas en parler, il n'y en a que - pour eux. - - - - Tels sont nos Franais, dit Dieu. Ils ne sont pas sans dfauts. Il - s'en faut. Ils ont mme beaucoup de dfauts. - Ils ont plus de dfauts que les autres. - Mais avec tous leurs dfauts je les aime encore mieux que tous les - autres avec censment moins de dfauts. - Je les aime comme ils sont. Il n'y a que moi, dit Dieu, qui suis sans - dfauts. Mon fils et moi. Un Dieu avait un fils. - Et comme cratures il n'y en a que trois qui aient t sans dfauts. - Sans compter les anges. - Et c'est Adam et ve avant le pch. - Et c'est la Vierge temporellement et ternellement. - Dans sa double ternit. - Et deux femmes seulement ont t pures tant charnelles. - Et ont t charnelles tant pures. - Et c'est ve et Marie. - ve jusqu'au pch. - Marie ternellement. - - - - Nos Franais sont comme tout le monde, dit Dieu. Peu de saints, - beaucoup de pcheurs. - Un saint, trois pcheurs. Et trente pcheurs. Et trois cents - pcheurs. Et plus. - Mais j'aime mieux un saint qui a des dfauts qu'un pcheur qui n'en a - pas. Non, je veux dire: - J'aime mieux un saint qui a des dfauts qu'un neutre qui n'en a pas. - Je suis ainsi. _Un homme avait deux fils_. - Or ces Franais, comme ils sont, ce sont mes meilleurs serviteurs. - Ils ont t, ils seront toujours mes meilleurs soldats dans la - croisade. - Or il y aura toujours la croisade. - Enfin ils me plaisent. C'est tout dire. Ils ont du bon et du mauvais. - Ils ont du pour et du contre. Je connais l'homme. - Je sais trop ce qu'il faut demander l'homme. - Et surtout ce qu'il ne faut pas lui demander. - Si quelqu'un le sait, c'est moi. - Depuis que l'ayant cr mon image et ma ressemblance. - Par le mystre de cette libert ma crature - Je lui abandonnai dans mon royaume - Une part de mon gouvernement mme. - Une part de mon invention. - Il faut le dire une part de ma cration. - Il faut les prendre comme ils sont. Si quelqu'un le sait, c'est moi. - Et aussi savez-vous - Combien une seule goutte de sang de Jsus - Pse dans mes balances ternelles. - Que donc celui qui est n pour dormir, dorme. _La terre tait informe - et nue; les tnbres couvraient la face de l'abme; et l'Esprit de - Dieu tait port sur les eaux._ Et ce ne fut qu'ensuite que j'ai - cr la lumire. _Or Dieu dit: Que la lumire soit: et la lumire - fut. - Dieu vit que la lumire tait bonne, et il spara la lumire d'avec - les tnbres. - Il donna la lumire le nom de jour, et aux tnbres le nom de nuit: - et du soir et du matin se fit le premier jour._ - Sera-t-il dit qu'il y aura des regards si teints, des regards si - plis - Que nulle tincelle ne les allumera plus. - Et qu'il y aura des voix si fanes, et des mes si blettes - Que nul ressourcement ne les approfondira plus. - Et qu'il y aura des mes si fanes - D'preuves, de dtresse, - De larmes, de prire, de travail, - Et d'avoir vu ce qu'elles ont vu. Et d'avoir souffert ce qu'elles ont - souffert. - Et d'avoir pass par o elles ont pass. Et de savoir ce qu'elles - savent. - - Qu'ils en auront assez. - Pour ternellement assez et que tout ce qu'ils demanderont c'est - qu'on leur fiche la paix. - _Dona eis, Domine, pacem, - Et requiem aeternam._ La paix et le repos ternel. - Parce qu'ils auront connu certaines histoires de la terre. - Et qu'ils ne voudront plus entendre de rien que d'un champ de repos. - Et de se coucher pour dormir. - Dormir, dormir enfin. - Et que tout ce qu'ils supporteront et que tout ce que je pourrai - mettre - Et apporter - (Celui que je prends dans son sommeil de la terre est bien heureux, - et c'est bon signe, mes enfants) - Comme le trop malade et le trop bless ne supporte plus la vie et le - remde et l'ide mme de la gurison. - Mais seulement le baume sur la blessure. - Et n'a plus aucun got pour la sant. - Ainsi sera-t-il dit que sur tant de blessures. - Ils ne supporteront que la fracheur du baume. - Comme un bless fivreux. - Et qu'ils n'auront (plus) aucun got pour mon paradis - Et pour ma vie ternelle. - Et que tout ce que je pourrai mettre sur tant de blessures; - Sur tant de cicatrices et sur tant de sacrifices; - Et sur l'amertume de tant de calices; - Et sur les ingratitudes de tant de malices; - Et sur les pointes d'pines de tant de cilices; - Et sur les cartlements de tant de supplices; - - Et sur les claboussements de tant de sang; - - (J'ai pris le criminel accroupi sur son crime - Dit Dieu. Sera-t-il dit que sur tant de fatigues. - Et tant de navrements et de meurtres complices. - Sur tant d'hbtements et de vicissitudes. - Sur tant d'inquitude et sur tant d'habitude. - Sur tant de solitude et de dcrpitude. - Sur tant de lassitude et de sollicitude. - Sur tant d'ingratitude et d'inexactitude. - Sur tant d'incertitude et tant de solitude. - Et tant de servitude et de dsutude. - Et tant de platitude et sur tant d'amertume. - Et sur cette cume - De sang. - Et sur cette cume - De haine. - Et sur cette cume - D'ingratitude. - Et sur cette cume - D'amour. - - - Et sur tant de blessures sera-t-il dit. - Que sur tant de blessures tout ce que je pourrai mettre. - Et sur tant de fltrissures et sur tant de meurtrissures. - Et sur tant d'claboussures et sur tant de morsures. - Ce sera de faire descendre comme un baume du soir. - Comme aprs la blessure d'un ardent midi la grande tombe d'un beau - soir d't - La lente descension d'une nuit ternelle. - - - O nuit sera-t-il dit que je t'aurai cre la dernire. - Et que mon Paradis et que ma Batitude - Ne sera qu'une grande nuit de clart. - Une grande nuit ternelle - Et que le couronnement du jugement et le commencement du Paradis et - de ma Batitude sera - Le coucher de soleil d'un ternel t. - - - - Or il en serait ainsi, dit Dieu. - Et tout ce que je pourrais mettre sur les bords des lvres - Des plaies des martyrs - Ce serait le baume, et l'oubli, et la nuit. - Et tout s'achverait de lassitude, - Cette norme aventure, - Comme aprs une ardente moisson - La lente descension d'un grand soir d't. - S'il n'y avait pas ma petite esprance. - C'est par ma petite esprance seule que l'ternit sera. - Et que la Batitude sera. - Et que le Paradis sera. Et le ciel et tout. - Car elle seule, comme elle seule dans les jours de cette terre - D'une vieille veille fait jaillir un lendemain nouveau - Ainsi elle seule des rsidus du Jugement et des ruines et du dbris - du temps - Fera jaillir une ternit neuve. - - - - Je suis, dit Dieu, le Seigneur des vertus. - La Foi est la lampe du sanctuaire. - Qui brle ternellement. - La Charit est ce grand beau feu de bois - Que vous allumez dans votre chemine - Pour que mes enfants les pauvres viennent s'y chauffer dans les soirs - d'hiver. - Et autour de la Foi je vois tous mes fidles - Ensemble agenouills dans le mme geste et dans la mme voix - De la mme prire. - Et autour de la Charit je vois tous mes pauvres - Assis en rond autour de ce feu - Et tendant leurs paumes la chaleur du foyer. - Mais mon esprance est la fleur et le fruit et la feuille et la - branche. - Et le rameau et le bourgeon et le germe et le bouton. - Et elle est le bourgeon et le bouton de la fleur - De l'ternit mme. - - - - O mon peuple franais, dit Dieu, tu es le seul qui ne fasses point - des contorsions. - Ni des contorsions de raideur, ni des contorsions de mollesse. - Et dans ton pch mme tu fais moins de contorsions - Que les autres n'en font dans leurs exercices. - Quand tu pries, agenouill tu as le buste droit. - Et les jambes bien jointes bien droites au ras du sol. - Et les deux pieds bien joints. - Et les deux mains bien jointes bien appliques bien droites. - Et les deux regards des deux yeux bien paralllement montants droit - au ciel. - O seul peuple qui regardes en face. - Et qui regardes en face la fortune et l'preuve - Et le pch mme. - Et qui moi-mme me regardes en face. - Et quand tu es couch sur la pierre des tombeaux - L'homme et la femme se tiennent bien droits l'un ct de l'autre. - Sans raideur et sans aucune contorsion. - Bien couchs droits l'un ct de l'autre sans faute. - Sans manque et sans erreur. - Bien pareils. Bien paralllement. - Les mains jointes, les corps joints et spars parallles. - Les regards joints. - Les destines jointes. Joints dans le jugement et dans l'ternit. - Et le noble lvrier bien aux pieds. - Peuple, le seul qui pries et le seul qui pleures sans contorsion. - - Le seul qui ne verses que des larmes dcentes. - Et des larmes perpendiculaires. - - Le seul qui ne fasses monter que des prires dcentes - Et des prires et des voeux perpendiculaires. - - - - Dans toute famille, dit Dieu, il y a un dernier-n. - Et il est plus tendre. - Cette petite esprance qui sauterait la corde dans les processions. - Elle est dans la maison des vertus - Comme tait Benjamin dans la maison de Jacob. - - - - _Un homme avait douze fils._ Comme les quarante-six livres de - l'Ancien Testament marchent devant les quatre vangiles et les - Actes et les ptres et l'Apocalypse. - Qui ferme la marche. - Comme les quarante-six livres de l'Ancien Testament marchent devant - les vingt-sept livres du Nouveau Testament. - Ayant pos leurs quarante-six tentes dans le dsert. - Et comme Isral marche devant la chrtient. - Et comme le bataillon des justes marche devant le bataillon des - saints. - Et Adam devant Jsus-Christ - Qui est le deuxime Adam. - Ainsi devant toute histoire et devant toute similitude du Nouveau - Testament - Marche une histoire de l'Ancien Testament qui est sa parallle et qui - est sa pareille. - _Un homme avait deux fils. Un homme avait douze fils._ Et ainsi - devant toute soeur chrtienne - S'avance une soeur juive qui est sa soeur ane et qui l'annonce et - qui va devant. - Et qui a pos sa tente dans le dsert. Et le puits de Rbecca - Avait t creus avant le puits de la Samaritaine. - Or entre toutes une histoire a plant sa tente. - Et avant l'histoire de l'homme qui avait deux fils - Mon enfant c'est l'histoire de l'homme qui avait douze fils. - Et comme tait Benjamin dans la famille de cet homme, - Ainsi est mon Esprance dans la famille des vertus. - Parmi les trois Thologales et parmi les quatre Cardinales. - Sans compter toutes les autres et notamment parmi celles, - Parmi les sept qui s'opposent directement aux Capitaux. - Et avant le fils qui fut retrouv gardien de cochons, - Marche le fils qui fut retrouv roi, - Je veux dire ministre du roi et rellement gouverneur du royaume. - Ministre du Pharaon et gouverneur du royaume d'gypte. - --_Je suis Joseph, votre frre._ Quel Juif, quel chrtien - N'a pleur cette retrouvaille. _Isral aimait Joseph plus que tous - ses autres enfants, parce qu'il l'avait eu tant dj vieux;_ - -JEANNETTE - - _Et il lui avait fait faire une robe de plusieurs couleurs._ - -MADAME GERVAISE - - _Il arriva aussi que Joseph rapporta ses frres un songe qu'il - avait eu, qui fut la semence d'une plus grande haine._ - -JEANNETTE - - _Car il leur dit:_ - -MADAME GERVAISE - - Quel coeur juif, quel coeur chrtien n'a tressailli au fil de cette - histoire. Quel coeur juif, quel coeur chrtien n'a tressailli - cette retrouvaille. - -JEANNETTE - - _Car il leur dit: coutez le songe que j'ai eu._ - -MADAME GERVAISE - - Juif, chrtien, qui n'a pleur cette reconnaissance. - -JEANNETTE - - _Il me semblait que je liais avec vous des gerbes dans le champ; que - ma gerbe se leva et se tint debout; et que les vtres tant autour - de la mienne, l'adoraient._ - -MADAME GERVAISE - - _Ses frres lui rpondirent: Est-ce que vous serez notre Roi, et que - nous serons soumis votre puissance? Ces songes et ces entretiens - allumrent donc encore davantage l'envie et la haine qu'ils avaient - contre lui._ - -JEANNETTE - - _Il est encore un autre songe qu'il raconta ses frres en leur - disant: J'ai cru voir en songe que le soleil et la lune, et onze - toiles m'adoraient._ - -MADAME GERVAISE - - _Lorsqu'il eut rapport ce songe son pre et ses frres, son pre - lui en fit rprimande, et lui dit: Que voudrait dire ce songe que - vous avez eu? Est-ce que votre mre, vos frres et moi nous vous - adorerons sur la terre?_ - -JEANNETTE - - _Ainsi ses frres taient transports d'envie contre lui: mais le - pre considrait tout ceci dans le silence._ - -MADAME GERVAISE - - _Il arriva alors que les frres de Joseph s'arrtrent Sichem o - ils faisaient patre les troupeaux de leur pre._ - -JEANNETTE - - _Et Isral dit Joseph: Vos frres font patre nos brebis dans le - pays de Sichem. Venez, et je vous enverrai vers eux._ - -MADAME GERVAISE - - _(Je suis tout prt, lui dit Joseph).--Allez, et voyez si vos frres - se portent bien, et si les troupeaux sont en bon tat; et vous me - rapporterez ce qui se passe.--Ayant (donc) t envoy de la valle - d'Hbron, il vint Sichem;_ - -JEANNETTE - - _et un homme l'ayant trouv errant dans un champ, lui demanda ce - qu'il cherchait._ - -MADAME GERVAISE - - _Il lui rpondit: Je cherche mes frres; je vous prie de me dire o - ils font patre leurs troupeaux._ - -JEANNETTE - - _Cet homme lui rpondit: Ils se sont retirs de ce lieu; et j'ai - entendu qu'ils se disaient: Allons vers Dothan. Joseph alla donc - aprs ses frres; et il les trouva dans (la plaine de) Dothan._ - -MADAME GERVAISE - - _Lorsqu'ils l'eurent aperu de loin, avant qu'il se ft approch - d'eux, ils rsolurent de le tuer;_ - -JEANNETTE - - _Et ils se disaient l'un l'autre: Voici notre songeur qui vient._ - -MADAME GERVAISE - - _Allons, tuons-le, et le jettons dans cette vieille citerne: nous - dirons qu'une bte sauvage l'a dvor; et aprs cela on verra - quoi ses songes lui auront servi._ - -JEANNETTE - - _Ruben les ayant entendu parler ainsi, tchait de le tirer d'entre - leurs mains, et il disait:_ - -MADAME GERVAISE - - _Ne le tuez point, et ne rpandez point son sang, mais jettez-le dans - cette citerne qui est dans le dsert, et conservez vos mains pures._ - -JEANNETTE - -comme donnant un renseignement, pour qu'on n'aille point s'garer: - - _Il disait ceci dans le dessein de le tirer de leurs mains, et de le - rendre son pre._ - -MADAME GERVAISE - - _Aussitt donc qu'il fut arriv prs de ses frres, ils lui trent - sa robe de plusieurs couleurs qui le couvrait jusqu'en bas;_ - -JEANNETTE - - _Et ils le jettrent dans cette vieille citerne qui tait sans eau._ - -MADAME GERVAISE - - _S'tant ensuite assis pour manger, ils virent des Ismalites qui - passaient, et qui venant de Galaad portaient sur leurs chameaux des - parfums, de la rsine et de la myrrhe,..._ - -JEANNETTE - - Dj l'or, dj l'encens, dj la myrrhe. - -MADAME GERVAISE - - _... et s'en allaient en gypte._ - -JEANNETTE - - Et ce fut la premire fuite en gypte. - -MADAME GERVAISE - - _Alors Juda dit ses frres: Que nous servira d'avoir tu notre - frre, et d'avoir cach sa mort?_ - - _Il vaut mieux le vendre..._ - -JEANNETTE - - _Il vaut mieux le vendre ces Ismalites, et ne point souiller nos - mains; car il est notre frre et notre chair._ - -comme condescendant: - - _Ses frres consentirent ce qu'il disait:_ - -MADAME GERVAISE - - _L'ayant donc tir de la citerne, et voyant ces marchands Madianites - qui passaient, ils le vendirent vingt pices d'argent aux - Ismalites, qui le menrent en gypte._ - -JEANNETTE - - _Ils le vendirent vingt pices d'argent._ Un autre, - Un autre fut vendu. - -MADAME GERVAISE - - Un autre fut envoy vers ses frres, pour savoir comment les brebis - se portaient. Un autre fut dpouill de sa robe et jet dans cette - vieille citerne qui tait sans eau. Un autre fut vendu. - -JEANNETTE - - Un autre fut emmen en gypte, dans la mme, dans une autre gypte. - Un autre fut vendu. - -MADAME GERVAISE - - C'est une figure, mon enfant. C'est une histoire unique et elle fut - joue deux fois. Une fois en juiverie, une fois en chrtiennerie. - Et pour celui qui regarde les deux fois se voient en transparence - l'une sur l'autre. - -JEANNETTE - - Un autre fut li, un autre fut vendu. - -MADAME GERVAISE - - Un autre fut vendu esclave. - -JEANNETTE - - Un autre aussi fut retrouv. Un autre aussi fut reconnu. Un autre - aussi se dvoila. _Je suis Jsus, votre frre._ - -MADAME GERVAISE - - Un autre se manifesta dans sa gloire, et dans le ministre et dans le - gouvernement du royaume. - -JEANNETTE - - Dans le gouvernement d'une gypte ternelle. _Ruben tant retourn - la citerne, et n'y ayant point trouv l'enfant._ - -MADAME GERVAISE - - Un autre a rompu le sceau de son secret. Un autre est apparu dans sa - gloire. Un autre est apparu la droite. Un autre est apparu dans - le gouvernement. Un autre est apparu sur les degrs du trne. Un - autre est apparu dans son ascension. - -JEANNETTE - - Et c'tait Jsus notre frre. _Je suis Jsus, - Je suis Jsus votre frre._ - Et nous autres nous sommes ces gerbes et ces onze toiles. - _Un homme avait douze fils._ Et nous autres nous sommes ces frres - ingrats, - les onze ou enfin les dix ou enfin les neuf mauvais fils de Jacob. - _Ruben tant retourn la citerne, et n'y ayant point retrouv - l'enfant,_ - -MADAME GERVAISE - - _dchira ses vtements, et vint dire ses frres: L'enfant ne parat - plus, et que deviendrai-je?_ - - _Aprs cela ils prirent la robe..._ - -JEANNETTE - - Une autre robe fut ravie. _Aprs cela ils prirent la robe de Joseph, - et l'ayant trempe dans le sang d'un chevreau qu'ils avaient tu,_ - -MADAME GERVAISE - - _ils l'envoyrent au pre, lui faisant dire par ceux qui la lui - portaient: Voici une robe que nous avons trouve, voyez si c'est - celle de votre fils, ou non._ - -JEANNETTE - - _Le pre l'ayant reconnue, dit: C'est la robe de mon fils, une bte - cruelle l'a dvor, une bte a dvor Joseph._ - -MADAME GERVAISE - - _Et ayant dchir ses vtements, il se couvrit d'un cilice, pleurant - son fils fort longtemps._ - -JEANNETTE - - _Alors tous ses enfants s'assemblrent, pour tcher de soulager leur - pre dans sa douleur: mais il ne voulut point recevoir de - consolation, et il dit: Je pleurerai toujours jusqu' ce que je - descende avec mon fils au fond de la terre. Ainsi il continua - toujours de pleurer._ - -MADAME GERVAISE - - _Cependant les Madianites vendirent Joseph en gypte._ - - Un homme avait douze fils. Or celui qu'il aimait plus que tous les - autres (_Isral aimait Joseph plus que tous ses autres enfants, - parce qu'il l'avait eu tant dj vieux, et il lui avait fait faire - une robe de plusieurs couleurs_) celui-l mme tait esclave en - gypte et il croyait qu'il tait mort. - Or c'est pour cela mme qu'il eut plus tard cette grande joie. - Qu'il ne pouvait pas en avoir autrement. - -JEANNETTE - - _... et je n'aurai au-dessus de vous que le trne et la qualit de - Roi._ - -MADAME GERVAISE - - _Pharaon dit encore Joseph: Je vous tablis aujourd'hui pour - commander toute l'gypte._ - -JEANNETTE - - _Ensemble il ta son anneau de sa main et le mit en celle de Joseph; - il le fit revtir d'une robe de fin lin, et lui mit au cou un - collier d'or._ - -MADAME GERVAISE - - _Il le fit monter sur l'un de ses chars, qui tait le second aprs le - sien, et fit crier par un Hraut, que tout le monde flcht le - genou devant lui, et que tous reconnussent qu'il avait t tabli - pour commander toute l'gypte._ - -JEANNETTE - - _Le Roi dit encore Joseph: Je suis Pharaon; nul ne remuera ni le - pied ni la main dans toute l'gypte que par votre commandement._ - -MADAME GERVAISE - - _Il changea aussi son nom, et il l'appela en langue gyptienne..._ - -JEANNETTE - - _... le Sauveur du Monde._ - -MADAME GERVAISE - - _Les sept annes de fertilit vinrent donc; et le bl ayant t mis - en gerbes, fut serr ensuite dans les greniers de l'gypte._ - -JEANNETTE - - Trente et trois annes de fertilit vinrent donc; et le bl ayant t - mis en gerbes, fut serr ensuite dans les greniers d'une gypte - ternelle. - -MADAME GERVAISE - - _On mit aussi en rserve dans toutes les villes cette grande - abondance de grains._ - -JEANNETTE - - On mit aussi en rserve dans tout le ciel cette grande abondance de - grces. - -MADAME GERVAISE - - _Car il y eut si grande quantit de froment, qu'elle galait le sable - de la mer, et qu'elle ne pouvait pas mme se mesurer._ - -JEANNETTE - - Car il y eut une si grande quantit de grces, qu'elle galait le - sable de la mer, et qu'elle ne pouvait pas mme se mesurer. - -MADAME GERVAISE - - _Ces sept annes..._ - -JEANNETTE - - Il avait li les sacs de bl pour les greniers bl. Un autre - Un autre lia les sacs de grces pour les greniers grces. - Un autre lia les sacs de grces pour les greniers du ciel. - Un autre lia les sacs de grces pour les greniers - ternels. - -MADAME GERVAISE - - _Ces sept annes..._ - -JEANNETTE - - Dans les sept annes grasses il avait li les sacs de bl pour les - greniers bl du pays - D'gypte. Un autre - Dans les trente-trois annes grasses un autre - Lia les sacs de vertus, les sacs de mrites, les sacs de grces - Pour les greniers bl du pays ternel. - -MADAME GERVAISE - - _Ces sept annes de fertilit d'gypte tant donc passes,_ - -JEANNETTE - - Ces trente-trois annes de fertilit du coeur tant donc passes, - -MADAME GERVAISE - - _Les sept annes de strilit vinrent ensuite, selon la prdiction de - Joseph:_ - -JEANNETTE - - Les innombrables annes de la strilit du coeur - Vinrent ensuite, - Selon la prdiction de Jsus: - -MADAME GERVAISE - - _Une grande famine survint dans tout le monde;_ - -JEANNETTE - - Une grande famine survint dans tout le monde; - -MADAME GERVAISE - - _Mais il y avait du bl dans toute l'gypte._ - -JEANNETTE - - Mais il y a du bl dans toute cette gypte - ternelle. - -MADAME GERVAISE - - _Le peuple tant press la famine, - cria Pharaon, - et lui demanda de quoi vivre._ - -JEANNETTE - - Et aujourd'hui. - Et prsent c'est nous ce peuple qui est press de la famine. - Et nous crions vers Dieu, - Lui demandant de quoi vivre. - -MADAME GERVAISE - - _Mais il leur dit: Allez trouver Joseph, - Et faites tout ce qu'il vous dira._ - -JEANNETTE - - Mais il nous dit: Allez trouver Jsus, - Et faites tout ce qu'il vous dira. - -MADAME GERVAISE - - _Cependant la famine croissait tous les jours dans toute la terre:_ - -JEANNETTE - - et Jsus... - -MADAME GERVAISE - - _et Joseph ouvrant tous les greniers,_ - -JEANNETTE - - _vendait du bl aux gyptiens,_ - -MADAME GERVAISE - - _parce qu'ils taient tourments eux-mmes de la famine._ - - _Et on venait de toutes les provinces en gypte pour acheter de quoi - vivre, et pour trouver quelque soulagement_ - -JEANNETTE - - _dans la rigueur de cette famine._ - - _Cependant Jacob ayant ou dire qu'on vendait du bl en gypte, dit - ses enfants: Pourquoi ngligez-vous?_ - - _J'ai appris qu'on vend du bl en gypte; allez-y acheter ce qui nous - est ncessaire, afin que nous puissions vivre et que nous ne - mourions pas de faim._ - -MADAME GERVAISE - - _Les dix frres de Joseph allrent donc en gypte pour y acheter du - bl;_ - -JEANNETTE - - _Jacob retint Benjamin avec lui, ayant dit ses frres qu'il - craignait_ - - _qu'il ne lui arrivt quelque accident dans le chemin._ - -MADAME GERVAISE - - _Ils entrrent dans l'gypte avec les autres qui y allaient pour y - acheter;_ - - _parce que la famine tait dans le pays de Chanaan._ - -JEANNETTE - - _Joseph commandait dans toute l'gypte,_ - -MADAME GERVAISE - - _et le bl ne se vendait aux peuples que par son ordre. Ses frres - l'ayant donc ador, - il les reconnut: et leur parlant assez rudement, comme des - trangers, il leur dit:_ - -JEANNETTE - -faisant un peu la grosse voix - - _D'o venez-vous?_ - -MADAME GERVAISE - - _Ils lui rpondirent:_ - -JEANNETTE - -faisant un peu la petite voix - - _Du pays de Chanaan pour acheter ici de quoi vivre._ - - _Et quoi qu'il connt bien ses frres, il ne fut point nanmoins - connu d'eux._ - - _Alors se souvenant des songes qu'il avait eus autrefois,_ - -MADAME GERVAISE - - _il leur dit: Vous tes des espions, et vous tes venus ici pour - considrer les endroits les plus faibles de l'gypte._ - -JEANNETTE - - _Ils rpondirent: Seigneur, cela n'est pas ainsi; mais vos serviteurs - sont venus ici pour acheter du bl._ - -MADAME GERVAISE - - _Nous sommes tous enfants d'un seul homme,_ - -JEANNETTE - - Nous sommes tous enfants d'un seul Dieu. - -MADAME GERVAISE - - _Nous sommes tous enfants d'un seul homme, nous venons avec des - penses de paix,_ - -JEANNETTE - - Et paix sur la terre aux hommes de bonne volont. - -MADAME GERVAISE - - _et vos serviteurs n'ont aucun mauvais dessein._ - - _Leur rpondit: Non cela n'est pas; mais vous tes venus pour - remarquer ce qu'il y a de moins fortifi dans l'gypte._ - - _Ils lui dirent: Nous sommes douze frres, enfants d'un mme homme - dans le pays de Chanaan, et vos serviteurs. Le dernier est avec - notre pre, et l'autre n'est plus._ - -JEANNETTE - - Comme tait Benjamin dans la maison de Jacob, _le dernier est avec - notre pre,_ ainsi est l'esprance dans la maison des vertus. - -MADAME GERVAISE - - _Voil, dit Joseph, ce que je disais: Vous tes des espions_ - -JEANNETTE - -faisant la grosse voix et s'adoucissant peu peu - -[d'ailleurs toute cette rcitation sacre, venue dans le courant mme -de leur commune oraison, se fait: avant tout comme d'une belle -histoire; ensemble comme d'une histoire amusante; en dessous comme -d'une histoire de tendresse; d'une tendresse grandissante, si grande -qu'en mme temps on s'en dfend constamment jusqu' l'clatement final] - - _Je m'en vais prouver si vous dites la vrit. Vive Pharaon,_ - -[c'est surtout ce _Vive Pharaon_ qui les amuse. Elles le font dans une -trs grosse voix] - - _Vive Pharaon, vous ne sortirez point d'ici jusqu' ce que le dernier - de vos frres y soit venu._ - -MADAME GERVAISE - - _Envoyez l'un de vous pour l'y amener: cependant vous demeurerez en - prison jusqu' ce que j'aye reconnu si ce que vous dites est vrai - ou faux, autrement,_ mme jeu, _vive Pharaon, vous tes des - espions._ - - _Il les fit donc mettre en prison pour trois jours._ - - _Et le troisime jour il les fit sortir de prison, et leur dit: - Faites ce que je vous dis, et vous vivrez: car je crains Dieu._ - - _Si vous venez ici dans un esprit de paix, que l'un de vos frres - demeure li dans la prison; et allez-vous-en vous; emportez en - votre pays le bl que vous avez achet,_ - - _et amenez-moi le dernier de vos frres, afin que je puisse - reconnatre si ce que vous dites est vritable, et que vous ne - mouriez point. Ils firent ce qu'il leur avait ordonn._ - -JEANNETTE - - _Et ils se disaient l'un l'autre: C'est justement que nous - souffrons tout ceci, parce que nous avons pch contre notre frre, - et que voyant la douleur de son me lorsqu'il nous priait, nous ne - l'coutmes point: c'est pour cela que nous sommes tombs dans - cette affliction._ - -MADAME GERVAISE - - _Ruben l'un d'entre eux leur disait: Ne vous dis-je pas: Ne commettez - point un si grand crime contre cet enfant? Et vous ne m'couttes - point. C'est son sang maintenant que l'on redemande._ - -JEANNETTE - - _Ils ne savaient pas que Joseph les entendt, parce qu'il leur - parlait par un truchement. - Mais il se retira pour un peu de temps, et versa des larmes._ - -MADAME GERVAISE - - _Et tant revenu il leur parla._ - - _Il fit prendre Simon, et le fit lier devant eux; et il commanda - ses officiers d'emplir leurs sacs de bl, et de remettre dans le - sac de chacun d'eux l'argent, en y ajoutant encore des vivres pour - se nourrir pendant le chemin: ce qui fut excut aussitt._ - - _Les frres de Joseph s'en allrent donc, emportant leur bl sur - leurs nes._ - - _Et l'un d'eux ayant ouvert son sac dans l'htellerie pour donner - manger son ne, vit son argent l'entre du sac,_ - - _et il dit ses frres: On m'a rendu mon argent; le voici dans mon - sac. Ils furent tous saisis d'tonnement et de trouble; et ils - s'entredisaient: Quelle est cette conduite de Dieu sur nous?_ - - _Lorsqu'ils furent arrivs chez Jacob leur pre au pays de Chanaan, - ils lui racontrent tout ce qui leur tait arriv, en disant:_ - - _Le Seigneur de ce pays-l nous a parl rudement, et il nous a pris - pour des espions qui venaient observer le royaume._ - - _Nous lui avons rpondu: Nous sommes gens paisibles, et trs loigns - d'avoir aucun mauvais dessein._ - - _Nous tions douze frres enfants d'un mme pre._ - -JEANNETTE - - _Nous tions douze frres enfants d'un mme pre. L'un n'est plus, le - plus jeune est avec notre pre au pays de Chanaan._ - -MADAME GERVAISE - - _Il nous a rpondu: Je veux prouver s'il est vrai que vous n'ayez - que des penses de paix. Laissez-moi donc ici l'un de vos frres; - prenez le bl qui vous est ncessaire pour vos maisons, et vous en - allez;_ - - _et amenez-moi le plus jeune de vos frres, afin que je sache que - vous n'tes point des espions; que vous puissiez ensuite remener - avec vous celui que je retiens prisonnier, et qu'il vous soit - permis l'avenir d'acheter ici ce que vous voudrez._ - - _Aprs avoir ainsi parl, comme ils jetaient leur bl hors de leurs - sacs, ils trouvrent chacun leur argent li l'entre du sac, et - ils en furent tous pouvants._ - -JEANNETTE - - _Alors Jacob, leur pre, leur dit:_ - - _Vous m'avez rduit tre sans enfants. Joseph n'est plus au monde, - Simon est en prison, et vous voulez m'enlever Benjamin. Tous ces - maux sont retombs sur moi._ - -MADAME GERVAISE - - _Ruben lui rpondit: Faites mourir mes deux enfants, si je ne vous le - ramne. Confiez-le moi, et je vous le rendrai._ - -JEANNETTE - - _Non, dit Jacob, mon fils n'ira point avec vous. Son frre est mort, - et il est demeur seul. S'il lui arrive quelque malheur au pays o - vous allez, vous accablerez ma vieillesse d'une douleur qui - m'emportera dans le tombeau._ - -MADAME GERVAISE - - _Cependant la famine dsolait extraordinairement tout le pays;_ - - _et le bl que les enfants de Jacob avaient apport d'gypte tant - consum, Jacob leur dit:_ - - _Retournez pour nous acheter un peu de bl._ - - - - _Juda lui rpondit: Celui qui commande en ce pays-l nous a dclar - sa volont avec serment, en disant: Vous ne verrez point mon visage - moins que vous n'ameniez avec vous le plus jeune de vos frres._ - - _Si vous voulez donc l'envoyer avec nous, nous irons ensemble, et - nous achterons ce qui vous est ncessaire._ - - _Que si vous ne le voulez pas, nous n'irons point: car cet homme, - comme nous l'avons dit plusieurs fois, nous a dclar que nous ne - verrions point son visage, si nous n'avions avec nous notre jeune - frre._ - - - - _Isral leur dit: C'est pour mon malheur que vous lui avez appris que - vous aviez encore un autre frre._ - - - - _Mais ils lui rpondirent: Il nous demanda par ordre toute la suite - de notre famille: Si notre pre vivait; si nous avions un frre: et - nous lui rpondmes conformment ce qu'il nous avait demand. - Pouvions-nous deviner qu'il nous dirait: Amenez avec vous votre - frre?_ - - - - _Juda dit encore son pre: Envoyez l'enfant avec moi, afin que nous - puissions partir et avoir de quoi vivre, et que nous ne mourions - pas nous et nos petits enfants._ - - _Je me charge de cet enfant, et c'est moi qui vous en demanderez - compte. Si je ne le ramne, et si je ne vous le rends, je consens - que vous ne me pardonniez jamais cette faute._ - - _Si nous n'avions point tant diffr, nous serions dj revenus une - seconde fois._ - - - - _Isral leur pre leur dit donc: Si c'est une ncessit, faites ce - que vous voudrez. Prenez avec vous des plus excellents fruits de ce - pays-ci, pour en faire prsent celui qui commande; un peu de - rsine, de miel, de storax, de myrrhe, de trbenthine et - d'amandes._ - -JEANNETTE - - De l'or, de l'encens, de la myrrhe. - -MADAME GERVAISE - - _Portez aussi deux fois autant d'argent qu'au premier voyage, et - reportez celui que vous avez trouv dans vos sacs, de peur que ce - ne soit une mprise._ - - _Enfin menez votre frre avec vous, et allez vers cet homme._ - -JEANNETTE - - _Je prie mon Dieu le tout-puissant de vous le rendre favorable, qu'il - renvoye avec vous votre frre qu'il tient prisonnier, et Benjamin: - cependant je demeurerai seul, comme si j'tais sans enfants._ - -MADAME GERVAISE - - _Ils prirent donc avec eux les prsents, et le double de l'argent, - avec Benjamin; et tant partis ils arrivrent en gypte, o ils se - prsentrent devant Joseph._ - -JEANNETTE - - _Joseph les ayant vus, et Benjamin avec eux, dit son Intendant: - Faites entrer ces personnes chez moi; tuez des victimes, et - prparez un festin: parce qu'ils mangeront midi avec moi._ - -MADAME GERVAISE - - _L'Intendant excuta ce qui lui avait t command, et il les fit - entrer dans la maison._ - - _Alors tant saisis de crainte, ils s'entredisaient: C'est cause de - cet argent que nous avons remport dans nos sacs qu'il nous fait - entrer ici, pour faire retomber sur nous ce reproche, et nous - opprimer en nous rduisant en servitude, nous et nos nes._ - - _C'est pourquoi tant encore la porte, ils s'approchrent de - l'Intendant de Joseph, - et lui dirent: Seigneur, nous vous supplions de nous couter. Nous - sommes dj venus une fois acheter du bl:_ - - _et aprs l'avoir achet, lorsque nous fmes arrivs l'htellerie, - en ouvrant nos sacs, nous y trouvmes notre argent, que nous vous - rapportons maintenant au mme poids._ - - _Et nous vous en rapportons encore d'autre, pour acheter ce qui nous - est ncessaire: mais nous ne savons en aucune sorte qui a pu - remettre cet argent dans nos sacs._ - -JEANNETTE - - _L'Intendant leur rpondit: Ayez l'esprit en repos; ne craignez - point. Votre Dieu et le Dieu de votre pre vous a donn des trsors - dans vos sacs: car pour moi j'ai reu l'argent que vous m'avez - donn, et j'en suis content. Il fit sortir aussi Simon, et il le - leur amena._ - -MADAME GERVAISE - - _Aprs les avoir fait entrer en la maison, il leur apporta de l'eau, - ils se lavrent les pieds, et il donna manger leurs nes._ - -JEANNETTE - - _Cependant ils tinrent leurs prsents tout prts, attendant que - Joseph entrt sur le midi, parce qu'on leur avait dit qu'ils - devaient manger en ce lieu-l._ - -MADAME GERVAISE - - _Joseph tant donc entr dans sa maison, ils lui offrirent leurs - prsents qu'ils tenaient en leurs mains, et ils l'adorrent en se - baissant jusqu'en terre._ - -JEANNETTE - - _Il les salua aussi, en leur faisant bon visage, et il leur demanda: - Votre pre, ce vieillard dont vous m'aviez parl, vit-il encore? Se - porte-t-il bien?_ - -MADAME GERVAISE - - _Ils lui rpondirent: Notre pre votre serviteur est encore en vie, - et il se porte bien: et en se baissant profondment, ils - l'adorrent._ - -JEANNETTE - - _Joseph levant les yeux vit Benjamin son frre, fils de Rachel sa - mre, et leur dit: Est-ce l le plus jeune de vos frres dont vous - m'aviez parl? Mon fils, ajouta-t-il, je prie Dieu qu'il vous soit - toujours favorable._ - -MADAME GERVAISE - - _Et il se hta, parce que ses entrailles avaient t mues en voyant - son frre, et qu'il ne pouvait plus retenir ses larmes. Passant - donc dans une chambre, il pleura._ - -JEANNETTE - - _Et aprs s'tre lav le visage il revint, se faisant violence, et il - dit: Servez manger._ - -MADAME GERVAISE - - _On servit Joseph part, et ses frres part, et les gyptiens qui - mangeaient avec lui part: (car il n'est pas permis aux gyptiens - de manger avec les Hbreux, et ils croient qu'un festin de cette - sorte serait profane)._ - -JEANNETTE - - _Ils s'assirent donc en prsence de Joseph, l'an le premier selon - son rang, et le plus jeune selon son ge. Et ils furent extrmement - surpris,_ - -MADAME GERVAISE - - _en voyant les parts qu'il leur avait donnes, de ce que la part la - plus grande tait venue Benjamin; car elle tait cinq fois plus - grande que celle des autres. Ils burent ainsi avec Joseph, et ils - firent grande chre._ - - - - _Or Joseph donna cet ordre l'Intendant de sa maison, et lui dit: - Mettez dans les sacs de ces personnes autant de bl qu'ils en - pourront tenir, et l'argent de chacun l'entre du sac; - et mettez ma coupe d'argent rentre du sac du plus jeune, avec - l'argent qu'il a donn pour le bl. Cet ordre fut donc excut._ - - _Et ds le matin on les laissa aller avec leurs nes._ - - _Lorsqu'ils furent sortis de la ville, comme ils n'avaient fait - encore que peu de chemin, Joseph appela l'Intendant de sa maison, - et lui dit: Courez vite aprs ces gens; arrtez-les, et leur dites: - Pourquoi avez-vous rendu le mal pour le bien?_ - - _La coupe que vous avez drobe, est celle dans laquelle mon Seigneur - boit, et dont il se sert pour deviner. Vous avez fait une trs - mchante action._ - - _L'Intendant fit ce qui lui avait t command; et les ayant arrts, - il leur dit tout ce qu'il lui avait t ordonn de leur dire._ - -JEANNETTE - - _Ils lui rpondirent: Pourquoi mon seigneur parle-t-il ainsi ses - serviteurs, et les croit-il capables d'une action si honteuse?_ - -MADAME GERVAISE - - _Nous vous avons rapport du pays de Chanaan l'argent que nous - trouvmes l'entre de nos sacs. Comment donc se pourrait-il faire - que nous eussions drob de la maison de votre Seigneur de l'or ou - de l'argent?_ - -JEANNETTE - - _Que celui de vos serviteurs,..._ - -MADAME GERVAISE - - _quel qu'il puisse tre, qui l'on trouvera ce que vous cherchez, - meure; et nous serons esclaves de mon seigneur._ - -JEANNETTE - - _Il leur dit: Oui, que ce que vous prononcez soit excut. Quiconque - se trouvera avoir pris ce que je cherche, sera mon esclave, et vous - en serez innocents._ - -MADAME GERVAISE - - _Ils dchargrent donc aussitt leurs sacs terre, et chacun ouvrit - le sien._ - -JEANNETTE - - _Les ayant fouills, du plus grand au plus petit, on trouva la coupe - dans le sac de Benjamin._ - -MADAME GERVAISE - - _Alors ayant dchir leurs vtements et dcharg leurs nes, ils - revinrent la ville._ - -JEANNETTE - - _Juda se prsenta le premier avec ses frres devant Joseph, qui - n'tait pas encore sorti du lieu o il tait; et ils se - prosternrent tous ensemble terre devant lui._ - -MADAME GERVAISE - - _Joseph leur dit: Pourquoi avez-vous agi ainsi? Ignorez-vous qu'il - n'y a personne qui m'gale dans la science de deviner les choses - caches?_ - -JEANNETTE - - _Juda lui dit: Que rpondrons-nous mon Seigneur? Que lui - dirons-nous, et que pouvons-nous lui reprsenter avec quelque ombre - de justice pour notre dfense? Dieu a trouv l'iniquit de vos - serviteurs. Nous sommes tous les esclaves de mon Seigneur, nous et - celui qui on a trouv la coupe._ - -MADAME GERVAISE - - _Joseph rpondit: Dieu me garde d'agir de la sorte. Que celui qui a - pris ma coupe soit mon esclave; et pour vous autres, allez en - libert retrouver votre pre._ - -JEANNETTE - - _Juda s'approchant alors plus prs de Joseph lui dit avec assurance: - Mon Seigneur, permettez, je vous prie, votre serviteur de vous - adresser sa parole, et ne vous mettez pas en colre contre votre - esclave: car aprs Pharaon, c'est vous qui tes_ - -MADAME GERVAISE - - _mon Seigneur. Vous avez demand d'abord vos serviteurs: Avez-vous - encore votre pre ou quelque autre frre?_ - - _Et nous vous avons rpondu, mon Seigneur: Nous avons un pre qui est - vieux, et un jeune frre qu'il a eu dans sa vieillesse, dont le - frre qui tait n de la mme mre est mort: il ne reste plus que - celui-l, et son pre l'aime tendrement._ - - _Vous dtes alors vos serviteurs: Amenez-le moi, je serai bien aise - de le voir._ - - _Mais nous vous rpondmes, mon Seigneur: Cet enfant ne peut quitter - son pre, car s'il le quitte, il le fera mourir._ - - _Vous dtes vos serviteurs: Si le dernier de vos frres ne vient - avec vous, vous ne verrez plus mon visage._ - - _Lors donc que nous fmes retourns vers notre pre votre serviteur, - nous lui rapportmes tout ce que vous aviez dit, mon Seigneur._ - - _Et notre pre nous ayant dit: Retournez pour nous acheter un peu de - bl;_ - - _nous lui rpondmes: Nous ne pouvons y aller. Si notre jeune frre y - vient avec nous, nous irons ensemble: mais moins qu'il ne vienne, - nous n'osons nous prsenter devant celui qui commande._ - - _Il nous rpondit: Vous savez que j'ai eu deux fils de Rachel ma - femme._ - - _L'un d'eux tant all aux champs, vous m'avez dit qu'une bte - l'avait dvor, et il ne parat plus jusqu' cette heure._ - - _Si vous emmenez encore celui-ci, et qu'il lui arrive quelque - accident dans le chemin, vous accablerez ma vieillesse d'une - affliction qui la conduira dans le tombeau._ - - _Si je me prsente donc mon pre votre serviteur, et que l'enfant - n'y soit pas, comme sa vie dpend de celle de son fils,_ - - _lorsqu'il verra qu'il n'est point avec nous, il mourra, et vos - serviteurs accableront sa vieillesse d'une douleur qui le mnera au - tombeau._ - - _Que ce soit donc plutt moi qui sois votre esclave, puisque je me - suis rendu caution de cet enfant, et que j'en ai rpondu mon - pre, en lui disant: Si je ne le ramne, je veux bien que mon pre - m'impute cette faute, et qu'il ne me la pardonne jamais._ - - _Ainsi je demeurerai votre esclave, et servirai mon Seigneur en la - place de l'enfant, afin qu'il retourne avec ses frres._ - - _Car je ne puis pas retourner vers mon pre sans que l'enfant soit - avec nous, de peur que je ne sois moi-mme tmoin de l'extrme - affliction qui accablera notre pre._ - -JEANNETTE - -elle va au devant de la rcitation. - - Joseph ne pouvait plus se retenir; - -MADAME GERVAISE - - _Joseph ne pouvait plus se retenir; et parce qu'il tait environn de - plusieurs personnes,_ - -JEANNETTE - -ne se retenant plus elle-mme et saisissant d'autorit la rcitation. - - _il commanda..._ - -elle recommence pour avoir la reconnaissance dans son plein. - - _Joseph ne pouvait plus se retenir; et parce qu'il tait environn de - plusieurs personnes, il commanda que l'on ft sortir tout le monde; - afin que nul tranger ne ft prsent lorsqu'il se ferait connatre - ses frres,_ - - - _Alors les larmes lui tombant des yeux, il leva sa voix, qui fut - entendue des gyptiens, et de toute la maison de Pharaon._ - - _Et il dit ses frres: Je suis Joseph. Mon pre vit-il encore?_ - - - - Je suis Joseph; je suis Joseph; je suis Jsus votre frre. - Qu'attendez-vous? _Mon pre vit-il encore?_ - -MADAME GERVAISE - - _Mais ses frres ne purent point lui rpondre, tant ils taient - saisis de frayeur._ - -JEANNETTE - - _Il leur parla avec douceur, et leur dit: Approchez-vous de moi. Et - s'tant approchs de lui, il ajouta: Je suis Joseph votre frre que - vous avez vendu en gypte._ - - _Ne craignez point et ne vous affligez point de ce que vous m'avez - vendu en ce pays-ci: car Dieu m'a envoy en gypte avant vous pour - votre salut._ - - _Il y a dj deux ans que la famine a commenc sur la terre, et il en - reste encore cinq, pendant lesquels on ne pourra ni labourer ni - recueillir._ - - _Dieu m'a fait venir ici avant vous, pour vous conserver la vie, et - afin que vous puissiez avoir des vivres pour subsister._ - - _Ce n'est point par votre conseil que j'ai t envoy ici, mais par - la volont de Dieu, qui m'a rendu comme le pre de Pharaon, le - matre de sa maison, et le prince de toute l'gypte._ - - _Htez-vous d'aller trouver mon pre, et dites-lui: Voici ce que vous - mande votre fils Joseph: Dieu m'a rendu le matre de toute - l'gypte. Venez me trouver, ne diffrez point;_ - - _vous demeurerez dans la terre de Gessen, vous serez prs de moi vous - et vos enfants; et les enfants de vos enfants; vos brebis, vos - troupeaux de boeufs, et tout ce que vous possdez._ - - _Et je vous nourrirai l parce qu'il reste encore cinq annes de - famine, de peur qu'autrement vous ne prissiez avec toute votre - famille et tout ce qui est vous._ - - _Vous voyez de vos yeux, vous et mon frre Benjamin, que c'est - moi-mme qui vous parle de ma propre bouche._ - - _Annoncez mon pre quelle est cette gloire, et tout ce que vous - avez vu dans l'gypte. Htez-vous de me l'amener._ - - _Et s'tant jet au cou de Benjamin son frre pour l'embrasser, il - pleura; et Benjamin pleura aussi en le tenant embrass._ - - _Joseph embrassa aussi tous ses frres, il pleura sur chacun d'eux; - et aprs cela ils se rassurrent pour lui parler._ - - _Aussitt il se rpandit un grand bruit dans toute la Cour du Roi, - que les frres de Joseph taient venus. Pharaon s'en rjouit avec - toute sa maison._ - - _Et il dit Joseph qu'il donnt cet ordre ses frres: Chargez vos - nes de bl, retournez en Chanaan;_ - - _amenez de l votre pre et toute votre famille, et venez me trouver. - Je vous donnerai tous les biens de l'gypte, et vous serez nourris - de ce qu'il y a de meilleur dans cette terre._ - - _Ordonnez-leur aussi d'emmener des chariots de l'gypte, pour faire - venir leurs femmes avec leurs petits enfants, et dites-leur: Amenez - votre pre, et htez-vous de revenir le plus tt que vous pourrez,_ - - _sans rien laisser de ce qui est dans vos maisons, parce que toutes - les richesses de l'gypte seront vous._ - - _Les enfants d'Isral..._ - -MADAME GERVAISE - - _Les enfants d'Isral firent ce qui leur avait t ordonn. Et Joseph - leur fit donner des chariots, selon l'ordre qu'il en avait reu de - Pharaon, et des vivres pour le chemin._ - -JEANNETTE - - _Il commanda aussi que l'on donnt deux robes chacun de ses frres; - mais il en donna cinq des plus belles Benjamin, et trois cents - pices d'argent._ - - _Il envoya autant d'argent et de robes pour son pre, avec dix nes - chargs de tout ce qu'il y avait de plus prcieux dans l'gypte, et - autant d'nesses qui portaient du bl et du pain pour le chemin._ - -MADAME GERVAISE - - _Il renvoya donc ses frres, et leur dit en partant: Ne vous mettez - point en colre pendant le chemin._ - - _Ils vinrent donc de l'gypte au pays de Chanaan vers Jacob leur - pre._ - -JEANNETTE - - _Et ils lui dirent cette nouvelle; Votre fils Joseph est vivant et - commande dans toute la terre d'gypte. Ce que Jacob ayant entendu, - il se rveilla comme d'un profond sommeil, et cependant il ne - pouvait croire ce qu'ils lui disaient._ - -MADAME GERVAISE - - _Ses enfants insistaient au contraire, en lui rapportant comment - toute la chose s'tait passe. Enfin ayant vu les chariots, et tout - ce que Joseph lui envoyait, il reprit ses esprits;_ - -JEANNETTE - - _et il dit: Je n'ai plus rien souhaiter, puisque mon fils Joseph - vit encore. J'irai et je le verrai avant que je meure._ - -MADAME GERVAISE - - _Isral partit donc avec tout ce qu'il avait, et vint au Puits du - jurement, et ayant immol en ce lieu des victimes au Dieu de son - pre Isaac,_ - - _il l'entendit dans une vision pendant la nuit, qui l'appelait, et - qui lui disait: Jacob, Jacob. Il lui rpondit: Me voici._ - - _Et Dieu ajouta: Je suis le Dieu trs puissant de votre pre, ne - craignez point, allez en gypte, parce que je vous y rendrai le - chef d'un grand peuple._ - - _J'irai l avec vous, et je vous en ramnerai lorsque vous en - reviendrez._ - -JEANNETTE - - _Joseph aussi vous fermera les yeux de ses mains._ - -MADAME GERVAISE - - _Jacob tant donc parti du Puits du jurement, ses enfants l'amenrent - avec ses petits enfants et leurs femmes, dans les chariots que - Pharaon avait envoys pour faire venir ce vieillard,_ - - _avec tout ce qu'il possdait au pays de Chanaan; et il arriva en - gypte avec toute sa race;_ - - _ses fils, ses petits-fils, ses filles, et tout ce qui tait n de - lui._ - - - - _Tous ceux qui vinrent en gypte avec Jacob, et qui taient sortis de - lui, sans compter les femmes de ses fils, taient en tout soixante - et six personnes._ - - _Plus les deux enfants de Joseph qui lui taient ns en gypte. Ainsi - toutes les personnes de la maison de Jacob qui vinrent en gypte, - furent au nombre de soixante et dix._ - -JEANNETTE - - _Or Jacob envoya Juda devant lui vers Joseph pour l'avertir de sa - venue, afin qu'il vnt au-devant de lui en la terre de Gessen._ - - _Quand Jacob y fut arriv, Joseph fit mettre les chevaux son - chariot, et vint au mme lieu au-devant de son pre: et le voyant - il se jeta son cou, et l'embrassa en pleurant._ - - _Jacob dit Joseph: Je mourrai maintenant avec joie, puisque j'ai vu - votre visage, et que je vous laisse aprs moi._ - -MADAME GERVAISE - - _Joseph dit ses frres, et toute la maison de son pre: Je m'en - vais dire Pharaon, que mes frres et tous ceux de la maison de - mon pre sont venus me trouver de la terre de Chanaan o ils - demeuraient:_ - - _que ce sont des pasteurs de brebis qui s'occupent nourrir des - troupeaux, et qu'ils ont amen avec eux leurs brebis, leurs boeufs - et tout ce qu'ils pouvaient avoir._ - - _Et lorsque Pharaon vous fera venir, et vous demandera: Quelle est - votre occupation?_ - - _vous lui rpondrez: Vos serviteurs sont pasteurs depuis leur enfance - jusqu' prsent, et nos pres l'ont toujours t comme nous. Vous - direz ceci pour pouvoir demeurer dans la terre de Gessen; parce que - les gyptiens ont en abomination tous les pasteurs de brebis._ - - - - _Joseph tant donc all trouver Pharaon, lui dit: Mon pre et mes - frres sont venus du pays de Chanaan, avec leurs brebis, leurs - troupeaux, et tout ce qu'ils possdent, et ils se sont arrts en - la terre de Gessen._ - - _Il prsenta aussi au Roi cinq de ses frres;_ - - _Et le Roi leur ayant demand: A quoi vous occupez-vous? ils lui - rpondirent: Vos serviteurs sont pasteurs de brebis, comme l'ont - t nos pres._ - - _Nous sommes venus passer quelque temps dans vos terres, parce que la - famine est si grande dans le pays de Chanaan, qu'il n'y a plus - d'herbe pour les troupeaux de vos serviteurs. Et nous vous - supplions d'agrer que vos serviteurs demeurent dans la terre de - Gessen._ - -JEANNETTE - - _Le Roi dit donc Joseph: Votre pre et vos frres vous sont venus - trouver._ - -MADAME GERVAISE - - _Vous pouvez choisir dans toute l'gypte; faites-les demeurer dans - l'endroit du pays qui vous paratra le meilleur, et donnez-leur la - terre de Gessen. Que si vous connaissez qu'il y ait parmi eux des - hommes habiles, donnez-leur l'intendance sur mes troupeaux._ - - _Joseph introduisit ensuite son pre devant le Roi, et il le lui - prsenta. Jacob salua Pharaon, et lui souhaita toute sorte de - prosprit._ - - _Le Roi lui ayant demand quel ge il avait:_ - -JEANNETTE - - _il lui rpondit: Il y a cent trente ans que je suis voyageur, et ce - petit nombre d'annes, qui n'est pas venu jusqu' galer celui des - annes de mes pres, a t travers de beaucoup de maux._ - -MADAME GERVAISE - - _Et aprs avoir souhait toute sorte de bonheur au Roi, il se retira._ - - _Joseph selon le commandement de Pharaon, mit son pre et ses frres - en possession de Ramesss dans le pays le plus fertile de l'gypte._ - - _Et il les nourrissait avec toute la maison de son pre, donnant - chacun ce qui lui tait ncessaire pour vivre._ - - _Car le pain manquait dans tout le monde, et la famine affligeait - toute la terre; mais principalement l'gypte et le pays de Chanaan._ - - - - _Isral demeura donc en gypte, c'est--dire, dans la terre de - Gessen, dont il jouit comme de son bien propre, et o sa famille - s'accrut et se multiplia extraordinairement._ - - _Il y vcut dix-sept ans; et tout le temps de sa vie fut de cent - quarante-sept ans._ - - _Comme il vit que le jour de sa mort approchait, il appela son fils - Joseph, et lui dit: Si j'ai trouv grce devant vous, mettez votre - main sous ma cuisse, et donnez-moi cette marque de la bont que - vous avez pour moi, de me promettre avec vrit, que vous ne - m'enterrerez point dans l'gypte;_ - - _mais que je reposerai avec mes pres; que vous me transporterez hors - de ce pays, et me mettrez dans le spulcre de mes anctres. Joseph - lui rpondit: Je ferai ce que vous me commandez._ - - _Jurez-le moi donc, dit Jacob. Et pendant que Joseph jurait, Isral - adora Dieu, se tournant vers le chevet de son lit._ - - - - _Aprs cela on vint dire un jour Joseph que son pre tait malade: - alors prenant avec lui ses deux fils, Manass, et Ephram, il - l'alla voir._ - - _On dit donc Jacob: Voici votre fils Joseph qui vient vous rendre - visite. Jacob reprenant ses forces se mit sur son sant dans son - lit._ - - - - _Et_ - - _Il leur fit aussi ce commandement, et leur dit: Je vais tre runi - mon peuple; ensevelissez-moi avec mes pres dans la caverne double - qui est dans le champ d'Ephron Hethen._ - - _qui regarde Mambr au pays de Chanaan, et qu'Abraham acheta d'Ephron - Hethen, avec tout le champ o elle est, pour y avoir son spulcre._ - - _C'est l qu'il a t enseveli avec Sara sa femme. C'est aussi o - Isaac a t enseveli avec Rbecca sa femme, et o Lia est encore - ensevelie._ - - _Aprs avoir achev de donner ces ordres et ces instructions ses - enfants, il joignit ses pieds sur son lit, et mourut; et il fut - runi avec son peuple._ - - - - _Un homme avait douze fils._ Telle fut, mon enfant, - Ce fut la premire fois qu'un enfant s'est perdu. - Ce fut la premire fois qu'une brebis s'est perdue. - Ce fut la premire fois qu'une drachme s'est perdue. - - - - Mais cette drachme que l'on avait gare, - Mais cette brebis qui s'tait gare, - Mais cet enfant, ce fils qui s'tait gar - Fut retrouv sur le trne, - Gouvernant la maison de Pharaon - Et ravitaillant tout le royaume d'gypte. - Et celui de Jsus au contraire, (c'est toujours le contraire), - Celui de Jsus, l'enfant perdu par Jsus, - Dans la parabole de Jsus, - Celui de Jsus fut retrouv qui revenait de gouverner un troupeau de - porcs. - Et je pense que ses trente ou quarante cochons, - Il les ravitaillait de glands et peut-tre de quelque sale pte. - C'est ainsi, mon enfant. Ainsi est l'ancien, ainsi est le nouveau - testament. - Dans l'ancien testament il est plus souvent question du trne. - Et dans le nouveau testament il est plus souvent question de garder - les cochons. - (Et les autres animaux, qui ne sont pas moins nobles). - - - Dans l'ancien testament il y a toujours une vue, une pense vers le - commandement. - Et dans le nouveau testament il y a toujours une pense, - Une arrire-pense vers le service au contraire - Et vers la servitude. - - - - Dans l'ancien testament il y a toujours un regard, une pense vers le - gouvernement. - Et dans le nouveau testament il y a toujours un regard, une pense - vers l'obissance - Et vers la simple condition. - Vers la simple condition de sujet. - Vers la simple condition d'homme. - - - - Ou s'il y a une pense vers un commandement, et vers un gouvernement, - et vers un royaume, - Dans le nouveau testament c'est vers un commandement et vers un - gouvernement et vers un royaume - Qui n'est point le gouvernement et le commandement d'un royaume - d'gypte. - - - - Et dans le nouveau testament il n'y a de pense que pour un royaume - qui n'est pas de ce monde. - - - - Dans l'ancien testament il y a toujours une pense vers les - richesses, vers les trsors d'gypte et de Babylonie, - Vers les talents d'or et d'argent. - Et les richesses, et le trne, et le royaume, et le gouvernement et - le commandement - Sont prsentes comme le couronnement. - Dans le nouveau testament il y a toujours une pense, - La pense secrte est vers l'preuve, et vers la misre, et vers la - pauvret. - Et c'est elle l'preuve, et c'est elle la misre, et c'est elle la - pauvret - Qui est toujours prsente, - Qui est le fate et le couronnement. - - - - C'est elle qui est la dame et la trs chre et la trs sainte - pauvret. - - - - Dans l'ancien testament on redoute toujours, il y a toujours une - pense - De redoutement vers la famine de la faim. - Dans le nouveau testament on redoute toujours - Une autre faim inapaise, - Il y a toujours une pense - De redoutement vers une autre famine d'une autre faim. - Car c'est une spirituelle famine. - D'une faim spirituelle. - - - - Ainsi marche l'ancien testament devant le nouveau testament. - Ainsi les histoires marchent devant les similitudes. - Et les hymnes et les prires et les psaumes - Devant les hymnes et les prires et les oraisons - Et la lente et la longue ligne des prophtes - Devant les bataillons serrs, - Devant les bataillons carrs - Des saints. - - - - Ainsi marche le gouvernement des biens de ce monde - Avant le gouvernement des biens qui ne sont pas de ce monde. - - - - Ainsi marche le commandement charnel - Avant le commandement spirituel. - - - - Ainsi le royaume temporel - Marche avant le royaume ternel. - - - - Et ainsi les tentes du peuple d'Isral se sont plantes dans le dsert - Des sicles et des sicles avant que les basiliques, - Avant que les glises, avant que les cathdrales - Se soient plantes au sol de France. - - - - Et dans l'ancien testament il s'agit d'emplir des sacs de bl, il y - a, (toujours), - une pense sur les sacs de bl. - Et aprs a il s'agit, (dans l'ancien testament), - Ces sacs pleins il s'agit de les empiler dans les greniers bl. - Mais dans le nouveau testament il s'agit de bien autres sacs et de - bien autres greniers. - Car il s'agit, dans le nouveau testament il s'agit, ce sont - Des sacs de misre, des sacs d'preuves, des sacs de misres. - Et des sacs mettre les vertus et les mrites et les grces - Que l'on a rcoltes comme on a pu - Pour les annes de disette - Et ce sont enfin - Les greniers ternels - - - - Et dans l'ancien testament c'est le pre qui finit par venir trouver - son fils - Et qui le retrouve plein de gloire - Tout vtu. - Mais dans le nouveau testament c'est le fils tout nud - Qui finit par venir trouver son pre - - - - Ainsi l'ancien testament est l'appariteur et le fourrier - Et le prparateur et l'annonciateur du nouveau testament. - C'est lui qui lui prpare les voies, c'est lui qui lui fait sa maison. - C'est l'ancien testament qui fait dans le dsert - La longue voie temporelle. - C'est l'ancien testament qui patiemment btit - La maison temporelle. - _Voici, j'envoie mon ange devant ta face, qui prparera ton chemin - devant toi._ - - - - Et aussi l'ancien testament est comme une image qui marche devant le - nouveau testament. - Et comme une image en mme temps il est trs fidle et en mme temps - il est l'envers. - Il est contraire. Ainsi est l'histoire sainte. - Le testament charnel est une histoire, une image du testament - spirituel. - L'ancien testament temporel est une image du nouveau testament - ternel. - Et dans le nouveau testament s'il s'agit de gloire, - Il s'agit d'une gloire qui ne se ramasse gure sur les trnes, - (Except saint Louis et le trne de France). - - - - Tout l'ancien testament est une figure, une image d'ensemble et de - dtail - Trs fidle, trs exacte, - (Mais fidlement inverse, exactement inverse), - Du nouveau testament dans son ensemble et dans son dtail. - Dans l'ancien testament la cration est au seuil, - Au commencement qui est le commencement du monde. - Et dans le nouveau testament le jugement est la fin. - Le jugement qui est proprement le contraire de la cration, - Le pied oppos, qui est proprement une contre-cration. - Car dans la cration j'ai fait le monde, - (Temporel) - Et dans le jugement je le dfais. - Ainsi le jugement est proprement le contraire et ce qui balance la - cration. - Ce que l'on peut mettre, ce qui est en face de la cration. - - - - J'ai dcoup le temps dans l'ternit, dit Dieu. - Le temps et le monde du temps. - La cration fut le commencement et le jugement sera la fin. - (Du temps) (Du monde du temps). - C'est exactement une symtrie, un balancement. - Ce que j'ai ouvert, je le fermerai. - Le jour de la cration (les six jours) j'ai ouvert un certain monde - (On le connat de reste) - (On le sait, on en a assez parl) - Enfin la premire heure du premier des six jours de la cration j'ai - commenc une certaine histoire, - Et le jour du jugement je la fermerai. - Or tout l'ancien testament part de ce jugement que je fis de crer. - Et tout le nouveau testament va vers ce jugement que je ferai de - juger. - Ainsi l'ancien testament est symtrique au nouveau. - Et (contre) balance le nouveau. - Et tout l'ancien testament part de cette cration. - Et tout le nouveau testament va vers ce jugement - Et dans l'ancien testament le Paradis est au commencement. - Et c'est un Paradis terrestre. - Mais dans le nouveau testament le Paradis est la fin. - Et je vous le dis c'est un Paradis - cleste. - Et tout l'ancien testament va vers Jean le Baptiste et vers Jsus. - Mais tout le nouveau testament vient de Jsus. - C'est comme une belle vote qui monte des deux cts vers la clef de - vote. - Et Jsus est la clef de vote. Ainsi est la vote de cette nef. - Et la pierre qui monte suivant la courbe de cette nef, - Dcidant, dessinant, d'avance et mesure, la courbe de cette vote, - Formant la courbe de cette vote, - La pierre qui monte du bas s'avance hardiment, - Et fidlement et srement, - En toute scurit sans aucune inquitude, - Parce que montante elle sait trs bien - Qu'elle trouvera la clef de vote exacte au rendez-vous, - A la juste intersection, au sacr croisement et la clef de vote, - c'est Jsus. - Et ensemble toute la vote soutient et porte et hausse et maintient - la clef - Comme une norme paule ronde qui sans cou soutiendrait une seule - tte mais la clef seule, - La clef qui parachve, - Seule aussi ensemble est ce qui soutient seule la vote et le tout. - Et la dernire pierre avant la clef est Jean le Baptiste. - Mais la premire pierre aprs la clef est Pierre le fondateur. - _Tu es Pierre et sur cette pierre._ - Et il fut crucifi la tte en bas, - C'est--dire en redescendant. - Et comme la pierre est quadrangulaire, - Il y a les quatre angles et les quatre lignes du carr. - Et l'on dit _selon Matthieu, selon Marc, selon Luc, selon Jean,_ - C'est--dire _en suivant la ligne de Matthieu, en suivant la ligne de - Marc, en suivant la ligne de Luc,_ - Et _en suivant la ligne de Jean._ - Et aux quatre coins sont assis le jeune homme, le lion, le taureau et - l'aigle. - Car l'glise est quadrangulaire, - Comme elle est lapidaire tant fonde sur la quadrangulaire - Pierre. - - - - Et encore l'ancien testament est tout linaire. - C'est une longue, c'est une grle ligne des prophtes. - Et les prophtes y viennent l'un aprs l'autre - Comme les peupliers viennent l'un aprs l'autre dans cette belle - ligne. - Dans cette belle avenue de peupliers. - Et tout l'ancien testament c'est cette belle, cette longue avenue de - peupliers. - Venue des profondeurs de la plaine et marchant droit sur la plaine. - Cette longue avenue, cette longue ligne fidle - (Sans largeur). - Les peupliers y sont placs l'un aprs l'autre, les prophtes y sont - placs l'un aprs l'autre. - Sur la range double. - Venante, sortie, venue des profondeurs de l'horizon la noble alle, - La fidle, la directe alle droite linaire - Droite l'avenue s'avance sur la plaine droite. - Car elle sait o elle va. - Et elle ne va pas moins que. - Directement elle va droit au seuil du chteau. - Et elle conduit, et elle amne, et elle introduit le regard et le pas. - Elle seule conduit au seuil mais elle ne franchit pas le seuil, elle - ne passe pas le pas de la porte. - Elle ne se prolonge pas l'intrieur du chteau. - Mais le quadrangulaire chteau du nouveau testament - S'ouvre ce seuil et la longue alle de peupliers ne s'y continue - pas. - Mais la cour d'honneur s'y ouvre, et les btiments du chteau. - Et le beau perron pour monter et les quadrangulaires murailles. - Et ainsi le nouveau testament a une dimension de plus. - Car l'ancien testament est une ligne - Mais le nouveau couvre une surface. - - - - Ou encore l'ancien testament est cette fine, cette grle - Cette uniquement fidle alle de peupliers, - Perdue dans la plaine rase - Mais le nouveau testament est le solide parc du chteau. - Le robuste bois de chnes, carr, - Bien clos derrire ses quadrangulaires murailles, - Et qui couvre toute la surface. - - - - Ou encore l'ancien testament est cette vote qui monte en une seule - arte, - En une seule nervure et le nouveau testament - C'est la mme vote qui retombe, - Qui redescend en toute une nappe. - Et l'arte qui monte part de la terre et c'est une arte charnelle. - Mais cette nappe qui redescend vient de l'esprit - Et c'est une nappe spirituelle. - Et l'arte et la nervure qui monte part du temps et est une - temporelle arte. - Mais la nappe qui redescend vient de l'ternit et c'est - Une ternelle nappe. - - - - Et la clef de cette mystique vote. - La clef elle-mme - Charnelle, spirituelle, - Temporelle, ternelle, - C'est Jsus, - Homme, - Dieu. - - - - Et la cration fut une sorte d'ouverture du temps et de fermeture en - quelque sorte de l'ternit. - Or le jugement sera proprement la fermeture du temps - Et la totale et la dfinitive - Rouverture de l'ternit. - - - - Ou encore l'ancien testament est le lac profond qui reflte la haute - fort. - Et la fort est toute dans le lac mais elle n'y est pas. - Et le lac sombre et le lac profond est enfonc dans la terre. - Et dans le lac le ciel est au fond. - Mais vers le haut la haute fort. - Partant du bord du lac. La haute fort relle. - Hausse une tte relle. - Fait monter une sve relle. - Vers le seul profond ciel rel. - - - - On envoie les enfants l'cole, dit Dieu. - Je pense que c'est pour oublier le peu qu'ils savent. - On ferait mieux d'envoyer les parents l'cole. - C'est eux qui en ont besoin. - Mais naturellement il faudrait une cole de moi. - Et non pas une cole d'hommes. - - - - On croit que les enfants ne savent rien. - Et que les parents et que les grandes personnes savent quelque chose. - Or je vous le dis, c'est le contraire. - (C'est toujours le contraire). - Ce sont les parents, ce sont les grandes personnes qui ne savent rien. - Et ce sont les enfants qui savent - Tout. - - - - Car ils savent l'innocence premire. - Qui est tout. - - - - Le monde est toujours l'envers, dit Dieu. - Et dans le sens contraire. - Heureux celui qui resterait comme un enfant - Et qui comme un enfant garderait - Cette innocence premire. - - - - Mon fils le leur a assez dit. - Sans aucun dtour et sans aucune attnuation. - Car il parlait net et ferme. - Et clair. - Heureux non pas mme, non pas seulement celui - Qui serait comme un enfant, qui resterait comme un enfant. - Mais proprement heureux celui qui est (un) enfant, qui reste un - enfant. - Proprement, prcisment l'enfant mme qu'il a t. - Puisque justement il a t donn tout homme - D'tre. - Puisqu'il est donn tout homme d'avoir t - Un jeune enfant laiteux. - - - - Puisqu'il a t donn tout homme cette bndiction. - Cette grce unique. - - - - Et le royaume du ciel n'est pas un moindre prix. - A un autre prix. - Mon fils le leur a assez dit. - Et en termes assez exprs. - - - - Le royaume du ciel ne sera que pour eux. - Et il n'y en aura que pour eux. - _A cette heure-l s'approchrent les disciples de Jsus, disant: Qui, - penses-tu, est plus grand dans le royaume des cieux?_ - - _Et appelant Jsus un petit enfant, le plaa au milieu d'eux,_ - - _Et dit: En vrit je vous le dis, si vous ne vous convertissez - point, et ne vous rendez point comme ces petits enfants, vous - n'entrerez pas dans le royaume des cieux._ - - _Quiconque donc se sera humili comme ce petit enfant, voil celui - qui est plus grand dans le royaume des cieux._ - - _Et celui qui reoit un tel enfant en mon nom, me reoit._ - - _Mais celui qui aura scandalis un seul de ces tout petits qui - croient en moi, il vaut mieux pour lui qu'on lui pende au cou une - meule d'ne, et qu'on le jette au profond de la mer._ - - - - On a des coles, dit Dieu. Je pense que c'est pour dsapprendre - Le peu que l'on sait. - La vie aussi est une cole, disent-ils. On y apprend tous les jours. - Je la connais, cette vie qui commence au baptme et qui finit - l'extrme-onction. - C'est une usure perptuelle, une constante, une croissante - fltrissure. On descend tout le temps. - Heureux celui qui peut rester tel que le jour de son baptme - Et de sa premire communion. La vie commence au baptme, dit Dieu. - Sera-t-il dit qu'elle finit la premire. - Et non point la dernire communion. - - - Sera-t-il dit que l'homme finit sa premire communion. - Et non point au viatique, qui est sa dernire communion. - - - - Ils s'emplissent d'exprience, disent-ils; ils gagnent de - l'exprience; ils apprennent la vie; de jour en jour ils amassent - de l'exprience. Singulier trsor, dit Dieu - Trsor de vide et de disette. - Trsor de la disette des sept annes, trsor de vide et de - fltrissure et de vieillissement. - Trsor de rides et d'inquitudes. - Trsor des annes maigres. Accroissez-le, ce trsor, dit Dieu. Dans - des greniers vides - Vous entasserez des sacs vides - D'une gypte vide. - Vous accroissez le trsor de vos peines et de vos misres. - Et les sacs de vos soucis et de vos petitesses. - Vous acqurez de l'exprience, dites-vous, vous accroissez votre - exprience. - Vous allez toujours en descendant, dit Dieu, vous allez toujours en - diminuant, vous allez toujours en perdant. - Vous allez toujours en pente. Vous allez toujours en vous fltrissant - et en vous ridant et en vieillissant. - Et vous ne remonterez jamais cette pente. - Ce que vous nommez l'exprience, votre exprience, moi je le nomme - La dperdition, la diminution, le dcroissement, la perte de - l'esprance. - - Car je le nomme la dperdition prtentieuse, - La diminution, le dcroissement, la perte de l'innocence. - - - - Et c'est une dgradation perptuelle. - - - - Or c'est l'innocence qui est pleine et c'est l'exprience qui est - vide. - C'est l'innocence qui gagne et c'est l'exprience qui perd. - - C'est l'innocence qui est jeune et c'est l'exprience qui est vieille. - C'est l'innocence qui crot et c'est l'exprience qui dcrot. - - C'est l'innocence qui nat et c'est l'exprience, qui meurt. - C'est l'innocence qui sait et c'est l'exprience qui ne sait pas. - - C'est l'enfant qui est plein et c'est l'homme qui est vide. - Vide comme une courge vide et comme un tonneau vide: - - Voil, dit Dieu, ce que j'en fais, de votre exprience. - - - - Allez, mes enfants, allez l'cole. - Et vous, hommes, allez l'cole de la vie. - Allez apprendre - A dsapprendre. - - - - Toute histoire s'est joue deux fois, dit Dieu. Une fois en juiverie. - Et une fois en chrtiennerie. L'enfant (Jsus) s'est jou deux fois. - Une fois en Benjamin et une fois dans l'enfant Jsus. - Et l'enfant perdu et la brebis perdue et la drachme perdue s'est - joue deux fois. - Et la premire fois ce fut dans Joseph, _je suis Joseph votre frre_. - Il fallait que cela ft jou, dit Dieu. Et deux fois plutt qu'une. - Car il y a dans l'enfant, car il y a dans l'enfance une grce unique. - Une entiret, une premiret - Totale. - Une origine, un secret, une source, un point d'origine. - Un commencement pour ainsi dire absolu. - Les enfants sont des cratures neuves. - Eux aussi, eux surtout, eux premiers ils prennent le ciel de force. - _Rapiunt_, ils ravissent. Mais quelle douce violence. - Et quelle agrable force et quelle tendresse de force. - Comme un pre endure volontiers - Comme il aime endurer les violences de cette force, - Les embrassements de cette tendresse. - Pour moi, dit Dieu, je ne connais rien d'aussi beau dans tout le monde - Qu'un gamin d'enfant qui cause avec le bon Dieu - Dans le fond d'un jardin. - Et qui fait les demandes et les rponses (C'est plus sr). - Un petit homme qui raconte ses peines au bon Dieu - Le plus srieusement du monde. - Et qui se fait lui-mme les consolations du bon Dieu. - Or je vous le dis ces consolations qu'il se fait. - Elles viennent directement et proprement de moi. - - - - Je ne connais rien d'aussi beau dans tout le monde, dit Dieu. - Qu'un petit joufflu d'enfant, hardi comme un page, - Timide comme un ange, - Qui dit vingt fois bonjour, vingt fois bonsoir en sautant. - Et en riant et en (se) jouant. - Une fois ne lui suffit pas. Il s'en faut. Il n'y a pas de danger. - Il leur en faut, de dire bonjour et bonsoir. Ils n'en ont jamais - assez. - C'est que pour eux la vingtime fois est comme la premire. Ils - comptent comme moi. - C'est ainsi que je compte les heures. - - - - Et c'est pour cela que toute l'ternit et que tout le temps - Est (comme) un instant dans le creux de ma main. - - - - Rien n'est beau comme un enfant qui s'endort en faisant sa prire, - dit Dieu. - Je vous le dis, rien n'est aussi beau dans le monde. - Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau dans le monde. - Et pourtant j'en ai vu des beauts dans le monde - Et je m'y connais. Ma cration regorge de beauts. - Ma cration regorge de merveilles. - Il y en a tant qu'on ne sait pas o les mettre. - J'ai vu des millions et des millions d'astres rouler sous mes pieds - comme les sables de la mer. - J'ai vu des journes ardentes comme des flammes. - Des jours d't de juin, de juillet et d'aot. - J'ai vu des soirs d'hiver poss comme un manteau. - J'ai vu des soirs d't calmes et doux comme une tombe de paradis - Tout constells d'toiles. - J'ai vu ces coteaux de la Meuse et ces glises qui sont mes propres - maisons. - Et Paris et Reims et Rouen et des cathdrales qui sont mes propres - palais et mes propres chteaux. - Si beaux que je les garderai dans le ciel. - J'ai vu la capitale du royaume et Rome capitale de chrtient. - J'ai entendu chanter la messe et les triomphantes vpres. - Et j'ai vu ces plaines et ces vallonnements de France. - Qui sont plus beaux que tout. - J'ai vu la profonde mer, et la fort profonde, et le coeur profond de - l'homme. - J'ai vu des coeurs dvors d'amour - Pendant des vies entires - Perdus de charit. - Brlant comme des flammes. - J'ai vu des martyrs si anims de foi - Tenir comme un roc sur le chevalet - Sous les dents de fer. - (Comme un soldat qui tiendrait bon tout seul toute une vie - Par foi - Pour son gnral (apparemment) absent). - J'ai vu des martyrs flamber comme des torches - Se prparant ainsi les palmes toujours vertes. - Et j'ai vu perler sous les griffes de fer - Des gouttes de sang qui resplendissaient comme des diamants. - Et j'ai vu perler des larmes d'amour - Qui dureront plus longtemps que les toiles du ciel. - Et j'ai vu des regards de prire, des regards de tendresse, - Perdus de charit - Qui brilleront ternellement dans les nuits et les nuits. - Et j'ai vu des vies tout entires de la naissance la mort, - Du baptme au viatique, - Se drouler comme un bel cheveau de laine. - Or je le dis, dit Dieu, je ne connais rien d'aussi beau dans tout le - monde - Qu'un petit enfant qui s'endort en faisant sa prire - Sous l'aile de son ange gardien - Et qui rit aux anges en commenant de s'endormir. - Et qui dj mle tout a ensemble et qui n'y comprend plus rien - Et qui fourre les paroles du _Notre Pre_ tort et travers - ple-mle dans les paroles du _Je vous salue Marie_. - Pendant qu'un voile dj descend sur ses paupires - Le voile de la nuit sur son regard et sur sa voix. - J'ai vu les plus grands saints, dit Dieu. Eh bien je vous le dis. - Je n'ai jamais rien vu de si drle et par consquent je ne connais - rien de si beau dans le monde - Que cet enfant qui s'endort en faisant sa prire - (Que ce petit tre qui s'endort de confiance) - Et qui mlange son _Notre Pre_ avec son _Je vous salue Marie_. - Rien n'est aussi beau et c'est mme un point - O la sainte Vierge est de mon avis. - L-dessus. - Et je peux bien dire que c'est le seul point o nous soyons du mme - avis. Car gnralement nous sommes d'un avis contraire. - Parce qu'elle est pour la misricorde. - Et moi il faut bien que je sois pour la justice. - - - - Aussi, dit Dieu, comme je comprends mon fils. Mon fils le leur a - assez dit. (Or il faut entendre toutes les paroles de mon fils au - pied de la lettre). _Sinite parvulos._ Laissez venir. - _Sinite parvulos venire ad me._ Laissez les tout petits venir moi. - Les petits enfants. - _Alors lui furent offerts des tout petits pour qu'il leur impost les - mains, et prit. Or les disciples les rabrouaient._ - - - _Mais Jsus leur dit: Laissez les tout petits, et ne les empchez - point de venir moi: talium est enim regnum coelorum. De tels en - effet est le royaume des cieux._ Aux tels, aux comme eux appartient - le royaume des cieux. - - - _Et quand il leur eut impos les mains, il s'en alla._ - - - - Vous autres hommes, (dit Dieu), essayez donc seulement de faire un - mot d'enfant. - Vous savez bien que vous ne pouvez pas. - Et non seulement vous ne pouvez pas en faire. - Pas mme un seul, mais quand on vous en fait - Vous ne pouvez pas mme les retenir. Quand un mot d'enfant clate - parmi vous - Vous vous rcriez, vous clatez vous-mmes d'une admiration - Sincre et profonde et qui vous rachterait et laquelle je rends - justice. - Et vous dites, de partout vous dites, - Vous dites des yeux, vous dites de la voix, - Vous riez, vous dites en vous-mmes et vous dites tout haut table: - Il est bon, celui-l, je le retiens. Et vous vous jurez - D'en faire part vos amis, de le dire tout le monde, - Tant vous avez d'orgueil pour vos enfants (je ne vous en veux pas, - dit Dieu. - C'est encore ce que vous avez de meilleur et c'est ce qui vous - rachterait). - Vous croyez que vous allez facilement le rapporter. - Mais quand vous allez tout flambants pour le rapporter, - Vous vous apercevez que vous ne le savez plus. - Et non seulement cela, mais que vous ne pourrez plus le retrouver. Il - s'est vanoui de votre mmoire. - C'est une eau trop pure qui a fui de votre sale mmoire, de votre - mmoire souille. - Qui a voulu fuir, qui n'a pas voulu y rester. - Vous vous rendez trs bien compte qu'il tait une certaine place, - qu'il avait un certain got, - Qu'il tait l, qu'il occupait cette certaine place, qu'il tait dans - cette rgion, qu'il tenait cette place, qu'il avait un certain - volume. Mais vous avez la sensation nette - Qu'il est parti ou plutt qu'il est reparti et qu'il ne reviendra - jamais plus, - Que d'ailleurs vous tiez parfaitement indigne - Qu'il demeurt et vous restez bouche be et vous avez parfaitement la - sensation - Que vous seriez parfaitement incapable de le retrouver, - C'est--dire de le faire revenir, - Parce que c'est d'une tout autre qualit d'me. - - - - Et vous le sentez bien, que c'est ainsi, que c'est juste, et que rien - n'y reviendra, et que rien n'y fera plus. - Et que c'est votre ancienne me, - hommes, - qui a pass, - - - - Hommes malins alors vous ne faites plus le malin. - Hommes savants alors vous ne faites plus le savant. - Hommes qui avez t l'cole alors vous ne savez plus rien - Et vous n'avez plus qu' courber le front - (C'est d'ailleurs ce que vous faites, il faut vous rendre cette - justice) - Quand un mot d'enfant passe dans le cercle de famille, - Quand un mot d'enfant - Tombe - Dans le fatras quotidien, - Dans le bruit quotidien, - (Dans le soudain silence) - Dans le recueillement soudain - De la table de famille. - O hommes et femmes assis cette table soudain courbant le front vous - coutez passer - Votre ancienne me. - - - - Quand un mot d'enfant tombe - Comme une source, comme un rire, - Comme une larme dans un lac. - - - - O hommes et femmes assis cette table soudain courbant le front, - l'oeil fixe, et les doigts immobiles et arrts et lgrement - tremblants sur le morceau de pain, - Les doigts agits d'un lger tremblement, la respiration arrte, - Vous coutez passer - Votre ancienne me. - - - - Une voix est venue, - Hommes table, - Comme d'une autre cration mme. - - - - Une voix est monte, - Hommes table, - Une voix est venue, - C'est d'un monde o vous tiez. - - - - Une source a jailli, - Hommes table, - C'est la source de votre premire me. - Vous aussi vous avez ainsi parl. - - - - Vous tiez d'autres hommes, hommes table. - Vous tiez d'autres tres, hommes table. - Vous tiez des enfants comme eux. - - - - Vous faisiez des mots d'enfants, hommes table. - Allez donc prsent faire des mots d'enfants. - - - - Un mot est pass, un mot est mont, un mot est venu, hommes table. - Un mot est tomb dans le silence de votre table. - Et soudain vous avez reconnu. - Et soudain vous avez salu. - Votre ancienne me. - - - - Un mot a jailli tourdi. - Un mot a vol tourneau. - _Hastis musars._ - Et frmissants vous avez senti passer - Toute la jeunesse - Du vieux - Dieu. - - - - Ils sont le lait et le miel, dit Dieu, une innocence dont on n'a pas - ide. (Et les hommes sont le pain et le vin). - Lavs de l'eau ils sont comme une autre chair, n'tant pas seulement - d'une autre me. - D'une autre qualit d'me. - Lavs de l'eau ils sont une autre nourriture, une chair plus tendre, - ils sont le lait mme et le miel. - - - - Et l'homme, Hommes la sainte Table, Hommes la Table ternelle, - L'Homme est le Pain et le Vin - L'Homme est une nourriture plus forte, une nourriture virile. - Mais l'enfant est une blanche nourriture, une pure nourriture, une - nourriture plus tendre. - Et le Pain et le Vin sont des Nourritures adultes, de dures - Nourritures d'homme. - Et ce Vin venait de cette Grappe. Mais ce lait et ce miel venaient - des ruisseaux mmes. - _Et tant alls jusqu'au Torrent-de-la-Grappe de raisin, ils - couprent une branche de vigne avec sa grappe, que deux hommes - portrent sur un levier. Ils prirent aussi des grenades et des - figues de ce lieu-l,_ - - _qui fut appel depuis Nehel-escol, le Torrent-de-la-Grappe, parce - que les enfants d'Isral emportrent de l cette grappe de raisin._ - - - - _Ils leur dirent: Nous avons t dans le pays o vous nous avez - envoys, et o coulent vritablement des ruisseaux de lait et de - miel, comme on le peut connatre par ces fruits._ - - _Mais elle a des habitants trs forts, et de grandes villes fermes - de murailles. Nous y avons vu la race d'Enac._ - - - - _Sinite parvulos venire ad me. - Talium est enim regnum coelorum_ c'est le mot de mon fils. - Mais ce n'est pas seulement le mot de mon fils. C'est mon mot. - Quel engagement, l'glise, ma fille l'glise me le fait reprendre - Et me le fait dire (or je ne dmentirai jamais une liturgie. - Une prire, une oraison de ma fille l'glise). - Par l'glise, par le ministre du prtre j'ai repris l'engagement, - j'ai repris le mot de mon fils: - _Laissez venir moi les tout petits. - Des tels est en effet le royaume des cieux._ - Ainsi ma liturgie romaine se noue ma prdication centrale et - cardinale - Et ma prophtie judenne. - Et la chane est juive et romaine en passant par un gond, par une - articulation. - Par une origine centrale. - Tout est annonc par ma prophtie juive. - Tout au centre, tout au coeur est ralis, tout est consomm par mon - fils. - Tout est consomm, tout est clbr par ma liturgie romaine. - - Le prophte juif prdit. - Mon fils dit. - Et moi je redis. - - Et on me fait redire. - - - - Et il y a un rappel, un cho, un report et comme un retour, qui est - saint Louis. - Je veux dire: Il y a un rappel, un cho, un report et comme un retour - qui sont les saints. - - - - Il y a un reflet. - - - - Il y a une lumire avant, une lumire pendant, une lumire, un reflet - aprs. - - - - On a t trois fois en gypte, dit Dieu. Et une fois c'est Joseph. - Et une fois c'est Jsus. - Et une fois c'est saint Louis. - - - - On a t trois fois en gypte et c'est une terre singulire. - - - - Et une fois c'tait Joseph conduisant Jacob c'est--dire Isral. - Et une fois ce fut le Joseph conduisant Jsus. - Et une fois ce fut saint Louis conduisant Joinville - Et le menu peuple de France et les autres barons franais. - - - - Singulire gypte, dit Dieu, singulire destine de cette gypte - temporelle. - Haute et triple destine. On y fit trois voyages. - Une fuite. Une fuite. Une croisade. - Une entre. Une retraite. Une croisade. - Un enfant vendu. Un enfant en fuite. Un roi en croisade. - Un ministre du roi. Un roi sur son ne. Un roi en prison. - O thtre d'gypte, on y a jou trois fois. - - - - Une fois avant. Une fois pendant. Une fois aprs. - - - - Longue destine temporelle, dit Dieu, patience temporelle, en vrit - cette terre a t fort honore. - Les pas ont march dans les pas, dit Dieu, le talon juste dans le - talon et les pieds ont retrouv leur propre trace. - C'est un pays de dsert, dit Dieu, du moins on le dit. - Ou plutt c'est une grasse valle longue toute borde, toute entoure - de dserts et l'on n'y accde point autrement que par le dsert et - le sable. - Mais sur ce sable les traces ne se sont point effaces et les pieds - ont retrouv la trace des pieds. - Les pieds nouveaux sont retombs juste dans les pieds antiques. - O terre antique, de loin en loin par le dsert, par la mer le - voyageur est venu. - Des sicles passaient, terre antique, des sicles d'intervalle, et - tout paraissait oubli. - Mais aprs des sicles d'intervalle par le dsert, par la mer ton roi - revenait, terre antique, ton roi voyageur. - Et les pieds n'hsitaient point pour se poser dans la trace des pieds. - Ton roi est venu trois fois, terre antique, terre destine. - - La premire fois c'tait un petit garon vendu esclave - A des marchands - Et tu en fis le ministre de ton roi. - - La deuxime fois c'tait un petit garon qu'on faisait fuir dos - d'ne. - Et un jour tu le renvoyas pour devenir le Roi des rois. - - _Soyez parfaits comme votre Pre cleste est parfait._ Et la - troisime fois c'tait - le roi de France, - Rcemment dbarqu de ses royales - Galres. - - - - Des sicles et des sicles passaient, terre d'gypte, des sicles - d'intervalle, - Et tout paraissait oubli. - Mais toujours ton roi est revenu - Au rendez-vous. - - - - Terre antique, au coeur fertile, au front couronn de sables, - Nul sable jamais n'a effac, - Terre antique nul sable n'effacera - La trace de ces pas. - - - - Terre antique entoure, terre antique cerne d'un infranchissable - Sable, dsert aux plis infranchissables tu as t franchi trois fois. - Terre antique trois fois ton roi - A trouv le chemin de ton coeur. - - - - Terre antique entre toutes, antique sur toutes tu t'endors dans un - long sommeil mais tu as t rveille trois fois. - - - - Et une fois c'tait un petit juif. - Et une fois c'tait un petit juif. - Et une fois c'tait un baron franais. - - - - Et la premire fois c'tait le Prophte. - Et la troisime fois c'tait le Saint. - Mais la deuxime fois qui tait-ce, sinon la fois le Prophte et le - Saint. - - - - O terre antique, terre d'gypte tu parais dormir, mais tu as t - honore trois fois. - - - - Et la premire fois c'tait sous l'ancienne loi, - Presque au commencement de l'ancienne loi. - - Et la deuxime fois; et la troisime fois c'tait sous la loi - nouvelle, - Dans la floraison de la loi nouvelle. - - Mais la deuxime fois qu'est-ce que c'tait, - Sinon sous cet achvement, sous ce couronnement de l'ancienne loi - Que fut cette naissance et cette enfance et ce commencement de la loi - nouvelle. - - - - O terre antique, terre d'gypte tu parais dormir, mais tu as t - visite trois fois. - - - - Et la premire fois c'tait le Juste. - Et la troisime fois c'tait le Saint. - Mais la deuxime fois qui tait-ce, sinon la fois le Juste et le - Saint. - - - - O terre antique, terre d'gypte, terre la longue mmoire tu parais - dormir mais tu as t foule trois fois. - - - - Et la premire fois c'tait le roi des Juifs. - Et la troisime fois c'tait le roi de Chrtient. - Mais la deuxime fois, qui tait-ce, _rex Judaeorum_, sinon la fois - le roi des Juifs - Et le roi de Chrtient. - - - - Terre antique, terre d'gypte tu parais endormie, mais ton sommeil a - t troubl trois fois - Par les pas qui venaient. - - - - Terre tu as t bnie trois fois et toi dsert strile tu as t - arros trois fois. - _Rorate, coeli, desuper. Et nubes pluant justum. - Cieux, faites votre rose, d'en haut. Et que les nuages pleuvent le - Juste._ - - - - _Cieux, faites descendre votre rose._ O terre d'gypte, dit Dieu, - singulire terre, - Tu as fourni une singulire histoire, - Tu as fourni une singulire destine. - Tu as t grandement honore temporellement, - Terre endormie trois fois rveille, - Terre ignore trois fois visite, - Terre oublie trois fois remmore - - - - Ainsi, dit Dieu, tout se joue trois fois. Le prophte parle avant. - Mon fils parle pendant. - Le saint parle aprs. - - Et moi je parle toujours. - - - - Et c'est l que l'on voit que mon fils est le centre et le coeur et - la vote et la clef - Et la nef et le croisement de l'axe, - Et le point de l'articulation. - Et le gond qui fait tourner la porte. - Le prince des prophtes et le prince des saints. - - - - Le prophte, le juste vient devant. - Mon fils vient pendant. - Le saint vient aprs. - - Et moi je viens toujours. - - Et l'glise, qui est la communion des saints et la communion des - fidles vient aussi aprs, vient aussi toujours. - - - - Or je ne laisserai pas manquer mon glise, dit Dieu, je ne la - laisserai pas errer, je ne la laisserai pas faillir. - Terre antique d'gypte qui dors faussement, dit Dieu, qui rellement - veilles, - Je m'engage autant dans les commandements de l'glise que dans mes - propres - Commandements. - Je m'engage autant dans les enseignements de l'glise que dans mes - propres - Enseignements. - Je m'engage autant dans une liturgie que je me suis engag avec Mose - Et que mon fils avec eux s'est engag sur la montagne. - Or cela, ce que mon fils a dit une fois, _sinite parvulos venire ad - me,--laissez les petits venir moi,_--je le redis, on me le fait - redire toutes les fois (quel engagement). - Et mon fils l'avait dit de quelques enfants qui jouaient, et qui, - aussitt bnis, le quittrent pour retourner jouer. - Mais moi je le dis, on me le fait dire chaque enfant qui ne - retournera plus jouer, - Sinon dans mon paradis. - - - - Or cela (quel engagement) je le redis cet office des morts, qui - tout vient aboutir. - Auquel tout s'achemine. _Office des morts pour l'enterrement d'un - enfant._ Le Clbrant se revt d'un surplis et d'une tole blanche. - Et comme le jour du baptme il est all chercher l'enfant jusqu'au - seuil de l'glise, - Qui est le seuil de ma maison, - Et ainsi le seuil de la Maison de son Pre, - Ainsi le jour de cet enterrement il va chercher l'enfant dans la - paroisse jusqu' la Maison de son pre. - Jusqu'au seuil de la maison de son pre. - Et la Croix mme marche porte au-devant de cet enfant qui est mort - dans la paroisse. - Et quand le cortge revient vers l'glise - La croix marche porte devant. - La croix et le prtre et le rpondant et les enfants de choeur - marchent en avant. - Et par la grande rue du village tout le village. - Toute la paroisse suit derrire. - Les hommes et les femmes et les enfants. - Et les femmes pleurent. Et tout est blanc. - Et le clbrant chante - le vieux psaume du roi David, - _Beati immaculati in via. - Heureux les sans tache dans la voie._ - - - - _Heureux les immaculs dans la voie. - Beati immaculati in via._ - Sera-t-il dit, dit Dieu, que de tant de saints et de tant de martyrs. - Les seuls qui seront rellement blancs. - Rellement purs. - Les seuls qui seront rellement sans tache ce seront - Ces malheureux enfants que les soldats d'Hrode - Massacrrent au bras de leur mre. - O saints Innocents serez-vous donc les seuls. - Saints Innocents serez-vous donc les purs. - Saints Innocents serez-vous donc les blancs et les sans tache. - _Beati immaculati in via. - Bienheureux les innocents, les sans tache dans la voie. - Ego sum via, veritas et vita. - Je suis la voie, la vrit et la vie._ - O saints innocents sera-t-il dit que vous serez et que vous tes - Les seuls innocents. - Et que Franois mme mon serviteur auprs de vous n'est point pauvre. - Et que mon serviteur saint Louis des Franais - Auprs de vous n'est point innocent. - Sera-t-il dit qu'il y a dans la vie, et dans l'existence de cette - terre, une telle amertume, une telle lassitude. - Une telle ingratitude. - Une telle fltrissure. - Un tel voilement. - Un tel irrvocable vieillissement de l'me et du corps. - Une telle marque, de telles rides ineffaables. - Un tel hbtement qui ne sera plus aiguis. - Une telle fivre qui ne sera plus rafrachie. - Une telle pente qui ne sera point remonte. - Un tel pli de mmoire, d'impuissance d'oublier. - Un tel principe, un tel pli de blessure au coin des lvres - Que les plus grandes saintets du monde n'effaceront jamais ce pli. - Et que les plus grandes saintets du monde ne vaudront jamais - Les lvres sans pli, les mes sans mmoire, - les corps sans blessure - De ces grands saints et de ces grands martyrs qui ne quittrent le - sein de leur mre - Que pour entrer dans le royaume des cieux. - Et qui ne connurent rien de la vie et qui ne reurent de la vie - aucune blessure - Que cette blessure qui les fit entrer dans le royaume des cieux. - Les seuls des chrtiens assurment qui sur terre n'aient jamais - entendu parler d'Hrode. - Et qui le nom d'Hrode sur terre n'ait jamais rien dit. - Sera-t-il dit que les plus grandes saintets du monde - Des vies entires de saintet - N'auront pas dpli, n'auront pas drid les mes. - Et que le chevalet mme n'aura point acquis aux martyrs - Une certaine blancheur, une certaine premiret, - Une certaine entiret - De la toute premire - Innocente enfance. - Et que ce qui est regagn, dfendu pied pied, repris, gagn, - N'est point le mme que ce qui n'a jamais t perdu. - Et qu'un papier blanchi n'est point un papier blanc. - Et qu'un tissu blanchi n'est point une blanche toile. - Et qu'une me blanchie n'est point une me blanche. - Et que les plus prs de moi ce seront ces blancs enfants laiteux - Qui n'ont jamais rien su de la vie et rien fait de l'existence - Que de recevoir un bon coup de sabre, - Je veux dire plac au bon moment. - - - - _En ce temps-l, l'Ange du Seigneur apparut en songe Joseph, - disant: Lve-toi, et prends ton enfant, et sa mre, et fuis en - gypte, et restes-y jusqu' ce que je te le dise. Car il arrivera - qu'Hrode cherchera l'enfant pour le perdre. Lequel se levant, prit - l'enfant, et sa mre, de nuit, et se retira en gypte: et il y - resta jusqu' la mort d'Hrode: afin que ft accompli ce qui fut - dit par le Seigneur parlant par son Prophte: D'gypte j'ai appel - mon fils. Alors Hrode, voyant qu'il avait t tromp par les Mages - entra dans une grande colre, et envoya tuer tous les enfants, qui - taient Bthlehem, et dans toute sa contre, depuis deux ans et - au-dessous, selon, le temps qu'il s'tait inform des Mages. Alors - fut accompli ce qui fut dit par le Prophte Jrmie disant: Vox in - Rama audita est, ploratus et ululatus multus: Rachel plorans filios - suos, et noluit consolari, quia non sunt._ - - - - _Une voix fut entendue dans Rama, un pleurement et un grand - hululement: Rachel pleurant ses fils, et elle ne voulut pas tre - console,--quia non sunt,--parce qu'ils ne sont pas._ - - - - _J'ai vu_, dit Jean, - - _En ces jours-l: J'ai vu sur la montagne de Sion l'Agneau debout, et - avec lui cent quarante-quatre mille qui avaient son nom, et le nom - de son Pre crit sur le front. Et j'entendis une voix du ciel, - comme une voix de beaucoup d'eaux, et comme la voix d'un grand - tonnerre: et une voix, que j'entendis, comme de citharades - citharizant sur leurs cithares._ - - _Et ils chantaient_ - - _quasi canticum novum,_ - - _comme un cantique nouveau devant le sige,_ - - _et devant les quatre animaux, et les vieillards:_ - - - - _et nemo poterat dicere canticum,_ - - - - _et personne ne pouvait dire ce cantique,_ - - - - _nisi illa centum quadraginta quatuor millia,_ - - - - _sinon ces cent quarante-quatre mille,_ - - - - _qui empti sunt de terra._ - - _qui furent enlevs,_ - - _qui ont t enlevs de la terre._ - - - - Tu entends bien, mon enfant, _qui empti sunt de terra, qui ont t - enlevs de la terre_. Tout le monde est enlev de la terre, son - jour, son heure. - Mais tout le monde est enlev de la terre trop tard, quand dj la - terre a pris sur lui. - Tout le monde est enlev de la terre quand il est dj terreux. - Quand sa mmoire est terreuse et quand son me est terreuse. - Quand la terre s'est colle lui et quand elle a laiss sur lui - Une ineffaable marque. - Mais eux, eux seuls, _empti sunt de terra_, littralement _ils furent - enlevs de la terre_ - Avant qu'ils fussent aucunement entrs en terre. - Avant que cette terre leur et donn, leur ait laiss - La moindre marque terreuse. - _Empti sunt de terra_. La terre ne les prit point, ne les eut point. - La terre n'eut point commandement sur eux. - Ne les nourrit point. N'imprima point sur eux cette empreinte. - Cette marque indlbile. - _Ils furent enlevs de la terre_, c'est--dire de cette ingratitude - terreuse, - Et de cette amertume terrienne et de ce vieillissement terrien. - _Ils furent enlevs de la terre_, non pas y ayant t, comme nous, - comme tout le monde. - Mais _ils furent enlevs de la terre_, c'est--dire d'y tre mme. - D'y tre et ternellement d'y avoir t. - Sera-t-il dit, dit Dieu, que toutes les grandeurs de la terre et le - sang mme des martyrs - Ne vaudront pas de n'avoir pas t de la terre. - De n'avoir pas ce got terreux. - D'avoir t _enlev_ au commencement, - A l'origine, au point d'origine de cette vie terrestre. - De n'avoir pas ce pli et ce got d'une ingratitude. - D'une amertume. - Terreuse. - - - _Beati ac sancti._ Heureux et saints ces saints - Innocents. _Ceux-ci_, dit Jean, - - _Ceux-ci suivent l'Agneau partout o il ira._ - - _Hi sequuntur Agnum quocumque ierit._ - - _Hi empti sunt._ Encore. _Empti sunt. Furent enlevs_ - - _Hi empti sunt ex hominibus._ - - _Ceux-ci furent enlevs des hommes, - (D'entre les hommes, de parmi les hommes),_ - - _primitiae Deo, et Agno:_ - - _prmices Dieu, et l'Agneau:_ - - _et in ore eorum non est inventum mendacium:_ - - _et dans leur bouche, - et sur leur lvre ne fut point trouv le mensonge:_ - - (Le mensonge d'homme, le mensonge adulte, le mensonge terrestre. - Le mensonge terrien. - Le mensonge terreux). - - _sine macula enim sunt ante thronum Dei._ - - _sans tache ils sont en effet devant le trne de Dieu._ - - - - Tel est, dit Dieu, ce secret de tendresse et de grce - Qui est dans l'enfance mme, au point d'origine de l'enfant. - Telle est cette innocence, cette blancheur, cet incommencement. - Tel est ce secret, cette faveur de ma grce, - (Cette justice injustifiable), - Qu'il y a ceux qui ont tremp dans la terre et ceux qui n'ont pas - tremp dans la terre. - Ceux qui sont marqus, tachs, clabousss de la terre et ceux qui ne - sont pas clabousss de la terre. - Et qu'il n'y en a que pour ceux qui n'ont pas tremp dans la terre et - qui ne sont pas clabousss de la terre. - Ce sont eux, dit l'Aptre, qui sur le mont de Sion entourent l'Agneau - debout. - Ils sont cent quarante-quatre mille et ce sont eux qui ont - Mon nom et le nom de mon Fils crit sur le front. - Et l'aptre entendit une voix du ciel - Comme une voix de beaucoup d'eaux. - Et comme la voix d'un grand tonnerre. - Et comme la voix de joueurs de cithare jouant de la cithare sur leur - cithare. - Et attention ils ne chantaient pas seulement un cantique. - Mais ils chantaient comme un cantique _nouveau_ devant le sige. - Et devant les quatre animaux, et les vieillards: - C'est un cantique _nouveau_ pour marquer - Cette ternelle nouveaut qu'il y a dans l'enfance. - Et qui est le grand secret de ma grce. - Cette renaissante, cette perptuellement renaissante, cette - ternellement renaissante nouveaut. - Et ce cantique nouveau vient de cette nouveaut mme. Il en sort. Il - en nat. - Or tel est leur privilge. Et il n'y en a point de plus grand: - _Personne_, (c'est--dire les plus grands saints et les martyrs mmes, - Des sicles et des vies d'preuves et de saintet, - D'exercices, de prires, - De travail, - De sang, de larmes; - - _Nemo, personne_, c'est--dire pas mme Franois mon serviteur et pas - mme saint Louis mon serviteur; - - _Nemo, personne_, c'est--dire pas mme les quatre tmoins, les - quatre rapporteurs; - Matthieu, et Marc, et Luc, et Jean; et le jeune homme, et le lion, et - le taureau, et l'aigle; - - _Nemo, personne_, c'est--dire pas mme Pierre le Fondateur; - - Et pas mme ceux qui trouvrent la mort combattant pour la dlivrance - du Saint-Spulcre; - - _Nemo poterat dicere canticum_, personne ne pouvait dire ce cantique. - (Tel est leur exorbitant privilge et la grande faveur injuste - De ma grce ternellement juste). - - _nisi illa centum quadraginta quatuor millia, qui empti sunt de - terra._ - - _si ce n'est ces cent quarante-quatre mille, qui furent enlevs de la - terre._ - - - - _Christianus sum, je suis chrtien_, ce cri du tmoignage, - Profr dans les supplices les plus affreux, - Cri la face du ciel, - Cri doucement la face des bourreaux, - Ce cri du tmoignage, de ce tmoignage que nous nommons le martyre, - Profr sur un tel thtre et dans une telle, dans une si dure - condition, - Aux plus grands martyrs n'a point ouvert ce singulier, cet minent - privilge. - Ce privilge exorbitant, cet unique privilge. - Injuste. Juste. Purement gracieux. - Proprement gracieux. Et voici. - Voici que ces cent quarante-quatre mille innocents. - Voici que ces cent quarante-quatre mille enfants - N'ont eu qu' natre, et rien de plus. Tels sont les mystres, tels - sont les secrets. - Tels sont les jeux, telles sont les ingalits de ma grce. - Et le secret apparentement, la secrte accointance - De ma grce avec la tendresse et le lait. Tant d'autres. - Tant d'autres ont tmoign sous la serre et le bec - Et sous l'onglet - Sous la dent des lions et sous la lanire et sous la tenaille ardente - (Car il y en a eu de toutes sortes) - Et sous les hues des nations et sous la rue du peuple et sous la - clameur du peuple. - Et sous l'interrogatoire du prteur. - - - - Et tous ces tmoins et tous ces martyrs. Tant d'autres. - - - - Tant d'autres sont morts sur des routes perdues dans des plaines - perdues marchant la dlivrance du Saint-Spulcre. - Les reins briss, gisant par terre, crevant de fatigue. - Crevant de faim, crevant de soif, crevant de sable. - Les ctes rompues, couchs par terre, dix-huit cents lieues de leur - chteau. - Mourant de leurs blessures. Vids de leur sang comme des outres - perces. - (De leur sang qui coulait sur le sable, et que le sable buvait, et - qui se perdait dans le sable, - Pour jusqu' la rsurrection des corps). Tant d'autres. - Tant d'autres sont partis, tant d'autres sont morts. - Crevs de bataille, crevs de misre, crevs de lpre. - Et tant d'autres. - - - - (Et ils taient partis pour la dlivrance du Saint-Spulcre. Et ils - ne trouvrent - Que le royaume de Dieu et la vie ternelle). - - - - A tant d'autres. A tous ces autres tmoins, tous ces autres martyrs - il ne fut pas donn. - ternellement il n'est pas donn de chanter ce cantique _nouveau_. - Tel est mon ordre, tel est le secret de ma hirarchie. - Une vie entire d'exercice et de prire. - Une vie d'preuve, une vie d'humilit n'y suffit pas. - Une vie de mrite, une vie de vertu n'y sert de rien. - Une vie de sang, une vie de larmes, une vie mme de grce n'y est - pour rien. - Car ce qu'il y faut prcisment c'est une vie qui ne soit pas entire. - Qui soit mme exactement tout le contraire d'tre entire. - Qui soit le moins vcue, qui soit peine commence. - Qui soit le moins commence possible. _Et nemo poterat dicere - canticum._ Or ces cent quarante-quatre mille - Qui seuls pouvaient chanter ce cantique nouveau, qu'est-ce qu'ils - avaient fait? - Admirez ici l'ordre de ma grce. Ils avaient fait ceci - Qu'ils taient venus au monde. Un point, c'est tout. Ou si vous - prfrez, - Ils avaient fait ceci qu'ils taient des petits nouveau-ns. - C'taient des espces de petits nourrissons juifs. Des garons et des - filles. - Leurs mres disaient comme dans tous les pays du monde: _C'est le - mien qui est le plus beau._ - Eux, a leur tait bien gal, d'tre beaux. Pourvu qu'ils dorment et - qu'ils tettent. - Quand ils avaient sommeil, - Quand ils avaient envie de dormir ils dormaient; - Quand ils avaient faim et soif (ensemble) - Quand ils avaient envie de tter, ils ttaient; - Quand ils avaient envie de crier ils criaient: - C'taient leurs plus grandes occupations. C'est ainsi qu'ils - trouvrent - Non seulement le royaume de Dieu et la vie ternelle. - Mais seuls d'y porter crit sur le front mon nom et le nom de mon - Fils. - Et seuls d'y chanter ce cantique nouveau. - - - - _Qui empti sunt de terra._ Tant d'autres sont morts au nom de mon - Fils. - _In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti._ - Tant d'autres sont morts pour sauver l'honneur - Du Nom de mon fils. Et eux. - Qui seuls portent ce nom crit sur le front - Et seuls peuvent chanter ce cantique nouveau, - Ils sont les seuls aussi assurment qui sur terre - Aient jamais ignor totalement le nom de mon fils. Tel est mon dcret. - Ce nom pour lequel ils sont morts, ils ne le connaissaient pas. - Ils ne l'ont jamais connu sur terre. Voil ce que j'aime, dit Dieu. - A prsent ils le connaissent peut-tre. ternellement on peut le lire - crit - Sur cent quarante-quatre mille fronts. Sur nul autre. - Sur pas un de plus. Mais vivant, mais sur terre - On peut dire qu'ils n'ont jamais su de quoi on parlait - Ni mme que l'on parlait et que l'on pouvait parler - (De quelque chose). Voil ce qui me plat, dit Dieu. - Or ils pleuraient, et ils riaient, et ils ttaient, et ils criaient, - et ils dormaient. - C'tait leur grande, c'tait leur plus srieuse occupation. - Et un jour vint. - Que. - Un jour (ils ne connaissaient pas plus le nom d'Hrode que le nom de - Jsus) - (et ils ne connaissaient pas plus le nom de Jsus que le nom - d'Hrode. J'ose dire - Que ces deux noms leur taient galement indiffrents). Or ces deux - hommes, - Jsus, Hrode, Hrode, Jsus, - Antagonistes allaient tout simplement leur procurer - La gloire de mon paradis. - Le royaume des cieux et la gloire ternelle. Un jour vint - Qu'une horde de brutes soldats, qui faisaient leur mtier, - (Mais qui le dpassaient peut-tre un peu) - Une rue de brutes passa, des espces de gendarmes, des ogres comme - dans les contes de fes, des Croquemitaines pour les enfants. - Portant des sabres qui taient comme des grands coutelas. - Et c'taient les soldats d'Hrode. - Une rue, un tumulte. Un fracas, des bras retrousss. Une clameur. - Des cris. Des dents. Des regards luisants. - Des femmes qui fuyaient, des femmes qui mordaient - Comme elles mordent toujours quand elles ne sont pas les plus fortes. - Et il n'y eut plus dans le sang et dans le lait - Qu'une grande jonche de corps morts - Un cimetire de poupons et de jeunes femmes juives. - Vous savez, dit Dieu, ce que nous en avons fait. - Ces yeux qui s'taient peine ouverts la lumire du soleil charnel. - Pour ternellement furent clos la lumire du soleil charnel - Ces yeux qui s'taient peine ouverts la lumire du soleil - terrestre - Pour ternellement furent clos la lumire du soleil terrestre. - Ces yeux qui s'taient peine ouverts la lumire du soleil temporel - Pour ternellement furent clos la lumire du soleil temporel. - Ces regards qui taient peine monts vers le jour et vers le soleil - du temps - Pour ternellement furent clos ces passagres, - A ces prissables lumires. - Ces voix, ces lvres qui n'avaient jamais chant les louanges de Dieu - sur terre, - Qui ne s'taient jamais ouvertes que pour demander tter. (Mais il - me plat ainsi, dit Dieu). - Sont ainsi les seules, sont aujourd'hui les seules, - Sont aussi les seules qui puissent chanter ce cantique nouveau. - _Qui empti sunt de terra._ Vous voyez ce que nous en avons fait, dit - Dieu. - _Aux Innocents les mains pleines._ C'est le cas de le dire. Ces - Innocents avaient simplement ramass dans la bagarre - Le royaume de Dieu et la vie ternelle. Qu'importe aujourd'hui - Leurs membres blancs rompus dans tous les bourgs de Jude. - Et leurs petits bras potels coups comme par des hommes qui mondent. - Et leurs petits doigts crisps qui se refermaient sur la paume de la - main. - Et les cris renfoncs dans la gorge, les mains criminelles les - renfonant, s'enfonant dans la gorge comme un bouchon. Comme un - tampon. - Et le jeune sang jaillissant du coeur. Qu'importent les membres - coups. - Les cuisses blanches comme de la viande de chevreau et comme des - cuisses tendres de petits cochons de lait. - Et leurs mres qui criaient comme des folles et qui mordaient les - soldats au poignet. Comme dans une bataille, aprs la bataille - Les rdeurs, les voleurs viennent dpouiller les blesss et les morts - et les mourants et emporter et drober tout ce qui compte. - Tout ce qui vaut quelque chose, nouveaux rdeurs, nouveaux voleurs - ces innocents - Dans cette bataille aprs cette bataille se sont dpouills eux-mmes - Et dans le fracas des armes, dans le tumulte et dans les cris. - Dans la galopade affole, dans la poursuite effrne, dans les femmes - par terre ils ont ramass tout ce qui compte. - Ils ont drob tout ce qui vaut quelque chose car ils ont fait main - basse - Comme des dtrousseurs de cadavres et ils se sont dtrousss - eux-mmes et ce qu'ils ont ramass dans la bagarre ce n'est pas - moins - Que le royaume des cieux et la vie ternelle. _Hi empti sunt ex - hominibus._ Eux seuls, - Qui seuls peut-tre sur terre non seulement n'avaient jamais chant - les louanges de Dieu, - Mais n'avaient jamais prononc mme mon nom ni le nom de mon fils, - Eux seuls aussi ne portent point aux commissures des lvres - l'ineffaable pli, - Ce pli de l'infortune et de l'ingratitude - Et d'une amertume qui ne sera jamais rassasie. Or si nous avons fait - d'eux ce que vous voyez, dit Dieu, - Il y en a sept raisons que je veux bien vous dire. - - - - La premire, c'est que je les aime, dit Dieu, et celle-l suffit. - Telle est la hirarchie de ma grce. - - - - La deuxime, c'est qu'ils me plaisent, dit Dieu, et celle-l suffit. - Telle est la hirarchie de ma grce. - - - - La troisime, c'est qu'il me plat ainsi, dit Dieu, et celle-l - suffit. - Telle est la hirarchie, tel est l'ordre, telle est l'ordonnance de - ma grce. - - - - Maintenant je vais vous dire, dit Dieu, la quatrime - C'est prcisment qu'ils n'ont point aux commissures des lvres - Ce pli d'ingratitude et d'amertume, cette blessure de vieillissement, - Ce pli d'avertissement, ce pli de mmoire que nous voyons toutes - les lvres. - - - - La cinquime, dit Dieu, c'est que par une sorte d'quivalence, - Par une sorte de balancement ces innocents ont pay pour mon fils. - Pendant qu'ils gisaient sur le pav des routes, sur le pav des - villes, sur le pav des bourgs - Dans la poussire et dans la boue, moins considrs que des agneaux - et des chevreaux et des cochonneaux. - (Car les agneaux et les chevreaux et les cochonneaux - Sont trs considrs par le boucher et par le consommateur) - Abandonns sur les corps de leurs mres - Pendant ce temps-l mon fils fuyait. Il faut le dire. - C'est donc, c'est une sorte de quiproquo. Il faut le dire. - C'est un malentendu. - Voulu, ce qui est grave. Il faut le dire. - Ils furent pris pour lui. Ils furent massacrs pour lui. En son lieu. - A sa place. - Non seulement cause de lui, mais pour lui, comptant pour lui. - Le reprsentant pour ainsi dire. tant substitus lui. tant comme - lui. Presque tant (d'autres) luis. - En reprsentation, en substitution, en remplacement de lui. Or tout - cela est grave, dit Dieu, tout cela compte. Ils furent semblables - mon fils et le remplacrent. - Exactement quand il ne s'agissait pas moins - Quand il n'y allait pas de moins que de le massacrer, - (Prmaturment, avant qu'il ft mr), - Quand Hrode voulait le massacrer. Tout cela se paye, dit Dieu. - Et puisqu'ils ont t trouvs semblables mon fils exactement - l'heure de ce massacre. - A prsent, c'est pour cela qu' prsent ils sont trouvs semblables - l'Agneau dans cette gloire ternelle. - Pendant ce temps conduit par un deuxime Joseph - Mon fils fuyait vers l'antique gypte. Ils acquraient ainsi. - Ces gamins, ces moins que gamins se procuraient ainsi - Une crance sur nous. Mont sur un ne avec sa mre - (Comme trente ans plus tard mont sur l'non d'une nesse - Il devait entrer Jrusalem) - Trente ans plus tt mont sur un ne avec sa mre mon fils - Refaisait le voyage de l'antique Jacob. Et ces enfants ramassaient - dans la mle. - Dans leur propre sang ces nourrissons ramassaient - Une crance sur moi. Ils avaient bien raison. - Heureux ceux qui ont une crance sur nous. Nous sommes trs bons - dbiteurs. - - - - La sixime raison, dit Dieu, (je crois que c'est la sixime), - (c'est une trs bonne affaire que d'tre pris pour mon fils et a - rapporte), - la sixime raison, c'est qu'ils taient contemporains de mon fils. - Du mme ge et ns dans le mme temps. - Juste ce point du temps. - Nous aussi nous favorisons nos camarades de promotion. - Telle est la fortune que nous avons faite au temps. - C'est une grande fortune ou une grande infortune pour tout homme. - Que de natre ou de ne pas natre tel moment du temps. - C'est une fortune ou une infortune sur laquelle rien ne prvaut. - Sur laquelle on ne revient pas, sur laquelle rien ne revient. - Et c'est un des plus grands mystres de ma grce que cette part de - fortune, - Que cette part irrvocable, indfaisable - Que nous avons laisse aux biens de fortune devant les biens qui ne - sont pas de fortune; - Au charnel devant et dans le spirituel; - Au temporel devant et dans l'ternel, c'est--dire - A la matire dans la cration, et la crature, et la cration, et - la matire mme de la cration devant le Crateur. - - - - A ce point, dit Dieu, que nous-mmes nous ne sommes pas indiffrents - la date; au temps; - A la prise de date et que nous aimons secrtement ces cent - quarante-quatre mille - parce qu'ils se sont trouvs l et nous les aimons d'un secret amour - unique - parce qu'ils se sont trouvs natre l, parce qu'ils taient, - parce qu'ils se sont trouvs tre - Du mme ge que mon fils, ns du mme temps, de la mme race. - A la mme date. - Enfin parce qu'ils faisaient ensemble une promotion. - Non plus seulement une promotion de Juifs mais une promotion d'hommes. - (Telle tait la nouvelle loi) - La promotion de Jsus-Christ. - Et indniablement ils taient - (le temps a toujours une certaine force, apporte toujours une - certaine preuve d'indniable) - Indniablement ils taient - Ses camarades de promotion. - (Il y a toujours dans le temps, dans la date - On ne sait quoi d'irrfutable). - - - - La septime raison, dit Dieu, pourquoi la taire. C'est qu'ils taient - semblables mon fils. - Et lui tait semblable eux. - (Une gnration d'hommes, dit Dieu, - une promotion c'est comme une belle longue vague - qui s'avance d'un bout l'autre sur un mme front - et qui d'un seul coup sur un mme front d'un bout l'autre - toute ensemble dferle sur le rivage de la mer. - ainsi une gnration, une promotion est une vague d'hommes. - toute ensemble elle s'avance sur un mme front, - et toute ensemble sur un mme front elle s'croule comme une muraille - d'eau - quand elle touche au rivage ternel). - Mon fils tait tendre comme eux et comme eux il tait nouveau. - Il tait assez inconnu. Comme eux. - Cette grande adoration double, qui (sans cela) l'avait dj mis hors - de pair. - La grande adoration double des bergers et des mages tait dj un peu - oublie. - Il tait redevenu assez inconnu. Et les mages s'taient moqus - d'Hrode. - - Il n'avait pas deux ans, il tait comme eux. - C'tait un bel enfant, et sa mre le disait. - - Il ne souponnait point encore - l'ingratitude de l'homme. - - Il n'avait point encore aux commissures des lvres - le pli de l'amertume et de l'ingratitude. - - Il n'avait point encore aux commissures des paupires - sa ride, le pli des larmes et d'en avoir trop vu. - - Il n'avait point encore aux commissures de la mmoire - le pli de ne pouvoir point oublier. - - - Il ignorait encore, comme homme il ignorait les vicissitudes. - Il ignorait, comme homme il ignorait ce qui laissera une ternelle - trace. - la couronne d'pines et le sceptre de roseau. - et cette affreuse agonie du Calvaire. - et cette agonie encore plus affreuse de la veille au soir - au mont des Oliviers. - Comme eux il tait un vase d'albtre - Que n'avait encore souill aucune trace, - Aucune lie d'aucune cume. - Et c'est la sixime raison, dit Dieu, et la septime, ils me - rappellent mon fils. - Comme il tait s'il n'et point chang depuis, quand il tait si - beau. Si cette norme aventure - Se ft arrte l. Voil pourquoi je les aime, dit Dieu, entre tous - ils sont les _tmoins_ de mon fils. - Ils me montrent, ils sont comme il tait, si seulement - Il n'et point chang. De toutes les imitations de Jsus-Christ - C'est la premire et c'est la toute neuve; et c'est la seule - Qui ne soit aucun degr - Qui ne soit pas mme pour un atome - Une imitation de quelque fltrissure et de quelque meurtrissure et de - quelque blessure de l'me de Jsus. - C'est une ignorance totale de l'avanie et de l'affront. - Et de l'injure et de l'offense. - Ils ne connaissent que le meurtre, et d'avoir t tus, ce qui ne - serait rien. - Ils ne furent jamais tourns en drision. - Voil ce que j'aime en eux, dit Dieu. Voil en quoi, pourquoi je les - aime. - Ils sont pour moi des enfants qui ne sont jamais devenus des hommes. - Des agneaux qui ne sont jamais devenus des boucs. - Ni des brebis. (_Et ceux-ci suivent l'agneau partout o il ira_). - Des enfants Jsus qui ne vieillirent jamais. Qui ne grandirent point. - Or _le mien profitait - en sagesse, et en ge, et en grce - auprs de Dieu et auprs des hommes_. - - - - Je les aime innocemment, dit Dieu. Et c'est la septime raison. - (C'est ainsi qu'il faut aimer ces innocents) - Comme un pre de famille aime les camarades de son fils - Qui vont l'cole avec lui. - - - - Mais eux ils n'ont point boug depuis ce temps-l. - - - - Ils sont les imitations ternelles - De ce que Jsus fut pendant un temps trs court - Car il _profitait_, lui. Il croissait - pour cette norme aventure. - - - - Et la septuple raison, dit Dieu, c'est qu'ils sont ainsi comme David - les voulait. - _Immaculati in via._ Ainsi est l'ordre, dit Dieu. - Le prophte prdit. - Mon fils dit. - Et moi je redis. - - - - Ou encore: - Le prophte prdit. - Mon fils dit. - Et moi je confirme et je consacre. - - Et mon glise confirme et clbre, - Et consacre et commmore. - - - - Ainsi l'Aptre les reprend du Prophte et Jean les reprend de David. - Et comme David avait voulu qu'ils fussent - _Immaculs dans la voie_ ainsi Jean les a vus - _Sur la montagne de Sion - Autour de l'Agneau debout._ Il n'y en a que pour eux. _Ceux-ci - suivent l'Agneau partout o il ira._ - (Les plus grands saints ne le suivent apparemment pas partout). - - _Ceux-ci ont t enlevs des hommes: - (d'entre les hommes, de parmi les hommes, d'tre des hommes)_ - Les plus grands saints ont t des hommes, n'ont point t enlevs - d'tre des hommes). - - _et dans leur bouche n'a pas t trouv le mensonge:_ - - _ils sont en effet sans tache devant le trne de Dieu._ - - - - Et l'Aptre les nomme _primitiae Deo, et Agno_: _prmices Dieu, et - l'Agneau_. C'est--dire premiers fruits de la terre que l'on - offre Dieu et l'Agneau. Les autres saints sont les fruits - ordinaires, les fruits de la saison. Mais eux ils sont les fruits - De la promesse mme de la saison. - - - - Et suivant l'Aptre l'glise rpte: _Innocentes pro Christo - infantes occisi sunt_, - - _les Innocents pour le Christ - enfants furent massacrs,_ - - (_infantes_, tout jeunes enfants, tout petit enfant ne parlant pas - encore) - - _ab iniquo rege - lactentes interfecti sunt:_ - - _par un inique Roi - laiteux ils furent assassins:_ - - (_lactentes_, pleins de lait, laiteux, l'ge du lait, tant encore - au rgime du lait, - nourris de lait) - - _ipsum sequuntur Agnum sine macula - ils suivent l'Agneau lui-mme sans tache_ - - (et le texte est tel, mon enfant, que c'est ensemble l'Agneau qui est - sans tache - et eux avec lui qui sont sans tache) - - - - Mais l'glise va plus loin, l'glise passe outre, l'glise dpasse - l'Aptre. - - L'glise ne dit plus seulement qu'ils sont des prmices Dieu, et - l'Agneau. - L'glise les invoque et les nomme - - _fleurs des Martyrs._ - - Entendant littralement par l que les _autres_ martyrs sont les - fruits mais que ceux-ci, parmi les martyrs, sont les fleurs mmes. - - _SALVETE flores Martyrum,_ - - _Salut FLEURS des Martyrs._ - - Couchs sur le chevalet, lis au chevalet comme des fruits lis - l'espalier - Les autres martyrs, vingt sicles de martyrs - Les sicles des sicles de martyrs - Sont littralement les fruits de saison, - De chaque saison chelonns sur l'espalier - Et notamment des fruits d'automne - Et mon fils mme fut cueilli - Dans sa trente-troisime saison. Mais eux ces simples innocents, - Ils sont avant les fruits mmes, ils sont la promesse du fruit. - _Salvete flores Martyrum_, ces enfants de moins de deux ans sont les - fleurs de tous les autres Martyrs. - C'est--dire les fleurs qui donnent les autres martyrs. - Au fin commencement d'avril ils sont la rose fleur du pcher. - Au plein avril, au fin commencement de mai ils sont la blanche fleur - du poirier. - Au plein mai ils sont la rouge fleur du pommier. - Blanche et rouge. - Ils sont la fleur mme et le bouton de la fleur et le coton du bouton. - Ils sont le bourgeon du rameau et le bourgeon de la fleur. - Ils sont l'honneur d'avril et la douce esprance. - Ils sont l'honneur et des bois et des mois. - Ils sont la jeune enfance. - Le dimanche de _Reminiscere_ n'est que pour eux, parce qu'ils se - rappellent. - Le dimanche d'_Oculi_ n'est que pour eux, parce qu'ils voient. - Le dimanche de _Laetare_ n'est que pour eux, parce qu'ils se - rjouissent. - Le dimanche de la Passion n'est que pour eux, parce qu'ils furent la - premire Passion. - Le dimanche des Rameaux n'est que pour eux, parce qu'ils sont le - rameau mme qui a port tant de fruits. - Et le dimanche du jour de Pques n'est que pour eux, parce qu'ils - sont ressuscits. - Ils sont la fleur de l'aubpine qui fleurit pendant la semaine sainte - Et la fleur de l'avant-courrire pine noire, qui fleurit cinq - semaines plus tt - Ils sont la fleur de toutes ces plantes et de tous ces arbres rosacs. - Promesse de tant de martyrs, ils sont les boutons de rose - De cette rose de sang. - _Salvete flores Martyrum, - Salut fleurs des Martyrs,_ - - _quos, lucis ipso in limine, - Christi insecutor sustulit,_ - - _ceu turbo nascentes rosas._ - - _que, sur le seuil mme de la lumire, - le perscuteur du Christ enleva, - (emporta)_ - - _ceu turbo nascentes rosas._ - - _comme la tempte de naissantes roses._ - (c'est--dire comme la tempte, comme une tempte enlve, emporte de - naissantes roses). - - - - _Vos prima Christi victima, - Grex immolatorum tener, - Aram sub ipsam simplices - Palma et coronis luditis._ - - _Vous premire victime du Christ, - Troupeau tendre des immols, - Au pied de l'autel mme simples, - Simplices_, mes simples, simples enfants, - _Palma et coronis luditis. Vous jouez avec la palme et les couronnes. - Avec votre palme et vos couronnes._ - - - - Tel est mon paradis, dit Dieu. Mon paradis est tout ce qu'il y a de - plus simple. - Rien n'est aussi dpouill que mon paradis. - _Aram sub ipsam_ au pied de l'autel mme - Ces simples enfants _jouent_ avec leur palme et avec leurs couronnes - de martyrs. - Voil ce qui se passe dans mon paradis. A quoi peut-on bien jouer - Avec une palme et des couronnes de martyrs. - Je pense qu'ils jouent au cerceau, dit Dieu, et peut-tre aux grces - (du moins je le pense, car ne croyez point - qu'on me demande jamais la permission) - Et la palme toujours verte leur sert apparemment de btonnet. - - - - -_la tapisserie - -de sainte Genevive - -et de Jeanne d'Arc_ - - - - -_cahier pour le jour de Nol - -et pour la neuvaine de sainte Genevive - -de la quatorzime srie;_ - - madame Genevive Favre - -_communis urbis atque antiquae - -patronae in fidem aeternam_ - - - - -PREMIER JOUR - -POUR LE VENDREDI 3 JANVIER 1913 - -FTE DE SAINTE GENEVIVE - -QUATORZE CENT UNIME ANNIVERSAIRE - -DE SA MORT - -I - - - Comme elle avait gard les moutons Nanterre, - On la mit garder un bien autre troupeau, - La plus norme horde o le loup et l'agneau - Aient jamais confondu leur commune misre. - - Et comme elle veillait tous les soirs solitaire - Dans la cour de la ferme ou sur le bord de l'eau, - Du pied du mme saule et du mme bouleau - Elle veille aujourd'hui sur ce monstre de pierre. - - Et quand le soir viendra qui fermera le jour, - C'est elle la caduque et l'antique bergre, - Qui ramassant Paris et tout son alentour - - Conduira d'un pas ferme et d'une main lgre - Pour la dernire fois dans la dernire cour - Le troupeau le plus vaste la droite du pre. - - - - -DEUXIME JOUR - -POUR LE SAMEDI 4 JANVIER 1913 - -II - - - Comme elle avait gard les moutons Nanterre - Et qu'on tait content de son exactitude, - On mit sous sa houlette et son inquitude - Le plus mouvant troupeau, mais le plus volontaire. - - Et comme elle veillait devant le presbytre, - Dans les soirs et les soirs d'une longue habitude, - Elle veille aujourd'hui sur cette ingratitude, - Sur cette auberge norme et sur ce phalanstre. - - Et quand le soir viendra de toute plnitude, - C'est elle la savante et l'antique bergre, - Qui ramassant Paris dans sa sollicitude - - Conduira d'un pas ferme et d'une main lgre - Dans la cour de justice et de batitude - Le troupeau le plus sage la droite du pre. - - - - -TROISIME JOUR - -POUR LE DIMANCHE 5 JANVIER 1913 - -III - - - Elle avait jusqu'au fond du plus secret hameau - La rputation dans toute Seine et Oise - Que jamais ni le loup ni le chercheur de noise - N'avaient pu lui ravir le plus chtif agneau. - - Tout le monde savait de Limours Pontoise - Et les vieux bateliers contaient au fil de l'eau - Qu'assise au pied du saule et du mme bouleau - Nul n'avait pu jouer cette humble villageoise. - - Sainte qui rameniez tous les soirs au bercail - Le troupeau tout entier, diligente bergre, - Quand le monde et Paris viendront fin de bail - - Puissiez-vous d'un pas ferme et d'une main lgre - Dans la dernire cour par le dernier portail - Ramener par la vote et le double vantail - - Le troupeau tout entier la droite du pre. - - - - -QUATRIME JOUR - -POUR LE LUNDI 6 JANVIER 1913 - -JOUR DES ROIS - -CINQ CENT UNIME ANNIVERSAIRE - -DE LA NAISSANCE DE JEANNE D'ARC - -IV - - - Comme la vieille aeule au plus fort de son ge - Se rjouit de voir le tendre nourrisson, - L'enfant la mamelle et le dernier besson - Recommencer la vie ainsi qu'un hritage; - - Elle en fait par avance un trs grand personnage, - Le plus hardi faucheur au temps de la moisson, - Le plus hardi chanteur au temps de la chanson - Qu'on aura jamais vu dans cet humble village: - - Telle la vieille sainte ternellement sage - Connut ce qui serait l'honneur de sa maison - Quand elle vit venir, habille en garon, - - Bien prise en sa cuirasse et droite sur l'aron, - Priant sur le pommeau de son estramaon, - Aprs neuf cent vingt ans la fille au dur corsage; - - Et qu'elle vit monter de dessus l'horizon, - Souple sur le cheval et le caparaon, - La plus grande beaut de tout son parentage. - - - - -CINQUIME JOUR - -POUR LE MARDI 7 JANVIER 1913 - -V - - - Comme la vieille aeule au fin fond de son ge - Se plat regarder sa plus arrire fille, - Naissante l'autre bout de la longue famille. - Recommencer la vie ainsi qu'un hritage; - - Elle en fait par avance un trs grand personnage. - Fileuse, moissonneuse la pleine faucille, - Le plus preste fuseau, la plus savante aiguille - Qu'on aura jamais vu dans ce simple village: - - Telle la vieille sainte ternellement sage, - Du bord de la montagne et de la double berge - Regardait s'avancer dans tout son quipage, - - Dans un encadrement de cierge et de flamberge, - Et le casque remis aux mains du petit page, - La fille la plus sainte aprs la sainte Vierge. - - - - -SIXIME JOUR - -POUR LE MERCREDI 8 JANVIER 1913 - -VI - - - Comme Dieu ne fait rien que par misricordes, - Il fallut qu'elle vt le royaume en lambeaux, - Et sa filleule ville embrase aux flambeaux, - Et ravage aux mains des plus sinistres hordes; - - Et les coeurs dvors des plus basses discordes, - Et les morts poursuivis jusque dans les tombeaux, - Et cent mille Innocents exposs aux corbeaux, - Et les pendus tirant la langue au bout des cordes: - - Pour qu'elle vt fleurir la plus grande merveille - Que jamais Dieu le pre en sa simplicit - Aux jardins de sa grce et de sa volont - Ait fait jaillir par force et par ncessit; - - Aprs neuf cent vingt ans de prire et de veille - Quand elle vit venir vers l'antique cit, - Gardant son coeur intact en pleine adversit, - Masquant sous sa visire une efficacit; - - Tenant tout un royaume en sa tnacit, - Vivant en plein mystre avec sagacit, - Mourant en plein martyre avec vivacit, - - La fille de Lorraine nulle autre pareille. - - - - -SEPTIME JOUR - -POUR LE JEUDI 9 JANVIER 1913 - -VII - - - Comme Dieu ne fait rien que par simple bergre, - Il fallut qu'elle vt la discorde civile - Secouer son flambeau sur les toits de la ville - Et joindre sa fureur la guerre trangre; - - Il fallut qu'elle vt l'horrible harengre - Haranguer le bas peuple et la tourbe servile, - Et de la halle au bl jusqu' l'htel de ville - Refluer le hoquet de l'odieuse mgre: - - Pour qu'elle vt venir merveilleuse et lgre, - Par les chemins de ronce et de frle fougre, - Pliant ses beaux drapeaux comme une humble lingre; - - Gouvernant sa bataille en bonne mnagre, - Tranant les trois Vertus dans quelque fourragre, - Vers l'antique vaisseau la jeune passagre. - - - - -HUITIME JOUR - -POUR LE VENDREDI 10 JANVIER 1913 - -VIII - - - Comme Dieu ne fait rien que par pauvre misre, - Il fallut qu'elle vt sa ville endolorie, - Et les peuples fouls et sa race fltrie, - L'meute suppurant comme un secret ulcre; - - Il fallut qu'elle vt pour son anniversaire - Les cadavres crevs que la Seine charrie, - Et la source de grce apparemment tarie, - Et l'enfant et la femme aux mains du garnisaire: - - Pour qu'elle vt venir sur un cheval de guerre, - Conduisant tout un peuple au nom du Notre Pre, - Seule devant sa garde et sa gendarmerie; - - Engage en journe ainsi qu'une ouvrire, - Sous la vieille oriflamme et la jeune bannire - Jetant toute une arme aux pieds de la prire; - - Arborant l'tendard sem de broderie - O le nom de Jsus vient en argenterie, - Et les armes du mme en mme orfvrerie; - - Filant pour ses drapeaux comme une filandire, - Les faisant essanger par quelque buandire, - Les mettant couler dans l'norme chaudire; - - Les armes de Jsus c'est sa croix quarrie, - Voil son armement, voil son armoirie, - Voil son armature et son armurerie; - - Rinant ses beaux drapeaux l'eau de la rivire, - Les lavant au lavoir comme une lavandire, - Les battant au battoir comme une mercenaire; - - Les armes de Jsus c'est sa face maigrie, - Et les pleurs et le sang dans sa barbe meurtrie, - Et l'injure et l'outrage en sa propre patrie; - - Ravaudant ses drapeaux comme une roturire, - Les mettant scher sur le front de bandire, - Les donnant garder quelque vivandire; - - Les armes de Jsus c'est la foule en furie - Acclamant Barabbas et c'est la plaidoirie, - Et c'est le tribunal et voil son hoirie; - - Teignant ses beaux drapeaux comme une teinturire, - Les faisant repasser par quelque culottire, - Adorant le bon Dieu comme une couturire; - - Les armes de Jsus c'est cette barbarie, - Et le dcurion menant la dcurie, - Et le centurion menant la centurie; - - Les armes de Jsus c'est l'interrogatoire, - Et les lanciers romains debout dans le prtoire, - Et les drisions fusant dans l'auditoire; - - Les armes de Jsus c'est cette pnurie, - Et sa chair expose toute intemprie, - Et les chiens dvorants et la meute ahurie; - - Les armes de Jsus c'est sa croix de par Dieu, - C'est d'tre un vagabond couchant sans feu ni lieu, - Et les trois croix debout et la sienne au milieu; - - Les armes de Jsus c'est cette pillerie - De son pauvre troupeau, c'est cette loterie - De son pauvre trousseau qu'un soldat s'approprie; - - Les armes de Jsus c'est ce frle roseau, - Et le sang de son flanc coulant comme un ruisseau, - Et le licteur antique et l'antique faisceau; - - Les armes de Jsus c'est cette raillerie - Jusqu'au pied de la croix, c'est cette moquerie - Jusqu'au pied de la mort et c'est la brusquerie - - Du bourreau, de la troupe et du gouvernement, - C'est le froid du spulcre et c'est l'enterrement, - Les armes de Jsus c'est le dsarmement; - - L'avanie et l'affront voil son industrie, - La cendre et les cailloux voil sa mtairie - Et ses appartements et son duch-pairie; - - Les armes de Jsus c'est le souple arbrisseau - Tress sur son beau front comme un frle rseau, - Scellant sa royaut d'un parodique sceau; - - Les disciples poltrons voil sa confrrie, - Pierre et le chant du coq voil sa seigneurie, - Voil sa lieutenance et capitainerie; - - Le lavement de mains et la forfanterie - De ce garde des sceaux et la plaisanterie - De ces beaux damoiseaux et la galanterie - - De ces beaux jouvenceaux c'est sa boulangerie, - Et son pain de poussire et de sueur ptrie, - Et l'ponge de fiel et de vinaigrerie; - - La croix bien assemble en double coulisseau, - L'ironique pancarte engrave au ciseau, - Le tasseau pour les pieds descendant en biseau; - - Un autre bcheron avait coup ce bois, - Un autre charpentier avait taill la croix, - Mais lui-mme, et nul autre, avait port ce poids; - - L'image de la Vierge en tissu de soierie, - Et sainte Marguerite en fleurs de draperie, - Et sainte Catherine et la tapisserie - - O l'on voit saint Michel habill de nouveau, - Le Saint-Esprit planant sous figure d'oiseau, - Et l'archange crasant Satan sur le museau; - - Mais Satan lui rsiste et par sorcellerie - Et par atermoiement et par grivlerie - S'est jur d'absorber et la Beauce et la Brie; - - Les saints ont sur la tte un trs lger cerceau - Pour bien voir que c'est eux, une sorte d'arceau - Ouvre le paradis, Jsus dans son berceau - - Regarde saint Joseph et par espiglerie - Veut lui tirer la barbe et le vieux se rcrie - Et fait semblant de mordre afin que l'enfant rie; - - Mais Satan les regarde et fumant du naseau - Ce serpent venimeux, cet immonde pourceau - S'est jur d'empester le faubourg Saint-Marceau; - - Ce serpent sonnette avec sa sonnerie - S'est vant qu'il ferait (voyez sa hblerie) - Jeter par ses suppts les saints la voirie; - - Les armes de Jsus c'est la paille et l'table - Et le pain et le vin et la nappe et la table, - Et le plus malheureux, voil son conntable; - - Les armes de Satan c'est la supercherie, - Un aplomb infernal, une aigre drlerie, - Le savoir des savants et la cafarderie; - - Les armes de Jsus c'est la poignante pine, - C'est la fleur de son sang sur la blanche aubpine, - Et les fleurs de ses pleurs sur la rouge glantine; - - La perle qui descend sur sa joue attendrie, - Et la perle qu'il boit sur sa lvre appauvrie, - Voil ses beaux cristaux et sa joaillerie; - - Les armes de Jsus c'est la verte couronne, - C'est ce front que l'amour et la grce environne, - Et l'ternelle fleur qui sur sa peau fleuronne; - - La perle qui descend sur sa face amoindrie - Et qui vient humecter sa langue rabougrie, - Voil son coffre-fort et sa bijouterie; - - Les armes de Jsus c'est notre forfaiture, - Les clous et le marteau, la robe sans couture, - L'homme, l'ange et la bte et la double nature; - - Les armes de Satan c'est la jobarderie, - C'est le scientificisme et c'est l'artisterie, - C'est le laboratoire et la flagornerie; - - Les armes de Satan c'est notre forfaiture, - C'est d'avoir dispers la robe sans couture, - C'est la bte sous l'ange et la double nature; - - Les armes de Satan c'est la bouffonnerie, - Et c'est le moraliste et son infirmerie, - Et la haute loquence et sa ptisserie; - - Les armes de Jsus c'est la peine de l'homme, - C'est le chemin qui mne et qui ramne Rome, - C'est la main qui le frappe et le poing qui l'assomme; - - Les armes de Satan c'est la parfumerie - De l'crivain disert et c'est la sucrerie - De l'crivain amer et c'est la pruderie, - - La blette aridit de la vieille dvote, - C'est l'me en confiture et la poire en compote, - Et le raisin coti moisissant dans la hotte; - - Les armes de Satan c'est le clou dans la botte, - La nef sans nautonnier, la flotte sans pilote, - Le carcan, le garrot, l'entrave, la menotte; - - Les armes de Satan c'est quelque jonglerie, - C'est le loup dans la ferme et dans la bergerie, - C'est le renard feutr dans la poulaillerie; - - Les armes de Jsus c'est l'amour et la peine, - Les armes de Satan c'est l'envie et la haine, - Et la guerre est aux mains de toute chtelaine; - - Les armes de Satan c'est quelque forgerie, - Un document secret dans quelque htellerie, - Les armes de Satan c'est toute diablerie; - - Les armes de Jsus c'est la croix de Lorraine, - Et le sang dans l'artre et le sang dans la veine, - Et la source de grce et la claire fontaine; - - Les armes de Satan c'est la croix de Lorraine, - Et c'est la mme artre et c'est la mme veine - Et c'est le mme sang et la trouble fontaine; - - Les armes de Jsus c'est l'esclave et la reine - Et toute compagnie avec son capitaine - Et le double destin et la dtresse humaine; - - Les armes de Satan c'est l'esclave et la reine - Et toute compagnie avec son capitaine - Et le mme destin et la mme dveine; - - Les armes de Jsus c'est la mort et la vie, - C'est la rugueuse route incessamment gravie, - C'est l'me jusqu'au ciel insolemment ravie; - - Les armes de Satan c'est la vie et la mort, - Le dsir et la femme et les ds et le sort - Et le droit du plus dur et le droit du plus fort; - - Les armes de Jsus c'est la mort et la vie, - C'est le glaive de Dieu qui hsite et dvie, - C'est la fidle route obscurment suivie; - - Les armes de Satan c'est la vie et la mort, - C'est l'cueil immobile en plein milieu du port, - C'est la peine immuable en plein milieu du sort; - - Les armes de Jsus c'est la vie et la mort, - C'est un heureux naufrage en plein milieu du port, - C'est le plus beau prsage en plein milieu du sort; - - Les armes de Satan c'est la vie et la mort, - C'est le pril de mer, c'est l'homme dans son tort, - Le voleur aux aguets, le tyran dans son fort; - - Les armes de Jsus c'est la vie et la mort, - C'est Dieu dans sa justice et Satan dans son tort, - La beaut du plus pur, le juste dans son fort; - - Les armes de Jsus c'est la vie et la mort, - C'est l'enfant et la femme et le secret du sort, - Le navire acoufl dans le recreux du port; - - Les armes de Satan c'est l'homme qui dvie, - C'est les deux poings lis et c'est l'me asservie, - C'est la vengeance inlassablement poursuivie; - - Les armes de Jsus ce sont les deux mains jointes, - Et l'pine et la rose et les clous et les pointes, - Et sur le lit de mort les pauvres mes ointes; - - C'est le choeur altern des martyrs et des saintes, - C'est le choeur conjugu des sanglots et des plaintes, - Le temple, les degrs, les pilastres, les plinthes; - - Les armes de Satan c'est le vert trbinthe, - Cet arbre rsineux et c'est la coloquinte, - Cette citrouille amre et c'est la morne absinthe; - - Les armes de Satan c'est les deux poings lis, - Les armes de Jsus les coeurs humilis, - Les pauvres genoux, les suppliants plis; - - Les armes de Jsus c'est la belle jacinthe - Pose en un tapis dans une belle enceinte, - Plus douce que la laine et plus souple et mieux teinte; - - Les armes de Jsus c'est la cloche qui tinte - Pour les sept sacrements, c'est l'ordre et la contrainte, - Et le dessin fidle de l'image bien peinte; - - Les armes de Satan c'est la cloche qui tinte - Pour le feu de l'enfer, c'est la ville contrainte - A passer par le sort, c'est toute me repeinte - - Avec un faux pinceau, c'est toute rgle enfreinte - Au nom de quelque rgle et toute foi restreinte - Au nom de quelque matre et toute ville ceinte - - D'un rempart frauduleux et toute fleur dteinte - A force de pleuvoir et toute flamme teinte - A force de brler, toute infortune atteinte - - Au seuil de toute mort et la morne complainte - Au long de toute vie et l'phmre empreinte - De nos pas sur le sable et la mortelle treinte - - Des deux amants impurs: le corps, l'me contrainte; - Les armes de Satan c'est la ruse et la feinte, - L'pouvante, l'envie et la graisse qui suinte, - - Et le double concert des asthmes et des quintes, - Et les coeurs compliqus et les soins et les craintes - Et les coeurs contourns comme des labyrinthes; - - Les armes de Jsus c'est l'ternelle empreinte - De ses pas sur le sable et l'immortelle treinte - Des deux poux trs purs: le corps et l'me astreinte; - - Les armes de Jsus c'est la faim assouvie, - C'est le corps glorieux, ce n'est pas la survie, - C'est l'ternelle table abondamment servie; - - Satan c'est la vengeance elle-mme assouvie, - Les armes de Satan c'est une horlogerie, - Un chef-d'oeuvre d'adresse et de serrurerie; - - Mais la clef c'est Jsus et Jsus est la porte, - Et la porte du ciel ne se prend qu' main forte, - Et tous les serruriers resteront la porte; - - Les armes de Jsus c'est cette grande escorte - Que Rome lui prta, c'est la rude cohorte - Qui lui faisait honneur et c'est la croix qu'il porte; - - Les armes de Satan sont de la mme sorte, - Car c'est la mme Rome et c'est la mme escorte - Et la mme cohorte et la mme mer Morte; - - Les armes de Jsus c'est qu'il nous rconforte - En notre dconfort et c'est qu'il nous reporte - Au premier paradis et c'est qu'il nous apporte - - Le pardon de son pre et c'est qu'il nous emporte - Au dernier paradis et c'est qu'il nous dporte - De l'exil du pch vers ce qui seul importe - - Et c'est notre salut et c'est qu'il nous transporte - Au royaume de grce et c'est qu'il nous supporte, - Nous et notre pch cette immense mainmorte - - Qu'il porte sur l'paule et c'est qu'il nous exhorte - Par son silence mme et qu'il frappe la porte - Et que l'homme est au vent comme la feuille morte; - - Les armes de Satan c'est la mme mainmorte, - Le mme dsarroi, c'est qu'il nous dconforte - En notre rconfort et c'est qu'il nous reporte - - Au pch d'origine et c'est qu'il nous rapporte - Le mpris du pardon et c'est qu'il nous remporte - A la science du mal et qu'il nous redporte - - Vers la terre du bagne et qu'il nous retransporte - Au tnbreux royaume o lui-mme supporte - Le poids de tout un monde et c'est qu'il nous exhorte - - Par les beaux compliments et qu'il gratte la porte, - Et que l'homme est lger comme la feuille morte - Et comme elle pourrit sous les pieds du cloporte; - - Les armes de Jsus c'est la vie et la mort, - C'est un solide ancrage au beau milieu du port, - Et c'est le grand partage au beau milieu du sort; - - Les armes de Jsus c'est la vie et la mort, - C'est un heureux mouillage en plein milieu du port, - C'est le grand hritage en plein milieu du sort; - - Les armes de Jsus c'est la vie et la mort, - C'est le bon voisinage en plein milieu du port - Et le plerinage en plein milieu du sort; - - Les armes de Jsus c'est la vie et la mort, - C'est le compagnonnage en plein milieu du port, - Et c'est l'appareillage en plein milieu du sort: - - Les armes de Satan ce sont les sept pchs, - Et la minauderie avec les airs penchs, - Et les honteux ressorts savamment dclanchs; - - Les armes de Jsus ce sont les trois Vertus, - Et les torses courbs et les reins courbatus, - Et les galriens battus et rebattus; - - Les armes de Satan c'est la mthode torte, - Le sang de l'oreillette et le sang de l'aorte, - Le sang du ventricule et de la veine porte; - - Les armes de Jsus c'est tout le sang du coeur, - Le sang de la victime et le sang du vainqueur, - Le sang du noble cerf et le sang du piqueur; - - Les armes de Satan ce sont les sept pchs - Embarqus quatre quatre et mollement couchs - Dans la folle galre aux dais empanachs; - - Les armes de Jsus c'est la barque de Pierre, - Qui toujours fluctuante et toujours batelire, - Racle de ses filets le fond de la rivire; - - Les armes de Jsus c'est la barque de Pierre, - C'est le vieux pcheur d'homme assis sur son derrire, - Dpeuplant l'Ocan, le lac et la rivire; - - Les armes de Jsus c'est les sept sacrements - Dans la barque de Pierre et les sept btiments - Qui suivent par derrire et les sept monuments - - Qui ne priront point, les sept couronnements, - Qui sont les sept douleurs, les sept fleuronnements - De l'arbre de la grce et les sept firmaments; - - Les armes de Jsus c'est cette unique nef, - Gouvernant au plus prs sous cet unique chef, - Toujours en plein pril et toujours sans mchef; - - Les armes de Jsus c'est cet unique fief, - Tenu par un seul homme arm de quelque bref, - Toujours en plein pril et toujours sans grief; - - Les armes de Jsus c'est l'ternelle peine - Assise au creux du lit de toute race humaine - Et la mort est aux mains de toute chtelaine; - - Les armes de Jsus c'est la grande semaine - Qui part du lundi saint, c'est la grande neuvaine - Qui part du trois janvier et c'est la barque pleine - - Les armes de Jsus c'est cette unique nef, - Le bateau vers l'cluse amarr dans le bief, - Le bateau charpent par le vieux saint Joseph; - - Mais c'est aussi Jacob et le premier Joseph, - Mose sur le Nil dans une troite nef, - Et le peuple de Dieu gouvern derechef; - - Les armes de Jsus c'est le sang de sa veine - Et le sang de son coeur, les sanglots de sa peine - Et l'immense sanglot de toute race humaine; - - Les armes de Satan c'est la sourde gangrne - Et l'obscur mal de tte et la lourde migraine - Et l'orgueil et l'ivraie et la mauvaise graine; - - Les armes de Jsus c'est la double prire, - L'une marchant devant, l'autre marchant derrire, - Comme lui matinale et vers lui journalire; - - Les armes de Jsus c'est la double prire, - L'une arrivant devant, l'autre avanant derrire, - Comme lui vesprale et vers lui journalire; - - C'est aussi le secret, la prire nocturne, - L'immuable regret dans un coeur taciturne, - Et la mort de l'amour et la cendre dans l'urne; - - Les armes de Jsus c'est l'anglus du soir - Et celui du matin, le calme reposoir - Dans la procession, l'clatant ostensoir - - Balanc sur les fronts comme un soleil ardent; - Les armes de Satan c'est la griffe et la dent, - Le nez mal retrouss, le regard impudent - - Les armes de Jsus c'est le calme du soir, - C'est la procession assise au reposoir. - De feuilles et de fleurs, c'est le lourd ostensoir - - Lev dessus les fronts comme un soleil levant, - Les armes de Jsus c'est la pluie et le vent - Qui souffle sur la nef et c'est le coeur fervent; - - C'est le fruit qui mrit aux planches du dressoir, - C'est l'enfant qui se couche et qui vous dit bonsoir, - Et s'endort en priant, c'est le lourd ostensoir - - Hauss dessus les fronts comme un soleil couchant, - C'est le souple vallon, c'est le coteau penchant, - L'glise dans la plaine et la prose et le chant; - - C'est la grappe giclant sous l'norme pressoir, - C'est l'tang rpandu dessus le dversoir, - C'est l'encens balanc dans le lourd encensoir; - - Les armes de Satan c'est l'cu trbuchant, - Le propos allchant, le souffle desschant, - La plaine sans glise et l'ortie et le champ; - - Les armes de Jsus c'est l'cuyer tranchant, - Le bon et le mchant, le beau vaisseau marchand, - L'glise sur la plaine et l'homme sur le champ; - - Les armes de Jsus, c'est la belle marraine - Et c'est le beau baptme et c'est la belle trenne - Et l'avoine et le seigle et c'est la bonne graine - - Et c'est le seneon et c'est les sept pchs - Par la contrition et les noeuds relchs - Du filet de Satan et les cordons tranchs; - - Les armes de Satan c'est les sept dbauchs, - Et c'est le prince-vque et les sept vchs, - Et les tentations courant sur les marchs; - - Les armes de Jsus c'est sept cents vchs, - Et c'est le pape-vque et cent archevchs, - Et l'esclave et l'enfant vendus sur les marchs; - - Les armes de Jsus c'est sa tte penche; - Son coude, son genou, son paule corche, - Son estomac, ses reins, sa hanche dmanche; - - Sa barbe, ses cheveux, ses habits arrachs, - Sa poitrine, ses bras, ses poignets attachs, - Les plus savants ressorts l'instant dcrochs; - - C'est dans le vieux Paris la foule endimanche - Le dimanche matin, c'est la soif tanche - Au calice d'or pur, la pauvresse penche - - Sur une plus pauvresse et c'est l'amour cache - Dans l'me la plus pauvre et la douleur couche - Dans le lit de tout homme et toute orge fauche; - - Les armes de Jsus c'est toute onde panche - Dans un gosier de fivre et toute me bauche - Au coin de toute lvre et toute fleur jonche - - Au pied des pieds saignants et toute arme brche - A force de servir et la tige branche - A force de produire et la paille hache; - - Les armes de Jsus c'est l'amour et la peine, - Et l'amour est aux mains des suppts de la haine, - Et la mort est aux mains de toute chtelaine; - - Les armes de Jsus c'est la vie et la mort, - C'est le fleuve fcond, c'est l'ternel apport - De vase et de limon en plein milieu du port; - - Les armes de Jsus c'est ce gamin qui dort, - C'est la honte et la peine et son frre le sort, - Et l'amour est aux mains des suppts de la mort; - - Les armes de Satan c'est la sensiblerie, - C'est censment le droit, l'humanitairerie, - Et c'est la fourberie et c'est la ladrerie; - - Les armes de Satan c'est la bte lche, - Le dshonneur gratuit, la honte remche, - Le troupeau mal conduit, la terre mal bche; - - Les armes de Satan c'est le membre arrach, - Le bourgeon retranch, le rameau dtach, - Le boeuf aiguillonn, le cheval cravach; - - Les armes de Jsus c'est la haute terrasse - D'o retombe en jet d'eau la source de la grce, - Et la vasque au flanc grave et le sang de la race; - - Les armes de Satan c'est la basse menace - Aux coins de toute lvre et la gluante trace - Que laisse sur la fleur la visqueuse limace; - - Les armes de Satan c'est un esprit pointu, - C'est le corps en lambeaux, c'est le coeur combattu, - Le bourreau mal pay, le procs dbattu; - - Les armes de Jsus c'est le coeur combattu, - C'est le corps tout entier et la mme vertu - Et la grappe crase et le froment battu; - - Les armes de Jsus c'est le grain sous la meule, - Le raisin sous la presse et l'oiseau dans la gueule, - Et le fils dans le pre et l'enfant dans l'aeule; - - Mais Satan le regarde et ce vil vermisseau - A jur d'touffer sous l'ombre et le boisseau - La lumire et la lampe et la plaine Monceau; - - Les armes de Satan c'est une gagerie, - C'est sa forfanterie et son effronterie. - Et c'est le philologue et sa quincaillerie; - - Les armes de Satan c'est notre servitude, - C'est notre hbtement, notre longue habitude - Et la nuit et la veille et la lampe et l'tude; - - Les armes de Jsus c'est la batitude - Et c'est la parabole et la mansutude - Et c'est quand il pleura sur cette multitude; - - Les armes de Satan c'est notre quitude - Et c'est le thorme et c'est la certitude, - Le pouvoir, le savoir et la dcrpitude; - - Les armes de Jsus c'est le tranchant du sort, - C'est ce point sur le glaive o la vie et la mort - Djouent le corps et l'me en plein milieu du port; - - Les armes de Jsus c'est notre inquitude, - L'axiome, la rgle et notre incertitude, - Le devoir, le pouvoir et la vicissitude; - - Les armes de Jsus c'est notre servitude, - C'est toute solitude et toute plnitude, - Et notre turpitude et notre lassitude; - - Les armes de Satan c'est la criaillerie, - Le vote, le mandat et la suffragerie, - Et l'avocasserie et la haranguerie; - - Les armes de Jsus c'est sa sollicitude, - Et notre ingratitude et son exactitude, - Et la similitude et toute rectitude; - - Les armes de Satan c'est pure vanterie, - C'est du vieux bric brac, de l'antiquaillerie, - Du fabriqu, du faux, de la ferronnerie; - - Les armes de Satan c'est le fruit dfendu, - C'est le meurtre d'Abel, c'est le sang rpandu, - C'est Judas dpendu, c'est Judas rependu; - - Les armes de Satan c'est le filet tendu, - C'est le propos douteux et le sous-entendu, - Et toute controverse et tout malentendu; - - Les armes de Satan c'est Jsus-Christ vendu, - C'est les trente deniers, c'est Joseph descendu - Au fond de la citerne et captif revendu; - - Les armes de Satan c'est la race perdue, - C'est le lacet tress, c'est la corde tordue, - Toute chair assaillie de toute chair mordue; - - Les armes de Satan c'est tout le rsidu - Et la lie et l'cume et c'est l'individu - Et c'est le commentaire et le compte rendu; - - Les armes de Satan c'est toute dette due - Irrmissiblement, la honte suspendue, - Et par son gouverneur toute ville rendue; - - Les armes de Jsus c'est Satan confondu, - Tout foss rempar, tout rempart dfendu, - Tout terrain regagn sur le terrain perdu; - - Et la dette remise et la dette rendue - Par le frre son frre et la brebis perdue - Et toute me assaillie et toute me mordue; - - Les armes de Jsus c'est la nuit rpandue - Pour le repos de l'homme et la ferme vendue - Pour payer les impts et la brebis tondue; - - Les armes de Jsus c'est la neige fondue - Au soleil du printemps, la hache suspendue - Au jour du jugement et c'est l'me perdue - - De son indignit, c'est la grande tendue - Et l'arbre de Nol et la bche fendue - Et c'est depuis Adam la nouvelle attendue; - - Les armes de Jsus c'est la bonne aventure, - Et c'est le Crateur crant la crature, - Et le sceau du Seigneur mettant la signature; - - Les armes de Satan c'est la caricature - Et la contrefaon de toute signature - Et l'homme jugeant l'homme et la magistrature - - Assise au tribunal, c'est la lettre surie, - La littralit morne et dj pourrie, - Les armes de Satan c'est la chancellerie; - - Les armes de Satan c'est la plaisanterie, - Cette sauce tourne et c'est l'htellerie - Pour les mauvais passants et c'est l'ivrognerie - - Les coudes sur la table et la clabauderie - Et la ribauderie et la maussaderie - Et la badauderie et la nigauderie; - - Les armes de Jsus c'est la charpenterie, - L'tabli, la varlope et la menuiserie, - La scie et le rabot et l'bnisterie, - - Le denier de la veuve et le bon ouvrier; - Les armes de Satan c'est le vil usurier, - L'armurier, le guerrier, le manufacturier; - - Les armes de Satan c'est la truanderie, - Le mauvais compagnon, la camaraderie, - Le mauvais camarade et la cafarderie - - Et le mauvais garon; c'est le regard oblique - Jet sur le voisin, le peuple famlique - Sous la bombance norme et pantagrulique; - - Les armes de Jsus c'est la foi catholique - Enchsse prix d'or, la ronde basilique, - Et c'est la paix publique et la sainte relique; - - Les armes de Satan c'est tout ce qui complique - La trs simple existence et c'est quand il implique - L'innocent dans le crime et dans le diabolique; - - Les armes de Jsus c'est le cdre biblique, - La salutation, la ferveur anglique, - L'annonciation de l're vanglique; - - Les armes de Satan c'est sa ruse et sa clique - Et sa claque sournoise et mphistophlique, - Et sa noise en sourdine et machiavlique; - - Les armes de Jsus c'est le lger caque - De Pierre sur le lac, c'est l'archange archaque - Fermant le paradis, c'est la foi judaque. - - Et la premire loi, c'est la race hbraque - Et le tronc d'Isral, et c'est la mosaque - De la vertu des clercs, de la vertu laque; - - Les armes de Jsus c'est la loi mosaque, - Les dix commandements au peuple liturgique, - Et qu'il n'a point rays de Rome apostolique; - - Les armes de Jsus c'est la mort hroque - Du martyr dans l'arne et la douceur stoque - Du saint et c'est aussi la vertu prosaque; - - Les armes de Satan c'est la courbe saque, - Souple vaisseau de charge et c'est l'art chaldaque - Et la vertu du riche et du pharisaque; - - Et c'est l'aigre rplique et le somnambulique, - Et le cyrnaque et l'aristotlique, - Et le pire de tout c'est bien quand il explique; - - Les armes de Jsus c'est l'ardente supplique - Du pauvre au gouverneur, c'est le parabolique, - Et c'est les huit bonheurs sous Rome apostolique, - - Et c'est le roi de France et c'est la rpublique - Et c'est le bref du pape et la lourde encyclique - Parmi les deuils privs et la vertu publique; - - Les armes de Satan c'est le vil publicain, - Le percepteur de Rome et le fieff coquin - Qui berne l'honnte homme et qui fait le faquin; - - L'avare pager, le servile sequin, - L'infidle berger, le manteau d'Arlequin - De vice et de vertu, le grossier mannequin - - Qui fait peur aux moineaux, le rude casaquin - Sur l'armure de guerre et le lourd troussequin - Sur le cheval de guerre et l'ennuyeux pasquin; - - Les armes de Jsus c'est le Samaritain, - Le bless recueilli, le pauvre franciscain, - Les armes de Jsus c'est le rpublicain; - - Les armes de Satan c'est le faux symbolique, - La pierre en comprim, le marbre en majolique, - (La pierre de Jsus, c'est le pur pentlique); - - Les armes de Satan c'est toute hyperbolique, - Le masque de Satan c'est toute bucolique - Modulant sous le htre une pure idyllique; - - Les armes de tous deux c'est le mlancolique, - Soit qu'il soit descendu du vieux cdre biblique, - Soit qu'il soit remont de jeune rpublique; - - Les armes de Satan c'est toute idoltrie, - Tout rassortiment, toute repltrerie, - Tout fatras, tout raccord, toute foltrerie; - - Les armes de Jsus c'est culte de doulie - Ou d'asservissement, c'est culte de latrie - Ou d'adoration, c'est culte de patrie - - Ou de terre natale; et dmonoltrie - Retourne vers Satan avec zooltrie, - Avec psychitrie, avec chimitrie, - - Avec l'ergot du seigle et les autres caries, - Et les phylloxras et les vignes fltries, - Et les puits desschs et les races taries; - - Les armes de Jsus c'est la pauvre monture, - L'non de cette nesse et c'est la courbature - De ses reins btonns et c'est la spulture - - Dans un caveau prt, c'est l'agneau sans pture, - C'est la barque de Pierre errante et sans mture, - Et le prteur de Rome et c'est la prfecture - - Et le prfet de Rome et cette humble toiture, - Ce chaume au ras du sol et l'unique voiture - Avec un seul cheval et la vieille clture - - En mauvais fil de fer et la progniture - Attendant sous la lampe une humble nourriture, - Esprant vaguement un pot de confiture; - - Les armes de Satan c'est cette dictature - De ces sept qui sont sept sur la mme monture, - Sur un cheval pourri tenus par la ceinture; - - Les armes de Jsus c'est la sainte criture - Depuis le premier livre et c'est toute droiture - Depuis le premier pas et c'est toute armature - - Tenant son homme roide et c'est toute ossature - Tenant son homme ferme et toute architecture - Tenant la maison pleine et basse de stature; - - Les armes de Satan c'est le mauvais docteur, - (Mais en est-il de bons?), c'est le mauvais acteur - Qui joue contre sens et le mauvais lecteur - - Qui lit contre texte et c'est le dtracteur - Qui dtracte et dtraque et le simple lecteur - Qui rtracte et qui vote et le morne inspecteur - - Qui regarde et surveille et le dur directeur - Qui regarde et gouverne et le lourd protecteur - Qui regarde et qui pse et qui fait le recteur; - - Les armes de Satan c'est le contradicteur - Qui dit d'abord: Mais non, c'est l'antique licteur - Et l'antique faisceau, c'est Satan destructeur; - - Les armes de Satan c'est Satan constructeur - Du satan parvis, c'est Satan conducteur - De l'homme vers sa perte et Satan rdacteur - - De la fausse nouvelle et c'est tout abstracteur - De la cinquime essence et tout contrefacteur - Qui sera poursuivi, c'est Satan collecteur - - D'impts pour son tat, c'est Satan correcteur - Dans son mauvais journal, et tratre traducteur - Dans son mauvais patois, et fourbe producteur - - De produits frelats, brillant introducteur - Au royaume d'enfer, dcevant instructeur - De mauvaise recrue et sinistre amateur - - D'art pour ses collections et savant armateur - De naufrage et superbe et docile imposteur, - Les armes de Satan c'est Satan sducteur; - - Les armes de Satan c'est la svre cotte - De maille et c'est aussi le regard qui clignotte - Sous la lourde visire et sous la bourguignotte; - - Les armes de Jsus c'est la race future, - C'est le riche missel, c'est la miniature, - Et le ciel et l'enfer et la terre en peinture; - - Les armes de Satan c'est la msaventure, - Le tratre couronn, la mauvaise lecture, - Les armes de Satan c'est la littrature; - - Les armes de Jsus c'est noblesse et roture - gales vers sa face et la belle sculpture - Au portail de l'glise et la fine moulure; - - Les armes de Jsus c'est la riche tenture - Devant le tabernacle et la rouge teinture - De la robe du prtre et des croix de torture; - - Les armes de Satan c'est toute conjecture - Maraudant sur le texte et c'est toute imposture, - Toute note au crayon, toute maculature; - - Et c'est toute leon qui n'est pas la lecture, - Et c'est toute faon qui n'est pas la facture, - Et c'est toute moisson qui n'est pas drue et dure; - - Et c'est toute prison qui n'est pas la capture, - Et toute liaison qui n'est pas la rupture, - Toute cendre, tout feu qui n'est pas feu qui dure; - - Les armes de Satan c'est la dsinvolture, - C'est la fausse lgance et toute conjoncture - O l'homme droit est mis en oblique posture; - - Les armes de Satan c'est la fausse culture - Qui sme le chiendent et c'est la couverture - Vole au vieux cheval et c'est toute ouverture - - Que l'on n'a pas ouvert et toute fermeture - Que l'on n'a pas ferme et toute quadrature - Que l'on n'a pas quarre et c'est toute arcature - - Que l'on n'a pas arque et c'est toute rature - Au milieu de la page et toute ligature - Qui n'est pas pour la greffe et toute horticulture - - Qui n'est pas pour la fleur, toute arboriculture - Qui n'est pas pour le fruit, toute viticulture - Qui n'est pas pour le vin, c'est toute agriculture - - Qui n'est pas pour le bl, c'est toute apiculture - Qui n'est pas pour le miel, toute sylviculture - Qui n'est pas pour le bois et c'est toute bouture - - Qui n'a pas pris racine et c'est toute mouture - Qui n'est pas du moulin et toute portraiture - Qui n'est pas le modle et toute investiture - - Qui ne vient pas de Dieu, c'est le point de suture - Quand il est mal cousu, c'est la judicature - De l'homme sur un homme et la candidature - - Assise en robe blanche au seuil de la prture; - Les armes de Satan c'est la nomenclature - Et le dnombrement, c'est toute fourniture - - Qui n'est pas bon poids, c'est la belle denture - Des btes dans l'arne et c'est la devanture - Qui masque la maison et c'est toute jointure - - Qui s'articule mal et c'est toute fracture - Qui ne se rduit pas, c'est toute contracture - Qui ne se rsoud pas et c'est toute structure - - Qui n'est pas organique et c'est toute questure - O l'on est candidat et c'est toute texture - Qui n'est pas de bon fil et c'est toute mixture - - Qui n'est pas du bon vin et c'est toute mouture - Qui n'est pas du bon pain et c'est toute pture - Qui n'est pas du bon grain et c'est toute clture - - Qui n'est pas de bon bois et c'est toute questure - Qui requiert faux poids, frappe fausse mesure, - Paie fausse monnaie et prte avec usure; - - Les armes de Jsus c'est la lgislature - Des dix commandements et c'est la tablature - Des tables de la loi, c'est la nonciature - - Quand le nonce est du pape et la judicature - Quand le juge craint Dieu, c'est la magistrature - Quand elle est magistrale et la clricature - - Quand le clerc est prudhomme et c'est la prlature - Quand l'vque est Aignan ou saint Bonaventure - Ou saint Cme ou saint Loup, la sacrificature - - Quand c'est lui la victime et c'est toute vture - Qui vt l'me et le corps et c'est toute tonture - Qui n'corchera pas la faible crature; - - Les armes de Jsus c'est la belle paroisse - Assise au coeur de France et c'est la noble angoisse - Du cur soucieux que son troupeau recroisse; - - Les armes de Jsus c'est la belle provende - parse au rtelier, c'est le thym, la lavande, - Et la rose et l'oeillet et la souple guirlande; - - Les arme de Jsus c'est le bon voisinage - Entre les pauvres gens, c'est le pauvre village - Et l'glise au milieu, c'est le compagnonnage - - Entre bons compagnons, c'est le plerinage - Entre bons plerins, c'est le pauvre mnage - Entre l'homme et la femme et le long mariage; - - Les armes de Jsus c'est les enfants bien sages - Assis au coin du feu, c'est les belles images - Qu'on voit sur les vitraux et c'est les trois rois mages; - - Les armes de Satan c'est les magiciens - Et la magicerie et les faux entretiens - Et les libres discours au conseil des anciens; - - Les armes de Jsus c'est la pauvre famille, - Les frres et la soeur, les garons et la fille, - Le fuseau lourd de laine et la savante aiguille; - - Les armes de Jsus c'est tous les coeurs paens: - Pourvu qu'on les baptise et les rende chrtiens, - Il en fait les plus purs de tous ses paroissiens; - - Les armes de Jsus c'est tous les plbiens: - A moins qu'on les courtise et les rende vauriens, - Il en fait les plus durs de ses fermes soutiens; - - Les armes de Jsus c'est les bons citoyens: - Quand la grce les prend par ses secrets moyens, - Il en fait les plus srs de ses curs doyens; - - Les armes de Jsus c'est la docilit, - C'est la foi, l'esprance et c'est la charit, - C'est la femme et l'enfant et la fidlit; - - Les armes de Jsus c'est la fragilit, - C'est la vertu civique et c'est la libert, - C'est la femme et l'enfant et c'est la pauvret; - - Les armes de Jsus c'est la simplicit, - C'est la paix ternelle et c'est dans la cit - Tout un fleuve de grce et d'efficacit; - - Les armes de Jsus c'est la ncessit - Du travail et du pain et c'est dans la cit - Tout un fleuve de grce et de flicit; - - Les armes de Jsus c'est la sagacit, - Le pardon de l'offense et c'est dans la cit - Tout un fleuve de grce et de vivacit; - - Les armes de Jsus c'est la mendicit - Du dernier misrable et c'est dans la cit - Tout un fleuve de grce et de tnacit; - - Les armes de Satan c'est le chemin tortu, - Le sentier drob, le cheval abattu - Les quatre fers en l'air, et le mulet ttu; - - Les armes de Satan c'est la fausse tendresse - Couche au lit de l'homme et la molle paresse - Qui dort le long du jour et se dsintresse - - Du pauvre et de l'enfant et c'est la charmeresse - Avec ses mots savants et la devineresse - Et sa vieille grimace et c'est l'enchanteresse - - Avec ses vieux onguents et c'est la scheresse - Du coeur et c'est la vraie et c'est la fausse adresse - De l'homme trs malin; c'est l'homme qui transgresse - - Les vieilles lois de l'homme et c'est l'homme qui tresse - Le chanvre du gibet et l'homme qui progresse. - Les armes de Satan c'est l'homme qui s'engraisse - - Du sang du malheureux, le serpent qui redresse - La tte et c'est aussi le vigneron qui presse - La grappe et fait jaillir le vin doux et l'ivresse; - - Les armes de Jsus c'est toute forteresse - Qui tient et c'est la noble et la pure caresse - De la mre l'enfant et c'est la maladresse - - De l'homme pas malin et la sourde tendresse - De la mre la fille afin que reparaisse - En cette enfant naissante une mme tendresse - - Et dans le temps futur une mme caresse - Et ce mme regard et cette mme tresse - Blonde qui fleurira, cette mme dtresse - - Qui sera console, et cette me pauvresse - Et dans le dernier temps une mme allgresse; - Les armes de Jsus c'est l'homme qui s'adresse - - Directement Dieu, c'est l'homme qui s'adresse - A quelque saint patron, c'est l'homme qui se dresse - Contre l'iniquit, c'est l'homme qui s'empresse - - A panser le bless, c'est la frache compresse - Sur la cuisante plaie et l'homme qui s'engraisse - De sanglots et de pleurs, de peine et de dtresse, - - Et d'un regret plus beau que la mme tendresse, - Et l'arme aux mains de l'ange ardente et vengeresse - Au seuil du paradis afin que comparaisse - - L'me toujours chasse et toujours chasseresse, - L'me toujours esclave et ensemble matresse, - L'me toujours enfant et toujours pcheresse; - - Les armes de Jsus c'est la lettre et l'esprit, - Mais c'est l'esprit qui mne et l'esprit qui nourrit, - Et la lettre n'est l que comme un mot d'crit; - - Les armes de Jsus c'est la lettre et l'esprit, - C'est le pre qui gronde et l'enfant qui sourit, - C'est le Pre et le Fils et c'est le Saint-Esprit; - - La lettre est ce qui tue et l'esprit vivifie, - Et la lettre est la mort et l'esprit est la vie, - Et la lettre est l'orgueil et la lettre est l'envie; - - C'est l'esprit qui commande et la lettre qui sert, - C'est l'esprit qui demande et la lettre qui perd - Et c'est l'esprit qui sauve et prche en plein dsert; - - C'est l'esprit qui gouverne et l'esprit qui conduit - L'homme vers un seul point et la lettre qui suit - Vers la lampe de l'ogre et c'est l'esprit qui cuit - - Le pain quand il est chaud, c'est l'esprit qui dduit - Jsus du vieil Adam et derechef induit - Isral en Jsus que la lettre rduit; - - C'est l'esprit qui combat et la lettre qui fuit, - C'est l'esprit qui travaille et l'esprit qui produit - La paille, le bon grain, la feuille, le bon fruit; - - Et la lettre n'a jamais fait qu'un peu de bruit, - C'est elle qui sduit et c'est elle qui nuit, - Et la lettre et l'esprit c'est le jour et la nuit; - - Mais l'esprit et la lettre est la nuit et le jour, - Les armes de Jsus c'est l'honneur et l'amour - Et le roi dans son camp et le roi dans sa cour; - - Les armes de Jsus c'est le feu dans le four, - La pte et le levain et c'est le pain du jour, - Et c'est le roi David retir dans sa tour; - - Les armes de Jsus c'est tout homme proscrit - Qui sera rappel, c'est le jeune conscrit - Qui sera convoqu, c'est le jeune homme inscrit - - Sur le livre ternel et c'est le coeur contrit - Qui sera foment, c'est le billet souscrit - Qui sera prsent, c'est le bonheur dcrit - - Un jour sur la montagne et l'honnte rescrit - De par le roi du ciel et le pardon prescrit - Par la nouvelle loi, c'est Dieu mme transcrit - - De Mose en Jsus, c'est Satan circonscrit, - C'est tout ce qu'il fallait pour que Jsus souffrt, - Les armes de Jsus c'est surtout Jsus-Christ; - - C'est tout ce qu'il fallait pour que Jsus ouvrt - La porte du tombeau, pour que Jsus offrt - Le premier sacrifice et qu'il rendt l'esprit; - - C'est tout ce qu'il fallait pour que Jsus couvrt - Le pcheur devant Dieu, pour qu'il redcouvrt - Le chemin du salut et pour qu'il entreprt - - De remonter la pente et pour qu'il se reprt - Et qu'il reprt le monde et pour que l'homme apprt - Le chemin difficile et pour qu'il dsapprt - - La route sans cailloux et pour qu'un jour en Gaule, - D'autres soldats romains, le manteau sur l'paule, - Le torse bien moul dans leurs lames de tle, - - Chevauchant par la route paisse comme un mle, - La lance entre les doigts comme on tient une gaule, - Un jour en plein hiver sous la neige du ple, - - Le long des blancs bouleaux, le long du mme saule, - Voyant un vagabond, quelque chapp de gele, - Un autre centurion, de ceux que Rome enrle, - - Du manteau militaire enfin se dcouvrt; - C'est tout ce qu'il fallait pour que l'homme s'prt - Du seul amour qui dure et pour qu'il se dprt - - Du seul amour qui passe et pour qu'il se mprt - Comme il faut se mprendre et qu'alors il comprt - Tout ce qu'il faut comprendre et qu'alors il en prt - - Tout ce qu'il faut en prendre et qu'alors il surprt - Le secret mal gard, le secret manuscrit - Qui n'est pas dans la lettre et se cache en esprit; - - Les armes de Jsus c'est le chemin fleuri, - Mais plus que le printemps galamment refleuri, - C'est le svre automne l'instant dfleuri; - - Et la fleur de Marie est la rose fleurie, - Mais plus que l'humble rose au printemps refleurie, - C'est la rose d'automne humblement dfleurie; - - Les armes de Jsus c'est le vallon fleuri, - Mais plus que le printemps incessamment fleuri, - Et plus que le printemps insolemment fleuri, - - Et plus que le printemps impudemment fleuri. - Et plus que le printemps effrontment fleuri, - C'est le pudique automne jamais dfleuri; - - Les armes de Jsus c'est un peuple chri - Comme un fils qui revient, c'est un mourant guri - Par son extrme onction, c'est un peuple aguerri - - Par une juste guerre et le marin pri - Au pril de la mer, le navire atterri - Dans le recreux du port, tout un peuple nourri - - De quelques poissons secs, tout un monde nourri - D'une seule victime et le raisin mri - Pour le vin du calice et l'autre vin suri - - Pour l'ponge et la lance et le vinaigre aigri; - Les armes de Jsus c'est le levain ptri - Au milieu de la pte et lui-mme suri; - - Les armes de Satan c'est le fleuve tari, - C'est chez l'quarrisseur le cheval quarri, - C'est l'enfant affam, c'est le pain renchri; - - Les armes de Satan c'est le coeur mal guri - De la vieille blessure et c'est le coeur tari - A force de saigner et le coeur mal nourri - - A force de jener, c'est tout ce qui tarit, - C'est tout ce qui prit, tout ce qui dprit, - Et tout ce qui surit et tout ce qui pourrit; - - Les armes de Satan c'est la sve appauvrie, - C'est le sang rpandu, la branche rabougrie, - Le rameau dessch, la prude renchrie; - - Les armes de Satan c'est tout ce qui fltrit, - Rapetisse, avilit, injurie, amoindrit, - C'est tout ce qui mprise et tout ce qui meurtrit; - - Les armes de Jsus c'est tout ce qui nourrit, - C'est tout ce qui boutonne et tout ce qui prit - Aux jardins de Touraine et tout ce qui mrit; - - Les armes de Jsus c'est un coeur tout fleuri, - Plus que le jeune coeur au printemps refleuri, - C'est le coeur l'automne jamais dfleuri; - - Les armes de Satan c'est la paix et la guerre, - Les peuples ventrs, les sacrements par terre, - La honte, la terreur, la rage militaire; - - Les armes de Jsus c'est la guerre et la paix, - Les peuples respects et les derniers harnais - De guerre suspendus aux frontons des palais; - - Les armes de Satan c'est l'horreur de la guerre, - Les peuples affols, Jsus sur le Calvaire, - Le sang, le cri de mort, le meurtre volontaire; - - Les armes de Jsus c'est l'honneur de la guerre, - Les peuples rtablis, Jsus sur le Calvaire, - Le sang, le sacrifice et la mort volontaire; - - Pour qu'elle vt venir sous un tel tendard - De Jsus-Christ soldat contre Satan soudard, - Vers le vieux saint tienne et le vieux saint Mdard; - - Pour qu'elle vt venir par un chemin de terre, - Comme une jeune enfant qui vient vers sa grand'mre, - Par les bois de Puteaux, par les champs de Nanterre; - - Pour qu'elle vt venir ardente et militaire, - Obissante et ferme et douce et volontaire, - Sur Boulogne et Neuilly, sur Puteaux et Nanterre; - - Hauturire et docile, alerte et droiturire, - Et prompte la manoeuvre et peu procdurire, - Destine prir comme une aventurire; - - Bien en selle en avant de sa cavalerie, - Masquant ses bombardiers et sa bombarderie, - Tranant comme un rseau sa lourde infanterie; - - Ameutant ses tambours qui battaient pour la messe, - Gourmandant ces brigands qui couraient confesse, - Dfrente aux trois voix qui scellaient leur promesse; - - Ayant mis les soldats au pas sacramentaire, - Ayant mis les curs au pas rglementaire, - Et log les Vertus au train rgimentaire; - - Bien allante et vaillante et sans tourderie, - Bien venante et plaisante et sans coquetterie, - Bien disante et parlante et sans bavarderie; - - Rvrant les coffrets sertis de pierrerie - O les reliefs des saints ouvrs d'orfvrerie - Reposent sur l'autel et sur la broderie; - - Sage comme une aeule en sa tendre jeunesse, - Cadette ayant conquis le plus beau droit d'anesse, - Grave et les yeux plus clairs que d'une chanoinesse, - - La sainte la plus grande aprs sainte Marie. - - - - -NEUVIME JOUR - -POUR LE SAMEDI 11 JANVIER 1913 - -IX - - - Comme Dieu ne fait rien que par compagnonnage, - Il fallut qu'elle vt ces mauvais compagnons, - Les Anglais, (les Franais), les tratres Bourguignons - Dpecer le royaume ainsi qu'un apanage; - - Il fallut qu'elle vt ce monstrueux mnage, - Et les gibets poussant comme des champignons, - Et le mur et le toit et l'angle des pignons - Tout dgouttants du meurtre et du sang du carnage; - - Il fallut qu'elle vt tout ce maquignonnage, - Les cadavres tout nus serrs en rangs d'oignons, - Les blesss mutils trans sur leurs moignons, - Les morts et les mourants drivant la nage; - - Il fallut qu'elle vt cet horrible engrenage - Happer tout le royaume et ces mauvais garons - Rouer vif tout un peuple et rtir les moissons, - Sortis du menu peuple ou du haut baronnage; - - Les armes de Jsus c'est la belle marraine - Et c'est le beau baptme et les belles drages, - Mais plus que le cortge et que les apoges - C'est le deuil et la ruine et la honte et la peine; - - Il fallut qu'elle vt par ce libertinage - Dissiper ce trsor d'honneur que nous gagnons, - Et dserter le Dieu que nous accompagnons, - Comme on dserte un mort dans un pauvre village; - - Il fallut qu'elle vt par ce vagabondage - Retourner ce pass dont nous nous loignons, - Il fallut qu'elle vt les maux que nous soignons - Monter le long de nous comme un chafaudage; - - Il fallut qu'elle vt par le faux tmoignage - Dmentir le propos pour qui nous tmoignons, - Il fallut qu'elle vt l'urne o nous nous baignons - S'effondrer par souillure et par dvergondage; - - Il fallut qu'elle vt par tout ce maraudage - Cueillir les fruits moisis et que nous ddaignons, - Il fallut qu'elle vt la ville o nous rgnons - Dmantele aux mains de tout ce chapardage; - - Il fallut qu'elle vt par tant d'enfantillage - Avilir cette foi dont nous nous imprgnons, - Il fallut qu'elle vt le sang dont nous saignons - Saigner du mme coeur et du mme courage; - - Il fallut qu'elle vt par un sot bavardage - Fltrir le dogme auguste et que nous enseignons, - Et qu'elle vt tarir la grce o nous baignons, - Lustrale et baptismale, en un lourd badinage; - - Il fallut qu'elle vt par tout ce brigandage - Commettre les forfaits dont nous nous indignons, - Et les cus sonnants et que nous alignons - Fondre au creuset d'orgueil et de faux monnayage; - - Il fallut qu'elle vt par tout ce forlignage - Dgnrer la race o nous nous alignons, - Et les mots ternels et que nous soulignons - Tomber dans le silence et dans le persiflage; - - Il fallut qu'elle vt par tout ce maquillage - Fausser la signature o nous contresignons, - Et le terme et la mort que nous nous assignons - Approcher tous les jours comme un lointain rivage; - - Il fallut qu'elle vt cette jalouse rage - Assaillir la caserne o nous nous consignons, - Et la taverne infme et que nous dsignons - D'un nom injurieux dborder sur la plage; - - Il fallut qu'elle vt cette haine sauvage - Dnaturer le sort o nous nous rsignons, - Et la ronce et l'ortie o nous gratignons - Nos mains s'enchevtrer dans le jeune bocage; - - Il fallut qu'elle vt au chemin de halage - Draciner la borne qui nous nous cognons, - Et qu'elle vt le coin o nous nous rencoignons - Nous refuser le gte et le pain du voyage; - - Il fallut qu'elle vt dans ce commun naufrage - Sombrer l'arche rompue et que nous empoignons, - Et qu'elle vt la grande arme o nous grognons, - (Mais nous marchons toujours), subir cet hivernage; - - Il fallut qu'elle vt par un tel sabotage - Dnaturaliser l'oeuvre o nous besognons. - Et qu'elle vt l'injure qui nous rpugnons - Rgner et gouverner sous figure d'outrage; - - Il fallut qu'elle vt le long du bastingage - Prcipiter l'eau l'or que nous pargnons, - Et qu'elle vt la vergue o nous nous borgnons - Chanceler et tomber par l'effet du tangage; - - Il fallut qu'elle vt dans ce mme hivernage - S'vanouir de froid l'ardeur que nous feignons, - Et qu'elle vt la peine o nous nous renfrognons - S'vanouir de mort dans un beau sarcophage; - - Il fallut qu'elle vt dans cet appareillage - S'avancer la galre o captifs nous geignons, - Et qu'elle vt la nef lourde o nous nous plaignons - Gmir dans ses haubans et ses bois d'assemblage; - - Il fallut qu'elle vt par un commun partage - Arriver justement le sort que nous craignons, - Et la loi qui nous sauve et que nous enfreignons - Expose prir dans ce mme naufrage; - - Il fallut qu'elle vt dans le mme mouillage - Sombrer le dsespoir que seul nous treignons, - Et qu'elle vt cet ordre o nous nous astreignons - Perdre ses bancs de rame et son amarinage; - - Il fallut qu'elle vt dans ce commun dommage - Plier la discipline o nous nous contraignons, - Et qu'elle vt l'astreinte o nous nous restreignons - Se dtendre et crever comme un mauvais bordage; - - Il fallut qu'elle vt dans le mouvant sillage - Flotter et s'enfoncer la mort que nous ceignons, - Et qu'elle vt couler le sang dont nous teignons - Notre robe lustrale et notre enfantillage; - - Il fallut qu'elle vt par un jeu de mirage - Reculer le but fixe et que nous atteignons, - Et qu'elle vt le terme o nous nous rejoignons - Se drober nous en plein atterrissage; - - Il fallut qu'elle vt en plein coeur de l'orage - Brler la chre flamme et que nous teignons - Et qu'elle vt les maux que nous nous adjoignons - Se coucher contre nous pour un noble servage; - - Il fallt qu'elle vt dans tout ce gribouillage - Se raidir les devoirs que nous nous enjoignons, - Et les soucis aigus et dont nous nous poignons - Nous percer jusqu'au coeur dans tout ce barbouillage: - - Pour qu'elle vt venir du fond de la campagne, - Au milieu de ses clercs, au milieu de ses pages, - Vers l'arne romaine et la roide montagne, - - Tranant les trois Vertus au train des quipages, - Sa plus fine et plus ferme et plus douce compagne - Et la plus belle enfant de ses longs patronages. - - - - -_la tapisserie - -de Notre Dame_ - - -_cahier pour le dimanche de la Pentecte - -et pour le mois de mai - -de la quatorzime srie_ - - -au fidle Lotte - -et - -au _Bulletin des Professeurs catholiques de l'Universit_ - - -Prsentation de Paris Notre Dame - - toile de la mer voici la lourde nef - O nous ramons tout nuds sous vos commandements - Voici notre dtresse et nos dsarmements; - Voici le quai du Louvre, et l'cluse, et le bief. - - Voici notre appareil et voici notre chef. - C'est un gars de chez nous qui siffle par moments. - Il n'a pas son pareil pour les gouvernements. - Il a la tte dure et le geste un peu bref. - - Reine qui vous levez sur tous les ocans, - Vous penserez nous quand nous serons au large. - Aujourd'hui c'est le jour d'embarquer notre charge. - Voici l'norme grue et les longs meuglements. - - S'il fallait le charger de nos pauvres vertus, - Ce vaisseau s'en irait vers votre auguste seuil - Plus creux que la noisette aprs que l'cureuil - L'a laiss retomber de ses ongles pointus. - - Nuls ballots n'entreraient par les panneaux bants, - Et nous arriverions dans la mer de sargasse - Tranant cette inutile et grotesque carcasse - Et les Anglais diraient: Ils n'ont rien mis dedans. - - Mais nous saurons l'emplir et nous vous le jurons, - Il sera plus beau dans cet illustre port. - La cargaison ira jusque sur le plat-bord. - Et quand il sera plein nous le couronnerons. - - Nous n'y chargerons pas notre pauvre mas, - Mais de l'or et du bl que nous emporterons. - Et il tiendra la mer: car nous le chargerons - Du poids de nos pchs pays par votre fils. - - -Paris vaisseau de charge - - Double vaisseau de charge aux deux rives de Seine, - Vaisseau de pourpre et d'or, de myrrhe et de cinname, - Vaisseau de bl, de seigle, et de justesse d'me, - D'humilit, d'orgueil, et de simple verveine; - - Nos pres t'ont combl d'une si longue peine, - Depuis mille et mille ans que tu viens la lame, - Que nulle cargaison n'est si lourde la rame, - Et que nul btiment n'a la panse aussi pleine. - - Mais nous apporterons un regret si svre, - Et si nourri d'honneur, et si creus de flamme, - Que le chef le prendra pour un sac de prire, - - Et le fera hisser jusque sous l'oriflamme, - Navire appareill sous Septime Svre, - Double vaisseau de charge aux pieds de Notre Dame. - - -Paris double galre - - Depuis le Point du Jour jusqu'aux cdres bibliques - Double galre assise au long du grand bazar, - Et du grand ministre, et du morne alcazar, - Parmi les deuils privs et les vertus publiques; - - Sous les quatre-vingts rois et les trois Rpubliques, - Et sous Napolon, Alexandre et Csar, - Nos pres ont tent le centuple hasard, - Fidlement courbs sur tes rames obliques. - - Et nous prenant leur place au mme banc de chne, - Nous ramerons des reins, de la nuque, de l'me, - Plis, casss, meurtris, saignants sous notre chane; - - Et nous tiendrons le coup, rivs sur notre rame, - Forats fils de forats aux deux rives de Seine, - Galriens couchs aux pieds de Notre Dame. - - -Paris vaisseau de guerre - - Double vaisseau de ligne au long des colonnades - Autrefois btiment au centuple sabord, - Aujourd'hui lourde usine, norme coffre-fort - Ferm sur le secret des sourdes canonnades. - - Nos pres t'ont dans de chaudes srnades. - Ils t'ont fleuri du sang de la plus belle mort, - Quand au gaillard d'avant vers l'un et l'autre bord - Bondissait le troupeau des graves caronnades. - - Mais nous apporterons tes destins gants - Un coeur si srieux et si brl de flamme, - Un coeur si curieux de tous les ocans, - - Soldats fils de soldats sous la mme oriflamme, - Qu'on nous mettra valets de tes canons bants, - Monstres verts accroupis aux pieds de Notre-Dame. - - -Prsentation de la Beauce Notre Dame de Chartres - - toile de la mer voici la lourde nappe - Et la profonde houle et l'ocan des bls - Et la mouvante cume et nos greniers combls, - Voici votre regard sur cette immense chape - - Et voici votre voix sur cette lourde plaine - Et nos amis absents et nos coeurs dpeupls, - Voici le long de nous nos poings dsassembls - Et notre lassitude et notre force pleine. - - toile du matin, inaccessible reine, - Voici que nous marchons vers votre illustre cour, - Et voici le plateau de notre pauvre amour, - Et voici l'ocan de notre immense peine. - - Un sanglot rde et court par del l'horizon. - A peine quelques toits font comme un archipel. - Du vieux clocher retombe une sorte d'appel. - L'paisse glise semble une basse maison. - - Ainsi nous naviguons vers votre cathdrale. - De loin en loin surnage un chapelet de meules, - Rondes comme des tours, opulentes et seules - Comme un rang de chteaux sur la barque amirale. - - Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre - Un rservoir sans fin pour les ges nouveaux. - Mille ans de votre grce ont fait de ces travaux - Un reposoir sans fin pour l'me solitaire. - - Vous nous voyez marcher sur cette route droite, - Tout poudreux, tout crotts, la pluie entre les dents. - Sur ce large ventail ouvert tous les vents - La route nationale est notre porte troite. - - Nous allons devant nous, les mains le long des poches, - Sans aucun appareil, sans fatras, sans discours, - D'un pas toujours gal, sans hte ni recours, - Des champs les plus prsents vers les champs les plus proches. - - Vous nous voyez marcher, nous sommes la pitaille. - Nous n'avanons jamais que d'un pas la fois. - Mais vingt sicles de peuple et vingt sicles de rois, - Et toute leur squelle et toute leur volaille - - Et leurs chapeaux plume avec leur valetaille - Ont appris ce que c'est que d'tre familiers, - Et comme on peut marcher, les pieds dans ses souliers, - Vers un dernier carr le soir d'une bataille. - - Nous sommes ns pour vous au bord de ce plateau, - Dans le recourbement de notre blonde Loire, - Et ce fleuve de sable et ce fleuve de gloire - N'est l que pour baiser votre auguste manteau. - - Nous sommes ns au bord de ce vaste plateau, - Dans l'antique Orlans svre et srieuse, - Et la Loire coulante et souvent limoneuse - N'est l que pour laver les pieds de ce coteau. - - Nous sommes ns au bord de votre plate Beauce - Et nous avons connu ds nos plus jeunes ans - Le portail de la ferme et les durs paysans - Et l'enclos dans le bourg et la bche et la fosse. - - Nous sommes ns au bord de votre Beauce plate - Et nous avons connu ds nos premiers regrets - Ce que peut receler de dsespoirs secrets - Un soleil qui descend dans un ciel carlate - - Et qui se couche au ras d'un sol invitable - Dur comme une justice, gal comme une barre, - Juste comme une loi, ferm comme une mare, - Ouvert comme un beau socle et plan comme une table. - - Un homme de chez nous, de la glbe fconde - A fait jaillir ici d'un seul enlvement, - Et d'une seule source et d'un seul portement, - Vers votre assomption la flche unique au monde. - - Tour de David voici votre tour beauceronne. - C'est l'pi le plus dur qui soit jamais mont - Vers un ciel de clmence et de srnit, - Et le plus beau fleuron dedans votre couronne. - - Un homme de chez nous a fait ici jaillir, - Depuis le ras du sol jusqu'au pied de la croix, - Plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois, - La flche irrprochable et qui ne peut faillir. - - C'est la gerbe et le bl qui ne prira point, - Qui ne fanera point au soleil de septembre, - Qui ne glera point aux rigueurs de dcembre, - C'est votre serviteur et c'est votre tmoin. - - C'est la tige et le bl qui ne pourrira pas, - Qui ne fltrira point aux ardeurs de l't. - Qui ne moisira point dans un hiver gt, - Qui ne transira point dans le commun trpas. - - C'est la pierre sans tache et la pierre sans faute, - La plus haute oraison qu'on ait jamais porte, - La plus droite raison qu'on ait jamais jete, - Et vers un ciel sans bord la ligne la plus haute. - - Celle qui ne mourra le jour d'aucunes morts, - Le gage et le portrait de nos arrachements, - L'image et le trac de nos redressements, - La laine et le fuseau des plus modestes sorts. - - Nous arrivons vers vous du lointain Parisis. - Nous avons pour trois jours quitt notre boutique, - Et l'archologie avec la smantique, - Et la maigre Sorbonne et ses pauvres petits. - - D'autres viendront vers vous du lointain Beauvaisis. - Nous avons pour trois jours laiss notre ngoce, - Et la rumeur gante et la ville colosse, - D'autres viendront vers vous du lointain Cambrsis. - - Nous arrivons vers vous de Paris capitale. - C'est l que nous avons notre gouvernement, - Et notre temps perdu dans le lanternement, - Et notre libert dcevante et totale. - - Nous arrivons vers vous de l'autre Notre Dame, - De celle qui s'lve au coeur de la cit, - Dans sa royale robe et dans sa majest, - Dans sa magnificence et sa justesse d'me. - - Comme vous commandez un ocan d'pis, - L-bas vous commandez un ocan de ttes, - Et la moisson des deuils et la moisson des ftes - Se couche chaque soir devant votre parvis. - - Nous arrivons vers vous du noble Hurepoix. - C'est un commencement de Beauce notre usage, - Des fermes et des champs taills votre image, - Mais coups plus souvent par des rideaux de bois, - - Et coups plus souvent par de creuses valles - Pour l'Yvette et la Bivre et leurs accroissements, - Et leurs savants dtours et leurs dgagements, - Et par les beaux chteaux et les longues alles. - - D'autres viendront vers vous du noble Vermandois, - Et des vallonnements de bouleaux et de saules. - D'autres viendront vers vous des palais et des geles. - Et du pays picard et du vert Vendmois. - - Mais c'est toujours la France, ou petite ou plus grande, - Le pays des beaux bls et des encadrements, - Le pays de la grappe et des ruissellements, - Le pays de gents, de bruyre, de lande. - - Nous arrivons vers vous du lointain Palaiseau - Et des faubourgs d'Orsay par Gometz-le-Chtel, - Autrement dit Saint-Clair; ce n'est pas un castel; - C'est un village au bord d'une route en biseau. - - Nous avons dbouch, montant de ce coteau, - Sur le ras de la plaine et sur Gometz-la-Ville - Au-dessus de Saint-Clair; ce n'est pas une ville; - C'est un village au bord d'une route en plateau. - - Nous avons descendu la cte de Limours. - Nous avons rencontr trois ou quatre gendarmes. - Ils nous ont regard, non sans quelques alarmes, - Consulter les poteaux aux coins des carrefours. - - Nous avons pu coucher dans le calme Dourdan. - C'est un gros bourg trs riche et qui sent sa province. - Fiers nous avons long, regards comme un prince, - Les fosss du chteau coups comme un redan. - - Dans la maison amie, htesse et fraternelle - On nous a fait coucher dans le lit du garon. - Vingt ans de souvenirs taient notre chanson. - Le pain nous fut coup d'une main maternelle. - - Toute notre jeunesse tait l sollennelle. - On pronona pour nous le Bndicit. - Quatre sicles d'honneur et de fidlit - Faisaient des draps du lit une couche ternelle. - - Nous avons fait semblant d'tre un gai plerin - Et mme un bon vivant et d'aimer les voyages, - Et d'avoir parcouru cent trente-et-un bailliages, - Et d'tre accoutums d'tre sur le chemin. - - La clart de la lampe blouissait la nappe. - On nous fit visiter le jardin potager. - Il donnait sur la treille et sur un beau verger. - Tel fut le premier gte et la tte d'tape. - - Le jardin tait clos dans un coude de l'Orge. - Vers la droite il donnait sur un mur bocager - Surmont de rameaux et d'un arceau lger. - En face un marchal, et l'enclume, et la forge. - - Nous nous sommes levs ce matin devant l'aube. - Nous nous sommes quitts aprs les beaux adieux. - Le temps s'annonait bien. On nous a dit tant mieux. - On nous a fait goter de quelque boeuf en daube, - - Puisqu'il est entendu que le bon plerin - Est celui qui boit ferme et tient sa place table, - Et qu'il n'a pas besoin de faire le comptable, - Et que c'est bien assez de se lever matin. - - Le jour tait en route et le soleil montait - Quand nous avons pass Sainte-Mesme et les autres. - Nous avancions dj comme deux bons aptres. - Et la gauche et la droite tait ce qui comptait. - - Nous sommes remonts par le Gu de Longroy, - C'en est fait dsormais de nos atermoiements, - Et de l'iniquit des dnivellements: - Voici la juste plaine et le secret effroi - - De nous trouver tout seuls et voici le charroi - Et la roue et les boeufs et le joug et la grange, - Et la poussire gale et l'quitable fange - Et la dtresse gale et l'gal dsarroi. - - Nous voici parvenus sur la haute terrasse - O rien ne cache plus l'homme de devant Dieu, - O nul dguisement ni du temps ni du lieu - Ne pourra nous sauver Seigneur, de votre chasse. - - Voici la gerbe immense et l'immense liasse, - Et le grain sous la meule et nos crasements, - Et la grle javelle et nos renoncements, - Et l'immense horizon que le regard embrasse. - - Et notre indignit cette immuable masse, - Et notre basse peur en un pareil moment, - Et la juste terreur et le secret tourment - De nous trouver tout seuls par devant votre face. - - Mais voici que c'est vous, reine de majest. - Comment avons-nous pu nous laisser dcevoir, - Et marcher devant vous sans vous apercevoir. - Nous serons donc toujours ce peuple inconcert. - - Ce pays est plus ras que la plus rase table. - A peine un creux du sol, peine un lger pli. - C'est la table du juge et le fait accompli, - Et l'arrt sans appel et l'ordre inluctable. - - Et c'est le prononc du texte insurmontable, - Et la mesure comble et c'est le sort empli, - Et c'est la vie tale et l'homme enseveli, - Et c'est le hraut d'arme et le sceau redoutable. - - Mais vous apparaissez, reine mystrieuse. - Cette pointe l-bas dans le moutonnement - Des moissons et des bois et dans le flottement - De l'extrme horizon ce n'est point une yeuse, - - Ni le profil connu d'un arbre interchangeable. - C'est dj plus distante, et plus basse, et plus haute, - Ferme comme un espoir sur la dernire cte, - Sur le dernier coteau la flche inimitable. - - D'ici vers vous, reine, il n'est plus que la route. - Celle-ci nous regarde, on en a bien fait d'autres. - Vous avez votre gloire et nous avons les ntres. - Nous l'avons entame, on la mangera toute. - - Nous savons ce que c'est qu'un tronon qui s'ajoute - Au tronon dj fait et ce qu'un kilomtre - Demande de jarret et ce qu'il faut en mettre: - Nous passerons ce soir par le pont et la vote - - Et ce foss profond qui cerne le rempart. - Nous marchons dans le vent coups par les autos. - C'est ici la contre imprenable en photos, - La route nue et grave allant de part en part. - - Nous avons eu bon vent de partir ds le jour. - Nous coucherons ce soir deux pas de chez vous, - Dans cette vieille auberge o pour quarante sous - Nous dormirons tout prs de votre illustre tour. - - Nous serons si fourbus que nous regarderons, - Assis sur une chaise auprs de la fentre - Dans un crasement du corps et de tout l'tre, - Avec des yeux battus, presque avec des yeux ronds, - - Et les sourcils hausss jusque dedans nos fronts, - L'angle une fois trouv par un seul homme au monde, - Et l'unique monte ascendante et profonde, - Et nous serons recrus et nous contemplerons. - - Voici l'axe et la ligne et la gante fleur. - Voici la dure pente et le contentement. - Voici l'exactitude et le consentement. - Et la svre larme, reine de douleur. - - Voici la nudit, le reste est vtement. - Voici le vtement, tout le reste est parure. - Voici la puret, tout le reste est souillure. - Voici la pauvret, le reste est ornement. - - Voici la seule force et le reste est faiblesse. - Voici l'arte unique et le reste est bavure. - Et la seule noblesse et le reste est ordure. - Et la seule grandeur et le reste est bassesse. - - Voici la seule foi qui ne soit point parjure. - Voici le seul lan qui sache un peu monter. - Voici le seul instant qui vaille de compter. - Voici le seul propos qui s'achve et qui dure. - - Voici le monument, tout le reste est doublure. - Et voici notre amour et notre entendement. - Et notre port de tte et notre apaisement. - Et le rien de dentelle et l'exacte moulure. - - Voici le beau serment, le reste est forfaiture. - Voici l'unique prix de nos arrachements, - Le salaire pay de nos retranchements. - Voici la vrit, le reste est imposture. - - Voici le firmament, le reste est procdure. - Et vers le tribunal voici l'ajustement. - Et vers le paradis voici l'achvement. - Et la feuille de pierre et l'exacte nervure. - - Nous resterons clous sur la chaise de paille. - Et nous n'entendrons pas et nous ne verrons pas - Le tumulte des voix, le tumulte des pas, - Et dans la salle en bas l'innocente ripaille. - - Ni les rouliers venus pour le jour du march. - Ni la feinte colre et l'clat des jurons: - Car nous contemplerons et nous mditerons - D'un seul embrassement la flche sans pch. - - Nous ne sentirons pas ni nos faces raidies, - Ni la faim ni la soif ni nos renoncements, - Ni nos raides genoux ni nos raisonnements, - Ni dans nos pantalons nos jambes engourdies. - - Perdus dans cette chambre et parmi tant d'htels, - Nous ne descendrons pas l'heure du repas, - Et nous n'entendrons pas et nous ne verrons pas - La ville prosterne aux pieds de vos autels. - - Et quand se lvera le soleil de demain, - Nous nous rveillerons dans une aube lustrale, - A l'ombre des deux bras de votre cathdrale, - Heureux et malheureux et perclus du chemin. - - Nous venons vous prier pour ce pauvre garon - Qui mourut comme un sot au cours de cette anne, - Presque dans la semaine et devers la journe - O votre fils naquit dans la paille et le son. - - Vierge il n'tait pas le pire du troupeau. - Il n'avait qu'un dfaut dans sa jeune cuirasse. - Mais la mort qui nous piste et nous suit la trace - A pass par ce trou qu'il s'est fait dans la peau. - - Il tait n vers nous dans notre Gtinais. - Il commenait la route o nous redescendons. - Il gagnait tous les jours tout ce que nous perdons. - Et pourtant c'tait lui que tu te destinais, - - mort qui fus vaincue en un premier caveau. - Il avait mis ses pas dans nos mmes empreintes. - Mais le seul manquement d'une seule des craintes - Laissa passer la mort par un chemin nouveau. - - Le voici maintenant dedans votre rgence. - Vous tes reine et mre et saurez le montrer. - C'tait un tre pur. Vous le ferez rentrer - Dans votre patronage et dans votre indulgence. - - reine qui lisez dans le secret du coeur, - Vous savez ce que c'est que la vie ou la mort, - Et vous savez ainsi dans quel secret du sort - Se coud et se dcoud la ruse du traqueur. - - Et vous savez ainsi sur quel accent de choeur - Se noue et se dnoue un accompagnement, - Et ce qu'il faut d'espace et de dboisement - Pour laisser dbouler la meute du piqueur. - - Et vous savez ainsi dans quel recreux du port - Se prpare et s'achve un noble enlvement, - Et par quel jeu d'adresse et de gouvernement - Se drobe ou se fige un illustre support. - - Et vous savez ainsi sur quel tranchant du glaive - Se joue et se djoue un pouvantement, - Et par quel coup de pouce et quel balancement - L'un des plateaux descend pour que l'autre s'lve. - - Et ce que peut coter la lvre du moqueur, - Et ce qu'il faut de force et de recroisement - Pour faire par le coup d'un seul retournement - D'un vaincu malheureux un malheureux vainqueur. - - Mre le voici donc, il tait notre race, - Et vingt ans aprs nous notre redoublement. - Reine recevez-le dans votre amendement. - O la mort a pass, passera bien la grce. - - Nous, nous retournerons par ce mme chemin. - Ce sera de nouveau la terre sans cachette, - Le chteau sans un coin et sans une oubliette, - Et ce sol mieux grav qu'un parfait parchemin. - - _Et nunc et in hora_, nous vous prions pour nous - Qui sommes plus grands sots que ce pauvre gamin, - Et sans doute moins purs et moins dans votre main, - Et moins achemins vers vos sacrs genoux. - - Quand nous auront jou nos derniers personnages, - Quand nous aurons pos la cape et le manteau, - Quand nous aurons jet le masque et le couteau, - Veuillez vous rappeler nos longs plerinages. - - Quand nous retournerons en cette froide terre, - Ainsi qu'il fut prescrit pour le premier Adam, - Reine de Saint-Chron, Saint-Arnould et Dourdan, - Veuillez vous rappeler ce chemin solitaire. - - Quand on nous aura mis dans une troite fosse, - Quand on aura sur nous dit l'absoute et la messe, - Veuillez vous rappeler, reine de la promesse, - Le long cheminement que nous faisons en Beauce. - - Quand nous aurons quitt ce sac et cette corde, - Quand nous aurons trembl nos derniers tremblements, - Quand nous aurons rl nos derniers rclements, - Veuillez vous rappeler votre misricorde. - - Nous ne demandons rien, refuge du pcheur, - Que la dernire place en votre Purgatoire, - Pour pleurer longuement notre tragique histoire, - Et contempler de loin votre jeune splendeur. - - -_les quatre prires dans la cathdrale de Chartres_ - - -1.--prire de rsidence - - O reine voici donc aprs la longue route, - Avant de repartir par ce mme chemin, - Le seul asile ouvert au creux de votre main, - Et le jardin secret o l'me s'ouvre toute. - - Voici le lourd pilier et la montante vote; - Et l'oubli pour hier, et l'oubli pour demain; - Et l'inutilit de tout calcul humain; - Et plus que le pch, la sagesse en droute. - - Voici le lieu du monde o tout devient facile, - Le regret, le dpart, mme l'vnement, - Et l'adieu temporaire et le dtournement, - Le seul coin de la terre o tout devient docile, - - Et mme ce vieux coeur qui faisait le rebelle; - Et cette vieille tte et ces raisonnements; - Et ces deux bras raidis dans les casernements; - Et cette jeune enfant qui faisait trop la belle. - - Voici le lieu du monde o tout est reconnu, - Et cette vieille tte et la source des larmes; - Et ces deux bras raidis dans le mtier des armes; - Le seul coin de la terre o tout soit contenu. - - Voici le lieu du monde o tout est revenu - Aprs tant de dparts, aprs tant d'arrives. - Voici le lieu du monde o tout est pauvre et nu - Aprs tant de hasards, aprs tant de corves. - - Voici le lieu du monde et la seule retraite, - Et l'unique retour et le recueillement, - Et la feuille et le fruit et le dfeuillement, - Et les rameaux cueillis pour cette unique fte. - - Voici le lieu du monde o tout rentre et se tait, - Et le silence et l'ombre et la charnelle absence, - Et le commencement d'ternelle prsence, - Le seul rduit o l'me est tout ce qu'elle tait. - - Voici le lieu du monde o la tentation - Se retourne elle-mme et se met l'envers. - Car ce qui tente ici c'est la soumission; - Et c'est l'aveuglement dans l'immense univers. - - Et le dposement est ici ce qui tente, - Et ce qui vient tout seul est l'abdication, - Et ce qui vient soi-mme et ce qui se prsente - N'est ici que grandesse et prsentation. - - C'est la rvolte ici qui devient impossible, - Et ce qui se prsente est la dmission. - Et c'est l'effacement qui devient invincible, - Et tout n'est que bonjour et salutation. - - Ce qui partout ailleurs est une accession - N'est ici qu'un total et sourd abrasement. - Ce qui partout ailleurs est un entassement - N'est ici que bassesse et que dpression. - - Ce qui partout ailleurs est une oppression - N'est ici que l'effet d'un noble crasement. - Ce qui partout ailleurs est un empressement - N'est ici qu'hritage et que succession. - - Ce qui partout ailleurs est une rude guerre - N'est ici que la paix d'un long dlaissement. - Ce qui partout ailleurs est un affaissement - Est ici la loi mme et la norme vulgaire. - - Ce qui partout ailleurs est une pre bataille - Et sur le cou tendu le couteau du boucher, - Ce qui partout ailleurs est la greffe et la taille - N'est ici que la fleur et le fruit du pcher. - - Ce qui partout ailleurs est la rude monte - N'est ici que descente et qu'aboutissement. - Ce qui partout ailleurs est la mer dmonte - N'est ici que bonace et qu'tablissement. - - Ce qui partout ailleurs est une dure loi - N'est ici qu'un beau pli sous vos commandements, - Et dans la libert de nos amendements - Une fidlit plus tendre que la foi. - - Ce qui partout ailleurs est une obsession - N'est ici sous vos lois qu'une place rendue. - Ce qui partout ailleurs est une me vendue - N'est ici que prire et qu'intercession. - - Ce qui partout ailleurs est une lassitude - N'est ici que des clefs sur un humble plateau. - Ce qui partout ailleurs est la vicissitude - N'est ici qu'une vigne mme le coteau. - - Ce qui partout ailleurs est la longue habitude - Assise au coin du feu les poings sous le menton, - Ce qui partout ailleurs est une solitude - N'est ici qu'un vivace et ferme rejeton. - - Ce qui partout ailleurs est la dcrpitude - Assise au coin du feu les poings sur les genoux - N'est ici que tendresse et que sollicitude - Et deux bras maternels qui se tournent vers nous. - - Nous nous sommes lavs d'une telle amertume - toile de la mer et des rcifs sals, - Nous nous sommes lavs d'une si basse cume, - toile de la barque et des souples filets. - - Nous avons dlav nos malheureuses ttes - D'un tel fatras d'ordure et de raisonnement, - Nous voici dsormais, reine des prophtes, - Plus clairs que l'eau du puits de l'ancien testament. - - Nous avons gouvern de si modestes arches, - Voile du seul vaisseau qui ne prira pas, - Nous avons consult de si pauvres compas, - Arche du seul salut, reine des patriarches. - - Nous avons consomm de si lointains voyages, - Nous n'avons plus de got pour les pays tranges. - Reine des confesseurs, des vierges et des anges, - Nous voici retourns dans nos premiers villages. - - On nous en a tant dit, reine des aptres, - Nous n'avons plus de got pour la proraison. - Nous n'avons plus d'autels que ceux qui sont les vtres, - Nous ne savons plus rien qu'une simple oraison. - - Nous avons essuy de si vastes naufrages, - Nous n'avons plus de got pour le transbordement, - Nous voici revenus, au dclin de nos ges, - toile du seul Nord dans votre btiment. - - Ce qui partout ailleurs est de dispersion - N'est ici que l'effet d'un beau rassemblement. - Ce qui partout ailleurs est un dmembrement - N'est ici que cortge et que procession. - - Ce qui partout ailleurs demande un examen - N'est ici que l'effet d'une pauvre jeunesse. - Ce qui partout ailleurs demande un lendemain - N'est ici que l'effet de soudaine faiblesse. - - Ce qui partout ailleurs demande un parchemin - N'est ici que l'effet d'une pauvre tendresse. - Ce qui partout ailleurs demande un tour de main - N'est ici que l'effet d'une humble maladresse. - - Ce qui partout ailleurs est un dtraquement - N'est ici que justesse et que dclinaison. - Ce qui partout ailleurs est un baraquement - N'est ici qu'une paisse et durable maison. - - Ce qui partout ailleurs est la guerre et la paix - N'est ici que dfaite et que reddition. - Ce qui partout ailleurs est de sdition - N'est ici qu'un beau peuple et des pis pais. - - Ce qui partout ailleurs est une immense arme - Avec ses trains de vivre et ses encombrements, - Et ses trains de bagage et ses retardements, - N'est ici que dcence et bonne renomme. - - Ce qui partout ailleurs est un effondrement - N'est ici qu'une lente et courbe inclinaison. - Ce qui partout ailleurs est de comparaison - Est ici sans pareil et sans redoublement. - - Ce qui partout ailleurs est un accablement - N'est ici que l'effet de pauvre obissance. - Ce qui partout ailleurs est un grand parlement - N'est ici que l'effet de la seule audience. - - Ce qui partout ailleurs est un encadrement - N'est ici qu'un candide et calme reposoir. - Ce qui partout ailleurs est un ajournement - N'est ici que l'oubli du matin et du soir. - - Les matins sont partis vers les temps rvolus, - Et les soirs partiront vers le soir ternel, - Et les jours entreront dans un jour solennel, - Et les fils deviendront des hommes rsolus. - - Les ges rentreront dans un ge absolu, - Les fils retourneront vers le seuil paternel - Et raviront de force et l'amour fraternel - Et l'antique hritage et le bien dvolu. - - Voici le lieu du monde o tout devient enfant, - Et surtout ce vieil homme avec sa barbe grise, - Et ses cheveux mls au souffle de la brise, - Et son regard modeste et jadis triomphant. - - Voici le lieu du monde o tout devient novice, - Et cette vieille tte et ses lanternements, - Et ces deux bras raidis dans les gouvernements, - Le seul coin de la terre o tout devient complice, - - Et mme ce grand sot qui faisait le malin, - (C'est votre serviteur, premire servante), - Et qui tournait en rond dans une orbe savante, - Et qui portait de l'eau dans le bief du moulin. - - Ce qui partout ailleurs est un arrachement - N'est ici que la fleur de la jeune saison. - Ce qui partout ailleurs est un retranchement - N'est ici qu'un soleil au ras de l'horizon. - - Ce qui partout ailleurs est un dur labourage - N'est ici que rcolte et dessaisissement. - Ce qui partout ailleurs est le dclin d'un ge - N'est ici qu'un candide et cher vieillissement. - - Ce qui partout ailleurs est une rsistance - N'est ici que de suite et d'accompagnement; - Ce qui partout ailleurs est un prosternement - N'est ici qu'une douce et longue obissance. - - Ce qui partout ailleurs est rgle de contrainte - N'est ici que dclenche et qu'abandonnement; - Ce qui partout ailleurs est une dure astreinte - N'est ici que faiblesse et que soulvement. - - Ce qui partout ailleurs est rgle de conduite - N'est ici que bonheur et que renforcement; - Ce qui partout ailleurs est pargne produite - N'est ici qu'un honneur et qu'un grave serment. - - Ce qui partout ailleurs est une courbature - N'est ici que la fleur de la jeune oraison; - Ce qui partout ailleurs est la lourde armature - N'est ici que la laine et la blanche toison. - - Ce qui partout ailleurs serait un tour de force - N'est ici que simplesse et que dlassement; - Ce qui partout ailleurs est la rugueuse corce - N'est ici que la sve et les pleurs du sarment. - - Ce qui partout ailleurs est une longue usure - N'est ici que renfort et que recroissement; - Ce qui partout ailleurs est bouleversement - N'est ici que le jour de la bonne aventure. - - Ce qui partout ailleurs se tient sur la rserve - N'est ici qu'abondance et que dpassement; - Ce qui partout ailleurs se gagne et se conserve - N'est ici que dpense et que dsistement. - - Ce qui partout ailleurs se tient sur la dfense - N'est ici que liesse et dmantlement; - Et l'oubli de l'injure et l'oubli de l'offense - N'est ici que paresse et que bannissement. - - Ce qui partout ailleurs est une liaison - N'est ici qu'un fidle et noble attachement; - Ce qui partout ailleurs est un encerclement - N'est ici qu'un passant dedans votre maison. - - Ce qui partout ailleurs est une obdience - N'est ici qu'une gerbe au temps de fauchaison; - Ce qui partout ailleurs se fait par surveillance - N'est ici qu'un beau coin au temps de fenaison. - - Ce qui partout ailleurs est une forcerie - N'est ici que la plante mme le jardin; - Ce qui partout ailleurs est une gagerie - N'est ici que le seuil mme le gradin. - - Ce qui partout ailleurs est une rtorsion - N'est ici que dtente et que dsarmement; - Ce qui partout ailleurs est une contraction - N'est ici qu'un muet et calme engagement; - - Ce qui partout ailleurs est un bien prissable - N'est ici qu'un tranquille et bref dgagement; - Ce qui partout ailleurs est un rengorgement - N'est ici qu'une rose et des pas sur le sable. - - Ce qui partout ailleurs est un efforcement - N'est ici que la fleur de la jeune raison; - Ce qui partout ailleurs est un redressement - N'est ici que la pente et le pli du gazon. - - Ce qui partout ailleurs est une corcherie - N'est ici qu'un modeste et beau dvtement; - Ce qui partout ailleurs est une affouillerie - N'est ici qu'un durable et sr dpouillement. - - Ce qui partout ailleurs est un raidissement - N'est ici qu'une souple et candide fontaine; - Ce qui partout ailleurs est une illustre peine - N'est ici qu'un profond et pur jaillissement. - - Ce qui partout ailleurs se querelle et se prend - N'est ici qu'un beau fleuve aux confins de sa source, - reine et c'est ici que tout me se rend - Comme un jeune guerrier retomb dans sa course. - - Ce qui partout ailleurs est la route gravie, - reine qui rgnez dans votre illustre cour, - toile du matin, reine du dernier jour, - Ce qui partout ailleurs est la table servie, - - Ce qui partout ailleurs est la route suivie - N'est ici qu'un paisible et fort dtachement, - Et dans un calme temple et loin d'un plat tourment - L'attente d'une mort plus vivante que vie. - - -2.--prire de demande - - Nous ne demandons pas que le grain sous la meule - Soit jamais replac dans le coeur de l'pi, - Nous ne demandons pas que l'me errante et seule - Soit jamais repose en un jardin fleuri. - - Nous ne demandons pas que la grappe crase - Soit jamais replace au fronton de la treille, - Et que le lourd frelon et que la jeune abeille - Y reviennent jamais se gorger de rose. - - Nous ne demandons pas que la rose vermeille - Soit jamais replace aux cerceaux du rosier, - Et que le paneton et la lourde corbeille - Retourne vers le fleuve et redevienne osier. - - Nous ne demandons pas que cette page crite - Soit jamais efface au livre de mmoire, - Et que le lourd soupon et que la jeune histoire - Vienne remmorer cette peine prescrite. - - Nous ne demandons pas que la tige ploye - Soit jamais redresse au livre de nature, - Et que le lourd bourgeon et la jeune nervure - Perce jamais l'corce et soit redploye. - - Nous ne demandons pas que le rameau broy - Reverdisse jamais au livre de la grce, - Et que le lourd surgeon et que la jeune race - Rejaillisse jamais de l'arbre foudroy. - - Nous ne demandons pas que la branche effeuille - Se tourne jamais plus vers un jeune printemps, - Et que la lourde sve et que le jeune temps - Sauve une cime au moins dans la fort noye. - - Nous ne demandons pas que le pli de la nappe - Soit effac devant que revienne le matre, - Et que votre servante et qu'un malheureux tre - Soient librs jamais de cette lourde chape. - - Nous ne demandons pas que cette auguste table - Soit jamais resservie, moins que pour un Dieu, - Mais nous n'esprons pas que le grand conntable - Chauffe deux fois ses mains vers un si maigre feu. - - Nous ne demandons pas qu'une me fourvoye - Soit jamais replace au chemin du bonheur. - O reine il nous suffit d'avoir gard l'honneur - Et nous ne voulons pas qu'une aide apitoye - - Nous remette jamais au chemin de plaisance, - Et nous ne voulons pas qu'une amour soudoye - Nous remette jamais au chemin d'allgeance, - seul gouvernement d'une me guerroye, - - Rgente de la mer et de l'illustre port - Nous ne demandons rien dans ces amendements - Reine que de garder sous vos commandements - Une fidlit plus forte que la mort. - - -3.--prire de confidence - - Nous ne demandons pas que cette belle nappe - Soit jamais replie aux rayons de l'armoire, - Nous ne demandons pas qu'un pli de la mmoire - Soit jamais effac de cette lourde chape. - - Matresse de la voie et du raccordement, - miroir de justice et de justesse d'me, - Vous seule vous savez, grande notre Dame, - Ce que c'est que la halte et le recueillement. - - Matresse de la race et du recroisement, - temple de sagesse et de jurisprudence, - Vous seule connaissez, svre prudence, - Ce que c'est que le juge et le balancement. - - Quand il fallut s'asseoir la croix des deux routes - Et choisir le regret d'avecque le remords, - Quand il fallut s'asseoir au coin des doubles sorts - Et fixer le regard sur la clef des deux votes, - - Vous seule vous savez, matresse du secret, - Que l'un des deux chemins allait en contre-bas, - Vous connaissez celui que choisirent nos pas, - Comme on choisit un cdre et le bois d'un coffret. - - Et non point par vertu car nous n'en avons gure, - Et non point par devoir car nous ne l'aimons pas, - Mais comme un charpentier s'arme de son compas, - Par besoin de nous mettre au centre de misre, - - Et pour bien nous placer dans l'axe de dtresse, - Et par ce besoin sourd d'tre plus malheureux, - Et d'aller au plus dur et de souffrir plus creux, - Et de prendre le mal dans la pleine justesse. - - Par ce vieux tour de main, par cette mme adresse, - Qui ne servira plus courir le bonheur, - Puissions-nous, rgente, au moins tenir l'honneur, - Et lui garder lui seul notre pauvre tendresse. - - -4.--prire de report - - Nous avons gouvern de si vastes royaumes, - rgente des rois et des gouvernements, - Nous avons tant couch dans la paille et les chaumes, - Rgente des grands gueux et des soulvements. - - Nous n'avons plus de got pour les grands majordomes, - Rgente du pouvoir et des renversements, - Nous n'avons plus de got pour les chambardements, - Rgente des frontons, des palais et des dmes. - - Nous avons combattu de si ferventes guerres - Par devant le Seigneur et le Dieu des armes, - Nous avons parcouru de si mouvantes terres, - Nous nous sommes acquis si hautes renommes. - - Nous n'avons plus de got pour le mtier des armes, - Reine des grandes paix et des dsarmements, - Nous n'avons plus de got pour le mtier des larmes, - Reine des sept douleurs et des sept sacrements. - - Nous avons gouvern de si vastes provinces, - Rgente des prfets et des procurateurs, - Nous avons lantern tous tant d'augustes princes, - Reine des tableaux peints et des deux donateurs. - - Nous n'avons plus de got pour les dpartements, - Ni pour la prfecture et pour la capitale, - Nous n'avons plus de got pour les embarquements, - Nous ne respirons plus vers la terre natale. - - Nous avons encouru de si hautes fortunes, - clef du seul honneur qui ne prira point, - Nous avons dpouill de si basses rancunes, - Reine du tmoignage et du double tmoin. - - Nous n'avons plus de got pour les forfanteries, - Matresse de sagesse et de silence et d'ombre, - Nous n'avons plus de got pour les argenteries, - clef du seul trsor et d'un bonheur sans nombre. - - Nous en avons tant vu, dame de pauvret, - Nous n'avons plus de got pour de nouveaux regards, - Nous en avons tant fait, temple de puret, - Nous n'avons plus de got pour de nouveaux hasards. - - Nous avons tant pch, refuge du pcheur, - Nous n'avons plus de got pour les atermoiements, - Nous avons tant cherch, miracle de candeur, - Nous n'avons plus de got pour les enseignements. - - Nous avons tant appris dans les maisons d'cole, - Nous ne savons plus rien que vos commandements, - Nous avons tant failli par l'acte et la parole, - Nous ne savons plus rien que nos amendements. - - Nous sommes ces soldats qui grognaient par le monde, - Mais qui marchaient toujours et n'ont jamais pli, - Nous sommes cette glise et ce faisceau li, - Nous sommes cette race internelle et profonde. - - Nous ne demandons plus de ces biens prissables, - Nous ne demandons plus vos grces de bonheur, - Nous ne demandons plus que vos grces d'honneur, - Nous ne btirons plus nos maisons sur ces sables. - - Nous ne savons plus rien de ce qu'on nous a lu, - Nous ne savons plus rien de ce qu'on nous a dit. - Nous ne connaissons plus qu'un ternel dit, - Noua ne savons plus rien que votre ordre absolu. - - Nous en avons trop pris, nous sommes rsolus. - Nous ne voulons plus rien que par obissance, - Et rester sous les coups d'une auguste puissance, - Miroir des temps futurs et des temps rvolus. - - S'il est permis pourtant que celui qui n'a rien - Puisse un jour disposer, et lguer quelque chose. - S'il n'est pas dfendu, mystrieuse rose, - Que celui qui n'a pas reporte un jour son bien; - - S'il est permis au gueux de faire un testament, - Et de lguer l'asile et la paille et le chaume, - S'il est permis au roi de lguer le royaume, - Et si le grand dauphin prte un nouveau serment; - - S'il est admis pourtant que celui qui doit tout - Se fasse ouvrir un compte et porter un crdit, - Si le virement tourne et n'est pas interdit, - Nous ne demandons rien, nous irons jusqu'au bout, - - Si donc il est admis qu'un humble dbiteur - Puisse lever la voix pour ce qui n'est pas d, - S'il peut toucher un prix quand il n'a pas vendu, - Et faire balancer par solde crditeur; - - Nous qui n'avons connu que vos grces de guerre - Et vos grces de deuil et vos grces de peine, - (Et vos grces de joie et cette lourde plaine), - Et le cheminement des grces de misre; - - Et la procession des grces de dtresse, - Et les champs labours et les sentiers battus, - Et les coeurs lacrs et les reins courbatus, - Nous ne demandons rien, vigilante matresse. - - Nous qui n'avons connu que votre adversit, - (Mais qu'elle soit bnie, temple de sagesse), - veuillez reporter, merveille de largesse, - Vos grces de bonheur et de prosprit. - - Veuillez les reposer sur quatre jeunes ttes, - Vos grces de douceur et de consentement, - Et tresser pour ces fronts, reine du pur froment, - Quelques pis cueillis dans la moisson des ftes. - - - - -TABLE DES MATIRES - - LE MYSTRE DES SAINTS INNOCENTS PAGE 13 - LA TAPISSERIE DE SAINTE GENEVIVE ET DE JEANNE D'ARC PAGE 247 - LA TAPISSERIE DE NOTRE DAME PAGE 343 - - - - -ACHEV D'IMPRIMER LE TRENTE SEPTEMBRE MIL NEUF CENT DIX-NEUF, PAR -L'IMPRIMERIE PROTAT FRRES, MACON. - - - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Oeuvres compltes de Charles Pguy, -Oeuvres de posie (tome 6), by Charles Pguy - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES COMPLETES DE CHARLES PGUY *** - -***** This file should be named 57506-8.txt or 57506-8.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/7/5/0/57506/ - -Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed -Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was -produced from scanned images of public domain material -from the Google Books project.) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions -will be renamed. - -Creating the works from public domain print editions means that no -one owns a United States copyright in these works, so the Foundation -(and you!) can copy and distribute it in the United States without -permission and without paying copyright royalties. Special rules, -set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to -copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to -protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project -Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you -charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you -do not charge anything for copies of this eBook, complying with the -rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose -such as creation of derivative works, reports, performances and -research. They may be modified and printed and given away--you may do -practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is -subject to the trademark license, especially commercial -redistribution. - - - -*** START: FULL LICENSE *** - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project -Gutenberg-tm License (available with this file or online at -http://gutenberg.org/license). - - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm -electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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Information about the Project Gutenberg Literary Archive -Foundation - -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at -http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent -permitted by U.S. federal laws and your state's laws. - -The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. -Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered -throughout numerous locations. Its business office is located at -809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email -business@pglaf.org. 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Thus, we do not necessarily -keep eBooks in compliance with any particular paper edition. - - -Most people start at our Web site which has the main PG search facility: - - http://www.gutenberg.org - -This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/57506-h/57506-h.htm b/57506-h/57506-h.htm index 751b4c9..cd98f44 100644 --- a/57506-h/57506-h.htm +++ b/57506-h/57506-h.htm @@ -53,45 +53,7 @@ td.leftpad { padding-left: 2em; } <body> -<pre> - -The Project Gutenberg EBook of Oeuvres compltes de Charles Pguy, Oeuvres -de posie (tome 6), by Charles Pguy - -This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with -almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or -re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included -with this eBook or online at www.gutenberg.org/license - - -Title: Oeuvres compltes de Charles Pguy, Oeuvres de posie (tome 6) - Le Mystre des Saints Innocents; La tapisserie de sainte - Genevive et de Jeanne d'Arc; La tapisserie de Notre-Dame. - -Author: Charles Pguy - -Release Date: July 14, 2018 [EBook #57506] - -Language: French - -Character set encoding: ISO-8859-1 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES COMPLETES DE CHARLES PGUY *** - - - - -Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed -Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was -produced from scanned images of public domain material -from the Google Books project.) - - - - - - -</pre> +<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57506 ***</div> <h1>ŒUVRES COMPLTES<br/> <span class="small">DE</span><br/> @@ -10427,381 +10389,7 @@ PROTAT FRRES, MACON.</div> -<pre> - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Oeuvres compltes de Charles Pguy, -Oeuvres de posie (tome 6), by Charles Pguy - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES COMPLETES DE CHARLES PGUY *** - -***** This file should be named 57506-h.htm or 57506-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/7/5/0/57506/ - -Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed -Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was -produced from scanned images of public domain material -from the Google Books project.) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions -will be renamed. - -Creating the works from public domain print editions means that no -one owns a United States copyright in these works, so the Foundation -(and you!) can copy and distribute it in the United States without -permission and without paying copyright royalties. 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Redistribution is -subject to the trademark license, especially commercial -redistribution. - - - -*** START: FULL LICENSE *** - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project -Gutenberg-tm License (available with this file or online at -http://gutenberg.org/license). - - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm -electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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Information about the Project Gutenberg Literary Archive -Foundation - -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at -http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent -permitted by U.S. federal laws and your state's laws. - -The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. -Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered -throughout numerous locations. Its business office is located at -809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email -business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact -information can be found at the Foundation's web site and official -page at http://pglaf.org - -For additional contact information: - Dr. Gregory B. Newby - Chief Executive and Director - gbnewby@pglaf.org - - -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide -spread public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. - -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. 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