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-The Project Gutenberg EBook of Collection complète des oeuvres de l'Abbé
-de Mably, Volume 3 (of 15), by Abbé de Mably
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
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-
-Title: Collection complète des oeuvres de l'Abbé de Mably, Volume 3 (of 15)
-
-Author: Abbé de Mably
-
-Release Date: November 30, 2016 [EBook #53640]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES DE L'ABBE DE MABLY, VOL 3 ***
-
-
-
-
-Produced by Chuck Greif, Hans Pieterse and the Online
-Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
-file was produced from images generously made available
-by The Internet Archive)
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- Au lecteur.
-
- Ce livre électronique reproduit intégralement le texte original,
- et l’orthographe d’origine a été conservée. Seules les erreurs
- clairement introduites par le typographe ont été corrigées. La
- liste de ces corrections se trouve à la fin du texte.
-
- Cependant la ponctuation, les erreurs u/n et les erreurs æ/œ en
- latin ont été tacitement corrigées à certains endroits.
-
- Faisant suite aux tomes I et II, les _Remarques et Preuves_ ont
- été renumérotées de 235 à 358.
-
-
-
-
- COLLECTION
- _COMPLETE_
- DES ŒUVRES
- DE
- L’ABBÉ DE MABLY.
-
- TOME TROISIÈME.
-
-
-
-
- COLLECTION
-
- _COMPLETE_
-
- DES ŒUVRES
-
- DE
-
- L’ABBÉ DE MABLY.
-
-
- TOME TROISIÈME,
- Contenant les Observations sur l’histoire de France.
-
-
- A PARIS,
-
- De l’imprimerie de Ch. DESBRIERE, rue et place
- _Croix_, chaussée du _Montblanc_, ci-devant d’_Antin_.
-
- _L’an III de la République_,
- (1794 à 1795.)
-
-
-
-
- OBSERVATIONS
- SUR
- L’HISTOIRE DE FRANCE.
-
- SUITE DU LIVRE VIme.
-
- CHAPITRE IV.
-
- _De l’autorité que les grands acquirent pendant le règne de
- Charles VI.--Progrès de cette autorité sous Charles VII, Louis
- XI et Charles VIII._
-
-
-Tant que le gouvernement féodal avoit été en vigueur, et que le roi,
-borné à recevoir l’hommage et les secours que lui devoient ses vassaux
-immédiats, n’exerçoit aucune autorité dans leurs terres, l’honneur de
-gouverner ses affaires fut peu brigué. Il fut le maître en temps de
-minorité ou d’absence, de disposer à son gré de la régence du royaume,
-qui n’étoit en effet que la régence[235] de ses domaines. Tantôt elle
-est confiée à la mère du roi, à sa femme, ou à un prince de sa maison,
-quelquefois elle passe dans les mains de Beaudoin, comte de Flandre, du
-sire de Nesle, de Suger ou de Mathieu de Vendôme, abbé de Saint-Denis.
-Le royaume faisoit peu d’attention à ces événemens, parce que la
-régence ne procuroit qu’un avantage médiocre à ceux qui en étoient
-chargés; mais à mesure que l’autorité royale s’agrandit, il devint plus
-utile d’obtenir la confiance du roi et d’entrer dans l’administration
-de ses affaires. Cependant l’ambition des grands dédaigna encore
-d’aspirer à une place du conseil, soit parce qu’ils avoient eux-mêmes
-de grandes terres à gouverner, soit parce qu’ils craignoient le crédit
-des états, qui s’opposoient aux vexations des ministres; de-là, tous
-ces hommes obscurs qui gouvernoient sous le roi Jean, et dont les états
-de 1356 demandèrent la disgrace au Dauphin.
-
-Les intérêts des grands changèrent après que Charles V, ayant
-abaissé tout ce qui pouvoit lui résister, fut parvenu à gouverner
-arbitrairement, et à se rendre en quelque sorte, le maître de la
-fortune de ses sujets. Ses premiers officiers, qui avoient étendu leurs
-prérogatives, à mesure que le roi avoit étendu les siennes, trouvèrent
-un avantage immense, à se regarder comme les ministres de son autorité.
-Les frères de Charles V jugèrent qu’il étoit plus avantageux pour eux
-de manier la puissance royale, que de gouverner leurs terres dans
-l’état d’humiliation où les fiefs étoient réduits; et il auroit été
-de la dernière imprudence à ce prince de ne les pas placer à la tête
-du gouvernement pendant la minorité de son fils. Les ducs d’Anjou, de
-Bourgogne et de Berry n’auroient pas manqué de se soulever contre des
-arrangemens contraires à leur avarice et à leur ambition.
-
-On sait en effet quelle fut la fortune de ceux qui eurent part à
-l’administration: le duc d’Anjou transporta des richesses immenses en
-Italie. L’avare et prodigue duc de Berry fut un monarque absolu dans
-son gouvernement de Languedoc, qu’il appauvrit sans pouvoir s’enrichir.
-Le duc de Bourgogne avoit trouvé si doux d’administrer le royaume sous
-le nom du roi, que se voyant réduit à se retirer dans ses états, il
-s’y crut exilé. Tous les grands qui avoient participé à la fortune du
-prince, s’étoient fait une habitude de tenir dans leurs mains quelque
-branche de la souveraineté. Quand Charles VI les écarta de son conseil,
-pour donner sa confiance à des hommes dont il seroit le maître, ils
-songèrent moins à se venger, à soulever la nation, et à demander la
-tenue des états, qu’à cabaler sourdement pour se saisir une seconde
-fois d’un pouvoir qu’ils regardoient comme l’instrument de leur fortune.
-
-La démence de Charles VI prévint les désordres que leur ambition
-inquiète et lasse d’attendre, auroit vraisemblablement excités. Si ce
-prince eût été en état de persévérer dans le dessein de gouverner par
-lui-même, et par les conseils de quelques hommes peu importans, ne
-paroît-il pas certain que pour se venger et prévenir leur avilissement,
-les grands se seroient révoltés contre Charles, comme les barons
-d’Angleterre s’étoient autrefois soulevés contre Jean-sans-Terre?
-Peut-être auroient-ils substitué un gouvernement aristocratique à
-la monarchie, ou fait revivre l’indépendance des coutumes féodales;
-peut-être qu’éprouvant de trop grandes difficultés à s’emparer d’une
-partie des prérogatives du roi, ils auroient senti, à l’exemple
-des seigneurs Anglais, la nécessité de réveiller dans la nation
-les sentimens de liberté que le règne de Charles V avoit presque
-entièrement éteints; d’unir à leur cause tous les ordres du royaume,
-en protégeant leurs intérêts; et de forcer Charles VI à donner une
-ordonnance, qui, étant également avantageuse à tous les citoyens, leur
-auroit enfin donné à tous le même esprit. Quoiqu’il en soit, la démence
-de Charles, qui devoit naturellement affoiblir l’autorité royale, ne
-servit au contraire qu’à l’affermir plus solidement.
-
-Dès que les grands virent que la maladie du roi le rendoit incapable
-de gouverner, ou plutôt de protéger ses ministres, ils se hâtèrent de
-reparoître à la cour et de les chasser. Le duc de Bourgogne, le duc de
-Berry, la reine, le duc d’Orléans, les grands officiers de la couronne,
-en un mot, toutes les personnes puissantes par elles-mêmes ou par leurs
-emplois, ne mirent aucun terme à leur ambition, ni à leurs espérances,
-et tâchèrent de se rendre les arbitres du gouvernement. Toutes ces
-cabales, occupées à se nuire les unes aux autres, et prêtes à sacrifier
-l’état à leurs intérêts, n’agissoient en apparence qu’au nom et pour
-l’avantage du roi; elles sembloient se réunir, et travailloient de
-concert à étendre, multiplier, ou du moins conserver les prérogatives
-de la couronne. Celle qui étoit parvenue à dominer, défendoit
-l’autorité comme son propre bien; les autres, ne désespérant pas de
-se revoir encore à la tête des affaires, se gardoient bien de vouloir
-porter quelque atteinte à un pouvoir dont elles se flattoient d’abuser
-à leur tour.
-
-Il se forma ainsi un nouvel intérêt chez les grands, et leur puissance,
-autrefois si redoutable à celle du roi, en devint l’appui. Si à la
-faveur des troubles du conseil et de la démence du roi, la nation
-avoit, par hasard, tenté de rétablir ses immunités, au lieu de
-se livrer à l’esprit de parti et de faction; si elle avoit voulu
-faire revivre ces chartes qui la rendoient l’arbitre des subsides
-qu’elle accordoit; enfin, si elle avoit demandé la convocation des
-états-généraux, les grands du royaume s’y seroient opposés. Ils
-n’auroient pas souffert que l’autorité royale, dont ils s’étoient
-faits les instrumens, ou plutôt les dépositaires, fût encore soumise à
-l’examen et aux caprices des différens ordres de l’état.
-
-Le caractère foible, facile et modéré de Charles VII, ne trompa point
-les espérances que les grands s’étoient formées. Il avoit passé par
-des épreuves trop terribles, pour n’être pas content de sa fortune,
-en jouissant en paix de son royaume. Il auroit souffert patiemment
-qu’on l’eût privé de quelqu’une de ses prérogatives; et trouvant, au
-contraire, les grands plus jaloux que lui-même de son autorité, il leur
-en abandonna l’exercice, et pour le récompenser de sa complaisance, ils
-ne travaillèrent qu’à le rendre plus puissant.
-
-Ils établirent une milice toujours subsistante, connue sous les noms de
-gendarmerie et de francs archers; et une taille perpétuelle destinée
-à son entretien et levée[236] par les ordres seuls du gouvernement,
-sans qu’il fût besoin du concours, ni du consentement des états. Ces
-deux nouveautés, avantageuses à la noblesse, en lui donnant toujours de
-l’emploi, indifférentes au clergé, depuis qu’il avoit des assemblées
-particulières qui traitoient avec le roi, et agréables même au peuple,
-qui crut qu’on ne leveroit sur lui que des sommes médiocres, et qu’on
-lui accorderoit une protection puissante, mirent entre les mains du
-prince, deux choses, les finances et les troupes, dont une seule auroit
-suffi pour prévenir toute résistance à ses volontés. C’est, si je puis
-parler ainsi, à la faveur de ces deux autres, que l’autorité royale
-ne craindra plus les tempêtes qu’elle avoit essuyées, ou du moins
-devoit les conjurer, sans avoir besoin de beaucoup d’art. Les peuples
-libres ont partagé la puissance entre différens magistrats, pour qu’ils
-fussent forcés de se respecter réciproquement, et ne pussent opprimer
-la nation: ce balancement d’intérêts se trouvoit actuellement en France
-entre les différens ordres de l’état; et le prince sera toujours
-soutenu des forces de l’un contre les plaintes de l’autre. On ne verra
-plus, comme sous les règnes précédens, des combats entre la puissance
-du roi et les immunités de la nation; s’il s’élève encore des troubles
-domestiques, l’autorité royale sera respectée par ceux mêmes qui se
-souleveront; on ne combattra pas pour lui prescrire des bornes, mais
-pour décider à quelle cabale d’intrigans ambitieux l’exercice en sera
-confié.
-
-Dès que cette taille perpétuelle, dont Comines prévoyoit les suites
-pernicieuses, eut été établie, le prince ne sentit plus la nécessité de
-convoquer les états, parce qu’en augmentant les tailles, il pouvoit se
-passer de tout autre subside; et qu’un premier abus servant toujours
-de titre pour en établir un second, il seroit aisé de supposer de
-nouveaux besoins, et d’établir de nouvelles impositions, sous prétexte
-de servir de supplément à la taille et de soulager les campagnes.
-Dès lors l’idée des anciens états devoit en quelque sorte se perdre;
-car les hommes, naturellement timides, nonchalans et paresseux,
-ont besoin, pour ne pas perdre la liberté qu’ils aiment, qu’on les
-avertisse continuellement de son prix, et qu’on leur donne des moyens
-faciles de la conserver. Les états n’étant plus regardés comme un
-ressort ordinaire et nécessaire du gouvernement, il étoit impossible
-qu’on en tirât quelque avantage. Si on convoquoit encore de ces
-grandes assemblées, elles devoient ignorer elles-mêmes leur origine,
-leur destination, leur objet, et ne pouvoient servir au progrès des
-lumières; il étoit aisé de les rendre dociles, en choisissant pour leur
-convocation, le temps et les lieux les plus favorables aux vues du
-prince ou des ministres qui étoient les dépositaires de son pouvoir.
-
-Les grands s’étoient déjà tellement accoutumés à gouverner sous le
-nom du roi, qu’ils ne purent souffrir que Louis XI prétendît ne pas
-leur abandonner l’exercice de son autorité. Ils se virent dépouiller
-par une main qu’ils avoient rendue trop puissante; et à force d’avoir
-accoutumé, par leurs exemples et leurs établissemens, la nation à
-obéir, leur ambition n’en devoit attendre aucun secours. Cette disgrace
-n’étoit que passagère; les rois tels que Louis XI sont rares, et il ne
-falloit attendre qu’un règne foible, pour que les mécontens reprissent
-sans efforts, le crédit qu’ils avoient perdu. Mais leur impatience
-ne leur permit pas de prendre ce parti; ils se révoltèrent, et leur
-révolte, connue sous le nom de la guerre du bien public, ne réveilla
-dans la nation, aucun sentiment pour ses anciennes franchises. Ce que
-l’émeute des Maillotins avoit fait au commencement du règne de Charles
-VI, la révolte des plus grands seigneurs fut incapable de le produire
-sous celui de Louis XI; preuve certaine des changemens qui étoient
-arrivés dans les mœurs des Français, et qu’ils ne se défioient pas
-moins de l’autorité des grands que de celle du prince.
-
-Peu de rois ont été aussi jaloux que Louis XI de gouverner par
-eux-mêmes; et aucun n’a été si propre à éviter le joug que les
-grands vouloient lui imposer, et exercer en même temps un pouvoir
-arbitraire sur le reste de ses sujets. Louis étoit né avec des passions
-impérieuses; mais le souvenir des malheurs récens de sa maison, et,
-ainsi que l’a remarqué Comines, les disgraces qu’il avoit éprouvées
-dans sa jeunesse, lorsqu’il eut abandonné la cour de son père, pour
-se retirer en Dauphiné, et ensuite chez le duc de Bourgogne, lui
-apprirent à rompre son caractère. Il fut forcé de s’étudier à plaire
-aux personnes dont il avoit besoin; il se façonna à l’art de cacher
-quelques-uns de ses vices, et de montrer même quelquefois des vertus
-qui lui étoient étrangères. Il apprit sur-tout à se défier de la
-fortune et à espérer difficilement, science si utile aux rois, et qui
-leur est presque toujours inconnue. De-là cette profonde dissimulation
-qui se cachoit sous les dehors de la franchise, et les ressorts
-multipliés de sa politique qui l’ont fait soupçonner d’une timidité,
-qui n’étoit en effet qu’une prudence outrée et attentive à se servir à
-la fois de tous les moyens plus ou moins propres à faire réussir ses
-entreprises.
-
-En gouvernant la nation de l’univers la plus inconsidérée et la plus
-aisée à tromper, parce qu’elle est la moins attentive à consulter le
-passé et la plus prompte à bien espérer de l’avenir, Louis employa la
-politique la plus raffinée et la plus tortueuse. Négociant toujours
-par goût, et ne recourant à la force que quand il désespéroit de
-réussir par la ruse et la séduction, il répandoit de tous côtés les
-bienfaits, les menaces, les promesses, les craintes, les soupçons et
-les espérances. Tout étoit divisé autour de lui, et à la faveur de
-cette division, il écarta les grands qui vouloient s’emparer de son
-autorité, et cependant gouverna sans danger le peuple avec un sceptre
-de fer. Les communautés qui n’avoient été imposées par son père[237]
-qu’à quarante ou cinquante livres de taille, lui en payèrent mille.
-Il se fit un droit du silence auquel ses sujets s’étoient condamnés
-depuis l’expédition de Charles VI contre les Parisiens; et parce qu’ils
-s’étoient accoutumés à une taille arbitraire, il les soumit à d’autres
-impôts.
-
-Louis abusoit ainsi contre le peuple, de la puissance sans borne
-que les grands avoient donnée à son père et à son aïeul, et, pour
-les humilier à leur tour, se servoit de la docilité à laquelle ils
-avoient accoutumé le corps entier de la nation. Il ne craignit point
-de convoquer deux fois[238] les états-généraux à Tours. J’ignore par
-quels artifices il se rendit le maître des élections, ou corrompit
-les députés des provinces; mais il étoit sûr que ces deux assemblées
-obéiroient aveuglément à ses volontés. La première l’autorisa en effet,
-à ne pas donner à son frère l’apanage dont il étoit convenu, par le
-traité du bien public. Les trois ordres promirent de sacrifier leur
-fortune et leur vie à la défense de Louis, s’il étoit obligé de prendre
-les armes pour maintenir cette délibération; et le prince, menaçant
-les grands des forces entières de l’état, viola ses engagemens, sans
-qu’ils osassent s’en venger. Les seconds états ne montrèrent ni moins
-de docilité ni moins de zèle que les premiers; et Louis en retira les
-mêmes avantages. Ne diroit-on pas qu’une fatalité aveugle gouverne
-les choses humaines? ou plutôt, quel peuple se croira à l’abri des
-révolutions les plus subites et les plus extraordinaires, puisque ces
-états si redoutés par Philippe-de-Valois, le roi Jean et Charles V son
-fils, deviennent les instrumens du pouvoir arbitraire entre les mains
-de Louis XI? Autrefois c’étoit le roi qui cherchoit à se débarrasser
-de la contrainte où le tenoient les états, et aujourd’hui c’est la
-nation elle-même qui est fatiguée de ses assemblées. Elle craint qu’on
-ne la convoque trop souvent; elle a repris le génie de ses pères à qui
-Charlemagne crut qu’il étoit nécessaire d’ordonner de se rendre avec
-exactitude au champ de Mai. Sa liberté lui paroît à charge, et par la
-voie de ses représentans, elle se confie à la prudence de Louis XI, et
-l’autorise à prendre à son gré les mesures, et à ordonner toutes les
-choses que le bon ordre et la sûreté publique exigeront.
-
-Louis étoit parvenu à régner despotiquement; mais après avoir eu
-les mêmes succès que Charles V, il eut enfin les mêmes inquiétudes.
-Il avoit eu besoin d’une vigilance trop soutenue et d’un art trop
-subtil, pour que la puissance dont il avoit joui, pût passer dans les
-mains de son successeur, et devenir la forme naturelle et constante
-de l’administration: nul gouvernement ne peut se soutenir avec des
-ressorts si déliés, et qui demandent un Louis XI pour les manier. Il
-sentit que les grands étoient plutôt étonnés que soumis, et qu’ils ne
-consentiroient à avoir la docilité du peuple, que quand une longue
-suite de révolutions auroit rapproché et en quelque sorte, confondu
-tous les ordres de l’état. Il comprit qu’en rendant Charles VII
-tout-puissant, les grands n’avoient en effet, songé qu’à leur propre
-fortune; et que dès qu’ils désespéreroient de recouvrer et de conserver
-le pouvoir qu’ils avoient acquis, ils troubleroient le royaume par
-leurs révoltes, et tenteroient de lui rendre son ancien goût pour
-l’indépendance. Ne pouvant gouverner au nom du roi, il leur importoit
-en effet, d’être les premiers citoyens d’une nation libre.
-
-Le prince ne prévit que des troubles qui entraîneroient
-vraisemblablement la ruine entière de la prérogative royale, si son
-fils, aussi suspect que lui aux seigneurs, adoptoit les principes de
-sa politique ambitieuse, tentoit de les éloigner du maniement des
-affaires, sans avoir l’adresse de les tromper et de les intimider
-continuellement. Il lui conseilla de gouverner avec une extrême
-retenue; et, par l’ordonnance qu’il fit quelques jours avant sa mort,
-pour établir une forme dans l’administration, il régla que Charles VIII
-ne feroit rien sans le conseil[239] et la participation des princes
-de son sang et des grands officiers de la couronne. La puissance des
-grands, jusqu’alors sans titres et formée au hasard comme tout le
-reste, par le concours de quelques circonstances extraordinaires, fut
-enfin établie sur la loi. Ce qui n’avoit été qu’une prétention, devint
-un droit, et la monarchie absolue sous Louis XI, fut tempérée sous son
-fils, par une espèce d’aristocratie, gouvernement bizarre, difficile
-à définir, qui ne promettoit pas un sort plus heureux à la nation, et
-qui, en effet, excita des troubles dans le commencement du règne de
-Charles VIII.
-
-Si on veut se faire une juste idée de la révolution que les faits
-que je viens d’indiquer avoient faite dans l’esprit des Français, il
-suffira de jeter les yeux sur les cahiers que les états, assemblés à
-Tours en 1484, présentèrent à Charles VIII. On y voyoit la peinture la
-plus touchante des malheurs du royaume. Le peuple, disent les trois
-ordres, opprimé à la fois par les gens de guerre, qu’il paye cependant
-pour en être protégé, et par les officiers chargés de percevoir les
-revenus du roi, est chassé de ses maisons dévastées, et erre sans
-subsistance dans les forêts. La plupart des laboureurs, à qui on a
-saisi jusqu’à leurs chevaux, attèlent leurs femmes et leurs enfans à la
-charrue; et n’osant même labourer que la nuit, dans la crainte d’être
-arrêtés et jetés dans des cachots, se cachent pendant le jour, tandis
-que d’autres, réduits au désespoir, fuient chez les étrangers, après
-avoir égorgé leur famille qu’ils n’étoient plus en état de nourrir.
-
-Le commerce étoit presqu’entièrement anéanti, et par l’abandon des
-campagnes et par les charges accablantes auxquelles on l’avoit
-assujéti. Qu’importoit à la noblesse et au clergé de posséder toutes
-les terres, si le travail des laboureurs ne les fécondoit pas, ou que
-faute de consommation, les denrées superflues à leurs maîtres périssent
-entre leurs mains? La noblesse du second ordre étoit privée des
-distinctions que sa vanité lui rend les plus précieuses. Elle regardoit
-le commerce comme indigne d’elle[240], la voie de la finance pour
-faire fortune, lui étoit fermée; et privée des emplois par un prince
-soupçonneux, qui n’aimoit à donner sa confiance qu’à des étrangers,
-elle étoit réduite à demander qu’on la préférât à des inconnus, pour
-les gouvernemens des places, pour les emplois militaires, et le service
-domestique auprès de la personne du prince. Les tribunaux étoient
-privés de leurs fonctions. Le cours ordinaire de la justice étoit
-interrompu par des ordres particuliers. Aux formes nécessaires pour
-protéger les innocens et guider les magistrats dans la recherche de
-la vérité, on substituoit, sous prétexte de prévenir le mal, ou de
-punir plus sûrement les coupables, une procédure arbitraire, aussi
-favorable aux entreprises du gouvernement, que contraire à la sûreté
-des citoyens. Louis XI, au milieu de ces juges iniques, dont il
-dictoit à sa fantaisie les jugemens, me paroît semblable à ce vieux
-de la Montagne, ce roi des assassins, qui, sans sortir de sa cour,
-effrayoit tous les princes du monde. On ne voyoit de tous côtés que des
-confiscations de biens et des banissemens ordonnés et exécutés par de
-simples lettres du prince.
-
-Je ne puis m’empêcher de copier ici un morceau de Comines, relatif à
-ces états. «En ce royaume, dit-il, tant foible et tant oppressé en
-mainte sorte, après la mort de notre roi (Louis XI) y eut-il division
-du peuple contre celui qui règne? Les princes et les sujets se
-mirent-ils en armes contre leur jeune roi? Et en voulurent-ils faire
-un autre? Lui voulurent-ils ôter son autorité? Et le voulurent-ils
-brider qu’il ne pust user d’office et d’autorité de roi? Certes
-non... Toutes fois ils firent l’opposite de tout ce que je demande:
-car tous vindrent devers lui et lui firent serment et hommage: et
-firent les princes et seigneurs leur foi, humblement les genoux en
-terre en baillant par requeste ce qu’ils demandoient; et dressèrent
-conseil où ils se firent compagnons de douze qui y furent nommés: et
-dès-lors le roi commandoit qui n’avoit que treize ans, à la relation
-de ce dit conseil. En ladite assemblée des états dessus dits, furent
-faites aucunes requestes et remontrances en la présence du roi et de
-son conseil, remettant toujours tout au bon plaisir du roi et de son
-dit conseil: lui octroyèrent ce qu’on leur vouloit demander, et qu’on
-leur montra par écrit estre nécessaire pour le fait du roi, sans rien
-dire à l’encontre: et étoit la somme demandée de deux millions cinq
-cent mille francs, qui estoit assez au cœur, sont et plus trop que peu,
-sans autres affaires; et supplièrent lesdits qu’au bout de deux ans
-ils fussent rassemblés; et que si le roi n’avoit pas assez d’argent,
-qu’ils lui en bailleroient à son plaisir: et que s’il avoit guerres,
-ou quelqu’un qui le vousist offenser, ils y mettroient leurs personnes
-et leurs biens, sans rien lui refuser[241] de ce qui lui seroit besoin.»
-
-Sans doute que des états qui, en faisant les plaintes que j’ai
-rapportées, accordent sans murmurer tout ce qu’on leur demande, et
-ne songent plus même comme autrefois à opposer des loix à des abus,
-avoient perdu sans retour toute idée de leurs priviléges et de leur
-constitution. Je le dirai en passant, si les princes s’applaudissent,
-quand ils ont jeté leur nation dans un pareil engourdissement, ils
-entendent bien mal leurs intérêts; et bientôt eux-mêmes, engourdis sur
-le trône, ils seront accablés du poids de l’autorité dont ils abusent.
-Les rois n’exigent-ils qu’un attachement stupide? Malheur à ceux dont
-les sujets ne savent ni se plaindre ni murmurer contre les abus, ni
-prévoir l’avenir, ni proposer des remèdes aux maux présens! C’est le
-signe le plus certain qu’ils ne sont plus citoyens, et que les malheurs
-du prince et de la patrie leur sont indifférens. Que les rois ouvrent
-alors les yeux, qu’ils tremblent en voyant que leur fortune est prête
-à s’écrouler, puisqu’ils ne sont plus qu’à la tête d’une nation en
-décadence! Qu’ils raniment, s’il se peut, un peuple expirant, s’ils ne
-veulent pas voir les vices les plus bas se multiplier et s’accroître
-avec une extrême célérité! Qu’on suive le fil de notre histoire, en
-examinant les ressorts qui ont été l’ame de tous nos mouvemens, et on
-trouvera dans les règnes dont je parle, les principes des malheurs qui
-ont failli à priver la maison de Hugues-Capet de son héritage, sous les
-successeurs de Henri II.
-
-Il étoit impossible que les états de 1484 montrassent de la prudence
-et de la fermeté dans leur conduite; et c’est moins aux progrès que
-l’autorité royale avoit faits qu’on doit s’en prendre, qu’au crédit que
-les grands avoient acquis sous les règnes de Charles VI et de son fils,
-en prenant part à l’administration de l’état. Le roi devoit trouver
-son intérêt particulier à faire le bien public; et sans s’épuiser, le
-royaume pouvoit suffire à ses besoins et à ceux de quelques ministres
-obscurs; mais quand il fallut satisfaire l’avidité des grands, la
-nation n’eut pas assez de richesses, et elle fut plus malheureuse
-lorsqu’ils l’opprimèrent sous le nom du roi, que quand elle avoit été
-soumise à la tyrannie féodale: ils se révoltèrent contre Louis XI, et
-ils favorisèrent Charles VIII, parce qu’ils espéroient d’être encore
-les dépositaires de son autorité; après avoir excité dans la guerre
-du bien public la nation à se soulever, ils donnèrent l’exemple de la
-soumission, et voulurent que rien ne pût s’opposer aux volontés du
-gouvernement. On voit dans Comines combien les personnes puissantes
-craignoient l’assemblée des états[242], et que leurs partisans
-publioient que c’est un crime de lèze-majesté d’oser en demander la
-convocation, ou dire que le roi n’est pas le maître d’établir et de
-lever à son gré des impôts.
-
-En effet, les princes et les plus grands seigneurs s’étoient autrefois
-honorés d’entrer dans la chambre de la noblesse, et le roi ne se
-rendoit à l’assemblée des états qu’accompagné des ministres qui
-composoient son conseil et de quelques officiers de sa maison. Charles
-VIII, au contraire, y traîna à sa suite les princes, les grands
-officiers de la couronne et une foule de courtisans, qui vouloient tous
-avoir un maître riche et puissant pour s’enrichir de ses dépouilles et
-abuser de son autorité. La noblesse, abandonnée de ceux qui auroient
-dû être à sa tête, et obscurcie par le cortège pompeux qui entouroit
-le prince, ne parut plus à ses propres yeux la portion la plus
-importante et la plus éminente du royaume; elle perdit de sa dignité,
-et les esprits commencèrent à faire une sorte de distinction entre les
-familles attachées à la cour et celles qui n’en approchoient pas.
-
-Jamais l’exemple des grands n’a été aussi contagieux ailleurs qu’en
-France; on diroit qu’ils ont le malheureux privilége de tout justifier;
-et nos pères ont depuis long-temps les défauts et les ridicules qu’on
-nous reproche aujourd’hui. Comines en est un sûr garant, et il se
-plaignoit[243] déjà que le plus petit gentilhomme eût la manie de
-copier les manières et les discours des plus grands seigneurs. Les
-principaux députés de la noblesse, voyant l’esprit qui animoit les
-personnes dont ils envioient la fortune, crurent sans doute qu’il
-étoit de leur dignité de penser comme eux; qu’on me permette cette
-expression; pour prendre le bon air, ils trahirent le roi à qui ils
-devoient la vérité, et sacrifièrent à l’avarice des grands, leurs
-provinces dont ils devoient défendre les intérêts. J’aurois quelque
-honte de faire une pareille remarque, mais je n’examine pas l’histoire
-d’un peuple qui ait eu des mœurs et des principes, et qui fut attaché
-à des lois certaines. Dans un état qui se conduit au hasard en
-obéissant aux événemens, les plus petites causes doivent produire les
-plus grands effets.
-
-Les députés de la noblesse les moins considérables imitèrent leurs
-chefs pour ne se point dégrader et se flattèrent que leur complaisance
-seroit récompensée. Tandis que le clergé ne songeoit qu’à faire sa
-cour de la manière la plus basse, quel bien pouvoit-on attendre du
-tiers-état? Quand les grands d’une nation aspirent à établir le pouvoir
-arbitraire, il est impossible que les ordres inférieurs ne contractent
-pas enfin malgré eux l’esprit de servitude.
-
-
-
-
- CHAPITRE V.
-
- _Le parlement prend une nouvelle forme sous le règne de Charles
- VI.--Origine de l’enregistrement.--Le parlement devint la cour
- des pairs.--Progrès de son autorité sous les règnes de Charles
- VII, de Louis XI et de Charles VIII._
-
-
-Tandis que tous les ordres de l’état changeoient en quelque sorte de
-nature, le parlement, agité par tant de révolutions, éprouva aussi
-divers changemens. C’est sous le règne de Charles VI qu’il devint[244]
-perpétuel, que ses magistrats, autrefois élus tous les ans, jouirent de
-leurs offices à vie[245], ou du moins pendant tout le règne du prince
-qui leur en avoit donné les provisions, et qu’il acquit le droit de
-présenter[246] lui-même au roi les personnes qu’il désiroit posséder.
-Cette compagnie, bornée jusqu’alors à la simple administration de la
-justice, avoit beaucoup contribué à étendre[247] la prérogative royale,
-et cependant n’avoit encore pris aucune part à l’administration de
-l’état. Quoiqu’on lui eût fait quelquefois des reproches[248] assez
-graves, elle étoit cependant considérée par ses lumières; et depuis
-long-temps nos rois étoient dans l’usage d’appeler à leur conseil
-quelques-uns de ses principaux[249] membres. Le parlement avoit acquis
-un nouveau lustre depuis que Charles V, suivi des personnages les plus
-importans du royaume et des bourgeois les plus notables de Paris, y
-avoit tenu des assemblées solennelles pour y régler les affaires les
-plus importantes; et de jurisconsultes, les magistrats devinrent hommes
-d’état.
-
-Quand le royaume en proie aux funestes divisions dont j’ai parlé, étoit
-déchiré par les grands qui s’en disputoient l’administration, et que
-les états décriés et presque oubliés ne laissoient aucune espérance
-de réforme, et la faisoient cependant désirer avec plus d’ardeur
-que jamais, tous ceux qui étoient les victimes de cette anarchie
-tyrannique, tournèrent leurs regards sur le parlement, le seul corps
-dont ils pouvoient attendre quelques secours, et l’invitèrent à se
-rendre l’arbitre des grands et le protecteur du peuple. On vit en effet
-des provinces, pour empêcher la ruine des immunités, y porter leurs
-protestations et leur appel[250] des ordonnances par lesquelles le
-gouvernement établissoit des impôts arbitraires. C’étoit attribuer au
-parlement une autorité supérieure à celle du conseil, et son ambition
-dut en être agréablement flattée. L’université de Paris[251] l’invita
-à faire des remontrances sur la mauvaise administration des finances;
-en un mot, la confiance dont le public honoroit le parlement, fit
-comprendre aux différentes factions qui s’emparoient successivement
-de l’autorité du roi, combien il leur seroit avantageux de s’attacher
-cette compagnie. Les ministres allèrent la consulter[252] sur les
-opérations qu’ils méditoient; et chaque parti, pour affermir son empire
-sur ses ennemis, et donner plus d’autorité à ses ordonnances, prit
-l’habitude de les faire publier au parlement, afin de paroître avoir
-son approbation, et elles furent couchées sur les registres de cette
-cour. Quelle idée se fit-elle de cette nouvelle formalité? Je l’ignore.
-Mais si le parlement n’imagina pas alors qu’en publiant les ordonnances
-de Charles VI, il lui donnoit force de loi, et que son enregistrement
-étoit le complément ou la partie intégrante de la législation, il eut
-du moins l’ambition de se regarder comme l’approbateur et le gardien
-des lois.
-
-Telle est l’origine de l’enregistrement; car pour croire avec
-quelques écrivains que la publication des lois du parlement et leur
-enregistrement sont des coutumes aussi anciennes que la monarchie, il
-faudroit n’avoir aucun égard à nos monumens historiques, et supposer
-des faits qui n’ont jamais existé. Pourroit-on se résoudre à penser
-que les capitulaires, portés pendant les deux premières races dans
-le champ de Mars ou de Mai, aient été publiés et enregistrés dans le
-tribunal supérieur de la justice de nos rois[253], dont le parlement
-tire son origine? Pouvoit-il manquer quelque chose à des lois faites
-par le corps entier de la nation, et auxquelles le roi avoit donné
-son consentement? Étoit-il possible d’y ajouter quelque autorité?
-Elles étoient sans doute envoyées à la justice du roi, mais de la
-même manière qu’à celle des comtes[254] et des évêques, parce que
-ces tribunaux devoient les connoître pour s’y conformer et les faire
-exécuter, et qu’une de leurs principales fonctions étoit de les publier
-dans leurs assises pour instruire le peuple.
-
-On a imaginé que le champ de Mars ou de Mai, après avoir éprouvé
-différentes métamorphoses, subsiste encore dans notre parlement;
-et on ajoute que si ce corps représentatif de la nation a perdu le
-droit de faire des lois, il a constamment conservé celui de les
-publier[255] et de les enregistrer. Je ne sais si ce roman historique
-vaut la peine d’être réfuté. Qu’on nous montre par quelle chaîne
-notre parlement tient aux premières assemblées de la nation. Quelles
-sont ces révolutions du champ de Mai dont on ne trouve aucune trace
-dans nos monumens? Ne voit-on pas qu’il s’établit, sous les derniers
-Carlovingiens, un nouvel ordre de choses? Le gouvernement se dissout
-par la foiblesse de ses ressorts; toutes les parties de l’état sont
-séparées, l’anarchie établit par-tout l’indépendance. Quand la cour
-du roi, dans son origine, n’auroit point été distinguée du champ de
-Mars ou de Mai; par quel prodige, en vertu de quel droit, quelques
-seigneurs, qui relevoient immédiatement des premiers Capétiens et qui
-formoient leur cour féodale, auroient-ils prétendu représenter la
-nation? Tous nos monumens historiques ne nous apprennent-ils pas que
-ces vassaux du roi se bornoient à juger les différens élevés entre
-les vassaux de la couronne ou entre eux et le roi, et profitoient
-seulement de l’occasion qui les rassembloit pour faire quelquefois des
-traités[256] qui ne lioient que ceux qui les avoient signés. Quand
-le parlement seroit la même chose que l’ancien champ de Mai, comment
-auroit-il conservé le privilége de vérifier les lois du royaume,
-puisqu’il n’existoit plus de lois générales? Qu’on fasse attention
-qu’il ne pouvoit pas même y en avoir; car le suzerain n’avoit aucune
-espèce d’autorité sur[257] ses arrière-vassaux.
-
-Les successeurs de Hugues-Capet, jusqu’à S. Louis, ne furent
-législateurs que dans leurs domaines; et pourquoi se seroient-ils
-soumis à porter leurs ordonnances au parlement, puisque les seigneurs
-qui y siégeoient, convaincus de la plénitude de leur pouvoir, n’y
-portoient eux-mêmes ni les lois qu’ils faisoient pour leurs sujets, ni
-les traités qu’ils passoient avec leurs vassaux? Quand ces seigneurs
-donnèrent des chartes de commune à leurs villes, on demanda quelquefois
-la garantie du roi; mais on ne trouve aucun exemple que ces pièces
-aient été envoyées à sa cour, pour que l’enregistrement leur donnât
-force de lois. Il est démontré, par la prodigieuse variété des coutumes
-qui étoient répandues dans le royaume, qu’on n’y connoissoit point une
-puissance législative qui s’étendît sur tout le corps de la nation; il
-auroit donc été absurde qu’il y eût une compagnie chargée d’enregistrer
-les lois chimériques d’une puissance qui n’existoit pas. S. Louis,
-il est vrai, publia quelques-unes de ses ordonnances au parlement,
-et son fils, qui n’étoit pas encore reconnu incontestablement pour
-législateur, suivit cet exemple. Mais, par-là, ces deux princes ne
-remplissoient point un devoir qui leur fût prescrit par la coutume;
-ils ne cherchoient qu’à préparer les esprits à l’obéissance, et
-accréditer l’opinion naissante de leur législation. Ce n’est pas même
-cette conduite que tinrent quelquefois S. Louis et son fils, qu’on doit
-regarder comme l’origine de l’enregistrement, puisque cette coutume
-tomba dans l’oubli à mesure que le parlement et l’administration de la
-justice prirent une forme nouvelle par l’établissement des appels et la
-qualité des personnes qui composèrent le parlement, quand les seigneurs
-eurent renoncé au droit de juger.
-
-Les progrès rapides que fit alors l’autorité royale, contribuèrent
-surtout à faire entièrement disparoître cette nouveauté.
-Philippe-le-Bel, plus puissant qu’aucun de ses prédécesseurs, sentit
-combien l’autorité de son parlement, composé de praticiens qu’il
-choisissoit à son gré pour remplir les fonctions d’une magistrature
-annuelle, étoit peu propre à donner du crédit à ses lois, et à les
-faire respecter par des seigneurs fiers de leur pouvoir et de leur
-grandeur. Il n’y fit point enregistrer l’ordonnance importante par
-laquelle il établissoit la reine régente, dans le cas que son fils
-fût mineur en montant sur le trône: il eut recours à un moyen plus
-efficace; il demanda la garantie[258] aux seigneurs les plus puissans.
-Tout le monde sait que ce prince gouvernoit par des ordres secrets
-qu’il se contentoit d’adresser directement à ses baillis. Mais quand
-il seroit vrai que le parlement eût jusqu’alors représenté la nation,
-n’est-il pas évident qu’il perdoit nécessairement cet avantage, dès
-que, par l’établissement des états-généraux, Philippe-le-Bel la
-rassembloit réellement?
-
-Comment, avant le règne de Charles VI, auroit-il été d’usage de publier
-les ordonnances du roi au parlement, pour qu’elles fussent regardées
-comme des lois, puisque ce tribunal ne se tenoit que deux fois l’an et
-pendant un temps très-court? Pour remédier à un abus, il auroit donc
-fallu attendre que cette compagnie fût assemblée, et le gouvernement
-auroit été souvent arrêté dans ses opérations. On me répondra sans
-doute que les Capétiens pouvoient faire des réglemens provisoires,
-comme les Carlovingiens en avoient fait; mais ne voit-on pas que les
-prédécesseurs de Philippe-le-Bel n’auroient pas moins abusé de ce
-droit que les successeurs de Charlemagne, et qu’ils n’auroient pas été
-long-temps sans secouer un joug incommode?
-
-Peut-on avoir quelque connoissance de nos anciens monumens, et ignorer
-que plusieurs ordonnances n’ont été publiées qu’à l’audience du prévôt
-de Paris? Les historiens ne nous apprennent-ils pas que le conseil
-se contentoit quelquefois de les faire publier dans les rues par un
-officier du roi? Et c’est de cette manière que le duc d’Anjou rétablit
-les impôts qui excitèrent la sédition des Maillotins. Les ordonnances
-avoient alors toute la force dont elles étoient susceptibles, quand
-elles avoient été déposées dans le trésor des chartes. Le parlement
-lui-même[259] en convenoit encore sous le règne de Charles VII; et
-bien loin de croire que ses registres seuls fussent les dépositaires
-de la loi, il accordoit le même honneur à ceux de la chambre des
-comptes. On sait enfin que si on avoit besoin de quelque pièce du
-trésor des chartes, il falloit s’adresser[260] au roi pour en obtenir
-une copie; et il ne l’accordoit qu’avec la clause que cette ordonnance
-ne pouvoit servir qu’à la personne, au corps, ou à la communauté à
-qui on en avoit permis la communication. A quoi auroit servi cette
-coutume, si l’enregistrement, tel que nous le connoissons, avoit été
-pratiqué? Pourquoi le roi auroit-il tâché inutilement de soustraire
-ses ordonnances à la connoissance et à l’usage des citoyens, si elles
-avoient été transcrites sur les registres du parlement?
-
-Sans doute que sur la fin du même règne de Charles VI on n’avoit
-point encore, de la publication des ordonnances au parlement, ou
-de l’enregistrement, la même idée que nous en avons eue depuis,
-puisqu’il n’est pas fait mention de cette formalité dans le traité
-de Troyes, qui devenoit une loi fondamentale de la monarchie, et
-d’autant plus importante qu’elle changeoit l’ordre établi et reconnu
-de la succession. Si l’opinion publique eut regardé l’enregistrement
-comme l’ame et le complément de la loi, est-il vraisemblable qu’on eût
-négligé d’en faire mention et de l’exiger? Peut-on raisonnablement
-soupçonner les Anglais de distraction ou d’oubli dans cette occasion?
-En signant un traité par lequel Henri V s’engageoit à conserver au
-parlement[261] ses priviléges, pouvoit-il oublier d’en requérir
-l’enregistrement, s’il eut cru cette formalité nécessaire à la validité
-de l’acte qu’il passoit?
-
-Le parlement, composé de magistrats nommés par le roi, et qui n’avoient
-qu’une existence précaire, avoit toujours été attentif à flatter la
-cour, à se rendre digne de ses faveurs, et à étendre l’autorité royale,
-pour que, sous le règne de Charles VI, il abusât déjà de l’envoi qu’on
-lui faisoit des ordonnances, jusqu’au point de former le projet de
-partager avec le roi la puissance législative, dont la nation elle-même
-assemblée en états-généraux, n’avoit osé s’attribuer aucune partie:
-soyons sûrs qu’il ne s’est point fait subitement des prétentions si
-extraordinaires: les hommes, et surtout les compagnies, dont les
-mouvemens sont toujours plus lents, ne franchissent que pas à pas de
-si grands intervalles. Si le parlement avoit cru entrer en part de la
-législation, ou du moins s’il avoit pensé avoir le droit de rejeter ou
-de modifier les lois qu’on lui présentoit, il auroit fait sans doute
-les remontrances les plus graves, quand chaque faction à son tour lui
-envoyoit des ordonnances contraires les unes aux autres. Il auroit
-opposé les refus les plus constans aux injustices du gouvernement; et
-l’histoire, qui n’en parle point, n’auroit pas manqué de faire l’éloge
-de son courage et de sa générosité. Enfin, comment auroit-il eu la
-bassesse de ne point protester contre une loi qui proscrivoit la maison
-de Hugues-Capet pour donner son trône à Henri V?
-
-Selon les apparences, l’enregistrement, semblable par son origine et
-dans ses progrès à tous les autres usages de notre nation, s’est établi
-par hasard, s’est accrédité peu à peu, a souffert mille révolutions;
-et par une suite de circonstances extraordinaires, on lui a enfin
-attribué tout le pouvoir qu’il a aujourd’hui. Il seroit plus aisé de
-dire ce que ce pouvoir doit être pour être utile, que de le définir
-d’après les idées du conseil et du parlement. A travers l’obscurité
-dont ils s’enveloppent, on entrevoit seulement que l’un pense que
-l’enregistrement n’est rien, et que l’autre est persuadé qu’il est tout.
-
-Sur la fin du règne de Charles VI, il est vraisemblable que le
-parlement hasarda quelquefois de délibérer[262] sur les ordonnances qui
-lui étoient portées; et quand il ne les approuvoit pas, il ne permit
-point qu’elles fussent couchées sur ses registres sans quelque marque
-d’improbation. Dans les pays gouvernés par des coutumes, les exemples
-deviennent des titres; et comme les états avoient un[263] pouvoir
-consultatif, le parlement imagina sans doute de se faire le même droit.
-De la liberté qu’il avoit prise de soumettre les ordonnances à son
-examen, on conclut qu’il pouvoit et devoit même exercer une sorte de
-censure sur la législation; et il n’en falloit pas davantage pour que
-cet instinct, qui porte les corps comme les particuliers à étendre
-leur pouvoir, lui persuadât qu’il avoit le privilége de modifier,
-d’étendre ou de restreindre les lois, et qu’il devoit même avoir
-celui de les rejeter entièrement. Ces idées répandues dans le public
-acquirent du crédit, et on voit en effet que sous le règne de Charles
-VII, les notes d’improbation dans l’enregistrement d’une ordonnance,
-affoiblissoient[264] en quelque sorte la force de la loi; puisque le
-conseil, qui les voyoit avec chagrin, en sollicitoit la radiation. On
-sait que Louis XI disoit au duc de Bourgogne, qu’il étoit nécessaire
-qu’il allât à Paris pour faire enregistrer leur accord au parlement,
-sans quoi il n’auroit aucune autorité. Louis vraisemblablement
-ne le pensoit pas: il avoit une trop haute idée de son pouvoir;
-mais puisqu’il se servoit de ce prétexte pour s’éloigner du duc de
-Bourgogne, sans doute que l’opinion publique commençoit déjà à regarder
-l’enregistrement comme une formalité indispensable.
-
-L’ambition des gens de robe devoit réussir d’autant plus aisément,
-qu’ils parloient à une nation qui n’avoit aucune connoissance de
-ses antiquités, aucune loi fixe, ni aucun principe sur la nature du
-gouvernement. Comines leur reproche d’avoir toujours dans la bouche
-quelque trait d’histoire ou quelque maxime dont ils abusoient, ou
-qu’ils présentoient sous la face qui leur étoit la plus avantageuse.
-La décadence, et même la ruine des états-généraux, la foiblesse et la
-dureté du gouvernement de Charles VI, les factions des grands, tout
-favorisoit les prétentions du parlement. Et sans doute que le public,
-inspiré par cette crainte que donne toujours le pouvoir arbitraire,
-voyoit avec plaisir qu’il s’élevât une barrière entre lui et le
-despotisme du conseil.
-
-Les progrès du parlement auroient été bien plus rapides, s’il ne se
-fût pas livré lui-même à l’esprit de faction qui troubla le règne de
-Charles VI. Cette compagnie se partagea, et elle auroit peut-être perdu
-sans retour toute la considération qu’elle avoit acquise, si ceux de
-ses membres qui s’attachèrent à Charles VII, n’avoient ensuite servi
-à la soutenir et la protéger. Quoi qu’il en soit, quand Charles eut
-triomphé de ses ennemis, le parlement se trouva humilié, parce qu’il
-avoit besoin d’un pardon. Il n’osa s’adresser ni directement au roi,
-comme sembloit l’y autoriser sa fortune naissante, ni même au conseil,
-suivant l’usage ancien. Il se contenta de faire[265] une députation au
-connétable pour l’assurer de sa fidélité, et lui demander ses ordres
-particuliers au sujet de l’administration de la justice: il étoit
-difficile que, dans une pareille humiliation, le public retrouvât
-encore la majesté d’un corps qui aspiroit à partager la puissance
-législative avec le roi.
-
-L’usage des élections[266] fut interrompu, et des magistrats présentés
-par des courtisans et nommés par le roi, furent moins zélés pour les
-intérêts de leur compagnie, que ceux qu’elle avoit elle-même choisis;
-si le parlement n’oublia pas ses nouvelles prétentions, il fut moins
-empressé à les faire valoir. Mais ce qui contribua plus que tout le
-reste à retarder la marche de son ambition, c’est la puissance même que
-les grands avoient acquise, et qui s’étoit affermie. Puisqu’ils avoient
-réussi à se délivrer de la censure incommode des états-généraux, ils ne
-devoient pas permettre à un corps toujours existant et toujours présent
-de l’exercer. Si le conseil n’eût encore été composé que de personnes
-peu recommandables par leur naissance et leurs dignités, les magistrats
-auroient été vraisemblablement plus hardis. Mais ils se sentoient
-opprimés par la grandeur des personnages qui manioient l’autorité du
-roi. Plus l’opinion publique attachoit de considération à l’antiquité
-des races, aux charges de la cour et à la profession des armes, dans
-un temps sur-tout où le courage de la noblesse venoit de prodiguer son
-sang pour chasser les Anglais et placer le légitime héritier sur le
-trône, moins le parlement osoit se livrer aux espérances que peut avoir
-un corps maître de faire parler des lois et de les interprêter en sa
-faveur.
-
-Il faut sur-tout remarquer que cette compagnie, souvent nommée dans les
-ordonnances la principale cour de justice et le chef des tribunaux,
-n’étoit cependant qu’une cour secondaire dont la juridiction ne
-s’étendoit pas sur tous les ordres de l’état. Quoique les pairs et
-les grands officiers de la couronne y eussent prêté serment[267] sous
-le règne de Charles VI, elle n’étoit point encore la cour des pairs,
-c’est-à-dire, qu’elle n’avoit point encore le droit de juger les
-anciens pairs, ni les nouveaux qui affectoient les mêmes prérogatives,
-ni mêmes les princes du sang qui prétendoient précéder[268] les pairs,
-depuis que l’ordre établi dans la succession les appeloit tous au trône
-dans leur rang d’aînesse, et qu’ils avoient pris part au gouvernement.
-Si le parlement étoit nommé la principale ou la première cour de
-justice, ce n’étoit qu’improprement, et relativement aux tribunaux
-subalternes dont il recevoit les appels, ou à la chambre des comptes
-et à la cour des aides, qui formoient des justices souveraines dans
-l’ordre des choses dont la connoissance leur étoit attribuée. Peut-être
-que les rois ne se servoient de cette expression que parce qu’ils
-avoient intérêt de faire oublier les priviléges de la pairie; et que la
-cour des pairs, qui s’assembloit très-rarement, formoit une juridiction
-à part, et, pour ainsi dire, inconnue dans l’ordre de la justice.
-
-Il est vrai que Philippe-le-Bel avoit voulu soumettre les pairs à la
-juridiction de son parlement, et il avoit raison de bien plus compter
-sur des hommes qui tenoient de lui leur dignité, et qui travailloient
-avec zèle à augmenter la prérogative royale, que sur des seigneurs
-puissans, jaloux de leur souveraineté, choqués d’avoir un suzerain, et
-qui formant eux-mêmes une cour pour se juger, devoient favoriser par
-leurs arrêts les priviléges de la pairie. Mais il est certain que les
-pairs, éclairés sur leurs intérêts, ou plutôt incapables par hauteur de
-reconnoître la juridiction du parlement, depuis qu’il avoit changé de
-nature, s’opposèrent opiniâtrement à l’entreprise de Philippe-le-Bel.
-Je dois, lui écrivit Guy, comte de Flandre, être jugé par mes[269]
-pairs, et non par des avocats. Le traité que les fils de ce seigneur
-passèrent en 1305 avec le même prince, est encore une preuve évidente
-qu’un pair ne devoit être jugé que par le roi[270], les pairs et deux
-prélats ou barons du conseil. En 1324 les pairs prétendirent que les
-différends nés au sujet de la pairie entre le roi et eux ne pouvoient
-être portés au parlement, si les pairs n’assistoient pas[271] au
-jugement. Comment auroient-ils osé former cette prétention, si le
-parlement avoit été en droit de juger la personne même des pairs?
-
-Il falloit que cette coutume se fût constamment soutenue, puisque
-dans le procès du roi de Navarre en 1386, le duc de Bourgogne, qui
-portoit la parole pour les pairs, dont il étoit doyen, avança qu’eux
-seuls[272] étoient juges de cette affaire, et que le roi même n’avoit
-pas le droit d’en connoître. Cette prétention, contraire aux anciennes
-règles des cours féodales que le suzerain présidoit toujours, étoit
-sans doute outrée; cependant, Charles VI donna des lettres-patentes,
-par lesquelles il reconnoissoit, qu’en assistant au procès du roi de
-Navarre, il ne prétendoit acquérir aucun droit de juger les pairs, ni
-diminuer leurs prérogatives. On peut blâmer ce prince d’avoir consenti
-à la demande injuste des pairs, ou le plaindre de s’être trouvé dans
-des circonstances qui le forçoient à ne rien refuser; mais il n’en
-résulte pas moins de ces faits, que la juridiction du parlement ne
-s’étendoit point alors sur les pairs. Est-il convenable qu’on eût
-refusé au prince un droit qu’on auroit reconnu dans ses officiers?
-Tout concourt à prouver la vérité de l’opinion que j’avance. On a vu
-que depuis la fin de la seconde race, les Français n’étoient gouvernés
-que par des coutumes; et le propre des coutumes n’est-il pas de
-s’altérer insensiblement, de changer de proche en proche, et non par
-des révolutions subites qui établissent des nouveautés qui ne tiennent
-en rien aux anciens usages? Il falloit que par une longue suite
-d’événemens, les pairs perdissent leur puissance, et que le parlement
-acquît de la dignité, pour que ces deux corps peu à peu rapprochés se
-confondissent pour n’en former qu’un.
-
-Telle étoit encore sous le règne de Charles VII la doctrine ou
-l’opinion au sujet des droits de la pairie et de la compétence du
-parlement, puisque le comte d’Armagnac déclina la juridiction de cette
-cour dans le procès qui lui fut intenté. Il prétendit qu’en sa qualité
-de descendant de la famille royale par ses mères, il devoit jouir de
-la prérogative de prince du sang, c’est-à-dire, n’être jugé que par le
-roi et ses pairs. Je ne prétends pas que la demande du comte d’Armagnac
-fût fondée; mais ne prouve-t-elle pas deux choses? l’une, que les pairs
-ne vouloient reconnoître qu’eux pour leurs juges; et l’autre, que les
-princes du sang formoient la prétention de n’être jugés que par la cour
-des pairs, qui n’étoit pas le parlement. Le comte d’Armagnac avoit
-tort de réclamer un droit qui ne lui appartenoit pas: mais croira-t-on
-que pour se soustraire à la juridiction du parlement, il ait supposé
-dans les pairs et les princes des prétentions qu’ils n’avoient pas, et
-qu’en adressant ses mémoires au parlement même, il ait imaginé une cour
-qui n’existoit point, pour y être jugé? C’est une manie ridicule et
-insensée que la critique ne peut admettre.
-
-Je demande pardon à mes lecteurs de m’arrêter si long-temps sur ce
-point de notre droit public; ils doivent m’excuser. Peut-on être court
-quand on présente des vérités qui, vraisemblablement, ne plairont pas,
-et contre lesquelles on a publié une foule d’écrits qui ont usurpé dans
-le monde une réputation qu’ils ne méritent pas?
-
-Les réponses que le procureur du roi au parlement fit aux demandes
-du comte d’Armagnac sont extrêmement foibles. «J’ignore[273], _dit
-ce magistrat_, les prétentions des princes du sang que le comte
-d’Armagnac allègue; mais si les priviléges dont il parle sont réels,
-ils ne regardent que les princes du sang royal par mâles. Je nie
-que les princes aient aucun titre pour prétendre que le roi doive
-connoître, accompagné de ses pairs, des causes criminelles de ceux de
-sa maison.» Je crois en effet que les princes ne pouvoient alors citer
-aucune charte ni aucune ordonnance qui les associât aux prérogatives
-de la pairie, mais dans notre ancien gouvernement ne commençoit-on
-pas toujours par se faire des prétentions? et dans des conjonctures
-favorables, on faisoit ensuite reconnoître et autoriser son droit
-par quelque charte ou quelque ordonnance: si le comte d’Armagnac
-avoit supposé dans les princes du sang et les pairs des prétentions
-qu’ils n’avoient pas, il auroit fallu le confondre, en lui disant
-qu’il avoit recours à des suppositions fausses et chimériques, et non
-pas en alléguant simplement que «la cour qui lui représente le roi,
-est capable de juger les princes et les pairs; que les pairs sont
-justiciables du parlement, qui, pour juger, n’a pas besoin d’être garni
-de pairs, et que si le roi a assisté en personne à de pareils jugemens,
-ç’a été sans nécessité et parce qu’il le jugeoit à propos.» Avancer
-de pareilles propositions, ce n’est pas répondre au comte d’Armagnac,
-mais établir une doctrine contraire à la sienne. Le procureur du roi
-fait des assertions, mais ne les appuye d’aucune autorité; et tout
-ce que prouve son discours, c’est que quelques membres du parlement,
-fiers du crédit naissant de leur compagnie, avoient déjà l’ambition de
-vouloir juger la personne des pairs; qu’ayant depuis quelques années un
-édit par lequel Charles VII assuroit à leur tribunal la connoissance
-des causes concernant la pairie, ils croyoient qu’il étoit temps de
-pousser plus loin leurs prétentions; et que le procureur du roi, qui
-pensoit comme eux, profita de l’occasion d’insinuer dans le public ces
-principes nouveaux, en attaquant un seigneur qui n’étoit ni prince ni
-pair, et qui en réclamoit les prérogatives.
-
-En effet, cette doctrine n’étoit point encore celle du parlement. On
-peut se rappeler que le duc d’Alençon fut arrêté dans le temps même que
-l’affaire du comte d’Armagnac se poursuivoit, et que Charles VII fit
-au parlement plusieurs questions au sujet de la manière de procéder
-en justice contre ce prince revêtu de la dignité de pair. Rien n’est
-plus propre que ce fait intéressant à démontrer que la cour des pairs
-formoit un tribunal particulier, et distingué de tous les autres
-tribunaux. Le parlement tint un langage tout différent que celui que
-tenoit le procureur du roi dans l’affaire du comte d’Armagnac. Il
-répondit que le roi[274] devoit juger le duc d’Alençon, en appelant au
-jugement les pairs, les seigneurs qui tiennent en pairie, et d’autres
-personnes considérables de l’ordre ecclésiastique et de son conseil. Si
-le parlement avoit pensé comme le procureur du roi et quelques autres
-de ses membres, se seroit-il exprimé de la sorte? S’il avoit cru être
-la cour des pairs, s’il avoit trouvé dans ses registres quelque titre
-propre à favoriser cette prétention, n’auroit-il pas dit que le duc
-d’Alençon devoit être jugé par le parlement garni de pairs et présidé
-par le roi?
-
-Cette compagnie ajoute que c’est ainsi qu’avoient été faits les procès
-de Robert d’Artois, de Jean de Montfort et du roi de Navarre; elle
-décide sans hésiter, et de la manière la plus précise, qu’il est
-nécessaire que le roi assiste au jugement du duc d’Alençon, que cet
-usage avoit été constant jusqu’alors, et même, que dans le cas où le
-roi seroit occupé par quelque affaire plus importante, il vaudroit
-mieux différer le procès et le jugement, que si le roi donnoit
-commission à quelqu’un de le représenter. Ce seroit abuser de la
-patience de mes lecteurs, que de vouloir faire des réflexions sur des
-réponses qui sont si claires, et qui distinguent de la façon la plus
-marquée la cour des pairs de tous les autres tribunaux. Mais ce qu’on
-ne peut trop louer, c’est que, dans un temps où plusieurs magistrats
-du parlement pensoient comme le procureur du roi, et formèrent les
-plus hautes prétentions, cette compagnie ait préféré les intérêts de
-la vérité à ceux de son ambition. Non-seulement elle n’abusa point
-de l’ignorance du roi et de son conseil sur nos anciens usages, pour
-s’arroger une prérogative si importante pour elle; mais elle ne voulut
-pas même insinuer par ses réponses qu’il seroit à propos d’appeler
-quelques-uns de ses magistrats pour instruire le procès du duc
-d’Alençon, et servir dans la cour des pairs de conseillers-rapporteurs.
-
-Si le procès du duc d’Alençon ne forme pas l’époque où le parlement
-devint la cour des pairs, il lui fournit du moins un titre pour aspirer
-à cet honneur, et défendre avec succès sa prétention. Charles VII ayant
-appelé, d’abord à Nemours, et ensuite à Montargis, plusieurs magistrats
-de cette compagnie pour assister aux informations et au jugement de
-cette affaire, elle eut soin de ne qualifier de[275] parlement dans
-ses registres que la partie de son tribunal qui se rendit aux ordres
-du roi: tandis que ceux de ses membres qui restèrent à Paris pour
-l’administration ordinaire de la justice, s’abstinrent de prendre ce
-titre. Plus le procès du duc d’Alençon avoit été fait avec solennité,
-plus les formes qu’on y avoit observées devoient servir de règles
-dans de pareilles circonstances: car on étoit encore dans un temps où
-un exemple avoit autant et plus d’autorité qu’une loi. Le parlement
-trouvoit désormais dans ses registres un titre qui lui apprenoit qu’il
-avoit été appelé au jugement d’un pair; pourquoi n’en auroit-il pas
-conclu qu’il devoit y assister? C’est ainsi que raisonne l’ambition.
-Cette doctrine devoit s’accréditer d’autant plus aisément, que les
-pairs n’étoient pas assez instruits pour discuter leurs droits avec
-avantage, s’il s’élevoit quelque difficulté à ce sujet. Continuellement
-distraits, ils oublioient leurs prérogatives, tandis que le parlement
-n’étoit occupé que des siennes. D’ailleurs, il se fit une grande
-révolution dans le royaume; et la pairie, perdant ses plus puissans
-défenseurs avant qu’il se présentât une occasion de faire le procès à
-un pair, ne fut plus en état de faire valoir ses droits avec le même
-avantage.
-
-En effet, le duché d’Aquitaine venoit d’être conquis sur les Anglais et
-uni à la couronne. Louis XI devoit bientôt s’emparer de la Bourgogne,
-et son fils posséda la Bretagne, qui, quoique pairie nouvelle, étoit
-un des plus grands fiefs du royaume, et avoit conservé tous les droits
-de souveraineté qui appartenoient encore aux anciennes pairies. Il ne
-devoit plus rester des anciens pairs que les comtes de Flandres, dont
-la seigneurie passa dans une maison étrangère, ambitieuse, et qui,
-étant assez puissante pour en faire une principauté indépendante, ne
-devoit plus rien avoir de commun avec les pairs de France. Il est
-vrai que les nouveaux pairs que Philippe-le-Bel et ses successeurs
-avoient créés, lisoient dans leurs patentes qu’ils étoient égaux
-en dignités aux anciens pairs, et qu’ils devoient jouir des mêmes
-prérogatives; mais les esprits s’étoient refusés à ces idées. Les
-nouvelles pairies étant attachées à des seigneuries beaucoup moins
-importantes que les anciennes, les nouveaux pairs durent être beaucoup
-moins considérés[276] que les anciens. Dans une monarchie, tout ce qui
-est grand s’abaisse à mesure que le monarque s’élève; et l’opinion
-publique, cet arbitre souverain des rangs et des dignités, qui ne juge
-de la grandeur que par la puissance, ne confondit point des fiefs
-formés dans la décadence des Carlovingiens avec ceux que la puissance
-des Capétiens créa.
-
-En devenant la cour des pairs, le parlement accrut considérablement
-son pouvoir, sa considération et ses espérances. Malgré la vigilance
-de Louis XI à tout soumettre à ses ordres, cette compagnie avoit
-déjà acquis sous Charles VIII une grande autorité dans les affaires
-publiques, puisque le duc d’Orléans, depuis Louis XII, lui porta[277]
-ses plaintes sur ce que le conseil du roi n’exécutoit aucune des
-promesses qui avoient été faites aux derniers états: c’étoit en quelque
-sorte reconnoître que le parlement étoit le substitut ou le délégué
-des états en leur absence. Il est vrai que le premier président, qui
-étoit attaché aux intérêts de la régente, lui répondit que la cour
-étoit composée de gens lettrés, destinés à juger, et non à se mêler du
-gouvernement sans la participation du roi; mais il ne rendoit ni le vœu
-ni les espérances de sa compagnie, qui ne tarda pas à se regarder comme
-le tuteur des rois et de leur autorité.
-
-
-
-
- CHAPITRE VI.
-
- _Réflexions sur le gouvernement qui résultoit de la puissance
- que les grands et le parlement avoient acquise._
-
-
-Il suffit d’avoir quelque idée de la manière étrange dont les grands
-ont abusé de leur pouvoir dans tous les pays, pour juger des malheurs
-que devoit produire en France leur association au gouvernement.
-Par-tout ils ont brisé les foibles obstacles qui s’opposoient à leur
-volonté; par-tout ils ont fait taire les lois, et cru qu’eux seuls
-formoient la société. Il est vraisemblable que la troisième race de
-nos rois auroit éprouvé les mêmes disgraces que les deux premières, si
-les grands avoient été les seuls ministres et les seuls dépositaires
-de l’autorité royale sous les successeurs de Charles VI; à force d’en
-abuser, ils n’auroient bientôt pu en tirer aucun avantage. Las de
-servir ou de gouverner un maître inutile, ils devoient alors songer à
-se faire une puissance propre et personnelle, et on auroit vu renaître
-le gouvernement féodal, dont le souvenir leur étoit toujours cher.
-
-C’est l’autorité que le parlement avoit acquise qui détermina le cours
-des événemens qu’on devoit craindre. En opposant ses modifications,
-ses remontrances et le nom des lois aux injustices des grands, il les
-empêcha de se livrer à leurs passions avec la même facilité qu’ils
-l’auroient fait. Cette compagnie connut la nécessité d’avoir des lois,
-puisqu’elle en étoit le gardien, et que ce n’étoit que par leur secours
-qu’elle pouvoit se rendre puissante. Elle recueillit dans ces chartes
-et ces ordonnances informes, qu’on avoit publiées jusques-là, tout ce
-qu’elle crut qui lui seroit utile, et commença à donner du crédit à ces
-articles épars qui formoient la législation la plus grossière et la
-plus barbare.
-
-C’est à cette époque que la puissance législative voulut en quelque
-sorte réparer les torts de son oisiveté, et Charles VII ne fit que ce
-qu’avoit fait autrefois Clovis: il ordonna d’écrire[278] les coutumes
-de chaque province, et qu’après avoir été examinées et autorisées par
-le conseil et le parlement, elles fussent observées comme autant de
-lois. On se hâta de faire des règlemens et des ordonnances, mais sans
-savoir l’objet qu’on devoit se proposer et la méthode qu’on devoit
-suivre. La France avoit manqué de lois, elle en fut bientôt accablée;
-mais ces lois, pour la plupart insuffisantes, obscures, et souvent
-contraires les unes aux autres, étoient incapables de produire l’effet
-que le citoyen en attendoit. Quel jurisconsulte, en étudiant notre
-législation, peut se flatter de débrouiller ce chaos, monument de nos
-besoins et de nos vices, de nos caprices et de notre ignorance?
-
-Le parlement auroit été en état de diriger la puissance législative, de
-lui demander les lois les plus salutaires, et de lui fournir les moyens
-les plus efficaces pour les affermir, que ç’auroit été sans succès. Il
-étoit facile aux grands, qui manioient l’autorité du roi, de lui rendre
-suspect un corps qui pensoit qu’il étoit quelquefois de son devoir de
-désobéir; et qui, en feignant de faire observer les lois, pouvoit ravir
-au législateur le droit d’en faire. Sous prétexte de servir le prince,
-les magistrats n’auroient pas souffert qu’on eût établi une règle qui
-auroit été contraire à leurs intérêts particuliers. Avant que nos rois
-eussent acquis le droit de lever arbitrairement des impôts, et quand
-ils étoient obligés de traiter avec leurs sujets, pour en obtenir
-des subsides, ils conservèrent précisément tous les vices de leur
-administration, pour en faire une espèce de commerce. Ils vendoient
-les lois, et la suppression de quelques abus, à condition qu’on leur
-donneroit un subside; mais pour que la source des subsides ne tarît
-pas, il falloit laisser subsister les abus et faire mépriser les lois
-qui les proscrivoient. Quand nos rois n’eurent plus aucun motif pour
-conserver cette malheureuse politique, qui a perpétué pendant si
-long-temps nos désordres et nos malheurs, les grands crurent qu’il
-étoit de leur intérêt de l’adopter, et sous les successeurs de Charles
-VI, à qui on ne contestoit aucune prérogative, on vit encore les mêmes
-abus, qui n’auroient dû subsister que dans le temps où la puissance
-royale étoit anéantie. De ces abus, qui rendoient le crédit des grands
-odieux et incertain, et de l’impuissance des lois, qui empêchoit les
-magistrats d’agrandir leur autorité, il résulte des intérêts bizarres
-et une conduite extraordinaire.
-
-Ces deux factions, qui se balançoient et se tenoient mutuellement en
-échec, sentirent que pour se rendre plus puissantes, elles devoient se
-couvrir du nom du roi, et ne se proposer que son avantage. Peut-être ne
-se rendoient-elles point compte à elles-mêmes de l’ambition secrète qui
-les faisoit agir; mais n’est-il pas évident que si l’une fût parvenue
-à humilier l’autre, elle n’auroit pas tardé à montrer ses vrais
-sentimens, et s’emparer de la puissance publique? On vit les grands
-porter des lois au nom du roi, et les magistrats les rejeter ou les
-modifier au nom du roi; c’étoit une espèce de combat entre la puissance
-active des uns, et la puissance d’inertie ou de résistance des autres.
-Les grands vouloient dominer la nation par le prince; et sans se
-soucier de la nation, le parlement désiroit que le prince eût besoin de
-lui. Si le roi étoit habile, et jaloux de commander par lui-même, il
-lui étoit aisé de se servir de leur rivalité pour les contenir et les
-forcer tous deux à obéir.
-
-Tandis que les grands et le parlement se conduisoient par des vues
-si capables de les perdre, et se flattoient en quelque sorte de
-trouver toujours un prince qui leur abandonneroit son pouvoir, quel
-moyen restoit-il à la nation pour recouvrer ses anciens priviléges,
-et voir renaître des états-généraux, qui, en perfectionnant leur
-police, pussent faire fleurir le royaume? C’étoit en vain qu’un grand
-nombre de citoyens gémissoient sous une administration qui n’étoit
-soumise à aucune règle. On avoit beau murmurer contre les impôts dont
-l’état étoit accablé, et penser avec Comines que les impositions qui
-n’avoient pas été consenties par les états-généraux, étoient autant
-d’exactions injustes; comment les citoyens auroient-ils encore pu faire
-entendre leurs plaintes, et contraindre le gouvernement à consulter
-la nation? La noblesse, attachée aux grands qui gouvernoient et qui
-favorisoient[279] ses injustices, craignoit presque autant qu’eux
-ces grandes assemblées, qui, après lui avoir reproché sa tyrannie,
-auroient vraisemblablement demandé qu’on la réprimât. Le parlement
-qui se trouvoit à la tête du tiers-état, comme les grands à celle de
-la noblesse, n’avoit pas oublié les affronts que lui avoient faits
-autrefois les états-généraux; il empêchoit par ses remontrances que les
-plaintes du peuple ne devinssent assez séditieuses pour intimider le
-gouvernement, et il étoit ainsi le garant de la docilité de cet ordre.
-Avec de pareils secours, il ne falloit pas beaucoup d’art pour faire
-perdre à la nation le souvenir de ses priviléges, et l’accoutumer peu à
-peu à souffrir sans se plaindre.
-
-La France paroissoit destinée à obéir à un pouvoir arbitraire, et elle
-y auroit été conduite sans éprouver d’agitation violente, si le prince
-eût toujours eu une conduite assez adroite pour contenir les grands
-par les magistrats, et les magistrats par les grands; mais à quelles
-infortunes nos pères n’étoient-ils pas encore condamnés, s’il montoit
-sur le trône des rois foibles, et qui, ne connoissant pas le danger qui
-les menaçoit, abandonneroient le soin de leur autorité? Dès-lors toutes
-les passions devoient acquérir un nouveau degré d’activité. Toutes
-les arrières-vues des grands et du parlement devoient se montrer à
-découvert, et produire des désordres d’autant plus grands, que chacune
-de ces factions étant incapable de se conduire et d’être unie par un
-intérêt général, devoit produire des cabales et des partis différens,
-dont le choc pouvoit renverser les fondemens de l’état.
-
-Si la France avoit continué sous les successeurs de Louis XI à ne
-s’occuper, comme elle avoit fait depuis Hugues-Capet, que de ses
-affaires domestiques, et que des événemens extraordinaires n’eussent
-pas, pour ainsi dire, changé en un jour ses mœurs et son caractère,
-peut-être que la nation seroit sortie de son assoupissement au bruit
-qu’excitoient les querelles des grands. Mais un nouvel ordre de choses
-alloit s’établir dans l’Europe. Les peuples, jusqu’alors séparés, et
-qui n’avoient presque aucune communication entre eux, alloient unir,
-partager, joindre et diviser leurs intérêts, plutôt pour se détruire
-mutuellement, que pour travailler à leur conservation. De nouvelles
-connoissances, avec de nouveaux arts, étoient prêts à s’établir chez
-tous les peuples; et la religion, menacée par des ennemis puissans,
-ne devoit plus paroître qu’armée des flambeaux et des poignards du
-fanatisme. Il me reste à examiner quel fut le sort du prince, des
-grands, du parlement et de la nation entière, pendant la révolution que
-l’Europe souffrit.
-
-
- _Fin du livre sixième._
-
-
-
-
- OBSERVATIONS
- SUR
- L’HISTOIRE DE FRANCE.
-
- LIVRE SEPTIÈME.
-
- CHAPITRE PREMIER.
-
- _De la révolution arrivée dans la politique, les mœurs et la
- religion de l’Europe, depuis le règne de Charles VIII jusqu’à
- Henri II._
-
-
-Depuis que le gouvernement des fiefs s’étoit établi dans toute
-l’Europe, et qu’à quelques légères modifications près, la foi donnée et
-reçue y fût devenue, comme en France, la règle incertaine et équivoque
-de l’ordre et de la subordination, tous les peuples éprouvèrent la
-même fortune que les Français. Les états, continuellement occupés de
-leurs dissentions domestiques, et par conséquent incapables de réunir
-leurs forces et de les diriger par un même esprit, furent voisins
-sans se causer ni inquiétude, ni jalousie, ni haine. Il n’y eut que
-le zèle fanatique dont les chrétiens d’Occident furent animés pour la
-délivrance de la Terre-Sainte, qui, en suspendant par intervalles les
-troubles et les querelles que l’anarchie féodale devoit sans cesse
-reproduire, pût rapprocher les ordres divisés de chaque nation, les
-réunir par un même intérêt, et leur permettre de porter leur attention
-au-dessous. Ces siècles malheureux, où l’on ne voit que des suzerains
-et des vassaux armés les uns contre les autres, offrent à peine
-quelques guerres de nation à nation; et elles furent ordinairement
-terminées dans une campagne, parce qu’elles avoient été entreprises par
-des princes qui eurent trop d’ennemis domestiques dans leurs propres
-états, pour former un plan suivi d’agrandissement aux dépens des
-étrangers.
-
-Mais pendant que les Français, par une suite des causes que j’ai tâché
-de développer, abandonnoient leurs coutumes barbares, s’accoutumoient
-à reconnoître un législateur dans leur suzerain, et virent, en un
-mot, la monarchie s’élever peu à peu sur les ruines des fiefs, les
-autres peuples éprouvèrent aussi leurs révolutions. A force de
-s’agiter au milieu de leurs désordres, d’être poussés çà et là au
-gré de la fortune et des événemens, et d’essayer des nouveautés dans
-l’espérance d’être moins malheureux, ils se lassèrent enfin des
-vices de leur constitution. Les uns eurent le bonheur d’adopter des
-lois qui ralentirent l’activité de leurs passions, et ne donnèrent
-qu’un même intérêt à tous les citoyens; les autres s’accoutumèrent
-à obéir, en se courbant par nécessité sous le poids d’une puissance
-qui s’étoit formée au milieu d’eux; et tous se rapprochèrent d’une
-forme de gouvernement plus régulière. Quand, par la ruine des grands
-vassaux, toutes les provinces de France se trouvèrent enfin soumises
-à l’autorité de Charles VIII, l’Espagne, partagée en différens états
-indépendans et toujours en guerre les uns contre les autres, depuis
-l’irruption que les Maures y avoient faite, étoit prête à ne former
-aussi qu’une seule puissance. L’Allemagne de son côté avoit déjà
-établi quelques règles propres à fixer les droits et les devoirs
-des membres de l’empire. Charles IV avoit publié la bulle d’or. Les
-diètes, plus sages qu’autrefois, formoient déjà d’une foule de princes
-inégalement puissans une espèce de république fédérative. Au défaut
-de lois capables de maintenir la tranquillité publique, l’empire
-voyoit sur le trône une famille qui l’occupoit depuis long-temps. Les
-domaines considérables qu’elle possédoit, faisoient déjà respecter
-son autorité, et la succession de la maison de Bourgogne et de
-Ferdinand-le-Catholique alloit bientôt la porter au plus haut point de
-grandeur.
-
-Dès que la France et l’Espagne se virent tranquilles au-dedans,
-il n’étoit pas possible que leurs rois jouissent en paix, et sans
-inquiéter leurs voisins, d’une fortune qu’ils avoient acquise par
-des guerres continuelles. L’influence considérable que les empereurs
-commençoient à avoir dans les délibérations du corps germanique, leur
-donna aussi de l’ambition; et s’ils ne se flattèrent pas de ruiner[280]
-leurs vassaux à l’exemple des rois de France, et d’asservir l’empire,
-ils espérèrent d’employer une partie de ses forces à faire des
-conquêtes au-dehors, sous prétexte de faire valoir des droits négligés
-ou perdus. L’intérêt véritable de tous ces états étoit sans doute de
-cultiver la paix; mais étoient-ils assez éclairés pour profiter du
-calme intérieur dont ils commençoient à jouir, pour s’occuper plus de
-leurs affaires domestiques que de leurs voisins, et substituer des lois
-justes et certaines aux coutumes que l’ignorance et le gouvernement
-des fiefs avoient répandues dans toute la chrétienté? Les passions des
-princes décident malheureusement de la politique, des mœurs, du génie
-et des intérêts des peuples; et leurs préjugés dans le quinzième siècle
-n’étoient propres qu’à donner naissance à de nouvelles divisions.
-
-Quel prince se doutoit alors qu’un empire affoibli par sa trop grande
-étendue, doit mettre des bornes à son ambition et à ses provinces,
-et qu’il hâte sa décadence et sa ruine en faisant les conquêtes
-en apparence les plus brillantes? Aujourd’hui même, après tant
-d’expériences qui auroient dû nous éclairer, nous ignorons cette
-importante vérité; ou si elle est sue de quelques philosophes qui ont
-approfondi la nature du gouvernement et des sociétés, elle est inconnue
-dans les conseils des princes. Quel roi contemporain de Charles VIII
-savoit que la nation avoit le caractère et les institutions d’un peuple
-inquiet et querelleur, mais non pas d’un peuple conquérant? Qu’on
-étoit loin de connoître ces lois d’union et de bienveillance qui
-doivent ne faire qu’une grande société de tous les états particuliers,
-et auxquelles la nature a attaché la propriété des hommes! Louis XI
-négligea, il est vrai, les prétentions ou les droits que la maison
-d’Anjou lui avoit donnés sur le royaume de Naples; mais il est douteux
-si cette modération fut l’ouvrage d’une connoissance approfondie de ses
-vrais intérêts, ou seulement de cette défiance qu’il avoit des grands
-de son royaume, et qu’il n’osoit perdre de vue.
-
-Quand Charles VIII parvint à la couronne, l’Italie étoit partagée
-entre plusieurs états qui avoient pris plus promptement que les
-autres provinces de l’Europe une forme certaine de gouvernement; et
-sans prévoir les suites funestes de leur ambition, ils travailloient
-avec opiniâtreté à s’agrandir aux dépens les uns des autres. Rome,
-Venise, Naples et Milan, tour à tour alliés et ennemis, aspiroient
-à la monarchie de l’Italie entière; mais aucune de ces puissances
-n’avoit des forces proportionnées à la grandeur de son projet. Les
-vices multipliés de leur gouvernement leur lioient continuellement les
-mains, et leurs milices, également mal disciplinées et peu aguerries,
-quoiqu’elles fissent sans cesse la guerre, ne pouvoient rien exécuter
-de considérable. Les Italiens, aveuglés par leurs haines et leur
-ambition, se flattoient toujours de réparer ces défauts irréparables
-par l’adresse supérieure de leur conduite; et à force d’avoir usé de
-ruse et de subtilité, ils étoient réduits à n’employer dans leurs
-négociations que la fourberie et la mauvaise foi. Toujours accablés
-du poids de leurs entreprises, ils tâchoient de suppléer à leur
-impuissance par des efforts extraordinaires qui les affoiblissoient
-chaque jour davantage. Tous avoient successivement des succès heureux,
-et éprouvoient successivement des revers; et cette vicissitude
-de fortune les condamnoit à s’épuiser, en restant dans une sorte
-d’équilibre qui éternisoit leur rivalité, leurs espérances et leur
-ambition.
-
-Dans le spectacle malheureux que présentoit l’Italie, il n’y avoit
-point de puissance, si elle eût su réfléchir, qui ne dût voir une image
-et un présage des malheurs qu’elle éprouveroit, en s’abandonnant aux
-mêmes passions: mais personne ne voulut s’instruire, et l’Italie même
-devint le foyer de la discorde générale de l’Europe. Ludovic Sforce
-craignoit le ressentiment de la cour de Naples, et n’osant compter
-sur les secours du pape et des Vénitiens, auxquels il s’étoit rendu
-suspect, ne trouva d’autres ressources contre le danger dont il étoit
-menacé, que d’inviter Charles VIII à passer en Italie pour y faire
-valoir les prétentions de la maison d’Anjou dont il étoit l’héritier.
-Ce projet insensé fut adopté avec empressement par le conseil de
-France, qui s’ennuyoit de la paix dont il n’étoit pas assez habile
-pour en tirer avantage. Il ne vit que les divisions des Italiens, la
-valeur des milices françaises, ses espérances et la honte de négliger
-une succession qui avoit coûté tant de sang à la maison d’Anjou. Sans
-attendre l’événement de cette entreprise, les flatteurs de Charles
-le placèrent au-dessus de tous ses prédécesseurs. On couroit déjà de
-conquête en conquête; Naples soumise devoit servir à soumettre la
-Grèce; comment Constantinople auroit-elle pu résister aux armes des
-Français? Et on jouissoit d’avance de la satisfaction de régner dans
-des provinces voisines de l’Asie, et qui faciliteroient à de nouveaux
-croisés la conquête de la Terre-Sainte. Pour le dire en passant, ce
-furent les nouveaux intérêts et la nouvelle politique que l’expédition
-de Charles VIII devoit faire naître en Europe, qui firent oublier ces
-projets ridicules de croisades dont les esprits n’étoient pas encore
-désabusés. Les princes chrétiens furent bientôt trop occupés à se
-défendre contre leurs voisins ou à les attaquer, pour songer à détruire
-les infidelles. Charles VIII médita de chasser les Turcs des domaines
-qu’ils possédoient en Europe, et François I, en les appelant en Hongrie
-pour faire en sa faveur une diversion sur les terres de la maison
-d’Autriche, les fit entrer dans le systême de guerre, d’agrandissement
-et de défense que formèrent les princes de la chrétienté.
-
-L’entreprise proposée par le duc de Milan fut à peine résolue qu’on
-en fit les préparatifs avec une extrême célérité, ou plutôt on n’eut
-pas la patience qu’ils fussent faits pour entrer en Italie. Personne
-n’ignore les succès prodigieux que les Français eurent dans les
-commencemens de cette expédition. La terreur les avoit précédés;
-tout se soumit sur leur passage et rechercha leur alliance ou leur
-protection. Tant de succès obtenus sans peine devoient augmenter la
-confiance aveugle des Français, et il n’auroit fallu que lasser leur
-patience, ou les battre une fois pour perdre sans retour un ennemi que
-le repos fatigue, qui ne pouvoit réparer ses forces qu’avec beaucoup
-de peine; et qui, ne prévoyant que des succès, n’avoit pris aucune
-précaution contre un revers. Le roi de Naples ne sut ni temporiser
-ni hasarder une bataille, et, ne consultant que sa consternation, il
-abandonna lâchement sa capitale, quand il auroit dû s’avancer sur
-sa frontière pour la défendre. Charles entra sans résistance dans
-les états d’un prince qui fuyoit; les peuples s’empressèrent de lui
-présenter leur hommage; et on auroit dit qu’il visitoit une province
-depuis long-temps soumise à son autorité.
-
-Tandis que les Napolitains, naturellement inconstans et toujours las
-du gouvernement auquel ils obéissent, ne songeoient qu’à secouer le
-joug d’un maître qui ne savoit ni les asservir ni s’en faire aimer,
-la république de Venise, occupée à former une ligue en faveur de la
-liberté d’Italie, menaça les Français d’un revers aussi prompt que
-leurs succès avoient été rapides. Soit que Charles fût incapable de
-se conduire avec plus de prudence qu’il n’avoit fait jusqu’alors,
-soit qu’il connût enfin combien son entreprise étoit au-dessus de ses
-forces, il vit l’orage prêt à fondre sur lui, et ne tenta pas même de
-le conjurer. Il abandonna Naples avec précipitation, traversa avec
-peine l’Italie, où il se croyoit en quelque sorte prisonnier, et ne
-gagne enfin la célèbre bataille de Fornoue que pour fuir en liberté
-dans ses états, et laisser à la discrétion de ses ennemis une poignée
-de Français qu’il avoit inutilement chargés de conserver sa conquête.
-
-Une entreprise commencée et terminée sous de si malheureux auspices,
-auroit dû dégoûter pour toujours les Français de la conquête du royaume
-de Naples, et plutôt inspirer à leurs ennemis des sentimens de mépris
-que de crainte, d’indignation et de vengeance. Si les uns, par leur
-disgrace, et les autres par leurs succès, avoient été capables de
-s’éclairer sur leurs vrais intérêts et de connoître leurs forces et
-leurs ressources, peut-être que la fuite précipitée de Charles auroit
-calmé l’inquiétude que son entrée en Italie avoit produite dans une
-partie de l’Europe. Son incursion, semblable à celle des anciens
-barbares, ne seroit peut-être point devenue le germe d’une révolution
-générale dans la politique.
-
-Comment les Italiens et les puissances intéressées à leur liberté,
-ne virent-ils pas après la retraite de Charles, que ce prince
-manquoit de tout ce qui lui étoit nécessaire pour faire des conquêtes
-importantes et éloignées? Ce qui s’étoit passé dans les derniers[281]
-états-généraux, n’étoit-il pas une preuve évidente de l’irrégularité,
-de la foiblesse et de l’ineptie de notre administration et de
-l’indifférence encore plus fâcheuse avec laquelle les citoyens
-voyoient et supportoient les maux de l’état? L’armée française n’étoit
-composée que d’une noblesse qui croyoit qu’il étoit de sa dignité
-d’être incapable de toute discipline, et de mercenaires qui, faisant
-la guerre comme un métier, vendoient leurs services: ce n’est point
-avec de pareilles milices qu’on peut faire de longues entreprises,
-ou s’affermir dans ses conquêtes. Depuis long-temps les finances,
-mal administrées, ne suffisoient point aux besoins ordinaires de
-l’état. Les Italiens en étoient instruits, puisque en entrant dans
-la Lombardie, Charles VIII s’étoit vu réduit à la dure extrémité de
-mettre en gage les bijoux que la duchesse de Savoye et la marquise de
-Montferrat lui prêtèrent; et ne devoient-ils pas en conclure que ses
-revenus ne pourroient subvenir aux dépenses nouvelles de la guerre
-d’Italie?
-
-Que les Français n’aient prévu, avant la conquête du royaume de
-Naples, aucune des difficultés qui s’y opposoient, c’est une suite
-naturelle de leur caractère inconsidéré; mais le malheur doit donner
-des lumières, et après avoir été chassés d’Italie, ne devoient-ils
-pas voir que quelque moyen qu’on employât pour engager les Italiens
-à souffrir patiemment Charles VIII parmi eux, on ne feroit que des
-efforts impuissans? Ce prince auroit promis et montré de la modération
-sans tromper personne. Comment les états d’Italie auroient-ils été
-assez stupides pour ne pas craindre l’abus que nous aurions bientôt
-fait de nos forces? et se seroient-ils rassurés sur la foi de quelques
-promesses ou de quelques traités inutiles? Il étoit impossible que
-le royaume de Naples pût se résoudre à devenir une province d’une
-puissance étrangère, à moins que d’y avoir été préparé par une longue
-suite d’événemens qui auroient lassé sa constance et changé ses
-intérêts. Le courage des Français, après avoir consterné les Italiens,
-devoit finir par les aguerrir. Quelles que fussent nos armées, elles
-se seroient fondues insensiblement dans un pays ennemi. Nos moindres
-échecs auroient eu les plus fâcheuses suites, et les secours propres à
-les réparer, auroient été lents et incertains; tandis que les Italiens,
-faisant la guerre chez eux, auroient trouvé après les plus grandes
-pertes des ressources promptes et certaines. Tant que l’Italie ne
-seroit pas entièrement subjuguée, les Français devoient craindre une
-révolution; parce qu’il suffisoit que quelque canton essayât de secouer
-le joug et eût quelque succès, pour rendre à tous les Italiens leur
-amour pour l’indépendance. D’ailleurs, que pouvions-nous espérer en
-négligeant les préliminaires indispensables à tout état qui veut être
-conquérant? Avant que de vouloir nous établir en Italie et y dominer,
-nous aurions dû nous préparer à cette conquête avec la même sagesse
-que les anciens romains; le seul peuple qui ait eu la patience et la
-politique d’une nation ambitieuse, accoutumoient leurs ennemis et
-leurs voisins à leur domination. Nous aurions dû d’abord ne paroître
-en Italie que comme auxiliaires, comme arbitres, comme pacificateurs,
-comme protecteurs désintéressés de la justice. Il auroit fallu essayer
-la domination par degrés, donner le temps aux Italiens de changer
-insensiblement de préjugés, et de contracter peu à peu de nouvelles
-habitudes qui les auroient disposés à souffrir un roi de France pour
-maître.
-
-Malheureusement les Français furent aussi présomptueux après leur
-fuite, qu’ils l’avoient été en entrant dans le royaume de Naples;
-et ils n’attribuèrent leurs malheurs qu’aux fautes particulières de
-Charles. On crut que si ce prince ne s’étoit pas livré à cette sorte
-de lassitude qu’une grande entreprise donne toujours à un homme
-médiocre, rien n’auroit été capable de le chasser de sa conquête. On
-lui reprocha de n’avoir été occupé que de ses plaisirs, et d’avoir
-négligé de réduire quelques places qui tenoient toujours pour leur
-ancien maître. Charles avoit répandu ses bienfaits avec une prodigalité
-qui étoit devenue une calamité publique; bientôt il fallut vexer le
-peuple, et les grands furent peu affectionnés à un prince qui ne
-pouvoit plus acheter leur amitié. Pour rétablir des finances épuisées
-par de vaines profusions, on eut recours à une avarice infâme, que
-le public ne pardonne jamais; les emplois furent vendus, les favoris
-de Charles firent un trafic honteux de leur crédit, et sa cour mit
-toutes les grâces à l’encan. Tandis que le gouvernement n’inspiroit
-que de la haine et du mépris aux Italiens, la discipline médiocre à
-laquelle les troupes avoient été formées, fut entièrement négligée.
-Le conseil, enfin, intimidé par la décadence des affaires, n’osa pas
-employer la force pour rétablir sa réputation; et en montrant de la
-foiblesse, donna de l’audace à ses ennemis. Que devoit-on attendre des
-négociations auxquelles on eut alors recours? Elles seront toujours
-inutiles à une puissance qui a cessé de se faire craindre; et les
-Français ne négocièrent en effet que pour être les dupes des artifices
-et de la mauvaise foi des Italiens.
-
-En ne voyant que ces fautes qui avoient hâté et non pas causé la fin
-malheureuse de l’entreprise de Charles, les Français imaginèrent qu’il
-seroit facile de les éviter dans une seconde expédition; et après
-être rentrés en France, ils eurent une impatience extrême de repasser
-en Italie. On murmuroit hautement contre la nonchalance du roi; et
-personne ne se doutoit que quand il auroit autant de sagesse qu’il
-avoit eu d’imprudence, il éprouveroit encore les mêmes disgraces.
-
-Qu’il auroit été avantageux pour la France et pour l’Europe entière,
-que dans chacune de ses opérations, ce prince eût montré tout ce qu’on
-pouvoit attendre de l’expérience la plus consommée, de la fermeté la
-plus héroïque et des talens les plus étendus. Les Français, alors
-étonnés d’échouer, en admirant le génie de leur maître, auroient sans
-doute appris qu’il y a des entreprises malheureuses par leur nature, et
-dont on ne répare pas les vices par les détails d’une bonne conduite.
-En connoissant les véritables causes de leurs revers, ils auroient
-compris qu’un état dont la politique n’est pas bornée à sa seule
-conservation, s’expose témérairement à tous les caprices de la fortune;
-et qu’il doit à la fin périr, parce que la fortune a plus de caprices
-que les hommes n’ont de sagesse. Si les Français avoient tiré cette
-instruction de l’entreprise de Charles sur l’Italie, ce règne auroit
-peut-être été aussi heureux pour la monarchie qu’il lui devint funeste,
-en lui donnant une ambition qu’elle ne pouvoit satisfaire et qui devoit
-l’épuiser. Les Français retenus chez eux, auroient pu s’occuper de
-leurs affaires domestiques, réparer les torts de leurs pères, chercher
-les moyens d’avoir des lois et de les fixer, corriger, en un mot, leur
-gouvernement avant que le sentiment de la liberté fût tout-à-fait
-éteint: du moins ils ne se seroient pas précipités dans les vices où
-le cours des passions et les événemens survenus depuis le règne du roi
-Jean sembloient les pousser.
-
-Malheureusement les Italiens ne jugèrent pas mieux que les Français
-de l’entreprise de Charles VIII. Si, en repoussant ce prince dans ses
-états, ils avoient pu estimer sa conduite, et croire que sa retraite
-étoit l’ouvrage de leur habileté, sans doute qu’une juste confiance
-leur auroit fait connoître leurs forces, et ils n’auroient pas senti
-le besoin de chercher des secours étrangers pour se défendre. Mais
-Charles quittoit Naples sans en être chassé, et la bataille de Fornoue
-leur persuada qu’ils ne devoient leur liberté qu’à un caprice de la
-fortune ou de leur vainqueur. Ils craignoient qu’un second caprice ne
-ramenât une seconde fois leurs ennemis en Italie, et plus les fautes
-de Charles avoient été grossières, plus ils eurent peur que ce prince,
-instruit par l’expérience, ne se corrigeât. Ne voyant qu’une ruine
-prochaine ou du moins des malheurs certains, ils entamèrent de tous
-côtés des négociations, et se représentèrent comme prêts à passer sous
-le joug de la France, si elle tentoit une seconde fois la conquête du
-royaume de Naples. Tous ces lieux communs, depuis si rabattus, et qui
-sont devenus autant de principes pour la politique de l’Europe, furent
-alors employés par les Italiens. La France, disoient-ils, est une
-puissance ambitieuse qui se souvient que les états de l’Europe se sont,
-pour ainsi dire, formés des débris de la monarchie de Charlemagne; et
-n’en doutez pas, elle médite de les soumettre une seconde fois à son
-obéissance. Elle s’essaie sur nous à vous vaincre, et il est de votre
-intérêt de nous protéger. Il seroit insensé de croire que des succès
-lui donnassent de la modération; il faut, dès aujourd’hui, s’opposer à
-son agrandissement; après lui avoir permis de s’établir dans une partie
-de l’Italie, il ne seroit plus temps de réprimer son ambition.
-
-Si les Italiens ne communiquèrent pas leur crainte aux puissances
-à qui ils s’adressèrent, ils réveillèrent du moins la jalousie et
-l’inquiétude avec lesquelles elles avoient vu les premiers succès de
-Charles. Il y eut une fermentation générale dans le midi de l’Europe:
-tous les états commencèrent à être plus occupés de leurs voisins que
-d’eux-mêmes. Il ne se forma pas une seule ligue pour attaquer les
-Français chez eux et les empêcher de se porter au-dehors; mais on étoit
-déjà assez rapproché, pour qu’on pût réunir promptement ses forces et
-les opposer à la France, si elle reportoit encore ses armes au-delà des
-Monts. Qu’on me permette de le dire; cette politique étoit le fruit
-d’une ambition mal entendue ou d’une terreur panique. Importoit-il au
-roi d’Espagne et à l’empereur de porter la guerre en Italie, et de s’y
-faire des établissemens, sous prétexte de défendre sa liberté? Ces
-conquêtes étoient inutiles au bonheur de leurs sujets, et devoient
-les exposer aux mêmes revers que Charles VIII venoit d’éprouver.
-Quand il auroit été du plus grand intérêt pour ces princes d’empêcher
-l’établissement des Français dans le royaume de Naples, ne devoient-ils
-pas juger qu’il seroit aussi aisé aux Italiens de se défendre avec
-leurs seules forces, qu’il seroit difficile à leurs ennemis de
-surmonter les obstacles toujours renaissans qui s’opposeroient au
-succès de leur entreprise.
-
-En effet, la cour de Rome, revenue de sa première terreur, auroit tout
-tenté pour empêcher qu’une puissance plus redoutable pour elle que ne
-l’avoient été les empereurs, ne s’établît en Italie, et ne lui ravît
-l’espérance d’y dominer. Elle devoit opposer aux Français les armes de
-la religion, bien plus effrayantes avant que Luther et Calvin eussent
-publié leur doctrine, qu’elle ne l’ont été depuis: et quel n’étoit pas
-alors le pouvoir de ses anathèmes et de ses indulgences? Ses relations
-s’étendoient dans toute l’Europe; ses émissaires étoient répandus
-par-tout; elle n’avoit pas oublié l’art d’intriguer et d’affoiblir ses
-ennemis, en semant la division parmi eux. La république de Venise,
-à qui Comines prédit de hautes destinées, et qui avoit du moins sur
-tous les autres états de la chrétienté l’avantage d’avoir un caractère
-décidé et des principes constans de conduite, étoit pour l’Italie un
-rempart puissant contre lequel le courage inconsidéré des Français
-devoit se briser. Malgré quelques vices qui gênoient ou retardoient
-les ressorts de son gouvernement, quoiqu’elle ne sût pas assez l’art
-de rendre sa domination agréable à ses voisins, et qu’elle eût le tort
-d’être à la fois ambitieuse et commerçante, cette république étoit
-cependant constante dans ses projets, et capable de la patience la
-plus courageuse dans les revers. Sa capacité dans les affaires lui
-avoit acquis le plus grand crédit, et ne pouvant jamais consentir
-à voir entre les mains des Français une conquête d’où ils auroient
-continuellement menacé ses domaines, et troublé la paix de l’Italie,
-elle auroit bientôt étouffé cette antipathie qu’elle avoit pour
-quelques-uns de ses voisins, et qui la portoit habilement à préférer
-des secours étrangers.
-
-La haine de la république de Venise et de la cour de Rome contre les
-Français seroit devenue, en peu de temps, la passion générale de
-l’Italie. Les princes les moins puissans sentoient qu’ils ne devoient
-leur existence et leur liberté qu’à la jalousie qui divisoit les
-puissances les plus considérables; et ils en auroient conclu que,
-dès qu’elles seroient opprimées par la France, il n’y auroit plus
-de souveraineté pour eux. La juste défiance des Italiens, les uns à
-l’égard des autres, le souvenir de leurs trahisons passées et des
-injures qu’ils s’étoient faites, tout auroit été sacrifié à la crainte
-qu’un danger éminent leur inspireroit: on ne songe plus à faire des
-conquêtes ni à dominer ses voisins, quand on est occupé du soin de
-sa conservation ou menacé de sa ruine. Les mêmes motifs d’intérêt
-qui avoient autrefois porté les Italiens à mettre tant de ruse et
-d’artifice dans leurs négociations, et de se jouer de leurs sermens,
-les auroient actuellement invités, ou plutôt forcés à traiter entre eux
-avec quelque candeur et de bonne foi.
-
-La Toscane, riche, florissante, toujours agitée, toujours inquiète sur
-le sort de sa liberté, pouvoit occuper elle seule pendant long-temps
-les forces de la France. Si son gouvernement populaire et ses factions
-l’exposoient à faire de grandes fautes, ils lui donnoient aussi le
-courage et la constance qui multiplient les forces et les ressources
-d’un peuple. Le duc de Milan lui-même avoit à peine satisfait sa
-vengeance, en appelant Charles VIII dans le royaume de Naples, qu’il
-dut ouvrir les yeux sur sa situation, et voir le danger dans lequel
-il s’étoit précipité. Aucun prince d’Italie n’avoit un intérêt aussi
-pressant que lui de se déclarer contre les Français. Ses états étoient
-plus à leur bienséance que tout autre, et il n’ignoroit pas les droits
-de la maison d’Orléans[282] sur le Milanez. Il est vrai que cette
-maison, suspecte à Charles, avoit peu de crédit; mais il ne falloit
-qu’une de ces intrigues qui changent souvent en un instant la face
-des cours, pour lui rendre la plus grande autorité, et la mettre à
-portée de revendiquer son héritage. D’ailleurs, Charles n’avoit point
-d’enfant, et sa mort pouvoit porter le duc d’Orléans sur le trône.
-
-Si les puissances qui se liguèrent avec les Italiens craignoient
-pour elles-mêmes les forces réunies de la France, pouvoient-elles
-désirer quelque chose de plus heureux que de voir recommencer une
-guerre qui devoit occuper pendant long-temps et loin d’elles le
-courage inquiet des Français? Il étoit aisé de juger que les Italiens
-étoient plutôt étonnés que vaincus, et que Charles VIII ne seroit pas
-plus heureux dans une seconde entreprise sur l’Italie, qu’il l’avoit
-été dans la première. Les rois ne se corrigent pas de leurs fautes
-comme les autres hommes. Il falloit permettre à Charles de s’épuiser
-laborieusement en courant après des conquêtes chimériques; il falloit
-laisser aux Italiens le soin de conserver leur liberté, pour qu’ils
-la conservassent en effet, et croire que le désespoir leur fourniroit
-des secours pour se défendre, ou pour se relever après leur chute.
-Les Français étoient plus braves que les Italiens; mais la bravoure
-toute seule, qui décide quelquefois d’un succès, d’une bataille, ne
-règle jamais le sort d’une guerre. En s’exposant patiemment à être
-vaincus, les Italiens se seroient aguerris, et auroient enfin appris
-à vaincre les Français. Le courage s’acquiert, l’histoire en fournit
-mille preuves, et nous avons vu de nos jours les Russes, beaucoup moins
-braves que ne l’étoient autrefois les Italiens, défaire Charles XII
-et les Suédois. Si une armée n’est pas disciplinée, si elle n’est pas
-conduite par un général capable de s’affermir en politique dans les
-pays qu’il a conquis en capitaine; si elle agit sous les auspices d’un
-gouvernement qui ne se propose aucun objet raisonnable, son courage
-l’empêchera-t-il d’être à la fin ruinée? Mais en supposant que, par une
-espèce de miracle, la France eût réussi à conquérir et conserver le
-royaume de Naples, le roi d’Espagne et l’empereur devoient-ils penser
-qu’elle en seroit plus redoutable pour eux. Il est certain que cette
-nouvelle possession seroit devenue à charge à ses maîtres. Il auroit
-fallu la conserver avec peine et par de grandes dépenses, et elle
-n’auroit contribué ni à la sûreté ni au bonheur des anciennes provinces
-de la domination Française. L’inquiétude, les soupçons, les craintes
-et la haine des Italiens auroient préparé des alliés aux puissances
-jalouses de la grandeur des Français. Les intérêts du royaume de Naples
-et les intérêts de la France n’auroient jamais été les mêmes; souvent
-ils auroient été opposés, et en voulant les concilier, on les auroit
-également trahis. Les personnes qui ont examiné la politique de la
-maison d’Autriche et l’embarras où la jetoient des états séparés les
-uns des autres, comprendront aisément ce que je dis ici. Plus la France
-auroit employé de forces au-delà des monts pour contenir les Italiens,
-plus elle auroit senti la nécessité de ménager ses anciens voisins.
-Charles VIII avoit donné la Cerdagne et le Roussillon au roi d’Espagne,
-et restitué le comté de Bourgogne à l’empereur Maximilien, pour les
-engager à être spectateurs tranquilles de son entrée en Italie, et
-ses successeurs auroient encore été obligés d’acheter, par de pareils
-sacrifices, la neutralité des mêmes princes.
-
-La guerre de Charles VIII ne causa qu’un ébranlement passager dans
-la politique de l’Europe, et malgré les alarmes et les négociations
-des Italiens, cette première commotion n’auroit eu aucune suite, si
-Louis XII, capable de renoncer par sagesse à une entreprise que son
-prédécesseur avoit abandonnée par inconstance et légéreté, eût donné
-le temps aux passions de se calmer. Malheureusement ce prince prit
-les préjugés de ses sujets pour la règle de sa conduite; et craignant
-qu’on ne lui fît les mêmes reproches qu’il avoit vu faire à Charles,
-il se crut destiné à réparer l’honneur de sa nation. Il jugea de
-l’étendue de ses forces par la crainte qu’en avoient les Italiens,
-et fut d’autant plus empressé à porter la guerre au-delà des Alpes,
-que outre ses droits sur le royaume de Naples, il réclamoit encore
-le Milanez comme son héritage. En augmentant ses prétentions, il se
-flatta peut-être de rendre sa cause meilleure, et il ne faisoit, au
-contraire, que multiplier les difficultés qui l’attendoient. En effet,
-les Italiens devoient souffrir bien plus impatiemment les Français
-dans le duché de Milan que dans le royaume de Naples. Il étoit plus
-facile aux rois de France de conserver cette première conquête que la
-seconde; ils pouvoient y faire passer plus commodément des secours, et
-en établissant leur domination dans les deux extrémités de l’Italie,
-ils l’auroient en quelque sorte enveloppée de leurs forces.
-
-Dès que l’Italie se vit inondée d’armées étrangères qui vouloient
-l’asservir, ou qui avoient été appelées à sa défense, elle servit
-de théâtre à une guerre dont il fut, pour ainsi dire, impossible
-d’éteindre le feu. Chacune des puissances qui avoient pris les armes,
-ne tarda pas à se faire des intérêts à part. Tandis que la France se
-flattoit de débaucher quelqu’un des princes qui protégeoient la liberté
-de l’Italie, ces alliés infidelles avoient déjà conçu l’espérance
-d’asservir les Italiens qu’ils méprisoient; et ceux-ci voyant à
-leur tour qu’ils étoient également menacés de leur ruine par leurs
-protecteurs et leurs ennemis, songèrent séparément à leur salut, et y
-travaillèrent inutilement par des moyens opposés. Les uns se firent
-une loi de céder à la nécessité et d’éviter tout danger présent, sans
-examiner quelles en seroient les suites. Les autres, plus courageux,
-formèrent le projet insensé de chasser de chez eux les étrangers, en
-se servant tour à tour de leurs armes pour les perdre les uns par les
-autres. Substituer ainsi aux intérêts d’une politique raisonnable, les
-intérêts chimériques des passions, c’étoit jeter les affaires dans un
-chaos qu’il seroit impossible de débrouiller. On n’eut plus de règle
-certaine pour discerner ses ennemis et ses alliés; on craignit et on
-plaça sa confiance au hasard; et sans s’en apercevoir, on s’éloigna
-du but auquel on tendoit. Tous les jours il fallut éviter un danger
-nouveau, vaincre une difficulté nouvelle, et se tracer un nouveau plan
-de conduite; de là les ruses, les trahisons, les perfidies, les fausses
-démarches qui déshonorent ce siècle, et les révolutions inopinées
-et bizarres qui étoient un triste présage que la guerre ne finiroit
-que par l’épuisement de toutes les puissances belligérantes, et que
-le vainqueur, c’est-à-dire, le prince qui seroit le dernier à poser
-les armes, ne se trouveroit pas dans un état moins fâcheux que les
-vaincus. En effet, la maison d’Autriche n’acquit pas des établissemens
-considérables en Italie, parce qu’elle étoit en état d’y dominer;
-mais parce que ses ennemis, moins riches qu’elle et plutôt épuisés, ne
-furent plus assez forts pour lui disputer sa proie. Sa conquête ne lui
-fut d’aucun secours pour exécuter les vastes projets qu’elle méditoit,
-et l’affoiblit au contraire en multipliant ses ennemis.
-
-On reproche cent fautes à Louis XII; mais, à proprement parler, il
-n’en a fait qu’une, et c’est d’avoir voulu exécuter un projet dont
-l’exécution étoit impossible. S’agissant de s’établir en Italie, sans
-avoir les forces nécessaires pour intimider constamment ses ennemis
-et inspirer une confiance continuelle à ses alliés; les uns et les
-autres devoient changer de vues, de projets et d’engagemens, à chaque
-événement favorable ou désavantageux des armées Françoises. Parce
-que leur politique étoit flottante, celle de Louis l’étoit aussi; et
-quelque négociation qu’il eût entamée, quelque traité qu’il eût conclu,
-quelque projet de campagne qu’il eût formé, son embarras étoit toujours
-le même; de nouvelles difficultés demandoient de nouveaux arrangemens,
-et quoiqu’il fît, il sembloit n’avoir jamais pris que de fausses
-mesures: ce qu’il a exécuté hier nuit à ce qu’il veut entreprendre
-aujourd’hui. Mais quand il n’auroit fait aucune des imprudences dont
-on l’accuse, ne voit-on pas qu’étant dans l’impuissance de réussir, en
-conduisant une entreprise au-dessus de ses forces, il paroîtroit avoir
-toujours fait une faute? S’il partage le royaume de Naples avec le roi
-d’Espagne, il se fait un ennemi de son allié, et s’expose à perdre la
-portion qu’il a acquise, mais s’il n’eût pas consenti à ce partage, il
-n’auroit jamais pu faire la conquête qu’il méditoit. Il lui importe
-d’humilier la république de Venise; mais s’il tente d’exécuter ce
-projet avec ses seules forces, il y échouera nécessairement; et s’il
-cherche des secours étrangers, il ne doit trouver pour alliés que des
-princes qui le craignent plus qu’ils ne haïssent les Vénitiens, qui
-lui donneront des promesses et l’abandonneront. S’il souffre que les
-suisses lui fassent la loi dans son armée, leur alliance lui sera à
-charge; et s’il se brouille avec eux, ils s’en vengeront en offrant
-leurs forces au duc de Milan, dont il veut envahir les états.
-
-«Nous ne devons pas mesurer les démarches du roi de France (fait dire
-Guichardin à un des principaux sénateurs de Venise,) sur la conduite
-que tiendroit vraisemblablement un homme sensé; c’est au caractère
-de celui dont on craint les desseins qu’il faut s’attacher, si l’on
-veut pénétrer ses conseils et découvrir ses desseins. Ainsi, pour
-juger de ce que feront les Français, n’examinons plus les règles de
-la prudence qu’ils devroient suivre. Il ne faut faire attention qu’à
-leur vanité, qu’à leur téméraire impétuosité, qui leur fait haïr le
-repos, et dont les mouvemens ne sont jamais réguliers.» Mais quand les
-Français n’auroient eu aucun des vices que Guichardin leur reproche,
-comment leurs mouvemens n’auroient-ils pas été irréguliers, puisque
-la nature même de leur entreprise ne leur en permettoit pas d’autres?
-Je voudrois que cet historien nous eût tracé le plan de conduite que
-devoit tenir Louis XII. Quel fil la prudence pouvoit-elle fournir
-à ce prince pour sortir du labyrinthe où il avoit fait la faute de
-s’engager? Sans doute, il faut étudier le caractère de son ennemi
-pour prévoir ses démarches et s’y opposer; mais s’il est vrai que
-les affaires commandent plus souvent aux hommes que les hommes aux
-affaires, n’est-il pas plus essentiel d’examiner, si je puis parler
-ainsi, l’esprit d’une entreprise que le génie de celui qui la dirige?
-Il auroit été digne de la sagacité de Guichardin, en recherchant les
-causes qui firent échouer Louis XII, de distinguer les fautes qui
-tenoient à son caractère ou aux vices des Français, de celles qui
-étoient une suite nécessaire de son entreprise, et que la politique la
-plus profonde et les talens pour la guerre les plus étendus, n’auroient
-pu prévenir.
-
-«Les rois, ajoute Guichardin, s’abaissent-ils à penser comme les autres
-hommes? Résistent-ils à leurs désirs comme des particuliers? Adorés
-dans leur cour, obéis au moindre signe, ils sont remplis d’orgueil
-et de fierté, la moindre résistance les irrite, et la flatterie les
-accoutume à ne se pas tenir en garde contre la présomption. Ils se
-persuadent que d’un seul mot toutes les difficultés s’aplaniront, et
-que la nature doit fléchir sous leur impérieuse volonté. Céder aux
-obstacles, paroît à leurs yeux une foiblesse. Leurs désirs servent de
-règle à leurs entreprises. Ils négligent les maximes trop communes de
-la raison, et décident les plus grandes affaires aussi précipitamment
-que les petites. Tel est le caractère ordinaire des rois, et Louis XII
-est-il exempt de ces défauts communs à tous les princes? Non, et l’on
-ne peut douter de son imprudence, après les preuves récentes qu’il en a
-données.» Si Guichardin appliquoit ce lieu commun à Charles VIII ou à
-François I, on ne pourroit qu’y applaudir; puisqu’à la fois négligens,
-inattentifs et précipités dans toutes leurs démarches, ils étoient
-destinés à n’être jamais heureux, même en conduisant des entreprises
-d’une exécution facile. Mais Louis XII n’eut aucun de leurs défauts, et
-peut-être que tous ses torts, après être entré en Italie, se bornent à
-avoir espéré opiniâtrement de s’y établir.
-
-Quoiqu’il en soit des alliances, des guerres, des paix et des trêves de
-ce prince, dont il seroit trop long d’examiner ici les détails, pour
-en faire l’apologie ou la censure, il est certain que le règne d’un
-roi, dont toutes les intentions étoient droites, qui vouloit le bonheur
-de son peuple, qui avoit des vertus et même quelques talens pour
-gouverner, ne servit qu’à préparer à la France et à l’Europe entière
-une longue suite de calamités. Il ne tenoit qu’à lui de dissiper
-entièrement les soupçons, les craintes, les espérances et les rivalités
-que l’entreprise téméraire de Charles sur l’Italie avoit fait naître.
-Les esprits alloient se calmer, et sa persévérance à poursuivre des
-prétentions qu’il eût été sage et heureux de négliger, fixa en quelque
-sorte les intérêts et la politique de ses successeurs. L’habitude de
-vouloir faire des conquêtes fut contractée avant que d’avoir eu le
-temps d’y réfléchir. L’Europe se trouva malgré elle dans un nouvel
-ordre de choses, et François I, qui aimoit la guerre en aventurier ou
-en héros, n’étoit que trop propre à confirmer ses sujets, ses voisins
-et ses ennemis dans leur erreur.
-
-Il ne faut pas cependant reprocher à ce prince seul d’avoir entretenu
-dans l’Europe la fermentation que les guerres de Louis XII y avoient
-fait naître. En effet, Charles-Quint n’avoit pas besoin que François I
-lui eût disputé l’Empire, et voulût, à l’exemple de ses prédécesseurs,
-se faire un établissement en Italie, pour être jaloux de sa réputation
-et le haïr. Né avec cette ambition extrême qui ne voit aucun obstacle,
-ou qui espère de vaincre toutes les difficultés, il avoit appris dès
-sa plus tendre enfance que la France avoit des torts avec ses pères.
-Héritier de la maison de Bourgogne, de Maximilien et de Ferdinand, il
-croyoit avoir des droits à revendiquer et des injures à venger. Outre
-les provinces considérables qu’il occupoit en Allemagne, ce prince
-possédoit l’Espagne, les Pays-Bas, la Franche-Comté et le royaume de
-Naples. Ces états dispersés lui offroient de tous côtés des frontières
-et des ennemis; il auroit dû en être effrayé; et il ne regarda ces
-différentes possessions que comme autant de places d’armes d’où il
-pouvoit, en quelque sorte, menacer et dominer toutes les puissances de
-l’Europe. Son ambition s’accrut par les choses mêmes qui auroient dû la
-ralentir; et il se persuada d’autant plus facilement qu’il parviendroit
-à la monarchie universelle, que l’Amérique lui prodiguoit des richesses
-immenses.
-
-Assez habile pour découvrir les causes qui avoient fait échouer
-l’ambition de la France, il crut qu’une puissance aussi considérable
-que la sienne n’éprouveroit pas les mêmes disgraces. Il sentoit la
-supériorité de génie qu’il avoit sur les princes ses contemporains, et
-il eut la confiance qui l’accompagne ordinairement. L’Europe admira
-sa prudence, son courage, son activité; et si, malgré ses talens, il
-eut le sort de Louis XII, le mauvais succès de ses entreprises auroit
-vraisemblablement instruit ses alliés et ses ennemis de leurs vrais
-intérêts, et les états ne se seroient point livrés à cette politique de
-conquête et de rapine qui devoit leur être si funeste. Malheureusement
-Charles-Quint parvint, à force d’art, à faire quelques acquisitions,
-et il n’en fallut pas davantage pour justifier sa conduite. On crut
-que l’ouvrage qu’il n’avoit qu’ébauché pouvoit être consommé; les
-uns tremblèrent, les autres eurent plus de confiance. On se fit des
-misérables principes de fortune, d’agrandissement et de défense, qui
-furent regardés comme les maximes de la plus saine politique; et toute
-l’Europe fut emportée par un mouvement rapide de préjugés, d’erreurs
-et de passions, qui n’a été ni suspendu ni calmé par deux siècles de
-guerres malheureuses et infructueuses.
-
-Tandis que les princes s’accoutumoient à penser que tout l’art de
-régner est l’art d’agrandir ses états, leurs sujets sortirent de
-l’ignorance où jusques-là ils avoient été plongés. On diroit que les
-esprits étonnés par cette espèce de grandeur et d’audace que présentoit
-la politique nouvelle, s’agitèrent et sentirent de nouveaux besoins.
-L’occident étoit préparé à prendre de nouvelles mœurs, lorsque les
-Grecs, qui fuyoient après la prise de Constantinople, la domination
-des Turcs, transportèrent en Italie les connoissances qui s’étoient
-conservées dans l’empire d’Orient. Les lumières commencèrent à se
-répandre, mais elles ne se portèrent malheureusement que sur des objets
-étrangers au bonheur des hommes. Les Grecs depuis long-temps n’avoient
-plus rien de cette élévation d’ame qui avoit rendu leurs pères si
-illustres. Vaincus par les étrangers, avilis sous un gouvernement
-tyrannique et fastueux, ils ne connoissoient que des arts inutiles,
-et cultivoient moins les lettres en philosophes qu’en sophistes
-ou en beaux esprits. Des hommes accoutumés à l’esclavage étoient
-incapables de voir dans l’antiquité ces grands modèles qu’elle offre
-à l’admiration de tous les siècles, et d’y puiser la connoissance des
-droits et des devoirs des citoyens, et des ressorts secrets qui font le
-bonheur ou le malheur des nations. Sous de tels maîtres, les Italiens
-ne firent que des études frivoles, et s’ils eurent plus de talens, ils
-n’en furent guère plus estimables.
-
-Une émulation générale excita le génie, et dans tous les genres
-l’esprit humain fit un effort pour franchir ses limites et rompre
-les entraves qui le captivoient. Le commerce, autrefois inconnu, ou
-du moins extrêmement borné dans ses relations, fit subitement des
-progrès considérables. Une certaine élégance qui s’établit dans
-quelques manufactures de l’Europe, fit malheureusement dédaigner les
-arts grossiers, qui jusqu’alors avoient suffi. Le faste des rois et le
-luxe des riches aiguillonnèrent l’industrie des pauvres, et on crut
-augmenter son bonheur en multipliant les besoins de la mollesse et de
-la vanité. Qui reconnoîtroit sous le règne de François I les petits
-fils des Français, dont les mœurs encore rustiques se contentoient
-de peu, et n’avoient qu’un faste sauvage? Le goût funeste des choses
-rares et recherchées se répandit de proche en proche dans la plupart
-des nations. Que nous sommes insensés de ne pas voir que plus de bras
-travaillent à la composition de nos plaisirs et de nos commodités,
-moins nous serons heureux! déjà l’Europe n’a plus assez de richesses
-et de superfluités pour suffire à la volupté impatiente de ses
-habitans. La navigation se perfectionne; les hommes, dirai-je, enrichis
-ou appauvris par les productions des pays étrangers, méprisent les
-biens que la nature avoit répandus dans leur pays. On avoit doublé
-le cap de Bonne-Espérance et découvert un nouveau monde sous un ciel
-inconnu; et tandis que le midi de l’Asie nous prodiguoit des richesses
-superflues, qui peut-être ont contribué plus que tout le reste à rendre
-les Asiatiques esclaves sous le gouvernement le plus dur et le plus
-injuste, l’Amérique, prodigue de son or et de son argent, aiguisa,
-augmenta et trompa l’avarice et le luxe de l’Europe.
-
-L’impulsion étoit donnée aux esprits, et on eut l’audace d’examiner
-des objets qu’on avoit respectés jusques-là avec la soumission la plus
-aveugle; en s’éclairant, les hommes furent moins dociles à la voix
-du clergé, et dès ce moment il fut aisé de prévoir que son autorité
-éprouveroit bientôt quelque revers. Je ne répéterai point ici ce que
-j’ai dit[283] ailleurs, de la manière dont les papes profitèrent de
-l’ignorance et de l’anarchie qui défiguroient la chrétienté pour
-étendre leur puissance, et parvinrent à se faire redouter des rois
-et régner impérieusement sur le clergé. Qu’il me suffise de dire que
-dans le haut degré d’élévation où la cour de Rome étoit parvenue,
-elle ne voulut s’exposer à aucune contradiction; et craignit autant
-de convoquer des conciles, que les rois craignoient d’assembler les
-diètes ou les états-généraux de leur nation. On ne tarda donc pas de
-reprocher au gouvernement des papes les mêmes vices et les mêmes abus
-qu’on reprochoit à l’administration des princes qui s’étoient emparés
-dans leurs états de toute la puissance publique. La cour de Rome eut
-des ministres et des flatteurs qui ne furent ni moins avides ni moins
-corrompus que ceux des rois: tout s’y vendit, jusqu’au privilége de
-violer les lois les plus saintes de la nature.
-
-Il faudroit bien peu connoître le cœur humain, pour croire qu’en
-obéissant à un chef si vicieux, le clergé n’eût pas les mœurs
-corrompues: l’ignorance, la simonie, le concubinage et mille autres
-vices déshonoroient l’épiscopat. Certainement l’église avoit besoin de
-la réforme la plus éclatante dans son chef et dans ses membres; mais
-personne ne songeoit à la désirer. Après avoir souffert patiemment
-les excès d’un monstre, tel qu’Alexandre VI, sans le déposer, ses
-successeurs, qui n’eurent aucune vertu chrétienne, passèrent pour
-de grands papes. L’effronterie avec laquelle le clergé se montroit
-tel qu’il étoit, lui avoit, pour ainsi dire, acquis le droit funeste
-de ne plus scandaliser et de ne se point corriger. On auroit
-vraisemblablement permis à Léon X de faire un trafic honteux de ses
-indulgences, et d’ouvrir et de fermer à prix d’argent les portes du
-paradis et de l’enfer, s’il avoit confié cette ferme scandaleuse aux
-mêmes personnes qui jusqu’alors en avoient eu la régie; il ne le fit
-pas, et cette faute devint le principe d’une grande révolution. Les
-facteurs ordinaires de la cour de Rome, se voyant privés des profits
-qu’ils faisoient sur la superstition, décrièrent, pour se venger, les
-indulgences, les bulles et les pardons que d’autres avoient mis en
-vente.
-
-A peine Luther eut-il levé l’étendard de la révolte contre le pape,
-qu’on fut étonné d’avoir aperçu si tard les abus intolérables dont il
-se plaignoit avec amertume. Sa doctrine eut les plus grands succès,
-et la cour de Rome, qui auroit dû se corriger, ne fut qu’indignée de
-l’insolence d’un moine qui avoit l’audace de la censurer et de braver
-son autorité. Elle le déclara hérétique, et en séparant ses sectateurs
-de la communion romaine, Luther lui jura une haine éternelle. Calvin
-qui le fuyoit, porta une main encore plus hardie sur la religion. Le
-premier, qui se défioit du succès de ses raisons, eut des ménagemens
-que le second n’eut point, en voyant le clergé consterné de ses
-défaites et à moitié vaincu. Plus il tâcha de se rapprocher de la
-simplicité des premiers siècles de l’église, plus il éleva, si je
-puis parler ainsi, un mur de séparation entre sa doctrine et celle de
-l’église romaine.
-
-On ne sauroit trop louer le zèle de ces deux novateurs, si, respectant
-le dogme, ils s’étoient contentés de montrer les plaies profondes que
-l’ignorance, l’ambition, l’avarice et la superstition avoient faites à
-la morale de l’évangile. En attaquant les vices des ecclésiastiques,
-il auroit fallu respecter leur caractère; et au lieu de les irriter
-par des injures et des reproches amers, les inviter avec douceur à
-se corriger. Si on vouloit substituer à la monarchie absolue du pape
-l’ancien gouvernement des apôtres, il falloit instruire les évêques de
-leurs droits, leur apprendre par quels artifices leur dignité avoit
-été avilie, et par quels moyens ils pouvoient la rétablir. Si Luther
-et Calvin avoient défendu leurs opinions avec moins de hauteur et
-d’emportement, la cour de Rome auroit, selon les apparences, protégé
-avec moins d’opiniâtreté les abus qu’elle avoit fait naître: la vérité
-auroit peut-être triomphé et réuni tous les esprits.
-
-Au milieu des disputes théologiques qui commençoient à occuper et
-troubler toute l’Europe, il n’y a eu que quelques hommes modérés,
-justes et éclairés, qui furent capables de tenir la balance égale entre
-les deux religions; et les efforts qu’ils firent pour les concilier,
-ne servirent qu’à les rendre également odieux aux catholiques et aux
-réformateurs. On n’écouta que son zèle; et quand il n’est pas éclairé,
-il dégénère bientôt en fanatisme. La France, ainsi que plusieurs autres
-états, se trouva partagée en deux partis ennemis; révolution qui,
-jointe à celles que sa politique et ses mœurs avoient déjà souffertes,
-devoit influer dans son gouvernement et donner de nouveaux intérêts et
-de nouvelles passions à tous les ordres de l’état.
-
-
-
-
- CHAPITRE II.
-
- _Louis XII et François I profitent des changemens survenus
- dans la politique et les mœurs de l’Europe, pour étendre leur
- pouvoir et ruiner la puissance dont les grands s’étoient
- emparés._
-
-
-Les changemens survenus dans les intérêts de la France, ou plutôt
-dans la manière de les envisager relativement aux étrangers, devoient
-nécessairement faire contracter de nouvelles habitudes aux Français,
-et les accoutumer à voir leurs intérêts domestiques d’un autre œil
-que leurs pères ne les avoient vus. La noblesse impatiente, légère,
-et dont le crédit étoit considérable dans la nation, n’aimoit et
-n’estimoit que la guerre; non pas comme aujourd’hui, par un préjugé
-froid qui lui persuade que toute autre profession est indigne d’elle;
-mais par goût et parce que n’étant en effet propre qu’à se battre
-avec beaucoup de courage, elle se croyoit destinée à défendre l’état
-et faire des conquêtes. Les premiers succès de Charles VIII en
-Italie flattèrent si agréablement sa vanité, que les disgraces qui
-les suivirent, ne purent la retirer de son erreur. D’autres motifs
-peut-être contribuèrent encore à lui faire illusion. Elle espéra de
-grands établissemens en Italie, les guerres étrangères lui ouvroient
-de nouvelles portes à la fortune; et devenant plus nécessaire et plus
-importante, le gouvernement la ménageoit avec plus de soin. Quoi qu’il
-en soit, la noblesse s’accoutuma à regarder la conquête du royaume de
-Naples et du Milanez comme une entreprise très-sage. Plus les obstacles
-se multiplièrent, plus elle crut qu’il seroit beau d’en triompher; plus
-on s’occupoit des affaires du dehors, moins on étoit attentif à celles
-du dedans. Si le gouvernement hésitoit à faire des entreprises sur les
-immunités et les franchises de la nation, la noblesse lui reprochoit sa
-lenteur et l’accusoit de foiblesse. Le pouvoir arbitraire, acquérant
-ainsi de jour en jour de nouvelles forces, ne redoutoit plus cette
-inquiétude qui avoit autrefois agité les Français, et qui auroit
-encore pu renaître, s’ils n’eussent été occupés que de leurs affaires
-domestiques.
-
-En effet, tous les ordres de l’état se laissèrent enivrer par ces idées
-de gloire et de conquête que la noblesse leur avoit communiquées. Le
-peuple lui-même, toujours victime de la guerre, dont il ne retire dans
-une monarchie aucun avantage, ne parloit ridiculement que de conquérir
-des provinces et d’humilier ses voisins, et croyoit son honneur
-intéressé à voir régner son maître sur Naples et sur Milan. Un pareil
-préjugé étoit une preuve des progrès que la monarchie avoit déjà faits,
-et un présage encore plus certain de ceux qu’elle alloit faire.
-
-Louis XII éprouva des disgraces assez considérables pour devoir retirer
-ses sujets de leur erreur, mais ses vertus empêchoient qu’on ne vît
-ses fautes, ou les faisoient excuser. Quand le poids des impositions
-auroit pu commencer à dégoûter de la guerre, et rappeler le souvenir
-des états-généraux et des anciennes franchises, Louis, touché des maux
-publics, ne s’opiniâtra point à poursuivre ses avantages ou à réparer
-ses pertes en Italie. On lui savoit gré de conclure mal à propos une
-trève ou une paix, et de paroître oublier sa gloire et ses projets de
-conquête pour ne pas épuiser la fortune de ses sujets. Ce sentiment
-de bonté et de bienveillance, si nouveau dans un roi, et qui a mérité
-à Louis XII le titre de père du peuple, préparoit tous les cœurs à le
-seconder avec l’empressement le plus vif, quand il voudroit recommencer
-la guerre. Sous un prince qui paroissoit économe, l’avarice des sujets
-ne causa aucune agitation; et parce que Louis ménageoit leur fortune,
-ils l’en laissèrent le maître.
-
-«Nous travaillons en vain: ce gros garçon, disoit-il, en parlant du
-jeune comte d’Angoulême son successeur, gâtera tout.» Louis étoit le
-seul dans son royaume qui pressentit cette triste vérité; il est sûr
-du moins qu’on peut déjà remarquer une prodigieuse différence dans la
-manière dont la nation avoit regardé ses immunités sous les premiers
-Valois, et les regardoit actuellement. Les anciens états avoient voulu
-compter avec le roi et prendre part à l’administration; toujours
-attachés à leurs vices économiques, ils n’accordoient jamais aucun
-subside sans faire reconnoître que c’étoit de leur part un don purement
-gratuit. Les derniers états tenus à Orléans avoient promis à Charles
-VIII de ne lui rien refuser, mais avoient du moins demandé qu’on les
-convoquât, et ils sentoient par conséquent que la nation avoit besoin
-de ce secours pour contenir le gouvernement, et prévenir les abus
-qu’on avoit éprouvés sous le règne précédent, par trop de mollesse
-et de négligence. Sous son successeur, on parut au contraire avoir
-oublié qu’il y eût eu autrefois des états, des dons gratuits, et des
-contributions consenties. La nation ne regarda plus ses assemblées que
-comme des formalités inutiles, onéreuses[284] même à tous les ordres
-de citoyens, et qui n’étoient bonnes qu’à retarder les opérations du
-gouvernement. Il est vrai qu’en 1501 les états furent encore tenus à
-Tours, mais ce n’est point une preuve qu’il subsistât quelque sentiment
-de patriotisme ou de liberté; ils étoient l’ouvrage de la comtesse
-d’Angoulême pour faire le mariage de son fils avec la princesse Claude,
-et les députés des provinces ne montrèrent aucun regret sur le passé ni
-aucune inquiétude sur l’avenir.
-
-François I étoit bien propre par ses prodigalités, son inconsidération
-et ses négligences à retirer les Français de la sécurité imprudente
-que Louis XII leur avoit inspirée; mais jamais prince n’eut plus que
-lui les mœurs, le génie, les vices et les vertus de la nation qu’il
-gouverna, et ne dût par conséquent jouir d’un empire plus absolu.
-Ardent, impétueux, sincère, libéral, brave, populaire, ne respirant
-que cet honneur que la chevalerie avoit mis à la mode, on aima jusqu’à
-ses défauts, qui tenoient toujours à quelques qualités estimables.
-La conquête du Milanez, par où commença son règne, et qui ne devoit
-annoncer qu’une longue suite d’affaires difficiles et malheureuses,
-fut regardée comme l’augure d’une prospérité constante. Plus il montra
-d’ambition et fit d’entreprises téméraires, plus les Français, qui
-étoient courageux, ambitieux et imprudens, crurent que le prince
-qui leur ressembloit étoit sage; et toute la nation s’abandonna à
-l’imprudence du roi en croyant s’associer à sa gloire.
-
-On ne vit que trop souvent que les subsides n’étoient pas employés aux
-choses qui avoient servi de raison ou de prétexte pour les établir. Le
-luxe excessif de la cour devoit déplaire aux personnes qui en payoient
-les frais aux dépens de leur nécessaire; des mains infidelles et avares
-épuisoient le trésor royal et le peuple. Tandis que les maux de l’état
-se multiplioient, on n’avoit pas même la consolation d’espérer qu’on
-pût y apporter un prompt remède. En voyant se former subitement une
-puissance aussi considérable que celle de Charles-Quint, on jugeoit
-aisément qu’il n’étoit plus question de vaincre les seuls Italiens,
-et qu’une guerre qui paroissoit n’avoir plus de terme, épuiseroit les
-forces du royaume. Sans doute qu’il y avoit encore quelques Français
-capables de penser que ce n’étoit que par des assemblées libres,
-fréquentes et régulières, qu’on préviendroit les malheurs dont on étoit
-menacé; mais on conservoit sous François I les sentimens de respect
-et de soumission que Louis XII avoit inspirés pour son gouvernement;
-et c’est ainsi que le règne d’un prince vertueux devient quelquefois
-funeste, en accoutumant ses sujets à voir avec trop d’indulgence les
-vices de son successeur.
-
-Quand la nation avoit lieu de faire les plaintes les plus vives et de
-redemander son ancien gouvernement, elle se contenta de murmurer; et
-même quelque événement imprévu ne manquoit pas d’étouffer bientôt les
-murmures. Les Français sans tenue retomboient dans leur léthargie,
-parce que le prince, lassé de ses plaisirs, paroissoit sortir de
-la sienne; on reprenoit ses espérances et son enjouement, et les
-abus recommençoient à renaître. Se plaint-on de la déprédation des
-finances? On fait périr Semblançay, qui étoit innocent, et on croit
-que tout le mal est réparé. Si, par son imprudence, François réussit
-assez mal dans quelques entreprises pour devoir perdre l’affection de
-ses sujets, on admirera encore en lui quelque qualité estimable. La
-bataille de Pavie devoit relâcher les ressorts du gouvernement; mais
-il supporta son infortune avec tant de noblesse et de fermeté, qu’on
-ne lui montra que de l’attachement et du zèle; et pour le consoler de
-ses malheurs, on permit à sa mère d’abuser comme elle voudroit de son
-autorité.
-
-Qu’on ne soit pas surpris de cette conduite. Les ames avoient contracté
-une mollesse qui annonce et hâte les plus grands abus. Lorsqu’une
-nation acquiert des lumières et se police sous la main d’un législateur
-habile, elle prospère, parce qu’elle connoît mieux ses devoirs, aime à
-les remplir et a la force de surmonter les obstacles qui s’y opposent.
-Mais quand les lumières, nées au hasard, ne se répandent que sur des
-objets indifférens au bien de la société; qu’on n’encourage l’industrie
-que pour faire naître de nouveaux vices avec des besoins inutiles;
-que la politesse et la douceur des mœurs n’est que le fruit d’une
-fausse délicatesse et d’un raffinement puéril dans les plaisirs: les
-lumières, les grâces et la politesse d’une nation ne servent qu’à
-l’avilir. Le citoyen occupé de petits objets, et concentré, pour ainsi
-dire, dans les intérêts personnels et domestiques de sa paresse, de son
-luxe, de son avarice, de sa prodigalité, de ses commodités ou de son
-élégance, est entièrement distrait de l’attention qu’il doit à la chose
-publique, et bientôt devient incapable d’y penser, sans une sorte de
-travail qui le fatigue et le rebute. Le règne de François I forme une
-époque remarquable dans le caractère de sa nation. J’en appelle aux
-personnes qui connoissent le cœur humain. Croira-t-on qu’en prenant
-des affections frivoles et contractant le goût de l’or, de l’argent
-et des superfluités, les hommes conserveront quelque estime pour les
-choses estimables? Les idées du bien sont à la cime de l’esprit, et
-ne descendent point jusques dans le fond du cœur. Toutes ces misères
-que les nations corrompues appellent politesse, grâces, agrément,
-élégance, sont autant de chaînes qui doivent servir à lier et garrotter
-des esclaves. Et perdant leur ignorance et leur rudesse, les Français
-policés par un prince qui n’aimoit et ne protégeoit que les choses
-inutiles au bonheur de sa nation, ne firent que changer de vices.
-Ceux que nos pères perdirent, avoient du moins l’avantage de donner
-à leur caractère une force qu’ils n’eurent plus quand ils acquirent
-des qualités agréables; et comme l’inconsidération des Français avoit
-agrandi l’autorité royale, leur frivolité devoit désormais l’affermir.
-
-Si les grands, qui s’étoient rendus les dépositaires et les ministres
-de l’autorité royale pendant le règne de Charles VI et de son fils,
-et qui firent la guerre du bien public sous celui de Louis XI,
-avoient plus songé à donner du crédit à leur ordre qu’à se rendre
-personnellement eux-mêmes puissans, il leur auroit été facile d’établir
-assez solidement l’autorité de la grande noblesse, pour qu’aucun
-événement ni aucune circonstance ne pussent la renverser[285]. S’ils
-avoient compris que pour affermir leur empire sur la nation, et
-conserver malgré le roi l’exercice de son pouvoir, dont ils s’étoient
-emparés, il étoit nécessaire de recourir à des lois et de former entre
-eux une sorte de constitution qui les maintînt en vigueur; il n’en faut
-point douter, nous aurions vu se former parmi nous un gouvernement
-à peu près semblable à celui que les Polonois ont aujourd’hui. Les
-successeurs de Charles VI n’auroient eu qu’un vain nom et des honneurs
-encore plus stériles. Le roi, entouré de princes, de pairs, de grands
-officiers de la couronne, de palatins, de sénateurs, qui auroient
-eu une autorité propre et personnelle, n’auroit été lui-même que le
-simulacre de la majesté de l’état. Je n’en dis pas d’avantage; il est
-aisé d’imaginer par quels moyens la haute noblesse seroit parvenue à
-composer elle seule, avec les principaux ecclésiastiques, le corps de
-la nation, en condamnant le reste des citoyens à souffrir les abus
-d’une aristocratie arbitraire.
-
-Heureusement les grands étoient trop divisés entre eux et trop
-accoutumés à mépriser ou ignorer les lois pour se réunir, s’entendre
-et former le plan d’un nouveau gouvernement. Chacun ne songea qu’à ses
-intérêts particuliers, sans s’embarrasser de l’avenir; et se saisit
-comme il put, d’une portion de l’autorité royale, dont il ne se déclara
-que le dépositaire et le ministre. Dès que leur ambition s’en étoit
-tenue là, il étoit facile à Louis XII et à François I de se servir du
-changement qui étoit survenu dans le caractère et les mœurs de la
-nation, et de l’autorité qu’ils avoient acquise, pour secouer le joug
-des grands et les rendre aussi dociles que les autres citoyens. Aucun
-d’eux ne pouvoit s’emparer d’une branche de l’autorité royale, ou la
-conserver malgré le roi; parce que Louis XII ni François I n’avoient
-plus besoin de leur secours pour régner sur le reste de la nation, qui
-se précipitoit au-devant du joug.
-
-Les grands n’ayant point eu l’art de former un corps dont tous les
-membres eussent un intérêt commun, ils se trouvèrent tous ennemis les
-uns des autres. Ceux qui jouissoient de la confiance du prince, et ceux
-qui aspiroient à la même faveur, furent jaloux, se craignirent, et le
-roi se servit sans peine de leur rivalité et de leur crainte pour les
-dominer les uns par les autres. Tous furent également soumis, et leur
-ambition, qui pouvoit autrefois causer des troubles dans le royaume et
-changer la forme du gouvernement, fut réduite à faire des révolutions à
-la cour, c’est-à-dire, à employer les voies basses de l’intrigue pour
-élever un courtisan sur les ruines de l’autre, disgracier un ministre
-en faveur, et créer un nouveau favori; tandis que le prince qui, par un
-mot, décidoit de leur sort, paroissoit de jour en jour plus absolu au
-milieu des grands humiliés.
-
-C’est par une suite de cette nouvelle disposition des choses que
-Louis XII gouverna souverainement tous ceux que ses prédécesseurs
-avoient craints. Mais François I y mit plus d’art. Il avoit soin de
-se faire instruire[286] des personnes qui, par leur naissance, leur
-crédit et leurs talens, avoient acquis une certaine autorité dans
-les provinces; et il se les attachoit en leur donnant des emplois
-considérables à la guerre, dans l’église et dans la magistrature. Ses
-espions, répandus dans tous les ordres de l’état, étoient chargés de
-contenir, non-seulement par leur exemple et leurs discours, les esprits
-inquiets et remuans, mais d’avertir même le conseil de la disposition
-de leur province à chaque événement considérable, de ses murmures, de
-ses plaintes, et, en un mot, de tout ce qui étoit capable de déranger
-le cours de la docilité à laquelle la nation étoit inclinée. Que de
-certaines familles ne se glorifient donc plus des grâces qu’elles
-obtinrent dans ce temps-là, puisqu’on sait à quel prix elles étoient
-méritées et accordées?
-
-Les provinces étant ainsi contenues dans la soumission, il n’étoit
-plus possible que les grands y formassent des cabales et des partis,
-rassemblassent des forces, et se rendissent assez puissans pour
-inquiéter le gouvernement. Le duc d’Orléans, qui avoit fait la guerre à
-Charles VIII, n’auroit pas pu opposer cent hommes d’armes à François I.
-Aussi le connétable de Bourbon, persécuté par la duchesse d’Angoulême
-n’eut-il d’autre ressource pour se venger que de traiter avec les
-étrangers, et d’aller servir Charles-Quint. Un amiral et un chancelier
-furent poursuivis en justice: leçon frappante pour les grands qui
-n’auroient point voulu être courtisans ou qui n’auroient point eu l’art
-de l’être. Autrefois il eût été dangereux de mécontenter un connétable;
-il eût trouvé des amis, des partisans et des défenseurs; sous François
-I, le connétable de Montmorenci alla languir dans ses terres, supporta
-obscurément sa disgrace, et apprit qu’on n’étoit grand que par la
-faveur du roi.
-
-Je ne dois pas oublier ici que ce fut pour s’attacher plus étroitement
-le clergé, que François I fit avec Léon X le concordat, et soutint
-avec tant d’opiniâtreté un traité qui le rendit le distributeur
-des dignités et de la plus grande partie des domaines de l’église.
-Des biens destinés au soulagement des pauvres et à l’entretien des
-ministres de la religion, devinrent le prix de la corruption, et la
-firent naître. Le roi tint, pour ainsi dire, dans sa main, tous les
-prélats, dont l’ambition et la cupidité étoient insatiables; et par
-leur secours disposa de tous les ecclésiastiques dont le pouvoir est
-toujours si considérable dans une nation.
-
-C’est dans ces temps-là qu’on substitua aux états-généraux des
-assemblées de notables[287]; établissement d’autant plus pernicieux,
-que paroissant favoriser la liberté nationale, il ruinoit en effet ses
-fondemens. On espéra que ces assemblées produiroient quelque bien, et
-on en fut plus disposé à oublier ou du moins à ne pas regretter les
-états-généraux. Les notables furent convoqués; et bien loin que la
-nation tirât quelque avantage de leurs assemblées, elles ne servirent
-qu’à avilir de plus en plus les grands. C’étoit une faveur que d’y être
-appelé, mais il avoit fallu s’en rendre digne par des complaisances,
-et on ne s’y rendit que dans le dessein de trahir l’état. Ces
-assemblées n’eurent aucune autorité, et n’en purent prendre aucune,
-parce qu’elles n’avoient aucun temps fixe pour leur convocation, et
-qu’elles dépendoient de la volonté seule du roi. Cependant, soit qu’on
-craignît que les grands ne se crussent trop considérables si on les
-consultoit seuls, soit qu’on ne cherchât qu’à les humilier, on appela à
-ces assemblées des magistrats, et même quelquefois des bourgeois d’un
-ordre moins distingué.
-
-
-
-
- CHAPITRE III.
-
- _De l’autorité du parlement sous Louis XII, François I et
- Henri II.--Examen de sa conduite.--Pourquoi il devoit échouer
- dans ses prétentions de partager avec le roi la puissance
- législative._
-
-
-Tandis que tous les ordres de l’état oublioient ou négligeoient leurs
-anciennes prérogatives, et se soumettoient sans résistance au pouvoir
-arbitraire, le parlement, qui avoit considérablement augmenté ses
-droits et ses prétentions sous le règne de Charles VI, n’étoit point
-satisfait de sa fortune, et résistoit à l’impulsion générale qui
-entraînoit le reste de la nation. Formant un corps toujours subsistant,
-toujours assemblé, et par conséquent moins distrait de ses intérêts
-que les trois ordres de l’état, il devoit avoir plus de suite et plus
-de tenue dans sa conduite; du droit qu’il avoit acquis d’enregistrer
-les lois, de les désapprouver ou de les modifier, il pouvoit tirer les
-conséquences les plus avantageuses à son ambition; mais il ne les vit
-pas d’abord, ou n’osa se livrer trop précipitamment à ses espérances.
-
-Les corps ont une routine ou une habitude à laquelle ils obéissent
-malgré eux; et après avoir travaillé avec tant d’ardeur depuis le
-règne de Philippe-le-Bel à rendre l’autorité du roi arbitraire, le
-parlement devoit être quelque temps à concilier son ancienne conduite
-avec l’idée qu’il avoit prise, et qu’il auroit voulu donner au
-public de son enregistrement. Sous le règne de Charles VII, il étoit
-encore trop voisin du temps où il n’avoit pu se déguiser qu’il ne
-tint toute son autorité du roi, pour oser prétendre au partage de la
-souveraineté. Il avoit offensé ce prince[288], il devoit réparer ses
-fautes; il craignoit sur-tout l’indignation des grands, qui, s’étant
-emparés de l’autorité royale, trouvoient trop d’avantage à gouverner
-arbitrairement, pour souffrir qu’une compagnie de praticiens ou de
-jurisconsultes, sous prétexte de défendre les lois, s’opposât à leur
-volonté, et s’emparât d’un pouvoir qui leur avoit rendu les états
-odieux.
-
-Ne voulant plus être ce qu’il avoit été, et n’osant cependant laisser
-voir ce qu’il désiroit d’être, le parlement se conduisit encore
-avec une grande circonspection sous le règne de Louis XI. Quelque
-jaloux de son autorité que fût ce prince, il ne fut point alarmé de
-l’enregistrement; il jugea qu’il falloit[289] contenir le parlement,
-ne pas diminuer ses droits, mais l’empêcher de se faire de nouvelles
-prétentions. Cette compagnie conserva sous Charles VIII la même
-modestie, et selon les apparences, elle auroit profité des divisions
-et des troubles de l’état pour augmenter son pouvoir, si plusieurs de
-ses principaux membres n’avoient trouvé leur avantage particulier à se
-dévouer aux volontés de la cour. Le parlement chemina moins sourdement
-sous les règnes suivans. Soit qu’il fût enhardi en voyant qu’on ne
-convoquoit plus les états-généraux dont le souvenir s’effaçoit de
-jour en jour; soit qu’il espérât que les abus multipliés du pouvoir
-arbitraire rendroient ses prétentions agréables au public, il fit
-quelques démarches qui devoient déplaire à la cour, et son autorité
-parut si incommode à François I, qu’il songea à la réprimer.
-
-La duchesse d’Angoulême ne pardonna pas au parlement les modifications
-qu’il mit à la régence que son fils lui avoit confiée pendant qu’il
-feroit la guerre en Italie. Pour commencer à se venger de cette
-prétendue injure, elle n’appela aucun magistrat à l’assemblée des
-notables qu’elle tint après la malheureuse journée de Pavie. Mais
-son ressentiment ne fut pas satisfait, et quand François revint de
-Madrid, elle l’engagea à ne pas laisser impunie la témérité insultante
-du parlement. Ce prince le manda, et dans la salle du conseil où
-cette compagnie fut reçue, on publia un édit qui lui enjoignit de se
-borner[290] à la seule administration de la justice. En annullant
-toutes les limitations mises à la régence de la mère du roi, on lui
-défendit de modifier à l’avenir les édits qui lui seroient adressés.
-
-On ne se contenta pas de réprimer l’ambition qui portoit le parlement
-à se regarder comme législateur: pour l’humilier davantage, on voulut
-borner sa compétence. On lui défendit de prendre connoissance des
-contestations relatives au concordat, et on lui déclara qu’il n’avoit
-aucune juridiction sur le chancelier. Ce dernier article détruisoit
-tout ce que cette compagnie avoit fait pour devenir la cour des pairs.
-En effet, il ne faut pas douter que si le chancelier n’eût pas
-été justiciable du parlement, les pairs et les princes, alors bien
-supérieurs à ce magistrat, n’eussent bientôt décliné la juridiction du
-parlement. On auroit vu se rétablir des usages pratiqués[291] avant le
-procès du duc d’Alençon. Le parlement, si fier de son titre de cour des
-pairs, n’auroit encore été que la seconde cour de justice du royaume;
-il se seroit formé pour la seconde fois un tribunal composé du roi, des
-pairs, des princes et des grands officiers de la couronne. Peut-être y
-auroit-on bientôt porté les affaires de la plus haute noblesse; et l’on
-juge combien le parlement, condamné à ne juger que les citoyens les
-moins considérables, auroit perdu de sa considération.
-
-On ne lui épargna dans cette journée aucune mortification. François I
-se plaignoit dans son édit des abus énormes qui s’étoient introduits
-dans l’administration de la justice. Il vouloit sans doute parler
-des épices[292], usage vil et injuste, qui change les magistrats en
-mercenaires, et avec lequel nous ne nous serions jamais familiarisés,
-si nous ne savions que la justice est due au citoyen, et que c’est un
-crime de la lui faire acheter. On accusoit le parlement de former
-des intrigues et d’entrer dans les cabales. Pour lui ôter toute
-espérance de se relever, on ordonna aux magistrats de prendre tous
-les ans de nouvelles provisions, et c’étoit en effet ne leur laisser
-qu’une existence précaire, telle qu’ils l’avoient eue avant le règne
-de Charles VI, et les réduire à la fâcheuse alternative ou d’obéir
-aveuglément à tous les ordres de la cour, ou de perdre leur état.
-François terminoit son édit en les menaçant de se faire instruire en
-détail de tous les abus dont il n’avoit parlé que d’une manière vague,
-et se réservoit d’y apporter un remède efficace; c’est-à-dire, pour
-entrer dans l’esprit de cette loi, que si le parlement, intimidé et
-docile sous la main qui le châtioit, se soumettoit aux ordres de la
-cour, le prince fermeroit les yeux sur les abus qui n’intéressoient que
-le public.
-
-Le parlement étoit déjà trop puissant pour qu’un pareil édit ruinât
-ses espérances et son ambition. Dès qu’on lui laissoit le droit de
-faire des remontrances, on lui laissoit la liberté de se conduire à peu
-près de la même manière qu’il avoit fait jusqu’alors, et les moyens de
-reprendre peu à peu la même autorité dont on avoit cru le dépouiller.
-Qui a le droit de faire des remontrances, a le droit de reprendre des
-erreurs, et de paroître avec toutes les forces de la justice et de la
-raison; et ce droit n’est pas vain dans une société qui conserve encore
-quelque pudeur. Qui a le droit d’indiquer ce qu’il faut faire, acquiert
-nécessairement un crédit qui doit faire trembler tout gouvernement qui
-se conduit sans règle.
-
-Le droit de remontrance étoit une arme d’autant plus redoutable dans
-les mains du parlement, que la menace de corriger les abus et l’ordre
-de prendre tous les ans de nouvelles provisions, ne pouvoient lui
-donner aucune inquiétude. Tout le monde savoit le besoin extrême que
-le roi avoit d’argent pour la guerre et ses plaisirs; et que détruire
-les profits des officiers de justice et leur état, ce seroit diminuer
-dans le trésor royal le produit des fonds qu’il tâchoit d’y attirer, en
-vendant les magistratures. C’est peut-être à l’occasion de cet édit que
-le parlement établit dans son corps la doctrine long-temps secrète de
-ne point regarder comme lois, les ordonnances, les lettres-patentes ou
-les édits enregistrés sans délibération précédente, et par l’autorité
-du roi séant en son lit de justice: doctrine qu’il étoit nécessaire
-d’établir, si l’enregistrement n’est pas une vaine formalité; mais
-doctrine qui n’a acquis aucun crédit, parce que le parlement n’est pas
-assez fort pour la faire regarder comme une vérité, et que le public se
-voit tous les jours contraint d’obéir à des lois que cette compagnie
-n’a enregistrées que malgré elle.
-
-Quoi qu’il en soit, François I, pour ne pas irriter ses sujets par un
-acte trop despotique, ayant laissé au parlement le droit de faire des
-remontrances, se vit encore contraint de le ménager. Les besoins de
-l’état, ou plutôt de la cour, obligeoient de publier souvent des édits
-bursaux; si on faisoit des remontrances vives et fortes sur un objet
-si intéressant, il étoit à craindre que le public n’ouvrît les yeux
-sur sa situation: et un rien auroit suffi encore pour faire regretter
-et rétablir les états-généraux. La politique de la cour fut donc de
-permettre au parlement une sorte de résistance molle, qui laissoit
-croire au peuple qu’il y avoit un corps occupé de ses besoins et qui
-veilloit à ses intérêts. De sorte que le parlement, humilié, et non
-pas vaincu, fut obligé de changer un peu de conduite, mais non pas
-de principes: et il continua à se regarder comme le dépositaire et le
-protecteur des lois, et peut-être même comme le tuteur de la royauté.
-
-Pour que le gouvernement ne lui contestât pas son droit, il en usa avec
-modération; il songea à se rendre agréable, et s’appliqua à étendre
-l’autorité royale, quand le poids n’en devoit pas retomber sur lui.
-Il fléchit quand il crut qu’il y auroit trop de danger à résister, ou
-qu’il ne s’agissoit que de passer des injustices dont il ne sentiroit
-pas le premier les inconvéniens. Il mit de certaines formes dans
-son obéissance, afin de la rendre équivoque, et de contenter à la
-fois, s’il étoit possible, la cour et le public. Soit qu’il faille
-l’attribuer à une politique fausse et trop commune, qui, ne sachant se
-décider, se contrarie elle-même; soit que ce soit la marche naturelle
-d’un corps qui, ayant des projets au-dessus de ses forces, a, tour à
-tour, de la crainte et de la confiance; sa conduite fut si embrouillée
-et si mystérieuse, qu’on ne savoit pas mieux, sur la fin du règne de
-François I, ce qu’il falloit penser de l’enregistrement, qu’on ne
-l’avoit su sous Charles VII. Le conseil et le parlement gardoient tous
-deux le silence sur cette matière, ou du moins n’osoient s’expliquer
-d’une façon trop claire et trop précise, dans la crainte d’élever
-une contestation dangereuse et de se compromettre. Chacun attendoit
-avec patience un moment favorable pour découvrir, si je puis parler
-ainsi avec Tacite, le secret de l’Empire; et expliquer une énigme
-que nos neveux ne devineront[293] peut-être jamais; mais qui, nous
-laissant incertains entre le despotisme de la cour et l’aristocratie du
-parlement, jette dans notre administration je ne sais quoi de louche et
-d’obscur, qui nuit à la dignité des lois et à la sûreté des citoyens,
-et indique un gouvernement sans principes, qui se conduit au jour le
-jour par les petites vues de quelque intérêt particulier.
-
-En effet, dans les temps encore peu éloignés de la naissance de
-l’enregistrement, on put pardonner au parlement d’enregistrer une loi
-qui lui paroissoit injuste et dangereuse, en ajoutant que c’étoit
-«par le très-exprès commandement du roi.» Il se croyoit alors obligé
-d’obéir, parce qu’il pensoit que la puissance législative étoit entre
-les mains du roi, sans restriction ni modification; et le public
-n’exigeoit rien de plus d’une compagnie de jurisconsultes dont les
-fonctions avoient paru bornées à l’administration de la justice.
-Mais lorsque, commençant à voir dans son enregistrement le germe
-d’une grandeur nouvelle, elle crut avoir le droit de rejeter les lois
-proposées ou de les modifier, pourroit-on me dire ce que signifioit
-cette ancienne formule dont elle continuoit à se servir? Le parlement
-pensoit-il que cette clause eût la vertu magique de laisser sans
-autorité les ordonnances qu’il feignoit d’enregistrer? En ce cas, je
-demanderois pourquoi il obéissoit ensuite et nous faisoit obéir à un
-édit auquel il n’avoit pas donné le caractère de loi. Si dans ses
-principes cette clause laissoit subsister la loi dans toute sa force,
-par quels sophismes nos magistrats pouvoient-ils se persuader qu’ils
-ne prévariquoient point en devenant les complices et les instrumens de
-l’injustice? Par quelle imprudence nous avertissoient-ils de mépriser
-une ordonnance à laquelle il falloit cependant nous soumettre?
-
-Malgré les traverses que le parlement avoit éprouvées, et son attention
-à ne pas user imprudemment de l’autorité qu’il croyoit avoir, il
-continua à se rendre plus puissant et plus importun. Soit qu’on ne fût
-que choqué, comme la plupart des courtisans, de la résistance ou plutôt
-des chicanes que cette compagnie faisoit aux volontés de la cour; soit
-qu’avec l’Hôpital, l’homme de notre nation qui, par ses lumières, ses
-mœurs et ses talens, a le plus honoré la magistrature, on fût touché
-des abus qui régnoient dans l’administration de la justice; il se forma
-un orage considérable contre un corps qui abusoit de son crédit pour
-partager l’autorité des ministres, et dont les mains ne paroissoient
-pas pures. Il étoit cependant difficile d’accabler le parlement, car la
-multitude croyoit avoir besoin de sa protection; et pour réussir dans
-cette entreprise, il fallut la présenter comme une réforme avantageuse
-à l’état.
-
-Sous prétexte d’accorder quelque repos à des magistrats qui avoient si
-bien mérité de la patrie, et qui, malgré leur zèle, étoient accablés
-sous le poids de leurs fonctions pénibles et perpétuelles, on résolut
-donc de partager le parlement en deux semestres qui se succéderoient
-l’un l’autre. Par le moyen de ce nouvel établissement, la justice,
-disoit-on, devoit être administrée avec d’autant plus de dignité,
-de vigilance et d’exactitude, que les magistrats, après avoir vaqué
-pendant six mois à leurs affaires domestiques, ou médité dans leur
-cabinet sur les lois, loin de porter encore au palais la lassitude de
-leurs fonctions, y reparoîtroient toujours plus éclairés, plus assidus,
-et plus attachés à leurs devoirs. Le parlement voyoit sans doute le
-piége qu’on lui tendoit, et qu’on ne cherchoit qu’à le diviser pour
-l’affoiblir; mais ce fut inutilement. Le conseil prévint ses plaintes,
-ou du moins empêcha qu’elles ne fussent appuyées par celles du public
-en diminuant les épices; il dédommagea les juges par une augmentation
-de leurs gages, le roi se chargea de payer les contributions auxquelles
-la justice avoit condamné les plaideurs.
-
-La cour triomphoit. On ne doutoit point que le parlement, pour ainsi
-dire, divisé en deux corps, qui n’auroient presque aucun commerce
-entre eux, ne perdît son ancien esprit. En répandant à propos quelques
-bienfaits, en semant des soupçons, des rivalités et des haines, art
-funeste dans lequel les courtisans les moins adroits ne sont toujours
-que trop habiles, il paroissoit aisé de s’assurer de la docilité
-de l’un des deux semestres, et on devoit lui porter les édits qui
-pouvoient occasionner de longues et fastidieuses remontrances. On
-se flatta d’un succès d’autant plus prochain, qu’étant nécessaire
-d’augmenter considérablement le nombre des magistrats, on ne vendroit
-les nouveaux offices qu’à des personnes dont le gouvernement seroit sûr
-et qui déplairoient à leur compagnie. Un historien[294], plus à portée
-que tout autre de rendre compte des suites qu’eut cette révolution,
-nous apprend que le parlement devint en quelque sorte un nouveau
-corps. Les conseillers des enquêtes qu’on avoit coutume, dit-il, de
-n’admettre à la grand’chambre qu’après qu’ils avoient acquis une grande
-expérience, y montèrent avant le temps convenable. Comme la plupart,
-faute de capacité, n’étoient pas en état d’occuper ces places, il
-arriva qu’au lieu de rétablir la discipline et la dignité du parlement,
-ainsi qu’on avoit feint de le désirer, on détruisit presque entièrement
-l’une et l’autre.
-
-Le parlement auroit été perdu sans retour, si les ministres du roi
-avoient pu prendre les mesures nécessaires pour maintenir leur
-ouvrage; mais au bout de trois ans, le mauvais état des finances ne
-permettant pas de payer les gages considérables qu’on avoit promis, il
-fallut supprimer les offices de nouvelle création, et permettre aux
-anciens juges de recevoir encore des épices des plaideurs. Fut-ce un
-bonheur, fut-ce un malheur que cette seconde révolution qui rétablit
-le parlement dans son premier état? Je n’ose le décider; qu’on en juge
-par le bien qu’il produisit dans la suite, et par les maux qu’il ne put
-empêcher. Peut-être que si la nation n’avoit pas compté sur ce secours
-impuissant, elle auroit été assez inquiéte pour réprimer l’autorité
-arbitraire du gouvernement, et donner un appui utile à sa liberté; au
-lieu que, trompée par les espérances qu’elle avoit conçues du crédit
-et des vues du parlement, elle s’en reposa sur lui de son bonheur,
-et contracta une sécurité nonchalante qui est le signe certain de la
-décadence et de l’avilissement d’un peuple. Quoi qu’il en soit, le
-parlement, qui n’avoit pas eu le temps de perdre son ancien esprit,
-continua à faire des entreprises et à être repoussé par une puissance
-supérieure à la sienne.
-
-Ce fut pour humilier le parlement de Paris, dont les prétentions
-devenoient de jour en jour plus considérables, que Charles IX, dit
-Davila, se fit déclarer majeur au parlement de Rouen. La cour des
-pairs crut recevoir une injure mortelle, et se plaignit de cette
-nouveauté, dans le fait assez indifférente à l’état, comme s’il eut
-été question du renversement de la monarchie. Tout le monde sait
-de quelle manière Charles reçut ses députés, quand ils vinrent lui
-faire des remontrances à ce sujet. Vous devez vous souvenir, leur dit
-le roi, que votre compagnie n’a été établie par mes prédécesseurs
-que pour rendre la justice aux particuliers, suivant les lois, les
-coutumes et les ordonnances qu’ils publieroient. Les affaires d’état
-ne regardent que moi et mon conseil, et vous devez n’y prendre aucune
-part: défaites-vous de l’ancienne erreur où vous êtes de vous faire
-les tuteurs des rois, les défenseurs du royaume et les gardiens de
-Paris. Si dans les ordonnances qui vous sont adressées, vous trouvez,
-ajouta-t-il, quelque chose de contraire à ce que vous pensez, je veux
-que, selon la coutume, vous me le fassiez au plutôt connoître par la
-voie des représentations; mais je veux qu’aussitôt que je vous aurai
-déclaré ma dernière volonté, vous obéissiez sans retardement. Sans
-prendre un ton si absolu, en vertu de quel titre, pouvoit leur dire
-Charles IX, vous croyez-vous supérieurs au parlement de Rouen? Quelle
-loi m’ordonne de me transporter chez vous pour me faire déclarer
-majeur? Je le suis en vertu de l’ordonnance de Charles V, et il me
-suffit de vous envoyer une déclaration pour vous apprendre que j’ai
-atteint l’âge prescrit par la loi. Pourquoi ne serois-je pas le maître
-de faire au parlement de Rouen une faveur que je ne vous dois point, et
-de quoi vous plaignez-vous, si je ne vous fais aucun tort?
-
-Le parlement étoit accoutumé depuis trop long-temps à recevoir
-de pareilles réponses, pour que celle-ci n’eût pas le sort des
-précédentes. Il devoit même être d’autant moins disposé à obéir, qu’il
-voyoit la cour agitée par des factions puissantes, et avoit appris
-avec tout le royaume à mépriser un gouvernement qui flottoit dans une
-perpétuelle irrésolution. Les voix furent partagées, quand on opina
-sur l’enregistrement de l’édit de majorité; et le conseil rendit
-un arrêt[295], par lequel il cassoit et annulloit tout ce qui avoit
-été fait à cet égard par le parlement, comme incompétent, de la part
-d’une compagnie à qui il n’appartient pas de connoître des affaires
-publiques du royaume. Il lui étoit ordonné d’enregistrer l’édit de
-majorité sans y ajouter aucune restriction, modification ni condition.
-On lui défendit d’avoir jamais la présomption d’examiner, statuer ou
-même délibérer sur les ordonnances qui concernent l’état, surtout
-lorsqu’après avoir fait des remontrances, ils auroient appris la
-volonté absolue du roi.
-
-Le parlement obéit, dans la crainte qu’une plus forte résistance ne
-servît qu’à constater sa défaite d’une manière plus certaine; mais
-il conserva, suivant sa méthode ordinaire, l’espérance d’être plus
-heureux dans une autre conjoncture. En effet, il avoit et a encore le
-talent de ne se rappeler de son histoire que les événemens qui lui sont
-avantageux, et de remettre toujours en avant les mêmes prétentions
-qu’il paroît avoir abandonnées plusieurs fois. Cette ressource ou
-ce manége de la vanité et de la foiblesse finit toujours par être
-pernicieux à l’ambition. Malgré l’inconsidération et la frivolité des
-Français, il étoit impossible que, s’accoutumant à faire des démarches
-qui devoient paroître fausses au public et téméraires au conseil, le
-parlement ne fût pas enfin accablé par une puissance qui lui étoit
-supérieure.
-
-Sans doute que les oppositions et les remontrances de cette compagnie,
-toutes inutiles qu’elles étoient à l’agrandissement de sa fortune, ont
-d’abord opposé quelques obstacles aux abus du pouvoir arbitraire; mais
-elles étoient incapables de fixer les principes du gouvernement, et
-d’empêcher que la liberté publique ne fût enfin opprimée. Le conseil
-ne trouvant qu’une résistance inégale à ses forces, ne sentit point
-la nécessité de se tenir dans les limites que la justice, les lois
-et les coutumes lui prescrivoient. Retardé, mais non pas arrêté dans
-sa marche, il s’accoutuma à aller toujours en avant. Le succès étoit
-certain; il ne s’agissoit que de marcher avec quelque lenteur, et de
-ne pas vouloir commencer en un jour des entreprises qui devoient être
-l’ouvrage de la patience et du temps.
-
-Tandis que le roi déclare éternellement aux magistrats du parlement
-qu’ils n’ont été créés que pour rendre en son nom la justice aux
-particuliers, ils persévérèrent constamment à se regarder comme les
-gardiens et les protecteurs de la liberté publique, mais sans oser
-le dire nettement. Cette conduite n’étoit-elle pas la preuve d’une
-foiblesse égale à leur ambition, et si elle étoit incapable d’intimider
-et de contenir les ministres, pouvoit-elle rassurer une nation sensée?
-Rien n’est plus extraordinaire que la politique des gens de robe. Le
-roi répète continuellement qu’il est le suprême législateur, la source
-et le principe de tout droit public et particulier; qu’il ne tient
-son autorité que de Dieu seul, qu’il ne doit compte qu’à lui de ses
-actions; et le parlement convient de cette doctrine. D’où lui vient
-donc ce droit qu’il s’arroge de protéger la nation? Et si le roi veut
-l’en priver, pourquoi refuse-t-il d’y consentir? En ne donnant aucune
-borne à la puissance royale, par quelle raison peut-il cependant
-s’attribuer le privilége d’examiner, de rejeter ou de modifier les
-lois? S’il ne voyoit pas que ce droit négatif et modificatif le
-rendroit lui-même suprême législateur, ses lumières devoient être
-extrêmement bornées, et par conséquent bien incapables de servir le
-public. S’il sentoit au contraire l’importance de ses prétentions,
-pourquoi ne prévoit-il pas que le conseil tentera tout, pour ne pas
-laisser échapper de ses mains la puissance législative dont il est en
-possession, et qu’il n’en souffrira pas même le partage. Le parlement
-ne prévit rien, ou s’il prévit quelque chose, il faut convenir qu’il
-prit pour élever et affermir sa fortune, les moyens les plus propres à
-la renverser.
-
-Son premier tort fut de ne pas connoître sa situation, et d’avoir
-espéré ou craint sans se rendre compte de ses espérances ou de ses
-craintes. Quand on supposeroit qu’il ne vouloit qu’affermir l’autorité
-royale dans les mains du roi, en prévenant les abus que ses ministres
-en feroient, et qui la rendroient désagréable à la nation et par
-conséquent peu sûre, ne devoit-il pas prévoir les difficultés sans
-nombre qui s’opposeroient au succès d’un pareil projet? Il étoit facile
-aux grands, qui s’étoient faits ministres de l’autorité royale, pour en
-faire l’instrument de leur fortune, de lui rendre le parlement suspect
-et même odieux. Falloit-il espérer que le prince, élevé comme un sage
-au-dessus de ses passions, jugeât que c’étoit pour son avantage qu’on
-s’opposeroit à ses volontés? Des rois qui avoient refusé de concerter
-leurs opérations avec les états-généraux, devoient nécessairement avoir
-plus d’ambition que d’amour pour le bien public. Le parlement devoit
-donc penser que l’autorité qu’il vouloit attribuer à son enregistrement
-pour l’avantage du public, choqueroit le roi et son conseil; et que
-n’ayant pas des forces supérieures ou même égales à leur opposer, il ne
-se rendroit puissant qu’autant qu’il s’appliqueroit plus à mériter une
-bonne réputation qu’à étendre et multiplier ses prétentions.
-
-C’est l’estime que le public avoit conçue pour les lumières du
-parlement sous Charles VI qui avoit fait désirer, à ceux qui
-administrèrent tour à tour l’autorité royale, de se concilier son
-approbation: et de là, comme on l’a vu, étoit née la coutume de
-l’enregistrement. Il auroit donc fallu que par son amour de la justice,
-de la vérité et du bien public, cette compagnie eût fait souhaiter
-à tous les ordres de l’état que l’enregistrement acquît toujours un
-nouveau pouvoir. Il falloit, si je puis parler ainsi, mettre des vertus
-et non pas des prétentions en avant. Il importoit au parlement de
-rester, pour ainsi dire, en arrière, et de se faire avertir et presser
-par le public d’avoir de l’ambition. Sa modestie n’auroit servi qu’à
-donner plus de zèle à ses partisans, qui, dans l’espérance d’opposer
-un plus grand obstacle au pouvoir arbitraire, auroient eux-mêmes
-développé et étendu les priviléges qui découlent naturellement du
-droit d’enregistrer et d’examiner les lois. Le conseil, nécessairement
-intimidé par la sagesse du parlement, n’auroit pu lui résister sans
-soulever contre lui tout le public.
-
-Je ne suis pas assez injuste pour exiger que nos magistrats du
-quinzième siècle eussent les mœurs, les lumières et le courage des
-anciens sénateurs de Sparte et de Rome; mais il n’auroit pas été
-besoin de les égaler pour mériter la confiance de nos pères. Dans
-l’état informe où se trouvoit notre législation, que le parlement ne
-proposoit-il lui-même quelques règlemens utiles au public, au lieu de
-rester attaché à ses erreurs et à ses préjugés? Quand Charles VII eut
-ordonné de rédiger les différentes coutumes de nos provinces, pourquoi
-cette opération, conduite sans génie, n’étoit-elle pas encore[296]
-terminée, quand Charles IX monta sur le trône? Pourquoi nos magistrats
-paroissoient-ils craindre qu’elle ne les gênât dans les jugemens?
-Attachés par vanité au malheureux privilége de courber les lois, sous
-prétexte de les rendre plus utiles, et d’en faire une application
-plus juste, c’étoit s’attribuer un pouvoir dont il est trop aisé à la
-fragilité des hommes d’abuser; c’étoit apprendre aux simples citoyens
-l’art malheureux de mépriser et d’éluder les lois, et aux grands d’en
-faire l’instrument de leur tyrannie. Qu’importoit-il à la nation que
-le parlement montrât quelquefois la vérité dans ses remontrances, s’il
-n’y restoit pas inviolablement attaché? La trahir ou l’abandonner est
-un plus grand mal que de ne la pas connoître. L’administration de la
-justice demande une dignité modeste et grave, et non pas de l’éclat.
-Les citoyens devoient trouver dans leurs juges des défenseurs de leur
-fortune, et non pas des ennemis qui la dévoroient.
-
-Le parlement auroit fait, selon les apparences, tout ce qu’on pouvoit
-attendre de lui, s’il eût continué à choisir lui-même ses magistrats;
-mais il perdit malheureusement cet avantage[297], à peu près dans le
-même temps où il commençoit à prendre part à l’administration et
-concevoir les plus grandes espérances de fortune. Il n’y a que le
-peuple qui sache choisir ses magistrats intègres et courageux, et ce
-fut la cour qui se chargea de ce choix. Il fallut apprendre à mendier
-la protection des grands, et elle fut plus utile que la probité et la
-connoissance des lois, pour parvenir aux dignités de la magistrature.
-Il est certain que sous le règne de Charles VIII elles étoient déjà
-l’objet d’un commerce[298] secret. Les personnes puissantes de la cour
-remplirent le parlement d’hommes qui avoient acheté à prix d’argent ou
-par des bassesses, le droit de juger; et quel moyen restoit-il dès-lors
-à cette compagnie, pour s’emparer du pouvoir auquel elle aspiroit?
-
-Ces abus multipliés donnèrent naissance à la vénalité publique des
-offices, qui augmenta la corruption et par conséquent l’avilissement
-où la magistrature devoit tomber. Croyez, disoit le premier président
-Guillard à François I, «que ceux qui auront si cher acheté la justice
-la vendront, et ne sera cautelle ni malice qu’ils ne trouvent.» Il
-n’y a point de milieu pour les juges; ils sont les membres les plus
-méprisables de la société, s’ils ne forcent pas le public à avoir
-pour eux l’estime la plus entière. Le parlement se remplit d’hommes
-inconnus, qui n’avoient souvent d’autre mérite que d’avoir amassé
-une grande fortune pour acheter des places que des hommes de bien
-ne regardent qu’en tremblant, et n’osent remplir que quand la voix
-publique les y appelle. Pour comble de scandale, ces magistrats
-prêtèrent serment qu’ils n’avoient pas acheté ces offices. Quelle
-confiance pouvoit-on prendre en des hommes qui s’étoient joués de
-ce que la religion et l’honneur ont de plus sacré; et leurs mains
-étoient-elles dignes de porter la balance et l’épée de la justice?
-
-On se rappelle avec douleur que dans un discours que le chancelier de
-l’Hôpital prononça au parlement, il reprochoit à la plupart des[299]
-magistrats de s’ouvrir le chemin des honneurs, en trahissant leur
-devoir. Il se plaignoit que l’intégrité des juges fût devenue suspecte,
-et qu’on ne vît dans leur conduite que les vues d’un intérêt sordide et
-d’une ambition criminelle. Tous les jours, leur dit-il, vous augmentez
-vos honoraires et vous êtes divisés entre vous par les factions des
-princes et des seigneurs; ils se vantent de vous acheter à prix
-d’argent, et vous leur vendez votre amitié comme des courtisans. Vous
-prostituez votre dignité et vos services, jusqu’à devenir les agens et
-les intendans de quelques personnes dont vous tenez la vie et les biens
-dans vos mains.
-
-Sire, disoit Monluc[300], évêque de Valence, en opinant dans le
-conseil en présence des députés du parlement qui venoient faire des
-remontrances; les magistrats vous disent souvent qu’ils ne peuvent
-ni ne doivent, selon leur conscience, entériner les ordonnances qui
-leur sont envoyées; cependant, il arrive assez souvent qu’après s’être
-servis d’expressions si fermes et si vigoureuses, ils oublient bientôt
-le devoir de leur conscience, et accordent sur une simple lettre de
-jussion ce qu’ils avoient refusé. Or, je demande volontiers à ces
-magistrats ce que devient alors leur conscience?
-
-Les vices grossiers qui révoltoient la probité de l’Hôpital, choquoient
-depuis long-temps tout le monde; il n’y avoit personne en France qui
-n’eût fait cent fois les mêmes réflexions que Monluc; et la résistance
-du parlement n’étant qu’une espèce de routine dont on prévoyoit
-toujours l’issue, ne servoit qu’à le rendre importun à la cour, sans
-lui concilier l’estime de la nation. Dans cette situation critique, et
-après avoir fait cent expériences de sa foiblesse et de la supériorité
-du conseil, il devoit s’apercevoir qu’il ne feroit que des efforts
-inutiles pour s’emparer de la puissance publique; que les ministres
-ne cesseroient point de travailler à son abaissement; et que pour
-conserver un reste de considération et de crédit, il falloit retirer la
-nation de l’assoupissement auquel elle s’abandonnoit, et l’inviter à
-conserver ou plutôt à recouvrer sa liberté.
-
-Quelque peu éclairé qu’on fût en politique avant le règne de François
-I, la réflexion la plus simple suffisoit pour faire connoître qu’une
-nation est seule capable de protéger les lois; et que souvent même,
-quoiqu’elle se trouve en quelque sorte toute rassemblée par ses
-représentans dans des états-généraux, elle a bien de la peine à le
-faire avec succès. On voyoit alors, comme aujourd’hui, que peu de
-peuples avoient eu le bonheur de conserver leur liberté, et que ce
-n’étoit qu’en accumulant précautions sur précautions que les Français
-pouvoient résister au despotisme de la cour. Le parlement n’entrevit
-aucune de ces vérités; il ne connut ni sa situation ni celle de l’état.
-
-Il n’en faut point douter; quand, après avoir aliéné les cœurs de la
-nation, cette compagnie fut enfin persuadée qu’elle manquoit des forces
-nécessaires pour élever une puissance supérieure, ou du moins égale à
-celle du roi, elle prit la politique des grands pour le modèle de la
-sienne. Dans le déclin de leur grandeur, ils s’étoient rendus ministres
-de l’autorité royale pour être encore puissans. De même les magistrats
-du parlement, las de lutter sans succès contre le conseil, servirent
-son ambition dans l’espérance du même avantage. Ils crurent se rendre
-nécessaires en travaillant à faire oublier la nation, et formèrent le
-projet de partager avec les grands le droit de gouverner sous le nom du
-roi.
-
-Mais cette espèce d’aristocratie ne devoit-elle pas lui paroître
-contraire à tous les préjugés de la nation, et par conséquent
-impraticable? L’ancien gouvernement des fiefs, dont le souvenir
-étoit toujours précieux aux grands, leur rappeloit leur ancien état;
-ils conservoient encore dans leurs terres des restes[301] de leur
-indépendance et de leur despotisme. Avec tant d’orgueil et de vanité,
-pouvoient-ils consentir à partager l’administration de l’autorité
-royale, avec des familles du tiers-état, qu’ils regardoient comme leurs
-affranchis? Quand la magistrature auroit été dès-lors un moyen de se
-glisser[302] dans l’ordre de la noblesse, le parlement y auroit peu
-gagné: on sait le mépris que la grande noblesse a toujours eu pour les
-anoblis. L’autorité dont les grands étoient déjà en possession, la
-partie brillante d’administration dont ils étoient chargés, l’orgueil
-des titres, les charges de la couronne, les gouvernemens des provinces,
-le commandement des armées, la familiarité du prince, tout concouroit
-à la fois à éblouir et tromper l’imagination du peuple; qui ne voyant
-rien de cet éclat dans les magistrats, auroit lui-même été assez
-stupide pour trouver mauvais qu’ils eussent voulu marcher d’un pas égal
-avec les grands et partager le droit de gouverner.
-
-Tant que les grands furent assez puissans pour se faire regarder
-comme les ministres nécessaires de l’autorité royale, l’ambition du
-parlement ne put avoir aucun succès. La pompe des lits de justice qui
-flattoit sa vanité, et lui persuadoit qu’il avoit part au gouvernement,
-n’auroit dû que lui faire sentir sa foiblesse; mais quand, sous le
-règne de François I, les grands furent enfin écrasés par la puissance
-même qu’ils avoient donnée au roi, et l’avilissement où ils avoient
-jeté la nation, le parlement n’auroit-il pas dû ouvrir les yeux? Il
-devoit voir manifestement que toutes ses espérances étoient renversées;
-qu’on ne l’écrasoit pas, parce qu’on le craignoit peu; et que quand,
-par le secours de quelque événement favorable, il parviendroit à
-partager avec le roi la puissance publique, il auroit bientôt le même
-sort que les grands. Le roi s’étoit servi des jalousies qui régnoient
-entre les grands pour les asservir tous à sa volonté et en faire
-des courtisans; et il n’étoit pas moins aisé de se servir des mêmes
-jalousies qui divisoient tous les ordres de l’état, pour opprimer un
-corps qui refuseroit d’obéir. Par quel prestige peut-on se flatter
-d’être puissant dans une nation où il n’y a plus de liberté? Cependant,
-en voyant l’extrême dépendance où François I tenoit les grands, le
-parlement regarda leur décadence comme un obstacle de moins à son
-ambition.
-
-C’étoit alors, s’il eût aimé véritablement le bien public, ou ménagé
-ses intérêts avec habileté, qu’il devoit se servir d’un reste de
-crédit prêt à s’échapper de ses mains, pour émouvoir les différens
-ordres de l’état, les réunir et les appeler à son secours. Quand on
-lui portoit des édits pour établir quelques nouvelles impositions, il
-auroit dû se rappeler les anciens principes de Comines qui n’étoient
-pas entièrement oubliés. Il devoit représenter au conseil que le
-consentement seul de la nation pouvoit légitimer l’établissement et la
-levée des impôts; et que des magistrats trahiroient leur devoir, si,
-par un enregistrement inutile, ils paroissoient s’attribuer un droit
-qui ne leur appartient pas. Il falloit alors demander généreusement la
-convocation des états-généraux. Mais le parlement vit, au contraire,
-avec plaisir qu’on lui fournissoit une occasion d’établir son pouvoir,
-et de se mettre à la place de ces assemblées nationales qu’il haïssoit,
-parce qu’il en avoit éprouvé autrefois et qu’il en méritoit encore la
-censure. Il ne s’aperçut pas du piége qu’on lui tendoit. Il crut qu’on
-lui donnoit une marque de considération; et il auroit dû sentir qu’on
-ne recouroit à lui préférablement aux états-généraux que parce qu’on le
-craignoit moins; et que le conseil étoit bien aise de lui voir usurper
-un droit ou un pouvoir dont il ne pourroit user, sans s’exposer à le
-perdre ou à se déshonorer aux yeux du public.
-
-Cette usurpation sur les droits de la nation ne fut point une erreur
-qu’il faille attribuer à l’ignorance ou à une inconsidération
-passagère. Le parlement savoit que les édits qui ne regardent pas
-l’administration de la justice et le domaine du roi, n’étoient point
-soumis à son inspection; et le président de Saint-André en faisoit
-encore l’aveu[303], en répondant au nom du parlement à un discours
-du chancelier de l’Hôpital. Il étoit si bien instruit qu’il exerçoit
-un pouvoir qui ne lui appartenoit pas, qu’il ne manquoit point
-d’exprimer dans l’enregistrement des édits bursaux, qu’il ne les
-entérinoit qu’autant que le domaine du roi y étoit intéressé. Ainsi
-pour justifier, s’il étoit possible, son injustice, le parlement
-s’accoutumoit à croire que le droit d’établir des impôts est dans
-le prince un droit domanial. N’étoit-ce pas faire entendre que le
-patrimoine des particuliers forme une partie des domaines de la
-couronne? N’étoit-ce pas attaquer le droit de propriété? Qu’importe
-d’être le propriétaire du fonds, si on n’est pas le maître des fruits?
-
-Je n’entrerai point dans le détail des imprudences qu’on peut reprocher
-au parlement. Sans s’être formé un plan de conduite, ni un objet fixe,
-tandis qu’il ne songeoit qu’à étendre et multiplier ses prérogatives,
-tantôt aux dépens du roi et tantôt aux dépens de la nation, il ne
-songea jamais à se faire des amis qui le protégeassent. Il eut
-l’imprudence de choquer et d’irriter à la fois l’orgueil des grands
-avec lesquels il prétendoit s’égaler, et la vanité du tiers-état avec
-lequel il ne voulut plus être confondu. Puisqu’il ne pouvoit être
-puissant et jouir de sa puissance, qu’en s’opposant aux entreprises du
-conseil, et qu’en vertu de son enregistrement; puisqu’il croyoit avoir
-le droit de résistance que les lois romaines donnèrent aux tribuns
-après la retraite du peuple sur le Mont-Sacré, il devoit donc avoir la
-conduite de ces magistrats. Vit-on jamais les tribuns, pour augmenter
-leur pouvoir, chercher à s’unir au sénat, et dédaigner de confondre
-leurs intérêts avec ceux du peuple?
-
-Dans la célèbre assemblée des notables que tint François I pour
-délibérer sur l’exécution du traité de Madrid, il y appela des
-magistrats de tous les parlemens de province. Les différens ordres
-délibérèrent et donnèrent leur avis à part; c’étoit une occasion
-décisive pour gagner l’affection du tiers-état; mais les magistrats
-ne balancèrent pas à former un corps[304] distingué de la commune de
-Paris. Cette séparation des ordres parut encore plus frappante dans
-l’assemblée des notables[305] tenue au parlement après la malheureuse
-bataille de Saint-Quentin. Les députés des cours souveraines formèrent
-encore un ordre à part entre la noblesse et le tiers-état; et,
-tant la vanité est aveugle! les gens de robe sollicitèrent cette
-prétendue grâce, et regardent encore aujourd’hui comme une faveur
-cette séparation qui les avilissoit, et que le gouvernement étoit bien
-aise de leur accorder. Les magistrats n’obtenant point l’égalité avec
-la noblesse, constatèrent seulement leur infériorité dans l’ordre
-politique; ils n’eurent point la considération qu’ils auroient
-nécessairement acquise, en paroissant les députés, les représentans
-et les chefs d’un ordre qui, par la nature des choses, est le plus
-puissant quand il connoît ses forces, et qui les connoîtra toujours
-quand des magistrats l’inviteront à les connoître. Le parlement rejeté
-par la noblesse qui ne vouloit pas l’admettre dans son corps, séparé
-du peuple par sa vanité, et depuis long-temps ennemi du clergé, dont
-il attaquoit sans cesse la juridiction, sous prétexte de défendre les
-libertés de l’église Gallicane, devoit donc être le jouet de l’autorité
-royale.
-
-Dans cet état de foiblesse, le parlement de Paris mit le comble à son
-imprudence, en séparant ses intérêts de ceux des parlemens de province.
-Il ne comprit pas combien il lui importoit de les faire respecter, et
-que tout ce qui dégraderoit leur dignité, aviliroit la sienne.
-
-Il faut se rappeler que les justices seigneuriales ayant perdu leur
-souveraineté par l’établissement des appels, on étoit obligé de
-recourir à la cour du roi, du fond de toutes les provinces. Pour que
-les plaideurs ne fussent pas toujours errans à la suite de la justice,
-et que la cour ne fût pas elle-même incommodée de cette foule de
-praticiens, de solliciteurs et de plaideurs qui l’accompagnoit, il
-fallut fixer les plaids de la justice du roi dans un lieu déterminé, et
-c’est ce qu’exécuta Philippe-le-Bel, en rendant le parlement sédentaire
-à Paris. Cette première disposition en préparoit une seconde qui ne
-seroit pas moins utile au public. Le même prince sentit l’avantage de
-partager sa cour de justice en deux branches, afin que, présente à la
-fois à Paris et à Toulouse, les citoyens des provinces méridionales
-ne se consumassent pas en frais pour venir suivre dans la capitale
-les appels qu’ils avoient interjetés des jugemens rendus dans leurs
-bailliages. C’étoit imiter la conduite de Charlemagne, qui avoit envoyé
-autrefois des[306] commissaires dans les provinces, pour y remplir les
-fonctions de la cour qui étoit à la suite de sa personne. Quelque sage
-que fût cet établissement de Philippe-le-Bel, il fallut le révoquer,
-et, sans en rechercher ici les raisons, je me contenterai de dire que
-ce ne fut qu’après avoir été cassé et rétabli à différentes reprises,
-que le parlement de Toulouse reçut enfin de Charles VII une résidence
-fixe.
-
-L’utilité de cet établissement invita les successeurs de ce prince à
-créer divers autres parlemens, en faveur de quelques provinces. Il est
-évident que tous ces tribunaux n’étant tous que des portions de la
-justice souveraine du roi, ne formoient tous qu’un seul et même corps.
-Charles VII avoit invité le parlement de Paris et le parlement de
-Toulouse à être étroitement[307] unis, et les magistrats de ces deux
-compagnies devoient avoir indifféremment séance et voix délibérative
-dans l’une et dans l’autre. Les rois, en érigeant différens parlemens,
-avoient déclaré qu’ils avoient tous la même autorité, et qu’ils
-jouiroient des mêmes prérogatives. Cependant le parlement de Paris, qui
-devoit regarder ces nouveaux tribunaux comme des portions de lui-même,
-qui serviroient à étendre son pouvoir et son crédit, eut l’orgueil
-d’une métropole, et affecta une supériorité offensante sur ces
-colonies. Peut-être fut-il indigné de ne plus voir tout le royaume dans
-son ressort et les plaideurs de toutes les provinces ne plus contribuer
-à sa fortune. Voilà peut-être la première cause d’une désunion funeste
-à la magistrature. Quoi qu’il en soit, le parlement de Paris, fier du
-titre de cour[308] des pairs, dont il se crut seul honoré et de la
-relation plus étroite qu’il avoit avec le gouvernement, dédaigna de
-fraterniser avec les parlemens de province, ne permit point à leurs
-membres de prendre séance dans ses assemblées, et ne les regarda que
-comme des espèces de bailliages qui avoient le privilége de juger
-souverainement.
-
-Ce n’est que dans ces derniers temps que le parlement de Paris a
-connu sa faute, et que pour opposer des forces plus considérables
-au gouvernement et au clergé, il a senti la nécessité de s’associer
-les autres parlemens[309], en ne se regardant tous que comme les
-membres différens d’un même corps. Mais sa politique a bientôt été
-sacrifiée à sa vanité. A peine jouissoit-il du crédit que lui donnoit
-sa confédération qu’il le perdit, et rompit l’union pour conserver
-sa dignité frivole de cour des pairs. Il craignit que si les autres
-parlemens osoient informer contre un pair et le décréter, ils ne se
-crussent bientôt assez importans pour le juger.
-
-Par sa nature, le parlement devoit avoir une compétence sans bornes,
-et cependant il avoit vu former différens tribunaux qui la limitoient,
-comme la création des parlemens de province avoient limité son
-ressort. L’élection des cours des aides et du grand conseil lui parut
-un attentat contre son autorité. Il craignit que des corps formés à
-ses dépens, et qui jugeoient souverainement, ne voulussent en quelque
-sorte, affecter avec lui la même égalité que la chambre[310] des
-comptes prétendoit avoir. Il est certain que le parlement de Paris ne
-pouvoit rien faire de plus utile à ses intérêts, que de former un seul
-corps de toute la magistrature du royaume. De ces forces réunies, il
-se seroit formé une masse de puissance assez considérable pour donner
-quelque sorte de consistance aux lois, et forcer le gouvernement à se
-faire quelques règles. Mais le parlement se laissa gouverner par cet
-esprit de dédain et de mépris, que les Français en général, étoient
-accoutumés d’avoir pour leurs inférieurs, et qui a été également
-funeste au clergé, à la noblesse et aux simples citoyens.
-
-Après avoir aliéné tous les esprits, choqué et insulté tous les ordres
-de l’état, si le parlement n’avoit pas fait de temps en temps quelques
-efforts pour s’opposer à l’établissement des nouveaux impôts, et montré
-par occasion quelques maximes estimables, ou une fermeté momentanée
-contre les entreprises du ministère, il y a long-temps qu’il ne
-jouiroit d’aucune considération auprès du public. Quelques disgraces
-et quelques exils que le parlement a paru supporter avec courage, ont
-fait perdre le fil de sa conduite et oublier qu’il a plus contribué
-que les grands mêmes à faire proscrire l’usage des états-généraux,
-sans lesquels il ne peut y avoir de liberté ni de lois respectées. On
-lui sait gré des remontrances impuissantes et du manége puéril qu’il
-emploie pour empêcher le mal; on le regarde comme une planche après
-le naufrage, sans songer qu’il a été lui-même une des principales
-causes du naufrage. Parce qu’il offre le spectacle toujours répété
-d’une résistance toujours inutile, on espère qu’il parviendra enfin à
-empêcher le mal, et notre inconsidération éternelle nous empêche de
-juger de l’avenir par le passé.
-
-
-
-
- CHAPITRE IV.
-
- _Règne de Henri II et de François II.--Les changemens survenus
- dans la religion préparent une révolution, et contribuent à
- rendre aux grands le pouvoir qu’ils avoient perdu._
-
-
-En profitant de l’ambition et de la jalousie qui divisoient les grands,
-François I avoit joui de l’autorité la plus absolue. De nouvelles
-circonstances préparoient les Français à prendre un génie nouveau
-et conforme à leur gouvernement. J’ai rendu compte de l’art que ce
-prince employa pour rendre ses sujets dociles; des délateurs honorés
-et protégés l’instruisoient de l’état de toutes les provinces; mais
-ce qui contribua principalement à tenir les ordres du royaume dans la
-soumission, ce fut le soin qu’il eut de ne confier l’exercice de sa
-puissance qu’à des personnes qui ne pouvoient la tourner contre lui, et
-d’humilier ou disgracier les grands qui lui faisoient ombrage, avant
-qu’ils eussent acquis assez de crédit pour se rendre dangereux. Le
-dernier conseil qu’il donna à son fils, fut de se défier de la maison
-de Guise, qui, par ses talens et son courage, sembloit aspirer à
-une grandeur suspecte dans une monarchie. En appliquant ce précepte
-à toutes les maisons qui deviendroient trop considérables, en les
-abaissant, en les élevant tour à tour, Henri II auroit eu toute la
-politique désormais nécessaire à un roi de France, pour retenir sans
-peine toute l’autorité dans ses mains. Le parlement pouvoit embarrasser
-et gêner le gouvernement, mais on connoissoit sa foiblesse, et il ne
-donnoit aucune inquiétude réelle.
-
-Un gouvernement qui n’avoit besoin que de si peu d’art pour se
-maintenir, ne devoit, ce semble, éprouver aucune révolution. Quelque
-simple cependant que fût cet art, il faut s’attendre que la fortune
-placera tôt ou tard sur le trône quelque prince qui ne sera pas même
-capable de la légère attention qu’il demande. Tel fut Henri II, arbitre
-souverain de la fortune de ses courtisans, entouré de flatteurs et
-d’esclaves, ce prince ne vit que sa cour; embarrassé de son autorité,
-dont le poids écrasoit tout, il étoit bien éloigné de penser qu’il
-dût prendre quelque précaution pour la conserver et la laisser à ses
-enfans telle qu’il l’avoit reçue de son père: il ne s’occupa que de
-ses plaisirs, et abandonna les rênes du gouvernement à une maîtresse et
-à ses favoris. A mesure qu’on s’aperçut que le prince, incapable d’agir
-par lui-même, négligeoit davantage les soins de l’administration, les
-passions, auparavant réprimées, prirent un nouveau degré de force.
-Tandis que les Guises exerçoient seuls l’autorité royale en gouvernant
-la duchesse de Valentinois, la maison de Bourbon, qui n’avoit
-éprouvé que des dégoûts depuis la révolte de son chef, souffrit plus
-impatiemment sa disgrace en voyant qu’elle n’étoit plus que l’ouvrage
-d’une maîtresse et de ses favoris.
-
-Cette fermentation dans les esprits, qui auroit autrefois produit des
-troubles dans tout le royaume et allumé une guerre du bien public, se
-borna à lier entre les courtisans quelques intrigues, qui ne causèrent
-même aucune révolution dans la faveur; car, par une suite même de
-la foiblesse de son caractère, Henri étoit incapable de prendre la
-résolution de renvoyer les personnes à qui il avoit donné sa confiance.
-Ce prince mourut, et les Guises, qui avoient fait épouser la reine
-d’Ecosse à son jeune successeur, furent plus puissans qu’ils ne
-l’avoient encore été. Tandis qu’ils disgracioient, exiloient et
-perdoient tous ceux qui leur faisoient ombrage, ou qui ne se hâtoient
-pas de demander leur faveur, il n’y eut de fortune que pour leurs
-créatures, et elles occupèrent les places les plus importantes à la
-cour, dans la capitale et dans les provinces. Par un seul trait qu’on
-auroit de la peine à croire, s’il n’étoit consigné dans les monumens
-les plus sûrs de notre histoire, qu’on juge de l’avilissement où la
-nation étoit tombée, et des périls dont François II étoit menacé de la
-part des ministres de son autorité. Il s’étoit rendu à Fontainebleau
-un grand nombre de personnes pour solliciter le paiement de ce qui
-leur étoit dû, ou demander des grâces qu’elles croyoient mériter. Les
-Guises, las de répondre à tant de sollicitations qui les gênoient,
-firent dresser des gibets, et publier une ordonnance qui enjoignoit à
-toutes ces personnes de sortir de Fontainebleau en vingt-quatre heures,
-sous peine d’être pendues.
-
-On croyoit voir revivre l’ancienne mairie du palais, et
-vraisemblablement les Guises, à force de répandre la crainte,
-l’espérance et les bienfaits, auroient eu le même pouvoir que les
-Pepins, si François II, qui ne fit en quelque sorte que paroître sur
-le trône, eût régné assez long-temps pour qu’ils pussent affermir leur
-fortune, et en maniant l’autorité royale, se faire une autorité propre
-et personnelle. Il est sûr du moins qu’à la mort de François II, ils ne
-tombèrent point dans le néant qui attendoit des ministres chargés de
-la haine publique, qui avoient perdu leur protecteur, et qui voyoient
-leurs ennemis à la tête de leur gouvernement. Ils se soutinrent par
-leurs propres forces, et la régente, veuve de Henri II et mère du
-nouveau roi, qui les craignoit, fut obligée de les ménager.
-
-Quoiqu’il en soit des ressources qui restoient aux Guises pour se
-faire respecter, et des talens qui rendoient l’ambition du prince de
-Condé si agissante et si redoutable, le temps, les événemens, les
-mœurs, les lois et l’habitude avoient tellement affermi la monarchie,
-que tous auroient été contraints de plier également sous l’autorité
-royale, malgré l’enfance du roi et l’incapacité de sa mère pour les
-affaires, si les changemens survenus dans la religion n’avoient dérangé
-les ressorts du gouvernement, mis les grands à portée de se faire
-craindre, et d’établir leur fortune par d’autres voies que celles de la
-flatterie et de l’abaissement.
-
-Il faut se rappeler que le calvinisme à sa naissance avoit fait des
-progrès si rapides, que dans les instructions que le parlement envoya à
-la régente après la bataille de Pavie, il demandoit que les novateurs,
-dont le nombre et la doctrine l’effrayoient, fussent sévèrement punis
-et réprimés. Je sais, pour le dire en passant, qu’on a souvent blâmé
-le gouvernement d’avoir pris part aux disputes théologiques et d’en
-avoir fait des affaires d’état; mais, sans doute, on n’a pas fait
-attention au pouvoir de la religion sur l’esprit des citoyens, et
-que ce n’est que chez un peuple assez sage et assez éclairé pour
-savoir qu’il doit être permis à tout homme d’honorer Dieu selon les
-lumières de sa conscience, que la diversité du culte et des opinions
-religieuses ne causera aucun trouble. Par-tout ailleurs, elle excitera
-des querelles dont l’ambition se servira pour allumer des dissensions
-funestes, et ébranler les principes du gouvernement. Les questions
-agitées par Luther et Calvin n’étoient pas de ces questions abstraites
-et métaphysiques, qui ne peuvent intéresser que des théologiens
-oisifs. On attaquoit le culte journalier et sensible de la religion et
-les dogmes qui lui sont le plus précieux; comment donc auroit-il été
-prudent au gouvernement de voir avec indifférence les progrès d’une
-doctrine que des personnes de tout état embrassoient? L’auroit-il pu
-quand il l’auroit voulu? Le clergé, corps puissant dans l’ordre de
-la politique, étoit menacé de la perte de ses richesses et de son
-autorité; il n’auroit pas gardé le silence; et dès qu’il se plaignoit,
-le gouvernement étoit forcé de prendre part aux querelles de religion.
-
-Quoiqu’il en soit, on ne s’aperçut du mal que quand il n’étoit plus
-temps d’en arrêter le cours; et le gouvernement, qui ne devoit songer
-alors qu’à établir la tolérance, et employer les moyens les plus doux
-pour ramener les novateurs dans le sein de l’église, et retenir les
-catholiques dans la religion de leurs pères, prit le parti barbare
-et insensé de poursuivre les réformés comme des criminels, et de
-hâter ainsi les progrès du mal qu’il vouloit prévenir. On fit mourir
-un grand nombre de Calvinistes, à qui on n’avoit d’autre crime à
-reprocher que leur religion. Des hommes qui renoncent au culte dans
-lequel ils ont été élevés, pour en prendre un nouveau, ne sont point
-effrayés du martyre. Les réformés, jaloux dans leur première ferveur
-de rappeler les vertus de la primitive église, bénissoient, comme les
-premiers chrétiens, la main qui les punissoit; ils s’applaudissoient du
-sacrifice de leur vie qu’ils offroient à Dieu, et le remercioient de la
-grâce qu’il leur faisoit d’éprouver leur foi.
-
-Les nouvelles sectes flattent toujours le gouvernement, pour mériter
-sa protection, ou du moins sa tolérance; ainsi les novateurs, sans
-se plaindre de François I, n’accusoient que le cardinal de Tournon
-et le clergé des persécutions qu’on leur faisoit éprouver; et, dans
-l’ardeur de leur fanatisme, ils n’étoient peut-être pas fâchés d’avoir
-ce reproche de plus à faire aux prélats de l’église Romaine. Mais leur
-foi dut commencer à être un peu moins patiente, quand ils virent qu’ils
-étoient sacrifiés à la cupidité de la duchesse de Valentinois[311]
-et du duc de Guise, qui avoient obtenu la confiscation des biens de
-tous ceux qui seroient punis pour cause de religion. L’une n’étoit
-qu’avare, et l’autre songeoit déjà à faire naître les troubles dont
-un ambitieux qui sent ses talens, a besoin dans une monarchie pour
-établir sa fortune. Le royaume fut plein de leurs émissaires, qui,
-par des informations secrètes et souvent calomnieuses, mirent à une
-nouvelle épreuve la foi et la résignation des réformés aux ordres
-de Dieu. Henri leur fit trop de mal pour ne les pas craindre, et
-dès qu’il les craignit, il voulut les exterminer. On rejeta les
-sages remontrances[312] que fit alors le parlement. Puisque tant de
-supplices, disoit-il, n’ont point servi jusqu’ici à suspendre les
-progrès de l’erreur, il nous a paru conforme aux règles de l’équité et
-de la droite raison, de marcher sur les traces de l’ancienne église,
-qui n’a pas employé le fer et le feu pour établir et étendre la
-religion. C’est en présentant la vérité avec constance et avec charité
-que les apôtres ont persuadé; c’est en édifiant par les vertus d’une
-vie sainte et exemplaire que les évêques ont autrefois affermi et
-étendu la religion. Que pouvons-nous espérer en répandant des fleuves
-de sang? L’aveuglement opiniâtre des novateurs ébranle et séduit les
-catholiques peu instruits. Nous croyons donc qu’on doit entièrement
-s’appliquer à conserver la religion par les mêmes moyens qu’elle a été
-établie et qu’elle a fleuri.
-
-Pour rendre sa haine contre les novateurs plus éclatante, Henri tint
-un lit de justice au parlement, et y déclara qu’il avoit pris la
-résolution de se servir de toute son autorité pour extirper de son
-royaume une hérésie qui méprisoit tout ce que la religion a de plus
-sacré. Quelques magistrats, dont la doctrine étoit suspecte, parlèrent
-en gens de bien; les uns furent arrêtés, les autres n’évitèrent la
-prison qu’en se cachant, et le reste du parlement, intimidé ou gagné
-par le duc de Guise, renonça à cet esprit de douceur et de conciliation
-que respiroient ses dernières remontrances, et que dans la suite le
-chancelier de l’Hôpital ne put jamais faire revivre.
-
-Quoiqu’une pareille conduite annonçât aux réformés la persécution
-la plus cruelle, rien n’indique cependant qu’en voyant dresser des
-échafauds et allumer des bûchers, ils songeassent à se réunir pour
-repousser l’injustice par la force. S’ils s’armèrent d’une nouvelle
-patience, ce n’est pas qu’ils ne crussent avoir le même droit que
-les Luthériens d’Allemagne de s’opposer à l’oppression, et qu’ils les
-blâmassent d’avoir pris les armes; mais la prudence leur prescrivoit
-une politique différente. Le gouvernement de l’Empire invitoit les
-novateurs Allemands à avoir plus de zèle que de patience. Ayant à leur
-tête quelques princes puissans, dont les forces pouvoient les protéger
-efficacement contre la maison d’Autriche, il étoit naturel qu’ils se
-dégoûtassent de la douceur et de la gloire du martyre plus promptement
-que les réformés Français, qui, étant dispersés dans un royaume où
-aucun grand ne pouvoit les défendre contre le roi, ne trouvoient aucun
-point de ralliement.
-
-Il fallut le concours de plusieurs circonstances étrangères au
-gouvernement pour persuader enfin aux Calvinistes que Dieu avoit besoin
-de leurs bras pour défendre la vérité. Quelque ambitieux et quelque
-entreprenant que fût le prince de Condé, jamais l’amiral de Coligny
-n’auroit approuvé son projet de secouer le joug des Guises et de les
-perdre par une conjuration, s’il n’avoit pu lui conseiller en même
-temps de chercher un secours auprès des réformés et d’unir leur cause
-à la sienne. Jamais les réformés, de leur côté, n’auroient pensé à
-se révolter, s’ils n’y avoient été invités par un prince qui leur
-promettoit sa protection, et qu’ils mettoient en état de se faire
-craindre. Quoique le calvinisme commençât à former un parti puissant,
-on ne fit cependant pas des projets de guerre et des plans de campagne.
-On respecta l’autorité de François II; c’étoit pour le délivrer de la
-tyrannie des Guises, qu’on devoit surprendre la cour à Amboise. Le
-seul objet des Calvinistes étoit de se défaire des auteurs de tous
-leurs maux, et celui du prince de Condé de s’emparer du pouvoir qu’ils
-exerçoient sous le nom du roi.
-
-Tout le monde sait que la conjuration d’Amboise n’eut pas le succès que
-les conjurés en attendoient; et si les Guises avoient eu le temps de
-perdre les chefs de ce parti, il est vraisemblable que le gouvernement
-n’auroit reçu aucune secousse. Les réformés, dispersés et sans chefs,
-n’auroient plus songé à se révolter, ou leurs émeutes réprimées en
-naissant par un gouvernement tout-puissant, n’auroient point allumé de
-véritables guerres. Mais François II mourut avant que les Guises se
-fussent vengés. Le prince de Condé, déjà condamné à perdre la tête sur
-un échafaud, est bientôt déclaré innocent. Il se forme un nouvel ordre
-de choses, et sans que le gouvernement eût souffert en apparence aucune
-altération, ses ressorts étoient cependant brisés; et la politique avec
-laquelle François I avoit gouverné impérieusement, ne suffisoit plus
-à Catherine de Médicis pour faire respecter sa régence et le nom de
-Charles IX.
-
-On s’aperçoit sans doute que le prince de Condé, se trouvant désormais
-à la tête des réformés, que la conjuration d’Amboise avoit réunis en un
-corps, et qui n’avoient plus la soif du martyre, eût entre les mains
-des forces infiniment plus considérables qu’aucun seigneur n’en avoit
-eu depuis le règne de Charles VIII; il pouvoit se faire craindre de
-la régente, lui imposer des lois, la forcer d’acheter son obéissance;
-ou il étoit mécontent, il n’étoit plus condamné, comme le connétable
-de Bourbon, à porter son ressentiment et sa vengeance dans le pays
-étranger. L’inclination des Français à la docilité étoit dérangée, et
-le fanatisme étoit propre à leur rendre un courage et une confiance
-qu’ils n’avoient plus depuis longtemps. L’ambition des courtisans
-devoit avoir plus de noblesse; leurs projets devoient être plus grands
-et plus hardis, et il s’ouvroit d’autres voies à la fortune que celles
-qu’ils avoient connues sous les règnes précédens.
-
-Guise étoit trop habile pour ne pas voir tout l’avantage que le prince
-de Condé son ennemi avoit sur lui: ce génie vaste et profond se porta
-dans l’avenir; il vit que les fondemens ébranlés de la monarchie et
-de l’obéissance étoient prêts à s’écrouler, et que d’autres temps et
-d’autres soins demandoient de lui une autre conduite. En jugeant que le
-prince de Condé ne seroit pas impunément à la tête d’un parti puissant,
-persécuté et répandu dans toutes les provinces, il se vit réduit à
-la triste humiliation de faire encore sa cour comme on la faisoit à
-François I; tandis que son ennemi parleroit en maître, et n’obtiendroit
-pas, mais prendroit des grâces. Guise étoit perdu, s’il ne formoit
-pas un parti. Accoutumé à manier l’autorité royale sous deux rois, il
-ne fut point effrayé du nom de Charles IX: la régente Catherine de
-Médicis ne lui paroissoit qu’une intrigante, incapable de se faire
-respecter. L’état étoit divisé dans son culte. Les deux religions
-montroient l’une contre l’autre la haine la plus emportée. Plus les
-réformés avoient conçu de hautes espérances en voyant à leur tête le
-prince de Condé, et que le roi de Navarre son frère étoit revêtu de
-la lieutenance générale du royaume, plus les zélés catholiques se
-défioient du gouvernement, et souhaitoient qu’on se hâtat de perdre ou
-de persécuter leurs ennemis.
-
-Quelle que fût la conduite du gouvernement à l’égard des deux
-religions, il étoit aisé de le rendre odieux ou du moins suspect; et
-Guise jugea qu’il devoit se mettre à la tête des catholiques zélés
-que la régente ne pouvoit jamais contenter, comme le prince de Condé
-étoit à celle des réformés qui croiroient n’avoir jamais obtenu assez
-de priviléges. Jusqu’alors il n’avoit peut-être montré tant de zèle
-pour l’ancienne religion, que dans la vue de satisfaire l’avarice de
-la duchesse de Valentinois, et d’enrichir ses créatures. Après la mort
-de François II, il ne chercha qu’à s’attacher les évêques, et à fixer
-sur lui les yeux des catholiques; de sorte qu’ils le regardassent comme
-leur chef et leur protecteur, quand le gouverneur se conduiroit avec
-quelque sorte de modération et de retenue à l’égard des novateurs.
-
-
-
-
- CHAPITRE V.
-
- _Situation de la France sous les règnes de Charles IX et de
- Henri III._
-
-Quelles que fussent au commencement du règne de Charles IX, les
-haines et les forces des deux factions ennemies qui alloient diviser
-l’état, l’autorité absolue du roi étoit si bien établie dans l’opinion
-publique, et on étoit tellement accoutumé d’y obéir, que le prince de
-Condé et le duc de Guise, dans la crainte de soulever contre eux les
-esprits, étoient obligés de cacher leurs projets ambitieux, d’affecter
-la soumission la plus entière, et de feindre qu’ils ne songeoient qu’à
-défendre le roi contre ses ennemis. Si on croit le traité[313] par
-lequel le duc de Guise, le connétable de Montmorency et le maréchal de
-St. André formèrent leur union qui fut appelée le triumvirat, Charles
-IX n’avoit point de serviteurs plus affectionnés qu’eux à son service.
-Le prince de Condé, en formant un parti par l’association des réformés
-les plus zélés pour leur culte, assuroit[314] de même que son seul
-dessein étoit de maintenir l’honneur de Dieu, le repos du royaume et
-la liberté du roi sous la régence de sa mère. Cette ligue ne devoit
-subsister que jusqu’à la majorité de Charles, c’est-à-dire, jusqu’à
-ce qu’il prît en personne le gouvernement. Pour lors, disoient les
-associés, nous nous soumettrons avec plaisir aux premiers ordres qu’il
-nous donnera, comme nous nous soumettrions dès aujourd’hui à la volonté
-de la reine, si les ennemis de l’État lui permettoient de la faire
-connoître. Pour justifier les préparatifs de guerre et de révolte qui
-se faisoient de toutes parts, on feignoit de croire que la personne du
-roi étoit dans le plus grand danger, et chaque faction reprochoit à
-l’autre les projets et les attentats qu’elle méditoit elle-même.
-
-Pour préparer les esprits à voir avec moins d’étonnement les désordres
-que tout annonçoit, on publia des écrits qui rappeloient une doctrine
-que les règnes de Louis XII et de François I avoient fait oublier. Sans
-chercher à rendre odieuse la monarchie absolue, on établissoit le droit
-qu’avoient eu autrefois les grands de prendre part au gouvernement. Les
-princes du sang, les pairs et les grands officiers de la couronne,
-sont appelés les conseillers[315] nés du roi. Aucune affaire importante
-ne peut être traitée ni réglée sans leur participation. La monarchie
-arbitraire de François I et de Henri II n’est déjà plus qu’une
-monarchie consultative; il s’élève une sorte d’aristocratie dont le
-roi n’est que le premier magistrat; et quand les grands prendront les
-armes, le peuple pourra croire que leur révolte est légitime, et qu’ils
-ne font que se défendre et rentrer en possession des droits dont ils
-avoient été injustement dépouillés.
-
-Peut-être que Médicis seroit encore parvenue à faire respecter
-l’autorité de son fils, ou du moins, à empêcher qu’elle ne tombât dans
-le dernier avilissement, si elle eût été capable de voir d’avance
-tout ce qu’elle devoit craindre du fanatisme des catholiques et des
-réformés; de connoître les intérêts et les forces des deux factions;
-et en renonçant à l’orgueil de commander impérieusement, de se faire
-une politique plus modeste et conforme à sa situation. Dès que le roi
-se présenteroit comme arbitre médiateur entre les deux partis, sans
-être en état de leur en imposer, et de les contenir par la force, il ne
-feroit que les instruire de sa foiblesse, les enhardir, s’avilir et
-se faire mépriser. Il étoit dur pour la veuve d’Henri II, et la mère
-de Charles IX, de se faire chef de faction pour n’être pas opprimée,
-mais les rois sont soumis à la nécessité comme le reste des hommes; et
-c’étoit le seul parti qui restât à Médicis.
-
-Il falloit d’abord examiner quelle faction, de la catholique ou de la
-réformée, étoit la plus forte ou présentoit le plus de ressources,
-laquelle, en un mot, il étoit le plus important de favoriser; mais
-après avoir fait un premier pas, la régente ne devoit plus regarder en
-arrière, afin de mieux imprimer au parti qu’elle auroit déclaré son
-ennemi, le caractère de la révolte, et de tenir l’autre toujours soumis
-à l’autorité de son fils. Cette conduite ferme et constante n’eût pas
-seulement ruiné les vastes espérances des réformés et fait triompher la
-religion catholique, elle auroit fait voir le prince toujours agissant,
-et lui auroit par conséquent donné tout le crédit que les Guises
-acquirent, en décriant les intentions du gouvernement et en le rendant
-suspect aux catholiques.
-
-Mais la régente, qui n’étoit propre qu’à l’intrigue, et toujours lasse
-de ce qu’elle faisoit, parce qu’elle faisoit toujours une faute,
-agit sans principes, essaya cent entreprises sans en suivre aucune,
-et fut enfin obligée d’obéir aux événemens. Son esprit, étonné et
-intimidé par la supériorité qu’elle sentoit dans les Guises, les
-Montmorency, les Condé et les Coligny, eut recours aux armes de la
-foiblesse: elle espéra de les tromper par des ruses, des mensonges
-et des fourberies; mais elle en fut elle-même la dupe; et bientôt
-son fils ne fut plus le roi des réformés ni des catholiques zélés.
-On diroit que cette princesse s’étoit fait un plaisir cruel de tout
-brouiller, dans l’espérance qu’avec le nom de Charles et le sien,
-elle sortiroit triomphante du chaos qu’elle avoit formé. Si tel fut
-le plan de sa politique, elle eut bientôt occasion de connoître son
-erreur; mais elle ne se corrigea point, parce qu’un caractère foible
-et irrésolu ne peut-être constamment attaché à aucune idée. En voulant
-conserver la paix, elle hâta la guerre, et se vit prisonnière avec son
-fils, avant que les hostilités fussent, pour ainsi dire, commencées.
-Tandis que les Guises trompoient le peuple encore plein de respect
-pour l’autorité royale, en feignant de s’armer pour la défense du roi,
-Médicis fut contrainte d’implorer la protection du prince de Condé et
-des Calvinistes. Elle supplia ce prince, de ne point perdre courage,
-de venger les injures qu’on faisoit au trône, et de ne pas permettre
-qu’à sa honte ses ennemis disposassent du gouvernement. Ainsi le prince
-de Condé, qui avoit la même ambition que le duc de Bourgogne et le
-duc d’Orléans avoient eu sous le règne de l’imbécille Charles VI, fut
-invité à venger l’autorité royale qui étoit tombée dans le même mépris,
-mais sa faveur étoit passagère, et la régente, bientôt réconciliée avec
-les Guises, devoit le traiter en ennemi.
-
-Tandis que Médicis, toujours incertaine et flottante entre la faction
-catholique et la faction protestante, se flattoit de les tenir en
-équilibre pendant la paix, ou de les perdre l’une par l’autre pendant
-la guerre, elle fut toujours obligée de prendre ou de quitter les armes
-à leur volonté. Les catholiques, toujours indignés de voir terminer
-la guerre, et les réformés qu’on violât les traités solennels qu’on
-avoit conclus avec eux, se plaignirent également du gouvernement, et ne
-voulurent plus obéir qu’à leurs chefs.
-
-Ce fut alors que la nation ne prit conseil que de son fanatisme. Les
-esprits, de jour en jour plus échauffés, ne virent plus d’autre objet
-que celui de la religion, et par piété se firent les injures les plus
-atroces. A l’exception de quelques chefs de parti, qui ne songèrent
-qu’à profiter de l’erreur publique pour satisfaire leur ambition,
-tout le reste ne connut point d’autre intérêt que de faire triompher
-sa doctrine, ou de faire beaucoup de mal à ses ennemis. On devoit du
-moins s’attendre que le parlement aimeroit la paix, et seconderoit le
-chancelier de l’Hôpital, dont toutes les vues tendoient à calmer les
-esprits. Il devoit sentir que la guerre civile et le bruit des armes
-feroient taire les lois et détruiroient son autorité; cependant on vit
-cette compagnie, dont l’exemple ne fut que trop suivi par les parlemens
-de province, donner un arrêt[316] pour proscrire les protestans,
-ordonner elle-même de prendre les armes, de courre sus aux réformés, et
-de les tuer sans crainte d’en être repris; peut-être même, oserai-je le
-dire, étoient-ils flattés secrètement de voir la magistrature donner
-des ordres aux milices, et en déclarant la guerre, exercer un des actes
-les plus éclatans de la souveraineté.
-
-Le parlement s’oublia jusqu’à établir une inquisition[317] odieuse.
-Il ordonna des informations secrètes, mit en honneur la délation, et
-autorisa les espions à faire sourdement des enquêtes et à dresser
-des procès-verbaux qu’ils étoient dispensés de signer. Quand on voit
-un corps de magistrats, à qui l’étude des lois doit faire haïr la
-tyrannie, se porter à de tels excès, quelle idée ne doit-on pas prendre
-des mœurs publiques, ou plutôt de la fureur frénétique qui animoit la
-nation? Il écrivit à la reine, pour l’inviter à renvoyer de son service
-les officiers de sa maison dont la religion étoit suspecte. Mais
-pourquoi m’arrêter à ce tableau scandaleux de nos malheurs? Qu’il me
-suffise de dire que le parlement ordonna une procession annuelle pour
-célébrer l’anniversaire de la S. Barthélemy.
-
-Tandis que la nation paroissoit condamnée à se détruire par ses propres
-mains, on se rappela qu’elle avoit eu autrefois des états-généraux;
-mais quand le fanatisme et l’esprit de faction ne se seroient pas
-répandus de la capitale dans toutes les provinces, que pouvoit-on
-espérer de ces grandes assemblées? Les prédécesseurs de François II
-les avoient trop avilies et dégradées, pour qu’elles pussent lui
-être utiles, et personne ne savoit quels étoient leurs[318] droits et
-quelle devoit être leur forme. S’il en faut croire un de nos plus sages
-historiens, la convocation des états à Orléans ne fut qu’un piége que
-les Guises tendoient à leurs ennemis; ils avoient imaginé ce prétexte
-de les rassembler pour les opprimer à la fois. Quoi qu’il en soit, ces
-états ne virent aucun des maux du royaume. On reprocha au clergé ses
-vices et son ignorance; et pour toute réponse, il demanda qu’on brulât
-impitoyablement les réformés, en promettant que Dieu accorderoit à ce
-prix une protection particulière aux Français.
-
-C’étoit aux états d’Orléans encore assemblés quand François II mourut,
-qu’il appartenoit de décider du sort du royaume et du gouvernement;
-et ils ne furent que spectateurs tranquilles de l’accord qui fut fait
-entre les Guises dont la puissance paroissoit s’anéantir, et les
-princes de la maison de Bourbon qui alloient gouverner à leur place.
-Ces deux factions, dit Davila, s’étant mises en état de se défendre, ou
-plutôt de prévaloir sur leurs ennemis, la cour et les gens de guerre
-se partagèrent, suivant que l’exigeoient leurs intérêts particuliers,
-et les députés des provinces aux états suivirent cet exemple funeste.
-Des hommes faits pour représenter la nation et dont le devoir étoit
-de réprimer les factions, devinrent eux-mêmes des factieux, et ne
-rapportèrent dans leurs provinces que l’esprit d’intrigue, de cabale et
-de fanatisme qu’ils avoient pris en s’approchant des grands.
-
-Pourquoi parlerois-je ici des états qui, à deux reprises, furent tenus
-à Blois sous le règne de Henri III? Ce n’étoit pas des fanatiques ou
-des esclaves des Guises qui composoient ces assemblées, que le royaume
-devoit attendre son salut.
-
-La guerre civile, allumée sous Charles IX, n’étoit pas de nature
-à pouvoir s’éteindre promptement. Les passions irritées n’étoient
-susceptibles d’aucun conseil; il falloit qu’une faction fut accablée
-sous les forces de ses ennemis, ou que le temps consumât les humeurs
-qui fermentoient dans l’état, pour qu’on établît une paix solide.
-Cependant les hostilités se faisoient à la fois dans différentes
-provinces, les succès étoient partagés, et aucun parti n’étoit assez
-humilié pour renoncer à ses haines et à ses espérances. Les chefs
-n’étant jamais plus puissans que pendant les troubles, avoient un
-intérêt toujours nouveau de les perpétuer; plus leurs talens étoient
-grands, plus ils trouvoient de ressources dans les revers, et par
-conséquent des moyens pour envenimer les plaies de l’état. Parloit-on
-de paix? c’étoit sans la désirer, et seulement pour réparer ses forces;
-étoit-on convenu de quelques articles? les catholiques et les réformés
-croyoient avoir trop accordé; on n’avoit pas assez obtenu; pour comble
-de maux, le parlement ne manquoit point d’ébranler ces paix douteuses
-et équivoques; et son enregistrement des édits de pacification étoit
-en quelque sorte une déclaration de guerre. Il y désapprouvoit la
-nouvelle doctrine, et déclaroit que l’arrangement pris par l’édit ne
-subsisteroit que jusqu’à ce que le royaume fût réuni dans une même
-croyance. Un historien[319] qui, en cette occasion, mérite la plus
-grande confiance, rapporte au sujet d’un édit favorable qu’obtinrent
-les protestants, qu’en l’enregistrant le parlement fit un arrêt secret,
-qui devoit servir de règle lorsqu’il s’agiroit de l’exécuter ou de
-l’interpréter. Ces registres secrets ne sont attestés que par un trop
-grand nombre de monumens; les réformés et les catholiques savoient que
-le parlement en faisoit usage, et les esprits n’osoient se calmer sous
-la foi des traités et des lois.
-
-C’est dans ces circonstances malheureuses que Henri III prit le vain
-nom de roi de France, et s’endormit sur un trône dont les fondemens
-étoient détruits. On ne peut être Français et parcourir cette longue
-suite de calamités qui mit pour la seconde fois la famille de
-Hugues-Capet sur le penchant du précipice, sans faire les plus tristes
-réflexions sur la fortune des rois et de leurs états, quand elle n’est
-pas établie sur les lois d’un sage gouvernement. Le règne d’Henri III
-nous rappelle celui de Charles VI. Le mépris que ces deux princes
-inspirèrent à leurs sujets est le même, tous deux sont prêts à voir
-passer leur couronne dans des maisons étrangères. L’esprit de faction
-aveugle également les Français. On voit les mêmes passions dans les
-grands, la même misère dans le peuple, et les campagnes ravagées sont
-inondées de sang Français. Voilà donc le terme fatal auquel ont abouti
-la politique de Charles V, et les soins persévérans de ses successeurs
-à séparer leurs intérêts de ceux de la nation, et à s’emparer de la
-puissance publique dont le poids devoit les accabler. Je répète cette
-triste réflexion, parce qu’elle renaît, malgré moi, dans mon esprit à
-chaque époque mémorable de nos malheurs. Plaise au ciel que le retour
-des mêmes calamités ne force jamais nos neveux à faire les mêmes
-reproches à nos anciens rois!
-
-Henri III n’avoit jamais eu de valeur que pour un jour de combat; et
-le courage que demande l’administration des affaires lui manquoit
-entièrement. Il falloit se montrer égal aux chefs des deux partis qui
-divisoient le royaume, et il s’abandonna aux flatteries de quelques
-jeunes favoris perdus de débauche et de mollesse. Pour regagner
-l’affection et la confiance des catholiques, il eut recours aux
-pratiques d’une dévotion puérile et ridicule. Les Français n’auroient
-point su que Henri régnoit, s’il ne les eût vexé par sa prodigalité et
-ses rapines; et le duc de Guise pouvoit lui ravir sa couronne, sans que
-cette grande révolution pour la maison royale en fût une pour l’état.
-Henri tomba enfin dans un tel avilissement qu’il crut nécessaire à sa
-sûreté d’entrer dans les complots mêmes que ses ennemis avoient tramés
-contre lui; il s’associa à la ligue dans l’espérance d’en être le chef,
-et il ne fut encore que le lieutenant méprisé du duc de Guise, dont
-il ne put secouer le joug qu’en le faisant assassiner. Catherine de
-Médicis, que le projet impie du massacre de la Saint Barthélemy n’avoit
-pas fait trembler, ne put apprendre sans terreur cet assassinat; elle
-regarda l’action de son fils comme une témérité qui alloit achever de
-le perdre, et, pour me servir de son expression, le rendre roi de rien.
-
-
- _Fin du livre septième._
-
-
-
-
- OBSERVATIONS
- SUR
- L’HISTOIRE DE FRANCE.
-
- LIVRE HUITIÈME.
-
- CHAPITRE PREMIER.
-
- _Pourquoi le gouvernement des fiefs n’a pas été rétabli
- pendant les guerres civiles.--Des causes qui ont empêché que
- l’avilissement où Henri III étoit tombé, ne portât atteinte à
- l’autorité royale._
-
-
-Dans le malheureux état où se trouvoit la France pendant les guerres
-civiles, tous les ressorts du gouvernement avoient été brisés.
-L’injustice, la violence et la foiblesse se montroient par-tout. La
-confiance, ce premier lien des hommes, étoit détruite, et quelques
-instans de repos dont on ne jouissoit que malgré soi, ne servirent
-qu’à irriter la haine, l’ambition et le fanatisme. C’est en éprouvant
-de semblables calamités sous le règne de Charles-le-Chauve, que la
-France souffrit les démembremens funestes qui, la divisant en autant
-de souverainetés qu’il y avoit de provinces et même de seigneuries,
-établirent chez nos pères les coutumes anarchiques de la police
-féodale. Tel avoit été le terme où les passions des Français les
-avoient conduits sous les fils de Louis-le-Débonnaire, et tel il devoit
-être encore sous ceux de Henri II.
-
-Cette révolution paroissoit d’autant plus dans l’ordre des choses, que
-les grands et la noblesse avoient conservé le souvenir du gouvernement
-féodal, le regrettoient, et que les abus qui avoient contribué à le
-faire naître, subsistoient encore. En peut-on douter, en voyant la
-puissance que les gouverneurs de provinces exerçoient dans leurs
-gouvernemens, et les seigneurs dans leurs terres, et qui étoit l’image
-de la souveraineté la plus absolue? Louis XII avoit voulu remédier à
-ces désordres la première année de son règne, mais ils subsistoient
-encore dans toute leur force sous les fils de Henri II. Les gouverneurs
-de provinces[320] accordoient grâce aux coupables, établissoient des
-foires et des marchés, anoblissoient des bourgeois, légitimoient des
-enfans nés hors du mariage, connoissoient de toutes les matières, tant
-civiles que criminelles, et évoquoient devant eux les procès pendans
-aux tribunaux des sénéchaux et des baillis. Les seigneurs affectoient
-dans leurs terres la même tyrannie que quand le gouvernement féodal
-étoit dans sa plus grande vigueur. Chacun, selon ses forces et son
-crédit, vexoit ses sujets et ses voisins, établissoit encore de
-nouvelles tailles, de nouveaux péages et de nouvelles corvées. C’étoit
-en vain que quelques magistrats du parlement alloient tenir les grands
-jours[321] dans les provinces, pour faire observer les ordonnances et
-punir les délinquans. La noblesse s’étoit fait une espèce de point
-d’honneur de ne se pas soumettre aux lois; non-seulement elle méprisoit
-les jugemens des tribunaux subalternes et les arrêts du parlement, mais
-elle les rendoit inutiles à l’égard des personnes mêmes qu’elle vouloit
-protéger, et ses châteaux leur servoient d’asyle. Tant de fierté et de
-hauteur s’allioit admirablement bien avec l’indépendance féodale, et
-les grands devoient être d’autant plus tentés d’usurper une seconde
-fois la souveraineté, qu’ils auroient cru ne rentrer que dans les
-droits dont leurs pères avoient été dépouillés.
-
-Si les Français avoient voulu rétablir les fiefs, Charles IX et Henri
-III auroient été obligés de céder à la même nécessité à laquelle
-Charles-le-Chauve ne put résister; n’ayant point les forces nécessaires
-pour s’opposer à l’ambition conjurée des grands, ils se seroient
-flattés, comme tous les hommes foibles qu’une condescendance facile
-leur conserveroit un reste de puissance prête à disparoître. En
-abandonnant leur titre de monarque pour reprendre celui de simple
-suzerain, ils auroient espéré d’avoir au moins des vassaux fidelles
-à la place des sujets désobéissans qui ne les reconnoissoient plus.
-Qu’un des grands, dont l’ambition troubloit le royaume, eût rendu
-ou fait déclarer son gouvernement héréditaire, cet exemple eût été
-généralement suivi: les Français savent peu imaginer, mais aucun peuple
-n’est plus prompt à imiter. La grande noblesse, qui étoit encore dans
-les provinces, n’auroit point eu pour ces nouveaux suzerains le respect
-qu’elle étoit accoutumée d’avoir pour le roi. Quelques seigneurs
-puissans n’auroient encore voulu relever que de Dieu et de leur épée,
-tandis que les autres disputant sur les droits de la suzeraineté,
-auroient consenti à remplir les devoirs du vasselage; et la foi donnée
-et reçue seroit devenue le lien général et unique de la subordination
-et de l’ordre public.
-
-Ce qui sauva la France de ce nouveau démembrement, ce fut le même
-hasard qui l’avoit empêché sous la première race. Je l’ai déjà
-remarqué, dans l’extrême anarchie où l’hérédité des bénéfices,
-l’établissement des seigneuries patrimoniales, et l’anéantissement
-de la puissance royale jetèrent le royaume, il s’éleva une famille
-puissante, qui, par ses talens, prit dans la nation l’autorité
-qu’avoient perdue les lois, et tint unies toutes les parties de l’état
-qui ne tendoient qu’à se séparer. Sous les fils de Henri II, il
-s’étoit élevé de même une nouvelle famille de Pepins, assez puissante
-pour espérer de s’emparer de la couronne, et dès que la maison de
-Guise avoit la même ambition et les mêmes espérances que les pères
-de Charlemagne, elle devoit avoir le même intérêt d’empêcher que les
-provinces du royaume ne se divisassent en différentes souverainetés.
-
-Quoique plusieurs familles françaises descendissent de souverains
-qui avoient régné dans d’importantes provinces, et n’eussent pas une
-origine moins grande ni moins illustre que la maison de Guise, aucune
-cependant ne jouissoit d’une si grande considération. Le public, qui
-n’est frappé que des objets qui sont sous ses yeux, ignoroit ces
-grandeurs passées et oubliées depuis la ruine des fiefs, et voyoit nos
-plus grands seigneurs accoutumés à obéir dans une fortune médiocre,
-tandis que le chef de la maison de Lorraine étoit souverain dans
-un état considérable. Les Guises prétendoient avoir des droits sur
-la Provence et sur l’Anjou, et faisoient remonter leur origine à
-Charlemagne: ces avantages ne sont rien quand ils sont seuls, mais quel
-pouvoir n’ont-ils pas quand ils sont soutenus par de grands talens?
-Cette famille, nouvellement établie en France, avoit préparé les
-personnes du rang le plus distingué à lui voir prendre la supériorité
-par le crédit immense qu’elle avoit eu sous le règne de Henri II; il
-n’y avoit personne qui ne lui dût sa fortune, et tout le monde la
-craignoit ou l’aimoit. Le pouvoir des Guises augmenta encore sous le
-règne de François II; leur nièce étoit sur le trône, régnoit sur le
-roi, et obéissoit à ses oncles. Bientôt le fanatisme les mit à la tête
-d’un parti considérable dont les forces leur appartenoient; et quels
-projets ne dûrent-ils pas concevoir, en ne voyant devant eux qu’un roi
-enfant, une régente intrigante, foible, détestée, et ensuite un prince
-également méprisé des catholiques et des réformés?
-
-Que les rois savent mal ce qu’ils doivent désirer ou craindre pour
-la grandeur de leur maison, quand, par une heureuse constitution,
-l’état n’est pas lui-même l’appui et le garant de leur fortune! Les
-Guises, que François I redoutoit et qu’il avoit recommandé à son fils
-d’humilier, conservèrent eux-mêmes la France au milieu des troubles que
-son pouvoir arbitraire préparoit, et que la foiblesse et la mauvaise
-conduite de ses successeurs, l’ambition et le fanatisme de ses sujets
-devoient faire naître. Retranchez les Guises de notre histoire, et vous
-n’y verrez ni moins de désordres, ni moins de guerres civiles. A la
-place de quelques hommes de génie qui servoient de point de ralliement
-à un parti puissant qu’ils gouvernoient, vous trouverez une anarchie
-dont le rétablissement des fiefs auroit été le fruit. Au lieu d’un chef
-capable de tout contenir, les catholiques en auroient eu cent qui,
-ne pouvant aspirer à s’emparer du trône, n’auroient songé qu’à se
-cantonner. Si les Guises ne réussirent pas à usurper la couronne, ils
-réussirent à empêcher le démembrement du royaume, et le remirent entier
-à la maison de Bourbon qui, sans leur ambition sans borne, n’auroit
-joui que de cette foible autorité que Hugues-Capet avoit eue. Henri IV
-auroit laissé à ses descendans le soin de ruiner une seconde fois les
-fiefs, ou plutôt il n’auroit plus été temps de songer à les détruire.
-Ces princes n’auroient pas trouvé des circonstances favorables à
-cette entreprise, depuis que tous les états étoient liés entre eux
-par des négociations continuelles. La même politique qui a protégé
-la liberté[322] germanique, auroit défendu la liberté française; à
-l’exemple des vassaux de l’empereur, les vassaux du roi de France
-auroient formé des ligues entre eux et des alliances au dehors.
-
-On accusoit déjà François de Guise d’aspirer au trône, avant que la
-conjuration d’Amboise eût éclaté; mais l’ambition ne pouvoit point être
-une passion insensée dans un homme tel que lui, et vraisemblablement
-on ne cherchoit par cette calomnie qu’à le rendre odieux et suspect.
-Il n’est pas impossible, si je ne me trompe, de suivre les progrès
-de son ambition, en voyant ceux de sa fortune. Courtisan adroit,
-souple et altier sous Henri II, il n’aspira qu’à gouverner son maître
-en se rendant agréable et nécessaire. Sous François II, il gouverna
-impérieusement, parce que des circonstances plus favorables agrandirent
-ses espérances; mais il n’avoit encore que l’ambition d’un ministre.
-A la mort de ce prince, sa fortune étoit ruinée, s’il ne se soutenoit
-par ses propres forces; et voyant que la protection ouverte et déclarée
-qu’il accordoit aux catholiques, le rendoit aussi considérable dans
-l’état que le prince de Condé, et plus puissant que Catherine de
-Médicis, il commença, selon les apparences, à ouvrir une carrière plus
-étendue à son ambition.
-
-Formant des intrigues dans le royaume et étendant ses relations aux
-dehors, n’auroit-il mis en mouvement tous les ressorts de la plus
-profonde politique, que pour se faire craindre du gouvernement, et
-n’avoir que la fortune incertaine d’un séditieux ou d’un révolté?
-Puisqu’il ne songea point à se faire une souveraineté en s’emparant de
-quelques provinces où on lui auroit obéi avec zèle, il ne mit sans
-doute plus de bornes à ses espérances, et s’il les cacha, ce fut pour
-donner le temps aux esprits de changer de maximes et de préjugés, et de
-se familiariser peu à peu avec son usurpation.
-
-Quoi qu’il en soit des projets de François de Guise, il est certain que
-son fils, héritier de son crédit et de son pouvoir, forma le dessein
-de réléguer Henri III dans un cloître et de s’asseoir sur le trône.
-Ce fut pour s’essayer à l’usurpation et se faire des sujets avant que
-d’être roi qu’il forma la ligue. Par l’acte qu’on signoit en y entrant,
-on juroit à son[323] chef une obéissance aveugle. Si quelque confédéré
-manquoit à son devoir, ou faisoit paroître quelque répugnance à s’en
-acquitter, le chef, je dirois presque le roi de la ligue, étoit le
-maître de lui infliger la punition qu’il jugeroit à propos. On devoit
-regarder comme ennemi quiconque refuseroit d’embrasser le parti de
-l’union, et les ligueurs ne connoissant point d’autre droit que la
-volonté du duc de Guise, n’attendoient que ses ordres pour attaquer
-les personnes qui pourroient lui déplaire. Tandis que l’administration
-du glaive ainsi déposée entre les mains du chef de la ligue le rendoit
-si redoutable à ses ennemis, il s’érigea un tribunal de justice sur
-ses partisans: ce n’étoit qu’avec sa permission que les confédérés
-pouvoient recourir dans leurs contestations aux tribunaux ordinaires.
-Si le duc de Guise n’avoit été occupé que de ses intérêts personnels,
-sans doute il auroit été content de sa fortune, et en effet, il
-n’auroit rien gagné à mettre la couronne de Henri III sur sa tête; mais
-il falloit établir d’une manière durable la grandeur de sa maison, et
-les mêmes motifs qui avoient porté les Pepins à faire proscrire les
-descendans de Clovis, invitèrent les Guises à dépouiller la maison de
-Hugues-Capet.
-
-Avec un pouvoir si grand, qui s’étendoit sur toutes les provinces du
-royaume, et des espérances si bien fondées de monter sur le trône, il
-étoit impossible que Henri de Guise songeât à se cantonner dans les
-gouvernemens de sa maison, et dès que cette ambition étoit au-dessous
-de lui, elle étoit au-dessus des autres. Il contenoit les seigneurs
-de son parti, les uns par la supériorité de ses talens et l’éclat de
-sa réputation, les autres par leur attachement à la religion, et tous
-par le fanatisme général qui réunissoit les principales forces de la
-nation dans ses mains. D’ailleurs, l’exemple d’un supérieur en France
-ne décide-t-il pas de la conduite de ses inférieurs?
-
-Le projet de démembrer l’état pour former de nouveaux fiefs ne pouvoit
-convenir qu’aux seigneurs réformés, qui n’avoient à leur tête qu’un
-chef moins puissant que le duc de Guise, et dont l’ambition par
-conséquent devoit aspirer moins haut; mais ils étoient plus occupés
-des intérêts d’une religion proscrite et qu’ils avoient embrassée par
-choix, que de leur fortune domestique. S’il leur eût été doux de se
-faire des souverainetés où ils auroient pratiqué en paix leur religion,
-et offert un asyle et leur protection à des élus qui se flattoient de
-faire revivre les premiers siècles de l’église; leur foiblesse les
-avertissoit sans cesse de se tenir étroitement unis, et ils auroient
-craint par ces démembremens de fournir à leurs ennemis un prétexte
-de les décrier, comme des rebelles et des ambitieux conjurés contre
-l’état. En un mot, la probité de l’amiral de Coligny produisit dans son
-parti le même effet que l’ambition du duc de Guise produisoit dans le
-sien.
-
-Telles étoient les causes qui combattoient le penchant secret des
-grands pour les fiefs; mais dans un royaume où il n’y avoit plus de
-citoyen qui n’eût à se plaindre du gouvernement, pourquoi n’y eut-il
-aucune fermentation en faveur de la liberté? Pourquoi du mépris qu’on
-avoit pour le roi, ne passoit-on pas au mépris de l’autorité royale?
-En éprouvant des malheurs, on remonte naturellement à leur origine;
-et il étoit aisé de voir que la religion n’étoit que le prétexte ou
-l’occasion des troubles, mais qu’elle n’auroit point allumé la guerre,
-si le gouvernement eût été établi sur de sages principes. Il étoit
-facile de faire les réflexions que j’ai faites, et d’en conclure que la
-première cause du mal, c’étoit d’avoir séparé les intérêts du roi de
-ceux de la nation; et qu’il falloit par conséquent les rapprocher et
-les confondre. Pourquoi ce respect pour les abus de l’autorité royale,
-tandis que la guerre civile inspire des sentimens de liberté aux hommes
-les plus accoutumés à la servitude? Pourquoi personne ne parle-t-il
-de réformer le gouvernement, afin que les vices ou l’incapacité du
-monarque ne soient plus un fléau pour l’état?
-
-Les novateurs, qui devoient mieux sentir le prix de n’obéir qu’aux
-lois, puisqu’ils avoient été persécutés, demandèrent la convocation
-des états-généraux, et pour se rendre le peuple favorable et faire une
-diversion au fanatisme, parlèrent en même temps de la nécessité de le
-soulager et de diminuer les impôts. Ils n’insistèrent pas, dit un de
-nos plus fameux historiens, dans la crainte d’indisposer les princes
-d’Allemagne, qui seroient moins empressés à les servir, s’ils croyoient
-que la cause de la religion seule ne leur mît pas les armes à la main:
-excuse frivole. Les Allemands devoient sentir qu’il importoit à la
-religion protestante que la France fût gouvernée par le conseil de la
-nation, et non par les favoris du prince; et qu’un des meilleurs moyens
-de faire diversion au fanatisme dangereux des catholiques, c’étoit
-de les occuper de leur fortune; et qu’on détacheroit par-là de leurs
-intérêts ceux d’entre eux qui n’étoient pas disposés à se sacrifier à
-leur religion.
-
-Les réformés furent vraisemblablement découragés par l’indifférence
-avec laquelle ils virent que le public recevoit leurs demandes. En
-effet, les esprits accoutumés depuis long-temps au pouvoir le plus
-arbitraire, n’étoient alors occupés que des injures que recevoit
-la religion. En essayant de soulever l’avarice des Français contre
-le gouvernement, on ne devoit pas se flatter du même succès que les
-puritains eurent depuis en Angleterre, quand ils se plaignirent des
-abus de la prérogative royale, et recherchèrent l’origine du pouvoir
-dans les sociétés. Les Anglais, il est vrai, avoient été opprimés
-depuis le règne de Henri VIII; mais le parlement avoit toujours été
-assemblé régulièrement, et cette image subsistante de la liberté avoit
-empêché que le souvenir n’en fût effacé comme il l’étoit en France:
-plus même il avoit trahi lâchement les intérêts de la nation, plus les
-ames fortes devoient conserver leur haine contre la tyrannie. Quand les
-puritains prononcèrent le mot de liberté, ce nom ne fut pas étranger
-aux Anglais; et dès qu’ils voulurent être libres, la grande charte, qui
-leur apprenoit le but où ils devoient tendre et par quels chemins ils
-pouvoient y arriver, leur servit de point de ralliement. Les Français
-ne trouvoient dans leur constitution aucun secours pareil, et tandis
-qu’ils se bornoient à se plaindre du prince, les Anglais, plus habiles,
-se plaignoient du gouvernement. Ceux-ci vouloient remettre la loi
-au-dessus du trône, les autres croyoient que le roi, par sa qualité de
-législateur, est dispensé d’obéir aux lois, et que sa dignité seroit
-avilie, s’il n’étoit pas libre de contrevenir à ses ordonnances. Les
-états-généraux ne trouvoient point étrange qu’un prince aussi méprisé
-que Henri III, leur fît en quelque sorte des excuses, s’il renonçoit à
-la prérogative royale de se jouer des lois.
-
-Mais ce qui empêcha sur-tout qu’on ne changeât les principes du
-gouvernement, c’est l’espérance qu’avoit conçue Henri de Guise de
-s’emparer de la couronne, et qui par-là étoit intéressé à ce qu’on
-ne fît aucune entreprise contre l’autorité royale. Il n’auroit point
-permis d’assembler les états à Blois, s’il n’avoit été sûr d’en être
-le maître, et qu’ils ne serviroient qu’à avilir et dégrader encore
-davantage Henri III.
-
-Quelque méprisable que fût cette assemblée, où l’on disputoit
-sérieusement sur le rang et la séance des députés, tandis qu’il étoit
-question de prévenir la ruine du royaume, on vit cependant que la
-liberté n’étoit pas entièrement oubliée: on porta un[324] décret
-par lequel il étoit ordonné qu’on supplieroit le roi de nommer un
-certain nombre de juges auxquels on joindroit un député de chaque
-province, pour examiner les propositions générales et particulières
-qui seroient faites par les trois ordres. Les états demandoient
-la liberté de récuser ceux de ces juges qui leur paroîtroient
-suspects, et que tout ce qui seroit décidé par ce nouveau tribunal
-s’observeroit inviolablement dans la suite, et seroit regardé comme
-une loi perpétuelle. Pierre Despinac, archevêque de Lyon et président
-du clergé, vouloit que les résolutions unanimes des états devinssent
-autant de lois fondamentales: il proposa de demander au roi qu’il
-s’engageât de les observer et de les faire observer, et qu’à l’égard
-des objets sur lesquels les opinions auroient été partagées, il ne pût
-en décider que de l’avis de la reine mère, des princes du sang, des
-pairs du royaume, et de douze députés des états.
-
-Ces demandes auroient changé la forme du gouvernement, si le duc de
-Guise l’avoit voulu; mais il étoit trop intéressé à dégrader Henri
-III, et à le rendre seul responsable de tous les malheurs du royaume,
-pour consentir que les états prissent quelque part à l’administration:
-il craignit d’ailleurs quand il monteroit sur le trône de trouver
-un peuple amoureux et jaloux de sa liberté; il ne voulut pas se
-mettre d’avance des entraves et s’exposer à la haine de ses sujets,
-en affectant une autorité supérieure à celle du prince qu’il auroit
-dépouillé. Si le duc de Guise avoit pensé assez sagement pour ne pas
-vouloir établir dans sa maison cette puissance arbitraire qui causoit
-la ruine des Valois, il auroit encore dû avoir la même politique. Le
-don de la liberté ne devoit pas préparer, mais affermir son usurpation;
-et quel crédit immense n’auroit-il pas lui-même acquis en sacrifiant
-librement et volontairement une partie de son pouvoir au bonheur de ses
-sujets? Qu’on ne m’oppose pas que dans l’acte d’union que les ligueurs
-signoient, il promettoit de rétablir les provinces dans leurs anciennes
-franchises, et que dans le manifeste que la ligue publia en 1585, il
-permit d’y mettre que, de trois ans au plus tard en trois ans, on
-tiendroit les états-généraux; ces espérances n’étoient qu’un artifice
-pour rendre odieuse la maison régnante; elles faisoient espérer un
-avenir heureux, et le duc de Guise étoit bien sûr que ces promesses
-seroient oubliées quand il remonteroit sur le trône; ou que le peuple
-livré à son engouement, seroit moins occupé de sa liberté que de la
-grandeur de son nouveau roi.
-
-Tandis que le corps entier de la nation s’abandonnoit à son fanatisme,
-et n’avoit point d’autre intérêt que celui des chefs de faction qui
-la divisoient, il se forma un troisième parti, mais par malheur trop
-foible et incapable de résister aux deux autres; il n’étoit composé
-que des Français qui pensoient sainement, nombre toujours très-petit
-quand la guerre civile est allumée, et qu’on se bat pour la religion.
-Qu’importoit-il qu’ils approuvassent la réforme de Calvin en quelques
-articles, et blâmassent l’église romaine en quelques points; également
-odieux aux deux religions, ils travailloient inutilement à faire le
-rôle de conciliateurs, et tandis qu’ils conservoient seuls l’esprit
-de charité et de paix qu’ordonne l’évangile, on les regarda comme de
-mauvais chrétiens qui n’étoient occupés que des choses de la terre:
-on les nomma les politiques. Ce parti composé de catholiques et de
-réformés assez sages pour ne point fermer les yeux sur les abus de
-leur religion, devoit voir dans le gouvernement les vices qui avoient
-produit les maux publics; mais sa doctrine sur l’état n’eut pas un
-succès plus heureux que celle qu’il avoit sur la religion. Les
-politiques à qui on prodigua le nom infâme d’athées se multiplièrent,
-et leur nombre donnant une certaine confiance, ils s’assemblèrent à
-Nismes le 10 février 1575, et comme s’ils avoient été assez forts
-pour faire la loi sur l’état, ils entreprirent de changer la forme du
-gouvernement.
-
-Un de nos[325] historiens nous apprend que le traité que les politiques
-signèrent dans leur conférence de Nismes, établissoit une nouvelle
-espèce de république composée de toutes ses parties, et séparée du
-reste de l’état: elle devoit avoir ses lois pour la religion, pour le
-gouvernement civil, la justice, la discipline militaire, la liberté du
-commerce, la liberté des impôts et l’administration des finances. Il
-est certain, continue de Thou, que le souvenir affreux et encore récent
-de la Saint-Barthelemy sembloit autoriser une entreprise si téméraire.
-Les gens de bon sens ne pouvoient s’empêcher d’attribuer ces malheurs
-aux ministres qui gouvernoient l’esprit du roi: cependant, il faut
-avouer que jamais attentat ne fut de plus dangereux exemple. Je ne
-m’arrêterai pas, ajoute cet historien, à en faire un plus grand détail;
-il seroit à souhaiter pour le repos de l’état, et même pour l’honneur
-de ceux que le malheur des temps engagea dans cette affaire, qu’on n’y
-eût jamais pensé.
-
-Il seroit en effet inutile de s’étendre sur le plan, l’ordre et les
-lois d’une république qui n’exista jamais, et qui ne pouvoit point
-exister. Mais comment cette entreprise des politiques pouvoit-elle
-être du plus dangereux exemple? Jamais exemple ne fut moins fait pour
-être suivi: il étoit contraire à l’esprit de la nation, et à l’intérêt
-des factieux qui étoient les maîtres de toutes les forces du royaume:
-c’étoit une étincelle, si je puis parler ainsi, qui tombant sur des
-matières qui ne sont pas combustibles, s’éteint d’elle-même. Quel
-projet ce traité despotique a-t-il fait enfanter contre l’autorité
-royale? Quelles idées de liberté a-t-il réveillées? Comment ce plan
-de politique auroit-il pu être adopté dans une nation qui, en se
-révoltant contre le roi, aimoit la monarchie, et s’étoit fait des chefs
-tout-puissans?
-
-Si cette république, séparée de l’état et cependant renfermée
-dans l’état, s’étoit établie à la faveur de quelque événement
-extraordinaire, jamais elle n’auroit pu acquérir des forces, et elle
-auroit été bientôt détruite par le reste des Français dont elle auroit
-révolté les préjugés et les habitudes. Le duc de Damville, dit de Thou,
-qui signa le traité de Nismes au nom des catholiques, ne le signa qu’à
-regret; quelle espérance pour les succès d’une république à peine
-projetée? Parmi les chefs qui étoient à la tête du parti politique,
-les uns étoient des hommes qui désiroient la tranquillité publique,
-c’est-à-dire, des hommes inutiles dans les temps de faction et de
-trouble, et qui auroient dû attendre pour agir que les passions fussent
-en quelque sorte usées, et qu’on fût capable d’entendre la voix de la
-justice et de la raison; les autres étoient des personnes ambitieuses,
-qui, faute de talens, ne pouvant se distinguer ni dans le parti
-catholique, ni dans le parti réformé, s’étoient jetées par désespoir
-dans celui des politiques, et devoient le trahir quand leur intérêt
-l’exigeroit.
-
-
-
-
- CHAPITRE II.
-
- _Des causes de la décadence et de la ruine entière de la ligue._
-
-
-On ne pouvoit mettre plus d’art et de génie que François de Guise
-en avoit employé pour se faire un parti formidable, et frayer à sa
-maison le chemin du trône. Son fils eut, comme lui, les qualités les
-plus propres à le faire aimer, craindre et respecter; cependant ne
-pourroit-on pas dire qu’il manquoit d’une certaine précision, qui fait
-agir par les voies les plus simples et les plus courtes, et néglige
-les précautions superflues? Malgré un courage brillant qui le rendoit
-quelquefois téméraire, il se trouva quelquefois embarrassé dans les
-détours de sa politique; et dans des occasions décisives parut trop
-prudent et même irrésolu. Son père en préparant sa fortune avoit cru
-tout possible. Lui, au contraire, après être parvenu au comble de
-la puissance, persista encore à juger son entreprise plus difficile
-qu’elle ne l’étoit en effet: il ne calcula pas assez bien le pouvoir du
-fanatisme, et il essaya encore la couronne, ou plutôt se contenta de
-l’espérer, quand il étoit temps de l’usurper.
-
-La fameuse journée des Barricades, où Henri III montra la plus honteuse
-lâcheté, et les Parisiens l’insolence la plus audacieuse, étoit le
-moment décisif pour consommer l’usurpation du duc de Guise. Qui doute
-que dans cette conjoncture favorable, s’il se fût fait proclamer roi
-dans Paris, et eût convoqué les états-généraux, il n’eût vu tous les
-catholiques se dévouer à sa fortune? Quand il auroit été incertain du
-succès de cette démarche, il falloit cependant la faire; parce que la
-journée des Barricades devoit le perdre, si elle ne le plaçoit pas
-sur le trône. Henri III avoit été prêt à périr; plus il étoit timide,
-plus sa timidité lui montroit le danger tel qu’il étoit; et ne pouvant
-éviter sa ruine que par un coup de désespoir, Guise devoit trembler
-après l’avoir réduit à commettre une action qui ne demande qu’une sorte
-de courage dont un lâche est toujours capable.
-
-Il n’est pas possible de peindre la fureur de la ligue en apprenant
-l’assassinat de son chef. Le fanatisme déjà extrême acquit, s’il est
-possible, de nouvelles forces. Toutes les églises retentirent des
-noms de tyran, d’assassin, d’ennemi de la religion et de l’état qu’on
-donna à Henri III. Rome le proscrivit, la ligue mit, pour ainsi dire,
-sa tête à prix, et ce prince, qui n’avoit point d’armée à opposer aux
-catholiques, fut obligé de se jeter entre les bras du roi de Navarre
-son héritier, et de se mettre sous la protection des réformés; mais
-comme il n’avoit été que le lieutenant du duc de Guise en entrant dans
-la ligue, il ne fut encore que le lieutenant du roi de Navarre en
-passant dans son parti; et par cette conduite, qui le laissoit toujours
-dans le même avilissement, il ne fit que se rendre plus odieux aux
-catholiques.
-
-Le duc de Mayenne, qui se trouvoit à la tête de la ligue par la mort de
-son frère, pouvoit profiter du désespoir des ligueurs pour s’emparer de
-la couronne. Mais soit qu’accoutumé jusqu’alors à ne faire qu’un rôle
-de subalterne et à ne servir que la fortune du duc de Guise, il ne pût
-élever subitement sa pensée si haut, soit qu’il n’eût en effet qu’une
-ambition patiente et circonspecte, il ne vit pas qu’il se trouvoit dans
-une circonstance aussi favorable que la journée des Barricades pour
-tout oser.
-
-Henri périt par la main d’un assassin, et Mayenne ne songea point
-encore à réparer sa faute. Dans la joie insensée des catholiques qui
-s’étoient défaits d’un roi qui ne pouvoit leur faire aucun mal, pour en
-avoir un qu’ils devoient craindre, il ne vit qu’un mouvement convulsif
-auquel il n’osa se fier, et il falloit le fixer. Il devoit penser que
-les catholiques, regardant sa fortune comme leur ouvrage, auroient plus
-d’attachement pour lui, après l’avoir élevé sur le trône, qu’ils n’en
-avoient pour le chef de la ligue. Le nom seul de roi a de la force dans
-les pays accoutumés à la monarchie; et c’étoit beaucoup que de partager
-avec Henri IV le titre qui lui appartenoit. Ces fautes répétées
-affoiblirent de jour en jour le crédit de Mayenne; et à moins que la
-fortune ne ramenât encore quelqu’un de ces événemens qui changent
-en un instant la face des choses dans un état agité par des guerres
-domestiques, et qu’il n’en sût mieux profiter, il étoit impossible que
-les esprits ne se lassassent pas enfin d’une situation pénible sous un
-chef qui n’étoit pas assez entreprenant.
-
-Pour mieux juger des obstacles secrets qui ont vraisemblablement
-retardé l’entreprise des Guises, et préparé ensuite la décadence de
-la ligue; il faut se rappeler que le frère de Mayenne avoit fait une
-ligue offensive, en son nom et au nom de ses successeurs, avec la cour
-de Rome et le roi d’Espagne pour maintenir la religion catholique
-en France et dans les Pays-Bas, ainsi que pour exclure du trône les
-princes hérétiques et relaps. Sans doute qu’une partie de cette
-alliance étoit très-favorable au duc de Guise; jamais la cour de Rome
-n’avoit eu plus de pouvoir, les catholiques cherchoient à la consoler
-par leur obéissance de la révolte des novateurs; elle conservoit
-toujours sa prétention de disposer des couronnes, et pour constater son
-droit, il n’y avoit point de pape qui ne dût être un nouveau Zacharie,
-s’il se présentoit un nouveau Pepin.
-
-Mais pour l’autre partie de l’alliance avec le roi d’Espagne, rien ne
-pouvoit être plus contraire aux intérêts du duc de Guise. Il étoit
-permis aux réformés de chercher des secours étrangers, puisque leurs
-forces étoient très-inférieures à celles des catholiques; mais par
-quelle prudence inutile le chef de la ligue n’osoit-il se suffire
-à lui-même? Il associoit à ses desseins un roi puissant qui avoit
-hérité de son père le projet de la monarchie universelle, et qui se
-repaissant de cette chimère, ne travailloit qu’à semer partout le
-désordre, le trouble et la confusion; dans l’espérance que les peuples
-affoiblis et divisés ne lui opposeroient qu’une médiocre résistance,
-quand le temps seroit venu de les subjuguer. Il semble qu’il étoit
-aisé de prévoir qu’en se mêlant des affaires de France, Philippe II
-ne s’occupoit qu’à perpétuer ses malheurs; et que sous le masque d’un
-allié, il deviendroit en effet le rival du duc de Guise.
-
-L’alliance que François de Guise avoit projetée à la naissance des
-partis, étoit bien différente de celle que fit son fils. En se liguant
-avec la maison d’Autriche, on voit qu’il[326] ne vouloit se servir des
-forces espagnoles que pour ruiner la maison de Bourbon dans la Navarre;
-et de celles de l’empereur pour empêcher que les protestans d’Allemagne
-ne protégeassent les réformés de France. Il invitoit le duc de Savoye
-à faire valoir ses droits sur Genève. Il soulevoit les cantons Suisses
-les uns contre les autres; il ne cherchoit pas des alliés contre
-les réformés de France, mais contre leurs amis. Il se chargeoit lui
-seul de faire triompher la religion catholique dans le royaume, et
-pour traiter d’une manière plus égale avec ses alliés, c’est-à-dire,
-pour n’en pas dépendre, il leur rendoit les secours qu’il en avoit
-reçus; et devoit, après avoir soumis ses ennemis, se servir de ses
-forces pour pacifier les Pays-Bas, et soumettre l’empire à la maison
-d’Autriche. Quelques précautions qu’eût prises cet habile politique
-pour ne partager avec personne sa qualité de chef et de protecteur des
-catholiques Français, il craignit que la puissance de ses alliés ne
-leur donnât trop d’avantage sur lui; et c’est vraisemblablement ce qui
-empêcha que ce projet ne fût mis à exécution.
-
-Henri de Guise ne tarda pas à éprouver les inconvéniens qui étoient
-une suite naturelle de son alliance. La cour de Rome n’osa le servir
-avec autant de zèle qu’elle le désiroit, dans la crainte de déplaire
-au roi d’Espagne qui s’opposa d’abord à la fortune de son allié pour
-le tenir dans la dépendance; et qui voulut ensuite faire de la France
-une de ses provinces ou la dot de sa fille. Il faudroit dévoiler ici
-tout l’artifice de cette politique machiavéliste, qui n’étoit alors que
-trop familière et trop fameuse en Europe, pour faire connoître combien
-l’alliance de l’Espagne fut funeste à la maison de Guise. Pour se
-débarrasser des entraves que Henri de Guise s’étoit mises à lui-même,
-il ne lui restoit d’autre ressource que de profiter de la journée des
-Barricades pour consommer son entreprise. S’il eût pris le titre de
-roi, le pape l’auroit secondé ouvertement; parce que ses états étoient
-enclavés dans les terres de Philippe II, et qu’il ne doutoit point que
-la liberté de l’Italie ne fût perdue si la France étoit soumise à ce
-prince. Philippe lui-même, qui s’étoit montré à toute l’Europe comme
-le protecteur de la religion catholique, n’auroit osé découvrir ses
-véritables sentimens. Content de nuire en secret au duc de Guise, il
-auroit craint de perdre sa réputation et de dévoiler sa politique, en
-embrassant les intérêts de la maison de Bourbon et des réformés.
-
-Mayenne auroit encore été sûr d’un succès égal, s’il eût profité de
-deux occasions que la fortune lui offrit de satisfaire l’ambition de
-sa maison; mais n’ayant paru dans ces circonstances décisives que
-foible, irrésolu, lent et inférieur aux projets qu’il méditoit, la cour
-de Madrid conçut de plus grandes espérances. Philippe II se regarda
-comme le chef des catholiques Français. Politique aussi artificieux
-que Mayenne l’étoit peu, il lui débaucha chaque jour ses créatures;
-et l’héritier de la puissance du duc de Guise ne fut plus que le
-lieutenant du roi d’Espagne.
-
-Quoique Mayenne vît multiplier les obstacles qui s’opposoient à ses
-desseins, il ne pouvoit cependant renoncer entièrement à l’espérance
-de monter sur le trône. Les secours et les infidélités de la cour de
-Madrid le retenoient dans une indécision funeste à ses intérêts, et la
-ligue ayant deux chefs qui n’osoient ni se brouiller ni se servir, les
-catholiques divisés n’eurent plus un même esprit ni un même mouvement.
-Chacun songea à sa sûreté particulière. Les provinces, les villes
-mêmes formèrent des partis différens, et ne composèrent plus ce corps
-redoutable qui s’étoit dévoué à la fortune du duc de Guise en croyant
-ne servir que la religion.
-
-En effet, sans la division qui se mit parmi les ligueurs, on entrevoit
-à peine comment Henri IV auroit pu triompher de ses ennemis. Ce
-prince étoit entouré des réformés et de catholiques qui s’étoient
-faits de trop grandes injures, et trop accoutumés à se haïr pour agir
-de concert. Les uns craignoient qu’il n’abandonnât leur prêche, les
-autres ne l’espéroient pas. Par une suite naturelle des préjugés dans
-lesquels les catholiques avoient été élevés, ils sentoient quelque
-scrupule de rester attachés à un prince séparé de l’église, qui avoit
-déjà changé deux fois de religion, et dont la foi seroit peut-être
-toujours équivoque. Les réformés, de leur côté, voyoient avec jalousie
-que Henri eût des ménagemens pour les catholiques, et s’appliquât
-d’une manière particulière à se les attacher par des bienfaits. Ils
-craignoient de servir un ennemi, qui, pour monter sur le trône et
-s’y affermir, prendroit peut-être la politique intolérante de ses
-prédécesseurs et du plus grand nombre de ses sujets. Cependant le
-courage demeuroit suspendu, et tandis que le roi avoit besoin d’être
-servi avec le zèle le plus vif, la défiance glaçoit les esprits; ou du
-moins le peu d’ardeur dont on étoit animé laissoit le temps à chacun de
-songer à ses intérêts personnels, de se livrer à une fausse politique,
-d’établir sa fortune particulière sur l’infortune politique, de vendre
-trop chèrement ses services, et même de le mal servir pour lui être
-plus long-temps nécessaire.
-
-Dès qu’on s’aperçut des intérêts opposés qui divisoient le roi
-d’Espagne et le duc de Mayenne, plusieurs princes espérèrent d’en
-profiter pour l’agrandissement de leur fortune particulière. Le duc de
-Lorraine, jaloux de la grandeur d’une branche cadette de sa maison,
-voulut placer la couronne sur la tête de son fils. Le duc de Savoye,
-fils d’une fille de François I, demandoit deux provinces importantes,
-le Dauphiné et la Provence. Le jeune duc de Guise s’échappa de la
-prison où il étoit renfermé depuis la mort de son père, et se fit un
-parti inutile de tous ceux à qui son nom étoit cher, ou que la conduite
-de son oncle mécontentoit. Tant de factions différentes produisirent
-enfin dans la ligue une confusion qui l’empêcha de rien faire de
-décisif. Tous ces concurrens redoutoient mutuellement leur ambition,
-ils se tenoient mutuellement en échec; et les ennemis de Henri IV le
-servirent sans le vouloir, presque aussi utilement que s’ils avoient
-été ses alliés. De-là cette politique bizarre de la cour de Madrid,
-qui, ne se trouvant jamais dans une circonstance assez favorable pour
-disposer à son gré de la France, ne donnoit que des secours médiocres
-aux ligueurs, et ne vouloit pas avoir des succès qui l’auroient rendu
-moins nécessaire. Philippe II gêne les talens du duc de Parme, qui
-commande ces forces, lui permet de servir Mayenne, et ne veut pas
-accabler Henri IV. De-là vient encore qu’à la mort du cardinal de
-Bourbon, qui n’avoit été qu’un vrai simulacre de roi, et dont la
-proclamation à la couronne avoit cependant servi à constater les droits
-de la maison de Bourbon, la ligue, dont les états étoient assemblés à
-Paris, ne put lui nommer un successeur.
-
-La ligue ne formant plus qu’un parti dont tous les membres
-travailloient à se perdre, les affaires de Henri IV devoient tous les
-jours se trouver dans une situation plus avantageuse. Il n’y a point de
-peuple qui se livre plus témérairement à l’espérance que les Français;
-mais en montrant le plus grand courage, aucun peuple aussi n’est plus
-propre à tomber dans le dernier découragement. Les succès manquoient
-aux ligueurs, et en admirant l’activité de Henri IV, ils se disposoient
-insensiblement à lui obéir. Mayenne, dont l’autorité diminuoit de jour
-en jour, ruina celle des Seize pour paroître encore le maître de Paris,
-et détruisit ainsi des ennemis, d’autant plus dangereux pour le roi,
-qu’ils étoient vendus à l’Espagne, et entretenoient dans le peuple de
-la capitale un reste de fanatisme qui diminuoit sensiblement dans les
-autres ordres de la nation.
-
-Dès que les catholiques s’aperçurent de la décadence de leurs affaires,
-ils se défièrent de leur fortune, et leurs espérances diminuèrent.
-Quelques prélats, qui auroient été fanatiques, si Henri IV avoit
-paru moins heureux, commencèrent par ambition à croire qu’on pouvoit
-se prêter à des tempéramens. Les réformés les plus zélés et les
-plus inquiets sentirent qu’étant les plus foibles, ils ne pouvoient
-raisonnablement espérer de détruire la religion romaine, et qu’il
-faudroit faire un désert de la France pour y rendre leur culte
-dominant. Tandis que tous les esprits, ainsi disposés à la paix, se
-préparoient à remettre à la Providence le soin de protéger et de
-faire triompher la vérité, Henri IV rentra dans le sein de l’église
-catholique. Dans la première chaleur du fanatisme, on n’eût pas cru sa
-conversion sincère, on l’eût regardée comme un piége et une profanation
-de nos mystères; mais après tant de calamités et d’espérances trompées,
-on crut tout pour avoir un prétexte d’obéir et de goûter enfin les
-douceurs de la paix. Dès que quelques ligueurs eurent traité avec
-Henri IV, tous s’empressèrent à lui porter leur hommage, et le
-successeur de Henri III fut plus puissant et plus absolu que
-François I.
-
-
-
-
- CHAPITRE III.
-
- _Changemens survenus dans la fortune des grands et du parlement
- pendant les guerres civiles._
-
-
-Quelques soins que la maison de Guise eût pris de ne point laisser
-affoiblir l’opinion que le public avoit depuis si long-temps de
-la puissance royale, il doit paroître surprenant qu’un prince qui
-succédoit à des rois aussi odieux et aussi méprisés que Charles IX et
-Henri III, ait pu reprendre subitement le pouvoir le plus absolu. Les
-prérogatives de la couronne n’avoient pas été, il est vrai, bornées
-et fixées par des lois; mais comment la licence des guerres civiles,
-et le mépris qu’on avoit eu pour Catherine de Médicis et ses fils,
-n’avoient-ils pas du moins donné plus de fierté aux esprits, et fait
-contracter de nouvelles habitudes qui gêneroient l’ambition du prince
-qui monteroit sur le trône? Une nation est comme une vaste mer, dont
-les flots sont encore agités après que les vents qui les soulevoient,
-ont cessé de souffler. En effet, Henri IV n’auroit joui, malgré ses
-talens, que d’une autorité équivoque et contestée, si pendant le
-cours des guerres civiles, il n’étoit survenu dans la fortune des
-grands et du parlement des changemens considérables, qui étoient autant
-d’obstacles à l’inquiétude qui devoit les agiter.
-
-La révolution que souffrit la pairie étoit préparée depuis long-temps;
-et il faut se rappeler que, quoique les nouveaux pairs que
-Philippe-le-Bel et ses successeurs avoient créés, lussent dans leurs
-patentes qu’ils étoient égaux aux anciens pairs, et devoient jouir
-des mêmes prérogatives; les esprits s’étoient refusés à ces idées,
-et l’opinion publique, qui décide souverainement des rangs et de la
-considération qui leur est due, ne confondit point les anciens et les
-nouveaux pairs: il y eut une telle différence entre eux que le duc de
-Bretagne, loin d’être flatté de se voir élevé à la dignité de pair,
-craignit au contraire que les anciennes prérogatives de son fief n’en
-fussent dégradées; possédant une seigneurie plus puissante et plus
-libre que celle des nouveaux pairs, il eut peur qu’on ne voulût le
-réduire aux simples franchises dont jouissoient le duc d’Anjou et le
-comte d’Artois. Yoland de Dreux, duchesse de Bretagne, eut sans doute
-raison de demander à Philippe-le-Bel une déclaration[327] par laquelle
-il assuroit que l’érection du duché de Bretagne en pairie ne porteroit
-aucun préjudice au duc et à la duchesse de Bretagne ni à leurs enfans.
-Cette précaution étoit sage: quand on contesteroit quelques droits à
-la Bretagne, il devoit arriver qu’on consultât moins les anciennes
-coutumes qui les autoriseroient, que les priviléges ordinaires dont
-les nouvelles pairies seroient en possession, et que le conseil du roi
-seroit intéressé à regarder comme le droit commun de la pairie.
-
-La même vanité qui avoit porté les ducs de Normandie, de Bourgogne
-et d’Aquitaine, ainsi que les comtes de Champagne, de Toulouse et
-de Flandre à se séparer des seigneurs qui relevoient comme eux
-immédiatement de la couronne[328], pour former un ordre à part dans
-l’état, les empêcha encore de se confondre avec les seigneurs à qui
-le roi avoit attribué le titre de la pairie: ils prétendoient que ces
-pairs de nouvelle création n’étoient pas pairs de France, mais tenoient
-seulement leurs terres en pairie; et le public admit cette distinction,
-que ni lui ni les pairs n’entendoient pas, mais qui supposoit
-cependant une différence entre les anciens et les nouveaux pairs.
-
-Quelque passion qu’eussent ces derniers de s’égaler aux autres, ils
-ne pouvoient se déguiser à eux-mêmes la supériorité de l’ancienne
-pairie. La nouvelle, formée dans un temps où le gouvernement féodal
-faisoit place à la monarchie, n’étoit assise ordinairement que sur
-des terres déjà dégradées, ou sur des terres que les rois avoient
-données en apanage à des princes de leur maison. Quand les nouveaux
-pairs auroient été mis en possession des mêmes prérogatives que les
-anciens, ils n’en auroient pas en effet joui, ou n’en auroient joui que
-d’une manière précaire, parce qu’ils n’avoient pas les mêmes forces
-pour les conserver malgré le roi, et que l’inégalité des forces met
-une différence réelle entre les dignités qui d’ailleurs sont les plus
-égales. Il est si vrai que l’opinion publique n’avoit pas confondu les
-anciennes et les nouvelles pairies, qu’après l’union des premières
-à la couronne, les nouveaux pairs ne parurent pas sous leur nom aux
-cérémonies les plus importantes, telles que le sacre des rois; mais y
-représentèrent les anciens pairs qui n’existoient plus, et c’étoit
-avouer bien clairement que la nouvelle pairie étoit inférieure en
-dignité à l’ancienne.
-
-Malgré cette espèce de dégradation, tout contribua cependant à faire de
-la nouvelle pairie la dignité la plus éminente et la plus importante de
-l’état. Elle ne fut conférée qu’à des princes de la maison royale, qui,
-sous les fils de Philippe-le-Bel, se trouvant tous appelés au trône,
-acquirent une considération qu’ils n’avoient point[329] eue, tant qu’il
-avoit été incertain si la royauté étoit une seigneurie masculine, ou
-seroit soumise au même ordre de succession que les grands fiefs qui
-passoient aux filles. La nouvelle pairie conserva un rang supérieur
-aux distinctions qui furent attachées à la dignité de prince du sang;
-les princes qui en étoient revêtus, prirent le pas sur[330] ceux
-qui étoient plus près de la couronne dans l’ordre de la succession,
-mais qui n’étoient pas pairs, et cet usage établit comme un principe
-la supériorité de la pairie sur la dignité de prince de la maison
-royale. La révolution arrivée à notre gouvernement, sous le règne de
-Charles VI, ne fut pas moins favorable à la pairie; car les pairs
-en qualité de pairs n’auroient point eu un prétexte aussi plausible
-qu’en qualité de princes du sang, de s’emparer de l’administration du
-royaume. Quoiqu’ils se regardassent comme les colonnes de l’état[331]
-et les ministres de l’autorité royale, il étoit juste que dans des
-troubles qui intéressoient plus le sort de la maison régnante que celui
-de l’état, ils eussent moins de part aux affaires que les héritiers
-nécessaires de la couronne. Les pairs qui vraisemblablement auroient
-été dégradés s’ils n’avoient pas été princes, acquirent au contraire
-un nouveau degré de crédit par l’autorité dont ils s’emparèrent comme
-princes.
-
-Tant que les pairs furent princes du sang, on ne songea point à mettre
-une distinction entre leurs dignités, qui, si je puis parler ainsi,
-s’étayant réciproquement, jouirent des mêmes prérogatives. On étoit
-même si accoutumé à voir les princes pairs précéder ceux qui n’étoient
-pas revêtus de la même dignité, que des princes étrangers à qui la
-pairie fut conférée eurent le même avantage, et dans les cérémonies
-occupèrent une place supérieure à celle des princes du sang qui
-n’étoient pas pairs. C’est ainsi, pour en donner un exemple, qu’au
-sacre de Henri II[332], le duc de Guise et le duc de Nevers prirent
-le pas sur le duc de Montpensier. Mais en voyant élever à la pairie
-d’autres personnes que les princes du sang, il étoit aisé, si je ne me
-trompe, de prévoir sa décadence prochaine. Dans une monarchie telle
-que la nôtre, et gouvernée par une coutume que nous appelons la loi
-salique, c’étoit beaucoup que l’orgueil du sang royal ne fût pas choqué
-de céder le pas à un prince d’une branche cadette, et il ne falloit
-point s’attendre à la même condescendance pour des familles étrangères
-à la maison royale.
-
-Dès qu’un prince de cette maison régnante se plaindroit de se voir
-précéder par une famille sujette, le public devoit trouver ses plaintes
-légitimes; et le roi, par l’intérêt de sa vanité, devoit établir
-une nouvelle coutume, et laisser un long intervalle entre sa maison
-et les familles les plus distinguées de l’état. En effet, le duc de
-Montpensier fit sa protestation sur la prétendue injure qu’il croyoit
-avoir reçue au sacre de Henri II; et vraisemblablement cette querelle
-naissante auroit été dès-lors terminée, si le duc de Guise, qui
-gouvernoit le roi par la duchesse de Valentinois, n’eût fait rendre
-une ordonnance obscure qui ne décidoit rien; et qui servant également
-de titre aux prétentions des princes et des pairs, annonçoit que la
-dignité des premiers seroit bientôt supérieure à celle des seconds.
-
-Quand la pairie n’auroit été conférée qu’à des familles d’un ordre égal
-à celles du duc de Guise et du duc de Nevers, ou qu’on n’auroit pas
-oublié que les principales maisons du royaume, tiroient leur origine de
-seigneurs puissans qui avoient été princes[333], et dont les descendans
-l’auroient encore été, si le gouvernement des fiefs eût subsisté en
-France comme il a subsisté en Allemagne, la contestation élevée par le
-duc de Montpensier devoit bientôt se terminer à l’avantage des princes
-du sang. Henri II érigea Montmorency en pairie; ce n’étoit que faire
-rentrer cette maison dans les droits dont elle avoit joui[334] sous
-les prédécesseurs de Philippe-Auguste. Mais cette grâce, qui n’étoit
-point un abus du pouvoir souverain, ouvrit cependant la porte à mille
-abus. La manie éternelle de tout gentilhomme en France, c’est de se
-croire supérieur à ses égaux, et égal à ses supérieurs; l’élévation de
-la maison de Montmorency répandit donc une ambition générale parmi les
-courtisans, et sous les règnes foibles qui suivirent celui de Henri
-II, comment des favoris n’auroient-ils pas obtenu une dignité qu’ils
-devoient dégrader? La pairie fut bientôt conférée à des familles d’une
-noblesse ancienne, mais qui n’avoient jamais possédé que des fiefs
-peu distingués. En la voyant multiplier, on ne sut plus ce qu’il en
-falloit penser. Le public, trop peu instruit pour juger des pairs par
-leur dignité, jugea de leur dignité par leur personne; et sans qu’il
-fût nécessaire de porter une loi pour régler l’ordre que les princes
-et les pairs devoient tenir entre eux, il s’établit naturellement et
-sans effort une subordination entre des pairs dont la naissance ne
-présentoit aucune égalité; et c’est ainsi qu’au sacre de Charles IX,
-les pairs qui étoient princes donnèrent le baiser à la joue, et les
-autres ne baisèrent que la robe du roi.
-
-Dans le lit de justice qui se tint à Rouen pour la majorité du même
-prince, les droits du sang parurent encore supérieurs à ceux de la
-pairie; et les princes, qui n’avoient d’autre titre que celui de leur
-naissance, précédèrent les pairs qui n’étoient pas de la maison royale.
-S’il s’élevoit encore quelque contestation, l’événement ne pourroit
-en être douteux; et en donnant enfin l’édit qui établit les choses
-dans l’ordre où elles sont actuellement, Henri III[335] affermit une
-coutume qui avoit déjà acquis force de loi. Mais la pairie ne tarda
-pas à recevoir un second échec: étant moins considérée depuis qu’elle
-étoit multipliée, les grandes charges de la couronne devinrent l’objet
-de l’ambition des courtisans. On sait qu’en mourant, François de Guise
-avertit déjà son fils de ne pas rechercher ces places qui attiroient,
-disoit-il, la jalousie, l’envie et la haine, et qui exposoient à mille
-dangers ceux qui les occupoient. Les pairs avoient un grand titre,
-mais les grands officiers de la couronne avoient un pouvoir réel, et
-c’est ce qui porta Henri III à donner à ces officiers la préséance sur
-les pairs[336], dont la dignité fut encore dégradée par la manière
-arbitraire dont il disposa de leur rang sans égard à l’ancienneté[337]
-des érections. Cet édit auroit détruit l’esprit et toutes les coutumes
-de notre ancien gouvernement, s’il eût été observé dans toute son
-étendue; mais il ne servit à élever au-dessus de la pairie que quelques
-offices que les anciens pairs ne regardoient[338] qu’avec une sorte de
-dédain.
-
-Tandis que ces différentes révolutions annonçoient aux grands la ruine
-de leur pouvoir, quand la tranquillité publique seroit rétablie, le
-parlement éprouva aussi diverses fortunes. Il étoit naturel qu’une
-compagnie qui n’avoit de crédit et de considération que par les lois,
-perdit l’un et l’autre au milieu des troubles et des désordres de la
-guerre civile. Le chancelier de l’Hôpital lui-même, choqué du fanatisme
-du parlement, tenta une fois de ne point y envoyer[339] les édits
-pour y être vérifiés, mais ce fut sans succès; et l’enregistrement
-continua d’avoir lieu, parce que la guerre civile, interrompue par des
-paix fréquentes, ne dura jamais assez long-temps pour qu’à la faveur
-de la nécessité il s’établît un usage contraire. Si Henri III ne put
-s’affranchir de cette formalité odieuse au gouvernement qu’elle gênoit
-et qu’il vouloit détruire[340], il apprit du moins à ses successeurs
-à la rendre inutile; puisqu’il lui suffit d’aller tenir son lit de
-justice au parlement, pour que toutes ses volontés devinssent autant de
-lois. Une autorité dont il étoit si aisé de trouver la fin, n’auroit
-laissé aucune considération au parlement, si quelques circonstances
-favorables à son ambition ne lui avoient rendu une sorte de confiance.
-
-Il arriva entre autres deux événemens qui persuadèrent à cette
-compagnie qu’elle étoit, pour ainsi dire, au-dessus de la nation,
-lorsque la tenue des lits de justice auroit dû lui apprendre qu’elle
-n’avoit en effet aucune autorité. Elle eut la hardiesse[341] de rejeter
-ou de vouloir modifier plusieurs articles de l’édit que Henri III
-publia d’après les remontrances des états de Blois. Un prince plus
-ferme et plus éclairé auroit saisi cette occasion pour réprimer les
-entreprises du parlement, et sous prétexte de venger la dignité des
-états qu’il ne craignoit pas, se seroit débarrassé pour toujours de
-l’enregistrement qui le gênoit. Mais soit que Henri vît avec plaisir
-qu’on infirmoit une loi dont plusieurs articles lui déplaisoient, soit
-que par une suite de sa foiblesse et de l’avilissement dans lequel
-il étoit tombé, il n’osât faire un acte de vigueur, cet attentat
-fut impuni; et le parlement, fier d’avoir humilié à la fois le roi
-et la nation dans ses représentations, crut follement que son droit
-d’enregistrement étoit plus affermi que jamais; et qu’après cet
-exemple, on ne pourroit plus lui contester la puissance législative.
-
-On pourroit peut-être croire que c’est en conséquence de cet attentat
-contre les droits de la nation, que le parlement de Paris osa s’élever
-au-dessus des états-généraux de la ligue, et lui prescrire des lois.
-Il fit un arrêt[342] pour ordonner une députation solennelle au
-duc de Mayenne; et le supplier de ne faire aucun traité qui tendît
-à transférer la couronne à quelque prince ou à quelque princesse
-d’une autre nation; on lui insinuoit de veiller au maintien des lois
-de l’état, et de faire exécuter les arrêts de la cour donnés pour
-l’élection d’un roi catholique et Français. Puisqu’on lui avoit confié
-l’autorité suprême, il étoit de son devoir, lui disoit-on, de prendre
-garde que sous prétexte de servir la religion catholique, on n’attentât
-aux loix fondamentales du royaume, en mettant une maison étrangère sur
-le trône de nos rois. Enfin, l’arrêt du parlement cassoit et annulloit
-comme contraires à la loi salique tous les traités et conventions
-qu’on auroit déjà faits, ou qu’on pourroit faire dans la suite pour
-l’élection d’une princesse ou d’un prince étranger.
-
-Quelque idée que le parlement eût prise de son autorité par les
-modifications qu’il avoit mises dans l’enregistrement de l’édit de
-Blois: n’est-il pas vraisemblable qu’étant fanatique et ligueur, il
-n’auroit jamais tenté une pareille entreprise, s’il n’y avoit été
-invité par le duc de Mayenne lui-même? C’est après la séparation des
-états de Blois, c’est quand ils n’existoient plus, que le parlement
-les offensa; mais les états de la ligue, présens et maîtres de Paris,
-devoient-ils souffrir patiemment que le parlement leur fît la loi? On
-ne reconnoissoit pas dans cette compagnie le droit de disposer de la
-couronne, puisqu’on avoit cru nécessaire d’assembler les états pour
-cette opération. Par quel vertige le parlement auroit-il donc osé
-s’ériger en surveillant de leur conduite, s’il n’avoit été sûr de la
-protection du duc de Mayenne?
-
-Je croirois que ce seigneur, pressé par les intrigues des Espagnols,
-et ennemi des prétentions de la cour de Madrid, qu’il étoit cependant
-obligé de ménager, vouloit leur nuire en feignant de la servir. Il
-se cacha sous le nom du parlement, et se servit du crédit de cette
-compagnie pour faire échouer les projets de l’Espagne, ou du moins pour
-y opposer un obstacle de plus. Il est vrai que les historiens ne disent
-point que le parlement fût invité par le duc de Mayenne à donner cet
-arrêt qui l’élevoit au-dessus des états; mais doit-on en être surpris?
-Le mystère le plus profond devoit être l’ame de cette opération, pour
-qu’elle produisît l’effet qu’on en attendoit, Mayenne ne s’adressa
-sans doute qu’aux principaux membres du parlement qui lui étoient
-dévoués; et tout son artifice auroit été perdu pour lui, si on eût su
-qu’il avoit sollicité un arrêt contraire aux intérêts de l’Espagne.
-Ne voit-on pas que cet arrêt est dicté par le duc de Mayenne? C’est
-pour lui ouvrir le chemin du trône que le parlement en veut écarter
-les étrangers. Si cette compagnie n’eût pas été conduite par ce motif
-secret, si elle eût été véritablement attachée à l’ordre de succession,
-en ne voulant cependant rien faire qui pût préjudicier à la religion
-catholique, pourquoi ne se seroit-elle pas expliquée d’une manière plus
-claire? Pourquoi n’auroit-elle parlé que confusément du successeur de
-Henri III ou du cardinal de Bourbon? Tous les princes de la maison
-royale n’étoient pas hérétiques et relaps; et si l’arrêt du parlement
-n’eût pas été l’ouvrage de l’intrigue, il auroit nommé le prince que
-les lois appeloient au trône.
-
-Les historiens disent que le duc de Mayenne fut extrêmement irrité
-de l’arrêt et de la députation du parlement: ils devoient dire
-seulement qu’il eut l’art de le paroître. Dans un temps où le mensonge,
-l’intrigue et la fourberie étoient l’ame de la politique, étoit-il
-si rare et si difficile d’emprunter des sentimens contraires à ceux
-qu’on avoit en effet? Pour ne se pas brouiller avec les Espagnols,
-pour ralentir leurs démarches, pour ménager ses propres partisans,
-pour persuader aux Parisiens mêmes que l’arrêt du parlement étoit
-une bien plus grande importance qu’il n’étoit, Mayenne ne devoit-il
-pas feindre une colère qu’il n’avoit pas? S’il eût été véritablement
-irrité, pourquoi n’auroit-il pas cherché à soulever les états contre le
-parlement?
-
-
-
-
- CHAPITRE IV.
-
- _Des effets que la révolution arrivée dans la fortune des
- grands et du parlement produisit dans le gouvernement, après la
- ruine de la ligue._
-
-
-Quand le fanatisme, peu à peu ralenti, ne fut plus capable de faire
-supporter avec constance les maux de la guerre, quand on goûta enfin
-les douceurs de la paix, la nation ne se représenta qu’avec une sorte
-d’effroi le tableau des troubles dont elle avoit été la victime.
-La lassitude du passé, et l’espérance d’un avenir plus heureux lui
-donnèrent un nouvel esprit et de nouvelles mœurs. On n’avoit été touché
-d’aucune des vertus de Henri IV, et quand on l’eut connu, on ne voulut
-voir aucun de ses défauts; à l’exception de quelques fanatiques dévoués
-aux intérêts de l’Espagne, et dont la haine contre les réformés étoit
-implacable, le peuple se livroit à son engouement et vouloit avoir un
-maître qui le contînt. Henri devoit jouir d’un pouvoir d’autant plus
-étendu, que les grands, plus divisés entre eux qu’ils ne l’avoient
-jamais été, ne pouvoient, comme autrefois, former des cabales, et par
-leurs ligues ou leurs divisions inquiéter et troubler le gouvernement.
-
-Les princes du sang, en s’élevant, comme on l’a vu, au-dessus des
-pairs, augmentèrent puérilement leur dignité, et diminuèrent réellement
-leur puissance. Séparés des grands, qui n’étoient pas familiarisés avec
-cette distinction qui les choquoit, ils n’eurent que leurs propres
-forces à opposer à la puissance royale; et ces forces étoient trop
-médiocres pour qu’elles pussent les mettre en état de maintenir les
-principes que le prince de Condé avoit retirés de l’oubli, et prétendre
-avoir part au gouvernement.
-
-Les fils d’Henri II, ayant honoré plusieurs familles de la pairie, il
-n’étoit plus possible, en suivant l’esprit de son institution, de les
-associer toutes au gouvernement; et cependant, leur nombre étoit trop
-petit pour former un corps puissant; de sorte que la pairie se trouvoit
-destituée à la fois de ses fonctions réelles, de son pouvoir, et des
-forces nécessaires pour les recouvrer. En aspirant aux distinctions
-honorifiques que conservoit les pairs, la haute noblesse, qui n’en
-jouissoit pas, en devint ennemie. Cette rivalité affoiblit tous les
-grands, et ne pouvant être puissans que par la faveur et les grandes
-charges de la cour, il fut encore plus facile à Henri IV, qu’il ne
-l’avoit été à François I, de les contenir tous dans l’obéissance, et de
-ne confier son autorité qu’à des personnes qui ne pourroient la tourner
-contre lui.
-
-Cette situation des grands devoit leur faire perdre insensiblement
-les idées de grandeur, de fortune et d’indépendance auxquelles ils
-s’étoient accoutumés pendant la guerre civile; mais, en attendant
-qu’ils eussent pris un caractère convenable à leur foiblesse actuelle,
-il y avoit entre eux une sorte de fermentation sourde, et ils
-regrettoient l’ancien gouvernement des fiefs. Cette ambition que le
-duc de Guise avoit réprimée, tant qu’il s’étoit flatté d’usurper la
-couronne, le duc de Mayenne l’avoit fait revivre: lorsqu’obligé de
-renoncer aux projets ambitieux de sa maison, il voyoit la décadence de
-son parti, il demanda que le gouvernement des provinces de Bourgogne,
-de Champagne et de Brie, fut héréditaire en faveur de ses descendans.
-Le duc de Mercœur, cantonné en même temps dans la Bretagne, la regarda
-comme son domaine, et espéroit de la tenir aux mêmes conditions que
-ses anciens ducs, tandis que le duc de Nemours affectoit dans son
-gouvernement l’indépendance et l’autorité d’un souverain. Mais ces
-seigneurs prirent trop tard une résolution qui leur auroit réussi
-quelques années plutôt. Les peuples qui commençoient à se lasser de
-la guerre civile, n’étoient pas disposés à s’exposer pour l’intérêt
-des grands à des maux que l’intérêt même de la religion ne pouvoit
-plus leur faire supporter; et les grands, si je puis m’exprimer ainsi,
-furent autant vaincus par cet esprit d’obéissance et de monarchie
-auquel ils avoient accoutumé la nation, que par les armes d’Henri IV.
-
-En obéissant, ils ne pouvoient cependant s’empêcher de murmurer, et
-sans se rendre compte de leurs projets, ou plutôt de leurs vues, ils
-espéroient toujours que quelques circonstances heureuses les mettroient
-à portée de se cantonner dans les provinces. Rien n’est plus propre
-à prouver combien les grands étoient timides, petits et inconsidérés
-dans leur ambition, que le fait bizarre que je vais raconter; et je
-voudrois, pour l’honneur de leur politique, qu’on en pût douter. Ils
-imaginèrent qu’Henri IV, embarrassé par la guerre qu’il soutenoit
-contre l’Espagne, et qui sembloit avoir épuisé ses ressources,
-consentiroit à céder ses provinces[343] sous la foi et l’hommage, à
-condition que ses nouveaux vassaux lui fourniroient les secours dont
-il avoit besoin. Si on ne connoissoit pas l’extrême illusion que se
-font quelquefois les passions, il seroit inconcevable que les grands
-se fussent persuadés que cette ridicule proposition seroit acceptée.
-L’espèce d’arrangement et d’ordre qu’ils mirent dans leur projet est le
-comble du délire. Les seigneurs, qui avoient les gouvernemens les plus
-importans, consentoient à en démembrer quelques portions pour faire
-des souverainetés à d’autres seigneurs qui ne commandoient dans aucune
-province, et qui, sans cet abandon, n’auroient trouvé aucun avantage
-à voir renaître le gouvernement féodal, ou plutôt qui s’y seroient
-opposés pour ne se pas voir dégradés et avilis par la fortune de leurs
-pareils.
-
-Le duc de Montpensier, chargé par ses collègues de négocier cette
-affaire, ou plutôt de la proposer au roi, commença par lui faire valoir
-le zèle, la fidélité et l’attachement des personnes qui vouloient le
-dépouiller; il tâcha de prouver que l’abandon des provinces et le
-rétablissement des fiefs étoit le seul moyen de résister aux forces
-de la maison d’Autriche; et Henri IV dut se trouver heureux de n’avoir
-affaire qu’à des conjurés si méprisables; s’il est vrai cependant qu’on
-puisse donner le nom de conjuration à une ineptie si ridiculement
-imaginée et proposée.
-
-Le maréchal de Biron eut une conduite plus conséquente: tourmenté par
-son ambition, et ne voyant dans l’esprit général des peuples aucune
-disposition au démembrement du royaume, ce ne fut pas à Henri IV, mais
-à ses ennemis qu’il s’adressa pour rétablir les fiefs. Dans le traité
-qu’il avoit[344] fait avec la cour de Madrid et de Turin, on étoit
-convenu qu’il épouseroit une princesse de Savoye, et qu’il auroit
-pour lui et les siens la souveraineté du duché de Bourgogne; que si
-on parvenoit à enlever la couronne à Henri, on la rendroit élective;
-et que des grands gouvernemens, on feroit autant de principautés qui
-ne dépendroient du roi que de la même manière dont les électorats
-dépendent de l’empereur. Si une pareille entreprise eût été conduite
-avec assez de secret pour qu’elle eût éclaté avant que le gouvernement
-en fût instruit, jamais la monarchie n’auroit été menacée d’un plus
-grand péril. L’ambition des grands, qui étoit plutôt assoupie
-qu’éteinte, auroit été instruite par cet exemple de la route qu’elle
-devoit prendre. Tous les grands auroient éclaté à la fois, ou tous du
-moins, étant devenus suspects au gouvernement, l’auroient jeté dans
-le plus grand embarras: il étoit de l’intérêt des alliés du maréchal
-de Biron de démembrer la France, et leur premier succès auroit
-certainement fait paroître des révoltés dans plusieurs provinces. En
-partageant ses forces pour soumettre tous les rebelles à la fois, Henri
-IV se seroit exposé à succomber par-tout. Si son courage et sa sagesse
-n’avoient pas également soumis toutes les provinces, la révolution
-n’étoit que retardée; l’exemple d’un seul gouverneur, qui auroit réussi
-à s’établir dans son gouvernement, auroit entretenu une fermentation
-continuelle dans le royaume. Un rebelle heureux auroit travaillé à
-multiplier les démembremens pour diviser les forces du roi, et n’être
-pas seul l’objet de son ressentiment. Selon les apparences, la France,
-toujours agitée par des intrigues et des révoltes sous le règne de
-Henri IV, auroit vu renaître le gouvernement féodal après la mort de ce
-prince. Heureusement la conjuration du maréchal de Biron fut découverte
-à temps; et dans la disposition où se trouvoient les esprits, son
-supplice suffit pour faire perdre entièrement aux grands le souvenir de
-leurs anciens fiefs: on ne voit pas du moins que depuis ils aient tenté
-de les rétablir.
-
-Tandis que tout fléchissoit enfin sans résistance sous le pouvoir de
-Henri, le parlement, qui voyoit avec plaisir l’abaissement des grands,
-éprouva à son tour que l’esprit d’obéissance qui étoit répandu dans
-tous les ordres de l’état, ruinoit son pouvoir négatif et modificatif,
-et qu’il étoit condamné à ne plus faire que des remontrances inutiles.
-Vaincu, pour ainsi dire, par la solennité des lits de justice, et ne
-pouvant rien refuser au roi, il chercha à s’en dédommager aux dépens de
-la nation, dont il avoit déjà usurpé plusieurs fonctions. Lorsque Henri
-IV convoqua une assemblée de notables à Rouen en 1595, le parlement
-de Paris s’en plaignit, alléguant qu’il étoit contre l’usage[345] que
-les états se tinssent hors du ressort du premier parlement du royaume:
-cette prétention auroit été absurde, si le parlement, enhardi par
-ses entreprises contre les états de Blois et les états de la ligue,
-n’avoit voulu donner à entendre que ces assemblées étoient soumises
-à sa juridiction, et qu’il étoit nécessaire qu’elles se tinssent dans
-l’étendue de son ressort, pour qu’il pût les juger, les réprimer, et
-les contenir, s’il en étoit besoin.
-
-C’est dans ce temps que le parlement commença à se faire un systême
-qu’il a depuis manifesté dans plusieurs occasions. Il imagina
-qu’il représente les anciens champs de Mars et de Mai, et, chose
-inconcevable! que les états-généraux, tels que Philippe-le-Bel et ses
-successeurs les avoient convoqués, ne tenoient point à la constitution
-primitive de la nation, et que tout leur droit se bornoit à faire
-des demandes et des représentations dont le conseil du roi jugeoit
-arbitrairement. Le parlement prétendit être le conseil nécessaire
-des rois[346], et ne former avec lui qu’une seule puissance pour
-gouverner la nation. La vanité dans les affaires est l’avant-coureur
-de la petitesse; et le parlement, bientôt convaincu, par des efforts
-impuissans, qu’il ne pouvoit pas disposer de la puissance royale, se
-borna à disputer du rang et de la dignité avec les deux premiers ordres
-de l’état.
-
-L’assemblée des notables qui se tint à Paris en 1626, est une preuve
-évidente de ce que j’avance: on étoit convenu d’opiner dans ces
-conférences[347] par corps et non par tête; et les officiers des cours
-supérieures, se croyant avilis par cette manière de recueillir les
-voix, représentèrent au duc d’Orléans, qui présidoit cette assemblée,
-qu’outre qu’elle étoit préjudiciable et même honteuse aux officiers de
-justice, qui par-là se trouveroient séparés et distingués du clergé et
-de la noblesse pour être compris et confondus dans un ordre inférieur;
-elle étoit nouvelle et contraire aux usages pratiqués jusqu’alors. Ces
-officiers ne se rappeloient pas sans doute ce qui s’étoit passé sous
-Henri II, après la bataille de Saint-Quentin, et qu’ils avoient regardé
-comme une faveur de former un ordre mitoyen entre la noblesse et le
-tiers-état: c’est assez la coutume du parlement d’oublier les faits qui
-ne sont pas favorables à ses prétentions.
-
-Le duc d’Orléans n’ayant pas eu égard à ces requisitions, les
-magistrats portèrent leurs plaintes au roi, et lui montrèrent que «les
-députés des cours souveraines ne pouvoient consentir à opiner par
-corps, puisque représentant leurs compagnies composées de tous les
-ordres du royaume, ils se verroient néanmoins réduits au plus bas, et à
-représenter le tiers ordre séparé de ceux du clergé et de la noblesse,
-lesquels n’avoient à présent sujet de se distinguer d’eux, puisque
-toujours ils ont réputé à honneur de pouvoir être reçus à opiner avec
-eux dans lesdites compagnies; que la vocation que eux tous avoient en
-ladite assemblée étoit différente, en ce que ceux du clergé et de la
-noblesse y sont appelés par la volonté et faveur particulière du roi,
-qui en cela avoit voulu reconnoître le mérite d’un chacun d’eux; mais
-que les premiers présidens et les procureurs généraux y étoient appelés
-par les lois de l’état, suivies de la volonté de sa majesté pour y
-représenter toute la justice souveraine.»
-
-Il est mieux d’examiner de quelle manière les hommes se forment des
-prétentions, et comment ces prétentions se changent en droits. Le
-parlement devient par surprise, par la négligence et l’ignorance des
-pairs, la cour des pairs; et bientôt il regarde comme un privilége
-pour les pairs de pouvoir y siéger, quoique ce prétendu privilége
-ne soit qu’une dégradation de la pairie. Il prétend qu’il est
-composé de tous les ordres de la nation, parce qu’il compte parmi
-ses magistrats quelques gentilshommes et quelques ecclésiastiques
-d’un ordre inférieur; c’est qu’il veut être le corps représentatif de
-la nation, et accoutumer le public à cette idée extraordinaire. En
-vertu de quel titre le parlement pouvoit-il dire que le clergé et la
-noblesse n’étoient reçus que par grâce aux assemblées de notables, et
-que les seuls magistrats en étoient les membres nécessaires? C’est
-ainsi que dans un royaume où personne ne veut se tenir à sa place, où
-chacun aspire à s’introduire dans un ordre qui refuse de le recevoir,
-une vanité puérile devient le principal intérêt de tous les citoyens.
-Le parlement s’essayoit à se mettre au-dessus des états-généraux, en
-dégradant les différens ordres qui les composent; bientôt il publiera
-ouvertement sa doctrine, et sous prétexte que les pairs ne sont que
-conseillers de la cour, il prétendra que ses présidens sont revêtus
-d’une dignité supérieure à la pairie.
-
-J’aurois quelque honte de m’arrêter à ces minuties, si ces minuties de
-rang n’avoient été de la plus grande importance chez presque tous les
-peuples, et n’étoient d’ailleurs très-propres à faire connoître dans
-quel oubli le pouvoir absolu de Henri IV avoit fait tomber les règles,
-les principes, les lois et les coutumes. Quand la France perdit ce
-prince, aucune voix ne se fit entendre en faveur des états-généraux;
-personne ne dit qu’ils étoient nécessaires pour régler la forme du
-gouvernement. Les grands étoient trop humiliés pour oser s’assembler
-au Louvre, proclamer Louis XIII et déférer la régence à sa mère. Marie
-de Médicis et ses créatures ne virent, au milieu de cette dégradation
-générale de tous les ordres, que le parlement qui eût des prétentions,
-et conservât la forme d’un corps. La reine le pria de s’assembler
-pour examiner ce qu’il seroit le plus important de faire dans une
-conjoncture si fâcheuse; et cette compagnie, trouvant une occasion de
-se saisir d’un droit qui n’appartenoit qu’aux états-généraux, donna
-un arrêt par lequel il conféroit la régence à la reine. Le lendemain,
-quand le jeune roi vint tenir son lit de justice, ce ne fut qu’une
-vaine formalité pour déclarer que, conformément[348] à l’arrêt donné la
-veille, sa mère étoit régente.
-
-Cette conduite étoit digne d’une nation, qui, depuis sa naissance,
-n’avoit pu encore parvenir à se faire un gouvernement, et qui, ayant
-pris l’habitude de ne consulter que des convenances momentanées,
-n’avoit aucun intérêt déterminé, et devoit par conséquent éprouver
-encore des agitations domestiques.
-
-
-
-
- CHAPITRE V.
-
- _Situation du royaume à la mort de Henri IV.--Des causes qui
- préparoient de nouveaux troubles._
-
-
-Tout avoit fléchi sous la main de Henri IV; la douceur de son
-administration avoit fait aimer son autorité; sa vigilance à prévenir
-les moindres désordres avoit entretenu l’obéissance et la tranquillité
-publique; mais, qui pouvoit répondre que ses successeurs seroient plus
-heureux, plus sages et plus habiles que les derniers Valois? Sur quel
-fondement espéroit-on qu’on ne verroit plus sur le trône des Henri II,
-des Charles IX, des Henri III, des Catherine de Médicis? A l’exception
-du maréchal de Biron, les derniers ambitieux n’avoient été que des
-imbécilles qu’il étoit facile de réprimer; mais, comptoit-on qu’il n’y
-auroit plus de prince de Condé, ni de duc de Guise? S’il paroissoit un
-nouveau maréchal de Biron, étoit-on sûr qu’il auroit le même sort que
-le premier? Les grands pouvoient encore sortir de leur néant. En voyant
-les succès heureux de sa vanité, le parlement pouvoit encore devenir
-ambitieux. La puissance d’un prince foible ne remédie à aucun des
-maux que doit produire sa foiblesse. Plus le pouvoir est grand, plus
-il est voisin de l’abus; et si tous les hommes ont besoin qu’il y ait
-des lois et des magistrats qui les contiennent, par quelle imprudence
-espéroit-on qu’un monarque, qui n’est qu’un homme, remplira ses devoirs
-difficiles dans le temps qu’on les a multipliés en augmentant son
-autorité, et que ses passions ne sont point réprimées par la crainte
-d’une puissance qui l’observe?
-
-Sully étoit-il assez modeste pour croire que des ministres tels que lui
-seroient désormais communs? En voyant avec quelle peine il retiroit,
-pour ainsi dire, le royaume de ses ruines, et combien il éprouvoit
-de traverses, non-seulement de la part des courtisans et de tous les
-ordres de l’état, mais de la part même d’un prince qui aimoit la
-justice et le bien public, et qui s’étoit formé à l’art de régner en
-passant par les épreuves les plus terribles, pouvoit-il ne pas prévoir
-que l’édifice qu’il élevoit seroit ruiné en un jour? Les sujets d’un
-bon roi sont heureux; mais qu’importe à la société ce bonheur fragile
-et passager? Aux yeux de la politique, ce n’est rien d’avoir un bon
-roi, il faut avoir un bon gouvernement. Comment ce tableau que Sully
-se faisoit de l’avenir, ne le décourageoit-il pas dans ses opérations?
-Sans doute que la passion de dominer arbitrairement est de toutes
-les passions la plus impérieuse, même dans les ministres qui ne
-jouissent que d’une autorité empruntée et passagère; sans doute qu’un
-Charlemagne, qui cherche à diminuer son autorité pour l’affermir,
-est un prodige qu’on ne doit voir tout au plus qu’une fois dans une
-monarchie.
-
-Si on y fait attention, on s’apercevra sans peine, qu’à l’avénement de
-Louis XIII au trône, le gouvernement se trouvoit dans la même situation
-où il avoit été sous les règnes des princes qui virent allumer les
-guerres que Henri IV avoit éteintes. Les deux religions, qui, en
-divisant la France, avoient fait tomber le roi et les lois dans le
-mépris, subsistoient encore: et si, après s’être fait la guerre pendant
-long-temps, elles étoient lasses de se battre, elles ne l’étoient pas
-de se haïr. En voyant la fin malheureuse de Henri IV, les réformés
-ne pouvoient s’empêcher de prévoir les dangers dont ils étoient
-menacés; et dès qu’ils avoient lieu de craindre le zèle immodéré des
-catholiques, on devoit se rappeler de part et d’autre les injures que
-les deux religions s’étoient faites.
-
-La persécution exercée sur les réformés par Henri II les préparoit
-à la révolte sous son fils; et la crainte, non pas d’essuyer les
-mêmes persécutions, mais de voir ruiner leurs priviléges sous Louis
-XIII, devoit les tenir unis et disposés à agir de concert pour leur
-défense commune. Tandis que les catholiques, délivrés d’un prince
-tolérant, se flattoient de renverser leurs ennemis qui n’avoient plus
-de protecteurs, les réformés durent s’effaroucher, en voyant passer le
-gouvernement dans les mains d’une princesse qui, pour parler le langage
-des novateurs, avoit sucé en Italie les superstitions de l’église
-romaine. Marie de Médicis confirma, il est vrai, l’édit de Nantes en
-parvenant à la régence. Mais que prouve cette vaine cérémonie? Que la
-loi de Henri IV avoit acquis peu de crédit, et que les réformés ne
-la regardoient pas comme un rempart assuré de leur liberté. Si la
-puissance royale s’étoit accrue, les calvinistes de leur côté étoient
-plus forts et plus puissans qu’ils ne l’avoient été sous les règnes
-précédens, et ils avoient entre eux des liaisons et des correspondances
-qu’il avoit autrefois fallu former.
-
-Le souvenir des maux qu’on avoit éprouvés pendant la guerre civile,
-pouvoit s’effacer, et le fanatisme reprendre de nouvelles forces, si
-des ambitieux habiles entreprenoient de se servir du ressort puissant
-de la religion pour exciter des troubles nécessaires à l’accroissement
-de leur fortune particulière. Depuis que l’esprit de la ligue avoit été
-détruit, il auroit fallu, il est vrai, un concours de circonstances
-extraordinaires pour qu’il se formât une nouvelle maison de Guise, et
-que les successeurs de Henri IV fussent exposés au danger qu’avoit
-couru Henri III de perdre la couronne et de se voir reléguer dans un
-cloître. Mais il ne falloit que des talens et des événemens communs
-pour produire à la fois cent ambitieux qui entreprendroient de se
-cantonner dans leurs gouvernemens ou dans leurs terres; et au défaut de
-capacité, leur nombre pouvoit les faire réussir.
-
-Quand Henri IV voulut étouffer les haines de religion, les
-catholiques[349] se plaignoient que l’exercice de leur culte ne fût
-pas établi dans plusieurs villes, et même dans plusieurs provinces,
-comme il devoit l’être en vertu des édits donnés dans les temps de
-troubles. Les protestans, de leur côté, ne se contentoient pas qu’on
-remît simplement en vigueur les différens priviléges qu’on leur avoit
-accordés jusques-là, et désiroient une liberté plus étendue. Ils
-exigeoient beaucoup de la reconnoissance du roi qui leur devoit sa
-couronne; et les autres, fiers de la supériorité de leurs forces et
-d’avoir forcé Henri à rentrer dans le sein de l’église, avoient un
-zèle amer, et ne toléroient un édit favorable aux réformés que dans
-l’espérance que des conjonctures plus heureuses permettroient de le
-violer.
-
-Pour établir une paix solide entre les deux religions, il auroit fallu
-établir entre elles une égalité entière; et puisque la doctrine des
-réformés n’étoit pas moins propre que celle des catholiques à faire
-des citoyens utiles et vertueux, les uns et les autres avoient droit
-de jouir des mêmes avantages. Ce n’est que par cette conduite que
-les Allemands sont parvenus à détruire le fanatisme et à affermir la
-tranquillité publique dans leur patrie. Si le gouvernement de France
-n’étoit pas aussi favorable à cette opération que le gouvernement de
-l’Empire, Henri IV ne devoit négliger aucun moyen pour faire respecter
-sa loi, c’est-à-dire, pour lui donner des protecteurs et des garans
-puissans, qui inspirassent une sécurité entière aux protestans, et ne
-laissassent aucune espérance de succès au fanatisme des catholiques.
-Les traités de Munster et d’Osnabrug calmèrent les esprits en
-Allemagne, parce que les religions ennemies furent également persuadées
-que leurs chefs avoient fait dans de longues négociations, tout ce qui
-dépendoit d’eux pour obtenir les conditions les plus avantageuses;
-et qu’ainsi, elles n’auroient rien de plus utile à attendre d’une
-nouvelle guerre et d’une nouvelle paix. D’ailleurs, chaque religion
-étoit sûre de jouir des avantages qu’elle avoit obtenus; parce que
-tous les tribunaux de l’Empire, composés de juges choisis dans les
-deux religions, suffisoient pour réprimer les petits abus; et que dans
-le cas d’une infraction aux traités qui pourroit avoir des suites
-dangereuses et étendues, chaque parti avoit des protecteurs sur la
-vigilance et les intérêts desquels il pouvoit se reposer, et assez
-puissans pour défendre sa liberté et ses droits.
-
-Il en auroit été à peu près de même en France, si les états-généraux,
-au-lieu d’être détruits par les prédécesseurs de Henri IV, avoient
-été assez solidement établis pour devenir un ressort ordinaire et
-nécessaire du gouvernement. Plus ils auroient approché de la perfection
-dont ils sont susceptibles, plus il est vraisemblable que les Français
-ne se seroient point déchirés par les guerres civiles qui répandirent
-tant de sang. Qu’on ne m’objecte pas que le parlement d’Angleterre et
-les diètes de l’Empire ne préservèrent ni les Anglais ni les Allemands
-des mêmes calamités; ces assemblées[350] nationales n’étoient plus
-ce qu’elles devoient être, quand elles virent naître les divisions
-domestiques. Si Henri IV avoit voulu établir une paix solide, il devoit
-convoquer les états-généraux et profiter de la lassitude où l’on étoit
-de la guerre, pour rapprocher les catholiques et les réformés, et les
-faire conférer ensemble sur leurs divers intérêts. Il est naturel
-que les peuples aient plus de confiance à des assemblées qui ont
-nécessairement des maximes nationales, et dont toutes les opérations
-et les résolutions sont politiques, qu’au conseil du prince qui ne
-consulte ordinairement que des convenances passagères et mobiles, dont
-les résolutions ne sont que trop souvent l’ouvrage de l’intrigue, et
-qui se fait par principe des intérêts contraires à ceux du public.
-A l’exemple de Charlemagne, Henri devoit être l’ame de ces états.
-Il étoit assez puissant pour inspirer aux chefs des deux partis
-l’esprit de paix et de conciliation. Le calme se seroit répandu dans
-les provinces, parce qu’elles auroient été consultées. On se seroit
-accoutumé à jouir paisiblement des avantages qu’on auroit obtenus,
-parce qu’on auroit été sûr de les conserver sous la garantie et la
-protection d’un corps puissant, au lieu de n’avoir qu’une promesse
-vaine sur laquelle il étoit imprudent de compter.
-
-Henri auroit ôté aux grands un moyen de se faire craindre du
-gouvernement; ils n’auroient pu continuer à entretenir les haines de
-religion, en répandant parmi le peuple les soupçons et la défiance. Ce
-prince, en un mot, digne de l’amour qu’on avoit pour lui, se seroit
-délivré de l’inquiétude que le fanatisme des catholiques lui donna
-pendant toute sa vie et dont il fut enfin la victime. Il auroit réparé
-les torts de ses prédécesseurs depuis Charles VIII, et auroit donné
-un appui à ses successeurs, qui, ayant au contraire la témérité de se
-charger comme lui de tout ordonner, de tout régler, de tout gouverner
-par eux-mêmes, devoient encore éprouver et faire éprouver à leurs
-sujets bien des malheurs.
-
-Dès que Henri IV vouloit pacifier le royaume, non pas comme arbitre
-et médiateur, mais comme législateur, il ne pouvoit qu’offenser les
-réformés sans satisfaire les catholiques. Les deux religions devoient
-également murmurer contre lui, et se plaindre qu’il n’eût pas tenu
-la balance égale entre elles; chacune devoit se flatter que, si
-elle eût elle-même discuté ses intérêts, elle auroit obtenu de plus
-grands avantages, ou n’auroit pas fait des pertes si considérables.
-Les catholiques étoient les plus nombreux et les plus puissans; il
-fallut, pour ne les pas soulever, contraindre les réformés à renoncer à
-plusieurs avantages dont ils étoient en possession, et qu’ils devoient
-aux succès de leurs armes. L’édit de Nantes paroît l’ouvrage de la
-mauvaise foi ou d’une politique timide qui tend des piéges; il est
-nécessaire d’en examiner quelques articles, pour faire mieux juger de
-la situation incertaine où se trouvoit le royaume.
-
-On obligea les réformés à restituer les églises dont ils s’étoient
-emparés, et les biens qui en dépendoient. On leur défendit de tenir
-leurs prêches dans des habitations ecclésiastiques. On autorisa les
-catholiques à acheter les bâtimens construits par les réformés sur
-les fonds qui appartenoient à l’église, ou à demander en justice
-qu’ils achetassent les fonds attachés à ces bâtimens. Henri IV n’osoit
-trancher aucune difficulté; ainsi l’édit de pacification, qui n’auroit
-dû travailler qu’à abolir le souvenir des usurpations passées et des
-prétentions réciproques des deux religions, préparoit de nouvelles
-discussions entre elles, et par-là fomentoit leur haine.
-
-Les seigneurs hauts-justiciers qui avoient embrassé la réforme eurent
-dans leurs châteaux l’exercice public de leur religion; mais ceux dont
-les terres étoient moins qualifiées, n’obtinrent cette liberté que
-pour eux ou trente personnes. Si leurs fiefs étoient dans la mouvance
-d’un seigneur catholique, ils ne pouvoient même jouir de cette liberté
-de conscience, sans en avoir obtenu sa permission. Cet exercice de la
-religion réformée étoit d’autant moins capable de satisfaire ceux qui
-la professoient, qu’un seigneur haut justicier n’avoit un prêche dans
-son château qu’autant qu’il l’habitoit. S’il s’absentoit, le pays étoit
-ridiculement privé de son culte; il étoit même exposé à le perdre sans
-retour, si cette terre, par vente, succession ou autrement, passoit
-à un seigneur catholique. Comment pouvoit-on exiger que les réformés
-fussent tranquilles sur leur état, et ne donnassent aucune inquiétude
-au gouvernement, tandis qu’ils ne jouissoient que d’une manière
-précaire et passagère de la liberté de conscience? Si on craignoit les
-réformés, on ne pouvoit leur accorder un exercice trop public de leur
-religion; ces petits prêches, toujours à la veille d’être fermés ou
-interdits, n’étoient propres qu’à être des foyers d’intrigue, de cabale
-et de fanatisme.
-
-Il fut défendu aux réformés de faire aucun exercice de leur religion
-à la cour, à la suite de la cour, à Paris, ni à cinq lieues de
-cette capitale. Si ce n’étoit pas leur dire que leur religion étoit
-odieuse, c’étoit du moins les avertir qu’elle ne devoit s’attendre à
-aucune faveur. Pourquoi la loi qui devoit être impartiale pour être
-raisonnable, montre-t-elle cette partialité? C’étoit attiser le feu
-qu’on vouloit éteindre; ce n’étoit pas une loi, mais un traité qu’il
-falloit mettre entre les deux religions. Croira-t-on que les Allemands
-se fussent soumis à l’ordre établi par la paix de Westphalie, s’il eût
-été l’ouvrage d’un législateur, quoique les articles en soient aussi
-sages que ceux de l’édit de Nantes le sont peu?
-
-Il dut paroître d’autant plus insupportable aux réformés de payer la
-dixme aux ministres de la religion romaine, qu’il étoit très-injuste
-à ceux-ci de l’exiger. Il falloit donc qu’ils payassent leurs
-ministres, et c’étoit les soumettre à une nouvelle contribution: il
-ne convenoit pas même que le gouvernement se chargeât de leur payer
-leur salaire; parce qu’il n’étoit pas de l’intérêt des réformés que
-leurs ministres fussent à la charge de l’état, et qu’ils pouvoient
-regarder ces salaires comme une source de corruption. Pourquoi les
-obliger d’observer les fêtes prescrites aux catholiques, de s’abstenir
-ce jour-là de tout travail ou de ne travailler qu’en secret, et enfin
-de se soumettre à l’égard du mariage aux lois de l’église romaine sur
-les degrés de consanguinité ou de parenté? Tous ces réglemens devoient
-éloigner les uns des autres des citoyens qu’il falloit rapprocher. Je
-sais que dans la pratique on adoucissoit la rigueur de cette loi; on
-fermoit les yeux; mais cette condescendance pouvoit-elle rassurer les
-réformés, quand ils voyoient les catholiques armés de la loi contre
-eux? Qu’on me permette de le dire, il est ridicule, il est dangereux de
-faire une loi qu’il est sage de ne pas faire observer exactement; et
-quand un gouvernement en est réduit à cette extrémité, ne doit-il pas
-juger qu’il est à la veille d’éprouver quelque malheur, et qu’il a pris
-par conséquent un mauvais parti?
-
-Je serois trop long, si je voulois examiner ici chaque article de
-l’Édit de Nantes, et en faire voir les inconvéniens; mais je ne puis
-me dispenser d’y faire remarquer une contradiction monstrueuse. Tandis
-que le gouvernement avoit une si grande peur des états-généraux,
-et ne vouloit pas leur abandonner le soin de concilier les deux
-religions, pourquoi permettoit-il aux réformés de s’assembler tous
-les trois ans et d’avoir des places de sûreté. Si, par ce privilége,
-on vouloit préparer la France à devenir protestante, il ne falloit
-donc pas par les autres articles préparer la ruine du calvinisme.
-Puisqu’on ne cherchoit en effet par l’édit de Nantes qu’à tendre des
-piéges secrets aux réformés, et qu’à se faire des prétextes pour les
-perdre, pourquoi leur permettoit-on de s’assembler et de s’éclairer
-en conférant ensemble sur leurs intérêts? C’étoit diviser le royaume,
-et empêcher que les catholiques et les réformés ne s’accoutumassent
-peu à peu à leur situation: on ne le conçoit point; par quel motif,
-par quelle raison, le gouvernement craignoit-il moins des places de
-sûreté dans les mains des protestans que la convocation régulière des
-états-généraux, puisque ces places de sûreté annonçoient la guerre
-civile, et que les états-généraux auroient conservé la paix? M’est-il
-permis de le dire? la guerre civile paroissoit moins fâcheuse au
-gouvernement que la moindre diminution, ou le moindre partage de
-l’autorité publique.
-
-Il est aisé de s’apercevoir que Henri IV n’avoit entretenu la
-tranquillité publique que par les détails journaliers d’une prudence
-attentive à ne rien négliger: il appliquoit toujours quelque palliatif
-aux maux qui se montroient; mais il ne falloit pas s’attendre que
-ses successeurs eussent la même sagesse. Plus le temps affoibliroit
-le souvenir des calamités de la guerre civile, plus le zèle des
-catholiques devoit devenir fougueux et l’inquiétude des réformés
-impatiente. C’est dans l’espérance d’amener des temps plus favorables à
-la religion romaine, que le fanatisme arma plusieurs assassins et que
-Ravaillac commit son attentat. On ne peut se déguiser que ce ne soit
-le zèle aveugle et impie des catholiques qui a fait périr un prince
-qui avoit des ménagemens pour les réformés, qui donnoit sa confiance à
-quelques-uns d’eux, et qui empêchoit qu’ils ne fussent accablés sous la
-haine de leurs ennemis.
-
-
-
-
-CHAPITRE VI.
-
- _Règne de Louis XIII.--De la conduite des grands et du
- parlement.--Abaissement où le cardinal de Richelieu les
- réduit.--De leur autorité sous le règne de Louis XIV._
-
-
-Louis XIII étoit encore dans la première enfance, quand il parvint
-au trône. La régence fut déférée à sa mère, princesse incapable de
-gouverner: elle ne vouloit pas qu’on lui arrachât par force une
-autorité dont elle étoit jalouse; mais par foiblesse, elle étoit
-toujours disposée à la remettre en d’autres mains. S’il y avoit encore
-eu en France des hommes tels que les Guise, le prince de Condé et
-l’amiral de Coligny, il n’est pas douteux qu’ils ne se fussent rendus
-également puissans, et n’eussent formé deux partis qui auroient
-anéanti l’autorité du roi et de la régente: mais qu’on étoit loin de
-craindre de pareils dangers! C’étoient Concini et sa femme qui devoient
-gouverner sous le nom de la reine; et quelle idée ne doit-on pas
-prendre de ces temps, quand on voit qu’une intrigante étrangère et
-un homme sans considération faisoient plier tous les grands sous leur
-joug? Tel étoit l’avilissement des ames, que sous le gouvernement le
-plus méprisable, tout se réduisoit à faire des intrigues et des cabales
-à la cour pour en obtenir les faveurs. Qu’on juge de l’autorité mal
-affermie de Marie de Médicis et de ses créatures, puisque Luynes, qui
-n’avoit qu’une charge médiocre dans la vénerie, et pour tout talent que
-celui de dresser des oiseaux au vol, s’empara de toute l’autorité du
-roi, parce qu’il avoit l’art de l’amuser, et décida de la fortune de
-tous les grands du royaume. Mais un trait que je ne dois pas oublier,
-et qui peint bien cette cour, c’est que pour se délivrer de la tyrannie
-timide et mal habile de Concini, on crut qu’il falloit un assassinat,
-comme pour se défaire du duc de Guise qui s’étoit mis au-dessus des
-lois, et qui étoit vraiment le roi des Français catholiques.
-
-L’administration de Luynes ne fut pas différente de celle de Marie de
-Médicis. Les courtisans continuèrent leurs intrigues, et un ministre
-qui n’avoit pas le courage de les dédaigner ou de les punir sévèrement,
-en fut bientôt occupé: au lieu de se rappeler que les guerres
-étrangères avoient beaucoup contribué à étendre le pouvoir du roi et
-de ses ministres, et qu’elles serviroient encore à consumer ce reste
-d’humeur qui fermentoit dans l’état, Médicis et Luynes, épuisés par
-l’attention qu’ils donnoient aux cabales de la cour, crurent qu’ils ne
-pourroient suffire aux soins du gouvernement, s’ils ne conservoient
-la paix au dehors; ils négligèrent les alliés naturels du royaume, et
-recherchèrent l’amitié de ses ennemis. Plus le gouvernement se faisoit
-mépriser par sa timidité, plus les courtisans devinrent hardis et
-entreprenans; tout fut perdu quand on s’aperçut que pour obtenir des
-faveurs il falloit se faire craindre. Après avoir épuisé inutilement
-l’art de l’intrigue à la cour, l’usage des mécontens fut de se retirer
-dans la province pour faire semblant d’y former quelque parti; il
-falloit attendre qu’ils se lassassent de leur exil volontaire, et
-le conseil ne fut occupé qu’à marchander le retour de ces fugitifs.
-Quoique le prince de Condé haït les réformés qui n’avoient aucune
-confiance en lui, Médicis fut alarmée de leur liaison, qui ne pouvoit
-exciter que quelques émeutes passagères. Quelle auroit donc été son
-inquiétude, si ce prince, prétendant jouir encore des prérogatives
-attachées à son rang, se fût regardé comme le conseiller de la
-couronne, et le ministre nécessaire de l’autorité royale?
-
-Au milieu de ces tracasseries misérables, on est justement étonné
-d’entendre encore prononcer le nom presque oublié des états-généraux,
-et de les voir demander avec une opiniâtreté qui auroit dû rendre
-une sorte de ressort aux esprits. On auroit dit que les mécontens
-méditoient de grands desseins; mais à peine ces états furent-ils
-assemblés, que leur mauvaise conduite rassura le gouvernement.
-
-L’ouverture s’en fit à Paris le 21 octobre 1614, et pendant plus
-de quatre mois qu’ils durèrent, aucun député ne comprit quel étoit
-son devoir. On auroit eu inutilement quelque amour du bien public
-et de la liberté; les trois ordres, accoutumés à se regarder comme
-ennemis, étoient trop appliqués à se nuire pour former de concert
-quelque résolution avantageuse. Le tiers-état s’amusoit à se plaindre
-de l’administration des finances, et à menacer les personnes qui en
-étoient chargées; sans songer que ses plaintes et ses menaces ne
-produiroient aucun effet, s’il n’étoit secondé des deux autres ordres;
-et il ne faisoit aucune démarche pour les gagner. Le clergé, fier
-de ses immunités et de ses dons gratuits, n’étoit pas assez éclairé
-pour voir que sa fortune étoit attachée à celle de l’état, et qu’il
-sentiroit tôt ou tard le contre-coup de la déprédation des finances.
-La noblesse aimoit les abus que Sully avoit suspendus et non pas
-corrigés; et dans l’espérance de mettre le gouvernement à contribution,
-vouloit qu’il s’enrichît des dépouilles du peuple. Le royaume auroit
-paru aux ecclésiastiques dans la situation la plus florissante, si on
-eût ruiné la religion réformée dont ils craignoient les objections et
-les satires. La noblesse demandoit la suppression de la vénalité et de
-l’hérédité des offices de judicature, et les députés du tiers-état,
-presque tous officiers de justice ou de finances, affligés de voir
-attaquer un établissement qui fixoit en quelque sorte le sort de leurs
-familles, firent une diversion pour se venger, et demandèrent le
-retranchement des pensions que la cour prodiguoit, et qui montoient à
-des sommes immenses.
-
-Rien n’étoit plus aisé que d’éluder, par des réponses ou des promesses
-vagues et équivoques, les demandes mal concertées des états; mais,
-n’ayant ni pu ni voulu commencer leurs opérations pour se rendre
-nécessaires, la cour trouva encore plus commode de les séparer avant
-que de répondre à leurs cahiers, et nomma seulement des commissaires
-pour traiter avec les députés que les trois ordres chargèrent de suivre
-les affaires après leur séparation. Les commissaires du roi auroient
-été employés à la commission la plus difficile, si on eut attendu d’eux
-le soin de concilier les esprits; mais on leur ordonna, au contraire,
-de ne rien terminer et de multiplier les difficultés qui divisoient les
-trois ordres. Ces conférences inutiles cessèrent enfin, et sans qu’on
-s’en aperçût. On prétexta les longueurs qu’entraînoit la discussion
-d’une foule d’articles aussi importans pour l’administration générale
-du royaume, que contraires aux prétentions que le clergé, la noblesse
-et le peuple formoient séparément. Les délégués des états se séparèrent
-par lassitude de toujours demander et de ne jamais obtenir; et chaque
-ordre se consola d’avoir échoué dans ses demandes, en voyant que les
-autres n’avoient pas été plus heureux dans les leurs.
-
-Après avoir essayé, sans succès, d’alarmer le gouvernement par la
-tenue des états, les intrigans, qui ne pouvoient jouir d’aucune
-considération, s’ils ne lui donnoient de l’inquiétude, songèrent
-à faire soulever les réformés. Les instances que le clergé et la
-noblesse avoient faites dans les derniers états, pour obtenir la
-publication du concile de Trente, et le rétablissement de la religion
-catholique dans le Béarn, leur furent présentées comme une preuve
-certaine des entreprises qu’on méditoit secrètement contre eux. La
-noblesse, disoit-on, se laisse conduire aveuglément par le clergé; et
-si les évêques ne songeoient pas à établir l’inquisition et rallumer
-les bûchers, pourquoi se défieroient-ils des tribunaux laïcs, malgré
-la rigueur avec laquelle ils avoient autrefois traité les réformés?
-Pourquoi le clergé demanderoit-il qu’on interdît aux cours supérieures
-la connoissance de ce qui concerne la foi, l’autorité du pape, et
-la doctrine de l’église au sujet des sacremens? Si les réformés,
-ajoutoit-on, ne prévoient pas de loin le malheur qui les menace, ils en
-seront nécessairement accablés. S’ils se contentent de se tenir sur la
-défensive, le gouvernement, enhardi par cette conduite, ne manquera pas
-de les mépriser et de violer l’édit de Nantes. Quand il aura obtenu un
-premier avantage, il ne sera plus temps de s’opposer à ses progrès. Il
-faut le forcer à respecter les priviléges des réformés, en lui montrant
-qu’ils sont attentifs à leurs affaires, vigilans, précautionnés,
-unis et assez forts pour se défendre; soit que les personnes les
-plus accréditées dans le parti calviniste ne goûtassent pas une
-politique contraire à l’esprit d’obéissance et de soumission auquel
-on s’accoutumoit; soit qu’on n’eût pour mettre à la tête des affaires
-aucun homme capable de faire la guerre avec succès, les réformés
-parurent inquiets, incertains, irrésolus et peu unis, et on ne recourut
-cependant pas à la force pour protéger des priviléges qui n’étoient pas
-encore attaqués.
-
-Tandis que le royaume étoit dans cette anarchie, le gouvernement sans
-force, les réformés sans courage et la nation anéantie, le parlement,
-qui, sous le règne précédent s’étoit en quelque sorte incorporé avec
-le roi pour ne former qu’une seule puissance, ne trouva plus le même
-avantage dans cette union. Il jugea qu’il étoit plus important pour lui
-de profiter de la foiblesse du gouvernement pour se rendre puissant,
-que de lui rester attaché; et ses espérances lui rendirent son ancienne
-politique. Il donna, le 8 mars 1615, un arrêt qui ordonnoit que les
-princes, les pairs et les grands officiers de la couronne, qui ont
-séance et voix délibérative au parlement, et qui se trouvoient à
-Paris, seroient invités à venir délibérer avec le chancelier sur les
-propositions qui seroient faites pour le service du roi, le soulagement
-de ses sujets et le bien de son état. La cour fit défense au parlement
-de se mêler des affaires du gouvernement; et dans ses remontrances,
-cette compagnie découvrit ses vues et ses prétentions d’une manière
-beaucoup moins obscure qu’elle n’avoit fait jusqu’alors. Elle avança
-qu’elle tient la place[351] des princes et des barons, qui de toute
-ancienneté avoient été auprès de la personne du roi pour l’assister de
-leur conseil; et comment en douter, disoit-elle, puisque la séance et
-la voix délibérative que les princes et les pairs ont toujours eues
-au parlement, en est une preuve à laquelle on ne peut se refuser. Si
-on en croit ces remontrances, nos rois n’ont jamais manqué d’envoyer
-au parlement les ordonnances, les lois, les édits et les traités de
-paix, ni d’y porter les affaires les plus importantes, pour que cette
-compagnie les examinât avec liberté, et y fît les changemens et
-modifications qu’elle croiroit nécessaires au bien public. Ce que nos
-rois, ajoutoit le parlement, accordent même aux états-généraux de leur
-royaume, doit être enregistré par cette cour supérieure, où le trône
-royal est placé, et où réside leur lit de justice souveraine.
-
-L’autorité royale auroit reçu un échec considérable, si les grands
-se fussent rendus à l’invitation du parlement, et en s’unissant à
-lui, eussent été capables de suivre d’une manière méthodique, et de
-soutenir une démarche dont le succès auroit nécessairement établi
-de nouveaux intérêts et de nouveaux principes dans le gouvernement,
-s’ils avoient été occupés du soin de se faire une autorité propre
-dans l’état, tandis que le parlement lui-même n’auroit voulu devenir
-puissant que pour rendre désormais l’administration plus régulière et
-moins dépendante de l’incapacité et des passions du prince, ou des
-personnes qui régnoient sous son nom, quelle force auroit pu leur
-résister? On auroit vu les grands et les magistrats, par leur union,
-s’emparer du pouvoir que les états-généraux avoient voulu prendre sous
-le règne du roi Jean, et former un corps d’autant plus redoutable, que
-toujours subsistant, il auroit toujours été à portée de se défendre et
-d’augmenter son autorité. Mais pourquoi m’arrêterois-je à faire voir
-les suites d’une union que les préjugés, les passions, d’anciennes
-habitudes et le peu de talens des grands et des magistrats, et leurs
-mauvaises intentions rendoient impraticables? Les uns, comme on l’a vu,
-divisés entre eux, se bornèrent à intriguer et à s’agiter sans savoir
-ni ce qu’ils vouloient, ni ce qu’ils devoient vouloir, et ne firent pas
-ce qu’ils pouvoient. Les autres, plus ambitieux que magistrats, firent
-plus qu’ils ne pouvoient; et n’étant pas secondés, furent obligés
-d’abandonner leur arrêt et d’attendre des circonstances plus favorables
-à leurs projets.
-
-Le royaume continua à être agité par des intrigues et des cabales dont
-le foyer étoit à la cour. Les réformés, excités depuis long-temps à la
-révolte, prirent enfin les armes de différens côtés et à différentes
-reprises. On faisoit la paix sans rien arrêter de certain, parce
-qu’on avoit commencé la guerre sans avoir d’objet fixe. Mais si
-cette anarchie avoit duré plus long-temps, peut-être qu’à force de
-s’essayer à la révolte et à l’indépendance, des hommes, qui n’étoient
-qu’inquiets, seroient devenus véritablement ambitieux. A force de
-tâter un gouvernement foible et trop semblable à celui des fils de
-Henri II, les espérances se seroient agrandies. S’il n’avoit pas reparu
-de ces hommes de génie qui firent chanceler la couronne sur la tête de
-Henri III, il pouvoit aisément y en avoir d’assez hardis pour songer
-à rétablir les fiefs. Si un grand tâtoit cette entreprise, il devoit
-avoir mille imitateurs, et leur nombre auroit en quelque sorte assuré
-le succès de leur ambition.
-
-Mais dans le moment que la foiblesse du gouvernement rendoit tout
-possible, il parut dans le conseil du roi un homme qui s’en étoit
-ouvert l’entrée par la ruse, la fraude et l’artifice, mais fait pour
-dominer par d’autres voies quand son crédit seroit affermi. Richelieu,
-né avec la passion la plus immodérée de gouverner, n’avoit aucune des
-vertus ni même des lumières qu’on doit désirer dans ceux qui sont à
-la tête des affaires d’un grand royaume; il avoit cette hauteur et
-cette inflexibilité de caractère qui subjuguent les ames communes, et
-qui étonnent et lassent ceux qui n’ont qu’une prudence et un courage
-ordinaires. Si la famille de Richelieu avoit joui par elle-même d’une
-plus grande considération, ou s’il n’eut pas été engagé dans un état
-qui donnoit des bornes, ou plutôt une certaine direction à sa fortune,
-il est vraisemblable qu’il ne se seroit pas contenté d’être le ministre
-despotique d’un roi absolu, et qu’il auroit essayé ses forces en se
-cantonnant dans une province. Le cardinal de Richelieu ne pouvant
-aspirer à être ni un duc de Guise, ni un maréchal de Biron, se contenta
-de gouverner la France sous le nom du roi; mais il dédaigna la sorte de
-puissance que Marie de Médicis et le connétable de Luynes avoient eue.
-Au lieu de régner par adresse, de ménager et de flatter la foiblesse
-de Louis XIII, de mendier et d’acheter la faveur des grands, ou de
-les opposer les uns aux autres pour avoir toujours un appui, il forma
-le projet de tout asservir à son maître, et de le rendre lui-même le
-simple instrument de son autorité.
-
-Pour rendre les grands dociles, il falloit les mettre dans
-l’impuissance de se révolter; mais ce n’auroit jamais été fait que
-de les accabler ou de les gagner les uns après les autres: à peine
-auroit-il ruiné une cabale, ou acheté l’amitié de ses chefs, qu’il s’en
-seroit formé une seconde. L’esprit convenable à la monarchie n’étoit
-détraqué, si je puis parler ainsi, chez les Français, que par un reste
-de fanatisme que la religion avoit fait naître; et les grands, sans
-autorité qui leur fût propre, ne paroissoient inquiets et séditieux
-que parce qu’ils comptoient sur les forces et les secours d’un parti
-qu’on avoit mis dans la nécessité d’être soupçonneux et de se défier
-du gouvernement. Richelieu résolut donc de réduire les calvinistes à
-la simple liberté de professer en paix leur religion, et de leur ôter
-les priviléges et le pouvoir qui les mettoient en état de se faire
-craindre. Nous serons assez fous, disoit le maréchal de Bassompierre
-aux courtisans, pour prendre la Rochelle; ils le furent en effet,
-et le coup mortel qui frappa les réformés, accabla tous les grands:
-ils ne trouvèrent plus de place forte qui leur servît d’asyle contre
-l’autorité royale. Les calvinistes, n’ayant plus de point de ralliement
-où ils pussent réunir leurs forces, cessèrent de former un parti, et se
-revirent dans la même situation où ils avoient été avant que le prince
-de Condé et l’amiral de Coligny les eussent réunis sous leur autorité.
-Après avoir détruit cette association, il étoit bien plus difficile
-d’en rassembler les débris pour la rétablir, qu’il ne l’avoit été
-autrefois de la former.
-
-Tandis que Richelieu renversoit ainsi le seul obstacle qui, depuis le
-règne de Charles VIII, s’étoit opposé à l’autorité royale, il employoit
-les mêmes moyens dont les rois s’étoient servis pour distraire la
-nation du soin de ses affaires domestiques, et la façonner à la
-docilité monarchique: il avilissoit les esprits, en les occupant de
-ce que les arts, les sciences, les lettres et le commerce ont de
-plus inutile et de plus attrayant. Son luxe contagieux fit connoître
-de nouveaux besoins qui ruinoient les grands: forcés de mendier des
-faveurs pour étaler un vain faste, ils se préparoient à la servitude.
-La contagion fut portée dans tous les ordres de l’état; des hommes
-obscurs firent aux dépens du peuple des fortunes scandaleuses, on les
-envia, et l’amour de l’argent ne laissa subsister aucune élévation dans
-les ames.
-
-Cependant Richelieu, en avilissant la nation au-dedans, la faisoit
-respecter au dehors. Ses alliés trouvoient des secours et une
-protection que Médicis et Luynes leur avoient refusés; on se proposoit
-d’humilier la maison d’Autriche, que des entreprises trop considérables
-et des guerres continuelles avoient déjà affoiblie; et le même vertige
-de gloire et de conquête que les premières guerres d’Italie avoient
-fait naître, devint encore la politique des Français sous le règne
-de Louis XIII. Plus les entreprises du ministre étoient grandes et
-difficiles, plus il avoit de prétextes pour ne se soumettre à aucune
-règle, et gouverner avec un sceptre de fer; les besoins de l’état et la
-nécessité lui servoient d’excuse auprès des Français qu’il opprimoit.
-
-On ne fut point innocent, quand on fut soupçonné de pouvoir désobéir
-à ce ministre impérieux. Répandant d’une main les bienfaits, et de
-l’autre les disgraces, il parut plus supportable d’être son esclave
-que son ennemi. En s’emparant de la justice par l’établissement des
-appels, les rois s’étoient rendus législateurs; en faisant un usage
-arbitraire de l’administration de cette justice, Richelieu jugea qu’il
-se rendroit despotique. Il intervertit l’ordre de tous les tribunaux;
-à l’exemple de Louis XI, il eut des magistrats toujours prêts à servir
-ses passions, et la France n’oubliera jamais les noms odieux de ces
-juges iniques qui prononçoient les arrêts qu’on leur avoit dictés;
-puissions-nous ne jamais revoir de Loubardemont! Ce que Machiavel
-conseille au tyran qu’il instruit, Richelieu l’exécuta. Tous les
-grands qui ne voulurent pas plier sous son autorité ou périr sur un
-échafaud, s’exilèrent du royaume; et le malheureux état où la mère même
-du roi fut réduite dans le pays étranger, étonnoit et confondoit ceux
-qui auroient voulu suivre son exemple. Il ne reste dans les provinces
-aucune ressource aux mécontens pour former des partis. La cour, pleine
-d’espions et de délateurs par lesquels Richelieu voit tout, entend
-tout, est présent par-tout, semble tombée dans la stupidité: on sent le
-danger de former des cabales contre un ministre que son maître lui-même
-n’ose distinguer; et, tant la dégradation des esprits est grande et
-le poids de la servitude accablant, ce n’est plus que par un[352]
-assassinat qu’on songe à sortir de l’oppression.
-
-Richelieu étoit trop instruit des prétentions du parlement, pour
-qu’il ne le regardât pas comme un rival de son autorité; et dès lors
-il devoit le soumettre au joug qu’il avoit imposé au reste de la
-nation. Le duc d’Orléans étant sorti du royaume par mécontentement,
-et dans le dessein de cabaler chez les étrangers, le roi donna une
-déclaration contre ceux qui avoient suivi ce prince, et les déclara
-criminels de lèze-majesté; elle fut envoyée à tous les parlemens, qui
-l’enregistrèrent, à l’exception de celui de Paris où les voix se
-trouvèrent partagées. Le roi manda cette compagnie au Louvre, et des
-magistrats qui, peu de temps auparavant, avoient voulu se rendre les
-maîtres de l’état, éprouvèrent les hauteurs insultantes d’un homme qui
-méprisoit trop les lois pour en ménager les ministres: ils se tinrent
-à genoux pendant l’audience qui leur fut donnée; humiliation frappante
-pour des citoyens qui dédaignoient le tiers-état, et vouloient s’élever
-au-dessus du clergé, et de la noblesse! ils virent déchirer leur arrêt
-de partage, et transcrire sur leur registres celui du conseil qui
-condamnoit leur témérité.
-
-On vit souvent sous ce règne des magistrats suspendus de leurs
-fonctions, destitués par force de leurs offices, exilés ou renfermés
-dans des prisons; violences qui auroient dû désabuser pour toujours
-le parlement de l’ancienne erreur où il étoit tombé, de croire qu’il
-pouvoit être quelque chose sans la nation, ou qu’il seroit puissant
-après qu’il auroit contribué à abaisser tous les autres ordres de
-l’état. Le public crut que la magistrature étoit la victime de
-son devoir: il la plaignit, et lui donna sa confiance. Dupe de sa
-compassion, il espéra qu’elle seroit une barrière contre les abus du
-pouvoir arbitraire; tandis qu’il devoit juger par la manière dont les
-magistrats étoient opprimés, qu’ils n’avoient les forces nécessaires ni
-pour faire le bien, ni pour s’opposer au mal.
-
-Je ne puis me dispenser de rapporter ici une ordonnance propre à
-peindre le caractère de la politique de Richelieu. Après avoir réduit
-les grands à ne pouvoir se fier les uns aux autres, dans la crainte de
-trouver des traîtres ou des délateurs, il proscrit toute espèce[353]
-d’assemblée, ne permet à la noblesse d’avoir qu’un petit nombre d’armes
-dans ses châteaux, et veut qu’elle ne puisse espérer aucun secours
-du dehors. On ne se contente pas de défendre à tous les Français de
-faire des associations; on regarde comme suspecte toute communication
-avec les ambassadeurs des princes étrangers; on défend de les voir
-et de recevoir aucune lettre de leur part, et il n’est point permis
-de sortir du royaume sans observer des formalités qui apprennent à
-tous ses habitans qu’ils sont prisonniers dans leur patrie. Sous
-prétexte de proscrire les libelles, on impose un silence général sur le
-gouvernement; et le ministre ne croit point être libre, si le citoyen
-peut penser et communiquer sa pensée. Enfin, en apprenant aux Français
-ce qu’on attend de leur obéissance, on les contraint à devenir les
-instrumens de l’injustice. Dès qu’on aura reçu un ordre du roi, dit
-cette ordonnance effrayante, on y obéira sans délai, ou l’on se hâtera
-d’exposer les raisons sur lesquelles on se croit fondé pour ne le pas
-exécuter. Mais après que le prince aura réitéré ses ordres, on s’y
-soumettra sans réplique, sous peine d’être destitué des charges dont
-on est revêtu, sans préjudice des autres peines que peut mériter une
-pareille désobéissance.
-
-Le règne de Richelieu, si je puis parler ainsi, devoit former une
-époque remarquable dans les mœurs, le génie et le gouvernement des
-Français. Cet homme avoit imprimé une telle terreur, qu’après sa mort
-on fut docile sous la main incertaine de Louis XIII, comme s’il eût
-été capable de gouverner par les mêmes principes de son ministre.
-Retrouvant enfin un roi enfant, une régente orgueilleuse, ignorante,
-opiniâtre, et un ministre étranger sans appui, et qui, sous les
-dehors trompeurs de la timidité et de la circonspection du connétable
-de Luynes, cachoit en effet une constance inébranlable, des vues
-profondes, et la politique la plus raffinée et la plus tortueuse, les
-Français crurent avoir recouvré leur liberté: ils secouèrent l’espèce
-d’étonnement dans lequel ils étoient; mais en voulant prendre un
-mauvais caractère, ils ne montrèrent encore que celui que Richelieu
-leur avoit donné.
-
-Dans les espérances, les projets et la révolte même des courtisans et
-du parlement, on découvre les traces de l’esprit de servitude et de
-corruption qu’ils avoient contracté. Au lieu d’avoir encore des vues et
-des intérêts opposés, l’expérience de leur foiblesse, et les affronts
-qu’ils avoient essuyés sous le dernier règne, leur avoient persuadé de
-se réunir pour se dédommager sous l’administration du cardinal Mazarin
-de ce qu’ils avoient perdu par la dureté du cardinal de Richelieu.
-Cette alliance avoit déjà été projetée au commencement du règne de
-Louis XIII, et il en résulta dans la minorité de son fils la guerre
-peut-être la plus ridicule dont il soit parlé dans l’histoire.
-
-Cette union de deux corps qui, dans le fond, se méprisoient ou se
-craignoient, et ne pouvoient agir de concert, dont l’un n’entendoit
-que les formes lentes de la procédure, et l’autre les voies de fait et
-le droit de la force, n’étoit pas capable de perdre un ministre aussi
-habile que Mazarin à manier les ressorts de l’intrigue: les séditieux
-ne se proposèrent aucun objet; on diroit qu’ils se révoltoient pour
-avoir le plaisir de remuer, de tracasser et d’avoir quelque chose
-à faire. On fait la guerre en suivant les formes de la procédure
-criminelle; on informe contre les armées; on décrète les généraux,
-et les seigneurs, qui n’entendent rien à ces procédés bourgeois,
-conduisent la guerre comme on conduit un procès. Quelques gens de bien
-tiennent des discours graves et sensés au milieu de ce délire, mais on
-ne les entend pas; ils parloient une langue étrangère à des brouillons
-occupés de leurs intérêts particuliers; et qui, étant accoutumés à
-regarder la cour comme le principe de leur fortune, y entretenoient
-des correspondances secrètes, et étoient prêts à se vendre eux et leur
-parti, pour une pension ou pour une dignité. Tous crient: «point de
-Mazarin». C’est le prétexte et le mot de la guerre; mais qu’importoit
-de bannir ce ministre, puisqu’il devoit avoir un successeur? Pour
-comble d’absurdité, et c’est une suite du mélange bizarre des habitudes
-contractées sous Richelieu, et de la licence qui accompagne la
-révolte, on vantoit sérieusement son obéissance et sa fidélité pour le
-roi, en faisant la guerre au ministre qui manioit sa puissance. Si je
-ne me trompe, on ne voit parmi les ennemis du cardinal Mazarin, que
-des hommes qui auroient voulu lui vendre chèrement leurs services, ou
-qui, à sa place, n’auroient pas été moins absolus que lui, et ce fut la
-principale cause de ses succès.
-
-Les grands qui depuis le règne de Charles VI avoient causé tant de
-troubles inutiles à l’état, et dont les projets ambitieux avoient
-diminué de règne en règne, à mesure que leur puissance avoit été
-affoiblie, ne conservèrent aucune espérance de se faire craindre sous
-un prince altier ou plutôt glorieux, jaloux à l’excès de son autorité,
-dont la magnificence au-dedans et les succès au-dehors éblouirent
-et subjuguèrent sa nation. Cet esprit de cabale et de parti, que
-les grands avoient repris sous le ministère de Mazarin, disparut
-entièrement. Ils n’avoient rien à espérer de la part des réformés,
-depuis que Richelieu avoit détruit leurs priviléges; et la guerre de
-la Fronde les avoit dégoûtés de toute association avec le parlement.
-Toutes les causes qui avoient contribué successivement à étendre
-l’autorité des prédécesseurs de Louis XIV, concoururent à la fois à
-faire respecter la sienne. La mode avoit été d’être brouillon, la mode
-devint d’être courtisan. Plus on avoit de fautes à réparer aux yeux du
-gouvernement, plus on s’empressa de s’abaisser pour les faire oublier.
-
-Le parlement, plus éloigné de la cour et moins susceptible de ses
-faveurs, ne pouvoit renoncer si aisément à ses anciennes espérances
-de grandeur, que son droit de remontrances et d’enregistrement
-entretenoit. Mais Louis XIV, fier de ses succès, et que le moindre
-obstacle à ses volontés indignoit, se souvenoit de la Fronde, et
-ne put souffrir que sous prétexte de lui montrer la vérité ou de
-parler en faveur des lois, on prétendît partager ou du moins limiter
-son autorité. Il porta un coup bien dangereux à la magistrature, en
-exigeant que les cours supérieures[354], qui se trouvoient dans le lieu
-de sa résidence, seroient obligées de lui porter leurs remontrances
-au plus tard huit jours après qu’elles auroient délibéré sur les
-édits, déclarations, lettres-patentes qui leur seroient adressées, et
-qu’après ce terme la loi seroit tenue pour publiée et enregistrée. Les
-cours souveraines des provinces furent soumises à la même loi, et on
-leur accorda seulement un terme de six semaines pour faire parvenir
-leurs représentations aux pieds du trône. Louis XIV ne s’en tint pas
-là, et quelques années après, profitant de la terreur que ses armes
-répandoient au-dehors pour gouverner plus impérieusement au-dedans, il
-ordonna que ses lois fussent enregistrées purement et simplement sans
-modification, sans restriction, sans clause qui en pussent surseoir ou
-empêcher la pleine et entière exécution.
-
-Tel fut le sort de la puissance que les grands et le parlement avoient
-affectée: il étoit inévitable, puisqu’ils n’avoient jamais proportionné
-leurs entreprises à leurs forces, et que, voulant tous s’agrandir les
-uns aux dépens des autres, ils avoient tous contribué à se perdre
-mutuellement. Pendant un règne très-long, Louis XIV a vu s’élever
-une nouvelle génération qui a laissé ses mœurs à ses descendans. Les
-grands, le clergé, le peuple, tous n’ont eu que les mêmes idées. A
-l’avénement de Louis XV au trône, le parlement a recouvré le droit
-de délibérer sur les lois avant que de les enregistrer, mais c’est
-à condition de toujours obéir: un droit qu’on a perdu et qu’on peut
-reperdre, est un droit dont on ne jouit que précairement. La régence
-mit le dernier sceau à notre avilissement. On ne crut plus à la
-probité. L’argent et les voluptés les plus sales parurent le souverain
-bien.
-
-
-
-
- CHAPITRE VII.
-
- _Conclusion de cet ouvrage._
-
-
-Peut-on étudier notre histoire et ne pas voir que nos pères furent
-à peine établis dans les Gaules, qu’ils négligèrent toutes les
-précautions nécessaires pour empêcher qu’une partie de la société
-n’augmentât ses richesses et sa puissance aux dépens des autres?
-Tourmentés par leur avarice et leur ambition, jamais les différens
-ordres de l’état ne se sont demandé quel étoit l’objet, quelle étoit
-la fin de la société; et si on en excepte le règne trop court de
-Charlemagne, jamais les Français n’ont recherché par quelles lois
-la nature ordonne aux hommes de faire leur bonheur. Jamais même, en
-voulant opprimer les autres, un ordre n’a pu se prescrire une condition
-constante. De là les efforts toujours impuissans, une politique
-toujours incertaine, nul intérêt constant, nul caractère, nulles mœurs
-fixes; de là des révolutions continuelles dont notre histoire cependant
-ne parle jamais: et toujours gouvernés au hasard par les événemens et
-les passions, nous nous sommes accoutumés à n’avoir aucun respect pour
-les lois.
-
-Qui pourroit prédire le sort qui attend notre nation? Notre siècle se
-glorifie de ses lumières; la philosophie, dit-on, fait tous les jours
-des progrès considérables, et nous regardons avec dédain l’ignorance
-de nos pères; mais cette philosophie et ces lumières dont nous
-sommes si fiers, nous éclairent-elles sur nos devoirs d’hommes et de
-citoyens? Quand quelques philosophes bien différens des sophistes
-qui nous trompent, et qui croient que toute la sagesse consiste à
-n’avoir aucune religion, nous montreroient les vérités morales, quel
-en seroit l’effet? Les lumières viennent trop tard, quand les mœurs
-sont corrompues. L’amour de la vérité aura-t-il plus de force que nos
-passions? Nous pouvons ouvrir les yeux et voir les écueils contre
-lesquels nous avons échoué; nous pouvons voir flotter autour de ces
-écueils les débris de notre naufrage; mais quelle ressource nous
-reste-t-il pour le réparer?
-
-Sans doute qu’en s’instruisant de leurs devoirs dans l’histoire, nos
-rois peuvent se convaincre sans peine qu’ils n’ont rien gagné à séparer
-leurs intérêts de ceux de la nation, et à se regarder plutôt comme les
-maîtres d’un fief que comme les magistrats d’une grande société. Il est
-aisé d’apercevoir qu’en détruisant les états-généraux pour y substituer
-une administration arbitraire, Charles-le-Sage a été l’auteur de tous
-les maux qui ont depuis affligé la monarchie: il est aisé de démontrer
-que le rétablissement de ces états, non pas tels qu’ils ont été,
-mais tels qu’ils auroient dû être, est seul capable de nous donner
-les vertus qui nous sont étrangères, et sans lesquelles un royaume
-attend dans une éternelle langueur le moment de sa destruction. Mais
-viendra-t-il parmi nous un nouveau Charlemagne? On doit le désirer,
-mais on ne peut l’espérer.
-
-Un prince philosophe pourroit triompher de ses passions et juger
-combien il lui importe de gêner celles de ses successeurs; il feroit
-sans doute le bien qu’il apercevroit; mais quand la philosophie
-sera-t-elle assise sur le trône? On l’écarte avec dédain du berceau des
-enfans des rois; on ne permet pas que la vérité instruise leur première
-jeunesse. Le préjugé, l’erreur et le mensonge les entourent, et on ne
-leur apprend qu’à être les maîtres de leurs sujets et les esclaves de
-leurs ministres. Quand un monarque, frappé par le hasard d’un trait
-de lumière, connoîtroit son devoir, seroit-il libre de le faire? On
-l’a élevé de façon qu’il ne peut rien, tandis que son nom peut tout.
-Comment pourroit-il vaincre tous les obstacles que lui opposeroient des
-hommes intéressés à conserver le gouvernement tel qu’il est à présent?
-Qu’on voie cette foule innombrable d’hommes qui profitent des vices
-du gouvernement pour s’enrichir des dépouilles de la nation et se
-charger des honneurs qu’ils avilissent; et, si on l’ose, qu’on espère
-un nouveau Charlemagne. N’avons-nous pas vu de nos jours les gens de
-finance s’alarmer au nom seul d’état-provinciaux, se liguer contre le
-bien public, et empêcher que le ministre n’ait mis toutes les provinces
-en pays d’état[355]?
-
-Le passé doit nous instruire de l’avenir; et puisqu’on a vu trois ou
-quatre princes dans toute l’histoire, qui ont donné volontairement
-des bornes à leur autorité pour la rendre plus ferme et plus durable,
-il n’est pas impossible que cet événement se renouvelle parmi nous,
-mais il seroit insensé de l’attendre avec nonchalance. Il peut et il
-doit nécessairement arriver dans la suite des temps que le royaume se
-trouve dans une telle confusion, que le gouvernement soit forcé de
-recourir à la pratique oubliée des états-généraux, comme on y recourut
-sous les fils de Henri II. Mais si la nation elle-même n’est pas en
-état, par son amour pour la liberté et par ses lumières politiques,
-de profiter de cet événement, ces nouveaux états ne produiront pas
-un effet plus salutaire que les états d’Orléans et de Blois; ils
-ne remédieront point aux maux présens, et ne feront rien espérer
-d’avantageux pour l’avenir.
-
-Les grandes nations ne se conduisent jamais par réflexion. Elles sont
-mues, poussées, retenues ou agitées par une sorte d’intérêt qui n’est
-que le résultat des habitudes qu’elles ont contractées. Ce caractère
-national est d’un poids qui entraîne tout; et quand une fois le temps
-l’a formé, il est d’autant plus difficile, qu’il souffre quelque
-altération essentielle, qu’il est très-rare qu’il survienne des
-événemens assez importans pour ébranler à la fois toute la masse des
-citoyens, et lui donner avec un nouvel intérêt général, une nouvelle
-façon de voir et de penser. On a vu de petites républiques prendre
-en un jour un nouveau caractère et un nouveau gouvernement; mais
-au milieu même des agitations violentes qui sembloient annoncer de
-grands changemens dans les grandes nations, les peuples ont toujours
-conservé le fond de leur premier caractère, et en se calmant, ils
-en sont toujours revenus à leur première manière de se gouverner.
-En voulant corriger les abus dont ils se plaignent, ils restent
-opiniâtrément attachés aux principes qui les ont fait naître et qui les
-entretiendront. De cette réflexion, quel augure faut-il donc tirer du
-sort qui attend notre nation?
-
-Examinez le caractère de la nation Française, et jugez de la résistance
-qu’il peut apporter au gouvernement. Les vices que la mollesse, le
-luxe, l’avarice, et une ambition servile ont fait contracter aux
-Français depuis le règne de Louis XIII, ont tellement affaissé leur
-ame, qu’ayant encore assez de raison pour craindre le despotisme, ils
-n’ont plus assez de courage pour aimer la liberté. Nous avons vu, il
-n’y a pas long-temps, une sorte de fermentation dans les esprits;
-nous avons vu qu’en se plaignant, on étoit alarmé de ses plaintes; on
-regardoit les murmures comme un désordre plus dangereux que le mal qui
-les occasionnoit, et on craignoit qu’ils n’indisposassent contre le
-gouvernement et n’en dérangeassent les ressorts. Plus cette crainte est
-vaine et puérile, plus il est sûr que nous avons un caractère conforme
-à notre gouvernement, et que nous ne portons en nous-mêmes aucun
-principe de révolution[356].
-
-Tant qu’il y a dans un état différens ordres qui se craignent, qui
-se respectent, qui se balancent, on peut calculer leurs forces et
-prévoir l’effet de leur rivalité; mais quand tout équilibre est rompu,
-et qu’une puissance supérieure a détruit toutes les autres, où la
-politique, la plus pénétrante, pourroit-elle découvrir le germe d’une
-nouvelle constitution? Dès qu’une puissance est parvenue dans l’état
-à n’éprouver aucune contradiction, elle doit nécessairement accroître
-ses forces, parce qu’on lui pardonne tout ce qui n’excite pas le
-désespoir, et que pour réussir dans ses projets, elle n’a jamais besoin
-de recourir à ces violences atroces qui irritent et soulèvent à la fois
-tous les esprits.
-
-Si un philosophe de nos jours avoit fait ces réflexions, auroit-il
-dit qu’il se défie de tout ce que les écrivains politiques ont dit
-sur les causes de la prospérité ou du malheur des sociétés? Il auroit
-craint de se compromettre en leur demandant que, pour justifier
-leurs remarques sur le passé, ils tirassent l’horoscope des états
-qui existent actuellement en Europe. Sans doute, on peut prédire des
-malheurs aux états mal constitués, et si on ne peut dire sous quelle
-sorte de calamité ils succomberont, c’est qu’ils portent en eux-mêmes
-plusieurs principes de décadence que des événemens ou des hasards
-étrangers peuvent développer plus tôt ou plus tard. En examinant la
-situation de la France à la fin des règnes de Henri II et de Henri
-IV, on devoit prédire des désordres; mais pour prévoir quels seroient
-ces désordres, il auroit fallu connoître une chose étrangère au
-gouvernement, c’est-à-dire, le caractère, le génie et les talens des
-personnes qui abusèrent des vices de l’état pour le troubler. A la
-place des Guise, des Condé et des Coligny, supposez sous les fils de
-Henri VIII, les hommes qui agitèrent la minorité de Louis XIII, vous
-verrez des désordres, mais d’une autre nature que ceux qui faillirent à
-faire perdre la couronne à la maison de Hugues-Capet. Faites renaître
-sous Louis XIII des ambitieux d’un génie vaste et profond, et vous
-verrez renouveler les projets et les malheurs de la ligue.
-
-Parcourons les différens ordres de l’état: tout n’indique-t-il pas que
-le clergé forme un corps dont le caractère particulier est plus propre
-à fixer qu’à changer les principes actuels du gouvernement? Il y a
-long-temps qu’il a séparé ses intérêts de ceux de la nation, et quand
-il défend ses immunités, il a recours à des raisonnemens théologiques
-qui ne sont point applicables à l’état des autres citoyens. L’église
-est riche, mais c’est le roi qui dispose de la plus grande partie
-de ces richesses, et qui les distribue à son gré à des hommes nés
-ordinairement sans fortune, et d’autant plus avides que l’avarice a
-décidé de leur vocation. De-là cet esprit servile qui n’est que trop
-commun dans les ecclésiastiques. Appelés dans les états particuliers
-de quelques provinces, pour en défendre les droits, ils les trahissent
-pour mériter les faveurs de la cour. A l’esprit de la religion qui
-élève l’ame et qui fait aimer l’ordre et la justice, le clergé a
-substitué je ne sais quel esprit de monachisme qui n’inspire qu’une
-bassesse stupide dans les sentimens. Il aime le pouvoir arbitraire,
-parce qu’il est plus aisé de circonvenir un prince et de le gouverner,
-que de tromper une nation libre que sa liberté éclaire et fait penser.
-Ce penchant pour le pouvoir arbitraire est tel que pouvant, que devant
-même ne pas reconnoître dans l’ordre de la religion un gouvernement
-monarchique, il se précipite cependant avec ardeur, sous le joug de
-la cour de Rome, qui lui présente des honneurs inutiles, et ne peut
-lui accorder aujourd’hui qu’une protection infructueuse. Pour jouir
-en quelque sorte d’un pouvoir arbitraire, dans son diocèse, chaque
-évêque néglige autant les conciles généraux, que le pape les craint:
-cependant ces assemblées écuméniques sont dans l’ordre de l’église ce
-que les états-généraux sont dans l’ordre politique. Plus le clergé
-de France a eu de peine à conserver quelques-unes de ses immunités,
-tandis que le reste de la nation perdoit les siennes, plus il a flatté
-le gouvernement pour mériter quelque faveur. L’habitude de cette
-politique est contractée, elle subsistera vraisemblablement, et plus
-les ecclésiastiques craindront de perdre leur fortune, plus ils se
-confirmeront dans leurs principes.
-
-A l’ancienne politique qu’avoient les grands de s’emparer de la
-puissance du prince et de l’exercer sous son nom, ils ont substitué
-depuis long-temps une autre manière de faire fortune; c’est de devenir
-courtisans, et ils ont communiqué leur esprit à cette noblesse
-nombreuse qui n’approche point du prince, qui vit dans les provinces,
-ou qui occupe les emplois subalternes dans les troupes, et qui croit
-qu’il est de sa dignité d’emprunter le langage et les sentimens des
-grands. L’obéissance aveugle à laquelle on accoutume les gens de guerre
-contre les ennemis de l’état, les prépare à exécuter pendant la paix
-tout ce qu’on leur ordonne contre les citoyens. Ces instrumens, les
-plus dangereux du pouvoir arbitraire, se glorifient des commissions
-extraordinaires dont on les charge, croient participer à l’autorité
-dont ils ne sont que les instrumens, et s’élever au-dessus de ceux
-qu’ils ont consternés.
-
-Les grands sont persuadés qu’il leur importe d’avoir un maître absolu.
-Pour quelques mortifications qu’ils essuient à la cour, leur vanité
-acquiert des complaisans, des flatteurs et des protégés; ils se font
-craindre, et commettent impunément des injustices. Pour piller le
-prince, leur avarice demande qu’il soit le maître de la fortune de tous
-les citoyens; et ils ne voient point que les bienfaits de la cour ont
-plus appauvri de grandes maisons qu’ils n’en ont enrichi. Enfin, ils
-ne doutent point que leur dignité ne tienne au pouvoir absolu, et ils
-craignent qu’un gouvernement libre ne les rapprochât d’une classe qui
-leur est inférieure, et ne les confondît avec elle.
-
-Erreur grossière! Dans tout gouvernement libre où il y a, comme
-en Suède et en Angleterre, un prince héréditaire dont la maison a
-des prérogatives particulières sur toutes les autres familles, la
-noblesse aura toujours de grands avantages, et son sort sera assuré.
-Les seigneurs Anglais et Suédois, aussi jaloux que les nôtres des
-droits et des priviléges de leur naissance et de leur dignité, ne
-jouissent-ils pas d’une fortune plus avantageuse que les seigneurs
-Français? et cette fortune, établie sur la constitution de l’état, et
-non sur la volonté inconstante du prince, n’est-elle pas plus solide?
-Pour se désabuser de son erreur, notre grande noblesse n’auroit qu’à
-comparer son état actuel à celui de ses ancêtres; elle verroit qu’à
-mesure que la monarchie est devenue plus absolue, ses grandeurs se sont
-diminuées, et pour ainsi dire, anéanties; elle verroit que plus on
-approche du despotisme, plus tous les rangs se confondent aux yeux du
-prince. Il est de la nature du despotisme de tout avilir; il voit les
-objets de trop loin et de trop haut pour apercevoir entre eux quelque
-différence: qu’on me cite en effet un état despotique où la noblesse du
-sang n’ait pas enfin été détruite, et n’ait pas du moins perdu tous ses
-avantages.
-
-A mesure que les grands, depuis le règne de Charles VI, ont rendu le
-prince plus puissant, il s’est servi constamment de cette puissance
-pour diminuer leur fortune, leur crédit et leur considération. Après
-avoir travaillé à augmenter la prérogative royale, les grands ont été
-éloignés de l’administration des affaires. On leur a laissé de vains
-titres qui les divisent entre eux; on a supprimé les charges qui
-donnoient une grande autorité, et les places par leur nature, les plus
-importantes, n’ont aujourd’hui de pouvoir réel qu’autant que celui qui
-les occupe a de crédit. Depuis Henri IV, nos rois n’ont associé à leur
-pouvoir que des hommes qu’ils ne pouvoient jamais craindre, et qui
-retomboient dans le néant, si le prince cessoit d’en faire les organes
-de sa volonté, et de leur prêter son nom. Pour recouvrer du pouvoir,
-les grands ont été obligés d’ambitionner des places que leur vanité
-dédaignoit autrefois; et ils ne les ont obtenues, que parce qu’ils ne
-sont pas plus redoutables que les personnes auxquelles ils ont succédé.
-
-Quoi qu’il en soit, la fortune actuelle des grands, leur manière de
-penser et l’influence qu’elle a sur toute la nation, sont autant
-d’obstacles à une[357] révolution; et il faudroit un concours de
-circonstances d’autant plus extraordinaires pour changer l’esprit
-national, que le tiers-état n’est rien en France, parce que personne
-n’y veut être compris. Tout bourgeois ne songe parmi nous qu’à se tirer
-de sa situation et à acheter des offices qui donnent la noblesse; et,
-dès qu’il en est revêtu, il ne se regarde plus comme faisant partie de
-la commune. Le peuple n’est en effet que cette populace sans crédit,
-sans considération, sans fortune, qui ne peut rien par elle-même.
-
-Le parlement est le seul corps qui pourroit mettre quelques entraves
-au pouvoir arbitraire. Obligé par son propre intérêt de faire encore
-entendre quelquefois le nom des lois, la nation lui doit l’avantage
-d’avoir conservé ce mot, et voilà tout; car cette compagnie n’a pas la
-puissance nécessaire pour empêcher que les lois qu’elle réclame par
-intervalles, ne soient tous les jours violées. Que devons-nous attendre
-de son zèle pour le bien public? Il est important de le savoir; c’est
-à l’erreur d’avoir cru le parlement capable d’empêcher l’oppression et
-de défendre nos droits, que nous devons en partie l’indifférence avec
-laquelle nous avons vu la ruine de nos états-généraux, et la décadence
-de nos priviléges.
-
-Jamais les remontrances n’ont été plus fréquentes que de nos jours;
-quel mal ont-elles empêché? Dans cent occasions différentes, Monluc,
-dont j’ai déjà parlé, auroit pu renouveler les reproches qu’il faisoit
-autrefois au parlement. En reprenant quelque crédit, la magistrature
-n’a point songé aux intérêts de la nation; elle n’a été occupée
-que de ses propres prérogatives. Pour juger du bien que le droit
-d’enregistrement peut produire à l’avenir, il faut examiner celui qu’il
-a fait par le passé. Depuis cinquante-deux ans que le parlement a
-recouvré la permission de délibérer avant que d’enregistrer, les lois
-ont-elles été moins flottantes, moins incertaines, moins dures, moins
-arbitraires qu’elles ne l’ont été pendant le temps que Louis XIV avoit
-réduit l’enregistrement à une vaine formalité? Si le parlement a pu
-faire le bien, pourquoi ne l’a-t-il pas fait? S’il lui étoit impossible
-de le faire, pourquoi n’avertissoit-il pas la nation de chercher un
-autre protecteur? Si son droit de modifier et de rejeter les lois
-qui lui paroissent injustes n’est qu’une chimère, pourquoi y est-il
-ridiculement attaché? Si ce droit est quelque chose de réel, pourquoi
-la nation n’en tire-t-elle aucun avantage?
-
-Une expérience de plusieurs siècles n’a point été capable d’éclairer
-le parlement sur sa situation et ses intérêts. A peine a-t-il réussi à
-donner quelque alarme ou quelque inquiétude à des ministres timides et
-assez maladroits pour être embarrassés de leur pouvoir, qu’il a cru que
-le moment étoit arrivé de faire valoir ses anciennes prétentions, et de
-devenir cet ancien champ de Mars et de Mai qui ne formoit qu’une seule
-puissance avec le roi. Pour se rendre plus considérable, il a enfin
-adopté l’idée qu’il avoit jusques-là rejetée, de l’unité du parlement.
-Mais cette démarche étoit fausse, parce que tous ces parlemens répandus
-dans le royaume ne pouvoient pas se conduire par un seul et même
-esprit. Quand toutes leurs démarches auroient été parfaitement égales
-et uniformes, leurs forces n’auroient point encore pu contre-balancer
-celles du roi. Le parlement de Paris ne devoit s’associer les parlemens
-de province que pour se rendre plus sûr de l’approbation du public;
-ce n’étoit qu’en l’intéressant à sa cause qu’il pouvoit se rendre
-puissant: c’est l’opinion publique qui seule est capable d’imposer à un
-gouvernement.
-
-Quelque espérance que le parlement de Paris eût conçue de son alliance
-avec les parlemens de province, il n’a pu y sacrifier les préjugés
-anciens de sa vanité. Craignant de perdre de sa grandeur par le systême
-de l’unité, et que des magistrats de province ne sortissent des bornes
-de la subordination, il n’a pas manqué de saisir la première occasion
-de les humilier, et de les avertir qu’il étoit essentiellement et
-privativement la cour des pairs. Cette prétention puérile n’a pas
-seulement rompu la ligue nouvelle et fragile des magistrats, tout le
-public en a été révolté. On a vu que la première classe du parlement
-ne songeoit qu’à ses intérêts, et y songeoit d’une manière trop
-grossière et trop peu habile pour qu’elle pût faire le bien public. On
-a commencé à n’être plus la dupe de ses intentions; et toute l’illusion
-a enfin cessé, quand on a vu qu’elle abandonnoit le soin de sa propre
-existence, en laissant accabler les parlemens de Pau et de Rennes.
-Cette conduite du parlement de Paris a dévoilé à tous les yeux sa
-foiblesse et sa corruption; et quelle confiance pourroit-on désormais
-donner à une compagnie, ou foible ou corrompue, qui a permis qu’on
-s’essayât sur d’autres à la détruire[358] elle-même? On a appris que
-les cours souveraines n’ont qu’une existence précaire; et bien loin
-que le foible crédit qui reste au parlement, puisse être le principe
-d’une réforme heureuse dans le gouvernement, il est vraisemblable
-qu’il ne servira qu’à écraser la nation et empêcher le rétablissement
-des états-généraux. Le ministre lui permettra des remontrances, des
-représentations, des chambres assemblées et de «jouer à la madame»,
-qu’on me permette cette expression ridicule, pour empêcher que le
-public ne s’aperçoive qu’il a besoin de quelque protecteur plus
-puissant et plus intelligent.
-
-A moins d’un de ces événemens dont on rencontre quelques exemples
-dans l’histoire, et qui remuent avec assez de force une nation pour
-lui faire perdre ses préjugés et lui donner un caractère nouveau,
-la France, qui devroit renfermer un des peuples les plus heureux de
-la terre, tombera dans un état de dépérissement, de misère et de
-langueur, où tombe enfin toute société qui empêche les citoyens de
-s’intéresser à la chose publique. La liberté est nécessaire aux hommes,
-parce qu’ils sont des êtres intelligens; dès qu’ils en sont privés,
-ils ne conservent ni courage ni industrie; et la société, composée
-d’automates, doit périr, si elle est attaquée par des ennemis qui
-soient des hommes.
-
-Ne cherchons point ici ce que la France doit redouter de la part de ses
-voisins; n’examinons point si ses ennemis ont un gouvernement plus sage
-qu’elle. Cette discussion m’entraîneroit trop loin. Bornons-nous à la
-recherche des dangers domestiques dont elle est menacée, et en jetant
-les yeux sur un peuple voisin, il me semble que nous pouvons juger du
-sort qui nous attend. Les Espagnols avoient autrefois tout ce qu’il
-faut pour rendre une nation florissante: avant qu’ils fussent accablés
-sous une puissance arbitraire, ils ont fait de grandes choses; et s’ils
-avoient eu l’art d’affermir les principes de leur liberté, ils seroient
-aujourd’hui heureux. Mais le pouvoir du roi étant parvenu à s’accroître
-au point de ne trouver aucun obstacle, l’état a été sacrifié, comme
-il devoit l’être, aux passions du monarque et de ses ministres. Les
-Espagnols avilis et dégradés ont perdu leur génie, leurs talens, leur
-courage et leur activité, et ont cherché le bonheur qui les fuyoit,
-dans leur paresse et a leur indolence. Les provinces sont devenues des
-déserts; les hommes ont cessé d’être citoyens; et malgré les vastes
-possessions du roi d’Espagne, il a aujourd’hui moins de force que n’en
-avoient autrefois ces petits rois d’Aragon, de Grenade, de Castille,
-de Léon, de Murcie, &c., quand le gouvernement étoit encore propre à
-donner du ressort à l’ame des sujets. Au commencement de ce siècle,
-l’Espagne, qui avoit été la terreur de l’Europe, n’a pas été en état de
-défendre par ses propres forces le roi qu’elle s’étoit donné; elle a
-perdu les provinces qu’elle possédoit en Italie et dans les Pays-Bas,
-et si sa position topographique l’exposoit aux incursions de ses
-ennemis, ne seroit-elle pas démembrée?
-
-La France n’offre déjà plus que le spectacle effrayant d’une multitude
-de mercenaires dont elle ne peut payer les services à leur gré, et
-qui la serviront mal. Qu’on ne soit pas surpris que des hommes qui ne
-peuvent être citoyens, préfèrent leurs intérêts à ceux de la patrie. On
-voit déjà parmi nous l’empreinte fatale du despotisme, non pas de ce
-despotisme terrible qui s’abreuve de sang et répand la consternation
-par-tout: nos mœurs amollies ne le permettent pas; mais de ce
-despotisme qui établit par-tout la misère et l’indigence, qui porte
-par-tout le découragement, la corruption, la bassesse et l’esprit de
-servitude, symptômes certains d’une décadence, et avant-coureurs d’une
-ruine inévitable, quand il se présentera un ennemi redoutable sur ses
-frontières.
-
-
- _Fin du livre huitième._
-
-
-
-
- REMARQUES ET PREUVES
- DES
- _Observations sur l’histoire de France_.
-
- SUITE DU LIVRE VIme.
-
- CHAPITRE IV.
-
-[235] On en trouve la preuve dans l’ordonnance par laquelle
-Philippe-Auguste régla l’administration de ses terres ou de ses
-domaines pendant la croisade, ou s’il mouroit dans cette expédition.
-Il ne consulte point ses grands vassaux ou ses barons, parce que
-chaque seigneur avoit le droit d’administrer à son gré ses affaires
-domestiques. _Consilio altissimi ordinare decrevimus._ D’ailleurs
-l’autorité royale étoit encore si foible, qu’on s’embarrassoit peu
-des arrangemens domestiques que le roi prenoit. _Pretereà volumus
-et præcipimus ut charissima mater nostra A. regina statuat cum
-charissimo avunculo nostro et fideli Guillelmo Remensi archiepiscopo
-singulis quatuor mensibus ponent unum diem Parisiis, in quo audiant
-clamores hominum regni nostri, et ibi eos finiant ad honorem Dei et
-utilitatem regni._ Et par le mot _regnum_, il ne faut pas entendre le
-royaume, mais les terres et les domaines du roi. On se sert de ces
-dernières expressions, quand les ordonnances sont écrites en français;
-d’ailleurs, on voit que, dans cette pièce, il n’est question que
-d’affaires particulières.
-
-_Præcipimus insuper, ut eo die sint antè ipsos de singulis villis
-nostris, et baillivi nostri qui assisias tenebunt, ut coràm eis
-recitent negocia terræ nostræ._ Voilà peut-être ce qui aura donné
-à Philippe-le-Bel l’idée d’assembler des états. Philippe-Auguste
-veut que les bénéfices dont il étoit collateur, soient donnés à des
-hommes de bonnes mœurs et instruits, et qu’on consulte à ce sujet le
-frère Bernard, qui étoit un moine de Grandmont: _Viris honestis et
-litteratis, consilio fratris Bernardi conferant_. Cet acte n’est signé
-que par des domestiques du roi. _Signum comitis Theobaldi Dapiferi
-nostri, signum Guidonis Buticularii, signum Mathei Camerarii, data
-vacante cancellariâ._
-
-[236] «Le roi Charles VII fut le premier, par le moyen de plusieurs
-sages et bons chevaliers qu’il avoit, qui lui avoient aidé et servi
-en sa conquête de Normandie et de Guyenne, que les Anglois tenoient,
-lequel gaigna et commença ce point, que d’imposer tailles en son pays
-et à son plaisir, sans le consentement des états de son royaume..... et
-à ceci se consentirent les seigneurs de France, pour certaines pensions
-qui leur furent promises, pour les deniers qu’on léveroit en leurs
-terres..... Mais à ce qui est advenu depuis et adviendra, il chargea
-fort son ame et celles de ses successeurs, et mit une cruelle plaie sur
-son royaume, qui longuement saignera, et une terrible bande de gens
-d’armes de soulde, qu’il institua à la guise des seigneurs d’Italie.»
-(_Comines, Liv. 6. Ch. 7._)
-
-[237] Voyez les cahiers des états tenus à Tours, sous Charles VIII,
-Chap. 3. «Jamais le roi Charles VII, dit Comines, (_Liv. 5, Chap. 18._)
-ne levera plus de dix-huit cent mille francs par an: et le roi Louis,
-son fils, enlevoit à l’heure de son trespas quarante et sept cent mille
-francs, sans l’artillerie et autres choses semblables.» Comines redit
-la même chose, (_Liv. 6. Chap. 7._) «Et il ajoute que Charles VII pour
-tous gens d’armes ne tenoit qu’environ dix-sept cent hommes d’armes, et
-que Louis XI avoit environ quatre ou cinq mille d’hommes d’armes, et
-plus de vingt-cinq mille gens de pied.»
-
-Puisque j’ai cité Comines, je ne puis m’empêcher de rapporter un
-morceau admirable de cet écrivain. En s’élevant en général contre
-l’injustice des gouvernemens, il fait une peinture de la politique
-qu’il avoit vu pratiquer sous ses yeux: cette autorité confirmera ce
-que j’ai dit. «Là, tout est disposé et arrangé de sorte que le prince
-puisse lever des impôts à son gré, et c’est par là qu’il tient tous
-ses sujets sous le joug. On punit sous ombre de justice, et le prince
-a toujours à sa disposition des juges qui d’un rien font un crime, et
-qui trouvent des témoins et des dépositions tels qu’ils les veulent, et
-qui sous prétexte de faire un exemple punissent un innocent. Quand le
-prince est fort, tout défaut de complaisance à ses volontés devient une
-vraie désobéissance et le violement de l’hommage, et en conséquence, on
-confisque ses biens. On fait craindre aux uns de perdre leurs emplois.
-On chicane les gens d’église sur leurs bénéfices. On ruine la noblesse
-par les dépenses de la guerre entreprise sans consulter les états et de
-ceux qu’on auroit dû consulter, puisque c’est aux dépens de leur sang
-et de leur fortune que se fait la guerre. On ruine le peuple par des
-tailles, on tolère les violences et rapines des gens de guerre.» (_L.
-5. Ch. 18._)
-
-[238] «Le roi (Louis XI) fit tenir les trois estats à Tours es mois de
-mars et d’avril mil quatre cent septante, ce que jamais n’avoit fait,
-ni ne fit depuis. Mais il n’y appela que gens nommez, et qu’il pensoit
-qui ne contrediroient point à son vouloir..... A cette assemblée y
-avoit plusieurs gens de justice, tant de parlement que d’ailleurs,
-et fut conclu selon l’intention du roi que ledit duc seroit ajourné
-à comparoir en personne en parlement à Paris.» (_Comines, L. 3. Ch.
-1._) C’est une erreur. Cet historien avoit, sans doute, oublié «qu’au
-mois d’avril audit an 1467, en caresme, le roi Loys de France manda
-assembler en la ville de Tours les trois estats de son royaume; c’est
-à savoir les gens d’église, évêques et prélats, les nobles seigneurs,
-chevaliers et escuyers, et chacune ville et cité, trois ou quatre
-personnes des plus notables d’icelles, etc.» (_Voyez les preuves
-des mémoires de Comines, par Godefroy, édition de l’abbé Lenglet du
-Fresnoy, T. 3. pag. 5._)
-
-[239] «Nous lui avons ordonné, commandé et enjoint ainsi que pere
-peut faire à son fils, qu’il se gouverne, entretienne et maintienne
-en bon régime et entretenement dudit royaume, par le conseil, avis et
-gouvernement de nos parens et seigneurs de notre sang et lignage, et
-des autres grands seigneurs, barons, chevaliers, capitaines et autres
-gens sages et notables, de bon conseil et conduite, et principalement
-de ceux qu’il sçaura et connoistra avoir été bons et loyaux à feu
-nostre chier sieur et pere, que Dieu absolve, à nous et à la couronne
-de France, et qui nous auront été bons et loyaux serviteurs, officiers
-et subjets.» (_Ordon. du 21 septembre 1482._)
-
-[240] Le commerce ne dérogeoit point autrefois. On voit que les plus
-grands seigneurs, en traitant du droit de commune avec leurs sujets,
-se réservèrent un temps fixe, non-seulement pour vendre en détail les
-denrées de leur cru, mais encore celles qu’ils avoient achetées pour
-les vendre. Il est souvent parlé dans les ordonnances des gentilshommes
-et des clercs qui font le commerce, ou qui tiennent des terres à ferme.
-En 1355 il fut défendu aux magistrats du parlement et aux officiers
-du roi de commercer; et je me rappelle d’avoir vu une ordonnance de
-Charles V, du 13 novembre 1372, qui fait la même défense aux officiers
-des aides. Sous le règne de Charles VI, il dut commencer à paroître
-indigne de tout gentilhomme de trafiquer ou de tenir des biens à ferme,
-puisque ceux qui se trouvoient dans ce cas furent alors assujettis à
-payer la taille, et confondus, à cet égard avec les roturiers. Voyez
-l’article 14 de l’ordonnance du 28 mars 1395, que j’ai rapporté dans
-la remarque 232 du second chapitre de ce livre. L’exemption de la
-taille n’ayant été accordée par Charles VI qu’aux gentilshommes qui
-servoient ou que leur âge et leurs blessures avoient forcé de quitter
-le service, c’est sous ce règne qu’a dû se former le préjugé commun
-parmi nous, qu’un gentilhomme n’a point d’autre profession que celle
-des armes.
-
-Jusqu’au règne de Philippe-le-Long, les baillis, sénéchaux et prévôts,
-tous gentilshommes, étoient à la fois officiers de guerre, de justice
-et de finance. Les prévôts percevoient dans l’étendue de leur prévôté
-les revenus du roi; ils rendoient compte de leur recette au bailli ou
-au sénéchal dont ils relevoient; et celui-ci, faisant dans son ressort
-les fonctions d’un receveur général, répondoit des deniers au conseil
-ou à la chambre des comptes. Il n’étoit donc pas surprenant
-que les François avant Philippe-le-Long n’eussent pas les mêmes idées
-qu’ils ont aujourd’hui sur l’état de financier. Soit que ce prince ne
-vît qu’avec inquiétude dans la main des mêmes personnes toutes les
-différentes autorités qui avoient rendu autrefois les ducs et les
-comtes si puissans dans leurs gouvernemens, soit qu’il n’obéît qu’à cet
-instinct qui porte les despotes à séparer et diviser toutes les parties
-de l’administration, il établit le premier dans chaque bailliage des
-receveurs généraux, qui furent seulement officiers de finance.
-
-(_Ordon. du Louvre, T. 1. p. 583._) Voyez les lettres-patentes du 11
-octobre 1393, par lesquelles Charles VI ordonne que les nobles et
-ses officiers ne seront point admis à mettre des enchères sur les
-formes des impositions, à moins qu’il ne se présente point d’autres
-enchérisseurs. Le motif de cette défense, c’est que les financiers
-gentilshommes se conduisoient moins bien que les autres; qu’ils
-abusoient plus aisément de leur crédit, et qu’il étoit plus difficile
-de les punir. Sans doute que si la noblesse d’aujourd’hui, si peu avide
-d’argent, redevient jamais financière, elle ne s’exposera plus à la
-même exclusion.
-
-[241] «Lesdits estats ne veulent ou entendent aucune chose diminuer du
-roule ou ordonnance du roi et de ses seigneurs conseillers, envoyez
-par escrit de par le roy et ses dits seigneurs auxdits estats, et s’en
-rapportent au bon plaisir du roy et les dits seigneurs et princes du
-sang et du conseil pour en disposer en leurs consciences comme ils
-verront estre à faire». (_Cahiers des états, chapitre 6._)
-
-[242] «Disoient aucuns de petite condition, et de petite vertu, et ont
-dit par plusieurs fois depuis, que c’est crime de lèze-majesté que
-d’assembler les estats, et que c’est pour diminuer l’autorité du roi;
-et ce sont ceux qui commettent ce crime envers dieu et le roy et la
-chose publique; mais servoient ces paroles et servent à ceux qui sont
-en autorité et crédit, sans en rien l’avoir mérité, et qui ne sont
-propices d’y estre; et n’ont accoutumé que de flageoler et fleureter
-en l’oreille et parler des choses de peu de valeur, et craignent les
-grandes assemblées de peur qu’ils ne soient connus ou que leurs œuvres
-ne soient blamées». (_Comines, L. 5. Ch. 18._)
-
-[243] «S’il (Louis XI) n’eust eu la nourriture autre que les
-seigneurs que j’ai vus nourrir en ce royaume, je ne crois pas se fust
-ressours car ils ne les nourrissent seulement qu’à faire les fols en
-habillemens et en paroles, de nulles lettres ils n’ont connoissance.
-Un seul sage homme on n’entremet à l’entour. Ils ont des gouverneurs à
-qui on parle de leurs affaires, et à eux rien: et ceux-là disposent de
-leurs dits affaires: et tels seigneurs y a qui n’ont pas treize livres
-de rente en argent, qui se glorifient de dire: parlez à mes gens;
-cuidans par cette parole contrefaire les très grands seigneurs... Aussi
-ai-je bien veu souvent leurs serviteurs faire leur profit d’eux, en
-leur donnant bien à connoître qu’ils estoient bestes, et si d’adventure
-quelqu’un s’en revient, et veut connoître ce qui lui appartient, c’est
-si tard, qu’il ne sert plus de guères». (_Comines, L. 1. Chap. 10_)
-
-«Encore ne me puis-je tenir de blamer les seigneurs ignorans. Environ
-tous les seigneurs se trouvent volontiers quelques clercs et gens de
-robbes longues, comme raison est, et y sont bien seans quand ils sont
-bons; et bien dangereux quand ils sont mauvais. A tous propos ont une
-loi au bec, ou une histoire, et la meilleure qui se puisse trouver, se
-tourneroit bien à mauvais sens: mais les sages et qui auroient lu, n’en
-seroient jamais abusés: ny ne seroient les gens si hardis de leur faire
-entendre mensonge. Et croyez que Dieu n’a point establi l’office de
-roy ny d’autre prince pour estre exercé par les bestes; ny par ceux qui
-par vaine gloire disent: je ne suis pas clerc, je laisse faire à mon
-conseil, je me fie à eux. Et puis sans assigner autre raison, s’en vont
-en leurs esbats.» (_Ibid. L. 2. Ch. 6._)
-
-
- CHAPITRE V.
-
-[244] Voyez livre 4, chap. 5, remarque 176.
-
-[245] Les offices du parlement n’étoient point donnés à vie, le roi
-en disposoit à son gré, comme de tous les autres offices: et ce
-droit paroîtra incontestable, si on se rappelle que les états de
-1356 demandèrent au Dauphin et obtinrent la déposition de vingt-deux
-officiers, parmi lesquels on en compte plusieurs qui étoient présidens
-ou conseillers au parlement. Tant que ce tribunal ne tint ses séances
-que deux fois l’an, à Pâques et à la Toussaint, on fit régulièrement
-tous les ans le rôle des officiers qui devoient administrer la justice;
-mais la multitude des affaires les tenant enfin toujours assemblés,
-on négligea de nommer tous les ans de nouveaux magistrats; on laissa
-subsister les anciens, et ils ne prenoient de nouvelles commissions
-qu’à l’avénement d’un nouveau roi au trône.
-
-Louis XI déposséda plusieurs officiers, et ne tarda pas à s’en
-repentir. Il éprouva que les mécontens qu’il avoit faits lui
-suscitoient mille difficultés; et c’est pour empêcher que son fils
-ne fît la même faute, et ne courût le même danger, qu’il fit, le 21
-septembre 1468, une ordonnance qui rendoit les offices inamovibles,
-«Nous lui avons aussi par exprès commandé, ordonné et enjoint, et quand
-il plaira à Dieu qu’il parvienne à ladite couronne de France, qu’il
-entretienne es charge et offices qu’il trouvera estre lesdits sieurs
-de nostre sang et lignage, les autres barons, sieurs, gouverneurs,
-chevaliers, escuyers, capitaines et chefs de guerre, et tous les autres
-ayans charge, garde et conduite de gens, villes, places et forteresses,
-et les officiers ayans offices tant de judicature que autres de quelque
-manière et condition que lesdits officiers de charges soient, sans
-aucunement les muer, changer, descharger ne desappointer, ne aucun
-d’eux, si non toutes fois qu’ils fust ou estoit trouvé qu’ils ou aucuns
-d’eux fussent et soient autres que bons et loyaux, qu’il en appere
-bien et duement, et que bonne et deue déclaration en soit faite par
-justice, ainsi qu’en tel cas appartient.
-
-Nous avons ordonné et commandé à nostre amé et feal notaire et
-secretaire, tant durant nostre regne, que celui de nostre dit fils:
-Monsieur Pierre Parent illec present en faire toutes letres et
-expéditions, provisions, patentes et choses déclaratoires de nosdits
-vouloirs, commandemens et ordonnance que besoin sera, tant durant
-nostre regne que celui de nostre fils, et au commencement de son dit
-regne par manière de confirmation aux dits officiers, en confirmation
-de eux en leurs dites charges et offices, et avons ainsi commandé à
-nostre dit fils leur faire par le dit Parent comme nostre secrétaire et
-le sien. Si donnons en mandement par ces mêmes présentes, &c.»
-
-A chaque nouveau règne on avoit besoin de lettres de confirmation.
-«Le mardy 2 janvier 1514, toutes les chambres (du parlement) ont été
-assemblées pour adviser qu’il étoit à faire: parce que le roy Louys
-dizieme de ce nom, que Dieu absoille, hier au soir tres-passa en son
-hostel des Tournelles. Et la matiere mise en délibération, a ésté
-ordonné que après diner à une heure, toute la cour s’assembleroit en
-parlement pour aller tous ensemble en la manière acoustumée devers
-le roy, pour lui requérir la confirmation des officiers de la dite
-cour...... Et a accordé liberalement et joyeusement la confirmation
-des officiers de ladite cour, en commandant les lettres à Messire
-Florimond Robertet, chevalier, secretaire des finances dudit seigneur.»
-Extrait des registres du parlement. Cette pièce est rapportée dans le
-cérémonial français de MM. Godefroy, p. 278.
-
-[246] On en a vu la preuve, (_L. 4. Chap. 5. Remarque 176_).
-
-[247] J’ai déjà traité cette matière dans les livres précédens, et je
-prie le lecteur d’y avoir recours.
-
-[248] Voyez les ordonnances rendues à l’occasion des états-généraux de
-1355 et 1356, et dont j’ai rendu compte dans les chapitres 2 et 3 du
-livre précédent.
-
-[249] On a déjà vu que plusieurs officiers destitués par le Dauphin en
-1356, étoient à la fois ministres d’état et magistrats au parlement.
-«Aucuns, dit du Tillet, estoient conseillers audit conseil et au dit
-parlement.... de ce et des dites assemblées vint que ceux du dit
-conseil privé eurent entrée et voix délibéretive au dit parlement,
-qu’ils n’avoient auparavant, sinon en la présence du roi qui y meine,
-honore et auctorise qui y luy plaist... Le 5 fevrier 1388, Charles
-VI déclara que ceux du dit conseil privé auroient l’entrée d’iceluy
-parlement, pour ce y firent serment tel que les conseillers du dit
-parlement..... Mais cela fut changé, non sans raison, pour le regard
-de ceux qui n’avoient jamais exercé office de judicature. _Recueil des
-rois de France, articles du conseil privé du roi._»
-
-«Combien que ce soit chose très-offerante et nécessaire que les
-présidens de nostre cour de parlement soient souventes fois près de
-nous, et facent résidence comme continuelle en nostre bonne ville
-de Paris, pour vacquer et entendre au faict de la justice de nostre
-royaume, et pour venir en nos conseils quand mandés y sont: neantmoins
-comme entendu avons, plusieurs d’eux se appliquent à prendre par chacun
-an plusieurs et diverses commissions pour parties, pour aller hors de
-nostre bonne ville de Paris en loingtaines parties, dont plusieurs
-inconvéniens s’en sont ensuivis au temps passé, en préjudice de nous
-et de notre justice, et tellement que nostre dite cour est souvent
-démourée desnuée d’iceux présidens, au moins de la plus grande partie
-d’eux, et que nous ne les avons peu avoir pour assister à nos consaulz
-quand mandés les y avons, dont nos besognes et affaires et le bien
-de la justice de nostre dit royaume ont esté retardez: nous voulans
-à ce pourvoir avons ordonné et ordonnons que doresnavant, quand les
-commissaires de nostre dite court se distribueront, chacun de nos dits
-presidens n’aura en un parlement que une commission pour partie, et
-encore que ce soit au plus près de Paris que faire ce pourra et au plus
-loing de trente ou quarante lieues. Afin que se besoin est, nous les
-puissions avoir pour nos dites affaires, si ce n’estoit toutes fois que
-nous les eussions, et vousissions envoyer en ambassade, ou autrement
-pour nos besongnes.» (_Ordonn. du 17 May 1413._)
-
-[250] _Ordon. du Louvre, T. 5. p. 430._ On trouve une pièce importante
-en date du 19 octobre 1371. Elle est intitulée: «lettres qui portent
-que les nobles du Languedoc payeront l’ayde établie dans ce pays,
-addressées à Pirre Escatisse, maître des comptes, aux sénéchaux de
-Toulouse, Carcassonne, Beaucaire, aux élus et receveurs de Languedoc.»
-On voit par ces lettres que la noblesse du Languedoc appela au
-parlement de l’ordonnance par laquelle Charles l’assujettissoit à
-l’aide. _Ad nostram parlamenti curiam appellarunt ad executionem
-ulteriorem antedictarum nostrarum litterarum, procedere distulisti,
-in nostri non modicum prejudicium._ Je voudrois bien connoître les
-raisonnemens de cette noblesse de Languedoc qui regardoit le roi
-comme législateur, et qui cependant appeloit de ses ordonnances au
-parlement. Le sens commun indique qu’on ne doit point appeler du
-supérieur à l’inférieur. Nous avons adopté cette absurdité dans notre
-jurisprudence; sans doute parce que nous avons senti combien il est
-dangereux de remettre toute la puissance législative entre les mains
-d’un homme; et qu’il se portera aux plus grands excès, si, en lui
-disant qu’il est tout-puissant, on ne le gêne pas par des formes.
-Charles V ordonne de poursuivre les nobles qui refuseront de payer.
-_Compellatis viriliter et rigide, et prout pro nostris propriis
-debitis est fieri consuetum._ Il défend d’avoir égard à l’appel: _non
-obstantibus prædictis appellationibus emissis et emittendis. Quas
-inanes et frivolas esse decrevimus per presentes._
-
-En 1383, la comtesse de Valentinois, le sire de Tournon et plusieurs
-autres barons, prétendans que les habitans de leurs terres ne devoient
-point payer l’aide que le roi avoit établie, appelèrent au parlement.
-(_Ord. du Louvre. T. 7, pag. 28._) Voyez les lettres-patentes du 24
-octobre 1383. Charles VI défend à son parlement de connoître des
-appellations faites au sujet de ses aides, dont on se prétendoit exempt
-en vertu de quelque titre.
-
-[251] Le 7 février 1413, l’université remontra au parlement que les
-finances du roi étoient mal gouvernées; lui dit qu’elle avoit envoyé
-des députés pour faire des remontrances au roi, et supplia la cour
-d’en faire autant de son côté, à quoi la cour de parlement sagement
-lui fit réponse que c’étoit à elle de faire justice à ceux qui la lui
-demandoient, et non de la requérir, et qu’elle feroit chose indigne
-de soy, si elle se rendoit partie requerante, vu qu’elle étoit juge.
-(_Pasquier, p. 279._) Si on demande en vertu de quel droit l’université
-de Paris faisoit des remontrances à Charles VI sur le désordre des
-finances, je répondrai que c’est en vertu du droit qu’a chaque citoyen
-d’être affligé des maux de sa patrie; et qui lui fait un devoir d’y
-remédier autant qu’il est possible. Je prie de remarquer la réponse
-du parlement; il a la modestie de ne pas croire qu’il partage avec
-le roi l’administration de l’état; mais il a la vanité de se regarder
-comme un corps intermédiaire entre le roi et la nation; et tout corps
-intermédiaire entre le souverain et les sujets doit à la fin être le
-maître du souverain et des sujets, si on ne réprime pas son autorité.
-
-[252] «Du samedy dernier décembre 1409, ce jour n’a point été plaidé
-pour ce que on ne pouvoit entrer au palais, obstant un grant conseil
-que faisoit le roi en la salle de S. Loys de messieurs de son sang et
-des nobles du Royaume sur le fait de la guerre d’entre le roy d’une
-part, et le roy d’Angleterre d’autre part..... Aussi a esté dit, que
-pour ce qu’il y avoit eu grands déffaulz ou fait de la justice de ce
-royaume, et aussi au gouvernement et recepte du domaine et des aydes;
-le roy avoit ordonné plusieurs vaillans hommes raisonnables, généraux
-réformateurs desquels les aucuns estoient du sang du roy, c’est
-assavoir les comtes de la Marche, de Vendosme et de St. Pol, lesquels
-réformateurs présenteroient ceux qui avoit failli, et puniroient
-ceux qui l’avoient desservi: aussi fut dit que pour ce que le roy
-pour plusieurs empeschemens que lui survenoient souvent, avoit ja
-pieça ordonné que la royne par le conseil de messieurs du sang royal
-entendroit es grosses besognes et cas que en ce royaume adviendroient,
-auxquelles le roy ne pourroit entendre, icelle royne aussi estoit
-empeschée pour plusieurs cas qui lui surviennent en empeschent;
-pourquoi ne pouvoit entendre. Si avoit ordonné le roy à la requeste
-de la royne, que Monsieur le Dauphin entendroit d’icy en avant aux
-dictes besongnes par le conseil de Messieurs du sang royal.» Extrait
-des registres du parlement. Cette pièce se trouve dans le _recueil des
-pièces concernant la pairie, par Lancelot, p. 671_. Si cette pièce
-prouve de quelle considération jouissoit le parlement, elle fait voir
-aussi quelle autorité les princes et les grands avoient acquise.
-
-«Ce jour après dîner furent assemblez les présidens et conseillers des
-trois chambres du parlement pour faire response sur ce qui avoit esté
-ouvert par Monsieur le chancelier, ou conseil tenu ce jour ou matin
-en la grant chambre du parlement? c’est à sçavoir sur les manieres de
-trouver et faire finances selon la teneur des lettres du roy publiées
-et lues ou dict conseil; et finalement fut conclud que maistre Jehan de
-Longueul président accompagné d’aucuns des conseillers de la court,
-iroient devers le chancelier, de par la court, dire que les présidens
-et conseillers d’icelle court ont toujours esté, sont et seront prest
-et appareillez de conseiller, aider et conforter le roi en ses affaires
-selon leurs facultés et puissances, en excusant la court de ce qu’elle
-n’a pas accoustumé de vacquer en inventions de finances, ne exercer
-le faict d’icelles finances; et que le roy par ses dictes lettres et
-autrement y avois commis gens saiges et expers au dict faict, qui
-pourroient et sçauroient mieux pourveoir en ce que estoit à faire
-pour trouver les manières des dites finances, selon la teneur des
-dites lettres et commission à eux addressée.» Extrait des régistres
-du parlement du samedy 10 décembre 1410. (_Lancelot, p. 703._) Plût à
-Dieu que le parlement eût toujours pensé de la sorte; il ne se seroit
-pas mis à la place des états, et chargé d’un emploi qu’il ne pouvoit
-remplir.
-
-«Ce jour vindrent en la chambre du parlement le prevost de Paris,
-messire Jacques Branlard, messire Guillaume le Clerc et plusieurs
-autres commissaires sur le fait de la police et du gouvernement de
-Paris, commis de par le roy et son conseil à assembler et conférer
-ensemble sur ce qui leur sembleroit nécessité et expédient pour la
-conservation, tuition et deffense de ladite ville. Lesquels commis
-pour faire cesser toutes paroles outrageuses que l’on pourroit dire et
-publier en leur préjudice, et pour obvier à tout perils et mautalens,
-ou indignation des seigneurs, qu’ils pourroient pour occasion de ladite
-commission encourir, requirent en suppliant, que à tous ce qu’ils
-avoient advisé ou adviseroient, on donnast nom et authorité d’être fait
-par le roy en son conseil, ou cas que iceux advis soient approuvez
-et confirmez, sans dire ou oublier que ce feussent les advis et
-ordonnances desdits commissaires: en outre requisirent que tous leurs
-advis autrefois baillez au prevost de Paris et des marchands, feussent
-rapportez par les dits prevost en la court, et leurs diligences par
-eux faictes en l’exécution d’iceux advis, et afin que ce qui n’a esté
-exécuté soit mis à exécution, ou y soit autrement pourveu. En après les
-dessus dits commissaires firent exposer pleinement plusieurs dommages
-et inconvéniens qui advenoient, et en disposition d’advenir plus grand
-sur le fait et gouvernement des finances de ce royaume; et aussi au
-regard de la monnoie; en quoi les notables anciennes ordonnances
-n’estoient point observées, comme plus aplain fut déclairé par les
-dessus dits commissaires, sur lesquelles choses la cour respondit, que
-à pourveoir sur ce, l’on devoit appeler les gens du conseil du roy.»
-Extrait des registres du parlement du lundi 6 mars 1418. (_Ibid. p.
-704._)
-
-«Furent tous les seigneurs de ceans au Louvre en la grant salle, ou
-estoient en personne la royne, le duc de Guyenne, son fils aisné, le
-duc de Berry, le duc de Bretaigne, les comtes de S. Pol, de Mortaing,
-d’Alençon, le duc de Berry, de Bourbon, les comtes de Clermont et de
-Dampmartin, la duchesse de Guyenne, la dame de Charollois, le comte
-de Tancarville, le connestable, le chancelier, les présidens du
-parlement, le grand maistre d’hostel, les archevesques de Bourges, de
-Tholouse et de Sens, les evesques de Senlis, de Beauvais, d’Amiens,
-d’Evreux et de Lodeve, d’Alby, de Therouenne, de Seez, de Maillefais et
-plusieurs autres evesques et abbés, le prevost de Paris et le prevost
-des marchands accompagné de cent bourgeois ou environ, en la présence
-desquels et de plusieurs autres notables personnes et gens du conseil
-du roy, fut publié par la bouche de maistre Jean Juvenal, advocat du
-roi, la puissance octroyée et commise par le roy à la royne et au dict
-monseigneur de Guyenne sur le gouvernement du royaume, le roi empesché
-ou absent.» Extrait des registres du parlement, du mercredi 5 de
-septembre 1408. (_Ib. p. 669._)
-
-«Afin que parmy le royaume on cuidast, que ce qu’on faisoit estoit pour
-le bien du royaume, cent du conseil des dessus dits firent chercher
-et querir es chambres des comptes, et du trésor et au Chatellet,
-toutes les ordonnances royaux anciennes, et sur icelles en formèrent
-de longues et prolixes, où il y avoit de bonnes et notables choses
-prises sur les anciennes: puis firent venir Monseigneur le Dauphin, duc
-de Guyenne, en la cour de parlement tenant comme un lict de justice:
-et les firent lire et publier à haute voix, et les leut le greffier
-du Chastellet, nommé Maistre Pierre de Fresnes, qui avoit un moult
-bel langage et haut. Et furent les dites ordonnances decretées estre
-gardées et sans enfraindre.» (_Hist. de Charles VI, par J. J. des
-Ursins, arch. de R. p. 254._)
-
-«Assez tost après le roy assembla ceux de son sang et de son conseil
-en grand nombre en la salle du palais, et par grande et meure
-délibération cassa et annulla les ordonnances dont dessus a été fait
-mention, combien qu’il y eust de bonnes choses, mais pour ce qu’elles
-furent faictes à l’instigation et pourchan des bouchers et de leurs
-adhérens qu’on nommoit Cabochiens, et que à les publier en parlement
-étoient les principaux d’entre eux présens et avoués, et pour plusieurs
-autres raisons furent cassées: aussi que les anciennes suffisoient bien
-et n’en falloit aucunes autres.» (_Ibid. p. 265._)
-
-[253] On ne sait comment s’y prendre pour réfuter les personnes
-qui n’ont écrit que pour flatter le parlement, qui a la vanité de
-chercher son origine dans les anciens champs de Mars et de Mai. Il
-faudroit arrêter ces écrivains à chaque ligne ou plutôt à chaque
-mot; il faudroit leur faire voir comment ils joignent toujours un
-mensonge à une vérité; et il en résulteroit des volumes immenses qui
-n’instruiroient personne, parce que personne ne les liroit. «Il parut,
-il y a quelques années, des lettres essentielles du parlement, sur
-le droit des pairs et sur les lois fondamentales du royaume.» Que
-peut-on répondre à cet auteur? Quand il dit, p. 30: «Qu’on découvre
-les principes les plus précieux de notre droit public dans le premier
-âge de la monarchie, et que de-là ils sont venus de main en main
-jusqu’à nous par une tradition que les rois et les peuples ont toujours
-également respectée.» Un écrivain si peu instruit des changemens
-continuels que nos lois et nos coutumes ont éprouvés, ne se rend-il
-pas suspect par une telle assertion? Mérite-t-il qu’on lui oppose tous
-les monumens de notre histoire? Il faut avoir les yeux bien fascinés
-pour voir dans les lois saliques ou ripuaires, dans les capitulaires de
-Charlemagne, ou même dans les établissemens de S. Louis, les principes
-de notre gouvernement actuel.
-
-Les lettres historiques distinguent fort bien la cour de justice des
-rois Mérovingiens du champ de Mars; mais comme l’auteur aura bientôt
-besoin de les confondre pour l’arrangement de son systême, il ne manque
-pas d’en donner des idées fausses. Selon lui, lettre 8, la cour du
-roi, composée de magistrats élus par la nation, et portant le nom de
-princes, devoit rendre la justice conjointement avec le monarque, quand
-les affaires de l’état lui en laissoient le loisir, ou à sa charge,
-quand il ne lui étoit pas possible d’y vaquer. La plupart de ces
-magistrats se dispersoient dans les différentes portions de l’état,
-pour y présider aux tribunaux des provinces et des villes; mais ils se
-réunissoient en des temps marqués auprès de la personne du roi, pour y
-former le tribunal auguste, connu depuis sous le nom de cour de France,
-cour du roi, cour des pairs, lit de justice du roi et parlement.»
-
-Je demande d’abord qu’on me prouve que les magistrats qui tenoient la
-cour du roi, fussent choisis par la nation. A entendre notre auteur,
-on croiroit que ces magistrats étoient les ducs et les comtes qui
-alloient gouverner leurs provinces: or, il est certain que les ducs et
-les comtes étoient nommés par le roi sans le concours de la nation, et
-il n’est pas moins faux qu’ils se réunissoient en des temps marqués
-auprès de sa personne pour former la cour de France. La cour de
-justice du roi étoit perpétuelle; les leudes y jugeoient, et elle fut
-présidée sous la première race par les maires du palais, et sous la
-seconde par l’appocrisiaire et le comte du palais..... Les grands ne
-se rassembloient pas pour tenir la cour de justice, mais pour former
-ces assemblées plus solennelles qui succédèrent au champ de Mars, et
-qui rendirent le gouvernement aristocratique, de démocratique qu’il
-étoit auparavant. On trouvera les preuves de tous ces faits dans les
-remarques de mon premier livre.
-
-«L’autre tribunal (le champ de Mars) qui étoit vraiment alors la cour
-de France et le vrai lit de justice des rois, étoit le parlement
-général, ou l’assemblée des Francs, présidés par le roi et par les
-magistrats ou princes. C’étoit dans ce tribunal seul que le monarque
-formoit ses lois, et que toutes les affaires générales se décidoient
-par le conseil et la délibération pleinement libres de ceux qui le
-formoient; il étoit le conseil public des monarques; il étoit aussi la
-vraie cour des pairs, qui seule jugeoit le grand criminel des Francs.»
-
-Je ne sais pourquoi notre auteur, en parlant du champ de Mars, se
-sert des mots de parlement et de lit de justice: ils n’ont été connus
-que sous la troisième race, et même assez tard. Je n’entends rien aux
-expressions de magistrats et de princes, qui ne sont employées que
-pour faire illusion. Je voudrois que notre auteur me fît le plaisir
-de me faire connoître les mémoires secrets qui lui ont appris que les
-rois Mérovingiens présidoient le champ de Mars; ce que je sais, c’est
-que Charlemagne ne présidoit point le champ de Mai. Le roi ne formoit
-point ses lois; il se bornoit à publier celles que l’assemblée avoit
-faites. La qualité de pairs n’étoit point connue sous la première, ni
-sous la seconde race; ce n’est que sous la troisième qu’on commença
-à donner ce titre aux vassaux immédiats de la couronne. Voulez-vous
-savoir ce que c’est que le grand criminel des Francs? On vous
-l’apprendra p. 104 «Avant notre établissement dans les Gaules, les
-délits qui n’étoient pas punis de mort, n’étoient que des affaires
-civiles entièrement étrangères au grand criminel. Conséquemment le roi
-et les princes en connoissoient hors du parlement, au lieu qu’ils ne
-jugeoient du criminel que dans le parlement même, qui étoit proprement
-la cour générale des pairs.»
-
-Je voudrois bien connoître la loi concernant le grand criminel des
-Francs: j’avoue que je n’en ai trouvé aucune trace ni dans le code
-salique, ni dans le code ripuaire: «L’insolence du coup de hache, dit
-notre auteur, p. 52, en parlant de l’aventure du vase de Soissons,
-méritoit sans doute d’être sévèrement punie; mais c’étoit une autre
-loi, que le grand criminel étoit réservé à l’assemblée de la nation
-présidée par le roi, ou autrement au parlement général. Clovis, qui
-avoit montré tant de circonspection sur un simple usage, n’avoit garde
-de mépriser cette loi capitale. Il suspendit donc son juste courroux
-pendant près d’un an, jusqu’au champ de Mars ou parlement suivant; et
-là il faut avouer qu’il s’oublia lui-même, et qu’il flétrit l’éclat de
-la modération qu’il avoit fait paroître à Soissons; car, sans attendre
-que le coupable y fût jugé par ses pairs, il saisit le vain prétexte
-militaire, que ses armes n’étoient pas en bon état, pour le tuer de sa
-propre main.» Tout cela est trop ridicule pour que je m’arrête à faire
-quelques réflexions. Il faut continuer à entendre notre auteur.
-
-«La seconde race de nos rois, dit-il, nous présente ces deux tribunaux
-dans toute leur splendeur. Les grands du royaume, les principaux
-officiers de la couronne, les prélats et les premiers sénateurs de
-France ou conseillers, continuèrent de composer la cour du roi, d’y
-juger de grandes affaires et d’être le conseil né du monarque, pour
-les affaires les plus instantes. Ces magistrats présidoient toujours
-sous le titre de ducs et de comtes aux tribunaux des provinces, et aux
-assemblées provinciales, qui se tenoient plusieurs fois l’année. Mais
-tous les ans ils se réunissoient en cour pleinière auprès du roi, soit
-pour décider les affaires d’un ordre supérieur, soit pour préparer les
-matières qui devoient être proposées au parlement général, ou pour y
-statuer provisoirement, si des circonstances pressantes l’exigeoient.»
-
-Voici des sénateurs de France, et je défie qu’on me cite un seul de nos
-monumens où les ducs et les comtes aient pris cette qualité. J’ajoute
-que sous la seconde race, la France ne fut pas divisée en duchés, mais
-en comtés ou en légations, et qu’on ne commença à voir renaître des
-ducs que dans la décadence des Carlovingiens. Qui a dit à notre auteur
-que les ducs et les comtes présidoient aux assemblées provinciales?
-Pour moi, j’ai vu dans les capitulaires que cet honneur étoit attribué
-aux Envoyés royaux les _Missi Dominici_. Notre auteur fait venir tous
-les comtes à l’assemblée ou au conseil qui se tenoit tous les ans à
-la fin de l’automne, après la campagne, pour préparer les matières
-qui devoient se traiter au champ de Mai; mais Hincmar m’apprend qu’on
-n’y voyoit que les seigneurs les plus expérimentés et les principaux
-ministres du roi. Qui dois-je croire?
-
-«L’assemblée du parlement général se tenoit de même tous les ans;
-on continua d’y décider tout ce qui concernoit la législation, ou
-la police publique, les affaires générales de l’état, les procès
-criminels des pairs. C’étoit toujours le conseil public des rois...
-mais comme les états de ces rois étoient bien autrement étendus que
-sous la première race, il fallut encore faire une restriction dans ces
-assemblées: il ne fut plus possible d’y admettre comme auparavant, tous
-ceux indistinctement qui tenoient rang dans l’état, les grands seuls y
-eurent entrée, avec les prélats et les sénateurs: nous le lisons dans
-Hincmar.» Il faut que je n’aie lu que quelques mauvaises éditions, car
-j’y ai vu tout le contraire. Voyez mes remarques sur le second livre.
-
-«C’est ainsi que les voies se préparoient à la réunion de ces deux
-sortes d’assemblées, qui, comme l’observe Mezerai, se confondirent en
-une sous les derniers rois de la seconde race. En restreignant les
-parlemens généraux aux seuls grands du royaume, avec les prélats et
-les sénateurs, la cour du roi se trouva bientôt n’être plus que ces
-parlemens mêmes, et les parlemens n’être plus que cette cour plénière,
-puisqu’ils étoient composés des mêmes personnes.»
-
-Je ne me rappelle point si Mezerai a fait cette observation; mais,
-s’il l’a faite, je ne crains point de dire qu’il s’est trompé.
-Dans la décadence des Mérovingiens, il est vrai que le peuple ne
-fut plus compté pour rien, et que les grands, qui avoient repris
-leur ancien esprit de tyrannie pendant les divisions des fils de
-Louis-le-Débonnaire, assistèrent seuls aux assemblées de la nation. A
-mesure qu’ils affermirent leur autorité dans leurs provinces ou dans
-leurs terres, ils dédaignèrent de se rendre aux convocations que les
-rois faisoient d’une manière propre à les faire mépriser. Bien loin
-que les assemblées des grands, qui avoient succédé au champ de Mai, se
-confondissent avec la justice du roi pour ne plus former qu’un seul
-corps, l’une et l’autre s’anéantirent. Si ces grands avoient continué à
-s’assembler, auroit-on vu ce démembrement général de toutes les parties
-du royaume? Auroit-on vu naître le gouvernement féodal, qui suppose
-l’anarchie la plus monstrueuse? Auroit-on vu dans chaque province, ou
-plutôt dans chaque baronnie, se former des coutumes différentes au gré
-des passions et des caprices des seigneurs?
-
-Il ne faut pas avoir assez peu d’esprit pour associer des choses
-insociables; mais aucune absurdité ne coûte à nos historiens,
-annalistes pour la plupart, qui n’ont jamais réfléchi sur les causes
-des révolutions qu’éprouvent les états, qui n’ont jamais connu le jeu
-des passions entre elles; et qui, sans avoir médité sur les lois de la
-nature et celle des gouvernemens, ne sont que des ouvrages inutiles
-pour notre instruction. En voyant les désordres et les malheurs qui
-perdirent la maison de Charlemagne, tout homme sensé doit conclure,
-si je ne me trompe, qu’il n’y avoit donc plus dans la nation ni de
-puissance législative ni d’assemblée générale.
-
-Au milieu de cette anarchie, est-il possible de croire que la cour de
-justice des derniers Carlovingiens jouît de quelque considération?
-Peut-on même penser qu’elle subsistât? Qui auroit voulu avoir recours à
-un tribunal dont le chef étoit méprisé? Qu’on fasse attention qu’il ne
-restoit que deux ou trois villes à ces princes malheureux. D’ailleurs,
-il est certain que les appels connus sous la première et la seconde
-race, ne furent plus en usage dans cette décadence, et que tous les
-seigneurs rendirent leurs justices souveraines. Voyez les preuves ou
-remarques de mon second ou troisième livre.
-
-Après ces réflexions, comment peut-on entendre dire à notre auteur que
-«la police féodale qui survint vers ces temps, cimenta plus étroitement
-encore cette union. D’un côté, par cette police, la cour du roi se
-trouva composée des barons ou vassaux immédiats de la couronne,
-ecclésiastiques et laïcs, et des sénateurs: c’étoit même une des
-charges de leur fief ou baronnie, de se trouver en la cour du roi,
-pour y rendre la justice en son nom. De l’autre, on ne regarda plus
-comme vrais grands du royaume que ces barons ou vassaux immédiats;
-en conséquence, on n’admit plus qu’eux aux parlemens généraux, avec
-les prélats et les sénateurs. Les arrière-barons, quelques riches
-qu’ils pussent être, ne furent plus destinés qu’à composer la cour
-ou parlement de chacun de ces hauts barons de France. Par-là, les
-parlemens généraux et la cour du roi, le conseil judiciaire et le
-conseil public devinrent plus que jamais un seul et même tribunal.»
-
-Je ne finirois point si je voulois examiner en détail tout ce passage
-où l’on entrevoit quelques demi-vérités. Qu’on lise Pierre de Fontaine,
-Beaumanoir, les assises de Jérusalem et les établissemens de S. Louis,
-et on jugera si les coutumes dont on rend compte, peuvent s’allier
-avec une puissance publique. Si le parlement étoit sous Hugues-Capet,
-tel que le suppose l’auteur des lettres historiques, pourquoi les
-premiers Capétiens n’auroient-ils pas fait des lois générales pour
-tout le royaume? pourquoi les verroit-on continuellement négocier et
-traiter avec leurs vassaux? pourquoi n’auroient-ils eu aucune autorité
-sur les arrière-fiefs? Quand la cour du roi auroit eu tout le crédit
-que prétend notre auteur, n’est-il pas visible qu’elle l’auroit perdu
-par l’établissement des appels, qui fit passer l’administration de la
-justice dans les mains des clercs, gens inconnus, et qui n’avoient rien
-de cet éclat qui donne de la considération aux compagnies? Ce nouveau
-parlement étoit encore plus différent de l’ancien, que le nouveau
-parlement de Maupou ne l’est de celui qu’on vient de détruire. Si cette
-compagnie avoit cru représenter le Champ de Mai et la cour de justice
-du roi, pourquoi négligeroit-elle ses droits? pourquoi, quand on la
-presse de se mêler des affaires publiques, déclareroit-elle qu’elle
-n’est destinée qu’à rendre la justice? Voyez la remarque précédente
-et les suivantes. Quand, en effet, le nouveau parlement succéderoit
-aux droits réunis du champ de Mai, de la cour plénière et de la cour
-de justice, il faut convenir que les nouvelles coutumes et l’opinion
-publique en avoient fait un corps tout nouveau.
-
-Je demande pardon à mes lecteurs de m’être si fort étendu à réfuter
-les lettres historiques; mais il l’a fallu, parce qu’elles contiennent
-toute la doctrine que le parlement s’est faite depuis qu’il a vu
-augmenter sa considération et son autorité par la suppression totale
-des états-généraux. D’ailleurs, cet écrit a eu de la vogue; on a
-regardé son auteur comme un oracle, et il est nécessaire de ne pas
-laisser enraciner ses erreurs.
-
-De cette foule d’écrits qu’on a faits sur l’autorité royale, le
-parlement et la pairie, il n’y en a pas un qu’on puisse regarder comme
-l’ouvrage d’un homme passablement instruit du droit naturel et des
-révolutions qui ont sans cesse changé nos coutumes et nos lois. Je n’en
-excepte pas une longue dissertation sur l’origine et les fonctions
-essentielles du parlement, sur la pairie et le droit des pairs, et
-sur les lois fondamentales de la monarchie française, par Cantalause,
-conseiller au parlement de Toulouse. C’est toujours la même erreur de
-se croire le Champ de Mars et de Mai, et de représenter la nation. Si
-on ne pouvoit pas accuser l’auteur d’ignorance, il faudroit l’accuser
-de mauvaise foi. C’est un assemblage de passages auxquels on donne un
-sens qu’ils n’ont point, ou qu’on cite sans les entendre.
-
-Vaudeuil, conseiller au parlement de Paris, et depuis premier président
-du parlement de Toulouse, a fait un ouvrage sur cette matière: il le
-lut aux chambres assemblées, espérant qu’elles ordonneroient de le
-rendre public; mais elles n’en firent rien, et elles firent bien. J’ai
-lu ce manuscrit précieux, _farago_, ce sont les mêmes prétentions que
-dans les lettres historiques, et la dissertation de Cantalause, mais
-appuyées de preuves et de raisonnemens encore moins spécieux.
-
-Je devrois peut-être examiner ici le plaidoyer de Daguesseau, depuis
-chancelier, dans le procès du duc de Luxembourg; et certainement
-je donnerois cette marque de respect à la mémoire d’un magistrat
-distingué par ses lumières, si son ouvrage contenoit quelque chose de
-nouveau ou d’étranger au roman que le parlement a imaginé: d’ailleurs,
-l’autorité du chancelier Daguesseau sur l’objet que je traite, est
-moins considérable qu’en toute autre matière. Dans le mémoire qu’il a
-fait pour servir à l’instruction de son fils, et qu’on a imprimé dans
-le recueil de ses œuvres, il avoue lui-même qu’il ignore notre histoire
-et notre droit public: on peut donc se dispenser de le réfuter. J’avois
-dessein de relever les principales erreurs de nos historiens; mais je
-ne me sens pas le courage de revoir et de mettre en ordre les remarques
-que j’avois assemblées. L’ancien parlement étant détruit, ses chimères
-vont s’évanouir; et le nouveau parlement ne peut avoir d’autres droits
-que ceux qui lui sont accordés par le chancelier Maupeou.
-
-[254] _Volumus etiam ut capitula quæ nunc et alio tempore consultu
-nostrorum fidelium à nobis constituta sunt, à cancellario nostro
-archiepiscopi et comites de propriis civitatibus modo, aut per se,
-aut per suos missos accipiam, et unus quisque per suam diocesim
-cæteris episcopis, abbatibus, comitibus et aliis fidelibus nostris ea
-transcribi faciunt, et in suis civitatibus coràm omnibus relegant, ut
-cunctis nostra ordinatio et voluntas nota fieri possit. Cancellarius
-tamen noster nomina episcoporum et comitum qui ea accipere curaverint
-notet, et ea ad nostram notitiam perferat, ut nullus hoc prætermittere
-præsumat._ (Capit. an. 823, art. 24.) Ne résulte-il pas de ce
-capitulaire de Louis-le-Débonnaire, que bien loin que les tribunaux de
-justice regardassent comme un droit qu’on leur envoyât les nouveaux
-réglemens pour les examiner, les enregistrer et leur donner force de
-lois, ils les voyoient comme un nouveau joug qu’on vouloit leur imposer?
-
-[255] Jamais on n’a fait tant de remontrances que sous ce règne, et
-jamais on n’a tant parlé de l’enregistrement. Nos magistrats se sont
-rendus incommodes à la cour, sans se rendre agréables à la nation: n’en
-devoit-il pas résulter les désastres qu’ils ont éprouvés? On étoit
-las de voir dans toutes leurs doléances qu’ils ne réclamoient que
-des droits aussi anciens que la monarchie: c’étoit montrer beaucoup
-d’ignorance de notre droit public; et par malheur ils ignoroient encore
-plus le droit naturel.
-
-[256] Voyez la remarque 146 du livre 4, chap. 2.
-
-[257] «Li rois ne peut mettre ban en la terre au baron, sans son
-assentement, ne li bers ne peut mettre ban en la terre au vavassor.»
-(_Estab. de St. Louis, L. 1, chap. 24._)
-
-[258] Voyez la remarque 186 du livre 5, chap. 1.
-
-[259] Jean IV, comte d’Armagnac, ayant refusé de mettre en possession
-de l’archevêché d’Auch Philippe de Leny qui avoit été élu, le roi
-Charles VII s’empara de son comté; et ce seigneur, soupçonné de
-plusieurs autres délits, fut cité au parlement de Paris. Le 14 mars
-1457, il déclina cette juridiction, prétendant devoir être jugé par
-le roi et les pairs. Le procureur du roi, pour s’y opposer, dit que
-le comte n’a «ni privilége, ni ordonnance enregistrée en ladite cour,
-ou trésor des chartres, ni en la chambre des comptes.» Extrait des
-registres du parlement, rapporté par Lancelot dans le second volume p.
-161, des pièces concernant la pairie, dont le gouvernement a empêché
-la continuation et la publication. J’aurai occasion de parler dans les
-remarques suivantes de ce procès, et l’on verra que ce procureur du
-roi, qui met le trésor des chartes et la chambre des comptes sur la
-même ligne que le parlement, étoit cependant très-prévenu en faveur
-des droits et des prérogatives de sa compagnie.
-
-Puisqu’il s’agit ici d’un des points les plus importants de notre droit
-public, le lecteur me permettra sans doute de rapprocher ici quelques
-autorités au sujet de l’enregistrement. «Et afin que parmi le royaume
-on cuidast que ce qu’on faisoit, étoit pour le bien du royaume, ceux
-du conseil des dessus dits firent chercher et querir es chambres des
-comptes et du trésor et au Châtellet, toutes les ordonnances royaux
-anciennes et sur icelles en formèrent de longues et prolixes, où il y
-avoit de bonnes et notables choses prises sur les anciennes.» Hist. de
-Charles IV par J. J. des Ursins, arch. de R. Donc que les ordonnances
-étoient tantôt envoyées à la chambre des comptes et au Châtelet, et
-tantôt déposées seulement dans le trésor des chartes. On se seroit
-contenté de fouiller dans le greffe du parlement, si on avoit été sûr
-d’y tout trouver.
-
-«Cette loy ou constitution royale (de Charles V pour fixer la majorité
-de ses successeurs) fut publiée en parlement du roy, en sa présence,
-de par luy, tenant sa justice en son dit parlement en sa magnificence
-ou majesté royale, le 20 jour de may l’an de grâce 1375: à ce furent
-présens le dauphin de Viennois fils ainsné, le duc d’Anjou, frère
-du roy nostre sire, le patriarche d’Alexandrie, les archevesques de
-Rheims et de Tholose, les évesques de Laon, de Meaux, de Paris, de
-Cornouaille, d’Auxerre, de Nevers et d’Evreux, les abbés de Saint-Denis
-en France, de l’Estoure, de Saint-Wast et de Sainte-Colombe de Sens, de
-Saint-Cyprian et de Vendosme, chancelier du duc d’Anjou, le recteur et
-plusieurs maistres docteurs en théologie, docteurs ès décrets et autres
-sages élevés en l’université de Paris, le doyen et archidiacre de Brie,
-le chancelier et pénitencier et plusieurs autres notables personnes
-de l’église de Paris, le chancelier de France, les comtes d’Alençon,
-d’Eu et de la Marche, messire Robert d’Artois, le comte de Brienne et
-de Lisle, et messire Reymond de Beaufort, le prevost des marchands et
-les eschevins de la ville de Paris, et plusieurs autres gens sages et
-notables, tous clercs comme laïs en grand nombre. Et est cette loi
-ou constitution royale enregistrée au parlement et l’original mis au
-tresor des chartres du roy, et la copie d’icelle par manière d’original
-sous le grand scel royal, baillée aux religieux de Saint-Denis en
-France, pour la mettre et garder en leur tresor; et tout afin de
-perpétuelle mémoire d’icelle loi ou constitution royale. Ainsi est-il
-contenu en une cédule attachée à icelle par le greffier du parlement.»
-Il me semble que je ne vois là que de la pompe et de l’éclat pour
-rendre la publication de la loi plus solennelle. Je suis étonné que les
-religieux de Saint-Denis n’aient pas prétendu qu’on ait toujours déposé
-les lois chez eux, et qu’une ordonnance qu’on ne trouveroit pas dans
-leurs archives, devoit être sans force.
-
-«Voulons et commandons que nos seneschaux et baillis facent
-solemnellement crier et publier en la maniere que nos amez et feals les
-gens de nos comptes le manderont par leurs lettres closes, nos dittes
-ordonnances et deffenses. (_Ordon. du 28 février 1315._) Voulons par
-eux (les notaires royaux) acertener sur ce, que ils ayent recours en
-nostre chambre des comptes où nous avons fait régistrer nos dittes
-ordonnances et baillées à garder.» (_Ord. de décembre 1320._)
-
-Voici quelque chose encore de plus fort: «de par le roy, nos gentz du
-parlement, nous avons faict certaine ordenance sur lestat des gentz de
-nos chambres du parlement des enquestes et de nos requestres du palais,
-par délibération de nostre grand conseil, laquelle nous avons envoyé
-soubs le scel de nostre secret enclos à nos gentz des comptes qui vous
-en bailleront la copie.» (_Ordon. du 11 mars 1344, Lancelot, p. 522._)
-Si le parlement dans ce temps-là avoit eu de son enregistrement la même
-idée qu’il a eue depuis, j’ai de la peine à penser qu’on l’eût traité
-d’une manière si légère.
-
-_Accidit frequenter, quod arrestorum et judicatorum in eâdem curiâ
-prolatorum, executio postponitur et differtur, pretextu talium vel
-consimilium impetracionum, undè jura parcium quæ dictis arrestis et
-eorum affectibus potiri nequeunt, quam plurimum leduntur et indebito
-protestantur; et unà cum hoc intelleximus quod multi et diversi
-servitores et officiarii nostri, utpotè hastiarii et servientes armorum
-et quidam alii ad pejora et graviora prorumpentes, ad vos sæpiùs
-accedunt, asserentes se a nobis mandatum sivè præceptum expressum
-et precisum orethenus sibi factum habere, et vobis ad suggestionem
-parcium vel eorum amicorum et affinium, ausu temerario et presumptuoso,
-absque commissione seu precepto vel mandato ex parte nostrâ referunt
-et exponunt, quod nobis placet et volumus, ac per ipsos vobis mandamus
-ut in pluribus actibus et negotiis casibusque et causis in dictâ
-curiâ ventilatis et emergentibus, tam in facto remissionis seu
-advocationis causarum ad nostram presentiam, ipsarum continuationis,
-consultationisque et pronunciacionis arrestorum, quam in expeditione
-seu relaxacione aut elargacione prisionariorum et ceteris consimilibus,
-procedatis et vos reguletis modo et forma superius expressis, vel aliis
-viis præmeditatis et adinventis._ (_Ordon. du 13 aoûst 1389._)
-
-Un corps qui auroit cru avoir la dignité du champ de May, un corps, qui
-auroit cru partager avec le roi la puissance législative, auroit-il
-eu pour quelque bas officier de la cour les complaisances qu’on lui
-reproche, ou l’auroit-il souffert patiemment?
-
-[260] Les ordonnances rendues à la suite de quelque tenue des états,
-n’étoient enregistrées ni au parlement ni à la chambre des comptes,
-et on se contentoit de les déposer dans le trésor des chartres. On
-devoit en donner des copies collationnées aux corps et aux communautés
-qui en avoient besoin, mais dans le fait, pour obtenir cette justice,
-qu’on regardoit comme une grâce, il falloit avoir de la faveur. Je
-trouve les preuves de tout cela dans les ordonnances du Louvre, t. 6.
-p. 552. L’ordonnance du mois de janvier 1380, rendue à la suite des
-états tenus à Paris, fut délivrée à la ville d’Auxerre, et voici ce
-qu’on trouve à la tête de cette copie. «Charles, par la grâce de Dieu,
-roi de France, savoir faisons à tous présens et avenir, que nous, à
-la supplication de nostre amé et féal conseiller l’évesque, et des
-bourgeois et habitans d’Auxerre, pour eulx tant seulement, avons fait
-extraire des registres de nostre chancellerie nos autres lettres,
-desquelles la teneur s’ensuit:» cette même ordonnance fut expédiée pour
-les villes de Rouen, de Sens, de Soissons et pour les religieux de S.
-Jean de Jérusalem.
-
-Les actes concernant les aides, les impositions ou monnoies n’étoient
-adressées qu’à la chambre des comptes, à la cour des aides ou aux élus.
-On a vu dans les remarques précédentes qu’on appeloit au parlement des
-impositions établies par le roi, donc qu’elles n’y avoient pas été
-enregistrées.
-
-[261] «Pour ce que nous sommes tenus et empeschés le plus de temps,
-par telle maniere que nous ne pouvons de nostre personne entendre, ou
-vacquer à la disposition des besongnes de nostre royaume, seront et
-demourront nostre vie durant à nostre dit fils, le roi Henry avec le
-conseil des nobles et sages dudit royaume, par ainsi que dès maintenant
-et dès lors en avant il puisse icelle régir et gouverner par lui-même
-et par les autres qu’il voudra députer avec le conseil des nobles
-et sages dessus dits, lesquels faculté et exercice de gouverner,
-ainsi etant par devers nostre dits fils le roi Henry, il labourera
-effectueusement, diligemment et loyaument à ce qu’il puist et doye
-estre à l’honneur de Dieu, de nous et de nostre dite compagne, et aussi
-au bien public dudit royaume, et à deffendre, tranquilliser, appaiser
-et gouverner icelui royaume selon l’exigence de justice et équité,
-avec le conseil et ayde des grands seigneurs, barons et nobles dudit
-royaume.» (_Traité de Troyes du 21 mai 1420, art. 7._) On verra les
-autres articles de ce traité que je vais rapporter, qu’on ne peut point
-entendre par le mot de sages les magistrats du parlement. Je prie le
-lecteur de remarquer en passant combien tout ce traité sert de preuves
-à ce que j’ai dit dans le chapitre précédent, de l’autorité que les
-grands ont acquise sous le règne de Charles VI.
-
-«Nostre dit fils fera son pouvoir que la cour de parlement de France
-sera en tous et chacuns lieux subjets à nous maintenant ou au temps
-à venir, observée et gardée ès auctorité et souveraineté d’elle, et
-à elle deus, en tous et chascuns lieux subjets à nous, maintenant ou
-au temps à venir; (_Art. 8._) est accordé que nostre dit fils le roy
-Henry pourvoira et fera pourvoir, que aux offices tant de la justice
-de parlement que des bailliages, seneschaussées, prévostés et autres
-appartenans au gouvernement de seigneurie, et aussi à tous autres
-offices dudit royaume, seront prises personnes habiles, profitables
-et idoines.» (_Art. 11._) On voit que le parlement n’est point
-oublié; mais voilà tout ce qu’on en dit. Il n’est point question de
-son enregistrement, ni de déposer même ce traité dans son greffe;
-cependant, comme vous allez le voir, les droits des autres ordres ne
-sont pas négligés. Tirez la conséquence.
-
-«Afin que nostre dit fils puisse faire, exercer et accomplir les
-choses dessus dites plus profitablement, surement et franchement, il
-est accordé que les grands seigneurs, barons et notables et les états
-dudit royaume tant spirituels que temporels et aussi les citez et
-nobles communautés, les citoyens et bourgeois des villes dudit royaume
-à nous obéissans pour le temps, feront les sermens qui s’ensuivent.
-(_Art. 13._) Que nostre dit fils ne imposera, ou fera imposer aucunes
-impositions ou exécutions à nos subjets, sans cause raisonnable et
-nécessaire, ni autrement que pour le bien public dudit royaume de
-France, et selon l’ordonnance et exigence des lois et coustumes
-raisonnables et approuvées dudit royaume.» (_Art. 23._) Voilà les
-priviléges et les franchises de la nation encore reconnus et confirmés,
-mais de quelle manière foible pour résister au torrent du pouvoir
-arbitraire qui devoit bientôt tout emporter.
-
-«Il est accordé que nostre dit fils labourera par effect de son
-pouvoir, que de l’avis et consentement des trois estats dudit royaume,
-ostez les obstacles en cette partie, soit ordonné et pourveu. (_Art.
-24._) Considerez les horribles et énormes crimes et delicts perpetrés
-audit royaume de France par Charles, soi disant Dauphin de Viennes, il
-est accordé que nous, ne nostre dit fils le roi Henry, ne aussi nostre
-très chier fils le duc de Bourgogne, ne traiteront aucunement de paix
-ou de concorde avec le dit Charles, ne ferons, ou feront traiter sinon
-du conseil et assentement de tous et chacun de nous hoirs et des trois
-estats des deux royaumes dessus dits.» (_Art. 29._)
-
-«Est accordé que nous sur les choses dessus dites et chacunes
-d’icelles, outre nos lettres-patentes scellées de nostre grand scel,
-donneront et feront donner, et faire à nostre dit fils le roi Henri,
-lettres-patentes approbatoires et confirmatoires de nostre dite
-compagne, et de nostre dit fils Philippe duc de Bourgogne et des
-autres de nostre sang royal, des grands seigneurs, barons, cités et
-villes à nous obéissans, desquels en cette partie nostre fils le roi
-Henry voudra avoir lettre de nous.» (_Art. 30._) Voilà un article
-bien important. Tandis qu’on n’oublie pas les villes et l’ordre des
-bourgeois, on ne dit pas un mot du parlement, ni des formalités qui
-accompagnent l’enregistrement. Quelle conséquence en faut-il tirer? Il
-me semble qu’elle n’est pas difficile à deviner.
-
-Mes remarques deviennent plus considérables que je ne voudrois;
-et quoique je me garde bien d’y jeter toutes les autorités qui se
-présentent en foule à moi, je ne puis m’empêcher de transcrire ici un
-extrait des registres du parlement. «Vindrent et furent assemblés en
-la chambre de parlement les présidens et conseillers et l’evesque
-de Paris, les maistres des requestes de l’ostel et des comptes du
-roy, les recteurs et députés de l’université de Paris, les chiefs
-députés des chapitres, monasteres, collieiges, les prevosts de Paris
-et des marchands, eschevins, advocats et procureurs de ceans et du
-Chastelet, et autres plusieurs bourgeois, manans et habitans de Paris,
-et y survint le duc de Bethfort frere du roy d’Angleterre dernier et
-n’agueres tres-passé, lequel s’assit seul es hauts siéges de la dite
-chambre de parlement en lieu où le premier président a accoustumé
-d’asseoir, &c. Tous jurent d’entretenir la paix d’entre les deux
-royaumes selon la teneur des lettres sur ce faictes et passées, et
-chacun des assistans doit faire jurer la même chose par ses soumis.» Du
-jeudi 19 jour de novembre 1422. Cette pièce se trouve dans le recueil
-de la Pairie, par Lancelot, p. 710. Je demande si cette pièce suppose
-un enregistrement précédent? non sans doute; car le parlement n’auroit
-pas manqué d’en faire mention dans cet endroit de ses registres. Je
-demande, en second lieu, si cette espèce de lit de justice du duc de
-Bethfort, tenu près de trois ans après la conclusion du traité de
-Troyes, peut passer pour un enregistrement?
-
-[262] Voici une pièce bien importante. «Ce jour survindrent en la
-chambre de parlement le conte de Saint Pol, le chancelier, le sire de
-Montberon, et le firent lire et publier les lettres revocatoires de
-certaines autres lettres touchant les libertés de l’église de France
-et Dauphiné de Viennois, sans ouir sur ce le procureur du roy, et en
-absence: et après la lecture et publication d’icelles, le chancelier me
-commanda à escripre, _Lecta, publicata et registrata_, au dos d’icelles
-lettres, et incontinent après la dicte lecture et publication,
-plusieurs conseillers de la court qui s’estoient despartis de la dicte
-chambre de parlement, pour ce que n’avoit mie procedé sur le faict de
-la dicte publication, selon la délibération de la court, au conseil
-tenu ceans le jour precedent, et que quinzieme de fevrier dernier
-passé, me dirent, que veu l’opinion et la délibération de court, je ne
-devois au dos des dictes lettres escripre aucune chose, pour quoi on
-peut notter que la court eust approuvé les dictes lettres ou la dicte
-publication, auxquels je repondis que je me garderoye de mesprendre
-à mon pouvoir. Et le lendemain premier jour d’avril, pour ce que la
-court n’avoit aucunement par exprès consenty ou approuvé la dicte
-publication qui avoit esté faicte, _præter imo contrà deliberationem
-curiæ_, comme dit est, les presidens et conseillers de la chambre des
-enquêtes en la dite chambre de parlement vindrent pour avoir avis et
-délibération sur ce qui avoit été fait le jour précédent; au regard
-de la publication des dictes lettres, ne la publication d’icelles, ne
-fussent aucunement approuvées par la dicte cour et ne fussent icelles
-lettres _superscriptes_ au dos ne signées par moy en aucune manière,
-par quoy on peut dire, ou arguer que la court eust approuvé les dictes
-lettres et publication, combien que par le commandement et ordonnance
-de mon dit sieur le chancelier j’eusse escript au dos des dictes
-lettres, _publicata, &c. cum superscriptione signi manualis_. Sur
-lesquelles choses la court, qui avoit tolléré la dicte publication et
-superscription pour obvier et remédier à toutes manières d’esclandes et
-de divisions, déclara que ce qui avoit été fait n’estoit mie fait par
-l’ordonnance ne du consentement d’icelle court, mais avoit de fait par
-les dessus dits comte de S. Pol et chancelier esté fait, et que pour
-ladite superscription par moy faite au dos des dites lettres, veues les
-manieres de procéder sur cecy, ne povoit et ne devoit juger que la
-court eust approuvé icelles lettres ne ladite publication, mesmement
-pour ce que j’avois faict ladite superscription par le commandement
-du chancelier, auquel je, comme notaire du roy, et en cette qualité
-quant à ce, je devoye obéir. Regist. du parlement du dernier jour de
-mars 1418.» Cette pièce se trouve dans le «Recueil de la Pairie par
-Lancelot, p. 705.» On y voit fort bien comment le parlement a formé
-ses prétentions et la naissance de l’esprit et du caractère qu’il a
-conservé jusqu’à sa racine.
-
-[263] On vu dans plusieurs remarques précédentes, que les rois, en
-convoquant les états-généraux, avoient toujours eu soin de dire que
-c’étoit pour les consulter.
-
-[264] «Le 23 juillet 1443, ces lettres (de don des comtez, château,
-ville et seigneurie de Gien sur Loire à monsieur Charles d’Anjou)
-furent portées au parlement pour y être enregistrées: l’évêque
-d’Avignon a dit que le roi l’avoit expressément chargé dire de par
-lui, qu’il mandoit à la court qu’elle obtemperast aux dites lettres,
-et que aussi en avoit dit sa volonté monsieur le Dauphin aux présidens
-de la cour. Si à la chose est mise en délibération au conseil en la
-cour, et délibéré et appointé, que considéré le temps, tel qu’il
-est, l’autorité et volonté du roi, aussi de mon dit sieur le Dauphin
-estant à présent en cette ville de Paris, et autres raisons et causes
-considérées en cette partie, qu’il sera mis et escript sur le dos des
-dites lettres ce qui s’ensuit: _Lecta et publicatâ in curia de expresso
-mandato domini nostri regis per dominum Delphinum præsidentibus curiæ,
-ut eidem retulerunt, et ex indè per episcopum Avinionensem dictæ curiæ
-oretenus facto._ (_Regist. du parlem._)
-
-«Le même jour 24 juillet 1443, les présidens de la cour dirent que le
-dauphin les avoit mandez pour leur dire combien il étoit mécontent
-de l’enregistrement du jour d’hier au sujet de la terre de Gien sur
-Loire, et qu’il ne partiroit point qu’on n’eust effacé des registres
-_de expresso mandato_, et la cour ayant mis la chose en délibéracion,
-à esté délibéré, considéré le temps tel qu’il est, et les grandes
-diligences et importunités qui se font en cette partie, que sur les
-dites lettres sera tant seulement mis, _lecta et publicata Parisiis
-in parlamento 23 die julii 1443_, et ne se ôtera ni rayera point la
-publication faite _de expresso mandato_, mais y demeurera, sinon que
-les gens du dit comte du Maine veulent que en soit rayé, auquel cas
-l’on la rayera; et pour montrer, si mestiers estoit au temps advenir,
-de la manière de faire touchant cette publication, a esté ordonné
-pour la décharge de la court de tout ce que y fut hier et aujourd’hui
-faict faire registre pour valloir aussi en temps et lieu ce que de
-raison debvra.» (_Regist. du parlement._) Ces pièces se trouvent dans
-le recueil concernant la pairie, par Lancelot, (_p. 730._) On voit
-dans toute la conduite du parlement, je ne sais quel tâtonnement de
-timidité et de prudence, qui indique la nouveauté l’incertitude de ses
-prétentions, et qui fait voir qu’il n’ira pas loin.
-
-[265] «Le 15 avril 1435, le parlement fait une députation au
-connestable pour l’assurer de sa fidélité envers le roy, et luy
-demander ses ordres pour continuer d’administrer la justice, et que
-jusques à ce qu’ils auront eu réponse de mon dit sieur le connestable,
-ne se rassembleront en icelle chambre: le 18 du même mois le parlement
-se rassembla pour ouïr la réponse du connestable, et pour ce que mon
-dit sieur le connestable n’avoit pas donné plaine réponse, se il
-vouloit que la cour feist et procedast à l’exécution des affaires
-chacun jour survenans en icelle touchant le faict de la justice,
-ordonnèrent mes dits sieurs que pour savoir le bon vouloir et plaisir
-de mon dit seigneur, et luy montrer de quoy sert icelle court, iroient
-de rechef devers luy, le dit monsieur le président et monsieur Philippe
-de Nanterre à la fin dessus, et sa réponse oye, seroit icelle rapportée
-devers mes dits seigneurs qui pour icelle oyr se rassembleroient.
-
-«Icelui monsieur le connestable dit au dit monsieur le président, que
-son vouloir estoit que justice soit mise sus, et que le parlement se
-entretiegne et besongne au nom du roi nostre sire, le mieux qu’elle
-pourra, jusques à ce que par le roi notre sire soit sur ce autrement
-ordonné, et partant fut délibéré de demain plaider, qui sera jour de
-jeudy.» (_Reg. du parlem. recueil concernant la pairie, p. 725._)
-
-[266] «De par le roi, nostre amé et féal pour aucunes causes qui nous
-meuvent, lesquelles nous vous dirons, nous voulons, vous mandons et
-commandons, que doresnavant vous ne instituez, ne faciez ou souffrez
-recevoir et instituer aucuns officiers quelconques en nostre cour
-de parlement pour quelconque élection que icelle cour aye faite ou
-fasse, ne aussi en nos chambres des comptes et des généraux de la
-justice, pour quelconques retenues ou dons que ayons faicts; car nous
-en retenons à nous toute l’ordonnance et disposition, et le faites
-savoir à nos gens de nos dites cour et chambre, afin que n’en puissent
-prétendre ignorance, et que par eulx en nostre absence, ou sans vostre
-sçeu ne fassent au contraire.... Donné à Poictiers le second jour de
-mars 1437. Lettres de Charles VI à son chancelier l’archevesque de
-Rheims.» Cette lettre fut enregistrée au parlement le 2 d’avril suivant.
-
-Les abus qui résultèrent de ce nouvel ordre, ne tardèrent pas à se
-faire remarquer. Voyez l’ordonnance du mois d’avril 1453, pour la
-réformation de la justice et de la police du parlement: on voit qu’on
-achetoit des protections à prix d’argent pour obtenir des offices.
-Charles VII crut y remédier en condamnant les coupables à des amendes,
-et en les déclarant incapables de posséder aucun office royal. La
-corruption une fois introduite, ne permit plus de revenir à l’ancien
-usage, et nous conduisit à la vénalité des charges.
-
-[267] «L’on prestoit pour les grands et premiers estats de la France,
-serment en cette cour (le parlement). Ainsi trouve-t-on es régistres,
-neufviesme septembre mil quatre cent sept, serment presté par Jean duc
-de Bourgogne comme pair. Le 7 novembre 1410, réception d’un grand
-pannetier: et aussi un mareschal de France, reçeu le 6 juin 1417, et
-le même jour un admiral; et le 16 jour en suivant un grand veneur.
-Le 3 février 1421, le grand maistre des arbalestriers. Le 16 janvier
-1439, Courteney reçeu admiral: et qui plus est un trésorier et général
-administrateur des finances, le 16 avril 1425.» (_Recherches de
-Pasquier, l. 2, ch. 4._)
-
-[268] «A l’assiette des seigneurs (lors du sacre de Charles) y eust
-aucunes controverses et dissentions entre le duc d’Anjou, Louis et
-Philippes duc de Bourgogne: car Louis disoit qu’il estoit aisné, et
-avant son frère Philippe maisné, il devoit avoir les honneurs et estre
-le premier assis, Philippes disoit qu’au sacre du roy les principaux
-estoient les pairs de France, et comme pair et doyen des pairs, il
-debvoit aller devant, et y eust plusieurs paroles d’un costé et d’autre
-aucunement arrogantes! car Louis se tenoit pair et tenoit en pairie sa
-duché. Philippes respondit qu’il estoit doyen des pairs, et que son
-frère ne tenoit qu’en pairie; et par ce, le roy assembla son conseil
-auquel il y eust diverses opinions; et finalement fut conclu par le roy
-que Philippes en cas présent iroit le premier, dont Louys ne fut pas
-bien content.» (_Hist. de Charles VI, par J. J. des Ursins._)
-
-«Le premier jour de janvier, le comte d’Alençon, qui estoit un moult
-beau seigneur et vaillant en armes, fut fait duc, et disoit-on que
-c’estoit par envie du duc de Bourbon qui alloit devant luy, et toutes
-fois il estoit plus près de la couronne, et comme le plus près quand
-il fut duc, il alla devant.» (_Ibid._) Au sujet de cette contestation,
-voyez du Tillet, recueil des rangs des grands de France.
-
-[269] Le parlement ayant pris connoissance des différends qui
-survinrent entre le roi et le comte de Flandre, condamna, comme de
-raison, ce dernier; et Philippe-le-Bel se saisit d’une partie de ses
-terres: «et disoit li cuens que vous le comté de Flandre qui estoit
-une pairie et dont il estoit pair de France, et tout ce qu’il tenoit
-entierement vous aviez saisi et teniez en contre sa volonté par
-violence à force, à vo tort, sans cause et sans raison, et en contre
-coustume et en contre droit, sans loi et sans jugement; que juge n’en
-estiez mie, ne juger n’en deviez, ains en estoient juge li pairs de
-France et juger en devoient.... disant li cuens que cette querelle
-devoist estre demenée et jugée par les pairs de France qui pairs
-estoient audit comte et non mie par vous ne par vos advocats et par
-vos conseils.... car anciennement pour garder paix et concorde entre
-les rois de France et les comtes de Flandre, en éclaircissant le droit
-commun et la coustume, il fut accordé et convenancé entre le roi de
-France et le comte de Flandre, que si débats ou contents mouvoient
-entre les rois ou les comtes, li roys en devoit faire droit et penre
-droit par les pairs de France et li cuens en devoit penre droit en
-la cour le roy par le jugement des pairs de France, et ne pouvoit li
-cuens deffaillir au roy de service, ne le doit penre ne le droit faire,
-tant comme li rois li vousist faire droit en sa cour par le jugement
-des pairs de France: lesquelles convenances ont esté continues et
-renouvelez de roy en roy, de comte en comte, jusques à votre temps,
-et entre vous et le comte à votre temps ont esté ces convenances
-renouvelées.» (_Recueil concernant la pairie, p. 113._)
-
-[270] «Le roy nostre syre doit ajourner par cry fait publiquement en
-son palais à Paris les seigneurs de Flandres ou ses successeurs par
-trois mois de terme pour venir à sa cour à droit, auquel terme s’il
-ne venoit, et ne peut s’en purger de mesfaits et de la désobéissance
-que l’on lui mettoit sur devant tant de pairs de France, comme li roy
-nostre sire pouvoit avoir bornement au dit terme, et devant deux grands
-et hauts hommes de son conseil, soit prélats, ou barons, ou autres des
-plus grands et des plus convenables qu’il pourroit et auroit en sa
-bonne foy, ainçois fut jugié par les dits pairs que lors s’y pourroient
-estre bornement et pour les autres douze, ou pour la plus grande part
-d’iceux, que s’il eust fait le défaut, mesfait ou désobéissance, lors
-seroient les dites sentences publiées, et les forfaitures mises à
-exécution. Le quel jugement li dis nostre sire li rois fera rendre
-au nom des dites pairs, et ainsi si il estoit absouz par le jugement
-d’iceux ou tenu pour innocent, il s’en ira quitte et absolz de ce sur
-quoy il seroit appelé.» Traité de paix entre le roy Philippe-le-Bel
-et les enfans de Guy, comte de Flandre, en 1305. (_Recueil concernant
-les pairs, p. 176._) Je ne vois pas qu’on puisse établir d’une manière
-plus claire la cour des pairs, et faire connoître combien elle est
-distinguée du parlement.
-
-[271] «Le roy (d’Angleterre) au duc de Bretagne et pier de France,
-saluez, très-chere Cosyn tot soit-il eu et usé, et c’est raison que
-tous les debatz et questions entre le roy de France et nul des piers
-touchant des fiedz devient estre triez en la grant chambre devant
-les piers et par euz à ce appelez.... par quoi nous vous prions et
-requerrons que par l’estas des piers sauver et maintenir et par justice
-voillez aider ou par voye de requeste vers le dit roy de France, ou
-par autre voye convenable selon vostre bon conseil, comme les dites
-duresses et torz à nous faites puissent cesser, et l’estat de parenté
-puisse estre maintenu.... don. à Porcestr. le 6 jour d’octobre, anno
-1324.» (_Recueil concernant la pairie, p. 532._)
-
-Les rois de France avoient réussi à faire porter au parlement les
-contestations qui s’élevoient entre eux et les pairs au sujet de la
-pairie; mais les pairs prétendoient qu’il devoit au moins assister
-six pairs à ces jugemens. _Cum in concordiâ super restitutione rerum
-occupatarum inter nos et vos nuper habita, inter cætera contineatur,
-quod si nuper restitutione hujusmodi facienda inter commissarios
-vestros et nostros si dubium orietur, tunc dubium illud in parliamento
-Franciæ, curia de sex paribus ad minùs munita, deferretur._ (Lettre
-d’Edouard III, à Philippe de Valois, du 11 avril 1336.)
-
-[272] Voyez dans le recueil concernant la pairie, le premier mémoire
-des présidens à Mortier au sujet de leur dispute avec les pairs, pag.
-12.
-
-[273] Ce qui prouve encore que les demandes du comte d’Armagnac
-paroissoient fondées, c’est qu’on ne le débouta point, et «fut ordonné
-par la cour que le procureur du roy viendroit dire ce que bon lui
-sembleroit.» Il plaida en effet contre le comte, et dit: «que la cour
-est souveraine, mesmement representant le roy en tout ce qu’elle
-fait, et par le roy en tous ses arrests et jugemens, ainsi aucun ne
-la peut décliner, soit en cause criminelle ou civile... et quant aux
-droits, prééminences et prérogatives alléguées par ledit comte, que
-le roy de ceuls de la maison de France doit connoître en personne,
-_non constat_, et ne s’en peut aider iceluy comte; car ou il dira que
-les dites prééminences et prérogatives appartiennent à ceux de la
-maison de France, de droit commun, ou par privilége, ou par coustume
-et usage, de droit commun, _non quia jure non cavetur_; ne aussi par
-privilége, car le dit comte n’en montre point, et sur ce n’y a ni
-privilége, ni ordonnance enregistrées en la dite cour, ou trésor des
-chartres, ne en la chambre des comptes, ne par coustume et usage, car
-on ne trouve point par arrest et jugement contradictoire, que le roy
-accompagné des pers de son royaume doye connoistre en sa personne des
-causes criminelles de ceux de la maison de France; et est la cour qui
-est souveraine et capitale du royaume nuement representant le roy,
-capable de connoistre de toutes causes criminelles et civiles, tant
-de ceux de la maison de France que des pers et autres, de quelque
-autorité qu’ils soient; et pour déroger à l’autorité de la dite cour
-conviendroit monstrer arrest, ou exploits contradictoires par lesquels
-apparust que la cour en l’absence du roy et des pers ne pust connoistre
-les dites causes, dont on ne savoit montrer, _guare_, &c. et ne vaut
-dire que le roy Philippe de Valois en sa personne, appellez les pers,
-connut de la cause du procureur du roy; et de madame Mahaut d’Artois,
-contre feu messire Robert d’Artois; car ce ne auroit esté regardé,
-_non ex necessitate_, ne que le roy fust abstraint à ce faire, _sed ad
-magis convincendum_ le dit feu messire Robert d’Artois, et pour plus
-autoriser le procès, et pour ce que c’estoit le bon plaisir et vouloir
-du roy, de connoistre ladite matiere en sa personne et d’y appeller les
-pers lesquels n’estoient nécessité d’appeller.»
-
-«Et ne se peut adapter le cas dudit messire Robert d’Artois au cas qui
-s’offre: car ledit d’Artois venoit en droite ligne de la souche, _et
-erat de lignatione_ fils du fils du frere de St. Louis, et si estoit
-ledit comte d’Artois tenu en pairie et de l’appenage de France. _Secùs_
-est audit comte d’Armagnac qui n’est du lignage de par masle, et ne
-tient en pairie _Quarè_, &c. et se en aucun cas on avoit appellé les
-pers, ce auroit esté fait et regardé au regard des masles descendans
-en droite ligne des masles issus de la maison de France, comme estoit
-ledit messire Robert, neveu de messire Robert d’Artois, frere de S.
-Louis et fils du roy Louis VIII, qui mourut à Montpensier, qui ne doit
-estre trait à consequence, et ne peut attribuer aucune prérogative ou
-préeminence à ceux seroient venus de la maison de France; et si usage
-y avoit au regard des masles issus de la maison de France, il ne peut
-estre estendu à ceux qui seroient venus par filles, considéré que tels
-droits et préeminences concernent les masles, que les prérogatives
-données par le prince à aucun et à ses enfans, ne passent es filles, ne
-à ceux qui en descendent....
-
-«Si en telles déclinatoires estoient reçues, les pers de France qui
-sont sujets en ladite cour, et autres plusieurs se vouldroient essayer
-de proposer de pareilles déclinatoires, et seroit en effet donner au
-roi charge importable, _et in summa_ abolir et énerver, au moins fort
-diminuer l’autorité et souveraineté de ladite cour; laquelle tout
-paravant l’établissement d’icelle fait du temps de Philippe-le-Long,
-l’an 1320, que depuis, la cour a eu connoissance tant des pers que
-autres seigneurs sous conventions criminelles, comme du comte Ferrant,
-du comte Robert, que de Louis comte de Flandres, du comte de la Marche
-et autres; que telles déclinatoires, quand elles ont été proposées,
-n’ont esté reçues, mais par plusieurs arrests ont esté deboutez, tant
-contre le duc de Bourgogne, le duc de Bretaigne, et contre ledit
-messire Robert.
-
-«Et supposé que lesdits arrests n’eussent esté donnés qu’en matieres
-civiles, toutes fois puisque la cour est souveraine et capable de
-toutes causes, lesdits arrests suffisent pour monstrer que es cas
-dessus dits, ne autres, la cour ne doit estre garnie des pers,
-mesmement touchant ceux qui sont parents du roi de par les femmes, se
-ledit comte ne monstre arrests et jugemens definitifs au contraire, et
-se en tous les procès criminels de ceux qui sont issus de la maison
-de France par fille, convenoit appeler les pers, les procès seroient
-immortels, et en effet illusoire. Car à faire lesdits procès les pers
-d’église ne s’y trouveroient pas, et au regard des pers lais le roy en
-tient les quatre, _videlicet_ les duchés de Normandie et de Guyenne;
-et les comtés de Champagne et de Toulouse; et le duc de Bourgogne en
-tient les deus, c’est à savoir la duchié de Bourgogne et le comté de
-Flandres, lesquels il conviendroit assembler à tels et semblables
-procès, qui seroit chose impossible.»
-
-[274] Le duc d’Alençon, soupçonné d’avoir traité avec les Anglois pour
-les faire entrer en Normandie, fut arrêté à Paris au mois de mai 1456.
-On le transporta à Melun, où le connétable alla l’interroger. Edmond de
-Boursier, maître des requêtes, deux conseillers au parlement et Jean
-de Longueil, lieutenant civil de la prévôté de Paris, furent nommés
-commissaires pour l’instruction du procès; elle dura deux ans. La pièce
-que je vais transcrire se trouve dans le Recueil des rangs des grands
-de France, par du Tillet.
-
-«Sur les questions et difficultez que fait le roy, et dont il a écrit à
-sa cour de parlement par messire Jean Tudert son conseiller et maistre
-des requestes de son hostel, après que les registres de la dite cour
-ont esté sur ce veuz et visitez, a semblé à ladite cour bien assemblée
-sur ce et a délibéré ainsi et par la forme et maniere qui s’ensuit.
-
-Premierement sur le premier article qui est tel. Premierement par
-devant quels juges doivent estre traitées les causes des pairs de
-France, touchant leurs personnes, et si par l’institution du parlement
-il y a aucunes réservations des causes qui peuvent toucher les
-personnes des pairs de France; a semblé que quand aucun pair de France
-est accusé d’aucun cas criminel qui touche ou peut toucher son corps,
-sa personne et estat, le roy en sa personne présent, quoique soit,
-appelez les pairs de France et autres seigneurs tenans en pairie, et
-ledit seigneur accompagné d’autres notables hommes de son royaume, tant
-notables prélats qu’autres gens de son conseil en doit cognoistre;
-et se trouve par les registres de ladite cour, que ainsi fut fait
-es procès de Robert d’Artois, messire Jean de Montfort et du roy de
-Navarre: il ne trouve point par l’institution du parlement, ne par
-aucune ordonnance, ne autrement, qu’il y ait aucune réservation des
-causes qui touchent ou peuvent toucher les personnes et estat des dits
-pairs de France; mais se trouve ainsi avoir esté observé et gardé les
-temps passés, et semble qu’ainsi se doit faire que dit est ci-dessus.
-
-«Sur le second article contenant, _Item_. Si les causes des seigneurs
-du sang qui ne sont pas pairs de France doivent estre traictées en
-pareilles prérogatives, comme sont celles des pairs; la cour n’y a pu
-délibérer pour le présent, parce qu’il y a procès appoincté en droit en
-la dite cour en pareil cas, et seroit la delibération de cet article en
-effet la décision du procès.» L’affaire du comte d’Armagnac dont il est
-parlé dans la remarque précédente.
-
-«Sur le tiers article contenant, _Item_. Veut aussi sçavoir si mondit
-seigneur M. d’Alençon tient son dit duché d’Alençon en pairie, et
-supposé qu’il tienne en pairie, s’il doit jouir de pareil privilége
-et prérogative que feroit un des douze pairs de France touchant sa
-personne. Il se trouve par les régistres du parlement, que M. d’Alençon
-tient la Duché en pairie, et que les rois les temps passez l’ont tenu
-et reputé pour pair de France, et tenant en pairie, et pour ce semble
-qu’il en doit jouir comme les autres pairs.»
-
-«Sur le quatrieme article contenant, _Item_. S’il s’étoit trouvé que
-les pairs deussent estre appellez à son procès, le roy veut sçavoir si
-les autres seigneurs du sang qui tiennent en pairie, et ne sont pas
-des douze pairs, doivent aussi estre nécessairement appelez et s’ils
-doivent, quant à ce, jouir des honneurs et prérogatives des dites douze
-pairs ou non. Il se trouve par les régistres anciens de ladite cour
-que ceux qui ont esté créés pairs de France et qui tiennent en pairie,
-furent presens appelez comme les anciens pairs, auxdits procès de
-Robert d’Artois, de messire Jean de Montfort et du roi de Navarre, et
-pour ce semble qu’ainsi se doit faire.»
-
-«Sur le cinquième article contenant, _Item_. Veut sçavoir le roy si
-les douze pairs doivent estre présents au jugement, ou s’il suffist
-les appeler, jaçoit ce qu’ils n’y viennent, et s’ils n’y viennent, ou
-s’ils y viennent, que ceux qui y seroient par eux envoyez doivent estre
-receus à estre audit procès pour et au nom d’eux. Semble comme dessus
-qu’ils y doivent estre appelez, et s’ils y viennent, doivent estre
-presens et assister audit procès; et s’ils n’y viennent, le roy ne doit
-surseoir de procéder audit procès pour leur absence, et s’ils envoyent
-aucuns pour estre presens audit procès pour eux et en leur absence,
-semble qu’ils n’y doivent estre reçus, car ils y sont appelez et
-peuvent estre presens par l’autorité, dignité et prérogative de leurs
-personnes et seigneuries, en quoi ils ne peuvent, ne doivent subroger
-autres en leurs lieux, et ne se trouve point qu’es procès dessus dits
-autrement ait esté fait.»
-
-«Sur le sixième article contenant, _Item_. Aussi le roi veut savoir
-si ceux qui doivent estre et seront appelez audit procès, pourront
-procéder sans la présence du roy, et si sadite presence y est
-nécessairement requise; car s’il estoit trouvé que non, il se mettroit
-lui et ses successeurs en grande servitude d’y estre présent, et
-pourroit desroger à son auctorité royale, laquelle chose il ne voudroit
-faire pour rien. Semble qu’on ne peut imposer nécessité précise au
-roy en ce cas ne autre; toutes fois parce qu’on trouve avoir esté
-observé aux procès dessus dits, les pairs de France et autres qui y
-furent appelez, ne procédèrent point sans la présence du roy. Bien se
-trouve que les rois commirent aucuns notables hommes pour procéder aux
-préparations des dits procès, comme à faire informations, à interroger
-les complices et coupables, et tels et semblables actes. Mais au
-regard des appointemens, ou jugemens interlocutoires ou deffinitifs,
-se trouve que les rois y furent toujours présens, et semble qu’il
-est très-expédient, convenable et raisonnable que pareillement le
-roy soit présent au procès de mon dit sieur d’Alençon, mesmement
-aux délibérations ou prononciations des jugemens et appointemens
-deffinitifs et interlocutoires qui se feront au dit procès, contre et
-touchant la personne du dit monsieur d’Alençon.»
-
-«Sur le septième et dernier article contenant, _Item_. S’il est trouvé
-que le roy nécessairement doive y estre présent, il veut savoir, si
-le cas advenoit qu’il lui survînt aucun empeschement pour la chose
-publique, s’il suffiroit qu’il y commist aucun en son lieu. Semble
-que s’il survenoit empeschement nécessaire au roy, il seroit plus
-convenable et raisonnable proroger, ou continuer l’expédition dudit
-procès jusqu’à quelque autre temps qu’il y pourroit estre et vacquer,
-que d’y commettre autre en son absence; considéré la grandeur du
-personnage et le cas dont on traicte, et ne se trouve point qu’es
-procès dessus dits, de Robert d’Artois, de messire Jean de Montfort et
-du roy de Navarre, ait esté faict aucun appointement interlocutoire ou
-deffinitif, que le roy ne fust présent et seant en sa cour et majesté
-royale, et pour ce, semble qu’ainsi se doit faire.»
-
-Après de pareilles pièces, comment le parlement osoit-il dire qu’il a
-toujours été la cour des pairs? Voici encore quelques autres preuves.
-«Le roi et le conseil, considérans que le cas étoit très-mauvais,
-et que c’étoit crime de lèse-majesté, ordonnèrent qu’on lui (au duc
-de Bretagne) envoyeroit certains commissaires, à l’adjourner pour
-comparoir en personne à Orléans par devant luy.» (_Hist. de Charles VI,
-par J. J. des Ursins, Ar. de R. p. 62._)
-
-La cour des pairs devoit s’ouvrir à Orléans, et le parlement étoit
-sédentaire à Paris; ces deux cours étoient donc très-distinguées.
-
-Je prie de jeter encore les yeux sur l’arrêt rendu le 23 juin 1315
-contre Robert, comte de Flandre. «A tous ceux qui ces présentes
-veront ou ouront, R. archevesque de Rheims, G. évesque de Langres,
-G. évesque de Laon, J. évesque de Beauvais, Kerles Cuens de Vallois
-et d’Anjou, et Malhault comtesse d’Artois, pairs de France, salut.
-Sçachent tuit que de par le roy nostre seigneur fut semons li comte
-de Flandre en la forme.... auquel terme de la dicte semonce, nous li
-pairs dessus dits à la requeste et mandement du roy venismes en la
-cour à Paris; et sesismes et tenuismes avec douze autres personnes,
-prelats et autres grands et hauts hommes, c’est à sçavoir reverend
-pere l’archevesque de Rouen, les évesques de Sainct Brioc et de Sainct
-Malo, M. Philippe, fils du roy de France, comte d’Evreux; M. Karles,
-fils du roi de France, comte de la Marche; M. Guy de Sainct Paul; M.
-Gaucher de Chastillon, comte de Porcien; M. Louis aisné, fils du comte
-de Clermont, seigneur du Bourbonnois; M. J. de Clermont, seigneur de
-Charolois; M. B. seigneur de Mareuil; M. Mille, seigneur des Noyers;
-esleus et mis à ce faire de par le roy nostre sire avec nous, comme
-cour garnie de nous, d’eux et autre plusieurs sages gens, et fust dit
-de par le roy devant nous que bonnement pooit avoir plus de pairs, &c.»
-
-Cette pièce précieuse démontre évidemment que la cour des pairs formoit
-un tribunal distingué de tous les autres. Si les seigneurs, dont on
-vient de lire les noms, s’étoient simplement rendus au parlement pour y
-juger le comte de Flandre, pourquoi le nom même du parlement n’est-il
-pas prononcé dans cet arrêt? Pourquoi la cour est-elle assemblée à la
-requisition du roi, et suivant la forme ancienne de la justice féodale?
-Pourquoi cet arrêt seroit-il intitulé au nom des pairs?
-
-On voit encore ce que c’étoit que la cour des pairs à l’occasion de
-l’assassinat du duc d’Orléans. Ce n’est pas au parlement que sa veuve
-vient demander justice, mais au roi. (_Voyez Monstrelet, T. 1. p. 32._)
-«Elle vient à l’hostel St. Pol, demeure de Charles VI, fait sa plainte,
-auquel propos le chancellier de France qui seoit aux pieds du roy, par
-le conseil des ducs et seigneurs royaux; respondit et dit que le roy
-pour l’homicide et mort de son frere à lui ainsi exposée, et plutost
-qu’il pourroit, en feroit bonne et biesve justice.»
-
-Le roi fit ajourner le duc de Bourgogne pour comparoître à Amiens,
-et s’y rendit pour y tenir sa cour. Il n’est point question là de
-parlement. Quand cette affaire fut reprise à Paris à l’hôtel Saint-Pol,
-la duchesse d’Orléans ne cessa point de demander justice au roi, et
-jamais elle ne s’adressa au parlement. Dans les écrits publiés sur
-cette affaire, cette princesse ne dit rien d’où on puisse inférer
-qu’il lui eût été défendu de porter sa plainte au parlement, ou que le
-roi eût empêché cette cour d’en connoître. Nous avons dans Monstrelet
-le plaidoyer de la duchesse d’Orléans et de son fils, et l’on y voit
-constamment que l’un et l’autre, en plaidant à l’hôtel de Saint-Pol,
-regardent le roi et les pairs comme le tribunal compétent pour juger
-le duc de Bourgogne.
-
-[275] «Sur ce que mis a esté en délibération si l’on doibt plaider,
-juger et besongner en la cour de ceans; cependant que le roy vacquera
-et fera vacquer es procès de monsieur d’Alençon et besongnes pour
-lesquelles il a faicts adjourner au premier jour de juin prochain en la
-ville de Montargis les pairs de France et ceux qui tiennent en pairie,
-et aussi mandé deux de messieurs les présidens, et certain nombre
-de conseillers de la dite cour. Délibéré et ordonné a esté que les
-plaidoiries cesseront jusques à ce que la cour ait sur ce mandement du
-roy et que M. les présidens et autres de la cour qui iront de par delà,
-en parleront au roy et à Monsieur chancelier pour en faire sçavoir à
-la dite cour la volonté et bon plaisir du roy le plustost et le plus
-diligemment que faire ce pourront; et néantmoins que la cour en escrira
-au roy par mes dits Sieurs, lesquels lui présenteront les dites lettres
-s’ils voyent que besoin en soit; et au surplus la cour a délibéré et
-ordonné qu’au regard des jugemens et autres besongnes et expéditions
-delà on besongnera au matin, et après diner en la maniere accoustumée;
-mais pourtant on ne prononcera aucuns arrests ne jugez.» (_Registre du
-parlement, du 29 mai 1458._) Cet arrêté n’est pas mal-adroit, et les
-présidens obtinrent par leurs négociations ce que le parlement désiroit.
-
-_Post dictum diem 30 hujus mensis Maii non fuit litigatum ex præcepto
-et ordinatione domini nostri regis qui curiam suam parlamenti
-transtulit, seu advocavit apud montem Argum, et ex indè apud Vandocinum
-in qua fuerunt pares Franciæ adjornati processui contrà dominum ducem
-Alenconii, et alias ut in litteris patentibus domini nostri regis curiæ
-parlamenti registratis pleniùs continetur._ (_Regist. du parlement._)
-
-«Comme à l’occasion de certains grands cas, crimes et delits dont on a
-esté trouvé chargé nostre nepveu le duc d’Alençon, nous l’ayons fait
-constituer en arrest, et pour proceder à l’expedition de son procès,
-ayons par l’avis et deliberation des gens de nostre conseil voulu et
-ordonné par nos lettres patentes données au mois de may dernier passé,
-que nostre cour de parlement lors seante en nostre bonne ville de
-Paris, soit et fût tenue au lieu de Montargis, à commencer du premier
-jour du mois de juin dernierement passé, et jusqu’à la perfection dudit
-procès. Auquel lieu pour tenir icelle nostre cour, ayons ordonné et
-mandé faire venir nos amés et feaux conseillers, Yves de Scepeaulx,
-chevalier, premier président, et maistre Helie de Thoreiles aussi
-président, et aucuns des conseillers en icelle nostre cour tant clercs
-que laiz en bon et suffisant nombre au dit premier jour de juin....
-Sçavoir faisons que nous desirant l’abbreviation et expedition du
-dit procès pour le bien de justice, voulant aussi obvier aux dits
-inconvenients, et nostre dit cour servir et estre en lieu propice à
-ce convenable, avons par l’avis et deliberation de nostre dit conseil
-voulu, ordonné et establi, voulons, ordonnons, et establissons de
-nostre puissance et authorité royalle par ces presentes nostre dit cour
-de parlement garnie de pers et aussi ceux de nostre sang et lignage et
-autres par nous mandés y estre et comparoir au douziesme jour d’aoust
-prochainemant venant, pour proceder outre et besogner au dit procès
-jusqu’à la perfection d’icelluy ainsi qu’il appartiendra par raison.
-Et afin qu’aucuns des susdits n’en puissent prétendre juste cause
-d’ignorance, nous voulons estre publiées en nostre dite cour séante au
-dit Montargis, et en nostre dite ville de Paris. Donné à Beaugency, le
-vingtiesme jour de juillet l’an de grace 1458. _Lecta, publicata et
-registrata apud Montargis in parlamento, vigesimo quinto die julii anno
-domini 1458. Lecta et publicata Parisiis in camera die 28 julii 1458._»
-
-Remarquez que ce qui restoit du parlement à Paris, ne se qualifie que
-de chambre, _camera_, tandis que la portion qui siége à Montargis,
-prend le titre de parlement. Je gagerois que ces lettres-patentes ont
-été dressées par des magistrats du parlement, ou du moins de concert
-avec eux: elles ouvrent une large carrière à l’ambition du parlement.
-
-[276] En lisant les dernières remarques, on a dû s’apercevoir que
-l’opinion publique avoit mis une grande différence entre les anciens
-pairs et ceux qui tenoient en pairie.
-
-[277] «Le 17 janvier 1484, le duc d’Orléans se rendit au parlement, et
-par la bouche de son chancelier, s’étant plaint qu’on n’avoit aucun
-égard aux demandes des derniers états; le premier président répondit,
-que le bien du royaume consiste en la paix du roy et de son peuple, qui
-ne peut estre sans l’union des membres, dont les grands princes sont
-les principaux, à quoi M. d’Orléans doit bien avoir égard. Par quoi et
-non pas pour réponse, mais par exhortation a dit M. d’Orléans, qu’il
-doit bien penser à ce qu’il a fait dire et proposer, et aviser que la
-maison de France soit par luy maintenue et entretenue sans division,
-et ne doit ajouter foi aux rapports qui lui pourroient estre faits. Et
-quant à la cour elle est instituée par le roi pour administrer justice,
-et n’ont point ceux de la cour d’administration de guerre, de finances,
-ne du fait et gouvernement du roy, ne des grands princes, et sont Mrs.
-de la cour de parlement gens clercs et lettrés pour vacquer et entendre
-au fait de la justice, et quand il plairoit au roy leur commander plus
-avant, la cour luy obéiroit; car elle a seulement l’œil et le regard au
-roy qui en est le chief, et sous lequel elle est, aussi venir faire ces
-remontrances à la cour, et néanmoins passer plus avant et faire autres
-exploits sans le bon plaisir et exprès consentement du roy ne se doit
-pas faire.
-
-«Ledit messire Denis Mercier (chancelier du duc d’Orléans) a repliqué
-que M. d’Orléans est venu à la cour comme à la justice souveraine, et
-qui doit avoir l’œil et le regard aux grandes affaires du royaume....
-Entend mondit Sr. d’Orléans que la cour avertisse le roi de ces
-choses....... Ne veut mondit Sr. d’Orléans passer plus avant, sans
-avoir le conseil de la cour, et prier la cour, qu’elle veuille
-travailler pour le bien du royaume, et d’obvier à tous inconvéniens, et
-qu’il soit sceu au roy s’il est content d’estre se ainsi qu’il est.»
-(_Regist. du parlement._)
-
-
- CHAPITRE VI.
-
-[278] «Nous voulans abreger les procès et litiges d’entre nos subjects,
-et les relever des mises et depenses, et mettre certaineté es jugemens,
-tant que faire se pourra, et oster toute matiere de variations et
-contrariété: ordonnons, decernons, déclarons et statuons que les
-coustumes, usages et stiles de tous les pays de notre royaume, gardés
-et mis en escript, accordez par les coustumiers, praticiens et gens de
-chacun desdits pays de nostre royaume. Lesquels coustumiers, usages
-et stiles ainsi accordez, seront mis et escripts en livres; lesquels
-seront apportez par devers nous pour les faire veoir et visiter par
-les gens de nostre grand conseil, ou de nostre cour de parlement, et
-par nous les décreter et confirmer. Et iceulz usages, coustumes et
-stiles ainsi decretez et confirmez, seront gardés et observez es pays
-dont ils seront, et aussi en nostre cour de parlement es causes et
-procès d’iceulz pays. Et jugeront les juges de nostre royaume, tant en
-nostre cour de parlement, que nos baillifs, seneschaux et autres juges,
-selon iceulz usages, coustumes et stiles es pays dont ils seront, sans
-faire aultre preuve que ce qui sera escript audit livre. Et lesquelles
-coustumes, stiles et usages ainsi escripts, accordez et confirmez,
-comme dit est, voulons estre gardez et observez en jugement et dehors.
-Toutes fois n’entendons aucunement déroger au stile de nostre court de
-parlement.» (_Ordonn. du mois d’avril 1453, art. 125._)
-
-C’est en conséquence de cette dernière clause que le parlement a mérité
-le singulier éloge de Miraulmont. «J’admire, dit-il, une chose en cette
-cour, que pour estre composée de gens de savoir, intégrité et grande
-expérience, elle a tant gagné sur les lois des empereurs et ordonnances
-de nos rois qu’elle n’y est subjecte ni astrainte, ains jugeant
-d’équité modere la rigueur de la loi selon le temps, la matiere et la
-qualité des personnes.» _De l’origine du parlement_, (_p. 62._) Si un
-pareil tribunal ne se corrompt pas promptement, ce sera un miracle.
-
-«Cette rédaction de coutumes, dit l’abbé Fleury, dans son excellente
-histoire du droit Français, s’est faite fort lentement, et n’a été
-achevée que plus de cent ans après la mort de Charles VII. La plus
-ancienne est la rédaction de la coutume de Ponthieu, faite sous Charles
-VIII, et de son autorité, en 1495. Il y en eut plusieurs sous Louis
-XII, depuis l’an 1507. L’on continua à diverses reprises sous François
-I et sous Henri II; et il s’en trouva encore quelques-unes à rédiger
-sous Charles IX.... En ne comptant que les principales coutumes du
-royaume, on en trouvera bien soixante, la plupart fort différentes.
-Cependant on s’aperçut, il y a environ cent ans, (l’abbé Fleury fit
-imprimer son ouvrage en 1674) qu’il étoit arrivé beaucoup de changemens
-depuis les rédactions qui avoient été faites au commencement du même
-siècle, et qu’il y avoit des omissions considérables, de sorte que l’on
-réforma plusieurs coutumes, comme celles de Paris, d’Orléans, d’Amiens,
-ce qui se fit avec les mêmes cérémonies que les premières rédactions.»
-
-[279] Pour le prouver, je ne rapporterai que deux articles de
-l’ordonnance donnée à Blois par Louis XII en 1498. «Pour ce que souvent
-advient que les comtes, barons, chevaliers, gentilshommes et autres
-ayant terres, hommes et sujets en nostre royaume, païs et seigneuries,
-se travaillent journellement de lever sur leurs dits hommes et sujets,
-et autres leurs voisins, plusieurs sommes de deniers, quantitez de
-pains et de vins, corvées, charrois et autres choses extraordinaires,
-tant pour remontrances qu’ils leur font et font faire de les garder des
-gens d’armes, menaces, que autres voyes indues et déraisonnables, à
-la grande foule de nostre peuple; voulans à ce pourvoir et garder nos
-dits sujets de toutes oppressions et foules, comme raison est, nous
-avons fait et faisons inhibitions et défenses à toutes manières de gens
-de quelque autorité, préeminence et qualité qu’ils soient, qu’ils ne
-prennent ni exigent ou permettent prendre et exiger en leurs terres et
-sur hommes et sujets ou autres, aucunes exactions indues, par forme de
-dons, tailles, aydes, corvées ne autrement, etc. (_Art. 139._)
-
-Pour ce que nous avons esté avertis que plusieurs seigneurs et
-gentilshommes mettent par chaque jour levages et nouveaux subsides
-sur les marchandises, qui se mettent sur les rivières et fleuves
-navigables, à la grande charge de nostre peuple; pour ces causes, etc.»
-(_Art. 141._)
-
- _Fin des remarques du livre sixième._
-
-
- REMARQUES ET PREUVES
- DES
- _Observations sur l’histoire de France_.
-
- LIVRE SEPTIÈME.
-
- CHAPITRE PREMIER.
-
-[280] Voyez le dernier chapitre du quatrième livre.
-
-[281] J’ai fait connoître cette situation dans le quatrième chapitre
-du livre précédent.
-
-[282] Louis duc d’Orléans et frère de Charles V avoit épousé Valentine
-Visconti, sœur et héritière du dernier duc de ce nom, qui règna sur
-Milan. François Sforce, qui avoit épousé une bâtarde de ce prince,
-s’empara de cette succession, et ses descendans en jouissoient encore,
-quand le duc d’Orléans succéda à Charles VIII.
-
-[283] Voyez le cinquième chapitre du livre quatrième.
-
-
- CHAPITRE II.
-
-[284] Ces sentimens commencèrent à paroître dans les états que Louis XI
-tint à Tours en 1467. L’objet principal de ces états étoit de savoir
-quel apanage on feroit à Charles, frère du roi, et sur-tout de ne lui
-pas donner la Normandie. Voici de quelle façon s’expriment les gens
-des trois états. «Quand lesdites offres seront faites à mondit sieur
-Charles, où il ne s’en voudra contenter, mais voudroit attenter aucune
-chose, dont guerre, question ou debast pust advenir au préjudice du roy
-ou du royaume, ils sont tous déliberez et fermes de servir le roy en
-cette querelle à l’encontre de mon dit sieur Charles, et de tous autres
-qui en ce le voudroient porter et soutenir: et dès à present pour
-lors, et dès lors pour maintenant les dits des trois estats, pour ce
-qu’ils ne se peuvent pas si souvent rassembler, accordent, consentent
-et promettent de ainsi le faire et de venir au mandement du roi, le
-suivre, et le servir en tout ce qu’il voudra commander et ordonner sur
-ce.»
-
-«Outre plus ont conclu lesdits estats, et sont fermes et determinés,
-que si mon dit sieur Charles, le duc de Bretagne ou autres faisoient
-guerre au roy nostre souverain seigneur, ou qu’ils eussent traité ou
-adhérence avec ses ennemis, ou ceux du royaume, ou leurs adhérens, que
-le roy doit procéder contre ceux qui le feroient..... Et dès maintenant
-pour lors, et dès lors pour maintenant, toutes les fois que lesdits
-cas écheroient, iceuz estats ont accordé et consenti, accordent et
-consentent que le roy sans attendre autre assemblée ne congrégation des
-estats, pour ce que aisément ils ne se peuvent pas assembler, y puisse
-procéder à faire tout ce que ordre de droit et de justice, et les
-statuts et ordonnances du royaume le portent.» Régistre des états tenus
-à Tours en 1467, par Jean-le-Prevost, greffier des états. Cette pièce
-se trouve dans le _cérémonial français, par Mrs. Godefroy, tome 2, page
-277_.
-
-[285] Ce qui se passa aux états tenus à Tours en 1483, sous Charles
-VIII, est une preuve que la nation étoit alors persuadée que
-l’autorité des princes et des grands étoit une partie essentielle de
-notre gouvernement et de notre droit public. Voyez la relation de
-Jean-Masselin, official de l’archevêque de Rouen, et l’un des députés
-de la province de Normandie; cette pièce se trouve dans le traité de la
-majorité de nos rois, par Dupuy, p. 233.
-
-La délibération passa en cette sorte: «Nous déclarames en premier lieu,
-et fismes des protestations, qu’en l’élection de ce conseil (du roi)
-nous ne prétendions en aucune manière préjudicier à l’autorité et aux
-prérogatives des princes, et que nostre intention estoit que chacun
-d’eulz conservast son rang, sa dignité et son pouvoir, puisque, par
-leur bonté et bienveillance nous avons la liberté toute entière de
-parler et de traiter des affaires. En second lieu, que nous ne donnions
-nos suffrages que par forme d’avis et de conseil, et non pas comme une
-décision fixe et arrestée.»
-
-«L’évesque de Chaalons dit que les princes ne devoient pas juger,
-que ce fût chose indécente et indigne de leur qualité, d’admettre
-quelques-uns du corps des estats dans le conseil du roy; vu qu’entre
-les députez, il y avoit des personnes de très-grand mérite et savoir,
-capables de soutenir avec honneur cette dignité; et bien que le faste
-et l’apparence extérieure leur manquast aussi bien que la grande
-autorité, cet honneur pourtant ne leur pouvoit estre dénié, puisqu’il
-étoit dû à leurs vertus et mérite.»
-
-Les députés dont parle l’évêque de Châlons, ne conservèrent pas
-long-temps leur intégrité. «Tous ceux qui sembloient avoir le plus
-d’autorité, furent vivement tentez, et plusieurs furent facilement
-corrompus, soit en deferant aux prières de leurs amis, ou en cedant au
-credit et à l’autorité de ceux qui les prient, pour s’acquerir leur
-faveur et bonnes graces. Mais ils furent principalement attirés par
-les vaines promesses qu’on leur faisoit. Et certainement elles furent
-vaines au regard de plusieurs, d’autant que le nombre fut petit de ceux
-qui furent recompensés par dons de pensions ou offices, qui peut-être
-se trouvèrent de moindre valeur qu’ils ne l’avoient espéré. Il y en eut
-aussi plusieurs qui se laissèrent emporter par leur ambition aveugle
-et par avarice, et dans les délibérations l’on ne voyoit aucune vérité
-ni sincérité. Et la faute de ces personnes est d’autant plus grande et
-considérable qu’ils estoient les plus relevez en dignité et autorité
-entre les députez.»
-
-«Il est certain que les longues et odieuses disputes touchant
-l’établissement de ce conseil, étoient devenues très-ennuyeuses, et
-que les suffrages de ceux qui favorisoient ce premier conseil, les
-prières, les reprimandes et les menaces de plusieurs avoient rendu
-presque immobiles les autres, qui disoient leur avis avec plus de
-vérité et de franchise; et il en restoit très-peu qui portassent cette
-affaire avec soin et affection; et s’étant entièrement relachez ils
-l’abandonnèrent sans se plus soucier de l’issue qu’elle auroit.»
-
-J’ai déjà parlé de ces états de 1483; mais j’ai cru qu’on ne seroit pas
-fâché de trouver encore ici quelques autorités qui serviront de preuve
-à ce que j’ai dit, et qui font connoître le génie et le caractère de
-notre nation dans une circonstance très-critique. Si l’on voit d’un
-côté un peuple las de sa liberté et prêt à se vendre, n’aperçoit-on
-pas de l’autre combien l’autorité que les grands affectent est mal
-affermie? Leurs divisions préparent leur chute et le triomphe de la
-puissance royale.
-
-[286] «Je ne veux pas oublier à vous dire une chose que faisoit le roy
-vostre grand père, qu’il luy conservoit toutes provinces à sa dévotion,
-c’estoit qu’il avoit le nom de tous ceux qui estoient de maison dans
-les provinces, et autres qui avoient autorité parmi la noblesse et du
-clergé, des villes et du peuple, et pour les contenter, et qu’ils
-tinssent la main à ce que tout fût à sa dévotion, et pour estre averti
-de tout ce qui se remuoit dedans lesdites provinces, soit en général,
-ou en particulier, parmy les maisons privées, ou villes, ou parmi le
-clergé, il mettoit peine d’en contenter parmy toutes les princes, une
-douzaine, ou plus, ou moins, de ceux qui ont plus de moyen dans le
-pays, ainsi que j’ai dit cy-dessus: aux uns il donnoit des compagnies
-de gens d’armes, aux autres quand il vacquoit quelque benefice dans
-le même pays, il leur en donnoit, comme aussi des capitaineries des
-places de la province, et des offices de judicature, selon et à chacun
-sa qualité; car il en vouloit de chaque sorte, qui luy fussent obligez,
-pour sçavoir comme toutes choses y passoient: cela les contenoit de
-telle façon, qu’il ne s’y remuoit rien, fust au clergé ou au reste de
-la province, tant de la noblesse que des villes et du peuple, qu’il ne
-le sceut: et en étant adverti, il y remedioit, selon que son service
-le portoit, et de si bonne heure qu’il empeschoit qu’il n’avoit jamais
-rien contre son autorité ny obéissance qu’on lui devoit porter, et
-pense que c’est le remède dont pourrez user, pour vous faire aisement
-et promptement bien obeir, et oster et rompre toutes autres lignes,
-accointances et menées, et remettre toutes choses sous vostre autorité
-et puissance seule. J’ai oublié un autre point qui est bien nécessaire
-qui mettiez peine; et cela se fera aisement, si le trouvez bon; c’est
-qu’en toutes les principales villes de vostre royaume, vous y gagniez
-trois ou quatre des principaux bourgeois et qui ont le plus de pouvoir
-en la ville, et autant de principaux marchands qui ayent bon credit
-parmi leurs concitoyens, et que sous main, sans que le reste s’en
-apperçoive, ni puisse dire que vous rompiez leurs priviléges, les
-favorisant tellement par bienfaits ou autres moyens, que les ayez si
-bien gagnez, qu’il ne se face ni die rien au corps de ville ny par
-les maisons particulières, que n’en soyez adverty; et que quand ils
-viendront à faire leurs élections pour leurs magistrats particuliers,
-selon leurs privileges, que ceux-cy par leurs amis et pratiques,
-facent toujours faire ceux qui seront à vous du tout, qui sera cause
-que jamais ville n’aura autre volonté, et n’aurez point de peine à
-vous y faire obéir.» Extrait de l’état intitulé: _avis donnez par
-Catherine de Medicis à Charles IX pour la police de sa cour, et pour
-le gouvernement de son état_. Cette pièce se trouve dans les _mémoires
-de Condé, édit. in-4º. de 1743, T. 4, p. 657_.
-
-[287] Telle fut l’assemblée que François I tint au parlement le 16
-décembre 1527, et que quelques écrivains ont appelée improprement un
-lit de justice, puisqu’elle ne fut soumise à aucune des formes en
-usage dans le parlement. Si jamais il fut besoin de convoquer les
-états-généraux, ce fut dans cette occasion, où François I vouloit
-consulter sur la validité de l’article du traité de Madrid, par lequel
-il s’étoit engagé d’abandonner à l’empereur Charles-Quint le duché de
-Bourgogne et quelques autres seigneuries.
-
-Outre les seigneurs et les grands officiers qui accompagnent le roi en
-pareilles occasions, on appela trois cardinaux, vingt archevêques ou
-évêques; les premiers présidens des parlemens de Toulouse, de Rouen et
-de Dijon, un président du parlement de Grenoble, le second président du
-parlement de Rouen, et le quatrième président ou parlement de Bordeaux,
-le prévost des marchands et les quatre échevins de Paris; trois
-conseillers du parlement de Toulouse, deux conseillers du parlement de
-Bordeaux, un du parlement de Rouen, un du parlement de Dijon, deux du
-parlement de Grenoble, deux du parlement d’Aix.
-
-Après que le roi eut exposé l’affaire sur laquelle on devoit délibérer,
-le cardinal de Bourbon prit la parole et parla au nom du clergé. Le duc
-de Vendôme parla ensuite au nom des princes et de toute la noblesse du
-royaume. Jean de Selve, premier président du parlement de Paris, parla
-au nom de toute la magistrature et de la ville de Paris.
-
-«Sur ce a, le dit Selve, premier président, demandé au dit seigneur
-roi, si son plaisir estoit que les cardinaux, archevêques et evesques,
-et autres gens d’église, les princes, nobles, ceux de la justice et
-de la ville advisassent ensemble ou separément, le suppliant d’en
-ordonner: à quoy le dit seigneur a fait réponse que les gens d’église
-s’assembleront à part, les princes et nobles à part, et ceux de la
-ville à part, et qu’ils en viennent faire réponse chacun à part.»
-
-Quatre jours après, le 20 décembre, le roi se rendit une seconde fois
-au parlement pour entendre les avis des quatre corps. Le cardinal
-de Bourbon parla le premier au nom de l’église de France; le duc
-de Vendôme prit ensuite la parole pour les princes, seigneurs et
-gentilshommes. Le premier président de Selve harangua au nom de toute
-la magistrature, et enfin le prévôt des marchands parla pour la ville
-de Paris.
-
-Il seroit inutile de m’étendre plus au long sur ces assemblées
-de notables qui ne produisirent jamais aucun bon effet, et qui
-s’assemblèrent tantôt au parlement, tantôt dans le palais du roi.
-
-
- CHAPITRE III.
-
-[288] Tout le monde sait que le parlement prêta serment entre les
-mains du duc de Bethfort, d’observer l’ordre de succession établi par
-le traité de Troye. Cette compagnie étoit fort dévouée à la faction
-de Bourgogne. «Du samedi 29 aoust 1417. Ce jour après diner, la court
-fut assemblée en la chambre de parlement, de la chambre des enquestes
-et requestes du palais, pour avis et délibération sur ce qu’on avoit
-rapporté et exposé en ladite court, c’est à savoir que le roy avoit
-voulu et ordonné en son grant conseil pour maintenir la ville de
-Paris en plus grande seureté, paix et tranquillité, et autres causes,
-de faire partir et eslongner de ladite ville de Paris, pour aucun
-temps aucuns des conseillers et officiers de ladite court, nommez et
-escripts en certains rolle, sauf à eux, corps, honneurs, offices et
-biens quelconques, ou quel rolle estoient escripts et nommés messire J.
-de Longweul, G. Petit, G. de Sens, G. de Berze, G. de Celfoy, Guy de
-Gy, Estienne Genffroi, J. Boulard, Estienne Desportes, Jean Percieres,
-J. de Saint Romain, H. de Mavel, Philippe-le-Begue, conseillers du
-roy. Jhue, J. Milet, notaire, J. Dubois, greffier criminel, G. de
-Buymont, J. de Buymont, Therrat, procureurs, Carsemarc, huissier dudit
-parlement, sous ombre de ce qu’on les soupçonnoit d’estre favorables
-ou affectés au duc de Bourgogne, lequel on disoit venir et adresser
-son chemin pour venir à Paris accompagné de gens d’armes, contre les
-inhibitions et deffenses du roy, et finalement ladite cour, pour
-aller devers les gens du grant conseil et leur exposer et remontrer
-entre autres choses l’innocence desdits conseillers et officiers
-ci-dessus nommés, afin que ledit rolle au regard d’eux fust aboly
-et ne feussent contraints partir la ville de Paris, laquelle chose
-lesdits commissaires n’ont pu obtenir, jaçoit ce que les dessus nommez
-et chacun d’eux auroient lettres du roy, faisant mention que le roy
-envoye iceux conseillers et officiers dessus nommez et chacun d’eux à
-certaines parties de ce royaume pour certaines besongnes, touchant le
-fait du roy et de la court.» _Registres du parlement._ Cette pièce se
-trouve dans le _recueil concernant la pairie par Lancelot, p. 698_.
-
-Remarquez, je vous prie, avec quel art et quel ménagement on traite
-cette compagnie; ce qui est une nouvelle preuve du crédit qu’elle
-avoit acquis au milieu des divisions du règne de Charles VI. Remarquez
-encore que le parlement n’avoit point alors l’honneur de s’adresser
-directement au roi, et ne portoit ses plaintes ou ses remontrances
-qu’aux ministres.
-
-[289] «Aussi desiroit (Louis XI) de tout son cœur de pouvoir mettre
-une grande police au royaume, et principalement sur la longueur des
-procès, et en ce passage vint brider cette cour de parlement, non
-point diminuant leur nombre ne leur authorité, mais il avoit à contre
-cœur plusieurs choses dont il les hayoit. _Comines, L. 6 ch. 6._» Ce
-qui lui rendoit le parlement désagréable, c’étoit l’enrégistrement;
-il étoit choqué de se voir contraint d’envoyer à cette compagnie ses
-traités de paix, et de demander son approbation. «Et mesmement es dits
-de parlement, des comptes et des finances, que ces dites présentes ils
-vérifient et approuvent et les facent publier, &c. Traité de Conflans,
-en forme de lettres-patentes du 5 octobre 1465, pour terminer la guerre
-du bien public.»
-
-[290] «Le roy vous défend que vous ne vous entremettiez en quelque
-façon que ce soit de l’estat, n’y d’autre chose que de la justice, et
-que vous preniez un chacun ces lettres en général de vostre pouvoir
-et délégation en la forme et maniere qu’il a esté cy devant fait.
-Pareillement vous défend et prohibe toute cour, jurisdiction et
-connoissance des matieres archiepiscopales, épiscopales et d’abbayes,
-et déclare que ce que attenterez au contraire soit de nul effet et
-valeur; et avec ce ledit seigneur a revoqué et revoque et déclare
-nulles toutes limitations que pourriez avoir faites au pouvoir et
-régence de madame sa mère... Ordonne que ce qui a esté enregistré en
-la dite cour contre l’autorité de la dite dame, sera apporté au dit
-seigneur dedans quinze jours pour le canceller, et de ce l’enjoint
-au greffier de la dite cour, sur peine de privation de son office...
-Semblablement le dit seigneur défend à la dite cour d’user cy après
-d’aucunes limitations, modifications, ou restrictions sur ses
-ordonnances, édits et chartes, mais où ils trouveroient qu’aucune chose
-y deust estre ajoutée ou diminuée au profit du dit seigneur ou de la
-chose publique, ils en avertiront le dit seigneur. D’autre part le dit
-seigneur vous dit et déclare que vous n’avez aucune jurisdiction ni
-pouvoir sur le chancelier de France, laquelle appartient audit seigneur
-et non à autre; et par ainsi tout ce que par vous a esté attenté à
-l’encontre de lui, il le déclare nul, comme fait par gens privez, non
-ayant jurisdiction sur luy, et vous a commandé et commande d’oster et
-canceller de vos registres tout ce que contre luy est fait, et enjoint
-audit greffier sur les peines que dessus, que dans le même temps il
-ait à rapporter les registres audit seigneur, canceller en ce qui
-touche le dit chancelier. Et d’autant que le dit seigneur a par chacun
-jour grosses plaintes et doléances de la justice mal administrée et
-des grands frais qu’il convient faire aux parties pour la recouvrer,
-et que ce jourd’huy lui avez fait dire que cela procede de ceux qui
-ont acheté leurs offices, et qui pour éviter frais, aucuns anciens
-reputez prudens la faisoient administrer en plusieurs lieuz, et a sçu
-le dit seigneur d’ailleurs, que les affinitez, lignages et grosses
-familiaritez de ceux qui sont es cours, causent les désordres: le dit
-seigneur à cette cause ordonnera que pour s’informer de tout, et après
-y pourveoir pour le bien de son royaume et descharge de sa conscience.
-Et veut et entend le dit seigneur que le présent édit soit enrégistré
-en son grand conseil et les cours de parlement. Edit du 24 juillet
-1527.» Cet édit fut publié en présence du roi dans son conseil, où les
-présidens et conseillers du parlement furent appelés.
-
-[291] Voyez ce que j’ai dit dans les remarques du livre précédent au
-sujet de la cour des pairs, qui étoit distinguée du parlement avant le
-procès du duc d’Alençon.
-
-[292] «Dans les dernieres années du regne de Louis XII, dit Mezeray,
-il arriva une chose qui sembla alors de très petite consequence,
-mais qui depuis a bien couté des millions aux sujets de l’état, et
-leur en coutera encore bien davantage. J’ai marqué dans le regne de
-Charles VIII, que le roy faisoit tous les ans un fonds de quelques
-six milles livres pour payer l’expédition des arrêts du parlement,
-afin que la justice se rendît tout à fait gratis. Un malheureux commis
-auquel on avoit donné ce fonds là, l’emporta et s’enfuit; le roi
-desiroit en faire un autre, mais comme il étoit fort pressé d’argent
-pour les grandes guerres qu’il avoit à soutenir, quelque flatteur luy
-fit entendre que les parties ne seroient point grevées de payer ces
-expéditions. En effet ils n’eurent pas d’abord grand sujet de s’en
-plaindre, parce qu’elle ne coutoient que six blancs ou trois sous la
-pièce; mais depuis, cette dépense s’est infiniment augmentée, et on
-ne peut pas dire sans étonnement jusqu’à quel point elle est montée
-aujourd’hui.
-
-«Je puis à ce propos marquer ici l’origine des épices, qui est une
-autre charge que les misérables plaideurs se sont imposée eux-mêmes.
-Quelque partie qui avoit obtenu un arrêt à son profit, s’étant avisée,
-pour remercier son rapporteur, de lui donner des boîtes de dragées et
-de confitures qu’alors on nommoit épices, un second, puis un troisième,
-un quatrième et plusieurs autres ensuite le voulurent imiter. Ces
-reconnoissances volontaires furent tirées à consequence, et devinrent
-un droit nécessaire; les juges crurent être bien fondés de les
-demander quand on ne les donnoit pas. Après ils les taxèrent, puis à
-la fin ils les convertirent en argent. Tant il est dangereux de faire
-réglément des présens à des personnes qui s’en peuvent faire un droit
-quand il leur plait.»
-
-[293] Le voile a été déchiré, par la révolution que la magistrature du
-royaume a éprouvée dans ces derniers temps. Le chancelier de Maupeou
-a rompu la chaîne des traditions de la doctrine et de l’ambition des
-parlemens. Il nous a fait connoître que ces compagnies n’avoient pas
-la force que nous leur attribuions. Il nous a fait sentir une grande
-vérité; que tout ordre de citoyens qui favorise le despotisme, dans
-l’espérance de le partager avec le prince, creuse un abyme sous ses
-pas, et assemble un orage sur sa tête. Nous voyons de la manière la
-plus claire ce que c’est aujourd’hui que l’enrégistrement. Si vous
-désirez que cette vaine formalité soit moins ridicule qu’elle ne l’est
-dans les mains des nouveaux magistrats, désirez que les offices ne
-soient pas donnés par la cour, et que le gouvernement se trouve forcé
-de faire de la vente des charges une affaire de finance. Alors les
-parlemens tâcheront de reprendre leur ancien esprit, et en faisant
-semblant de servir le public, ils se prépareront une seconde disgrace.
-
-[294] Voyez _l’histoire de Thou, L. 13_.
-
-[295] Voyez encore _l’histoire de Thou, L. 35_.
-
-[296] Voyez l’avant-dernière remarque[278] du livre précédent. Dans
-le discours que le chancelier de l’Hôpital prononça au lit de justice
-tenu à Rouen à l’occasion de la majorité de Charles IX, il parla
-d’une ancienne erreur où sont les magistrats ou juges supérieurs, qui
-s’imaginent qu’il leur est permis d’éluder ou d’affoiblir les lois,
-sous prétexte de les interprêter ou de les appliquer avec plus de
-justice.
-
-[297] «De par le roi. Nostre amé et féal pour aucunes causes qui nous
-meuvent, lesquelles nous vous dirons, nous voulons, vous mandons et
-commandons, que doresnavant, vous ne instituez, ne faciez ou souffrez
-recevoir et instituer, aucuns officiers quelsconques en notre cour de
-parlement, pour quelconque élection qu’icelle cour aye faite ou fasse,
-ne aussi en nos chambres des comptes et des generaux de la justice,
-pour quelconques retenues ou dons que ayons faicts. Car nous en
-retenons à nous toute l’ordonnance et disposition, et le faites sçavoir
-à nos gens de nos dites cours et chambres, afin que n’en puissent
-prétendre ignorance, et par eulx en vostre absence, et sous vostre sceu
-ne fasse au contraire.» _Lettres de Charles VII à son chancelier, du 2
-mars 1437_. Elles furent enrégistrées au parlement le 2 d’avril suivant.
-
-«Que doresnavant quant les lieuz de presidens et des autres gens de
-nostre parlement vacqueront, ceux qui y seront mis, soient prins et mis
-par élection, et que lors nostre dit chancelier aille en sa personne
-en nostre court de nostre dit parlement, duquel il soit faicte ladicte
-élection, et y soient prinses bonnes personnes, sages, lettrées,
-expertes et notables selon les lieuz où ils seront mis, afin qu’il y
-soit pourveu de teles personnes comme il appartient à tel siege, et
-sans aucune faveur ou acceptation de telles personnes.» _Ordon. du
-mois de janvier 1400, art. 18._ Il est aisé de juger que la présence
-du chancelier ne pouvoit pas s’allier avec la liberté; c’étoit lui
-en effet qui décidoit de toutes les places. Ce qu’il y a de plus
-extraordinaire, c’est que l’on continuoit à faire des ordonnances
-pour autoriser les élections dans le temps même que les offices de
-judicature se vendoient publiquement.
-
-«Avons à cette cause ordonné et ordonnons que doresnavant en faisant
-les dites élections et nominations des dits présidens et conseillers,
-iceux nos dits presidens et conseillers ainsi élisans et nommans,
-jureront sur les saints évangiles de Dieu es mains du premier président
-de la dite cour, ou autre qui en son absence présidera, d’élire sur
-son honneur et conscience, celui qu’il sçaura et connoîtra estre le
-plus lettré, expérimenté, utile et profitable pour les dits offices
-respectivement exercer au bien de justice et chose publique de nostre
-royaume.» _Ordon. de Blois en 1498, art. 31._ La liberté que Louis XII
-voulut rendre au parlement venoit trop tard; on avoit déjà contracté
-l’habitude de faire un trafic des magistratures, et d’ailleurs, la
-cour étoit trop puissante pour que sa recommandation ne fût pas aussi
-dangereuse que la présence du chancelier.
-
-[298] «Nous ordonnons que doresnavant aucun n’achette office de
-president, conseiller ou autre office en nostre dite cour, et
-semblablement d’autre office de judicature en nostre royaume, ne pour
-iceux avoir baillé, ne promettre, ne fasse bailler, ne promettre par
-lui ne autre, or, argent, ne chose équipolent, et de ce il soit tenu
-faire serment solemnel avant que d’estre institué et reçu, et s’il est
-trouvé avoir fait ou faisant le contraire, le privons et déboutons
-à présent du dit office, lequel déclarons impétrable.» (_Ordon. de
-Charles VIII en juillet 1493, art. 68._)
-
-Par _l’ordonnance du mois d’avril 1453, art. 84_, on voit que Charles
-VII se plaignoit déjà que les praticiens achetassent des protections
-à la cour pour obtenir des offices de judicature. Cet abus étoit trop
-étendu pour qu’on pût espérer d’y remédier, en condamnant les coupables
-à des amendes, et en les déclarant incapables de posséder aucun office
-royal.
-
-Cette corruption s’est conservée jusqu’au temps de la vénalité
-authentique des offices, et nous la verrons renaître, si l’ordre
-nouvellement établi par Maupeou peut subsister. Le 1 janvier 1560, dit
-Thou, _livre 24_, François II fit un édit pour rétablir les élections
-des magistrats; ordonnant quand une place vaqueroit, qu’on lui
-proposeroit trois sujets dont il en choisiroit un; cette ordonnance,
-ajoute-t-il, fut depuis plusieurs fois renouvelée, et ne fut jamais
-exécutée, par l’ambition et la cupidité des courtisans qui tiroient
-de grosses sommes de la vente des offices, et qui, sous prétexte de
-remplir les coffres du roi, firent que, par des édits bursaux on
-augmenta à l’infini le nombre des juges. Ainsi, cet ordre illustre,
-qu’il importoit tant de conserver dans tout son éclat et dans sa
-dignité, pour contenir par là dans le devoir les autres ordres de
-l’état, commença à s’avilir peu à peu; des hommes indignes de leur
-place et sans mérite, parvinrent aux honneurs de la magistrature par
-leurs seules richesses et par la faveur des grands, dans la seule vue
-d’un intérêt bas et sordide.
-
-[299] Voyez le recueil des œuvres du chancelier de l’Hôpital, ou
-l’histoire de Thou, liv. 25.
-
-[300] «Le peuple, qui entend la division qu’il y a entre la dite cour
-et vostre conseil, se rend plus difficile à vous rendre l’obéissance
-qu’il doit. Je passerai plus outre, que la cour en ses remontrances use
-bien souvent de cette clause qui peut estre cause de beaucoup de maux.
-
-«La cour ne peut ny doit, selon leur conscience enteriner ce qui lui a
-esté mandé; et avec le même respect je proteste, comme j’ai jà fait, de
-ne vouloir parler de cette compagnie qu’avec honneur, je dis, sire, que
-de ces paroles en avient souvent de grands inconvéniens. Le premier
-est, que comme le peuple entend que messieurs de la cour sont pressés
-si avant par vostre autorité, qu’ils sont constraints de recourir au
-devoir de leurs consciences, il fait sinistre jugement de la vostre,
-et de ceux qui vous conseillent, qui est un grand aiguillon pour les
-acheminer à une rebellion et désobéissance: le second inconvenient est
-qu’il avient souvent que ces messieurs, après avoir usé de ces mots si
-severes et rigoureux, peu de temps après, comme s’ils avoient oublié
-le devoir de leurs consciences, passent outre et accordent ce qu’ils
-avoient refusé: et par expérience il vous souvient, sire, qu’il y a
-environ deux ans, qu’ils refusèrent par deux fois vos lettres-patentes
-sur les facultés de monsieur le cardinal de Ferrare, usant toujours
-de ces mots: nous ne pouvons ne devons selon nos consciences; et
-toute fois deux mois après sur une lettre missive en une matinée, ils
-reçurent et approuverent les dites facultez qu’ils avoient refusées
-avec tant d’opiniâtreté. Je demanderois volontiers ce que deviennent
-lors leurs consciences. Ce qui me fait dire, et les prie, sire, en
-vostre presence, qu’ils soient désormais plus retenus à user de telles
-clauses, et considérer que s’ils demeurent en leurs opinions, ils font
-grand tort à vostre majesté; s’ils changent, ils donnent à mal penser à
-beaucoup de gens de leurs consciences.»
-
-Dans ces derniers temps, le parlement a souvent dit, dans ses
-remontrances, qu’il a manqué à son devoir en enregistrant tel édit
-ou telles lettres-patentes, et qu’il ne l’a fait que pour donner des
-preuves de son amour et de son respect pour le roi. Quel étrange
-langage pour des magistrats! En avouant que quelque chose leur est plus
-précieux que la justice, ne se décrient-ils pas auprès du public?
-
-[301] On a vu, dans la dernière remarque[279] du livre précédent, deux
-articles de l’ordonnance de Blois en 1498, par laquelle Louis XII avoit
-tâché de réprimer la tyrannie des seigneurs. Je vais prouver, par des
-pièces, que cet esprit subsiste.
-
-«Comme depuis nostre avenement à la couronne, nous ayant esté faites
-plusieurs et diverses plaintes du peu de reverence que beaucoup de nos
-sujets ont aux arrests de nos cours souveraines, et autres jugemens
-donnez en cas de crimes, tellement que la plupart desdits arrests,
-sentences et jugemens demeurent inexecutez et illusoires, ce qui
-avient pour ce que ceux qui par lesdits arrests, sentences et jugemens
-sont condamnés au supplice de mort, ou autre grande peine corporelle,
-ou bien bannis de nostre royaume, et leurs biens confisqués, n’estant
-pas comparus aux assignations qui leur ont été baillées, et n’ayant
-pu estre pris prisonniers, tiennent fort en leurs maisons et biens,
-là où après lesdits arrests, sentences et jugemens, ils ne devroient
-trouver lieu de refuge, ni de sûr accès en cettuy nostre royaume,
-sont reçus, recueillis et favorisez de leurs parens, amis ou autres
-personnes qui les reçoivent et latitent au grand mepris et contemnement
-de nous et de notre dite justice, dont il advient plusieurs meurtres
-et autres grands inconveniens, tant pour l’observation de nostre dite
-justice, que pour le repos public et general de tous nos sujets,
-lesquels sans l’obeissance et reverence de nostre dite justice, ne
-pourroient estre longuement entretenus en union et tranquillité. Pour
-ce estoit, que nous après avoir mis cette affaire en délibération avec
-les princes de nostre sang et gens de nostre conseil privé, estans
-les nous: avons par leur avis, dit, statué et ordonné, et par la
-teneur de ces dites presentes, disons, statuons, voulons et ordonnons
-que doresnavant quand il y aura aucun de nos sujets condamné, soit
-par defauts, coutumaces ou autrement, au supplice de mort, ou autres
-grandes peines corporelles, ou bannis de nostre dit royaume et leurs
-biens confisqués, nos autres sujets, soient leurs parens ou autres,
-ne les pourront recueillir, recevoir, cacher ni latiter en leurs
-maisons; mais seront tenus s’ils se retirent devers eux, de s’en saisir
-pour les représenter à la justice afin d’ester à droit, autrement en
-défaut de ce faire, nous voulons et entendons qu’ils soient tenus
-pour coupables, et consentans des crimes dont les autres auront esté
-chargés, condamnés et punis comme leurs alliez et complices, de la
-mesme peine qu’eux, davantage à ceux qui viendront relever à justice
-lesdits receptateurs, nos officiers en procédant à l’encontre d’eux
-sur le fait du dit recelement, adjugent aux dits revelateurs par même
-jugement la moitié des amendes et confiscations esquelles lis auront
-condamné lesdits receptateurs; et quant à ceux desdits condamnés qui
-après lesdits arrests, sentences et jugemens donnez à l’encontre
-d’eux, ne voudront obéir aux exécuteurs d’iceux, et tienront fort en
-leurs maisons et châteaux contre les gens et ministres de nostre
-dite justice, nous voulons et entendons que lorsqu’il sera apparu de
-ladite rebellion, les baillifs et seneschaux, au ressort desquels
-seront assis lesdites maisons et châteaux, assemblent ban et arriere
-ban, prévosts des mareschaux et les communes; et s’ils ne sont assez
-forts, que les mareschaux de France et gouverneurs des provinces à
-la premiere sommation et requeste qui leur en sera faite, et leur
-faisant apparoir de ladite rebellion, comme dessus est dit, assemblent
-davantage les gens de nos ordonnances, et si besoin est, fassent sortir
-le canon pour faire mettre en exécution lesdits arrests, sentences et
-jugemens, et fassent telle ouverture des dites maisons et châteaux,
-que la force nous en demeure. Voulons qu’en signe de ladite rebellion,
-outre la punition qui sera faite suivant nos édits, de tous ceux qui
-se trouveront dans lesdites maisons et châteaux avoir adhéré aux dits
-rebelles, ils fassent démolir, abattre, raser icelles maisons et
-châteaux sans qu’ils puissent estre puis après restablis ni réédifiez,
-si ce n’est par nostre congé et permission.» (_Ord. de François II, du
-17 décembre 1559._)
-
-«Sur la remontrance et plainte faite par les députez du tiers état,
-contre aucuns seigneurs de nostre royaume, de plusieurs extorsions,
-corvées, contributions et autres semblables exactions et charges
-indues, nous enjoignons très-expressement à nos juges de faire leur
-devoir et administrer justice à tous nos sujets, sans exception de
-personnes de quelque autorité et qualité qu’ils soient, et à nos
-avocats et procureurs y tenir la main et ne permettre que nos pauvres
-sujets soient travaillez et opprimez par la puissance de leurs
-seigneurs feodaux, censiers et autres, auxquels defendons intimider ou
-menacer leurs sujets et redevables, leur enjoignons se porter envers
-eux moderement et poursuivre leurs droits par les voyes ordinaires de
-justice, et avons dès a présent révoqué toutes lettres de commission et
-délégation accordées et expédiées ci-devant à plusieurs seigneurs de
-ce royaume, à quelques juges qu’elles aient esté adressées, pour juger
-en souveraineté les procès intentés pour raison des droits d’usage,
-paturage, et autres prétendus, tant par les dits seigneurs que pour
-leurs sujets, manans, et habitans des lieux et renvoyé la connoissance
-et jugement des dits procès à nos baillifs et séneschaux ou à leurs
-lieutenans, et par appel à nos cours de parlement chacun en son
-rapport.» (_Ordon. de Charles IX, en janvier 1560, en conséquence des
-états-généraux tenus à Orléans, art. 106._)
-
-«Entendons toutefois maintenir les gentilshommes en leurs droits de
-chasses à grosses bestes, es terres où ils ont droit, pourvu que ce
-soit sans le dommage d’autrui, même du laboureur. (_Ibid. art. 108._)
-
-Parce qu’aucuns abusans de la faveur de nos prédécesseurs par
-importunité ou plustost subrepticement ont obtenu quelques fois des
-lettres de cachet et closes ou patentes, en vertu desquelles ils ont
-fait sequestrer des filles et icelles épousé et fait épouser contre
-le gré et vouloir des pères, mères et parens, tuteurs ou curateurs,
-chose digne de punition exemplaire; enjoignons à tous juges procéder
-extraordinairement et comme un crime de rapt, contre les impetrans
-et ceux qui s’aideront de telles lettres, sans avoir aucun égard à
-icelles. (_Ibid. art. 111._)
-
-Parce que plusieurs habitans de nos villes, fermiers et laboureurs
-se plaignent souvent des torts et griefs des gens et serviteurs des
-princes, seigneurs ou autres qui sont à nostre suite, lesquels exigent
-d’eux des sommes de deniers pour les exempter de logis, et ne veulent
-payer qu’à discrétion: enjoignons aux prevosts de nostre hostel et
-juges ordinaires des lieux, proceder sommairement par prévention et
-concurrence à la punition des dites exactions et fautes, à peine de
-s’en prendre à eux. (_Ibid. art. 116._)
-
-Défendons à tous capitaines de charrois, tant de nos munitions de
-guerres ou artillerie, qu’autres nos officiers, et de ceux de nostre
-suite, prendre les chevaux des fermiers et laboureurs, si ce n’est de
-leur vouloir, de gré à gré, et en payant les journées, à peine de la
-hard. (_Ibid. art. 117._)
-
-Défendons aussi à tous pourvoyeurs et sommeliers d’arrester ou marquer
-plus grande quantité qu’il ne leur faut, ni de prendre des bourgeois
-des villes, laboureurs et autres personnes, vin, bled, foin, avoine et
-autre provision sans payer, ou faire incontinent arrester le prix aux
-bureaux des maistres d’hostel, ni autrement abuser en leurs charges,
-à peine d’estre à l’instant cassez et de plus grande punition s’il y
-échet, aux quels maistres d’hostel enjoignons payer ou faire payer huit
-jours après le prix arresté. (_Ibid. art. 118._)
-
-Sur la plainte des députez du tiers-état, avons ordonné qu’il sera
-informé à la requeste de ceux qui le requerront, contre toutes
-personnes, qui sans commission valable, ont levé ou fait lever deniers
-sur nos sujets, soit par forme d’emprunts, cottisations particulieres
-ou autrement, sans avoir baillé quittance, et d’iceux rendront compte,
-pour l’information vue en nostre conseil privé, y estre pourvu comme
-appartiendra par raison. (_Ibid. art. 130._)
-
-Avons déclaré que les dits gouverneurs (des provinces) ne peuvent
-et leurs deffendons donner aucunes lettres de grace, de remission
-et pardon, foires, marchez et légitimation, et autres semblables,
-d’évoquer les causes pendantes par devers les juges ordinaires, et leur
-interdire la connoissance d’icelles, s’entremettre aucunement du fait
-de la justice. (_Ordon. de Moulins, en février 1566, art. 22._)
-
-Parce qu’à nous seul appartient lever deniers en nostre royaume,
-et que faire autrement, seroit entreprendre sur nostre autorité
-et majesté, deffendons très expressément à tous nos gouverneurs,
-baillifs, séneschaux, trésoriers et généraux de nos finances, et autres
-quelconques nos officiers, d’entreprendre de lever ou faire lever
-aucuns deniers en nos pays, terres et seigneuries, et sur les sujets
-d’icelles, quelque autorité qu’ils ayent, ou pour quelque cause que
-ce soit, ne permettre qu’aucuns en lèvent, soit en particulier ou
-de communauté, sinon qu’ils ayent nos lettres patentes précises et
-expresses pour cet effet. (_Ibid. art. 23._)
-
-Ceux qui tiendront fort en leurs maisons et chasteaux contre nostre
-justice et décrets d’icelle, et n’obéiront aux commandemens qui leur
-seront faits, confisqueront leurs dites places à nostre profit, ou des
-hauts justiciers à qui il appartiendra, soit en pays où confiscation a
-lieu, soit en autre: sauf si pour certaines grandes causes est ordonné
-par nous ou justice que les dites maisons et chasteaux seront demolies
-et rasez pour exemple.» (_Ibid. art. 29._)
-
-Dans l’ordonnance donnée à Paris, au mois de mai 1579, sur les plaintes
-des états-généraux assemblés à Blois, on trouve dans les articles 274
-et 275 les mêmes dispositions que dans l’ordonnance de Moulins, que je
-viens de rapporter, art. 22 et 23.
-
-«Deffendons à tous seigneurs et autres, de quelque état et qualité
-qu’ils soient, d’exiger, prendre ou permettre estre pris, ou exigé sur
-leurs terres et sur leurs hommes ou autres, aucunes exactions indues,
-par forme de taille, aydes, crues, ou autrement, et sous quelque
-couleur que ce soit ou puisse estre, sinon es cas des quels les sujets
-et autres seront tenus et redevables de droit, où ils peuvent estre
-contraints par justice, et ce sur peine d’estre punis selon la rigueur
-de nos ordonnances, sans que les peines portées par icelles puissent
-estre moderées par nos juges.» (_Ordon. de may 1579, art. 280._)
-
-«Défendons aussi à tous gentilshommes et seigneurs de contraindre leurs
-sujets et autres à bailler leurs filles, nièces ou pupilles en mariage
-à leurs serviteurs ou autres, contre la volonté et liberté qui doit
-estre en tels contrats, sur peine d’estre privez du droit de noblesse
-et punis comme coupables de rapt, ce que semblablement nous voulons aux
-mesmes peines estre observé contre ceux qui abusent de notre faveur par
-importunité, ou plustost subrepticements ont obtenu et obtiennent de
-nous lettres de cachet, closes ou patentes en vertu desquelles ils font
-enlever et sequestrer filles, icelles épousent et font épouser contre
-le gré et vouloir du pere, mere, parens, tuteurs et curateurs.» (_Ibid.
-art. 281._)
-
-«Abolissons et interdisons tous péages de travers nouvellement
-introduits, et qui ne sont fondés en titre ou possession légitime;
-et seront ceux à qui lesdits droits de péages appartiennent, tenus
-entretenir en bonne et due reparation les ponts, chemins et passages,
-et garder les ordonnances qui ont été faites par les rois nos
-prédécesseurs, tant pour la forme du payement des dits droits en
-deniers, que pour l’affiche ou entretennement d’un tableau ou pancarte:
-le tout sur les peines portées par lesdites ordonnances, et de plus
-grièves, s’il y echet.» (_Ibid. art. 282._)
-
-«Pour les continuelles plaintes que nous avons de plusieurs seigneurs,
-gentilshommes et autres de nostre royaume qui ont travaillé et
-travaillent leurs sujets et habitans du plat pays où ils font
-résidences, par contributions de deniers ou grains, corvées ou autres
-semblables exactions indues, mesme sous la crainte des logemens des
-gens de guerre, et mauvais traitement qu’ils leur font ou font faire
-par leurs agens et serviteurs: enjoignons à nos baillifs et seneschaux
-tenir la main à ce qu’aucun de nos dits sujets soient travaillez ni
-opprimez par la puissance et violence des seigneurs, gentilshommes ou
-autres.» (_Ibid. art. 283._)
-
-«Défendons à tous sommeliers et pourvoyeurs tant nostres qu’autres,
-d’enlever aucuns bleds, vins, et autres vivres sur nos sujets sans
-payer comptant ce qu’ils enlèveront.» (_Ibid. art. 326._)
-
-«Sur la plainte à nous faite par lesdits ecclésiastiques que pour les
-ports d’armes, forces et violences qu’aucuns de nos sujets commettent,
-sont tellement redoutez, que les sergens n’osent approcher et n’ont
-sûr accès en leurs maisons pour leur donner des assignations requises
-en telles poursuites; avons ordonné et ordonnons que toutes personnes
-ayans seigneuries ou maisons fortes, et autres de difficile accès,
-demeurans hors des villes, seront tenus élire domicile en la prochaine
-ville royale de leur demeure et résidence ordinaire; et quant aux
-assignations et significations, sommations, commandemens et exploits,
-qui seront faits aux dits domiciles élus, vaudront et seront de tel
-effet et valeur, comme si faits estoient à leurs propres personnes,
-en baillant audit domicile eslu delay competant, selon la distance
-des lieux, pour leur faire sçavoir lesdits exploits, qui seront faits
-à l’un des officiers, baillifs, presvosts, lieutenans, procureurs
-fiscaux, greffiers, fermiers ou receveurs et domestiques; et seront
-de tel effet et valeur, comme s’ils étoient faits à leurs propres
-personnes ou domiciles; et en matière criminelle, au défaut de ladite
-élection, permettons iceux faire ajourner à son de trompe et cri
-public, en la plus prochaine ville royale de leur demeure.» (_Ordonn.
-de février 1580, art. 32._)
-
-Voilà une longue suite d’ordonnances qui prouve invinciblement avec
-quelle force les abus nés pendant la licence des fiefs étoient
-enracinés dans les esprits: on feroit un volume de réflexions sur
-les articles qu’on vient de lire. Combien les citoyens n’étoient-ils
-pas divisés? Pourquoi s’étoient-ils faits des intérêts contraires?
-Que notre législation étoit grossière! Le conseil mal-habile du roi
-croyoit qu’il suffisoit de publier une ordonnance et de faire des
-menaces pour remédier à un abus. Je me contenterai d’observer que les
-autorités que je viens de rapporter dans cette remarque, servent à
-confirmer plusieurs autres points de notre histoire, dont j’ai parlé
-dans mon ouvrage. Je prie encore le lecteur d’examiner avec soin, si
-les Français, en conservant tant de vices, tant d’abus et tant de
-préjugés de leur ancien gouvernement féodal, tandis que le roi se
-servoit si mal de sa puissance législative, n’étoient pas fortement
-invités à se cantonner encore dans leurs terres ou dans les provinces
-qu’ils gouvernoient tyranniquement. On retrouve sous les fils de Henri
-II les mêmes vices, les mêmes erreurs, la même foiblesse qui formèrent
-le gouvernement féodal sous les rois de la seconde race.
-
-[302] Ce n’est qu’en 1644 que les magistrats du parlement acquirent
-une noblesse qu’ils transmirent à leurs descendans. Jusqu’alors ils
-n’avoient joui que d’une noblesse personnelle, ou des priviléges de la
-noblesse, tels que sont ceux qu’on accorde aux roturiers qui possèdent
-aujourd’hui quelque charge à la cour. «Nous avons maintenu et gardé,
-maintenons et gardons les officiers de nos dites cours, dans leurs
-anciens priviléges, prérogatives et immunités attribués à leurs dites
-charges, sans toutefois qu’eux ni leurs descendans puissent jouir
-des priviléges de noblesse et autres droits, franchises, exemptions
-et immunitez à eux accordez par des édits et déclarations pendant et
-depuis l’année 1644, que nous avons revoquez et annullez, revoquons
-et annullons par ces présentes; ensemble toutes autres concessions
-de noblesse, priviléges, exemptions et droits, de quelque nature et
-qualité qu’ils puissent être, accordez en conséquence, aux officiers
-servans dans lesdites compagnies que nous avons pareillement déclarez
-nuls et de nul effet. Voulons qu’en conséquence de la révocation des
-dits priviléges, tous lesdits officiers, de quelque ordre et qualité
-qu’ils puissent être, soient retenus et rétablis au même et semblable
-état qu’ils étoient auparavant les édits, déclarations, arrests et
-réglemens intervenus pour raison de ce, pendant et depuis l’année 1644;
-sans qu’eux ni leurs descendans puissent directement ni indirectement
-user ni se prévaloir du bénéfice d’iceux, qui seront censés nuls, de
-nul effet et comme non avenus.» Edit donné en août 1669.
-
-Louis XIV se ressouvenoit de la guerre de la Fronde. En 1690, il
-rétablit les priviléges accordés au parlement en 1644. Je ne retrouve
-point dans mes papiers la note que j’avois faite de cet édit de 1690.
-Mais, ce qui revient au même, je rapporterai ici la _déclaration du
-29 juin 1704_, en faveur des substituts du procureur-général. «Nous
-avons, par notre édit du mois de novembre 1690, déclaré et ordonné que
-les présidens, conseillers, nos avocats et procureurs-généraux de
-notre cour de parlement de Paris, premier et principal commis au greffe
-civil d’icelle alors pourvus, et qui le seroient cy-après, lesquels ne
-seroient pas issus de noble race, ensemble leurs veuves demeurant en
-viduité, et leurs enfans et descendans, tant mâles que femelles, nez et
-à naître en légitime mariage, seroient réputez nobles, et comme tels
-jouiroient des droits, priviléges, rangs et prééminences dont jouissent
-les autres nobles, etc. Nous avons déclaré et ordonné, déclarons et
-ordonnons, voulons et nous plaît que nos dits conseillers substituts
-de notre procureur-général au parlement de Paris, soient et demeurent
-compris et aggrégez au nombre des officiers de la dite cour, dénommez
-et compris en notre édit du mois de novembre 1690. Voulons, etc.»
-(_Déclaration du 29 juin 1704_).
-
-[303] Avant que de rapporter le discours du président de Saint-André,
-le lecteur ne sera pas fâché de lire ici la harangue du chancelier de
-l’Hôpital, telle qu’on la trouve dans les _mémoires de Condé, tome 2,
-p. 529_.
-
-«L’estat du parlement est de juger les différends des subjects et leur
-administrer la justice. Les deux principales parties d’un royaume
-sont que les ungs le conservent avec les armes et forces; les autres
-l’aydent de conseil, qui est divisé en deux. Les ungs advisent et
-pourvoyent au faict de l’estat et police du royaume; les autres jugent
-les différends des subjects, comme ceste court qui en a l’auctorité
-presque par tout le royaume. Ceux du conseil privé manient les affaires
-de l’estat par les lois politiques et autres moyens. Aultre prudence
-est nécessaire à faire les lois que à juger les différends. Cellui
-qui juge les procès, est circonscript de personnes et de temps et ne
-doit excéder cette raison. Le législateur n’est pas circonscript de
-temps et personnes; ains doit regarder _ad id quod pluribus prodest_;
-oresque à aucuns semble qu’il fasse tort, et est comme cellui qui est
-_in specula_ pour la conservation de l’universel, et ferme l’œil au
-dommaige d’un particulier. Le dict parce que tous les jours viennent
-plainctes qui font parler les gens de cette disconvenance du conseil du
-roi et du dict parlement. Les édicts qui sont advisez par le conseil
-sont envoyez à la court, comme l’on a accoustumé de toujours; et les
-rois luy en ont voulu donner la connoissance et délibération, pour user
-de remontrances quand ils trouvent qu’il y a quelque chose à monstrer.
-Les remontrances ont toujours esté bien reçeues par les roys et leur
-conseil; mais quelque fois ont passé l’office de juge; et ce parlement
-qui est le premier et plus excellent de tous les autres, y deust mieulx
-regarder; et toutes fois est advenu que en déliberant sur les édicts,
-il a tranché du tout ou en partie; et après avoir faict remontrances et
-en la volonté du roy, a faict li contraire. Aucuns cuident, comme lui,
-que cela se faict de bon zèle; autres pensent que la cour oultrepasse
-sa puissance. Quand les remontrances d’icelle sont bonnes, le roy
-et son conseil les suivent et changent les édits, dont la cour se
-deust contenter, et en cest endroit cognoistre son estat envers ses
-supérieurs.»
-
-Le président de Saint-André répondit. «N’a point entendu que quant y a
-eu édicts du dict seigneur presentés à icelle, elle y ait faict aucune
-désobéissance; mais les roys très-chrétiens voulans que leurs lois
-fussent digerées en grandes assemblées, afin qu’elles fussent justes,
-utiles, possibles et raisonnables, qui sont les vrayes qualitez des
-bonnes lois et constitutions, après les avoir faictes, les ont envoyées
-à la dicte court, pour cognoistre si elles estoient telles. Quand
-la dicte court les a trouvées autres; en a faict remontrance, qui a
-esté suivre la volonté des roys et non rompeure des lois, lesquelles
-ne servent de rien, si elles ne sont que escriptes: car leur force
-est en l’exécution, et chacun sçait qu’elle n’y est pas et qu’elle
-est plus nécessaire en ce temps qu’elle ne le fut oncques..... Vray
-est que cy-devant aucuns édicts ont esté envoyez ceans n’appartenans
-en rien à l’auctorité de la court; mais semble que ce ayt esté pour
-une autorisation: comme ceulx qui concernent les aydes, gabelles et
-subsides, dont la dicte court ne s’est jamais meslée, ains de domaine
-seulement, et toutes fois pour obéir, n’a laissé de les faire publier
-avec la limitation _in quantum tangit domanium_, dont la connoissance
-lui appartient.»
-
-[304] Voyez la remarque 287 du chapitre précédent.
-
-[305] Cette assemblée se tint le 6 janvier 1558, au palais, dans la
-chambre de S. Louis. Après que Henri II y eut prononcé un discours
-relatif aux malheureuses circonstances dans lesquelles se trouvoit
-le royaume, le cardinal de Lorraine prit la parole et promit au nom
-du clergé de puissans secours d’argent. Le duc de Nevers, qui parla
-pour la noblesse, assura qu’elle étoit prête à prodiguer son sang
-et ses biens pour la gloire du roi. Jean de Saint-André, à genoux,
-remercia le roi au nom du parlement et de toutes les cours supérieures,
-d’avoir bien voulu former entre la noblesse et le tiers-état un ordre
-particulier en faveur des magistrats: il offrit la vie et les biens de
-ceux pour qui il parloit. André Guillard du Mortier montra le même zèle
-en portant la parole pour le tiers-état. (_Voyez l’histoire de Thou, l.
-9._)
-
-La vanité du parlement, si content en 1558 de n’être plus compris dans
-l’ordre de la bourgeoisie, fit des progrès rapides; et dans l’assemblée
-des notables, tenue à Paris en 1626, il ne voulut plus souffrir qu’il y
-eût de distinction entre l’ordre de la magistrature et ceux du clergé
-et de la noblesse. Nous avons une relation de cette assemblée par le
-procureur-général du parlement de Navarre, et je vais en rapporter
-un morceau tel qu’on le trouve dans le cérémonial français, par Mrs.
-Godefroy, p. 402.
-
-«J’ay remarqué cy-dessus, dit l’historien, qu’après les discours
-faits à l’ouverture de l’assemblée, le garde des sceaux avoit comme
-en passant dit, que la volonté du roy étoit que sur les propositions
-la dite assemblée opinât par corps et non par têtes. L’effet de cette
-déclaration parut à la première séance, ou Monseigneur frère du roy,
-ayant fait opiner par têtes, et après commandé au greffier de lire
-les opinions, le dit greffier lut les avis par corps, disant: Mrs. du
-clergé sont d’un tel avis; Mrs. de la noblesse d’un tel, et Mrs. les
-officiers d’un tel. Sur quoi Mrs. les officiers, par la bouche de M. le
-premier président de Paris, remontrèrent à mondit seigneur, qu’outre
-que cette façon de recueillir les voix étoit préjudiciable, voire
-honteuse aux officiers, entant que par ce moyen on les distinguoit du
-clergé et de la noblesse, pour les jeter dans un tiers-état et plus
-bas ordre, elle étoit nouvelle et contraire aux usages pratiqués ès
-assemblées de cette nature, protestans n’y vouloir consentir. A quoi
-mondit seigneur répondit avoir commandement de sa majesté d’en user
-ainsi; mais qu’ils pouvoient avoir recours à elle et lui faire leurs
-très-humbles remontrances.
-
-Le lendemain les dits officiers étant allez trouver sa majesté
-au Louvre, lui représentèrent par la bouche du premier président
-de Paris, le préjudice et la honte que ce leur seroit d’opiner
-par corps, puisque représentans les cours de parlemens et autres
-compagnies souveraines, composées de tous les trois ordres du royaume,
-ils se verroient néanmoins réduits au plus bas, et à représenter le
-tiers-ordre séparé de ceux du clergé et de la noblesse, lesquels
-n’avoient à présent sujet de se distinguer d’eux, puisque toujours
-ils ont réputé à honneur de pouvoir être reçus à opiner avec eux dans
-les dites compagnies. Que la vocation qu’eux tous avoient en ladite
-assemblée étoit différente, en ce que ceux du clergé et de la noblesse
-y sont appellez par la volonté et faveur particulière du roi, qui
-en cela avoit voulu reconnoître le mérite d’un chacun d’eux; mais
-que les premiers présidens et procureurs généraux y étoient appellez
-par les lois de l’état, suivies de la volonté de sa majesté pour y
-représenter toute sa justice souveraine: qu’ès assemblées des notables
-comme celle-cy, faites sous les rois ses prédécesseurs, même en celle
-de Rouen convoquée par sa majesté en 1617, les dits officiers avoient
-opiné avec MM. du clergé et de la noblesse, ensemblement par têtes,
-sans aucune distinction ni différence d’ordres, dont la séparation
-seroit d’ailleurs suivie de plusieurs difficultés, à cause des divers
-présidens qu’il faudroit établir, chaque corps désirant l’honneur
-d’être présidé par monseigneur, et même de grandes longueurs pour ce
-que toujours après avoir opiné séparément, il faudroit s’assembler pour
-conférer les avis et en former un général sur chaque proposition.»
-
-«Sur quoi sa majesté prononça qu’on opineroit par têtes et
-ensemblement, se réservant à elle de faire opiner par corps où il
-écherroit des difficultez. Neantmoins à la premiere séance après, le
-premier président de Paris absent, sur la proposition qui fut faite,
-monseigneur demanda les avis à MM. du clergé, qui tous les portèrent à
-l’oreille de M. le cardinal de la Valette; et après MM. de la noblesse,
-lesquels le dirent à l’oreille de M. le maréchal de la Force; lesquels
-sieurs cardinal et maréchal de la Force les rapportèrent, disans;
-l’avis du clergé est tel, et celui de la noblesse tel. Et mon dit
-seigneur ayant demandé les avis aux officiers, M. le second président
-de Paris ayant fait le sien, M. du Mazurier, premier président de
-Toulouze, protesta ne vouloir opiner, puisque contre l’intention de sa
-majesté, on opinoit par corps; et mon dit seigneur luy ayant dit qu’il
-avoit ordre du roy d’en user ainsi, le dit sieur Mazurier, et avec lui
-plusieurs des dits officiers, se levèrent pour sortir, mais par le
-commandement exprès et réitéré de mon dit seigneur, ils se rassirent,
-protestans de recourir à sa majesté, laquelle étoit ce jour-là allée
-prendre le plaisir de la chasse à Versaille.
-
-«Le même jour les dits officiers s’étant assemblez chez le premier
-président de Paris, résolurent de faire leurs plaintes à sa majesté,
-à son retour de Versaille, et de ne se trouver point cependant à
-l’assemblée; ce qui succéda heureusement à cause des fêtes où l’on
-entroit, pendant lesquelles l’assemblée choma. Sa majesté étant de
-retour, le procureur-général du parlement de Paris rapporta l’être
-allé trouver au Louvre, et de soi-même lui avoir fait les plaintes
-que tous les officiers étoient prêts à lui porter, avec les raisons
-de leurs justes ressentimens, et qu’elle lui avoit commandé de leur
-dire, que son intention étoit de les contenter en cet endroit, et
-que pour cet effet, elle donneroit ordre à Monseigneur son frère
-de les faire opiner par têtes sans distinction: ce qui fut depuis
-pratiqué en toutes les séances et délibérations: ès quelles après la
-lecture de la proposition qui étoit portée par le procureur-général
-du parlement de Paris, Monseigneur demandoit les avis à Mrs. les
-premiers présidens des parlemens, commençant par celui de Paris, et
-ensuite aux procureurs-généraux comme ils étoient assis; après à M. le
-lieutenant civil; aux premiers présidens et procureurs-généraux des
-chambres des comptes de Paris et Rouen; après aux premiers présidens et
-procureurs-généraux des cours des aydes des dits lieux, après à Mrs.
-de la noblesse, commençant par ceux qui n’ont point l’ordre; ensuite
-à Mrs. du clergé, commençant par le bout d’en bas de leur banc; après
-à Mrs. les maréchaux de la Force et de Bassompierre, en commençant
-par celui-cy; après à M. le cardinal de la Valette, et finalement
-Monseigneur opinoit lui-même. Après que tous avoient opiné, mondit
-seigneur commandoit au greffier de lire les avis, chacun desquels il
-avoit écrit en un cahier, et après les avoir comptés, la délibération
-se formoit par la pluralité. Il est vrai que quelquefois, selon les
-matières, mondit seigneur commençoit à prendre les avis par Mrs. de la
-noblesse, autres fois par ceux du clergé, ce qui arriva peu souvent.»
-
-[306] Voyez liv. 2, chap. 2, remarque 54.
-
-[307] «Il y a dans le premier régistre du parlement, une déclaration de
-Charles VII, en date de cette année 1453, par laquelle il est ordonné
-que les officiers du parlement de Paris et de celui de Toulouse auront
-rang et séance dans l’une et dans l’autre de ces compagnies du jour
-de leur réception. Le parlement de Paris ne s’en étant pas tenu à
-cette déclaration, ce fut la cause que celui de Toulouse délibéra, en
-1467, que nul des présidens ni des conseillers du parlement de Paris
-ne seroit reçu à celui de Toulouse, jusqu’à ce que les officiers de
-celui de Paris auroient acquiescé à cette déclaration.» (_Annales de
-Toulouse, p. 218._)
-
-L’unité du parlement, distribué en différentes classes, n’étoit pas une
-nouveauté. _Voyez du Tillet, Recueil des rois de France, ch. du conseil
-privé du roi._ «Le roy, dit cet écrivain, n’a qu’une justice souveraine
-par lui commise à ses parlemens, lesquels ne sont qu’un en divers
-ressorts.»
-
-[308] On a vu dans les remarques précédentes comment l’ancienne cour
-des pairs et le parlement se confondirent sous le règne de Charles
-VII, à l’occasion du duc d’Alençon. Dès lors le parlement se regarda
-comme la cour des pairs; mais il falloit quelque événement important
-et remarquable, pour bien constater et fixer cette doctrine. Le procès
-du prince de Condé, condamné à mort, sous François II, et rétabli sous
-Charles IX, fut l’événement favorable que le parlement attendoit. Ce
-prince, qui refusa de reconnoître le conseil du roi pour son juge
-compétent, ne réclama point l’ancienne cour des pairs, dont personne
-peut-être alors n’avoit l’idée. Charles IX lui ayant ensuite donné
-des lettres-patentes pour reconnoître son innocence, il n’en fut pas
-content, et voulut être justifié en plein parlement. Le 13 mars 1560,
-le roi donna des lettres-patentes en conséquence, et le prince de Condé
-les porta lui-même au parlement le 20 mars; et dans le discours qu’il
-prononça, dit, qu’il ne reconnoissoit que cette compagnie pour juge.
-
-De là tout le bruit que fit le parlement de Paris, lorsque Charles IX
-fit publier sa majorité au parlement de Rouen: il ne manqua pas de
-dire dans ses remontrances, qu’il étoit la vraie et seule cour des
-pairs; qu’il est contre toutes les règles de vérifier les édits dans
-les parlemens de province, avant que de les avoir vérifiés au parlement
-de Paris; que celui-ci est le premier et la source de tous les autres
-parlemens, et qu’il est seul dépositaire de l’autorité des états qu’il
-représente. (_Voyez l’histoire de Thou, l. 35._)
-
-[309] C’est sous la présidence de Maupeou, aujourd’hui vice-chancelier
-et père du chancelier, que le parlement reprit l’ancienne doctrine de
-l’unité des parlemens; mais la malheureuse aventure du duc de Fitsjames
-ne laissa pas subsister long-temps cette opinion. Quoique le parlement
-de Toulouse eût montré dans cette circonstance les plus grands égards
-pour l’autorité et les prérogatives du parlement de Paris, cette
-dernière compagnie fut indignée que les magistrats de Toulouse eussent
-osé informer contre le duc de Fitsjames et le décréter: elle fit des
-arrêts pour déclarer qu’elle étoit uniquement et essentiellement la
-cour des pairs; et les parlemens de provinces en firent de leur côté
-pour réprouver cette doctrine. Personne ne s’aperçut que cette querelle
-puérile mettoit tous les parlemens sur le penchant du précipice: en
-effet, s’ils avoient été unis, et qu’ils eussent compté les uns sur
-les autres, jamais le chancelier de Maupeou n’auroit osé former le
-projet qu’il vient d’exécuter.
-
-[310] Une des choses qui prouve le mieux la futilité de tous les
-sentimens chimériques que le parlement a enfantés sur son origine,
-ses droits et son autorité, c’est l’espèce d’égalité dans laquelle
-la chambre des comptes s’est maintenue. On a vu dans les remarques
-précédentes que le greffe de la chambre des comptes ne servoit pas
-moins de dépôt aux lois que le greffe même du parlement, et que les
-ordonnances ont quelquefois été envoyées à la chambre des comptes,
-avant que d’être portées au parlement.
-
-On ne sera peut-être pas fâché de trouver des lettres assez
-extraordinaires de Philippe-de-Valois du 13 mars 1339, adressées à
-la chambre des comptes; le parlement auroit bien su tirer parti d’un
-pareil titre.
-
-«Philippe par la grace de Dieu, roi de France. A nos amez et feaulz
-les gens de nos comptes à Paris, salut et dilection. Nous sommes ou
-temps present moult occupez pour entendre au fait de nos guerres, et
-à la deffense de nostre royaume et de nostre peuple, et pour ce ne
-povons pas bonnement entendre aux requestes delivrez tant de grace que
-de justice, que plusieurs gens tant d’églises, de religion que autres
-nos subjets nous ont souvent à requerre. Pourquoy nous qui avons grant
-et plaine fiance dans vos loyautez, nous commettons par ces presentes
-lettres plenier povoir à durer jusques à la feste de la Toussains
-prochaine à venir, de ottroier de par nous à toutes gens tant d’église,
-de religion comme seculiers, graces sur acquets, tant fais comme à
-faire à perpétuité, de ottroier privileges et graces perpetuelles et à
-temps à personnes seculieres, églises, communes et habitans des villes,
-et impositions, assis et maletostes pour leur proufit et du commun des
-liez, de faire grace de rappel à bannis de nostre royaume, de recevoir
-a traicté et composition quelques personnes et communitez sur causes,
-tant civiles que criminelles, qui encore n’auront esté jugées, et sur
-quelconques autres choses que vous verrez que seront à ottroier, de
-nobiliter bourgeois et quelconques autres personnes non nobles, de
-légitimer personnes nées hors mariage, quant au temporel, et d’avoir
-succesion de pere et de mere, de confermer et renouveller privileges,
-et de donner lettres en cire vert sur toutes les choses devant dites,
-et chascune d’icelles, à valoir perpétuellement et fermement sans
-revocation et sans empeschement, et aurons ferme et stable tout ce que
-vous aurez fait es choses dessus dites et chacune d’icelles.» M. Du Puy
-a rapporté cette pièce dans son _traité de la majorité de nos rois, p.
-153._
-
-
- CHAPITRE IV.
-
-[311] Voyez _l’histoire de Thou, liv. 12_.
-
-[312] Ces remontrances sont du 16 octobre 1555. Voyez _l’histoire de
-Thou, l. 16_.
-
-
- CHAPITRE V.
-
-[313] Voyez _l’histoire de Thou_ et les _mémoires de Condé, t. 6_.
-
-[314] «Traité d’association fait par Msgr. le prince de Condé avec les
-princes, chevaliers de l’ordre, seigneurs, capitaines, gentilshommes,
-et autres de tous estats qui sont entrez ou entreront cy-aprés en la
-dicte association, pour maintenir l’honneur de Dieu, le repos de ce
-royaume, et l’estat et liberté du roy, sous le gouvernement de la royne
-sa mere, le 11 avril 1562.»
-
-On voit par cette pièce qu’étant question de réformer la religion,
-on ne songeoit aucunement à réformer le gouvernement. On voit qu’on
-cachoit ses vrais sentimens, en feignant de s’armer en faveur du roi et
-de la reine sa mère: misérable comédie que nous avons vu se renouveler
-dans la guerre de la Fronde; et qu’on n’auroit point jouée, s’il
-n’avoit pas été nécessaire de se prêter à l’opinion publique au sujet
-de l’autorité royale. «Et durera cette présente association et alliance
-inviolable, jusqu’à la majorité du roy; c’est assavoir jusques à ce
-que sa majesté estant en aage, ait pris en personne le gouvernement
-de son royaume, pour lors nous soumettre à l’entiere obeissance et
-subjection de sa simple volonté; auquel temps nous esperons lui rendre
-si bon compte de la dicte association, comme aussi nous ferons toutes
-et quantes fois qu’il plaira à la royne, elle estant en liberté, qu’on
-cognoistra que ce n’est point en ligue ou monopole défendu, mais une
-fidelle et droicte obéissance pour l’urgent service et conservation de
-leurs majestés.
-
-Nous nommons pour chef et conducteur de toute la compagnie, Monseigneur
-le prince de Condé, prince du sang, et par tout conseiller nay, et l’un
-des protecteurs de la couronne de France; lequel nous jurons, etc.
-
-En quatriesme lieu, nous avons compris et associé à ce present traicté
-d’alliance, toutes les personnes du conseil du roi, excepté ceux qui
-portent armes contre leur devoir, pour asservir la volonté du roy et de
-la royne, lesquelles armes s’ils ne posent, et s’ils ne se retirent, et
-rendent raison de leur faict en toute subjection et obéissance, quand
-il plaira à la royne les appeler, nous les tenons avec juste occasion
-pour coupables de leze-majesté, et perturbateurs du repos public du
-royaume.
-
-Nous protestons derechef n’estre faicte (la dite association) que pour
-maintenir l’honneur de Dieu, le repos de ce royaume, et l’estat et
-liberté du roy sous le gouvernement de la royne sa mère.»
-
-Dans la déclaration que le prince de Condé fait à l’empereur et aux
-princes de l’Empire, il dit que l’autorité des états est absolue
-pendant la minorité des rois, et il ajoute: «Laquelle autorité ne
-dure que pour le temps de la minorité des roys jusques à leur aage de
-quatorze ans.... Telle administration n’est pour diminuer la grandeur
-et authorité des roys que nous recognoissons estre instituez de Dieu; à
-laquelle ne voulons aucunement resister, car autrement seroit resister
-à la puissance divine, mais pour entretenir, garder et conserver leur
-bien, pendant que, selon l’impuissance de nature, ils ne peuvent encore
-administrer, mais estant parvenus en l’aage de quatorze ans, cesse
-toute administration; et tout est tellement remis en sa main, qu’il
-n’est contredit ni empesché en chose qui lui plaise d’ordonner.» (_Mém.
-de Condé, t. 4, p. 56._)
-
-[315] _Histoire de Thou, L. 24._ Vous verrez que ceux qui s’engagèrent
-dans la conjuration d’Amboise pour perdre les Guises, avoient pris
-l’avis des plus célèbres jurisconsultes de France et d’Allemagne, ainsi
-que des théologiens les plus accrédités parmi les protestans. Tous ces
-docteurs furent d’avis qu’on devoit opposer la force à la domination
-peu légitime des Guises; pourvu qu’on agît sous l’autorité des princes
-du sang qui sont nés souverains magistrats du royaume.
-
-_Lettres de Charles IX du 25 mars 1560, pour la convocation des
-états-généraux._ «Aucuns des dietz estats se sont amusez à disputer sur
-le faict du gouvernement et administration de ceslui nostre royaume,
-laissans en arrière l’occasion pour laquelle les faissions rassembler,
-qui est chose surquoi nous avons bien plus affaire d’eux et de leur
-aide et conseil que sur le faict du dict gouvernement.... Nous vous
-mandons et ordonnons très-expressément que vous ayez à faire entendre
-et sçavoir par tout vostre ressort et jurisdiction, à son de trompe et
-cry publicq, ad ce que aucun n’en prétende cause d’ignorance, qu’il y
-a union, accord et parfaicte intelligence entre la royne nostre très
-honorée dame et mere, nostre très cher et très amé oncle le roy de
-Navarre, de present nostre lieutenant général, réprésentant nostre
-personne par-tout nos royaume et pays de nostre obéissance, et nos
-très chers et très amez cousins le cardinal de Bourbon, prince de
-Condé, duc de Montpensier et prince de la Rochesurion, tous princes
-de nostre sang, pour le regard du dict gouvernement et administration
-de ceslui nostre royaume; lesquels tous ensemble ne regardans que au
-bien de nostre service et utilité de nostre dict royaume, comme ceulx
-à qui et non autres le dict affaire touche, y ont prins le meilleur
-et plus certain expédient que l’on sçauroit penser; de maniere qu’il
-n’est besoin à ceulx des estats de nostre dict royaume, aucunement s’en
-empescher, ce que leur défendons très expressement par ces presentes;
-surtout qu’ils craignent nous desobeir et déplaire.» (_Mém. de Condé,
-t. 2, p. 281_).
-
-[316] «La court pour obvier, empescher et éviter aux oppressions,
-incursions, assemblées et conventicules qui se font journellement, tant
-en ceste ville que autres villes, villaiges, bourgs et bourgades du
-ressort d’icelle, dont il peult advenir tel dommaige et inconvénient
-qu’il est advenu en plusieurs villes, lieux et bourgs du royaume, a
-permis et permet à tous manans et habitans, tant des dictes villes,
-villaiges, bourgs et bourgades que du plat pays, s’assembler et
-équiper en armes pour resister et soi défendre contre tous ceux qui
-s’assembleront pour saccager les dictes villes, villaiges et églises,
-ou autrement, pour y faire conventicules et assemblées illicites, sans
-que pour ce les dicts manans et habitans puissent estre déferez,
-poursuivis et inquiétez en justice, en quelque sorte que ce soit,
-enjoint neantmoins aux officiers des lieux, informer diligemment et
-procéder contre tous ceux qui ainsi s’assembleront, et feront presches,
-assemblées, conventicules ou oppressions au peuple, gens d’église,
-leurs personnes et biens, et de tout en avertir la dicte court sous
-peine de s’en prendre aux dicts officiers. Enjoint aussi la dicte court
-au procureur-général du roy envoyer la presente ordonnance en chacun
-des bailliages, et seneschaussées de ce ressort, pour y estre publiée.
-Faict en parlement le 13 juillet 1562.
-
-«Sur la requestre et remontrance ce jourd’huy faictes en la court
-par le procureur-général du roy, &c. La court la matiere mise en
-délibération a enjoinct et enjoinct très expressement à Messire René
-de Saulseux, chevalier, à présent capitaine par ordonnance du roy en
-la ville de Meaulz, de faire tout debvoir et diligence, assembler
-bon nombre de gens de guerre, tant de la dicte ville que des champs,
-pour prendre et appréhender tous les dicts rebelles, séditieux et
-perturbateurs de l’estat de ce royaume, portans armes contre le roy,
-et à ceste fin lui a permis et permet faire assembler et armer les
-habitans du plat pays, pour porter confort et ayde à la force du roy,
-par toutes voyes et manieres qu’il verra estre à faire, mesmes par son
-du toczin, en telle maniere que le roy soit obey, la force lui demeure,
-et la justice faicte promptement de telles persones si malheureuses et
-pernicieuses à Dieu et aux hommes.» (_Arrêt du 27 janvier 1563_).
-
-[317] «La court, toutes les chambres assemblées, sur les remontrances
-et requestes à elle faictes par les capitaines des dixaines de ceste
-ville de Paris, oys les gens du roy, et, sur le tout la matiere mise
-en déliberation, et aux fins de l’arrest d’icelle, du vingt-septiesme
-novembre dernier, ordonne que chacun des dicts capitaines assemblera
-ung bon nombre des plus apparens et notables personnaiges de leurs
-dixaines, tels qu’ils verront bon estre, lesquels seront tenus y
-assister, pour enquerir des suspects et notez de la nouvelle secte et
-opinion, et de la cause et occasion des suspitions, soient officiers du
-roy en icelle court, grand conseil, chambres des comptes, généraulz de
-la justice des aydes, des monnoyes, chancellerie, chastellet de Paris,
-tresor, eaues et forest, et autres corps, colleges et communaultez,
-tant ecclésiastiques que seculiers, de quelque estat, qualité et
-condition qu’ils soient, et ceulx de leurs maisons et familles, pour
-faire les dicts capitaines leurs procès verbaulx dans huitaine, qu’ils
-bailleront incontinent au procureur-général du roy, pour iceulx veus
-par la court en ordonner: esquels procès verbaulx ne seront nommez et
-escripts les personnes qui y auront assisté; mais les bailleront au
-dict procureur-général par un roolle à part et secret, sans le relever,
-trois jours après; laquelle huitaine passée, enjoinct icelle court aux
-dicts capitaines faire la recherche chacun en leur dixaine, à mesme
-instance, jour et heure, sans dissimulation, faveur et hayne d’aucunes
-personnes et entreprinses sur les quartiers les ungs des autres, &c.»
-Cet arrêt est du 28 janvier 1562.
-
-Voici une lettre que le parlement écrivit à la reine mere le 29 mars
-1562. «Par une lettre de vostre majesté que nous a communiquée monsieur
-le maréchal de Montmorency, nous avons sceu que la maison du roy est
-exempte de l’exercice de la nouvelle opinion; et parce que celle ne
-nous semble assez; car la maison du dict seigneur à laquelle la vostre
-et celles de nos seigneurs ses freres et madame sont jointes, ou à
-mieulx dire, ne sont que une, est le miroir de tous les subjects, avons
-avisé vous remonstrer et supplier très humblement, nostre souveraine
-dame, n’y endurer personne qui ne soit de l’ancienne religion que nos
-très chrestiens roys ont tenue, et vos majestez veulent continuer; car
-les paroles gastens comme le dict exercice: aussi vos dictes majestez
-sont chargées envers Dieu, non-seulement d’estre très chrestiennes;
-mais de faire que le royaume demeure très chrestien; et la tolérance
-que avé accordée par la pacification, est par nécessité, en espérance
-de reduire le tout à l’union qui estoit auparavant la division de
-religion; celle excuse ne peult estre en la dicte maison, autrement
-seroient forcés vos dictes majestez de se servir de personnes qui ne
-leur seroient fidelles: car en diversité de religion, ne se trouve
-oncques dilection ne sureté de bon office.»
-
-[318] J’ai déjà prouvé que les états croyoient depuis long-temps
-n’avoir que le droit de faire des doléances et des représentations.
-Pour juger du peu de cas qu’on en devoit faire sous les fils d’Henri
-II, voyez le discours du chancelier Guillaume de Rochefort, aux états
-tenus à Orléans en 1483. Il a l’audace de leur dire: «vous pouvez
-connoître avec quelle liberté le roi vous a permis de vous assembler
-et de dire vos avis sur les affaires, avec quelle douceur aussi il
-vous a donné audience; en ce que au commencement de votre assemblée,
-vous ayant été offert des secrétaires du roi pour recevoir et rédiger
-par écrit vos actes, vous futes d’avis de n’admettre aucun parmi vous
-qui ne fût député par les états. Il vous donna de plus deux audiences
-fort longues, où il vous fut permis de lui représenter par écrit et
-de vive voix tout ce qui vous plairoit.... Le roi auroit pu sans vous
-appeler, délibérer et conclure dans son conseil sur vos articles, etc.»
-(_Traité de majorité de nos rois, par Dupuy, p. 258_). On termina ces
-états d’une manière digne de la considération qu’ils avoient acquise;
-les affaires les plus difficiles n’étoient pas encore terminées, et on
-enleva tous les meubles des salles où les ordres s’assembloient.
-
-Dans l’assemblée des notables du 16 décembre 1527, François I dit
-dans son discours, «qu’il pense faire honneur à ses sujets de se
-montrer si familièrement avec eux, que de vouloir avoir leur advis et
-délibérations.» Si on lit le discours que le chancelier de l’Hôpital
-tint aux états d’Orléans, sous François II, on sera surpris que cet
-homme, d’ailleurs si éclairé, eût des idées si louches et si fausses du
-droit des nations.
-
-Henri III croyoit déroger à sa toute-puissance, en promettant par
-serment, d’observer l’ordonnance qu’il accordoit aux prières des états
-de Blois. «S’il semble, disoit-il, qu’en ce faisant je me soumette
-trop volontairement aux lois dont je suis l’autheur, et me dispensent
-elles mêmes de leur empire, et que par ce moyen je rende l’autorité
-royale aucunement plus bornée et limitée que mes prédécesseurs: c’est
-en quoi la générosité du bon prince se connoît, que de dresser ses
-pensées et ses actions selon sa bonne foy, et se bander de tout à ne
-laisser corrompre, et me suffira de répondre ce que dit ce roy à qui on
-remontroit qu’il laisseroit la royauté moindre à ses successeurs qu’il
-ne l’avoit reçue de ses pères, qui est que il la leur lairroit beaucoup
-plus durable et assurée.»
-
-Dans son traité de la majorité des rois, du Tillet nous apprend
-très-bien quelle étoit l’opinion des personnes les plus éclairées
-de son temps, sur l’autorité royale et les droits de la nation.
-«L’assemblée des estats, dit-il, est sainte, ordonnée pour la
-conférence des sujets avec leur roy, qui montrant sa volonté de bien
-régner, leur communique les affaires politiques pour en avoir avis et
-secours; les reçoit à lui faire entendre librement leurs doléances,
-afin que les connoissant, il y pourvoye: ce qu’il fait par délibération
-de son très-sage conseil, dont il est pour cet effet assisté: et
-octroye à ses dits sujets ce qu’il voit estre raisonnable, et non plus.
-Car s’il estoit nécessaire de leur accorder toutes leurs demandes il ne
-seroit plus leur roy.» Du Tillet ajoute plus bas: «autant que la dite
-assemblée des estats est fructueuse quand on y tend à bonne fin, autant
-est-elle dommageable, s’il s’y mesle de la faction.»
-
-[319] C’est au sujet de l’édit publié le 12 mars 1560. Voyez
-_l’histoire de Thou, l. 24_. Le même historien, _l. 42_, dit que le
-parlement de Toulouse n’enregistra l’édit de pacification de 1568,
-qu’avec des modifications et des restrictions qu’il inséra secrètement
-dans ses registres. _Lecta, publicata, registrata, audito procuratore
-generali regis, respectu habito litteris patentibus regis, prima die
-hujus mensis, urgenti necessitati temporis, et obtemperando voluntati
-dicti domini regis, absque tamen approbatione novæ religionis, et id
-totum per modum provisionis, et donec aliter per dictum dominum regem
-fuerit ordinatum. Parisiis in parlamento sexta die martis, anno domini
-millesimo, quingentesimo sexagesimo primo._
-
-Enregistrement de l’ordonnance du 17 janvier 1561.
-
-«Nous avons déclaré et déclarons tous autres édits, lettres,
-déclarations, modifications, restrictions et interprétations, arrêts
-et registres, tant secrets qu’autres délibérations ci-devant faites
-en nos cours de parlement et autres qui par cy-après pourroient être
-faites au préjudice de notre dit présent édit, concernant le fait de la
-religion et troubles arrivés en cettuy notre royaume, être de nul effet
-et valeur.» (_Edit de pacification du mois d’août 1570, art. 43_).
-
-«Mandons aussi...... icelui notre dit édit publier et enregistrer en
-nos dites cours selon la forme et teneur purement et simplement, sans
-user d’aucunes modifications, restrictions, déclarations ou registre
-secret». (_Ibid. art. 44_). Voyez la même chose dans l’art. 63 de
-l’édit de pacification donné en may 1576.
-
-«Nous avons déclaré et déclarons tous autres précédens édits,
-articles, secrets, lettres, déclarations, modifications, requisitions,
-restrictions, interprétations, arrêts, registres tant secrets qu’autres
-délibérations cy devant par nous faites en nos cours de parlement et
-ailleurs, concernant le fait de la religion, et des troubles arrivés
-en notre dit royaume, être de nul effet et valeur.» (_Edit donné à
-Poitiers en septembre 1577_).
-
-Tous les édits de pacifications s’expriment de la même manière, et
-pour abréger ici, je me contenterai de citer ici _l’édit de Nantes en
-avril 1598_. «Avons déclaré et déclarons tous autres précédens édits,
-articles secrets, lettres, déclarations, modifications, restrictions,
-interprétations, arrêts et régistres tant secrêts qu’autres,
-délibérations, ci-devant par nous ou les rois nos prédécesseurs, faites
-en nos cours de parlement et ailleurs concernant le fait de la religion
-et des troubles arrivez en nostre dit royaume, être de nul effet
-et valeur, auxquels et aux dérogatoires y contenues, nous avons par
-cettuy notre édit dérogé et dérogeons.» (_Art. 91_). Dans l’article
-suivant il est ordonné d’enrégistrer «purement et simplement, sans
-user d’aucunes modifications, restrictions, déclarations et régistres
-secrets.»
-
- _Fin des remarques du livre septième._
-
-
- REMARQUES ET PREUVES
- DES
- _Observations sur l’histoire de France_.
-
- LIVRE HUITIÈME.
-
- CHAPITRE PREMIER.
-
-[320] Voyez la remarque 301, ch. 3, du livre précédent.
-
-[321] «Avons statué et ordonné, statuons et ordonnons que les grands
-jours se tiendront par les présidens et conseillers de nostre cour de
-parlement à Paris, en leur ressort, et es lieux où d’ancienneté on a
-accoustumé de les tenir; auxquels grands jours assisteront d’an en an
-aux gages accoutumez, l’un des quatre présidens des enquestes avec
-treize conseillers de nostre dite cour, sçavoir est, huit de la dite
-grande chambre, et cinq de la dite chambre des enquestes, selon leur
-ordre et ancienneté.» (_Ordon. de Blois en 1498, art. 72_).
-
-«Avons ordonné et ordonnons que les gens tenans nos cours de parlement
-de Toulouse et Bordeaux tiendront les dits grands jours de deux ans
-en deux ans chacun en leur ressort, respectivement es lieux qui
-verront estre à faire pour le mieux, en ensuivant la forme que nos
-dits présidens et conseillers de nostre cour de parlement à Paris,
-ont accoustumé de tenir, réservés qu’ils ne seront que neuf, sçavoir
-est, un président et huit conseillers, dont y aura cinq laïcs et trois
-clercs.» (_Ibid. art. 73_).
-
-Ces articles furent rappelés par l’ordonnance de François I, du 12
-juillet 1519. Les guerres d’Italie rendirent presque inutile la tenue
-de ces grands jours; la noblesse, qui savoit le besoin qu’on avoit
-d’elle, n’étoit pas disposée à se soumettre à l’ordre que des gens de
-lois vouloient établir. Quand une fois les guerres civiles eurent été
-allumées sous le fils de Henri II, ce fut en vain que Henri III auroit
-ordonné les grands jours; le gouvernement étoit sans autorité, et les
-parlemens étoient abandonnés au fanatisme le plus déraisonnable.
-
-[322] Voyez le chap. 6, du livre 4.
-
-[323] Je me contenterai de rapporter ici l’analyse que de Thou fait
-de cet acte dans le _livre 63e de son histoire_. «Par la formule de
-l’union qui devoit être signée au nom de la très-sainte Trinité, par
-tous les seigneurs, princes, barons, gentilshommes et bourgeois,
-chaque particulier s’engageoit par serment à vivre et mourir dans
-la ligue pour l’honneur et le rétablissement de la religion, pour
-la conservation du vrai culte de Dieu, tel qu’il est observé dans
-la sainte église romaine, condamnant et rejetant toutes erreurs
-contraires. Pour le maintien des différentes provinces du royaume
-dans tous leurs droits, priviléges et libertez telles qu’elles les
-possédoient du temps de Clovis, qui le premier de nos rois établit en
-France la religion chrétienne».
-
-On prescrivoit aussi les lois suivantes: que chaque particulier
-s’engageroit à sacrifier ses biens et sa vie même, pour empêcher
-toutes entreprises contraires à l’avancement de la sainte union, pour
-contribuer d’ailleurs, de tout son possible, à l’entier accomplissement
-des desseins qu’elle se proposoit: que si quelqu’un des membres de
-l’union recevoit quelque tort ou dommage, quel que fût l’aggresseur,
-et sans égard pour la personne, on n’épargneroit rien pour en tirer
-vengeance, soit par les voies ordinaires de la justice, soit même que
-pour cela on fût obligé de prendre les armes; que si, par un malheur
-qu’on doit prier le ciel de détourner, quelqu’un des amis venoit à
-rompre ses engagemens, il en seroit puni avec la dernière rigueur,
-comme traître et réfractaire à la volonté de Dieu, sans que pour
-cela ceux qui s’employeroient à la juste punition de ces sortes de
-déserteurs pussent en être repris soit en public, soit en particulier;
-qu’on créeroit un chef de l’union à qui tous les autres jureroient une
-obéissance aveugle et sans bornes; que si quelqu’un des particuliers
-manquoit à son devoir, ou faisoit paroître de la répugnance à s’en
-acquitter, le chef seroit le seul maître d’ordonner de la peine que
-sa faute auroit méritée: que dans les villes et à la campagne tout le
-monde seroit invité à se joindre à la sainte union; qu’en y entrant,
-on s’engageroit à fournir dans l’occasion de l’argent, des hommes et
-des armes, chacun selon son pouvoir; qu’on regarderoit comme ennemi
-quiconque refuseroit d’embrasser le parti de la ligue, et que le
-commandement seul du chef de l’union autoriseroit à lui courre sus
-à main armée; que si entre les unis, il arrivoit des querelles, des
-contestations ou des procès, le chef seul en décideroit, sans que pour
-cela on pût recourir à la justice ordinaire sans sa permission, et
-qu’il auroit droit de punir les contrevenans dans leur corps et dans
-leurs biens, selon qu’il le jugeroit à propos. Enfin, on avoit encore
-ajouté la formule du serment que chacun des unis devoit prononcer sur
-les saints Evangiles, en s’engageant dans le parti.»
-
-J’ajouterai ici une pièce importante qu’on trouve dans les _mémoires de
-Nevers, t. 1, p. 641_, et intitulée: Déclaration des causes qui ont meu
-Mgr. le cardinal de Bourbon et les princes pairs, seigneurs, villes et
-communautez catholiques de ce royaume de s’opposer à ceux qui par tous
-moyens s’efforcent de subvertir la religion catholique et tout l’état.
-«Déclarons avoir juré tous et saintement promis de tenir la main forte
-et armée à ce que la sainte église soit réintégrée en sa dignité et en
-la vraie et seule religion catholique: que la noblesse jouisse comme
-elle doit de sa franchise toute entière, et le peuple soit soulagé, les
-nouvelles impositions abolies, et toutes crues ôtées depuis le règne du
-roi Charles IX que Dieu absolve: que les parlemens soient remis en la
-plénitude de leur connoissance, en leur entiere souveraineté de leurs
-jugemens, chacun en son ressort, et tous sujets du royaume maintenus
-en leurs gouvernemens, charges et offices, sans qu’on les puisse ôter,
-si non en tous cas des anciens établissemens, et par jugemens des
-juges ordinaires ressortissans au parlement; que tous deniers qui se
-lèveront sur le peuple, soient employés à la défense du royaume, et à
-l’effet auquel ils sont destinez: et que desormais les états-généraux
-soient libres et sans aucune pratique, toutes fois que les affaires les
-requerront, avec entiere liberté d’y faire ses plaintes, auxquelles
-n’aura été duement pourvu.» Cet acte est du dernier mars 1585. En
-ayant assez de raison pour sentir qu’on a besoin d’une réforme, est-il
-concevable qu’on soit assez sot pour se contenter de pareilles demandes.
-
-Voici une autre pièce qu’on trouve encore dans les _Mémoires de
-Nevers, t. 2, p. 614_, et qui vous fera connoître l’esprit de la
-capitale. Elle fut lue publiquement à l’hôtel-de-ville, le 8 juin
-1591. Je n’en rapporterai que quelques articles. «Sera pourveu au roy
-nouvellement eslu d’un bon conseil, et principalement d’évesques sages
-et craignant Dieu, et qui n’ayent abandonné sa cause; ensemble d’un
-bon nombre de seigneurs et gentilshommes vieux et expérimentez, et
-tirez, s’il est possible, des provinces de l’union; afin de rapporter
-les plaintes de toutes les parties du royaume, et donner avis sur
-l’occurrence des affaires.
-
-«Que si l’on trouve bon, comme il est très-nécessaire, que l’on fasse
-des loix fondamentales de l’état pour obvier aux maux que nous sentons,
-et en garantir la postérité, les feront jurer au roy nouvellement
-esleu, avec les articles que les rois ont accoustumé de jurer en leur
-sacre: lesquelles lois il jurera maintenir et entretenir de tout son
-pouvoir; et à quoi il s’obligera tant pour lui que ses successeurs,
-avec la clause qu’en cas de contravention les sujets seront dispensés
-du serment de fidélité.
-
-«Et afin que telles lois soient perpétuelles, et chaque jour
-représentées aux yeux d’un chacun, seront icelles inscrites en airain
-et apposées es palais des villes où il y a parlement; aux provinces
-esquelles n’y a parlement, elles seront mises en la premiere maistresse
-place de la premiere ville de la province.
-
-«Les estats se tiendront, sçavoir les généraux de six ans en six ans,
-ou tel autre temps qu’il leur sera ordonné en la ville qu’il plaira au
-prince de les assembler; et à faute de les assembler, s’assembleront
-en la ville capitale. Les provinciaux de trois ans en trois ans, en
-la principale ville de la province, si ce n’est que pour la nécessité
-des affaires, il soit besoin d’une convocation extraordinaire: et sans
-lesquels estats ne se pourra conclure par le roy, de faire la guerre ou
-la paix, ou mettre tailles, subsides et impositions sur le peuple.»
-
-Ces deux articles, où l’on commençoit à entrevoir quelques principes
-d’un bon gouvernement, ne firent aucune impression sur les esprits. On
-ne fut frappé que des articles suivans, dans lesquels il n’est question
-que de brûler et d’exterminer les hérétiques, soit Français, soit
-étrangers.
-
-[324] Voyez _l’histoire de Thou, l. 63_, et ce que Davila rapporte des
-premiers états de Blois, l. 13.
-
-[325] Voyez _l’histoire de Thou, l. 60_.
-
-
- CHAPITRE II.
-
-[326] «Premièrement, afin que la chose soit conduite par plus grande
-authorité, on est d’avis de bailler la superintendance de toute
-l’affaire au roy Philippe Catholique; et à ceste fin d’un commun
-consentement, le tout chef et conducteur de toute l’entreprise. On
-estime bon de procéder en ceste façon, que le roy Philippe aborde
-le roy de Navarre par plaintes et querelles, à raison que contre
-l’institution de ses prédécesseurs, et au grand danger du roy pupille,
-duquel il ha la charge, nourrit et entretient une nouvelle religion: et
-si en cela se montre difficile, le roy catholique par belles promesses
-essayera de la retirer de sa méchanceté et malheureuse délibération,
-lui découvrant quelque espoir de recouvrer son royaume de Navarre,
-ou bien de quelque autre grand profit et esmolument en recompense
-du dit royaume: l’adoucira et ployera, s’il est possible, pour le
-retenir de costé, et conspirer avec luy contre les autres autheurs
-de cette secte pernicieuse. Ce que succédant à souhait, seront lors
-faciles et abregez les moyens de la guerre future. Mais poursuivant
-et demeurant iceluy tousjours obstinés, néanmoins le roy Philippe, à
-qui tant par l’authorité à luy donnée par le saint concile, que par
-le voisinage et proximité, la chose touche de plus près, par lettres
-gracieuses et douces l’admonestera de son devoir, entremeslant en ses
-promesses et blandices, quelques menaces. Cependant tant secrettement
-et occultement que faire se pourra, fera sur l’hyver quelque levée
-et amas de gens d’eslite au royaume d’Espagne: puis ayant les ses
-forces prestes, déclarera en public ce qu’il brasse. Et ainsi le roy
-de Navarre sans armée et pris à l’impourveu facilement sera opprimé,
-encore que d’adventure avecque quelque troupe tumultuaire et ramassée,
-s’efforceast d’aller à l'encontre, ou voulust empescher son ennemy
-d’entrer en pays.
-
-«Or s’il cede, sera aisément chassé hors son royaume, et avec lui sa
-femme et ses enfans: mais s’il fait teste, et plusieurs volontaires,
-gens d’armes et sans soulde le deffendent, car plusieurs des conjurez
-d’icelle secte se pourroient avancer pour retarder la victoire, alors
-le duc de Guise se déclarera chef de la confession catholique, et fera
-amas de gens d’armes vaillans et de tous ceux de sa suite. Aussi d’une
-autre part pressera le Navarrois, ensorte qu’estant poursuivi d’un
-costé et d’autre, tombera en proye, car certainement un tel roy ne peut
-faire teste à deux chefs ni à deux exercites si puissans.
-
-«L’empereur et les autres princes Allemans, qui sont encore
-catholiques, mettront peine de boucher les passages qui vont en France,
-pendant que la guerre s’y fera, de poeur que les princes protestans ne
-fassent passer quelque force, et envoyent secours audit roy de Navarre,
-de poeur aussi que les cantons de Souysse ne luy prestent ayde, sauf
-que les cantons qui suivent encore l’authorité de l’église romaine,
-denoncent la guerre aux autres, et que le pape ayde de tant de forces
-qu’il pourra lesdits cantons de sa religion, et baille sous main argent
-et autres choses nécessaires au soustenement des frais de la guerre.
-
-«Durant ce le roy catholique baillera part de son exercite au duc de
-Savoye, qui de son côté fera levée de gens si grande, que commodement
-faire se pourra en ses terres. Le pape et les autres princes d’Italie
-déclareront chef de leur armée le duc de Savoye: et pour augmenter
-leurs forces, l’empereur Ferdinand donnera ordre d’envoyer quelques
-compagnies de gens de pied et de cheval, allemans.
-
-«Le duc de Savoye, pendant que la guerre troublera ainsi la France et
-les Souysses, avec toutes forces se ruera à l’impourveu sur la ville
-de Geneve, sur le lac de Lozanne, la forcera, ou plus tost ne se
-départira, ne retirera ses gens, qu’il ne soit maistre et jouissant
-de la dite ville, mettant au fil de l’épée, ou jettant dedans le lac
-tous les vivans qui y seront trouvés, sans aucune discrétion de sexe
-ou aage. Pour donner à connoistre à tous qu’enfin la Divine Puissance
-a compensé le retardement de la peine par la grieve grandeur de tel
-supplice, et qu’ainsi souvent fait ressentir les enfans et porter la
-peine par exemple mémorable à tout jamais de la méschanceté de leurs
-peres, et mesmes de celles qu’ils ont commises contre la religion. En
-quoy faisant ne faut douter que les voisins touchés de cette cruauté
-et tremeur, ne puissent estre ramenez à santé, et principalement ceux
-qui à raison de l’aage ou de l’ignorance sont plus rudes ou plus
-grossiers, et par conséquent plus aisez à mener, auxquels il faut
-pardonner.
-
-«Mais en France, par bonnes et justes raisons, il fait bon suivre
-autre chemin, et ne pardonner en façon quelconque à la vie d’aucun,
-qui autre fois ait fait profession de ceste secte: et sera baillée
-cette commission d’extirper tous ceux de la nouvelle religion au duc
-de Guise, qui aura en charge d’effacer entierement le nom, la famille
-et race des Bourbons, de poeur qu’enfin ne sorte d’eux quelqu’un qui
-poursuive la vengeance de ces choses, ou remette sus cette nouvelle
-religion.
-
-«Ainsi les choses ordonnées par la France, et le royaume mis en son
-entier, ancien et pristin estat, ayant amassé gens de tous costez,
-il est besoin envahir l’Allemaigne, et avec l’ayde de l’empereur et
-des évesques, la rendre et restituer au Saint siege apostolique. Et
-où ceste guerre seroit plus forte et plus longue qu’on ne pense et
-desire, afin que par faute d’argent, ne soit conduite plus lentement
-ou plus incommodement, le duc de Guise pour obvier à cet inconvénient,
-prestera à l’empereur et aux autres princes d’Allemaigne et seigneurs
-catholiques tout l’argent qu’il aura amassé de la confiscation de tant
-de nobles, bourgeois puissans et riches qui auront esté tuez en France,
-à cause de la nouvelle religion, qui se monte à grande somme, prenant
-par le duc de Guise suffisante caution et respondant: par le moyen
-desquelles, après la confection de la guerre, sera remboursé de tous
-les deniers employez à cest effect sur les dépouilles des lutheriens,
-et autres, qui pour le fait de la religion seront tuez en Allemaigne de
-la part des saints peres, pour ne defaillir, et n’estre veus négligens
-à porter ayde à tant sainte affaire de guerre, ou vouloir épargner
-leur revenu et propres deniers, ont adjousté que les cardinaux se
-doivent contenter pour leur revenu annuel de cinq ou six mille escus,
-les évesques plus riches, de deux ou trois mille au plus, et le reste
-du dit revenu, le donner de franche volonté et l’entretenement de
-la guerre, qui se conduit pour estirper la secte des Luthériens et
-Calvinistes, et restablir l’église romaine, jusques a ce que la chose
-soit conduite à heureuse fin.
-
-«Que si quelque ecclesiastique ou clerc ha vouloir de suivre les armes
-en guerre si sainte, les peres ont tous d’un commun consentement
-conclu et arresté, qu’il le peut faire, et s’enroler en ceste guerre
-seulement, et ce sans aucun scrupule de conscience.
-
-«Par ces moyens, France et Allemaigne ainsi chastiées, rabaissées et
-conduites à l’obéissance de la sainte église romaine, les pères ne font
-pas doute que le temps ne pourvoye de conseil et commodité propre à
-faire que les autres royaumes prochains soient ramenez à un troupeau
-et sous un gouverneur et pasteur apostolique: mais qu’il plaise à Dieu
-ayder et favoriser leur presens desseins, saints et pleins de piété.»
-Cette pièce se trouve dans les _mémoires de Condé, t. 6. p. 167_.
-
-
- CHAPITRE III.
-
-[327] Voyez dans le _recueil des pièces concernant la pairie, par
-Lancelot, p. 185_, la déclaration de Philippe-le-Bel à Yoland de Dreux,
-duchesse de Bretagne.
-
-[328] Voyez le chapitre 5 du livre troisième.
-
-[329] Avant cette époque, les seigneurs ou princes du sang ne
-jouissoient d’aucune prééminence sur les autres seigneurs; et nous
-avons encore plusieurs actes où ils ne sont point nommés avant les
-autres. Je me contente de renvoyer sur cette matière à ce qu’en a écrit
-le comte de Boulainvilliers, dont l’ouvrage est entre les mains de tout
-le monde.
-
-[330] «Au sacre du roy Louis XI, le duc de Bourbon plus éloigné de la
-dite couronne, chef de sa maison, précéda les comtes d’Angoulesme et
-Nevers, puisnez des branches d’Orléans et de Bourgogne, plus proches de
-la dite couronne.» _Du Tillet, recueil des rangs des grands de France._
-Si la pairie n’avoit pas donné une prérogative supérieure à celle des
-seigneurs du sang, les princes n’auroient pas recherché la pairie
-comme une grande faveur. Il suffit de jeter les yeux sur l’ouvrage de
-Dutillet que je viens de citer, pour juger combien les usages sur les
-rangs et les dignités ont été incertains et inconstans parmi nous; il
-est bien étonnant que notre vanité, même la plus chère de nos passions,
-n’ait pu nous donner aucunes règles fixes.
-
-«Le 17 juin 1541, fut jugé, dit Du Tillet, que le duc de Montpensier
-ayant les susdites deux qualités (de prince et de pair) pourroit
-bailler ses roses premier que le duc de Nevers, combien qu’il fust pair
-plus ancien que n’estoit ledit duc de Montpensier. Au sacre du roi
-Henri II, les ducs de Nevers et de Guise plus anciens pairs précédent
-le dit duc de Montpensier prince du sang et pair; mais déclara le
-dit roy le 25 juillet 1547 que cela ne fit préjudice audit duc de
-Montpensier, fust pour semblable acte ou autres. Le duc de Guise
-précéda au dit sacre le duc de Nevers plus ancien pair que luy, qui fut
-parce que le dit duc de Guise représentoit le duc d’Aquitaine, et celuy
-de Nevers représentoit le comte de Flandres, le dit duc de Montpensier
-le comte de Champagne. Le rang des représentez estoit gardé, non des
-représentans.»
-
-[331] Il y a déjà long-temps que les pairs sont regardés comme les
-conseillers du roi en ses grandes, nobles et importantes affaires;
-et c’est en conséquence de cette opinion, quand ils sont reçus au
-parlement, qu’on leur fait prêter aujourd’hui le serment inutile, je
-dirai presque ridicule, «d’assister le roi et lui donner conseil en ses
-plus grandes et importantes affaires.» Les lettres d’érection du comté
-d’Anjou en pairie, et qui ont servi de modèle à toutes les érections
-suivantes, ont sans doute contribué à donner naissance à cette opinion.
-_Ad honorem cedit et gloriam regnantium et regnorum, si ad regiæ
-potestatis dirigenda negotia insignibus viri conspicui præficiuntur
-officiis, et inclitis præclaræ personæ dignitatibus, ut et ipsi sua
-gaudeant nomina instituta magnificis, et cura regiminis talibus
-decorata lateribus, à sollicitudinibus pacisque ac justitiæ robora, quæ
-regnorum omnium fundamenta consistunt, conservari commodiùs valeant et
-efficaciùs ministrari._ Sous le règne de Charles VI cette opinion fit
-de grands progrès et j’en ai développé les causes dans le corps même de
-mon ouvrage.
-
-[332] «Nous aurions advisé de remplir le lieu et place des anciens
-duchez et comtez laïcs tenus en pairie de la couronne de France,
-d’autres ducs et pairs depuis créez en nostre royaume selon l’ordre de
-leur création, par la maniere qui s’ensuit: c’est à sçavoir, pour la
-duché de Bourgogne, nostre très cher et amé oncle le roy de Navarre;
-pour celle de Normandie, nostre très cher et amé cousin le duc de
-Vendosme; et pour celle de Guyenne, nostre très cher et amé cousin le
-duc de Guise; et quant aux comtez, pour celle de Flandre, nostre très
-cher et amé cousin le duc de Nevers; pour celle de Champagne, nostre
-très cher et amé cousin Louis de Bourbon duc de Montpensier; et pour
-celle de Toulouse, nostre très cher et amé cousin le duc d’Aumale.
-Sur quoy nostre dit cousin le duc de Montpensier nous eût remontré,
-que pour le regard de la proximité du sang royal et lignage dont il
-nous attient, il devoit en l’assiette, ordre et assistance des pairs
-de France laïcs, précéder nos très chers et amez cousins Claude de
-Lorraine duc de Guise, et François de Cleves aussi duc de Nevers comte
-d’Eu, tous deux pairs de France, et que la création et antiquité des
-pairies ne pouvoit alterer l’ordre et le rang dus aux princes du sang
-royal de France, qui doivent toujours suivre et approcher le lieu d’où
-ils sont descendans.... Sur quoy nos dits cousins les ducs de Guise
-et de Nevers soutenans le contraire, auroient dit que pour estre plus
-anciens pairs en création et réception que n’est nostre dit cousin
-le duc de Montpensier, ils devoient en tous actes et assemblées des
-dits pairs de France, aller devant lui et le précéder, ainsi qu’en
-tout temps il auroit esté observé entre iceux pairs qui alloient
-selon l’ordre et l’ancienneté de leurs créations et réceptions.....
-Attendu qu’en cet acte solemnel d’iceux sacre et couronnement, il
-n’est question de chose qui touche en rien l’honneur et prééminence
-du sang royal, que nostre dit cousin le duc de Montpensier attaque
-pour précéder nos dits cousins les ducs de Guise et de Nevers, mais
-seulement de la préférence des pairs de France, et lesquels devront
-aller devant et précéder l’un l’autre, nous avons par ces présentes,
-par manière de provision, ordonné, attendu la dite briéveté de temps,
-et jusques à ce que autrement en ait esté décidé, que nos dits
-cousins les ducs de Guise et de Nevers comte d’Eu, créez et reçeus
-pairs de France premiers que nostre dit cousin le duc de Montpensier,
-précéderont, en cettuy acte seulement, iceluy nostre dit cousin le
-duc de Montpensier, sans que cela lui puisse toutes fois aucunement
-préjudicier par cy après, soit en semblables actes, ou tous autres
-d’honneur et de prééminence, quels qu’ils soient, où l’on devra avoir
-respect et regard à la dignité du sang royal dont est issu nostre dit
-cousin le duc de Montpensier.» (_Ordon. du 25 juillet 1547_).
-
-«Nostre très cher et amé cousin le duc de Guise, pair et grand
-chambellan de France, nous a fait remontrer que à l’assiette et
-assemblée des pairs de France, qui nous assisterent lors que nous
-fusmes dernierement en nostre dite cour tenir nostre dit parlement,
-il se laissa précéder par nostre tres cher et amé cousin le duc de
-Montpensier, ne sçachant ce que depuis il a entendu pour certain, qui
-est, que le duc de Guise est fait et créé premier pair que le duc de
-Montpensier, ainsi qu’il se trouve par les registres de nostre dite
-cour, ou leurs érections, créations et receptions sont enrégistrées.
-A cette cause, et que par telle précédence, s’il la souffroit et
-toleroit, il perd son rang et ancienneté, il nous a supplié et requis
-sur ce luy vouloir pourvoir sommairement, sans qu’il soit besoin
-en entrer en autre contestation, afin que de son temps il ne fasse
-telle playe au college des dits pairs, que de pervertir l’ordre qui
-d’ancienneté, y a esté institué et établi, lequel nous voulons estre
-entretenu, gardé et observé: par quoy nous avons déclaré et déclarons
-par ces présentes, de nostre certaine science, pleine puissance et
-authorité royale, que ce que nostre dit cousin le duc de Guise pair de
-France a fait, ainsi que dit est, par inadvertance à la dite assiette
-et assemblée des pairs, qui nous ont assisté dernierement que nous
-avons tenu le dit parlement, se laissant précéder par nostre dit cousin
-le duc de Monpensier, ne lui peut, ne doit aucunement préjudicier à
-son rang et ancienneté, par lesquels il doit estre premier que ledit
-duc de Montpensier, assis, inscrit, nommé et appelé, comme estant
-premierement créé, reçeu et institué pair de France, eu recours aux
-registres de nostre cour; vous mandant, commettant et enjoignant que
-selon et suivant nostre presente declaration, et en icelle gardant
-et observant, faite corriger et reformer le registre qui fut fait
-et tenu pour ce jour de la dite assiette et assemblée des pairs; où
-par inadvertance, ainsi que dit est, nostre dit cousin s’est laissé
-preceder: dont, en tant que besoin est, ou seroit, nous l’avons par ces
-presentes signées de nostre main, relevé et relevons, le faisant par
-vous mettre et inscrire au dit registre selon son rang, premier que
-nostre dit cousin le duc de Montpensier, qui est après lui créé, receu
-et institué.» (_Lettres-patentes de Henri II, en 1571_).
-
-[333] Cette qualité de prince que je donne aux plus grandes maisons du
-royaume, ne peut point être contestée par les personnes qui connoissent
-notre ancien gouvernement. Qu’on ouvre _Beaumanoir, chap. 34_, on y
-trouvera ces mots: «en tous les liez la ou li rois n’est pas nommés,
-nous entendons de chauz qui tiennent en baronnie, car chacun des barons
-si est souverain en sa baronnie.» Ouvrez le _chap. 48_, vous y lirez ce
-passage: «Comment li hommes de porte pueent tenir franc fief; si est
-par espécial grace que il ont d’où roy ou d’où prinche qui tient en
-baronnie.»
-
-Je nommerois volontiers ici toutes les maisons qui ont possédé de
-grands fiefs, ou des baronnies et des comtés avant le règne de S.
-Louis; mais il vaut mieux me taire. Quelles plaintes n’exciterois-je
-pas, si par malheur, je venois à oublier quelque famille; car, nous
-sommes bien plus jaloux de la grandeur de nos pères que de la nôtre?
-D’ailleurs, je ne suis point et ne veux point être généalogiste; il est
-trop difficile de ne se pas tromper en faisant ce métier; en croyant
-dire des vérités, je ne conterois peut-être que des chimères.
-
-[334] Voyez la remarque 121, ch. 6 du livre 3.
-
-[335] «Avons dit, statué et ordonné, disons, statuons et ordonnons par
-édict et arrest irrévocables, voulons et nous plait que doresnavant
-les princes de nostre sang, pairs de France, précéderont et tiendront
-rang selon leur degré de consanguinité, devant les autres princes et
-seigneurs pairs de France, de quelque qualité qu’ils puissent estre,
-tant es sacres et couronnement des rois, que es seances des cours de
-parlement et autres quelconques solemnitez, assemblées et cérémonies
-publiques, sans que cela leur puisse estre plus à l’advenir, estre
-mis en dispute ne controverse, sous couleur des titres et priorité
-d’érection de pairies des autres princes et seigneurs, ne autrement
-pour quelque cause et occasion que ce soit.» (_Edit de décembre, de
-1576_).
-
-En 1575, le duc de Montpensier présenta requête à Henri III, pour
-demander que son différend de préséance avec le duc de Guise fût jugé;
-l’affaire fut portée au parlement, qui en 1541, le 17 juin, avoit déjà
-donné un arrêt par lequel il est dit: «que le duc de Montpensier,
-prince du sang royal et pair de France, précédera au fait des rozes
-le duc de Nevers, comte d’Eu, encore que Nevers et Eu eussent été
-premierement érigés en pairies que Montpensier; et ce à cause de la
-qualité de prince du sang jointe à la qualité de pairs.» (_Cérémonial
-Français, par MM. Godefroy, p. 332_).
-
-[336] Cet édit n’ayant point eu son effet, il seroit inutile
-d’en rapporter les articles. On le trouve dans tous les recueils
-d’ordonnances.
-
-[337] «Le jeudi 7 de septembre (1581) jour des arrests en robes rouges,
-d’Arque premier mignon du roy vint en parlement, assisté des ducs
-de Guise, d’Aumale, Villequier et autres seigneurs, et fit publier
-les lettres d’érection du vicomte de Joyeuse en duché et pairie, et
-icelles enteriner avec la clause qu’il précéderoit tous autres pairs,
-soit princes yssus du sang royal ou de maisons souveraines, comme
-Savoye, Lorraine, Cleves et autres semblables.» (_Mémoire de l’Étoile
-p. 129_). La même année, Epernon fut érigé en duché pairie, en faveur
-de la maison de Nogaret, avec la clause de précéder tous les pairs, à
-l’exception des pairs qui seroient princes et du duc de Joyeuse.
-
-[338] Voyez la remarque 121, chap. 6 du livre 3.
-
-[339] Ce fut l’ordonnance d’avril 1561. Cette ordonnance, dictée par
-l’esprit de tolérance du chancelier de l’Hôpital, et contraire à tous
-les principes fanatiques du parlement, fut adressée aux gouverneurs des
-provinces pour la faire exécuter. Peu s’en fallut que le chancelier
-ne fût décrété d’ajournement personnel. Le parlement se contenta de
-défendre, par un arrêt, de publier cette ordonnance. Il établit dans
-ses remontrances qu’il est contre toutes les règles et tous les usages,
-d’adresser aux gouverneurs et non aux parlemens une ordonnance qui
-ne peut être regardée comme loi, qu’autant qu’elle est publiée et
-enregistrée dans les cours souveraines. Voyez l’_histoire de Thou, l.
-28_.
-
-[340] François I en donna l’exemple par son _édit du 24 juillet 1527_,
-que j’ai rapporté dans la remarque 288, chap. 3 du livre précédent,
-et ses successeurs le suivirent: de sorte qu’il s’établit une rivalité
-constante entre le conseil et le parlement. En laissant au parlement
-la liberté de faire des remontrances, la cour prétendit qu’il devoit
-enregistrer, dès que le roi auroit déclaré qu’il persévéroit dans ses
-volontés. «Souvenez-vous, dit Charles IX au parlement de Paris, que
-votre compagnie a été établie par les rois, pour rendre la justice
-aux particuliers, suivant les lois, les coutumes et les ordonnances
-du souverain; par conséquent, de me laisser à moi et à mon conseil
-le soin des affaires de l’état. Défaites-vous de l’ancienne erreur
-dans laquelle vous avez été élevés, de vous regarder comme les tuteurs
-des rois, les défenseurs du royaume et les gardiens de Paris. Si dans
-les ordonnances que je vous adresse, vous trouvez quelque chose de
-contraire à ce que vous pensez, je veux que selon la coutume vous me le
-fassiez au plutôt connoître par vos députés: mais je veux qu’aussitôt
-que je vous aurai déclaré ma dernière et absolue volonté, vous
-obéissiez sans retardement.»
-
-Le parlement ne s’étant pas conformé à ces ordres, le roi rendit le
-24 septembre 1563, un arrêt par lequel, sans avoir égard à l’arrêt
-du parlement de Paris, le cassoit et l’annulloit comme rendu par
-des juges incompétens, à qui il n’appartenoit pas de connoître des
-affaires publiques du royaume; lui ordonnoit de vérifier et publier
-son édit du mois d’août dernier, sans y ajouter aucune restriction,
-ni modification; enjoignoit à tous les présidens et conseillers de
-se trouver à l’assemblée, s’ils n’en étoient empêchés par maladie ou
-autre cause légitime, sous peine d’être interdit des fonctions de leurs
-charges; leur défendoit aussi d’avoir jamais la présomption d’examiner,
-de statuer, ou même de délibérer touchant les édits de sa majesté qui
-concerneroient l’état, sur-tout lorsqu’ils auroient déjà fait leurs
-remontrances, et que le roi auroit notifié ses volontés: voulant sa
-majesté que ses édits soient alors enrégistrés purement et simplement.
-
-«Après que nos édits et ordonnances auront esté envoyées en nos cours
-de parlemens et autres souveraines pour y estre publiées, voulons y
-estre procédé, toutes affaires délaissées, sinon qu’ils avisassent
-nous faire quelques remontrances, auquel cas leur enjoignons de les
-faire incontinent, et après que sur icelles remontrances leur aurons
-fait connoître notre volonté, voulons et ordonnons estre passé outre
-à la publication sans aucune remise à autres secondes.» (_Ordonn. de
-Moulins, en février 1566, art. 2_).
-
-Cet article ne fut pas observé; le parlement de Paris fit d’itératives
-remontrances, et ne publia l’ordonnance qu’en y mettant des
-modifications et des réserves; comme il paroît par la _seconde
-déclaration sur l’ordonnance de Moulins, donnée à Paris le 11 décembre
-1566_, et dans laquelle le roi s’exprima ainsi: «néanmoins en publiant
-les dites ordonnances, le septième jour du dit mois de Juillet, nostre
-dite cour auroit excepté de la dite publication plusieurs articles, et
-sur autres reservé faire itératives remontrances, les choses demeurant
-en l’estat, dont seroit advenu que nos dites ordonnances ne sont
-aucunement publiées, gardées ni observées... Déclarons, voulons et nous
-plaît que les gens de nos parlemens puissent nous faire et réitérer
-telles remontrances qu’ils aviseront sur les édits, ordonnances et
-lettres-patentes qui leur seront adressées, mais après avoir esté
-publiées, seront gardées et observées sans y contrevenir, encore que la
-publication fust faite de nostre très-exprès mandement, ou que l’on eût
-retenu et réservé d’en faire de plus amples et itératives remontrances.»
-
-Il semble qu’il seroit inutile de rapporter ici un plus grand nombre
-d’autorités pour faire connoître et constater quels étoient l’esprit
-et les prétentions du conseil et du parlement. J’en suis fâché pour la
-mémoire du chancelier de l’Hôpital, dont la vertu a honoré ces derniers
-siècles, et qui a été certainement le plus éclairé de nos magistrats.
-Trompé par ses bonnes intentions, et ne prévoyant pas où devoit aboutir
-l’autorité arbitraire qu’il vouloit remettre entre les mains du roi,
-il ne voyoit que le mal que faisoit le fanatisme du parlement, et il
-travailla constamment à renverser la digue que des circonstances et
-des hasards heureux, avoient élevée contre le torrent de la puissance
-arbitraire. Il me semble que ce combat de rivalité sur la forme de
-l’enregistrement, et la force et le crédit qu’il devoit avoir, n’auroit
-pas subsisté si long-temps sans les troubles, les désordres et les
-circonstances malheureuses qui forcèrent souvent les fils de Henri II à
-n’oser pas quelquefois se servir de toute leur autorité.
-
-[341] Voyez les ordonnances de Néron. Il remarque que cette ordonnance
-donnée au mois de mai 1579, ne fut enregistrée au parlement que
-le 25 de janvier 1580, après plusieurs délibérations et plusieurs
-remontrances faites au roi. Quoique cette ordonnance soit datée de
-Paris, on l’appelle communément l’ordonnance de Blois, parce qu’elle
-fut rendue en conséquence des états qui avoient été assemblés en cette
-ville en 1576.
-
-Cette conduite du parlement dut paroître extraordinaire à toutes les
-personnes qui avoient quelque idée de la dignité et des droits que doit
-avoir une nation. En parlant des difficultés que le parlement de Paris
-opposa à l’ordonnance de Moulins en 1566, Bugnyon avoit dit: «Ne sont
-les ordonnances faites en pleines assemblées des états de ce royaume,
-du conseil privé du roy, des députez de ses cours de parlement, telles
-que les presentes, sujettes à aucune publication ni vérification,
-des cours d’iceux parlemens de ce royaume, les autres au contraire
-se doivent publier principalement au parlement de Paris, auquel est
-demeuré le nom de cour des pairs, et semblablement d’authorité et
-puissance de les homologuer, ainsi qu’elle a fait de tout temps, et
-fait encore à présent, sinon que le roy veuille et commande d’authorité
-absolue, comme il fait ici, qu’il soit obéi en ses ordonnances.»
-
-[342] «Sur les remontrances faites à la cour par le procureur-général,
-la chose mise en délibération, toutes les chambres assemblées, la dite
-cour n’ayant jamais eu d’autres intentions que de maintenir la religion
-catholique, apostolique et romaine, et l’état et couronne de France,
-sous la protection d’un roi très-chrétien, catholique et français, a
-ordonné et ordonne qu’aujourd’huy après dîner, le président le Maistre,
-accompagné d’un bon nombre de conseillers, ira remontrer à Mgr. le duc
-de Mayenne, lieutenant-général de l’état et couronne de France, en la
-présence des princes et officiers qui sont à présent en cette ville,
-qu’on n’ait à faire aucun traité pour transférer la couronne entre les
-mains d’aucunes princesses, ou d’aucuns princes étrangers, qu’il est
-juste que les lois fondamentales de ce royaume soient observées, et
-les arrêts de la cour, touchant la déclaration d’un roy catholique et
-français, mis à exécution, et que pour cet effet, le même duc ait à se
-servir du pouvoir qui lui a été donné, pour empêcher que sous prétexte
-de religion, la couronne ne soit transférée à une puissance étrangère,
-contre les lois du royaume, et pourvoir par même moyen au commun repos
-du peuple, le plustot que faire se pourra, pour l’extrême nécessité où
-il se trouve réduit; et cependant la dite cour a déclaré et déclare
-tous les traités faits et à faire, pour l’établissement de quelque
-prince ou princesse que ce soit, s’ils sont étrangers, non valables et
-de nul effet, pour être au préjudice de la loi salique et des autres
-lois fondamentales de ce royaume.» Voyez cet arrêt dans _Davila, liv.
-13_, et dans l’_histoire de Thou, liv. 106_.
-
-J’avoue que dans cette affaire, je serois assez porté à croire avec
-Davila que le duc de Mayenne fut l’auteur de l’arrêt qu’on vient de
-lire. Je n’ai rapporté dans le corps de mon ouvrage que les principales
-raisons qui m’ont déterminé à prendre cet avis; car, j’aurais fatigué
-la plupart de mes lecteurs, en entrant dans un plus grand détail,
-mais une remarque me donne plus de liberté. Observez d’abord que cet
-arrêt donné pour conserver la loi salique ou l’ordre de succession
-établi en faveur de la maison de Hugues-Capet, ne nomme ni Henri IV,
-ni aucun prince de la branche de Bourbon. Il ne paroît fait que contre
-l’Espagne; il favorise le duc de Mayenne, parce qu’il est ordonné
-de n’élever sur le trône qu’un prince français; et que le duc étoit
-d’une maison qui, quoique étrangère, étoit naturalisée française.
-La prétention même qu’avoient les princes Lorrains de descendre de
-Charlemagne, en faisoit des vrais Français, et donnoit une espèce de
-droit à l’usurpation qu’ils méditoient.
-
-Je remarque en second lieu que tout cet arrêt est dressé avec un art,
-une circonspection et des ménagemens qui décèlent bien mieux le génie
-du duc de Mayenne, qu’une compagnie qui fait ses efforts pour secouer
-ses préjugés, renoncer à son esprit de parti, et publier une doctrine
-qu’elle paroissoit avoir oubliée. Si l’arrêt dit qu’il est juste que
-les lois fondamentales du royaume soient observées, il fait entendre
-que ces lois se bornent à ne pas permettre qu’on donne la couronne à
-des étrangers; et tout de suite il ajoute que les arrêts de la cour
-touchant la déclaration d’un roi catholique et français, doivent être
-mis à exécution. Si le parlement avoit agi de son propre mouvement,
-et n’eût voulu faire connoître que son amour pour la justice et son
-attachement pour la famille régnante, n’est-il pas naturel qu’il se fût
-exprimé avec plus de zèle et de chaleur?
-
-Ce fait n’est pas rapporté de la même manière par les écrivains
-contemporains. De Thou dit, liv. 106, que cet arrêt déplut extrêmement
-au duc de Mayenne, mais qu’il n’osa faire paroître son mécontentement.
-Pourquoi cette retenue? elle devoit déplaire aux Espagnols, et n’étoit
-pas propre à faire prendre au parlement une autre conduite. Si le duc
-de Mayenne étoit réellement offensé de l’arrêt du parlement, il falloit
-y remédier, et se plaindre de l’entreprise de la cour, qui osoit se
-mettre au-dessus des états: cacher son ressentiment n’étoit qu’une
-puérilité. Ce prince n’ignoroit pas en quels termes les derniers rois
-avoient ordonné aux magistrats du parlement de se borner à être les
-maîtres des rois.
-
-L’Etoile dit dans ses mémoires que le duc de Mayenne fit une réponse
-courte au discours du président le Maistre, et en apparence pleine de
-mécontentement. Voilà qui est clair et conforme à l’opinion de Davila,
-mais il ajoute: «On le vit changer de couleur et laisser tomber son
-chapeau deux ou trois fois.» Voilà un trouble réel, et on n’entend plus
-rien à la narration de l’Etoile; peut-être ce trouble n’étoit-il que
-joué.
-
-«Le dernier de juin, continue-t-il, la cour assemblée fut interrompue
-par Belin envoyé du duc de Mayenne, pour les prier de surseoir leurs
-délibérations d’un jour ou deux seulement. Sur quoi la cour députa le
-président le Maistre et les conseillers Vamours et Fleuri vers le duc
-de Mayenne, qui leur dit tout en colère; il faut changer d’amitié votre
-arrêt, comme je vous en prie bien fort, sinon j’y employerai les forces
-à mon grand regret: la cour m’a fait un affront, dont elle se fût bien
-passée. Le président répondit qu’il étoit prince trop sage et advisé
-pour en venir à la force et aux voyes de fait, et quand il le feroit,
-Dieu seroit toujours pour la justice laquelle ils avoient simplement
-suivie en leur arrêt sans avoir jamais pensé à l’offenser. Alors M.
-de Lyon dit qu’à la vérité la cour avoit fait au duc de Mayenne un
-vilain affront, et qu’elle ne l’avoit dû faire. La cour, repartit le
-président, n’est pas affronteuse, et ce qu’elle a fait, elle l’a fait
-justement, le respect qu’elle doit à M. le duc lui a bien fait prendre
-et endurer ce qu’il a voulu lui dire; mais elle ne vous doit pas de
-respect; ains au contraire vous à elle.»
-
-Je demande à tout lecteur sensé si, par tout ce récit, on ne découvre
-pas dans les acteurs une certaine molesse de conduite, qui est une
-preuve de leur intelligence secrète. On voit que le duc de Mayenne
-ne fait que ce qu’il est obligé de faire pour ne pas rompre avec les
-Espagnols. S’il eût été réellement indigné contre le parlement, si
-le président le Maistre et le conseiller du Vair, qui conduisoient
-leur compagnie, n’eussent pas été en effet ses créatures, il auroit
-agi auprès de ces ligueurs entêtés dont parle l’Etoile, et s’en
-seroit servi pour les opposer à ses ennemis. Les mémoires du temps
-ne manqueroient pas de parler de ces intrigues. Le duc de Mayenne ne
-prend, au contraire, aucune mesure pour obliger le parlement à se
-rétracter, il ne songe pas même à profiter de l’orgueil des états pour
-réprimer l’audace du parlement.
-
-«Le duc de Mayenne et le président le Maistre ayant eu un
-éclaircissement au sujet de l’arresté du dernier juin 1593, qui exclue
-les étrangers de la couronne; le duc dit que s’il avoit été averti,
-lui et les autres princes se seroient trouvés au parlement; à quoi le
-président répondit que la cour est la cour des pairs de France, et que
-quand ils y vouloient assister, ils étoient les bien reçeus; mais que
-de les en prier, elle n’avoit pas coutume de ce faire.» (_Mémoires de
-Nevers, t. 2. p. 937._) Il seroit inutile de donner plus d’étendue à
-cette remarque.
-
-
- CHAPITRE IV.
-
-[343] «Il (Henry IV) s’achemina vers St.-Quentin..... où se trouvèrent
-aussi peu après la plus part des grands et plus qualifiés seigneurs
-de France, aucuns desquels, au lieu de bien servir le roy et de le
-consoler et soulager en ses ennuis et tribulations, essayerent de se
-prévaloir d’icelles pour s’en adventager à son dommage, lui faisant
-faire des ouvertures et propositions étranges, desquelles à force
-d’importunitez et de subtiles raisons recherchées dans la plus noire
-malice des autheurs de telles impertinences, ils rendirent monsieur
-de Montpensier le porteur, lequel étoit venu trouver le roy en sa
-chambre; ensuite de plusieurs protestations de son affection, lui dit:
-que plusieurs de ses meilleurs et qualifiez serviteurs, voyans les
-grandes forces ennemies qui lui tomboient à tous momens sur les bras,
-desquelles il ne pouvoit empescher les progrès à faute d’avoir toujours
-sur pied une grande armée bien payée et disciplinée, avoient selon
-leur advis excogité un moyen, par lequel il lui en seroit entretenu
-une grande et fort bien soudoyée qui ne se débanderoit jamais, étant
-toujours complette de ce qui lui seroit nécessaire, voire mesme de
-vivre et d’une bande d’artillerie de quinze ou vingt pièces de canon
-avec son attelage et des munitions pour tirer toujours deux ou trois
-mille coups, lesquels il pourroit mener par-tout où bon lui sembleroit.
-Sur quoy le roy voyant que monsieur de Montpensier avoit comme fait
-une pose à son propos, il lui repartit soudain: que son discours étoit
-beau et bon et de belle apparence, mais qu’il falloit que des cervelles
-bien timbrées et des personnes bien fondées, bien expérimentées et
-bien puissantes s’en meslassent pour en produire les effets; qu’il ne
-luy respondoit encore de rien qu’il n’eust recognu auparavant si les
-moyens en estoient aussi faciles et certains comme ses paroles belles
-et bien spécieuses, tant desiroit-il qu’il continuast et les lui fit
-entendre: à quoi M. de Montpensier en le suppliant de prendre de bonne
-part ce qu’il proposeroit, lui dit que ce n’estoit pas chose qui n’eust
-esté autrefois pratiquée et dont les rois ne se fussent bien prévalus,
-laquelle consistoit seulement à trouver bon que ceux qui avoient des
-gouvernemens par commission, les pussent posséder en propriété en les
-recognoissant de la couronne par un simple hommage lige, et d’autant
-qu’il se pourroit trouver quelques seigneurs bien qualifiés de grand
-mérite et longue expérience qui n’avoient point de gouvernemens, ils
-avoient advisé de séparer quelques contrées de ceux qui estoient les
-plus amples et de plus grande étendue, dont ils seroient pourveus avec
-le gré et commun consentement d’eux tous, lesquels après en general et
-un chacun en son particulier, s’obligeroient à luy fournir et soudoyer
-par avance telles troupes et autres équipages que besoin seroit,
-&c.» (_Economies royales de Sully, ch. 60_). Cette autorité sert
-merveilleusement à prouver ce que j’ai dit plus haut du danger où étoit
-le royaume d’être démembré, et du goût que les grands avoient conservé
-pour les fiefs.
-
-[344] Voyez l’_histoire de Thou_.
-
-[345] Voyez l’_histoire de Thou, l. 117_.
-
-[346] «S’ils font un corps séparé (les pairs) ils ne peuvent en aucune
-manière précéder le corps du parlement qui est le premier de tous
-les corps de l’état, qui n’est jamais précédé de personne; qui est
-même supérieur aux états-généraux, lorsqu’ils sont assemblez, et qui
-ne peut jamais être séparé du roy par qui que ce soit, comme l’on
-voit aux processions générales, aux obseques des rois et à toutes les
-grandes cérémonies. C’est pourquoi le parlement ne fait point partie
-des états-généraux, et n’est d’aucun des trois corps qui les composent,
-parce qu’il est séparé de tout le reste des sujets du roy qui forment
-leurs corps d’eux-mêmes. Le parlement au contraire est immédiatement
-attaché à la royauté, sans laquelle il ne compose aucun corps ni
-communauté.» (_Premier mémoire des présidens à mortier du parlement de
-Paris en 1664._)
-
-[347] Voyez la remarque 305, ch. 3 du livre précédent.
-
-[348] «Du 14 mai 1610 de relevée. Ce jour l’audience tenant de relevée,
-la cour se leva sur les quatre heures à cause du bruit survenu au
-barreau, de la blessure du roy; et néantmoins arrêta qu’elle ne se
-sépareroit point jusqu’à ce qu’elle fût informée de l’occasion de ce
-bruit. Et à cette fin ordonna que les gens du roy se transporteroient
-au Louvre, et pendant ce temps monsieur le premier président seroit
-averti de ladite résolution. Peu de temps après seroit arrivé ledit
-sieur premier président, lequel toutes les chambres par luy assemblées,
-auroit dit avoir rencontré en chemin, messire Christophe de Harlay,
-bailly du palais, son fils, ayant commandement de la reyne de parler
-à la cour. Lequel entré auroit dit avoir commandement de ladite dame
-reyne de dire à la cour, que sa majesté desiroit qu’elle fût assemblée
-et délibéré par elle ce qui étoit à faire sur ce misérable accident
-qui étoit survenu de la blessure du roy. A l’instant les gens du roy
-retournés du Louvre auroient dit par messire Louis Servin advocat du
-roy, assisté de messire Cardin le Bret son collegue, qu’ils apportoient
-à la cour une luctueuse et déplorable nouvelle que la nécessité de
-leurs charges les forçoit lui faire entendre, que Dieu avoit fait sa
-volonté du roy, et que la reyne désolée leur a commandé prier la cour
-de s’assembler pour aviser ce qui est nécessaire en ce misérable état.
-Et afin d’y mettre telle assurance qu’il se pourra, ont requis que
-ladite dame reyne soit déclarée régente, pour être par elle pourveu
-aux affaires du royaume. Eux retirez, la matiere mise en délibération:
-la cour a déclaré et déclare la reyne mere du roy régente en France,
-pour avoir l’administration des affaires du royaume pendant le bas
-âge du dit seigneur son fils avec toute puissance et autorité,
-&c.» (_Registres du parlement_). Cette pièce et les suivantes sont
-rapportées dans le _traité de la majorité de nos rois, par du Puy, p.
-460_.
-
-«Du samedi 15 de may 1610, le roi étant venu en son lit de justice en
-sa cour de parlement, se seroit assis en son trône.... Cela fait la
-reyne mere dudit seigneur roy se leva, et comme elle descendoit pour se
-retirer, et laisser deliberer ce qui étoit à faire, monsieur le premier
-président la supplia de se remettre en sa place, disant qu’il n’y avoit
-point de délibération à faire, et que la qualité de régente ayant été
-déclarée par l’arrêt du jour précédent, il ne restoit qu’à le publier,
-&c.» (_Registre du parlement_). C’est ainsi que le parlement s’empara
-du droit de nommer la régence, et établit même que pour un pareil acte,
-la présence du roi n’étoit pas nécessaire: cette manœuvre est conduite
-avec assez d’adresse.
-
-«Sur ce monsieur le chancelier prononça l’arrêt qui sensuit: Le roi
-seant en son lit de justice par l’avis des princes de son sang, autres
-princes; prelats, ducs, pairs et officiers de la couronne, ouy et
-requerant son procureur général, a déclaré et déclare conformément à
-l’arrêt donné en sa cour de parlement le jour d’hier, la reyne sa mere
-régente en France, pour avoir soin de l’éducation et nourriture de sa
-personne et l’administration des affaires de son royaume, pendant son
-bas âge. Et sera le présent arrêt publié et enrégistré en tous les
-bailliages et seneschaussées et autres siéges royaux, du ressort de sa
-cour, et en toutes les autres cours de parlement de son royaume. Fait
-en parlement le 15 jour de may l’an 1610.»
-
-Dans la relation de tous ces faits écrits par maître Jacques Gillot,
-conseiller en la grand-chambre: il est dit: M. le chancelier encore
-qu’il eût fait entendre à tous, que l’avis commun de tous étoit de
-dire, suivant l’arrêt donné en son parlement le jour d’hier, neantmoins
-ne la prononça pas; ce que luy ayant été remontré à part par M. le
-premier président, il lui répondit que c’étoit par oubliance; et qu’il
-seroit mis par écrit, et de fait on lui porta signer, où ces mots
-étoient, a déclaré et déclare conformément à l’arrêt donné en sa cour
-de parlement, du jour d’hier: ce qu’il fit, et l’arrêt a été imprimé et
-publié avec cette clause.
-
-
- CHAPITRE V.
-
-[349] «Entre les dits affaires auxquels il a fallu donner patience,
-l’un des principaux ont esté les plaintes que nous avons reçues de
-plusieurs de nos provinces et villes catholiques de ce que l’exercice
-de la religion catholique n’étoit pas universellement rétabli, comme
-il est porté par les édits cy-devant faits pour la pacification des
-troubles, à l’occasion de la religion; comme aussi les supplications
-et remontrances qui nous ont esté faites par nos sujets de la religion
-prétendue réformée, tant sur l’exécution de ce qui leur est accordé
-par lesdits édits, que sur ce qu’ils désiroient y estre ajouté pour
-l’exercice de leur dite religion, la liberté de leur conscience, et la
-sureté de leurs personnes et fortunes, présumant avoir juste sujet d’en
-avoir nouvelles et plus grandes appréhensions, à cause de ces derniers
-troubles et mouvemens, dont le principal prétexte et fondement a esté
-sur leur ruine.» (_Préambule de l’édit de Nantes, avril 1598_).
-
-J’invite mes lecteurs à lire l’édit de Nantes, et à faire une attention
-particulière aux articles 3, 4, 7, 14, 20, 23, 25, 27, 34, sur lesquels
-je fais quelques remarques dans le corps de mon ouvrage.
-
-Quelque envie que j’aie d’être court, je ne puis me dispenser de
-rapporter ici l’article 90. «Les acquisitions que ceux de la dite
-religion prétendue réformée et autres qui ont suivi leur parti, auront
-faites par autorité d’autre que des feus rois nos prédécesseurs, pour
-les immeubles appartenans à l’église, n’auront aucun lieu ni effet;
-ains ordonnons, voulons et nous plaît que lesdits ecclésiastiques
-rentrent incontinent et sans délai, et soient conservés en la
-possession et jouissance réelle et actuelle des dits biens ainsi
-alienez, sans être tenus de rendre le prix des dites ventes, et ce
-non obstant lesdits contrats de vendition, lesquels à cet effet nous
-avons cassé et revoqué comme nuls, sans toutefois que lesdits acheteurs
-puissent avoir recours contre les chefs, par l’autorité desquels
-lesdits biens auront été vendus; et néanmoins pour le remboursement
-des deniers par eux véritablement et sans fraude déboursés, seront
-expédiées nos lettres patentes de permission à ceux de la dite religion
-d’imposer et égaler sur eux les sommes à quoi se montèrent lesdites
-ventes, sans qu’iceux acquéreurs puissent prétendre aucune action pour
-leurs dommages et intérêts, à faute de jouissance; ains se contenteront
-du remboursement des deniers par eux fournis pour le prix des dites
-acquisitions précomptant sur icelui prix les fruits par eux perçus, en
-cas que la dite vente se trouvât faite à trop vil et injuste prix.»
-
-Quels législateurs que les hommes qui ont fait l’édit de Nantes?
-Craignoient-ils que les esprits ne fussent pas assez divisés par les
-intérêts de la religion? Le dernier jour du même mois d’avril 1598,
-Henri IV donna une espèce de déclaration contenant 57 articles. «Outre
-et par dessus les articles contenus en notre édit fait et ordonné au
-présent mois sur le fait de la religion prétendue réformée, nous en
-avons encore accordé quelques particuliers, lesquels nous n’aurions
-point estimé nécessaire de comprendre au dit édit, et lesquels
-néanmoins voulons qu’ils soient observez, et ayent même effet que s’ils
-y étoient compris, et à celle fin qu’ils soient lus et enrégistrez
-es greffes de notre cour de parlement pour y avoir recours lorsqu’il
-en sera besoin, et le cas y écherra; à cette cause, &c.» Ce procédé
-n’est pas net. Une loi ne sauroit être trop méditée; toutes ces
-déclarations subséquentes qu’on donne pour l’affermir, ne sont bonnes
-qu’à l’affoiblir: on soupçonne le législateur de mauvaise foi, de
-précipitation et d’ignorance; et les esprits conçoivent des défiances
-ou des espérances dangereuses.
-
-[350] Voyez dans le livre 5 le chapitre où j’ai fait voir par quelles
-causes l’Angleterre a vu s’élever un gouvernement libre sur les ruines
-de ses fiefs. J’ai eu soin d’observer que les assemblées de la nation
-ne jouissoient plus des droits qui leur sont propres, quand les guerres
-civiles furent allumées sous Charles I. A l’égard du corps germanique,
-tout le monde sait que les diètes et les tribunaux de l’empire ne
-jouissoient que d’une fausse liberté avant la guerre qui fut terminée
-par la paix de Westphalie. C’est cette paix qui a donné une forme
-constante au gouvernement.
-
-
- CHAPITRE VI.
-
-[351] «Sire, ceste assemblée des grands de vostre royaume n’a esté
-proposée en vostre cour, que sous le bon plaisir de vostre majesté,
-pour lui représenter au vrai par l’advis de ceux qui en doivent avoir
-plus de connoissance, les désordres qui s’augmentent et multiplient
-de jour en jour, estant du devoir des officiers de la cour en telles
-occasions vous faire toucher le mal, afin d’en attendre le remède par
-le moyen de vostre prudence es authorité royale: ce qui n’est, sire, ni
-sans exemple, ni sans raisons.
-
-«Philippe-le-Bel qui premier rendit votre parlement sédentaire, et
-Louis Hutin qui l’establit dans Paris, lui laissèrent les fonctions et
-prérogatives qu’il avoit eues à la suite des rois leurs prédécesseurs.
-Et c’est pourquoi il ne se trouve aucune institution particulière
-de vostre parlement, ainsi que de vos autres cours souveraines qui
-ont esté depuis érigées, comme tenant vostre parlement la place du
-conseil des princes et barons qui de toute ancienneté estoient près la
-personne des rois, né avec l’estat: et pour marque de ce les princes
-et pairs de France y ont toujours eu séance et voix délibérative: et
-aussi depuis ce temps y ont esté vérifiées les lois, ordonnances et
-édits, création d’offices, traictez de paix et autres plus importantes
-affaires du royaume, dont lettres patentes luy sont envoyées pour en
-toute liberté les mettre en délibération, en examiner le mérite, y
-apporter modification raisonnable, voire mesme que ce qui est accordé
-par nos rois aux états-généraux, doit estre vérifié en vostre cour
-où est le lieu de vostre trône royal et le lict de vostre justice
-souveraine.
-
-«On pourroit rapporter plusieurs exemples pour preuve que de tout temps
-vostre parlement s’est utilement entremis des affaires publiques,
-lesquelles ont par ce moyen réussi au bien du service des rois vos
-prédécesseurs, entre lesquels nous vous représentons comme du règne du
-roy Jean furent convoquez en vostre parlement les princes, prelats et
-nobles du royaume pour adviser aux affaires de l’estat; que depuis que
-l’advis du même parlement le roy Charles Vme, dit Le Sage, déclara
-la guerre au roy d’Angleterre, retira par ce moyen à la Guyenne
-et le Poictou: et que l’an mil quatre cent et treize vostre mesme
-parlement moyenna l’accord entre les dictes maisons d’Orléans et de
-Bourgogne......
-
-«Toutefois et quantes que ce sont presentez affaires concernant
-l’intérest du royaume, soit pour entreprises de la cour de Rome, ou
-des princes étrangers, régences, gouvernemens pendant les minoritez
-des rois, conservation des droicts et fleurons de la couronne, et
-manutention des lois fondamentales de l’estat: les propositions et
-remontrances sont toujours parties de la mesme compagnie, et la
-pluspart des résolutions y ont esté prises, tesmoin le privé et
-solennel arrest pour la confirmation de la loi salique en la personne
-de Philippe de Valois, et celuy depuis donné pendant les troubles
-par les officiers de vostre parlement, bien qu’ils feussent réduits
-en captivité et apprehension continuelle de la mort ou de la prison,
-laquelle action fut dès lors louée grandement par le feu roy vostre
-père de très-heureuse mémoire, se pouvant dire avec vérité que cet
-arrest fortifié de la valeur de ce grand roy, a empesché que vostre
-couronne n’ait esté transférée en main étrangère....
-
-«Vostre majesté mesme peut estre mémorative du grand et signalé service
-qui vous a esté rendu par vostre parlement lors du détestable parricide
-du feu roy Henri-le-grand vostre père, et comme par l’arrest, qui sera
-mémorable à jamais, il destournera prudemment les orages qui sembloient
-renverser vostre Estat, et comme depuis il a continué continuellement à
-la deffense de vostre souveraineté, contre ceux qui l’ont osé débattre
-et impugner, tant de vive voix, que par leurs escrits....
-
-«Bref, vostre parlement se peut donner cette gloire véritable, que le
-corps ne s’est jamais séparé ny désuny du chef auquel il s’est toujours
-au plus mauvais temps et plus roide saison tellement joint, que l’on ne
-l’a point vu se départir de l’obéyssance des rois vos prédécesseurs.»
-(_Remontrances du parlement, présentées au roy le 22 may 1615._) Cette
-pièce se trouve dans le mercure français pour l’année 1615. J’invite
-mes lecteurs à la lire: on verra avec quelle adresse on abuse des
-faits pour en changer l’esprit et la nature, et se former de nouveaux
-droits: on découvrira sans peine cet esprit permanent du parlement qui
-a travaillé sans relâche à étendre son autorité: on verra que voulant
-s’élever sur les ruines de la nation asservie, il aspire à être le
-maître et à se mêler de tout, mais avec la retenue d’une compagnie qui
-sent sa foiblesse, et qui ne peut plus représenter qu’une nation qui a
-oublié tous ses droits.
-
-C’est dans cet esprit que le parlement ajoute: «Vostre parlement voyant
-les désordres en toutes les parties de vostre Estat, et que ceux
-qui en profitant à la ruyne de vostre peuple, pour s’exempter d’en
-estre recherchez, s’efforcent de donner à vostre majesté de sinistres
-impressions de ceste compagnie, lui faire perdre créance et l’esloigner
-de vostre affection, a de grandes raisons de désirer s’instruire avec
-les grands du royaume des causes de tous ces désordres, les rendre
-tesmoins de sa fidélité et dévotion à vostre service, et adviser avec
-eux des moyens convenables, non pour en ordonner et résoudre, mais pour
-les proposer à vostre majesté, avec plus de poids et authorité, après
-avoir esté concertez en une telle, et si célèbre compagnie, et par ce
-moyen les engager eux-mêmes en la réformation, et réduire les actions
-et intérests de tous à l’ordre qui seroit estably par vostre majesté.
-
-Vostre parlement supplie très-humblement vostre majesté de considérer
-combien il est nécessaire d’entretenir les alliances anciennes et
-confédérations renouvellées par le feu roy de très-heureuse mémoire,
-avec les princes, potentats et républiques estrangères, d’autant que
-delà dépend la seureté de vostre estat et le repos de la chrétienté.»
-
-Veut-on être persuadé que quelques seigneurs inquiets et mécontens
-gouvernoient l’ambition du parlement, et que cette compagnie commençoit
-à avoir l’esprit qu’elle fit éclater à la naissance de la guerre de la
-fronde; qu’on lise ce qui suit: «Et ne se pouvant espérer que l’ordre
-qui sera étably par vostre majesté puisse estre de longue durée, sans
-l’advis et conseil des personnes graves expérimentées et intéressées,
-vostre majesté est très-humblement suppliée retenir en vostre conseil
-les princes de vostre sang, les autres princes et officiers de la
-couronne, et les anciens conseillers d’estat qui ont passé par les
-grandes charges, ceux qui sont extraits de grandes maisons et familles
-anciennes, qui par affection naturelle et intérest particulier sont
-portez à la conservation de vostre estat, et en retrancher les
-personnes introduites depuis peu d’années, non pour leurs mérites et
-services rendus à vostre majesté, mais par la faveur de ceux qui y
-veulent avoir des créatures....
-
-«Que les officiers de la couronne, gouverneurs des provinces et villes
-de vostre royaume, soient maintenus en leur authorité, et puissent
-exercer les charges dont il a plu au roy les honorer, sans qu’aucun se
-puisse entremettre de disposer et ordonner de ce qui dépend de leurs
-fonctions.» On verra dans ces remontrances que le parlement embrasse
-toutes les branches de l’administration.
-
-[352] On se rappelle sans doute que dans l’affaire de Cinqmars, les
-conjurés avoient comploté d’assassiner le cardinal de Richelieu. Les
-mémoires du temps disent que Cinqmars vouloit avoir le consentement de
-Louis XIII.
-
-[353] «Les frequentes rebellions et la facilité des soulèvemens et
-entreprises particulières d’autorité privée, prises et levement
-des armes soit pour pretexte publics, ou querelles et intérêts
-particuliers, honteuse à notre état et trop préjudiciable au repos de
-notre peuple, à notre autorité et à la justice, nous obligent d’y
-donner quelque ordre plus fort qu’il n’a été fait par cy-devant. Outre
-les peines portées par les ordonnances précédentes, nous défendons très
-expressement à tous nos sujets, de quelque qualité et condition qu’ils
-soient, d’avoir association, intelligence ou ligues avec aucuns princes
-ou potentats, républiques ou communautez, dedans ou dehors le royaume,
-sous quelque couleur ou occasion que ce soit: communiquer avec les
-ambassadeurs des princes étrangers, les voir, visiter ou recevoir, soit
-en leurs maisons ou maisons tierce ou neutre: recevoir aucunes lettres
-ni presens de leur part, ni leur en envoyer sans notre commandement
-ou permission, ou ayant charge et obligation de ce faire par leur
-charge ou emploi, à peine d’être convaincu de faction ou soulevement.»
-(_Ordonn. de janvier 1629. Art. 170_).
-
-«Défendons pareillement à tous nos sujets de quelque qualité et
-condition qu’ils soient, d’errer, arrêter ou assurer des soldats et
-gens de guerre à cheval ou à pied par eux ou par autres, sous quelque
-prétexte que ce puisse être: les lever et assembler sans avoir sur ce
-nos lettres de commission signées d’un de nos secretaires d’état, et
-expédiées sous notre grand sceau.» (_Ibid. Art. 171_).
-
-«Faire avoir ou retenir aucun amas d’armes pour gens de pied ou de
-cheval, plus qu’il ne leur est nécessaire pour leurs maisons et sans
-notre permission en la forme susdite.» (_Ibid. Art. 172_).
-
-«Faire sans notre permission par lettres patentes en commandement,
-achat de poudre, plomb, mêche, plus que pour la provision nécessaire et
-raisonnable de leur maison, et plus qu’il ne sera porté par lesdites
-permissions.» (_Ibid. Art. 173_).
-
-«Faire fondre des canons ou autres pièces de quelque calibre que ce
-soit, en retirer ou en avoir en leurs maisons, soit de fonte de notre
-royaume ou étrangers, sans notre permission en la forme cy-dessus.»
-(_Ibid. Art. 174_).
-
-«Faire aucune ligues ou associations, ou y entrer, soit entre nos
-sujets ou les étrangers, pour quelque cause que ce soit.» (_Ibid. Art.
-175_).
-
-«Faire fortifier les villes, places et chasteaux, soit ceux qui nous
-appartiennent, soit aux particuliers, hors les murailles, fossez et
-flancs des clotures pour ceux qui ont droit d’en avoir, de quelque
-fortification que ce soit, sans notre permission en la forme susdite.»
-(_Ibid. Art. 176_).
-
-«Faire assemblées convoquées et assignées publiquement ou en secret
-sans notre permission, ou du gouverneur et notre lieutenant général
-en la province: même auxdits gouverneurs et lieutenans généraux sans
-notre permission sous lettres en la forme susdite, esquelles les causes
-desdites assemblées soient exprimées.» (_Ibid. Art. 177_).
-
-Dans un pays où une pareille ordonnance est nécessaire, il est bien
-surprenant qu’on ose la donner. Si elle est inutile, pourquoi la
-donne-t-on?
-
-«Faisons pareillement défenses à tous nos sujets, de quelque qualité
-et condition qu’ils soient, ayant quelque charge ou office, de sortir
-de notre royaume sans notre permission, et à tous autres non ayant
-charges, sans le déclarer au juge et principal magistrat des villes de
-leur domicile, ou en avoir acte par écrit et en bonne forme.» (_Ibid.
-Art. 178_).
-
-«Défendons pareillement à tous nos sujets, sans aucun excepter, suivant
-le 77º. article des ordonnances de Moulins, d’écrire, imprimer, ou
-faire imprimer, exposer en vente, publier et distribuer aucuns livres,
-libelles ou écrits diffamatoires et convicieux, imprimez ou écrits à
-la main, contre l’honneur et renommée des personnes, même concernant
-notre personne, nos conseillers, magistrats et officiers, les affaires
-publiques et le gouvernement de notre état.» (_Ibid. Art. 179_).
-
-«Et d’autant que le commencement des factions est en la désobéissance
-et au mépris des ordres et commandemens du souverain, en l’obéissance
-duquel consiste le repos et la tranquillité des états et la prospérité
-des sujets, pour aller au devant de toutes occasions, nous voulons
-et ordonnons, que tous ceux qui ayant reçu commandement de nous en
-choses qui regardent le gouvernement de notre état, ou autres qui leur
-seront enjoints par nous, et généralement tout ce qui pourra leur être
-commandé par nous ou nos successeurs rois, et de quelque qualité et
-condition qu’ils soient, qui n’y voudront obéir, et ne satisferont à
-nos commandemens, ou qui après les avoir reçus, ne nous feront entendre
-les raisons qu’ils auront de s’en excuser, et ce qu’ils estimeront
-être en cela de plus grand bien pour notre service, après que nous
-leur aurons réitéré les dits commandemens, si après ledit second
-commandement ils n’obéissent, et ne satisfont à ce qui leur sera par
-nous ordonné, nous les déclarons dès à présent privez de toutes les
-charges et offices qu’ils ont, auxquelles il sera par nous pourvu dez
-l’instant, sans préjudice des autres peines que ladite désobéissance
-pourra mériter, selon la qualité des faits.» (_Ibid. Art. 180_).
-
-[354] En avril 1667, Louis XIV donna une ordonnance dont les articles
-2 et 5 régloient que les cours qui se trouveroient dans le lieu du
-séjour du roi, seroient tenues de représenter ce qu’elles jugeroient à
-propos sur le contenu des ordonnances, édits, déclarations et lettres
-patentes, dans la huitaine après leur délibération, et les compagnies
-qui en seroient plus éloignées dans six semaines; après quel temps
-elles seroient tenues pour publiées et registrées.
-
-Le 24 février 1673, le roi donna une déclaration interprétative des
-deux articles 2 et 5 qu’on vient de lire. «Incontinent, est-il dit, que
-nos procureurs-généraux auront reçu nos lettres, ils en informeront
-le premier président, ou celui qui présidera en son absence, et
-lui demanderont, si besoin est, l’assemblée des chambres semestres,
-laquelle le premier président convoquera dans trois jours, où nos
-procureurs-généraux présenteront les édits, ordonnances, déclarations
-et lettres patentes dont ils seront chargez, avec nos lettres de
-cachet, le premier président distribuera sur le champ nos lettres
-patentes, sur lesquelles le conseiller rapporteur mettra le soit
-montré, et les rendra à notre procureur-général avant la levée de
-la séance: nos procureurs-généraux les donneront dans vingt-quatre
-heures après au conseiller rapporteur; trois jours après le conseiller
-rapporteur en fera son rapport, et à cet effet celui qui présidera,
-assemblera les chambres en semestres à la maniere accoutumée, et sera
-déliberé sur icelles toutes affaires cessantes, même la visite et le
-jugement des procès criminels, ou les propres affaires des compagnies.
-
-«Voulons que nos cours ayent à enrégistrer purement et simplement nos
-lettres patentes sans aucune modification, restriction ou autre clause
-qui en puissent surseoir et empêcher la pleine et entière exécution;
-et néanmoins où nos cours, en délibérant sur lesdites lettres,
-jugeroient nécessaire de nous faire leurs remontrances sur le contenu,
-le régistre en sera chargé, et l’arrêté rédigé, après toutesfois que
-l’arrêt de l’enrégistrement pur et simple aura été dressé et séparément
-rédigé; et en conséquence celui qui aura présidé pourvoira à ce que les
-remontrances soient dressées dans la huitaine, par les commissaires
-des compagnies qui seront par lui députés, pour être délivrées à notre
-procureur-général avec l’arrêt qui les aura ordonnées, dont il se
-chargera au greffe. Les remontrances nous seront faites ou présentées
-dans la huitaine par nos cours de notre bonne ville de Paris, ou autres
-qui se trouveront dans le lieu de notre séjour, et dans six semaines
-pour nos autres cours de province; en cas que sur le rapport qui
-nous sera fait des remontrances, nous les jugions mal fondees et n’y
-devoir avoir aucun égard, nous ferons sçavoir nos intentions à notre
-procureur-général pour en donner avis aux compagnies, et tenir la main
-à l’exécution de nos ordonnances, édits et déclarations qui auront
-donné lieu aux remontrances; et où elles nous sembleroient bien fondées
-et que nous trouverions à propos d’y déférer en tout ou en partie,
-nous envoyerons à cet effet nos déclarations aux compagnies dont
-nos procureurs-généraux se chargeront comme dessus, et provoqueront
-l’assemblée desdites chambres et semestres, les presenteront avec
-nos lettres de cachet au premier président en pleine seance, et en
-requerront l’enrégistrement pur et simple, ce que nos cours seront
-tenues de faire, sans qu’aucun des officiers puisse avoir aucun avis
-contraire, nos cours ordonner aucunes nouvelles remontrances sur nos
-premières et secondes lettres, à peine d’interdiction, laquelle ne
-pourra être levée sans nos lettres signées de notre exprès commandement
-par l’un de nos secretaires d’état, et scellées de notre grand sceau,
-nous réservant d’user de plus grande peine, s’il y échet, et sans que
-la presente clause puisse être comminatoire ni éludée pour quelque
-cause et sous quelque pretexte que ce puisse être. Les greffiers
-tiendront leurs feuilles des avis et de toutes les délibérations qui
-seront prises sur le sujet desdites lettres, lesquelles ils feront
-parapher avant la levée des seances par celui qui aura présidé, et
-remettront lesdites feuilles es mains de nos procureurs-généraux
-pour nous être envoyées; et à cet effet les greffiers assisteront
-à la presentation qui sera faite de nos dites lettres par nos
-procureurs-généraux et à toutes les délibérations qui seront prises sur
-icelles, nonobstant tous usages à ce contraires. N’entendons néanmoins
-comprendre aux dispositions ci-dessus nos lettres patentes expédiées
-sous le nom et au profit des particuliers, à l’égard desquelles les
-oppositions pourront être reçues, et nos cours ordonner qu’avant faire
-droit elles seront communiquées aux parties.»
-
-Les cours souveraines rongèrent leur frein et se consolèrent en pensant
-que tout iroit si mal qu’on seroit enfin obligé de leur rendre la
-liberté de l’enregistrement. En effet, tout alla très mal: mais depuis
-que les anciennes formes de l’enregistrement ont été rétablies par la
-déclaration donnée à Vincennes le 15 septembre 1715, les choses ne
-sont-elles pas allées de mal en pis?
-
-
- CHAPITRE VII.
-
-[355] Je ne sais point qui avoit proposé à Mme de Pompadour et au duc
-de Choiseul, le projet d’établir des états dans toutes les provinces;
-mais je crois être sûr qu’ils avoient adopté cette idée. Des personnes
-qui gouvernent sans règle, malheureusement ne veulent rien avec force;
-ainsi les plats raisonnemens de Montmartel et les brusques saillies de
-son frère du Verney, suffirent pour qu’on ne songeât plus à troubler le
-despotisme de nos intendans.
-
-[356] Ce que je dis dans le corps de mon ouvrage, que nous ne portons
-en nous-mêmes aucun principe de révolution, est une vérité dont on ne
-peut plus douter; depuis qu’on a vu avec quelle patience nous avons
-souffert les rapines de l’abbé Terray et les tyrannies du chancelier
-de Maupeou. Le ministère s’est conduit avec une effronterie, une
-précipitation et une dureté capables de nous rendre quelque courage,
-si nous en avions encore pu avoir. A quoi s’est réduit tout notre
-ressentiment? à regretter le duc de Choiseul, à le regarder comme
-un grand homme, et à espérer que la cabale qui l’a fait disgracier
-ne pourra pas se soutenir. Que nous importe la chute de ces hommes
-pervers? Nous sommes parvenus à ce point de misère et de délabrement
-qu’on peut tout oser avec nous, et que les hommes qui viendront en
-place nous feront toujours regretter leurs prédécesseurs. De jour en
-jour les abus du gouvernement doivent se multiplier, la voie du mal
-s’élargit; ainsi, quoique moins méchans peut-être que les ministres
-qui règnent aujourd’hui, leurs successeurs commettront de plus grandes
-méchancetés.
-
-[357] Je ne puis m’empêcher de placer ici quelques réflexions que j’ai
-faites en lisant les protestations des princes du sang, contre la ruine
-de l’ancien parlement, et l’établissement du nouveau. Le public a fort
-approuvé cette démarche, qu’il a regardée comme un acte héroïque;
-mais le public n’a-t-il pas tort, si cette protestation n’est qu’une
-mutinerie d’où il ne peut résulter aucun bien, et dont nos princes
-finiront par se repentir?
-
-Que désirent, que veulent les princes du sang? que l’ancien parlement
-soit rétabli; mais je prends la liberté de leur représenter que
-ce n’est pas la peine de demander une pareille faveur; puisqu’en
-l’obtenant, ils se retrouveroient dans la même situation où ils étoient
-il y a quatre mois; et que par conséquent ils seroient encore exposés
-aux mêmes entreprises, aux mêmes violences, aux mêmes injustices de la
-part d’un second Maupeou. Au lieu de demander une paix véritable et
-solide, les princes du sang se contentent donc d’une trève passagère.
-Je ne crois pas que ce soit là une conduite sage; et le public qui la
-loue avec admiration, prouve qu’il incline à la timidité, et qu’il
-n’est pas plus habile politique que les princes.
-
-Le nouveau parlement qu’on vient de former, doit effrayer tous les
-ordres de l’état. Fripons, fanatiques ou stupides; c’est un amas
-d’hommes déshonorés qui se prêteront effrontément à toutes les
-injustices du ministère. Leurs mœurs vont former notre nouvelle
-jurisprudence; et leurs successeurs placés par les intrigues des
-valets, des commis et des femmes galantes de Versailles, seront
-prodigues de notre bien, et tiendront une épée suspendue sur les têtes
-qu’on voudra abattre. Sans doute, il faut être indigné contre cet
-instrument du despotisme, mais il faut l’être encore plus contre le
-despotisme même: détruire l’un sans attaquer l’autre, c’est ne rien
-faire; et le despotisme se reproduira sans cesse par de nouvelles
-injustices et de nouvelles violences, tant qu’on ne le réprimera pas
-lui-même. Je crains de n’avoir que trop raison, quand j’ai dit que tout
-nous annonçoit un avenir malheureux, et que nous sommes incapables de
-nous défendre contre le torrent qui nous entraîne.
-
-Quand le despotisme se forme et travaille à s’établir, il agit d’abord
-avec beaucoup de circonspection; il emploie la ruse au lieu de la
-force; il se déguise quelquefois sous le masque du bien public;
-quelquefois il corrige des abus; il sème la corruption, la jalousie
-et la division entre les différens ordres de citoyens; après les
-avoir tous affoiblis, il les perd enfin tous les uns par les autres.
-La première victime immolée, c’est le peuple ou la multitude; de
-là, on passe à la bourgeoisie honorable; on en vient ensuite à la
-petite noblesse. Après ces triomphes aisés, le gouvernement, fier
-de ses succès, se lasse enfin de partager les profits du despotisme
-avec les grands qui le flattent et qui l’ont aidé et soutenu dans
-ses entreprises. Si les princes avoient fait attention que nous
-sommes parvenus à cette dernière époque, je suis persuadé que leur
-protestation auroit été fort différente de ce qu’elle est. Ils auroient
-remarqué que plus ils sont élevés, plus ils devoient être suspects et
-odieux au despotisme, qui se lasse enfin d’avoir des égards pour les
-autres, et ne s’occupe que de soi. Plus ils ont raison de craindre,
-plus ils doivent prendre de mesures pour leur sûreté et leur salut.
-
-Si les princes du sang ne sentent pas que le ministère les néglige,
-s’ils ne voient pas au milieu des injures et des tracasseries qu’on
-leur fait, que c’est le tour des grands d’être accablés, il ne nous
-reste aucune ressource; si les réflexions que je viens de faire sont
-vraies; que les princes me permettent de leur demander, s’ils croient
-leur fortune à l’abri de tout revers, quand ils auront culbuté le
-chancelier et obtenu le rétablissement de l’ancien parlement. Notre
-gouvernement, on ne peut trop le répéter, n’est propre qu’à produire
-des Maupeou; il est si commode d’être despote, que quand un heureux
-hasard élèveroit un honnête homme au ministère, il aimeroit mieux
-obéir mollement à ses passions que de se donner la peine de conformer
-sa conduite aux lois: il renaîtra sans cesse des Terray, des Maupeou,
-des d’Aiguillon; et quelle plus foible barrière peut-on avoir contre de
-tels ministres que des magistrats qui, n’étant rien dans leur origine,
-ne se sont rendus considérables qu’en se regardant comme les simples
-instrumens de l’autorité royale? Ils ont fait constamment tous leurs
-efforts pour écraser tout ce qui étoit grand; et ils s’en vantent
-encore tous les jours dans leurs remontrances. Après avoir abusé de la
-protection du roi et de leur crédit, ils en sont venus au point de se
-croire supérieurs à la nation qu’ils avoient accablée; et de penser
-qu’en vertu de leur enregistrement, ils devoient partager la puissance
-législative avec le roi. Par une suite de cette vanité ridicule, le
-parlement a déplu au ministère, sans mériter l’estime de la nation;
-tout prouve qu’il aime le despotisme, pourvu qu’il le partage; en un
-mot, notre situation actuelle fait voir évidemment que ces magistrats
-n’ont produit aucun bien et n’ont prévenu aucun mal.
-
-Je suppose que la protestation des princes du sang soit propre à faire
-rétablir l’ancien parlement, et je demande si cette compagnie sera plus
-capable qu’autrefois de protéger à l’avenir la liberté de la nation?
-En la rappelant à ses fonctions, lui rendroit-on son autorité et ses
-prérogatives? Si elle se persuade qu’elle ne doit son rétablissement
-qu’à elle-même, elle sera plus fière que jamais, et s’attachera plus
-étroitement aux principes funestes que je lui reproche; elle croira
-qu’elle ne peut être détruite, et ne sentant pas le besoin de ménager
-la nation, elle fera sa cour à nos dépens. Si le parlement rétabli sent
-l’impression de sa disgrace, et ne peut douter de sa foiblesse, ne
-tâchera-t-il pas de ne point éprouver une seconde tempête? En faisant
-sonner très-haut sa qualité de cour unique et essentielle des pairs,
-cette cour sera-t-elle en état de défendre efficacement un prince ou un
-pair que le ministre voudra faire périr ou tenir dans une prison? Nous
-reverrons encore ce caractère mêlé d’orgueil, de vanité, d’ignorance et
-de foiblesse qui a fait le malheur de la nation. En un mot, l’ancien
-parlement rétabli n’auroit-il pas tous les vices que nous craignons
-dans le nouveau, que nous importe que celui-ci enregistre après de
-simples remontrances, tout ce qu’on lui envoie, ou que l’autre les
-réitère, attende des lettres de jussion, et oblige quelquefois le roi à
-tenir un lit de justice qui termine tout?
-
-Mais quand on auroit lieu de présumer que les magistrats de l’ancien
-parlement seroient désormais des héros, je dirois encore que la
-protestation des princes du sang ne suffira point pour les faire
-rétablir, et qu’ainsi cette démarche est fausse et inutile. Les princes
-réclament le rétablissement de l’ordre ancien; mais quelles mesures
-ont-ils prises pour donner de la force à leur protestation? Peuvent-ils
-se passer des grâces de la cour? Non. Leurs finances sont-elles en bon
-état? Non. Ont-ils cherché à se faire appuyer des gens de qualité et de
-la noblesse? Non. Aussi, n’ont-ils vu qu’une douzaine de pairs qui se
-soient unis à eux; et malgré les intrigues qu’on a faites pour porter
-la noblesse à quelque action d’éclat, le duc d’Orléans n’a vu que seize
-personnes, jeunes gens pour la plupart, qui lui aient écrit pour faire
-cause commune avec les princes.
-
-Tandis qu’on néglige les princes et les pairs protestans, parce qu’on
-ne les craint pas; tandis qu’on ne daigne pas nouer une négociation
-avec eux, le chancelier fait tous les jours un pas en avant. Je crains
-qu’il ne réussisse, parce qu’il est audacieux; je crains qu’il ne
-consomme son ouvrage, parce qu’il achète les coquins et intimide les
-honnêtes gens. Si tout ne ploye pas sous sa main, on ne le devra ni
-à la protestation des princes et de quelques pairs, ni aux libelles
-des jansénistes, ni aux plaintes de la nation; mais aux intrigues de
-quelques ministres jaloux du crédit du chancelier, et qui veulent
-augmenter leur autorité. De quel secours nous seroit un parlement rendu
-par de telles voies? Il ramperoit; et pourvu qu’on lui permît de se
-venger de quelques-uns de ses ennemis, il nous donneroit l’exemple de
-la servitude.
-
-Une protestation qui n’a valu aux princes du sang qu’une sorte d’exil
-et de disgrace, n’est pas un acte bien propre à suspendre les progrès
-du chancelier. On approuve cette protestation, mais cette approbation
-n’est aux yeux des gens éclairés, qu’une preuve de l’ignorance du
-public. On a espéré que la démarche des princes produira quelque
-bien; mais depuis qu’on voit qu’elle n’est bonne qu’à les éloigner
-de la cour, on songe moins à les louer, on s’éloigne d’eux, et ils
-commencent à perdre une partie de leur considération, parce qu’ils
-ont perdu leur crédit. Après avoir fait une protestation inutile,
-les princes ont fait une seconde faute et plus considérable que la
-première, en n’osant pas l’avouer, quand les parlemens de province
-leur ont demandé ce qu’ils devoient croire de l’écrit répandu dans
-le public sous le titre de protestation des princes. De là est né un
-découragement général dans le royaume; de là la crainte pusillanime qui
-a consterné et engourdi tous les magistrats de la province. On a cru
-que tout fléchissoit sous la main du chancelier, et les parlemens ont
-souffert leur ruine avec la plus honteuse résignation.
-
-Au lieu de prendre un poste avantageux dans cette affaire, on peut
-dire que les princes, faute de lumières et de courage, se trouvent
-dans le défilé le plus dangereux. Ils ne veulent pas reconnoître le
-nouveau parlement, mais on leur suscitera des procès devant ce nouveau
-parlement, et ils seront forcés de se voir condamner par défaut ou de
-renoncer à leur protestation. Ils se brouillent avec le gouvernement,
-et le laissent en état d’expolier leurs domaines et de menacer leur
-fortune. Tandis qu’on peut faire aux grands une guerre offensive avec
-beaucoup de chaleur et de vivacité, il me semble que se réduire à une
-pure défensive, c’est vouloir être vaincu. Espérer qu’on sera grand
-dans une nation esclave, me paroît la plus grande des folies. Pour
-conserver leur grandeur, les princes et les pairs devoient recourir
-à un autre moyen que celui qu’ils ont employé. Au lieu de demander
-le rétablissement de l’ancien parlement, il falloit demander la
-convocation des états-généraux.
-
-Par cette demande, on auroit fait une diversion funeste aux entreprises
-du chancelier; et la cour, qui agit avec un despotisme intolérable,
-se seroit trouvée à son tour sur la défensive. Il falloit dans une
-requête raisonnée prouver la nécessité de convoquer les états-généraux,
-et compter les avantages qu’on s’en devoit promettre. Si les princes
-avoient pris ce parti, il est certain qu’ils auroient été secondés par
-le vœu et le cri de la nation. Le nombre de leurs adhérens se seroit
-considérablement multiplié. Les parlemens des provinces, qui n’ont osé
-prononcer qu’en tremblant le mot d’états-généraux, auroient montré du
-courage. _Si leges non valerent, judicia non essent, si respublica vi
-consensuque audacium, oppressa teneretur, præsidio et copiis defendi
-vitam et libertatem necesse esset: hoc sentire prudentiæ est; facere,
-fortitudinis, sentire et facere, perfectæ cumulatæque virtutis._
-(_Ciceronis Or. pro P. Sextio. §. 86._) Mais en demandant l’assemblée
-de la nation, il auroit fallu prendre des mesures pour empêcher qu’elle
-n’eût présenté qu’un spectacle inutile et ridicule. Il auroit fallu
-répandre dans le public des écrits propres à l’éclairer; il auroit
-fallu échauffer les esprits pour nous retirer de notre engourdissement,
-et nous donner du courage. Les princes pouvoient guérir la nation, mais
-toute leur conduite a fait voir qu’ils sont pour le moins aussi malades
-que nous.
-
-[358] Quelle remarque ne pourrois-je pas faire ici sur la dernière
-catastrophe du parlement? Mais je suis las de m’occuper d’une nation
-qui est perdue sans ressource, et qui, par son inconsidération et sa
-légéreté, mérite que nos ministres soient détestables.
-
-Je dirai seulement que les parlemens n’ont eu pour partisans que les
-Jansénistes et les amis nombreux du duc de Choiseul, qui vouloient
-se venger en suscitant des difficultés au chancelier. On a dit à MM.
-du parlement de Paris qu’ils étoient perdus, s’ils ne demandoient
-pas les états-généraux; les uns ont répondu que cette démarche étoit
-trop dangereuse; les autres ont dit: que serions-nous, s’il y avoit
-des états-généraux? Depuis le ministère de Laverdy, la corruption du
-parlement étoit publique. Pour les parlemens de province, la plupart
-s’étoient rendus odieux par leurs injustices et leur vanité. On a
-détruit les parlemens, non pas parce qu’ils gênoient le pouvoir
-arbitraire, mais parce qu’ils avoient offensé le duc d’Aiguillon et
-le chancelier. C’est la vengeance de ces deux hommes qui a fait la
-révolution.
-
-Il est temps de finir ces humiliantes réflexions. Je proteste, en
-terminant cet ouvrage, que je n’ai voulu nuire à personne, ni à
-aucun ordre de l’état. J’ai été obligé de dire des choses dures;
-mais la vérité me les a arrachées. Je suis historien, je suis
-Français; et quelle n’auroit pas été ma satisfaction, si au lieu d’un
-Philippe-le-Bel, d’un Charles V, d’un Louis XI, j’avois pu peindre des
-Charlemagne? Le bonheur de mes compatriotes est l’objet que je me suis
-proposé; mais ce bonheur n’existera jamais, si nous ne nous corrigeons
-pas de nos erreurs et de nos vices.
-
-
- FIN DU TOME TROISIÈME.
-
-
-
-
- TABLE
- Des Chapitres contenus dans le tome troisième.
-
-
- SUITE DU LIVRE SIXIÈME.
-
- CHAP. IV. _De l’autorité que les grands acquirent
- pendant le règne de Charles VI. Progrès de cette
- autorité sous Charles VII, Louis XI et Charles VIII._ page 1
-
- CHAP. V. _Le parlement prend une nouvelle forme sous
- le règne de Charles VI. Origine de l’enregistrement.
- Le parlement devient la cour des pairs. Progrès de
- son autorité sous les règnes de Charles VII, de Louis
- XI et de Charles VIII._ 25
-
- CHAP. VI. _Réflexions sur le gouvernement qui
- résultoit de la puissance que les grands et le
- parlement avoient acquise._ 54
-
-
- LIVRE SEPTIÈME.
-
- CHAP. I. _De la révolution arrivée dans la politique,
- les mœurs et la religion de l’Europe, depuis le règne
- de Charles VIII jusqu’à Henri II._ 62
-
- CHAP. II. _Louis XII et François I profitent des
- changemens survenus dans la politique et les mœurs
- de l’Europe, pour étendre leur pouvoir et ruiner la
- puissance dont les grands s’étoient emparés._ 106
-
- CHAP. III. _De l’autorité du parlement sous Louis
- XII, François I et Henri II. Examen de sa conduite.
- Pourquoi il devoit échouer dans ses prétentions de
- partager avec le roi la puissance législative._ 122
-
- CHAP. IV. _Règne de Henri II et de François II. Les
- changemens survenus dans la religion préparent une
- révolution, et contribuent à rendre aux grands le
- pouvoir qu’ils avoient perdu._ 163
-
- CHAP. V. _Situation de la France sous les règnes de
- Charles IX et de Henri III._ 178
-
-
- LIVRE HUITIÈME.
-
- CHAP. I. _Pourquoi le gouvernement des fiefs n’a pas
- été rétabli pendant les guerres civiles. Des causes
- qui ont empêché que l’avilissement où Henri III étoit
- tombé, ne portât atteinte à l’autorité royale._ 192
-
- CHAP. II. _Des causes de la décadence et de la ruine
- entière de la ligue._ 214
-
- CHAP. III. _Changemens survenus dans la fortune des
- grands et du parlement pendant les guerres civiles._ 228
-
- CHAP. IV. _Des effets que la révolution arrivée dans
- la fortune des grands et du parlement produisit dans
- le gouvernement, après la ruine de la ligue._ 244
-
- CHAP. V. _Situation du royaume à la mort de Henri IV.
- Des causes qui préparoient de nouveaux troubles._ 258
-
- CHAP. VI. _Règne de Louis XIII. De la conduite des
- grands et du parlement. Abaissement où le cardinal de
- Richelieu les réduit. De leur autorité sous le règne
- de Louis XIV._ 274
-
- CHAP. VII. _Conclusion de cet ouvrage._ 300
-
-
- REMARQUES ET PREUVES.
-
- SUITE DU LIVRE SIXIÈME.
-
- CHAPITRE IV. 321
- CHAPITRE V. 331
- CHAPITRE VI. 403
-
- LIVRE SEPTIÈME.
-
- CHAPITRE I. 408
- CHAPITRE II. 409
- CHAPITRE III. 418
- CHAPITRE IV. 462
- CHAPITRE V. id.
-
- LIVRE HUITIÈME.
-
- CHAPITRE I. 478
- CHAPITRE II. 486
- CHAPITRE III. 492
- CHAPITRE IV. 515
- CHAPITRE V. 522
- CHAPITRE VI. 526
- CHAPITRE VII. 542
-
-
- Fin de la Table.
-
-
- * * * * *
-
-
- Corrections:
-
- Page 6: «fait» remplacé par «faits» (dont ils s'étaient faits
- les instrumens).
- Page 38: «enregisment» remplacé par «enregistrement» (dans
- l’enregistrement d’une ordonnance).
- Page 44: «Ie» remplacé par «le» (le propre des coutumes).
- Page 90: «cahos» remplacé par «chaos» (un chaos qu’il seroit
- impossible de débrouiller).
- Page 91: l'auteur ne fait pas de différence entre «plutôt» et
- «plus tôt» (moins riches qu’elle et plutôt épuisés).
- Page 97: «rallentir» remplacé par «ralentir» (les choses mêmes
- qui auroient dû la ralentir).
- Page 109: «présentît» remplacé par «pressentit» (le seul dans
- son royaume qui pressentît cette triste vérité).
- Page 129: «faite» remplacé par «faire» (le droit de faire des
- remontrances).
- Page 132: «qu’elle» remplacé par «quelle» (Par quelle
- imprudence).
- Page 164: «embarasser» remplacé par «embarrasser» (embarrasser
- et gêner le gouvernement).
- Page 182: «carractère» remplacé par «caractère» (un caractère
- foible et irrésolu).
- Page 183: «flotante» remplacé par «flottante» (toujours
- incertaine et flottante).
- Page 206: «Françias» remplacé par «Français» (l’avarice des
- Français).
- Page 213: «projettée» remplacé par «projetée» (une république à
- peine projetée).
- Page 222: «fait» remplacé par «faits» (qui s'étaient faits de
- trop grandes injures).
- Page 244: «engoument» remplacé par «engouement» (se livroit à
- son engouement).
- Page 249: «du chéde» remplacé par «duché de» (la souveraineté
- du duché de Bourgogne).
- Page 251: «tentés» remplacé par «tenté» (ils aient tenté de les
- rétablir).
- Page 270: «ils» remplacé par «il» (parce qu’il n’étoit pas de
- l’intérêt des réformés).
- Page 276: «allarmée» remplacé par «alarmée» (Médicis fut
- alarmée de leur liaison).
- Page 287: «raliement» remplacé par «ralliement» (point de
- ralliement).
- Page 288: «obstable» remplacé par «obstacle» (Richelieu
- renversoit ainsi le seul obstacle).
- Page 300: «Delà» remplacé par «De là» (De là les efforts
- toujours impuissans).
- Page 319: «Arragon» remplacé par «Aragon» (ces petits rois
- d’Aragon).
- Page 319: «desposisme» remplacé par «despotisme» (l’empreinte
- fatale du despotisme).
- Page 329: «aucune» remplacé par «aucuns» (Disoient aucuns de
- petite condition).
- Page 333: «confirma tion» remplacé par «confirmation» (en
- confirmation de eux en leurs dites charges).
- Page 333: «leurfaire» remplacé par «leur faire» (leur faire par
- le dit Parent).
- Page 333: «sacrétaireet» remplacé par «secrétaire et» (comme
- nostre secrétaire et le sien).
- Page 336: «Ordond.» remplacé par «Ordonn.» (_Ordonn. du 17 May
- 1413_).
- Page 336: «Cracassonne» remplacé par «Carcassonne» (Toulouse,
- Carcassonne, Beaucaire).
- Page 341: «diet» remplacé par «dict» (avois commis gens saiges
- et expers au dict faict).
- Page 347: «solenneles» remplacé par «solennelles» (pour former
- ces assemblées plus solennelles).
- Page 364: «la de» remplacé par «de la» (de la pompe et de
- l’éclat).
- Page 372: «prevost» remplacé par «prevosts» (les prevosts de
- Paris et des marchands).
- Page 376: «euria» remplacé par «curia» (publicatâ in curia de
- expresso mandato).
- Page 377: «procedats» remplacé par «procedast» (et procedast à
- l’exécution des affaires).
- Page 382: «conseil» remplacé par «conseils» (par vos advocats
- et par vos conseils).
- Page 384: «Letre» remplacé par «Lettre» (Lettre d’Edouard III,
- à Philippe de Valois).
- Page 419: au lieu de «Jhue» il faut peut-être lire «J. Hue»
- (Jhue, J. Milet, notaire, J. Dubois, greffier
- criminel).
- Page 463: «renouveller» remplacé par «renouveler» (nous avons
- vu se renouveler).
- Page 473: «natlons» remplacé par «nations» (du droit des
- nations).
- Page 495: «Franee» remplacé par «France» (la couronne de
- France).
- Page 532: «complotté» remplacé par «comploté» (les conjurés
- avoient comploté d’assassiner).
- Page 551: «pussillanime» remplacé par «pusillanime» (de là la
- crainte pusillanime).
- Page 558: «224» remplacé par «244» (CHAP. IV. _Des effets... de
- la ligue._ 244).
-
-
-
-
-
-
-
-
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-without further opportunities to fix the problem.
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-in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO
-OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
-LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
-
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-warranties or the exclusion or limitation of certain types of
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-electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
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-Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
-www.gutenberg.org
-
-
-
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
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-Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
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-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state's laws.
-
-The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the
-mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its
-volunteers and employees are scattered throughout numerous
-locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt
-Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to
-date contact information can be found at the Foundation's web site and
-official page at www.gutenberg.org/contact
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-For additional contact information:
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- Dr. Gregory B. Newby
- Chief Executive and Director
- gbnewby@pglaf.org
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-Literary Archive Foundation
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-Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
-spread public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine readable form accessible by the widest
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-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
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-Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works.
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-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be
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-edition.
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-
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@@ -1,16935 +0,0 @@
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-<title>The Project Gutenberg eBook of Collection complète des Œuvres de l'abbé de Mably, tome III
- by Abbé de Mably</title>
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-
- </style>
- </head>
- <body>
-
-
-<pre>
-
-The Project Gutenberg EBook of Collection complète des oeuvres de l'Abbé
-de Mably, Volume 3 (of 15), by Abbé de Mably
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: Collection complète des oeuvres de l'Abbé de Mably, Volume 3 (of 15)
-
-Author: Abbé de Mably
-
-Release Date: November 30, 2016 [EBook #53640]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES DE L'ABBE DE MABLY, VOL 3 ***
-
-
-
-
-Produced by Chuck Greif, Hans Pieterse and the Online
-Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
-file was produced from images generously made available
-by The Internet Archive)
-
-
-
-
-
-
-</pre>
-
-
-<hr class="full" />
-
-<p class="left ssrf"><a href="#note">Au lecteur</a></p>
-
-<p class="left ssrf"><a href="#toc">Table</a></p>
-
-<div class="figcenter">
- <img src="images/cover-s.jpg" alt="" title="" width="383" height="600" />
- <p class="cent cs8">L’image de couverture a été réalisée pour cette édition
- électronique.<br />Elle appartient au domaine public.</p>
-</div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="figcenter">
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-</div>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<h1>COLLECTION<br />
-<span class="cs6"><i>COMPLETE</i></span><br />
-DES ŒUVRES<br />
-<span class="cs5">DE</span><br />
-<span class="cs8">L’ABBÉ DE MABLY.</span></h1>
-
-<hr class="hr5 sep2" />
-
-<div class="cs12 cent gesp">TOME TROISIÈME,</div>
-
-<hr class="hr5" />
-
-<p class="cent sep2">Contenant les Observations sur l’histoire de France.</p>
-
-<p class="cent sep2"><span class="gesp">A PARIS,</span><br />
-<br />
-De l’imprimerie de Ch. <span class="smcap">Desbriere</span>, rue et place<br />
-<i>Croix</i>, chaussée du <i>Montblanc</i>, ci-devant d’<i>Antin</i>.</p>
-
-<hr class="hr6" />
-
-<p class="cent"><i>L’an III de la République</i>,<br />
-(1794 à 1795.)</p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="figcenter">
- <img src="images/im-02.jpg" alt="" title="" width="380" height="600" />
-</div>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="pagenum" id="Page_1">1</div>
-
-<hr class="hr2" />
-
-<p class="cs20 cent esp"><span class="gesp">OBSERVATIONS<br />
-<span class="cs6">SUR</span></span><br />
-L’HISTOIRE DE FRANCE.</p>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h2 class="rpw">SUITE DU LIVRE VI<span class="nesp"><sup>me</sup>.</span></h2>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h3>CHAPITRE IV.</h3>
-
-<p class="hang"><i>De l’autorité que les grands acquirent pendant
-le règne de Charles VI.&mdash;Progrès de cette
-autorité sous Charles VII, Louis XI et
-Charles VIII.</i></p>
-
-<p class="first"><span class="smcap">Tant</span> que le gouvernement féodal avoit
-été en vigueur, et que le roi, borné à
-recevoir l’hommage et les secours que lui
-devoient ses vassaux immédiats, n’exerçoit
-aucune autorité dans leurs terres, l’honneur
-de gouverner ses affaires fut peu brigué. Il
-fut le maître en temps de minorité ou
-d’absence, de disposer à son gré de la
-régence du royaume, qui n’étoit en effet
-que la régence<a name="FNanchor_235" id="FNanchor_235" href="#Footnote_235" class="fnanchor">[235]</a> de ses domaines. Tantôt
-<span class="pagenum" id="Page_2">2</span>
-elle est confiée à la mère du roi, à sa femme,
-ou à un prince de sa maison, quelquefois
-elle passe dans les mains de Beaudoin,
-comte de Flandre, du sire de Nesle, de
-Suger ou de Mathieu de Vendôme, abbé de
-Saint-Denis. Le royaume faisoit peu d’attention
-à ces événemens, parce que la régence ne
-procuroit qu’un avantage médiocre à ceux
-qui en étoient chargés; mais à mesure que
-l’autorité royale s’agrandit, il devint plus
-utile d’obtenir la confiance du roi et d’entrer
-dans l’administration de ses affaires. Cependant
-l’ambition des grands dédaigna encore d’aspirer
-à une place du conseil, soit parce qu’ils avoient
-eux-mêmes de grandes terres à gouverner, soit
-parce qu’ils craignoient le crédit des états, qui
-s’opposoient aux vexations des ministres; de-là,
-tous ces hommes obscurs qui gouvernoient
-sous le roi Jean, et dont les états de 1356
-demandèrent la disgrace au Dauphin.</p>
-
-<p>Les intérêts des grands changèrent après
-que Charles V, ayant abaissé tout ce qui
-pouvoit lui résister, fut parvenu à gouverner
-arbitrairement, et à se rendre en quelque
-sorte, le maître de la fortune de ses sujets.
-Ses premiers officiers, qui avoient étendu
-leurs prérogatives, à mesure que le roi avoit
-<span class="pagenum" id="Page_3">3</span>
-étendu les siennes, trouvèrent un avantage
-immense, à se regarder comme les ministres
-de son autorité. Les frères de Charles V
-jugèrent qu’il étoit plus avantageux pour
-eux de manier la puissance royale, que de
-gouverner leurs terres dans l’état d’humiliation
-où les fiefs étoient réduits; et il auroit été de
-la dernière imprudence à ce prince de ne les
-pas placer à la tête du gouvernement pendant
-la minorité de son fils. Les ducs d’Anjou,
-de Bourgogne et de Berry n’auroient pas
-manqué de se soulever contre des arrangemens
-contraires à leur avarice et à leur ambition.</p>
-
-<p>On sait en effet quelle fut la fortune de
-ceux qui eurent part à l’administration: le
-duc d’Anjou transporta des richesses immenses
-en Italie. L’avare et prodigue duc de Berry fut
-un monarque absolu dans son gouvernement
-de Languedoc, qu’il appauvrit sans pouvoir
-s’enrichir. Le duc de Bourgogne avoit trouvé
-si doux d’administrer le royaume sous le nom
-du roi, que se voyant réduit à se retirer dans
-ses états, il s’y crut exilé. Tous les grands
-qui avoient participé à la fortune du prince,
-s’étoient fait une habitude de tenir dans leurs
-mains quelque branche de la souveraineté.
-Quand Charles VI les écarta de son conseil,
-<span class="pagenum" id="Page_4">4</span>
-pour donner sa confiance à des hommes dont
-il seroit le maître, ils songèrent moins à se
-venger, à soulever la nation, et à demander
-la tenue des états, qu’à cabaler sourdement
-pour se saisir une seconde fois d’un pouvoir
-qu’ils regardoient comme l’instrument de leur
-fortune.</p>
-
-<p>La démence de Charles VI prévint les
-désordres que leur ambition inquiète et lasse
-d’attendre, auroit vraisemblablement excités.
-Si ce prince eût été en état de persévérer
-dans le dessein de gouverner par lui-même,
-et par les conseils de quelques hommes peu
-importans, ne paroît-il pas certain que pour se
-venger et prévenir leur avilissement, les grands
-se seroient révoltés contre Charles, comme
-les barons d’Angleterre s’étoient autrefois
-soulevés contre Jean-sans-Terre? Peut-être
-auroient-ils substitué un gouvernement aristocratique
-à la monarchie, ou fait revivre
-l’indépendance des coutumes féodales; peut-être
-qu’éprouvant de trop grandes difficultés
-à s’emparer d’une partie des prérogatives du
-roi, ils auroient senti, à l’exemple des
-seigneurs Anglais, la nécessité de réveiller
-dans la nation les sentimens de liberté que
-le règne de Charles V avoit presque entièrement
-<span class="pagenum" id="Page_5">5</span>
-éteints; d’unir à leur cause tous les ordres
-du royaume, en protégeant leurs intérêts;
-et de forcer Charles VI à donner une
-ordonnance, qui, étant également avantageuse
-à tous les citoyens, leur auroit enfin
-donné à tous le même esprit. Quoiqu’il en
-soit, la démence de Charles, qui devoit
-naturellement affoiblir l’autorité royale, ne
-servit au contraire qu’à l’affermir plus solidement.</p>
-
-<p>Dès que les grands virent que la maladie
-du roi le rendoit incapable de gouverner,
-ou plutôt de protéger ses ministres, ils se
-hâtèrent de reparoître à la cour et de les
-chasser. Le duc de Bourgogne, le duc de
-Berry, la reine, le duc d’Orléans, les grands
-officiers de la couronne, en un mot, toutes
-les personnes puissantes par elles-mêmes ou
-par leurs emplois, ne mirent aucun terme
-à leur ambition, ni à leurs espérances, et
-tâchèrent de se rendre les arbitres du gouvernement.
-Toutes ces cabales, occupées
-à se nuire les unes aux autres, et prêtes à
-sacrifier l’état à leurs intérêts, n’agissoient
-en apparence qu’au nom et pour l’avantage
-du roi; elles sembloient se réunir, et travailloient
-de concert à étendre, multiplier,
-<span class="pagenum" id="Page_6">6</span>
-ou du moins conserver les prérogatives de
-la couronne. Celle qui étoit parvenue à
-dominer, défendoit l’autorité comme son
-propre bien; les autres, ne désespérant pas
-de se revoir encore à la tête des affaires, se
-gardoient bien de vouloir porter quelque
-atteinte à un pouvoir dont elles se flattoient
-d’abuser à leur tour.</p>
-
-<p>Il se forma ainsi un nouvel intérêt chez
-les grands, et leur puissance, autrefois si
-redoutable à celle du roi, en devint l’appui.
-Si à la faveur des troubles du conseil et de
-la démence du roi, la nation avoit, par hasard,
-tenté de rétablir ses immunités, au lieu de
-se livrer à l’esprit de parti et de faction; si
-elle avoit voulu faire revivre ces chartes qui
-la rendoient l’arbitre des subsides qu’elle
-accordoit; enfin, si elle avoit demandé la
-convocation des états-généraux, les grands
-du royaume s’y seroient opposés. Ils n’auroient
-pas souffert que l’autorité royale, dont
-ils s’étoient <ins title="faits">faits</ins> les instrumens, ou plutôt
-les dépositaires, fût encore soumise à l’examen
-et aux caprices des différens ordres de l’état.</p>
-
-<p>Le caractère foible, facile et modéré de
-Charles VII, ne trompa point les espérances
-que les grands s’étoient formées. Il avoit
-<span class="pagenum" id="Page_7">7</span>
-passé par des épreuves trop terribles, pour
-n’être pas content de sa fortune, en jouissant
-en paix de son royaume. Il auroit souffert
-patiemment qu’on l’eût privé de quelqu’une
-de ses prérogatives; et trouvant, au contraire,
-les grands plus jaloux que lui-même de son
-autorité, il leur en abandonna l’exercice,
-et pour le récompenser de sa complaisance,
-ils ne travaillèrent qu’à le rendre plus puissant.</p>
-
-<p>Ils établirent une milice toujours subsistante,
-connue sous les noms de gendarmerie
-et de francs archers; et une taille perpétuelle
-destinée à son entretien et levée<a name="FNanchor_236" id="FNanchor_236" href="#Footnote_236" class="fnanchor">[236]</a> par les
-ordres seuls du gouvernement, sans qu’il fût
-besoin du concours, ni du consentement des
-états. Ces deux nouveautés, avantageuses à
-la noblesse, en lui donnant toujours de
-l’emploi, indifférentes au clergé, depuis
-qu’il avoit des assemblées particulières qui
-traitoient avec le roi, et agréables même au
-peuple, qui crut qu’on ne leveroit sur lui
-que des sommes médiocres, et qu’on lui
-accorderoit une protection puissante, mirent
-entre les mains du prince, deux choses, les
-finances et les troupes, dont une seule auroit
-suffi pour prévenir toute résistance à ses
-volontés. C’est, si je puis parler ainsi, à la
-<span class="pagenum" id="Page_8">8</span>
-faveur de ces deux autres, que l’autorité
-royale ne craindra plus les tempêtes qu’elle
-avoit essuyées, ou du moins devoit les conjurer,
-sans avoir besoin de beaucoup d’art.
-Les peuples libres ont partagé la puissance
-entre différens magistrats, pour qu’ils fussent
-forcés de se respecter réciproquement, et ne
-pussent opprimer la nation: ce balancement
-d’intérêts se trouvoit actuellement en France
-entre les différens ordres de l’état; et le prince
-sera toujours soutenu des forces de l’un contre
-les plaintes de l’autre. On ne verra plus,
-comme sous les règnes précédens, des combats
-entre la puissance du roi et les immunités
-de la nation; s’il s’élève encore des
-troubles domestiques, l’autorité royale sera
-respectée par ceux mêmes qui se souleveront;
-on ne combattra pas pour lui prescrire des
-bornes, mais pour décider à quelle cabale
-d’intrigans ambitieux l’exercice en sera confié.</p>
-
-<p>Dès que cette taille perpétuelle, dont
-Comines prévoyoit les suites pernicieuses,
-eut été établie, le prince ne sentit plus la
-nécessité de convoquer les états, parce qu’en
-augmentant les tailles, il pouvoit se passer de
-tout autre subside; et qu’un premier abus
-servant toujours de titre pour en établir un
-<span class="pagenum" id="Page_9">9</span>
-second, il seroit aisé de supposer de nouveaux
-besoins, et d’établir de nouvelles impositions,
-sous prétexte de servir de supplément
-à la taille et de soulager les campagnes. Dès
-lors l’idée des anciens états devoit en quelque
-sorte se perdre; car les hommes, naturellement
-timides, nonchalans et paresseux, ont
-besoin, pour ne pas perdre la liberté qu’ils
-aiment, qu’on les avertisse continuellement
-de son prix, et qu’on leur donne des moyens
-faciles de la conserver. Les états n’étant plus
-regardés comme un ressort ordinaire et nécessaire
-du gouvernement, il étoit impossible
-qu’on en tirât quelque avantage. Si on convoquoit
-encore de ces grandes assemblées,
-elles devoient ignorer elles-mêmes leur origine,
-leur destination, leur objet, et ne
-pouvoient servir au progrès des lumières;
-il étoit aisé de les rendre dociles, en choisissant
-pour leur convocation, le temps et
-les lieux les plus favorables aux vues du
-prince ou des ministres qui étoient les dépositaires
-de son pouvoir.</p>
-
-<p>Les grands s’étoient déjà tellement accoutumés
-à gouverner sous le nom du roi,
-qu’ils ne purent souffrir que Louis XI prétendît
-ne pas leur abandonner l’exercice de
-<span class="pagenum" id="Page_10">10</span>
-son autorité. Ils se virent dépouiller par une
-main qu’ils avoient rendue trop puissante; et
-à force d’avoir accoutumé, par leurs exemples
-et leurs établissemens, la nation à obéir,
-leur ambition n’en devoit attendre aucun
-secours. Cette disgrace n’étoit que passagère;
-les rois tels que Louis XI sont rares, et il
-ne falloit attendre qu’un règne foible, pour
-que les mécontens reprissent sans efforts, le
-crédit qu’ils avoient perdu. Mais leur impatience
-ne leur permit pas de prendre ce
-parti; ils se révoltèrent, et leur révolte,
-connue sous le nom de la guerre du bien
-public, ne réveilla dans la nation, aucun
-sentiment pour ses anciennes franchises. Ce
-que l’émeute des Maillotins avoit fait au
-commencement du règne de Charles VI, la
-révolte des plus grands seigneurs fut incapable
-de le produire sous celui de Louis XI;
-preuve certaine des changemens qui étoient
-arrivés dans les mœurs des Français, et qu’ils
-ne se défioient pas moins de l’autorité des
-grands que de celle du prince.</p>
-
-<p>Peu de rois ont été aussi jaloux que
-Louis XI de gouverner par eux-mêmes; et
-aucun n’a été si propre à éviter le joug que
-les grands vouloient lui imposer, et exercer
-<span class="pagenum" id="Page_11">11</span>
-en même temps un pouvoir arbitraire sur le
-reste de ses sujets. Louis étoit né avec des
-passions impérieuses; mais le souvenir des
-malheurs récens de sa maison, et, ainsi que
-l’a remarqué Comines, les disgraces qu’il
-avoit éprouvées dans sa jeunesse, lorsqu’il
-eut abandonné la cour de son père, pour
-se retirer en Dauphiné, et ensuite chez le
-duc de Bourgogne, lui apprirent à rompre
-son caractère. Il fut forcé de s’étudier à plaire
-aux personnes dont il avoit besoin; il se
-façonna à l’art de cacher quelques-uns de
-ses vices, et de montrer même quelquefois
-des vertus qui lui étoient étrangères. Il apprit
-sur-tout à se défier de la fortune et à espérer
-difficilement, science si utile aux rois, et
-qui leur est presque toujours inconnue. De-là
-cette profonde dissimulation qui se cachoit
-sous les dehors de la franchise, et les ressorts
-multipliés de sa politique qui l’ont fait
-soupçonner d’une timidité, qui n’étoit en
-effet qu’une prudence outrée et attentive à
-se servir à la fois de tous les moyens
-plus ou moins propres à faire réussir ses
-entreprises.</p>
-
-<p>En gouvernant la nation de l’univers la
-plus inconsidérée et la plus aisée à tromper,
-<span class="pagenum" id="Page_12">12</span>
-parce qu’elle est la moins attentive à consulter
-le passé et la plus prompte à bien espérer
-de l’avenir, Louis employa la politique la
-plus raffinée et la plus tortueuse. Négociant
-toujours par goût, et ne recourant à la
-force que quand il désespéroit de réussir par
-la ruse et la séduction, il répandoit de tous
-côtés les bienfaits, les menaces, les promesses,
-les craintes, les soupçons et les
-espérances. Tout étoit divisé autour de lui,
-et à la faveur de cette division, il écarta
-les grands qui vouloient s’emparer de son
-autorité, et cependant gouverna sans danger
-le peuple avec un sceptre de fer. Les communautés
-qui n’avoient été imposées par
-son père<a name="FNanchor_237" id="FNanchor_237" href="#Footnote_237" class="fnanchor">[237]</a> qu’à quarante ou cinquante
-livres de taille, lui en payèrent mille. Il se
-fit un droit du silence auquel ses sujets
-s’étoient condamnés depuis l’expédition de
-Charles VI contre les Parisiens; et parce
-qu’ils s’étoient accoutumés à une taille arbitraire,
-il les soumit à d’autres impôts.</p>
-
-<p>Louis abusoit ainsi contre le peuple, de
-la puissance sans borne que les grands avoient
-donnée à son père et à son aïeul, et, pour
-les humilier à leur tour, se servoit de la
-docilité à laquelle ils avoient accoutumé le
-<span class="pagenum" id="Page_13">13</span>
-corps entier de la nation. Il ne craignit point
-de convoquer deux fois<a name="FNanchor_238" id="FNanchor_238" href="#Footnote_238" class="fnanchor">[238]</a> les états-généraux
-à Tours. J’ignore par quels artifices il se
-rendit le maître des élections, ou corrompit
-les députés des provinces; mais il étoit sûr
-que ces deux assemblées obéiroient aveuglément
-à ses volontés. La première l’autorisa
-en effet, à ne pas donner à son frère l’apanage
-dont il étoit convenu, par le traité du bien
-public. Les trois ordres promirent de sacrifier
-leur fortune et leur vie à la défense de Louis,
-s’il étoit obligé de prendre les armes pour
-maintenir cette délibération; et le prince,
-menaçant les grands des forces entières de
-l’état, viola ses engagemens, sans qu’ils
-osassent s’en venger. Les seconds états ne
-montrèrent ni moins de docilité ni moins
-de zèle que les premiers; et Louis en retira
-les mêmes avantages. Ne diroit-on pas qu’une
-fatalité aveugle gouverne les choses humaines?
-ou plutôt, quel peuple se croira à l’abri des
-révolutions les plus subites et les plus extraordinaires,
-puisque ces états si redoutés par
-Philippe-de-Valois, le roi Jean et Charles V
-son fils, deviennent les instrumens du pouvoir
-arbitraire entre les mains de Louis XI?
-Autrefois c’étoit le roi qui cherchoit à se
-<span class="pagenum" id="Page_14">14</span>
-débarrasser de la contrainte où le tenoient
-les états, et aujourd’hui c’est la nation elle-même
-qui est fatiguée de ses assemblées. Elle
-craint qu’on ne la convoque trop souvent;
-elle a repris le génie de ses pères à qui
-Charlemagne crut qu’il étoit nécessaire d’ordonner
-de se rendre avec exactitude au champ
-de Mai. Sa liberté lui paroît à charge, et par
-la voie de ses représentans, elle se confie à
-la prudence de Louis XI, et l’autorise à
-prendre à son gré les mesures, et à ordonner
-toutes les choses que le bon ordre et la sûreté
-publique exigeront.</p>
-
-<p>Louis étoit parvenu à régner despotiquement;
-mais après avoir eu les mêmes succès
-que Charles V, il eut enfin les mêmes
-inquiétudes. Il avoit eu besoin d’une vigilance
-trop soutenue et d’un art trop subtil,
-pour que la puissance dont il avoit joui, pût
-passer dans les mains de son successeur, et
-devenir la forme naturelle et constante de
-l’administration: nul gouvernement ne peut
-se soutenir avec des ressorts si déliés, et
-qui demandent un Louis XI pour les manier.
-Il sentit que les grands étoient plutôt étonnés
-que soumis, et qu’ils ne consentiroient à
-avoir la docilité du peuple, que quand une
-<span class="pagenum" id="Page_15">15</span>
-longue suite de révolutions auroit rapproché
-et en quelque sorte, confondu tous les ordres
-de l’état. Il comprit qu’en rendant Charles VII
-tout-puissant, les grands n’avoient en effet,
-songé qu’à leur propre fortune; et que dès
-qu’ils désespéreroient de recouvrer et de conserver
-le pouvoir qu’ils avoient acquis, ils
-troubleroient le royaume par leurs révoltes,
-et tenteroient de lui rendre son ancien goût
-pour l’indépendance. Ne pouvant gouverner
-au nom du roi, il leur importoit en effet,
-d’être les premiers citoyens d’une nation
-libre.</p>
-
-<p>Le prince ne prévit que des troubles qui
-entraîneroient vraisemblablement la ruine
-entière de la prérogative royale, si son fils,
-aussi suspect que lui aux seigneurs, adoptoit
-les principes de sa politique ambitieuse,
-tentoit de les éloigner du maniement des
-affaires, sans avoir l’adresse de les tromper
-et de les intimider continuellement. Il lui
-conseilla de gouverner avec une extrême
-retenue; et, par l’ordonnance qu’il fit quelques
-jours avant sa mort, pour établir une
-forme dans l’administration, il régla que
-Charles VIII ne feroit rien sans le conseil<a name="FNanchor_239" id="FNanchor_239" href="#Footnote_239" class="fnanchor">[239]</a>
-et la participation des princes de son sang
-<span class="pagenum" id="Page_16">16</span>
-et des grands officiers de la couronne. La
-puissance des grands, jusqu’alors sans titres
-et formée au hasard comme tout le reste,
-par le concours de quelques circonstances
-extraordinaires, fut enfin établie sur la loi.
-Ce qui n’avoit été qu’une prétention, devint
-un droit, et la monarchie absolue sous
-Louis XI, fut tempérée sous son fils, par une
-espèce d’aristocratie, gouvernement bizarre,
-difficile à définir, qui ne promettoit pas un
-sort plus heureux à la nation, et qui, en effet,
-excita des troubles dans le commencement du
-règne de Charles VIII.</p>
-
-<p>Si on veut se faire une juste idée de la
-révolution que les faits que je viens d’indiquer
-avoient faite dans l’esprit des Français,
-il suffira de jeter les yeux sur les cahiers
-que les états, assemblés à Tours en 1484,
-présentèrent à Charles VIII. On y voyoit la
-peinture la plus touchante des malheurs du
-royaume. Le peuple, disent les trois ordres,
-opprimé à la fois par les gens de guerre,
-qu’il paye cependant pour en être protégé,
-et par les officiers chargés de percevoir les
-revenus du roi, est chassé de ses maisons
-dévastées, et erre sans subsistance dans les
-forêts. La plupart des laboureurs, à qui on
-<span class="pagenum" id="Page_17">17</span>
-a saisi jusqu’à leurs chevaux, attèlent leurs
-femmes et leurs enfans à la charrue; et
-n’osant même labourer que la nuit, dans la
-crainte d’être arrêtés et jetés dans des cachots,
-se cachent pendant le jour, tandis que d’autres,
-réduits au désespoir, fuient chez les étrangers,
-après avoir égorgé leur famille qu’ils n’étoient
-plus en état de nourrir.</p>
-
-<p>Le commerce étoit presqu’entièrement
-anéanti, et par l’abandon des campagnes
-et par les charges accablantes auxquelles on
-l’avoit assujéti. Qu’importoit à la noblesse
-et au clergé de posséder toutes les terres,
-si le travail des laboureurs ne les fécondoit
-pas, ou que faute de consommation, les
-denrées superflues à leurs maîtres périssent
-entre leurs mains? La noblesse du second
-ordre étoit privée des distinctions que sa
-vanité lui rend les plus précieuses. Elle regardoit
-le commerce comme indigne d’elle<a name="FNanchor_240" id="FNanchor_240" href="#Footnote_240" class="fnanchor">[240]</a>,
-la voie de la finance pour faire fortune, lui
-étoit fermée; et privée des emplois par un
-prince soupçonneux, qui n’aimoit à donner
-sa confiance qu’à des étrangers, elle étoit
-réduite à demander qu’on la préférât à des
-inconnus, pour les gouvernemens des places,
-pour les emplois militaires, et le service
-<span class="pagenum" id="Page_18">18</span>
-domestique auprès de la personne du prince.
-Les tribunaux étoient privés de leurs fonctions.
-Le cours ordinaire de la justice étoit
-interrompu par des ordres particuliers. Aux
-formes nécessaires pour protéger les innocens
-et guider les magistrats dans la recherche
-de la vérité, on substituoit, sous prétexte de
-prévenir le mal, ou de punir plus sûrement
-les coupables, une procédure arbitraire,
-aussi favorable aux entreprises du gouvernement,
-que contraire à la sûreté des citoyens.
-Louis XI, au milieu de ces juges iniques,
-dont il dictoit à sa fantaisie les jugemens,
-me paroît semblable à ce vieux de la Montagne,
-ce roi des assassins, qui, sans sortir
-de sa cour, effrayoit tous les princes du
-monde. On ne voyoit de tous côtés que
-des confiscations de biens et des banissemens
-ordonnés et exécutés par de simples lettres du
-prince.</p>
-
-<p>Je ne puis m’empêcher de copier ici un
-morceau de Comines, relatif à ces états. «En
-ce royaume, dit-il, tant foible et tant oppressé
-en mainte sorte, après la mort de notre roi
-(Louis XI) y eut-il division du peuple contre
-celui qui règne? Les princes et les sujets se mirent-ils
-en armes contre leur jeune roi? Et en
-<span class="pagenum" id="Page_19">19</span>
-voulurent-ils faire un autre? Lui voulurent-ils
-ôter son autorité? Et le voulurent-ils brider qu’il
-ne pust user d’office et d’autorité de roi? Certes
-non... Toutes fois ils firent l’opposite de tout ce
-que je demande: car tous vindrent devers lui
-et lui firent serment et hommage: et firent les
-princes et seigneurs leur foi, humblement
-les genoux en terre en baillant par requeste
-ce qu’ils demandoient; et dressèrent conseil
-où ils se firent compagnons de douze qui y
-furent nommés: et dès-lors le roi commandoit
-qui n’avoit que treize ans, à la relation de
-ce dit conseil. En ladite assemblée des états
-dessus dits, furent faites aucunes requestes
-et remontrances en la présence du roi et de
-son conseil, remettant toujours tout au bon
-plaisir du roi et de son dit conseil: lui octroyèrent
-ce qu’on leur vouloit demander,
-et qu’on leur montra par écrit estre nécessaire
-pour le fait du roi, sans rien dire à l’encontre:
-et étoit la somme demandée de deux
-millions cinq cent mille francs, qui estoit
-assez au cœur, sont et plus trop que peu, sans
-autres affaires; et supplièrent lesdits qu’au
-bout de deux ans ils fussent rassemblés; et que
-si le roi n’avoit pas assez d’argent, qu’ils lui
-en bailleroient à son plaisir: et que s’il avoit
-<span class="pagenum" id="Page_20">20</span>
-guerres, ou quelqu’un qui le vousist offenser,
-ils y mettroient leurs personnes et leurs biens,
-sans rien lui refuser<a name="FNanchor_241" id="FNanchor_241" href="#Footnote_241" class="fnanchor">[241]</a> de ce qui lui seroit
-besoin.»</p>
-
-<p>Sans doute que des états qui, en faisant
-les plaintes que j’ai rapportées, accordent sans
-murmurer tout ce qu’on leur demande, et ne
-songent plus même comme autrefois à opposer
-des loix à des abus, avoient perdu sans
-retour toute idée de leurs priviléges et de
-leur constitution. Je le dirai en passant, si les
-princes s’applaudissent, quand ils ont jeté
-leur nation dans un pareil engourdissement,
-ils entendent bien mal leurs intérêts; et bientôt
-eux-mêmes, engourdis sur le trône, ils
-seront accablés du poids de l’autorité dont
-ils abusent. Les rois n’exigent-ils qu’un attachement
-stupide? Malheur à ceux dont les
-sujets ne savent ni se plaindre ni murmurer
-contre les abus, ni prévoir l’avenir, ni proposer
-des remèdes aux maux présens! C’est
-le signe le plus certain qu’ils ne sont plus
-citoyens, et que les malheurs du prince et de
-la patrie leur sont indifférens. Que les rois
-ouvrent alors les yeux, qu’ils tremblent en
-voyant que leur fortune est prête à s’écrouler,
-puisqu’ils ne sont plus qu’à la tête d’une
-<span class="pagenum" id="Page_21">21</span>
-nation en décadence! Qu’ils raniment, s’il
-se peut, un peuple expirant, s’ils ne veulent
-pas voir les vices les plus bas se multiplier
-et s’accroître avec une extrême célérité! Qu’on
-suive le fil de notre histoire, en examinant
-les ressorts qui ont été l’ame de tous nos mouvemens,
-et on trouvera dans les règnes dont
-je parle, les principes des malheurs qui ont
-failli à priver la maison de Hugues-Capet de
-son héritage, sous les successeurs de Henri II.</p>
-
-<p>Il étoit impossible que les états de 1484
-montrassent de la prudence et de la fermeté dans
-leur conduite; et c’est moins aux progrès que
-l’autorité royale avoit faits qu’on doit s’en prendre,
-qu’au crédit que les grands avoient acquis
-sous les règnes de Charles VI et de son fils, en
-prenant part à l’administration de l’état. Le roi
-devoit trouver son intérêt particulier à faire le
-bien public; et sans s’épuiser, le royaume
-pouvoit suffire à ses besoins et à ceux de
-quelques ministres obscurs; mais quand il
-fallut satisfaire l’avidité des grands, la nation
-n’eut pas assez de richesses, et elle fut plus
-malheureuse lorsqu’ils l’opprimèrent sous le
-nom du roi, que quand elle avoit été soumise
-à la tyrannie féodale: ils se révoltèrent
-contre Louis XI, et ils favorisèrent Charles
-<span class="pagenum" id="Page_22">22</span>
-VIII, parce qu’ils espéroient d’être encore les
-dépositaires de son autorité; après avoir excité
-dans la guerre du bien public la nation à
-se soulever, ils donnèrent l’exemple de la
-soumission, et voulurent que rien ne pût
-s’opposer aux volontés du gouvernement. On
-voit dans Comines combien les personnes puissantes
-craignoient l’assemblée des états<a name="FNanchor_242" id="FNanchor_242" href="#Footnote_242" class="fnanchor">[242]</a>,
-et que leurs partisans publioient que c’est
-un crime de lèze-majesté d’oser en demander
-la convocation, ou dire que le roi n’est pas le
-maître d’établir et de lever à son gré des
-impôts.</p>
-
-<p>En effet, les princes et les plus grands
-seigneurs s’étoient autrefois honorés d’entrer
-dans la chambre de la noblesse, et le roi ne se
-rendoit à l’assemblée des états qu’accompagné
-des ministres qui composoient son conseil et
-de quelques officiers de sa maison. Charles
-VIII, au contraire, y traîna à sa suite les princes,
-les grands officiers de la couronne et une foule
-de courtisans, qui vouloient tous avoir un
-maître riche et puissant pour s’enrichir de ses
-dépouilles et abuser de son autorité. La noblesse,
-abandonnée de ceux qui auroient dû
-être à sa tête, et obscurcie par le cortège
-pompeux qui entouroit le prince, ne parut
-<span class="pagenum" id="Page_23">23</span>
-plus à ses propres yeux la portion la plus importante
-et la plus éminente du royaume; elle
-perdit de sa dignité, et les esprits commencèrent
-à faire une sorte de distinction entre les
-familles attachées à la cour et celles qui n’en
-approchoient pas.</p>
-
-<p>Jamais l’exemple des grands n’a été aussi
-contagieux ailleurs qu’en France; on diroit
-qu’ils ont le malheureux privilége de tout
-justifier; et nos pères ont depuis long-temps
-les défauts et les ridicules qu’on nous reproche
-aujourd’hui. Comines en est un sûr
-garant, et il se plaignoit<a name="FNanchor_243" id="FNanchor_243" href="#Footnote_243" class="fnanchor">[243]</a> déjà que le plus
-petit gentilhomme eût la manie de copier les
-manières et les discours des plus grands
-seigneurs. Les principaux députés de la noblesse,
-voyant l’esprit qui animoit les personnes
-dont ils envioient la fortune, crurent
-sans doute qu’il étoit de leur dignité de penser
-comme eux; qu’on me permette cette expression;
-pour prendre le bon air, ils trahirent le
-roi à qui ils devoient la vérité, et sacrifièrent
-à l’avarice des grands, leurs provinces dont
-ils devoient défendre les intérêts. J’aurois quelque
-honte de faire une pareille remarque,
-mais je n’examine pas l’histoire d’un peuple
-qui ait eu des mœurs et des principes, et qui
-<span class="pagenum" id="Page_24">24</span>
-fut attaché à des lois certaines. Dans un état
-qui se conduit au hasard en obéissant aux événemens,
-les plus petites causes doivent produire
-les plus grands effets.</p>
-
-<p>Les députés de la noblesse les moins considérables
-imitèrent leurs chefs pour ne se point
-dégrader et se flattèrent que leur complaisance
-seroit récompensée. Tandis que le clergé ne
-songeoit qu’à faire sa cour de la manière la
-plus basse, quel bien pouvoit-on attendre du
-tiers-état? Quand les grands d’une nation aspirent
-à établir le pouvoir arbitraire, il est
-impossible que les ordres inférieurs ne contractent
-pas enfin malgré eux l’esprit de servitude.</p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="pagenum" id="Page_25">25</div>
-
-<hr class="full" />
-
-<h3>CHAPITRE V.</h3>
-
-<p class="hang"><i>Le parlement prend une nouvelle forme sous le
-règne de Charles VI.&mdash;Origine de l’enregistrement.&mdash;Le
-parlement devint la cour des
-pairs.&mdash;Progrès de son autorité sous les
-règnes de Charles VII, de Louis XI et de
-Charles VIII.</i></p>
-
-<p class="first"><span class="smcap">Tandis</span> que tous les ordres de l’état changeoient
-en quelque sorte de nature, le parlement,
-agité par tant de révolutions, éprouva
-aussi divers changemens. C’est sous le règne
-de Charles VI qu’il devint<a name="FNanchor_244" id="FNanchor_244" href="#Footnote_244" class="fnanchor">[244]</a> perpétuel, que
-ses magistrats, autrefois élus tous les ans,
-jouirent de leurs offices à vie<a name="FNanchor_245" id="FNanchor_245" href="#Footnote_245" class="fnanchor">[245]</a>, ou du
-moins pendant tout le règne du prince qui
-leur en avoit donné les provisions, et qu’il
-acquit le droit de présenter<a name="FNanchor_246" id="FNanchor_246" href="#Footnote_246" class="fnanchor">[246]</a> lui-même au roi
-les personnes qu’il désiroit posséder. Cette
-compagnie, bornée jusqu’alors à la simple
-administration de la justice, avoit beaucoup
-contribué à étendre<a name="FNanchor_247" id="FNanchor_247" href="#Footnote_247" class="fnanchor">[247]</a> la prérogative royale,
-et cependant n’avoit encore pris aucune part
-à l’administration de l’état. Quoiqu’on lui
-<span class="pagenum" id="Page_26">26</span>
-eût fait quelquefois des reproches<a name="FNanchor_248" id="FNanchor_248" href="#Footnote_248" class="fnanchor">[248]</a> assez
-graves, elle étoit cependant considérée par ses
-lumières; et depuis long-temps nos rois étoient
-dans l’usage d’appeler à leur conseil quelques-uns
-de ses principaux<a name="FNanchor_249" id="FNanchor_249" href="#Footnote_249" class="fnanchor">[249]</a> membres. Le parlement
-avoit acquis un nouveau lustre depuis
-que Charles V, suivi des personnages les
-plus importans du royaume et des bourgeois
-les plus notables de Paris, y avoit tenu des
-assemblées solennelles pour y régler les affaires
-les plus importantes; et de jurisconsultes,
-les magistrats devinrent hommes
-d’état.</p>
-
-<p>Quand le royaume en proie aux funestes divisions
-dont j’ai parlé, étoit déchiré par les
-grands qui s’en disputoient l’administration,
-et que les états décriés et presque oubliés ne
-laissoient aucune espérance de réforme, et la
-faisoient cependant désirer avec plus d’ardeur
-que jamais, tous ceux qui étoient les victimes
-de cette anarchie tyrannique, tournèrent
-leurs regards sur le parlement, le seul corps
-dont ils pouvoient attendre quelques secours,
-et l’invitèrent à se rendre l’arbitre des grands
-et le protecteur du peuple. On vit en effet
-des provinces, pour empêcher la ruine des
-immunités, y porter leurs protestations et leur
-<span class="pagenum" id="Page_27">27</span>
-appel<a name="FNanchor_250" id="FNanchor_250" href="#Footnote_250" class="fnanchor">[250]</a> des ordonnances par lesquelles le
-gouvernement établissoit des impôts arbitraires.
-C’étoit attribuer au parlement une autorité
-supérieure à celle du conseil, et son ambition
-dut en être agréablement flattée. L’université
-de Paris<a name="FNanchor_251" id="FNanchor_251" href="#Footnote_251" class="fnanchor">[251]</a> l’invita à faire des remontrances
-sur la mauvaise administration des
-finances; en un mot, la confiance dont le
-public honoroit le parlement, fit comprendre
-aux différentes factions qui s’emparoient successivement
-de l’autorité du roi, combien il
-leur seroit avantageux de s’attacher cette compagnie.
-Les ministres allèrent la consulter<a name="FNanchor_252" id="FNanchor_252" href="#Footnote_252" class="fnanchor">[252]</a>
-sur les opérations qu’ils méditoient; et chaque
-parti, pour affermir son empire sur ses ennemis,
-et donner plus d’autorité à ses ordonnances,
-prit l’habitude de les faire publier au parlement,
-afin de paroître avoir son approbation,
-et elles furent couchées sur les registres de
-cette cour. Quelle idée se fit-elle de cette
-nouvelle formalité? Je l’ignore. Mais si le
-parlement n’imagina pas alors qu’en publiant
-les ordonnances de Charles VI, il lui donnoit
-force de loi, et que son enregistrement étoit le
-complément ou la partie intégrante de la législation,
-il eut du moins l’ambition de se regarder
-comme l’approbateur et le gardien des lois.</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_28">28</span>
-Telle est l’origine de l’enregistrement;
-car pour croire avec quelques écrivains que
-la publication des lois du parlement et leur
-enregistrement sont des coutumes aussi anciennes
-que la monarchie, il faudroit n’avoir
-aucun égard à nos monumens historiques, et
-supposer des faits qui n’ont jamais existé.
-Pourroit-on se résoudre à penser que les
-capitulaires, portés pendant les deux premières
-races dans le champ de Mars ou de
-Mai, aient été publiés et enregistrés dans
-le tribunal supérieur de la justice de nos
-rois<a name="FNanchor_253" id="FNanchor_253" href="#Footnote_253" class="fnanchor">[253]</a>, dont le parlement tire son origine?
-Pouvoit-il manquer quelque chose à des
-lois faites par le corps entier de la nation,
-et auxquelles le roi avoit donné son consentement?
-Étoit-il possible d’y ajouter
-quelque autorité? Elles étoient sans doute
-envoyées à la justice du roi, mais de la même
-manière qu’à celle des comtes<a name="FNanchor_254" id="FNanchor_254" href="#Footnote_254" class="fnanchor">[254]</a> et des
-évêques, parce que ces tribunaux devoient
-les connoître pour s’y conformer et les faire
-exécuter, et qu’une de leurs principales
-fonctions étoit de les publier dans leurs
-assises pour instruire le peuple.</p>
-
-<p>On a imaginé que le champ de Mars ou
-de Mai, après avoir éprouvé différentes
-<span class="pagenum" id="Page_29">29</span>
-métamorphoses, subsiste encore dans notre
-parlement; et on ajoute que si ce corps
-représentatif de la nation a perdu le droit
-de faire des lois, il a constamment conservé
-celui de les publier<a name="FNanchor_255" id="FNanchor_255" href="#Footnote_255" class="fnanchor">[255]</a> et de les
-enregistrer. Je ne sais si ce roman historique
-vaut la peine d’être réfuté. Qu’on nous
-montre par quelle chaîne notre parlement
-tient aux premières assemblées de la nation.
-Quelles sont ces révolutions du champ de
-Mai dont on ne trouve aucune trace dans
-nos monumens? Ne voit-on pas qu’il
-s’établit, sous les derniers Carlovingiens,
-un nouvel ordre de choses? Le gouvernement
-se dissout par la foiblesse de ses
-ressorts; toutes les parties de l’état sont
-séparées, l’anarchie établit par-tout l’indépendance.
-Quand la cour du roi, dans son
-origine, n’auroit point été distinguée du
-champ de Mars ou de Mai; par quel prodige,
-en vertu de quel droit, quelques seigneurs,
-qui relevoient immédiatement des
-premiers Capétiens et qui formoient leur
-cour féodale, auroient-ils prétendu représenter
-la nation? Tous nos monumens
-historiques ne nous apprennent-ils pas que
-ces vassaux du roi se bornoient à juger
-<span class="pagenum" id="Page_30">30</span>
-les différens élevés entre les vassaux de la
-couronne ou entre eux et le roi, et profitoient
-seulement de l’occasion qui les rassembloit
-pour faire quelquefois des traités<a name="FNanchor_256" id="FNanchor_256" href="#Footnote_256" class="fnanchor">[256]</a>
-qui ne lioient que ceux qui les avoient
-signés. Quand le parlement seroit la même
-chose que l’ancien champ de Mai, comment
-auroit-il conservé le privilége de
-vérifier les lois du royaume, puisqu’il n’existoit
-plus de lois générales? Qu’on fasse
-attention qu’il ne pouvoit pas même y en
-avoir; car le suzerain n’avoit aucune espèce
-d’autorité sur<a name="FNanchor_257" id="FNanchor_257" href="#Footnote_257" class="fnanchor">[257]</a> ses arrière-vassaux.</p>
-
-<p>Les successeurs de Hugues-Capet, jusqu’à
-S. Louis, ne furent législateurs que dans leurs
-domaines; et pourquoi se seroient-ils soumis
-à porter leurs ordonnances au parlement,
-puisque les seigneurs qui y siégeoient, convaincus
-de la plénitude de leur pouvoir,
-n’y portoient eux-mêmes ni les lois qu’ils
-faisoient pour leurs sujets, ni les traités
-qu’ils passoient avec leurs vassaux? Quand
-ces seigneurs donnèrent des chartes de commune
-à leurs villes, on demanda quelquefois
-la garantie du roi; mais on ne trouve aucun
-exemple que ces pièces aient été envoyées
-à sa cour, pour que l’enregistrement leur
-<span class="pagenum" id="Page_31">31</span>
-donnât force de lois. Il est démontré, par
-la prodigieuse variété des coutumes qui
-étoient répandues dans le royaume, qu’on
-n’y connoissoit point une puissance législative
-qui s’étendît sur tout le corps de la
-nation; il auroit donc été absurde qu’il y
-eût une compagnie chargée d’enregistrer les
-lois chimériques d’une puissance qui n’existoit
-pas. S. Louis, il est vrai, publia quelques-unes
-de ses ordonnances au parlement,
-et son fils, qui n’étoit pas encore reconnu
-incontestablement pour législateur, suivit
-cet exemple. Mais, par-là, ces deux princes
-ne remplissoient point un devoir qui leur
-fût prescrit par la coutume; ils ne cherchoient
-qu’à préparer les esprits à l’obéissance,
-et accréditer l’opinion naissante de
-leur législation. Ce n’est pas même cette
-conduite que tinrent quelquefois S. Louis
-et son fils, qu’on doit regarder comme
-l’origine de l’enregistrement, puisque cette
-coutume tomba dans l’oubli à mesure que
-le parlement et l’administration de la justice
-prirent une forme nouvelle par l’établissement
-des appels et la qualité des personnes
-qui composèrent le parlement, quand
-les seigneurs eurent renoncé au droit de juger.</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_32">32</span>
-Les progrès rapides que fit alors l’autorité
-royale, contribuèrent surtout à faire entièrement
-disparoître cette nouveauté. Philippe-le-Bel,
-plus puissant qu’aucun de ses prédécesseurs,
-sentit combien l’autorité de son
-parlement, composé de praticiens qu’il choisissoit
-à son gré pour remplir les fonctions
-d’une magistrature annuelle, étoit peu propre
-à donner du crédit à ses lois, et à les
-faire respecter par des seigneurs fiers de leur
-pouvoir et de leur grandeur. Il n’y fit
-point enregistrer l’ordonnance importante
-par laquelle il établissoit la reine régente,
-dans le cas que son fils fût mineur en montant
-sur le trône: il eut recours à un moyen
-plus efficace; il demanda la garantie<a name="FNanchor_258" id="FNanchor_258" href="#Footnote_258" class="fnanchor">[258]</a>
-aux seigneurs les plus puissans. Tout le
-monde sait que ce prince gouvernoit par des
-ordres secrets qu’il se contentoit d’adresser
-directement à ses baillis. Mais quand il
-seroit vrai que le parlement eût jusqu’alors
-représenté la nation, n’est-il pas évident
-qu’il perdoit nécessairement cet avantage, dès
-que, par l’établissement des états-généraux,
-Philippe-le-Bel la rassembloit réellement?</p>
-
-<p>Comment, avant le règne de Charles VI,
-auroit-il été d’usage de publier les ordonnances
-<span class="pagenum" id="Page_33">33</span>
-du roi au parlement, pour qu’elles
-fussent regardées comme des lois, puisque
-ce tribunal ne se tenoit que deux fois l’an
-et pendant un temps très-court? Pour remédier
-à un abus, il auroit donc fallu
-attendre que cette compagnie fût assemblée,
-et le gouvernement auroit été souvent arrêté
-dans ses opérations. On me répondra sans
-doute que les Capétiens pouvoient faire des
-réglemens provisoires, comme les Carlovingiens
-en avoient fait; mais ne voit-on
-pas que les prédécesseurs de Philippe-le-Bel
-n’auroient pas moins abusé de ce droit que
-les successeurs de Charlemagne, et qu’ils
-n’auroient pas été long-temps sans secouer
-un joug incommode?</p>
-
-<p>Peut-on avoir quelque connoissance de
-nos anciens monumens, et ignorer que plusieurs
-ordonnances n’ont été publiées qu’à
-l’audience du prévôt de Paris? Les historiens
-ne nous apprennent-ils pas que le conseil
-se contentoit quelquefois de les faire publier
-dans les rues par un officier du roi? Et
-c’est de cette manière que le duc d’Anjou
-rétablit les impôts qui excitèrent la sédition
-des Maillotins. Les ordonnances avoient
-alors toute la force dont elles étoient
-<span class="pagenum" id="Page_34">34</span>
-susceptibles, quand elles avoient été déposées
-dans le trésor des chartes. Le parlement
-lui-même<a name="FNanchor_259" id="FNanchor_259" href="#Footnote_259" class="fnanchor">[259]</a> en convenoit encore sous le
-règne de Charles VII; et bien loin de croire
-que ses registres seuls fussent les dépositaires
-de la loi, il accordoit le même honneur
-à ceux de la chambre des comptes.
-On sait enfin que si on avoit besoin de
-quelque pièce du trésor des chartes, il falloit
-s’adresser<a name="FNanchor_260" id="FNanchor_260" href="#Footnote_260" class="fnanchor">[260]</a> au roi pour en obtenir une
-copie; et il ne l’accordoit qu’avec la clause
-que cette ordonnance ne pouvoit servir qu’à
-la personne, au corps, ou à la communauté
-à qui on en avoit permis la communication.
-A quoi auroit servi cette coutume,
-si l’enregistrement, tel que nous le connoissons,
-avoit été pratiqué? Pourquoi le
-roi auroit-il tâché inutilement de soustraire
-ses ordonnances à la connoissance et à
-l’usage des citoyens, si elles avoient été
-transcrites sur les registres du parlement?</p>
-
-<p>Sans doute que sur la fin du même règne
-de Charles VI on n’avoit point encore, de
-la publication des ordonnances au parlement,
-ou de l’enregistrement, la même
-idée que nous en avons eue depuis, puisqu’il
-n’est pas fait mention de cette
-<span class="pagenum" id="Page_35">35</span>
-formalité dans le traité de Troyes, qui devenoit
-une loi fondamentale de la monarchie, et
-d’autant plus importante qu’elle changeoit
-l’ordre établi et reconnu de la succession.
-Si l’opinion publique eut regardé l’enregistrement
-comme l’ame et le complément de
-la loi, est-il vraisemblable qu’on eût négligé
-d’en faire mention et de l’exiger? Peut-on
-raisonnablement soupçonner les Anglais de
-distraction ou d’oubli dans cette occasion?
-En signant un traité par lequel Henri V
-s’engageoit à conserver au parlement<a name="FNanchor_261" id="FNanchor_261" href="#Footnote_261" class="fnanchor">[261]</a>
-ses priviléges, pouvoit-il oublier d’en requérir
-l’enregistrement, s’il eut cru cette
-formalité nécessaire à la validité de l’acte
-qu’il passoit?</p>
-
-<p>Le parlement, composé de magistrats nommés
-par le roi, et qui n’avoient qu’une
-existence précaire, avoit toujours été attentif
-à flatter la cour, à se rendre digne de
-ses faveurs, et à étendre l’autorité royale,
-pour que, sous le règne de Charles VI,
-il abusât déjà de l’envoi qu’on lui faisoit
-des ordonnances, jusqu’au point de former
-le projet de partager avec le roi la puissance
-législative, dont la nation elle-même
-assemblée en états-généraux, n’avoit osé
-<span class="pagenum" id="Page_36">36</span>
-s’attribuer aucune partie: soyons sûrs qu’il
-ne s’est point fait subitement des prétentions
-si extraordinaires: les hommes, et
-surtout les compagnies, dont les mouvemens
-sont toujours plus lents, ne franchissent
-que pas à pas de si grands intervalles.
-Si le parlement avoit cru entrer en part de
-la législation, ou du moins s’il avoit pensé
-avoir le droit de rejeter ou de modifier les
-lois qu’on lui présentoit, il auroit fait sans
-doute les remontrances les plus graves,
-quand chaque faction à son tour lui envoyoit
-des ordonnances contraires les unes
-aux autres. Il auroit opposé les refus les
-plus constans aux injustices du gouvernement;
-et l’histoire, qui n’en parle point,
-n’auroit pas manqué de faire l’éloge de son
-courage et de sa générosité. Enfin, comment
-auroit-il eu la bassesse de ne point protester
-contre une loi qui proscrivoit la maison
-de Hugues-Capet pour donner son trône à
-Henri V?</p>
-
-<p>Selon les apparences, l’enregistrement,
-semblable par son origine et dans ses progrès
-à tous les autres usages de notre nation, s’est
-établi par hasard, s’est accrédité peu à peu,
-a souffert mille révolutions; et par une suite
-<span class="pagenum" id="Page_37">37</span>
-de circonstances extraordinaires, on lui a
-enfin attribué tout le pouvoir qu’il a aujourd’hui.
-Il seroit plus aisé de dire ce que ce pouvoir
-doit être pour être utile, que de le définir
-d’après les idées du conseil et du parlement.
-A travers l’obscurité dont ils s’enveloppent,
-on entrevoit seulement que l’un pense que
-l’enregistrement n’est rien, et que l’autre est
-persuadé qu’il est tout.</p>
-
-<p>Sur la fin du règne de Charles VI, il est
-vraisemblable que le parlement hasarda quelquefois
-de délibérer<a name="FNanchor_262" id="FNanchor_262" href="#Footnote_262" class="fnanchor">[262]</a> sur les ordonnances
-qui lui étoient portées; et quand il ne les
-approuvoit pas, il ne permit point qu’elles
-fussent couchées sur ses registres sans quelque
-marque d’improbation. Dans les pays
-gouvernés par des coutumes, les exemples
-deviennent des titres; et comme les états
-avoient un<a name="FNanchor_263" id="FNanchor_263" href="#Footnote_263" class="fnanchor">[263]</a> pouvoir consultatif, le parlement
-imagina sans doute de se faire le même
-droit. De la liberté qu’il avoit prise de soumettre
-les ordonnances à son examen, on
-conclut qu’il pouvoit et devoit même exercer
-une sorte de censure sur la législation; et il
-n’en falloit pas davantage pour que cet instinct,
-qui porte les corps comme les particuliers à
-étendre leur pouvoir, lui persuadât qu’il avoit
-<span class="pagenum" id="Page_38">38</span>
-le privilége de modifier, d’étendre ou de restreindre
-les lois, et qu’il devoit même avoir
-celui de les rejeter entièrement. Ces idées
-répandues dans le public acquirent du crédit,
-et on voit en effet que sous le règne de Charles
-VII, les notes d’improbation dans l’<ins title="enregisment">enregistrement</ins>
-d’une ordonnance, affoiblissoient<a name="FNanchor_264" id="FNanchor_264" href="#Footnote_264" class="fnanchor">[264]</a>
-en quelque sorte la force de la loi; puisque
-le conseil, qui les voyoit avec chagrin, en sollicitoit
-la radiation. On sait que Louis XI
-disoit au duc de Bourgogne, qu’il étoit nécessaire
-qu’il allât à Paris pour faire enregistrer
-leur accord au parlement, sans quoi
-il n’auroit aucune autorité. Louis vraisemblablement
-ne le pensoit pas: il avoit une trop
-haute idée de son pouvoir; mais puisqu’il se
-servoit de ce prétexte pour s’éloigner du duc
-de Bourgogne, sans doute que l’opinion publique
-commençoit déjà à regarder l’enregistrement
-comme une formalité indispensable.</p>
-
-<p>L’ambition des gens de robe devoit réussir
-d’autant plus aisément, qu’ils parloient à une
-nation qui n’avoit aucune connoissance de
-ses antiquités, aucune loi fixe, ni aucun principe
-sur la nature du gouvernement. Comines
-leur reproche d’avoir toujours dans la bouche
-quelque trait d’histoire ou quelque maxime
-<span class="pagenum" id="Page_39">39</span>
-dont ils abusoient, ou qu’ils présentoient sous
-la face qui leur étoit la plus avantageuse. La
-décadence, et même la ruine des états-généraux,
-la foiblesse et la dureté du gouvernement
-de Charles VI, les factions des grands,
-tout favorisoit les prétentions du parlement.
-Et sans doute que le public, inspiré par cette
-crainte que donne toujours le pouvoir arbitraire,
-voyoit avec plaisir qu’il s’élevât une
-barrière entre lui et le despotisme du conseil.</p>
-
-<p>Les progrès du parlement auroient été bien
-plus rapides, s’il ne se fût pas livré lui-même
-à l’esprit de faction qui troubla le règne de
-Charles VI. Cette compagnie se partagea, et
-elle auroit peut-être perdu sans retour toute la
-considération qu’elle avoit acquise, si ceux
-de ses membres qui s’attachèrent à Charles
-VII, n’avoient ensuite servi à la soutenir et
-la protéger. Quoi qu’il en soit, quand Charles
-eut triomphé de ses ennemis, le parlement
-se trouva humilié, parce qu’il avoit besoin
-d’un pardon. Il n’osa s’adresser ni directement
-au roi, comme sembloit l’y autoriser
-sa fortune naissante, ni même au conseil,
-suivant l’usage ancien. Il se contenta de faire<a name="FNanchor_265" id="FNanchor_265" href="#Footnote_265" class="fnanchor">[265]</a>
-une députation au connétable pour
-l’assurer de sa fidélité, et lui demander ses
-<span class="pagenum" id="Page_40">40</span>
-ordres particuliers au sujet de l’administration
-de la justice: il étoit difficile que, dans une
-pareille humiliation, le public retrouvât encore
-la majesté d’un corps qui aspiroit à partager
-la puissance législative avec le roi.</p>
-
-<p>L’usage des élections<a name="FNanchor_266" id="FNanchor_266" href="#Footnote_266" class="fnanchor">[266]</a> fut interrompu,
-et des magistrats présentés par des courtisans
-et nommés par le roi, furent moins zélés pour
-les intérêts de leur compagnie, que ceux qu’elle
-avoit elle-même choisis; si le parlement
-n’oublia pas ses nouvelles prétentions, il fut
-moins empressé à les faire valoir. Mais ce
-qui contribua plus que tout le reste à retarder
-la marche de son ambition, c’est la puissance
-même que les grands avoient acquise, et qui
-s’étoit affermie. Puisqu’ils avoient réussi à se
-délivrer de la censure incommode des états-généraux,
-ils ne devoient pas permettre à un
-corps toujours existant et toujours présent
-de l’exercer. Si le conseil n’eût encore été
-composé que de personnes peu recommandables
-par leur naissance et leurs dignités,
-les magistrats auroient été vraisemblablement
-plus hardis. Mais ils se sentoient opprimés
-par la grandeur des personnages qui manioient
-l’autorité du roi. Plus l’opinion publique attachoit
-de considération à l’antiquité des races,
-<span class="pagenum" id="Page_41">41</span>
-aux charges de la cour et à la profession des
-armes, dans un temps sur-tout où le courage
-de la noblesse venoit de prodiguer son sang
-pour chasser les Anglais et placer le légitime
-héritier sur le trône, moins le parlement osoit
-se livrer aux espérances que peut avoir un
-corps maître de faire parler des lois et de
-les interprêter en sa faveur.</p>
-
-<p>Il faut sur-tout remarquer que cette compagnie,
-souvent nommée dans les ordonnances
-la principale cour de justice et le chef
-des tribunaux, n’étoit cependant qu’une cour
-secondaire dont la juridiction ne s’étendoit
-pas sur tous les ordres de l’état. Quoique les
-pairs et les grands officiers de la couronne
-y eussent prêté serment<a name="FNanchor_267" id="FNanchor_267" href="#Footnote_267" class="fnanchor">[267]</a> sous le règne
-de Charles VI, elle n’étoit point encore la
-cour des pairs, c’est-à-dire, qu’elle n’avoit
-point encore le droit de juger les anciens
-pairs, ni les nouveaux qui affectoient les
-mêmes prérogatives, ni mêmes les princes
-du sang qui prétendoient précéder<a name="FNanchor_268" id="FNanchor_268" href="#Footnote_268" class="fnanchor">[268]</a> les
-pairs, depuis que l’ordre établi dans la succession
-les appeloit tous au trône dans leur
-rang d’aînesse, et qu’ils avoient pris part
-au gouvernement. Si le parlement étoit nommé
-la principale ou la première cour de justice,
-<span class="pagenum" id="Page_42">42</span>
-ce n’étoit qu’improprement, et relativement
-aux tribunaux subalternes dont il recevoit les
-appels, ou à la chambre des comptes et à la
-cour des aides, qui formoient des justices
-souveraines dans l’ordre des choses dont la
-connoissance leur étoit attribuée. Peut-être
-que les rois ne se servoient de cette expression
-que parce qu’ils avoient intérêt de faire
-oublier les priviléges de la pairie; et que la
-cour des pairs, qui s’assembloit très-rarement,
-formoit une juridiction à part, et, pour ainsi
-dire, inconnue dans l’ordre de la justice.</p>
-
-<p>Il est vrai que Philippe-le-Bel avoit voulu
-soumettre les pairs à la juridiction de son parlement,
-et il avoit raison de bien plus compter
-sur des hommes qui tenoient de lui leur dignité,
-et qui travailloient avec zèle à augmenter
-la prérogative royale, que sur des
-seigneurs puissans, jaloux de leur souveraineté,
-choqués d’avoir un suzerain, et qui
-formant eux-mêmes une cour pour se juger,
-devoient favoriser par leurs arrêts les priviléges
-de la pairie. Mais il est certain que les
-pairs, éclairés sur leurs intérêts, ou plutôt
-incapables par hauteur de reconnoître la juridiction
-du parlement, depuis qu’il avoit
-changé de nature, s’opposèrent opiniâtrement
-<span class="pagenum" id="Page_43">43</span>
-à l’entreprise de Philippe-le-Bel. Je dois, lui
-écrivit Guy, comte de Flandre, être jugé par
-mes<a name="FNanchor_269" id="FNanchor_269" href="#Footnote_269" class="fnanchor">[269]</a> pairs, et non par des avocats. Le
-traité que les fils de ce seigneur passèrent
-en 1305 avec le même prince, est encore une
-preuve évidente qu’un pair ne devoit être jugé
-que par le roi<a name="FNanchor_270" id="FNanchor_270" href="#Footnote_270" class="fnanchor">[270]</a>, les pairs et deux prélats
-ou barons du conseil. En 1324 les pairs
-prétendirent que les différends nés au sujet
-de la pairie entre le roi et eux ne pouvoient
-être portés au parlement, si les pairs n’assistoient
-pas<a name="FNanchor_271" id="FNanchor_271" href="#Footnote_271" class="fnanchor">[271]</a> au jugement. Comment auroient-ils
-osé former cette prétention, si le
-parlement avoit été en droit de juger la personne
-même des pairs?</p>
-
-<p>Il falloit que cette coutume se fût constamment
-soutenue, puisque dans le procès du roi
-de Navarre en 1386, le duc de Bourgogne,
-qui portoit la parole pour les pairs, dont il
-étoit doyen, avança qu’eux seuls<a name="FNanchor_272" id="FNanchor_272" href="#Footnote_272" class="fnanchor">[272]</a> étoient
-juges de cette affaire, et que le roi même
-n’avoit pas le droit d’en connoître. Cette prétention,
-contraire aux anciennes règles des
-cours féodales que le suzerain présidoit toujours,
-étoit sans doute outrée; cependant,
-Charles VI donna des lettres-patentes, par
-lesquelles il reconnoissoit, qu’en assistant au
-<span class="pagenum" id="Page_44">44</span>
-procès du roi de Navarre, il ne prétendoit
-acquérir aucun droit de juger les pairs, ni
-diminuer leurs prérogatives. On peut blâmer
-ce prince d’avoir consenti à la demande injuste
-des pairs, ou le plaindre de s’être trouvé
-dans des circonstances qui le forçoient à ne
-rien refuser; mais il n’en résulte pas moins
-de ces faits, que la juridiction du parlement
-ne s’étendoit point alors sur les pairs. Est-il
-convenable qu’on eût refusé au prince un
-droit qu’on auroit reconnu dans ses officiers?
-Tout concourt à prouver la vérité de l’opinion
-que j’avance. On a vu que depuis la fin
-de la seconde race, les Français n’étoient
-gouvernés que par des coutumes; et <ins title="Ie">le</ins> propre
-des coutumes n’est-il pas de s’altérer insensiblement,
-de changer de proche en proche,
-et non par des révolutions subites qui établissent
-des nouveautés qui ne tiennent en
-rien aux anciens usages? Il falloit que par
-une longue suite d’événemens, les pairs perdissent
-leur puissance, et que le parlement
-acquît de la dignité, pour que ces deux corps
-peu à peu rapprochés se confondissent pour
-n’en former qu’un.</p>
-
-<p>Telle étoit encore sous le règne de Charles
-VII la doctrine ou l’opinion au sujet des
-<span class="pagenum" id="Page_45">45</span>
-droits de la pairie et de la compétence du parlement,
-puisque le comte d’Armagnac déclina
-la juridiction de cette cour dans le procès qui
-lui fut intenté. Il prétendit qu’en sa qualité
-de descendant de la famille royale par ses
-mères, il devoit jouir de la prérogative de
-prince du sang, c’est-à-dire, n’être jugé que
-par le roi et ses pairs. Je ne prétends pas que
-la demande du comte d’Armagnac fût fondée;
-mais ne prouve-t-elle pas deux choses? l’une,
-que les pairs ne vouloient reconnoître qu’eux
-pour leurs juges; et l’autre, que les princes du
-sang formoient la prétention de n’être jugés
-que par la cour des pairs, qui n’étoit pas
-le parlement. Le comte d’Armagnac avoit tort
-de réclamer un droit qui ne lui appartenoit
-pas: mais croira-t-on que pour se soustraire
-à la juridiction du parlement, il ait supposé dans
-les pairs et les princes des prétentions qu’ils
-n’avoient pas, et qu’en adressant ses mémoires
-au parlement même, il ait imaginé une cour
-qui n’existoit point, pour y être jugé? C’est
-une manie ridicule et insensée que la critique
-ne peut admettre.</p>
-
-<p>Je demande pardon à mes lecteurs de m’arrêter
-si long-temps sur ce point de notre droit
-public; ils doivent m’excuser. Peut-on être
-<span class="pagenum" id="Page_46">46</span>
-court quand on présente des vérités qui, vraisemblablement,
-ne plairont pas, et contre lesquelles
-on a publié une foule d’écrits qui ont
-usurpé dans le monde une réputation qu’ils
-ne méritent pas?</p>
-
-<p>Les réponses que le procureur du roi au
-parlement fit aux demandes du comte d’Armagnac
-sont extrêmement foibles. «J’ignore<a name="FNanchor_273" id="FNanchor_273" href="#Footnote_273" class="fnanchor">[273]</a>,
-<i>dit ce magistrat</i>, les prétentions des princes
-du sang que le comte d’Armagnac allègue;
-mais si les priviléges dont il parle sont réels,
-ils ne regardent que les princes du sang royal
-par mâles. Je nie que les princes aient aucun
-titre pour prétendre que le roi doive connoître,
-accompagné de ses pairs, des causes criminelles
-de ceux de sa maison.» Je crois en effet que
-les princes ne pouvoient alors citer aucune
-charte ni aucune ordonnance qui les associât
-aux prérogatives de la pairie, mais dans notre
-ancien gouvernement ne commençoit-on pas
-toujours par se faire des prétentions? et dans
-des conjonctures favorables, on faisoit ensuite
-reconnoître et autoriser son droit par quelque
-charte ou quelque ordonnance: si le comte
-d’Armagnac avoit supposé dans les princes
-du sang et les pairs des prétentions qu’ils
-n’avoient pas, il auroit fallu le confondre,
-<span class="pagenum" id="Page_47">47</span>
-en lui disant qu’il avoit recours à des suppositions
-fausses et chimériques, et non pas
-en alléguant simplement que «la cour qui lui
-représente le roi, est capable de juger les
-princes et les pairs; que les pairs sont justiciables
-du parlement, qui, pour juger, n’a pas
-besoin d’être garni de pairs, et que si le roi a
-assisté en personne à de pareils jugemens, ç’a
-été sans nécessité et parce qu’il le jugeoit à
-propos.» Avancer de pareilles propositions,
-ce n’est pas répondre au comte d’Armagnac,
-mais établir une doctrine contraire à la sienne.
-Le procureur du roi fait des assertions, mais
-ne les appuye d’aucune autorité; et tout ce
-que prouve son discours, c’est que quelques
-membres du parlement, fiers du crédit naissant
-de leur compagnie, avoient déjà l’ambition
-de vouloir juger la personne des pairs; qu’ayant
-depuis quelques années un édit par lequel
-Charles VII assuroit à leur tribunal la connoissance
-des causes concernant la pairie,
-ils croyoient qu’il étoit temps de pousser plus
-loin leurs prétentions; et que le procureur
-du roi, qui pensoit comme eux, profita de
-l’occasion d’insinuer dans le public ces principes
-nouveaux, en attaquant un seigneur
-<span class="pagenum" id="Page_48">48</span>
-qui n’étoit ni prince ni pair, et qui en réclamoit
-les prérogatives.</p>
-
-<p>En effet, cette doctrine n’étoit point encore
-celle du parlement. On peut se rappeler que
-le duc d’Alençon fut arrêté dans le temps
-même que l’affaire du comte d’Armagnac se
-poursuivoit, et que Charles VII fit au parlement
-plusieurs questions au sujet de la
-manière de procéder en justice contre ce prince
-revêtu de la dignité de pair. Rien n’est plus
-propre que ce fait intéressant à démontrer
-que la cour des pairs formoit un tribunal
-particulier, et distingué de tous les autres tribunaux.
-Le parlement tint un langage tout
-différent que celui que tenoit le procureur du
-roi dans l’affaire du comte d’Armagnac. Il
-répondit que le roi<a name="FNanchor_274" id="FNanchor_274" href="#Footnote_274" class="fnanchor">[274]</a> devoit juger le duc
-d’Alençon, en appelant au jugement les pairs,
-les seigneurs qui tiennent en pairie, et d’autres
-personnes considérables de l’ordre ecclésiastique
-et de son conseil. Si le parlement avoit
-pensé comme le procureur du roi et quelques
-autres de ses membres, se seroit-il exprimé de
-la sorte? S’il avoit cru être la cour des pairs,
-s’il avoit trouvé dans ses registres quelque
-titre propre à favoriser cette prétention,
-<span class="pagenum" id="Page_49">49</span>
-n’auroit-il pas dit que le duc d’Alençon devoit
-être jugé par le parlement garni de pairs et
-présidé par le roi?</p>
-
-<p>Cette compagnie ajoute que c’est ainsi qu’avoient
-été faits les procès de Robert d’Artois,
-de Jean de Montfort et du roi de Navarre;
-elle décide sans hésiter, et de la manière la
-plus précise, qu’il est nécessaire que le roi
-assiste au jugement du duc d’Alençon, que
-cet usage avoit été constant jusqu’alors, et
-même, que dans le cas où le roi seroit occupé
-par quelque affaire plus importante, il vaudroit
-mieux différer le procès et le jugement, que
-si le roi donnoit commission à quelqu’un de
-le représenter. Ce seroit abuser de la patience
-de mes lecteurs, que de vouloir faire des
-réflexions sur des réponses qui sont si claires,
-et qui distinguent de la façon la plus marquée
-la cour des pairs de tous les autres tribunaux.
-Mais ce qu’on ne peut trop louer, c’est que,
-dans un temps où plusieurs magistrats du parlement
-pensoient comme le procureur du roi,
-et formèrent les plus hautes prétentions, cette
-compagnie ait préféré les intérêts de la vérité
-à ceux de son ambition. Non-seulement elle
-n’abusa point de l’ignorance du roi et de son
-conseil sur nos anciens usages, pour s’arroger
-<span class="pagenum" id="Page_50">50</span>
-une prérogative si importante pour elle; mais
-elle ne voulut pas même insinuer par ses
-réponses qu’il seroit à propos d’appeler quelques-uns
-de ses magistrats pour instruire le
-procès du duc d’Alençon, et servir dans la
-cour des pairs de conseillers-rapporteurs.</p>
-
-<p>Si le procès du duc d’Alençon ne forme
-pas l’époque où le parlement devint la cour
-des pairs, il lui fournit du moins un titre
-pour aspirer à cet honneur, et défendre avec
-succès sa prétention. Charles VII ayant appelé,
-d’abord à Nemours, et ensuite à Montargis,
-plusieurs magistrats de cette compagnie pour
-assister aux informations et au jugement de
-cette affaire, elle eut soin de ne qualifier de<a name="FNanchor_275" id="FNanchor_275" href="#Footnote_275" class="fnanchor">[275]</a>
-parlement dans ses registres que la partie
-de son tribunal qui se rendit aux ordres du
-roi: tandis que ceux de ses membres qui restèrent
-à Paris pour l’administration ordinaire
-de la justice, s’abstinrent de prendre ce titre.
-Plus le procès du duc d’Alençon avoit été fait
-avec solennité, plus les formes qu’on y avoit
-observées devoient servir de règles dans de
-pareilles circonstances: car on étoit encore
-dans un temps où un exemple avoit autant et
-plus d’autorité qu’une loi. Le parlement trouvoit
-désormais dans ses registres un titre qui lui
-<span class="pagenum" id="Page_51">51</span>
-apprenoit qu’il avoit été appelé au jugement
-d’un pair; pourquoi n’en auroit-il pas conclu
-qu’il devoit y assister? C’est ainsi que raisonne
-l’ambition. Cette doctrine devoit s’accréditer
-d’autant plus aisément, que les pairs n’étoient
-pas assez instruits pour discuter leurs droits
-avec avantage, s’il s’élevoit quelque difficulté
-à ce sujet. Continuellement distraits, ils
-oublioient leurs prérogatives, tandis que le
-parlement n’étoit occupé que des siennes.
-D’ailleurs, il se fit une grande révolution dans
-le royaume; et la pairie, perdant ses plus
-puissans défenseurs avant qu’il se présentât
-une occasion de faire le procès à un pair, ne
-fut plus en état de faire valoir ses droits avec
-le même avantage.</p>
-
-<p>En effet, le duché d’Aquitaine venoit d’être
-conquis sur les Anglais et uni à la couronne.
-Louis XI devoit bientôt s’emparer de la Bourgogne,
-et son fils posséda la Bretagne, qui,
-quoique pairie nouvelle, étoit un des plus
-grands fiefs du royaume, et avoit conservé
-tous les droits de souveraineté qui appartenoient
-encore aux anciennes pairies. Il ne
-devoit plus rester des anciens pairs que les
-comtes de Flandres, dont la seigneurie passa
-dans une maison étrangère, ambitieuse, et
-<span class="pagenum" id="Page_52">52</span>
-qui, étant assez puissante pour en faire une
-principauté indépendante, ne devoit plus rien
-avoir de commun avec les pairs de France.
-Il est vrai que les nouveaux pairs que Philippe-le-Bel
-et ses successeurs avoient créés, lisoient
-dans leurs patentes qu’ils étoient égaux en
-dignités aux anciens pairs, et qu’ils devoient
-jouir des mêmes prérogatives; mais les esprits
-s’étoient refusés à ces idées. Les nouvelles
-pairies étant attachées à des seigneuries beaucoup
-moins importantes que les anciennes,
-les nouveaux pairs durent être beaucoup
-moins considérés<a name="FNanchor_276" id="FNanchor_276" href="#Footnote_276" class="fnanchor">[276]</a> que les anciens. Dans
-une monarchie, tout ce qui est grand s’abaisse
-à mesure que le monarque s’élève; et l’opinion
-publique, cet arbitre souverain des rangs et
-des dignités, qui ne juge de la grandeur que
-par la puissance, ne confondit point des fiefs
-formés dans la décadence des Carlovingiens
-avec ceux que la puissance des Capétiens créa.</p>
-
-<p>En devenant la cour des pairs, le parlement
-accrut considérablement son pouvoir, sa considération
-et ses espérances. Malgré la vigilance
-de Louis XI à tout soumettre à ses ordres,
-cette compagnie avoit déjà acquis sous Charles
-VIII une grande autorité dans les affaires
-publiques, puisque le duc d’Orléans, depuis
-<span class="pagenum" id="Page_53">53</span>
-Louis XII, lui porta<a name="FNanchor_277" id="FNanchor_277" href="#Footnote_277" class="fnanchor">[277]</a> ses plaintes sur ce
-que le conseil du roi n’exécutoit aucune des
-promesses qui avoient été faites aux derniers
-états: c’étoit en quelque sorte reconnoître que
-le parlement étoit le substitut ou le délégué
-des états en leur absence. Il est vrai que le
-premier président, qui étoit attaché aux
-intérêts de la régente, lui répondit que la
-cour étoit composée de gens lettrés, destinés
-à juger, et non à se mêler du gouvernement
-sans la participation du roi; mais il ne rendoit
-ni le vœu ni les espérances de sa compagnie,
-qui ne tarda pas à se regarder comme le tuteur
-des rois et de leur autorité.</p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="pagenum" id="Page_54">54</div>
-
-<hr class="full" />
-
-<h3>CHAPITRE VI.</h3>
-
-<p class="hang"><i>Réflexions sur le gouvernement qui résultoit de
-la puissance que les grands et le parlement
-avoient acquise.</i></p>
-
-<p class="first"><span class="smcap">Il</span> suffit d’avoir quelque idée de la manière
-étrange dont les grands ont abusé de leur
-pouvoir dans tous les pays, pour juger des
-malheurs que devoit produire en France leur
-association au gouvernement. Par-tout ils ont
-brisé les foibles obstacles qui s’opposoient à
-leur volonté; par-tout ils ont fait taire les
-lois, et cru qu’eux seuls formoient la société.
-Il est vraisemblable que la troisième race de
-nos rois auroit éprouvé les mêmes disgraces
-que les deux premières, si les grands avoient
-été les seuls ministres et les seuls dépositaires
-de l’autorité royale sous les successeurs de
-Charles VI; à force d’en abuser, ils n’auroient
-bientôt pu en tirer aucun avantage. Las de
-servir ou de gouverner un maître inutile, ils
-devoient alors songer à se faire une puissance
-propre et personnelle, et on auroit vu renaître
-<span class="pagenum" id="Page_55">55</span>
-le gouvernement féodal, dont le souvenir leur
-étoit toujours cher.</p>
-
-<p>C’est l’autorité que le parlement avoit acquise
-qui détermina le cours des événemens
-qu’on devoit craindre. En opposant ses modifications,
-ses remontrances et le nom des
-lois aux injustices des grands, il les empêcha
-de se livrer à leurs passions avec la même
-facilité qu’ils l’auroient fait. Cette compagnie
-connut la nécessité d’avoir des lois, puisqu’elle
-en étoit le gardien, et que ce n’étoit
-que par leur secours qu’elle pouvoit se rendre
-puissante. Elle recueillit dans ces chartes et
-ces ordonnances informes, qu’on avoit publiées
-jusques-là, tout ce qu’elle crut qui lui
-seroit utile, et commença à donner du crédit
-à ces articles épars qui formoient la législation
-la plus grossière et la plus barbare.</p>
-
-<p>C’est à cette époque que la puissance législative
-voulut en quelque sorte réparer les torts
-de son oisiveté, et Charles VII ne fit que
-ce qu’avoit fait autrefois Clovis: il ordonna
-d’écrire<a name="FNanchor_278" id="FNanchor_278" href="#Footnote_278" class="fnanchor">[278]</a> les coutumes de chaque province,
-et qu’après avoir été examinées et autorisées
-par le conseil et le parlement, elles fussent
-observées comme autant de lois. On se hâta
-de faire des règlemens et des ordonnances,
-<span class="pagenum" id="Page_56">56</span>
-mais sans savoir l’objet qu’on devoit se proposer
-et la méthode qu’on devoit suivre. La
-France avoit manqué de lois, elle en fut
-bientôt accablée; mais ces lois, pour la plupart
-insuffisantes, obscures, et souvent contraires
-les unes aux autres, étoient incapables
-de produire l’effet que le citoyen en attendoit.
-Quel jurisconsulte, en étudiant notre législation,
-peut se flatter de débrouiller ce chaos,
-monument de nos besoins et de nos vices,
-de nos caprices et de notre ignorance?</p>
-
-<p>Le parlement auroit été en état de diriger la
-puissance législative, de lui demander les
-lois les plus salutaires, et de lui fournir les
-moyens les plus efficaces pour les affermir,
-que ç’auroit été sans succès. Il étoit facile
-aux grands, qui manioient l’autorité du roi,
-de lui rendre suspect un corps qui pensoit
-qu’il étoit quelquefois de son devoir de désobéir;
-et qui, en feignant de faire observer
-les lois, pouvoit ravir au législateur le droit
-d’en faire. Sous prétexte de servir le prince,
-les magistrats n’auroient pas souffert qu’on
-eût établi une règle qui auroit été contraire
-à leurs intérêts particuliers. Avant que nos
-rois eussent acquis le droit de lever arbitrairement
-des impôts, et quand ils étoient
-<span class="pagenum" id="Page_57">57</span>
-obligés de traiter avec leurs sujets, pour en
-obtenir des subsides, ils conservèrent précisément
-tous les vices de leur administration,
-pour en faire une espèce de commerce. Ils
-vendoient les lois, et la suppression de
-quelques abus, à condition qu’on leur donneroit
-un subside; mais pour que la source
-des subsides ne tarît pas, il falloit laisser
-subsister les abus et faire mépriser les lois
-qui les proscrivoient. Quand nos rois n’eurent
-plus aucun motif pour conserver cette malheureuse
-politique, qui a perpétué pendant
-si long-temps nos désordres et nos malheurs,
-les grands crurent qu’il étoit de leur intérêt
-de l’adopter, et sous les successeurs de Charles
-VI, à qui on ne contestoit aucune prérogative,
-on vit encore les mêmes abus, qui
-n’auroient dû subsister que dans le temps
-où la puissance royale étoit anéantie. De ces
-abus, qui rendoient le crédit des grands odieux
-et incertain, et de l’impuissance des lois,
-qui empêchoit les magistrats d’agrandir leur
-autorité, il résulte des intérêts bizarres et
-une conduite extraordinaire.</p>
-
-<p>Ces deux factions, qui se balançoient et se
-tenoient mutuellement en échec, sentirent
-que pour se rendre plus puissantes, elles
-<span class="pagenum" id="Page_58">58</span>
-devoient se couvrir du nom du roi, et ne
-se proposer que son avantage. Peut-être ne
-se rendoient-elles point compte à elles-mêmes
-de l’ambition secrète qui les faisoit agir; mais
-n’est-il pas évident que si l’une fût parvenue
-à humilier l’autre, elle n’auroit pas tardé à
-montrer ses vrais sentimens, et s’emparer de
-la puissance publique? On vit les grands
-porter des lois au nom du roi, et les magistrats
-les rejeter ou les modifier au nom du
-roi; c’étoit une espèce de combat entre la
-puissance active des uns, et la puissance
-d’inertie ou de résistance des autres. Les
-grands vouloient dominer la nation par le
-prince; et sans se soucier de la nation,
-le parlement désiroit que le prince eût besoin
-de lui. Si le roi étoit habile, et jaloux de
-commander par lui-même, il lui étoit aisé
-de se servir de leur rivalité pour les contenir
-et les forcer tous deux à obéir.</p>
-
-<p>Tandis que les grands et le parlement se
-conduisoient par des vues si capables de les
-perdre, et se flattoient en quelque sorte de
-trouver toujours un prince qui leur abandonneroit
-son pouvoir, quel moyen restoit-il
-à la nation pour recouvrer ses anciens
-priviléges, et voir renaître des états-généraux,
-<span class="pagenum" id="Page_59">59</span>
-qui, en perfectionnant leur police, pussent
-faire fleurir le royaume? C’étoit en vain
-qu’un grand nombre de citoyens gémissoient
-sous une administration qui n’étoit soumise
-à aucune règle. On avoit beau murmurer
-contre les impôts dont l’état étoit accablé,
-et penser avec Comines que les impositions
-qui n’avoient pas été consenties par les
-états-généraux, étoient autant d’exactions
-injustes; comment les citoyens auroient-ils
-encore pu faire entendre leurs plaintes, et
-contraindre le gouvernement à consulter la
-nation? La noblesse, attachée aux grands qui
-gouvernoient et qui favorisoient<a name="FNanchor_279" id="FNanchor_279" href="#Footnote_279" class="fnanchor">[279]</a> ses injustices,
-craignoit presque autant qu’eux ces
-grandes assemblées, qui, après lui avoir reproché
-sa tyrannie, auroient vraisemblablement
-demandé qu’on la réprimât. Le parlement qui
-se trouvoit à la tête du tiers-état, comme les
-grands à celle de la noblesse, n’avoit pas
-oublié les affronts que lui avoient faits autrefois
-les états-généraux; il empêchoit par ses
-remontrances que les plaintes du peuple ne
-devinssent assez séditieuses pour intimider le
-gouvernement, et il étoit ainsi le garant de
-la docilité de cet ordre. Avec de pareils secours,
-il ne falloit pas beaucoup d’art pour
-<span class="pagenum" id="Page_60">60</span>
-faire perdre à la nation le souvenir de ses
-priviléges, et l’accoutumer peu à peu à souffrir
-sans se plaindre.</p>
-
-<p>La France paroissoit destinée à obéir à un
-pouvoir arbitraire, et elle y auroit été conduite
-sans éprouver d’agitation violente, si
-le prince eût toujours eu une conduite assez
-adroite pour contenir les grands par les
-magistrats, et les magistrats par les grands;
-mais à quelles infortunes nos pères n’étoient-ils
-pas encore condamnés, s’il montoit sur
-le trône des rois foibles, et qui, ne connoissant
-pas le danger qui les menaçoit, abandonneroient
-le soin de leur autorité? Dès-lors
-toutes les passions devoient acquérir un
-nouveau degré d’activité. Toutes les arrières-vues
-des grands et du parlement devoient se
-montrer à découvert, et produire des désordres
-d’autant plus grands, que chacune
-de ces factions étant incapable de se conduire
-et d’être unie par un intérêt général, devoit
-produire des cabales et des partis différens,
-dont le choc pouvoit renverser les fondemens
-de l’état.</p>
-
-<p>Si la France avoit continué sous les successeurs
-de Louis XI à ne s’occuper, comme
-elle avoit fait depuis Hugues-Capet, que de
-<span class="pagenum" id="Page_61">61</span>
-ses affaires domestiques, et que des événemens
-extraordinaires n’eussent pas, pour ainsi dire,
-changé en un jour ses mœurs et son caractère,
-peut-être que la nation seroit sortie
-de son assoupissement au bruit qu’excitoient
-les querelles des grands. Mais un nouvel
-ordre de choses alloit s’établir dans l’Europe.
-Les peuples, jusqu’alors séparés, et qui n’avoient
-presque aucune communication entre
-eux, alloient unir, partager, joindre et diviser
-leurs intérêts, plutôt pour se détruire mutuellement,
-que pour travailler à leur conservation.
-De nouvelles connoissances, avec
-de nouveaux arts, étoient prêts à s’établir
-chez tous les peuples; et la religion, menacée
-par des ennemis puissans, ne devoit plus
-paroître qu’armée des flambeaux et des poignards
-du fanatisme. Il me reste à examiner
-quel fut le sort du prince, des grands, du
-parlement et de la nation entière, pendant
-la révolution que l’Europe souffrit.</p>
-
-<p class="sep3 cent"><i>Fin du livre sixième.</i></p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="figcenter">
- <img src="images/im-03.jpg" alt="" title="" width="380" height="600" />
-</div>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<hr class="hr2" id="Page_62" />
-
-<p class="cs20 cent esp"><span class="gesp">OBSERVATIONS<br />
-<span class="cs6">SUR</span></span><br />
-L’HISTOIRE DE FRANCE.</p>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h2 class="rpw">LIVRE SEPTIÈME.</h2>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h3>CHAPITRE PREMIER.</h3>
-
-<p class="hang"><i>De la révolution arrivée dans la politique, les
-mœurs et la religion de l’Europe, depuis le
-règne de Charles VIII jusqu’à Henri II.</i></p>
-
-<p class="first"><span class="smcap">Depuis</span> que le gouvernement des fiefs s’étoit
-établi dans toute l’Europe, et qu’à quelques
-légères modifications près, la foi donnée et
-reçue y fût devenue, comme en France, la
-règle incertaine et équivoque de l’ordre et
-de la subordination, tous les peuples éprouvèrent
-la même fortune que les Français.
-Les états, continuellement occupés de leurs
-dissentions domestiques, et par conséquent
-<span class="pagenum" id="Page_63">63</span>
-incapables de réunir leurs forces et de les
-diriger par un même esprit, furent voisins
-sans se causer ni inquiétude, ni jalousie, ni
-haine. Il n’y eut que le zèle fanatique dont
-les chrétiens d’Occident furent animés pour
-la délivrance de la Terre-Sainte, qui, en
-suspendant par intervalles les troubles et les
-querelles que l’anarchie féodale devoit sans
-cesse reproduire, pût rapprocher les ordres
-divisés de chaque nation, les réunir par un
-même intérêt, et leur permettre de porter
-leur attention au-dessous. Ces siècles malheureux,
-où l’on ne voit que des suzerains et
-des vassaux armés les uns contre les autres,
-offrent à peine quelques guerres de nation
-à nation; et elles furent ordinairement terminées
-dans une campagne, parce qu’elles
-avoient été entreprises par des princes qui
-eurent trop d’ennemis domestiques dans leurs
-propres états, pour former un plan suivi
-d’agrandissement aux dépens des étrangers.</p>
-
-<p>Mais pendant que les Français, par une suite
-des causes que j’ai tâché de développer, abandonnoient
-leurs coutumes barbares, s’accoutumoient
-à reconnoître un législateur dans leur
-suzerain, et virent, en un mot, la monarchie
-s’élever peu à peu sur les ruines des fiefs, les
-<span class="pagenum" id="Page_64">64</span>
-autres peuples éprouvèrent aussi leurs révolutions.
-A force de s’agiter au milieu de leurs
-désordres, d’être poussés çà et là au gré de la
-fortune et des événemens, et d’essayer des nouveautés
-dans l’espérance d’être moins malheureux,
-ils se lassèrent enfin des vices de leur
-constitution. Les uns eurent le bonheur d’adopter
-des lois qui ralentirent l’activité de leurs
-passions, et ne donnèrent qu’un même intérêt
-à tous les citoyens; les autres s’accoutumèrent
-à obéir, en se courbant par nécessité
-sous le poids d’une puissance qui s’étoit formée
-au milieu d’eux; et tous se rapprochèrent
-d’une forme de gouvernement plus régulière.
-Quand, par la ruine des grands vassaux, toutes
-les provinces de France se trouvèrent enfin soumises
-à l’autorité de Charles VIII, l’Espagne,
-partagée en différens états indépendans et toujours
-en guerre les uns contre les autres, depuis
-l’irruption que les Maures y avoient faite,
-étoit prête à ne former aussi qu’une seule puissance.
-L’Allemagne de son côté avoit déjà établi
-quelques règles propres à fixer les droits et
-les devoirs des membres de l’empire. Charles
-IV avoit publié la bulle d’or. Les diètes,
-plus sages qu’autrefois, formoient déjà d’une
-foule de princes inégalement puissans une
-<span class="pagenum" id="Page_65">65</span>
-espèce de république fédérative. Au défaut de
-lois capables de maintenir la tranquillité publique,
-l’empire voyoit sur le trône une famille
-qui l’occupoit depuis long-temps. Les
-domaines considérables qu’elle possédoit,
-faisoient déjà respecter son autorité, et la
-succession de la maison de Bourgogne et
-de Ferdinand-le-Catholique alloit bientôt la
-porter au plus haut point de grandeur.</p>
-
-<p>Dès que la France et l’Espagne se virent
-tranquilles au-dedans, il n’étoit pas possible
-que leurs rois jouissent en paix, et sans
-inquiéter leurs voisins, d’une fortune qu’ils
-avoient acquise par des guerres continuelles.
-L’influence considérable que les empereurs
-commençoient à avoir dans les délibérations
-du corps germanique, leur donna aussi de
-l’ambition; et s’ils ne se flattèrent pas de ruiner<a name="FNanchor_280" id="FNanchor_280" href="#Footnote_280" class="fnanchor">[280]</a>
-leurs vassaux à l’exemple des rois de
-France, et d’asservir l’empire, ils espérèrent
-d’employer une partie de ses forces à faire
-des conquêtes au-dehors, sous prétexte de
-faire valoir des droits négligés ou perdus.
-L’intérêt véritable de tous ces états étoit sans
-doute de cultiver la paix; mais étoient-ils
-assez éclairés pour profiter du calme intérieur
-dont ils commençoient à jouir, pour
-<span class="pagenum" id="Page_66">66</span>
-s’occuper plus de leurs affaires domestiques
-que de leurs voisins, et substituer des lois
-justes et certaines aux coutumes que l’ignorance
-et le gouvernement des fiefs avoient
-répandues dans toute la chrétienté? Les passions
-des princes décident malheureusement
-de la politique, des mœurs, du génie et des
-intérêts des peuples; et leurs préjugés dans
-le quinzième siècle n’étoient propres qu’à
-donner naissance à de nouvelles divisions.</p>
-
-<p>Quel prince se doutoit alors qu’un empire
-affoibli par sa trop grande étendue, doit
-mettre des bornes à son ambition et à ses
-provinces, et qu’il hâte sa décadence et sa
-ruine en faisant les conquêtes en apparence
-les plus brillantes? Aujourd’hui même, après
-tant d’expériences qui auroient dû nous éclairer,
-nous ignorons cette importante vérité;
-ou si elle est sue de quelques philosophes
-qui ont approfondi la nature du gouvernement
-et des sociétés, elle est inconnue dans
-les conseils des princes. Quel roi contemporain
-de Charles VIII savoit que la nation
-avoit le caractère et les institutions d’un
-peuple inquiet et querelleur, mais non pas
-d’un peuple conquérant? Qu’on étoit loin
-de connoître ces lois d’union et de
-<span class="pagenum" id="Page_67">67</span>
-bienveillance qui doivent ne faire qu’une grande
-société de tous les états particuliers, et auxquelles
-la nature a attaché la propriété des
-hommes! Louis XI négligea, il est vrai, les
-prétentions ou les droits que la maison d’Anjou
-lui avoit donnés sur le royaume de Naples;
-mais il est douteux si cette modération fut
-l’ouvrage d’une connoissance approfondie de
-ses vrais intérêts, ou seulement de cette défiance
-qu’il avoit des grands de son royaume,
-et qu’il n’osoit perdre de vue.</p>
-
-<p>Quand Charles VIII parvint à la couronne,
-l’Italie étoit partagée entre plusieurs états qui
-avoient pris plus promptement que les autres
-provinces de l’Europe une forme certaine de
-gouvernement; et sans prévoir les suites funestes
-de leur ambition, ils travailloient avec
-opiniâtreté à s’agrandir aux dépens les uns
-des autres. Rome, Venise, Naples et Milan,
-tour à tour alliés et ennemis, aspiroient à
-la monarchie de l’Italie entière; mais aucune
-de ces puissances n’avoit des forces proportionnées
-à la grandeur de son projet. Les
-vices multipliés de leur gouvernement leur
-lioient continuellement les mains, et leurs
-milices, également mal disciplinées et peu
-aguerries, quoiqu’elles fissent sans cesse la
-<span class="pagenum" id="Page_68">68</span>
-guerre, ne pouvoient rien exécuter de considérable.
-Les Italiens, aveuglés par leurs haines
-et leur ambition, se flattoient toujours de
-réparer ces défauts irréparables par l’adresse
-supérieure de leur conduite; et à force d’avoir
-usé de ruse et de subtilité, ils étoient réduits
-à n’employer dans leurs négociations que la
-fourberie et la mauvaise foi. Toujours accablés
-du poids de leurs entreprises, ils tâchoient
-de suppléer à leur impuissance par des efforts
-extraordinaires qui les affoiblissoient chaque
-jour davantage. Tous avoient successivement
-des succès heureux, et éprouvoient successivement
-des revers; et cette vicissitude de
-fortune les condamnoit à s’épuiser, en restant
-dans une sorte d’équilibre qui éternisoit leur
-rivalité, leurs espérances et leur ambition.</p>
-
-<p>Dans le spectacle malheureux que présentoit
-l’Italie, il n’y avoit point de puissance,
-si elle eût su réfléchir, qui ne dût
-voir une image et un présage des malheurs
-qu’elle éprouveroit, en s’abandonnant aux
-mêmes passions: mais personne ne voulut
-s’instruire, et l’Italie même devint le foyer
-de la discorde générale de l’Europe. Ludovic
-Sforce craignoit le ressentiment de la cour de
-Naples, et n’osant compter sur les secours
-<span class="pagenum" id="Page_69">69</span>
-du pape et des Vénitiens, auxquels il s’étoit
-rendu suspect, ne trouva d’autres ressources
-contre le danger dont il étoit menacé, que
-d’inviter Charles VIII à passer en Italie pour
-y faire valoir les prétentions de la maison
-d’Anjou dont il étoit l’héritier. Ce projet insensé
-fut adopté avec empressement par le
-conseil de France, qui s’ennuyoit de la paix
-dont il n’étoit pas assez habile pour en tirer
-avantage. Il ne vit que les divisions des Italiens,
-la valeur des milices françaises, ses espérances
-et la honte de négliger une succession
-qui avoit coûté tant de sang à la maison
-d’Anjou. Sans attendre l’événement de cette
-entreprise, les flatteurs de Charles le placèrent
-au-dessus de tous ses prédécesseurs.
-On couroit déjà de conquête en conquête;
-Naples soumise devoit servir à soumettre la
-Grèce; comment Constantinople auroit-elle pu
-résister aux armes des Français? Et on jouissoit
-d’avance de la satisfaction de régner dans
-des provinces voisines de l’Asie, et qui faciliteroient
-à de nouveaux croisés la conquête
-de la Terre-Sainte. Pour le dire en passant,
-ce furent les nouveaux intérêts et la nouvelle
-politique que l’expédition de Charles VIII
-devoit faire naître en Europe, qui firent
-<span class="pagenum" id="Page_70">70</span>
-oublier ces projets ridicules de croisades dont
-les esprits n’étoient pas encore désabusés.
-Les princes chrétiens furent bientôt trop
-occupés à se défendre contre leurs voisins
-ou à les attaquer, pour songer à détruire
-les infidelles. Charles VIII médita de chasser
-les Turcs des domaines qu’ils possédoient
-en Europe, et François I, en les appelant
-en Hongrie pour faire en sa faveur une diversion
-sur les terres de la maison d’Autriche,
-les fit entrer dans le systême de guerre,
-d’agrandissement et de défense que formèrent
-les princes de la chrétienté.</p>
-
-<p>L’entreprise proposée par le duc de Milan
-fut à peine résolue qu’on en fit les préparatifs
-avec une extrême célérité, ou plutôt
-on n’eut pas la patience qu’ils fussent faits
-pour entrer en Italie. Personne n’ignore les
-succès prodigieux que les Français eurent dans
-les commencemens de cette expédition. La
-terreur les avoit précédés; tout se soumit sur
-leur passage et rechercha leur alliance ou
-leur protection. Tant de succès obtenus sans
-peine devoient augmenter la confiance aveugle
-des Français, et il n’auroit fallu que lasser
-leur patience, ou les battre une fois pour
-perdre sans retour un ennemi que le repos
-<span class="pagenum" id="Page_71">71</span>
-fatigue, qui ne pouvoit réparer ses forces
-qu’avec beaucoup de peine; et qui, ne prévoyant
-que des succès, n’avoit pris aucune
-précaution contre un revers. Le roi de Naples
-ne sut ni temporiser ni hasarder une bataille,
-et, ne consultant que sa consternation, il
-abandonna lâchement sa capitale, quand il
-auroit dû s’avancer sur sa frontière pour la
-défendre. Charles entra sans résistance dans
-les états d’un prince qui fuyoit; les peuples
-s’empressèrent de lui présenter leur hommage;
-et on auroit dit qu’il visitoit une province
-depuis long-temps soumise à son autorité.</p>
-
-<p>Tandis que les Napolitains, naturellement
-inconstans et toujours las du gouvernement
-auquel ils obéissent, ne songeoient qu’à
-secouer le joug d’un maître qui ne savoit
-ni les asservir ni s’en faire aimer, la république
-de Venise, occupée à former une ligue
-en faveur de la liberté d’Italie, menaça les
-Français d’un revers aussi prompt que leurs
-succès avoient été rapides. Soit que Charles
-fût incapable de se conduire avec plus de
-prudence qu’il n’avoit fait jusqu’alors, soit
-qu’il connût enfin combien son entreprise
-étoit au-dessus de ses forces, il vit l’orage
-prêt à fondre sur lui, et ne tenta pas même
-<span class="pagenum" id="Page_72">72</span>
-de le conjurer. Il abandonna Naples avec
-précipitation, traversa avec peine l’Italie, où
-il se croyoit en quelque sorte prisonnier, et
-ne gagne enfin la célèbre bataille de Fornoue
-que pour fuir en liberté dans ses états, et
-laisser à la discrétion de ses ennemis une
-poignée de Français qu’il avoit inutilement
-chargés de conserver sa conquête.</p>
-
-<p>Une entreprise commencée et terminée sous
-de si malheureux auspices, auroit dû dégoûter
-pour toujours les Français de la conquête
-du royaume de Naples, et plutôt inspirer
-à leurs ennemis des sentimens de mépris
-que de crainte, d’indignation et de vengeance.
-Si les uns, par leur disgrace, et les autres
-par leurs succès, avoient été capables de s’éclairer
-sur leurs vrais intérêts et de connoître
-leurs forces et leurs ressources, peut-être que
-la fuite précipitée de Charles auroit calmé
-l’inquiétude que son entrée en Italie avoit
-produite dans une partie de l’Europe. Son
-incursion, semblable à celle des anciens barbares,
-ne seroit peut-être point devenue
-le germe d’une révolution générale dans la
-politique.</p>
-
-<p>Comment les Italiens et les puissances
-intéressées à leur liberté, ne virent-ils pas
-<span class="pagenum" id="Page_73">73</span>
-après la retraite de Charles, que ce prince
-manquoit de tout ce qui lui étoit nécessaire
-pour faire des conquêtes importantes et éloignées?
-Ce qui s’étoit passé dans les derniers<a name="FNanchor_281" id="FNanchor_281" href="#Footnote_281" class="fnanchor">[281]</a>
-états-généraux, n’étoit-il pas une preuve
-évidente de l’irrégularité, de la foiblesse et
-de l’ineptie de notre administration et de
-l’indifférence encore plus fâcheuse avec laquelle
-les citoyens voyoient et supportoient
-les maux de l’état? L’armée française n’étoit
-composée que d’une noblesse qui croyoit
-qu’il étoit de sa dignité d’être incapable de
-toute discipline, et de mercenaires qui, faisant
-la guerre comme un métier, vendoient leurs
-services: ce n’est point avec de pareilles milices
-qu’on peut faire de longues entreprises, ou
-s’affermir dans ses conquêtes. Depuis long-temps
-les finances, mal administrées, ne suffisoient
-point aux besoins ordinaires de l’état.
-Les Italiens en étoient instruits, puisque en
-entrant dans la Lombardie, Charles VIII s’étoit
-vu réduit à la dure extrémité de mettre en
-gage les bijoux que la duchesse de Savoye
-et la marquise de Montferrat lui prêtèrent;
-et ne devoient-ils pas en conclure que ses
-revenus ne pourroient subvenir aux dépenses
-nouvelles de la guerre d’Italie?</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_74">74</span>
-Que les Français n’aient prévu, avant la
-conquête du royaume de Naples, aucune
-des difficultés qui s’y opposoient, c’est une
-suite naturelle de leur caractère inconsidéré;
-mais le malheur doit donner des lumières,
-et après avoir été chassés d’Italie, ne devoient-ils
-pas voir que quelque moyen qu’on employât
-pour engager les Italiens à souffrir
-patiemment Charles VIII parmi eux, on ne
-feroit que des efforts impuissans? Ce prince
-auroit promis et montré de la modération sans
-tromper personne. Comment les états d’Italie
-auroient-ils été assez stupides pour ne pas
-craindre l’abus que nous aurions bientôt
-fait de nos forces? et se seroient-ils rassurés
-sur la foi de quelques promesses ou de quelques
-traités inutiles? Il étoit impossible que
-le royaume de Naples pût se résoudre à
-devenir une province d’une puissance étrangère,
-à moins que d’y avoir été préparé par
-une longue suite d’événemens qui auroient
-lassé sa constance et changé ses intérêts. Le
-courage des Français, après avoir consterné
-les Italiens, devoit finir par les aguerrir.
-Quelles que fussent nos armées, elles se seroient
-fondues insensiblement dans un pays ennemi.
-Nos moindres échecs auroient eu les plus
-<span class="pagenum" id="Page_75">75</span>
-fâcheuses suites, et les secours propres à
-les réparer, auroient été lents et incertains;
-tandis que les Italiens, faisant la guerre chez
-eux, auroient trouvé après les plus grandes
-pertes des ressources promptes et certaines.
-Tant que l’Italie ne seroit pas entièrement
-subjuguée, les Français devoient craindre une
-révolution; parce qu’il suffisoit que quelque
-canton essayât de secouer le joug et eût quelque
-succès, pour rendre à tous les Italiens
-leur amour pour l’indépendance. D’ailleurs,
-que pouvions-nous espérer en négligeant les
-préliminaires indispensables à tout état qui
-veut être conquérant? Avant que de vouloir
-nous établir en Italie et y dominer, nous
-aurions dû nous préparer à cette conquête
-avec la même sagesse que les anciens romains;
-le seul peuple qui ait eu la patience et la
-politique d’une nation ambitieuse, accoutumoient
-leurs ennemis et leurs voisins à
-leur domination. Nous aurions dû d’abord
-ne paroître en Italie que comme auxiliaires,
-comme arbitres, comme pacificateurs, comme
-protecteurs désintéressés de la justice. Il auroit
-fallu essayer la domination par degrés, donner
-le temps aux Italiens de changer insensiblement
-de préjugés, et de contracter peu
-<span class="pagenum" id="Page_76">76</span>
-à peu de nouvelles habitudes qui les auroient
-disposés à souffrir un roi de France pour maître.</p>
-
-<p>Malheureusement les Français furent aussi
-présomptueux après leur fuite, qu’ils l’avoient
-été en entrant dans le royaume de Naples;
-et ils n’attribuèrent leurs malheurs qu’aux
-fautes particulières de Charles. On crut que
-si ce prince ne s’étoit pas livré à cette sorte
-de lassitude qu’une grande entreprise donne
-toujours à un homme médiocre, rien n’auroit
-été capable de le chasser de sa conquête.
-On lui reprocha de n’avoir été occupé
-que de ses plaisirs, et d’avoir négligé de
-réduire quelques places qui tenoient toujours
-pour leur ancien maître. Charles avoit répandu
-ses bienfaits avec une prodigalité qui étoit devenue
-une calamité publique; bientôt il fallut
-vexer le peuple, et les grands furent peu
-affectionnés à un prince qui ne pouvoit plus
-acheter leur amitié. Pour rétablir des finances
-épuisées par de vaines profusions, on eut
-recours à une avarice infâme, que le public
-ne pardonne jamais; les emplois furent vendus,
-les favoris de Charles firent un trafic honteux
-de leur crédit, et sa cour mit toutes les
-grâces à l’encan. Tandis que le gouvernement
-n’inspiroit que de la haine et du mépris
-<span class="pagenum" id="Page_77">77</span>
-aux Italiens, la discipline médiocre à laquelle
-les troupes avoient été formées, fut entièrement
-négligée. Le conseil, enfin, intimidé
-par la décadence des affaires, n’osa pas
-employer la force pour rétablir sa réputation;
-et en montrant de la foiblesse, donna de
-l’audace à ses ennemis. Que devoit-on attendre
-des négociations auxquelles on eut alors
-recours? Elles seront toujours inutiles à une
-puissance qui a cessé de se faire craindre;
-et les Français ne négocièrent en effet que
-pour être les dupes des artifices et de la
-mauvaise foi des Italiens.</p>
-
-<p>En ne voyant que ces fautes qui avoient
-hâté et non pas causé la fin malheureuse de
-l’entreprise de Charles, les Français imaginèrent
-qu’il seroit facile de les éviter dans
-une seconde expédition; et après être rentrés
-en France, ils eurent une impatience extrême
-de repasser en Italie. On murmuroit hautement
-contre la nonchalance du roi; et personne
-ne se doutoit que quand il auroit
-autant de sagesse qu’il avoit eu d’imprudence,
-il éprouveroit encore les mêmes disgraces.</p>
-
-<p>Qu’il auroit été avantageux pour la France
-et pour l’Europe entière, que dans chacune
-<span class="pagenum" id="Page_78">78</span>
-de ses opérations, ce prince eût montré tout
-ce qu’on pouvoit attendre de l’expérience la
-plus consommée, de la fermeté la plus
-héroïque et des talens les plus étendus. Les
-Français, alors étonnés d’échouer, en admirant
-le génie de leur maître, auroient sans
-doute appris qu’il y a des entreprises malheureuses
-par leur nature, et dont on ne
-répare pas les vices par les détails d’une
-bonne conduite. En connoissant les véritables
-causes de leurs revers, ils auroient compris
-qu’un état dont la politique n’est pas bornée
-à sa seule conservation, s’expose témérairement
-à tous les caprices de la fortune; et
-qu’il doit à la fin périr, parce que la fortune
-a plus de caprices que les hommes n’ont
-de sagesse. Si les Français avoient tiré cette
-instruction de l’entreprise de Charles sur
-l’Italie, ce règne auroit peut-être été aussi
-heureux pour la monarchie qu’il lui devint
-funeste, en lui donnant une ambition qu’elle
-ne pouvoit satisfaire et qui devoit l’épuiser.
-Les Français retenus chez eux, auroient pu
-s’occuper de leurs affaires domestiques,
-réparer les torts de leurs pères, chercher les
-moyens d’avoir des lois et de les fixer, corriger,
-en un mot, leur gouvernement avant que le
-<span class="pagenum" id="Page_79">79</span>
-sentiment de la liberté fût tout-à-fait éteint:
-du moins ils ne se seroient pas précipités dans
-les vices où le cours des passions et les événemens
-survenus depuis le règne du roi
-Jean sembloient les pousser.</p>
-
-<p>Malheureusement les Italiens ne jugèrent
-pas mieux que les Français de l’entreprise de
-Charles VIII. Si, en repoussant ce prince dans
-ses états, ils avoient pu estimer sa conduite,
-et croire que sa retraite étoit l’ouvrage de leur
-habileté, sans doute qu’une juste confiance
-leur auroit fait connoître leurs forces, et ils
-n’auroient pas senti le besoin de chercher des
-secours étrangers pour se défendre. Mais
-Charles quittoit Naples sans en être chassé, et
-la bataille de Fornoue leur persuada qu’ils ne
-devoient leur liberté qu’à un caprice de la fortune
-ou de leur vainqueur. Ils craignoient
-qu’un second caprice ne ramenât une seconde
-fois leurs ennemis en Italie, et plus les fautes
-de Charles avoient été grossières, plus ils
-eurent peur que ce prince, instruit par l’expérience,
-ne se corrigeât. Ne voyant qu’une ruine
-prochaine ou du moins des malheurs certains,
-ils entamèrent de tous côtés des négociations,
-et se représentèrent comme prêts à passer
-sous le joug de la France, si elle tentoit une
-<span class="pagenum" id="Page_80">80</span>
-seconde fois la conquête du royaume de
-Naples. Tous ces lieux communs, depuis si
-rabattus, et qui sont devenus autant de
-principes pour la politique de l’Europe,
-furent alors employés par les Italiens. La
-France, disoient-ils, est une puissance ambitieuse
-qui se souvient que les états de
-l’Europe se sont, pour ainsi dire, formés
-des débris de la monarchie de Charlemagne;
-et n’en doutez pas, elle médite de les soumettre
-une seconde fois à son obéissance.
-Elle s’essaie sur nous à vous vaincre, et il
-est de votre intérêt de nous protéger. Il
-seroit insensé de croire que des succès lui
-donnassent de la modération; il faut, dès
-aujourd’hui, s’opposer à son agrandissement;
-après lui avoir permis de s’établir dans une
-partie de l’Italie, il ne seroit plus temps de
-réprimer son ambition.</p>
-
-<p>Si les Italiens ne communiquèrent pas
-leur crainte aux puissances à qui ils s’adressèrent,
-ils réveillèrent du moins la jalousie
-et l’inquiétude avec lesquelles elles avoient
-vu les premiers succès de Charles. Il y eut
-une fermentation générale dans le midi de
-l’Europe: tous les états commencèrent à
-être plus occupés de leurs voisins que
-<span class="pagenum" id="Page_81">81</span>
-d’eux-mêmes. Il ne se forma pas une seule
-ligue pour attaquer les Français chez eux
-et les empêcher de se porter au-dehors;
-mais on étoit déjà assez rapproché, pour
-qu’on pût réunir promptement ses forces et
-les opposer à la France, si elle reportoit
-encore ses armes au-delà des Monts. Qu’on
-me permette de le dire; cette politique
-étoit le fruit d’une ambition mal entendue
-ou d’une terreur panique. Importoit-il au
-roi d’Espagne et à l’empereur de porter la
-guerre en Italie, et de s’y faire des établissemens,
-sous prétexte de défendre sa liberté?
-Ces conquêtes étoient inutiles au bonheur
-de leurs sujets, et devoient les exposer
-aux mêmes revers que Charles VIII venoit
-d’éprouver. Quand il auroit été du plus
-grand intérêt pour ces princes d’empêcher
-l’établissement des Français dans le royaume
-de Naples, ne devoient-ils pas juger qu’il
-seroit aussi aisé aux Italiens de se défendre
-avec leurs seules forces, qu’il seroit difficile
-à leurs ennemis de surmonter les obstacles
-toujours renaissans qui s’opposeroient au
-succès de leur entreprise.</p>
-
-<p>En effet, la cour de Rome, revenue de
-sa première terreur, auroit tout tenté pour
-<span class="pagenum" id="Page_82">82</span>
-empêcher qu’une puissance plus redoutable
-pour elle que ne l’avoient été les empereurs,
-ne s’établît en Italie, et ne lui ravît l’espérance
-d’y dominer. Elle devoit opposer aux
-Français les armes de la religion, bien plus
-effrayantes avant que Luther et Calvin
-eussent publié leur doctrine, qu’elle ne l’ont
-été depuis: et quel n’étoit pas alors le
-pouvoir de ses anathèmes et de ses indulgences?
-Ses relations s’étendoient dans toute
-l’Europe; ses émissaires étoient répandus
-par-tout; elle n’avoit pas oublié l’art d’intriguer
-et d’affoiblir ses ennemis, en semant
-la division parmi eux. La république de
-Venise, à qui Comines prédit de hautes
-destinées, et qui avoit du moins sur tous
-les autres états de la chrétienté l’avantage
-d’avoir un caractère décidé et des principes
-constans de conduite, étoit pour l’Italie un
-rempart puissant contre lequel le courage
-inconsidéré des Français devoit se briser.
-Malgré quelques vices qui gênoient ou retardoient
-les ressorts de son gouvernement,
-quoiqu’elle ne sût pas assez l’art de rendre
-sa domination agréable à ses voisins, et
-qu’elle eût le tort d’être à la fois ambitieuse
-et commerçante, cette république étoit
-<span class="pagenum" id="Page_83">83</span>
-cependant constante dans ses projets, et
-capable de la patience la plus courageuse
-dans les revers. Sa capacité dans les affaires
-lui avoit acquis le plus grand crédit, et ne
-pouvant jamais consentir à voir entre les
-mains des Français une conquête d’où ils
-auroient continuellement menacé ses domaines,
-et troublé la paix de l’Italie, elle
-auroit bientôt étouffé cette antipathie qu’elle
-avoit pour quelques-uns de ses voisins, et
-qui la portoit habilement à préférer des
-secours étrangers.</p>
-
-<p>La haine de la république de Venise et
-de la cour de Rome contre les Français
-seroit devenue, en peu de temps, la passion
-générale de l’Italie. Les princes les moins
-puissans sentoient qu’ils ne devoient leur
-existence et leur liberté qu’à la jalousie qui
-divisoit les puissances les plus considérables;
-et ils en auroient conclu que, dès qu’elles
-seroient opprimées par la France, il n’y
-auroit plus de souveraineté pour eux. La
-juste défiance des Italiens, les uns à l’égard
-des autres, le souvenir de leurs trahisons
-passées et des injures qu’ils s’étoient faites,
-tout auroit été sacrifié à la crainte qu’un
-danger éminent leur inspireroit: on ne
-<span class="pagenum" id="Page_84">84</span>
-songe plus à faire des conquêtes ni à dominer
-ses voisins, quand on est occupé du
-soin de sa conservation ou menacé de sa
-ruine. Les mêmes motifs d’intérêt qui avoient
-autrefois porté les Italiens à mettre tant de
-ruse et d’artifice dans leurs négociations,
-et de se jouer de leurs sermens, les auroient
-actuellement invités, ou plutôt forcés à
-traiter entre eux avec quelque candeur et
-de bonne foi.</p>
-
-<p>La Toscane, riche, florissante, toujours
-agitée, toujours inquiète sur le sort de sa
-liberté, pouvoit occuper elle seule pendant
-long-temps les forces de la France. Si son
-gouvernement populaire et ses factions
-l’exposoient à faire de grandes fautes, ils
-lui donnoient aussi le courage et la constance
-qui multiplient les forces et les ressources
-d’un peuple. Le duc de Milan lui-même
-avoit à peine satisfait sa vengeance,
-en appelant Charles VIII dans le royaume
-de Naples, qu’il dut ouvrir les yeux sur
-sa situation, et voir le danger dans lequel
-il s’étoit précipité. Aucun prince d’Italie
-n’avoit un intérêt aussi pressant que lui de
-se déclarer contre les Français. Ses états
-étoient plus à leur bienséance que tout
-<span class="pagenum" id="Page_85">85</span>
-autre, et il n’ignoroit pas les droits de la
-maison d’Orléans<a name="FNanchor_282" id="FNanchor_282" href="#Footnote_282" class="fnanchor">[282]</a> sur le Milanez. Il est
-vrai que cette maison, suspecte à Charles,
-avoit peu de crédit; mais il ne falloit qu’une
-de ces intrigues qui changent souvent en un
-instant la face des cours, pour lui rendre
-la plus grande autorité, et la mettre à portée
-de revendiquer son héritage. D’ailleurs,
-Charles n’avoit point d’enfant, et sa mort
-pouvoit porter le duc d’Orléans sur le
-trône.</p>
-
-<p>Si les puissances qui se liguèrent avec
-les Italiens craignoient pour elles-mêmes
-les forces réunies de la France, pouvoient-elles
-désirer quelque chose de plus heureux
-que de voir recommencer une guerre qui
-devoit occuper pendant long-temps et loin
-d’elles le courage inquiet des Français?
-Il étoit aisé de juger que les Italiens
-étoient plutôt étonnés que vaincus, et que
-Charles VIII ne seroit pas plus heureux
-dans une seconde entreprise sur l’Italie,
-qu’il l’avoit été dans la première. Les rois
-ne se corrigent pas de leurs fautes comme
-les autres hommes. Il falloit permettre à
-Charles de s’épuiser laborieusement en courant
-après des conquêtes chimériques; il
-<span class="pagenum" id="Page_86">86</span>
-falloit laisser aux Italiens le soin de conserver
-leur liberté, pour qu’ils la conservassent
-en effet, et croire que le désespoir
-leur fourniroit des secours pour se défendre,
-ou pour se relever après leur chute. Les
-Français étoient plus braves que les Italiens;
-mais la bravoure toute seule, qui décide
-quelquefois d’un succès, d’une bataille, ne
-règle jamais le sort d’une guerre. En s’exposant
-patiemment à être vaincus, les Italiens
-se seroient aguerris, et auroient enfin appris
-à vaincre les Français. Le courage s’acquiert,
-l’histoire en fournit mille preuves, et nous
-avons vu de nos jours les Russes, beaucoup
-moins braves que ne l’étoient autrefois
-les Italiens, défaire Charles XII et les
-Suédois. Si une armée n’est pas disciplinée,
-si elle n’est pas conduite par un général
-capable de s’affermir en politique dans les
-pays qu’il a conquis en capitaine; si elle
-agit sous les auspices d’un gouvernement
-qui ne se propose aucun objet raisonnable,
-son courage l’empêchera-t-il d’être à la fin
-ruinée? Mais en supposant que, par une
-espèce de miracle, la France eût réussi à
-conquérir et conserver le royaume de Naples,
-le roi d’Espagne et l’empereur devoient-ils
-<span class="pagenum" id="Page_87">87</span>
-penser qu’elle en seroit plus redoutable pour
-eux. Il est certain que cette nouvelle possession
-seroit devenue à charge à ses maîtres.
-Il auroit fallu la conserver avec peine et
-par de grandes dépenses, et elle n’auroit
-contribué ni à la sûreté ni au bonheur des
-anciennes provinces de la domination Française.
-L’inquiétude, les soupçons, les craintes
-et la haine des Italiens auroient préparé des
-alliés aux puissances jalouses de la grandeur
-des Français. Les intérêts du royaume de
-Naples et les intérêts de la France n’auroient
-jamais été les mêmes; souvent ils auroient
-été opposés, et en voulant les concilier, on
-les auroit également trahis. Les personnes
-qui ont examiné la politique de la maison
-d’Autriche et l’embarras où la jetoient des
-états séparés les uns des autres, comprendront
-aisément ce que je dis ici. Plus la
-France auroit employé de forces au-delà
-des monts pour contenir les Italiens, plus
-elle auroit senti la nécessité de ménager
-ses anciens voisins. Charles VIII avoit donné
-la Cerdagne et le Roussillon au roi d’Espagne,
-et restitué le comté de Bourgogne
-à l’empereur Maximilien, pour les engager
-à être spectateurs tranquilles de son entrée
-<span class="pagenum" id="Page_88">88</span>
-en Italie, et ses successeurs auroient encore
-été obligés d’acheter, par de pareils sacrifices,
-la neutralité des mêmes princes.</p>
-
-<p>La guerre de Charles VIII ne causa
-qu’un ébranlement passager dans la politique
-de l’Europe, et malgré les alarmes et
-les négociations des Italiens, cette première
-commotion n’auroit eu aucune suite, si
-Louis XII, capable de renoncer par sagesse
-à une entreprise que son prédécesseur avoit
-abandonnée par inconstance et légéreté,
-eût donné le temps aux passions de se
-calmer. Malheureusement ce prince prit les
-préjugés de ses sujets pour la règle de sa
-conduite; et craignant qu’on ne lui fît les
-mêmes reproches qu’il avoit vu faire à
-Charles, il se crut destiné à réparer l’honneur
-de sa nation. Il jugea de l’étendue de
-ses forces par la crainte qu’en avoient les
-Italiens, et fut d’autant plus empressé à
-porter la guerre au-delà des Alpes, que outre
-ses droits sur le royaume de Naples, il
-réclamoit encore le Milanez comme son
-héritage. En augmentant ses prétentions, il
-se flatta peut-être de rendre sa cause meilleure,
-et il ne faisoit, au contraire, que
-multiplier les difficultés qui l’attendoient.
-<span class="pagenum" id="Page_89">89</span>
-En effet, les Italiens devoient souffrir bien
-plus impatiemment les Français dans le duché
-de Milan que dans le royaume de Naples.
-Il étoit plus facile aux rois de France de
-conserver cette première conquête que la
-seconde; ils pouvoient y faire passer plus
-commodément des secours, et en établissant
-leur domination dans les deux extrémités
-de l’Italie, ils l’auroient en quelque
-sorte enveloppée de leurs forces.</p>
-
-<p>Dès que l’Italie se vit inondée d’armées
-étrangères qui vouloient l’asservir, ou qui
-avoient été appelées à sa défense, elle servit
-de théâtre à une guerre dont il fut, pour ainsi
-dire, impossible d’éteindre le feu. Chacune
-des puissances qui avoient pris les armes, ne
-tarda pas à se faire des intérêts à part. Tandis
-que la France se flattoit de débaucher quelqu’un
-des princes qui protégeoient la liberté
-de l’Italie, ces alliés infidelles avoient déjà
-conçu l’espérance d’asservir les Italiens qu’ils
-méprisoient; et ceux-ci voyant à leur tour
-qu’ils étoient également menacés de leur ruine
-par leurs protecteurs et leurs ennemis, songèrent
-séparément à leur salut, et y travaillèrent
-inutilement par des moyens opposés.
-Les uns se firent une loi de céder à la nécessité
-<span class="pagenum" id="Page_90">90</span>
-et d’éviter tout danger présent, sans examiner
-quelles en seroient les suites. Les autres, plus
-courageux, formèrent le projet insensé de
-chasser de chez eux les étrangers, en se servant
-tour à tour de leurs armes pour les perdre les
-uns par les autres. Substituer ainsi aux intérêts
-d’une politique raisonnable, les intérêts chimériques
-des passions, c’étoit jeter les affaires
-dans un <ins title="cahos">chaos</ins> qu’il seroit impossible de débrouiller.
-On n’eut plus de règle certaine
-pour discerner ses ennemis et ses alliés; on
-craignit et on plaça sa confiance au hasard;
-et sans s’en apercevoir, on s’éloigna du but
-auquel on tendoit. Tous les jours il fallut
-éviter un danger nouveau, vaincre une difficulté
-nouvelle, et se tracer un nouveau plan
-de conduite; de là les ruses, les trahisons,
-les perfidies, les fausses démarches qui déshonorent
-ce siècle, et les révolutions inopinées
-et bizarres qui étoient un triste présage que la
-guerre ne finiroit que par l’épuisement de
-toutes les puissances belligérantes, et que le
-vainqueur, c’est-à-dire, le prince qui seroit
-le dernier à poser les armes, ne se trouveroit
-pas dans un état moins fâcheux que les vaincus.
-En effet, la maison d’Autriche n’acquit pas
-des établissemens considérables en Italie,
-<span class="pagenum" id="Page_91">91</span>
-parce qu’elle étoit en état d’y dominer; mais
-parce que ses ennemis, moins riches qu’elle
-et <ins title="l'auteur ne fait pas de différence entre «plutôt» et «plus tôt»">plutôt</ins> épuisés, ne furent plus assez forts
-pour lui disputer sa proie. Sa conquête ne
-lui fut d’aucun secours pour exécuter les vastes
-projets qu’elle méditoit, et l’affoiblit au contraire
-en multipliant ses ennemis.</p>
-
-<p>On reproche cent fautes à Louis XII; mais,
-à proprement parler, il n’en a fait qu’une,
-et c’est d’avoir voulu exécuter un projet dont
-l’exécution étoit impossible. S’agissant de
-s’établir en Italie, sans avoir les forces nécessaires
-pour intimider constamment ses ennemis
-et inspirer une confiance continuelle à ses
-alliés; les uns et les autres devoient changer
-de vues, de projets et d’engagemens, à chaque
-événement favorable ou désavantageux des
-armées Françoises. Parce que leur politique
-étoit flottante, celle de Louis l’étoit aussi;
-et quelque négociation qu’il eût entamée,
-quelque traité qu’il eût conclu, quelque
-projet de campagne qu’il eût formé, son embarras
-étoit toujours le même; de nouvelles
-difficultés demandoient de nouveaux arrangemens,
-et quoiqu’il fît, il sembloit n’avoir
-jamais pris que de fausses mesures: ce qu’il
-a exécuté hier nuit à ce qu’il veut entreprendre
-<span class="pagenum" id="Page_92">92</span>
-aujourd’hui. Mais quand il n’auroit
-fait aucune des imprudences dont on l’accuse,
-ne voit-on pas qu’étant dans l’impuissance de
-réussir, en conduisant une entreprise au-dessus
-de ses forces, il paroîtroit avoir toujours
-fait une faute? S’il partage le royaume de
-Naples avec le roi d’Espagne, il se fait un
-ennemi de son allié, et s’expose à perdre la
-portion qu’il a acquise, mais s’il n’eût pas
-consenti à ce partage, il n’auroit jamais pu
-faire la conquête qu’il méditoit. Il lui importe
-d’humilier la république de Venise; mais s’il
-tente d’exécuter ce projet avec ses seules forces,
-il y échouera nécessairement; et s’il cherche
-des secours étrangers, il ne doit trouver pour
-alliés que des princes qui le craignent plus
-qu’ils ne haïssent les Vénitiens, qui lui
-donneront des promesses et l’abandonneront.
-S’il souffre que les suisses lui fassent la loi
-dans son armée, leur alliance lui sera à charge;
-et s’il se brouille avec eux, ils s’en vengeront
-en offrant leurs forces au duc de Milan, dont
-il veut envahir les états.</p>
-
-<p>«Nous ne devons pas mesurer les démarches
-du roi de France (fait dire Guichardin à un
-des principaux sénateurs de Venise,) sur la
-conduite que tiendroit vraisemblablement un
-<span class="pagenum" id="Page_93">93</span>
-homme sensé; c’est au caractère de celui dont
-on craint les desseins qu’il faut s’attacher, si
-l’on veut pénétrer ses conseils et découvrir ses
-desseins. Ainsi, pour juger de ce que feront
-les Français, n’examinons plus les règles de la
-prudence qu’ils devroient suivre. Il ne faut faire
-attention qu’à leur vanité, qu’à leur téméraire
-impétuosité, qui leur fait haïr le repos, et
-dont les mouvemens ne sont jamais réguliers.»
-Mais quand les Français n’auroient eu aucun
-des vices que Guichardin leur reproche,
-comment leurs mouvemens n’auroient-ils pas
-été irréguliers, puisque la nature même de leur
-entreprise ne leur en permettoit pas d’autres?
-Je voudrois que cet historien nous eût tracé
-le plan de conduite que devoit tenir Louis XII.
-Quel fil la prudence pouvoit-elle fournir à ce
-prince pour sortir du labyrinthe où il avoit
-fait la faute de s’engager? Sans doute, il faut
-étudier le caractère de son ennemi pour prévoir
-ses démarches et s’y opposer; mais s’il est
-vrai que les affaires commandent plus souvent
-aux hommes que les hommes aux affaires,
-n’est-il pas plus essentiel d’examiner, si je puis
-parler ainsi, l’esprit d’une entreprise que le
-génie de celui qui la dirige? Il auroit été
-digne de la sagacité de Guichardin, en
-<span class="pagenum" id="Page_94">94</span>
-recherchant les causes qui firent échouer Louis
-XII, de distinguer les fautes qui tenoient à
-son caractère ou aux vices des Français, de
-celles qui étoient une suite nécessaire de son
-entreprise, et que la politique la plus profonde
-et les talens pour la guerre les plus étendus,
-n’auroient pu prévenir.</p>
-
-<p>«Les rois, ajoute Guichardin, s’abaissent-ils
-à penser comme les autres hommes? Résistent-ils
-à leurs désirs comme des particuliers?
-Adorés dans leur cour, obéis au moindre
-signe, ils sont remplis d’orgueil et de fierté,
-la moindre résistance les irrite, et la flatterie
-les accoutume à ne se pas tenir en garde contre
-la présomption. Ils se persuadent que d’un
-seul mot toutes les difficultés s’aplaniront,
-et que la nature doit fléchir sous leur impérieuse
-volonté. Céder aux obstacles, paroît à leurs
-yeux une foiblesse. Leurs désirs servent de
-règle à leurs entreprises. Ils négligent les
-maximes trop communes de la raison, et
-décident les plus grandes affaires aussi précipitamment
-que les petites. Tel est le caractère
-ordinaire des rois, et Louis XII est-il exempt
-de ces défauts communs à tous les princes?
-Non, et l’on ne peut douter de son imprudence,
-après les preuves récentes qu’il en a
-<span class="pagenum" id="Page_95">95</span>
-données.» Si Guichardin appliquoit ce lieu
-commun à Charles VIII ou à François I, on
-ne pourroit qu’y applaudir; puisqu’à la fois
-négligens, inattentifs et précipités dans toutes
-leurs démarches, ils étoient destinés à n’être
-jamais heureux, même en conduisant des
-entreprises d’une exécution facile. Mais Louis
-XII n’eut aucun de leurs défauts, et peut-être
-que tous ses torts, après être entré en
-Italie, se bornent à avoir espéré opiniâtrement
-de s’y établir.</p>
-
-<p>Quoiqu’il en soit des alliances, des guerres,
-des paix et des trêves de ce prince, dont il
-seroit trop long d’examiner ici les détails,
-pour en faire l’apologie ou la censure, il est
-certain que le règne d’un roi, dont toutes les
-intentions étoient droites, qui vouloit le
-bonheur de son peuple, qui avoit des vertus
-et même quelques talens pour gouverner, ne
-servit qu’à préparer à la France et à l’Europe
-entière une longue suite de calamités. Il ne
-tenoit qu’à lui de dissiper entièrement les
-soupçons, les craintes, les espérances et les
-rivalités que l’entreprise téméraire de Charles
-sur l’Italie avoit fait naître. Les esprits alloient
-se calmer, et sa persévérance à poursuivre
-des prétentions qu’il eût été sage et heureux
-<span class="pagenum" id="Page_96">96</span>
-de négliger, fixa en quelque sorte les intérêts
-et la politique de ses successeurs. L’habitude
-de vouloir faire des conquêtes fut contractée
-avant que d’avoir eu le temps d’y réfléchir.
-L’Europe se trouva malgré elle dans un nouvel
-ordre de choses, et François I, qui aimoit
-la guerre en aventurier ou en héros, n’étoit
-que trop propre à confirmer ses sujets, ses
-voisins et ses ennemis dans leur erreur.</p>
-
-<p>Il ne faut pas cependant reprocher à ce
-prince seul d’avoir entretenu dans l’Europe
-la fermentation que les guerres de Louis XII
-y avoient fait naître. En effet, Charles-Quint
-n’avoit pas besoin que François I lui eût disputé
-l’Empire, et voulût, à l’exemple de ses prédécesseurs,
-se faire un établissement en Italie,
-pour être jaloux de sa réputation et le haïr. Né
-avec cette ambition extrême qui ne voit aucun
-obstacle, ou qui espère de vaincre toutes les
-difficultés, il avoit appris dès sa plus tendre
-enfance que la France avoit des torts avec ses
-pères. Héritier de la maison de Bourgogne,
-de Maximilien et de Ferdinand, il croyoit
-avoir des droits à revendiquer et des injures
-à venger. Outre les provinces considérables
-qu’il occupoit en Allemagne, ce prince possédoit
-l’Espagne, les Pays-Bas, la Franche-Comté
-<span class="pagenum" id="Page_97">97</span>
-et le royaume de Naples. Ces états
-dispersés lui offroient de tous côtés des frontières
-et des ennemis; il auroit dû en être
-effrayé; et il ne regarda ces différentes possessions
-que comme autant de places d’armes
-d’où il pouvoit, en quelque sorte, menacer
-et dominer toutes les puissances de l’Europe.
-Son ambition s’accrut par les choses mêmes
-qui auroient dû la <ins title="rallentir">ralentir</ins>; et il se persuada
-d’autant plus facilement qu’il parviendroit à
-la monarchie universelle, que l’Amérique lui
-prodiguoit des richesses immenses.</p>
-
-<p>Assez habile pour découvrir les causes qui
-avoient fait échouer l’ambition de la France,
-il crut qu’une puissance aussi considérable
-que la sienne n’éprouveroit pas les mêmes
-disgraces. Il sentoit la supériorité de génie
-qu’il avoit sur les princes ses contemporains,
-et il eut la confiance qui l’accompagne ordinairement.
-L’Europe admira sa prudence,
-son courage, son activité; et si, malgré ses
-talens, il eut le sort de Louis XII, le mauvais
-succès de ses entreprises auroit vraisemblablement
-instruit ses alliés et ses ennemis de
-leurs vrais intérêts, et les états ne se seroient
-point livrés à cette politique de conquête
-et de rapine qui devoit leur être si funeste.
-<span class="pagenum" id="Page_98">98</span>
-Malheureusement Charles-Quint parvint, à
-force d’art, à faire quelques acquisitions, et il
-n’en fallut pas davantage pour justifier sa conduite.
-On crut que l’ouvrage qu’il n’avoit qu’ébauché
-pouvoit être consommé; les uns tremblèrent,
-les autres eurent plus de confiance. On
-se fit des misérables principes de fortune, d’agrandissement
-et de défense, qui furent regardés
-comme les maximes de la plus saine politique;
-et toute l’Europe fut emportée par un mouvement
-rapide de préjugés, d’erreurs et de
-passions, qui n’a été ni suspendu ni calmé
-par deux siècles de guerres malheureuses et
-infructueuses.</p>
-
-<p>Tandis que les princes s’accoutumoient à
-penser que tout l’art de régner est l’art d’agrandir
-ses états, leurs sujets sortirent de
-l’ignorance où jusques-là ils avoient été plongés.
-On diroit que les esprits étonnés par
-cette espèce de grandeur et d’audace que
-présentoit la politique nouvelle, s’agitèrent
-et sentirent de nouveaux besoins. L’occident
-étoit préparé à prendre de nouvelles mœurs,
-lorsque les Grecs, qui fuyoient après la prise
-de Constantinople, la domination des Turcs,
-transportèrent en Italie les connoissances qui
-s’étoient conservées dans l’empire d’Orient.
-<span class="pagenum" id="Page_99">99</span>
-Les lumières commencèrent à se répandre,
-mais elles ne se portèrent malheureusement
-que sur des objets étrangers au bonheur des
-hommes. Les Grecs depuis long-temps n’avoient
-plus rien de cette élévation d’ame qui
-avoit rendu leurs pères si illustres. Vaincus
-par les étrangers, avilis sous un gouvernement
-tyrannique et fastueux, ils ne connoissoient
-que des arts inutiles, et cultivoient moins les
-lettres en philosophes qu’en sophistes ou en
-beaux esprits. Des hommes accoutumés à
-l’esclavage étoient incapables de voir dans
-l’antiquité ces grands modèles qu’elle offre
-à l’admiration de tous les siècles, et d’y puiser
-la connoissance des droits et des devoirs des
-citoyens, et des ressorts secrets qui font le
-bonheur ou le malheur des nations. Sous
-de tels maîtres, les Italiens ne firent que des
-études frivoles, et s’ils eurent plus de talens,
-ils n’en furent guère plus estimables.</p>
-
-<p>Une émulation générale excita le génie, et
-dans tous les genres l’esprit humain fit un
-effort pour franchir ses limites et rompre
-les entraves qui le captivoient. Le commerce,
-autrefois inconnu, ou du moins extrêmement
-borné dans ses relations, fit subitement des
-progrès considérables. Une certaine élégance
-<span class="pagenum" id="Page_100">100</span>
-qui s’établit dans quelques manufactures de
-l’Europe, fit malheureusement dédaigner les
-arts grossiers, qui jusqu’alors avoient suffi.
-Le faste des rois et le luxe des riches aiguillonnèrent
-l’industrie des pauvres, et on crut
-augmenter son bonheur en multipliant les
-besoins de la mollesse et de la vanité. Qui
-reconnoîtroit sous le règne de François I les
-petits fils des Français, dont les mœurs
-encore rustiques se contentoient de peu, et
-n’avoient qu’un faste sauvage? Le goût funeste
-des choses rares et recherchées se
-répandit de proche en proche dans la plupart
-des nations. Que nous sommes insensés
-de ne pas voir que plus de bras travaillent
-à la composition de nos plaisirs et de nos
-commodités, moins nous serons heureux!
-déjà l’Europe n’a plus assez de richesses et
-de superfluités pour suffire à la volupté impatiente
-de ses habitans. La navigation se perfectionne;
-les hommes, dirai-je, enrichis ou
-appauvris par les productions des pays étrangers,
-méprisent les biens que la nature avoit
-répandus dans leur pays. On avoit doublé
-le cap de Bonne-Espérance et découvert un
-nouveau monde sous un ciel inconnu; et
-tandis que le midi de l’Asie nous prodiguoit
-<span class="pagenum" id="Page_101">101</span>
-des richesses superflues, qui peut-être ont
-contribué plus que tout le reste à rendre les
-Asiatiques esclaves sous le gouvernement le
-plus dur et le plus injuste, l’Amérique, prodigue
-de son or et de son argent, aiguisa,
-augmenta et trompa l’avarice et le luxe de
-l’Europe.</p>
-
-<p>L’impulsion étoit donnée aux esprits, et
-on eut l’audace d’examiner des objets qu’on
-avoit respectés jusques-là avec la soumission
-la plus aveugle; en s’éclairant, les hommes
-furent moins dociles à la voix du clergé, et
-dès ce moment il fut aisé de prévoir que
-son autorité éprouveroit bientôt quelque revers.
-Je ne répéterai point ici ce que j’ai
-dit<a name="FNanchor_283" id="FNanchor_283" href="#Footnote_283" class="fnanchor">[283]</a> ailleurs, de la manière dont les papes
-profitèrent de l’ignorance et de l’anarchie
-qui défiguroient la chrétienté pour étendre
-leur puissance, et parvinrent à se faire redouter
-des rois et régner impérieusement sur
-le clergé. Qu’il me suffise de dire que dans le
-haut degré d’élévation où la cour de Rome
-étoit parvenue, elle ne voulut s’exposer à
-aucune contradiction; et craignit autant de
-convoquer des conciles, que les rois craignoient
-d’assembler les diètes ou les états-généraux
-de leur nation. On ne tarda donc
-<span class="pagenum" id="Page_102">102</span>
-pas de reprocher au gouvernement des papes
-les mêmes vices et les mêmes abus qu’on
-reprochoit à l’administration des princes qui
-s’étoient emparés dans leurs états de toute la
-puissance publique. La cour de Rome eut
-des ministres et des flatteurs qui ne furent
-ni moins avides ni moins corrompus que
-ceux des rois: tout s’y vendit, jusqu’au privilége
-de violer les lois les plus saintes de
-la nature.</p>
-
-<p>Il faudroit bien peu connoître le cœur
-humain, pour croire qu’en obéissant à un
-chef si vicieux, le clergé n’eût pas les mœurs
-corrompues: l’ignorance, la simonie,
-le concubinage et mille autres vices déshonoroient
-l’épiscopat. Certainement l’église
-avoit besoin de la réforme la plus éclatante
-dans son chef et dans ses membres; mais
-personne ne songeoit à la désirer. Après avoir
-souffert patiemment les excès d’un monstre,
-tel qu’Alexandre VI, sans le déposer, ses
-successeurs, qui n’eurent aucune vertu chrétienne,
-passèrent pour de grands papes. L’effronterie
-avec laquelle le clergé se montroit
-tel qu’il étoit, lui avoit, pour ainsi dire,
-acquis le droit funeste de ne plus scandaliser
-et de ne se point corriger. On auroit
-<span class="pagenum" id="Page_103">103</span>
-vraisemblablement permis à Léon X de faire
-un trafic honteux de ses indulgences, et
-d’ouvrir et de fermer à prix d’argent les portes
-du paradis et de l’enfer, s’il avoit confié cette
-ferme scandaleuse aux mêmes personnes qui
-jusqu’alors en avoient eu la régie; il ne le
-fit pas, et cette faute devint le principe d’une
-grande révolution. Les facteurs ordinaires de
-la cour de Rome, se voyant privés des profits
-qu’ils faisoient sur la superstition, décrièrent,
-pour se venger, les indulgences, les
-bulles et les pardons que d’autres avoient mis
-en vente.</p>
-
-<p>A peine Luther eut-il levé l’étendard de
-la révolte contre le pape, qu’on fut étonné
-d’avoir aperçu si tard les abus intolérables
-dont il se plaignoit avec amertume. Sa doctrine
-eut les plus grands succès, et la cour
-de Rome, qui auroit dû se corriger, ne fut
-qu’indignée de l’insolence d’un moine qui
-avoit l’audace de la censurer et de braver son
-autorité. Elle le déclara hérétique, et en séparant
-ses sectateurs de la communion romaine,
-Luther lui jura une haine éternelle. Calvin
-qui le fuyoit, porta une main encore plus
-hardie sur la religion. Le premier, qui se
-défioit du succès de ses raisons, eut des
-<span class="pagenum" id="Page_104">104</span>
-ménagemens que le second n’eut point, en
-voyant le clergé consterné de ses défaites et
-à moitié vaincu. Plus il tâcha de se rapprocher
-de la simplicité des premiers siècles de l’église,
-plus il éleva, si je puis parler ainsi, un mur
-de séparation entre sa doctrine et celle de
-l’église romaine.</p>
-
-<p>On ne sauroit trop louer le zèle de ces
-deux novateurs, si, respectant le dogme, ils
-s’étoient contentés de montrer les plaies profondes
-que l’ignorance, l’ambition, l’avarice et
-la superstition avoient faites à la morale de
-l’évangile. En attaquant les vices des ecclésiastiques,
-il auroit fallu respecter leur caractère;
-et au lieu de les irriter par des injures et
-des reproches amers, les inviter avec douceur
-à se corriger. Si on vouloit substituer
-à la monarchie absolue du pape l’ancien
-gouvernement des apôtres, il falloit instruire
-les évêques de leurs droits, leur apprendre
-par quels artifices leur dignité avoit été avilie,
-et par quels moyens ils pouvoient la rétablir.
-Si Luther et Calvin avoient défendu leurs
-opinions avec moins de hauteur et d’emportement,
-la cour de Rome auroit, selon les
-apparences, protégé avec moins d’opiniâtreté
-les abus qu’elle avoit fait naître: la vérité
-<span class="pagenum" id="Page_105">105</span>
-auroit peut-être triomphé et réuni tous les
-esprits.</p>
-
-<p>Au milieu des disputes théologiques qui
-commençoient à occuper et troubler toute
-l’Europe, il n’y a eu que quelques hommes
-modérés, justes et éclairés, qui furent capables
-de tenir la balance égale entre les
-deux religions; et les efforts qu’ils firent pour
-les concilier, ne servirent qu’à les rendre
-également odieux aux catholiques et aux réformateurs.
-On n’écouta que son zèle; et quand
-il n’est pas éclairé, il dégénère bientôt en
-fanatisme. La France, ainsi que plusieurs
-autres états, se trouva partagée en deux partis
-ennemis; révolution qui, jointe à celles que
-sa politique et ses mœurs avoient déjà souffertes,
-devoit influer dans son gouvernement
-et donner de nouveaux intérêts et de nouvelles
-passions à tous les ordres de l’état.</p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="pagenum" id="Page_106">106</div>
-
-<hr class="full" />
-
-<h3>CHAPITRE II.</h3>
-
-<p class="hang"><i>Louis XII et François I profitent des changemens
-survenus dans la politique et les mœurs
-de l’Europe, pour étendre leur pouvoir et
-ruiner la puissance dont les grands s’étoient
-emparés.</i></p>
-
-<p class="first"><span class="smcap">Les</span> changemens survenus dans les intérêts
-de la France, ou plutôt dans la manière de
-les envisager relativement aux étrangers, devoient
-nécessairement faire contracter de
-nouvelles habitudes aux Français, et les accoutumer
-à voir leurs intérêts domestiques d’un
-autre œil que leurs pères ne les avoient vus.
-La noblesse impatiente, légère, et dont le crédit
-étoit considérable dans la nation, n’aimoit
-et n’estimoit que la guerre; non pas comme
-aujourd’hui, par un préjugé froid qui lui
-persuade que toute autre profession est indigne
-d’elle; mais par goût et parce que
-n’étant en effet propre qu’à se battre avec
-beaucoup de courage, elle se croyoit destinée
-à défendre l’état et faire des conquêtes.
-<span class="pagenum" id="Page_107">107</span>
-Les premiers succès de Charles VIII en Italie
-flattèrent si agréablement sa vanité, que les
-disgraces qui les suivirent, ne purent la retirer
-de son erreur. D’autres motifs peut-être
-contribuèrent encore à lui faire illusion.
-Elle espéra de grands établissemens en Italie,
-les guerres étrangères lui ouvroient de nouvelles
-portes à la fortune; et devenant plus
-nécessaire et plus importante, le gouvernement
-la ménageoit avec plus de soin. Quoi
-qu’il en soit, la noblesse s’accoutuma à regarder
-la conquête du royaume de Naples
-et du Milanez comme une entreprise très-sage.
-Plus les obstacles se multiplièrent, plus
-elle crut qu’il seroit beau d’en triompher;
-plus on s’occupoit des affaires du dehors,
-moins on étoit attentif à celles du dedans.
-Si le gouvernement hésitoit à faire des entreprises
-sur les immunités et les franchises
-de la nation, la noblesse lui reprochoit sa
-lenteur et l’accusoit de foiblesse. Le pouvoir
-arbitraire, acquérant ainsi de jour en jour de
-nouvelles forces, ne redoutoit plus cette inquiétude
-qui avoit autrefois agité les Français,
-et qui auroit encore pu renaître, s’ils
-n’eussent été occupés que de leurs affaires
-domestiques.</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_108">108</span>
-En effet, tous les ordres de l’état se laissèrent
-enivrer par ces idées de gloire et de
-conquête que la noblesse leur avoit communiquées.
-Le peuple lui-même, toujours victime
-de la guerre, dont il ne retire dans une monarchie
-aucun avantage, ne parloit ridiculement
-que de conquérir des provinces et d’humilier
-ses voisins, et croyoit son honneur
-intéressé à voir régner son maître sur Naples
-et sur Milan. Un pareil préjugé étoit une
-preuve des progrès que la monarchie avoit
-déjà faits, et un présage encore plus certain
-de ceux qu’elle alloit faire.</p>
-
-<p>Louis XII éprouva des disgraces assez considérables
-pour devoir retirer ses sujets de
-leur erreur, mais ses vertus empêchoient qu’on
-ne vît ses fautes, ou les faisoient excuser.
-Quand le poids des impositions auroit pu
-commencer à dégoûter de la guerre, et rappeler
-le souvenir des états-généraux et des
-anciennes franchises, Louis, touché des maux
-publics, ne s’opiniâtra point à poursuivre ses
-avantages ou à réparer ses pertes en Italie.
-On lui savoit gré de conclure mal à propos
-une trève ou une paix, et de paroître oublier
-sa gloire et ses projets de conquête pour
-ne pas épuiser la fortune de ses sujets. Ce
-<span class="pagenum" id="Page_109">109</span>
-sentiment de bonté et de bienveillance, si
-nouveau dans un roi, et qui a mérité à Louis
-XII le titre de père du peuple, préparoit tous
-les cœurs à le seconder avec l’empressement
-le plus vif, quand il voudroit recommencer
-la guerre. Sous un prince qui paroissoit économe,
-l’avarice des sujets ne causa aucune
-agitation; et parce que Louis ménageoit leur
-fortune, ils l’en laissèrent le maître.</p>
-
-<p>«Nous travaillons en vain: ce gros garçon,
-disoit-il, en parlant du jeune comte d’Angoulême
-son successeur, gâtera tout.» Louis étoit
-le seul dans son royaume qui <ins title="présentît">pressentit</ins> cette
-triste vérité; il est sûr du moins qu’on peut
-déjà remarquer une prodigieuse différence dans
-la manière dont la nation avoit regardé ses
-immunités sous les premiers Valois, et les regardoit
-actuellement. Les anciens états avoient
-voulu compter avec le roi et prendre part à
-l’administration; toujours attachés à leurs
-vices économiques, ils n’accordoient jamais
-aucun subside sans faire reconnoître que c’étoit
-de leur part un don purement gratuit. Les
-derniers états tenus à Orléans avoient promis
-à Charles VIII de ne lui rien refuser, mais
-avoient du moins demandé qu’on les convoquât,
-et ils sentoient par conséquent que
-<span class="pagenum" id="Page_110">110</span>
-la nation avoit besoin de ce secours pour
-contenir le gouvernement, et prévenir les
-abus qu’on avoit éprouvés sous le règne précédent,
-par trop de mollesse et de négligence.
-Sous son successeur, on parut au contraire
-avoir oublié qu’il y eût eu autrefois des états,
-des dons gratuits, et des contributions consenties.
-La nation ne regarda plus ses assemblées
-que comme des formalités inutiles,
-onéreuses<a name="FNanchor_284" id="FNanchor_284" href="#Footnote_284" class="fnanchor">[284]</a> même à tous les ordres de
-citoyens, et qui n’étoient bonnes qu’à retarder
-les opérations du gouvernement. Il est vrai
-qu’en 1501 les états furent encore tenus à
-Tours, mais ce n’est point une preuve qu’il
-subsistât quelque sentiment de patriotisme
-ou de liberté; ils étoient l’ouvrage de la comtesse
-d’Angoulême pour faire le mariage de
-son fils avec la princesse Claude, et les députés
-des provinces ne montrèrent aucun
-regret sur le passé ni aucune inquiétude sur
-l’avenir.</p>
-
-<p>François I étoit bien propre par ses prodigalités,
-son inconsidération et ses négligences
-à retirer les Français de la sécurité imprudente
-que Louis XII leur avoit inspirée; mais jamais
-prince n’eut plus que lui les mœurs, le génie,
-les vices et les vertus de la nation qu’il
-<span class="pagenum" id="Page_111">111</span>
-gouverna, et ne dût par conséquent jouir d’un
-empire plus absolu. Ardent, impétueux, sincère,
-libéral, brave, populaire, ne respirant
-que cet honneur que la chevalerie avoit mis
-à la mode, on aima jusqu’à ses défauts, qui
-tenoient toujours à quelques qualités estimables.
-La conquête du Milanez, par où commença
-son règne, et qui ne devoit annoncer
-qu’une longue suite d’affaires difficiles et malheureuses,
-fut regardée comme l’augure d’une
-prospérité constante. Plus il montra d’ambition
-et fit d’entreprises téméraires, plus les
-Français, qui étoient courageux, ambitieux et
-imprudens, crurent que le prince qui leur
-ressembloit étoit sage; et toute la nation
-s’abandonna à l’imprudence du roi en croyant
-s’associer à sa gloire.</p>
-
-<p>On ne vit que trop souvent que les subsides
-n’étoient pas employés aux choses qui avoient
-servi de raison ou de prétexte pour les établir.
-Le luxe excessif de la cour devoit déplaire aux
-personnes qui en payoient les frais aux dépens
-de leur nécessaire; des mains infidelles et
-avares épuisoient le trésor royal et le peuple.
-Tandis que les maux de l’état se multiplioient,
-on n’avoit pas même la consolation d’espérer
-qu’on pût y apporter un prompt remède. En
-<span class="pagenum" id="Page_112">112</span>
-voyant se former subitement une puissance
-aussi considérable que celle de Charles-Quint,
-on jugeoit aisément qu’il n’étoit plus question
-de vaincre les seuls Italiens, et qu’une guerre
-qui paroissoit n’avoir plus de terme, épuiseroit
-les forces du royaume. Sans doute qu’il
-y avoit encore quelques Français capables de
-penser que ce n’étoit que par des assemblées
-libres, fréquentes et régulières, qu’on préviendroit
-les malheurs dont on étoit menacé;
-mais on conservoit sous François I les sentimens
-de respect et de soumission que Louis
-XII avoit inspirés pour son gouvernement;
-et c’est ainsi que le règne d’un prince vertueux
-devient quelquefois funeste, en accoutumant
-ses sujets à voir avec trop d’indulgence
-les vices de son successeur.</p>
-
-<p>Quand la nation avoit lieu de faire les plaintes
-les plus vives et de redemander son ancien
-gouvernement, elle se contenta de murmurer;
-et même quelque événement imprévu ne
-manquoit pas d’étouffer bientôt les murmures.
-Les Français sans tenue retomboient dans leur
-léthargie, parce que le prince, lassé de ses
-plaisirs, paroissoit sortir de la sienne; on
-reprenoit ses espérances et son enjouement,
-et les abus recommençoient à renaître. Se
-<span class="pagenum" id="Page_113">113</span>
-plaint-on de la déprédation des finances?
-On fait périr Semblançay, qui étoit innocent,
-et on croit que tout le mal est réparé. Si, par
-son imprudence, François réussit assez mal
-dans quelques entreprises pour devoir perdre
-l’affection de ses sujets, on admirera encore
-en lui quelque qualité estimable. La bataille
-de Pavie devoit relâcher les ressorts du gouvernement;
-mais il supporta son infortune
-avec tant de noblesse et de fermeté, qu’on
-ne lui montra que de l’attachement et du
-zèle; et pour le consoler de ses malheurs,
-on permit à sa mère d’abuser comme elle
-voudroit de son autorité.</p>
-
-<p>Qu’on ne soit pas surpris de cette conduite.
-Les ames avoient contracté une mollesse qui
-annonce et hâte les plus grands abus. Lorsqu’une
-nation acquiert des lumières et se
-police sous la main d’un législateur habile,
-elle prospère, parce qu’elle connoît mieux
-ses devoirs, aime à les remplir et a la force
-de surmonter les obstacles qui s’y opposent.
-Mais quand les lumières, nées au hasard, ne
-se répandent que sur des objets indifférens
-au bien de la société; qu’on n’encourage l’industrie
-que pour faire naître de nouveaux
-vices avec des besoins inutiles; que la politesse
-<span class="pagenum" id="Page_114">114</span>
-et la douceur des mœurs n’est que le fruit
-d’une fausse délicatesse et d’un raffinement
-puéril dans les plaisirs: les lumières, les
-grâces et la politesse d’une nation ne servent
-qu’à l’avilir. Le citoyen occupé de petits objets,
-et concentré, pour ainsi dire, dans les
-intérêts personnels et domestiques de sa paresse,
-de son luxe, de son avarice, de sa prodigalité,
-de ses commodités ou de son élégance,
-est entièrement distrait de l’attention qu’il
-doit à la chose publique, et bientôt devient
-incapable d’y penser, sans une sorte de travail
-qui le fatigue et le rebute. Le règne de François I
-forme une époque remarquable dans le caractère
-de sa nation. J’en appelle aux personnes
-qui connoissent le cœur humain. Croira-t-on
-qu’en prenant des affections frivoles et contractant
-le goût de l’or, de l’argent et des
-superfluités, les hommes conserveront quelque
-estime pour les choses estimables? Les
-idées du bien sont à la cime de l’esprit, et ne
-descendent point jusques dans le fond du
-cœur. Toutes ces misères que les nations corrompues
-appellent politesse, grâces, agrément,
-élégance, sont autant de chaînes qui doivent
-servir à lier et garrotter des esclaves. Et perdant
-leur ignorance et leur rudesse, les Français
-<span class="pagenum" id="Page_115">115</span>
-policés par un prince qui n’aimoit et ne protégeoit
-que les choses inutiles au bonheur
-de sa nation, ne firent que changer de vices.
-Ceux que nos pères perdirent, avoient du
-moins l’avantage de donner à leur caractère
-une force qu’ils n’eurent plus quand ils acquirent
-des qualités agréables; et comme l’inconsidération
-des Français avoit agrandi l’autorité
-royale, leur frivolité devoit désormais
-l’affermir.</p>
-
-<p>Si les grands, qui s’étoient rendus les dépositaires
-et les ministres de l’autorité royale
-pendant le règne de Charles VI et de son fils,
-et qui firent la guerre du bien public sous
-celui de Louis XI, avoient plus songé à donner
-du crédit à leur ordre qu’à se rendre personnellement
-eux-mêmes puissans, il leur auroit
-été facile d’établir assez solidement l’autorité
-de la grande noblesse, pour qu’aucun événement
-ni aucune circonstance ne pussent la
-renverser<a name="FNanchor_285" id="FNanchor_285" href="#Footnote_285" class="fnanchor">[285]</a>. S’ils avoient compris que pour
-affermir leur empire sur la nation, et conserver
-malgré le roi l’exercice de son pouvoir,
-dont ils s’étoient emparés, il étoit nécessaire
-de recourir à des lois et de former entre eux
-une sorte de constitution qui les maintînt en
-vigueur; il n’en faut point douter, nous
-<span class="pagenum" id="Page_116">116</span>
-aurions vu se former parmi nous un gouvernement
-à peu près semblable à celui que les
-Polonois ont aujourd’hui. Les successeurs
-de Charles VI n’auroient eu qu’un vain nom
-et des honneurs encore plus stériles. Le roi,
-entouré de princes, de pairs, de grands officiers
-de la couronne, de palatins, de sénateurs,
-qui auroient eu une autorité propre et
-personnelle, n’auroit été lui-même que le
-simulacre de la majesté de l’état. Je n’en dis
-pas d’avantage; il est aisé d’imaginer par
-quels moyens la haute noblesse seroit parvenue
-à composer elle seule, avec les principaux
-ecclésiastiques, le corps de la nation,
-en condamnant le reste des citoyens à souffrir
-les abus d’une aristocratie arbitraire.</p>
-
-<p>Heureusement les grands étoient trop divisés
-entre eux et trop accoutumés à mépriser
-ou ignorer les lois pour se réunir, s’entendre
-et former le plan d’un nouveau gouvernement.
-Chacun ne songea qu’à ses intérêts
-particuliers, sans s’embarrasser de l’avenir;
-et se saisit comme il put, d’une portion de
-l’autorité royale, dont il ne se déclara que
-le dépositaire et le ministre. Dès que leur
-ambition s’en étoit tenue là, il étoit facile
-à Louis XII et à François I de se servir du
-<span class="pagenum" id="Page_117">117</span>
-changement qui étoit survenu dans le caractère
-et les mœurs de la nation, et de l’autorité
-qu’ils avoient acquise, pour secouer le
-joug des grands et les rendre aussi dociles
-que les autres citoyens. Aucun d’eux ne
-pouvoit s’emparer d’une branche de l’autorité
-royale, ou la conserver malgré le roi;
-parce que Louis XII ni François I n’avoient
-plus besoin de leur secours pour régner sur
-le reste de la nation, qui se précipitoit au-devant
-du joug.</p>
-
-<p>Les grands n’ayant point eu l’art de former
-un corps dont tous les membres eussent
-un intérêt commun, ils se trouvèrent tous
-ennemis les uns des autres. Ceux qui jouissoient
-de la confiance du prince, et ceux
-qui aspiroient à la même faveur, furent
-jaloux, se craignirent, et le roi se servit sans
-peine de leur rivalité et de leur crainte pour
-les dominer les uns par les autres. Tous
-furent également soumis, et leur ambition,
-qui pouvoit autrefois causer des troubles dans
-le royaume et changer la forme du gouvernement,
-fut réduite à faire des révolutions
-à la cour, c’est-à-dire, à employer les voies
-basses de l’intrigue pour élever un courtisan
-sur les ruines de l’autre, disgracier un
-<span class="pagenum" id="Page_118">118</span>
-ministre en faveur, et créer un nouveau
-favori; tandis que le prince qui, par un
-mot, décidoit de leur sort, paroissoit de jour
-en jour plus absolu au milieu des grands
-humiliés.</p>
-
-<p>C’est par une suite de cette nouvelle disposition
-des choses que Louis XII gouverna
-souverainement tous ceux que ses prédécesseurs
-avoient craints. Mais François I y mit
-plus d’art. Il avoit soin de se faire instruire<a name="FNanchor_286" id="FNanchor_286" href="#Footnote_286" class="fnanchor">[286]</a>
-des personnes qui, par leur naissance,
-leur crédit et leurs talens, avoient acquis
-une certaine autorité dans les provinces; et
-il se les attachoit en leur donnant des emplois
-considérables à la guerre, dans l’église
-et dans la magistrature. Ses espions, répandus
-dans tous les ordres de l’état, étoient chargés
-de contenir, non-seulement par leur
-exemple et leurs discours, les esprits inquiets
-et remuans, mais d’avertir même le conseil
-de la disposition de leur province à chaque
-événement considérable, de ses murmures,
-de ses plaintes, et, en un mot, de tout ce qui
-étoit capable de déranger le cours de la docilité
-à laquelle la nation étoit inclinée. Que
-de certaines familles ne se glorifient donc
-plus des grâces qu’elles obtinrent dans ce
-<span class="pagenum" id="Page_119">119</span>
-temps-là, puisqu’on sait à quel prix elles étoient
-méritées et accordées?</p>
-
-<p>Les provinces étant ainsi contenues dans
-la soumission, il n’étoit plus possible que
-les grands y formassent des cabales et des
-partis, rassemblassent des forces, et se
-rendissent assez puissans pour inquiéter le
-gouvernement. Le duc d’Orléans, qui avoit
-fait la guerre à Charles VIII, n’auroit pas
-pu opposer cent hommes d’armes à François I.
-Aussi le connétable de Bourbon, persécuté
-par la duchesse d’Angoulême n’eut-il d’autre
-ressource pour se venger que de traiter avec
-les étrangers, et d’aller servir Charles-Quint.
-Un amiral et un chancelier furent poursuivis
-en justice: leçon frappante pour
-les grands qui n’auroient point voulu être
-courtisans ou qui n’auroient point eu l’art
-de l’être. Autrefois il eût été dangereux de
-mécontenter un connétable; il eût trouvé
-des amis, des partisans et des défenseurs;
-sous François I, le connétable de Montmorenci
-alla languir dans ses terres, supporta
-obscurément sa disgrace, et apprit qu’on
-n’étoit grand que par la faveur du roi.</p>
-
-<p>Je ne dois pas oublier ici que ce fut pour
-s’attacher plus étroitement le clergé, que
-<span class="pagenum" id="Page_120">120</span>
-François I fit avec Léon X le concordat, et
-soutint avec tant d’opiniâtreté un traité qui
-le rendit le distributeur des dignités et de la
-plus grande partie des domaines de l’église.
-Des biens destinés au soulagement des pauvres
-et à l’entretien des ministres de la religion,
-devinrent le prix de la corruption, et la
-firent naître. Le roi tint, pour ainsi dire,
-dans sa main, tous les prélats, dont l’ambition
-et la cupidité étoient insatiables; et
-par leur secours disposa de tous les ecclésiastiques
-dont le pouvoir est toujours si considérable
-dans une nation.</p>
-
-<p>C’est dans ces temps-là qu’on substitua
-aux états-généraux des assemblées de notables<a name="FNanchor_287" id="FNanchor_287" href="#Footnote_287" class="fnanchor">[287]</a>;
-établissement d’autant plus pernicieux,
-que paroissant favoriser la liberté nationale,
-il ruinoit en effet ses fondemens. On
-espéra que ces assemblées produiroient quelque
-bien, et on en fut plus disposé à oublier
-ou du moins à ne pas regretter les
-états-généraux. Les notables furent convoqués;
-et bien loin que la nation tirât quelque
-avantage de leurs assemblées, elles ne
-servirent qu’à avilir de plus en plus les grands.
-C’étoit une faveur que d’y être appelé, mais
-il avoit fallu s’en rendre digne par des
-<span class="pagenum" id="Page_121">121</span>
-complaisances, et on ne s’y rendit que dans le
-dessein de trahir l’état. Ces assemblées n’eurent
-aucune autorité, et n’en purent prendre
-aucune, parce qu’elles n’avoient aucun temps
-fixe pour leur convocation, et qu’elles dépendoient
-de la volonté seule du roi. Cependant,
-soit qu’on craignît que les grands
-ne se crussent trop considérables si on les
-consultoit seuls, soit qu’on ne cherchât qu’à
-les humilier, on appela à ces assemblées des
-magistrats, et même quelquefois des bourgeois
-d’un ordre moins distingué.</p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="pagenum" id="Page_122">122</div>
-
-<hr class="full" />
-
-<h3>CHAPITRE III.</h3>
-
-<p class="hang"><i>De l’autorité du parlement sous Louis XII,
-François I et Henri II.&mdash;Examen de sa
-conduite.&mdash;Pourquoi il devoit échouer dans
-ses prétentions de partager avec le roi la puissance
-législative.</i></p>
-
-<p class="first"><span class="smcap">Tandis</span> que tous les ordres de l’état oublioient
-ou négligeoient leurs anciennes prérogatives,
-et se soumettoient sans résistance
-au pouvoir arbitraire, le parlement, qui avoit
-considérablement augmenté ses droits et ses
-prétentions sous le règne de Charles VI, n’étoit
-point satisfait de sa fortune, et résistoit à l’impulsion
-générale qui entraînoit le reste de la
-nation. Formant un corps toujours subsistant,
-toujours assemblé, et par conséquent moins
-distrait de ses intérêts que les trois ordres
-de l’état, il devoit avoir plus de suite et
-plus de tenue dans sa conduite; du droit
-qu’il avoit acquis d’enregistrer les lois, de
-les désapprouver ou de les modifier, il pouvoit
-tirer les conséquences les plus avantageuses
-<span class="pagenum" id="Page_123">123</span>
-à son ambition; mais il ne les vit
-pas d’abord, ou n’osa se livrer trop précipitamment
-à ses espérances.</p>
-
-<p>Les corps ont une routine ou une habitude
-à laquelle ils obéissent malgré eux;
-et après avoir travaillé avec tant d’ardeur depuis
-le règne de Philippe-le-Bel à rendre
-l’autorité du roi arbitraire, le parlement devoit
-être quelque temps à concilier son ancienne
-conduite avec l’idée qu’il avoit prise,
-et qu’il auroit voulu donner au public de son
-enregistrement. Sous le règne de Charles VII,
-il étoit encore trop voisin du temps où il
-n’avoit pu se déguiser qu’il ne tint toute
-son autorité du roi, pour oser prétendre
-au partage de la souveraineté. Il avoit offensé
-ce prince<a name="FNanchor_288" id="FNanchor_288" href="#Footnote_288" class="fnanchor">[288]</a>, il devoit réparer ses
-fautes; il craignoit sur-tout l’indignation des
-grands, qui, s’étant emparés de l’autorité
-royale, trouvoient trop d’avantage à gouverner
-arbitrairement, pour souffrir qu’une
-compagnie de praticiens ou de jurisconsultes,
-sous prétexte de défendre les lois, s’opposât
-à leur volonté, et s’emparât d’un pouvoir
-qui leur avoit rendu les états odieux.</p>
-
-<p>Ne voulant plus être ce qu’il avoit été,
-et n’osant cependant laisser voir ce qu’il
-<span class="pagenum" id="Page_124">124</span>
-désiroit d’être, le parlement se conduisit
-encore avec une grande circonspection sous
-le règne de Louis XI. Quelque jaloux de
-son autorité que fût ce prince, il ne fut point
-alarmé de l’enregistrement; il jugea qu’il
-falloit<a name="FNanchor_289" id="FNanchor_289" href="#Footnote_289" class="fnanchor">[289]</a> contenir le parlement, ne pas diminuer
-ses droits, mais l’empêcher de se faire
-de nouvelles prétentions. Cette compagnie
-conserva sous Charles VIII la même modestie,
-et selon les apparences, elle auroit profité des
-divisions et des troubles de l’état pour augmenter
-son pouvoir, si plusieurs de ses principaux
-membres n’avoient trouvé leur avantage
-particulier à se dévouer aux volontés
-de la cour. Le parlement chemina moins sourdement
-sous les règnes suivans. Soit qu’il
-fût enhardi en voyant qu’on ne convoquoit
-plus les états-généraux dont le souvenir s’effaçoit
-de jour en jour; soit qu’il espérât que
-les abus multipliés du pouvoir arbitraire rendroient
-ses prétentions agréables au public,
-il fit quelques démarches qui devoient déplaire
-à la cour, et son autorité parut si
-incommode à François I, qu’il songea à la
-réprimer.</p>
-
-<p>La duchesse d’Angoulême ne pardonna pas
-au parlement les modifications qu’il mit à
-<span class="pagenum" id="Page_125">125</span>
-la régence que son fils lui avoit confiée pendant
-qu’il feroit la guerre en Italie. Pour
-commencer à se venger de cette prétendue
-injure, elle n’appela aucun magistrat à l’assemblée
-des notables qu’elle tint après la
-malheureuse journée de Pavie. Mais son
-ressentiment ne fut pas satisfait, et quand
-François revint de Madrid, elle l’engagea à
-ne pas laisser impunie la témérité insultante
-du parlement. Ce prince le manda, et dans
-la salle du conseil où cette compagnie fut
-reçue, on publia un édit qui lui enjoignit
-de se borner<a name="FNanchor_290" id="FNanchor_290" href="#Footnote_290" class="fnanchor">[290]</a> à la seule administration de
-la justice. En annullant toutes les limitations
-mises à la régence de la mère du roi, on lui
-défendit de modifier à l’avenir les édits qui
-lui seroient adressés.</p>
-
-<p>On ne se contenta pas de réprimer l’ambition
-qui portoit le parlement à se regarder
-comme législateur: pour l’humilier davantage,
-on voulut borner sa compétence. On lui défendit
-de prendre connoissance des contestations
-relatives au concordat, et on lui déclara
-qu’il n’avoit aucune juridiction sur le
-chancelier. Ce dernier article détruisoit tout
-ce que cette compagnie avoit fait pour devenir
-la cour des pairs. En effet, il ne faut
-<span class="pagenum" id="Page_126">126</span>
-pas douter que si le chancelier n’eût pas été
-justiciable du parlement, les pairs et les
-princes, alors bien supérieurs à ce magistrat,
-n’eussent bientôt décliné la juridiction du
-parlement. On auroit vu se rétablir des usages
-pratiqués<a name="FNanchor_291" id="FNanchor_291" href="#Footnote_291" class="fnanchor">[291]</a> avant le procès du duc d’Alençon.
-Le parlement, si fier de son titre de cour
-des pairs, n’auroit encore été que la seconde
-cour de justice du royaume; il se seroit
-formé pour la seconde fois un tribunal composé
-du roi, des pairs, des princes et des
-grands officiers de la couronne. Peut-être y
-auroit-on bientôt porté les affaires de la plus
-haute noblesse; et l’on juge combien le parlement,
-condamné à ne juger que les citoyens
-les moins considérables, auroit perdu de sa
-considération.</p>
-
-<p>On ne lui épargna dans cette journée aucune
-mortification. François I se plaignoit
-dans son édit des abus énormes qui s’étoient
-introduits dans l’administration de la justice. Il
-vouloit sans doute parler des épices<a name="FNanchor_292" id="FNanchor_292" href="#Footnote_292" class="fnanchor">[292]</a>, usage
-vil et injuste, qui change les magistrats en mercenaires,
-et avec lequel nous ne nous serions
-jamais familiarisés, si nous ne savions que la
-justice est due au citoyen, et que c’est un
-crime de la lui faire acheter. On accusoit
-<span class="pagenum" id="Page_127">127</span>
-le parlement de former des intrigues et d’entrer
-dans les cabales. Pour lui ôter toute
-espérance de se relever, on ordonna aux
-magistrats de prendre tous les ans de nouvelles
-provisions, et c’étoit en effet ne leur
-laisser qu’une existence précaire, telle qu’ils
-l’avoient eue avant le règne de Charles VI,
-et les réduire à la fâcheuse alternative ou
-d’obéir aveuglément à tous les ordres de la
-cour, ou de perdre leur état. François terminoit
-son édit en les menaçant de se faire
-instruire en détail de tous les abus dont il
-n’avoit parlé que d’une manière vague, et se
-réservoit d’y apporter un remède efficace;
-c’est-à-dire, pour entrer dans l’esprit de
-cette loi, que si le parlement, intimidé et
-docile sous la main qui le châtioit, se soumettoit
-aux ordres de la cour, le prince
-fermeroit les yeux sur les abus qui n’intéressoient
-que le public.</p>
-
-<p>Le parlement étoit déjà trop puissant pour
-qu’un pareil édit ruinât ses espérances et
-son ambition. Dès qu’on lui laissoit le droit
-de faire des remontrances, on lui laissoit la
-liberté de se conduire à peu près de la
-même manière qu’il avoit fait jusqu’alors,
-et les moyens de reprendre peu à peu la
-<span class="pagenum" id="Page_128">128</span>
-même autorité dont on avoit cru le dépouiller.
-Qui a le droit de faire des remontrances,
-a le droit de reprendre des erreurs, et de
-paroître avec toutes les forces de la justice
-et de la raison; et ce droit n’est pas vain
-dans une société qui conserve encore quelque
-pudeur. Qui a le droit d’indiquer ce qu’il
-faut faire, acquiert nécessairement un crédit
-qui doit faire trembler tout gouvernement
-qui se conduit sans règle.</p>
-
-<p>Le droit de remontrance étoit une arme
-d’autant plus redoutable dans les mains du
-parlement, que la menace de corriger les
-abus et l’ordre de prendre tous les ans de
-nouvelles provisions, ne pouvoient lui donner
-aucune inquiétude. Tout le monde savoit le
-besoin extrême que le roi avoit d’argent pour
-la guerre et ses plaisirs; et que détruire les
-profits des officiers de justice et leur état,
-ce seroit diminuer dans le trésor royal le
-produit des fonds qu’il tâchoit d’y attirer,
-en vendant les magistratures. C’est peut-être
-à l’occasion de cet édit que le parlement
-établit dans son corps la doctrine long-temps
-secrète de ne point regarder comme lois, les
-ordonnances, les lettres-patentes ou les édits
-enregistrés sans délibération précédente, et
-<span class="pagenum" id="Page_129">129</span>
-par l’autorité du roi séant en son lit de justice:
-doctrine qu’il étoit nécessaire d’établir, si
-l’enregistrement n’est pas une vaine formalité;
-mais doctrine qui n’a acquis aucun crédit,
-parce que le parlement n’est pas assez fort
-pour la faire regarder comme une vérité,
-et que le public se voit tous les jours contraint
-d’obéir à des lois que cette compagnie
-n’a enregistrées que malgré elle.</p>
-
-<p>Quoi qu’il en soit, François I, pour ne pas
-irriter ses sujets par un acte trop despotique,
-ayant laissé au parlement le droit de
-<ins title="faite">faire</ins> des remontrances, se vit encore contraint
-de le ménager. Les besoins de l’état, ou plutôt
-de la cour, obligeoient de publier souvent
-des édits bursaux; si on faisoit des remontrances
-vives et fortes sur un objet si intéressant,
-il étoit à craindre que le public
-n’ouvrît les yeux sur sa situation: et un rien
-auroit suffi encore pour faire regretter et rétablir
-les états-généraux. La politique de la cour fut
-donc de permettre au parlement une sorte de
-résistance molle, qui laissoit croire au peuple
-qu’il y avoit un corps occupé de ses besoins
-et qui veilloit à ses intérêts. De sorte que
-le parlement, humilié, et non pas vaincu,
-fut obligé de changer un peu de conduite,
-<span class="pagenum" id="Page_130">130</span>
-mais non pas de principes: et il continua à
-se regarder comme le dépositaire et le protecteur
-des lois, et peut-être même comme
-le tuteur de la royauté.</p>
-
-<p>Pour que le gouvernement ne lui contestât
-pas son droit, il en usa avec modération;
-il songea à se rendre agréable, et s’appliqua
-à étendre l’autorité royale, quand le
-poids n’en devoit pas retomber sur lui. Il
-fléchit quand il crut qu’il y auroit trop de
-danger à résister, ou qu’il ne s’agissoit que
-de passer des injustices dont il ne sentiroit
-pas le premier les inconvéniens. Il mit de
-certaines formes dans son obéissance, afin
-de la rendre équivoque, et de contenter à la
-fois, s’il étoit possible, la cour et le public.
-Soit qu’il faille l’attribuer à une politique
-fausse et trop commune, qui, ne sachant se
-décider, se contrarie elle-même; soit que
-ce soit la marche naturelle d’un corps qui,
-ayant des projets au-dessus de ses forces,
-a, tour à tour, de la crainte et de la confiance;
-sa conduite fut si embrouillée et si
-mystérieuse, qu’on ne savoit pas mieux, sur
-la fin du règne de François I, ce qu’il falloit
-penser de l’enregistrement, qu’on ne
-l’avoit su sous Charles VII. Le conseil et le
-<span class="pagenum" id="Page_131">131</span>
-parlement gardoient tous deux le silence sur
-cette matière, ou du moins n’osoient s’expliquer
-d’une façon trop claire et trop précise,
-dans la crainte d’élever une contestation
-dangereuse et de se compromettre. Chacun
-attendoit avec patience un moment favorable
-pour découvrir, si je puis parler ainsi avec
-Tacite, le secret de l’Empire; et expliquer
-une énigme que nos neveux ne devineront<a name="FNanchor_293" id="FNanchor_293" href="#Footnote_293" class="fnanchor">[293]</a>
-peut-être jamais; mais qui, nous laissant
-incertains entre le despotisme de la cour et
-l’aristocratie du parlement, jette dans notre
-administration je ne sais quoi de louche et
-d’obscur, qui nuit à la dignité des lois et
-à la sûreté des citoyens, et indique un gouvernement
-sans principes, qui se conduit au
-jour le jour par les petites vues de quelque
-intérêt particulier.</p>
-
-<p>En effet, dans les temps encore peu éloignés
-de la naissance de l’enregistrement, on
-put pardonner au parlement d’enregistrer une
-loi qui lui paroissoit injuste et dangereuse, en
-ajoutant que c’étoit «par le très-exprès commandement
-du roi.» Il se croyoit alors
-obligé d’obéir, parce qu’il pensoit que la
-puissance législative étoit entre les mains du
-roi, sans restriction ni modification; et le
-<span class="pagenum" id="Page_132">132</span>
-public n’exigeoit rien de plus d’une compagnie
-de jurisconsultes dont les fonctions
-avoient paru bornées à l’administration de la
-justice. Mais lorsque, commençant à voir
-dans son enregistrement le germe d’une grandeur
-nouvelle, elle crut avoir le droit de rejeter
-les lois proposées ou de les modifier, pourroit-on
-me dire ce que signifioit cette ancienne
-formule dont elle continuoit à se servir? Le
-parlement pensoit-il que cette clause eût la
-vertu magique de laisser sans autorité les
-ordonnances qu’il feignoit d’enregistrer? En
-ce cas, je demanderois pourquoi il obéissoit
-ensuite et nous faisoit obéir à un édit auquel
-il n’avoit pas donné le caractère de loi. Si dans
-ses principes cette clause laissoit subsister la
-loi dans toute sa force, par quels sophismes
-nos magistrats pouvoient-ils se persuader qu’ils
-ne prévariquoient point en devenant les complices
-et les instrumens de l’injustice? Par
-<ins title="qu'elle">quelle</ins> imprudence nous avertissoient-ils de
-mépriser une ordonnance à laquelle il falloit
-cependant nous soumettre?</p>
-
-<p>Malgré les traverses que le parlement avoit
-éprouvées, et son attention à ne pas user imprudemment
-de l’autorité qu’il croyoit avoir,
-il continua à se rendre plus puissant et plus
-<span class="pagenum" id="Page_133">133</span>
-importun. Soit qu’on ne fût que choqué,
-comme la plupart des courtisans, de la
-résistance ou plutôt des chicanes que cette
-compagnie faisoit aux volontés de la cour;
-soit qu’avec l’Hôpital, l’homme de notre
-nation qui, par ses lumières, ses mœurs
-et ses talens, a le plus honoré la magistrature,
-on fût touché des abus qui régnoient
-dans l’administration de la justice;
-il se forma un orage considérable contre un
-corps qui abusoit de son crédit pour partager
-l’autorité des ministres, et dont les
-mains ne paroissoient pas pures. Il étoit cependant
-difficile d’accabler le parlement, car la
-multitude croyoit avoir besoin de sa protection;
-et pour réussir dans cette entreprise,
-il fallut la présenter comme une réforme
-avantageuse à l’état.</p>
-
-<p>Sous prétexte d’accorder quelque repos à
-des magistrats qui avoient si bien mérité de la
-patrie, et qui, malgré leur zèle, étoient accablés
-sous le poids de leurs fonctions pénibles
-et perpétuelles, on résolut donc de partager
-le parlement en deux semestres qui se succéderoient
-l’un l’autre. Par le moyen de ce
-nouvel établissement, la justice, disoit-on,
-devoit être administrée avec d’autant plus de
-<span class="pagenum" id="Page_134">134</span>
-dignité, de vigilance et d’exactitude, que
-les magistrats, après avoir vaqué pendant six
-mois à leurs affaires domestiques, ou médité
-dans leur cabinet sur les lois, loin de porter
-encore au palais la lassitude de leurs fonctions,
-y reparoîtroient toujours plus éclairés,
-plus assidus, et plus attachés à leurs devoirs.
-Le parlement voyoit sans doute le piége qu’on
-lui tendoit, et qu’on ne cherchoit qu’à le diviser
-pour l’affoiblir; mais ce fut inutilement. Le
-conseil prévint ses plaintes, ou du moins
-empêcha qu’elles ne fussent appuyées par
-celles du public en diminuant les épices; il
-dédommagea les juges par une augmentation
-de leurs gages, le roi se chargea de payer les
-contributions auxquelles la justice avoit condamné
-les plaideurs.</p>
-
-<p>La cour triomphoit. On ne doutoit point
-que le parlement, pour ainsi dire, divisé
-en deux corps, qui n’auroient presque aucun
-commerce entre eux, ne perdît son ancien
-esprit. En répandant à propos quelques bienfaits,
-en semant des soupçons, des rivalités
-et des haines, art funeste dans lequel
-les courtisans les moins adroits ne sont
-toujours que trop habiles, il paroissoit aisé
-de s’assurer de la docilité de l’un des deux
-<span class="pagenum" id="Page_135">135</span>
-semestres, et on devoit lui porter les édits
-qui pouvoient occasionner de longues et
-fastidieuses remontrances. On se flatta d’un
-succès d’autant plus prochain, qu’étant
-nécessaire d’augmenter considérablement le
-nombre des magistrats, on ne vendroit les
-nouveaux offices qu’à des personnes dont
-le gouvernement seroit sûr et qui déplairoient
-à leur compagnie. Un historien<a name="FNanchor_294" id="FNanchor_294" href="#Footnote_294" class="fnanchor">[294]</a>,
-plus à portée que tout autre de rendre
-compte des suites qu’eut cette révolution,
-nous apprend que le parlement devint en
-quelque sorte un nouveau corps. Les conseillers
-des enquêtes qu’on avoit coutume,
-dit-il, de n’admettre à la grand’chambre
-qu’après qu’ils avoient acquis une grande
-expérience, y montèrent avant le temps
-convenable. Comme la plupart, faute de
-capacité, n’étoient pas en état d’occuper
-ces places, il arriva qu’au lieu de rétablir
-la discipline et la dignité du parlement,
-ainsi qu’on avoit feint de le désirer, on
-détruisit presque entièrement l’une et l’autre.</p>
-
-<p>Le parlement auroit été perdu sans retour,
-si les ministres du roi avoient pu
-prendre les mesures nécessaires pour maintenir
-leur ouvrage; mais au bout de trois
-<span class="pagenum" id="Page_136">136</span>
-ans, le mauvais état des finances ne permettant
-pas de payer les gages considérables
-qu’on avoit promis, il fallut supprimer les
-offices de nouvelle création, et permettre
-aux anciens juges de recevoir encore des
-épices des plaideurs. Fut-ce un bonheur,
-fut-ce un malheur que cette seconde révolution
-qui rétablit le parlement dans son
-premier état? Je n’ose le décider; qu’on
-en juge par le bien qu’il produisit dans la
-suite, et par les maux qu’il ne put empêcher.
-Peut-être que si la nation n’avoit
-pas compté sur ce secours impuissant, elle
-auroit été assez inquiéte pour réprimer l’autorité
-arbitraire du gouvernement, et donner
-un appui utile à sa liberté; au lieu que,
-trompée par les espérances qu’elle avoit
-conçues du crédit et des vues du parlement,
-elle s’en reposa sur lui de son bonheur,
-et contracta une sécurité nonchalante qui
-est le signe certain de la décadence et de
-l’avilissement d’un peuple. Quoi qu’il en
-soit, le parlement, qui n’avoit pas eu le
-temps de perdre son ancien esprit, continua
-à faire des entreprises et à être repoussé
-par une puissance supérieure à la
-sienne.</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_137">137</span>
-Ce fut pour humilier le parlement de
-Paris, dont les prétentions devenoient de
-jour en jour plus considérables, que
-Charles IX, dit Davila, se fit déclarer
-majeur au parlement de Rouen. La cour
-des pairs crut recevoir une injure mortelle,
-et se plaignit de cette nouveauté, dans le
-fait assez indifférente à l’état, comme s’il
-eut été question du renversement de la
-monarchie. Tout le monde sait de quelle
-manière Charles reçut ses députés, quand
-ils vinrent lui faire des remontrances à ce
-sujet. Vous devez vous souvenir, leur dit
-le roi, que votre compagnie n’a été établie
-par mes prédécesseurs que pour rendre la
-justice aux particuliers, suivant les lois,
-les coutumes et les ordonnances qu’ils publieroient.
-Les affaires d’état ne regardent
-que moi et mon conseil, et vous devez n’y
-prendre aucune part: défaites-vous de l’ancienne
-erreur où vous êtes de vous faire les
-tuteurs des rois, les défenseurs du royaume
-et les gardiens de Paris. Si dans les ordonnances
-qui vous sont adressées, vous trouvez,
-ajouta-t-il, quelque chose de contraire à
-ce que vous pensez, je veux que, selon
-la coutume, vous me le fassiez au plutôt
-<span class="pagenum" id="Page_138">138</span>
-connoître par la voie des représentations;
-mais je veux qu’aussitôt que je vous aurai
-déclaré ma dernière volonté, vous obéissiez
-sans retardement. Sans prendre un ton si
-absolu, en vertu de quel titre, pouvoit
-leur dire Charles IX, vous croyez-vous
-supérieurs au parlement de Rouen? Quelle
-loi m’ordonne de me transporter chez vous
-pour me faire déclarer majeur? Je le suis
-en vertu de l’ordonnance de Charles V,
-et il me suffit de vous envoyer une déclaration
-pour vous apprendre que j’ai atteint
-l’âge prescrit par la loi. Pourquoi ne serois-je
-pas le maître de faire au parlement de
-Rouen une faveur que je ne vous dois
-point, et de quoi vous plaignez-vous, si
-je ne vous fais aucun tort?</p>
-
-<p>Le parlement étoit accoutumé depuis trop
-long-temps à recevoir de pareilles réponses,
-pour que celle-ci n’eût pas le sort des précédentes.
-Il devoit même être d’autant moins
-disposé à obéir, qu’il voyoit la cour agitée
-par des factions puissantes, et avoit appris
-avec tout le royaume à mépriser un gouvernement
-qui flottoit dans une perpétuelle
-irrésolution. Les voix furent partagées, quand
-on opina sur l’enregistrement de l’édit de
-<span class="pagenum" id="Page_139">139</span>
-majorité; et le conseil rendit un arrêt<a name="FNanchor_295" id="FNanchor_295" href="#Footnote_295" class="fnanchor">[295]</a>,
-par lequel il cassoit et annulloit tout ce qui
-avoit été fait à cet égard par le parlement,
-comme incompétent, de la part d’une compagnie
-à qui il n’appartient pas de connoître
-des affaires publiques du royaume. Il lui
-étoit ordonné d’enregistrer l’édit de majorité
-sans y ajouter aucune restriction, modification
-ni condition. On lui défendit d’avoir
-jamais la présomption d’examiner, statuer
-ou même délibérer sur les ordonnances qui
-concernent l’état, surtout lorsqu’après avoir
-fait des remontrances, ils auroient appris la
-volonté absolue du roi.</p>
-
-<p>Le parlement obéit, dans la crainte qu’une
-plus forte résistance ne servît qu’à constater
-sa défaite d’une manière plus certaine;
-mais il conserva, suivant sa méthode ordinaire,
-l’espérance d’être plus heureux dans
-une autre conjoncture. En effet, il avoit
-et a encore le talent de ne se rappeler de
-son histoire que les événemens qui lui sont
-avantageux, et de remettre toujours en avant
-les mêmes prétentions qu’il paroît avoir abandonnées
-plusieurs fois. Cette ressource ou
-ce manége de la vanité et de la foiblesse
-finit toujours par être pernicieux à l’ambition.
-<span class="pagenum" id="Page_140">140</span>
-Malgré l’inconsidération et la frivolité
-des Français, il étoit impossible que, s’accoutumant
-à faire des démarches qui devoient
-paroître fausses au public et téméraires au
-conseil, le parlement ne fût pas enfin accablé
-par une puissance qui lui étoit supérieure.</p>
-
-<p>Sans doute que les oppositions et les remontrances
-de cette compagnie, toutes inutiles
-qu’elles étoient à l’agrandissement de
-sa fortune, ont d’abord opposé quelques
-obstacles aux abus du pouvoir arbitraire;
-mais elles étoient incapables de fixer les principes
-du gouvernement, et d’empêcher que
-la liberté publique ne fût enfin opprimée.
-Le conseil ne trouvant qu’une résistance inégale
-à ses forces, ne sentit point la nécessité
-de se tenir dans les limites que la justice,
-les lois et les coutumes lui prescrivoient.
-Retardé, mais non pas arrêté dans sa marche,
-il s’accoutuma à aller toujours en avant.
-Le succès étoit certain; il ne s’agissoit que
-de marcher avec quelque lenteur, et de ne
-pas vouloir commencer en un jour des
-entreprises qui devoient être l’ouvrage de
-la patience et du temps.</p>
-
-<p>Tandis que le roi déclare éternellement
-aux magistrats du parlement qu’ils n’ont été
-<span class="pagenum" id="Page_141">141</span>
-créés que pour rendre en son nom la justice
-aux particuliers, ils persévérèrent constamment
-à se regarder comme les gardiens
-et les protecteurs de la liberté publique,
-mais sans oser le dire nettement. Cette conduite
-n’étoit-elle pas la preuve d’une foiblesse
-égale à leur ambition, et si elle étoit incapable
-d’intimider et de contenir les ministres,
-pouvoit-elle rassurer une nation sensée? Rien
-n’est plus extraordinaire que la politique des
-gens de robe. Le roi répète continuellement
-qu’il est le suprême législateur, la source et
-le principe de tout droit public et particulier;
-qu’il ne tient son autorité que de Dieu
-seul, qu’il ne doit compte qu’à lui de ses
-actions; et le parlement convient de cette
-doctrine. D’où lui vient donc ce droit qu’il
-s’arroge de protéger la nation? Et si le roi
-veut l’en priver, pourquoi refuse-t-il d’y consentir?
-En ne donnant aucune borne à la
-puissance royale, par quelle raison peut-il
-cependant s’attribuer le privilége d’examiner,
-de rejeter ou de modifier les lois? S’il ne
-voyoit pas que ce droit négatif et modificatif
-le rendroit lui-même suprême législateur, ses
-lumières devoient être extrêmement bornées,
-et par conséquent bien incapables de servir
-<span class="pagenum" id="Page_142">142</span>
-le public. S’il sentoit au contraire l’importance
-de ses prétentions, pourquoi ne prévoit-il
-pas que le conseil tentera tout, pour
-ne pas laisser échapper de ses mains la puissance
-législative dont il est en possession,
-et qu’il n’en souffrira pas même le partage.
-Le parlement ne prévit rien, ou s’il prévit
-quelque chose, il faut convenir qu’il prit
-pour élever et affermir sa fortune, les moyens
-les plus propres à la renverser.</p>
-
-<p>Son premier tort fut de ne pas connoître
-sa situation, et d’avoir espéré ou craint sans
-se rendre compte de ses espérances ou de
-ses craintes. Quand on supposeroit qu’il ne
-vouloit qu’affermir l’autorité royale dans les
-mains du roi, en prévenant les abus que
-ses ministres en feroient, et qui la rendroient
-désagréable à la nation et par conséquent
-peu sûre, ne devoit-il pas prévoir les difficultés
-sans nombre qui s’opposeroient au
-succès d’un pareil projet? Il étoit facile aux
-grands, qui s’étoient faits ministres de l’autorité
-royale, pour en faire l’instrument de
-leur fortune, de lui rendre le parlement
-suspect et même odieux. Falloit-il espérer
-que le prince, élevé comme un sage au-dessus
-de ses passions, jugeât que c’étoit
-<span class="pagenum" id="Page_143">143</span>
-pour son avantage qu’on s’opposeroit à ses
-volontés? Des rois qui avoient refusé de
-concerter leurs opérations avec les états-généraux,
-devoient nécessairement avoir plus
-d’ambition que d’amour pour le bien public.
-Le parlement devoit donc penser que l’autorité
-qu’il vouloit attribuer à son enregistrement
-pour l’avantage du public, choqueroit
-le roi et son conseil; et que n’ayant pas
-des forces supérieures ou même égales à
-leur opposer, il ne se rendroit puissant qu’autant
-qu’il s’appliqueroit plus à mériter une
-bonne réputation qu’à étendre et multiplier
-ses prétentions.</p>
-
-<p>C’est l’estime que le public avoit conçue
-pour les lumières du parlement sous Charles VI
-qui avoit fait désirer, à ceux qui administrèrent
-tour à tour l’autorité royale, de se
-concilier son approbation: et de là, comme
-on l’a vu, étoit née la coutume de l’enregistrement.
-Il auroit donc fallu que par son
-amour de la justice, de la vérité et du bien
-public, cette compagnie eût fait souhaiter
-à tous les ordres de l’état que l’enregistrement
-acquît toujours un nouveau pouvoir.
-Il falloit, si je puis parler ainsi, mettre des
-vertus et non pas des prétentions en avant.
-<span class="pagenum" id="Page_144">144</span>
-Il importoit au parlement de rester, pour
-ainsi dire, en arrière, et de se faire avertir
-et presser par le public d’avoir de l’ambition.
-Sa modestie n’auroit servi qu’à donner plus
-de zèle à ses partisans, qui, dans l’espérance
-d’opposer un plus grand obstacle au
-pouvoir arbitraire, auroient eux-mêmes développé
-et étendu les priviléges qui découlent
-naturellement du droit d’enregistrer et d’examiner
-les lois. Le conseil, nécessairement
-intimidé par la sagesse du parlement, n’auroit
-pu lui résister sans soulever contre lui tout le
-public.</p>
-
-<p>Je ne suis pas assez injuste pour exiger
-que nos magistrats du quinzième siècle eussent
-les mœurs, les lumières et le courage des
-anciens sénateurs de Sparte et de Rome;
-mais il n’auroit pas été besoin de les égaler
-pour mériter la confiance de nos pères. Dans
-l’état informe où se trouvoit notre législation,
-que le parlement ne proposoit-il lui-même
-quelques règlemens utiles au public, au lieu
-de rester attaché à ses erreurs et à ses préjugés?
-Quand Charles VII eut ordonné de
-rédiger les différentes coutumes de nos provinces,
-pourquoi cette opération, conduite
-sans génie, n’étoit-elle pas encore<a name="FNanchor_296" id="FNanchor_296" href="#Footnote_296" class="fnanchor">[296]</a>
-<span class="pagenum" id="Page_145">145</span>
-terminée, quand Charles IX monta sur le trône?
-Pourquoi nos magistrats paroissoient-ils
-craindre qu’elle ne les gênât dans les jugemens?
-Attachés par vanité au malheureux
-privilége de courber les lois, sous prétexte
-de les rendre plus utiles, et d’en faire une
-application plus juste, c’étoit s’attribuer un
-pouvoir dont il est trop aisé à la fragilité
-des hommes d’abuser; c’étoit apprendre aux
-simples citoyens l’art malheureux de mépriser
-et d’éluder les lois, et aux grands d’en faire
-l’instrument de leur tyrannie. Qu’importoit-il
-à la nation que le parlement montrât quelquefois
-la vérité dans ses remontrances, s’il
-n’y restoit pas inviolablement attaché? La
-trahir ou l’abandonner est un plus grand
-mal que de ne la pas connoître. L’administration
-de la justice demande une dignité
-modeste et grave, et non pas de l’éclat.
-Les citoyens devoient trouver dans leurs juges
-des défenseurs de leur fortune, et non pas des
-ennemis qui la dévoroient.</p>
-
-<p>Le parlement auroit fait, selon les apparences,
-tout ce qu’on pouvoit attendre de
-lui, s’il eût continué à choisir lui-même ses
-magistrats; mais il perdit malheureusement
-cet avantage<a name="FNanchor_297" id="FNanchor_297" href="#Footnote_297" class="fnanchor">[297]</a>, à peu près dans le même
-<span class="pagenum" id="Page_146">146</span>
-temps où il commençoit à prendre part à
-l’administration et concevoir les plus grandes
-espérances de fortune. Il n’y a que le peuple
-qui sache choisir ses magistrats intègres et
-courageux, et ce fut la cour qui se chargea
-de ce choix. Il fallut apprendre à mendier
-la protection des grands, et elle fut plus
-utile que la probité et la connoissance des
-lois, pour parvenir aux dignités de la magistrature.
-Il est certain que sous le règne de
-Charles VIII elles étoient déjà l’objet d’un
-commerce<a name="FNanchor_298" id="FNanchor_298" href="#Footnote_298" class="fnanchor">[298]</a> secret. Les personnes puissantes
-de la cour remplirent le parlement
-d’hommes qui avoient acheté à prix d’argent
-ou par des bassesses, le droit de juger; et
-quel moyen restoit-il dès-lors à cette compagnie,
-pour s’emparer du pouvoir auquel elle
-aspiroit?</p>
-
-<p>Ces abus multipliés donnèrent naissance
-à la vénalité publique des offices, qui
-augmenta la corruption et par conséquent
-l’avilissement où la magistrature devoit tomber.
-Croyez, disoit le premier président Guillard
-à François I, «que ceux qui auront si cher
-acheté la justice la vendront, et ne sera
-cautelle ni malice qu’ils ne trouvent.» Il
-n’y a point de milieu pour les juges; ils
-<span class="pagenum" id="Page_147">147</span>
-sont les membres les plus méprisables de
-la société, s’ils ne forcent pas le public à
-avoir pour eux l’estime la plus entière. Le
-parlement se remplit d’hommes inconnus,
-qui n’avoient souvent d’autre mérite que
-d’avoir amassé une grande fortune pour
-acheter des places que des hommes de bien
-ne regardent qu’en tremblant, et n’osent
-remplir que quand la voix publique les y
-appelle. Pour comble de scandale, ces magistrats
-prêtèrent serment qu’ils n’avoient pas
-acheté ces offices. Quelle confiance pouvoit-on
-prendre en des hommes qui s’étoient joués
-de ce que la religion et l’honneur ont de plus
-sacré; et leurs mains étoient-elles dignes de
-porter la balance et l’épée de la justice?</p>
-
-<p>On se rappelle avec douleur que dans un
-discours que le chancelier de l’Hôpital prononça
-au parlement, il reprochoit à la plupart
-des<a name="FNanchor_299" id="FNanchor_299" href="#Footnote_299" class="fnanchor">[299]</a> magistrats de s’ouvrir le chemin des
-honneurs, en trahissant leur devoir. Il se
-plaignoit que l’intégrité des juges fût devenue
-suspecte, et qu’on ne vît dans leur conduite
-que les vues d’un intérêt sordide et d’une
-ambition criminelle. Tous les jours, leur
-dit-il, vous augmentez vos honoraires et
-vous êtes divisés entre vous par les factions
-<span class="pagenum" id="Page_148">148</span>
-des princes et des seigneurs; ils se vantent
-de vous acheter à prix d’argent, et vous leur
-vendez votre amitié comme des courtisans.
-Vous prostituez votre dignité et vos services,
-jusqu’à devenir les agens et les intendans de
-quelques personnes dont vous tenez la vie et
-les biens dans vos mains.</p>
-
-<p>Sire, disoit Monluc<a name="FNanchor_300" id="FNanchor_300" href="#Footnote_300" class="fnanchor">[300]</a>, évêque de Valence,
-en opinant dans le conseil en présence des
-députés du parlement qui venoient faire des
-remontrances; les magistrats vous disent souvent
-qu’ils ne peuvent ni ne doivent, selon
-leur conscience, entériner les ordonnances
-qui leur sont envoyées; cependant, il arrive
-assez souvent qu’après s’être servis d’expressions
-si fermes et si vigoureuses, ils oublient
-bientôt le devoir de leur conscience, et
-accordent sur une simple lettre de jussion
-ce qu’ils avoient refusé. Or, je demande volontiers
-à ces magistrats ce que devient alors leur
-conscience?</p>
-
-<p>Les vices grossiers qui révoltoient la probité
-de l’Hôpital, choquoient depuis long-temps
-tout le monde; il n’y avoit personne
-en France qui n’eût fait cent fois les mêmes
-réflexions que Monluc; et la résistance du
-parlement n’étant qu’une espèce de routine
-<span class="pagenum" id="Page_149">149</span>
-dont on prévoyoit toujours l’issue, ne servoit
-qu’à le rendre importun à la cour, sans lui
-concilier l’estime de la nation. Dans cette
-situation critique, et après avoir fait cent
-expériences de sa foiblesse et de la supériorité
-du conseil, il devoit s’apercevoir qu’il ne
-feroit que des efforts inutiles pour s’emparer
-de la puissance publique; que les ministres
-ne cesseroient point de travailler à son abaissement;
-et que pour conserver un reste de
-considération et de crédit, il falloit retirer la
-nation de l’assoupissement auquel elle s’abandonnoit,
-et l’inviter à conserver ou plutôt à
-recouvrer sa liberté.</p>
-
-<p>Quelque peu éclairé qu’on fût en politique
-avant le règne de François I, la réflexion la
-plus simple suffisoit pour faire connoître qu’une
-nation est seule capable de protéger les lois;
-et que souvent même, quoiqu’elle se trouve en
-quelque sorte toute rassemblée par ses représentans
-dans des états-généraux, elle a bien
-de la peine à le faire avec succès. On voyoit
-alors, comme aujourd’hui, que peu de peuples
-avoient eu le bonheur de conserver leur
-liberté, et que ce n’étoit qu’en accumulant
-précautions sur précautions que les Français
-pouvoient résister au despotisme de la cour.
-<span class="pagenum" id="Page_150">150</span>
-Le parlement n’entrevit aucune de ces vérités;
-il ne connut ni sa situation ni celle de l’état.</p>
-
-<p>Il n’en faut point douter; quand, après avoir
-aliéné les cœurs de la nation, cette compagnie
-fut enfin persuadée qu’elle manquoit des forces
-nécessaires pour élever une puissance supérieure,
-ou du moins égale à celle du roi,
-elle prit la politique des grands pour le modèle
-de la sienne. Dans le déclin de leur grandeur,
-ils s’étoient rendus ministres de l’autorité royale
-pour être encore puissans. De même les magistrats
-du parlement, las de lutter sans succès
-contre le conseil, servirent son ambition dans
-l’espérance du même avantage. Ils crurent se
-rendre nécessaires en travaillant à faire oublier
-la nation, et formèrent le projet de partager
-avec les grands le droit de gouverner sous le
-nom du roi.</p>
-
-<p>Mais cette espèce d’aristocratie ne devoit-elle
-pas lui paroître contraire à tous les
-préjugés de la nation, et par conséquent
-impraticable? L’ancien gouvernement des fiefs,
-dont le souvenir étoit toujours précieux aux
-grands, leur rappeloit leur ancien état; ils
-conservoient encore dans leurs terres des
-restes<a name="FNanchor_301" id="FNanchor_301" href="#Footnote_301" class="fnanchor">[301]</a> de leur indépendance et de leur
-despotisme. Avec tant d’orgueil et de vanité,
-<span class="pagenum" id="Page_151">151</span>
-pouvoient-ils consentir à partager l’administration
-de l’autorité royale, avec des familles
-du tiers-état, qu’ils regardoient comme leurs
-affranchis? Quand la magistrature auroit été
-dès-lors un moyen de se glisser<a name="FNanchor_302" id="FNanchor_302" href="#Footnote_302" class="fnanchor">[302]</a> dans
-l’ordre de la noblesse, le parlement y auroit
-peu gagné: on sait le mépris que la grande
-noblesse a toujours eu pour les anoblis. L’autorité
-dont les grands étoient déjà en possession,
-la partie brillante d’administration dont
-ils étoient chargés, l’orgueil des titres, les
-charges de la couronne, les gouvernemens
-des provinces, le commandement des armées,
-la familiarité du prince, tout concouroit à la
-fois à éblouir et tromper l’imagination du
-peuple; qui ne voyant rien de cet éclat dans
-les magistrats, auroit lui-même été assez
-stupide pour trouver mauvais qu’ils eussent
-voulu marcher d’un pas égal avec les grands et
-partager le droit de gouverner.</p>
-
-<p>Tant que les grands furent assez puissans
-pour se faire regarder comme les ministres
-nécessaires de l’autorité royale, l’ambition du
-parlement ne put avoir aucun succès. La
-pompe des lits de justice qui flattoit sa vanité,
-et lui persuadoit qu’il avoit part au gouvernement,
-n’auroit dû que lui faire sentir sa
-<span class="pagenum" id="Page_152">152</span>
-foiblesse; mais quand, sous le règne de
-François I, les grands furent enfin écrasés
-par la puissance même qu’ils avoient donnée
-au roi, et l’avilissement où ils avoient jeté
-la nation, le parlement n’auroit-il pas dû
-ouvrir les yeux? Il devoit voir manifestement
-que toutes ses espérances étoient renversées;
-qu’on ne l’écrasoit pas, parce qu’on le
-craignoit peu; et que quand, par le secours
-de quelque événement favorable, il parviendroit
-à partager avec le roi la puissance
-publique, il auroit bientôt le même sort
-que les grands. Le roi s’étoit servi des jalousies
-qui régnoient entre les grands pour les
-asservir tous à sa volonté et en faire des courtisans;
-et il n’étoit pas moins aisé de se servir
-des mêmes jalousies qui divisoient tous les
-ordres de l’état, pour opprimer un corps
-qui refuseroit d’obéir. Par quel prestige peut-on
-se flatter d’être puissant dans une nation
-où il n’y a plus de liberté? Cependant, en
-voyant l’extrême dépendance où François I
-tenoit les grands, le parlement regarda leur
-décadence comme un obstacle de moins à
-son ambition.</p>
-
-<p>C’étoit alors, s’il eût aimé véritablement
-le bien public, ou ménagé ses intérêts avec
-<span class="pagenum" id="Page_153">153</span>
-habileté, qu’il devoit se servir d’un reste de
-crédit prêt à s’échapper de ses mains, pour
-émouvoir les différens ordres de l’état, les
-réunir et les appeler à son secours. Quand
-on lui portoit des édits pour établir quelques
-nouvelles impositions, il auroit dû se rappeler
-les anciens principes de Comines qui n’étoient
-pas entièrement oubliés. Il devoit représenter
-au conseil que le consentement seul de la
-nation pouvoit légitimer l’établissement et la
-levée des impôts; et que des magistrats trahiroient
-leur devoir, si, par un enregistrement
-inutile, ils paroissoient s’attribuer un droit
-qui ne leur appartient pas. Il falloit alors
-demander généreusement la convocation des
-états-généraux. Mais le parlement vit, au
-contraire, avec plaisir qu’on lui fournissoit
-une occasion d’établir son pouvoir, et de se
-mettre à la place de ces assemblées nationales
-qu’il haïssoit, parce qu’il en avoit éprouvé
-autrefois et qu’il en méritoit encore la censure.
-Il ne s’aperçut pas du piége qu’on lui
-tendoit. Il crut qu’on lui donnoit une marque
-de considération; et il auroit dû sentir qu’on
-ne recouroit à lui préférablement aux états-généraux
-que parce qu’on le craignoit moins;
-et que le conseil étoit bien aise de lui voir
-<span class="pagenum" id="Page_154">154</span>
-usurper un droit ou un pouvoir dont il ne
-pourroit user, sans s’exposer à le perdre ou à
-se déshonorer aux yeux du public.</p>
-
-<p>Cette usurpation sur les droits de la nation
-ne fut point une erreur qu’il faille attribuer
-à l’ignorance ou à une inconsidération passagère.
-Le parlement savoit que les édits qui
-ne regardent pas l’administration de la justice
-et le domaine du roi, n’étoient point
-soumis à son inspection; et le président de
-Saint-André en faisoit encore l’aveu<a name="FNanchor_303" id="FNanchor_303" href="#Footnote_303" class="fnanchor">[303]</a>,
-en répondant au nom du parlement à un
-discours du chancelier de l’Hôpital. Il étoit
-si bien instruit qu’il exerçoit un pouvoir qui
-ne lui appartenoit pas, qu’il ne manquoit
-point d’exprimer dans l’enregistrement des
-édits bursaux, qu’il ne les entérinoit qu’autant
-que le domaine du roi y étoit intéressé.
-Ainsi pour justifier, s’il étoit possible, son
-injustice, le parlement s’accoutumoit à croire
-que le droit d’établir des impôts est dans le
-prince un droit domanial. N’étoit-ce pas faire
-entendre que le patrimoine des particuliers
-forme une partie des domaines de la couronne?
-N’étoit-ce pas attaquer le droit de
-propriété? Qu’importe d’être le propriétaire
-du fonds, si on n’est pas le maître des fruits?</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_155">155</span>
-Je n’entrerai point dans le détail des imprudences
-qu’on peut reprocher au parlement.
-Sans s’être formé un plan de conduite, ni
-un objet fixe, tandis qu’il ne songeoit qu’à
-étendre et multiplier ses prérogatives, tantôt
-aux dépens du roi et tantôt aux dépens de
-la nation, il ne songea jamais à se faire des
-amis qui le protégeassent. Il eut l’imprudence
-de choquer et d’irriter à la fois l’orgueil des
-grands avec lesquels il prétendoit s’égaler,
-et la vanité du tiers-état avec lequel il ne
-voulut plus être confondu. Puisqu’il ne pouvoit
-être puissant et jouir de sa puissance,
-qu’en s’opposant aux entreprises du conseil,
-et qu’en vertu de son enregistrement; puisqu’il
-croyoit avoir le droit de résistance que
-les lois romaines donnèrent aux tribuns après
-la retraite du peuple sur le Mont-Sacré, il
-devoit donc avoir la conduite de ces magistrats.
-Vit-on jamais les tribuns, pour augmenter
-leur pouvoir, chercher à s’unir au sénat,
-et dédaigner de confondre leurs intérêts avec
-ceux du peuple?</p>
-
-<p>Dans la célèbre assemblée des notables que
-tint François I pour délibérer sur l’exécution
-du traité de Madrid, il y appela des magistrats
-de tous les parlemens de province. Les différens
-<span class="pagenum" id="Page_156">156</span>
-ordres délibérèrent et donnèrent leur avis
-à part; c’étoit une occasion décisive pour
-gagner l’affection du tiers-état; mais les magistrats
-ne balancèrent pas à former un corps<a name="FNanchor_304" id="FNanchor_304" href="#Footnote_304" class="fnanchor">[304]</a>
-distingué de la commune de Paris. Cette
-séparation des ordres parut encore plus frappante
-dans l’assemblée des notables<a name="FNanchor_305" id="FNanchor_305" href="#Footnote_305" class="fnanchor">[305]</a> tenue
-au parlement après la malheureuse bataille
-de Saint-Quentin. Les députés des cours souveraines
-formèrent encore un ordre à part
-entre la noblesse et le tiers-état; et, tant la
-vanité est aveugle! les gens de robe sollicitèrent
-cette prétendue grâce, et regardent
-encore aujourd’hui comme une faveur cette
-séparation qui les avilissoit, et que le gouvernement
-étoit bien aise de leur accorder.
-Les magistrats n’obtenant point l’égalité avec
-la noblesse, constatèrent seulement leur infériorité
-dans l’ordre politique; ils n’eurent
-point la considération qu’ils auroient nécessairement
-acquise, en paroissant les députés,
-les représentans et les chefs d’un ordre qui,
-par la nature des choses, est le plus puissant
-quand il connoît ses forces, et qui les connoîtra
-toujours quand des magistrats l’inviteront
-à les connoître. Le parlement rejeté par
-la noblesse qui ne vouloit pas l’admettre dans
-<span class="pagenum" id="Page_157">157</span>
-son corps, séparé du peuple par sa vanité,
-et depuis long-temps ennemi du clergé, dont
-il attaquoit sans cesse la juridiction, sous
-prétexte de défendre les libertés de l’église
-Gallicane, devoit donc être le jouet de l’autorité
-royale.</p>
-
-<p>Dans cet état de foiblesse, le parlement de
-Paris mit le comble à son imprudence, en
-séparant ses intérêts de ceux des parlemens
-de province. Il ne comprit pas combien il
-lui importoit de les faire respecter, et que tout
-ce qui dégraderoit leur dignité, aviliroit la
-sienne.</p>
-
-<p>Il faut se rappeler que les justices seigneuriales
-ayant perdu leur souveraineté par l’établissement
-des appels, on étoit obligé de
-recourir à la cour du roi, du fond de toutes
-les provinces. Pour que les plaideurs ne fussent
-pas toujours errans à la suite de la justice, et
-que la cour ne fût pas elle-même incommodée
-de cette foule de praticiens, de solliciteurs et
-de plaideurs qui l’accompagnoit, il fallut fixer
-les plaids de la justice du roi dans un lieu
-déterminé, et c’est ce qu’exécuta Philippe-le-Bel,
-en rendant le parlement sédentaire à
-Paris. Cette première disposition en préparoit
-une seconde qui ne seroit pas moins utile
-<span class="pagenum" id="Page_158">158</span>
-au public. Le même prince sentit l’avantage
-de partager sa cour de justice en deux branches,
-afin que, présente à la fois à Paris et à Toulouse,
-les citoyens des provinces méridionales
-ne se consumassent pas en frais pour venir
-suivre dans la capitale les appels qu’ils avoient
-interjetés des jugemens rendus dans leurs bailliages.
-C’étoit imiter la conduite de Charlemagne,
-qui avoit envoyé autrefois des<a name="FNanchor_306" id="FNanchor_306" href="#Footnote_306" class="fnanchor">[306]</a>
-commissaires dans les provinces, pour y remplir
-les fonctions de la cour qui étoit à la
-suite de sa personne. Quelque sage que fût
-cet établissement de Philippe-le-Bel, il fallut
-le révoquer, et, sans en rechercher ici les
-raisons, je me contenterai de dire que ce ne
-fut qu’après avoir été cassé et rétabli à différentes
-reprises, que le parlement de Toulouse
-reçut enfin de Charles VII une résidence fixe.</p>
-
-<p>L’utilité de cet établissement invita les successeurs
-de ce prince à créer divers autres
-parlemens, en faveur de quelques provinces.
-Il est évident que tous ces tribunaux n’étant
-tous que des portions de la justice souveraine
-du roi, ne formoient tous qu’un seul
-et même corps. Charles VII avoit invité le
-parlement de Paris et le parlement de Toulouse
-à être étroitement<a name="FNanchor_307" id="FNanchor_307" href="#Footnote_307" class="fnanchor">[307]</a> unis, et les
-<span class="pagenum" id="Page_159">159</span>
-magistrats de ces deux compagnies devoient
-avoir indifféremment séance et voix délibérative
-dans l’une et dans l’autre. Les rois,
-en érigeant différens parlemens, avoient déclaré
-qu’ils avoient tous la même autorité, et
-qu’ils jouiroient des mêmes prérogatives. Cependant
-le parlement de Paris, qui devoit
-regarder ces nouveaux tribunaux comme des
-portions de lui-même, qui serviroient à
-étendre son pouvoir et son crédit, eut l’orgueil
-d’une métropole, et affecta une supériorité
-offensante sur ces colonies. Peut-être
-fut-il indigné de ne plus voir tout le royaume
-dans son ressort et les plaideurs de toutes
-les provinces ne plus contribuer à sa fortune.
-Voilà peut-être la première cause d’une désunion
-funeste à la magistrature. Quoi qu’il en
-soit, le parlement de Paris, fier du titre de
-cour<a name="FNanchor_308" id="FNanchor_308" href="#Footnote_308" class="fnanchor">[308]</a> des pairs, dont il se crut seul honoré
-et de la relation plus étroite qu’il avoit avec
-le gouvernement, dédaigna de fraterniser avec
-les parlemens de province, ne permit point à
-leurs membres de prendre séance dans ses
-assemblées, et ne les regarda que comme
-des espèces de bailliages qui avoient le privilége
-de juger souverainement.</p>
-
-<p>Ce n’est que dans ces derniers temps que le
-<span class="pagenum" id="Page_160">160</span>
-parlement de Paris a connu sa faute, et que
-pour opposer des forces plus considérables au
-gouvernement et au clergé, il a senti la nécessité
-de s’associer les autres parlemens<a name="FNanchor_309" id="FNanchor_309" href="#Footnote_309" class="fnanchor">[309]</a>, en
-ne se regardant tous que comme les membres
-différens d’un même corps. Mais sa politique
-a bientôt été sacrifiée à sa vanité. A peine
-jouissoit-il du crédit que lui donnoit sa confédération
-qu’il le perdit, et rompit l’union pour
-conserver sa dignité frivole de cour des pairs.
-Il craignit que si les autres parlemens osoient
-informer contre un pair et le décréter, ils
-ne se crussent bientôt assez importans pour
-le juger.</p>
-
-<p>Par sa nature, le parlement devoit avoir
-une compétence sans bornes, et cependant il
-avoit vu former différens tribunaux qui la
-limitoient, comme la création des parlemens
-de province avoient limité son ressort. L’élection
-des cours des aides et du grand conseil
-lui parut un attentat contre son autorité. Il
-craignit que des corps formés à ses dépens,
-et qui jugeoient souverainement, ne voulussent
-en quelque sorte, affecter avec lui la même
-égalité que la chambre<a name="FNanchor_310" id="FNanchor_310" href="#Footnote_310" class="fnanchor">[310]</a> des comptes prétendoit
-avoir. Il est certain que le parlement
-de Paris ne pouvoit rien faire de plus utile
-<span class="pagenum" id="Page_161">161</span>
-à ses intérêts, que de former un seul corps
-de toute la magistrature du royaume. De ces
-forces réunies, il se seroit formé une masse
-de puissance assez considérable pour donner
-quelque sorte de consistance aux lois, et forcer
-le gouvernement à se faire quelques règles.
-Mais le parlement se laissa gouverner par cet
-esprit de dédain et de mépris, que les Français
-en général, étoient accoutumés d’avoir pour
-leurs inférieurs, et qui a été également funeste
-au clergé, à la noblesse et aux simples citoyens.</p>
-
-<p>Après avoir aliéné tous les esprits, choqué
-et insulté tous les ordres de l’état, si le parlement
-n’avoit pas fait de temps en temps quelques
-efforts pour s’opposer à l’établissement
-des nouveaux impôts, et montré par occasion
-quelques maximes estimables, ou une fermeté
-momentanée contre les entreprises du ministère,
-il y a long-temps qu’il ne jouiroit d’aucune
-considération auprès du public. Quelques
-disgraces et quelques exils que le parlement a
-paru supporter avec courage, ont fait perdre
-le fil de sa conduite et oublier qu’il a plus
-contribué que les grands mêmes à faire proscrire
-l’usage des états-généraux, sans lesquels
-il ne peut y avoir de liberté ni de lois respectées.
-On lui sait gré des remontrances impuissantes
-<span class="pagenum" id="Page_162">162</span>
-et du manége puéril qu’il emploie pour
-empêcher le mal; on le regarde comme une
-planche après le naufrage, sans songer qu’il
-a été lui-même une des principales causes du
-naufrage. Parce qu’il offre le spectacle toujours
-répété d’une résistance toujours inutile, on
-espère qu’il parviendra enfin à empêcher le
-mal, et notre inconsidération éternelle nous
-empêche de juger de l’avenir par le passé.</p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="pagenum" id="Page_163">163</div>
-
-<hr class="full" />
-
-<h3>CHAPITRE IV.</h3>
-
-<p class="hang"><i>Règne de Henri II et de François II.&mdash;Les
-changemens survenus dans la religion préparent
-une révolution, et contribuent à rendre aux
-grands le pouvoir qu’ils avoient perdu.</i></p>
-
-<p class="first"><span class="smcap">En</span> profitant de l’ambition et de la jalousie
-qui divisoient les grands, François I avoit
-joui de l’autorité la plus absolue. De nouvelles
-circonstances préparoient les Français à prendre
-un génie nouveau et conforme à leur gouvernement.
-J’ai rendu compte de l’art que ce
-prince employa pour rendre ses sujets dociles;
-des délateurs honorés et protégés l’instruisoient
-de l’état de toutes les provinces; mais ce qui
-contribua principalement à tenir les ordres
-du royaume dans la soumission, ce fut le
-soin qu’il eut de ne confier l’exercice de sa
-puissance qu’à des personnes qui ne pouvoient
-la tourner contre lui, et d’humilier ou disgracier
-les grands qui lui faisoient ombrage,
-avant qu’ils eussent acquis assez de crédit pour
-se rendre dangereux. Le dernier conseil qu’il
-donna à son fils, fut de se défier de la maison
-de Guise, qui, par ses talens et son courage,
-<span class="pagenum" id="Page_164">164</span>
-sembloit aspirer à une grandeur suspecte dans
-une monarchie. En appliquant ce précepte
-à toutes les maisons qui deviendroient trop
-considérables, en les abaissant, en les élevant
-tour à tour, Henri II auroit eu toute la politique
-désormais nécessaire à un roi de
-France, pour retenir sans peine toute l’autorité
-dans ses mains. Le parlement pouvoit
-<ins title="embarasser">embarrasser</ins> et gêner le gouvernement, mais on
-connoissoit sa foiblesse, et il ne donnoit
-aucune inquiétude réelle.</p>
-
-<p>Un gouvernement qui n’avoit besoin que
-de si peu d’art pour se maintenir, ne devoit,
-ce semble, éprouver aucune révolution. Quelque
-simple cependant que fût cet art, il faut
-s’attendre que la fortune placera tôt ou tard
-sur le trône quelque prince qui ne sera pas
-même capable de la légère attention qu’il
-demande. Tel fut Henri II, arbitre souverain
-de la fortune de ses courtisans, entouré de
-flatteurs et d’esclaves, ce prince ne vit que sa
-cour; embarrassé de son autorité, dont le poids
-écrasoit tout, il étoit bien éloigné de penser
-qu’il dût prendre quelque précaution pour
-la conserver et la laisser à ses enfans telle
-qu’il l’avoit reçue de son père: il ne s’occupa
-<span class="pagenum" id="Page_165">165</span>
-que de ses plaisirs, et abandonna les rênes
-du gouvernement à une maîtresse et à ses
-favoris. A mesure qu’on s’aperçut que le
-prince, incapable d’agir par lui-même, négligeoit
-davantage les soins de l’administration,
-les passions, auparavant réprimées,
-prirent un nouveau degré de force. Tandis
-que les Guises exerçoient seuls l’autorité royale
-en gouvernant la duchesse de Valentinois, la
-maison de Bourbon, qui n’avoit éprouvé que
-des dégoûts depuis la révolte de son chef,
-souffrit plus impatiemment sa disgrace en
-voyant qu’elle n’étoit plus que l’ouvrage d’une
-maîtresse et de ses favoris.</p>
-
-<p>Cette fermentation dans les esprits, qui
-auroit autrefois produit des troubles dans tout
-le royaume et allumé une guerre du bien public,
-se borna à lier entre les courtisans quelques
-intrigues, qui ne causèrent même aucune
-révolution dans la faveur; car, par une suite
-même de la foiblesse de son caractère, Henri
-étoit incapable de prendre la résolution de
-renvoyer les personnes à qui il avoit donné
-sa confiance. Ce prince mourut, et les Guises,
-qui avoient fait épouser la reine d’Ecosse à
-son jeune successeur, furent plus puissans
-<span class="pagenum" id="Page_166">166</span>
-qu’ils ne l’avoient encore été. Tandis qu’ils
-disgracioient, exiloient et perdoient tous ceux
-qui leur faisoient ombrage, ou qui ne se hâtoient
-pas de demander leur faveur, il n’y eut de
-fortune que pour leurs créatures, et elles occupèrent
-les places les plus importantes à la
-cour, dans la capitale et dans les provinces.
-Par un seul trait qu’on auroit de la peine à
-croire, s’il n’étoit consigné dans les monumens
-les plus sûrs de notre histoire, qu’on juge
-de l’avilissement où la nation étoit tombée,
-et des périls dont François II étoit menacé
-de la part des ministres de son autorité. Il
-s’étoit rendu à Fontainebleau un grand nombre
-de personnes pour solliciter le paiement de
-ce qui leur étoit dû, ou demander des grâces
-qu’elles croyoient mériter. Les Guises, las de répondre
-à tant de sollicitations qui les gênoient,
-firent dresser des gibets, et publier une ordonnance
-qui enjoignoit à toutes ces personnes
-de sortir de Fontainebleau en vingt-quatre
-heures, sous peine d’être pendues.</p>
-
-<p>On croyoit voir revivre l’ancienne mairie
-du palais, et vraisemblablement les Guises,
-à force de répandre la crainte, l’espérance
-et les bienfaits, auroient eu le même pouvoir
-<span class="pagenum" id="Page_167">167</span>
-que les Pepins, si François II, qui ne fit en
-quelque sorte que paroître sur le trône, eût
-régné assez long-temps pour qu’ils pussent
-affermir leur fortune, et en maniant l’autorité
-royale, se faire une autorité propre et personnelle.
-Il est sûr du moins qu’à la mort
-de François II, ils ne tombèrent point dans
-le néant qui attendoit des ministres chargés
-de la haine publique, qui avoient perdu leur
-protecteur, et qui voyoient leurs ennemis à
-la tête de leur gouvernement. Ils se soutinrent
-par leurs propres forces, et la régente, veuve
-de Henri II et mère du nouveau roi, qui les
-craignoit, fut obligée de les ménager.</p>
-
-<p>Quoiqu’il en soit des ressources qui restoient
-aux Guises pour se faire respecter, et des
-talens qui rendoient l’ambition du prince
-de Condé si agissante et si redoutable, le
-temps, les événemens, les mœurs, les lois
-et l’habitude avoient tellement affermi la
-monarchie, que tous auroient été contraints
-de plier également sous l’autorité royale,
-malgré l’enfance du roi et l’incapacité de sa
-mère pour les affaires, si les changemens
-survenus dans la religion n’avoient dérangé
-les ressorts du gouvernement, mis les grands
-<span class="pagenum" id="Page_168">168</span>
-à portée de se faire craindre, et d’établir leur
-fortune par d’autres voies que celles de la
-flatterie et de l’abaissement.</p>
-
-<p>Il faut se rappeler que le calvinisme à sa
-naissance avoit fait des progrès si rapides,
-que dans les instructions que le parlement
-envoya à la régente après la bataille de Pavie,
-il demandoit que les novateurs, dont le nombre
-et la doctrine l’effrayoient, fussent sévèrement
-punis et réprimés. Je sais, pour le dire en
-passant, qu’on a souvent blâmé le gouvernement
-d’avoir pris part aux disputes théologiques
-et d’en avoir fait des affaires d’état;
-mais, sans doute, on n’a pas fait attention au
-pouvoir de la religion sur l’esprit des citoyens,
-et que ce n’est que chez un peuple assez sage
-et assez éclairé pour savoir qu’il doit être
-permis à tout homme d’honorer Dieu selon
-les lumières de sa conscience, que la diversité
-du culte et des opinions religieuses ne causera
-aucun trouble. Par-tout ailleurs, elle excitera
-des querelles dont l’ambition se servira pour
-allumer des dissensions funestes, et ébranler
-les principes du gouvernement. Les questions
-agitées par Luther et Calvin n’étoient pas de
-ces questions abstraites et métaphysiques,
-<span class="pagenum" id="Page_169">169</span>
-qui ne peuvent intéresser que des théologiens
-oisifs. On attaquoit le culte journalier et sensible
-de la religion et les dogmes qui lui sont
-le plus précieux; comment donc auroit-il été
-prudent au gouvernement de voir avec indifférence
-les progrès d’une doctrine que des
-personnes de tout état embrassoient? L’auroit-il
-pu quand il l’auroit voulu? Le clergé,
-corps puissant dans l’ordre de la politique,
-étoit menacé de la perte de ses richesses et
-de son autorité; il n’auroit pas gardé le silence;
-et dès qu’il se plaignoit, le gouvernement
-étoit forcé de prendre part aux querelles de
-religion.</p>
-
-<p>Quoiqu’il en soit, on ne s’aperçut du
-mal que quand il n’étoit plus temps d’en
-arrêter le cours; et le gouvernement, qui
-ne devoit songer alors qu’à établir la tolérance,
-et employer les moyens les plus doux
-pour ramener les novateurs dans le sein de
-l’église, et retenir les catholiques dans la
-religion de leurs pères, prit le parti barbare
-et insensé de poursuivre les réformés comme
-des criminels, et de hâter ainsi les progrès
-du mal qu’il vouloit prévenir. On fit mourir
-un grand nombre de Calvinistes, à qui on
-<span class="pagenum" id="Page_170">170</span>
-n’avoit d’autre crime à reprocher que leur
-religion. Des hommes qui renoncent au culte
-dans lequel ils ont été élevés, pour en prendre
-un nouveau, ne sont point effrayés du martyre.
-Les réformés, jaloux dans leur première ferveur
-de rappeler les vertus de la primitive église,
-bénissoient, comme les premiers chrétiens,
-la main qui les punissoit; ils s’applaudissoient
-du sacrifice de leur vie qu’ils offroient à Dieu,
-et le remercioient de la grâce qu’il leur faisoit
-d’éprouver leur foi.</p>
-
-<p>Les nouvelles sectes flattent toujours le
-gouvernement, pour mériter sa protection, ou
-du moins sa tolérance; ainsi les novateurs,
-sans se plaindre de François I, n’accusoient
-que le cardinal de Tournon et le clergé des
-persécutions qu’on leur faisoit éprouver; et,
-dans l’ardeur de leur fanatisme, ils n’étoient
-peut-être pas fâchés d’avoir ce reproche de
-plus à faire aux prélats de l’église Romaine.
-Mais leur foi dut commencer à être un peu
-moins patiente, quand ils virent qu’ils étoient
-sacrifiés à la cupidité de la duchesse de Valentinois<a name="FNanchor_311" id="FNanchor_311" href="#Footnote_311" class="fnanchor">[311]</a>
-et du duc de Guise, qui avoient
-obtenu la confiscation des biens de tous ceux
-qui seroient punis pour cause de religion.
-<span class="pagenum" id="Page_171">171</span>
-L’une n’étoit qu’avare, et l’autre songeoit
-déjà à faire naître les troubles dont un ambitieux
-qui sent ses talens, a besoin dans une
-monarchie pour établir sa fortune. Le royaume
-fut plein de leurs émissaires, qui, par des informations
-secrètes et souvent calomnieuses,
-mirent à une nouvelle épreuve la foi et la
-résignation des réformés aux ordres de Dieu.
-Henri leur fit trop de mal pour ne les pas
-craindre, et dès qu’il les craignit, il voulut
-les exterminer. On rejeta les sages remontrances<a name="FNanchor_312" id="FNanchor_312" href="#Footnote_312" class="fnanchor">[312]</a>
-que fit alors le parlement. Puisque
-tant de supplices, disoit-il, n’ont point servi
-jusqu’ici à suspendre les progrès de l’erreur,
-il nous a paru conforme aux règles de l’équité
-et de la droite raison, de marcher sur les traces
-de l’ancienne église, qui n’a pas employé le fer
-et le feu pour établir et étendre la religion. C’est
-en présentant la vérité avec constance et avec
-charité que les apôtres ont persuadé; c’est en
-édifiant par les vertus d’une vie sainte et
-exemplaire que les évêques ont autrefois affermi
-et étendu la religion. Que pouvons-nous
-espérer en répandant des fleuves de
-sang? L’aveuglement opiniâtre des novateurs
-ébranle et séduit les catholiques peu instruits.
-<span class="pagenum" id="Page_172">172</span>
-Nous croyons donc qu’on doit entièrement
-s’appliquer à conserver la religion par les
-mêmes moyens qu’elle a été établie et qu’elle
-a fleuri.</p>
-
-<p>Pour rendre sa haine contre les novateurs
-plus éclatante, Henri tint un lit de justice
-au parlement, et y déclara qu’il avoit pris
-la résolution de se servir de toute son autorité
-pour extirper de son royaume une hérésie
-qui méprisoit tout ce que la religion a de
-plus sacré. Quelques magistrats, dont la doctrine
-étoit suspecte, parlèrent en gens de bien;
-les uns furent arrêtés, les autres n’évitèrent
-la prison qu’en se cachant, et le reste du
-parlement, intimidé ou gagné par le duc de
-Guise, renonça à cet esprit de douceur et
-de conciliation que respiroient ses dernières
-remontrances, et que dans la suite le chancelier
-de l’Hôpital ne put jamais faire revivre.</p>
-
-<p>Quoiqu’une pareille conduite annonçât aux
-réformés la persécution la plus cruelle, rien
-n’indique cependant qu’en voyant dresser des
-échafauds et allumer des bûchers, ils songeassent
-à se réunir pour repousser l’injustice par la
-force. S’ils s’armèrent d’une nouvelle patience,
-ce n’est pas qu’ils ne crussent avoir le même
-<span class="pagenum" id="Page_173">173</span>
-droit que les Luthériens d’Allemagne de s’opposer
-à l’oppression, et qu’ils les blâmassent
-d’avoir pris les armes; mais la prudence leur
-prescrivoit une politique différente. Le gouvernement
-de l’Empire invitoit les novateurs
-Allemands à avoir plus de zèle que de patience.
-Ayant à leur tête quelques princes puissans,
-dont les forces pouvoient les protéger efficacement
-contre la maison d’Autriche, il étoit
-naturel qu’ils se dégoûtassent de la douceur
-et de la gloire du martyre plus promptement
-que les réformés Français, qui, étant dispersés
-dans un royaume où aucun grand ne pouvoit
-les défendre contre le roi, ne trouvoient
-aucun point de ralliement.</p>
-
-<p>Il fallut le concours de plusieurs circonstances
-étrangères au gouvernement pour persuader
-enfin aux Calvinistes que Dieu avoit
-besoin de leurs bras pour défendre la vérité.
-Quelque ambitieux et quelque entreprenant
-que fût le prince de Condé, jamais l’amiral
-de Coligny n’auroit approuvé son projet de
-secouer le joug des Guises et de les perdre
-par une conjuration, s’il n’avoit pu lui conseiller
-en même temps de chercher un secours
-auprès des réformés et d’unir leur cause à la
-<span class="pagenum" id="Page_174">174</span>
-sienne. Jamais les réformés, de leur côté, n’auroient
-pensé à se révolter, s’ils n’y avoient été
-invités par un prince qui leur promettoit sa protection,
-et qu’ils mettoient en état de se faire
-craindre. Quoique le calvinisme commençât à
-former un parti puissant, on ne fit cependant
-pas des projets de guerre et des plans de
-campagne. On respecta l’autorité de François
-II; c’étoit pour le délivrer de la tyrannie des
-Guises, qu’on devoit surprendre la cour à
-Amboise. Le seul objet des Calvinistes étoit
-de se défaire des auteurs de tous leurs maux,
-et celui du prince de Condé de s’emparer du
-pouvoir qu’ils exerçoient sous le nom du roi.</p>
-
-<p>Tout le monde sait que la conjuration
-d’Amboise n’eut pas le succès que les conjurés
-en attendoient; et si les Guises avoient eu
-le temps de perdre les chefs de ce parti, il
-est vraisemblable que le gouvernement n’auroit
-reçu aucune secousse. Les réformés, dispersés
-et sans chefs, n’auroient plus songé à
-se révolter, ou leurs émeutes réprimées en
-naissant par un gouvernement tout-puissant,
-n’auroient point allumé de véritables guerres.
-Mais François II mourut avant que les Guises
-se fussent vengés. Le prince de Condé, déjà
-<span class="pagenum" id="Page_175">175</span>
-condamné à perdre la tête sur un échafaud,
-est bientôt déclaré innocent. Il se forme un
-nouvel ordre de choses, et sans que le gouvernement
-eût souffert en apparence aucune
-altération, ses ressorts étoient cependant
-brisés; et la politique avec laquelle François I
-avoit gouverné impérieusement, ne suffisoit
-plus à Catherine de Médicis pour faire respecter
-sa régence et le nom de Charles IX.</p>
-
-<p>On s’aperçoit sans doute que le prince de
-Condé, se trouvant désormais à la tête des réformés,
-que la conjuration d’Amboise avoit
-réunis en un corps, et qui n’avoient plus la
-soif du martyre, eût entre les mains des
-forces infiniment plus considérables qu’aucun
-seigneur n’en avoit eu depuis le règne de
-Charles VIII; il pouvoit se faire craindre de
-la régente, lui imposer des lois, la forcer
-d’acheter son obéissance; ou il étoit mécontent,
-il n’étoit plus condamné, comme
-le connétable de Bourbon, à porter son ressentiment
-et sa vengeance dans le pays
-étranger. L’inclination des Français à la docilité
-étoit dérangée, et le fanatisme étoit
-propre à leur rendre un courage et une confiance
-qu’ils n’avoient plus depuis longtemps.
-<span class="pagenum" id="Page_176">176</span>
-L’ambition des courtisans devoit avoir plus
-de noblesse; leurs projets devoient être plus
-grands et plus hardis, et il s’ouvroit d’autres
-voies à la fortune que celles qu’ils avoient
-connues sous les règnes précédens.</p>
-
-<p>Guise étoit trop habile pour ne pas voir
-tout l’avantage que le prince de Condé son
-ennemi avoit sur lui: ce génie vaste et profond
-se porta dans l’avenir; il vit que les
-fondemens ébranlés de la monarchie et de
-l’obéissance étoient prêts à s’écrouler, et que
-d’autres temps et d’autres soins demandoient
-de lui une autre conduite. En jugeant que
-le prince de Condé ne seroit pas impunément
-à la tête d’un parti puissant, persécuté et
-répandu dans toutes les provinces, il se vit
-réduit à la triste humiliation de faire encore
-sa cour comme on la faisoit à François I;
-tandis que son ennemi parleroit en maître, et
-n’obtiendroit pas, mais prendroit des grâces.
-Guise étoit perdu, s’il ne formoit pas un
-parti. Accoutumé à manier l’autorité royale
-sous deux rois, il ne fut point effrayé du nom
-de Charles IX: la régente Catherine de Médicis
-ne lui paroissoit qu’une intrigante, incapable
-de se faire respecter. L’état étoit divisé dans
-<span class="pagenum" id="Page_177">177</span>
-son culte. Les deux religions montroient l’une
-contre l’autre la haine la plus emportée. Plus
-les réformés avoient conçu de hautes espérances
-en voyant à leur tête le prince de Condé,
-et que le roi de Navarre son frère étoit revêtu
-de la lieutenance générale du royaume, plus
-les zélés catholiques se défioient du gouvernement,
-et souhaitoient qu’on se hâtat de perdre
-ou de persécuter leurs ennemis.</p>
-
-<p>Quelle que fût la conduite du gouvernement
-à l’égard des deux religions, il étoit aisé de
-le rendre odieux ou du moins suspect; et
-Guise jugea qu’il devoit se mettre à la tête
-des catholiques zélés que la régente ne pouvoit
-jamais contenter, comme le prince de Condé
-étoit à celle des réformés qui croiroient n’avoir
-jamais obtenu assez de priviléges. Jusqu’alors
-il n’avoit peut-être montré tant de zèle pour
-l’ancienne religion, que dans la vue de satisfaire
-l’avarice de la duchesse de Valentinois,
-et d’enrichir ses créatures. Après la mort de
-François II, il ne chercha qu’à s’attacher les
-évêques, et à fixer sur lui les yeux des catholiques;
-de sorte qu’ils le regardassent comme
-leur chef et leur protecteur, quand le gouverneur
-se conduiroit avec quelque sorte de modération
-et de retenue à l’égard des novateurs.</p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="pagenum" id="Page_178">178</div>
-
-<hr class="full" />
-
-<h3>CHAPITRE V.</h3>
-
-<p class="hang"><i>Situation de la France sous les règnes de Charles
-IX et de Henri III.</i></p>
-
-<p class="first"><span class="smcap">Quelles</span> que fussent au commencement
-du règne de Charles IX, les haines et les
-forces des deux factions ennemies qui alloient
-diviser l’état, l’autorité absolue du roi étoit
-si bien établie dans l’opinion publique, et
-on étoit tellement accoutumé d’y obéir, que
-le prince de Condé et le duc de Guise, dans
-la crainte de soulever contre eux les esprits,
-étoient obligés de cacher leurs projets
-ambitieux, d’affecter la soumission la plus
-entière, et de feindre qu’ils ne songeoient qu’à
-défendre le roi contre ses ennemis. Si on croit
-le traité<a name="FNanchor_313" id="FNanchor_313" href="#Footnote_313" class="fnanchor">[313]</a> par lequel le duc de Guise, le
-connétable de Montmorency et le maréchal de
-St. André formèrent leur union qui fut appelée
-le triumvirat, Charles IX n’avoit point de
-serviteurs plus affectionnés qu’eux à son
-service. Le prince de Condé, en formant un
-parti par l’association des réformés les plus
-zélés pour leur culte, assuroit<a name="FNanchor_314" id="FNanchor_314" href="#Footnote_314" class="fnanchor">[314]</a> de même que
-<span class="pagenum" id="Page_179">179</span>
-son seul dessein étoit de maintenir l’honneur
-de Dieu, le repos du royaume et la liberté
-du roi sous la régence de sa mère. Cette ligue
-ne devoit subsister que jusqu’à la majorité
-de Charles, c’est-à-dire, jusqu’à ce qu’il prît
-en personne le gouvernement. Pour lors,
-disoient les associés, nous nous soumettrons
-avec plaisir aux premiers ordres qu’il nous
-donnera, comme nous nous soumettrions dès
-aujourd’hui à la volonté de la reine, si les
-ennemis de l’État lui permettoient de la faire
-connoître. Pour justifier les préparatifs de
-guerre et de révolte qui se faisoient de toutes
-parts, on feignoit de croire que la personne
-du roi étoit dans le plus grand danger, et
-chaque faction reprochoit à l’autre les projets
-et les attentats qu’elle méditoit elle-même.</p>
-
-<p>Pour préparer les esprits à voir avec moins
-d’étonnement les désordres que tout annonçoit,
-on publia des écrits qui rappeloient
-une doctrine que les règnes de Louis XII et
-de François I avoient fait oublier. Sans chercher
-à rendre odieuse la monarchie absolue,
-on établissoit le droit qu’avoient eu autrefois
-les grands de prendre part au gouvernement.
-Les princes du sang, les pairs et
-<span class="pagenum" id="Page_180">180</span>
-les grands officiers de la couronne, sont appelés
-les conseillers<a name="FNanchor_315" id="FNanchor_315" href="#Footnote_315" class="fnanchor">[315]</a> nés du roi. Aucune
-affaire importante ne peut être traitée ni réglée
-sans leur participation. La monarchie arbitraire
-de François I et de Henri II n’est déjà
-plus qu’une monarchie consultative; il s’élève
-une sorte d’aristocratie dont le roi n’est que
-le premier magistrat; et quand les grands
-prendront les armes, le peuple pourra croire
-que leur révolte est légitime, et qu’ils ne
-font que se défendre et rentrer en possession
-des droits dont ils avoient été injustement
-dépouillés.</p>
-
-<p>Peut-être que Médicis seroit encore parvenue
-à faire respecter l’autorité de son fils,
-ou du moins, à empêcher qu’elle ne tombât
-dans le dernier avilissement, si elle eût été
-capable de voir d’avance tout ce qu’elle devoit
-craindre du fanatisme des catholiques et des
-réformés; de connoître les intérêts et les forces
-des deux factions; et en renonçant à l’orgueil
-de commander impérieusement, de se
-faire une politique plus modeste et conforme
-à sa situation. Dès que le roi se présenteroit
-comme arbitre médiateur entre les deux partis,
-sans être en état de leur en imposer, et de les
-contenir par la force, il ne feroit que les
-<span class="pagenum" id="Page_181">181</span>
-instruire de sa foiblesse, les enhardir, s’avilir
-et se faire mépriser. Il étoit dur pour la veuve
-d’Henri II, et la mère de Charles IX, de
-se faire chef de faction pour n’être pas opprimée,
-mais les rois sont soumis à la nécessité
-comme le reste des hommes; et c’étoit
-le seul parti qui restât à Médicis.</p>
-
-<p>Il falloit d’abord examiner quelle faction,
-de la catholique ou de la réformée, étoit la
-plus forte ou présentoit le plus de ressources,
-laquelle, en un mot, il étoit le plus important
-de favoriser; mais après avoir fait un
-premier pas, la régente ne devoit plus regarder
-en arrière, afin de mieux imprimer
-au parti qu’elle auroit déclaré son ennemi,
-le caractère de la révolte, et de tenir l’autre
-toujours soumis à l’autorité de son fils. Cette
-conduite ferme et constante n’eût pas seulement
-ruiné les vastes espérances des réformés
-et fait triompher la religion catholique,
-elle auroit fait voir le prince toujours agissant,
-et lui auroit par conséquent donné tout
-le crédit que les Guises acquirent, en décriant
-les intentions du gouvernement et en le rendant
-suspect aux catholiques.</p>
-
-<p>Mais la régente, qui n’étoit propre qu’à
-l’intrigue, et toujours lasse de ce qu’elle
-<span class="pagenum" id="Page_182">182</span>
-faisoit, parce qu’elle faisoit toujours une faute,
-agit sans principes, essaya cent entreprises
-sans en suivre aucune, et fut enfin obligée
-d’obéir aux événemens. Son esprit, étonné et
-intimidé par la supériorité qu’elle sentoit dans
-les Guises, les Montmorency, les Condé
-et les Coligny, eut recours aux armes de la
-foiblesse: elle espéra de les tromper par des
-ruses, des mensonges et des fourberies; mais
-elle en fut elle-même la dupe; et bientôt son
-fils ne fut plus le roi des réformés ni des
-catholiques zélés. On diroit que cette princesse
-s’étoit fait un plaisir cruel de tout
-brouiller, dans l’espérance qu’avec le nom
-de Charles et le sien, elle sortiroit triomphante
-du chaos qu’elle avoit formé. Si tel fut
-le plan de sa politique, elle eut bientôt occasion
-de connoître son erreur; mais elle ne
-se corrigea point, parce qu’un <ins title="carractère">caractère</ins> foible
-et irrésolu ne peut-être constamment attaché
-à aucune idée. En voulant conserver la paix,
-elle hâta la guerre, et se vit prisonnière avec
-son fils, avant que les hostilités fussent, pour
-ainsi dire, commencées. Tandis que les Guises
-trompoient le peuple encore plein de respect
-pour l’autorité royale, en feignant de s’armer
-pour la défense du roi, Médicis fut
-<span class="pagenum" id="Page_183">183</span>
-contrainte d’implorer la protection du prince
-de Condé et des Calvinistes. Elle supplia ce
-prince, de ne point perdre courage, de venger
-les injures qu’on faisoit au trône, et de
-ne pas permettre qu’à sa honte ses ennemis
-disposassent du gouvernement. Ainsi le prince
-de Condé, qui avoit la même ambition que le
-duc de Bourgogne et le duc d’Orléans avoient
-eu sous le règne de l’imbécille Charles VI,
-fut invité à venger l’autorité royale qui étoit
-tombée dans le même mépris, mais sa faveur
-étoit passagère, et la régente, bientôt réconciliée
-avec les Guises, devoit le traiter en
-ennemi.</p>
-
-<p>Tandis que Médicis, toujours incertaine
-et <ins title="flotante">flottante</ins> entre la faction catholique et la faction
-protestante, se flattoit de les tenir en équilibre
-pendant la paix, ou de les perdre l’une
-par l’autre pendant la guerre, elle fut toujours
-obligée de prendre ou de quitter les armes
-à leur volonté. Les catholiques, toujours indignés
-de voir terminer la guerre, et les réformés
-qu’on violât les traités solennels qu’on avoit
-conclus avec eux, se plaignirent également
-du gouvernement, et ne voulurent plus obéir
-qu’à leurs chefs.</p>
-
-<p>Ce fut alors que la nation ne prit conseil
-<span class="pagenum" id="Page_184">184</span>
-que de son fanatisme. Les esprits, de jour en
-jour plus échauffés, ne virent plus d’autre objet
-que celui de la religion, et par piété se firent
-les injures les plus atroces. A l’exception de
-quelques chefs de parti, qui ne songèrent
-qu’à profiter de l’erreur publique pour satisfaire
-leur ambition, tout le reste ne connut
-point d’autre intérêt que de faire triompher
-sa doctrine, ou de faire beaucoup de mal
-à ses ennemis. On devoit du moins s’attendre
-que le parlement aimeroit la paix, et seconderoit
-le chancelier de l’Hôpital, dont toutes
-les vues tendoient à calmer les esprits. Il
-devoit sentir que la guerre civile et le bruit
-des armes feroient taire les lois et détruiroient
-son autorité; cependant on vit cette compagnie,
-dont l’exemple ne fut que trop suivi
-par les parlemens de province, donner un
-arrêt<a name="FNanchor_316" id="FNanchor_316" href="#Footnote_316" class="fnanchor">[316]</a> pour proscrire les protestans, ordonner
-elle-même de prendre les armes, de
-courre sus aux réformés, et de les tuer sans
-crainte d’en être repris; peut-être même, oserai-je
-le dire, étoient-ils flattés secrètement de
-voir la magistrature donner des ordres aux
-milices, et en déclarant la guerre, exercer
-un des actes les plus éclatans de la souveraineté.</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_185">185</span>
-Le parlement s’oublia jusqu’à établir une
-inquisition<a name="FNanchor_317" id="FNanchor_317" href="#Footnote_317" class="fnanchor">[317]</a> odieuse. Il ordonna des informations
-secrètes, mit en honneur la délation,
-et autorisa les espions à faire sourdement
-des enquêtes et à dresser des procès-verbaux
-qu’ils étoient dispensés de signer. Quand on
-voit un corps de magistrats, à qui l’étude des
-lois doit faire haïr la tyrannie, se porter à
-de tels excès, quelle idée ne doit-on pas
-prendre des mœurs publiques, ou plutôt de
-la fureur frénétique qui animoit la nation?
-Il écrivit à la reine, pour l’inviter à renvoyer
-de son service les officiers de sa maison dont
-la religion étoit suspecte. Mais pourquoi m’arrêter
-à ce tableau scandaleux de nos malheurs?
-Qu’il me suffise de dire que le parlement
-ordonna une procession annuelle pour célébrer
-l’anniversaire de la S. Barthélemy.</p>
-
-<p>Tandis que la nation paroissoit condamnée
-à se détruire par ses propres mains, on se
-rappela qu’elle avoit eu autrefois des états-généraux;
-mais quand le fanatisme et l’esprit
-de faction ne se seroient pas répandus de
-la capitale dans toutes les provinces, que
-pouvoit-on espérer de ces grandes assemblées?
-Les prédécesseurs de François II les avoient
-trop avilies et dégradées, pour qu’elles pussent
-<span class="pagenum" id="Page_186">186</span>
-lui être utiles, et personne ne savoit quels
-étoient leurs<a name="FNanchor_318" id="FNanchor_318" href="#Footnote_318" class="fnanchor">[318]</a> droits et quelle devoit être
-leur forme. S’il en faut croire un de nos
-plus sages historiens, la convocation des états
-à Orléans ne fut qu’un piége que les Guises
-tendoient à leurs ennemis; ils avoient imaginé
-ce prétexte de les rassembler pour les
-opprimer à la fois. Quoi qu’il en soit, ces
-états ne virent aucun des maux du royaume.
-On reprocha au clergé ses vices et son ignorance;
-et pour toute réponse, il demanda
-qu’on brulât impitoyablement les réformés,
-en promettant que Dieu accorderoit à ce prix
-une protection particulière aux Français.</p>
-
-<p>C’étoit aux états d’Orléans encore assemblés
-quand François II mourut, qu’il appartenoit
-de décider du sort du royaume et du
-gouvernement; et ils ne furent que spectateurs
-tranquilles de l’accord qui fut fait entre les
-Guises dont la puissance paroissoit s’anéantir,
-et les princes de la maison de Bourbon qui
-alloient gouverner à leur place. Ces deux
-factions, dit Davila, s’étant mises en état de
-se défendre, ou plutôt de prévaloir sur leurs
-ennemis, la cour et les gens de guerre se
-partagèrent, suivant que l’exigeoient leurs
-intérêts particuliers, et les députés des
-<span class="pagenum" id="Page_187">187</span>
-provinces aux états suivirent cet exemple funeste.
-Des hommes faits pour représenter la nation
-et dont le devoir étoit de réprimer les factions,
-devinrent eux-mêmes des factieux,
-et ne rapportèrent dans leurs provinces que
-l’esprit d’intrigue, de cabale et de fanatisme
-qu’ils avoient pris en s’approchant des
-grands.</p>
-
-<p>Pourquoi parlerois-je ici des états qui, à
-deux reprises, furent tenus à Blois sous le
-règne de Henri III? Ce n’étoit pas des fanatiques
-ou des esclaves des Guises qui
-composoient ces assemblées, que le royaume
-devoit attendre son salut.</p>
-
-<p>La guerre civile, allumée sous Charles IX,
-n’étoit pas de nature à pouvoir s’éteindre
-promptement. Les passions irritées n’étoient
-susceptibles d’aucun conseil; il falloit qu’une
-faction fut accablée sous les forces de ses
-ennemis, ou que le temps consumât les humeurs
-qui fermentoient dans l’état, pour
-qu’on établît une paix solide. Cependant les
-hostilités se faisoient à la fois dans différentes
-provinces, les succès étoient partagés, et
-aucun parti n’étoit assez humilié pour renoncer
-à ses haines et à ses espérances. Les chefs
-n’étant jamais plus puissans que pendant les
-<span class="pagenum" id="Page_188">188</span>
-troubles, avoient un intérêt toujours nouveau
-de les perpétuer; plus leurs talens étoient
-grands, plus ils trouvoient de ressources dans
-les revers, et par conséquent des moyens
-pour envenimer les plaies de l’état. Parloit-on
-de paix? c’étoit sans la désirer, et seulement
-pour réparer ses forces; étoit-on convenu
-de quelques articles? les catholiques
-et les réformés croyoient avoir trop accordé;
-on n’avoit pas assez obtenu; pour comble
-de maux, le parlement ne manquoit point
-d’ébranler ces paix douteuses et équivoques;
-et son enregistrement des édits de pacification
-étoit en quelque sorte une déclaration de
-guerre. Il y désapprouvoit la nouvelle doctrine,
-et déclaroit que l’arrangement pris par l’édit
-ne subsisteroit que jusqu’à ce que le royaume
-fût réuni dans une même croyance. Un historien<a name="FNanchor_319" id="FNanchor_319" href="#Footnote_319" class="fnanchor">[319]</a>
-qui, en cette occasion, mérite la plus
-grande confiance, rapporte au sujet d’un édit
-favorable qu’obtinrent les protestants, qu’en
-l’enregistrant le parlement fit un arrêt secret,
-qui devoit servir de règle lorsqu’il s’agiroit
-de l’exécuter ou de l’interpréter. Ces registres
-secrets ne sont attestés que par un trop grand
-nombre de monumens; les réformés et les
-catholiques savoient que le parlement en
-<span class="pagenum" id="Page_189">189</span>
-faisoit usage, et les esprits n’osoient se calmer
-sous la foi des traités et des lois.</p>
-
-<p>C’est dans ces circonstances malheureuses
-que Henri III prit le vain nom de roi de
-France, et s’endormit sur un trône dont les
-fondemens étoient détruits. On ne peut être
-Français et parcourir cette longue suite de
-calamités qui mit pour la seconde fois la famille
-de Hugues-Capet sur le penchant du précipice,
-sans faire les plus tristes réflexions sur la
-fortune des rois et de leurs états, quand elle
-n’est pas établie sur les lois d’un sage gouvernement.
-Le règne d’Henri III nous rappelle
-celui de Charles VI. Le mépris que ces deux
-princes inspirèrent à leurs sujets est le même,
-tous deux sont prêts à voir passer leur couronne
-dans des maisons étrangères. L’esprit
-de faction aveugle également les Français. On
-voit les mêmes passions dans les grands, la
-même misère dans le peuple, et les campagnes
-ravagées sont inondées de sang Français.
-Voilà donc le terme fatal auquel ont
-abouti la politique de Charles V, et les soins
-persévérans de ses successeurs à séparer leurs
-intérêts de ceux de la nation, et à s’emparer
-de la puissance publique dont le poids devoit
-les accabler. Je répète cette triste réflexion,
-<span class="pagenum" id="Page_190">190</span>
-parce qu’elle renaît, malgré moi, dans mon
-esprit à chaque époque mémorable de nos
-malheurs. Plaise au ciel que le retour des
-mêmes calamités ne force jamais nos neveux
-à faire les mêmes reproches à nos anciens rois!</p>
-
-<p>Henri III n’avoit jamais eu de valeur que pour
-un jour de combat; et le courage que demande
-l’administration des affaires lui manquoit entièrement.
-Il falloit se montrer égal aux chefs
-des deux partis qui divisoient le royaume, et il
-s’abandonna aux flatteries de quelques jeunes
-favoris perdus de débauche et de mollesse.
-Pour regagner l’affection et la confiance des
-catholiques, il eut recours aux pratiques
-d’une dévotion puérile et ridicule. Les Français
-n’auroient point su que Henri régnoit, s’il
-ne les eût vexé par sa prodigalité et ses rapines;
-et le duc de Guise pouvoit lui ravir sa couronne,
-sans que cette grande révolution pour
-la maison royale en fût une pour l’état.
-Henri tomba enfin dans un tel avilissement
-qu’il crut nécessaire à sa sûreté d’entrer dans
-les complots mêmes que ses ennemis avoient
-tramés contre lui; il s’associa à la ligue dans
-l’espérance d’en être le chef, et il ne fut
-encore que le lieutenant méprisé du duc de
-Guise, dont il ne put secouer le joug qu’en
-<span class="pagenum" id="Page_191">191</span>
-le faisant assassiner. Catherine de Médicis,
-que le projet impie du massacre de la Saint
-Barthélemy n’avoit pas fait trembler, ne put
-apprendre sans terreur cet assassinat; elle regarda
-l’action de son fils comme une témérité
-qui alloit achever de le perdre, et, pour me
-servir de son expression, le rendre roi de rien.</p>
-
-<p class="sep3 cent"><i>Fin du livre septième.</i></p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="figcenter">
- <img src="images/im-04.jpg" alt="" title="" width="380" height="600" />
-</div>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<hr class="hr2" id="Page_192" />
-
-<p class="cs20 cent esp"><span class="gesp">OBSERVATIONS<br />
-<span class="cs6">SUR</span></span><br />
-L’HISTOIRE DE FRANCE.</p>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h2 class="rpw">LIVRE HUITIÈME.</h2>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h3>CHAPITRE PREMIER.</h3>
-
-<p class="hang"><i>Pourquoi le gouvernement des fiefs n’a pas été
-rétabli pendant les guerres civiles.&mdash;Des
-causes qui ont empêché que l’avilissement où
-Henri III étoit tombé, ne portât atteinte à
-l’autorité royale.</i></p>
-
-<p class="first"><span class="smcap">Dans</span> le malheureux état où se trouvoit la
-France pendant les guerres civiles, tous les
-ressorts du gouvernement avoient été brisés.
-L’injustice, la violence et la foiblesse se
-montroient par-tout. La confiance, ce premier
-lien des hommes, étoit détruite, et quelques
-instans de repos dont on ne jouissoit que malgré
-soi, ne servirent qu’à irriter la haine, l’ambition
-et le fanatisme. C’est en éprouvant
-<span class="pagenum" id="Page_193">193</span>
-de semblables calamités sous le règne de
-Charles-le-Chauve, que la France souffrit
-les démembremens funestes qui, la divisant
-en autant de souverainetés qu’il y avoit de provinces
-et même de seigneuries, établirent chez
-nos pères les coutumes anarchiques de la police
-féodale. Tel avoit été le terme où les passions
-des Français les avoient conduits sous les fils
-de Louis-le-Débonnaire, et tel il devoit être
-encore sous ceux de Henri II.</p>
-
-<p>Cette révolution paroissoit d’autant plus
-dans l’ordre des choses, que les grands et
-la noblesse avoient conservé le souvenir du
-gouvernement féodal, le regrettoient, et que
-les abus qui avoient contribué à le faire naître,
-subsistoient encore. En peut-on douter, en
-voyant la puissance que les gouverneurs de provinces
-exerçoient dans leurs gouvernemens,
-et les seigneurs dans leurs terres, et qui étoit
-l’image de la souveraineté la plus absolue?
-Louis XII avoit voulu remédier à ces désordres
-la première année de son règne, mais ils subsistoient
-encore dans toute leur force sous
-les fils de Henri II. Les gouverneurs de provinces<a name="FNanchor_320" id="FNanchor_320" href="#Footnote_320" class="fnanchor">[320]</a>
-accordoient grâce aux coupables,
-établissoient des foires et des marchés, anoblissoient
-des bourgeois, légitimoient des
-<span class="pagenum" id="Page_194">194</span>
-enfans nés hors du mariage, connoissoient de
-toutes les matières, tant civiles que criminelles,
-et évoquoient devant eux les procès pendans
-aux tribunaux des sénéchaux et des baillis. Les
-seigneurs affectoient dans leurs terres la même
-tyrannie que quand le gouvernement féodal
-étoit dans sa plus grande vigueur. Chacun, selon
-ses forces et son crédit, vexoit ses sujets et ses
-voisins, établissoit encore de nouvelles tailles,
-de nouveaux péages et de nouvelles corvées.
-C’étoit en vain que quelques magistrats
-du parlement alloient tenir les grands jours<a name="FNanchor_321" id="FNanchor_321" href="#Footnote_321" class="fnanchor">[321]</a>
-dans les provinces, pour faire observer
-les ordonnances et punir les délinquans. La
-noblesse s’étoit fait une espèce de point d’honneur
-de ne se pas soumettre aux lois; non-seulement
-elle méprisoit les jugemens des
-tribunaux subalternes et les arrêts du parlement,
-mais elle les rendoit inutiles à
-l’égard des personnes mêmes qu’elle vouloit
-protéger, et ses châteaux leur servoient d’asyle.
-Tant de fierté et de hauteur s’allioit admirablement
-bien avec l’indépendance féodale,
-et les grands devoient être d’autant plus tentés
-d’usurper une seconde fois la souveraineté,
-qu’ils auroient cru ne rentrer que dans les
-droits dont leurs pères avoient été dépouillés.</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_195">195</span>
-Si les Français avoient voulu rétablir les fiefs,
-Charles IX et Henri III auroient été obligés
-de céder à la même nécessité à laquelle
-Charles-le-Chauve ne put résister; n’ayant
-point les forces nécessaires pour s’opposer à
-l’ambition conjurée des grands, ils se seroient
-flattés, comme tous les hommes foibles qu’une
-condescendance facile leur conserveroit un
-reste de puissance prête à disparoître. En
-abandonnant leur titre de monarque pour
-reprendre celui de simple suzerain, ils auroient
-espéré d’avoir au moins des vassaux fidelles à
-la place des sujets désobéissans qui ne les
-reconnoissoient plus. Qu’un des grands,
-dont l’ambition troubloit le royaume, eût
-rendu ou fait déclarer son gouvernement héréditaire,
-cet exemple eût été généralement
-suivi: les Français savent peu imaginer, mais
-aucun peuple n’est plus prompt à imiter.
-La grande noblesse, qui étoit encore dans
-les provinces, n’auroit point eu pour ces
-nouveaux suzerains le respect qu’elle étoit
-accoutumée d’avoir pour le roi. Quelques seigneurs
-puissans n’auroient encore voulu relever
-que de Dieu et de leur épée, tandis que les
-autres disputant sur les droits de la suzeraineté,
-auroient consenti à remplir les devoirs du
-<span class="pagenum" id="Page_196">196</span>
-vasselage; et la foi donnée et reçue seroit
-devenue le lien général et unique de la subordination
-et de l’ordre public.</p>
-
-<p>Ce qui sauva la France de ce nouveau démembrement,
-ce fut le même hasard qui
-l’avoit empêché sous la première race. Je l’ai
-déjà remarqué, dans l’extrême anarchie où
-l’hérédité des bénéfices, l’établissement des
-seigneuries patrimoniales, et l’anéantissement
-de la puissance royale jetèrent le royaume,
-il s’éleva une famille puissante, qui, par ses
-talens, prit dans la nation l’autorité qu’avoient
-perdue les lois, et tint unies toutes
-les parties de l’état qui ne tendoient qu’à se
-séparer. Sous les fils de Henri II, il s’étoit
-élevé de même une nouvelle famille de Pepins,
-assez puissante pour espérer de s’emparer de
-la couronne, et dès que la maison de Guise
-avoit la même ambition et les mêmes espérances
-que les pères de Charlemagne, elle devoit
-avoir le même intérêt d’empêcher que les
-provinces du royaume ne se divisassent en
-différentes souverainetés.</p>
-
-<p>Quoique plusieurs familles françaises descendissent
-de souverains qui avoient régné dans
-d’importantes provinces, et n’eussent pas une
-origine moins grande ni moins illustre que
-<span class="pagenum" id="Page_197">197</span>
-la maison de Guise, aucune cependant ne
-jouissoit d’une si grande considération. Le
-public, qui n’est frappé que des objets qui
-sont sous ses yeux, ignoroit ces grandeurs
-passées et oubliées depuis la ruine des fiefs,
-et voyoit nos plus grands seigneurs accoutumés
-à obéir dans une fortune médiocre,
-tandis que le chef de la maison de Lorraine
-étoit souverain dans un état considérable.
-Les Guises prétendoient avoir des droits sur
-la Provence et sur l’Anjou, et faisoient remonter
-leur origine à Charlemagne: ces
-avantages ne sont rien quand ils sont seuls,
-mais quel pouvoir n’ont-ils pas quand ils sont
-soutenus par de grands talens? Cette famille,
-nouvellement établie en France, avoit préparé
-les personnes du rang le plus distingué à
-lui voir prendre la supériorité par le crédit
-immense qu’elle avoit eu sous le règne de
-Henri II; il n’y avoit personne qui ne lui
-dût sa fortune, et tout le monde la craignoit
-ou l’aimoit. Le pouvoir des Guises augmenta
-encore sous le règne de François II; leur
-nièce étoit sur le trône, régnoit sur le roi,
-et obéissoit à ses oncles. Bientôt le fanatisme
-les mit à la tête d’un parti considérable
-dont les forces leur appartenoient; et
-<span class="pagenum" id="Page_198">198</span>
-quels projets ne dûrent-ils pas concevoir, en
-ne voyant devant eux qu’un roi enfant, une
-régente intrigante, foible, détestée, et ensuite
-un prince également méprisé des catholiques
-et des réformés?</p>
-
-<p>Que les rois savent mal ce qu’ils doivent
-désirer ou craindre pour la grandeur de leur
-maison, quand, par une heureuse constitution,
-l’état n’est pas lui-même l’appui et le
-garant de leur fortune! Les Guises, que
-François I redoutoit et qu’il avoit recommandé
-à son fils d’humilier, conservèrent
-eux-mêmes la France au milieu des troubles
-que son pouvoir arbitraire préparoit, et que
-la foiblesse et la mauvaise conduite de ses
-successeurs, l’ambition et le fanatisme de
-ses sujets devoient faire naître. Retranchez
-les Guises de notre histoire, et vous n’y
-verrez ni moins de désordres, ni moins de
-guerres civiles. A la place de quelques hommes
-de génie qui servoient de point de ralliement
-à un parti puissant qu’ils gouvernoient,
-vous trouverez une anarchie dont le rétablissement
-des fiefs auroit été le fruit. Au
-lieu d’un chef capable de tout contenir, les
-catholiques en auroient eu cent qui, ne
-pouvant aspirer à s’emparer du trône,
-<span class="pagenum" id="Page_199">199</span>
-n’auroient songé qu’à se cantonner. Si les Guises
-ne réussirent pas à usurper la couronne, ils
-réussirent à empêcher le démembrement du
-royaume, et le remirent entier à la maison
-de Bourbon qui, sans leur ambition sans
-borne, n’auroit joui que de cette foible autorité
-que Hugues-Capet avoit eue. Henri IV
-auroit laissé à ses descendans le soin de
-ruiner une seconde fois les fiefs, ou plutôt
-il n’auroit plus été temps de songer à les
-détruire. Ces princes n’auroient pas trouvé
-des circonstances favorables à cette entreprise,
-depuis que tous les états étoient liés
-entre eux par des négociations continuelles.
-La même politique qui a protégé la liberté<a name="FNanchor_322" id="FNanchor_322" href="#Footnote_322" class="fnanchor">[322]</a>
-germanique, auroit défendu la liberté
-française; à l’exemple des vassaux de l’empereur,
-les vassaux du roi de France auroient
-formé des ligues entre eux et des alliances
-au dehors.</p>
-
-<p>On accusoit déjà François de Guise d’aspirer
-au trône, avant que la conjuration d’Amboise
-eût éclaté; mais l’ambition ne pouvoit
-point être une passion insensée dans un
-homme tel que lui, et vraisemblablement on
-ne cherchoit par cette calomnie qu’à le rendre
-odieux et suspect. Il n’est pas impossible,
-<span class="pagenum" id="Page_200">200</span>
-si je ne me trompe, de suivre les progrès
-de son ambition, en voyant ceux de sa
-fortune. Courtisan adroit, souple et altier
-sous Henri II, il n’aspira qu’à gouverner
-son maître en se rendant agréable et nécessaire.
-Sous François II, il gouverna impérieusement,
-parce que des circonstances plus
-favorables agrandirent ses espérances; mais
-il n’avoit encore que l’ambition d’un ministre.
-A la mort de ce prince, sa fortune étoit
-ruinée, s’il ne se soutenoit par ses propres
-forces; et voyant que la protection ouverte
-et déclarée qu’il accordoit aux catholiques,
-le rendoit aussi considérable dans l’état que
-le prince de Condé, et plus puissant que
-Catherine de Médicis, il commença, selon
-les apparences, à ouvrir une carrière plus
-étendue à son ambition.</p>
-
-<p>Formant des intrigues dans le royaume
-et étendant ses relations aux dehors, n’auroit-il
-mis en mouvement tous les ressorts
-de la plus profonde politique, que pour se
-faire craindre du gouvernement, et n’avoir
-que la fortune incertaine d’un séditieux ou
-d’un révolté? Puisqu’il ne songea point à se
-faire une souveraineté en s’emparant de quelques
-provinces où on lui auroit obéi avec
-<span class="pagenum" id="Page_201">201</span>
-zèle, il ne mit sans doute plus de bornes
-à ses espérances, et s’il les cacha, ce fut
-pour donner le temps aux esprits de changer
-de maximes et de préjugés, et de se familiariser
-peu à peu avec son usurpation.</p>
-
-<p>Quoi qu’il en soit des projets de François
-de Guise, il est certain que son fils, héritier
-de son crédit et de son pouvoir, forma le
-dessein de réléguer Henri III dans un cloître
-et de s’asseoir sur le trône. Ce fut pour
-s’essayer à l’usurpation et se faire des sujets
-avant que d’être roi qu’il forma la ligue.
-Par l’acte qu’on signoit en y entrant, on
-juroit à son<a name="FNanchor_323" id="FNanchor_323" href="#Footnote_323" class="fnanchor">[323]</a> chef une obéissance aveugle.
-Si quelque confédéré manquoit à son devoir,
-ou faisoit paroître quelque répugnance à s’en
-acquitter, le chef, je dirois presque le roi
-de la ligue, étoit le maître de lui infliger
-la punition qu’il jugeroit à propos. On devoit
-regarder comme ennemi quiconque refuseroit
-d’embrasser le parti de l’union, et les ligueurs
-ne connoissant point d’autre droit que la
-volonté du duc de Guise, n’attendoient que
-ses ordres pour attaquer les personnes qui
-pourroient lui déplaire. Tandis que l’administration
-du glaive ainsi déposée entre les
-mains du chef de la ligue le rendoit si redoutable
-<span class="pagenum" id="Page_202">202</span>
-à ses ennemis, il s’érigea un tribunal
-de justice sur ses partisans: ce n’étoit qu’avec
-sa permission que les confédérés pouvoient
-recourir dans leurs contestations aux tribunaux
-ordinaires. Si le duc de Guise n’avoit
-été occupé que de ses intérêts personnels,
-sans doute il auroit été content de sa fortune,
-et en effet, il n’auroit rien gagné à mettre
-la couronne de Henri III sur sa tête; mais
-il falloit établir d’une manière durable la
-grandeur de sa maison, et les mêmes motifs
-qui avoient porté les Pepins à faire proscrire
-les descendans de Clovis, invitèrent
-les Guises à dépouiller la maison de Hugues-Capet.</p>
-
-<p>Avec un pouvoir si grand, qui s’étendoit
-sur toutes les provinces du royaume, et des
-espérances si bien fondées de monter sur le
-trône, il étoit impossible que Henri de Guise
-songeât à se cantonner dans les gouvernemens
-de sa maison, et dès que cette ambition
-étoit au-dessous de lui, elle étoit au-dessus
-des autres. Il contenoit les seigneurs
-de son parti, les uns par la supériorité de
-ses talens et l’éclat de sa réputation, les
-autres par leur attachement à la religion, et
-tous par le fanatisme général qui réunissoit
-<span class="pagenum" id="Page_203">203</span>
-les principales forces de la nation dans ses
-mains. D’ailleurs, l’exemple d’un supérieur
-en France ne décide-t-il pas de la conduite
-de ses inférieurs?</p>
-
-<p>Le projet de démembrer l’état pour former
-de nouveaux fiefs ne pouvoit convenir qu’aux
-seigneurs réformés, qui n’avoient à leur tête
-qu’un chef moins puissant que le duc de
-Guise, et dont l’ambition par conséquent
-devoit aspirer moins haut; mais ils étoient
-plus occupés des intérêts d’une religion proscrite
-et qu’ils avoient embrassée par choix,
-que de leur fortune domestique. S’il leur
-eût été doux de se faire des souverainetés
-où ils auroient pratiqué en paix leur religion,
-et offert un asyle et leur protection à des
-élus qui se flattoient de faire revivre les premiers
-siècles de l’église; leur foiblesse les
-avertissoit sans cesse de se tenir étroitement
-unis, et ils auroient craint par ces démembremens
-de fournir à leurs ennemis un prétexte
-de les décrier, comme des rebelles et
-des ambitieux conjurés contre l’état. En un
-mot, la probité de l’amiral de Coligny produisit
-dans son parti le même effet que l’ambition
-du duc de Guise produisoit dans le
-sien.</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_204">204</span>
-Telles étoient les causes qui combattoient
-le penchant secret des grands pour les fiefs;
-mais dans un royaume où il n’y avoit plus
-de citoyen qui n’eût à se plaindre du gouvernement,
-pourquoi n’y eut-il aucune fermentation
-en faveur de la liberté? Pourquoi
-du mépris qu’on avoit pour le roi, ne passoit-on
-pas au mépris de l’autorité royale?
-En éprouvant des malheurs, on remonte
-naturellement à leur origine; et il étoit aisé
-de voir que la religion n’étoit que le prétexte
-ou l’occasion des troubles, mais qu’elle
-n’auroit point allumé la guerre, si le gouvernement
-eût été établi sur de sages principes.
-Il étoit facile de faire les réflexions que j’ai
-faites, et d’en conclure que la première cause
-du mal, c’étoit d’avoir séparé les intérêts du
-roi de ceux de la nation; et qu’il falloit par
-conséquent les rapprocher et les confondre.
-Pourquoi ce respect pour les abus de l’autorité
-royale, tandis que la guerre civile inspire
-des sentimens de liberté aux hommes les
-plus accoutumés à la servitude? Pourquoi
-personne ne parle-t-il de réformer le gouvernement,
-afin que les vices ou l’incapacité
-du monarque ne soient plus un fléau pour
-l’état?</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_205">205</span>
-Les novateurs, qui devoient mieux sentir
-le prix de n’obéir qu’aux lois, puisqu’ils
-avoient été persécutés, demandèrent la convocation
-des états-généraux, et pour se rendre
-le peuple favorable et faire une diversion au
-fanatisme, parlèrent en même temps de la
-nécessité de le soulager et de diminuer les
-impôts. Ils n’insistèrent pas, dit un de nos
-plus fameux historiens, dans la crainte d’indisposer
-les princes d’Allemagne, qui seroient
-moins empressés à les servir, s’ils croyoient
-que la cause de la religion seule ne leur mît
-pas les armes à la main: excuse frivole. Les
-Allemands devoient sentir qu’il importoit à
-la religion protestante que la France fût gouvernée
-par le conseil de la nation, et non
-par les favoris du prince; et qu’un des meilleurs
-moyens de faire diversion au fanatisme dangereux
-des catholiques, c’étoit de les occuper
-de leur fortune; et qu’on détacheroit par-là
-de leurs intérêts ceux d’entre eux qui n’étoient
-pas disposés à se sacrifier à leur religion.</p>
-
-<p>Les réformés furent vraisemblablement découragés
-par l’indifférence avec laquelle ils
-virent que le public recevoit leurs demandes.
-En effet, les esprits accoutumés depuis long-temps
-au pouvoir le plus arbitraire, n’étoient
-<span class="pagenum" id="Page_206">206</span>
-alors occupés que des injures que recevoit
-la religion. En essayant de soulever l’avarice
-des <ins title="Françias">Français</ins> contre le gouvernement, on ne
-devoit pas se flatter du même succès que les
-puritains eurent depuis en Angleterre, quand
-ils se plaignirent des abus de la prérogative
-royale, et recherchèrent l’origine du pouvoir
-dans les sociétés. Les Anglais, il est vrai,
-avoient été opprimés depuis le règne de Henri
-VIII; mais le parlement avoit toujours été
-assemblé régulièrement, et cette image subsistante
-de la liberté avoit empêché que le
-souvenir n’en fût effacé comme il l’étoit en
-France: plus même il avoit trahi lâchement
-les intérêts de la nation, plus les ames fortes
-devoient conserver leur haine contre la tyrannie.
-Quand les puritains prononcèrent le mot de
-liberté, ce nom ne fut pas étranger aux Anglais;
-et dès qu’ils voulurent être libres, la grande
-charte, qui leur apprenoit le but où ils devoient
-tendre et par quels chemins ils pouvoient y
-arriver, leur servit de point de ralliement. Les
-Français ne trouvoient dans leur constitution
-aucun secours pareil, et tandis qu’ils se bornoient
-à se plaindre du prince, les Anglais,
-plus habiles, se plaignoient du gouvernement.
-Ceux-ci vouloient remettre la loi au-dessus
-<span class="pagenum" id="Page_207">207</span>
-du trône, les autres croyoient que le roi, par
-sa qualité de législateur, est dispensé d’obéir
-aux lois, et que sa dignité seroit avilie, s’il
-n’étoit pas libre de contrevenir à ses ordonnances.
-Les états-généraux ne trouvoient
-point étrange qu’un prince aussi méprisé que
-Henri III, leur fît en quelque sorte des excuses,
-s’il renonçoit à la prérogative royale de se
-jouer des lois.</p>
-
-<p>Mais ce qui empêcha sur-tout qu’on ne
-changeât les principes du gouvernement, c’est
-l’espérance qu’avoit conçue Henri de Guise
-de s’emparer de la couronne, et qui par-là
-étoit intéressé à ce qu’on ne fît aucune entreprise
-contre l’autorité royale. Il n’auroit point
-permis d’assembler les états à Blois, s’il
-n’avoit été sûr d’en être le maître, et qu’ils
-ne serviroient qu’à avilir et dégrader encore
-davantage Henri III.</p>
-
-<p>Quelque méprisable que fût cette assemblée,
-où l’on disputoit sérieusement sur le rang et
-la séance des députés, tandis qu’il étoit question
-de prévenir la ruine du royaume, on vit cependant
-que la liberté n’étoit pas entièrement
-oubliée: on porta un<a name="FNanchor_324" id="FNanchor_324" href="#Footnote_324" class="fnanchor">[324]</a> décret par lequel
-il étoit ordonné qu’on supplieroit le roi de
-nommer un certain nombre de juges auxquels
-<span class="pagenum" id="Page_208">208</span>
-on joindroit un député de chaque province,
-pour examiner les propositions générales et
-particulières qui seroient faites par les trois
-ordres. Les états demandoient la liberté de
-récuser ceux de ces juges qui leur paroîtroient
-suspects, et que tout ce qui seroit décidé par
-ce nouveau tribunal s’observeroit inviolablement
-dans la suite, et seroit regardé comme
-une loi perpétuelle. Pierre Despinac, archevêque
-de Lyon et président du clergé, vouloit
-que les résolutions unanimes des états devinssent
-autant de lois fondamentales: il
-proposa de demander au roi qu’il s’engageât
-de les observer et de les faire observer, et
-qu’à l’égard des objets sur lesquels les opinions
-auroient été partagées, il ne pût en décider
-que de l’avis de la reine mère, des princes
-du sang, des pairs du royaume, et de douze
-députés des états.</p>
-
-<p>Ces demandes auroient changé la forme
-du gouvernement, si le duc de Guise l’avoit
-voulu; mais il étoit trop intéressé à dégrader
-Henri III, et à le rendre seul responsable
-de tous les malheurs du royaume, pour consentir
-que les états prissent quelque part à
-l’administration: il craignit d’ailleurs quand
-il monteroit sur le trône de trouver un peuple
-<span class="pagenum" id="Page_209">209</span>
-amoureux et jaloux de sa liberté; il ne voulut
-pas se mettre d’avance des entraves et s’exposer
-à la haine de ses sujets, en affectant une
-autorité supérieure à celle du prince qu’il
-auroit dépouillé. Si le duc de Guise avoit
-pensé assez sagement pour ne pas vouloir
-établir dans sa maison cette puissance arbitraire
-qui causoit la ruine des Valois, il
-auroit encore dû avoir la même politique.
-Le don de la liberté ne devoit pas préparer,
-mais affermir son usurpation; et quel crédit
-immense n’auroit-il pas lui-même acquis en
-sacrifiant librement et volontairement une
-partie de son pouvoir au bonheur de ses
-sujets? Qu’on ne m’oppose pas que dans
-l’acte d’union que les ligueurs signoient, il
-promettoit de rétablir les provinces dans leurs
-anciennes franchises, et que dans le manifeste
-que la ligue publia en 1585, il permit d’y
-mettre que, de trois ans au plus tard en trois
-ans, on tiendroit les états-généraux; ces espérances
-n’étoient qu’un artifice pour rendre
-odieuse la maison régnante; elles faisoient
-espérer un avenir heureux, et le duc de Guise
-étoit bien sûr que ces promesses seroient
-oubliées quand il remonteroit sur le trône;
-ou que le peuple livré à son engouement,
-<span class="pagenum" id="Page_210">210</span>
-seroit moins occupé de sa liberté que de la
-grandeur de son nouveau roi.</p>
-
-<p>Tandis que le corps entier de la nation
-s’abandonnoit à son fanatisme, et n’avoit point
-d’autre intérêt que celui des chefs de faction
-qui la divisoient, il se forma un troisième
-parti, mais par malheur trop foible et incapable
-de résister aux deux autres; il n’étoit
-composé que des Français qui pensoient sainement,
-nombre toujours très-petit quand la
-guerre civile est allumée, et qu’on se bat pour la
-religion. Qu’importoit-il qu’ils approuvassent
-la réforme de Calvin en quelques articles,
-et blâmassent l’église romaine en quelques
-points; également odieux aux deux religions,
-ils travailloient inutilement à faire le rôle de
-conciliateurs, et tandis qu’ils conservoient
-seuls l’esprit de charité et de paix qu’ordonne
-l’évangile, on les regarda comme de mauvais
-chrétiens qui n’étoient occupés que des choses
-de la terre: on les nomma les politiques.
-Ce parti composé de catholiques et de réformés
-assez sages pour ne point fermer les yeux sur
-les abus de leur religion, devoit voir dans
-le gouvernement les vices qui avoient produit
-les maux publics; mais sa doctrine sur l’état
-n’eut pas un succès plus heureux que celle
-<span class="pagenum" id="Page_211">211</span>
-qu’il avoit sur la religion. Les politiques à qui
-on prodigua le nom infâme d’athées se multiplièrent,
-et leur nombre donnant une certaine
-confiance, ils s’assemblèrent à Nismes le 10
-février 1575, et comme s’ils avoient été assez
-forts pour faire la loi sur l’état, ils entreprirent
-de changer la forme du gouvernement.</p>
-
-<p>Un de nos<a name="FNanchor_325" id="FNanchor_325" href="#Footnote_325" class="fnanchor">[325]</a> historiens nous apprend
-que le traité que les politiques signèrent dans
-leur conférence de Nismes, établissoit une
-nouvelle espèce de république composée de
-toutes ses parties, et séparée du reste de l’état:
-elle devoit avoir ses lois pour la religion,
-pour le gouvernement civil, la justice, la
-discipline militaire, la liberté du commerce,
-la liberté des impôts et l’administration des
-finances. Il est certain, continue de Thou,
-que le souvenir affreux et encore récent de
-la Saint-Barthelemy sembloit autoriser une entreprise
-si téméraire. Les gens de bon sens ne
-pouvoient s’empêcher d’attribuer ces malheurs
-aux ministres qui gouvernoient l’esprit du roi:
-cependant, il faut avouer que jamais attentat
-ne fut de plus dangereux exemple. Je ne
-m’arrêterai pas, ajoute cet historien, à en
-faire un plus grand détail; il seroit à souhaiter
-pour le repos de l’état, et même pour
-<span class="pagenum" id="Page_212">212</span>
-l’honneur de ceux que le malheur des temps
-engagea dans cette affaire, qu’on n’y eût jamais
-pensé.</p>
-
-<p>Il seroit en effet inutile de s’étendre sur
-le plan, l’ordre et les lois d’une république
-qui n’exista jamais, et qui ne pouvoit point
-exister. Mais comment cette entreprise des
-politiques pouvoit-elle être du plus dangereux
-exemple? Jamais exemple ne fut moins fait
-pour être suivi: il étoit contraire à l’esprit
-de la nation, et à l’intérêt des factieux qui
-étoient les maîtres de toutes les forces du
-royaume: c’étoit une étincelle, si je puis
-parler ainsi, qui tombant sur des matières
-qui ne sont pas combustibles, s’éteint d’elle-même.
-Quel projet ce traité despotique a-t-il
-fait enfanter contre l’autorité royale? Quelles
-idées de liberté a-t-il réveillées? Comment
-ce plan de politique auroit-il pu être adopté
-dans une nation qui, en se révoltant contre
-le roi, aimoit la monarchie, et s’étoit fait
-des chefs tout-puissans?</p>
-
-<p>Si cette république, séparée de l’état et
-cependant renfermée dans l’état, s’étoit établie
-à la faveur de quelque événement extraordinaire,
-jamais elle n’auroit pu acquérir des
-forces, et elle auroit été bientôt détruite par
-<span class="pagenum" id="Page_213">213</span>
-le reste des Français dont elle auroit révolté les
-préjugés et les habitudes. Le duc de Damville,
-dit de Thou, qui signa le traité de Nismes
-au nom des catholiques, ne le signa qu’à
-regret; quelle espérance pour les succès d’une
-république à peine <ins title="projettée">projetée</ins>? Parmi les chefs
-qui étoient à la tête du parti politique, les
-uns étoient des hommes qui désiroient la
-tranquillité publique, c’est-à-dire, des hommes
-inutiles dans les temps de faction et de trouble,
-et qui auroient dû attendre pour agir que les
-passions fussent en quelque sorte usées, et
-qu’on fût capable d’entendre la voix de la
-justice et de la raison; les autres étoient des
-personnes ambitieuses, qui, faute de talens,
-ne pouvant se distinguer ni dans le parti
-catholique, ni dans le parti réformé, s’étoient
-jetées par désespoir dans celui des politiques,
-et devoient le trahir quand leur intérêt l’exigeroit.</p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="pagenum" id="Page_214">214</div>
-
-<hr class="full" />
-
-<h3>CHAPITRE II.</h3>
-
-<p class="hang"><i>Des causes de la décadence et de la ruine entière
-de la ligue.</i></p>
-
-<p class="first"><span class="smcap">On</span> ne pouvoit mettre plus d’art et de génie
-que François de Guise en avoit employé pour
-se faire un parti formidable, et frayer à sa
-maison le chemin du trône. Son fils eut,
-comme lui, les qualités les plus propres à le
-faire aimer, craindre et respecter; cependant
-ne pourroit-on pas dire qu’il manquoit d’une
-certaine précision, qui fait agir par les voies
-les plus simples et les plus courtes, et néglige
-les précautions superflues? Malgré un courage
-brillant qui le rendoit quelquefois téméraire,
-il se trouva quelquefois embarrassé dans les
-détours de sa politique; et dans des occasions
-décisives parut trop prudent et même
-irrésolu. Son père en préparant sa fortune
-avoit cru tout possible. Lui, au contraire,
-après être parvenu au comble de la puissance,
-persista encore à juger son entreprise plus
-difficile qu’elle ne l’étoit en effet: il ne calcula
-pas assez bien le pouvoir du fanatisme,
-<span class="pagenum" id="Page_215">215</span>
-et il essaya encore la couronne, ou plutôt
-se contenta de l’espérer, quand il étoit temps
-de l’usurper.</p>
-
-<p>La fameuse journée des Barricades, où
-Henri III montra la plus honteuse lâcheté, et
-les Parisiens l’insolence la plus audacieuse,
-étoit le moment décisif pour consommer l’usurpation
-du duc de Guise. Qui doute que dans
-cette conjoncture favorable, s’il se fût fait
-proclamer roi dans Paris, et eût convoqué les
-états-généraux, il n’eût vu tous les catholiques
-se dévouer à sa fortune? Quand il auroit
-été incertain du succès de cette démarche, il
-falloit cependant la faire; parce que la journée
-des Barricades devoit le perdre, si elle ne le
-plaçoit pas sur le trône. Henri III avoit été
-prêt à périr; plus il étoit timide, plus sa
-timidité lui montroit le danger tel qu’il étoit;
-et ne pouvant éviter sa ruine que par un
-coup de désespoir, Guise devoit trembler
-après l’avoir réduit à commettre une action
-qui ne demande qu’une sorte de courage
-dont un lâche est toujours capable.</p>
-
-<p>Il n’est pas possible de peindre la fureur
-de la ligue en apprenant l’assassinat de son
-chef. Le fanatisme déjà extrême acquit, s’il
-est possible, de nouvelles forces. Toutes les
-<span class="pagenum" id="Page_216">216</span>
-églises retentirent des noms de tyran, d’assassin,
-d’ennemi de la religion et de l’état
-qu’on donna à Henri III. Rome le proscrivit,
-la ligue mit, pour ainsi dire, sa tête à prix,
-et ce prince, qui n’avoit point d’armée à opposer
-aux catholiques, fut obligé de se jeter
-entre les bras du roi de Navarre son héritier,
-et de se mettre sous la protection des réformés;
-mais comme il n’avoit été que le lieutenant
-du duc de Guise en entrant dans la ligue,
-il ne fut encore que le lieutenant du roi de
-Navarre en passant dans son parti; et par
-cette conduite, qui le laissoit toujours dans le
-même avilissement, il ne fit que se rendre
-plus odieux aux catholiques.</p>
-
-<p>Le duc de Mayenne, qui se trouvoit à la
-tête de la ligue par la mort de son frère,
-pouvoit profiter du désespoir des ligueurs
-pour s’emparer de la couronne. Mais soit
-qu’accoutumé jusqu’alors à ne faire qu’un
-rôle de subalterne et à ne servir que la fortune
-du duc de Guise, il ne pût élever subitement
-sa pensée si haut, soit qu’il n’eût en effet
-qu’une ambition patiente et circonspecte, il
-ne vit pas qu’il se trouvoit dans une circonstance
-aussi favorable que la journée des
-Barricades pour tout oser.</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_217">217</span>
-Henri périt par la main d’un assassin, et
-Mayenne ne songea point encore à réparer
-sa faute. Dans la joie insensée des catholiques
-qui s’étoient défaits d’un roi qui ne
-pouvoit leur faire aucun mal, pour en avoir
-un qu’ils devoient craindre, il ne vit qu’un
-mouvement convulsif auquel il n’osa se fier,
-et il falloit le fixer. Il devoit penser que les
-catholiques, regardant sa fortune comme leur
-ouvrage, auroient plus d’attachement pour
-lui, après l’avoir élevé sur le trône, qu’ils
-n’en avoient pour le chef de la ligue. Le
-nom seul de roi a de la force dans les pays
-accoutumés à la monarchie; et c’étoit beaucoup
-que de partager avec Henri IV le titre
-qui lui appartenoit. Ces fautes répétées affoiblirent
-de jour en jour le crédit de Mayenne;
-et à moins que la fortune ne ramenât encore
-quelqu’un de ces événemens qui changent en
-un instant la face des choses dans un état
-agité par des guerres domestiques, et qu’il
-n’en sût mieux profiter, il étoit impossible
-que les esprits ne se lassassent pas enfin
-d’une situation pénible sous un chef qui
-n’étoit pas assez entreprenant.</p>
-
-<p>Pour mieux juger des obstacles secrets qui
-ont vraisemblablement retardé l’entreprise des
-<span class="pagenum" id="Page_218">218</span>
-Guises, et préparé ensuite la décadence de la
-ligue; il faut se rappeler que le frère de
-Mayenne avoit fait une ligue offensive, en son
-nom et au nom de ses successeurs, avec la cour
-de Rome et le roi d’Espagne pour maintenir
-la religion catholique en France et dans les
-Pays-Bas, ainsi que pour exclure du trône les
-princes hérétiques et relaps. Sans doute qu’une
-partie de cette alliance étoit très-favorable au
-duc de Guise; jamais la cour de Rome n’avoit
-eu plus de pouvoir, les catholiques cherchoient
-à la consoler par leur obéissance de
-la révolte des novateurs; elle conservoit toujours
-sa prétention de disposer des couronnes,
-et pour constater son droit, il n’y avoit point
-de pape qui ne dût être un nouveau Zacharie,
-s’il se présentoit un nouveau Pepin.</p>
-
-<p>Mais pour l’autre partie de l’alliance avec
-le roi d’Espagne, rien ne pouvoit être plus
-contraire aux intérêts du duc de Guise. Il
-étoit permis aux réformés de chercher des
-secours étrangers, puisque leurs forces étoient
-très-inférieures à celles des <ins title="catholique">catholiques</ins>; mais
-par quelle prudence inutile le chef de la
-ligue n’osoit-il se suffire à lui-même? Il associoit
-à ses desseins un roi puissant qui
-avoit hérité de son père le projet de la
-<span class="pagenum" id="Page_219">219</span>
-monarchie universelle, et qui se repaissant de
-cette chimère, ne travailloit qu’à semer partout
-le désordre, le trouble et la confusion;
-dans l’espérance que les peuples affoiblis et
-divisés ne lui opposeroient qu’une médiocre
-résistance, quand le temps seroit venu de les
-subjuguer. Il semble qu’il étoit aisé de prévoir
-qu’en se mêlant des affaires de France,
-Philippe II ne s’occupoit qu’à perpétuer ses
-malheurs; et que sous le masque d’un allié,
-il deviendroit en effet le rival du duc de
-Guise.</p>
-
-<p>L’alliance que François de Guise avoit projetée
-à la naissance des partis, étoit bien
-différente de celle que fit son fils. En se liguant
-avec la maison d’Autriche, on voit qu’il<a name="FNanchor_326" id="FNanchor_326" href="#Footnote_326" class="fnanchor">[326]</a>
-ne vouloit se servir des forces espagnoles
-que pour ruiner la maison de Bourbon dans
-la Navarre; et de celles de l’empereur pour
-empêcher que les protestans d’Allemagne ne
-protégeassent les réformés de France. Il invitoit
-le duc de Savoye à faire valoir ses droits
-sur Genève. Il soulevoit les cantons Suisses
-les uns contre les autres; il ne cherchoit pas
-des alliés contre les réformés de France, mais
-contre leurs amis. Il se chargeoit lui seul de
-faire triompher la religion catholique dans le
-<span class="pagenum" id="Page_220">220</span>
-royaume, et pour traiter d’une manière plus
-égale avec ses alliés, c’est-à-dire, pour n’en pas
-dépendre, il leur rendoit les secours qu’il en
-avoit reçus; et devoit, après avoir soumis
-ses ennemis, se servir de ses forces pour
-pacifier les Pays-Bas, et soumettre l’empire à
-la maison d’Autriche. Quelques précautions
-qu’eût prises cet habile politique pour ne partager
-avec personne sa qualité de chef et de
-protecteur des catholiques Français, il craignit
-que la puissance de ses alliés ne leur
-donnât trop d’avantage sur lui; et c’est vraisemblablement
-ce qui empêcha que ce projet
-ne fût mis à exécution.</p>
-
-<p>Henri de Guise ne tarda pas à éprouver les
-inconvéniens qui étoient une suite naturelle
-de son alliance. La cour de Rome n’osa le
-servir avec autant de zèle qu’elle le désiroit,
-dans la crainte de déplaire au roi d’Espagne
-qui s’opposa d’abord à la fortune de son allié
-pour le tenir dans la dépendance; et qui
-voulut ensuite faire de la France une de ses
-provinces ou la dot de sa fille. Il faudroit
-dévoiler ici tout l’artifice de cette politique
-machiavéliste, qui n’étoit alors que trop familière
-et trop fameuse en Europe, pour faire
-connoître combien l’alliance de l’Espagne fut
-<span class="pagenum" id="Page_221">221</span>
-funeste à la maison de Guise. Pour se débarrasser
-des entraves que Henri de Guise s’étoit
-mises à lui-même, il ne lui restoit d’autre
-ressource que de profiter de la journée des
-Barricades pour consommer son entreprise.
-S’il eût pris le titre de roi, le pape l’auroit
-secondé ouvertement; parce que ses états
-étoient enclavés dans les terres de Philippe II,
-et qu’il ne doutoit point que la liberté de
-l’Italie ne fût perdue si la France étoit soumise
-à ce prince. Philippe lui-même, qui
-s’étoit montré à toute l’Europe comme le
-protecteur de la religion catholique, n’auroit
-osé découvrir ses véritables sentimens. Content
-de nuire en secret au duc de Guise,
-il auroit craint de perdre sa réputation et de
-dévoiler sa politique, en embrassant les intérêts
-de la maison de Bourbon et des réformés.</p>
-
-<p>Mayenne auroit encore été sûr d’un succès
-égal, s’il eût profité de deux occasions que
-la fortune lui offrit de satisfaire l’ambition de
-sa maison; mais n’ayant paru dans ces circonstances
-décisives que foible, irrésolu, lent
-et inférieur aux projets qu’il méditoit, la cour
-de Madrid conçut de plus grandes espérances.
-Philippe II se regarda comme le chef des
-catholiques Français. Politique aussi artificieux
-<span class="pagenum" id="Page_222">222</span>
-que Mayenne l’étoit peu, il lui débaucha
-chaque jour ses créatures; et l’héritier de la
-puissance du duc de Guise ne fut plus que
-le lieutenant du roi d’Espagne.</p>
-
-<p>Quoique Mayenne vît multiplier les obstacles
-qui s’opposoient à ses desseins, il ne
-pouvoit cependant renoncer entièrement à
-l’espérance de monter sur le trône. Les secours
-et les infidélités de la cour de Madrid le retenoient
-dans une indécision funeste à ses
-intérêts, et la ligue ayant deux chefs qui
-n’osoient ni se brouiller ni se servir, les
-catholiques divisés n’eurent plus un même
-esprit ni un même mouvement. Chacun songea
-à sa sûreté particulière. Les provinces, les
-villes mêmes formèrent des partis différens, et
-ne composèrent plus ce corps redoutable
-qui s’étoit dévoué à la fortune du duc de
-Guise en croyant ne servir que la religion.</p>
-
-<p>En effet, sans la division qui se mit parmi
-les ligueurs, on entrevoit à peine comment
-Henri IV auroit pu triompher de ses ennemis.
-Ce prince étoit entouré des réformés et de
-catholiques qui s’étoient <ins title="fait">faits</ins> de trop grandes
-injures, et trop accoutumés à se haïr pour
-agir de concert. Les uns craignoient qu’il
-n’abandonnât leur prêche, les autres ne
-<span class="pagenum" id="Page_223">223</span>
-l’espéroient pas. Par une suite naturelle des préjugés
-dans lesquels les catholiques avoient
-été élevés, ils sentoient quelque scrupule de
-rester attachés à un prince séparé de l’église,
-qui avoit déjà changé deux fois de religion,
-et dont la foi seroit peut-être toujours équivoque.
-Les réformés, de leur côté, voyoient
-avec jalousie que Henri eût des ménagemens
-pour les catholiques, et s’appliquât d’une
-manière particulière à se les attacher par des
-bienfaits. Ils craignoient de servir un ennemi,
-qui, pour monter sur le trône et s’y affermir,
-prendroit peut-être la politique intolérante
-de ses prédécesseurs et du plus grand nombre
-de ses sujets. Cependant le courage demeuroit
-suspendu, et tandis que le roi avoit besoin
-d’être servi avec le zèle le plus vif, la défiance
-glaçoit les esprits; ou du moins le peu
-d’ardeur dont on étoit animé laissoit le temps
-à chacun de songer à ses intérêts personnels,
-de se livrer à une fausse politique, d’établir sa
-fortune particulière sur l’infortune politique,
-de vendre trop chèrement ses services, et même
-de le mal servir pour lui être plus long-temps
-nécessaire.</p>
-
-<p>Dès qu’on s’aperçut des intérêts opposés
-qui divisoient le roi d’Espagne et le duc de
-<span class="pagenum" id="Page_224">224</span>
-Mayenne, plusieurs princes espérèrent d’en
-profiter pour l’agrandissement de leur fortune
-particulière. Le duc de Lorraine, jaloux de
-la grandeur d’une branche cadette de sa maison,
-voulut placer la couronne sur la tête
-de son fils. Le duc de Savoye, fils d’une fille
-de François I, demandoit deux provinces importantes,
-le Dauphiné et la Provence. Le
-jeune duc de Guise s’échappa de la prison
-où il étoit renfermé depuis la mort de son
-père, et se fit un parti inutile de tous ceux
-à qui son nom étoit cher, ou que la conduite
-de son oncle mécontentoit. Tant de
-factions différentes produisirent enfin dans
-la ligue une confusion qui l’empêcha de rien
-faire de décisif. Tous ces concurrens redoutoient
-mutuellement leur ambition, ils se tenoient
-mutuellement en échec; et les ennemis
-de Henri IV le servirent sans le vouloir, presque
-aussi utilement que s’ils avoient été ses
-alliés. De-là cette politique bizarre de la cour
-de Madrid, qui, ne se trouvant jamais dans
-une circonstance assez favorable pour disposer
-à son gré de la France, ne donnoit que des
-secours médiocres aux ligueurs, et ne vouloit
-pas avoir des succès qui l’auroient rendu
-moins nécessaire. Philippe II gêne les talens
-<span class="pagenum" id="Page_225">225</span>
-du duc de Parme, qui commande ces forces,
-lui permet de servir Mayenne, et ne veut
-pas accabler Henri IV. De-là vient encore
-qu’à la mort du cardinal de Bourbon, qui
-n’avoit été qu’un vrai simulacre de roi, et
-dont la proclamation à la couronne avoit cependant
-servi à constater les droits de la
-maison de Bourbon, la ligue, dont les états
-étoient assemblés à Paris, ne put lui nommer
-un successeur.</p>
-
-<p>La ligue ne formant plus qu’un parti dont
-tous les membres travailloient à se perdre,
-les affaires de Henri IV devoient tous les
-jours se trouver dans une situation plus avantageuse.
-Il n’y a point de peuple qui se livre
-plus témérairement à l’espérance que les Français;
-mais en montrant le plus grand courage,
-aucun peuple aussi n’est plus propre
-à tomber dans le dernier découragement. Les
-succès manquoient aux ligueurs, et en admirant
-l’activité de Henri IV, ils se disposoient
-insensiblement à lui obéir. Mayenne, dont
-l’autorité diminuoit de jour en jour, ruina
-celle des Seize pour paroître encore le maître
-de Paris, et détruisit ainsi des ennemis, d’autant
-plus dangereux pour le roi, qu’ils étoient
-vendus à l’Espagne, et entretenoient dans le
-<span class="pagenum" id="Page_226">226</span>
-peuple de la capitale un reste de fanatisme
-qui diminuoit sensiblement dans les autres
-ordres de la nation.</p>
-
-<p>Dès que les catholiques s’aperçurent de
-la décadence de leurs affaires, ils se défièrent
-de leur fortune, et leurs espérances diminuèrent.
-Quelques prélats, qui auroient été
-fanatiques, si Henri IV avoit paru moins heureux,
-commencèrent par ambition à croire
-qu’on pouvoit se prêter à des tempéramens.
-Les réformés les plus zélés et les plus inquiets
-sentirent qu’étant les plus foibles, ils ne pouvoient
-raisonnablement espérer de détruire la
-religion romaine, et qu’il faudroit faire un
-désert de la France pour y rendre leur culte
-dominant. Tandis que tous les esprits, ainsi
-disposés à la paix, se préparoient à remettre
-à la Providence le soin de protéger et de
-faire triompher la vérité, Henri IV rentra
-dans le sein de l’église catholique. Dans la
-première chaleur du fanatisme, on n’eût pas
-cru sa conversion sincère, on l’eût regardée
-comme un piége et une profanation de nos
-mystères; mais après tant de calamités et
-d’espérances trompées, on crut tout pour
-avoir un prétexte d’obéir et de goûter enfin
-les douceurs de la paix. Dès que quelques
-<span class="pagenum" id="Page_227">227</span>
-ligueurs eurent traité avec Henri IV, tous
-s’empressèrent à lui porter leur hommage, et
-le successeur de Henri III fut plus puissant
-et plus absolu que François I.</p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="pagenum" id="Page_228">228</div>
-
-<hr class="full" />
-
-<h3>CHAPITRE III.</h3>
-
-<p class="hang"><i>Changemens survenus dans la fortune des grands
-et du parlement pendant les guerres civiles.</i></p>
-
-<p class="first"><span class="smcap">Quelques</span> soins que la maison de Guise
-eût pris de ne point laisser affoiblir l’opinion
-que le public avoit depuis si long-temps de
-la puissance royale, il doit paroître surprenant
-qu’un prince qui succédoit à des rois
-aussi odieux et aussi méprisés que Charles IX
-et Henri III, ait pu reprendre subitement le
-pouvoir le plus absolu. Les prérogatives de
-la couronne n’avoient pas été, il est vrai,
-bornées et fixées par des lois; mais comment
-la licence des guerres civiles, et le mépris
-qu’on avoit eu pour Catherine de Médicis
-et ses fils, n’avoient-ils pas du moins donné
-plus de fierté aux esprits, et fait contracter
-de nouvelles habitudes qui gêneroient l’ambition
-du prince qui monteroit sur le trône?
-Une nation est comme une vaste mer, dont
-les flots sont encore agités après que les vents
-qui les soulevoient, ont cessé de souffler.
-En effet, Henri IV n’auroit joui, malgré ses
-<span class="pagenum" id="Page_229">229</span>
-talens, que d’une autorité équivoque et contestée,
-si pendant le cours des guerres civiles,
-il n’étoit survenu dans la fortune des grands
-et du parlement des changemens considérables,
-qui étoient autant d’obstacles à l’inquiétude
-qui devoit les agiter.</p>
-
-<p>La révolution que souffrit la pairie étoit
-préparée depuis long-temps; et il faut se rappeler
-que, quoique les nouveaux pairs que
-Philippe-le-Bel et ses successeurs avoient
-créés, lussent dans leurs patentes qu’ils étoient
-égaux aux anciens pairs, et devoient jouir
-des mêmes prérogatives; les esprits s’étoient
-refusés à ces idées, et l’opinion publique,
-qui décide souverainement des rangs et de
-la considération qui leur est due, ne confondit
-point les anciens et les nouveaux
-pairs: il y eut une telle différence entre
-eux que le duc de Bretagne, loin d’être flatté
-de se voir élevé à la dignité de pair, craignit
-au contraire que les anciennes prérogatives
-de son fief n’en fussent dégradées;
-possédant une seigneurie plus puissante et
-plus libre que celle des nouveaux pairs, il
-eut peur qu’on ne voulût le réduire aux
-simples franchises dont jouissoient le duc
-d’Anjou et le comte d’Artois. Yoland de Dreux,
-<span class="pagenum" id="Page_230">230</span>
-duchesse de Bretagne, eut sans doute raison
-de demander à Philippe-le-Bel une déclaration<a name="FNanchor_327" id="FNanchor_327" href="#Footnote_327" class="fnanchor">[327]</a>
-par laquelle il assuroit que l’érection
-du duché de Bretagne en pairie ne
-porteroit aucun préjudice au duc et à la duchesse
-de Bretagne ni à leurs enfans. Cette
-précaution étoit sage: quand on contesteroit
-quelques droits à la Bretagne, il devoit arriver
-qu’on consultât moins les anciennes
-coutumes qui les autoriseroient, que les priviléges
-ordinaires dont les nouvelles pairies
-seroient en possession, et que le conseil du
-roi seroit intéressé à regarder comme le droit
-commun de la pairie.</p>
-
-<p>La même vanité qui avoit porté les ducs
-de Normandie, de Bourgogne et d’Aquitaine,
-ainsi que les comtes de Champagne, de Toulouse
-et de Flandre à se séparer des seigneurs
-qui relevoient comme eux immédiatement
-de la couronne<a name="FNanchor_328" id="FNanchor_328" href="#Footnote_328" class="fnanchor">[328]</a>, pour former un ordre
-à part dans l’état, les empêcha encore de
-se confondre avec les seigneurs à qui le roi
-avoit attribué le titre de la pairie: ils prétendoient
-que ces pairs de nouvelle création
-n’étoient pas pairs de France, mais tenoient
-seulement leurs terres en pairie; et le public
-admit cette distinction, que ni lui ni les
-<span class="pagenum" id="Page_231">231</span>
-pairs n’entendoient pas, mais qui supposoit
-cependant une différence entre les anciens
-et les nouveaux pairs.</p>
-
-<p>Quelque passion qu’eussent ces derniers de
-s’égaler aux autres, ils ne pouvoient se déguiser
-à eux-mêmes la supériorité de l’ancienne
-pairie. La nouvelle, formée dans un
-temps où le gouvernement féodal faisoit place
-à la monarchie, n’étoit assise ordinairement
-que sur des terres déjà dégradées, ou sur des
-terres que les rois avoient données en apanage
-à des princes de leur maison. Quand
-les nouveaux pairs auroient été mis en possession
-des mêmes prérogatives que les anciens,
-ils n’en auroient pas en effet joui,
-ou n’en auroient joui que d’une manière précaire,
-parce qu’ils n’avoient pas les mêmes
-forces pour les conserver malgré le roi, et
-que l’inégalité des forces met une différence
-réelle entre les dignités qui d’ailleurs sont
-les plus égales. Il est si vrai que l’opinion
-publique n’avoit pas confondu les anciennes
-et les nouvelles pairies, qu’après l’union des
-premières à la couronne, les nouveaux pairs
-ne parurent pas sous leur nom aux cérémonies
-les plus importantes, telles que le sacre des
-rois; mais y représentèrent les anciens pairs
-<span class="pagenum" id="Page_232">232</span>
-qui n’existoient plus, et c’étoit avouer bien
-clairement que la nouvelle pairie étoit inférieure
-en dignité à l’ancienne.</p>
-
-<p>Malgré cette espèce de dégradation, tout
-contribua cependant à faire de la nouvelle
-pairie la dignité la plus éminente et la plus
-importante de l’état. Elle ne fut conférée qu’à
-des princes de la maison royale, qui, sous
-les fils de Philippe-le-Bel, se trouvant tous
-appelés au trône, acquirent une considération
-qu’ils n’avoient point<a name="FNanchor_329" id="FNanchor_329" href="#Footnote_329" class="fnanchor">[329]</a> eue, tant qu’il avoit
-été incertain si la royauté étoit une seigneurie
-masculine, ou seroit soumise au même ordre
-de succession que les grands fiefs qui passoient
-aux filles. La nouvelle pairie conserva un rang
-supérieur aux distinctions qui furent attachées
-à la dignité de prince du sang; les princes
-qui en étoient revêtus, prirent le pas sur<a name="FNanchor_330" id="FNanchor_330" href="#Footnote_330" class="fnanchor">[330]</a>
-ceux qui étoient plus près de la couronne
-dans l’ordre de la succession, mais qui n’étoient
-pas pairs, et cet usage établit comme un principe
-la supériorité de la pairie sur la dignité de
-prince de la maison royale. La révolution
-arrivée à notre gouvernement, sous le règne
-de Charles VI, ne fut pas moins favorable à
-la pairie; car les pairs en qualité de pairs
-n’auroient point eu un prétexte aussi plausible
-<span class="pagenum" id="Page_233">233</span>
-qu’en qualité de princes du sang, de s’emparer
-de l’administration du royaume. Quoiqu’ils se
-regardassent comme les colonnes de l’état<a name="FNanchor_331" id="FNanchor_331" href="#Footnote_331" class="fnanchor">[331]</a> et
-les ministres de l’autorité royale, il étoit
-juste que dans des troubles qui intéressoient
-plus le sort de la maison régnante que celui de
-l’état, ils eussent moins de part aux affaires
-que les héritiers nécessaires de la couronne.
-Les pairs qui vraisemblablement auroient été
-dégradés s’ils n’avoient pas été princes, acquirent
-au contraire un nouveau degré de
-crédit par l’autorité dont ils s’emparèrent comme
-princes.</p>
-
-<p>Tant que les pairs furent princes du sang,
-on ne songea point à mettre une distinction
-entre leurs dignités, qui, si je puis parler
-ainsi, s’étayant réciproquement, jouirent des
-mêmes prérogatives. On étoit même si accoutumé
-à voir les princes pairs précéder ceux
-qui n’étoient pas revêtus de la même dignité,
-que des princes étrangers à qui la pairie fut
-conférée eurent le même avantage, et dans
-les cérémonies occupèrent une place supérieure
-à celle des princes du sang qui n’étoient pas
-pairs. C’est ainsi, pour en donner un exemple,
-qu’au sacre de Henri II<a name="FNanchor_332" id="FNanchor_332" href="#Footnote_332" class="fnanchor">[332]</a>, le duc de Guise
-et le duc de Nevers prirent le pas sur le duc
-<span class="pagenum" id="Page_234">234</span>
-de Montpensier. Mais en voyant élever à la
-pairie d’autres personnes que les princes du
-sang, il étoit aisé, si je ne me trompe, de
-prévoir sa décadence prochaine. Dans une
-monarchie telle que la nôtre, et gouvernée
-par une coutume que nous appelons la loi
-salique, c’étoit beaucoup que l’orgueil du sang
-royal ne fût pas choqué de céder le pas à un
-prince d’une branche cadette, et il ne falloit
-point s’attendre à la même condescendance
-pour des familles étrangères à la maison royale.</p>
-
-<p>Dès qu’un prince de cette maison régnante
-se plaindroit de se voir précéder par une famille
-sujette, le public devoit trouver ses plaintes
-légitimes; et le roi, par l’intérêt de sa vanité,
-devoit établir une nouvelle coutume, et laisser
-un long intervalle entre sa maison et les familles
-les plus distinguées de l’état. En effet, le duc
-de Montpensier fit sa protestation sur la prétendue
-injure qu’il croyoit avoir reçue au sacre
-de Henri II; et vraisemblablement cette querelle
-naissante auroit été dès-lors terminée, si
-le duc de Guise, qui gouvernoit le roi par la
-duchesse de Valentinois, n’eût fait rendre
-une ordonnance obscure qui ne décidoit rien;
-et qui servant également de titre aux prétentions
-des princes et des pairs, annonçoit que la
-<span class="pagenum" id="Page_235">235</span>
-dignité des premiers seroit bientôt supérieure
-à celle des seconds.</p>
-
-<p>Quand la pairie n’auroit été conférée qu’à
-des familles d’un ordre égal à celles du duc
-de Guise et du duc de Nevers, ou qu’on
-n’auroit pas oublié que les principales maisons
-du royaume, tiroient leur origine de seigneurs
-puissans qui avoient été princes<a name="FNanchor_333" id="FNanchor_333" href="#Footnote_333" class="fnanchor">[333]</a>, et dont
-les descendans l’auroient encore été, si le
-gouvernement des fiefs eût subsisté en France
-comme il a subsisté en Allemagne, la contestation
-élevée par le duc de Montpensier devoit
-bientôt se terminer à l’avantage des princes
-du sang. Henri II érigea Montmorency en
-pairie; ce n’étoit que faire rentrer cette maison
-dans les droits dont elle avoit joui<a name="FNanchor_334" id="FNanchor_334" href="#Footnote_334" class="fnanchor">[334]</a> sous
-les prédécesseurs de Philippe-Auguste. Mais
-cette grâce, qui n’étoit point un abus du pouvoir
-souverain, ouvrit cependant la porte à mille
-abus. La manie éternelle de tout gentilhomme
-en France, c’est de se croire supérieur à ses
-égaux, et égal à ses supérieurs; l’élévation de
-la maison de Montmorency répandit donc une
-ambition générale parmi les courtisans, et sous
-les règnes foibles qui suivirent celui de Henri II,
-comment des favoris n’auroient-ils pas obtenu
-une dignité qu’ils devoient dégrader? La pairie
-<span class="pagenum" id="Page_236">236</span>
-fut bientôt conférée à des familles d’une noblesse
-ancienne, mais qui n’avoient jamais possédé
-que des fiefs peu distingués. En la voyant
-multiplier, on ne sut plus ce qu’il en falloit
-penser. Le public, trop peu instruit pour juger
-des pairs par leur dignité, jugea de leur dignité
-par leur personne; et sans qu’il fût nécessaire de
-porter une loi pour régler l’ordre que les princes
-et les pairs devoient tenir entre eux, il s’établit
-naturellement et sans effort une subordination
-entre des pairs dont la naissance ne présentoit
-aucune égalité; et c’est ainsi qu’au sacre de
-Charles IX, les pairs qui étoient princes
-donnèrent le baiser à la joue, et les autres
-ne baisèrent que la robe du roi.</p>
-
-<p>Dans le lit de justice qui se tint à Rouen
-pour la majorité du même prince, les droits
-du sang parurent encore supérieurs à ceux
-de la pairie; et les princes, qui n’avoient d’autre
-titre que celui de leur naissance, précédèrent
-les pairs qui n’étoient pas de la maison royale.
-S’il s’élevoit encore quelque contestation, l’événement
-ne pourroit en être douteux; et en
-donnant enfin l’édit qui établit les choses dans
-l’ordre où elles sont actuellement, Henri III<a name="FNanchor_335" id="FNanchor_335" href="#Footnote_335" class="fnanchor">[335]</a>
-affermit une coutume qui avoit déjà acquis
-force de loi. Mais la pairie ne tarda pas à
-<span class="pagenum" id="Page_237">237</span>
-recevoir un second échec: étant moins considérée
-depuis qu’elle étoit multipliée, les
-grandes charges de la couronne devinrent
-l’objet de l’ambition des courtisans. On sait
-qu’en mourant, François de Guise avertit déjà
-son fils de ne pas rechercher ces places qui
-attiroient, disoit-il, la jalousie, l’envie et la
-haine, et qui exposoient à mille dangers ceux
-qui les occupoient. Les pairs avoient un grand
-titre, mais les grands officiers de la couronne
-avoient un pouvoir réel, et c’est ce qui porta
-Henri III à donner à ces officiers la préséance
-sur les pairs<a name="FNanchor_336" id="FNanchor_336" href="#Footnote_336" class="fnanchor">[336]</a>, dont la dignité fut encore
-dégradée par la manière arbitraire dont il disposa
-de leur rang sans égard à l’ancienneté<a name="FNanchor_337" id="FNanchor_337" href="#Footnote_337" class="fnanchor">[337]</a>
-des érections. Cet édit auroit détruit
-l’esprit et toutes les coutumes de notre ancien
-gouvernement, s’il eût été observé dans toute
-son étendue; mais il ne servit à élever au-dessus
-de la pairie que quelques offices que les anciens
-pairs ne regardoient<a name="FNanchor_338" id="FNanchor_338" href="#Footnote_338" class="fnanchor">[338]</a> qu’avec une sorte de
-dédain.</p>
-
-<p>Tandis que ces différentes révolutions annonçoient
-aux grands la ruine de leur pouvoir,
-quand la tranquillité publique seroit rétablie,
-le parlement éprouva aussi diverses fortunes.
-Il étoit naturel qu’une compagnie qui n’avoit
-<span class="pagenum" id="Page_238">238</span>
-de crédit et de considération que par les lois,
-perdit l’un et l’autre au milieu des troubles
-et des désordres de la guerre civile. Le chancelier
-de l’Hôpital lui-même, choqué du fanatisme
-du parlement, tenta une fois de ne
-point y envoyer<a name="FNanchor_339" id="FNanchor_339" href="#Footnote_339" class="fnanchor">[339]</a> les édits pour y être
-vérifiés, mais ce fut sans succès; et l’enregistrement
-continua d’avoir lieu, parce que
-la guerre civile, interrompue par des paix
-fréquentes, ne dura jamais assez long-temps
-pour qu’à la faveur de la nécessité il s’établît
-un usage contraire. Si Henri III ne put s’affranchir
-de cette formalité odieuse au gouvernement
-qu’elle gênoit et qu’il vouloit détruire<a name="FNanchor_340" id="FNanchor_340" href="#Footnote_340" class="fnanchor">[340]</a>,
-il apprit du moins à ses successeurs
-à la rendre inutile; puisqu’il lui suffit
-d’aller tenir son lit de justice au parlement,
-pour que toutes ses volontés devinssent autant
-de lois. Une autorité dont il étoit si aisé de
-trouver la fin, n’auroit laissé aucune considération
-au parlement, si quelques circonstances
-favorables à son ambition ne lui avoient
-rendu une sorte de confiance.</p>
-
-<p>Il arriva entre autres deux événemens qui persuadèrent
-à cette compagnie qu’elle étoit, pour
-ainsi dire, au-dessus de la nation, lorsque la
-tenue des lits de justice auroit dû lui apprendre
-<span class="pagenum" id="Page_239">239</span>
-qu’elle n’avoit en effet aucune autorité. Elle
-eut la hardiesse<a name="FNanchor_341" id="FNanchor_341" href="#Footnote_341" class="fnanchor">[341]</a> de rejeter ou de vouloir
-modifier plusieurs articles de l’édit que Henri
-III publia d’après les remontrances des états
-de Blois. Un prince plus ferme et plus éclairé
-auroit saisi cette occasion pour réprimer les
-entreprises du parlement, et sous prétexte de
-venger la dignité des états qu’il ne craignoit
-pas, se seroit débarrassé pour toujours de
-l’enregistrement qui le gênoit. Mais soit que
-Henri vît avec plaisir qu’on infirmoit une loi
-dont plusieurs articles lui déplaisoient, soit
-que par une suite de sa foiblesse et de l’avilissement
-dans lequel il étoit tombé, il n’osât
-faire un acte de vigueur, cet attentat fut impuni;
-et le parlement, fier d’avoir humilié
-à la fois le roi et la nation dans ses représentations,
-crut follement que son droit d’enregistrement
-étoit plus affermi que jamais; et
-qu’après cet exemple, on ne pourroit plus lui
-contester la puissance législative.</p>
-
-<p>On pourroit peut-être croire que c’est en
-conséquence de cet attentat contre les droits
-de la nation, que le parlement de Paris osa
-s’élever au-dessus des états-généraux de la
-ligue, et lui prescrire des lois. Il fit un arrêt<a name="FNanchor_342" id="FNanchor_342" href="#Footnote_342" class="fnanchor">[342]</a>
-pour ordonner une députation solennelle
-<span class="pagenum" id="Page_240">240</span>
-au duc de Mayenne; et le supplier de ne faire
-aucun traité qui tendît à transférer la couronne
-à quelque prince ou à quelque princesse d’une
-autre nation; on lui insinuoit de veiller au
-maintien des lois de l’état, et de faire exécuter
-les arrêts de la cour donnés pour l’élection
-d’un roi catholique et Français. Puisqu’on lui
-avoit confié l’autorité suprême, il étoit de son
-devoir, lui disoit-on, de prendre garde que
-sous prétexte de servir la religion catholique, on
-n’attentât aux loix fondamentales du royaume,
-en mettant une maison étrangère sur le trône
-de nos rois. Enfin, l’arrêt du parlement cassoit
-et annulloit comme contraires à la loi salique
-tous les traités et conventions qu’on auroit déjà
-faits, ou qu’on pourroit faire dans la suite
-pour l’élection d’une princesse ou d’un prince
-étranger.</p>
-
-<p>Quelque idée que le parlement eût prise
-de son autorité par les modifications qu’il avoit
-mises dans l’enregistrement de l’édit de Blois:
-n’est-il pas vraisemblable qu’étant fanatique
-et ligueur, il n’auroit jamais tenté une pareille
-entreprise, s’il n’y avoit été invité par le duc
-de Mayenne lui-même? C’est après la séparation
-des états de Blois, c’est quand ils n’existoient
-plus, que le parlement les offensa; mais
-<span class="pagenum" id="Page_241">241</span>
-les états de la ligue, présens et maîtres de Paris,
-devoient-ils souffrir patiemment que le parlement
-leur fît la loi? On ne reconnoissoit pas
-dans cette compagnie le droit de disposer
-de la couronne, puisqu’on avoit cru nécessaire
-d’assembler les états pour cette opération.
-Par quel vertige le parlement auroit-il donc
-osé s’ériger en surveillant de leur conduite,
-s’il n’avoit été sûr de la protection du duc de
-Mayenne?</p>
-
-<p>Je croirois que ce seigneur, pressé par les
-intrigues des Espagnols, et ennemi des prétentions
-de la cour de Madrid, qu’il étoit
-cependant obligé de ménager, vouloit leur
-nuire en feignant de la servir. Il se cacha sous
-le nom du parlement, et se servit du crédit de
-cette compagnie pour faire échouer les projets
-de l’Espagne, ou du moins pour y opposer
-un obstacle de plus. Il est vrai que les historiens
-ne disent point que le parlement fût
-invité par le duc de Mayenne à donner cet arrêt
-qui l’élevoit au-dessus des états; mais doit-on
-en être surpris? Le mystère le plus profond
-devoit être l’ame de cette opération, pour
-qu’elle produisît l’effet qu’on en attendoit,
-Mayenne ne s’adressa sans doute qu’aux principaux
-membres du parlement qui lui étoient
-<span class="pagenum" id="Page_242">242</span>
-dévoués; et tout son artifice auroit été perdu
-pour lui, si on eût su qu’il avoit sollicité un
-arrêt contraire aux intérêts de l’Espagne. Ne
-voit-on pas que cet arrêt est dicté par le duc
-de Mayenne? C’est pour lui ouvrir le chemin
-du trône que le parlement en veut écarter les
-étrangers. Si cette compagnie n’eût pas été
-conduite par ce motif secret, si elle eût été véritablement
-attachée à l’ordre de succession,
-en ne voulant cependant rien faire qui pût
-préjudicier à la religion catholique, pourquoi
-ne se seroit-elle pas expliquée d’une manière
-plus claire? Pourquoi n’auroit-elle parlé que
-confusément du successeur de Henri III ou du
-cardinal de Bourbon? Tous les princes de la
-maison royale n’étoient pas hérétiques et relaps;
-et si l’arrêt du parlement n’eût pas été l’ouvrage
-de l’intrigue, il auroit nommé le prince que
-les lois appeloient au trône.</p>
-
-<p>Les historiens disent que le duc de Mayenne
-fut extrêmement irrité de l’arrêt et de la députation
-du parlement: ils devoient dire seulement
-qu’il eut l’art de le paroître. Dans un
-temps où le mensonge, l’intrigue et la fourberie
-étoient l’ame de la politique, étoit-il
-si rare et si difficile d’emprunter des sentimens
-contraires à ceux qu’on avoit en effet? Pour
-<span class="pagenum" id="Page_243">243</span>
-ne se pas brouiller avec les Espagnols, pour
-ralentir leurs démarches, pour ménager ses
-propres partisans, pour persuader aux Parisiens
-mêmes que l’arrêt du parlement étoit
-une bien plus grande importance qu’il n’étoit,
-Mayenne ne devoit-il pas feindre une
-colère qu’il n’avoit pas? S’il eût été véritablement
-irrité, pourquoi n’auroit-il pas cherché
-à soulever les états contre le parlement?</p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="pagenum" id="Page_244">244</div>
-
-<hr class="full" />
-
-<h3>CHAPITRE IV.</h3>
-
-<p class="hang"><i>Des effets que la révolution arrivée dans la fortune
-des grands et du parlement produisit dans
-le gouvernement, après la ruine de la ligue.</i></p>
-
-<p class="first"><span class="smcap">Quand</span> le fanatisme, peu à peu ralenti, ne
-fut plus capable de faire supporter avec constance
-les maux de la guerre, quand on goûta
-enfin les douceurs de la paix, la nation ne se
-représenta qu’avec une sorte d’effroi le tableau
-des troubles dont elle avoit été la victime. La
-lassitude du passé, et l’espérance d’un avenir
-plus heureux lui donnèrent un nouvel esprit
-et de nouvelles mœurs. On n’avoit été touché
-d’aucune des vertus de Henri IV, et quand
-on l’eut connu, on ne voulut voir aucun de
-ses défauts; à l’exception de quelques fanatiques
-dévoués aux intérêts de l’Espagne, et
-dont la haine contre les réformés étoit implacable,
-le peuple se livroit à son <ins title="engoument">engouement</ins>
-et vouloit avoir un maître qui le contînt.
-Henri devoit jouir d’un pouvoir d’autant plus
-étendu, que les grands, plus divisés entre
-eux qu’ils ne l’avoient jamais été, ne
-<span class="pagenum" id="Page_245">245</span>
-pouvoient, comme autrefois, former des cabales,
-et par leurs ligues ou leurs divisions inquiéter
-et troubler le gouvernement.</p>
-
-<p>Les princes du sang, en s’élevant, comme on
-l’a vu, au-dessus des pairs, augmentèrent
-puérilement leur dignité, et diminuèrent réellement
-leur puissance. Séparés des grands, qui
-n’étoient pas familiarisés avec cette distinction
-qui les choquoit, ils n’eurent que leurs propres
-forces à opposer à la puissance royale; et ces
-forces étoient trop médiocres pour qu’elles
-pussent les mettre en état de maintenir les
-principes que le prince de Condé avoit retirés
-de l’oubli, et prétendre avoir part au gouvernement.</p>
-
-<p>Les fils d’Henri II, ayant honoré plusieurs
-familles de la pairie, il n’étoit plus possible,
-en suivant l’esprit de son institution, de les
-associer toutes au gouvernement; et cependant,
-leur nombre étoit trop petit pour former
-un corps puissant; de sorte que la
-pairie se trouvoit destituée à la fois de ses
-fonctions réelles, de son pouvoir, et des
-forces nécessaires pour les recouvrer. En aspirant
-aux distinctions honorifiques que conservoit
-les pairs, la haute noblesse, qui n’en
-jouissoit pas, en devint ennemie. Cette rivalité
-<span class="pagenum" id="Page_246">246</span>
-affoiblit tous les grands, et ne pouvant
-être puissans que par la faveur et les grandes
-charges de la cour, il fut encore plus facile
-à Henri IV, qu’il ne l’avoit été à François I,
-de les contenir tous dans l’obéissance, et de
-ne confier son autorité qu’à des personnes qui
-ne pourroient la tourner contre lui.</p>
-
-<p>Cette situation des grands devoit leur faire
-perdre insensiblement les idées de grandeur,
-de fortune et d’indépendance auxquelles ils
-s’étoient accoutumés pendant la guerre civile;
-mais, en attendant qu’ils eussent pris un caractère
-convenable à leur foiblesse actuelle, il y
-avoit entre eux une sorte de fermentation
-sourde, et ils regrettoient l’ancien gouvernement
-des fiefs. Cette ambition que le duc de
-Guise avoit réprimée, tant qu’il s’étoit flatté
-d’usurper la couronne, le duc de Mayenne
-l’avoit fait revivre: lorsqu’obligé de renoncer
-aux projets ambitieux de sa maison, il voyoit
-la décadence de son parti, il demanda que
-le gouvernement des provinces de Bourgogne,
-de Champagne et de Brie, fut héréditaire en
-faveur de ses descendans. Le duc de Mercœur,
-cantonné en même temps dans la Bretagne,
-la regarda comme son domaine, et
-espéroit de la tenir aux mêmes conditions
-<span class="pagenum" id="Page_247">247</span>
-que ses anciens ducs, tandis que le duc de
-Nemours affectoit dans son gouvernement l’indépendance
-et l’autorité d’un souverain. Mais
-ces seigneurs prirent trop tard une résolution
-qui leur auroit réussi quelques années plutôt.
-Les peuples qui commençoient à se lasser de
-la guerre civile, n’étoient pas disposés à
-s’exposer pour l’intérêt des grands à des maux
-que l’intérêt même de la religion ne pouvoit
-plus leur faire supporter; et les grands, si
-je puis m’exprimer ainsi, furent autant vaincus
-par cet esprit d’obéissance et de monarchie
-auquel ils avoient accoutumé la nation, que
-par les armes d’Henri IV.</p>
-
-<p>En obéissant, ils ne pouvoient cependant
-s’empêcher de murmurer, et sans se rendre
-compte de leurs projets, ou plutôt de leurs
-vues, ils espéroient toujours que quelques
-circonstances heureuses les mettroient à portée
-de se cantonner dans les provinces. Rien n’est
-plus propre à prouver combien les grands
-étoient timides, petits et inconsidérés dans
-leur ambition, que le fait bizarre que je vais
-raconter; et je voudrois, pour l’honneur de
-leur politique, qu’on en pût douter. Ils imaginèrent
-qu’Henri IV, embarrassé par la guerre
-qu’il soutenoit contre l’Espagne, et qui
-<span class="pagenum" id="Page_248">248</span>
-sembloit avoir épuisé ses ressources, consentiroit
-à céder ses provinces<a name="FNanchor_343" id="FNanchor_343" href="#Footnote_343" class="fnanchor">[343]</a> sous la foi et l’hommage,
-à condition que ses nouveaux vassaux
-lui fourniroient les secours dont il avoit besoin.
-Si on ne connoissoit pas l’extrême illusion
-que se font quelquefois les passions, il
-seroit inconcevable que les grands se fussent
-persuadés que cette ridicule proposition seroit
-acceptée. L’espèce d’arrangement et d’ordre
-qu’ils mirent dans leur projet est le comble
-du délire. Les seigneurs, qui avoient les gouvernemens
-les plus importans, consentoient
-à en démembrer quelques portions pour faire
-des souverainetés à d’autres seigneurs qui ne
-commandoient dans aucune province, et qui,
-sans cet abandon, n’auroient trouvé aucun
-avantage à voir renaître le gouvernement
-féodal, ou plutôt qui s’y seroient opposés
-pour ne se pas voir dégradés et avilis par la
-fortune de leurs pareils.</p>
-
-<p>Le duc de Montpensier, chargé par ses
-collègues de négocier cette affaire, ou plutôt
-de la proposer au roi, commença par lui
-faire valoir le zèle, la fidélité et l’attachement
-des personnes qui vouloient le dépouiller;
-il tâcha de prouver que l’abandon des provinces
-et le rétablissement des fiefs étoit le seul
-<span class="pagenum" id="Page_249">249</span>
-moyen de résister aux forces de la maison
-d’Autriche; et Henri IV dut se trouver heureux
-de n’avoir affaire qu’à des conjurés si
-méprisables; s’il est vrai cependant qu’on
-puisse donner le nom de conjuration à une
-ineptie si ridiculement imaginée et proposée.</p>
-
-<p>Le maréchal de Biron eut une conduite plus
-conséquente: tourmenté par son ambition, et
-ne voyant dans l’esprit général des peuples
-aucune disposition au démembrement du
-royaume, ce ne fut pas à Henri IV, mais
-à ses ennemis qu’il s’adressa pour rétablir les
-fiefs. Dans le traité qu’il avoit<a name="FNanchor_344" id="FNanchor_344" href="#Footnote_344" class="fnanchor">[344]</a> fait avec
-la cour de Madrid et de Turin, on étoit convenu
-qu’il épouseroit une princesse de Savoye,
-et qu’il auroit pour lui et les siens la souveraineté
-du <ins title="du chéde">duché de</ins> Bourgogne; que si on parvenoit
-à enlever la couronne à Henri, on la
-rendroit élective; et que des grands gouvernemens,
-on feroit autant de principautés qui ne
-dépendroient du roi que de la même manière
-dont les électorats dépendent de l’empereur. Si
-une pareille entreprise eût été conduite avec
-assez de secret pour qu’elle eût éclaté avant
-que le gouvernement en fût instruit, jamais
-la monarchie n’auroit été menacée d’un plus
-grand péril. L’ambition des grands, qui étoit
-<span class="pagenum" id="Page_250">250</span>
-plutôt assoupie qu’éteinte, auroit été instruite
-par cet exemple de la route qu’elle devoit
-prendre. Tous les grands auroient éclaté à la
-fois, ou tous du moins, étant devenus suspects
-au gouvernement, l’auroient jeté dans le plus
-grand embarras: il étoit de l’intérêt des alliés
-du maréchal de Biron de démembrer la
-France, et leur premier succès auroit certainement
-fait paroître des révoltés dans plusieurs
-provinces. En partageant ses forces pour
-soumettre tous les rebelles à la fois, Henri IV
-se seroit exposé à succomber par-tout. Si
-son courage et sa sagesse n’avoient pas également
-soumis toutes les provinces, la révolution
-n’étoit que retardée; l’exemple d’un
-seul gouverneur, qui auroit réussi à s’établir
-dans son gouvernement, auroit entretenu
-une fermentation continuelle dans le
-royaume. Un rebelle heureux auroit travaillé
-à multiplier les démembremens pour diviser
-les forces du roi, et n’être pas seul l’objet
-de son ressentiment. Selon les apparences,
-la France, toujours agitée par des intrigues
-et des révoltes sous le règne de Henri IV,
-auroit vu renaître le gouvernement féodal
-après la mort de ce prince. Heureusement la
-conjuration du maréchal de Biron fut découverte
-<span class="pagenum" id="Page_251">251</span>
-à temps; et dans la disposition où se
-trouvoient les esprits, son supplice suffit pour
-faire perdre entièrement aux grands le souvenir
-de leurs anciens fiefs: on ne voit
-pas du moins que depuis ils aient <ins title="tentés">tenté</ins> de
-les rétablir.</p>
-
-<p>Tandis que tout fléchissoit enfin sans résistance
-sous le pouvoir de Henri, le parlement,
-qui voyoit avec plaisir l’abaissement
-des grands, éprouva à son tour que l’esprit
-d’obéissance qui étoit répandu dans tous les
-ordres de l’état, ruinoit son pouvoir négatif
-et modificatif, et qu’il étoit condamné à ne
-plus faire que des remontrances inutiles.
-Vaincu, pour ainsi dire, par la solennité
-des lits de justice, et ne pouvant rien refuser
-au roi, il chercha à s’en dédommager
-aux dépens de la nation, dont il avoit déjà
-usurpé plusieurs fonctions. Lorsque Henri IV
-convoqua une assemblée de notables à Rouen
-en 1595, le parlement de Paris s’en plaignit,
-alléguant qu’il étoit contre l’usage<a name="FNanchor_345" id="FNanchor_345" href="#Footnote_345" class="fnanchor">[345]</a> que
-les états se tinssent hors du ressort du premier
-parlement du royaume: cette prétention
-auroit été absurde, si le parlement, enhardi
-par ses entreprises contre les états de Blois
-et les états de la ligue, n’avoit voulu donner
-<span class="pagenum" id="Page_252">252</span>
-à entendre que ces assemblées étoient soumises
-à sa juridiction, et qu’il étoit nécessaire
-qu’elles se tinssent dans l’étendue de
-son ressort, pour qu’il pût les juger, les
-réprimer, et les contenir, s’il en étoit besoin.</p>
-
-<p>C’est dans ce temps que le parlement
-commença à se faire un systême qu’il a
-depuis manifesté dans plusieurs occasions. Il
-imagina qu’il représente les anciens champs
-de Mars et de Mai, et, chose inconcevable!
-que les états-généraux, tels que Philippe-le-Bel
-et ses successeurs les avoient convoqués,
-ne tenoient point à la constitution
-primitive de la nation, et que tout leur
-droit se bornoit à faire des demandes et
-des représentations dont le conseil du roi
-jugeoit arbitrairement. Le parlement prétendit
-être le conseil nécessaire des rois<a name="FNanchor_346" id="FNanchor_346" href="#Footnote_346" class="fnanchor">[346]</a>, et
-ne former avec lui qu’une seule puissance
-pour gouverner la nation. La vanité dans
-les affaires est l’avant-coureur de la petitesse;
-et le parlement, bientôt convaincu,
-par des efforts impuissans, qu’il ne pouvoit
-pas disposer de la puissance royale, se
-borna à disputer du rang et de la dignité
-avec les deux premiers ordres de l’état.</p>
-
-<p>L’assemblée des notables qui se tint à
-<span class="pagenum" id="Page_253">253</span>
-Paris en 1626, est une preuve évidente de
-ce que j’avance: on étoit convenu d’opiner
-dans ces conférences<a name="FNanchor_347" id="FNanchor_347" href="#Footnote_347" class="fnanchor">[347]</a> par corps et non par
-tête; et les officiers des cours supérieures, se
-croyant avilis par cette manière de recueillir
-les voix, représentèrent au duc d’Orléans, qui
-présidoit cette assemblée, qu’outre qu’elle
-étoit préjudiciable et même honteuse aux
-officiers de justice, qui par-là se trouveroient
-séparés et distingués du clergé et de la noblesse
-pour être compris et confondus dans
-un ordre inférieur; elle étoit nouvelle et
-contraire aux usages pratiqués jusqu’alors.
-Ces officiers ne se rappeloient pas sans doute
-ce qui s’étoit passé sous Henri II, après
-la bataille de Saint-Quentin, et qu’ils avoient
-regardé comme une faveur de former un
-ordre mitoyen entre la noblesse et le tiers-état:
-c’est assez la coutume du parlement
-d’oublier les faits qui ne sont pas favorables
-à ses prétentions.</p>
-
-<p>Le duc d’Orléans n’ayant pas eu égard
-à ces requisitions, les magistrats portèrent
-leurs plaintes au roi, et lui montrèrent
-que «les députés des cours souveraines ne
-pouvoient consentir à opiner par corps,
-puisque représentant leurs compagnies
-<span class="pagenum" id="Page_254">254</span>
-composées de tous les ordres du royaume, ils
-se verroient néanmoins réduits au plus bas,
-et à représenter le tiers ordre séparé de
-ceux du clergé et de la noblesse, lesquels
-n’avoient à présent sujet de se distinguer
-d’eux, puisque toujours ils ont réputé à
-honneur de pouvoir être reçus à opiner
-avec eux dans lesdites compagnies; que la
-vocation que eux tous avoient en ladite
-assemblée étoit différente, en ce que ceux
-du clergé et de la noblesse y sont appelés
-par la volonté et faveur particulière du roi,
-qui en cela avoit voulu reconnoître le mérite
-d’un chacun d’eux; mais que les premiers
-présidens et les procureurs généraux
-y étoient appelés par les lois de l’état, suivies
-de la volonté de sa majesté pour y représenter
-toute la justice souveraine.»</p>
-
-<p>Il est mieux d’examiner de quelle manière
-les hommes se forment des prétentions, et
-comment ces prétentions se changent en
-droits. Le parlement devient par surprise,
-par la négligence et l’ignorance des pairs, la
-cour des pairs; et bientôt il regarde comme
-un privilége pour les pairs de pouvoir y
-siéger, quoique ce prétendu privilége ne
-soit qu’une dégradation de la pairie. Il
-<span class="pagenum" id="Page_255">255</span>
-prétend qu’il est composé de tous les ordres
-de la nation, parce qu’il compte parmi
-ses magistrats quelques gentilshommes et
-quelques ecclésiastiques d’un ordre inférieur;
-c’est qu’il veut être le corps représentatif de
-la nation, et accoutumer le public à cette
-idée extraordinaire. En vertu de quel titre
-le parlement pouvoit-il dire que le clergé
-et la noblesse n’étoient reçus que par grâce
-aux assemblées de notables, et que les seuls
-magistrats en étoient les membres nécessaires?
-C’est ainsi que dans un royaume
-où personne ne veut se tenir à sa place,
-où chacun aspire à s’introduire dans un
-ordre qui refuse de le recevoir, une vanité
-puérile devient le principal intérêt de tous
-les citoyens. Le parlement s’essayoit à se
-mettre au-dessus des états-généraux, en dégradant
-les différens ordres qui les composent;
-bientôt il publiera ouvertement sa
-doctrine, et sous prétexte que les pairs
-ne sont que conseillers de la cour, il prétendra
-que ses présidens sont revêtus d’une
-dignité supérieure à la pairie.</p>
-
-<p>J’aurois quelque honte de m’arrêter à ces
-minuties, si ces minuties de rang n’avoient été
-de la plus grande importance chez presque
-<span class="pagenum" id="Page_256">256</span>
-tous les peuples, et n’étoient d’ailleurs très-propres
-à faire connoître dans quel oubli
-le pouvoir absolu de Henri IV avoit fait
-tomber les règles, les principes, les lois
-et les coutumes. Quand la France perdit
-ce prince, aucune voix ne se fit entendre
-en faveur des états-généraux; personne ne
-dit qu’ils étoient nécessaires pour régler la
-forme du gouvernement. Les grands étoient
-trop humiliés pour oser s’assembler au
-Louvre, proclamer Louis XIII et déférer la
-régence à sa mère. Marie de Médicis et ses
-créatures ne virent, au milieu de cette
-dégradation générale de tous les ordres,
-que le parlement qui eût des prétentions,
-et conservât la forme d’un corps. La reine
-le pria de s’assembler pour examiner ce
-qu’il seroit le plus important de faire dans
-une conjoncture si fâcheuse; et cette compagnie,
-trouvant une occasion de se saisir
-d’un droit qui n’appartenoit qu’aux états-généraux,
-donna un arrêt par lequel il conféroit
-la régence à la reine. Le lendemain,
-quand le jeune roi vint tenir son lit de
-justice, ce ne fut qu’une vaine formalité
-pour déclarer que, conformément<a name="FNanchor_348" id="FNanchor_348" href="#Footnote_348" class="fnanchor">[348]</a> à l’arrêt
-donné la veille, sa mère étoit régente.</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_257">257</span>
-Cette conduite étoit digne d’une nation,
-qui, depuis sa naissance, n’avoit pu encore
-parvenir à se faire un gouvernement, et qui,
-ayant pris l’habitude de ne consulter que des
-convenances momentanées, n’avoit aucun
-intérêt déterminé, et devoit par conséquent
-éprouver encore des agitations domestiques.</p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="pagenum" id="Page_258">258</div>
-
-<hr class="full" />
-
-<h3>CHAPITRE V.</h3>
-
-<p class="hang"><i>Situation du royaume à la mort de Henri IV.&mdash;Des
-causes qui préparoient de nouveaux troubles.</i></p>
-
-<p class="first"><span class="smcap">Tout</span> avoit fléchi sous la main de
-Henri IV; la douceur de son administration
-avoit fait aimer son autorité; sa vigilance
-à prévenir les moindres désordres avoit
-entretenu l’obéissance et la tranquillité publique;
-mais, qui pouvoit répondre que ses
-successeurs seroient plus heureux, plus sages
-et plus habiles que les derniers Valois? Sur
-quel fondement espéroit-on qu’on ne verroit
-plus sur le trône des Henri II, des Charles
-IX, des Henri III, des Catherine de
-Médicis? A l’exception du maréchal de
-Biron, les derniers ambitieux n’avoient été
-que des imbécilles qu’il étoit facile de réprimer;
-mais, comptoit-on qu’il n’y auroit
-plus de prince de Condé, ni de duc de
-Guise? S’il paroissoit un nouveau maréchal
-de Biron, étoit-on sûr qu’il auroit le même
-sort que le premier? Les grands pouvoient
-encore sortir de leur néant. En voyant les
-<span class="pagenum" id="Page_259">259</span>
-succès heureux de sa vanité, le parlement
-pouvoit encore devenir ambitieux. La puissance
-d’un prince foible ne remédie à aucun
-des maux que doit produire sa foiblesse.
-Plus le pouvoir est grand, plus il est voisin
-de l’abus; et si tous les hommes ont besoin
-qu’il y ait des lois et des magistrats qui les
-contiennent, par quelle imprudence espéroit-on
-qu’un monarque, qui n’est qu’un
-homme, remplira ses devoirs difficiles dans
-le temps qu’on les a multipliés en augmentant
-son autorité, et que ses passions ne sont
-point réprimées par la crainte d’une puissance
-qui l’observe?</p>
-
-<p>Sully étoit-il assez modeste pour croire
-que des ministres tels que lui seroient désormais
-communs? En voyant avec quelle
-peine il retiroit, pour ainsi dire, le royaume
-de ses ruines, et combien il éprouvoit de
-traverses, non-seulement de la part des
-courtisans et de tous les ordres de l’état,
-mais de la part même d’un prince qui
-aimoit la justice et le bien public, et qui
-s’étoit formé à l’art de régner en passant
-par les épreuves les plus terribles, pouvoit-il
-ne pas prévoir que l’édifice qu’il
-élevoit seroit ruiné en un jour? Les sujets
-<span class="pagenum" id="Page_260">260</span>
-d’un bon roi sont heureux; mais qu’importe
-à la société ce bonheur fragile et passager?
-Aux yeux de la politique, ce n’est rien
-d’avoir un bon roi, il faut avoir un bon
-gouvernement. Comment ce tableau que
-Sully se faisoit de l’avenir, ne le décourageoit-il
-pas dans ses opérations? Sans
-doute que la passion de dominer arbitrairement
-est de toutes les passions la plus
-impérieuse, même dans les ministres qui
-ne jouissent que d’une autorité empruntée
-et passagère; sans doute qu’un Charlemagne,
-qui cherche à diminuer son autorité pour
-l’affermir, est un prodige qu’on ne doit
-voir tout au plus qu’une fois dans une
-monarchie.</p>
-
-<p>Si on y fait attention, on s’apercevra sans
-peine, qu’à l’avénement de Louis XIII au
-trône, le gouvernement se trouvoit dans la
-même situation où il avoit été sous les règnes
-des princes qui virent allumer les guerres
-que Henri IV avoit éteintes. Les deux religions,
-qui, en divisant la France, avoient
-fait tomber le roi et les lois dans le mépris,
-subsistoient encore: et si, après s’être
-fait la guerre pendant long-temps, elles
-étoient lasses de se battre, elles ne l’étoient
-<span class="pagenum" id="Page_261">261</span>
-pas de se haïr. En voyant la fin malheureuse
-de Henri IV, les réformés ne pouvoient
-s’empêcher de prévoir les dangers dont ils
-étoient menacés; et dès qu’ils avoient lieu
-de craindre le zèle immodéré des catholiques,
-on devoit se rappeler de part et d’autre les
-injures que les deux religions s’étoient faites.</p>
-
-<p>La persécution exercée sur les réformés
-par Henri II les préparoit à la révolte sous
-son fils; et la crainte, non pas d’essuyer les
-mêmes persécutions, mais de voir ruiner
-leurs priviléges sous Louis XIII, devoit les
-tenir unis et disposés à agir de concert
-pour leur défense commune. Tandis que les
-catholiques, délivrés d’un prince tolérant, se
-flattoient de renverser leurs ennemis qui n’avoient
-plus de protecteurs, les réformés durent
-s’effaroucher, en voyant passer le gouvernement
-dans les mains d’une princesse qui,
-pour parler le langage des novateurs, avoit
-sucé en Italie les superstitions de l’église
-romaine. Marie de Médicis confirma, il est
-vrai, l’édit de Nantes en parvenant à la régence.
-Mais que prouve cette vaine cérémonie?
-Que la loi de Henri IV avoit acquis
-peu de crédit, et que les réformés ne la
-regardoient pas comme un rempart assuré
-<span class="pagenum" id="Page_262">262</span>
-de leur liberté. Si la puissance royale s’étoit
-accrue, les calvinistes de leur côté étoient plus
-forts et plus puissans qu’ils ne l’avoient été
-sous les règnes précédens, et ils avoient entre
-eux des liaisons et des correspondances qu’il
-avoit autrefois fallu former.</p>
-
-<p>Le souvenir des maux qu’on avoit éprouvés
-pendant la guerre civile, pouvoit s’effacer,
-et le fanatisme reprendre de nouvelles forces,
-si des ambitieux habiles entreprenoient de
-se servir du ressort puissant de la religion
-pour exciter des troubles nécessaires à l’accroissement
-de leur fortune particulière. Depuis
-que l’esprit de la ligue avoit été détruit,
-il auroit fallu, il est vrai, un concours de
-circonstances extraordinaires pour qu’il se
-formât une nouvelle maison de Guise, et que
-les successeurs de Henri IV fussent exposés
-au danger qu’avoit couru Henri III de perdre
-la couronne et de se voir reléguer dans un
-cloître. Mais il ne falloit que des talens et des
-événemens communs pour produire à la fois
-cent ambitieux qui entreprendroient de se
-cantonner dans leurs gouvernemens ou dans
-leurs terres; et au défaut de capacité, leur
-nombre pouvoit les faire réussir.</p>
-
-<p>Quand Henri IV voulut étouffer les haines
-<span class="pagenum" id="Page_263">263</span>
-de religion, les catholiques<a name="FNanchor_349" id="FNanchor_349" href="#Footnote_349" class="fnanchor">[349]</a> se plaignoient
-que l’exercice de leur culte ne fût pas établi
-dans plusieurs villes, et même dans plusieurs
-provinces, comme il devoit l’être en vertu
-des édits donnés dans les temps de troubles.
-Les protestans, de leur côté, ne se contentoient
-pas qu’on remît simplement en vigueur les
-différens priviléges qu’on leur avoit accordés
-jusques-là, et désiroient une liberté plus
-étendue. Ils exigeoient beaucoup de la reconnoissance
-du roi qui leur devoit sa couronne;
-et les autres, fiers de la supériorité de leurs
-forces et d’avoir forcé Henri à rentrer dans
-le sein de l’église, avoient un zèle amer, et
-ne toléroient un édit favorable aux réformés
-que dans l’espérance que des conjonctures
-plus heureuses permettroient de le violer.</p>
-
-<p>Pour établir une paix solide entre les deux
-religions, il auroit fallu établir entre elles
-une égalité entière; et puisque la doctrine
-des réformés n’étoit pas moins propre que celle
-des catholiques à faire des citoyens utiles et
-vertueux, les uns et les autres avoient droit
-de jouir des mêmes avantages. Ce n’est que
-par cette conduite que les Allemands sont
-parvenus à détruire le fanatisme et à affermir
-la tranquillité publique dans leur patrie. Si
-<span class="pagenum" id="Page_264">264</span>
-le gouvernement de France n’étoit pas aussi
-favorable à cette opération que le gouvernement
-de l’Empire, Henri IV ne devoit négliger
-aucun moyen pour faire respecter sa
-loi, c’est-à-dire, pour lui donner des protecteurs
-et des garans puissans, qui inspirassent
-une sécurité entière aux protestans, et ne
-laissassent aucune espérance de succès au
-fanatisme des catholiques. Les traités de Munster
-et d’Osnabrug calmèrent les esprits en
-Allemagne, parce que les religions ennemies
-furent également persuadées que leurs chefs
-avoient fait dans de longues négociations,
-tout ce qui dépendoit d’eux pour obtenir
-les conditions les plus avantageuses; et
-qu’ainsi, elles n’auroient rien de plus utile à
-attendre d’une nouvelle guerre et d’une nouvelle
-paix. D’ailleurs, chaque religion étoit
-sûre de jouir des avantages qu’elle avoit obtenus;
-parce que tous les tribunaux de l’Empire,
-composés de juges choisis dans les deux
-religions, suffisoient pour réprimer les petits
-abus; et que dans le cas d’une infraction
-aux traités qui pourroit avoir des suites
-dangereuses et étendues, chaque parti avoit
-des protecteurs sur la vigilance et les intérêts
-desquels il pouvoit se reposer, et assez
-<span class="pagenum" id="Page_265">265</span>
-puissans pour défendre sa liberté et ses
-droits.</p>
-
-<p>Il en auroit été à peu près de même en
-France, si les états-généraux, au-lieu d’être
-détruits par les prédécesseurs de Henri IV,
-avoient été assez solidement établis pour devenir
-un ressort ordinaire et nécessaire du
-gouvernement. Plus ils auroient approché de
-la perfection dont ils sont susceptibles, plus
-il est vraisemblable que les Français ne se
-seroient point déchirés par les guerres civiles
-qui répandirent tant de sang. Qu’on ne m’objecte
-pas que le parlement d’Angleterre et les
-diètes de l’Empire ne préservèrent ni les Anglais
-ni les Allemands des mêmes calamités; ces
-assemblées<a name="FNanchor_350" id="FNanchor_350" href="#Footnote_350" class="fnanchor">[350]</a> nationales n’étoient plus ce
-qu’elles devoient être, quand elles virent naître
-les divisions domestiques. Si Henri IV avoit
-voulu établir une paix solide, il devoit convoquer
-les états-généraux et profiter de la
-lassitude où l’on étoit de la guerre, pour
-rapprocher les catholiques et les réformés, et
-les faire conférer ensemble sur leurs divers
-intérêts. Il est naturel que les peuples aient
-plus de confiance à des assemblées qui ont
-nécessairement des maximes nationales, et
-dont toutes les opérations et les résolutions
-<span class="pagenum" id="Page_266">266</span>
-sont politiques, qu’au conseil du prince qui
-ne consulte ordinairement que des convenances
-passagères et mobiles, dont les résolutions
-ne sont que trop souvent l’ouvrage de
-l’intrigue, et qui se fait par principe des intérêts
-contraires à ceux du public. A l’exemple
-de Charlemagne, Henri devoit être l’ame de
-ces états. Il étoit assez puissant pour inspirer
-aux chefs des deux partis l’esprit de paix
-et de conciliation. Le calme se seroit répandu
-dans les provinces, parce qu’elles auroient
-été consultées. On se seroit accoutumé à
-jouir paisiblement des avantages qu’on auroit
-obtenus, parce qu’on auroit été sûr de les
-conserver sous la garantie et la protection
-d’un corps puissant, au lieu de n’avoir qu’une
-promesse vaine sur laquelle il étoit imprudent
-de compter.</p>
-
-<p>Henri auroit ôté aux grands un moyen de se
-faire craindre du gouvernement; ils n’auroient
-pu continuer à entretenir les haines de religion,
-en répandant parmi le peuple les soupçons
-et la défiance. Ce prince, en un mot,
-digne de l’amour qu’on avoit pour lui, se
-seroit délivré de l’inquiétude que le fanatisme
-des catholiques lui donna pendant toute sa
-vie et dont il fut enfin la victime. Il auroit
-<span class="pagenum" id="Page_267">267</span>
-réparé les torts de ses prédécesseurs depuis
-Charles VIII, et auroit donné un appui à
-ses successeurs, qui, ayant au contraire la
-témérité de se charger comme lui de tout
-ordonner, de tout régler, de tout gouverner
-par eux-mêmes, devoient encore éprouver
-et faire éprouver à leurs sujets bien des malheurs.</p>
-
-<p>Dès que Henri IV vouloit pacifier le royaume,
-non pas comme arbitre et médiateur, mais
-comme législateur, il ne pouvoit qu’offenser
-les réformés sans satisfaire les catholiques.
-Les deux religions devoient également murmurer
-contre lui, et se plaindre qu’il n’eût
-pas tenu la balance égale entre elles; chacune
-devoit se flatter que, si elle eût elle-même
-discuté ses intérêts, elle auroit obtenu de plus
-grands avantages, ou n’auroit pas fait des pertes
-si considérables. Les catholiques étoient les
-plus nombreux et les plus puissans; il fallut,
-pour ne les pas soulever, contraindre les réformés
-à renoncer à plusieurs avantages dont
-ils étoient en possession, et qu’ils devoient
-aux succès de leurs armes. L’édit de Nantes
-paroît l’ouvrage de la mauvaise foi ou d’une
-politique timide qui tend des piéges; il est
-nécessaire d’en examiner quelques articles,
-<span class="pagenum" id="Page_268">268</span>
-pour faire mieux juger de la situation incertaine
-où se trouvoit le royaume.</p>
-
-<p>On obligea les réformés à restituer les églises
-dont ils s’étoient emparés, et les biens qui
-en dépendoient. On leur défendit de tenir leurs
-prêches dans des habitations ecclésiastiques.
-On autorisa les catholiques à acheter les bâtimens
-construits par les réformés sur les fonds
-qui appartenoient à l’église, ou à demander
-en justice qu’ils achetassent les fonds attachés
-à ces bâtimens. Henri IV n’osoit trancher aucune
-difficulté; ainsi l’édit de pacification, qui
-n’auroit dû travailler qu’à abolir le souvenir
-des usurpations passées et des prétentions réciproques
-des deux religions, préparoit de nouvelles
-discussions entre elles, et par-là fomentoit
-leur haine.</p>
-
-<p>Les seigneurs hauts-justiciers qui avoient
-embrassé la réforme eurent dans leurs châteaux
-l’exercice public de leur religion; mais ceux
-dont les terres étoient moins qualifiées, n’obtinrent
-cette liberté que pour eux ou trente
-personnes. Si leurs fiefs étoient dans la mouvance
-d’un seigneur catholique, ils ne pouvoient
-même jouir de cette liberté de conscience,
-sans en avoir obtenu sa permission.
-Cet exercice de la religion réformée étoit
-<span class="pagenum" id="Page_269">269</span>
-d’autant moins capable de satisfaire ceux qui
-la professoient, qu’un seigneur haut justicier
-n’avoit un prêche dans son château qu’autant
-qu’il l’habitoit. S’il s’absentoit, le pays étoit
-ridiculement privé de son culte; il étoit même
-exposé à le perdre sans retour, si cette terre,
-par vente, succession ou autrement, passoit
-à un seigneur catholique. Comment pouvoit-on
-exiger que les réformés fussent tranquilles
-sur leur état, et ne donnassent aucune inquiétude
-au gouvernement, tandis qu’ils ne jouissoient
-que d’une manière précaire et passagère
-de la liberté de conscience? Si on craignoit
-les réformés, on ne pouvoit leur accorder un
-exercice trop public de leur religion; ces
-petits prêches, toujours à la veille d’être fermés
-ou interdits, n’étoient propres qu’à être des
-foyers d’intrigue, de cabale et de fanatisme.</p>
-
-<p>Il fut défendu aux réformés de faire aucun
-exercice de leur religion à la cour, à la suite
-de la cour, à Paris, ni à cinq lieues de cette
-capitale. Si ce n’étoit pas leur dire que leur
-religion étoit odieuse, c’étoit du moins les
-avertir qu’elle ne devoit s’attendre à aucune
-faveur. Pourquoi la loi qui devoit être impartiale
-pour être raisonnable, montre-t-elle
-cette partialité? C’étoit attiser le feu qu’on
-<span class="pagenum" id="Page_270">270</span>
-vouloit éteindre; ce n’étoit pas une loi, mais
-un traité qu’il falloit mettre entre les deux
-religions. Croira-t-on que les Allemands se
-fussent soumis à l’ordre établi par la paix de
-Westphalie, s’il eût été l’ouvrage d’un législateur,
-quoique les articles en soient aussi
-sages que ceux de l’édit de Nantes le sont
-peu?</p>
-
-<p>Il dut paroître d’autant plus insupportable
-aux réformés de payer la dixme aux ministres
-de la religion romaine, qu’il étoit très-injuste
-à ceux-ci de l’exiger. Il falloit donc qu’ils
-payassent leurs ministres, et c’étoit les soumettre
-à une nouvelle contribution: il ne
-convenoit pas même que le gouvernement se
-chargeât de leur payer leur salaire; parce qu’<ins title="ils">il</ins>
-n’étoit pas de l’intérêt des réformés que leurs
-ministres fussent à la charge de l’état, et
-qu’ils pouvoient regarder ces salaires comme
-une source de corruption. Pourquoi les obliger
-d’observer les fêtes prescrites aux catholiques,
-de s’abstenir ce jour-là de tout travail ou de
-ne travailler qu’en secret, et enfin de se
-soumettre à l’égard du mariage aux lois de
-l’église romaine sur les degrés de consanguinité
-ou de parenté? Tous ces réglemens
-devoient éloigner les uns des autres des
-<span class="pagenum" id="Page_271">271</span>
-citoyens qu’il falloit rapprocher. Je sais que
-dans la pratique on adoucissoit la rigueur
-de cette loi; on fermoit les yeux; mais cette
-condescendance pouvoit-elle rassurer les réformés,
-quand ils voyoient les catholiques
-armés de la loi contre eux? Qu’on me permette
-de le dire, il est ridicule, il est dangereux
-de faire une loi qu’il est sage de ne pas faire
-observer exactement; et quand un gouvernement
-en est réduit à cette extrémité, ne doit-il
-pas juger qu’il est à la veille d’éprouver
-quelque malheur, et qu’il a pris par conséquent
-un mauvais parti?</p>
-
-<p>Je serois trop long, si je voulois examiner
-ici chaque article de l’Édit de Nantes, et en
-faire voir les inconvéniens; mais je ne puis
-me dispenser d’y faire remarquer une contradiction
-monstrueuse. Tandis que le gouvernement
-avoit une si grande peur des états-généraux,
-et ne vouloit pas leur abandonner
-le soin de concilier les deux religions, pourquoi
-permettoit-il aux réformés de s’assembler
-tous les trois ans et d’avoir des places de sûreté.
-Si, par ce privilége, on vouloit préparer la
-France à devenir protestante, il ne falloit
-donc pas par les autres articles préparer la
-ruine du calvinisme. Puisqu’on ne cherchoit
-<span class="pagenum" id="Page_272">272</span>
-en effet par l’édit de Nantes qu’à tendre des
-piéges secrets aux réformés, et qu’à se faire
-des prétextes pour les perdre, pourquoi leur
-permettoit-on de s’assembler et de s’éclairer
-en conférant ensemble sur leurs intérêts?
-C’étoit diviser le royaume, et empêcher que
-les catholiques et les réformés ne s’accoutumassent
-peu à peu à leur situation: on ne
-le conçoit point; par quel motif, par quelle
-raison, le gouvernement craignoit-il moins
-des places de sûreté dans les mains des protestans
-que la convocation régulière des états-généraux,
-puisque ces places de sûreté annonçoient
-la guerre civile, et que les états-généraux
-auroient conservé la paix? M’est-il permis de
-le dire? la guerre civile paroissoit moins
-fâcheuse au gouvernement que la moindre
-diminution, ou le moindre partage de l’autorité
-publique.</p>
-
-<p>Il est aisé de s’apercevoir que Henri IV
-n’avoit entretenu la tranquillité publique que
-par les détails journaliers d’une prudence
-attentive à ne rien négliger: il appliquoit toujours
-quelque palliatif aux maux qui se montroient;
-mais il ne falloit pas s’attendre que
-ses successeurs eussent la même sagesse. Plus
-le temps affoibliroit le souvenir des calamités
-<span class="pagenum" id="Page_273">273</span>
-de la guerre civile, plus le zèle des catholiques
-devoit devenir fougueux et l’inquiétude des
-réformés impatiente. C’est dans l’espérance
-d’amener des temps plus favorables à la religion
-romaine, que le fanatisme arma plusieurs
-assassins et que Ravaillac commit son attentat.
-On ne peut se déguiser que ce ne soit le zèle
-aveugle et impie des catholiques qui a fait
-périr un prince qui avoit des ménagemens
-pour les réformés, qui donnoit sa confiance
-à quelques-uns d’eux, et qui empêchoit qu’ils
-ne fussent accablés sous la haine de leurs
-ennemis.</p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="pagenum" id="Page_274">274</div>
-
-<hr class="full" />
-
-<h3>CHAPITRE VI.</h3>
-
-<p class="hang"><i>Règne de Louis XIII.&mdash;De la conduite des
-grands et du parlement.&mdash;Abaissement où le
-cardinal de Richelieu les réduit.&mdash;De leur
-autorité sous le règne de Louis XIV.</i></p>
-
-<p class="first"><span class="smcap">Louis</span> XIII étoit encore dans la première
-enfance, quand il parvint au trône. La régence
-fut déférée à sa mère, princesse incapable de
-gouverner: elle ne vouloit pas qu’on lui
-arrachât par force une autorité dont elle étoit
-jalouse; mais par foiblesse, elle étoit toujours
-disposée à la remettre en d’autres mains.
-S’il y avoit encore eu en France des hommes
-tels que les Guise, le prince de Condé et l’amiral
-de Coligny, il n’est pas douteux qu’ils ne
-se fussent rendus également puissans, et
-n’eussent formé deux partis qui auroient
-anéanti l’autorité du roi et de la régente: mais
-qu’on étoit loin de craindre de pareils dangers!
-C’étoient Concini et sa femme qui devoient
-gouverner sous le nom de la reine; et quelle
-idée ne doit-on pas prendre de ces temps,
-<span class="pagenum" id="Page_275">275</span>
-quand on voit qu’une intrigante étrangère et
-un homme sans considération faisoient plier
-tous les grands sous leur joug? Tel étoit
-l’avilissement des ames, que sous le gouvernement
-le plus méprisable, tout se réduisoit
-à faire des intrigues et des cabales à la cour
-pour en obtenir les faveurs. Qu’on juge de
-l’autorité mal affermie de Marie de Médicis
-et de ses créatures, puisque Luynes, qui n’avoit
-qu’une charge médiocre dans la vénerie, et
-pour tout talent que celui de dresser des oiseaux
-au vol, s’empara de toute l’autorité du roi,
-parce qu’il avoit l’art de l’amuser, et décida
-de la fortune de tous les grands du royaume.
-Mais un trait que je ne dois pas oublier, et
-qui peint bien cette cour, c’est que pour se
-délivrer de la tyrannie timide et mal habile
-de Concini, on crut qu’il falloit un assassinat,
-comme pour se défaire du duc de Guise qui
-s’étoit mis au-dessus des lois, et qui étoit
-vraiment le roi des Français catholiques.</p>
-
-<p>L’administration de Luynes ne fut pas différente
-de celle de Marie de Médicis. Les courtisans
-continuèrent leurs intrigues, et un
-ministre qui n’avoit pas le courage de les
-dédaigner ou de les punir sévèrement, en
-fut bientôt occupé: au lieu de se rappeler que
-<span class="pagenum" id="Page_276">276</span>
-les guerres étrangères avoient beaucoup contribué
-à étendre le pouvoir du roi et de ses
-ministres, et qu’elles serviroient encore à
-consumer ce reste d’humeur qui fermentoit
-dans l’état, Médicis et Luynes, épuisés par
-l’attention qu’ils donnoient aux cabales de
-la cour, crurent qu’ils ne pourroient suffire
-aux soins du gouvernement, s’ils ne conservoient
-la paix au dehors; ils négligèrent les
-alliés naturels du royaume, et recherchèrent
-l’amitié de ses ennemis. Plus le gouvernement
-se faisoit mépriser par sa timidité, plus les
-courtisans devinrent hardis et entreprenans;
-tout fut perdu quand on s’aperçut que pour
-obtenir des faveurs il falloit se faire craindre.
-Après avoir épuisé inutilement l’art de l’intrigue
-à la cour, l’usage des mécontens fut
-de se retirer dans la province pour faire semblant
-d’y former quelque parti; il falloit
-attendre qu’ils se lassassent de leur exil volontaire,
-et le conseil ne fut occupé qu’à
-marchander le retour de ces fugitifs. Quoique
-le prince de Condé haït les réformés qui
-n’avoient aucune confiance en lui, Médicis
-fut <ins title="allarmée">alarmée</ins> de leur liaison, qui ne pouvoit
-exciter que quelques émeutes passagères.
-Quelle auroit donc été son inquiétude, si
-<span class="pagenum" id="Page_277">277</span>
-ce prince, prétendant jouir encore des prérogatives
-attachées à son rang, se fût regardé
-comme le conseiller de la couronne, et le
-ministre nécessaire de l’autorité royale?</p>
-
-<p>Au milieu de ces tracasseries misérables,
-on est justement étonné d’entendre encore
-prononcer le nom presque oublié des états-généraux,
-et de les voir demander avec une
-opiniâtreté qui auroit dû rendre une sorte
-de ressort aux esprits. On auroit dit que les
-mécontens méditoient de grands desseins;
-mais à peine ces états furent-ils assemblés,
-que leur mauvaise conduite rassura le gouvernement.</p>
-
-<p>L’ouverture s’en fit à Paris le 21 octobre
-1614, et pendant plus de quatre mois qu’ils
-durèrent, aucun député ne comprit quel étoit
-son devoir. On auroit eu inutilement quelque
-amour du bien public et de la liberté; les
-trois ordres, accoutumés à se regarder comme
-ennemis, étoient trop appliqués à se nuire pour
-former de concert quelque résolution avantageuse.
-Le tiers-état s’amusoit à se plaindre de
-l’administration des finances, et à menacer les
-personnes qui en étoient chargées; sans songer
-que ses plaintes et ses menaces ne produiroient
-aucun effet, s’il n’étoit secondé des deux autres
-<span class="pagenum" id="Page_278">278</span>
-ordres; et il ne faisoit aucune démarche pour
-les gagner. Le clergé, fier de ses immunités
-et de ses dons gratuits, n’étoit pas assez
-éclairé pour voir que sa fortune étoit attachée
-à celle de l’état, et qu’il sentiroit tôt ou tard
-le contre-coup de la déprédation des finances.
-La noblesse aimoit les abus que Sully avoit
-suspendus et non pas corrigés; et dans l’espérance
-de mettre le gouvernement à contribution,
-vouloit qu’il s’enrichît des dépouilles
-du peuple. Le royaume auroit paru aux ecclésiastiques
-dans la situation la plus florissante,
-si on eût ruiné la religion réformée dont ils
-craignoient les objections et les satires. La
-noblesse demandoit la suppression de la
-vénalité et de l’hérédité des offices de judicature,
-et les députés du tiers-état, presque
-tous officiers de justice ou de finances, affligés
-de voir attaquer un établissement qui fixoit
-en quelque sorte le sort de leurs familles,
-firent une diversion pour se venger, et demandèrent
-le retranchement des pensions que
-la cour prodiguoit, et qui montoient à des
-sommes immenses.</p>
-
-<p>Rien n’étoit plus aisé que d’éluder, par des
-réponses ou des promesses vagues et équivoques,
-les demandes mal concertées des états;
-<span class="pagenum" id="Page_279">279</span>
-mais, n’ayant ni pu ni voulu commencer leurs
-opérations pour se rendre nécessaires, la cour
-trouva encore plus commode de les séparer
-avant que de répondre à leurs cahiers, et
-nomma seulement des commissaires pour traiter
-avec les députés que les trois ordres chargèrent
-de suivre les affaires après leur séparation.
-Les commissaires du roi auroient été
-employés à la commission la plus difficile, si
-on eut attendu d’eux le soin de concilier les
-esprits; mais on leur ordonna, au contraire,
-de ne rien terminer et de multiplier les difficultés
-qui divisoient les trois ordres. Ces conférences
-inutiles cessèrent enfin, et sans qu’on
-s’en aperçût. On prétexta les longueurs qu’entraînoit
-la discussion d’une foule d’articles
-aussi importans pour l’administration générale
-du royaume, que contraires aux prétentions
-que le clergé, la noblesse et le peuple
-formoient séparément. Les délégués des états
-se séparèrent par lassitude de toujours demander
-et de ne jamais obtenir; et chaque
-ordre se consola d’avoir échoué dans ses demandes,
-en voyant que les autres n’avoient
-pas été plus heureux dans les leurs.</p>
-
-<p>Après avoir essayé, sans succès, d’alarmer
-le gouvernement par la tenue des états, les
-<span class="pagenum" id="Page_280">280</span>
-intrigans, qui ne pouvoient jouir d’aucune
-considération, s’ils ne lui donnoient de l’inquiétude,
-songèrent à faire soulever les réformés.
-Les instances que le clergé et la noblesse
-avoient faites dans les derniers états,
-pour obtenir la publication du concile de
-Trente, et le rétablissement de la religion catholique
-dans le Béarn, leur furent présentées
-comme une preuve certaine des entreprises
-qu’on méditoit secrètement contre eux. La
-noblesse, disoit-on, se laisse conduire aveuglément
-par le clergé; et si les évêques ne
-songeoient pas à établir l’inquisition et rallumer
-les bûchers, pourquoi se défieroient-ils
-des tribunaux laïcs, malgré la rigueur avec
-laquelle ils avoient autrefois traité les réformés?
-Pourquoi le clergé demanderoit-il qu’on interdît
-aux cours supérieures la connoissance
-de ce qui concerne la foi, l’autorité du pape,
-et la doctrine de l’église au sujet des sacremens?
-Si les réformés, ajoutoit-on, ne prévoient
-pas de loin le malheur qui les menace,
-ils en seront nécessairement accablés. S’ils se
-contentent de se tenir sur la défensive, le gouvernement,
-enhardi par cette conduite, ne
-manquera pas de les mépriser et de violer
-l’édit de Nantes. Quand il aura obtenu un
-<span class="pagenum" id="Page_281">281</span>
-premier avantage, il ne sera plus temps de
-s’opposer à ses progrès. Il faut le forcer à
-respecter les priviléges des réformés, en lui
-montrant qu’ils sont attentifs à leurs affaires,
-vigilans, précautionnés, unis et assez forts
-pour se défendre; soit que les personnes les
-plus accréditées dans le parti calviniste ne
-goûtassent pas une politique contraire à l’esprit
-d’obéissance et de soumission auquel on
-s’accoutumoit; soit qu’on n’eût pour mettre
-à la tête des affaires aucun homme capable
-de faire la guerre avec succès, les réformés
-parurent inquiets, incertains, irrésolus et peu
-unis, et on ne recourut cependant pas à la force
-pour protéger des priviléges qui n’étoient pas
-encore attaqués.</p>
-
-<p>Tandis que le royaume étoit dans cette anarchie,
-le gouvernement sans force, les réformés
-sans courage et la nation anéantie, le
-parlement, qui, sous le règne précédent s’étoit
-en quelque sorte incorporé avec le roi pour
-ne former qu’une seule puissance, ne trouva
-plus le même avantage dans cette union. Il
-jugea qu’il étoit plus important pour lui de
-profiter de la foiblesse du gouvernement pour
-se rendre puissant, que de lui rester attaché;
-et ses espérances lui rendirent son ancienne
-<span class="pagenum" id="Page_282">282</span>
-politique. Il donna, le 8 mars 1615, un arrêt
-qui ordonnoit que les princes, les pairs et
-les grands officiers de la couronne, qui ont
-séance et voix délibérative au parlement, et
-qui se trouvoient à Paris, seroient invités à
-venir délibérer avec le chancelier sur les propositions
-qui seroient faites pour le service
-du roi, le soulagement de ses sujets et le bien
-de son état. La cour fit défense au parlement
-de se mêler des affaires du gouvernement; et
-dans ses remontrances, cette compagnie découvrit
-ses vues et ses prétentions d’une manière
-beaucoup moins obscure qu’elle n’avoit
-fait jusqu’alors. Elle avança qu’elle tient la
-place<a name="FNanchor_351" id="FNanchor_351" href="#Footnote_351" class="fnanchor">[351]</a> des princes et des barons, qui de
-toute ancienneté avoient été auprès de la personne
-du roi pour l’assister de leur conseil;
-et comment en douter, disoit-elle, puisque
-la séance et la voix délibérative que les princes
-et les pairs ont toujours eues au parlement,
-en est une preuve à laquelle on ne peut se
-refuser. Si on en croit ces remontrances, nos
-rois n’ont jamais manqué d’envoyer au parlement
-les ordonnances, les lois, les édits et
-les traités de paix, ni d’y porter les affaires les
-plus importantes, pour que cette compagnie
-les examinât avec liberté, et y fît les changemens
-<span class="pagenum" id="Page_283">283</span>
-et modifications qu’elle croiroit nécessaires
-au bien public. Ce que nos rois, ajoutoit
-le parlement, accordent même aux états-généraux
-de leur royaume, doit être enregistré
-par cette cour supérieure, où le trône royal
-est placé, et où réside leur lit de justice souveraine.</p>
-
-<p>L’autorité royale auroit reçu un échec considérable,
-si les grands se fussent rendus à
-l’invitation du parlement, et en s’unissant à
-lui, eussent été capables de suivre d’une manière
-méthodique, et de soutenir une démarche
-dont le succès auroit nécessairement établi
-de nouveaux intérêts et de nouveaux principes
-dans le gouvernement, s’ils avoient été occupés
-du soin de se faire une autorité propre
-dans l’état, tandis que le parlement lui-même
-n’auroit voulu devenir puissant que pour rendre
-désormais l’administration plus régulière
-et moins dépendante de l’incapacité et des passions
-du prince, ou des personnes qui régnoient
-sous son nom, quelle force auroit
-pu leur résister? On auroit vu les grands et
-les magistrats, par leur union, s’emparer du
-pouvoir que les états-généraux avoient voulu
-prendre sous le règne du roi Jean, et former
-un corps d’autant plus redoutable, que
-<span class="pagenum" id="Page_284">284</span>
-toujours subsistant, il auroit toujours été à portée
-de se défendre et d’augmenter son autorité.
-Mais pourquoi m’arrêterois-je à faire voir les
-suites d’une union que les préjugés, les passions,
-d’anciennes habitudes et le peu de
-talens des grands et des magistrats, et leurs
-mauvaises intentions rendoient impraticables?
-Les uns, comme on l’a vu, divisés entre eux,
-se bornèrent à intriguer et à s’agiter sans savoir
-ni ce qu’ils vouloient, ni ce qu’ils devoient vouloir,
-et ne firent pas ce qu’ils pouvoient. Les
-autres, plus ambitieux que magistrats, firent
-plus qu’ils ne pouvoient; et n’étant pas secondés,
-furent obligés d’abandonner leur arrêt
-et d’attendre des circonstances plus favorables
-à leurs projets.</p>
-
-<p>Le royaume continua à être agité par des
-intrigues et des cabales dont le foyer étoit à la
-cour. Les réformés, excités depuis long-temps
-à la révolte, prirent enfin les armes de différens
-côtés et à différentes reprises. On faisoit
-la paix sans rien arrêter de certain, parce
-qu’on avoit commencé la guerre sans avoir
-d’objet fixe. Mais si cette anarchie avoit duré
-plus long-temps, peut-être qu’à force de s’essayer
-à la révolte et à l’indépendance, des
-hommes, qui n’étoient qu’inquiets, seroient
-<span class="pagenum" id="Page_285">285</span>
-devenus véritablement ambitieux. A force de
-tâter un gouvernement foible et trop semblable
-à celui des fils de Henri II, les espérances
-se seroient agrandies. S’il n’avoit pas
-reparu de ces hommes de génie qui firent chanceler
-la couronne sur la tête de Henri III, il
-pouvoit aisément y en avoir d’assez hardis
-pour songer à rétablir les fiefs. Si un grand
-tâtoit cette entreprise, il devoit avoir mille
-imitateurs, et leur nombre auroit en quelque
-sorte assuré le succès de leur ambition.</p>
-
-<p>Mais dans le moment que la foiblesse du
-gouvernement rendoit tout possible, il parut
-dans le conseil du roi un homme qui s’en
-étoit ouvert l’entrée par la ruse, la fraude et
-l’artifice, mais fait pour dominer par d’autres
-voies quand son crédit seroit affermi. Richelieu,
-né avec la passion la plus immodérée de
-gouverner, n’avoit aucune des vertus ni même
-des lumières qu’on doit désirer dans ceux qui
-sont à la tête des affaires d’un grand royaume;
-il avoit cette hauteur et cette inflexibilité de
-caractère qui subjuguent les ames communes, et
-qui étonnent et lassent ceux qui n’ont qu’une
-prudence et un courage ordinaires. Si la famille
-de Richelieu avoit joui par elle-même
-d’une plus grande considération, ou s’il n’eut
-<span class="pagenum" id="Page_286">286</span>
-pas été engagé dans un état qui donnoit des
-bornes, ou plutôt une certaine direction à sa
-fortune, il est vraisemblable qu’il ne se seroit
-pas contenté d’être le ministre despotique d’un
-roi absolu, et qu’il auroit essayé ses forces en
-se cantonnant dans une province. Le cardinal
-de Richelieu ne pouvant aspirer à être ni un
-duc de Guise, ni un maréchal de Biron, se
-contenta de gouverner la France sous le nom
-du roi; mais il dédaigna la sorte de puissance
-que Marie de Médicis et le connétable de
-Luynes avoient eue. Au lieu de régner par
-adresse, de ménager et de flatter la foiblesse
-de Louis XIII, de mendier et d’acheter la
-faveur des grands, ou de les opposer les uns
-aux autres pour avoir toujours un appui, il
-forma le projet de tout asservir à son maître,
-et de le rendre lui-même le simple instrument
-de son autorité.</p>
-
-<p>Pour rendre les grands dociles, il falloit
-les mettre dans l’impuissance de se révolter;
-mais ce n’auroit jamais été fait que de les
-accabler ou de les gagner les uns après les
-autres: à peine auroit-il ruiné une cabale,
-ou acheté l’amitié de ses chefs, qu’il s’en
-seroit formé une seconde. L’esprit convenable
-à la monarchie n’étoit détraqué, si je puis
-<span class="pagenum" id="Page_287">287</span>
-parler ainsi, chez les Français, que par un
-reste de fanatisme que la religion avoit fait
-naître; et les grands, sans autorité qui leur
-fût propre, ne paroissoient inquiets et séditieux
-que parce qu’ils comptoient sur les
-forces et les secours d’un parti qu’on avoit
-mis dans la nécessité d’être soupçonneux et
-de se défier du gouvernement. Richelieu résolut
-donc de réduire les calvinistes à la simple
-liberté de professer en paix leur religion, et
-de leur ôter les priviléges et le pouvoir qui
-les mettoient en état de se faire craindre.
-Nous serons assez fous, disoit le maréchal
-de Bassompierre aux courtisans, pour prendre
-la Rochelle; ils le furent en effet, et le coup
-mortel qui frappa les réformés, accabla tous
-les grands: ils ne trouvèrent plus de place
-forte qui leur servît d’asyle contre l’autorité
-royale. Les calvinistes, n’ayant plus de point
-de <ins title="raliement">ralliement</ins> où ils pussent réunir leurs forces,
-cessèrent de former un parti, et se revirent
-dans la même situation où ils avoient été avant
-que le prince de Condé et l’amiral de Coligny
-les eussent réunis sous leur autorité. Après
-avoir détruit cette association, il étoit bien plus
-difficile d’en rassembler les débris pour la rétablir,
-qu’il ne l’avoit été autrefois de la former.</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_288">288</span>
-Tandis que Richelieu renversoit ainsi le seul
-<ins title="obstable">obstacle</ins> qui, depuis le règne de Charles VIII,
-s’étoit opposé à l’autorité royale, il employoit
-les mêmes moyens dont les rois s’étoient servis
-pour distraire la nation du soin de ses
-affaires domestiques, et la façonner à la docilité
-monarchique: il avilissoit les esprits, en
-les occupant de ce que les arts, les sciences,
-les lettres et le commerce ont de plus inutile
-et de plus attrayant. Son luxe contagieux fit
-connoître de nouveaux besoins qui ruinoient
-les grands: forcés de mendier des faveurs pour
-étaler un vain faste, ils se préparoient à la
-servitude. La contagion fut portée dans tous
-les ordres de l’état; des hommes obscurs firent
-aux dépens du peuple des fortunes scandaleuses,
-on les envia, et l’amour de l’argent ne
-laissa subsister aucune élévation dans les ames.</p>
-
-<p>Cependant Richelieu, en avilissant la nation
-au-dedans, la faisoit respecter au dehors. Ses
-alliés trouvoient des secours et une protection
-que Médicis et Luynes leur avoient refusés; on
-se proposoit d’humilier la maison d’Autriche,
-que des entreprises trop considérables et des
-guerres continuelles avoient déjà affoiblie; et
-le même vertige de gloire et de conquête que
-les premières guerres d’Italie avoient fait naître,
-<span class="pagenum" id="Page_289">289</span>
-devint encore la politique des Français sous le
-règne de Louis XIII. Plus les entreprises du
-ministre étoient grandes et difficiles, plus il
-avoit de prétextes pour ne se soumettre à
-aucune règle, et gouverner avec un sceptre de
-fer; les besoins de l’état et la nécessité lui
-servoient d’excuse auprès des Français qu’il
-opprimoit.</p>
-
-<p>On ne fut point innocent, quand on fut
-soupçonné de pouvoir désobéir à ce ministre
-impérieux. Répandant d’une main les bienfaits,
-et de l’autre les disgraces, il parut plus supportable
-d’être son esclave que son ennemi.
-En s’emparant de la justice par l’établissement
-des appels, les rois s’étoient rendus législateurs;
-en faisant un usage arbitraire de l’administration
-de cette justice, Richelieu jugea
-qu’il se rendroit despotique. Il intervertit
-l’ordre de tous les tribunaux; à l’exemple de
-Louis XI, il eut des magistrats toujours prêts
-à servir ses passions, et la France n’oubliera
-jamais les noms odieux de ces juges iniques
-qui prononçoient les arrêts qu’on leur avoit
-dictés; puissions-nous ne jamais revoir de Loubardemont!
-Ce que Machiavel conseille au
-tyran qu’il instruit, Richelieu l’exécuta. Tous
-les grands qui ne voulurent pas plier sous son
-<span class="pagenum" id="Page_290">290</span>
-autorité ou périr sur un échafaud, s’exilèrent
-du royaume; et le malheureux état où la mère
-même du roi fut réduite dans le pays étranger,
-étonnoit et confondoit ceux qui auroient voulu
-suivre son exemple. Il ne reste dans les provinces
-aucune ressource aux mécontens pour
-former des partis. La cour, pleine d’espions
-et de délateurs par lesquels Richelieu voit tout,
-entend tout, est présent par-tout, semble tombée
-dans la stupidité: on sent le danger de
-former des cabales contre un ministre que son
-maître lui-même n’ose distinguer; et, tant la
-dégradation des esprits est grande et le poids
-de la servitude accablant, ce n’est plus que
-par un<a name="FNanchor_352" id="FNanchor_352" href="#Footnote_352" class="fnanchor">[352]</a> assassinat qu’on songe à sortir
-de l’oppression.</p>
-
-<p>Richelieu étoit trop instruit des prétentions
-du parlement, pour qu’il ne le regardât pas
-comme un rival de son autorité; et dès lors
-il devoit le soumettre au joug qu’il avoit
-imposé au reste de la nation. Le duc d’Orléans
-étant sorti du royaume par mécontentement,
-et dans le dessein de cabaler
-chez les étrangers, le roi donna une déclaration
-contre ceux qui avoient suivi ce prince,
-et les déclara criminels de lèze-majesté; elle
-fut envoyée à tous les parlemens, qui
-<span class="pagenum" id="Page_291">291</span>
-l’enregistrèrent, à l’exception de celui de Paris où
-les voix se trouvèrent partagées. Le roi manda
-cette compagnie au Louvre, et des magistrats
-qui, peu de temps auparavant, avoient voulu
-se rendre les maîtres de l’état, éprouvèrent les
-hauteurs insultantes d’un homme qui méprisoit
-trop les lois pour en ménager les ministres:
-ils se tinrent à genoux pendant l’audience
-qui leur fut donnée; humiliation frappante
-pour des citoyens qui dédaignoient le
-tiers-état, et vouloient s’élever au-dessus du
-clergé, et de la noblesse! ils virent déchirer
-leur arrêt de partage, et transcrire sur leur
-registres celui du conseil qui condamnoit
-leur témérité.</p>
-
-<p>On vit souvent sous ce règne des magistrats
-suspendus de leurs fonctions, destitués par
-force de leurs offices, exilés ou renfermés
-dans des prisons; violences qui auroient dû
-désabuser pour toujours le parlement de l’ancienne
-erreur où il étoit tombé, de croire
-qu’il pouvoit être quelque chose sans la nation,
-ou qu’il seroit puissant après qu’il auroit
-contribué à abaisser tous les autres ordres de
-l’état. Le public crut que la magistrature
-étoit la victime de son devoir: il la plaignit,
-et lui donna sa confiance. Dupe de sa
-<span class="pagenum" id="Page_292">292</span>
-compassion, il espéra qu’elle seroit une barrière
-contre les abus du pouvoir arbitraire; tandis
-qu’il devoit juger par la manière dont les
-magistrats étoient opprimés, qu’ils n’avoient
-les forces nécessaires ni pour faire le bien,
-ni pour s’opposer au mal.</p>
-
-<p>Je ne puis me dispenser de rapporter ici
-une ordonnance propre à peindre le caractère
-de la politique de Richelieu. Après avoir
-réduit les grands à ne pouvoir se fier les uns
-aux autres, dans la crainte de trouver des traîtres
-ou des délateurs, il proscrit toute espèce<a name="FNanchor_353" id="FNanchor_353" href="#Footnote_353" class="fnanchor">[353]</a>
-d’assemblée, ne permet à la noblesse d’avoir
-qu’un petit nombre d’armes dans ses châteaux,
-et veut qu’elle ne puisse espérer aucun secours
-du dehors. On ne se contente pas de défendre
-à tous les Français de faire des associations;
-on regarde comme suspecte toute communication
-avec les ambassadeurs des princes étrangers;
-on défend de les voir et de recevoir
-aucune lettre de leur part, et il n’est point
-permis de sortir du royaume sans observer des
-formalités qui apprennent à tous ses habitans
-qu’ils sont prisonniers dans leur patrie. Sous
-prétexte de proscrire les libelles, on impose
-un silence général sur le gouvernement; et
-le ministre ne croit point être libre, si le
-<span class="pagenum" id="Page_293">293</span>
-citoyen peut penser et communiquer sa pensée.
-Enfin, en apprenant aux Français ce qu’on
-attend de leur obéissance, on les contraint à
-devenir les instrumens de l’injustice. Dès qu’on
-aura reçu un ordre du roi, dit cette ordonnance
-effrayante, on y obéira sans délai, ou
-l’on se hâtera d’exposer les raisons sur lesquelles
-on se croit fondé pour ne le pas exécuter.
-Mais après que le prince aura réitéré ses
-ordres, on s’y soumettra sans réplique, sous
-peine d’être destitué des charges dont on est
-revêtu, sans préjudice des autres peines que
-peut mériter une pareille désobéissance.</p>
-
-<p>Le règne de Richelieu, si je puis parler
-ainsi, devoit former une époque remarquable
-dans les mœurs, le génie et le gouvernement
-des Français. Cet homme avoit imprimé une
-telle terreur, qu’après sa mort on fut docile
-sous la main incertaine de Louis XIII, comme
-s’il eût été capable de gouverner par les mêmes
-principes de son ministre. Retrouvant enfin un
-roi enfant, une régente orgueilleuse, ignorante,
-opiniâtre, et un ministre étranger sans
-appui, et qui, sous les dehors trompeurs de
-la timidité et de la circonspection du connétable
-de Luynes, cachoit en effet une constance
-inébranlable, des vues profondes, et la
-<span class="pagenum" id="Page_294">294</span>
-politique la plus raffinée et la plus tortueuse,
-les Français crurent avoir recouvré leur liberté:
-ils secouèrent l’espèce d’étonnement
-dans lequel ils étoient; mais en voulant prendre
-un mauvais caractère, ils ne montrèrent encore
-que celui que Richelieu leur avoit donné.</p>
-
-<p>Dans les espérances, les projets et la révolte
-même des courtisans et du parlement,
-on découvre les traces de l’esprit de servitude
-et de corruption qu’ils avoient contracté.
-Au lieu d’avoir encore des vues et des intérêts
-opposés, l’expérience de leur foiblesse,
-et les affronts qu’ils avoient essuyés sous le
-dernier règne, leur avoient persuadé de se
-réunir pour se dédommager sous l’administration
-du cardinal Mazarin de ce qu’ils avoient
-perdu par la dureté du cardinal de Richelieu.
-Cette alliance avoit déjà été projetée au commencement
-du règne de Louis XIII, et il en
-résulta dans la minorité de son fils la guerre
-peut-être la plus ridicule dont il soit parlé
-dans l’histoire.</p>
-
-<p>Cette union de deux corps qui, dans le fond,
-se méprisoient ou se craignoient, et ne pouvoient
-agir de concert, dont l’un n’entendoit
-que les formes lentes de la procédure, et
-l’autre les voies de fait et le droit de la force,
-<span class="pagenum" id="Page_295">295</span>
-n’étoit pas capable de perdre un ministre aussi
-habile que Mazarin à manier les ressorts de
-l’intrigue: les séditieux ne se proposèrent
-aucun objet; on diroit qu’ils se révoltoient
-pour avoir le plaisir de remuer, de tracasser
-et d’avoir quelque chose à faire. On fait la
-guerre en suivant les formes de la procédure
-criminelle; on informe contre les armées; on
-décrète les généraux, et les seigneurs, qui
-n’entendent rien à ces procédés bourgeois,
-conduisent la guerre comme on conduit un
-procès. Quelques gens de bien tiennent des discours
-graves et sensés au milieu de ce délire,
-mais on ne les entend pas; ils parloient
-une langue étrangère à des brouillons occupés
-de leurs intérêts particuliers; et qui, étant
-accoutumés à regarder la cour comme le principe
-de leur fortune, y entretenoient des correspondances
-secrètes, et étoient prêts à se
-vendre eux et leur parti, pour une pension
-ou pour une dignité. Tous crient: «point de
-Mazarin». C’est le prétexte et le mot de la
-guerre; mais qu’importoit de bannir ce ministre,
-puisqu’il devoit avoir un successeur?
-Pour comble d’absurdité, et c’est une suite
-du mélange bizarre des habitudes contractées
-sous Richelieu, et de la licence qui accompagne
-<span class="pagenum" id="Page_296">296</span>
-la révolte, on vantoit sérieusement son
-obéissance et sa fidélité pour le roi, en faisant
-la guerre au ministre qui manioit sa puissance.
-Si je ne me trompe, on ne voit parmi les
-ennemis du cardinal Mazarin, que des hommes
-qui auroient voulu lui vendre chèrement leurs
-services, ou qui, à sa place, n’auroient pas
-été moins absolus que lui, et ce fut la principale
-cause de ses succès.</p>
-
-<p>Les grands qui depuis le règne de Charles VI
-avoient causé tant de troubles inutiles à l’état,
-et dont les projets ambitieux avoient diminué
-de règne en règne, à mesure que leur puissance
-avoit été affoiblie, ne conservèrent aucune
-espérance de se faire craindre sous un
-prince altier ou plutôt glorieux, jaloux à
-l’excès de son autorité, dont la magnificence
-au-dedans et les succès au-dehors éblouirent
-et subjuguèrent sa nation. Cet esprit de cabale
-et de parti, que les grands avoient repris sous
-le ministère de Mazarin, disparut entièrement.
-Ils n’avoient rien à espérer de la part des réformés,
-depuis que Richelieu avoit détruit
-leurs priviléges; et la guerre de la Fronde les
-avoit dégoûtés de toute association avec le
-parlement. Toutes les causes qui avoient contribué
-successivement à étendre l’autorité des
-<span class="pagenum" id="Page_297">297</span>
-prédécesseurs de Louis XIV, concoururent à
-la fois à faire respecter la sienne. La mode
-avoit été d’être brouillon, la mode devint d’être
-courtisan. Plus on avoit de fautes à réparer
-aux yeux du gouvernement, plus on s’empressa
-de s’abaisser pour les faire oublier.</p>
-
-<p>Le parlement, plus éloigné de la cour et
-moins susceptible de ses faveurs, ne pouvoit
-renoncer si aisément à ses anciennes espérances
-de grandeur, que son droit de remontrances
-et d’enregistrement entretenoit. Mais
-Louis XIV, fier de ses succès, et que le moindre
-obstacle à ses volontés indignoit, se souvenoit
-de la Fronde, et ne put souffrir que sous prétexte
-de lui montrer la vérité ou de parler en
-faveur des lois, on prétendît partager ou du
-moins limiter son autorité. Il porta un coup
-bien dangereux à la magistrature, en exigeant
-que les cours supérieures<a name="FNanchor_354" id="FNanchor_354" href="#Footnote_354" class="fnanchor">[354]</a>, qui se trouvoient
-dans le lieu de sa résidence, seroient obligées
-de lui porter leurs remontrances au plus tard
-huit jours après qu’elles auroient délibéré sur
-les édits, déclarations, lettres-patentes qui
-leur seroient adressées, et qu’après ce terme
-la loi seroit tenue pour publiée et enregistrée.
-Les cours souveraines des provinces furent
-soumises à la même loi, et on leur accorda
-<span class="pagenum" id="Page_298">298</span>
-seulement un terme de six semaines pour faire
-parvenir leurs représentations aux pieds du
-trône. Louis XIV ne s’en tint pas là, et quelques
-années après, profitant de la terreur que
-ses armes répandoient au-dehors pour gouverner
-plus impérieusement au-dedans, il
-ordonna que ses lois fussent enregistrées purement
-et simplement sans modification, sans
-restriction, sans clause qui en pussent surseoir
-ou empêcher la pleine et entière exécution.</p>
-
-<p>Tel fut le sort de la puissance que les grands
-et le parlement avoient affectée: il étoit inévitable,
-puisqu’ils n’avoient jamais proportionné
-leurs entreprises à leurs forces, et que,
-voulant tous s’agrandir les uns aux dépens
-des autres, ils avoient tous contribué à se
-perdre mutuellement. Pendant un règne très-long,
-Louis XIV a vu s’élever une nouvelle
-génération qui a laissé ses mœurs à ses descendans.
-Les grands, le clergé, le peuple,
-tous n’ont eu que les mêmes idées. A l’avénement
-de Louis XV au trône, le parlement a
-recouvré le droit de délibérer sur les lois avant
-que de les enregistrer, mais c’est à condition
-de toujours obéir: un droit qu’on a perdu et
-qu’on peut reperdre, est un droit dont on ne
-<span class="pagenum" id="Page_299">299</span>
-jouit que précairement. La régence mit le
-dernier sceau à notre avilissement. On ne crut
-plus à la probité. L’argent et les voluptés les
-plus sales parurent le souverain bien.</p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="pagenum" id="Page_300">300</div>
-
-<hr class="full" />
-
-<h3>CHAPITRE VII.</h3>
-
-<p class="cent"><i>Conclusion de cet ouvrage.</i></p>
-
-<p class="first"><span class="smcap">Peut-on</span> étudier notre histoire et ne pas
-voir que nos pères furent à peine établis dans
-les Gaules, qu’ils négligèrent toutes les précautions
-nécessaires pour empêcher qu’une
-partie de la société n’augmentât ses richesses
-et sa puissance aux dépens des autres? Tourmentés
-par leur avarice et leur ambition,
-jamais les différens ordres de l’état ne se sont
-demandé quel étoit l’objet, quelle étoit la fin
-de la société; et si on en excepte le règne trop
-court de Charlemagne, jamais les Français
-n’ont recherché par quelles lois la nature
-ordonne aux hommes de faire leur bonheur.
-Jamais même, en voulant opprimer les autres,
-un ordre n’a pu se prescrire une condition
-constante. <ins title="Delà">De là</ins> les efforts toujours impuissans,
-une politique toujours incertaine, nul intérêt
-constant, nul caractère, nulles mœurs fixes;
-de là des révolutions continuelles dont notre
-histoire cependant ne parle jamais: et toujours
-gouvernés au hasard par les événemens et les
-<span class="pagenum" id="Page_301">301</span>
-passions, nous nous sommes accoutumés à
-n’avoir aucun respect pour les lois.</p>
-
-<p>Qui pourroit prédire le sort qui attend notre
-nation? Notre siècle se glorifie de ses lumières;
-la philosophie, dit-on, fait tous les jours
-des progrès considérables, et nous regardons
-avec dédain l’ignorance de nos pères; mais
-cette philosophie et ces lumières dont nous
-sommes si fiers, nous éclairent-elles sur nos
-devoirs d’hommes et de citoyens? Quand
-quelques philosophes bien différens des sophistes
-qui nous trompent, et qui croient que
-toute la sagesse consiste à n’avoir aucune
-religion, nous montreroient les vérités morales,
-quel en seroit l’effet? Les lumières viennent
-trop tard, quand les mœurs sont corrompues.
-L’amour de la vérité aura-t-il plus de force
-que nos passions? Nous pouvons ouvrir les
-yeux et voir les écueils contre lesquels nous
-avons échoué; nous pouvons voir flotter autour
-de ces écueils les débris de notre naufrage;
-mais quelle ressource nous reste-t-il
-pour le réparer?</p>
-
-<p>Sans doute qu’en s’instruisant de leurs devoirs
-dans l’histoire, nos rois peuvent se
-convaincre sans peine qu’ils n’ont rien gagné
-à séparer leurs intérêts de ceux de la nation,
-<span class="pagenum" id="Page_302">302</span>
-et à se regarder plutôt comme les maîtres
-d’un fief que comme les magistrats d’une
-grande société. Il est aisé d’apercevoir qu’en
-détruisant les états-généraux pour y substituer
-une administration arbitraire, Charles-le-Sage
-a été l’auteur de tous les maux qui ont
-depuis affligé la monarchie: il est aisé de
-démontrer que le rétablissement de ces états,
-non pas tels qu’ils ont été, mais tels qu’ils
-auroient dû être, est seul capable de nous
-donner les vertus qui nous sont étrangères,
-et sans lesquelles un royaume attend dans
-une éternelle langueur le moment de sa destruction.
-Mais viendra-t-il parmi nous un
-nouveau Charlemagne? On doit le désirer,
-mais on ne peut l’espérer.</p>
-
-<p>Un prince philosophe pourroit triompher
-de ses passions et juger combien il lui importe
-de gêner celles de ses successeurs; il feroit
-sans doute le bien qu’il apercevroit; mais
-quand la philosophie sera-t-elle assise sur le
-trône? On l’écarte avec dédain du berceau
-des enfans des rois; on ne permet pas que
-la vérité instruise leur première jeunesse. Le
-préjugé, l’erreur et le mensonge les entourent,
-et on ne leur apprend qu’à être les maîtres de
-leurs sujets et les esclaves de leurs ministres.
-<span class="pagenum" id="Page_303">303</span>
-Quand un monarque, frappé par le hasard
-d’un trait de lumière, connoîtroit son devoir,
-seroit-il libre de le faire? On l’a
-élevé de façon qu’il ne peut rien, tandis
-que son nom peut tout. Comment pourroit-il
-vaincre tous les obstacles que lui opposeroient
-des hommes intéressés à conserver le gouvernement
-tel qu’il est à présent? Qu’on voie
-cette foule innombrable d’hommes qui profitent
-des vices du gouvernement pour s’enrichir
-des dépouilles de la nation et se charger
-des honneurs qu’ils avilissent; et, si on l’ose,
-qu’on espère un nouveau Charlemagne. N’avons-nous
-pas vu de nos jours les gens de
-finance s’alarmer au nom seul d’état-provinciaux,
-se liguer contre le bien public, et
-empêcher que le ministre n’ait mis toutes les
-provinces en pays d’état<a name="FNanchor_355" id="FNanchor_355" href="#Footnote_355" class="fnanchor">[355]</a>?</p>
-
-<p>Le passé doit nous instruire de l’avenir; et
-puisqu’on a vu trois ou quatre princes dans
-toute l’histoire, qui ont donné volontairement
-des bornes à leur autorité pour la rendre plus
-ferme et plus durable, il n’est pas impossible
-que cet événement se renouvelle parmi nous,
-mais il seroit insensé de l’attendre avec nonchalance.
-Il peut et il doit nécessairement
-arriver dans la suite des temps que le royaume
-<span class="pagenum" id="Page_304">304</span>
-se trouve dans une telle confusion, que le
-gouvernement soit forcé de recourir à la pratique
-oubliée des états-généraux, comme on
-y recourut sous les fils de Henri II. Mais si
-la nation elle-même n’est pas en état, par son
-amour pour la liberté et par ses lumières politiques,
-de profiter de cet événement, ces
-nouveaux états ne produiront pas un effet
-plus salutaire que les états d’Orléans et de
-Blois; ils ne remédieront point aux maux
-présens, et ne feront rien espérer d’avantageux
-pour l’avenir.</p>
-
-<p>Les grandes nations ne se conduisent jamais
-par réflexion. Elles sont mues, poussées,
-retenues ou agitées par une sorte d’intérêt qui
-n’est que le résultat des habitudes qu’elles ont
-contractées. Ce caractère national est d’un
-poids qui entraîne tout; et quand une fois le
-temps l’a formé, il est d’autant plus difficile,
-qu’il souffre quelque altération essentielle,
-qu’il est très-rare qu’il survienne des événemens
-assez importans pour ébranler à la fois
-toute la masse des citoyens, et lui donner
-avec un nouvel intérêt général, une nouvelle
-façon de voir et de penser. On a vu de petites
-républiques prendre en un jour un nouveau
-caractère et un nouveau gouvernement; mais
-<span class="pagenum" id="Page_305">305</span>
-au milieu même des agitations violentes qui
-sembloient annoncer de grands changemens
-dans les grandes nations, les peuples ont toujours
-conservé le fond de leur premier caractère,
-et en se calmant, ils en sont toujours revenus
-à leur première manière de se gouverner.
-En voulant corriger les abus dont ils se plaignent,
-ils restent opiniâtrément attachés aux
-principes qui les ont fait naître et qui les
-entretiendront. De cette réflexion, quel augure
-faut-il donc tirer du sort qui attend notre
-nation?</p>
-
-<p>Examinez le caractère de la nation Française,
-et jugez de la résistance qu’il peut apporter au
-gouvernement. Les vices que la mollesse, le
-luxe, l’avarice, et une ambition servile ont
-fait contracter aux Français depuis le règne
-de Louis XIII, ont tellement affaissé leur ame,
-qu’ayant encore assez de raison pour craindre
-le despotisme, ils n’ont plus assez de courage
-pour aimer la liberté. Nous avons vu, il n’y a
-pas long-temps, une sorte de fermentation
-dans les esprits; nous avons vu qu’en se plaignant,
-on étoit alarmé de ses plaintes; on
-regardoit les murmures comme un désordre
-plus dangereux que le mal qui les occasionnoit,
-et on craignoit qu’ils n’indisposassent contre
-<span class="pagenum" id="Page_306">306</span>
-le gouvernement et n’en dérangeassent les ressorts.
-Plus cette crainte est vaine et puérile,
-plus il est sûr que nous avons un caractère
-conforme à notre gouvernement, et que nous
-ne portons en nous-mêmes aucun principe de
-révolution<a name="FNanchor_356" id="FNanchor_356" href="#Footnote_356" class="fnanchor">[356]</a>.</p>
-
-<p>Tant qu’il y a dans un état différens ordres
-qui se craignent, qui se respectent, qui se
-balancent, on peut calculer leurs forces et
-prévoir l’effet de leur rivalité; mais quand tout
-équilibre est rompu, et qu’une puissance supérieure
-a détruit toutes les autres, où la politique,
-la plus pénétrante, pourroit-elle découvrir
-le germe d’une nouvelle constitution? Dès
-qu’une puissance est parvenue dans l’état à
-n’éprouver aucune contradiction, elle doit
-nécessairement accroître ses forces, parce
-qu’on lui pardonne tout ce qui n’excite pas le
-désespoir, et que pour réussir dans ses projets,
-elle n’a jamais besoin de recourir à ces
-violences atroces qui irritent et soulèvent à la
-fois tous les esprits.</p>
-
-<p>Si un philosophe de nos jours avoit fait ces
-réflexions, auroit-il dit qu’il se défie de tout
-ce que les écrivains politiques ont dit sur les
-causes de la prospérité ou du malheur des
-sociétés? Il auroit craint de se compromettre
-<span class="pagenum" id="Page_307">307</span>
-en leur demandant que, pour justifier leurs
-remarques sur le passé, ils tirassent l’horoscope
-des états qui existent actuellement en Europe.
-Sans doute, on peut prédire des malheurs aux
-états mal constitués, et si on ne peut dire sous
-quelle sorte de calamité ils succomberont,
-c’est qu’ils portent en eux-mêmes plusieurs
-principes de décadence que des événemens
-ou des hasards étrangers peuvent développer
-plus tôt ou plus tard. En examinant la situation
-de la France à la fin des règnes de
-Henri II et de Henri IV, on devoit prédire des
-désordres; mais pour prévoir quels seroient
-ces désordres, il auroit fallu connoître une
-chose étrangère au gouvernement, c’est-à-dire,
-le caractère, le génie et les talens des personnes
-qui abusèrent des vices de l’état pour le troubler.
-A la place des Guise, des Condé et des
-Coligny, supposez sous les fils de Henri VIII,
-les hommes qui agitèrent la minorité de
-Louis XIII, vous verrez des désordres, mais
-d’une autre nature que ceux qui faillirent à
-faire perdre la couronne à la maison de Hugues-Capet.
-Faites renaître sous Louis XIII des ambitieux
-d’un génie vaste et profond, et vous
-verrez renouveler les projets et les malheurs
-de la ligue.</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_308">308</span>
-Parcourons les différens ordres de l’état:
-tout n’indique-t-il pas que le clergé forme un
-corps dont le caractère particulier est plus
-propre à fixer qu’à changer les principes
-actuels du gouvernement? Il y a long-temps
-qu’il a séparé ses intérêts de ceux de la nation,
-et quand il défend ses immunités, il a recours
-à des raisonnemens théologiques qui ne sont
-point applicables à l’état des autres citoyens.
-L’église est riche, mais c’est le roi qui dispose
-de la plus grande partie de ces richesses, et
-qui les distribue à son gré à des hommes nés
-ordinairement sans fortune, et d’autant plus
-avides que l’avarice a décidé de leur vocation.
-De-là cet esprit servile qui n’est que trop commun
-dans les ecclésiastiques. Appelés dans les
-états particuliers de quelques provinces, pour
-en défendre les droits, ils les trahissent pour
-mériter les faveurs de la cour. A l’esprit de
-la religion qui élève l’ame et qui fait aimer
-l’ordre et la justice, le clergé a substitué je ne
-sais quel esprit de monachisme qui n’inspire
-qu’une bassesse stupide dans les sentimens.
-Il aime le pouvoir arbitraire, parce qu’il est
-plus aisé de circonvenir un prince et de le
-gouverner, que de tromper une nation libre
-que sa liberté éclaire et fait penser. Ce
-<span class="pagenum" id="Page_309">309</span>
-penchant pour le pouvoir arbitraire est tel que
-pouvant, que devant même ne pas reconnoître
-dans l’ordre de la religion un gouvernement
-monarchique, il se précipite cependant avec
-ardeur, sous le joug de la cour de Rome, qui
-lui présente des honneurs inutiles, et ne peut
-lui accorder aujourd’hui qu’une protection
-infructueuse. Pour jouir en quelque sorte d’un
-pouvoir arbitraire, dans son diocèse, chaque
-évêque néglige autant les conciles généraux,
-que le pape les craint: cependant ces assemblées
-écuméniques sont dans l’ordre de l’église
-ce que les états-généraux sont dans l’ordre
-politique. Plus le clergé de France a eu de
-peine à conserver quelques-unes de ses immunités,
-tandis que le reste de la nation perdoit
-les siennes, plus il a flatté le gouvernement
-pour mériter quelque faveur. L’habitude de
-cette politique est contractée, elle subsistera
-vraisemblablement, et plus les ecclésiastiques
-craindront de perdre leur fortune, plus ils se
-confirmeront dans leurs principes.</p>
-
-<p>A l’ancienne politique qu’avoient les grands
-de s’emparer de la puissance du prince et de
-l’exercer sous son nom, ils ont substitué depuis
-long-temps une autre manière de faire
-fortune; c’est de devenir courtisans, et ils
-<span class="pagenum" id="Page_310">310</span>
-ont communiqué leur esprit à cette noblesse
-nombreuse qui n’approche point du prince,
-qui vit dans les provinces, ou qui occupe les
-emplois subalternes dans les troupes, et qui
-croit qu’il est de sa dignité d’emprunter le langage
-et les sentimens des grands. L’obéissance
-aveugle à laquelle on accoutume les gens de
-guerre contre les ennemis de l’état, les prépare
-à exécuter pendant la paix tout ce qu’on
-leur ordonne contre les citoyens. Ces instrumens,
-les plus dangereux du pouvoir arbitraire,
-se glorifient des commissions extraordinaires
-dont on les charge, croient participer à l’autorité
-dont ils ne sont que les instrumens, et
-s’élever au-dessus de ceux qu’ils ont consternés.</p>
-
-<p>Les grands sont persuadés qu’il leur importe
-d’avoir un maître absolu. Pour quelques
-mortifications qu’ils essuient à la cour, leur
-vanité acquiert des complaisans, des flatteurs
-et des protégés; ils se font craindre, et commettent
-impunément des injustices. Pour piller
-le prince, leur avarice demande qu’il soit le
-maître de la fortune de tous les citoyens; et ils
-ne voient point que les bienfaits de la cour
-ont plus appauvri de grandes maisons qu’ils
-n’en ont enrichi. Enfin, ils ne doutent point
-<span class="pagenum" id="Page_311">311</span>
-que leur dignité ne tienne au pouvoir absolu,
-et ils craignent qu’un gouvernement libre ne
-les rapprochât d’une classe qui leur est inférieure,
-et ne les confondît avec elle.</p>
-
-<p>Erreur grossière! Dans tout gouvernement
-libre où il y a, comme en Suède et en Angleterre,
-un prince héréditaire dont la maison
-a des prérogatives particulières sur toutes les
-autres familles, la noblesse aura toujours de
-grands avantages, et son sort sera assuré. Les
-seigneurs Anglais et Suédois, aussi jaloux que
-les nôtres des droits et des priviléges de leur
-naissance et de leur dignité, ne jouissent-ils
-pas d’une fortune plus avantageuse que les
-seigneurs Français? et cette fortune, établie sur
-la constitution de l’état, et non sur la volonté
-inconstante du prince, n’est-elle pas plus solide?
-Pour se désabuser de son erreur, notre
-grande noblesse n’auroit qu’à comparer son
-état actuel à celui de ses ancêtres; elle verroit
-qu’à mesure que la monarchie est devenue
-plus absolue, ses grandeurs se sont diminuées,
-et pour ainsi dire, anéanties; elle verroit que
-plus on approche du despotisme, plus tous
-les rangs se confondent aux yeux du prince. Il
-est de la nature du despotisme de tout avilir;
-il voit les objets de trop loin et de trop haut
-<span class="pagenum" id="Page_312">312</span>
-pour apercevoir entre eux quelque différence:
-qu’on me cite en effet un état despotique où la
-noblesse du sang n’ait pas enfin été détruite,
-et n’ait pas du moins perdu tous ses avantages.</p>
-
-<p>A mesure que les grands, depuis le règne
-de Charles VI, ont rendu le prince plus puissant,
-il s’est servi constamment de cette puissance
-pour diminuer leur fortune, leur crédit
-et leur considération. Après avoir travaillé à
-augmenter la prérogative royale, les grands
-ont été éloignés de l’administration des affaires.
-On leur a laissé de vains titres qui les divisent
-entre eux; on a supprimé les charges qui
-donnoient une grande autorité, et les places
-par leur nature, les plus importantes, n’ont
-aujourd’hui de pouvoir réel qu’autant que celui
-qui les occupe a de crédit. Depuis Henri IV,
-nos rois n’ont associé à leur pouvoir que des
-hommes qu’ils ne pouvoient jamais craindre,
-et qui retomboient dans le néant, si le prince
-cessoit d’en faire les organes de sa volonté, et
-de leur prêter son nom. Pour recouvrer du
-pouvoir, les grands ont été obligés d’ambitionner
-des places que leur vanité dédaignoit
-autrefois; et ils ne les ont obtenues, que
-parce qu’ils ne sont pas plus redoutables que
-les personnes auxquelles ils ont succédé.</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_313">313</span>
-Quoi qu’il en soit, la fortune actuelle des
-grands, leur manière de penser et l’influence
-qu’elle a sur toute la nation, sont autant d’obstacles
-à une<a name="FNanchor_357" id="FNanchor_357" href="#Footnote_357" class="fnanchor">[357]</a> révolution; et il faudroit un
-concours de circonstances d’autant plus extraordinaires
-pour changer l’esprit national, que
-le tiers-état n’est rien en France, parce que
-personne n’y veut être compris. Tout bourgeois
-ne songe parmi nous qu’à se tirer de sa situation
-et à acheter des offices qui donnent la
-noblesse; et, dès qu’il en est revêtu, il ne se
-regarde plus comme faisant partie de la commune.
-Le peuple n’est en effet que cette populace
-sans crédit, sans considération, sans fortune,
-qui ne peut rien par elle-même.</p>
-
-<p>Le parlement est le seul corps qui pourroit
-mettre quelques entraves au pouvoir arbitraire.
-Obligé par son propre intérêt de faire encore
-entendre quelquefois le nom des lois, la nation
-lui doit l’avantage d’avoir conservé ce mot, et
-voilà tout; car cette compagnie n’a pas la puissance
-nécessaire pour empêcher que les lois
-qu’elle réclame par intervalles, ne soient tous
-les jours violées. Que devons-nous attendre de
-son zèle pour le bien public? Il est important
-de le savoir; c’est à l’erreur d’avoir cru le parlement
-capable d’empêcher l’oppression et de
-<span class="pagenum" id="Page_314">314</span>
-défendre nos droits, que nous devons en partie
-l’indifférence avec laquelle nous avons vu la
-ruine de nos états-généraux, et la décadence de
-nos priviléges.</p>
-
-<p>Jamais les remontrances n’ont été plus fréquentes
-que de nos jours; quel mal ont-elles
-empêché? Dans cent occasions différentes,
-Monluc, dont j’ai déjà parlé, auroit pu renouveler
-les reproches qu’il faisoit autrefois au
-parlement. En reprenant quelque crédit, la
-magistrature n’a point songé aux intérêts de
-la nation; elle n’a été occupée que de ses propres
-prérogatives. Pour juger du bien que le droit
-d’enregistrement peut produire à l’avenir, il
-faut examiner celui qu’il a fait par le passé.
-Depuis cinquante-deux ans que le parlement a
-recouvré la permission de délibérer avant que
-d’enregistrer, les lois ont-elles été moins flottantes,
-moins incertaines, moins dures, moins
-arbitraires qu’elles ne l’ont été pendant le
-temps que Louis XIV avoit réduit l’enregistrement
-à une vaine formalité? Si le parlement
-a pu faire le bien, pourquoi ne l’a-t-il pas fait?
-S’il lui étoit impossible de le faire, pourquoi
-n’avertissoit-il pas la nation de chercher un
-autre protecteur? Si son droit de modifier et
-de rejeter les lois qui lui paroissent injustes
-<span class="pagenum" id="Page_315">315</span>
-n’est qu’une chimère, pourquoi y est-il ridiculement
-attaché? Si ce droit est quelque
-chose de réel, pourquoi la nation n’en tire-t-elle
-aucun avantage?</p>
-
-<p>Une expérience de plusieurs siècles n’a point
-été capable d’éclairer le parlement sur sa situation
-et ses intérêts. A peine a-t-il réussi à donner
-quelque alarme ou quelque inquiétude à
-des ministres timides et assez maladroits pour
-être embarrassés de leur pouvoir, qu’il a cru
-que le moment étoit arrivé de faire valoir ses
-anciennes prétentions, et de devenir cet ancien
-champ de Mars et de Mai qui ne formoit
-qu’une seule puissance avec le roi. Pour se
-rendre plus considérable, il a enfin adopté
-l’idée qu’il avoit jusques-là rejetée, de l’unité
-du parlement. Mais cette démarche étoit fausse,
-parce que tous ces parlemens répandus dans
-le royaume ne pouvoient pas se conduire par
-un seul et même esprit. Quand toutes leurs démarches
-auroient été parfaitement égales et
-uniformes, leurs forces n’auroient point encore
-pu contre-balancer celles du roi. Le
-parlement de Paris ne devoit s’associer les
-parlemens de province que pour se rendre
-plus sûr de l’approbation du public; ce
-n’étoit qu’en l’intéressant à sa cause qu’il
-<span class="pagenum" id="Page_316">316</span>
-pouvoit se rendre puissant: c’est l’opinion publique
-qui seule est capable d’imposer à un gouvernement.</p>
-
-<p>Quelque espérance que le parlement de Paris
-eût conçue de son alliance avec les parlemens
-de province, il n’a pu y sacrifier les préjugés
-anciens de sa vanité. Craignant de perdre de
-sa grandeur par le systême de l’unité, et que
-des magistrats de province ne sortissent des
-bornes de la subordination, il n’a pas manqué
-de saisir la première occasion de les humilier,
-et de les avertir qu’il étoit essentiellement et
-privativement la cour des pairs. Cette prétention
-puérile n’a pas seulement rompu la ligue
-nouvelle et fragile des magistrats, tout le public
-en a été révolté. On a vu que la première
-classe du parlement ne songeoit qu’à ses intérêts,
-et y songeoit d’une manière trop
-grossière et trop peu habile pour qu’elle pût
-faire le bien public. On a commencé à n’être
-plus la dupe de ses intentions; et toute l’illusion
-a enfin cessé, quand on a vu qu’elle abandonnoit
-le soin de sa propre existence, en laissant
-accabler les parlemens de Pau et de
-Rennes. Cette conduite du parlement de Paris
-a dévoilé à tous les yeux sa foiblesse et sa
-corruption; et quelle confiance pourroit-on
-<span class="pagenum" id="Page_317">317</span>
-désormais donner à une compagnie, ou foible
-ou corrompue, qui a permis qu’on s’essayât
-sur d’autres à la détruire<a name="FNanchor_358" id="FNanchor_358" href="#Footnote_358" class="fnanchor">[358]</a> elle-même? On
-a appris que les cours souveraines n’ont qu’une
-existence précaire; et bien loin que le foible
-crédit qui reste au parlement, puisse être le
-principe d’une réforme heureuse dans le gouvernement,
-il est vraisemblable qu’il ne servira
-qu’à écraser la nation et empêcher le rétablissement
-des états-généraux. Le ministre
-lui permettra des remontrances, des représentations,
-des chambres assemblées et de «jouer
-à la madame», qu’on me permette cette expression
-ridicule, pour empêcher que le public
-ne s’aperçoive qu’il a besoin de quelque protecteur
-plus puissant et plus intelligent.</p>
-
-<p>A moins d’un de ces événemens dont on
-rencontre quelques exemples dans l’histoire,
-et qui remuent avec assez de force une nation
-pour lui faire perdre ses préjugés et lui donner
-un caractère nouveau, la France, qui devroit
-renfermer un des peuples les plus heureux de
-la terre, tombera dans un état de dépérissement,
-de misère et de langueur, où tombe
-enfin toute société qui empêche les citoyens
-de s’intéresser à la chose publique. La liberté
-est nécessaire aux hommes, parce qu’ils sont
-<span class="pagenum" id="Page_318">318</span>
-des êtres intelligens; dès qu’ils en sont privés,
-ils ne conservent ni courage ni industrie; et
-la société, composée d’automates, doit périr,
-si elle est attaquée par des ennemis qui soient
-des hommes.</p>
-
-<p>Ne cherchons point ici ce que la France
-doit redouter de la part de ses voisins; n’examinons
-point si ses ennemis ont un gouvernement
-plus sage qu’elle. Cette discussion m’entraîneroit
-trop loin. Bornons-nous à la recherche
-des dangers domestiques dont elle est
-menacée, et en jetant les yeux sur un peuple
-voisin, il me semble que nous pouvons juger
-du sort qui nous attend. Les Espagnols avoient
-autrefois tout ce qu’il faut pour rendre une
-nation florissante: avant qu’ils fussent accablés
-sous une puissance arbitraire, ils ont fait de
-grandes choses; et s’ils avoient eu l’art d’affermir
-les principes de leur liberté, ils seroient
-aujourd’hui heureux. Mais le pouvoir du roi
-étant parvenu à s’accroître au point de ne
-trouver aucun obstacle, l’état a été sacrifié,
-comme il devoit l’être, aux passions du monarque
-et de ses ministres. Les Espagnols avilis
-et dégradés ont perdu leur génie, leurs talens,
-leur courage et leur activité, et ont cherché le
-bonheur qui les fuyoit, dans leur paresse et
-<span class="pagenum" id="Page_319">319</span>
-leur indolence. Les provinces sont devenues
-des déserts; les hommes ont cessé d’être citoyens;
-et malgré les vastes possessions du roi
-d’Espagne, il a aujourd’hui moins de force
-que n’en avoient autrefois ces petits rois d’<ins title="Arragon">Aragon</ins>,
-de Grenade, de Castille, de Léon, de
-Murcie, &amp;c., quand le gouvernement étoit
-encore propre à donner du ressort à l’ame des
-sujets. Au commencement de ce siècle, l’Espagne,
-qui avoit été la terreur de l’Europe,
-n’a pas été en état de défendre par ses propres
-forces le roi qu’elle s’étoit donné; elle a perdu
-les provinces qu’elle possédoit en Italie et
-dans les Pays-Bas, et si sa position topographique
-l’exposoit aux incursions de ses ennemis,
-ne seroit-elle pas démembrée?</p>
-
-<p>La France n’offre déjà plus que le spectacle
-effrayant d’une multitude de mercenaires dont
-elle ne peut payer les services à leur gré, et qui
-la serviront mal. Qu’on ne soit pas surpris
-que des hommes qui ne peuvent être citoyens,
-préfèrent leurs intérêts à ceux de la patrie.
-On voit déjà parmi nous l’empreinte fatale
-du <ins title="desposisme">despotisme</ins>, non pas de ce despotisme
-terrible qui s’abreuve de sang et répand la
-consternation par-tout: nos mœurs amollies
-ne le permettent pas; mais de ce despotisme
-<span class="pagenum" id="Page_320">320</span>
-qui établit par-tout la misère et l’indigence,
-qui porte par-tout le découragement, la corruption,
-la bassesse et l’esprit de servitude,
-symptômes certains d’une décadence, et avant-coureurs
-d’une ruine inévitable, quand il se
-présentera un ennemi redoutable sur ses frontières.</p>
-
-<p class="sep3 cent"><i>Fin du livre huitième.</i></p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="figcenter">
- <img src="images/im-05.jpg" alt="" title="" width="380" height="600" />
-</div>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<hr class="hr2" id="Page_321" />
-
-<h2 class="rpo">REMARQUES ET PREUVES<br />
-<span class="cs5 gesp">DES</span><br />
-<span class="cs7"><i>Observations sur l’histoire de France</i>.</span></h2>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h3>SUITE DU LIVRE VI<span class="nesp"><sup>me</sup>.</span></h3>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h4>CHAPITRE IV.</h4>
-
-<p class="nlh"><a name="Footnote_235" id="Footnote_235" href="#FNanchor_235"><span class="label">[235]</span></a>
-<span class="smcap"><span class="cs20">O</span>n</span> en trouve la preuve dans l’ordonnance
-par laquelle Philippe-Auguste régla l’administration
-de ses terres ou de ses domaines
-pendant la croisade, ou s’il mouroit dans cette
-expédition. Il ne consulte point ses grands vassaux
-ou ses barons, parce que chaque seigneur
-avoit le droit d’administrer à son gré ses affaires
-domestiques. <i lang="la" xml:lang="la">Consilio altissimi ordinare
-decrevimus.</i> D’ailleurs l’autorité royale étoit encore
-si foible, qu’on s’embarrassoit peu des
-arrangemens domestiques que le roi prenoit.
-<i lang="la" xml:lang="la">Pretereà volumus et præcipimus ut charissima
-mater nostra A. regina statuat cum charissimo
-avunculo nostro et fideli Guillelmo Remensi archiepiscopo
-<span class="pagenum" id="Page_322">322</span>
-singulis quatuor mensibus ponent unum
-diem Parisiis, in quo audiant clamores hominum
-regni nostri, et ibi eos finiant ad honorem Dei
-et utilitatem regni.</i> Et par le mot <i lang="la" xml:lang="la">regnum</i>, il ne
-faut pas entendre le royaume, mais les terres
-et les domaines du roi. On se sert de ces dernières
-expressions, quand les ordonnances sont
-écrites en français; d’ailleurs, on voit que, dans
-cette pièce, il n’est question que d’affaires particulières.</p>
-
-<p><i lang="la" xml:lang="la">Præcipimus insuper, ut eo die sint antè ipsos
-de singulis villis nostris, et baillivi nostri qui assisias
-tenebunt, ut coràm eis recitent negocia terræ
-nostræ.</i> Voilà peut-être ce qui aura donné à
-Philippe-le-Bel l’idée d’assembler des états.
-Philippe-Auguste veut que les bénéfices dont
-il étoit collateur, soient donnés à des hommes
-de bonnes mœurs et instruits, et qu’on consulte
-à ce sujet le frère Bernard, qui étoit un
-moine de Grandmont: <i lang="la" xml:lang="la">Viris honestis et litteratis,
-consilio fratris Bernardi conferant</i>. Cet
-acte n’est signé que par des domestiques du
-roi. <i lang="la" xml:lang="la">Signum comitis Theobaldi Dapiferi nostri,
-signum Guidonis Buticularii, signum Mathei Camerarii,
-data vacante cancellariâ.</i></p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_236" id="Footnote_236" href="#FNanchor_236"><span class="label">[236]</span></a>
-«Le roi Charles VII fut le premier, par
-le moyen de plusieurs sages et bons chevaliers
-<span class="pagenum" id="Page_323">323</span>
-qu’il avoit, qui lui avoient aidé et servi
-en sa conquête de Normandie et de Guyenne,
-que les Anglois tenoient, lequel gaigna et commença
-ce point, que d’imposer tailles en son
-pays et à son plaisir, sans le consentement
-des états de son royaume..... et à ceci se consentirent
-les seigneurs de France, pour certaines
-pensions qui leur furent promises, pour
-les deniers qu’on léveroit en leurs terres.....
-Mais à ce qui est advenu depuis et adviendra,
-il chargea fort son ame et celles de ses successeurs,
-et mit une cruelle plaie sur son
-royaume, qui longuement saignera, et une
-terrible bande de gens d’armes de soulde,
-qu’il institua à la guise des seigneurs d’Italie.»
-(<cite>Comines, Liv. 6. Ch. 7.</cite>)</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_237" id="Footnote_237" href="#FNanchor_237"><span class="label">[237]</span></a>
-Voyez les cahiers des états tenus à Tours,
-sous Charles VIII, Chap. 3. «Jamais le roi
-Charles VII, dit Comines, (<cite>Liv. 5, Chap. 18.</cite>)
-ne levera plus de dix-huit cent mille francs
-par an: et le roi Louis, son fils, enlevoit à
-l’heure de son trespas quarante et sept cent
-mille francs, sans l’artillerie et autres choses
-semblables.» Comines redit la même chose,
-(<cite>Liv. 6. Chap. 7.</cite>) «Et il ajoute que Charles
-VII pour tous gens d’armes ne tenoit qu’environ
-dix-sept cent hommes d’armes, et que
-<span class="pagenum" id="Page_324">324</span>
-Louis XI avoit environ quatre ou cinq mille
-d’hommes d’armes, et plus de vingt-cinq mille
-gens de pied.»</p>
-
-<p>Puisque j’ai cité Comines, je ne puis m’empêcher
-de rapporter un morceau admirable
-de cet écrivain. En s’élevant en général contre
-l’injustice des gouvernemens, il fait une peinture
-de la politique qu’il avoit vu pratiquer
-sous ses yeux: cette autorité confirmera ce
-que j’ai dit. «Là, tout est disposé et arrangé
-de sorte que le prince puisse lever des impôts
-à son gré, et c’est par là qu’il tient tous ses
-sujets sous le joug. On punit sous ombre de
-justice, et le prince a toujours à sa disposition
-des juges qui d’un rien font un crime,
-et qui trouvent des témoins et des dépositions
-tels qu’ils les veulent, et qui sous prétexte de
-faire un exemple punissent un innocent. Quand
-le prince est fort, tout défaut de complaisance
-à ses volontés devient une vraie désobéissance
-et le violement de l’hommage, et en conséquence,
-on confisque ses biens. On fait
-craindre aux uns de perdre leurs emplois. On
-chicane les gens d’église sur leurs bénéfices.
-On ruine la noblesse par les dépenses de la
-guerre entreprise sans consulter les états et
-de ceux qu’on auroit dû consulter, puisque
-<span class="pagenum" id="Page_325">325</span>
-c’est aux dépens de leur sang et de leur fortune
-que se fait la guerre. On ruine le peuple par
-des tailles, on tolère les violences et rapines
-des gens de guerre.» (<cite>L. 5. Ch. 18.</cite>)</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_238" id="Footnote_238" href="#FNanchor_238"><span class="label">[238]</span></a>
-«Le roi (Louis XI) fit tenir les trois
-estats à Tours es mois de mars et d’avril mil
-quatre cent septante, ce que jamais n’avoit fait,
-ni ne fit depuis. Mais il n’y appela que gens
-nommez, et qu’il pensoit qui ne contrediroient
-point à son vouloir..... A cette assemblée y
-avoit plusieurs gens de justice, tant de parlement
-que d’ailleurs, et fut conclu selon l’intention
-du roi que ledit duc seroit ajourné à
-comparoir en personne en parlement à Paris.»
-(<cite>Comines, L. 3. Ch. 1.</cite>) C’est une erreur. Cet
-historien avoit, sans doute, oublié «qu’au
-mois d’avril audit an 1467, en caresme, le
-roi Loys de France manda assembler en la
-ville de Tours les trois estats de son royaume;
-c’est à savoir les gens d’église, évêques et
-prélats, les nobles seigneurs, chevaliers et
-escuyers, et chacune ville et cité, trois ou
-quatre personnes des plus notables d’icelles,
-etc.» (<cite>Voyez les preuves des mémoires de Comines,
-par Godefroy, édition de l’abbé Lenglet du
-Fresnoy, T. 3. pag. 5.</cite>)</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_239" id="Footnote_239" href="#FNanchor_239"><span class="label">[239]</span></a>
-«Nous lui avons ordonné, commandé
-<span class="pagenum" id="Page_326">326</span>
-et enjoint ainsi que pere peut faire à son fils,
-qu’il se gouverne, entretienne et maintienne
-en bon régime et entretenement dudit royaume,
-par le conseil, avis et gouvernement de nos
-parens et seigneurs de notre sang et lignage,
-et des autres grands seigneurs, barons, chevaliers,
-capitaines et autres gens sages et notables,
-de bon conseil et conduite, et principalement
-de ceux qu’il sçaura et connoistra
-avoir été bons et loyaux à feu nostre chier sieur
-et pere, que Dieu absolve, à nous et à la couronne
-de France, et qui nous auront été bons
-et loyaux serviteurs, officiers et subjets.»
-(<cite>Ordon. du 21 septembre 1482.</cite>)</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_240" id="Footnote_240" href="#FNanchor_240"><span class="label">[240]</span></a>
-Le commerce ne dérogeoit point autrefois.
-On voit que les plus grands seigneurs,
-en traitant du droit de commune avec leurs
-sujets, se réservèrent un temps fixe, non-seulement
-pour vendre en détail les denrées de
-leur cru, mais encore celles qu’ils avoient
-achetées pour les vendre. Il est souvent parlé
-dans les ordonnances des gentilshommes et
-des clercs qui font le commerce, ou qui tiennent
-des terres à ferme. En 1355 il fut défendu
-aux magistrats du parlement et aux officiers
-du roi de commercer; et je me rappelle d’avoir
-vu une ordonnance de Charles V, du 13
-<span class="pagenum" id="Page_327">327</span>
-novembre 1372, qui fait la même défense aux
-officiers des aides. Sous le règne de Charles VI,
-il dut commencer à paroître indigne de tout
-gentilhomme de trafiquer ou de tenir des biens
-à ferme, puisque ceux qui se trouvoient dans
-ce cas furent alors assujettis à payer la taille,
-et confondus, à cet égard avec les roturiers.
-Voyez l’article 14 de l’ordonnance du 28 mars
-1395, que j’ai rapporté dans la remarque 232 du
-second chapitre de ce livre. L’exemption de
-la taille n’ayant été accordée par Charles VI
-qu’aux gentilshommes qui servoient ou que
-leur âge et leurs blessures avoient forcé de
-quitter le service, c’est sous ce règne qu’a dû se
-former le préjugé commun parmi nous, qu’un
-gentilhomme n’a point d’autre profession que
-celle des armes.</p>
-
-<p>Jusqu’au règne de Philippe-le-Long, les
-baillis, sénéchaux et prévôts, tous gentilshommes,
-étoient à la fois officiers de guerre,
-de justice et de finance. Les prévôts percevoient
-dans l’étendue de leur prévôté les revenus du
-roi; ils rendoient compte de leur recette au
-bailli ou au sénéchal dont ils relevoient; et
-celui-ci, faisant dans son ressort les fonctions
-d’un receveur général, répondoit des deniers
-au conseil ou à la chambre des comptes. Il
-<span class="pagenum" id="Page_328">328</span>
-n’étoit donc pas surprenant que les François
-avant Philippe-le-Long n’eussent pas les mêmes
-idées qu’ils ont aujourd’hui sur l’état de financier.
-Soit que ce prince ne vît qu’avec inquiétude
-dans la main des mêmes personnes
-toutes les différentes autorités qui avoient rendu
-autrefois les ducs et les comtes si puissans
-dans leurs gouvernemens, soit qu’il n’obéît
-qu’à cet instinct qui porte les despotes à séparer
-et diviser toutes les parties de l’administration,
-il établit le premier dans chaque bailliage
-des receveurs généraux, qui furent seulement
-officiers de finance.</p>
-
-<p>(<cite>Ordon. du Louvre, T. 1. p. 583.</cite>) Voyez
-les lettres-patentes du 11 octobre 1393, par
-lesquelles Charles VI ordonne que les nobles
-et ses officiers ne seront point admis à mettre
-des enchères sur les formes des impositions,
-à moins qu’il ne se présente point d’autres
-enchérisseurs. Le motif de cette défense, c’est
-que les financiers gentilshommes se conduisoient
-moins bien que les autres; qu’ils abusoient
-plus aisément de leur crédit, et qu’il
-étoit plus difficile de les punir. Sans doute que
-si la noblesse d’aujourd’hui, si peu avide
-d’argent, redevient jamais financière, elle ne
-s’exposera plus à la même exclusion.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_241" id="Footnote_241" href="#FNanchor_241"><span class="label">[241]</span></a>
-<span class="pagenum" id="Page_329">329</span>
-«Lesdits estats ne veulent ou entendent
-aucune chose diminuer du roule ou ordonnance
-du roi et de ses seigneurs conseillers, envoyez
-par escrit de par le roy et ses dits seigneurs
-auxdits estats, et s’en rapportent au bon plaisir
-du roy et les dits seigneurs et princes du sang
-et du conseil pour en disposer en leurs consciences
-comme ils verront estre à faire».
-(<cite>Cahiers des états, chapitre 6.</cite>)</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_242" id="Footnote_242" href="#FNanchor_242"><span class="label">[242]</span></a>
-«Disoient <ins title="aucune">aucuns</ins> de petite condition,
-et de petite vertu, et ont dit par plusieurs fois
-depuis, que c’est crime de lèze-majesté que
-d’assembler les estats, et que c’est pour diminuer
-l’autorité du roi; et ce sont ceux qui
-commettent ce crime envers dieu et le roy et
-la chose publique; mais servoient ces paroles
-et servent à ceux qui sont en autorité et crédit,
-sans en rien l’avoir mérité, et qui ne sont propices
-d’y estre; et n’ont accoutumé que de
-flageoler et fleureter en l’oreille et parler des
-choses de peu de valeur, et craignent les grandes
-assemblées de peur qu’ils ne soient connus ou
-que leurs œuvres ne soient blamées». (<cite>Comines,
-L. 5. Ch. 18.</cite>)</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_243" id="Footnote_243" href="#FNanchor_243"><span class="label">[243]</span></a>
-«S’il (Louis XI) n’eust eu la nourriture
-autre que les seigneurs que j’ai vus nourrir
-en ce royaume, je ne crois pas se fust ressours
-<span class="pagenum" id="Page_330">330</span>
-car ils ne les nourrissent seulement qu’à faire
-les fols en habillemens et en paroles, de nulles
-lettres ils n’ont connoissance. Un seul sage
-homme on n’entremet à l’entour. Ils ont des
-gouverneurs à qui on parle de leurs affaires, et
-à eux rien: et ceux-là disposent de leurs dits
-affaires: et tels seigneurs y a qui n’ont pas
-treize livres de rente en argent, qui se glorifient
-de dire: parlez à mes gens; cuidans par cette
-parole contrefaire les très grands seigneurs...
-Aussi ai-je bien veu souvent leurs serviteurs
-faire leur profit d’eux, en leur donnant bien à
-connoître qu’ils estoient bestes, et si d’adventure
-quelqu’un s’en revient, et veut connoître
-ce qui lui appartient, c’est si tard, qu’il ne sert
-plus de guères». (<cite>Comines, L. 1. Chap. 10</cite>)</p>
-
-<p class="last">«Encore ne me puis-je tenir de blamer les
-seigneurs ignorans. Environ tous les seigneurs
-se trouvent volontiers quelques clercs et gens
-de robbes longues, comme raison est, et y
-sont bien seans quand ils sont bons; et bien
-dangereux quand ils sont mauvais. A tous
-propos ont une loi au bec, ou une histoire,
-et la meilleure qui se puisse trouver, se tourneroit
-bien à mauvais sens: mais les sages
-et qui auroient lu, n’en seroient jamais abusés:
-ny ne seroient les gens si hardis de leur faire
-<span class="pagenum" id="Page_331">331</span>
-entendre mensonge. Et croyez que Dieu n’a
-point establi l’office de roy ny d’autre prince
-pour estre exercé par les bestes; ny par ceux
-qui par vaine gloire disent: je ne suis pas
-clerc, je laisse faire à mon conseil, je me fie
-à eux. Et puis sans assigner autre raison, s’en
-vont en leurs esbats.» (<cite>Ibid. L. 2. Ch. 6.</cite>)</p>
-
-<hr class="full" />
-
-<h4>CHAPITRE V.</h4>
-
-<p class="nlh"><a name="Footnote_244" id="Footnote_244" href="#FNanchor_244"><span class="label">[244]</span></a>
-<span class="smcap"><span class="cs20">V</span>oyez</span> livre 4, chap. 5, remarque 176.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_245" id="Footnote_245" href="#FNanchor_245"><span class="label">[245]</span></a>
-Les offices du parlement n’étoient point
-donnés à vie, le roi en disposoit à son gré,
-comme de tous les autres offices: et ce droit
-paroîtra incontestable, si on se rappelle que
-les états de 1356 demandèrent au Dauphin et
-obtinrent la déposition de vingt-deux officiers,
-parmi lesquels on en compte plusieurs qui
-étoient présidens ou conseillers au parlement.
-Tant que ce tribunal ne tint ses séances que
-deux fois l’an, à Pâques et à la Toussaint,
-on fit régulièrement tous les ans le rôle des
-officiers qui devoient administrer la justice;
-mais la multitude des affaires les tenant enfin
-toujours assemblés, on négligea de nommer
-tous les ans de nouveaux magistrats; on laissa
-<span class="pagenum" id="Page_332">332</span>
-subsister les anciens, et ils ne prenoient de
-nouvelles commissions qu’à l’avénement d’un
-nouveau roi au trône.</p>
-
-<p>Louis XI déposséda plusieurs officiers, et
-ne tarda pas à s’en repentir. Il éprouva que
-les mécontens qu’il avoit faits lui suscitoient
-mille difficultés; et c’est pour empêcher que
-son fils ne fît la même faute, et ne courût le
-même danger, qu’il fit, le 21 septembre 1468,
-une ordonnance qui rendoit les offices inamovibles,
-«Nous lui avons aussi par exprès
-commandé, ordonné et enjoint, et quand il
-plaira à Dieu qu’il parvienne à ladite couronne
-de France, qu’il entretienne es charge et offices
-qu’il trouvera estre lesdits sieurs de nostre sang
-et lignage, les autres barons, sieurs, gouverneurs,
-chevaliers, escuyers, capitaines et chefs
-de guerre, et tous les autres ayans charge, garde
-et conduite de gens, villes, places et forteresses,
-et les officiers ayans offices tant de
-judicature que autres de quelque manière et
-condition que lesdits officiers de charges soient,
-sans aucunement les muer, changer, descharger
-ne desappointer, ne aucun d’eux, si non
-toutes fois qu’ils fust ou estoit trouvé qu’ils ou
-aucuns d’eux fussent et soient autres que bons
-et loyaux, qu’il en appere bien et duement,
-<span class="pagenum" id="Page_333">333</span>
-et que bonne et deue déclaration en soit faite
-par justice, ainsi qu’en tel cas appartient.</p>
-
-<p>Nous avons ordonné et commandé à nostre
-amé et feal notaire et secretaire, tant durant
-nostre regne, que celui de nostre dit fils:
-Monsieur Pierre Parent illec present en faire
-toutes letres et expéditions, provisions, patentes
-et choses déclaratoires de nosdits vouloirs,
-commandemens et ordonnance que besoin
-sera, tant durant nostre regne que celui
-de nostre fils, et au commencement de son
-dit regne par manière de confirmation aux dits
-officiers, en <ins title="confirma tion">confirmation</ins> de eux en leurs
-dites charges et offices, et avons ainsi commandé
-à nostre dit fils <ins title="leurfaire">leur faire</ins> par le dit
-Parent comme nostre <ins title="sacrétaireet">secrétaire et</ins> le sien. Si
-donnons en mandement par ces mêmes présentes,
-&amp;c.»</p>
-
-<p>A chaque nouveau règne on avoit besoin
-de lettres de confirmation. «Le mardy 2 janvier
-1514, toutes les chambres (du parlement) ont
-été assemblées pour adviser qu’il étoit à faire:
-parce que le roy Louys dizieme de ce nom, que
-Dieu absoille, hier au soir tres-passa en son
-hostel des Tournelles. Et la matiere mise en
-délibération, a ésté ordonné que après diner
-à une heure, toute la cour s’assembleroit en
-<span class="pagenum" id="Page_334">334</span>
-parlement pour aller tous ensemble en la
-manière acoustumée devers le roy, pour lui
-requérir la confirmation des officiers de la dite
-cour...... Et a accordé liberalement et joyeusement
-la confirmation des officiers de ladite
-cour, en commandant les lettres à Messire
-Florimond Robertet, chevalier, secretaire des
-finances dudit seigneur.» Extrait des registres
-du parlement. Cette pièce est rapportée dans
-le cérémonial français de MM. Godefroy,
-p. 278.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_246" id="Footnote_246" href="#FNanchor_246"><span class="label">[246]</span></a>
-On en a vu la preuve, (<cite>L. 4. Chap. 5.
-Remarque 176</cite>).</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_247" id="Footnote_247" href="#FNanchor_247"><span class="label">[247]</span></a>
-J’ai déjà traité cette matière dans les
-livres précédens, et je prie le lecteur d’y avoir
-recours.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_248" id="Footnote_248" href="#FNanchor_248"><span class="label">[248]</span></a>
-Voyez les ordonnances rendues à l’occasion
-des états-généraux de 1355 et 1356,
-et dont j’ai rendu compte dans les chapitres
-2 et 3 du livre précédent.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_249" id="Footnote_249" href="#FNanchor_249"><span class="label">[249]</span></a>
-On a déjà vu que plusieurs officiers
-destitués par le Dauphin en 1356, étoient à
-la fois ministres d’état et magistrats au parlement.
-«Aucuns, dit du Tillet, estoient conseillers
-audit conseil et au dit parlement.... de
-ce et des dites assemblées vint que ceux du
-dit conseil privé eurent entrée et voix délibéretive
-<span class="pagenum" id="Page_335">335</span>
-au dit parlement, qu’ils n’avoient auparavant,
-sinon en la présence du roi qui y
-meine, honore et auctorise qui y luy plaist...
-Le 5 fevrier 1388, Charles VI déclara que
-ceux du dit conseil privé auroient l’entrée
-d’iceluy parlement, pour ce y firent serment
-tel que les conseillers du dit parlement.....
-Mais cela fut changé, non sans raison, pour
-le regard de ceux qui n’avoient jamais exercé
-office de judicature. <cite class="rmn">Recueil des rois de France,
-articles du conseil privé du roi.</cite>»</p>
-
-<p>«Combien que ce soit chose très-offerante
-et nécessaire que les présidens de nostre cour
-de parlement soient souventes fois près de
-nous, et facent résidence comme continuelle
-en nostre bonne ville de Paris, pour vacquer
-et entendre au faict de la justice de nostre
-royaume, et pour venir en nos conseils quand
-mandés y sont: neantmoins comme entendu
-avons, plusieurs d’eux se appliquent à prendre
-par chacun an plusieurs et diverses commissions
-pour parties, pour aller hors de nostre
-bonne ville de Paris en loingtaines parties,
-dont plusieurs inconvéniens s’en sont ensuivis
-au temps passé, en préjudice de nous et de
-notre justice, et tellement que nostre dite cour
-est souvent démourée desnuée d’iceux
-<span class="pagenum" id="Page_336">336</span>
-présidens, au moins de la plus grande partie d’eux,
-et que nous ne les avons peu avoir pour assister
-à nos consaulz quand mandés les y avons,
-dont nos besognes et affaires et le bien de la
-justice de nostre dit royaume ont esté retardez:
-nous voulans à ce pourvoir avons ordonné et
-ordonnons que doresnavant, quand les commissaires
-de nostre dite court se distribueront,
-chacun de nos dits presidens n’aura en un
-parlement que une commission pour partie,
-et encore que ce soit au plus près de Paris
-que faire ce pourra et au plus loing de trente ou
-quarante lieues. Afin que se besoin est, nous
-les puissions avoir pour nos dites affaires, si
-ce n’estoit toutes fois que nous les eussions,
-et vousissions envoyer en ambassade, ou autrement
-pour nos besongnes.» (<cite><ins title="Ordond">Ordonn</ins>. du 17
-May 1413.</cite>)</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_250" id="Footnote_250" href="#FNanchor_250"><span class="label">[250]</span></a>
-<cite class="rmn">Ordon. du Louvre, T. 5. p. 430.</cite> On
-trouve une pièce importante en date du 19
-octobre 1371. Elle est intitulée: «lettres qui
-portent que les nobles du Languedoc payeront
-l’ayde établie dans ce pays, addressées à Pirre
-Escatisse, maître des comptes, aux sénéchaux
-de Toulouse, <ins title="Cracassonne">Carcassonne</ins>, Beaucaire, aux élus
-et receveurs de Languedoc.» On voit par ces
-lettres que la noblesse du Languedoc appela
-<span class="pagenum" id="Page_337">337</span>
-au parlement de l’ordonnance par laquelle
-Charles l’assujettissoit à l’aide. <i lang="la" xml:lang="la">Ad nostram
-parlamenti curiam appellarunt ad executionem
-ulteriorem antedictarum nostrarum litterarum,
-procedere distulisti, in nostri non modicum prejudicium.</i>
-Je voudrois bien connoître les raisonnemens
-de cette noblesse de Languedoc qui
-regardoit le roi comme législateur, et qui
-cependant appeloit de ses ordonnances au
-parlement. Le sens commun indique qu’on ne
-doit point appeler du supérieur à l’inférieur.
-Nous avons adopté cette absurdité dans notre
-jurisprudence; sans doute parce que nous
-avons senti combien il est dangereux de remettre
-toute la puissance législative entre les
-mains d’un homme; et qu’il se portera aux
-plus grands excès, si, en lui disant qu’il est
-tout-puissant, on ne le gêne pas par des formes.
-Charles V ordonne de poursuivre les nobles qui
-refuseront de payer. <i lang="la" xml:lang="la">Compellatis viriliter et
-rigide, et prout pro nostris propriis debitis est
-fieri consuetum.</i> Il défend d’avoir égard à l’appel:
-<i lang="la" xml:lang="la">non obstantibus prædictis appellationibus emissis
-et emittendis. Quas inanes et frivolas esse decrevimus
-per presentes.</i></p>
-
-<p>En 1383, la comtesse de Valentinois, le
-sire de Tournon et plusieurs autres barons,
-<span class="pagenum" id="Page_338">338</span>
-prétendans que les habitans de leurs terres ne
-devoient point payer l’aide que le roi avoit
-établie, appelèrent au parlement. (<cite>Ord. du
-Louvre. T. 7, pag. 28.</cite>) Voyez les lettres-patentes
-du 24 octobre 1383. Charles VI défend
-à son parlement de connoître des appellations
-faites au sujet de ses aides, dont on se
-prétendoit exempt en vertu de quelque titre.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_251" id="Footnote_251" href="#FNanchor_251"><span class="label">[251]</span></a>
-Le 7 février 1413, l’université remontra
-au parlement que les finances du roi étoient
-mal gouvernées; lui dit qu’elle avoit envoyé
-des députés pour faire des remontrances au
-roi, et supplia la cour d’en faire autant de
-son côté, à quoi la cour de parlement sagement
-lui fit réponse que c’étoit à elle de faire
-justice à ceux qui la lui demandoient, et non
-de la requérir, et qu’elle feroit chose indigne
-de soy, si elle se rendoit partie requerante,
-vu qu’elle étoit juge. (<cite>Pasquier, p. 279.</cite>) Si on
-demande en vertu de quel droit l’université
-de Paris faisoit des remontrances à Charles VI
-sur le désordre des finances, je répondrai
-que c’est en vertu du droit qu’a chaque citoyen
-d’être affligé des maux de sa patrie; et qui lui
-fait un devoir d’y remédier autant qu’il est
-possible. Je prie de remarquer la réponse du
-parlement; il a la modestie de ne pas croire
-<span class="pagenum" id="Page_339">339</span>
-qu’il partage avec le roi l’administration de
-l’état; mais il a la vanité de se regarder comme
-un corps intermédiaire entre le roi et la
-nation; et tout corps intermédiaire entre le
-souverain et les sujets doit à la fin être le
-maître du souverain et des sujets, si on ne réprime
-pas son autorité.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_252" id="Footnote_252" href="#FNanchor_252"><span class="label">[252]</span></a>
-«Du samedy dernier décembre 1409,
-ce jour n’a point été plaidé pour ce que on ne
-pouvoit entrer au palais, obstant un grant
-conseil que faisoit le roi en la salle de S. Loys
-de messieurs de son sang et des nobles du
-Royaume sur le fait de la guerre d’entre le
-roy d’une part, et le roy d’Angleterre d’autre
-part..... Aussi a esté dit, que pour ce qu’il y
-avoit eu grands déffaulz ou fait de la justice
-de ce royaume, et aussi au gouvernement et
-recepte du domaine et des aydes; le roy avoit
-ordonné plusieurs vaillans hommes raisonnables,
-généraux réformateurs desquels les
-aucuns estoient du sang du roy, c’est assavoir
-les comtes de la Marche, de Vendosme et de
-St. Pol, lesquels réformateurs présenteroient
-ceux qui avoit failli, et puniroient ceux qui
-l’avoient desservi: aussi fut dit que pour ce
-que le roy pour plusieurs empeschemens que
-lui survenoient souvent, avoit ja pieça ordonné
-<span class="pagenum" id="Page_340">340</span>
-que la royne par le conseil de messieurs du
-sang royal entendroit es grosses besognes et
-cas que en ce royaume adviendroient, auxquelles
-le roy ne pourroit entendre, icelle
-royne aussi estoit empeschée pour plusieurs
-cas qui lui surviennent en empeschent; pourquoi
-ne pouvoit entendre. Si avoit ordonné
-le roy à la requeste de la royne, que Monsieur
-le Dauphin entendroit d’icy en avant aux dictes
-besongnes par le conseil de Messieurs du sang
-royal.» Extrait des registres du parlement.
-Cette pièce se trouve dans le <cite class="rmn">recueil des pièces
-concernant la pairie, par Lancelot, p. 671</cite>.
-Si cette pièce prouve de quelle considération
-jouissoit le parlement, elle fait voir aussi
-quelle autorité les princes et les grands avoient
-acquise.</p>
-
-<p>«Ce jour après dîner furent assemblez les
-présidens et conseillers des trois chambres du
-parlement pour faire response sur ce qui avoit
-esté ouvert par Monsieur le chancelier, ou
-conseil tenu ce jour ou matin en la grant
-chambre du parlement? c’est à sçavoir sur les
-manieres de trouver et faire finances selon la
-teneur des lettres du roy publiées et lues ou
-dict conseil; et finalement fut conclud que
-maistre Jehan de Longueul président accompagné
-<span class="pagenum" id="Page_341">341</span>
-d’aucuns des conseillers de la court,
-iroient devers le chancelier, de par la court,
-dire que les présidens et conseillers d’icelle
-court ont toujours esté, sont et seront prest
-et appareillez de conseiller, aider et conforter
-le roi en ses affaires selon leurs facultés et
-puissances, en excusant la court de ce qu’elle
-n’a pas accoustumé de vacquer en inventions
-de finances, ne exercer le faict d’icelles finances;
-et que le roy par ses dictes lettres et
-autrement y avois commis gens saiges et expers
-au <ins title="diet">dict</ins> faict, qui pourroient et sçauroient
-mieux pourveoir en ce que estoit à faire pour
-trouver les manières des dites finances, selon
-la teneur des dites lettres et commission à eux
-addressée.» Extrait des régistres du parlement
-du samedy 10 décembre 1410. (<cite>Lancelot, p. 703.</cite>)
-Plût à Dieu que le parlement eût toujours
-pensé de la sorte; il ne se seroit pas mis à la
-place des états, et chargé d’un emploi qu’il
-ne pouvoit remplir.</p>
-
-<p>«Ce jour vindrent en la chambre du parlement
-le prevost de Paris, messire Jacques
-Branlard, messire Guillaume le Clerc et plusieurs
-autres commissaires sur le fait de la police
-et du gouvernement de Paris, commis de
-par le roy et son conseil à assembler et conférer
-<span class="pagenum" id="Page_342">342</span>
-ensemble sur ce qui leur sembleroit nécessité
-et expédient pour la conservation, tuition
-et deffense de ladite ville. Lesquels commis
-pour faire cesser toutes paroles outrageuses
-que l’on pourroit dire et publier en leur préjudice,
-et pour obvier à tout perils et mautalens,
-ou indignation des seigneurs, qu’ils pourroient
-pour occasion de ladite commission
-encourir, requirent en suppliant, que à tous
-ce qu’ils avoient advisé ou adviseroient, on
-donnast nom et authorité d’être fait par le
-roy en son conseil, ou cas que iceux advis
-soient approuvez et confirmez, sans dire ou
-oublier que ce feussent les advis et ordonnances
-desdits commissaires: en outre requisirent
-que tous leurs advis autrefois baillez au
-prevost de Paris et des marchands, feussent
-rapportez par les dits prevost en la court, et
-leurs diligences par eux faictes en l’exécution
-d’iceux advis, et afin que ce qui n’a esté exécuté
-soit mis à exécution, ou y soit autrement
-pourveu. En après les dessus dits commissaires
-firent exposer pleinement plusieurs dommages
-et inconvéniens qui advenoient, et en disposition
-d’advenir plus grand sur le fait et gouvernement
-des finances de ce royaume; et aussi
-au regard de la monnoie; en quoi les notables
-<span class="pagenum" id="Page_343">343</span>
-anciennes ordonnances n’estoient point observées,
-comme plus aplain fut déclairé par les
-dessus dits commissaires, sur lesquelles choses
-la cour respondit, que à pourveoir sur ce,
-l’on devoit appeler les gens du conseil du roy.»
-Extrait des registres du parlement du lundi 6
-mars 1418. (<cite>Ibid. p. 704.</cite>)</p>
-
-<p>«Furent tous les seigneurs de ceans au Louvre
-en la grant salle, ou estoient en personne
-la royne, le duc de Guyenne, son fils aisné,
-le duc de Berry, le duc de Bretaigne, les comtes
-de S. Pol, de Mortaing, d’Alençon, le duc de
-Berry, de Bourbon, les comtes de Clermont
-et de Dampmartin, la duchesse de Guyenne,
-la dame de Charollois, le comte de Tancarville,
-le connestable, le chancelier, les présidens
-du parlement, le grand maistre d’hostel,
-les archevesques de Bourges, de Tholouse et
-de Sens, les evesques de Senlis, de Beauvais,
-d’Amiens, d’Evreux et de Lodeve, d’Alby, de
-Therouenne, de Seez, de Maillefais et plusieurs
-autres evesques et abbés, le prevost de
-Paris et le prevost des marchands accompagné
-de cent bourgeois ou environ, en la présence
-desquels et de plusieurs autres notables personnes
-et gens du conseil du roy, fut publié
-par la bouche de maistre Jean Juvenal,
-<span class="pagenum" id="Page_344">344</span>
-advocat du roi, la puissance octroyée et commise
-par le roy à la royne et au dict monseigneur
-de Guyenne sur le gouvernement du royaume,
-le roi empesché ou absent.» Extrait des registres
-du parlement, du mercredi 5 de septembre
-1408. (<cite>Ib. p. 669.</cite>)</p>
-
-<p>«Afin que parmy le royaume on cuidast,
-que ce qu’on faisoit estoit pour le bien du
-royaume, cent du conseil des dessus dits
-firent chercher et querir es chambres des
-comptes, et du trésor et au Chatellet, toutes
-les ordonnances royaux anciennes, et sur
-icelles en formèrent de longues et prolixes,
-où il y avoit de bonnes et notables choses
-prises sur les anciennes: puis firent venir Monseigneur
-le Dauphin, duc de Guyenne, en la
-cour de parlement tenant comme un lict de
-justice: et les firent lire et publier à haute
-voix, et les leut le greffier du Chastellet,
-nommé Maistre Pierre de Fresnes, qui avoit
-un moult bel langage et haut. Et furent les
-dites ordonnances decretées estre gardées et
-sans enfraindre.» (<cite>Hist. de Charles VI, par
-J. J. des Ursins, arch. de R. p. 254.</cite>)</p>
-
-<p>«Assez tost après le roy assembla ceux de
-son sang et de son conseil en grand nombre
-en la salle du palais, et par grande et meure
-<span class="pagenum" id="Page_345">345</span>
-délibération cassa et annulla les ordonnances
-dont dessus a été fait mention, combien qu’il
-y eust de bonnes choses, mais pour ce qu’elles
-furent faictes à l’instigation et pourchan des
-bouchers et de leurs adhérens qu’on nommoit
-Cabochiens, et que à les publier en parlement
-étoient les principaux d’entre eux présens
-et avoués, et pour plusieurs autres raisons
-furent cassées: aussi que les anciennes suffisoient
-bien et n’en falloit aucunes autres.»
-(<cite>Ibid. p. 265.</cite>)</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_253" id="Footnote_253" href="#FNanchor_253"><span class="label">[253]</span></a>
-On ne sait comment s’y prendre pour
-réfuter les personnes qui n’ont écrit que pour
-flatter le parlement, qui a la vanité de chercher
-son origine dans les anciens champs de
-Mars et de Mai. Il faudroit arrêter ces écrivains
-à chaque ligne ou plutôt à chaque mot;
-il faudroit leur faire voir comment ils joignent
-toujours un mensonge à une vérité; et il en
-résulteroit des volumes immenses qui n’instruiroient
-personne, parce que personne ne
-les liroit. «Il parut, il y a quelques années,
-des lettres essentielles du parlement, sur le
-droit des pairs et sur les lois fondamentales
-du royaume.» Que peut-on répondre à cet
-auteur? Quand il dit, p. 30: «Qu’on découvre
-les principes les plus précieux de notre
-<span class="pagenum" id="Page_346">346</span>
-droit public dans le premier âge de la monarchie,
-et que de-là ils sont venus de main en
-main jusqu’à nous par une tradition que les
-rois et les peuples ont toujours également
-respectée.» Un écrivain si peu instruit des
-changemens continuels que nos lois et nos
-coutumes ont éprouvés, ne se rend-il pas
-suspect par une telle assertion? Mérite-t-il
-qu’on lui oppose tous les monumens de notre
-histoire? Il faut avoir les yeux bien fascinés
-pour voir dans les lois saliques ou ripuaires,
-dans les capitulaires de Charlemagne, ou
-même dans les établissemens de S. Louis, les
-principes de notre gouvernement actuel.</p>
-
-<p>Les lettres historiques distinguent fort bien
-la cour de justice des rois Mérovingiens du
-champ de Mars; mais comme l’auteur aura
-bientôt besoin de les confondre pour l’arrangement
-de son systême, il ne manque pas d’en
-donner des idées fausses. Selon lui, lettre 8,
-la cour du roi, composée de magistrats élus par
-la nation, et portant le nom de princes, devoit
-rendre la justice conjointement avec le
-monarque, quand les affaires de l’état lui en
-laissoient le loisir, ou à sa charge, quand il
-ne lui étoit pas possible d’y vaquer. La plupart
-de ces magistrats se dispersoient dans les
-<span class="pagenum" id="Page_347">347</span>
-différentes portions de l’état, pour y présider
-aux tribunaux des provinces et des villes; mais
-ils se réunissoient en des temps marqués auprès
-de la personne du roi, pour y former le
-tribunal auguste, connu depuis sous le nom
-de cour de France, cour du roi, cour des pairs,
-lit de justice du roi et parlement.»</p>
-
-<p>Je demande d’abord qu’on me prouve que
-les magistrats qui tenoient la cour du roi, fussent
-choisis par la nation. A entendre notre
-auteur, on croiroit que ces magistrats étoient
-les ducs et les comtes qui alloient gouverner
-leurs provinces: or, il est certain que les ducs
-et les comtes étoient nommés par le roi sans
-le concours de la nation, et il n’est pas moins
-faux qu’ils se réunissoient en des temps marqués
-auprès de sa personne pour former la
-cour de France. La cour de justice du roi
-étoit perpétuelle; les leudes y jugeoient, et
-elle fut présidée sous la première race par les
-maires du palais, et sous la seconde par
-l’appocrisiaire et le comte du palais..... Les
-grands ne se rassembloient pas pour tenir la
-cour de justice, mais pour former ces assemblées
-plus <ins title="solenneles">solennelles</ins> qui succédèrent au champ
-de Mars, et qui rendirent le gouvernement
-aristocratique, de démocratique qu’il étoit
-<span class="pagenum" id="Page_348">348</span>
-auparavant. On trouvera les preuves de tous
-ces faits dans les remarques de mon premier
-livre.</p>
-
-<p>«L’autre tribunal (le champ de Mars) qui
-étoit vraiment alors la cour de France et le
-vrai lit de justice des rois, étoit le parlement
-général, ou l’assemblée des Francs, présidés
-par le roi et par les magistrats ou princes.
-C’étoit dans ce tribunal seul que le monarque
-formoit ses lois, et que toutes les affaires générales
-se décidoient par le conseil et la délibération
-pleinement libres de ceux qui le
-formoient; il étoit le conseil public des monarques;
-il étoit aussi la vraie cour des pairs,
-qui seule jugeoit le grand criminel des Francs.»</p>
-
-<p>Je ne sais pourquoi notre auteur, en parlant
-du champ de Mars, se sert des mots de
-parlement et de lit de justice: ils n’ont été
-connus que sous la troisième race, et même
-assez tard. Je n’entends rien aux expressions
-de magistrats et de princes, qui ne sont
-employées que pour faire illusion. Je voudrois
-que notre auteur me fît le plaisir de me faire
-connoître les mémoires secrets qui lui ont
-appris que les rois Mérovingiens présidoient
-le champ de Mars; ce que je sais, c’est que
-Charlemagne ne présidoit point le champ de
-<span class="pagenum" id="Page_349">349</span>
-Mai. Le roi ne formoit point ses lois; il se
-bornoit à publier celles que l’assemblée avoit
-faites. La qualité de pairs n’étoit point connue
-sous la première, ni sous la seconde race;
-ce n’est que sous la troisième qu’on commença
-à donner ce titre aux vassaux immédiats de
-la couronne. Voulez-vous savoir ce que c’est
-que le grand criminel des Francs? On vous
-l’apprendra p. 104 «Avant notre établissement
-dans les Gaules, les délits qui n’étoient
-pas punis de mort, n’étoient que des affaires
-civiles entièrement étrangères au grand criminel.
-Conséquemment le roi et les princes
-en connoissoient hors du parlement, au lieu
-qu’ils ne jugeoient du criminel que dans le
-parlement même, qui étoit proprement la cour
-générale des pairs.»</p>
-
-<p>Je voudrois bien connoître la loi concernant
-le grand criminel des Francs: j’avoue
-que je n’en ai trouvé aucune trace ni dans
-le code salique, ni dans le code ripuaire:
-«L’insolence du coup de hache, dit notre
-auteur, p. 52, en parlant de l’aventure du
-vase de Soissons, méritoit sans doute d’être
-sévèrement punie; mais c’étoit une autre loi,
-que le grand criminel étoit réservé à l’assemblée
-de la nation présidée par le roi, ou
-<span class="pagenum" id="Page_350">350</span>
-autrement au parlement général. Clovis, qui
-avoit montré tant de circonspection sur un
-simple usage, n’avoit garde de mépriser cette
-loi capitale. Il suspendit donc son juste courroux
-pendant près d’un an, jusqu’au champ
-de Mars ou parlement suivant; et là il faut
-avouer qu’il s’oublia lui-même, et qu’il flétrit
-l’éclat de la modération qu’il avoit fait paroître
-à Soissons; car, sans attendre que le coupable
-y fût jugé par ses pairs, il saisit le vain prétexte
-militaire, que ses armes n’étoient pas
-en bon état, pour le tuer de sa propre main.»
-Tout cela est trop ridicule pour que je m’arrête
-à faire quelques réflexions. Il faut continuer
-à entendre notre auteur.</p>
-
-<p>«La seconde race de nos rois, dit-il,
-nous présente ces deux tribunaux dans toute
-leur splendeur. Les grands du royaume, les
-principaux officiers de la couronne, les prélats
-et les premiers sénateurs de France ou
-conseillers, continuèrent de composer la cour
-du roi, d’y juger de grandes affaires et d’être
-le conseil né du monarque, pour les affaires
-les plus instantes. Ces magistrats présidoient
-toujours sous le titre de ducs et de comtes
-aux tribunaux des provinces, et aux assemblées
-provinciales, qui se tenoient plusieurs
-<span class="pagenum" id="Page_351">351</span>
-fois l’année. Mais tous les ans ils se réunissoient
-en cour pleinière auprès du roi, soit
-pour décider les affaires d’un ordre supérieur,
-soit pour préparer les matières qui devoient
-être proposées au parlement général, ou pour
-y statuer provisoirement, si des circonstances
-pressantes l’exigeoient.»</p>
-
-<p>Voici des sénateurs de France, et je défie
-qu’on me cite un seul de nos monumens où
-les ducs et les comtes aient pris cette qualité.
-J’ajoute que sous la seconde race, la France
-ne fut pas divisée en duchés, mais en comtés
-ou en légations, et qu’on ne commença à
-voir renaître des ducs que dans la décadence
-des Carlovingiens. Qui a dit à notre auteur
-que les ducs et les comtes présidoient aux
-assemblées provinciales? Pour moi, j’ai vu
-dans les capitulaires que cet honneur étoit
-attribué aux Envoyés royaux les <i lang="la" xml:lang="la">Missi Dominici</i>.
-Notre auteur fait venir tous les comtes à l’assemblée
-ou au conseil qui se tenoit tous les
-ans à la fin de l’automne, après la campagne,
-pour préparer les matières qui devoient se
-traiter au champ de Mai; mais Hincmar m’apprend
-qu’on n’y voyoit que les seigneurs les
-plus expérimentés et les principaux ministres
-du roi. Qui dois-je croire?</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_352">352</span>
-«L’assemblée du parlement général se
-tenoit de même tous les ans; on continua d’y
-décider tout ce qui concernoit la législation,
-ou la police publique, les affaires générales
-de l’état, les procès criminels des pairs. C’étoit
-toujours le conseil public des rois... mais
-comme les états de ces rois étoient bien autrement
-étendus que sous la première race, il
-fallut encore faire une restriction dans ces
-assemblées: il ne fut plus possible d’y admettre
-comme auparavant, tous ceux indistinctement
-qui tenoient rang dans l’état, les grands seuls
-y eurent entrée, avec les prélats et les sénateurs:
-nous le lisons dans Hincmar.» Il faut
-que je n’aie lu que quelques mauvaises éditions,
-car j’y ai vu tout le contraire. Voyez mes
-remarques sur le second livre.</p>
-
-<p>«C’est ainsi que les voies se préparoient à
-la réunion de ces deux sortes d’assemblées,
-qui, comme l’observe Mezerai, se confondirent
-en une sous les derniers rois de la seconde
-race. En restreignant les parlemens généraux
-aux seuls grands du royaume, avec les prélats
-et les sénateurs, la cour du roi se trouva bientôt
-n’être plus que ces parlemens mêmes, et
-les parlemens n’être plus que cette cour
-<span class="pagenum" id="Page_353">353</span>
-plénière, puisqu’ils étoient composés des mêmes
-personnes.»</p>
-
-<p>Je ne me rappelle point si Mezerai a fait
-cette observation; mais, s’il l’a faite, je ne
-crains point de dire qu’il s’est trompé. Dans
-la décadence des Mérovingiens, il est vrai que
-le peuple ne fut plus compté pour rien, et que
-les grands, qui avoient repris leur ancien esprit
-de tyrannie pendant les divisions des fils de
-Louis-le-Débonnaire, assistèrent seuls aux
-assemblées de la nation. A mesure qu’ils affermirent
-leur autorité dans leurs provinces ou
-dans leurs terres, ils dédaignèrent de se rendre
-aux convocations que les rois faisoient d’une
-manière propre à les faire mépriser. Bien loin
-que les assemblées des grands, qui avoient
-succédé au champ de Mai, se confondissent
-avec la justice du roi pour ne plus former
-qu’un seul corps, l’une et l’autre s’anéantirent.
-Si ces grands avoient continué à s’assembler,
-auroit-on vu ce démembrement général de
-toutes les parties du royaume? Auroit-on vu
-naître le gouvernement féodal, qui suppose
-l’anarchie la plus monstrueuse? Auroit-on vu
-dans chaque province, ou plutôt dans chaque
-baronnie, se former des coutumes différentes
-<span class="pagenum" id="Page_354">354</span>
-au gré des passions et des caprices des
-seigneurs?</p>
-
-<p>Il ne faut pas avoir assez peu d’esprit pour
-associer des choses insociables; mais aucune
-absurdité ne coûte à nos historiens, annalistes
-pour la plupart, qui n’ont jamais réfléchi sur
-les causes des révolutions qu’éprouvent les
-états, qui n’ont jamais connu le jeu des passions
-entre elles; et qui, sans avoir médité
-sur les lois de la nature et celle des gouvernemens,
-ne sont que des ouvrages inutiles
-pour notre instruction. En voyant les désordres
-et les malheurs qui perdirent la maison de
-Charlemagne, tout homme sensé doit conclure,
-si je ne me trompe, qu’il n’y avoit donc plus
-dans la nation ni de puissance législative ni
-d’assemblée générale.</p>
-
-<p>Au milieu de cette anarchie, est-il possible
-de croire que la cour de justice des derniers
-Carlovingiens jouît de quelque considération?
-Peut-on même penser qu’elle subsistât? Qui
-auroit voulu avoir recours à un tribunal dont
-le chef étoit méprisé? Qu’on fasse attention
-qu’il ne restoit que deux ou trois villes à ces
-princes malheureux. D’ailleurs, il est certain
-que les appels connus sous la première et la
-<span class="pagenum" id="Page_355">355</span>
-seconde race, ne furent plus en usage dans
-cette décadence, et que tous les seigneurs rendirent
-leurs justices souveraines. Voyez les
-preuves ou remarques de mon second ou troisième
-livre.</p>
-
-<p>Après ces réflexions, comment peut-on
-entendre dire à notre auteur que «la police
-féodale qui survint vers ces temps, cimenta
-plus étroitement encore cette union. D’un
-côté, par cette police, la cour du roi se trouva
-composée des barons ou vassaux immédiats de
-la couronne, ecclésiastiques et laïcs, et des
-sénateurs: c’étoit même une des charges de
-leur fief ou baronnie, de se trouver en la cour
-du roi, pour y rendre la justice en son nom.
-De l’autre, on ne regarda plus comme vrais
-grands du royaume que ces barons ou vassaux
-immédiats; en conséquence, on n’admit plus
-qu’eux aux parlemens généraux, avec les prélats
-et les sénateurs. Les arrière-barons, quelques
-riches qu’ils pussent être, ne furent plus
-destinés qu’à composer la cour ou parlement
-de chacun de ces hauts barons de France.
-Par-là, les parlemens généraux et la cour du
-roi, le conseil judiciaire et le conseil public
-devinrent plus que jamais un seul et même
-tribunal.»</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_356">356</span>
-Je ne finirois point si je voulois examiner
-en détail tout ce passage où l’on entrevoit
-quelques demi-vérités. Qu’on lise Pierre de
-Fontaine, Beaumanoir, les assises de Jérusalem
-et les établissemens de S. Louis, et on
-jugera si les coutumes dont on rend compte,
-peuvent s’allier avec une puissance publique.
-Si le parlement étoit sous Hugues-Capet, tel
-que le suppose l’auteur des lettres historiques,
-pourquoi les premiers Capétiens n’auroient-ils
-pas fait des lois générales pour tout le
-royaume? pourquoi les verroit-on continuellement
-négocier et traiter avec leurs vassaux?
-pourquoi n’auroient-ils eu aucune autorité sur
-les arrière-fiefs? Quand la cour du roi auroit
-eu tout le crédit que prétend notre auteur,
-n’est-il pas visible qu’elle l’auroit perdu par
-l’établissement des appels, qui fit passer l’administration
-de la justice dans les mains des
-clercs, gens inconnus, et qui n’avoient rien
-de cet éclat qui donne de la considération
-aux compagnies? Ce nouveau parlement étoit
-encore plus différent de l’ancien, que le nouveau
-parlement de Maupou ne l’est de celui
-qu’on vient de détruire. Si cette compagnie
-avoit cru représenter le Champ de Mai et la
-cour de justice du roi, pourquoi négligeroit-elle
-<span class="pagenum" id="Page_357">357</span>
-ses droits? pourquoi, quand on la presse
-de se mêler des affaires publiques, déclareroit-elle
-qu’elle n’est destinée qu’à rendre la justice?
-Voyez la remarque précédente et les
-suivantes. Quand, en effet, le nouveau parlement
-succéderoit aux droits réunis du champ
-de Mai, de la cour plénière et de la cour de
-justice, il faut convenir que les nouvelles
-coutumes et l’opinion publique en avoient fait
-un corps tout nouveau.</p>
-
-<p>Je demande pardon à mes lecteurs de m’être
-si fort étendu à réfuter les lettres historiques;
-mais il l’a fallu, parce qu’elles contiennent
-toute la doctrine que le parlement s’est faite
-depuis qu’il a vu augmenter sa considération
-et son autorité par la suppression totale des
-états-généraux. D’ailleurs, cet écrit a eu de la
-vogue; on a regardé son auteur comme un
-oracle, et il est nécessaire de ne pas laisser
-enraciner ses erreurs.</p>
-
-<p>De cette foule d’écrits qu’on a faits sur
-l’autorité royale, le parlement et la pairie,
-il n’y en a pas un qu’on puisse regarder
-comme l’ouvrage d’un homme passablement
-instruit du droit naturel et des révolutions
-qui ont sans cesse changé nos coutumes et
-nos lois. Je n’en excepte pas une longue
-<span class="pagenum" id="Page_358">358</span>
-dissertation sur l’origine et les fonctions essentielles
-du parlement, sur la pairie et le droit
-des pairs, et sur les lois fondamentales de la
-monarchie française, par Cantalause, conseiller
-au parlement de Toulouse. C’est toujours la
-même erreur de se croire le Champ de Mars
-et de Mai, et de représenter la nation. Si on
-ne pouvoit pas accuser l’auteur d’ignorance,
-il faudroit l’accuser de mauvaise foi. C’est un
-assemblage de passages auxquels on donne
-un sens qu’ils n’ont point, ou qu’on cite sans
-les entendre.</p>
-
-<p>Vaudeuil, conseiller au parlement de Paris,
-et depuis premier président du parlement de
-Toulouse, a fait un ouvrage sur cette matière:
-il le lut aux chambres assemblées, espérant
-qu’elles ordonneroient de le rendre public;
-mais elles n’en firent rien, et elles firent bien.
-J’ai lu ce manuscrit précieux, <i>farago</i>, ce sont
-les mêmes prétentions que dans les lettres
-historiques, et la dissertation de Cantalause,
-mais appuyées de preuves et de raisonnemens
-encore moins spécieux.</p>
-
-<p>Je devrois peut-être examiner ici le plaidoyer
-de Daguesseau, depuis chancelier, dans
-le procès du duc de Luxembourg; et certainement
-je donnerois cette marque de respect
-<span class="pagenum" id="Page_359">359</span>
-à la mémoire d’un magistrat distingué par ses
-lumières, si son ouvrage contenoit quelque
-chose de nouveau ou d’étranger au roman
-que le parlement a imaginé: d’ailleurs, l’autorité
-du chancelier Daguesseau sur l’objet que
-je traite, est moins considérable qu’en toute
-autre matière. Dans le mémoire qu’il a fait
-pour servir à l’instruction de son fils, et qu’on
-a imprimé dans le recueil de ses œuvres, il
-avoue lui-même qu’il ignore notre histoire et
-notre droit public: on peut donc se dispenser
-de le réfuter. J’avois dessein de relever les
-principales erreurs de nos historiens; mais
-je ne me sens pas le courage de revoir et de
-mettre en ordre les remarques que j’avois
-assemblées. L’ancien parlement étant détruit,
-ses chimères vont s’évanouir; et le nouveau
-parlement ne peut avoir d’autres droits que
-ceux qui lui sont accordés par le chancelier
-Maupeou.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_254" id="Footnote_254" href="#FNanchor_254"><span class="label">[254]</span></a>
-<i lang="la" xml:lang="la">Volumus etiam ut capitula quæ nunc et
-alio tempore consultu nostrorum fidelium à nobis
-constituta sunt, à cancellario nostro archiepiscopi
-et comites de propriis civitatibus modo, aut per
-se, aut per suos missos accipiam, et unus quisque
-per suam diocesim cæteris episcopis, abbatibus,
-comitibus et aliis fidelibus nostris ea transcribi
-<span class="pagenum" id="Page_360">360</span>
-faciunt, et in suis civitatibus coràm omnibus
-relegant, ut cunctis nostra ordinatio et voluntas
-nota fieri possit. Cancellarius tamen noster nomina
-episcoporum et comitum qui ea accipere curaverint
-notet, et ea ad nostram notitiam perferat, ut nullus
-hoc prætermittere præsumat.</i> (Capit. an. 823,
-art. 24.) Ne résulte-il pas de ce capitulaire de
-Louis-le-Débonnaire, que bien loin que les
-tribunaux de justice regardassent comme un
-droit qu’on leur envoyât les nouveaux réglemens
-pour les examiner, les enregistrer et leur
-donner force de lois, ils les voyoient comme
-un nouveau joug qu’on vouloit leur imposer?</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_255" id="Footnote_255" href="#FNanchor_255"><span class="label">[255]</span></a>
-Jamais on n’a fait tant de remontrances
-que sous ce règne, et jamais on n’a
-tant parlé de l’enregistrement. Nos magistrats
-se sont rendus incommodes à la cour, sans se
-rendre agréables à la nation: n’en devoit-il
-pas résulter les désastres qu’ils ont éprouvés?
-On étoit las de voir dans toutes leurs doléances
-qu’ils ne réclamoient que des droits aussi
-anciens que la monarchie: c’étoit montrer
-beaucoup d’ignorance de notre droit public;
-et par malheur ils ignoroient encore plus le
-droit naturel.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_256" id="Footnote_256" href="#FNanchor_256"><span class="label">[256]</span></a>
-Voyez la remarque 146 du livre 4, chap. 2.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_257" id="Footnote_257" href="#FNanchor_257"><span class="label">[257]</span></a>
-<span class="pagenum" id="Page_361">361</span>
-«Li rois ne peut mettre ban en la
-terre au baron, sans son assentement, ne li
-bers ne peut mettre ban en la terre au vavassor.»
-(<cite>Estab. de St. Louis, L. 1, chap. 24.</cite>)</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_258" id="Footnote_258" href="#FNanchor_258"><span class="label">[258]</span></a>
-Voyez la remarque 186 du livre 5,
-chap. 1.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_259" id="Footnote_259" href="#FNanchor_259"><span class="label">[259]</span></a>
-Jean IV, comte d’Armagnac, ayant
-refusé de mettre en possession de l’archevêché
-d’Auch Philippe de Leny qui avoit été
-élu, le roi Charles VII s’empara de son comté;
-et ce seigneur, soupçonné de plusieurs autres
-délits, fut cité au parlement de Paris. Le 14
-mars 1457, il déclina cette juridiction, prétendant
-devoir être jugé par le roi et les pairs.
-Le procureur du roi, pour s’y opposer, dit
-que le comte n’a «ni privilége, ni ordonnance
-enregistrée en ladite cour, ou trésor
-des chartres, ni en la chambre des comptes.»
-Extrait des registres du parlement, rapporté
-par Lancelot dans le second volume p. 161,
-des pièces concernant la pairie, dont le gouvernement
-a empêché la continuation et la
-publication. J’aurai occasion de parler dans
-les remarques suivantes de ce procès, et l’on
-verra que ce procureur du roi, qui met le
-trésor des chartes et la chambre des comptes
-sur la même ligne que le parlement, étoit
-<span class="pagenum" id="Page_362">362</span>
-cependant très-prévenu en faveur des droits et
-des prérogatives de sa compagnie.</p>
-
-<p>Puisqu’il s’agit ici d’un des points les plus
-importants de notre droit public, le lecteur
-me permettra sans doute de rapprocher ici
-quelques autorités au sujet de l’enregistrement.
-«Et afin que parmi le royaume on cuidast
-que ce qu’on faisoit, étoit pour le bien du
-royaume, ceux du conseil des dessus dits firent
-chercher et querir es chambres des comptes
-et du trésor et au Châtellet, toutes les ordonnances
-royaux anciennes et sur icelles en formèrent
-de longues et prolixes, où il y avoit
-de bonnes et notables choses prises sur les
-anciennes.» Hist. de Charles IV par J. J.
-des Ursins, arch. de R. Donc que les ordonnances
-étoient tantôt envoyées à la chambre
-des comptes et au Châtelet, et tantôt déposées
-seulement dans le trésor des chartes. On se
-seroit contenté de fouiller dans le greffe du
-parlement, si on avoit été sûr d’y tout trouver.</p>
-
-<p>«Cette loy ou constitution royale (de
-Charles V pour fixer la majorité de ses successeurs)
-fut publiée en parlement du roy, en sa
-présence, de par luy, tenant sa justice en son
-dit parlement en sa magnificence ou majesté
-royale, le 20 jour de may l’an de grâce 1375:
-<span class="pagenum" id="Page_363">363</span>
-à ce furent présens le dauphin de Viennois fils
-ainsné, le duc d’Anjou, frère du roy nostre
-sire, le patriarche d’Alexandrie, les archevesques
-de Rheims et de Tholose, les évesques
-de Laon, de Meaux, de Paris, de Cornouaille,
-d’Auxerre, de Nevers et d’Evreux, les abbés de
-Saint-Denis en France, de l’Estoure, de Saint-Wast
-et de Sainte-Colombe de Sens, de Saint-Cyprian
-et de Vendosme, chancelier du duc
-d’Anjou, le recteur et plusieurs maistres docteurs
-en théologie, docteurs ès décrets et
-autres sages élevés en l’université de Paris, le
-doyen et archidiacre de Brie, le chancelier et
-pénitencier et plusieurs autres notables personnes
-de l’église de Paris, le chancelier de
-France, les comtes d’Alençon, d’Eu et de la
-Marche, messire Robert d’Artois, le comte de
-Brienne et de Lisle, et messire Reymond de
-Beaufort, le prevost des marchands et les eschevins
-de la ville de Paris, et plusieurs autres
-gens sages et notables, tous clercs comme
-laïs en grand nombre. Et est cette loi ou
-constitution royale enregistrée au parlement
-et l’original mis au tresor des chartres du roy,
-et la copie d’icelle par manière d’original sous
-le grand scel royal, baillée aux religieux de
-Saint-Denis en France, pour la mettre et garder
-<span class="pagenum" id="Page_364">364</span>
-en leur tresor; et tout afin de perpétuelle mémoire
-d’icelle loi ou constitution royale. Ainsi
-est-il contenu en une cédule attachée à icelle
-par le greffier du parlement.» Il me semble
-que je ne vois là que <ins title="la de">de la</ins> pompe et de l’éclat
-pour rendre la publication de la loi plus solennelle.
-Je suis étonné que les religieux de Saint-Denis
-n’aient pas prétendu qu’on ait toujours
-déposé les lois chez eux, et qu’une ordonnance
-qu’on ne trouveroit pas dans leurs archives,
-devoit être sans force.</p>
-
-<p>«Voulons et commandons que nos seneschaux
-et baillis facent solemnellement crier et
-publier en la maniere que nos amez et feals les
-gens de nos comptes le manderont par leurs
-lettres closes, nos dittes ordonnances et deffenses.
-(<cite>Ordon. du 28 février 1315.</cite>) Voulons
-par eux (les notaires royaux) acertener sur
-ce, que ils ayent recours en nostre chambre
-des comptes où nous avons fait régistrer nos
-dittes ordonnances et baillées à garder.» (<cite>Ord.
-de décembre 1320.</cite>)</p>
-
-<p>Voici quelque chose encore de plus fort:
-«de par le roy, nos gentz du parlement, nous
-avons faict certaine ordenance sur lestat des
-gentz de nos chambres du parlement des enquestes
-et de nos requestres du palais, par délibération
-<span class="pagenum" id="Page_365">365</span>
-de nostre grand conseil, laquelle
-nous avons envoyé soubs le scel de nostre secret
-enclos à nos gentz des comptes qui vous
-en bailleront la copie.» (<cite>Ordon. du 11 mars
-1344, Lancelot, p. 522.</cite>) Si le parlement dans
-ce temps-là avoit eu de son enregistrement
-la même idée qu’il a eue depuis, j’ai de la
-peine à penser qu’on l’eût traité d’une manière
-si légère.</p>
-
-<p><i lang="la" xml:lang="la">Accidit frequenter, quod arrestorum et judicatorum
-in eâdem curiâ prolatorum, executio
-postponitur et differtur, pretextu talium vel
-consimilium impetracionum, undè jura parcium
-quæ dictis arrestis et eorum affectibus potiri nequeunt,
-quam plurimum leduntur et indebito
-protestantur; et unà cum hoc intelleximus quod
-multi et diversi servitores et officiarii nostri, utpotè
-hastiarii et servientes armorum et quidam alii
-ad pejora et graviora prorumpentes, ad vos sæpiùs
-accedunt, asserentes se a nobis mandatum sivè
-præceptum expressum et precisum orethenus sibi
-factum habere, et vobis ad suggestionem parcium
-vel eorum amicorum et affinium, ausu temerario
-et presumptuoso, absque commissione seu precepto
-vel mandato ex parte nostrâ referunt et exponunt,
-quod nobis placet et volumus, ac per ipsos vobis
-mandamus ut in pluribus actibus et negotiis casibusque
-<span class="pagenum" id="Page_366">366</span>
-et causis in dictâ curiâ ventilatis et emergentibus,
-tam in facto remissionis seu advocationis
-causarum ad nostram presentiam, ipsarum continuationis,
-consultationisque et pronunciacionis
-arrestorum, quam in expeditione seu relaxacione
-aut elargacione prisionariorum et ceteris consimilibus,
-procedatis et vos reguletis modo et forma
-superius expressis, vel aliis viis præmeditatis et
-adinventis.</i> (<cite class="rmn">Ordon. du 13 aoûst 1389.</cite>)</p>
-
-<p>Un corps qui auroit cru avoir la dignité
-du champ de May, un corps, qui auroit cru
-partager avec le roi la puissance législative,
-auroit-il eu pour quelque bas officier de la
-cour les complaisances qu’on lui reproche, ou
-l’auroit-il souffert patiemment?</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_260" id="Footnote_260" href="#FNanchor_260"><span class="label">[260]</span></a>
-Les ordonnances rendues à la suite
-de quelque tenue des états, n’étoient enregistrées
-ni au parlement ni à la chambre des
-comptes, et on se contentoit de les déposer
-dans le trésor des chartres. On devoit en
-donner des copies collationnées aux corps
-et aux communautés qui en avoient besoin,
-mais dans le fait, pour obtenir cette justice,
-qu’on regardoit comme une grâce, il falloit
-avoir de la faveur. Je trouve les preuves de
-tout cela dans les ordonnances du Louvre,
-t. 6. p. 552. L’ordonnance du mois de janvier
-<span class="pagenum" id="Page_367">367</span>
-1380, rendue à la suite des états tenus
-à Paris, fut délivrée à la ville d’Auxerre, et
-voici ce qu’on trouve à la tête de cette copie.
-«Charles, par la grâce de Dieu, roi de
-France, savoir faisons à tous présens et avenir,
-que nous, à la supplication de nostre amé et
-féal conseiller l’évesque, et des bourgeois et
-habitans d’Auxerre, pour eulx tant seulement,
-avons fait extraire des registres de nostre chancellerie
-nos autres lettres, desquelles la teneur
-s’ensuit:» cette même ordonnance fut expédiée
-pour les villes de Rouen, de Sens, de
-Soissons et pour les religieux de S. Jean de
-Jérusalem.</p>
-
-<p>Les actes concernant les aides, les impositions
-ou monnoies n’étoient adressées qu’à
-la chambre des comptes, à la cour des aides
-ou aux élus. On a vu dans les remarques précédentes
-qu’on appeloit au parlement des impositions
-établies par le roi, donc qu’elles n’y
-avoient pas été enregistrées.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_261" id="Footnote_261" href="#FNanchor_261"><span class="label">[261]</span></a>
-«Pour ce que nous sommes tenus et
-empeschés le plus de temps, par telle maniere
-que nous ne pouvons de nostre personne entendre,
-ou vacquer à la disposition des besongnes
-de nostre royaume, seront et demourront
-nostre vie durant à nostre dit fils, le roi
-<span class="pagenum" id="Page_368">368</span>
-Henry avec le conseil des nobles et sages dudit
-royaume, par ainsi que dès maintenant et dès
-lors en avant il puisse icelle régir et gouverner
-par lui-même et par les autres qu’il voudra députer
-avec le conseil des nobles et sages dessus
-dits, lesquels faculté et exercice de gouverner,
-ainsi etant par devers nostre dits fils le roi
-Henry, il labourera effectueusement, diligemment
-et loyaument à ce qu’il puist et doye estre
-à l’honneur de Dieu, de nous et de nostre
-dite compagne, et aussi au bien public dudit
-royaume, et à deffendre, tranquilliser, appaiser
-et gouverner icelui royaume selon l’exigence
-de justice et équité, avec le conseil et
-ayde des grands seigneurs, barons et nobles
-dudit royaume.» (<cite>Traité de Troyes du 21 mai
-1420, art. 7.</cite>) On verra les autres articles
-de ce traité que je vais rapporter, qu’on ne
-peut point entendre par le mot de sages les
-magistrats du parlement. Je prie le lecteur de
-remarquer en passant combien tout ce traité
-sert de preuves à ce que j’ai dit dans le chapitre
-précédent, de l’autorité que les grands
-ont acquise sous le règne de Charles VI.</p>
-
-<p>«Nostre dit fils fera son pouvoir que la
-cour de parlement de France sera en tous et
-chacuns lieux subjets à nous maintenant ou
-<span class="pagenum" id="Page_369">369</span>
-au temps à venir, observée et gardée ès auctorité
-et souveraineté d’elle, et à elle deus,
-en tous et chascuns lieux subjets à nous, maintenant
-ou au temps à venir; (<cite>Art. 8.</cite>) est accordé
-que nostre dit fils le roy Henry pourvoira
-et fera pourvoir, que aux offices tant de
-la justice de parlement que des bailliages, seneschaussées,
-prévostés et autres appartenans
-au gouvernement de seigneurie, et aussi à
-tous autres offices dudit royaume, seront prises
-personnes habiles, profitables et idoines.»
-(<cite>Art. 11.</cite>) On voit que le parlement n’est
-point oublié; mais voilà tout ce qu’on en dit.
-Il n’est point question de son enregistrement,
-ni de déposer même ce traité dans son greffe;
-cependant, comme vous allez le voir, les droits
-des autres ordres ne sont pas négligés. Tirez
-la conséquence.</p>
-
-<p>«Afin que nostre dit fils puisse faire,
-exercer et accomplir les choses dessus dites
-plus profitablement, surement et franchement,
-il est accordé que les grands seigneurs,
-barons et notables et les états dudit royaume
-tant spirituels que temporels et aussi les citez
-et nobles communautés, les citoyens et bourgeois
-des villes dudit royaume à nous obéissans
-pour le temps, feront les sermens qui
-<span class="pagenum" id="Page_370">370</span>
-s’ensuivent. (<cite>Art. 13.</cite>) Que nostre dit fils
-ne imposera, ou fera imposer aucunes impositions
-ou exécutions à nos subjets, sans
-cause raisonnable et nécessaire, ni autrement
-que pour le bien public dudit royaume
-de France, et selon l’ordonnance et exigence
-des lois et coustumes raisonnables et
-approuvées dudit royaume.» (<cite>Art. 23.</cite>) Voilà
-les priviléges et les franchises de la nation
-encore reconnus et confirmés, mais de quelle
-manière foible pour résister au torrent du
-pouvoir arbitraire qui devoit bientôt tout emporter.</p>
-
-<p>«Il est accordé que nostre dit fils labourera
-par effect de son pouvoir, que de l’avis et
-consentement des trois estats dudit royaume,
-ostez les obstacles en cette partie, soit ordonné
-et pourveu. (<cite>Art. 24.</cite>) Considerez les
-horribles et énormes crimes et delicts perpetrés
-audit royaume de France par Charles, soi
-disant Dauphin de Viennes, il est accordé
-que nous, ne nostre dit fils le roi Henry, ne
-aussi nostre très chier fils le duc de Bourgogne,
-ne traiteront aucunement de paix ou de
-concorde avec le dit Charles, ne ferons, ou
-feront traiter sinon du conseil et assentement
-de tous et chacun de nous hoirs et des trois
-<span class="pagenum" id="Page_371">371</span>
-estats des deux royaumes dessus dits.»
-(<cite>Art. 29.</cite>)</p>
-
-<p>«Est accordé que nous sur les choses dessus
-dites et chacunes d’icelles, outre nos lettres-patentes
-scellées de nostre grand scel, donneront
-et feront donner, et faire à nostre dit
-fils le roi Henri, lettres-patentes approbatoires
-et confirmatoires de nostre dite compagne, et
-de nostre dit fils Philippe duc de Bourgogne
-et des autres de nostre sang royal, des grands
-seigneurs, barons, cités et villes à nous obéissans,
-desquels en cette partie nostre fils le
-roi Henry voudra avoir lettre de nous.»
-(<cite>Art. 30.</cite>) Voilà un article bien important.
-Tandis qu’on n’oublie pas les villes et l’ordre
-des bourgeois, on ne dit pas un mot du parlement,
-ni des formalités qui accompagnent
-l’enregistrement. Quelle conséquence en faut-il
-tirer? Il me semble qu’elle n’est pas difficile
-à deviner.</p>
-
-<p>Mes remarques deviennent plus considérables
-que je ne voudrois; et quoique je me
-garde bien d’y jeter toutes les autorités qui se
-présentent en foule à moi, je ne puis m’empêcher
-de transcrire ici un extrait des registres
-du parlement. «Vindrent et furent assemblés
-en la chambre de parlement les présidens et
-<span class="pagenum" id="Page_372">372</span>
-conseillers et l’evesque de Paris, les maistres
-des requestes de l’ostel et des comptes du roy,
-les recteurs et députés de l’université de Paris,
-les chiefs députés des chapitres, monasteres,
-collieiges, les <ins title="prevost">prevosts</ins> de Paris et des marchands,
-eschevins, advocats et procureurs de
-ceans et du Chastelet, et autres plusieurs bourgeois,
-manans et habitans de Paris, et y survint
-le duc de Bethfort frere du roy d’Angleterre
-dernier et n’agueres tres-passé, lequel
-s’assit seul es hauts siéges de la dite chambre
-de parlement en lieu où le premier président
-a accoustumé d’asseoir, &amp;c. Tous jurent d’entretenir
-la paix d’entre les deux royaumes selon
-la teneur des lettres sur ce faictes et passées,
-et chacun des assistans doit faire jurer la même
-chose par ses soumis.» Du jeudi 19 jour de
-novembre 1422. Cette pièce se trouve dans
-le recueil de la Pairie, par Lancelot, p. 710.
-Je demande si cette pièce suppose un enregistrement
-précédent? non sans doute; car le
-parlement n’auroit pas manqué d’en faire mention
-dans cet endroit de ses registres. Je demande,
-en second lieu, si cette espèce de lit
-de justice du duc de Bethfort, tenu près de
-trois ans après la conclusion du traité de
-Troyes, peut passer pour un enregistrement?</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_262" id="Footnote_262" href="#FNanchor_262"><span class="label">[262]</span></a>
-<span class="pagenum" id="Page_373">373</span>
-Voici une pièce bien importante. «Ce
-jour survindrent en la chambre de parlement
-le conte de Saint Pol, le chancelier, le sire
-de Montberon, et le firent lire et publier les
-lettres revocatoires de certaines autres lettres
-touchant les libertés de l’église de France et
-Dauphiné de Viennois, sans ouir sur ce le
-procureur du roy, et en absence: et après
-la lecture et publication d’icelles, le chancelier
-me commanda à escripre, <i lang="la" xml:lang="la">Lecta, publicata
-et registrata</i>, au dos d’icelles lettres, et
-incontinent après la dicte lecture et publication,
-plusieurs conseillers de la court qui
-s’estoient despartis de la dicte chambre de
-parlement, pour ce que n’avoit mie procedé
-sur le faict de la dicte publication, selon la
-délibération de la court, au conseil tenu ceans
-le jour precedent, et que quinzieme de fevrier
-dernier passé, me dirent, que veu l’opinion et
-la délibération de court, je ne devois au dos
-des dictes lettres escripre aucune chose, pour
-quoi on peut notter que la court eust approuvé
-les dictes lettres ou la dicte publication, auxquels
-je repondis que je me garderoye de
-mesprendre à mon pouvoir. Et le lendemain
-premier jour d’avril, pour ce que la court
-n’avoit aucunement par exprès consenty ou
-<span class="pagenum" id="Page_374">374</span>
-approuvé la dicte publication qui avoit esté
-faicte, <i lang="la" xml:lang="la">præter imo contrà deliberationem curiæ</i>,
-comme dit est, les presidens et conseillers de
-la chambre des enquêtes en la dite chambre
-de parlement vindrent pour avoir avis et délibération
-sur ce qui avoit été fait le jour précédent;
-au regard de la publication des dictes
-lettres, ne la publication d’icelles, ne fussent
-aucunement approuvées par la dicte cour et
-ne fussent icelles lettres <i lang="la" xml:lang="la">superscriptes</i> au dos
-ne signées par moy en aucune manière, par
-quoy on peut dire, ou arguer que la court eust
-approuvé les dictes lettres et publication, combien
-que par le commandement et ordonnance
-de mon dit sieur le chancelier j’eusse escript
-au dos des dictes lettres, <i lang="la" xml:lang="la">publicata, &amp;c. cum
-superscriptione signi manualis</i>. Sur lesquelles
-choses la court, qui avoit tolléré la dicte publication
-et superscription pour obvier et
-remédier à toutes manières d’esclandes et de
-divisions, déclara que ce qui avoit été fait
-n’estoit mie fait par l’ordonnance ne du consentement
-d’icelle court, mais avoit de fait par
-les dessus dits comte de S. Pol et chancelier
-esté fait, et que pour ladite superscription par
-moy faite au dos des dites lettres, veues les
-manieres de procéder sur cecy, ne povoit et
-<span class="pagenum" id="Page_375">375</span>
-ne devoit juger que la court eust approuvé
-icelles lettres ne ladite publication, mesmement
-pour ce que j’avois faict ladite superscription
-par le commandement du chancelier,
-auquel je, comme notaire du roy, et en cette
-qualité quant à ce, je devoye obéir. Regist.
-du parlement du dernier jour de mars 1418.»
-Cette pièce se trouve dans le «Recueil de la
-Pairie par Lancelot, p. 705.» On y voit fort
-bien comment le parlement a formé ses prétentions
-et la naissance de l’esprit et du caractère
-qu’il a conservé jusqu’à sa racine.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_263" id="Footnote_263" href="#FNanchor_263"><span class="label">[263]</span></a>
-On vu dans plusieurs remarques précédentes,
-que les rois, en convoquant les états-généraux,
-avoient toujours eu soin de dire que
-c’étoit pour les consulter.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_264" id="Footnote_264" href="#FNanchor_264"><span class="label">[264]</span></a>
-«Le 23 juillet 1443, ces lettres (de
-don des comtez, château, ville et seigneurie de
-Gien sur Loire à monsieur Charles d’Anjou)
-furent portées au parlement pour y être enregistrées:
-l’évêque d’Avignon a dit que le roi
-l’avoit expressément chargé dire de par lui,
-qu’il mandoit à la court qu’elle obtemperast
-aux dites lettres, et que aussi en avoit dit sa
-volonté monsieur le Dauphin aux présidens
-de la cour. Si à la chose est mise en délibération
-au conseil en la cour, et délibéré et
-<span class="pagenum" id="Page_376">376</span>
-appointé, que considéré le temps, tel qu’il est,
-l’autorité et volonté du roi, aussi de mon
-dit sieur le Dauphin estant à présent en cette
-ville de Paris, et autres raisons et causes considérées
-en cette partie, qu’il sera mis et escript
-sur le dos des dites lettres ce qui s’ensuit: <i lang="la" xml:lang="la">Lecta
-et publicatâ in <ins title="euria">curia</ins> de expresso mandato domini
-nostri regis per dominum Delphinum præsidentibus
-curiæ, ut eidem retulerunt, et ex indè per episcopum
-Avinionensem dictæ curiæ oretenus facto.</i>
-(<cite class="rmn">Regist. du parlem.</cite>)</p>
-
-<p>«Le même jour 24 juillet 1443, les présidens
-de la cour dirent que le dauphin les avoit
-mandez pour leur dire combien il étoit mécontent
-de l’enregistrement du jour d’hier au sujet
-de la terre de Gien sur Loire, et qu’il ne
-partiroit point qu’on n’eust effacé des registres
-<i lang="la" xml:lang="la">de expresso mandato</i>, et la cour ayant mis la
-chose en délibéracion, à esté délibéré, considéré
-le temps tel qu’il est, et les grandes diligences
-et importunités qui se font en cette
-partie, que sur les dites lettres sera tant seulement
-mis, <i lang="la" xml:lang="la">lecta et publicata Parisiis in parlamento
-23 die julii 1443</i>, et ne se ôtera ni rayera
-point la publication faite <i lang="la" xml:lang="la">de expresso mandato</i>,
-mais y demeurera, sinon que les gens du dit
-comte du Maine veulent que en soit rayé,
-<span class="pagenum" id="Page_377">377</span>
-auquel cas l’on la rayera; et pour montrer, si
-mestiers estoit au temps advenir, de la manière
-de faire touchant cette publication, a esté ordonné
-pour la décharge de la court de tout
-ce que y fut hier et aujourd’hui faict faire
-registre pour valloir aussi en temps et lieu ce
-que de raison debvra.» (<cite>Regist. du parlement.</cite>)
-Ces pièces se trouvent dans le recueil concernant
-la pairie, par Lancelot, (<cite>p. 730.</cite>) On
-voit dans toute la conduite du parlement, je
-ne sais quel tâtonnement de timidité et de prudence,
-qui indique la nouveauté l’incertitude
-de ses prétentions, et qui fait voir qu’il n’ira
-pas loin.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_265" id="Footnote_265" href="#FNanchor_265"><span class="label">[265]</span></a>
-«Le 15 avril 1435, le parlement fait
-une députation au connestable pour l’assurer
-de sa fidélité envers le roy, et luy demander
-ses ordres pour continuer d’administrer la justice,
-et que jusques à ce qu’ils auront eu réponse
-de mon dit sieur le connestable, ne se
-rassembleront en icelle chambre: le 18 du
-même mois le parlement se rassembla pour
-ouïr la réponse du connestable, et pour ce que
-mon dit sieur le connestable n’avoit pas donné
-plaine réponse, se il vouloit que la cour feist
-et <ins title="procedats">procedast</ins> à l’exécution des affaires chacun
-jour survenans en icelle touchant le faict de la
-<span class="pagenum" id="Page_378">378</span>
-justice, ordonnèrent mes dits sieurs que pour
-savoir le bon vouloir et plaisir de mon dit
-seigneur, et luy montrer de quoy sert icelle
-court, iroient de rechef devers luy, le dit monsieur
-le président et monsieur Philippe de
-Nanterre à la fin dessus, et sa réponse oye,
-seroit icelle rapportée devers mes dits seigneurs
-qui pour icelle oyr se rassembleroient.</p>
-
-<p>«Icelui monsieur le connestable dit au dit
-monsieur le président, que son vouloir estoit
-que justice soit mise sus, et que le parlement
-se entretiegne et besongne au nom du roi
-nostre sire, le mieux qu’elle pourra, jusques
-à ce que par le roi notre sire soit sur ce autrement
-ordonné, et partant fut délibéré de demain
-plaider, qui sera jour de jeudy.» (<cite>Reg.
-du parlem. recueil concernant la pairie, p. 725.</cite>)</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_266" id="Footnote_266" href="#FNanchor_266"><span class="label">[266]</span></a>
-«De par le roi, nostre amé et féal
-pour aucunes causes qui nous meuvent, lesquelles
-nous vous dirons, nous voulons, vous
-mandons et commandons, que doresnavant
-vous ne instituez, ne faciez ou souffrez recevoir
-et instituer aucuns officiers quelconques en
-nostre cour de parlement pour quelconque
-élection que icelle cour aye faite ou fasse, ne
-aussi en nos chambres des comptes et des généraux
-de la justice, pour quelconques retenues
-<span class="pagenum" id="Page_379">379</span>
-ou dons que ayons faicts; car nous en retenons
-à nous toute l’ordonnance et disposition,
-et le faites savoir à nos gens de nos dites cour
-et chambre, afin que n’en puissent prétendre
-ignorance, et que par eulx en nostre absence,
-ou sans vostre sçeu ne fassent au contraire....
-Donné à Poictiers le second jour de mars 1437.
-Lettres de Charles VI à son chancelier l’archevesque
-de Rheims.» Cette lettre fut enregistrée
-au parlement le 2 d’avril suivant.</p>
-
-<p>Les abus qui résultèrent de ce nouvel ordre,
-ne tardèrent pas à se faire remarquer. Voyez
-l’ordonnance du mois d’avril 1453, pour la
-réformation de la justice et de la police du
-parlement: on voit qu’on achetoit des protections
-à prix d’argent pour obtenir des offices.
-Charles VII crut y remédier en condamnant
-les coupables à des amendes, et en les déclarant
-incapables de posséder aucun office royal.
-La corruption une fois introduite, ne permit
-plus de revenir à l’ancien usage, et nous conduisit
-à la vénalité des charges.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_267" id="Footnote_267" href="#FNanchor_267"><span class="label">[267]</span></a>
-«L’on prestoit pour les grands et premiers
-estats de la France, serment en cette
-cour (le parlement). Ainsi trouve-t-on es régistres,
-neufviesme septembre mil quatre cent
-sept, serment presté par Jean duc de Bourgogne
-<span class="pagenum" id="Page_380">380</span>
-comme pair. Le 7 novembre 1410, réception
-d’un grand pannetier: et aussi un mareschal
-de France, reçeu le 6 juin 1417, et le même
-jour un admiral; et le 16 jour en suivant un
-grand veneur. Le 3 février 1421, le grand
-maistre des arbalestriers. Le 16 janvier 1439,
-Courteney reçeu admiral: et qui plus est un
-trésorier et général administrateur des finances,
-le 16 avril 1425.» (<cite>Recherches de Pasquier,
-l. 2, ch. 4.</cite>)</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_268" id="Footnote_268" href="#FNanchor_268"><span class="label">[268]</span></a>
-«A l’assiette des seigneurs (lors du
-sacre de Charles) y eust aucunes controverses
-et dissentions entre le duc d’Anjou, Louis et
-Philippes duc de Bourgogne: car Louis disoit
-qu’il estoit aisné, et avant son frère Philippe
-maisné, il devoit avoir les honneurs et estre
-le premier assis, Philippes disoit qu’au sacre
-du roy les principaux estoient les pairs de
-France, et comme pair et doyen des pairs, il
-debvoit aller devant, et y eust plusieurs paroles
-d’un costé et d’autre aucunement arrogantes!
-car Louis se tenoit pair et tenoit en pairie sa
-duché. Philippes respondit qu’il estoit doyen
-des pairs, et que son frère ne tenoit qu’en pairie;
-et par ce, le roy assembla son conseil auquel
-il y eust diverses opinions; et finalement
-fut conclu par le roy que Philippes en cas
-<span class="pagenum" id="Page_381">381</span>
-présent iroit le premier, dont Louys ne fut pas bien
-content.» (<cite>Hist. de Charles VI, par J. J. des
-Ursins.</cite>)</p>
-
-<p>«Le premier jour de janvier, le comte d’Alençon,
-qui estoit un moult beau seigneur et
-vaillant en armes, fut fait duc, et disoit-on que
-c’estoit par envie du duc de Bourbon qui alloit
-devant luy, et toutes fois il estoit plus près de
-la couronne, et comme le plus près quand il
-fut duc, il alla devant.» (<cite>Ibid.</cite>) Au sujet de
-cette contestation, voyez du Tillet, recueil des
-rangs des grands de France.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_269" id="Footnote_269" href="#FNanchor_269"><span class="label">[269]</span></a>
-Le parlement ayant pris connoissance
-des différends qui survinrent entre le roi et le
-comte de Flandre, condamna, comme de raison,
-ce dernier; et Philippe-le-Bel se saisit
-d’une partie de ses terres: «et disoit li cuens
-que vous le comté de Flandre qui estoit une
-pairie et dont il estoit pair de France, et tout
-ce qu’il tenoit entierement vous aviez saisi et
-teniez en contre sa volonté par violence à force,
-à vo tort, sans cause et sans raison, et en
-contre coustume et en contre droit, sans loi et
-sans jugement; que juge n’en estiez mie, ne
-juger n’en deviez, ains en estoient juge li pairs
-de France et juger en devoient.... disant li
-cuens que cette querelle devoist estre demenée
-<span class="pagenum" id="Page_382">382</span>
-et jugée par les pairs de France qui pairs
-estoient audit comte et non mie par vous ne
-par vos advocats et par vos <ins title="conseil">conseils</ins>.... car anciennement
-pour garder paix et concorde entre
-les rois de France et les comtes de Flandre, en
-éclaircissant le droit commun et la coustume,
-il fut accordé et convenancé entre le roi de
-France et le comte de Flandre, que si débats
-ou contents mouvoient entre les rois ou les
-comtes, li roys en devoit faire droit et penre
-droit par les pairs de France et li cuens en devoit
-penre droit en la cour le roy par le jugement
-des pairs de France, et ne pouvoit li
-cuens deffaillir au roy de service, ne le doit
-penre ne le droit faire, tant comme li rois li
-vousist faire droit en sa cour par le jugement
-des pairs de France: lesquelles convenances
-ont esté continues et renouvelez de roy en roy,
-de comte en comte, jusques à votre temps, et
-entre vous et le comte à votre temps ont esté
-ces convenances renouvelées.» (<cite>Recueil concernant
-la pairie, p. 113.</cite>)</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_270" id="Footnote_270" href="#FNanchor_270"><span class="label">[270]</span></a>
-«Le roy nostre syre doit ajourner par
-cry fait publiquement en son palais à Paris les
-seigneurs de Flandres ou ses successeurs par
-trois mois de terme pour venir à sa cour à droit,
-auquel terme s’il ne venoit, et ne peut s’en
-<span class="pagenum" id="Page_383">383</span>
-purger de mesfaits et de la désobéissance que
-l’on lui mettoit sur devant tant de pairs de
-France, comme li roy nostre sire pouvoit avoir
-bornement au dit terme, et devant deux grands
-et hauts hommes de son conseil, soit prélats,
-ou barons, ou autres des plus grands et des
-plus convenables qu’il pourroit et auroit en
-sa bonne foy, ainçois fut jugié par les dits
-pairs que lors s’y pourroient estre bornement
-et pour les autres douze, ou pour la plus grande
-part d’iceux, que s’il eust fait le défaut, mesfait
-ou désobéissance, lors seroient les dites
-sentences publiées, et les forfaitures mises à
-exécution. Le quel jugement li dis nostre sire
-li rois fera rendre au nom des dites pairs, et
-ainsi si il estoit absouz par le jugement d’iceux
-ou tenu pour innocent, il s’en ira quitte et
-absolz de ce sur quoy il seroit appelé.» Traité
-de paix entre le roy Philippe-le-Bel et les enfans
-de Guy, comte de Flandre, en 1305. (<cite>Recueil
-concernant les pairs, p. 176.</cite>) Je ne vois
-pas qu’on puisse établir d’une manière plus
-claire la cour des pairs, et faire connoître
-combien elle est distinguée du parlement.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_271" id="Footnote_271" href="#FNanchor_271"><span class="label">[271]</span></a>
-«Le roy (d’Angleterre) au duc de
-Bretagne et pier de France, saluez, très-chere
-Cosyn tot soit-il eu et usé, et c’est raison que
-<span class="pagenum" id="Page_384">384</span>
-tous les debatz et questions entre le roy de
-France et nul des piers touchant des fiedz devient
-estre triez en la grant chambre devant les
-piers et par euz à ce appelez.... par quoi nous
-vous prions et requerrons que par l’estas des
-piers sauver et maintenir et par justice voillez
-aider ou par voye de requeste vers le dit roy
-de France, ou par autre voye convenable selon
-vostre bon conseil, comme les dites duresses
-et torz à nous faites puissent cesser, et
-l’estat de parenté puisse estre maintenu.... don.
-à Porcestr. le 6 jour d’octobre, anno 1324.»
-(<cite>Recueil concernant la pairie, p. 532.</cite>)</p>
-
-<p>Les rois de France avoient réussi à faire porter
-au parlement les contestations qui s’élevoient
-entre eux et les pairs au sujet de la
-pairie; mais les pairs prétendoient qu’il devoit
-au moins assister six pairs à ces jugemens. <i lang="la" xml:lang="la">Cum
-in concordiâ super restitutione rerum occupatarum
-inter nos et vos nuper habita, inter cætera contineatur,
-quod si nuper restitutione hujusmodi facienda
-inter commissarios vestros et nostros si
-dubium orietur, tunc dubium illud in parliamento
-Franciæ, curia de sex paribus ad minùs munita,
-deferretur.</i> (<ins title="Letre">Lettre</ins> d’Edouard III, à Philippe
-de Valois, du 11 avril 1336.)</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_272" id="Footnote_272" href="#FNanchor_272"><span class="label">[272]</span></a>
-Voyez dans le recueil concernant la
-<span class="pagenum" id="Page_385">385</span>
-pairie, le premier mémoire des présidens à
-Mortier au sujet de leur dispute avec les pairs,
-pag. 12.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_273" id="Footnote_273" href="#FNanchor_273"><span class="label">[273]</span></a>
-Ce qui prouve encore que les demandes
-du comte d’Armagnac paroissoient fondées,
-c’est qu’on ne le débouta point, et «fut ordonné
-par la cour que le procureur du roy
-viendroit dire ce que bon lui sembleroit.» Il
-plaida en effet contre le comte, et dit: «que
-la cour est souveraine, mesmement representant
-le roy en tout ce qu’elle fait, et par le roy
-en tous ses arrests et jugemens, ainsi aucun
-ne la peut décliner, soit en cause criminelle
-ou civile... et quant aux droits, prééminences
-et prérogatives alléguées par ledit comte, que
-le roy de ceuls de la maison de France doit
-connoître en personne, <i lang="la" xml:lang="la">non constat</i>, et ne s’en
-peut aider iceluy comte; car ou il dira que
-les dites prééminences et prérogatives appartiennent
-à ceux de la maison de France, de
-droit commun, ou par privilége, ou par coustume
-et usage, de droit commun, <i lang="la" xml:lang="la">non quia
-jure non cavetur</i>; ne aussi par privilége, car
-le dit comte n’en montre point, et sur ce n’y
-a ni privilége, ni ordonnance enregistrées en
-la dite cour, ou trésor des chartres, ne en
-la chambre des comptes, ne par coustume et
-<span class="pagenum" id="Page_386">386</span>
-usage, car on ne trouve point par arrest et
-jugement contradictoire, que le roy accompagné
-des pers de son royaume doye connoistre
-en sa personne des causes criminelles
-de ceux de la maison de France; et est la cour
-qui est souveraine et capitale du royaume
-nuement representant le roy, capable de connoistre
-de toutes causes criminelles et civiles,
-tant de ceux de la maison de France que des
-pers et autres, de quelque autorité qu’ils soient;
-et pour déroger à l’autorité de la dite cour
-conviendroit monstrer arrest, ou exploits contradictoires
-par lesquels apparust que la cour en
-l’absence du roy et des pers ne pust connoistre
-les dites causes, dont on ne savoit montrer,
-<i>guare</i>, &amp;c. et ne vaut dire que le roy Philippe
-de Valois en sa personne, appellez les pers,
-connut de la cause du procureur du roy; et
-de madame Mahaut d’Artois, contre feu messire
-Robert d’Artois; car ce ne auroit esté
-regardé, <i lang="la" xml:lang="la">non ex necessitate</i>, ne que le roy fust
-abstraint à ce faire, <i lang="la" xml:lang="la">sed ad magis convincendum</i>
-le dit feu messire Robert d’Artois, et pour plus
-autoriser le procès, et pour ce que c’estoit le
-bon plaisir et vouloir du roy, de connoistre
-ladite matiere en sa personne et d’y appeller les
-pers lesquels n’estoient nécessité d’appeller.»</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_387">387</span>
-«Et ne se peut adapter le cas dudit messire
-Robert d’Artois au cas qui s’offre: car ledit
-d’Artois venoit en droite ligne de la souche,
-<i lang="la" xml:lang="la">et erat de lignatione</i> fils du fils du frere de St.
-Louis, et si estoit ledit comte d’Artois tenu en
-pairie et de l’appenage de France. <i lang="la" xml:lang="la">Secùs</i> est audit
-comte d’Armagnac qui n’est du lignage de
-par masle, et ne tient en pairie <i>Quarè</i>, &amp;c.
-et se en aucun cas on avoit appellé les pers,
-ce auroit esté fait et regardé au regard des masles
-descendans en droite ligne des masles issus
-de la maison de France, comme estoit ledit messire
-Robert, neveu de messire Robert d’Artois,
-frere de S. Louis et fils du roy Louis VIII, qui
-mourut à Montpensier, qui ne doit estre trait
-à consequence, et ne peut attribuer aucune
-prérogative ou préeminence à ceux seroient
-venus de la maison de France; et si usage y
-avoit au regard des masles issus de la maison
-de France, il ne peut estre estendu à ceux
-qui seroient venus par filles, considéré que
-tels droits et préeminences concernent les
-masles, que les prérogatives données par le
-prince à aucun et à ses enfans, ne passent es
-filles, ne à ceux qui en descendent....</p>
-
-<p>«Si en telles déclinatoires estoient reçues,
-les pers de France qui sont sujets en ladite
-<span class="pagenum" id="Page_388">388</span>
-cour, et autres plusieurs se vouldroient essayer
-de proposer de pareilles déclinatoires,
-et seroit en effet donner au roi charge importable,
-<i lang="la" xml:lang="la">et in summa</i> abolir et énerver, au moins
-fort diminuer l’autorité et souveraineté de ladite
-cour; laquelle tout paravant l’établissement
-d’icelle fait du temps de Philippe-le-Long,
-l’an 1320, que depuis, la cour a eu connoissance
-tant des pers que autres seigneurs sous
-conventions criminelles, comme du comte
-Ferrant, du comte Robert, que de Louis
-comte de Flandres, du comte de la Marche
-et autres; que telles déclinatoires, quand elles
-ont été proposées, n’ont esté reçues, mais par
-plusieurs arrests ont esté deboutez, tant contre
-le duc de Bourgogne, le duc de Bretaigne, et
-contre ledit messire Robert.</p>
-
-<p>«Et supposé que lesdits arrests n’eussent esté
-donnés qu’en matieres civiles, toutes fois
-puisque la cour est souveraine et capable de
-toutes causes, lesdits arrests suffisent pour
-monstrer que es cas dessus dits, ne autres,
-la cour ne doit estre garnie des pers, mesmement
-touchant ceux qui sont parents du roi
-de par les femmes, se ledit comte ne monstre
-arrests et jugemens definitifs au contraire, et
-se en tous les procès criminels de ceux qui
-<span class="pagenum" id="Page_389">389</span>
-sont issus de la maison de France par fille,
-convenoit appeler les pers, les procès seroient
-immortels, et en effet illusoire. Car à faire lesdits
-procès les pers d’église ne s’y trouveroient
-pas, et au regard des pers lais le roy en tient les
-quatre, <i lang="la" xml:lang="la">videlicet</i> les duchés de Normandie et
-de Guyenne; et les comtés de Champagne et
-de Toulouse; et le duc de Bourgogne en tient
-les deus, c’est à savoir la duchié de Bourgogne
-et le comté de Flandres, lesquels il conviendroit
-assembler à tels et semblables procès,
-qui seroit chose impossible.»</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_274" id="Footnote_274" href="#FNanchor_274"><span class="label">[274]</span></a>
-Le duc d’Alençon, soupçonné d’avoir
-traité avec les Anglois pour les faire entrer en
-Normandie, fut arrêté à Paris au mois de mai
-1456. On le transporta à Melun, où le connétable
-alla l’interroger. Edmond de Boursier,
-maître des requêtes, deux conseillers au parlement
-et Jean de Longueil, lieutenant civil
-de la prévôté de Paris, furent nommés commissaires
-pour l’instruction du procès; elle
-dura deux ans. La pièce que je vais transcrire
-se trouve dans le Recueil des rangs des grands
-de France, par du Tillet.</p>
-
-<p>«Sur les questions et difficultez que fait le
-roy, et dont il a écrit à sa cour de parlement
-par messire Jean Tudert son conseiller et
-<span class="pagenum" id="Page_390">390</span>
-maistre des requestes de son hostel, après que
-les registres de la dite cour ont esté sur ce
-veuz et visitez, a semblé à ladite cour bien assemblée
-sur ce et a délibéré ainsi et par la forme
-et maniere qui s’ensuit.</p>
-
-<p>Premierement sur le premier article qui est
-tel. Premierement par devant quels juges doivent
-estre traitées les causes des pairs de France,
-touchant leurs personnes, et si par l’institution
-du parlement il y a aucunes réservations
-des causes qui peuvent toucher les personnes
-des pairs de France; a semblé que quand aucun
-pair de France est accusé d’aucun cas criminel
-qui touche ou peut toucher son corps,
-sa personne et estat, le roy en sa personne
-présent, quoique soit, appelez les pairs de
-France et autres seigneurs tenans en pairie,
-et ledit seigneur accompagné d’autres notables
-hommes de son royaume, tant notables prélats
-qu’autres gens de son conseil en doit
-cognoistre; et se trouve par les registres de
-ladite cour, que ainsi fut fait es procès de
-Robert d’Artois, messire Jean de Montfort et
-du roy de Navarre: il ne trouve point par
-l’institution du parlement, ne par aucune ordonnance,
-ne autrement, qu’il y ait aucune
-réservation des causes qui touchent ou peuvent
-<span class="pagenum" id="Page_391">391</span>
-toucher les personnes et estat des dits pairs de
-France; mais se trouve ainsi avoir esté observé
-et gardé les temps passés, et semble qu’ainsi
-se doit faire que dit est ci-dessus.</p>
-
-<p>«Sur le second article contenant, <i>Item</i>. Si
-les causes des seigneurs du sang qui ne sont
-pas pairs de France doivent estre traictées en
-pareilles prérogatives, comme sont celles des
-pairs; la cour n’y a pu délibérer pour le présent,
-parce qu’il y a procès appoincté en droit en la
-dite cour en pareil cas, et seroit la delibération
-de cet article en effet la décision du procès.»
-L’affaire du comte d’Armagnac dont il est parlé
-dans la remarque précédente.</p>
-
-<p>«Sur le tiers article contenant, <i>Item</i>. Veut
-aussi sçavoir si mondit seigneur M. d’Alençon
-tient son dit duché d’Alençon en pairie, et
-supposé qu’il tienne en pairie, s’il doit jouir de
-pareil privilége et prérogative que feroit un des
-douze pairs de France touchant sa personne.
-Il se trouve par les régistres du parlement,
-que M. d’Alençon tient la Duché en pairie,
-et que les rois les temps passez l’ont tenu et
-reputé pour pair de France, et tenant en pairie,
-et pour ce semble qu’il en doit jouir comme
-les autres pairs.»</p>
-
-<p>«Sur le quatrieme article contenant, <i>Item</i>.
-<span class="pagenum" id="Page_392">392</span>
-S’il s’étoit trouvé que les pairs deussent estre
-appellez à son procès, le roy veut sçavoir si
-les autres seigneurs du sang qui tiennent en
-pairie, et ne sont pas des douze pairs, doivent
-aussi estre nécessairement appelez et s’ils doivent,
-quant à ce, jouir des honneurs et prérogatives
-des dites douze pairs ou non. Il se
-trouve par les régistres anciens de ladite cour
-que ceux qui ont esté créés pairs de France et
-qui tiennent en pairie, furent presens appelez
-comme les anciens pairs, auxdits procès de
-Robert d’Artois, de messire Jean de Montfort
-et du roi de Navarre, et pour ce semble qu’ainsi
-se doit faire.»</p>
-
-<p>«Sur le cinquième article contenant, <i>Item</i>.
-Veut sçavoir le roy si les douze pairs doivent
-estre présents au jugement, ou s’il suffist les
-appeler, jaçoit ce qu’ils n’y viennent, et s’ils
-n’y viennent, ou s’ils y viennent, que ceux
-qui y seroient par eux envoyez doivent estre
-receus à estre audit procès pour et au nom
-d’eux. Semble comme dessus qu’ils y doivent
-estre appelez, et s’ils y viennent, doivent estre
-presens et assister audit procès; et s’ils n’y
-viennent, le roy ne doit surseoir de procéder
-audit procès pour leur absence, et s’ils envoyent
-aucuns pour estre presens audit procès
-<span class="pagenum" id="Page_393">393</span>
-pour eux et en leur absence, semble qu’ils n’y
-doivent estre reçus, car ils y sont appelez et
-peuvent estre presens par l’autorité, dignité
-et prérogative de leurs personnes et seigneuries,
-en quoi ils ne peuvent, ne doivent subroger
-autres en leurs lieux, et ne se trouve point
-qu’es procès dessus dits autrement ait esté fait.»</p>
-
-<p>«Sur le sixième article contenant, <i>Item</i>. Aussi
-le roi veut savoir si ceux qui doivent estre et
-seront appelez audit procès, pourront procéder
-sans la présence du roy, et si sadite
-presence y est nécessairement requise; car s’il
-estoit trouvé que non, il se mettroit lui et ses
-successeurs en grande servitude d’y estre présent,
-et pourroit desroger à son auctorité royale,
-laquelle chose il ne voudroit faire pour rien.
-Semble qu’on ne peut imposer nécessité précise
-au roy en ce cas ne autre; toutes fois parce
-qu’on trouve avoir esté observé aux procès
-dessus dits, les pairs de France et autres qui
-y furent appelez, ne procédèrent point sans la
-présence du roy. Bien se trouve que les rois
-commirent aucuns notables hommes pour procéder
-aux préparations des dits procès, comme
-à faire informations, à interroger les complices
-et coupables, et tels et semblables actes. Mais
-au regard des appointemens, ou jugemens interlocutoires
-ou deffinitifs, se trouve que les
-<span class="pagenum" id="Page_394">394</span>
-rois y furent toujours présens, et semble qu’il
-est très-expédient, convenable et raisonnable
-que pareillement le roy soit présent au procès
-de mon dit sieur d’Alençon, mesmement aux
-délibérations ou prononciations des jugemens
-et appointemens deffinitifs et interlocutoires
-qui se feront au dit procès, contre et touchant
-la personne du dit monsieur d’Alençon.»</p>
-
-<p>«Sur le septième et dernier article contenant,
-<i>Item</i>. S’il est trouvé que le roy nécessairement
-doive y estre présent, il veut savoir, si le cas
-advenoit qu’il lui survînt aucun empeschement
-pour la chose publique, s’il suffiroit qu’il y
-commist aucun en son lieu. Semble que s’il
-survenoit empeschement nécessaire au roy,
-il seroit plus convenable et raisonnable proroger,
-ou continuer l’expédition dudit procès
-jusqu’à quelque autre temps qu’il y pourroit
-estre et vacquer, que d’y commettre autre en
-son absence; considéré la grandeur du personnage
-et le cas dont on traicte, et ne se
-trouve point qu’es procès dessus dits, de
-Robert d’Artois, de messire Jean de Montfort
-et du roy de Navarre, ait esté faict aucun appointement
-interlocutoire ou deffinitif, que le
-roy ne fust présent et seant en sa cour et
-majesté royale, et pour ce, semble qu’ainsi se
-doit faire.»</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_395">395</span>
-Après de pareilles pièces, comment le
-parlement osoit-il dire qu’il a toujours été la
-cour des pairs? Voici encore quelques autres
-preuves. «Le roi et le conseil, considérans que
-le cas étoit très-mauvais, et que c’étoit crime de
-lèse-majesté, ordonnèrent qu’on lui (au duc de
-Bretagne) envoyeroit certains commissaires,
-à l’adjourner pour comparoir en personne à
-Orléans par devant luy.» (<cite>Hist. de Charles VI,
-par J. J. des Ursins, Ar. de R. p. 62.</cite>)</p>
-
-<p>La cour des pairs devoit s’ouvrir à Orléans,
-et le parlement étoit sédentaire à Paris; ces
-deux cours étoient donc très-distinguées.</p>
-
-<p>Je prie de jeter encore les yeux sur l’arrêt
-rendu le 23 juin 1315 contre Robert, comte
-de Flandre. «A tous ceux qui ces présentes
-veront ou ouront, R. archevesque de Rheims,
-G. évesque de Langres, G. évesque de Laon,
-J. évesque de Beauvais, Kerles Cuens de Vallois
-et d’Anjou, et Malhault comtesse d’Artois,
-pairs de France, salut. Sçachent tuit que de par
-le roy nostre seigneur fut semons li comte de
-Flandre en la forme.... auquel terme de la
-dicte semonce, nous li pairs dessus dits à la
-requeste et mandement du roy venismes en la
-cour à Paris; et sesismes et tenuismes avec
-douze autres personnes, prelats et autres grands
-<span class="pagenum" id="Page_396">396</span>
-et hauts hommes, c’est à sçavoir reverend pere
-l’archevesque de Rouen, les évesques de Sainct
-Brioc et de Sainct Malo, M. Philippe, fils du
-roy de France, comte d’Evreux; M. Karles,
-fils du roi de France, comte de la Marche;
-M. Guy de Sainct Paul; M. Gaucher de Chastillon,
-comte de Porcien; M. Louis aisné, fils
-du comte de Clermont, seigneur du Bourbonnois;
-M. J. de Clermont, seigneur de Charolois;
-M. B. seigneur de Mareuil; M. Mille, seigneur
-des Noyers; esleus et mis à ce faire de
-par le roy nostre sire avec nous, comme cour
-garnie de nous, d’eux et autre plusieurs sages
-gens, et fust dit de par le roy devant nous
-que bonnement pooit avoir plus de pairs, &amp;c.»</p>
-
-<p>Cette pièce précieuse démontre évidemment
-que la cour des pairs formoit un tribunal distingué
-de tous les autres. Si les seigneurs, dont
-on vient de lire les noms, s’étoient simplement
-rendus au parlement pour y juger le comte de
-Flandre, pourquoi le nom même du parlement
-n’est-il pas prononcé dans cet arrêt?
-Pourquoi la cour est-elle assemblée à la requisition
-du roi, et suivant la forme ancienne de
-la justice féodale? Pourquoi cet arrêt seroit-il
-intitulé au nom des pairs?</p>
-
-<p>On voit encore ce que c’étoit que la cour
-<span class="pagenum" id="Page_397">397</span>
-des pairs à l’occasion de l’assassinat du duc
-d’Orléans. Ce n’est pas au parlement que sa
-veuve vient demander justice, mais au roi.
-(<cite>Voyez Monstrelet, T. 1. p. 32.</cite>) «Elle vient
-à l’hostel St. Pol, demeure de Charles VI, fait
-sa plainte, auquel propos le chancellier de
-France qui seoit aux pieds du roy, par le
-conseil des ducs et seigneurs royaux; respondit
-et dit que le roy pour l’homicide et mort de
-son frere à lui ainsi exposée, et plutost qu’il
-pourroit, en feroit bonne et biesve justice.»</p>
-
-<p>Le roi fit ajourner le duc de Bourgogne
-pour comparoître à Amiens, et s’y rendit pour
-y tenir sa cour. Il n’est point question là
-de parlement. Quand cette affaire fut reprise
-à Paris à l’hôtel Saint-Pol, la duchesse d’Orléans
-ne cessa point de demander justice au
-roi, et jamais elle ne s’adressa au parlement.
-Dans les écrits publiés sur cette affaire, cette
-princesse ne dit rien d’où on puisse inférer
-qu’il lui eût été défendu de porter sa plainte au
-parlement, ou que le roi eût empêché cette
-cour d’en connoître. Nous avons dans Monstrelet
-le plaidoyer de la duchesse d’Orléans et
-de son fils, et l’on y voit constamment que
-l’un et l’autre, en plaidant à l’hôtel de Saint-Pol,
-regardent le roi et les pairs comme le
-<span class="pagenum" id="Page_398">398</span>
-tribunal compétent pour juger le duc de Bourgogne.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_275" id="Footnote_275" href="#FNanchor_275"><span class="label">[275]</span></a>
-«Sur ce que mis a esté en délibération
-si l’on doibt plaider, juger et besongner en la
-cour de ceans; cependant que le roy vacquera
-et fera vacquer es procès de monsieur d’Alençon
-et besongnes pour lesquelles il a faicts adjourner
-au premier jour de juin prochain en la ville
-de Montargis les pairs de France et ceux qui
-tiennent en pairie, et aussi mandé deux de
-messieurs les présidens, et certain nombre de
-conseillers de la dite cour. Délibéré et ordonné
-a esté que les plaidoiries cesseront jusques
-à ce que la cour ait sur ce mandement du roy
-et que M. les présidens et autres de la cour
-qui iront de par delà, en parleront au roy
-et à Monsieur chancelier pour en faire sçavoir
-à la dite cour la volonté et bon plaisir du roy
-le plustost et le plus diligemment que faire
-ce pourront; et néantmoins que la cour en escrira
-au roy par mes dits Sieurs, lesquels lui
-présenteront les dites lettres s’ils voyent que
-besoin en soit; et au surplus la cour a délibéré
-et ordonné qu’au regard des jugemens
-et autres besongnes et expéditions delà on
-besongnera au matin, et après diner en la
-maniere accoustumée; mais pourtant on ne
-<span class="pagenum" id="Page_399">399</span>
-prononcera aucuns arrests ne jugez.» (<cite>Registre
-du parlement, du 29 mai 1458.</cite>) Cet arrêté n’est
-pas mal-adroit, et les présidens obtinrent par
-leurs négociations ce que le parlement désiroit.</p>
-
-<p><i lang="la" xml:lang="la">Post dictum diem 30 hujus mensis Maii non
-fuit litigatum ex præcepto et ordinatione domini
-nostri regis qui curiam suam parlamenti transtulit,
-seu advocavit apud montem Argum, et ex
-indè apud Vandocinum in qua fuerunt pares Franciæ
-adjornati processui contrà dominum ducem
-Alenconii, et alias ut in litteris patentibus domini
-nostri regis curiæ parlamenti registratis pleniùs
-continetur.</i> (<cite class="rmn">Regist. du parlement.</cite>)</p>
-
-<p>«Comme à l’occasion de certains grands
-cas, crimes et delits dont on a esté trouvé
-chargé nostre nepveu le duc d’Alençon, nous
-l’ayons fait constituer en arrest, et pour proceder
-à l’expedition de son procès, ayons par
-l’avis et deliberation des gens de nostre conseil
-voulu et ordonné par nos lettres patentes
-données au mois de may dernier passé, que
-nostre cour de parlement lors seante en nostre
-bonne ville de Paris, soit et fût tenue au lieu
-de Montargis, à commencer du premier jour
-du mois de juin dernierement passé, et jusqu’à
-la perfection dudit procès. Auquel lieu
-pour tenir icelle nostre cour, ayons ordonné
-<span class="pagenum" id="Page_400">400</span>
-et mandé faire venir nos amés et feaux conseillers,
-Yves de Scepeaulx, chevalier, premier
-président, et maistre Helie de Thoreiles
-aussi président, et aucuns des conseillers en
-icelle nostre cour tant clercs que laiz en bon
-et suffisant nombre au dit premier jour de
-juin.... Sçavoir faisons que nous desirant l’abbreviation
-et expedition du dit procès pour le
-bien de justice, voulant aussi obvier aux dits
-inconvenients, et nostre dit cour servir et estre
-en lieu propice à ce convenable, avons par l’avis
-et deliberation de nostre dit conseil voulu,
-ordonné et establi, voulons, ordonnons, et
-establissons de nostre puissance et authorité
-royalle par ces presentes nostre dit cour de
-parlement garnie de pers et aussi ceux de nostre
-sang et lignage et autres par nous mandés y
-estre et comparoir au douziesme jour d’aoust
-prochainemant venant, pour proceder outre
-et besogner au dit procès jusqu’à la perfection
-d’icelluy ainsi qu’il appartiendra par raison.
-Et afin qu’aucuns des susdits n’en puissent prétendre
-juste cause d’ignorance, nous voulons
-estre publiées en nostre dite cour séante au dit
-Montargis, et en nostre dite ville de Paris.
-Donné à Beaugency, le vingtiesme jour de
-juillet l’an de grace 1458. <i lang="la" xml:lang="la">Lecta, publicata
-<span class="pagenum" id="Page_401">401</span>
-et registrata apud Montargis in parlamento,
-vigesimo quinto die julii anno domini 1458.
-Lecta et publicata Parisiis in camera die 28
-julii 1458.</i>»</p>
-
-<p>Remarquez que ce qui restoit du parlement
-à Paris, ne se qualifie que de chambre,
-<i lang="la" xml:lang="la">camera</i>, tandis que la portion qui siége à
-Montargis, prend le titre de parlement.
-Je gagerois que ces lettres-patentes ont été
-dressées par des magistrats du parlement,
-ou du moins de concert avec eux: elles
-ouvrent une large carrière à l’ambition du
-parlement.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_276" id="Footnote_276" href="#FNanchor_276"><span class="label">[276]</span></a>
-En lisant les dernières remarques, on
-a dû s’apercevoir que l’opinion publique
-avoit mis une grande différence entre les anciens
-pairs et ceux qui tenoient en pairie.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_277" id="Footnote_277" href="#FNanchor_277"><span class="label">[277]</span></a>
-«Le 17 janvier 1484, le duc d’Orléans
-se rendit au parlement, et par la bouche de son
-chancelier, s’étant plaint qu’on n’avoit aucun
-égard aux demandes des derniers états; le
-premier président répondit, que le bien du
-royaume consiste en la paix du roy et de son
-peuple, qui ne peut estre sans l’union des
-membres, dont les grands princes sont les
-principaux, à quoi M. d’Orléans doit bien avoir
-égard. Par quoi et non pas pour réponse, mais
-<span class="pagenum" id="Page_402">402</span>
-par exhortation a dit M. d’Orléans, qu’il doit
-bien penser à ce qu’il a fait dire et proposer,
-et aviser que la maison de France soit par luy
-maintenue et entretenue sans division, et ne
-doit ajouter foi aux rapports qui lui pourroient
-estre faits. Et quant à la cour elle est instituée
-par le roi pour administrer justice, et n’ont
-point ceux de la cour d’administration de guerre,
-de finances, ne du fait et gouvernement du
-roy, ne des grands princes, et sont Mrs.
-de la cour de parlement gens clercs et lettrés
-pour vacquer et entendre au fait de la justice,
-et quand il plairoit au roy leur commander
-plus avant, la cour luy obéiroit; car elle a
-seulement l’œil et le regard au roy qui en
-est le chief, et sous lequel elle est, aussi venir
-faire ces remontrances à la cour, et néanmoins
-passer plus avant et faire autres exploits sans
-le bon plaisir et exprès consentement du roy
-ne se doit pas faire.</p>
-
-<p class="last">«Ledit messire Denis Mercier (chancelier du
-duc d’Orléans) a repliqué que M. d’Orléans
-est venu à la cour comme à la justice souveraine,
-et qui doit avoir l’œil et le regard
-aux grandes affaires du royaume.... Entend
-mondit Sr. d’Orléans que la cour avertisse
-le roi de ces choses....... Ne veut mondit
-<span class="pagenum" id="Page_403">403</span>
-Sr. d’Orléans passer plus avant, sans avoir le
-conseil de la cour, et prier la cour, qu’elle
-veuille travailler pour le bien du royaume, et
-d’obvier à tous inconvéniens, et qu’il soit sceu
-au roy s’il est content d’estre se ainsi qu’il est.»
-(<cite class="rmn">Regist. du parlement.</cite>)</p>
-
-<hr class="full" />
-
-<h4>CHAPITRE VI.</h4>
-
-<p class="nlh"><a name="Footnote_278" id="Footnote_278" href="#FNanchor_278"><span class="label">[278]</span></a>
-«<span class="smcap"><span class="cs20">N</span>ous</span> voulans abreger les procès et
-litiges d’entre nos subjects, et les relever des
-mises et depenses, et mettre certaineté es
-jugemens, tant que faire se pourra, et oster
-toute matiere de variations et contrariété:
-ordonnons, decernons, déclarons et statuons
-que les coustumes, usages et stiles de tous les
-pays de notre royaume, gardés et mis en
-escript, accordez par les coustumiers, praticiens
-et gens de chacun desdits pays de nostre
-royaume. Lesquels coustumiers, usages et stiles
-ainsi accordez, seront mis et escripts en livres;
-lesquels seront apportez par devers nous pour
-les faire veoir et visiter par les gens de nostre
-grand conseil, ou de nostre cour de parlement,
-et par nous les décreter et confirmer. Et iceulz
-<span class="pagenum" id="Page_404">404</span>
-usages, coustumes et stiles ainsi decretez et
-confirmez, seront gardés et observez es pays
-dont ils seront, et aussi en nostre cour de
-parlement es causes et procès d’iceulz pays.
-Et jugeront les juges de nostre royaume, tant
-en nostre cour de parlement, que nos baillifs,
-seneschaux et autres juges, selon iceulz usages,
-coustumes et stiles es pays dont ils seront,
-sans faire aultre preuve que ce qui sera escript
-audit livre. Et lesquelles coustumes, stiles et
-usages ainsi escripts, accordez et confirmez,
-comme dit est, voulons estre gardez et observez
-en jugement et dehors. Toutes fois n’entendons
-aucunement déroger au stile de nostre court
-de parlement.» (<cite>Ordonn. du mois d’avril 1453,
-art. 125.</cite>)</p>
-
-<p>C’est en conséquence de cette dernière clause
-que le parlement a mérité le singulier éloge
-de Miraulmont. «J’admire, dit-il, une chose
-en cette cour, que pour estre composée de
-gens de savoir, intégrité et grande expérience,
-elle a tant gagné sur les lois des empereurs
-et ordonnances de nos rois qu’elle n’y est
-subjecte ni astrainte, ains jugeant d’équité
-modere la rigueur de la loi selon le temps,
-la matiere et la qualité des personnes.» <cite class="rmn">De
-l’origine du parlement</cite>, (<cite>p. 62.</cite>) Si un pareil
-<span class="pagenum" id="Page_405">405</span>
-tribunal ne se corrompt pas promptement, ce
-sera un miracle.</p>
-
-<p>«Cette rédaction de coutumes, dit l’abbé
-Fleury, dans son excellente histoire du droit
-Français, s’est faite fort lentement, et n’a
-été achevée que plus de cent ans après la mort
-de Charles VII. La plus ancienne est la rédaction
-de la coutume de Ponthieu, faite sous
-Charles VIII, et de son autorité, en 1495. Il
-y en eut plusieurs sous Louis XII, depuis l’an
-1507. L’on continua à diverses reprises sous
-François I et sous Henri II; et il s’en trouva
-encore quelques-unes à rédiger sous Charles
-IX.... En ne comptant que les principales
-coutumes du royaume, on en trouvera bien
-soixante, la plupart fort différentes. Cependant
-on s’aperçut, il y a environ cent ans, (l’abbé
-Fleury fit imprimer son ouvrage en 1674) qu’il
-étoit arrivé beaucoup de changemens depuis
-les rédactions qui avoient été faites au commencement
-du même siècle, et qu’il y avoit
-des omissions considérables, de sorte que l’on
-réforma plusieurs coutumes, comme celles de
-Paris, d’Orléans, d’Amiens, ce qui se fit
-avec les mêmes cérémonies que les premières
-rédactions.»</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_279" id="Footnote_279" href="#FNanchor_279"><span class="label">[279]</span></a>
-Pour le prouver, je ne rapporterai que
-<span class="pagenum" id="Page_406">406</span>
-deux articles de l’ordonnance donnée à Blois
-par Louis XII en 1498. «Pour ce que souvent
-advient que les comtes, barons, chevaliers,
-gentilshommes et autres ayant terres, hommes
-et sujets en nostre royaume, païs et seigneuries,
-se travaillent journellement de lever
-sur leurs dits hommes et sujets, et autres leurs
-voisins, plusieurs sommes de deniers, quantitez
-de pains et de vins, corvées, charrois
-et autres choses extraordinaires, tant pour
-remontrances qu’ils leur font et font faire de
-les garder des gens d’armes, menaces, que
-autres voyes indues et déraisonnables, à la
-grande foule de nostre peuple; voulans à ce
-pourvoir et garder nos dits sujets de toutes
-oppressions et foules, comme raison est, nous
-avons fait et faisons inhibitions et défenses à
-toutes manières de gens de quelque autorité,
-préeminence et qualité qu’ils soient, qu’ils ne
-prennent ni exigent ou permettent prendre et
-exiger en leurs terres et sur hommes et sujets
-ou autres, aucunes exactions indues, par
-forme de dons, tailles, aydes, corvées ne autrement,
-etc. (<cite>Art. 139.</cite>)</p>
-
-<p class="last">Pour ce que nous avons esté avertis que
-plusieurs seigneurs et gentilshommes mettent
-par chaque jour levages et nouveaux subsides
-<span class="pagenum" id="Page_407">407</span>
-sur les marchandises, qui se mettent sur les
-rivières et fleuves navigables, à la grande charge
-de nostre peuple; pour ces causes, etc.»
-(<cite>Art. 141.</cite>)</p>
-
-<p class="sep3 cent"><i>Fin des remarques du livre sixième.</i></p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="pagenum" id="Page_408">408</div>
-
-<hr class="hr2" />
-
-<h2 class="rpo">REMARQUES ET PREUVES<br />
-<span class="cs5 gesp">DES</span><br />
-<span class="cs7"><i>Observations sur l’histoire de France</i>.</span></h2>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h3>LIVRE SEPTIÈME.</h3>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h4>CHAPITRE PREMIER.</h4>
-
-<p class="nlh"><a name="Footnote_280" id="Footnote_280" href="#FNanchor_280"><span class="label">[280]</span></a>
-<span class="smcap"><span class="cs20">V</span>oyez</span> le dernier chapitre du quatrième
-livre.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_281" id="Footnote_281" href="#FNanchor_281"><span class="label">[281]</span></a>
-J’ai fait connoître cette situation dans
-le <a href="#Page_1">quatrième chapitre</a> du livre précédent.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_282" id="Footnote_282" href="#FNanchor_282"><span class="label">[282]</span></a>
-Louis duc d’Orléans et frère de Charles V
-avoit épousé Valentine Visconti, sœur et héritière
-du dernier duc de ce nom, qui règna
-sur Milan. François Sforce, qui avoit épousé
-une bâtarde de ce prince, s’empara de cette
-succession, et ses descendans en jouissoient
-encore, quand le duc d’Orléans succéda à
-Charles VIII.</p>
-
-<p class="sep1 last"><a name="Footnote_283" id="Footnote_283" href="#FNanchor_283"><span class="label">[283]</span></a>
-Voyez le cinquième chapitre du livre
-quatrième.</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_409">409</span></p>
-
-<hr class="full" />
-
-<h4>CHAPITRE II.</h4>
-
-<p class="nlh"><a name="Footnote_284" id="Footnote_284" href="#FNanchor_284"><span class="label">[284]</span></a>
-<span class="smcap"><span class="cs20">C</span>es</span> sentimens commencèrent à paroître
-dans les états que Louis XI tint à Tours en
-1467. L’objet principal de ces états étoit de
-savoir quel apanage on feroit à Charles, frère
-du roi, et sur-tout de ne lui pas donner la
-Normandie. Voici de quelle façon s’expriment
-les gens des trois états. «Quand lesdites offres
-seront faites à mondit sieur Charles, où il ne
-s’en voudra contenter, mais voudroit attenter
-aucune chose, dont guerre, question ou debast
-pust advenir au préjudice du roy ou du royaume,
-ils sont tous déliberez et fermes de servir le
-roy en cette querelle à l’encontre de mon dit
-sieur Charles, et de tous autres qui en ce le
-voudroient porter et soutenir: et dès à present
-pour lors, et dès lors pour maintenant les dits
-des trois estats, pour ce qu’ils ne se peuvent
-pas si souvent rassembler, accordent, consentent
-et promettent de ainsi le faire et de
-venir au mandement du roi, le suivre, et le
-servir en tout ce qu’il voudra commander et
-ordonner sur ce.»</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_410">410</span>
-«Outre plus ont conclu lesdits estats, et
-sont fermes et determinés, que si mon dit
-sieur Charles, le duc de Bretagne ou autres faisoient
-guerre au roy nostre souverain seigneur,
-ou qu’ils eussent traité ou adhérence avec ses
-ennemis, ou ceux du royaume, ou leurs adhérens,
-que le roy doit procéder contre ceux qui
-le feroient..... Et dès maintenant pour lors,
-et dès lors pour maintenant, toutes les fois
-que lesdits cas écheroient, iceuz estats ont
-accordé et consenti, accordent et consentent
-que le roy sans attendre autre assemblée ne
-congrégation des estats, pour ce que aisément
-ils ne se peuvent pas assembler, y puisse procéder
-à faire tout ce que ordre de droit et
-de justice, et les statuts et ordonnances du
-royaume le portent.» Régistre des états tenus
-à Tours en 1467, par Jean-le-Prevost, greffier
-des états. Cette pièce se trouve dans le <cite class="rmn">cérémonial
-français, par Mrs. Godefroy, tome 2,
-page 277</cite>.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_285" id="Footnote_285" href="#FNanchor_285"><span class="label">[285]</span></a>
-Ce qui se passa aux états tenus à Tours
-en 1483, sous Charles VIII, est une preuve
-que la nation étoit alors persuadée que l’autorité
-des princes et des grands étoit une
-partie essentielle de notre gouvernement et de
-notre droit public. Voyez la relation de
-<span class="pagenum" id="Page_411">411</span>
-Jean-Masselin, official de l’archevêque de Rouen,
-et l’un des députés de la province de Normandie;
-cette pièce se trouve dans le traité de
-la majorité de nos rois, par Dupuy, p. 233.</p>
-
-<p>La délibération passa en cette sorte: «Nous
-déclarames en premier lieu, et fismes des
-protestations, qu’en l’élection de ce conseil
-(du roi) nous ne prétendions en aucune manière
-préjudicier à l’autorité et aux prérogatives
-des princes, et que nostre intention estoit que
-chacun d’eulz conservast son rang, sa dignité
-et son pouvoir, puisque, par leur bonté et
-bienveillance nous avons la liberté toute entière
-de parler et de traiter des affaires. En
-second lieu, que nous ne donnions nos suffrages
-que par forme d’avis et de conseil, et
-non pas comme une décision fixe et arrestée.»</p>
-
-<p>«L’évesque de Chaalons dit que les princes
-ne devoient pas juger, que ce fût chose indécente
-et indigne de leur qualité, d’admettre
-quelques-uns du corps des estats dans le
-conseil du roy; vu qu’entre les députez, il y
-avoit des personnes de très-grand mérite et
-savoir, capables de soutenir avec honneur
-cette dignité; et bien que le faste et l’apparence
-extérieure leur manquast aussi bien
-que la grande autorité, cet honneur pourtant
-<span class="pagenum" id="Page_412">412</span>
-ne leur pouvoit estre dénié, puisqu’il étoit dû
-à leurs vertus et mérite.»</p>
-
-<p>Les députés dont parle l’évêque de Châlons,
-ne conservèrent pas long-temps leur intégrité.
-«Tous ceux qui sembloient avoir le plus d’autorité,
-furent vivement tentez, et plusieurs
-furent facilement corrompus, soit en deferant
-aux prières de leurs amis, ou en cedant au
-credit et à l’autorité de ceux qui les prient,
-pour s’acquerir leur faveur et bonnes graces.
-Mais ils furent principalement attirés par les
-vaines promesses qu’on leur faisoit. Et certainement
-elles furent vaines au regard de
-plusieurs, d’autant que le nombre fut petit de
-ceux qui furent recompensés par dons de pensions
-ou offices, qui peut-être se trouvèrent
-de moindre valeur qu’ils ne l’avoient espéré.
-Il y en eut aussi plusieurs qui se laissèrent
-emporter par leur ambition aveugle et par
-avarice, et dans les délibérations l’on ne voyoit
-aucune vérité ni sincérité. Et la faute de ces
-personnes est d’autant plus grande et considérable
-qu’ils estoient les plus relevez en
-dignité et autorité entre les députez.»</p>
-
-<p>«Il est certain que les longues et odieuses
-disputes touchant l’établissement de ce conseil,
-étoient devenues très-ennuyeuses, et que les
-<span class="pagenum" id="Page_413">413</span>
-suffrages de ceux qui favorisoient ce premier
-conseil, les prières, les reprimandes et les
-menaces de plusieurs avoient rendu presque
-immobiles les autres, qui disoient leur avis avec
-plus de vérité et de franchise; et il en restoit
-très-peu qui portassent cette affaire avec soin
-et affection; et s’étant entièrement relachez
-ils l’abandonnèrent sans se plus soucier de
-l’issue qu’elle auroit.»</p>
-
-<p>J’ai déjà parlé de ces états de 1483; mais
-j’ai cru qu’on ne seroit pas fâché de trouver
-encore ici quelques autorités qui serviront de
-preuve à ce que j’ai dit, et qui font connoître
-le génie et le caractère de notre nation dans
-une circonstance très-critique. Si l’on voit d’un
-côté un peuple las de sa liberté et prêt à se
-vendre, n’aperçoit-on pas de l’autre combien
-l’autorité que les grands affectent est mal affermie?
-Leurs divisions préparent leur chute
-et le triomphe de la puissance royale.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_286" id="Footnote_286" href="#FNanchor_286"><span class="label">[286]</span></a>
-«Je ne veux pas oublier à vous dire
-une chose que faisoit le roy vostre grand père,
-qu’il luy conservoit toutes provinces à sa dévotion,
-c’estoit qu’il avoit le nom de tous ceux
-qui estoient de maison dans les provinces,
-et autres qui avoient autorité parmi la noblesse
-et du clergé, des villes et du peuple, et pour
-<span class="pagenum" id="Page_414">414</span>
-les contenter, et qu’ils tinssent la main à ce
-que tout fût à sa dévotion, et pour estre averti
-de tout ce qui se remuoit dedans lesdites provinces,
-soit en général, ou en particulier,
-parmy les maisons privées, ou villes, ou
-parmi le clergé, il mettoit peine d’en contenter
-parmy toutes les princes, une douzaine,
-ou plus, ou moins, de ceux qui ont plus de
-moyen dans le pays, ainsi que j’ai dit cy-dessus:
-aux uns il donnoit des compagnies
-de gens d’armes, aux autres quand il vacquoit
-quelque benefice dans le même pays, il leur
-en donnoit, comme aussi des capitaineries
-des places de la province, et des offices de
-judicature, selon et à chacun sa qualité; car
-il en vouloit de chaque sorte, qui luy fussent
-obligez, pour sçavoir comme toutes choses
-y passoient: cela les contenoit de telle façon,
-qu’il ne s’y remuoit rien, fust au clergé ou
-au reste de la province, tant de la noblesse
-que des villes et du peuple, qu’il ne le sceut:
-et en étant adverti, il y remedioit, selon que
-son service le portoit, et de si bonne heure
-qu’il empeschoit qu’il n’avoit jamais rien contre
-son autorité ny obéissance qu’on lui devoit
-porter, et pense que c’est le remède dont
-pourrez user, pour vous faire aisement et
-<span class="pagenum" id="Page_415">415</span>
-promptement bien obeir, et oster et rompre
-toutes autres lignes, accointances et menées,
-et remettre toutes choses sous vostre autorité
-et puissance seule. J’ai oublié un autre point
-qui est bien nécessaire qui mettiez peine; et
-cela se fera aisement, si le trouvez bon;
-c’est qu’en toutes les principales villes de vostre
-royaume, vous y gagniez trois ou quatre des
-principaux bourgeois et qui ont le plus de
-pouvoir en la ville, et autant de principaux
-marchands qui ayent bon credit parmi leurs
-concitoyens, et que sous main, sans que le
-reste s’en apperçoive, ni puisse dire que vous
-rompiez leurs priviléges, les favorisant tellement
-par bienfaits ou autres moyens, que
-les ayez si bien gagnez, qu’il ne se face ni
-die rien au corps de ville ny par les maisons
-particulières, que n’en soyez adverty; et que
-quand ils viendront à faire leurs élections pour
-leurs magistrats particuliers, selon leurs privileges,
-que ceux-cy par leurs amis et pratiques,
-facent toujours faire ceux qui seront
-à vous du tout, qui sera cause que jamais ville
-n’aura autre volonté, et n’aurez point de peine
-à vous y faire obéir.» Extrait de l’état intitulé:
-<cite class="rmn">avis donnez par Catherine de Medicis
-à Charles IX pour la police de sa cour, et
-<span class="pagenum" id="Page_416">416</span>
-pour le gouvernement de son état</cite>. Cette pièce
-se trouve dans les <cite class="rmn">mémoires de Condé, édit.
-in-4<sup>o</sup>. de 1743, T. 4, p. 657</cite>.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_287" id="Footnote_287" href="#FNanchor_287"><span class="label">[287]</span></a>
-Telle fut l’assemblée que François I tint
-au parlement le 16 décembre 1527, et que
-quelques écrivains ont appelée improprement
-un lit de justice, puisqu’elle ne fut soumise
-à aucune des formes en usage dans le parlement.
-Si jamais il fut besoin de convoquer les
-états-généraux, ce fut dans cette occasion, où
-François I vouloit consulter sur la validité
-de l’article du traité de Madrid, par lequel
-il s’étoit engagé d’abandonner à l’empereur
-Charles-Quint le duché de Bourgogne et quelques
-autres seigneuries.</p>
-
-<p>Outre les seigneurs et les grands officiers
-qui accompagnent le roi en pareilles occasions,
-on appela trois cardinaux, vingt archevêques
-ou évêques; les premiers présidens
-des parlemens de Toulouse, de Rouen et de
-Dijon, un président du parlement de Grenoble,
-le second président du parlement de Rouen,
-et le quatrième président ou parlement de
-Bordeaux, le prévost des marchands et les
-quatre échevins de Paris; trois conseillers
-du parlement de Toulouse, deux conseillers
-du parlement de Bordeaux, un du parlement de
-<span class="pagenum" id="Page_417">417</span>
-Rouen, un du parlement de Dijon, deux du parlement
-de Grenoble, deux du parlement d’Aix.</p>
-
-<p>Après que le roi eut exposé l’affaire sur
-laquelle on devoit délibérer, le cardinal de
-Bourbon prit la parole et parla au nom du
-clergé. Le duc de Vendôme parla ensuite au
-nom des princes et de toute la noblesse du
-royaume. Jean de Selve, premier président du
-parlement de Paris, parla au nom de toute
-la magistrature et de la ville de Paris.</p>
-
-<p>«Sur ce a, le dit Selve, premier président,
-demandé au dit seigneur roi, si son plaisir
-estoit que les cardinaux, archevêques et evesques,
-et autres gens d’église, les princes,
-nobles, ceux de la justice et de la ville advisassent
-ensemble ou separément, le suppliant
-d’en ordonner: à quoy le dit seigneur a fait
-réponse que les gens d’église s’assembleront
-à part, les princes et nobles à part, et ceux
-de la ville à part, et qu’ils en viennent faire
-réponse chacun à part.»</p>
-
-<p>Quatre jours après, le 20 décembre, le roi
-se rendit une seconde fois au parlement pour
-entendre les avis des quatre corps. Le cardinal
-de Bourbon parla le premier au nom
-de l’église de France; le duc de Vendôme
-prit ensuite la parole pour les princes, seigneurs
-<span class="pagenum" id="Page_418">418</span>
-et gentilshommes. Le premier président de
-Selve harangua au nom de toute la magistrature,
-et enfin le prévôt des marchands parla
-pour la ville de Paris.</p>
-
-<p class="last">Il seroit inutile de m’étendre plus au long
-sur ces assemblées de notables qui ne produisirent
-jamais aucun bon effet, et qui s’assemblèrent
-tantôt au parlement, tantôt dans
-le palais du roi.</p>
-
-<hr class="full" />
-
-<h4>CHAPITRE III.</h4>
-
-<p class="nlh"><a name="Footnote_288" id="Footnote_288" href="#FNanchor_288"><span class="label">[288]</span></a>
-<span class="smcap"><span class="cs20">T</span>out</span> le monde sait que le parlement
-prêta serment entre les mains du duc de Bethfort,
-d’observer l’ordre de succession établi
-par le traité de Troye. Cette compagnie étoit
-fort dévouée à la faction de Bourgogne.
-«Du samedi 29 aoust 1417. Ce jour après
-diner, la court fut assemblée en la chambre
-de parlement, de la chambre des enquestes
-et requestes du palais, pour avis et délibération
-sur ce qu’on avoit rapporté et exposé
-en ladite court, c’est à savoir que le roy
-avoit voulu et ordonné en son grant conseil
-<span class="pagenum" id="Page_419">419</span>
-pour maintenir la ville de Paris en plus grande
-seureté, paix et tranquillité, et autres causes,
-de faire partir et eslongner de ladite ville de
-Paris, pour aucun temps aucuns des conseillers
-et officiers de ladite court, nommez et escripts
-en certains rolle, sauf à eux, corps, honneurs,
-offices et biens quelconques, ou quel
-rolle estoient escripts et nommés messire J.
-de Longweul, G. Petit, G. de Sens, G. de
-Berze, G. de Celfoy, Guy de Gy, Estienne
-Genffroi, J. Boulard, Estienne Desportes,
-Jean Percieres, J. de Saint Romain, H. de
-Mavel, Philippe-le-Begue, conseillers du roy.
-<ins title="il faut peut-être lire «J. Hue»">Jhue</ins>, J. Milet, notaire, J. Dubois, greffier
-criminel, G. de Buymont, J. de Buymont,
-Therrat, procureurs, Carsemarc, huissier dudit
-parlement, sous ombre de ce qu’on les
-soupçonnoit d’estre favorables ou affectés au
-duc de Bourgogne, lequel on disoit venir et
-adresser son chemin pour venir à Paris accompagné
-de gens d’armes, contre les inhibitions
-et deffenses du roy, et finalement ladite cour,
-pour aller devers les gens du grant conseil et
-leur exposer et remontrer entre autres choses
-l’innocence desdits conseillers et officiers ci-dessus
-nommés, afin que ledit rolle au regard
-d’eux fust aboly et ne feussent contraints
-<span class="pagenum" id="Page_420">420</span>
-partir la ville de Paris, laquelle chose lesdits
-commissaires n’ont pu obtenir, jaçoit ce que
-les dessus nommez et chacun d’eux auroient
-lettres du roy, faisant mention que le roy
-envoye iceux conseillers et officiers dessus
-nommez et chacun d’eux à certaines parties
-de ce royaume pour certaines besongnes,
-touchant le fait du roy et de la court.» <cite class="rmn">Registres
-du parlement.</cite> Cette pièce se trouve
-dans le <cite class="rmn">recueil concernant la pairie par Lancelot,
-p. 698</cite>.</p>
-
-<p>Remarquez, je vous prie, avec quel art et
-quel ménagement on traite cette compagnie;
-ce qui est une nouvelle preuve du crédit qu’elle
-avoit acquis au milieu des divisions du règne
-de Charles VI. Remarquez encore que le parlement
-n’avoit point alors l’honneur de s’adresser
-directement au roi, et ne portoit ses
-plaintes ou ses remontrances qu’aux ministres.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_289" id="Footnote_289" href="#FNanchor_289"><span class="label">[289]</span></a>
-«Aussi desiroit (Louis XI) de tout
-son cœur de pouvoir mettre une grande police
-au royaume, et principalement sur la longueur
-des procès, et en ce passage vint brider cette
-cour de parlement, non point diminuant leur
-nombre ne leur authorité, mais il avoit à contre
-cœur plusieurs choses dont il les hayoit. <cite>Comines,
-L. 6 ch. 6.</cite>» Ce qui lui rendoit le
-<span class="pagenum" id="Page_421">421</span>
-parlement désagréable, c’étoit l’enrégistrement;
-il étoit choqué de se voir contraint
-d’envoyer à cette compagnie ses traités de
-paix, et de demander son approbation. «Et
-mesmement es dits de parlement, des comptes
-et des finances, que ces dites présentes ils
-vérifient et approuvent et les facent publier,
-&amp;c. Traité de Conflans, en forme de lettres-patentes
-du 5 octobre 1465, pour terminer la
-guerre du bien public.»</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_290" id="Footnote_290" href="#FNanchor_290"><span class="label">[290]</span></a>
-«Le roy vous défend que vous ne vous
-entremettiez en quelque façon que ce soit de
-l’estat, n’y d’autre chose que de la justice, et
-que vous preniez un chacun ces lettres en général
-de vostre pouvoir et délégation en la
-forme et maniere qu’il a esté cy devant fait.
-Pareillement vous défend et prohibe toute
-cour, jurisdiction et connoissance des matieres
-archiepiscopales, épiscopales et d’abbayes, et
-déclare que ce que attenterez au contraire soit
-de nul effet et valeur; et avec ce ledit seigneur
-a revoqué et revoque et déclare nulles toutes
-limitations que pourriez avoir faites au pouvoir
-et régence de madame sa mère... Ordonne que
-ce qui a esté enregistré en la dite cour contre
-l’autorité de la dite dame, sera apporté au dit
-seigneur dedans quinze jours pour le canceller,
-<span class="pagenum" id="Page_422">422</span>
-et de ce l’enjoint au greffier de la dite cour,
-sur peine de privation de son office... Semblablement
-le dit seigneur défend à la dite cour
-d’user cy après d’aucunes limitations, modifications,
-ou restrictions sur ses ordonnances,
-édits et chartes, mais où ils trouveroient qu’aucune
-chose y deust estre ajoutée ou diminuée
-au profit du dit seigneur ou de la chose
-publique, ils en avertiront le dit seigneur.
-D’autre part le dit seigneur vous dit et déclare
-que vous n’avez aucune jurisdiction ni
-pouvoir sur le chancelier de France, laquelle
-appartient audit seigneur et non à autre; et
-par ainsi tout ce que par vous a esté attenté
-à l’encontre de lui, il le déclare nul, comme
-fait par gens privez, non ayant jurisdiction sur
-luy, et vous a commandé et commande d’oster
-et canceller de vos registres tout ce que contre
-luy est fait, et enjoint audit greffier sur les
-peines que dessus, que dans le même temps
-il ait à rapporter les registres audit seigneur,
-canceller en ce qui touche le dit chancelier. Et
-d’autant que le dit seigneur a par chacun jour
-grosses plaintes et doléances de la justice mal
-administrée et des grands frais qu’il convient
-faire aux parties pour la recouvrer, et que ce
-jourd’huy lui avez fait dire que cela procede
-<span class="pagenum" id="Page_423">423</span>
-de ceux qui ont acheté leurs offices, et qui
-pour éviter frais, aucuns anciens reputez prudens
-la faisoient administrer en plusieurs lieuz,
-et a sçu le dit seigneur d’ailleurs, que les affinitez,
-lignages et grosses familiaritez de ceux
-qui sont es cours, causent les désordres: le
-dit seigneur à cette cause ordonnera que pour
-s’informer de tout, et après y pourveoir pour
-le bien de son royaume et descharge de sa
-conscience. Et veut et entend le dit seigneur
-que le présent édit soit enrégistré en son grand
-conseil et les cours de parlement. Edit du 24
-juillet 1527.» Cet édit fut publié en présence
-du roi dans son conseil, où les présidens et
-conseillers du parlement furent appelés.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_291" id="Footnote_291" href="#FNanchor_291"><span class="label">[291]</span></a>
-Voyez ce que j’ai dit dans les remarques
-du livre précédent au sujet de la cour des
-pairs, qui étoit distinguée du parlement avant
-le procès du duc d’Alençon.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_292" id="Footnote_292" href="#FNanchor_292"><span class="label">[292]</span></a>
-«Dans les dernieres années du regne
-de Louis XII, dit Mezeray, il arriva une chose
-qui sembla alors de très petite consequence,
-mais qui depuis a bien couté des millions aux
-sujets de l’état, et leur en coutera encore bien
-davantage. J’ai marqué dans le regne de Charles
-VIII, que le roy faisoit tous les ans un fonds
-de quelques six milles livres pour payer
-<span class="pagenum" id="Page_424">424</span>
-l’expédition des arrêts du parlement, afin que la
-justice se rendît tout à fait gratis. Un malheureux
-commis auquel on avoit donné ce
-fonds là, l’emporta et s’enfuit; le roi desiroit
-en faire un autre, mais comme il étoit fort
-pressé d’argent pour les grandes guerres qu’il
-avoit à soutenir, quelque flatteur luy fit entendre
-que les parties ne seroient point grevées
-de payer ces expéditions. En effet ils n’eurent
-pas d’abord grand sujet de s’en plaindre,
-parce qu’elle ne coutoient que six blancs
-ou trois sous la pièce; mais depuis, cette
-dépense s’est infiniment augmentée, et on
-ne peut pas dire sans étonnement jusqu’à
-quel point elle est montée aujourd’hui.</p>
-
-<p>«Je puis à ce propos marquer ici l’origine
-des épices, qui est une autre charge que les
-misérables plaideurs se sont imposée eux-mêmes.
-Quelque partie qui avoit obtenu un
-arrêt à son profit, s’étant avisée, pour remercier
-son rapporteur, de lui donner des boîtes de
-dragées et de confitures qu’alors on nommoit
-épices, un second, puis un troisième, un
-quatrième et plusieurs autres ensuite le voulurent
-imiter. Ces reconnoissances volontaires
-furent tirées à consequence, et devinrent
-un droit nécessaire; les juges crurent être
-<span class="pagenum" id="Page_425">425</span>
-bien fondés de les demander quand on ne
-les donnoit pas. Après ils les taxèrent, puis
-à la fin ils les convertirent en argent. Tant
-il est dangereux de faire réglément des
-présens à des personnes qui s’en peuvent
-faire un droit quand il leur plait.»</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_293" id="Footnote_293" href="#FNanchor_293"><span class="label">[293]</span></a>
-Le voile a été déchiré, par la révolution
-que la magistrature du royaume a éprouvée
-dans ces derniers temps. Le chancelier de
-Maupeou a rompu la chaîne des traditions de
-la doctrine et de l’ambition des parlemens. Il
-nous a fait connoître que ces compagnies n’avoient
-pas la force que nous leur attribuions.
-Il nous a fait sentir une grande vérité; que
-tout ordre de citoyens qui favorise le despotisme,
-dans l’espérance de le partager avec le
-prince, creuse un abyme sous ses pas, et assemble
-un orage sur sa tête. Nous voyons de
-la manière la plus claire ce que c’est aujourd’hui
-que l’enrégistrement. Si vous désirez que
-cette vaine formalité soit moins ridicule qu’elle
-ne l’est dans les mains des nouveaux magistrats,
-désirez que les offices ne soient pas
-donnés par la cour, et que le gouvernement
-se trouve forcé de faire de la vente des charges
-une affaire de finance. Alors les parlemens tâcheront
-de reprendre leur ancien esprit, et en
-<span class="pagenum" id="Page_426">426</span>
-faisant semblant de servir le public, ils se
-prépareront une seconde disgrace.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_294" id="Footnote_294" href="#FNanchor_294"><span class="label">[294]</span></a>
-Voyez <cite class="rmn">l’histoire de Thou, L. 13</cite>.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_295" id="Footnote_295" href="#FNanchor_295"><span class="label">[295]</span></a>
-Voyez encore <cite class="rmn">l’histoire de Thou, L. 35</cite>.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_296" id="Footnote_296" href="#FNanchor_296"><span class="label">[296]</span></a>
-Voyez l’<a href="#Footnote_278">avant-dernière remarque</a> du livre
-précédent. Dans le discours que le chancelier
-de l’Hôpital prononça au lit de justice tenu
-à Rouen à l’occasion de la majorité de Charles
-IX, il parla d’une ancienne erreur où sont les
-magistrats ou juges supérieurs, qui s’imaginent
-qu’il leur est permis d’éluder ou d’affoiblir les
-lois, sous prétexte de les interprêter ou de
-les appliquer avec plus de justice.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_297" id="Footnote_297" href="#FNanchor_297"><span class="label">[297]</span></a>
-«De par le roi. Nostre amé et féal
-pour aucunes causes qui nous meuvent, lesquelles
-nous vous dirons, nous voulons, vous
-mandons et commandons, que doresnavant,
-vous ne instituez, ne faciez ou souffrez recevoir
-et instituer, aucuns officiers quelsconques
-en notre cour de parlement, pour quelconque
-élection qu’icelle cour aye faite ou fasse, ne
-aussi en nos chambres des comptes et des
-generaux de la justice, pour quelconques
-retenues ou dons que ayons faicts. Car nous
-en retenons à nous toute l’ordonnance et disposition,
-et le faites sçavoir à nos gens de
-nos dites cours et chambres, afin que n’en
-<span class="pagenum" id="Page_427">427</span>
-puissent prétendre ignorance, et par eulx en
-vostre absence, et sous vostre sceu ne fasse
-au contraire.» <cite class="rmn">Lettres de Charles VII à son
-chancelier, du 2 mars 1437</cite>. Elles furent
-enrégistrées au parlement le 2 d’avril suivant.</p>
-
-<p>«Que doresnavant quant les lieuz de presidens
-et des autres gens de nostre parlement
-vacqueront, ceux qui y seront mis, soient
-prins et mis par élection, et que lors nostre
-dit chancelier aille en sa personne en nostre
-court de nostre dit parlement, duquel il soit
-faicte ladicte élection, et y soient prinses
-bonnes personnes, sages, lettrées, expertes et
-notables selon les lieuz où ils seront mis, afin
-qu’il y soit pourveu de teles personnes comme
-il appartient à tel siege, et sans aucune faveur
-ou acceptation de telles personnes.» <cite class="rmn">Ordon.
-du mois de janvier 1400, art. 18.</cite> Il est aisé
-de juger que la présence du chancelier ne
-pouvoit pas s’allier avec la liberté; c’étoit lui
-en effet qui décidoit de toutes les places. Ce
-qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que l’on
-continuoit à faire des ordonnances pour autoriser
-les élections dans le temps même que les
-offices de judicature se vendoient publiquement.</p>
-
-<p>«Avons à cette cause ordonné et ordonnons
-que doresnavant en faisant les dites élections
-<span class="pagenum" id="Page_428">428</span>
-et nominations des dits présidens et conseillers,
-iceux nos dits presidens et conseillers ainsi
-élisans et nommans, jureront sur les saints
-évangiles de Dieu es mains du premier président
-de la dite cour, ou autre qui en son
-absence présidera, d’élire sur son honneur et
-conscience, celui qu’il sçaura et connoîtra
-estre le plus lettré, expérimenté, utile et profitable
-pour les dits offices respectivement
-exercer au bien de justice et chose publique
-de nostre royaume.» <cite class="rmn">Ordon. de Blois en 1498,
-art. 31.</cite> La liberté que Louis XII voulut
-rendre au parlement venoit trop tard; on avoit
-déjà contracté l’habitude de faire un trafic des
-magistratures, et d’ailleurs, la cour étoit trop
-puissante pour que sa recommandation ne
-fût pas aussi dangereuse que la présence du
-chancelier.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_298" id="Footnote_298" href="#FNanchor_298"><span class="label">[298]</span></a>
-«Nous ordonnons que doresnavant
-aucun n’achette office de president, conseiller
-ou autre office en nostre dite cour, et semblablement
-d’autre office de judicature en nostre
-royaume, ne pour iceux avoir baillé, ne promettre,
-ne fasse bailler, ne promettre par lui
-ne autre, or, argent, ne chose équipolent, et
-de ce il soit tenu faire serment solemnel avant
-que d’estre institué et reçu, et s’il est trouvé
-<span class="pagenum" id="Page_429">429</span>
-avoir fait ou faisant le contraire, le privons et
-déboutons à présent du dit office, lequel déclarons
-impétrable.» (<cite>Ordon. de Charles VIII
-en juillet 1493, art. 68.</cite>)</p>
-
-<p>Par <cite class="rmn">l’ordonnance du mois d’avril 1453,
-art. 84</cite>, on voit que Charles VII se plaignoit
-déjà que les praticiens achetassent des protections
-à la cour pour obtenir des offices de
-judicature. Cet abus étoit trop étendu pour
-qu’on pût espérer d’y remédier, en condamnant
-les coupables à des amendes, et en les
-déclarant incapables de posséder aucun office
-royal.</p>
-
-<p>Cette corruption s’est conservée jusqu’au
-temps de la vénalité authentique des offices,
-et nous la verrons renaître, si l’ordre nouvellement
-établi par Maupeou peut subsister.
-Le 1 janvier 1560, dit Thou, <cite class="rmn">livre 24</cite>, François
-II fit un édit pour rétablir les élections
-des magistrats; ordonnant quand une place
-vaqueroit, qu’on lui proposeroit trois sujets
-dont il en choisiroit un; cette ordonnance,
-ajoute-t-il, fut depuis plusieurs fois renouvelée,
-et ne fut jamais exécutée, par l’ambition
-et la cupidité des courtisans qui tiroient
-de grosses sommes de la vente des offices, et
-qui, sous prétexte de remplir les coffres du
-<span class="pagenum" id="Page_430">430</span>
-roi, firent que, par des édits bursaux on augmenta
-à l’infini le nombre des juges. Ainsi,
-cet ordre illustre, qu’il importoit tant de conserver
-dans tout son éclat et dans sa dignité,
-pour contenir par là dans le devoir les autres
-ordres de l’état, commença à s’avilir peu à
-peu; des hommes indignes de leur place et
-sans mérite, parvinrent aux honneurs de la
-magistrature par leurs seules richesses et par
-la faveur des grands, dans la seule vue d’un
-intérêt bas et sordide.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_299" id="Footnote_299" href="#FNanchor_299"><span class="label">[299]</span></a>
-Voyez le recueil des œuvres du chancelier
-de l’Hôpital, ou l’histoire de Thou,
-liv. 25.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_300" id="Footnote_300" href="#FNanchor_300"><span class="label">[300]</span></a>
-«Le peuple, qui entend la division
-qu’il y a entre la dite cour et vostre conseil,
-se rend plus difficile à vous rendre l’obéissance
-qu’il doit. Je passerai plus outre, que
-la cour en ses remontrances use bien souvent
-de cette clause qui peut estre cause de beaucoup
-de maux.</p>
-
-<p>«La cour ne peut ny doit, selon leur conscience
-enteriner ce qui lui a esté mandé; et
-avec le même respect je proteste, comme j’ai
-jà fait, de ne vouloir parler de cette compagnie
-qu’avec honneur, je dis, sire, que de ces
-paroles en avient souvent de grands inconvéniens.
-<span class="pagenum" id="Page_431">431</span>
-Le premier est, que comme le peuple
-entend que messieurs de la cour sont pressés
-si avant par vostre autorité, qu’ils sont constraints
-de recourir au devoir de leurs consciences,
-il fait sinistre jugement de la vostre,
-et de ceux qui vous conseillent, qui est un
-grand aiguillon pour les acheminer à une rebellion
-et désobéissance: le second inconvenient
-est qu’il avient souvent que ces messieurs,
-après avoir usé de ces mots si severes et rigoureux,
-peu de temps après, comme s’ils avoient
-oublié le devoir de leurs consciences, passent
-outre et accordent ce qu’ils avoient refusé: et
-par expérience il vous souvient, sire, qu’il y
-a environ deux ans, qu’ils refusèrent par deux
-fois vos lettres-patentes sur les facultés de monsieur
-le cardinal de Ferrare, usant toujours de
-ces mots: nous ne pouvons ne devons selon
-nos consciences; et toute fois deux mois après
-sur une lettre missive en une matinée, ils reçurent
-et approuverent les dites facultez qu’ils
-avoient refusées avec tant d’opiniâtreté. Je
-demanderois volontiers ce que deviennent lors
-leurs consciences. Ce qui me fait dire, et les
-prie, sire, en vostre presence, qu’ils soient
-désormais plus retenus à user de telles clauses,
-et considérer que s’ils demeurent en leurs
-<span class="pagenum" id="Page_432">432</span>
-opinions, ils font grand tort à vostre majesté;
-s’ils changent, ils donnent à mal penser à beaucoup
-de gens de leurs consciences.»</p>
-
-<p>Dans ces derniers temps, le parlement a
-souvent dit, dans ses remontrances, qu’il a
-manqué à son devoir en enregistrant tel édit
-ou telles lettres-patentes, et qu’il ne l’a fait
-que pour donner des preuves de son amour et
-de son respect pour le roi. Quel étrange langage
-pour des magistrats! En avouant que
-quelque chose leur est plus précieux que la
-justice, ne se décrient-ils pas auprès du
-public?</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_301" id="Footnote_301" href="#FNanchor_301"><span class="label">[301]</span></a>
-On a vu, dans la <a href="#Footnote_279">dernière remarque</a>
-du livre précédent, deux articles de l’ordonnance
-de Blois en 1498, par laquelle Louis
-XII avoit tâché de réprimer la tyrannie des
-seigneurs. Je vais prouver, par des pièces,
-que cet esprit subsiste.</p>
-
-<p>«Comme depuis nostre avenement à la
-couronne, nous ayant esté faites plusieurs et
-diverses plaintes du peu de reverence que
-beaucoup de nos sujets ont aux arrests de
-nos cours souveraines, et autres jugemens
-donnez en cas de crimes, tellement que la
-plupart desdits arrests, sentences et jugemens
-demeurent inexecutez et illusoires, ce qui
-<span class="pagenum" id="Page_433">433</span>
-avient pour ce que ceux qui par lesdits arrests,
-sentences et jugemens sont condamnés au supplice
-de mort, ou autre grande peine corporelle,
-ou bien bannis de nostre royaume, et
-leurs biens confisqués, n’estant pas comparus
-aux assignations qui leur ont été baillées, et
-n’ayant pu estre pris prisonniers, tiennent fort
-en leurs maisons et biens, là où après lesdits
-arrests, sentences et jugemens, ils ne devroient
-trouver lieu de refuge, ni de sûr accès en
-cettuy nostre royaume, sont reçus, recueillis
-et favorisez de leurs parens, amis ou autres
-personnes qui les reçoivent et latitent au grand
-mepris et contemnement de nous et de notre
-dite justice, dont il advient plusieurs meurtres
-et autres grands inconveniens, tant pour l’observation
-de nostre dite justice, que pour le
-repos public et general de tous nos sujets,
-lesquels sans l’obeissance et reverence de
-nostre dite justice, ne pourroient estre longuement
-entretenus en union et tranquillité.
-Pour ce estoit, que nous après avoir mis cette
-affaire en délibération avec les princes de
-nostre sang et gens de nostre conseil privé,
-estans les nous: avons par leur avis, dit, statué
-et ordonné, et par la teneur de ces dites
-presentes, disons, statuons, voulons et ordonnons
-<span class="pagenum" id="Page_434">434</span>
-que doresnavant quand il y aura aucun
-de nos sujets condamné, soit par defauts, coutumaces
-ou autrement, au supplice de mort,
-ou autres grandes peines corporelles, ou bannis
-de nostre dit royaume et leurs biens confisqués,
-nos autres sujets, soient leurs parens
-ou autres, ne les pourront recueillir, recevoir,
-cacher ni latiter en leurs maisons; mais seront
-tenus s’ils se retirent devers eux, de s’en saisir
-pour les représenter à la justice afin d’ester à
-droit, autrement en défaut de ce faire, nous
-voulons et entendons qu’ils soient tenus pour
-coupables, et consentans des crimes dont les
-autres auront esté chargés, condamnés et
-punis comme leurs alliez et complices, de la
-mesme peine qu’eux, davantage à ceux qui
-viendront relever à justice lesdits receptateurs,
-nos officiers en procédant à l’encontre
-d’eux sur le fait du dit recelement, adjugent
-aux dits revelateurs par même jugement la
-moitié des amendes et confiscations esquelles
-lis auront condamné lesdits receptateurs; et
-quant à ceux desdits condamnés qui après lesdits
-arrests, sentences et jugemens donnez à
-l’encontre d’eux, ne voudront obéir aux exécuteurs
-d’iceux, et tienront fort en leurs maisons
-et châteaux contre les gens et ministres
-<span class="pagenum" id="Page_435">435</span>
-de nostre dite justice, nous voulons et entendons
-que lorsqu’il sera apparu de ladite rebellion,
-les baillifs et seneschaux, au ressort
-desquels seront assis lesdites maisons et châteaux,
-assemblent ban et arriere ban, prévosts
-des mareschaux et les communes; et s’ils ne
-sont assez forts, que les mareschaux de France
-et gouverneurs des provinces à la premiere
-sommation et requeste qui leur en sera faite,
-et leur faisant apparoir de ladite rebellion,
-comme dessus est dit, assemblent davantage
-les gens de nos ordonnances, et si besoin est,
-fassent sortir le canon pour faire mettre en
-exécution lesdits arrests, sentences et jugemens,
-et fassent telle ouverture des dites maisons
-et châteaux, que la force nous en demeure.
-Voulons qu’en signe de ladite rebellion, outre
-la punition qui sera faite suivant nos édits, de
-tous ceux qui se trouveront dans lesdites maisons
-et châteaux avoir adhéré aux dits rebelles,
-ils fassent démolir, abattre, raser icelles maisons
-et châteaux sans qu’ils puissent estre puis
-après restablis ni réédifiez, si ce n’est par
-nostre congé et permission.» (<cite>Ord. de François
-II, du 17 décembre 1559.</cite>)</p>
-
-<p>«Sur la remontrance et plainte faite par les
-députez du tiers état, contre aucuns seigneurs
-<span class="pagenum" id="Page_436">436</span>
-de nostre royaume, de plusieurs extorsions,
-corvées, contributions et autres semblables
-exactions et charges indues, nous enjoignons
-très-expressement à nos juges de faire leur
-devoir et administrer justice à tous nos sujets,
-sans exception de personnes de quelque autorité
-et qualité qu’ils soient, et à nos avocats
-et procureurs y tenir la main et ne permettre
-que nos pauvres sujets soient travaillez et opprimez
-par la puissance de leurs seigneurs
-feodaux, censiers et autres, auxquels defendons
-intimider ou menacer leurs sujets et redevables,
-leur enjoignons se porter envers eux
-moderement et poursuivre leurs droits par les
-voyes ordinaires de justice, et avons dès a
-présent révoqué toutes lettres de commission
-et délégation accordées et expédiées ci-devant
-à plusieurs seigneurs de ce royaume, à quelques
-juges qu’elles aient esté adressées, pour
-juger en souveraineté les procès intentés pour
-raison des droits d’usage, paturage, et autres
-prétendus, tant par les dits seigneurs que pour
-leurs sujets, manans, et habitans des lieux et
-renvoyé la connoissance et jugement des dits
-procès à nos baillifs et séneschaux ou à leurs
-lieutenans, et par appel à nos cours de parlement
-chacun en son rapport.» (<cite>Ordon. de
-<span class="pagenum" id="Page_437">437</span>
-Charles IX, en janvier 1560, en conséquence des
-états-généraux tenus à Orléans, art. 106.</cite>)</p>
-
-<p>«Entendons toutefois maintenir les gentilshommes
-en leurs droits de chasses à grosses
-bestes, es terres où ils ont droit, pourvu que
-ce soit sans le dommage d’autrui, même du
-laboureur. (<cite>Ibid. art. 108.</cite>)</p>
-
-<p>Parce qu’aucuns abusans de la faveur de nos
-prédécesseurs par importunité ou plustost subrepticement
-ont obtenu quelques fois des
-lettres de cachet et closes ou patentes, en
-vertu desquelles ils ont fait sequestrer des filles
-et icelles épousé et fait épouser contre le gré
-et vouloir des pères, mères et parens, tuteurs
-ou curateurs, chose digne de punition exemplaire;
-enjoignons à tous juges procéder
-extraordinairement et comme un crime de rapt,
-contre les impetrans et ceux qui s’aideront de
-telles lettres, sans avoir aucun égard à icelles.
-(<cite>Ibid. art. 111.</cite>)</p>
-
-<p>Parce que plusieurs habitans de nos villes,
-fermiers et laboureurs se plaignent souvent des
-torts et griefs des gens et serviteurs des princes,
-seigneurs ou autres qui sont à nostre suite,
-lesquels exigent d’eux des sommes de deniers
-pour les exempter de logis, et ne veulent payer
-qu’à discrétion: enjoignons aux prevosts de
-<span class="pagenum" id="Page_438">438</span>
-nostre hostel et juges ordinaires des lieux,
-proceder sommairement par prévention et concurrence
-à la punition des dites exactions et
-fautes, à peine de s’en prendre à eux. (<cite>Ibid.
-art. 116.</cite>)</p>
-
-<p>Défendons à tous capitaines de charrois,
-tant de nos munitions de guerres ou artillerie,
-qu’autres nos officiers, et de ceux de nostre
-suite, prendre les chevaux des fermiers et laboureurs,
-si ce n’est de leur vouloir, de gré
-à gré, et en payant les journées, à peine de la
-hard. (<cite>Ibid. art. 117.</cite>)</p>
-
-<p>Défendons aussi à tous pourvoyeurs et sommeliers
-d’arrester ou marquer plus grande
-quantité qu’il ne leur faut, ni de prendre des
-bourgeois des villes, laboureurs et autres
-personnes, vin, bled, foin, avoine et autre
-provision sans payer, ou faire incontinent arrester
-le prix aux bureaux des maistres d’hostel,
-ni autrement abuser en leurs charges, à peine
-d’estre à l’instant cassez et de plus grande punition
-s’il y échet, aux quels maistres d’hostel
-enjoignons payer ou faire payer huit jours après
-le prix arresté. (<cite>Ibid. art. 118.</cite>)</p>
-
-<p>Sur la plainte des députez du tiers-état,
-avons ordonné qu’il sera informé à la requeste
-de ceux qui le requerront, contre toutes
-<span class="pagenum" id="Page_439">439</span>
-personnes, qui sans commission valable, ont levé
-ou fait lever deniers sur nos sujets, soit par
-forme d’emprunts, cottisations particulieres
-ou autrement, sans avoir baillé quittance, et
-d’iceux rendront compte, pour l’information
-vue en nostre conseil privé, y estre pourvu
-comme appartiendra par raison. (<cite>Ibid. art.
-130.</cite>)</p>
-
-<p>Avons déclaré que les dits gouverneurs (des
-provinces) ne peuvent et leurs deffendons
-donner aucunes lettres de grace, de remission
-et pardon, foires, marchez et légitimation, et
-autres semblables, d’évoquer les causes pendantes
-par devers les juges ordinaires, et leur
-interdire la connoissance d’icelles, s’entremettre
-aucunement du fait de la justice. (<cite>Ordon.
-de Moulins, en février 1566, art. 22.</cite>)</p>
-
-<p>Parce qu’à nous seul appartient lever deniers
-en nostre royaume, et que faire autrement,
-seroit entreprendre sur nostre autorité et
-majesté, deffendons très expressément à tous
-nos gouverneurs, baillifs, séneschaux, trésoriers
-et généraux de nos finances, et autres
-quelconques nos officiers, d’entreprendre de
-lever ou faire lever aucuns deniers en nos
-pays, terres et seigneuries, et sur les sujets
-d’icelles, quelque autorité qu’ils ayent, ou
-<span class="pagenum" id="Page_440">440</span>
-pour quelque cause que ce soit, ne permettre
-qu’aucuns en lèvent, soit en particulier ou
-de communauté, sinon qu’ils ayent nos lettres
-patentes précises et expresses pour cet effet.
-(<cite>Ibid. art. 23.</cite>)</p>
-
-<p>Ceux qui tiendront fort en leurs maisons
-et chasteaux contre nostre justice et décrets
-d’icelle, et n’obéiront aux commandemens
-qui leur seront faits, confisqueront leurs dites
-places à nostre profit, ou des hauts justiciers
-à qui il appartiendra, soit en pays où confiscation
-a lieu, soit en autre: sauf si pour
-certaines grandes causes est ordonné par nous
-ou justice que les dites maisons et chasteaux
-seront demolies et rasez pour exemple.» (<cite>Ibid.
-art. 29.</cite>)</p>
-
-<p>Dans l’ordonnance donnée à Paris, au mois
-de mai 1579, sur les plaintes des états-généraux
-assemblés à Blois, on trouve dans les
-articles 274 et 275 les mêmes dispositions que
-dans l’ordonnance de Moulins, que je viens
-de rapporter, art. 22 et 23.</p>
-
-<p>«Deffendons à tous seigneurs et autres,
-de quelque état et qualité qu’ils soient, d’exiger,
-prendre ou permettre estre pris, ou exigé sur
-leurs terres et sur leurs hommes ou autres,
-aucunes exactions indues, par forme de taille,
-<span class="pagenum" id="Page_441">441</span>
-aydes, crues, ou autrement, et sous quelque
-couleur que ce soit ou puisse estre, sinon es
-cas des quels les sujets et autres seront tenus
-et redevables de droit, où ils peuvent estre
-contraints par justice, et ce sur peine d’estre
-punis selon la rigueur de nos ordonnances,
-sans que les peines portées par icelles puissent
-estre moderées par nos juges.» (<cite>Ordon. de
-may 1579, art. 280.</cite>)</p>
-
-<p>«Défendons aussi à tous gentilshommes
-et seigneurs de contraindre leurs sujets et
-autres à bailler leurs filles, nièces ou pupilles
-en mariage à leurs serviteurs ou autres, contre
-la volonté et liberté qui doit estre en tels contrats,
-sur peine d’estre privez du droit de
-noblesse et punis comme coupables de rapt,
-ce que semblablement nous voulons aux
-mesmes peines estre observé contre ceux qui
-abusent de notre faveur par importunité,
-ou plustost subrepticements ont obtenu et
-obtiennent de nous lettres de cachet, closes
-ou patentes en vertu desquelles ils font enlever
-et sequestrer filles, icelles épousent et
-font épouser contre le gré et vouloir du pere,
-mere, parens, tuteurs et curateurs.» (<cite>Ibid.
-art. 281.</cite>)</p>
-
-<p>«Abolissons et interdisons tous péages de
-<span class="pagenum" id="Page_442">442</span>
-travers nouvellement introduits, et qui ne sont
-fondés en titre ou possession légitime; et
-seront ceux à qui lesdits droits de péages
-appartiennent, tenus entretenir en bonne et
-due reparation les ponts, chemins et passages,
-et garder les ordonnances qui ont été faites
-par les rois nos prédécesseurs, tant pour la
-forme du payement des dits droits en deniers,
-que pour l’affiche ou entretennement d’un
-tableau ou pancarte: le tout sur les peines
-portées par lesdites ordonnances, et de plus
-grièves, s’il y echet.» (<cite>Ibid. art. 282.</cite>)</p>
-
-<p>«Pour les continuelles plaintes que nous
-avons de plusieurs seigneurs, gentilshommes
-et autres de nostre royaume qui ont travaillé
-et travaillent leurs sujets et habitans du plat
-pays où ils font résidences, par contributions
-de deniers ou grains, corvées ou autres semblables
-exactions indues, mesme sous la crainte
-des logemens des gens de guerre, et mauvais
-traitement qu’ils leur font ou font faire par
-leurs agens et serviteurs: enjoignons à nos
-baillifs et seneschaux tenir la main à ce qu’aucun
-de nos dits sujets soient travaillez ni
-opprimez par la puissance et violence des
-seigneurs, gentilshommes ou autres.» (<cite>Ibid.
-art. 283.</cite>)</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_443">443</span>
-«Défendons à tous sommeliers et pourvoyeurs
-tant nostres qu’autres, d’enlever aucuns
-bleds, vins, et autres vivres sur nos
-sujets sans payer comptant ce qu’ils enlèveront.»
-(<cite>Ibid. art. 326.</cite>)</p>
-
-<p>«Sur la plainte à nous faite par lesdits
-ecclésiastiques que pour les ports d’armes,
-forces et violences qu’aucuns de nos sujets
-commettent, sont tellement redoutez, que les
-sergens n’osent approcher et n’ont sûr accès
-en leurs maisons pour leur donner des assignations
-requises en telles poursuites; avons
-ordonné et ordonnons que toutes personnes
-ayans seigneuries ou maisons fortes, et autres
-de difficile accès, demeurans hors des villes,
-seront tenus élire domicile en la prochaine
-ville royale de leur demeure et résidence ordinaire;
-et quant aux assignations et significations,
-sommations, commandemens et exploits,
-qui seront faits aux dits domiciles élus, vaudront
-et seront de tel effet et valeur, comme
-si faits estoient à leurs propres personnes, en
-baillant audit domicile eslu delay competant,
-selon la distance des lieux, pour leur faire
-sçavoir lesdits exploits, qui seront faits à l’un
-des officiers, baillifs, presvosts, lieutenans,
-procureurs fiscaux, greffiers, fermiers ou
-<span class="pagenum" id="Page_444">444</span>
-receveurs et domestiques; et seront de tel effet
-et valeur, comme s’ils étoient faits à leurs
-propres personnes ou domiciles; et en matière
-criminelle, au défaut de ladite élection, permettons
-iceux faire ajourner à son de trompe
-et cri public, en la plus prochaine ville royale
-de leur demeure.» (<cite>Ordonn. de février 1580,
-art. 32.</cite>)</p>
-
-<p>Voilà une longue suite d’ordonnances qui
-prouve invinciblement avec quelle force les
-abus nés pendant la licence des fiefs étoient
-enracinés dans les esprits: on feroit un volume
-de réflexions sur les articles qu’on vient de
-lire. Combien les citoyens n’étoient-ils pas
-divisés? Pourquoi s’étoient-ils faits des intérêts
-contraires? Que notre législation étoit
-grossière! Le conseil mal-habile du roi croyoit
-qu’il suffisoit de publier une ordonnance et de
-faire des menaces pour remédier à un abus.
-Je me contenterai d’observer que les autorités
-que je viens de rapporter dans cette
-remarque, servent à confirmer plusieurs autres
-points de notre histoire, dont j’ai parlé dans
-mon ouvrage. Je prie encore le lecteur d’examiner
-avec soin, si les Français, en conservant
-tant de vices, tant d’abus et tant de
-préjugés de leur ancien gouvernement féodal,
-<span class="pagenum" id="Page_445">445</span>
-tandis que le roi se servoit si mal de sa puissance
-législative, n’étoient pas fortement invités
-à se cantonner encore dans leurs terres ou
-dans les provinces qu’ils gouvernoient tyranniquement.
-On retrouve sous les fils de Henri II
-les mêmes vices, les mêmes erreurs, la même
-foiblesse qui formèrent le gouvernement féodal
-sous les rois de la seconde race.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_302" id="Footnote_302" href="#FNanchor_302"><span class="label">[302]</span></a>
-Ce n’est qu’en 1644 que les magistrats
-du parlement acquirent une noblesse qu’ils
-transmirent à leurs descendans. Jusqu’alors ils
-n’avoient joui que d’une noblesse personnelle,
-ou des priviléges de la noblesse, tels que
-sont ceux qu’on accorde aux roturiers qui
-possèdent aujourd’hui quelque charge à la
-cour. «Nous avons maintenu et gardé, maintenons
-et gardons les officiers de nos dites
-cours, dans leurs anciens priviléges, prérogatives
-et immunités attribués à leurs dites
-charges, sans toutefois qu’eux ni leurs descendans
-puissent jouir des priviléges de noblesse
-et autres droits, franchises, exemptions et
-immunitez à eux accordez par des édits et
-déclarations pendant et depuis l’année 1644,
-que nous avons revoquez et annullez, revoquons
-et annullons par ces présentes; ensemble
-toutes autres concessions de noblesse,
-<span class="pagenum" id="Page_446">446</span>
-priviléges, exemptions et droits, de quelque
-nature et qualité qu’ils puissent être, accordez
-en conséquence, aux officiers servans dans lesdites
-compagnies que nous avons pareillement
-déclarez nuls et de nul effet. Voulons qu’en
-conséquence de la révocation des dits priviléges,
-tous lesdits officiers, de quelque ordre
-et qualité qu’ils puissent être, soient retenus
-et rétablis au même et semblable état qu’ils
-étoient auparavant les édits, déclarations,
-arrests et réglemens intervenus pour raison
-de ce, pendant et depuis l’année 1644; sans
-qu’eux ni leurs descendans puissent directement
-ni indirectement user ni se prévaloir
-du bénéfice d’iceux, qui seront censés nuls,
-de nul effet et comme non avenus.» Edit
-donné en août 1669.</p>
-
-<p>Louis XIV se ressouvenoit de la guerre de
-la Fronde. En 1690, il rétablit les priviléges
-accordés au parlement en 1644. Je ne retrouve
-point dans mes papiers la note que j’avois faite
-de cet édit de 1690. Mais, ce qui revient au
-même, je rapporterai ici la <cite class="rmn">déclaration du 29
-juin 1704</cite>, en faveur des substituts du procureur-général.
-«Nous avons, par notre édit du
-mois de novembre 1690, déclaré et ordonné
-que les présidens, conseillers, nos avocats
-<span class="pagenum" id="Page_447">447</span>
-et procureurs-généraux de notre cour de parlement
-de Paris, premier et principal commis
-au greffe civil d’icelle alors pourvus, et qui
-le seroient cy-après, lesquels ne seroient pas
-issus de noble race, ensemble leurs veuves
-demeurant en viduité, et leurs enfans et descendans,
-tant mâles que femelles, nez et à
-naître en légitime mariage, seroient réputez
-nobles, et comme tels jouiroient des droits,
-priviléges, rangs et prééminences dont jouissent
-les autres nobles, etc. Nous avons déclaré et
-ordonné, déclarons et ordonnons, voulons et
-nous plaît que nos dits conseillers substituts
-de notre procureur-général au parlement de
-Paris, soient et demeurent compris et aggrégez
-au nombre des officiers de la dite cour, dénommez
-et compris en notre édit du mois de
-novembre 1690. Voulons, etc.» (<cite>Déclaration
-du 29 juin 1704</cite>).</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_303" id="Footnote_303" href="#FNanchor_303"><span class="label">[303]</span></a>
-Avant que de rapporter le discours du
-président de Saint-André, le lecteur ne sera
-pas fâché de lire ici la harangue du chancelier
-de l’Hôpital, telle qu’on la trouve dans les
-<cite class="rmn">mémoires de Condé, tome 2, p. 529</cite>.</p>
-
-<p>«L’estat du parlement est de juger les
-différends des subjects et leur administrer la
-justice. Les deux principales parties d’un
-<span class="pagenum" id="Page_448">448</span>
-royaume sont que les ungs le conservent
-avec les armes et forces; les autres l’aydent
-de conseil, qui est divisé en deux. Les ungs
-advisent et pourvoyent au faict de l’estat et
-police du royaume; les autres jugent les différends
-des subjects, comme ceste court qui
-en a l’auctorité presque par tout le royaume.
-Ceux du conseil privé manient les affaires de
-l’estat par les lois politiques et autres moyens.
-Aultre prudence est nécessaire à faire les lois
-que à juger les différends. Cellui qui juge les
-procès, est circonscript de personnes et de
-temps et ne doit excéder cette raison. Le
-législateur n’est pas circonscript de temps et
-personnes; ains doit regarder <i lang="la" xml:lang="la">ad id quod pluribus
-prodest</i>; oresque à aucuns semble qu’il
-fasse tort, et est comme cellui qui est <i lang="la" xml:lang="la">in specula</i>
-pour la conservation de l’universel, et
-ferme l’œil au dommaige d’un particulier. Le
-dict parce que tous les jours viennent plainctes
-qui font parler les gens de cette disconvenance
-du conseil du roi et du dict parlement. Les
-édicts qui sont advisez par le conseil sont
-envoyez à la court, comme l’on a accoustumé
-de toujours; et les rois luy en ont voulu
-donner la connoissance et délibération, pour
-user de remontrances quand ils trouvent qu’il
-<span class="pagenum" id="Page_449">449</span>
-y a quelque chose à monstrer. Les remontrances
-ont toujours esté bien reçeues par les
-roys et leur conseil; mais quelque fois ont
-passé l’office de juge; et ce parlement qui
-est le premier et plus excellent de tous les
-autres, y deust mieulx regarder; et toutes
-fois est advenu que en déliberant sur les édicts,
-il a tranché du tout ou en partie; et après
-avoir faict remontrances et en la volonté du
-roy, a faict li contraire. Aucuns cuident,
-comme lui, que cela se faict de bon zèle;
-autres pensent que la cour oultrepasse sa puissance.
-Quand les remontrances d’icelle sont
-bonnes, le roy et son conseil les suivent et
-changent les édits, dont la cour se deust
-contenter, et en cest endroit cognoistre son
-estat envers ses supérieurs.»</p>
-
-<p>Le président de Saint-André répondit. «N’a
-point entendu que quant y a eu édicts du dict
-seigneur presentés à icelle, elle y ait faict
-aucune désobéissance; mais les roys très-chrétiens
-voulans que leurs lois fussent digerées
-en grandes assemblées, afin qu’elles
-fussent justes, utiles, possibles et raisonnables,
-qui sont les vrayes qualitez des bonnes
-lois et constitutions, après les avoir faictes, les
-ont envoyées à la dicte court, pour cognoistre
-<span class="pagenum" id="Page_450">450</span>
-si elles estoient telles. Quand la dicte court les
-a trouvées autres; en a faict remontrance, qui
-a esté suivre la volonté des roys et non rompeure
-des lois, lesquelles ne servent de rien,
-si elles ne sont que escriptes: car leur force
-est en l’exécution, et chacun sçait qu’elle n’y
-est pas et qu’elle est plus nécessaire en ce
-temps qu’elle ne le fut oncques..... Vray est
-que cy-devant aucuns édicts ont esté envoyez
-ceans n’appartenans en rien à l’auctorité de
-la court; mais semble que ce ayt esté pour une
-autorisation: comme ceulx qui concernent les
-aydes, gabelles et subsides, dont la dicte court
-ne s’est jamais meslée, ains de domaine seulement,
-et toutes fois pour obéir, n’a laissé de
-les faire publier avec la limitation <i lang="la" xml:lang="la">in quantum
-tangit domanium</i>, dont la connoissance lui
-appartient.»</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_304" id="Footnote_304" href="#FNanchor_304"><span class="label">[304]</span></a>
-Voyez la <a href="#Footnote_287">remarque 287</a> du chapitre précédent.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_305" id="Footnote_305" href="#FNanchor_305"><span class="label">[305]</span></a>
-Cette assemblée se tint le 6 janvier
-1558, au palais, dans la chambre de S. Louis.
-Après que Henri II y eut prononcé un discours
-relatif aux malheureuses circonstances dans
-lesquelles se trouvoit le royaume, le cardinal
-de Lorraine prit la parole et promit au nom
-du clergé de puissans secours d’argent. Le duc
-<span class="pagenum" id="Page_451">451</span>
-de Nevers, qui parla pour la noblesse, assura
-qu’elle étoit prête à prodiguer son sang et ses
-biens pour la gloire du roi. Jean de Saint-André,
-à genoux, remercia le roi au nom du parlement
-et de toutes les cours supérieures, d’avoir
-bien voulu former entre la noblesse et le tiers-état
-un ordre particulier en faveur des magistrats:
-il offrit la vie et les biens de ceux
-pour qui il parloit. André Guillard du Mortier
-montra le même zèle en portant la parole pour
-le tiers-état. (<cite>Voyez l’histoire de Thou, l. 9.</cite>)</p>
-
-<p>La vanité du parlement, si content en 1558
-de n’être plus compris dans l’ordre de la bourgeoisie,
-fit des progrès rapides; et dans l’assemblée
-des notables, tenue à Paris en 1626, il ne
-voulut plus souffrir qu’il y eût de distinction
-entre l’ordre de la magistrature et ceux du
-clergé et de la noblesse. Nous avons une relation
-de cette assemblée par le procureur-général
-du parlement de Navarre, et je vais en
-rapporter un morceau tel qu’on le trouve dans
-le cérémonial français, par Mrs. Godefroy,
-p. 402.</p>
-
-<p>«J’ay remarqué cy-dessus, dit l’historien,
-qu’après les discours faits à l’ouverture de
-l’assemblée, le garde des sceaux avoit comme
-en passant dit, que la volonté du roy étoit
-<span class="pagenum" id="Page_452">452</span>
-que sur les propositions la dite assemblée opinât
-par corps et non par têtes. L’effet de cette
-déclaration parut à la première séance, ou
-Monseigneur frère du roy, ayant fait opiner par
-têtes, et après commandé au greffier de lire les
-opinions, le dit greffier lut les avis par corps,
-disant: Mrs. du clergé sont d’un tel avis;
-Mrs. de la noblesse d’un tel, et Mrs. les
-officiers d’un tel. Sur quoi Mrs. les officiers,
-par la bouche de M. le premier président
-de Paris, remontrèrent à mondit seigneur,
-qu’outre que cette façon de recueillir les voix
-étoit préjudiciable, voire honteuse aux officiers,
-entant que par ce moyen on les distinguoit du
-clergé et de la noblesse, pour les jeter dans
-un tiers-état et plus bas ordre, elle étoit nouvelle
-et contraire aux usages pratiqués ès assemblées
-de cette nature, protestans n’y vouloir
-consentir. A quoi mondit seigneur répondit
-avoir commandement de sa majesté d’en user
-ainsi; mais qu’ils pouvoient avoir recours à
-elle et lui faire leurs très-humbles remontrances.</p>
-
-<p>Le lendemain les dits officiers étant allez
-trouver sa majesté au Louvre, lui représentèrent
-par la bouche du premier président
-de Paris, le préjudice et la honte que ce leur
-<span class="pagenum" id="Page_453">453</span>
-seroit d’opiner par corps, puisque représentans
-les cours de parlemens et autres compagnies
-souveraines, composées de tous les
-trois ordres du royaume, ils se verroient
-néanmoins réduits au plus bas, et à représenter
-le tiers-ordre séparé de ceux du clergé
-et de la noblesse, lesquels n’avoient à présent
-sujet de se distinguer d’eux, puisque
-toujours ils ont réputé à honneur de pouvoir
-être reçus à opiner avec eux dans les dites
-compagnies. Que la vocation qu’eux tous
-avoient en ladite assemblée étoit différente,
-en ce que ceux du clergé et de la noblesse
-y sont appellez par la volonté et faveur particulière
-du roi, qui en cela avoit voulu reconnoître
-le mérite d’un chacun d’eux; mais que
-les premiers présidens et procureurs généraux
-y étoient appellez par les lois de l’état, suivies
-de la volonté de sa majesté pour y représenter
-toute sa justice souveraine: qu’ès assemblées
-des notables comme celle-cy, faites sous les
-rois ses prédécesseurs, même en celle de
-Rouen convoquée par sa majesté en 1617, les
-dits officiers avoient opiné avec MM. du
-clergé et de la noblesse, ensemblement par
-têtes, sans aucune distinction ni différence
-d’ordres, dont la séparation seroit d’ailleurs
-<span class="pagenum" id="Page_454">454</span>
-suivie de plusieurs difficultés, à cause des
-divers présidens qu’il faudroit établir, chaque
-corps désirant l’honneur d’être présidé par
-monseigneur, et même de grandes longueurs
-pour ce que toujours après avoir opiné séparément,
-il faudroit s’assembler pour conférer
-les avis et en former un général sur chaque
-proposition.»</p>
-
-<p>«Sur quoi sa majesté prononça qu’on opineroit
-par têtes et ensemblement, se réservant
-à elle de faire opiner par corps où il écherroit
-des difficultez. Neantmoins à la premiere
-séance après, le premier président de Paris
-absent, sur la proposition qui fut faite, monseigneur
-demanda les avis à MM. du clergé,
-qui tous les portèrent à l’oreille de M. le cardinal
-de la Valette; et après MM. de la
-noblesse, lesquels le dirent à l’oreille de M. le
-maréchal de la Force; lesquels sieurs cardinal
-et maréchal de la Force les rapportèrent,
-disans; l’avis du clergé est tel, et
-celui de la noblesse tel. Et mon dit seigneur
-ayant demandé les avis aux officiers, M. le
-second président de Paris ayant fait le sien,
-M. du Mazurier, premier président de Toulouze,
-protesta ne vouloir opiner, puisque
-contre l’intention de sa majesté, on opinoit
-<span class="pagenum" id="Page_455">455</span>
-par corps; et mon dit seigneur luy ayant dit
-qu’il avoit ordre du roy d’en user ainsi, le
-dit sieur Mazurier, et avec lui plusieurs des
-dits officiers, se levèrent pour sortir, mais
-par le commandement exprès et réitéré de
-mon dit seigneur, ils se rassirent, protestans
-de recourir à sa majesté, laquelle étoit ce
-jour-là allée prendre le plaisir de la chasse
-à Versaille.</p>
-
-<p>«Le même jour les dits officiers s’étant
-assemblez chez le premier président de Paris,
-résolurent de faire leurs plaintes à sa majesté,
-à son retour de Versaille, et de ne se trouver
-point cependant à l’assemblée; ce qui succéda
-heureusement à cause des fêtes où l’on entroit,
-pendant lesquelles l’assemblée choma.
-Sa majesté étant de retour, le procureur-général
-du parlement de Paris rapporta l’être allé
-trouver au Louvre, et de soi-même lui avoir
-fait les plaintes que tous les officiers étoient
-prêts à lui porter, avec les raisons de leurs
-justes ressentimens, et qu’elle lui avoit commandé
-de leur dire, que son intention étoit
-de les contenter en cet endroit, et que pour
-cet effet, elle donneroit ordre à Monseigneur
-son frère de les faire opiner par têtes sans
-<span class="pagenum" id="Page_456">456</span>
-distinction: ce qui fut depuis pratiqué en
-toutes les séances et délibérations: ès quelles
-après la lecture de la proposition qui étoit
-portée par le procureur-général du parlement
-de Paris, Monseigneur demandoit les avis à
-Mrs. les premiers présidens des parlemens,
-commençant par celui de Paris, et ensuite
-aux procureurs-généraux comme ils étoient
-assis; après à M. le lieutenant civil; aux
-premiers présidens et procureurs-généraux des
-chambres des comptes de Paris et Rouen;
-après aux premiers présidens et procureurs-généraux
-des cours des aydes des dits lieux,
-après à Mrs. de la noblesse, commençant par
-ceux qui n’ont point l’ordre; ensuite à Mrs. du
-clergé, commençant par le bout d’en bas de
-leur banc; après à Mrs. les maréchaux de la
-Force et de Bassompierre, en commençant par
-celui-cy; après à M. le cardinal de la Valette,
-et finalement Monseigneur opinoit lui-même.
-Après que tous avoient opiné, mondit seigneur
-commandoit au greffier de lire les avis, chacun
-desquels il avoit écrit en un cahier, et après
-les avoir comptés, la délibération se formoit
-par la pluralité. Il est vrai que quelquefois,
-selon les matières, mondit seigneur commençoit
-<span class="pagenum" id="Page_457">457</span>
-à prendre les avis par Mrs. de la noblesse,
-autres fois par ceux du clergé, ce qui arriva
-peu souvent.»</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_306" id="Footnote_306" href="#FNanchor_306"><span class="label">[306]</span></a>
-Voyez liv. 2, chap. 2, remarque 54.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_307" id="Footnote_307" href="#FNanchor_307"><span class="label">[307]</span></a>
-«Il y a dans le premier régistre du
-parlement, une déclaration de Charles VII,
-en date de cette année 1453, par laquelle il
-est ordonné que les officiers du parlement de
-Paris et de celui de Toulouse auront rang et
-séance dans l’une et dans l’autre de ces compagnies
-du jour de leur réception. Le parlement
-de Paris ne s’en étant pas tenu à cette
-déclaration, ce fut la cause que celui de Toulouse
-délibéra, en 1467, que nul des présidens
-ni des conseillers du parlement de Paris
-ne seroit reçu à celui de Toulouse, jusqu’à
-ce que les officiers de celui de Paris auroient
-acquiescé à cette déclaration.» (<cite>Annales de
-Toulouse, p. 218.</cite>)</p>
-
-<p>L’unité du parlement, distribué en différentes
-classes, n’étoit pas une nouveauté.
-<cite class="rmn">Voyez du Tillet, Recueil des rois de France,
-ch. du conseil privé du roi.</cite> «Le roy, dit
-cet écrivain, n’a qu’une justice souveraine
-par lui commise à ses parlemens, lesquels
-ne sont qu’un en divers ressorts.»</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_308" id="Footnote_308" href="#FNanchor_308"><span class="label">[308]</span></a>
-On a vu dans les remarques précédentes
-<span class="pagenum" id="Page_458">458</span>
-comment l’ancienne cour des pairs et
-le parlement se confondirent sous le règne de
-Charles VII, à l’occasion du duc d’Alençon.
-Dès lors le parlement se regarda comme la
-cour des pairs; mais il falloit quelque événement
-important et remarquable, pour bien
-constater et fixer cette doctrine. Le procès
-du prince de Condé, condamné à mort, sous
-François II, et rétabli sous Charles IX, fut
-l’événement favorable que le parlement attendoit.
-Ce prince, qui refusa de reconnoître
-le conseil du roi pour son juge compétent,
-ne réclama point l’ancienne cour des pairs,
-dont personne peut-être alors n’avoit l’idée.
-Charles IX lui ayant ensuite donné des lettres-patentes
-pour reconnoître son innocence, il
-n’en fut pas content, et voulut être justifié en
-plein parlement. Le 13 mars 1560, le roi
-donna des lettres-patentes en conséquence, et
-le prince de Condé les porta lui-même au parlement
-le 20 mars; et dans le discours qu’il
-prononça, dit, qu’il ne reconnoissoit que cette
-compagnie pour juge.</p>
-
-<p>De là tout le bruit que fit le parlement de
-Paris, lorsque Charles IX fit publier sa majorité
-au parlement de Rouen: il ne manqua
-pas de dire dans ses remontrances, qu’il étoit
-<span class="pagenum" id="Page_459">459</span>
-la vraie et seule cour des pairs; qu’il est contre
-toutes les règles de vérifier les édits dans les
-parlemens de province, avant que de les avoir
-vérifiés au parlement de Paris; que celui-ci
-est le premier et la source de tous les autres
-parlemens, et qu’il est seul dépositaire de
-l’autorité des états qu’il représente. (<cite>Voyez
-l’histoire de Thou, l. 35.</cite>)</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_309" id="Footnote_309" href="#FNanchor_309"><span class="label">[309]</span></a>
-C’est sous la présidence de Maupeou,
-aujourd’hui vice-chancelier et père du chancelier,
-que le parlement reprit l’ancienne
-doctrine de l’unité des parlemens; mais la
-malheureuse aventure du duc de Fitsjames
-ne laissa pas subsister long-temps cette opinion.
-Quoique le parlement de Toulouse eût
-montré dans cette circonstance les plus grands
-égards pour l’autorité et les prérogatives du
-parlement de Paris, cette dernière compagnie
-fut indignée que les magistrats de Toulouse
-eussent osé informer contre le duc de Fitsjames
-et le décréter: elle fit des arrêts pour déclarer
-qu’elle étoit uniquement et essentiellement
-la cour des pairs; et les parlemens de provinces
-en firent de leur côté pour réprouver
-cette doctrine. Personne ne s’aperçut que
-cette querelle puérile mettoit tous les parlemens
-sur le penchant du précipice: en effet,
-<span class="pagenum" id="Page_460">460</span>
-s’ils avoient été unis, et qu’ils eussent compté
-les uns sur les autres, jamais le chancelier de
-Maupeou n’auroit osé former le projet qu’il
-vient d’exécuter.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_310" id="Footnote_310" href="#FNanchor_310"><span class="label">[310]</span></a>
-Une des choses qui prouve le mieux
-la futilité de tous les sentimens chimériques
-que le parlement a enfantés sur son origine,
-ses droits et son autorité, c’est l’espèce d’égalité
-dans laquelle la chambre des comptes s’est
-maintenue. On a vu dans les remarques précédentes
-que le greffe de la chambre des
-comptes ne servoit pas moins de dépôt aux
-lois que le greffe même du parlement, et que
-les ordonnances ont quelquefois été envoyées
-à la chambre des comptes, avant que d’être
-portées au parlement.</p>
-
-<p>On ne sera peut-être pas fâché de trouver
-des lettres assez extraordinaires de Philippe-de-Valois
-du 13 mars 1339, adressées à la
-chambre des comptes; le parlement auroit
-bien su tirer parti d’un pareil titre.</p>
-
-<p class="last">«Philippe par la grace de Dieu, roi de
-France. A nos amez et feaulz les gens de nos
-comptes à Paris, salut et dilection. Nous
-sommes ou temps present moult occupez pour
-entendre au fait de nos guerres, et à la
-deffense de nostre royaume et de nostre peuple,
-<span class="pagenum" id="Page_461">461</span>
-et pour ce ne povons pas bonnement entendre
-aux requestes delivrez tant de grace que de
-justice, que plusieurs gens tant d’églises, de
-religion que autres nos subjets nous ont souvent
-à requerre. Pourquoy nous qui avons
-grant et plaine fiance dans vos loyautez, nous
-commettons par ces presentes lettres plenier
-povoir à durer jusques à la feste de la Toussains
-prochaine à venir, de ottroier de par
-nous à toutes gens tant d’église, de religion
-comme seculiers, graces sur acquets, tant fais
-comme à faire à perpétuité, de ottroier privileges
-et graces perpetuelles et à temps à personnes
-seculieres, églises, communes et habitans
-des villes, et impositions, assis et
-maletostes pour leur proufit et du commun
-des liez, de faire grace de rappel à bannis de
-nostre royaume, de recevoir a traicté et composition
-quelques personnes et communitez
-sur causes, tant civiles que criminelles, qui
-encore n’auront esté jugées, et sur quelconques
-autres choses que vous verrez que
-seront à ottroier, de nobiliter bourgeois et
-quelconques autres personnes non nobles, de
-légitimer personnes nées hors mariage, quant
-au temporel, et d’avoir succesion de pere et
-de mere, de confermer et renouveller privileges,
-<span class="pagenum" id="Page_462">462</span>
-et de donner lettres en cire vert sur
-toutes les choses devant dites, et chascune
-d’icelles, à valoir perpétuellement et fermement
-sans revocation et sans empeschement,
-et aurons ferme et stable tout ce que vous
-aurez fait es choses dessus dites et chacune
-d’icelles.» M. Du Puy a rapporté cette pièce
-dans son <cite class="rmn">traité de la majorité de nos rois,
-p. 153.</cite></p>
-
-<hr class="full" />
-
-<h4>CHAPITRE IV.</h4>
-
-<p class="nlh"><a name="Footnote_311" id="Footnote_311" href="#FNanchor_311"><span class="label">[311]</span></a>
-<span class="smcap"><span class="cs20">V</span>oyez</span> <cite class="rmn">l’histoire de Thou, liv. 12</cite>.</p>
-
-<p class="sep1 last"><a name="Footnote_312" id="Footnote_312" href="#FNanchor_312"><span class="label">[312]</span></a>
-Ces remontrances sont du 16 octobre
-1555. Voyez <cite class="rmn">l’histoire de Thou, l. 16</cite>.</p>
-
-<hr class="full" id="Notes_C_5" />
-
-<h4>CHAPITRE V.</h4>
-
-<p class="nlh"><a name="Footnote_313" id="Footnote_313" href="#FNanchor_313"><span class="label">[313]</span></a>
-<span class="smcap"><span class="cs20">V</span>oyez</span> <cite class="rmn">l’histoire de Thou</cite> et les
-<cite class="rmn">mémoires de Condé, t. 6</cite>.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_314" id="Footnote_314" href="#FNanchor_314"><span class="label">[314]</span></a>
-«Traité d’association fait par Msgr. le
-prince de Condé avec les princes, chevaliers
-de l’ordre, seigneurs, capitaines,
-<span class="pagenum" id="Page_463">463</span>
-gentilshommes, et autres de tous estats qui sont
-entrez ou entreront cy-aprés en la dicte association,
-pour maintenir l’honneur de Dieu,
-le repos de ce royaume, et l’estat et liberté du
-roy, sous le gouvernement de la royne sa
-mere, le 11 avril 1562.»</p>
-
-<p>On voit par cette pièce qu’étant question
-de réformer la religion, on ne songeoit aucunement
-à réformer le gouvernement. On voit
-qu’on cachoit ses vrais sentimens, en feignant
-de s’armer en faveur du roi et de la reine sa
-mère: misérable comédie que nous avons
-vu se <ins title="renouveller">renouveler</ins> dans la guerre de la Fronde;
-et qu’on n’auroit point jouée, s’il n’avoit pas
-été nécessaire de se prêter à l’opinion publique
-au sujet de l’autorité royale. «Et durera cette
-présente association et alliance inviolable,
-jusqu’à la majorité du roy; c’est assavoir
-jusques à ce que sa majesté estant en aage,
-ait pris en personne le gouvernement de son
-royaume, pour lors nous soumettre à l’entiere
-obeissance et subjection de sa simple volonté;
-auquel temps nous esperons lui rendre si bon
-compte de la dicte association, comme aussi
-nous ferons toutes et quantes fois qu’il plaira
-à la royne, elle estant en liberté, qu’on
-cognoistra que ce n’est point en ligue ou
-<span class="pagenum" id="Page_464">464</span>
-monopole défendu, mais une fidelle et droicte
-obéissance pour l’urgent service et conservation
-de leurs majestés.</p>
-
-<p>Nous nommons pour chef et conducteur
-de toute la compagnie, Monseigneur le prince
-de Condé, prince du sang, et par tout
-conseiller nay, et l’un des protecteurs de la
-couronne de France; lequel nous jurons, etc.</p>
-
-<p>En quatriesme lieu, nous avons compris et
-associé à ce present traicté d’alliance, toutes
-les personnes du conseil du roi, excepté ceux
-qui portent armes contre leur devoir, pour
-asservir la volonté du roy et de la royne,
-lesquelles armes s’ils ne posent, et s’ils ne
-se retirent, et rendent raison de leur faict en
-toute subjection et obéissance, quand il
-plaira à la royne les appeler, nous les tenons
-avec juste occasion pour coupables de leze-majesté,
-et perturbateurs du repos public du
-royaume.</p>
-
-<p>Nous protestons derechef n’estre faicte (la
-dite association) que pour maintenir l’honneur
-de Dieu, le repos de ce royaume, et
-l’estat et liberté du roy sous le gouvernement
-de la royne sa mère.»</p>
-
-<p>Dans la déclaration que le prince de Condé
-fait à l’empereur et aux princes de l’Empire,
-<span class="pagenum" id="Page_465">465</span>
-il dit que l’autorité des états est absolue
-pendant la minorité des rois, et il ajoute:
-«Laquelle autorité ne dure que pour le temps
-de la minorité des roys jusques à leur aage
-de quatorze ans.... Telle administration n’est
-pour diminuer la grandeur et authorité des
-roys que nous recognoissons estre instituez
-de Dieu; à laquelle ne voulons aucunement
-resister, car autrement seroit resister à la
-puissance divine, mais pour entretenir, garder
-et conserver leur bien, pendant que, selon
-l’impuissance de nature, ils ne peuvent encore
-administrer, mais estant parvenus en l’aage
-de quatorze ans, cesse toute administration;
-et tout est tellement remis en sa main, qu’il
-n’est contredit ni empesché en chose qui lui
-plaise d’ordonner.» (<cite>Mém. de Condé, t. 4,
-p. 56.</cite>)</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_315" id="Footnote_315" href="#FNanchor_315"><span class="label">[315]</span></a>
-<cite class="rmn">Histoire de Thou, L. 24.</cite> Vous verrez
-que ceux qui s’engagèrent dans la conjuration
-d’Amboise pour perdre les Guises, avoient
-pris l’avis des plus célèbres jurisconsultes de
-France et d’Allemagne, ainsi que des théologiens
-les plus accrédités parmi les protestans.
-Tous ces docteurs furent d’avis qu’on devoit
-opposer la force à la domination peu légitime
-des Guises; pourvu qu’on agît sous l’autorité
-<span class="pagenum" id="Page_466">466</span>
-des princes du sang qui sont nés souverains
-magistrats du royaume.</p>
-
-<p><cite class="rmn">Lettres de Charles IX du 25 mars 1560,
-pour la convocation des états-généraux.</cite>
-«Aucuns des dietz estats se sont amusez à
-disputer sur le faict du gouvernement et administration
-de ceslui nostre royaume, laissans en
-arrière l’occasion pour laquelle les faissions
-rassembler, qui est chose surquoi nous avons
-bien plus affaire d’eux et de leur aide et conseil
-que sur le faict du dict gouvernement.... Nous
-vous mandons et ordonnons très-expressément
-que vous ayez à faire entendre et sçavoir par
-tout vostre ressort et jurisdiction, à son de
-trompe et cry publicq, ad ce que aucun n’en
-prétende cause d’ignorance, qu’il y a union,
-accord et parfaicte intelligence entre la royne
-nostre très honorée dame et mere, nostre très
-cher et très amé oncle le roy de Navarre, de
-present nostre lieutenant général, réprésentant
-nostre personne par-tout nos royaume et pays de
-nostre obéissance, et nos très chers et très amez
-cousins le cardinal de Bourbon, prince de
-Condé, duc de Montpensier et prince de la
-Rochesurion, tous princes de nostre sang,
-pour le regard du dict gouvernement et administration
-de ceslui nostre royaume; lesquels
-<span class="pagenum" id="Page_467">467</span>
-tous ensemble ne regardans que au bien de
-nostre service et utilité de nostre dict royaume,
-comme ceulx à qui et non autres le dict affaire
-touche, y ont prins le meilleur et plus certain
-expédient que l’on sçauroit penser; de maniere
-qu’il n’est besoin à ceulx des estats de nostre
-dict royaume, aucunement s’en empescher,
-ce que leur défendons très expressement par
-ces presentes; surtout qu’ils craignent nous
-desobeir et déplaire.» (<cite>Mém. de Condé, t. 2,
-p. 281</cite>).</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_316" id="Footnote_316" href="#FNanchor_316"><span class="label">[316]</span></a>
-«La court pour obvier, empescher et
-éviter aux oppressions, incursions, assemblées
-et conventicules qui se font journellement, tant
-en ceste ville que autres villes, villaiges, bourgs
-et bourgades du ressort d’icelle, dont il peult
-advenir tel dommaige et inconvénient qu’il est
-advenu en plusieurs villes, lieux et bourgs du
-royaume, a permis et permet à tous manans
-et habitans, tant des dictes villes, villaiges,
-bourgs et bourgades que du plat pays, s’assembler
-et équiper en armes pour resister et
-soi défendre contre tous ceux qui s’assembleront
-pour saccager les dictes villes, villaiges
-et églises, ou autrement, pour y faire
-conventicules et assemblées illicites, sans que
-pour ce les dicts manans et habitans puissent
-<span class="pagenum" id="Page_468">468</span>
-estre déferez, poursuivis et inquiétez en justice,
-en quelque sorte que ce soit, enjoint
-neantmoins aux officiers des lieux, informer
-diligemment et procéder contre tous ceux qui
-ainsi s’assembleront, et feront presches,
-assemblées, conventicules ou oppressions au
-peuple, gens d’église, leurs personnes et
-biens, et de tout en avertir la dicte court
-sous peine de s’en prendre aux dicts officiers.
-Enjoint aussi la dicte court au procureur-général
-du roy envoyer la presente ordonnance
-en chacun des bailliages, et seneschaussées
-de ce ressort, pour y estre publiée.
-Faict en parlement le 13 juillet 1562.</p>
-
-<p>«Sur la requestre et remontrance ce jourd’huy
-faictes en la court par le procureur-général
-du roy, &amp;c. La court la matiere mise
-en délibération a enjoinct et enjoinct très
-expressement à Messire René de Saulseux,
-chevalier, à présent capitaine par ordonnance
-du roy en la ville de Meaulz, de faire tout
-debvoir et diligence, assembler bon nombre
-de gens de guerre, tant de la dicte ville que
-des champs, pour prendre et appréhender tous
-les dicts rebelles, séditieux et perturbateurs de
-l’estat de ce royaume, portans armes contre le
-roy, et à ceste fin lui a permis et permet faire
-<span class="pagenum" id="Page_469">469</span>
-assembler et armer les habitans du plat pays,
-pour porter confort et ayde à la force du roy,
-par toutes voyes et manieres qu’il verra estre
-à faire, mesmes par son du toczin, en telle
-maniere que le roy soit obey, la force lui
-demeure, et la justice faicte promptement de
-telles persones si malheureuses et pernicieuses
-à Dieu et aux hommes.» (<cite>Arrêt du 27 janvier
-1563</cite>).</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_317" id="Footnote_317" href="#FNanchor_317"><span class="label">[317]</span></a>
-«La court, toutes les chambres assemblées,
-sur les remontrances et requestes à elle
-faictes par les capitaines des dixaines de ceste
-ville de Paris, oys les gens du roy, et, sur le
-tout la matiere mise en déliberation, et aux
-fins de l’arrest d’icelle, du vingt-septiesme
-novembre dernier, ordonne que chacun des
-dicts capitaines assemblera ung bon nombre
-des plus apparens et notables personnaiges
-de leurs dixaines, tels qu’ils verront bon
-estre, lesquels seront tenus y assister, pour
-enquerir des suspects et notez de la nouvelle
-secte et opinion, et de la cause et occasion
-des suspitions, soient officiers du roy en icelle
-court, grand conseil, chambres des comptes,
-généraulz de la justice des aydes, des monnoyes,
-chancellerie, chastellet de Paris,
-tresor, eaues et forest, et autres corps,
-<span class="pagenum" id="Page_470">470</span>
-colleges et communaultez, tant ecclésiastiques
-que seculiers, de quelque estat, qualité et
-condition qu’ils soient, et ceulx de leurs
-maisons et familles, pour faire les dicts
-capitaines leurs procès verbaulx dans huitaine,
-qu’ils bailleront incontinent au procureur-général
-du roy, pour iceulx veus par
-la court en ordonner: esquels procès verbaulx
-ne seront nommez et escripts les personnes
-qui y auront assisté; mais les bailleront
-au dict procureur-général par un roolle
-à part et secret, sans le relever, trois jours
-après; laquelle huitaine passée, enjoinct
-icelle court aux dicts capitaines faire la
-recherche chacun en leur dixaine, à mesme
-instance, jour et heure, sans dissimulation,
-faveur et hayne d’aucunes personnes et entreprinses
-sur les quartiers les ungs des
-autres, &amp;c.» Cet arrêt est du 28 janvier
-1562.</p>
-
-<p>Voici une lettre que le parlement écrivit
-à la reine mere le 29 mars 1562. «Par une
-lettre de vostre majesté que nous a communiquée
-monsieur le maréchal de Montmorency,
-nous avons sceu que la maison du roy est
-exempte de l’exercice de la nouvelle opinion;
-et parce que celle ne nous semble assez; car
-<span class="pagenum" id="Page_471">471</span>
-la maison du dict seigneur à laquelle la
-vostre et celles de nos seigneurs ses freres
-et madame sont jointes, ou à mieulx dire,
-ne sont que une, est le miroir de tous les
-subjects, avons avisé vous remonstrer et
-supplier très humblement, nostre souveraine
-dame, n’y endurer personne qui ne soit de
-l’ancienne religion que nos très chrestiens
-roys ont tenue, et vos majestez veulent continuer;
-car les paroles gastens comme le dict
-exercice: aussi vos dictes majestez sont
-chargées envers Dieu, non-seulement d’estre
-très chrestiennes; mais de faire que le
-royaume demeure très chrestien; et la tolérance
-que avé accordée par la pacification,
-est par nécessité, en espérance de reduire
-le tout à l’union qui estoit auparavant la
-division de religion; celle excuse ne peult
-estre en la dicte maison, autrement seroient
-forcés vos dictes majestez de se servir de
-personnes qui ne leur seroient fidelles: car en
-diversité de religion, ne se trouve oncques
-dilection ne sureté de bon office.»</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_318" id="Footnote_318" href="#FNanchor_318"><span class="label">[318]</span></a>
-J’ai déjà prouvé que les états croyoient
-depuis long-temps n’avoir que le droit de
-faire des doléances et des représentations.
-Pour juger du peu de cas qu’on en devoit
-<span class="pagenum" id="Page_472">472</span>
-faire sous les fils d’Henri II, voyez le discours
-du chancelier Guillaume de Rochefort, aux
-états tenus à Orléans en 1483. Il a l’audace
-de leur dire: «vous pouvez connoître avec
-quelle liberté le roi vous a permis de vous
-assembler et de dire vos avis sur les affaires,
-avec quelle douceur aussi il vous a donné
-audience; en ce que au commencement de
-votre assemblée, vous ayant été offert des
-secrétaires du roi pour recevoir et rédiger par
-écrit vos actes, vous futes d’avis de n’admettre
-aucun parmi vous qui ne fût député par les
-états. Il vous donna de plus deux audiences
-fort longues, où il vous fut permis de lui
-représenter par écrit et de vive voix tout
-ce qui vous plairoit.... Le roi auroit pu sans
-vous appeler, délibérer et conclure dans son
-conseil sur vos articles, etc.» (<cite>Traité de
-majorité de nos rois, par Dupuy, p. 258</cite>).
-On termina ces états d’une manière digne de
-la considération qu’ils avoient acquise; les
-affaires les plus difficiles n’étoient pas encore
-terminées, et on enleva tous les meubles des
-salles où les ordres s’assembloient.</p>
-
-<p>Dans l’assemblée des notables du 16 décembre
-1527, François I dit dans son discours,
-«qu’il pense faire honneur à ses
-<span class="pagenum" id="Page_473">473</span>
-sujets de se montrer si familièrement avec
-eux, que de vouloir avoir leur advis et délibérations.»
-Si on lit le discours que le
-chancelier de l’Hôpital tint aux états d’Orléans,
-sous François II, on sera surpris
-que cet homme, d’ailleurs si éclairé, eût des
-idées si louches et si fausses du droit des
-<ins title="natlons">nations</ins>.</p>
-
-<p>Henri III croyoit déroger à sa toute-puissance,
-en promettant par serment, d’observer
-l’ordonnance qu’il accordoit aux prières des
-états de Blois. «S’il semble, disoit-il, qu’en
-ce faisant je me soumette trop volontairement
-aux lois dont je suis l’autheur, et me
-dispensent elles mêmes de leur empire, et
-que par ce moyen je rende l’autorité royale
-aucunement plus bornée et limitée que mes
-prédécesseurs: c’est en quoi la générosité du
-bon prince se connoît, que de dresser ses
-pensées et ses actions selon sa bonne foy,
-et se bander de tout à ne laisser corrompre,
-et me suffira de répondre ce que dit ce
-roy à qui on remontroit qu’il laisseroit la
-royauté moindre à ses successeurs qu’il ne
-l’avoit reçue de ses pères, qui est que il
-la leur lairroit beaucoup plus durable et
-assurée.»</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_474">474</span>
-Dans son traité de la majorité des rois, du
-Tillet nous apprend très-bien quelle étoit
-l’opinion des personnes les plus éclairées de
-son temps, sur l’autorité royale et les droits
-de la nation. «L’assemblée des estats, dit-il,
-est sainte, ordonnée pour la conférence des
-sujets avec leur roy, qui montrant sa volonté
-de bien régner, leur communique les affaires
-politiques pour en avoir avis et secours; les
-reçoit à lui faire entendre librement leurs doléances,
-afin que les connoissant, il y pourvoye:
-ce qu’il fait par délibération de son très-sage
-conseil, dont il est pour cet effet assisté: et
-octroye à ses dits sujets ce qu’il voit estre
-raisonnable, et non plus. Car s’il estoit nécessaire
-de leur accorder toutes leurs demandes
-il ne seroit plus leur roy.» Du Tillet ajoute
-plus bas: «autant que la dite assemblée des
-estats est fructueuse quand on y tend à bonne
-fin, autant est-elle dommageable, s’il s’y mesle
-de la faction.»</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_319" id="Footnote_319" href="#FNanchor_319"><span class="label">[319]</span></a>
-C’est au sujet de l’édit publié le 12
-mars 1560. Voyez <cite class="rmn">l’histoire de Thou, l. 24</cite>.
-Le même historien, <cite class="rmn">l. 42</cite>, dit que le parlement
-de Toulouse n’enregistra l’édit de pacification
-de 1568, qu’avec des modifications
-et des restrictions qu’il inséra secrètement
-<span class="pagenum" id="Page_475">475</span>
-dans ses registres. <i lang="la" xml:lang="la">Lecta, publicata, registrata,
-audito procuratore generali regis, respectu habito
-litteris patentibus regis, prima die hujus mensis,
-urgenti necessitati temporis, et obtemperando voluntati
-dicti domini regis, absque tamen approbatione
-novæ religionis, et id totum per modum
-provisionis, et donec aliter per dictum dominum
-regem fuerit ordinatum. Parisiis in parlamento
-sexta die martis, anno domini millesimo, quingentesimo
-sexagesimo primo.</i></p>
-
-<p>Enregistrement de l’ordonnance du 17 janvier
-1561.</p>
-
-<p>«Nous avons déclaré et déclarons tous
-autres édits, lettres, déclarations, modifications,
-restrictions et interprétations, arrêts
-et registres, tant secrets qu’autres délibérations
-ci-devant faites en nos cours de
-parlement et autres qui par cy-après pourroient
-être faites au préjudice de notre dit
-présent édit, concernant le fait de la religion
-et troubles arrivés en cettuy notre
-royaume, être de nul effet et valeur.»
-(<cite>Edit de pacification du mois d’août 1570,
-art. 43</cite>).</p>
-
-<p>«Mandons aussi...... icelui notre dit édit
-publier et enregistrer en nos dites cours
-selon la forme et teneur purement et
-<span class="pagenum" id="Page_476">476</span>
-simplement, sans user d’aucunes modifications,
-restrictions, déclarations ou registre secret».
-(<cite>Ibid. art. 44</cite>). Voyez la même chose dans
-l’art. 63 de l’édit de pacification donné en
-may 1576.</p>
-
-<p>«Nous avons déclaré et déclarons tous
-autres précédens édits, articles, secrets,
-lettres, déclarations, modifications, requisitions,
-restrictions, interprétations, arrêts,
-registres tant secrets qu’autres délibérations
-cy devant par nous faites en nos cours de
-parlement et ailleurs, concernant le fait de
-la religion, et des troubles arrivés en notre
-dit royaume, être de nul effet et valeur.»
-(<cite>Edit donné à Poitiers en septembre 1577</cite>).</p>
-
-<p class="last">Tous les édits de pacifications s’expriment
-de la même manière, et pour abréger ici, je
-me contenterai de citer ici <cite class="rmn">l’édit de Nantes
-en avril 1598</cite>. «Avons déclaré et déclarons
-tous autres précédens édits, articles secrets,
-lettres, déclarations, modifications, restrictions,
-interprétations, arrêts et régistres tant
-secrêts qu’autres, délibérations, ci-devant par
-nous ou les rois nos prédécesseurs, faites en
-nos cours de parlement et ailleurs concernant
-le fait de la religion et des troubles
-arrivez en nostre dit royaume, être de nul
-<span class="pagenum" id="Page_477">477</span>
-effet et valeur, auxquels et aux dérogatoires
-y contenues, nous avons par cettuy notre
-édit dérogé et dérogeons.» (<cite>Art. 91</cite>). Dans
-l’article suivant il est ordonné d’enrégistrer
-«purement et simplement, sans user d’aucunes
-modifications, restrictions, déclarations et
-régistres secrets.»</p>
-
-<p class="sep3 cent"><i>Fin des remarques du livre septième.</i></p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<div class="pagenum" id="Page_478">478</div>
-
-<hr class="hr2" />
-
-<h2 class="rpo">REMARQUES ET PREUVES<br />
-<span class="cs5 gesp">DES</span><br />
-<span class="cs7"><i>Observations sur l’histoire de France</i>.</span></h2>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h3>LIVRE HUITIÈME.</h3>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h4>CHAPITRE PREMIER.</h4>
-
-<p class="nlh"><a name="Footnote_320" id="Footnote_320" href="#FNanchor_320"><span class="label">[320]</span></a>
-<span class="smcap"><span class="cs20">V</span>oyez</span> la <a href="#Footnote_301">remarque 301</a>, ch. 3, du livre
-précédent.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_321" id="Footnote_321" href="#FNanchor_321"><span class="label">[321]</span></a>
-«Avons statué et ordonné, statuons
-et ordonnons que les grands jours se tiendront
-par les présidens et conseillers de nostre
-cour de parlement à Paris, en leur ressort,
-et es lieux où d’ancienneté on a accoustumé
-de les tenir; auxquels grands jours assisteront
-d’an en an aux gages accoutumez, l’un des
-quatre présidens des enquestes avec treize
-conseillers de nostre dite cour, sçavoir est,
-huit de la dite grande chambre, et cinq de
-la dite chambre des enquestes, selon leur
-<span class="pagenum" id="Page_479">479</span>
-ordre et ancienneté.» (<cite>Ordon. de Blois en
-1498, art. 72</cite>).</p>
-
-<p>«Avons ordonné et ordonnons que les
-gens tenans nos cours de parlement de Toulouse
-et Bordeaux tiendront les dits grands
-jours de deux ans en deux ans chacun en
-leur ressort, respectivement es lieux qui verront
-estre à faire pour le mieux, en ensuivant
-la forme que nos dits présidens et conseillers
-de nostre cour de parlement à Paris, ont
-accoustumé de tenir, réservés qu’ils ne seront
-que neuf, sçavoir est, un président et huit
-conseillers, dont y aura cinq laïcs et trois
-clercs.» (<cite>Ibid. art. 73</cite>).</p>
-
-<p>Ces articles furent rappelés par l’ordonnance
-de François I, du 12 juillet 1519. Les guerres
-d’Italie rendirent presque inutile la tenue de
-ces grands jours; la noblesse, qui savoit le
-besoin qu’on avoit d’elle, n’étoit pas disposée
-à se soumettre à l’ordre que des gens de lois
-vouloient établir. Quand une fois les guerres
-civiles eurent été allumées sous le fils de
-Henri II, ce fut en vain que Henri III auroit
-ordonné les grands jours; le gouvernement
-étoit sans autorité, et les parlemens étoient
-abandonnés au fanatisme le plus déraisonnable.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_322" id="Footnote_322" href="#FNanchor_322"><span class="label">[322]</span></a>
-Voyez le chap. 6, du livre 4.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_323" id="Footnote_323" href="#FNanchor_323"><span class="label">[323]</span></a>
-<span class="pagenum" id="Page_480">480</span>
-Je me contenterai de rapporter ici l’analyse
-que de Thou fait de cet acte dans le <cite class="rmn">livre
-63<sup>e</sup> de son histoire</cite>. «Par la formule de
-l’union qui devoit être signée au nom de la
-très-sainte Trinité, par tous les seigneurs,
-princes, barons, gentilshommes et bourgeois,
-chaque particulier s’engageoit par serment à
-vivre et mourir dans la ligue pour l’honneur
-et le rétablissement de la religion, pour la
-conservation du vrai culte de Dieu, tel qu’il
-est observé dans la sainte église romaine,
-condamnant et rejetant toutes erreurs contraires.
-Pour le maintien des différentes provinces
-du royaume dans tous leurs droits,
-priviléges et libertez telles qu’elles les possédoient
-du temps de Clovis, qui le premier
-de nos rois établit en France la religion
-chrétienne».</p>
-
-<p>On prescrivoit aussi les lois suivantes: que
-chaque particulier s’engageroit à sacrifier ses
-biens et sa vie même, pour empêcher toutes
-entreprises contraires à l’avancement de la
-sainte union, pour contribuer d’ailleurs, de
-tout son possible, à l’entier accomplissement
-des desseins qu’elle se proposoit: que si
-quelqu’un des membres de l’union recevoit
-quelque tort ou dommage, quel que fût
-<span class="pagenum" id="Page_481">481</span>
-l’aggresseur, et sans égard pour la personne,
-on n’épargneroit rien pour en tirer vengeance,
-soit par les voies ordinaires de la justice,
-soit même que pour cela on fût obligé de
-prendre les armes; que si, par un malheur
-qu’on doit prier le ciel de détourner, quelqu’un
-des amis venoit à rompre ses engagemens,
-il en seroit puni avec la dernière
-rigueur, comme traître et réfractaire à la
-volonté de Dieu, sans que pour cela ceux
-qui s’employeroient à la juste punition de
-ces sortes de déserteurs pussent en être repris
-soit en public, soit en particulier; qu’on
-créeroit un chef de l’union à qui tous les
-autres jureroient une obéissance aveugle et
-sans bornes; que si quelqu’un des particuliers
-manquoit à son devoir, ou faisoit paroître
-de la répugnance à s’en acquitter, le chef
-seroit le seul maître d’ordonner de la peine
-que sa faute auroit méritée: que dans les
-villes et à la campagne tout le monde seroit
-invité à se joindre à la sainte union; qu’en
-y entrant, on s’engageroit à fournir dans
-l’occasion de l’argent, des hommes et des
-armes, chacun selon son pouvoir; qu’on
-regarderoit comme ennemi quiconque
-<span class="pagenum" id="Page_482">482</span>
-refuseroit d’embrasser le parti de la ligue, et
-que le commandement seul du chef de l’union
-autoriseroit à lui courre sus à main armée;
-que si entre les unis, il arrivoit des querelles,
-des contestations ou des procès, le chef
-seul en décideroit, sans que pour cela on
-pût recourir à la justice ordinaire sans sa
-permission, et qu’il auroit droit de punir les
-contrevenans dans leur corps et dans leurs
-biens, selon qu’il le jugeroit à propos. Enfin,
-on avoit encore ajouté la formule du serment
-que chacun des unis devoit prononcer sur les
-saints Evangiles, en s’engageant dans le
-parti.»</p>
-
-<p>J’ajouterai ici une pièce importante qu’on
-trouve dans les <cite class="rmn">mémoires de Nevers, t. 1,
-p. 641</cite>, et intitulée: Déclaration des causes
-qui ont meu Mgr. le cardinal de Bourbon et
-les princes pairs, seigneurs, villes et communautez
-catholiques de ce royaume de s’opposer
-à ceux qui par tous moyens s’efforcent
-de subvertir la religion catholique et tout
-l’état. «Déclarons avoir juré tous et saintement
-promis de tenir la main forte et armée
-à ce que la sainte église soit réintégrée en
-sa dignité et en la vraie et seule religion
-<span class="pagenum" id="Page_483">483</span>
-catholique: que la noblesse jouisse comme
-elle doit de sa franchise toute entière, et le
-peuple soit soulagé, les nouvelles impositions
-abolies, et toutes crues ôtées depuis le règne
-du roi Charles IX que Dieu absolve: que
-les parlemens soient remis en la plénitude
-de leur connoissance, en leur entiere souveraineté
-de leurs jugemens, chacun en son
-ressort, et tous sujets du royaume maintenus
-en leurs gouvernemens, charges et offices,
-sans qu’on les puisse ôter, si non en tous
-cas des anciens établissemens, et par jugemens
-des juges ordinaires ressortissans au
-parlement; que tous deniers qui se lèveront
-sur le peuple, soient employés à la défense
-du royaume, et à l’effet auquel ils sont destinez:
-et que desormais les états-généraux
-soient libres et sans aucune pratique, toutes
-fois que les affaires les requerront, avec
-entiere liberté d’y faire ses plaintes, auxquelles
-n’aura été duement pourvu.» Cet acte est du
-dernier mars 1585. En ayant assez de raison
-pour sentir qu’on a besoin d’une réforme,
-est-il concevable qu’on soit assez sot pour se
-contenter de pareilles demandes.</p>
-
-<p>Voici une autre pièce qu’on trouve encore
-<span class="pagenum" id="Page_484">484</span>
-dans les <cite class="rmn">Mémoires de Nevers, t. 2, p. 614</cite>,
-et qui vous fera connoître l’esprit de la capitale.
-Elle fut lue publiquement à l’hôtel-de-ville,
-le 8 juin 1591. Je n’en rapporterai que
-quelques articles. «Sera pourveu au roy
-nouvellement eslu d’un bon conseil, et principalement
-d’évesques sages et craignant
-Dieu, et qui n’ayent abandonné sa cause;
-ensemble d’un bon nombre de seigneurs et
-gentilshommes vieux et expérimentez, et tirez,
-s’il est possible, des provinces de l’union;
-afin de rapporter les plaintes de toutes les
-parties du royaume, et donner avis sur l’occurrence
-des affaires.</p>
-
-<p>«Que si l’on trouve bon, comme il est
-très-nécessaire, que l’on fasse des loix fondamentales
-de l’état pour obvier aux maux
-que nous sentons, et en garantir la postérité,
-les feront jurer au roy nouvellement esleu,
-avec les articles que les rois ont accoustumé
-de jurer en leur sacre: lesquelles lois il
-jurera maintenir et entretenir de tout son
-pouvoir; et à quoi il s’obligera tant pour
-lui que ses successeurs, avec la clause qu’en
-cas de contravention les sujets seront dispensés
-du serment de fidélité.</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_485">485</span>
-«Et afin que telles lois soient perpétuelles,
-et chaque jour représentées aux yeux d’un
-chacun, seront icelles inscrites en airain et
-apposées es palais des villes où il y a parlement;
-aux provinces esquelles n’y a parlement,
-elles seront mises en la premiere maistresse
-place de la premiere ville de la province.</p>
-
-<p>«Les estats se tiendront, sçavoir les généraux
-de six ans en six ans, ou tel autre
-temps qu’il leur sera ordonné en la ville
-qu’il plaira au prince de les assembler; et
-à faute de les assembler, s’assembleront en
-la ville capitale. Les provinciaux de trois ans
-en trois ans, en la principale ville de la
-province, si ce n’est que pour la nécessité
-des affaires, il soit besoin d’une convocation
-extraordinaire: et sans lesquels estats ne se
-pourra conclure par le roy, de faire la guerre
-ou la paix, ou mettre tailles, subsides et impositions
-sur le peuple.»</p>
-
-<p>Ces deux articles, où l’on commençoit à
-entrevoir quelques principes d’un bon gouvernement,
-ne firent aucune impression sur
-les esprits. On ne fut frappé que des articles
-suivans, dans lesquels il n’est question que de
-brûler et d’exterminer les hérétiques, soit
-Français, soit étrangers.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_324" id="Footnote_324" href="#FNanchor_324"><span class="label">[324]</span></a>
-<span class="pagenum" id="Page_486">486</span>
-Voyez <cite class="rmn">l’histoire de Thou, l. 63</cite>, et ce
-que Davila rapporte des premiers états de
-Blois, l. 13.</p>
-
-<p class="sep1 last"><a name="Footnote_325" id="Footnote_325" href="#FNanchor_325"><span class="label">[325]</span></a>
-Voyez <cite class="rmn">l’histoire de Thou, l. 60</cite>.</p>
-
-<hr class="full" />
-
-<h4>CHAPITRE II.</h4>
-
-<p class="nlh"><a name="Footnote_326" id="Footnote_326" href="#FNanchor_326"><span class="label">[326]</span></a>
-«<span class="smcap"><span class="cs20">P</span>remièrement</span>, afin que la chose
-soit conduite par plus grande authorité, on
-est d’avis de bailler la superintendance de
-toute l’affaire au roy Philippe Catholique; et
-à ceste fin d’un commun consentement, le
-tout chef et conducteur de toute l’entreprise.
-On estime bon de procéder en ceste façon,
-que le roy Philippe aborde le roy de Navarre
-par plaintes et querelles, à raison que contre
-l’institution de ses prédécesseurs, et au grand
-danger du roy pupille, duquel il ha la charge,
-nourrit et entretient une nouvelle religion: et
-si en cela se montre difficile, le roy catholique
-par belles promesses essayera de la
-retirer de sa méchanceté et malheureuse délibération,
-lui découvrant quelque espoir de
-recouvrer son royaume de Navarre, ou bien
-de quelque autre grand profit et esmolument
-en recompense du dit royaume: l’adoucira
-<span class="pagenum" id="Page_487">487</span>
-et ployera, s’il est possible, pour le retenir
-de costé, et conspirer avec luy contre les
-autres autheurs de cette secte pernicieuse.
-Ce que succédant à souhait, seront lors faciles
-et abregez les moyens de la guerre future.
-Mais poursuivant et demeurant iceluy tousjours
-obstinés, néanmoins le roy Philippe,
-à qui tant par l’authorité à luy donnée par
-le saint concile, que par le voisinage et proximité,
-la chose touche de plus près, par lettres
-gracieuses et douces l’admonestera de son
-devoir, entremeslant en ses promesses et
-blandices, quelques menaces. Cependant tant
-secrettement et occultement que faire se
-pourra, fera sur l’hyver quelque levée et amas
-de gens d’eslite au royaume d’Espagne: puis
-ayant les ses forces prestes, déclarera en public
-ce qu’il brasse. Et ainsi le roy de Navarre sans
-armée et pris à l’impourveu facilement sera
-opprimé, encore que d’adventure avecque
-quelque troupe tumultuaire et ramassée,
-s’efforceast d’aller à l'encontre, ou voulust
-empescher son ennemy d’entrer en pays.</p>
-
-<p>«Or s’il cede, sera aisément chassé hors
-son royaume, et avec lui sa femme et ses
-enfans: mais s’il fait teste, et plusieurs volontaires,
-gens d’armes et sans soulde le deffendent,
-<span class="pagenum" id="Page_488">488</span>
-car plusieurs des conjurez d’icelle secte se
-pourroient avancer pour retarder la victoire,
-alors le duc de Guise se déclarera chef de la
-confession catholique, et fera amas de gens
-d’armes vaillans et de tous ceux de sa suite.
-Aussi d’une autre part pressera le Navarrois,
-ensorte qu’estant poursuivi d’un costé et
-d’autre, tombera en proye, car certainement
-un tel roy ne peut faire teste à deux chefs
-ni à deux exercites si puissans.</p>
-
-<p>«L’empereur et les autres princes Allemans,
-qui sont encore catholiques, mettront
-peine de boucher les passages qui vont en
-France, pendant que la guerre s’y fera, de
-poeur que les princes protestans ne fassent
-passer quelque force, et envoyent secours
-audit roy de Navarre, de poeur aussi que les
-cantons de Souysse ne luy prestent ayde,
-sauf que les cantons qui suivent encore l’authorité
-de l’église romaine, denoncent la
-guerre aux autres, et que le pape ayde de
-tant de forces qu’il pourra lesdits cantons
-de sa religion, et baille sous main argent
-et autres choses nécessaires au soustenement
-des frais de la guerre.</p>
-
-<p>«Durant ce le roy catholique baillera
-part de son exercite au duc de Savoye, qui
-<span class="pagenum" id="Page_489">489</span>
-de son côté fera levée de gens si grande,
-que commodement faire se pourra en ses
-terres. Le pape et les autres princes d’Italie
-déclareront chef de leur armée le duc de
-Savoye: et pour augmenter leurs forces,
-l’empereur Ferdinand donnera ordre d’envoyer
-quelques compagnies de gens de pied et de
-cheval, allemans.</p>
-
-<p>«Le duc de Savoye, pendant que la guerre
-troublera ainsi la France et les Souysses,
-avec toutes forces se ruera à l’impourveu sur
-la ville de Geneve, sur le lac de Lozanne,
-la forcera, ou plus tost ne se départira, ne
-retirera ses gens, qu’il ne soit maistre et
-jouissant de la dite ville, mettant au fil de
-l’épée, ou jettant dedans le lac tous les
-vivans qui y seront trouvés, sans aucune
-discrétion de sexe ou aage. Pour donner à
-connoistre à tous qu’enfin la Divine Puissance
-a compensé le retardement de la peine
-par la grieve grandeur de tel supplice, et
-qu’ainsi souvent fait ressentir les enfans et
-porter la peine par exemple mémorable à
-tout jamais de la méschanceté de leurs peres,
-et mesmes de celles qu’ils ont commises
-contre la religion. En quoy faisant ne faut
-douter que les voisins touchés de cette cruauté
-<span class="pagenum" id="Page_490">490</span>
-et tremeur, ne puissent estre ramenez à santé,
-et principalement ceux qui à raison de l’aage
-ou de l’ignorance sont plus rudes ou plus
-grossiers, et par conséquent plus aisez à mener,
-auxquels il faut pardonner.</p>
-
-<p>«Mais en France, par bonnes et justes
-raisons, il fait bon suivre autre chemin, et
-ne pardonner en façon quelconque à la vie
-d’aucun, qui autre fois ait fait profession de
-ceste secte: et sera baillée cette commission
-d’extirper tous ceux de la nouvelle religion
-au duc de Guise, qui aura en charge d’effacer
-entierement le nom, la famille et race des
-Bourbons, de poeur qu’enfin ne sorte d’eux
-quelqu’un qui poursuive la vengeance de ces
-choses, ou remette sus cette nouvelle religion.</p>
-
-<p>«Ainsi les choses ordonnées par la France,
-et le royaume mis en son entier, ancien et pristin
-estat, ayant amassé gens de tous costez, il est
-besoin envahir l’Allemaigne, et avec l’ayde de
-l’empereur et des évesques, la rendre et restituer
-au Saint siege apostolique. Et où ceste guerre
-seroit plus forte et plus longue qu’on ne pense
-et desire, afin que par faute d’argent, ne soit
-conduite plus lentement ou plus incommodement,
-le duc de Guise pour obvier à cet inconvénient,
-prestera à l’empereur et aux autres princes
-<span class="pagenum" id="Page_491">491</span>
-d’Allemaigne et seigneurs catholiques tout l’argent
-qu’il aura amassé de la confiscation de tant de
-nobles, bourgeois puissans et riches qui auront
-esté tuez en France, à cause de la nouvelle religion,
-qui se monte à grande somme, prenant
-par le duc de Guise suffisante caution et respondant:
-par le moyen desquelles, après la confection
-de la guerre, sera remboursé de tous les
-deniers employez à cest effect sur les dépouilles
-des lutheriens, et autres, qui pour le fait de la
-religion seront tuez en Allemaigne de la part des
-saints peres, pour ne defaillir, et n’estre veus
-négligens à porter ayde à tant sainte affaire de
-guerre, ou vouloir épargner leur revenu et propres
-deniers, ont adjousté que les cardinaux se
-doivent contenter pour leur revenu annuel de
-cinq ou six mille escus, les évesques plus riches,
-de deux ou trois mille au plus, et le reste du
-dit revenu, le donner de franche volonté et
-l’entretenement de la guerre, qui se conduit pour
-estirper la secte des Luthériens et Calvinistes,
-et restablir l’église romaine, jusques a ce que
-la chose soit conduite à heureuse fin.</p>
-
-<p>«Que si quelque ecclesiastique ou clerc ha
-vouloir de suivre les armes en guerre si sainte,
-les peres ont tous d’un commun consentement
-conclu et arresté, qu’il le peut faire, et s’enroler
-<span class="pagenum" id="Page_492">492</span>
-en ceste guerre seulement, et ce sans aucun
-scrupule de conscience.</p>
-
-<p class="last">«Par ces moyens, France et Allemaigne
-ainsi chastiées, rabaissées et conduites à l’obéissance
-de la sainte église romaine, les pères
-ne font pas doute que le temps ne pourvoye
-de conseil et commodité propre à faire que
-les autres royaumes prochains soient ramenez
-à un troupeau et sous un gouverneur et pasteur
-apostolique: mais qu’il plaise à Dieu
-ayder et favoriser leur presens desseins, saints
-et pleins de piété.» Cette pièce se trouve
-dans les <cite class="rmn">mémoires de Condé, t. 6. p. 167</cite>.</p>
-
-<hr class="full" />
-
-<h4>CHAPITRE III.</h4>
-
-<p class="nlh"><a name="Footnote_327" id="Footnote_327" href="#FNanchor_327"><span class="label">[327]</span></a>
-<span class="smcap"><span class="cs20">V</span>oyez</span> dans le <cite class="rmn">recueil des pièces
-concernant la pairie, par Lancelot, p. 185</cite>,
-la déclaration de Philippe-le-Bel à Yoland
-de Dreux, duchesse de Bretagne.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_328" id="Footnote_328" href="#FNanchor_328"><span class="label">[328]</span></a>
-Voyez le chapitre 5 du livre troisième.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_329" id="Footnote_329" href="#FNanchor_329"><span class="label">[329]</span></a>
-Avant cette époque, les seigneurs ou
-princes du sang ne jouissoient d’aucune prééminence
-sur les autres seigneurs; et nous avons
-encore plusieurs actes où ils ne sont point
-<span class="pagenum" id="Page_493">493</span>
-nommés avant les autres. Je me contente de
-renvoyer sur cette matière à ce qu’en a écrit
-le comte de Boulainvilliers, dont l’ouvrage est
-entre les mains de tout le monde.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_330" id="Footnote_330" href="#FNanchor_330"><span class="label">[330]</span></a>
-«Au sacre du roy Louis XI, le duc de
-Bourbon plus éloigné de la dite couronne,
-chef de sa maison, précéda les comtes d’Angoulesme
-et Nevers, puisnez des branches
-d’Orléans et de Bourgogne, plus proches de
-la dite couronne.» <cite class="rmn">Du Tillet, recueil des
-rangs des grands de France.</cite> Si la pairie n’avoit
-pas donné une prérogative supérieure à celle
-des seigneurs du sang, les princes n’auroient
-pas recherché la pairie comme une grande
-faveur. Il suffit de jeter les yeux sur l’ouvrage
-de Dutillet que je viens de citer, pour juger
-combien les usages sur les rangs et les dignités
-ont été incertains et inconstans parmi nous;
-il est bien étonnant que notre vanité, même
-la plus chère de nos passions, n’ait pu nous
-donner aucunes règles fixes.</p>
-
-<p>«Le 17 juin 1541, fut jugé, dit Du Tillet,
-que le duc de Montpensier ayant les susdites
-deux qualités (de prince et de pair) pourroit
-bailler ses roses premier que le duc de Nevers,
-combien qu’il fust pair plus ancien que n’estoit
-ledit duc de Montpensier. Au sacre du roi
-<span class="pagenum" id="Page_494">494</span>
-Henri II, les ducs de Nevers et de Guise
-plus anciens pairs précédent le dit duc de
-Montpensier prince du sang et pair; mais
-déclara le dit roy le 25 juillet 1547 que cela
-ne fit préjudice audit duc de Montpensier,
-fust pour semblable acte ou autres. Le duc
-de Guise précéda au dit sacre le duc de Nevers
-plus ancien pair que luy, qui fut parce que
-le dit duc de Guise représentoit le duc d’Aquitaine,
-et celuy de Nevers représentoit le comte
-de Flandres, le dit duc de Montpensier le
-comte de Champagne. Le rang des représentez
-estoit gardé, non des représentans.»</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_331" id="Footnote_331" href="#FNanchor_331"><span class="label">[331]</span></a>
-Il y a déjà long-temps que les pairs sont
-regardés comme les conseillers du roi en ses
-grandes, nobles et importantes affaires; et
-c’est en conséquence de cette opinion, quand
-ils sont reçus au parlement, qu’on leur fait
-prêter aujourd’hui le serment inutile, je dirai
-presque ridicule, «d’assister le roi et lui
-donner conseil en ses plus grandes et importantes
-affaires.» Les lettres d’érection du
-comté d’Anjou en pairie, et qui ont servi de
-modèle à toutes les érections suivantes, ont
-sans doute contribué à donner naissance à
-cette opinion. <i lang="la" xml:lang="la">Ad honorem cedit et gloriam regnantium
-et regnorum, si ad regiæ potestatis
-<span class="pagenum" id="Page_495">495</span>
-dirigenda negotia insignibus viri conspicui præficiuntur
-officiis, et inclitis præclaræ personæ
-dignitatibus, ut et ipsi sua gaudeant nomina
-instituta magnificis, et cura regiminis talibus
-decorata lateribus, à sollicitudinibus pacisque
-ac justitiæ robora, quæ regnorum omnium fundamenta
-consistunt, conservari commodiùs valeant
-et efficaciùs ministrari.</i> Sous le règne de
-Charles VI cette opinion fit de grands progrès
-et j’en ai développé les causes dans le corps
-même de mon ouvrage.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_332" id="Footnote_332" href="#FNanchor_332"><span class="label">[332]</span></a>
-«Nous aurions advisé de remplir le
-lieu et place des anciens duchez et comtez
-laïcs tenus en pairie de la couronne de <ins title="Franee">France</ins>,
-d’autres ducs et pairs depuis créez en nostre
-royaume selon l’ordre de leur création, par
-la maniere qui s’ensuit: c’est à sçavoir,
-pour la duché de Bourgogne, nostre très
-cher et amé oncle le roy de Navarre; pour
-celle de Normandie, nostre très cher et amé
-cousin le duc de Vendosme; et pour celle
-de Guyenne, nostre très cher et amé cousin
-le duc de Guise; et quant aux comtez, pour
-celle de Flandre, nostre très cher et amé
-cousin le duc de Nevers; pour celle de Champagne,
-nostre très cher et amé cousin Louis
-de Bourbon duc de Montpensier; et pour
-<span class="pagenum" id="Page_496">496</span>
-celle de Toulouse, nostre très cher et amé
-cousin le duc d’Aumale. Sur quoy nostre
-dit cousin le duc de Montpensier nous eût
-remontré, que pour le regard de la proximité
-du sang royal et lignage dont il nous
-attient, il devoit en l’assiette, ordre et assistance
-des pairs de France laïcs, précéder nos
-très chers et amez cousins Claude de Lorraine
-duc de Guise, et François de Cleves
-aussi duc de Nevers comte d’Eu, tous deux
-pairs de France, et que la création et antiquité
-des pairies ne pouvoit alterer l’ordre
-et le rang dus aux princes du sang royal de
-France, qui doivent toujours suivre et approcher
-le lieu d’où ils sont descendans.... Sur
-quoy nos dits cousins les ducs de Guise et
-de Nevers soutenans le contraire, auroient
-dit que pour estre plus anciens pairs en
-création et réception que n’est nostre dit
-cousin le duc de Montpensier, ils devoient
-en tous actes et assemblées des dits pairs de
-France, aller devant lui et le précéder, ainsi
-qu’en tout temps il auroit esté observé entre
-iceux pairs qui alloient selon l’ordre et l’ancienneté
-de leurs créations et réceptions.....
-Attendu qu’en cet acte solemnel d’iceux sacre
-et couronnement, il n’est question de chose
-<span class="pagenum" id="Page_497">497</span>
-qui touche en rien l’honneur et prééminence
-du sang royal, que nostre dit cousin le duc
-de Montpensier attaque pour précéder nos
-dits cousins les ducs de Guise et de Nevers,
-mais seulement de la préférence des pairs de
-France, et lesquels devront aller devant et
-précéder l’un l’autre, nous avons par ces
-présentes, par manière de provision, ordonné,
-attendu la dite briéveté de temps, et jusques
-à ce que autrement en ait esté décidé, que
-nos dits cousins les ducs de Guise et de
-Nevers comte d’Eu, créez et reçeus pairs de
-France premiers que nostre dit cousin le duc
-de Montpensier, précéderont, en cettuy acte
-seulement, iceluy nostre dit cousin le duc de
-Montpensier, sans que cela lui puisse toutes
-fois aucunement préjudicier par cy après, soit
-en semblables actes, ou tous autres d’honneur
-et de prééminence, quels qu’ils soient, où
-l’on devra avoir respect et regard à la dignité
-du sang royal dont est issu nostre dit cousin
-le duc de Montpensier.» (<cite>Ordon. du 25 juillet
-1547</cite>).</p>
-
-<p>«Nostre très cher et amé cousin le duc de
-Guise, pair et grand chambellan de France,
-nous a fait remontrer que à l’assiette et assemblée
-des pairs de France, qui nous assisterent
-<span class="pagenum" id="Page_498">498</span>
-lors que nous fusmes dernierement en nostre
-dite cour tenir nostre dit parlement, il se laissa
-précéder par nostre tres cher et amé cousin le
-duc de Montpensier, ne sçachant ce que depuis
-il a entendu pour certain, qui est, que le duc
-de Guise est fait et créé premier pair que le
-duc de Montpensier, ainsi qu’il se trouve par
-les registres de nostre dite cour, ou leurs érections,
-créations et receptions sont enrégistrées.
-A cette cause, et que par telle précédence, s’il
-la souffroit et toleroit, il perd son rang et ancienneté,
-il nous a supplié et requis sur ce luy
-vouloir pourvoir sommairement, sans qu’il soit
-besoin en entrer en autre contestation, afin
-que de son temps il ne fasse telle playe au college
-des dits pairs, que de pervertir l’ordre qui
-d’ancienneté, y a esté institué et établi, lequel
-nous voulons estre entretenu, gardé et observé:
-par quoy nous avons déclaré et déclarons par
-ces présentes, de nostre certaine science, pleine
-puissance et authorité royale, que ce que nostre
-dit cousin le duc de Guise pair de France a fait,
-ainsi que dit est, par inadvertance à la dite
-assiette et assemblée des pairs, qui nous ont
-assisté dernierement que nous avons tenu le
-dit parlement, se laissant précéder par nostre
-dit cousin le duc de Monpensier, ne lui peut,
-<span class="pagenum" id="Page_499">499</span>
-ne doit aucunement préjudicier à son rang et
-ancienneté, par lesquels il doit estre premier que
-ledit duc de Montpensier, assis, inscrit, nommé
-et appelé, comme estant premierement créé,
-reçeu et institué pair de France, eu recours aux
-registres de nostre cour; vous mandant, commettant
-et enjoignant que selon et suivant
-nostre presente declaration, et en icelle gardant
-et observant, faite corriger et reformer le
-registre qui fut fait et tenu pour ce jour de la
-dite assiette et assemblée des pairs; où par
-inadvertance, ainsi que dit est, nostre dit
-cousin s’est laissé preceder: dont, en tant
-que besoin est, ou seroit, nous l’avons par
-ces presentes signées de nostre main, relevé
-et relevons, le faisant par vous mettre et
-inscrire au dit registre selon son rang, premier
-que nostre dit cousin le duc de Montpensier,
-qui est après lui créé, receu et
-institué.» (<cite>Lettres-patentes de Henri II,
-en 1571</cite>).</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_333" id="Footnote_333" href="#FNanchor_333"><span class="label">[333]</span></a>
-Cette qualité de prince que je donne
-aux plus grandes maisons du royaume, ne
-peut point être contestée par les personnes
-qui connoissent notre ancien gouvernement.
-Qu’on ouvre <cite class="rmn">Beaumanoir, chap. 34</cite>, on y
-trouvera ces mots: «en tous les liez la ou
-<span class="pagenum" id="Page_500">500</span>
-li rois n’est pas nommés, nous entendons
-de chauz qui tiennent en baronnie, car
-chacun des barons si est souverain en sa
-baronnie.» Ouvrez le <cite class="rmn">chap. 48</cite>, vous y lirez
-ce passage: «Comment li hommes de porte
-pueent tenir franc fief; si est par espécial grace
-que il ont d’où roy ou d’où prinche qui tient
-en baronnie.»</p>
-
-<p>Je nommerois volontiers ici toutes les maisons
-qui ont possédé de grands fiefs, ou des
-baronnies et des comtés avant le règne de
-S. Louis; mais il vaut mieux me taire. Quelles
-plaintes n’exciterois-je pas, si par malheur,
-je venois à oublier quelque famille; car,
-nous sommes bien plus jaloux de la grandeur
-de nos pères que de la nôtre? D’ailleurs,
-je ne suis point et ne veux point être généalogiste;
-il est trop difficile de ne se pas tromper
-en faisant ce métier; en croyant dire des
-vérités, je ne conterois peut-être que des
-chimères.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_334" id="Footnote_334" href="#FNanchor_334"><span class="label">[334]</span></a>
-Voyez la remarque 121, ch. 6 du livre 3.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_335" id="Footnote_335" href="#FNanchor_335"><span class="label">[335]</span></a>
-«Avons dit, statué et ordonné, disons,
-statuons et ordonnons par édict et arrest
-irrévocables, voulons et nous plait que doresnavant
-les princes de nostre sang, pairs de
-France, précéderont et tiendront rang selon
-<span class="pagenum" id="Page_501">501</span>
-leur degré de consanguinité, devant les autres
-princes et seigneurs pairs de France, de quelque
-qualité qu’ils puissent estre, tant es
-sacres et couronnement des rois, que es seances
-des cours de parlement et autres quelconques
-solemnitez, assemblées et cérémonies publiques,
-sans que cela leur puisse estre plus
-à l’advenir, estre mis en dispute ne controverse,
-sous couleur des titres et priorité
-d’érection de pairies des autres princes et
-seigneurs, ne autrement pour quelque cause
-et occasion que ce soit.» (<cite>Edit de décembre,
-de 1576</cite>).</p>
-
-<p>En 1575, le duc de Montpensier présenta
-requête à Henri III, pour demander que son
-différend de préséance avec le duc de Guise
-fût jugé; l’affaire fut portée au parlement,
-qui en 1541, le 17 juin, avoit déjà donné
-un arrêt par lequel il est dit: «que le duc
-de Montpensier, prince du sang royal et
-pair de France, précédera au fait des rozes le
-duc de Nevers, comte d’Eu, encore que Nevers
-et Eu eussent été premierement érigés en pairies
-que Montpensier; et ce à cause de la
-qualité de prince du sang jointe à la qualité
-de pairs.» (<cite>Cérémonial Français, par MM. Godefroy,
-p. 332</cite>).</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_336" id="Footnote_336" href="#FNanchor_336"><span class="label">[336]</span></a>
-<span class="pagenum" id="Page_502">502</span>
-Cet édit n’ayant point eu son effet,
-il seroit inutile d’en rapporter les articles. On
-le trouve dans tous les recueils d’ordonnances.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_337" id="Footnote_337" href="#FNanchor_337"><span class="label">[337]</span></a>
-«Le jeudi 7 de septembre (1581)
-jour des arrests en robes rouges, d’Arque
-premier mignon du roy vint en parlement,
-assisté des ducs de Guise, d’Aumale, Villequier
-et autres seigneurs, et fit publier les
-lettres d’érection du vicomte de Joyeuse en
-duché et pairie, et icelles enteriner avec la
-clause qu’il précéderoit tous autres pairs,
-soit princes yssus du sang royal ou de maisons
-souveraines, comme Savoye, Lorraine,
-Cleves et autres semblables.» (<cite>Mémoire de
-l’Étoile p. 129</cite>). La même année, Epernon fut
-érigé en duché pairie, en faveur de la maison
-de Nogaret, avec la clause de précéder tous
-les pairs, à l’exception des pairs qui seroient
-princes et du duc de Joyeuse.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_338" id="Footnote_338" href="#FNanchor_338"><span class="label">[338]</span></a>
-Voyez la remarque 121, chap. 6 du
-livre 3.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_339" id="Footnote_339" href="#FNanchor_339"><span class="label">[339]</span></a>
-Ce fut l’ordonnance d’avril 1561. Cette
-ordonnance, dictée par l’esprit de tolérance
-du chancelier de l’Hôpital, et contraire à
-tous les principes fanatiques du parlement,
-fut adressée aux gouverneurs des provinces
-pour la faire exécuter. Peu s’en fallut que
-<span class="pagenum" id="Page_503">503</span>
-le chancelier ne fût décrété d’ajournement
-personnel. Le parlement se contenta de défendre,
-par un arrêt, de publier cette ordonnance.
-Il établit dans ses remontrances qu’il
-est contre toutes les règles et tous les usages,
-d’adresser aux gouverneurs et non aux parlemens
-une ordonnance qui ne peut être regardée
-comme loi, qu’autant qu’elle est publiée
-et enregistrée dans les cours souveraines. Voyez
-l’<cite class="rmn">histoire de Thou, l. 28</cite>.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_340" id="Footnote_340" href="#FNanchor_340"><span class="label">[340]</span></a>
-François I en donna l’exemple par son
-<cite class="rmn">édit du 24 juillet 1527</cite>, que j’ai rapporté
-dans la <a href="#Footnote_288">remarque 288</a>, chap. 3 du livre précédent,
-et ses successeurs le suivirent: de
-sorte qu’il s’établit une rivalité constante
-entre le conseil et le parlement. En laissant
-au parlement la liberté de faire des remontrances,
-la cour prétendit qu’il devoit enregistrer,
-dès que le roi auroit déclaré qu’il
-persévéroit dans ses volontés. «Souvenez-vous,
-dit Charles IX au parlement de Paris, que
-votre compagnie a été établie par les rois,
-pour rendre la justice aux particuliers, suivant
-les lois, les coutumes et les ordonnances
-du souverain; par conséquent, de me laisser
-à moi et à mon conseil le soin des affaires
-de l’état. Défaites-vous de l’ancienne erreur
-<span class="pagenum" id="Page_504">504</span>
-dans laquelle vous avez été élevés, de vous
-regarder comme les tuteurs des rois, les défenseurs
-du royaume et les gardiens de Paris.
-Si dans les ordonnances que je vous adresse,
-vous trouvez quelque chose de contraire à
-ce que vous pensez, je veux que selon la
-coutume vous me le fassiez au plutôt connoître
-par vos députés: mais je veux qu’aussitôt
-que je vous aurai déclaré ma dernière et
-absolue volonté, vous obéissiez sans retardement.»</p>
-
-<p>Le parlement ne s’étant pas conformé à
-ces ordres, le roi rendit le 24 septembre 1563,
-un arrêt par lequel, sans avoir égard à l’arrêt
-du parlement de Paris, le cassoit et l’annulloit
-comme rendu par des juges incompétens, à
-qui il n’appartenoit pas de connoître des
-affaires publiques du royaume; lui ordonnoit
-de vérifier et publier son édit du mois d’août
-dernier, sans y ajouter aucune restriction,
-ni modification; enjoignoit à tous les présidens
-et conseillers de se trouver à l’assemblée,
-s’ils n’en étoient empêchés par maladie
-ou autre cause légitime, sous peine d’être
-interdit des fonctions de leurs charges; leur
-défendoit aussi d’avoir jamais la présomption
-d’examiner, de statuer, ou même de délibérer
-<span class="pagenum" id="Page_505">505</span>
-touchant les édits de sa majesté qui concerneroient
-l’état, sur-tout lorsqu’ils auroient
-déjà fait leurs remontrances, et que le roi
-auroit notifié ses volontés: voulant sa majesté
-que ses édits soient alors enrégistrés purement
-et simplement.</p>
-
-<p>«Après que nos édits et ordonnances
-auront esté envoyées en nos cours de parlemens
-et autres souveraines pour y estre publiées,
-voulons y estre procédé, toutes affaires
-délaissées, sinon qu’ils avisassent nous faire
-quelques remontrances, auquel cas leur enjoignons
-de les faire incontinent, et après
-que sur icelles remontrances leur aurons fait
-connoître notre volonté, voulons et ordonnons
-estre passé outre à la publication sans
-aucune remise à autres secondes.» (<cite>Ordonn.
-de Moulins, en février 1566, art. 2</cite>).</p>
-
-<p>Cet article ne fut pas observé; le parlement
-de Paris fit d’itératives remontrances,
-et ne publia l’ordonnance qu’en y mettant
-des modifications et des réserves; comme il
-paroît par la <cite class="rmn">seconde déclaration sur l’ordonnance
-de Moulins, donnée à Paris le 11 décembre
-1566</cite>, et dans laquelle le roi s’exprima
-ainsi: «néanmoins en publiant les dites
-ordonnances, le septième jour du dit mois
-<span class="pagenum" id="Page_506">506</span>
-de Juillet, nostre dite cour auroit excepté
-de la dite publication plusieurs articles, et
-sur autres reservé faire itératives remontrances,
-les choses demeurant en l’estat, dont seroit
-advenu que nos dites ordonnances ne sont
-aucunement publiées, gardées ni observées...
-Déclarons, voulons et nous plaît que les
-gens de nos parlemens puissent nous faire
-et réitérer telles remontrances qu’ils aviseront
-sur les édits, ordonnances et lettres-patentes
-qui leur seront adressées, mais après avoir
-esté publiées, seront gardées et observées
-sans y contrevenir, encore que la publication
-fust faite de nostre très-exprès mandement, ou
-que l’on eût retenu et réservé d’en faire de plus
-amples et itératives remontrances.»</p>
-
-<p>Il semble qu’il seroit inutile de rapporter
-ici un plus grand nombre d’autorités pour
-faire connoître et constater quels étoient l’esprit
-et les prétentions du conseil et du parlement.
-J’en suis fâché pour la mémoire du
-chancelier de l’Hôpital, dont la vertu a honoré
-ces derniers siècles, et qui a été certainement
-le plus éclairé de nos magistrats. Trompé par
-ses bonnes intentions, et ne prévoyant pas où
-devoit aboutir l’autorité arbitraire qu’il vouloit
-remettre entre les mains du roi, il ne voyoit
-<span class="pagenum" id="Page_507">507</span>
-que le mal que faisoit le fanatisme du parlement,
-et il travailla constamment à renverser
-la digue que des circonstances et des hasards
-heureux, avoient élevée contre le torrent de
-la puissance arbitraire. Il me semble que ce
-combat de rivalité sur la forme de l’enregistrement,
-et la force et le crédit qu’il devoit
-avoir, n’auroit pas subsisté si long-temps
-sans les troubles, les désordres et les circonstances
-malheureuses qui forcèrent souvent les
-fils de Henri II à n’oser pas quelquefois se
-servir de toute leur autorité.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_341" id="Footnote_341" href="#FNanchor_341"><span class="label">[341]</span></a>
-Voyez les ordonnances de Néron. Il
-remarque que cette ordonnance donnée au
-mois de mai 1579, ne fut enregistrée au
-parlement que le 25 de janvier 1580, après
-plusieurs délibérations et plusieurs remontrances
-faites au roi. Quoique cette ordonnance
-soit datée de Paris, on l’appelle communément
-l’ordonnance de Blois, parce qu’elle
-fut rendue en conséquence des états qui
-avoient été assemblés en cette ville en 1576.</p>
-
-<p>Cette conduite du parlement dut paroître
-extraordinaire à toutes les personnes qui
-avoient quelque idée de la dignité et des
-droits que doit avoir une nation. En parlant
-des difficultés que le parlement de Paris
-<span class="pagenum" id="Page_508">508</span>
-opposa à l’ordonnance de Moulins en 1566,
-Bugnyon avoit dit: «Ne sont les ordonnances
-faites en pleines assemblées des états de ce
-royaume, du conseil privé du roy, des
-députez de ses cours de parlement, telles
-que les presentes, sujettes à aucune publication
-ni vérification, des cours d’iceux parlemens
-de ce royaume, les autres au contraire
-se doivent publier principalement au parlement
-de Paris, auquel est demeuré le nom
-de cour des pairs, et semblablement d’authorité
-et puissance de les homologuer, ainsi
-qu’elle a fait de tout temps, et fait encore
-à présent, sinon que le roy veuille et commande
-d’authorité absolue, comme il fait ici,
-qu’il soit obéi en ses ordonnances.»</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_342" id="Footnote_342" href="#FNanchor_342"><span class="label">[342]</span></a>
-«Sur les remontrances faites à la cour
-par le procureur-général, la chose mise en
-délibération, toutes les chambres assemblées,
-la dite cour n’ayant jamais eu d’autres intentions
-que de maintenir la religion catholique,
-apostolique et romaine, et l’état et couronne
-de France, sous la protection d’un roi très-chrétien,
-catholique et français, a ordonné
-et ordonne qu’aujourd’huy après dîner, le
-président le Maistre, accompagné d’un bon
-nombre de conseillers, ira remontrer à Mgr. le
-<span class="pagenum" id="Page_509">509</span>
-duc de Mayenne, lieutenant-général de l’état
-et couronne de France, en la présence des
-princes et officiers qui sont à présent en cette
-ville, qu’on n’ait à faire aucun traité pour
-transférer la couronne entre les mains d’aucunes
-princesses, ou d’aucuns princes étrangers,
-qu’il est juste que les lois fondamentales
-de ce royaume soient observées, et les
-arrêts de la cour, touchant la déclaration
-d’un roy catholique et français, mis à exécution,
-et que pour cet effet, le même duc ait
-à se servir du pouvoir qui lui a été donné,
-pour empêcher que sous prétexte de religion,
-la couronne ne soit transférée à une puissance
-étrangère, contre les lois du royaume, et
-pourvoir par même moyen au commun repos
-du peuple, le plustot que faire se pourra,
-pour l’extrême nécessité où il se trouve réduit;
-et cependant la dite cour a déclaré et déclare
-tous les traités faits et à faire, pour l’établissement
-de quelque prince ou princesse que ce
-soit, s’ils sont étrangers, non valables et de
-nul effet, pour être au préjudice de la loi
-salique et des autres lois fondamentales de
-ce royaume.» Voyez cet arrêt dans <cite class="rmn">Davila,
-liv. 13</cite>, et dans l’<cite class="rmn">histoire de Thou, liv. 106</cite>.</p>
-
-<p>J’avoue que dans cette affaire, je serois
-<span class="pagenum" id="Page_510">510</span>
-assez porté à croire avec Davila que le duc
-de Mayenne fut l’auteur de l’arrêt qu’on vient
-de lire. Je n’ai rapporté dans le corps de
-mon ouvrage que les principales raisons qui
-m’ont déterminé à prendre cet avis; car,
-j’aurais fatigué la plupart de mes lecteurs,
-en entrant dans un plus grand détail, mais
-une remarque me donne plus de liberté.
-Observez d’abord que cet arrêt donné pour
-conserver la loi salique ou l’ordre de succession
-établi en faveur de la maison de
-Hugues-Capet, ne nomme ni Henri IV, ni
-aucun prince de la branche de Bourbon. Il
-ne paroît fait que contre l’Espagne; il favorise
-le duc de Mayenne, parce qu’il est
-ordonné de n’élever sur le trône qu’un prince
-français; et que le duc étoit d’une maison
-qui, quoique étrangère, étoit naturalisée française.
-La prétention même qu’avoient les
-princes Lorrains de descendre de Charlemagne,
-en faisoit des vrais Français, et donnoit
-une espèce de droit à l’usurpation qu’ils
-méditoient.</p>
-
-<p>Je remarque en second lieu que tout cet
-arrêt est dressé avec un art, une circonspection
-et des ménagemens qui décèlent bien
-mieux le génie du duc de Mayenne, qu’une
-<span class="pagenum" id="Page_511">511</span>
-compagnie qui fait ses efforts pour secouer
-ses préjugés, renoncer à son esprit de parti,
-et publier une doctrine qu’elle paroissoit avoir
-oubliée. Si l’arrêt dit qu’il est juste que les
-lois fondamentales du royaume soient observées,
-il fait entendre que ces lois se bornent
-à ne pas permettre qu’on donne la couronne
-à des étrangers; et tout de suite il ajoute
-que les arrêts de la cour touchant la déclaration
-d’un roi catholique et français, doivent
-être mis à exécution. Si le parlement avoit
-agi de son propre mouvement, et n’eût voulu
-faire connoître que son amour pour la justice
-et son attachement pour la famille régnante,
-n’est-il pas naturel qu’il se fût exprimé avec
-plus de zèle et de chaleur?</p>
-
-<p>Ce fait n’est pas rapporté de la même
-manière par les écrivains contemporains. De
-Thou dit, liv. 106, que cet arrêt déplut extrêmement
-au duc de Mayenne, mais qu’il n’osa
-faire paroître son mécontentement. Pourquoi
-cette retenue? elle devoit déplaire aux Espagnols,
-et n’étoit pas propre à faire prendre au parlement
-une autre conduite. Si le duc de Mayenne
-étoit réellement offensé de l’arrêt du parlement,
-il falloit y remédier, et se plaindre de
-l’entreprise de la cour, qui osoit se mettre
-<span class="pagenum" id="Page_512">512</span>
-au-dessus des états: cacher son ressentiment
-n’étoit qu’une puérilité. Ce prince n’ignoroit
-pas en quels termes les derniers rois avoient
-ordonné aux magistrats du parlement de se
-borner à être les maîtres des rois.</p>
-
-<p>L’Etoile dit dans ses mémoires que le duc
-de Mayenne fit une réponse courte au discours
-du président le Maistre, et en apparence pleine
-de mécontentement. Voilà qui est clair et conforme
-à l’opinion de Davila, mais il ajoute:
-«On le vit changer de couleur et laisser tomber
-son chapeau deux ou trois fois.» Voilà un
-trouble réel, et on n’entend plus rien à la
-narration de l’Etoile; peut-être ce trouble
-n’étoit-il que joué.</p>
-
-<p>«Le dernier de juin, continue-t-il, la cour
-assemblée fut interrompue par Belin envoyé
-du duc de Mayenne, pour les prier de surseoir
-leurs délibérations d’un jour ou deux
-seulement. Sur quoi la cour députa le président
-le Maistre et les conseillers Vamours
-et Fleuri vers le duc de Mayenne, qui leur
-dit tout en colère; il faut changer d’amitié
-votre arrêt, comme je vous en prie bien fort,
-sinon j’y employerai les forces à mon grand
-regret: la cour m’a fait un affront, dont
-elle se fût bien passée. Le président répondit
-<span class="pagenum" id="Page_513">513</span>
-qu’il étoit prince trop sage et advisé pour en
-venir à la force et aux voyes de fait, et quand
-il le feroit, Dieu seroit toujours pour la justice
-laquelle ils avoient simplement suivie en leur
-arrêt sans avoir jamais pensé à l’offenser. Alors
-M. de Lyon dit qu’à la vérité la cour avoit
-fait au duc de Mayenne un vilain affront, et
-qu’elle ne l’avoit dû faire. La cour, repartit
-le président, n’est pas affronteuse, et ce qu’elle
-a fait, elle l’a fait justement, le respect qu’elle
-doit à M. le duc lui a bien fait prendre et
-endurer ce qu’il a voulu lui dire; mais elle
-ne vous doit pas de respect; ains au contraire
-vous à elle.»</p>
-
-<p>Je demande à tout lecteur sensé si, par tout
-ce récit, on ne découvre pas dans les acteurs
-une certaine molesse de conduite, qui est
-une preuve de leur intelligence secrète. On
-voit que le duc de Mayenne ne fait que ce
-qu’il est obligé de faire pour ne pas rompre
-avec les Espagnols. S’il eût été réellement
-indigné contre le parlement, si le président
-le Maistre et le conseiller du Vair, qui
-conduisoient leur compagnie, n’eussent pas
-été en effet ses créatures, il auroit agi auprès
-de ces ligueurs entêtés dont parle l’Etoile, et
-s’en seroit servi pour les opposer à ses ennemis.
-<span class="pagenum" id="Page_514">514</span>
-Les mémoires du temps ne manqueroient
-pas de parler de ces intrigues. Le duc de
-Mayenne ne prend, au contraire, aucune
-mesure pour obliger le parlement à se
-rétracter, il ne songe pas même à profiter
-de l’orgueil des états pour réprimer l’audace
-du parlement.</p>
-
-<p class="last">«Le duc de Mayenne et le président le
-Maistre ayant eu un éclaircissement au sujet
-de l’arresté du dernier juin 1593, qui exclue
-les étrangers de la couronne; le duc dit que
-s’il avoit été averti, lui et les autres princes
-se seroient trouvés au parlement; à quoi le
-président répondit que la cour est la cour des
-pairs de France, et que quand ils y vouloient
-assister, ils étoient les bien reçeus; mais que
-de les en prier, elle n’avoit pas coutume de
-ce faire.» (<cite>Mémoires de Nevers, t. 2. p. 937.</cite>)
-Il seroit inutile de donner plus d’étendue
-à cette remarque.</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_515">515</span></p>
-
-<hr class="full" />
-
-<h4>CHAPITRE IV.</h4>
-
-<p class="nlh"><a name="Footnote_343" id="Footnote_343" href="#FNanchor_343"><span class="label">[343]</span></a>
-«<span class="smcap"><span class="cs20">I</span>l</span> (Henry IV) s’achemina vers
-St.-Quentin..... où se trouvèrent aussi peu
-après la plus part des grands et plus qualifiés
-seigneurs de France, aucuns desquels, au lieu
-de bien servir le roy et de le consoler et soulager
-en ses ennuis et tribulations, essayerent
-de se prévaloir d’icelles pour s’en adventager
-à son dommage, lui faisant faire des ouvertures
-et propositions étranges, desquelles à force
-d’importunitez et de subtiles raisons recherchées
-dans la plus noire malice des autheurs
-de telles impertinences, ils rendirent monsieur
-de Montpensier le porteur, lequel étoit venu
-trouver le roy en sa chambre; ensuite de
-plusieurs protestations de son affection, lui
-dit: que plusieurs de ses meilleurs et qualifiez
-serviteurs, voyans les grandes forces
-ennemies qui lui tomboient à tous momens
-sur les bras, desquelles il ne pouvoit empescher
-les progrès à faute d’avoir toujours
-sur pied une grande armée bien payée et
-disciplinée, avoient selon leur advis excogité
-<span class="pagenum" id="Page_516">516</span>
-un moyen, par lequel il lui en seroit entretenu
-une grande et fort bien soudoyée qui
-ne se débanderoit jamais, étant toujours complette
-de ce qui lui seroit nécessaire, voire
-mesme de vivre et d’une bande d’artillerie
-de quinze ou vingt pièces de canon avec
-son attelage et des munitions pour tirer toujours
-deux ou trois mille coups, lesquels il
-pourroit mener par-tout où bon lui sembleroit.
-Sur quoy le roy voyant que monsieur
-de Montpensier avoit comme fait une pose
-à son propos, il lui repartit soudain: que
-son discours étoit beau et bon et de belle
-apparence, mais qu’il falloit que des cervelles
-bien timbrées et des personnes bien fondées,
-bien expérimentées et bien puissantes s’en
-meslassent pour en produire les effets; qu’il
-ne luy respondoit encore de rien qu’il n’eust
-recognu auparavant si les moyens en estoient
-aussi faciles et certains comme ses paroles
-belles et bien spécieuses, tant desiroit-il qu’il
-continuast et les lui fit entendre: à quoi M. de
-Montpensier en le suppliant de prendre de
-bonne part ce qu’il proposeroit, lui dit que
-ce n’estoit pas chose qui n’eust esté autrefois
-pratiquée et dont les rois ne se fussent
-bien prévalus, laquelle consistoit seulement
-<span class="pagenum" id="Page_517">517</span>
-à trouver bon que ceux qui avoient des
-gouvernemens par commission, les pussent
-posséder en propriété en les recognoissant
-de la couronne par un simple hommage lige,
-et d’autant qu’il se pourroit trouver quelques
-seigneurs bien qualifiés de grand mérite
-et longue expérience qui n’avoient point de
-gouvernemens, ils avoient advisé de séparer
-quelques contrées de ceux qui estoient les
-plus amples et de plus grande étendue, dont
-ils seroient pourveus avec le gré et commun
-consentement d’eux tous, lesquels après en
-general et un chacun en son particulier,
-s’obligeroient à luy fournir et soudoyer par
-avance telles troupes et autres équipages que
-besoin seroit, &amp;c.» (<cite>Economies royales de
-Sully, ch. 60</cite>). Cette autorité sert merveilleusement
-à prouver ce que j’ai dit plus haut
-du danger où étoit le royaume d’être démembré,
-et du goût que les grands avoient conservé
-pour les fiefs.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_344" id="Footnote_344" href="#FNanchor_344"><span class="label">[344]</span></a>
-Voyez l’<cite class="rmn">histoire de Thou</cite>.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_345" id="Footnote_345" href="#FNanchor_345"><span class="label">[345]</span></a>
-Voyez l’<cite class="rmn">histoire de Thou, l. 117</cite>.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_346" id="Footnote_346" href="#FNanchor_346"><span class="label">[346]</span></a>
-«S’ils font un corps séparé (les pairs)
-ils ne peuvent en aucune manière précéder
-le corps du parlement qui est le premier de
-tous les corps de l’état, qui n’est jamais
-<span class="pagenum" id="Page_518">518</span>
-précédé de personne; qui est même supérieur
-aux états-généraux, lorsqu’ils sont assemblez,
-et qui ne peut jamais être séparé du roy
-par qui que ce soit, comme l’on voit aux processions
-générales, aux obseques des rois et
-à toutes les grandes cérémonies. C’est pourquoi
-le parlement ne fait point partie des
-états-généraux, et n’est d’aucun des trois
-corps qui les composent, parce qu’il est
-séparé de tout le reste des sujets du roy qui
-forment leurs corps d’eux-mêmes. Le parlement
-au contraire est immédiatement attaché
-à la royauté, sans laquelle il ne compose
-aucun corps ni communauté.» (<cite>Premier
-mémoire des présidens à mortier du parlement de
-Paris en 1664.</cite>)</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_347" id="Footnote_347" href="#FNanchor_347"><span class="label">[347]</span></a>
-Voyez la <a href="#Footnote_305">remarque 305</a>, ch. 3 du livre
-précédent.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_348" id="Footnote_348" href="#FNanchor_348"><span class="label">[348]</span></a>
-«Du 14 mai 1610 de relevée. Ce jour
-l’audience tenant de relevée, la cour se leva
-sur les quatre heures à cause du bruit survenu
-au barreau, de la blessure du roy; et
-néantmoins arrêta qu’elle ne se sépareroit
-point jusqu’à ce qu’elle fût informée de l’occasion
-de ce bruit. Et à cette fin ordonna que
-les gens du roy se transporteroient au Louvre,
-et pendant ce temps monsieur le premier
-<span class="pagenum" id="Page_519">519</span>
-président seroit averti de ladite résolution.
-Peu de temps après seroit arrivé ledit sieur
-premier président, lequel toutes les chambres
-par luy assemblées, auroit dit avoir rencontré
-en chemin, messire Christophe de Harlay,
-bailly du palais, son fils, ayant commandement
-de la reyne de parler à la cour. Lequel
-entré auroit dit avoir commandement de ladite
-dame reyne de dire à la cour, que sa majesté
-desiroit qu’elle fût assemblée et délibéré par
-elle ce qui étoit à faire sur ce misérable
-accident qui étoit survenu de la blessure du
-roy. A l’instant les gens du roy retournés
-du Louvre auroient dit par messire Louis
-Servin advocat du roy, assisté de messire
-Cardin le Bret son collegue, qu’ils apportoient
-à la cour une luctueuse et déplorable
-nouvelle que la nécessité de leurs charges
-les forçoit lui faire entendre, que Dieu avoit
-fait sa volonté du roy, et que la reyne désolée
-leur a commandé prier la cour de s’assembler
-pour aviser ce qui est nécessaire en ce misérable
-état. Et afin d’y mettre telle assurance
-qu’il se pourra, ont requis que ladite dame
-reyne soit déclarée régente, pour être par
-elle pourveu aux affaires du royaume. Eux
-retirez, la matiere mise en délibération: la
-<span class="pagenum" id="Page_520">520</span>
-cour a déclaré et déclare la reyne mere du
-roy régente en France, pour avoir l’administration
-des affaires du royaume pendant le
-bas âge du dit seigneur son fils avec toute
-puissance et autorité, &amp;c.» (<cite>Registres du parlement</cite>).
-Cette pièce et les suivantes sont rapportées
-dans le <cite class="rmn">traité de la majorité de nos
-rois, par du Puy, p. 460</cite>.</p>
-
-<p>«Du samedi 15 de may 1610, le roi étant
-venu en son lit de justice en sa cour de
-parlement, se seroit assis en son trône....
-Cela fait la reyne mere dudit seigneur roy
-se leva, et comme elle descendoit pour se
-retirer, et laisser deliberer ce qui étoit à
-faire, monsieur le premier président la supplia
-de se remettre en sa place, disant qu’il
-n’y avoit point de délibération à faire, et
-que la qualité de régente ayant été déclarée
-par l’arrêt du jour précédent, il ne restoit
-qu’à le publier, &amp;c.» (<cite>Registre du parlement</cite>).
-C’est ainsi que le parlement s’empara du droit
-de nommer la régence, et établit même que
-pour un pareil acte, la présence du roi n’étoit
-pas nécessaire: cette manœuvre est conduite
-avec assez d’adresse.</p>
-
-<p>«Sur ce monsieur le chancelier prononça
-l’arrêt qui sensuit: Le roi seant en son lit de
-<span class="pagenum" id="Page_521">521</span>
-justice par l’avis des princes de son sang,
-autres princes; prelats, ducs, pairs et officiers
-de la couronne, ouy et requerant son procureur
-général, a déclaré et déclare conformément
-à l’arrêt donné en sa cour de parlement
-le jour d’hier, la reyne sa mere
-régente en France, pour avoir soin de l’éducation
-et nourriture de sa personne et l’administration
-des affaires de son royaume,
-pendant son bas âge. Et sera le présent
-arrêt publié et enrégistré en tous les bailliages
-et seneschaussées et autres siéges
-royaux, du ressort de sa cour, et en toutes
-les autres cours de parlement de son
-royaume. Fait en parlement le 15 jour de
-may l’an 1610.»</p>
-
-<p class="last">Dans la relation de tous ces faits écrits
-par maître Jacques Gillot, conseiller en la
-grand-chambre: il est dit: M. le chancelier
-encore qu’il eût fait entendre à tous, que
-l’avis commun de tous étoit de dire, suivant
-l’arrêt donné en son parlement le jour
-d’hier, neantmoins ne la prononça pas; ce
-que luy ayant été remontré à part par M. le
-premier président, il lui répondit que c’étoit
-par oubliance; et qu’il seroit mis par écrit,
-et de fait on lui porta signer, où ces mots
-<span class="pagenum" id="Page_522">522</span>
-étoient, a déclaré et déclare conformément à
-l’arrêt donné en sa cour de parlement, du
-jour d’hier: ce qu’il fit, et l’arrêt a été imprimé
-et publié avec cette clause.</p>
-
-<hr class="full" />
-
-<h4>CHAPITRE V.</h4>
-
-<p class="nlh"><a name="Footnote_349" id="Footnote_349" href="#FNanchor_349"><span class="label">[349]</span></a>
-«<span class="smcap"><span class="cs20">E</span>ntre</span> les dits affaires auxquels il
-a fallu donner patience, l’un des principaux
-ont esté les plaintes que nous avons reçues
-de plusieurs de nos provinces et villes catholiques
-de ce que l’exercice de la religion
-catholique n’étoit pas universellement rétabli,
-comme il est porté par les édits cy-devant
-faits pour la pacification des troubles, à l’occasion
-de la religion; comme aussi les supplications
-et remontrances qui nous ont esté
-faites par nos sujets de la religion prétendue
-réformée, tant sur l’exécution de ce qui leur
-est accordé par lesdits édits, que sur ce qu’ils
-désiroient y estre ajouté pour l’exercice de leur
-dite religion, la liberté de leur conscience,
-et la sureté de leurs personnes et fortunes,
-présumant avoir juste sujet d’en avoir nouvelles
-et plus grandes appréhensions, à cause
-<span class="pagenum" id="Page_523">523</span>
-de ces derniers troubles et mouvemens, dont
-le principal prétexte et fondement a esté sur
-leur ruine.» (<cite>Préambule de l’édit de Nantes,
-avril 1598</cite>).</p>
-
-<p>J’invite mes lecteurs à lire l’édit de Nantes,
-et à faire une attention particulière aux articles
-3, 4, 7, 14, 20, 23, 25, 27, 34, sur lesquels
-je fais quelques remarques dans le corps de
-mon ouvrage.</p>
-
-<p>Quelque envie que j’aie d’être court, je
-ne puis me dispenser de rapporter ici l’article
-90. «Les acquisitions que ceux de la
-dite religion prétendue réformée et autres qui
-ont suivi leur parti, auront faites par autorité
-d’autre que des feus rois nos prédécesseurs,
-pour les immeubles appartenans à l’église,
-n’auront aucun lieu ni effet; ains ordonnons,
-voulons et nous plaît que lesdits ecclésiastiques
-rentrent incontinent et sans délai, et soient
-conservés en la possession et jouissance réelle
-et actuelle des dits biens ainsi alienez, sans
-être tenus de rendre le prix des dites ventes,
-et ce non obstant lesdits contrats de vendition,
-lesquels à cet effet nous avons cassé et
-revoqué comme nuls, sans toutefois que lesdits
-acheteurs puissent avoir recours contre
-les chefs, par l’autorité desquels lesdits biens
-<span class="pagenum" id="Page_524">524</span>
-auront été vendus; et néanmoins pour le remboursement
-des deniers par eux véritablement
-et sans fraude déboursés, seront expédiées
-nos lettres patentes de permission à
-ceux de la dite religion d’imposer et égaler
-sur eux les sommes à quoi se montèrent
-lesdites ventes, sans qu’iceux acquéreurs
-puissent prétendre aucune action pour leurs
-dommages et intérêts, à faute de jouissance;
-ains se contenteront du remboursement des
-deniers par eux fournis pour le prix des
-dites acquisitions précomptant sur icelui prix
-les fruits par eux perçus, en cas que la dite
-vente se trouvât faite à trop vil et injuste
-prix.»</p>
-
-<p>Quels législateurs que les hommes qui ont
-fait l’édit de Nantes? Craignoient-ils que les
-esprits ne fussent pas assez divisés par les
-intérêts de la religion? Le dernier jour du
-même mois d’avril 1598, Henri IV donna
-une espèce de déclaration contenant 57 articles.
-«Outre et par dessus les articles contenus
-en notre édit fait et ordonné au présent mois
-sur le fait de la religion prétendue réformée,
-nous en avons encore accordé quelques particuliers,
-lesquels nous n’aurions point estimé
-nécessaire de comprendre au dit édit, et
-<span class="pagenum" id="Page_525">525</span>
-lesquels néanmoins voulons qu’ils soient
-observez, et ayent même effet que s’ils y
-étoient compris, et à celle fin qu’ils soient
-lus et enrégistrez es greffes de notre cour de
-parlement pour y avoir recours lorsqu’il en
-sera besoin, et le cas y écherra; à cette
-cause, &amp;c.» Ce procédé n’est pas net. Une
-loi ne sauroit être trop méditée; toutes ces
-déclarations subséquentes qu’on donne pour
-l’affermir, ne sont bonnes qu’à l’affoiblir:
-on soupçonne le législateur de mauvaise foi,
-de précipitation et d’ignorance; et les esprits
-conçoivent des défiances ou des espérances
-dangereuses.</p>
-
-<p class="sep1 last"><a name="Footnote_350" id="Footnote_350" href="#FNanchor_350"><span class="label">[350]</span></a>
-Voyez dans le livre 5 le chapitre où j’ai
-fait voir par quelles causes l’Angleterre a vu
-s’élever un gouvernement libre sur les ruines
-de ses fiefs. J’ai eu soin d’observer que les
-assemblées de la nation ne jouissoient plus
-des droits qui leur sont propres, quand les
-guerres civiles furent allumées sous Charles I.
-A l’égard du corps germanique, tout le monde
-sait que les diètes et les tribunaux de l’empire
-ne jouissoient que d’une fausse liberté
-avant la guerre qui fut terminée par la paix
-de Westphalie. C’est cette paix qui a donné
-une forme constante au gouvernement.</p>
-
-<p><span class="pagenum" id="Page_526">526</span></p>
-
-<hr class="full" />
-
-<h4>CHAPITRE VI.</h4>
-
-<p class="nlh"><a name="Footnote_351" id="Footnote_351" href="#FNanchor_351"><span class="label">[351]</span></a>
-«<span class="smcap"><span class="cs20">S</span>ire</span>, ceste assemblée des grands
-de vostre royaume n’a esté proposée en vostre
-cour, que sous le bon plaisir de vostre majesté,
-pour lui représenter au vrai par l’advis de
-ceux qui en doivent avoir plus de connoissance,
-les désordres qui s’augmentent et multiplient
-de jour en jour, estant du devoir des
-officiers de la cour en telles occasions vous
-faire toucher le mal, afin d’en attendre le
-remède par le moyen de vostre prudence
-es authorité royale: ce qui n’est, sire, ni
-sans exemple, ni sans raisons.</p>
-
-<p>«Philippe-le-Bel qui premier rendit votre
-parlement sédentaire, et Louis Hutin qui
-l’establit dans Paris, lui laissèrent les fonctions
-et prérogatives qu’il avoit eues à la
-suite des rois leurs prédécesseurs. Et c’est
-pourquoi il ne se trouve aucune institution
-particulière de vostre parlement, ainsi que
-de vos autres cours souveraines qui ont esté
-depuis érigées, comme tenant vostre parlement
-la place du conseil des princes et
-<span class="pagenum" id="Page_527">527</span>
-barons qui de toute ancienneté estoient près
-la personne des rois, né avec l’estat: et
-pour marque de ce les princes et pairs de
-France y ont toujours eu séance et voix délibérative:
-et aussi depuis ce temps y ont esté
-vérifiées les lois, ordonnances et édits, création
-d’offices, traictez de paix et autres plus importantes
-affaires du royaume, dont lettres
-patentes luy sont envoyées pour en toute
-liberté les mettre en délibération, en examiner
-le mérite, y apporter modification raisonnable,
-voire mesme que ce qui est accordé
-par nos rois aux états-généraux, doit estre
-vérifié en vostre cour où est le lieu de vostre
-trône royal et le lict de vostre justice souveraine.</p>
-
-<p>«On pourroit rapporter plusieurs exemples
-pour preuve que de tout temps vostre parlement
-s’est utilement entremis des affaires publiques,
-lesquelles ont par ce moyen réussi au bien du
-service des rois vos prédécesseurs, entre lesquels
-nous vous représentons comme du règne
-du roy Jean furent convoquez en vostre parlement
-les princes, prelats et nobles du
-royaume pour adviser aux affaires de l’estat;
-que depuis que l’advis du même parlement
-le roy Charles V<sup>me</sup>, dit Le Sage, déclara
-<span class="pagenum" id="Page_528">528</span>
-la guerre au roy d’Angleterre, retira par
-ce moyen à la Guyenne et le Poictou:
-et que l’an mil quatre cent et treize vostre
-mesme parlement moyenna l’accord entre
-les dictes maisons d’Orléans et de Bourgogne......</p>
-
-<p>«Toutefois et quantes que ce sont presentez
-affaires concernant l’intérest du royaume, soit
-pour entreprises de la cour de Rome, ou
-des princes étrangers, régences, gouvernemens
-pendant les minoritez des rois, conservation
-des droicts et fleurons de la couronne,
-et manutention des lois fondamentales de
-l’estat: les propositions et remontrances sont
-toujours parties de la mesme compagnie, et
-la pluspart des résolutions y ont esté prises,
-tesmoin le privé et solennel arrest pour la
-confirmation de la loi salique en la personne
-de Philippe de Valois, et celuy depuis donné
-pendant les troubles par les officiers de
-vostre parlement, bien qu’ils feussent réduits
-en captivité et apprehension continuelle de
-la mort ou de la prison, laquelle action fut
-dès lors louée grandement par le feu roy
-vostre père de très-heureuse mémoire, se
-pouvant dire avec vérité que cet arrest fortifié
-de la valeur de ce grand roy, a empesché que
-<span class="pagenum" id="Page_529">529</span>
-vostre couronne n’ait esté transférée en main
-étrangère....</p>
-
-<p>«Vostre majesté mesme peut estre mémorative
-du grand et signalé service qui vous a esté
-rendu par vostre parlement lors du détestable
-parricide du feu roy Henri-le-grand vostre
-père, et comme par l’arrest, qui sera mémorable
-à jamais, il destournera prudemment les
-orages qui sembloient renverser vostre Estat,
-et comme depuis il a continué continuellement à
-la deffense de vostre souveraineté, contre ceux
-qui l’ont osé débattre et impugner, tant de vive
-voix, que par leurs escrits....</p>
-
-<p>«Bref, vostre parlement se peut donner cette
-gloire véritable, que le corps ne s’est jamais
-séparé ny désuny du chef auquel il s’est toujours
-au plus mauvais temps et plus roide saison
-tellement joint, que l’on ne l’a point vu se
-départir de l’obéyssance des rois vos prédécesseurs.»
-(<cite>Remontrances du parlement, présentées
-au roy le 22 may 1615.</cite>) Cette pièce se trouve
-dans le mercure français pour l’année 1615. J’invite
-mes lecteurs à la lire: on verra avec quelle
-adresse on abuse des faits pour en changer
-l’esprit et la nature, et se former de nouveaux
-droits: on découvrira sans peine cet esprit
-permanent du parlement qui a travaillé sans
-<span class="pagenum" id="Page_530">530</span>
-relâche à étendre son autorité: on verra que
-voulant s’élever sur les ruines de la nation
-asservie, il aspire à être le maître et à se mêler
-de tout, mais avec la retenue d’une compagnie
-qui sent sa foiblesse, et qui ne peut plus représenter
-qu’une nation qui a oublié tous ses
-droits.</p>
-
-<p>C’est dans cet esprit que le parlement ajoute:
-«Vostre parlement voyant les désordres en
-toutes les parties de vostre Estat, et que
-ceux qui en profitant à la ruyne de vostre
-peuple, pour s’exempter d’en estre recherchez,
-s’efforcent de donner à vostre majesté
-de sinistres impressions de ceste compagnie,
-lui faire perdre créance et l’esloigner de
-vostre affection, a de grandes raisons de
-désirer s’instruire avec les grands du royaume
-des causes de tous ces désordres, les rendre
-tesmoins de sa fidélité et dévotion à vostre
-service, et adviser avec eux des moyens
-convenables, non pour en ordonner et résoudre,
-mais pour les proposer à vostre
-majesté, avec plus de poids et authorité,
-après avoir esté concertez en une telle, et
-si célèbre compagnie, et par ce moyen
-les engager eux-mêmes en la réformation,
-et réduire les actions et intérests de
-<span class="pagenum" id="Page_531">531</span>
-tous à l’ordre qui seroit estably par vostre
-majesté.</p>
-
-<p>Vostre parlement supplie très-humblement
-vostre majesté de considérer combien il est
-nécessaire d’entretenir les alliances anciennes
-et confédérations renouvellées par le feu roy
-de très-heureuse mémoire, avec les princes,
-potentats et républiques estrangères, d’autant
-que delà dépend la seureté de vostre estat
-et le repos de la chrétienté.»</p>
-
-<p>Veut-on être persuadé que quelques seigneurs
-inquiets et mécontens gouvernoient l’ambition
-du parlement, et que cette compagnie commençoit
-à avoir l’esprit qu’elle fit éclater à
-la naissance de la guerre de la fronde; qu’on
-lise ce qui suit: «Et ne se pouvant espérer
-que l’ordre qui sera étably par vostre majesté
-puisse estre de longue durée, sans l’advis et
-conseil des personnes graves expérimentées
-et intéressées, vostre majesté est très-humblement
-suppliée retenir en vostre conseil les
-princes de vostre sang, les autres princes et
-officiers de la couronne, et les anciens conseillers
-d’estat qui ont passé par les grandes
-charges, ceux qui sont extraits de grandes
-maisons et familles anciennes, qui par affection
-naturelle et intérest particulier sont portez
-<span class="pagenum" id="Page_532">532</span>
-à la conservation de vostre estat, et en
-retrancher les personnes introduites depuis
-peu d’années, non pour leurs mérites et services
-rendus à vostre majesté, mais par la
-faveur de ceux qui y veulent avoir des
-créatures....</p>
-
-<p>«Que les officiers de la couronne, gouverneurs
-des provinces et villes de vostre royaume,
-soient maintenus en leur authorité, et puissent
-exercer les charges dont il a plu au roy les
-honorer, sans qu’aucun se puisse entremettre
-de disposer et ordonner de ce qui dépend de
-leurs fonctions.» On verra dans ces remontrances
-que le parlement embrasse toutes
-les branches de l’administration.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_352" id="Footnote_352" href="#FNanchor_352"><span class="label">[352]</span></a>
-On se rappelle sans doute que dans
-l’affaire de Cinqmars, les conjurés avoient
-<ins title="complotté">comploté</ins> d’assassiner le cardinal de Richelieu.
-Les mémoires du temps disent que Cinqmars
-vouloit avoir le consentement de Louis XIII.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_353" id="Footnote_353" href="#FNanchor_353"><span class="label">[353]</span></a>
-«Les frequentes rebellions et la facilité
-des soulèvemens et entreprises particulières
-d’autorité privée, prises et levement des armes
-soit pour pretexte publics, ou querelles et
-intérêts particuliers, honteuse à notre état et
-trop préjudiciable au repos de notre peuple, à
-notre autorité et à la justice, nous obligent
-<span class="pagenum" id="Page_533">533</span>
-d’y donner quelque ordre plus fort qu’il n’a
-été fait par cy-devant. Outre les peines portées
-par les ordonnances précédentes, nous défendons
-très expressement à tous nos sujets, de
-quelque qualité et condition qu’ils soient,
-d’avoir association, intelligence ou ligues
-avec aucuns princes ou potentats, républiques
-ou communautez, dedans ou dehors
-le royaume, sous quelque couleur ou occasion
-que ce soit: communiquer avec les
-ambassadeurs des princes étrangers, les voir,
-visiter ou recevoir, soit en leurs maisons
-ou maisons tierce ou neutre: recevoir aucunes
-lettres ni presens de leur part, ni
-leur en envoyer sans notre commandement
-ou permission, ou ayant charge et obligation
-de ce faire par leur charge ou emploi,
-à peine d’être convaincu de faction ou soulevement.»
-(<cite>Ordonn. de janvier 1629. Art.
-170</cite>).</p>
-
-<p>«Défendons pareillement à tous nos sujets
-de quelque qualité et condition qu’ils soient,
-d’errer, arrêter ou assurer des soldats et gens
-de guerre à cheval ou à pied par eux ou par
-autres, sous quelque prétexte que ce puisse
-être: les lever et assembler sans avoir sur
-ce nos lettres de commission signées d’un de
-<span class="pagenum" id="Page_534">534</span>
-nos secretaires d’état, et expédiées sous notre
-grand sceau.» (<cite>Ibid. Art. 171</cite>).</p>
-
-<p>«Faire avoir ou retenir aucun amas d’armes
-pour gens de pied ou de cheval, plus qu’il
-ne leur est nécessaire pour leurs maisons et
-sans notre permission en la forme susdite.»
-(<cite>Ibid. Art. 172</cite>).</p>
-
-<p>«Faire sans notre permission par lettres
-patentes en commandement, achat de poudre,
-plomb, mêche, plus que pour la provision nécessaire
-et raisonnable de leur maison, et plus
-qu’il ne sera porté par lesdites permissions.»
-(<cite>Ibid. Art. 173</cite>).</p>
-
-<p>«Faire fondre des canons ou autres pièces
-de quelque calibre que ce soit, en retirer
-ou en avoir en leurs maisons, soit de fonte
-de notre royaume ou étrangers, sans notre
-permission en la forme cy-dessus.» (<cite>Ibid.
-Art. 174</cite>).</p>
-
-<p>«Faire aucune ligues ou associations, ou
-y entrer, soit entre nos sujets ou les étrangers,
-pour quelque cause que ce soit.» (<cite>Ibid.
-Art. 175</cite>).</p>
-
-<p>«Faire fortifier les villes, places et chasteaux,
-soit ceux qui nous appartiennent,
-soit aux particuliers, hors les murailles, fossez
-et flancs des clotures pour ceux qui ont droit
-<span class="pagenum" id="Page_535">535</span>
-d’en avoir, de quelque fortification que ce
-soit, sans notre permission en la forme susdite.»
-(<cite>Ibid. Art. 176</cite>).</p>
-
-<p>«Faire assemblées convoquées et assignées
-publiquement ou en secret sans notre permission,
-ou du gouverneur et notre lieutenant
-général en la province: même auxdits
-gouverneurs et lieutenans généraux sans notre
-permission sous lettres en la forme susdite,
-esquelles les causes desdites assemblées soient
-exprimées.» (<cite>Ibid. Art. 177</cite>).</p>
-
-<p>Dans un pays où une pareille ordonnance
-est nécessaire, il est bien surprenant qu’on
-ose la donner. Si elle est inutile, pourquoi la
-donne-t-on?</p>
-
-<p>«Faisons pareillement défenses à tous nos
-sujets, de quelque qualité et condition qu’ils
-soient, ayant quelque charge ou office, de
-sortir de notre royaume sans notre permission,
-et à tous autres non ayant charges,
-sans le déclarer au juge et principal magistrat
-des villes de leur domicile, ou en avoir
-acte par écrit et en bonne forme.» (<cite>Ibid.
-Art. 178</cite>).</p>
-
-<p>«Défendons pareillement à tous nos sujets,
-sans aucun excepter, suivant le 77<sup>o</sup>. article
-des ordonnances de Moulins, d’écrire,
-<span class="pagenum" id="Page_536">536</span>
-imprimer, ou faire imprimer, exposer en vente,
-publier et distribuer aucuns livres, libelles
-ou écrits diffamatoires et convicieux, imprimez
-ou écrits à la main, contre l’honneur
-et renommée des personnes, même concernant
-notre personne, nos conseillers, magistrats
-et officiers, les affaires publiques et
-le gouvernement de notre état.» (<cite>Ibid.
-Art. 179</cite>).</p>
-
-<p>«Et d’autant que le commencement des
-factions est en la désobéissance et au mépris
-des ordres et commandemens du souverain,
-en l’obéissance duquel consiste le repos et
-la tranquillité des états et la prospérité des
-sujets, pour aller au devant de toutes occasions,
-nous voulons et ordonnons, que tous
-ceux qui ayant reçu commandement de nous
-en choses qui regardent le gouvernement de
-notre état, ou autres qui leur seront enjoints
-par nous, et généralement tout ce qui pourra
-leur être commandé par nous ou nos successeurs
-rois, et de quelque qualité et condition
-qu’ils soient, qui n’y voudront obéir, et ne
-satisferont à nos commandemens, ou qui
-après les avoir reçus, ne nous feront entendre
-les raisons qu’ils auront de s’en excuser, et
-ce qu’ils estimeront être en cela de plus
-<span class="pagenum" id="Page_537">537</span>
-grand bien pour notre service, après que
-nous leur aurons réitéré les dits commandemens,
-si après ledit second commandement
-ils n’obéissent, et ne satisfont à ce qui leur
-sera par nous ordonné, nous les déclarons
-dès à présent privez de toutes les charges et
-offices qu’ils ont, auxquelles il sera par nous
-pourvu dez l’instant, sans préjudice des
-autres peines que ladite désobéissance pourra
-mériter, selon la qualité des faits.» (<cite>Ibid.
-Art. 180</cite>).</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_354" id="Footnote_354" href="#FNanchor_354"><span class="label">[354]</span></a>
-En avril 1667, Louis XIV donna une
-ordonnance dont les articles 2 et 5 régloient
-que les cours qui se trouveroient dans le
-lieu du séjour du roi, seroient tenues de
-représenter ce qu’elles jugeroient à propos
-sur le contenu des ordonnances, édits,
-déclarations et lettres patentes, dans la huitaine
-après leur délibération, et les compagnies
-qui en seroient plus éloignées dans
-six semaines; après quel temps elles seroient
-tenues pour publiées et registrées.</p>
-
-<p>Le 24 février 1673, le roi donna une déclaration
-interprétative des deux articles 2 et 5
-qu’on vient de lire. «Incontinent, est-il
-dit, que nos procureurs-généraux auront
-reçu nos lettres, ils en informeront le premier
-<span class="pagenum" id="Page_538">538</span>
-président, ou celui qui présidera en son
-absence, et lui demanderont, si besoin est,
-l’assemblée des chambres semestres, laquelle
-le premier président convoquera dans trois
-jours, où nos procureurs-généraux présenteront
-les édits, ordonnances, déclarations et
-lettres patentes dont ils seront chargez, avec
-nos lettres de cachet, le premier président
-distribuera sur le champ nos lettres patentes,
-sur lesquelles le conseiller rapporteur mettra
-le soit montré, et les rendra à notre procureur-général
-avant la levée de la séance:
-nos procureurs-généraux les donneront dans
-vingt-quatre heures après au conseiller rapporteur;
-trois jours après le conseiller rapporteur
-en fera son rapport, et à cet effet
-celui qui présidera, assemblera les chambres en
-semestres à la maniere accoutumée, et sera
-déliberé sur icelles toutes affaires cessantes,
-même la visite et le jugement des procès criminels,
-ou les propres affaires des compagnies.</p>
-
-<p>«Voulons que nos cours ayent à enrégistrer
-purement et simplement nos lettres
-patentes sans aucune modification, restriction
-ou autre clause qui en puissent surseoir et
-empêcher la pleine et entière exécution; et
-<span class="pagenum" id="Page_539">539</span>
-néanmoins où nos cours, en délibérant sur
-lesdites lettres, jugeroient nécessaire de nous
-faire leurs remontrances sur le contenu, le
-régistre en sera chargé, et l’arrêté rédigé,
-après toutesfois que l’arrêt de l’enrégistrement
-pur et simple aura été dressé et séparément
-rédigé; et en conséquence celui qui
-aura présidé pourvoira à ce que les remontrances
-soient dressées dans la huitaine, par
-les commissaires des compagnies qui seront
-par lui députés, pour être délivrées à notre
-procureur-général avec l’arrêt qui les aura
-ordonnées, dont il se chargera au greffe. Les
-remontrances nous seront faites ou présentées
-dans la huitaine par nos cours de notre bonne
-ville de Paris, ou autres qui se trouveront
-dans le lieu de notre séjour, et dans six
-semaines pour nos autres cours de province;
-en cas que sur le rapport qui nous sera fait
-des remontrances, nous les jugions mal fondees
-et n’y devoir avoir aucun égard, nous
-ferons sçavoir nos intentions à notre procureur-général
-pour en donner avis aux compagnies,
-et tenir la main à l’exécution de
-nos ordonnances, édits et déclarations qui
-auront donné lieu aux remontrances; et où
-elles nous sembleroient bien fondées et que
-<span class="pagenum" id="Page_540">540</span>
-nous trouverions à propos d’y déférer en
-tout ou en partie, nous envoyerons à cet
-effet nos déclarations aux compagnies dont
-nos procureurs-généraux se chargeront comme
-dessus, et provoqueront l’assemblée desdites
-chambres et semestres, les presenteront avec
-nos lettres de cachet au premier président en
-pleine seance, et en requerront l’enrégistrement
-pur et simple, ce que nos cours seront
-tenues de faire, sans qu’aucun des officiers
-puisse avoir aucun avis contraire, nos cours
-ordonner aucunes nouvelles remontrances sur
-nos premières et secondes lettres, à peine
-d’interdiction, laquelle ne pourra être levée
-sans nos lettres signées de notre exprès commandement
-par l’un de nos secretaires d’état,
-et scellées de notre grand sceau, nous réservant
-d’user de plus grande peine, s’il y
-échet, et sans que la presente clause puisse
-être comminatoire ni éludée pour quelque
-cause et sous quelque pretexte que ce puisse
-être. Les greffiers tiendront leurs feuilles des
-avis et de toutes les délibérations qui seront
-prises sur le sujet desdites lettres, lesquelles
-ils feront parapher avant la levée des seances
-par celui qui aura présidé, et remettront
-lesdites feuilles es mains de nos procureurs-généraux
-<span class="pagenum" id="Page_541">541</span>
-pour nous être envoyées; et à cet
-effet les greffiers assisteront à la presentation
-qui sera faite de nos dites lettres par nos
-procureurs-généraux et à toutes les délibérations
-qui seront prises sur icelles,
-nonobstant tous usages à ce contraires. N’entendons
-néanmoins comprendre aux dispositions
-ci-dessus nos lettres patentes expédiées
-sous le nom et au profit des particuliers, à
-l’égard desquelles les oppositions pourront
-être reçues, et nos cours ordonner qu’avant
-faire droit elles seront communiquées aux
-parties.»</p>
-
-<p class="last">Les cours souveraines rongèrent leur frein
-et se consolèrent en pensant que tout iroit si
-mal qu’on seroit enfin obligé de leur rendre
-la liberté de l’enregistrement. En effet, tout
-alla très mal: mais depuis que les anciennes
-formes de l’enregistrement ont été rétablies
-par la déclaration donnée à Vincennes le 15
-septembre 1715, les choses ne sont-elles pas
-allées de mal en pis?</p>
-
-<div class="pagenum" id="Page_542">542</div>
-
-<hr class="full" />
-
-<h4>CHAPITRE VII.</h4>
-
-<p class="nlh"><a name="Footnote_355" id="Footnote_355" href="#FNanchor_355"><span class="label">[355]</span></a>
-<span class="smcap"><span class="cs20">J</span>e</span> ne sais point qui avoit proposé
-à M<sup>me</sup> de Pompadour et au duc de Choiseul,
-le projet d’établir des états dans toutes les
-provinces; mais je crois être sûr qu’ils avoient
-adopté cette idée. Des personnes qui gouvernent
-sans règle, malheureusement ne
-veulent rien avec force; ainsi les plats raisonnemens
-de Montmartel et les brusques
-saillies de son frère du Verney, suffirent pour
-qu’on ne songeât plus à troubler le despotisme
-de nos intendans.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_356" id="Footnote_356" href="#FNanchor_356"><span class="label">[356]</span></a>
-Ce que je dis dans le corps de mon
-ouvrage, que nous ne portons en nous-mêmes
-aucun principe de révolution, est une vérité
-dont on ne peut plus douter; depuis qu’on a
-vu avec quelle patience nous avons souffert
-les rapines de l’abbé Terray et les tyrannies
-du chancelier de Maupeou. Le ministère
-s’est conduit avec une effronterie, une précipitation
-et une dureté capables de nous
-rendre quelque courage, si nous en avions
-encore pu avoir. A quoi s’est réduit tout
-<span class="pagenum" id="Page_543">543</span>
-notre ressentiment? à regretter le duc de
-Choiseul, à le regarder comme un grand
-homme, et à espérer que la cabale qui l’a
-fait disgracier ne pourra pas se soutenir. Que
-nous importe la chute de ces hommes pervers?
-Nous sommes parvenus à ce point de
-misère et de délabrement qu’on peut tout
-oser avec nous, et que les hommes qui
-viendront en place nous feront toujours
-regretter leurs prédécesseurs. De jour en jour
-les abus du gouvernement doivent se multiplier,
-la voie du mal s’élargit; ainsi, quoique
-moins méchans peut-être que les ministres
-qui règnent aujourd’hui, leurs successeurs
-commettront de plus grandes méchancetés.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_357" id="Footnote_357" href="#FNanchor_357"><span class="label">[357]</span></a>
-Je ne puis m’empêcher de placer ici
-quelques réflexions que j’ai faites en lisant
-les protestations des princes du sang, contre
-la ruine de l’ancien parlement, et l’établissement
-du nouveau. Le public a fort approuvé
-cette démarche, qu’il a regardée comme un
-acte héroïque; mais le public n’a-t-il pas tort,
-si cette protestation n’est qu’une mutinerie
-d’où il ne peut résulter aucun bien, et dont
-nos princes finiront par se repentir?</p>
-
-<p>Que désirent, que veulent les princes du
-sang? que l’ancien parlement soit rétabli;
-<span class="pagenum" id="Page_544">544</span>
-mais je prends la liberté de leur représenter
-que ce n’est pas la peine de demander une
-pareille faveur; puisqu’en l’obtenant, ils se
-retrouveroient dans la même situation où ils
-étoient il y a quatre mois; et que par conséquent
-ils seroient encore exposés aux mêmes
-entreprises, aux mêmes violences, aux mêmes
-injustices de la part d’un second Maupeou.
-Au lieu de demander une paix véritable et
-solide, les princes du sang se contentent
-donc d’une trève passagère. Je ne crois pas
-que ce soit là une conduite sage; et le public
-qui la loue avec admiration, prouve qu’il
-incline à la timidité, et qu’il n’est pas plus
-habile politique que les princes.</p>
-
-<p>Le nouveau parlement qu’on vient de former,
-doit effrayer tous les ordres de l’état.
-Fripons, fanatiques ou stupides; c’est un
-amas d’hommes déshonorés qui se prêteront
-effrontément à toutes les injustices du ministère.
-Leurs mœurs vont former notre nouvelle
-jurisprudence; et leurs successeurs placés
-par les intrigues des valets, des commis et des
-femmes galantes de Versailles, seront prodigues
-de notre bien, et tiendront une épée
-suspendue sur les têtes qu’on voudra abattre.
-Sans doute, il faut être indigné contre cet
-<span class="pagenum" id="Page_545">545</span>
-instrument du despotisme, mais il faut l’être
-encore plus contre le despotisme même:
-détruire l’un sans attaquer l’autre, c’est ne
-rien faire; et le despotisme se reproduira
-sans cesse par de nouvelles injustices et de
-nouvelles violences, tant qu’on ne le réprimera
-pas lui-même. Je crains de n’avoir que
-trop raison, quand j’ai dit que tout nous
-annonçoit un avenir malheureux, et que nous
-sommes incapables de nous défendre contre
-le torrent qui nous entraîne.</p>
-
-<p>Quand le despotisme se forme et travaille
-à s’établir, il agit d’abord avec beaucoup de
-circonspection; il emploie la ruse au lieu de
-la force; il se déguise quelquefois sous le
-masque du bien public; quelquefois il corrige
-des abus; il sème la corruption, la
-jalousie et la division entre les différens
-ordres de citoyens; après les avoir tous
-affoiblis, il les perd enfin tous les uns par les
-autres. La première victime immolée, c’est le
-peuple ou la multitude; de là, on passe à la
-bourgeoisie honorable; on en vient ensuite
-à la petite noblesse. Après ces triomphes
-aisés, le gouvernement, fier de ses succès, se
-lasse enfin de partager les profits du despotisme
-avec les grands qui le flattent et qui
-<span class="pagenum" id="Page_546">546</span>
-l’ont aidé et soutenu dans ses entreprises. Si
-les princes avoient fait attention que nous
-sommes parvenus à cette dernière époque,
-je suis persuadé que leur protestation auroit
-été fort différente de ce qu’elle est. Ils auroient
-remarqué que plus ils sont élevés, plus ils
-devoient être suspects et odieux au despotisme,
-qui se lasse enfin d’avoir des égards
-pour les autres, et ne s’occupe que de soi.
-Plus ils ont raison de craindre, plus ils
-doivent prendre de mesures pour leur sûreté
-et leur salut.</p>
-
-<p>Si les princes du sang ne sentent pas que
-le ministère les néglige, s’ils ne voient pas
-au milieu des injures et des tracasseries qu’on
-leur fait, que c’est le tour des grands d’être
-accablés, il ne nous reste aucune ressource;
-si les réflexions que je viens de faire sont
-vraies; que les princes me permettent de
-leur demander, s’ils croient leur fortune à
-l’abri de tout revers, quand ils auront culbuté
-le chancelier et obtenu le rétablissement de
-l’ancien parlement. Notre gouvernement, on
-ne peut trop le répéter, n’est propre qu’à
-produire des Maupeou; il est si commode
-d’être despote, que quand un heureux hasard
-élèveroit un honnête homme au ministère,
-<span class="pagenum" id="Page_547">547</span>
-il aimeroit mieux obéir mollement à ses passions
-que de se donner la peine de conformer
-sa conduite aux lois: il renaîtra sans
-cesse des Terray, des Maupeou, des d’Aiguillon;
-et quelle plus foible barrière peut-on
-avoir contre de tels ministres que des
-magistrats qui, n’étant rien dans leur origine,
-ne se sont rendus considérables qu’en se
-regardant comme les simples instrumens de
-l’autorité royale? Ils ont fait constamment
-tous leurs efforts pour écraser tout ce qui
-étoit grand; et ils s’en vantent encore tous
-les jours dans leurs remontrances. Après
-avoir abusé de la protection du roi et de leur
-crédit, ils en sont venus au point de se croire
-supérieurs à la nation qu’ils avoient accablée;
-et de penser qu’en vertu de leur enregistrement,
-ils devoient partager la puissance législative
-avec le roi. Par une suite de cette
-vanité ridicule, le parlement a déplu au ministère,
-sans mériter l’estime de la nation; tout
-prouve qu’il aime le despotisme, pourvu qu’il
-le partage; en un mot, notre situation actuelle
-fait voir évidemment que ces magistrats n’ont
-produit aucun bien et n’ont prévenu aucun
-mal.</p>
-
-<p>Je suppose que la protestation des princes
-<span class="pagenum" id="Page_548">548</span>
-du sang soit propre à faire rétablir l’ancien
-parlement, et je demande si cette compagnie
-sera plus capable qu’autrefois de protéger à
-l’avenir la liberté de la nation? En la rappelant
-à ses fonctions, lui rendroit-on son autorité
-et ses prérogatives? Si elle se persuade
-qu’elle ne doit son rétablissement qu’à elle-même,
-elle sera plus fière que jamais, et
-s’attachera plus étroitement aux principes funestes
-que je lui reproche; elle croira qu’elle
-ne peut être détruite, et ne sentant pas le
-besoin de ménager la nation, elle fera sa
-cour à nos dépens. Si le parlement rétabli
-sent l’impression de sa disgrace, et ne peut
-douter de sa foiblesse, ne tâchera-t-il pas
-de ne point éprouver une seconde tempête?
-En faisant sonner très-haut sa qualité de cour
-unique et essentielle des pairs, cette cour
-sera-t-elle en état de défendre efficacement
-un prince ou un pair que le ministre voudra
-faire périr ou tenir dans une prison? Nous
-reverrons encore ce caractère mêlé d’orgueil,
-de vanité, d’ignorance et de foiblesse qui a
-fait le malheur de la nation. En un mot,
-l’ancien parlement rétabli n’auroit-il pas tous
-les vices que nous craignons dans le nouveau,
-que nous importe que celui-ci enregistre
-<span class="pagenum" id="Page_549">549</span>
-après de simples remontrances, tout ce qu’on
-lui envoie, ou que l’autre les réitère, attende
-des lettres de jussion, et oblige quelquefois
-le roi à tenir un lit de justice qui termine
-tout?</p>
-
-<p>Mais quand on auroit lieu de présumer que
-les magistrats de l’ancien parlement seroient
-désormais des héros, je dirois encore que
-la protestation des princes du sang ne suffira
-point pour les faire rétablir, et qu’ainsi cette
-démarche est fausse et inutile. Les princes
-réclament le rétablissement de l’ordre ancien;
-mais quelles mesures ont-ils prises pour
-donner de la force à leur protestation?
-Peuvent-ils se passer des grâces de la cour?
-Non. Leurs finances sont-elles en bon état?
-Non. Ont-ils cherché à se faire appuyer des
-gens de qualité et de la noblesse? Non.
-Aussi, n’ont-ils vu qu’une douzaine de pairs
-qui se soient unis à eux; et malgré les intrigues
-qu’on a faites pour porter la noblesse
-à quelque action d’éclat, le duc d’Orléans
-n’a vu que seize personnes, jeunes gens pour
-la plupart, qui lui aient écrit pour faire cause
-commune avec les princes.</p>
-
-<p>Tandis qu’on néglige les princes et les
-pairs protestans, parce qu’on ne les craint
-<span class="pagenum" id="Page_550">550</span>
-pas; tandis qu’on ne daigne pas nouer une
-négociation avec eux, le chancelier fait tous
-les jours un pas en avant. Je crains qu’il
-ne réussisse, parce qu’il est audacieux; je
-crains qu’il ne consomme son ouvrage, parce
-qu’il achète les coquins et intimide les honnêtes
-gens. Si tout ne ploye pas sous sa main,
-on ne le devra ni à la protestation des
-princes et de quelques pairs, ni aux libelles
-des jansénistes, ni aux plaintes de la nation;
-mais aux intrigues de quelques ministres jaloux
-du crédit du chancelier, et qui veulent augmenter
-leur autorité. De quel secours nous seroit
-un parlement rendu par de telles voies? Il
-ramperoit; et pourvu qu’on lui permît de
-se venger de quelques-uns de ses ennemis,
-il nous donneroit l’exemple de la servitude.</p>
-
-<p>Une protestation qui n’a valu aux princes
-du sang qu’une sorte d’exil et de disgrace,
-n’est pas un acte bien propre à suspendre
-les progrès du chancelier. On approuve cette
-protestation, mais cette approbation n’est aux
-yeux des gens éclairés, qu’une preuve de
-l’ignorance du public. On a espéré que la
-démarche des princes produira quelque bien;
-mais depuis qu’on voit qu’elle n’est bonne
-qu’à les éloigner de la cour, on songe moins
-<span class="pagenum" id="Page_551">551</span>
-à les louer, on s’éloigne d’eux, et ils commencent
-à perdre une partie de leur considération,
-parce qu’ils ont perdu leur crédit.
-Après avoir fait une protestation inutile, les
-princes ont fait une seconde faute et plus
-considérable que la première, en n’osant
-pas l’avouer, quand les parlemens de province
-leur ont demandé ce qu’ils devoient
-croire de l’écrit répandu dans le public sous
-le titre de protestation des princes. De là
-est né un découragement général dans le
-royaume; de là la crainte <ins title="pussillanime">pusillanime</ins> qui a
-consterné et engourdi tous les magistrats de
-la province. On a cru que tout fléchissoit
-sous la main du chancelier, et les parlemens
-ont souffert leur ruine avec la plus honteuse
-résignation.</p>
-
-<p>Au lieu de prendre un poste avantageux
-dans cette affaire, on peut dire que les princes,
-faute de lumières et de courage, se trouvent
-dans le défilé le plus dangereux. Ils ne veulent
-pas reconnoître le nouveau parlement, mais
-on leur suscitera des procès devant ce nouveau
-parlement, et ils seront forcés de se
-voir condamner par défaut ou de renoncer à
-leur protestation. Ils se brouillent avec le
-gouvernement, et le laissent en état
-<span class="pagenum" id="Page_552">552</span>
-d’expolier leurs domaines et de menacer leur
-fortune. Tandis qu’on peut faire aux grands
-une guerre offensive avec beaucoup de chaleur
-et de vivacité, il me semble que se réduire
-à une pure défensive, c’est vouloir être vaincu.
-Espérer qu’on sera grand dans une nation
-esclave, me paroît la plus grande des folies.
-Pour conserver leur grandeur, les princes et
-les pairs devoient recourir à un autre moyen
-que celui qu’ils ont employé. Au lieu de
-demander le rétablissement de l’ancien parlement,
-il falloit demander la convocation des
-états-généraux.</p>
-
-<p>Par cette demande, on auroit fait une
-diversion funeste aux entreprises du chancelier;
-et la cour, qui agit avec un despotisme
-intolérable, se seroit trouvée à son
-tour sur la défensive. Il falloit dans une
-requête raisonnée prouver la nécessité de
-convoquer les états-généraux, et compter les
-avantages qu’on s’en devoit promettre. Si les
-princes avoient pris ce parti, il est certain
-qu’ils auroient été secondés par le vœu et le
-cri de la nation. Le nombre de leurs adhérens
-se seroit considérablement multiplié. Les
-parlemens des provinces, qui n’ont osé prononcer
-qu’en tremblant le mot d’états-généraux,
-<span class="pagenum" id="Page_553">553</span>
-auroient montré du courage. <i lang="la" xml:lang="la">Si leges
-non valerent, judicia non essent, si respublica vi
-consensuque audacium, oppressa teneretur, præsidio
-et copiis defendi vitam et libertatem necesse
-esset: hoc sentire prudentiæ est; facere, fortitudinis,
-sentire et facere, perfectæ cumulatæque
-virtutis.</i> (<cite class="rmn">Ciceronis Or. pro P. Sextio. §. 86.</cite>)
-Mais en demandant l’assemblée de la nation,
-il auroit fallu prendre des mesures pour empêcher
-qu’elle n’eût présenté qu’un spectacle
-inutile et ridicule. Il auroit fallu répandre
-dans le public des écrits propres à l’éclairer;
-il auroit fallu échauffer les esprits pour nous
-retirer de notre engourdissement, et nous
-donner du courage. Les princes pouvoient
-guérir la nation, mais toute leur conduite a
-fait voir qu’ils sont pour le moins aussi malades
-que nous.</p>
-
-<p class="sep1"><a name="Footnote_358" id="Footnote_358" href="#FNanchor_358"><span class="label">[358]</span></a>
-Quelle remarque ne pourrois-je pas
-faire ici sur la dernière catastrophe du parlement?
-Mais je suis las de m’occuper
-d’une nation qui est perdue sans ressource,
-et qui, par son inconsidération et sa légéreté,
-mérite que nos ministres soient détestables.</p>
-
-<p>Je dirai seulement que les parlemens n’ont
-<span class="pagenum" id="Page_554">554</span>
-eu pour partisans que les Jansénistes et les
-amis nombreux du duc de Choiseul, qui
-vouloient se venger en suscitant des difficultés
-au chancelier. On a dit à MM. du parlement
-de Paris qu’ils étoient perdus, s’ils ne
-demandoient pas les états-généraux; les uns
-ont répondu que cette démarche étoit trop
-dangereuse; les autres ont dit: que serions-nous,
-s’il y avoit des états-généraux? Depuis
-le ministère de Laverdy, la corruption du parlement
-étoit publique. Pour les parlemens de
-province, la plupart s’étoient rendus odieux
-par leurs injustices et leur vanité. On a détruit
-les parlemens, non pas parce qu’ils gênoient le
-pouvoir arbitraire, mais parce qu’ils avoient
-offensé le duc d’Aiguillon et le chancelier.
-C’est la vengeance de ces deux hommes qui a
-fait la révolution.</p>
-
-<p class="last">Il est temps de finir ces humiliantes réflexions.
-Je proteste, en terminant cet ouvrage, que je
-n’ai voulu nuire à personne, ni à aucun ordre
-de l’état. J’ai été obligé de dire des choses
-dures; mais la vérité me les a arrachées. Je
-suis historien, je suis Français; et quelle
-n’auroit pas été ma satisfaction, si au lieu
-d’un Philippe-le-Bel, d’un Charles V, d’un
-<span class="pagenum" id="Page_555">555</span>
-Louis XI, j’avois pu peindre des Charlemagne?
-Le bonheur de mes compatriotes est l’objet
-que je me suis proposé; mais ce bonheur
-n’existera jamais, si nous ne nous corrigeons
-pas de nos erreurs et de nos vices.</p>
-
-<p class="sep3 cent gesp">FIN DU TOME TROISIÈME.</p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
-<hr class="full" id="Page_556" />
-
-<h2 id="toc" style="margin-bottom: 1em;">TABLE<br />
-<span class="cs7 nesp">Des Chapitres contenus dans le tome troisième.</span></h2>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h4>SUITE DU LIVRE SIXIÈME.</h4>
-
-<table class="tabmat" summary="Contenu Suite du livre VI">
-<tr>
- <td class="tdl nlh"><span class="smcap">Chap. IV.</span> <i>De l’autorité que les grands
-acquirent pendant le règne de Charles VI.
-Progrès de cette autorité sous Charles VII,
-Louis XI et Charles VIII.</i></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_1">page&nbsp;1</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chap. V.</span> <i>Le parlement prend une nouvelle
-forme sous le règne de Charles VI. Origine
-de l’enregistrement. Le parlement devient la cour
-des pairs. Progrès de son autorité sous les
-règnes de Charles VII, de Louis XI et de
-Charles VIII.</i></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_25">25</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chap. VI.</span> <i>Réflexions sur le gouvernement qui
-résultoit de la puissance que les grands et le
-parlement avoient acquise.</i></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_54">54</a></td>
-</tr>
-</table>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h4>LIVRE SEPTIÈME.</h4>
-
-<table class="tabmat" summary="Contenu Suite du livre VII">
-<tr>
- <td class="tdl nlh"><span class="smcap">Chap. I.</span> <i>De la révolution arrivée dans la
-politique, les mœurs et la religion de l’Europe,
-depuis le règne de Charles VIII jusqu’à
-Henri II.</i></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_62">62</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="pagenum" id="Page_557">557</span>
-<span class="smcap">Chap. II.</span> <i>Louis XII et François I profitent
-des changemens survenus dans la politique et
-les mœurs de l’Europe, pour étendre leur
-pouvoir et ruiner la puissance dont les grands
-s’étoient emparés.</i></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_106">106</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chap. III.</span> <i>De l’autorité du parlement sous
-Louis XII, François I et Henri II. Examen
-de sa conduite. Pourquoi il devoit échouer dans
-ses prétentions de partager avec le roi la puissance
-législative.</i></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_122">122</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chap. IV.</span> <i>Règne de Henri II et de François II.
-Les changemens survenus dans la religion préparent
-une révolution, et contribuent à
-rendre aux grands le pouvoir qu’ils avoient
-perdu.</i></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_163">163</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chap. V.</span> <i>Situation de la France sous les règnes
-de Charles IX et de Henri III.</i></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_178">178</a></td>
-</tr>
-</table>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h4>LIVRE HUITIÈME.</h4>
-
-<table class="tabmat" summary="Contenu Suite du livre VIII">
-<tr>
- <td class="tdl nlh"><span class="smcap">Chap. I.</span> <i>Pourquoi le gouvernement des fiefs
-n’a pas été rétabli pendant les guerres civiles. Des
-causes qui ont empêché que l’avilissement où
-Henri III étoit tombé, ne portât atteinte à
-l’autorité royale.</i></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_192">192</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chap. II.</span> <i>Des causes de la décadence et de la
-ruine entière de la ligue.</i></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_214">214</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="pagenum" id="Page_558">558</span>
-<span class="smcap">Chap. III.</span> <i>Changemens survenus dans la fortune
-des grands et du parlement pendant les
-guerres civiles.</i></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_228">228</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chap. IV.</span> <i>Des effets que la révolution arrivée
-dans la fortune des grands et du parlement
-produisit dans le gouvernement, après la ruine
-de la ligue.</i></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_244"><ins title="224">244</ins></a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chap. V.</span> <i>Situation du royaume à la mort de
-Henri IV. Des causes qui préparoient de nouveaux
-troubles.</i></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_258">258</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chap. VI.</span> <i>Règne de Louis XIII. De la conduite
-des grands et du parlement. Abaissement où le
-cardinal de Richelieu les réduit. De leur
-autorité sous le règne de Louis XIV.</i></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_274">274</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chap. VII.</span> <i>Conclusion de cet ouvrage.</i></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_300">300</a></td>
-</tr>
-</table>
-
-<hr class="full" id="Page_559" style="margin-bottom: 1em;" />
-
-<h3>REMARQUES ET PREUVES.</h3>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h4>SUITE DU LIVRE SIXIÈME.</h4>
-
-<table class="tabmat" summary="Notes Suite du livre VI">
-<tr>
- <td class="tdl nlh"><span class="smcap">Chapitre IV.</span></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_321">321</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chapitre V.</span></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_331">331</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chapitre VI.</span></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_403">403</a></td>
-</tr>
-</table>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h4>LIVRE SEPTIÈME.</h4>
-
-<table class="tabmat" summary="Notes Suite du livre VII">
-<tr>
- <td class="tdl nlh"><span class="smcap">Chapitre I.</span></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_408">408</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chapitre II.</span></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_409">409</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chapitre III.</span></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_418">418</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chapitre IV.</span></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_462">462</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chapitre V.</span></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Notes_C_5">id.</a></td>
-</tr>
-</table>
-
-<hr class="hr1" />
-
-<h4>LIVRE HUITIÈME.</h4>
-
-<table class="tabmat" summary="Notes Suite du livre VIII">
-<tr>
- <td class="tdl nlh"><span class="smcap">Chapitre I.</span></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_478">478</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chapitre II.</span></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_486">486</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chapitre III.</span></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_492">492</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chapitre IV.</span></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_515">515</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chapitre V.</span></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_522">522</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chapitre VI.</span></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_526">526</a></td>
-</tr>
-<tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Chapitre VII.</span></td>
- <td class="tdrb"><a href="#Page_542">542</a></td>
-</tr>
-</table>
-
-<p class="sep3 cent">Fin de la Table.</p>
-
- </div>
-
- <div class="npage">
-
- <div class="tnote" id="note">
-
-<p class="cent ssrf">Au lecteur.</p>
-
- <p>Ce livre électronique reproduit intégralement le texte original,
-et l’orthographe d’origine a été conservée. Seules les erreurs
-clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
-Ces corrections sont soulignées en <ins title="orthographe initiale">pointillés</ins> dans le texte.
-Positionnez le curseur sur le mot souligné pour voir l’orthographe
-initiale.</p>
-
-<p>Cependant la ponctuation, les erreurs u/n et les erreurs æ/œ en
-latin ont été tacitement corrigées à certains endroits.</p>
-
-<p>Faisant suite aux tomes I et II, les <i>Remarques et Preuves</i> ont
-été renumérotées de 235 à 358.</p>
-
- </div>
-
- </div>
-
-<hr class="full" />
-
-
-
-
-
-
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-
-<pre>
-
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-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Collection complète des oeuvres d
- l'Abbé de Mably, Volume 3 (of 15, by Abbé de Mably
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES DE L'ABBE DE MABLY, VOL 3 ***
-
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-
-
-
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-
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-Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to
-date contact information can be found at the Foundation's web site and
-official page at www.gutenberg.org/contact
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-
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