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+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 43632 ***
+
+ L'ILLUSTRATION,
+ JOURNAL UNIVERSEL
+
+ Ab. pour Paris--3 mois, 8 fr.--6 mois, 15 fr.--Un an, 30 fr.
+ Prix de chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.
+
+ Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr.
+ pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40
+
+ N° 53. Vol. III.--SAMEDI 2 MARS 1844.
+ Bureaux, rue de Seine, 33.
+
+
+
+SOMMAIRE.
+
+Histoire de la Semaine, _Vue de la ville d'Alicante; Portrait du
+contre-amiral Dupetit-Thouars._--Courrier de Paris.--Salon de 1844.
+Visite dans les Ateliers. _Portraits de MM. Ingres, Delaroche, Eugène
+Delacroix, Horace Vernet, Decamps et Charlet; le Jury de l'Exposition,
+par Decamps; trois Caricatures._--Fragments d'un Voyage en Afrique.
+(Suite.)--Les Mystères de l'Administration. _Atelier des Graveurs de
+l'Illustration le jour; Atelier des Graveurs la nuit; Bureau de
+Rédaction l'Illustration._--Don Graviel l'Alferez. Fantaisie maritime.
+(Suite.) _Une Gravure._--Épisodes de la Vie d'une pièce d'or, racontés
+par elle-même.--Armée. Recrutement, Tirage. _Trois Gravures._ Théâtres.
+Académie royale de Musique. _Une Scène de Lady Henriette.--Bureau
+d'abonnement de la rue de Seine._--Bulletin bibliographique--Figure
+allégorique de Mars.--Modes. _Une Gravure._--Correspondance.--Rébus.
+
+
+
+Histoire de la Semaine.
+
+[Illustration: Vue d'Alicante.]
+
+Jamais peut-être, depuis la grande lutte parlementaire de la coalition,
+la Chambre des Députés n'a été en proie à des émotions plus vives que
+celles qui l'agitent depuis quelques semaines. Nous mentionnions il y a
+huit jours le rejet de la proposition de M. de Rémusat après une
+discussion qui avait surexcité la Chambre. La déclaration par le bureau
+d'une majorité contre cette proposition a causé des réclamations et des
+protestations qui se sont traduites en une demande de modification du
+règlement. M. Combarel de Leyval a proposé que, tout en maintenant le
+scrutin secret pour le vote sur l'ensemble des lois et pour les autres
+cas où vingt députés le demanderaient, on procédât au vote par division
+toutes les fois que dix membres de la Chambre le réclameraient. Admise à
+la lecture par trois bureaux, cette proposition sera développée et sa
+prise en considération discutée dans la séance du 9 mars.--Vendredi de
+la semaine dernière, a été lu le rapport de M. Allard sur des pétitions
+adressées à la Chambre contre les fortifications de Paris. La discussion
+sur les conclusions de la commission qui propose l'ordre du jour, a été
+fixée au jour où paraîtra ce numéro.--La discussion sur le projet de loi
+présenté par M. le maréchal Soult pour qu'une pension viagère de 3,000
+fr. fût inscrite sur le grand-livre de l'État au profit de mademoiselle
+Dronet d'Erlon, comme un hommage rendu aux glorieux services et au pur
+désintéressement du maréchal son père, cette discussion, qui en tout
+autre temps eût passé inaperçue, a eu, elle aussi, son retentissement
+politique. Un député de l'opposition, M. Lherbette, a rappelé combien
+l'exposé des motifs de ce projet de loi qu'il appuyait contrastait avec
+certains ordres du jour et certaines proclamations publiées en 1815 par
+l'auteur de ce même exposé, contre le maréchal à la mémoire duquel on
+rendait aujourd'hui un si digne hommage. De ce contraste si frappant M.
+Lherbette a fait sortir cette moralité, recommandée par lui aux hommes
+et aux corps politiques, qu'il ne faut jamais flétrir ses
+adversaires.--On comprend que cette disposition générale, cette
+animation des esprits à la Chambre la prépare assez mal à la discussion
+des lois. Nous avons dit ce qui était advenu pour la loi de la chasse.
+La loi des patentes a profité un peu de la lassitude que la précédente,
+avait fait éprouver et du désir qu'on avait d'en finir pour arriver à
+des discussions politiques auxquelles les partis en présence s'étaient
+donne rendez-vous. Les votes des premiers articles se sont donc succédé
+avec quelque, rapidité, mais il est plus que probable que la Chambre des
+Pairs leur fera subir d'utiles amendements et que plus d'un d'entre eux
+reviendra de nouveau, modifié, à la Chambre des Députés. Dans la
+discussion générale, quelques orateurs se sont exercés à démontrer que
+l'impôt de la patente est un reste de la féodalité, une sorte de servage
+qui pèse encore sur le commerce et l'industrie. L'impôt est aujourd'hui
+un esclavage assez général pour que l'industrie et le commerce n'aient
+point à rougir d'y être soumis comme tout le monde; nous ne voyons guère
+que les rentiers sur l'État qui en soient dispensés. Cette réclamation,
+ou plutôt cette déclamation, avait donc peu de chances de succès, et
+mieux valait s'attacher uniquement, et sans diversion mal entendue, au
+point véritable du débat, à la question qui domine toutes les autres,
+celle de savoir si la patente continuera de former un impôt de
+_qualité_, ou bien si on la fera rentrer dans la catégorie des autres
+contributions, en l'établissant comme impôt de _répartition_. Avec le
+mode actuel, l'impôt pris en masse aurait beau n'être pas trop élevé,
+qu'il pourrait encore, outre mesure et inévitablement, écraser les uns
+et ménager les autres. Des tarifs inflexibles imposent aveuglément les
+mêmes charges, à peu de différence près, aux individus qui exercent la
+même profession, sans tenir un compte suffisant l'étendue de leur
+industrie. Avec le mode de répartition, au contraire, demandé par la
+plupart des patentés de Paris dans une pétition qu'ils ont fait
+distribuer à la Chambre, la loi annuelle de finances fixerait le chiffre
+d'impôt que doit supporter l'industrie, et le répartirait entre les
+départements comme elle le fait pour les autres impôts directs; le
+trésor demeurerait en dehors de la répartition, qui serait opérée entre
+les arrondissements par les conseils généraux, entre les communes par
+les conseils d'arrondissements, et entre les contribuables par les
+commissaires répartiteurs, c'est-à-dire par leurs pairs. Le ministre et
+le rapporteur de la commission ont combattu ce système, le plus logique
+et celui qui mettrait le plus sûrement l'administration à l'abri de
+toute réclamation particulière. Leurs raisons ne nous ont paru que
+spécieuses. Il n'y avait jusqu'ici que des patentes de marchands en gros
+et de marchands en détail; on a imaginé la patente intermédiaire de
+marchand en demi-gros. Quelques députés ont voulu voir dans cette
+création un moyen politique mis aux mains d'un ministère pour favoriser
+certains patentés de la première classe, et tenir en respect certains
+autres de la dernière. Sans vouloir croire à ce calcul, nous entrevoyons
+dans cette subdivision peu tranchée une source inévitable d'abus même
+involontaires. Quant aux classifications d'industries, ou plutôt à leur
+nomenclature, elle présente de singulières professions patentables.
+Croirait-on que l'opérateur, c'est-à-dire le charlatan qui exerce dans
+les foires et sur les places des marchés, et que la police
+correctionnelle condamne comme exerçant la médecine et la chirurgie sans
+diplôme, est amnistié, mais, il est vrai, patenté par M. le ministre des
+finances! Cela rappelle trop l'innocence, aux yeux de la régie des
+droits réunis, du vin frelaté, pourvu que le mélange eût payé le droit.
+L'opérateur sera-t-il soumis à une patente de gros, de demi-gros ou de
+détail? Quand il saura n'arracher qu'une dent à la fois, il sera sans
+doute de troisième classe; mais quand d'un coup il vous arrachera la
+mâchoire tout, entière, il devra être rangé dans la première, ou le fisc
+n'entendrait bien ni l'équité ni ses intérêts, ce qui nous étonnerait à
+des degrés différents. Il faut savoir faire respecter les lois, mais un
+des moyens les plus sûrs, c'est de les faire respectables. Du reste,
+nous le répétons, la Chambre avait hâte d'en finir avec cette
+discussion, si importante pourtant, car des interpellations de M. de
+Carné, à M. le ministre des affaires étrangères sur les mesures prises
+par le cabinet au sujet de Taïti avaient été annoncées et fixées à
+jeudi. Elle n'y est pas parvenue, et la discussion de la loi des
+patentes a dû être interrompue.
+
+[Illustration: Le contre amiral Dupetit-Thouars.]
+
+Nous rendions compte, il y a huit jours, de la déchéance, prononcée par
+l'amiral Dupetit-Thouars, de la reine Pomaré, qui s'était obstinément
+refusée à exécuter le traité, et de la prise de possession de l'île de
+Taïti au nom du roi des Français. Nous disions que le silence du
+gouvernement au sujet de cet événement était diversement, mais peu
+favorablement interprété. Les Chambres anglaises et le cabinet de
+Saint-James avaient, au contraire, fait entendre les protestations les
+plus vives. Le Moniteur a enfin parlé. Voici la note officielle qui y a
+été insérée le 26 février: «Le gouvernement a reçu des nouvelles de
+l'île de Taïti, en date du 1er au 9 novembre 1842. M. le contre-amiral
+Dupetit-Thouars, arrivé dans la baie de Papéiti le 1er novembre pour
+exécuter le traité du 9 septembre 1842, que le roi avait ratifié, a cru
+devoir ne pas s'en tenir aux stipulations de ce traité, et prendre
+possession de la souveraineté entière de l'île. La reine Pomaré a écrit
+au roi pour réclamer les dispositions du traité qui lui assurent la
+souveraineté intérieure de son pays, et le supplier de la maintenir dans
+ses droits. Le roi, de l'avis de sou conseil, ne trouvant pas, dans les
+faits rapportés, de motifs suffisants pour déroger au traité du 9
+septembre 1812, a ordonné l'exécution pure et simple de ce traité, et
+l'établissement du protectorat français dans l'île de Taïti.» En même
+temps que ces lignes étaient envoyées au Moniteur, une dépêche était
+expédiée pour faire partir une corvette portant à M. Dupetit-Thouars un
+ordre de rappel. Jeudi, une discussion très-vive s'est engagée à ce
+sujet. Les interpellations de M. de Carné l'ont ouverte. M. le ministre
+des affaires étrangères y a répondu. A M. Guizot a succédé M. Billaut.
+L'un et l'autre ont captivé toute l'attention de la Chambre. M. le
+ministre de la marine a peut-être été moins heureux, et a laissé un trop
+beau jeu à M. Dufaure, qui est venu taxer le parti pris par le cabinet
+d'inconsidération, et son désaveu de la conduite de MM. Dupetit-Thouars
+et Bruat d'imprudence. M. le ministre de l'instruction publique a cru
+devoir prendre part au débat. La Chambre s'est montrée distraite pendant
+son discours, et l'attention n'a été réveillée que par la proposition de
+M. Ducos de motiver ainsi l'ordre du jour: «La Chambre, sans approuver
+la conduite du ministère, passe à l'ordre du jour.» M. Guizot a vivement
+demandé le renvoi de la discussion au lendemain, pour qu'il lui fût
+possible d'apporter à la tribune des preuves nouvelles. La Chambre,
+malgré son impatience de voter, a consenti au renvoi. Le lendemain la
+discussion a été traînante. Pendant la plus grande partie de la séance,
+la tribune n'a été occupée que par des comparses. MM. Guizot, Ducos et
+Thiers ont bien, à la fin, rendu quelque vivacité au débat. Mais les
+disposions de la Chambré étaient évidemment changées, et le ministère a
+obtenu 233 voix sur 420 votants. L'opposition ne s'est, plus trouvée en
+avoir que 187.
+
+D'autres discussions non moins vives que celles que nous avons
+rapportées et annoncées se laissent encore entrevoir dans un
+très-prochain avenir. M. Charles Laffitte, dont l'élection à Louviers a
+été une première fois annulée par la Chambre sur la proposition même du
+ministère, comme offrant des faits de corruption trop évidents pour que
+leur constatation eût besoin d'une enquête, M. Charles Laffitte vient
+d'être réélu de nouveau par le même collège. L'annulation de l'élection
+sera-t-elle prononcée avec la même unanimité? sera-t-elle au contraire
+combattue, et une enquête sera-t-elle ordonnée? Que la Chambre se montre
+conséquente ou inconséquente avec elle-même, il y aura là encore à coup
+sûr une séance curieuse pour les spectateurs qui recherchent les luttes
+animées. La demande prochaine d'un crédit pour les fonds secrets en
+amènera de nouvelles.--On remarque à la Chambre, avec un étonnement mêlé
+de curiosité, le silence de M. de Lamartine, qui avait si souvent et
+avec tant de retentissement occupé des tribunes diverses entre les deux
+sessions, et qui n'a prononcé qu'un très-court discours depuis que la
+tribune parlementaire est ouverte. Son journal, _le Bien public_, imite
+sa réserve, et n'en est guère sorti qu'une fois pour attaquer
+l'opposition.
+
+Des lettres particulières de Beyrouth, du 10 janvier, mentionnent le
+fait suivant, qui mérite d'être cité. Vers la fin de décembre et
+quelques jours après l'arrivée du nouveau pacha Haider, un juif
+algérien, ignorant qu'il était défendu aux juifs de passer devant
+l'église du Saint-Sépulcre, s'approcha de cet édifice. Il fut aussitôt
+assailli par une bande de lunatiques chrétiens qui le maltraitèrent
+cruellement et le laissèrent pour mort sur la place. Lorsque le pauvre
+juif eut recouvré ses sens et qu'il put marcher, il se rendit chez le
+consul français, M. de Lantivy, et l'informa de ce qui lui était arrivé.
+Le consul envoya aussitôt une plainte au pacha, lequel fit arrêter
+immédiatement les coupables. Cette mesure causa une sensation
+extraordinaire dans la population chrétienne; on invoqua comme excuse
+l'usage qui défendait aux juifs de fréquenter le voisinage de l'église.
+Les prieurs des couvents latins et grecs intervinrent en faveur de leurs
+coreligionnaires; mais M. de Lantivy ne voulut rien entendre, et soutint
+que le commandement; _Tu ne te tueras point_, devait bien plutôt être
+observé qu'un usage barbare, même consacré par la tradition.
+Haider-Pacha était tout à fait de l'opinion du consul français; mais les
+prieurs des couvents ayant engagé leur parole qu'aucun outrage de ce
+genre n'arriverait plus, M. de Lantivy consentit à ce qu'on relâchât les
+prisonniers après quelques heures d'emprisonnement, à condition qu'ils
+paieraient les dépenses que nécessiterait la guérison de leur victime.
+En outre, le pacha publia un ordre défendant aux chrétiens, sous les
+peines les plus sévères, de maltraiter désormais les juifs qui
+passeraient devant l'église du Saint-Sépulcre. On ne saurait assez
+hautement approuver la conduite de notre consul dans cette circonstance.
+Ce serait ravaler l'influence que la conformité de croyance peut assurer
+à la France parmi ces populations, que de n'en pas user pour faire
+prévaloir avant tout les intérêts sacrés de l'humanité.
+
+Notre envoyé extraordinaire à Haïti, M. Adolphe Barrot, qui s'y était
+embarqué le 8 janvier sur la corvette _l'Aube_, est entré dans le port
+de Brest le 21 février. Il n'a consenti aucune remise sur les arrérages
+échus de l'indemnité due aux colons français, et rapporte 300,000
+piastres fortes (1,800,000 f.). Des commissaires haïtiens seront
+expédiés à Paris pour s'entendre sur le paiement des intérêts de
+l'emprunt. Avant son départ, M. Barrot avait assisté à l'installation du
+nouveau président de la république, le général Hérard; la France était
+également représentée à cette solennité par le contre-amiral de Moges et
+l'état-major de la _Néréide_, et des bricks _Génie_ et _Papillon_, qui
+sont demeurés dans ce port. La nouvelle constitution proclamée à Haïti
+déclare que les Africains et les Indiens, et leurs descendants par le
+père ou par la mère, pourront devenir citoyens. Aucun blanc ne pourra
+obtenir ce titre. La deuxième partie pourvoit aux droits civils et
+politiques. Dans la troisième est déclarée l'égalité des citoyens; la
+liberté de la presse est garantie. Des écoles seront ouvertes pour les
+deux sexes, et l'enseignement y sera libre et gratuit. Le peuple a le
+droit de s'assembler, mais sans armes. Les pouvoirs législatif, exécutif
+et judiciaire sont définis. Le pouvoir exécutif est aux mains du
+président; le pouvoir législatif est composé d'un Sénat et d'une Chambre
+des Communes. Un tiers du Sénat se renouvelle tous les deux ans. Le jury
+est établi. Les couleurs de la république sont bleu et rouge, placés
+horizontalement; les armes: une palme surmontée du bonnet de la liberté
+et ornée d'un trophée d'armes avec la légende; l'union fait la force.
+Port-au-Prince est le siège du gouvernement, et prend le nom de
+Port-Républicain. Une amnistie a été prononcée; mais l'exil du président
+Boyer est maintenu.
+
+Il nous faudrait détourner les yeux de l'Espagne s'il n'était pas du
+devoir de la presse tout entière de mettre au ban des nations les hommes
+de sang qui la déciment aujourd'hui. Nous avons rapporté la dépêche
+atroce du ministre de la guerre. Le général Roncali, celui-là même qui
+accusait avec justice Espartero de manquer de générosité, d'humanité à
+l'occasion de l'exécution de Diégo Léon, ne se l'est pas fait dire à
+deux fois et a immédiatement procédé à l'assassinat sur la plus large
+échelle. Sept officiers supérieurs et subalternes ont été fusillés sur
+son commandement, et les soldats tombés en même temps que ces malheureux
+aux mains du brigadier Pardo ont été également décimés par ordre, de
+Roncali. On comprend qu'avec de pareils monstres et à côté de crimes
+semblables la mesure suivante n'est plus qu'une gentillesse. Les
+rédacteurs du journal _el Mundo_ ont reçu l'ordre que voici:
+
+«GOUVERNEMENT POLITIQUE DE LA PROVINCE DE MADRID.
+A dater de ce jour, vous cesserez de publier le journal intitulé _el Mundo_.
+Dieu vous garde!
+
+Madrid, 18 février 1844.
+ANTONIO BENAVIDES.»
+
+La ville d'Alicante, où l'insurrection est maîtresse, se trouve bloquée.
+Peut-être qu'à l'heure où nous écrivons, la ruine et la mort règnent
+seules dans ses murs.
+
+Les nouvelles de Lisbonne nous font peu connaître la situation
+respective des partis armés en Portugal. Tout ce qu'elles nous
+apprennent clairement, c'est que là aussi, comme à Madrid, la
+constitution est mise hors la loi.
+
+L'attention et les ovations ont suivi O'Connell à Londres. Les whigs,
+qu'il a si souvent maltraités dans ses harangues populaires d'Irlande,
+se sont montrés généreusement oublieux, et lui ont témoigné une
+sympathie qui a été, en plusieurs circonstances, portée à
+l'enthousiasme. On a annoncé qu'il devait assister à une réunion que la
+ligue contre les céréales avait convoquée à Covent-Garden. Une longue
+file d'équipages, des flots serrés et ardents de population, se sont
+dirigés vers ce théâtre. La salle n'a pu contenir qu'un bien petit
+nombre de ces curieux. La plupart des membres de l'association ont en
+vain exhibé leurs cartes, tout était occupé, et les femmes les plus
+brillantes se montraient aux premiers rangs. Des affiches ont été
+placardées au dehors pour annoncer que la salle était comble, et que
+toute tentative pour y pénétrer serait inutile. La foule extérieure
+s'est résignée, mais sans se disperser, et bientôt les acclamations
+annoncent aux spectateurs privilégiés qu'ils vont voir entrer O'Connell.
+
+La salle entière se lève. Les applaudissements éclatent avec
+enthousiasme, avec, fureur, Covent-Garden en semble ébranlé jusque dans
+ses fondements. Enfin O'Connell a pu prendre place; il se dispose à
+prendre la parole; les transports se renouvellent, puis font place à un
+religieux silence.
+
+«En venant ici ce soir, dit-il, j'avais l'intention de faire un éloquent
+discours; heureusement je dois débuter par ce qu'on peut appeler la
+partie solide de l'art oratoire, de la part d'une personne, qui mérite,
+ainsi qu'un de mes amis, d'être nommée un ami de la justice, et qui m'a
+prié de commencer mon discours en vous remettant 100 livres. En tout
+cas, il y a là une éloquence sterling, et si vous trouviez
+quatre-vingt-dix-neuf imitateurs de son exemple, vous auriez vos 100,000
+livres (la ligue a fait un appel de cette somme pour son budget de
+l'année); maintenant je dois avouer que, l'argent donné, je suis à bout
+de ma rhétorique.» Ce n'était là qu'un piquant exorde, et l'orateur, qui
+se disait à bout d'éloquence, a ensuite prononcé un discours où il s'est
+montré aussi plein de mouvement, aussi habile, et plus touchant que dans
+aucune de ses précédentes harangues. Les applaudissements frénétiques
+qui l'avaient plus d'une fois interrompu ont éclaté de nouveau quand il
+a eu fini de parler, et sa sortie, comme son entrée, a été un triomphe.
+Le ministère est évidemment mal à l'aise de ces manifestations. La
+tranquillité de l'Irlande paraît également mal servir ses projets, et il
+s'en console en faisant chaque jour courir le bruit de complots éventés
+et de trames découvertes. Du reste, la Chambre des Communes a voté sur
+la motion de lord Russell, contre laquelle M. Peel a prononcé un
+discours où il s'est montré mesuré, mais fort peu sensible pour
+l'Irlande, et très-vif contre O'Connell. Celui-ci, dans la même
+discussion, a été très-serré d'arguments, beaucoup plus sobre d'images
+que d'ordinaire, ne cherchant plus à émouvoir, mais à convaincre. Lord
+Russell, de son côté, a répliqué au ministre, et a fait ressortir le
+danger pour l'Angleterre du _statu quo_ en Irlande. Néanmoins sa motion
+a été écartée par 324 voix contre 225. Il semblerait aujourd'hui que le
+ministère anglais serait arrivé à se persuader que pourvu qu'il ne
+maltraite pas O'Connell, l'Irlande demeurera paisible. Nous lisons en
+effet dans le _Times_ la très-curieuse note que voici: «Nous apprenons
+de bonne source que le duc de Wellington a décidé que M. O'Connell ne
+serait pas mis en prison; il pense que la déclaration de culpabilité
+suffit, et qu'un emprisonnement serait inutile; si M. O'Connell veut
+être modéré, nous pensons bien qu'il ne sera pas privé de sa liberté.
+Quant à nous, nous serons heureux qu'il en soit ainsi.» A Dublin, le
+docteur Gray et le docteur Atkinson, propriétaires du _Freeman's
+Journal_ (journal de _l'Homme libre_); M. Barrett, propriétaire du
+_Pilote_; M. Staunton, propriétaire de la feuille hebdomadaire le
+_Weekly-Registre_, et M. Duffy, propriétaire de _la Nation_, ont envoyé
+leur démission de membres de l'association du rappel. Cette démarche est
+motivée sur la déclaration faite par l'attorney général que tout membre
+de l'association était responsable des publications des écrits
+périodiques dont les propriétaires se trouvaient affiliés à
+l'association.
+
+La plus vive fermentation règne toujours dans les légations papales, et
+elle en est arrivée à se manifester par des assassinats. A Ravenne, un
+coup de feu a été tiré sur la personne de M. Claveri, directeur de la
+police; mais le garde qui l'escortait a été seul atteint, et, le
+lendemain, on a vu affiché dans les rues un avis anonyme portant que si
+M. Claveri ne quittait pas Ravenne, on ne le manquerait pas une autre
+fois. A Saint-Albert, à Fusignano, petites villes de la même légation,
+des factionnaires suisses ont été désarmés, des carabiniers ont été
+tués. A Bologne, un douanier ayant voulu arrêter un homme qui passait
+pour avoir fait partie des bandes d'août dernier, a été étendu mort d'un
+coup de pistolet tiré par celui-ci. Enfin, un des membres de la
+commission spéciale instituée à Ancône pour juger les accusés politiques
+de cette ville, M. Alessandrini, passant dans une rue d'Ancône,
+accompagné de deux gendarmes, a été frappé d'un coup de poignard par un
+homme masqué qui s'est élancé sur lui, et auquel la foule ouvrit
+immédiatement après ses rangs, pour lui permettre de se confondre avec
+les autres masques. L'état de la victime est désespéré. La suspension
+des plaisirs du carnaval a été immédiatement prononcée.
+
+Plusieurs journaux avaient annoncé, dès le 15 février, que le musée des
+Thermes et de l'Hôtel de Cluny était ouvert. Cette, nouvelle était
+prématurée: ce musée ne sera livré au public que vers le 15 de ce mois.
+En attendant, les travaux d'installation se poursuivent avec activité.
+La collection qui y a été réunie comprend non-seulement quelques-uns des
+objets les plus précieux des arts du moyen âge, et de l'art français
+spécialement, mais d'autres objets très-précieux inconnus des
+antiquaires et des artistes.
+
+M. le baron Reynaud, ancien examinateur des écoles royales Polytechnique
+et de la Marine, vient de mourir à Paris.
+
+
+
+Courrier de Paris.
+
+Enfin le vacarme est apaisé: après le bruit, le silence; le jeûne après
+l'orgie; les temples sacrés se sont rouverts, et le bal de l'Opéra s'est
+fermé; la pieuse voix des prédicateurs a remplacé les cris mondains et
+les joies effrénées. Nous vivions comme des damnés, nous allons vivre
+comme des saints; du péché, nous passons à la pénitence, et du gras au
+maigre. L'abbé de Ravignan règne et Musard abdique; du moins n'est-il
+pas descendu du trône sans honneur: son dernier coup d'archet a été un
+coup de maître. C'était le dernier samedi de sa royauté; il était cinq
+heures du matin, les lustres pâlissaient, et ne jetaient plus aux voûtes
+de la salle qu'une lumière affaiblie; les plus intrépides débardeurs
+étaient harassés et haletants; tout s'éteignait à la fois, le gaz et les
+danseurs; Musard seul restait debout et flamboyant. Tout à coup, élevant
+la voix au milieu du sourd bruissement de cette foule abattue: «Non!
+s'écria-t-il, il ne sera pas dit que nous nous quitterons ainsi!
+Êtes-vous donc les compagnons de Musard?» A ces mots, il agite son
+archet, et entonne à plein orchestre le _Quadrille des Etudiants_. Or,
+c'est tout dire: le _Quadrille des Etudiants_ est pour le bal de l'Opéra
+ce que le soleil d'Austerlitz était pour la grande armée: «Soldats!
+voilà le soleil d'Austerlitz!» et ils s'élançaient à une nouvelle
+victoire. «Débardeurs! voici le _Quadrille des Etudiants!_» et ils se
+précipitent dans les fureurs d'une contredanse nouvelle. Ce quadrille
+magique rend la force aux énervés, la santé aux malades et la vie aux
+morts. Vous eussiez vu alors toute cette multitude se ranimer en
+poussant des _vivat_ joyeux; et puis enfin, dans le paroxysme de sa
+fièvre dansante, entourer Musard, l'enlever du milieu de son orchestre
+et défiler bruyamment, Musard en tête. L'Empereur avait dit: «Avec des
+braves tels que vous, je conquerrais le monde!»--«Avec des débardeurs de
+votre force, s'écriait Musard, je ferais galoper l'univers!» Ainsi
+Musard copie Napoléon jusqu'au bout; il ne lui reste plus qu'à importer
+_le Quadrille des Étudiants_ à Sainte-Hélène; mais Hudson Lowe n'est
+plus là pour le danser.
+
+Les campagnes de Musard ne finissent jamais sans un grand nombre de
+mourants ou de morts. Il n'y a ni tête ni jambes enlevées par un boulet
+ou par un éclat d'obus; mais que de fièvres, de pleurésies, d'apoplexies
+et de pulmonies! La statistique constate un accroissement très-sensible
+dans la mortalité, après les jours gras. Savez-vous qui tire du carnaval
+le bénéfice le plus clair? les pompes funèbres:
+
+Amusez-vous, trémoussez-vous!
+
+Amusez-vous, amusez-vous, belles!
+
+Amusez-vous, amusez-vous bien!
+
+Depuis que le bal est clos, nous avons le concert:--de Charybde en
+Scylla.--Le concert est le fruit naturel de la saison qui commence; il
+pousse en mars pour fleurir dans la semaine sainte avec profusion. Le
+concert convient en effet aux temps d'abstinence; on peut le ranger sans
+inconvénient dans la classe des mets innocents que Mgr l'archevêque
+autorise, et qui ne compromettent nullement la sainteté du carême: il y
+a des talents, des voix et des instruments si maigres!--Lisez, les
+feuilles musicales, arrêtez-vous devant les affiches suspendues aux
+vitres des magasins de musique, et vous serez effrayé de l'inondation
+vocale et instrumentale dont mars et avril vous menacent. Ici tout le
+monde a la prétention d'être artiste, comme ailleurs le premier venu vise
+à la députation et au ministère: et, comme le concert est le baptême de
+l'artiste, les concerts pleuvent de tous les côtés. C'est M. Pancrace,
+c'est M. Pacome, c'est M. Babylas ou Barnabé qui vous invitent à un air
+de leur basson, de leur flûte, de leur hautbois, de leur violon et de
+leur clarinette: c'est mademoiselle Eulalie, Eugénie, Emphrosine,
+Euphémie, Anasthasie, Epiphanie qui vous proposent l'agrément de leur
+piano ou de leur gosier, de huit heures du soir à minuit; et tous ces
+pauvres gens dont les noms sont enfouis dans les coins les plus obscurs
+du calendrier, sortent de la salle enfumée et déserte où ils ont traîné
+de force leur portier, ses enfants et les enfants de ses petits-enfants,
+pour se former un public; ils sortent, dis-je, de cette caverne où ils
+ont estropié Haydn et Beethoven, ou gargouillé de l'Auber et du Rossini,
+intimement convaincus qu'ils sont des merveilles, et que l'univers n'a
+rien de mieux à faire que de leur dresser une statue séance tenante.--Il
+y a quelque chose de pis que l'amour-propre des grands artistes, c'est
+l'orgueil des petits, et voici les petits qui nous dévorent.--Je connais
+un homme de beaucoup de goût, très-fin connaisseur en musique et gourmet
+délicat, qui ne sort jamais pendant la présente saison et reste enfermé
+chez lui jusqu'au commencement de mai. L'autre jour je lui en demandais
+la raison: «Eh! mon Dieu, me répondit-il, Paris n'est par sûr à l'heure
+qu'il est; si je sortais, je serais inévitablement rencontré et
+assassiné par un concert!»
+
+Tout n'est pas harmonie dans le monde musical; et si de temps en temps
+les voix y sont d'accord, les gens s'y montrent d'humeur assez
+discordante: le Théâtre-Italien en donne, depuis quelques jours, une
+preuve flagrante. Sur la scène tout va bien: l'Harmonie et sa douce
+soeur la Mélodie y règnent dans une union parfaite; on se croirait dans
+le paradis terrestre. Mais dans les coulisses, c'est autre chose, la
+dissonance est complète: le premier ténor ne s'entend plus avec la
+prima-donna, la basse avec le soprano, et le baryton avec l'impresario.
+Le bruit de cette discorde éclaté au dehors: les parties belligérantes
+ont sonné, des deux parts, le boute-selle, et donné le signal des
+hostilités.--Un beau matin, M. Vatel, le directeur, s'est éveillé avec
+la nouvelle que deux ou trois de ses principaux chanteurs refusaient de
+chanter: figurez-vous des soldats qui désertent au moment de la
+bataille. Pour prétexte à cet abandon, nos fuyards donnaient, celui-ci
+un mal de gorge, celui-là un rhume de cerveau. M. Vatel s'est adressé
+immédiatement à la justice, afin qu'elle voulût bien guérir, par un bon
+arrêt bien juste, des voix qu'il ne paie pas cinquante et soixante mille
+francs pour qu'elles s'amusent à se dire enrhumées pour le moindre
+caprice. M. Vatel avait d'autant plus raison de maintenir son droit avec
+cette sévérité, qu'une des voix récalcitrantes avait été vue la veille
+dans un salon célèbre, se portant admirablement bien, chantant, riant,
+et menant joyeuse vie, jusqu'à cinq heures du matin.--On a écrit des
+lettres aux journaux, on a lancé des _factum_ pour édifier le public sur
+cette grave affaire; le public s'est rangé cependant du parti de
+l'infortuné directeur, et quand la voix coupable s'est enfin décidée à
+chanter mardi dernier, le parterre, juge équitable, lui a honnêtement
+administré le châtiment de quelques coups de sifflets. Les sifflets
+voulaient dire que la loyauté dans les engagements et la fidélité au
+devoir doivent compléter le talent de l'artiste, et qu'on compromet
+gravement sa réputation et son nom en jouant si légèrement avec les
+intérêts d'une sérieuse entreprise et les engagements de sa propre
+conscience. Les directions de théâtre paient les acteurs et les
+chanteurs à un prix monstrueux; il y a tel débitant de prose, de
+couplets, d'entrechats et de roulades qui est coté à la bourse
+dramatique dix fois au-dessus de sa valeur réelle; les directions se
+ruinent pour les comédiens; et quelques comédiens, au lien de donner du
+zèle, du dévouement et du talent en proportion de ces efforts inouïs, se
+montrent plus égoïstes, plus exigeants que jamais, et plus légers de
+scrupules.--Un honnête et pauvre soldat qui reçoit une paie de cinq sous
+par jour, se bat encore et va à l'assaut, tout mutilé et tout sanglant;
+un monsieur bien dorloté et bien frais, qui touche des billets de banque
+à la douzaine, sous prétexte qu'il fait une roulade agréable, un point
+d'orgue et un trille, s'inquiète fort peu de compromettre une entreprise
+qui le dote si richement et l'engraisse, et de la ruiner au besoin, à
+propos d'un rhume de cerveau qu'il n'a même pas.
+
+Nous parlions de la hausse de la roulade et de l'entrechat; précisément
+en voici un exemple tout récent et qui prouvera jusqu'à quel degré de
+folie, on peut le dire, le prix de cette denrée est poussé. Mademoiselle
+Carlotta Grisi, notre aimable Péri, vient de contracter un engagement
+avec un des théâtres de Londres; il s'agit de l'emploi d'un congé que M.
+Léon Pillet accorde à la Wili; ce congé est de six semaines, et
+l'engagement de Carlotta à Londres aura la même durée. Eh bien!
+savez-vous ce que ces six semaines de ronds de jambes et de jetés-battus
+coûteront au pauvre directeur anglais? 36,000 fr.! Autrement, pour le
+français, 6,000 fr. par semaine, où 3,000 fr. par représentation. Je ne
+sais plus quel moraliste a dit que le plus grand signe de la décadence
+des nations était la cherté des athlètes, des conducteurs de chars et
+des danseurs.
+
+Duprez va aussi passer le détroit; il chantera, pour les menus plaisirs
+de Londres, _Guillaume Tell, les Huguenots_ et le reste de son
+répertoire; on ne dit pas à quelles conditions, et si c'est à 1 fr. ou 1
+fr. 50 cent. la note. Duprez gagne 80,000 fr. à l'Académie royale de
+Musique; ses congés annuels complètent les 100,000 livres; on avouera
+qu'il y a là de quoi payer amplement les leçons d'anglais que le célèbre
+ténor a prises récemment pour chanter: _Asile héréditaire_, dans la
+langue de Joint Bull.
+
+Au théâtre, tout tourne au Bohémien; nous avons déjà _les Bohémiens de
+Paris_, de l'Ambigu-Comique, et _les Mystères de Paris_, de la
+Porte-Saint-Martin, qui ne sont que des bohémiens sous un autre nom. Le
+théâtre de la Gaieté vient de compléter la collection de ces enfants de
+Bohème, par _la Bohémienne de Paris_, drame en cinq actes mêlés de lazzi
+par M. Paul de Kock, et de scélératesses, par M. Gustave Lemoine; l'un
+est pour la partie gaillarde et burlesque, l'autre pour les noirceurs.
+
+Cette bohémienne de Paris est fille d'une marchande de vieilles
+friperies; son premier soin a été d'abandonner sa mère; de là à tomber
+dans toutes les fautes et dans tous les vices, il n'y a pas loin: la
+Bohémienne n'y manque pas; si bien que du vice elle arrive jusqu'au
+crime: la pente est naturelle et inévitable: cette malheureuse vit dans
+ce monde perdu avec une effronterie repoussante; sous les apparences de
+l'élégance et du bon ton, elle cache les plus infâmes entreprises; ici
+c'est un enfant qu'elle dérobe et qu'elle élève comme sa propre fille
+pour s'emparer d'une fortune considérable; là, ce sont des diamants de
+riches parures qu'elle soustrait par vol ou par violente. Avec le
+produit de sa corruption et de ses actions criminelles, cette femme,--si
+on peut l'appeler de ce nom,--tient un état de maison brillant; elle
+reçoit des honnêtes gens dupes de l'apparence; mais le fond de cet
+intérieur si magnifique se compose d'escrocs et de bohémiennes, agents
+secrets et exécuteurs des basses oeuvres de la Bohémienne en chef.
+
+C'est au milieu de ce mensonge de bonne réputation et de cette vie
+éclatante et honorée, que la Bohémienne commet un nouveau vol de quatre
+cent mille francs; longtemps elle échappe à l'impunité, à travers une
+complication d'événements mélodramatiques que nous n'entreprendrons pas
+de raconter, Dieu nous en garde! mais enfin la Providence du boulevard
+intervient; la prétendue grande dame est reconnue pour la fille de la
+fripière, la femme vertueuse pour une intrigante ignoble, la mère pour
+une voleuse d'enfants; la pauvre fille qu'elle avait associée à la honte
+de sa vie lui échappe heureusement avec toute sa pureté. Quant au reste
+des crimes commis par la Bohémienne, le gendarme qui l'arrête au
+dénoûment en fera bonne justice.--Voilà cependant les spectacles à la
+mode! La dégradation morale, le vice effronté, la cour d'assises et les
+bagnes! Si M. Etienne dit vrai dans son discours de réception à
+l'Académie française, et si en effet l'histoire des moeurs
+contemporaines peut se faire par le théâtre, que penseront nos futurs
+historiographes? En consultant le théâtre actuel comme étant un miroir
+fidèle de ce temps-ci, ne concluront-ils pas que notre siècle était un
+siècle de prostituées et de bandits?--Heureusement que nous sommes
+encore plus indifférents au mal que réellement mauvais, et que nous
+souffrons ces représentations violentes et honteuses plutôt par
+négligence que par extrême corruption, peut-être cependant est-il temps
+que les honnêtes gens ferment l'écluse et repousse le flot
+empoisonné!--Cette littérature de bagnes est comme la Seine depuis
+quelques jours; elle a grossi tout à coup, et menace de déborder et de
+causer des ravages, si on ne l'arrête.
+
+Le Gymnase nous a donné, pour compensation, _la Tante Bazu_. Cette
+vieille tante est une excellente femme, un peu quinteuse,
+très-susceptible et passablement emportée; d'abord elle se fâche et vous
+querelle; mais il n'y a rien de meilleur au monde que ses
+raccommodements; ses plus grandes colères ont toujours pour dénoûment un
+bienfait ou une bonne action; ainsi, dans un premier mouvement de
+rancune, la tante Bazu est sur le point de ruiner son neveu et de lui
+enlever une charmante femme qu'il aime; mais cette boutade ne dure pas
+longtemps; l'honnête Bazu répare bientôt tout le mal, marie son neveu,
+fait son bonheur et lui ouvre son coffre-fort tout plein d'adorables
+billets de banque. Si vous rencontrez par hasard une tante Bazu
+disponible, pourvue d'un tel coeur et d'un tel coffre-fort, veuillez me
+donner son adresse, je serais bien aise d'en faire ma tante et de
+devenir son neveu.
+
+--Le projet d'élever une statue à Rossini, au foyer de l'Opéra, est en
+pleine voie d'exécution; la commission est constituée et vient de lancer
+son appel aux souscripteurs; cette espèce d'ordre du jour se recommande
+par la signature des noms les plus distingués ou les plus illustres;
+Auber est à leur tête: il est rare de voir un homme prendre
+l'initiative, dans une entreprise qui a pour but de glorifier un
+confrère vivant; cette démarche honore le caractère du gracieux et
+savant compositeur auquel l'att français doit de si charmantes et de si
+nombreuses couronnes. Quant à Rossini, on ne dit pas si on lui a demandé
+ce qu'il pensait de cette statue qu'on veut lui dresser à sa
+barbe.--D'après l'insouciance où il vit depuis dix ans, et l'espèce
+d'oubli qu'il semble faire de sa personne, de son génie et de sa gloire,
+on peut croire que s'il ne fallait que son consentement pour poser la
+première pierre de la statue, il refuserait sa signature.
+
+M. de Balzac est bien positivement revenu de Russie; nous l'avons
+rencontré hier en chair et en os, très-gros, très-frais, très-bien
+portant, avec ce sourire jovial et cet oeil étincelant qui le
+distinguent de nos pâles et lugubres écrivains à la mode. Déjà la
+présence de M. de Balzac à Paris se manifeste: un libraire va publier
+une nouvelle production de cet infatigable et ingénieux écrivain; de son
+côté, le _Journal des Débats_ tient de lui un roman en trois volumes,
+qui naîtra en feuilletons aussitôt que nos honorables, rengainant la
+politique et sonnant la retraite, laisseront le champ libre à la poésie
+et à l'imagination.--Nous verrons si Balzac fera oublier Sue, et si _les
+Mystères de Paris_ trouveront un rival redoutable dans ce roman de
+l'auteur d'Eugénie Grandet, qui cache encore le titre et les armes de
+son nouveau-né pour étonner davantage et frapper à l'improviste.
+
+--Le gendre de Charles Nodier a demandé l'autorisation d'ajouter à son
+nom celui du spirituel, ingénieux, regrettable défunt, et de s'appeler
+Menissier-Nodier: hommage pieux que tout le monde approuve.--On annonce
+la mort de madame Rossi-Caccia, cantatrice distinguée; raison évidente
+pour qu'elle se porte à merveille, et que nous apprenions demain sa
+résurrection.
+
+--La reine dona Maria vient d'envoyer à Donizetti l'ordre de la
+Conception; on sait qu'en fait de conception S. M. est prodigue.
+
+
+
+Salon de 1844.
+
+VISITE DANS LES ATELIERS.
+
+Mars, ce premier mois du printemps, nous amène deux phénomènes
+périodiques, les giboulées et l'exposition annuelle des tableaux. Et il
+y a plus d'analogie qu'on ne pense dans ces deux choses. Soit dit sans
+mauvaise intention, cette multitude de tableaux qui s'élaborent
+péniblement dans les ateliers les plus inconnus comme dans les ateliers
+les plus renommés, s'en viennent un jour fondre sur les préjugés à
+l'administration des musées. Quelle terrible avalanche! En mars,--pour
+continuer notre comparaison,--les jours se suivent et ne se ressemblent
+pas; eh bien! s'il vous arrive de passer devant la petite porte par
+laquelle les peintres entrent avec leurs oeuvres, vous verrez que les
+toiles aussi se suivent et ne se ressemblent pas. Il y a un rude triage
+à faire; et quand les juges, ces excellents académiciens qui ne sont pas
+infaillibles ont donné leur approbation ou apposé leur veto, la critique
+a encore son choix à faire. Sa tâche est aride, ingrate, difficile.
+
+Aride: les comptes rendus du Salon donnent peu d'essor à l'imagination.
+
+Ingrate: c'est surtout en pareille matière qu'il faut chercher à être un
+peu amusant, s'il est possible.
+
+Difficile: car on doit juger plus de douze cents oeuvres en quelques
+jours. Pour les juger consciencieusement, il faut les bien voir; et,
+malgré leurs bons yeux, les critiques ne peuvent pas toujours examiner
+des tableaux vraiment _malheureux,_--des tableaux sombres de couleur,
+placés dans les travées sombres, dans l'ombre, et touchant presque le
+plafond.
+
+Aussi, pour avoir des notions plus certaines, dès que les bruits de
+l'exposition circulent parmi les artistes, nous nous armons de courage,
+nous gravissons les hauteurs de Montmartre, nous parcourons les
+solitudes du quartier de l'Observatoire, et en moins d'une semaine, nous
+avons rendu visite aux plus célèbres peintres, demeurant depuis l'avenue
+de Frochot jusqu'à la rue de l'Ouest, depuis la rue de la Ville-l'Évêque
+jusqu'aux alentours de l'Arsenal.
+
+Notre impatience est pardonnable. Il est si doux de connaître quelque
+chose de la comédie avant le lever du rideau! On aime tant à commettre
+des indiscrétions de coulisses! C'est à qui saura le premier certains
+détails que le public ignore, mais veut apprendre. De nos jours,
+l'actualité, c'est presque l'anticipation sur l'avenir; et
+l'_Illustration_, la prêtresse des actualités,--qu'on nous pardonne
+cette petite et innocente gloriole,--ne peut jamais parler trop tôt des
+choses qui préoccupent l'attention générale.
+
+Nous ne vous dirons pas les noms de tous ceux qui n'exposent pas cette
+année. Les maréchaux de la peinture, comme écrirait M. de Balzac, font
+presque tous de l'art en amateurs aujourd'hui, et quelques-uns
+transforment leur atelier en exposition permanente.
+
+[Illustration: M. Ingres.]
+
+Depuis _Saint Symphorien_, de terrible mémoire, on peut le dire, M.
+Ingres ne juge pas à propos d'exposer. C'est son droit, et nous ne lui
+contestons pas; il est libre. Sa _Stratonice_ et sa _Vierge à l'Hostie_,
+ses travaux pour M. de Luynes, sont ses dernières productions, et
+peut-être ses plus importantes. On le sait, M. Ingres n'exposera plus;
+M. Ingres ni veut à la critique. C'est son droit; mais a-t-il raison? Et
+le public, lui, est-il coupable si M. Ingres a été traité avec
+irrévérence par plusieurs feuilletonistes?
+
+Le mauvais exemple a été suivi. M. Paul Delaroche transforma, lui aussi,
+son atelier en salle d'exposition ouverte seulement à quelques amis
+privilégiés. Pourquoi donc M. Delaroche est-il sorti du champ clos? S'il
+eut à se plaindre d'injustices de la part de la presse, la foule n'en
+demeura pas moins toujours avide de ses oeuvres, et resta en
+contemplation devant elles. Qui l'a forcé à prendre une résolution aussi
+inébranlable que le fut celle de M. Ingres? Il vous souvient des
+_Enfants d'Edouard_, de _la Mort du connétable d'Armagnac_, de _Jane
+Gray_, de _lord Stafford_ et de _Charles 1er_?
+
+[Illustration: M. Paul Delaroche]
+
+Quel succès! quelle foule! M. Delaroche s'est ému parce que plusieurs
+critiques ont méconnu son talent; mais on n'avait pas encore été jusqu'à
+_faire le coup de poing_ devant sa _Sainte Cécile_, comme on l'avait
+fait devant le _Saint Symphorien_ de M. Ingres. Cependant, récemment,
+deux oeuvres nouvelles de M. Delaroche ne furent exposées que dans son
+atelier; peu d'artistes, presque point de critiques, ont été admis.
+
+M. Ingres et M. Paul Delaroche ne paraîtront plus aux expositions
+publiques du Louvre. Pour les Salons de 1844 et des années suivantes,
+ces deux grands artistes ne doivent pas être, comptés comme absents: ils
+sont morts, morts, en vérité!
+
+Donc, les regrets sont superflus; les espérances de les admirer encore
+sont illusoires, il ne nous reste plus, à leur égard, qu'à chercher tous
+les moyens possibles de consolation.
+
+Un peintre, plus qu'eux, a été contesté, nié, tour à tour admiré et
+méconnu, refusé par les membres du jury, mis à l'index par l'Académie:
+c'est M. Eugène Delacroix. On sait la vigueur de coloris, la puissance
+de composition qui le caractérisent; on n'a pas oublié son _Massacre de
+Scio_ ni sa _Médée_. De vives polémiques s'élevèrent à l'endroit de son
+talent, et les hommes exclusifs se déclarent hautement pour ou contre.
+Lorsque M. Delacroix exposa sa _Médée_, je me souviens d'avoir
+rencontré, dans le salon Carré, un artiste fort recommandable, qui me
+dit, en examinant ce tableau: «_Médée!_ l'exposition est là pour moi! Je
+ne vais pas dans les autres travées. Quel incomparable chef-d'oeuvre!»
+Quelques pas plus loin, je rencontrai un graveur; il sortait avec
+précipitation.--«Comme vous vous hâtez, mon cher! lui dis-je en essayant
+de le retenir.--Oui, je me hâte, répondit-il en continuant sa course;
+j'évite de regarder cette vile croûte.» Il désignait la _Médée_. Après
+cela, jugez si M. Delacroix est admiré et mis en pièces; il n'a
+cependant pas renoncé aux expositions, et il faut l'en féliciter.
+
+Quant à M. Horace Vernet, dont la fécondité est proverbiale, nous
+verrons, cette année, plusieurs toiles dues à son pinceau, parmi
+lesquelles le _Portrait en pied de M. le chancelier Pasquier_, que nos
+lecteurs connaissent déjà, et une _Course en Traîneau_, souvenir de son
+récent voyage en Russie.
+
+[Illustration: M. Eugène Delacroix]
+
+M. Decamps, on l'espère, ne fera pas faute, et c'est une bonne fortune
+pour le public qu'un tableau, même un seul, de l'auteur du _Supplice des
+Crochets_. Où trouver ailleurs, plus de lumière, plus de couleur, plus
+d'animation, que dans les toiles de cet artiste au talent exceptionnel?
+
+M. Ary Scheffer ne nous a pas permis de mettre sous vos yeux son
+portrait, bien qu'il l'ait peint lui-même avec cette supériorité qu'on
+lui connaît. M. Ary Scheffer est une des gloires artistiques de
+l'époque. Hélas! il n'a pas encore fini sa _Marguerite_!
+
+Et M. Charlet, le Napoléon des peintres de Napoléon! rien n'égale sa
+popularité. Il prend les enfants à l'école, puis les habille en enfants
+de troupe, et les conduit, tambour battant, jusqu'aux Invalides. Jamais
+on n'a dessiné avec plus d'esprit, de vérité et d'intelligence; cet
+artiste expose chaque jour chez les marchands de gravures de toute
+l'Europe: qu'est-ce, pour lui, que le Salon annuel?
+
+[Illustration: M. Horace Vernet.]
+
+Maintenant, notre visite aux maréchaux de la peinture est faite; nous
+avons donné leurs portraits; pénétrons dans les ateliers des lieutenants
+généraux, des généraux, etc.; divulguons les _mystères_ du Salon,--les
+_mystères_ sont à l'ordre du jour.
+
+[Illustration: M. Decamps.]
+
+_Luther_ et _l'Atelier de Rembrandt_, de M. Robert-Fleury, sont
+terminés; il travaille à une grande, page historique, _Marino Faliero
+descendant l'escalier des Géants pour aller à la mort_. Mais M.
+Robert-Fleury, lors de notre visite, était encore indécis, il ne savait
+s'il exposerait; espérons que sa résolution a été pour l'affirmative. M.
+Henri Scheffer, depuis longtemps souffrant, n'a peut-être pas encore
+achevé son _Arrestation de madame Roland_, pendant tout naturel de sa
+_Charlotte Corday_. M. Couture expose _l'Amour de l'or, un conte de La
+Fontaine_, et de beaux portraits. M. Chassériau envoie un grand tableau
+religieux; M. Hippolyte Flandrin, tout entier à ses travaux de
+Saint-Germain-des-Prés, se repose en travaillant pour la postérité; M.
+Henri Lehmann est dans les mêmes conditions, pour ses travaux à
+Saint-Merry: il a peint néanmoins le portrait de madame la princesse de
+Belgiojoso; M. Louis Boulanger verra peut-être recevoir par le jury, qui
+lui refusa l'année dernière sa Mort de _Messaline_, une belle _Mère de
+douleur_; M. Gigoux a achevé une immense toile historique, le _Baptême
+du Christ_; M. Couder en a achevé une plus grande encore où se
+remarquent, dit-on, des milliers de personnages, plus qu'il ne s'en
+trouvait dans ses _États Généraux_; M. Maux, en proie à une douleur
+paternelle, n'a pu mettre la dernière main à sa _Lecture du Testament de
+Louis XIV_: rien ne nous est connu de l'exposition de M. Léon Cogniet,
+dont le _Tintoret_ eut un succès si durable l'année dernière; M. Hesse
+envoie _la Lutte de Jacob avec l'Ange_; MM. Papety, Deraisne, Guichard,
+Granet, etc., etc., ne manqueront pas à l'appel, et marcheront à la tête
+de la peinture historique.
+
+[Illustration: M. Charlet.]
+
+Le genre aura aussi de glorieux représentants. M. Tony Johannot expose
+une _Geneviève_, la plus délicieuse création de George Sand: M. Fortin a
+d'admirables Bretons: M. Eugène Lepoittevin a de charmantes petite
+toiles; M. Adolphe Leleux envoie des _Cantonniers navarrais_ et des
+_Paysans picards_: son exposition serait plus complète s'il avait eu le
+temps de parachever son _Marché béarnais_ et ses _Faneuses bretonnes_,
+que nous verrons en 1845, sans perdre pour attendre. Son frère, M.
+Armand Leleux, expose des _Laveuses à la fontaine_ M Guillemin a trois
+tableaux, parmi lesquels _Dieu et le Roi_ et _la Consultation du
+Médecin_. Cette fois, on ne dira pas le _joyeux_, mais bien le
+_sentimental_ Guillemin.
+
+Nous en passons, et des meilleurs.
+
+Nous étions essoufflé à monter le grand nombre d'escaliers qui
+conduisent aux ateliers de ces messieurs. Le lecteur ne voudrait certes
+pas nous suivre, même à la simple lecture, si nous écrivions ainsi
+longtemps les noms des exposants. Qu'il nous pardonne, cependant, le
+chapitre des _mystères_ n'en est pas encore à sa fin.
+
+Il y a un certain _Incendie de Sodome_, de M. Corot, qui fut refusé en
+1843 par le jury, et qui sera sans doute reçu en 1844.--Il est vrai,
+diront les juges, que M. Corot a travaillé de nouveau pour mériter cette
+insigne faveur.
+
+M. Cabat fera sans doute faute: mais M. Marilhat possède une série de
+tableaux tous plus ravissants les uns que les autres, et M. Aligny a
+rapporté de son voyage en Grèce plusieurs vues qui escorteront son
+_Samaritain_; mais M. Gaspard Lacroix a un admirable paysage; M. Paul
+Flandrin a peint les _Bords du Rhône. Tiroli_ et des _femmes à la
+fontaine_: M. Achard est encore en progrès sur sa dernière exposition,
+déjà si remarquable; M. Français a terminé son tableau de Bougival; M.
+Desgoffes ne manquera pas de produire de l'effet, et M. Marandon de
+Montiel a envoyé trois paysages.
+
+Parmi les toiles que nous mettons au nombre des actualités, quelle que
+soit la variété des sujets, quel que soit le mérite de l'exécution, nous
+citerons un magnifique portrait équestre du duc d'Orléans, par M. Alfred
+Dedreux, qui envoie d'autres tableaux encore; _la Mort du duc
+d'Orléans_, par M. Jacquand; la _Vue du Château de Pau_, par M. Justin
+Ouvrié, et l'_Inauguration de la statue de Henri IV à Pau_, par M.
+Guiaut; l'_Arrivée de la reine d'Angleterre_, par M. Isabey; la Vue du
+canal de la Villette, par M. Testard, etc.
+
+Gué, que la mort nous enleva pendant l'année 1843, a laissé plusieurs
+tableaux qu'on dit charmants; nous ne savons s'il sera exposé quelque
+oeuvre posthume de Perlet.
+
+[Illustration: C'est demain le dernier jour.]
+
+M. Jadin a exécuté d'importantes peintures destinées à orner les
+appartements de M. le comte Henri de Greffuthe; il exposera trois ou
+quatre tableaux d'une suite de panneaux, _la Chasse au Sanglier, le
+Départ de la Meute, le Rendez-vous,_ etc. Nous leur prédisons un
+véritable succès. M. Dauzatz expose une mosquée et une bataille; M.
+Auguste Charpentier a comprise une belle _Adoration des Bergers_: M.
+Diaz envoie plusieurs charmantes toiles; M. Adrien Guignet envoie _la
+Mêlée_ et _Salvator Rosa chez les Brigands_: M. de Lemud, le lithographe
+hors ligne, aborde, cette année, la peinture; qu'il soit heureux pour
+son début, comme le fut M. Alophe, dont nous verrons aussi quelques
+productions.
+
+[Illustration: Le Jury d'Exposition, par Decamps.]
+
+L'amiral Gudin nous donne une partie de l'Océan, comme toujours, et le
+caboteur Mozin a navigué de Trouville à Honfleur sans préjudice des
+travaux de MM. Morel-Fatio, Mayer et Coweley.
+
+[Illustration: Un peintre universel.]
+
+Nous avons omis ou passé sous silence bien des noms; nous n'avons rien
+dit de la sculpture ni de la gravure, mais attendons l'ouverture du
+salon. Il est nécessaire d'ailleurs de s'appesantir un peu sur le fait
+même de l'exposition.
+
+Le jury, nous le savons de bonne source, ne sera pas sévère: cela
+veut-il dire qu'il sera juste? C'est de stricte justice plutôt que de
+l'indulgence que nous lui demandons. Quand tous les tableaux auront
+passé sous ses yeux; quand, d'autre part, les fameux _experts_ de M.
+Decamps auront donné leur avis, nous formulerons notre jugement avec
+conscience.
+
+Disons-le, c'est une époque fort mémorable que celle de l'ouverture du
+Salon. Bien des espérances s'y rattachent, et de cruels désespoirs la
+suivent.
+
+Dans les ateliers, lorsque le 15 février arrive, les pauvres artistes ne
+savent où donner de la tête. Ici, c'est un peintre qui contemple son
+oeuvre avec ce ravissement que l'on remarque chez le père de famille
+examinant son héritier. «Mon ami, ton tableau sera peut-être
+refusé!--Bah! répond le peintre, regardant avec assurance sa timide
+moitié; j'en suis content, il est bien terminé; ils n'oseraient pas me
+refuser cela.» Et souvent, quelle déception!
+
+Autre malheur, que l'on s'empresse de réparer. Le peintre est en retard,
+son tableau n'est pas achevé, et voilà que deux de ses amis _abattent_
+de la besogne. «Vite! cette tête n'est qu'ébauchée; cette draperie rouge
+n'est pas assez foncée en couleur. Allons! allons! Ah! mon Dieu! et le
+ciel, le ciel que j'avais en partie oublié!» Les trois peintres se
+mettent à l'ouvrage; à jour dit, à heure dite, le tableau est prêt.
+
+Je sais un artiste que son ami osa mettre en charte privée le 19
+février; il lui plaça dans les mains une brosse et une palette, et
+sembla lui dire: «Aide-moi, ou la mort!»
+
+D'autres peintres, au contraire, sont en avance. Pour eux, l'Exposition
+est un point de mire; ils travaillent le jour où elle ouvre, pour
+arriver l'année suivante, à pareille époque.
+
+Enfin, il est des spéculateurs en peinture qui regardent l'Exposition
+comme un marché ou à peu près. Il leur importe d'offrir aux acheteurs le
+plus de choix possible, pour faire une bonne saison. Ils travaillent sur
+tout et partout. Ils entreprennent «tout ce qui concerne leur état.»
+Vous voulez un portrait, ces messieurs sont très-bons portraitistes.
+--Vous voulez un tableau religieux, ces messieurs en font leur
+spécialité.--Vous voulez un tableau de genre, ces messieurs entendent
+parfaitement le genre. Bref, ils exposent concurremment une marine, un
+paysage, un tableau d'histoire, une petite toile de genre, une _Descente
+de Croix_;--qui n'a pas fait une _Descente de Croix?_--et surtout une
+bataille,--qui n'a pas peint une petite bataille? Il faudrait être bien
+maladroit: Versailles a tant de petits coins! Entrez dans leurs
+ateliers, vous les voyez, palette en main, suffire à l'immense variété
+des travaux qu'ils ont entrepris.
+
+Nous prenons la chose en riant, et pourtant elle a son mauvais côté.
+Toutes ces toiles terminées avec précipitation se présentent plus
+faibles que si elles étaient restées inachevées. On ne veut pas attendre
+une année, et, pour arriver, on risque sa réputation. Les artistes ne
+savent pas comprendre qu'il vaudrait mieux n'exposer que tous les trois
+ans, et produire de l'effet, que de paraître à tous les Salons, avec des
+tableaux _lâchés_, faibles ou mauvais même.
+
+Cela dit, nous attendons impatiemment que les portes du Musée s'ouvrent,
+afin de pouvoir juger au Salon les toiles que nous avons vues dans les
+ateliers, ou réparer les oublis que nous avons pu faire, en annonçant
+ici les tableaux principaux.
+
+[Illustration: Il ne sera pas refusé.]
+
+
+
+Fragments d'un Voyage en Afrique (1).
+
+(Suite.--Voir t. II, p. 358, 374, 390 et 410.)
+
+ [Note 1: La reproduction de ces fragments est interdite.]
+
+Durant les quatre heures que nous passâmes dans la plaine, El-Krarouby
+fut pour moi d'une prévenance presque obséquieuse. Il ne me quitta pas
+une minute. Les détails qui suivent me viennent de ce ministre lui-même.
+
+Les soldats sont divisés en corps réguliers et irréguliers, comme je
+l'ai dit plus haut. En temps de paix, ou dans l'intervalle des
+campagnes, les réguliers font souvent des exercices militaires. Le
+maniement des armes leur est montré par des instructeurs qui ont servi à
+Alger sous nos drapeaux, et qui ont déserté avant de savoir eux-mêmes
+manier un fusil. Il est curieux de voir les bédouins exécuter une
+manoeuvre: les mouvements d'ensemble et l'alignement surtout sont des
+choses impossibles pour eux; mais les chefs se contentent de faire
+marcher leurs soldats pendant, deux heures, l'arme au bras ou sur
+l'épaule. Dans les compagnies, on voit un géant à côté d'un mirmidon, le
+bossu à côté d'un boiteux, le vieillard près de l'enfant qui a besoin de
+ses deux bras pour soutenir son arme. Le service des réguliers est
+illimité. Ils font partie de l'armée active tant qu'il plaît à l'émir de
+ne pas les congédier.
+
+Les grades sont calqués sur ceux des Européens. Il y a des caporaux, des
+sergents, des officiers, des chefs de bataillon et des colonels. Les
+marques distinctives diffèrent selon les grades.
+
+Les caporaux portent une bande de drap rouge terminée par un croissant,
+et attachée sur la manche gauche. La bande est en argent pour les
+sergents. Des caractères tracés sur la bande indiquent la dignité de
+celui qui en est revêtu.
+
+Les Arabes désignent un officier par le mot de _fissian_. Le fissian
+porte une petite épée en argent, cousue sur la manche gauche. Le chef de
+bataillon a l'épée en or avec une inscription. Le colonel est
+reconnaissable à son beau costume de drap rouge; sa tête est entourée
+d'une corde noire en poils de chameau; le colonel est tenu d'avoir la
+barbe blanche. Les officiers supérieurs vont seuls à cheval.
+
+Un ordre militaire, le _nicham_, a été institué pour les militaires qui
+se distinguent. Il tient un peu du _nicham-iftikar_ de la Porte.
+
+La paie des simples soldats est de dix francs par mois; on y ajoute
+chaque jour un pain et une demi-livre de _tchicha_ (blé pilé), qu'ils
+font cuire dans de l'eau avec quelques onces de mauvais beurre. Tous les
+jeudis on distribue en outre un mouton, un bouc ou une chèvre, par
+trente-deux hommes; ces bêtes sont, en général, fort maigres. Les
+sergents touchent dix-huit francs, deux pains, du tchicha à volonté,
+trois onces de beurre ou d'huile, et un mouton pour quinze toutes les
+semaines. L'officier et le chef de bataillon reçoivent, l'un,
+trente-six, l'autre, cinquante francs par mois, le quart d'un mouton par
+semaine, et, chaque jour, deux pains, du tchicha à volonté, et deux
+livres de beurre. Les appointements du colonel s'élèvent à
+quatre-vingt-six francs; il a droit à quatre livres de pain et à un
+mouton. Voilà pour la paix. En temps de guerre, les troupes se
+contentent de biscuit; elles ont rarement du tchicha et de la viande. Le
+pain qu'on leur donne est détestable; le biscuit ne vaut guère mieux. Le
+colonel reçoit, lors de sa nomination, un cheval que lui envoie l'émir;
+mais il faut qu'il l'entretienne à ses frais et se fournisse d'un
+équipement complet. Le gouvernement, ne lui passe, ainsi qu'au chef de
+bataillon, qu'une ration d'orge par jour.
+
+L'uniforme des réguliers consiste dans une large culotte de laine bleue
+grossièrement tissée, une veste surmontée d'un capuchon gris, un gilet
+blanc en laine, une chemise en escamile, un _chachia_ (petit bonnet
+rouge); ils portent des souliers à l'algérienne, et se procurent à leurs
+frais des bernous. Le gouvernement remplace les effets usés, et on
+prélève le prix sur la solde; c'est un bénéfice net pour le trésor. Les
+caporaux ont le même uniforme avec une ceinture de peau et une giberne.
+Les sergents, officiers et chefs de bataillon portent des culottes de
+drap, une veste sans capuchon, un gilet rouge et un turban blanc.
+L'uniforme du colonel ne se distingue de celui des officiers que par la
+finesse du drap et quelques galons d'or. Le premier costume lui est
+fourni par l'émir; le dignitaire achète les suivants.
+
+Chaque compagnie est forte de soixante hommes; elle compte un caporal,
+un sergent et un officier. Le chef de bataillon et le colonel commandent
+toutes les troupes de la ville où ils se trouvent, car l'infanterie
+n'est divisée ni en bataillons ni en régiments. L'armée est répartie en
+divisions. Les hommes défilent deux par deux, les tambours en tête.
+Chaque compagnie a son drapeau particulier; le signe de ralliement de
+l'armée est l'étendard de quelque illustre marabout; et comme il ne
+manque pas de marabouts chez les Arabes, on n'a que j'embarras du choix.
+Le porte-drapeau est un officier. Le rappel est battu, tous les jours, à
+sept, heures du matin, dans les villes ou au camp. Dès que les troupes
+sont réunies, on procède à l'appel; à dix heures, les tambours
+convoquent les soldats à l'exercice; la retraite sonne à six heures du
+soir en hiver, et à huit heures en été; mais la consigne qui défend aux
+soldats de sortir après la retraite n'est pas rigoureusement observée.
+Le colonel passe une fois par semaine la revue, des troupes. Les villes
+ne contenant pas de casernes, les soldats sont envoyés chez les
+habitants, à moins qu'on ne mette à leur disposition les maisons des
+proscrits dont s'est emparé le gouvernement. Là où était mie famille, on
+entasse une compagnie. Le lit des soldats est une natte dégoûtante;
+quelques-uns obtiennent de leurs chefs la permission de découcher, et
+vont demander l'hospitalité à leurs amis. Pendant la guerre, chacun est
+sous la tente, et n'a d'autre couche que le sol humide.
+
+Quand les Arabes entrent en campagne, ils demandent au Prophète de leur
+faire la grâce d'être tués plutôt que blessés. Cela peut donner une idée
+des souffrances qu'endurent ces derniers; ils n'ont pour se guérir
+d'autre médecin que la nature, d'autres aliments que la ration, d'autres
+spécifiques que l'huile et le beurre. Ils font de la charpie avec de la
+laine et du coton. Les blessés succombent presque tous après d'horribles
+agonies, et l'on s'inquiète à peine de leur état; ainsi j'ai vu, dans le
+camp de l'émir, un blessé mourir de faim et de froid, et l'on ne
+s'aperçut qu'il était mort que lorsque, depuis quatre jours, son cadavre
+était en putréfaction.
+
+La cavalerie régulière est enrégimentée et subdivisée en compagnies, qui
+ont chacune un officier, lequel remplit en même temps les fonctions de
+maréchal des logis. Le chef d'escadron est appelé colonel des cavaliers.
+Pour être admis dans ce corps, il faut fournir un cheval. Un simple
+cavalier touche quatorze francs par mois et autant de rations qu'un
+fantassin. La solde du chef d'escadron est de cent francs; celle de
+l'officier de vingt-six. L'escadron comprend tous les cavaliers d'un
+aghalick. Chaque kalifat commande un régiment.
+
+Le costume des cavaliers réguliers se compose d'une culotte, d'un gilet
+et d'une veste sans capuchon, le tout un drap rouge grossier. Le drap
+que portent les chefs est d'une qualité supérieure. Les grades y sont
+indiqués par les mêmes signes que dans l'infanterie. Chaque compagnie a
+aussi son drapeau. L'officier de cavalerie se nomme _siaff-el-chriala_.
+Les cavaliers ne vont pas à l'exercice et sont rarement passés en revue.
+On les emploie aux transports des lettres et à diverses missions dans
+l'intérieur, où ils escortent les collecteurs d'impôts. Le sabre dont
+ils se servent leur appartient; ils professent la plus haute estime pour
+les armes de fabrique française.
+
+Les compagnies d'infanterie ont à leur tête un tambour; celles de
+cavalerie un trompette.
+
+L'armée arabe compte aussi dans ses rangs un grand nombre d'Européens,
+qui ont déserté nos drapeaux, croyant trouver la fortune et la gloire
+auprès de l'émir. Presque tous appartiennent à la légion étrangère. On y
+voit beaucoup d'Allemands et d'Espagnols, et peu de Français. Les
+déserteurs ne sont pas plutôt arrivés chez les Arabes qu'ils déplorent
+leur folle démarche, et, s'il ne s'agissait que de cinq ans de fers, ils
+rallieraient immédiatement leurs compagnons. Le plus souvent ils
+emportent avec eux armes et bagages, afin d'obtenir un meilleur accueil;
+mais l'avidité des Arabes s'éveille à la vue de ces objets. On dépouille
+ces malheureux; on leur rase la tête, on les force à embrasser
+l'islamisme, puis on les incorpore dans les bataillons réguliers;
+quelques-uns deviennent artilleurs et ne combattent point; les autres
+sont placés au premier rang dans toutes les rencontres; aussi
+meurent-ils presque tous. Il est fort rare de les voir monter en grade.
+Il en est qui, accablés de dégoûts et de mauvais traitements, se
+réfugient chez les Kabyles; d'autres parcourent les campagnes, où ils
+font des dupes et se donnent pour médecins. Tous finissent par être
+assassinés ou dévorés par les bêtes féroces. Ceux qui ont un état
+l'exercent librement; mais quoique moins malheureux que les premiers,
+ils n'acquièrent aucune influence dans les tribus, et ont sans cesse à
+redouter la colère des indigènes, qui cherchent à se débarrasser d'eux.
+
+Abd-el-Kader a environ huit mille fantassins et deux mille cavaliers à
+sa solde. Il pourrait au besoin les réunir tous sur un seul point, A
+l'exception des garnisons du Ziben et de Ghronat, qui sont sédentaires
+et maintiennent ces tribus dans l'obéissance. Les armes proviennent des
+fabriques françaises et anglaise? L'émir compterait deux mille hommes de
+plus dans son armée, s'il n'avait perdu six cents réguliers dans une
+révolte de Ziben et douze ou treize cents hommes au téniah de Monzaïa,
+pendant la campagne de juin. Quant aux irréguliers, leur nombre est plus
+ou moins considérable, selon que la presse ou levée est plus ou moins
+bien faite dans l'intérieur, il m'est impossible de préciser le chiffre
+des contingents pendant la dernière campagne; mais je suppose que leur
+maximum peut être porté à vingt mille auxiliaires pris dans les
+aghalicks soumis. Les auxiliaires font la guerre sainte à leurs frais.
+Le gouvernement ne leur fournit ni armes, ni vivres, ni fourrages, ni
+solde. Abd-el-Kader leur avait promis, à titre de prime d'encouragement,
+de remplacer les chevaux tués au combat; il leur avait même donné une
+livre de poudre et une pierre à fusil; mais, après la campagne, ceux qui
+se présentèrent pour le prier de tenir sa promesse, furent fort mal
+reçus. L'émir leur donna, au lieu d'un cheval, un chameau du prix de dix
+à quinze boudjoux (à peu près vingt francs). Les quinze mille
+auxiliaires que peut réunir le sultan forment dix mille cavaliers et
+cinq mille fantassins. Il ne nous reste qu'à dire quelques mots de
+l'artillerie, et nous aurons passé en revue toutes les forces arabes.
+
+Le nombre des pièces de campagne ne va pas au delà de douze. Les pièces,
+toutes en assez bon état, sont partagées entre les kalifats. La plupart
+sortent de la fonderie de Tlemcen, que dirige un officier espagnol;
+quatre d'entre elles ont été envoyées en cadeau à l'émir par l'empereur
+du Maroc.
+
+L'époque fixée pour mon retour en France approchait, lorsque je fus
+subitement atteint de fièvres tierces et forcé de me soumettre au repos
+le plus absolu. Pendant ma convalescence, les hostilités éclatèrent,
+cent vingt-cinq têtes de Français furent apportées à Médéah, exposées
+aux marchés, puis jetées à la voirie; six milles chargés de fusils y
+arrivèrent bientôt. Ces trophées enorgueillirent les Arabes. Lorsque la
+nouvelle en arriva à Tekedempt, la population se livra à une joie
+féroce; de toutes parts des imprécations s'élevèrent contre ce qui
+portait le nom de Français. Ma position devint d'autant plus pénible que
+mon jeune compatriote s'était enfui: son départ excita le courroux
+d'Abd-el-kader contre les Européens; ceux qui entouraient l'émir, me
+sachant l'ami du fugitif, et ayant perdu l'espoir de le prendre,
+conseillèrent à leur maître de me faire décapiter. «C'est un espion, lui
+dirent-ils, et, un jour, il donnera à tes ennemis d'utiles
+renseignements sur ton gouvernement.--Vous avez peut-être raison, leur
+répondit-il; mais je n'ai pas de preuves certaines, et ma religion me
+défend de lui ôter la vie. Sa mort n'ajouterait pas un rayon à ma
+gloire; il vivra donc. Qu'on se contente de lui enlever ce qu'il
+possède. Privé des moyens qui pourraient faciliter sa fuite, il ne
+tentera pas de s'échapper.»
+
+Les ordres du sultan furent exécutés de point en point: cheval, argent,
+marchandises, on me dépouilla de tout; il ne me resta que les vêtements
+que j'avais sur moi. Ainsi gardé à vue, en proie à la plus horrible
+misère, malade, n'ayant que le sol pour étendre mon corps exténué et une
+pierre pour oreiller, j'attendais la mort avec impatience. J'aurais
+infailliblement succombé à la langueur et à la faim, sans la générosité
+des ouvriers français; sans eux, je n'aurais jamais revu mon pays.
+Cependant, j'allais m'affaiblissant de jour en jour; j'avais déjà dit
+adieu à ma mère, à mes amis, à tout ce que j'aimais ici-bas, lorsque, au
+moment où je m'y attendais le moins, l'émir me fit appeler pour traduire
+quelques lettres. Mon dénûment et ma pâleur le frappèrent. Depuis que
+les chefs m'avaient accusé, il m'avait reçu avec tant de froideur que
+j'étais tout découragé; cette fois, le sourire qui passa sur sa bouche
+me rendit l'espérance, et je m'enhardis à lui parler de moi.
+
+«Considère, lui dis-je, l'état où je suis réduit. J'étais venu à toi
+pour opérer des échanges et augmenter ton trésor; tu me retiens captif,
+et tu m'as dépouillé de tout. Je souffre, et je n'ai aucune ressource
+pour alléger mes maux. Ou fais tomber ma tête, ou donne-moi les moyens
+de vivre. J'ai quelques fonds à Médéah, je te demande l'autorisation
+d'aller les toucher.»
+
+L'émir m'écouta avec attention. Après avoir réfléchi quelques instants:
+«Je le permets, me dit-il, de te rendre à Médéah; mais tu n'iras pas
+plus loin, car j'ai fait publier que quiconque serait pris se dirigeant
+vers les possessions françaises aurait la tête tranchée. Pars, et
+reviens dès que tes affaires seront terminées.»
+
+En l'entendant prononcer ces paroles, je faillis m'évanouir de bonheur.
+Me sentant trop faible pour entreprendre à pied une aussi longue route,
+je me procurai un âne, et je partis pour Médéah avec Ben-Oulil. Ce
+voyage fut pénible et dangereux: je manquai deux fois d'être assassiné;
+le froid raviva mes fièvres mal éteintes, et je ne pus, en arrivant,
+descendre de ma monture sans l'aide de mon compagnon.
+
+Je trouvai la ville de Médéah dans la consternation; les habitants
+hurlaient de douleur. Ce jour-là, les Français avaient remporté sur les
+Arabes une victoire signalée, sous les murs mêmes de Blidah: cinq cents
+hommes étaient tombés sous les coups des chasseurs d'Afrique; presque
+tous appartenaient aux familles les plus puissantes. Cette fois, ce
+n'étaient pas les réguliers qui avaient souffert, mais bien des fils de
+cadis, de cheiks et de commerçants qui, pour obéir au prince des
+croyants, avaient mérité le ciel en se faisant glorieusement tuer dans
+la lutte sainte. La désolation était générale: pendant trois jours, la
+route qui mène de Blidah à Médéah ne fut fréquentée que par des veuves
+et des orphelins inconsolables. Les cadavres jonchaient la terre, et les
+bières ne pouvant suffire à les transporter, on les enlevait par couples
+sur des tapis et des couvertures.
+
+Mes débiteurs abusèrent de ma pauvreté et nièrent leurs dettes. Un
+respectable marabout, croyant que j'avais embrassé l'islamisme, m'offrit
+l'hospitalité. On apprit bientôt que les Français se disposaient à
+ouvrir la campagne. Abd-el-Kader résolut de leur opposer une vigoureuse
+résistance; quatre redoutes furent établies au téniah de Mouzaïa, sous
+la direction d'un sergent du génie, déserteur; deux pièces de canon les
+armèrent. L'émir vint lui-même à Médéah, afin d'entraîner les tribus à
+la guerre. Ses ordres portaient que les enfants et les vieillards
+resteraient seuls dans les douairs. Tous les Arabes répondirent à son
+appel; ceux qui n'avaient pas d'armes s'armèrent de bâtons. L'évacuation
+de la ville fut ensuite ordonnée.
+
+Je ne puis reproduire ici le spectacle qu'offrit la fuite des habitants;
+ils partirent, n'emportant que leurs effets les plus précieux, sans
+savoir où ils trouveraient un abri. L'émir ne leur avait donné que
+vingt-quatre heures pour évacuer la ville; il supposait que les colonnes
+françaises se dirigeraient de ce côté en sortant de, Blidah. Il se
+trompait; nos troupes marchèrent sur Cherchell. Les rencontres qui
+eurent lieu entre elles et les Hadjoules furent fatales à ces derniers;
+cinq cents morts restèrent sur le champ de bataille. Les habitants de
+Médéah profitèrent de ce temps pour rentrer dans la ville et en enlever
+leurs trésors. Ce fut alors une confusion étrange: tout commerce avait
+cessé; les Arabes de l'intérieur ne fournissaient plus les marchés, et
+le blé y était tarifé à un prix exorbitant. Pendant quinze jours, deux
+cents mulets furent affectés au déménagement; enfin, au moment où en
+croyait que les Français se dirigeaient vers Milianah, on les vit, à la
+faveur des brouillards et par une manoeuvre habile, couvrir le téniah de
+leurs colonnes. Ils l'auraient passé sans coup férir, car l'émir n'y
+avait laissé que quelques compagnies de réguliers, ayant réuni ses
+forces sur l'Oued-Djer, mais il eut le temps d'y envoyer quatre mille
+soldats et une nuée d'auxiliaires. Les premiers gardaient les redoutes,
+tandis que les autres, perchés sur les hauteurs, faisaient rouler du
+haut des monts d'énormes blocs de granit. L'affaire, s'engagea vers deux
+heures du soir; deux fois repoussés, les Français, électrisés par tant
+de résistance, tournèrent l'ennemi et l'écrasèrent au troisième choc.
+L'arme blanche fit un carnage horrible des Arabes, qui laissèrent sur la
+place douze cents combattants.
+
+De Médéah nous entendions la canonnade. Les autorités avertirent les
+habitants que ceux qui seraient trouvés le lendemain dans la ville
+seraient mis à mort. La fuite et le désordre recommencèrent une seconde
+fois. Les chaouchs se mirent à chasser les indigènes à coups de bâton.
+Le soir Médéah était vide. J'espérais que les Français viendraient s'en
+emparer et que je me retrouverais au milieu de mes compatriotes... vain
+espoir! Un orage arrêta leur marche, la ville s'emplit de déserteurs et
+fut traversée, pendant la nuit, par les blessés qu'on conduisait à
+Boural.
+
+Le lendemain matin, il n'y avait plus à Médéah que le kaïd, le cadi,
+quelques chaouchs et moi. L'armée française avait assis son camp au bois
+des oliviers. On me réitéra l'ordre de partir; j'obéis à regret, mais
+demeurer plus longtemps eût été me compromettre. Je pris la route de
+Milianah; la fusillade sifflait sans cesse à mes oreilles, des nuages de
+fumée et de poussière s'élevaient dans les airs. Les Français étaient à
+quelques pas de moi, et il fallait les fuir! Le jour d'après, ils
+entraient dans la ville, qu'ils quittèrent bientôt pour aller à Blidah.
+Cette retraite permit à l'émir de licencier les auxiliaires et de
+disséminer ses réguliers, auxquels il accorda quinze jours de congé.
+El-Berkani resta seul avec quelques milliers d'hommes aux environs de
+Médéah.
+
+Un spectacle non moins étrange que celui dont je venais d'être témoin me
+frappa dès mon arrivée à Milianah. La ville était déserte; un ordre de
+l'émir avait enjoint à ses habitants de se réfugier dans la vallée du
+Chélif et sur les montagnes. Les réguliers avaient profilé du désordre
+pour livrer la ville au pillage; des quartiers même avaient été la proie
+des flammes.
+
+Le camp des Arabes s'adossait au bas de la vallée du Chélif, à
+Al-Cantara, pont des Romains. Un soir que l'émir, après avoir payé ses
+troupes, prenait son repas, composé d'une orange et d'un peu de farine
+de blé rôti, un courrier, arrivant de Médéah, lui apprit que l'ennemi
+s'avançait vers Milianah.
+
+Il avait en ce moment peu de troupes disponibles, et cette nouvelle le
+surprit beaucoup; mais il expédia des courriers dans toutes les
+directions pour rappeler ses soldats; et, s'élançant sur son cheval, il
+partit au galop, accompagné du bey de Milianah et de cinq cents
+cavaliers. Le soir, une fumée épaisse et rougeâtre entoura la ville, les
+Français étaient en vue; ils brûlaient tout ce qui se trouvait sur leur
+passage. Abd-el-Kader, de son côté, mettait le feu aux habitations; le
+pays entier se tordait dans les étreintes d'un vaste incendie. A la
+faveur de la lune, notre armée se divisa en deux corps; l'un marcha sur
+Milianah, l'autre vers le Chélif, d'où il revint se joindre bientôt au
+premier corps. La consternation ne tarda pas à se répandre dans le camp
+de l'émir; des chameaux furent requis pour le transport des bagages; on
+affecta des mules à celui des blessés. Les Arabes, fuyant en désordre
+devant nos bataillons, franchirent le Chélif, et se replièrent sur
+Tazza, où je fus forcé de les suivre. Abd-el-Kader avait pris les
+devants. Je voyageai en compagnie du kalifat de Tlemcen, Bou-Hamidy, qui
+portait à son maître le montant des impôts perçus sur les tribus de son
+gouvernement.
+
+L'émir vint à notre rencontre, monté sur un magnifique cheval gris,
+qu'il tenait de l'empereur du Maroc; sa musique marchait devant le
+cortège, et une nombreuse escorte caracolait à ses côtés. Arrivé à
+quelques pas de nous, tout le monde mit pied à terre, et Abd-el-Kader
+embrassa Bou-Hamidy avec une cordialité qui ne me laissa aucun doute sur
+l'affection qui les unissait. Des jeux, auxquels les notables prirent
+part, célébrèrent l'arrivée du plus vaillant des kalifats. Les
+réjouissances une fois terminées, nous nous dirigeâmes vers la ville.
+
+Je comptais retrouver la place de Tazza telle que je l'avais laissée,
+avec ses misérables huttes et sa tour inachevée; mais quelle fut ma
+surprise en voyant, à la place de ce désert, un fort bien construit et
+décoré avec art, des maisons avec des boutiques, semblables à des
+édifices. Les terres étaient cultivées; on se livrait, autour de nous, à
+la récolte du riz. La ville était animée par la présence de plusieurs
+chefs; des tentes nombreuses s'éparpillaient dans la plaine; et, sous
+ces tentes, la population oubliait dans les fêtes ses derniers malheurs.
+Tout y respirait la joie, l'abondance, le mouvement; et ce séjour, sans
+être à envier, me parut alors l'un des plus agréables de l'Afrique.
+
+Le lendemain, je m'acheminai vers le fort où se trouvait l'émir,
+lorsque, arrivé à la batterie, j'aperçus une foule nombreuse qui
+semblait garder la porte; des cris affreux sortaient du sein de cette
+multitude. Les gestes expressifs des Arabes, leurs regards, le sourire
+horrible qui grimaçait sur leurs lèvres, me remplirent d'effroi, et je
+fus tenté de rebrousser chemin; mais j'eus honte de moi-même et je
+continuai d'avancer.
+
+Mon instinct ne m'avait pas trompé: ces cris étaient des cris de mort;
+un drame sanglant allait se jouer en ce lieu, et la foule n'était
+assemblée que pour jouir de ses péripéties. Je pris des informations;
+mille voix me crièrent qu'on allait décapiter un Français. Ne pouvant
+croire ce témoignage unanime, je m'adressai à un vieillard qui était
+près de moi, en lui demandant si c'était la vérité.
+
+«On ne te trompe pas, dit-il en me lançant un regard farouche; c'est à
+un infidèle qu'on va trancher la tête. Avec l'aide de Dieu et du
+Prophète, on en fera bientôt autant à tous ceux qui ont envahi notre
+pays.
+
+--Quel est son crime? demandai-je en balbutiant.
+
+--Son crime? Il s'est fait musulman, puis il a renié la sainte religion
+du Prophète; non content de cela, il a pratiqué l'espionnage; on a
+trouvé sur lui certains papiers qui ont mis au jour ses desseins. Il a
+mérité de perdre la vie, et, _in cha allah_! il la perdra.»
+
+L'indignation, la stupeur et l'effroi me clouaient à ma place; les
+regards de la foule s'étaient fixés sur moi avec une férocité
+inexprimable. Un Français allait périr sous mes yeux sans qu'il me fût
+possible de le sauver; une parole imprudente aurait sans doute fait
+tomber ma tête avec la sienne! Un abîme de haine me séparait de ces
+tigres; et, dans la crainte de se voir arracher leur victime si je
+parvenais jusqu'à l'émir, ils me fermèrent l'entrée de son habitation.
+Un raffinement de vengeance les porta à m'entraîner vers la tente où le
+malheureux condamné attendait que le yatagan mit fin à ses jours.
+
+Je m'avançai, traîné par cette populace hideuse et que l'appât du sang
+enivrait. En jetant les yeux sur le sol recouvert d'une mauvaise natte,
+je sentis mes genoux prêts à fléchir, le coeur me manqua, et je me
+serais évanoui sans le secours des deux Arabes qui me soutenaient. Dans
+celui que le supplice attendait, je reconnus un de mes amis!
+
+(_La fin à un prochain numéro._)
+
+
+
+Les Mystères de l'Illustration.
+
+A NOS ABONNÉS.
+
+Que ce titre n'effarouche pas la pudeur la plus craintive;
+rassurez-vous, chers abonnés, je veux simplement vous apprendre
+aujourd'hui comment _l'Illustration_ parvient à résoudre chaque semaine
+le problème de son existence. Après vous avoir montré deux des trois
+grands centres d'action où les idées qui lui donnent naissance s
+conçoivent et se réalisent,--le bureau de rédaction, l'atelier des
+graveurs et l'imprimerie,--j'ai le désir de vous donner en très-peu de
+mots quelques détails peu connus sur les diverses opérations
+intellectuelles ou matérielles auxquelles doivent nécessairement se
+livrer à tour de rôle, les rédacteurs, les dessinateurs, les graveurs et
+les imprimeurs de votre journal. Si ce sujet ne vous offre aucun
+intérêt, ne lisez pas ce qui va suivre.
+
+Ce fut (jour à jamais mémorable) le 4 mars de l'année 1843, à trois
+heures quarante-sept minutes, que le premier exemplaire du premier
+numéro de la première année de _l'Illustration_ sortit enfin du sein de
+sa mère... (voir 1er numéro, l'année) la mécanique de MM. Lacrampe et
+compagnie.
+
+--L'enfantement avait été long et laborieux; malgré quelques symptômes
+de faiblesse apparente, le nouveau-né annonçait une constitution
+vigoureuse; aussi les bons observateurs ne s'y trompèrent-ils point; ils
+lui prédirent un long et glorieux avenir! Quelle prédiction fut plus
+promptement accomplie?
+
+A peine eut-elle vu le jour, la jeune _Illustration_ sut se montrer
+digne du beau nom que sa famille lui avait donné. Avant la fin de son
+premier mois elle étonnait monde par ses prodiges. Jamais aucun journal
+n'avait fait en aussi peu de temps de pareils progrès. La grande
+nouvelle se répandit avec la rapidité de la foudre d'une extrémité de la
+terre à l'autre extrémité. En moins d'une année, _l'Illustration_ devint
+réellement un journal universel. Ce qu'elle a fait pour mériter son
+succès, est-il nécessaire de vous le rappeler?... Si toutes ses
+tentatives n'ont pas été également heureuses, vous devez du moins lui
+rendre cette justice, quelle n'a reculé devant aucun obstacle, qu'aucun
+sacrifice ne lui a coûté. D'ailleurs ne faut-il pas pardonner quelques
+erreurs à l'inexpérience du jeune âge?
+
+Étonnez-vous plutôt qu'elle ait pu vous offrir cinquante-deux numéros
+aussi variés et aussi complets que ceux dont elle vous a gratifiés
+durant le cours de sa première année, et demandez-vous à l'aide de quels
+moyens elle est parvenue à obtenir un résultat aussi incroyable, car
+c'est à cette question que je vais essayer de répondre.
+
+Comme toutes les puissances de ce bas monde, _l'Illustration_ a des
+courtisans; la capitale de son vaste royaume est Paris; elle a établi le
+siège de son gouvernement rue de Seine, 33; des ministres qu'elle a
+choisis avec un rare discernement _gouvernent_ en son nom; mais outre
+ces hauts dignitaires assermentés et responsables, elle compte dans
+toutes les villes de France et de l'étranger un certain nombre de sujets
+volontaires qui, avides de ses faveurs, soupirent après l'heureux moment
+où il leur sera permis de lui donner, à la plume ou au crayon, un
+éclatant témoignage de leur affectueux dévouement. Elle reçoit chaque
+jour, avec des adresses de félicitations, des relations détaillées et
+des dessins originaux de tous les événements importants arrivés pendant
+la semaine sur notre planète. Le conseil des ministres s'assemble
+régulièrement de midi à six heures; il examine les communications qu'il
+reçoit, déchire et brûle celles qui lui semblent insignifiantes, et
+soumet à une discussion approfondie celles dont il espère tirer parti.
+La séance levée, des estafettes partent dans tous les sens; les unes
+courent chez les artistes pour leur demander des dessins; les autres se
+dirigent en toute hâte vers les demeures des écrivains chargés de
+rédiger le jour même un texte explicatif.--Depuis la fondation de
+_l'Illustration_, la circulation a presque doublé dans Paris.
+N'avez-vous jamais rencontré ce cabriolet fameux qui parcourt la ville
+en tous sens avec une si effrayante vitesse? vous l'avez à peine aperçu
+quand il a passé devant vous, plus rapide que le cheval fantastique de
+la ballade de Lénore. C'est le coursier favori de _l'Illustration_! Il
+emporte avec son conducteur l'intelligent exécuteur des hautes décisions
+du conseil suprême, dont le nom célèbre a plus d'une fois sans doute
+frappé vos oreilles.
+
+Il ne suffit pas à l'_Illustration_ d'être instruite à l'instant même de
+tout ce qui arrive, il lui faut encore savoir ce qui doit arriver. Le
+mystère, il m'est interdit de vous le révéler. Je ne vous dirai donc pas
+comment les prophètes de votre journal parviennent à connaître
+l'avenir! Ne m'en demandez pas davantage et suivez-moi maintenant place
+Saint-André-des-Arts.
+
+Pénétrons ensemble dans cette rue étroite, sombre et humide qui unit la
+place Saint-André-des-Arts à la rue de La Harpe, et qui porte le nom de
+rue _Pouper_. Parvenus au milieu de cette rue, nous nous arrêterons
+devant une vieille maison nouvellement badigeonnée, et même peinte à
+l'huile, nº 7. Elle est un peu penchée par l'âge: mais n'ayez aucune
+crainte, ses fondations sont solides. Elle a été construite à une époque
+où les architectes se croyaient encore obligés de travailler pour
+plusieurs générations. Avouons le cependant; si nos aïeux avaient le bon
+esprit de ne pas s'asphyxier dans des espèces de bonbonnières, ils ne se
+faisaient aucune idée de ce que nous appelons le confortable.--Ces
+appartements sont vastes et bien aérés; mais comme l'escalier qui y
+conduit est roide et dangereux! Madame la présidente appuyait donc sa
+jolie petite main sur cette grossière rampe de fer, ses pieds mignons
+foulaient sans hésitation et sans crainte ces carreaux humides. Aussi
+nos présidentes actuelles ne se décideraient-elles plus à habiter une
+semblable maison. Partout la bourgeoisie abandonne aux prolétaires ses
+anciennes demeures; les finances, la magistrature et le barreau cèdent
+la place à l'industrie.
+
+L'industrie, en effet, a besoin d'espace; à peine même si elle se trouve
+à l'aise dans ces immenses salons d'autrefois. Jetez un regard sur
+l'atelier des graveurs de _l'Illustration_: toutes les places sont
+occupées: partout où la lumière pénètre, elle est avidement interceptée
+au passage par un groupe d'artistes sur lesquels veille sans cesse
+l'oeil du maître.
+
+Le soir venu, les tables qui avoisinent les fenêtres sont abandonnées;
+tous les graveurs chargés, à tour de rôle, de passer la nuit, se
+réunissent autour des tables circulaires rangées de distance en
+distance. C'est un spectacle des plus curieux. Les rayons de la grosse
+lampe qui s'élève au centre de chaque table, traversant des globes ne
+verre remplis d'eau, répandent une lumière tellement éclatante sur les
+mains, les figures, les burins et les bois de chaque graveur, que tout
+le reste du salon paraît plongé dans une obscurité profonde. Les yeux
+éblouis, on se dirige à tâtons vers ces phares lumineux. On croirait
+voir un des tableaux les plus colorés de Rembrandt.
+
+Je ne raconterai point ici l'histoire de la gravure sur bois; un autre,
+plus compétent que moi en pareille matière, entreprendra un jour cet
+intéressant travail; je résumerai seulement quelques renseignements
+généraux sur cet art d'origine moderne, sans lequel _l'Illustration_
+n'aurait pas le bonheur de faire le vôtre.
+
+L'artiste dessine avec un crayon ordinaire de mine de plomb, sur un
+morceau de bois bien sec, bien uni, légèrement blanchi, comme sur une
+feuille de papier. Le dessin, jugé et accepté, est immédiatement porté à
+l'atelier général des graveurs, dont le dessin ci-joint vous offre
+l'image fidèle. Des qu'il arrive, on le grave, sans trêve ni repos, jour
+et nuit; car souvent il doit être achevé en moins de quarante-huit
+heures. Le procédé est fort simple, mais la mise en application exige
+une grande adresse. Il s'agit, en effet, d'enlever, à l'aide de butins
+de différentes grosseurs, toutes les parties du dessin qui doivent être
+blanches. La gravure sur bois diffère du tout au tout de la gravure en
+taille-douce.--Le graveur sur cuivre ou sur acier creuse sur la planche
+les mêmes traits que le graveur sur bois a le soin de laisser en relief;
+en d'autres termes, le graveur sur cuivre ne touche pas tout ce qui
+doit, dans la gravure, être blanc: le graveur sur bois, au contraire,
+laisse parfaitement intact tout ce qui doit être noir.--Non-seulement on
+travaille jour et nuit dans cet atelier, mais, quand la nécessité
+l'exige, on coupe un dessin en deux ou en quatre morceaux, qui sont
+gravés séparément, et qui, après avoir été soigneusement recollés, sont
+retouchés et terminés par un maître habile.
+
+Les gravures terminées, on les envoie aussitôt dans un quartier éloigné
+où elles sont toujours impatiemment attendues.--Traversons donc la
+Seine, et transportons-nous au milieu même de la cour des Miracles, non
+loin du passage du Caire. Une autre fois nous vous montrerons la plus
+belle imprimerie qui existe actuellement à Paris; cette cour célèbre, où
+des écoles primaires ont remplacé les refuges des ribauds et des
+mendiants du moyen âge; ces vastes ateliers où plusieurs centaines
+d'ouvriers sont constamment occupés à composer, à corriger ou à imprimer
+les chefs-d'oeuvre de la typographie française contemporaine.
+Aujourd'hui nous nous contenterons de vous apprendre comment le journal
+s'imprime.
+
+Nous sommes au vendredi: depuis la veille au soir le journal est
+complètement achevé; il ne reste plus que quelques corrections
+insignifiantes à faire. Qui d'entre vous n'a vu une imprimerie? Vous
+savez tous, je le suppose, que chaque compositeur a devant lui un
+certain nombre de cases de différentes grandeurs remplies de lettres de
+plomb: ses yeux sont presque constamment fixés sur le manuscrit, et ses
+mains connaissent si bien les places où se trouvent placées toutes les
+lettres de l'alphabet, les points, les Virgules, les _espaces_, etc.,
+etc., qu'elles vont les prendre machinalement d'elles-mêmes sans jamais
+se tromper. Un composteur, instrument d'acier, sert à recevoir les
+lettres et donne la mesure des lignes. Les lignes réunies en certain
+nombre forment un paquet; on passe alors sur ces paquets un rouleau de
+colle imbibé d'encre, on y applique un papier légèrement mouillé, puis,
+à l'aide d'une brosse, on fait une épreuve, sur laquelle les correcteurs
+et l'auteur de l'article relèvent tour à tour les fautes grammaticales
+ou typographiques. Les corrections faites, le jeudi, le metteur en pages
+rassemble tous les paquets et en forme des pages d'après un ordre adopté
+et indiqué d'avance; cet ordre est parfois qualifié de désordre, mais,
+qu'on le sache bien, nous sommes obligés, pour avoir un tirage
+convenable, de mettre toutes les gravures d'un numéro sur les pages 1,
+4, 5, 8, 9, 12, 13 et 16; par conséquent les articles à gravures
+n'occupent pas toujours la place que leur assignerait l'ordre logique.
+Des morceaux de plomb remplacent provisoirement les bois qui ne sont pas
+encore achevés, et qui ne doivent être livrés que le lendemain dans la
+matinée. Deux pages forment ce qu'on appelle une forme et les huit
+formes réunies composent seize pages, ou un numéro.
+
+Jusque-là rien que de fort ordinaire; mais le vendredi matin, les
+gravures arrivent, et alors commence un nouveau travail assez difficile
+à expliquer, que les gens du métier appellent la _mise en train_.
+
+[Illustration: Atelier des Graveurs de _l'Illustration_ pendant le jour.]
+
+La gravure en relief a sur la gravure en taille-douce l'immense avantage
+de pouvoir se tirer en même temps et de la même manière que des
+caractères d'imprimerie, mais, pour en obtenir un pareil résultat, il
+est nécessaire de lui faire subir préalablement une assez longue
+préparation: d'abord, on met à un niveau parfait les gravures et les
+caractères, puis on procède à la mise en train proprement dite. Cette
+opération préliminaire est plus importante qu'on ne le croit en général,
+car de sa mise en train dépend entièrement l'effet d'une gravure: le
+chef-d'oeuvre de MM. Andrew, Best et Leloir, mal tiré, serait regardé,
+même par les connaisseurs, comme l'ébauche grossière d'un inhabile
+apprenti.
+
+Le graveur sur bois n'a pas les mêmes ressources que le graveur sur
+cuivre; il ne produit, à l'aide de son burin, que des blancs et des
+noirs uniformes; des demi-teintes, il n'en peut pas faire. Pour donner
+une certaine couleur à une gravure sur bois, il faut absolument teinter
+à divers degrés les parties noires, c'est le travail du metteur en
+train, travail long et difficile. Le metteur en train tire, sur un
+carton léger, une épreuve de la gravure qu'il s'agit d'imprimer: puis, à
+l'aide d'un instrument tranchant, il enlève sur ce carton les parties de
+la gravure qui ne doivent pas être complètement noires; plus des teintes
+vont s'affaiblissant, plus il creuse profondément. Cette espèce de
+découpage ou de gravure achevée, le carton est collé solidement à la
+partie de la mécanique qui presse la feuille de papier sur les formes
+composées des gravures et des caractères d'imprimerie. Dès lors on
+conçoit aisément qu'une gravure correspondant exactement à son carton
+découpé recevra une pression plus ou moins forte, et par conséquent se
+colorera de teintes plus ou moins vives, selon que le carton a été plus
+ou moins profondément entaillé. Souvent ce premier travail ne suffit
+pas; il faut, pendant plusieurs heures, coller des morceaux de papier
+sur les parties du carton qui ne sont pas assez saillantes, et creuser
+encore celles qui le sont trop.
+
+[Illustration: Atelier des Graveurs de _l'Illustration_ pendant la nuit.]
+
+Cependant la mise en train est terminée, les dernières corrections sont
+faites: à un signal donné, la mécanique se met en mouvement, et à chaque
+tour de roue un numéro de _l'Illustration_ vient de lui-même se placer
+tout imprimé entre les deux cylindres. Cette belle et curieuse machine,
+dont nous vous donnerons un jour un portrait ressemblant, fait à elle
+seule plus de besogne que vingt hommes. Sans elle, tous les abonnés
+actuels de _l'Illustration_ ne pourraient pas être servis dans la même
+journée, et que deviendrions-nous dans quelques mois? Elle imprime 600
+numéros par heure, et huit ouvriers ne pourraient, dans le même espace
+de temps, en imprimer, à la presse à la main, que 200.
+
+Au fur et à mesure qu'ils sont imprimés, les numéros (le samedi matin)
+sont transportés dans l'atelier des brocheurs, ou plus de cinquante
+personnes sont occupées à les plier, à les mettre sous bande. De là les
+uns partent pour la poste, les autres sont immédiatement enlevés par les
+porteurs chargés de les remettre dans Paris à leurs souscripteurs. Un
+certain nombre revient rue de Seine, nº 33, au bureau d'abonnement, où
+ils se vendent séparément, par collections mensuelles ou en volumes.
+Puis, imprimeurs, brocheurs, porteurs, etc., se reposent pendant
+quelques jours de leurs fatigues ou passent à d'autres exercices en
+attendant que le numéro suivant réclame l'emploi de leur temps.
+
+Seuls, le comité de rédaction et les graveurs ne se reposent jamais. On
+n'a plus à s'occuper du présent, il faut songer à l'avenir. Je ne vous
+révélerai pas le mystère des projets que vous devez voir se réaliser
+pendant l'année qui commence: ce serait vous ôter votre plus grand
+plaisir, celui de la surprise, et je vous aime trop, ô mes chers
+abonnés! pour vous jouer un si vilain tour. Soyez sûrs cependant que
+vous serez encore plus émerveillés et plus heureux en 1844 que vous
+n'avez dû l'être en 1843.
+
+[Illustration: Bureau de Rédaction de _l'Illustration._]
+
+Se tenir au courant de tout ce qui arrive dans le monde, chercher à
+prévoir tout ce qui doit arriver, faire concourir au but commun, pour la
+plus grande satisfaction des lecteurs, des activités diverses
+éparpillées aux quatre coins de la grande ville, telle est la tâche des
+membres du comité de rédaction, sorte d'aréopage qui siège en
+permanence, et devant lequel viennent se faire juger des articles sur
+toutes sortes de sujets, des nouvelles, des romans, des dessins, des
+gravures, des romances, etc.; ne me demandez pas leurs noms, ils
+persistent à rester cachés, comme on dit, sous le voile de l'anonyme.
+Dans les journaux politiques, dans les revues, ils ont le droit d'être
+des illustrations, mais ici ils sont _l'Illustration._.
+
+
+
+Don Graviel l'Alferez.--Fantaisie maritime
+
+(Suite.--Voir t. II, p. 393 et 406.)
+
+
+III.
+
+Cinquante déserteurs de la _Santa-Fé_, vingt négriers, restant de
+l'équipage du _Caprichoso_; le contre-maître Brimbollio, maître de
+manoeuvre; le garde-marine Fernando Riballosa, lieutenant, et l'enseigne
+de frégate don Graviel Badajoz, capitaine; en tout soixante-treize
+combattants, plus un cuisinier noir et quelques mousses, telle était la
+composition du personnel du brick-goélette contre lequel le gouverneur
+de la Havane déployait maintenant toutes ses forces de terre et de mer.
+L'on trouvera naturel que nous omettions dona Juanita de las Ermaduras,
+toujours renfermée dans la chambre d'honneur, tremblante, éplorée, en
+proie aux plus cruelles appréhensions.
+
+La canonnière que Fernando maintenait au bout de sa ligne de mire
+coupait la route au _Caprichoso_.
+
+«Capitaine, faut-il faire feu? demanda le pointeur.
+
+--Garde-t'en bien, malheureux! répondit Graviel; s'il est nécessaire
+d'en venir là, ce qu'à Dieu ne plaise! au moins laissons-les commencer.
+
+--Décidément, murmura le lieutenant, il veut nous voir une corde en
+cravate! Il serait si facile, avec une bonne décharge à mitraille, de
+balayer le pont de cette barque du diable!»
+
+[Illustration: Illustration.]
+
+Attendu ses desseins ultérieurs, l'enseigne désirait vivement de ne pas
+livrer combat à ses compatriotes. Mais la canonnière rapprochait le
+brick acculé contre terre; elle se trouva bientôt à demi-portée de
+pistolet par bâbord devant. Déjà l'on distinguait les voix du capitaine
+Bertuzzi et de don Antonio Barzon, tous deux au comble de
+l'exaspération: l'un courait après son navire, l'autre après sa fille.
+Le premier avait été trouvé dans la chaloupe, on l'avait démarré,
+dégarrotté et débâillonné, ce qui lui permettait de gesticuler et de
+crier à son aise; il abusait de la permission. Le second, qui ne
+tempêtait pas moins, s'était jeté à bord de la canonnière avec sa garde
+et ses aides de camp. Tous les négriers débarqués du _Caprichoso_ se
+trouvaient sur le même bâtiment; les bandits brûlaient de se venger,
+c'était à qui armerait les avirons, ils faisaient rage.
+
+«Misérable voleur de Badajoz! hurla le gouverneur, qui nécessairement
+n'ignorait plus rien; ah! larron fieffé tu paieras cher ton audace!
+Rends moi ma fille, scélérat! Je me contenterai de te faire pendre!
+Sinon, par le sang de...»
+
+Ce flux d'injures et de menaces rendit à don Graviel tout son
+sang-froid.
+
+«Bien sensible, assurément! illustrissime seigneur, répondit-il au
+porte-voix. Je vous préviens seulement que votre fille est sur le pont,
+et que si vous me faites tirer dessus, elle sera aussi exposée que
+moi-même.
+
+--Camarades! criait Bertuzzi à ceux de ses gens qui étaient encore sur
+le _Caprichoso_, c'est à cause de vous que nous ne tirons pas; mais tout
+â l'heure, aidez-nous!...»
+
+On se mentait réciproquement avec un touchant accord.
+
+«Holà! Brimbollio! interrompit Graviel, que si, pour son malheur, un des
+anciens du brick ne rame pas de toutes ses forces, on lui fasse sauter
+la tête pour premier avertissement!
+
+--Soyez tranquille, capitaine, dit le contre-maître, ces choses-là vont
+sans dire. Nous sommes armés et ils ne le sont pas. Vous entendez, les
+mignons?» ajouta le rude marin en s'adressant aux négriers.
+
+La lutte se réduisait à une joute de vitesse et de manoeuvres. Les forts
+attendaient que le gouverneur commençât le feu; le gouverneur n'osait
+faire canonner le navire où se trouvait sa fille; Bertuzzi ne voulait
+pas non plus endommager la coque de son cher brigantin, qu'il comptait
+enlever à l'abordage. Il ne doutait pas du concours de ceux de ses gens
+que don Graviel et Brimbollio venaient d'inviter à ramer en termes si
+persuasifs. On a vu que l'enseigne s'obstinait à ne point mitrailler des
+compatriotes; le père de dona Juana était à bord de la canonnière,
+c'était un motif de plus pour s'abstenir des moyens violents.
+
+Après ce rapide examen des pensées et des espérances secrètes de nos
+principaux acteurs, jetons un coup d'oeil militaire sur leurs attitudes
+respectives.
+
+Bertuzzi tient la barre du bâtiment chasseur; don Graviel celle du
+brick-goélette. Ce dernier rase les bas-fonds de tribord et les
+murailles du Morro avec un art merveilleux, en évitant, autant que
+possible, l'abordage de l'autre; mais le ci-devant capitaine négrier est
+sûr de réussir à s'accrocher dans trois minutes environ, si toutefois
+aucun incident ne contrarie l'habile impulsion imprimée à la canonnière.
+Don Graviel et ses compagnons voient cela clairement; le garde-marine
+caresse son boute-feu et tousse; le contre-maître brandit sa hache et
+jure; les déserteurs font voler leurs avirons comme des plumes.
+
+«Fernando! Fernando! cria tout à coup l'alferez, à moi, viens vite.»
+
+Le garde-marine obéit; le jeune capitaine lui dit alors à voix basse:
+
+«Il s'agit de leur enlever d'un coup de canon tous les avirons de
+bâbord; ne blesse personne, j'ai mes raisons pour cela, et je réponds du
+reste.
+
+--Bien! J'aurais autant aimé les couler une bonne fois, mais enfin tu le
+veux ainsi; tu vas voir!»
+
+A ces mots, le flegmatique lieutenant reprit son poste et repointa son
+canon de 24.
+
+«Y sommes-nous? demanda Graviel.
+
+--Parfaitement!» répliqua le pointeur.
+
+La canonnière se présentait alors obliquement, son boute-hors de foc
+touchait le brick, et ses premières rames étaient sur le point de
+s'engager dans celles du _Caprichoso_.
+
+«Feu!» commanda l'enseigne.
+
+Une éclatante détonation couvrit tous les autres bruits de la rade.
+Fernando avait fait merveille; sa décharge à bout portant avait raflé
+tous les avirons de bâbord de la canonnière, qui pivota sur elle-même
+comme un oiseau dont une aile est coupée dans son vol. Don Graviel
+profita de ce mouvement, un étroit espace se trouvait libre. Avant que
+Bertuzzi eût repris la route convenable et remplacé ses avirons brisés,
+le _Caprichoso_ avait gagné en bonne direction trois bonnes longueurs de
+navire; mais de nouveaux dangers l'entouraient: la première explosion
+fut suivie de vingt autres, les forts répondaient à la pièce à pivot.
+
+«Ah! ils vont tuer ma pauvre fille! s'écria don Barzon, qui, tout brutal
+qu'il était, aimait tendrement dona Juana.
+
+--Ciel! ils couleront mon joli navire, disait avec douleur le capitaine.
+Bertuzzi... Et ils nous empêchent de continuer la chasse! Si nous avions
+pu sauter à l'abordage, mon pauvre _Caprichoso_ eût été repris sans
+avaries!»
+
+Par une singulière coïncidence, les deux plus acharnés ennemis de don
+Graviel faisaient ainsi des voeux pour que l'artillerie des forts
+n'atteignît pas le but. Cependant, les boulets tombaient comme grêle
+autour du léger bâtiment; quelques rames furent emportées; les flèches
+des mâts et nombre de manoeuvres coupées, la plupart des voiles percées
+à jour; par bonheur, la coque et la mature ne furent pas atteintes. A
+l'ouvert du port, le _Caprichoso_ sentit la brise. La canonnière fut
+laissée bien loin derrière; et comme le vent fraîchissait, l'on se
+trouva bientôt hors de la portée des forts.
+
+«Il y a dans tout ceci plus de bonheur que de bien joué,» dit le
+contre-maître, qui continuait à pester contre les femmes en général, et
+plus particulièrement contre dona Juana.
+
+Fernando, après avoir fait écouvillonner et recharger la fameuse pièce
+de 24, se rendit auprès de don Graviel, qui se hâta de lui remettre le
+commandement de la manoeuvre, et descendit enfin dans la cabine.
+
+L'on avait trouvé à bord de vastes caisses de cigares royaux; maître
+Brimbollio y puisa largement; le méthodique garde-marine prit un
+_régalia_, l'alluma dans les principes, s'occupa ensuite de pourvoir au
+remplacement des voiles criblées, à la réparation des avaries, à
+l'installation du service; il se fit apporter un grog, ordonna au
+cuisinier de distribuer les rations à l'équipage, et braqua sa
+longue-vue sur l'entrée du port, qu'on relevait au sud-sud-est. Les
+premières clartés du soleil blanchissaient les remparts du formidable
+Morro, ont il était permis de se moquer maintenant; mais elles se
+reflétaient aussi sur un objet moins inoffensif, c'est-à-dire sur la
+voilure de la frégate la _Santa-Fé_, chargée de toile haut-et-bas,
+tribord et bâbord, saillant de l'avant, menaçante et d'autant plus à
+craindre que la brise de terre augmentait graduellement. La mer devenait
+clapoteuse. Fernando hocha la tête en toussant.
+
+[Illustration.]
+
+Avant d'ouvrir la porte de la cabine, don Graviel répara son mieux le
+désordre de sa toilette, passa les doigts dans ses cheveux, rabattit son
+grand collet de chemise, raffermit ses pistolets dans sa ceinture, frisa
+ses moustaches, et jura deux fois pour se remonter le moral; puis il
+entra.
+
+Nous ne décrirons pas, selon l'usage de nos devanciers, la chambre du
+capitaine, vrai boudoir maritime. On sait de reste que l'ameublement
+d'un pirate coûte trop peu pour n'être point magnifique: c'est de la
+soie dans de l'or, des tapis de cachemire, des bois précieux, des
+saphirs et des émeraudes, un palais des _Mille et une Nuits_ au
+daguerréotype.
+
+Doua Juana était assise sur une ottomane incomparable; elle tenait à la
+main une charmante _navajilla_ de Séville à la lame d'acier poli, à la
+poignée d'écaille incrustée d'ivoire et d'argent. Au bruit que fit la
+porte en tournant, elle se redressa, courut se retrancher dans un angle,
+et fière comme une digne Castillane, se mit en devoir de défendre
+chèrement son honneur et sa vie.
+
+«Bravissimo! sénorita, dit don Graviel, j'aime à vous voir prendre cette
+pose martiale. Caramba! elle vous sied à ravir! Mais d'abord permettez à
+votre esclave soumis de demander grâce pour sa témérité. Vous
+conviendrez seulement que j'ai ponctuellement tenu parole.
+
+--Si vous faites un pas de plus, seigneur cavalier...
+
+--Dites seigneur capitaine, je vous en supplie, interrompit l'alferez,
+qui avançait toujours: comme je l'avais juré, je suis capitaine-corsaire
+aujourd'hui, jour de Noël.»
+
+A ces mots don Graviel ouvrit les rideaux damassés de la claire-voie; un
+rayon de lumière pénétra dans la cabine.
+
+«Vous voyez, ma reine chérie, que votre appartement n'est pas mal; rien
+ne vous manquera, et vous avez tout mon amour par-dessus le marché.
+
+--Silence, méchant pirate! répliqua la tremblante jeune fille; de ma vie
+je ne vous pardonnerai votre indigne conduite.
+
+--Foi de corsaire! vous êtes aussi adorable qu'adorée! Votre colère est
+éblouissante, et, pour un empire, je ne voudrais pas en avoir été privé.
+Je vous connaissais dans vos bouderies, Juanita, mais la navaja au
+poing, c'est tout nouveau pour moi; c'est piquant! Si jamais vous aviez
+eu quelque rivale dans mon coeur, elle serait oubliée à jamais. Vos yeux
+en courroux brillent d'un feu divin, ils me percent de part en part, je
+vous jure. Souffrez que j'examine de plus près ce délicieux
+_cuchillitito_.»
+
+En parlant ainsi, don Graviel s'était mis à genoux aux pieds de la jeune
+fille, non sans avoir adroitement saisi la main dans laquelle étincelait
+le gracieux poignard, si bien que dona Juana n'en pouvait faire usage;
+alors, de ce ton semi-railleur qu'il avait accoutumé de prendre pour
+faire des déclarations à la jeune fille.
+
+«Dans l'espoir de vous plaire, dit-il, afin de satisfaire un de vos
+caprices, chère âme, je m'expose à être pendu; mais s'il peut vous être
+agréable de me couper la gorge, faites, ne vous gênez pas, il me serait
+doux de trépasser par les soins de celle...
+
+--Lâchez-moi donc, alors! interrompit Juanita exaspérée.
+
+--Doucement, mon ange, continua don Graviel, je tiens d'abord à terminer
+mon discours, uniquement dans votre intérêt: sachez donc qu'après moi
+vous ne trouverez plus de protecteurs la-haut; Fernando, mon second,
+n'est pas du tout galant; maître Brimbollio, qui vous gardait dans la
+yole, est un bandit très-bourru; et pourtant, c'est là ce qu'il y a de
+mieux à mon bord. Si vous m'accordez la vie, chérubin de mes rêves, je
+les tiendrai en respect, ils ramperont tous devant vous; mais si vous en
+décidez autrement, je vous déclare que ma responsabilité sera tout à
+fait à couvert, ces coquins-là, d'ailleurs, seraient capables de vous en
+vouloir de ma mort... Ne vous impatientez pas, ma souveraine, encore, un
+petit mot de justification. Ecoutez bien: ceci est sérieux: je ne suis
+pas pirate, mais corsaire, distinguons! Je ne ferai la guerre qu'aux
+Anglais, nos ennemis. J'ai délivré la mer d'un véritable forban en
+m'emparant du _Caprichoso_, qui capturait les Espagnols tout comme les
+autres, avec l'autorisation tacite de votre respectable père... D'autre
+part, je vous aime, je vous adore, je veux vous épouser: je n'avais pas
+un triste _maravedi_ de fortune, on m'aurait honteusement chassé de
+votre présence, si j'avais eu le malheur de montrer mes prétentions;
+vous m'avez inspiré mon projet, je vous ai obéi à point nommé, suis-je
+donc si coupable?... Dans un mois, mes exploits m'auront rendu riche,
+renommé, redoutable, digne de vous en un mot, et vous serez la Grâce qui
+embellira ma vie, à moins que vous ne préfériez être tout de suite la
+Parque qui en tranchera le fil.»
+
+A mesure qu'il parlait, don Graviel serrait moins fort la main de
+Juanita, qui devenait plus attentive; à la fin, cette main blanche et
+potelée reposait mollement dans la sienne; la jeune fille ne la retira
+pas, le hardi cavalier y porta les lèvres avec transport.
+
+Juana s'était assise sur l'ottomane:
+
+«Sur votre honneur, fit-elle en oubliant toujours sa main, ce que vous
+venez de dire est l'exacte vérité?
+
+--Sur mon honneur! sur ma foi! sur mon amour pour vous! Je ne sais pas
+de serment plus fort.
+
+--Et vous vous conduirez à mon égard en honnête et galant homme?
+
+--Juana, poignardez-moi, mais ne me faites pas injure.»
+
+On frappa à la porte; la jeune fille venait de remettre la navajilla
+dans sa gaine; don Graviel était assis à côté d'elle:
+
+«Capitaine, dit un mousse qui n'était pas entré sans autorisation, le
+lieutenant vous fait prévenir que la frégate la Santa-Fé nous appuie la
+chasse et qu'elle nous gagne.
+
+--Chère amie, dit l'heureux enseigne en se levant, priez Dieu qu'elle ne
+nous attrape point. Je cherche les Anglais, et non les Espagnols.»
+
+G. DE LA LANDELLE.
+
+(_La fin à un prochain numéro._)
+
+
+
+Épisodes de la Vie d'une pièce d'or,
+
+RACONTÉS PAR ELLE-MÊME.
+
+Je naquis grande dame et plus belle mille fois que le jour. Je commençai
+d'être admirée en commençant de vivre. A peine eus-je revêtu ma robe
+éclatante, que tous les yeux se fixèrent sur moi avec une expression de
+convoitise qui, à l'époque de mon début, troubla mon innocence et
+effaroucha ma pudeur. Depuis, j'ai acquis cette heureuse assurance que
+procurent les grands succès dans le monde; je sais l'art de ne plus
+rougir devant mes courtisans. D'ailleurs, aujourd'hui, je connais le
+prix que je vaux, et j'accepte sans embarras les hommages qui me sont en
+tous lieux adressés, parce que j'ai la confiance de les mériter partout.
+
+Je ne veux pas raconter toutes mes aventures; ce serait une oeuvre trop
+longue et trop fatigante pour moi qui ai contracté les goûts des
+personnages avec lesquels j'ai l'habitude de vivre et qui, en
+conséquence, aime la mollesse et l'oisiveté. Je désire seulement vous
+confier le principal épisode de ma brillante existence; vous verrez, par
+les échantillons qu'il me plaît de mettre sous vos yeux, que ma
+naissance aristocratique ne m'a pas toujours préservé des humiliations;
+que comme les grands de ce siècle, j'ai éprouvé des fortunes diverses
+qui m'auraient sans doute instruite, si, je consens à vous en faire
+l'aveu, je n'étais pas née orgueilleuse.
+
+Je fis ma première entrée dans le monde à une époque bien dure pour les
+personnes de condition; mais j'eus ce bonheur singulier d'échapper tout
+d'abord à un contact grossier, et de tomber au pouvoir d'un gentilhomme
+corse qui commençait, en ce temps-là, à faire une assez belle figure à
+la tête de la république française. Jamais je ne jouai un plus beau
+rôle, jamais je n'exerçai sur les destinées de la terre une influence
+plus grande qu'à cette époque de ma vie.
+
+C'était au château des Tuileries, en 1804; je dormais paisiblement, avec
+un grand nombre de mes soeurs, dans le tiroir d'une table chargée de
+cartes géographiques, lorsqu'un jour mon tombeau s'ouvrit brusquement à
+la lumière. En même temps une main blanche et fine, une vraie main de
+dictateur, se glissa un silence auprès de moi, me saisit avec une
+vivacité brutale, et me jeta, toute frémissante de dépit, sur une
+immense carte d'Europe; M. de Buonaparte, mon maître,--je lui donne, ce
+titre par exception, car mes autres possesseurs ne sont que mes
+valets,--M. de Buonaparte était, ce jour-là, un petit homme en habit
+militaire, à figure humorique, avec un grand front sillonné de plis
+dédaigneux. Je l'ai revu plus tard gras, frais, et, je le suppose,
+enchanté de vivre; mais, au temps dont je parle, il n'en était pas
+ainsi; il ressemblait beaucoup à un homme sans appétit et sans sommeil.
+C'était un visage bilieux de conspirateur; j'en ai rencontré d'autres
+qui lui ressemblaient à quelques égards, mais ils n'avaient pas la mine
+si fière.
+
+Le premier consul, tel était alors son titre, me prit avec distraction
+entre ses doigts, me tourna et me retourna en tous sens, regarda la
+pique surmontée d'un bonnet ronge qui se dressait sur mon dos, contempla
+la Liberté debout sur ma face, puis, souriant d'un sourire moqueur, me
+laissa une seconde fois retomber sur la table.
+
+Il se leva, se promena à grands pas dans la salle comme le lion dans sa
+cage, s'arrêta longtemps à une fenêtre devant laquelle passait la foule,
+frappa son vaste front de sa petite main blanche, croisa ses bras
+derrière le dos, toussa d'une toux fiévreuse, leva les yeux en l'air,
+regarda le parquet qui claquait sous ses pieds agités, les tableaux
+suspendus aux murailles, le lustre qui étincelait sur sa tête, murmura à
+voix basse des paroles confuses, inintelligibles, puis revint tout à
+coup, par un brusque détour, l'air résolu quoique tout pâle, se rasseoir
+sur son fauteuil doré devant la table où je l'observais. Il était si
+ému, le héros, que j'en tressaillis sous ma robe de métal. Cet homme en
+proie à une pensée secrète et grandiose me faisait peur. Je comprenais
+que j'allais être témoin d'un spectacle solennel; mais je ne m'attendais
+guère à ce que ce jeune conquérant, le seul homme peut-être des temps
+modernes qui ait eu le courage de me mépriser, me rendit l'arbitre de sa
+merveilleuse destinée.
+
+Il chuchotait toujours quelque chose entre ses dents, et faisait des
+gestes comme un fou qui se querelle avec des fantômes. Attentive aux
+moindres sons, je lui entendis plusieurs fois prononcer le nom d'empire
+et d'empereur. Il parla de la France, de l'Europe, du monde; il nomma le
+peuple, l'armée.--Je n'ai pas beaucoup d'esprit, quoique en définitive
+personne n'en ait plus que moi, mais je ne tardai pas à comprendre qu'il
+ne s'agissait de rien moins que de me débarrasser de ma pique, pour me
+confier un sceptre, et que de substituer une couronne d'empereur à mon
+vilain bonnet phrygien.
+
+Mes instincts aristocratiques se réveillaient en foule, lorsque M. de
+Buonaparte se leva une dernière fois, oppressé et frissonnant comme un
+homme qui va interroger le destin. Il me prit, me souleva en l'air, et
+me laissa aussitôt retomber en criant: «Face!» Heureusement je
+connaissais ce jeu familier aux enfants et aux superstitieux; je
+n'hésitai pas à complaire aux désirs du premier consul; je me jetai
+lourdement sur le dos, étalant au soleil ma face resplendissante.
+
+Le premier consul se pencha sur moi avec une expression de joie
+profonde, tomba dans une courte rêverie, puis se releva soudainement, la
+figure radieuse, le front rajeuni, en criant: «C'en est fait! A moi
+l'empire! Vive l'empereur!»
+
+Un mois après ce grand événement, je quittai l'appartement de celui à
+qui j'avais donné la couronne de Charlemagne pour entrer dans le
+secrétaire d'un négociant. Cet heureux mortel avait eu l'honneur de
+fournir les milliers de lampions qui éclairèrent les fêtes du
+couronnement de l'empereur Napoléon.
+
+A vrai dire, je ne fus pas heureuse dans cette demeure bourgeoise. J'y
+rencontrai pour la première fois des petites gens dont je n'avais pas
+soupçonné l'existence. Ainsi je fus à tout moment coudoyée par des
+créatures de bas étage qui salissaient ma robe splendide du contact de
+leur robe d'argent ou de leur robe de cuivre. Je ne vous raconterai pas
+ce que je souffris alors, parce qu'aujourd'hui je sais que c'est le bon
+ton de ne pas respecter les personnes de qualité.
+
+Donc j'épiais le moment favorable pour sortir de ma prison d'acajou,
+lorsqu'un matin je m'éveillai entre les mains d'un enfant aux belles
+joues rosées, aux yeux bleus, aux longs cheveux qui retombaient en
+boucles blondes sur une collerette bien plissée. «A la bonne heure!
+pensai-je, j'aime mieux vivre en société avec ce marmot; c'est moins
+avilissant, et d'ailleurs il est à croire que nous ne resterons pas
+longtemps ensemble.»
+
+Le lendemain même de mon nouveau début je fus conduite chez un fameux
+marchand de joujoux, qui, comme de raison, me trouva belle et désira me
+posséder.
+
+Hélas! le petit traître me livra sans regret à l'avidité du marchand,
+qui me mit dans sa poche en riant tout bas d'un air sournois; il me
+livra avec joie même et reçut en échange, savez-vous quoi? j'ai honte de
+le dire: il reçut un affreux polichinelle avec deux énormes bosse»
+rehaussées de brocart, une sur le ventre, l'autre sur le dos, un chapeau
+chargé de clinquant et un épouvantable nez rouge.
+
+Après avoir éprouvé une humiliation aussi cruelle, j'aurais pu perdre
+quelque chose de ma foi en mon mérite, si je n'avais éprouvé ensuite,
+dans mille, autres circonstances, que l'autorité de ma race est immense,
+et qu'avec l'aide de mes soeurs je puis forcer les regards les plus
+fiers et les yeux les plus beaux à se baisser devant l'éclat de ma
+puissance. Qu'il me suffise de dire, pour faire comprendre en un mot le
+pouvoir dont nous disposons, que nos favoris, généralement choisis avec
+intention parmi les sots, sont placés, grâce à nous, dans l'estime des
+hommes plus haut que les princes, plus haut que tous les génies de la
+terre.
+
+Après mille aventures bizarres, après avoir fait les guerres d'Allemagne
+dans la poche d'un colonel, et la campagne de Russie dans un fourgon du
+roi Murat, je tombai entre les mains d'un Cosaque qui m'emporta dans son
+pays.
+
+Pour finir ce récit incomplet, qui n'est qu'un rapide coup d'oeil jeté
+sur mon existence passée, je vous dirai qu'aujourd'hui je vis fort
+tristement dans le coffre-fort d'un vieux prince allemand. Privée d'air
+et de lumière, je vois avec regret mes traits se flétrir et mon
+incomparable beauté s'altérer chaque jour. Quand l'avare petit potentat
+qui s'est voué à mon culte juge à propos de m'adresser ses hommages, il
+le fait dans une langue qui n'est pas celle du pays où j'ai pris
+naissance et où j'ai régné avec tant d'éclat. Aussi suis-je atteinte
+d'une profonde mélancolie dans ma brillante retraite; je soupire après
+le soleil et le bruit; je rêve tantôt que je pétille entre les mains de
+joueurs à l'oeil ardent, tantôt que je luis, comme une étincelle de feu,
+dans ces coupes où les orfèvres nous exposent toutes nues, mes soeurs et
+moi, aux regards cyniques de la foule;--ou bien, songeant aux jours
+écoulés, je passe pu revue mes victoires et mes revers; je songe à cet
+enfant naïf qui me préféra un polichinelle; à ce petit homme jaune qui
+me confia le soin de lui livrer l'empire du monde. Je me demande, en
+riant d'un rire de prisonnière, ce qui serait advenu dans l'univers si,
+au lien de répondre au voeu secret du premier consul, je m'étais laissée
+tomber la face contre terre!
+
+Je me demande tout cela et beaucoup d'autres choses encore, en attendant
+que la mort de mon geôlier ou l'invasion de quelque hardi voleur du Rhin
+vienne me tirer de ma captivité, et me rendre à l'amour de mes sujets.
+
+
+
+Armée.
+
+RECRUTEMENT, TIRAGE.
+
+La loi du 21 mars 1832, sur le recrutement de l'armée, s'exécute partout
+avec facilité; elle donne à la France une armée brave et disciplinée,
+dévouée à la patrie et à ses institutions, et sur qui reposent les plus
+chers intérêts de la nation, son indépendance et sa sûreté. Cependant
+l'expérience a révélé des imperfections qu'il importe de corriger: le
+remplacement, condition obligée de nos habitudes sociales, est la source
+d'abus graves, aussi nuisibles aux familles qu'à l'État; les nécessités
+de l'institution militaire ne sont point satisfaites; certaines
+dispositions secondaires réclament des améliorations importantes. C'est
+pour répondre à ces besoins qu'un projet de loi a été présenté, en 1841,
+à la Chambre des Députés. Adopté par cette Chambre, il n'a pu être
+immédiatement discuté par la Chambre des Pairs. Dans l'intervalle des
+sessions, soumis à une commission mixte de pairs et de députés, il a
+été de nouveau étudié, discuté et modifié. La Chambre des Pairs, appelée
+à l'examiner au commencement de 1843, y a introduit à son tour plusieurs
+changements, et l'a adopté le 26 avril 1843. Après cette longue
+élaboration, il a été présenté, le 4 mai de la même année, à la Chambre
+des Députés; le rapport de la commission chargée de son examen a été
+fait le 29 juin suivant, et, par une récente décision, la Chambre a
+arrêté qu'il serait soumis à ses délibérations pendant le cours du la
+session actuelle.
+
+La loi du recrutement de l'armée touche à toute l'organisation sociale:
+il faut qu'elle ne soit ni un danger pour les libertés publiques, ni un
+fardeau trop lourd pour le Trésor. Elle pourvoit au premier besoin de
+l'État; car elle constitue sa force, et détermine ainsi tout le poids de
+son influence; mais comme elle est en même temps pour les familles la
+charge la plus pesante, elle ne doit leur imposer aucun sacrifice
+inutile. La durée du service, l'incorporation du contingent et le
+remplacement militaire sont les trois principales questions qui dominent
+dans la loi sur le recrutement.
+
+L'appel obligé, c'est-à-dire le service personnel, tel est le principe
+de force qu'elle doit constituer. Dans son application, toutefois, ce
+principe a subi des modifications nombreuses pendant les trente années
+qui se sont écoulées depuis 1789 jusqu'en 1818. En 1789, l'Assemblée
+constituante rend le service personnel commun à tous les citoyens, et
+n'en exempte que le monarque et l'héritier présomptif de la couronne. En
+1793, nul ne peut se faire remplacer. En l'an VI, tout citoyen français
+est défenseur de la patrie par droit et par devoir: les défenseurs
+conscrits sont attachés aux divers corps, ils y sont nominativement
+enrôlés, et ne peuvent pas se faire remplacer. En l'an VIII, les hommes
+impropres à supporter les fatigues de la guerre, et ceux reconnus plus
+utiles à l'État en continuant leurs travaux ou leurs études, sont seuls
+admis à se faire remplacer par un suppléant. La substitution n'est
+autorisée, en l'an X, qu'entre conscrits d'une même classe; tandis que
+le remplacement l'est également, en l'an XI, entre conscrits nés et
+domiciliés dans l'étendue de l'arrondissement, puis, en 1804, dans
+l'étendue du canton, et en 1805, dans celle du même département. Plus
+tard, en 1815, les conscrits sont autorisés à prendre des remplaçants
+dans tous les départements de l'empire indistinctement. Cette faculté a
+été, comme on le voit, l'objet de contraintes et de facilités fort
+capricieuses, suivant les vicissitudes des événements militaires,
+jusqu'à ce qu'elle fût législativement consacrée par la loi du 10 mars
+1818, comme par les lois suivantes. Aussi, en 1806, sur un effectif de
+plus de 500,000 hommes, il n'y avait pas un huitième de remplaçants;
+1826, cette proportion était d'un cinquième; en 1835, presque d'un
+quart; enfin, au 11 septembre 1842, sur un effectif de 357, 598
+sous-officiers et soldats des corps qui se recrutent par la voie des
+appels, il y avait 85,644 remplaçants, c'est-à-dire plus du quart de cet
+effectif.
+
+Le remplacement est consacré maintenant en France par une longue
+habitude. Dans une société livrée aux soins de l'industrie, où les
+propriétés sont divisées et les fortunes médiocres, où chacun doit, par
+un labeur sans relâche, un zèle infatigable et des veilles incessantes,
+préparer son état et se faire à soi-même sa place dans le monde, imposer
+indistinctement à tous l'obligation de passer dans une caserne plusieurs
+années, les plus fécondes de la vie, ce serait causer au plus grand
+nombre un irréparable dommage, et leur fermer la carrière, objet des
+veilles de leur jeunesse entière, et espoir de leur avenir. Aucun des
+intérêts généraux de la société n'y trouverait profit: les progrès des
+arts, de la science, de l'industrie, seraient arrêtés par cette loi
+aveugle. Le remplacement est-il donc onéreux aux classes laborieuses?
+Chaque année, il verse plus de 50 millions dans les familles les moins
+aisées. Il appelle sous les drapeaux et soumet à une discipline
+nécessaire des hommes que ce joug assouplit et façonne; il substitue en
+eux la politesse à la grossièreté, l'amour de l'ordre à l'esprit
+d'insubordination, et l'instruction à l'ignorance.
+
+Le chiffre des remplaçants augmente dans une progression toujours
+croissante; ils sont devenus une partie essentielle et considérable de
+notre force publique; un grand nombre accomplissent honorablement leurs
+devoirs, obtiennent de l'avancement, arrivent aux grades élevés, et font
+oublier qu'un contrat vénal les a appelés sous le drapeau. Il est juste,
+toutefois, de reconnaître que, dans l'échelle des qualités morales, les
+remplaçants sont généralement au-dessous des jeunes soldats qui servent
+pour eux-mêmes. Aussi les remplacements que les chefs de corps préfèrent
+et acceptent le plus volontiers, sont-ils les remplacements au corps,
+c'est-à-dire ceux des militaires qui ont accompli leur temps de service.
+Ces sortes de remplacements offrent, en effet, de grands avantages. Ceux
+qui les contractent sont connus des chefs de corps qui peuvent toujours
+refuser d'admettre les hommes dont l'armée aurait à se plaindre et
+qu'elle n'aurait pas intérêt à conserver. Le drapeau ne garde donc que
+les soldats éprouvés. Un relevé des peines disciplinaires, fait sur les
+livres de punitions de 24 régiments, 12 d'infanterie et 12 de cavalerie,
+a donné les résultats suivants. Tandis que 100 remplaçants non
+militaires ont passé 201 jours en prison et 630 jours à la salle de
+police, les remplaçants au corps n'ont subi, pour 100 hommes, que 66
+jours de prison et 515 de salle de police. D'ailleurs, les remplaçants
+pris sous les drapeaux possèdent à la fois la vigueur que donnent les
+armées, et la pratique des armes que donne un long service. En 1841, sur
+98,000 remplaçants, près de 28,000 avaient déjà servi.
+
+Le contingent annuel et la durée du service sont les éléments primitifs
+de l'institution militaire. C'est par eux qu'est résolu cet important
+problème de lier l'armée à la nation, et de l'organiser de telle sorte
+que, citoyenne sans cesser d'être militaire, elle puisse passer
+rapidement de l'état de paix à l'état de guerre, et de l'état de guerre
+à l'état de paix, en ménageant les intérêts de nos finances et ceux de
+la population, mais en assurant toujours à l'indépendance nationale
+toute la force dont elle pourrait avoir besoin. Cette force est depuis
+longtemps déterminée, et l'on a reconnu que notre armée sur le pied de
+guerre devait présenter un effectif de 500,000 hommes au moins. Un
+effectif aussi considérable ne saurait être maintenu sous le drapeau,
+quand les éventualités de l'avenir ne le rendent pas nécessaire. Les
+besoins du pays et les limites de l'impôt ne permettent pas de
+l'entretenir en temps de paix. L'armée doit, par conséquent, être
+divisée en deux fractions inégales: la première, active et soldée, dont
+l'effectif est déterminé annuellement par la loi de finances; la seconde
+qui, ne coûtant rien à l'État, attend dans le repos le moment d'être
+utile à la patrie. Telle est formule de la réserve.
+
+Au premier aspect, il paraîtrait tout naturel de penser que, d'après
+l'incorporation successive des contingents annuels, les militaires ayant
+passé sous le drapeau devaient constituer le principal effectif de cette
+réserve, et que les jeunes soldats ne pouvaient y compter que comme
+complément. En effet, au 1er septembre 1834, il y avait déjà dans la
+réserve 79,926 sous-officiers et soldats instruits, prêts au premier
+appel, et seulement 3,155 jeunes soldats laissés dans leurs foyers; mais
+telle est l'élasticité des dispositions de l'article 29 de la loi,
+aujourd'hui encore en vigueur, du 21 mars 1832, qu'au 1er avril 1810,
+sur 135,000 hommes dont se composait la réserve, il y avait seulement
+297 hommes qui eussent activement figuré dans les rangs. La gravité d'un
+tel état de choses devait se manifester plus tard. Quand, en 1810,
+l'effectif de l'armée dut être porté de 317,826 hommes à plus de
+500,000, la réserve fut appelée; et, dans l'espace de peu de mois,
+l'armée reçut 185,786 hommes, dont une partie comptait déjà plusieurs
+années de service, et qui, cependant, voyaient le drapeau pour la
+première fois. Il n'y a donc, dans ce système de réserve mixte, aucune
+garantie pour l'institution militaire. Pour entrer dans une voie plus
+assurée, le nouveau projet de loi, adopté par la Chambre des Pairs le 26
+avril 1843, et soumis actuellement aux délibérations de la Chambre des
+Députés, propose d'incorporer en entier le contingent, et de porter à 8
+ans la durée du service, en déterminant la libération au 30 juin de
+chaque année. La durée du service actif resterait d'ailleurs toujours
+soumise aux éventualités politiques et financières.
+
+La loi du 10 mars 1818 avait fixé à 12 années la durée du service, dont
+6 passées dans la réserve; celle du 9 juin 1821 l'avait réduite à 8
+années, et celle du 21 mars 1832 à 7 années.
+
+Dans les États étrangers, la durée du service est fort variable, comme
+l'attestent les chiffres suivants:
+
+Autriche: soldats d'Italie et du Tyrol, 8 ans; soldats des États
+héréditaires et de la Gallicie, qui servaient autrefois 11 ans
+aujourd'hui 10 ans; soldats de la Hongrie, 10 ans.
+
+Bavière: armée permanente, 6 ans; armée éventuelle, composée de la
+landwehr partagée en deux bans qui comprennent, le premier, les hommes
+de 21 à 40 ans non incorporés dans l'armée active; et, le second, les
+hommes de 40 à 60 ans.
+
+États-Unis: 5 ans; l'armée ne doit se recruter que par engagements
+volontaires; tou» les blancs, de 18 à 35 ans, peuvent être enrôlés au
+prix de 60 francs l'engagement.
+
+Prusse: en temps de paix, 2 ou 3 ans; puis 2 ans sur les contrôles de la
+réserve; les soldats qui cessent d'appartenir à l'armée active font
+partie, jusqu'à 32 ans, de la landwehr du premier ban; et, de 32 ans à
+40, de la landwehr du second ban; de 40 à 50 ans, ils sont encore tenus
+de marcher, en cas d'invasion: c'est ce qu'on nomme le landsturm.
+
+Russie: 25 ans dont 15 ans dans l'armée active, 5 ans dans les
+bataillons ou escadrons de réserve, et 5 ans dans la réserve générale de
+l'armée.
+
+Saxe: armée permanente, 6 ans dans l'armée active et 5 ans dans la
+réserve de guerre; l'armée éventuelle est composée des individus non
+appelés au service actif; il y a, en outre, pour le contingent de la
+Confédération, une réserve de guerre comprenant les hommes de l'armée
+active qui ont quitté les drapeaux avant d'avoir achevé leur temps légal
+de service, et ceux qui, après l'avoir complété, sont astreints à la
+réserve pendant trois autres années.
+
+Jusqu'à ce moment le point de départ pour le service a été fixé au 1er
+janvier; le projet de loi propose de le fixer au 1er juillet de chaque
+année, qui est la vraie date du commencement du service. Ce n'est en
+effet qu'au 1er juillet au plus tôt que peut être formé le contingent:
+c'est seulement alors que les hommes deviennent jeunes soldats et sont à
+la disposition du gouvernement. Jusque-là ils sont entièrement libres et
+maîtres de leurs actions. Ainsi ils ne sont point forcés de se présenter
+au tirage, ni devant le conseil de révision; ils peuvent même se marier,
+voyager selon leur bon plaisir. Il semble donc peu rationnel de
+continuer à faire compter pour service militaire six mois pendant
+lesquels le contingent n'existe pas, six mois pendant lesquels tous les
+jeunes gens qui doivent concourir à la formation de ce contingent (et
+ils sont 300,000) ont une position parfaitement identique à celle de
+tous les autres citoyens.
+
+Tous les jeunes Français sont soumis au recrutement. Chaque année une
+loi détermine le nombre d'hommes dont se compose le contingent. Une
+ordonnance royale les répartit entre les départements et les cantons,
+proportionnellement au nombre des jeunes gens inscrits sur les listes du
+tirage de la classe appelée. Le contingent assigné à chaque canton est
+fourni par un tirage au sort entre les jeunes Français qui ont leur
+domicile légal dans le canton, et qui ont atteint l'âge de 20 ans
+révolus dans le courant de l'année précédente. Les tableaux de
+recensement des jeunes gens soumis au tirage sont dressés par les
+maires, publiés et affichés dans chaque commune. Les tableaux dressés,
+un tirage au sort désigne les jeunes gens qui seront appelés à faire
+partie du l'armée. Ceux qui auraient été condamnés pour fraudes ou
+manoeuvres ayant pour but d'échapper à la loi sont inscrits en tête des
+listes de tirage, comme si les premiers numéros leur étaient échus. Les
+jeunes gens de la classe appelée sont inscrits sur les tableaux de
+recensement dans l'ordre alphabétique de leur nom de famille.
+
+Parmi les jeunes gens qui concourent au tirage, les uns sont exemptés du
+service, les autres dispensés. Les causes d'exemption et de dispense
+sont énumérées dans la loi, et elles ne doivent pas être étendue sans
+raisons graves. Considérés comme s'ils avaient satisfait à l'appel, les
+dispensés comptent numériquement dans le contingent, mais ils ne
+comptent pas dans l'armée; l'exempté au contraire, est remplacé par
+numéro subséquent, et dès lors toute exemption a pour effet de détruire
+l'arrêt du sort, et de reporter le fardeau du service sur ceux qu'il en
+avait affranchis.
+
+Le jugement des exemptions et des dispenses est attribué au conseil de
+révision. Dans les mains de cette juridiction spéciale repose
+l'exécution de la loi, et l'on pourrait dire la composition de l'armée.
+Pour les cas rigoureusement définis, les termes de la loi règlent la
+conduite du conseil et lui dictent ses résolutions. Mais la catégorie
+d'exemptions la plus nombreuse, celle qui se rapporte aux infirmités,
+reste entièrement abandonnée à son appréciation discrétionnaire. Chaque
+année, sur environ 300,000 conscrits, plus de 50,000 obtiennent leur
+exemption à ce titre. Le conseil de révision est un jury suprême qui
+prononce sans appel.
+
+Dans sa composition actuelle, l'armée est représentée par un officier
+général; l'État, par le préfet et un conseiller de préfecture qu'il
+désigne; les familles, par un membre du conseil général du département
+et par un membre du conseil de l'arrondissement, tous deux aussi à la
+désignation du préfet. Un membre de l'intendance militaire, assiste aux
+opérations du conseil et est entendu toutes les fois qu'il le demande.
+
+[Illustration: Tirage des Conscrits.]
+
+Une loi du 12 juin 1843 a fixé à 80,000 hommes le contingent de la
+classe de 1843. Ce contingent, qui a été le même pour toutes les années
+depuis 1830, ne fournit que 65,000 hommes à l'armée de terre; 15,000
+doivent être déduits pour le service de la flotte, les insoumissions,
+etc.
+
+En vertu d'une ordonnance royale du 5 décembre dernier, les tableaux de
+recensement, ouverts à partir du 1er janvier 1844, ont été publiés et
+affichés les dimanches 21 et 28 du même mois, ainsi que l'exige
+l'article 8 de la loi du 12 mars 1832. L'examen de ces tableaux et les
+tirages au sort, prescrits par l'article 10 de la même loi, devaient
+commencer le 19 février; mais comme le 19 tombait le mardi gras, des
+instructions du ministre de la guerre ont autorisé le renvoi des
+opérations à un autre jour pour les cantons où il aurait pu être à
+craindre que les saturnales du carnaval ne vinssent troubler l'ordre et
+la régularité du tirage. C'est ce qui a eu lieu notamment à Paris, où le
+tirage des jeunes gens du 1er arrondissement, fixé d'abord au 19
+février, a été renvoyé au 6 mars, et où les opérations ont commencé, le
+22 février, par le 2e arrondissement, pour être continuées sans
+interruption jusqu'au 6 mars inclusivement.
+
+Les numéros de tirage sont écrits ou imprimés sur des bulletins
+uniformes. Chaque bulletin porte un numéro différent, de manière que la
+totalité des bulletins forme une série continue de numéros, depuis le
+numéro 1, égale au nombre des jeunes gens appelés à tirer. Le
+sous-préfet (à Paris, le maire de chaque arrondissement remplace le
+sous-préfet), après avoir reconnu publiquement que le nombre des
+bulletins est le même que celui des jeunes gens qui doivent prendre part
+au tirage, les paraphe, les mêle et les jette dans l'urne. Les communes
+du canton sont appelées pour le tirage suivant l'ordre alphabétique de
+leurs noms, et les jeunes gens de chaque commune suivant l'ordre de leur
+inscription sur les tableaux de recensement. Au fur et à mesure que les
+jeunes gens sont appelés, ils tirent de l'urne un numéro. Les parents
+des absents, ou, à leur défaut, le maire de leur commune, tirent à leur
+place. A mesure que les bulletins sont tirés de l'urne, le sous-préfet
+inscrit sur la liste du tirage, en regard du numéro sorti, les nom,
+prénoms et surnoms de celui auquel le numéro appartient, ainsi que les
+noms et prénoms de ses père et mère. Le numéro sorti est inscrit en
+outre sur le tableau du recensement, en regard du nom de celui auquel il
+appartient. L'ordre des numéros tirés par les jeunes gens détermine
+toujours celui de leur appel pour la formation du contingent. A mesure
+que les jeunes gens se présentent, le sous-préfet leur demande s'ils ont
+des motifs d'exemption ou de dispense à faire valoir, et il en fait
+mention tant sur la liste du tirage que sur le tableau de recensement.
+Si des jeunes gens réclament l'exemption comme n'ayant pas la taille
+fixée par la loi, le sous-préfet, avant d'inscrire ses observations,
+fait toiser les réclamants, lesquels, à cet effet, sont placés sur le
+marchepied d'un double mètre poinçonné et étalonné, dont la traverse est
+élevée à un mètre 560 millimètres.
+
+Immédiatement après le tirage de chaque canton, le sous-préfet envoie au
+préfet du département une expédition authentique de la liste du tirage.
+Le, préfet, de son côté, forme un état indiquant, par canton, le nombre
+des jeunes gens inscrits sur les listes du tirage de la classe. Cet état
+est adressé au ministre de la guerre. Tous ceux de la classe de 1843
+devront lui parvenir le 20 mars 1844 au plus tard. La répartition du
+contingent de cette classe, entre les départements, sera faite
+ultérieurement par une ordonnance royale, qui réglera en même temps les
+autres opérations relatives à l'appel de ladite classe.
+
+[Illustration: Promenade des Conscrits après le tirage.]
+
+De nombreuses demandes sont formées chaque année à l'effet d'obtenir,
+par exception, le maintien dans leurs foyers de jeunes soldats qui, bien
+que méritant par leur position une faveur toute particulière, à titre de
+soutiens de famille, n'ont pas pu être classés en ordre utile sur les
+listes des hommes de cette catégorie dressées par les conseils de
+révision dans la proportion habituelle de dix sur mille hommes du
+contingent. En 1843 cependant il a été satisfait plus largement, sous ce
+rapport, aux besoins des populations, et M. le ministre de la guerre a
+décidé que la proportion précédemment établie serait portée au double
+pour la classe de 1842, c'est-à-dire à vingt sur mille hommes (ou deux
+sur cent) du contingent de cette classe.
+
+Après le tirage, les jeunes gens ont en général l'habitude de placer sur
+le devant de leur chapeau le numéro qui leur est échu au sort, et de
+l'attacher avec des rubans de diverses couleurs, le plus souvent
+tricolores. Puis ceux de la même commune se réunissent et retournent
+ensemble chez eux, bras dessus bras dessous, chantant, criant, marchant
+au pas, tambour en tête. Tout le long de la route ils font de fréquentes
+stations, arrosées de libations nombreuses, ceux-ci en l'honneur de la
+chance qui les a favorisés, ceux-là pour s'étourdir et noyer dans le vin
+le chagrin d'avoir attrapé un mauvais numéro. Les uns et les autres,
+partis fièrement au pas du chef-lieu de canton, ne rentrent guère dans
+la commune que d'un pas plus que chancelant: ce qui a fait plaisamment
+donner à ces sortes de détachements d'apprentis militaires le nom trop
+bien mérité de _compagnies des litres_.
+
+[Illustration: Toisage des Conscrits.]
+
+Depuis 1830, de nombreuses améliorations ont attaché l'armée au pays par
+des liens étroits. L'état des officiers a été garanti, l'avancement
+soumis à des règles de justice, la solde des officiers, sous-officiers
+et soldats améliorée, les pensions de retraite étendues; deux écoles
+ouvertes dans chaque régiment d'infanterie ou de cavalerie, l'une, du
+premier degré, destinée aux soldats et aux caporaux ou brigadiers;
+l'autre, de deuxième degré, pour les sous-officiers; 50 à 60,000 hommes
+admis annuellement dans ces écoles; un certain nombre d'emplois réservés
+dans les forêts et dans les douanes aux militaires qui auraient, comme
+sous-officiers, contracté et terminé au moins un réengagement; les
+carrières civiles ouvertes ainsi à ceux qui n'obtiennent point
+l'épaulette; enfin les troupes appliquées en France et en Algérie aux
+grands travaux d'utilité publique.
+
+
+
+Académie Royale de Musique.
+
+_Lady Henriette, ou la servante de Greenwich._
+
+Tel est le titre peu gracieux du ballet pantomime que l'Opéra a mis au
+jour le mercredi 21 février 1844.
+
+Lady Henriette est première dame d'honneur de la reine Anne; elle habite
+un riche appartement dans le château royal de Windsor; elle a un
+_futur_, comme dit le livret. Ce _futur_ s'appelle sir Tristan
+Crackfort, et il joint au malheur de porter un pareil nom l'inconvénient
+d'être le seigneur le plus sot des Trois-Royaumes. De tout cela il
+résulte que lady Henriette est, de son côté, la femme du monde qui
+s'ennuie le plus et qui bâille le mieux.
+
+Bien bâiller est un talent; mais à force d'exercer les talents qu'on a,
+on se fatigue: témoin Rossini, qui, pour avoir trop fait d'opéras, n'en
+veut plus faire. Lady Henriette voudrait bien ne plus bâiller; elle
+consulte sur ce point délicat Nancy, sa fille, suivante, qui lui répond
+ce que toute fille suivante répond en pareil cas: «Madame, il faut
+prendre un amant.» Mais ce remède-là n'est point du goût de milady: il
+lui faut quelque chose de moins trivial, de plus neuf, de plus
+inattendu, quelque chose qui n'ait jamais été imaginé par personne. Un
+amant! fi donc! toutes les dames de la cour en ont. Mais prendre le
+costume d'une paysanne, attacher à son corsage un bouchon de paille, et
+se rendre, en cet équipage, à la foire du Greenwich, voilà ce qu'aucune
+d'elles n'a jamais imaginé.
+
+Or, il faut que vous connaissiez l'usage anglais et le sens de ce
+bouchon de paille.
+
+Toute fille des champs qui veut entrer en service, et qui cherche une
+condition, n'a qu'à se présenter à la foire de Greenwich ainsi
+accommodée. C'est là que se rendent, de toutes les contrées voisines,
+les fermiers qui cherchent des servantes. De chaque côté on est sûr d'y
+trouver son affaire, et l'on n'y a que l'embarras du choix.
+
+Lady Henriette, donc, ira se mettre incognito au service de quelque
+manant du pays: elle fera son lit, balaiera sa chambre, écumera son pot.
+Ce divertissement lui paraît délicieux.--Que vous en semble?
+
+Elle échoit à un fermier du pays de Galles appelé Lyonnel. Lyonnel est
+jeune et fort joli garçon; il a l'imagination vive et le coeur tendre.
+Pauvre Lyonnel! il ne tarde guère à devenir le jouet de sa nouvelle
+acquisition, et le valet de sa servante. Lady Henriette, toujours grande
+dame, en dépit de son déguisement, abuse cruellement de ses avantages,
+et traite le fermier à peu près aussi mal que sir Crackfort; puis tout à
+coup elle s'échappe par une fenêtre, monte en voiture et s'enfuit au
+galop, laissant Lyonnel fou d'amour et de désespoir.
+
+Tout amoureux qui a perdu sa maîtresse doit immédiatement s'engager:
+c'est la règle à l'Opéra, et Lyonnel n'a garde d'y manquer. Le voilà à
+Windsor, habillé de rouge, coiffé d'un chapeau à plumet et armé d'un
+fusil; il est soldat dans le régiment des gardes de la reine.
+
+Vraie souveraine constitutionnelle, la reine ne gouverne pas, et s'amuse
+de son mieux. Mais lady Henriette s'ennuie de plus belle. Sir Tristan la
+suit partout et ne perd pas un occasion de recommencer l'éternel aveu de
+son amour. Ces la seule ressource qui reste à l'infortunée. Les tendres
+protestations du courtisan ont pour résultat certain de l'endormir
+immédiatement; il ne manque jamais son effet; mais, après l'avoir
+produit, il s'éloigne, et en cela je crois qu'il a tort. Un plus avisé
+resterait. A peine il a disparu que Lyonnel arrive. «Ciel!... grand
+Dieu!... est-ce bien elle? Est-ce vous?... Est-ce toi?...» Milady
+s'éveille: «Que me voulez-vous, non cher? Vous extravaguez, sans doute.
+Je ne comprends rien, je vous le jure, ni à vos hochements de tête, ni à
+vos roulements d'yeux, ni à vos gestes frénétiques, ni à vos discours
+dépourvus de sens.» Et milady s'éloigne d'un air superbe. Mais il y a un
+dieu pour les amants.
+
+Par _l'opération_ de ce dieu, le cheval de la reine s'emporte, et voilà
+_sa très-gracieuse majesté_ errant à travers champs, au gré de cette
+bête furieuse, et exposée à une foule d'accidents désagréables, sur
+lesquels mon imagination n'ose s'arrêter, tant est grand mon respect
+pour le principe monarchique. Qui sauvera sa très-gracieuse majesté?
+Lyonnel s'élance et se dévoue, et bientôt on le voit ramener la reine à
+demi pâmée, qu'il soutient dans ses bras. Heureux Lyonnel! la reine,
+reconnaissante, le fait officier.
+
+Bientôt son nouveau grade l'introduit au château royal.
+
+Il y a spectacle à la cour, et ballet mythologique. Sir Tristan
+Crackfort y représente le puissant Jupiter, et la reine d'Angleterre
+l'auguste Junon. Tous deux descendant de leur gloire, et viennent danser
+un menuet avec Mars, Apollon, Cybèle, etc. Vénus paraît à son tour,
+poursuivie par un berger. Elle résiste à l'audacieux, elle fuit en se
+jouant, et, dans sa fuite, elle décrit les figures les plus gracieuses,
+elle prend mille poses pleines de volupté, elle charme les dieux, elle
+enivre les humains, et surtout Lyonnel, qui reconnaît dans la déesse son
+inconnue mystérieuse, Hors de lui, il s'avance, il tombe aux pieds de
+Vénus... Jugez du trouble et de la stupeur générale! Le ballet
+s'interrompt; le ciel et la terre se, rapprochent, les mortels et les
+dieux errent pêle-mêle; l'imprudent trouble-fête est entraîné hors de la
+salle, et Vénus s'évanouit.
+
+On mène Lyonnel en prison; mais il s'échappe, s'enfuit au hasard au
+travers du palais, et arrive enfin dans l'appartement de lady Henriette,
+qui n'est pas encore tout à fait remise de l'émotion que lui a causée
+son étrange aventure. «Grâce, madame! un mot de vous suffit pour me
+sauver: dites ce mot...» Ah bien oui! La comtesse, irritée, le repousse
+et lui ordonne de sortir. Il insiste, elle appelle, et livre le
+malheureux aux soldats qui le poursuivent. Les dames d'honneur ont-elles
+donc le coeur si dur? Lyonnel succombe à ce dernier coup, ses idées se
+troublent, ses yeux deviennent fixes, il fait des gestes bizarres, il
+rit, il pleure: le voilà fou! On le mène à Bedlam.
+
+Là il trouve nombreuse compagnie et des fous de toute espèce, un
+mélomane, un dansomane, une femme qui se croit reine, un homme qui se
+croit le Destin, etc., etc. Tous se mêlent bientôt et exécutent un
+ballet curieux et bizarre. Puis le tambour bat: c'est la reine Anne qui
+vient visiter Bedlam; lady Henriette l'accompagne. Elle voit Lyonnel et
+comprend enfin tout le mal qu'elle a fait. «N'y a-t-il donc aucun moven
+de le réparer?
+
+[Illustration: Ballet mythologique de _Lady Henriette_.]
+
+--Un seul,» dit le médecin.
+
+--Eh bien! ne le devinez-vous pas? Ne savez-vous pas depuis longtemps
+comment on guérit les fous à l'Opéra, et comment finissent toutes les
+nièces de théâtre?
+
+Le sifflet du machiniste retentit: la scène change. Voilà Lyonnel
+installé de nouveau dans sa ferme, auprès de son ami Plumket. Bientôt la
+porte s'ouvre; il regarde: il revoit la comtesse telle qu'il l'a vue
+jadis, en habits de servante, et qui attend ses ordres. A cet aspect la
+raison lui revient subitement, et le mariage de rigueur termine le cours
+de ses aventures.
+
+Vous avez vu, probablement, _la Fête du village voisin_ et _la Comtesse
+d'Egmont_, lecteur, et vous me dites que vous saviez d'avance, ou à peu
+près, toute cette histoire. Hélas! j'en conviens. Mais ce que vous
+n'avez point vu, ce sont les décorations de M. Cicéri.
+
+Jamais peut-être M. Cicéri n'avait mis au service de l'Opéra un art plus
+savant, plus délicat, plus fin, une imagination plus riche et plus
+jeune, un goût plus parfait. La place du marché de Greenwich et la forêt
+de Windsor sont deux paysages composés avec une habileté remarquable, où
+tous les détails ont une intention et une valeur savamment calculées, et
+dont l'ensemble est ravissant. Le salon en boiseries sculptées de la
+comtesse, et la salle d'attente où se passent les scènes qui précèdent
+le spectacle de la cour, sont, dans un genre opposé, deux
+chefs-d'oeuvre. La décoration du ballet mythologique, en style rococo et
+selon la mode du temps, est conçue avec un esprit infini, et exécutée de
+main de maître.
+
+Trois compositeurs se sont cotisés pour la musique du ballet nouveau. M.
+de Flotow a fait le premier acte, M. Burgmuller le second, et M.
+Deldevèze le troisième. C'est de la musique bien faite, en général, et
+tort proprement ajustée; mais on regrette que les auteurs n'y aient pas
+déployé plus de chaleur et de verve, et se soient montrés aussi avares
+de motifs saillants et d'idées nouvelles. M. Burgmuller est resté fort
+au-dessous de l'auteur de la Péri.
+
+Les costumes y sont très-brillants, et si les tableaux chorégraphiques
+n'y ont rien de bien nouveau, du moins sont-ils agréables. Il faut,
+cependant, faire une mention particulière du ballet des fous, où M.
+Mazilier a montré quelque originalité; d'ailleurs il a trouvé là, en M.
+Coraly, un interprète d'une prestesse et d'une verve incomparables.
+Mademoiselle Adèle Dumilâtre, chargée du rôle de lady Henriette, s'en
+acquitte avec beaucoup de grâce et d'élégance. En somme, le ballet
+nouveau offre un spectacle agréable, varié, et quelquefois très-piquant.
+
+
+
+[Illustration: Bureau d'abonnement de l'_Illustration_.]
+
+Mais peut-il y avoir un spectacle plus piquant que celui dont nous
+donnons ici même la représentation fidèle? Quoi de plus agréable que
+l'aspect de cette foule pressée, compacte, impatiente, haletante, qui
+assiège les bureaux d'abonnement de l'Illustration? Quoi de plus
+richement varié que cette collection de visages où chacun de vous,
+lecteurs aimables, a le droit de chercher le sien?...
+
+
+
+Bulletin bibliographique.
+
+_Histoire des comtes de Flandre_ jusqu'à l'avènement de la maison de
+Bourgogne; par Edward le Glay, ancien élève de l'École royale des
+Chartes, conservateur adjoint des archives de Flandre à Lille. 1 vol.
+in-8.--Paris, 1844 (tome IIe). _Imprimeurs-Unis_. 7 fr. 50 c.
+
+
+L'an 863, Baudoin Bras de Fer, fils du Forestier Ingelran, qui avait
+épousé secrètement une fille de Charles le Chauve, fut nommé par son
+beau-père comte du royaume, et reçut pour la dot de sa femme toute la
+région comprise entre l'Escaut, la Somme et l'Océan, c'est-à-dire la
+seconde Belgique.. Ayant fixé sa résidence à Bruges, capitale du petit
+canton connu depuis le sixième siècle sous le nom de Flandre, il fonda
+la dynastie des comtes de Flandre. C'est l'histoire de cette dynastie,
+commencée par Baudoin Bras de Fer, en 863, et terminée par Louis de
+Male, en 1383, histoire peu connue jusqu'à ce jour, qu'a entrepris
+d'écrire M. Edward le Glay, conservateur adjoint des archives de Flandre
+à Lille. Le premier volume, dont nous avons rendu compte à l'époque de
+sa publication, s'arrêtait a l'année 1214. Le second et dernier, qui
+vient de paraître, contient l'histoire des règnes de Jeanne de
+Constantinople et de Fernand de Portugal (1214-1233), de Jeanne de
+Constantinople et de Thomas de Savoie (1233-1244), de Marguerite de
+Constantinople (1244-1279), de Gui de Dampierre (1280-1304), de Robert
+de Béthune (1304-1322), de Louis de Nevers ou de Creci (1322-1346), et
+enfin de Louis de Male (1346-1383). En 1583 Louis de Maie mourut, dit M.
+Edward le Glay, et le comté de Flandre fut dévolu à Philippe le Hardi et
+à la duchesse, sa femme, chef de cette illustre maison de Bourgogne dont
+les destinées se confondirent plus tard avec celles du monde entier.
+
+Ces deux volumes, fruit de longues et patientes études, sont remplis de
+faits puisés, avec une remarquable sagacité, aux sources les moins
+connues et les plus authentiques. Toutefois, nous nous permettrons
+d'adresser à M. Edward le Glay un reproche que du reste il s'est déjà
+fait à lui-même en terminant son second volume: on éprouve souvent, en
+lisant cet ouvrage, un vif désir de voir s'interrompre temporairement le
+récit trop monotone de ces guerres, révoltes et négociations
+interminables qui suffisaient bien, dit-il, pour occuper l'historien
+tout entier. «Parfois, ajoute-t-il, nous regrettions de ne pouvoir faire
+une pause, afin de contempler à l'aise, les autres mouvements qui
+s'opéraient autour de nous; mais nous ne pouvions suspendre notre
+marche, sous peine de disparaître dans le torrent qui débordait
+toujours.» Que M. Edward le Glay cesse donc d'avoir de pareilles
+craintes, s'il publie jamais un autre ouvrage historique. Il l'avoue
+lui-même: «La Flandre n'a pas été seulement un théâtre de guerres, de
+dissensions intestines, de soulèvements populaires; sa prospérité
+matérielle, ses progrès intellectuels et moraux pourraient fournir à une
+plume moins inhabile le sujet d'un tableau magnifique.» Le tableau, il
+ne devait pas se contenter de l'esquisser en quelques pages, ci nous lui
+pardonnons d'autant moins d'avoir omis, par une fausse modestie, de le
+peindre dans tous ses détails, que ses efforts eussent certainement été
+couronnés d'un plein succès.
+
+
+_Essai historique, sur l'origine des Hongrois_; par A. de Gérando. 1
+vol. in-8 de 164 pages.--Paris, 1844. Imprimeurs-Unis.
+
+La question de l'origine des Hongrois a été diversement résolue.
+Jornandès fait descendre les Hons des femmes que Filimer, roi des Goths,
+chassa de son armée, parce qu'elles entretenaient un commerce avec les
+démons. Cette origine diabolique, qui s'est étendue aux Hongrois, a eu
+plus de défenseurs qu'on ne serait tenté de le croire; et, bien après
+Jornandès, un écrivain ne trouvait pas d'autre moyen d'expliquer le mot
+_magyar_ qu'en le faisant dériver de _magus_, magicien. Les uns disent
+que les Hongrois sont des Lapons, les autres soutiennent qu'ils sont
+Kalmoucks, et pensent donner plus de force à leur opinion en invoquant
+une ressemblance de physionomie imaginaire. Les Hongrois sont d'origine
+turque, dit-on encore; leur langue le prouve; les Turcs les appellent
+toujours «mauvais frères,» parce qu'ils leur ont ferme l'entrée de
+l'Europe. Un autre les confond avec les Huns et les fait venir du
+Caucase sous le nom de Zawar. D'autres, enfin, les nomment Philistéens
+ou Parthes, et leur donnent la Juhrie ou Géorgie pour patrie.
+
+«Les quinze ou vingt noms différents que, dans diverses langues, les
+chroniqueurs ont donnés aux Hongrois, augmentent encore, dit M. A. de
+Gérando, les difficultés qui entourent nécessairement une question de ce
+genre, quand on veut rechercher leurs traces dans l'histoire.»
+
+Lorsque M. de Gérando alla, il y a peu de temps, visiter la Hongrie,
+il ne se proposait pas de rechercher les origines des Hongrois; mais il
+lui fut impossible de faire un long séjour dans le pays sans étudier
+cette question historique, l'une de celles qui intéressent au plus haut
+point les voyageurs. Il était arrivé avec des idées toutes faites; il
+publie aujourd'hui celles qu'il a rapportées. Il espère qu'elles
+obtiendront la confiance du lecteur, car ce ne sont pas les siennes,
+elles appartiennent aux Hongrois eux-mêmes.
+
+M. A. de Gérando se pose d'abord cette question: les Hongrois sont-ils
+Finnois? Puis il passe successivement en revue les traditions
+hongroises, les relations des historiens nationaux et celles des
+historiens étrangers; il établit ensuite un parallèle entre les Huns,
+les Avars et les Hongrois. Enfin il montre la marche suivie par les
+Hongrois, et le résumé général de cette dissertation se termine ainsi:
+«Nous nous sommes donc convaincu que la nation hunnique se rattache à ce
+groupe nombreux de peuples nomades que les historiens orientaux
+appellent indistinctement Turcs, c'est-à-dire émigrants, et qui errèrent
+longtemps dans l'Asie centrale; peuples qui furent refoulés par la race
+mongolique, se jetèrent en partie sur l'Europe, en partie sur l'Asie
+occidentale, et dont les plus fameux sont aujourd'hui les Afghans, les
+Persans, les Tcherkesses et les Ottomans.»
+
+Dans le préambule, M. V. de Gérando s'est attaché à faire ressortir
+_l'importance politique_ que l'on peut donner à une question en
+apparence purement spéculative. S'il était prouvé, en effet, comme
+l'affirme Schluzer, que les Hongrois sont ou Finnois ou Slaves, les
+empereurs de Russie pourraient, dans un avenir qui peut-être n'est pas
+éloigné, élever des prétentions sur le royaume de Hongrie, ou au moins
+le comprendre entre les pays sur lesquels, comme chefs de la grande
+famille slave, et de la grande famille finnoise, ils ont l'ambition
+d'exercer leur influence.
+
+
+_Wilhelm Meister de Goethe_, traduction complète et nouvelle; par madame
+la baronne A. de Carlowitz.--Paris, 1843. _Charpentier_. 2 vol. in-18. 3
+fr. 50 c. le volume.
+
+_Poésies de Goethe_, traduites par Henri Blaze, avec une Introduction du
+traducteur.--Paris, 1843. _Charpentier_. 1 vol. in-18. 3 fr. 50 c.
+
+_Mémoires de Benvenuto Cellini_, orfèvre et sculpteur florentin, écrits
+par lui-même et traduits par Léopold Laclanche, traducteur de
+Vasari.--Paris 1844. _Jules Lafitte_. 1 vol. in-18. 3 fr. 50 c.
+
+Deux de ces ouvrages datent de l'année dernière; mais le Bulletin
+bibliographique de _l'Illustration_ de 1843 a oublié de leur accorder la
+mention honorable dont ils sont dignes. C'est une dette qu'il lui
+tardait d'acquitter. Le troisième n'a pas le droit de se plaindre d'un
+trop long retard, car il existe depuis deux mois à peine.
+
+De Goethe, de son _roman_ et de ses _poésies_, de Benvenuto Cellini et
+de ses _Mémoires_, nous n'avons pas à nous en occuper ici; parlons
+seulement des traducteurs, ou plutôt des traductions.
+
+Madame la baronne A. de Carlowitz est déjà connue dans le monde
+littéraire par sa traduction de la _Messiade de Klopstock_, qui lui
+avait valu un prix de l'Académie française. Si madame la baronne A. de
+Carlowitz avait envoyé au concours l'ouvrage que nous avons sous les
+yeux, aurait-elle obtenu la même récompense? Nous en doutons. Bien qu'il
+ait écrit _Wilhelm Meister_ en prose, Goethe méritait plus d'égards de
+la part de son traducteur. C'est un de ces hommes de génie dont un peut
+ne pas aimer le caractère et ne pas admirer le talent, mais dont on doit
+respecter religieusement les ouvrages. Or, madame la baronne de
+Carlowitz se permet trop souvent d'altérer la pensée ou de corriger le
+style du grand poète allemand. De pareilles prétentions ne sont que
+ridicules. Du reste, si nous oublions cette déplorable manie, nous
+n'avons que des éloges à donner à madame la baronne de Carlowitz.
+Lorsqu'on ne la compare pas au texte original, sa traduction,
+suffisamment élégante et correcte, se fait lire avec plaisir. En outre,
+elle a l'avantage d'être la plus complète qui existe. La deuxième partie
+de _Wilhelm Meister_, les _Années de voyage_, formant le deuxième
+volume, n'avait jamais de traduite en français.
+
+Les _Poésies_ de Goethe sont également traduites pour la première fois
+en français. Leur traducteur est M. Henri Blaze (sur la couverture), qui
+devient dans le titre de l'ouvrage le baron Henri Blaze, et dans la
+dédicace le baron Blaze de Bury. Elles se composent de _lieds_, de
+_ballades_, d'_odes_, d'_élégies_, d'_épîtres_, de _poésies diverses_,
+du premier chant de l'_Achilléide_, de _Prométhée_, de la cantate
+intitulée _la Première Nuit de Walpurgis_, et du _Divan
+oriental-occidental_. M. le baron Henri Blaze termine ainsi
+l'introduction qu'il a mise en tête de sa traduction: «Nous venons de le
+voir, la lyre de Goethe a toutes les cordes: l'antiquité, le moyen âge,
+l'ère moderne, tout lui est bon; de chaque sujet, de chaque genre et de
+chaque forme, il ne veut que le miel... Après cela, nous reconnaissons
+aussi bien que personne les inconvénients de cette universalité dans la
+création; le dilettantisme se donne trop souvent carrière aux dépens du
+sentiment, et l'alliage de convention remplace l'or de bon aloi. Puis, à
+force d'avoir excellé ainsi dans tous les genres, on finit par ne plus
+pouvoir être classé dans aucun. Ainsi Goethe n'est ni un poète épique,
+dramatique ou didactique, il est tout cela; mieux encore, il est poète
+dans le sens absolu au mot.»
+
+M. le baron Henri Blaze n'appartient pas à cette école de traducteurs
+dans laquelle madame la baronne A. de Carlowitz s'est si maladroitement
+rangée. Ce n'est pas lui qui, comme Rivarol, rendrait ce vers si beau
+et si connu de la Divine Comédie:
+
+ Et ce jour-là nous ne lûmes pas davantage,
+
+par cette périphrase absurde: «Et nous laissâmes échapper le livre qui
+nous apprit le mystère de l'amour,» ou qui, désirant nous apprendre que
+Bidon «se tua par amour,» selon l'expression de Dante, s'écrierait avec
+emphase: «Elle coupa la trame amoureuse de sa vie.» Rendons-lui cette
+justice: non-seulement il a toujours compris les poésies de Goethe, mais
+il les a bien traduites. Sa prose ne dit ni plus ni moins que ce que
+disent les vers; les expressions difficiles à trouver sont heureusement
+choisies; en un mot, on sent, en comparant la copie à l'original, que
+cet ingrat et difficile travail a été fait avec conscience et avec
+esprit.
+
+Benvenuto Cellini a eu le même bonheur pour ses _Mémoires_ que Goethe
+pour ses _Poésies_. L'élégant et fidèle traducteur de Vasari, M. Leopold
+Laclanche, était plus capable qu'aucun autre écrivain de traduire cette
+curieuse autographie, qui ne manquera jamais de lecteurs tant que la
+langue italienne et maintenant la langue française continueront
+d'exister.
+
+
+_Un Courroux de Poète_; par Constant Hilbey, ouvrier. 1 vol.
+in-18.--Paris, 1844, _Martinon_.
+
+C'est avec une joie sincère que nous voyons la poésie pénétrer chaque
+jour plus avant dans le coeur du peuple: en y développant de légitimés
+espérances, elle y maintiendra, nous en sommes sûr, elle y exaltera
+l'amour du travail. Mais nous n'accordons cette pleine sympathie à la
+poésie des classes laborieuses que lorsqu'elle ne se dépouille pas
+volontairement de son austère simplicité pour revêtir nous ne savons
+quelles formes banales, quelles couleurs vulgaires empruntées aux albums
+ou aux almanachs. Ainsi nous avouons franchement à M. Hilbey que nous
+n'aimons guère à voir un ouvrier se mettre en coquetterie déclarée avec
+sa muse, l'appeler traîtresse, et jouer avec elle une des scènes du
+_Mariage enfantin_. Ces choses-là ne sont pas de celles qui pourraient
+nous émouvoir; les ouvriers-poètes ont d'autres secrets à nous révéler.
+Que M. Hilbey lise le dernier volume de M Poney, la belle ode adressée
+aux maçons, ses camarades, et il comprendra peut-être quelles cordes il
+faut faire vibrer pour nous rendre attentifs.
+
+Nous pourrions encore reprocher à l'auteur d'_Un Courroux de Poète_ le
+titre du son livre, titre qui a le double but d'afficher une prétention
+et un défaut de caractère. Mais nous préférons rendre justice au mérite
+de quelques-unes des pièces de son Recueil. Ainsi nous citons volontiers
+l'_Adieu au village natal_, la _Pièce à Gilbert_, celle intitulée
+_Fécamp_, parce qu'elles nous paraissent inspirées par des sentiments
+vrais.
+
+
+_Plan détaillé de La Rochelle et de ses environs_, accompagné d'une
+Notice historique; par M. Guy, capitaine au 13e de ligne, à
+Rochefort.--Chez madame _Theze_, imprimeur-libraire.
+
+_Le Plan de La Rochelle_ a surtout un intérêt local; la Notice qui
+l'accompagne et qui est, dans des limites trop resserrées, l'histoire
+même de la ville, a un intérêt général d'autant plus grand, que le nom
+de La Rochelle est lié à des événements considérables de l'histoire de
+France. M. Guy fait une revue rapide de ces événements parmi lesquels
+figure en première ligne, par sa durée et son importance, la lutte que
+cette ville soutint dans l'intérêt de la reforme protestante de 1568 à
+1628, époque de sa soumission au roi Louis XIII, après le siège
+mémorable dont la gloire, comme les cruautés qui l'accompagnèrent,
+reviennent au cardinal de Richelieu. Cette publication, faite avec
+beaucoup de luxe, a reçu les encouragements du conseil municipal de La
+Rochelle et des plus notables habitants de cette ville.
+
+
+_Notice sur le monument érigé à Paris par souscription à la gloire de
+Molière_, suivie de pièces justificatives et de la liste générale des
+souscripteurs; publiée par la commission de souscription.--Paris.
+_Perrolin_, 1844. In-8º.
+
+Il faut en vérité plus que du courage à la commission du monument du
+Molière pour venir encore affronter la critique. Combien l'oeuvre
+qu'elle a entreprise et menée à fin ne lui a-t-elle pas attiré de
+mordantes épigrammes et de méchancetés attiques! Quel succès a eu le
+malin farceur qui, le premier, a trouvé et dit que M. Regnier avait
+inventé Molière! Qu'il y a donc, dans une certaine presse, et surtout
+dans de certains feuilletons des loustics aimables et de satanés
+critiques! Si vous survivez aux traits de ces espiègles, vous avez la
+vie dure ou la peau bien cuirassée. M. Regnier fait semblant de n'être
+pas mort, et d'être applaudi tous les soirs; la commission fait semblant
+de vivre et d'avoir accompli la tâche qu'elle avait entreprise, et que
+tant d'autres avant elle avaient laissée inachevée; mais tout cela n'est
+qu'un jeu joué. Il n'y a de vivant que le feuilleton, né malin, et malin
+bien redoutable.
+
+La commission, ou son ombre, a eu la bizarrerie de penser que tout ce
+qui s'est imprimé dans les journaux, à l'occasion de l'érection de la
+statue de Molière, ne devait pas l'empêcher de publier un recueil
+officiel des actes qui avaient précédé et marqué cette cérémonie. C'est
+encore un ridicule de sa part, car elle ne pouvait se flatter de trouver
+jamais d'aussi jolies choses que celles que ses critiques ont imprimées
+et lues eux-mêmes.
+
+Est-ce elle qui aurait jamais trouvé, par exemple, qu'en 1673, Louis
+XIV, quoique vieilli, et tombé sous l'influence de madame de Maintenon,
+donna ordre qu'on conduisit les restes de l'auteur de Tartuffe au
+cimetière Saint-Joseph?» Cette pauvre commission aurait cru, comme
+beaucoup d'autres, qu'en 1673, Louis XIV, _quoique vieilli_, n'avait que
+trente-quatre ans, et que, _quoique tombé sous l'influence de madame de
+Maintenon_, il n'était encore que l'amant de madame de Montespan, avant
+de passer à mademoiselle de Fontanges, qui n'avait encore alors que
+douze ans. Mais le feuilleton a changé tout cela.
+
+Est-ce elle qui aurait jamais songé à écrire la _Vie de Molière après sa
+mort_, ouvrage curieux, si nous en croyons son auteur qui nous
+l'annonce, et qui, pour nous donner un avant-goût du son exactitude
+historique, nous montre Boileau, Chapelle, Bernier et _Ménage_, vivant
+intimement entre eux et avec Molière, et suivant seuls son cercueil. La
+commission aurait à coup sûr pensé que si Ménage, le Vadius des _Femmes
+savantes_ le détracteur acharné du _Misanthrope_, avait suivi le convoi
+de Molière, ce n'eût été que pour chercher à précipiter Boileau dans la
+même fosse. Mais les revues ont change tout cela.
+
+On a dit à la pauvre commission qu'au lieu de s'amuser à écrire, elle
+aurait dû s'exercer à mieux lire, et, s'apercevoir, avant que la statue
+fût découverte, que dans la nomenclature gravée des pièces de Molière,
+le praticien de M. Pradier avait mis deux _r_ à l'avare. Le critique a
+eu les yeux attirés sur la lettre coupable par le travail de l'ouvrier
+occupe à la faire disparaître le lendemain de l'inauguration. «Ce n'est
+cependant pas faute de lunettes,» a-t-il dit à la commission, avec plus
+de bon goût que d'exactitude. Les lunettes, il le sait bien, ne font pas
+toujours bien voir; et cela est si vrai que nous avons eu beau en
+mettre, nous n'avons pu trouver, dans la liste de souscription, le nom
+de tel auteur, connu, dit-on, au théâtre par des chefs-d'oeuvre,
+très-zélé, comme on le voit, pour la gloire de Molière, et qui,
+certainement, n'aura pas cru qu'il était injuste d'élever une statue à
+l'auteur du _Misanthrope_ avant de songer à lui. Le pays est excusable:
+il a suivi l'ordre chronologique.
+
+Nous imiterons l'exemple général, et nous adresserons, nous ausi, notre
+reproche à la commission, ou du moins à son secrétaire: pourquoi, dans
+sa Notice, a-t-on imprimé le mot Tartuffe avec un seul _f!_ Nous savons
+bien que l'Académie, dont nous ignorons les raisons, l'orthographie
+ainsi; mais Molière ayant créé le mot, et lui en ayant toujours donné
+deux, il est naturel de penser que ses raisons valaient bien celles de
+l'Académie. Le besoin du vers a seul déterminé La Fontaine à écrire,
+dans sa fable du _Chat et le Renard_:
+
+ C'étaient deux vrais tartufs, deux archi-patelins.
+
+Mais la poésie a des licences que ne comportent ni un dictionnaire ni
+une notice.
+
+
+
+Le Roi et LL. AA. RR. madame la princesse Adelaide et madame la duchesse
+d'Orléans viennent de souscrire au _Dictionnaire historique et
+administratif des Rues et Monuments de Paris_, par MM. Félix et Louis,
+Lazare.
+
+
+
+En publiant dans le dernier numéro de _l'Illustration_, un article sur
+le Vésuve, extrait du Voyage des docteurs Magendie et Constantin James,
+nous avons omis d'indiquer que cet article était dû à la plume de M.
+James, qui avait bien voulu nous faire cette obligeante communication.
+
+
+
+[Illustration: Allégorie de Mars.--Le Bélier.]
+
+
+
+Modes.
+
+[Illustration.]
+
+Le deuil répand, sur les représentations de l'Opéra et des Italiens,
+ordinairement si brillantes, une teinte sombre et triste. En cette
+circonstance, le jais noir, déjà fort à la mode, a repris une nouvelle
+faveur, et nous voyons les plus jolies têtes parées de résilles, de
+bandeaux, ou bien encore d'épingles en jais. Une toilette de deuil
+très-élégante, pour soirée ou spectacle, se compose d'une robe de crêpe
+couverte de deux hauts volants de dentelle posés à plat; un velours,
+large de deux doigts, doit se placer à la tête d'un dessous en pou de
+soie, et grande berthe de dentelle; attaches de corsage en jais, au
+nombre de trois ou cinq; et pour coiffure, une résille en jais.
+
+Dans les bals à la Chaussée-d'Antin, nous retrouvons les costumes roses,
+blancs ou bleus; mais la mode de cette année adopte le blanc pour les
+robes légères à deux ou trois jupes, qui ne varient que par les
+différentes fleurs dont elles sont ornées.
+
+Les robes de soie, telles que damas, pékins satinés ou brochés, sont
+plus diverses de couleurs et de formes, quoique la dentelle en soit
+toujours le principal ornement. Ainsi, au bal du Château, les robes
+couvertes de deux volants de dentelle étaient en majorité; d'autres
+avaient des barbes de dentelle arrangées comme on peut le voir sur le
+modèle qu'en donne _l'Illustration_.
+
+Les robes de l'hiver vont bientôt paraître fanées: déjà on fait les
+corsages moins montant, afin de laisser voir la broderie qui orne les
+devants du fichu; le col, très-petit, est bordé d'une malines qui se
+continue sur le devant.
+
+Les chapeaux de velours sont remplacés par les capotes de satin, et le
+cachemire, ce luxe aimé ou envié de toutes les femmes, remplace plus
+souvent le manteau de velours.
+
+Le matin, une robe de pékin à raies de satin garnie de passementeries,
+une capote de satin blanc ornée de blondes, un cachemire noir, est un
+costume simple et de bon goût.
+
+Le soir, pour concert ou théâtre: robe de velours ouverte des côtés sur
+un revers de satin pareil, sur lequel sont posés des noeuds de rubans
+diminuant de grosseur en montant vers la taille; petit bord orné de
+plumes. Pour bal: robe de tulle à deux jupes, la seconde relevée par une
+agrafe de trois marguerites variées de couleurs; couronne de
+marguerites; éventail ancien. Ou bien encore: robe à trois jupes en
+crêpe blanc, superposées et bordées de trois franges de jais blanc, de
+hauteurs différentes, la plus petite au jupon de dessus; corsage drapé;
+couronne de roses et de raisins.
+
+
+
+Correspondance.
+
+_A M. L. P., à Lyon_.--Votre lettre est envoyée au dessinateur.
+
+_A M. H. B., à Ely (Angleterre)_.--Nous ne pouvons insérer votre lettre;
+mais nous profiterons de vos bons conseils.
+
+_A M. Z., à Saint-Diè_.--La _Table des Matières_ ne peut être envoyée
+par la poste; vous devez la faire demander par le libraire de votre
+ville. Nous croyons en effet qu'il y a quelque chose à faire dans le
+sens de vos observations; nous y aviserons.
+
+_A M. G., de V_.--Nous l'avons déjà dit: les goûts sont très-divers, et
+pourtant il faut tâcher de plaire à tout le monde.
+
+_A M. L. D. C. à Rouen_.--Donnez-nous plus de détails. Cela dépend de la
+nature de l'affaire.
+
+_A M. L. P., à Alger._--Nous avons profité de votre communication; nous
+acceptons vos offres.
+
+_A M. M., à Paris_.--C'est elle ou vous; mais si ce n'est pas elle?
+
+_A M., à la Rochelle_.--Nous avons reçu hier seulement votre envoi. Nous
+tâcherons de répondre à vos intentions.
+
+
+
+Rébus.
+
+EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:
+
+Un bâtiment marchand battu par un gros temps.
+
+[Illustration: Nouveau rébus.]
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0053, 2 Mars 1844, by Various
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 43632 ***
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-Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0053, 2 Mars 1844, by Various
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
-almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
-re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
-with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
-
-
-Title: L'Illustration, No. 0053, 2 Mars 1844
-
-Author: Various
-
-Release Date: September 3, 2013 [EBook #43632]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0053, 2 MARS 1844 ***
-
-
-
-
-Produced by Rénald Lévesque
-
-
-
-
-
-
-
-
- L'ILLUSTRATION,
- JOURNAL UNIVERSEL
-
- Ab. pour Paris--3 mois, 8 fr.--6 mois, 15 fr.--Un an, 30 fr.
- Prix de chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.
-
- Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr.
- pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40
-
- N° 53. Vol. III.--SAMEDI 2 MARS 1844.
- Bureaux, rue de Seine, 33.
-
-
-
-SOMMAIRE.
-
-Histoire de la Semaine, _Vue de la ville d'Alicante; Portrait du
-contre-amiral Dupetit-Thouars._--Courrier de Paris.--Salon de 1844.
-Visite dans les Ateliers. _Portraits de MM. Ingres, Delaroche, Eugène
-Delacroix, Horace Vernet, Decamps et Charlet; le Jury de l'Exposition,
-par Decamps; trois Caricatures._--Fragments d'un Voyage en Afrique.
-(Suite.)--Les Mystères de l'Administration. _Atelier des Graveurs de
-l'Illustration le jour; Atelier des Graveurs la nuit; Bureau de
-Rédaction l'Illustration._--Don Graviel l'Alferez. Fantaisie maritime.
-(Suite.) _Une Gravure._--Épisodes de la Vie d'une pièce d'or, racontés
-par elle-même.--Armée. Recrutement, Tirage. _Trois Gravures._ Théâtres.
-Académie royale de Musique. _Une Scène de Lady Henriette.--Bureau
-d'abonnement de la rue de Seine._--Bulletin bibliographique--Figure
-allégorique de Mars.--Modes. _Une Gravure._--Correspondance.--Rébus.
-
-
-
-Histoire de la Semaine.
-
-[Illustration: Vue d'Alicante.]
-
-Jamais peut-être, depuis la grande lutte parlementaire de la coalition,
-la Chambre des Députés n'a été en proie à des émotions plus vives que
-celles qui l'agitent depuis quelques semaines. Nous mentionnions il y a
-huit jours le rejet de la proposition de M. de Rémusat après une
-discussion qui avait surexcité la Chambre. La déclaration par le bureau
-d'une majorité contre cette proposition a causé des réclamations et des
-protestations qui se sont traduites en une demande de modification du
-règlement. M. Combarel de Leyval a proposé que, tout en maintenant le
-scrutin secret pour le vote sur l'ensemble des lois et pour les autres
-cas où vingt députés le demanderaient, on procédât au vote par division
-toutes les fois que dix membres de la Chambre le réclameraient. Admise à
-la lecture par trois bureaux, cette proposition sera développée et sa
-prise en considération discutée dans la séance du 9 mars.--Vendredi de
-la semaine dernière, a été lu le rapport de M. Allard sur des pétitions
-adressées à la Chambre contre les fortifications de Paris. La discussion
-sur les conclusions de la commission qui propose l'ordre du jour, a été
-fixée au jour où paraîtra ce numéro.--La discussion sur le projet de loi
-présenté par M. le maréchal Soult pour qu'une pension viagère de 3,000
-fr. fût inscrite sur le grand-livre de l'État au profit de mademoiselle
-Dronet d'Erlon, comme un hommage rendu aux glorieux services et au pur
-désintéressement du maréchal son père, cette discussion, qui en tout
-autre temps eût passé inaperçue, a eu, elle aussi, son retentissement
-politique. Un député de l'opposition, M. Lherbette, a rappelé combien
-l'exposé des motifs de ce projet de loi qu'il appuyait contrastait avec
-certains ordres du jour et certaines proclamations publiées en 1815 par
-l'auteur de ce même exposé, contre le maréchal à la mémoire duquel on
-rendait aujourd'hui un si digne hommage. De ce contraste si frappant M.
-Lherbette a fait sortir cette moralité, recommandée par lui aux hommes
-et aux corps politiques, qu'il ne faut jamais flétrir ses
-adversaires.--On comprend que cette disposition générale, cette
-animation des esprits à la Chambre la prépare assez mal à la discussion
-des lois. Nous avons dit ce qui était advenu pour la loi de la chasse.
-La loi des patentes a profité un peu de la lassitude que la précédente,
-avait fait éprouver et du désir qu'on avait d'en finir pour arriver à
-des discussions politiques auxquelles les partis en présence s'étaient
-donne rendez-vous. Les votes des premiers articles se sont donc succédé
-avec quelque, rapidité, mais il est plus que probable que la Chambre des
-Pairs leur fera subir d'utiles amendements et que plus d'un d'entre eux
-reviendra de nouveau, modifié, à la Chambre des Députés. Dans la
-discussion générale, quelques orateurs se sont exercés à démontrer que
-l'impôt de la patente est un reste de la féodalité, une sorte de servage
-qui pèse encore sur le commerce et l'industrie. L'impôt est aujourd'hui
-un esclavage assez général pour que l'industrie et le commerce n'aient
-point à rougir d'y être soumis comme tout le monde; nous ne voyons guère
-que les rentiers sur l'État qui en soient dispensés. Cette réclamation,
-ou plutôt cette déclamation, avait donc peu de chances de succès, et
-mieux valait s'attacher uniquement, et sans diversion mal entendue, au
-point véritable du débat, à la question qui domine toutes les autres,
-celle de savoir si la patente continuera de former un impôt de
-_qualité_, ou bien si on la fera rentrer dans la catégorie des autres
-contributions, en l'établissant comme impôt de _répartition_. Avec le
-mode actuel, l'impôt pris en masse aurait beau n'être pas trop élevé,
-qu'il pourrait encore, outre mesure et inévitablement, écraser les uns
-et ménager les autres. Des tarifs inflexibles imposent aveuglément les
-mêmes charges, à peu de différence près, aux individus qui exercent la
-même profession, sans tenir un compte suffisant l'étendue de leur
-industrie. Avec le mode de répartition, au contraire, demandé par la
-plupart des patentés de Paris dans une pétition qu'ils ont fait
-distribuer à la Chambre, la loi annuelle de finances fixerait le chiffre
-d'impôt que doit supporter l'industrie, et le répartirait entre les
-départements comme elle le fait pour les autres impôts directs; le
-trésor demeurerait en dehors de la répartition, qui serait opérée entre
-les arrondissements par les conseils généraux, entre les communes par
-les conseils d'arrondissements, et entre les contribuables par les
-commissaires répartiteurs, c'est-à-dire par leurs pairs. Le ministre et
-le rapporteur de la commission ont combattu ce système, le plus logique
-et celui qui mettrait le plus sûrement l'administration à l'abri de
-toute réclamation particulière. Leurs raisons ne nous ont paru que
-spécieuses. Il n'y avait jusqu'ici que des patentes de marchands en gros
-et de marchands en détail; on a imaginé la patente intermédiaire de
-marchand en demi-gros. Quelques députés ont voulu voir dans cette
-création un moyen politique mis aux mains d'un ministère pour favoriser
-certains patentés de la première classe, et tenir en respect certains
-autres de la dernière. Sans vouloir croire à ce calcul, nous entrevoyons
-dans cette subdivision peu tranchée une source inévitable d'abus même
-involontaires. Quant aux classifications d'industries, ou plutôt à leur
-nomenclature, elle présente de singulières professions patentables.
-Croirait-on que l'opérateur, c'est-à-dire le charlatan qui exerce dans
-les foires et sur les places des marchés, et que la police
-correctionnelle condamne comme exerçant la médecine et la chirurgie sans
-diplôme, est amnistié, mais, il est vrai, patenté par M. le ministre des
-finances! Cela rappelle trop l'innocence, aux yeux de la régie des
-droits réunis, du vin frelaté, pourvu que le mélange eût payé le droit.
-L'opérateur sera-t-il soumis à une patente de gros, de demi-gros ou de
-détail? Quand il saura n'arracher qu'une dent à la fois, il sera sans
-doute de troisième classe; mais quand d'un coup il vous arrachera la
-mâchoire tout, entière, il devra être rangé dans la première, ou le fisc
-n'entendrait bien ni l'équité ni ses intérêts, ce qui nous étonnerait à
-des degrés différents. Il faut savoir faire respecter les lois, mais un
-des moyens les plus sûrs, c'est de les faire respectables. Du reste,
-nous le répétons, la Chambre avait hâte d'en finir avec cette
-discussion, si importante pourtant, car des interpellations de M. de
-Carné, à M. le ministre des affaires étrangères sur les mesures prises
-par le cabinet au sujet de Taïti avaient été annoncées et fixées à
-jeudi. Elle n'y est pas parvenue, et la discussion de la loi des
-patentes a dû être interrompue.
-
-[Illustration: Le contre amiral Dupetit-Thouars.]
-
-Nous rendions compte, il y a huit jours, de la déchéance, prononcée par
-l'amiral Dupetit-Thouars, de la reine Pomaré, qui s'était obstinément
-refusée à exécuter le traité, et de la prise de possession de l'île de
-Taïti au nom du roi des Français. Nous disions que le silence du
-gouvernement au sujet de cet événement était diversement, mais peu
-favorablement interprété. Les Chambres anglaises et le cabinet de
-Saint-James avaient, au contraire, fait entendre les protestations les
-plus vives. Le Moniteur a enfin parlé. Voici la note officielle qui y a
-été insérée le 26 février: «Le gouvernement a reçu des nouvelles de
-l'île de Taïti, en date du 1er au 9 novembre 1842. M. le contre-amiral
-Dupetit-Thouars, arrivé dans la baie de Papéiti le 1er novembre pour
-exécuter le traité du 9 septembre 1842, que le roi avait ratifié, a cru
-devoir ne pas s'en tenir aux stipulations de ce traité, et prendre
-possession de la souveraineté entière de l'île. La reine Pomaré a écrit
-au roi pour réclamer les dispositions du traité qui lui assurent la
-souveraineté intérieure de son pays, et le supplier de la maintenir dans
-ses droits. Le roi, de l'avis de sou conseil, ne trouvant pas, dans les
-faits rapportés, de motifs suffisants pour déroger au traité du 9
-septembre 1812, a ordonné l'exécution pure et simple de ce traité, et
-l'établissement du protectorat français dans l'île de Taïti.» En même
-temps que ces lignes étaient envoyées au Moniteur, une dépêche était
-expédiée pour faire partir une corvette portant à M. Dupetit-Thouars un
-ordre de rappel. Jeudi, une discussion très-vive s'est engagée à ce
-sujet. Les interpellations de M. de Carné l'ont ouverte. M. le ministre
-des affaires étrangères y a répondu. A M. Guizot a succédé M. Billaut.
-L'un et l'autre ont captivé toute l'attention de la Chambre. M. le
-ministre de la marine a peut-être été moins heureux, et a laissé un trop
-beau jeu à M. Dufaure, qui est venu taxer le parti pris par le cabinet
-d'inconsidération, et son désaveu de la conduite de MM. Dupetit-Thouars
-et Bruat d'imprudence. M. le ministre de l'instruction publique a cru
-devoir prendre part au débat. La Chambre s'est montrée distraite pendant
-son discours, et l'attention n'a été réveillée que par la proposition de
-M. Ducos de motiver ainsi l'ordre du jour: «La Chambre, sans approuver
-la conduite du ministère, passe à l'ordre du jour.» M. Guizot a vivement
-demandé le renvoi de la discussion au lendemain, pour qu'il lui fût
-possible d'apporter à la tribune des preuves nouvelles. La Chambre,
-malgré son impatience de voter, a consenti au renvoi. Le lendemain la
-discussion a été traînante. Pendant la plus grande partie de la séance,
-la tribune n'a été occupée que par des comparses. MM. Guizot, Ducos et
-Thiers ont bien, à la fin, rendu quelque vivacité au débat. Mais les
-disposions de la Chambré étaient évidemment changées, et le ministère a
-obtenu 233 voix sur 420 votants. L'opposition ne s'est, plus trouvée en
-avoir que 187.
-
-D'autres discussions non moins vives que celles que nous avons
-rapportées et annoncées se laissent encore entrevoir dans un
-très-prochain avenir. M. Charles Laffitte, dont l'élection à Louviers a
-été une première fois annulée par la Chambre sur la proposition même du
-ministère, comme offrant des faits de corruption trop évidents pour que
-leur constatation eût besoin d'une enquête, M. Charles Laffitte vient
-d'être réélu de nouveau par le même collège. L'annulation de l'élection
-sera-t-elle prononcée avec la même unanimité? sera-t-elle au contraire
-combattue, et une enquête sera-t-elle ordonnée? Que la Chambre se montre
-conséquente ou inconséquente avec elle-même, il y aura là encore à coup
-sûr une séance curieuse pour les spectateurs qui recherchent les luttes
-animées. La demande prochaine d'un crédit pour les fonds secrets en
-amènera de nouvelles.--On remarque à la Chambre, avec un étonnement mêlé
-de curiosité, le silence de M. de Lamartine, qui avait si souvent et
-avec tant de retentissement occupé des tribunes diverses entre les deux
-sessions, et qui n'a prononcé qu'un très-court discours depuis que la
-tribune parlementaire est ouverte. Son journal, _le Bien public_, imite
-sa réserve, et n'en est guère sorti qu'une fois pour attaquer
-l'opposition.
-
-Des lettres particulières de Beyrouth, du 10 janvier, mentionnent le
-fait suivant, qui mérite d'être cité. Vers la fin de décembre et
-quelques jours après l'arrivée du nouveau pacha Haider, un juif
-algérien, ignorant qu'il était défendu aux juifs de passer devant
-l'église du Saint-Sépulcre, s'approcha de cet édifice. Il fut aussitôt
-assailli par une bande de lunatiques chrétiens qui le maltraitèrent
-cruellement et le laissèrent pour mort sur la place. Lorsque le pauvre
-juif eut recouvré ses sens et qu'il put marcher, il se rendit chez le
-consul français, M. de Lantivy, et l'informa de ce qui lui était arrivé.
-Le consul envoya aussitôt une plainte au pacha, lequel fit arrêter
-immédiatement les coupables. Cette mesure causa une sensation
-extraordinaire dans la population chrétienne; on invoqua comme excuse
-l'usage qui défendait aux juifs de fréquenter le voisinage de l'église.
-Les prieurs des couvents latins et grecs intervinrent en faveur de leurs
-coreligionnaires; mais M. de Lantivy ne voulut rien entendre, et soutint
-que le commandement; _Tu ne te tueras point_, devait bien plutôt être
-observé qu'un usage barbare, même consacré par la tradition.
-Haider-Pacha était tout à fait de l'opinion du consul français; mais les
-prieurs des couvents ayant engagé leur parole qu'aucun outrage de ce
-genre n'arriverait plus, M. de Lantivy consentit à ce qu'on relâchât les
-prisonniers après quelques heures d'emprisonnement, à condition qu'ils
-paieraient les dépenses que nécessiterait la guérison de leur victime.
-En outre, le pacha publia un ordre défendant aux chrétiens, sous les
-peines les plus sévères, de maltraiter désormais les juifs qui
-passeraient devant l'église du Saint-Sépulcre. On ne saurait assez
-hautement approuver la conduite de notre consul dans cette circonstance.
-Ce serait ravaler l'influence que la conformité de croyance peut assurer
-à la France parmi ces populations, que de n'en pas user pour faire
-prévaloir avant tout les intérêts sacrés de l'humanité.
-
-Notre envoyé extraordinaire à Haïti, M. Adolphe Barrot, qui s'y était
-embarqué le 8 janvier sur la corvette _l'Aube_, est entré dans le port
-de Brest le 21 février. Il n'a consenti aucune remise sur les arrérages
-échus de l'indemnité due aux colons français, et rapporte 300,000
-piastres fortes (1,800,000 f.). Des commissaires haïtiens seront
-expédiés à Paris pour s'entendre sur le paiement des intérêts de
-l'emprunt. Avant son départ, M. Barrot avait assisté à l'installation du
-nouveau président de la république, le général Hérard; la France était
-également représentée à cette solennité par le contre-amiral de Moges et
-l'état-major de la _Néréide_, et des bricks _Génie_ et _Papillon_, qui
-sont demeurés dans ce port. La nouvelle constitution proclamée à Haïti
-déclare que les Africains et les Indiens, et leurs descendants par le
-père ou par la mère, pourront devenir citoyens. Aucun blanc ne pourra
-obtenir ce titre. La deuxième partie pourvoit aux droits civils et
-politiques. Dans la troisième est déclarée l'égalité des citoyens; la
-liberté de la presse est garantie. Des écoles seront ouvertes pour les
-deux sexes, et l'enseignement y sera libre et gratuit. Le peuple a le
-droit de s'assembler, mais sans armes. Les pouvoirs législatif, exécutif
-et judiciaire sont définis. Le pouvoir exécutif est aux mains du
-président; le pouvoir législatif est composé d'un Sénat et d'une Chambre
-des Communes. Un tiers du Sénat se renouvelle tous les deux ans. Le jury
-est établi. Les couleurs de la république sont bleu et rouge, placés
-horizontalement; les armes: une palme surmontée du bonnet de la liberté
-et ornée d'un trophée d'armes avec la légende; l'union fait la force.
-Port-au-Prince est le siège du gouvernement, et prend le nom de
-Port-Républicain. Une amnistie a été prononcée; mais l'exil du président
-Boyer est maintenu.
-
-Il nous faudrait détourner les yeux de l'Espagne s'il n'était pas du
-devoir de la presse tout entière de mettre au ban des nations les hommes
-de sang qui la déciment aujourd'hui. Nous avons rapporté la dépêche
-atroce du ministre de la guerre. Le général Roncali, celui-là même qui
-accusait avec justice Espartero de manquer de générosité, d'humanité à
-l'occasion de l'exécution de Diégo Léon, ne se l'est pas fait dire à
-deux fois et a immédiatement procédé à l'assassinat sur la plus large
-échelle. Sept officiers supérieurs et subalternes ont été fusillés sur
-son commandement, et les soldats tombés en même temps que ces malheureux
-aux mains du brigadier Pardo ont été également décimés par ordre, de
-Roncali. On comprend qu'avec de pareils monstres et à côté de crimes
-semblables la mesure suivante n'est plus qu'une gentillesse. Les
-rédacteurs du journal _el Mundo_ ont reçu l'ordre que voici:
-
-«GOUVERNEMENT POLITIQUE DE LA PROVINCE DE MADRID.
-A dater de ce jour, vous cesserez de publier le journal intitulé _el Mundo_.
-Dieu vous garde!
-
-Madrid, 18 février 1844.
-ANTONIO BENAVIDES.»
-
-La ville d'Alicante, où l'insurrection est maîtresse, se trouve bloquée.
-Peut-être qu'à l'heure où nous écrivons, la ruine et la mort règnent
-seules dans ses murs.
-
-Les nouvelles de Lisbonne nous font peu connaître la situation
-respective des partis armés en Portugal. Tout ce qu'elles nous
-apprennent clairement, c'est que là aussi, comme à Madrid, la
-constitution est mise hors la loi.
-
-L'attention et les ovations ont suivi O'Connell à Londres. Les whigs,
-qu'il a si souvent maltraités dans ses harangues populaires d'Irlande,
-se sont montrés généreusement oublieux, et lui ont témoigné une
-sympathie qui a été, en plusieurs circonstances, portée à
-l'enthousiasme. On a annoncé qu'il devait assister à une réunion que la
-ligue contre les céréales avait convoquée à Covent-Garden. Une longue
-file d'équipages, des flots serrés et ardents de population, se sont
-dirigés vers ce théâtre. La salle n'a pu contenir qu'un bien petit
-nombre de ces curieux. La plupart des membres de l'association ont en
-vain exhibé leurs cartes, tout était occupé, et les femmes les plus
-brillantes se montraient aux premiers rangs. Des affiches ont été
-placardées au dehors pour annoncer que la salle était comble, et que
-toute tentative pour y pénétrer serait inutile. La foule extérieure
-s'est résignée, mais sans se disperser, et bientôt les acclamations
-annoncent aux spectateurs privilégiés qu'ils vont voir entrer O'Connell.
-
-La salle entière se lève. Les applaudissements éclatent avec
-enthousiasme, avec, fureur, Covent-Garden en semble ébranlé jusque dans
-ses fondements. Enfin O'Connell a pu prendre place; il se dispose à
-prendre la parole; les transports se renouvellent, puis font place à un
-religieux silence.
-
-«En venant ici ce soir, dit-il, j'avais l'intention de faire un éloquent
-discours; heureusement je dois débuter par ce qu'on peut appeler la
-partie solide de l'art oratoire, de la part d'une personne, qui mérite,
-ainsi qu'un de mes amis, d'être nommée un ami de la justice, et qui m'a
-prié de commencer mon discours en vous remettant 100 livres. En tout
-cas, il y a là une éloquence sterling, et si vous trouviez
-quatre-vingt-dix-neuf imitateurs de son exemple, vous auriez vos 100,000
-livres (la ligue a fait un appel de cette somme pour son budget de
-l'année); maintenant je dois avouer que, l'argent donné, je suis à bout
-de ma rhétorique.» Ce n'était là qu'un piquant exorde, et l'orateur, qui
-se disait à bout d'éloquence, a ensuite prononcé un discours où il s'est
-montré aussi plein de mouvement, aussi habile, et plus touchant que dans
-aucune de ses précédentes harangues. Les applaudissements frénétiques
-qui l'avaient plus d'une fois interrompu ont éclaté de nouveau quand il
-a eu fini de parler, et sa sortie, comme son entrée, a été un triomphe.
-Le ministère est évidemment mal à l'aise de ces manifestations. La
-tranquillité de l'Irlande paraît également mal servir ses projets, et il
-s'en console en faisant chaque jour courir le bruit de complots éventés
-et de trames découvertes. Du reste, la Chambre des Communes a voté sur
-la motion de lord Russell, contre laquelle M. Peel a prononcé un
-discours où il s'est montré mesuré, mais fort peu sensible pour
-l'Irlande, et très-vif contre O'Connell. Celui-ci, dans la même
-discussion, a été très-serré d'arguments, beaucoup plus sobre d'images
-que d'ordinaire, ne cherchant plus à émouvoir, mais à convaincre. Lord
-Russell, de son côté, a répliqué au ministre, et a fait ressortir le
-danger pour l'Angleterre du _statu quo_ en Irlande. Néanmoins sa motion
-a été écartée par 324 voix contre 225. Il semblerait aujourd'hui que le
-ministère anglais serait arrivé à se persuader que pourvu qu'il ne
-maltraite pas O'Connell, l'Irlande demeurera paisible. Nous lisons en
-effet dans le _Times_ la très-curieuse note que voici: «Nous apprenons
-de bonne source que le duc de Wellington a décidé que M. O'Connell ne
-serait pas mis en prison; il pense que la déclaration de culpabilité
-suffit, et qu'un emprisonnement serait inutile; si M. O'Connell veut
-être modéré, nous pensons bien qu'il ne sera pas privé de sa liberté.
-Quant à nous, nous serons heureux qu'il en soit ainsi.» A Dublin, le
-docteur Gray et le docteur Atkinson, propriétaires du _Freeman's
-Journal_ (journal de _l'Homme libre_); M. Barrett, propriétaire du
-_Pilote_; M. Staunton, propriétaire de la feuille hebdomadaire le
-_Weekly-Registre_, et M. Duffy, propriétaire de _la Nation_, ont envoyé
-leur démission de membres de l'association du rappel. Cette démarche est
-motivée sur la déclaration faite par l'attorney général que tout membre
-de l'association était responsable des publications des écrits
-périodiques dont les propriétaires se trouvaient affiliés à
-l'association.
-
-La plus vive fermentation règne toujours dans les légations papales, et
-elle en est arrivée à se manifester par des assassinats. A Ravenne, un
-coup de feu a été tiré sur la personne de M. Claveri, directeur de la
-police; mais le garde qui l'escortait a été seul atteint, et, le
-lendemain, on a vu affiché dans les rues un avis anonyme portant que si
-M. Claveri ne quittait pas Ravenne, on ne le manquerait pas une autre
-fois. A Saint-Albert, à Fusignano, petites villes de la même légation,
-des factionnaires suisses ont été désarmés, des carabiniers ont été
-tués. A Bologne, un douanier ayant voulu arrêter un homme qui passait
-pour avoir fait partie des bandes d'août dernier, a été étendu mort d'un
-coup de pistolet tiré par celui-ci. Enfin, un des membres de la
-commission spéciale instituée à Ancône pour juger les accusés politiques
-de cette ville, M. Alessandrini, passant dans une rue d'Ancône,
-accompagné de deux gendarmes, a été frappé d'un coup de poignard par un
-homme masqué qui s'est élancé sur lui, et auquel la foule ouvrit
-immédiatement après ses rangs, pour lui permettre de se confondre avec
-les autres masques. L'état de la victime est désespéré. La suspension
-des plaisirs du carnaval a été immédiatement prononcée.
-
-Plusieurs journaux avaient annoncé, dès le 15 février, que le musée des
-Thermes et de l'Hôtel de Cluny était ouvert. Cette, nouvelle était
-prématurée: ce musée ne sera livré au public que vers le 15 de ce mois.
-En attendant, les travaux d'installation se poursuivent avec activité.
-La collection qui y a été réunie comprend non-seulement quelques-uns des
-objets les plus précieux des arts du moyen âge, et de l'art français
-spécialement, mais d'autres objets très-précieux inconnus des
-antiquaires et des artistes.
-
-M. le baron Reynaud, ancien examinateur des écoles royales Polytechnique
-et de la Marine, vient de mourir à Paris.
-
-
-
-Courrier de Paris.
-
-Enfin le vacarme est apaisé: après le bruit, le silence; le jeûne après
-l'orgie; les temples sacrés se sont rouverts, et le bal de l'Opéra s'est
-fermé; la pieuse voix des prédicateurs a remplacé les cris mondains et
-les joies effrénées. Nous vivions comme des damnés, nous allons vivre
-comme des saints; du péché, nous passons à la pénitence, et du gras au
-maigre. L'abbé de Ravignan règne et Musard abdique; du moins n'est-il
-pas descendu du trône sans honneur: son dernier coup d'archet a été un
-coup de maître. C'était le dernier samedi de sa royauté; il était cinq
-heures du matin, les lustres pâlissaient, et ne jetaient plus aux voûtes
-de la salle qu'une lumière affaiblie; les plus intrépides débardeurs
-étaient harassés et haletants; tout s'éteignait à la fois, le gaz et les
-danseurs; Musard seul restait debout et flamboyant. Tout à coup, élevant
-la voix au milieu du sourd bruissement de cette foule abattue: «Non!
-s'écria-t-il, il ne sera pas dit que nous nous quitterons ainsi!
-Êtes-vous donc les compagnons de Musard?» A ces mots, il agite son
-archet, et entonne à plein orchestre le _Quadrille des Etudiants_. Or,
-c'est tout dire: le _Quadrille des Etudiants_ est pour le bal de l'Opéra
-ce que le soleil d'Austerlitz était pour la grande armée: «Soldats!
-voilà le soleil d'Austerlitz!» et ils s'élançaient à une nouvelle
-victoire. «Débardeurs! voici le _Quadrille des Etudiants!_» et ils se
-précipitent dans les fureurs d'une contredanse nouvelle. Ce quadrille
-magique rend la force aux énervés, la santé aux malades et la vie aux
-morts. Vous eussiez vu alors toute cette multitude se ranimer en
-poussant des _vivat_ joyeux; et puis enfin, dans le paroxysme de sa
-fièvre dansante, entourer Musard, l'enlever du milieu de son orchestre
-et défiler bruyamment, Musard en tête. L'Empereur avait dit: «Avec des
-braves tels que vous, je conquerrais le monde!»--«Avec des débardeurs de
-votre force, s'écriait Musard, je ferais galoper l'univers!» Ainsi
-Musard copie Napoléon jusqu'au bout; il ne lui reste plus qu'à importer
-_le Quadrille des Étudiants_ à Sainte-Hélène; mais Hudson Lowe n'est
-plus là pour le danser.
-
-Les campagnes de Musard ne finissent jamais sans un grand nombre de
-mourants ou de morts. Il n'y a ni tête ni jambes enlevées par un boulet
-ou par un éclat d'obus; mais que de fièvres, de pleurésies, d'apoplexies
-et de pulmonies! La statistique constate un accroissement très-sensible
-dans la mortalité, après les jours gras. Savez-vous qui tire du carnaval
-le bénéfice le plus clair? les pompes funèbres:
-
-Amusez-vous, trémoussez-vous!
-
-Amusez-vous, amusez-vous, belles!
-
-Amusez-vous, amusez-vous bien!
-
-Depuis que le bal est clos, nous avons le concert:--de Charybde en
-Scylla.--Le concert est le fruit naturel de la saison qui commence; il
-pousse en mars pour fleurir dans la semaine sainte avec profusion. Le
-concert convient en effet aux temps d'abstinence; on peut le ranger sans
-inconvénient dans la classe des mets innocents que Mgr l'archevêque
-autorise, et qui ne compromettent nullement la sainteté du carême: il y
-a des talents, des voix et des instruments si maigres!--Lisez, les
-feuilles musicales, arrêtez-vous devant les affiches suspendues aux
-vitres des magasins de musique, et vous serez effrayé de l'inondation
-vocale et instrumentale dont mars et avril vous menacent. Ici tout le
-monde a la prétention d'être artiste, comme ailleurs le premier venu vise
-à la députation et au ministère: et, comme le concert est le baptême de
-l'artiste, les concerts pleuvent de tous les côtés. C'est M. Pancrace,
-c'est M. Pacome, c'est M. Babylas ou Barnabé qui vous invitent à un air
-de leur basson, de leur flûte, de leur hautbois, de leur violon et de
-leur clarinette: c'est mademoiselle Eulalie, Eugénie, Emphrosine,
-Euphémie, Anasthasie, Epiphanie qui vous proposent l'agrément de leur
-piano ou de leur gosier, de huit heures du soir à minuit; et tous ces
-pauvres gens dont les noms sont enfouis dans les coins les plus obscurs
-du calendrier, sortent de la salle enfumée et déserte où ils ont traîné
-de force leur portier, ses enfants et les enfants de ses petits-enfants,
-pour se former un public; ils sortent, dis-je, de cette caverne où ils
-ont estropié Haydn et Beethoven, ou gargouillé de l'Auber et du Rossini,
-intimement convaincus qu'ils sont des merveilles, et que l'univers n'a
-rien de mieux à faire que de leur dresser une statue séance tenante.--Il
-y a quelque chose de pis que l'amour-propre des grands artistes, c'est
-l'orgueil des petits, et voici les petits qui nous dévorent.--Je connais
-un homme de beaucoup de goût, très-fin connaisseur en musique et gourmet
-délicat, qui ne sort jamais pendant la présente saison et reste enfermé
-chez lui jusqu'au commencement de mai. L'autre jour je lui en demandais
-la raison: «Eh! mon Dieu, me répondit-il, Paris n'est par sûr à l'heure
-qu'il est; si je sortais, je serais inévitablement rencontré et
-assassiné par un concert!»
-
-Tout n'est pas harmonie dans le monde musical; et si de temps en temps
-les voix y sont d'accord, les gens s'y montrent d'humeur assez
-discordante: le Théâtre-Italien en donne, depuis quelques jours, une
-preuve flagrante. Sur la scène tout va bien: l'Harmonie et sa douce
-soeur la Mélodie y règnent dans une union parfaite; on se croirait dans
-le paradis terrestre. Mais dans les coulisses, c'est autre chose, la
-dissonance est complète: le premier ténor ne s'entend plus avec la
-prima-donna, la basse avec le soprano, et le baryton avec l'impresario.
-Le bruit de cette discorde éclaté au dehors: les parties belligérantes
-ont sonné, des deux parts, le boute-selle, et donné le signal des
-hostilités.--Un beau matin, M. Vatel, le directeur, s'est éveillé avec
-la nouvelle que deux ou trois de ses principaux chanteurs refusaient de
-chanter: figurez-vous des soldats qui désertent au moment de la
-bataille. Pour prétexte à cet abandon, nos fuyards donnaient, celui-ci
-un mal de gorge, celui-là un rhume de cerveau. M. Vatel s'est adressé
-immédiatement à la justice, afin qu'elle voulût bien guérir, par un bon
-arrêt bien juste, des voix qu'il ne paie pas cinquante et soixante mille
-francs pour qu'elles s'amusent à se dire enrhumées pour le moindre
-caprice. M. Vatel avait d'autant plus raison de maintenir son droit avec
-cette sévérité, qu'une des voix récalcitrantes avait été vue la veille
-dans un salon célèbre, se portant admirablement bien, chantant, riant,
-et menant joyeuse vie, jusqu'à cinq heures du matin.--On a écrit des
-lettres aux journaux, on a lancé des _factum_ pour édifier le public sur
-cette grave affaire; le public s'est rangé cependant du parti de
-l'infortuné directeur, et quand la voix coupable s'est enfin décidée à
-chanter mardi dernier, le parterre, juge équitable, lui a honnêtement
-administré le châtiment de quelques coups de sifflets. Les sifflets
-voulaient dire que la loyauté dans les engagements et la fidélité au
-devoir doivent compléter le talent de l'artiste, et qu'on compromet
-gravement sa réputation et son nom en jouant si légèrement avec les
-intérêts d'une sérieuse entreprise et les engagements de sa propre
-conscience. Les directions de théâtre paient les acteurs et les
-chanteurs à un prix monstrueux; il y a tel débitant de prose, de
-couplets, d'entrechats et de roulades qui est coté à la bourse
-dramatique dix fois au-dessus de sa valeur réelle; les directions se
-ruinent pour les comédiens; et quelques comédiens, au lien de donner du
-zèle, du dévouement et du talent en proportion de ces efforts inouïs, se
-montrent plus égoïstes, plus exigeants que jamais, et plus légers de
-scrupules.--Un honnête et pauvre soldat qui reçoit une paie de cinq sous
-par jour, se bat encore et va à l'assaut, tout mutilé et tout sanglant;
-un monsieur bien dorloté et bien frais, qui touche des billets de banque
-à la douzaine, sous prétexte qu'il fait une roulade agréable, un point
-d'orgue et un trille, s'inquiète fort peu de compromettre une entreprise
-qui le dote si richement et l'engraisse, et de la ruiner au besoin, à
-propos d'un rhume de cerveau qu'il n'a même pas.
-
-Nous parlions de la hausse de la roulade et de l'entrechat; précisément
-en voici un exemple tout récent et qui prouvera jusqu'à quel degré de
-folie, on peut le dire, le prix de cette denrée est poussé. Mademoiselle
-Carlotta Grisi, notre aimable Péri, vient de contracter un engagement
-avec un des théâtres de Londres; il s'agit de l'emploi d'un congé que M.
-Léon Pillet accorde à la Wili; ce congé est de six semaines, et
-l'engagement de Carlotta à Londres aura la même durée. Eh bien!
-savez-vous ce que ces six semaines de ronds de jambes et de jetés-battus
-coûteront au pauvre directeur anglais? 36,000 fr.! Autrement, pour le
-français, 6,000 fr. par semaine, où 3,000 fr. par représentation. Je ne
-sais plus quel moraliste a dit que le plus grand signe de la décadence
-des nations était la cherté des athlètes, des conducteurs de chars et
-des danseurs.
-
-Duprez va aussi passer le détroit; il chantera, pour les menus plaisirs
-de Londres, _Guillaume Tell, les Huguenots_ et le reste de son
-répertoire; on ne dit pas à quelles conditions, et si c'est à 1 fr. ou 1
-fr. 50 cent. la note. Duprez gagne 80,000 fr. à l'Académie royale de
-Musique; ses congés annuels complètent les 100,000 livres; on avouera
-qu'il y a là de quoi payer amplement les leçons d'anglais que le célèbre
-ténor a prises récemment pour chanter: _Asile héréditaire_, dans la
-langue de Joint Bull.
-
-Au théâtre, tout tourne au Bohémien; nous avons déjà _les Bohémiens de
-Paris_, de l'Ambigu-Comique, et _les Mystères de Paris_, de la
-Porte-Saint-Martin, qui ne sont que des bohémiens sous un autre nom. Le
-théâtre de la Gaieté vient de compléter la collection de ces enfants de
-Bohème, par _la Bohémienne de Paris_, drame en cinq actes mêlés de lazzi
-par M. Paul de Kock, et de scélératesses, par M. Gustave Lemoine; l'un
-est pour la partie gaillarde et burlesque, l'autre pour les noirceurs.
-
-Cette bohémienne de Paris est fille d'une marchande de vieilles
-friperies; son premier soin a été d'abandonner sa mère; de là à tomber
-dans toutes les fautes et dans tous les vices, il n'y a pas loin: la
-Bohémienne n'y manque pas; si bien que du vice elle arrive jusqu'au
-crime: la pente est naturelle et inévitable: cette malheureuse vit dans
-ce monde perdu avec une effronterie repoussante; sous les apparences de
-l'élégance et du bon ton, elle cache les plus infâmes entreprises; ici
-c'est un enfant qu'elle dérobe et qu'elle élève comme sa propre fille
-pour s'emparer d'une fortune considérable; là, ce sont des diamants de
-riches parures qu'elle soustrait par vol ou par violente. Avec le
-produit de sa corruption et de ses actions criminelles, cette femme,--si
-on peut l'appeler de ce nom,--tient un état de maison brillant; elle
-reçoit des honnêtes gens dupes de l'apparence; mais le fond de cet
-intérieur si magnifique se compose d'escrocs et de bohémiennes, agents
-secrets et exécuteurs des basses oeuvres de la Bohémienne en chef.
-
-C'est au milieu de ce mensonge de bonne réputation et de cette vie
-éclatante et honorée, que la Bohémienne commet un nouveau vol de quatre
-cent mille francs; longtemps elle échappe à l'impunité, à travers une
-complication d'événements mélodramatiques que nous n'entreprendrons pas
-de raconter, Dieu nous en garde! mais enfin la Providence du boulevard
-intervient; la prétendue grande dame est reconnue pour la fille de la
-fripière, la femme vertueuse pour une intrigante ignoble, la mère pour
-une voleuse d'enfants; la pauvre fille qu'elle avait associée à la honte
-de sa vie lui échappe heureusement avec toute sa pureté. Quant au reste
-des crimes commis par la Bohémienne, le gendarme qui l'arrête au
-dénoûment en fera bonne justice.--Voilà cependant les spectacles à la
-mode! La dégradation morale, le vice effronté, la cour d'assises et les
-bagnes! Si M. Etienne dit vrai dans son discours de réception à
-l'Académie française, et si en effet l'histoire des moeurs
-contemporaines peut se faire par le théâtre, que penseront nos futurs
-historiographes? En consultant le théâtre actuel comme étant un miroir
-fidèle de ce temps-ci, ne concluront-ils pas que notre siècle était un
-siècle de prostituées et de bandits?--Heureusement que nous sommes
-encore plus indifférents au mal que réellement mauvais, et que nous
-souffrons ces représentations violentes et honteuses plutôt par
-négligence que par extrême corruption, peut-être cependant est-il temps
-que les honnêtes gens ferment l'écluse et repousse le flot
-empoisonné!--Cette littérature de bagnes est comme la Seine depuis
-quelques jours; elle a grossi tout à coup, et menace de déborder et de
-causer des ravages, si on ne l'arrête.
-
-Le Gymnase nous a donné, pour compensation, _la Tante Bazu_. Cette
-vieille tante est une excellente femme, un peu quinteuse,
-très-susceptible et passablement emportée; d'abord elle se fâche et vous
-querelle; mais il n'y a rien de meilleur au monde que ses
-raccommodements; ses plus grandes colères ont toujours pour dénoûment un
-bienfait ou une bonne action; ainsi, dans un premier mouvement de
-rancune, la tante Bazu est sur le point de ruiner son neveu et de lui
-enlever une charmante femme qu'il aime; mais cette boutade ne dure pas
-longtemps; l'honnête Bazu répare bientôt tout le mal, marie son neveu,
-fait son bonheur et lui ouvre son coffre-fort tout plein d'adorables
-billets de banque. Si vous rencontrez par hasard une tante Bazu
-disponible, pourvue d'un tel coeur et d'un tel coffre-fort, veuillez me
-donner son adresse, je serais bien aise d'en faire ma tante et de
-devenir son neveu.
-
---Le projet d'élever une statue à Rossini, au foyer de l'Opéra, est en
-pleine voie d'exécution; la commission est constituée et vient de lancer
-son appel aux souscripteurs; cette espèce d'ordre du jour se recommande
-par la signature des noms les plus distingués ou les plus illustres;
-Auber est à leur tête: il est rare de voir un homme prendre
-l'initiative, dans une entreprise qui a pour but de glorifier un
-confrère vivant; cette démarche honore le caractère du gracieux et
-savant compositeur auquel l'att français doit de si charmantes et de si
-nombreuses couronnes. Quant à Rossini, on ne dit pas si on lui a demandé
-ce qu'il pensait de cette statue qu'on veut lui dresser à sa
-barbe.--D'après l'insouciance où il vit depuis dix ans, et l'espèce
-d'oubli qu'il semble faire de sa personne, de son génie et de sa gloire,
-on peut croire que s'il ne fallait que son consentement pour poser la
-première pierre de la statue, il refuserait sa signature.
-
-M. de Balzac est bien positivement revenu de Russie; nous l'avons
-rencontré hier en chair et en os, très-gros, très-frais, très-bien
-portant, avec ce sourire jovial et cet oeil étincelant qui le
-distinguent de nos pâles et lugubres écrivains à la mode. Déjà la
-présence de M. de Balzac à Paris se manifeste: un libraire va publier
-une nouvelle production de cet infatigable et ingénieux écrivain; de son
-côté, le _Journal des Débats_ tient de lui un roman en trois volumes,
-qui naîtra en feuilletons aussitôt que nos honorables, rengainant la
-politique et sonnant la retraite, laisseront le champ libre à la poésie
-et à l'imagination.--Nous verrons si Balzac fera oublier Sue, et si _les
-Mystères de Paris_ trouveront un rival redoutable dans ce roman de
-l'auteur d'Eugénie Grandet, qui cache encore le titre et les armes de
-son nouveau-né pour étonner davantage et frapper à l'improviste.
-
---Le gendre de Charles Nodier a demandé l'autorisation d'ajouter à son
-nom celui du spirituel, ingénieux, regrettable défunt, et de s'appeler
-Menissier-Nodier: hommage pieux que tout le monde approuve.--On annonce
-la mort de madame Rossi-Caccia, cantatrice distinguée; raison évidente
-pour qu'elle se porte à merveille, et que nous apprenions demain sa
-résurrection.
-
---La reine dona Maria vient d'envoyer à Donizetti l'ordre de la
-Conception; on sait qu'en fait de conception S. M. est prodigue.
-
-
-
-Salon de 1844.
-
-VISITE DANS LES ATELIERS.
-
-Mars, ce premier mois du printemps, nous amène deux phénomènes
-périodiques, les giboulées et l'exposition annuelle des tableaux. Et il
-y a plus d'analogie qu'on ne pense dans ces deux choses. Soit dit sans
-mauvaise intention, cette multitude de tableaux qui s'élaborent
-péniblement dans les ateliers les plus inconnus comme dans les ateliers
-les plus renommés, s'en viennent un jour fondre sur les préjugés à
-l'administration des musées. Quelle terrible avalanche! En mars,--pour
-continuer notre comparaison,--les jours se suivent et ne se ressemblent
-pas; eh bien! s'il vous arrive de passer devant la petite porte par
-laquelle les peintres entrent avec leurs oeuvres, vous verrez que les
-toiles aussi se suivent et ne se ressemblent pas. Il y a un rude triage
-à faire; et quand les juges, ces excellents académiciens qui ne sont pas
-infaillibles ont donné leur approbation ou apposé leur veto, la critique
-a encore son choix à faire. Sa tâche est aride, ingrate, difficile.
-
-Aride: les comptes rendus du Salon donnent peu d'essor à l'imagination.
-
-Ingrate: c'est surtout en pareille matière qu'il faut chercher à être un
-peu amusant, s'il est possible.
-
-Difficile: car on doit juger plus de douze cents oeuvres en quelques
-jours. Pour les juger consciencieusement, il faut les bien voir; et,
-malgré leurs bons yeux, les critiques ne peuvent pas toujours examiner
-des tableaux vraiment _malheureux,_--des tableaux sombres de couleur,
-placés dans les travées sombres, dans l'ombre, et touchant presque le
-plafond.
-
-Aussi, pour avoir des notions plus certaines, dès que les bruits de
-l'exposition circulent parmi les artistes, nous nous armons de courage,
-nous gravissons les hauteurs de Montmartre, nous parcourons les
-solitudes du quartier de l'Observatoire, et en moins d'une semaine, nous
-avons rendu visite aux plus célèbres peintres, demeurant depuis l'avenue
-de Frochot jusqu'à la rue de l'Ouest, depuis la rue de la Ville-l'Évêque
-jusqu'aux alentours de l'Arsenal.
-
-Notre impatience est pardonnable. Il est si doux de connaître quelque
-chose de la comédie avant le lever du rideau! On aime tant à commettre
-des indiscrétions de coulisses! C'est à qui saura le premier certains
-détails que le public ignore, mais veut apprendre. De nos jours,
-l'actualité, c'est presque l'anticipation sur l'avenir; et
-l'_Illustration_, la prêtresse des actualités,--qu'on nous pardonne
-cette petite et innocente gloriole,--ne peut jamais parler trop tôt des
-choses qui préoccupent l'attention générale.
-
-Nous ne vous dirons pas les noms de tous ceux qui n'exposent pas cette
-année. Les maréchaux de la peinture, comme écrirait M. de Balzac, font
-presque tous de l'art en amateurs aujourd'hui, et quelques-uns
-transforment leur atelier en exposition permanente.
-
-[Illustration: M. Ingres.]
-
-Depuis _Saint Symphorien_, de terrible mémoire, on peut le dire, M.
-Ingres ne juge pas à propos d'exposer. C'est son droit, et nous ne lui
-contestons pas; il est libre. Sa _Stratonice_ et sa _Vierge à l'Hostie_,
-ses travaux pour M. de Luynes, sont ses dernières productions, et
-peut-être ses plus importantes. On le sait, M. Ingres n'exposera plus;
-M. Ingres ni veut à la critique. C'est son droit; mais a-t-il raison? Et
-le public, lui, est-il coupable si M. Ingres a été traité avec
-irrévérence par plusieurs feuilletonistes?
-
-Le mauvais exemple a été suivi. M. Paul Delaroche transforma, lui aussi,
-son atelier en salle d'exposition ouverte seulement à quelques amis
-privilégiés. Pourquoi donc M. Delaroche est-il sorti du champ clos? S'il
-eut à se plaindre d'injustices de la part de la presse, la foule n'en
-demeura pas moins toujours avide de ses oeuvres, et resta en
-contemplation devant elles. Qui l'a forcé à prendre une résolution aussi
-inébranlable que le fut celle de M. Ingres? Il vous souvient des
-_Enfants d'Edouard_, de _la Mort du connétable d'Armagnac_, de _Jane
-Gray_, de _lord Stafford_ et de _Charles 1er_?
-
-[Illustration: M. Paul Delaroche]
-
-Quel succès! quelle foule! M. Delaroche s'est ému parce que plusieurs
-critiques ont méconnu son talent; mais on n'avait pas encore été jusqu'à
-_faire le coup de poing_ devant sa _Sainte Cécile_, comme on l'avait
-fait devant le _Saint Symphorien_ de M. Ingres. Cependant, récemment,
-deux oeuvres nouvelles de M. Delaroche ne furent exposées que dans son
-atelier; peu d'artistes, presque point de critiques, ont été admis.
-
-M. Ingres et M. Paul Delaroche ne paraîtront plus aux expositions
-publiques du Louvre. Pour les Salons de 1844 et des années suivantes,
-ces deux grands artistes ne doivent pas être, comptés comme absents: ils
-sont morts, morts, en vérité!
-
-Donc, les regrets sont superflus; les espérances de les admirer encore
-sont illusoires, il ne nous reste plus, à leur égard, qu'à chercher tous
-les moyens possibles de consolation.
-
-Un peintre, plus qu'eux, a été contesté, nié, tour à tour admiré et
-méconnu, refusé par les membres du jury, mis à l'index par l'Académie:
-c'est M. Eugène Delacroix. On sait la vigueur de coloris, la puissance
-de composition qui le caractérisent; on n'a pas oublié son _Massacre de
-Scio_ ni sa _Médée_. De vives polémiques s'élevèrent à l'endroit de son
-talent, et les hommes exclusifs se déclarent hautement pour ou contre.
-Lorsque M. Delacroix exposa sa _Médée_, je me souviens d'avoir
-rencontré, dans le salon Carré, un artiste fort recommandable, qui me
-dit, en examinant ce tableau: «_Médée!_ l'exposition est là pour moi! Je
-ne vais pas dans les autres travées. Quel incomparable chef-d'oeuvre!»
-Quelques pas plus loin, je rencontrai un graveur; il sortait avec
-précipitation.--«Comme vous vous hâtez, mon cher! lui dis-je en essayant
-de le retenir.--Oui, je me hâte, répondit-il en continuant sa course;
-j'évite de regarder cette vile croûte.» Il désignait la _Médée_. Après
-cela, jugez si M. Delacroix est admiré et mis en pièces; il n'a
-cependant pas renoncé aux expositions, et il faut l'en féliciter.
-
-Quant à M. Horace Vernet, dont la fécondité est proverbiale, nous
-verrons, cette année, plusieurs toiles dues à son pinceau, parmi
-lesquelles le _Portrait en pied de M. le chancelier Pasquier_, que nos
-lecteurs connaissent déjà, et une _Course en Traîneau_, souvenir de son
-récent voyage en Russie.
-
-[Illustration: M. Eugène Delacroix]
-
-M. Decamps, on l'espère, ne fera pas faute, et c'est une bonne fortune
-pour le public qu'un tableau, même un seul, de l'auteur du _Supplice des
-Crochets_. Où trouver ailleurs, plus de lumière, plus de couleur, plus
-d'animation, que dans les toiles de cet artiste au talent exceptionnel?
-
-M. Ary Scheffer ne nous a pas permis de mettre sous vos yeux son
-portrait, bien qu'il l'ait peint lui-même avec cette supériorité qu'on
-lui connaît. M. Ary Scheffer est une des gloires artistiques de
-l'époque. Hélas! il n'a pas encore fini sa _Marguerite_!
-
-Et M. Charlet, le Napoléon des peintres de Napoléon! rien n'égale sa
-popularité. Il prend les enfants à l'école, puis les habille en enfants
-de troupe, et les conduit, tambour battant, jusqu'aux Invalides. Jamais
-on n'a dessiné avec plus d'esprit, de vérité et d'intelligence; cet
-artiste expose chaque jour chez les marchands de gravures de toute
-l'Europe: qu'est-ce, pour lui, que le Salon annuel?
-
-[Illustration: M. Horace Vernet.]
-
-Maintenant, notre visite aux maréchaux de la peinture est faite; nous
-avons donné leurs portraits; pénétrons dans les ateliers des lieutenants
-généraux, des généraux, etc.; divulguons les _mystères_ du Salon,--les
-_mystères_ sont à l'ordre du jour.
-
-[Illustration: M. Decamps.]
-
-_Luther_ et _l'Atelier de Rembrandt_, de M. Robert-Fleury, sont
-terminés; il travaille à une grande, page historique, _Marino Faliero
-descendant l'escalier des Géants pour aller à la mort_. Mais M.
-Robert-Fleury, lors de notre visite, était encore indécis, il ne savait
-s'il exposerait; espérons que sa résolution a été pour l'affirmative. M.
-Henri Scheffer, depuis longtemps souffrant, n'a peut-être pas encore
-achevé son _Arrestation de madame Roland_, pendant tout naturel de sa
-_Charlotte Corday_. M. Couture expose _l'Amour de l'or, un conte de La
-Fontaine_, et de beaux portraits. M. Chassériau envoie un grand tableau
-religieux; M. Hippolyte Flandrin, tout entier à ses travaux de
-Saint-Germain-des-Prés, se repose en travaillant pour la postérité; M.
-Henri Lehmann est dans les mêmes conditions, pour ses travaux à
-Saint-Merry: il a peint néanmoins le portrait de madame la princesse de
-Belgiojoso; M. Louis Boulanger verra peut-être recevoir par le jury, qui
-lui refusa l'année dernière sa Mort de _Messaline_, une belle _Mère de
-douleur_; M. Gigoux a achevé une immense toile historique, le _Baptême
-du Christ_; M. Couder en a achevé une plus grande encore où se
-remarquent, dit-on, des milliers de personnages, plus qu'il ne s'en
-trouvait dans ses _États Généraux_; M. Maux, en proie à une douleur
-paternelle, n'a pu mettre la dernière main à sa _Lecture du Testament de
-Louis XIV_: rien ne nous est connu de l'exposition de M. Léon Cogniet,
-dont le _Tintoret_ eut un succès si durable l'année dernière; M. Hesse
-envoie _la Lutte de Jacob avec l'Ange_; MM. Papety, Deraisne, Guichard,
-Granet, etc., etc., ne manqueront pas à l'appel, et marcheront à la tête
-de la peinture historique.
-
-[Illustration: M. Charlet.]
-
-Le genre aura aussi de glorieux représentants. M. Tony Johannot expose
-une _Geneviève_, la plus délicieuse création de George Sand: M. Fortin a
-d'admirables Bretons: M. Eugène Lepoittevin a de charmantes petite
-toiles; M. Adolphe Leleux envoie des _Cantonniers navarrais_ et des
-_Paysans picards_: son exposition serait plus complète s'il avait eu le
-temps de parachever son _Marché béarnais_ et ses _Faneuses bretonnes_,
-que nous verrons en 1845, sans perdre pour attendre. Son frère, M.
-Armand Leleux, expose des _Laveuses à la fontaine_ M Guillemin a trois
-tableaux, parmi lesquels _Dieu et le Roi_ et _la Consultation du
-Médecin_. Cette fois, on ne dira pas le _joyeux_, mais bien le
-_sentimental_ Guillemin.
-
-Nous en passons, et des meilleurs.
-
-Nous étions essoufflé à monter le grand nombre d'escaliers qui
-conduisent aux ateliers de ces messieurs. Le lecteur ne voudrait certes
-pas nous suivre, même à la simple lecture, si nous écrivions ainsi
-longtemps les noms des exposants. Qu'il nous pardonne, cependant, le
-chapitre des _mystères_ n'en est pas encore à sa fin.
-
-Il y a un certain _Incendie de Sodome_, de M. Corot, qui fut refusé en
-1843 par le jury, et qui sera sans doute reçu en 1844.--Il est vrai,
-diront les juges, que M. Corot a travaillé de nouveau pour mériter cette
-insigne faveur.
-
-M. Cabat fera sans doute faute: mais M. Marilhat possède une série de
-tableaux tous plus ravissants les uns que les autres, et M. Aligny a
-rapporté de son voyage en Grèce plusieurs vues qui escorteront son
-_Samaritain_; mais M. Gaspard Lacroix a un admirable paysage; M. Paul
-Flandrin a peint les _Bords du Rhône. Tiroli_ et des _femmes à la
-fontaine_: M. Achard est encore en progrès sur sa dernière exposition,
-déjà si remarquable; M. Français a terminé son tableau de Bougival; M.
-Desgoffes ne manquera pas de produire de l'effet, et M. Marandon de
-Montiel a envoyé trois paysages.
-
-Parmi les toiles que nous mettons au nombre des actualités, quelle que
-soit la variété des sujets, quel que soit le mérite de l'exécution, nous
-citerons un magnifique portrait équestre du duc d'Orléans, par M. Alfred
-Dedreux, qui envoie d'autres tableaux encore; _la Mort du duc
-d'Orléans_, par M. Jacquand; la _Vue du Château de Pau_, par M. Justin
-Ouvrié, et l'_Inauguration de la statue de Henri IV à Pau_, par M.
-Guiaut; l'_Arrivée de la reine d'Angleterre_, par M. Isabey; la Vue du
-canal de la Villette, par M. Testard, etc.
-
-Gué, que la mort nous enleva pendant l'année 1843, a laissé plusieurs
-tableaux qu'on dit charmants; nous ne savons s'il sera exposé quelque
-oeuvre posthume de Perlet.
-
-[Illustration: C'est demain le dernier jour.]
-
-M. Jadin a exécuté d'importantes peintures destinées à orner les
-appartements de M. le comte Henri de Greffuthe; il exposera trois ou
-quatre tableaux d'une suite de panneaux, _la Chasse au Sanglier, le
-Départ de la Meute, le Rendez-vous,_ etc. Nous leur prédisons un
-véritable succès. M. Dauzatz expose une mosquée et une bataille; M.
-Auguste Charpentier a comprise une belle _Adoration des Bergers_: M.
-Diaz envoie plusieurs charmantes toiles; M. Adrien Guignet envoie _la
-Mêlée_ et _Salvator Rosa chez les Brigands_: M. de Lemud, le lithographe
-hors ligne, aborde, cette année, la peinture; qu'il soit heureux pour
-son début, comme le fut M. Alophe, dont nous verrons aussi quelques
-productions.
-
-[Illustration: Le Jury d'Exposition, par Decamps.]
-
-L'amiral Gudin nous donne une partie de l'Océan, comme toujours, et le
-caboteur Mozin a navigué de Trouville à Honfleur sans préjudice des
-travaux de MM. Morel-Fatio, Mayer et Coweley.
-
-[Illustration: Un peintre universel.]
-
-Nous avons omis ou passé sous silence bien des noms; nous n'avons rien
-dit de la sculpture ni de la gravure, mais attendons l'ouverture du
-salon. Il est nécessaire d'ailleurs de s'appesantir un peu sur le fait
-même de l'exposition.
-
-Le jury, nous le savons de bonne source, ne sera pas sévère: cela
-veut-il dire qu'il sera juste? C'est de stricte justice plutôt que de
-l'indulgence que nous lui demandons. Quand tous les tableaux auront
-passé sous ses yeux; quand, d'autre part, les fameux _experts_ de M.
-Decamps auront donné leur avis, nous formulerons notre jugement avec
-conscience.
-
-Disons-le, c'est une époque fort mémorable que celle de l'ouverture du
-Salon. Bien des espérances s'y rattachent, et de cruels désespoirs la
-suivent.
-
-Dans les ateliers, lorsque le 15 février arrive, les pauvres artistes ne
-savent où donner de la tête. Ici, c'est un peintre qui contemple son
-oeuvre avec ce ravissement que l'on remarque chez le père de famille
-examinant son héritier. «Mon ami, ton tableau sera peut-être
-refusé!--Bah! répond le peintre, regardant avec assurance sa timide
-moitié; j'en suis content, il est bien terminé; ils n'oseraient pas me
-refuser cela.» Et souvent, quelle déception!
-
-Autre malheur, que l'on s'empresse de réparer. Le peintre est en retard,
-son tableau n'est pas achevé, et voilà que deux de ses amis _abattent_
-de la besogne. «Vite! cette tête n'est qu'ébauchée; cette draperie rouge
-n'est pas assez foncée en couleur. Allons! allons! Ah! mon Dieu! et le
-ciel, le ciel que j'avais en partie oublié!» Les trois peintres se
-mettent à l'ouvrage; à jour dit, à heure dite, le tableau est prêt.
-
-Je sais un artiste que son ami osa mettre en charte privée le 19
-février; il lui plaça dans les mains une brosse et une palette, et
-sembla lui dire: «Aide-moi, ou la mort!»
-
-D'autres peintres, au contraire, sont en avance. Pour eux, l'Exposition
-est un point de mire; ils travaillent le jour où elle ouvre, pour
-arriver l'année suivante, à pareille époque.
-
-Enfin, il est des spéculateurs en peinture qui regardent l'Exposition
-comme un marché ou à peu près. Il leur importe d'offrir aux acheteurs le
-plus de choix possible, pour faire une bonne saison. Ils travaillent sur
-tout et partout. Ils entreprennent «tout ce qui concerne leur état.»
-Vous voulez un portrait, ces messieurs sont très-bons portraitistes.
---Vous voulez un tableau religieux, ces messieurs en font leur
-spécialité.--Vous voulez un tableau de genre, ces messieurs entendent
-parfaitement le genre. Bref, ils exposent concurremment une marine, un
-paysage, un tableau d'histoire, une petite toile de genre, une _Descente
-de Croix_;--qui n'a pas fait une _Descente de Croix?_--et surtout une
-bataille,--qui n'a pas peint une petite bataille? Il faudrait être bien
-maladroit: Versailles a tant de petits coins! Entrez dans leurs
-ateliers, vous les voyez, palette en main, suffire à l'immense variété
-des travaux qu'ils ont entrepris.
-
-Nous prenons la chose en riant, et pourtant elle a son mauvais côté.
-Toutes ces toiles terminées avec précipitation se présentent plus
-faibles que si elles étaient restées inachevées. On ne veut pas attendre
-une année, et, pour arriver, on risque sa réputation. Les artistes ne
-savent pas comprendre qu'il vaudrait mieux n'exposer que tous les trois
-ans, et produire de l'effet, que de paraître à tous les Salons, avec des
-tableaux _lâchés_, faibles ou mauvais même.
-
-Cela dit, nous attendons impatiemment que les portes du Musée s'ouvrent,
-afin de pouvoir juger au Salon les toiles que nous avons vues dans les
-ateliers, ou réparer les oublis que nous avons pu faire, en annonçant
-ici les tableaux principaux.
-
-[Illustration: Il ne sera pas refusé.]
-
-
-
-Fragments d'un Voyage en Afrique (1).
-
-(Suite.--Voir t. II, p. 358, 374, 390 et 410.)
-
- [Note 1: La reproduction de ces fragments est interdite.]
-
-Durant les quatre heures que nous passâmes dans la plaine, El-Krarouby
-fut pour moi d'une prévenance presque obséquieuse. Il ne me quitta pas
-une minute. Les détails qui suivent me viennent de ce ministre lui-même.
-
-Les soldats sont divisés en corps réguliers et irréguliers, comme je
-l'ai dit plus haut. En temps de paix, ou dans l'intervalle des
-campagnes, les réguliers font souvent des exercices militaires. Le
-maniement des armes leur est montré par des instructeurs qui ont servi à
-Alger sous nos drapeaux, et qui ont déserté avant de savoir eux-mêmes
-manier un fusil. Il est curieux de voir les bédouins exécuter une
-manoeuvre: les mouvements d'ensemble et l'alignement surtout sont des
-choses impossibles pour eux; mais les chefs se contentent de faire
-marcher leurs soldats pendant, deux heures, l'arme au bras ou sur
-l'épaule. Dans les compagnies, on voit un géant à côté d'un mirmidon, le
-bossu à côté d'un boiteux, le vieillard près de l'enfant qui a besoin de
-ses deux bras pour soutenir son arme. Le service des réguliers est
-illimité. Ils font partie de l'armée active tant qu'il plaît à l'émir de
-ne pas les congédier.
-
-Les grades sont calqués sur ceux des Européens. Il y a des caporaux, des
-sergents, des officiers, des chefs de bataillon et des colonels. Les
-marques distinctives diffèrent selon les grades.
-
-Les caporaux portent une bande de drap rouge terminée par un croissant,
-et attachée sur la manche gauche. La bande est en argent pour les
-sergents. Des caractères tracés sur la bande indiquent la dignité de
-celui qui en est revêtu.
-
-Les Arabes désignent un officier par le mot de _fissian_. Le fissian
-porte une petite épée en argent, cousue sur la manche gauche. Le chef de
-bataillon a l'épée en or avec une inscription. Le colonel est
-reconnaissable à son beau costume de drap rouge; sa tête est entourée
-d'une corde noire en poils de chameau; le colonel est tenu d'avoir la
-barbe blanche. Les officiers supérieurs vont seuls à cheval.
-
-Un ordre militaire, le _nicham_, a été institué pour les militaires qui
-se distinguent. Il tient un peu du _nicham-iftikar_ de la Porte.
-
-La paie des simples soldats est de dix francs par mois; on y ajoute
-chaque jour un pain et une demi-livre de _tchicha_ (blé pilé), qu'ils
-font cuire dans de l'eau avec quelques onces de mauvais beurre. Tous les
-jeudis on distribue en outre un mouton, un bouc ou une chèvre, par
-trente-deux hommes; ces bêtes sont, en général, fort maigres. Les
-sergents touchent dix-huit francs, deux pains, du tchicha à volonté,
-trois onces de beurre ou d'huile, et un mouton pour quinze toutes les
-semaines. L'officier et le chef de bataillon reçoivent, l'un,
-trente-six, l'autre, cinquante francs par mois, le quart d'un mouton par
-semaine, et, chaque jour, deux pains, du tchicha à volonté, et deux
-livres de beurre. Les appointements du colonel s'élèvent à
-quatre-vingt-six francs; il a droit à quatre livres de pain et à un
-mouton. Voilà pour la paix. En temps de guerre, les troupes se
-contentent de biscuit; elles ont rarement du tchicha et de la viande. Le
-pain qu'on leur donne est détestable; le biscuit ne vaut guère mieux. Le
-colonel reçoit, lors de sa nomination, un cheval que lui envoie l'émir;
-mais il faut qu'il l'entretienne à ses frais et se fournisse d'un
-équipement complet. Le gouvernement, ne lui passe, ainsi qu'au chef de
-bataillon, qu'une ration d'orge par jour.
-
-L'uniforme des réguliers consiste dans une large culotte de laine bleue
-grossièrement tissée, une veste surmontée d'un capuchon gris, un gilet
-blanc en laine, une chemise en escamile, un _chachia_ (petit bonnet
-rouge); ils portent des souliers à l'algérienne, et se procurent à leurs
-frais des bernous. Le gouvernement remplace les effets usés, et on
-prélève le prix sur la solde; c'est un bénéfice net pour le trésor. Les
-caporaux ont le même uniforme avec une ceinture de peau et une giberne.
-Les sergents, officiers et chefs de bataillon portent des culottes de
-drap, une veste sans capuchon, un gilet rouge et un turban blanc.
-L'uniforme du colonel ne se distingue de celui des officiers que par la
-finesse du drap et quelques galons d'or. Le premier costume lui est
-fourni par l'émir; le dignitaire achète les suivants.
-
-Chaque compagnie est forte de soixante hommes; elle compte un caporal,
-un sergent et un officier. Le chef de bataillon et le colonel commandent
-toutes les troupes de la ville où ils se trouvent, car l'infanterie
-n'est divisée ni en bataillons ni en régiments. L'armée est répartie en
-divisions. Les hommes défilent deux par deux, les tambours en tête.
-Chaque compagnie a son drapeau particulier; le signe de ralliement de
-l'armée est l'étendard de quelque illustre marabout; et comme il ne
-manque pas de marabouts chez les Arabes, on n'a que j'embarras du choix.
-Le porte-drapeau est un officier. Le rappel est battu, tous les jours, à
-sept, heures du matin, dans les villes ou au camp. Dès que les troupes
-sont réunies, on procède à l'appel; à dix heures, les tambours
-convoquent les soldats à l'exercice; la retraite sonne à six heures du
-soir en hiver, et à huit heures en été; mais la consigne qui défend aux
-soldats de sortir après la retraite n'est pas rigoureusement observée.
-Le colonel passe une fois par semaine la revue, des troupes. Les villes
-ne contenant pas de casernes, les soldats sont envoyés chez les
-habitants, à moins qu'on ne mette à leur disposition les maisons des
-proscrits dont s'est emparé le gouvernement. Là où était mie famille, on
-entasse une compagnie. Le lit des soldats est une natte dégoûtante;
-quelques-uns obtiennent de leurs chefs la permission de découcher, et
-vont demander l'hospitalité à leurs amis. Pendant la guerre, chacun est
-sous la tente, et n'a d'autre couche que le sol humide.
-
-Quand les Arabes entrent en campagne, ils demandent au Prophète de leur
-faire la grâce d'être tués plutôt que blessés. Cela peut donner une idée
-des souffrances qu'endurent ces derniers; ils n'ont pour se guérir
-d'autre médecin que la nature, d'autres aliments que la ration, d'autres
-spécifiques que l'huile et le beurre. Ils font de la charpie avec de la
-laine et du coton. Les blessés succombent presque tous après d'horribles
-agonies, et l'on s'inquiète à peine de leur état; ainsi j'ai vu, dans le
-camp de l'émir, un blessé mourir de faim et de froid, et l'on ne
-s'aperçut qu'il était mort que lorsque, depuis quatre jours, son cadavre
-était en putréfaction.
-
-La cavalerie régulière est enrégimentée et subdivisée en compagnies, qui
-ont chacune un officier, lequel remplit en même temps les fonctions de
-maréchal des logis. Le chef d'escadron est appelé colonel des cavaliers.
-Pour être admis dans ce corps, il faut fournir un cheval. Un simple
-cavalier touche quatorze francs par mois et autant de rations qu'un
-fantassin. La solde du chef d'escadron est de cent francs; celle de
-l'officier de vingt-six. L'escadron comprend tous les cavaliers d'un
-aghalick. Chaque kalifat commande un régiment.
-
-Le costume des cavaliers réguliers se compose d'une culotte, d'un gilet
-et d'une veste sans capuchon, le tout un drap rouge grossier. Le drap
-que portent les chefs est d'une qualité supérieure. Les grades y sont
-indiqués par les mêmes signes que dans l'infanterie. Chaque compagnie a
-aussi son drapeau. L'officier de cavalerie se nomme _siaff-el-chriala_.
-Les cavaliers ne vont pas à l'exercice et sont rarement passés en revue.
-On les emploie aux transports des lettres et à diverses missions dans
-l'intérieur, où ils escortent les collecteurs d'impôts. Le sabre dont
-ils se servent leur appartient; ils professent la plus haute estime pour
-les armes de fabrique française.
-
-Les compagnies d'infanterie ont à leur tête un tambour; celles de
-cavalerie un trompette.
-
-L'armée arabe compte aussi dans ses rangs un grand nombre d'Européens,
-qui ont déserté nos drapeaux, croyant trouver la fortune et la gloire
-auprès de l'émir. Presque tous appartiennent à la légion étrangère. On y
-voit beaucoup d'Allemands et d'Espagnols, et peu de Français. Les
-déserteurs ne sont pas plutôt arrivés chez les Arabes qu'ils déplorent
-leur folle démarche, et, s'il ne s'agissait que de cinq ans de fers, ils
-rallieraient immédiatement leurs compagnons. Le plus souvent ils
-emportent avec eux armes et bagages, afin d'obtenir un meilleur accueil;
-mais l'avidité des Arabes s'éveille à la vue de ces objets. On dépouille
-ces malheureux; on leur rase la tête, on les force à embrasser
-l'islamisme, puis on les incorpore dans les bataillons réguliers;
-quelques-uns deviennent artilleurs et ne combattent point; les autres
-sont placés au premier rang dans toutes les rencontres; aussi
-meurent-ils presque tous. Il est fort rare de les voir monter en grade.
-Il en est qui, accablés de dégoûts et de mauvais traitements, se
-réfugient chez les Kabyles; d'autres parcourent les campagnes, où ils
-font des dupes et se donnent pour médecins. Tous finissent par être
-assassinés ou dévorés par les bêtes féroces. Ceux qui ont un état
-l'exercent librement; mais quoique moins malheureux que les premiers,
-ils n'acquièrent aucune influence dans les tribus, et ont sans cesse à
-redouter la colère des indigènes, qui cherchent à se débarrasser d'eux.
-
-Abd-el-Kader a environ huit mille fantassins et deux mille cavaliers à
-sa solde. Il pourrait au besoin les réunir tous sur un seul point, A
-l'exception des garnisons du Ziben et de Ghronat, qui sont sédentaires
-et maintiennent ces tribus dans l'obéissance. Les armes proviennent des
-fabriques françaises et anglaise? L'émir compterait deux mille hommes de
-plus dans son armée, s'il n'avait perdu six cents réguliers dans une
-révolte de Ziben et douze ou treize cents hommes au téniah de Monzaïa,
-pendant la campagne de juin. Quant aux irréguliers, leur nombre est plus
-ou moins considérable, selon que la presse ou levée est plus ou moins
-bien faite dans l'intérieur, il m'est impossible de préciser le chiffre
-des contingents pendant la dernière campagne; mais je suppose que leur
-maximum peut être porté à vingt mille auxiliaires pris dans les
-aghalicks soumis. Les auxiliaires font la guerre sainte à leurs frais.
-Le gouvernement ne leur fournit ni armes, ni vivres, ni fourrages, ni
-solde. Abd-el-Kader leur avait promis, à titre de prime d'encouragement,
-de remplacer les chevaux tués au combat; il leur avait même donné une
-livre de poudre et une pierre à fusil; mais, après la campagne, ceux qui
-se présentèrent pour le prier de tenir sa promesse, furent fort mal
-reçus. L'émir leur donna, au lieu d'un cheval, un chameau du prix de dix
-à quinze boudjoux (à peu près vingt francs). Les quinze mille
-auxiliaires que peut réunir le sultan forment dix mille cavaliers et
-cinq mille fantassins. Il ne nous reste qu'à dire quelques mots de
-l'artillerie, et nous aurons passé en revue toutes les forces arabes.
-
-Le nombre des pièces de campagne ne va pas au delà de douze. Les pièces,
-toutes en assez bon état, sont partagées entre les kalifats. La plupart
-sortent de la fonderie de Tlemcen, que dirige un officier espagnol;
-quatre d'entre elles ont été envoyées en cadeau à l'émir par l'empereur
-du Maroc.
-
-L'époque fixée pour mon retour en France approchait, lorsque je fus
-subitement atteint de fièvres tierces et forcé de me soumettre au repos
-le plus absolu. Pendant ma convalescence, les hostilités éclatèrent,
-cent vingt-cinq têtes de Français furent apportées à Médéah, exposées
-aux marchés, puis jetées à la voirie; six milles chargés de fusils y
-arrivèrent bientôt. Ces trophées enorgueillirent les Arabes. Lorsque la
-nouvelle en arriva à Tekedempt, la population se livra à une joie
-féroce; de toutes parts des imprécations s'élevèrent contre ce qui
-portait le nom de Français. Ma position devint d'autant plus pénible que
-mon jeune compatriote s'était enfui: son départ excita le courroux
-d'Abd-el-kader contre les Européens; ceux qui entouraient l'émir, me
-sachant l'ami du fugitif, et ayant perdu l'espoir de le prendre,
-conseillèrent à leur maître de me faire décapiter. «C'est un espion, lui
-dirent-ils, et, un jour, il donnera à tes ennemis d'utiles
-renseignements sur ton gouvernement.--Vous avez peut-être raison, leur
-répondit-il; mais je n'ai pas de preuves certaines, et ma religion me
-défend de lui ôter la vie. Sa mort n'ajouterait pas un rayon à ma
-gloire; il vivra donc. Qu'on se contente de lui enlever ce qu'il
-possède. Privé des moyens qui pourraient faciliter sa fuite, il ne
-tentera pas de s'échapper.»
-
-Les ordres du sultan furent exécutés de point en point: cheval, argent,
-marchandises, on me dépouilla de tout; il ne me resta que les vêtements
-que j'avais sur moi. Ainsi gardé à vue, en proie à la plus horrible
-misère, malade, n'ayant que le sol pour étendre mon corps exténué et une
-pierre pour oreiller, j'attendais la mort avec impatience. J'aurais
-infailliblement succombé à la langueur et à la faim, sans la générosité
-des ouvriers français; sans eux, je n'aurais jamais revu mon pays.
-Cependant, j'allais m'affaiblissant de jour en jour; j'avais déjà dit
-adieu à ma mère, à mes amis, à tout ce que j'aimais ici-bas, lorsque, au
-moment où je m'y attendais le moins, l'émir me fit appeler pour traduire
-quelques lettres. Mon dénûment et ma pâleur le frappèrent. Depuis que
-les chefs m'avaient accusé, il m'avait reçu avec tant de froideur que
-j'étais tout découragé; cette fois, le sourire qui passa sur sa bouche
-me rendit l'espérance, et je m'enhardis à lui parler de moi.
-
-«Considère, lui dis-je, l'état où je suis réduit. J'étais venu à toi
-pour opérer des échanges et augmenter ton trésor; tu me retiens captif,
-et tu m'as dépouillé de tout. Je souffre, et je n'ai aucune ressource
-pour alléger mes maux. Ou fais tomber ma tête, ou donne-moi les moyens
-de vivre. J'ai quelques fonds à Médéah, je te demande l'autorisation
-d'aller les toucher.»
-
-L'émir m'écouta avec attention. Après avoir réfléchi quelques instants:
-«Je le permets, me dit-il, de te rendre à Médéah; mais tu n'iras pas
-plus loin, car j'ai fait publier que quiconque serait pris se dirigeant
-vers les possessions françaises aurait la tête tranchée. Pars, et
-reviens dès que tes affaires seront terminées.»
-
-En l'entendant prononcer ces paroles, je faillis m'évanouir de bonheur.
-Me sentant trop faible pour entreprendre à pied une aussi longue route,
-je me procurai un âne, et je partis pour Médéah avec Ben-Oulil. Ce
-voyage fut pénible et dangereux: je manquai deux fois d'être assassiné;
-le froid raviva mes fièvres mal éteintes, et je ne pus, en arrivant,
-descendre de ma monture sans l'aide de mon compagnon.
-
-Je trouvai la ville de Médéah dans la consternation; les habitants
-hurlaient de douleur. Ce jour-là, les Français avaient remporté sur les
-Arabes une victoire signalée, sous les murs mêmes de Blidah: cinq cents
-hommes étaient tombés sous les coups des chasseurs d'Afrique; presque
-tous appartenaient aux familles les plus puissantes. Cette fois, ce
-n'étaient pas les réguliers qui avaient souffert, mais bien des fils de
-cadis, de cheiks et de commerçants qui, pour obéir au prince des
-croyants, avaient mérité le ciel en se faisant glorieusement tuer dans
-la lutte sainte. La désolation était générale: pendant trois jours, la
-route qui mène de Blidah à Médéah ne fut fréquentée que par des veuves
-et des orphelins inconsolables. Les cadavres jonchaient la terre, et les
-bières ne pouvant suffire à les transporter, on les enlevait par couples
-sur des tapis et des couvertures.
-
-Mes débiteurs abusèrent de ma pauvreté et nièrent leurs dettes. Un
-respectable marabout, croyant que j'avais embrassé l'islamisme, m'offrit
-l'hospitalité. On apprit bientôt que les Français se disposaient à
-ouvrir la campagne. Abd-el-Kader résolut de leur opposer une vigoureuse
-résistance; quatre redoutes furent établies au téniah de Mouzaïa, sous
-la direction d'un sergent du génie, déserteur; deux pièces de canon les
-armèrent. L'émir vint lui-même à Médéah, afin d'entraîner les tribus à
-la guerre. Ses ordres portaient que les enfants et les vieillards
-resteraient seuls dans les douairs. Tous les Arabes répondirent à son
-appel; ceux qui n'avaient pas d'armes s'armèrent de bâtons. L'évacuation
-de la ville fut ensuite ordonnée.
-
-Je ne puis reproduire ici le spectacle qu'offrit la fuite des habitants;
-ils partirent, n'emportant que leurs effets les plus précieux, sans
-savoir où ils trouveraient un abri. L'émir ne leur avait donné que
-vingt-quatre heures pour évacuer la ville; il supposait que les colonnes
-françaises se dirigeraient de ce côté en sortant de, Blidah. Il se
-trompait; nos troupes marchèrent sur Cherchell. Les rencontres qui
-eurent lieu entre elles et les Hadjoules furent fatales à ces derniers;
-cinq cents morts restèrent sur le champ de bataille. Les habitants de
-Médéah profitèrent de ce temps pour rentrer dans la ville et en enlever
-leurs trésors. Ce fut alors une confusion étrange: tout commerce avait
-cessé; les Arabes de l'intérieur ne fournissaient plus les marchés, et
-le blé y était tarifé à un prix exorbitant. Pendant quinze jours, deux
-cents mulets furent affectés au déménagement; enfin, au moment où en
-croyait que les Français se dirigeaient vers Milianah, on les vit, à la
-faveur des brouillards et par une manoeuvre habile, couvrir le téniah de
-leurs colonnes. Ils l'auraient passé sans coup férir, car l'émir n'y
-avait laissé que quelques compagnies de réguliers, ayant réuni ses
-forces sur l'Oued-Djer, mais il eut le temps d'y envoyer quatre mille
-soldats et une nuée d'auxiliaires. Les premiers gardaient les redoutes,
-tandis que les autres, perchés sur les hauteurs, faisaient rouler du
-haut des monts d'énormes blocs de granit. L'affaire, s'engagea vers deux
-heures du soir; deux fois repoussés, les Français, électrisés par tant
-de résistance, tournèrent l'ennemi et l'écrasèrent au troisième choc.
-L'arme blanche fit un carnage horrible des Arabes, qui laissèrent sur la
-place douze cents combattants.
-
-De Médéah nous entendions la canonnade. Les autorités avertirent les
-habitants que ceux qui seraient trouvés le lendemain dans la ville
-seraient mis à mort. La fuite et le désordre recommencèrent une seconde
-fois. Les chaouchs se mirent à chasser les indigènes à coups de bâton.
-Le soir Médéah était vide. J'espérais que les Français viendraient s'en
-emparer et que je me retrouverais au milieu de mes compatriotes... vain
-espoir! Un orage arrêta leur marche, la ville s'emplit de déserteurs et
-fut traversée, pendant la nuit, par les blessés qu'on conduisait à
-Boural.
-
-Le lendemain matin, il n'y avait plus à Médéah que le kaïd, le cadi,
-quelques chaouchs et moi. L'armée française avait assis son camp au bois
-des oliviers. On me réitéra l'ordre de partir; j'obéis à regret, mais
-demeurer plus longtemps eût été me compromettre. Je pris la route de
-Milianah; la fusillade sifflait sans cesse à mes oreilles, des nuages de
-fumée et de poussière s'élevaient dans les airs. Les Français étaient à
-quelques pas de moi, et il fallait les fuir! Le jour d'après, ils
-entraient dans la ville, qu'ils quittèrent bientôt pour aller à Blidah.
-Cette retraite permit à l'émir de licencier les auxiliaires et de
-disséminer ses réguliers, auxquels il accorda quinze jours de congé.
-El-Berkani resta seul avec quelques milliers d'hommes aux environs de
-Médéah.
-
-Un spectacle non moins étrange que celui dont je venais d'être témoin me
-frappa dès mon arrivée à Milianah. La ville était déserte; un ordre de
-l'émir avait enjoint à ses habitants de se réfugier dans la vallée du
-Chélif et sur les montagnes. Les réguliers avaient profilé du désordre
-pour livrer la ville au pillage; des quartiers même avaient été la proie
-des flammes.
-
-Le camp des Arabes s'adossait au bas de la vallée du Chélif, à
-Al-Cantara, pont des Romains. Un soir que l'émir, après avoir payé ses
-troupes, prenait son repas, composé d'une orange et d'un peu de farine
-de blé rôti, un courrier, arrivant de Médéah, lui apprit que l'ennemi
-s'avançait vers Milianah.
-
-Il avait en ce moment peu de troupes disponibles, et cette nouvelle le
-surprit beaucoup; mais il expédia des courriers dans toutes les
-directions pour rappeler ses soldats; et, s'élançant sur son cheval, il
-partit au galop, accompagné du bey de Milianah et de cinq cents
-cavaliers. Le soir, une fumée épaisse et rougeâtre entoura la ville, les
-Français étaient en vue; ils brûlaient tout ce qui se trouvait sur leur
-passage. Abd-el-Kader, de son côté, mettait le feu aux habitations; le
-pays entier se tordait dans les étreintes d'un vaste incendie. A la
-faveur de la lune, notre armée se divisa en deux corps; l'un marcha sur
-Milianah, l'autre vers le Chélif, d'où il revint se joindre bientôt au
-premier corps. La consternation ne tarda pas à se répandre dans le camp
-de l'émir; des chameaux furent requis pour le transport des bagages; on
-affecta des mules à celui des blessés. Les Arabes, fuyant en désordre
-devant nos bataillons, franchirent le Chélif, et se replièrent sur
-Tazza, où je fus forcé de les suivre. Abd-el-Kader avait pris les
-devants. Je voyageai en compagnie du kalifat de Tlemcen, Bou-Hamidy, qui
-portait à son maître le montant des impôts perçus sur les tribus de son
-gouvernement.
-
-L'émir vint à notre rencontre, monté sur un magnifique cheval gris,
-qu'il tenait de l'empereur du Maroc; sa musique marchait devant le
-cortège, et une nombreuse escorte caracolait à ses côtés. Arrivé à
-quelques pas de nous, tout le monde mit pied à terre, et Abd-el-Kader
-embrassa Bou-Hamidy avec une cordialité qui ne me laissa aucun doute sur
-l'affection qui les unissait. Des jeux, auxquels les notables prirent
-part, célébrèrent l'arrivée du plus vaillant des kalifats. Les
-réjouissances une fois terminées, nous nous dirigeâmes vers la ville.
-
-Je comptais retrouver la place de Tazza telle que je l'avais laissée,
-avec ses misérables huttes et sa tour inachevée; mais quelle fut ma
-surprise en voyant, à la place de ce désert, un fort bien construit et
-décoré avec art, des maisons avec des boutiques, semblables à des
-édifices. Les terres étaient cultivées; on se livrait, autour de nous, à
-la récolte du riz. La ville était animée par la présence de plusieurs
-chefs; des tentes nombreuses s'éparpillaient dans la plaine; et, sous
-ces tentes, la population oubliait dans les fêtes ses derniers malheurs.
-Tout y respirait la joie, l'abondance, le mouvement; et ce séjour, sans
-être à envier, me parut alors l'un des plus agréables de l'Afrique.
-
-Le lendemain, je m'acheminai vers le fort où se trouvait l'émir,
-lorsque, arrivé à la batterie, j'aperçus une foule nombreuse qui
-semblait garder la porte; des cris affreux sortaient du sein de cette
-multitude. Les gestes expressifs des Arabes, leurs regards, le sourire
-horrible qui grimaçait sur leurs lèvres, me remplirent d'effroi, et je
-fus tenté de rebrousser chemin; mais j'eus honte de moi-même et je
-continuai d'avancer.
-
-Mon instinct ne m'avait pas trompé: ces cris étaient des cris de mort;
-un drame sanglant allait se jouer en ce lieu, et la foule n'était
-assemblée que pour jouir de ses péripéties. Je pris des informations;
-mille voix me crièrent qu'on allait décapiter un Français. Ne pouvant
-croire ce témoignage unanime, je m'adressai à un vieillard qui était
-près de moi, en lui demandant si c'était la vérité.
-
-«On ne te trompe pas, dit-il en me lançant un regard farouche; c'est à
-un infidèle qu'on va trancher la tête. Avec l'aide de Dieu et du
-Prophète, on en fera bientôt autant à tous ceux qui ont envahi notre
-pays.
-
---Quel est son crime? demandai-je en balbutiant.
-
---Son crime? Il s'est fait musulman, puis il a renié la sainte religion
-du Prophète; non content de cela, il a pratiqué l'espionnage; on a
-trouvé sur lui certains papiers qui ont mis au jour ses desseins. Il a
-mérité de perdre la vie, et, _in cha allah_! il la perdra.»
-
-L'indignation, la stupeur et l'effroi me clouaient à ma place; les
-regards de la foule s'étaient fixés sur moi avec une férocité
-inexprimable. Un Français allait périr sous mes yeux sans qu'il me fût
-possible de le sauver; une parole imprudente aurait sans doute fait
-tomber ma tête avec la sienne! Un abîme de haine me séparait de ces
-tigres; et, dans la crainte de se voir arracher leur victime si je
-parvenais jusqu'à l'émir, ils me fermèrent l'entrée de son habitation.
-Un raffinement de vengeance les porta à m'entraîner vers la tente où le
-malheureux condamné attendait que le yatagan mit fin à ses jours.
-
-Je m'avançai, traîné par cette populace hideuse et que l'appât du sang
-enivrait. En jetant les yeux sur le sol recouvert d'une mauvaise natte,
-je sentis mes genoux prêts à fléchir, le coeur me manqua, et je me
-serais évanoui sans le secours des deux Arabes qui me soutenaient. Dans
-celui que le supplice attendait, je reconnus un de mes amis!
-
-(_La fin à un prochain numéro._)
-
-
-
-Les Mystères de l'Illustration.
-
-A NOS ABONNÉS.
-
-Que ce titre n'effarouche pas la pudeur la plus craintive;
-rassurez-vous, chers abonnés, je veux simplement vous apprendre
-aujourd'hui comment _l'Illustration_ parvient à résoudre chaque semaine
-le problème de son existence. Après vous avoir montré deux des trois
-grands centres d'action où les idées qui lui donnent naissance s
-conçoivent et se réalisent,--le bureau de rédaction, l'atelier des
-graveurs et l'imprimerie,--j'ai le désir de vous donner en très-peu de
-mots quelques détails peu connus sur les diverses opérations
-intellectuelles ou matérielles auxquelles doivent nécessairement se
-livrer à tour de rôle, les rédacteurs, les dessinateurs, les graveurs et
-les imprimeurs de votre journal. Si ce sujet ne vous offre aucun
-intérêt, ne lisez pas ce qui va suivre.
-
-Ce fut (jour à jamais mémorable) le 4 mars de l'année 1843, à trois
-heures quarante-sept minutes, que le premier exemplaire du premier
-numéro de la première année de _l'Illustration_ sortit enfin du sein de
-sa mère... (voir 1er numéro, l'année) la mécanique de MM. Lacrampe et
-compagnie.
-
---L'enfantement avait été long et laborieux; malgré quelques symptômes
-de faiblesse apparente, le nouveau-né annonçait une constitution
-vigoureuse; aussi les bons observateurs ne s'y trompèrent-ils point; ils
-lui prédirent un long et glorieux avenir! Quelle prédiction fut plus
-promptement accomplie?
-
-A peine eut-elle vu le jour, la jeune _Illustration_ sut se montrer
-digne du beau nom que sa famille lui avait donné. Avant la fin de son
-premier mois elle étonnait monde par ses prodiges. Jamais aucun journal
-n'avait fait en aussi peu de temps de pareils progrès. La grande
-nouvelle se répandit avec la rapidité de la foudre d'une extrémité de la
-terre à l'autre extrémité. En moins d'une année, _l'Illustration_ devint
-réellement un journal universel. Ce qu'elle a fait pour mériter son
-succès, est-il nécessaire de vous le rappeler?... Si toutes ses
-tentatives n'ont pas été également heureuses, vous devez du moins lui
-rendre cette justice, quelle n'a reculé devant aucun obstacle, qu'aucun
-sacrifice ne lui a coûté. D'ailleurs ne faut-il pas pardonner quelques
-erreurs à l'inexpérience du jeune âge?
-
-Étonnez-vous plutôt qu'elle ait pu vous offrir cinquante-deux numéros
-aussi variés et aussi complets que ceux dont elle vous a gratifiés
-durant le cours de sa première année, et demandez-vous à l'aide de quels
-moyens elle est parvenue à obtenir un résultat aussi incroyable, car
-c'est à cette question que je vais essayer de répondre.
-
-Comme toutes les puissances de ce bas monde, _l'Illustration_ a des
-courtisans; la capitale de son vaste royaume est Paris; elle a établi le
-siège de son gouvernement rue de Seine, 33; des ministres qu'elle a
-choisis avec un rare discernement _gouvernent_ en son nom; mais outre
-ces hauts dignitaires assermentés et responsables, elle compte dans
-toutes les villes de France et de l'étranger un certain nombre de sujets
-volontaires qui, avides de ses faveurs, soupirent après l'heureux moment
-où il leur sera permis de lui donner, à la plume ou au crayon, un
-éclatant témoignage de leur affectueux dévouement. Elle reçoit chaque
-jour, avec des adresses de félicitations, des relations détaillées et
-des dessins originaux de tous les événements importants arrivés pendant
-la semaine sur notre planète. Le conseil des ministres s'assemble
-régulièrement de midi à six heures; il examine les communications qu'il
-reçoit, déchire et brûle celles qui lui semblent insignifiantes, et
-soumet à une discussion approfondie celles dont il espère tirer parti.
-La séance levée, des estafettes partent dans tous les sens; les unes
-courent chez les artistes pour leur demander des dessins; les autres se
-dirigent en toute hâte vers les demeures des écrivains chargés de
-rédiger le jour même un texte explicatif.--Depuis la fondation de
-_l'Illustration_, la circulation a presque doublé dans Paris.
-N'avez-vous jamais rencontré ce cabriolet fameux qui parcourt la ville
-en tous sens avec une si effrayante vitesse? vous l'avez à peine aperçu
-quand il a passé devant vous, plus rapide que le cheval fantastique de
-la ballade de Lénore. C'est le coursier favori de _l'Illustration_! Il
-emporte avec son conducteur l'intelligent exécuteur des hautes décisions
-du conseil suprême, dont le nom célèbre a plus d'une fois sans doute
-frappé vos oreilles.
-
-Il ne suffit pas à l'_Illustration_ d'être instruite à l'instant même de
-tout ce qui arrive, il lui faut encore savoir ce qui doit arriver. Le
-mystère, il m'est interdit de vous le révéler. Je ne vous dirai donc pas
-comment les prophètes de votre journal parviennent à connaître
-l'avenir! Ne m'en demandez pas davantage et suivez-moi maintenant place
-Saint-André-des-Arts.
-
-Pénétrons ensemble dans cette rue étroite, sombre et humide qui unit la
-place Saint-André-des-Arts à la rue de La Harpe, et qui porte le nom de
-rue _Pouper_. Parvenus au milieu de cette rue, nous nous arrêterons
-devant une vieille maison nouvellement badigeonnée, et même peinte à
-l'huile, nº 7. Elle est un peu penchée par l'âge: mais n'ayez aucune
-crainte, ses fondations sont solides. Elle a été construite à une époque
-où les architectes se croyaient encore obligés de travailler pour
-plusieurs générations. Avouons le cependant; si nos aïeux avaient le bon
-esprit de ne pas s'asphyxier dans des espèces de bonbonnières, ils ne se
-faisaient aucune idée de ce que nous appelons le confortable.--Ces
-appartements sont vastes et bien aérés; mais comme l'escalier qui y
-conduit est roide et dangereux! Madame la présidente appuyait donc sa
-jolie petite main sur cette grossière rampe de fer, ses pieds mignons
-foulaient sans hésitation et sans crainte ces carreaux humides. Aussi
-nos présidentes actuelles ne se décideraient-elles plus à habiter une
-semblable maison. Partout la bourgeoisie abandonne aux prolétaires ses
-anciennes demeures; les finances, la magistrature et le barreau cèdent
-la place à l'industrie.
-
-L'industrie, en effet, a besoin d'espace; à peine même si elle se trouve
-à l'aise dans ces immenses salons d'autrefois. Jetez un regard sur
-l'atelier des graveurs de _l'Illustration_: toutes les places sont
-occupées: partout où la lumière pénètre, elle est avidement interceptée
-au passage par un groupe d'artistes sur lesquels veille sans cesse
-l'oeil du maître.
-
-Le soir venu, les tables qui avoisinent les fenêtres sont abandonnées;
-tous les graveurs chargés, à tour de rôle, de passer la nuit, se
-réunissent autour des tables circulaires rangées de distance en
-distance. C'est un spectacle des plus curieux. Les rayons de la grosse
-lampe qui s'élève au centre de chaque table, traversant des globes ne
-verre remplis d'eau, répandent une lumière tellement éclatante sur les
-mains, les figures, les burins et les bois de chaque graveur, que tout
-le reste du salon paraît plongé dans une obscurité profonde. Les yeux
-éblouis, on se dirige à tâtons vers ces phares lumineux. On croirait
-voir un des tableaux les plus colorés de Rembrandt.
-
-Je ne raconterai point ici l'histoire de la gravure sur bois; un autre,
-plus compétent que moi en pareille matière, entreprendra un jour cet
-intéressant travail; je résumerai seulement quelques renseignements
-généraux sur cet art d'origine moderne, sans lequel _l'Illustration_
-n'aurait pas le bonheur de faire le vôtre.
-
-L'artiste dessine avec un crayon ordinaire de mine de plomb, sur un
-morceau de bois bien sec, bien uni, légèrement blanchi, comme sur une
-feuille de papier. Le dessin, jugé et accepté, est immédiatement porté à
-l'atelier général des graveurs, dont le dessin ci-joint vous offre
-l'image fidèle. Des qu'il arrive, on le grave, sans trêve ni repos, jour
-et nuit; car souvent il doit être achevé en moins de quarante-huit
-heures. Le procédé est fort simple, mais la mise en application exige
-une grande adresse. Il s'agit, en effet, d'enlever, à l'aide de butins
-de différentes grosseurs, toutes les parties du dessin qui doivent être
-blanches. La gravure sur bois diffère du tout au tout de la gravure en
-taille-douce.--Le graveur sur cuivre ou sur acier creuse sur la planche
-les mêmes traits que le graveur sur bois a le soin de laisser en relief;
-en d'autres termes, le graveur sur cuivre ne touche pas tout ce qui
-doit, dans la gravure, être blanc: le graveur sur bois, au contraire,
-laisse parfaitement intact tout ce qui doit être noir.--Non-seulement on
-travaille jour et nuit dans cet atelier, mais, quand la nécessité
-l'exige, on coupe un dessin en deux ou en quatre morceaux, qui sont
-gravés séparément, et qui, après avoir été soigneusement recollés, sont
-retouchés et terminés par un maître habile.
-
-Les gravures terminées, on les envoie aussitôt dans un quartier éloigné
-où elles sont toujours impatiemment attendues.--Traversons donc la
-Seine, et transportons-nous au milieu même de la cour des Miracles, non
-loin du passage du Caire. Une autre fois nous vous montrerons la plus
-belle imprimerie qui existe actuellement à Paris; cette cour célèbre, où
-des écoles primaires ont remplacé les refuges des ribauds et des
-mendiants du moyen âge; ces vastes ateliers où plusieurs centaines
-d'ouvriers sont constamment occupés à composer, à corriger ou à imprimer
-les chefs-d'oeuvre de la typographie française contemporaine.
-Aujourd'hui nous nous contenterons de vous apprendre comment le journal
-s'imprime.
-
-Nous sommes au vendredi: depuis la veille au soir le journal est
-complètement achevé; il ne reste plus que quelques corrections
-insignifiantes à faire. Qui d'entre vous n'a vu une imprimerie? Vous
-savez tous, je le suppose, que chaque compositeur a devant lui un
-certain nombre de cases de différentes grandeurs remplies de lettres de
-plomb: ses yeux sont presque constamment fixés sur le manuscrit, et ses
-mains connaissent si bien les places où se trouvent placées toutes les
-lettres de l'alphabet, les points, les Virgules, les _espaces_, etc.,
-etc., qu'elles vont les prendre machinalement d'elles-mêmes sans jamais
-se tromper. Un composteur, instrument d'acier, sert à recevoir les
-lettres et donne la mesure des lignes. Les lignes réunies en certain
-nombre forment un paquet; on passe alors sur ces paquets un rouleau de
-colle imbibé d'encre, on y applique un papier légèrement mouillé, puis,
-à l'aide d'une brosse, on fait une épreuve, sur laquelle les correcteurs
-et l'auteur de l'article relèvent tour à tour les fautes grammaticales
-ou typographiques. Les corrections faites, le jeudi, le metteur en pages
-rassemble tous les paquets et en forme des pages d'après un ordre adopté
-et indiqué d'avance; cet ordre est parfois qualifié de désordre, mais,
-qu'on le sache bien, nous sommes obligés, pour avoir un tirage
-convenable, de mettre toutes les gravures d'un numéro sur les pages 1,
-4, 5, 8, 9, 12, 13 et 16; par conséquent les articles à gravures
-n'occupent pas toujours la place que leur assignerait l'ordre logique.
-Des morceaux de plomb remplacent provisoirement les bois qui ne sont pas
-encore achevés, et qui ne doivent être livrés que le lendemain dans la
-matinée. Deux pages forment ce qu'on appelle une forme et les huit
-formes réunies composent seize pages, ou un numéro.
-
-Jusque-là rien que de fort ordinaire; mais le vendredi matin, les
-gravures arrivent, et alors commence un nouveau travail assez difficile
-à expliquer, que les gens du métier appellent la _mise en train_.
-
-[Illustration: Atelier des Graveurs de _l'Illustration_ pendant le jour.]
-
-La gravure en relief a sur la gravure en taille-douce l'immense avantage
-de pouvoir se tirer en même temps et de la même manière que des
-caractères d'imprimerie, mais, pour en obtenir un pareil résultat, il
-est nécessaire de lui faire subir préalablement une assez longue
-préparation: d'abord, on met à un niveau parfait les gravures et les
-caractères, puis on procède à la mise en train proprement dite. Cette
-opération préliminaire est plus importante qu'on ne le croit en général,
-car de sa mise en train dépend entièrement l'effet d'une gravure: le
-chef-d'oeuvre de MM. Andrew, Best et Leloir, mal tiré, serait regardé,
-même par les connaisseurs, comme l'ébauche grossière d'un inhabile
-apprenti.
-
-Le graveur sur bois n'a pas les mêmes ressources que le graveur sur
-cuivre; il ne produit, à l'aide de son burin, que des blancs et des
-noirs uniformes; des demi-teintes, il n'en peut pas faire. Pour donner
-une certaine couleur à une gravure sur bois, il faut absolument teinter
-à divers degrés les parties noires, c'est le travail du metteur en
-train, travail long et difficile. Le metteur en train tire, sur un
-carton léger, une épreuve de la gravure qu'il s'agit d'imprimer: puis, à
-l'aide d'un instrument tranchant, il enlève sur ce carton les parties de
-la gravure qui ne doivent pas être complètement noires; plus des teintes
-vont s'affaiblissant, plus il creuse profondément. Cette espèce de
-découpage ou de gravure achevée, le carton est collé solidement à la
-partie de la mécanique qui presse la feuille de papier sur les formes
-composées des gravures et des caractères d'imprimerie. Dès lors on
-conçoit aisément qu'une gravure correspondant exactement à son carton
-découpé recevra une pression plus ou moins forte, et par conséquent se
-colorera de teintes plus ou moins vives, selon que le carton a été plus
-ou moins profondément entaillé. Souvent ce premier travail ne suffit
-pas; il faut, pendant plusieurs heures, coller des morceaux de papier
-sur les parties du carton qui ne sont pas assez saillantes, et creuser
-encore celles qui le sont trop.
-
-[Illustration: Atelier des Graveurs de _l'Illustration_ pendant la nuit.]
-
-Cependant la mise en train est terminée, les dernières corrections sont
-faites: à un signal donné, la mécanique se met en mouvement, et à chaque
-tour de roue un numéro de _l'Illustration_ vient de lui-même se placer
-tout imprimé entre les deux cylindres. Cette belle et curieuse machine,
-dont nous vous donnerons un jour un portrait ressemblant, fait à elle
-seule plus de besogne que vingt hommes. Sans elle, tous les abonnés
-actuels de _l'Illustration_ ne pourraient pas être servis dans la même
-journée, et que deviendrions-nous dans quelques mois? Elle imprime 600
-numéros par heure, et huit ouvriers ne pourraient, dans le même espace
-de temps, en imprimer, à la presse à la main, que 200.
-
-Au fur et à mesure qu'ils sont imprimés, les numéros (le samedi matin)
-sont transportés dans l'atelier des brocheurs, ou plus de cinquante
-personnes sont occupées à les plier, à les mettre sous bande. De là les
-uns partent pour la poste, les autres sont immédiatement enlevés par les
-porteurs chargés de les remettre dans Paris à leurs souscripteurs. Un
-certain nombre revient rue de Seine, nº 33, au bureau d'abonnement, où
-ils se vendent séparément, par collections mensuelles ou en volumes.
-Puis, imprimeurs, brocheurs, porteurs, etc., se reposent pendant
-quelques jours de leurs fatigues ou passent à d'autres exercices en
-attendant que le numéro suivant réclame l'emploi de leur temps.
-
-Seuls, le comité de rédaction et les graveurs ne se reposent jamais. On
-n'a plus à s'occuper du présent, il faut songer à l'avenir. Je ne vous
-révélerai pas le mystère des projets que vous devez voir se réaliser
-pendant l'année qui commence: ce serait vous ôter votre plus grand
-plaisir, celui de la surprise, et je vous aime trop, ô mes chers
-abonnés! pour vous jouer un si vilain tour. Soyez sûrs cependant que
-vous serez encore plus émerveillés et plus heureux en 1844 que vous
-n'avez dû l'être en 1843.
-
-[Illustration: Bureau de Rédaction de _l'Illustration._]
-
-Se tenir au courant de tout ce qui arrive dans le monde, chercher à
-prévoir tout ce qui doit arriver, faire concourir au but commun, pour la
-plus grande satisfaction des lecteurs, des activités diverses
-éparpillées aux quatre coins de la grande ville, telle est la tâche des
-membres du comité de rédaction, sorte d'aréopage qui siège en
-permanence, et devant lequel viennent se faire juger des articles sur
-toutes sortes de sujets, des nouvelles, des romans, des dessins, des
-gravures, des romances, etc.; ne me demandez pas leurs noms, ils
-persistent à rester cachés, comme on dit, sous le voile de l'anonyme.
-Dans les journaux politiques, dans les revues, ils ont le droit d'être
-des illustrations, mais ici ils sont _l'Illustration._.
-
-
-
-Don Graviel l'Alferez.--Fantaisie maritime
-
-(Suite.--Voir t. II, p. 393 et 406.)
-
-
-III.
-
-Cinquante déserteurs de la _Santa-Fé_, vingt négriers, restant de
-l'équipage du _Caprichoso_; le contre-maître Brimbollio, maître de
-manoeuvre; le garde-marine Fernando Riballosa, lieutenant, et l'enseigne
-de frégate don Graviel Badajoz, capitaine; en tout soixante-treize
-combattants, plus un cuisinier noir et quelques mousses, telle était la
-composition du personnel du brick-goélette contre lequel le gouverneur
-de la Havane déployait maintenant toutes ses forces de terre et de mer.
-L'on trouvera naturel que nous omettions dona Juanita de las Ermaduras,
-toujours renfermée dans la chambre d'honneur, tremblante, éplorée, en
-proie aux plus cruelles appréhensions.
-
-La canonnière que Fernando maintenait au bout de sa ligne de mire
-coupait la route au _Caprichoso_.
-
-«Capitaine, faut-il faire feu? demanda le pointeur.
-
---Garde-t'en bien, malheureux! répondit Graviel; s'il est nécessaire
-d'en venir là, ce qu'à Dieu ne plaise! au moins laissons-les commencer.
-
---Décidément, murmura le lieutenant, il veut nous voir une corde en
-cravate! Il serait si facile, avec une bonne décharge à mitraille, de
-balayer le pont de cette barque du diable!»
-
-[Illustration: Illustration.]
-
-Attendu ses desseins ultérieurs, l'enseigne désirait vivement de ne pas
-livrer combat à ses compatriotes. Mais la canonnière rapprochait le
-brick acculé contre terre; elle se trouva bientôt à demi-portée de
-pistolet par bâbord devant. Déjà l'on distinguait les voix du capitaine
-Bertuzzi et de don Antonio Barzon, tous deux au comble de
-l'exaspération: l'un courait après son navire, l'autre après sa fille.
-Le premier avait été trouvé dans la chaloupe, on l'avait démarré,
-dégarrotté et débâillonné, ce qui lui permettait de gesticuler et de
-crier à son aise; il abusait de la permission. Le second, qui ne
-tempêtait pas moins, s'était jeté à bord de la canonnière avec sa garde
-et ses aides de camp. Tous les négriers débarqués du _Caprichoso_ se
-trouvaient sur le même bâtiment; les bandits brûlaient de se venger,
-c'était à qui armerait les avirons, ils faisaient rage.
-
-«Misérable voleur de Badajoz! hurla le gouverneur, qui nécessairement
-n'ignorait plus rien; ah! larron fieffé tu paieras cher ton audace!
-Rends moi ma fille, scélérat! Je me contenterai de te faire pendre!
-Sinon, par le sang de...»
-
-Ce flux d'injures et de menaces rendit à don Graviel tout son
-sang-froid.
-
-«Bien sensible, assurément! illustrissime seigneur, répondit-il au
-porte-voix. Je vous préviens seulement que votre fille est sur le pont,
-et que si vous me faites tirer dessus, elle sera aussi exposée que
-moi-même.
-
---Camarades! criait Bertuzzi à ceux de ses gens qui étaient encore sur
-le _Caprichoso_, c'est à cause de vous que nous ne tirons pas; mais tout
-â l'heure, aidez-nous!...»
-
-On se mentait réciproquement avec un touchant accord.
-
-«Holà! Brimbollio! interrompit Graviel, que si, pour son malheur, un des
-anciens du brick ne rame pas de toutes ses forces, on lui fasse sauter
-la tête pour premier avertissement!
-
---Soyez tranquille, capitaine, dit le contre-maître, ces choses-là vont
-sans dire. Nous sommes armés et ils ne le sont pas. Vous entendez, les
-mignons?» ajouta le rude marin en s'adressant aux négriers.
-
-La lutte se réduisait à une joute de vitesse et de manoeuvres. Les forts
-attendaient que le gouverneur commençât le feu; le gouverneur n'osait
-faire canonner le navire où se trouvait sa fille; Bertuzzi ne voulait
-pas non plus endommager la coque de son cher brigantin, qu'il comptait
-enlever à l'abordage. Il ne doutait pas du concours de ceux de ses gens
-que don Graviel et Brimbollio venaient d'inviter à ramer en termes si
-persuasifs. On a vu que l'enseigne s'obstinait à ne point mitrailler des
-compatriotes; le père de dona Juana était à bord de la canonnière,
-c'était un motif de plus pour s'abstenir des moyens violents.
-
-Après ce rapide examen des pensées et des espérances secrètes de nos
-principaux acteurs, jetons un coup d'oeil militaire sur leurs attitudes
-respectives.
-
-Bertuzzi tient la barre du bâtiment chasseur; don Graviel celle du
-brick-goélette. Ce dernier rase les bas-fonds de tribord et les
-murailles du Morro avec un art merveilleux, en évitant, autant que
-possible, l'abordage de l'autre; mais le ci-devant capitaine négrier est
-sûr de réussir à s'accrocher dans trois minutes environ, si toutefois
-aucun incident ne contrarie l'habile impulsion imprimée à la canonnière.
-Don Graviel et ses compagnons voient cela clairement; le garde-marine
-caresse son boute-feu et tousse; le contre-maître brandit sa hache et
-jure; les déserteurs font voler leurs avirons comme des plumes.
-
-«Fernando! Fernando! cria tout à coup l'alferez, à moi, viens vite.»
-
-Le garde-marine obéit; le jeune capitaine lui dit alors à voix basse:
-
-«Il s'agit de leur enlever d'un coup de canon tous les avirons de
-bâbord; ne blesse personne, j'ai mes raisons pour cela, et je réponds du
-reste.
-
---Bien! J'aurais autant aimé les couler une bonne fois, mais enfin tu le
-veux ainsi; tu vas voir!»
-
-A ces mots, le flegmatique lieutenant reprit son poste et repointa son
-canon de 24.
-
-«Y sommes-nous? demanda Graviel.
-
---Parfaitement!» répliqua le pointeur.
-
-La canonnière se présentait alors obliquement, son boute-hors de foc
-touchait le brick, et ses premières rames étaient sur le point de
-s'engager dans celles du _Caprichoso_.
-
-«Feu!» commanda l'enseigne.
-
-Une éclatante détonation couvrit tous les autres bruits de la rade.
-Fernando avait fait merveille; sa décharge à bout portant avait raflé
-tous les avirons de bâbord de la canonnière, qui pivota sur elle-même
-comme un oiseau dont une aile est coupée dans son vol. Don Graviel
-profita de ce mouvement, un étroit espace se trouvait libre. Avant que
-Bertuzzi eût repris la route convenable et remplacé ses avirons brisés,
-le _Caprichoso_ avait gagné en bonne direction trois bonnes longueurs de
-navire; mais de nouveaux dangers l'entouraient: la première explosion
-fut suivie de vingt autres, les forts répondaient à la pièce à pivot.
-
-«Ah! ils vont tuer ma pauvre fille! s'écria don Barzon, qui, tout brutal
-qu'il était, aimait tendrement dona Juana.
-
---Ciel! ils couleront mon joli navire, disait avec douleur le capitaine.
-Bertuzzi... Et ils nous empêchent de continuer la chasse! Si nous avions
-pu sauter à l'abordage, mon pauvre _Caprichoso_ eût été repris sans
-avaries!»
-
-Par une singulière coïncidence, les deux plus acharnés ennemis de don
-Graviel faisaient ainsi des voeux pour que l'artillerie des forts
-n'atteignît pas le but. Cependant, les boulets tombaient comme grêle
-autour du léger bâtiment; quelques rames furent emportées; les flèches
-des mâts et nombre de manoeuvres coupées, la plupart des voiles percées
-à jour; par bonheur, la coque et la mature ne furent pas atteintes. A
-l'ouvert du port, le _Caprichoso_ sentit la brise. La canonnière fut
-laissée bien loin derrière; et comme le vent fraîchissait, l'on se
-trouva bientôt hors de la portée des forts.
-
-«Il y a dans tout ceci plus de bonheur que de bien joué,» dit le
-contre-maître, qui continuait à pester contre les femmes en général, et
-plus particulièrement contre dona Juana.
-
-Fernando, après avoir fait écouvillonner et recharger la fameuse pièce
-de 24, se rendit auprès de don Graviel, qui se hâta de lui remettre le
-commandement de la manoeuvre, et descendit enfin dans la cabine.
-
-L'on avait trouvé à bord de vastes caisses de cigares royaux; maître
-Brimbollio y puisa largement; le méthodique garde-marine prit un
-_régalia_, l'alluma dans les principes, s'occupa ensuite de pourvoir au
-remplacement des voiles criblées, à la réparation des avaries, à
-l'installation du service; il se fit apporter un grog, ordonna au
-cuisinier de distribuer les rations à l'équipage, et braqua sa
-longue-vue sur l'entrée du port, qu'on relevait au sud-sud-est. Les
-premières clartés du soleil blanchissaient les remparts du formidable
-Morro, ont il était permis de se moquer maintenant; mais elles se
-reflétaient aussi sur un objet moins inoffensif, c'est-à-dire sur la
-voilure de la frégate la _Santa-Fé_, chargée de toile haut-et-bas,
-tribord et bâbord, saillant de l'avant, menaçante et d'autant plus à
-craindre que la brise de terre augmentait graduellement. La mer devenait
-clapoteuse. Fernando hocha la tête en toussant.
-
-[Illustration.]
-
-Avant d'ouvrir la porte de la cabine, don Graviel répara son mieux le
-désordre de sa toilette, passa les doigts dans ses cheveux, rabattit son
-grand collet de chemise, raffermit ses pistolets dans sa ceinture, frisa
-ses moustaches, et jura deux fois pour se remonter le moral; puis il
-entra.
-
-Nous ne décrirons pas, selon l'usage de nos devanciers, la chambre du
-capitaine, vrai boudoir maritime. On sait de reste que l'ameublement
-d'un pirate coûte trop peu pour n'être point magnifique: c'est de la
-soie dans de l'or, des tapis de cachemire, des bois précieux, des
-saphirs et des émeraudes, un palais des _Mille et une Nuits_ au
-daguerréotype.
-
-Doua Juana était assise sur une ottomane incomparable; elle tenait à la
-main une charmante _navajilla_ de Séville à la lame d'acier poli, à la
-poignée d'écaille incrustée d'ivoire et d'argent. Au bruit que fit la
-porte en tournant, elle se redressa, courut se retrancher dans un angle,
-et fière comme une digne Castillane, se mit en devoir de défendre
-chèrement son honneur et sa vie.
-
-«Bravissimo! sénorita, dit don Graviel, j'aime à vous voir prendre cette
-pose martiale. Caramba! elle vous sied à ravir! Mais d'abord permettez à
-votre esclave soumis de demander grâce pour sa témérité. Vous
-conviendrez seulement que j'ai ponctuellement tenu parole.
-
---Si vous faites un pas de plus, seigneur cavalier...
-
---Dites seigneur capitaine, je vous en supplie, interrompit l'alferez,
-qui avançait toujours: comme je l'avais juré, je suis capitaine-corsaire
-aujourd'hui, jour de Noël.»
-
-A ces mots don Graviel ouvrit les rideaux damassés de la claire-voie; un
-rayon de lumière pénétra dans la cabine.
-
-«Vous voyez, ma reine chérie, que votre appartement n'est pas mal; rien
-ne vous manquera, et vous avez tout mon amour par-dessus le marché.
-
---Silence, méchant pirate! répliqua la tremblante jeune fille; de ma vie
-je ne vous pardonnerai votre indigne conduite.
-
---Foi de corsaire! vous êtes aussi adorable qu'adorée! Votre colère est
-éblouissante, et, pour un empire, je ne voudrais pas en avoir été privé.
-Je vous connaissais dans vos bouderies, Juanita, mais la navaja au
-poing, c'est tout nouveau pour moi; c'est piquant! Si jamais vous aviez
-eu quelque rivale dans mon coeur, elle serait oubliée à jamais. Vos yeux
-en courroux brillent d'un feu divin, ils me percent de part en part, je
-vous jure. Souffrez que j'examine de plus près ce délicieux
-_cuchillitito_.»
-
-En parlant ainsi, don Graviel s'était mis à genoux aux pieds de la jeune
-fille, non sans avoir adroitement saisi la main dans laquelle étincelait
-le gracieux poignard, si bien que dona Juana n'en pouvait faire usage;
-alors, de ce ton semi-railleur qu'il avait accoutumé de prendre pour
-faire des déclarations à la jeune fille.
-
-«Dans l'espoir de vous plaire, dit-il, afin de satisfaire un de vos
-caprices, chère âme, je m'expose à être pendu; mais s'il peut vous être
-agréable de me couper la gorge, faites, ne vous gênez pas, il me serait
-doux de trépasser par les soins de celle...
-
---Lâchez-moi donc, alors! interrompit Juanita exaspérée.
-
---Doucement, mon ange, continua don Graviel, je tiens d'abord à terminer
-mon discours, uniquement dans votre intérêt: sachez donc qu'après moi
-vous ne trouverez plus de protecteurs la-haut; Fernando, mon second,
-n'est pas du tout galant; maître Brimbollio, qui vous gardait dans la
-yole, est un bandit très-bourru; et pourtant, c'est là ce qu'il y a de
-mieux à mon bord. Si vous m'accordez la vie, chérubin de mes rêves, je
-les tiendrai en respect, ils ramperont tous devant vous; mais si vous en
-décidez autrement, je vous déclare que ma responsabilité sera tout à
-fait à couvert, ces coquins-là, d'ailleurs, seraient capables de vous en
-vouloir de ma mort... Ne vous impatientez pas, ma souveraine, encore, un
-petit mot de justification. Ecoutez bien: ceci est sérieux: je ne suis
-pas pirate, mais corsaire, distinguons! Je ne ferai la guerre qu'aux
-Anglais, nos ennemis. J'ai délivré la mer d'un véritable forban en
-m'emparant du _Caprichoso_, qui capturait les Espagnols tout comme les
-autres, avec l'autorisation tacite de votre respectable père... D'autre
-part, je vous aime, je vous adore, je veux vous épouser: je n'avais pas
-un triste _maravedi_ de fortune, on m'aurait honteusement chassé de
-votre présence, si j'avais eu le malheur de montrer mes prétentions;
-vous m'avez inspiré mon projet, je vous ai obéi à point nommé, suis-je
-donc si coupable?... Dans un mois, mes exploits m'auront rendu riche,
-renommé, redoutable, digne de vous en un mot, et vous serez la Grâce qui
-embellira ma vie, à moins que vous ne préfériez être tout de suite la
-Parque qui en tranchera le fil.»
-
-A mesure qu'il parlait, don Graviel serrait moins fort la main de
-Juanita, qui devenait plus attentive; à la fin, cette main blanche et
-potelée reposait mollement dans la sienne; la jeune fille ne la retira
-pas, le hardi cavalier y porta les lèvres avec transport.
-
-Juana s'était assise sur l'ottomane:
-
-«Sur votre honneur, fit-elle en oubliant toujours sa main, ce que vous
-venez de dire est l'exacte vérité?
-
---Sur mon honneur! sur ma foi! sur mon amour pour vous! Je ne sais pas
-de serment plus fort.
-
---Et vous vous conduirez à mon égard en honnête et galant homme?
-
---Juana, poignardez-moi, mais ne me faites pas injure.»
-
-On frappa à la porte; la jeune fille venait de remettre la navajilla
-dans sa gaine; don Graviel était assis à côté d'elle:
-
-«Capitaine, dit un mousse qui n'était pas entré sans autorisation, le
-lieutenant vous fait prévenir que la frégate la Santa-Fé nous appuie la
-chasse et qu'elle nous gagne.
-
---Chère amie, dit l'heureux enseigne en se levant, priez Dieu qu'elle ne
-nous attrape point. Je cherche les Anglais, et non les Espagnols.»
-
-G. DE LA LANDELLE.
-
-(_La fin à un prochain numéro._)
-
-
-
-Épisodes de la Vie d'une pièce d'or,
-
-RACONTÉS PAR ELLE-MÊME.
-
-Je naquis grande dame et plus belle mille fois que le jour. Je commençai
-d'être admirée en commençant de vivre. A peine eus-je revêtu ma robe
-éclatante, que tous les yeux se fixèrent sur moi avec une expression de
-convoitise qui, à l'époque de mon début, troubla mon innocence et
-effaroucha ma pudeur. Depuis, j'ai acquis cette heureuse assurance que
-procurent les grands succès dans le monde; je sais l'art de ne plus
-rougir devant mes courtisans. D'ailleurs, aujourd'hui, je connais le
-prix que je vaux, et j'accepte sans embarras les hommages qui me sont en
-tous lieux adressés, parce que j'ai la confiance de les mériter partout.
-
-Je ne veux pas raconter toutes mes aventures; ce serait une oeuvre trop
-longue et trop fatigante pour moi qui ai contracté les goûts des
-personnages avec lesquels j'ai l'habitude de vivre et qui, en
-conséquence, aime la mollesse et l'oisiveté. Je désire seulement vous
-confier le principal épisode de ma brillante existence; vous verrez, par
-les échantillons qu'il me plaît de mettre sous vos yeux, que ma
-naissance aristocratique ne m'a pas toujours préservé des humiliations;
-que comme les grands de ce siècle, j'ai éprouvé des fortunes diverses
-qui m'auraient sans doute instruite, si, je consens à vous en faire
-l'aveu, je n'étais pas née orgueilleuse.
-
-Je fis ma première entrée dans le monde à une époque bien dure pour les
-personnes de condition; mais j'eus ce bonheur singulier d'échapper tout
-d'abord à un contact grossier, et de tomber au pouvoir d'un gentilhomme
-corse qui commençait, en ce temps-là, à faire une assez belle figure à
-la tête de la république française. Jamais je ne jouai un plus beau
-rôle, jamais je n'exerçai sur les destinées de la terre une influence
-plus grande qu'à cette époque de ma vie.
-
-C'était au château des Tuileries, en 1804; je dormais paisiblement, avec
-un grand nombre de mes soeurs, dans le tiroir d'une table chargée de
-cartes géographiques, lorsqu'un jour mon tombeau s'ouvrit brusquement à
-la lumière. En même temps une main blanche et fine, une vraie main de
-dictateur, se glissa un silence auprès de moi, me saisit avec une
-vivacité brutale, et me jeta, toute frémissante de dépit, sur une
-immense carte d'Europe; M. de Buonaparte, mon maître,--je lui donne, ce
-titre par exception, car mes autres possesseurs ne sont que mes
-valets,--M. de Buonaparte était, ce jour-là, un petit homme en habit
-militaire, à figure humorique, avec un grand front sillonné de plis
-dédaigneux. Je l'ai revu plus tard gras, frais, et, je le suppose,
-enchanté de vivre; mais, au temps dont je parle, il n'en était pas
-ainsi; il ressemblait beaucoup à un homme sans appétit et sans sommeil.
-C'était un visage bilieux de conspirateur; j'en ai rencontré d'autres
-qui lui ressemblaient à quelques égards, mais ils n'avaient pas la mine
-si fière.
-
-Le premier consul, tel était alors son titre, me prit avec distraction
-entre ses doigts, me tourna et me retourna en tous sens, regarda la
-pique surmontée d'un bonnet ronge qui se dressait sur mon dos, contempla
-la Liberté debout sur ma face, puis, souriant d'un sourire moqueur, me
-laissa une seconde fois retomber sur la table.
-
-Il se leva, se promena à grands pas dans la salle comme le lion dans sa
-cage, s'arrêta longtemps à une fenêtre devant laquelle passait la foule,
-frappa son vaste front de sa petite main blanche, croisa ses bras
-derrière le dos, toussa d'une toux fiévreuse, leva les yeux en l'air,
-regarda le parquet qui claquait sous ses pieds agités, les tableaux
-suspendus aux murailles, le lustre qui étincelait sur sa tête, murmura à
-voix basse des paroles confuses, inintelligibles, puis revint tout à
-coup, par un brusque détour, l'air résolu quoique tout pâle, se rasseoir
-sur son fauteuil doré devant la table où je l'observais. Il était si
-ému, le héros, que j'en tressaillis sous ma robe de métal. Cet homme en
-proie à une pensée secrète et grandiose me faisait peur. Je comprenais
-que j'allais être témoin d'un spectacle solennel; mais je ne m'attendais
-guère à ce que ce jeune conquérant, le seul homme peut-être des temps
-modernes qui ait eu le courage de me mépriser, me rendit l'arbitre de sa
-merveilleuse destinée.
-
-Il chuchotait toujours quelque chose entre ses dents, et faisait des
-gestes comme un fou qui se querelle avec des fantômes. Attentive aux
-moindres sons, je lui entendis plusieurs fois prononcer le nom d'empire
-et d'empereur. Il parla de la France, de l'Europe, du monde; il nomma le
-peuple, l'armée.--Je n'ai pas beaucoup d'esprit, quoique en définitive
-personne n'en ait plus que moi, mais je ne tardai pas à comprendre qu'il
-ne s'agissait de rien moins que de me débarrasser de ma pique, pour me
-confier un sceptre, et que de substituer une couronne d'empereur à mon
-vilain bonnet phrygien.
-
-Mes instincts aristocratiques se réveillaient en foule, lorsque M. de
-Buonaparte se leva une dernière fois, oppressé et frissonnant comme un
-homme qui va interroger le destin. Il me prit, me souleva en l'air, et
-me laissa aussitôt retomber en criant: «Face!» Heureusement je
-connaissais ce jeu familier aux enfants et aux superstitieux; je
-n'hésitai pas à complaire aux désirs du premier consul; je me jetai
-lourdement sur le dos, étalant au soleil ma face resplendissante.
-
-Le premier consul se pencha sur moi avec une expression de joie
-profonde, tomba dans une courte rêverie, puis se releva soudainement, la
-figure radieuse, le front rajeuni, en criant: «C'en est fait! A moi
-l'empire! Vive l'empereur!»
-
-Un mois après ce grand événement, je quittai l'appartement de celui à
-qui j'avais donné la couronne de Charlemagne pour entrer dans le
-secrétaire d'un négociant. Cet heureux mortel avait eu l'honneur de
-fournir les milliers de lampions qui éclairèrent les fêtes du
-couronnement de l'empereur Napoléon.
-
-A vrai dire, je ne fus pas heureuse dans cette demeure bourgeoise. J'y
-rencontrai pour la première fois des petites gens dont je n'avais pas
-soupçonné l'existence. Ainsi je fus à tout moment coudoyée par des
-créatures de bas étage qui salissaient ma robe splendide du contact de
-leur robe d'argent ou de leur robe de cuivre. Je ne vous raconterai pas
-ce que je souffris alors, parce qu'aujourd'hui je sais que c'est le bon
-ton de ne pas respecter les personnes de qualité.
-
-Donc j'épiais le moment favorable pour sortir de ma prison d'acajou,
-lorsqu'un matin je m'éveillai entre les mains d'un enfant aux belles
-joues rosées, aux yeux bleus, aux longs cheveux qui retombaient en
-boucles blondes sur une collerette bien plissée. «A la bonne heure!
-pensai-je, j'aime mieux vivre en société avec ce marmot; c'est moins
-avilissant, et d'ailleurs il est à croire que nous ne resterons pas
-longtemps ensemble.»
-
-Le lendemain même de mon nouveau début je fus conduite chez un fameux
-marchand de joujoux, qui, comme de raison, me trouva belle et désira me
-posséder.
-
-Hélas! le petit traître me livra sans regret à l'avidité du marchand,
-qui me mit dans sa poche en riant tout bas d'un air sournois; il me
-livra avec joie même et reçut en échange, savez-vous quoi? j'ai honte de
-le dire: il reçut un affreux polichinelle avec deux énormes bosse»
-rehaussées de brocart, une sur le ventre, l'autre sur le dos, un chapeau
-chargé de clinquant et un épouvantable nez rouge.
-
-Après avoir éprouvé une humiliation aussi cruelle, j'aurais pu perdre
-quelque chose de ma foi en mon mérite, si je n'avais éprouvé ensuite,
-dans mille, autres circonstances, que l'autorité de ma race est immense,
-et qu'avec l'aide de mes soeurs je puis forcer les regards les plus
-fiers et les yeux les plus beaux à se baisser devant l'éclat de ma
-puissance. Qu'il me suffise de dire, pour faire comprendre en un mot le
-pouvoir dont nous disposons, que nos favoris, généralement choisis avec
-intention parmi les sots, sont placés, grâce à nous, dans l'estime des
-hommes plus haut que les princes, plus haut que tous les génies de la
-terre.
-
-Après mille aventures bizarres, après avoir fait les guerres d'Allemagne
-dans la poche d'un colonel, et la campagne de Russie dans un fourgon du
-roi Murat, je tombai entre les mains d'un Cosaque qui m'emporta dans son
-pays.
-
-Pour finir ce récit incomplet, qui n'est qu'un rapide coup d'oeil jeté
-sur mon existence passée, je vous dirai qu'aujourd'hui je vis fort
-tristement dans le coffre-fort d'un vieux prince allemand. Privée d'air
-et de lumière, je vois avec regret mes traits se flétrir et mon
-incomparable beauté s'altérer chaque jour. Quand l'avare petit potentat
-qui s'est voué à mon culte juge à propos de m'adresser ses hommages, il
-le fait dans une langue qui n'est pas celle du pays où j'ai pris
-naissance et où j'ai régné avec tant d'éclat. Aussi suis-je atteinte
-d'une profonde mélancolie dans ma brillante retraite; je soupire après
-le soleil et le bruit; je rêve tantôt que je pétille entre les mains de
-joueurs à l'oeil ardent, tantôt que je luis, comme une étincelle de feu,
-dans ces coupes où les orfèvres nous exposent toutes nues, mes soeurs et
-moi, aux regards cyniques de la foule;--ou bien, songeant aux jours
-écoulés, je passe pu revue mes victoires et mes revers; je songe à cet
-enfant naïf qui me préféra un polichinelle; à ce petit homme jaune qui
-me confia le soin de lui livrer l'empire du monde. Je me demande, en
-riant d'un rire de prisonnière, ce qui serait advenu dans l'univers si,
-au lien de répondre au voeu secret du premier consul, je m'étais laissée
-tomber la face contre terre!
-
-Je me demande tout cela et beaucoup d'autres choses encore, en attendant
-que la mort de mon geôlier ou l'invasion de quelque hardi voleur du Rhin
-vienne me tirer de ma captivité, et me rendre à l'amour de mes sujets.
-
-
-
-Armée.
-
-RECRUTEMENT, TIRAGE.
-
-La loi du 21 mars 1832, sur le recrutement de l'armée, s'exécute partout
-avec facilité; elle donne à la France une armée brave et disciplinée,
-dévouée à la patrie et à ses institutions, et sur qui reposent les plus
-chers intérêts de la nation, son indépendance et sa sûreté. Cependant
-l'expérience a révélé des imperfections qu'il importe de corriger: le
-remplacement, condition obligée de nos habitudes sociales, est la source
-d'abus graves, aussi nuisibles aux familles qu'à l'État; les nécessités
-de l'institution militaire ne sont point satisfaites; certaines
-dispositions secondaires réclament des améliorations importantes. C'est
-pour répondre à ces besoins qu'un projet de loi a été présenté, en 1841,
-à la Chambre des Députés. Adopté par cette Chambre, il n'a pu être
-immédiatement discuté par la Chambre des Pairs. Dans l'intervalle des
-sessions, soumis à une commission mixte de pairs et de députés, il a
-été de nouveau étudié, discuté et modifié. La Chambre des Pairs, appelée
-à l'examiner au commencement de 1843, y a introduit à son tour plusieurs
-changements, et l'a adopté le 26 avril 1843. Après cette longue
-élaboration, il a été présenté, le 4 mai de la même année, à la Chambre
-des Députés; le rapport de la commission chargée de son examen a été
-fait le 29 juin suivant, et, par une récente décision, la Chambre a
-arrêté qu'il serait soumis à ses délibérations pendant le cours du la
-session actuelle.
-
-La loi du recrutement de l'armée touche à toute l'organisation sociale:
-il faut qu'elle ne soit ni un danger pour les libertés publiques, ni un
-fardeau trop lourd pour le Trésor. Elle pourvoit au premier besoin de
-l'État; car elle constitue sa force, et détermine ainsi tout le poids de
-son influence; mais comme elle est en même temps pour les familles la
-charge la plus pesante, elle ne doit leur imposer aucun sacrifice
-inutile. La durée du service, l'incorporation du contingent et le
-remplacement militaire sont les trois principales questions qui dominent
-dans la loi sur le recrutement.
-
-L'appel obligé, c'est-à-dire le service personnel, tel est le principe
-de force qu'elle doit constituer. Dans son application, toutefois, ce
-principe a subi des modifications nombreuses pendant les trente années
-qui se sont écoulées depuis 1789 jusqu'en 1818. En 1789, l'Assemblée
-constituante rend le service personnel commun à tous les citoyens, et
-n'en exempte que le monarque et l'héritier présomptif de la couronne. En
-1793, nul ne peut se faire remplacer. En l'an VI, tout citoyen français
-est défenseur de la patrie par droit et par devoir: les défenseurs
-conscrits sont attachés aux divers corps, ils y sont nominativement
-enrôlés, et ne peuvent pas se faire remplacer. En l'an VIII, les hommes
-impropres à supporter les fatigues de la guerre, et ceux reconnus plus
-utiles à l'État en continuant leurs travaux ou leurs études, sont seuls
-admis à se faire remplacer par un suppléant. La substitution n'est
-autorisée, en l'an X, qu'entre conscrits d'une même classe; tandis que
-le remplacement l'est également, en l'an XI, entre conscrits nés et
-domiciliés dans l'étendue de l'arrondissement, puis, en 1804, dans
-l'étendue du canton, et en 1805, dans celle du même département. Plus
-tard, en 1815, les conscrits sont autorisés à prendre des remplaçants
-dans tous les départements de l'empire indistinctement. Cette faculté a
-été, comme on le voit, l'objet de contraintes et de facilités fort
-capricieuses, suivant les vicissitudes des événements militaires,
-jusqu'à ce qu'elle fût législativement consacrée par la loi du 10 mars
-1818, comme par les lois suivantes. Aussi, en 1806, sur un effectif de
-plus de 500,000 hommes, il n'y avait pas un huitième de remplaçants;
-1826, cette proportion était d'un cinquième; en 1835, presque d'un
-quart; enfin, au 11 septembre 1842, sur un effectif de 357, 598
-sous-officiers et soldats des corps qui se recrutent par la voie des
-appels, il y avait 85,644 remplaçants, c'est-à-dire plus du quart de cet
-effectif.
-
-Le remplacement est consacré maintenant en France par une longue
-habitude. Dans une société livrée aux soins de l'industrie, où les
-propriétés sont divisées et les fortunes médiocres, où chacun doit, par
-un labeur sans relâche, un zèle infatigable et des veilles incessantes,
-préparer son état et se faire à soi-même sa place dans le monde, imposer
-indistinctement à tous l'obligation de passer dans une caserne plusieurs
-années, les plus fécondes de la vie, ce serait causer au plus grand
-nombre un irréparable dommage, et leur fermer la carrière, objet des
-veilles de leur jeunesse entière, et espoir de leur avenir. Aucun des
-intérêts généraux de la société n'y trouverait profit: les progrès des
-arts, de la science, de l'industrie, seraient arrêtés par cette loi
-aveugle. Le remplacement est-il donc onéreux aux classes laborieuses?
-Chaque année, il verse plus de 50 millions dans les familles les moins
-aisées. Il appelle sous les drapeaux et soumet à une discipline
-nécessaire des hommes que ce joug assouplit et façonne; il substitue en
-eux la politesse à la grossièreté, l'amour de l'ordre à l'esprit
-d'insubordination, et l'instruction à l'ignorance.
-
-Le chiffre des remplaçants augmente dans une progression toujours
-croissante; ils sont devenus une partie essentielle et considérable de
-notre force publique; un grand nombre accomplissent honorablement leurs
-devoirs, obtiennent de l'avancement, arrivent aux grades élevés, et font
-oublier qu'un contrat vénal les a appelés sous le drapeau. Il est juste,
-toutefois, de reconnaître que, dans l'échelle des qualités morales, les
-remplaçants sont généralement au-dessous des jeunes soldats qui servent
-pour eux-mêmes. Aussi les remplacements que les chefs de corps préfèrent
-et acceptent le plus volontiers, sont-ils les remplacements au corps,
-c'est-à-dire ceux des militaires qui ont accompli leur temps de service.
-Ces sortes de remplacements offrent, en effet, de grands avantages. Ceux
-qui les contractent sont connus des chefs de corps qui peuvent toujours
-refuser d'admettre les hommes dont l'armée aurait à se plaindre et
-qu'elle n'aurait pas intérêt à conserver. Le drapeau ne garde donc que
-les soldats éprouvés. Un relevé des peines disciplinaires, fait sur les
-livres de punitions de 24 régiments, 12 d'infanterie et 12 de cavalerie,
-a donné les résultats suivants. Tandis que 100 remplaçants non
-militaires ont passé 201 jours en prison et 630 jours à la salle de
-police, les remplaçants au corps n'ont subi, pour 100 hommes, que 66
-jours de prison et 515 de salle de police. D'ailleurs, les remplaçants
-pris sous les drapeaux possèdent à la fois la vigueur que donnent les
-armées, et la pratique des armes que donne un long service. En 1841, sur
-98,000 remplaçants, près de 28,000 avaient déjà servi.
-
-Le contingent annuel et la durée du service sont les éléments primitifs
-de l'institution militaire. C'est par eux qu'est résolu cet important
-problème de lier l'armée à la nation, et de l'organiser de telle sorte
-que, citoyenne sans cesser d'être militaire, elle puisse passer
-rapidement de l'état de paix à l'état de guerre, et de l'état de guerre
-à l'état de paix, en ménageant les intérêts de nos finances et ceux de
-la population, mais en assurant toujours à l'indépendance nationale
-toute la force dont elle pourrait avoir besoin. Cette force est depuis
-longtemps déterminée, et l'on a reconnu que notre armée sur le pied de
-guerre devait présenter un effectif de 500,000 hommes au moins. Un
-effectif aussi considérable ne saurait être maintenu sous le drapeau,
-quand les éventualités de l'avenir ne le rendent pas nécessaire. Les
-besoins du pays et les limites de l'impôt ne permettent pas de
-l'entretenir en temps de paix. L'armée doit, par conséquent, être
-divisée en deux fractions inégales: la première, active et soldée, dont
-l'effectif est déterminé annuellement par la loi de finances; la seconde
-qui, ne coûtant rien à l'État, attend dans le repos le moment d'être
-utile à la patrie. Telle est formule de la réserve.
-
-Au premier aspect, il paraîtrait tout naturel de penser que, d'après
-l'incorporation successive des contingents annuels, les militaires ayant
-passé sous le drapeau devaient constituer le principal effectif de cette
-réserve, et que les jeunes soldats ne pouvaient y compter que comme
-complément. En effet, au 1er septembre 1834, il y avait déjà dans la
-réserve 79,926 sous-officiers et soldats instruits, prêts au premier
-appel, et seulement 3,155 jeunes soldats laissés dans leurs foyers; mais
-telle est l'élasticité des dispositions de l'article 29 de la loi,
-aujourd'hui encore en vigueur, du 21 mars 1832, qu'au 1er avril 1810,
-sur 135,000 hommes dont se composait la réserve, il y avait seulement
-297 hommes qui eussent activement figuré dans les rangs. La gravité d'un
-tel état de choses devait se manifester plus tard. Quand, en 1810,
-l'effectif de l'armée dut être porté de 317,826 hommes à plus de
-500,000, la réserve fut appelée; et, dans l'espace de peu de mois,
-l'armée reçut 185,786 hommes, dont une partie comptait déjà plusieurs
-années de service, et qui, cependant, voyaient le drapeau pour la
-première fois. Il n'y a donc, dans ce système de réserve mixte, aucune
-garantie pour l'institution militaire. Pour entrer dans une voie plus
-assurée, le nouveau projet de loi, adopté par la Chambre des Pairs le 26
-avril 1843, et soumis actuellement aux délibérations de la Chambre des
-Députés, propose d'incorporer en entier le contingent, et de porter à 8
-ans la durée du service, en déterminant la libération au 30 juin de
-chaque année. La durée du service actif resterait d'ailleurs toujours
-soumise aux éventualités politiques et financières.
-
-La loi du 10 mars 1818 avait fixé à 12 années la durée du service, dont
-6 passées dans la réserve; celle du 9 juin 1821 l'avait réduite à 8
-années, et celle du 21 mars 1832 à 7 années.
-
-Dans les États étrangers, la durée du service est fort variable, comme
-l'attestent les chiffres suivants:
-
-Autriche: soldats d'Italie et du Tyrol, 8 ans; soldats des États
-héréditaires et de la Gallicie, qui servaient autrefois 11 ans
-aujourd'hui 10 ans; soldats de la Hongrie, 10 ans.
-
-Bavière: armée permanente, 6 ans; armée éventuelle, composée de la
-landwehr partagée en deux bans qui comprennent, le premier, les hommes
-de 21 à 40 ans non incorporés dans l'armée active; et, le second, les
-hommes de 40 à 60 ans.
-
-États-Unis: 5 ans; l'armée ne doit se recruter que par engagements
-volontaires; tou» les blancs, de 18 à 35 ans, peuvent être enrôlés au
-prix de 60 francs l'engagement.
-
-Prusse: en temps de paix, 2 ou 3 ans; puis 2 ans sur les contrôles de la
-réserve; les soldats qui cessent d'appartenir à l'armée active font
-partie, jusqu'à 32 ans, de la landwehr du premier ban; et, de 32 ans à
-40, de la landwehr du second ban; de 40 à 50 ans, ils sont encore tenus
-de marcher, en cas d'invasion: c'est ce qu'on nomme le landsturm.
-
-Russie: 25 ans dont 15 ans dans l'armée active, 5 ans dans les
-bataillons ou escadrons de réserve, et 5 ans dans la réserve générale de
-l'armée.
-
-Saxe: armée permanente, 6 ans dans l'armée active et 5 ans dans la
-réserve de guerre; l'armée éventuelle est composée des individus non
-appelés au service actif; il y a, en outre, pour le contingent de la
-Confédération, une réserve de guerre comprenant les hommes de l'armée
-active qui ont quitté les drapeaux avant d'avoir achevé leur temps légal
-de service, et ceux qui, après l'avoir complété, sont astreints à la
-réserve pendant trois autres années.
-
-Jusqu'à ce moment le point de départ pour le service a été fixé au 1er
-janvier; le projet de loi propose de le fixer au 1er juillet de chaque
-année, qui est la vraie date du commencement du service. Ce n'est en
-effet qu'au 1er juillet au plus tôt que peut être formé le contingent:
-c'est seulement alors que les hommes deviennent jeunes soldats et sont à
-la disposition du gouvernement. Jusque-là ils sont entièrement libres et
-maîtres de leurs actions. Ainsi ils ne sont point forcés de se présenter
-au tirage, ni devant le conseil de révision; ils peuvent même se marier,
-voyager selon leur bon plaisir. Il semble donc peu rationnel de
-continuer à faire compter pour service militaire six mois pendant
-lesquels le contingent n'existe pas, six mois pendant lesquels tous les
-jeunes gens qui doivent concourir à la formation de ce contingent (et
-ils sont 300,000) ont une position parfaitement identique à celle de
-tous les autres citoyens.
-
-Tous les jeunes Français sont soumis au recrutement. Chaque année une
-loi détermine le nombre d'hommes dont se compose le contingent. Une
-ordonnance royale les répartit entre les départements et les cantons,
-proportionnellement au nombre des jeunes gens inscrits sur les listes du
-tirage de la classe appelée. Le contingent assigné à chaque canton est
-fourni par un tirage au sort entre les jeunes Français qui ont leur
-domicile légal dans le canton, et qui ont atteint l'âge de 20 ans
-révolus dans le courant de l'année précédente. Les tableaux de
-recensement des jeunes gens soumis au tirage sont dressés par les
-maires, publiés et affichés dans chaque commune. Les tableaux dressés,
-un tirage au sort désigne les jeunes gens qui seront appelés à faire
-partie du l'armée. Ceux qui auraient été condamnés pour fraudes ou
-manoeuvres ayant pour but d'échapper à la loi sont inscrits en tête des
-listes de tirage, comme si les premiers numéros leur étaient échus. Les
-jeunes gens de la classe appelée sont inscrits sur les tableaux de
-recensement dans l'ordre alphabétique de leur nom de famille.
-
-Parmi les jeunes gens qui concourent au tirage, les uns sont exemptés du
-service, les autres dispensés. Les causes d'exemption et de dispense
-sont énumérées dans la loi, et elles ne doivent pas être étendue sans
-raisons graves. Considérés comme s'ils avaient satisfait à l'appel, les
-dispensés comptent numériquement dans le contingent, mais ils ne
-comptent pas dans l'armée; l'exempté au contraire, est remplacé par
-numéro subséquent, et dès lors toute exemption a pour effet de détruire
-l'arrêt du sort, et de reporter le fardeau du service sur ceux qu'il en
-avait affranchis.
-
-Le jugement des exemptions et des dispenses est attribué au conseil de
-révision. Dans les mains de cette juridiction spéciale repose
-l'exécution de la loi, et l'on pourrait dire la composition de l'armée.
-Pour les cas rigoureusement définis, les termes de la loi règlent la
-conduite du conseil et lui dictent ses résolutions. Mais la catégorie
-d'exemptions la plus nombreuse, celle qui se rapporte aux infirmités,
-reste entièrement abandonnée à son appréciation discrétionnaire. Chaque
-année, sur environ 300,000 conscrits, plus de 50,000 obtiennent leur
-exemption à ce titre. Le conseil de révision est un jury suprême qui
-prononce sans appel.
-
-Dans sa composition actuelle, l'armée est représentée par un officier
-général; l'État, par le préfet et un conseiller de préfecture qu'il
-désigne; les familles, par un membre du conseil général du département
-et par un membre du conseil de l'arrondissement, tous deux aussi à la
-désignation du préfet. Un membre de l'intendance militaire, assiste aux
-opérations du conseil et est entendu toutes les fois qu'il le demande.
-
-[Illustration: Tirage des Conscrits.]
-
-Une loi du 12 juin 1843 a fixé à 80,000 hommes le contingent de la
-classe de 1843. Ce contingent, qui a été le même pour toutes les années
-depuis 1830, ne fournit que 65,000 hommes à l'armée de terre; 15,000
-doivent être déduits pour le service de la flotte, les insoumissions,
-etc.
-
-En vertu d'une ordonnance royale du 5 décembre dernier, les tableaux de
-recensement, ouverts à partir du 1er janvier 1844, ont été publiés et
-affichés les dimanches 21 et 28 du même mois, ainsi que l'exige
-l'article 8 de la loi du 12 mars 1832. L'examen de ces tableaux et les
-tirages au sort, prescrits par l'article 10 de la même loi, devaient
-commencer le 19 février; mais comme le 19 tombait le mardi gras, des
-instructions du ministre de la guerre ont autorisé le renvoi des
-opérations à un autre jour pour les cantons où il aurait pu être à
-craindre que les saturnales du carnaval ne vinssent troubler l'ordre et
-la régularité du tirage. C'est ce qui a eu lieu notamment à Paris, où le
-tirage des jeunes gens du 1er arrondissement, fixé d'abord au 19
-février, a été renvoyé au 6 mars, et où les opérations ont commencé, le
-22 février, par le 2e arrondissement, pour être continuées sans
-interruption jusqu'au 6 mars inclusivement.
-
-Les numéros de tirage sont écrits ou imprimés sur des bulletins
-uniformes. Chaque bulletin porte un numéro différent, de manière que la
-totalité des bulletins forme une série continue de numéros, depuis le
-numéro 1, égale au nombre des jeunes gens appelés à tirer. Le
-sous-préfet (à Paris, le maire de chaque arrondissement remplace le
-sous-préfet), après avoir reconnu publiquement que le nombre des
-bulletins est le même que celui des jeunes gens qui doivent prendre part
-au tirage, les paraphe, les mêle et les jette dans l'urne. Les communes
-du canton sont appelées pour le tirage suivant l'ordre alphabétique de
-leurs noms, et les jeunes gens de chaque commune suivant l'ordre de leur
-inscription sur les tableaux de recensement. Au fur et à mesure que les
-jeunes gens sont appelés, ils tirent de l'urne un numéro. Les parents
-des absents, ou, à leur défaut, le maire de leur commune, tirent à leur
-place. A mesure que les bulletins sont tirés de l'urne, le sous-préfet
-inscrit sur la liste du tirage, en regard du numéro sorti, les nom,
-prénoms et surnoms de celui auquel le numéro appartient, ainsi que les
-noms et prénoms de ses père et mère. Le numéro sorti est inscrit en
-outre sur le tableau du recensement, en regard du nom de celui auquel il
-appartient. L'ordre des numéros tirés par les jeunes gens détermine
-toujours celui de leur appel pour la formation du contingent. A mesure
-que les jeunes gens se présentent, le sous-préfet leur demande s'ils ont
-des motifs d'exemption ou de dispense à faire valoir, et il en fait
-mention tant sur la liste du tirage que sur le tableau de recensement.
-Si des jeunes gens réclament l'exemption comme n'ayant pas la taille
-fixée par la loi, le sous-préfet, avant d'inscrire ses observations,
-fait toiser les réclamants, lesquels, à cet effet, sont placés sur le
-marchepied d'un double mètre poinçonné et étalonné, dont la traverse est
-élevée à un mètre 560 millimètres.
-
-Immédiatement après le tirage de chaque canton, le sous-préfet envoie au
-préfet du département une expédition authentique de la liste du tirage.
-Le, préfet, de son côté, forme un état indiquant, par canton, le nombre
-des jeunes gens inscrits sur les listes du tirage de la classe. Cet état
-est adressé au ministre de la guerre. Tous ceux de la classe de 1843
-devront lui parvenir le 20 mars 1844 au plus tard. La répartition du
-contingent de cette classe, entre les départements, sera faite
-ultérieurement par une ordonnance royale, qui réglera en même temps les
-autres opérations relatives à l'appel de ladite classe.
-
-[Illustration: Promenade des Conscrits après le tirage.]
-
-De nombreuses demandes sont formées chaque année à l'effet d'obtenir,
-par exception, le maintien dans leurs foyers de jeunes soldats qui, bien
-que méritant par leur position une faveur toute particulière, à titre de
-soutiens de famille, n'ont pas pu être classés en ordre utile sur les
-listes des hommes de cette catégorie dressées par les conseils de
-révision dans la proportion habituelle de dix sur mille hommes du
-contingent. En 1843 cependant il a été satisfait plus largement, sous ce
-rapport, aux besoins des populations, et M. le ministre de la guerre a
-décidé que la proportion précédemment établie serait portée au double
-pour la classe de 1842, c'est-à-dire à vingt sur mille hommes (ou deux
-sur cent) du contingent de cette classe.
-
-Après le tirage, les jeunes gens ont en général l'habitude de placer sur
-le devant de leur chapeau le numéro qui leur est échu au sort, et de
-l'attacher avec des rubans de diverses couleurs, le plus souvent
-tricolores. Puis ceux de la même commune se réunissent et retournent
-ensemble chez eux, bras dessus bras dessous, chantant, criant, marchant
-au pas, tambour en tête. Tout le long de la route ils font de fréquentes
-stations, arrosées de libations nombreuses, ceux-ci en l'honneur de la
-chance qui les a favorisés, ceux-là pour s'étourdir et noyer dans le vin
-le chagrin d'avoir attrapé un mauvais numéro. Les uns et les autres,
-partis fièrement au pas du chef-lieu de canton, ne rentrent guère dans
-la commune que d'un pas plus que chancelant: ce qui a fait plaisamment
-donner à ces sortes de détachements d'apprentis militaires le nom trop
-bien mérité de _compagnies des litres_.
-
-[Illustration: Toisage des Conscrits.]
-
-Depuis 1830, de nombreuses améliorations ont attaché l'armée au pays par
-des liens étroits. L'état des officiers a été garanti, l'avancement
-soumis à des règles de justice, la solde des officiers, sous-officiers
-et soldats améliorée, les pensions de retraite étendues; deux écoles
-ouvertes dans chaque régiment d'infanterie ou de cavalerie, l'une, du
-premier degré, destinée aux soldats et aux caporaux ou brigadiers;
-l'autre, de deuxième degré, pour les sous-officiers; 50 à 60,000 hommes
-admis annuellement dans ces écoles; un certain nombre d'emplois réservés
-dans les forêts et dans les douanes aux militaires qui auraient, comme
-sous-officiers, contracté et terminé au moins un réengagement; les
-carrières civiles ouvertes ainsi à ceux qui n'obtiennent point
-l'épaulette; enfin les troupes appliquées en France et en Algérie aux
-grands travaux d'utilité publique.
-
-
-
-Académie Royale de Musique.
-
-_Lady Henriette, ou la servante de Greenwich._
-
-Tel est le titre peu gracieux du ballet pantomime que l'Opéra a mis au
-jour le mercredi 21 février 1844.
-
-Lady Henriette est première dame d'honneur de la reine Anne; elle habite
-un riche appartement dans le château royal de Windsor; elle a un
-_futur_, comme dit le livret. Ce _futur_ s'appelle sir Tristan
-Crackfort, et il joint au malheur de porter un pareil nom l'inconvénient
-d'être le seigneur le plus sot des Trois-Royaumes. De tout cela il
-résulte que lady Henriette est, de son côté, la femme du monde qui
-s'ennuie le plus et qui bâille le mieux.
-
-Bien bâiller est un talent; mais à force d'exercer les talents qu'on a,
-on se fatigue: témoin Rossini, qui, pour avoir trop fait d'opéras, n'en
-veut plus faire. Lady Henriette voudrait bien ne plus bâiller; elle
-consulte sur ce point délicat Nancy, sa fille, suivante, qui lui répond
-ce que toute fille suivante répond en pareil cas: «Madame, il faut
-prendre un amant.» Mais ce remède-là n'est point du goût de milady: il
-lui faut quelque chose de moins trivial, de plus neuf, de plus
-inattendu, quelque chose qui n'ait jamais été imaginé par personne. Un
-amant! fi donc! toutes les dames de la cour en ont. Mais prendre le
-costume d'une paysanne, attacher à son corsage un bouchon de paille, et
-se rendre, en cet équipage, à la foire du Greenwich, voilà ce qu'aucune
-d'elles n'a jamais imaginé.
-
-Or, il faut que vous connaissiez l'usage anglais et le sens de ce
-bouchon de paille.
-
-Toute fille des champs qui veut entrer en service, et qui cherche une
-condition, n'a qu'à se présenter à la foire de Greenwich ainsi
-accommodée. C'est là que se rendent, de toutes les contrées voisines,
-les fermiers qui cherchent des servantes. De chaque côté on est sûr d'y
-trouver son affaire, et l'on n'y a que l'embarras du choix.
-
-Lady Henriette, donc, ira se mettre incognito au service de quelque
-manant du pays: elle fera son lit, balaiera sa chambre, écumera son pot.
-Ce divertissement lui paraît délicieux.--Que vous en semble?
-
-Elle échoit à un fermier du pays de Galles appelé Lyonnel. Lyonnel est
-jeune et fort joli garçon; il a l'imagination vive et le coeur tendre.
-Pauvre Lyonnel! il ne tarde guère à devenir le jouet de sa nouvelle
-acquisition, et le valet de sa servante. Lady Henriette, toujours grande
-dame, en dépit de son déguisement, abuse cruellement de ses avantages,
-et traite le fermier à peu près aussi mal que sir Crackfort; puis tout à
-coup elle s'échappe par une fenêtre, monte en voiture et s'enfuit au
-galop, laissant Lyonnel fou d'amour et de désespoir.
-
-Tout amoureux qui a perdu sa maîtresse doit immédiatement s'engager:
-c'est la règle à l'Opéra, et Lyonnel n'a garde d'y manquer. Le voilà à
-Windsor, habillé de rouge, coiffé d'un chapeau à plumet et armé d'un
-fusil; il est soldat dans le régiment des gardes de la reine.
-
-Vraie souveraine constitutionnelle, la reine ne gouverne pas, et s'amuse
-de son mieux. Mais lady Henriette s'ennuie de plus belle. Sir Tristan la
-suit partout et ne perd pas un occasion de recommencer l'éternel aveu de
-son amour. Ces la seule ressource qui reste à l'infortunée. Les tendres
-protestations du courtisan ont pour résultat certain de l'endormir
-immédiatement; il ne manque jamais son effet; mais, après l'avoir
-produit, il s'éloigne, et en cela je crois qu'il a tort. Un plus avisé
-resterait. A peine il a disparu que Lyonnel arrive. «Ciel!... grand
-Dieu!... est-ce bien elle? Est-ce vous?... Est-ce toi?...» Milady
-s'éveille: «Que me voulez-vous, non cher? Vous extravaguez, sans doute.
-Je ne comprends rien, je vous le jure, ni à vos hochements de tête, ni à
-vos roulements d'yeux, ni à vos gestes frénétiques, ni à vos discours
-dépourvus de sens.» Et milady s'éloigne d'un air superbe. Mais il y a un
-dieu pour les amants.
-
-Par _l'opération_ de ce dieu, le cheval de la reine s'emporte, et voilà
-_sa très-gracieuse majesté_ errant à travers champs, au gré de cette
-bête furieuse, et exposée à une foule d'accidents désagréables, sur
-lesquels mon imagination n'ose s'arrêter, tant est grand mon respect
-pour le principe monarchique. Qui sauvera sa très-gracieuse majesté?
-Lyonnel s'élance et se dévoue, et bientôt on le voit ramener la reine à
-demi pâmée, qu'il soutient dans ses bras. Heureux Lyonnel! la reine,
-reconnaissante, le fait officier.
-
-Bientôt son nouveau grade l'introduit au château royal.
-
-Il y a spectacle à la cour, et ballet mythologique. Sir Tristan
-Crackfort y représente le puissant Jupiter, et la reine d'Angleterre
-l'auguste Junon. Tous deux descendant de leur gloire, et viennent danser
-un menuet avec Mars, Apollon, Cybèle, etc. Vénus paraît à son tour,
-poursuivie par un berger. Elle résiste à l'audacieux, elle fuit en se
-jouant, et, dans sa fuite, elle décrit les figures les plus gracieuses,
-elle prend mille poses pleines de volupté, elle charme les dieux, elle
-enivre les humains, et surtout Lyonnel, qui reconnaît dans la déesse son
-inconnue mystérieuse, Hors de lui, il s'avance, il tombe aux pieds de
-Vénus... Jugez du trouble et de la stupeur générale! Le ballet
-s'interrompt; le ciel et la terre se, rapprochent, les mortels et les
-dieux errent pêle-mêle; l'imprudent trouble-fête est entraîné hors de la
-salle, et Vénus s'évanouit.
-
-On mène Lyonnel en prison; mais il s'échappe, s'enfuit au hasard au
-travers du palais, et arrive enfin dans l'appartement de lady Henriette,
-qui n'est pas encore tout à fait remise de l'émotion que lui a causée
-son étrange aventure. «Grâce, madame! un mot de vous suffit pour me
-sauver: dites ce mot...» Ah bien oui! La comtesse, irritée, le repousse
-et lui ordonne de sortir. Il insiste, elle appelle, et livre le
-malheureux aux soldats qui le poursuivent. Les dames d'honneur ont-elles
-donc le coeur si dur? Lyonnel succombe à ce dernier coup, ses idées se
-troublent, ses yeux deviennent fixes, il fait des gestes bizarres, il
-rit, il pleure: le voilà fou! On le mène à Bedlam.
-
-Là il trouve nombreuse compagnie et des fous de toute espèce, un
-mélomane, un dansomane, une femme qui se croit reine, un homme qui se
-croit le Destin, etc., etc. Tous se mêlent bientôt et exécutent un
-ballet curieux et bizarre. Puis le tambour bat: c'est la reine Anne qui
-vient visiter Bedlam; lady Henriette l'accompagne. Elle voit Lyonnel et
-comprend enfin tout le mal qu'elle a fait. «N'y a-t-il donc aucun moven
-de le réparer?
-
-[Illustration: Ballet mythologique de _Lady Henriette_.]
-
---Un seul,» dit le médecin.
-
---Eh bien! ne le devinez-vous pas? Ne savez-vous pas depuis longtemps
-comment on guérit les fous à l'Opéra, et comment finissent toutes les
-nièces de théâtre?
-
-Le sifflet du machiniste retentit: la scène change. Voilà Lyonnel
-installé de nouveau dans sa ferme, auprès de son ami Plumket. Bientôt la
-porte s'ouvre; il regarde: il revoit la comtesse telle qu'il l'a vue
-jadis, en habits de servante, et qui attend ses ordres. A cet aspect la
-raison lui revient subitement, et le mariage de rigueur termine le cours
-de ses aventures.
-
-Vous avez vu, probablement, _la Fête du village voisin_ et _la Comtesse
-d'Egmont_, lecteur, et vous me dites que vous saviez d'avance, ou à peu
-près, toute cette histoire. Hélas! j'en conviens. Mais ce que vous
-n'avez point vu, ce sont les décorations de M. Cicéri.
-
-Jamais peut-être M. Cicéri n'avait mis au service de l'Opéra un art plus
-savant, plus délicat, plus fin, une imagination plus riche et plus
-jeune, un goût plus parfait. La place du marché de Greenwich et la forêt
-de Windsor sont deux paysages composés avec une habileté remarquable, où
-tous les détails ont une intention et une valeur savamment calculées, et
-dont l'ensemble est ravissant. Le salon en boiseries sculptées de la
-comtesse, et la salle d'attente où se passent les scènes qui précèdent
-le spectacle de la cour, sont, dans un genre opposé, deux
-chefs-d'oeuvre. La décoration du ballet mythologique, en style rococo et
-selon la mode du temps, est conçue avec un esprit infini, et exécutée de
-main de maître.
-
-Trois compositeurs se sont cotisés pour la musique du ballet nouveau. M.
-de Flotow a fait le premier acte, M. Burgmuller le second, et M.
-Deldevèze le troisième. C'est de la musique bien faite, en général, et
-tort proprement ajustée; mais on regrette que les auteurs n'y aient pas
-déployé plus de chaleur et de verve, et se soient montrés aussi avares
-de motifs saillants et d'idées nouvelles. M. Burgmuller est resté fort
-au-dessous de l'auteur de la Péri.
-
-Les costumes y sont très-brillants, et si les tableaux chorégraphiques
-n'y ont rien de bien nouveau, du moins sont-ils agréables. Il faut,
-cependant, faire une mention particulière du ballet des fous, où M.
-Mazilier a montré quelque originalité; d'ailleurs il a trouvé là, en M.
-Coraly, un interprète d'une prestesse et d'une verve incomparables.
-Mademoiselle Adèle Dumilâtre, chargée du rôle de lady Henriette, s'en
-acquitte avec beaucoup de grâce et d'élégance. En somme, le ballet
-nouveau offre un spectacle agréable, varié, et quelquefois très-piquant.
-
-
-
-[Illustration: Bureau d'abonnement de l'_Illustration_.]
-
-Mais peut-il y avoir un spectacle plus piquant que celui dont nous
-donnons ici même la représentation fidèle? Quoi de plus agréable que
-l'aspect de cette foule pressée, compacte, impatiente, haletante, qui
-assiège les bureaux d'abonnement de l'Illustration? Quoi de plus
-richement varié que cette collection de visages où chacun de vous,
-lecteurs aimables, a le droit de chercher le sien?...
-
-
-
-Bulletin bibliographique.
-
-_Histoire des comtes de Flandre_ jusqu'à l'avènement de la maison de
-Bourgogne; par Edward le Glay, ancien élève de l'École royale des
-Chartes, conservateur adjoint des archives de Flandre à Lille. 1 vol.
-in-8.--Paris, 1844 (tome IIe). _Imprimeurs-Unis_. 7 fr. 50 c.
-
-
-L'an 863, Baudoin Bras de Fer, fils du Forestier Ingelran, qui avait
-épousé secrètement une fille de Charles le Chauve, fut nommé par son
-beau-père comte du royaume, et reçut pour la dot de sa femme toute la
-région comprise entre l'Escaut, la Somme et l'Océan, c'est-à-dire la
-seconde Belgique.. Ayant fixé sa résidence à Bruges, capitale du petit
-canton connu depuis le sixième siècle sous le nom de Flandre, il fonda
-la dynastie des comtes de Flandre. C'est l'histoire de cette dynastie,
-commencée par Baudoin Bras de Fer, en 863, et terminée par Louis de
-Male, en 1383, histoire peu connue jusqu'à ce jour, qu'a entrepris
-d'écrire M. Edward le Glay, conservateur adjoint des archives de Flandre
-à Lille. Le premier volume, dont nous avons rendu compte à l'époque de
-sa publication, s'arrêtait a l'année 1214. Le second et dernier, qui
-vient de paraître, contient l'histoire des règnes de Jeanne de
-Constantinople et de Fernand de Portugal (1214-1233), de Jeanne de
-Constantinople et de Thomas de Savoie (1233-1244), de Marguerite de
-Constantinople (1244-1279), de Gui de Dampierre (1280-1304), de Robert
-de Béthune (1304-1322), de Louis de Nevers ou de Creci (1322-1346), et
-enfin de Louis de Male (1346-1383). En 1583 Louis de Maie mourut, dit M.
-Edward le Glay, et le comté de Flandre fut dévolu à Philippe le Hardi et
-à la duchesse, sa femme, chef de cette illustre maison de Bourgogne dont
-les destinées se confondirent plus tard avec celles du monde entier.
-
-Ces deux volumes, fruit de longues et patientes études, sont remplis de
-faits puisés, avec une remarquable sagacité, aux sources les moins
-connues et les plus authentiques. Toutefois, nous nous permettrons
-d'adresser à M. Edward le Glay un reproche que du reste il s'est déjà
-fait à lui-même en terminant son second volume: on éprouve souvent, en
-lisant cet ouvrage, un vif désir de voir s'interrompre temporairement le
-récit trop monotone de ces guerres, révoltes et négociations
-interminables qui suffisaient bien, dit-il, pour occuper l'historien
-tout entier. «Parfois, ajoute-t-il, nous regrettions de ne pouvoir faire
-une pause, afin de contempler à l'aise, les autres mouvements qui
-s'opéraient autour de nous; mais nous ne pouvions suspendre notre
-marche, sous peine de disparaître dans le torrent qui débordait
-toujours.» Que M. Edward le Glay cesse donc d'avoir de pareilles
-craintes, s'il publie jamais un autre ouvrage historique. Il l'avoue
-lui-même: «La Flandre n'a pas été seulement un théâtre de guerres, de
-dissensions intestines, de soulèvements populaires; sa prospérité
-matérielle, ses progrès intellectuels et moraux pourraient fournir à une
-plume moins inhabile le sujet d'un tableau magnifique.» Le tableau, il
-ne devait pas se contenter de l'esquisser en quelques pages, ci nous lui
-pardonnons d'autant moins d'avoir omis, par une fausse modestie, de le
-peindre dans tous ses détails, que ses efforts eussent certainement été
-couronnés d'un plein succès.
-
-
-_Essai historique, sur l'origine des Hongrois_; par A. de Gérando. 1
-vol. in-8 de 164 pages.--Paris, 1844. Imprimeurs-Unis.
-
-La question de l'origine des Hongrois a été diversement résolue.
-Jornandès fait descendre les Hons des femmes que Filimer, roi des Goths,
-chassa de son armée, parce qu'elles entretenaient un commerce avec les
-démons. Cette origine diabolique, qui s'est étendue aux Hongrois, a eu
-plus de défenseurs qu'on ne serait tenté de le croire; et, bien après
-Jornandès, un écrivain ne trouvait pas d'autre moyen d'expliquer le mot
-_magyar_ qu'en le faisant dériver de _magus_, magicien. Les uns disent
-que les Hongrois sont des Lapons, les autres soutiennent qu'ils sont
-Kalmoucks, et pensent donner plus de force à leur opinion en invoquant
-une ressemblance de physionomie imaginaire. Les Hongrois sont d'origine
-turque, dit-on encore; leur langue le prouve; les Turcs les appellent
-toujours «mauvais frères,» parce qu'ils leur ont ferme l'entrée de
-l'Europe. Un autre les confond avec les Huns et les fait venir du
-Caucase sous le nom de Zawar. D'autres, enfin, les nomment Philistéens
-ou Parthes, et leur donnent la Juhrie ou Géorgie pour patrie.
-
-«Les quinze ou vingt noms différents que, dans diverses langues, les
-chroniqueurs ont donnés aux Hongrois, augmentent encore, dit M. A. de
-Gérando, les difficultés qui entourent nécessairement une question de ce
-genre, quand on veut rechercher leurs traces dans l'histoire.»
-
-Lorsque M. de Gérando alla, il y a peu de temps, visiter la Hongrie,
-il ne se proposait pas de rechercher les origines des Hongrois; mais il
-lui fut impossible de faire un long séjour dans le pays sans étudier
-cette question historique, l'une de celles qui intéressent au plus haut
-point les voyageurs. Il était arrivé avec des idées toutes faites; il
-publie aujourd'hui celles qu'il a rapportées. Il espère qu'elles
-obtiendront la confiance du lecteur, car ce ne sont pas les siennes,
-elles appartiennent aux Hongrois eux-mêmes.
-
-M. A. de Gérando se pose d'abord cette question: les Hongrois sont-ils
-Finnois? Puis il passe successivement en revue les traditions
-hongroises, les relations des historiens nationaux et celles des
-historiens étrangers; il établit ensuite un parallèle entre les Huns,
-les Avars et les Hongrois. Enfin il montre la marche suivie par les
-Hongrois, et le résumé général de cette dissertation se termine ainsi:
-«Nous nous sommes donc convaincu que la nation hunnique se rattache à ce
-groupe nombreux de peuples nomades que les historiens orientaux
-appellent indistinctement Turcs, c'est-à-dire émigrants, et qui errèrent
-longtemps dans l'Asie centrale; peuples qui furent refoulés par la race
-mongolique, se jetèrent en partie sur l'Europe, en partie sur l'Asie
-occidentale, et dont les plus fameux sont aujourd'hui les Afghans, les
-Persans, les Tcherkesses et les Ottomans.»
-
-Dans le préambule, M. V. de Gérando s'est attaché à faire ressortir
-_l'importance politique_ que l'on peut donner à une question en
-apparence purement spéculative. S'il était prouvé, en effet, comme
-l'affirme Schluzer, que les Hongrois sont ou Finnois ou Slaves, les
-empereurs de Russie pourraient, dans un avenir qui peut-être n'est pas
-éloigné, élever des prétentions sur le royaume de Hongrie, ou au moins
-le comprendre entre les pays sur lesquels, comme chefs de la grande
-famille slave, et de la grande famille finnoise, ils ont l'ambition
-d'exercer leur influence.
-
-
-_Wilhelm Meister de Goethe_, traduction complète et nouvelle; par madame
-la baronne A. de Carlowitz.--Paris, 1843. _Charpentier_. 2 vol. in-18. 3
-fr. 50 c. le volume.
-
-_Poésies de Goethe_, traduites par Henri Blaze, avec une Introduction du
-traducteur.--Paris, 1843. _Charpentier_. 1 vol. in-18. 3 fr. 50 c.
-
-_Mémoires de Benvenuto Cellini_, orfèvre et sculpteur florentin, écrits
-par lui-même et traduits par Léopold Laclanche, traducteur de
-Vasari.--Paris 1844. _Jules Lafitte_. 1 vol. in-18. 3 fr. 50 c.
-
-Deux de ces ouvrages datent de l'année dernière; mais le Bulletin
-bibliographique de _l'Illustration_ de 1843 a oublié de leur accorder la
-mention honorable dont ils sont dignes. C'est une dette qu'il lui
-tardait d'acquitter. Le troisième n'a pas le droit de se plaindre d'un
-trop long retard, car il existe depuis deux mois à peine.
-
-De Goethe, de son _roman_ et de ses _poésies_, de Benvenuto Cellini et
-de ses _Mémoires_, nous n'avons pas à nous en occuper ici; parlons
-seulement des traducteurs, ou plutôt des traductions.
-
-Madame la baronne A. de Carlowitz est déjà connue dans le monde
-littéraire par sa traduction de la _Messiade de Klopstock_, qui lui
-avait valu un prix de l'Académie française. Si madame la baronne A. de
-Carlowitz avait envoyé au concours l'ouvrage que nous avons sous les
-yeux, aurait-elle obtenu la même récompense? Nous en doutons. Bien qu'il
-ait écrit _Wilhelm Meister_ en prose, Goethe méritait plus d'égards de
-la part de son traducteur. C'est un de ces hommes de génie dont un peut
-ne pas aimer le caractère et ne pas admirer le talent, mais dont on doit
-respecter religieusement les ouvrages. Or, madame la baronne de
-Carlowitz se permet trop souvent d'altérer la pensée ou de corriger le
-style du grand poète allemand. De pareilles prétentions ne sont que
-ridicules. Du reste, si nous oublions cette déplorable manie, nous
-n'avons que des éloges à donner à madame la baronne de Carlowitz.
-Lorsqu'on ne la compare pas au texte original, sa traduction,
-suffisamment élégante et correcte, se fait lire avec plaisir. En outre,
-elle a l'avantage d'être la plus complète qui existe. La deuxième partie
-de _Wilhelm Meister_, les _Années de voyage_, formant le deuxième
-volume, n'avait jamais de traduite en français.
-
-Les _Poésies_ de Goethe sont également traduites pour la première fois
-en français. Leur traducteur est M. Henri Blaze (sur la couverture), qui
-devient dans le titre de l'ouvrage le baron Henri Blaze, et dans la
-dédicace le baron Blaze de Bury. Elles se composent de _lieds_, de
-_ballades_, d'_odes_, d'_élégies_, d'_épîtres_, de _poésies diverses_,
-du premier chant de l'_Achilléide_, de _Prométhée_, de la cantate
-intitulée _la Première Nuit de Walpurgis_, et du _Divan
-oriental-occidental_. M. le baron Henri Blaze termine ainsi
-l'introduction qu'il a mise en tête de sa traduction: «Nous venons de le
-voir, la lyre de Goethe a toutes les cordes: l'antiquité, le moyen âge,
-l'ère moderne, tout lui est bon; de chaque sujet, de chaque genre et de
-chaque forme, il ne veut que le miel... Après cela, nous reconnaissons
-aussi bien que personne les inconvénients de cette universalité dans la
-création; le dilettantisme se donne trop souvent carrière aux dépens du
-sentiment, et l'alliage de convention remplace l'or de bon aloi. Puis, à
-force d'avoir excellé ainsi dans tous les genres, on finit par ne plus
-pouvoir être classé dans aucun. Ainsi Goethe n'est ni un poète épique,
-dramatique ou didactique, il est tout cela; mieux encore, il est poète
-dans le sens absolu au mot.»
-
-M. le baron Henri Blaze n'appartient pas à cette école de traducteurs
-dans laquelle madame la baronne A. de Carlowitz s'est si maladroitement
-rangée. Ce n'est pas lui qui, comme Rivarol, rendrait ce vers si beau
-et si connu de la Divine Comédie:
-
- Et ce jour-là nous ne lûmes pas davantage,
-
-par cette périphrase absurde: «Et nous laissâmes échapper le livre qui
-nous apprit le mystère de l'amour,» ou qui, désirant nous apprendre que
-Bidon «se tua par amour,» selon l'expression de Dante, s'écrierait avec
-emphase: «Elle coupa la trame amoureuse de sa vie.» Rendons-lui cette
-justice: non-seulement il a toujours compris les poésies de Goethe, mais
-il les a bien traduites. Sa prose ne dit ni plus ni moins que ce que
-disent les vers; les expressions difficiles à trouver sont heureusement
-choisies; en un mot, on sent, en comparant la copie à l'original, que
-cet ingrat et difficile travail a été fait avec conscience et avec
-esprit.
-
-Benvenuto Cellini a eu le même bonheur pour ses _Mémoires_ que Goethe
-pour ses _Poésies_. L'élégant et fidèle traducteur de Vasari, M. Leopold
-Laclanche, était plus capable qu'aucun autre écrivain de traduire cette
-curieuse autographie, qui ne manquera jamais de lecteurs tant que la
-langue italienne et maintenant la langue française continueront
-d'exister.
-
-
-_Un Courroux de Poète_; par Constant Hilbey, ouvrier. 1 vol.
-in-18.--Paris, 1844, _Martinon_.
-
-C'est avec une joie sincère que nous voyons la poésie pénétrer chaque
-jour plus avant dans le coeur du peuple: en y développant de légitimés
-espérances, elle y maintiendra, nous en sommes sûr, elle y exaltera
-l'amour du travail. Mais nous n'accordons cette pleine sympathie à la
-poésie des classes laborieuses que lorsqu'elle ne se dépouille pas
-volontairement de son austère simplicité pour revêtir nous ne savons
-quelles formes banales, quelles couleurs vulgaires empruntées aux albums
-ou aux almanachs. Ainsi nous avouons franchement à M. Hilbey que nous
-n'aimons guère à voir un ouvrier se mettre en coquetterie déclarée avec
-sa muse, l'appeler traîtresse, et jouer avec elle une des scènes du
-_Mariage enfantin_. Ces choses-là ne sont pas de celles qui pourraient
-nous émouvoir; les ouvriers-poètes ont d'autres secrets à nous révéler.
-Que M. Hilbey lise le dernier volume de M Poney, la belle ode adressée
-aux maçons, ses camarades, et il comprendra peut-être quelles cordes il
-faut faire vibrer pour nous rendre attentifs.
-
-Nous pourrions encore reprocher à l'auteur d'_Un Courroux de Poète_ le
-titre du son livre, titre qui a le double but d'afficher une prétention
-et un défaut de caractère. Mais nous préférons rendre justice au mérite
-de quelques-unes des pièces de son Recueil. Ainsi nous citons volontiers
-l'_Adieu au village natal_, la _Pièce à Gilbert_, celle intitulée
-_Fécamp_, parce qu'elles nous paraissent inspirées par des sentiments
-vrais.
-
-
-_Plan détaillé de La Rochelle et de ses environs_, accompagné d'une
-Notice historique; par M. Guy, capitaine au 13e de ligne, à
-Rochefort.--Chez madame _Theze_, imprimeur-libraire.
-
-_Le Plan de La Rochelle_ a surtout un intérêt local; la Notice qui
-l'accompagne et qui est, dans des limites trop resserrées, l'histoire
-même de la ville, a un intérêt général d'autant plus grand, que le nom
-de La Rochelle est lié à des événements considérables de l'histoire de
-France. M. Guy fait une revue rapide de ces événements parmi lesquels
-figure en première ligne, par sa durée et son importance, la lutte que
-cette ville soutint dans l'intérêt de la reforme protestante de 1568 à
-1628, époque de sa soumission au roi Louis XIII, après le siège
-mémorable dont la gloire, comme les cruautés qui l'accompagnèrent,
-reviennent au cardinal de Richelieu. Cette publication, faite avec
-beaucoup de luxe, a reçu les encouragements du conseil municipal de La
-Rochelle et des plus notables habitants de cette ville.
-
-
-_Notice sur le monument érigé à Paris par souscription à la gloire de
-Molière_, suivie de pièces justificatives et de la liste générale des
-souscripteurs; publiée par la commission de souscription.--Paris.
-_Perrolin_, 1844. In-8º.
-
-Il faut en vérité plus que du courage à la commission du monument du
-Molière pour venir encore affronter la critique. Combien l'oeuvre
-qu'elle a entreprise et menée à fin ne lui a-t-elle pas attiré de
-mordantes épigrammes et de méchancetés attiques! Quel succès a eu le
-malin farceur qui, le premier, a trouvé et dit que M. Regnier avait
-inventé Molière! Qu'il y a donc, dans une certaine presse, et surtout
-dans de certains feuilletons des loustics aimables et de satanés
-critiques! Si vous survivez aux traits de ces espiègles, vous avez la
-vie dure ou la peau bien cuirassée. M. Regnier fait semblant de n'être
-pas mort, et d'être applaudi tous les soirs; la commission fait semblant
-de vivre et d'avoir accompli la tâche qu'elle avait entreprise, et que
-tant d'autres avant elle avaient laissée inachevée; mais tout cela n'est
-qu'un jeu joué. Il n'y a de vivant que le feuilleton, né malin, et malin
-bien redoutable.
-
-La commission, ou son ombre, a eu la bizarrerie de penser que tout ce
-qui s'est imprimé dans les journaux, à l'occasion de l'érection de la
-statue de Molière, ne devait pas l'empêcher de publier un recueil
-officiel des actes qui avaient précédé et marqué cette cérémonie. C'est
-encore un ridicule de sa part, car elle ne pouvait se flatter de trouver
-jamais d'aussi jolies choses que celles que ses critiques ont imprimées
-et lues eux-mêmes.
-
-Est-ce elle qui aurait jamais trouvé, par exemple, qu'en 1673, Louis
-XIV, quoique vieilli, et tombé sous l'influence de madame de Maintenon,
-donna ordre qu'on conduisit les restes de l'auteur de Tartuffe au
-cimetière Saint-Joseph?» Cette pauvre commission aurait cru, comme
-beaucoup d'autres, qu'en 1673, Louis XIV, _quoique vieilli_, n'avait que
-trente-quatre ans, et que, _quoique tombé sous l'influence de madame de
-Maintenon_, il n'était encore que l'amant de madame de Montespan, avant
-de passer à mademoiselle de Fontanges, qui n'avait encore alors que
-douze ans. Mais le feuilleton a changé tout cela.
-
-Est-ce elle qui aurait jamais songé à écrire la _Vie de Molière après sa
-mort_, ouvrage curieux, si nous en croyons son auteur qui nous
-l'annonce, et qui, pour nous donner un avant-goût du son exactitude
-historique, nous montre Boileau, Chapelle, Bernier et _Ménage_, vivant
-intimement entre eux et avec Molière, et suivant seuls son cercueil. La
-commission aurait à coup sûr pensé que si Ménage, le Vadius des _Femmes
-savantes_ le détracteur acharné du _Misanthrope_, avait suivi le convoi
-de Molière, ce n'eût été que pour chercher à précipiter Boileau dans la
-même fosse. Mais les revues ont change tout cela.
-
-On a dit à la pauvre commission qu'au lieu de s'amuser à écrire, elle
-aurait dû s'exercer à mieux lire, et, s'apercevoir, avant que la statue
-fût découverte, que dans la nomenclature gravée des pièces de Molière,
-le praticien de M. Pradier avait mis deux _r_ à l'avare. Le critique a
-eu les yeux attirés sur la lettre coupable par le travail de l'ouvrier
-occupe à la faire disparaître le lendemain de l'inauguration. «Ce n'est
-cependant pas faute de lunettes,» a-t-il dit à la commission, avec plus
-de bon goût que d'exactitude. Les lunettes, il le sait bien, ne font pas
-toujours bien voir; et cela est si vrai que nous avons eu beau en
-mettre, nous n'avons pu trouver, dans la liste de souscription, le nom
-de tel auteur, connu, dit-on, au théâtre par des chefs-d'oeuvre,
-très-zélé, comme on le voit, pour la gloire de Molière, et qui,
-certainement, n'aura pas cru qu'il était injuste d'élever une statue à
-l'auteur du _Misanthrope_ avant de songer à lui. Le pays est excusable:
-il a suivi l'ordre chronologique.
-
-Nous imiterons l'exemple général, et nous adresserons, nous ausi, notre
-reproche à la commission, ou du moins à son secrétaire: pourquoi, dans
-sa Notice, a-t-on imprimé le mot Tartuffe avec un seul _f!_ Nous savons
-bien que l'Académie, dont nous ignorons les raisons, l'orthographie
-ainsi; mais Molière ayant créé le mot, et lui en ayant toujours donné
-deux, il est naturel de penser que ses raisons valaient bien celles de
-l'Académie. Le besoin du vers a seul déterminé La Fontaine à écrire,
-dans sa fable du _Chat et le Renard_:
-
- C'étaient deux vrais tartufs, deux archi-patelins.
-
-Mais la poésie a des licences que ne comportent ni un dictionnaire ni
-une notice.
-
-
-
-Le Roi et LL. AA. RR. madame la princesse Adelaide et madame la duchesse
-d'Orléans viennent de souscrire au _Dictionnaire historique et
-administratif des Rues et Monuments de Paris_, par MM. Félix et Louis,
-Lazare.
-
-
-
-En publiant dans le dernier numéro de _l'Illustration_, un article sur
-le Vésuve, extrait du Voyage des docteurs Magendie et Constantin James,
-nous avons omis d'indiquer que cet article était dû à la plume de M.
-James, qui avait bien voulu nous faire cette obligeante communication.
-
-
-
-[Illustration: Allégorie de Mars.--Le Bélier.]
-
-
-
-Modes.
-
-[Illustration.]
-
-Le deuil répand, sur les représentations de l'Opéra et des Italiens,
-ordinairement si brillantes, une teinte sombre et triste. En cette
-circonstance, le jais noir, déjà fort à la mode, a repris une nouvelle
-faveur, et nous voyons les plus jolies têtes parées de résilles, de
-bandeaux, ou bien encore d'épingles en jais. Une toilette de deuil
-très-élégante, pour soirée ou spectacle, se compose d'une robe de crêpe
-couverte de deux hauts volants de dentelle posés à plat; un velours,
-large de deux doigts, doit se placer à la tête d'un dessous en pou de
-soie, et grande berthe de dentelle; attaches de corsage en jais, au
-nombre de trois ou cinq; et pour coiffure, une résille en jais.
-
-Dans les bals à la Chaussée-d'Antin, nous retrouvons les costumes roses,
-blancs ou bleus; mais la mode de cette année adopte le blanc pour les
-robes légères à deux ou trois jupes, qui ne varient que par les
-différentes fleurs dont elles sont ornées.
-
-Les robes de soie, telles que damas, pékins satinés ou brochés, sont
-plus diverses de couleurs et de formes, quoique la dentelle en soit
-toujours le principal ornement. Ainsi, au bal du Château, les robes
-couvertes de deux volants de dentelle étaient en majorité; d'autres
-avaient des barbes de dentelle arrangées comme on peut le voir sur le
-modèle qu'en donne _l'Illustration_.
-
-Les robes de l'hiver vont bientôt paraître fanées: déjà on fait les
-corsages moins montant, afin de laisser voir la broderie qui orne les
-devants du fichu; le col, très-petit, est bordé d'une malines qui se
-continue sur le devant.
-
-Les chapeaux de velours sont remplacés par les capotes de satin, et le
-cachemire, ce luxe aimé ou envié de toutes les femmes, remplace plus
-souvent le manteau de velours.
-
-Le matin, une robe de pékin à raies de satin garnie de passementeries,
-une capote de satin blanc ornée de blondes, un cachemire noir, est un
-costume simple et de bon goût.
-
-Le soir, pour concert ou théâtre: robe de velours ouverte des côtés sur
-un revers de satin pareil, sur lequel sont posés des noeuds de rubans
-diminuant de grosseur en montant vers la taille; petit bord orné de
-plumes. Pour bal: robe de tulle à deux jupes, la seconde relevée par une
-agrafe de trois marguerites variées de couleurs; couronne de
-marguerites; éventail ancien. Ou bien encore: robe à trois jupes en
-crêpe blanc, superposées et bordées de trois franges de jais blanc, de
-hauteurs différentes, la plus petite au jupon de dessus; corsage drapé;
-couronne de roses et de raisins.
-
-
-
-Correspondance.
-
-_A M. L. P., à Lyon_.--Votre lettre est envoyée au dessinateur.
-
-_A M. H. B., à Ely (Angleterre)_.--Nous ne pouvons insérer votre lettre;
-mais nous profiterons de vos bons conseils.
-
-_A M. Z., à Saint-Diè_.--La _Table des Matières_ ne peut être envoyée
-par la poste; vous devez la faire demander par le libraire de votre
-ville. Nous croyons en effet qu'il y a quelque chose à faire dans le
-sens de vos observations; nous y aviserons.
-
-_A M. G., de V_.--Nous l'avons déjà dit: les goûts sont très-divers, et
-pourtant il faut tâcher de plaire à tout le monde.
-
-_A M. L. D. C. à Rouen_.--Donnez-nous plus de détails. Cela dépend de la
-nature de l'affaire.
-
-_A M. L. P., à Alger._--Nous avons profité de votre communication; nous
-acceptons vos offres.
-
-_A M. M., à Paris_.--C'est elle ou vous; mais si ce n'est pas elle?
-
-_A M., à la Rochelle_.--Nous avons reçu hier seulement votre envoi. Nous
-tâcherons de répondre à vos intentions.
-
-
-
-Rébus.
-
-EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:
-
-Un bâtiment marchand battu par un gros temps.
-
-[Illustration: Nouveau rébus.]
-
-
-
-
-
-
-
-
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<title>The Project Gutenberg eBook of L'illustration, 0053, 2 MARS 1844 by
Various</title>
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<body>
-
-
-<pre>
-
-Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0053, 2 Mars 1844, by Various
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
-almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
-re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
-with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
-
-
-Title: L'Illustration, No. 0053, 2 Mars 1844
-
-Author: Various
-
-Release Date: September 3, 2013 [EBook #43632]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0053, 2 MARS 1844 ***
-
-
-
-
-Produced by Rénald Lévesque
-
-
-
-
-
-</pre>
-
-
-
+<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 43632 ***</div>
<br><br>
@@ -108,12 +72,12 @@ Produced by Rénald Lévesque
<pre>
Ab. pour Paris--3 mois, 8 fr.--6 mois, 15 fr.--Un an, 30 fr.
- Prix de chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.
+ Prix de chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.
- Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr.
- pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40
+ Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr.
+ pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40
- N° 53. Vol. III.--SAMEDI 2 MARS 1844.
+ N° 53. Vol. III.--SAMEDI 2 MARS 1844.
Bureaux, rue de Seine, 33.
</pre>
<br><br>
@@ -122,17 +86,17 @@ Produced by Rénald Lévesque
<p><b>Histoire de la Semaine</b>, <i>Vue de la ville d'Alicante; Portrait du
contre-amiral Dupetit-Thouars.</i>--<b>Courrier de Paris</b>.--Salon de 1844.
-Visite dans les Ateliers. <i>Portraits de MM. Ingres, Delaroche, Eugène
+Visite dans les Ateliers. <i>Portraits de MM. Ingres, Delaroche, Eugène
Delacroix, Horace Vernet, Decamps et Charlet; le Jury de l'Exposition,
par Decamps; trois Caricatures.</i>--<b>Fragments d'un Voyage en Afrique</b>.
-(Suite.)--<b>Les Mystères de l'Administration</b>. <i>Atelier des Graveurs de
+(Suite.)--<b>Les Mystères de l'Administration</b>. <i>Atelier des Graveurs de
l'Illustration le jour; Atelier des Graveurs la nuit; Bureau de
-Rédaction l'Illustration.</i>--<b>Don Graviel l'Alferez.</b> Fantaisie maritime.
-(Suite.) <i>Une Gravure.</i>--<b>Épisodes de la Vie d'une pièce d'or</b>, racontés
-par elle-même.--<b>Armée</b>. Recrutement, Tirage. <i>Trois Gravures.</i> <b>Théâtres</b>.
-Académie royale de Musique. <i>Une Scène de Lady Henriette.--Bureau
+Rédaction l'Illustration.</i>--<b>Don Graviel l'Alferez.</b> Fantaisie maritime.
+(Suite.) <i>Une Gravure.</i>--<b>Épisodes de la Vie d'une pièce d'or</b>, racontés
+par elle-même.--<b>Armée</b>. Recrutement, Tirage. <i>Trois Gravures.</i> <b>Théâtres</b>.
+Académie royale de Musique. <i>Une Scène de Lady Henriette.--Bureau
d'abonnement de la rue de Seine.</i>--<b>Bulletin bibliographique--Figure
-allégorique de Mars.--Modes</b>. <i>Une Gravure.</i>--<b>Correspondance.--Rébus.</b></p>
+allégorique de Mars.--Modes</b>. <i>Une Gravure.</i>--<b>Correspondance.--Rébus.</b></p>
<br><br>
@@ -140,393 +104,393 @@ allégorique de Mars.--Modes</b>. <i>Une Gravure.</i>--<b>Correspondance.--Rébus.
<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>Vue d'Alicante.</b></p>
-<p>Jamais peut-être, depuis la grande lutte parlementaire de la coalition,
-la Chambre des Députés n'a été en proie à des émotions plus vives que
+<p>Jamais peut-être, depuis la grande lutte parlementaire de la coalition,
+la Chambre des Députés n'a été en proie à des émotions plus vives que
celles qui l'agitent depuis quelques semaines. Nous mentionnions il y a
-huit jours le rejet de la proposition de M. de Rémusat après une
-discussion qui avait surexcité la Chambre. La déclaration par le bureau
-d'une majorité contre cette proposition a causé des réclamations et des
+huit jours le rejet de la proposition de M. de Rémusat après une
+discussion qui avait surexcité la Chambre. La déclaration par le bureau
+d'une majorité contre cette proposition a causé des réclamations et des
protestations qui se sont traduites en une demande de modification du
-règlement. M. Combarel de Leyval a proposé que, tout en maintenant le
+règlement. M. Combarel de Leyval a proposé que, tout en maintenant le
scrutin secret pour le vote sur l'ensemble des lois et pour les autres
-cas où vingt députés le demanderaient, on procédât au vote par division
-toutes les fois que dix membres de la Chambre le réclameraient. Admise à
-la lecture par trois bureaux, cette proposition sera développée et sa
-prise en considération discutée dans la séance du 9 mars.--Vendredi de
-la semaine dernière, a été lu le rapport de M. Allard sur des pétitions
-adressées à la Chambre contre les fortifications de Paris. La discussion
-sur les conclusions de la commission qui propose l'ordre du jour, a été
-fixée au jour où paraîtra ce numéro.--La discussion sur le projet de loi
-présenté par M. le maréchal Soult pour qu'une pension viagère de 3,000
-fr. fût inscrite sur le grand-livre de l'État au profit de mademoiselle
+cas où vingt députés le demanderaient, on procédât au vote par division
+toutes les fois que dix membres de la Chambre le réclameraient. Admise à
+la lecture par trois bureaux, cette proposition sera développée et sa
+prise en considération discutée dans la séance du 9 mars.--Vendredi de
+la semaine dernière, a été lu le rapport de M. Allard sur des pétitions
+adressées à la Chambre contre les fortifications de Paris. La discussion
+sur les conclusions de la commission qui propose l'ordre du jour, a été
+fixée au jour où paraîtra ce numéro.--La discussion sur le projet de loi
+présenté par M. le maréchal Soult pour qu'une pension viagère de 3,000
+fr. fût inscrite sur le grand-livre de l'État au profit de mademoiselle
Dronet d'Erlon, comme un hommage rendu aux glorieux services et au pur
-désintéressement du maréchal son père, cette discussion, qui en tout
-autre temps eût passé inaperçue, a eu, elle aussi, son retentissement
-politique. Un député de l'opposition, M. Lherbette, a rappelé combien
-l'exposé des motifs de ce projet de loi qu'il appuyait contrastait avec
-certains ordres du jour et certaines proclamations publiées en 1815 par
-l'auteur de ce même exposé, contre le maréchal à la mémoire duquel on
+désintéressement du maréchal son père, cette discussion, qui en tout
+autre temps eût passé inaperçue, a eu, elle aussi, son retentissement
+politique. Un député de l'opposition, M. Lherbette, a rappelé combien
+l'exposé des motifs de ce projet de loi qu'il appuyait contrastait avec
+certains ordres du jour et certaines proclamations publiées en 1815 par
+l'auteur de ce même exposé, contre le maréchal à la mémoire duquel on
rendait aujourd'hui un si digne hommage. De ce contraste si frappant M.
-Lherbette a fait sortir cette moralité, recommandée par lui aux hommes
-et aux corps politiques, qu'il ne faut jamais flétrir ses
-adversaires.--On comprend que cette disposition générale, cette
-animation des esprits à la Chambre la prépare assez mal à la discussion
-des lois. Nous avons dit ce qui était advenu pour la loi de la chasse.
-La loi des patentes a profité un peu de la lassitude que la précédente,
-avait fait éprouver et du désir qu'on avait d'en finir pour arriver à
-des discussions politiques auxquelles les partis en présence s'étaient
-donne rendez-vous. Les votes des premiers articles se sont donc succédé
-avec quelque, rapidité, mais il est plus que probable que la Chambre des
+Lherbette a fait sortir cette moralité, recommandée par lui aux hommes
+et aux corps politiques, qu'il ne faut jamais flétrir ses
+adversaires.--On comprend que cette disposition générale, cette
+animation des esprits à la Chambre la prépare assez mal à la discussion
+des lois. Nous avons dit ce qui était advenu pour la loi de la chasse.
+La loi des patentes a profité un peu de la lassitude que la précédente,
+avait fait éprouver et du désir qu'on avait d'en finir pour arriver à
+des discussions politiques auxquelles les partis en présence s'étaient
+donne rendez-vous. Les votes des premiers articles se sont donc succédé
+avec quelque, rapidité, mais il est plus que probable que la Chambre des
Pairs leur fera subir d'utiles amendements et que plus d'un d'entre eux
-reviendra de nouveau, modifié, à la Chambre des Députés. Dans la
-discussion générale, quelques orateurs se sont exercés à démontrer que
-l'impôt de la patente est un reste de la féodalité, une sorte de servage
-qui pèse encore sur le commerce et l'industrie. L'impôt est aujourd'hui
-un esclavage assez général pour que l'industrie et le commerce n'aient
-point à rougir d'y être soumis comme tout le monde; nous ne voyons guère
-que les rentiers sur l'État qui en soient dispensés. Cette réclamation,
-ou plutôt cette déclamation, avait donc peu de chances de succès, et
+reviendra de nouveau, modifié, à la Chambre des Députés. Dans la
+discussion générale, quelques orateurs se sont exercés à démontrer que
+l'impôt de la patente est un reste de la féodalité, une sorte de servage
+qui pèse encore sur le commerce et l'industrie. L'impôt est aujourd'hui
+un esclavage assez général pour que l'industrie et le commerce n'aient
+point à rougir d'y être soumis comme tout le monde; nous ne voyons guère
+que les rentiers sur l'État qui en soient dispensés. Cette réclamation,
+ou plutôt cette déclamation, avait donc peu de chances de succès, et
mieux valait s'attacher uniquement, et sans diversion mal entendue, au
-point véritable du débat, à la question qui domine toutes les autres,
-celle de savoir si la patente continuera de former un impôt de
-<i>qualité</i>, ou bien si on la fera rentrer dans la catégorie des autres
-contributions, en l'établissant comme impôt de <i>répartition</i>. Avec le
-mode actuel, l'impôt pris en masse aurait beau n'être pas trop élevé,
-qu'il pourrait encore, outre mesure et inévitablement, écraser les uns
-et ménager les autres. Des tarifs inflexibles imposent aveuglément les
-mêmes charges, à peu de différence près, aux individus qui exercent la
-même profession, sans tenir un compte suffisant l'étendue de leur
-industrie. Avec le mode de répartition, au contraire, demandé par la
-plupart des patentés de Paris dans une pétition qu'ils ont fait
-distribuer à la Chambre, la loi annuelle de finances fixerait le chiffre
-d'impôt que doit supporter l'industrie, et le répartirait entre les
-départements comme elle le fait pour les autres impôts directs; le
-trésor demeurerait en dehors de la répartition, qui serait opérée entre
-les arrondissements par les conseils généraux, entre les communes par
+point véritable du débat, à la question qui domine toutes les autres,
+celle de savoir si la patente continuera de former un impôt de
+<i>qualité</i>, ou bien si on la fera rentrer dans la catégorie des autres
+contributions, en l'établissant comme impôt de <i>répartition</i>. Avec le
+mode actuel, l'impôt pris en masse aurait beau n'être pas trop élevé,
+qu'il pourrait encore, outre mesure et inévitablement, écraser les uns
+et ménager les autres. Des tarifs inflexibles imposent aveuglément les
+mêmes charges, à peu de différence près, aux individus qui exercent la
+même profession, sans tenir un compte suffisant l'étendue de leur
+industrie. Avec le mode de répartition, au contraire, demandé par la
+plupart des patentés de Paris dans une pétition qu'ils ont fait
+distribuer à la Chambre, la loi annuelle de finances fixerait le chiffre
+d'impôt que doit supporter l'industrie, et le répartirait entre les
+départements comme elle le fait pour les autres impôts directs; le
+trésor demeurerait en dehors de la répartition, qui serait opérée entre
+les arrondissements par les conseils généraux, entre les communes par
les conseils d'arrondissements, et entre les contribuables par les
-commissaires répartiteurs, c'est-à-dire par leurs pairs. Le ministre et
-le rapporteur de la commission ont combattu ce système, le plus logique
-et celui qui mettrait le plus sûrement l'administration à l'abri de
-toute réclamation particulière. Leurs raisons ne nous ont paru que
-spécieuses. Il n'y avait jusqu'ici que des patentes de marchands en gros
-et de marchands en détail; on a imaginé la patente intermédiaire de
-marchand en demi-gros. Quelques députés ont voulu voir dans cette
-création un moyen politique mis aux mains d'un ministère pour favoriser
-certains patentés de la première classe, et tenir en respect certains
-autres de la dernière. Sans vouloir croire à ce calcul, nous entrevoyons
-dans cette subdivision peu tranchée une source inévitable d'abus même
-involontaires. Quant aux classifications d'industries, ou plutôt à leur
-nomenclature, elle présente de singulières professions patentables.
-Croirait-on que l'opérateur, c'est-à-dire le charlatan qui exerce dans
-les foires et sur les places des marchés, et que la police
-correctionnelle condamne comme exerçant la médecine et la chirurgie sans
-diplôme, est amnistié, mais, il est vrai, patenté par M. le ministre des
-finances! Cela rappelle trop l'innocence, aux yeux de la régie des
-droits réunis, du vin frelaté, pourvu que le mélange eût payé le droit.
-L'opérateur sera-t-il soumis à une patente de gros, de demi-gros ou de
-détail? Quand il saura n'arracher qu'une dent à la fois, il sera sans
-doute de troisième classe; mais quand d'un coup il vous arrachera la
-mâchoire tout, entière, il devra être rangé dans la première, ou le fisc
-n'entendrait bien ni l'équité ni ses intérêts, ce qui nous étonnerait à
-des degrés différents. Il faut savoir faire respecter les lois, mais un
-des moyens les plus sûrs, c'est de les faire respectables. Du reste,
-nous le répétons, la Chambre avait hâte d'en finir avec cette
+commissaires répartiteurs, c'est-à-dire par leurs pairs. Le ministre et
+le rapporteur de la commission ont combattu ce système, le plus logique
+et celui qui mettrait le plus sûrement l'administration à l'abri de
+toute réclamation particulière. Leurs raisons ne nous ont paru que
+spécieuses. Il n'y avait jusqu'ici que des patentes de marchands en gros
+et de marchands en détail; on a imaginé la patente intermédiaire de
+marchand en demi-gros. Quelques députés ont voulu voir dans cette
+création un moyen politique mis aux mains d'un ministère pour favoriser
+certains patentés de la première classe, et tenir en respect certains
+autres de la dernière. Sans vouloir croire à ce calcul, nous entrevoyons
+dans cette subdivision peu tranchée une source inévitable d'abus même
+involontaires. Quant aux classifications d'industries, ou plutôt à leur
+nomenclature, elle présente de singulières professions patentables.
+Croirait-on que l'opérateur, c'est-à-dire le charlatan qui exerce dans
+les foires et sur les places des marchés, et que la police
+correctionnelle condamne comme exerçant la médecine et la chirurgie sans
+diplôme, est amnistié, mais, il est vrai, patenté par M. le ministre des
+finances! Cela rappelle trop l'innocence, aux yeux de la régie des
+droits réunis, du vin frelaté, pourvu que le mélange eût payé le droit.
+L'opérateur sera-t-il soumis à une patente de gros, de demi-gros ou de
+détail? Quand il saura n'arracher qu'une dent à la fois, il sera sans
+doute de troisième classe; mais quand d'un coup il vous arrachera la
+mâchoire tout, entière, il devra être rangé dans la première, ou le fisc
+n'entendrait bien ni l'équité ni ses intérêts, ce qui nous étonnerait à
+des degrés différents. Il faut savoir faire respecter les lois, mais un
+des moyens les plus sûrs, c'est de les faire respectables. Du reste,
+nous le répétons, la Chambre avait hâte d'en finir avec cette
discussion, si importante pourtant, car des interpellations de M. de
-Carné, à M. le ministre des affaires étrangères sur les mesures prises
-par le cabinet au sujet de Taïti avaient été annoncées et fixées à
+Carné, à M. le ministre des affaires étrangères sur les mesures prises
+par le cabinet au sujet de Taïti avaient été annoncées et fixées à
jeudi. Elle n'y est pas parvenue, et la discussion de la loi des
-patentes a dû être interrompue.</p>
+patentes a dû être interrompue.</p>
-<p>Nous rendions compte, il y a huit jours, de la déchéance, prononcée par
-l'amiral Dupetit-Thouars, de la reine Pomaré, qui s'était obstinément
-refusée à exécuter le traité, et de la prise de possession de l'île de
-Taïti au nom du roi des Français. Nous disions que le silence du
-gouvernement au sujet de cet événement était diversement, mais peu
+<p>Nous rendions compte, il y a huit jours, de la déchéance, prononcée par
+l'amiral Dupetit-Thouars, de la reine Pomaré, qui s'était obstinément
+refusée à exécuter le traité, et de la prise de possession de l'île de
+Taïti au nom du roi des Français. Nous disions que le silence du
+gouvernement au sujet de cet événement était diversement, mais peu
<span class="lef"><img alt="" src="images/001b.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>Le contre amiral Dupetit-Thouars.</b></span>
-favorablement interprété. Les Chambres anglaises et le cabinet de
+favorablement interprété. Les Chambres anglaises et le cabinet de
Saint-James avaient, au contraire, fait entendre les protestations les
-plus vives. Le Moniteur a enfin parlé. Voici la note officielle qui y a
-été insérée le 26 février: «Le gouvernement a reçu des nouvelles de
-l'île de Taïti, en date du 1er au 9 novembre 1842. M. le contre-amiral
-Dupetit-Thouars, arrivé dans la baie de Papéiti le 1er novembre pour
-exécuter le traité du 9 septembre 1842, que le roi avait ratifié, a cru
-devoir ne pas s'en tenir aux stipulations de ce traité, et prendre
-possession de la souveraineté entière de l'île. La reine Pomaré a écrit
-au roi pour réclamer les dispositions du traité qui lui assurent la
-souveraineté intérieure de son pays, et le supplier de la maintenir dans
+plus vives. Le Moniteur a enfin parlé. Voici la note officielle qui y a
+été insérée le 26 février: «Le gouvernement a reçu des nouvelles de
+l'île de Taïti, en date du 1er au 9 novembre 1842. M. le contre-amiral
+Dupetit-Thouars, arrivé dans la baie de Papéiti le 1er novembre pour
+exécuter le traité du 9 septembre 1842, que le roi avait ratifié, a cru
+devoir ne pas s'en tenir aux stipulations de ce traité, et prendre
+possession de la souveraineté entière de l'île. La reine Pomaré a écrit
+au roi pour réclamer les dispositions du traité qui lui assurent la
+souveraineté intérieure de son pays, et le supplier de la maintenir dans
ses droits. Le roi, de l'avis de sou conseil, ne trouvant pas, dans les
-faits rapportés, de motifs suffisants pour déroger au traité du 9
-septembre 1812, a ordonné l'exécution pure et simple de ce traité, et
-l'établissement du protectorat français dans l'île de Taïti.» En même
-temps que ces lignes étaient envoyées au Moniteur, une dépêche était
-expédiée pour faire partir une corvette portant à M. Dupetit-Thouars un
-ordre de rappel. Jeudi, une discussion très-vive s'est engagée à ce
-sujet. Les interpellations de M. de Carné l'ont ouverte. M. le ministre
-des affaires étrangères y a répondu. A M. Guizot a succédé M. Billaut.
-L'un et l'autre ont captivé toute l'attention de la Chambre. M. le
-ministre de la marine a peut-être été moins heureux, et a laissé un trop
-beau jeu à M. Dufaure, qui est venu taxer le parti pris par le cabinet
-d'inconsidération, et son désaveu de la conduite de MM. Dupetit-Thouars
+faits rapportés, de motifs suffisants pour déroger au traité du 9
+septembre 1812, a ordonné l'exécution pure et simple de ce traité, et
+l'établissement du protectorat français dans l'île de Taïti.» En même
+temps que ces lignes étaient envoyées au Moniteur, une dépêche était
+expédiée pour faire partir une corvette portant à M. Dupetit-Thouars un
+ordre de rappel. Jeudi, une discussion très-vive s'est engagée à ce
+sujet. Les interpellations de M. de Carné l'ont ouverte. M. le ministre
+des affaires étrangères y a répondu. A M. Guizot a succédé M. Billaut.
+L'un et l'autre ont captivé toute l'attention de la Chambre. M. le
+ministre de la marine a peut-être été moins heureux, et a laissé un trop
+beau jeu à M. Dufaure, qui est venu taxer le parti pris par le cabinet
+d'inconsidération, et son désaveu de la conduite de MM. Dupetit-Thouars
et Bruat d'imprudence. M. le ministre de l'instruction publique a cru
-devoir prendre part au débat. La Chambre s'est montrée distraite pendant
-son discours, et l'attention n'a été réveillée que par la proposition de
-M. Ducos de motiver ainsi l'ordre du jour: «La Chambre, sans approuver
-la conduite du ministère, passe à l'ordre du jour.» M. Guizot a vivement
-demandé le renvoi de la discussion au lendemain, pour qu'il lui fût
-possible d'apporter à la tribune des preuves nouvelles. La Chambre,
-malgré son impatience de voter, a consenti au renvoi. Le lendemain la
-discussion a été traînante. Pendant la plus grande partie de la séance,
-la tribune n'a été occupée que par des comparses. MM. Guizot, Ducos et
-Thiers ont bien, à la fin, rendu quelque vivacité au débat. Mais les
-disposions de la Chambré étaient évidemment changées, et le ministère a
-obtenu 233 voix sur 420 votants. L'opposition ne s'est, plus trouvée en
+devoir prendre part au débat. La Chambre s'est montrée distraite pendant
+son discours, et l'attention n'a été réveillée que par la proposition de
+M. Ducos de motiver ainsi l'ordre du jour: «La Chambre, sans approuver
+la conduite du ministère, passe à l'ordre du jour.» M. Guizot a vivement
+demandé le renvoi de la discussion au lendemain, pour qu'il lui fût
+possible d'apporter à la tribune des preuves nouvelles. La Chambre,
+malgré son impatience de voter, a consenti au renvoi. Le lendemain la
+discussion a été traînante. Pendant la plus grande partie de la séance,
+la tribune n'a été occupée que par des comparses. MM. Guizot, Ducos et
+Thiers ont bien, à la fin, rendu quelque vivacité au débat. Mais les
+disposions de la Chambré étaient évidemment changées, et le ministère a
+obtenu 233 voix sur 420 votants. L'opposition ne s'est, plus trouvée en
avoir que 187.</p>
<p>D'autres discussions non moins vives que celles que nous avons
-rapportées et annoncées se laissent encore entrevoir dans un
-très-prochain avenir. M. Charles Laffitte, dont l'élection à Louviers a
-été une première fois annulée par la Chambre sur la proposition même du
-ministère, comme offrant des faits de corruption trop évidents pour que
-leur constatation eût besoin d'une enquête, M. Charles Laffitte vient
-d'être réélu de nouveau par le même collège. L'annulation de l'élection
-sera-t-elle prononcée avec la même unanimité? sera-t-elle au contraire
-combattue, et une enquête sera-t-elle ordonnée? Que la Chambre se montre
-conséquente ou inconséquente avec elle-même, il y aura là encore à coup
-sûr une séance curieuse pour les spectateurs qui recherchent les luttes
-animées. La demande prochaine d'un crédit pour les fonds secrets en
-amènera de nouvelles.--On remarque à la Chambre, avec un étonnement mêlé
-de curiosité, le silence de M. de Lamartine, qui avait si souvent et
-avec tant de retentissement occupé des tribunes diverses entre les deux
-sessions, et qui n'a prononcé qu'un très-court discours depuis que la
+rapportées et annoncées se laissent encore entrevoir dans un
+très-prochain avenir. M. Charles Laffitte, dont l'élection à Louviers a
+été une première fois annulée par la Chambre sur la proposition même du
+ministère, comme offrant des faits de corruption trop évidents pour que
+leur constatation eût besoin d'une enquête, M. Charles Laffitte vient
+d'être réélu de nouveau par le même collège. L'annulation de l'élection
+sera-t-elle prononcée avec la même unanimité? sera-t-elle au contraire
+combattue, et une enquête sera-t-elle ordonnée? Que la Chambre se montre
+conséquente ou inconséquente avec elle-même, il y aura là encore à coup
+sûr une séance curieuse pour les spectateurs qui recherchent les luttes
+animées. La demande prochaine d'un crédit pour les fonds secrets en
+amènera de nouvelles.--On remarque à la Chambre, avec un étonnement mêlé
+de curiosité, le silence de M. de Lamartine, qui avait si souvent et
+avec tant de retentissement occupé des tribunes diverses entre les deux
+sessions, et qui n'a prononcé qu'un très-court discours depuis que la
tribune parlementaire est ouverte. Son journal, <i>le Bien public</i>, imite
-sa réserve, et n'en est guère sorti qu'une fois pour attaquer
+sa réserve, et n'en est guère sorti qu'une fois pour attaquer
l'opposition.</p>
-<p>Des lettres particulières de Beyrouth, du 10 janvier, mentionnent le
-fait suivant, qui mérite d'être cité. Vers la fin de décembre et
-quelques jours après l'arrivée du nouveau pacha Haider, un juif
-algérien, ignorant qu'il était défendu aux juifs de passer devant
-l'église du Saint-Sépulcre, s'approcha de cet édifice. Il fut aussitôt
-assailli par une bande de lunatiques chrétiens qui le maltraitèrent
-cruellement et le laissèrent pour mort sur la place. Lorsque le pauvre
-juif eut recouvré ses sens et qu'il put marcher, il se rendit chez le
-consul français, M. de Lantivy, et l'informa de ce qui lui était arrivé.
-Le consul envoya aussitôt une plainte au pacha, lequel fit arrêter
-immédiatement les coupables. Cette mesure causa une sensation
-extraordinaire dans la population chrétienne; on invoqua comme excuse
-l'usage qui défendait aux juifs de fréquenter le voisinage de l'église.
+<p>Des lettres particulières de Beyrouth, du 10 janvier, mentionnent le
+fait suivant, qui mérite d'être cité. Vers la fin de décembre et
+quelques jours après l'arrivée du nouveau pacha Haider, un juif
+algérien, ignorant qu'il était défendu aux juifs de passer devant
+l'église du Saint-Sépulcre, s'approcha de cet édifice. Il fut aussitôt
+assailli par une bande de lunatiques chrétiens qui le maltraitèrent
+cruellement et le laissèrent pour mort sur la place. Lorsque le pauvre
+juif eut recouvré ses sens et qu'il put marcher, il se rendit chez le
+consul français, M. de Lantivy, et l'informa de ce qui lui était arrivé.
+Le consul envoya aussitôt une plainte au pacha, lequel fit arrêter
+immédiatement les coupables. Cette mesure causa une sensation
+extraordinaire dans la population chrétienne; on invoqua comme excuse
+l'usage qui défendait aux juifs de fréquenter le voisinage de l'église.
Les prieurs des couvents latins et grecs intervinrent en faveur de leurs
coreligionnaires; mais M. de Lantivy ne voulut rien entendre, et soutint
-que le commandement; <i>Tu ne te tueras point</i>, devait bien plutôt être
-observé qu'un usage barbare, même consacré par la tradition.
-Haider-Pacha était tout à fait de l'opinion du consul français; mais les
-prieurs des couvents ayant engagé leur parole qu'aucun outrage de ce
-genre n'arriverait plus, M. de Lantivy consentit à ce qu'on relâchât les
-prisonniers après quelques heures d'emprisonnement, à condition qu'ils
-paieraient les dépenses que nécessiterait la guérison de leur victime.
-En outre, le pacha publia un ordre défendant aux chrétiens, sous les
-peines les plus sévères, de maltraiter désormais les juifs qui
-passeraient devant l'église du Saint-Sépulcre. On ne saurait assez
+que le commandement; <i>Tu ne te tueras point</i>, devait bien plutôt être
+observé qu'un usage barbare, même consacré par la tradition.
+Haider-Pacha était tout à fait de l'opinion du consul français; mais les
+prieurs des couvents ayant engagé leur parole qu'aucun outrage de ce
+genre n'arriverait plus, M. de Lantivy consentit à ce qu'on relâchât les
+prisonniers après quelques heures d'emprisonnement, à condition qu'ils
+paieraient les dépenses que nécessiterait la guérison de leur victime.
+En outre, le pacha publia un ordre défendant aux chrétiens, sous les
+peines les plus sévères, de maltraiter désormais les juifs qui
+passeraient devant l'église du Saint-Sépulcre. On ne saurait assez
hautement approuver la conduite de notre consul dans cette circonstance.
-Ce serait ravaler l'influence que la conformité de croyance peut assurer
-à la France parmi ces populations, que de n'en pas user pour faire
-prévaloir avant tout les intérêts sacrés de l'humanité.</p>
-
-<p>Notre envoyé extraordinaire à Haïti, M. Adolphe Barrot, qui s'y était
-embarqué le 8 janvier sur la corvette <i>l'Aube</i>, est entré dans le port
-de Brest le 21 février. Il n'a consenti aucune remise sur les arrérages
-échus de l'indemnité due aux colons français, et rapporte 300,000
-piastres fortes (1,800,000 f.). Des commissaires haïtiens seront
-expédiés à Paris pour s'entendre sur le paiement des intérêts de
-l'emprunt. Avant son départ, M. Barrot avait assisté à l'installation du
-nouveau président de la république, le général Hérard; la France était
-également représentée à cette solennité par le contre-amiral de Moges et
-l'état-major de la <i>Néréide</i>, et des bricks <i>Génie</i> et <i>Papillon</i>, qui
-sont demeurés dans ce port. La nouvelle constitution proclamée à Haïti
-déclare que les Africains et les Indiens, et leurs descendants par le
-père ou par la mère, pourront devenir citoyens. Aucun blanc ne pourra
-obtenir ce titre. La deuxième partie pourvoit aux droits civils et
-politiques. Dans la troisième est déclarée l'égalité des citoyens; la
-liberté de la presse est garantie. Des écoles seront ouvertes pour les
+Ce serait ravaler l'influence que la conformité de croyance peut assurer
+à la France parmi ces populations, que de n'en pas user pour faire
+prévaloir avant tout les intérêts sacrés de l'humanité.</p>
+
+<p>Notre envoyé extraordinaire à Haïti, M. Adolphe Barrot, qui s'y était
+embarqué le 8 janvier sur la corvette <i>l'Aube</i>, est entré dans le port
+de Brest le 21 février. Il n'a consenti aucune remise sur les arrérages
+échus de l'indemnité due aux colons français, et rapporte 300,000
+piastres fortes (1,800,000 f.). Des commissaires haïtiens seront
+expédiés à Paris pour s'entendre sur le paiement des intérêts de
+l'emprunt. Avant son départ, M. Barrot avait assisté à l'installation du
+nouveau président de la république, le général Hérard; la France était
+également représentée à cette solennité par le contre-amiral de Moges et
+l'état-major de la <i>Néréide</i>, et des bricks <i>Génie</i> et <i>Papillon</i>, qui
+sont demeurés dans ce port. La nouvelle constitution proclamée à Haïti
+déclare que les Africains et les Indiens, et leurs descendants par le
+père ou par la mère, pourront devenir citoyens. Aucun blanc ne pourra
+obtenir ce titre. La deuxième partie pourvoit aux droits civils et
+politiques. Dans la troisième est déclarée l'égalité des citoyens; la
+liberté de la presse est garantie. Des écoles seront ouvertes pour les
deux sexes, et l'enseignement y sera libre et gratuit. Le peuple a le
-droit de s'assembler, mais sans armes. Les pouvoirs législatif, exécutif
-et judiciaire sont définis. Le pouvoir exécutif est aux mains du
-président; le pouvoir législatif est composé d'un Sénat et d'une Chambre
-des Communes. Un tiers du Sénat se renouvelle tous les deux ans. Le jury
-est établi. Les couleurs de la république sont bleu et rouge, placés
-horizontalement; les armes: une palme surmontée du bonnet de la liberté
-et ornée d'un trophée d'armes avec la légende; l'union fait la force.
-Port-au-Prince est le siège du gouvernement, et prend le nom de
-Port-Républicain. Une amnistie a été prononcée; mais l'exil du président
+droit de s'assembler, mais sans armes. Les pouvoirs législatif, exécutif
+et judiciaire sont définis. Le pouvoir exécutif est aux mains du
+président; le pouvoir législatif est composé d'un Sénat et d'une Chambre
+des Communes. Un tiers du Sénat se renouvelle tous les deux ans. Le jury
+est établi. Les couleurs de la république sont bleu et rouge, placés
+horizontalement; les armes: une palme surmontée du bonnet de la liberté
+et ornée d'un trophée d'armes avec la légende; l'union fait la force.
+Port-au-Prince est le siège du gouvernement, et prend le nom de
+Port-Républicain. Une amnistie a été prononcée; mais l'exil du président
Boyer est maintenu.</p>
-<p>Il nous faudrait détourner les yeux de l'Espagne s'il n'était pas du
-devoir de la presse tout entière de mettre au ban des nations les hommes
-de sang qui la déciment aujourd'hui. Nous avons rapporté la dépêche
-atroce du ministre de la guerre. Le général Roncali, celui-là même qui
-accusait avec justice Espartero de manquer de générosité, d'humanité à
-l'occasion de l'exécution de Diégo Léon, ne se l'est pas fait dire à
-deux fois et a immédiatement procédé à l'assassinat sur la plus large
-échelle. Sept officiers supérieurs et subalternes ont été fusillés sur
-son commandement, et les soldats tombés en même temps que ces malheureux
-aux mains du brigadier Pardo ont été également décimés par ordre, de
-Roncali. On comprend qu'avec de pareils monstres et à côté de crimes
+<p>Il nous faudrait détourner les yeux de l'Espagne s'il n'était pas du
+devoir de la presse tout entière de mettre au ban des nations les hommes
+de sang qui la déciment aujourd'hui. Nous avons rapporté la dépêche
+atroce du ministre de la guerre. Le général Roncali, celui-là même qui
+accusait avec justice Espartero de manquer de générosité, d'humanité à
+l'occasion de l'exécution de Diégo Léon, ne se l'est pas fait dire à
+deux fois et a immédiatement procédé à l'assassinat sur la plus large
+échelle. Sept officiers supérieurs et subalternes ont été fusillés sur
+son commandement, et les soldats tombés en même temps que ces malheureux
+aux mains du brigadier Pardo ont été également décimés par ordre, de
+Roncali. On comprend qu'avec de pareils monstres et à côté de crimes
semblables la mesure suivante n'est plus qu'une gentillesse. Les
-rédacteurs du journal <i>el Mundo</i> ont reçu l'ordre que voici:
-«GOUVERNEMENT POLITIQUE DE LA PROVINCE DE MADRID. A dater de ce jour,
-vous cesserez de publier le journal intitulé <i>el Mundo</i>. Dieu vous
-garde! Madrid, 18 février 1844. ANTONIO BENAVIDES.»--La ville
-d'Alicante, où l'insurrection est maîtresse, se trouve bloquée.
-Peut-être qu'à l'heure où nous écrivons, la ruine et la mort règnent
+rédacteurs du journal <i>el Mundo</i> ont reçu l'ordre que voici:
+«GOUVERNEMENT POLITIQUE DE LA PROVINCE DE MADRID. A dater de ce jour,
+vous cesserez de publier le journal intitulé <i>el Mundo</i>. Dieu vous
+garde! Madrid, 18 février 1844. ANTONIO BENAVIDES.»--La ville
+d'Alicante, où l'insurrection est maîtresse, se trouve bloquée.
+Peut-être qu'à l'heure où nous écrivons, la ruine et la mort règnent
seules dans ses murs.</p>
-<p>Les nouvelles de Lisbonne nous font peu connaître la situation
-respective des partis armés en Portugal. Tout ce qu'elles nous
-apprennent clairement, c'est que là aussi, comme à Madrid, la
+<p>Les nouvelles de Lisbonne nous font peu connaître la situation
+respective des partis armés en Portugal. Tout ce qu'elles nous
+apprennent clairement, c'est que là aussi, comme à Madrid, la
constitution est mise hors la loi.</p>
-<p>L'attention et les ovations ont suivi O'Connell à Londres. Les whigs,
-qu'il a si souvent maltraités dans ses harangues populaires d'Irlande,
-se sont montrés généreusement oublieux, et lui ont témoigné une
-sympathie qui a été, en plusieurs circonstances, portée à
-l'enthousiasme. On a annoncé qu'il devait assister à une réunion que la
-ligue contre les céréales avait convoquée à Covent-Garden. Une longue
-file d'équipages, des flots serrés et ardents de population, se sont
-dirigés vers ce théâtre. La salle n'a pu contenir qu'un bien petit
+<p>L'attention et les ovations ont suivi O'Connell à Londres. Les whigs,
+qu'il a si souvent maltraités dans ses harangues populaires d'Irlande,
+se sont montrés généreusement oublieux, et lui ont témoigné une
+sympathie qui a été, en plusieurs circonstances, portée à
+l'enthousiasme. On a annoncé qu'il devait assister à une réunion que la
+ligue contre les céréales avait convoquée à Covent-Garden. Une longue
+file d'équipages, des flots serrés et ardents de population, se sont
+dirigés vers ce théâtre. La salle n'a pu contenir qu'un bien petit
nombre de ces curieux. La plupart des membres de l'association ont en
-vain exhibé leurs cartes, tout était occupé, et les femmes les plus
-brillantes se montraient aux premiers rangs. Des affiches ont été
-placardées au dehors pour annoncer que la salle était comble, et que
-toute tentative pour y pénétrer serait inutile. La foule extérieure
-s'est résignée, mais sans se disperser, et bientôt les acclamations
-annoncent aux spectateurs privilégiés qu'ils vont voir entrer O'Connell.</p>
-
-<p>La salle entière se lève. Les applaudissements éclatent avec
-enthousiasme, avec, fureur, Covent-Garden en semble ébranlé jusque dans
-ses fondements. Enfin O'Connell a pu prendre place; il se dispose à
-prendre la parole; les transports se renouvellent, puis font place à un
+vain exhibé leurs cartes, tout était occupé, et les femmes les plus
+brillantes se montraient aux premiers rangs. Des affiches ont été
+placardées au dehors pour annoncer que la salle était comble, et que
+toute tentative pour y pénétrer serait inutile. La foule extérieure
+s'est résignée, mais sans se disperser, et bientôt les acclamations
+annoncent aux spectateurs privilégiés qu'ils vont voir entrer O'Connell.</p>
+
+<p>La salle entière se lève. Les applaudissements éclatent avec
+enthousiasme, avec, fureur, Covent-Garden en semble ébranlé jusque dans
+ses fondements. Enfin O'Connell a pu prendre place; il se dispose à
+prendre la parole; les transports se renouvellent, puis font place à un
religieux silence.</p>
-<p>«En venant ici ce soir, dit-il, j'avais l'intention de faire un éloquent
-discours; heureusement je dois débuter par ce qu'on peut appeler la
-partie solide de l'art oratoire, de la part d'une personne, qui mérite,
-ainsi qu'un de mes amis, d'être nommée un ami de la justice, et qui m'a
-prié de commencer mon discours en vous remettant 100 livres. En tout
-cas, il y a là une éloquence sterling, et si vous trouviez
+<p>«En venant ici ce soir, dit-il, j'avais l'intention de faire un éloquent
+discours; heureusement je dois débuter par ce qu'on peut appeler la
+partie solide de l'art oratoire, de la part d'une personne, qui mérite,
+ainsi qu'un de mes amis, d'être nommée un ami de la justice, et qui m'a
+prié de commencer mon discours en vous remettant 100 livres. En tout
+cas, il y a là une éloquence sterling, et si vous trouviez
quatre-vingt-dix-neuf imitateurs de son exemple, vous auriez vos 100,000
livres (la ligue a fait un appel de cette somme pour son budget de
-l'année); maintenant je dois avouer que, l'argent donné, je suis à bout
-de ma rhétorique.» Ce n'était là qu'un piquant exorde, et l'orateur, qui
-se disait à bout d'éloquence, a ensuite prononcé un discours où il s'est
-montré aussi plein de mouvement, aussi habile, et plus touchant que dans
-aucune de ses précédentes harangues. Les applaudissements frénétiques
-qui l'avaient plus d'une fois interrompu ont éclaté de nouveau quand il
-a eu fini de parler, et sa sortie, comme son entrée, a été un triomphe.
-Le ministère est évidemment mal à l'aise de ces manifestations. La
-tranquillité de l'Irlande paraît également mal servir ses projets, et il
-s'en console en faisant chaque jour courir le bruit de complots éventés
-et de trames découvertes. Du reste, la Chambre des Communes a voté sur
-la motion de lord Russell, contre laquelle M. Peel a prononcé un
-discours où il s'est montré mesuré, mais fort peu sensible pour
-l'Irlande, et très-vif contre O'Connell. Celui-ci, dans la même
-discussion, a été très-serré d'arguments, beaucoup plus sobre d'images
-que d'ordinaire, ne cherchant plus à émouvoir, mais à convaincre. Lord
-Russell, de son côté, a répliqué au ministre, et a fait ressortir le
-danger pour l'Angleterre du <i>statu quo</i> en Irlande. Néanmoins sa motion
-a été écartée par 324 voix contre 225. Il semblerait aujourd'hui que le
-ministère anglais serait arrivé à se persuader que pourvu qu'il ne
+l'année); maintenant je dois avouer que, l'argent donné, je suis à bout
+de ma rhétorique.» Ce n'était là qu'un piquant exorde, et l'orateur, qui
+se disait à bout d'éloquence, a ensuite prononcé un discours où il s'est
+montré aussi plein de mouvement, aussi habile, et plus touchant que dans
+aucune de ses précédentes harangues. Les applaudissements frénétiques
+qui l'avaient plus d'une fois interrompu ont éclaté de nouveau quand il
+a eu fini de parler, et sa sortie, comme son entrée, a été un triomphe.
+Le ministère est évidemment mal à l'aise de ces manifestations. La
+tranquillité de l'Irlande paraît également mal servir ses projets, et il
+s'en console en faisant chaque jour courir le bruit de complots éventés
+et de trames découvertes. Du reste, la Chambre des Communes a voté sur
+la motion de lord Russell, contre laquelle M. Peel a prononcé un
+discours où il s'est montré mesuré, mais fort peu sensible pour
+l'Irlande, et très-vif contre O'Connell. Celui-ci, dans la même
+discussion, a été très-serré d'arguments, beaucoup plus sobre d'images
+que d'ordinaire, ne cherchant plus à émouvoir, mais à convaincre. Lord
+Russell, de son côté, a répliqué au ministre, et a fait ressortir le
+danger pour l'Angleterre du <i>statu quo</i> en Irlande. Néanmoins sa motion
+a été écartée par 324 voix contre 225. Il semblerait aujourd'hui que le
+ministère anglais serait arrivé à se persuader que pourvu qu'il ne
maltraite pas O'Connell, l'Irlande demeurera paisible. Nous lisons en
-effet dans le <i>Times</i> la très-curieuse note que voici: «Nous apprenons
-de bonne source que le duc de Wellington a décidé que M. O'Connell ne
-serait pas mis en prison; il pense que la déclaration de culpabilité
+effet dans le <i>Times</i> la très-curieuse note que voici: «Nous apprenons
+de bonne source que le duc de Wellington a décidé que M. O'Connell ne
+serait pas mis en prison; il pense que la déclaration de culpabilité
suffit, et qu'un emprisonnement serait inutile; si M. O'Connell veut
-être modéré, nous pensons bien qu'il ne sera pas privé de sa liberté.
-Quant à nous, nous serons heureux qu'il en soit ainsi.» A Dublin, le
-docteur Gray et le docteur Atkinson, propriétaires du <i>Freeman's
-Journal</i> (journal de <i>l'Homme libre</i>); M. Barrett, propriétaire du
-<i>Pilote</i>; M. Staunton, propriétaire de la feuille hebdomadaire le
-<i>Weekly-Registre</i>, et M. Duffy, propriétaire de <i>la Nation</i>, ont envoyé
-leur démission de membres de l'association du rappel. Cette démarche est
-motivée sur la déclaration faite par l'attorney général que tout membre
-de l'association était responsable des publications des écrits
-périodiques dont les propriétaires se trouvaient affiliés à
+être modéré, nous pensons bien qu'il ne sera pas privé de sa liberté.
+Quant à nous, nous serons heureux qu'il en soit ainsi.» A Dublin, le
+docteur Gray et le docteur Atkinson, propriétaires du <i>Freeman's
+Journal</i> (journal de <i>l'Homme libre</i>); M. Barrett, propriétaire du
+<i>Pilote</i>; M. Staunton, propriétaire de la feuille hebdomadaire le
+<i>Weekly-Registre</i>, et M. Duffy, propriétaire de <i>la Nation</i>, ont envoyé
+leur démission de membres de l'association du rappel. Cette démarche est
+motivée sur la déclaration faite par l'attorney général que tout membre
+de l'association était responsable des publications des écrits
+périodiques dont les propriétaires se trouvaient affiliés à
l'association.</p>
-<p>La plus vive fermentation règne toujours dans les légations papales, et
-elle en est arrivée à se manifester par des assassinats. A Ravenne, un
-coup de feu a été tiré sur la personne de M. Claveri, directeur de la
-police; mais le garde qui l'escortait a été seul atteint, et, le
-lendemain, on a vu affiché dans les rues un avis anonyme portant que si
+<p>La plus vive fermentation règne toujours dans les légations papales, et
+elle en est arrivée à se manifester par des assassinats. A Ravenne, un
+coup de feu a été tiré sur la personne de M. Claveri, directeur de la
+police; mais le garde qui l'escortait a été seul atteint, et, le
+lendemain, on a vu affiché dans les rues un avis anonyme portant que si
M. Claveri ne quittait pas Ravenne, on ne le manquerait pas une autre
-fois. A Saint-Albert, à Fusignano, petites villes de la même légation,
-des factionnaires suisses ont été désarmés, des carabiniers ont été
-tués. A Bologne, un douanier ayant voulu arrêter un homme qui passait
-pour avoir fait partie des bandes d'août dernier, a été étendu mort d'un
-coup de pistolet tiré par celui-ci. Enfin, un des membres de la
-commission spéciale instituée à Ancône pour juger les accusés politiques
-de cette ville, M. Alessandrini, passant dans une rue d'Ancône,
-accompagné de deux gendarmes, a été frappé d'un coup de poignard par un
-homme masqué qui s'est élancé sur lui, et auquel la foule ouvrit
-immédiatement après ses rangs, pour lui permettre de se confondre avec
-les autres masques. L'état de la victime est désespéré. La suspension
-des plaisirs du carnaval a été immédiatement prononcée.</p>
-
-<p>Plusieurs journaux avaient annoncé, dès le 15 février, que le musée des
-Thermes et de l'Hôtel de Cluny était ouvert. Cette, nouvelle était
-prématurée: ce musée ne sera livré au public que vers le 15 de ce mois.
-En attendant, les travaux d'installation se poursuivent avec activité.
-La collection qui y a été réunie comprend non-seulement quelques-uns des
-objets les plus précieux des arts du moyen âge, et de l'art français
-spécialement, mais d'autres objets très-précieux inconnus des
+fois. A Saint-Albert, à Fusignano, petites villes de la même légation,
+des factionnaires suisses ont été désarmés, des carabiniers ont été
+tués. A Bologne, un douanier ayant voulu arrêter un homme qui passait
+pour avoir fait partie des bandes d'août dernier, a été étendu mort d'un
+coup de pistolet tiré par celui-ci. Enfin, un des membres de la
+commission spéciale instituée à Ancône pour juger les accusés politiques
+de cette ville, M. Alessandrini, passant dans une rue d'Ancône,
+accompagné de deux gendarmes, a été frappé d'un coup de poignard par un
+homme masqué qui s'est élancé sur lui, et auquel la foule ouvrit
+immédiatement après ses rangs, pour lui permettre de se confondre avec
+les autres masques. L'état de la victime est désespéré. La suspension
+des plaisirs du carnaval a été immédiatement prononcée.</p>
+
+<p>Plusieurs journaux avaient annoncé, dès le 15 février, que le musée des
+Thermes et de l'Hôtel de Cluny était ouvert. Cette, nouvelle était
+prématurée: ce musée ne sera livré au public que vers le 15 de ce mois.
+En attendant, les travaux d'installation se poursuivent avec activité.
+La collection qui y a été réunie comprend non-seulement quelques-uns des
+objets les plus précieux des arts du moyen âge, et de l'art français
+spécialement, mais d'autres objets très-précieux inconnus des
antiquaires et des artistes.</p>
-<p>M. le baron Reynaud, ancien examinateur des écoles royales Polytechnique
-et de la Marine, vient de mourir à Paris.</p>
+<p>M. le baron Reynaud, ancien examinateur des écoles royales Polytechnique
+et de la Marine, vient de mourir à Paris.</p>
<br><br>
<h2>Courrier de Paris.</h2>
-<p>Enfin le vacarme est apaisé: après le bruit, le silence; le jeûne après
-l'orgie; les temples sacrés se sont rouverts, et le bal de l'Opéra s'est
-fermé; la pieuse voix des prédicateurs a remplacé les cris mondains et
-les joies effrénées. Nous vivions comme des damnés, nous allons vivre
-comme des saints; du péché, nous passons à la pénitence, et du gras au
-maigre. L'abbé de Ravignan règne et Musard abdique; du moins n'est-il
-pas descendu du trône sans honneur: son dernier coup d'archet a été un
-coup de maître. C'était le dernier samedi de sa royauté; il était cinq
-heures du matin, les lustres pâlissaient, et ne jetaient plus aux voûtes
-de la salle qu'une lumière affaiblie; les plus intrépides débardeurs
-étaient harassés et haletants; tout s'éteignait à la fois, le gaz et les
-danseurs; Musard seul restait debout et flamboyant. Tout à coup, élevant
-la voix au milieu du sourd bruissement de cette foule abattue: «Non!
-s'écria-t-il, il ne sera pas dit que nous nous quitterons ainsi!
-Êtes-vous donc les compagnons de Musard?» A ces mots, il agite son
-archet, et entonne à plein orchestre le <i>Quadrille des Etudiants</i>. Or,
-c'est tout dire: le <i>Quadrille des Etudiants</i> est pour le bal de l'Opéra
-ce que le soleil d'Austerlitz était pour la grande armée: «Soldats!
-voilà le soleil d'Austerlitz!» et ils s'élançaient à une nouvelle
-victoire. «Débardeurs! voici le <i>Quadrille des Etudiants!</i>» et ils se
-précipitent dans les fureurs d'une contredanse nouvelle. Ce quadrille
-magique rend la force aux énervés, la santé aux malades et la vie aux
+<p>Enfin le vacarme est apaisé: après le bruit, le silence; le jeûne après
+l'orgie; les temples sacrés se sont rouverts, et le bal de l'Opéra s'est
+fermé; la pieuse voix des prédicateurs a remplacé les cris mondains et
+les joies effrénées. Nous vivions comme des damnés, nous allons vivre
+comme des saints; du péché, nous passons à la pénitence, et du gras au
+maigre. L'abbé de Ravignan règne et Musard abdique; du moins n'est-il
+pas descendu du trône sans honneur: son dernier coup d'archet a été un
+coup de maître. C'était le dernier samedi de sa royauté; il était cinq
+heures du matin, les lustres pâlissaient, et ne jetaient plus aux voûtes
+de la salle qu'une lumière affaiblie; les plus intrépides débardeurs
+étaient harassés et haletants; tout s'éteignait à la fois, le gaz et les
+danseurs; Musard seul restait debout et flamboyant. Tout à coup, élevant
+la voix au milieu du sourd bruissement de cette foule abattue: «Non!
+s'écria-t-il, il ne sera pas dit que nous nous quitterons ainsi!
+Êtes-vous donc les compagnons de Musard?» A ces mots, il agite son
+archet, et entonne à plein orchestre le <i>Quadrille des Etudiants</i>. Or,
+c'est tout dire: le <i>Quadrille des Etudiants</i> est pour le bal de l'Opéra
+ce que le soleil d'Austerlitz était pour la grande armée: «Soldats!
+voilà le soleil d'Austerlitz!» et ils s'élançaient à une nouvelle
+victoire. «Débardeurs! voici le <i>Quadrille des Etudiants!</i>» et ils se
+précipitent dans les fureurs d'une contredanse nouvelle. Ce quadrille
+magique rend la force aux énervés, la santé aux malades et la vie aux
morts. Vous eussiez vu alors toute cette multitude se ranimer en
poussant des <i>vivat</i> joyeux; et puis enfin, dans le paroxysme de sa
-fièvre dansante, entourer Musard, l'enlever du milieu de son orchestre
-et défiler bruyamment, Musard en tête. L'Empereur avait dit: «Avec des
-braves tels que vous, je conquerrais le monde!»--«Avec des débardeurs de
-votre force, s'écriait Musard, je ferais galoper l'univers!» Ainsi
-Musard copie Napoléon jusqu'au bout; il ne lui reste plus qu'à importer
-<i>le Quadrille des Étudiants</i> à Sainte-Hélène; mais Hudson Lowe n'est
-plus là pour le danser.</p>
+fièvre dansante, entourer Musard, l'enlever du milieu de son orchestre
+et défiler bruyamment, Musard en tête. L'Empereur avait dit: «Avec des
+braves tels que vous, je conquerrais le monde!»--«Avec des débardeurs de
+votre force, s'écriait Musard, je ferais galoper l'univers!» Ainsi
+Musard copie Napoléon jusqu'au bout; il ne lui reste plus qu'à importer
+<i>le Quadrille des Étudiants</i> à Sainte-Hélène; mais Hudson Lowe n'est
+plus là pour le danser.</p>
<p>Les campagnes de Musard ne finissent jamais sans un grand nombre de
-mourants ou de morts. Il n'y a ni tête ni jambes enlevées par un boulet
-ou par un éclat d'obus; mais que de fièvres, de pleurésies, d'apoplexies
-et de pulmonies! La statistique constate un accroissement très-sensible
-dans la mortalité, après les jours gras. Savez-vous qui tire du carnaval
-le bénéfice le plus clair? les pompes funèbres:</p>
+mourants ou de morts. Il n'y a ni tête ni jambes enlevées par un boulet
+ou par un éclat d'obus; mais que de fièvres, de pleurésies, d'apoplexies
+et de pulmonies! La statistique constate un accroissement très-sensible
+dans la mortalité, après les jours gras. Savez-vous qui tire du carnaval
+le bénéfice le plus clair? les pompes funèbres:</p>
-<p>Amusez-vous, trémoussez-vous!</p>
+<p>Amusez-vous, trémoussez-vous!</p>
<p>Amusez-vous, amusez-vous, belles!</p>
@@ -536,207 +500,207 @@ le bénéfice le plus clair? les pompes funèbres:</p>
Scylla.--Le concert est le fruit naturel de la saison qui commence; il
pousse en mars pour fleurir dans la semaine sainte avec profusion. Le
concert convient en effet aux temps d'abstinence; on peut le ranger sans
-inconvénient dans la classe des mets innocents que Mgr l'archevêque
-autorise, et qui ne compromettent nullement la sainteté du carême: il y
+inconvénient dans la classe des mets innocents que Mgr l'archevêque
+autorise, et qui ne compromettent nullement la sainteté du carême: il y
a des talents, des voix et des instruments si maigres!--Lisez, les
-feuilles musicales, arrêtez-vous devant les affiches suspendues aux
-vitres des magasins de musique, et vous serez effrayé de l'inondation
+feuilles musicales, arrêtez-vous devant les affiches suspendues aux
+vitres des magasins de musique, et vous serez effrayé de l'inondation
vocale et instrumentale dont mars et avril vous menacent. Ici tout le
-monde a la prétention d'être artiste, comme ailleurs le premier venu vise
-à la députation et au ministère: et, comme le concert est le baptême de
-l'artiste, les concerts pleuvent de tous les côtés. C'est M. Pancrace,
-c'est M. Pacome, c'est M. Babylas ou Barnabé qui vous invitent à un air
-de leur basson, de leur flûte, de leur hautbois, de leur violon et de
-leur clarinette: c'est mademoiselle Eulalie, Eugénie, Emphrosine,
-Euphémie, Anasthasie, Epiphanie qui vous proposent l'agrément de leur
-piano ou de leur gosier, de huit heures du soir à minuit; et tous ces
+monde a la prétention d'être artiste, comme ailleurs le premier venu vise
+à la députation et au ministère: et, comme le concert est le baptême de
+l'artiste, les concerts pleuvent de tous les côtés. C'est M. Pancrace,
+c'est M. Pacome, c'est M. Babylas ou Barnabé qui vous invitent à un air
+de leur basson, de leur flûte, de leur hautbois, de leur violon et de
+leur clarinette: c'est mademoiselle Eulalie, Eugénie, Emphrosine,
+Euphémie, Anasthasie, Epiphanie qui vous proposent l'agrément de leur
+piano ou de leur gosier, de huit heures du soir à minuit; et tous ces
pauvres gens dont les noms sont enfouis dans les coins les plus obscurs
-du calendrier, sortent de la salle enfumée et déserte où ils ont traîné
+du calendrier, sortent de la salle enfumée et déserte où ils ont traîné
de force leur portier, ses enfants et les enfants de ses petits-enfants,
-pour se former un public; ils sortent, dis-je, de cette caverne où ils
-ont estropié Haydn et Beethoven, ou gargouillé de l'Auber et du Rossini,
+pour se former un public; ils sortent, dis-je, de cette caverne où ils
+ont estropié Haydn et Beethoven, ou gargouillé de l'Auber et du Rossini,
intimement convaincus qu'ils sont des merveilles, et que l'univers n'a
-rien de mieux à faire que de leur dresser une statue séance tenante.--Il
+rien de mieux à faire que de leur dresser une statue séance tenante.--Il
y a quelque chose de pis que l'amour-propre des grands artistes, c'est
-l'orgueil des petits, et voici les petits qui nous dévorent.--Je connais
-un homme de beaucoup de goût, très-fin connaisseur en musique et gourmet
-délicat, qui ne sort jamais pendant la présente saison et reste enfermé
+l'orgueil des petits, et voici les petits qui nous dévorent.--Je connais
+un homme de beaucoup de goût, très-fin connaisseur en musique et gourmet
+délicat, qui ne sort jamais pendant la présente saison et reste enfermé
chez lui jusqu'au commencement de mai. L'autre jour je lui en demandais
-la raison: «Eh! mon Dieu, me répondit-il, Paris n'est par sûr à l'heure
-qu'il est; si je sortais, je serais inévitablement rencontré et
-assassiné par un concert!»</p>
+la raison: «Eh! mon Dieu, me répondit-il, Paris n'est par sûr à l'heure
+qu'il est; si je sortais, je serais inévitablement rencontré et
+assassiné par un concert!»</p>
<p>Tout n'est pas harmonie dans le monde musical; et si de temps en temps
les voix y sont d'accord, les gens s'y montrent d'humeur assez
-discordante: le Théâtre-Italien en donne, depuis quelques jours, une
-preuve flagrante. Sur la scène tout va bien: l'Harmonie et sa douce
-soeur la Mélodie y règnent dans une union parfaite; on se croirait dans
+discordante: le Théâtre-Italien en donne, depuis quelques jours, une
+preuve flagrante. Sur la scène tout va bien: l'Harmonie et sa douce
+soeur la Mélodie y règnent dans une union parfaite; on se croirait dans
le paradis terrestre. Mais dans les coulisses, c'est autre chose, la
-dissonance est complète: le premier ténor ne s'entend plus avec la
+dissonance est complète: le premier ténor ne s'entend plus avec la
prima-donna, la basse avec le soprano, et le baryton avec l'impresario.
-Le bruit de cette discorde éclaté au dehors: les parties belligérantes
-ont sonné, des deux parts, le boute-selle, et donné le signal des
-hostilités.--Un beau matin, M. Vatel, le directeur, s'est éveillé avec
+Le bruit de cette discorde éclaté au dehors: les parties belligérantes
+ont sonné, des deux parts, le boute-selle, et donné le signal des
+hostilités.--Un beau matin, M. Vatel, le directeur, s'est éveillé avec
la nouvelle que deux ou trois de ses principaux chanteurs refusaient de
-chanter: figurez-vous des soldats qui désertent au moment de la
-bataille. Pour prétexte à cet abandon, nos fuyards donnaient, celui-ci
-un mal de gorge, celui-là un rhume de cerveau. M. Vatel s'est adressé
-immédiatement à la justice, afin qu'elle voulût bien guérir, par un bon
-arrêt bien juste, des voix qu'il ne paie pas cinquante et soixante mille
-francs pour qu'elles s'amusent à se dire enrhumées pour le moindre
+chanter: figurez-vous des soldats qui désertent au moment de la
+bataille. Pour prétexte à cet abandon, nos fuyards donnaient, celui-ci
+un mal de gorge, celui-là un rhume de cerveau. M. Vatel s'est adressé
+immédiatement à la justice, afin qu'elle voulût bien guérir, par un bon
+arrêt bien juste, des voix qu'il ne paie pas cinquante et soixante mille
+francs pour qu'elles s'amusent à se dire enrhumées pour le moindre
caprice. M. Vatel avait d'autant plus raison de maintenir son droit avec
-cette sévérité, qu'une des voix récalcitrantes avait été vue la veille
-dans un salon célèbre, se portant admirablement bien, chantant, riant,
-et menant joyeuse vie, jusqu'à cinq heures du matin.--On a écrit des
-lettres aux journaux, on a lancé des <i>factum</i> pour édifier le public sur
-cette grave affaire; le public s'est rangé cependant du parti de
-l'infortuné directeur, et quand la voix coupable s'est enfin décidée à
-chanter mardi dernier, le parterre, juge équitable, lui a honnêtement
-administré le châtiment de quelques coups de sifflets. Les sifflets
-voulaient dire que la loyauté dans les engagements et la fidélité au
-devoir doivent compléter le talent de l'artiste, et qu'on compromet
-gravement sa réputation et son nom en jouant si légèrement avec les
-intérêts d'une sérieuse entreprise et les engagements de sa propre
-conscience. Les directions de théâtre paient les acteurs et les
-chanteurs à un prix monstrueux; il y a tel débitant de prose, de
-couplets, d'entrechats et de roulades qui est coté à la bourse
-dramatique dix fois au-dessus de sa valeur réelle; les directions se
-ruinent pour les comédiens; et quelques comédiens, au lien de donner du
-zèle, du dévouement et du talent en proportion de ces efforts inouïs, se
-montrent plus égoïstes, plus exigeants que jamais, et plus légers de
-scrupules.--Un honnête et pauvre soldat qui reçoit une paie de cinq sous
-par jour, se bat encore et va à l'assaut, tout mutilé et tout sanglant;
-un monsieur bien dorloté et bien frais, qui touche des billets de banque
-à la douzaine, sous prétexte qu'il fait une roulade agréable, un point
-d'orgue et un trille, s'inquiète fort peu de compromettre une entreprise
-qui le dote si richement et l'engraisse, et de la ruiner au besoin, à
-propos d'un rhume de cerveau qu'il n'a même pas.</p>
-
-<p>Nous parlions de la hausse de la roulade et de l'entrechat; précisément
-en voici un exemple tout récent et qui prouvera jusqu'à quel degré de
-folie, on peut le dire, le prix de cette denrée est poussé. Mademoiselle
-Carlotta Grisi, notre aimable Péri, vient de contracter un engagement
-avec un des théâtres de Londres; il s'agit de l'emploi d'un congé que M.
-Léon Pillet accorde à la Wili; ce congé est de six semaines, et
-l'engagement de Carlotta à Londres aura la même durée. Eh bien!
-savez-vous ce que ces six semaines de ronds de jambes et de jetés-battus
-coûteront au pauvre directeur anglais? 36,000 fr.! Autrement, pour le
-français, 6,000 fr. par semaine, où 3,000 fr. par représentation. Je ne
-sais plus quel moraliste a dit que le plus grand signe de la décadence
-des nations était la cherté des athlètes, des conducteurs de chars et
+cette sévérité, qu'une des voix récalcitrantes avait été vue la veille
+dans un salon célèbre, se portant admirablement bien, chantant, riant,
+et menant joyeuse vie, jusqu'à cinq heures du matin.--On a écrit des
+lettres aux journaux, on a lancé des <i>factum</i> pour édifier le public sur
+cette grave affaire; le public s'est rangé cependant du parti de
+l'infortuné directeur, et quand la voix coupable s'est enfin décidée à
+chanter mardi dernier, le parterre, juge équitable, lui a honnêtement
+administré le châtiment de quelques coups de sifflets. Les sifflets
+voulaient dire que la loyauté dans les engagements et la fidélité au
+devoir doivent compléter le talent de l'artiste, et qu'on compromet
+gravement sa réputation et son nom en jouant si légèrement avec les
+intérêts d'une sérieuse entreprise et les engagements de sa propre
+conscience. Les directions de théâtre paient les acteurs et les
+chanteurs à un prix monstrueux; il y a tel débitant de prose, de
+couplets, d'entrechats et de roulades qui est coté à la bourse
+dramatique dix fois au-dessus de sa valeur réelle; les directions se
+ruinent pour les comédiens; et quelques comédiens, au lien de donner du
+zèle, du dévouement et du talent en proportion de ces efforts inouïs, se
+montrent plus égoïstes, plus exigeants que jamais, et plus légers de
+scrupules.--Un honnête et pauvre soldat qui reçoit une paie de cinq sous
+par jour, se bat encore et va à l'assaut, tout mutilé et tout sanglant;
+un monsieur bien dorloté et bien frais, qui touche des billets de banque
+à la douzaine, sous prétexte qu'il fait une roulade agréable, un point
+d'orgue et un trille, s'inquiète fort peu de compromettre une entreprise
+qui le dote si richement et l'engraisse, et de la ruiner au besoin, à
+propos d'un rhume de cerveau qu'il n'a même pas.</p>
+
+<p>Nous parlions de la hausse de la roulade et de l'entrechat; précisément
+en voici un exemple tout récent et qui prouvera jusqu'à quel degré de
+folie, on peut le dire, le prix de cette denrée est poussé. Mademoiselle
+Carlotta Grisi, notre aimable Péri, vient de contracter un engagement
+avec un des théâtres de Londres; il s'agit de l'emploi d'un congé que M.
+Léon Pillet accorde à la Wili; ce congé est de six semaines, et
+l'engagement de Carlotta à Londres aura la même durée. Eh bien!
+savez-vous ce que ces six semaines de ronds de jambes et de jetés-battus
+coûteront au pauvre directeur anglais? 36,000 fr.! Autrement, pour le
+français, 6,000 fr. par semaine, où 3,000 fr. par représentation. Je ne
+sais plus quel moraliste a dit que le plus grand signe de la décadence
+des nations était la cherté des athlètes, des conducteurs de chars et
des danseurs.</p>
-<p>Duprez va aussi passer le détroit; il chantera, pour les menus plaisirs
+<p>Duprez va aussi passer le détroit; il chantera, pour les menus plaisirs
de Londres, <i>Guillaume Tell, les Huguenots</i> et le reste de son
-répertoire; on ne dit pas à quelles conditions, et si c'est à 1 fr. ou 1
-fr. 50 cent. la note. Duprez gagne 80,000 fr. à l'Académie royale de
-Musique; ses congés annuels complètent les 100,000 livres; on avouera
-qu'il y a là de quoi payer amplement les leçons d'anglais que le célèbre
-ténor a prises récemment pour chanter: <i>Asile héréditaire</i>, dans la
+répertoire; on ne dit pas à quelles conditions, et si c'est à 1 fr. ou 1
+fr. 50 cent. la note. Duprez gagne 80,000 fr. à l'Académie royale de
+Musique; ses congés annuels complètent les 100,000 livres; on avouera
+qu'il y a là de quoi payer amplement les leçons d'anglais que le célèbre
+ténor a prises récemment pour chanter: <i>Asile héréditaire</i>, dans la
langue de Joint Bull.</p>
-<p>Au théâtre, tout tourne au Bohémien; nous avons déjà <i>les Bohémiens de
-Paris</i>, de l'Ambigu-Comique, et <i>les Mystères de Paris</i>, de la
-Porte-Saint-Martin, qui ne sont que des bohémiens sous un autre nom. Le
-théâtre de la Gaieté vient de compléter la collection de ces enfants de
-Bohème, par <i>la Bohémienne de Paris</i>, drame en cinq actes mêlés de lazzi
-par M. Paul de Kock, et de scélératesses, par M. Gustave Lemoine; l'un
+<p>Au théâtre, tout tourne au Bohémien; nous avons déjà <i>les Bohémiens de
+Paris</i>, de l'Ambigu-Comique, et <i>les Mystères de Paris</i>, de la
+Porte-Saint-Martin, qui ne sont que des bohémiens sous un autre nom. Le
+théâtre de la Gaieté vient de compléter la collection de ces enfants de
+Bohème, par <i>la Bohémienne de Paris</i>, drame en cinq actes mêlés de lazzi
+par M. Paul de Kock, et de scélératesses, par M. Gustave Lemoine; l'un
est pour la partie gaillarde et burlesque, l'autre pour les noirceurs.</p>
-<p>Cette bohémienne de Paris est fille d'une marchande de vieilles
-friperies; son premier soin a été d'abandonner sa mère; de là à tomber
+<p>Cette bohémienne de Paris est fille d'une marchande de vieilles
+friperies; son premier soin a été d'abandonner sa mère; de là à tomber
dans toutes les fautes et dans tous les vices, il n'y a pas loin: la
-Bohémienne n'y manque pas; si bien que du vice elle arrive jusqu'au
-crime: la pente est naturelle et inévitable: cette malheureuse vit dans
+Bohémienne n'y manque pas; si bien que du vice elle arrive jusqu'au
+crime: la pente est naturelle et inévitable: cette malheureuse vit dans
ce monde perdu avec une effronterie repoussante; sous les apparences de
-l'élégance et du bon ton, elle cache les plus infâmes entreprises; ici
-c'est un enfant qu'elle dérobe et qu'elle élève comme sa propre fille
-pour s'emparer d'une fortune considérable; là, ce sont des diamants de
+l'élégance et du bon ton, elle cache les plus infâmes entreprises; ici
+c'est un enfant qu'elle dérobe et qu'elle élève comme sa propre fille
+pour s'emparer d'une fortune considérable; là, ce sont des diamants de
riches parures qu'elle soustrait par vol ou par violente. Avec le
produit de sa corruption et de ses actions criminelles, cette femme,--si
-on peut l'appeler de ce nom,--tient un état de maison brillant; elle
-reçoit des honnêtes gens dupes de l'apparence; mais le fond de cet
-intérieur si magnifique se compose d'escrocs et de bohémiennes, agents
-secrets et exécuteurs des basses oeuvres de la Bohémienne en chef.</p>
-
-<p>C'est au milieu de ce mensonge de bonne réputation et de cette vie
-éclatante et honorée, que la Bohémienne commet un nouveau vol de quatre
-cent mille francs; longtemps elle échappe à l'impunité, à travers une
-complication d'événements mélodramatiques que nous n'entreprendrons pas
+on peut l'appeler de ce nom,--tient un état de maison brillant; elle
+reçoit des honnêtes gens dupes de l'apparence; mais le fond de cet
+intérieur si magnifique se compose d'escrocs et de bohémiennes, agents
+secrets et exécuteurs des basses oeuvres de la Bohémienne en chef.</p>
+
+<p>C'est au milieu de ce mensonge de bonne réputation et de cette vie
+éclatante et honorée, que la Bohémienne commet un nouveau vol de quatre
+cent mille francs; longtemps elle échappe à l'impunité, à travers une
+complication d'événements mélodramatiques que nous n'entreprendrons pas
de raconter, Dieu nous en garde! mais enfin la Providence du boulevard
-intervient; la prétendue grande dame est reconnue pour la fille de la
-fripière, la femme vertueuse pour une intrigante ignoble, la mère pour
-une voleuse d'enfants; la pauvre fille qu'elle avait associée à la honte
-de sa vie lui échappe heureusement avec toute sa pureté. Quant au reste
-des crimes commis par la Bohémienne, le gendarme qui l'arrête au
-dénoûment en fera bonne justice.--Voilà cependant les spectacles à la
-mode! La dégradation morale, le vice effronté, la cour d'assises et les
-bagnes! Si M. Etienne dit vrai dans son discours de réception à
-l'Académie française, et si en effet l'histoire des moeurs
-contemporaines peut se faire par le théâtre, que penseront nos futurs
-historiographes? En consultant le théâtre actuel comme étant un miroir
-fidèle de ce temps-ci, ne concluront-ils pas que notre siècle était un
-siècle de prostituées et de bandits?--Heureusement que nous sommes
-encore plus indifférents au mal que réellement mauvais, et que nous
-souffrons ces représentations violentes et honteuses plutôt par
-négligence que par extrême corruption, peut-être cependant est-il temps
-que les honnêtes gens ferment l'écluse et repousse le flot
-empoisonné!--Cette littérature de bagnes est comme la Seine depuis
-quelques jours; elle a grossi tout à coup, et menace de déborder et de
-causer des ravages, si on ne l'arrête.</p>
-
-<p>Le Gymnase nous a donné, pour compensation, <i>la Tante Bazu</i>. Cette
+intervient; la prétendue grande dame est reconnue pour la fille de la
+fripière, la femme vertueuse pour une intrigante ignoble, la mère pour
+une voleuse d'enfants; la pauvre fille qu'elle avait associée à la honte
+de sa vie lui échappe heureusement avec toute sa pureté. Quant au reste
+des crimes commis par la Bohémienne, le gendarme qui l'arrête au
+dénoûment en fera bonne justice.--Voilà cependant les spectacles à la
+mode! La dégradation morale, le vice effronté, la cour d'assises et les
+bagnes! Si M. Etienne dit vrai dans son discours de réception à
+l'Académie française, et si en effet l'histoire des moeurs
+contemporaines peut se faire par le théâtre, que penseront nos futurs
+historiographes? En consultant le théâtre actuel comme étant un miroir
+fidèle de ce temps-ci, ne concluront-ils pas que notre siècle était un
+siècle de prostituées et de bandits?--Heureusement que nous sommes
+encore plus indifférents au mal que réellement mauvais, et que nous
+souffrons ces représentations violentes et honteuses plutôt par
+négligence que par extrême corruption, peut-être cependant est-il temps
+que les honnêtes gens ferment l'écluse et repousse le flot
+empoisonné!--Cette littérature de bagnes est comme la Seine depuis
+quelques jours; elle a grossi tout à coup, et menace de déborder et de
+causer des ravages, si on ne l'arrête.</p>
+
+<p>Le Gymnase nous a donné, pour compensation, <i>la Tante Bazu</i>. Cette
vieille tante est une excellente femme, un peu quinteuse,
-très-susceptible et passablement emportée; d'abord elle se fâche et vous
+très-susceptible et passablement emportée; d'abord elle se fâche et vous
querelle; mais il n'y a rien de meilleur au monde que ses
-raccommodements; ses plus grandes colères ont toujours pour dénoûment un
+raccommodements; ses plus grandes colères ont toujours pour dénoûment un
bienfait ou une bonne action; ainsi, dans un premier mouvement de
rancune, la tante Bazu est sur le point de ruiner son neveu et de lui
enlever une charmante femme qu'il aime; mais cette boutade ne dure pas
-longtemps; l'honnête Bazu répare bientôt tout le mal, marie son neveu,
+longtemps; l'honnête Bazu répare bientôt tout le mal, marie son neveu,
fait son bonheur et lui ouvre son coffre-fort tout plein d'adorables
billets de banque. Si vous rencontrez par hasard une tante Bazu
disponible, pourvue d'un tel coeur et d'un tel coffre-fort, veuillez me
donner son adresse, je serais bien aise d'en faire ma tante et de
devenir son neveu.</p>
-<p>--Le projet d'élever une statue à Rossini, au foyer de l'Opéra, est en
-pleine voie d'exécution; la commission est constituée et vient de lancer
-son appel aux souscripteurs; cette espèce d'ordre du jour se recommande
-par la signature des noms les plus distingués ou les plus illustres;
-Auber est à leur tête: il est rare de voir un homme prendre
+<p>--Le projet d'élever une statue à Rossini, au foyer de l'Opéra, est en
+pleine voie d'exécution; la commission est constituée et vient de lancer
+son appel aux souscripteurs; cette espèce d'ordre du jour se recommande
+par la signature des noms les plus distingués ou les plus illustres;
+Auber est à leur tête: il est rare de voir un homme prendre
l'initiative, dans une entreprise qui a pour but de glorifier un
-confrère vivant; cette démarche honore le caractère du gracieux et
-savant compositeur auquel l'att français doit de si charmantes et de si
-nombreuses couronnes. Quant à Rossini, on ne dit pas si on lui a demandé
-ce qu'il pensait de cette statue qu'on veut lui dresser à sa
-barbe.--D'après l'insouciance où il vit depuis dix ans, et l'espèce
-d'oubli qu'il semble faire de sa personne, de son génie et de sa gloire,
+confrère vivant; cette démarche honore le caractère du gracieux et
+savant compositeur auquel l'att français doit de si charmantes et de si
+nombreuses couronnes. Quant à Rossini, on ne dit pas si on lui a demandé
+ce qu'il pensait de cette statue qu'on veut lui dresser à sa
+barbe.--D'après l'insouciance où il vit depuis dix ans, et l'espèce
+d'oubli qu'il semble faire de sa personne, de son génie et de sa gloire,
on peut croire que s'il ne fallait que son consentement pour poser la
-première pierre de la statue, il refuserait sa signature.</p>
+première pierre de la statue, il refuserait sa signature.</p>
<p>M. de Balzac est bien positivement revenu de Russie; nous l'avons
-rencontré hier en chair et en os, très-gros, très-frais, très-bien
-portant, avec ce sourire jovial et cet oeil étincelant qui le
-distinguent de nos pâles et lugubres écrivains à la mode. Déjà la
-présence de M. de Balzac à Paris se manifeste: un libraire va publier
-une nouvelle production de cet infatigable et ingénieux écrivain; de son
-côté, le <i>Journal des Débats</i> tient de lui un roman en trois volumes,
-qui naîtra en feuilletons aussitôt que nos honorables, rengainant la
-politique et sonnant la retraite, laisseront le champ libre à la poésie
-et à l'imagination.--Nous verrons si Balzac fera oublier Sue, et si <i>les
-Mystères de Paris</i> trouveront un rival redoutable dans ce roman de
-l'auteur d'Eugénie Grandet, qui cache encore le titre et les armes de
-son nouveau-né pour étonner davantage et frapper à l'improviste.</p>
-
-<p>--Le gendre de Charles Nodier a demandé l'autorisation d'ajouter à son
-nom celui du spirituel, ingénieux, regrettable défunt, et de s'appeler
+rencontré hier en chair et en os, très-gros, très-frais, très-bien
+portant, avec ce sourire jovial et cet oeil étincelant qui le
+distinguent de nos pâles et lugubres écrivains à la mode. Déjà la
+présence de M. de Balzac à Paris se manifeste: un libraire va publier
+une nouvelle production de cet infatigable et ingénieux écrivain; de son
+côté, le <i>Journal des Débats</i> tient de lui un roman en trois volumes,
+qui naîtra en feuilletons aussitôt que nos honorables, rengainant la
+politique et sonnant la retraite, laisseront le champ libre à la poésie
+et à l'imagination.--Nous verrons si Balzac fera oublier Sue, et si <i>les
+Mystères de Paris</i> trouveront un rival redoutable dans ce roman de
+l'auteur d'Eugénie Grandet, qui cache encore le titre et les armes de
+son nouveau-né pour étonner davantage et frapper à l'improviste.</p>
+
+<p>--Le gendre de Charles Nodier a demandé l'autorisation d'ajouter à son
+nom celui du spirituel, ingénieux, regrettable défunt, et de s'appeler
Menissier-Nodier: hommage pieux que tout le monde approuve.--On annonce
-la mort de madame Rossi-Caccia, cantatrice distinguée; raison évidente
-pour qu'elle se porte à merveille, et que nous apprenions demain sa
-résurrection.</p>
+la mort de madame Rossi-Caccia, cantatrice distinguée; raison évidente
+pour qu'elle se porte à merveille, et que nous apprenions demain sa
+résurrection.</p>
-<p>--La reine dona Maria vient d'envoyer à Donizetti l'ordre de la
+<p>--La reine dona Maria vient d'envoyer à Donizetti l'ordre de la
Conception; on sait qu'en fait de conception S. M. est prodigue.</p>
<br><br>
@@ -745,318 +709,318 @@ Conception; on sait qu'en fait de conception S. M. est prodigue.</p>
<h3>VISITE DANS LES ATELIERS.</h3>
-<p>Mars, ce premier mois du printemps, nous amène deux phénomènes
-périodiques, les giboulées et l'exposition annuelle des tableaux. Et il
+<p>Mars, ce premier mois du printemps, nous amène deux phénomènes
+périodiques, les giboulées et l'exposition annuelle des tableaux. Et il
y a plus d'analogie qu'on ne pense dans ces deux choses. Soit dit sans
-mauvaise intention, cette multitude de tableaux qui s'élaborent
-péniblement dans les ateliers les plus inconnus comme dans les ateliers
-les plus renommés, s'en viennent un jour fondre sur les préjugés à
-l'administration des musées. Quelle terrible avalanche! En mars,--pour
+mauvaise intention, cette multitude de tableaux qui s'élaborent
+péniblement dans les ateliers les plus inconnus comme dans les ateliers
+les plus renommés, s'en viennent un jour fondre sur les préjugés à
+l'administration des musées. Quelle terrible avalanche! En mars,--pour
continuer notre comparaison,--les jours se suivent et ne se ressemblent
pas; eh bien! s'il vous arrive de passer devant la petite porte par
laquelle les peintres entrent avec leurs oeuvres, vous verrez que les
toiles aussi se suivent et ne se ressemblent pas. Il y a un rude triage
-à faire; et quand les juges, ces excellents académiciens qui ne sont pas
-infaillibles ont donné leur approbation ou apposé leur veto, la critique
-a encore son choix à faire. Sa tâche est aride, ingrate, difficile.</p>
+à faire; et quand les juges, ces excellents académiciens qui ne sont pas
+infaillibles ont donné leur approbation ou apposé leur veto, la critique
+a encore son choix à faire. Sa tâche est aride, ingrate, difficile.</p>
-<p>Aride: les comptes rendus du Salon donnent peu d'essor à l'imagination.</p>
+<p>Aride: les comptes rendus du Salon donnent peu d'essor à l'imagination.</p>
-<p>Ingrate: c'est surtout en pareille matière qu'il faut chercher à être un
+<p>Ingrate: c'est surtout en pareille matière qu'il faut chercher à être un
peu amusant, s'il est possible.</p>
<p>Difficile: car on doit juger plus de douze cents oeuvres en quelques
jours. Pour les juger consciencieusement, il faut les bien voir; et,
-malgré leurs bons yeux, les critiques ne peuvent pas toujours examiner
+malgré leurs bons yeux, les critiques ne peuvent pas toujours examiner
des tableaux vraiment <i>malheureux,</i>--des tableaux sombres de couleur,
-placés dans les travées sombres, dans l'ombre, et touchant presque le
+placés dans les travées sombres, dans l'ombre, et touchant presque le
plafond.</p>
-<p>Aussi, pour avoir des notions plus certaines, dès que les bruits de
+<p>Aussi, pour avoir des notions plus certaines, dès que les bruits de
l'exposition circulent parmi les artistes, nous nous armons de courage,
nous gravissons les hauteurs de Montmartre, nous parcourons les
solitudes du quartier de l'Observatoire, et en moins d'une semaine, nous
-avons rendu visite aux plus célèbres peintres, demeurant depuis l'avenue
-de Frochot jusqu'à la rue de l'Ouest, depuis la rue de la Ville-l'Évêque
+avons rendu visite aux plus célèbres peintres, demeurant depuis l'avenue
+de Frochot jusqu'à la rue de l'Ouest, depuis la rue de la Ville-l'Évêque
jusqu'aux alentours de l'Arsenal.</p>
-<p>Notre impatience est pardonnable. Il est si doux de connaître quelque
-chose de la comédie avant le lever du rideau! On aime tant à commettre
-des indiscrétions de coulisses! C'est à qui saura le premier certains
-détails que le public ignore, mais veut apprendre. De nos jours,
-l'actualité, c'est presque l'anticipation sur l'avenir; et
-l'<i>Illustration</i>, la prêtresse des actualités,--qu'on nous pardonne
-cette petite et innocente gloriole,--ne peut jamais parler trop tôt des
-choses qui préoccupent l'attention générale.</p>
+<p>Notre impatience est pardonnable. Il est si doux de connaître quelque
+chose de la comédie avant le lever du rideau! On aime tant à commettre
+des indiscrétions de coulisses! C'est à qui saura le premier certains
+détails que le public ignore, mais veut apprendre. De nos jours,
+l'actualité, c'est presque l'anticipation sur l'avenir; et
+l'<i>Illustration</i>, la prêtresse des actualités,--qu'on nous pardonne
+cette petite et innocente gloriole,--ne peut jamais parler trop tôt des
+choses qui préoccupent l'attention générale.</p>
<p>Nous ne vous dirons pas les noms de tous ceux qui n'exposent pas cette
-année. Les maréchaux de la peinture, comme écrirait M. de Balzac, font
+année. Les maréchaux de la peinture, comme écrirait M. de Balzac, font
presque tous de l'art en amateurs aujourd'hui, et quelques-uns
transforment leur atelier en exposition permanente.</p>
<p class="rig"><img alt="" src="images/002a.png"><br>
&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>M. Ingres.</b></p>
-<p>Depuis <i>Saint Symphorien</i>, de terrible mémoire, on peut le dire, M.
-Ingres ne juge pas à propos d'exposer. C'est son droit, et nous ne lui
-contestons pas; il est libre. Sa <i>Stratonice</i> et sa <i>Vierge à l'Hostie</i>,
-ses travaux pour M. de Luynes, sont ses dernières productions, et
-peut-être ses plus importantes. On le sait, M. Ingres n'exposera plus;
-M. Ingres ni veut à la critique. C'est son droit; mais a-t-il raison? Et
-le public, lui, est-il coupable si M. Ingres a été traité avec
-irrévérence par plusieurs feuilletonistes?</p>
-
-<p>Le mauvais exemple a été suivi. M. Paul Delaroche transforma, lui aussi,
-son atelier en salle d'exposition ouverte seulement à quelques amis
-privilégiés. Pourquoi donc M. Delaroche est-il sorti du champ clos? S'il
-eut à se plaindre d'injustices de la part de la presse, la foule n'en
+<p>Depuis <i>Saint Symphorien</i>, de terrible mémoire, on peut le dire, M.
+Ingres ne juge pas à propos d'exposer. C'est son droit, et nous ne lui
+contestons pas; il est libre. Sa <i>Stratonice</i> et sa <i>Vierge à l'Hostie</i>,
+ses travaux pour M. de Luynes, sont ses dernières productions, et
+peut-être ses plus importantes. On le sait, M. Ingres n'exposera plus;
+M. Ingres ni veut à la critique. C'est son droit; mais a-t-il raison? Et
+le public, lui, est-il coupable si M. Ingres a été traité avec
+irrévérence par plusieurs feuilletonistes?</p>
+
+<p>Le mauvais exemple a été suivi. M. Paul Delaroche transforma, lui aussi,
+son atelier en salle d'exposition ouverte seulement à quelques amis
+privilégiés. Pourquoi donc M. Delaroche est-il sorti du champ clos? S'il
+eut à se plaindre d'injustices de la part de la presse, la foule n'en
demeura pas moins toujours avide de ses oeuvres, et resta en
-contemplation devant elles. Qui l'a forcé à prendre une résolution aussi
-inébranlable que le fut celle de M. Ingres? Il vous souvient des
-<i>Enfants d'Edouard</i>, de <i>la Mort du connétable d'Armagnac</i>, de <i>Jane
+contemplation devant elles. Qui l'a forcé à prendre une résolution aussi
+inébranlable que le fut celle de M. Ingres? Il vous souvient des
+<i>Enfants d'Edouard</i>, de <i>la Mort du connétable d'Armagnac</i>, de <i>Jane
Gray</i>, de <i>lord Stafford</i> et de <i>Charles 1er</i>?</p>
<p class="lef"><img alt="" src="images/002b.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
<b>M. Paul Delaroche.</b></p>
-<p>Quel succès! quelle foule! M. Delaroche s'est ému parce que plusieurs
-critiques ont méconnu son talent; mais on n'avait pas encore été jusqu'à
-<i>faire le coup de poing</i> devant sa <i>Sainte Cécile</i>, comme on l'avait
-fait devant le <i>Saint Symphorien</i> de M. Ingres. Cependant, récemment,
-deux oeuvres nouvelles de M. Delaroche ne furent exposées que dans son
-atelier; peu d'artistes, presque point de critiques, ont été admis.</p>
+<p>Quel succès! quelle foule! M. Delaroche s'est ému parce que plusieurs
+critiques ont méconnu son talent; mais on n'avait pas encore été jusqu'à
+<i>faire le coup de poing</i> devant sa <i>Sainte Cécile</i>, comme on l'avait
+fait devant le <i>Saint Symphorien</i> de M. Ingres. Cependant, récemment,
+deux oeuvres nouvelles de M. Delaroche ne furent exposées que dans son
+atelier; peu d'artistes, presque point de critiques, ont été admis.</p>
-<p>M. Ingres et M. Paul Delaroche ne paraîtront plus aux expositions
-publiques du Louvre. Pour les Salons de 1844 et des années suivantes,
-ces deux grands artistes ne doivent pas être, comptés comme absents: ils
-sont morts, morts, en vérité!</p>
+<p>M. Ingres et M. Paul Delaroche ne paraîtront plus aux expositions
+publiques du Louvre. Pour les Salons de 1844 et des années suivantes,
+ces deux grands artistes ne doivent pas être, comptés comme absents: ils
+sont morts, morts, en vérité!</p>
-<p>Donc, les regrets sont superflus; les espérances de les admirer encore
-sont illusoires, il ne nous reste plus, à leur égard, qu'à chercher tous
+<p>Donc, les regrets sont superflus; les espérances de les admirer encore
+sont illusoires, il ne nous reste plus, à leur égard, qu'à chercher tous
les moyens possibles de consolation.</p>
<p class="rig"><img alt="" src="images/002c.png"><br>
-<b>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;M. Eugène Delacroix.</b></p>
-
-<p>Un peintre, plus qu'eux, a été contesté, nié, tour à tour admiré et
-méconnu, refusé par les membres du jury, mis à l'index par l'Académie:
-c'est M. Eugène Delacroix. On sait la vigueur de coloris, la puissance
-de composition qui le caractérisent; on n'a pas oublié son <i>Massacre de
-Scio</i> ni sa <i>Médée</i>. De vives polémiques s'élevèrent à l'endroit de son
-talent, et les hommes exclusifs se déclarent hautement pour ou contre.
-Lorsque M. Delacroix exposa sa <i>Médée</i>, je me souviens d'avoir
-rencontré, dans le salon Carré, un artiste fort recommandable, qui me
-dit, en examinant ce tableau: «<i>Médée!</i> l'exposition est là pour moi! Je
-ne vais pas dans les autres travées. Quel incomparable chef-d'oeuvre!»
+<b>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;M. Eugène Delacroix.</b></p>
+
+<p>Un peintre, plus qu'eux, a été contesté, nié, tour à tour admiré et
+méconnu, refusé par les membres du jury, mis à l'index par l'Académie:
+c'est M. Eugène Delacroix. On sait la vigueur de coloris, la puissance
+de composition qui le caractérisent; on n'a pas oublié son <i>Massacre de
+Scio</i> ni sa <i>Médée</i>. De vives polémiques s'élevèrent à l'endroit de son
+talent, et les hommes exclusifs se déclarent hautement pour ou contre.
+Lorsque M. Delacroix exposa sa <i>Médée</i>, je me souviens d'avoir
+rencontré, dans le salon Carré, un artiste fort recommandable, qui me
+dit, en examinant ce tableau: «<i>Médée!</i> l'exposition est là pour moi! Je
+ne vais pas dans les autres travées. Quel incomparable chef-d'oeuvre!»
Quelques pas plus loin, je rencontrai un graveur; il sortait avec
-précipitation.--«Comme vous vous hâtez, mon cher! lui dis-je en essayant
-de le retenir.--Oui, je me hâte, répondit-il en continuant sa course;
-j'évite de regarder cette vile croûte.» Il désignait la <i>Médée</i>. Après
-cela, jugez si M. Delacroix est admiré et mis en pièces; il n'a
-cependant pas renoncé aux expositions, et il faut l'en féliciter.</p>
+précipitation.--«Comme vous vous hâtez, mon cher! lui dis-je en essayant
+de le retenir.--Oui, je me hâte, répondit-il en continuant sa course;
+j'évite de regarder cette vile croûte.» Il désignait la <i>Médée</i>. Après
+cela, jugez si M. Delacroix est admiré et mis en pièces; il n'a
+cependant pas renoncé aux expositions, et il faut l'en féliciter.</p>
-<p>Quant à M. Horace Vernet, dont la fécondité est proverbiale, nous
-verrons, cette année, plusieurs toiles dues à son pinceau, parmi
+<p>Quant à M. Horace Vernet, dont la fécondité est proverbiale, nous
+verrons, cette année, plusieurs toiles dues à son pinceau, parmi
lesquelles le <i>Portrait en pied de M. le chancelier Pasquier</i>, que nos
-lecteurs connaissent déjà, et une <i>Course en Traîneau</i>, souvenir de son
-récent voyage en Russie.</p>
+lecteurs connaissent déjà, et une <i>Course en Traîneau</i>, souvenir de son
+récent voyage en Russie.</p>
<p class="lef"><img alt="" src="images/002d.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
<b>M. Horace Vernet.</b></p>
-<p>M. Decamps, on l'espère, ne fera pas faute, et c'est une bonne fortune
-pour le public qu'un tableau, même un seul, de l'auteur du <i>Supplice des
-Crochets</i>. Où trouver ailleurs, plus de lumière, plus de couleur, plus
+<p>M. Decamps, on l'espère, ne fera pas faute, et c'est une bonne fortune
+pour le public qu'un tableau, même un seul, de l'auteur du <i>Supplice des
+Crochets</i>. Où trouver ailleurs, plus de lumière, plus de couleur, plus
d'animation, que dans les toiles de cet artiste au talent exceptionnel?</p>
<p>M. Ary Scheffer ne nous a pas permis de mettre sous vos yeux son
-portrait, bien qu'il l'ait peint lui-même avec cette supériorité qu'on
-lui connaît. M. Ary Scheffer est une des gloires artistiques de
-l'époque. Hélas! il n'a pas encore fini sa <i>Marguerite</i>!</p>
+portrait, bien qu'il l'ait peint lui-même avec cette supériorité qu'on
+lui connaît. M. Ary Scheffer est une des gloires artistiques de
+l'époque. Hélas! il n'a pas encore fini sa <i>Marguerite</i>!</p>
-<p>Et M. Charlet, le Napoléon des peintres de Napoléon! rien n'égale sa
-popularité. Il prend les enfants à l'école, puis les habille en enfants
+<p>Et M. Charlet, le Napoléon des peintres de Napoléon! rien n'égale sa
+popularité. Il prend les enfants à l'école, puis les habille en enfants
de troupe, et les conduit, tambour battant, jusqu'aux Invalides. Jamais
-on n'a dessiné avec plus d'esprit, de vérité et d'intelligence; cet
+on n'a dessiné avec plus d'esprit, de vérité et d'intelligence; cet
artiste expose chaque jour chez les marchands de gravures de toute
l'Europe: qu'est-ce, pour lui, que le Salon annuel?</p>
<p class="lef"><img alt="" src="images/002e.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
<b>M. Decamps.</b></p>
-<p>Maintenant, notre visite aux maréchaux de la peinture est faite; nous
-avons donné leurs portraits; pénétrons dans les ateliers des lieutenants
-généraux, des généraux, etc.; divulguons les <i>mystères</i> du Salon,--les
-<i>mystères</i> sont à l'ordre du jour.</p>
+<p>Maintenant, notre visite aux maréchaux de la peinture est faite; nous
+avons donné leurs portraits; pénétrons dans les ateliers des lieutenants
+généraux, des généraux, etc.; divulguons les <i>mystères</i> du Salon,--les
+<i>mystères</i> sont à l'ordre du jour.</p>
<p><i>Luther</i> et <i>l'Atelier de Rembrandt</i>, de M. Robert-Fleury, sont
-terminés; il travaille à une grande, page historique, <i>Marino Faliero
-descendant l'escalier des Géants pour aller à la mort</i>. Mais M.
-Robert-Fleury, lors de notre visite, était encore indécis, il ne savait
-s'il exposerait; espérons que sa résolution a été pour l'affirmative. M.
-Henri Scheffer, depuis longtemps souffrant, n'a peut-être pas encore
-achevé son <i>Arrestation de madame Roland</i>, pendant tout naturel de sa
+terminés; il travaille à une grande, page historique, <i>Marino Faliero
+descendant l'escalier des Géants pour aller à la mort</i>. Mais M.
+Robert-Fleury, lors de notre visite, était encore indécis, il ne savait
+s'il exposerait; espérons que sa résolution a été pour l'affirmative. M.
+Henri Scheffer, depuis longtemps souffrant, n'a peut-être pas encore
+achevé son <i>Arrestation de madame Roland</i>, pendant tout naturel de sa
<i>Charlotte Corday</i>. M. Couture expose <i>l'Amour de l'or, un conte de La
-Fontaine</i>, et de beaux portraits. M. Chassériau envoie un grand tableau
-religieux; M. Hippolyte Flandrin, tout entier à ses travaux de
-Saint-Germain-des-Prés, se repose en travaillant pour la postérité; M.
-Henri Lehmann est dans les mêmes conditions, pour ses travaux à
-Saint-Merry: il a peint néanmoins le portrait de madame la princesse de
-Belgiojoso; M. Louis Boulanger verra peut-être recevoir par le jury, qui
-lui refusa l'année dernière sa Mort de <i>Messaline</i>, une belle <i>Mère de
-douleur</i>; M. Gigoux a achevé une immense toile historique, le <i>Baptême
-du Christ</i>; M. Couder en a achevé une plus grande encore où se
+Fontaine</i>, et de beaux portraits. M. Chassériau envoie un grand tableau
+religieux; M. Hippolyte Flandrin, tout entier à ses travaux de
+Saint-Germain-des-Prés, se repose en travaillant pour la postérité; M.
+Henri Lehmann est dans les mêmes conditions, pour ses travaux à
+Saint-Merry: il a peint néanmoins le portrait de madame la princesse de
+Belgiojoso; M. Louis Boulanger verra peut-être recevoir par le jury, qui
+lui refusa l'année dernière sa Mort de <i>Messaline</i>, une belle <i>Mère de
+douleur</i>; M. Gigoux a achevé une immense toile historique, le <i>Baptême
+du Christ</i>; M. Couder en a achevé une plus grande encore où se
remarquent, dit-on, des milliers de personnages, plus qu'il ne s'en
-trouvait dans ses <i>États Généraux</i>; M. Maux, en proie à une douleur
-paternelle, n'a pu mettre la dernière main à sa <i>Lecture du Testament de
-Louis XIV</i>: rien ne nous est connu de l'exposition de M. Léon Cogniet,
-dont le <i>Tintoret</i> eut un succès si durable l'année dernière; M. Hesse
+trouvait dans ses <i>États Généraux</i>; M. Maux, en proie à une douleur
+paternelle, n'a pu mettre la dernière main à sa <i>Lecture du Testament de
+Louis XIV</i>: rien ne nous est connu de l'exposition de M. Léon Cogniet,
+dont le <i>Tintoret</i> eut un succès si durable l'année dernière; M. Hesse
envoie <i>la Lutte de Jacob avec l'Ange</i>; MM. Papety, Deraisne, Guichard,
-Granet, etc., etc., ne manqueront pas à l'appel, et marcheront à la tête
+Granet, etc., etc., ne manqueront pas à l'appel, et marcheront à la tête
de la peinture historique.</p>
<p class="rig"><img alt="" src="images/002f.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
<b>M. Charlet.</b></p>
-<p>Le genre aura aussi de glorieux représentants. M. Tony Johannot expose
-une <i>Geneviève</i>, la plus délicieuse création de George Sand: M. Fortin a
-d'admirables Bretons: M. Eugène Lepoittevin a de charmantes petite
+<p>Le genre aura aussi de glorieux représentants. M. Tony Johannot expose
+une <i>Geneviève</i>, la plus délicieuse création de George Sand: M. Fortin a
+d'admirables Bretons: M. Eugène Lepoittevin a de charmantes petite
toiles; M. Adolphe Leleux envoie des <i>Cantonniers navarrais</i> et des
-<i>Paysans picards</i>: son exposition serait plus complète s'il avait eu le
-temps de parachever son <i>Marché béarnais</i> et ses <i>Faneuses bretonnes</i>,
-que nous verrons en 1845, sans perdre pour attendre. Son frère, M.
-Armand Leleux, expose des <i>Laveuses à la fontaine</i> M Guillemin a trois
+<i>Paysans picards</i>: son exposition serait plus complète s'il avait eu le
+temps de parachever son <i>Marché béarnais</i> et ses <i>Faneuses bretonnes</i>,
+que nous verrons en 1845, sans perdre pour attendre. Son frère, M.
+Armand Leleux, expose des <i>Laveuses à la fontaine</i> M Guillemin a trois
tableaux, parmi lesquels <i>Dieu et le Roi</i> et <i>la Consultation du
-Médecin</i>. Cette fois, on ne dira pas le <i>joyeux</i>, mais bien le
+Médecin</i>. Cette fois, on ne dira pas le <i>joyeux</i>, mais bien le
<i>sentimental</i> Guillemin.</p>
<p>Nous en passons, et des meilleurs.</p>
-<p>Nous étions essoufflé à monter le grand nombre d'escaliers qui
+<p>Nous étions essoufflé à monter le grand nombre d'escaliers qui
conduisent aux ateliers de ces messieurs. Le lecteur ne voudrait certes
-pas nous suivre, même à la simple lecture, si nous écrivions ainsi
+pas nous suivre, même à la simple lecture, si nous écrivions ainsi
longtemps les noms des exposants. Qu'il nous pardonne, cependant, le
-chapitre des <i>mystères</i> n'en est pas encore à sa fin.</p>
+chapitre des <i>mystères</i> n'en est pas encore à sa fin.</p>
-<p>Il y a un certain <i>Incendie de Sodome</i>, de M. Corot, qui fut refusé en
-1843 par le jury, et qui sera sans doute reçu en 1844.--Il est vrai,
-diront les juges, que M. Corot a travaillé de nouveau pour mériter cette
+<p>Il y a un certain <i>Incendie de Sodome</i>, de M. Corot, qui fut refusé en
+1843 par le jury, et qui sera sans doute reçu en 1844.--Il est vrai,
+diront les juges, que M. Corot a travaillé de nouveau pour mériter cette
insigne faveur.</p>
-<p>M. Cabat fera sans doute faute: mais M. Marilhat possède une série de
+<p>M. Cabat fera sans doute faute: mais M. Marilhat possède une série de
tableaux tous plus ravissants les uns que les autres, et M. Aligny a
-rapporté de son voyage en Grèce plusieurs vues qui escorteront son
+rapporté de son voyage en Grèce plusieurs vues qui escorteront son
<i>Samaritain</i>; mais M. Gaspard Lacroix a un admirable paysage; M. Paul
-Flandrin a peint les <i>Bords du Rhône. Tiroli</i> et des <i>femmes à la
-fontaine</i>: M. Achard est encore en progrès sur sa dernière exposition,
-déjà si remarquable; M. Français a terminé son tableau de Bougival; M.
+Flandrin a peint les <i>Bords du Rhône. Tiroli</i> et des <i>femmes à la
+fontaine</i>: M. Achard est encore en progrès sur sa dernière exposition,
+déjà si remarquable; M. Français a terminé son tableau de Bougival; M.
Desgoffes ne manquera pas de produire de l'effet, et M. Marandon de
-Montiel a envoyé trois paysages.</p>
+Montiel a envoyé trois paysages.</p>
<p class="lef"><img alt="" src="images/003a.png"><br><b>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;C'est demain le dernier jour.</b></p>
-<p>Parmi les toiles que nous mettons au nombre des actualités, quelle que
-soit la variété des sujets, quel que soit le mérite de l'exécution, nous
-citerons un magnifique portrait équestre du duc d'Orléans, par M. Alfred
+<p>Parmi les toiles que nous mettons au nombre des actualités, quelle que
+soit la variété des sujets, quel que soit le mérite de l'exécution, nous
+citerons un magnifique portrait équestre du duc d'Orléans, par M. Alfred
Dedreux, qui envoie d'autres tableaux encore; <i>la Mort du duc
-d'Orléans</i>, par M. Jacquand; la <i>Vue du Château de Pau</i>, par M. Justin
-Ouvrié, et l'<i>Inauguration de la statue de Henri IV à Pau</i>, par M.
-Guiaut; l'<i>Arrivée de la reine d'Angleterre</i>, par M. Isabey; la Vue du
+d'Orléans</i>, par M. Jacquand; la <i>Vue du Château de Pau</i>, par M. Justin
+Ouvrié, et l'<i>Inauguration de la statue de Henri IV à Pau</i>, par M.
+Guiaut; l'<i>Arrivée de la reine d'Angleterre</i>, par M. Isabey; la Vue du
canal de la Villette, par M. Testard, etc.</p>
-<p>Gué, que la mort nous enleva pendant l'année 1843, a laissé plusieurs
-tableaux qu'on dit charmants; nous ne savons s'il sera exposé quelque
+<p>Gué, que la mort nous enleva pendant l'année 1843, a laissé plusieurs
+tableaux qu'on dit charmants; nous ne savons s'il sera exposé quelque
oeuvre posthume de Perlet.</p>
-<p>M. Jadin a exécuté d'importantes peintures destinées à orner les
+<p>M. Jadin a exécuté d'importantes peintures destinées à orner les
appartements de M. le comte Henri de Greffuthe; il exposera trois ou
quatre tableaux d'une suite de panneaux, <i>la Chasse au Sanglier, le
-Départ de la Meute, le Rendez-vous,</i> etc. Nous leur prédisons un
-véritable succès. M. Dauzatz expose une mosquée et une bataille; M.
+Départ de la Meute, le Rendez-vous,</i> etc. Nous leur prédisons un
+véritable succès. M. Dauzatz expose une mosquée et une bataille; M.
Auguste Charpentier a comprise une belle <i>Adoration des Bergers</i>: M.
Diaz envoie plusieurs charmantes toiles; M. Adrien Guignet envoie <i>la
-Mêlée</i> et <i>Salvator Rosa chez les Brigands</i>: M. de Lemud, le lithographe
-hors ligne, aborde, cette année, la peinture; qu'il soit heureux pour
-son début, comme le fut M. Alophe, dont nous verrons aussi quelques
+Mêlée</i> et <i>Salvator Rosa chez les Brigands</i>: M. de Lemud, le lithographe
+hors ligne, aborde, cette année, la peinture; qu'il soit heureux pour
+son début, comme le fut M. Alophe, dont nous verrons aussi quelques
productions.</p>
<p class="mid"><img alt="" src="images/003b.png"><br><b>Le Jury d'Exposition, par Decamps.</b></p>
-<p>L'amiral Gudin nous donne une partie de l'Océan, comme toujours, et le
-caboteur Mozin a navigué de Trouville à Honfleur sans préjudice des
+<p>L'amiral Gudin nous donne une partie de l'Océan, comme toujours, et le
+caboteur Mozin a navigué de Trouville à Honfleur sans préjudice des
travaux de MM. Morel-Fatio, Mayer et Coweley.</p>
<p class="lef"><img alt="" src="images/003c.png"><br><b>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Un peintre universel.</b></p>
-<p>Nous avons omis ou passé sous silence bien des noms; nous n'avons rien
+<p>Nous avons omis ou passé sous silence bien des noms; nous n'avons rien
dit de la sculpture ni de la gravure, mais attendons l'ouverture du
-salon. Il est nécessaire d'ailleurs de s'appesantir un peu sur le fait
-même de l'exposition.</p>
+salon. Il est nécessaire d'ailleurs de s'appesantir un peu sur le fait
+même de l'exposition.</p>
-<p>Le jury, nous le savons de bonne source, ne sera pas sévère: cela
-veut-il dire qu'il sera juste? C'est de stricte justice plutôt que de
+<p>Le jury, nous le savons de bonne source, ne sera pas sévère: cela
+veut-il dire qu'il sera juste? C'est de stricte justice plutôt que de
l'indulgence que nous lui demandons. Quand tous les tableaux auront
-passé sous ses yeux; quand, d'autre part, les fameux <i>experts</i> de M.
-Decamps auront donné leur avis, nous formulerons notre jugement avec
+passé sous ses yeux; quand, d'autre part, les fameux <i>experts</i> de M.
+Decamps auront donné leur avis, nous formulerons notre jugement avec
conscience.</p>
-<p>Disons-le, c'est une époque fort mémorable que celle de l'ouverture du
-Salon. Bien des espérances s'y rattachent, et de cruels désespoirs la
+<p>Disons-le, c'est une époque fort mémorable que celle de l'ouverture du
+Salon. Bien des espérances s'y rattachent, et de cruels désespoirs la
suivent.</p>
-<p>Dans les ateliers, lorsque le 15 février arrive, les pauvres artistes ne
-savent où donner de la tête. Ici, c'est un peintre qui contemple son
-oeuvre avec ce ravissement que l'on remarque chez le père de famille
-examinant son héritier. «Mon ami, ton tableau sera peut-être
-refusé!--Bah! répond le peintre, regardant avec assurance sa timide
-moitié; j'en suis content, il est bien terminé; ils n'oseraient pas me
-refuser cela.» Et souvent, quelle déception!</p>
-
-<p>Autre malheur, que l'on s'empresse de réparer. Le peintre est en retard,
-son tableau n'est pas achevé, et voilà que deux de ses amis <i>abattent</i>
-de la besogne. «Vite! cette tête n'est qu'ébauchée; cette draperie rouge
-n'est pas assez foncée en couleur. Allons! allons! Ah! mon Dieu! et le
-ciel, le ciel que j'avais en partie oublié!» Les trois peintres se
-mettent à l'ouvrage; à jour dit, à heure dite, le tableau est prêt.</p>
-
-<p>Je sais un artiste que son ami osa mettre en charte privée le 19
-février; il lui plaça dans les mains une brosse et une palette, et
-sembla lui dire: «Aide-moi, ou la mort!»</p>
+<p>Dans les ateliers, lorsque le 15 février arrive, les pauvres artistes ne
+savent où donner de la tête. Ici, c'est un peintre qui contemple son
+oeuvre avec ce ravissement que l'on remarque chez le père de famille
+examinant son héritier. «Mon ami, ton tableau sera peut-être
+refusé!--Bah! répond le peintre, regardant avec assurance sa timide
+moitié; j'en suis content, il est bien terminé; ils n'oseraient pas me
+refuser cela.» Et souvent, quelle déception!</p>
+
+<p>Autre malheur, que l'on s'empresse de réparer. Le peintre est en retard,
+son tableau n'est pas achevé, et voilà que deux de ses amis <i>abattent</i>
+de la besogne. «Vite! cette tête n'est qu'ébauchée; cette draperie rouge
+n'est pas assez foncée en couleur. Allons! allons! Ah! mon Dieu! et le
+ciel, le ciel que j'avais en partie oublié!» Les trois peintres se
+mettent à l'ouvrage; à jour dit, à heure dite, le tableau est prêt.</p>
+
+<p>Je sais un artiste que son ami osa mettre en charte privée le 19
+février; il lui plaça dans les mains une brosse et une palette, et
+sembla lui dire: «Aide-moi, ou la mort!»</p>
<p>D'autres peintres, au contraire, sont en avance. Pour eux, l'Exposition
-est un point de mire; ils travaillent le jour où elle ouvre, pour
-arriver l'année suivante, à pareille époque.</p>
+est un point de mire; ils travaillent le jour où elle ouvre, pour
+arriver l'année suivante, à pareille époque.</p>
-<p class="rig"><img alt="" src="images/003d.png"><br><b>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Il ne sera pas refusé.</b></p>
+<p class="rig"><img alt="" src="images/003d.png"><br><b>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Il ne sera pas refusé.</b></p>
-<p>Enfin, il est des spéculateurs en peinture qui regardent l'Exposition
-comme un marché ou à peu près. Il leur importe d'offrir aux acheteurs le
+<p>Enfin, il est des spéculateurs en peinture qui regardent l'Exposition
+comme un marché ou à peu près. Il leur importe d'offrir aux acheteurs le
plus de choix possible, pour faire une bonne saison. Ils travaillent sur
-tout et partout. Ils entreprennent «tout ce qui concerne leur état.»
-Vous voulez un portrait, ces messieurs sont très-bons
+tout et partout. Ils entreprennent «tout ce qui concerne leur état.»
+Vous voulez un portrait, ces messieurs sont très-bons
portraitistes.--Vous voulez un tableau religieux, ces messieurs en font
-leur spécialité.--Vous voulez un tableau de genre, ces messieurs
+leur spécialité.--Vous voulez un tableau de genre, ces messieurs
entendent parfaitement le genre. Bref, ils exposent concurremment une
marine, un paysage, un tableau d'histoire, une petite toile de genre,
une <i>Descente de Croix</i>;--qui n'a pas fait une <i>Descente de Croix?</i>--et
surtout une bataille,--qui n'a pas peint une petite bataille? Il
-faudrait être bien maladroit: Versailles a tant de petits coins! Entrez
-dans leurs ateliers, vous les voyez, palette en main, suffire à
-l'immense variété des travaux qu'ils ont entrepris.</p>
-
-<p>Nous prenons la chose en riant, et pourtant elle a son mauvais côté.
-Toutes ces toiles terminées avec précipitation se présentent plus
-faibles que si elles étaient restées inachevées. On ne veut pas attendre
-une année, et, pour arriver, on risque sa réputation. Les artistes ne
+faudrait être bien maladroit: Versailles a tant de petits coins! Entrez
+dans leurs ateliers, vous les voyez, palette en main, suffire à
+l'immense variété des travaux qu'ils ont entrepris.</p>
+
+<p>Nous prenons la chose en riant, et pourtant elle a son mauvais côté.
+Toutes ces toiles terminées avec précipitation se présentent plus
+faibles que si elles étaient restées inachevées. On ne veut pas attendre
+une année, et, pour arriver, on risque sa réputation. Les artistes ne
savent pas comprendre qu'il vaudrait mieux n'exposer que tous les trois
-ans, et produire de l'effet, que de paraître à tous les Salons, avec des
-tableaux <i>lâchés</i>, faibles ou mauvais même.</p>
+ans, et produire de l'effet, que de paraître à tous les Salons, avec des
+tableaux <i>lâchés</i>, faibles ou mauvais même.</p>
-<p>Cela dit, nous attendons impatiemment que les portes du Musée s'ouvrent,
+<p>Cela dit, nous attendons impatiemment que les portes du Musée s'ouvrent,
afin de pouvoir juger au Salon les toiles que nous avons vues dans les
-ateliers, ou réparer les oublis que nous avons pu faire, en annonçant
+ateliers, ou réparer les oublis que nous avons pu faire, en annonçant
ici les tableaux principaux.</p>
@@ -1068,685 +1032,685 @@ ici les tableaux principaux.</p>
<p class="footnote"><b>Note 1:</b> La reproduction de ces fragments est interdite.</p>
-<p>Durant les quatre heures que nous passâmes dans la plaine, El-Krarouby
-fut pour moi d'une prévenance presque obséquieuse. Il ne me quitta pas
-une minute. Les détails qui suivent me viennent de ce ministre lui-même.</p>
+<p>Durant les quatre heures que nous passâmes dans la plaine, El-Krarouby
+fut pour moi d'une prévenance presque obséquieuse. Il ne me quitta pas
+une minute. Les détails qui suivent me viennent de ce ministre lui-même.</p>
-<p>Les soldats sont divisés en corps réguliers et irréguliers, comme je
+<p>Les soldats sont divisés en corps réguliers et irréguliers, comme je
l'ai dit plus haut. En temps de paix, ou dans l'intervalle des
-campagnes, les réguliers font souvent des exercices militaires. Le
-maniement des armes leur est montré par des instructeurs qui ont servi à
-Alger sous nos drapeaux, et qui ont déserté avant de savoir eux-mêmes
-manier un fusil. Il est curieux de voir les bédouins exécuter une
+campagnes, les réguliers font souvent des exercices militaires. Le
+maniement des armes leur est montré par des instructeurs qui ont servi à
+Alger sous nos drapeaux, et qui ont déserté avant de savoir eux-mêmes
+manier un fusil. Il est curieux de voir les bédouins exécuter une
manoeuvre: les mouvements d'ensemble et l'alignement surtout sont des
choses impossibles pour eux; mais les chefs se contentent de faire
marcher leurs soldats pendant, deux heures, l'arme au bras ou sur
-l'épaule. Dans les compagnies, on voit un géant à côté d'un mirmidon, le
-bossu à côté d'un boiteux, le vieillard près de l'enfant qui a besoin de
-ses deux bras pour soutenir son arme. Le service des réguliers est
-illimité. Ils font partie de l'armée active tant qu'il plaît à l'émir de
-ne pas les congédier.</p>
+l'épaule. Dans les compagnies, on voit un géant à côté d'un mirmidon, le
+bossu à côté d'un boiteux, le vieillard près de l'enfant qui a besoin de
+ses deux bras pour soutenir son arme. Le service des réguliers est
+illimité. Ils font partie de l'armée active tant qu'il plaît à l'émir de
+ne pas les congédier.</p>
-<p>Les grades sont calqués sur ceux des Européens. Il y a des caporaux, des
+<p>Les grades sont calqués sur ceux des Européens. Il y a des caporaux, des
sergents, des officiers, des chefs de bataillon et des colonels. Les
-marques distinctives diffèrent selon les grades.</p>
+marques distinctives diffèrent selon les grades.</p>
-<p>Les caporaux portent une bande de drap rouge terminée par un croissant,
-et attachée sur la manche gauche. La bande est en argent pour les
-sergents. Des caractères tracés sur la bande indiquent la dignité de
-celui qui en est revêtu.</p>
+<p>Les caporaux portent une bande de drap rouge terminée par un croissant,
+et attachée sur la manche gauche. La bande est en argent pour les
+sergents. Des caractères tracés sur la bande indiquent la dignité de
+celui qui en est revêtu.</p>
-<p>Les Arabes désignent un officier par le mot de <i>fissian</i>. Le fissian
-porte une petite épée en argent, cousue sur la manche gauche. Le chef de
-bataillon a l'épée en or avec une inscription. Le colonel est
-reconnaissable à son beau costume de drap rouge; sa tête est entourée
+<p>Les Arabes désignent un officier par le mot de <i>fissian</i>. Le fissian
+porte une petite épée en argent, cousue sur la manche gauche. Le chef de
+bataillon a l'épée en or avec une inscription. Le colonel est
+reconnaissable à son beau costume de drap rouge; sa tête est entourée
d'une corde noire en poils de chameau; le colonel est tenu d'avoir la
-barbe blanche. Les officiers supérieurs vont seuls à cheval.</p>
+barbe blanche. Les officiers supérieurs vont seuls à cheval.</p>
-<p>Un ordre militaire, le <i>nicham</i>, a été institué pour les militaires qui
+<p>Un ordre militaire, le <i>nicham</i>, a été institué pour les militaires qui
se distinguent. Il tient un peu du <i>nicham-iftikar</i> de la Porte.</p>
<p>La paie des simples soldats est de dix francs par mois; on y ajoute
-chaque jour un pain et une demi-livre de <i>tchicha</i> (blé pilé), qu'ils
+chaque jour un pain et une demi-livre de <i>tchicha</i> (blé pilé), qu'ils
font cuire dans de l'eau avec quelques onces de mauvais beurre. Tous les
-jeudis on distribue en outre un mouton, un bouc ou une chèvre, par
-trente-deux hommes; ces bêtes sont, en général, fort maigres. Les
-sergents touchent dix-huit francs, deux pains, du tchicha à volonté,
+jeudis on distribue en outre un mouton, un bouc ou une chèvre, par
+trente-deux hommes; ces bêtes sont, en général, fort maigres. Les
+sergents touchent dix-huit francs, deux pains, du tchicha à volonté,
trois onces de beurre ou d'huile, et un mouton pour quinze toutes les
-semaines. L'officier et le chef de bataillon reçoivent, l'un,
+semaines. L'officier et le chef de bataillon reçoivent, l'un,
trente-six, l'autre, cinquante francs par mois, le quart d'un mouton par
-semaine, et, chaque jour, deux pains, du tchicha à volonté, et deux
-livres de beurre. Les appointements du colonel s'élèvent à
-quatre-vingt-six francs; il a droit à quatre livres de pain et à un
-mouton. Voilà pour la paix. En temps de guerre, les troupes se
+semaine, et, chaque jour, deux pains, du tchicha à volonté, et deux
+livres de beurre. Les appointements du colonel s'élèvent à
+quatre-vingt-six francs; il a droit à quatre livres de pain et à un
+mouton. Voilà pour la paix. En temps de guerre, les troupes se
contentent de biscuit; elles ont rarement du tchicha et de la viande. Le
-pain qu'on leur donne est détestable; le biscuit ne vaut guère mieux. Le
-colonel reçoit, lors de sa nomination, un cheval que lui envoie l'émir;
-mais il faut qu'il l'entretienne à ses frais et se fournisse d'un
-équipement complet. Le gouvernement, ne lui passe, ainsi qu'au chef de
+pain qu'on leur donne est détestable; le biscuit ne vaut guère mieux. Le
+colonel reçoit, lors de sa nomination, un cheval que lui envoie l'émir;
+mais il faut qu'il l'entretienne à ses frais et se fournisse d'un
+équipement complet. Le gouvernement, ne lui passe, ainsi qu'au chef de
bataillon, qu'une ration d'orge par jour.</p>
-<p>L'uniforme des réguliers consiste dans une large culotte de laine bleue
-grossièrement tissée, une veste surmontée d'un capuchon gris, un gilet
+<p>L'uniforme des réguliers consiste dans une large culotte de laine bleue
+grossièrement tissée, une veste surmontée d'un capuchon gris, un gilet
blanc en laine, une chemise en escamile, un <i>chachia</i> (petit bonnet
-rouge); ils portent des souliers à l'algérienne, et se procurent à leurs
-frais des bernous. Le gouvernement remplace les effets usés, et on
-prélève le prix sur la solde; c'est un bénéfice net pour le trésor. Les
-caporaux ont le même uniforme avec une ceinture de peau et une giberne.
+rouge); ils portent des souliers à l'algérienne, et se procurent à leurs
+frais des bernous. Le gouvernement remplace les effets usés, et on
+prélève le prix sur la solde; c'est un bénéfice net pour le trésor. Les
+caporaux ont le même uniforme avec une ceinture de peau et une giberne.
Les sergents, officiers et chefs de bataillon portent des culottes de
drap, une veste sans capuchon, un gilet rouge et un turban blanc.
L'uniforme du colonel ne se distingue de celui des officiers que par la
finesse du drap et quelques galons d'or. Le premier costume lui est
-fourni par l'émir; le dignitaire achète les suivants.</p>
+fourni par l'émir; le dignitaire achète les suivants.</p>
<p>Chaque compagnie est forte de soixante hommes; elle compte un caporal,
un sergent et un officier. Le chef de bataillon et le colonel commandent
-toutes les troupes de la ville où ils se trouvent, car l'infanterie
-n'est divisée ni en bataillons ni en régiments. L'armée est répartie en
-divisions. Les hommes défilent deux par deux, les tambours en tête.
+toutes les troupes de la ville où ils se trouvent, car l'infanterie
+n'est divisée ni en bataillons ni en régiments. L'armée est répartie en
+divisions. Les hommes défilent deux par deux, les tambours en tête.
Chaque compagnie a son drapeau particulier; le signe de ralliement de
-l'armée est l'étendard de quelque illustre marabout; et comme il ne
+l'armée est l'étendard de quelque illustre marabout; et comme il ne
manque pas de marabouts chez les Arabes, on n'a que j'embarras du choix.
-Le porte-drapeau est un officier. Le rappel est battu, tous les jours, à
-sept, heures du matin, dans les villes ou au camp. Dès que les troupes
-sont réunies, on procède à l'appel; à dix heures, les tambours
-convoquent les soldats à l'exercice; la retraite sonne à six heures du
-soir en hiver, et à huit heures en été; mais la consigne qui défend aux
-soldats de sortir après la retraite n'est pas rigoureusement observée.
+Le porte-drapeau est un officier. Le rappel est battu, tous les jours, à
+sept, heures du matin, dans les villes ou au camp. Dès que les troupes
+sont réunies, on procède à l'appel; à dix heures, les tambours
+convoquent les soldats à l'exercice; la retraite sonne à six heures du
+soir en hiver, et à huit heures en été; mais la consigne qui défend aux
+soldats de sortir après la retraite n'est pas rigoureusement observée.
Le colonel passe une fois par semaine la revue, des troupes. Les villes
-ne contenant pas de casernes, les soldats sont envoyés chez les
-habitants, à moins qu'on ne mette à leur disposition les maisons des
-proscrits dont s'est emparé le gouvernement. Là où était mie famille, on
-entasse une compagnie. Le lit des soldats est une natte dégoûtante;
-quelques-uns obtiennent de leurs chefs la permission de découcher, et
-vont demander l'hospitalité à leurs amis. Pendant la guerre, chacun est
+ne contenant pas de casernes, les soldats sont envoyés chez les
+habitants, à moins qu'on ne mette à leur disposition les maisons des
+proscrits dont s'est emparé le gouvernement. Là où était mie famille, on
+entasse une compagnie. Le lit des soldats est une natte dégoûtante;
+quelques-uns obtiennent de leurs chefs la permission de découcher, et
+vont demander l'hospitalité à leurs amis. Pendant la guerre, chacun est
sous la tente, et n'a d'autre couche que le sol humide.</p>
-<p>Quand les Arabes entrent en campagne, ils demandent au Prophète de leur
-faire la grâce d'être tués plutôt que blessés. Cela peut donner une idée
-des souffrances qu'endurent ces derniers; ils n'ont pour se guérir
-d'autre médecin que la nature, d'autres aliments que la ration, d'autres
-spécifiques que l'huile et le beurre. Ils font de la charpie avec de la
-laine et du coton. Les blessés succombent presque tous après d'horribles
-agonies, et l'on s'inquiète à peine de leur état; ainsi j'ai vu, dans le
-camp de l'émir, un blessé mourir de faim et de froid, et l'on ne
-s'aperçut qu'il était mort que lorsque, depuis quatre jours, son cadavre
-était en putréfaction.</p>
-
-<p>La cavalerie régulière est enrégimentée et subdivisée en compagnies, qui
-ont chacune un officier, lequel remplit en même temps les fonctions de
-maréchal des logis. Le chef d'escadron est appelé colonel des cavaliers.
-Pour être admis dans ce corps, il faut fournir un cheval. Un simple
+<p>Quand les Arabes entrent en campagne, ils demandent au Prophète de leur
+faire la grâce d'être tués plutôt que blessés. Cela peut donner une idée
+des souffrances qu'endurent ces derniers; ils n'ont pour se guérir
+d'autre médecin que la nature, d'autres aliments que la ration, d'autres
+spécifiques que l'huile et le beurre. Ils font de la charpie avec de la
+laine et du coton. Les blessés succombent presque tous après d'horribles
+agonies, et l'on s'inquiète à peine de leur état; ainsi j'ai vu, dans le
+camp de l'émir, un blessé mourir de faim et de froid, et l'on ne
+s'aperçut qu'il était mort que lorsque, depuis quatre jours, son cadavre
+était en putréfaction.</p>
+
+<p>La cavalerie régulière est enrégimentée et subdivisée en compagnies, qui
+ont chacune un officier, lequel remplit en même temps les fonctions de
+maréchal des logis. Le chef d'escadron est appelé colonel des cavaliers.
+Pour être admis dans ce corps, il faut fournir un cheval. Un simple
cavalier touche quatorze francs par mois et autant de rations qu'un
fantassin. La solde du chef d'escadron est de cent francs; celle de
l'officier de vingt-six. L'escadron comprend tous les cavaliers d'un
-aghalick. Chaque kalifat commande un régiment.</p>
+aghalick. Chaque kalifat commande un régiment.</p>
-<p>Le costume des cavaliers réguliers se compose d'une culotte, d'un gilet
+<p>Le costume des cavaliers réguliers se compose d'une culotte, d'un gilet
et d'une veste sans capuchon, le tout un drap rouge grossier. Le drap
-que portent les chefs est d'une qualité supérieure. Les grades y sont
-indiqués par les mêmes signes que dans l'infanterie. Chaque compagnie a
+que portent les chefs est d'une qualité supérieure. Les grades y sont
+indiqués par les mêmes signes que dans l'infanterie. Chaque compagnie a
aussi son drapeau. L'officier de cavalerie se nomme <i>siaff-el-chriala</i>.
-Les cavaliers ne vont pas à l'exercice et sont rarement passés en revue.
-On les emploie aux transports des lettres et à diverses missions dans
-l'intérieur, où ils escortent les collecteurs d'impôts. Le sabre dont
+Les cavaliers ne vont pas à l'exercice et sont rarement passés en revue.
+On les emploie aux transports des lettres et à diverses missions dans
+l'intérieur, où ils escortent les collecteurs d'impôts. Le sabre dont
ils se servent leur appartient; ils professent la plus haute estime pour
-les armes de fabrique française.</p>
+les armes de fabrique française.</p>
-<p>Les compagnies d'infanterie ont à leur tête un tambour; celles de
+<p>Les compagnies d'infanterie ont à leur tête un tambour; celles de
cavalerie un trompette.</p>
-<p>L'armée arabe compte aussi dans ses rangs un grand nombre d'Européens,
-qui ont déserté nos drapeaux, croyant trouver la fortune et la gloire
-auprès de l'émir. Presque tous appartiennent à la légion étrangère. On y
-voit beaucoup d'Allemands et d'Espagnols, et peu de Français. Les
-déserteurs ne sont pas plutôt arrivés chez les Arabes qu'ils déplorent
-leur folle démarche, et, s'il ne s'agissait que de cinq ans de fers, ils
-rallieraient immédiatement leurs compagnons. Le plus souvent ils
+<p>L'armée arabe compte aussi dans ses rangs un grand nombre d'Européens,
+qui ont déserté nos drapeaux, croyant trouver la fortune et la gloire
+auprès de l'émir. Presque tous appartiennent à la légion étrangère. On y
+voit beaucoup d'Allemands et d'Espagnols, et peu de Français. Les
+déserteurs ne sont pas plutôt arrivés chez les Arabes qu'ils déplorent
+leur folle démarche, et, s'il ne s'agissait que de cinq ans de fers, ils
+rallieraient immédiatement leurs compagnons. Le plus souvent ils
emportent avec eux armes et bagages, afin d'obtenir un meilleur accueil;
-mais l'avidité des Arabes s'éveille à la vue de ces objets. On dépouille
-ces malheureux; on leur rase la tête, on les force à embrasser
-l'islamisme, puis on les incorpore dans les bataillons réguliers;
+mais l'avidité des Arabes s'éveille à la vue de ces objets. On dépouille
+ces malheureux; on leur rase la tête, on les force à embrasser
+l'islamisme, puis on les incorpore dans les bataillons réguliers;
quelques-uns deviennent artilleurs et ne combattent point; les autres
-sont placés au premier rang dans toutes les rencontres; aussi
+sont placés au premier rang dans toutes les rencontres; aussi
meurent-ils presque tous. Il est fort rare de les voir monter en grade.
-Il en est qui, accablés de dégoûts et de mauvais traitements, se
-réfugient chez les Kabyles; d'autres parcourent les campagnes, où ils
-font des dupes et se donnent pour médecins. Tous finissent par être
-assassinés ou dévorés par les bêtes féroces. Ceux qui ont un état
+Il en est qui, accablés de dégoûts et de mauvais traitements, se
+réfugient chez les Kabyles; d'autres parcourent les campagnes, où ils
+font des dupes et se donnent pour médecins. Tous finissent par être
+assassinés ou dévorés par les bêtes féroces. Ceux qui ont un état
l'exercent librement; mais quoique moins malheureux que les premiers,
-ils n'acquièrent aucune influence dans les tribus, et ont sans cesse à
-redouter la colère des indigènes, qui cherchent à se débarrasser d'eux.</p>
-
-<p>Abd-el-Kader a environ huit mille fantassins et deux mille cavaliers à
-sa solde. Il pourrait au besoin les réunir tous sur un seul point, A
-l'exception des garnisons du Ziben et de Ghronat, qui sont sédentaires
-et maintiennent ces tribus dans l'obéissance. Les armes proviennent des
-fabriques françaises et anglaise? L'émir compterait deux mille hommes de
-plus dans son armée, s'il n'avait perdu six cents réguliers dans une
-révolte de Ziben et douze ou treize cents hommes au téniah de Monzaïa,
-pendant la campagne de juin. Quant aux irréguliers, leur nombre est plus
-ou moins considérable, selon que la presse ou levée est plus ou moins
-bien faite dans l'intérieur, il m'est impossible de préciser le chiffre
-des contingents pendant la dernière campagne; mais je suppose que leur
-maximum peut être porté à vingt mille auxiliaires pris dans les
-aghalicks soumis. Les auxiliaires font la guerre sainte à leurs frais.
+ils n'acquièrent aucune influence dans les tribus, et ont sans cesse à
+redouter la colère des indigènes, qui cherchent à se débarrasser d'eux.</p>
+
+<p>Abd-el-Kader a environ huit mille fantassins et deux mille cavaliers à
+sa solde. Il pourrait au besoin les réunir tous sur un seul point, A
+l'exception des garnisons du Ziben et de Ghronat, qui sont sédentaires
+et maintiennent ces tribus dans l'obéissance. Les armes proviennent des
+fabriques françaises et anglaise? L'émir compterait deux mille hommes de
+plus dans son armée, s'il n'avait perdu six cents réguliers dans une
+révolte de Ziben et douze ou treize cents hommes au téniah de Monzaïa,
+pendant la campagne de juin. Quant aux irréguliers, leur nombre est plus
+ou moins considérable, selon que la presse ou levée est plus ou moins
+bien faite dans l'intérieur, il m'est impossible de préciser le chiffre
+des contingents pendant la dernière campagne; mais je suppose que leur
+maximum peut être porté à vingt mille auxiliaires pris dans les
+aghalicks soumis. Les auxiliaires font la guerre sainte à leurs frais.
Le gouvernement ne leur fournit ni armes, ni vivres, ni fourrages, ni
-solde. Abd-el-Kader leur avait promis, à titre de prime d'encouragement,
-de remplacer les chevaux tués au combat; il leur avait même donné une
-livre de poudre et une pierre à fusil; mais, après la campagne, ceux qui
-se présentèrent pour le prier de tenir sa promesse, furent fort mal
-reçus. L'émir leur donna, au lieu d'un cheval, un chameau du prix de dix
-à quinze boudjoux (à peu près vingt francs). Les quinze mille
-auxiliaires que peut réunir le sultan forment dix mille cavaliers et
-cinq mille fantassins. Il ne nous reste qu'à dire quelques mots de
-l'artillerie, et nous aurons passé en revue toutes les forces arabes.</p>
-
-<p>Le nombre des pièces de campagne ne va pas au delà de douze. Les pièces,
-toutes en assez bon état, sont partagées entre les kalifats. La plupart
+solde. Abd-el-Kader leur avait promis, à titre de prime d'encouragement,
+de remplacer les chevaux tués au combat; il leur avait même donné une
+livre de poudre et une pierre à fusil; mais, après la campagne, ceux qui
+se présentèrent pour le prier de tenir sa promesse, furent fort mal
+reçus. L'émir leur donna, au lieu d'un cheval, un chameau du prix de dix
+à quinze boudjoux (à peu près vingt francs). Les quinze mille
+auxiliaires que peut réunir le sultan forment dix mille cavaliers et
+cinq mille fantassins. Il ne nous reste qu'à dire quelques mots de
+l'artillerie, et nous aurons passé en revue toutes les forces arabes.</p>
+
+<p>Le nombre des pièces de campagne ne va pas au delà de douze. Les pièces,
+toutes en assez bon état, sont partagées entre les kalifats. La plupart
sortent de la fonderie de Tlemcen, que dirige un officier espagnol;
-quatre d'entre elles ont été envoyées en cadeau à l'émir par l'empereur
+quatre d'entre elles ont été envoyées en cadeau à l'émir par l'empereur
du Maroc.</p>
-<p>L'époque fixée pour mon retour en France approchait, lorsque je fus
-subitement atteint de fièvres tierces et forcé de me soumettre au repos
-le plus absolu. Pendant ma convalescence, les hostilités éclatèrent,
-cent vingt-cinq têtes de Français furent apportées à Médéah, exposées
-aux marchés, puis jetées à la voirie; six milles chargés de fusils y
-arrivèrent bientôt. Ces trophées enorgueillirent les Arabes. Lorsque la
-nouvelle en arriva à Tekedempt, la population se livra à une joie
-féroce; de toutes parts des imprécations s'élevèrent contre ce qui
-portait le nom de Français. Ma position devint d'autant plus pénible que
-mon jeune compatriote s'était enfui: son départ excita le courroux
-d'Abd-el-kader contre les Européens; ceux qui entouraient l'émir, me
+<p>L'époque fixée pour mon retour en France approchait, lorsque je fus
+subitement atteint de fièvres tierces et forcé de me soumettre au repos
+le plus absolu. Pendant ma convalescence, les hostilités éclatèrent,
+cent vingt-cinq têtes de Français furent apportées à Médéah, exposées
+aux marchés, puis jetées à la voirie; six milles chargés de fusils y
+arrivèrent bientôt. Ces trophées enorgueillirent les Arabes. Lorsque la
+nouvelle en arriva à Tekedempt, la population se livra à une joie
+féroce; de toutes parts des imprécations s'élevèrent contre ce qui
+portait le nom de Français. Ma position devint d'autant plus pénible que
+mon jeune compatriote s'était enfui: son départ excita le courroux
+d'Abd-el-kader contre les Européens; ceux qui entouraient l'émir, me
sachant l'ami du fugitif, et ayant perdu l'espoir de le prendre,
-conseillèrent à leur maître de me faire décapiter. «C'est un espion, lui
-dirent-ils, et, un jour, il donnera à tes ennemis d'utiles
-renseignements sur ton gouvernement.--Vous avez peut-être raison, leur
-répondit-il; mais je n'ai pas de preuves certaines, et ma religion me
-défend de lui ôter la vie. Sa mort n'ajouterait pas un rayon à ma
+conseillèrent à leur maître de me faire décapiter. «C'est un espion, lui
+dirent-ils, et, un jour, il donnera à tes ennemis d'utiles
+renseignements sur ton gouvernement.--Vous avez peut-être raison, leur
+répondit-il; mais je n'ai pas de preuves certaines, et ma religion me
+défend de lui ôter la vie. Sa mort n'ajouterait pas un rayon à ma
gloire; il vivra donc. Qu'on se contente de lui enlever ce qu'il
-possède. Privé des moyens qui pourraient faciliter sa fuite, il ne
-tentera pas de s'échapper.»</p>
+possède. Privé des moyens qui pourraient faciliter sa fuite, il ne
+tentera pas de s'échapper.»</p>
-<p>Les ordres du sultan furent exécutés de point en point: cheval, argent,
-marchandises, on me dépouilla de tout; il ne me resta que les vêtements
-que j'avais sur moi. Ainsi gardé à vue, en proie à la plus horrible
-misère, malade, n'ayant que le sol pour étendre mon corps exténué et une
+<p>Les ordres du sultan furent exécutés de point en point: cheval, argent,
+marchandises, on me dépouilla de tout; il ne me resta que les vêtements
+que j'avais sur moi. Ainsi gardé à vue, en proie à la plus horrible
+misère, malade, n'ayant que le sol pour étendre mon corps exténué et une
pierre pour oreiller, j'attendais la mort avec impatience. J'aurais
-infailliblement succombé à la langueur et à la faim, sans la générosité
-des ouvriers français; sans eux, je n'aurais jamais revu mon pays.
-Cependant, j'allais m'affaiblissant de jour en jour; j'avais déjà dit
-adieu à ma mère, à mes amis, à tout ce que j'aimais ici-bas, lorsque, au
-moment où je m'y attendais le moins, l'émir me fit appeler pour traduire
-quelques lettres. Mon dénûment et ma pâleur le frappèrent. Depuis que
-les chefs m'avaient accusé, il m'avait reçu avec tant de froideur que
-j'étais tout découragé; cette fois, le sourire qui passa sur sa bouche
-me rendit l'espérance, et je m'enhardis à lui parler de moi.</p>
-
-<p>«Considère, lui dis-je, l'état où je suis réduit. J'étais venu à toi
-pour opérer des échanges et augmenter ton trésor; tu me retiens captif,
-et tu m'as dépouillé de tout. Je souffre, et je n'ai aucune ressource
-pour alléger mes maux. Ou fais tomber ma tête, ou donne-moi les moyens
-de vivre. J'ai quelques fonds à Médéah, je te demande l'autorisation
-d'aller les toucher.»</p>
-
-<p>L'émir m'écouta avec attention. Après avoir réfléchi quelques instants:
-«Je le permets, me dit-il, de te rendre à Médéah; mais tu n'iras pas
+infailliblement succombé à la langueur et à la faim, sans la générosité
+des ouvriers français; sans eux, je n'aurais jamais revu mon pays.
+Cependant, j'allais m'affaiblissant de jour en jour; j'avais déjà dit
+adieu à ma mère, à mes amis, à tout ce que j'aimais ici-bas, lorsque, au
+moment où je m'y attendais le moins, l'émir me fit appeler pour traduire
+quelques lettres. Mon dénûment et ma pâleur le frappèrent. Depuis que
+les chefs m'avaient accusé, il m'avait reçu avec tant de froideur que
+j'étais tout découragé; cette fois, le sourire qui passa sur sa bouche
+me rendit l'espérance, et je m'enhardis à lui parler de moi.</p>
+
+<p>«Considère, lui dis-je, l'état où je suis réduit. J'étais venu à toi
+pour opérer des échanges et augmenter ton trésor; tu me retiens captif,
+et tu m'as dépouillé de tout. Je souffre, et je n'ai aucune ressource
+pour alléger mes maux. Ou fais tomber ma tête, ou donne-moi les moyens
+de vivre. J'ai quelques fonds à Médéah, je te demande l'autorisation
+d'aller les toucher.»</p>
+
+<p>L'émir m'écouta avec attention. Après avoir réfléchi quelques instants:
+«Je le permets, me dit-il, de te rendre à Médéah; mais tu n'iras pas
plus loin, car j'ai fait publier que quiconque serait pris se dirigeant
-vers les possessions françaises aurait la tête tranchée. Pars, et
-reviens dès que tes affaires seront terminées.»</p>
-
-<p>En l'entendant prononcer ces paroles, je faillis m'évanouir de bonheur.
-Me sentant trop faible pour entreprendre à pied une aussi longue route,
-je me procurai un âne, et je partis pour Médéah avec Ben-Oulil. Ce
-voyage fut pénible et dangereux: je manquai deux fois d'être assassiné;
-le froid raviva mes fièvres mal éteintes, et je ne pus, en arrivant,
+vers les possessions françaises aurait la tête tranchée. Pars, et
+reviens dès que tes affaires seront terminées.»</p>
+
+<p>En l'entendant prononcer ces paroles, je faillis m'évanouir de bonheur.
+Me sentant trop faible pour entreprendre à pied une aussi longue route,
+je me procurai un âne, et je partis pour Médéah avec Ben-Oulil. Ce
+voyage fut pénible et dangereux: je manquai deux fois d'être assassiné;
+le froid raviva mes fièvres mal éteintes, et je ne pus, en arrivant,
descendre de ma monture sans l'aide de mon compagnon.</p>
-<p>Je trouvai la ville de Médéah dans la consternation; les habitants
-hurlaient de douleur. Ce jour-là, les Français avaient remporté sur les
-Arabes une victoire signalée, sous les murs mêmes de Blidah: cinq cents
-hommes étaient tombés sous les coups des chasseurs d'Afrique; presque
+<p>Je trouvai la ville de Médéah dans la consternation; les habitants
+hurlaient de douleur. Ce jour-là, les Français avaient remporté sur les
+Arabes une victoire signalée, sous les murs mêmes de Blidah: cinq cents
+hommes étaient tombés sous les coups des chasseurs d'Afrique; presque
tous appartenaient aux familles les plus puissantes. Cette fois, ce
-n'étaient pas les réguliers qui avaient souffert, mais bien des fils de
-cadis, de cheiks et de commerçants qui, pour obéir au prince des
-croyants, avaient mérité le ciel en se faisant glorieusement tuer dans
-la lutte sainte. La désolation était générale: pendant trois jours, la
-route qui mène de Blidah à Médéah ne fut fréquentée que par des veuves
+n'étaient pas les réguliers qui avaient souffert, mais bien des fils de
+cadis, de cheiks et de commerçants qui, pour obéir au prince des
+croyants, avaient mérité le ciel en se faisant glorieusement tuer dans
+la lutte sainte. La désolation était générale: pendant trois jours, la
+route qui mène de Blidah à Médéah ne fut fréquentée que par des veuves
et des orphelins inconsolables. Les cadavres jonchaient la terre, et les
-bières ne pouvant suffire à les transporter, on les enlevait par couples
+bières ne pouvant suffire à les transporter, on les enlevait par couples
sur des tapis et des couvertures.</p>
-<p>Mes débiteurs abusèrent de ma pauvreté et nièrent leurs dettes. Un
-respectable marabout, croyant que j'avais embrassé l'islamisme, m'offrit
-l'hospitalité. On apprit bientôt que les Français se disposaient à
-ouvrir la campagne. Abd-el-Kader résolut de leur opposer une vigoureuse
-résistance; quatre redoutes furent établies au téniah de Mouzaïa, sous
-la direction d'un sergent du génie, déserteur; deux pièces de canon les
-armèrent. L'émir vint lui-même à Médéah, afin d'entraîner les tribus à
+<p>Mes débiteurs abusèrent de ma pauvreté et nièrent leurs dettes. Un
+respectable marabout, croyant que j'avais embrassé l'islamisme, m'offrit
+l'hospitalité. On apprit bientôt que les Français se disposaient à
+ouvrir la campagne. Abd-el-Kader résolut de leur opposer une vigoureuse
+résistance; quatre redoutes furent établies au téniah de Mouzaïa, sous
+la direction d'un sergent du génie, déserteur; deux pièces de canon les
+armèrent. L'émir vint lui-même à Médéah, afin d'entraîner les tribus à
la guerre. Ses ordres portaient que les enfants et les vieillards
-resteraient seuls dans les douairs. Tous les Arabes répondirent à son
-appel; ceux qui n'avaient pas d'armes s'armèrent de bâtons. L'évacuation
-de la ville fut ensuite ordonnée.</p>
+resteraient seuls dans les douairs. Tous les Arabes répondirent à son
+appel; ceux qui n'avaient pas d'armes s'armèrent de bâtons. L'évacuation
+de la ville fut ensuite ordonnée.</p>
<p>Je ne puis reproduire ici le spectacle qu'offrit la fuite des habitants;
-ils partirent, n'emportant que leurs effets les plus précieux, sans
-savoir où ils trouveraient un abri. L'émir ne leur avait donné que
-vingt-quatre heures pour évacuer la ville; il supposait que les colonnes
-françaises se dirigeraient de ce côté en sortant de, Blidah. Il se
-trompait; nos troupes marchèrent sur Cherchell. Les rencontres qui
-eurent lieu entre elles et les Hadjoules furent fatales à ces derniers;
-cinq cents morts restèrent sur le champ de bataille. Les habitants de
-Médéah profitèrent de ce temps pour rentrer dans la ville et en enlever
-leurs trésors. Ce fut alors une confusion étrange: tout commerce avait
-cessé; les Arabes de l'intérieur ne fournissaient plus les marchés, et
-le blé y était tarifé à un prix exorbitant. Pendant quinze jours, deux
-cents mulets furent affectés au déménagement; enfin, au moment où en
-croyait que les Français se dirigeaient vers Milianah, on les vit, à la
-faveur des brouillards et par une manoeuvre habile, couvrir le téniah de
-leurs colonnes. Ils l'auraient passé sans coup férir, car l'émir n'y
-avait laissé que quelques compagnies de réguliers, ayant réuni ses
+ils partirent, n'emportant que leurs effets les plus précieux, sans
+savoir où ils trouveraient un abri. L'émir ne leur avait donné que
+vingt-quatre heures pour évacuer la ville; il supposait que les colonnes
+françaises se dirigeraient de ce côté en sortant de, Blidah. Il se
+trompait; nos troupes marchèrent sur Cherchell. Les rencontres qui
+eurent lieu entre elles et les Hadjoules furent fatales à ces derniers;
+cinq cents morts restèrent sur le champ de bataille. Les habitants de
+Médéah profitèrent de ce temps pour rentrer dans la ville et en enlever
+leurs trésors. Ce fut alors une confusion étrange: tout commerce avait
+cessé; les Arabes de l'intérieur ne fournissaient plus les marchés, et
+le blé y était tarifé à un prix exorbitant. Pendant quinze jours, deux
+cents mulets furent affectés au déménagement; enfin, au moment où en
+croyait que les Français se dirigeaient vers Milianah, on les vit, à la
+faveur des brouillards et par une manoeuvre habile, couvrir le téniah de
+leurs colonnes. Ils l'auraient passé sans coup férir, car l'émir n'y
+avait laissé que quelques compagnies de réguliers, ayant réuni ses
forces sur l'Oued-Djer, mais il eut le temps d'y envoyer quatre mille
-soldats et une nuée d'auxiliaires. Les premiers gardaient les redoutes,
-tandis que les autres, perchés sur les hauteurs, faisaient rouler du
-haut des monts d'énormes blocs de granit. L'affaire, s'engagea vers deux
-heures du soir; deux fois repoussés, les Français, électrisés par tant
-de résistance, tournèrent l'ennemi et l'écrasèrent au troisième choc.
-L'arme blanche fit un carnage horrible des Arabes, qui laissèrent sur la
+soldats et une nuée d'auxiliaires. Les premiers gardaient les redoutes,
+tandis que les autres, perchés sur les hauteurs, faisaient rouler du
+haut des monts d'énormes blocs de granit. L'affaire, s'engagea vers deux
+heures du soir; deux fois repoussés, les Français, électrisés par tant
+de résistance, tournèrent l'ennemi et l'écrasèrent au troisième choc.
+L'arme blanche fit un carnage horrible des Arabes, qui laissèrent sur la
place douze cents combattants.</p>
-<p>De Médéah nous entendions la canonnade. Les autorités avertirent les
-habitants que ceux qui seraient trouvés le lendemain dans la ville
-seraient mis à mort. La fuite et le désordre recommencèrent une seconde
-fois. Les chaouchs se mirent à chasser les indigènes à coups de bâton.
-Le soir Médéah était vide. J'espérais que les Français viendraient s'en
+<p>De Médéah nous entendions la canonnade. Les autorités avertirent les
+habitants que ceux qui seraient trouvés le lendemain dans la ville
+seraient mis à mort. La fuite et le désordre recommencèrent une seconde
+fois. Les chaouchs se mirent à chasser les indigènes à coups de bâton.
+Le soir Médéah était vide. J'espérais que les Français viendraient s'en
emparer et que je me retrouverais au milieu de mes compatriotes... vain
-espoir! Un orage arrêta leur marche, la ville s'emplit de déserteurs et
-fut traversée, pendant la nuit, par les blessés qu'on conduisait à
+espoir! Un orage arrêta leur marche, la ville s'emplit de déserteurs et
+fut traversée, pendant la nuit, par les blessés qu'on conduisait à
Boural.</p>
-<p>Le lendemain matin, il n'y avait plus à Médéah que le kaïd, le cadi,
-quelques chaouchs et moi. L'armée française avait assis son camp au bois
-des oliviers. On me réitéra l'ordre de partir; j'obéis à regret, mais
-demeurer plus longtemps eût été me compromettre. Je pris la route de
-Milianah; la fusillade sifflait sans cesse à mes oreilles, des nuages de
-fumée et de poussière s'élevaient dans les airs. Les Français étaient à
-quelques pas de moi, et il fallait les fuir! Le jour d'après, ils
-entraient dans la ville, qu'ils quittèrent bientôt pour aller à Blidah.
-Cette retraite permit à l'émir de licencier les auxiliaires et de
-disséminer ses réguliers, auxquels il accorda quinze jours de congé.
+<p>Le lendemain matin, il n'y avait plus à Médéah que le kaïd, le cadi,
+quelques chaouchs et moi. L'armée française avait assis son camp au bois
+des oliviers. On me réitéra l'ordre de partir; j'obéis à regret, mais
+demeurer plus longtemps eût été me compromettre. Je pris la route de
+Milianah; la fusillade sifflait sans cesse à mes oreilles, des nuages de
+fumée et de poussière s'élevaient dans les airs. Les Français étaient à
+quelques pas de moi, et il fallait les fuir! Le jour d'après, ils
+entraient dans la ville, qu'ils quittèrent bientôt pour aller à Blidah.
+Cette retraite permit à l'émir de licencier les auxiliaires et de
+disséminer ses réguliers, auxquels il accorda quinze jours de congé.
El-Berkani resta seul avec quelques milliers d'hommes aux environs de
-Médéah.</p>
+Médéah.</p>
-<p>Un spectacle non moins étrange que celui dont je venais d'être témoin me
-frappa dès mon arrivée à Milianah. La ville était déserte; un ordre de
-l'émir avait enjoint à ses habitants de se réfugier dans la vallée du
-Chélif et sur les montagnes. Les réguliers avaient profilé du désordre
-pour livrer la ville au pillage; des quartiers même avaient été la proie
+<p>Un spectacle non moins étrange que celui dont je venais d'être témoin me
+frappa dès mon arrivée à Milianah. La ville était déserte; un ordre de
+l'émir avait enjoint à ses habitants de se réfugier dans la vallée du
+Chélif et sur les montagnes. Les réguliers avaient profilé du désordre
+pour livrer la ville au pillage; des quartiers même avaient été la proie
des flammes.</p>
-<p>Le camp des Arabes s'adossait au bas de la vallée du Chélif, à
-Al-Cantara, pont des Romains. Un soir que l'émir, après avoir payé ses
-troupes, prenait son repas, composé d'une orange et d'un peu de farine
-de blé rôti, un courrier, arrivant de Médéah, lui apprit que l'ennemi
-s'avançait vers Milianah.</p>
+<p>Le camp des Arabes s'adossait au bas de la vallée du Chélif, à
+Al-Cantara, pont des Romains. Un soir que l'émir, après avoir payé ses
+troupes, prenait son repas, composé d'une orange et d'un peu de farine
+de blé rôti, un courrier, arrivant de Médéah, lui apprit que l'ennemi
+s'avançait vers Milianah.</p>
<p>Il avait en ce moment peu de troupes disponibles, et cette nouvelle le
-surprit beaucoup; mais il expédia des courriers dans toutes les
-directions pour rappeler ses soldats; et, s'élançant sur son cheval, il
-partit au galop, accompagné du bey de Milianah et de cinq cents
-cavaliers. Le soir, une fumée épaisse et rougeâtre entoura la ville, les
-Français étaient en vue; ils brûlaient tout ce qui se trouvait sur leur
-passage. Abd-el-Kader, de son côté, mettait le feu aux habitations; le
-pays entier se tordait dans les étreintes d'un vaste incendie. A la
-faveur de la lune, notre armée se divisa en deux corps; l'un marcha sur
-Milianah, l'autre vers le Chélif, d'où il revint se joindre bientôt au
-premier corps. La consternation ne tarda pas à se répandre dans le camp
-de l'émir; des chameaux furent requis pour le transport des bagages; on
-affecta des mules à celui des blessés. Les Arabes, fuyant en désordre
-devant nos bataillons, franchirent le Chélif, et se replièrent sur
-Tazza, où je fus forcé de les suivre. Abd-el-Kader avait pris les
+surprit beaucoup; mais il expédia des courriers dans toutes les
+directions pour rappeler ses soldats; et, s'élançant sur son cheval, il
+partit au galop, accompagné du bey de Milianah et de cinq cents
+cavaliers. Le soir, une fumée épaisse et rougeâtre entoura la ville, les
+Français étaient en vue; ils brûlaient tout ce qui se trouvait sur leur
+passage. Abd-el-Kader, de son côté, mettait le feu aux habitations; le
+pays entier se tordait dans les étreintes d'un vaste incendie. A la
+faveur de la lune, notre armée se divisa en deux corps; l'un marcha sur
+Milianah, l'autre vers le Chélif, d'où il revint se joindre bientôt au
+premier corps. La consternation ne tarda pas à se répandre dans le camp
+de l'émir; des chameaux furent requis pour le transport des bagages; on
+affecta des mules à celui des blessés. Les Arabes, fuyant en désordre
+devant nos bataillons, franchirent le Chélif, et se replièrent sur
+Tazza, où je fus forcé de les suivre. Abd-el-Kader avait pris les
devants. Je voyageai en compagnie du kalifat de Tlemcen, Bou-Hamidy, qui
-portait à son maître le montant des impôts perçus sur les tribus de son
+portait à son maître le montant des impôts perçus sur les tribus de son
gouvernement.</p>
-<p>L'émir vint à notre rencontre, monté sur un magnifique cheval gris,
+<p>L'émir vint à notre rencontre, monté sur un magnifique cheval gris,
qu'il tenait de l'empereur du Maroc; sa musique marchait devant le
-cortège, et une nombreuse escorte caracolait à ses côtés. Arrivé à
-quelques pas de nous, tout le monde mit pied à terre, et Abd-el-Kader
-embrassa Bou-Hamidy avec une cordialité qui ne me laissa aucun doute sur
+cortège, et une nombreuse escorte caracolait à ses côtés. Arrivé à
+quelques pas de nous, tout le monde mit pied à terre, et Abd-el-Kader
+embrassa Bou-Hamidy avec une cordialité qui ne me laissa aucun doute sur
l'affection qui les unissait. Des jeux, auxquels les notables prirent
-part, célébrèrent l'arrivée du plus vaillant des kalifats. Les
-réjouissances une fois terminées, nous nous dirigeâmes vers la ville.</p>
-
-<p>Je comptais retrouver la place de Tazza telle que je l'avais laissée,
-avec ses misérables huttes et sa tour inachevée; mais quelle fut ma
-surprise en voyant, à la place de ce désert, un fort bien construit et
-décoré avec art, des maisons avec des boutiques, semblables à des
-édifices. Les terres étaient cultivées; on se livrait, autour de nous, à
-la récolte du riz. La ville était animée par la présence de plusieurs
-chefs; des tentes nombreuses s'éparpillaient dans la plaine; et, sous
-ces tentes, la population oubliait dans les fêtes ses derniers malheurs.
-Tout y respirait la joie, l'abondance, le mouvement; et ce séjour, sans
-être à envier, me parut alors l'un des plus agréables de l'Afrique.</p>
-
-<p>Le lendemain, je m'acheminai vers le fort où se trouvait l'émir,
-lorsque, arrivé à la batterie, j'aperçus une foule nombreuse qui
+part, célébrèrent l'arrivée du plus vaillant des kalifats. Les
+réjouissances une fois terminées, nous nous dirigeâmes vers la ville.</p>
+
+<p>Je comptais retrouver la place de Tazza telle que je l'avais laissée,
+avec ses misérables huttes et sa tour inachevée; mais quelle fut ma
+surprise en voyant, à la place de ce désert, un fort bien construit et
+décoré avec art, des maisons avec des boutiques, semblables à des
+édifices. Les terres étaient cultivées; on se livrait, autour de nous, à
+la récolte du riz. La ville était animée par la présence de plusieurs
+chefs; des tentes nombreuses s'éparpillaient dans la plaine; et, sous
+ces tentes, la population oubliait dans les fêtes ses derniers malheurs.
+Tout y respirait la joie, l'abondance, le mouvement; et ce séjour, sans
+être à envier, me parut alors l'un des plus agréables de l'Afrique.</p>
+
+<p>Le lendemain, je m'acheminai vers le fort où se trouvait l'émir,
+lorsque, arrivé à la batterie, j'aperçus une foule nombreuse qui
semblait garder la porte; des cris affreux sortaient du sein de cette
multitude. Les gestes expressifs des Arabes, leurs regards, le sourire
-horrible qui grimaçait sur leurs lèvres, me remplirent d'effroi, et je
-fus tenté de rebrousser chemin; mais j'eus honte de moi-même et je
+horrible qui grimaçait sur leurs lèvres, me remplirent d'effroi, et je
+fus tenté de rebrousser chemin; mais j'eus honte de moi-même et je
continuai d'avancer.</p>
-<p>Mon instinct ne m'avait pas trompé: ces cris étaient des cris de mort;
-un drame sanglant allait se jouer en ce lieu, et la foule n'était
-assemblée que pour jouir de ses péripéties. Je pris des informations;
-mille voix me crièrent qu'on allait décapiter un Français. Ne pouvant
-croire ce témoignage unanime, je m'adressai à un vieillard qui était
-près de moi, en lui demandant si c'était la vérité.</p>
+<p>Mon instinct ne m'avait pas trompé: ces cris étaient des cris de mort;
+un drame sanglant allait se jouer en ce lieu, et la foule n'était
+assemblée que pour jouir de ses péripéties. Je pris des informations;
+mille voix me crièrent qu'on allait décapiter un Français. Ne pouvant
+croire ce témoignage unanime, je m'adressai à un vieillard qui était
+près de moi, en lui demandant si c'était la vérité.</p>
-<p>«On ne te trompe pas, dit-il en me lançant un regard farouche; c'est à
-un infidèle qu'on va trancher la tête. Avec l'aide de Dieu et du
-Prophète, on en fera bientôt autant à tous ceux qui ont envahi notre
+<p>«On ne te trompe pas, dit-il en me lançant un regard farouche; c'est à
+un infidèle qu'on va trancher la tête. Avec l'aide de Dieu et du
+Prophète, on en fera bientôt autant à tous ceux qui ont envahi notre
pays.</p>
<p>--Quel est son crime? demandai-je en balbutiant.</p>
-<p>--Son crime? Il s'est fait musulman, puis il a renié la sainte religion
-du Prophète; non content de cela, il a pratiqué l'espionnage; on a
-trouvé sur lui certains papiers qui ont mis au jour ses desseins. Il a
-mérité de perdre la vie, et, <i>in cha allah</i>! il la perdra.»</p>
+<p>--Son crime? Il s'est fait musulman, puis il a renié la sainte religion
+du Prophète; non content de cela, il a pratiqué l'espionnage; on a
+trouvé sur lui certains papiers qui ont mis au jour ses desseins. Il a
+mérité de perdre la vie, et, <i>in cha allah</i>! il la perdra.»</p>
-<p>L'indignation, la stupeur et l'effroi me clouaient à ma place; les
-regards de la foule s'étaient fixés sur moi avec une férocité
-inexprimable. Un Français allait périr sous mes yeux sans qu'il me fût
+<p>L'indignation, la stupeur et l'effroi me clouaient à ma place; les
+regards de la foule s'étaient fixés sur moi avec une férocité
+inexprimable. Un Français allait périr sous mes yeux sans qu'il me fût
possible de le sauver; une parole imprudente aurait sans doute fait
-tomber ma tête avec la sienne! Un abîme de haine me séparait de ces
+tomber ma tête avec la sienne! Un abîme de haine me séparait de ces
tigres; et, dans la crainte de se voir arracher leur victime si je
-parvenais jusqu'à l'émir, ils me fermèrent l'entrée de son habitation.
-Un raffinement de vengeance les porta à m'entraîner vers la tente où le
-malheureux condamné attendait que le yatagan mit fin à ses jours.</p>
+parvenais jusqu'à l'émir, ils me fermèrent l'entrée de son habitation.
+Un raffinement de vengeance les porta à m'entraîner vers la tente où le
+malheureux condamné attendait que le yatagan mit fin à ses jours.</p>
-<p>Je m'avançai, traîné par cette populace hideuse et que l'appât du sang
+<p>Je m'avançai, traîné par cette populace hideuse et que l'appât du sang
enivrait. En jetant les yeux sur le sol recouvert d'une mauvaise natte,
-je sentis mes genoux prêts à fléchir, le coeur me manqua, et je me
-serais évanoui sans le secours des deux Arabes qui me soutenaient. Dans
+je sentis mes genoux prêts à fléchir, le coeur me manqua, et je me
+serais évanoui sans le secours des deux Arabes qui me soutenaient. Dans
celui que le supplice attendait, je reconnus un de mes amis!</p>
-<p>(<i>La fin à un prochain numéro.</i>)</p>
+<p>(<i>La fin à un prochain numéro.</i>)</p>
<br><br>
-<h2>Les Mystères de l'Illustration.</h2>
+<h2>Les Mystères de l'Illustration.</h2>
-<h3>A NOS ABONNÉS.</h3>
+<h3>A NOS ABONNÉS.</h3>
<p>Que ce titre n'effarouche pas la pudeur la plus craintive;
-rassurez-vous, chers abonnés, je veux simplement vous apprendre
-aujourd'hui comment <i>l'Illustration</i> parvient à résoudre chaque semaine
-le problème de son existence. Après vous avoir montré deux des trois
-grands centres d'action où les idées qui lui donnent naissance s
-conçoivent et se réalisent,--le bureau de rédaction, l'atelier des
-graveurs et l'imprimerie,--j'ai le désir de vous donner en très-peu de
-mots quelques détails peu connus sur les diverses opérations
-intellectuelles ou matérielles auxquelles doivent nécessairement se
-livrer à tour de rôle, les rédacteurs, les dessinateurs, les graveurs et
+rassurez-vous, chers abonnés, je veux simplement vous apprendre
+aujourd'hui comment <i>l'Illustration</i> parvient à résoudre chaque semaine
+le problème de son existence. Après vous avoir montré deux des trois
+grands centres d'action où les idées qui lui donnent naissance s
+conçoivent et se réalisent,--le bureau de rédaction, l'atelier des
+graveurs et l'imprimerie,--j'ai le désir de vous donner en très-peu de
+mots quelques détails peu connus sur les diverses opérations
+intellectuelles ou matérielles auxquelles doivent nécessairement se
+livrer à tour de rôle, les rédacteurs, les dessinateurs, les graveurs et
les imprimeurs de votre journal. Si ce sujet ne vous offre aucun
-intérêt, ne lisez pas ce qui va suivre.</p>
+intérêt, ne lisez pas ce qui va suivre.</p>
-<p>Ce fut (jour à jamais mémorable) le 4 mars de l'année 1843, à trois
+<p>Ce fut (jour à jamais mémorable) le 4 mars de l'année 1843, à trois
heures quarante-sept minutes, que le premier exemplaire du premier
-numéro de la première année de <i>l'Illustration</i> sortit enfin du sein de
-sa mère... (voir 1er numéro, l'année) la mécanique de MM. Lacrampe et
+numéro de la première année de <i>l'Illustration</i> sortit enfin du sein de
+sa mère... (voir 1er numéro, l'année) la mécanique de MM. Lacrampe et
compagnie.</p>
-<p>--L'enfantement avait été long et laborieux; malgré quelques symptômes
-de faiblesse apparente, le nouveau-né annonçait une constitution
-vigoureuse; aussi les bons observateurs ne s'y trompèrent-ils point; ils
-lui prédirent un long et glorieux avenir! Quelle prédiction fut plus
+<p>--L'enfantement avait été long et laborieux; malgré quelques symptômes
+de faiblesse apparente, le nouveau-né annonçait une constitution
+vigoureuse; aussi les bons observateurs ne s'y trompèrent-ils point; ils
+lui prédirent un long et glorieux avenir! Quelle prédiction fut plus
promptement accomplie?</p>
<p>A peine eut-elle vu le jour, la jeune <i>Illustration</i> sut se montrer
-digne du beau nom que sa famille lui avait donné. Avant la fin de son
-premier mois elle étonnait monde par ses prodiges. Jamais aucun journal
-n'avait fait en aussi peu de temps de pareils progrès. La grande
-nouvelle se répandit avec la rapidité de la foudre d'une extrémité de la
-terre à l'autre extrémité. En moins d'une année, <i>l'Illustration</i> devint
-réellement un journal universel. Ce qu'elle a fait pour mériter son
-succès, est-il nécessaire de vous le rappeler?... Si toutes ses
-tentatives n'ont pas été également heureuses, vous devez du moins lui
-rendre cette justice, quelle n'a reculé devant aucun obstacle, qu'aucun
-sacrifice ne lui a coûté. D'ailleurs ne faut-il pas pardonner quelques
-erreurs à l'inexpérience du jeune âge?</p>
-
-<p>Étonnez-vous plutôt qu'elle ait pu vous offrir cinquante-deux numéros
-aussi variés et aussi complets que ceux dont elle vous a gratifiés
-durant le cours de sa première année, et demandez-vous à l'aide de quels
-moyens elle est parvenue à obtenir un résultat aussi incroyable, car
-c'est à cette question que je vais essayer de répondre.</p>
+digne du beau nom que sa famille lui avait donné. Avant la fin de son
+premier mois elle étonnait monde par ses prodiges. Jamais aucun journal
+n'avait fait en aussi peu de temps de pareils progrès. La grande
+nouvelle se répandit avec la rapidité de la foudre d'une extrémité de la
+terre à l'autre extrémité. En moins d'une année, <i>l'Illustration</i> devint
+réellement un journal universel. Ce qu'elle a fait pour mériter son
+succès, est-il nécessaire de vous le rappeler?... Si toutes ses
+tentatives n'ont pas été également heureuses, vous devez du moins lui
+rendre cette justice, quelle n'a reculé devant aucun obstacle, qu'aucun
+sacrifice ne lui a coûté. D'ailleurs ne faut-il pas pardonner quelques
+erreurs à l'inexpérience du jeune âge?</p>
+
+<p>Étonnez-vous plutôt qu'elle ait pu vous offrir cinquante-deux numéros
+aussi variés et aussi complets que ceux dont elle vous a gratifiés
+durant le cours de sa première année, et demandez-vous à l'aide de quels
+moyens elle est parvenue à obtenir un résultat aussi incroyable, car
+c'est à cette question que je vais essayer de répondre.</p>
<p>Comme toutes les puissances de ce bas monde, <i>l'Illustration</i> a des
-courtisans; la capitale de son vaste royaume est Paris; elle a établi le
-siège de son gouvernement rue de Seine, 33; des ministres qu'elle a
+courtisans; la capitale de son vaste royaume est Paris; elle a établi le
+siège de son gouvernement rue de Seine, 33; des ministres qu'elle a
choisis avec un rare discernement <i>gouvernent</i> en son nom; mais outre
-ces hauts dignitaires assermentés et responsables, elle compte dans
-toutes les villes de France et de l'étranger un certain nombre de sujets
-volontaires qui, avides de ses faveurs, soupirent après l'heureux moment
-où il leur sera permis de lui donner, à la plume ou au crayon, un
-éclatant témoignage de leur affectueux dévouement. Elle reçoit chaque
-jour, avec des adresses de félicitations, des relations détaillées et
-des dessins originaux de tous les événements importants arrivés pendant
-la semaine sur notre planète. Le conseil des ministres s'assemble
-régulièrement de midi à six heures; il examine les communications qu'il
-reçoit, déchire et brûle celles qui lui semblent insignifiantes, et
-soumet à une discussion approfondie celles dont il espère tirer parti.
-La séance levée, des estafettes partent dans tous les sens; les unes
+ces hauts dignitaires assermentés et responsables, elle compte dans
+toutes les villes de France et de l'étranger un certain nombre de sujets
+volontaires qui, avides de ses faveurs, soupirent après l'heureux moment
+où il leur sera permis de lui donner, à la plume ou au crayon, un
+éclatant témoignage de leur affectueux dévouement. Elle reçoit chaque
+jour, avec des adresses de félicitations, des relations détaillées et
+des dessins originaux de tous les événements importants arrivés pendant
+la semaine sur notre planète. Le conseil des ministres s'assemble
+régulièrement de midi à six heures; il examine les communications qu'il
+reçoit, déchire et brûle celles qui lui semblent insignifiantes, et
+soumet à une discussion approfondie celles dont il espère tirer parti.
+La séance levée, des estafettes partent dans tous les sens; les unes
courent chez les artistes pour leur demander des dessins; les autres se
-dirigent en toute hâte vers les demeures des écrivains chargés de
-rédiger le jour même un texte explicatif.--Depuis la fondation de
-<i>l'Illustration</i>, la circulation a presque doublé dans Paris.
-N'avez-vous jamais rencontré ce cabriolet fameux qui parcourt la ville
-en tous sens avec une si effrayante vitesse? vous l'avez à peine aperçu
-quand il a passé devant vous, plus rapide que le cheval fantastique de
-la ballade de Lénore. C'est le coursier favori de <i>l'Illustration</i>! Il
-emporte avec son conducteur l'intelligent exécuteur des hautes décisions
-du conseil suprême, dont le nom célèbre a plus d'une fois sans doute
-frappé vos oreilles.</p>
-
-<p>Il ne suffit pas à l'<i>Illustration</i> d'être instruite à l'instant même de
+dirigent en toute hâte vers les demeures des écrivains chargés de
+rédiger le jour même un texte explicatif.--Depuis la fondation de
+<i>l'Illustration</i>, la circulation a presque doublé dans Paris.
+N'avez-vous jamais rencontré ce cabriolet fameux qui parcourt la ville
+en tous sens avec une si effrayante vitesse? vous l'avez à peine aperçu
+quand il a passé devant vous, plus rapide que le cheval fantastique de
+la ballade de Lénore. C'est le coursier favori de <i>l'Illustration</i>! Il
+emporte avec son conducteur l'intelligent exécuteur des hautes décisions
+du conseil suprême, dont le nom célèbre a plus d'une fois sans doute
+frappé vos oreilles.</p>
+
+<p>Il ne suffit pas à l'<i>Illustration</i> d'être instruite à l'instant même de
tout ce qui arrive, il lui faut encore savoir ce qui doit arriver. Le
-mystère, il m'est interdit de vous le révéler. Je ne vous dirai donc pas
-comment les prophètes de votre journal parviennent à connaître
+mystère, il m'est interdit de vous le révéler. Je ne vous dirai donc pas
+comment les prophètes de votre journal parviennent à connaître
l'avenir!! Ne m'en demandez pas davantage et suivez-moi maintenant place
-Saint-André-des-Arts.</p>
-
-<p>Pénétrons ensemble dans cette rue étroite, sombre et humide qui unit la
-place Saint-André-des-Arts à la rue de La Harpe, et qui porte le nom de
-rue <i>Pouper</i>. Parvenus au milieu de cette rue, nous nous arrêterons
-devant une vieille maison nouvellement badigeonnée, et même peinte à
-l'huile, nº 7. Elle est un peu penchée par l'âge: mais n'ayez aucune
-crainte, ses fondations sont solides. Elle a été construite à une époque
-où les architectes se croyaient encore obligés de travailler pour
-plusieurs générations. Avouons le cependant; si nos aïeux avaient le bon
-esprit de ne pas s'asphyxier dans des espèces de bonbonnières, ils ne se
-faisaient aucune idée de ce que nous appelons le confortable.--Ces
-appartements sont vastes et bien aérés; mais comme l'escalier qui y
-conduit est roide et dangereux! Madame la présidente appuyait donc sa
-jolie petite main sur cette grossière rampe de fer, ses pieds mignons
-foulaient sans hésitation et sans crainte ces carreaux humides. Aussi
-nos présidentes actuelles ne se décideraient-elles plus à habiter une
-semblable maison. Partout la bourgeoisie abandonne aux prolétaires ses
-anciennes demeures; les finances, la magistrature et le barreau cèdent
-la place à l'industrie.</p>
-
-<p>L'industrie, en effet, a besoin d'espace; à peine même si elle se trouve
-à l'aise dans ces immenses salons d'autrefois. Jetez un regard sur
+Saint-André-des-Arts.</p>
+
+<p>Pénétrons ensemble dans cette rue étroite, sombre et humide qui unit la
+place Saint-André-des-Arts à la rue de La Harpe, et qui porte le nom de
+rue <i>Pouper</i>. Parvenus au milieu de cette rue, nous nous arrêterons
+devant une vieille maison nouvellement badigeonnée, et même peinte à
+l'huile, nº 7. Elle est un peu penchée par l'âge: mais n'ayez aucune
+crainte, ses fondations sont solides. Elle a été construite à une époque
+où les architectes se croyaient encore obligés de travailler pour
+plusieurs générations. Avouons le cependant; si nos aïeux avaient le bon
+esprit de ne pas s'asphyxier dans des espèces de bonbonnières, ils ne se
+faisaient aucune idée de ce que nous appelons le confortable.--Ces
+appartements sont vastes et bien aérés; mais comme l'escalier qui y
+conduit est roide et dangereux! Madame la présidente appuyait donc sa
+jolie petite main sur cette grossière rampe de fer, ses pieds mignons
+foulaient sans hésitation et sans crainte ces carreaux humides. Aussi
+nos présidentes actuelles ne se décideraient-elles plus à habiter une
+semblable maison. Partout la bourgeoisie abandonne aux prolétaires ses
+anciennes demeures; les finances, la magistrature et le barreau cèdent
+la place à l'industrie.</p>
+
+<p>L'industrie, en effet, a besoin d'espace; à peine même si elle se trouve
+à l'aise dans ces immenses salons d'autrefois. Jetez un regard sur
l'atelier des graveurs de <i>l'Illustration</i>: toutes les places sont
-occupées: partout où la lumière pénètre, elle est avidement interceptée
+occupées: partout où la lumière pénètre, elle est avidement interceptée
au passage par un groupe d'artistes sur lesquels veille sans cesse
-l'oeil du maître.</p>
+l'oeil du maître.</p>
-<p>Le soir venu, les tables qui avoisinent les fenêtres sont abandonnées;
-tous les graveurs chargés, à tour de rôle, de passer la nuit, se
-réunissent autour des tables circulaires rangées de distance en
+<p>Le soir venu, les tables qui avoisinent les fenêtres sont abandonnées;
+tous les graveurs chargés, à tour de rôle, de passer la nuit, se
+réunissent autour des tables circulaires rangées de distance en
distance. C'est un spectacle des plus curieux. Les rayons de la grosse
-lampe qui s'élève au centre de chaque table, traversant des globes ne
-verre remplis d'eau, répandent une lumière tellement éclatante sur les
+lampe qui s'élève au centre de chaque table, traversant des globes ne
+verre remplis d'eau, répandent une lumière tellement éclatante sur les
mains, les figures, les burins et les bois de chaque graveur, que tout
-le reste du salon paraît plongé dans une obscurité profonde. Les yeux
-éblouis, on se dirige à tâtons vers ces phares lumineux. On croirait
-voir un des tableaux les plus colorés de Rembrandt.</p>
+le reste du salon paraît plongé dans une obscurité profonde. Les yeux
+éblouis, on se dirige à tâtons vers ces phares lumineux. On croirait
+voir un des tableaux les plus colorés de Rembrandt.</p>
<p>Je ne raconterai point ici l'histoire de la gravure sur bois; un autre,
-plus compétent que moi en pareille matière, entreprendra un jour cet
-intéressant travail; je résumerai seulement quelques renseignements
-généraux sur cet art d'origine moderne, sans lequel <i>l'Illustration</i>
-n'aurait pas le bonheur de faire le vôtre.</p>
+plus compétent que moi en pareille matière, entreprendra un jour cet
+intéressant travail; je résumerai seulement quelques renseignements
+généraux sur cet art d'origine moderne, sans lequel <i>l'Illustration</i>
+n'aurait pas le bonheur de faire le vôtre.</p>
<p>L'artiste dessine avec un crayon ordinaire de mine de plomb, sur un
-morceau de bois bien sec, bien uni, légèrement blanchi, comme sur une
-feuille de papier. Le dessin, jugé et accepté, est immédiatement porté à
-l'atelier général des graveurs, dont le dessin ci-joint vous offre
-l'image fidèle. Des qu'il arrive, on le grave, sans trêve ni repos, jour
-et nuit; car souvent il doit être achevé en moins de quarante-huit
-heures. Le procédé est fort simple, mais la mise en application exige
-une grande adresse. Il s'agit, en effet, d'enlever, à l'aide de butins
-de différentes grosseurs, toutes les parties du dessin qui doivent être
-blanches. La gravure sur bois diffère du tout au tout de la gravure en
+morceau de bois bien sec, bien uni, légèrement blanchi, comme sur une
+feuille de papier. Le dessin, jugé et accepté, est immédiatement porté à
+l'atelier général des graveurs, dont le dessin ci-joint vous offre
+l'image fidèle. Des qu'il arrive, on le grave, sans trêve ni repos, jour
+et nuit; car souvent il doit être achevé en moins de quarante-huit
+heures. Le procédé est fort simple, mais la mise en application exige
+une grande adresse. Il s'agit, en effet, d'enlever, à l'aide de butins
+de différentes grosseurs, toutes les parties du dessin qui doivent être
+blanches. La gravure sur bois diffère du tout au tout de la gravure en
taille-douce.--Le graveur sur cuivre ou sur acier creuse sur la planche
-les mêmes traits que le graveur sur bois a le soin de laisser en relief;
+les mêmes traits que le graveur sur bois a le soin de laisser en relief;
en d'autres termes, le graveur sur cuivre ne touche pas tout ce qui
-doit, dans la gravure, être blanc: le graveur sur bois, au contraire,
-laisse parfaitement intact tout ce qui doit être noir.--Non-seulement on
-travaille jour et nuit dans cet atelier, mais, quand la nécessité
+doit, dans la gravure, être blanc: le graveur sur bois, au contraire,
+laisse parfaitement intact tout ce qui doit être noir.--Non-seulement on
+travaille jour et nuit dans cet atelier, mais, quand la nécessité
l'exige, on coupe un dessin en deux ou en quatre morceaux, qui sont
-gravés séparément, et qui, après avoir été soigneusement recollés, sont
-retouchés et terminés par un maître habile.</p>
+gravés séparément, et qui, après avoir été soigneusement recollés, sont
+retouchés et terminés par un maître habile.</p>
-<p>Les gravures terminées, on les envoie aussitôt dans un quartier éloigné
-où elles sont toujours impatiemment attendues.--Traversons donc la
-Seine, et transportons-nous au milieu même de la cour des Miracles, non
+<p>Les gravures terminées, on les envoie aussitôt dans un quartier éloigné
+où elles sont toujours impatiemment attendues.--Traversons donc la
+Seine, et transportons-nous au milieu même de la cour des Miracles, non
loin du passage du Caire. Une autre fois nous vous montrerons la plus
-belle imprimerie qui existe actuellement à Paris; cette cour célèbre, où
-des écoles primaires ont remplacé les refuges des ribauds et des
-mendiants du moyen âge; ces vastes ateliers où plusieurs centaines
-d'ouvriers sont constamment occupés à composer, à corriger ou à imprimer
-les chefs-d'oeuvre de la typographie française contemporaine.
+belle imprimerie qui existe actuellement à Paris; cette cour célèbre, où
+des écoles primaires ont remplacé les refuges des ribauds et des
+mendiants du moyen âge; ces vastes ateliers où plusieurs centaines
+d'ouvriers sont constamment occupés à composer, à corriger ou à imprimer
+les chefs-d'oeuvre de la typographie française contemporaine.
Aujourd'hui nous nous contenterons de vous apprendre comment le journal
s'imprime.</p>
<p>Nous sommes au vendredi: depuis la veille au soir le journal est
-complètement achevé; il ne reste plus que quelques corrections
-insignifiantes à faire. Qui d'entre vous n'a vu une imprimerie? Vous
+complètement achevé; il ne reste plus que quelques corrections
+insignifiantes à faire. Qui d'entre vous n'a vu une imprimerie? Vous
savez tous, je le suppose, que chaque compositeur a devant lui un
-certain nombre de cases de différentes grandeurs remplies de lettres de
-plomb: ses yeux sont presque constamment fixés sur le manuscrit, et ses
-mains connaissent si bien les places où se trouvent placées toutes les
+certain nombre de cases de différentes grandeurs remplies de lettres de
+plomb: ses yeux sont presque constamment fixés sur le manuscrit, et ses
+mains connaissent si bien les places où se trouvent placées toutes les
lettres de l'alphabet, les points, les Virgules, les <i>espaces</i>, etc.,
-etc., qu'elles vont les prendre machinalement d'elles-mêmes sans jamais
-se tromper. Un composteur, instrument d'acier, sert à recevoir les
-lettres et donne la mesure des lignes. Les lignes réunies en certain
+etc., qu'elles vont les prendre machinalement d'elles-mêmes sans jamais
+se tromper. Un composteur, instrument d'acier, sert à recevoir les
+lettres et donne la mesure des lignes. Les lignes réunies en certain
nombre forment un paquet; on passe alors sur ces paquets un rouleau de
-colle imbibé d'encre, on y applique un papier légèrement mouillé, puis,
-à l'aide d'une brosse, on fait une épreuve, sur laquelle les correcteurs
-et l'auteur de l'article relèvent tour à tour les fautes grammaticales
+colle imbibé d'encre, on y applique un papier légèrement mouillé, puis,
+à l'aide d'une brosse, on fait une épreuve, sur laquelle les correcteurs
+et l'auteur de l'article relèvent tour à tour les fautes grammaticales
ou typographiques. Les corrections faites, le jeudi, le metteur en pages
-rassemble tous les paquets et en forme des pages d'après un ordre adopté
-et indiqué d'avance; cet ordre est parfois qualifié de désordre, mais,
-qu'on le sache bien, nous sommes obligés, pour avoir un tirage
-convenable, de mettre toutes les gravures d'un numéro sur les pages 1,
-4, 5, 8, 9, 12, 13 et 16; par conséquent les articles à gravures
+rassemble tous les paquets et en forme des pages d'après un ordre adopté
+et indiqué d'avance; cet ordre est parfois qualifié de désordre, mais,
+qu'on le sache bien, nous sommes obligés, pour avoir un tirage
+convenable, de mettre toutes les gravures d'un numéro sur les pages 1,
+4, 5, 8, 9, 12, 13 et 16; par conséquent les articles à gravures
n'occupent pas toujours la place que leur assignerait l'ordre logique.
Des morceaux de plomb remplacent provisoirement les bois qui ne sont pas
-encore achevés, et qui ne doivent être livrés que le lendemain dans la
-matinée. Deux pages forment ce qu'on appelle une forme et les huit
-formes réunies composent seize pages, ou un numéro.</p>
+encore achevés, et qui ne doivent être livrés que le lendemain dans la
+matinée. Deux pages forment ce qu'on appelle une forme et les huit
+formes réunies composent seize pages, ou un numéro.</p>
-<p>Jusque-là rien que de fort ordinaire; mais le vendredi matin, les
+<p>Jusque-là rien que de fort ordinaire; mais le vendredi matin, les
gravures arrivent, et alors commence un nouveau travail assez difficile
-à expliquer, que les gens du métier appellent la <i>mise en train</i>.</p>
+à expliquer, que les gens du métier appellent la <i>mise en train</i>.</p>
<p class="mid"><img alt="" src="images/004a.png"><br><b>Atelier des Graveurs de <i>l'Illustration</i> pendant le jour.</b></p>
<p>La gravure en relief a sur la gravure en taille-douce l'immense avantage
-de pouvoir se tirer en même temps et de la même manière que des
-caractères d'imprimerie, mais, pour en obtenir un pareil résultat, il
-est nécessaire de lui faire subir préalablement une assez longue
-préparation: d'abord, on met à un niveau parfait les gravures et les
-caractères, puis on procède à la mise en train proprement dite. Cette
-opération préliminaire est plus importante qu'on ne le croit en général,
-car de sa mise en train dépend entièrement l'effet d'une gravure: le
-chef-d'oeuvre de MM. Andrew, Best et Leloir, mal tiré, serait regardé,
-même par les connaisseurs, comme l'ébauche grossière d'un inhabile
+de pouvoir se tirer en même temps et de la même manière que des
+caractères d'imprimerie, mais, pour en obtenir un pareil résultat, il
+est nécessaire de lui faire subir préalablement une assez longue
+préparation: d'abord, on met à un niveau parfait les gravures et les
+caractères, puis on procède à la mise en train proprement dite. Cette
+opération préliminaire est plus importante qu'on ne le croit en général,
+car de sa mise en train dépend entièrement l'effet d'une gravure: le
+chef-d'oeuvre de MM. Andrew, Best et Leloir, mal tiré, serait regardé,
+même par les connaisseurs, comme l'ébauche grossière d'un inhabile
apprenti.</p>
-<p>Le graveur sur bois n'a pas les mêmes ressources que le graveur sur
-cuivre; il ne produit, à l'aide de son burin, que des blancs et des
+<p>Le graveur sur bois n'a pas les mêmes ressources que le graveur sur
+cuivre; il ne produit, à l'aide de son burin, que des blancs et des
noirs uniformes; des demi-teintes, il n'en peut pas faire. Pour donner
-une certaine couleur à une gravure sur bois, il faut absolument teinter
-à divers degrés les parties noires, c'est le travail du metteur en
+une certaine couleur à une gravure sur bois, il faut absolument teinter
+à divers degrés les parties noires, c'est le travail du metteur en
train, travail long et difficile. Le metteur en train tire, sur un
-carton léger, une épreuve de la gravure qu'il s'agit d'imprimer: puis, à
-l'aide d'un instrument tranchant, il enlève sur ce carton les parties de
-la gravure qui ne doivent pas être complètement noires; plus des teintes
-vont s'affaiblissant, plus il creuse profondément. Cette espèce de
-découpage ou de gravure achevée, le carton est collé solidement à la
-partie de la mécanique qui presse la feuille de papier sur les formes
-composées des gravures et des caractères d'imprimerie. Dès lors on
-conçoit aisément qu'une gravure correspondant exactement à son carton
-découpé recevra une pression plus ou moins forte, et par conséquent se
-colorera de teintes plus ou moins vives, selon que le carton a été plus
-ou moins profondément entaillé. Souvent ce premier travail ne suffit
+carton léger, une épreuve de la gravure qu'il s'agit d'imprimer: puis, à
+l'aide d'un instrument tranchant, il enlève sur ce carton les parties de
+la gravure qui ne doivent pas être complètement noires; plus des teintes
+vont s'affaiblissant, plus il creuse profondément. Cette espèce de
+découpage ou de gravure achevée, le carton est collé solidement à la
+partie de la mécanique qui presse la feuille de papier sur les formes
+composées des gravures et des caractères d'imprimerie. Dès lors on
+conçoit aisément qu'une gravure correspondant exactement à son carton
+découpé recevra une pression plus ou moins forte, et par conséquent se
+colorera de teintes plus ou moins vives, selon que le carton a été plus
+ou moins profondément entaillé. Souvent ce premier travail ne suffit
pas; il faut, pendant plusieurs heures, coller des morceaux de papier
sur les parties du carton qui ne sont pas assez saillantes, et creuser
encore celles qui le sont trop.</p>
<p class="mid"><img alt="" src="images/004b.png"><br><b>Atelier des Graveurs de <i>l'Illustration</i> pendant la nuit.</b></p>
-<p>Cependant la mise en train est terminée, les dernières corrections sont
-faites: à un signal donné, la mécanique se met en mouvement, et à chaque
-tour de roue un numéro de <i>l'Illustration</i> vient de lui-même se placer
-tout imprimé entre les deux cylindres. Cette belle et curieuse machine,
-dont nous vous donnerons un jour un portrait ressemblant, fait à elle
-seule plus de besogne que vingt hommes. Sans elle, tous les abonnés
-actuels de <i>l'Illustration</i> ne pourraient pas être servis dans la même
-journée, et que deviendrions-nous dans quelques mois? Elle imprime 600
-numéros par heure, et huit ouvriers ne pourraient, dans le même espace
-de temps, en imprimer, à la presse à la main, que 200.</p>
-
-<p>Au fur et à mesure qu'ils sont imprimés, les numéros (le samedi matin)
-sont transportés dans l'atelier des brocheurs, ou plus de cinquante
-personnes sont occupées à les plier, à les mettre sous bande. De là les
-uns partent pour la poste, les autres sont immédiatement enlevés par les
-porteurs chargés de les remettre dans Paris à leurs souscripteurs. Un
-certain nombre revient rue de Seine, nº 33, au bureau d'abonnement, où
-ils se vendent séparément, par collections mensuelles ou en volumes.
+<p>Cependant la mise en train est terminée, les dernières corrections sont
+faites: à un signal donné, la mécanique se met en mouvement, et à chaque
+tour de roue un numéro de <i>l'Illustration</i> vient de lui-même se placer
+tout imprimé entre les deux cylindres. Cette belle et curieuse machine,
+dont nous vous donnerons un jour un portrait ressemblant, fait à elle
+seule plus de besogne que vingt hommes. Sans elle, tous les abonnés
+actuels de <i>l'Illustration</i> ne pourraient pas être servis dans la même
+journée, et que deviendrions-nous dans quelques mois? Elle imprime 600
+numéros par heure, et huit ouvriers ne pourraient, dans le même espace
+de temps, en imprimer, à la presse à la main, que 200.</p>
+
+<p>Au fur et à mesure qu'ils sont imprimés, les numéros (le samedi matin)
+sont transportés dans l'atelier des brocheurs, ou plus de cinquante
+personnes sont occupées à les plier, à les mettre sous bande. De là les
+uns partent pour la poste, les autres sont immédiatement enlevés par les
+porteurs chargés de les remettre dans Paris à leurs souscripteurs. Un
+certain nombre revient rue de Seine, nº 33, au bureau d'abonnement, où
+ils se vendent séparément, par collections mensuelles ou en volumes.
Puis, imprimeurs, brocheurs, porteurs, etc., se reposent pendant
-quelques jours de leurs fatigues ou passent à d'autres exercices en
-attendant que le numéro suivant réclame l'emploi de leur temps.</p>
-
-<p>Seuls, le comité de rédaction et les graveurs ne se reposent jamais. On
-n'a plus à s'occuper du présent, il faut songer à l'avenir. Je ne vous
-révélerai pas le mystère des projets que vous devez voir se réaliser
-pendant l'année qui commence: ce serait vous ôter votre plus grand
-plaisir, celui de la surprise, et je vous aime trop, ô mes chers
-abonnés! pour vous jouer un si vilain tour. Soyez sûrs cependant que
-vous serez encore plus émerveillés et plus heureux en 1844 que vous
-n'avez dû l'être en 1843.</p>
-
-<p class="mid"><img alt="" src="images/005a.png"><br><b>Bureau de Rédaction de <i>l'Illustration.</i></b></p>
-
-<p>Se tenir au courant de tout ce qui arrive dans le monde, chercher à
-prévoir tout ce qui doit arriver, faire concourir au but commun, pour la
-plus grande satisfaction des lecteurs, des activités diverses
-éparpillées aux quatre coins de la grande ville, telle est la tâche des
-membres du comité de rédaction, sorte d'aréopage qui siège en
+quelques jours de leurs fatigues ou passent à d'autres exercices en
+attendant que le numéro suivant réclame l'emploi de leur temps.</p>
+
+<p>Seuls, le comité de rédaction et les graveurs ne se reposent jamais. On
+n'a plus à s'occuper du présent, il faut songer à l'avenir. Je ne vous
+révélerai pas le mystère des projets que vous devez voir se réaliser
+pendant l'année qui commence: ce serait vous ôter votre plus grand
+plaisir, celui de la surprise, et je vous aime trop, ô mes chers
+abonnés! pour vous jouer un si vilain tour. Soyez sûrs cependant que
+vous serez encore plus émerveillés et plus heureux en 1844 que vous
+n'avez dû l'être en 1843.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/005a.png"><br><b>Bureau de Rédaction de <i>l'Illustration.</i></b></p>
+
+<p>Se tenir au courant de tout ce qui arrive dans le monde, chercher à
+prévoir tout ce qui doit arriver, faire concourir au but commun, pour la
+plus grande satisfaction des lecteurs, des activités diverses
+éparpillées aux quatre coins de la grande ville, telle est la tâche des
+membres du comité de rédaction, sorte d'aréopage qui siège en
permanence, et devant lequel viennent se faire juger des articles sur
toutes sortes de sujets, des nouvelles, des romans, des dessins, des
gravures, des romances, etc.; ne me demandez pas leurs noms, ils
-persistent à rester cachés, comme on dit, sous le voile de l'anonyme.
-Dans les journaux politiques, dans les revues, ils ont le droit d'être
+persistent à rester cachés, comme on dit, sous le voile de l'anonyme.
+Dans les journaux politiques, dans les revues, ils ont le droit d'être
des illustrations, mais ici ils sont <i>l'Illustration.</i>.</p>
<br><br>
@@ -1757,709 +1721,709 @@ des illustrations, mais ici ils sont <i>l'Illustration.</i>.</p>
<h2>III.</h2>
-<p>Cinquante déserteurs de la <i>Santa-Fé</i>, vingt négriers, restant de
-l'équipage du <i>Caprichoso</i>; le contre-maître Brimbollio, maître de
+<p>Cinquante déserteurs de la <i>Santa-Fé</i>, vingt négriers, restant de
+l'équipage du <i>Caprichoso</i>; le contre-maître Brimbollio, maître de
manoeuvre; le garde-marine Fernando Riballosa, lieutenant, et l'enseigne
-de frégate don Graviel Badajoz, capitaine; en tout soixante-treize
-combattants, plus un cuisinier noir et quelques mousses, telle était la
-composition du personnel du brick-goélette contre lequel le gouverneur
-de la Havane déployait maintenant toutes ses forces de terre et de mer.
+de frégate don Graviel Badajoz, capitaine; en tout soixante-treize
+combattants, plus un cuisinier noir et quelques mousses, telle était la
+composition du personnel du brick-goélette contre lequel le gouverneur
+de la Havane déployait maintenant toutes ses forces de terre et de mer.
L'on trouvera naturel que nous omettions dona Juanita de las Ermaduras,
-toujours renfermée dans la chambre d'honneur, tremblante, éplorée, en
-proie aux plus cruelles appréhensions.</p>
+toujours renfermée dans la chambre d'honneur, tremblante, éplorée, en
+proie aux plus cruelles appréhensions.</p>
-<p>La canonnière que Fernando maintenait au bout de sa ligne de mire
+<p>La canonnière que Fernando maintenait au bout de sa ligne de mire
coupait la route au <i>Caprichoso</i>.</p>
-<p>«Capitaine, faut-il faire feu? demanda le pointeur.</p>
+<p>«Capitaine, faut-il faire feu? demanda le pointeur.</p>
-<p>--Garde-t'en bien, malheureux! répondit Graviel; s'il est nécessaire
-d'en venir là, ce qu'à Dieu ne plaise! au moins laissons-les commencer.</p>
+<p>--Garde-t'en bien, malheureux! répondit Graviel; s'il est nécessaire
+d'en venir là, ce qu'à Dieu ne plaise! au moins laissons-les commencer.</p>
-<p>--Décidément, murmura le lieutenant, il veut nous voir une corde en
-cravate! Il serait si facile, avec une bonne décharge à mitraille, de
-balayer le pont de cette barque du diable!»</p>
+<p>--Décidément, murmura le lieutenant, il veut nous voir une corde en
+cravate! Il serait si facile, avec une bonne décharge à mitraille, de
+balayer le pont de cette barque du diable!»</p>
-<p>Attendu ses desseins ultérieurs, l'enseigne désirait vivement de ne pas
-livrer combat à ses compatriotes. Mais la canonnière rapprochait le
-brick acculé contre terre; elle se trouva bientôt à demi-portée de
-pistolet par bâbord devant. Déjà l'on distinguait les voix du capitaine
+<p>Attendu ses desseins ultérieurs, l'enseigne désirait vivement de ne pas
+livrer combat à ses compatriotes. Mais la canonnière rapprochait le
+brick acculé contre terre; elle se trouva bientôt à demi-portée de
+pistolet par bâbord devant. Déjà l'on distinguait les voix du capitaine
Bertuzzi et de don Antonio Barzon, tous deux au comble de
-l'exaspération: l'un courait après son navire, l'autre après sa fille.
-Le premier avait été trouvé dans la chaloupe, on l'avait démarré,
-dégarrotté et débâillonné, ce qui lui permettait de gesticuler et de
-crier à son aise; il abusait de la permission. Le second, qui ne
-tempêtait pas moins, s'était jeté à bord de la canonnière avec sa garde
-et ses aides de camp. Tous les négriers débarqués du <i>Caprichoso</i> se
-trouvaient sur le même bâtiment; les bandits brûlaient de se venger,
-c'était à qui armerait les avirons, ils faisaient rage.</p>
-
-<p>«Misérable voleur de Badajoz! hurla le gouverneur, qui nécessairement
-n'ignorait plus rien; ah! larron fieffé tu paieras cher ton audace!
-Rends moi ma fille, scélérat! Je me contenterai de te faire pendre!
-Sinon, par le sang de...»</p>
-
-<p>Ce flux d'injures et de menaces rendit à don Graviel tout son
+l'exaspération: l'un courait après son navire, l'autre après sa fille.
+Le premier avait été trouvé dans la chaloupe, on l'avait démarré,
+dégarrotté et débâillonné, ce qui lui permettait de gesticuler et de
+crier à son aise; il abusait de la permission. Le second, qui ne
+tempêtait pas moins, s'était jeté à bord de la canonnière avec sa garde
+et ses aides de camp. Tous les négriers débarqués du <i>Caprichoso</i> se
+trouvaient sur le même bâtiment; les bandits brûlaient de se venger,
+c'était à qui armerait les avirons, ils faisaient rage.</p>
+
+<p>«Misérable voleur de Badajoz! hurla le gouverneur, qui nécessairement
+n'ignorait plus rien; ah! larron fieffé tu paieras cher ton audace!
+Rends moi ma fille, scélérat! Je me contenterai de te faire pendre!
+Sinon, par le sang de...»</p>
+
+<p>Ce flux d'injures et de menaces rendit à don Graviel tout son
sang-froid.</p>
-<p>«Bien sensible, assurément! illustrissime seigneur, répondit-il au
-porte-voix. Je vous préviens seulement que votre fille est sur le pont,
-et que si vous me faites tirer dessus, elle sera aussi exposée que
-moi-même.</p>
+<p>«Bien sensible, assurément! illustrissime seigneur, répondit-il au
+porte-voix. Je vous préviens seulement que votre fille est sur le pont,
+et que si vous me faites tirer dessus, elle sera aussi exposée que
+moi-même.</p>
-<p>--Camarades! criait Bertuzzi à ceux de ses gens qui étaient encore sur
-le <i>Caprichoso</i>, c'est à cause de vous que nous ne tirons pas; mais tout
-â l'heure, aidez-nous!...»</p>
+<p>--Camarades! criait Bertuzzi à ceux de ses gens qui étaient encore sur
+le <i>Caprichoso</i>, c'est à cause de vous que nous ne tirons pas; mais tout
+â l'heure, aidez-nous!...»</p>
-<p>On se mentait réciproquement avec un touchant accord.</p>
+<p>On se mentait réciproquement avec un touchant accord.</p>
-<p>«Holà! Brimbollio! interrompit Graviel, que si, pour son malheur, un des
+<p>«Holà! Brimbollio! interrompit Graviel, que si, pour son malheur, un des
anciens du brick ne rame pas de toutes ses forces, on lui fasse sauter
-la tête pour premier avertissement!</p>
+la tête pour premier avertissement!</p>
-<p>--Soyez tranquille, capitaine, dit le contre-maître, ces choses-là vont
-sans dire. Nous sommes armés et ils ne le sont pas. Vous entendez, les
-mignons?» ajouta le rude marin en s'adressant aux négriers.</p>
+<p>--Soyez tranquille, capitaine, dit le contre-maître, ces choses-là vont
+sans dire. Nous sommes armés et ils ne le sont pas. Vous entendez, les
+mignons?» ajouta le rude marin en s'adressant aux négriers.</p>
-<p>La lutte se réduisait à une joute de vitesse et de manoeuvres. Les forts
-attendaient que le gouverneur commençât le feu; le gouverneur n'osait
-faire canonner le navire où se trouvait sa fille; Bertuzzi ne voulait
+<p>La lutte se réduisait à une joute de vitesse et de manoeuvres. Les forts
+attendaient que le gouverneur commençât le feu; le gouverneur n'osait
+faire canonner le navire où se trouvait sa fille; Bertuzzi ne voulait
pas non plus endommager la coque de son cher brigantin, qu'il comptait
-enlever à l'abordage. Il ne doutait pas du concours de ceux de ses gens
-que don Graviel et Brimbollio venaient d'inviter à ramer en termes si
-persuasifs. On a vu que l'enseigne s'obstinait à ne point mitrailler des
-compatriotes; le père de dona Juana était à bord de la canonnière,
-c'était un motif de plus pour s'abstenir des moyens violents.</p>
+enlever à l'abordage. Il ne doutait pas du concours de ceux de ses gens
+que don Graviel et Brimbollio venaient d'inviter à ramer en termes si
+persuasifs. On a vu que l'enseigne s'obstinait à ne point mitrailler des
+compatriotes; le père de dona Juana était à bord de la canonnière,
+c'était un motif de plus pour s'abstenir des moyens violents.</p>
-<p>Après ce rapide examen des pensées et des espérances secrètes de nos
+<p>Après ce rapide examen des pensées et des espérances secrètes de nos
principaux acteurs, jetons un coup d'oeil militaire sur leurs attitudes
respectives.</p>
-<p>Bertuzzi tient la barre du bâtiment chasseur; don Graviel celle du
-brick-goélette. Ce dernier rase les bas-fonds de tribord et les
-murailles du Morro avec un art merveilleux, en évitant, autant que
-possible, l'abordage de l'autre; mais le ci-devant capitaine négrier est
-sûr de réussir à s'accrocher dans trois minutes environ, si toutefois
-aucun incident ne contrarie l'habile impulsion imprimée à la canonnière.
+<p>Bertuzzi tient la barre du bâtiment chasseur; don Graviel celle du
+brick-goélette. Ce dernier rase les bas-fonds de tribord et les
+murailles du Morro avec un art merveilleux, en évitant, autant que
+possible, l'abordage de l'autre; mais le ci-devant capitaine négrier est
+sûr de réussir à s'accrocher dans trois minutes environ, si toutefois
+aucun incident ne contrarie l'habile impulsion imprimée à la canonnière.
Don Graviel et ses compagnons voient cela clairement; le garde-marine
-caresse son boute-feu et tousse; le contre-maître brandit sa hache et
-jure; les déserteurs font voler leurs avirons comme des plumes.</p>
+caresse son boute-feu et tousse; le contre-maître brandit sa hache et
+jure; les déserteurs font voler leurs avirons comme des plumes.</p>
-<p>«Fernando! Fernando! cria tout à coup l'alferez, à moi, viens vite.»</p>
+<p>«Fernando! Fernando! cria tout à coup l'alferez, à moi, viens vite.»</p>
-<p>Le garde-marine obéit; le jeune capitaine lui dit alors à voix basse:</p>
+<p>Le garde-marine obéit; le jeune capitaine lui dit alors à voix basse:</p>
-<p>«Il s'agit de leur enlever d'un coup de canon tous les avirons de
-bâbord; ne blesse personne, j'ai mes raisons pour cela, et je réponds du
+<p>«Il s'agit de leur enlever d'un coup de canon tous les avirons de
+bâbord; ne blesse personne, j'ai mes raisons pour cela, et je réponds du
reste.</p>
-<p>--Bien! J'aurais autant aimé les couler une bonne fois, mais enfin tu le
-veux ainsi; tu vas voir!»</p>
+<p>--Bien! J'aurais autant aimé les couler une bonne fois, mais enfin tu le
+veux ainsi; tu vas voir!»</p>
<p>A ces mots, le flegmatique lieutenant reprit son poste et repointa son
canon de 24.</p>
-<p>«Y sommes-nous? demanda Graviel.</p>
+<p>«Y sommes-nous? demanda Graviel.</p>
-<p>--Parfaitement!» répliqua le pointeur.</p>
+<p>--Parfaitement!» répliqua le pointeur.</p>
-<p>La canonnière se présentait alors obliquement, son boute-hors de foc
-touchait le brick, et ses premières rames étaient sur le point de
+<p>La canonnière se présentait alors obliquement, son boute-hors de foc
+touchait le brick, et ses premières rames étaient sur le point de
s'engager dans celles du <i>Caprichoso</i>.</p>
-<p>«Feu!» commanda l'enseigne.</p>
+<p>«Feu!» commanda l'enseigne.</p>
-<p>Une éclatante détonation couvrit tous les autres bruits de la rade.
-Fernando avait fait merveille; sa décharge à bout portant avait raflé
-tous les avirons de bâbord de la canonnière, qui pivota sur elle-même
-comme un oiseau dont une aile est coupée dans son vol. Don Graviel
-profita de ce mouvement, un étroit espace se trouvait libre. Avant que
-Bertuzzi eût repris la route convenable et remplacé ses avirons brisés,
-le <i>Caprichoso</i> avait gagné en bonne direction trois bonnes longueurs de
-navire; mais de nouveaux dangers l'entouraient: la première explosion
-fut suivie de vingt autres, les forts répondaient à la pièce à pivot.</p>
+<p>Une éclatante détonation couvrit tous les autres bruits de la rade.
+Fernando avait fait merveille; sa décharge à bout portant avait raflé
+tous les avirons de bâbord de la canonnière, qui pivota sur elle-même
+comme un oiseau dont une aile est coupée dans son vol. Don Graviel
+profita de ce mouvement, un étroit espace se trouvait libre. Avant que
+Bertuzzi eût repris la route convenable et remplacé ses avirons brisés,
+le <i>Caprichoso</i> avait gagné en bonne direction trois bonnes longueurs de
+navire; mais de nouveaux dangers l'entouraient: la première explosion
+fut suivie de vingt autres, les forts répondaient à la pièce à pivot.</p>
-<p>«Ah! ils vont tuer ma pauvre fille! s'écria don Barzon, qui, tout brutal
-qu'il était, aimait tendrement dona Juana.</p>
+<p>«Ah! ils vont tuer ma pauvre fille! s'écria don Barzon, qui, tout brutal
+qu'il était, aimait tendrement dona Juana.</p>
<p>--Ciel! ils couleront mon joli navire, disait avec douleur le capitaine.
-Bertuzzi... Et ils nous empêchent de continuer la chasse! Si nous avions
-pu sauter à l'abordage, mon pauvre <i>Caprichoso</i> eût été repris sans
-avaries!»</p>
+Bertuzzi... Et ils nous empêchent de continuer la chasse! Si nous avions
+pu sauter à l'abordage, mon pauvre <i>Caprichoso</i> eût été repris sans
+avaries!»</p>
-<p>Par une singulière coïncidence, les deux plus acharnés ennemis de don
+<p>Par une singulière coïncidence, les deux plus acharnés ennemis de don
Graviel faisaient ainsi des voeux pour que l'artillerie des forts
-n'atteignît pas le but. Cependant, les boulets tombaient comme grêle
-autour du léger bâtiment; quelques rames furent emportées; les flèches
-des mâts et nombre de manoeuvres coupées, la plupart des voiles percées
-à jour; par bonheur, la coque et la mature ne furent pas atteintes. A
-l'ouvert du port, le <i>Caprichoso</i> sentit la brise. La canonnière fut
-laissée bien loin derrière; et comme le vent fraîchissait, l'on se
-trouva bientôt hors de la portée des forts.</p>
-
-<p>«Il y a dans tout ceci plus de bonheur que de bien joué,» dit le
-contre-maître, qui continuait à pester contre les femmes en général, et
-plus particulièrement contre dona Juana.</p>
-
-<p>Fernando, après avoir fait écouvillonner et recharger la fameuse pièce
-de 24, se rendit auprès de don Graviel, qui se hâta de lui remettre le
+n'atteignît pas le but. Cependant, les boulets tombaient comme grêle
+autour du léger bâtiment; quelques rames furent emportées; les flèches
+des mâts et nombre de manoeuvres coupées, la plupart des voiles percées
+à jour; par bonheur, la coque et la mature ne furent pas atteintes. A
+l'ouvert du port, le <i>Caprichoso</i> sentit la brise. La canonnière fut
+laissée bien loin derrière; et comme le vent fraîchissait, l'on se
+trouva bientôt hors de la portée des forts.</p>
+
+<p>«Il y a dans tout ceci plus de bonheur que de bien joué,» dit le
+contre-maître, qui continuait à pester contre les femmes en général, et
+plus particulièrement contre dona Juana.</p>
+
+<p>Fernando, après avoir fait écouvillonner et recharger la fameuse pièce
+de 24, se rendit auprès de don Graviel, qui se hâta de lui remettre le
commandement de la manoeuvre, et descendit enfin dans la cabine.</p>
-<p>L'on avait trouvé à bord de vastes caisses de cigares royaux; maître
-Brimbollio y puisa largement; le méthodique garde-marine prit un
-<i>régalia</i>, l'alluma dans les principes, s'occupa ensuite de pourvoir au
-remplacement des voiles criblées, à la réparation des avaries, à
+<p>L'on avait trouvé à bord de vastes caisses de cigares royaux; maître
+Brimbollio y puisa largement; le méthodique garde-marine prit un
+<i>régalia</i>, l'alluma dans les principes, s'occupa ensuite de pourvoir au
+remplacement des voiles criblées, à la réparation des avaries, à
l'installation du service; il se fit apporter un grog, ordonna au
-cuisinier de distribuer les rations à l'équipage, et braqua sa
-longue-vue sur l'entrée du port, qu'on relevait au sud-sud-est. Les
-premières clartés du soleil blanchissaient les remparts du formidable
-Morro, ont il était permis de se moquer maintenant; mais elles se
-reflétaient aussi sur un objet moins inoffensif, c'est-à-dire sur la
-voilure de la frégate la <i>Santa-Fé</i>, chargée de toile haut-et-bas,
-tribord et bâbord, saillant de l'avant, menaçante et d'autant plus à
+cuisinier de distribuer les rations à l'équipage, et braqua sa
+longue-vue sur l'entrée du port, qu'on relevait au sud-sud-est. Les
+premières clartés du soleil blanchissaient les remparts du formidable
+Morro, ont il était permis de se moquer maintenant; mais elles se
+reflétaient aussi sur un objet moins inoffensif, c'est-à-dire sur la
+voilure de la frégate la <i>Santa-Fé</i>, chargée de toile haut-et-bas,
+tribord et bâbord, saillant de l'avant, menaçante et d'autant plus à
craindre que la brise de terre augmentait graduellement. La mer devenait
-clapoteuse. Fernando hocha la tête en toussant.</p>
+clapoteuse. Fernando hocha la tête en toussant.</p>
<p class="lef"><img alt="" src="images/005b.png"></p>
-<p>Avant d'ouvrir la porte de la cabine, don Graviel répara son mieux le
-désordre de sa toilette, passa les doigts dans ses cheveux, rabattit son
+<p>Avant d'ouvrir la porte de la cabine, don Graviel répara son mieux le
+désordre de sa toilette, passa les doigts dans ses cheveux, rabattit son
grand collet de chemise, raffermit ses pistolets dans sa ceinture, frisa
ses moustaches, et jura deux fois pour se remonter le moral; puis il
entra.</p>
-<p>Nous ne décrirons pas, selon l'usage de nos devanciers, la chambre du
+<p>Nous ne décrirons pas, selon l'usage de nos devanciers, la chambre du
capitaine, vrai boudoir maritime. On sait de reste que l'ameublement
-d'un pirate coûte trop peu pour n'être point magnifique: c'est de la
-soie dans de l'or, des tapis de cachemire, des bois précieux, des
-saphirs et des émeraudes, un palais des <i>Mille et une Nuits</i> au
-daguerréotype.</p>
-
-<p>Doua Juana était assise sur une ottomane incomparable; elle tenait à la
-main une charmante <i>navajilla</i> de Séville à la lame d'acier poli, à la
-poignée d'écaille incrustée d'ivoire et d'argent. Au bruit que fit la
+d'un pirate coûte trop peu pour n'être point magnifique: c'est de la
+soie dans de l'or, des tapis de cachemire, des bois précieux, des
+saphirs et des émeraudes, un palais des <i>Mille et une Nuits</i> au
+daguerréotype.</p>
+
+<p>Doua Juana était assise sur une ottomane incomparable; elle tenait à la
+main une charmante <i>navajilla</i> de Séville à la lame d'acier poli, à la
+poignée d'écaille incrustée d'ivoire et d'argent. Au bruit que fit la
porte en tournant, elle se redressa, courut se retrancher dans un angle,
-et fière comme une digne Castillane, se mit en devoir de défendre
-chèrement son honneur et sa vie.</p>
+et fière comme une digne Castillane, se mit en devoir de défendre
+chèrement son honneur et sa vie.</p>
-<p>«Bravissimo! sénorita, dit don Graviel, j'aime à vous voir prendre cette
-pose martiale. Caramba! elle vous sied à ravir! Mais d'abord permettez à
-votre esclave soumis de demander grâce pour sa témérité. Vous
+<p>«Bravissimo! sénorita, dit don Graviel, j'aime à vous voir prendre cette
+pose martiale. Caramba! elle vous sied à ravir! Mais d'abord permettez à
+votre esclave soumis de demander grâce pour sa témérité. Vous
conviendrez seulement que j'ai ponctuellement tenu parole.</p>
<p>--Si vous faites un pas de plus, seigneur cavalier...</p>
<p>--Dites seigneur capitaine, je vous en supplie, interrompit l'alferez,
-qui avançait toujours: comme je l'avais juré, je suis capitaine-corsaire
-aujourd'hui, jour de Noël.»</p>
+qui avançait toujours: comme je l'avais juré, je suis capitaine-corsaire
+aujourd'hui, jour de Noël.»</p>
-<p>A ces mots don Graviel ouvrit les rideaux damassés de la claire-voie; un
-rayon de lumière pénétra dans la cabine.</p>
+<p>A ces mots don Graviel ouvrit les rideaux damassés de la claire-voie; un
+rayon de lumière pénétra dans la cabine.</p>
-<p>«Vous voyez, ma reine chérie, que votre appartement n'est pas mal; rien
-ne vous manquera, et vous avez tout mon amour par-dessus le marché.</p>
+<p>«Vous voyez, ma reine chérie, que votre appartement n'est pas mal; rien
+ne vous manquera, et vous avez tout mon amour par-dessus le marché.</p>
-<p>--Silence, méchant pirate! répliqua la tremblante jeune fille; de ma vie
+<p>--Silence, méchant pirate! répliqua la tremblante jeune fille; de ma vie
je ne vous pardonnerai votre indigne conduite.</p>
-<p>--Foi de corsaire! vous êtes aussi adorable qu'adorée! Votre colère est
-éblouissante, et, pour un empire, je ne voudrais pas en avoir été privé.
+<p>--Foi de corsaire! vous êtes aussi adorable qu'adorée! Votre colère est
+éblouissante, et, pour un empire, je ne voudrais pas en avoir été privé.
Je vous connaissais dans vos bouderies, Juanita, mais la navaja au
poing, c'est tout nouveau pour moi; c'est piquant! Si jamais vous aviez
-eu quelque rivale dans mon coeur, elle serait oubliée à jamais. Vos yeux
+eu quelque rivale dans mon coeur, elle serait oubliée à jamais. Vos yeux
en courroux brillent d'un feu divin, ils me percent de part en part, je
-vous jure. Souffrez que j'examine de plus près ce délicieux
-<i>cuchillitito</i>.»</p>
+vous jure. Souffrez que j'examine de plus près ce délicieux
+<i>cuchillitito</i>.»</p>
-<p>En parlant ainsi, don Graviel s'était mis à genoux aux pieds de la jeune
-fille, non sans avoir adroitement saisi la main dans laquelle étincelait
+<p>En parlant ainsi, don Graviel s'était mis à genoux aux pieds de la jeune
+fille, non sans avoir adroitement saisi la main dans laquelle étincelait
le gracieux poignard, si bien que dona Juana n'en pouvait faire usage;
-alors, de ce ton semi-railleur qu'il avait accoutumé de prendre pour
-faire des déclarations à la jeune fille.</p>
+alors, de ce ton semi-railleur qu'il avait accoutumé de prendre pour
+faire des déclarations à la jeune fille.</p>
-<p>«Dans l'espoir de vous plaire, dit-il, afin de satisfaire un de vos
-caprices, chère âme, je m'expose à être pendu; mais s'il peut vous être
-agréable de me couper la gorge, faites, ne vous gênez pas, il me serait
-doux de trépasser par les soins de celle...</p>
+<p>«Dans l'espoir de vous plaire, dit-il, afin de satisfaire un de vos
+caprices, chère âme, je m'expose à être pendu; mais s'il peut vous être
+agréable de me couper la gorge, faites, ne vous gênez pas, il me serait
+doux de trépasser par les soins de celle...</p>
-<p>--Lâchez-moi donc, alors! interrompit Juanita exaspérée.</p>
+<p>--Lâchez-moi donc, alors! interrompit Juanita exaspérée.</p>
-<p>--Doucement, mon ange, continua don Graviel, je tiens d'abord à terminer
-mon discours, uniquement dans votre intérêt: sachez donc qu'après moi
+<p>--Doucement, mon ange, continua don Graviel, je tiens d'abord à terminer
+mon discours, uniquement dans votre intérêt: sachez donc qu'après moi
vous ne trouverez plus de protecteurs la-haut; Fernando, mon second,
-n'est pas du tout galant; maître Brimbollio, qui vous gardait dans la
-yole, est un bandit très-bourru; et pourtant, c'est là ce qu'il y a de
-mieux à mon bord. Si vous m'accordez la vie, chérubin de mes rêves, je
+n'est pas du tout galant; maître Brimbollio, qui vous gardait dans la
+yole, est un bandit très-bourru; et pourtant, c'est là ce qu'il y a de
+mieux à mon bord. Si vous m'accordez la vie, chérubin de mes rêves, je
les tiendrai en respect, ils ramperont tous devant vous; mais si vous en
-décidez autrement, je vous déclare que ma responsabilité sera tout à
-fait à couvert, ces coquins-là, d'ailleurs, seraient capables de vous en
+décidez autrement, je vous déclare que ma responsabilité sera tout à
+fait à couvert, ces coquins-là, d'ailleurs, seraient capables de vous en
vouloir de ma mort... Ne vous impatientez pas, ma souveraine, encore, un
-petit mot de justification. Ecoutez bien: ceci est sérieux: je ne suis
+petit mot de justification. Ecoutez bien: ceci est sérieux: je ne suis
pas pirate, mais corsaire, distinguons! Je ne ferai la guerre qu'aux
-Anglais, nos ennemis. J'ai délivré la mer d'un véritable forban en
+Anglais, nos ennemis. J'ai délivré la mer d'un véritable forban en
m'emparant du <i>Caprichoso</i>, qui capturait les Espagnols tout comme les
-autres, avec l'autorisation tacite de votre respectable père... D'autre
-part, je vous aime, je vous adore, je veux vous épouser: je n'avais pas
-un triste <i>maravedi</i> de fortune, on m'aurait honteusement chassé de
-votre présence, si j'avais eu le malheur de montrer mes prétentions;
-vous m'avez inspiré mon projet, je vous ai obéi à point nommé, suis-je
+autres, avec l'autorisation tacite de votre respectable père... D'autre
+part, je vous aime, je vous adore, je veux vous épouser: je n'avais pas
+un triste <i>maravedi</i> de fortune, on m'aurait honteusement chassé de
+votre présence, si j'avais eu le malheur de montrer mes prétentions;
+vous m'avez inspiré mon projet, je vous ai obéi à point nommé, suis-je
donc si coupable?... Dans un mois, mes exploits m'auront rendu riche,
-renommé, redoutable, digne de vous en un mot, et vous serez la Grâce qui
-embellira ma vie, à moins que vous ne préfériez être tout de suite la
-Parque qui en tranchera le fil.»</p>
+renommé, redoutable, digne de vous en un mot, et vous serez la Grâce qui
+embellira ma vie, à moins que vous ne préfériez être tout de suite la
+Parque qui en tranchera le fil.»</p>
<p>A mesure qu'il parlait, don Graviel serrait moins fort la main de
-Juanita, qui devenait plus attentive; à la fin, cette main blanche et
-potelée reposait mollement dans la sienne; la jeune fille ne la retira
-pas, le hardi cavalier y porta les lèvres avec transport.</p>
+Juanita, qui devenait plus attentive; à la fin, cette main blanche et
+potelée reposait mollement dans la sienne; la jeune fille ne la retira
+pas, le hardi cavalier y porta les lèvres avec transport.</p>
-<p>Juana s'était assise sur l'ottomane:</p>
+<p>Juana s'était assise sur l'ottomane:</p>
-<p>«Sur votre honneur, fit-elle en oubliant toujours sa main, ce que vous
-venez de dire est l'exacte vérité?</p>
+<p>«Sur votre honneur, fit-elle en oubliant toujours sa main, ce que vous
+venez de dire est l'exacte vérité?</p>
<p>--Sur mon honneur! sur ma foi! sur mon amour pour vous! Je ne sais pas
de serment plus fort.</p>
-<p>--Et vous vous conduirez à mon égard en honnête et galant homme?</p>
+<p>--Et vous vous conduirez à mon égard en honnête et galant homme?</p>
-<p>--Juana, poignardez-moi, mais ne me faites pas injure.»</p>
+<p>--Juana, poignardez-moi, mais ne me faites pas injure.»</p>
-<p>On frappa à la porte; la jeune fille venait de remettre la navajilla
-dans sa gaine; don Graviel était assis à côté d'elle:</p>
+<p>On frappa à la porte; la jeune fille venait de remettre la navajilla
+dans sa gaine; don Graviel était assis à côté d'elle:</p>
-<p>«Capitaine, dit un mousse qui n'était pas entré sans autorisation, le
-lieutenant vous fait prévenir que la frégate la Santa-Fé nous appuie la
+<p>«Capitaine, dit un mousse qui n'était pas entré sans autorisation, le
+lieutenant vous fait prévenir que la frégate la Santa-Fé nous appuie la
chasse et qu'elle nous gagne.</p>
-<p>--Chère amie, dit l'heureux enseigne en se levant, priez Dieu qu'elle ne
-nous attrape point. Je cherche les Anglais, et non les Espagnols.»</p>
+<p>--Chère amie, dit l'heureux enseigne en se levant, priez Dieu qu'elle ne
+nous attrape point. Je cherche les Anglais, et non les Espagnols.»</p>
<p>G. DE LA LANDELLE.</p>
-<p>(<i>La fin à un prochain numéro.</i>)</p>
+<p>(<i>La fin à un prochain numéro.</i>)</p>
<br><br>
-<h2>Épisodes de la Vie d'une pièce d'or,</h2>
+<h2>Épisodes de la Vie d'une pièce d'or,</h2>
-<h3>RACONTÉS PAR ELLE-MÊME.</h3>
+<h3>RACONTÉS PAR ELLE-MÊME.</h3>
-<p>Je naquis grande dame et plus belle mille fois que le jour. Je commençai
-d'être admirée en commençant de vivre. A peine eus-je revêtu ma robe
-éclatante, que tous les yeux se fixèrent sur moi avec une expression de
-convoitise qui, à l'époque de mon début, troubla mon innocence et
+<p>Je naquis grande dame et plus belle mille fois que le jour. Je commençai
+d'être admirée en commençant de vivre. A peine eus-je revêtu ma robe
+éclatante, que tous les yeux se fixèrent sur moi avec une expression de
+convoitise qui, à l'époque de mon début, troubla mon innocence et
effaroucha ma pudeur. Depuis, j'ai acquis cette heureuse assurance que
-procurent les grands succès dans le monde; je sais l'art de ne plus
+procurent les grands succès dans le monde; je sais l'art de ne plus
rougir devant mes courtisans. D'ailleurs, aujourd'hui, je connais le
prix que je vaux, et j'accepte sans embarras les hommages qui me sont en
-tous lieux adressés, parce que j'ai la confiance de les mériter partout.</p>
+tous lieux adressés, parce que j'ai la confiance de les mériter partout.</p>
<p>Je ne veux pas raconter toutes mes aventures; ce serait une oeuvre trop
-longue et trop fatigante pour moi qui ai contracté les goûts des
+longue et trop fatigante pour moi qui ai contracté les goûts des
personnages avec lesquels j'ai l'habitude de vivre et qui, en
-conséquence, aime la mollesse et l'oisiveté. Je désire seulement vous
-confier le principal épisode de ma brillante existence; vous verrez, par
-les échantillons qu'il me plaît de mettre sous vos yeux, que ma
-naissance aristocratique ne m'a pas toujours préservé des humiliations;
-que comme les grands de ce siècle, j'ai éprouvé des fortunes diverses
-qui m'auraient sans doute instruite, si, je consens à vous en faire
-l'aveu, je n'étais pas née orgueilleuse.</p>
-
-<p>Je fis ma première entrée dans le monde à une époque bien dure pour les
-personnes de condition; mais j'eus ce bonheur singulier d'échapper tout
-d'abord à un contact grossier, et de tomber au pouvoir d'un gentilhomme
-corse qui commençait, en ce temps-là, à faire une assez belle figure à
-la tête de la république française. Jamais je ne jouai un plus beau
-rôle, jamais je n'exerçai sur les destinées de la terre une influence
-plus grande qu'à cette époque de ma vie.</p>
-
-<p>C'était au château des Tuileries, en 1804; je dormais paisiblement, avec
-un grand nombre de mes soeurs, dans le tiroir d'une table chargée de
-cartes géographiques, lorsqu'un jour mon tombeau s'ouvrit brusquement à
-la lumière. En même temps une main blanche et fine, une vraie main de
-dictateur, se glissa un silence auprès de moi, me saisit avec une
-vivacité brutale, et me jeta, toute frémissante de dépit, sur une
-immense carte d'Europe; M. de Buonaparte, mon maître,--je lui donne, ce
+conséquence, aime la mollesse et l'oisiveté. Je désire seulement vous
+confier le principal épisode de ma brillante existence; vous verrez, par
+les échantillons qu'il me plaît de mettre sous vos yeux, que ma
+naissance aristocratique ne m'a pas toujours préservé des humiliations;
+que comme les grands de ce siècle, j'ai éprouvé des fortunes diverses
+qui m'auraient sans doute instruite, si, je consens à vous en faire
+l'aveu, je n'étais pas née orgueilleuse.</p>
+
+<p>Je fis ma première entrée dans le monde à une époque bien dure pour les
+personnes de condition; mais j'eus ce bonheur singulier d'échapper tout
+d'abord à un contact grossier, et de tomber au pouvoir d'un gentilhomme
+corse qui commençait, en ce temps-là, à faire une assez belle figure à
+la tête de la république française. Jamais je ne jouai un plus beau
+rôle, jamais je n'exerçai sur les destinées de la terre une influence
+plus grande qu'à cette époque de ma vie.</p>
+
+<p>C'était au château des Tuileries, en 1804; je dormais paisiblement, avec
+un grand nombre de mes soeurs, dans le tiroir d'une table chargée de
+cartes géographiques, lorsqu'un jour mon tombeau s'ouvrit brusquement à
+la lumière. En même temps une main blanche et fine, une vraie main de
+dictateur, se glissa un silence auprès de moi, me saisit avec une
+vivacité brutale, et me jeta, toute frémissante de dépit, sur une
+immense carte d'Europe; M. de Buonaparte, mon maître,--je lui donne, ce
titre par exception, car mes autres possesseurs ne sont que mes
-valets,--M. de Buonaparte était, ce jour-là, un petit homme en habit
-militaire, à figure humorique, avec un grand front sillonné de plis
-dédaigneux. Je l'ai revu plus tard gras, frais, et, je le suppose,
-enchanté de vivre; mais, au temps dont je parle, il n'en était pas
-ainsi; il ressemblait beaucoup à un homme sans appétit et sans sommeil.
-C'était un visage bilieux de conspirateur; j'en ai rencontré d'autres
-qui lui ressemblaient à quelques égards, mais ils n'avaient pas la mine
-si fière.</p>
-
-<p>Le premier consul, tel était alors son titre, me prit avec distraction
+valets,--M. de Buonaparte était, ce jour-là, un petit homme en habit
+militaire, à figure humorique, avec un grand front sillonné de plis
+dédaigneux. Je l'ai revu plus tard gras, frais, et, je le suppose,
+enchanté de vivre; mais, au temps dont je parle, il n'en était pas
+ainsi; il ressemblait beaucoup à un homme sans appétit et sans sommeil.
+C'était un visage bilieux de conspirateur; j'en ai rencontré d'autres
+qui lui ressemblaient à quelques égards, mais ils n'avaient pas la mine
+si fière.</p>
+
+<p>Le premier consul, tel était alors son titre, me prit avec distraction
entre ses doigts, me tourna et me retourna en tous sens, regarda la
-pique surmontée d'un bonnet ronge qui se dressait sur mon dos, contempla
-la Liberté debout sur ma face, puis, souriant d'un sourire moqueur, me
+pique surmontée d'un bonnet ronge qui se dressait sur mon dos, contempla
+la Liberté debout sur ma face, puis, souriant d'un sourire moqueur, me
laissa une seconde fois retomber sur la table.</p>
-<p>Il se leva, se promena à grands pas dans la salle comme le lion dans sa
-cage, s'arrêta longtemps à une fenêtre devant laquelle passait la foule,
+<p>Il se leva, se promena à grands pas dans la salle comme le lion dans sa
+cage, s'arrêta longtemps à une fenêtre devant laquelle passait la foule,
frappa son vaste front de sa petite main blanche, croisa ses bras
-derrière le dos, toussa d'une toux fiévreuse, leva les yeux en l'air,
-regarda le parquet qui claquait sous ses pieds agités, les tableaux
-suspendus aux murailles, le lustre qui étincelait sur sa tête, murmura à
-voix basse des paroles confuses, inintelligibles, puis revint tout à
-coup, par un brusque détour, l'air résolu quoique tout pâle, se rasseoir
-sur son fauteuil doré devant la table où je l'observais. Il était si
-ému, le héros, que j'en tressaillis sous ma robe de métal. Cet homme en
-proie à une pensée secrète et grandiose me faisait peur. Je comprenais
-que j'allais être témoin d'un spectacle solennel; mais je ne m'attendais
-guère à ce que ce jeune conquérant, le seul homme peut-être des temps
-modernes qui ait eu le courage de me mépriser, me rendit l'arbitre de sa
-merveilleuse destinée.</p>
+derrière le dos, toussa d'une toux fiévreuse, leva les yeux en l'air,
+regarda le parquet qui claquait sous ses pieds agités, les tableaux
+suspendus aux murailles, le lustre qui étincelait sur sa tête, murmura à
+voix basse des paroles confuses, inintelligibles, puis revint tout à
+coup, par un brusque détour, l'air résolu quoique tout pâle, se rasseoir
+sur son fauteuil doré devant la table où je l'observais. Il était si
+ému, le héros, que j'en tressaillis sous ma robe de métal. Cet homme en
+proie à une pensée secrète et grandiose me faisait peur. Je comprenais
+que j'allais être témoin d'un spectacle solennel; mais je ne m'attendais
+guère à ce que ce jeune conquérant, le seul homme peut-être des temps
+modernes qui ait eu le courage de me mépriser, me rendit l'arbitre de sa
+merveilleuse destinée.</p>
<p>Il chuchotait toujours quelque chose entre ses dents, et faisait des
-gestes comme un fou qui se querelle avec des fantômes. Attentive aux
+gestes comme un fou qui se querelle avec des fantômes. Attentive aux
moindres sons, je lui entendis plusieurs fois prononcer le nom d'empire
et d'empereur. Il parla de la France, de l'Europe, du monde; il nomma le
-peuple, l'armée.--Je n'ai pas beaucoup d'esprit, quoique en définitive
-personne n'en ait plus que moi, mais je ne tardai pas à comprendre qu'il
-ne s'agissait de rien moins que de me débarrasser de ma pique, pour me
-confier un sceptre, et que de substituer une couronne d'empereur à mon
+peuple, l'armée.--Je n'ai pas beaucoup d'esprit, quoique en définitive
+personne n'en ait plus que moi, mais je ne tardai pas à comprendre qu'il
+ne s'agissait de rien moins que de me débarrasser de ma pique, pour me
+confier un sceptre, et que de substituer une couronne d'empereur à mon
vilain bonnet phrygien.</p>
-<p>Mes instincts aristocratiques se réveillaient en foule, lorsque M. de
-Buonaparte se leva une dernière fois, oppressé et frissonnant comme un
+<p>Mes instincts aristocratiques se réveillaient en foule, lorsque M. de
+Buonaparte se leva une dernière fois, oppressé et frissonnant comme un
homme qui va interroger le destin. Il me prit, me souleva en l'air, et
-me laissa aussitôt retomber en criant: «Face!» Heureusement je
+me laissa aussitôt retomber en criant: «Face!» Heureusement je
connaissais ce jeu familier aux enfants et aux superstitieux; je
-n'hésitai pas à complaire aux désirs du premier consul; je me jetai
-lourdement sur le dos, étalant au soleil ma face resplendissante.</p>
+n'hésitai pas à complaire aux désirs du premier consul; je me jetai
+lourdement sur le dos, étalant au soleil ma face resplendissante.</p>
<p>Le premier consul se pencha sur moi avec une expression de joie
-profonde, tomba dans une courte rêverie, puis se releva soudainement, la
-figure radieuse, le front rajeuni, en criant: «C'en est fait! A moi
-l'empire! Vive l'empereur!»</p>
+profonde, tomba dans une courte rêverie, puis se releva soudainement, la
+figure radieuse, le front rajeuni, en criant: «C'en est fait! A moi
+l'empire! Vive l'empereur!»</p>
-<p>Un mois après ce grand événement, je quittai l'appartement de celui à
-qui j'avais donné la couronne de Charlemagne pour entrer dans le
-secrétaire d'un négociant. Cet heureux mortel avait eu l'honneur de
-fournir les milliers de lampions qui éclairèrent les fêtes du
-couronnement de l'empereur Napoléon.</p>
+<p>Un mois après ce grand événement, je quittai l'appartement de celui à
+qui j'avais donné la couronne de Charlemagne pour entrer dans le
+secrétaire d'un négociant. Cet heureux mortel avait eu l'honneur de
+fournir les milliers de lampions qui éclairèrent les fêtes du
+couronnement de l'empereur Napoléon.</p>
<p>A vrai dire, je ne fus pas heureuse dans cette demeure bourgeoise. J'y
-rencontrai pour la première fois des petites gens dont je n'avais pas
-soupçonné l'existence. Ainsi je fus à tout moment coudoyée par des
-créatures de bas étage qui salissaient ma robe splendide du contact de
+rencontrai pour la première fois des petites gens dont je n'avais pas
+soupçonné l'existence. Ainsi je fus à tout moment coudoyée par des
+créatures de bas étage qui salissaient ma robe splendide du contact de
leur robe d'argent ou de leur robe de cuivre. Je ne vous raconterai pas
ce que je souffris alors, parce qu'aujourd'hui je sais que c'est le bon
-ton de ne pas respecter les personnes de qualité.</p>
+ton de ne pas respecter les personnes de qualité.</p>
-<p>Donc j'épiais le moment favorable pour sortir de ma prison d'acajou,
-lorsqu'un matin je m'éveillai entre les mains d'un enfant aux belles
-joues rosées, aux yeux bleus, aux longs cheveux qui retombaient en
-boucles blondes sur une collerette bien plissée. «A la bonne heure!
-pensai-je, j'aime mieux vivre en société avec ce marmot; c'est moins
-avilissant, et d'ailleurs il est à croire que nous ne resterons pas
-longtemps ensemble.»</p>
+<p>Donc j'épiais le moment favorable pour sortir de ma prison d'acajou,
+lorsqu'un matin je m'éveillai entre les mains d'un enfant aux belles
+joues rosées, aux yeux bleus, aux longs cheveux qui retombaient en
+boucles blondes sur une collerette bien plissée. «A la bonne heure!
+pensai-je, j'aime mieux vivre en société avec ce marmot; c'est moins
+avilissant, et d'ailleurs il est à croire que nous ne resterons pas
+longtemps ensemble.»</p>
-<p>Le lendemain même de mon nouveau début je fus conduite chez un fameux
-marchand de joujoux, qui, comme de raison, me trouva belle et désira me
-posséder.</p>
+<p>Le lendemain même de mon nouveau début je fus conduite chez un fameux
+marchand de joujoux, qui, comme de raison, me trouva belle et désira me
+posséder.</p>
-<p>Hélas! le petit traître me livra sans regret à l'avidité du marchand,
+<p>Hélas! le petit traître me livra sans regret à l'avidité du marchand,
qui me mit dans sa poche en riant tout bas d'un air sournois; il me
-livra avec joie même et reçut en échange, savez-vous quoi? j'ai honte de
-le dire: il reçut un affreux polichinelle avec deux énormes bosse»
-rehaussées de brocart, une sur le ventre, l'autre sur le dos, un chapeau
-chargé de clinquant et un épouvantable nez rouge.</p>
-
-<p>Après avoir éprouvé une humiliation aussi cruelle, j'aurais pu perdre
-quelque chose de ma foi en mon mérite, si je n'avais éprouvé ensuite,
-dans mille, autres circonstances, que l'autorité de ma race est immense,
+livra avec joie même et reçut en échange, savez-vous quoi? j'ai honte de
+le dire: il reçut un affreux polichinelle avec deux énormes bosse»
+rehaussées de brocart, une sur le ventre, l'autre sur le dos, un chapeau
+chargé de clinquant et un épouvantable nez rouge.</p>
+
+<p>Après avoir éprouvé une humiliation aussi cruelle, j'aurais pu perdre
+quelque chose de ma foi en mon mérite, si je n'avais éprouvé ensuite,
+dans mille, autres circonstances, que l'autorité de ma race est immense,
et qu'avec l'aide de mes soeurs je puis forcer les regards les plus
-fiers et les yeux les plus beaux à se baisser devant l'éclat de ma
+fiers et les yeux les plus beaux à se baisser devant l'éclat de ma
puissance. Qu'il me suffise de dire, pour faire comprendre en un mot le
-pouvoir dont nous disposons, que nos favoris, généralement choisis avec
-intention parmi les sots, sont placés, grâce à nous, dans l'estime des
-hommes plus haut que les princes, plus haut que tous les génies de la
+pouvoir dont nous disposons, que nos favoris, généralement choisis avec
+intention parmi les sots, sont placés, grâce à nous, dans l'estime des
+hommes plus haut que les princes, plus haut que tous les génies de la
terre.</p>
-<p>Après mille aventures bizarres, après avoir fait les guerres d'Allemagne
+<p>Après mille aventures bizarres, après avoir fait les guerres d'Allemagne
dans la poche d'un colonel, et la campagne de Russie dans un fourgon du
roi Murat, je tombai entre les mains d'un Cosaque qui m'emporta dans son
pays.</p>
-<p>Pour finir ce récit incomplet, qui n'est qu'un rapide coup d'oeil jeté
-sur mon existence passée, je vous dirai qu'aujourd'hui je vis fort
-tristement dans le coffre-fort d'un vieux prince allemand. Privée d'air
-et de lumière, je vois avec regret mes traits se flétrir et mon
-incomparable beauté s'altérer chaque jour. Quand l'avare petit potentat
-qui s'est voué à mon culte juge à propos de m'adresser ses hommages, il
-le fait dans une langue qui n'est pas celle du pays où j'ai pris
-naissance et où j'ai régné avec tant d'éclat. Aussi suis-je atteinte
-d'une profonde mélancolie dans ma brillante retraite; je soupire après
-le soleil et le bruit; je rêve tantôt que je pétille entre les mains de
-joueurs à l'oeil ardent, tantôt que je luis, comme une étincelle de feu,
-dans ces coupes où les orfèvres nous exposent toutes nues, mes soeurs et
+<p>Pour finir ce récit incomplet, qui n'est qu'un rapide coup d'oeil jeté
+sur mon existence passée, je vous dirai qu'aujourd'hui je vis fort
+tristement dans le coffre-fort d'un vieux prince allemand. Privée d'air
+et de lumière, je vois avec regret mes traits se flétrir et mon
+incomparable beauté s'altérer chaque jour. Quand l'avare petit potentat
+qui s'est voué à mon culte juge à propos de m'adresser ses hommages, il
+le fait dans une langue qui n'est pas celle du pays où j'ai pris
+naissance et où j'ai régné avec tant d'éclat. Aussi suis-je atteinte
+d'une profonde mélancolie dans ma brillante retraite; je soupire après
+le soleil et le bruit; je rêve tantôt que je pétille entre les mains de
+joueurs à l'oeil ardent, tantôt que je luis, comme une étincelle de feu,
+dans ces coupes où les orfèvres nous exposent toutes nues, mes soeurs et
moi, aux regards cyniques de la foule;--ou bien, songeant aux jours
-écoulés, je passe pu revue mes victoires et mes revers; je songe à cet
-enfant naïf qui me préféra un polichinelle; à ce petit homme jaune qui
+écoulés, je passe pu revue mes victoires et mes revers; je songe à cet
+enfant naïf qui me préféra un polichinelle; à ce petit homme jaune qui
me confia le soin de lui livrer l'empire du monde. Je me demande, en
-riant d'un rire de prisonnière, ce qui serait advenu dans l'univers si,
-au lien de répondre au voeu secret du premier consul, je m'étais laissée
+riant d'un rire de prisonnière, ce qui serait advenu dans l'univers si,
+au lien de répondre au voeu secret du premier consul, je m'étais laissée
tomber la face contre terre!</p>
<p>Je me demande tout cela et beaucoup d'autres choses encore, en attendant
-que la mort de mon geôlier ou l'invasion de quelque hardi voleur du Rhin
-vienne me tirer de ma captivité, et me rendre à l'amour de mes sujets.</p>
+que la mort de mon geôlier ou l'invasion de quelque hardi voleur du Rhin
+vienne me tirer de ma captivité, et me rendre à l'amour de mes sujets.</p>
<br><br>
-<h2>Armée.</h2>
+<h2>Armée.</h2>
<h3>RECRUTEMENT, TIRAGE.</h3>
-<p>La loi du 21 mars 1832, sur le recrutement de l'armée, s'exécute partout
-avec facilité; elle donne à la France une armée brave et disciplinée,
-dévouée à la patrie et à ses institutions, et sur qui reposent les plus
-chers intérêts de la nation, son indépendance et sa sûreté. Cependant
-l'expérience a révélé des imperfections qu'il importe de corriger: le
-remplacement, condition obligée de nos habitudes sociales, est la source
-d'abus graves, aussi nuisibles aux familles qu'à l'État; les nécessités
+<p>La loi du 21 mars 1832, sur le recrutement de l'armée, s'exécute partout
+avec facilité; elle donne à la France une armée brave et disciplinée,
+dévouée à la patrie et à ses institutions, et sur qui reposent les plus
+chers intérêts de la nation, son indépendance et sa sûreté. Cependant
+l'expérience a révélé des imperfections qu'il importe de corriger: le
+remplacement, condition obligée de nos habitudes sociales, est la source
+d'abus graves, aussi nuisibles aux familles qu'à l'État; les nécessités
de l'institution militaire ne sont point satisfaites; certaines
-dispositions secondaires réclament des améliorations importantes. C'est
-pour répondre à ces besoins qu'un projet de loi a été présenté, en 1841,
-à la Chambre des Députés. Adopté par cette Chambre, il n'a pu être
-immédiatement discuté par la Chambre des Pairs. Dans l'intervalle des
-sessions, soumis à une commission mixte de pairs et de députés, il a
-été de nouveau étudié, discuté et modifié. La Chambre des Pairs, appelée
-à l'examiner au commencement de 1843, y a introduit à son tour plusieurs
-changements, et l'a adopté le 26 avril 1843. Après cette longue
-élaboration, il a été présenté, le 4 mai de la même année, à la Chambre
-des Députés; le rapport de la commission chargée de son examen a été
-fait le 29 juin suivant, et, par une récente décision, la Chambre a
-arrêté qu'il serait soumis à ses délibérations pendant le cours du la
+dispositions secondaires réclament des améliorations importantes. C'est
+pour répondre à ces besoins qu'un projet de loi a été présenté, en 1841,
+à la Chambre des Députés. Adopté par cette Chambre, il n'a pu être
+immédiatement discuté par la Chambre des Pairs. Dans l'intervalle des
+sessions, soumis à une commission mixte de pairs et de députés, il a
+été de nouveau étudié, discuté et modifié. La Chambre des Pairs, appelée
+à l'examiner au commencement de 1843, y a introduit à son tour plusieurs
+changements, et l'a adopté le 26 avril 1843. Après cette longue
+élaboration, il a été présenté, le 4 mai de la même année, à la Chambre
+des Députés; le rapport de la commission chargée de son examen a été
+fait le 29 juin suivant, et, par une récente décision, la Chambre a
+arrêté qu'il serait soumis à ses délibérations pendant le cours du la
session actuelle.</p>
-<p>La loi du recrutement de l'armée touche à toute l'organisation sociale:
-il faut qu'elle ne soit ni un danger pour les libertés publiques, ni un
-fardeau trop lourd pour le Trésor. Elle pourvoit au premier besoin de
-l'État; car elle constitue sa force, et détermine ainsi tout le poids de
-son influence; mais comme elle est en même temps pour les familles la
+<p>La loi du recrutement de l'armée touche à toute l'organisation sociale:
+il faut qu'elle ne soit ni un danger pour les libertés publiques, ni un
+fardeau trop lourd pour le Trésor. Elle pourvoit au premier besoin de
+l'État; car elle constitue sa force, et détermine ainsi tout le poids de
+son influence; mais comme elle est en même temps pour les familles la
charge la plus pesante, elle ne doit leur imposer aucun sacrifice
-inutile. La durée du service, l'incorporation du contingent et le
+inutile. La durée du service, l'incorporation du contingent et le
remplacement militaire sont les trois principales questions qui dominent
dans la loi sur le recrutement.</p>
-<p>L'appel obligé, c'est-à-dire le service personnel, tel est le principe
+<p>L'appel obligé, c'est-à-dire le service personnel, tel est le principe
de force qu'elle doit constituer. Dans son application, toutefois, ce
-principe a subi des modifications nombreuses pendant les trente années
-qui se sont écoulées depuis 1789 jusqu'en 1818. En 1789, l'Assemblée
-constituante rend le service personnel commun à tous les citoyens, et
-n'en exempte que le monarque et l'héritier présomptif de la couronne. En
-1793, nul ne peut se faire remplacer. En l'an VI, tout citoyen français
-est défenseur de la patrie par droit et par devoir: les défenseurs
-conscrits sont attachés aux divers corps, ils y sont nominativement
-enrôlés, et ne peuvent pas se faire remplacer. En l'an VIII, les hommes
-impropres à supporter les fatigues de la guerre, et ceux reconnus plus
-utiles à l'État en continuant leurs travaux ou leurs études, sont seuls
-admis à se faire remplacer par un suppléant. La substitution n'est
-autorisée, en l'an X, qu'entre conscrits d'une même classe; tandis que
-le remplacement l'est également, en l'an XI, entre conscrits nés et
-domiciliés dans l'étendue de l'arrondissement, puis, en 1804, dans
-l'étendue du canton, et en 1805, dans celle du même département. Plus
-tard, en 1815, les conscrits sont autorisés à prendre des remplaçants
-dans tous les départements de l'empire indistinctement. Cette faculté a
-été, comme on le voit, l'objet de contraintes et de facilités fort
-capricieuses, suivant les vicissitudes des événements militaires,
-jusqu'à ce qu'elle fût législativement consacrée par la loi du 10 mars
+principe a subi des modifications nombreuses pendant les trente années
+qui se sont écoulées depuis 1789 jusqu'en 1818. En 1789, l'Assemblée
+constituante rend le service personnel commun à tous les citoyens, et
+n'en exempte que le monarque et l'héritier présomptif de la couronne. En
+1793, nul ne peut se faire remplacer. En l'an VI, tout citoyen français
+est défenseur de la patrie par droit et par devoir: les défenseurs
+conscrits sont attachés aux divers corps, ils y sont nominativement
+enrôlés, et ne peuvent pas se faire remplacer. En l'an VIII, les hommes
+impropres à supporter les fatigues de la guerre, et ceux reconnus plus
+utiles à l'État en continuant leurs travaux ou leurs études, sont seuls
+admis à se faire remplacer par un suppléant. La substitution n'est
+autorisée, en l'an X, qu'entre conscrits d'une même classe; tandis que
+le remplacement l'est également, en l'an XI, entre conscrits nés et
+domiciliés dans l'étendue de l'arrondissement, puis, en 1804, dans
+l'étendue du canton, et en 1805, dans celle du même département. Plus
+tard, en 1815, les conscrits sont autorisés à prendre des remplaçants
+dans tous les départements de l'empire indistinctement. Cette faculté a
+été, comme on le voit, l'objet de contraintes et de facilités fort
+capricieuses, suivant les vicissitudes des événements militaires,
+jusqu'à ce qu'elle fût législativement consacrée par la loi du 10 mars
1818, comme par les lois suivantes. Aussi, en 1806, sur un effectif de
-plus de 500,000 hommes, il n'y avait pas un huitième de remplaçants;
-1826, cette proportion était d'un cinquième; en 1835, presque d'un
+plus de 500,000 hommes, il n'y avait pas un huitième de remplaçants;
+1826, cette proportion était d'un cinquième; en 1835, presque d'un
quart; enfin, au 11 septembre 1842, sur un effectif de 357, 598
sous-officiers et soldats des corps qui se recrutent par la voie des
-appels, il y avait 85,644 remplaçants, c'est-à-dire plus du quart de cet
+appels, il y avait 85,644 remplaçants, c'est-à-dire plus du quart de cet
effectif.</p>
-<p>Le remplacement est consacré maintenant en France par une longue
-habitude. Dans une société livrée aux soins de l'industrie, où les
-propriétés sont divisées et les fortunes médiocres, où chacun doit, par
-un labeur sans relâche, un zèle infatigable et des veilles incessantes,
-préparer son état et se faire à soi-même sa place dans le monde, imposer
-indistinctement à tous l'obligation de passer dans une caserne plusieurs
-années, les plus fécondes de la vie, ce serait causer au plus grand
-nombre un irréparable dommage, et leur fermer la carrière, objet des
-veilles de leur jeunesse entière, et espoir de leur avenir. Aucun des
-intérêts généraux de la société n'y trouverait profit: les progrès des
-arts, de la science, de l'industrie, seraient arrêtés par cette loi
-aveugle. Le remplacement est-il donc onéreux aux classes laborieuses?
-Chaque année, il verse plus de 50 millions dans les familles les moins
-aisées. Il appelle sous les drapeaux et soumet à une discipline
-nécessaire des hommes que ce joug assouplit et façonne; il substitue en
-eux la politesse à la grossièreté, l'amour de l'ordre à l'esprit
-d'insubordination, et l'instruction à l'ignorance.</p>
-
-<p>Le chiffre des remplaçants augmente dans une progression toujours
-croissante; ils sont devenus une partie essentielle et considérable de
+<p>Le remplacement est consacré maintenant en France par une longue
+habitude. Dans une société livrée aux soins de l'industrie, où les
+propriétés sont divisées et les fortunes médiocres, où chacun doit, par
+un labeur sans relâche, un zèle infatigable et des veilles incessantes,
+préparer son état et se faire à soi-même sa place dans le monde, imposer
+indistinctement à tous l'obligation de passer dans une caserne plusieurs
+années, les plus fécondes de la vie, ce serait causer au plus grand
+nombre un irréparable dommage, et leur fermer la carrière, objet des
+veilles de leur jeunesse entière, et espoir de leur avenir. Aucun des
+intérêts généraux de la société n'y trouverait profit: les progrès des
+arts, de la science, de l'industrie, seraient arrêtés par cette loi
+aveugle. Le remplacement est-il donc onéreux aux classes laborieuses?
+Chaque année, il verse plus de 50 millions dans les familles les moins
+aisées. Il appelle sous les drapeaux et soumet à une discipline
+nécessaire des hommes que ce joug assouplit et façonne; il substitue en
+eux la politesse à la grossièreté, l'amour de l'ordre à l'esprit
+d'insubordination, et l'instruction à l'ignorance.</p>
+
+<p>Le chiffre des remplaçants augmente dans une progression toujours
+croissante; ils sont devenus une partie essentielle et considérable de
notre force publique; un grand nombre accomplissent honorablement leurs
-devoirs, obtiennent de l'avancement, arrivent aux grades élevés, et font
-oublier qu'un contrat vénal les a appelés sous le drapeau. Il est juste,
-toutefois, de reconnaître que, dans l'échelle des qualités morales, les
-remplaçants sont généralement au-dessous des jeunes soldats qui servent
-pour eux-mêmes. Aussi les remplacements que les chefs de corps préfèrent
+devoirs, obtiennent de l'avancement, arrivent aux grades élevés, et font
+oublier qu'un contrat vénal les a appelés sous le drapeau. Il est juste,
+toutefois, de reconnaître que, dans l'échelle des qualités morales, les
+remplaçants sont généralement au-dessous des jeunes soldats qui servent
+pour eux-mêmes. Aussi les remplacements que les chefs de corps préfèrent
et acceptent le plus volontiers, sont-ils les remplacements au corps,
-c'est-à-dire ceux des militaires qui ont accompli leur temps de service.
+c'est-à-dire ceux des militaires qui ont accompli leur temps de service.
Ces sortes de remplacements offrent, en effet, de grands avantages. Ceux
qui les contractent sont connus des chefs de corps qui peuvent toujours
-refuser d'admettre les hommes dont l'armée aurait à se plaindre et
-qu'elle n'aurait pas intérêt à conserver. Le drapeau ne garde donc que
-les soldats éprouvés. Un relevé des peines disciplinaires, fait sur les
-livres de punitions de 24 régiments, 12 d'infanterie et 12 de cavalerie,
-a donné les résultats suivants. Tandis que 100 remplaçants non
-militaires ont passé 201 jours en prison et 630 jours à la salle de
-police, les remplaçants au corps n'ont subi, pour 100 hommes, que 66
-jours de prison et 515 de salle de police. D'ailleurs, les remplaçants
-pris sous les drapeaux possèdent à la fois la vigueur que donnent les
-armées, et la pratique des armes que donne un long service. En 1841, sur
-98,000 remplaçants, près de 28,000 avaient déjà servi.</p>
-
-<p>Le contingent annuel et la durée du service sont les éléments primitifs
-de l'institution militaire. C'est par eux qu'est résolu cet important
-problème de lier l'armée à la nation, et de l'organiser de telle sorte
-que, citoyenne sans cesser d'être militaire, elle puisse passer
-rapidement de l'état de paix à l'état de guerre, et de l'état de guerre
-à l'état de paix, en ménageant les intérêts de nos finances et ceux de
-la population, mais en assurant toujours à l'indépendance nationale
+refuser d'admettre les hommes dont l'armée aurait à se plaindre et
+qu'elle n'aurait pas intérêt à conserver. Le drapeau ne garde donc que
+les soldats éprouvés. Un relevé des peines disciplinaires, fait sur les
+livres de punitions de 24 régiments, 12 d'infanterie et 12 de cavalerie,
+a donné les résultats suivants. Tandis que 100 remplaçants non
+militaires ont passé 201 jours en prison et 630 jours à la salle de
+police, les remplaçants au corps n'ont subi, pour 100 hommes, que 66
+jours de prison et 515 de salle de police. D'ailleurs, les remplaçants
+pris sous les drapeaux possèdent à la fois la vigueur que donnent les
+armées, et la pratique des armes que donne un long service. En 1841, sur
+98,000 remplaçants, près de 28,000 avaient déjà servi.</p>
+
+<p>Le contingent annuel et la durée du service sont les éléments primitifs
+de l'institution militaire. C'est par eux qu'est résolu cet important
+problème de lier l'armée à la nation, et de l'organiser de telle sorte
+que, citoyenne sans cesser d'être militaire, elle puisse passer
+rapidement de l'état de paix à l'état de guerre, et de l'état de guerre
+à l'état de paix, en ménageant les intérêts de nos finances et ceux de
+la population, mais en assurant toujours à l'indépendance nationale
toute la force dont elle pourrait avoir besoin. Cette force est depuis
-longtemps déterminée, et l'on a reconnu que notre armée sur le pied de
-guerre devait présenter un effectif de 500,000 hommes au moins. Un
-effectif aussi considérable ne saurait être maintenu sous le drapeau,
-quand les éventualités de l'avenir ne le rendent pas nécessaire. Les
-besoins du pays et les limites de l'impôt ne permettent pas de
-l'entretenir en temps de paix. L'armée doit, par conséquent, être
-divisée en deux fractions inégales: la première, active et soldée, dont
-l'effectif est déterminé annuellement par la loi de finances; la seconde
-qui, ne coûtant rien à l'État, attend dans le repos le moment d'être
-utile à la patrie. Telle est formule de la réserve.</p>
-
-<p>Au premier aspect, il paraîtrait tout naturel de penser que, d'après
+longtemps déterminée, et l'on a reconnu que notre armée sur le pied de
+guerre devait présenter un effectif de 500,000 hommes au moins. Un
+effectif aussi considérable ne saurait être maintenu sous le drapeau,
+quand les éventualités de l'avenir ne le rendent pas nécessaire. Les
+besoins du pays et les limites de l'impôt ne permettent pas de
+l'entretenir en temps de paix. L'armée doit, par conséquent, être
+divisée en deux fractions inégales: la première, active et soldée, dont
+l'effectif est déterminé annuellement par la loi de finances; la seconde
+qui, ne coûtant rien à l'État, attend dans le repos le moment d'être
+utile à la patrie. Telle est formule de la réserve.</p>
+
+<p>Au premier aspect, il paraîtrait tout naturel de penser que, d'après
l'incorporation successive des contingents annuels, les militaires ayant
-passé sous le drapeau devaient constituer le principal effectif de cette
-réserve, et que les jeunes soldats ne pouvaient y compter que comme
-complément. En effet, au 1er septembre 1834, il y avait déjà dans la
-réserve 79,926 sous-officiers et soldats instruits, prêts au premier
-appel, et seulement 3,155 jeunes soldats laissés dans leurs foyers; mais
-telle est l'élasticité des dispositions de l'article 29 de la loi,
+passé sous le drapeau devaient constituer le principal effectif de cette
+réserve, et que les jeunes soldats ne pouvaient y compter que comme
+complément. En effet, au 1er septembre 1834, il y avait déjà dans la
+réserve 79,926 sous-officiers et soldats instruits, prêts au premier
+appel, et seulement 3,155 jeunes soldats laissés dans leurs foyers; mais
+telle est l'élasticité des dispositions de l'article 29 de la loi,
aujourd'hui encore en vigueur, du 21 mars 1832, qu'au 1er avril 1810,
-sur 135,000 hommes dont se composait la réserve, il y avait seulement
-297 hommes qui eussent activement figuré dans les rangs. La gravité d'un
-tel état de choses devait se manifester plus tard. Quand, en 1810,
-l'effectif de l'armée dut être porté de 317,826 hommes à plus de
-500,000, la réserve fut appelée; et, dans l'espace de peu de mois,
-l'armée reçut 185,786 hommes, dont une partie comptait déjà plusieurs
-années de service, et qui, cependant, voyaient le drapeau pour la
-première fois. Il n'y a donc, dans ce système de réserve mixte, aucune
+sur 135,000 hommes dont se composait la réserve, il y avait seulement
+297 hommes qui eussent activement figuré dans les rangs. La gravité d'un
+tel état de choses devait se manifester plus tard. Quand, en 1810,
+l'effectif de l'armée dut être porté de 317,826 hommes à plus de
+500,000, la réserve fut appelée; et, dans l'espace de peu de mois,
+l'armée reçut 185,786 hommes, dont une partie comptait déjà plusieurs
+années de service, et qui, cependant, voyaient le drapeau pour la
+première fois. Il n'y a donc, dans ce système de réserve mixte, aucune
garantie pour l'institution militaire. Pour entrer dans une voie plus
-assurée, le nouveau projet de loi, adopté par la Chambre des Pairs le 26
-avril 1843, et soumis actuellement aux délibérations de la Chambre des
-Députés, propose d'incorporer en entier le contingent, et de porter à 8
-ans la durée du service, en déterminant la libération au 30 juin de
-chaque année. La durée du service actif resterait d'ailleurs toujours
-soumise aux éventualités politiques et financières.</p>
-
-<p>La loi du 10 mars 1818 avait fixé à 12 années la durée du service, dont
-6 passées dans la réserve; celle du 9 juin 1821 l'avait réduite à 8
-années, et celle du 21 mars 1832 à 7 années.</p>
-
-<p>Dans les États étrangers, la durée du service est fort variable, comme
+assurée, le nouveau projet de loi, adopté par la Chambre des Pairs le 26
+avril 1843, et soumis actuellement aux délibérations de la Chambre des
+Députés, propose d'incorporer en entier le contingent, et de porter à 8
+ans la durée du service, en déterminant la libération au 30 juin de
+chaque année. La durée du service actif resterait d'ailleurs toujours
+soumise aux éventualités politiques et financières.</p>
+
+<p>La loi du 10 mars 1818 avait fixé à 12 années la durée du service, dont
+6 passées dans la réserve; celle du 9 juin 1821 l'avait réduite à 8
+années, et celle du 21 mars 1832 à 7 années.</p>
+
+<p>Dans les États étrangers, la durée du service est fort variable, comme
l'attestent les chiffres suivants:</p>
-<p>Autriche: soldats d'Italie et du Tyrol, 8 ans; soldats des États
-héréditaires et de la Gallicie, qui servaient autrefois 11 ans
+<p>Autriche: soldats d'Italie et du Tyrol, 8 ans; soldats des États
+héréditaires et de la Gallicie, qui servaient autrefois 11 ans
aujourd'hui 10 ans; soldats de la Hongrie, 10 ans.</p>
-<p>Bavière: armée permanente, 6 ans; armée éventuelle, composée de la
-landwehr partagée en deux bans qui comprennent, le premier, les hommes
-de 21 à 40 ans non incorporés dans l'armée active; et, le second, les
-hommes de 40 à 60 ans.</p>
+<p>Bavière: armée permanente, 6 ans; armée éventuelle, composée de la
+landwehr partagée en deux bans qui comprennent, le premier, les hommes
+de 21 à 40 ans non incorporés dans l'armée active; et, le second, les
+hommes de 40 à 60 ans.</p>
-<p>États-Unis: 5 ans; l'armée ne doit se recruter que par engagements
-volontaires; tou» les blancs, de 18 à 35 ans, peuvent être enrôlés au
+<p>États-Unis: 5 ans; l'armée ne doit se recruter que par engagements
+volontaires; tou» les blancs, de 18 à 35 ans, peuvent être enrôlés au
prix de 60 francs l'engagement.</p>
-<p>Prusse: en temps de paix, 2 ou 3 ans; puis 2 ans sur les contrôles de la
-réserve; les soldats qui cessent d'appartenir à l'armée active font
-partie, jusqu'à 32 ans, de la landwehr du premier ban; et, de 32 ans à
-40, de la landwehr du second ban; de 40 à 50 ans, ils sont encore tenus
+<p>Prusse: en temps de paix, 2 ou 3 ans; puis 2 ans sur les contrôles de la
+réserve; les soldats qui cessent d'appartenir à l'armée active font
+partie, jusqu'à 32 ans, de la landwehr du premier ban; et, de 32 ans à
+40, de la landwehr du second ban; de 40 à 50 ans, ils sont encore tenus
de marcher, en cas d'invasion: c'est ce qu'on nomme le landsturm.</p>
-<p>Russie: 25 ans dont 15 ans dans l'armée active, 5 ans dans les
-bataillons ou escadrons de réserve, et 5 ans dans la réserve générale de
-l'armée.</p>
+<p>Russie: 25 ans dont 15 ans dans l'armée active, 5 ans dans les
+bataillons ou escadrons de réserve, et 5 ans dans la réserve générale de
+l'armée.</p>
-<p>Saxe: armée permanente, 6 ans dans l'armée active et 5 ans dans la
-réserve de guerre; l'armée éventuelle est composée des individus non
-appelés au service actif; il y a, en outre, pour le contingent de la
-Confédération, une réserve de guerre comprenant les hommes de l'armée
-active qui ont quitté les drapeaux avant d'avoir achevé leur temps légal
-de service, et ceux qui, après l'avoir complété, sont astreints à la
-réserve pendant trois autres années.</p>
+<p>Saxe: armée permanente, 6 ans dans l'armée active et 5 ans dans la
+réserve de guerre; l'armée éventuelle est composée des individus non
+appelés au service actif; il y a, en outre, pour le contingent de la
+Confédération, une réserve de guerre comprenant les hommes de l'armée
+active qui ont quitté les drapeaux avant d'avoir achevé leur temps légal
+de service, et ceux qui, après l'avoir complété, sont astreints à la
+réserve pendant trois autres années.</p>
-<p>Jusqu'à ce moment le point de départ pour le service a été fixé au 1er
+<p>Jusqu'à ce moment le point de départ pour le service a été fixé au 1er
janvier; le projet de loi propose de le fixer au 1er juillet de chaque
-année, qui est la vraie date du commencement du service. Ce n'est en
-effet qu'au 1er juillet au plus tôt que peut être formé le contingent:
-c'est seulement alors que les hommes deviennent jeunes soldats et sont à
-la disposition du gouvernement. Jusque-là ils sont entièrement libres et
-maîtres de leurs actions. Ainsi ils ne sont point forcés de se présenter
-au tirage, ni devant le conseil de révision; ils peuvent même se marier,
+année, qui est la vraie date du commencement du service. Ce n'est en
+effet qu'au 1er juillet au plus tôt que peut être formé le contingent:
+c'est seulement alors que les hommes deviennent jeunes soldats et sont à
+la disposition du gouvernement. Jusque-là ils sont entièrement libres et
+maîtres de leurs actions. Ainsi ils ne sont point forcés de se présenter
+au tirage, ni devant le conseil de révision; ils peuvent même se marier,
voyager selon leur bon plaisir. Il semble donc peu rationnel de
-continuer à faire compter pour service militaire six mois pendant
+continuer à faire compter pour service militaire six mois pendant
lesquels le contingent n'existe pas, six mois pendant lesquels tous les
-jeunes gens qui doivent concourir à la formation de ce contingent (et
-ils sont 300,000) ont une position parfaitement identique à celle de
+jeunes gens qui doivent concourir à la formation de ce contingent (et
+ils sont 300,000) ont une position parfaitement identique à celle de
tous les autres citoyens.</p>
-<p>Tous les jeunes Français sont soumis au recrutement. Chaque année une
-loi détermine le nombre d'hommes dont se compose le contingent. Une
-ordonnance royale les répartit entre les départements et les cantons,
+<p>Tous les jeunes Français sont soumis au recrutement. Chaque année une
+loi détermine le nombre d'hommes dont se compose le contingent. Une
+ordonnance royale les répartit entre les départements et les cantons,
proportionnellement au nombre des jeunes gens inscrits sur les listes du
-tirage de la classe appelée. Le contingent assigné à chaque canton est
-fourni par un tirage au sort entre les jeunes Français qui ont leur
-domicile légal dans le canton, et qui ont atteint l'âge de 20 ans
-révolus dans le courant de l'année précédente. Les tableaux de
-recensement des jeunes gens soumis au tirage sont dressés par les
-maires, publiés et affichés dans chaque commune. Les tableaux dressés,
-un tirage au sort désigne les jeunes gens qui seront appelés à faire
-partie du l'armée. Ceux qui auraient été condamnés pour fraudes ou
-manoeuvres ayant pour but d'échapper à la loi sont inscrits en tête des
-listes de tirage, comme si les premiers numéros leur étaient échus. Les
-jeunes gens de la classe appelée sont inscrits sur les tableaux de
-recensement dans l'ordre alphabétique de leur nom de famille.</p>
-
-<p>Parmi les jeunes gens qui concourent au tirage, les uns sont exemptés du
-service, les autres dispensés. Les causes d'exemption et de dispense
-sont énumérées dans la loi, et elles ne doivent pas être étendue sans
-raisons graves. Considérés comme s'ils avaient satisfait à l'appel, les
-dispensés comptent numériquement dans le contingent, mais ils ne
-comptent pas dans l'armée; l'exempté au contraire, est remplacé par
-numéro subséquent, et dès lors toute exemption a pour effet de détruire
-l'arrêt du sort, et de reporter le fardeau du service sur ceux qu'il en
+tirage de la classe appelée. Le contingent assigné à chaque canton est
+fourni par un tirage au sort entre les jeunes Français qui ont leur
+domicile légal dans le canton, et qui ont atteint l'âge de 20 ans
+révolus dans le courant de l'année précédente. Les tableaux de
+recensement des jeunes gens soumis au tirage sont dressés par les
+maires, publiés et affichés dans chaque commune. Les tableaux dressés,
+un tirage au sort désigne les jeunes gens qui seront appelés à faire
+partie du l'armée. Ceux qui auraient été condamnés pour fraudes ou
+manoeuvres ayant pour but d'échapper à la loi sont inscrits en tête des
+listes de tirage, comme si les premiers numéros leur étaient échus. Les
+jeunes gens de la classe appelée sont inscrits sur les tableaux de
+recensement dans l'ordre alphabétique de leur nom de famille.</p>
+
+<p>Parmi les jeunes gens qui concourent au tirage, les uns sont exemptés du
+service, les autres dispensés. Les causes d'exemption et de dispense
+sont énumérées dans la loi, et elles ne doivent pas être étendue sans
+raisons graves. Considérés comme s'ils avaient satisfait à l'appel, les
+dispensés comptent numériquement dans le contingent, mais ils ne
+comptent pas dans l'armée; l'exempté au contraire, est remplacé par
+numéro subséquent, et dès lors toute exemption a pour effet de détruire
+l'arrêt du sort, et de reporter le fardeau du service sur ceux qu'il en
avait affranchis.</p>
-<p>Le jugement des exemptions et des dispenses est attribué au conseil de
-révision. Dans les mains de cette juridiction spéciale repose
-l'exécution de la loi, et l'on pourrait dire la composition de l'armée.
-Pour les cas rigoureusement définis, les termes de la loi règlent la
-conduite du conseil et lui dictent ses résolutions. Mais la catégorie
-d'exemptions la plus nombreuse, celle qui se rapporte aux infirmités,
-reste entièrement abandonnée à son appréciation discrétionnaire. Chaque
-année, sur environ 300,000 conscrits, plus de 50,000 obtiennent leur
-exemption à ce titre. Le conseil de révision est un jury suprême qui
+<p>Le jugement des exemptions et des dispenses est attribué au conseil de
+révision. Dans les mains de cette juridiction spéciale repose
+l'exécution de la loi, et l'on pourrait dire la composition de l'armée.
+Pour les cas rigoureusement définis, les termes de la loi règlent la
+conduite du conseil et lui dictent ses résolutions. Mais la catégorie
+d'exemptions la plus nombreuse, celle qui se rapporte aux infirmités,
+reste entièrement abandonnée à son appréciation discrétionnaire. Chaque
+année, sur environ 300,000 conscrits, plus de 50,000 obtiennent leur
+exemption à ce titre. Le conseil de révision est un jury suprême qui
prononce sans appel.</p>
-<p>Dans sa composition actuelle, l'armée est représentée par un officier
-général; l'État, par le préfet et un conseiller de préfecture qu'il
-désigne; les familles, par un membre du conseil général du département
-et par un membre du conseil de l'arrondissement, tous deux aussi à la
-désignation du préfet. Un membre de l'intendance militaire, assiste aux
-opérations du conseil et est entendu toutes les fois qu'il le demande.</p>
+<p>Dans sa composition actuelle, l'armée est représentée par un officier
+général; l'État, par le préfet et un conseiller de préfecture qu'il
+désigne; les familles, par un membre du conseil général du département
+et par un membre du conseil de l'arrondissement, tous deux aussi à la
+désignation du préfet. Un membre de l'intendance militaire, assiste aux
+opérations du conseil et est entendu toutes les fois qu'il le demande.</p>
<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
style="width: 100%; text-align: left;" summary="nil">
@@ -2477,610 +2441,610 @@ opérations du conseil et est entendu toutes les fois qu'il le demande.</p>
-<p>Une loi du 12 juin 1843 a fixé à 80,000 hommes le contingent de la
-classe de 1843. Ce contingent, qui a été le même pour toutes les années
-depuis 1830, ne fournit que 65,000 hommes à l'armée de terre; 15,000
-doivent être déduits pour le service de la flotte, les insoumissions,
+<p>Une loi du 12 juin 1843 a fixé à 80,000 hommes le contingent de la
+classe de 1843. Ce contingent, qui a été le même pour toutes les années
+depuis 1830, ne fournit que 65,000 hommes à l'armée de terre; 15,000
+doivent être déduits pour le service de la flotte, les insoumissions,
etc.</p>
-<p>En vertu d'une ordonnance royale du 5 décembre dernier, les tableaux de
-recensement, ouverts à partir du 1er janvier 1844, ont été publiés et
-affichés les dimanches 21 et 28 du même mois, ainsi que l'exige
+<p>En vertu d'une ordonnance royale du 5 décembre dernier, les tableaux de
+recensement, ouverts à partir du 1er janvier 1844, ont été publiés et
+affichés les dimanches 21 et 28 du même mois, ainsi que l'exige
l'article 8 de la loi du 12 mars 1832. L'examen de ces tableaux et les
-tirages au sort, prescrits par l'article 10 de la même loi, devaient
-commencer le 19 février; mais comme le 19 tombait le mardi gras, des
-instructions du ministre de la guerre ont autorisé le renvoi des
-opérations à un autre jour pour les cantons où il aurait pu être à
+tirages au sort, prescrits par l'article 10 de la même loi, devaient
+commencer le 19 février; mais comme le 19 tombait le mardi gras, des
+instructions du ministre de la guerre ont autorisé le renvoi des
+opérations à un autre jour pour les cantons où il aurait pu être à
craindre que les saturnales du carnaval ne vinssent troubler l'ordre et
-la régularité du tirage. C'est ce qui a eu lieu notamment à Paris, où le
-tirage des jeunes gens du 1er arrondissement, fixé d'abord au 19
-février, a été renvoyé au 6 mars, et où les opérations ont commencé, le
-22 février, par le 2e arrondissement, pour être continuées sans
+la régularité du tirage. C'est ce qui a eu lieu notamment à Paris, où le
+tirage des jeunes gens du 1er arrondissement, fixé d'abord au 19
+février, a été renvoyé au 6 mars, et où les opérations ont commencé, le
+22 février, par le 2e arrondissement, pour être continuées sans
interruption jusqu'au 6 mars inclusivement.</p>
-<p>Les numéros de tirage sont écrits ou imprimés sur des bulletins
-uniformes. Chaque bulletin porte un numéro différent, de manière que la
-totalité des bulletins forme une série continue de numéros, depuis le
-numéro 1, égale au nombre des jeunes gens appelés à tirer. Le
-sous-préfet (à Paris, le maire de chaque arrondissement remplace le
-sous-préfet), après avoir reconnu publiquement que le nombre des
-bulletins est le même que celui des jeunes gens qui doivent prendre part
-au tirage, les paraphe, les mêle et les jette dans l'urne. Les communes
-du canton sont appelées pour le tirage suivant l'ordre alphabétique de
+<p>Les numéros de tirage sont écrits ou imprimés sur des bulletins
+uniformes. Chaque bulletin porte un numéro différent, de manière que la
+totalité des bulletins forme une série continue de numéros, depuis le
+numéro 1, égale au nombre des jeunes gens appelés à tirer. Le
+sous-préfet (à Paris, le maire de chaque arrondissement remplace le
+sous-préfet), après avoir reconnu publiquement que le nombre des
+bulletins est le même que celui des jeunes gens qui doivent prendre part
+au tirage, les paraphe, les mêle et les jette dans l'urne. Les communes
+du canton sont appelées pour le tirage suivant l'ordre alphabétique de
leurs noms, et les jeunes gens de chaque commune suivant l'ordre de leur
-inscription sur les tableaux de recensement. Au fur et à mesure que les
-jeunes gens sont appelés, ils tirent de l'urne un numéro. Les parents
-des absents, ou, à leur défaut, le maire de leur commune, tirent à leur
-place. A mesure que les bulletins sont tirés de l'urne, le sous-préfet
-inscrit sur la liste du tirage, en regard du numéro sorti, les nom,
-prénoms et surnoms de celui auquel le numéro appartient, ainsi que les
-noms et prénoms de ses père et mère. Le numéro sorti est inscrit en
+inscription sur les tableaux de recensement. Au fur et à mesure que les
+jeunes gens sont appelés, ils tirent de l'urne un numéro. Les parents
+des absents, ou, à leur défaut, le maire de leur commune, tirent à leur
+place. A mesure que les bulletins sont tirés de l'urne, le sous-préfet
+inscrit sur la liste du tirage, en regard du numéro sorti, les nom,
+prénoms et surnoms de celui auquel le numéro appartient, ainsi que les
+noms et prénoms de ses père et mère. Le numéro sorti est inscrit en
outre sur le tableau du recensement, en regard du nom de celui auquel il
-appartient. L'ordre des numéros tirés par les jeunes gens détermine
+appartient. L'ordre des numéros tirés par les jeunes gens détermine
toujours celui de leur appel pour la formation du contingent. A mesure
-que les jeunes gens se présentent, le sous-préfet leur demande s'ils ont
-des motifs d'exemption ou de dispense à faire valoir, et il en fait
+que les jeunes gens se présentent, le sous-préfet leur demande s'ils ont
+des motifs d'exemption ou de dispense à faire valoir, et il en fait
mention tant sur la liste du tirage que sur le tableau de recensement.
-Si des jeunes gens réclament l'exemption comme n'ayant pas la taille
-fixée par la loi, le sous-préfet, avant d'inscrire ses observations,
-fait toiser les réclamants, lesquels, à cet effet, sont placés sur le
-marchepied d'un double mètre poinçonné et étalonné, dont la traverse est
-élevée à un mètre 560 millimètres.</p>
-
-<p>Immédiatement après le tirage de chaque canton, le sous-préfet envoie au
-préfet du département une expédition authentique de la liste du tirage.
-Le, préfet, de son côté, forme un état indiquant, par canton, le nombre
-des jeunes gens inscrits sur les listes du tirage de la classe. Cet état
-est adressé au ministre de la guerre. Tous ceux de la classe de 1843
-devront lui parvenir le 20 mars 1844 au plus tard. La répartition du
-contingent de cette classe, entre les départements, sera faite
-ultérieurement par une ordonnance royale, qui réglera en même temps les
-autres opérations relatives à l'appel de ladite classe.</p>
-
-<p class="mid"><img alt="" src="images/006c.png"><br><b>Promenade des Conscrits après le tirage.</b></p>
-
-<p>De nombreuses demandes sont formées chaque année à l'effet d'obtenir,
+Si des jeunes gens réclament l'exemption comme n'ayant pas la taille
+fixée par la loi, le sous-préfet, avant d'inscrire ses observations,
+fait toiser les réclamants, lesquels, à cet effet, sont placés sur le
+marchepied d'un double mètre poinçonné et étalonné, dont la traverse est
+élevée à un mètre 560 millimètres.</p>
+
+<p>Immédiatement après le tirage de chaque canton, le sous-préfet envoie au
+préfet du département une expédition authentique de la liste du tirage.
+Le, préfet, de son côté, forme un état indiquant, par canton, le nombre
+des jeunes gens inscrits sur les listes du tirage de la classe. Cet état
+est adressé au ministre de la guerre. Tous ceux de la classe de 1843
+devront lui parvenir le 20 mars 1844 au plus tard. La répartition du
+contingent de cette classe, entre les départements, sera faite
+ultérieurement par une ordonnance royale, qui réglera en même temps les
+autres opérations relatives à l'appel de ladite classe.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/006c.png"><br><b>Promenade des Conscrits après le tirage.</b></p>
+
+<p>De nombreuses demandes sont formées chaque année à l'effet d'obtenir,
par exception, le maintien dans leurs foyers de jeunes soldats qui, bien
-que méritant par leur position une faveur toute particulière, à titre de
-soutiens de famille, n'ont pas pu être classés en ordre utile sur les
-listes des hommes de cette catégorie dressées par les conseils de
-révision dans la proportion habituelle de dix sur mille hommes du
-contingent. En 1843 cependant il a été satisfait plus largement, sous ce
+que méritant par leur position une faveur toute particulière, à titre de
+soutiens de famille, n'ont pas pu être classés en ordre utile sur les
+listes des hommes de cette catégorie dressées par les conseils de
+révision dans la proportion habituelle de dix sur mille hommes du
+contingent. En 1843 cependant il a été satisfait plus largement, sous ce
rapport, aux besoins des populations, et M. le ministre de la guerre a
-décidé que la proportion précédemment établie serait portée au double
-pour la classe de 1842, c'est-à-dire à vingt sur mille hommes (ou deux
+décidé que la proportion précédemment établie serait portée au double
+pour la classe de 1842, c'est-à-dire à vingt sur mille hommes (ou deux
sur cent) du contingent de cette classe.</p>
-<p>Après le tirage, les jeunes gens ont en général l'habitude de placer sur
-le devant de leur chapeau le numéro qui leur est échu au sort, et de
+<p>Après le tirage, les jeunes gens ont en général l'habitude de placer sur
+le devant de leur chapeau le numéro qui leur est échu au sort, et de
l'attacher avec des rubans de diverses couleurs, le plus souvent
-tricolores. Puis ceux de la même commune se réunissent et retournent
+tricolores. Puis ceux de la même commune se réunissent et retournent
ensemble chez eux, bras dessus bras dessous, chantant, criant, marchant
-au pas, tambour en tête. Tout le long de la route ils font de fréquentes
-stations, arrosées de libations nombreuses, ceux-ci en l'honneur de la
-chance qui les a favorisés, ceux-là pour s'étourdir et noyer dans le vin
-le chagrin d'avoir attrapé un mauvais numéro. Les uns et les autres,
-partis fièrement au pas du chef-lieu de canton, ne rentrent guère dans
+au pas, tambour en tête. Tout le long de la route ils font de fréquentes
+stations, arrosées de libations nombreuses, ceux-ci en l'honneur de la
+chance qui les a favorisés, ceux-là pour s'étourdir et noyer dans le vin
+le chagrin d'avoir attrapé un mauvais numéro. Les uns et les autres,
+partis fièrement au pas du chef-lieu de canton, ne rentrent guère dans
la commune que d'un pas plus que chancelant: ce qui a fait plaisamment
-donner à ces sortes de détachements d'apprentis militaires le nom trop
-bien mérité de <i>compagnies des litres</i>.</p>
-
-<p>Depuis 1830, de nombreuses améliorations ont attaché l'armée au pays par
-des liens étroits. L'état des officiers a été garanti, l'avancement
-soumis à des règles de justice, la solde des officiers, sous-officiers
-et soldats améliorée, les pensions de retraite étendues; deux écoles
-ouvertes dans chaque régiment d'infanterie ou de cavalerie, l'une, du
-premier degré, destinée aux soldats et aux caporaux ou brigadiers;
-l'autre, de deuxième degré, pour les sous-officiers; 50 à 60,000 hommes
-admis annuellement dans ces écoles; un certain nombre d'emplois réservés
-dans les forêts et dans les douanes aux militaires qui auraient, comme
-sous-officiers, contracté et terminé au moins un réengagement; les
-carrières civiles ouvertes ainsi à ceux qui n'obtiennent point
-l'épaulette; enfin les troupes appliquées en France et en Algérie aux
-grands travaux d'utilité publique.</p>
+donner à ces sortes de détachements d'apprentis militaires le nom trop
+bien mérité de <i>compagnies des litres</i>.</p>
+
+<p>Depuis 1830, de nombreuses améliorations ont attaché l'armée au pays par
+des liens étroits. L'état des officiers a été garanti, l'avancement
+soumis à des règles de justice, la solde des officiers, sous-officiers
+et soldats améliorée, les pensions de retraite étendues; deux écoles
+ouvertes dans chaque régiment d'infanterie ou de cavalerie, l'une, du
+premier degré, destinée aux soldats et aux caporaux ou brigadiers;
+l'autre, de deuxième degré, pour les sous-officiers; 50 à 60,000 hommes
+admis annuellement dans ces écoles; un certain nombre d'emplois réservés
+dans les forêts et dans les douanes aux militaires qui auraient, comme
+sous-officiers, contracté et terminé au moins un réengagement; les
+carrières civiles ouvertes ainsi à ceux qui n'obtiennent point
+l'épaulette; enfin les troupes appliquées en France et en Algérie aux
+grands travaux d'utilité publique.</p>
<br><br>
-<h2>Académie Royale de Musique.</h2>
+<h2>Académie Royale de Musique.</h2>
<p><i>Lady Henriette, ou la servante de Greenwich.</i></p>
-<p>Tel est le titre peu gracieux du ballet pantomime que l'Opéra a mis au
-jour le mercredi 21 février 1844.</p>
+<p>Tel est le titre peu gracieux du ballet pantomime que l'Opéra a mis au
+jour le mercredi 21 février 1844.</p>
-<p>Lady Henriette est première dame d'honneur de la reine Anne; elle habite
-un riche appartement dans le château royal de Windsor; elle a un
+<p>Lady Henriette est première dame d'honneur de la reine Anne; elle habite
+un riche appartement dans le château royal de Windsor; elle a un
<i>futur</i>, comme dit le livret. Ce <i>futur</i> s'appelle sir Tristan
-Crackfort, et il joint au malheur de porter un pareil nom l'inconvénient
-d'être le seigneur le plus sot des Trois-Royaumes. De tout cela il
-résulte que lady Henriette est, de son côté, la femme du monde qui
-s'ennuie le plus et qui bâille le mieux.</p>
-
-<p>Bien bâiller est un talent; mais à force d'exercer les talents qu'on a,
-on se fatigue: témoin Rossini, qui, pour avoir trop fait d'opéras, n'en
-veut plus faire. Lady Henriette voudrait bien ne plus bâiller; elle
-consulte sur ce point délicat Nancy, sa fille, suivante, qui lui répond
-ce que toute fille suivante répond en pareil cas: «Madame, il faut
-prendre un amant.» Mais ce remède-là n'est point du goût de milady: il
+Crackfort, et il joint au malheur de porter un pareil nom l'inconvénient
+d'être le seigneur le plus sot des Trois-Royaumes. De tout cela il
+résulte que lady Henriette est, de son côté, la femme du monde qui
+s'ennuie le plus et qui bâille le mieux.</p>
+
+<p>Bien bâiller est un talent; mais à force d'exercer les talents qu'on a,
+on se fatigue: témoin Rossini, qui, pour avoir trop fait d'opéras, n'en
+veut plus faire. Lady Henriette voudrait bien ne plus bâiller; elle
+consulte sur ce point délicat Nancy, sa fille, suivante, qui lui répond
+ce que toute fille suivante répond en pareil cas: «Madame, il faut
+prendre un amant.» Mais ce remède-là n'est point du goût de milady: il
lui faut quelque chose de moins trivial, de plus neuf, de plus
-inattendu, quelque chose qui n'ait jamais été imaginé par personne. Un
+inattendu, quelque chose qui n'ait jamais été imaginé par personne. Un
amant! fi donc! toutes les dames de la cour en ont. Mais prendre le
-costume d'une paysanne, attacher à son corsage un bouchon de paille, et
-se rendre, en cet équipage, à la foire du Greenwich, voilà ce qu'aucune
-d'elles n'a jamais imaginé.</p>
+costume d'une paysanne, attacher à son corsage un bouchon de paille, et
+se rendre, en cet équipage, à la foire du Greenwich, voilà ce qu'aucune
+d'elles n'a jamais imaginé.</p>
<p>Or, il faut que vous connaissiez l'usage anglais et le sens de ce
bouchon de paille.</p>
<p>Toute fille des champs qui veut entrer en service, et qui cherche une
-condition, n'a qu'à se présenter à la foire de Greenwich ainsi
-accommodée. C'est là que se rendent, de toutes les contrées voisines,
-les fermiers qui cherchent des servantes. De chaque côté on est sûr d'y
+condition, n'a qu'à se présenter à la foire de Greenwich ainsi
+accommodée. C'est là que se rendent, de toutes les contrées voisines,
+les fermiers qui cherchent des servantes. De chaque côté on est sûr d'y
trouver son affaire, et l'on n'y a que l'embarras du choix.</p>
<p>Lady Henriette, donc, ira se mettre incognito au service de quelque
-manant du pays: elle fera son lit, balaiera sa chambre, écumera son pot.
-Ce divertissement lui paraît délicieux.--Que vous en semble?</p>
+manant du pays: elle fera son lit, balaiera sa chambre, écumera son pot.
+Ce divertissement lui paraît délicieux.--Que vous en semble?</p>
-<p>Elle échoit à un fermier du pays de Galles appelé Lyonnel. Lyonnel est
-jeune et fort joli garçon; il a l'imagination vive et le coeur tendre.
-Pauvre Lyonnel! il ne tarde guère à devenir le jouet de sa nouvelle
+<p>Elle échoit à un fermier du pays de Galles appelé Lyonnel. Lyonnel est
+jeune et fort joli garçon; il a l'imagination vive et le coeur tendre.
+Pauvre Lyonnel! il ne tarde guère à devenir le jouet de sa nouvelle
acquisition, et le valet de sa servante. Lady Henriette, toujours grande
-dame, en dépit de son déguisement, abuse cruellement de ses avantages,
-et traite le fermier à peu près aussi mal que sir Crackfort; puis tout à
-coup elle s'échappe par une fenêtre, monte en voiture et s'enfuit au
-galop, laissant Lyonnel fou d'amour et de désespoir.</p>
+dame, en dépit de son déguisement, abuse cruellement de ses avantages,
+et traite le fermier à peu près aussi mal que sir Crackfort; puis tout à
+coup elle s'échappe par une fenêtre, monte en voiture et s'enfuit au
+galop, laissant Lyonnel fou d'amour et de désespoir.</p>
-<p>Tout amoureux qui a perdu sa maîtresse doit immédiatement s'engager:
-c'est la règle à l'Opéra, et Lyonnel n'a garde d'y manquer. Le voilà à
-Windsor, habillé de rouge, coiffé d'un chapeau à plumet et armé d'un
-fusil; il est soldat dans le régiment des gardes de la reine.</p>
+<p>Tout amoureux qui a perdu sa maîtresse doit immédiatement s'engager:
+c'est la règle à l'Opéra, et Lyonnel n'a garde d'y manquer. Le voilà à
+Windsor, habillé de rouge, coiffé d'un chapeau à plumet et armé d'un
+fusil; il est soldat dans le régiment des gardes de la reine.</p>
<p>Vraie souveraine constitutionnelle, la reine ne gouverne pas, et s'amuse
de son mieux. Mais lady Henriette s'ennuie de plus belle. Sir Tristan la
-suit partout et ne perd pas un occasion de recommencer l'éternel aveu de
-son amour. Ces la seule ressource qui reste à l'infortunée. Les tendres
-protestations du courtisan ont pour résultat certain de l'endormir
-immédiatement; il ne manque jamais son effet; mais, après l'avoir
-produit, il s'éloigne, et en cela je crois qu'il a tort. Un plus avisé
-resterait. A peine il a disparu que Lyonnel arrive. «Ciel!... grand
-Dieu!... est-ce bien elle? Est-ce vous?... Est-ce toi?...» Milady
-s'éveille: «Que me voulez-vous, non cher? Vous extravaguez, sans doute.
-Je ne comprends rien, je vous le jure, ni à vos hochements de tête, ni à
-vos roulements d'yeux, ni à vos gestes frénétiques, ni à vos discours
-dépourvus de sens.» Et milady s'éloigne d'un air superbe. Mais il y a un
+suit partout et ne perd pas un occasion de recommencer l'éternel aveu de
+son amour. Ces la seule ressource qui reste à l'infortunée. Les tendres
+protestations du courtisan ont pour résultat certain de l'endormir
+immédiatement; il ne manque jamais son effet; mais, après l'avoir
+produit, il s'éloigne, et en cela je crois qu'il a tort. Un plus avisé
+resterait. A peine il a disparu que Lyonnel arrive. «Ciel!... grand
+Dieu!... est-ce bien elle? Est-ce vous?... Est-ce toi?...» Milady
+s'éveille: «Que me voulez-vous, non cher? Vous extravaguez, sans doute.
+Je ne comprends rien, je vous le jure, ni à vos hochements de tête, ni à
+vos roulements d'yeux, ni à vos gestes frénétiques, ni à vos discours
+dépourvus de sens.» Et milady s'éloigne d'un air superbe. Mais il y a un
dieu pour les amants.</p>
-<p>Par <i>l'opération</i> de ce dieu, le cheval de la reine s'emporte, et voilà
-<i>sa très-gracieuse majesté</i> errant à travers champs, au gré de cette
-bête furieuse, et exposée à une foule d'accidents désagréables, sur
-lesquels mon imagination n'ose s'arrêter, tant est grand mon respect
-pour le principe monarchique. Qui sauvera sa très-gracieuse majesté?
-Lyonnel s'élance et se dévoue, et bientôt on le voit ramener la reine à
-demi pâmée, qu'il soutient dans ses bras. Heureux Lyonnel! la reine,
+<p>Par <i>l'opération</i> de ce dieu, le cheval de la reine s'emporte, et voilà
+<i>sa très-gracieuse majesté</i> errant à travers champs, au gré de cette
+bête furieuse, et exposée à une foule d'accidents désagréables, sur
+lesquels mon imagination n'ose s'arrêter, tant est grand mon respect
+pour le principe monarchique. Qui sauvera sa très-gracieuse majesté?
+Lyonnel s'élance et se dévoue, et bientôt on le voit ramener la reine à
+demi pâmée, qu'il soutient dans ses bras. Heureux Lyonnel! la reine,
reconnaissante, le fait officier.</p>
-<p>Bientôt son nouveau grade l'introduit au château royal.</p>
+<p>Bientôt son nouveau grade l'introduit au château royal.</p>
-<p>Il y a spectacle à la cour, et ballet mythologique. Sir Tristan
-Crackfort y représente le puissant Jupiter, et la reine d'Angleterre
+<p>Il y a spectacle à la cour, et ballet mythologique. Sir Tristan
+Crackfort y représente le puissant Jupiter, et la reine d'Angleterre
l'auguste Junon. Tous deux descendant de leur gloire, et viennent danser
-un menuet avec Mars, Apollon, Cybèle, etc. Vénus paraît à son tour,
-poursuivie par un berger. Elle résiste à l'audacieux, elle fuit en se
-jouant, et, dans sa fuite, elle décrit les figures les plus gracieuses,
-elle prend mille poses pleines de volupté, elle charme les dieux, elle
-enivre les humains, et surtout Lyonnel, qui reconnaît dans la déesse son
-inconnue mystérieuse, Hors de lui, il s'avance, il tombe aux pieds de
-Vénus... Jugez du trouble et de la stupeur générale! Le ballet
+un menuet avec Mars, Apollon, Cybèle, etc. Vénus paraît à son tour,
+poursuivie par un berger. Elle résiste à l'audacieux, elle fuit en se
+jouant, et, dans sa fuite, elle décrit les figures les plus gracieuses,
+elle prend mille poses pleines de volupté, elle charme les dieux, elle
+enivre les humains, et surtout Lyonnel, qui reconnaît dans la déesse son
+inconnue mystérieuse, Hors de lui, il s'avance, il tombe aux pieds de
+Vénus... Jugez du trouble et de la stupeur générale! Le ballet
s'interrompt; le ciel et la terre se, rapprochent, les mortels et les
-dieux errent pêle-mêle; l'imprudent trouble-fête est entraîné hors de la
-salle, et Vénus s'évanouit.</p>
+dieux errent pêle-mêle; l'imprudent trouble-fête est entraîné hors de la
+salle, et Vénus s'évanouit.</p>
-<p>On mène Lyonnel en prison; mais il s'échappe, s'enfuit au hasard au
+<p>On mène Lyonnel en prison; mais il s'échappe, s'enfuit au hasard au
travers du palais, et arrive enfin dans l'appartement de lady Henriette,
-qui n'est pas encore tout à fait remise de l'émotion que lui a causée
-son étrange aventure. «Grâce, madame! un mot de vous suffit pour me
-sauver: dites ce mot...» Ah bien oui! La comtesse, irritée, le repousse
+qui n'est pas encore tout à fait remise de l'émotion que lui a causée
+son étrange aventure. «Grâce, madame! un mot de vous suffit pour me
+sauver: dites ce mot...» Ah bien oui! La comtesse, irritée, le repousse
et lui ordonne de sortir. Il insiste, elle appelle, et livre le
malheureux aux soldats qui le poursuivent. Les dames d'honneur ont-elles
-donc le coeur si dur? Lyonnel succombe à ce dernier coup, ses idées se
+donc le coeur si dur? Lyonnel succombe à ce dernier coup, ses idées se
troublent, ses yeux deviennent fixes, il fait des gestes bizarres, il
-rit, il pleure: le voilà fou! On le mène à Bedlam.</p>
+rit, il pleure: le voilà fou! On le mène à Bedlam.</p>
-<p>Là il trouve nombreuse compagnie et des fous de toute espèce, un
-mélomane, un dansomane, une femme qui se croit reine, un homme qui se
-croit le Destin, etc., etc. Tous se mêlent bientôt et exécutent un
+<p>Là il trouve nombreuse compagnie et des fous de toute espèce, un
+mélomane, un dansomane, une femme qui se croit reine, un homme qui se
+croit le Destin, etc., etc. Tous se mêlent bientôt et exécutent un
ballet curieux et bizarre. Puis le tambour bat: c'est la reine Anne qui
vient visiter Bedlam; lady Henriette l'accompagne. Elle voit Lyonnel et
-comprend enfin tout le mal qu'elle a fait. «N'y a-t-il donc aucun moven
-de le réparer?</p>
+comprend enfin tout le mal qu'elle a fait. «N'y a-t-il donc aucun moven
+de le réparer?</p>
<p class="mid"><img alt="" src="images/007a.png"><br><b>Ballet mythologique de <i>Lady Henriette</i>.</b></p>
-<p>--Un seul,» dit le médecin.</p>
+<p>--Un seul,» dit le médecin.</p>
<p>--Eh bien! ne le devinez-vous pas? Ne savez-vous pas depuis longtemps
-comment on guérit les fous à l'Opéra, et comment finissent toutes les
-nièces de théâtre?</p>
+comment on guérit les fous à l'Opéra, et comment finissent toutes les
+nièces de théâtre?</p>
-<p>Le sifflet du machiniste retentit: la scène change. Voilà Lyonnel
-installé de nouveau dans sa ferme, auprès de son ami Plumket. Bientôt la
+<p>Le sifflet du machiniste retentit: la scène change. Voilà Lyonnel
+installé de nouveau dans sa ferme, auprès de son ami Plumket. Bientôt la
porte s'ouvre; il regarde: il revoit la comtesse telle qu'il l'a vue
jadis, en habits de servante, et qui attend ses ordres. A cet aspect la
raison lui revient subitement, et le mariage de rigueur termine le cours
de ses aventures.</p>
-<p>Vous avez vu, probablement, <i>la Fête du village voisin</i> et <i>la Comtesse
-d'Egmont</i>, lecteur, et vous me dites que vous saviez d'avance, ou à peu
-près, toute cette histoire. Hélas! j'en conviens. Mais ce que vous
-n'avez point vu, ce sont les décorations de M. Cicéri.</p>
-
-<p>Jamais peut-être M. Cicéri n'avait mis au service de l'Opéra un art plus
-savant, plus délicat, plus fin, une imagination plus riche et plus
-jeune, un goût plus parfait. La place du marché de Greenwich et la forêt
-de Windsor sont deux paysages composés avec une habileté remarquable, où
-tous les détails ont une intention et une valeur savamment calculées, et
-dont l'ensemble est ravissant. Le salon en boiseries sculptées de la
-comtesse, et la salle d'attente où se passent les scènes qui précèdent
-le spectacle de la cour, sont, dans un genre opposé, deux
-chefs-d'oeuvre. La décoration du ballet mythologique, en style rococo et
-selon la mode du temps, est conçue avec un esprit infini, et exécutée de
-main de maître.</p>
-
-<p>Trois compositeurs se sont cotisés pour la musique du ballet nouveau. M.
+<p>Vous avez vu, probablement, <i>la Fête du village voisin</i> et <i>la Comtesse
+d'Egmont</i>, lecteur, et vous me dites que vous saviez d'avance, ou à peu
+près, toute cette histoire. Hélas! j'en conviens. Mais ce que vous
+n'avez point vu, ce sont les décorations de M. Cicéri.</p>
+
+<p>Jamais peut-être M. Cicéri n'avait mis au service de l'Opéra un art plus
+savant, plus délicat, plus fin, une imagination plus riche et plus
+jeune, un goût plus parfait. La place du marché de Greenwich et la forêt
+de Windsor sont deux paysages composés avec une habileté remarquable, où
+tous les détails ont une intention et une valeur savamment calculées, et
+dont l'ensemble est ravissant. Le salon en boiseries sculptées de la
+comtesse, et la salle d'attente où se passent les scènes qui précèdent
+le spectacle de la cour, sont, dans un genre opposé, deux
+chefs-d'oeuvre. La décoration du ballet mythologique, en style rococo et
+selon la mode du temps, est conçue avec un esprit infini, et exécutée de
+main de maître.</p>
+
+<p>Trois compositeurs se sont cotisés pour la musique du ballet nouveau. M.
de Flotow a fait le premier acte, M. Burgmuller le second, et M.
-Deldevèze le troisième. C'est de la musique bien faite, en général, et
-tort proprement ajustée; mais on regrette que les auteurs n'y aient pas
-déployé plus de chaleur et de verve, et se soient montrés aussi avares
-de motifs saillants et d'idées nouvelles. M. Burgmuller est resté fort
-au-dessous de l'auteur de la Péri.</p>
-
-<p>Les costumes y sont très-brillants, et si les tableaux chorégraphiques
-n'y ont rien de bien nouveau, du moins sont-ils agréables. Il faut,
-cependant, faire une mention particulière du ballet des fous, où M.
-Mazilier a montré quelque originalité; d'ailleurs il a trouvé là, en M.
-Coraly, un interprète d'une prestesse et d'une verve incomparables.
-Mademoiselle Adèle Dumilâtre, chargée du rôle de lady Henriette, s'en
-acquitte avec beaucoup de grâce et d'élégance. En somme, le ballet
-nouveau offre un spectacle agréable, varié, et quelquefois très-piquant.</p>
+Deldevèze le troisième. C'est de la musique bien faite, en général, et
+tort proprement ajustée; mais on regrette que les auteurs n'y aient pas
+déployé plus de chaleur et de verve, et se soient montrés aussi avares
+de motifs saillants et d'idées nouvelles. M. Burgmuller est resté fort
+au-dessous de l'auteur de la Péri.</p>
+
+<p>Les costumes y sont très-brillants, et si les tableaux chorégraphiques
+n'y ont rien de bien nouveau, du moins sont-ils agréables. Il faut,
+cependant, faire une mention particulière du ballet des fous, où M.
+Mazilier a montré quelque originalité; d'ailleurs il a trouvé là, en M.
+Coraly, un interprète d'une prestesse et d'une verve incomparables.
+Mademoiselle Adèle Dumilâtre, chargée du rôle de lady Henriette, s'en
+acquitte avec beaucoup de grâce et d'élégance. En somme, le ballet
+nouveau offre un spectacle agréable, varié, et quelquefois très-piquant.</p>
<br><br>
<p class="mid"><img alt="" src="images/007b.png"><br><b>Bureau d'abonnement de l'<i>Illustration</i>.</b></p>
<p>Mais peut-il y avoir un spectacle plus piquant que celui dont nous
-donnons ici même la représentation fidèle? Quoi de plus agréable que
-l'aspect de cette foule pressée, compacte, impatiente, haletante, qui
-assiège les bureaux d'abonnement de l'Illustration? Quoi de plus
-richement varié que cette collection de visages où chacun de vous,
+donnons ici même la représentation fidèle? Quoi de plus agréable que
+l'aspect de cette foule pressée, compacte, impatiente, haletante, qui
+assiège les bureaux d'abonnement de l'Illustration? Quoi de plus
+richement varié que cette collection de visages où chacun de vous,
lecteurs aimables, a le droit de chercher le sien?...</p>
<br><br>
<h2>Bulletin bibliographique.</h2>
-<p><i>Histoire des comtes de Flandre</i> jusqu'à l'avènement de la maison de
-Bourgogne; par Edward le Glay, ancien élève de l'École royale des
-Chartes, conservateur adjoint des archives de Flandre à Lille. 1 vol.
+<p><i>Histoire des comtes de Flandre</i> jusqu'à l'avènement de la maison de
+Bourgogne; par Edward le Glay, ancien élève de l'École royale des
+Chartes, conservateur adjoint des archives de Flandre à Lille. 1 vol.
in-8.--Paris, 1844 (tome IIe). <i>Imprimeurs-Unis</i>. 7 fr. 50 c.</p>
<p>L'an 863, Baudoin Bras de Fer, fils du Forestier Ingelran, qui avait
-épousé secrètement une fille de Charles le Chauve, fut nommé par son
-beau-père comte du royaume, et reçut pour la dot de sa femme toute la
-région comprise entre l'Escaut, la Somme et l'Océan, c'est-à-dire la
-seconde Belgique.. Ayant fixé sa résidence à Bruges, capitale du petit
-canton connu depuis le sixième siècle sous le nom de Flandre, il fonda
+épousé secrètement une fille de Charles le Chauve, fut nommé par son
+beau-père comte du royaume, et reçut pour la dot de sa femme toute la
+région comprise entre l'Escaut, la Somme et l'Océan, c'est-à-dire la
+seconde Belgique.. Ayant fixé sa résidence à Bruges, capitale du petit
+canton connu depuis le sixième siècle sous le nom de Flandre, il fonda
la dynastie des comtes de Flandre. C'est l'histoire de cette dynastie,
-commencée par Baudoin Bras de Fer, en 863, et terminée par Louis de
-Male, en 1383, histoire peu connue jusqu'à ce jour, qu'a entrepris
-d'écrire M. Edward le Glay, conservateur adjoint des archives de Flandre
-à Lille. Le premier volume, dont nous avons rendu compte à l'époque de
-sa publication, s'arrêtait a l'année 1214. Le second et dernier, qui
-vient de paraître, contient l'histoire des règnes de Jeanne de
+commencée par Baudoin Bras de Fer, en 863, et terminée par Louis de
+Male, en 1383, histoire peu connue jusqu'à ce jour, qu'a entrepris
+d'écrire M. Edward le Glay, conservateur adjoint des archives de Flandre
+à Lille. Le premier volume, dont nous avons rendu compte à l'époque de
+sa publication, s'arrêtait a l'année 1214. Le second et dernier, qui
+vient de paraître, contient l'histoire des règnes de Jeanne de
Constantinople et de Fernand de Portugal (1214-1233), de Jeanne de
Constantinople et de Thomas de Savoie (1233-1244), de Marguerite de
Constantinople (1244-1279), de Gui de Dampierre (1280-1304), de Robert
-de Béthune (1304-1322), de Louis de Nevers ou de Creci (1322-1346), et
+de Béthune (1304-1322), de Louis de Nevers ou de Creci (1322-1346), et
enfin de Louis de Male (1346-1383). En 1583 Louis de Maie mourut, dit M.
-Edward le Glay, et le comté de Flandre fut dévolu à Philippe le Hardi et
-à la duchesse, sa femme, chef de cette illustre maison de Bourgogne dont
-les destinées se confondirent plus tard avec celles du monde entier.</p>
+Edward le Glay, et le comté de Flandre fut dévolu à Philippe le Hardi et
+à la duchesse, sa femme, chef de cette illustre maison de Bourgogne dont
+les destinées se confondirent plus tard avec celles du monde entier.</p>
-<p>Ces deux volumes, fruit de longues et patientes études, sont remplis de
-faits puisés, avec une remarquable sagacité, aux sources les moins
+<p>Ces deux volumes, fruit de longues et patientes études, sont remplis de
+faits puisés, avec une remarquable sagacité, aux sources les moins
connues et les plus authentiques. Toutefois, nous nous permettrons
-d'adresser à M. Edward le Glay un reproche que du reste il s'est déjà
-fait à lui-même en terminant son second volume: on éprouve souvent, en
-lisant cet ouvrage, un vif désir de voir s'interrompre temporairement le
-récit trop monotone de ces guerres, révoltes et négociations
+d'adresser à M. Edward le Glay un reproche que du reste il s'est déjà
+fait à lui-même en terminant son second volume: on éprouve souvent, en
+lisant cet ouvrage, un vif désir de voir s'interrompre temporairement le
+récit trop monotone de ces guerres, révoltes et négociations
interminables qui suffisaient bien, dit-il, pour occuper l'historien
-tout entier. «Parfois, ajoute-t-il, nous regrettions de ne pouvoir faire
-une pause, afin de contempler à l'aise, les autres mouvements qui
-s'opéraient autour de nous; mais nous ne pouvions suspendre notre
-marche, sous peine de disparaître dans le torrent qui débordait
-toujours.» Que M. Edward le Glay cesse donc d'avoir de pareilles
+tout entier. «Parfois, ajoute-t-il, nous regrettions de ne pouvoir faire
+une pause, afin de contempler à l'aise, les autres mouvements qui
+s'opéraient autour de nous; mais nous ne pouvions suspendre notre
+marche, sous peine de disparaître dans le torrent qui débordait
+toujours.» Que M. Edward le Glay cesse donc d'avoir de pareilles
craintes, s'il publie jamais un autre ouvrage historique. Il l'avoue
-lui-même: «La Flandre n'a pas été seulement un théâtre de guerres, de
-dissensions intestines, de soulèvements populaires; sa prospérité
-matérielle, ses progrès intellectuels et moraux pourraient fournir à une
-plume moins inhabile le sujet d'un tableau magnifique.» Le tableau, il
+lui-même: «La Flandre n'a pas été seulement un théâtre de guerres, de
+dissensions intestines, de soulèvements populaires; sa prospérité
+matérielle, ses progrès intellectuels et moraux pourraient fournir à une
+plume moins inhabile le sujet d'un tableau magnifique.» Le tableau, il
ne devait pas se contenter de l'esquisser en quelques pages, ci nous lui
pardonnons d'autant moins d'avoir omis, par une fausse modestie, de le
-peindre dans tous ses détails, que ses efforts eussent certainement été
-couronnés d'un plein succès.</p>
+peindre dans tous ses détails, que ses efforts eussent certainement été
+couronnés d'un plein succès.</p>
<br>
-<p><i>Essai historique, sur l'origine des Hongrois</i>; par A. de Gérando. 1
+<p><i>Essai historique, sur l'origine des Hongrois</i>; par A. de Gérando. 1
vol. in-8 de 164 pages.--Paris, 1844. Imprimeurs-Unis.</p>
-<p>La question de l'origine des Hongrois a été diversement résolue.
-Jornandès fait descendre les Hons des femmes que Filimer, roi des Goths,
-chassa de son armée, parce qu'elles entretenaient un commerce avec les
-démons. Cette origine diabolique, qui s'est étendue aux Hongrois, a eu
-plus de défenseurs qu'on ne serait tenté de le croire; et, bien après
-Jornandès, un écrivain ne trouvait pas d'autre moyen d'expliquer le mot
-<i>magyar</i> qu'en le faisant dériver de <i>magus</i>, magicien. Les uns disent
+<p>La question de l'origine des Hongrois a été diversement résolue.
+Jornandès fait descendre les Hons des femmes que Filimer, roi des Goths,
+chassa de son armée, parce qu'elles entretenaient un commerce avec les
+démons. Cette origine diabolique, qui s'est étendue aux Hongrois, a eu
+plus de défenseurs qu'on ne serait tenté de le croire; et, bien après
+Jornandès, un écrivain ne trouvait pas d'autre moyen d'expliquer le mot
+<i>magyar</i> qu'en le faisant dériver de <i>magus</i>, magicien. Les uns disent
que les Hongrois sont des Lapons, les autres soutiennent qu'ils sont
-Kalmoucks, et pensent donner plus de force à leur opinion en invoquant
+Kalmoucks, et pensent donner plus de force à leur opinion en invoquant
une ressemblance de physionomie imaginaire. Les Hongrois sont d'origine
turque, dit-on encore; leur langue le prouve; les Turcs les appellent
-toujours «mauvais frères,» parce qu'ils leur ont ferme l'entrée de
+toujours «mauvais frères,» parce qu'ils leur ont ferme l'entrée de
l'Europe. Un autre les confond avec les Huns et les fait venir du
-Caucase sous le nom de Zawar. D'autres, enfin, les nomment Philistéens
-ou Parthes, et leur donnent la Juhrie ou Géorgie pour patrie.</p>
+Caucase sous le nom de Zawar. D'autres, enfin, les nomment Philistéens
+ou Parthes, et leur donnent la Juhrie ou Géorgie pour patrie.</p>
-<p>«Les quinze ou vingt noms différents que, dans diverses langues, les
-chroniqueurs ont donnés aux Hongrois, augmentent encore, dit M. A. de
-Gérando, les difficultés qui entourent nécessairement une question de ce
-genre, quand on veut rechercher leurs traces dans l'histoire.»</p>
+<p>«Les quinze ou vingt noms différents que, dans diverses langues, les
+chroniqueurs ont donnés aux Hongrois, augmentent encore, dit M. A. de
+Gérando, les difficultés qui entourent nécessairement une question de ce
+genre, quand on veut rechercher leurs traces dans l'histoire.»</p>
-<p>Lorsque M. de Gérando alla, il y a peu de temps, visiter la Hongrie,
+<p>Lorsque M. de Gérando alla, il y a peu de temps, visiter la Hongrie,
il ne se proposait pas de rechercher les origines des Hongrois; mais il
-lui fut impossible de faire un long séjour dans le pays sans étudier
-cette question historique, l'une de celles qui intéressent au plus haut
-point les voyageurs. Il était arrivé avec des idées toutes faites; il
-publie aujourd'hui celles qu'il a rapportées. Il espère qu'elles
+lui fut impossible de faire un long séjour dans le pays sans étudier
+cette question historique, l'une de celles qui intéressent au plus haut
+point les voyageurs. Il était arrivé avec des idées toutes faites; il
+publie aujourd'hui celles qu'il a rapportées. Il espère qu'elles
obtiendront la confiance du lecteur, car ce ne sont pas les siennes,
-elles appartiennent aux Hongrois eux-mêmes.</p>
+elles appartiennent aux Hongrois eux-mêmes.</p>
-<p>M. A. de Gérando se pose d'abord cette question: les Hongrois sont-ils
+<p>M. A. de Gérando se pose d'abord cette question: les Hongrois sont-ils
Finnois? Puis il passe successivement en revue les traditions
hongroises, les relations des historiens nationaux et celles des
-historiens étrangers; il établit ensuite un parallèle entre les Huns,
+historiens étrangers; il établit ensuite un parallèle entre les Huns,
les Avars et les Hongrois. Enfin il montre la marche suivie par les
-Hongrois, et le résumé général de cette dissertation se termine ainsi:
-«Nous nous sommes donc convaincu que la nation hunnique se rattache à ce
+Hongrois, et le résumé général de cette dissertation se termine ainsi:
+«Nous nous sommes donc convaincu que la nation hunnique se rattache à ce
groupe nombreux de peuples nomades que les historiens orientaux
-appellent indistinctement Turcs, c'est-à-dire émigrants, et qui errèrent
-longtemps dans l'Asie centrale; peuples qui furent refoulés par la race
-mongolique, se jetèrent en partie sur l'Europe, en partie sur l'Asie
+appellent indistinctement Turcs, c'est-à-dire émigrants, et qui errèrent
+longtemps dans l'Asie centrale; peuples qui furent refoulés par la race
+mongolique, se jetèrent en partie sur l'Europe, en partie sur l'Asie
occidentale, et dont les plus fameux sont aujourd'hui les Afghans, les
-Persans, les Tcherkesses et les Ottomans.»</p>
+Persans, les Tcherkesses et les Ottomans.»</p>
-<p>Dans le préambule, M. V. de Gérando s'est attaché à faire ressortir
-<i>l'importance politique</i> que l'on peut donner à une question en
-apparence purement spéculative. S'il était prouvé, en effet, comme
+<p>Dans le préambule, M. V. de Gérando s'est attaché à faire ressortir
+<i>l'importance politique</i> que l'on peut donner à une question en
+apparence purement spéculative. S'il était prouvé, en effet, comme
l'affirme Schluzer, que les Hongrois sont ou Finnois ou Slaves, les
-empereurs de Russie pourraient, dans un avenir qui peut-être n'est pas
-éloigné, élever des prétentions sur le royaume de Hongrie, ou au moins
+empereurs de Russie pourraient, dans un avenir qui peut-être n'est pas
+éloigné, élever des prétentions sur le royaume de Hongrie, ou au moins
le comprendre entre les pays sur lesquels, comme chefs de la grande
famille slave, et de la grande famille finnoise, ils ont l'ambition
d'exercer leur influence.</p>
<br>
-<p><i>Wilhelm Meister de Goethe</i>, traduction complète et nouvelle; par madame
+<p><i>Wilhelm Meister de Goethe</i>, traduction complète et nouvelle; par madame
la baronne A. de Carlowitz.--Paris, 1843. <i>Charpentier</i>. 2 vol. in-18. 3
fr. 50 c. le volume.</p>
-<p><i>Poésies de Goethe</i>, traduites par Henri Blaze, avec une Introduction du
+<p><i>Poésies de Goethe</i>, traduites par Henri Blaze, avec une Introduction du
traducteur.--Paris, 1843. <i>Charpentier</i>. 1 vol. in-18. 3 fr. 50 c.</p>
-<p><i>Mémoires de Benvenuto Cellini</i>, orfèvre et sculpteur florentin, écrits
-par lui-même et traduits par Léopold Laclanche, traducteur de
+<p><i>Mémoires de Benvenuto Cellini</i>, orfèvre et sculpteur florentin, écrits
+par lui-même et traduits par Léopold Laclanche, traducteur de
Vasari.--Paris 1844. <i>Jules Lafitte</i>. 1 vol. in-18. 3 fr. 50 c.</p>
-<p>Deux de ces ouvrages datent de l'année dernière; mais le Bulletin
-bibliographique de <i>l'Illustration</i> de 1843 a oublié de leur accorder la
+<p>Deux de ces ouvrages datent de l'année dernière; mais le Bulletin
+bibliographique de <i>l'Illustration</i> de 1843 a oublié de leur accorder la
mention honorable dont ils sont dignes. C'est une dette qu'il lui
-tardait d'acquitter. Le troisième n'a pas le droit de se plaindre d'un
-trop long retard, car il existe depuis deux mois à peine.</p>
-
-<p>De Goethe, de son <i>roman</i> et de ses <i>poésies</i>, de Benvenuto Cellini et
-de ses <i>Mémoires</i>, nous n'avons pas à nous en occuper ici; parlons
-seulement des traducteurs, ou plutôt des traductions.</p>
-
-<p>Madame la baronne A. de Carlowitz est déjà connue dans le monde
-littéraire par sa traduction de la <i>Messiade de Klopstock</i>, qui lui
-avait valu un prix de l'Académie française. Si madame la baronne A. de
-Carlowitz avait envoyé au concours l'ouvrage que nous avons sous les
-yeux, aurait-elle obtenu la même récompense? Nous en doutons. Bien qu'il
-ait écrit <i>Wilhelm Meister</i> en prose, Goethe méritait plus d'égards de
-la part de son traducteur. C'est un de ces hommes de génie dont un peut
-ne pas aimer le caractère et ne pas admirer le talent, mais dont on doit
+tardait d'acquitter. Le troisième n'a pas le droit de se plaindre d'un
+trop long retard, car il existe depuis deux mois à peine.</p>
+
+<p>De Goethe, de son <i>roman</i> et de ses <i>poésies</i>, de Benvenuto Cellini et
+de ses <i>Mémoires</i>, nous n'avons pas à nous en occuper ici; parlons
+seulement des traducteurs, ou plutôt des traductions.</p>
+
+<p>Madame la baronne A. de Carlowitz est déjà connue dans le monde
+littéraire par sa traduction de la <i>Messiade de Klopstock</i>, qui lui
+avait valu un prix de l'Académie française. Si madame la baronne A. de
+Carlowitz avait envoyé au concours l'ouvrage que nous avons sous les
+yeux, aurait-elle obtenu la même récompense? Nous en doutons. Bien qu'il
+ait écrit <i>Wilhelm Meister</i> en prose, Goethe méritait plus d'égards de
+la part de son traducteur. C'est un de ces hommes de génie dont un peut
+ne pas aimer le caractère et ne pas admirer le talent, mais dont on doit
respecter religieusement les ouvrages. Or, madame la baronne de
-Carlowitz se permet trop souvent d'altérer la pensée ou de corriger le
-style du grand poète allemand. De pareilles prétentions ne sont que
-ridicules. Du reste, si nous oublions cette déplorable manie, nous
-n'avons que des éloges à donner à madame la baronne de Carlowitz.
+Carlowitz se permet trop souvent d'altérer la pensée ou de corriger le
+style du grand poète allemand. De pareilles prétentions ne sont que
+ridicules. Du reste, si nous oublions cette déplorable manie, nous
+n'avons que des éloges à donner à madame la baronne de Carlowitz.
Lorsqu'on ne la compare pas au texte original, sa traduction,
-suffisamment élégante et correcte, se fait lire avec plaisir. En outre,
-elle a l'avantage d'être la plus complète qui existe. La deuxième partie
-de <i>Wilhelm Meister</i>, les <i>Années de voyage</i>, formant le deuxième
-volume, n'avait jamais de traduite en français.</p>
+suffisamment élégante et correcte, se fait lire avec plaisir. En outre,
+elle a l'avantage d'être la plus complète qui existe. La deuxième partie
+de <i>Wilhelm Meister</i>, les <i>Années de voyage</i>, formant le deuxième
+volume, n'avait jamais de traduite en français.</p>
-<p>Les <i>Poésies</i> de Goethe sont également traduites pour la première fois
-en français. Leur traducteur est M. Henri Blaze (sur la couverture), qui
+<p>Les <i>Poésies</i> de Goethe sont également traduites pour la première fois
+en français. Leur traducteur est M. Henri Blaze (sur la couverture), qui
devient dans le titre de l'ouvrage le baron Henri Blaze, et dans la
-dédicace le baron Blaze de Bury. Elles se composent de <i>lieds</i>, de
-<i>ballades</i>, d'<i>odes</i>, d'<i>élégies</i>, d'<i>épîtres</i>, de <i>poésies diverses</i>,
-du premier chant de l'<i>Achilléide</i>, de <i>Prométhée</i>, de la cantate
-intitulée <i>la Première Nuit de Walpurgis</i>, et du <i>Divan
+dédicace le baron Blaze de Bury. Elles se composent de <i>lieds</i>, de
+<i>ballades</i>, d'<i>odes</i>, d'<i>élégies</i>, d'<i>épîtres</i>, de <i>poésies diverses</i>,
+du premier chant de l'<i>Achilléide</i>, de <i>Prométhée</i>, de la cantate
+intitulée <i>la Première Nuit de Walpurgis</i>, et du <i>Divan
oriental-occidental</i>. M. le baron Henri Blaze termine ainsi
-l'introduction qu'il a mise en tête de sa traduction: «Nous venons de le
-voir, la lyre de Goethe a toutes les cordes: l'antiquité, le moyen âge,
-l'ère moderne, tout lui est bon; de chaque sujet, de chaque genre et de
-chaque forme, il ne veut que le miel... Après cela, nous reconnaissons
-aussi bien que personne les inconvénients de cette universalité dans la
-création; le dilettantisme se donne trop souvent carrière aux dépens du
-sentiment, et l'alliage de convention remplace l'or de bon aloi. Puis, à
-force d'avoir excellé ainsi dans tous les genres, on finit par ne plus
-pouvoir être classé dans aucun. Ainsi Goethe n'est ni un poète épique,
-dramatique ou didactique, il est tout cela; mieux encore, il est poète
-dans le sens absolu au mot.»</p>
-
-<p>M. le baron Henri Blaze n'appartient pas à cette école de traducteurs
+l'introduction qu'il a mise en tête de sa traduction: «Nous venons de le
+voir, la lyre de Goethe a toutes les cordes: l'antiquité, le moyen âge,
+l'ère moderne, tout lui est bon; de chaque sujet, de chaque genre et de
+chaque forme, il ne veut que le miel... Après cela, nous reconnaissons
+aussi bien que personne les inconvénients de cette universalité dans la
+création; le dilettantisme se donne trop souvent carrière aux dépens du
+sentiment, et l'alliage de convention remplace l'or de bon aloi. Puis, à
+force d'avoir excellé ainsi dans tous les genres, on finit par ne plus
+pouvoir être classé dans aucun. Ainsi Goethe n'est ni un poète épique,
+dramatique ou didactique, il est tout cela; mieux encore, il est poète
+dans le sens absolu au mot.»</p>
+
+<p>M. le baron Henri Blaze n'appartient pas à cette école de traducteurs
dans laquelle madame la baronne A. de Carlowitz s'est si maladroitement
-rangée. Ce n'est pas lui qui, comme Rivarol, rendrait ce vers si beau
-et si connu de la Divine Comédie:</p>
+rangée. Ce n'est pas lui qui, comme Rivarol, rendrait ce vers si beau
+et si connu de la Divine Comédie:</p>
- <p class="mid">Et ce jour-là nous ne lûmes pas davantage,</p>
+ <p class="mid">Et ce jour-là nous ne lûmes pas davantage,</p>
-<p>par cette périphrase absurde: «Et nous laissâmes échapper le livre qui
-nous apprit le mystère de l'amour,» ou qui, désirant nous apprendre que
-Bidon «se tua par amour,» selon l'expression de Dante, s'écrierait avec
-emphase: «Elle coupa la trame amoureuse de sa vie.» Rendons-lui cette
-justice: non-seulement il a toujours compris les poésies de Goethe, mais
+<p>par cette périphrase absurde: «Et nous laissâmes échapper le livre qui
+nous apprit le mystère de l'amour,» ou qui, désirant nous apprendre que
+Bidon «se tua par amour,» selon l'expression de Dante, s'écrierait avec
+emphase: «Elle coupa la trame amoureuse de sa vie.» Rendons-lui cette
+justice: non-seulement il a toujours compris les poésies de Goethe, mais
il les a bien traduites. Sa prose ne dit ni plus ni moins que ce que
-disent les vers; les expressions difficiles à trouver sont heureusement
-choisies; en un mot, on sent, en comparant la copie à l'original, que
-cet ingrat et difficile travail a été fait avec conscience et avec
+disent les vers; les expressions difficiles à trouver sont heureusement
+choisies; en un mot, on sent, en comparant la copie à l'original, que
+cet ingrat et difficile travail a été fait avec conscience et avec
esprit.</p>
-<p>Benvenuto Cellini a eu le même bonheur pour ses <i>Mémoires</i> que Goethe
-pour ses <i>Poésies</i>. L'élégant et fidèle traducteur de Vasari, M. Leopold
-Laclanche, était plus capable qu'aucun autre écrivain de traduire cette
+<p>Benvenuto Cellini a eu le même bonheur pour ses <i>Mémoires</i> que Goethe
+pour ses <i>Poésies</i>. L'élégant et fidèle traducteur de Vasari, M. Leopold
+Laclanche, était plus capable qu'aucun autre écrivain de traduire cette
curieuse autographie, qui ne manquera jamais de lecteurs tant que la
-langue italienne et maintenant la langue française continueront
+langue italienne et maintenant la langue française continueront
d'exister.</p>
<br>
-<p><i>Un Courroux de Poète</i>; par Constant Hilbey, ouvrier. 1 vol.
+<p><i>Un Courroux de Poète</i>; par Constant Hilbey, ouvrier. 1 vol.
in-18.--Paris, 1844, <i>Martinon</i>.</p>
-<p>C'est avec une joie sincère que nous voyons la poésie pénétrer chaque
-jour plus avant dans le coeur du peuple: en y développant de légitimés
-espérances, elle y maintiendra, nous en sommes sûr, elle y exaltera
-l'amour du travail. Mais nous n'accordons cette pleine sympathie à la
-poésie des classes laborieuses que lorsqu'elle ne se dépouille pas
-volontairement de son austère simplicité pour revêtir nous ne savons
-quelles formes banales, quelles couleurs vulgaires empruntées aux albums
-ou aux almanachs. Ainsi nous avouons franchement à M. Hilbey que nous
-n'aimons guère à voir un ouvrier se mettre en coquetterie déclarée avec
-sa muse, l'appeler traîtresse, et jouer avec elle une des scènes du
-<i>Mariage enfantin</i>. Ces choses-là ne sont pas de celles qui pourraient
-nous émouvoir; les ouvriers-poètes ont d'autres secrets à nous révéler.
-Que M. Hilbey lise le dernier volume de M Poney, la belle ode adressée
-aux maçons, ses camarades, et il comprendra peut-être quelles cordes il
+<p>C'est avec une joie sincère que nous voyons la poésie pénétrer chaque
+jour plus avant dans le coeur du peuple: en y développant de légitimés
+espérances, elle y maintiendra, nous en sommes sûr, elle y exaltera
+l'amour du travail. Mais nous n'accordons cette pleine sympathie à la
+poésie des classes laborieuses que lorsqu'elle ne se dépouille pas
+volontairement de son austère simplicité pour revêtir nous ne savons
+quelles formes banales, quelles couleurs vulgaires empruntées aux albums
+ou aux almanachs. Ainsi nous avouons franchement à M. Hilbey que nous
+n'aimons guère à voir un ouvrier se mettre en coquetterie déclarée avec
+sa muse, l'appeler traîtresse, et jouer avec elle une des scènes du
+<i>Mariage enfantin</i>. Ces choses-là ne sont pas de celles qui pourraient
+nous émouvoir; les ouvriers-poètes ont d'autres secrets à nous révéler.
+Que M. Hilbey lise le dernier volume de M Poney, la belle ode adressée
+aux maçons, ses camarades, et il comprendra peut-être quelles cordes il
faut faire vibrer pour nous rendre attentifs.</p>
-<p>Nous pourrions encore reprocher à l'auteur d'<i>Un Courroux de Poète</i> le
-titre du son livre, titre qui a le double but d'afficher une prétention
-et un défaut de caractère. Mais nous préférons rendre justice au mérite
-de quelques-unes des pièces de son Recueil. Ainsi nous citons volontiers
-l'<i>Adieu au village natal</i>, la <i>Pièce à Gilbert</i>, celle intitulée
-<i>Fécamp</i>, parce qu'elles nous paraissent inspirées par des sentiments
+<p>Nous pourrions encore reprocher à l'auteur d'<i>Un Courroux de Poète</i> le
+titre du son livre, titre qui a le double but d'afficher une prétention
+et un défaut de caractère. Mais nous préférons rendre justice au mérite
+de quelques-unes des pièces de son Recueil. Ainsi nous citons volontiers
+l'<i>Adieu au village natal</i>, la <i>Pièce à Gilbert</i>, celle intitulée
+<i>Fécamp</i>, parce qu'elles nous paraissent inspirées par des sentiments
vrais.</p>
<br>
-<p><i>Plan détaillé de La Rochelle et de ses environs</i>, accompagné d'une
-Notice historique; par M. Guy, capitaine au 13e de ligne, à
+<p><i>Plan détaillé de La Rochelle et de ses environs</i>, accompagné d'une
+Notice historique; par M. Guy, capitaine au 13e de ligne, à
Rochefort.--Chez madame <i>Theze</i>, imprimeur-libraire.</p>
-<p><i>Le Plan de La Rochelle</i> a surtout un intérêt local; la Notice qui
-l'accompagne et qui est, dans des limites trop resserrées, l'histoire
-même de la ville, a un intérêt général d'autant plus grand, que le nom
-de La Rochelle est lié à des événements considérables de l'histoire de
-France. M. Guy fait une revue rapide de ces événements parmi lesquels
-figure en première ligne, par sa durée et son importance, la lutte que
-cette ville soutint dans l'intérêt de la reforme protestante de 1568 à
-1628, époque de sa soumission au roi Louis XIII, après le siège
-mémorable dont la gloire, comme les cruautés qui l'accompagnèrent,
+<p><i>Le Plan de La Rochelle</i> a surtout un intérêt local; la Notice qui
+l'accompagne et qui est, dans des limites trop resserrées, l'histoire
+même de la ville, a un intérêt général d'autant plus grand, que le nom
+de La Rochelle est lié à des événements considérables de l'histoire de
+France. M. Guy fait une revue rapide de ces événements parmi lesquels
+figure en première ligne, par sa durée et son importance, la lutte que
+cette ville soutint dans l'intérêt de la reforme protestante de 1568 à
+1628, époque de sa soumission au roi Louis XIII, après le siège
+mémorable dont la gloire, comme les cruautés qui l'accompagnèrent,
reviennent au cardinal de Richelieu. Cette publication, faite avec
-beaucoup de luxe, a reçu les encouragements du conseil municipal de La
+beaucoup de luxe, a reçu les encouragements du conseil municipal de La
Rochelle et des plus notables habitants de cette ville.</p>
<br>
-<p><i>Notice sur le monument érigé à Paris par souscription à la gloire de
-Molière</i>, suivie de pièces justificatives et de la liste générale des
-souscripteurs; publiée par la commission de souscription.--Paris.
-<i>Perrolin</i>, 1844. In-8º.</p>
-
-<p>Il faut en vérité plus que du courage à la commission du monument du
-Molière pour venir encore affronter la critique. Combien l'oeuvre
-qu'elle a entreprise et menée à fin ne lui a-t-elle pas attiré de
-mordantes épigrammes et de méchancetés attiques! Quel succès a eu le
-malin farceur qui, le premier, a trouvé et dit que M. Regnier avait
-inventé Molière! Qu'il y a donc, dans une certaine presse, et surtout
-dans de certains feuilletons des loustics aimables et de satanés
-critiques! Si vous survivez aux traits de ces espiègles, vous avez la
-vie dure ou la peau bien cuirassée. M. Regnier fait semblant de n'être
-pas mort, et d'être applaudi tous les soirs; la commission fait semblant
-de vivre et d'avoir accompli la tâche qu'elle avait entreprise, et que
-tant d'autres avant elle avaient laissée inachevée; mais tout cela n'est
-qu'un jeu joué. Il n'y a de vivant que le feuilleton, né malin, et malin
+<p><i>Notice sur le monument érigé à Paris par souscription à la gloire de
+Molière</i>, suivie de pièces justificatives et de la liste générale des
+souscripteurs; publiée par la commission de souscription.--Paris.
+<i>Perrolin</i>, 1844. In-8º.</p>
+
+<p>Il faut en vérité plus que du courage à la commission du monument du
+Molière pour venir encore affronter la critique. Combien l'oeuvre
+qu'elle a entreprise et menée à fin ne lui a-t-elle pas attiré de
+mordantes épigrammes et de méchancetés attiques! Quel succès a eu le
+malin farceur qui, le premier, a trouvé et dit que M. Regnier avait
+inventé Molière! Qu'il y a donc, dans une certaine presse, et surtout
+dans de certains feuilletons des loustics aimables et de satanés
+critiques! Si vous survivez aux traits de ces espiègles, vous avez la
+vie dure ou la peau bien cuirassée. M. Regnier fait semblant de n'être
+pas mort, et d'être applaudi tous les soirs; la commission fait semblant
+de vivre et d'avoir accompli la tâche qu'elle avait entreprise, et que
+tant d'autres avant elle avaient laissée inachevée; mais tout cela n'est
+qu'un jeu joué. Il n'y a de vivant que le feuilleton, né malin, et malin
bien redoutable.</p>
<p>La commission, ou son ombre, a eu la bizarrerie de penser que tout ce
-qui s'est imprimé dans les journaux, à l'occasion de l'érection de la
-statue de Molière, ne devait pas l'empêcher de publier un recueil
-officiel des actes qui avaient précédé et marqué cette cérémonie. C'est
+qui s'est imprimé dans les journaux, à l'occasion de l'érection de la
+statue de Molière, ne devait pas l'empêcher de publier un recueil
+officiel des actes qui avaient précédé et marqué cette cérémonie. C'est
encore un ridicule de sa part, car elle ne pouvait se flatter de trouver
-jamais d'aussi jolies choses que celles que ses critiques ont imprimées
-et lues eux-mêmes.</p>
+jamais d'aussi jolies choses que celles que ses critiques ont imprimées
+et lues eux-mêmes.</p>
-<p>Est-ce elle qui aurait jamais trouvé, par exemple, qu'en 1673, Louis
-XIV, quoique vieilli, et tombé sous l'influence de madame de Maintenon,
+<p>Est-ce elle qui aurait jamais trouvé, par exemple, qu'en 1673, Louis
+XIV, quoique vieilli, et tombé sous l'influence de madame de Maintenon,
donna ordre qu'on conduisit les restes de l'auteur de Tartuffe au
-cimetière Saint-Joseph?» Cette pauvre commission aurait cru, comme
+cimetière Saint-Joseph?» Cette pauvre commission aurait cru, comme
beaucoup d'autres, qu'en 1673, Louis XIV, <i>quoique vieilli</i>, n'avait que
-trente-quatre ans, et que, <i>quoique tombé sous l'influence de madame de
-Maintenon</i>, il n'était encore que l'amant de madame de Montespan, avant
-de passer à mademoiselle de Fontanges, qui n'avait encore alors que
-douze ans. Mais le feuilleton a changé tout cela.</p>
+trente-quatre ans, et que, <i>quoique tombé sous l'influence de madame de
+Maintenon</i>, il n'était encore que l'amant de madame de Montespan, avant
+de passer à mademoiselle de Fontanges, qui n'avait encore alors que
+douze ans. Mais le feuilleton a changé tout cela.</p>
-<p>Est-ce elle qui aurait jamais songé à écrire la <i>Vie de Molière après sa
+<p>Est-ce elle qui aurait jamais songé à écrire la <i>Vie de Molière après sa
mort</i>, ouvrage curieux, si nous en croyons son auteur qui nous
-l'annonce, et qui, pour nous donner un avant-goût du son exactitude
-historique, nous montre Boileau, Chapelle, Bernier et <i>Ménage</i>, vivant
-intimement entre eux et avec Molière, et suivant seuls son cercueil. La
-commission aurait à coup sûr pensé que si Ménage, le Vadius des <i>Femmes
-savantes</i> le détracteur acharné du <i>Misanthrope</i>, avait suivi le convoi
-de Molière, ce n'eût été que pour chercher à précipiter Boileau dans la
-même fosse. Mais les revues ont change tout cela.</p>
-
-<p>On a dit à la pauvre commission qu'au lieu de s'amuser à écrire, elle
-aurait dû s'exercer à mieux lire, et, s'apercevoir, avant que la statue
-fût découverte, que dans la nomenclature gravée des pièces de Molière,
-le praticien de M. Pradier avait mis deux <i>r</i> à l'avare. Le critique a
-eu les yeux attirés sur la lettre coupable par le travail de l'ouvrier
-occupe à la faire disparaître le lendemain de l'inauguration. «Ce n'est
-cependant pas faute de lunettes,» a-t-il dit à la commission, avec plus
-de bon goût que d'exactitude. Les lunettes, il le sait bien, ne font pas
+l'annonce, et qui, pour nous donner un avant-goût du son exactitude
+historique, nous montre Boileau, Chapelle, Bernier et <i>Ménage</i>, vivant
+intimement entre eux et avec Molière, et suivant seuls son cercueil. La
+commission aurait à coup sûr pensé que si Ménage, le Vadius des <i>Femmes
+savantes</i> le détracteur acharné du <i>Misanthrope</i>, avait suivi le convoi
+de Molière, ce n'eût été que pour chercher à précipiter Boileau dans la
+même fosse. Mais les revues ont change tout cela.</p>
+
+<p>On a dit à la pauvre commission qu'au lieu de s'amuser à écrire, elle
+aurait dû s'exercer à mieux lire, et, s'apercevoir, avant que la statue
+fût découverte, que dans la nomenclature gravée des pièces de Molière,
+le praticien de M. Pradier avait mis deux <i>r</i> à l'avare. Le critique a
+eu les yeux attirés sur la lettre coupable par le travail de l'ouvrier
+occupe à la faire disparaître le lendemain de l'inauguration. «Ce n'est
+cependant pas faute de lunettes,» a-t-il dit à la commission, avec plus
+de bon goût que d'exactitude. Les lunettes, il le sait bien, ne font pas
toujours bien voir; et cela est si vrai que nous avons eu beau en
mettre, nous n'avons pu trouver, dans la liste de souscription, le nom
-de tel auteur, connu, dit-on, au théâtre par des chefs-d'oeuvre,
-très-zélé, comme on le voit, pour la gloire de Molière, et qui,
-certainement, n'aura pas cru qu'il était injuste d'élever une statue à
-l'auteur du <i>Misanthrope</i> avant de songer à lui. Le pays est excusable:
+de tel auteur, connu, dit-on, au théâtre par des chefs-d'oeuvre,
+très-zélé, comme on le voit, pour la gloire de Molière, et qui,
+certainement, n'aura pas cru qu'il était injuste d'élever une statue à
+l'auteur du <i>Misanthrope</i> avant de songer à lui. Le pays est excusable:
il a suivi l'ordre chronologique.</p>
-<p>Nous imiterons l'exemple général, et nous adresserons, nous ausi, notre
-reproche à la commission, ou du moins à son secrétaire: pourquoi, dans
-sa Notice, a-t-on imprimé le mot Tartuffe avec un seul <i>f!</i> Nous savons
-bien que l'Académie, dont nous ignorons les raisons, l'orthographie
-ainsi; mais Molière ayant créé le mot, et lui en ayant toujours donné
+<p>Nous imiterons l'exemple général, et nous adresserons, nous ausi, notre
+reproche à la commission, ou du moins à son secrétaire: pourquoi, dans
+sa Notice, a-t-on imprimé le mot Tartuffe avec un seul <i>f!</i> Nous savons
+bien que l'Académie, dont nous ignorons les raisons, l'orthographie
+ainsi; mais Molière ayant créé le mot, et lui en ayant toujours donné
deux, il est naturel de penser que ses raisons valaient bien celles de
-l'Académie. Le besoin du vers a seul déterminé La Fontaine à écrire,
+l'Académie. Le besoin du vers a seul déterminé La Fontaine à écrire,
dans sa fable du <i>Chat et le Renard</i>:</p>
- <p> C'étaient deux vrais tartufs, deux archi-patelins.</p>
+ <p> C'étaient deux vrais tartufs, deux archi-patelins.</p>
-<p>Mais la poésie a des licences que ne comportent ni un dictionnaire ni
+<p>Mais la poésie a des licences que ne comportent ni un dictionnaire ni
une notice.</p>
<br><br>
@@ -3088,21 +3052,21 @@ une notice.</p>
<hr class="full">
<p>Le Roi et LL. AA. RR. madame la princesse Adelaide et madame la duchesse
-d'Orléans viennent de souscrire au <i>Dictionnaire historique et
-administratif des Rues et Monuments de Paris</i>, par MM. Félix et Louis,
+d'Orléans viennent de souscrire au <i>Dictionnaire historique et
+administratif des Rues et Monuments de Paris</i>, par MM. Félix et Louis,
Lazare.</p>
<hr class="full">
-<p>En publiant dans le dernier numéro de <i>l'Illustration</i>, un article sur
-le Vésuve, extrait du Voyage des docteurs Magendie et Constantin James,
-nous avons omis d'indiquer que cet article était dû à la plume de M.
+<p>En publiant dans le dernier numéro de <i>l'Illustration</i>, un article sur
+le Vésuve, extrait du Voyage des docteurs Magendie et Constantin James,
+nous avons omis d'indiquer que cet article était dû à la plume de M.
James, qui avait bien voulu nous faire cette obligeante communication.</p>
<hr class="full">
<br>
-<p class="mid"><img alt="" src="images/008a.png"><br><b>Allégorie de Mars.--Le Bélier.</b></p>
+<p class="mid"><img alt="" src="images/008a.png"><br><b>Allégorie de Mars.--Le Bélier.</b></p>
<br><br>
@@ -3112,87 +3076,87 @@ James, qui avait bien voulu nous faire cette obligeante communication.</p>
<p class="mid"><img alt="" src="images/008b.png"></p>
-<p>Le deuil répand, sur les représentations de l'Opéra et des Italiens,
+<p>Le deuil répand, sur les représentations de l'Opéra et des Italiens,
ordinairement si brillantes, une teinte sombre et triste. En cette
-circonstance, le jais noir, déjà fort à la mode, a repris une nouvelle
-faveur, et nous voyons les plus jolies têtes parées de résilles, de
-bandeaux, ou bien encore d'épingles en jais. Une toilette de deuil
-très-élégante, pour soirée ou spectacle, se compose d'une robe de crêpe
-couverte de deux hauts volants de dentelle posés à plat; un velours,
-large de deux doigts, doit se placer à la tête d'un dessous en pou de
+circonstance, le jais noir, déjà fort à la mode, a repris une nouvelle
+faveur, et nous voyons les plus jolies têtes parées de résilles, de
+bandeaux, ou bien encore d'épingles en jais. Une toilette de deuil
+très-élégante, pour soirée ou spectacle, se compose d'une robe de crêpe
+couverte de deux hauts volants de dentelle posés à plat; un velours,
+large de deux doigts, doit se placer à la tête d'un dessous en pou de
soie, et grande berthe de dentelle; attaches de corsage en jais, au
-nombre de trois ou cinq; et pour coiffure, une résille en jais.</p>
+nombre de trois ou cinq; et pour coiffure, une résille en jais.</p>
-<p>Dans les bals à la Chaussée-d'Antin, nous retrouvons les costumes roses,
-blancs ou bleus; mais la mode de cette année adopte le blanc pour les
-robes légères à deux ou trois jupes, qui ne varient que par les
-différentes fleurs dont elles sont ornées.</p>
+<p>Dans les bals à la Chaussée-d'Antin, nous retrouvons les costumes roses,
+blancs ou bleus; mais la mode de cette année adopte le blanc pour les
+robes légères à deux ou trois jupes, qui ne varient que par les
+différentes fleurs dont elles sont ornées.</p>
-<p>Les robes de soie, telles que damas, pékins satinés ou brochés, sont
+<p>Les robes de soie, telles que damas, pékins satinés ou brochés, sont
plus diverses de couleurs et de formes, quoique la dentelle en soit
-toujours le principal ornement. Ainsi, au bal du Château, les robes
-couvertes de deux volants de dentelle étaient en majorité; d'autres
-avaient des barbes de dentelle arrangées comme on peut le voir sur le
-modèle qu'en donne <i>l'Illustration</i>.</p>
+toujours le principal ornement. Ainsi, au bal du Château, les robes
+couvertes de deux volants de dentelle étaient en majorité; d'autres
+avaient des barbes de dentelle arrangées comme on peut le voir sur le
+modèle qu'en donne <i>l'Illustration</i>.</p>
-<p>Les robes de l'hiver vont bientôt paraître fanées: déjà on fait les
+<p>Les robes de l'hiver vont bientôt paraître fanées: déjà on fait les
corsages moins montant, afin de laisser voir la broderie qui orne les
-devants du fichu; le col, très-petit, est bordé d'une malines qui se
+devants du fichu; le col, très-petit, est bordé d'une malines qui se
continue sur le devant.</p>
-<p>Les chapeaux de velours sont remplacés par les capotes de satin, et le
-cachemire, ce luxe aimé ou envié de toutes les femmes, remplace plus
+<p>Les chapeaux de velours sont remplacés par les capotes de satin, et le
+cachemire, ce luxe aimé ou envié de toutes les femmes, remplace plus
souvent le manteau de velours.</p>
-<p>Le matin, une robe de pékin à raies de satin garnie de passementeries,
-une capote de satin blanc ornée de blondes, un cachemire noir, est un
-costume simple et de bon goût.</p>
-
-<p>Le soir, pour concert ou théâtre: robe de velours ouverte des côtés sur
-un revers de satin pareil, sur lequel sont posés des noeuds de rubans
-diminuant de grosseur en montant vers la taille; petit bord orné de
-plumes. Pour bal: robe de tulle à deux jupes, la seconde relevée par une
-agrafe de trois marguerites variées de couleurs; couronne de
-marguerites; éventail ancien. Ou bien encore: robe à trois jupes en
-crêpe blanc, superposées et bordées de trois franges de jais blanc, de
-hauteurs différentes, la plus petite au jupon de dessus; corsage drapé;
+<p>Le matin, une robe de pékin à raies de satin garnie de passementeries,
+une capote de satin blanc ornée de blondes, un cachemire noir, est un
+costume simple et de bon goût.</p>
+
+<p>Le soir, pour concert ou théâtre: robe de velours ouverte des côtés sur
+un revers de satin pareil, sur lequel sont posés des noeuds de rubans
+diminuant de grosseur en montant vers la taille; petit bord orné de
+plumes. Pour bal: robe de tulle à deux jupes, la seconde relevée par une
+agrafe de trois marguerites variées de couleurs; couronne de
+marguerites; éventail ancien. Ou bien encore: robe à trois jupes en
+crêpe blanc, superposées et bordées de trois franges de jais blanc, de
+hauteurs différentes, la plus petite au jupon de dessus; corsage drapé;
couronne de roses et de raisins.</p>
<br><br>
<h2>Correspondance.</h2>
-<p><i>A M. L. P., à Lyon</i>.--Votre lettre est envoyée au dessinateur.</p>
+<p><i>A M. L. P., à Lyon</i>.--Votre lettre est envoyée au dessinateur.</p>
-<p><i>A M. H. B., à Ely (Angleterre)</i>.--Nous ne pouvons insérer votre lettre;
+<p><i>A M. H. B., à Ely (Angleterre)</i>.--Nous ne pouvons insérer votre lettre;
mais nous profiterons de vos bons conseils.</p>
-<p><i>A M. Z., à Saint-Diè</i>.--La <i>Table des Matières</i> ne peut être envoyée
+<p><i>A M. Z., à Saint-Diè</i>.--La <i>Table des Matières</i> ne peut être envoyée
par la poste; vous devez la faire demander par le libraire de votre
-ville. Nous croyons en effet qu'il y a quelque chose à faire dans le
+ville. Nous croyons en effet qu'il y a quelque chose à faire dans le
sens de vos observations; nous y aviserons.</p>
-<p><i>A M. G., de V</i>.--Nous l'avons déjà dit: les goûts sont très-divers, et
-pourtant il faut tâcher de plaire à tout le monde.</p>
+<p><i>A M. G., de V</i>.--Nous l'avons déjà dit: les goûts sont très-divers, et
+pourtant il faut tâcher de plaire à tout le monde.</p>
-<p><i>A M. L. D. C. à Rouen</i>.--Donnez-nous plus de détails. Cela dépend de la
+<p><i>A M. L. D. C. à Rouen</i>.--Donnez-nous plus de détails. Cela dépend de la
nature de l'affaire.</p>
-<p><i>A M. L. P., à Alger.</i>--Nous avons profité de votre communication; nous
+<p><i>A M. L. P., à Alger.</i>--Nous avons profité de votre communication; nous
acceptons vos offres.</p>
-<p><i>A M. M., à Paris</i>.--C'est elle ou vous; mais si ce n'est pas elle?</p>
+<p><i>A M. M., à Paris</i>.--C'est elle ou vous; mais si ce n'est pas elle?</p>
-<p><i>A M., à la Rochelle</i>.--Nous avons reçu hier seulement votre envoi. Nous
-tâcherons de répondre à vos intentions.</p>
+<p><i>A M., à la Rochelle</i>.--Nous avons reçu hier seulement votre envoi. Nous
+tâcherons de répondre à vos intentions.</p>
<br><br>
-<h2>Rébus.</h2>
+<h2>Rébus.</h2>
-<p class="mid">EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:</p>
+<p class="mid">EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:</p>
-<p class="mid">Un bâtiment marchand battu par un gros temps.</p>
+<p class="mid">Un bâtiment marchand battu par un gros temps.</p>
<br><br>
<p class="mid"><img alt="" src="images/008c.png"></p>
@@ -3201,387 +3165,7 @@ tâcherons de répondre à vos intentions.</p>
<br><br>
</div>
-
-
-
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-<pre>
-
-
-
-
-
-End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0053, 2 Mars 1844, by Various
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0053, 2 MARS 1844 ***
-
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-such as creation of derivative works, reports, performances and
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-used on or associated in any way with an electronic work by people who
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-things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
-even without complying with the full terms of this agreement. See
-paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
-Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
-and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
-works. See paragraph 1.E below.
-
-1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
-or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
-Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
-collection are in the public domain in the United States. If an
-individual work is in the public domain in the United States and you are
-located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
-copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
-works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
-are removed. Of course, we hope that you will support the Project
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-
-
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
-Foundation
-
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
-http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
-permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
-
-The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
-Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
-throughout numerous locations. Its business office is located at
-809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
-business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
-information can be found at the Foundation's web site and official
-page at http://pglaf.org
-
-For additional contact information:
- Dr. Gregory B. Newby
- Chief Executive and Director
- gbnewby@pglaf.org
-
-
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
-
-Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
-spread public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To
-SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
-particular state visit http://pglaf.org
-
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-
-Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations.
-To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
-
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-Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
-works.
-
-Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
-concept of a library of electronic works that could be freely shared
-with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
-Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
-
-
-Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
-unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
-keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
-
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-Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
-
- http://www.gutenberg.org
-
-This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
-subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 43632 ***</div>
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