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(Suite),--Courrier de Paris. _Descente +de la Courtille; un Sergent de Ville le mercredi des cendres; l'Ami +Carême, fils du Mardi Gras; Mort et Enterrement du Mardi +Gras._--Théâtres. Opéra-Comique, Cagliostro. _Une Scène de +Magnétisme_.--Fragments d'un Voyage en Afrique (Suite.)--Musique. Entre +Pise et Florence. Paroles de M. Philippe Busoni, Musique de M. Gustave +Hequet.--Bulletin bibliographique.--Modes. +_Travestissements_.--Amusements des Sciences. _Une Gravure_.--Rébus. + + +Histoire de la Semaine. + +La discussion de la loi sur la chasse a encore occupé les trois premiers +jours de la semaine parlementaire. Cette loi a ouvert ses articles et +ses paragraphes à une foule d'amendements qui ne la rendront à coup sûr +pas bonne, qui lui auraient ôté surtout l'esprit d'ensemble, si elle en +avait eu, mais qui lui ont valu en définitive d'être adoptée à une assez +forte majorité. + +Il était peu de membres de la Chambre qui n'eussent fait admettre, dans +le cours de cette interminable discussion, leur amendement ou leur +sous-amendement: chacun était donc poussé par une sorte d'amour-propre +d'auteur à donner une boule blanche à cette fille de ses oeuvres. Son +sort à cependant été un instant douteux. Dans la séance de lundi, un +amendement abrogeant par le fait la législation spéciale aux forêts du +domaine, de 1790, a fait ranger celles-ci dans la catégorie des forêts +particulières et a soumis le prince qui en a la jouissance et les siens +aux mêmes et sévères règles qu'elle impose aux citoyens. + +Cette disposition, que le ministère absent ou distrait n'a pas su faire +rejeter, a, sans aucun doute, attiré d'un côte à la loi des antipathies, +tandis qu'elle lui assurait quelques suffrages de l'autre. Mais en +définitive elle aura été la cause de son adoption, car les suffrages +conquis lui sont restés et les antipathies se sont tues dans l'espoir +que la Chambre des Pairs n'admettrait pas cet amendement, et qu'une fois +supprimé, la Chambre des Députés ne le rétablirait pas. + +Est venue ensuite la discussion sur la prise en considération de la +proposition de M. de Rémusat, relative aux incompatibilités. Il était +difficile de penser que ce débat, qui tant de fois déjà s'est engagé +devant la Chambre, verrait se produire aujourd'hui de nouveaux motifs. +Mais les questions personnelles sont venues l'animer et le rajeunir. En +effet, c'est peut-être le seul qui les comporte ou plutôt les nécessite. +Pour les partisans de la proposition, là où ils voient un abus ils +doivent voir nécessairement un argument, et la situation d'un +fonctionnaire menacée parce qu'il a voté, dans tel ou tel sens comme +député, ou le vote d'un autre représentant passant du blanc au noir par +la force de motifs secrets qu'ils ont la curiosité de connaître, tout +cela trouve naturellement place dans leurs discours. Quelques faits +récents avaient fourni des arguments de ce genre; il en a été fait usage +pour la plus grande satisfaction des spectateurs avides d'agitation, +plutôt que pour l'édification de ceux qui croient à la bonté du +gouvernement représentatif, honnêtement et sincèrement pratiqué, et qui +seraient profondément désolés qu'on arrivât à l'user sans s'en être +servi. MM. Barrot, Thiers et Guizot, sont successivement montés à la +tribune, qu'ont aussi occupée MM. Dugabé et de Salvandy. La prise en +considération a été repoussée par une majorité que quelques de membres +regardent comme douteuse. + +[Illustration: Marie-Christine, ex-reine d'Espagne.--Voir à la page +suivante.] + +La loi sur le roulage n'a pas été beaucoup plus heureuse à la Chambre +des Pairs que la loi sur la chasse à la Chambre des Députés. Ce que l'on +avait fait il y a deux ans au palais du Luxembourg, il y a un an au +palais Bourbon, on l'a défait cette année en grande partie. Dans les +précédentes discussions, on avait paru très-frappé du résultat des +expériences faites par M. Morin, par ordre du gouvernement, et de la +nécessité d'imposer, dans l'intérêt des routes et de leur conservation, +des conditions sévères et d'établir des distinctions tranchées pour la +largeur des jantes des voitures, selon qu'elles étaient à deux ou quatre +roues. Cette année on a paru croire beaucoup moins aux résultats des +expériences de M. Morin, sur lesquels était fondé le projet de loi, et +beaucoup plus à l'utilité de la liberté en matière de roulage, sinon +complète encore et illimitée, du moins beaucoup moins restreinte que par +le passé et que ne l'établissait le projet. Ainsi, sur la proposition +de M. le comte Daru, cette distinction a disparu pour le minimum des +jantes des voitures à quatre et des voitures à deux roues; il sera pour +les unes comme pour les autres indistinctement de 6 centimètres, et le +maximum de 17. Du reste, et par contre, si l'industrie a été bien +traitée par ce changement, l'agriculture a vu restreindre les facilités +que la Chambre des Députés avait voulu lui accorder l'an passé, en +adoptant un amendement de M. Darblay par lequel les voitures de +l'agriculture étaient affranchies dans tous les cas, c'est-à -dire +qu'elles allassent au marché ou qu'elles en revinssent, qu'elles +transportassent des matériaux pour les constructions de la ferme, +qu'elles allassent de la ferme aux champs ou des champs à la ferme, des +règles relatives à la largeur des bandes et à la limitation du poids. La +Chambre des Pairs a cru devoir restreindre cette exemption au cas +seulement où les véhicules agricoles vont de la ferme aux champs ou en +reviennent. Cet amendement oblige, on le voit, les fermiers et les +agriculteurs à avoir des voitures de plusieurs sortes. Cette loi doit +revenir de nouveau à la Chambre des Députés. + +Nous déplorions dans notre dernier bulletin la vivacité que la +discussion avait prise dans un des bureaux de cette Chambre, à +l'occasion de l'admission à la lecture de la proposition de M. de +Rémusat. Mais ce que nous avons vu ici n'est qu'une gentillesse en +comparaison de ce qui se passait presque en même temps à la Chambre des +Représentants des États-Unis et à la Chambre des Lords d'Angleterre. A +tout seigneur tout honneur: nous commençons par la Chambre anglaise. +Dans la dernière discussion, à l'occasion des affaires d'Irlande, lord +Campbell a dit en répondant à lord Brougham: + +«Le discours de mon noble et savant ami est parfaitement irrégulier: +cela ne m'étonne pas, car tout ce qu'il fait dans cette Chambre est +irrégulier. J'ai demandé hier l'ajournement, parce que je croyais qu'il +parlerait, et que je voulais lui répondre. J'étais bien pardonnable de +croire cela, car voilà bien, autant que je m'en souviens, le premier +débat de quelque importance dans lequel il n'ait parlé, et parlé au +moins sept fois... Toutes les fois qu'il prêchera les principes qu'il +condamnait autrefois, je ne me gênerai pas pour le lui rappeler, et pour +lui remettre devant les yeux ceux qu'il défendait avec moi et qu'il +abandonne aujourd'hui.» Lord Brougham lui a répondu avec le ton de la +plus violente colère: «Mylords, on dit que j'ai commis une irrégularité. +Jamais je n'ai vu dire une aussi grosse absurdité, même par mon noble et +savant ami. Je ne me laisserai pas faire la leçon par d'ignorants +nouveaux venus, qui ne connaissent pas l'A B C du règlement, et qui +montrent une ignorance si _crasse_ que je n'aurais jamais cru personne +capable d'en montrer une semblable sur quoi que ce soit. Je serai +heureux qu'on me donne l'occasion de repousser en face cette fausse, +vile et calomnieuse accusation que l'on me fait, d'avoir abandonné mes +principes. Je défie qu'on me le prouve, et je jette ce défi avec +l'assurance que je saurai le justifier.» + +En Amérique on est infiniment moins parlementaire encore. M. Stewart, +membre de la Chambre des Représentants des États-Unis, avait été, il y +a quelque temps, en butte à une attaque très-vive d'un de ses collègues, +M. Waller. Un neveu de M. Stewart, M. Schriver, correspondant du +_Baltimore-Patriot_, et ayant, à ce titre, une place réservée dans +l'enceinte de la Chambre, avait rendu compte de cette sortie en termes +qui avaient blessé M. Waller. Celui-ci, rencontrant M. Schriver à la +Chambre, l'apostropha, et, après l'échange de quelques mots, le frappa. +Aussitôt ils se prirent au corps. Dans la lutte, les deux combattants +tombèrent dans une croisée et la défoncèrent. Plusieurs membres de la +chambre accoururent et essayèrent de les séparer, tandis que d'autres +criaient: «_Laissez-les se battre comme il faut._» Un membre démocrate +dit même, en s'adressant au banc des whigs: «S'il y a quelqu'un qui +veuille prendre part au combat, je pourrai bien m'en mêler un peu.» +Enfin, après que quelques horions eurent encore été échangés, un membre +se hasarda à séparer définitivement les deux champions. Plainte fut +portée par M. Schriver, et caution fournie par M. Waller. + +D'importantes nouvelles sont arrivées de Taïti, et quoique depuis +plusieurs jours le gouvernement ait gardé un silence diversement, mais +en général peu favorablement interprété, il est impossible de ne pas +accorder toute confiance aux détails très-concordants qu'ont donnés +plusieurs correspondances particulières sur les événements dont la +nouvelle Cythère a été le théâtre. La reine Pomaré, cédant aux +suggestions de M. Pritchard, missionnaire, négociant et consul anglais, +se refusait obstinément à exécuter le traité du 9 septembre, après +l'avoir ratifié, et affectait le plus grand mépris pour le gouvernement +provisoire institué par l'amiral Dupetit-Thouars, en vertu du +protectorat de la France, accepté puis méconnu par la reine. Notre +pavillon avait été amené et remplacé par un chiffon bizarre qu'elle +avait déclaré être le pavillon taïtien. Cette résistance avait été, nous +ne dirons pas provoquée, mais très-ostensiblement appuyée par le +commandant de la frégate anglaise la _Vindictive_, lequel menaça même de +recourir à la force pour faire prévaloir les nouvelles façons d'agir de +la reine. Nous n'avions en ce moment que deux corvettes dans ces +parages; mais leurs officiers et leurs équipages n'hésitèrent pas un +seul instant, malgré l'inégalité des forces, à prendre l'attitude qui +convenait à la marine française, en réponse à cet insolent langage. Les +menaces demeurèrent alors sans effet, et l'amiral anglais Thomas, pour +éviter un conflit que rendait imminent la présence du commodore +Nicholas, qui montait _la Vindictive_, la remplaça par la frégate _le +Dublin_, qui se borna à demeurer spectatrice de nos démêlés avec la +reine Pomaré. Instruit de cette situation et des faits qui l'avaient +précédée, l'amiral Dupetit-Thouars se présenta, le 4 novembre dernier, +devant Papeiti avec les trois frégates _la Reine-Blanche, l'Uranie, la +Danaé_, dans la pensée que ce déploiement de forces épargnerait une +lutte déplorable pour l'humanité et enlèverait même à la reine, on +plutôt à ses imprudents conseillers, toute idée de résistance. Le calcul +de l'amiral n'était pas complètement exact. Il accorda un premier délai +qu'on laissa s'écouler sans rentrer dans l'ordre. Alors il en fixa un +définitif, expirant le 6 à midi, et au terme duquel le traité devait +avoir été exécuté sous peine de déchéance de la reine. Le capitaine de +la frégate anglaise, oubliant un moment les recommandations de +modération et de neutralité que son amiral lui avait faites, se laissa +aller à déclarer à l'amiral Dupetit-Thouars, sur le pont même de _la +Reine-Blanche_, qu'il allait faire venir à son bord la reine Pomaré, +hisser le pavillon taïtien et le saluer de vingt et un coups de canon. +Justement blessé de cette intervention injustifiable et hautaine, M. +Dupetit-Thouars répondit au commodore: «A votre aise, monsieur; menez, +tant qu'il vous plaira cette femme à votre bord, mais gardez-vous de +hisser le pavillon taïtien; et, si vous le saluez de vingt et un coups +de canon, vous assumerez sur vous toutes les conséquences qui pourront +en résulter. Maintenant que vous êtes prévenu, agissez comme il vous +plaira.» On comprend que la matinée du 6 ait tenu l'escadre française +dans une attente pleine d'émotions. Mais l'heure dite arriva sans que la +reine eût arboré le pavillon tricolore; l'ordre du débarquement fut +aussitôt exécuté que donné, et Pomaré a cessé de régner. Un gouvernement +a été installé par l'amiral, dont la conduite a été digne de son nom et +des couleurs sous lesquelles il sert. + +La situation de l'Espagne, c'est-à -dire la lutte entre un gouvernement +qui s'est mis en dehors de toutes les règles constitutionnelles et une +insurrection qui n'offre pas beaucoup plus de garanties aux hommes qui +appellent de leurs voeux un gouvernement régulier, cette situation se +prolonge, et l'on se demande si le retour de la reine Christine en +Espagne (voir la page, précédente) y mettra fin. Bien des yeux, de +l'autre côté des Pyrénées, sont tournés vers cette princesse. +Désavouera-t-elle franchement les actes dictatoriaux du général Narvaez? +les désapprouvera-t-elle seulement pour la forme, ou enfin le +suivra-t-elle ouvertement dans cette voie? Voilà les questions que les +Espagnols s'adressent, et que beaucoup, dans leurs préventions ou dans +leur confiance, résolvent dans le sens qui justifie ou les unes ou +l'autre. + +Mais la fièvre de l'insurrection et celle des mesures extraordinaires de +gouvernement ont passé la frontière d'Espagne, et travaillent à leur +tour et de nouveau le royaume de dona Maria. Une conspiration militaire +a éclaté en Portugal. Un général considéré, ancien ministre de la +guerre, le comte de Boulin, est à la tête de ce mouvement, qui fait +valoir comme griefs les violations qu'on a fait subir au principe de la +souveraineté nationale, en faisant revivre, sans la faire réviser par +une Chambre constitutionnelle, la Charte que don Pedro avait octroyée. +Là , connue en Espagne, les Chambres ont été fermes, la liberté de la +presse, la liberté individuelle suspendues, et le royaume entier mis en +état de siège. C'est bien mal commencer; attendons la fin. + +Les feuilles françaises et étrangères ont vu cette semaine leurs +colonnes attristées par le récit de nombreux et déplorables malheurs. Le +_Standard_ du 17 annonce qu'un terrible accident est arrivé la veille +dans la houillère de Landshipping. Des mineurs, au nombre de +cinquante-huit, travaillaient dans l'une des galeries qui passent sous +la rivière, lorsque tout à coup l'eau fit irruption dans la mine avec +une telle violence que dix-huit de ces ouvriers seulement eurent le +temps de se sauver. Les quarante autres ont été noyés.--A Granville, +dans la nuit du 14 au 15, par un temps fort calme, un canot monté par +dix hommes ayant chaviré à une brasse ou deux tout au plus du bord du +quai, sept de ces matelots allèrent au fond, où ils restèrent engagés +dans des vases molles qui se sont accumulées dans cet endroit.-- + +Quel douloureux spectacle s'offrit le matin aux regards lorsque la mer +se fut retirée. Les cadavres de ces sept malheureux gisaient pêle-mêle, +dans un espace de quelques mètres, les uns retenus par les pieds, +d'autres engagés jusqu'aux épaules dans la boue noire et fétide du port. +Pour ceux-ci, l'asphyxie a dû être instantanée, et la position de l'un +d'eux, qui avait les mains dans les poches ne son paletot, le prouvait +assez. Six de ces hommes sont pères de famille et le laissent, +assure-t-on, sans aucune ressource plus de vingt orphelins.--Un des plus +anciens et des plus justement célèbres de nos généraux, le +lieutenant-général Pajol, a fait, dans le grand escalier du château des +Tuileries, une chute affreuse, qui a causé la fracture de la cuisse au +col du fémur, et donne de vives inquiétudes.--Le savant M. Gay-Lussac, +qui a la simplicité de faire encore son cours, et qui ne croit pas que +le rôle d'un professeur doive consister uniquement à se choisir un +suppléant, a pensé être victime de l'explosion d'un flacon dont le +contenu s'est enflammé par le contact subit de l'air, au moment où il +préparait une expérience de laboratoire du Jardin-des-Plantes. +L'illustre professeur et son jeune préparateur ont été blessés, le +premier grièvement, le second plus légèrement. L'état de M. Gay-Lussac +est aujourd'hui complètement rassurant.--On a annoncé, cette semaine, la +mort d'un homme excellent, d'un homme dont la vie a été vouée aux +oeuvres utiles, de M. Cassin, agent général des sociétés savantes et de +bienfaisance.--Un des plus éminents publicistes de la Suisse, le docteur +Charles Schnell, rédacteur du _Volksfreund_, depuis longtemps en proie à +une profonde mélancolie, par suite d'un état obstiné de souffrances +physiques, a mis fin à ses jours. C'était un des plus formidables +antagonistes de l'aristocratie suisse et de l'aristocratie bernoise en +particulier.--Le 15 février est mort à White-Lodge (Richmond-Barker), +dans sa quatre-vingt-septième année, Henry Addington, vicomte de +Sydmouth. Il avait été président de la Chambre des Communes de 1789 à +1801, premier lord de la trésorerie et chancelier de l'Échiquier de 1801 +à 1804, lord président du conseil en 1805, lord du sceau privé en 1806, +secrétaire d'État de l'intérieur de 1812 à 1822.--Les nouvelles de +Stockholm peignent l'état du roi de Suède comme s'aggravant de jour en +jour, et nous devons craindre que la notice biographique que nous lui +avons consacrée ne devienne bientôt une notice nécrologique. + + + +De la Question de l'Enseignement. + +_L'Illustration_ ne saurait se proposer d'entrer dans toutes les +discussions qui s'engagent chaque jour sur les questions d'organisation +que le législateur a encore à résoudre. Mais elle regarde comme un +devoir, auquel elle ne manquera pas, d'exposer l'état de chacune de ces +questions au fur et à mesure qu'elles arriveront à l'examen des +Chambres. L'abbé Sieyès a laissé en mourant un manuscrit volumineux +ayant pour titre cette proposition, à la démonstration de laquelle +l'ouvrage entier est consacré; _Il n'y a point de questions insolubles, +il n'y a que des questions mal posées_. Nous pourrons donc croire avoir +contribué pour notre part à la solution de celles qui seront agitées +quand nous aurons clairement fait connaître la difficulté qu'il faut +trancher ou les différents intérêts qu'il s'agit de mettre d'accord. + +En remontant dans notre histoire, aux premiers temps où le règne des +lois régulières commença à s'établir, même au temps où la science était +presque uniquement cléricale, aux premières années du quatorzième siècle +(1312), sous Philippe le Bel, on trouve déjà admis et en vigueur le +principe que l'instruction publique dépend de l'État. Celui-ci eut sans +aucun doute à défendre son droit contre plus d'une tentative +empiètement; mais, d'une part, les édits, les ordonnances, etc., de +l'autre l'action de la magistrature, fixèrent et maintinrent son +influence. Ainsi, en 1446, une ordonnance de Charles VII vint donner +juridiction aux Parlements sur les Universités, qui prétendaient ne +relever que du pouvoir royal et du pape. En même temps, de leur côté, +les Parlements établissaient par des arrêts le droit d'autorisation et +d'inspection des Universités sur les écoles particulières, et +l'obligation pour les maîtres d'être gradués dans les le lettres qu'ils +enseignaient.--La collation des grades et leur indispensabilité furent +encore l'objet de prescriptions nouvelles dans l'édit de Blois de mai +1579.--Elles furent confirmées par l'édit réglementaire de Henri IV sur +l'Université de Paris, de septembre 1598, édit marquant davantage la +sécularisation commencée de l'enseignement public.--Une ordonnance +royale de janvier 1629 dispose également que «nul ne sera reçu aux +degrés qu'il n'ait étudié l'espace de trois ans en l'Université où +seront conférés lesdits degrés, ou en une autre pour partie dudit temps, +et en ladite Université pour le surplus, dont il rapportera certificat +suffisant; mais elle va plus loin encore, et, ne se contentant pas +d'imposer des conditions aux hommes qui se vouaient à l'enseignement ou +aux jeunes gens qui voulaient entrer dans certaines carrières, elle +subroge en quelque sorte l'État à tous les droits des pères de famille: +«Nous défendons, y est-il dit, à tous nos sujets, de quelque état et +condition qu'ils soient, d'envoyer leurs enfants étudier hors de notre +royaume, pays et terres de notre obéissance, sans notre permission et +congé.» + +Nous pourrions montrer également la constante surveillance de l'État sur +les Universités; sa vigilance à ne laisser établir aucun collège, qu'il +fût fondé par une dotation particulière, ou entretenu par une ville, ou +même doté sur des biens ecclésiastiques, sans une autorisation spéciale +et l'intervention d'une ordonnance du roi. Nous pourrions rappeler +comment, à diverses reprises, furent refoulés les empiètements des +jésuites et montrer comment, dès 1708, fut imposée l'obligation de +fréquenter les collèges aux élèves de tout établissement particulier +d'instruction; mais l'historique de l'instruction publique en France et +la préexistence presque immémoriale de toutes les prescriptions dont +Napoléon, en les coordonnant, a fait le code de Université, sont trop +clairement et trop complètement déduits et démontrés dans l'exposé des +motifs du projet de loi que M. Villemain vient de présenter à la Chambre +des Pairs, pour que nous n'y renvoyions pas ceux de nos lecteurs qui +voudraient, à ce sujet plus de preuves et de détails que l'espace ne +nous permet d'en donner ici. + +Si la liberté de l'enseignement n'exista jamais au profit des +particuliers sous l'ancienne monarchie; et le clergé lui-même, malgré +ses immenses privilèges, vit continuellement dans cette matière la +législation et la jurisprudence lui dicter des règles et lui imposer des +obligations, cette liberté n'exista pas davantage de fait après 1789 et +sous la République elle-même. L'Assemblée constituante en prononça le +nom, mais ne la constitua point. La Convention la proclama, mais y mit +d'abord des conditions qui assuraient qu'il n'en serait point usé sans +l'agrément de l'autorité; et si la constitution de l'an III ne semblait +pas imposer les mêmes limites, dès l'année suivante elles furent en +quelque sorte tracées par le décret du 3 brumaire, et, un peu plus tard, +la loi du 1er mai 1802 statua positivement que «il ne pourrait être +établi d'école secondaire sans l'autorisation du gouvernement.» + +Enfin vint l'Empire, qui, par la loi du 10 mai 1806 et les décrets du 17 +mars 1809 et du 15 novembre 1811, codifia avec ensemble tout ce que les +ordonnances des rois et les arrêts des Parlements avaient accumulé de +précautions et de garanties, les compléta, et faisant des anciennes +universités autant d'académies, les relia toutes à une seule et puissante +Université, dépendante de l'État, qui, selon l'expression de M. +Boyer-Collard, n'était autre chose que le gouvernement appliqué à la +direction universelle de l'instruction publique, et qui avait le +monopole de l'éducation à peu près comme les tribunaux ont le monopole +de la justice, et l'armée celui de la force publique. + +Cette organisation puissante fut maintenue par la Restauration, qui ne +consentit de dérogation à cette règle générale qu'en faveur des écoles +secondaires ecclésiastiques ou petits séminaires. Dès 1802, les besoins +du service religieux avaient fait créer par plusieurs évêques, avec des +secours particuliers, quelques écoles préparatoires à l'enseignement des +séminaires métropolitains ou diocésains, reconnus par un article du +Concordat, et, plus tard, organisés par la loi du 14 mars 1804. Un +décret du 9 avril 1809 mentionna pour la première fois ces écoles +préparatoires. Un titre spécial du décret du 15 novembre 1811, les +assimila tout à fait aux écoles ordinaires, leur interdisant de plus de +s'établir autre part que dans les localités où se trouvait placé un +collège communal ou un lycée, dont leurs élèves étaient tenus de suivre +les cours. Un ordonnance royale du 5 octobre 1814 vint dispenser ces +établissements de ces obligations et autorisa l'augmentation de leur +nombre. Ces facilités amenèrent un état de choses auquel on crut devoir +porter remède en 1828. L'exemption de toute obligation de grades quant +aux maîtres, la dispense de toute rétribution envers l'État quant aux +élevés, favorisaient les petits séminaires au détriment des collèges et +des institutions universitaires, et mettant ces derniers établissements +dans l'impossibilité de soutenir une lutte rendue trop inégale. + +C'est alors que, sur la proposition de M. le comte Portalis, ministre de +la justice, fut instituée, pour constater les faits et proposer les +mesures à prendre, une commission composée de neuf membres, qui +choisirent pour rapporteur M. de Quéleu, archevêque de Paris. Son +travail remarquable constate que, outre le nombre des écoles secondaires +ecclésiastiques porté à 126, 53 autres établissements s'étaient formés +comme succursales ou écoles cléricales; que plusieurs étaient dirigées, +non par des prêtres, mais par des membres de corporations religieuses +non autorisées par les lois; qu'enfin le but de l'institution des petits +séminaires était tout a fait dépassé. Il conclut à ce que nulle nouvelle +école secondaire ecclésiastique ne fût établie sans une autorisation +spéciale; à ce qu'on ne fît dans ces écoles que des études compatibles +avec l'état ecclésiastique; que l'habit y fût pris par les élèves ayant +deux ans d'études; qu'il leur fût interdit de recevoir des externes, et +enfin à ce que tous les élèves qui auraient abandonné l'état +ecclésiastique après leurs cours d'études, fussent tenus, pour obtenir +le diplôme de bachelier ès-lettres, _de se soumettre de nouveau aux +études et aux examens, selon les règlements de l'Université._ + +Les ordonnances du 16 juin 1828 ne furent que la mise en pratique et en +vigueur de ces principes et de ces conclusions. Elles furent présentées +à la signature de Charles X par M. Feutrier, évêque de Beauvais, +ministre des affaires ecclésiastiques, à la suite d'un rapport au roi où +ce prélat faisait ressortir la nécessité de conserver aux écoles +ecclésiastiques un caractère tout spécial, de le maintenir par la +condition relative, au baccalauréat, par l'obligation de porter le +vêtement ecclésiastique; et où il établissait, par des calculs bien +déduits, que le nombre de vingt mille élèves était largement suffisant +pour répondre à tous les besoins à venir du culte, et devait être fixé +comme une limite légale. + +Ces ordonnances furent exécutées immédiatement; mais vint la révolution +de 1830, qui, dans un des articles de sa Charte nouvelle, consacra le +principe de la liberté de l'enseignement, et promit la présentation d'un +projet de loi pour réglementer l'exercice de cette liberté En 1836, en +1841, deux projets furent portés aux Chambres; mais, à l'une comme à +l'autre de ces époques, beaucoup de personnes voulurent voir dans la +démarche ministérielle plutôt un acte conservatoire pour empêcher la +prescription de la promesse de la Constitution que la pensée bien +sérieuse de fixer immédiatement et définitivement la législation. On ne +fit rien pour démentir ces suppositions, car ni l'un ni l'autre de ces +projets n'arriva à la sanction royale, et il allèrent reposer dans les +archives des Chambres. L'hésitation à résoudre une question difficile, à +prononcer entre des prétentions aminées était explicable; mais ce qui +devait être d'une évidence non moins grande, c'est qu'il ne pouvait être +sans de nombreux inconvénients de prolonger la situation dans laquelle +on se trouvait: car les lois dont la Charte de 1830 avait promis la +révision d'après un principe qui n'était pas celui qui avait inspiré +leur rédaction, ces lois avaient inévitablement, par cette promesse +même, perdu de leur empire; les parties intéressées mettaient de +l'empressement à s'y soustraire comme à une législation caduque, et +l'administration incitait peut-être trop de faiblesse à faire exécuter +leurs plus importantes prescriptions; car, enfin, bien que condamnées à +une refonte, à ses yeux, elles devaient former encore le code de +l'enseignement jusqu'à la promulgation d'un code nouveau. En +législation, un interrègne c'est l'anarchie. + +De cette situation prolongée il est résulté que, tandis que l'Université +se bornait à élever quelques collèges communaux au titre de collège +royal, il s'est formé à côté d'elle une sorte d'Université +ecclésiastique, jouissant du privilège de ne pas payer le droit +universitaire, auquel les élèves des collèges, internes et externes, +sont tous tenus, et multipliant ses établissements grâce à cet avantage +et à son activité. Il n'y a aujourd'hui, en France, que 46 collèges +royaux et 312 collèges communaux, tandis que l'on compte 1,137 +établissements particuliers et séminaires indépendants de l'Université. +Les établissements de l'Université ne sont fréquentés que par 45,581 +élèves, sur lesquels 25,000 sont externes, et soumis pour l'éducation +morale à toute l'influence de la famille. Les établissements +particuliers, au contraire, comptent 63,000 élèves. + +On comprend que si la liberté de l'enseignement eût été réglementée en +1830, aussitôt que le principe fut proclamé, l'enseignement +ecclésiastique, qui était à cette époque renfermé dans les limites +tracées par les ordonnances de 1828, se fût montré de facile composition +pour un état de choses qui serait venu rendre plus favorable sa +situation. Mais quatorze années se sont passées depuis lors, quatorze +aimées durant lesquelles la liberté promise par la Charte a été à peu +près accordée dans le fait à cette nature d'établissements, et accordée +par l'État, gardant pour les siens toute la charge dont il exemptait ses +rivaux; le point de départ n'est plus le même, et les exigences ont +changé comme lui. + +Les prétentions aujourd'hui sont celles-ci: + +Une partie du clergé, en demandant pour les établissements qu'il a +fondés, et pour ceux qu'il serait maître de fonder encore, une complète +liberté, semble vouloir se réserver une sorte de censure sur les +établissements universitaires, en en retirant ou en y laissant à son gré +les aumôniers. + +Une autre partie se borne à réclamer la liberté, mais la liberté +entière, c'est-à -dire le droit d'élever non-seulement les jeunes gens +qui se destinent au culte, mais tous ceux qu'elle amènerait les parents +à lui confier, et sans que ces jeunes gens, pour être reçus bacheliers +ès-lettres, fussent tenus, comme le prescrivent les ordonnances de 1828, +de se soumettre aux études et aux examens selon les règlements de +l'Université. + +L'opinion la plus générale demande au gouvernement de fixer les +conditions auxquelles toute personne les remplissant pourra ouvrir un +établissement d'éducation, mais de traiter chacun également, de +n'accorder de privilège particulier et d'exemption de faveur à personne. +De ce côté on est tout disposé à reconnaître l'action supérieure et la +surveillance constante de l'État; on ne prétend point qu'elle ne doive +s'exercer sur les maisons d'éducation que comme celle de la police +s'exerce sur les lieux publics; on reconnaît qu'il est du droit, du +devoir du gouvernement d'exiger des garanties particulières des +établissements où se forment de jeunes citoyens, les intérêts de l'État +et ceux des pères de famille ne sauraient, aux yeux des hommes éclairés +et de bonne foi, être des intérêts opposés. On ne demande pas qu'on +soumette les écoles ecclésiastiques à la rétribution universitaire, mais +qu'on exempte toutes les institutions de cet impôt fort malentendu, fort +lourd, et arbitrairement assis. On ne demande pas que les grades ne +soient pas délivrés par l'État, et qu'il ne soit pas appelé à juger, par +l'intervention de ses fonctionnaires, de la capacité de ceux qui se +présentent pour les obtenir, mais que ce soit lui, désintéressé dans la +question d'amour-propre, et non des hommes que leur situation de +rivalité rend juges et parties, qui reconnaisse et proclame la capacité; +en un mot, que le grand-maître de l'Université et le ministre de +l'instruction publique soient deux fonctionnaires distincts, l'un +dirigeant, sous les ordres de ce dernier, les établissements dont l'État +aura pris le patronage spécial, et où il placera ses boursiers; l'autre +surveillant et gouvernant tous les établissements, qu'ils dépendent de +l'Université ou qu'ils soient dirigés par les hommes qui les auront +ouverts à leur compte, après avoir rempli les formalités voulues et +satisfait aux conditions imposées. + +Voilà les exigences, les prétentions et les demandes en présence +desquelles se trouve M. Villemain. Comment y a-t-il répondu, et quelle +transaction a-t-il su trouver? C'est ce qui demandera de notre part ou +de celle de l'historien de la Semaine un examen à part, et quelques +développements nouveaux, quand le projet présenté arrivera à la +discussion définitive, car nous ne sommes pas de ceux qui pensent que ce +projet n'a été porté d'abord à Chambre des Pairs que pour qu'il ne +revint pas, en temps utile, à la Chambre de Députés, et pour qu'une +solution, difficile sans doute, se trouvât encore une fois différé. +Mais, aujourd'hui, nous ne nous sommes proposé que d'exposer la +question. Une autre fois nous examinerons de quelle façon on entreprend +de la trancher. + + + +Le Vésuve. + +Nous empruntons à un ouvrage qui paraîtra prochainement quelques détails +curieux sur le Vésuve. Quoique le sujet ait fourni la matière de +beaucoup de volumes, chaque nouveau récit présente encore de l'intérêt, +surtout quand il contient, comme les extraits suivants, les impressions +et les expériences de deux savants tels que les docteurs Magendie et +Constantin James, auxquels nous devons cette communication. + +«Depuis le bas de la montagne jusqu'à l'Ermitage, les substances qui +proviennent de la décomposition des cendres vomies par le cratère +recouvrent la lave d'un terreau extrêmement fertile. C'est là qu'on +récolte le fameux vin de Lacryma-Christi. Triste fécondité cependant que +celle qui est achetée au prix d'incessantes alarmes! + +«Il était une heure quand j'arrivai à l'Ermitage. Je m'attendais à +rencontrer là quelqu'un de ces vénérables religieux qui inspirent à la +fois l'admiration et le respect. Je fus bien désappointé. L'ermite du +Vésuve est tout bonnement un cabaretier qui a pris à ferme l'Ermitage, +et vend fort cher de très-mauvais vin. Il n'a d'un ermite que la robe de +bure, le capuchon et un gros trousseau de clefs, auxquelles il manque +des serrures à ouvrir. + +«A partir de l'Ermitage, le chemin cesse bientôt d'être praticable pour +nos montures. Nous nous trouvons au milieu d'une nature aride, désolée, +morte, sans trace aucune de végétation. Le sol, bouleversé affreusement, +est partout hérissé de masses volcaniques d'un gris plombé, miroitantes, +jetées pêle-mêle les unes à côté des autres, et unies entre elles par un +ciment de lave. Il nous faut marcher sur les aspérités des roches, et +souvent sauter par-dessus de larges crevasses. A notre gauche est le +cratère à demi écroulé de l'ancien volcan, aujourd'hui éteint et appelé +_Monte di summa_, le même qui a enseveli Pompéi, Herculanum et Stabia +(1). Sur la droite, l'épaisse coulée de lave de la dernière éruption, +celle de 1839. En face de nous, le cône de cendre qui nous reste à +gravir. + + [Note 1: L'an 79 de notre ère. Parti du cap Visene pour aller + étudier de plus près le phénomène de l'éruption, Pline fut étouffé + à Herculanum sous les cendres vomies par le volcan. Voir + l'admirable lettre de Pline le jeune à Tacite, dans laquelle il + raconte la mort de son oncle, et les détails de la catastrophe.] + +«Mon thermomètre indique 19 degrés. On aperçoit de distance en distance +des fumaroles, et on commence à entendre les détonations du volcan. + +«Notre marche devient de plus en plus pénible. La cendre superposée par +couches molles et fines constitue un plancher mouvant qui s'affaisse +sous les pas, et dans lequel on peut craindre à chaque instant de rester +embourbé. Nous enfoncions quelquefois jusqu'au-dessus du genou. A mesure +qu'on s'approche de la cime du cône, cette cendre s'échauffe et fume. +J'ai vu le thermomètre, que j'y plongeais, s'élever jusqu'à 55 degrés. + +«Enfin, nous voici au sommet du volcan, dont la hauteur totale est de +1,207 mètres. Il est trois heures. Mon oeil plonge dans le cratère. Quel +imposant spectacle! + +«Représentez-vous un large gouffre, profond de plus de cent pieds, +irrégulièrement circulaire, d'où s'échappe un nuage de fumée suffocante +et roussâtre. Enveloppé de ténèbres, il s'illumine par intervalle de +jets de lumière, accompagnés d'explosions, qui sont immédiatement +suivies d'une chute de pierres sur des surfaces retentissantes. On +dirait souvent d'un bouquet d'artifices. Ainsi, au fond de l'abîme, +l'éclair a brillé; une fusée s'élance, s'irradie à une certaine hauteur, +retombe verticalement, et ruisselle en filons étincelants sur les +facettes sonores d'une pyramide. La base de cette pyramide repose au +milieu d'une nappe de feu semée de fissures en zigzag, qui reflètent +inégalement la lueur de l'incendie. Cependant le sol que nous foulons +est brûlant. Dans certains endroits, la chaleur est si forte qu'elle +pénétré la chaussure, l'attaque, et oblige de changer de place +fréquemment. + +«Ce gouffre, ces vapeurs, l'horreur des ténèbres, ces conflagrations +constituent un panorama dont aucune expression ne pourrait traduire la +terrible harmonie. Aussi le premier sentiment que j'éprouvai fut-il un +sentiment de stupeur mêlée de crainte. J'osais à peine circuler autour +du cratère; je sentais la poussière crépiter sous mes pas, et il me +fallait prendre garde aux inégalités du terrain. + +«Le jour paraît. Il éclaire peu à peu l'intérieur du volcan; les objets +se dessinent; les scènes de la nuit s'expliquent et diminuent le +prestige. + +«Le cratère a la forme d'un immense entonnoir, dont l'orifice évasé +couronne la crête de la montagne, et se continue insensiblement avec les +parois de l'infundibulum. Des parois aboutissent à un étroite enceinte, +qu'elles circonscrivent. + +Au centre est la bouche du cratère. Celle-ci n'occupe pas la partie la +plus déclive de l'excavation, mais au contraire le sommet tronqué d'un +cône qui se dresse comme une île au milieu de la lave, et dont la +formation est facile à comprendre. + +«Supposons une surface plane percée d'un trou. Des pierres sortent de ce +trou par jets alternatifs et retombent les unes dans le trou, les autres +autour. Ces dernières, s'entassant graduellement, finissent par figurer +un cône ou pyramide, dont le conduit central se continue avec le trou +d'émission. Vous diriez presque d'un tuyau de cheminée. Telle est, sur +une plus grande échelle, la manière dont se forme et s'accroît la +pyramide du volcan. + +«En effet, le sommet de cette pyramide vomit des matières +incandescentes. Des matières retombent les unes perpendiculairement dans +la bombe du cratère, les autres sur son pourtour, d'autres enfin roulent +jusqu'à la base ou bondissent, en se brisant sur les arêtes de la +pyramide. A mesure qu'elles se refroidissent, elles passent par diverses +nuances de coloration, dont on n'apprécie bien la teinte que pendant la +nuit. + +«Ces éruptions se succèdent toutes les huit ou dix secondes. Elles sont +précédées d'un murmure profond, et la bouche du volcan paraît embrassée. +Puis on entend une explosion pareille à un coup de pistolet, à un coup +de canon ou même au roulement de la foudre. C'est la lave qui jaillit. +La hauteur du jet dépasse rarement trente ou quarante pieds. Court +moment de silence; puis un pétillement sec, à grains nombreux et gros, +indique que la lave retombe en pluie sur la pyramide. + +«La quantité et le volume des matières lancées ainsi par chaque éruption +sont très-variables. Tantôt il n'y a que quelques scories de la grosseur +du poing; d'autres fois, des fragments de roches fondues en nombre +considérable. + +«Je ne suis encore qu'à la moitié de mes explorations. Il s'agit +maintenant de descendre dans le cratère. + +«Il n'y a pas de chemin tracé. Les parois du cratère me rappelaient +assez ces grandes falaises qui bordent le rivage de certaines côtes, +excepte qu'au lieu d'être taillées à pic, elles représentent un plan +incliné dont la surface est inégalement onduleuse. La pente est trop +rapide pour qu'on puisse, suivre une ligne directe. Je marchais donc en +biaisant, tantôt à droite, tantôt à gauche, revenant souvent sur mes +pas, en un mot obéissant à tous les caprices du terrain. Le guide allait +devant moi, sondant avec son bâton les endroits suspects. On ne peut pas +se traîner sur les genoux, ni se cramponner avec les mains, car le sol +n'est formé que de cendres et de roches brûlantes. Des roches sont de +nature sulfureuse. Elles offrent, suivant leur degré plus ou moins +avancé de combustion, toutes les nuances possibles de couleur, depuis le +jaune safrané jusqu'au jaune paille. + +«On rencontre à chaque pas des fumaroles. Ce sont autant de bouches de +vapeur dont les émanations, semblables à celles du soufre qui brûle, +provoquent la toux et oppressent. La température de ces fumaroles est +d'environ 60 degrés. Quand on plonge le thermomètre dans les points d'où +la fumée s'échappe, le mercure monte rapidement jusqu'à 90 et 95 degrés. +Il faut retirer l'instrument, de peur que le tube n'éclate. + +«J'arrive ainsi non sans peine, jusqu'au fond du cratère. Il est six +heures. Nous avions mis près de quarante minutes à descendre. + +«Pour bien comprendre l'endroit où je pose actuellement le pied, qu'on +se figure un cirque, et au milieu de l'arène une pyramide. Il règne un +espace libre entre la base de la pyramide et les premiers gradins du +cirque. Or, c'est dans cet espace que me voici parvenu. La cheminée, du +cratère représente la pyramide de l'arène, et le pourtour des parois les +gradins du cirque. + +«La largeur de cet espace est d'environ trois mètres. Son plancher, +qu'on me pardonne l'expression, est uni et légèrement granuleux comme +l'asphalte d'un trottoir. Et, en effet, ce n'est autre chose qu'une +couche de lave refroidie. Cette lave a la solidité de la dalle. +Frappez-la avec le talon de la chaussure ou l'extrémité ferrée d'un +bâton, vous ne réussirez pas à l'entamer. + +«Peut-on circuler autour de la cheminée du cratère? Oui, mais seulement +dans un tiers de sa circonférence, car dans les deux autres tiers la +lave est en pleine ébullition. + +«Maintenant que nous nous sommes occupés de ce qui est à nos pieds, +levons les yeux vers la pyramide du cratère (2). + + [Note 2: Il y a quelques années un Français gravit cette pyramide, + et se précipita volontairement dans la bouche du cratère. Il fut + rejeté quelques instants après entièrement calciné.] + +«Cette pyramide ressemble à un énorme tas de coke, seulement sa couleur +est d'un gris plus foncé. Ce n'est pourtant pas tout à fait celle du +charbon de terre, ni surtout son reflet luisant. Les détritus +volcaniques qui la composent sont entassés grossièrement les uns +au-dessus des autres, de manière à laisser des creux où l'air pénètre. +C'est à cette disposition que la pyramide doit sa sonorité, alors que +les matières lancées par le cratère pleuvait à sa surface. + +«Des matières arrivaient quelquefois en roulant jusqu'à nous. On les +évite aisément; car, arrêtées en chemin à tout instant par leur +viscosité, elles laissent derrière elles une traînée de feu qui en +diminue et ralentis la masse. Jamais elles ne sont venues d'emblée de +notre côté. Pour franchir d'un seul bond la pyramide, il eût fallu +qu'elles décrivissent dans l'air une parabole, que leur projection +verticale rendait impossible. + +«La lave lancée par le volcan est plus liquide et a une température plus +élevée que celle qui baigne la base de la pyramide. En voici la preuve. + +«Je m'étais amusé à détacher du fond des crevasses des fragments de lave +liquéfiée dans lesquels j'enfonçais avec mon bâton de petites pièces en +argent. Je rapprochais ensuite l'orifice du trajet, de manière à n'y +laisser qu'un simple pertuis. La lave, en se refroidissant, acquérait +bientôt la dureté de la pierre. Quant à la pièce, elle restait +emprisonnée sans pouvoir ressortir, puisque son diamètre se trouvait +devenu plus large que celui du trou qui lui avait livré passage. + +«Je veux répéter la même expérience sur un morceau de lave que venait de +lancer le cratère. La pièce y pénètre par son propre poids, mais à +l'instant même elle fond, brûle et disparaît. Il me fallut, pour +prévenir la fusion du métal, laisser s'écouler près d'une demi-minute +avant d'introduire d'autres pièces dans la lave. + +«Ces deux laves, quand elles sont refroidies, ont la même teinte, la +même consistance, le même poids. J'en ai rapporté plusieurs +échantillons, que j'ai fait examiner par des personnes très-compétentes. +On leur a trouvé une composition parfaitement identique. Elles sont en +très-grande partie formées par du granit fondu, ce qui explique pourquoi +leur pesanteur est si considérable. + +«Chaque éruption du volcan faisait vibrer notre plancher, de lave. Au +moment des plus fortes détonations, je sentais des oscillations +véritables. Ces phénomènes étaient produits par l'ébranlement de l'air +et la conductivité du sol. + +[Illustration: Maison de l'Ermitage du Vésuve.] + +«Il me sembla aussi plusieurs fois, même en l'absence de l'éruption, +entendre une suite de mugissement souterrain. Ayant recouvert de mon +mouchoir un endroit refroidi de la lave, j'y appliquai l'oreille. +D'abord, il me fut impossible de rien distinguer. J'étais comme assourdi +par le frétillement des couches voisines en ébullition. Mais bientôt, +concentrant toute mon attention, j'entendis par intervalle, dans la +profondeur du volcan, une sorte de clapotement humide, de gargouillement +tumultueux, qui indiquait des déplacements de gaz et de matières +liquides.» + +[Illustration: Coupe du Cratère du Vésuve.] + + + +Algérie.--Escadron de Dromadaires. + +L'excessive mobilité des tribus arabes et la rapidité avec laquelle +leurs cavaliers franchissent de grandes distances ont été jusqu'ici de +sérieux obstacles à l'affermissement de notre domination en Algérie. +Comment, en effet, triompher d'un ennemi presque insaisissable, et +imposer une obéissance durable à des populations fugitives? Dès 1843, +cependant, on avait eu recours, pour les atteindre, à lui expédient +couronné de succès. Un corps expéditionnaire fut organisé sous les +ordres du colonel Jusuf, et composé de quelques escadrons de spahis avec +environ deux mille fantassins montés sur des mulets. Ce corps se mit à +la poursuite des tribus réfugiées dans le petit Désert, où elles se +croyaient à l'abri de nos coups. Il ne tarda pas à les rejoindre, et les +força à rentrer dans le Tell, pour y rester soumises à l'autorité de la +France. + +Dans le courant de la même année, un autre essai fut tenté afin de +remplacer les mulets par des dromadaires. Un mulet, en filet, revient en +Afrique à 850 fr.; il coûte 1 fr. 50 c. par jour de nourriture, et ne +peut servir, terme moyen, que dix-huit mois; taudis qu'un dromadaire ne +coûte que 200 fr., vit avec ce qu'il trouve, porte le triple du fardeau +d'un mulet, peut servir vingt ans, parcourt de grands espaces, sans +éprouver les besoins des autres bêtes de somme, et supporte pendant +plusieurs jours les privations de boisson et d'aliments. Sous tous les +rapports, l'usage du dromadaire est donc plus économique et plus +avantageux que celui du mulet. + +[Illustration: Bride du Dromadaire.] + +Il existe deux variétés de dromadaires; les uns, très-grands, très-gros, +très-forts à la marche pesante, sont destinés exclusivement au transport +des marchandises; les autres, moins grands, de forme moins épaisse, +sveltes et élancés, sont extrêmement agiles et servent spécialement de +monture. Ils sont, à l'égard des premiers, comme des chevaux de selle +auprès des chevaux de trait. Les dromadaires de la grosse espèce portent +des poids énormes et jusqu'à cinq ou six cents kilogrammes. Comme ils +sont très-hauts, ils sont dressés à s'accroupir pour recevoir les +charges énormes que l'on met sur leur dos. Ce sont ceux que l'on a +appelés avec raison les vaisseaux du désert, et qui le traversent avec +les caravanes où on les compte souvent par centaines. Les seconds ne +portent que les hommes; ils sont également dressés à s'accroupir sur les +genoux, lorsqu'on veut les monter; le cavalier se place alors sur une +espèce de bât creusé vers le milieu, et garni à chacun des arçons d'un +morceau de bois arrondi, planté verticalement, qu'il saisit fortement +avec les mains pour se tenir. + +Les dromadaires ne sont pas conduits par le mors. Dans les villes, on +leur passe aux narines, partie chez eux fort sensible, un anneau auquel +on attache un bridon. Dans le désert, on se contente de les retenir par +un licou, et on les frappe avec un kourbach (fouet) du côté où on veut +les faire avancer. Leur plus grand mérite est d'avoir un trot allongé et +doux. Leur allure pourtant, très-fatigante pour ceux qui n'y sont pas +accoutumés, produit sur le cavalier l'effet du roulis. + +[Manoeuvres de Dromadaires] + +Déjà , dans la célèbre expédition d'Égypte, les dromadaires furent +enrégimentés avec succès. Les Arabes bédouins inquiétaient les derrières +de l'armée, venaient jusque dans les faubourgs du Caire commettre des +vols et des assassinats, et parvenaient presque toujours, grâce à la +vitesse supérieure de leurs chevaux, à échapper aux poursuites de la +cavalerie française. Le général Bonaparte, voulant mettre un terme à ces +incursions, ordonna, par un arrêté du 9 janvier 1799, la formation d'un +régiment de dromadaires, composé de deux escadrons à quatre compagnies +de soixante hommes. Chaque dromadaire portait des vivres et de l'eau +pour cinq ou six jours; il était monté par deux hommes places dos à dos +et armés d'un fusil de dragon avec baïonnette et d'un sabre de hussard. +Les officiers avaient des pistolets, et ils étaient munis de boussoles +pour se diriger dans le désert. L'uniforme, dessiné par Kléber dans le +goût oriental, était très-brillant. Lorsque, dans les engagements qui +avaient lieu autour du Caire, une tribu arabe était parvenue à échapper +à la cavalerie européenne, on dirigeait sur ses traces un détachement du +corps des dromadaires, et il était rare qu'il ne parvint pas à +l'atteindre. Les chameaux fléchissant alors le genou, les cavaliers +descendaient avec leurs armes, entravaient leurs moulures, les +pelotonnaient toutes ensemble, en laissant au milieu un espace vide +pour placer quelques hommes chargés de les défendre; puis le reste, +manoeuvrant en dehors de ce groupe, engageait l'action avec les Arabes, +déjà découragés par cette attaque inattendue, et ne tardant pas à les +vaincre. + +Au mois d'août 1843, M. le chef de bataillon Carluccia, du 33e de ligne, +a obtenu, sur sa demande, du gouverneur-général, l'autorisation +d'organiser à la Maison-Carrée un escadron de cent dromadaires, avec +deux ceins hommes d'élite du 33e de ligne et du 6e bataillon de +chasseurs d'Orléans. Il y a ainsi deux hommes pour un dromadaire: un +seul monte, un autre conduit; ils se relayent à chaque halte; tous deux +peuvent monter au besoin. C'est sur l'arriére du bât que le cavalier est +assis; le devant est occupé par les deux sacs des soldats, par deux +outres contenant de quatre à cinq litres d'eau chaque, ainsi que par un +grand sac en toile renfermant pour un mois de vivres des deux soldats en +biscuit, sel, sucre, café et riz. + +Le bât se maintient au moyen d'une corde fortement sanglée. A +l'extrémité d'une des traverses du bât, à laquelle s'attachent les +bagages ci-dessus mentionnés, vient s'enrouler une double corde que +traversent deux étriers en bois. Le cavalier est, de cette manière, +libre de mettre ses pieds à la position qui lui convient le mieux, et de +se servir des étriers pour monter et descendre. + +Le licol est à la fois simple et ingénieux. Au moyen de deux anneaux +fixés en dessus et en dessous du museau, on fait passer en sens +contraire une double corde attachée à l'anneau supérieur. A l'aide de +ces brides, on maîtrise le dromadaire le plus méchant et le plus rétif. + +Le soldat monte habituellement sur le dromadaire en faisant agenouiller +sa monture et en lui mettant le pied sur une des jambes de devant; pour +descendre, il passe les deux jambes du même côté, et se laisse glisser +au commandement _à terre!_ + +Le dimanche 28 janvier 1811, le maréchal gouverneur-général passait en +revue la gendarmerie, l'artillerie et le génie sur le champ de +manoeuvres de Mustapha, près d'Alger, quand tout à coup des cris +sauvages se firent entendre. Aussitôt on vit déboucher par le chemin de +la Maison-Carrée, en une masse noire et compacte, un groupe de cavaliers +d'une espèce toute nouvelle, élevant dans les airs, du haut de leurs +montures africaines, leurs fusils reluisant au soleil; c'était +l'escadron de dromadaires. La première vue de cette cavalerie provoqua +un mouvement d'hilarité, que le gouverneur-général réprima en s'écriant: +«Ne riez pas; la chose est plus sérieuse que vous ne pensez.» En effet, +l'escadron de dromadaires exécuta sur-le-champ diverses manoeuvres avec +une extrême précision, marchant tantôt en colonne, tantôt en bataille, +se formant sur la droite, sur la gauche et en avant en bataille, tantôt +au pas, tantôt au trot. Bientôt, à un commandement, les hommes sautèrent +lestement à terre et se portèrent en avant, exécutant des feux de +tirailleurs, tandis qu'un quart d'entre, eux suivaient le mouvement +offensif, chaque homme conduisant quatre dromadaires par les rênes. + +La promptitude de toutes ces évolutions, la facilité avec laquelle nos +braves et intelligents fantassins ont appris à manier leurs dromadaires, +ont vivement frappé toute l'assistance. Aux plaisanteries a succédé +l'admiration, et chacun a compris tout l'avantage qu'il sera possible de +retirer de cette institution. Grâce aux escadrons de dromadaires, aucune +population arabe ne saurait plus désormais trouver dans l'émigration un +asile où elles soient assurées d'échapper à l'atteinte de nos colonnes +expéditionnaires. + + + +Paris souterrain. + +[Illustration: Une rue souterraine de Paris.] + +I. + +Du temps de nos bons aïeux, lorsqu'on croyait encore aux esprits,--car +nous sommes aujourd'hui trop raisonnables pour y croire,--on avait +divisé notre momie en trois parties habitées par des êtres de nature +diverse. L'air et les nuées étaient le domaine des sylphes, esprits +légers, toujours beaux, toujours jeunes, nés pour la poésie et le +plaisir, habitant des palais brillants formés de nuages dorés par le +soleil, étincelants comme l'arc-en-ciel.--Au-dessous d'eux, à la surface +de la terre, c'était la race humaine, notre domaine à nous, tel que nous +l'habitons.--et puis, au-dessous encore, dans les entrailles de la +terre, se trouvait un troisième monde, celui des gnomes, esprits +souterrains, relégués au dernier degré de l'univers. Ceux-ci, on le +conçoit, étaient encore moins connus. Des hommes doués de bons yeux, et +surtout d'une bonne dose de crédulité, pouvaient bien avoir entrevu, par +intervalles, dans les nuages, les palais fantastiques et les armées +légères des sylphes rangées en bataille dans le ciel; de graves +historiens en rapportent mille témoignages. Mais nul regard, si +complaisant qu'il fût, ne pouvait percer jusqu'aux cavernes +inaccessibles des gnomes. L'imagination, qui ne fait jamais défaut, y +suppléait; tantôt, selon le caprice du rêveur, on peignait ces pauvres +gnomes comme des démons malfaisants, difformes, rabougris, accaparant +les trésors de la terre, et les enfouissant avec eux par une insatiable +avarice; tantôt, au contraire, on trouve des palais d'or, de pierres +précieuses, qui s'ouvrent dans les longues galeries souterraines à la +lueur étincelante des escarboucles et des ruisseaux de phosphore; pays +merveilleux où règnent des esprits irrésistibles, vifs et séduisants, +mais capricieux et fugitifs comme ces feux errants qui scintillent dans +l'obscurité des cavernes. + +Sans doute nos lecteurs ne sont pas sans avoir entendu quelquefois, et +même avec plaisir, ces récits fantastiques. Eh bien! sans rouvrir les +vieux contes de la _Bibliothèque bleue_, ou les graves entretiens du +comte de Gabalis sur les êtres élémentaires, nous allons faire aussi des +histoires de l'autre monde. Nous allons décrire des régions +souterraines; nous allons nous promener à vingt pieds, à cent pieds, à +cent cinquante pieds sous terre, avec les habitants de ces domaines, +dans le royaume des gnomes et des farfadets; tout cela, sans dire autre +chose que ce qui est, que ce que nous avons vu et touché,--et sans +sortir, qui plus est, de l'enceinte de Paris et de sa banlieue. + +Nous allons conduire nos lecteurs dans le Paris souterrain. Nous leur +ferons faire, j'en suis presque certain, d'inévitables découvertes dans +ce monde nouveau et presque inconnu. Cela ne doit pas surprendre, car la +superficie du pavé de Paris est souvent assez boueuse pour qu'on ne soit +guère tenté de regarder dessous. Cependant, à chaque pas, de nombreux +témoignages viennent révéler l'existence de cette seconde ville enfouie +sous les pieds de la première. Chacun a sans doute remarqué ces épaisses +et larges plaques de fonte ciselée, éparpillées çà et là au milieu des +chaussées, tremblant et résonnant sous les roues des voitures; ce sont +les portes et les fenêtres des rues souterraines. Il n'est personne qui +n'ait rencontré, de temps en temps, un escadron de ces hommes armés +d'échelles, de cordes, de râteaux, et chaussés de ces redoutables bottes +qui broient le pavé; ou bien encore, ceux que l'on entend et que l'on +voit le soir, courant sur les trottoirs, fouillant à l'angle des murs et +des soupiraux, et faisant retentir par intervalles, d'un son stridont et +cadencé, la barre de fer poli dont ils sont armés?--Ce sont les +habitants, ou les ambassadeurs de la ville invisible que vous foulez aux +pieds. + +On a décrit, on a peint souvent avec talent l'aspect du Paris à vol +d'oiseau; nous allons faire le contraire, et donner l'aspect de Paris à +course de taupe. Au lieu de nous élever, nous descendrons; au lieu de +voir Paris au-dessus des toits, nous le verrons au-dessous des caves. Ce +sera peut-être moins facile, moins lumineux; mais ce sera peut-être +aussi intéressant, et sans doute ce sera plus neuf. + +Avant de nous engager dans les détails de ce voyage, prenons d'abord une +idée générale du pays; et, en voyageurs érudits, prenons-en la +configuration générale, la disposition et les limites. + +De même que ces villes édifiées au pied des volcans et construites sur +d'autres villes enfouies qui leur servent de base, le Paris souterrain +compte plusieurs étages de régions souterraines, superposées les unes +aux autres et descendant ainsi de degré en degré depuis la surface du +pavé jusqu'à d'immenses profondeurs. Chaque étage caverneux, bien +distinct de celui qui le précède et de celui qui s'enfonce au-dessous de +lui, a sa physionomie particulière et ses habitants qui lui +appartiennent. Aussi, pour procéder par ordre, nous commencerons notre +voyage par la région la plus.--rapprochée de nous pour descendre ensuite +de plus en plus. Et, placé d'abord en simple piéton sur le pavé de la +rue, nous allons, tout à coup, changer de place, et, glissant plus bas, +regarder dessous...--Voici le premier étage de Paris souterrain.--Que +vous en semble? + +Depuis quelque temps on a beaucoup parlé de travaux d'assainissement, de +distribution d'eau, d'éclairage public; et on sait bien vaguement que +toutes ces dispositions exigent des constructions souterraines. Mais, +malgré tout ce qu'on peut avoir su et entendu, sans doute on ne se +figure pas ce dédale de cavernes obscure, ce tissu croisé et recroisé de +tuyaux, de conduites enchevêtrées les unes dans les autres, et les unes +sur les autres; il est facile de comprendre à cet aspect tout ce +qu'exige de combinaisons et de travaux le placement, l'entretien et le +renouvellement d'un semblable appareil. + +Il faut penser qu'il existe sous le sol de Paris environ cent vingt +kilomètres d'égouts, qui représentent par conséquent trente lieues de +rues souterraines, et environ autant de lieues de conduites d'eau. Quant +aux conduites de gaz, elles sont encore bien plus étendues. Nous ne +comptons pas, en outre, tous les embranchements particuliers qui coupent +les conduites maîtresses pour distribuer droite et à gauche l'eau et le +gaz dans les maisons ou sur la voie publique. + +Nous avons cherché à présenter dans cet aspect du sol de la rue un +aperçu des principales dispositions adoptées pour l'agencement et le +service de ces conduites. En voici rapidement l'indication et +l'explication. + +A est la coupe d'un égout. Les balayeurs-égoutiers y descendent à l'aide +d'une échelle par le tampon de regard B.--C'est une bouche sous +trottoir, qui absorbe les eaux du ruisseau; et D est un tuyau de chute, +par lequel les eaux ménagères et pluviales de la maison voisine tombent +directement dans l'égout. L'administration accorde en effet aux +propriétaires qui le demandent, l'autorisation de se débarrasser ainsi +de leurs eaux, moyennant l'apposition de grilles convenablement +établies, et certaines dispositions qu'exigent la prudence et la sûreté +publique.--De distance en distance, des trappes de regard sont ouvertes +sous la voûte de l'égout, afin de pouvoir en opérer la ventilation au +besoin, et y faire parvenir les ouvriers. + +C'est la conduite d'eau qui dessert la rue à main droite; au point F +elle porte une concession particulière servie au moyen d'une bourbe à +clef, dont la manoeuvre peut avoir lieu à travers le madrier perforé G, +à l'affleurement du pavé. Cette conduite d'embranchement E a sa prise +d'eau sur la conduite maîtresse H, qui dessert la rue à main gauche et +fournit la borne-fontaine I; comme elle est placée au niveau de l'égout, +elle rencontre sur sa route les reins de la voûte, et la traverse sur +une espèce de chevalet en fonte qui la soutient dans ce passage. + +La prise d'eau d'embranchement a lieu dans le regard par un double +système, de manière à pouvoir arrêter l'eau de la maîtresse conduite en +amont ou en aval sans arrêter le service de l'embranchement. Le regard +en maçonnerie y est ainsi établi, afin que les agents des eaux de Paris +puissent faire la manoeuvre des robinets d'écoulement et d'arrêt. + +Les conduites E et H ont été posées dans de simples tranchées, et ne +sont à découvert que dans le regard. Il n'en est pas de même de celles +qui sont figurées aux lettres K. L. Celles-ci sont posées sur +encorbellement dans des galeries. Ce système, qui permet de s'assurer à +chaque instant de l'état des conduites, et de les réparer sans +intercepter la circulation et remuer le pavage, peut être adopté pour +les conduites d'eau. Mais cette méthode ne pourrait être employée pour +les tuyaux de gaz, à cause des dangers qui en résulteraient. + +Notre, gravure représente la mise en communication de deux conduites, de +diamètre différent par le tuyau circulaire M, garni de ses robinets +d'écoulement et de vanne. + +Nous n'entrerons pas dans les détails explicatifs sur la forme et la +manoeuvre de ces robinets; ils seraient longs et exigeraient des +développements techniques qui n'intéresseraient qu'un petit nombre de +nos lecteurs. Nous dirons seulement que cette mise en communication des +tuyaux a lieu pour remédier aux irrégularités du service. On tient ainsi +les conduites en charge l'une par l'autre, on supplée au besoin aux eaux +de l'Ourcq, lorsqu'elles font défaut, par les eaux de la Seine, et +réciproquement. Lors d'un accident, la seule manoeuvre d'un robinet +suffit pour procurer l'eau à tout un quartier, que sans cela pourrait en +rester privé fort longtemps. + +Après les conduites d'eau viennent les conduites de gaz. Les tuyaux N. +O. desservent la rue à droite, et les tuyaux P. R. la rue à gauche. Dans +les rues dont la largeur est assez considérable, et qui surtout sont +divisées dans le milieu par un égout, il est d'usage de placer une +conduite de gaz de chaque côté, afin d'éviter les inconvénients qui +résulteraient pour les branchements particuliers des deux côtés de la +rue, s'il fallait à chaque fois traverser toute la largeur de la +chaussée et la maçonnerie de l'égout. Notre gravure ne présente donc que +les conduites nécessaires; les petits tuyaux S sont ceux qui desservent +la borne-fontaine, l'éclairage public, et quelques concessions +particulières d'eau, de gaz, etc. + +Quelquefois le nombre de ces tuyaux est plus considérable. La grosseur +en varie aussi beaucoup, il y en a dont l'énorme diamètre est de 0,50 à +0,60 c. sont de véritables tonneaux; la maîtresse conduite des eaux de +Chaillot est de ce nombre. D'autres, au contraire, n'ont que 0,08 c. Les +petits tuyaux en plomb sont aussi exigus qu'on le désire. + +Les égouts varient également de largeur; ils sont de petite ou de grande +section, pour se servir du terme administratif, selon l'importance et la +longueur de leur parcours, selon le volume des eaux qu'ils sont appelés +à recevoir. Les égouts-galeries sont ceux qui reçoivent en outre une +conduite supportée par encorbellement. + +Voilà donc l'aperçu rapide de ce que l'on trouve sous le pavé, de ce qui +constitue le premier étage de Paris souterrain. Quant au peuple qui +anime et gouverne cette cité suburbaine, sans doute il vaut mieux +n'avoir pas de fréquents rapports avec ses râteaux mal odorants, ses +lampes fumeuses et ses grosses bottes; mais cette existence d'un travail +pénible et rebutant mérite bien aussi quelque intérêt. Passer les jours +entiers dans ces étroites et humides cavernes, sans lumière, sans +soleil, et sans autre air que les émanations fétides des immondices, +gagner sa vie à remuer la fange produite par un million d'individus qui +s'agitent sur leurs tête, certes le salaire de ceux qui se dévouent à +une semblable profession est rudement gagné. D'ailleurs cette existence, +triste toujours, n'est souvent pas sans péril. Ces dédales obscurs ont +vu de sanglantes catastrophes, de terribles agonies, et la funeste +histoire de la galerie des Martyrs n'est pas la seule que les égouts de +Paris aient à déplorer. + +Pour achever cette rapide description du premier plan de la ville +souterraine, nous devons dire qu'elle possède deux fleuves: l'un au +nord, sur la rive droite; l'autre, au sud, sur la rive gauche de la +Seine.--Le premier, que l'on appelle l'aqueduc de ceinture, est une +large galerie voûtée qui reçoit les eaux du canal à la Vilette, et les +mène jusqu'au faubourg du Roule. C'est une rivière claire, limpide et +tranquille.--L'autre..., hélas! elle fut jadis célèbre, et, non contente +de traverser la grande cité aux rayons du soleil, elle la menaçait sans +cesse de sa puissance et de ses colériques débordements. En 1579, la +nuit du 1er avril, elle inonda Paris, et ses eaux montèrent jusqu'au +deuxième étage des maisons. O gloire! ô vanité des puissances déchues! +depuis, la Bièvre n'a menacé que d'empester, par l'infection de sa vase, +les quartiers qu'elle inondait autrefois. On l'a emprisonnée, murée, +voûtée..., et elle n'est plus qu'un égout obscur! + +Mais ce premier étage souterrain est bien près encore de la surface. En +suivant les conduites, en traversant les galeries, nous avons pu heurter +le sol des caves, et mettre la tête aux soupiraux pour demander et +recevoir des nouvelles du monde supérieur. Toutefois, en descendant plus +bas par intervalles, nous avons pu ouïr quelques bruits étranges, +quelques signes précurseurs de demeures plus profondes encore. Nous +avons pu voir que quelques-unes de ces trappes, mystérieuses ouvertures +placées à la superficie du pavé comme les fenêtres de ces habitations +obscures, ne s'étaient pas ouvertes à notre approche. Elles +appartiennent à nue autre cité enfouie. C'est de ce côté que nous allons +diriger notre voyage. + +_(La suite à un prochain numéro.)_ + + + + Don Graviel l'Alférez. + + FANTAISIE MARITIME. + +(Suite.--Voir page 39.) + +II. + +La veille de Noël, tous les officiers de la frégate voulurent aller +passer la nuit à terre, car, après la messe, le gouverneur devait donner +à toutes les autorités civiles et militaires un réveillon suivi d'un +grand bal, qui se prolongerait jusqu'au jour. Don Graviel et son ami +Fernando se chargèrent seuls du service à bord de _la Santa-Fé_. + +Vers minuit, toutes les cloches de la ville commencèrent à carillonner à +qui mieux mieux; les rues, sillonnées par des milliers de torches, +semblaient embrasées; l'obscurité n'en était que plus épaisse dans la +baie de la Havane. Les trois chefs de complot se tenaient à l'arrière de +la frégate. + +«Les armes sont-elles dans la chaloupe? demanda don Graviel au +contre-maître Brombollio. + +--Oui, capitaine. + +--Eh bien! fais embarquer tous nos gens sans bruit; combien sont-ils en +tout? + +--Cinquante; je n'ai pas pu en prendre un de moins, tous des amis, des +matelots achevés, des enragés premier choix. + +--C'est dix de trop; mais allons toujours.» + +Don Graviel avait eu soin d'expédier tous les canots en corvée pour la +nuit entière; il ne restait plus que la chaloupe et une légère yole +réservées aux déserteurs. Fernando et quarante marins, armés jusqu'aux +dents, partirent avec la première; elle déborda mystérieusement, longea +les quais non sans motif, et se perdit ensuite au milieu des bâtiments +de commerce. La yole fut montée par don Graviel, maître Brombollio et +les dix plus robustes matelots. Un poignard en ceinture, un pistolet +caché sous leurs vêtements, des biscaïens estropés au bout de longs +bâtons en manière de fléaux, tel était l'équipement de la bande d'élite. +Ils abandonnèrent la frégate à la garde de Dieu et sans canots. Puis ils +nagèrent droit au rivage, où l'on accosta dans un étroit canal situé +entre deux hautes tes maisons. La petite embarcation, cachée par +l'obscurité la plus profonde touchait cependant le bord; deux hommes y +restèrent; en cas de malheur, ils avaient ordre de s'enfuir, et de +prévenir au plus vite leurs camarades de la chaloupe. + +--Eh bien! Brombollio, le dé est en l'air, disait l'enseigne. + +--La peste étouffe les filles! répondit le maître; cette terre me brûle +les pieds!» + +L'église n'était pas éloignée; les marins y pénétrèrent à la suite de don +Graviel, travesti en matelot; ils se confondirent dans la foule sans +perdre leur officier de vue. + +Du côté des femmes, Dona Juana occupait la place d'honneur. Dans le +choeur étaient groupés don Antonio Barzon, ses aides de camp, le +commandant de _la Santa-Fé_, les officiers de la rade, ceux de la +garnison, l'intendant colonial et tous les dignitaires de la cité. + +«Par quelle porte sortira-t-elle?» se demandait don Graviel avec anxiété, +tandis que maître Brombollio continuait à maugréer tout bas contre les +filles et les amoureux. + +Dona Juana priait dévotement; et, certes, les gais propos du dernier bal +étaient loin de sa mémoire. + +Si elle eut une distraction, ce fut quand elle remarqua, bien malgré +elle, que don Graviel n'était pas venu à la messe avec son commandant; +elle ne conclut qu'il était de service à bord. La fête de la +_Media-noche_ devait suivre l'office, elle regretta peut-être l'absence +du téméraire alférez; mais, hâtons-nous d'ajouter que ces pensées +mondaines n'effleurèrent qu'à peine l'esprit de la jeune fille; encore +se les reprocha-t-elle en faisant son examen de conscience. + +Enfin, la foule s'écoula lentement; don Antonio Barzon sortit du choeur, +s'avança vers sa fille, lui offrit le bras et se dirigea vers la porte +latérale. Un carrosse attendait dehors. Les officiers se pressaient en +foule à la suite du gouverneur; l'issue allait être obstruée. Don +Graviel fit un signe, s'ouvrit passage de vive force à travers les +autorités galonnées, et fut imité par ses compagnons. Une certaine +confusion s'ensuivit. Les dignitaires coloniaux s'indignaient de +l'insolence des rustres qui les coudoyaient, mais les rustres gagnaient +du terrain. + +Déjà le marquis de las Hermaduras présentait la main à sa fille pour la +faire, monter en voiture quand le bouillant alférez le poussa rudement +en arriéré, enleva Juana à bras le corps, et se prit à courir en criant +«Noël!» C'était le mot de ralliement. + +«Au secours! aux armes! soldats et citoyens, à moi!» hurlait avec fureur +don Antonio Barzon. Les officiers tirèrent leurs épées, la garde du +gouverneur croisa la baïonnette. + +«Noël! Noël! en avant les biscaïens!» répondirent les matelots. + +Brombollio et ses huit camarades couvraient la retraite de l'enseigne, +le terrible moulinet de leurs fléaux enferrés tenait en respect la +multitude effrayée. Dona Juana, éperdue, se débattait inutilement entre +les bras de son ravisseur, qui la déposa bientôt dans la yole, s'y jeta +ainsi que ses gens, et poussa au large. + +Tout cela dura moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. + +Mille clameurs partaient du rivage, où régnait un désordre inexprimable. +Cent torches éclairèrent bientôt l'étroite ruelle par laquelle les +marins s'étaient enfuis; les soldats avaient chargé leurs armes, mais +comment tirer? on aurait pu blesser la fille du gouverneur. La yole +d'ailleurs filait plus vite qu'un trait, elle ne tarda pas à s'effacer +dans l'ombre. + +«Des canots! des canots! mort de ma vie! ou je vous fais tous pendre à +l'instant! Des canots! sang et tonnerre!» répétait d'une voix +étourdissante l'illustrissime don Antonio Barzon. + +Les officiers de marine, ceux de _la Santa-Fé_ entre autres, +parcouraient les quais en cherchant des canots partout: mais la +chaloupe, en passant, avait entraîné les uns, engravé les autres, jeté +les avivons à la mer, démonté les gouvernails; et grâce aux précautions +de don Graviel, la frégate, à qui l'on fit en vain des signaux de nuit, +ne put expédier le moindre batelet à terre. + +Pendant que le gouverneur et tous les siens se trouvaient ainsi cloués +au rivage, la yole rejoignait la chaloupe entre deux pontons abandonnés, +lieu convenu de rendez-vous. + +On doit rendre cette justice à l'entreprenant alférez, que son plan +était habilement combiné. L'amour, par exception à l'adage du fabuliste, +n'a point exclu toute prudence, bien que maître Brombollio, qui murmure, +soit loin de partager notre opinion. + +Dona Juana, effrayée, n'avait pas encore reconnu son audacieux +adorateur, qui crut devoir laisser au contre-maître le soin de la +réduire au silence. La mantille de soie de la jeune fille fut galamment +convertie en bâillon: un petit mal pour un grand bien; don Graviel avait +permis cette violence assez peu chevaleresque. Du reste, il gouvernait +et n'ouvrit la bouche que quand il s'agit de donner le mot de passe à +son complice Fernando, et même eut-il la précaution de contrefaire sa +voix. Puis les deux embarcations voguèrent de conserve; les aventuriers +visitèrent leurs amorces de pistolet, et l'on se dirigea, toujours à la +muette, vers le _Caprichoso_ dont on connaît suffisamment la physionomie +extérieure, mais sur lequel de nouveaux détails deviennent nécessaires. + +_Le Caprichoso_ n'était pas navire de guerre; seulement, il portait sur +pivot une longue pièce de 24 en bronze; par son travers grimaçaient dans +la ligne rouge une dizaine de canons en fonte d'un moindre calibre: de +distance en distance, à l'arrière, à l'avant, jusque dans la hune, +s'épanouissaient, comme les fleurs dorées d'un parterre, bon nombre +d'espingoles et de petters de deux à six livres de balles. Le tout était +merveilleusement fourbi et reluisait de la façon la plus appétissante. + +_Le Caprichoso_ n'était pas non plus un navire marchand; seulement, il +était en rapports suivis, avec les gros négociants de la Havane, on +l'avait vu livrer commercialement superbes cargaisons de nègres qui, +disait-on, n'avaient pas dû lui coûter cher. On assurait que son +excellence don Antonio Barzon s'intéressait paternellement aux +opérations de cet estimable spéculateur, dont quarante gaillards de +mauvaise mine composaient l'équipage. Un certain Bertuzzi, assez mal +famé dans ta colonie, quoique fort bien reçu chez le gouverneur, le +commandait. + +«Ho! de la chaloupe!» héla d'une voix éclatante un homme qui se dressa +sur le couronnement; et pourquoi ne dirions-nous pas tout de suite que +cet homme était simplement le capitaine Bertuzzi? + +«Ronde d'officier!» répondit militairement Fernando en longeant le +brick-goélette illuminé de bout en bout, car les négriers aussi +faisaient réveillon. Ils buvaient, dansaient, hurlaient et riaient aux +éclats. Le talia coulait à flots, et le poète de la bande,--où n'y +a-t-il point un poète?--improvisait une chanson de circonstance sur la +capture de quelques traitants dont on avait, le mois dernier, pris les +noirs et brûlé les navires. + +A la réponse rassurante du garde-marine, le capitaine Bertuzzi se +recoucha nonchalamment à plat-pont. Tout en fumant le cigare, et +attendait, le digne homme, que ses jurons en fussent aux coups de +couteau pour mettre le holà et les envoyer dans leurs hamacs. Mais, il +n'avait pas eu le temps de fumer trois bouffées, que son bord fut tout à +coup envahi par les cinquante déserteurs de _la Santa-Fé_, et que lui +personnellement se trouvait aux prises avec quatre vigoureux matelots +dont le dogmatique Fernando dirigeait les mouvements. + +«Capitaine Bertuzzi, pas de colère, je vous en prie, disait posément le +garde-marine; voyez, ce pistolet, si vous faites le méchant, il vous +cassera la tête.» + +Pris au piège où tant de fois il avait fait tomber ses confrères, le +négrier-pirate fut artistement garrotté, bâillonné et déposé dans la +chaloupe. Inutile d'ajouter que les marins de la frégate n'avaient pas +laissé à ceux du brick le temps de courir aux armes. Leurs arguments, +aussi simples que celui de Fernando, eurent un égal succès. Sur ces +entrefaites, par les soins de don Graviel, dona Juana, qui maintenant +pleurait à chaudes larmes, avait été enfermée dans la cabine du +capitaine; enfin, lorsqu'une bonne moitié des négriers eurent été +rangés, pieds et poings liés, à côté du capitaine Bertuzzi, l'enseigne, +dépouillant sa cape de matelot, fit briller son uniforme et s'adressa +aux autres en ces termes: + +«Gens du _Caprichoso_». nous sommes les plus forts et les plus nombreux; +le premier de vous qui témoignera le moindre mécontentement sera jeté à +la mer avec un boulet aux pieds. Soyez donc sages et mignons comme des +brebis. Secondement, si l'un de vous s'avise de toucher une arme, sans +ma permission, il aura le droit d'être immédiatement hissé au bout de la +grand'vergue. D'ailleurs, vous faisiez la course avec Bertuzzi, vous la +ferez avec moi, voilà toute la différence. _Range à larguer les voiles!_ + +--Bien parlé!» dit maître Brombollio en disposant son monde pour +l'appareillage. + +La chaloupe, pleine des hommes dont les capteurs avaient jugé prudent de +se débarrasser, fut abandonnée en dérive, sans avirons. On leva l'ancre, +on établit les voiles, et à l'aide d'une légère bris on navigua sur +l'entrée du port. + +Durant ces diverses opérations, l'alarme allait croissant dans la ville, +l'on y battait la générale, la garnison prenait les armes, le gouverneur +avait enfin des canots à ses ordres, les officiers de terre et de mer se +multipliaient, les forts se mettaient sur la défensive, des coups de +canon de signaux retentissaient sur l'une et l'autre rive du port. + +«Maudite donzelle! murmurait maître Brombollio. Sans elle pourtant +personne ne se douterait de rien, nous filerions notre petit noeud au +large, et, au point du jour, on pourrait nous courir après. + +--Ne me parlez pas des femmes!» répétait dogmatiquement Fernando +Ribalosa. + +Don Graviel était trop occupé de la manoeuvre pour descendre dans la +cabine où l'infortunée Juanita ne cessait de se lamenter, toujours sans +rien comprendre de ce qui lui arrivait. L'entrevue promettait d'être +délicate; elle exigeait du calme, du sang-froid, du temps surtout. D'un +autre côté, la brise de terre mollissait. Le canon de la frégate se fit +entendre à son tour, preuve certaine que le commandant de _la Santa-Fé_ +soit enfin parvenu à rejoindre son bord. La position devenait critique. + +«Il serait dommage de manquer l'affaire après avoir si bien commencé, +murmura l'enseigne. + +--D'autant plus que nous serions inévitablement mis au croc, répondit +maître Brombollio. + +--Comme des goujons au bout d'une ligne, ajouta le garde-marine. + +--Armez les avirons de galère, mes petits coeurs! commanda don Graviel, +et si vous tenez à votre peau, nagez, ventre bleu! nagez, les caïmans, +enlevez-moi çà connue des tigres!» + +Le brick-goélette ne tarda pas à glisser sur la mer unie, à l'aide de +ses longues rames. + +Fernando, sans perdre de temps, faisait charger à double projectile, +boulet et mitraille, toutes les pièces d'artillerie du _Caprichoso_. Les +négriers, voyant qu'on ne leur faisait aucun mal, se prêtèrent à tout de +fort bonne grâce. + +Cependant les embrasures du fort du Morro, sous lequel il faut +nécessairement passer pour sortir, s'illuminaient peu à peu. On voyait +les canonniers apprêter leurs pièces; les murailles du fort de la Puota, +qui défend également l'entrée du port, se garnissaient aussi de soldats. +La frégate _la Santa-Fé_ sembla faire des mouvements: les déserteurs +crurent reconnaître le son de ses trompettes appelant l'équipage aux +postes de combat; bientôt après elle largua ses voiles. Tous les +bâtiments légers de la station, canonnières, goélettes, pataches, +tartanes, se mettaient en route. Les commandements marins résonnaient +d'un bout à l'autre du port, et, chose plus douloureuse encore, le bruit +cadencé des avirons de la flottille de chasse devenait plus distinct de +minute en minute. On avait, à bâbord, le fort du Morro; à tribord, +devant et derrière, des ennemis flottants. + +«Oh! les femmes, les filles, les mantilles, les basquines et les jupons +de malheur! je les voudrais à tous les cinq cent mille diables. Race de +femelles damnées! perdition des hommes! engeance maudite! répétait à +chaque coup de rame maître Brombollio, qui donnait l'exemple de nager +vigoureusement. Il mêlait à ses malédictions des encouragements non +moins énergiques. «Nagez donc, les agneaux! disait-il; souquez! hardi! +ferme, mille millions de tonnerres! ne dormons pas. Voilà une satanée +canonnière qui veut nous couper la route!» + +Fernando, sa longue-vue de nuit en main, examinait la baie, et toussait +à intervalles égaux; c'était sa méthode pour témoigner de l'inquiétude. +Le grave garde-marine s'était spécialement chargé de la pièce à pivot, +qu'il pointait sur la canonnière la plus rapprochée. + +Quant à don Graviel, il commençait à craindre de perdre la partie. + +G. DE LA LANDELLE. + +_(La suite à un prochain numéro.)_ + + + +Courrier de Paris. + +La semaine n'a produit que des oeuvres dramatiques médiocrement +récréatives, et qui méritent à peine une rapide mention; _le Vieux +Consul_ aurait mieux fait, par exemple, d'attendre le carême; il est +d'un intérêt assez maigre pour qu'on regrette qu'il n'ait point patienté +jusqu'à cette époque si conforme à son tempérament. Ce vieux consul +n'est rien moins que Marius le proscripteur; or, je vous demande si les +proscriptions conviennent à la saison des bals masqués; quelques beaux +vers, une ou deux scènes énergiques, ont pu difficilement préserver +Marius du péril résultant de son apparition en plein carnaval; il a eu +affaire à un parterre d'étudiants encore tout émus du galop de la veille +et qui riaient aux éclats et jouaient, peu s'en faut, des scènes de +débardeurs aux moments les plus pathétiques; pour rien au monde, nos +étourdis ne voulaient de tragédie ce jour-là . Le mercredi des cendres, +le _Marius_ de M. Ponroy aurait peut-être monté aux nues! Il n'y a rien +de tel que de choisir son temps: arriver à propos est un grand art. + +Vous parlerai-je des vaudevilles venus au monde à la même époque, +pauvres créatures chétives, qui n'ont ni jeunesse ni gaieté et sont +peut-être déjà mortes, pour la plupart, au moment où je parle; _les +Oppressions de voyage_ enterrées en une soirée, sous les sifflets; _les +Comédiens ambulants_ reproduisant pour la centième fois, sans beaucoup +d'adresse ni d'esprit, le roman comique de Scarron; _le Nouveau +Rodolphe_, parodie des _Mystères de Paris_, que le parterre a sifflé +sans mystère? Non, vraiment, je n'abuserai ni de mon temps ni du vôtre +pour vous entretenir de ces fadaises; un seul vaudeville a survécu à +cette mortalité universelle: c'est _le Major Cravachon_. Ce brave major +ne manque ni de franchise ni de gaieté, il a servi sous Napoléon; on +s'en aperçoit à son ton vainqueur et à ses redoutables moustaches; et, +bien qu'il ait déposé son glaive, Cravachon n'en a pas moins l'humeur +terriblement belliqueuse; si vous n'avez pas pourfendu au moins trois ou +quatre chrétiens, vous n'êtes pas son homme; imaginez, d'après cet +échantillon, ce que Cravachon exigerait de celui qui s'aviserait +d'aspirer à l'honneur d'être son gendre; à moins d'être un foudre de +guerre, ne vous y frottez pas; or, les Césars et les Cravachons sont +rares, et notre vaillant major en est réduit à éconduire, l'un après +l'autre, une quantité de soupirants qui prétendent à la main de sa +fille. Quoi donc? faudra-t-il que la pauvre petite sèche et dessèche +dans les ennuis du célibat? Ne trouverons-nous pas, à la fin, un +fier-à -bras pour conclure ses noces? Cravachon commence à désespérer; le +monde n'est plus rempli que de lièvres, pense-t-il; enfin, un lion lui +arrive; celui-là a le poignet fort, le coeur vaillant, le jarret +intrépide; il donne à Cravachon un grand coup d'épée pour premier +certificat. Cravachon ne se sent pas d'aise, lui tend les bras, le +caresse, l'embrasse et lui dit; «Touchez là , vous avez ma fille!»--Cette +recette pour le mariage n'est pas encore très-répandue, et fort peu de +beaux-pères s'accommoderaient de recevoir le coup d'épée reçu par +Cravachon, au risque de rester comme lui six mois au lit à se faire +panser; mais ne sommes-nous pas dans un siècle original? Patience donc! +le goût en viendra peut-être, et ces demoiselles ne se marieront plus +autrement.--Les auteurs de cette petite pièce comique sont MM. Lefranc +et Labiche. + +La semaine du moins a été particulièrement remarquable par l'apparition +d'un important personnage; pendant deux jours il a visité les quartiers +les plus fréquentés et les rues les plus fameuses, excitant partout une +curiosité immense, et recevant des honneurs magnifiques: des hérauts +d'armes, des gardes à pied, des cavaliers le casque en tête, lui +servaient de cortège, au roulement du tambour, au bruit d'une musique +militaire; son état-major se composait de Grecs, de Romains, de +chevaliers armés de pied en cap, de gentilshommes ressuscités de la cour +de Louis XIII et de Louis XIV. C'est peu encore; les dieux et demi-dieux +s'étaient mis à sa suite; Hercule, Hébé, Vénus, Mars, Cupidon, Bacchus, +Junon, Minerve, Apollon, Jupiter lui même, le terrible Jupiter, lui +faisaient escorte; et le vieux Saturne n'avait pas dédaigné de monter +sur un char et d'en tenir les rênes. + +Un autre aurait pu tirer vanité de ces honneurs inouïs, et attendre que +des gens qui désiraient le visiter et le voir fissent auprès de lui les +premières démonstrations; mais le personnage en question a montré qu'il +n'était ni difficile ni exigeant sur l'affaire de l'étiquette; il a +tranché la difficulté en faisant, de sa propre personne, des visites +empressées aux notables habitants de la ville. C'est ainsi qu'il est +allé saluer successivement M. le ministre des finances, M. Sauzet, +président de la Chambre des Députés, M. le maréchal Soult, M. +l'ambassadeur d'Autriche, M. le président de la Chambre des Pairs, M. +Crinin-Gridame et M. Duchatel; mais son hommage le plus solennel a été +pour le château des Tuileries: c'est là qu'il s'est efforcé surtout +d'être agréable et de réussir. + +De quoi s'agit-il? dites-vous.--Mais d'un personnage de poids, du poids +de 1,370 kilogrammes.--Vous l'appelez?--Le boeuf gras, roi du carnaval; +son règne a duré trois jours: commencé et inauguré dimanche à dix heures +du matin, il s'achevait mardi soir aux abattoirs Montmartre. Les +courtisans et les grands-officiers de carnaval, qui l'avaient servi et +flatté pendant sa puissance, l'ont mangé en beefteack après sa chute; ô +fragilité des grosseurs humaines! + +Le boeuf gras mort, tout est dit, le carnaval est enterré. Un soleil +charmant, un ciel d'azur, ont éclairé son dernier jour; il est +impossible de finir plus gaiement, et surtout d'avoir pour cortège, et +pour témoins de sa journée suprême, des amis plus nombreux et plus +empressés.--Dès midi, une moitié de Paris s'était mise à ses fenêtres +pour voir passer le carnaval; l'autre moitié se répandait dans les rues; +de la Madeleine à la bastille, le boulevard était couvert d'une +population immense, qui s'agitait tumultueusement et se pressait sur les +dalles des contre-allées, tandis qu'une double haie de voitures occupait +les bas-côtés, s'allongeant à perte de vue; c'était l'image de l'égalité +parfaite; l'équipage armorié était rangé sur la même ligne que le +fiacre plébéien; l'élégante calèche et l'humble vinaigrette marchaient +du même pas monotone et lent; quant au carnaval, il était difficile de +l'apercevoir. Les curieux ne manquaient pas; ils arrivaient par +milliers, à pied, à cheval, en voiture, pour assister aux exercices du +dieu burlesque; mais le dieu daignait à peine se manifester çà et là , +sous la forme de quelques débardeurs crottés, trottant pédestrement à +travers la foule, qui les saluait de ses huées; et à peine deux ou trois +calèches chargées de masques venaient-elles, de loin en loin, témoigner +qu'en effet Paris était en plein mardi-gras. + +Le carnaval est encore une de ces vieilles institutions que le temps a +modifiées, sinon complètement détruites; autrefois, messire carnaval +s'éveillait dès le matin, s'affublait de son costume bigarré, couvrait +son visage du masque joyeux ou grotesque, et s'en allait par toute la +ville agitant ses grelots et amusant les passants, les scandalisant +quelquefois de ses lazzi et de ses propos effrontés; le carnaval +agissait en plein jour et à la face de tout le monde; ses desservants +innombrables, répandus de tous côtés, transformaient Paris, pendant deux +ou trois journées, en un immense magasin de masques en plein vent. + +Le carnaval d'aujourd'hui a d'autres fantaisies et d'autres habitudes; +il trônait autrefois dans la rue; il envahissait les carrefours, les +boulevards, les places publiques; on le rencontrait à chaque pas; +c'était lui, toujours lui; il était maître de la cité et de ses +faubourgs. Maintenant la lumière lui déplaît; la vie publique n'est plus +son affaire; d'année en aimée il s'est retiré de la rue, et on peut +prédire que dans peu de temps il en aura complètement disparu; il ne +restera du carnaval en plein air que cette population ambulante et +curieuse,--qui viendra encore le chercher à travers la ville, longtemps +après qu'il n'y sera plus. + +Il ne faut pas conclure de ce qui précède que le carnaval est défunt; il +n'a jamais eu, au contraire, une vie plus agitée et plus furieuse; il ne +s'est jamais livré à sa folle passion avec moins de modération et de +retenue: mais, au lieu du jour, c'est la nuit qu'il recherche; le +carnaval est devenu noctambule. Honnêtes curieux désappointés, qui avez +passé toute votre journée à courir vainement après le carnaval en +soufflant dans vos doigts, si le soir, minuit venu, vous étiez entrés +dans la salle de l'Opéra-Comique ou de l'Opéra, si vous vous étiez +glissés au Prado et dans tous les lieux nocturnes où le bal trouve +asile, c'est pour le coup que le carnaval vous aurait apparu dans toute +sa force et sa souveraineté.--Oui, le voilà ! c'est bien le carnaval, on +le reconnaît à ses cris, à son agitation, à ses traits convulsifs, à son +effronterie, à sa fureur pour le plaisir; c'est lui qui a revêtu de ses +oripeaux cette multitude diaprée; c'est lui qui la précipite dans cette +joie violente, dans cette danse à tous crins, dans cete valse à tous +bras!--Tout s'explique; le carnaval se calme et se repose pendant le +jour, afin d'avoir assez de force pour soutenir le choc de ses nuits +terribles. Il fait comme ces gastronomes et ces débauchés prudents qui +se préparent, par un peu de diète et d'abstinence aux excès d'un énorme +repas et d'une orgie. + +Quant à su mort et à sa sépulture, le carnaval n'a rien changé aux +usages passés; c'est toujours le lendemain du mardi gras qu'il expire; +c'est toujours à la Courtille que se célèbre, la cérémonie funèbre, et +que les adorateurs du carnaval viennent l'escorter en grande pompe et +assister à son dernier soupir. + +Le carnaval de 1844 a été inhumé avec un cérémonial inaccoutumé et une +si grande affluence de fidèles que nous sommes obligés, en conscience, +d'en faire part aux abonnés du _l'Illustration_, et de leur mettre sous +les yeux les traits principaux de cette fin mémorable. + +Il est six heures du matin; les réverbères mêlent au jour naissant leurs +dernières lueurs blafardes. Cette rue qui s'allonge devant vous se nomme +la rue du Faubourg-du-Temple. Il est aisé de la reconnaître à l'enseigne +qui se fait voir à gauche avec ces mots; _Vendanges de Bourgogne._--Les +bals viennent de cesser; les danseurs, pâles, haletants, les yeux caves, +harassés des joies de la nuit, se sont jetés pêle-mêle, ceux-ci dans le +fiacre, ceux-là dans le cabriolet, d'autres dans la calèche béante; ils +s'en vont tous à la Courtille user de leur dernière heure et saluer de +leurs derniers cris d'amour le carnaval qui finit, à la barbe du +mercredi des cendres.--Vous les voyez qui vont et viennent, montent et +descendent; la rue est encombrée de voitures et de mascarades. En voici +une qui s'arrête. Quels gestes! Quelles attitudes! D'où vient cette +halte? Pourquoi cette pantomime énergique et cet air agressif? Eh! ne +faut-il pas que ces vaillants masques se défendent? Se laisseront-ils +impunément railler par cette commère à l'éloquence hasardée, qui leur +montre le poing et leur lance à bout portant des fragments de dialogue +qui n'ont rien d'attique? Ce n'est pas à cette heure, et dans la rue du +Temple, qu'il faut compter sur des voix mélodieuses comme la voix de +Cinti-Damoreau ou de Persiani; ce n'est pas à la descente de la +Courtille qu'on enseigne les belles manières et la modestie; ce n'est +pas entre débardeurs qu'on tient école de marivaudage. Cependant un +sergent de ville, las de cette rude campagne du carnaval, s'endort à ce +terrible vacarme, comme Tytire au doux murmure d'une source limpide. +Mais que vois-je près de lui? Un enfant tout nu! c'est l'ami Carême, +fils posthume du Carnaval. + +[Illustration: Descente de la Courtille.] + +[Illustration: Un Sergent de Ville le mercredi des cendres.] + +Puisque Carême vient de naître, il est clair que Carnaval est trépassé. +Le père n'a jamais pu vivre avec le fils. Et, en effet, Carnaval n'est +plus, voici qu'on le fait porter en terre, non pas comme feu M. de +Marlborough, «par quatre-z-officiers,» mais accompagné d'un cortège +digne du défunt, et tout à fait de circonstance. + +Le Mardi gras est couché sur le dos, comme il convient à un mort; on a +eu soin de le revêtir de tous ses insignes, ordres de toute espèce et +décorations. Tandis que le pauvre hère, tout à l'heure si tapageur et si +bon vivant, garde cette position immobile, on voit à droite le Mercredi +_descendre_ de son échelle; Mercredi ne se décide pas à cet exercice +sans quelque hésitation; il a peur du Mardi gras, tout mort qu'il paraît +être; tels les héritiers du grand Alexandre ne pouvaient approcher de +ses restes sans pâlir. Le Temps, qui n'entend pas raison sur cette +question et veut que ses affaires marchent, le Temps pousse +très-positivement Mercredi par derrière pour lui donner de l'audace et +l'obliger à sauter le pas. + +Mercredi mène à sa suite le cortège ordinaire et la cour de sa très-pâle +et très-étique majesté Carême: poissons de mer et d'eau douce, oeufs +frais, panais, carottes, choux, salades, oignons, épinards, chicorées, +toute l'insipide nation des légumes. Un peu plus loin, le dieu Mars +survient absolument comme mars en carême. + +L'apparition du Mercredi des cendres et la mort du Mardi gras produisent +des émotions diverses: chacun, selon ses intérêts, fête l'avènement de +l'un ou regrette le trépas de l'autre. Les sergents de ville, ces +martyrs du carnaval, saluent avec joie l'arrivée de Mercredi, comme le +signal du repos et de la délivrance; cependant au son de la cloche que +Mercredi fait résonner dans ses mains, les débardeurs, effrayés, sentant +leur fin prochaine, se dispersent avec effroi; c'est pour eux le +tintement du jugement dernier. Quelques intrépides s'efforcent de faire +bonne contenance et de défendre pied à pied l'empire du Mardi gras; ils +forment un bataillon sacré et luttent jusqu'à la dernière extrémité, +menaçant Mercredi du geste et de la parole. Vain courage! héroïsme +inutile! qui peut arrêter le Temps? Mardi n'est plus; Mercredi s'empare +invariablement de son domaine et règne à sa place, en attendant que +Jeudi le détrône à son tour, et ainsi de suite jusqu'à la fin du monde +et des calendriers. + +[Illustration: l'Ami Carême, fils posthume de Mardi Gras] + +[Illustration: Enterrement du Carnaval.] + +Ce personnage qui pleure à chaudes larmes sent bien que le mal est +irrémédiable; c'est un garçon de café-restaurant: il est plus +particulièrement frappé que d'autres par la mort du Mardi gras. Que de +petits soupers il y perd, et que de pourboires! aussi voyez ses yeux se +fondre en eau; est-il une plus belle oraison funèbre? et que ce Mardi +gras est heureux d'ètre si tendrement regretté!--_De profundis!_ de la +part du petit Carême, fils de Mardi gras, qu'on élève secrètement au +champagne-Darbo pour le fortifier et en faire le Mardi gras de l'année +1845. + +Adieu, cher lecteur, et au revoir; j'espère que tu vas passer ton carême +honnêtement et que tu rachèteras tes péchés petits ou gros du carnaval +dernier. + + + +Théâtre royal de l'Opéra-Comique. + +CAGLIOSTRO, OPÉRA-COMIQUE EN TROIS ACTES, PAROLES DE MM. SCRIBE ET DE +SAINT-GEORGES, MUSIQUE DE M. ADOLPHE ADAM. + +On connaît l'histoire du grand Cagliostro, soi-disant fils d'un grand +maître de Malte, élevé secrètement en Arabie par le sage _Althotas_, +initié aux sciences occultes dans les pyramides d'Égypte, lequel +prédisait l'avenir, guérissait toutes les maladies, prolongeait la vie +indéfiniment et évoquait les morts. Le plus merveilleux n'est pas qu'un +homme ait imaginé toutes ces absurdités, c'est qu'il soit parvenu à les +faire croire, et cela à Paris, au dix-huitième siècle, vingt-cinq ans +après la publication de l'Encyclopédie, huit ans après la mort de +Voltaire, quatre ans avant la convocation des États-Généraux, qui furent +l'Assemblée nationale. Et qui avait-il pour adeptes? des couturières, +des blanchisseuses? Non pas, s'il vous plaît, mais de belles dames et de +grands seigneurs, et à leur tête un archevêque, prince de l'Église, et +longtemps ambassadeur du roi Très-Chrétien, le cardinal de Rohan! + +Ce héros singulier vient d'avoir son tour auprès de la muse de M. +Scribe, muse, comme on sait, d'humeur facile, et incapable de rebuter +qui que ce soit. + +M. Scribe a mis sur le théâtre le personnage, mais non son histoire, ou +du moins aucun acte qui nous soit positivement connu. Mais si Cagliostro +n'a pas fait ce que M. Scribe lui prête, du moins il a pu le faire. Que +peut-on exiger de plus du drame en général et de l'opéra-comique en +particulier? + +[Illustration: Opéra-Comique: _Cagliostro_ 3e acte, scène du +magnétisme.--Madame Anna Thillon, Corilla; madame Boulanger, la marquise +Pottier, Cecilli; M. Chollet, Cagliostro; M. Henri, Caracoli; M. Mocker, +le chevalier.] + +Au moment où commence la pièce, toutes les imaginations sont frappées +des prodiges accomplis par Cagliostro, Paris et Versailles ont à la fois +les yeux sur lui, et les journaux sont pleins de récits merveilleux dont +il est le héros. + +Parmi les personnes qui croient Cagliostro sur parole, il faut mettre en +première ligne un prince bavarois tout récemment débarqué à Paris, et +une certaine marquise de Volmérange, femme jadis à la mode, qui doit +avoir été charmante du temps du cardinal de Fleury, et qui, j'en suis +sûr, n'était pas encore trop mal en point sous le règne de madame la +marquise de Pompadour. Elle a vu longtemps à ses pieds,--c'est elle qui +le dit,--le roi Louis XV et toute sa cour; mais tout est bien changé +depuis le nouveau règne. Ses beaux jours sont passés, ses honneurs sont +détruits. Comment les faire renaître? comment remonter le cours des +années? comment effacer les fâcheuses traces que cet insolent vieillard +qu'on nomme le Temps a imprimées sur son visage? Assurément il faut +toute la science et tout le pouvoir d'un Cagliostro pour cela. + +Le Bavarois n'est guère moins embarrassé: il est amoureux, cet infortuné +prince, amoureux d'une cantatrice appelée Corilla, artiste célèbre, qui, +depuis trois ans, occupe tous les _dilettanti_ et tous les badauds de +l'Italie. Mais il a eu beau lui peindre sa passion dans les termes les +plus pathétiques, et joindre à l'offre de sa fortune celle de sa main, +il n'a pu rien obtenir, Corilla lui rit au nez toutes les fois qu'il +entame le chapitre de son amour.--C'est donc une étrange bégueule, +dites-vous, que cette Corilla?--Point du tout, lecteur; attendez la fin +de mon récit, et ne faites pas de jugement téméraire. + +«Monsieur le comte, dit le prince au charlatan, ne pourriez-vous me +donner quelque secret, quelque philtre pour me faire aimer d'une +cruelle?» Cagliostro, qui a vu jouer _le Philtre_ à l'Académie royale de +Musique, et qui sait son Scribe par coeur, répond sans hésiter: + +--Dans notre état, nous en tenons beaucoup. + +--Il serait vrai? + +--Chaque jour j'en compose, car on en demande partout. + +--Et vous en vendez? + +--Oui. + +--Et combien? + +--Peu de chose. + +«Dix mille livres le flacon, pour ne point vous faire marchander.--Ah! +c'est pour rien, en vérité, et je vous devrai la vie.» + +La consultation de la marquise, est bien plus importante encore. +«Monsieur le comte, ne pourriez-vous me rendre mes beaux jours +d'autrefois, l'éclat dont brillaient jadis les roses qui +s'épanouissaient sur mon visage, et le timbre argentin de ma voix, qui +chevrote si misérablement aujourd'hui?--Oui, madame.--Oh! donnez, +donnez, et toute ma fortune...--Doucement! il faut du temps pour +composer ce breuvage; il se fait avec le suc de plantes qu'on ne peut +cueillir que sur les plus hautes montagnes du globe. Un de mes amis en a +consommé, il y a quelques jours, le dernier flacon; il n'en a rien +laissé. Ah! si fait! il en reste deux ou trois gouttes.--Ah! +donnez-les-moi, monsieur le comte!-Hélas! madame la marquise, il y a à +peine dix minutes de jeunesse au fond de cette petite bouteille.--Eh +bien! ce seront dix minutes pendant lesquelles j'oublierai mon +chagrin.--Au fait, dit tout bas Cagliostro en regardant autour de lui, +il n'y a pas de glaces dans ce salon, et quant à ce miroir, je puis m'en +défaire.» II jette le miroir par la fenêtre, et donne le précieux +flacon. + +La marquise boit, puis cherche partout son miroir, mais en vain. Quel +désespoir! Être jeune, et ne pouvoir pas jouir de sa jeunesse, même par +la vue! ne pouvoir pas s'assurer de sa métamorphose! L'idée ne lui vient +pas, à cette pauvre marquise, qui n'a pas de glaces dans son salon, +d'aller consulter au moins sa toilette dans sa chambre à coucher, ou de +s'assurer avec ses deux mains si sa taille est redevenue fine et svelte +comme autrefois; elle ne sait que crier à tue-tête: «Mon miroir! où est +donc mon miroir?» Quand soudain le marquis de Caracoli se présente, +s'incline devant elle, et dit d'un air étonné: «Quelle est donc cette +jeune fille?» Ah! pauvre marquise! quelle vieille, ne fut-elle qu'une +petite bourgeoise, ne se pâmerait d'aise en entendant faire une pareille +question? + +Ce Caracoli, vous l'avez, deviné sans doute, clairvoyant lecteur, n'est +autre qu'un adroit compère, introduit dans la maison par Cagliostro, +pour l'aider à ses tours de passe-passe. Il a fort bien débuté, en +tombant de voiture tout exprès pour se faire guérir des suites de ce +terrible accident. «Ah! monsieur le comte, s'écrie la vieille, un flacon +de votre eau de Jouvence, et je n'aurai rien à vous refuser. Vous +n'aurez, qu'à dire.--Madame, dit l'élève d'Althotas, vous savez que ce +n'est jamais l'intérêt qui me guide. Il n'y a qu'une récompense à +laquelle j'aspire; c'est la main de votre charmante nièce.» + +La charmante nièce a un million de dot. + +Malheureusement, elle est peu disposée à jouer ce rôle de lettre de +change, car elle aime de tout son coeur son cousin le chevalier de +Saint-Luc, qui le lui rend de son mieux. Mais Cagliostro a des moyens à +lui pour vaincre toutes les difficultés, comme il a des remèdes pour +guérir toutes les maladies. + +Le compère Caracoli, très-subtil espion, je vous le jure, a surpris une +conversation fort intéressante entre le chevalier et une jeune étrangère +qui est venue lui rappeler d'anciennes amours et d'anciens serments. +L'étrangère est justement cette Corilla dont je vous ai déjà parlé, et +vous comprenez, maintenant, pourquoi le prince a toujours perdu auprès +d'elle son temps et son... bavarois. Caracoli va chez elle, lui apprend +la trahison du chevalier, et l'amène en secret dans un cabinet voisin du +laboratoire de son maître. Là elle acquerra des preuves palpables de +l'infidélité de son muant. Bientôt, en effet, le prince, la marquise, et +sa nièce Cécile, arrivent dans ce laboratoire. Cagliostro débute par +faire de l'or en leur présence. C'est une des merveilles dont ils sont +le plus curieux.--«Je donnerais mille louis, dit la marquise, pour voir +faire devant moi un grain d'or.»--A ce prix-là , on comprend que +l'opération ne serait pas difficile; et, de fait il n'en coûte pas tant +à Cagliostro. Il lui suffit de glisser adroitement dans le creuset +embrasé le lorgnon du compère Caracoli, lequel est cruellement mystifié +par ce tour de physique amusante. Le pauvre homme tenait beaucoup à son +lorgnon. Il faut vous dire que ce Caracoli, si spirituel et si fin au +premier acte, n'est plus, au deuxième, qu'un sot et qu'un poltron. Si +cette métamorphose était l'ouvrage de Cagliostro, ce serait la preuve la +plus incontestable qu'il pût donner de son savoir-faire. + +Le _grand oeuvre_ accompli, Cagliostro parle mariage, et la marquise se +montre fort bien disposée en sa faveur, mais non le chevalier, et encore +moins Cécile, qui déclare aimer passionnément son cousin.--«Bah! dit +Cagliostro, vous ne l'aimerez longtemps; passez, seulement cinq minutes +toute seule dans ce cabinet.» Cécile y entre; elle y trouve Corilla, et +reparaît bientôt pâle et agitée.--«Mon cousin, tout est fini entre +nous!... Monsieur, voici ma main.» + +Qui est étonné? Le chevalier; mais bientôt Corilla se montre, et tout +s'explique.--«Oui, traître! oui, ingrat! c'est moi qui ai tout fait; je +lui ai révélé notre amour; je lui ai montré ton portrait, les lettres et +le poignard que tu m'as donné pour le percer le coeur, si jamais ce +coeur devenait infidèle...--«Ma foi, répond tranquillement le chevalier, +je vous avoue, ma bonne, que vous n'en trouverez jamais une meilleure +occasion. Je ne vous aime plus du tout, parole d'honneur! mais, en +revanche, j'aime ma cousine comme je ne vous ai jamais aimée.» + +La déclaration est tout à fait galante! + +Là -dessus vous croyez, que Corilla arrache les deux yeux au butor, ou +qu'au moins elle se trouve mal. Tant s'en faut! «A la bonne heure, +monsieur. J'aime cette franchise; mon amour n'était qu'un pur +enfantillage, n'en parlons plus. Pst!... le voilà parti, et je ne veux +plus m'occuper que du vôtre.» + +Voilà un bel exemple, madame, et je vous conseille, dans l'occasion, de +ne pas manquer n'imiter Corilla. + +A eux deux ils viennent bientôt à bout du Caracoli, qui craint la +potence, et qui, pour se mettre en sûreté, vend, moyennant cinq cents +louis, tous les secrets de son maître. Ces secrets sont écrits de la +propre main du charlatan sur un gros cahier de papier. Ces habiles de +comédie sont toujours prêts à faire, quand l'auteur en a besoin, les +plus grosses maladresses et les plus insignes bévues. + +Armé de ces terribles papiers, le chevalier aborde Cagliostro d'un air +triomphant. «Vous allez, écrire ici même, tout de suite, et sous ma +dictée, votre renonciation à la main de Cécile.--Volontiers,» dit +Cagliostro, et il écrit. Puis, s'interrompant d'un air indifférent et +lui présentant sa tabatière: «En usez-vous?--Volontiers,» dit le +chevalier, lequel devient à son tour un sot, pour ménager à M. de +Saint-Georges nue péripétie. Ce tabac, comme il devrait bien s'en +douter, n'est pas du tabac, mais de la belladone. Il ne tarde pus à +s'endormir, et Cagliostro reprend ses papiers. Puis il pousse un +ressort, et le trop confiant chevalier descend par une trappe... où il +vous plaira. + +Voilà Cagliostro à Versailles, chez la marquise, où le mariage doit +avoir lieu. Avant la noce, madame de Volmérange a promis aux conviés de +les régaler d'une scène de magnétisme. Cagliostro a chargé Caracoli de +lui amener une somnambule lucide, dont il a d'avance mis par écrit les +réponses. Il vaudrait mieux sans doute qu'il fit ses affaires lui-même; +mais les grands hommes sont toujours si occupés! + +La harpe résonne; la porte retentit. Une femme voilée s'avance et +s'assied sur le fauteuil préparé pour elle au milieu de la brillante +assemblée. Cagliostro s'approche et exécute autour de la tête du sujet +toutes les passes usitées en pareil cas. Puis il écarte le voile... O +surprise! ô terreur!... C'est sa femme qu'il croyait bien loin et qu'il +retrouve à ce moment fatal. Et qui est cette femme qui revient si mal à +propos? Corilla en personne, qui l'avait quitté jadis, exaspérée par ses +mauvais traitements, et n'avait fait qu'un saut du toit conjugal sur le +théâtre! Or, la polygamie est un cas pendable: force est donc au grand +Cagliostro de se désister de ses hautes prétentions. Mais du moins il se +vengera sur sa femme... Vain espoir! Corilla lui présente un bref du +pape qui casse son mariage. Puis elle unit de sa main Cécile au +chevalier, et couronne enfin la constance du Bavarois, lequel ne manque +pas d'attribuer ce dénoûment inespéré au philtre qu'il a bu dans la +matinée. + +Tout cela forme un drame très-compliqué, mais cependant très-clair. On +reconnaît toute l'habileté de M. Scribe à l'aisance avec laquelle il +dispose ces faits et amène les innombrables péripéties au milieu +desquelles tout autre que lui se serait vingt fois perdu. Mais tout son +savoir-faire n'a pu réussir à intéresser le spectateur à cette +collection de sots, de fripons, ou de gens froidement honnêtes, et +dépourvus de sentiments énergiques et de passions sincères. Ces +messieurs et ces dames ont souvent de l'esprit, mais ils n'ont presque +jamais du coeur. + +Quelle est cependant la mission de la musique, si ce n'est de traduire +en un langage harmonieux les mouvements du coeur? + +Il n'est donc pas étonnant que M. Ad. Adam, chargé d'ajuster de la +musique à ce drame, ait senti plus d'une fois son imagination défaillir +et sa verve lui faire défaut. Dans tout le cours du ces trois actes, il +n'a presque jamais à mettre en musique que de froides plaisanteries. +Tantôt ce sont des couplets où le bavarois dresse l'inventaire des +prodiges accomplis par Cagliostro, tantôt c'est un air où Cagliostro se +moque, à part lui, de la crédulité parisienne. Quand Corilla vient de +recevoir à bout portant la gracieuse déclaration que je vous ai +racontée, restée seule, elle se met à chanter _victoire! victoire!_ En +vérité il n'y a pas de quoi. Cécile et le chevalier n'échangent pas, de +l'exposition au dénouement, une seule note qui ait pour objet de peindre +leurs froides amours. Le prince bavarois lui-même, dont la passion est +ridicule, mais sincère, ne chante pas une seule mesure qui ait quelque +rapport à l'état de son âme. + +Il ne faut donc pas reprocher trop rudement à M. Adam d'avoir produit +une partition froide, monotone et décolorée. C'était la conséquence +nécessaire de la position où il s'était mis. La passion sérieuse était +d'avance exclue de sa partition. Il y restait à la vérité la passion +_bouffe_, et, sous ce rapport, il avait quelques scènes assez heureuses +à traiter, par exemple, celle où la marquise boit la prétendue eau de +Jouvence, et se croit rajeunie; celle où Cagliostro fait de l'or; +d'autres encore. Mais la gaieté vive et la verve bouffonne ne sont pas +le caractère du talent de M. Adam; et, bien qu'il ait mis dans ces +scènes-là , comme dans tout le reste, une habileté de détails +incontestable, il me semble qu'il est presque toujours resté un peu +au-dessous des situations qu'il avait à peindre. Son ouvrage atteste, en +général, du soin et un travail assez consciencieux; le style en est +correct, l'instrumentation habile; chaque morceau pris en particulier +est très-bien fait, mais presque tous manquent d'inspiration, de chaleur +et de vie. + + +Fragments d'un Voyage en Afrique(3). + +(Suite.--Voir t. II, p. 354, 371 et 390.) + + [Note 3: La reproduction de ces fragments est interdite.] + +Tandis que j'habitais Tekedempt, je fus souvent appelé auprès du l'émir, +soit pour lui servir d'interprète, soit pour l'entretenir de divers +projets. Sa confiance en moi était extrême; aussi étions-nous fort bien +ensemble. Il a la parole familière et rapide, le geste expressif; sa +voix n'a rien de mâle; il saisit facilement et se montre toujours avide +d'instruction; il ne s'exprime qu'en arabe et se croirait damné s'il +parlait la langue des chrétiens; cependant il connaît un peu de français +et prononce _chassurs_ lorsqu'il veut désigner les chasseurs d'Afrique. +Son caractère est ferme dans toutes les circonstances; il est doux, +affable, charitable, mais d'une excessive sévérité. Quand il a prononcé +une sentence, il faut qu'elle s'exécute. Vers la fin de 1839, il fit +publier que quiconque serait pris se rendant dans nos possessions ou +convaincu d'avoir assisté à nos marchés, aurait la tête tranchée. Deux +Arabes enfreignirent cet ordre: ils étaient allés vendre des boeufs à +Bouffarick. A leur retour, ils furent mis à mort, et leurs corps +demeurèrent exposés pendant trois jours au marché de Médéah. En juillet +1840, étant au camp du Chélif, je vis arriver dix-sept Arabes pris en +flagrant délit de commerce avec les français. L'émir les condamna au +supplice, parmi eux était un jeune homme de quatorze ans qui avait suivi +son père; son jeune âge toucha plusieurs kalifats, qui demandèrent grâce +pour lui. L'émir fut insensible à leurs prières; on alla même jusqu'à +proposer 1.000 piastres fortes d'Espagne pour la rançon du jeune homme. +Peine inutile! «Citez-moi, dit Abd-el-Kader à ses lieutenants un seul +exemple où j'ai révoqué un ordre, et je pardonne.» Cinq minutes après, +le yatagan d'un cavalier envoyait le fils rejoindre son père! + +Abd-el-Kader est né dans la province d'El-Beris, à l'est de Mascara, de +Sidi-Hadji-Muhydin, marabout très-vénéré dans le pays. Il pousse l'amour +de l'islamisme jusqu'au fanatisme. Depuis son retour de la Mecque, où il +se rendit à l'âge de vingt et un ans, il passe une grande partie des +nuits à lire le koran; il jeûne presque tous les jours, ce qui ruine sa +santé. Son état est maladif, et pourtant son activité ne se ralentit +point. En voyage, il est toujours prêt à marcher; je l'ai vu aller de +Tlemcem à Tekedempt en trois jours, tandis que ses courriers en mettent +huit. L'orgueil et l'ambition dirigent son coeur et sa tête; il +n'hésiterait pas, s'il le pouvait, à mettre un pied dans la régence de +Tunis et l'autre dans l'empire de Maroc. Parlez-lui d'innovations, de +grands projets, d'entreprises hardies, et vous voyez, ses traits +s'animer et ses yeux lancer des éclairs. J'ai parlé plus haut de son +costume; il est d'une simplicité dont rien n'approche. Une culotte de +toile à voile ou de laine, une chemise d'escamile, une autre en laine, +un gilet et une veste de la même étoffe, un haick grossier et deux ou +trois burnous, voilà toute sa garde-robe: sa tête est serrée par une +corde en poil de chameau, son gilet est retenu par une ceinture rouge à +laquelle est suspendu un mauvais mouchoir. Ses habits, parfumés au musc +du reste, forment un singulier contraste avec l'or et l'argent qui +brillent sur ceux des grands dignitaires. + +Le marabout Hadji-Mahydin avait deviné la haute fortune de son fils. Il +jouissait parmi les Arabes d'une grande influence qu'il devait à la +sainteté de son caractère. Ses trois fils, Tidi-Saïd, Abd-el-Kader et +Sidi-Mustapha, élevés dans la crainte du Prophète, se partageaient avec +lui l'admiration des Arabes. Après la perte d'Alger, d'Oran, etc, les +habitants de ces villes qui s'étalent réfugiés dans l'intérieur allèrent +demander un chef au vieux Mahydin; ils désignèrent même son fils aîné +Tidi-Saïd. Le marabout, après avoir réfléchi quelques instants, leur +dit, en leur montrant son second fils: «Voici votre chef; il est seul +capable de prendre les rênes d'un gouvernement naissant. «L'événement a +justifié sa prédilection. Abd-el-Kader avait vingt-six ans à l'époque où +on le salua du titre de Sultan. Son orgueil dut s'accroître +naturellement lorsqu'il se vit, si jeune, appelé à régénérer l'Afrique, +l'énergie de son caractère et son désir de renommée le rendirent propre +à de grandes choses. Il rechercha toutes les occasions de mettre en +évidence les qualités qui le distinguaient de ses frères. Les +commencements lui furent très-pénibles. Il avait à combattre les +Français d'un côté, et de l'autre les tribus révoltées. Sans armée, sans +argent, il fallait qu'iI ne compromît point ses mandataires et qu'il +répondît à leur confiance. Alors il fit appel aux hommes de bonne +volonté, et contracta des emprunts considérables à Mascara. Avec +l'argent qu'il obtint, il acheta des armes et des munitions. Son étoile +fit le reste. Il eut bientôt réuni quatre mille réguliers volontaires et +six mille auxiliaires. Cette armée envahit le territoire des tribus +insoumises et les mit à contribution. Il paya ses créanciers et organisa +sa cour. Son nom devint un épouvantail pour les Arabes; on se soumit et +on admira cet homme, qui venait de créer un empire sans autre ressource +que son génie. Pendant quelque temps il put se reposer sur sa gloire; +mais les Français l'inquiétaient au dehors. Il les attaqua, et leur fit +éprouver d'abord quelques pertes. Son triomphe ne fut pas de longue +durée; car, peu de temps après, au moment où il s'y attendait le moins, +nos troupes fondirent sur son camp, et massacrèrent la moitié de son +armée. Il ne dut la vie qu'à l'agilité de son cheval. Le danger qu'il +courut alors parut si imminent aux Arabes, qu'ils pensent tous que leur +chef est muni d'un talisman qui le met à l'abri des balles. Ce revers, +loin d'abattre son courage, ne fit que l'augmenter. Il attaqua les +Français pendant l'expédition de Mascara. Vaincu pour la seconde fois, +il se replia sur Tlemcem, qu'il quitta bientôt, à l'approche de l'armée +française, emportant avec lui ce que la ville contenait de plus +précieux. Menacé dans la dernière retraite qu'il s'était ménagée à +Tekedempt, il n'eut d'autre moyen de relever sa fortune que de faire la +paix. Des négociations s'ouvrirent aussitôt: le traité de la Tafna en +fut la suite. Nos troupes abandonnèrent Mascara et Médéah; Tlemcem fut +rendue à l'émir. Celui-ci devait, en retour, fournir à nos troupes des +boeufs, de l'orge et du blé, tandis qu'il en recevrait deux cents fusils +et mille quintaux de poudre. Pendant qu'il traitait avec la France, les +tribus de l'intérieur se soulevèrent de nouveau contre son autorité: il +profita de la trêve pour les faire rentrer sous le joug. Sa gloire ne +fit que grandir dans toutes ces campagnes qu'il termina à son avantage. +Il a soumis les Oueuseris, les Ziben, les Ghronat, et beaucoup d'autres +tribus contre lesquelles avaient échoué les efforts réunis de plusieurs +beys. Il a bloqué pendant huit mois son redoutable rival Tedjini (le +lion du désert) dans son inaccessible tanière d'Ain-Mahdin, que trois +beys ont vainement assiégée. Il s'en empara en sacrifiant à cette +conquête stérile ses trésors et ses sujets. Son armée fut réduite de +moitié par les périls du siège, et la perte lui fut d'autant plus +sensible, qu'il comptait dans ses rangs un grand nombre de déserteurs +français. + +On lui doit la justice de dire qu'il est digne de commander aux Arabes. +Il a tout ce qui constitue le chef de gouvernement: la fermeté, la +prudence, la bravoure, l'intelligence, l'activité. Son intérieur répond +à son costume. Toutes ses habitudes trahissent une indifférence profonde +à l'endroit des biens de la terre. Il habite rarement la ville. Son +douair est à quelques milles de Tekedempt. Lui et sa famille campent +sous une tente assez vaste et d'une élégante simplicité. C'est là qu'il +donne audience et réunit son conseil. Tout ce qui touche à +l'administration passe par ses mains, et il n'appose son sceau sur +aucune lettre avant de l'avoir lue. Rien n'échappe à sa vigilance; mais +il ne traite les affaires sérieuses qu'après avoir consulté ses +ministres. Voici l'emploi ordinaire de sa journée: il sort de son +habitation vers neuf heures, pour se rendre à la tente d'audience. Après +une courte prière, il s'entretient avec ses conseillers, puis il +explique le Koran au peuple jusqu'au _dhoour_ (une heure d'après-midi); +il fait alors une nouvelle prière à haute voix, à laquelle s'associent +les assistants; puis il rentré sous la tente, où il se livre, jusqu'au +coucher du soleil, aux soins administratifs. Après le _meraoub_ (coucher +du soleil), il tient conseil, fait sa correspondance, médite le livre +saint, et enfin se couche. Il est à remarquer que, depuis le matin, il +reste immobile sous sa tente, assis à l'orientale, les jambes croisées. +Il ne prend aucune nourriture pendant tout ce temps, quoiqu'il ne cesse +point de parler, de crier et de lire. Ses repas se composent +ordinairement de couscoussou. Abd-el-Kader se couche ordinairement à +minuit pour se lever à quatre heures. A moins qu'il ne voyage ou ne +fasse la guerre, il ne change rien à l'emploi de sa journée. Quand les +affaire de son gouvernement l'exigent, il se retire à une heure avancée +de la nuit, car il ne lève jamais la séance sans terminer les affaires +qui lui sont présentées; dans ce cas il consacre à la prière et à la +lecture une partie de ses heures de repos. + +Il fuit l'éclat et le luxe extérieurs. Le service de sa maison est fait +par douze esclaves, qu'il a achetés avec sa propre bourse. Il ne +détourne jamais rien à son profit des fonds affectés aux services +publics; il s'en considère comme l'administrateur, et non comme le +propriétaire. Ses dépenses sont prélevées sur les revenus de terres +qu'il fait cultiver dans l'intérieur. Le patrimoine de son père suffit à +ses besoins domestiques. L'émir manque quelquefois d'argent, et je l'ai +vu vendre une de ses négresses pour couvrir les dépenses de sa famille. + +Abd-el-Kader est souvent visité par des musulmans, qui le consultent sur +leurs intérêts et paient ses conseils. Il reçoit tout ce qu'on lui +offre; mais cet argent passe presque aussitôt entre les mains des +indigents qui assiègent sa tente. Un jour il leur donna son burnous et +une de ses chemises. Chaque fois qu'il sort, une foule innombrable se +précipite sur ses pas, le presse et baise tour à tour ses mains, ses +épaules et ses habits: on l'empêche même d'avancer; alors les _tchiaoux_ +(espèce de gardes du corps) s'arment de bâtons et ouvrent un passage à +leur souverain en chassant le peuple devant eux. «Que faites-vous? +s'écrie l'émir; qui vous a ordonné de battre ces croyants? Sont-ce des +chrétiens? Laissez-les, puisque je ne me plains pas.» + +Tous les cadeaux que le gouvernement français offrit, dans le temps, au +sultan, et qui consistaient en tapis, sabres, pistolets, fusils, +services de porcelaines, etc., etc., sont restés peu de temps chez lui; +il les a envoyés à l'empereur de Maroc en échange de quelques quintaux +de poudre. Son intérieur est moins soigné que celui des Arabes aisés. Le +douair ne se compose que de deux grandes tentes en poil de chèvre noir +et de six autres plus petites. Une palissade de branches sèches et un +petit mur en pierres font le tour du douair. La famille de l'émir se +compose de sa mère, de sa femme, de sa fille et des esclaves. Il aime +beaucoup sa femme, à qui il n'a pas voulu donner de rivale, +contrairement à la coutume des Arabes, qui ont quelquefois jusqu'à +quatre femmes légitimes. Sa vénération pour si mère est inexprimable; il +n'est pas de soins qu'il ne lui prodigue. C'est une femme de +soixante-dix ans à peu près, et d'un naturel maladif. Elle est fille +d'Alonet, de la province d'Elzeris. Elle est venue retrouver son fils à +la mort de son époux Mahydin, qui fut empoisonné il y a quelques années. +Abd-el-Kader avait un fils qui mourut à l'âge de cinq ans, lors de la +signature du traité de Tafna. La mort de l'héritier de sa puissance +l'attriste beaucoup, et il y pense sans cesse. Depuis, il a reporté +toute son affection sur sa tille, qui compte à peine une douzaine de +printemps. + +La femme de l'émir est née dans la province de Mascara, d'un négociant +nommé Sidi-Kratir. A l'époque dont je parle, elle pouvait avoir de +vingt-sept à vingt-huit ans; sa peau est d'une blancheur éblouissante; +ses yeux sont grands et expressifs; elle a la taille élancée, le pied +petit, les traits assez jolis; son caractère est doux et affectueux. Je +suis sûr que les prisonnières qui sont attachées à sa personne doivent +être bien traitées. Elle est très-curieuse des coutumes françaises. Son +costume est modeste comme celui des musulmanes d'Alger: elle emploie +rarement le velours et la soie; soit modestie, soit condescendance pour +son mari, elle leur préfère la percale et la laine. Ses bras sont ornés +le plus souvent de deux bracelets en argent, et elle porte aux pieds des +anneaux de ce métal. Ses oreilles sont encadrées dans de lourds pendants +en or; elle ceint quelquefois sa tête d'un foulard de soie, mais elle ne +porte point de diadème comme le veut la mode d'Afrique. Une ceinture de +laine complète sa toilette. + +Cet homme, qui vit sous la tente avec sa famille comme un patriarche de +l'antiquité, qui semble faire consister sa gloire à fuir l'éclat et la +représentation, est le chef d'un immense empire. Abd-el-Kader, que nous +appelons le sultan des Arabes, et qui reçoit de ces derniers le titre +d'émir des croyants, étend son administration de l'est à l'ouest, depuis +le Ziben jusqu'à la Tafna, qui sépare Tlemcem du royaume de Fez. Du nord +au sud, depuis nos limites jusque dans le désert, au Ghronat, il a six +kalifats qui administrent en son nom une population de quatre à cinq +cents mille individus. Ses revenus ne s'élèvent guère qu'à 4,000,000 de +francs. Il lève encore quelques impôts dans les tribus qui ne +reconnaissent pas son autorité. + +En développant, autant qu'il m'a été permis de le faire, le caractère de +l'émir, j'ai parlé, je crois, de sa fidélité à sa parole. Que ses +intérêts soient compromis ou lésés, il tient toutes ses promesses. +«J'aurais du le prévoir, dit-il, et ne pas m'engager follement.» Mais +lorsqu'il s'agit des chrétiens, c'est bien différent: il signe des +traités auxquels il manque sans scrupule. Il s'appuie sur ce précepte du +Koran: Employez tous les moyens en votre pouvoir, mettez en jeu toutes +vos ressources pour détruire les infidèles. Le traité de la Tafna est la +preuve éclatante de ce qu'il fera plus tard s'il arrive à la France de +pactiser encore avec lui. Son inimitié pour les Français durera autant +que sa vie. Voici ce qu'il me dit avoir écrit autrefois au commandant de +la division, après la prise de Chercheh: «Mande à ton sultan qu'il +cherche vainement à m'atteindre; il n'y parviendra jamais. Je n'ai point +de ville où siège ma puissance; je n'ai pas de trésor; mon gouvernement +est à dos de chameau. Quand tu marcheras vers un lieu où je serai, +j'irai plus loin; quand tu me poursuivras, j'irai plus loin encore, et +toujours, jusqu'au désert. De là , je défierai toutes les armées de la +terre, mais je ne le perdrai pas de vue; je serai toujours à tes +trousses, et je ne déposerai pas mes armes, quand j'en serais réduit à +combattre seul.» A cette constance dans sa haine, Abd-el-Kader joint +aussi la ruse instinctive de l'Arabe. Il a toujours refusé les secours +de ses voisins: l'empereur de Maroc lui a souvent proposé d'envoyer à +son aide son fils aîné avec dix mille hommes; il lui a fait répondre +qu'avec l'aide de Dieu et du Prophète, il se tirerait d'affaire sans le +secours de personne; mais il accepte toutes les munitions qu'on lui +envoie. J'ai vu arriver à Tekedempt plusieurs convois de poudre: +l'empereur n'était alors que le commissionnaire de l'émir; celui-ci +payait les caravanes, et ne faisait de nouvelles demandes que lorsqu'il +avait réuni les fonds nécessaires. Les deux milles fusils jetés à +Milianah en 1838 avaient été débarqués à Titouan. L'émir est aussi en +relation avec des Européens qui le visitent _incognito_, et vont faire, +pour son compte, des achats d'armes et de munitions; ces objets sont +déposés à Gibraltar, et de là on les dirige sur divers points du Maroc. + +En campagne, l'émir emploie la ruse lorsqu'il voit l'ardeur des Arabes +se ralentir. Ainsi il fit, dans le temps, courir le bruit que la France +était en guerre avec l'Angleterre, que nous ne pouvions nous maintenir +en Afrique, et que le moment était venu de fondre sur nous. Ce sont des +insinuations de ce genre qui ont provoqué l'attaque de Mazagran. + +Les populations sont, en général, lasses de la guerre; il est arrivé +souvent que des récoltes entières ont été détruites, soit par les +colonnes françaises, soit par les cavaliers arabes. La misère est à son +comble dans les parties dévastées, et l'émir ne sait quelquefois où +donner de la tête: il vit au jour le jour, et ne parvient à satisfaire +ses besoins les plus urgents qu'en faisant irruption à main armée dans +les tribus, sous le prétexte le plus frivole. Les troupes régulières ne +touchent pas exactement leur solde, dans ces cas-là ; et les volontaires, +ou du moins ceux qu'on force de marcher sous cette dénomination, +appauvris par les exactions des kalifats et par les ravages de l'ennemi, +désespérés d'abandonner leurs foyers et leurs femmes pour suivre l'émir +dans ses courses ne marchent qu'avec dégoût à la guerre. Notre tactique +les éblouit, du reste; ils redoutent surtout les chasseurs d'Afrique et +l'artillerie: un escadron de cavalerie et une pièce de canon feraient +fuir des nuées de bédouins, qui viendraient peut-être tomber sans pâlir +sous le feu d'un bataillon carré. + +Les kalifats ne sont pas tous entièrement attachés à l'émir: El-Berkam +kalifat de Médéah ne paie jamais de sa personne, et n'inspire pas une +grande confiance à son maître; celui de Mascara, +Hadji-Mustapha-Ben-Thamy, est mou et paresseux comme un Turc; +Bou-Hamidy, kalifat de Tlemcem, et Ben-Allel (4), kalifat de Milianah, +sont les seuls homme» sur lesquels Abd-el-Kader puisse compter. Le +premier, intrépide guerrier et le meilleur cavalier de la régence, +gouverne brutalement ses tribus; comme Tarquin, il fait tomber les plus +hautes têtes, et la terreur qu'il inspire est égale à la haine qu'il +nous porte. Le second emploie à peu près les mêmes moyens, mais il +éprouve une grande résistance dans la tribu des Ouenseris, qui, +retranchée sur sa montagne inaccessible, défie de là ses sanglantes +fureurs. + + [Note 4: Ben-Allel est le même qui a trouvé la mort dans le combat + livré récemment par la division du général Tempoure.] + +Observateur comme tous les Arabes, Abd-el-Kader dépeint lui-même en +quelques mots le caractère de ses lieutenants: + +«Berkany, dit-il, me craint, mais ne craint pas Dieu; + +«Ben-Allel craint Dieu et me craint; + +«Ben-Thamy craint Dieu, mais ne me craint pas; + +«Bou-Hamidy ne me craint pas plus que Dieu.» + +Entre, autres bonnes fortunes, je fus invité un jour par le premier +ministre, Sidi-el-Kraroubi, à un grand dîner que l'émir donnait aux +chefs de son armée. Les hostilités étant près de commencer, Abd-el-Kader +voulut inaugurer la campagne par une revue générale des troupes; il les +avait rassemblées à Tekedempt, dans le but de les diriger ensuite vers +les lieux qu'il avait à défendre. Le repas était le prélude de la +solennité militaire. Dès que j'arrivai dans sa tente, l'émir porta la +main à son coeur et à sa tête; je m'inclinai, suivant l'usage, en lui +disant: «Tu es aussi bon pour moi que grand pour tes sujets.» Mon +compliment le fit sourire; il m'indiqua du doigt la salle, où nous +trouvâmes la table préparée: quand je dis la table, c'est par habitude, +car les plats étaient étalés sur le sol; nous prîmes place tout autour +en assez grand nombre. L'émir seul reposait sur un coussin; quant à +nous, nous fîmes ce que font nos soldats en campagne; la terre nous +servit de siège, et nous dévorâmes le dîner avec un appétit qui enchanta +Abd-el-Kader. + +Comme il n'est pas ordinaire de prendre part au repas d'un Arabe, et +encore moins à un festin d'apparat donné par le sultan, j'observai +attentivement les plats qui nous furent offerts, et la manière dont le +service s'exécutait. Autour du cercle que nous formions, se tenaient +debout plusieurs Bédouins à l'air rébarbatif, dont les fonctions +consistaient à enlever les débris des mets à mesure que les convives +paraissaient y renoncer. Le service se composait d'un boeuf coupé en +deux parties égales, et placées à chaque bout de la table, de deux +agneaux et de deux béliers rôtis tout entiers, et qu'on avait +symétriquement arrangés sur le sol. Le couscoussou, quelques crêpes +faites avec de l'huile et de la farine, du lait et du miel, qui, par +parenthèse, étaient excellents, formaient l'accompagnement obligé de ces +immenses édifices de viande encore saignante. Au dessert, nous eûmes +quelques figues de Barbarie d'une fadeur rebutante, puis on nous versa +du café bien noir dans de mauvaises écuelles de bois. Du reste, pas de +serviettes, pas de fourchettes, par de cuillers! c'est un luxe auquel +les Arabes ne sont pas encore faits. Les yatagans servaient à dépecer, +et nous déchirions avec nos ongles les morceaux de chair mal coupés. +C'est à peine s'ils connaissent les assiettes, et encore les petits +morceaux de bois à peine polis sur lesquels nous étendîmes le miel ne +méritent guère ce nom, quoique servant au même usage. + +Tel était le menu de ce magnifique festin, qui fut servi au son des +instruments. Je ne manquai pas de remarquer qu'il était loin de valoir +le plus mauvais dîner dans la plus mauvaise gargote du plus mauvais +village de France; que la viande des animaux était brûlée à l'extérieur +et à peine cuite à l'intérieur; que le cuisinier de l'émir n'était pas +plus fort en cuisine que ses artistes en musique; mais, comme la faim +criait haut et ferme, je n'hésitai pas à la satisfaire; elle me fit même +trouver le dîner moins détestable qu'il ne l'était réellement, tant il +est vrai que l'appétit assaisonne tout! Abd-el-Kader prit sans doute ma +_razzia gastronomique_ pour un hommage rendu à son office, tandis que +tout l'honneur en revenait à mon appétit. J'avais enduré dans la même +journée les deux plus grands supplices qui puissent être infligés à un +homme raisonnable, savoir; un concert d'amateurs et un repas à la +fortune du pot. + +Dieu vous garde, ami lecteur, de pareil repas et de pareil concert! + +Quand tout le monde eut bien dîné, l'émir se leva, et chacun suivit son +exemple. On amena des chevaux à l'entrée de la tente, et nous allâmes +voir évoluer les troupes. + +_(La suite à un prochain numéro.)_ + + + [Partition musicale.] + + ENTRE PISE + ET FLORENCE. + + Paroles de M. Philippe BISONI. + Musique de Gustave RIQUET. + + Entre Pise et Florence + Aux vergers d'Empoli + Vois la nuit qui s'avance + Car le jour a pâli. + + Étranger quelle belle + Languis-tu? Languis-tu de revoir? + Entre sous ma tonnelle + Si riante le soir. + + Écoute rien n'égale + Mon raisin del Bosco + Mes pommes de finale + Mon Aléatico. + + Mais à la fille étrusque + Qui rougissant sourit + L'ingrat jette un mot brusque + par Satan même écrit. + + Ah voyageur prends garde + Prends garde voyageur + La Madone regarde + Elle a vu ma rougeur. + + Adieu la nuit s'avance + Adieu la nuit s'avance + Te voilà sous sa main + Te voilà sous sa main. + + Et long est le chemin + Entre Pise et Florence + Long est le chemin + Entre Pise et Florence. + + + +Bulletin bibliographique. + +_Histoire de France_, Louis XI et Charles le Téméraire, par M. MICHELET. +Tome VI, 1 vol. in-8 de 500 pages.--Paris, 1844. _Hachette_. 7 fr. 50. + +M. Michelet, trop longtemps méconnu, commence enfin à être apprécié à sa +juste valeur, en France, les nombreux admirateurs de son beau talent, +qui ne peuvent pas trouver place dans l'amphithéâtre trop petit du +collège de France, attendent avec la plus vive impatience la publication +de ses leçons. A chaque nouveau volume de l'_Histoire de France_, le +succès, d'abord faible et incertain, se consolide et grandit. De Paris, +où elle a pris naissance, la réputation de l'éloquent professeur s'est +répandue dans les départements, puis elle a franchi le Rhin, traverse +les Alpes, passe le détroit; l'Allemagne, l'Italie et l'Angleterre +étudient et admirent M. Michelet, autant et plus peut-être que la +France. Deux des revues trimestrielles de la Grande-Bretagne, la +_Foreign and British Review_ et l' _Edinburgh Review_, viennent de lui +consacrer (faveur bien rare), dans leurs derniers numéros, deux longs +articles. Les critiques anglais, de même que les critiques allemands, +déclarent et prouvent en même temps que M. Michelet mérite d'être placé +au premier rang parmi les historiens contemporains. + +Ce grand et légitime succès tient à plusieurs causes. M. Michelet réunit +en effet de nombreuses qualités qui, séparées, suffiraient encore pur +faire la fortune d'un historien. Savant et poète tout à la fois, il a +l'érudition patiente d'un bénédictin et l'imagination vive et hardie +d'un artiste. De plus, il est philosophe; en d'autres termes, il ne se +contente pas d'essayer de nous représenter la vie du passé telle qu'elle +fut réellement, il cherche à la comprendre, il veut nous en révéler le +véritable sens. Enfin, et ce n'est pas son moindre mérite, il +n'appartient pas à cette catégorie d'écrivains qui fabriquent des +ouvrages historiques à la douzaine, soit pour s'enrichir aux dépens du +public trompé, soit pour faire acheter par des ministres corrupteurs +leur plume vénale. L'histoire, tel a été, tel sera le noble but de sa +vie entière. En vain on lui offrirait l'autorité et les honneurs dont +tant d'autres hommes distingués sont si avides, il les refuserait. +Servir son pays, en lui apprenant à connaître le passé et en lui +montrant les grands enseignements qu'il contient, voilà toute son +ambition, et cette ambition, heureusement pour la France et pour lui, il +a eu la gloire de la satisfaire. + +M. Michelet a, qu'on nous permette cette expression, les défauts de ses +qualités: il est parfois trop savant, trop poète et trop philosophe. +Ici, il donne une importance exagérée à des détails qu'il devrait, sinon +ignorer, du moins négliger; là , son esprit aventureux l'emporte hors des +bornes de la raison et du bon goût; plus loin, il se laisse entraîner, +par son désir de tout expliquer, dans d'incompréhensibles rêveries. Du +reste, si bizarres que soient ses pensées, quelque forme étrange qu'elle +revêtent, il ne cesse jamais de tenir son lecteur sous le charme +fascinateur de son génie. On critique, mais on admire ces écarts +extraordinaires qui dénotent un esprit vigoureux, doué des plus +éminentes facultés. L'éloge suit toujours le blâme, et, la lecture +achevée, le sentiment qu'elle ne peut manquer de faire naître est une +admiration passionnée. + +Le volume que vient de publier M. Michelet,--Louis XI et Charles le +Téméraire,--le tome sixième de cette grande histoire de France en douze +volumes qu'il a entreprise et qu'il terminera bientôt, nous semble +d'ailleurs supérieur encore à ceux qui l'ont précédé. Parvenu à une +époque mieux connue, M. Michelet ne peut plus se livrer aussi souvent à +sa malheureuse passion pour les symboles; force lui est de croire à des +faits dont l'authenticité ne saurait être sérieusement révoquée en +doute. Le poète le plus hardi n'osera jamais métamorphoser en mythes +Louis XI et Charles le Téméraire. Le style est aussi plus grave, plus +égal, moins saccadé. Bien que certains chapitres y occupent peut-être +une trop grande place, l'ensemble de ce volume paraît plus complet et +mieux proportionné. + +Cette lutte terrible de la royauté et de la féodalité, représentée, +l'une par Louis XI, et l'autre par Charles le Téméraire, M. Michelet l'a +admirablement comprise et racontée. On la lit, depuis l'avènement de +Louis XI jusqu'à sa mort, avec tout l'intérêt d'un des plus beaux +chefs-d'oeuvre de Walter Scott. Que de péripéties imprévues et +sanglantes viennent chaque année en retarder le dénoûment fatal! D'abord +la Ligue du Bien public. Cette contre-révolution Féodale qui s'oppose à +la révolution royale; puis la guerre des Roses, le sac de Dinant, +l'entrevue de Péronne, la destruction de Liège, les exécutions de +Jacques d'Armagnac, de Saint-Pol et de Nemours, l'empoisonnement du duc +de Guienne, les sièges de Beauvais et «de Neuss, la descente anglaise, +les batailles de Granson, de Morat et de Nancy, le mariage de Marie de +Bourgogne et de Maximilien d'Autriche... M. Michelet résume, ainsi le +dénoûment de ce grand drame: + +«Tout allait bien pour Louis XI, il était comblé de la fortune; +seulement il mourait. Il le voyait, et il semble qu'il se soit inquiété +du jugement de l'avenir. Il se fit apporter les chroniques de +Saint-Denis, les voulut lire, et sans doute y trouva peu de chose. Le +moine chroniqueur pouvait encore moins que le roi, distinguer, parmi +tant d'événements, les résultats du règne, ce qui en resterait. + +«Une chose restait d'abord, et fort mauvaise, c'est que Louis VI, sans +être pire que la plupart des rois de cette triste époque, _avait porté +une plus grave atteinte à la moralité du temps_. Pourquoi? il réussit. +On oublia ses longues humiliations, on se souvint des succès qui +finirent; on confondit l'astuce et la sagesse. Il en resta pour +longtemps l'admiration de la ruse et la religion du succès. + +«Un autre mal très-grave, et qui faussa l'histoire, c'est que la +féodalité, périssant sous une telle main, eut l'air de périr victime +d'un guet-apens. Le dernier de chaque maison resta le bon duc, le bon +Comte. La féodalité, ce Vieux tyran caduc, gagna fort à mourir de la +main d'un tyran. + +«Sous ce règne, il faut le dire, le royaume, jusque-là tout ouvert, +acquit ses indispensables barrières, sa ceinture de Picardie, Bourgogne +et Roussillon, Maine et Anjou. Il se ferma pour la première fois, et la +paix perpétuelle fut fondée pour les provinces du centre.» + +En mettant en vente ce sixième volume, l'éditeur des ouvrages de M. +annonce que les tome VII et VI sont sous presse et qu'ils paraîtront +prochainement. + +M. J. + + +_Encyclopédie des Chemins de Fer et des machines à vapeur_, à l'usage +des praticiens et des gens du monde; par Félix TOURNEUX, ingénieur, +ancien élève de l'École Polytechnique. I vol--1844. _Jules Renouard_. + +Le titre d'encyclopédie, dans le sens académique du mot, est trop +général pour l'ouvrage de M Félix Tourneux; aussi l'a-t-il restreint en +indiquant qu'il ne traitait que des chemins de fer et des machines à +vapeur. Acceptons-le donc dans ses limites, et voyons comment M. +Tourneux s'est tiré de la tache immense s'était imposée. On n'attend pas +de nous une analyse de cet ouvrage. En effet, si quelque chose se refuse +à l'analyse, c'est un livre de cette forme, un dictionnaire où l'on peut +aller chercher l'explication du terme qui embarrasse, du phénomène dont +on ne s'explique pas les causes. + +Les deux plus grandes inventions industrielles des temps modernes sont +sans contredit la machine à vapeur comme agent, et la locomotion rapide +comme effet. De la première datent les grands progrès dans toutes les +branches manufacturières, dans l'exploitation des mines, dans +l'alimentation et l'assainissement des villes. Les chemins de fer, qui +ne sont encore qu'à leur aurore, ont déjà réalisé des merveilles, et +l'esprit se perd à suivre jusque dans leurs dernières conséquences les +résultats probables de leur emploi. Il était donc important de fixer dès +à présent l'état de la science, de poser pour ainsi dire un jalon qui +pût, par la suite, servir de terme de comparaison pour constater le +progrès et l'amélioration. D'ailleurs, dans notre temps de paix, la +langue industrielle, la langue des travaux publics doit être à la portée +de tous, et rien ne pouvait être plus utile, pour la vulgariser, qu'un +livre qui en donnât les éléments, et permît à chacun et à tous +d'employer les termes propres en connaissance de cause. Vous dire si +l'ouvrage est complet nous paraît impossible: l'auteur doit le savoir +mieux que nous, et probablement il prépare déjà les matériaux d'une +édition plus complète, si tant est qu'il ait omis quelque chose. Ce que +nous pouvons dire, c'est que nous nous sommes imposé la tache de trouver +l'auteur en défaut, que nous avons cherché tous les mots de la langue +des travaux publics qui nous sont venus à l'esprit et toujours nous +avons trouvé le mot cherché, et, avec ce mot, une explication claire, +succincte et complète; une explication telle qu'aux praticiens elle +rappelle en quelques lignes les notions qui peuvent les intéresser, et +qu'aux gens du monde elle donne la définition limpide d'un terme +technique trop souvent inintelligible pour eux, et la solution qu'ils +auraient en vain cherchée ailleurs. + +Vous ne pouvons mieux terminer qu'en transcrivant ce que dit l'auteur +lui-même de l'esprit qui l'a guidé dans la rédaction de son livre: +«L'auteur est du nombre de ceux qui pensent que jamais, et sur quoi que +ce soit, l'humanité ne donnera son dernier mot. Peut-être la machine à +vapeur et les chemins de fer ont-ils tracé à l'industrie une voie dans +laquelle elle demeurera longtemps. Peut-être, au contraire, doivent-ils +céder la place à d'autres agents de production et de mouvements plus +énergiques encore inconnus à cette heure. Quel que soit leur avenir, ils +auront contribué pour une forte part au progrès de la puissance morale +et matérielle de l'homme dans la génération présente; ils auront été une +manifestation nouvelle de la faculté que Dieu a mise en nous de +développer et d'étendre à notre profit les oeuvres, immortelles de sa +création.» + +P. T. + + +_La France statistique_; par M. Alfred LEGOYT, sous-chef du bureau de +statistique au ministère de l'intérieur.--I vol. in-8. _Guillaumin_. + +L'ouvrage qui fait l'objet de cet article se recommande principalement +par son utilité pratique. «Les documents officiels, s'est dit l'auteur, +ne reçoivent qu'une publicité très-restreinte, et souvent même ne +sortent pas de l'administration qui les a recueillis. D'un autre côté, +on ne saurait les étudier avec succès, sans avoir sur les matières +qu'ils embrassent des connaissances préliminaires assez étendues; +quelquefois ils laissent à désirer pour l'ordre et la clarté; enfin, ils +ne se relient point entre eux, parce qu'ils ne sont pas le fruit d'une +pensée commune et unitaire. Un livre qui présenterait une analyse +suffisamment détaillée de ces documents, qui les disposerait +méthodiquement et! les développerait par un texte explicatif et +supplétif, ce livre rendrait certainement un service signalé à +l'économiste, au publiciste, à l'homme politique et à l'administrateur.» + +Tel est le but que s'est proposé M. Legoyt. + +Son livre est divise en deux parties: les _tableaux_ et le _texte_. Les +tableaux, au nombre de vingt environ, embrassent tous les documents qui +composent la statistique générale du royaume. Voici l'analyse succincte +des plus importants: + +1° _Population du royaume d'après le recensement de 1811_. Ce tableau +comprend le chiffre des habitants par département, leur subdivision par +sexe et par état civil et leur répartition en agglomérés et non +agglomérés. Ces deux derniers renseignements sont complètement inédits. +Tout en se référant au dénombrement de 1811, comme le plus récent, M. +Legoyt émet des doutes qui nous paraissent fondés sur la sincérité des +résultats qu'il a produits. On se rappelle, en effet, que cette +importante mesure partagea la défaveur dont fut frappé, à tort ou à +raison, le recensement prescrit par le ministère des finances. Il est +certain, en effet, que l'augmentation de population constatée em 1811 +est inférieure à celle qui a été constatée en 1826, 1834, 1836; et rien +ne saurait justifier, dans l'état de paix et de prospérité où se trouve +le pays, ce temps d'arrêt dans le mouvement de sa population, même en +tenant compte des émigrations pour l'Algérie et l'Amérique du Sud, +pertes largement compensées par de nombreuses immigrations d'étrangers +venant apporter leurs capitaux, leurs bras et leur industrie en France. + +2º _Mouvement de la population_. Naissances, décès, mariages. +_Naissances_.--Sous ce titre. M. Legoyt donne le nombre moyen annuel des +naissances légitimes, naturelles, la proportion de ces deux catégories +de naissances pour 1,000 habitants, le rapport des sexes, et le chiffre +des enfants trouvés et abandonnés. Ses calculs ont été faits sur la +période décennale de 1831 à 1840. + +_Décès_. Les subdivisions de l'auteur, relativement aux décès, ne sont +pas moins nombreuses: elles embrassent l'ensemble des renseignements +curieux ou utiles à connaître sur la mortalité en France; nous citerons +surtout celui qui est intitulé: _Tableau des enfants morts-nés ou +décédés avant la déclaration de naissance._. M. Legoyt s'est livré à un +travail fort important sur cette nature de décès. Il est parvenu à +démontrer ce fait remarquable et qui nous paraît devoir exercer une +certaine influence sur la question des enfants-trouvés, c'est que +partout où les tours ont été supprimées et les déplacements effectués, +le nombre des enfants morts-nés a augmenté dans les proportions les plus +considérables; nous renvoyons le lecteur aux développements dans +lesquels l'auteur est entré à ce sujet et à la suite desquels il conclut +que cette augmentation doit être attribuée à des infanticides non +constatés. + +_Mariages_. Le tableau consacré à ce document indique leur nombre moyen +annuel total et leur nombre pour mille habitants, l'âge moyen des +contractants pour les deux sexes et le chiffre moyen des enfants pour +chaque mariage. M. Legoyt a complété ses recherches sur la population +par une nouvelle loi de la mortalité en France, qui nous a paru +s'éloigner beaucoup des résultats de la table de Duvillard, et se +rapprocher, au contraire, de celle de Price, et surtout de celle de M. +de Montferrand. D'après les calculs de M. Legoyt, la durée de la vie +moyenne, en France, serait considérablement accrue depuis un siècle, +puisqu'elle serait aussi longue aujourd'hui pour la population générale +qu'elle l'était du temps de Price, pour des têtes choisies. Mais +l'auteur a soin de nous avertir que les documents officiels sur l'âge +par rapport aux décès ne sont pas assez exacts pour donner à une table +de mortalité un caractère d'authenticité. + +_3º France intellectuelle_--Ce tableau résume les plus récentes +publications des ministères de l'instruction publique et de la guerre, +instruction des conscrits, sur l'état actuel de l'instruction primaire. +Nous aurions désiré que l'auteur eût justifié plus complètement son +titre par une statistique de l'instruction secondaire et supérieure; +mais peut-être son livre était-il écrit avant que la publication de M. +Villemain sur les collèges eût paru; dans ce cas, il serait possible que +les documents lui eussent manqué. + +_4º France morale_.--C'est le bilan de la moralité officielle du pays; +on y voit figurer le nombre annuel des crimes et délits, les modes de +perpétration, l'âge', le degré d'instruction des accusés, des récidives, +le rapport des condamnés aux accusés, des accusés aux crimes commis, la +nature et le chiffre des peines prononcées, rapport des crimes ou délits +poursuivis aux crimes ou délits constatés; enfin l'influence sur le +chiffre des condamnations de l'application des circonstances +atténuantes. L'auteur apprécie encore la moralité de chaque département +sur le nombre annuel des naissances naturelles, des suicides et des +séparation de corps. Ces faits divers, quoique d'une valeur inégale, ont +généralement un grave intérêt. Ils se complètent d'ailleurs l'un par +l'autre. + +_5º France financière et industrielle._--Ce tableau se divise en deux +parties: dans l'une on trouve le chiffre des contributions de toute +nature que paie chaque département; dans l'autre, une appréciation de +l'état industriel et du paupérisme en France. Il est à regretter que, +pour cette seconde partie, l'auteur n'ait pu disposer que de documents +remontant déjà à une époque éloignée. + +_6° France judiciaire._--C'est le classement des départements par le +nombre annuel des affaires civiles et commerciales. Les éléments de +cette statistique ont moins d'intérêt qu'on devrait s'y attendre. Ils +n'établissent pas nettement, en effet, ce qu'on y cherche tout d'abord, +si le nombre des affaires est en rapport avec la population et le +chiffre des contributions. On aurait, en outre, besoin de connaître, non +pas seulement le nombre, mais encore l'importance des affaires. Une +pareille recherche présente sans doute de graves difficultés car il y a +des procès où l'évaluation en argent des intérêts qui y sont engagés ne +peut être que très-hypothétiquement établie. Nous ne croyons pas +toutefois cet obstacle insurmontable, et avec un peu de résolution et de +constance, l'administration pourra enrichir de ce document ses +statistiques judiciaires. + +_7º France politique_--Nous n'avons trouvé nulle part encore une +statistique électorale de la France; la _France statistique_ nous la +donne aussi complète que possible. Ce tableau, emprunté aux sources +officielles, indique le chiffre des électeurs politiques départementaux +et communaux; il contient en outre, des renseignements détaillés sur le +_maximum_, le _minimum_, et la moyenne des divers cens électoraux. + +_8º France militaire:_--M. Legoyt a donné ce titre à une série de +documents sur les ressources que le contingent annuel, les réserves, +l'effectif de l'armée, et la garde-nationale pourraient offrir au pays, +en cas de conflit extérieur. Parmi ces documents, il en est un que nous +croyons inédit et qui a une véritable importance. C'est le nombre total +des gardes nationaux mobilisables, d'après le recensement prescrit par +le gouvernement, après la signature du traité du 13 juillet. + +_9º France physique._--Les éléments de ce tableau sont puisés, comme +ceux du précédent, dans les excellentes publications du ministère de la +guerre; les départements y sont classés d'après le nombre des soldats +valides qu'ils fournissent au recrutement, par rapport au chiffre +demandé. Rien de plus curieux et de plus instructif à la fois que +l'énumération des diverses maladies et infirmités qui, dans chaque +département, ont été des causes d'exemption. Il y aurait un sujet +d'études d'une haute portée dans le rapprochement l'état _pathologique_ +des diverses localités avec leur situation topographique, les causes +d'insalubrité et l'état du paupérisme. + +_10º France territoriale et agricole._--Il était difficile de présenter, +sous une meilleure forme et dans un cadre plus habilement disposé, les +volumineuses publications du ministère du commerce sur l'agriculture en +France. Étendue du domaine arable, constitution du sol, nature, qualité, +prix des produits de toute espèce, rapport des produits aux semences, +importance moyenne annuelle des récoltes, animaux domestiques destinés à +l'agriculture ou à la consommation, etc., M. Legoyt n'a rien oublié de +ce qui peut faire apprécier jusque dans ses moindres détails cette +première branche de la richesse nationale. + +_11° Consommation annuelle par individu_--Ce tableau, qui clôt la +première partie de l'ouvrage, n'est pas moins digne d'attention que les +précédents. Comme le titre l'annonce, il assigne pour chaque individu et +par département, la mesure de sa consommation en blé, viandes et +poissons. + + [Note du transcripteur: Le reste de cette colonne, soit environ 20 + lignes, est illisible dans le document qui nous a été fourni.] + + + +Modes.--Travestissements. + +[Illustration.] + + + +SOLUTION DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS LE DERNIER NUMÉRO. + +I. Supposons que ces trois objets soient un anneau, un étui et un gant. +Affectez mentalement la lettre A au premier objet, la lettre E au +second, la lettre I au troisième. + +Donnez aussi par la pensée des numéros aux trois personnes: l'une +portera le n° 1, une autre le nº 2, la troisième le nº 5. + +Prenez 24 jetons et donnez 1 jeton à la première personne, 2 à la +seconde, 5 à la troisième; puis, laissant les 18 autres jetons à la +disposition de ces personnes, retirez-vous à l'écart en les invitant à +prendre chacune un des trois objets et une partie des jetons que vous +avez laisses, de manière que celle qui aura l'anneau prenne autant de +jetons que vous lui en avez donné d'abord; que celle qui a l'étui prenne +le double du nombre de jetons qu'elle a reçus; enfin, que celle qui a le +gant prenne, sur le reste des jetons, quatre fois autant de jetons +qu'elle en a reçu de vous. + +Cela fait, regardez le nombre des jetons qui restent sur la table; ce +nombre ne peut être que l'un des six suivants: + + 1 2 3 5 6 7 + +au devant desquels vous mettrez, par la pensée les mots suivants: + +pAh-fEr cEsAr jAdIs dEvInt sI grAnd prIncE + +dont voici l'usage: + +Les deux voyelles A et E, que nous avons mises en capitales dans les +deux mots pAh-fEr, correspondant au chiffre 1, indiquent que lorsqu'il +ne reste qu'un jeton sur la table, c'est la première personne qui a pris +l'anneau (A) et la seconde qui a pris l'étui (E); de sorte que la +troisième a nécessairement le gant. + +On verrait de même que les deux lettres E, A suivant l'ordre où elles se +présentent dans le mot cEsAr, qui correspond à un reste de deux jetons, +indiquent que la première personne a pris l'étui et la seconde l'anneau, +et ainsi de suite. + +II. On sait que l'usage de tenir la pointe du pied en dehors n'a pas +toujours été de rigueur. Il paraît que, dans l'ancienne Rome, on +marchait avec la pointe du pied en avant, sans l'incliner en dehors plus +qu'en dedans. Parmi les Orientaux, au contraire, la dignité de la +démarche exige une position de jambe qui passerait pour ridicule +aujourd'hui chez les nations civilisées.--On peut en dire à peu près +autant de la démarche des grands personnages du dix-septième et du +dix-huitième siècle, telle que nous la représentent les dessins de +l'époque. + +Cependant on ne peut disconvenir que l'équilibre du corps ne devienne +plus stable dans la marche ordinaire ou dans la station, lorsque la +pointe du pied est tournée modérément en dehors. C'est un fait +d'expérience journalière que chacun peut vérifier à chaque instant. +Montuela, géomètre distingué du siècle dernier, raconte avec une +bonhomie pleine de sens qu'il a cherché à confirmer ce fait par le +calcul, et à justifier par les lois de la mécanique l'idée de grâce que +nous attachons à l'usage de nous tenir avec les pieds en dehors. Voici +comment il a résolu le problème: Il pose dans le cinquantième numéro de +notre journal. + +L'équilibre du corps sera d'autant plus stable que la base comprise +entre les points d'appui que nos pieds lui offrent sur le sol sera plus +considérable, car la verticale qui passe par notre centre de gravite +tombera plus difficilement en dehors de cette hase. Il s'agit donc, +étant donnée la position des talons, de chercher l'inclinaison la plus +avantageuse de la ligne médiane des pieds, pour que la surface de la +base qu'ils déterminent soit la plus grande possible. Or, ceci devient +un problème de géométrie dont l'énoncé serait le suivant: _Deux lignes +AD, BC, égales et mobiles sur les points A et B comme centres étant +données, déterminer leur position lorsque le quadrilatère ou trapèze +ABCD sera le plus grand possible._ Ce problème se résout avec la plus +grande facilité par les méthodes connues des géomètres pour les +problèmes de ce genre, et l'on déduit de cette solution la construction +suivante. + +[Illustration.] + +Sur la ligne Ad, égale à AD ou BC, faites le triangle isocèle HI; +ensuite, avant pris AI égal à AG ou un quart de AB, tirez la ligne KI et +prenez IE égale IK; puis sur GE élevez une perpendiculaire indéfinie qui +coupe en D le cercle décrit de A, comme centre, avec le rayon Ad: +l'angle DAE sera l'angle cherché. + +Si la ligne AB, et conséquemment AG ou AI, est nulle, on trouvera que AE +sera égal à AH, et que l'angle DAE sera demi-droit. Ainsi, lorsqu'on a +les talons absolument appliqués l'un contre l'autre, l'angle que doivent +faire ensemble les lignes longitudinales de la plante des pieds est +demi-droit ou bien approchant du demi-droit, à cause de la petite +distance qu'il y a alors entre les deux points de rotation qui sont au +milieu des talons. + +[Illustration.] + +Supposons maintenant que la distance AB est égale à AD, on trouverait, +par le calcul, que l'angle DAE devrait être de 60 degrés. + +En supposant AH égal à deux AD, ce calcul donnera l'angle DAE de 70 +degrés à très-peu près. En faisant AB égal à trois fois la ligne AD, +l'angle DAE se trouvera à bien peu près de 74° 30'. + +Le calcul confirme donc ce fait d'expérience, que les pieds doivent +tendre vers le parallélisme à mesure qu'ils s'écartent davantage, ainsi +que l'habitude reçue de les tourner légèrement en dehors pour un +écartement ordinaire. + + +NOUVELLES QUESTIONS A RÉSOUDRE. + +I. Plusieurs nombres pris suivant leur suite naturelle étant disposés en +rond, deviner celui que quelqu'un aura pensé. + +II. Donner un moyen sûr, au jeu de billard, pour amener la bille de son +adversaire dans une blouse en frappant obliquement cette blouse. + + + +Rébus. + +EXPLICATION DES DERNIERS RÉBUS: + +I. + +Tout ou rien. + +II. + +Tout passe avec le temps. + +III. + +Un grand homme appartient à l'univers. + + +[Illustration: nouveau rébus.] + + + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0052, 24 Février +1844, by Various + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 43436 *** diff --git a/43436-8.txt b/43436-8.txt deleted file mode 100644 index e938341..0000000 --- a/43436-8.txt +++ /dev/null @@ -1,3259 +0,0 @@ -Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0052, 24 Février 1844, by Various - -This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with -almost no restrictions whatsoever. 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Histoire de la Semaine. _Portrait de Marie-Christine_.--De la -Question de l'Enseignement.--Le Vésuve. _Maison de l'Ermitage du Vésuve; -Coupe du Cratère du Vésuve._--Algérie. Escadron de dromadaires. -_Manoeuvres de Dromadaires; Bride et Selle du Dromadaire._--Paris -souterrain. _Une rue souterraine._--Don Graviel l'Alférez. Fantaisie -maritime par M. de la Landelle. (Suite),--Courrier de Paris. _Descente -de la Courtille; un Sergent de Ville le mercredi des cendres; l'Ami -Carême, fils du Mardi Gras; Mort et Enterrement du Mardi -Gras._--Théâtres. Opéra-Comique, Cagliostro. _Une Scène de -Magnétisme_.--Fragments d'un Voyage en Afrique (Suite.)--Musique. Entre -Pise et Florence. Paroles de M. Philippe Busoni, Musique de M. Gustave -Hequet.--Bulletin bibliographique.--Modes. -_Travestissements_.--Amusements des Sciences. _Une Gravure_.--Rébus. - - -Histoire de la Semaine. - -La discussion de la loi sur la chasse a encore occupé les trois premiers -jours de la semaine parlementaire. Cette loi a ouvert ses articles et -ses paragraphes à une foule d'amendements qui ne la rendront à coup sûr -pas bonne, qui lui auraient ôté surtout l'esprit d'ensemble, si elle en -avait eu, mais qui lui ont valu en définitive d'être adoptée à une assez -forte majorité. - -Il était peu de membres de la Chambre qui n'eussent fait admettre, dans -le cours de cette interminable discussion, leur amendement ou leur -sous-amendement: chacun était donc poussé par une sorte d'amour-propre -d'auteur à donner une boule blanche à cette fille de ses oeuvres. Son -sort à cependant été un instant douteux. Dans la séance de lundi, un -amendement abrogeant par le fait la législation spéciale aux forêts du -domaine, de 1790, a fait ranger celles-ci dans la catégorie des forêts -particulières et a soumis le prince qui en a la jouissance et les siens -aux mêmes et sévères règles qu'elle impose aux citoyens. - -Cette disposition, que le ministère absent ou distrait n'a pas su faire -rejeter, a, sans aucun doute, attiré d'un côte à la loi des antipathies, -tandis qu'elle lui assurait quelques suffrages de l'autre. Mais en -définitive elle aura été la cause de son adoption, car les suffrages -conquis lui sont restés et les antipathies se sont tues dans l'espoir -que la Chambre des Pairs n'admettrait pas cet amendement, et qu'une fois -supprimé, la Chambre des Députés ne le rétablirait pas. - -Est venue ensuite la discussion sur la prise en considération de la -proposition de M. de Rémusat, relative aux incompatibilités. Il était -difficile de penser que ce débat, qui tant de fois déjà s'est engagé -devant la Chambre, verrait se produire aujourd'hui de nouveaux motifs. -Mais les questions personnelles sont venues l'animer et le rajeunir. En -effet, c'est peut-être le seul qui les comporte ou plutôt les nécessite. -Pour les partisans de la proposition, là où ils voient un abus ils -doivent voir nécessairement un argument, et la situation d'un -fonctionnaire menacée parce qu'il a voté, dans tel ou tel sens comme -député, ou le vote d'un autre représentant passant du blanc au noir par -la force de motifs secrets qu'ils ont la curiosité de connaître, tout -cela trouve naturellement place dans leurs discours. Quelques faits -récents avaient fourni des arguments de ce genre; il en a été fait usage -pour la plus grande satisfaction des spectateurs avides d'agitation, -plutôt que pour l'édification de ceux qui croient à la bonté du -gouvernement représentatif, honnêtement et sincèrement pratiqué, et qui -seraient profondément désolés qu'on arrivât à l'user sans s'en être -servi. MM. Barrot, Thiers et Guizot, sont successivement montés à la -tribune, qu'ont aussi occupée MM. Dugabé et de Salvandy. La prise en -considération a été repoussée par une majorité que quelques de membres -regardent comme douteuse. - -[Illustration: Marie-Christine, ex-reine d'Espagne.--Voir à la page -suivante.] - -La loi sur le roulage n'a pas été beaucoup plus heureuse à la Chambre -des Pairs que la loi sur la chasse à la Chambre des Députés. Ce que l'on -avait fait il y a deux ans au palais du Luxembourg, il y a un an au -palais Bourbon, on l'a défait cette année en grande partie. Dans les -précédentes discussions, on avait paru très-frappé du résultat des -expériences faites par M. Morin, par ordre du gouvernement, et de la -nécessité d'imposer, dans l'intérêt des routes et de leur conservation, -des conditions sévères et d'établir des distinctions tranchées pour la -largeur des jantes des voitures, selon qu'elles étaient à deux ou quatre -roues. Cette année on a paru croire beaucoup moins aux résultats des -expériences de M. Morin, sur lesquels était fondé le projet de loi, et -beaucoup plus à l'utilité de la liberté en matière de roulage, sinon -complète encore et illimitée, du moins beaucoup moins restreinte que par -le passé et que ne l'établissait le projet. Ainsi, sur la proposition -de M. le comte Daru, cette distinction a disparu pour le minimum des -jantes des voitures à quatre et des voitures à deux roues; il sera pour -les unes comme pour les autres indistinctement de 6 centimètres, et le -maximum de 17. Du reste, et par contre, si l'industrie a été bien -traitée par ce changement, l'agriculture a vu restreindre les facilités -que la Chambre des Députés avait voulu lui accorder l'an passé, en -adoptant un amendement de M. Darblay par lequel les voitures de -l'agriculture étaient affranchies dans tous les cas, c'est-à-dire -qu'elles allassent au marché ou qu'elles en revinssent, qu'elles -transportassent des matériaux pour les constructions de la ferme, -qu'elles allassent de la ferme aux champs ou des champs à la ferme, des -règles relatives à la largeur des bandes et à la limitation du poids. La -Chambre des Pairs a cru devoir restreindre cette exemption au cas -seulement où les véhicules agricoles vont de la ferme aux champs ou en -reviennent. Cet amendement oblige, on le voit, les fermiers et les -agriculteurs à avoir des voitures de plusieurs sortes. Cette loi doit -revenir de nouveau à la Chambre des Députés. - -Nous déplorions dans notre dernier bulletin la vivacité que la -discussion avait prise dans un des bureaux de cette Chambre, à -l'occasion de l'admission à la lecture de la proposition de M. de -Rémusat. Mais ce que nous avons vu ici n'est qu'une gentillesse en -comparaison de ce qui se passait presque en même temps à la Chambre des -Représentants des États-Unis et à la Chambre des Lords d'Angleterre. A -tout seigneur tout honneur: nous commençons par la Chambre anglaise. -Dans la dernière discussion, à l'occasion des affaires d'Irlande, lord -Campbell a dit en répondant à lord Brougham: - -«Le discours de mon noble et savant ami est parfaitement irrégulier: -cela ne m'étonne pas, car tout ce qu'il fait dans cette Chambre est -irrégulier. J'ai demandé hier l'ajournement, parce que je croyais qu'il -parlerait, et que je voulais lui répondre. J'étais bien pardonnable de -croire cela, car voilà bien, autant que je m'en souviens, le premier -débat de quelque importance dans lequel il n'ait parlé, et parlé au -moins sept fois... Toutes les fois qu'il prêchera les principes qu'il -condamnait autrefois, je ne me gênerai pas pour le lui rappeler, et pour -lui remettre devant les yeux ceux qu'il défendait avec moi et qu'il -abandonne aujourd'hui.» Lord Brougham lui a répondu avec le ton de la -plus violente colère: «Mylords, on dit que j'ai commis une irrégularité. -Jamais je n'ai vu dire une aussi grosse absurdité, même par mon noble et -savant ami. Je ne me laisserai pas faire la leçon par d'ignorants -nouveaux venus, qui ne connaissent pas l'A B C du règlement, et qui -montrent une ignorance si _crasse_ que je n'aurais jamais cru personne -capable d'en montrer une semblable sur quoi que ce soit. Je serai -heureux qu'on me donne l'occasion de repousser en face cette fausse, -vile et calomnieuse accusation que l'on me fait, d'avoir abandonné mes -principes. Je défie qu'on me le prouve, et je jette ce défi avec -l'assurance que je saurai le justifier.» - -En Amérique on est infiniment moins parlementaire encore. M. Stewart, -membre de la Chambre des Représentants des États-Unis, avait été, il y -a quelque temps, en butte à une attaque très-vive d'un de ses collègues, -M. Waller. Un neveu de M. Stewart, M. Schriver, correspondant du -_Baltimore-Patriot_, et ayant, à ce titre, une place réservée dans -l'enceinte de la Chambre, avait rendu compte de cette sortie en termes -qui avaient blessé M. Waller. Celui-ci, rencontrant M. Schriver à la -Chambre, l'apostropha, et, après l'échange de quelques mots, le frappa. -Aussitôt ils se prirent au corps. Dans la lutte, les deux combattants -tombèrent dans une croisée et la défoncèrent. Plusieurs membres de la -chambre accoururent et essayèrent de les séparer, tandis que d'autres -criaient: «_Laissez-les se battre comme il faut._» Un membre démocrate -dit même, en s'adressant au banc des whigs: «S'il y a quelqu'un qui -veuille prendre part au combat, je pourrai bien m'en mêler un peu.» -Enfin, après que quelques horions eurent encore été échangés, un membre -se hasarda à séparer définitivement les deux champions. Plainte fut -portée par M. Schriver, et caution fournie par M. Waller. - -D'importantes nouvelles sont arrivées de Taïti, et quoique depuis -plusieurs jours le gouvernement ait gardé un silence diversement, mais -en général peu favorablement interprété, il est impossible de ne pas -accorder toute confiance aux détails très-concordants qu'ont donnés -plusieurs correspondances particulières sur les événements dont la -nouvelle Cythère a été le théâtre. La reine Pomaré, cédant aux -suggestions de M. Pritchard, missionnaire, négociant et consul anglais, -se refusait obstinément à exécuter le traité du 9 septembre, après -l'avoir ratifié, et affectait le plus grand mépris pour le gouvernement -provisoire institué par l'amiral Dupetit-Thouars, en vertu du -protectorat de la France, accepté puis méconnu par la reine. Notre -pavillon avait été amené et remplacé par un chiffon bizarre qu'elle -avait déclaré être le pavillon taïtien. Cette résistance avait été, nous -ne dirons pas provoquée, mais très-ostensiblement appuyée par le -commandant de la frégate anglaise la _Vindictive_, lequel menaça même de -recourir à la force pour faire prévaloir les nouvelles façons d'agir de -la reine. Nous n'avions en ce moment que deux corvettes dans ces -parages; mais leurs officiers et leurs équipages n'hésitèrent pas un -seul instant, malgré l'inégalité des forces, à prendre l'attitude qui -convenait à la marine française, en réponse à cet insolent langage. Les -menaces demeurèrent alors sans effet, et l'amiral anglais Thomas, pour -éviter un conflit que rendait imminent la présence du commodore -Nicholas, qui montait _la Vindictive_, la remplaça par la frégate _le -Dublin_, qui se borna à demeurer spectatrice de nos démêlés avec la -reine Pomaré. Instruit de cette situation et des faits qui l'avaient -précédée, l'amiral Dupetit-Thouars se présenta, le 4 novembre dernier, -devant Papeiti avec les trois frégates _la Reine-Blanche, l'Uranie, la -Danaé_, dans la pensée que ce déploiement de forces épargnerait une -lutte déplorable pour l'humanité et enlèverait même à la reine, on -plutôt à ses imprudents conseillers, toute idée de résistance. Le calcul -de l'amiral n'était pas complètement exact. Il accorda un premier délai -qu'on laissa s'écouler sans rentrer dans l'ordre. Alors il en fixa un -définitif, expirant le 6 à midi, et au terme duquel le traité devait -avoir été exécuté sous peine de déchéance de la reine. Le capitaine de -la frégate anglaise, oubliant un moment les recommandations de -modération et de neutralité que son amiral lui avait faites, se laissa -aller à déclarer à l'amiral Dupetit-Thouars, sur le pont même de _la -Reine-Blanche_, qu'il allait faire venir à son bord la reine Pomaré, -hisser le pavillon taïtien et le saluer de vingt et un coups de canon. -Justement blessé de cette intervention injustifiable et hautaine, M. -Dupetit-Thouars répondit au commodore: «A votre aise, monsieur; menez, -tant qu'il vous plaira cette femme à votre bord, mais gardez-vous de -hisser le pavillon taïtien; et, si vous le saluez de vingt et un coups -de canon, vous assumerez sur vous toutes les conséquences qui pourront -en résulter. Maintenant que vous êtes prévenu, agissez comme il vous -plaira.» On comprend que la matinée du 6 ait tenu l'escadre française -dans une attente pleine d'émotions. Mais l'heure dite arriva sans que la -reine eût arboré le pavillon tricolore; l'ordre du débarquement fut -aussitôt exécuté que donné, et Pomaré a cessé de régner. Un gouvernement -a été installé par l'amiral, dont la conduite a été digne de son nom et -des couleurs sous lesquelles il sert. - -La situation de l'Espagne, c'est-à-dire la lutte entre un gouvernement -qui s'est mis en dehors de toutes les règles constitutionnelles et une -insurrection qui n'offre pas beaucoup plus de garanties aux hommes qui -appellent de leurs voeux un gouvernement régulier, cette situation se -prolonge, et l'on se demande si le retour de la reine Christine en -Espagne (voir la page, précédente) y mettra fin. Bien des yeux, de -l'autre côté des Pyrénées, sont tournés vers cette princesse. -Désavouera-t-elle franchement les actes dictatoriaux du général Narvaez? -les désapprouvera-t-elle seulement pour la forme, ou enfin le -suivra-t-elle ouvertement dans cette voie? Voilà les questions que les -Espagnols s'adressent, et que beaucoup, dans leurs préventions ou dans -leur confiance, résolvent dans le sens qui justifie ou les unes ou -l'autre. - -Mais la fièvre de l'insurrection et celle des mesures extraordinaires de -gouvernement ont passé la frontière d'Espagne, et travaillent à leur -tour et de nouveau le royaume de dona Maria. Une conspiration militaire -a éclaté en Portugal. Un général considéré, ancien ministre de la -guerre, le comte de Boulin, est à la tête de ce mouvement, qui fait -valoir comme griefs les violations qu'on a fait subir au principe de la -souveraineté nationale, en faisant revivre, sans la faire réviser par -une Chambre constitutionnelle, la Charte que don Pedro avait octroyée. -Là, connue en Espagne, les Chambres ont été fermes, la liberté de la -presse, la liberté individuelle suspendues, et le royaume entier mis en -état de siège. C'est bien mal commencer; attendons la fin. - -Les feuilles françaises et étrangères ont vu cette semaine leurs -colonnes attristées par le récit de nombreux et déplorables malheurs. Le -_Standard_ du 17 annonce qu'un terrible accident est arrivé la veille -dans la houillère de Landshipping. Des mineurs, au nombre de -cinquante-huit, travaillaient dans l'une des galeries qui passent sous -la rivière, lorsque tout à coup l'eau fit irruption dans la mine avec -une telle violence que dix-huit de ces ouvriers seulement eurent le -temps de se sauver. Les quarante autres ont été noyés.--A Granville, -dans la nuit du 14 au 15, par un temps fort calme, un canot monté par -dix hommes ayant chaviré à une brasse ou deux tout au plus du bord du -quai, sept de ces matelots allèrent au fond, où ils restèrent engagés -dans des vases molles qui se sont accumulées dans cet endroit.-- - -Quel douloureux spectacle s'offrit le matin aux regards lorsque la mer -se fut retirée. Les cadavres de ces sept malheureux gisaient pêle-mêle, -dans un espace de quelques mètres, les uns retenus par les pieds, -d'autres engagés jusqu'aux épaules dans la boue noire et fétide du port. -Pour ceux-ci, l'asphyxie a dû être instantanée, et la position de l'un -d'eux, qui avait les mains dans les poches ne son paletot, le prouvait -assez. Six de ces hommes sont pères de famille et le laissent, -assure-t-on, sans aucune ressource plus de vingt orphelins.--Un des plus -anciens et des plus justement célèbres de nos généraux, le -lieutenant-général Pajol, a fait, dans le grand escalier du château des -Tuileries, une chute affreuse, qui a causé la fracture de la cuisse au -col du fémur, et donne de vives inquiétudes.--Le savant M. Gay-Lussac, -qui a la simplicité de faire encore son cours, et qui ne croit pas que -le rôle d'un professeur doive consister uniquement à se choisir un -suppléant, a pensé être victime de l'explosion d'un flacon dont le -contenu s'est enflammé par le contact subit de l'air, au moment où il -préparait une expérience de laboratoire du Jardin-des-Plantes. -L'illustre professeur et son jeune préparateur ont été blessés, le -premier grièvement, le second plus légèrement. L'état de M. Gay-Lussac -est aujourd'hui complètement rassurant.--On a annoncé, cette semaine, la -mort d'un homme excellent, d'un homme dont la vie a été vouée aux -oeuvres utiles, de M. Cassin, agent général des sociétés savantes et de -bienfaisance.--Un des plus éminents publicistes de la Suisse, le docteur -Charles Schnell, rédacteur du _Volksfreund_, depuis longtemps en proie à -une profonde mélancolie, par suite d'un état obstiné de souffrances -physiques, a mis fin à ses jours. C'était un des plus formidables -antagonistes de l'aristocratie suisse et de l'aristocratie bernoise en -particulier.--Le 15 février est mort à White-Lodge (Richmond-Barker), -dans sa quatre-vingt-septième année, Henry Addington, vicomte de -Sydmouth. Il avait été président de la Chambre des Communes de 1789 à -1801, premier lord de la trésorerie et chancelier de l'Échiquier de 1801 -à 1804, lord président du conseil en 1805, lord du sceau privé en 1806, -secrétaire d'État de l'intérieur de 1812 à 1822.--Les nouvelles de -Stockholm peignent l'état du roi de Suède comme s'aggravant de jour en -jour, et nous devons craindre que la notice biographique que nous lui -avons consacrée ne devienne bientôt une notice nécrologique. - - - -De la Question de l'Enseignement. - -_L'Illustration_ ne saurait se proposer d'entrer dans toutes les -discussions qui s'engagent chaque jour sur les questions d'organisation -que le législateur a encore à résoudre. Mais elle regarde comme un -devoir, auquel elle ne manquera pas, d'exposer l'état de chacune de ces -questions au fur et à mesure qu'elles arriveront à l'examen des -Chambres. L'abbé Sieyès a laissé en mourant un manuscrit volumineux -ayant pour titre cette proposition, à la démonstration de laquelle -l'ouvrage entier est consacré; _Il n'y a point de questions insolubles, -il n'y a que des questions mal posées_. Nous pourrons donc croire avoir -contribué pour notre part à la solution de celles qui seront agitées -quand nous aurons clairement fait connaître la difficulté qu'il faut -trancher ou les différents intérêts qu'il s'agit de mettre d'accord. - -En remontant dans notre histoire, aux premiers temps où le règne des -lois régulières commença à s'établir, même au temps où la science était -presque uniquement cléricale, aux premières années du quatorzième siècle -(1312), sous Philippe le Bel, on trouve déjà admis et en vigueur le -principe que l'instruction publique dépend de l'État. Celui-ci eut sans -aucun doute à défendre son droit contre plus d'une tentative -empiètement; mais, d'une part, les édits, les ordonnances, etc., de -l'autre l'action de la magistrature, fixèrent et maintinrent son -influence. Ainsi, en 1446, une ordonnance de Charles VII vint donner -juridiction aux Parlements sur les Universités, qui prétendaient ne -relever que du pouvoir royal et du pape. En même temps, de leur côté, -les Parlements établissaient par des arrêts le droit d'autorisation et -d'inspection des Universités sur les écoles particulières, et -l'obligation pour les maîtres d'être gradués dans les le lettres qu'ils -enseignaient.--La collation des grades et leur indispensabilité furent -encore l'objet de prescriptions nouvelles dans l'édit de Blois de mai -1579.--Elles furent confirmées par l'édit réglementaire de Henri IV sur -l'Université de Paris, de septembre 1598, édit marquant davantage la -sécularisation commencée de l'enseignement public.--Une ordonnance -royale de janvier 1629 dispose également que «nul ne sera reçu aux -degrés qu'il n'ait étudié l'espace de trois ans en l'Université où -seront conférés lesdits degrés, ou en une autre pour partie dudit temps, -et en ladite Université pour le surplus, dont il rapportera certificat -suffisant; mais elle va plus loin encore, et, ne se contentant pas -d'imposer des conditions aux hommes qui se vouaient à l'enseignement ou -aux jeunes gens qui voulaient entrer dans certaines carrières, elle -subroge en quelque sorte l'État à tous les droits des pères de famille: -«Nous défendons, y est-il dit, à tous nos sujets, de quelque état et -condition qu'ils soient, d'envoyer leurs enfants étudier hors de notre -royaume, pays et terres de notre obéissance, sans notre permission et -congé.» - -Nous pourrions montrer également la constante surveillance de l'État sur -les Universités; sa vigilance à ne laisser établir aucun collège, qu'il -fût fondé par une dotation particulière, ou entretenu par une ville, ou -même doté sur des biens ecclésiastiques, sans une autorisation spéciale -et l'intervention d'une ordonnance du roi. Nous pourrions rappeler -comment, à diverses reprises, furent refoulés les empiètements des -jésuites et montrer comment, dès 1708, fut imposée l'obligation de -fréquenter les collèges aux élèves de tout établissement particulier -d'instruction; mais l'historique de l'instruction publique en France et -la préexistence presque immémoriale de toutes les prescriptions dont -Napoléon, en les coordonnant, a fait le code de Université, sont trop -clairement et trop complètement déduits et démontrés dans l'exposé des -motifs du projet de loi que M. Villemain vient de présenter à la Chambre -des Pairs, pour que nous n'y renvoyions pas ceux de nos lecteurs qui -voudraient, à ce sujet plus de preuves et de détails que l'espace ne -nous permet d'en donner ici. - -Si la liberté de l'enseignement n'exista jamais au profit des -particuliers sous l'ancienne monarchie; et le clergé lui-même, malgré -ses immenses privilèges, vit continuellement dans cette matière la -législation et la jurisprudence lui dicter des règles et lui imposer des -obligations, cette liberté n'exista pas davantage de fait après 1789 et -sous la République elle-même. L'Assemblée constituante en prononça le -nom, mais ne la constitua point. La Convention la proclama, mais y mit -d'abord des conditions qui assuraient qu'il n'en serait point usé sans -l'agrément de l'autorité; et si la constitution de l'an III ne semblait -pas imposer les mêmes limites, dès l'année suivante elles furent en -quelque sorte tracées par le décret du 3 brumaire, et, un peu plus tard, -la loi du 1er mai 1802 statua positivement que «il ne pourrait être -établi d'école secondaire sans l'autorisation du gouvernement.» - -Enfin vint l'Empire, qui, par la loi du 10 mai 1806 et les décrets du 17 -mars 1809 et du 15 novembre 1811, codifia avec ensemble tout ce que les -ordonnances des rois et les arrêts des Parlements avaient accumulé de -précautions et de garanties, les compléta, et faisant des anciennes -universités autant d'académies, les relia toutes à une seule et puissante -Université, dépendante de l'État, qui, selon l'expression de M. -Boyer-Collard, n'était autre chose que le gouvernement appliqué à la -direction universelle de l'instruction publique, et qui avait le -monopole de l'éducation à peu près comme les tribunaux ont le monopole -de la justice, et l'armée celui de la force publique. - -Cette organisation puissante fut maintenue par la Restauration, qui ne -consentit de dérogation à cette règle générale qu'en faveur des écoles -secondaires ecclésiastiques ou petits séminaires. Dès 1802, les besoins -du service religieux avaient fait créer par plusieurs évêques, avec des -secours particuliers, quelques écoles préparatoires à l'enseignement des -séminaires métropolitains ou diocésains, reconnus par un article du -Concordat, et, plus tard, organisés par la loi du 14 mars 1804. Un -décret du 9 avril 1809 mentionna pour la première fois ces écoles -préparatoires. Un titre spécial du décret du 15 novembre 1811, les -assimila tout à fait aux écoles ordinaires, leur interdisant de plus de -s'établir autre part que dans les localités où se trouvait placé un -collège communal ou un lycée, dont leurs élèves étaient tenus de suivre -les cours. Un ordonnance royale du 5 octobre 1814 vint dispenser ces -établissements de ces obligations et autorisa l'augmentation de leur -nombre. Ces facilités amenèrent un état de choses auquel on crut devoir -porter remède en 1828. L'exemption de toute obligation de grades quant -aux maîtres, la dispense de toute rétribution envers l'État quant aux -élevés, favorisaient les petits séminaires au détriment des collèges et -des institutions universitaires, et mettant ces derniers établissements -dans l'impossibilité de soutenir une lutte rendue trop inégale. - -C'est alors que, sur la proposition de M. le comte Portalis, ministre de -la justice, fut instituée, pour constater les faits et proposer les -mesures à prendre, une commission composée de neuf membres, qui -choisirent pour rapporteur M. de Quéleu, archevêque de Paris. Son -travail remarquable constate que, outre le nombre des écoles secondaires -ecclésiastiques porté à 126, 53 autres établissements s'étaient formés -comme succursales ou écoles cléricales; que plusieurs étaient dirigées, -non par des prêtres, mais par des membres de corporations religieuses -non autorisées par les lois; qu'enfin le but de l'institution des petits -séminaires était tout a fait dépassé. Il conclut à ce que nulle nouvelle -école secondaire ecclésiastique ne fût établie sans une autorisation -spéciale; à ce qu'on ne fît dans ces écoles que des études compatibles -avec l'état ecclésiastique; que l'habit y fût pris par les élèves ayant -deux ans d'études; qu'il leur fût interdit de recevoir des externes, et -enfin à ce que tous les élèves qui auraient abandonné l'état -ecclésiastique après leurs cours d'études, fussent tenus, pour obtenir -le diplôme de bachelier ès-lettres, _de se soumettre de nouveau aux -études et aux examens, selon les règlements de l'Université._ - -Les ordonnances du 16 juin 1828 ne furent que la mise en pratique et en -vigueur de ces principes et de ces conclusions. Elles furent présentées -à la signature de Charles X par M. Feutrier, évêque de Beauvais, -ministre des affaires ecclésiastiques, à la suite d'un rapport au roi où -ce prélat faisait ressortir la nécessité de conserver aux écoles -ecclésiastiques un caractère tout spécial, de le maintenir par la -condition relative, au baccalauréat, par l'obligation de porter le -vêtement ecclésiastique; et où il établissait, par des calculs bien -déduits, que le nombre de vingt mille élèves était largement suffisant -pour répondre à tous les besoins à venir du culte, et devait être fixé -comme une limite légale. - -Ces ordonnances furent exécutées immédiatement; mais vint la révolution -de 1830, qui, dans un des articles de sa Charte nouvelle, consacra le -principe de la liberté de l'enseignement, et promit la présentation d'un -projet de loi pour réglementer l'exercice de cette liberté En 1836, en -1841, deux projets furent portés aux Chambres; mais, à l'une comme à -l'autre de ces époques, beaucoup de personnes voulurent voir dans la -démarche ministérielle plutôt un acte conservatoire pour empêcher la -prescription de la promesse de la Constitution que la pensée bien -sérieuse de fixer immédiatement et définitivement la législation. On ne -fit rien pour démentir ces suppositions, car ni l'un ni l'autre de ces -projets n'arriva à la sanction royale, et il allèrent reposer dans les -archives des Chambres. L'hésitation à résoudre une question difficile, à -prononcer entre des prétentions aminées était explicable; mais ce qui -devait être d'une évidence non moins grande, c'est qu'il ne pouvait être -sans de nombreux inconvénients de prolonger la situation dans laquelle -on se trouvait: car les lois dont la Charte de 1830 avait promis la -révision d'après un principe qui n'était pas celui qui avait inspiré -leur rédaction, ces lois avaient inévitablement, par cette promesse -même, perdu de leur empire; les parties intéressées mettaient de -l'empressement à s'y soustraire comme à une législation caduque, et -l'administration incitait peut-être trop de faiblesse à faire exécuter -leurs plus importantes prescriptions; car, enfin, bien que condamnées à -une refonte, à ses yeux, elles devaient former encore le code de -l'enseignement jusqu'à la promulgation d'un code nouveau. En -législation, un interrègne c'est l'anarchie. - -De cette situation prolongée il est résulté que, tandis que l'Université -se bornait à élever quelques collèges communaux au titre de collège -royal, il s'est formé à côté d'elle une sorte d'Université -ecclésiastique, jouissant du privilège de ne pas payer le droit -universitaire, auquel les élèves des collèges, internes et externes, -sont tous tenus, et multipliant ses établissements grâce à cet avantage -et à son activité. Il n'y a aujourd'hui, en France, que 46 collèges -royaux et 312 collèges communaux, tandis que l'on compte 1,137 -établissements particuliers et séminaires indépendants de l'Université. -Les établissements de l'Université ne sont fréquentés que par 45,581 -élèves, sur lesquels 25,000 sont externes, et soumis pour l'éducation -morale à toute l'influence de la famille. Les établissements -particuliers, au contraire, comptent 63,000 élèves. - -On comprend que si la liberté de l'enseignement eût été réglementée en -1830, aussitôt que le principe fut proclamé, l'enseignement -ecclésiastique, qui était à cette époque renfermé dans les limites -tracées par les ordonnances de 1828, se fût montré de facile composition -pour un état de choses qui serait venu rendre plus favorable sa -situation. Mais quatorze années se sont passées depuis lors, quatorze -aimées durant lesquelles la liberté promise par la Charte a été à peu -près accordée dans le fait à cette nature d'établissements, et accordée -par l'État, gardant pour les siens toute la charge dont il exemptait ses -rivaux; le point de départ n'est plus le même, et les exigences ont -changé comme lui. - -Les prétentions aujourd'hui sont celles-ci: - -Une partie du clergé, en demandant pour les établissements qu'il a -fondés, et pour ceux qu'il serait maître de fonder encore, une complète -liberté, semble vouloir se réserver une sorte de censure sur les -établissements universitaires, en en retirant ou en y laissant à son gré -les aumôniers. - -Une autre partie se borne à réclamer la liberté, mais la liberté -entière, c'est-à-dire le droit d'élever non-seulement les jeunes gens -qui se destinent au culte, mais tous ceux qu'elle amènerait les parents -à lui confier, et sans que ces jeunes gens, pour être reçus bacheliers -ès-lettres, fussent tenus, comme le prescrivent les ordonnances de 1828, -de se soumettre aux études et aux examens selon les règlements de -l'Université. - -L'opinion la plus générale demande au gouvernement de fixer les -conditions auxquelles toute personne les remplissant pourra ouvrir un -établissement d'éducation, mais de traiter chacun également, de -n'accorder de privilège particulier et d'exemption de faveur à personne. -De ce côté on est tout disposé à reconnaître l'action supérieure et la -surveillance constante de l'État; on ne prétend point qu'elle ne doive -s'exercer sur les maisons d'éducation que comme celle de la police -s'exerce sur les lieux publics; on reconnaît qu'il est du droit, du -devoir du gouvernement d'exiger des garanties particulières des -établissements où se forment de jeunes citoyens, les intérêts de l'État -et ceux des pères de famille ne sauraient, aux yeux des hommes éclairés -et de bonne foi, être des intérêts opposés. On ne demande pas qu'on -soumette les écoles ecclésiastiques à la rétribution universitaire, mais -qu'on exempte toutes les institutions de cet impôt fort malentendu, fort -lourd, et arbitrairement assis. On ne demande pas que les grades ne -soient pas délivrés par l'État, et qu'il ne soit pas appelé à juger, par -l'intervention de ses fonctionnaires, de la capacité de ceux qui se -présentent pour les obtenir, mais que ce soit lui, désintéressé dans la -question d'amour-propre, et non des hommes que leur situation de -rivalité rend juges et parties, qui reconnaisse et proclame la capacité; -en un mot, que le grand-maître de l'Université et le ministre de -l'instruction publique soient deux fonctionnaires distincts, l'un -dirigeant, sous les ordres de ce dernier, les établissements dont l'État -aura pris le patronage spécial, et où il placera ses boursiers; l'autre -surveillant et gouvernant tous les établissements, qu'ils dépendent de -l'Université ou qu'ils soient dirigés par les hommes qui les auront -ouverts à leur compte, après avoir rempli les formalités voulues et -satisfait aux conditions imposées. - -Voilà les exigences, les prétentions et les demandes en présence -desquelles se trouve M. Villemain. Comment y a-t-il répondu, et quelle -transaction a-t-il su trouver? C'est ce qui demandera de notre part ou -de celle de l'historien de la Semaine un examen à part, et quelques -développements nouveaux, quand le projet présenté arrivera à la -discussion définitive, car nous ne sommes pas de ceux qui pensent que ce -projet n'a été porté d'abord à Chambre des Pairs que pour qu'il ne -revint pas, en temps utile, à la Chambre de Députés, et pour qu'une -solution, difficile sans doute, se trouvât encore une fois différé. -Mais, aujourd'hui, nous ne nous sommes proposé que d'exposer la -question. Une autre fois nous examinerons de quelle façon on entreprend -de la trancher. - - - -Le Vésuve. - -Nous empruntons à un ouvrage qui paraîtra prochainement quelques détails -curieux sur le Vésuve. Quoique le sujet ait fourni la matière de -beaucoup de volumes, chaque nouveau récit présente encore de l'intérêt, -surtout quand il contient, comme les extraits suivants, les impressions -et les expériences de deux savants tels que les docteurs Magendie et -Constantin James, auxquels nous devons cette communication. - -«Depuis le bas de la montagne jusqu'à l'Ermitage, les substances qui -proviennent de la décomposition des cendres vomies par le cratère -recouvrent la lave d'un terreau extrêmement fertile. C'est là qu'on -récolte le fameux vin de Lacryma-Christi. Triste fécondité cependant que -celle qui est achetée au prix d'incessantes alarmes! - -«Il était une heure quand j'arrivai à l'Ermitage. Je m'attendais à -rencontrer là quelqu'un de ces vénérables religieux qui inspirent à la -fois l'admiration et le respect. Je fus bien désappointé. L'ermite du -Vésuve est tout bonnement un cabaretier qui a pris à ferme l'Ermitage, -et vend fort cher de très-mauvais vin. Il n'a d'un ermite que la robe de -bure, le capuchon et un gros trousseau de clefs, auxquelles il manque -des serrures à ouvrir. - -«A partir de l'Ermitage, le chemin cesse bientôt d'être praticable pour -nos montures. Nous nous trouvons au milieu d'une nature aride, désolée, -morte, sans trace aucune de végétation. Le sol, bouleversé affreusement, -est partout hérissé de masses volcaniques d'un gris plombé, miroitantes, -jetées pêle-mêle les unes à côté des autres, et unies entre elles par un -ciment de lave. Il nous faut marcher sur les aspérités des roches, et -souvent sauter par-dessus de larges crevasses. A notre gauche est le -cratère à demi écroulé de l'ancien volcan, aujourd'hui éteint et appelé -_Monte di summa_, le même qui a enseveli Pompéi, Herculanum et Stabia -(1). Sur la droite, l'épaisse coulée de lave de la dernière éruption, -celle de 1839. En face de nous, le cône de cendre qui nous reste à -gravir. - - [Note 1: L'an 79 de notre ère. Parti du cap Visene pour aller - étudier de plus près le phénomène de l'éruption, Pline fut étouffé - à Herculanum sous les cendres vomies par le volcan. Voir - l'admirable lettre de Pline le jeune à Tacite, dans laquelle il - raconte la mort de son oncle, et les détails de la catastrophe.] - -«Mon thermomètre indique 19 degrés. On aperçoit de distance en distance -des fumaroles, et on commence à entendre les détonations du volcan. - -«Notre marche devient de plus en plus pénible. La cendre superposée par -couches molles et fines constitue un plancher mouvant qui s'affaisse -sous les pas, et dans lequel on peut craindre à chaque instant de rester -embourbé. Nous enfoncions quelquefois jusqu'au-dessus du genou. A mesure -qu'on s'approche de la cime du cône, cette cendre s'échauffe et fume. -J'ai vu le thermomètre, que j'y plongeais, s'élever jusqu'à 55 degrés. - -«Enfin, nous voici au sommet du volcan, dont la hauteur totale est de -1,207 mètres. Il est trois heures. Mon oeil plonge dans le cratère. Quel -imposant spectacle! - -«Représentez-vous un large gouffre, profond de plus de cent pieds, -irrégulièrement circulaire, d'où s'échappe un nuage de fumée suffocante -et roussâtre. Enveloppé de ténèbres, il s'illumine par intervalle de -jets de lumière, accompagnés d'explosions, qui sont immédiatement -suivies d'une chute de pierres sur des surfaces retentissantes. On -dirait souvent d'un bouquet d'artifices. Ainsi, au fond de l'abîme, -l'éclair a brillé; une fusée s'élance, s'irradie à une certaine hauteur, -retombe verticalement, et ruisselle en filons étincelants sur les -facettes sonores d'une pyramide. La base de cette pyramide repose au -milieu d'une nappe de feu semée de fissures en zigzag, qui reflètent -inégalement la lueur de l'incendie. Cependant le sol que nous foulons -est brûlant. Dans certains endroits, la chaleur est si forte qu'elle -pénétré la chaussure, l'attaque, et oblige de changer de place -fréquemment. - -«Ce gouffre, ces vapeurs, l'horreur des ténèbres, ces conflagrations -constituent un panorama dont aucune expression ne pourrait traduire la -terrible harmonie. Aussi le premier sentiment que j'éprouvai fut-il un -sentiment de stupeur mêlée de crainte. J'osais à peine circuler autour -du cratère; je sentais la poussière crépiter sous mes pas, et il me -fallait prendre garde aux inégalités du terrain. - -«Le jour paraît. Il éclaire peu à peu l'intérieur du volcan; les objets -se dessinent; les scènes de la nuit s'expliquent et diminuent le -prestige. - -«Le cratère a la forme d'un immense entonnoir, dont l'orifice évasé -couronne la crête de la montagne, et se continue insensiblement avec les -parois de l'infundibulum. Des parois aboutissent à un étroite enceinte, -qu'elles circonscrivent. - -Au centre est la bouche du cratère. Celle-ci n'occupe pas la partie la -plus déclive de l'excavation, mais au contraire le sommet tronqué d'un -cône qui se dresse comme une île au milieu de la lave, et dont la -formation est facile à comprendre. - -«Supposons une surface plane percée d'un trou. Des pierres sortent de ce -trou par jets alternatifs et retombent les unes dans le trou, les autres -autour. Ces dernières, s'entassant graduellement, finissent par figurer -un cône ou pyramide, dont le conduit central se continue avec le trou -d'émission. Vous diriez presque d'un tuyau de cheminée. Telle est, sur -une plus grande échelle, la manière dont se forme et s'accroît la -pyramide du volcan. - -«En effet, le sommet de cette pyramide vomit des matières -incandescentes. Des matières retombent les unes perpendiculairement dans -la bombe du cratère, les autres sur son pourtour, d'autres enfin roulent -jusqu'à la base ou bondissent, en se brisant sur les arêtes de la -pyramide. A mesure qu'elles se refroidissent, elles passent par diverses -nuances de coloration, dont on n'apprécie bien la teinte que pendant la -nuit. - -«Ces éruptions se succèdent toutes les huit ou dix secondes. Elles sont -précédées d'un murmure profond, et la bouche du volcan paraît embrassée. -Puis on entend une explosion pareille à un coup de pistolet, à un coup -de canon ou même au roulement de la foudre. C'est la lave qui jaillit. -La hauteur du jet dépasse rarement trente ou quarante pieds. Court -moment de silence; puis un pétillement sec, à grains nombreux et gros, -indique que la lave retombe en pluie sur la pyramide. - -«La quantité et le volume des matières lancées ainsi par chaque éruption -sont très-variables. Tantôt il n'y a que quelques scories de la grosseur -du poing; d'autres fois, des fragments de roches fondues en nombre -considérable. - -«Je ne suis encore qu'à la moitié de mes explorations. Il s'agit -maintenant de descendre dans le cratère. - -«Il n'y a pas de chemin tracé. Les parois du cratère me rappelaient -assez ces grandes falaises qui bordent le rivage de certaines côtes, -excepte qu'au lieu d'être taillées à pic, elles représentent un plan -incliné dont la surface est inégalement onduleuse. La pente est trop -rapide pour qu'on puisse, suivre une ligne directe. Je marchais donc en -biaisant, tantôt à droite, tantôt à gauche, revenant souvent sur mes -pas, en un mot obéissant à tous les caprices du terrain. Le guide allait -devant moi, sondant avec son bâton les endroits suspects. On ne peut pas -se traîner sur les genoux, ni se cramponner avec les mains, car le sol -n'est formé que de cendres et de roches brûlantes. Des roches sont de -nature sulfureuse. Elles offrent, suivant leur degré plus ou moins -avancé de combustion, toutes les nuances possibles de couleur, depuis le -jaune safrané jusqu'au jaune paille. - -«On rencontre à chaque pas des fumaroles. Ce sont autant de bouches de -vapeur dont les émanations, semblables à celles du soufre qui brûle, -provoquent la toux et oppressent. La température de ces fumaroles est -d'environ 60 degrés. Quand on plonge le thermomètre dans les points d'où -la fumée s'échappe, le mercure monte rapidement jusqu'à 90 et 95 degrés. -Il faut retirer l'instrument, de peur que le tube n'éclate. - -«J'arrive ainsi non sans peine, jusqu'au fond du cratère. Il est six -heures. Nous avions mis près de quarante minutes à descendre. - -«Pour bien comprendre l'endroit où je pose actuellement le pied, qu'on -se figure un cirque, et au milieu de l'arène une pyramide. Il règne un -espace libre entre la base de la pyramide et les premiers gradins du -cirque. Or, c'est dans cet espace que me voici parvenu. La cheminée, du -cratère représente la pyramide de l'arène, et le pourtour des parois les -gradins du cirque. - -«La largeur de cet espace est d'environ trois mètres. Son plancher, -qu'on me pardonne l'expression, est uni et légèrement granuleux comme -l'asphalte d'un trottoir. Et, en effet, ce n'est autre chose qu'une -couche de lave refroidie. Cette lave a la solidité de la dalle. -Frappez-la avec le talon de la chaussure ou l'extrémité ferrée d'un -bâton, vous ne réussirez pas à l'entamer. - -«Peut-on circuler autour de la cheminée du cratère? Oui, mais seulement -dans un tiers de sa circonférence, car dans les deux autres tiers la -lave est en pleine ébullition. - -«Maintenant que nous nous sommes occupés de ce qui est à nos pieds, -levons les yeux vers la pyramide du cratère (2). - - [Note 2: Il y a quelques années un Français gravit cette pyramide, - et se précipita volontairement dans la bouche du cratère. Il fut - rejeté quelques instants après entièrement calciné.] - -«Cette pyramide ressemble à un énorme tas de coke, seulement sa couleur -est d'un gris plus foncé. Ce n'est pourtant pas tout à fait celle du -charbon de terre, ni surtout son reflet luisant. Les détritus -volcaniques qui la composent sont entassés grossièrement les uns -au-dessus des autres, de manière à laisser des creux où l'air pénètre. -C'est à cette disposition que la pyramide doit sa sonorité, alors que -les matières lancées par le cratère pleuvait à sa surface. - -«Des matières arrivaient quelquefois en roulant jusqu'à nous. On les -évite aisément; car, arrêtées en chemin à tout instant par leur -viscosité, elles laissent derrière elles une traînée de feu qui en -diminue et ralentis la masse. Jamais elles ne sont venues d'emblée de -notre côté. Pour franchir d'un seul bond la pyramide, il eût fallu -qu'elles décrivissent dans l'air une parabole, que leur projection -verticale rendait impossible. - -«La lave lancée par le volcan est plus liquide et a une température plus -élevée que celle qui baigne la base de la pyramide. En voici la preuve. - -«Je m'étais amusé à détacher du fond des crevasses des fragments de lave -liquéfiée dans lesquels j'enfonçais avec mon bâton de petites pièces en -argent. Je rapprochais ensuite l'orifice du trajet, de manière à n'y -laisser qu'un simple pertuis. La lave, en se refroidissant, acquérait -bientôt la dureté de la pierre. Quant à la pièce, elle restait -emprisonnée sans pouvoir ressortir, puisque son diamètre se trouvait -devenu plus large que celui du trou qui lui avait livré passage. - -«Je veux répéter la même expérience sur un morceau de lave que venait de -lancer le cratère. La pièce y pénètre par son propre poids, mais à -l'instant même elle fond, brûle et disparaît. Il me fallut, pour -prévenir la fusion du métal, laisser s'écouler près d'une demi-minute -avant d'introduire d'autres pièces dans la lave. - -«Ces deux laves, quand elles sont refroidies, ont la même teinte, la -même consistance, le même poids. J'en ai rapporté plusieurs -échantillons, que j'ai fait examiner par des personnes très-compétentes. -On leur a trouvé une composition parfaitement identique. Elles sont en -très-grande partie formées par du granit fondu, ce qui explique pourquoi -leur pesanteur est si considérable. - -«Chaque éruption du volcan faisait vibrer notre plancher, de lave. Au -moment des plus fortes détonations, je sentais des oscillations -véritables. Ces phénomènes étaient produits par l'ébranlement de l'air -et la conductivité du sol. - -[Illustration: Maison de l'Ermitage du Vésuve.] - -«Il me sembla aussi plusieurs fois, même en l'absence de l'éruption, -entendre une suite de mugissement souterrain. Ayant recouvert de mon -mouchoir un endroit refroidi de la lave, j'y appliquai l'oreille. -D'abord, il me fut impossible de rien distinguer. J'étais comme assourdi -par le frétillement des couches voisines en ébullition. Mais bientôt, -concentrant toute mon attention, j'entendis par intervalle, dans la -profondeur du volcan, une sorte de clapotement humide, de gargouillement -tumultueux, qui indiquait des déplacements de gaz et de matières -liquides.» - -[Illustration: Coupe du Cratère du Vésuve.] - - - -Algérie.--Escadron de Dromadaires. - -L'excessive mobilité des tribus arabes et la rapidité avec laquelle -leurs cavaliers franchissent de grandes distances ont été jusqu'ici de -sérieux obstacles à l'affermissement de notre domination en Algérie. -Comment, en effet, triompher d'un ennemi presque insaisissable, et -imposer une obéissance durable à des populations fugitives? Dès 1843, -cependant, on avait eu recours, pour les atteindre, à lui expédient -couronné de succès. Un corps expéditionnaire fut organisé sous les -ordres du colonel Jusuf, et composé de quelques escadrons de spahis avec -environ deux mille fantassins montés sur des mulets. Ce corps se mit à -la poursuite des tribus réfugiées dans le petit Désert, où elles se -croyaient à l'abri de nos coups. Il ne tarda pas à les rejoindre, et les -força à rentrer dans le Tell, pour y rester soumises à l'autorité de la -France. - -Dans le courant de la même année, un autre essai fut tenté afin de -remplacer les mulets par des dromadaires. Un mulet, en filet, revient en -Afrique à 850 fr.; il coûte 1 fr. 50 c. par jour de nourriture, et ne -peut servir, terme moyen, que dix-huit mois; taudis qu'un dromadaire ne -coûte que 200 fr., vit avec ce qu'il trouve, porte le triple du fardeau -d'un mulet, peut servir vingt ans, parcourt de grands espaces, sans -éprouver les besoins des autres bêtes de somme, et supporte pendant -plusieurs jours les privations de boisson et d'aliments. Sous tous les -rapports, l'usage du dromadaire est donc plus économique et plus -avantageux que celui du mulet. - -[Illustration: Bride du Dromadaire.] - -Il existe deux variétés de dromadaires; les uns, très-grands, très-gros, -très-forts à la marche pesante, sont destinés exclusivement au transport -des marchandises; les autres, moins grands, de forme moins épaisse, -sveltes et élancés, sont extrêmement agiles et servent spécialement de -monture. Ils sont, à l'égard des premiers, comme des chevaux de selle -auprès des chevaux de trait. Les dromadaires de la grosse espèce portent -des poids énormes et jusqu'à cinq ou six cents kilogrammes. Comme ils -sont très-hauts, ils sont dressés à s'accroupir pour recevoir les -charges énormes que l'on met sur leur dos. Ce sont ceux que l'on a -appelés avec raison les vaisseaux du désert, et qui le traversent avec -les caravanes où on les compte souvent par centaines. Les seconds ne -portent que les hommes; ils sont également dressés à s'accroupir sur les -genoux, lorsqu'on veut les monter; le cavalier se place alors sur une -espèce de bât creusé vers le milieu, et garni à chacun des arçons d'un -morceau de bois arrondi, planté verticalement, qu'il saisit fortement -avec les mains pour se tenir. - -Les dromadaires ne sont pas conduits par le mors. Dans les villes, on -leur passe aux narines, partie chez eux fort sensible, un anneau auquel -on attache un bridon. Dans le désert, on se contente de les retenir par -un licou, et on les frappe avec un kourbach (fouet) du côté où on veut -les faire avancer. Leur plus grand mérite est d'avoir un trot allongé et -doux. Leur allure pourtant, très-fatigante pour ceux qui n'y sont pas -accoutumés, produit sur le cavalier l'effet du roulis. - -[Manoeuvres de Dromadaires] - -Déjà, dans la célèbre expédition d'Égypte, les dromadaires furent -enrégimentés avec succès. Les Arabes bédouins inquiétaient les derrières -de l'armée, venaient jusque dans les faubourgs du Caire commettre des -vols et des assassinats, et parvenaient presque toujours, grâce à la -vitesse supérieure de leurs chevaux, à échapper aux poursuites de la -cavalerie française. Le général Bonaparte, voulant mettre un terme à ces -incursions, ordonna, par un arrêté du 9 janvier 1799, la formation d'un -régiment de dromadaires, composé de deux escadrons à quatre compagnies -de soixante hommes. Chaque dromadaire portait des vivres et de l'eau -pour cinq ou six jours; il était monté par deux hommes places dos à dos -et armés d'un fusil de dragon avec baïonnette et d'un sabre de hussard. -Les officiers avaient des pistolets, et ils étaient munis de boussoles -pour se diriger dans le désert. L'uniforme, dessiné par Kléber dans le -goût oriental, était très-brillant. Lorsque, dans les engagements qui -avaient lieu autour du Caire, une tribu arabe était parvenue à échapper -à la cavalerie européenne, on dirigeait sur ses traces un détachement du -corps des dromadaires, et il était rare qu'il ne parvint pas à -l'atteindre. Les chameaux fléchissant alors le genou, les cavaliers -descendaient avec leurs armes, entravaient leurs moulures, les -pelotonnaient toutes ensemble, en laissant au milieu un espace vide -pour placer quelques hommes chargés de les défendre; puis le reste, -manoeuvrant en dehors de ce groupe, engageait l'action avec les Arabes, -déjà découragés par cette attaque inattendue, et ne tardant pas à les -vaincre. - -Au mois d'août 1843, M. le chef de bataillon Carluccia, du 33e de ligne, -a obtenu, sur sa demande, du gouverneur-général, l'autorisation -d'organiser à la Maison-Carrée un escadron de cent dromadaires, avec -deux ceins hommes d'élite du 33e de ligne et du 6e bataillon de -chasseurs d'Orléans. Il y a ainsi deux hommes pour un dromadaire: un -seul monte, un autre conduit; ils se relayent à chaque halte; tous deux -peuvent monter au besoin. C'est sur l'arriére du bât que le cavalier est -assis; le devant est occupé par les deux sacs des soldats, par deux -outres contenant de quatre à cinq litres d'eau chaque, ainsi que par un -grand sac en toile renfermant pour un mois de vivres des deux soldats en -biscuit, sel, sucre, café et riz. - -Le bât se maintient au moyen d'une corde fortement sanglée. A -l'extrémité d'une des traverses du bât, à laquelle s'attachent les -bagages ci-dessus mentionnés, vient s'enrouler une double corde que -traversent deux étriers en bois. Le cavalier est, de cette manière, -libre de mettre ses pieds à la position qui lui convient le mieux, et de -se servir des étriers pour monter et descendre. - -Le licol est à la fois simple et ingénieux. Au moyen de deux anneaux -fixés en dessus et en dessous du museau, on fait passer en sens -contraire une double corde attachée à l'anneau supérieur. A l'aide de -ces brides, on maîtrise le dromadaire le plus méchant et le plus rétif. - -Le soldat monte habituellement sur le dromadaire en faisant agenouiller -sa monture et en lui mettant le pied sur une des jambes de devant; pour -descendre, il passe les deux jambes du même côté, et se laisse glisser -au commandement _à terre!_ - -Le dimanche 28 janvier 1811, le maréchal gouverneur-général passait en -revue la gendarmerie, l'artillerie et le génie sur le champ de -manoeuvres de Mustapha, près d'Alger, quand tout à coup des cris -sauvages se firent entendre. Aussitôt on vit déboucher par le chemin de -la Maison-Carrée, en une masse noire et compacte, un groupe de cavaliers -d'une espèce toute nouvelle, élevant dans les airs, du haut de leurs -montures africaines, leurs fusils reluisant au soleil; c'était -l'escadron de dromadaires. La première vue de cette cavalerie provoqua -un mouvement d'hilarité, que le gouverneur-général réprima en s'écriant: -«Ne riez pas; la chose est plus sérieuse que vous ne pensez.» En effet, -l'escadron de dromadaires exécuta sur-le-champ diverses manoeuvres avec -une extrême précision, marchant tantôt en colonne, tantôt en bataille, -se formant sur la droite, sur la gauche et en avant en bataille, tantôt -au pas, tantôt au trot. Bientôt, à un commandement, les hommes sautèrent -lestement à terre et se portèrent en avant, exécutant des feux de -tirailleurs, tandis qu'un quart d'entre, eux suivaient le mouvement -offensif, chaque homme conduisant quatre dromadaires par les rênes. - -La promptitude de toutes ces évolutions, la facilité avec laquelle nos -braves et intelligents fantassins ont appris à manier leurs dromadaires, -ont vivement frappé toute l'assistance. Aux plaisanteries a succédé -l'admiration, et chacun a compris tout l'avantage qu'il sera possible de -retirer de cette institution. Grâce aux escadrons de dromadaires, aucune -population arabe ne saurait plus désormais trouver dans l'émigration un -asile où elles soient assurées d'échapper à l'atteinte de nos colonnes -expéditionnaires. - - - -Paris souterrain. - -[Illustration: Une rue souterraine de Paris.] - -I. - -Du temps de nos bons aïeux, lorsqu'on croyait encore aux esprits,--car -nous sommes aujourd'hui trop raisonnables pour y croire,--on avait -divisé notre momie en trois parties habitées par des êtres de nature -diverse. L'air et les nuées étaient le domaine des sylphes, esprits -légers, toujours beaux, toujours jeunes, nés pour la poésie et le -plaisir, habitant des palais brillants formés de nuages dorés par le -soleil, étincelants comme l'arc-en-ciel.--Au-dessous d'eux, à la surface -de la terre, c'était la race humaine, notre domaine à nous, tel que nous -l'habitons.--et puis, au-dessous encore, dans les entrailles de la -terre, se trouvait un troisième monde, celui des gnomes, esprits -souterrains, relégués au dernier degré de l'univers. Ceux-ci, on le -conçoit, étaient encore moins connus. Des hommes doués de bons yeux, et -surtout d'une bonne dose de crédulité, pouvaient bien avoir entrevu, par -intervalles, dans les nuages, les palais fantastiques et les armées -légères des sylphes rangées en bataille dans le ciel; de graves -historiens en rapportent mille témoignages. Mais nul regard, si -complaisant qu'il fût, ne pouvait percer jusqu'aux cavernes -inaccessibles des gnomes. L'imagination, qui ne fait jamais défaut, y -suppléait; tantôt, selon le caprice du rêveur, on peignait ces pauvres -gnomes comme des démons malfaisants, difformes, rabougris, accaparant -les trésors de la terre, et les enfouissant avec eux par une insatiable -avarice; tantôt, au contraire, on trouve des palais d'or, de pierres -précieuses, qui s'ouvrent dans les longues galeries souterraines à la -lueur étincelante des escarboucles et des ruisseaux de phosphore; pays -merveilleux où règnent des esprits irrésistibles, vifs et séduisants, -mais capricieux et fugitifs comme ces feux errants qui scintillent dans -l'obscurité des cavernes. - -Sans doute nos lecteurs ne sont pas sans avoir entendu quelquefois, et -même avec plaisir, ces récits fantastiques. Eh bien! sans rouvrir les -vieux contes de la _Bibliothèque bleue_, ou les graves entretiens du -comte de Gabalis sur les êtres élémentaires, nous allons faire aussi des -histoires de l'autre monde. Nous allons décrire des régions -souterraines; nous allons nous promener à vingt pieds, à cent pieds, à -cent cinquante pieds sous terre, avec les habitants de ces domaines, -dans le royaume des gnomes et des farfadets; tout cela, sans dire autre -chose que ce qui est, que ce que nous avons vu et touché,--et sans -sortir, qui plus est, de l'enceinte de Paris et de sa banlieue. - -Nous allons conduire nos lecteurs dans le Paris souterrain. Nous leur -ferons faire, j'en suis presque certain, d'inévitables découvertes dans -ce monde nouveau et presque inconnu. Cela ne doit pas surprendre, car la -superficie du pavé de Paris est souvent assez boueuse pour qu'on ne soit -guère tenté de regarder dessous. Cependant, à chaque pas, de nombreux -témoignages viennent révéler l'existence de cette seconde ville enfouie -sous les pieds de la première. Chacun a sans doute remarqué ces épaisses -et larges plaques de fonte ciselée, éparpillées çà et là au milieu des -chaussées, tremblant et résonnant sous les roues des voitures; ce sont -les portes et les fenêtres des rues souterraines. Il n'est personne qui -n'ait rencontré, de temps en temps, un escadron de ces hommes armés -d'échelles, de cordes, de râteaux, et chaussés de ces redoutables bottes -qui broient le pavé; ou bien encore, ceux que l'on entend et que l'on -voit le soir, courant sur les trottoirs, fouillant à l'angle des murs et -des soupiraux, et faisant retentir par intervalles, d'un son stridont et -cadencé, la barre de fer poli dont ils sont armés?--Ce sont les -habitants, ou les ambassadeurs de la ville invisible que vous foulez aux -pieds. - -On a décrit, on a peint souvent avec talent l'aspect du Paris à vol -d'oiseau; nous allons faire le contraire, et donner l'aspect de Paris à -course de taupe. Au lieu de nous élever, nous descendrons; au lieu de -voir Paris au-dessus des toits, nous le verrons au-dessous des caves. Ce -sera peut-être moins facile, moins lumineux; mais ce sera peut-être -aussi intéressant, et sans doute ce sera plus neuf. - -Avant de nous engager dans les détails de ce voyage, prenons d'abord une -idée générale du pays; et, en voyageurs érudits, prenons-en la -configuration générale, la disposition et les limites. - -De même que ces villes édifiées au pied des volcans et construites sur -d'autres villes enfouies qui leur servent de base, le Paris souterrain -compte plusieurs étages de régions souterraines, superposées les unes -aux autres et descendant ainsi de degré en degré depuis la surface du -pavé jusqu'à d'immenses profondeurs. Chaque étage caverneux, bien -distinct de celui qui le précède et de celui qui s'enfonce au-dessous de -lui, a sa physionomie particulière et ses habitants qui lui -appartiennent. Aussi, pour procéder par ordre, nous commencerons notre -voyage par la région la plus.--rapprochée de nous pour descendre ensuite -de plus en plus. Et, placé d'abord en simple piéton sur le pavé de la -rue, nous allons, tout à coup, changer de place, et, glissant plus bas, -regarder dessous...--Voici le premier étage de Paris souterrain.--Que -vous en semble? - -Depuis quelque temps on a beaucoup parlé de travaux d'assainissement, de -distribution d'eau, d'éclairage public; et on sait bien vaguement que -toutes ces dispositions exigent des constructions souterraines. Mais, -malgré tout ce qu'on peut avoir su et entendu, sans doute on ne se -figure pas ce dédale de cavernes obscure, ce tissu croisé et recroisé de -tuyaux, de conduites enchevêtrées les unes dans les autres, et les unes -sur les autres; il est facile de comprendre à cet aspect tout ce -qu'exige de combinaisons et de travaux le placement, l'entretien et le -renouvellement d'un semblable appareil. - -Il faut penser qu'il existe sous le sol de Paris environ cent vingt -kilomètres d'égouts, qui représentent par conséquent trente lieues de -rues souterraines, et environ autant de lieues de conduites d'eau. Quant -aux conduites de gaz, elles sont encore bien plus étendues. Nous ne -comptons pas, en outre, tous les embranchements particuliers qui coupent -les conduites maîtresses pour distribuer droite et à gauche l'eau et le -gaz dans les maisons ou sur la voie publique. - -Nous avons cherché à présenter dans cet aspect du sol de la rue un -aperçu des principales dispositions adoptées pour l'agencement et le -service de ces conduites. En voici rapidement l'indication et -l'explication. - -A est la coupe d'un égout. Les balayeurs-égoutiers y descendent à l'aide -d'une échelle par le tampon de regard B.--C'est une bouche sous -trottoir, qui absorbe les eaux du ruisseau; et D est un tuyau de chute, -par lequel les eaux ménagères et pluviales de la maison voisine tombent -directement dans l'égout. L'administration accorde en effet aux -propriétaires qui le demandent, l'autorisation de se débarrasser ainsi -de leurs eaux, moyennant l'apposition de grilles convenablement -établies, et certaines dispositions qu'exigent la prudence et la sûreté -publique.--De distance en distance, des trappes de regard sont ouvertes -sous la voûte de l'égout, afin de pouvoir en opérer la ventilation au -besoin, et y faire parvenir les ouvriers. - -C'est la conduite d'eau qui dessert la rue à main droite; au point F -elle porte une concession particulière servie au moyen d'une bourbe à -clef, dont la manoeuvre peut avoir lieu à travers le madrier perforé G, -à l'affleurement du pavé. Cette conduite d'embranchement E a sa prise -d'eau sur la conduite maîtresse H, qui dessert la rue à main gauche et -fournit la borne-fontaine I; comme elle est placée au niveau de l'égout, -elle rencontre sur sa route les reins de la voûte, et la traverse sur -une espèce de chevalet en fonte qui la soutient dans ce passage. - -La prise d'eau d'embranchement a lieu dans le regard par un double -système, de manière à pouvoir arrêter l'eau de la maîtresse conduite en -amont ou en aval sans arrêter le service de l'embranchement. Le regard -en maçonnerie y est ainsi établi, afin que les agents des eaux de Paris -puissent faire la manoeuvre des robinets d'écoulement et d'arrêt. - -Les conduites E et H ont été posées dans de simples tranchées, et ne -sont à découvert que dans le regard. Il n'en est pas de même de celles -qui sont figurées aux lettres K. L. Celles-ci sont posées sur -encorbellement dans des galeries. Ce système, qui permet de s'assurer à -chaque instant de l'état des conduites, et de les réparer sans -intercepter la circulation et remuer le pavage, peut être adopté pour -les conduites d'eau. Mais cette méthode ne pourrait être employée pour -les tuyaux de gaz, à cause des dangers qui en résulteraient. - -Notre, gravure représente la mise en communication de deux conduites, de -diamètre différent par le tuyau circulaire M, garni de ses robinets -d'écoulement et de vanne. - -Nous n'entrerons pas dans les détails explicatifs sur la forme et la -manoeuvre de ces robinets; ils seraient longs et exigeraient des -développements techniques qui n'intéresseraient qu'un petit nombre de -nos lecteurs. Nous dirons seulement que cette mise en communication des -tuyaux a lieu pour remédier aux irrégularités du service. On tient ainsi -les conduites en charge l'une par l'autre, on supplée au besoin aux eaux -de l'Ourcq, lorsqu'elles font défaut, par les eaux de la Seine, et -réciproquement. Lors d'un accident, la seule manoeuvre d'un robinet -suffit pour procurer l'eau à tout un quartier, que sans cela pourrait en -rester privé fort longtemps. - -Après les conduites d'eau viennent les conduites de gaz. Les tuyaux N. -O. desservent la rue à droite, et les tuyaux P. R. la rue à gauche. Dans -les rues dont la largeur est assez considérable, et qui surtout sont -divisées dans le milieu par un égout, il est d'usage de placer une -conduite de gaz de chaque côté, afin d'éviter les inconvénients qui -résulteraient pour les branchements particuliers des deux côtés de la -rue, s'il fallait à chaque fois traverser toute la largeur de la -chaussée et la maçonnerie de l'égout. Notre gravure ne présente donc que -les conduites nécessaires; les petits tuyaux S sont ceux qui desservent -la borne-fontaine, l'éclairage public, et quelques concessions -particulières d'eau, de gaz, etc. - -Quelquefois le nombre de ces tuyaux est plus considérable. La grosseur -en varie aussi beaucoup, il y en a dont l'énorme diamètre est de 0,50 à -0,60 c. sont de véritables tonneaux; la maîtresse conduite des eaux de -Chaillot est de ce nombre. D'autres, au contraire, n'ont que 0,08 c. Les -petits tuyaux en plomb sont aussi exigus qu'on le désire. - -Les égouts varient également de largeur; ils sont de petite ou de grande -section, pour se servir du terme administratif, selon l'importance et la -longueur de leur parcours, selon le volume des eaux qu'ils sont appelés -à recevoir. Les égouts-galeries sont ceux qui reçoivent en outre une -conduite supportée par encorbellement. - -Voilà donc l'aperçu rapide de ce que l'on trouve sous le pavé, de ce qui -constitue le premier étage de Paris souterrain. Quant au peuple qui -anime et gouverne cette cité suburbaine, sans doute il vaut mieux -n'avoir pas de fréquents rapports avec ses râteaux mal odorants, ses -lampes fumeuses et ses grosses bottes; mais cette existence d'un travail -pénible et rebutant mérite bien aussi quelque intérêt. Passer les jours -entiers dans ces étroites et humides cavernes, sans lumière, sans -soleil, et sans autre air que les émanations fétides des immondices, -gagner sa vie à remuer la fange produite par un million d'individus qui -s'agitent sur leurs tête, certes le salaire de ceux qui se dévouent à -une semblable profession est rudement gagné. D'ailleurs cette existence, -triste toujours, n'est souvent pas sans péril. Ces dédales obscurs ont -vu de sanglantes catastrophes, de terribles agonies, et la funeste -histoire de la galerie des Martyrs n'est pas la seule que les égouts de -Paris aient à déplorer. - -Pour achever cette rapide description du premier plan de la ville -souterraine, nous devons dire qu'elle possède deux fleuves: l'un au -nord, sur la rive droite; l'autre, au sud, sur la rive gauche de la -Seine.--Le premier, que l'on appelle l'aqueduc de ceinture, est une -large galerie voûtée qui reçoit les eaux du canal à la Vilette, et les -mène jusqu'au faubourg du Roule. C'est une rivière claire, limpide et -tranquille.--L'autre..., hélas! elle fut jadis célèbre, et, non contente -de traverser la grande cité aux rayons du soleil, elle la menaçait sans -cesse de sa puissance et de ses colériques débordements. En 1579, la -nuit du 1er avril, elle inonda Paris, et ses eaux montèrent jusqu'au -deuxième étage des maisons. O gloire! ô vanité des puissances déchues! -depuis, la Bièvre n'a menacé que d'empester, par l'infection de sa vase, -les quartiers qu'elle inondait autrefois. On l'a emprisonnée, murée, -voûtée..., et elle n'est plus qu'un égout obscur! - -Mais ce premier étage souterrain est bien près encore de la surface. En -suivant les conduites, en traversant les galeries, nous avons pu heurter -le sol des caves, et mettre la tête aux soupiraux pour demander et -recevoir des nouvelles du monde supérieur. Toutefois, en descendant plus -bas par intervalles, nous avons pu ouïr quelques bruits étranges, -quelques signes précurseurs de demeures plus profondes encore. Nous -avons pu voir que quelques-unes de ces trappes, mystérieuses ouvertures -placées à la superficie du pavé comme les fenêtres de ces habitations -obscures, ne s'étaient pas ouvertes à notre approche. Elles -appartiennent à nue autre cité enfouie. C'est de ce côté que nous allons -diriger notre voyage. - -_(La suite à un prochain numéro.)_ - - - - Don Graviel l'Alférez. - - FANTAISIE MARITIME. - -(Suite.--Voir page 39.) - -II. - -La veille de Noël, tous les officiers de la frégate voulurent aller -passer la nuit à terre, car, après la messe, le gouverneur devait donner -à toutes les autorités civiles et militaires un réveillon suivi d'un -grand bal, qui se prolongerait jusqu'au jour. Don Graviel et son ami -Fernando se chargèrent seuls du service à bord de _la Santa-Fé_. - -Vers minuit, toutes les cloches de la ville commencèrent à carillonner à -qui mieux mieux; les rues, sillonnées par des milliers de torches, -semblaient embrasées; l'obscurité n'en était que plus épaisse dans la -baie de la Havane. Les trois chefs de complot se tenaient à l'arrière de -la frégate. - -«Les armes sont-elles dans la chaloupe? demanda don Graviel au -contre-maître Brombollio. - ---Oui, capitaine. - ---Eh bien! fais embarquer tous nos gens sans bruit; combien sont-ils en -tout? - ---Cinquante; je n'ai pas pu en prendre un de moins, tous des amis, des -matelots achevés, des enragés premier choix. - ---C'est dix de trop; mais allons toujours.» - -Don Graviel avait eu soin d'expédier tous les canots en corvée pour la -nuit entière; il ne restait plus que la chaloupe et une légère yole -réservées aux déserteurs. Fernando et quarante marins, armés jusqu'aux -dents, partirent avec la première; elle déborda mystérieusement, longea -les quais non sans motif, et se perdit ensuite au milieu des bâtiments -de commerce. La yole fut montée par don Graviel, maître Brombollio et -les dix plus robustes matelots. Un poignard en ceinture, un pistolet -caché sous leurs vêtements, des biscaïens estropés au bout de longs -bâtons en manière de fléaux, tel était l'équipement de la bande d'élite. -Ils abandonnèrent la frégate à la garde de Dieu et sans canots. Puis ils -nagèrent droit au rivage, où l'on accosta dans un étroit canal situé -entre deux hautes tes maisons. La petite embarcation, cachée par -l'obscurité la plus profonde touchait cependant le bord; deux hommes y -restèrent; en cas de malheur, ils avaient ordre de s'enfuir, et de -prévenir au plus vite leurs camarades de la chaloupe. - ---Eh bien! Brombollio, le dé est en l'air, disait l'enseigne. - ---La peste étouffe les filles! répondit le maître; cette terre me brûle -les pieds!» - -L'église n'était pas éloignée; les marins y pénétrèrent à la suite de don -Graviel, travesti en matelot; ils se confondirent dans la foule sans -perdre leur officier de vue. - -Du côté des femmes, Dona Juana occupait la place d'honneur. Dans le -choeur étaient groupés don Antonio Barzon, ses aides de camp, le -commandant de _la Santa-Fé_, les officiers de la rade, ceux de la -garnison, l'intendant colonial et tous les dignitaires de la cité. - -«Par quelle porte sortira-t-elle?» se demandait don Graviel avec anxiété, -tandis que maître Brombollio continuait à maugréer tout bas contre les -filles et les amoureux. - -Dona Juana priait dévotement; et, certes, les gais propos du dernier bal -étaient loin de sa mémoire. - -Si elle eut une distraction, ce fut quand elle remarqua, bien malgré -elle, que don Graviel n'était pas venu à la messe avec son commandant; -elle ne conclut qu'il était de service à bord. La fête de la -_Media-noche_ devait suivre l'office, elle regretta peut-être l'absence -du téméraire alférez; mais, hâtons-nous d'ajouter que ces pensées -mondaines n'effleurèrent qu'à peine l'esprit de la jeune fille; encore -se les reprocha-t-elle en faisant son examen de conscience. - -Enfin, la foule s'écoula lentement; don Antonio Barzon sortit du choeur, -s'avança vers sa fille, lui offrit le bras et se dirigea vers la porte -latérale. Un carrosse attendait dehors. Les officiers se pressaient en -foule à la suite du gouverneur; l'issue allait être obstruée. Don -Graviel fit un signe, s'ouvrit passage de vive force à travers les -autorités galonnées, et fut imité par ses compagnons. Une certaine -confusion s'ensuivit. Les dignitaires coloniaux s'indignaient de -l'insolence des rustres qui les coudoyaient, mais les rustres gagnaient -du terrain. - -Déjà le marquis de las Hermaduras présentait la main à sa fille pour la -faire, monter en voiture quand le bouillant alférez le poussa rudement -en arriéré, enleva Juana à bras le corps, et se prit à courir en criant -«Noël!» C'était le mot de ralliement. - -«Au secours! aux armes! soldats et citoyens, à moi!» hurlait avec fureur -don Antonio Barzon. Les officiers tirèrent leurs épées, la garde du -gouverneur croisa la baïonnette. - -«Noël! Noël! en avant les biscaïens!» répondirent les matelots. - -Brombollio et ses huit camarades couvraient la retraite de l'enseigne, -le terrible moulinet de leurs fléaux enferrés tenait en respect la -multitude effrayée. Dona Juana, éperdue, se débattait inutilement entre -les bras de son ravisseur, qui la déposa bientôt dans la yole, s'y jeta -ainsi que ses gens, et poussa au large. - -Tout cela dura moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. - -Mille clameurs partaient du rivage, où régnait un désordre inexprimable. -Cent torches éclairèrent bientôt l'étroite ruelle par laquelle les -marins s'étaient enfuis; les soldats avaient chargé leurs armes, mais -comment tirer? on aurait pu blesser la fille du gouverneur. La yole -d'ailleurs filait plus vite qu'un trait, elle ne tarda pas à s'effacer -dans l'ombre. - -«Des canots! des canots! mort de ma vie! ou je vous fais tous pendre à -l'instant! Des canots! sang et tonnerre!» répétait d'une voix -étourdissante l'illustrissime don Antonio Barzon. - -Les officiers de marine, ceux de _la Santa-Fé_ entre autres, -parcouraient les quais en cherchant des canots partout: mais la -chaloupe, en passant, avait entraîné les uns, engravé les autres, jeté -les avivons à la mer, démonté les gouvernails; et grâce aux précautions -de don Graviel, la frégate, à qui l'on fit en vain des signaux de nuit, -ne put expédier le moindre batelet à terre. - -Pendant que le gouverneur et tous les siens se trouvaient ainsi cloués -au rivage, la yole rejoignait la chaloupe entre deux pontons abandonnés, -lieu convenu de rendez-vous. - -On doit rendre cette justice à l'entreprenant alférez, que son plan -était habilement combiné. L'amour, par exception à l'adage du fabuliste, -n'a point exclu toute prudence, bien que maître Brombollio, qui murmure, -soit loin de partager notre opinion. - -Dona Juana, effrayée, n'avait pas encore reconnu son audacieux -adorateur, qui crut devoir laisser au contre-maître le soin de la -réduire au silence. La mantille de soie de la jeune fille fut galamment -convertie en bâillon: un petit mal pour un grand bien; don Graviel avait -permis cette violence assez peu chevaleresque. Du reste, il gouvernait -et n'ouvrit la bouche que quand il s'agit de donner le mot de passe à -son complice Fernando, et même eut-il la précaution de contrefaire sa -voix. Puis les deux embarcations voguèrent de conserve; les aventuriers -visitèrent leurs amorces de pistolet, et l'on se dirigea, toujours à la -muette, vers le _Caprichoso_ dont on connaît suffisamment la physionomie -extérieure, mais sur lequel de nouveaux détails deviennent nécessaires. - -_Le Caprichoso_ n'était pas navire de guerre; seulement, il portait sur -pivot une longue pièce de 24 en bronze; par son travers grimaçaient dans -la ligne rouge une dizaine de canons en fonte d'un moindre calibre: de -distance en distance, à l'arrière, à l'avant, jusque dans la hune, -s'épanouissaient, comme les fleurs dorées d'un parterre, bon nombre -d'espingoles et de petters de deux à six livres de balles. Le tout était -merveilleusement fourbi et reluisait de la façon la plus appétissante. - -_Le Caprichoso_ n'était pas non plus un navire marchand; seulement, il -était en rapports suivis, avec les gros négociants de la Havane, on -l'avait vu livrer commercialement superbes cargaisons de nègres qui, -disait-on, n'avaient pas dû lui coûter cher. On assurait que son -excellence don Antonio Barzon s'intéressait paternellement aux -opérations de cet estimable spéculateur, dont quarante gaillards de -mauvaise mine composaient l'équipage. Un certain Bertuzzi, assez mal -famé dans ta colonie, quoique fort bien reçu chez le gouverneur, le -commandait. - -«Ho! de la chaloupe!» héla d'une voix éclatante un homme qui se dressa -sur le couronnement; et pourquoi ne dirions-nous pas tout de suite que -cet homme était simplement le capitaine Bertuzzi? - -«Ronde d'officier!» répondit militairement Fernando en longeant le -brick-goélette illuminé de bout en bout, car les négriers aussi -faisaient réveillon. Ils buvaient, dansaient, hurlaient et riaient aux -éclats. Le talia coulait à flots, et le poète de la bande,--où n'y -a-t-il point un poète?--improvisait une chanson de circonstance sur la -capture de quelques traitants dont on avait, le mois dernier, pris les -noirs et brûlé les navires. - -A la réponse rassurante du garde-marine, le capitaine Bertuzzi se -recoucha nonchalamment à plat-pont. Tout en fumant le cigare, et -attendait, le digne homme, que ses jurons en fussent aux coups de -couteau pour mettre le holà et les envoyer dans leurs hamacs. Mais, il -n'avait pas eu le temps de fumer trois bouffées, que son bord fut tout à -coup envahi par les cinquante déserteurs de _la Santa-Fé_, et que lui -personnellement se trouvait aux prises avec quatre vigoureux matelots -dont le dogmatique Fernando dirigeait les mouvements. - -«Capitaine Bertuzzi, pas de colère, je vous en prie, disait posément le -garde-marine; voyez, ce pistolet, si vous faites le méchant, il vous -cassera la tête.» - -Pris au piège où tant de fois il avait fait tomber ses confrères, le -négrier-pirate fut artistement garrotté, bâillonné et déposé dans la -chaloupe. Inutile d'ajouter que les marins de la frégate n'avaient pas -laissé à ceux du brick le temps de courir aux armes. Leurs arguments, -aussi simples que celui de Fernando, eurent un égal succès. Sur ces -entrefaites, par les soins de don Graviel, dona Juana, qui maintenant -pleurait à chaudes larmes, avait été enfermée dans la cabine du -capitaine; enfin, lorsqu'une bonne moitié des négriers eurent été -rangés, pieds et poings liés, à côté du capitaine Bertuzzi, l'enseigne, -dépouillant sa cape de matelot, fit briller son uniforme et s'adressa -aux autres en ces termes: - -«Gens du _Caprichoso_». nous sommes les plus forts et les plus nombreux; -le premier de vous qui témoignera le moindre mécontentement sera jeté à -la mer avec un boulet aux pieds. Soyez donc sages et mignons comme des -brebis. Secondement, si l'un de vous s'avise de toucher une arme, sans -ma permission, il aura le droit d'être immédiatement hissé au bout de la -grand'vergue. D'ailleurs, vous faisiez la course avec Bertuzzi, vous la -ferez avec moi, voilà toute la différence. _Range à larguer les voiles!_ - ---Bien parlé!» dit maître Brombollio en disposant son monde pour -l'appareillage. - -La chaloupe, pleine des hommes dont les capteurs avaient jugé prudent de -se débarrasser, fut abandonnée en dérive, sans avirons. On leva l'ancre, -on établit les voiles, et à l'aide d'une légère bris on navigua sur -l'entrée du port. - -Durant ces diverses opérations, l'alarme allait croissant dans la ville, -l'on y battait la générale, la garnison prenait les armes, le gouverneur -avait enfin des canots à ses ordres, les officiers de terre et de mer se -multipliaient, les forts se mettaient sur la défensive, des coups de -canon de signaux retentissaient sur l'une et l'autre rive du port. - -«Maudite donzelle! murmurait maître Brombollio. Sans elle pourtant -personne ne se douterait de rien, nous filerions notre petit noeud au -large, et, au point du jour, on pourrait nous courir après. - ---Ne me parlez pas des femmes!» répétait dogmatiquement Fernando -Ribalosa. - -Don Graviel était trop occupé de la manoeuvre pour descendre dans la -cabine où l'infortunée Juanita ne cessait de se lamenter, toujours sans -rien comprendre de ce qui lui arrivait. L'entrevue promettait d'être -délicate; elle exigeait du calme, du sang-froid, du temps surtout. D'un -autre côté, la brise de terre mollissait. Le canon de la frégate se fit -entendre à son tour, preuve certaine que le commandant de _la Santa-Fé_ -soit enfin parvenu à rejoindre son bord. La position devenait critique. - -«Il serait dommage de manquer l'affaire après avoir si bien commencé, -murmura l'enseigne. - ---D'autant plus que nous serions inévitablement mis au croc, répondit -maître Brombollio. - ---Comme des goujons au bout d'une ligne, ajouta le garde-marine. - ---Armez les avirons de galère, mes petits coeurs! commanda don Graviel, -et si vous tenez à votre peau, nagez, ventre bleu! nagez, les caïmans, -enlevez-moi çà connue des tigres!» - -Le brick-goélette ne tarda pas à glisser sur la mer unie, à l'aide de -ses longues rames. - -Fernando, sans perdre de temps, faisait charger à double projectile, -boulet et mitraille, toutes les pièces d'artillerie du _Caprichoso_. Les -négriers, voyant qu'on ne leur faisait aucun mal, se prêtèrent à tout de -fort bonne grâce. - -Cependant les embrasures du fort du Morro, sous lequel il faut -nécessairement passer pour sortir, s'illuminaient peu à peu. On voyait -les canonniers apprêter leurs pièces; les murailles du fort de la Puota, -qui défend également l'entrée du port, se garnissaient aussi de soldats. -La frégate _la Santa-Fé_ sembla faire des mouvements: les déserteurs -crurent reconnaître le son de ses trompettes appelant l'équipage aux -postes de combat; bientôt après elle largua ses voiles. Tous les -bâtiments légers de la station, canonnières, goélettes, pataches, -tartanes, se mettaient en route. Les commandements marins résonnaient -d'un bout à l'autre du port, et, chose plus douloureuse encore, le bruit -cadencé des avirons de la flottille de chasse devenait plus distinct de -minute en minute. On avait, à bâbord, le fort du Morro; à tribord, -devant et derrière, des ennemis flottants. - -«Oh! les femmes, les filles, les mantilles, les basquines et les jupons -de malheur! je les voudrais à tous les cinq cent mille diables. Race de -femelles damnées! perdition des hommes! engeance maudite! répétait à -chaque coup de rame maître Brombollio, qui donnait l'exemple de nager -vigoureusement. Il mêlait à ses malédictions des encouragements non -moins énergiques. «Nagez donc, les agneaux! disait-il; souquez! hardi! -ferme, mille millions de tonnerres! ne dormons pas. Voilà une satanée -canonnière qui veut nous couper la route!» - -Fernando, sa longue-vue de nuit en main, examinait la baie, et toussait -à intervalles égaux; c'était sa méthode pour témoigner de l'inquiétude. -Le grave garde-marine s'était spécialement chargé de la pièce à pivot, -qu'il pointait sur la canonnière la plus rapprochée. - -Quant à don Graviel, il commençait à craindre de perdre la partie. - -G. DE LA LANDELLE. - -_(La suite à un prochain numéro.)_ - - - -Courrier de Paris. - -La semaine n'a produit que des oeuvres dramatiques médiocrement -récréatives, et qui méritent à peine une rapide mention; _le Vieux -Consul_ aurait mieux fait, par exemple, d'attendre le carême; il est -d'un intérêt assez maigre pour qu'on regrette qu'il n'ait point patienté -jusqu'à cette époque si conforme à son tempérament. Ce vieux consul -n'est rien moins que Marius le proscripteur; or, je vous demande si les -proscriptions conviennent à la saison des bals masqués; quelques beaux -vers, une ou deux scènes énergiques, ont pu difficilement préserver -Marius du péril résultant de son apparition en plein carnaval; il a eu -affaire à un parterre d'étudiants encore tout émus du galop de la veille -et qui riaient aux éclats et jouaient, peu s'en faut, des scènes de -débardeurs aux moments les plus pathétiques; pour rien au monde, nos -étourdis ne voulaient de tragédie ce jour-là. Le mercredi des cendres, -le _Marius_ de M. Ponroy aurait peut-être monté aux nues! Il n'y a rien -de tel que de choisir son temps: arriver à propos est un grand art. - -Vous parlerai-je des vaudevilles venus au monde à la même époque, -pauvres créatures chétives, qui n'ont ni jeunesse ni gaieté et sont -peut-être déjà mortes, pour la plupart, au moment où je parle; _les -Oppressions de voyage_ enterrées en une soirée, sous les sifflets; _les -Comédiens ambulants_ reproduisant pour la centième fois, sans beaucoup -d'adresse ni d'esprit, le roman comique de Scarron; _le Nouveau -Rodolphe_, parodie des _Mystères de Paris_, que le parterre a sifflé -sans mystère? Non, vraiment, je n'abuserai ni de mon temps ni du vôtre -pour vous entretenir de ces fadaises; un seul vaudeville a survécu à -cette mortalité universelle: c'est _le Major Cravachon_. Ce brave major -ne manque ni de franchise ni de gaieté, il a servi sous Napoléon; on -s'en aperçoit à son ton vainqueur et à ses redoutables moustaches; et, -bien qu'il ait déposé son glaive, Cravachon n'en a pas moins l'humeur -terriblement belliqueuse; si vous n'avez pas pourfendu au moins trois ou -quatre chrétiens, vous n'êtes pas son homme; imaginez, d'après cet -échantillon, ce que Cravachon exigerait de celui qui s'aviserait -d'aspirer à l'honneur d'être son gendre; à moins d'être un foudre de -guerre, ne vous y frottez pas; or, les Césars et les Cravachons sont -rares, et notre vaillant major en est réduit à éconduire, l'un après -l'autre, une quantité de soupirants qui prétendent à la main de sa -fille. Quoi donc? faudra-t-il que la pauvre petite sèche et dessèche -dans les ennuis du célibat? Ne trouverons-nous pas, à la fin, un -fier-à-bras pour conclure ses noces? Cravachon commence à désespérer; le -monde n'est plus rempli que de lièvres, pense-t-il; enfin, un lion lui -arrive; celui-là a le poignet fort, le coeur vaillant, le jarret -intrépide; il donne à Cravachon un grand coup d'épée pour premier -certificat. Cravachon ne se sent pas d'aise, lui tend les bras, le -caresse, l'embrasse et lui dit; «Touchez là, vous avez ma fille!»--Cette -recette pour le mariage n'est pas encore très-répandue, et fort peu de -beaux-pères s'accommoderaient de recevoir le coup d'épée reçu par -Cravachon, au risque de rester comme lui six mois au lit à se faire -panser; mais ne sommes-nous pas dans un siècle original? Patience donc! -le goût en viendra peut-être, et ces demoiselles ne se marieront plus -autrement.--Les auteurs de cette petite pièce comique sont MM. Lefranc -et Labiche. - -La semaine du moins a été particulièrement remarquable par l'apparition -d'un important personnage; pendant deux jours il a visité les quartiers -les plus fréquentés et les rues les plus fameuses, excitant partout une -curiosité immense, et recevant des honneurs magnifiques: des hérauts -d'armes, des gardes à pied, des cavaliers le casque en tête, lui -servaient de cortège, au roulement du tambour, au bruit d'une musique -militaire; son état-major se composait de Grecs, de Romains, de -chevaliers armés de pied en cap, de gentilshommes ressuscités de la cour -de Louis XIII et de Louis XIV. C'est peu encore; les dieux et demi-dieux -s'étaient mis à sa suite; Hercule, Hébé, Vénus, Mars, Cupidon, Bacchus, -Junon, Minerve, Apollon, Jupiter lui même, le terrible Jupiter, lui -faisaient escorte; et le vieux Saturne n'avait pas dédaigné de monter -sur un char et d'en tenir les rênes. - -Un autre aurait pu tirer vanité de ces honneurs inouïs, et attendre que -des gens qui désiraient le visiter et le voir fissent auprès de lui les -premières démonstrations; mais le personnage en question a montré qu'il -n'était ni difficile ni exigeant sur l'affaire de l'étiquette; il a -tranché la difficulté en faisant, de sa propre personne, des visites -empressées aux notables habitants de la ville. C'est ainsi qu'il est -allé saluer successivement M. le ministre des finances, M. Sauzet, -président de la Chambre des Députés, M. le maréchal Soult, M. -l'ambassadeur d'Autriche, M. le président de la Chambre des Pairs, M. -Crinin-Gridame et M. Duchatel; mais son hommage le plus solennel a été -pour le château des Tuileries: c'est là qu'il s'est efforcé surtout -d'être agréable et de réussir. - -De quoi s'agit-il? dites-vous.--Mais d'un personnage de poids, du poids -de 1,370 kilogrammes.--Vous l'appelez?--Le boeuf gras, roi du carnaval; -son règne a duré trois jours: commencé et inauguré dimanche à dix heures -du matin, il s'achevait mardi soir aux abattoirs Montmartre. Les -courtisans et les grands-officiers de carnaval, qui l'avaient servi et -flatté pendant sa puissance, l'ont mangé en beefteack après sa chute; ô -fragilité des grosseurs humaines! - -Le boeuf gras mort, tout est dit, le carnaval est enterré. Un soleil -charmant, un ciel d'azur, ont éclairé son dernier jour; il est -impossible de finir plus gaiement, et surtout d'avoir pour cortège, et -pour témoins de sa journée suprême, des amis plus nombreux et plus -empressés.--Dès midi, une moitié de Paris s'était mise à ses fenêtres -pour voir passer le carnaval; l'autre moitié se répandait dans les rues; -de la Madeleine à la bastille, le boulevard était couvert d'une -population immense, qui s'agitait tumultueusement et se pressait sur les -dalles des contre-allées, tandis qu'une double haie de voitures occupait -les bas-côtés, s'allongeant à perte de vue; c'était l'image de l'égalité -parfaite; l'équipage armorié était rangé sur la même ligne que le -fiacre plébéien; l'élégante calèche et l'humble vinaigrette marchaient -du même pas monotone et lent; quant au carnaval, il était difficile de -l'apercevoir. Les curieux ne manquaient pas; ils arrivaient par -milliers, à pied, à cheval, en voiture, pour assister aux exercices du -dieu burlesque; mais le dieu daignait à peine se manifester çà et là, -sous la forme de quelques débardeurs crottés, trottant pédestrement à -travers la foule, qui les saluait de ses huées; et à peine deux ou trois -calèches chargées de masques venaient-elles, de loin en loin, témoigner -qu'en effet Paris était en plein mardi-gras. - -Le carnaval est encore une de ces vieilles institutions que le temps a -modifiées, sinon complètement détruites; autrefois, messire carnaval -s'éveillait dès le matin, s'affublait de son costume bigarré, couvrait -son visage du masque joyeux ou grotesque, et s'en allait par toute la -ville agitant ses grelots et amusant les passants, les scandalisant -quelquefois de ses lazzi et de ses propos effrontés; le carnaval -agissait en plein jour et à la face de tout le monde; ses desservants -innombrables, répandus de tous côtés, transformaient Paris, pendant deux -ou trois journées, en un immense magasin de masques en plein vent. - -Le carnaval d'aujourd'hui a d'autres fantaisies et d'autres habitudes; -il trônait autrefois dans la rue; il envahissait les carrefours, les -boulevards, les places publiques; on le rencontrait à chaque pas; -c'était lui, toujours lui; il était maître de la cité et de ses -faubourgs. Maintenant la lumière lui déplaît; la vie publique n'est plus -son affaire; d'année en aimée il s'est retiré de la rue, et on peut -prédire que dans peu de temps il en aura complètement disparu; il ne -restera du carnaval en plein air que cette population ambulante et -curieuse,--qui viendra encore le chercher à travers la ville, longtemps -après qu'il n'y sera plus. - -Il ne faut pas conclure de ce qui précède que le carnaval est défunt; il -n'a jamais eu, au contraire, une vie plus agitée et plus furieuse; il ne -s'est jamais livré à sa folle passion avec moins de modération et de -retenue: mais, au lieu du jour, c'est la nuit qu'il recherche; le -carnaval est devenu noctambule. Honnêtes curieux désappointés, qui avez -passé toute votre journée à courir vainement après le carnaval en -soufflant dans vos doigts, si le soir, minuit venu, vous étiez entrés -dans la salle de l'Opéra-Comique ou de l'Opéra, si vous vous étiez -glissés au Prado et dans tous les lieux nocturnes où le bal trouve -asile, c'est pour le coup que le carnaval vous aurait apparu dans toute -sa force et sa souveraineté.--Oui, le voilà! c'est bien le carnaval, on -le reconnaît à ses cris, à son agitation, à ses traits convulsifs, à son -effronterie, à sa fureur pour le plaisir; c'est lui qui a revêtu de ses -oripeaux cette multitude diaprée; c'est lui qui la précipite dans cette -joie violente, dans cette danse à tous crins, dans cete valse à tous -bras!--Tout s'explique; le carnaval se calme et se repose pendant le -jour, afin d'avoir assez de force pour soutenir le choc de ses nuits -terribles. Il fait comme ces gastronomes et ces débauchés prudents qui -se préparent, par un peu de diète et d'abstinence aux excès d'un énorme -repas et d'une orgie. - -Quant à su mort et à sa sépulture, le carnaval n'a rien changé aux -usages passés; c'est toujours le lendemain du mardi gras qu'il expire; -c'est toujours à la Courtille que se célèbre, la cérémonie funèbre, et -que les adorateurs du carnaval viennent l'escorter en grande pompe et -assister à son dernier soupir. - -Le carnaval de 1844 a été inhumé avec un cérémonial inaccoutumé et une -si grande affluence de fidèles que nous sommes obligés, en conscience, -d'en faire part aux abonnés du _l'Illustration_, et de leur mettre sous -les yeux les traits principaux de cette fin mémorable. - -Il est six heures du matin; les réverbères mêlent au jour naissant leurs -dernières lueurs blafardes. Cette rue qui s'allonge devant vous se nomme -la rue du Faubourg-du-Temple. Il est aisé de la reconnaître à l'enseigne -qui se fait voir à gauche avec ces mots; _Vendanges de Bourgogne._--Les -bals viennent de cesser; les danseurs, pâles, haletants, les yeux caves, -harassés des joies de la nuit, se sont jetés pêle-mêle, ceux-ci dans le -fiacre, ceux-là dans le cabriolet, d'autres dans la calèche béante; ils -s'en vont tous à la Courtille user de leur dernière heure et saluer de -leurs derniers cris d'amour le carnaval qui finit, à la barbe du -mercredi des cendres.--Vous les voyez qui vont et viennent, montent et -descendent; la rue est encombrée de voitures et de mascarades. En voici -une qui s'arrête. Quels gestes! Quelles attitudes! D'où vient cette -halte? Pourquoi cette pantomime énergique et cet air agressif? Eh! ne -faut-il pas que ces vaillants masques se défendent? Se laisseront-ils -impunément railler par cette commère à l'éloquence hasardée, qui leur -montre le poing et leur lance à bout portant des fragments de dialogue -qui n'ont rien d'attique? Ce n'est pas à cette heure, et dans la rue du -Temple, qu'il faut compter sur des voix mélodieuses comme la voix de -Cinti-Damoreau ou de Persiani; ce n'est pas à la descente de la -Courtille qu'on enseigne les belles manières et la modestie; ce n'est -pas entre débardeurs qu'on tient école de marivaudage. Cependant un -sergent de ville, las de cette rude campagne du carnaval, s'endort à ce -terrible vacarme, comme Tytire au doux murmure d'une source limpide. -Mais que vois-je près de lui? Un enfant tout nu! c'est l'ami Carême, -fils posthume du Carnaval. - -[Illustration: Descente de la Courtille.] - -[Illustration: Un Sergent de Ville le mercredi des cendres.] - -Puisque Carême vient de naître, il est clair que Carnaval est trépassé. -Le père n'a jamais pu vivre avec le fils. Et, en effet, Carnaval n'est -plus, voici qu'on le fait porter en terre, non pas comme feu M. de -Marlborough, «par quatre-z-officiers,» mais accompagné d'un cortège -digne du défunt, et tout à fait de circonstance. - -Le Mardi gras est couché sur le dos, comme il convient à un mort; on a -eu soin de le revêtir de tous ses insignes, ordres de toute espèce et -décorations. Tandis que le pauvre hère, tout à l'heure si tapageur et si -bon vivant, garde cette position immobile, on voit à droite le Mercredi -_descendre_ de son échelle; Mercredi ne se décide pas à cet exercice -sans quelque hésitation; il a peur du Mardi gras, tout mort qu'il paraît -être; tels les héritiers du grand Alexandre ne pouvaient approcher de -ses restes sans pâlir. Le Temps, qui n'entend pas raison sur cette -question et veut que ses affaires marchent, le Temps pousse -très-positivement Mercredi par derrière pour lui donner de l'audace et -l'obliger à sauter le pas. - -Mercredi mène à sa suite le cortège ordinaire et la cour de sa très-pâle -et très-étique majesté Carême: poissons de mer et d'eau douce, oeufs -frais, panais, carottes, choux, salades, oignons, épinards, chicorées, -toute l'insipide nation des légumes. Un peu plus loin, le dieu Mars -survient absolument comme mars en carême. - -L'apparition du Mercredi des cendres et la mort du Mardi gras produisent -des émotions diverses: chacun, selon ses intérêts, fête l'avènement de -l'un ou regrette le trépas de l'autre. Les sergents de ville, ces -martyrs du carnaval, saluent avec joie l'arrivée de Mercredi, comme le -signal du repos et de la délivrance; cependant au son de la cloche que -Mercredi fait résonner dans ses mains, les débardeurs, effrayés, sentant -leur fin prochaine, se dispersent avec effroi; c'est pour eux le -tintement du jugement dernier. Quelques intrépides s'efforcent de faire -bonne contenance et de défendre pied à pied l'empire du Mardi gras; ils -forment un bataillon sacré et luttent jusqu'à la dernière extrémité, -menaçant Mercredi du geste et de la parole. Vain courage! héroïsme -inutile! qui peut arrêter le Temps? Mardi n'est plus; Mercredi s'empare -invariablement de son domaine et règne à sa place, en attendant que -Jeudi le détrône à son tour, et ainsi de suite jusqu'à la fin du monde -et des calendriers. - -[Illustration: l'Ami Carême, fils posthume de Mardi Gras] - -[Illustration: Enterrement du Carnaval.] - -Ce personnage qui pleure à chaudes larmes sent bien que le mal est -irrémédiable; c'est un garçon de café-restaurant: il est plus -particulièrement frappé que d'autres par la mort du Mardi gras. Que de -petits soupers il y perd, et que de pourboires! aussi voyez ses yeux se -fondre en eau; est-il une plus belle oraison funèbre? et que ce Mardi -gras est heureux d'ètre si tendrement regretté!--_De profundis!_ de la -part du petit Carême, fils de Mardi gras, qu'on élève secrètement au -champagne-Darbo pour le fortifier et en faire le Mardi gras de l'année -1845. - -Adieu, cher lecteur, et au revoir; j'espère que tu vas passer ton carême -honnêtement et que tu rachèteras tes péchés petits ou gros du carnaval -dernier. - - - -Théâtre royal de l'Opéra-Comique. - -CAGLIOSTRO, OPÉRA-COMIQUE EN TROIS ACTES, PAROLES DE MM. SCRIBE ET DE -SAINT-GEORGES, MUSIQUE DE M. ADOLPHE ADAM. - -On connaît l'histoire du grand Cagliostro, soi-disant fils d'un grand -maître de Malte, élevé secrètement en Arabie par le sage _Althotas_, -initié aux sciences occultes dans les pyramides d'Égypte, lequel -prédisait l'avenir, guérissait toutes les maladies, prolongeait la vie -indéfiniment et évoquait les morts. Le plus merveilleux n'est pas qu'un -homme ait imaginé toutes ces absurdités, c'est qu'il soit parvenu à les -faire croire, et cela à Paris, au dix-huitième siècle, vingt-cinq ans -après la publication de l'Encyclopédie, huit ans après la mort de -Voltaire, quatre ans avant la convocation des États-Généraux, qui furent -l'Assemblée nationale. Et qui avait-il pour adeptes? des couturières, -des blanchisseuses? Non pas, s'il vous plaît, mais de belles dames et de -grands seigneurs, et à leur tête un archevêque, prince de l'Église, et -longtemps ambassadeur du roi Très-Chrétien, le cardinal de Rohan! - -Ce héros singulier vient d'avoir son tour auprès de la muse de M. -Scribe, muse, comme on sait, d'humeur facile, et incapable de rebuter -qui que ce soit. - -M. Scribe a mis sur le théâtre le personnage, mais non son histoire, ou -du moins aucun acte qui nous soit positivement connu. Mais si Cagliostro -n'a pas fait ce que M. Scribe lui prête, du moins il a pu le faire. Que -peut-on exiger de plus du drame en général et de l'opéra-comique en -particulier? - -[Illustration: Opéra-Comique: _Cagliostro_ 3e acte, scène du -magnétisme.--Madame Anna Thillon, Corilla; madame Boulanger, la marquise -Pottier, Cecilli; M. Chollet, Cagliostro; M. Henri, Caracoli; M. Mocker, -le chevalier.] - -Au moment où commence la pièce, toutes les imaginations sont frappées -des prodiges accomplis par Cagliostro, Paris et Versailles ont à la fois -les yeux sur lui, et les journaux sont pleins de récits merveilleux dont -il est le héros. - -Parmi les personnes qui croient Cagliostro sur parole, il faut mettre en -première ligne un prince bavarois tout récemment débarqué à Paris, et -une certaine marquise de Volmérange, femme jadis à la mode, qui doit -avoir été charmante du temps du cardinal de Fleury, et qui, j'en suis -sûr, n'était pas encore trop mal en point sous le règne de madame la -marquise de Pompadour. Elle a vu longtemps à ses pieds,--c'est elle qui -le dit,--le roi Louis XV et toute sa cour; mais tout est bien changé -depuis le nouveau règne. Ses beaux jours sont passés, ses honneurs sont -détruits. Comment les faire renaître? comment remonter le cours des -années? comment effacer les fâcheuses traces que cet insolent vieillard -qu'on nomme le Temps a imprimées sur son visage? Assurément il faut -toute la science et tout le pouvoir d'un Cagliostro pour cela. - -Le Bavarois n'est guère moins embarrassé: il est amoureux, cet infortuné -prince, amoureux d'une cantatrice appelée Corilla, artiste célèbre, qui, -depuis trois ans, occupe tous les _dilettanti_ et tous les badauds de -l'Italie. Mais il a eu beau lui peindre sa passion dans les termes les -plus pathétiques, et joindre à l'offre de sa fortune celle de sa main, -il n'a pu rien obtenir, Corilla lui rit au nez toutes les fois qu'il -entame le chapitre de son amour.--C'est donc une étrange bégueule, -dites-vous, que cette Corilla?--Point du tout, lecteur; attendez la fin -de mon récit, et ne faites pas de jugement téméraire. - -«Monsieur le comte, dit le prince au charlatan, ne pourriez-vous me -donner quelque secret, quelque philtre pour me faire aimer d'une -cruelle?» Cagliostro, qui a vu jouer _le Philtre_ à l'Académie royale de -Musique, et qui sait son Scribe par coeur, répond sans hésiter: - ---Dans notre état, nous en tenons beaucoup. - ---Il serait vrai? - ---Chaque jour j'en compose, car on en demande partout. - ---Et vous en vendez? - ---Oui. - ---Et combien? - ---Peu de chose. - -«Dix mille livres le flacon, pour ne point vous faire marchander.--Ah! -c'est pour rien, en vérité, et je vous devrai la vie.» - -La consultation de la marquise, est bien plus importante encore. -«Monsieur le comte, ne pourriez-vous me rendre mes beaux jours -d'autrefois, l'éclat dont brillaient jadis les roses qui -s'épanouissaient sur mon visage, et le timbre argentin de ma voix, qui -chevrote si misérablement aujourd'hui?--Oui, madame.--Oh! donnez, -donnez, et toute ma fortune...--Doucement! il faut du temps pour -composer ce breuvage; il se fait avec le suc de plantes qu'on ne peut -cueillir que sur les plus hautes montagnes du globe. Un de mes amis en a -consommé, il y a quelques jours, le dernier flacon; il n'en a rien -laissé. Ah! si fait! il en reste deux ou trois gouttes.--Ah! -donnez-les-moi, monsieur le comte!-Hélas! madame la marquise, il y a à -peine dix minutes de jeunesse au fond de cette petite bouteille.--Eh -bien! ce seront dix minutes pendant lesquelles j'oublierai mon -chagrin.--Au fait, dit tout bas Cagliostro en regardant autour de lui, -il n'y a pas de glaces dans ce salon, et quant à ce miroir, je puis m'en -défaire.» II jette le miroir par la fenêtre, et donne le précieux -flacon. - -La marquise boit, puis cherche partout son miroir, mais en vain. Quel -désespoir! Être jeune, et ne pouvoir pas jouir de sa jeunesse, même par -la vue! ne pouvoir pas s'assurer de sa métamorphose! L'idée ne lui vient -pas, à cette pauvre marquise, qui n'a pas de glaces dans son salon, -d'aller consulter au moins sa toilette dans sa chambre à coucher, ou de -s'assurer avec ses deux mains si sa taille est redevenue fine et svelte -comme autrefois; elle ne sait que crier à tue-tête: «Mon miroir! où est -donc mon miroir?» Quand soudain le marquis de Caracoli se présente, -s'incline devant elle, et dit d'un air étonné: «Quelle est donc cette -jeune fille?» Ah! pauvre marquise! quelle vieille, ne fut-elle qu'une -petite bourgeoise, ne se pâmerait d'aise en entendant faire une pareille -question? - -Ce Caracoli, vous l'avez, deviné sans doute, clairvoyant lecteur, n'est -autre qu'un adroit compère, introduit dans la maison par Cagliostro, -pour l'aider à ses tours de passe-passe. Il a fort bien débuté, en -tombant de voiture tout exprès pour se faire guérir des suites de ce -terrible accident. «Ah! monsieur le comte, s'écrie la vieille, un flacon -de votre eau de Jouvence, et je n'aurai rien à vous refuser. Vous -n'aurez, qu'à dire.--Madame, dit l'élève d'Althotas, vous savez que ce -n'est jamais l'intérêt qui me guide. Il n'y a qu'une récompense à -laquelle j'aspire; c'est la main de votre charmante nièce.» - -La charmante nièce a un million de dot. - -Malheureusement, elle est peu disposée à jouer ce rôle de lettre de -change, car elle aime de tout son coeur son cousin le chevalier de -Saint-Luc, qui le lui rend de son mieux. Mais Cagliostro a des moyens à -lui pour vaincre toutes les difficultés, comme il a des remèdes pour -guérir toutes les maladies. - -Le compère Caracoli, très-subtil espion, je vous le jure, a surpris une -conversation fort intéressante entre le chevalier et une jeune étrangère -qui est venue lui rappeler d'anciennes amours et d'anciens serments. -L'étrangère est justement cette Corilla dont je vous ai déjà parlé, et -vous comprenez, maintenant, pourquoi le prince a toujours perdu auprès -d'elle son temps et son... bavarois. Caracoli va chez elle, lui apprend -la trahison du chevalier, et l'amène en secret dans un cabinet voisin du -laboratoire de son maître. Là elle acquerra des preuves palpables de -l'infidélité de son muant. Bientôt, en effet, le prince, la marquise, et -sa nièce Cécile, arrivent dans ce laboratoire. Cagliostro débute par -faire de l'or en leur présence. C'est une des merveilles dont ils sont -le plus curieux.--«Je donnerais mille louis, dit la marquise, pour voir -faire devant moi un grain d'or.»--A ce prix-là, on comprend que -l'opération ne serait pas difficile; et, de fait il n'en coûte pas tant -à Cagliostro. Il lui suffit de glisser adroitement dans le creuset -embrasé le lorgnon du compère Caracoli, lequel est cruellement mystifié -par ce tour de physique amusante. Le pauvre homme tenait beaucoup à son -lorgnon. Il faut vous dire que ce Caracoli, si spirituel et si fin au -premier acte, n'est plus, au deuxième, qu'un sot et qu'un poltron. Si -cette métamorphose était l'ouvrage de Cagliostro, ce serait la preuve la -plus incontestable qu'il pût donner de son savoir-faire. - -Le _grand oeuvre_ accompli, Cagliostro parle mariage, et la marquise se -montre fort bien disposée en sa faveur, mais non le chevalier, et encore -moins Cécile, qui déclare aimer passionnément son cousin.--«Bah! dit -Cagliostro, vous ne l'aimerez longtemps; passez, seulement cinq minutes -toute seule dans ce cabinet.» Cécile y entre; elle y trouve Corilla, et -reparaît bientôt pâle et agitée.--«Mon cousin, tout est fini entre -nous!... Monsieur, voici ma main.» - -Qui est étonné? Le chevalier; mais bientôt Corilla se montre, et tout -s'explique.--«Oui, traître! oui, ingrat! c'est moi qui ai tout fait; je -lui ai révélé notre amour; je lui ai montré ton portrait, les lettres et -le poignard que tu m'as donné pour le percer le coeur, si jamais ce -coeur devenait infidèle...--«Ma foi, répond tranquillement le chevalier, -je vous avoue, ma bonne, que vous n'en trouverez jamais une meilleure -occasion. Je ne vous aime plus du tout, parole d'honneur! mais, en -revanche, j'aime ma cousine comme je ne vous ai jamais aimée.» - -La déclaration est tout à fait galante! - -Là-dessus vous croyez, que Corilla arrache les deux yeux au butor, ou -qu'au moins elle se trouve mal. Tant s'en faut! «A la bonne heure, -monsieur. J'aime cette franchise; mon amour n'était qu'un pur -enfantillage, n'en parlons plus. Pst!... le voilà parti, et je ne veux -plus m'occuper que du vôtre.» - -Voilà un bel exemple, madame, et je vous conseille, dans l'occasion, de -ne pas manquer n'imiter Corilla. - -A eux deux ils viennent bientôt à bout du Caracoli, qui craint la -potence, et qui, pour se mettre en sûreté, vend, moyennant cinq cents -louis, tous les secrets de son maître. Ces secrets sont écrits de la -propre main du charlatan sur un gros cahier de papier. Ces habiles de -comédie sont toujours prêts à faire, quand l'auteur en a besoin, les -plus grosses maladresses et les plus insignes bévues. - -Armé de ces terribles papiers, le chevalier aborde Cagliostro d'un air -triomphant. «Vous allez, écrire ici même, tout de suite, et sous ma -dictée, votre renonciation à la main de Cécile.--Volontiers,» dit -Cagliostro, et il écrit. Puis, s'interrompant d'un air indifférent et -lui présentant sa tabatière: «En usez-vous?--Volontiers,» dit le -chevalier, lequel devient à son tour un sot, pour ménager à M. de -Saint-Georges nue péripétie. Ce tabac, comme il devrait bien s'en -douter, n'est pas du tabac, mais de la belladone. Il ne tarde pus à -s'endormir, et Cagliostro reprend ses papiers. Puis il pousse un -ressort, et le trop confiant chevalier descend par une trappe... où il -vous plaira. - -Voilà Cagliostro à Versailles, chez la marquise, où le mariage doit -avoir lieu. Avant la noce, madame de Volmérange a promis aux conviés de -les régaler d'une scène de magnétisme. Cagliostro a chargé Caracoli de -lui amener une somnambule lucide, dont il a d'avance mis par écrit les -réponses. Il vaudrait mieux sans doute qu'il fit ses affaires lui-même; -mais les grands hommes sont toujours si occupés! - -La harpe résonne; la porte retentit. Une femme voilée s'avance et -s'assied sur le fauteuil préparé pour elle au milieu de la brillante -assemblée. Cagliostro s'approche et exécute autour de la tête du sujet -toutes les passes usitées en pareil cas. Puis il écarte le voile... O -surprise! ô terreur!... C'est sa femme qu'il croyait bien loin et qu'il -retrouve à ce moment fatal. Et qui est cette femme qui revient si mal à -propos? Corilla en personne, qui l'avait quitté jadis, exaspérée par ses -mauvais traitements, et n'avait fait qu'un saut du toit conjugal sur le -théâtre! Or, la polygamie est un cas pendable: force est donc au grand -Cagliostro de se désister de ses hautes prétentions. Mais du moins il se -vengera sur sa femme... Vain espoir! Corilla lui présente un bref du -pape qui casse son mariage. Puis elle unit de sa main Cécile au -chevalier, et couronne enfin la constance du Bavarois, lequel ne manque -pas d'attribuer ce dénoûment inespéré au philtre qu'il a bu dans la -matinée. - -Tout cela forme un drame très-compliqué, mais cependant très-clair. On -reconnaît toute l'habileté de M. Scribe à l'aisance avec laquelle il -dispose ces faits et amène les innombrables péripéties au milieu -desquelles tout autre que lui se serait vingt fois perdu. Mais tout son -savoir-faire n'a pu réussir à intéresser le spectateur à cette -collection de sots, de fripons, ou de gens froidement honnêtes, et -dépourvus de sentiments énergiques et de passions sincères. Ces -messieurs et ces dames ont souvent de l'esprit, mais ils n'ont presque -jamais du coeur. - -Quelle est cependant la mission de la musique, si ce n'est de traduire -en un langage harmonieux les mouvements du coeur? - -Il n'est donc pas étonnant que M. Ad. Adam, chargé d'ajuster de la -musique à ce drame, ait senti plus d'une fois son imagination défaillir -et sa verve lui faire défaut. Dans tout le cours du ces trois actes, il -n'a presque jamais à mettre en musique que de froides plaisanteries. -Tantôt ce sont des couplets où le bavarois dresse l'inventaire des -prodiges accomplis par Cagliostro, tantôt c'est un air où Cagliostro se -moque, à part lui, de la crédulité parisienne. Quand Corilla vient de -recevoir à bout portant la gracieuse déclaration que je vous ai -racontée, restée seule, elle se met à chanter _victoire! victoire!_ En -vérité il n'y a pas de quoi. Cécile et le chevalier n'échangent pas, de -l'exposition au dénouement, une seule note qui ait pour objet de peindre -leurs froides amours. Le prince bavarois lui-même, dont la passion est -ridicule, mais sincère, ne chante pas une seule mesure qui ait quelque -rapport à l'état de son âme. - -Il ne faut donc pas reprocher trop rudement à M. Adam d'avoir produit -une partition froide, monotone et décolorée. C'était la conséquence -nécessaire de la position où il s'était mis. La passion sérieuse était -d'avance exclue de sa partition. Il y restait à la vérité la passion -_bouffe_, et, sous ce rapport, il avait quelques scènes assez heureuses -à traiter, par exemple, celle où la marquise boit la prétendue eau de -Jouvence, et se croit rajeunie; celle où Cagliostro fait de l'or; -d'autres encore. Mais la gaieté vive et la verve bouffonne ne sont pas -le caractère du talent de M. Adam; et, bien qu'il ait mis dans ces -scènes-là, comme dans tout le reste, une habileté de détails -incontestable, il me semble qu'il est presque toujours resté un peu -au-dessous des situations qu'il avait à peindre. Son ouvrage atteste, en -général, du soin et un travail assez consciencieux; le style en est -correct, l'instrumentation habile; chaque morceau pris en particulier -est très-bien fait, mais presque tous manquent d'inspiration, de chaleur -et de vie. - - -Fragments d'un Voyage en Afrique(3). - -(Suite.--Voir t. II, p. 354, 371 et 390.) - - [Note 3: La reproduction de ces fragments est interdite.] - -Tandis que j'habitais Tekedempt, je fus souvent appelé auprès du l'émir, -soit pour lui servir d'interprète, soit pour l'entretenir de divers -projets. Sa confiance en moi était extrême; aussi étions-nous fort bien -ensemble. Il a la parole familière et rapide, le geste expressif; sa -voix n'a rien de mâle; il saisit facilement et se montre toujours avide -d'instruction; il ne s'exprime qu'en arabe et se croirait damné s'il -parlait la langue des chrétiens; cependant il connaît un peu de français -et prononce _chassurs_ lorsqu'il veut désigner les chasseurs d'Afrique. -Son caractère est ferme dans toutes les circonstances; il est doux, -affable, charitable, mais d'une excessive sévérité. Quand il a prononcé -une sentence, il faut qu'elle s'exécute. Vers la fin de 1839, il fit -publier que quiconque serait pris se rendant dans nos possessions ou -convaincu d'avoir assisté à nos marchés, aurait la tête tranchée. Deux -Arabes enfreignirent cet ordre: ils étaient allés vendre des boeufs à -Bouffarick. A leur retour, ils furent mis à mort, et leurs corps -demeurèrent exposés pendant trois jours au marché de Médéah. En juillet -1840, étant au camp du Chélif, je vis arriver dix-sept Arabes pris en -flagrant délit de commerce avec les français. L'émir les condamna au -supplice, parmi eux était un jeune homme de quatorze ans qui avait suivi -son père; son jeune âge toucha plusieurs kalifats, qui demandèrent grâce -pour lui. L'émir fut insensible à leurs prières; on alla même jusqu'à -proposer 1.000 piastres fortes d'Espagne pour la rançon du jeune homme. -Peine inutile! «Citez-moi, dit Abd-el-Kader à ses lieutenants un seul -exemple où j'ai révoqué un ordre, et je pardonne.» Cinq minutes après, -le yatagan d'un cavalier envoyait le fils rejoindre son père! - -Abd-el-Kader est né dans la province d'El-Beris, à l'est de Mascara, de -Sidi-Hadji-Muhydin, marabout très-vénéré dans le pays. Il pousse l'amour -de l'islamisme jusqu'au fanatisme. Depuis son retour de la Mecque, où il -se rendit à l'âge de vingt et un ans, il passe une grande partie des -nuits à lire le koran; il jeûne presque tous les jours, ce qui ruine sa -santé. Son état est maladif, et pourtant son activité ne se ralentit -point. En voyage, il est toujours prêt à marcher; je l'ai vu aller de -Tlemcem à Tekedempt en trois jours, tandis que ses courriers en mettent -huit. L'orgueil et l'ambition dirigent son coeur et sa tête; il -n'hésiterait pas, s'il le pouvait, à mettre un pied dans la régence de -Tunis et l'autre dans l'empire de Maroc. Parlez-lui d'innovations, de -grands projets, d'entreprises hardies, et vous voyez, ses traits -s'animer et ses yeux lancer des éclairs. J'ai parlé plus haut de son -costume; il est d'une simplicité dont rien n'approche. Une culotte de -toile à voile ou de laine, une chemise d'escamile, une autre en laine, -un gilet et une veste de la même étoffe, un haick grossier et deux ou -trois burnous, voilà toute sa garde-robe: sa tête est serrée par une -corde en poil de chameau, son gilet est retenu par une ceinture rouge à -laquelle est suspendu un mauvais mouchoir. Ses habits, parfumés au musc -du reste, forment un singulier contraste avec l'or et l'argent qui -brillent sur ceux des grands dignitaires. - -Le marabout Hadji-Mahydin avait deviné la haute fortune de son fils. Il -jouissait parmi les Arabes d'une grande influence qu'il devait à la -sainteté de son caractère. Ses trois fils, Tidi-Saïd, Abd-el-Kader et -Sidi-Mustapha, élevés dans la crainte du Prophète, se partageaient avec -lui l'admiration des Arabes. Après la perte d'Alger, d'Oran, etc, les -habitants de ces villes qui s'étalent réfugiés dans l'intérieur allèrent -demander un chef au vieux Mahydin; ils désignèrent même son fils aîné -Tidi-Saïd. Le marabout, après avoir réfléchi quelques instants, leur -dit, en leur montrant son second fils: «Voici votre chef; il est seul -capable de prendre les rênes d'un gouvernement naissant. «L'événement a -justifié sa prédilection. Abd-el-Kader avait vingt-six ans à l'époque où -on le salua du titre de Sultan. Son orgueil dut s'accroître -naturellement lorsqu'il se vit, si jeune, appelé à régénérer l'Afrique, -l'énergie de son caractère et son désir de renommée le rendirent propre -à de grandes choses. Il rechercha toutes les occasions de mettre en -évidence les qualités qui le distinguaient de ses frères. Les -commencements lui furent très-pénibles. Il avait à combattre les -Français d'un côté, et de l'autre les tribus révoltées. Sans armée, sans -argent, il fallait qu'iI ne compromît point ses mandataires et qu'il -répondît à leur confiance. Alors il fit appel aux hommes de bonne -volonté, et contracta des emprunts considérables à Mascara. Avec -l'argent qu'il obtint, il acheta des armes et des munitions. Son étoile -fit le reste. Il eut bientôt réuni quatre mille réguliers volontaires et -six mille auxiliaires. Cette armée envahit le territoire des tribus -insoumises et les mit à contribution. Il paya ses créanciers et organisa -sa cour. Son nom devint un épouvantail pour les Arabes; on se soumit et -on admira cet homme, qui venait de créer un empire sans autre ressource -que son génie. Pendant quelque temps il put se reposer sur sa gloire; -mais les Français l'inquiétaient au dehors. Il les attaqua, et leur fit -éprouver d'abord quelques pertes. Son triomphe ne fut pas de longue -durée; car, peu de temps après, au moment où il s'y attendait le moins, -nos troupes fondirent sur son camp, et massacrèrent la moitié de son -armée. Il ne dut la vie qu'à l'agilité de son cheval. Le danger qu'il -courut alors parut si imminent aux Arabes, qu'ils pensent tous que leur -chef est muni d'un talisman qui le met à l'abri des balles. Ce revers, -loin d'abattre son courage, ne fit que l'augmenter. Il attaqua les -Français pendant l'expédition de Mascara. Vaincu pour la seconde fois, -il se replia sur Tlemcem, qu'il quitta bientôt, à l'approche de l'armée -française, emportant avec lui ce que la ville contenait de plus -précieux. Menacé dans la dernière retraite qu'il s'était ménagée à -Tekedempt, il n'eut d'autre moyen de relever sa fortune que de faire la -paix. Des négociations s'ouvrirent aussitôt: le traité de la Tafna en -fut la suite. Nos troupes abandonnèrent Mascara et Médéah; Tlemcem fut -rendue à l'émir. Celui-ci devait, en retour, fournir à nos troupes des -boeufs, de l'orge et du blé, tandis qu'il en recevrait deux cents fusils -et mille quintaux de poudre. Pendant qu'il traitait avec la France, les -tribus de l'intérieur se soulevèrent de nouveau contre son autorité: il -profita de la trêve pour les faire rentrer sous le joug. Sa gloire ne -fit que grandir dans toutes ces campagnes qu'il termina à son avantage. -Il a soumis les Oueuseris, les Ziben, les Ghronat, et beaucoup d'autres -tribus contre lesquelles avaient échoué les efforts réunis de plusieurs -beys. Il a bloqué pendant huit mois son redoutable rival Tedjini (le -lion du désert) dans son inaccessible tanière d'Ain-Mahdin, que trois -beys ont vainement assiégée. Il s'en empara en sacrifiant à cette -conquête stérile ses trésors et ses sujets. Son armée fut réduite de -moitié par les périls du siège, et la perte lui fut d'autant plus -sensible, qu'il comptait dans ses rangs un grand nombre de déserteurs -français. - -On lui doit la justice de dire qu'il est digne de commander aux Arabes. -Il a tout ce qui constitue le chef de gouvernement: la fermeté, la -prudence, la bravoure, l'intelligence, l'activité. Son intérieur répond -à son costume. Toutes ses habitudes trahissent une indifférence profonde -à l'endroit des biens de la terre. Il habite rarement la ville. Son -douair est à quelques milles de Tekedempt. Lui et sa famille campent -sous une tente assez vaste et d'une élégante simplicité. C'est là qu'il -donne audience et réunit son conseil. Tout ce qui touche à -l'administration passe par ses mains, et il n'appose son sceau sur -aucune lettre avant de l'avoir lue. Rien n'échappe à sa vigilance; mais -il ne traite les affaires sérieuses qu'après avoir consulté ses -ministres. Voici l'emploi ordinaire de sa journée: il sort de son -habitation vers neuf heures, pour se rendre à la tente d'audience. Après -une courte prière, il s'entretient avec ses conseillers, puis il -explique le Koran au peuple jusqu'au _dhoour_ (une heure d'après-midi); -il fait alors une nouvelle prière à haute voix, à laquelle s'associent -les assistants; puis il rentré sous la tente, où il se livre, jusqu'au -coucher du soleil, aux soins administratifs. Après le _meraoub_ (coucher -du soleil), il tient conseil, fait sa correspondance, médite le livre -saint, et enfin se couche. Il est à remarquer que, depuis le matin, il -reste immobile sous sa tente, assis à l'orientale, les jambes croisées. -Il ne prend aucune nourriture pendant tout ce temps, quoiqu'il ne cesse -point de parler, de crier et de lire. Ses repas se composent -ordinairement de couscoussou. Abd-el-Kader se couche ordinairement à -minuit pour se lever à quatre heures. A moins qu'il ne voyage ou ne -fasse la guerre, il ne change rien à l'emploi de sa journée. Quand les -affaire de son gouvernement l'exigent, il se retire à une heure avancée -de la nuit, car il ne lève jamais la séance sans terminer les affaires -qui lui sont présentées; dans ce cas il consacre à la prière et à la -lecture une partie de ses heures de repos. - -Il fuit l'éclat et le luxe extérieurs. Le service de sa maison est fait -par douze esclaves, qu'il a achetés avec sa propre bourse. Il ne -détourne jamais rien à son profit des fonds affectés aux services -publics; il s'en considère comme l'administrateur, et non comme le -propriétaire. Ses dépenses sont prélevées sur les revenus de terres -qu'il fait cultiver dans l'intérieur. Le patrimoine de son père suffit à -ses besoins domestiques. L'émir manque quelquefois d'argent, et je l'ai -vu vendre une de ses négresses pour couvrir les dépenses de sa famille. - -Abd-el-Kader est souvent visité par des musulmans, qui le consultent sur -leurs intérêts et paient ses conseils. Il reçoit tout ce qu'on lui -offre; mais cet argent passe presque aussitôt entre les mains des -indigents qui assiègent sa tente. Un jour il leur donna son burnous et -une de ses chemises. Chaque fois qu'il sort, une foule innombrable se -précipite sur ses pas, le presse et baise tour à tour ses mains, ses -épaules et ses habits: on l'empêche même d'avancer; alors les _tchiaoux_ -(espèce de gardes du corps) s'arment de bâtons et ouvrent un passage à -leur souverain en chassant le peuple devant eux. «Que faites-vous? -s'écrie l'émir; qui vous a ordonné de battre ces croyants? Sont-ce des -chrétiens? Laissez-les, puisque je ne me plains pas.» - -Tous les cadeaux que le gouvernement français offrit, dans le temps, au -sultan, et qui consistaient en tapis, sabres, pistolets, fusils, -services de porcelaines, etc., etc., sont restés peu de temps chez lui; -il les a envoyés à l'empereur de Maroc en échange de quelques quintaux -de poudre. Son intérieur est moins soigné que celui des Arabes aisés. Le -douair ne se compose que de deux grandes tentes en poil de chèvre noir -et de six autres plus petites. Une palissade de branches sèches et un -petit mur en pierres font le tour du douair. La famille de l'émir se -compose de sa mère, de sa femme, de sa fille et des esclaves. Il aime -beaucoup sa femme, à qui il n'a pas voulu donner de rivale, -contrairement à la coutume des Arabes, qui ont quelquefois jusqu'à -quatre femmes légitimes. Sa vénération pour si mère est inexprimable; il -n'est pas de soins qu'il ne lui prodigue. C'est une femme de -soixante-dix ans à peu près, et d'un naturel maladif. Elle est fille -d'Alonet, de la province d'Elzeris. Elle est venue retrouver son fils à -la mort de son époux Mahydin, qui fut empoisonné il y a quelques années. -Abd-el-Kader avait un fils qui mourut à l'âge de cinq ans, lors de la -signature du traité de Tafna. La mort de l'héritier de sa puissance -l'attriste beaucoup, et il y pense sans cesse. Depuis, il a reporté -toute son affection sur sa tille, qui compte à peine une douzaine de -printemps. - -La femme de l'émir est née dans la province de Mascara, d'un négociant -nommé Sidi-Kratir. A l'époque dont je parle, elle pouvait avoir de -vingt-sept à vingt-huit ans; sa peau est d'une blancheur éblouissante; -ses yeux sont grands et expressifs; elle a la taille élancée, le pied -petit, les traits assez jolis; son caractère est doux et affectueux. Je -suis sûr que les prisonnières qui sont attachées à sa personne doivent -être bien traitées. Elle est très-curieuse des coutumes françaises. Son -costume est modeste comme celui des musulmanes d'Alger: elle emploie -rarement le velours et la soie; soit modestie, soit condescendance pour -son mari, elle leur préfère la percale et la laine. Ses bras sont ornés -le plus souvent de deux bracelets en argent, et elle porte aux pieds des -anneaux de ce métal. Ses oreilles sont encadrées dans de lourds pendants -en or; elle ceint quelquefois sa tête d'un foulard de soie, mais elle ne -porte point de diadème comme le veut la mode d'Afrique. Une ceinture de -laine complète sa toilette. - -Cet homme, qui vit sous la tente avec sa famille comme un patriarche de -l'antiquité, qui semble faire consister sa gloire à fuir l'éclat et la -représentation, est le chef d'un immense empire. Abd-el-Kader, que nous -appelons le sultan des Arabes, et qui reçoit de ces derniers le titre -d'émir des croyants, étend son administration de l'est à l'ouest, depuis -le Ziben jusqu'à la Tafna, qui sépare Tlemcem du royaume de Fez. Du nord -au sud, depuis nos limites jusque dans le désert, au Ghronat, il a six -kalifats qui administrent en son nom une population de quatre à cinq -cents mille individus. Ses revenus ne s'élèvent guère qu'à 4,000,000 de -francs. Il lève encore quelques impôts dans les tribus qui ne -reconnaissent pas son autorité. - -En développant, autant qu'il m'a été permis de le faire, le caractère de -l'émir, j'ai parlé, je crois, de sa fidélité à sa parole. Que ses -intérêts soient compromis ou lésés, il tient toutes ses promesses. -«J'aurais du le prévoir, dit-il, et ne pas m'engager follement.» Mais -lorsqu'il s'agit des chrétiens, c'est bien différent: il signe des -traités auxquels il manque sans scrupule. Il s'appuie sur ce précepte du -Koran: Employez tous les moyens en votre pouvoir, mettez en jeu toutes -vos ressources pour détruire les infidèles. Le traité de la Tafna est la -preuve éclatante de ce qu'il fera plus tard s'il arrive à la France de -pactiser encore avec lui. Son inimitié pour les Français durera autant -que sa vie. Voici ce qu'il me dit avoir écrit autrefois au commandant de -la division, après la prise de Chercheh: «Mande à ton sultan qu'il -cherche vainement à m'atteindre; il n'y parviendra jamais. Je n'ai point -de ville où siège ma puissance; je n'ai pas de trésor; mon gouvernement -est à dos de chameau. Quand tu marcheras vers un lieu où je serai, -j'irai plus loin; quand tu me poursuivras, j'irai plus loin encore, et -toujours, jusqu'au désert. De là, je défierai toutes les armées de la -terre, mais je ne le perdrai pas de vue; je serai toujours à tes -trousses, et je ne déposerai pas mes armes, quand j'en serais réduit à -combattre seul.» A cette constance dans sa haine, Abd-el-Kader joint -aussi la ruse instinctive de l'Arabe. Il a toujours refusé les secours -de ses voisins: l'empereur de Maroc lui a souvent proposé d'envoyer à -son aide son fils aîné avec dix mille hommes; il lui a fait répondre -qu'avec l'aide de Dieu et du Prophète, il se tirerait d'affaire sans le -secours de personne; mais il accepte toutes les munitions qu'on lui -envoie. J'ai vu arriver à Tekedempt plusieurs convois de poudre: -l'empereur n'était alors que le commissionnaire de l'émir; celui-ci -payait les caravanes, et ne faisait de nouvelles demandes que lorsqu'il -avait réuni les fonds nécessaires. Les deux milles fusils jetés à -Milianah en 1838 avaient été débarqués à Titouan. L'émir est aussi en -relation avec des Européens qui le visitent _incognito_, et vont faire, -pour son compte, des achats d'armes et de munitions; ces objets sont -déposés à Gibraltar, et de là on les dirige sur divers points du Maroc. - -En campagne, l'émir emploie la ruse lorsqu'il voit l'ardeur des Arabes -se ralentir. Ainsi il fit, dans le temps, courir le bruit que la France -était en guerre avec l'Angleterre, que nous ne pouvions nous maintenir -en Afrique, et que le moment était venu de fondre sur nous. Ce sont des -insinuations de ce genre qui ont provoqué l'attaque de Mazagran. - -Les populations sont, en général, lasses de la guerre; il est arrivé -souvent que des récoltes entières ont été détruites, soit par les -colonnes françaises, soit par les cavaliers arabes. La misère est à son -comble dans les parties dévastées, et l'émir ne sait quelquefois où -donner de la tête: il vit au jour le jour, et ne parvient à satisfaire -ses besoins les plus urgents qu'en faisant irruption à main armée dans -les tribus, sous le prétexte le plus frivole. Les troupes régulières ne -touchent pas exactement leur solde, dans ces cas-là; et les volontaires, -ou du moins ceux qu'on force de marcher sous cette dénomination, -appauvris par les exactions des kalifats et par les ravages de l'ennemi, -désespérés d'abandonner leurs foyers et leurs femmes pour suivre l'émir -dans ses courses ne marchent qu'avec dégoût à la guerre. Notre tactique -les éblouit, du reste; ils redoutent surtout les chasseurs d'Afrique et -l'artillerie: un escadron de cavalerie et une pièce de canon feraient -fuir des nuées de bédouins, qui viendraient peut-être tomber sans pâlir -sous le feu d'un bataillon carré. - -Les kalifats ne sont pas tous entièrement attachés à l'émir: El-Berkam -kalifat de Médéah ne paie jamais de sa personne, et n'inspire pas une -grande confiance à son maître; celui de Mascara, -Hadji-Mustapha-Ben-Thamy, est mou et paresseux comme un Turc; -Bou-Hamidy, kalifat de Tlemcem, et Ben-Allel (4), kalifat de Milianah, -sont les seuls homme» sur lesquels Abd-el-Kader puisse compter. Le -premier, intrépide guerrier et le meilleur cavalier de la régence, -gouverne brutalement ses tribus; comme Tarquin, il fait tomber les plus -hautes têtes, et la terreur qu'il inspire est égale à la haine qu'il -nous porte. Le second emploie à peu près les mêmes moyens, mais il -éprouve une grande résistance dans la tribu des Ouenseris, qui, -retranchée sur sa montagne inaccessible, défie de là ses sanglantes -fureurs. - - [Note 4: Ben-Allel est le même qui a trouvé la mort dans le combat - livré récemment par la division du général Tempoure.] - -Observateur comme tous les Arabes, Abd-el-Kader dépeint lui-même en -quelques mots le caractère de ses lieutenants: - -«Berkany, dit-il, me craint, mais ne craint pas Dieu; - -«Ben-Allel craint Dieu et me craint; - -«Ben-Thamy craint Dieu, mais ne me craint pas; - -«Bou-Hamidy ne me craint pas plus que Dieu.» - -Entre, autres bonnes fortunes, je fus invité un jour par le premier -ministre, Sidi-el-Kraroubi, à un grand dîner que l'émir donnait aux -chefs de son armée. Les hostilités étant près de commencer, Abd-el-Kader -voulut inaugurer la campagne par une revue générale des troupes; il les -avait rassemblées à Tekedempt, dans le but de les diriger ensuite vers -les lieux qu'il avait à défendre. Le repas était le prélude de la -solennité militaire. Dès que j'arrivai dans sa tente, l'émir porta la -main à son coeur et à sa tête; je m'inclinai, suivant l'usage, en lui -disant: «Tu es aussi bon pour moi que grand pour tes sujets.» Mon -compliment le fit sourire; il m'indiqua du doigt la salle, où nous -trouvâmes la table préparée: quand je dis la table, c'est par habitude, -car les plats étaient étalés sur le sol; nous prîmes place tout autour -en assez grand nombre. L'émir seul reposait sur un coussin; quant à -nous, nous fîmes ce que font nos soldats en campagne; la terre nous -servit de siège, et nous dévorâmes le dîner avec un appétit qui enchanta -Abd-el-Kader. - -Comme il n'est pas ordinaire de prendre part au repas d'un Arabe, et -encore moins à un festin d'apparat donné par le sultan, j'observai -attentivement les plats qui nous furent offerts, et la manière dont le -service s'exécutait. Autour du cercle que nous formions, se tenaient -debout plusieurs Bédouins à l'air rébarbatif, dont les fonctions -consistaient à enlever les débris des mets à mesure que les convives -paraissaient y renoncer. Le service se composait d'un boeuf coupé en -deux parties égales, et placées à chaque bout de la table, de deux -agneaux et de deux béliers rôtis tout entiers, et qu'on avait -symétriquement arrangés sur le sol. Le couscoussou, quelques crêpes -faites avec de l'huile et de la farine, du lait et du miel, qui, par -parenthèse, étaient excellents, formaient l'accompagnement obligé de ces -immenses édifices de viande encore saignante. Au dessert, nous eûmes -quelques figues de Barbarie d'une fadeur rebutante, puis on nous versa -du café bien noir dans de mauvaises écuelles de bois. Du reste, pas de -serviettes, pas de fourchettes, par de cuillers! c'est un luxe auquel -les Arabes ne sont pas encore faits. Les yatagans servaient à dépecer, -et nous déchirions avec nos ongles les morceaux de chair mal coupés. -C'est à peine s'ils connaissent les assiettes, et encore les petits -morceaux de bois à peine polis sur lesquels nous étendîmes le miel ne -méritent guère ce nom, quoique servant au même usage. - -Tel était le menu de ce magnifique festin, qui fut servi au son des -instruments. Je ne manquai pas de remarquer qu'il était loin de valoir -le plus mauvais dîner dans la plus mauvaise gargote du plus mauvais -village de France; que la viande des animaux était brûlée à l'extérieur -et à peine cuite à l'intérieur; que le cuisinier de l'émir n'était pas -plus fort en cuisine que ses artistes en musique; mais, comme la faim -criait haut et ferme, je n'hésitai pas à la satisfaire; elle me fit même -trouver le dîner moins détestable qu'il ne l'était réellement, tant il -est vrai que l'appétit assaisonne tout! Abd-el-Kader prit sans doute ma -_razzia gastronomique_ pour un hommage rendu à son office, tandis que -tout l'honneur en revenait à mon appétit. J'avais enduré dans la même -journée les deux plus grands supplices qui puissent être infligés à un -homme raisonnable, savoir; un concert d'amateurs et un repas à la -fortune du pot. - -Dieu vous garde, ami lecteur, de pareil repas et de pareil concert! - -Quand tout le monde eut bien dîné, l'émir se leva, et chacun suivit son -exemple. On amena des chevaux à l'entrée de la tente, et nous allâmes -voir évoluer les troupes. - -_(La suite à un prochain numéro.)_ - - - [Partition musicale.] - - ENTRE PISE - ET FLORENCE. - - Paroles de M. Philippe BISONI. - Musique de Gustave RIQUET. - - Entre Pise et Florence - Aux vergers d'Empoli - Vois la nuit qui s'avance - Car le jour a pâli. - - Étranger quelle belle - Languis-tu? Languis-tu de revoir? - Entre sous ma tonnelle - Si riante le soir. - - Écoute rien n'égale - Mon raisin del Bosco - Mes pommes de finale - Mon Aléatico. - - Mais à la fille étrusque - Qui rougissant sourit - L'ingrat jette un mot brusque - par Satan même écrit. - - Ah voyageur prends garde - Prends garde voyageur - La Madone regarde - Elle a vu ma rougeur. - - Adieu la nuit s'avance - Adieu la nuit s'avance - Te voilà sous sa main - Te voilà sous sa main. - - Et long est le chemin - Entre Pise et Florence - Long est le chemin - Entre Pise et Florence. - - - -Bulletin bibliographique. - -_Histoire de France_, Louis XI et Charles le Téméraire, par M. MICHELET. -Tome VI, 1 vol. in-8 de 500 pages.--Paris, 1844. _Hachette_. 7 fr. 50. - -M. Michelet, trop longtemps méconnu, commence enfin à être apprécié à sa -juste valeur, en France, les nombreux admirateurs de son beau talent, -qui ne peuvent pas trouver place dans l'amphithéâtre trop petit du -collège de France, attendent avec la plus vive impatience la publication -de ses leçons. A chaque nouveau volume de l'_Histoire de France_, le -succès, d'abord faible et incertain, se consolide et grandit. De Paris, -où elle a pris naissance, la réputation de l'éloquent professeur s'est -répandue dans les départements, puis elle a franchi le Rhin, traverse -les Alpes, passe le détroit; l'Allemagne, l'Italie et l'Angleterre -étudient et admirent M. Michelet, autant et plus peut-être que la -France. Deux des revues trimestrielles de la Grande-Bretagne, la -_Foreign and British Review_ et l' _Edinburgh Review_, viennent de lui -consacrer (faveur bien rare), dans leurs derniers numéros, deux longs -articles. Les critiques anglais, de même que les critiques allemands, -déclarent et prouvent en même temps que M. Michelet mérite d'être placé -au premier rang parmi les historiens contemporains. - -Ce grand et légitime succès tient à plusieurs causes. M. Michelet réunit -en effet de nombreuses qualités qui, séparées, suffiraient encore pur -faire la fortune d'un historien. Savant et poète tout à la fois, il a -l'érudition patiente d'un bénédictin et l'imagination vive et hardie -d'un artiste. De plus, il est philosophe; en d'autres termes, il ne se -contente pas d'essayer de nous représenter la vie du passé telle qu'elle -fut réellement, il cherche à la comprendre, il veut nous en révéler le -véritable sens. Enfin, et ce n'est pas son moindre mérite, il -n'appartient pas à cette catégorie d'écrivains qui fabriquent des -ouvrages historiques à la douzaine, soit pour s'enrichir aux dépens du -public trompé, soit pour faire acheter par des ministres corrupteurs -leur plume vénale. L'histoire, tel a été, tel sera le noble but de sa -vie entière. En vain on lui offrirait l'autorité et les honneurs dont -tant d'autres hommes distingués sont si avides, il les refuserait. -Servir son pays, en lui apprenant à connaître le passé et en lui -montrant les grands enseignements qu'il contient, voilà toute son -ambition, et cette ambition, heureusement pour la France et pour lui, il -a eu la gloire de la satisfaire. - -M. Michelet a, qu'on nous permette cette expression, les défauts de ses -qualités: il est parfois trop savant, trop poète et trop philosophe. -Ici, il donne une importance exagérée à des détails qu'il devrait, sinon -ignorer, du moins négliger; là, son esprit aventureux l'emporte hors des -bornes de la raison et du bon goût; plus loin, il se laisse entraîner, -par son désir de tout expliquer, dans d'incompréhensibles rêveries. Du -reste, si bizarres que soient ses pensées, quelque forme étrange qu'elle -revêtent, il ne cesse jamais de tenir son lecteur sous le charme -fascinateur de son génie. On critique, mais on admire ces écarts -extraordinaires qui dénotent un esprit vigoureux, doué des plus -éminentes facultés. L'éloge suit toujours le blâme, et, la lecture -achevée, le sentiment qu'elle ne peut manquer de faire naître est une -admiration passionnée. - -Le volume que vient de publier M. Michelet,--Louis XI et Charles le -Téméraire,--le tome sixième de cette grande histoire de France en douze -volumes qu'il a entreprise et qu'il terminera bientôt, nous semble -d'ailleurs supérieur encore à ceux qui l'ont précédé. Parvenu à une -époque mieux connue, M. Michelet ne peut plus se livrer aussi souvent à -sa malheureuse passion pour les symboles; force lui est de croire à des -faits dont l'authenticité ne saurait être sérieusement révoquée en -doute. Le poète le plus hardi n'osera jamais métamorphoser en mythes -Louis XI et Charles le Téméraire. Le style est aussi plus grave, plus -égal, moins saccadé. Bien que certains chapitres y occupent peut-être -une trop grande place, l'ensemble de ce volume paraît plus complet et -mieux proportionné. - -Cette lutte terrible de la royauté et de la féodalité, représentée, -l'une par Louis XI, et l'autre par Charles le Téméraire, M. Michelet l'a -admirablement comprise et racontée. On la lit, depuis l'avènement de -Louis XI jusqu'à sa mort, avec tout l'intérêt d'un des plus beaux -chefs-d'oeuvre de Walter Scott. Que de péripéties imprévues et -sanglantes viennent chaque année en retarder le dénoûment fatal! D'abord -la Ligue du Bien public. Cette contre-révolution Féodale qui s'oppose à -la révolution royale; puis la guerre des Roses, le sac de Dinant, -l'entrevue de Péronne, la destruction de Liège, les exécutions de -Jacques d'Armagnac, de Saint-Pol et de Nemours, l'empoisonnement du duc -de Guienne, les sièges de Beauvais et «de Neuss, la descente anglaise, -les batailles de Granson, de Morat et de Nancy, le mariage de Marie de -Bourgogne et de Maximilien d'Autriche... M. Michelet résume, ainsi le -dénoûment de ce grand drame: - -«Tout allait bien pour Louis XI, il était comblé de la fortune; -seulement il mourait. Il le voyait, et il semble qu'il se soit inquiété -du jugement de l'avenir. Il se fit apporter les chroniques de -Saint-Denis, les voulut lire, et sans doute y trouva peu de chose. Le -moine chroniqueur pouvait encore moins que le roi, distinguer, parmi -tant d'événements, les résultats du règne, ce qui en resterait. - -«Une chose restait d'abord, et fort mauvaise, c'est que Louis VI, sans -être pire que la plupart des rois de cette triste époque, _avait porté -une plus grave atteinte à la moralité du temps_. Pourquoi? il réussit. -On oublia ses longues humiliations, on se souvint des succès qui -finirent; on confondit l'astuce et la sagesse. Il en resta pour -longtemps l'admiration de la ruse et la religion du succès. - -«Un autre mal très-grave, et qui faussa l'histoire, c'est que la -féodalité, périssant sous une telle main, eut l'air de périr victime -d'un guet-apens. Le dernier de chaque maison resta le bon duc, le bon -Comte. La féodalité, ce Vieux tyran caduc, gagna fort à mourir de la -main d'un tyran. - -«Sous ce règne, il faut le dire, le royaume, jusque-là tout ouvert, -acquit ses indispensables barrières, sa ceinture de Picardie, Bourgogne -et Roussillon, Maine et Anjou. Il se ferma pour la première fois, et la -paix perpétuelle fut fondée pour les provinces du centre.» - -En mettant en vente ce sixième volume, l'éditeur des ouvrages de M. -annonce que les tome VII et VI sont sous presse et qu'ils paraîtront -prochainement. - -M. J. - - -_Encyclopédie des Chemins de Fer et des machines à vapeur_, à l'usage -des praticiens et des gens du monde; par Félix TOURNEUX, ingénieur, -ancien élève de l'École Polytechnique. I vol--1844. _Jules Renouard_. - -Le titre d'encyclopédie, dans le sens académique du mot, est trop -général pour l'ouvrage de M Félix Tourneux; aussi l'a-t-il restreint en -indiquant qu'il ne traitait que des chemins de fer et des machines à -vapeur. Acceptons-le donc dans ses limites, et voyons comment M. -Tourneux s'est tiré de la tache immense s'était imposée. On n'attend pas -de nous une analyse de cet ouvrage. En effet, si quelque chose se refuse -à l'analyse, c'est un livre de cette forme, un dictionnaire où l'on peut -aller chercher l'explication du terme qui embarrasse, du phénomène dont -on ne s'explique pas les causes. - -Les deux plus grandes inventions industrielles des temps modernes sont -sans contredit la machine à vapeur comme agent, et la locomotion rapide -comme effet. De la première datent les grands progrès dans toutes les -branches manufacturières, dans l'exploitation des mines, dans -l'alimentation et l'assainissement des villes. Les chemins de fer, qui -ne sont encore qu'à leur aurore, ont déjà réalisé des merveilles, et -l'esprit se perd à suivre jusque dans leurs dernières conséquences les -résultats probables de leur emploi. Il était donc important de fixer dès -à présent l'état de la science, de poser pour ainsi dire un jalon qui -pût, par la suite, servir de terme de comparaison pour constater le -progrès et l'amélioration. D'ailleurs, dans notre temps de paix, la -langue industrielle, la langue des travaux publics doit être à la portée -de tous, et rien ne pouvait être plus utile, pour la vulgariser, qu'un -livre qui en donnât les éléments, et permît à chacun et à tous -d'employer les termes propres en connaissance de cause. Vous dire si -l'ouvrage est complet nous paraît impossible: l'auteur doit le savoir -mieux que nous, et probablement il prépare déjà les matériaux d'une -édition plus complète, si tant est qu'il ait omis quelque chose. Ce que -nous pouvons dire, c'est que nous nous sommes imposé la tache de trouver -l'auteur en défaut, que nous avons cherché tous les mots de la langue -des travaux publics qui nous sont venus à l'esprit et toujours nous -avons trouvé le mot cherché, et, avec ce mot, une explication claire, -succincte et complète; une explication telle qu'aux praticiens elle -rappelle en quelques lignes les notions qui peuvent les intéresser, et -qu'aux gens du monde elle donne la définition limpide d'un terme -technique trop souvent inintelligible pour eux, et la solution qu'ils -auraient en vain cherchée ailleurs. - -Vous ne pouvons mieux terminer qu'en transcrivant ce que dit l'auteur -lui-même de l'esprit qui l'a guidé dans la rédaction de son livre: -«L'auteur est du nombre de ceux qui pensent que jamais, et sur quoi que -ce soit, l'humanité ne donnera son dernier mot. Peut-être la machine à -vapeur et les chemins de fer ont-ils tracé à l'industrie une voie dans -laquelle elle demeurera longtemps. Peut-être, au contraire, doivent-ils -céder la place à d'autres agents de production et de mouvements plus -énergiques encore inconnus à cette heure. Quel que soit leur avenir, ils -auront contribué pour une forte part au progrès de la puissance morale -et matérielle de l'homme dans la génération présente; ils auront été une -manifestation nouvelle de la faculté que Dieu a mise en nous de -développer et d'étendre à notre profit les oeuvres, immortelles de sa -création.» - -P. T. - - -_La France statistique_; par M. Alfred LEGOYT, sous-chef du bureau de -statistique au ministère de l'intérieur.--I vol. in-8. _Guillaumin_. - -L'ouvrage qui fait l'objet de cet article se recommande principalement -par son utilité pratique. «Les documents officiels, s'est dit l'auteur, -ne reçoivent qu'une publicité très-restreinte, et souvent même ne -sortent pas de l'administration qui les a recueillis. D'un autre côté, -on ne saurait les étudier avec succès, sans avoir sur les matières -qu'ils embrassent des connaissances préliminaires assez étendues; -quelquefois ils laissent à désirer pour l'ordre et la clarté; enfin, ils -ne se relient point entre eux, parce qu'ils ne sont pas le fruit d'une -pensée commune et unitaire. Un livre qui présenterait une analyse -suffisamment détaillée de ces documents, qui les disposerait -méthodiquement et! les développerait par un texte explicatif et -supplétif, ce livre rendrait certainement un service signalé à -l'économiste, au publiciste, à l'homme politique et à l'administrateur.» - -Tel est le but que s'est proposé M. Legoyt. - -Son livre est divise en deux parties: les _tableaux_ et le _texte_. Les -tableaux, au nombre de vingt environ, embrassent tous les documents qui -composent la statistique générale du royaume. Voici l'analyse succincte -des plus importants: - -1° _Population du royaume d'après le recensement de 1811_. Ce tableau -comprend le chiffre des habitants par département, leur subdivision par -sexe et par état civil et leur répartition en agglomérés et non -agglomérés. Ces deux derniers renseignements sont complètement inédits. -Tout en se référant au dénombrement de 1811, comme le plus récent, M. -Legoyt émet des doutes qui nous paraissent fondés sur la sincérité des -résultats qu'il a produits. On se rappelle, en effet, que cette -importante mesure partagea la défaveur dont fut frappé, à tort ou à -raison, le recensement prescrit par le ministère des finances. Il est -certain, en effet, que l'augmentation de population constatée em 1811 -est inférieure à celle qui a été constatée en 1826, 1834, 1836; et rien -ne saurait justifier, dans l'état de paix et de prospérité où se trouve -le pays, ce temps d'arrêt dans le mouvement de sa population, même en -tenant compte des émigrations pour l'Algérie et l'Amérique du Sud, -pertes largement compensées par de nombreuses immigrations d'étrangers -venant apporter leurs capitaux, leurs bras et leur industrie en France. - -2º _Mouvement de la population_. Naissances, décès, mariages. -_Naissances_.--Sous ce titre. M. Legoyt donne le nombre moyen annuel des -naissances légitimes, naturelles, la proportion de ces deux catégories -de naissances pour 1,000 habitants, le rapport des sexes, et le chiffre -des enfants trouvés et abandonnés. Ses calculs ont été faits sur la -période décennale de 1831 à 1840. - -_Décès_. Les subdivisions de l'auteur, relativement aux décès, ne sont -pas moins nombreuses: elles embrassent l'ensemble des renseignements -curieux ou utiles à connaître sur la mortalité en France; nous citerons -surtout celui qui est intitulé: _Tableau des enfants morts-nés ou -décédés avant la déclaration de naissance._. M. Legoyt s'est livré à un -travail fort important sur cette nature de décès. Il est parvenu à -démontrer ce fait remarquable et qui nous paraît devoir exercer une -certaine influence sur la question des enfants-trouvés, c'est que -partout où les tours ont été supprimées et les déplacements effectués, -le nombre des enfants morts-nés a augmenté dans les proportions les plus -considérables; nous renvoyons le lecteur aux développements dans -lesquels l'auteur est entré à ce sujet et à la suite desquels il conclut -que cette augmentation doit être attribuée à des infanticides non -constatés. - -_Mariages_. Le tableau consacré à ce document indique leur nombre moyen -annuel total et leur nombre pour mille habitants, l'âge moyen des -contractants pour les deux sexes et le chiffre moyen des enfants pour -chaque mariage. M. Legoyt a complété ses recherches sur la population -par une nouvelle loi de la mortalité en France, qui nous a paru -s'éloigner beaucoup des résultats de la table de Duvillard, et se -rapprocher, au contraire, de celle de Price, et surtout de celle de M. -de Montferrand. D'après les calculs de M. Legoyt, la durée de la vie -moyenne, en France, serait considérablement accrue depuis un siècle, -puisqu'elle serait aussi longue aujourd'hui pour la population générale -qu'elle l'était du temps de Price, pour des têtes choisies. Mais -l'auteur a soin de nous avertir que les documents officiels sur l'âge -par rapport aux décès ne sont pas assez exacts pour donner à une table -de mortalité un caractère d'authenticité. - -_3º France intellectuelle_--Ce tableau résume les plus récentes -publications des ministères de l'instruction publique et de la guerre, -instruction des conscrits, sur l'état actuel de l'instruction primaire. -Nous aurions désiré que l'auteur eût justifié plus complètement son -titre par une statistique de l'instruction secondaire et supérieure; -mais peut-être son livre était-il écrit avant que la publication de M. -Villemain sur les collèges eût paru; dans ce cas, il serait possible que -les documents lui eussent manqué. - -_4º France morale_.--C'est le bilan de la moralité officielle du pays; -on y voit figurer le nombre annuel des crimes et délits, les modes de -perpétration, l'âge', le degré d'instruction des accusés, des récidives, -le rapport des condamnés aux accusés, des accusés aux crimes commis, la -nature et le chiffre des peines prononcées, rapport des crimes ou délits -poursuivis aux crimes ou délits constatés; enfin l'influence sur le -chiffre des condamnations de l'application des circonstances -atténuantes. L'auteur apprécie encore la moralité de chaque département -sur le nombre annuel des naissances naturelles, des suicides et des -séparation de corps. Ces faits divers, quoique d'une valeur inégale, ont -généralement un grave intérêt. Ils se complètent d'ailleurs l'un par -l'autre. - -_5º France financière et industrielle._--Ce tableau se divise en deux -parties: dans l'une on trouve le chiffre des contributions de toute -nature que paie chaque département; dans l'autre, une appréciation de -l'état industriel et du paupérisme en France. Il est à regretter que, -pour cette seconde partie, l'auteur n'ait pu disposer que de documents -remontant déjà à une époque éloignée. - -_6° France judiciaire._--C'est le classement des départements par le -nombre annuel des affaires civiles et commerciales. Les éléments de -cette statistique ont moins d'intérêt qu'on devrait s'y attendre. Ils -n'établissent pas nettement, en effet, ce qu'on y cherche tout d'abord, -si le nombre des affaires est en rapport avec la population et le -chiffre des contributions. On aurait, en outre, besoin de connaître, non -pas seulement le nombre, mais encore l'importance des affaires. Une -pareille recherche présente sans doute de graves difficultés car il y a -des procès où l'évaluation en argent des intérêts qui y sont engagés ne -peut être que très-hypothétiquement établie. Nous ne croyons pas -toutefois cet obstacle insurmontable, et avec un peu de résolution et de -constance, l'administration pourra enrichir de ce document ses -statistiques judiciaires. - -_7º France politique_--Nous n'avons trouvé nulle part encore une -statistique électorale de la France; la _France statistique_ nous la -donne aussi complète que possible. Ce tableau, emprunté aux sources -officielles, indique le chiffre des électeurs politiques départementaux -et communaux; il contient en outre, des renseignements détaillés sur le -_maximum_, le _minimum_, et la moyenne des divers cens électoraux. - -_8º France militaire:_--M. Legoyt a donné ce titre à une série de -documents sur les ressources que le contingent annuel, les réserves, -l'effectif de l'armée, et la garde-nationale pourraient offrir au pays, -en cas de conflit extérieur. Parmi ces documents, il en est un que nous -croyons inédit et qui a une véritable importance. C'est le nombre total -des gardes nationaux mobilisables, d'après le recensement prescrit par -le gouvernement, après la signature du traité du 13 juillet. - -_9º France physique._--Les éléments de ce tableau sont puisés, comme -ceux du précédent, dans les excellentes publications du ministère de la -guerre; les départements y sont classés d'après le nombre des soldats -valides qu'ils fournissent au recrutement, par rapport au chiffre -demandé. Rien de plus curieux et de plus instructif à la fois que -l'énumération des diverses maladies et infirmités qui, dans chaque -département, ont été des causes d'exemption. Il y aurait un sujet -d'études d'une haute portée dans le rapprochement l'état _pathologique_ -des diverses localités avec leur situation topographique, les causes -d'insalubrité et l'état du paupérisme. - -_10º France territoriale et agricole._--Il était difficile de présenter, -sous une meilleure forme et dans un cadre plus habilement disposé, les -volumineuses publications du ministère du commerce sur l'agriculture en -France. Étendue du domaine arable, constitution du sol, nature, qualité, -prix des produits de toute espèce, rapport des produits aux semences, -importance moyenne annuelle des récoltes, animaux domestiques destinés à -l'agriculture ou à la consommation, etc., M. Legoyt n'a rien oublié de -ce qui peut faire apprécier jusque dans ses moindres détails cette -première branche de la richesse nationale. - -_11° Consommation annuelle par individu_--Ce tableau, qui clôt la -première partie de l'ouvrage, n'est pas moins digne d'attention que les -précédents. Comme le titre l'annonce, il assigne pour chaque individu et -par département, la mesure de sa consommation en blé, viandes et -poissons. - - [Note du transcripteur: Le reste de cette colonne, soit environ 20 - lignes, est illisible dans le document qui nous a été fourni.] - - - -Modes.--Travestissements. - -[Illustration.] - - - -SOLUTION DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS LE DERNIER NUMÉRO. - -I. Supposons que ces trois objets soient un anneau, un étui et un gant. -Affectez mentalement la lettre A au premier objet, la lettre E au -second, la lettre I au troisième. - -Donnez aussi par la pensée des numéros aux trois personnes: l'une -portera le n° 1, une autre le nº 2, la troisième le nº 5. - -Prenez 24 jetons et donnez 1 jeton à la première personne, 2 à la -seconde, 5 à la troisième; puis, laissant les 18 autres jetons à la -disposition de ces personnes, retirez-vous à l'écart en les invitant à -prendre chacune un des trois objets et une partie des jetons que vous -avez laisses, de manière que celle qui aura l'anneau prenne autant de -jetons que vous lui en avez donné d'abord; que celle qui a l'étui prenne -le double du nombre de jetons qu'elle a reçus; enfin, que celle qui a le -gant prenne, sur le reste des jetons, quatre fois autant de jetons -qu'elle en a reçu de vous. - -Cela fait, regardez le nombre des jetons qui restent sur la table; ce -nombre ne peut être que l'un des six suivants: - - 1 2 3 5 6 7 - -au devant desquels vous mettrez, par la pensée les mots suivants: - -pAh-fEr cEsAr jAdIs dEvInt sI grAnd prIncE - -dont voici l'usage: - -Les deux voyelles A et E, que nous avons mises en capitales dans les -deux mots pAh-fEr, correspondant au chiffre 1, indiquent que lorsqu'il -ne reste qu'un jeton sur la table, c'est la première personne qui a pris -l'anneau (A) et la seconde qui a pris l'étui (E); de sorte que la -troisième a nécessairement le gant. - -On verrait de même que les deux lettres E, A suivant l'ordre où elles se -présentent dans le mot cEsAr, qui correspond à un reste de deux jetons, -indiquent que la première personne a pris l'étui et la seconde l'anneau, -et ainsi de suite. - -II. On sait que l'usage de tenir la pointe du pied en dehors n'a pas -toujours été de rigueur. Il paraît que, dans l'ancienne Rome, on -marchait avec la pointe du pied en avant, sans l'incliner en dehors plus -qu'en dedans. Parmi les Orientaux, au contraire, la dignité de la -démarche exige une position de jambe qui passerait pour ridicule -aujourd'hui chez les nations civilisées.--On peut en dire à peu près -autant de la démarche des grands personnages du dix-septième et du -dix-huitième siècle, telle que nous la représentent les dessins de -l'époque. - -Cependant on ne peut disconvenir que l'équilibre du corps ne devienne -plus stable dans la marche ordinaire ou dans la station, lorsque la -pointe du pied est tournée modérément en dehors. C'est un fait -d'expérience journalière que chacun peut vérifier à chaque instant. -Montuela, géomètre distingué du siècle dernier, raconte avec une -bonhomie pleine de sens qu'il a cherché à confirmer ce fait par le -calcul, et à justifier par les lois de la mécanique l'idée de grâce que -nous attachons à l'usage de nous tenir avec les pieds en dehors. Voici -comment il a résolu le problème: Il pose dans le cinquantième numéro de -notre journal. - -L'équilibre du corps sera d'autant plus stable que la base comprise -entre les points d'appui que nos pieds lui offrent sur le sol sera plus -considérable, car la verticale qui passe par notre centre de gravite -tombera plus difficilement en dehors de cette hase. Il s'agit donc, -étant donnée la position des talons, de chercher l'inclinaison la plus -avantageuse de la ligne médiane des pieds, pour que la surface de la -base qu'ils déterminent soit la plus grande possible. Or, ceci devient -un problème de géométrie dont l'énoncé serait le suivant: _Deux lignes -AD, BC, égales et mobiles sur les points A et B comme centres étant -données, déterminer leur position lorsque le quadrilatère ou trapèze -ABCD sera le plus grand possible._ Ce problème se résout avec la plus -grande facilité par les méthodes connues des géomètres pour les -problèmes de ce genre, et l'on déduit de cette solution la construction -suivante. - -[Illustration.] - -Sur la ligne Ad, égale à AD ou BC, faites le triangle isocèle HI; -ensuite, avant pris AI égal à AG ou un quart de AB, tirez la ligne KI et -prenez IE égale IK; puis sur GE élevez une perpendiculaire indéfinie qui -coupe en D le cercle décrit de A, comme centre, avec le rayon Ad: -l'angle DAE sera l'angle cherché. - -Si la ligne AB, et conséquemment AG ou AI, est nulle, on trouvera que AE -sera égal à AH, et que l'angle DAE sera demi-droit. Ainsi, lorsqu'on a -les talons absolument appliqués l'un contre l'autre, l'angle que doivent -faire ensemble les lignes longitudinales de la plante des pieds est -demi-droit ou bien approchant du demi-droit, à cause de la petite -distance qu'il y a alors entre les deux points de rotation qui sont au -milieu des talons. - -[Illustration.] - -Supposons maintenant que la distance AB est égale à AD, on trouverait, -par le calcul, que l'angle DAE devrait être de 60 degrés. - -En supposant AH égal à deux AD, ce calcul donnera l'angle DAE de 70 -degrés à très-peu près. En faisant AB égal à trois fois la ligne AD, -l'angle DAE se trouvera à bien peu près de 74° 30'. - -Le calcul confirme donc ce fait d'expérience, que les pieds doivent -tendre vers le parallélisme à mesure qu'ils s'écartent davantage, ainsi -que l'habitude reçue de les tourner légèrement en dehors pour un -écartement ordinaire. - - -NOUVELLES QUESTIONS A RÉSOUDRE. - -I. Plusieurs nombres pris suivant leur suite naturelle étant disposés en -rond, deviner celui que quelqu'un aura pensé. - -II. Donner un moyen sûr, au jeu de billard, pour amener la bille de son -adversaire dans une blouse en frappant obliquement cette blouse. - - - -Rébus. - -EXPLICATION DES DERNIERS RÉBUS: - -I. - -Tout ou rien. - -II. - -Tout passe avec le temps. - -III. - -Un grand homme appartient à l'univers. - - -[Illustration: nouveau rébus.] - - - - - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0052, 24 Février -1844, by Various - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0052, 24 *** - -***** This file should be named 43436-8.txt or 43436-8.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/4/3/4/3/43436/ - -Produced by Rénald Lévesque - -Updated editions will replace the previous one--the old editions -will be renamed. - -Creating the works from public domain print editions means that no -one owns a United States copyright in these works, so the Foundation -(and you!) can copy and distribute it in the United States without -permission and without paying copyright royalties. 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Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm -concept of a library of electronic works that could be freely shared -with anyone. For forty years, he produced and distributed Project -Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. - -Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. -unless a copyright notice is included. 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You may copy it, give it away or -re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included -with this eBook or online at www.gutenberg.org - - -Title: L'Illustration, No. 0052, 24 Février 1844 - -Author: Various - -Release Date: August 10, 2013 [EBook #43436] - -Language: French - -Character set encoding: ISO-8859-1 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0052, 24 *** - - - - -Produced by Rénald Lévesque - - - - - -</pre> - - - +<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 43436 ***</div> <br><br> @@ -109,12 +73,12 @@ Produced by Rénald Lévesque <pre> Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr. Prx de -chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75. +chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75. -Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois. 17 fr.--Un an, 32 fr. pour -l'Étranger.-10-20-40 +Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois. 17 fr.--Un an, 32 fr. pour +l'Étranger.-10-20-40 -Nº 52. VOL. II.-SAMEDI 24 FEVRIER 1844. Bureaux, rue de Seine, 33.<br> +Nº 52. VOL. II.-SAMEDI 24 FEVRIER 1844. Bureaux, rue de Seine, 33.<br> </pre> <br><br> @@ -123,282 +87,282 @@ Nº 52. VOL. II.-SAMEDI 24 FEVRIER 1844. Bureaux, rue de Seine, 33.<br> <p><b>Histoire de la Semaine.</b> <i>Portrait de Marie-Christine</i>.--<b>De la -Question de l'Enseignement.--Le Vésuve</b>. <i>Maison de l'Ermitage du Vésuve; -Coupe du Cratère du Vésuve.</i>--<b>Algérie</b>. Escadron de dromadaires. +Question de l'Enseignement.--Le Vésuve</b>. <i>Maison de l'Ermitage du Vésuve; +Coupe du Cratère du Vésuve.</i>--<b>Algérie</b>. Escadron de dromadaires. <i>Manœuvres de Dromadaires; Bride et Selle du Dromadaire.</i>--<b>Paris -souterrain</b>. <i>Une rue souterraine.</i>--<b>Don Graviel l'Alférez</b>. Fantaisie +souterrain</b>. <i>Une rue souterraine.</i>--<b>Don Graviel l'Alférez</b>. Fantaisie maritime par M. de la Landelle. (Suite),--<b>Courrier de Paris</b>. <i>Descente de la Courtille; un Sergent de Ville le mercredi des cendres; l'Ami -Carême, fils du Mardi Gras; Mort et Enterrement du Mardi -Gras.</i>--<b>Théâtres</b>. Opéra-Comique, Cagliostro. <i>Une Scène de -Magnétisme</i>.--<b>Fragments d'un Voyage en Afrique</b> (Suite.)--<b>Musique</b>. Entre +Carême, fils du Mardi Gras; Mort et Enterrement du Mardi +Gras.</i>--<b>Théâtres</b>. Opéra-Comique, Cagliostro. <i>Une Scène de +Magnétisme</i>.--<b>Fragments d'un Voyage en Afrique</b> (Suite.)--<b>Musique</b>. Entre Pise et Florence. Paroles de M. Philippe Busoni, Musique de M. Gustave Hequet.--<b>Bulletin bibliographique.--Modes</b>. -<i>Travestissements</i>.--<b>Amusements des Sciences</b>. <i>Une Gravure</i>.--<b>Rébus</b>.</p> +<i>Travestissements</i>.--<b>Amusements des Sciences</b>. <i>Une Gravure</i>.--<b>Rébus</b>.</p> <br><br> <h2>Histoire de la Semaine.</h2> <p>La discussion de la loi sur la chasse a encore -occupé les trois premiers jours de la semaine parlementaire. Cette loi a -ouvert ses articles et ses paragraphes à une foule d'amendements qui ne -la rendront à coup sûr pas bonne, qui lui auraient ôté surtout l'esprit -d'ensemble, si elle en avait eu, mais qui lui ont valu en définitive -d'être adoptée à une assez forte majorité.</p> +occupé les trois premiers jours de la semaine parlementaire. Cette loi a +ouvert ses articles et ses paragraphes à une foule d'amendements qui ne +la rendront à coup sûr pas bonne, qui lui auraient ôté surtout l'esprit +d'ensemble, si elle en avait eu, mais qui lui ont valu en définitive +d'être adoptée à une assez forte majorité.</p> -<p>Il était peu de membres de la Chambre qui n'eussent fait admettre, dans +<p>Il était peu de membres de la Chambre qui n'eussent fait admettre, dans le cours de cette interminable discussion, leur amendement ou leur -sous-amendement: chacun était donc poussé par une sorte d'amour-propre -d'auteur à donner une boule blanche à cette fille de ses œuvres. Son -sort à cependant été un instant douteux. Dans la séance de lundi, un -amendement abrogeant par le fait la législation spéciale aux forêts du -domaine, de 1790, a fait ranger celles-ci dans la catégorie des forêts -particulières et a soumis le prince qui en a la jouissance et les siens -aux mêmes et sévères règles qu'elle impose aux citoyens.</p> - -<p>Cette disposition, que le ministère absent ou distrait n'a pas su faire -rejeter, a, sans aucun doute, attiré d'un côte à la loi des antipathies, +sous-amendement: chacun était donc poussé par une sorte d'amour-propre +d'auteur à donner une boule blanche à cette fille de ses œuvres. Son +sort à cependant été un instant douteux. Dans la séance de lundi, un +amendement abrogeant par le fait la législation spéciale aux forêts du +domaine, de 1790, a fait ranger celles-ci dans la catégorie des forêts +particulières et a soumis le prince qui en a la jouissance et les siens +aux mêmes et sévères règles qu'elle impose aux citoyens.</p> + +<p>Cette disposition, que le ministère absent ou distrait n'a pas su faire +rejeter, a, sans aucun doute, attiré d'un côte à la loi des antipathies, tandis qu'elle lui assurait quelques suffrages de l'autre. Mais en -définitive elle aura été la cause de son adoption, car les suffrages -conquis lui sont restés et les antipathies se sont tues dans l'espoir +définitive elle aura été la cause de son adoption, car les suffrages +conquis lui sont restés et les antipathies se sont tues dans l'espoir que la Chambre des Pairs n'admettrait pas cet amendement, et qu'une fois -supprimé, la Chambre des Députés ne le rétablirait pas.</p> +supprimé, la Chambre des Députés ne le rétablirait pas.</p> -<p>Est venue ensuite la discussion sur la prise en considération de la -proposition de M. de Rémusat, relative aux incompatibilités. Il était -difficile de penser que ce débat, qui tant de fois déjà s'est engagé +<p>Est venue ensuite la discussion sur la prise en considération de la +proposition de M. de Rémusat, relative aux incompatibilités. Il était +difficile de penser que ce débat, qui tant de fois déjà s'est engagé devant la Chambre, verrait se produire aujourd'hui de nouveaux motifs. Mais les questions personnelles sont venues l'animer et le rajeunir. En -effet, c'est peut-être le seul qui les comporte ou plutôt les nécessite. -Pour les partisans de la proposition, là où ils voient un abus ils -doivent voir nécessairement un argument, et la situation d'un -fonctionnaire menacée parce qu'il a voté, dans tel ou tel sens comme -député, ou le vote d'un autre représentant passant du blanc au noir par -la force de motifs secrets qu'ils ont la curiosité de connaître, tout +effet, c'est peut-être le seul qui les comporte ou plutôt les nécessite. +Pour les partisans de la proposition, là où ils voient un abus ils +doivent voir nécessairement un argument, et la situation d'un +fonctionnaire menacée parce qu'il a voté, dans tel ou tel sens comme +député, ou le vote d'un autre représentant passant du blanc au noir par +la force de motifs secrets qu'ils ont la curiosité de connaître, tout cela trouve naturellement place dans leurs discours. Quelques faits -récents avaient fourni des arguments de ce genre; il en a été fait usage +récents avaient fourni des arguments de ce genre; il en a été fait usage pour la plus grande satisfaction des spectateurs avides d'agitation, -plutôt que pour l'édification de ceux qui croient à la bonté du -gouvernement représentatif, honnêtement et sincèrement pratiqué, et qui -seraient profondément désolés qu'on arrivât à l'user sans s'en être -servi. MM. Barrot, Thiers et Guizot, sont successivement montés à la -tribune, qu'ont aussi occupée MM. Dugabé et de Salvandy. La prise en -considération a été repoussée par une majorité que quelques de membres +plutôt que pour l'édification de ceux qui croient à la bonté du +gouvernement représentatif, honnêtement et sincèrement pratiqué, et qui +seraient profondément désolés qu'on arrivât à l'user sans s'en être +servi. MM. Barrot, Thiers et Guizot, sont successivement montés à la +tribune, qu'ont aussi occupée MM. Dugabé et de Salvandy. La prise en +considération a été repoussée par une majorité que quelques de membres regardent comme douteuse.</p> <p class="rig"><img alt="" src="images/001a.png"><br> <b>Marie-Christine, ex-reine d'Espagne.</b> -<br> --Voir à la page suivante.</p> +<br> --Voir à la page suivante.</p> -<p>La loi sur le roulage n'a pas été beaucoup plus heureuse à la Chambre -des Pairs que la loi sur la chasse à la Chambre des Députés. Ce que l'on +<p>La loi sur le roulage n'a pas été beaucoup plus heureuse à la Chambre +des Pairs que la loi sur la chasse à la Chambre des Députés. Ce que l'on avait fait il y a deux ans au palais du Luxembourg, il y a un an au -palais Bourbon, on l'a défait cette année en grande partie. Dans les -précédentes discussions, on avait paru très-frappé du résultat des -expériences faites par M. Morin, par ordre du gouvernement, et de la -nécessité d'imposer, dans l'intérêt des routes et de leur conservation, -des conditions sévères et d'établir des distinctions tranchées pour la -largeur des jantes des voitures, selon qu'elles étaient à deux ou quatre -roues. Cette année on a paru croire beaucoup moins aux résultats des -expériences de M. Morin, sur lesquels était fondé le projet de loi, et -beaucoup plus à l'utilité de la liberté en matière de roulage, sinon -complète encore et illimitée, du moins beaucoup moins restreinte que par -le passé et que ne l'établissait le projet. Ainsi, sur la proposition +palais Bourbon, on l'a défait cette année en grande partie. Dans les +précédentes discussions, on avait paru très-frappé du résultat des +expériences faites par M. Morin, par ordre du gouvernement, et de la +nécessité d'imposer, dans l'intérêt des routes et de leur conservation, +des conditions sévères et d'établir des distinctions tranchées pour la +largeur des jantes des voitures, selon qu'elles étaient à deux ou quatre +roues. Cette année on a paru croire beaucoup moins aux résultats des +expériences de M. Morin, sur lesquels était fondé le projet de loi, et +beaucoup plus à l'utilité de la liberté en matière de roulage, sinon +complète encore et illimitée, du moins beaucoup moins restreinte que par +le passé et que ne l'établissait le projet. Ainsi, sur la proposition de M. le comte Daru, cette distinction a disparu pour le minimum des -jantes des voitures à quatre et des voitures à deux roues; il sera pour -les unes comme pour les autres indistinctement de 6 centimètres, et le -maximum de 17. Du reste, et par contre, si l'industrie a été bien -traitée par ce changement, l'agriculture a vu restreindre les facilités -que la Chambre des Députés avait voulu lui accorder l'an passé, en +jantes des voitures à quatre et des voitures à deux roues; il sera pour +les unes comme pour les autres indistinctement de 6 centimètres, et le +maximum de 17. Du reste, et par contre, si l'industrie a été bien +traitée par ce changement, l'agriculture a vu restreindre les facilités +que la Chambre des Députés avait voulu lui accorder l'an passé, en adoptant un amendement de M. Darblay par lequel les voitures de -l'agriculture étaient affranchies dans tous les cas, c'est-à-dire -qu'elles allassent au marché ou qu'elles en revinssent, qu'elles -transportassent des matériaux pour les constructions de la ferme, -qu'elles allassent de la ferme aux champs ou des champs à la ferme, des -règles relatives à la largeur des bandes et à la limitation du poids. La +l'agriculture étaient affranchies dans tous les cas, c'est-à -dire +qu'elles allassent au marché ou qu'elles en revinssent, qu'elles +transportassent des matériaux pour les constructions de la ferme, +qu'elles allassent de la ferme aux champs ou des champs à la ferme, des +règles relatives à la largeur des bandes et à la limitation du poids. La Chambre des Pairs a cru devoir restreindre cette exemption au cas -seulement où les véhicules agricoles vont de la ferme aux champs ou en +seulement où les véhicules agricoles vont de la ferme aux champs ou en reviennent. Cet amendement oblige, on le voit, les fermiers et les -agriculteurs à avoir des voitures de plusieurs sortes. Cette loi doit -revenir de nouveau à la Chambre des Députés.</p> - -<p>Nous déplorions dans notre dernier bulletin la vivacité que la -discussion avait prise dans un des bureaux de cette Chambre, à -l'occasion de l'admission à la lecture de la proposition de M. de -Rémusat. Mais ce que nous avons vu ici n'est qu'une gentillesse en -comparaison de ce qui se passait presque en même temps à la Chambre des -Représentants des États-Unis et à la Chambre des Lords d'Angleterre. A -tout seigneur tout honneur: nous commençons par la Chambre anglaise. -Dans la dernière discussion, à l'occasion des affaires d'Irlande, lord -Campbell a dit en répondant à lord Brougham:</p> - -<p>«Le discours de mon noble et savant ami est parfaitement irrégulier: -cela ne m'étonne pas, car tout ce qu'il fait dans cette Chambre est -irrégulier. J'ai demandé hier l'ajournement, parce que je croyais qu'il -parlerait, et que je voulais lui répondre. J'étais bien pardonnable de -croire cela, car voilà bien, autant que je m'en souviens, le premier -débat de quelque importance dans lequel il n'ait parlé, et parlé au -moins sept fois... Toutes les fois qu'il prêchera les principes qu'il -condamnait autrefois, je ne me gênerai pas pour le lui rappeler, et pour -lui remettre devant les yeux ceux qu'il défendait avec moi et qu'il -abandonne aujourd'hui.» Lord Brougham lui a répondu avec le ton de la -plus violente colère: «Mylords, on dit que j'ai commis une irrégularité. -Jamais je n'ai vu dire une aussi grosse absurdité, même par mon noble et -savant ami. Je ne me laisserai pas faire la leçon par d'ignorants -nouveaux venus, qui ne connaissent pas l'A B C du règlement, et qui +agriculteurs à avoir des voitures de plusieurs sortes. Cette loi doit +revenir de nouveau à la Chambre des Députés.</p> + +<p>Nous déplorions dans notre dernier bulletin la vivacité que la +discussion avait prise dans un des bureaux de cette Chambre, à +l'occasion de l'admission à la lecture de la proposition de M. de +Rémusat. Mais ce que nous avons vu ici n'est qu'une gentillesse en +comparaison de ce qui se passait presque en même temps à la Chambre des +Représentants des États-Unis et à la Chambre des Lords d'Angleterre. A +tout seigneur tout honneur: nous commençons par la Chambre anglaise. +Dans la dernière discussion, à l'occasion des affaires d'Irlande, lord +Campbell a dit en répondant à lord Brougham:</p> + +<p>«Le discours de mon noble et savant ami est parfaitement irrégulier: +cela ne m'étonne pas, car tout ce qu'il fait dans cette Chambre est +irrégulier. J'ai demandé hier l'ajournement, parce que je croyais qu'il +parlerait, et que je voulais lui répondre. J'étais bien pardonnable de +croire cela, car voilà bien, autant que je m'en souviens, le premier +débat de quelque importance dans lequel il n'ait parlé, et parlé au +moins sept fois... Toutes les fois qu'il prêchera les principes qu'il +condamnait autrefois, je ne me gênerai pas pour le lui rappeler, et pour +lui remettre devant les yeux ceux qu'il défendait avec moi et qu'il +abandonne aujourd'hui.» Lord Brougham lui a répondu avec le ton de la +plus violente colère: «Mylords, on dit que j'ai commis une irrégularité. +Jamais je n'ai vu dire une aussi grosse absurdité, même par mon noble et +savant ami. Je ne me laisserai pas faire la leçon par d'ignorants +nouveaux venus, qui ne connaissent pas l'A B C du règlement, et qui montrent une ignorance si <i>crasse</i> que je n'aurais jamais cru personne capable d'en montrer une semblable sur quoi que ce soit. Je serai heureux qu'on me donne l'occasion de repousser en face cette fausse, -vile et calomnieuse accusation que l'on me fait, d'avoir abandonné mes -principes. Je défie qu'on me le prouve, et je jette ce défi avec -l'assurance que je saurai le justifier.»</p> +vile et calomnieuse accusation que l'on me fait, d'avoir abandonné mes +principes. Je défie qu'on me le prouve, et je jette ce défi avec +l'assurance que je saurai le justifier.»</p> -<p>En Amérique on est infiniment moins parlementaire encore. M. Stewart, -membre de la Chambre des Représentants des États-Unis, avait été, il y -a quelque temps, en butte à une attaque très-vive d'un de ses collègues, +<p>En Amérique on est infiniment moins parlementaire encore. M. Stewart, +membre de la Chambre des Représentants des États-Unis, avait été, il y +a quelque temps, en butte à une attaque très-vive d'un de ses collègues, M. Waller. Un neveu de M. Stewart, M. Schriver, correspondant du -<i>Baltimore-Patriot</i>, et ayant, à ce titre, une place réservée dans +<i>Baltimore-Patriot</i>, et ayant, à ce titre, une place réservée dans l'enceinte de la Chambre, avait rendu compte de cette sortie en termes -qui avaient blessé M. Waller. Celui-ci, rencontrant M. Schriver à la -Chambre, l'apostropha, et, après l'échange de quelques mots, le frappa. -Aussitôt ils se prirent au corps. Dans la lutte, les deux combattants -tombèrent dans une croisée et la défoncèrent. Plusieurs membres de la -chambre accoururent et essayèrent de les séparer, tandis que d'autres -criaient: «<i>Laissez-les se battre comme il faut.</i>» Un membre démocrate -dit même, en s'adressant au banc des whigs: «S'il y a quelqu'un qui -veuille prendre part au combat, je pourrai bien m'en mêler un peu.» -Enfin, après que quelques horions eurent encore été échangés, un membre -se hasarda à séparer définitivement les deux champions. Plainte fut -portée par M. Schriver, et caution fournie par M. Waller.</p> - -<p>D'importantes nouvelles sont arrivées de Taïti, et quoique depuis -plusieurs jours le gouvernement ait gardé un silence diversement, mais -en général peu favorablement interprété, il est impossible de ne pas -accorder toute confiance aux détails très-concordants qu'ont donnés -plusieurs correspondances particulières sur les événements dont la -nouvelle Cythère a été le théâtre. La reine Pomaré, cédant aux -suggestions de M. Pritchard, missionnaire, négociant et consul anglais, -se refusait obstinément à exécuter le traité du 9 septembre, après -l'avoir ratifié, et affectait le plus grand mépris pour le gouvernement -provisoire institué par l'amiral Dupetit-Thouars, en vertu du -protectorat de la France, accepté puis méconnu par la reine. Notre -pavillon avait été amené et remplacé par un chiffon bizarre qu'elle -avait déclaré être le pavillon taïtien. Cette résistance avait été, nous -ne dirons pas provoquée, mais très-ostensiblement appuyée par le -commandant de la frégate anglaise la <i>Vindictive</i>, lequel menaça même de -recourir à la force pour faire prévaloir les nouvelles façons d'agir de +qui avaient blessé M. Waller. Celui-ci, rencontrant M. Schriver à la +Chambre, l'apostropha, et, après l'échange de quelques mots, le frappa. +Aussitôt ils se prirent au corps. Dans la lutte, les deux combattants +tombèrent dans une croisée et la défoncèrent. Plusieurs membres de la +chambre accoururent et essayèrent de les séparer, tandis que d'autres +criaient: «<i>Laissez-les se battre comme il faut.</i>» Un membre démocrate +dit même, en s'adressant au banc des whigs: «S'il y a quelqu'un qui +veuille prendre part au combat, je pourrai bien m'en mêler un peu.» +Enfin, après que quelques horions eurent encore été échangés, un membre +se hasarda à séparer définitivement les deux champions. Plainte fut +portée par M. Schriver, et caution fournie par M. Waller.</p> + +<p>D'importantes nouvelles sont arrivées de Taïti, et quoique depuis +plusieurs jours le gouvernement ait gardé un silence diversement, mais +en général peu favorablement interprété, il est impossible de ne pas +accorder toute confiance aux détails très-concordants qu'ont donnés +plusieurs correspondances particulières sur les événements dont la +nouvelle Cythère a été le théâtre. La reine Pomaré, cédant aux +suggestions de M. Pritchard, missionnaire, négociant et consul anglais, +se refusait obstinément à exécuter le traité du 9 septembre, après +l'avoir ratifié, et affectait le plus grand mépris pour le gouvernement +provisoire institué par l'amiral Dupetit-Thouars, en vertu du +protectorat de la France, accepté puis méconnu par la reine. Notre +pavillon avait été amené et remplacé par un chiffon bizarre qu'elle +avait déclaré être le pavillon taïtien. Cette résistance avait été, nous +ne dirons pas provoquée, mais très-ostensiblement appuyée par le +commandant de la frégate anglaise la <i>Vindictive</i>, lequel menaça même de +recourir à la force pour faire prévaloir les nouvelles façons d'agir de la reine. Nous n'avions en ce moment que deux corvettes dans ces -parages; mais leurs officiers et leurs équipages n'hésitèrent pas un -seul instant, malgré l'inégalité des forces, à prendre l'attitude qui -convenait à la marine française, en réponse à cet insolent langage. Les -menaces demeurèrent alors sans effet, et l'amiral anglais Thomas, pour -éviter un conflit que rendait imminent la présence du commodore -Nicholas, qui montait <i>la Vindictive</i>, la remplaça par la frégate <i>le -Dublin</i>, qui se borna à demeurer spectatrice de nos démêlés avec la -reine Pomaré. Instruit de cette situation et des faits qui l'avaient -précédée, l'amiral Dupetit-Thouars se présenta, le 4 novembre dernier, -devant Papeiti avec les trois frégates <i>la Reine-Blanche, l'Uranie, la -Danaé</i>, dans la pensée que ce déploiement de forces épargnerait une -lutte déplorable pour l'humanité et enlèverait même à la reine, on -plutôt à ses imprudents conseillers, toute idée de résistance. Le calcul -de l'amiral n'était pas complètement exact. Il accorda un premier délai -qu'on laissa s'écouler sans rentrer dans l'ordre. Alors il en fixa un -définitif, expirant le 6 à midi, et au terme duquel le traité devait -avoir été exécuté sous peine de déchéance de la reine. Le capitaine de -la frégate anglaise, oubliant un moment les recommandations de -modération et de neutralité que son amiral lui avait faites, se laissa -aller à déclarer à l'amiral Dupetit-Thouars, sur le pont même de <i>la -Reine-Blanche</i>, qu'il allait faire venir à son bord la reine Pomaré, -hisser le pavillon taïtien et le saluer de vingt et un coups de canon. -Justement blessé de cette intervention injustifiable et hautaine, M. -Dupetit-Thouars répondit au commodore: «A votre aise, monsieur; menez, -tant qu'il vous plaira cette femme à votre bord, mais gardez-vous de -hisser le pavillon taïtien; et, si vous le saluez de vingt et un coups -de canon, vous assumerez sur vous toutes les conséquences qui pourront -en résulter. Maintenant que vous êtes prévenu, agissez comme il vous -plaira.» On comprend que la matinée du 6 ait tenu l'escadre française -dans une attente pleine d'émotions. Mais l'heure dite arriva sans que la -reine eût arboré le pavillon tricolore; l'ordre du débarquement fut -aussitôt exécuté que donné, et Pomaré a cessé de régner. Un gouvernement -a été installé par l'amiral, dont la conduite a été digne de son nom et +parages; mais leurs officiers et leurs équipages n'hésitèrent pas un +seul instant, malgré l'inégalité des forces, à prendre l'attitude qui +convenait à la marine française, en réponse à cet insolent langage. Les +menaces demeurèrent alors sans effet, et l'amiral anglais Thomas, pour +éviter un conflit que rendait imminent la présence du commodore +Nicholas, qui montait <i>la Vindictive</i>, la remplaça par la frégate <i>le +Dublin</i>, qui se borna à demeurer spectatrice de nos démêlés avec la +reine Pomaré. Instruit de cette situation et des faits qui l'avaient +précédée, l'amiral Dupetit-Thouars se présenta, le 4 novembre dernier, +devant Papeiti avec les trois frégates <i>la Reine-Blanche, l'Uranie, la +Danaé</i>, dans la pensée que ce déploiement de forces épargnerait une +lutte déplorable pour l'humanité et enlèverait même à la reine, on +plutôt à ses imprudents conseillers, toute idée de résistance. Le calcul +de l'amiral n'était pas complètement exact. Il accorda un premier délai +qu'on laissa s'écouler sans rentrer dans l'ordre. Alors il en fixa un +définitif, expirant le 6 à midi, et au terme duquel le traité devait +avoir été exécuté sous peine de déchéance de la reine. Le capitaine de +la frégate anglaise, oubliant un moment les recommandations de +modération et de neutralité que son amiral lui avait faites, se laissa +aller à déclarer à l'amiral Dupetit-Thouars, sur le pont même de <i>la +Reine-Blanche</i>, qu'il allait faire venir à son bord la reine Pomaré, +hisser le pavillon taïtien et le saluer de vingt et un coups de canon. +Justement blessé de cette intervention injustifiable et hautaine, M. +Dupetit-Thouars répondit au commodore: «A votre aise, monsieur; menez, +tant qu'il vous plaira cette femme à votre bord, mais gardez-vous de +hisser le pavillon taïtien; et, si vous le saluez de vingt et un coups +de canon, vous assumerez sur vous toutes les conséquences qui pourront +en résulter. Maintenant que vous êtes prévenu, agissez comme il vous +plaira.» On comprend que la matinée du 6 ait tenu l'escadre française +dans une attente pleine d'émotions. Mais l'heure dite arriva sans que la +reine eût arboré le pavillon tricolore; l'ordre du débarquement fut +aussitôt exécuté que donné, et Pomaré a cessé de régner. Un gouvernement +a été installé par l'amiral, dont la conduite a été digne de son nom et des couleurs sous lesquelles il sert.</p> -<p>La situation de l'Espagne, c'est-à-dire la lutte entre un gouvernement -qui s'est mis en dehors de toutes les règles constitutionnelles et une +<p>La situation de l'Espagne, c'est-à -dire la lutte entre un gouvernement +qui s'est mis en dehors de toutes les règles constitutionnelles et une insurrection qui n'offre pas beaucoup plus de garanties aux hommes qui -appellent de leurs vœux un gouvernement régulier, cette situation se +appellent de leurs vœux un gouvernement régulier, cette situation se prolonge, et l'on se demande si le retour de la reine Christine en -Espagne (voir la page, précédente) y mettra fin. Bien des yeux, de -l'autre côté des Pyrénées, sont tournés vers cette princesse. -Désavouera-t-elle franchement les actes dictatoriaux du général Narvaez? -les désapprouvera-t-elle seulement pour la forme, ou enfin le -suivra-t-elle ouvertement dans cette voie? Voilà les questions que les -Espagnols s'adressent, et que beaucoup, dans leurs préventions ou dans -leur confiance, résolvent dans le sens qui justifie ou les unes ou +Espagne (voir la page, précédente) y mettra fin. Bien des yeux, de +l'autre côté des Pyrénées, sont tournés vers cette princesse. +Désavouera-t-elle franchement les actes dictatoriaux du général Narvaez? +les désapprouvera-t-elle seulement pour la forme, ou enfin le +suivra-t-elle ouvertement dans cette voie? Voilà les questions que les +Espagnols s'adressent, et que beaucoup, dans leurs préventions ou dans +leur confiance, résolvent dans le sens qui justifie ou les unes ou l'autre.</p> -<p>Mais la fièvre de l'insurrection et celle des mesures extraordinaires de -gouvernement ont passé la frontière d'Espagne, et travaillent à leur +<p>Mais la fièvre de l'insurrection et celle des mesures extraordinaires de +gouvernement ont passé la frontière d'Espagne, et travaillent à leur tour et de nouveau le royaume de dona Maria. Une conspiration militaire -a éclaté en Portugal. Un général considéré, ancien ministre de la -guerre, le comte de Boulin, est à la tête de ce mouvement, qui fait +a éclaté en Portugal. Un général considéré, ancien ministre de la +guerre, le comte de Boulin, est à la tête de ce mouvement, qui fait valoir comme griefs les violations qu'on a fait subir au principe de la -souveraineté nationale, en faisant revivre, sans la faire réviser par -une Chambre constitutionnelle, la Charte que don Pedro avait octroyée. -Là, connue en Espagne, les Chambres ont été fermes, la liberté de la -presse, la liberté individuelle suspendues, et le royaume entier mis en -état de siège. C'est bien mal commencer; attendons la fin.</p> - -<p>Les feuilles françaises et étrangères ont vu cette semaine leurs -colonnes attristées par le récit de nombreux et déplorables malheurs. Le -<i>Standard</i> du 17 annonce qu'un terrible accident est arrivé la veille -dans la houillère de Landshipping. Des mineurs, au nombre de +souveraineté nationale, en faisant revivre, sans la faire réviser par +une Chambre constitutionnelle, la Charte que don Pedro avait octroyée. +Là , connue en Espagne, les Chambres ont été fermes, la liberté de la +presse, la liberté individuelle suspendues, et le royaume entier mis en +état de siège. C'est bien mal commencer; attendons la fin.</p> + +<p>Les feuilles françaises et étrangères ont vu cette semaine leurs +colonnes attristées par le récit de nombreux et déplorables malheurs. Le +<i>Standard</i> du 17 annonce qu'un terrible accident est arrivé la veille +dans la houillère de Landshipping. Des mineurs, au nombre de cinquante-huit, travaillaient dans l'une des galeries qui passent sous -la rivière, lorsque tout à coup l'eau fit irruption dans la mine avec +la rivière, lorsque tout à coup l'eau fit irruption dans la mine avec une telle violence que dix-huit de ces ouvriers seulement eurent le -temps de se sauver. Les quarante autres ont été noyés.--A Granville, -dans la nuit du 14 au 15, par un temps fort calme, un canot monté par -dix hommes ayant chaviré à une brasse ou deux tout au plus du bord du -quai, sept de ces matelots allèrent au fond, où ils restèrent engagés -dans des vases molles qui se sont accumulées dans cet endroit.--</p> +temps de se sauver. Les quarante autres ont été noyés.--A Granville, +dans la nuit du 14 au 15, par un temps fort calme, un canot monté par +dix hommes ayant chaviré à une brasse ou deux tout au plus du bord du +quai, sept de ces matelots allèrent au fond, où ils restèrent engagés +dans des vases molles qui se sont accumulées dans cet endroit.--</p> <p>Quel douloureux spectacle s'offrit le matin aux regards lorsque la mer -se fut retirée. Les cadavres de ces sept malheureux gisaient pêle-mêle, -dans un espace de quelques mètres, les uns retenus par les pieds, -d'autres engagés jusqu'aux épaules dans la boue noire et fétide du port. -Pour ceux-ci, l'asphyxie a dû être instantanée, et la position de l'un +se fut retirée. Les cadavres de ces sept malheureux gisaient pêle-mêle, +dans un espace de quelques mètres, les uns retenus par les pieds, +d'autres engagés jusqu'aux épaules dans la boue noire et fétide du port. +Pour ceux-ci, l'asphyxie a dû être instantanée, et la position de l'un d'eux, qui avait les mains dans les poches ne son paletot, le prouvait -assez. Six de ces hommes sont pères de famille et le laissent, +assez. Six de ces hommes sont pères de famille et le laissent, assure-t-on, sans aucune ressource plus de vingt orphelins.--Un des plus -anciens et des plus justement célèbres de nos généraux, le -lieutenant-général Pajol, a fait, dans le grand escalier du château des -Tuileries, une chute affreuse, qui a causé la fracture de la cuisse au -col du fémur, et donne de vives inquiétudes.--Le savant M. Gay-Lussac, -qui a la simplicité de faire encore son cours, et qui ne croit pas que -le rôle d'un professeur doive consister uniquement à se choisir un -suppléant, a pensé être victime de l'explosion d'un flacon dont le -contenu s'est enflammé par le contact subit de l'air, au moment où il -préparait une expérience de laboratoire du Jardin-des-Plantes. -L'illustre professeur et son jeune préparateur ont été blessés, le -premier grièvement, le second plus légèrement. L'état de M. Gay-Lussac -est aujourd'hui complètement rassurant.--On a annoncé, cette semaine, la -mort d'un homme excellent, d'un homme dont la vie a été vouée aux -œuvres utiles, de M. Cassin, agent général des sociétés savantes et de -bienfaisance.--Un des plus éminents publicistes de la Suisse, le docteur -Charles Schnell, rédacteur du <i>Volksfreund</i>, depuis longtemps en proie à -une profonde mélancolie, par suite d'un état obstiné de souffrances -physiques, a mis fin à ses jours. C'était un des plus formidables +anciens et des plus justement célèbres de nos généraux, le +lieutenant-général Pajol, a fait, dans le grand escalier du château des +Tuileries, une chute affreuse, qui a causé la fracture de la cuisse au +col du fémur, et donne de vives inquiétudes.--Le savant M. Gay-Lussac, +qui a la simplicité de faire encore son cours, et qui ne croit pas que +le rôle d'un professeur doive consister uniquement à se choisir un +suppléant, a pensé être victime de l'explosion d'un flacon dont le +contenu s'est enflammé par le contact subit de l'air, au moment où il +préparait une expérience de laboratoire du Jardin-des-Plantes. +L'illustre professeur et son jeune préparateur ont été blessés, le +premier grièvement, le second plus légèrement. L'état de M. Gay-Lussac +est aujourd'hui complètement rassurant.--On a annoncé, cette semaine, la +mort d'un homme excellent, d'un homme dont la vie a été vouée aux +œuvres utiles, de M. Cassin, agent général des sociétés savantes et de +bienfaisance.--Un des plus éminents publicistes de la Suisse, le docteur +Charles Schnell, rédacteur du <i>Volksfreund</i>, depuis longtemps en proie à +une profonde mélancolie, par suite d'un état obstiné de souffrances +physiques, a mis fin à ses jours. C'était un des plus formidables antagonistes de l'aristocratie suisse et de l'aristocratie bernoise en -particulier.--Le 15 février est mort à White-Lodge (Richmond-Barker), -dans sa quatre-vingt-septième année, Henry Addington, vicomte de -Sydmouth. Il avait été président de la Chambre des Communes de 1789 à -1801, premier lord de la trésorerie et chancelier de l'Échiquier de 1801 -à 1804, lord président du conseil en 1805, lord du sceau privé en 1806, -secrétaire d'État de l'intérieur de 1812 à 1822.--Les nouvelles de -Stockholm peignent l'état du roi de Suède comme s'aggravant de jour en +particulier.--Le 15 février est mort à White-Lodge (Richmond-Barker), +dans sa quatre-vingt-septième année, Henry Addington, vicomte de +Sydmouth. Il avait été président de la Chambre des Communes de 1789 à +1801, premier lord de la trésorerie et chancelier de l'Échiquier de 1801 +à 1804, lord président du conseil en 1805, lord du sceau privé en 1806, +secrétaire d'État de l'intérieur de 1812 à 1822.--Les nouvelles de +Stockholm peignent l'état du roi de Suède comme s'aggravant de jour en jour, et nous devons craindre que la notice biographique que nous lui -avons consacrée ne devienne bientôt une notice nécrologique.</p> +avons consacrée ne devienne bientôt une notice nécrologique.</p> <br><br> @@ -406,629 +370,629 @@ avons consacrée ne devienne bientôt une notice nécrologique.</p> <p><i>L'Illustration</i> ne saurait se proposer d'entrer dans toutes les discussions qui s'engagent chaque jour sur les questions d'organisation -que le législateur a encore à résoudre. Mais elle regarde comme un -devoir, auquel elle ne manquera pas, d'exposer l'état de chacune de ces -questions au fur et à mesure qu'elles arriveront à l'examen des -Chambres. L'abbé Sieyès a laissé en mourant un manuscrit volumineux -ayant pour titre cette proposition, à la démonstration de laquelle -l'ouvrage entier est consacré; <i>Il n'y a point de questions insolubles, -il n'y a que des questions mal posées</i>. Nous pourrons donc croire avoir -contribué pour notre part à la solution de celles qui seront agitées -quand nous aurons clairement fait connaître la difficulté qu'il faut -trancher ou les différents intérêts qu'il s'agit de mettre d'accord.</p> - -<p>En remontant dans notre histoire, aux premiers temps où le règne des -lois régulières commença à s'établir, même au temps où la science était -presque uniquement cléricale, aux premières années du quatorzième siècle -(1312), sous Philippe le Bel, on trouve déjà admis et en vigueur le -principe que l'instruction publique dépend de l'État. Celui-ci eut sans -aucun doute à défendre son droit contre plus d'une tentative -empiètement; mais, d'une part, les édits, les ordonnances, etc., de -l'autre l'action de la magistrature, fixèrent et maintinrent son +que le législateur a encore à résoudre. Mais elle regarde comme un +devoir, auquel elle ne manquera pas, d'exposer l'état de chacune de ces +questions au fur et à mesure qu'elles arriveront à l'examen des +Chambres. L'abbé Sieyès a laissé en mourant un manuscrit volumineux +ayant pour titre cette proposition, à la démonstration de laquelle +l'ouvrage entier est consacré; <i>Il n'y a point de questions insolubles, +il n'y a que des questions mal posées</i>. Nous pourrons donc croire avoir +contribué pour notre part à la solution de celles qui seront agitées +quand nous aurons clairement fait connaître la difficulté qu'il faut +trancher ou les différents intérêts qu'il s'agit de mettre d'accord.</p> + +<p>En remontant dans notre histoire, aux premiers temps où le règne des +lois régulières commença à s'établir, même au temps où la science était +presque uniquement cléricale, aux premières années du quatorzième siècle +(1312), sous Philippe le Bel, on trouve déjà admis et en vigueur le +principe que l'instruction publique dépend de l'État. Celui-ci eut sans +aucun doute à défendre son droit contre plus d'une tentative +empiètement; mais, d'une part, les édits, les ordonnances, etc., de +l'autre l'action de la magistrature, fixèrent et maintinrent son influence. Ainsi, en 1446, une ordonnance de Charles VII vint donner -juridiction aux Parlements sur les Universités, qui prétendaient ne -relever que du pouvoir royal et du pape. En même temps, de leur côté, -les Parlements établissaient par des arrêts le droit d'autorisation et -d'inspection des Universités sur les écoles particulières, et -l'obligation pour les maîtres d'être gradués dans les le lettres qu'ils -enseignaient.--La collation des grades et leur indispensabilité furent -encore l'objet de prescriptions nouvelles dans l'édit de Blois de mai -1579.--Elles furent confirmées par l'édit réglementaire de Henri IV sur -l'Université de Paris, de septembre 1598, édit marquant davantage la -sécularisation commencée de l'enseignement public.--Une ordonnance -royale de janvier 1629 dispose également que «nul ne sera reçu aux -degrés qu'il n'ait étudié l'espace de trois ans en l'Université où -seront conférés lesdits degrés, ou en une autre pour partie dudit temps, -et en ladite Université pour le surplus, dont il rapportera certificat +juridiction aux Parlements sur les Universités, qui prétendaient ne +relever que du pouvoir royal et du pape. En même temps, de leur côté, +les Parlements établissaient par des arrêts le droit d'autorisation et +d'inspection des Universités sur les écoles particulières, et +l'obligation pour les maîtres d'être gradués dans les le lettres qu'ils +enseignaient.--La collation des grades et leur indispensabilité furent +encore l'objet de prescriptions nouvelles dans l'édit de Blois de mai +1579.--Elles furent confirmées par l'édit réglementaire de Henri IV sur +l'Université de Paris, de septembre 1598, édit marquant davantage la +sécularisation commencée de l'enseignement public.--Une ordonnance +royale de janvier 1629 dispose également que «nul ne sera reçu aux +degrés qu'il n'ait étudié l'espace de trois ans en l'Université où +seront conférés lesdits degrés, ou en une autre pour partie dudit temps, +et en ladite Université pour le surplus, dont il rapportera certificat suffisant; mais elle va plus loin encore, et, ne se contentant pas -d'imposer des conditions aux hommes qui se vouaient à l'enseignement ou -aux jeunes gens qui voulaient entrer dans certaines carrières, elle -subroge en quelque sorte l'État à tous les droits des pères de famille: -«Nous défendons, y est-il dit, à tous nos sujets, de quelque état et -condition qu'ils soient, d'envoyer leurs enfants étudier hors de notre -royaume, pays et terres de notre obéissance, sans notre permission et -congé.»</p> - -<p>Nous pourrions montrer également la constante surveillance de l'État sur -les Universités; sa vigilance à ne laisser établir aucun collège, qu'il -fût fondé par une dotation particulière, ou entretenu par une ville, ou -même doté sur des biens ecclésiastiques, sans une autorisation spéciale +d'imposer des conditions aux hommes qui se vouaient à l'enseignement ou +aux jeunes gens qui voulaient entrer dans certaines carrières, elle +subroge en quelque sorte l'État à tous les droits des pères de famille: +«Nous défendons, y est-il dit, à tous nos sujets, de quelque état et +condition qu'ils soient, d'envoyer leurs enfants étudier hors de notre +royaume, pays et terres de notre obéissance, sans notre permission et +congé.»</p> + +<p>Nous pourrions montrer également la constante surveillance de l'État sur +les Universités; sa vigilance à ne laisser établir aucun collège, qu'il +fût fondé par une dotation particulière, ou entretenu par une ville, ou +même doté sur des biens ecclésiastiques, sans une autorisation spéciale et l'intervention d'une ordonnance du roi. Nous pourrions rappeler -comment, à diverses reprises, furent refoulés les empiètements des -jésuites et montrer comment, dès 1708, fut imposée l'obligation de -fréquenter les collèges aux élèves de tout établissement particulier +comment, à diverses reprises, furent refoulés les empiètements des +jésuites et montrer comment, dès 1708, fut imposée l'obligation de +fréquenter les collèges aux élèves de tout établissement particulier d'instruction; mais l'historique de l'instruction publique en France et -la préexistence presque immémoriale de toutes les prescriptions dont -Napoléon, en les coordonnant, a fait le code de Université, sont trop -clairement et trop complètement déduits et démontrés dans l'exposé des -motifs du projet de loi que M. Villemain vient de présenter à la Chambre +la préexistence presque immémoriale de toutes les prescriptions dont +Napoléon, en les coordonnant, a fait le code de Université, sont trop +clairement et trop complètement déduits et démontrés dans l'exposé des +motifs du projet de loi que M. Villemain vient de présenter à la Chambre des Pairs, pour que nous n'y renvoyions pas ceux de nos lecteurs qui -voudraient, à ce sujet plus de preuves et de détails que l'espace ne +voudraient, à ce sujet plus de preuves et de détails que l'espace ne nous permet d'en donner ici.</p> -<p>Si la liberté de l'enseignement n'exista jamais au profit des -particuliers sous l'ancienne monarchie; et le clergé lui-même, malgré -ses immenses privilèges, vit continuellement dans cette matière la -législation et la jurisprudence lui dicter des règles et lui imposer des -obligations, cette liberté n'exista pas davantage de fait après 1789 et -sous la République elle-même. L'Assemblée constituante en prononça le +<p>Si la liberté de l'enseignement n'exista jamais au profit des +particuliers sous l'ancienne monarchie; et le clergé lui-même, malgré +ses immenses privilèges, vit continuellement dans cette matière la +législation et la jurisprudence lui dicter des règles et lui imposer des +obligations, cette liberté n'exista pas davantage de fait après 1789 et +sous la République elle-même. L'Assemblée constituante en prononça le nom, mais ne la constitua point. La Convention la proclama, mais y mit -d'abord des conditions qui assuraient qu'il n'en serait point usé sans -l'agrément de l'autorité; et si la constitution de l'an III ne semblait -pas imposer les mêmes limites, dès l'année suivante elles furent en -quelque sorte tracées par le décret du 3 brumaire, et, un peu plus tard, -la loi du 1er mai 1802 statua positivement que «il ne pourrait être -établi d'école secondaire sans l'autorisation du gouvernement.»</p> - -<p>Enfin vint l'Empire, qui, par la loi du 10 mai 1806 et les décrets du 17 +d'abord des conditions qui assuraient qu'il n'en serait point usé sans +l'agrément de l'autorité; et si la constitution de l'an III ne semblait +pas imposer les mêmes limites, dès l'année suivante elles furent en +quelque sorte tracées par le décret du 3 brumaire, et, un peu plus tard, +la loi du 1er mai 1802 statua positivement que «il ne pourrait être +établi d'école secondaire sans l'autorisation du gouvernement.»</p> + +<p>Enfin vint l'Empire, qui, par la loi du 10 mai 1806 et les décrets du 17 mars 1809 et du 15 novembre 1811, codifia avec ensemble tout ce que les -ordonnances des rois et les arrêts des Parlements avaient accumulé de -précautions et de garanties, les compléta, et faisant des anciennes -universités autant d'académies, les relia toutes à une seule et puissante -Université, dépendante de l'État, qui, selon l'expression de M. -Boyer-Collard, n'était autre chose que le gouvernement appliqué à la +ordonnances des rois et les arrêts des Parlements avaient accumulé de +précautions et de garanties, les compléta, et faisant des anciennes +universités autant d'académies, les relia toutes à une seule et puissante +Université, dépendante de l'État, qui, selon l'expression de M. +Boyer-Collard, n'était autre chose que le gouvernement appliqué à la direction universelle de l'instruction publique, et qui avait le -monopole de l'éducation à peu près comme les tribunaux ont le monopole -de la justice, et l'armée celui de la force publique.</p> +monopole de l'éducation à peu près comme les tribunaux ont le monopole +de la justice, et l'armée celui de la force publique.</p> <p>Cette organisation puissante fut maintenue par la Restauration, qui ne -consentit de dérogation à cette règle générale qu'en faveur des écoles -secondaires ecclésiastiques ou petits séminaires. Dès 1802, les besoins -du service religieux avaient fait créer par plusieurs évêques, avec des -secours particuliers, quelques écoles préparatoires à l'enseignement des -séminaires métropolitains ou diocésains, reconnus par un article du -Concordat, et, plus tard, organisés par la loi du 14 mars 1804. Un -décret du 9 avril 1809 mentionna pour la première fois ces écoles -préparatoires. Un titre spécial du décret du 15 novembre 1811, les -assimila tout à fait aux écoles ordinaires, leur interdisant de plus de -s'établir autre part que dans les localités où se trouvait placé un -collège communal ou un lycée, dont leurs élèves étaient tenus de suivre +consentit de dérogation à cette règle générale qu'en faveur des écoles +secondaires ecclésiastiques ou petits séminaires. Dès 1802, les besoins +du service religieux avaient fait créer par plusieurs évêques, avec des +secours particuliers, quelques écoles préparatoires à l'enseignement des +séminaires métropolitains ou diocésains, reconnus par un article du +Concordat, et, plus tard, organisés par la loi du 14 mars 1804. Un +décret du 9 avril 1809 mentionna pour la première fois ces écoles +préparatoires. Un titre spécial du décret du 15 novembre 1811, les +assimila tout à fait aux écoles ordinaires, leur interdisant de plus de +s'établir autre part que dans les localités où se trouvait placé un +collège communal ou un lycée, dont leurs élèves étaient tenus de suivre les cours. Un ordonnance royale du 5 octobre 1814 vint dispenser ces -établissements de ces obligations et autorisa l'augmentation de leur -nombre. Ces facilités amenèrent un état de choses auquel on crut devoir -porter remède en 1828. L'exemption de toute obligation de grades quant -aux maîtres, la dispense de toute rétribution envers l'État quant aux -élevés, favorisaient les petits séminaires au détriment des collèges et -des institutions universitaires, et mettant ces derniers établissements -dans l'impossibilité de soutenir une lutte rendue trop inégale.</p> +établissements de ces obligations et autorisa l'augmentation de leur +nombre. Ces facilités amenèrent un état de choses auquel on crut devoir +porter remède en 1828. L'exemption de toute obligation de grades quant +aux maîtres, la dispense de toute rétribution envers l'État quant aux +élevés, favorisaient les petits séminaires au détriment des collèges et +des institutions universitaires, et mettant ces derniers établissements +dans l'impossibilité de soutenir une lutte rendue trop inégale.</p> <p>C'est alors que, sur la proposition de M. le comte Portalis, ministre de -la justice, fut instituée, pour constater les faits et proposer les -mesures à prendre, une commission composée de neuf membres, qui -choisirent pour rapporteur M. de Quéleu, archevêque de Paris. Son -travail remarquable constate que, outre le nombre des écoles secondaires -ecclésiastiques porté à 126, 53 autres établissements s'étaient formés -comme succursales ou écoles cléricales; que plusieurs étaient dirigées, -non par des prêtres, mais par des membres de corporations religieuses -non autorisées par les lois; qu'enfin le but de l'institution des petits -séminaires était tout a fait dépassé. Il conclut à ce que nulle nouvelle -école secondaire ecclésiastique ne fût établie sans une autorisation -spéciale; à ce qu'on ne fît dans ces écoles que des études compatibles -avec l'état ecclésiastique; que l'habit y fût pris par les élèves ayant -deux ans d'études; qu'il leur fût interdit de recevoir des externes, et -enfin à ce que tous les élèves qui auraient abandonné l'état -ecclésiastique après leurs cours d'études, fussent tenus, pour obtenir -le diplôme de bachelier ès-lettres, <i>de se soumettre de nouveau aux -études et aux examens, selon les règlements de l'Université.</i></p> +la justice, fut instituée, pour constater les faits et proposer les +mesures à prendre, une commission composée de neuf membres, qui +choisirent pour rapporteur M. de Quéleu, archevêque de Paris. Son +travail remarquable constate que, outre le nombre des écoles secondaires +ecclésiastiques porté à 126, 53 autres établissements s'étaient formés +comme succursales ou écoles cléricales; que plusieurs étaient dirigées, +non par des prêtres, mais par des membres de corporations religieuses +non autorisées par les lois; qu'enfin le but de l'institution des petits +séminaires était tout a fait dépassé. Il conclut à ce que nulle nouvelle +école secondaire ecclésiastique ne fût établie sans une autorisation +spéciale; à ce qu'on ne fît dans ces écoles que des études compatibles +avec l'état ecclésiastique; que l'habit y fût pris par les élèves ayant +deux ans d'études; qu'il leur fût interdit de recevoir des externes, et +enfin à ce que tous les élèves qui auraient abandonné l'état +ecclésiastique après leurs cours d'études, fussent tenus, pour obtenir +le diplôme de bachelier ès-lettres, <i>de se soumettre de nouveau aux +études et aux examens, selon les règlements de l'Université.</i></p> <p>Les ordonnances du 16 juin 1828 ne furent que la mise en pratique et en -vigueur de ces principes et de ces conclusions. Elles furent présentées -à la signature de Charles X par M. Feutrier, évêque de Beauvais, -ministre des affaires ecclésiastiques, à la suite d'un rapport au roi où -ce prélat faisait ressortir la nécessité de conserver aux écoles -ecclésiastiques un caractère tout spécial, de le maintenir par la -condition relative, au baccalauréat, par l'obligation de porter le -vêtement ecclésiastique; et où il établissait, par des calculs bien -déduits, que le nombre de vingt mille élèves était largement suffisant -pour répondre à tous les besoins à venir du culte, et devait être fixé -comme une limite légale.</p> - -<p>Ces ordonnances furent exécutées immédiatement; mais vint la révolution +vigueur de ces principes et de ces conclusions. Elles furent présentées +à la signature de Charles X par M. Feutrier, évêque de Beauvais, +ministre des affaires ecclésiastiques, à la suite d'un rapport au roi où +ce prélat faisait ressortir la nécessité de conserver aux écoles +ecclésiastiques un caractère tout spécial, de le maintenir par la +condition relative, au baccalauréat, par l'obligation de porter le +vêtement ecclésiastique; et où il établissait, par des calculs bien +déduits, que le nombre de vingt mille élèves était largement suffisant +pour répondre à tous les besoins à venir du culte, et devait être fixé +comme une limite légale.</p> + +<p>Ces ordonnances furent exécutées immédiatement; mais vint la révolution de 1830, qui, dans un des articles de sa Charte nouvelle, consacra le -principe de la liberté de l'enseignement, et promit la présentation d'un -projet de loi pour réglementer l'exercice de cette liberté En 1836, en -1841, deux projets furent portés aux Chambres; mais, à l'une comme à -l'autre de ces époques, beaucoup de personnes voulurent voir dans la -démarche ministérielle plutôt un acte conservatoire pour empêcher la -prescription de la promesse de la Constitution que la pensée bien -sérieuse de fixer immédiatement et définitivement la législation. On ne -fit rien pour démentir ces suppositions, car ni l'un ni l'autre de ces -projets n'arriva à la sanction royale, et il allèrent reposer dans les -archives des Chambres. L'hésitation à résoudre une question difficile, à -prononcer entre des prétentions aminées était explicable; mais ce qui -devait être d'une évidence non moins grande, c'est qu'il ne pouvait être -sans de nombreux inconvénients de prolonger la situation dans laquelle +principe de la liberté de l'enseignement, et promit la présentation d'un +projet de loi pour réglementer l'exercice de cette liberté En 1836, en +1841, deux projets furent portés aux Chambres; mais, à l'une comme à +l'autre de ces époques, beaucoup de personnes voulurent voir dans la +démarche ministérielle plutôt un acte conservatoire pour empêcher la +prescription de la promesse de la Constitution que la pensée bien +sérieuse de fixer immédiatement et définitivement la législation. On ne +fit rien pour démentir ces suppositions, car ni l'un ni l'autre de ces +projets n'arriva à la sanction royale, et il allèrent reposer dans les +archives des Chambres. L'hésitation à résoudre une question difficile, à +prononcer entre des prétentions aminées était explicable; mais ce qui +devait être d'une évidence non moins grande, c'est qu'il ne pouvait être +sans de nombreux inconvénients de prolonger la situation dans laquelle on se trouvait: car les lois dont la Charte de 1830 avait promis la -révision d'après un principe qui n'était pas celui qui avait inspiré -leur rédaction, ces lois avaient inévitablement, par cette promesse -même, perdu de leur empire; les parties intéressées mettaient de -l'empressement à s'y soustraire comme à une législation caduque, et -l'administration incitait peut-être trop de faiblesse à faire exécuter -leurs plus importantes prescriptions; car, enfin, bien que condamnées à -une refonte, à ses yeux, elles devaient former encore le code de -l'enseignement jusqu'à la promulgation d'un code nouveau. En -législation, un interrègne c'est l'anarchie.</p> - -<p>De cette situation prolongée il est résulté que, tandis que l'Université -se bornait à élever quelques collèges communaux au titre de collège -royal, il s'est formé à côté d'elle une sorte d'Université -ecclésiastique, jouissant du privilège de ne pas payer le droit -universitaire, auquel les élèves des collèges, internes et externes, -sont tous tenus, et multipliant ses établissements grâce à cet avantage -et à son activité. Il n'y a aujourd'hui, en France, que 46 collèges -royaux et 312 collèges communaux, tandis que l'on compte 1,137 -établissements particuliers et séminaires indépendants de l'Université. -Les établissements de l'Université ne sont fréquentés que par 45,581 -élèves, sur lesquels 25,000 sont externes, et soumis pour l'éducation -morale à toute l'influence de la famille. Les établissements -particuliers, au contraire, comptent 63,000 élèves.</p> - -<p>On comprend que si la liberté de l'enseignement eût été réglementée en -1830, aussitôt que le principe fut proclamé, l'enseignement -ecclésiastique, qui était à cette époque renfermé dans les limites -tracées par les ordonnances de 1828, se fût montré de facile composition -pour un état de choses qui serait venu rendre plus favorable sa -situation. Mais quatorze années se sont passées depuis lors, quatorze -aimées durant lesquelles la liberté promise par la Charte a été à peu -près accordée dans le fait à cette nature d'établissements, et accordée -par l'État, gardant pour les siens toute la charge dont il exemptait ses -rivaux; le point de départ n'est plus le même, et les exigences ont -changé comme lui.</p> - -<p>Les prétentions aujourd'hui sont celles-ci:</p> - -<p>Une partie du clergé, en demandant pour les établissements qu'il a -fondés, et pour ceux qu'il serait maître de fonder encore, une complète -liberté, semble vouloir se réserver une sorte de censure sur les -établissements universitaires, en en retirant ou en y laissant à son gré -les aumôniers.</p> - -<p>Une autre partie se borne à réclamer la liberté, mais la liberté -entière, c'est-à-dire le droit d'élever non-seulement les jeunes gens -qui se destinent au culte, mais tous ceux qu'elle amènerait les parents -à lui confier, et sans que ces jeunes gens, pour être reçus bacheliers -ès-lettres, fussent tenus, comme le prescrivent les ordonnances de 1828, -de se soumettre aux études et aux examens selon les règlements de -l'Université.</p> - -<p>L'opinion la plus générale demande au gouvernement de fixer les +révision d'après un principe qui n'était pas celui qui avait inspiré +leur rédaction, ces lois avaient inévitablement, par cette promesse +même, perdu de leur empire; les parties intéressées mettaient de +l'empressement à s'y soustraire comme à une législation caduque, et +l'administration incitait peut-être trop de faiblesse à faire exécuter +leurs plus importantes prescriptions; car, enfin, bien que condamnées à +une refonte, à ses yeux, elles devaient former encore le code de +l'enseignement jusqu'à la promulgation d'un code nouveau. En +législation, un interrègne c'est l'anarchie.</p> + +<p>De cette situation prolongée il est résulté que, tandis que l'Université +se bornait à élever quelques collèges communaux au titre de collège +royal, il s'est formé à côté d'elle une sorte d'Université +ecclésiastique, jouissant du privilège de ne pas payer le droit +universitaire, auquel les élèves des collèges, internes et externes, +sont tous tenus, et multipliant ses établissements grâce à cet avantage +et à son activité. Il n'y a aujourd'hui, en France, que 46 collèges +royaux et 312 collèges communaux, tandis que l'on compte 1,137 +établissements particuliers et séminaires indépendants de l'Université. +Les établissements de l'Université ne sont fréquentés que par 45,581 +élèves, sur lesquels 25,000 sont externes, et soumis pour l'éducation +morale à toute l'influence de la famille. Les établissements +particuliers, au contraire, comptent 63,000 élèves.</p> + +<p>On comprend que si la liberté de l'enseignement eût été réglementée en +1830, aussitôt que le principe fut proclamé, l'enseignement +ecclésiastique, qui était à cette époque renfermé dans les limites +tracées par les ordonnances de 1828, se fût montré de facile composition +pour un état de choses qui serait venu rendre plus favorable sa +situation. Mais quatorze années se sont passées depuis lors, quatorze +aimées durant lesquelles la liberté promise par la Charte a été à peu +près accordée dans le fait à cette nature d'établissements, et accordée +par l'État, gardant pour les siens toute la charge dont il exemptait ses +rivaux; le point de départ n'est plus le même, et les exigences ont +changé comme lui.</p> + +<p>Les prétentions aujourd'hui sont celles-ci:</p> + +<p>Une partie du clergé, en demandant pour les établissements qu'il a +fondés, et pour ceux qu'il serait maître de fonder encore, une complète +liberté, semble vouloir se réserver une sorte de censure sur les +établissements universitaires, en en retirant ou en y laissant à son gré +les aumôniers.</p> + +<p>Une autre partie se borne à réclamer la liberté, mais la liberté +entière, c'est-à -dire le droit d'élever non-seulement les jeunes gens +qui se destinent au culte, mais tous ceux qu'elle amènerait les parents +à lui confier, et sans que ces jeunes gens, pour être reçus bacheliers +ès-lettres, fussent tenus, comme le prescrivent les ordonnances de 1828, +de se soumettre aux études et aux examens selon les règlements de +l'Université.</p> + +<p>L'opinion la plus générale demande au gouvernement de fixer les conditions auxquelles toute personne les remplissant pourra ouvrir un -établissement d'éducation, mais de traiter chacun également, de -n'accorder de privilège particulier et d'exemption de faveur à personne. -De ce côté on est tout disposé à reconnaître l'action supérieure et la -surveillance constante de l'État; on ne prétend point qu'elle ne doive -s'exercer sur les maisons d'éducation que comme celle de la police -s'exerce sur les lieux publics; on reconnaît qu'il est du droit, du -devoir du gouvernement d'exiger des garanties particulières des -établissements où se forment de jeunes citoyens, les intérêts de l'État -et ceux des pères de famille ne sauraient, aux yeux des hommes éclairés -et de bonne foi, être des intérêts opposés. On ne demande pas qu'on -soumette les écoles ecclésiastiques à la rétribution universitaire, mais -qu'on exempte toutes les institutions de cet impôt fort malentendu, fort +établissement d'éducation, mais de traiter chacun également, de +n'accorder de privilège particulier et d'exemption de faveur à personne. +De ce côté on est tout disposé à reconnaître l'action supérieure et la +surveillance constante de l'État; on ne prétend point qu'elle ne doive +s'exercer sur les maisons d'éducation que comme celle de la police +s'exerce sur les lieux publics; on reconnaît qu'il est du droit, du +devoir du gouvernement d'exiger des garanties particulières des +établissements où se forment de jeunes citoyens, les intérêts de l'État +et ceux des pères de famille ne sauraient, aux yeux des hommes éclairés +et de bonne foi, être des intérêts opposés. On ne demande pas qu'on +soumette les écoles ecclésiastiques à la rétribution universitaire, mais +qu'on exempte toutes les institutions de cet impôt fort malentendu, fort lourd, et arbitrairement assis. On ne demande pas que les grades ne -soient pas délivrés par l'État, et qu'il ne soit pas appelé à juger, par -l'intervention de ses fonctionnaires, de la capacité de ceux qui se -présentent pour les obtenir, mais que ce soit lui, désintéressé dans la +soient pas délivrés par l'État, et qu'il ne soit pas appelé à juger, par +l'intervention de ses fonctionnaires, de la capacité de ceux qui se +présentent pour les obtenir, mais que ce soit lui, désintéressé dans la question d'amour-propre, et non des hommes que leur situation de -rivalité rend juges et parties, qui reconnaisse et proclame la capacité; -en un mot, que le grand-maître de l'Université et le ministre de +rivalité rend juges et parties, qui reconnaisse et proclame la capacité; +en un mot, que le grand-maître de l'Université et le ministre de l'instruction publique soient deux fonctionnaires distincts, l'un -dirigeant, sous les ordres de ce dernier, les établissements dont l'État -aura pris le patronage spécial, et où il placera ses boursiers; l'autre -surveillant et gouvernant tous les établissements, qu'ils dépendent de -l'Université ou qu'ils soient dirigés par les hommes qui les auront -ouverts à leur compte, après avoir rempli les formalités voulues et -satisfait aux conditions imposées.</p> - -<p>Voilà les exigences, les prétentions et les demandes en présence -desquelles se trouve M. Villemain. Comment y a-t-il répondu, et quelle +dirigeant, sous les ordres de ce dernier, les établissements dont l'État +aura pris le patronage spécial, et où il placera ses boursiers; l'autre +surveillant et gouvernant tous les établissements, qu'ils dépendent de +l'Université ou qu'ils soient dirigés par les hommes qui les auront +ouverts à leur compte, après avoir rempli les formalités voulues et +satisfait aux conditions imposées.</p> + +<p>Voilà les exigences, les prétentions et les demandes en présence +desquelles se trouve M. Villemain. Comment y a-t-il répondu, et quelle transaction a-t-il su trouver? C'est ce qui demandera de notre part ou -de celle de l'historien de la Semaine un examen à part, et quelques -développements nouveaux, quand le projet présenté arrivera à la -discussion définitive, car nous ne sommes pas de ceux qui pensent que ce -projet n'a été porté d'abord à Chambre des Pairs que pour qu'il ne -revint pas, en temps utile, à la Chambre de Députés, et pour qu'une -solution, difficile sans doute, se trouvât encore une fois différé. -Mais, aujourd'hui, nous ne nous sommes proposé que d'exposer la -question. Une autre fois nous examinerons de quelle façon on entreprend +de celle de l'historien de la Semaine un examen à part, et quelques +développements nouveaux, quand le projet présenté arrivera à la +discussion définitive, car nous ne sommes pas de ceux qui pensent que ce +projet n'a été porté d'abord à Chambre des Pairs que pour qu'il ne +revint pas, en temps utile, à la Chambre de Députés, et pour qu'une +solution, difficile sans doute, se trouvât encore une fois différé. +Mais, aujourd'hui, nous ne nous sommes proposé que d'exposer la +question. Une autre fois nous examinerons de quelle façon on entreprend de la trancher.</p> <br><br> -<h2>Le Vésuve.</h2> +<h2>Le Vésuve.</h2> -<p>Nous empruntons à un ouvrage qui paraîtra prochainement quelques détails -curieux sur le Vésuve. Quoique le sujet ait fourni la matière de -beaucoup de volumes, chaque nouveau récit présente encore de l'intérêt, +<p>Nous empruntons à un ouvrage qui paraîtra prochainement quelques détails +curieux sur le Vésuve. Quoique le sujet ait fourni la matière de +beaucoup de volumes, chaque nouveau récit présente encore de l'intérêt, surtout quand il contient, comme les extraits suivants, les impressions -et les expériences de deux savants tels que les docteurs Magendie et +et les expériences de deux savants tels que les docteurs Magendie et Constantin James, auxquels nous devons cette communication.</p> -<p>«Depuis le bas de la montagne jusqu'à l'Ermitage, les substances qui -proviennent de la décomposition des cendres vomies par le cratère -recouvrent la lave d'un terreau extrêmement fertile. C'est là qu'on -récolte le fameux vin de Lacryma-Christi. Triste fécondité cependant que -celle qui est achetée au prix d'incessantes alarmes!</p> - -<p>«Il était une heure quand j'arrivai à l'Ermitage. Je m'attendais à -rencontrer là quelqu'un de ces vénérables religieux qui inspirent à la -fois l'admiration et le respect. Je fus bien désappointé. L'ermite du -Vésuve est tout bonnement un cabaretier qui a pris à ferme l'Ermitage, -et vend fort cher de très-mauvais vin. Il n'a d'un ermite que la robe de +<p>«Depuis le bas de la montagne jusqu'à l'Ermitage, les substances qui +proviennent de la décomposition des cendres vomies par le cratère +recouvrent la lave d'un terreau extrêmement fertile. C'est là qu'on +récolte le fameux vin de Lacryma-Christi. Triste fécondité cependant que +celle qui est achetée au prix d'incessantes alarmes!</p> + +<p>«Il était une heure quand j'arrivai à l'Ermitage. Je m'attendais à +rencontrer là quelqu'un de ces vénérables religieux qui inspirent à la +fois l'admiration et le respect. Je fus bien désappointé. L'ermite du +Vésuve est tout bonnement un cabaretier qui a pris à ferme l'Ermitage, +et vend fort cher de très-mauvais vin. Il n'a d'un ermite que la robe de bure, le capuchon et un gros trousseau de clefs, auxquelles il manque -des serrures à ouvrir.</p> - -<p>«A partir de l'Ermitage, le chemin cesse bientôt d'être praticable pour -nos montures. Nous nous trouvons au milieu d'une nature aride, désolée, -morte, sans trace aucune de végétation. Le sol, bouleversé affreusement, -est partout hérissé de masses volcaniques d'un gris plombé, miroitantes, -jetées pêle-mêle les unes à côté des autres, et unies entre elles par un -ciment de lave. Il nous faut marcher sur les aspérités des roches, et +des serrures à ouvrir.</p> + +<p>«A partir de l'Ermitage, le chemin cesse bientôt d'être praticable pour +nos montures. Nous nous trouvons au milieu d'une nature aride, désolée, +morte, sans trace aucune de végétation. Le sol, bouleversé affreusement, +est partout hérissé de masses volcaniques d'un gris plombé, miroitantes, +jetées pêle-mêle les unes à côté des autres, et unies entre elles par un +ciment de lave. Il nous faut marcher sur les aspérités des roches, et souvent sauter par-dessus de larges crevasses. A notre gauche est le -cratère à demi écroulé de l'ancien volcan, aujourd'hui éteint et appelé -<i>Monte di summa</i>, le même qui a enseveli Pompéi, Herculanum et Stabia -(1). Sur la droite, l'épaisse coulée de lave de la dernière éruption, -celle de 1839. En face de nous, le cône de cendre qui nous reste à +cratère à demi écroulé de l'ancien volcan, aujourd'hui éteint et appelé +<i>Monte di summa</i>, le même qui a enseveli Pompéi, Herculanum et Stabia +(1). Sur la droite, l'épaisse coulée de lave de la dernière éruption, +celle de 1839. En face de nous, le cône de cendre qui nous reste à gravir.</p> -<blockquote>Note 1: L'an 79 de notre ère. Parti du cap Visene pour aller étudier de -plus près le phénomène de l'éruption, Pline fut étouffé à Herculanum +<blockquote>Note 1: L'an 79 de notre ère. Parti du cap Visene pour aller étudier de +plus près le phénomène de l'éruption, Pline fut étouffé à Herculanum sous les cendres vomies par le volcan. Voir l'admirable lettre de Pline -le jeune à Tacite, dans laquelle il raconte la mort de son oncle, et les -détails de la catastrophe.</blockquote> +le jeune à Tacite, dans laquelle il raconte la mort de son oncle, et les +détails de la catastrophe.</blockquote> -<p>«Mon thermomètre indique 19 degrés. On aperçoit de distance en distance -des fumaroles, et on commence à entendre les détonations du volcan.</p> +<p>«Mon thermomètre indique 19 degrés. On aperçoit de distance en distance +des fumaroles, et on commence à entendre les détonations du volcan.</p> -<p>«Notre marche devient de plus en plus pénible. La cendre superposée par +<p>«Notre marche devient de plus en plus pénible. La cendre superposée par couches molles et fines constitue un plancher mouvant qui s'affaisse -sous les pas, et dans lequel on peut craindre à chaque instant de rester -embourbé. Nous enfoncions quelquefois jusqu'au-dessus du genou. A mesure -qu'on s'approche de la cime du cône, cette cendre s'échauffe et fume. -J'ai vu le thermomètre, que j'y plongeais, s'élever jusqu'à 55 degrés.</p> +sous les pas, et dans lequel on peut craindre à chaque instant de rester +embourbé. Nous enfoncions quelquefois jusqu'au-dessus du genou. A mesure +qu'on s'approche de la cime du cône, cette cendre s'échauffe et fume. +J'ai vu le thermomètre, que j'y plongeais, s'élever jusqu'à 55 degrés.</p> -<p>«Enfin, nous voici au sommet du volcan, dont la hauteur totale est de -1,207 mètres. Il est trois heures. Mon œil plonge dans le cratère. Quel +<p>«Enfin, nous voici au sommet du volcan, dont la hauteur totale est de +1,207 mètres. Il est trois heures. Mon œil plonge dans le cratère. Quel imposant spectacle!</p> -<p>«Représentez-vous un large gouffre, profond de plus de cent pieds, -irrégulièrement circulaire, d'où s'échappe un nuage de fumée suffocante -et roussâtre. Enveloppé de ténèbres, il s'illumine par intervalle de -jets de lumière, accompagnés d'explosions, qui sont immédiatement +<p>«Représentez-vous un large gouffre, profond de plus de cent pieds, +irrégulièrement circulaire, d'où s'échappe un nuage de fumée suffocante +et roussâtre. Enveloppé de ténèbres, il s'illumine par intervalle de +jets de lumière, accompagnés d'explosions, qui sont immédiatement suivies d'une chute de pierres sur des surfaces retentissantes. On -dirait souvent d'un bouquet d'artifices. Ainsi, au fond de l'abîme, -l'éclair a brillé; une fusée s'élance, s'irradie à une certaine hauteur, -retombe verticalement, et ruisselle en filons étincelants sur les +dirait souvent d'un bouquet d'artifices. Ainsi, au fond de l'abîme, +l'éclair a brillé; une fusée s'élance, s'irradie à une certaine hauteur, +retombe verticalement, et ruisselle en filons étincelants sur les facettes sonores d'une pyramide. La base de cette pyramide repose au -milieu d'une nappe de feu semée de fissures en zigzag, qui reflètent -inégalement la lueur de l'incendie. Cependant le sol que nous foulons -est brûlant. Dans certains endroits, la chaleur est si forte qu'elle -pénétré la chaussure, l'attaque, et oblige de changer de place -fréquemment.</p> +milieu d'une nappe de feu semée de fissures en zigzag, qui reflètent +inégalement la lueur de l'incendie. Cependant le sol que nous foulons +est brûlant. Dans certains endroits, la chaleur est si forte qu'elle +pénétré la chaussure, l'attaque, et oblige de changer de place +fréquemment.</p> -<p>«Ce gouffre, ces vapeurs, l'horreur des ténèbres, ces conflagrations +<p>«Ce gouffre, ces vapeurs, l'horreur des ténèbres, ces conflagrations constituent un panorama dont aucune expression ne pourrait traduire la -terrible harmonie. Aussi le premier sentiment que j'éprouvai fut-il un -sentiment de stupeur mêlée de crainte. J'osais à peine circuler autour -du cratère; je sentais la poussière crépiter sous mes pas, et il me -fallait prendre garde aux inégalités du terrain.</p> +terrible harmonie. Aussi le premier sentiment que j'éprouvai fut-il un +sentiment de stupeur mêlée de crainte. J'osais à peine circuler autour +du cratère; je sentais la poussière crépiter sous mes pas, et il me +fallait prendre garde aux inégalités du terrain.</p> -<p>«Le jour paraît. Il éclaire peu à peu l'intérieur du volcan; les objets -se dessinent; les scènes de la nuit s'expliquent et diminuent le +<p>«Le jour paraît. Il éclaire peu à peu l'intérieur du volcan; les objets +se dessinent; les scènes de la nuit s'expliquent et diminuent le prestige. -<p>«Le cratère a la forme d'un immense entonnoir, dont l'orifice évasé -couronne la crête de la montagne, et se continue insensiblement avec les -parois de l'infundibulum. Des parois aboutissent à un étroite enceinte, +<p>«Le cratère a la forme d'un immense entonnoir, dont l'orifice évasé +couronne la crête de la montagne, et se continue insensiblement avec les +parois de l'infundibulum. Des parois aboutissent à un étroite enceinte, qu'elles circonscrivent.</p> -<p>Au centre est la bouche du cratère. Celle-ci n'occupe pas la partie la -plus déclive de l'excavation, mais au contraire le sommet tronqué d'un -cône qui se dresse comme une île au milieu de la lave, et dont la -formation est facile à comprendre.</p> +<p>Au centre est la bouche du cratère. Celle-ci n'occupe pas la partie la +plus déclive de l'excavation, mais au contraire le sommet tronqué d'un +cône qui se dresse comme une île au milieu de la lave, et dont la +formation est facile à comprendre.</p> -<p>«Supposons une surface plane percée d'un trou. Des pierres sortent de ce +<p>«Supposons une surface plane percée d'un trou. Des pierres sortent de ce trou par jets alternatifs et retombent les unes dans le trou, les autres -autour. Ces dernières, s'entassant graduellement, finissent par figurer -un cône ou pyramide, dont le conduit central se continue avec le trou -d'émission. Vous diriez presque d'un tuyau de cheminée. Telle est, sur -une plus grande échelle, la manière dont se forme et s'accroît la +autour. Ces dernières, s'entassant graduellement, finissent par figurer +un cône ou pyramide, dont le conduit central se continue avec le trou +d'émission. Vous diriez presque d'un tuyau de cheminée. Telle est, sur +une plus grande échelle, la manière dont se forme et s'accroît la pyramide du volcan.</p> -<p>«En effet, le sommet de cette pyramide vomit des matières -incandescentes. Des matières retombent les unes perpendiculairement dans -la bombe du cratère, les autres sur son pourtour, d'autres enfin roulent -jusqu'à la base ou bondissent, en se brisant sur les arêtes de la +<p>«En effet, le sommet de cette pyramide vomit des matières +incandescentes. Des matières retombent les unes perpendiculairement dans +la bombe du cratère, les autres sur son pourtour, d'autres enfin roulent +jusqu'à la base ou bondissent, en se brisant sur les arêtes de la pyramide. A mesure qu'elles se refroidissent, elles passent par diverses -nuances de coloration, dont on n'apprécie bien la teinte que pendant la +nuances de coloration, dont on n'apprécie bien la teinte que pendant la nuit.</p> -<p>«Ces éruptions se succèdent toutes les huit ou dix secondes. Elles sont -précédées d'un murmure profond, et la bouche du volcan paraît embrassée. -Puis on entend une explosion pareille à un coup de pistolet, à un coup -de canon ou même au roulement de la foudre. C'est la lave qui jaillit. -La hauteur du jet dépasse rarement trente ou quarante pieds. Court -moment de silence; puis un pétillement sec, à grains nombreux et gros, +<p>«Ces éruptions se succèdent toutes les huit ou dix secondes. Elles sont +précédées d'un murmure profond, et la bouche du volcan paraît embrassée. +Puis on entend une explosion pareille à un coup de pistolet, à un coup +de canon ou même au roulement de la foudre. C'est la lave qui jaillit. +La hauteur du jet dépasse rarement trente ou quarante pieds. Court +moment de silence; puis un pétillement sec, à grains nombreux et gros, indique que la lave retombe en pluie sur la pyramide.</p> -<p>«La quantité et le volume des matières lancées ainsi par chaque éruption -sont très-variables. Tantôt il n'y a que quelques scories de la grosseur +<p>«La quantité et le volume des matières lancées ainsi par chaque éruption +sont très-variables. Tantôt il n'y a que quelques scories de la grosseur du poing; d'autres fois, des fragments de roches fondues en nombre -considérable.</p> +considérable.</p> -<p>«Je ne suis encore qu'à la moitié de mes explorations. Il s'agit -maintenant de descendre dans le cratère.</p> +<p>«Je ne suis encore qu'à la moitié de mes explorations. Il s'agit +maintenant de descendre dans le cratère.</p> -<p>«Il n'y a pas de chemin tracé. Les parois du cratère me rappelaient -assez ces grandes falaises qui bordent le rivage de certaines côtes, -excepte qu'au lieu d'être taillées à pic, elles représentent un plan -incliné dont la surface est inégalement onduleuse. La pente est trop +<p>«Il n'y a pas de chemin tracé. Les parois du cratère me rappelaient +assez ces grandes falaises qui bordent le rivage de certaines côtes, +excepte qu'au lieu d'être taillées à pic, elles représentent un plan +incliné dont la surface est inégalement onduleuse. La pente est trop rapide pour qu'on puisse, suivre une ligne directe. Je marchais donc en -biaisant, tantôt à droite, tantôt à gauche, revenant souvent sur mes -pas, en un mot obéissant à tous les caprices du terrain. Le guide allait -devant moi, sondant avec son bâton les endroits suspects. On ne peut pas -se traîner sur les genoux, ni se cramponner avec les mains, car le sol -n'est formé que de cendres et de roches brûlantes. Des roches sont de -nature sulfureuse. Elles offrent, suivant leur degré plus ou moins -avancé de combustion, toutes les nuances possibles de couleur, depuis le -jaune safrané jusqu'au jaune paille.</p> - -<p>«On rencontre à chaque pas des fumaroles. Ce sont autant de bouches de -vapeur dont les émanations, semblables à celles du soufre qui brûle, -provoquent la toux et oppressent. La température de ces fumaroles est -d'environ 60 degrés. Quand on plonge le thermomètre dans les points d'où -la fumée s'échappe, le mercure monte rapidement jusqu'à 90 et 95 degrés. -Il faut retirer l'instrument, de peur que le tube n'éclate.</p> - -<p>«J'arrive ainsi non sans peine, jusqu'au fond du cratère. Il est six -heures. Nous avions mis près de quarante minutes à descendre.</p> - -<p>«Pour bien comprendre l'endroit où je pose actuellement le pied, qu'on -se figure un cirque, et au milieu de l'arène une pyramide. Il règne un +biaisant, tantôt à droite, tantôt à gauche, revenant souvent sur mes +pas, en un mot obéissant à tous les caprices du terrain. Le guide allait +devant moi, sondant avec son bâton les endroits suspects. On ne peut pas +se traîner sur les genoux, ni se cramponner avec les mains, car le sol +n'est formé que de cendres et de roches brûlantes. Des roches sont de +nature sulfureuse. Elles offrent, suivant leur degré plus ou moins +avancé de combustion, toutes les nuances possibles de couleur, depuis le +jaune safrané jusqu'au jaune paille.</p> + +<p>«On rencontre à chaque pas des fumaroles. Ce sont autant de bouches de +vapeur dont les émanations, semblables à celles du soufre qui brûle, +provoquent la toux et oppressent. La température de ces fumaroles est +d'environ 60 degrés. Quand on plonge le thermomètre dans les points d'où +la fumée s'échappe, le mercure monte rapidement jusqu'à 90 et 95 degrés. +Il faut retirer l'instrument, de peur que le tube n'éclate.</p> + +<p>«J'arrive ainsi non sans peine, jusqu'au fond du cratère. Il est six +heures. Nous avions mis près de quarante minutes à descendre.</p> + +<p>«Pour bien comprendre l'endroit où je pose actuellement le pied, qu'on +se figure un cirque, et au milieu de l'arène une pyramide. Il règne un espace libre entre la base de la pyramide et les premiers gradins du -cirque. Or, c'est dans cet espace que me voici parvenu. La cheminée, du -cratère représente la pyramide de l'arène, et le pourtour des parois les +cirque. Or, c'est dans cet espace que me voici parvenu. La cheminée, du +cratère représente la pyramide de l'arène, et le pourtour des parois les gradins du cirque.</p> -<p>«La largeur de cet espace est d'environ trois mètres. Son plancher, -qu'on me pardonne l'expression, est uni et légèrement granuleux comme +<p>«La largeur de cet espace est d'environ trois mètres. Son plancher, +qu'on me pardonne l'expression, est uni et légèrement granuleux comme l'asphalte d'un trottoir. Et, en effet, ce n'est autre chose qu'une -couche de lave refroidie. Cette lave a la solidité de la dalle. -Frappez-la avec le talon de la chaussure ou l'extrémité ferrée d'un -bâton, vous ne réussirez pas à l'entamer.</p> - -<p>«Peut-on circuler autour de la cheminée du cratère? Oui, mais seulement -dans un tiers de sa circonférence, car dans les deux autres tiers la -lave est en pleine ébullition.</p> - -<p>«Maintenant que nous nous sommes occupés de ce qui est à nos pieds, -levons les yeux vers la pyramide du cratère (2).</p> - -<blockquote>Note 2: Il y a quelques années un Français gravit cette pyramide, et se -précipita volontairement dans la bouche du cratère. Il fut rejeté -quelques instants après entièrement calciné.</blockquote> - -<p>«Cette pyramide ressemble à un énorme tas de coke, seulement sa couleur -est d'un gris plus foncé. Ce n'est pourtant pas tout à fait celle du -charbon de terre, ni surtout son reflet luisant. Les détritus -volcaniques qui la composent sont entassés grossièrement les uns -au-dessus des autres, de manière à laisser des creux où l'air pénètre. -C'est à cette disposition que la pyramide doit sa sonorité, alors que -les matières lancées par le cratère pleuvait à sa surface.</p> - -<p>«Des matières arrivaient quelquefois en roulant jusqu'à nous. On les -évite aisément; car, arrêtées en chemin à tout instant par leur -viscosité, elles laissent derrière elles une traînée de feu qui en -diminue et ralentis la masse. Jamais elles ne sont venues d'emblée de -notre côté. Pour franchir d'un seul bond la pyramide, il eût fallu -qu'elles décrivissent dans l'air une parabole, que leur projection +couche de lave refroidie. Cette lave a la solidité de la dalle. +Frappez-la avec le talon de la chaussure ou l'extrémité ferrée d'un +bâton, vous ne réussirez pas à l'entamer.</p> + +<p>«Peut-on circuler autour de la cheminée du cratère? Oui, mais seulement +dans un tiers de sa circonférence, car dans les deux autres tiers la +lave est en pleine ébullition.</p> + +<p>«Maintenant que nous nous sommes occupés de ce qui est à nos pieds, +levons les yeux vers la pyramide du cratère (2).</p> + +<blockquote>Note 2: Il y a quelques années un Français gravit cette pyramide, et se +précipita volontairement dans la bouche du cratère. Il fut rejeté +quelques instants après entièrement calciné.</blockquote> + +<p>«Cette pyramide ressemble à un énorme tas de coke, seulement sa couleur +est d'un gris plus foncé. Ce n'est pourtant pas tout à fait celle du +charbon de terre, ni surtout son reflet luisant. Les détritus +volcaniques qui la composent sont entassés grossièrement les uns +au-dessus des autres, de manière à laisser des creux où l'air pénètre. +C'est à cette disposition que la pyramide doit sa sonorité, alors que +les matières lancées par le cratère pleuvait à sa surface.</p> + +<p>«Des matières arrivaient quelquefois en roulant jusqu'à nous. On les +évite aisément; car, arrêtées en chemin à tout instant par leur +viscosité, elles laissent derrière elles une traînée de feu qui en +diminue et ralentis la masse. Jamais elles ne sont venues d'emblée de +notre côté. Pour franchir d'un seul bond la pyramide, il eût fallu +qu'elles décrivissent dans l'air une parabole, que leur projection verticale rendait impossible.</p> -<p>«La lave lancée par le volcan est plus liquide et a une température plus -élevée que celle qui baigne la base de la pyramide. En voici la preuve.</p> +<p>«La lave lancée par le volcan est plus liquide et a une température plus +élevée que celle qui baigne la base de la pyramide. En voici la preuve.</p> -<p>«Je m'étais amusé à détacher du fond des crevasses des fragments de lave -liquéfiée dans lesquels j'enfonçais avec mon bâton de petites pièces en -argent. Je rapprochais ensuite l'orifice du trajet, de manière à n'y -laisser qu'un simple pertuis. La lave, en se refroidissant, acquérait -bientôt la dureté de la pierre. Quant à la pièce, elle restait -emprisonnée sans pouvoir ressortir, puisque son diamètre se trouvait -devenu plus large que celui du trou qui lui avait livré passage.</p> +<p>«Je m'étais amusé à détacher du fond des crevasses des fragments de lave +liquéfiée dans lesquels j'enfonçais avec mon bâton de petites pièces en +argent. Je rapprochais ensuite l'orifice du trajet, de manière à n'y +laisser qu'un simple pertuis. La lave, en se refroidissant, acquérait +bientôt la dureté de la pierre. Quant à la pièce, elle restait +emprisonnée sans pouvoir ressortir, puisque son diamètre se trouvait +devenu plus large que celui du trou qui lui avait livré passage.</p> -<p class="lef"><img alt="" src="images/002a.png"><br> <b>Maison de l'Ermitage du Vésuve.</b></p> +<p class="lef"><img alt="" src="images/002a.png"><br> <b>Maison de l'Ermitage du Vésuve.</b></p> -<p>«Je veux répéter la même expérience sur un morceau de lave que venait de -lancer le cratère. La pièce y pénètre par son propre poids, mais à -l'instant même elle fond, brûle et disparaît. Il me fallut, pour -prévenir la fusion du métal, laisser s'écouler près d'une demi-minute -avant d'introduire d'autres pièces dans la lave.</p> +<p>«Je veux répéter la même expérience sur un morceau de lave que venait de +lancer le cratère. La pièce y pénètre par son propre poids, mais à +l'instant même elle fond, brûle et disparaît. Il me fallut, pour +prévenir la fusion du métal, laisser s'écouler près d'une demi-minute +avant d'introduire d'autres pièces dans la lave.</p> -<p>«Ces deux laves, quand elles sont refroidies, ont la même teinte, la -même consistance, le même poids. J'en ai rapporté plusieurs -échantillons, que j'ai fait examiner par des personnes très-compétentes. -On leur a trouvé une composition parfaitement identique. Elles sont en -très-grande partie formées par du granit fondu, ce qui explique pourquoi -leur pesanteur est si considérable.</p> +<p>«Ces deux laves, quand elles sont refroidies, ont la même teinte, la +même consistance, le même poids. J'en ai rapporté plusieurs +échantillons, que j'ai fait examiner par des personnes très-compétentes. +On leur a trouvé une composition parfaitement identique. Elles sont en +très-grande partie formées par du granit fondu, ce qui explique pourquoi +leur pesanteur est si considérable.</p> -<p class="rig"><img alt="" src="images/002b.png"><br> <b>Coupe du Cratère du Vésuve.</b></p> +<p class="rig"><img alt="" src="images/002b.png"><br> <b>Coupe du Cratère du Vésuve.</b></p> -<p>«Chaque éruption du volcan faisait vibrer notre plancher, de lave. Au -moment des plus fortes détonations, je sentais des oscillations -véritables. Ces phénomènes étaient produits par l'ébranlement de l'air -et la conductivité du sol.</p> +<p>«Chaque éruption du volcan faisait vibrer notre plancher, de lave. Au +moment des plus fortes détonations, je sentais des oscillations +véritables. Ces phénomènes étaient produits par l'ébranlement de l'air +et la conductivité du sol.</p> -<p>«Il me sembla aussi plusieurs fois, même en l'absence de l'éruption, +<p>«Il me sembla aussi plusieurs fois, même en l'absence de l'éruption, entendre une suite de mugissement souterrain. Ayant recouvert de mon mouchoir un endroit refroidi de la lave, j'y appliquai l'oreille. -D'abord, il me fut impossible de rien distinguer. J'étais comme assourdi -par le frétillement des couches voisines en ébullition. Mais bientôt, +D'abord, il me fut impossible de rien distinguer. J'étais comme assourdi +par le frétillement des couches voisines en ébullition. Mais bientôt, concentrant toute mon attention, j'entendis par intervalle, dans la profondeur du volcan, une sorte de clapotement humide, de gargouillement -tumultueux, qui indiquait des déplacements de gaz et de matières -liquides.»</p> +tumultueux, qui indiquait des déplacements de gaz et de matières +liquides.»</p> <br><br> -<h2>Algérie.--Escadron de Dromadaires.</h2> +<h2>Algérie.--Escadron de Dromadaires.</h2> -<p>L'excessive mobilité des tribus arabes et la rapidité avec laquelle -leurs cavaliers franchissent de grandes distances ont été jusqu'ici de -sérieux obstacles à l'affermissement de notre domination en Algérie. +<p>L'excessive mobilité des tribus arabes et la rapidité avec laquelle +leurs cavaliers franchissent de grandes distances ont été jusqu'ici de +sérieux obstacles à l'affermissement de notre domination en Algérie. Comment, en effet, triompher d'un ennemi presque insaisissable, et -imposer une obéissance durable à des populations fugitives? Dès 1843, -cependant, on avait eu recours, pour les atteindre, à lui expédient -couronné de succès. Un corps expéditionnaire fut organisé sous les -ordres du colonel Jusuf, et composé de quelques escadrons de spahis avec -environ deux mille fantassins montés sur des mulets. Ce corps se mit à -la poursuite des tribus réfugiées dans le petit Désert, où elles se -croyaient à l'abri de nos coups. Il ne tarda pas à les rejoindre, et les -força à rentrer dans le Tell, pour y rester soumises à l'autorité de la +imposer une obéissance durable à des populations fugitives? Dès 1843, +cependant, on avait eu recours, pour les atteindre, à lui expédient +couronné de succès. Un corps expéditionnaire fut organisé sous les +ordres du colonel Jusuf, et composé de quelques escadrons de spahis avec +environ deux mille fantassins montés sur des mulets. Ce corps se mit à +la poursuite des tribus réfugiées dans le petit Désert, où elles se +croyaient à l'abri de nos coups. Il ne tarda pas à les rejoindre, et les +força à rentrer dans le Tell, pour y rester soumises à l'autorité de la France.</p> -<p>Dans le courant de la même année, un autre essai fut tenté afin de +<p>Dans le courant de la même année, un autre essai fut tenté afin de remplacer les mulets par des dromadaires. Un mulet, en filet, revient en -Afrique à 850 fr.; il coûte 1 fr. 50 c. par jour de nourriture, et ne +Afrique à 850 fr.; il coûte 1 fr. 50 c. par jour de nourriture, et ne peut servir, terme moyen, que dix-huit mois; taudis qu'un dromadaire ne -coûte que 200 fr., vit avec ce qu'il trouve, porte le triple du fardeau +coûte que 200 fr., vit avec ce qu'il trouve, porte le triple du fardeau d'un mulet, peut servir vingt ans, parcourt de grands espaces, sans -éprouver les besoins des autres bêtes de somme, et supporte pendant +éprouver les besoins des autres bêtes de somme, et supporte pendant plusieurs jours les privations de boisson et d'aliments. Sous tous les -rapports, l'usage du dromadaire est donc plus économique et plus +rapports, l'usage du dromadaire est donc plus économique et plus avantageux que celui du mulet.</p> <p class="rig"><img alt="" src="images/002c.png"><br> <b>Bride du Dromadaire.</b></p> -<p>Il existe deux variétés de dromadaires; les uns, très-grands, très-gros, -très-forts à la marche pesante, sont destinés exclusivement au transport -des marchandises; les autres, moins grands, de forme moins épaisse, -sveltes et élancés, sont extrêmement agiles et servent spécialement de -monture. Ils sont, à l'égard des premiers, comme des chevaux de selle -auprès des chevaux de trait. Les dromadaires de la grosse espèce portent -des poids énormes et jusqu'à cinq ou six cents kilogrammes. Comme ils -sont très-hauts, ils sont dressés à s'accroupir pour recevoir les -charges énormes que l'on met sur leur dos. Ce sont ceux que l'on a -appelés avec raison les vaisseaux du désert, et qui le traversent avec -les caravanes où on les compte souvent par centaines. Les seconds ne -portent que les hommes; ils sont également dressés à s'accroupir sur les +<p>Il existe deux variétés de dromadaires; les uns, très-grands, très-gros, +très-forts à la marche pesante, sont destinés exclusivement au transport +des marchandises; les autres, moins grands, de forme moins épaisse, +sveltes et élancés, sont extrêmement agiles et servent spécialement de +monture. Ils sont, à l'égard des premiers, comme des chevaux de selle +auprès des chevaux de trait. Les dromadaires de la grosse espèce portent +des poids énormes et jusqu'à cinq ou six cents kilogrammes. Comme ils +sont très-hauts, ils sont dressés à s'accroupir pour recevoir les +charges énormes que l'on met sur leur dos. Ce sont ceux que l'on a +appelés avec raison les vaisseaux du désert, et qui le traversent avec +les caravanes où on les compte souvent par centaines. Les seconds ne +portent que les hommes; ils sont également dressés à s'accroupir sur les genoux, lorsqu'on veut les monter; le cavalier se place alors sur une -espèce de bât creusé vers le milieu, et garni à chacun des arçons d'un -morceau de bois arrondi, planté verticalement, qu'il saisit fortement +espèce de bât creusé vers le milieu, et garni à chacun des arçons d'un +morceau de bois arrondi, planté verticalement, qu'il saisit fortement avec les mains pour se tenir.</p> <p>Les dromadaires ne sont pas conduits par le mors. Dans les villes, on leur passe aux narines, partie chez eux fort sensible, un anneau auquel -on attache un bridon. Dans le désert, on se contente de les retenir par -un licou, et on les frappe avec un kourbach (fouet) du côté où on veut -les faire avancer. Leur plus grand mérite est d'avoir un trot allongé et -doux. Leur allure pourtant, très-fatigante pour ceux qui n'y sont pas -accoutumés, produit sur le cavalier l'effet du roulis.</p> +on attache un bridon. Dans le désert, on se contente de les retenir par +un licou, et on les frappe avec un kourbach (fouet) du côté où on veut +les faire avancer. Leur plus grand mérite est d'avoir un trot allongé et +doux. Leur allure pourtant, très-fatigante pour ceux qui n'y sont pas +accoutumés, produit sur le cavalier l'effet du roulis.</p> <p class="mid"><img alt="" src="images/002d.png"><br><b>Manœuvres de Dromadaires</b></p> -<p>Déjà, dans la célèbre expédition d'Égypte, les dromadaires furent -enrégimentés avec succès. Les Arabes bédouins inquiétaient les derrières -de l'armée, venaient jusque dans les faubourgs du Caire commettre des -vols et des assassinats, et parvenaient presque toujours, grâce à la -vitesse supérieure de leurs chevaux, à échapper aux poursuites de la -cavalerie française. Le général Bonaparte, voulant mettre un terme à ces -incursions, ordonna, par un arrêté du 9 janvier 1799, la formation d'un -régiment de dromadaires, composé de deux escadrons à quatre compagnies +<p>Déjà , dans la célèbre expédition d'Égypte, les dromadaires furent +enrégimentés avec succès. Les Arabes bédouins inquiétaient les derrières +de l'armée, venaient jusque dans les faubourgs du Caire commettre des +vols et des assassinats, et parvenaient presque toujours, grâce à la +vitesse supérieure de leurs chevaux, à échapper aux poursuites de la +cavalerie française. Le général Bonaparte, voulant mettre un terme à ces +incursions, ordonna, par un arrêté du 9 janvier 1799, la formation d'un +régiment de dromadaires, composé de deux escadrons à quatre compagnies de soixante hommes. Chaque dromadaire portait des vivres et de l'eau -pour cinq ou six jours; il était monté par deux hommes places dos à dos -et armés d'un fusil de dragon avec baïonnette et d'un sabre de hussard. -Les officiers avaient des pistolets, et ils étaient munis de boussoles -pour se diriger dans le désert. L'uniforme, dessiné par Kléber dans le -goût oriental, était très-brillant. Lorsque, dans les engagements qui -avaient lieu autour du Caire, une tribu arabe était parvenue à échapper -à la cavalerie européenne, on dirigeait sur ses traces un détachement du -corps des dromadaires, et il était rare qu'il ne parvint pas à -l'atteindre. Les chameaux fléchissant alors le genou, les cavaliers +pour cinq ou six jours; il était monté par deux hommes places dos à dos +et armés d'un fusil de dragon avec baïonnette et d'un sabre de hussard. +Les officiers avaient des pistolets, et ils étaient munis de boussoles +pour se diriger dans le désert. L'uniforme, dessiné par Kléber dans le +goût oriental, était très-brillant. Lorsque, dans les engagements qui +avaient lieu autour du Caire, une tribu arabe était parvenue à échapper +à la cavalerie européenne, on dirigeait sur ses traces un détachement du +corps des dromadaires, et il était rare qu'il ne parvint pas à +l'atteindre. Les chameaux fléchissant alors le genou, les cavaliers descendaient avec leurs armes, entravaient leurs moulures, les pelotonnaient toutes ensemble, en laissant au milieu un espace vide -pour placer quelques hommes chargés de les défendre; puis le reste, +pour placer quelques hommes chargés de les défendre; puis le reste, manœuvrant en dehors de ce groupe, engageait l'action avec les Arabes, -déjà découragés par cette attaque inattendue, et ne tardant pas à les +déjà découragés par cette attaque inattendue, et ne tardant pas à les vaincre.</p> -<p>Au mois d'août 1843, M. le chef de bataillon Carluccia, du 33e de ligne, -a obtenu, sur sa demande, du gouverneur-général, l'autorisation -d'organiser à la Maison-Carrée un escadron de cent dromadaires, avec -deux ceins hommes d'élite du 33e de ligne et du 6e bataillon de -chasseurs d'Orléans. Il y a ainsi deux hommes pour un dromadaire: un -seul monte, un autre conduit; ils se relayent à chaque halte; tous deux -peuvent monter au besoin. C'est sur l'arriére du bât que le cavalier est -assis; le devant est occupé par les deux sacs des soldats, par deux -outres contenant de quatre à cinq litres d'eau chaque, ainsi que par un +<p>Au mois d'août 1843, M. le chef de bataillon Carluccia, du 33e de ligne, +a obtenu, sur sa demande, du gouverneur-général, l'autorisation +d'organiser à la Maison-Carrée un escadron de cent dromadaires, avec +deux ceins hommes d'élite du 33e de ligne et du 6e bataillon de +chasseurs d'Orléans. Il y a ainsi deux hommes pour un dromadaire: un +seul monte, un autre conduit; ils se relayent à chaque halte; tous deux +peuvent monter au besoin. C'est sur l'arriére du bât que le cavalier est +assis; le devant est occupé par les deux sacs des soldats, par deux +outres contenant de quatre à cinq litres d'eau chaque, ainsi que par un grand sac en toile renfermant pour un mois de vivres des deux soldats en -biscuit, sel, sucre, café et riz.</p> +biscuit, sel, sucre, café et riz.</p> -<p>Le bât se maintient au moyen d'une corde fortement sanglée. A -l'extrémité d'une des traverses du bât, à laquelle s'attachent les -bagages ci-dessus mentionnés, vient s'enrouler une double corde que -traversent deux étriers en bois. Le cavalier est, de cette manière, -libre de mettre ses pieds à la position qui lui convient le mieux, et de -se servir des étriers pour monter et descendre.</p> +<p>Le bât se maintient au moyen d'une corde fortement sanglée. A +l'extrémité d'une des traverses du bât, à laquelle s'attachent les +bagages ci-dessus mentionnés, vient s'enrouler une double corde que +traversent deux étriers en bois. Le cavalier est, de cette manière, +libre de mettre ses pieds à la position qui lui convient le mieux, et de +se servir des étriers pour monter et descendre.</p> -<p>Le licol est à la fois simple et ingénieux. Au moyen de deux anneaux -fixés en dessus et en dessous du museau, on fait passer en sens -contraire une double corde attachée à l'anneau supérieur. A l'aide de -ces brides, on maîtrise le dromadaire le plus méchant et le plus rétif.</p> +<p>Le licol est à la fois simple et ingénieux. Au moyen de deux anneaux +fixés en dessus et en dessous du museau, on fait passer en sens +contraire une double corde attachée à l'anneau supérieur. A l'aide de +ces brides, on maîtrise le dromadaire le plus méchant et le plus rétif.</p> <p>Le soldat monte habituellement sur le dromadaire en faisant agenouiller sa monture et en lui mettant le pied sur une des jambes de devant; pour -descendre, il passe les deux jambes du même côté, et se laisse glisser -au commandement <i>à terre!</i></p> +descendre, il passe les deux jambes du même côté, et se laisse glisser +au commandement <i>à terre!</i></p> <p class="rig"><img alt="" src="images/003a.png"><br> <b>Une selle de dromadaire.</b></p> -<p>Le dimanche 28 janvier 1811, le maréchal gouverneur-général passait en -revue la gendarmerie, l'artillerie et le génie sur le champ de -manœuvres de Mustapha, près d'Alger, quand tout à coup des cris -sauvages se firent entendre. Aussitôt on vit déboucher par le chemin de -la Maison-Carrée, en une masse noire et compacte, un groupe de cavaliers -d'une espèce toute nouvelle, élevant dans les airs, du haut de leurs -montures africaines, leurs fusils reluisant au soleil; c'était -l'escadron de dromadaires. La première vue de cette cavalerie provoqua -un mouvement d'hilarité, que le gouverneur-général réprima en s'écriant: -«Ne riez pas; la chose est plus sérieuse que vous ne pensez.» En effet, -l'escadron de dromadaires exécuta sur-le-champ diverses manœuvres avec -une extrême précision, marchant tantôt en colonne, tantôt en bataille, -se formant sur la droite, sur la gauche et en avant en bataille, tantôt -au pas, tantôt au trot. Bientôt, à un commandement, les hommes sautèrent -lestement à terre et se portèrent en avant, exécutant des feux de +<p>Le dimanche 28 janvier 1811, le maréchal gouverneur-général passait en +revue la gendarmerie, l'artillerie et le génie sur le champ de +manœuvres de Mustapha, près d'Alger, quand tout à coup des cris +sauvages se firent entendre. Aussitôt on vit déboucher par le chemin de +la Maison-Carrée, en une masse noire et compacte, un groupe de cavaliers +d'une espèce toute nouvelle, élevant dans les airs, du haut de leurs +montures africaines, leurs fusils reluisant au soleil; c'était +l'escadron de dromadaires. La première vue de cette cavalerie provoqua +un mouvement d'hilarité, que le gouverneur-général réprima en s'écriant: +«Ne riez pas; la chose est plus sérieuse que vous ne pensez.» En effet, +l'escadron de dromadaires exécuta sur-le-champ diverses manœuvres avec +une extrême précision, marchant tantôt en colonne, tantôt en bataille, +se formant sur la droite, sur la gauche et en avant en bataille, tantôt +au pas, tantôt au trot. Bientôt, à un commandement, les hommes sautèrent +lestement à terre et se portèrent en avant, exécutant des feux de tirailleurs, tandis qu'un quart d'entre, eux suivaient le mouvement -offensif, chaque homme conduisant quatre dromadaires par les rênes.</p> +offensif, chaque homme conduisant quatre dromadaires par les rênes.</p> -<p>La promptitude de toutes ces évolutions, la facilité avec laquelle nos -braves et intelligents fantassins ont appris à manier leurs dromadaires, -ont vivement frappé toute l'assistance. Aux plaisanteries a succédé +<p>La promptitude de toutes ces évolutions, la facilité avec laquelle nos +braves et intelligents fantassins ont appris à manier leurs dromadaires, +ont vivement frappé toute l'assistance. Aux plaisanteries a succédé l'admiration, et chacun a compris tout l'avantage qu'il sera possible de -retirer de cette institution. Grâce aux escadrons de dromadaires, aucune -population arabe ne saurait plus désormais trouver dans l'émigration un -asile où elles soient assurées d'échapper à l'atteinte de nos colonnes -expéditionnaires.</p> +retirer de cette institution. Grâce aux escadrons de dromadaires, aucune +population arabe ne saurait plus désormais trouver dans l'émigration un +asile où elles soient assurées d'échapper à l'atteinte de nos colonnes +expéditionnaires.</p> <br><br> @@ -1039,235 +1003,235 @@ expéditionnaires.</p> <p class="rig"><img alt="" src="images/003b.png"><br> <b>Une rue souterraine de Paris.</b></p> -<p>Du temps de nos bons aïeux, lorsqu'on croyait encore aux esprits,--car +<p>Du temps de nos bons aïeux, lorsqu'on croyait encore aux esprits,--car nous sommes aujourd'hui trop raisonnables pour y croire,--on avait -divisé notre momie en trois parties habitées par des êtres de nature -diverse. L'air et les nuées étaient le domaine des sylphes, esprits -légers, toujours beaux, toujours jeunes, nés pour la poésie et le -plaisir, habitant des palais brillants formés de nuages dorés par le -soleil, étincelants comme l'arc-en-ciel.--Au-dessous d'eux, à la surface -de la terre, c'était la race humaine, notre domaine à nous, tel que nous +divisé notre momie en trois parties habitées par des êtres de nature +diverse. L'air et les nuées étaient le domaine des sylphes, esprits +légers, toujours beaux, toujours jeunes, nés pour la poésie et le +plaisir, habitant des palais brillants formés de nuages dorés par le +soleil, étincelants comme l'arc-en-ciel.--Au-dessous d'eux, à la surface +de la terre, c'était la race humaine, notre domaine à nous, tel que nous l'habitons.--et puis, au-dessous encore, dans les entrailles de la -terre, se trouvait un troisième monde, celui des gnomes, esprits -souterrains, relégués au dernier degré de l'univers. Ceux-ci, on le -conçoit, étaient encore moins connus. Des hommes doués de bons yeux, et -surtout d'une bonne dose de crédulité, pouvaient bien avoir entrevu, par -intervalles, dans les nuages, les palais fantastiques et les armées -légères des sylphes rangées en bataille dans le ciel; de graves -historiens en rapportent mille témoignages. Mais nul regard, si -complaisant qu'il fût, ne pouvait percer jusqu'aux cavernes -inaccessibles des gnomes. L'imagination, qui ne fait jamais défaut, y -suppléait; tantôt, selon le caprice du rêveur, on peignait ces pauvres -gnomes comme des démons malfaisants, difformes, rabougris, accaparant -les trésors de la terre, et les enfouissant avec eux par une insatiable -avarice; tantôt, au contraire, on trouve des palais d'or, de pierres -précieuses, qui s'ouvrent dans les longues galeries souterraines à la -lueur étincelante des escarboucles et des ruisseaux de phosphore; pays -merveilleux où règnent des esprits irrésistibles, vifs et séduisants, +terre, se trouvait un troisième monde, celui des gnomes, esprits +souterrains, relégués au dernier degré de l'univers. Ceux-ci, on le +conçoit, étaient encore moins connus. Des hommes doués de bons yeux, et +surtout d'une bonne dose de crédulité, pouvaient bien avoir entrevu, par +intervalles, dans les nuages, les palais fantastiques et les armées +légères des sylphes rangées en bataille dans le ciel; de graves +historiens en rapportent mille témoignages. Mais nul regard, si +complaisant qu'il fût, ne pouvait percer jusqu'aux cavernes +inaccessibles des gnomes. L'imagination, qui ne fait jamais défaut, y +suppléait; tantôt, selon le caprice du rêveur, on peignait ces pauvres +gnomes comme des démons malfaisants, difformes, rabougris, accaparant +les trésors de la terre, et les enfouissant avec eux par une insatiable +avarice; tantôt, au contraire, on trouve des palais d'or, de pierres +précieuses, qui s'ouvrent dans les longues galeries souterraines à la +lueur étincelante des escarboucles et des ruisseaux de phosphore; pays +merveilleux où règnent des esprits irrésistibles, vifs et séduisants, mais capricieux et fugitifs comme ces feux errants qui scintillent dans -l'obscurité des cavernes.</p> +l'obscurité des cavernes.</p> <p>Sans doute nos lecteurs ne sont pas sans avoir entendu quelquefois, et -même avec plaisir, ces récits fantastiques. Eh bien! sans rouvrir les -vieux contes de la <i>Bibliothèque bleue</i>, ou les graves entretiens du -comte de Gabalis sur les êtres élémentaires, nous allons faire aussi des -histoires de l'autre monde. Nous allons décrire des régions -souterraines; nous allons nous promener à vingt pieds, à cent pieds, à +même avec plaisir, ces récits fantastiques. Eh bien! sans rouvrir les +vieux contes de la <i>Bibliothèque bleue</i>, ou les graves entretiens du +comte de Gabalis sur les êtres élémentaires, nous allons faire aussi des +histoires de l'autre monde. Nous allons décrire des régions +souterraines; nous allons nous promener à vingt pieds, à cent pieds, à cent cinquante pieds sous terre, avec les habitants de ces domaines, dans le royaume des gnomes et des farfadets; tout cela, sans dire autre -chose que ce qui est, que ce que nous avons vu et touché,--et sans +chose que ce qui est, que ce que nous avons vu et touché,--et sans sortir, qui plus est, de l'enceinte de Paris et de sa banlieue.</p> <p>Nous allons conduire nos lecteurs dans le Paris souterrain. Nous leur -ferons faire, j'en suis presque certain, d'inévitables découvertes dans +ferons faire, j'en suis presque certain, d'inévitables découvertes dans ce monde nouveau et presque inconnu. Cela ne doit pas surprendre, car la -superficie du pavé de Paris est souvent assez boueuse pour qu'on ne soit -guère tenté de regarder dessous. Cependant, à chaque pas, de nombreux -témoignages viennent révéler l'existence de cette seconde ville enfouie -sous les pieds de la première. Chacun a sans doute remarqué ces épaisses -et larges plaques de fonte ciselée, éparpillées çà et là au milieu des -chaussées, tremblant et résonnant sous les roues des voitures; ce sont -les portes et les fenêtres des rues souterraines. Il n'est personne qui -n'ait rencontré, de temps en temps, un escadron de ces hommes armés -d'échelles, de cordes, de râteaux, et chaussés de ces redoutables bottes -qui broient le pavé; ou bien encore, ceux que l'on entend et que l'on -voit le soir, courant sur les trottoirs, fouillant à l'angle des murs et +superficie du pavé de Paris est souvent assez boueuse pour qu'on ne soit +guère tenté de regarder dessous. Cependant, à chaque pas, de nombreux +témoignages viennent révéler l'existence de cette seconde ville enfouie +sous les pieds de la première. Chacun a sans doute remarqué ces épaisses +et larges plaques de fonte ciselée, éparpillées çà et là au milieu des +chaussées, tremblant et résonnant sous les roues des voitures; ce sont +les portes et les fenêtres des rues souterraines. Il n'est personne qui +n'ait rencontré, de temps en temps, un escadron de ces hommes armés +d'échelles, de cordes, de râteaux, et chaussés de ces redoutables bottes +qui broient le pavé; ou bien encore, ceux que l'on entend et que l'on +voit le soir, courant sur les trottoirs, fouillant à l'angle des murs et des soupiraux, et faisant retentir par intervalles, d'un son stridont et -cadencé, la barre de fer poli dont ils sont armés?--Ce sont les +cadencé, la barre de fer poli dont ils sont armés?--Ce sont les habitants, ou les ambassadeurs de la ville invisible que vous foulez aux pieds.</p> -<p>On a décrit, on a peint souvent avec talent l'aspect du Paris à vol -d'oiseau; nous allons faire le contraire, et donner l'aspect de Paris à -course de taupe. Au lieu de nous élever, nous descendrons; au lieu de +<p>On a décrit, on a peint souvent avec talent l'aspect du Paris à vol +d'oiseau; nous allons faire le contraire, et donner l'aspect de Paris à +course de taupe. Au lieu de nous élever, nous descendrons; au lieu de voir Paris au-dessus des toits, nous le verrons au-dessous des caves. Ce -sera peut-être moins facile, moins lumineux; mais ce sera peut-être -aussi intéressant, et sans doute ce sera plus neuf.</p> +sera peut-être moins facile, moins lumineux; mais ce sera peut-être +aussi intéressant, et sans doute ce sera plus neuf.</p> -<p>Avant de nous engager dans les détails de ce voyage, prenons d'abord une -idée générale du pays; et, en voyageurs érudits, prenons-en la -configuration générale, la disposition et les limites.</p> +<p>Avant de nous engager dans les détails de ce voyage, prenons d'abord une +idée générale du pays; et, en voyageurs érudits, prenons-en la +configuration générale, la disposition et les limites.</p> -<p>De même que ces villes édifiées au pied des volcans et construites sur +<p>De même que ces villes édifiées au pied des volcans et construites sur d'autres villes enfouies qui leur servent de base, le Paris souterrain -compte plusieurs étages de régions souterraines, superposées les unes -aux autres et descendant ainsi de degré en degré depuis la surface du -pavé jusqu'à d'immenses profondeurs. Chaque étage caverneux, bien -distinct de celui qui le précède et de celui qui s'enfonce au-dessous de -lui, a sa physionomie particulière et ses habitants qui lui -appartiennent. Aussi, pour procéder par ordre, nous commencerons notre -voyage par la région la plus.--rapprochée de nous pour descendre ensuite -de plus en plus. Et, placé d'abord en simple piéton sur le pavé de la -rue, nous allons, tout à coup, changer de place, et, glissant plus bas, -regarder dessous...--Voici le premier étage de Paris souterrain.--Que +compte plusieurs étages de régions souterraines, superposées les unes +aux autres et descendant ainsi de degré en degré depuis la surface du +pavé jusqu'à d'immenses profondeurs. Chaque étage caverneux, bien +distinct de celui qui le précède et de celui qui s'enfonce au-dessous de +lui, a sa physionomie particulière et ses habitants qui lui +appartiennent. Aussi, pour procéder par ordre, nous commencerons notre +voyage par la région la plus.--rapprochée de nous pour descendre ensuite +de plus en plus. Et, placé d'abord en simple piéton sur le pavé de la +rue, nous allons, tout à coup, changer de place, et, glissant plus bas, +regarder dessous...--Voici le premier étage de Paris souterrain.--Que vous en semble?</p> -<p>Depuis quelque temps on a beaucoup parlé de travaux d'assainissement, de -distribution d'eau, d'éclairage public; et on sait bien vaguement que +<p>Depuis quelque temps on a beaucoup parlé de travaux d'assainissement, de +distribution d'eau, d'éclairage public; et on sait bien vaguement que toutes ces dispositions exigent des constructions souterraines. Mais, -malgré tout ce qu'on peut avoir su et entendu, sans doute on ne se -figure pas ce dédale de cavernes obscure, ce tissu croisé et recroisé de -tuyaux, de conduites enchevêtrées les unes dans les autres, et les unes -sur les autres; il est facile de comprendre à cet aspect tout ce +malgré tout ce qu'on peut avoir su et entendu, sans doute on ne se +figure pas ce dédale de cavernes obscure, ce tissu croisé et recroisé de +tuyaux, de conduites enchevêtrées les unes dans les autres, et les unes +sur les autres; il est facile de comprendre à cet aspect tout ce qu'exige de combinaisons et de travaux le placement, l'entretien et le renouvellement d'un semblable appareil.</p> <p>Il faut penser qu'il existe sous le sol de Paris environ cent vingt -kilomètres d'égouts, qui représentent par conséquent trente lieues de +kilomètres d'égouts, qui représentent par conséquent trente lieues de rues souterraines, et environ autant de lieues de conduites d'eau. Quant -aux conduites de gaz, elles sont encore bien plus étendues. Nous ne +aux conduites de gaz, elles sont encore bien plus étendues. Nous ne comptons pas, en outre, tous les embranchements particuliers qui coupent -les conduites maîtresses pour distribuer droite et à gauche l'eau et le +les conduites maîtresses pour distribuer droite et à gauche l'eau et le gaz dans les maisons ou sur la voie publique.</p> -<p>Nous avons cherché à présenter dans cet aspect du sol de la rue un -aperçu des principales dispositions adoptées pour l'agencement et le +<p>Nous avons cherché à présenter dans cet aspect du sol de la rue un +aperçu des principales dispositions adoptées pour l'agencement et le service de ces conduites. En voici rapidement l'indication et l'explication.</p> -<p>A est la coupe d'un égout. Les balayeurs-égoutiers y descendent à l'aide -d'une échelle par le tampon de regard B.--C'est une bouche sous +<p>A est la coupe d'un égout. Les balayeurs-égoutiers y descendent à l'aide +d'une échelle par le tampon de regard B.--C'est une bouche sous trottoir, qui absorbe les eaux du ruisseau; et D est un tuyau de chute, -par lequel les eaux ménagères et pluviales de la maison voisine tombent -directement dans l'égout. L'administration accorde en effet aux -propriétaires qui le demandent, l'autorisation de se débarrasser ainsi +par lequel les eaux ménagères et pluviales de la maison voisine tombent +directement dans l'égout. L'administration accorde en effet aux +propriétaires qui le demandent, l'autorisation de se débarrasser ainsi de leurs eaux, moyennant l'apposition de grilles convenablement -établies, et certaines dispositions qu'exigent la prudence et la sûreté +établies, et certaines dispositions qu'exigent la prudence et la sûreté publique.--De distance en distance, des trappes de regard sont ouvertes -sous la voûte de l'égout, afin de pouvoir en opérer la ventilation au +sous la voûte de l'égout, afin de pouvoir en opérer la ventilation au besoin, et y faire parvenir les ouvriers.</p> -<p>C'est la conduite d'eau qui dessert la rue à main droite; au point F -elle porte une concession particulière servie au moyen d'une bourbe à -clef, dont la manœuvre peut avoir lieu à travers le madrier perforé G, -à l'affleurement du pavé. Cette conduite d'embranchement E a sa prise -d'eau sur la conduite maîtresse H, qui dessert la rue à main gauche et -fournit la borne-fontaine I; comme elle est placée au niveau de l'égout, -elle rencontre sur sa route les reins de la voûte, et la traverse sur -une espèce de chevalet en fonte qui la soutient dans ce passage.</p> +<p>C'est la conduite d'eau qui dessert la rue à main droite; au point F +elle porte une concession particulière servie au moyen d'une bourbe à +clef, dont la manœuvre peut avoir lieu à travers le madrier perforé G, +à l'affleurement du pavé. Cette conduite d'embranchement E a sa prise +d'eau sur la conduite maîtresse H, qui dessert la rue à main gauche et +fournit la borne-fontaine I; comme elle est placée au niveau de l'égout, +elle rencontre sur sa route les reins de la voûte, et la traverse sur +une espèce de chevalet en fonte qui la soutient dans ce passage.</p> <p>La prise d'eau d'embranchement a lieu dans le regard par un double -système, de manière à pouvoir arrêter l'eau de la maîtresse conduite en -amont ou en aval sans arrêter le service de l'embranchement. Le regard -en maçonnerie y est ainsi établi, afin que les agents des eaux de Paris -puissent faire la manœuvre des robinets d'écoulement et d'arrêt.</p> - -<p>Les conduites E et H ont été posées dans de simples tranchées, et ne -sont à découvert que dans le regard. Il n'en est pas de même de celles -qui sont figurées aux lettres K. L. Celles-ci sont posées sur -encorbellement dans des galeries. Ce système, qui permet de s'assurer à -chaque instant de l'état des conduites, et de les réparer sans -intercepter la circulation et remuer le pavage, peut être adopté pour -les conduites d'eau. Mais cette méthode ne pourrait être employée pour -les tuyaux de gaz, à cause des dangers qui en résulteraient.</p> - -<p>Notre, gravure représente la mise en communication de deux conduites, de -diamètre différent par le tuyau circulaire M, garni de ses robinets -d'écoulement et de vanne.</p> - -<p>Nous n'entrerons pas dans les détails explicatifs sur la forme et la +système, de manière à pouvoir arrêter l'eau de la maîtresse conduite en +amont ou en aval sans arrêter le service de l'embranchement. Le regard +en maçonnerie y est ainsi établi, afin que les agents des eaux de Paris +puissent faire la manœuvre des robinets d'écoulement et d'arrêt.</p> + +<p>Les conduites E et H ont été posées dans de simples tranchées, et ne +sont à découvert que dans le regard. Il n'en est pas de même de celles +qui sont figurées aux lettres K. L. Celles-ci sont posées sur +encorbellement dans des galeries. Ce système, qui permet de s'assurer à +chaque instant de l'état des conduites, et de les réparer sans +intercepter la circulation et remuer le pavage, peut être adopté pour +les conduites d'eau. Mais cette méthode ne pourrait être employée pour +les tuyaux de gaz, à cause des dangers qui en résulteraient.</p> + +<p>Notre, gravure représente la mise en communication de deux conduites, de +diamètre différent par le tuyau circulaire M, garni de ses robinets +d'écoulement et de vanne.</p> + +<p>Nous n'entrerons pas dans les détails explicatifs sur la forme et la manœuvre de ces robinets; ils seraient longs et exigeraient des -développements techniques qui n'intéresseraient qu'un petit nombre de +développements techniques qui n'intéresseraient qu'un petit nombre de nos lecteurs. Nous dirons seulement que cette mise en communication des -tuyaux a lieu pour remédier aux irrégularités du service. On tient ainsi -les conduites en charge l'une par l'autre, on supplée au besoin aux eaux -de l'Ourcq, lorsqu'elles font défaut, par les eaux de la Seine, et -réciproquement. Lors d'un accident, la seule manœuvre d'un robinet -suffit pour procurer l'eau à tout un quartier, que sans cela pourrait en -rester privé fort longtemps.</p> - -<p>Après les conduites d'eau viennent les conduites de gaz. Les tuyaux N. -O. desservent la rue à droite, et les tuyaux P. R. la rue à gauche. Dans -les rues dont la largeur est assez considérable, et qui surtout sont -divisées dans le milieu par un égout, il est d'usage de placer une -conduite de gaz de chaque côté, afin d'éviter les inconvénients qui -résulteraient pour les branchements particuliers des deux côtés de la -rue, s'il fallait à chaque fois traverser toute la largeur de la -chaussée et la maçonnerie de l'égout. Notre gravure ne présente donc que -les conduites nécessaires; les petits tuyaux S sont ceux qui desservent -la borne-fontaine, l'éclairage public, et quelques concessions -particulières d'eau, de gaz, etc.</p> - -<p>Quelquefois le nombre de ces tuyaux est plus considérable. La grosseur -en varie aussi beaucoup, il y en a dont l'énorme diamètre est de 0,50 à -0,60 c. sont de véritables tonneaux; la maîtresse conduite des eaux de +tuyaux a lieu pour remédier aux irrégularités du service. On tient ainsi +les conduites en charge l'une par l'autre, on supplée au besoin aux eaux +de l'Ourcq, lorsqu'elles font défaut, par les eaux de la Seine, et +réciproquement. Lors d'un accident, la seule manœuvre d'un robinet +suffit pour procurer l'eau à tout un quartier, que sans cela pourrait en +rester privé fort longtemps.</p> + +<p>Après les conduites d'eau viennent les conduites de gaz. Les tuyaux N. +O. desservent la rue à droite, et les tuyaux P. R. la rue à gauche. Dans +les rues dont la largeur est assez considérable, et qui surtout sont +divisées dans le milieu par un égout, il est d'usage de placer une +conduite de gaz de chaque côté, afin d'éviter les inconvénients qui +résulteraient pour les branchements particuliers des deux côtés de la +rue, s'il fallait à chaque fois traverser toute la largeur de la +chaussée et la maçonnerie de l'égout. Notre gravure ne présente donc que +les conduites nécessaires; les petits tuyaux S sont ceux qui desservent +la borne-fontaine, l'éclairage public, et quelques concessions +particulières d'eau, de gaz, etc.</p> + +<p>Quelquefois le nombre de ces tuyaux est plus considérable. La grosseur +en varie aussi beaucoup, il y en a dont l'énorme diamètre est de 0,50 à +0,60 c. sont de véritables tonneaux; la maîtresse conduite des eaux de Chaillot est de ce nombre. D'autres, au contraire, n'ont que 0,08 c. Les -petits tuyaux en plomb sont aussi exigus qu'on le désire. +petits tuyaux en plomb sont aussi exigus qu'on le désire. -<p>Les égouts varient également de largeur; ils sont de petite ou de grande +<p>Les égouts varient également de largeur; ils sont de petite ou de grande section, pour se servir du terme administratif, selon l'importance et la -longueur de leur parcours, selon le volume des eaux qu'ils sont appelés -à recevoir. Les égouts-galeries sont ceux qui reçoivent en outre une -conduite supportée par encorbellement.</p> - -<p>Voilà donc l'aperçu rapide de ce que l'on trouve sous le pavé, de ce qui -constitue le premier étage de Paris souterrain. Quant au peuple qui -anime et gouverne cette cité suburbaine, sans doute il vaut mieux -n'avoir pas de fréquents rapports avec ses râteaux mal odorants, ses +longueur de leur parcours, selon le volume des eaux qu'ils sont appelés +à recevoir. Les égouts-galeries sont ceux qui reçoivent en outre une +conduite supportée par encorbellement.</p> + +<p>Voilà donc l'aperçu rapide de ce que l'on trouve sous le pavé, de ce qui +constitue le premier étage de Paris souterrain. Quant au peuple qui +anime et gouverne cette cité suburbaine, sans doute il vaut mieux +n'avoir pas de fréquents rapports avec ses râteaux mal odorants, ses lampes fumeuses et ses grosses bottes; mais cette existence d'un travail -pénible et rebutant mérite bien aussi quelque intérêt. Passer les jours -entiers dans ces étroites et humides cavernes, sans lumière, sans -soleil, et sans autre air que les émanations fétides des immondices, -gagner sa vie à remuer la fange produite par un million d'individus qui -s'agitent sur leurs tête, certes le salaire de ceux qui se dévouent à -une semblable profession est rudement gagné. D'ailleurs cette existence, -triste toujours, n'est souvent pas sans péril. Ces dédales obscurs ont +pénible et rebutant mérite bien aussi quelque intérêt. Passer les jours +entiers dans ces étroites et humides cavernes, sans lumière, sans +soleil, et sans autre air que les émanations fétides des immondices, +gagner sa vie à remuer la fange produite par un million d'individus qui +s'agitent sur leurs tête, certes le salaire de ceux qui se dévouent à +une semblable profession est rudement gagné. D'ailleurs cette existence, +triste toujours, n'est souvent pas sans péril. Ces dédales obscurs ont vu de sanglantes catastrophes, de terribles agonies, et la funeste -histoire de la galerie des Martyrs n'est pas la seule que les égouts de -Paris aient à déplorer.</p> +histoire de la galerie des Martyrs n'est pas la seule que les égouts de +Paris aient à déplorer.</p> <p>Pour achever cette rapide description du premier plan de la ville -souterraine, nous devons dire qu'elle possède deux fleuves: l'un au +souterraine, nous devons dire qu'elle possède deux fleuves: l'un au nord, sur la rive droite; l'autre, au sud, sur la rive gauche de la Seine.--Le premier, que l'on appelle l'aqueduc de ceinture, est une -large galerie voûtée qui reçoit les eaux du canal à la Vilette, et les -mène jusqu'au faubourg du Roule. C'est une rivière claire, limpide et -tranquille.--L'autre..., hélas! elle fut jadis célèbre, et, non contente -de traverser la grande cité aux rayons du soleil, elle la menaçait sans -cesse de sa puissance et de ses colériques débordements. En 1579, la -nuit du 1er avril, elle inonda Paris, et ses eaux montèrent jusqu'au -deuxième étage des maisons. O gloire! ô vanité des puissances déchues! -depuis, la Bièvre n'a menacé que d'empester, par l'infection de sa vase, -les quartiers qu'elle inondait autrefois. On l'a emprisonnée, murée, -voûtée..., et elle n'est plus qu'un égout obscur!</p> - -<p>Mais ce premier étage souterrain est bien près encore de la surface. En +large galerie voûtée qui reçoit les eaux du canal à la Vilette, et les +mène jusqu'au faubourg du Roule. C'est une rivière claire, limpide et +tranquille.--L'autre..., hélas! elle fut jadis célèbre, et, non contente +de traverser la grande cité aux rayons du soleil, elle la menaçait sans +cesse de sa puissance et de ses colériques débordements. En 1579, la +nuit du 1er avril, elle inonda Paris, et ses eaux montèrent jusqu'au +deuxième étage des maisons. O gloire! ô vanité des puissances déchues! +depuis, la Bièvre n'a menacé que d'empester, par l'infection de sa vase, +les quartiers qu'elle inondait autrefois. On l'a emprisonnée, murée, +voûtée..., et elle n'est plus qu'un égout obscur!</p> + +<p>Mais ce premier étage souterrain est bien près encore de la surface. En suivant les conduites, en traversant les galeries, nous avons pu heurter -le sol des caves, et mettre la tête aux soupiraux pour demander et -recevoir des nouvelles du monde supérieur. Toutefois, en descendant plus -bas par intervalles, nous avons pu ouïr quelques bruits étranges, -quelques signes précurseurs de demeures plus profondes encore. Nous -avons pu voir que quelques-unes de ces trappes, mystérieuses ouvertures -placées à la superficie du pavé comme les fenêtres de ces habitations -obscures, ne s'étaient pas ouvertes à notre approche. Elles -appartiennent à nue autre cité enfouie. C'est de ce côté que nous allons +le sol des caves, et mettre la tête aux soupiraux pour demander et +recevoir des nouvelles du monde supérieur. Toutefois, en descendant plus +bas par intervalles, nous avons pu ouïr quelques bruits étranges, +quelques signes précurseurs de demeures plus profondes encore. Nous +avons pu voir que quelques-unes de ces trappes, mystérieuses ouvertures +placées à la superficie du pavé comme les fenêtres de ces habitations +obscures, ne s'étaient pas ouvertes à notre approche. Elles +appartiennent à nue autre cité enfouie. C'est de ce côté que nous allons diriger notre voyage.</p> -<p><i>(La suite à un prochain numéro.)</i></p> +<p><i>(La suite à un prochain numéro.)</i></p> <br><br> -<h2>Don Graviel l'Alférez.</h2> +<h2>Don Graviel l'Alférez.</h2> <h3>FANTAISIE MARITIME.</h3> @@ -1276,20 +1240,20 @@ diriger notre voyage.</p> <h3>II.</h3> -<p>La veille de Noël, tous les officiers de la frégate voulurent aller -passer la nuit à terre, car, après la messe, le gouverneur devait donner -à toutes les autorités civiles et militaires un réveillon suivi d'un +<p>La veille de Noël, tous les officiers de la frégate voulurent aller +passer la nuit à terre, car, après la messe, le gouverneur devait donner +à toutes les autorités civiles et militaires un réveillon suivi d'un grand bal, qui se prolongerait jusqu'au jour. Don Graviel et son ami -Fernando se chargèrent seuls du service à bord de <i>la Santa-Fé</i>.</p> +Fernando se chargèrent seuls du service à bord de <i>la Santa-Fé</i>.</p> -<p>Vers minuit, toutes les cloches de la ville commencèrent à carillonner à -qui mieux mieux; les rues, sillonnées par des milliers de torches, -semblaient embrasées; l'obscurité n'en était que plus épaisse dans la -baie de la Havane. Les trois chefs de complot se tenaient à l'arrière de -la frégate.</p> +<p>Vers minuit, toutes les cloches de la ville commencèrent à carillonner à +qui mieux mieux; les rues, sillonnées par des milliers de torches, +semblaient embrasées; l'obscurité n'en était que plus épaisse dans la +baie de la Havane. Les trois chefs de complot se tenaient à l'arrière de +la frégate.</p> -<p>«Les armes sont-elles dans la chaloupe? demanda don Graviel au -contre-maître Brombollio.</p> +<p>«Les armes sont-elles dans la chaloupe? demanda don Graviel au +contre-maître Brombollio.</p> <p>--Oui, capitaine.</p> @@ -1297,591 +1261,591 @@ contre-maître Brombollio.</p> tout?</p> <p>--Cinquante; je n'ai pas pu en prendre un de moins, tous des amis, des -matelots achevés, des enragés premier choix.</p> +matelots achevés, des enragés premier choix.</p> -<p>--C'est dix de trop; mais allons toujours.»</p> +<p>--C'est dix de trop; mais allons toujours.»</p> -<p>Don Graviel avait eu soin d'expédier tous les canots en corvée pour la -nuit entière; il ne restait plus que la chaloupe et une légère yole -réservées aux déserteurs. Fernando et quarante marins, armés jusqu'aux -dents, partirent avec la première; elle déborda mystérieusement, longea -les quais non sans motif, et se perdit ensuite au milieu des bâtiments -de commerce. La yole fut montée par don Graviel, maître Brombollio et +<p>Don Graviel avait eu soin d'expédier tous les canots en corvée pour la +nuit entière; il ne restait plus que la chaloupe et une légère yole +réservées aux déserteurs. Fernando et quarante marins, armés jusqu'aux +dents, partirent avec la première; elle déborda mystérieusement, longea +les quais non sans motif, et se perdit ensuite au milieu des bâtiments +de commerce. La yole fut montée par don Graviel, maître Brombollio et les dix plus robustes matelots. Un poignard en ceinture, un pistolet -caché sous leurs vêtements, des biscaïens estropés au bout de longs -bâtons en manière de fléaux, tel était l'équipement de la bande d'élite. -Ils abandonnèrent la frégate à la garde de Dieu et sans canots. Puis ils -nagèrent droit au rivage, où l'on accosta dans un étroit canal situé -entre deux hautes tes maisons. La petite embarcation, cachée par -l'obscurité la plus profonde touchait cependant le bord; deux hommes y -restèrent; en cas de malheur, ils avaient ordre de s'enfuir, et de -prévenir au plus vite leurs camarades de la chaloupe.</p> +caché sous leurs vêtements, des biscaïens estropés au bout de longs +bâtons en manière de fléaux, tel était l'équipement de la bande d'élite. +Ils abandonnèrent la frégate à la garde de Dieu et sans canots. Puis ils +nagèrent droit au rivage, où l'on accosta dans un étroit canal situé +entre deux hautes tes maisons. La petite embarcation, cachée par +l'obscurité la plus profonde touchait cependant le bord; deux hommes y +restèrent; en cas de malheur, ils avaient ordre de s'enfuir, et de +prévenir au plus vite leurs camarades de la chaloupe.</p> -<p>--Eh bien! Brombollio, le dé est en l'air, disait l'enseigne.</p> +<p>--Eh bien! Brombollio, le dé est en l'air, disait l'enseigne.</p> -<p>--La peste étouffe les filles! répondit le maître; cette terre me brûle -les pieds!»</p> +<p>--La peste étouffe les filles! répondit le maître; cette terre me brûle +les pieds!»</p> -<p>L'église n'était pas éloignée; les marins y pénétrèrent à la suite de don +<p>L'église n'était pas éloignée; les marins y pénétrèrent à la suite de don Graviel, travesti en matelot; ils se confondirent dans la foule sans perdre leur officier de vue.</p> -<p>Du côté des femmes, Dona Juana occupait la place d'honneur. Dans le -chœur étaient groupés don Antonio Barzon, ses aides de camp, le -commandant de <i>la Santa-Fé</i>, les officiers de la rade, ceux de la -garnison, l'intendant colonial et tous les dignitaires de la cité.</p> +<p>Du côté des femmes, Dona Juana occupait la place d'honneur. Dans le +chœur étaient groupés don Antonio Barzon, ses aides de camp, le +commandant de <i>la Santa-Fé</i>, les officiers de la rade, ceux de la +garnison, l'intendant colonial et tous les dignitaires de la cité.</p> -<p>«Par quelle porte sortira-t-elle?» se demandait don Graviel avec anxiété, -tandis que maître Brombollio continuait à maugréer tout bas contre les +<p>«Par quelle porte sortira-t-elle?» se demandait don Graviel avec anxiété, +tandis que maître Brombollio continuait à maugréer tout bas contre les filles et les amoureux.</p> -<p>Dona Juana priait dévotement; et, certes, les gais propos du dernier bal -étaient loin de sa mémoire.</p> +<p>Dona Juana priait dévotement; et, certes, les gais propos du dernier bal +étaient loin de sa mémoire.</p> -<p>Si elle eut une distraction, ce fut quand elle remarqua, bien malgré -elle, que don Graviel n'était pas venu à la messe avec son commandant; -elle ne conclut qu'il était de service à bord. La fête de la -<i>Media-noche</i> devait suivre l'office, elle regretta peut-être l'absence -du téméraire alférez; mais, hâtons-nous d'ajouter que ces pensées -mondaines n'effleurèrent qu'à peine l'esprit de la jeune fille; encore +<p>Si elle eut une distraction, ce fut quand elle remarqua, bien malgré +elle, que don Graviel n'était pas venu à la messe avec son commandant; +elle ne conclut qu'il était de service à bord. La fête de la +<i>Media-noche</i> devait suivre l'office, elle regretta peut-être l'absence +du téméraire alférez; mais, hâtons-nous d'ajouter que ces pensées +mondaines n'effleurèrent qu'à peine l'esprit de la jeune fille; encore se les reprocha-t-elle en faisant son examen de conscience.</p> -<p>Enfin, la foule s'écoula lentement; don Antonio Barzon sortit du chœur, -s'avança vers sa fille, lui offrit le bras et se dirigea vers la porte -latérale. Un carrosse attendait dehors. Les officiers se pressaient en -foule à la suite du gouverneur; l'issue allait être obstruée. Don -Graviel fit un signe, s'ouvrit passage de vive force à travers les -autorités galonnées, et fut imité par ses compagnons. Une certaine +<p>Enfin, la foule s'écoula lentement; don Antonio Barzon sortit du chœur, +s'avança vers sa fille, lui offrit le bras et se dirigea vers la porte +latérale. Un carrosse attendait dehors. Les officiers se pressaient en +foule à la suite du gouverneur; l'issue allait être obstruée. Don +Graviel fit un signe, s'ouvrit passage de vive force à travers les +autorités galonnées, et fut imité par ses compagnons. Une certaine confusion s'ensuivit. Les dignitaires coloniaux s'indignaient de l'insolence des rustres qui les coudoyaient, mais les rustres gagnaient du terrain.</p> -<p>Déjà le marquis de las Hermaduras présentait la main à sa fille pour la -faire, monter en voiture quand le bouillant alférez le poussa rudement -en arriéré, enleva Juana à bras le corps, et se prit à courir en criant -«Noël!» C'était le mot de ralliement.</p> +<p>Déjà le marquis de las Hermaduras présentait la main à sa fille pour la +faire, monter en voiture quand le bouillant alférez le poussa rudement +en arriéré, enleva Juana à bras le corps, et se prit à courir en criant +«Noël!» C'était le mot de ralliement.</p> -<p>«Au secours! aux armes! soldats et citoyens, à moi!» hurlait avec fureur -don Antonio Barzon. Les officiers tirèrent leurs épées, la garde du -gouverneur croisa la baïonnette.</p> +<p>«Au secours! aux armes! soldats et citoyens, à moi!» hurlait avec fureur +don Antonio Barzon. Les officiers tirèrent leurs épées, la garde du +gouverneur croisa la baïonnette.</p> -<p>«Noël! Noël! en avant les biscaïens!» répondirent les matelots.</p> +<p>«Noël! Noël! en avant les biscaïens!» répondirent les matelots.</p> <p>Brombollio et ses huit camarades couvraient la retraite de l'enseigne, -le terrible moulinet de leurs fléaux enferrés tenait en respect la -multitude effrayée. Dona Juana, éperdue, se débattait inutilement entre -les bras de son ravisseur, qui la déposa bientôt dans la yole, s'y jeta +le terrible moulinet de leurs fléaux enferrés tenait en respect la +multitude effrayée. Dona Juana, éperdue, se débattait inutilement entre +les bras de son ravisseur, qui la déposa bientôt dans la yole, s'y jeta ainsi que ses gens, et poussa au large.</p> <p>Tout cela dura moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.</p> -<p>Mille clameurs partaient du rivage, où régnait un désordre inexprimable. -Cent torches éclairèrent bientôt l'étroite ruelle par laquelle les -marins s'étaient enfuis; les soldats avaient chargé leurs armes, mais +<p>Mille clameurs partaient du rivage, où régnait un désordre inexprimable. +Cent torches éclairèrent bientôt l'étroite ruelle par laquelle les +marins s'étaient enfuis; les soldats avaient chargé leurs armes, mais comment tirer? on aurait pu blesser la fille du gouverneur. La yole -d'ailleurs filait plus vite qu'un trait, elle ne tarda pas à s'effacer +d'ailleurs filait plus vite qu'un trait, elle ne tarda pas à s'effacer dans l'ombre.</p> -<p>«Des canots! des canots! mort de ma vie! ou je vous fais tous pendre à -l'instant! Des canots! sang et tonnerre!» répétait d'une voix -étourdissante l'illustrissime don Antonio Barzon.</p> +<p>«Des canots! des canots! mort de ma vie! ou je vous fais tous pendre à +l'instant! Des canots! sang et tonnerre!» répétait d'une voix +étourdissante l'illustrissime don Antonio Barzon.</p> -<p>Les officiers de marine, ceux de <i>la Santa-Fé</i> entre autres, +<p>Les officiers de marine, ceux de <i>la Santa-Fé</i> entre autres, parcouraient les quais en cherchant des canots partout: mais la -chaloupe, en passant, avait entraîné les uns, engravé les autres, jeté -les avivons à la mer, démonté les gouvernails; et grâce aux précautions -de don Graviel, la frégate, à qui l'on fit en vain des signaux de nuit, -ne put expédier le moindre batelet à terre.</p> +chaloupe, en passant, avait entraîné les uns, engravé les autres, jeté +les avivons à la mer, démonté les gouvernails; et grâce aux précautions +de don Graviel, la frégate, à qui l'on fit en vain des signaux de nuit, +ne put expédier le moindre batelet à terre.</p> -<p>Pendant que le gouverneur et tous les siens se trouvaient ainsi cloués -au rivage, la yole rejoignait la chaloupe entre deux pontons abandonnés, +<p>Pendant que le gouverneur et tous les siens se trouvaient ainsi cloués +au rivage, la yole rejoignait la chaloupe entre deux pontons abandonnés, lieu convenu de rendez-vous.</p> -<p>On doit rendre cette justice à l'entreprenant alférez, que son plan -était habilement combiné. L'amour, par exception à l'adage du fabuliste, -n'a point exclu toute prudence, bien que maître Brombollio, qui murmure, +<p>On doit rendre cette justice à l'entreprenant alférez, que son plan +était habilement combiné. L'amour, par exception à l'adage du fabuliste, +n'a point exclu toute prudence, bien que maître Brombollio, qui murmure, soit loin de partager notre opinion.</p> -<p>Dona Juana, effrayée, n'avait pas encore reconnu son audacieux -adorateur, qui crut devoir laisser au contre-maître le soin de la -réduire au silence. La mantille de soie de la jeune fille fut galamment -convertie en bâillon: un petit mal pour un grand bien; don Graviel avait +<p>Dona Juana, effrayée, n'avait pas encore reconnu son audacieux +adorateur, qui crut devoir laisser au contre-maître le soin de la +réduire au silence. La mantille de soie de la jeune fille fut galamment +convertie en bâillon: un petit mal pour un grand bien; don Graviel avait permis cette violence assez peu chevaleresque. Du reste, il gouvernait -et n'ouvrit la bouche que quand il s'agit de donner le mot de passe à -son complice Fernando, et même eut-il la précaution de contrefaire sa -voix. Puis les deux embarcations voguèrent de conserve; les aventuriers -visitèrent leurs amorces de pistolet, et l'on se dirigea, toujours à la -muette, vers le <i>Caprichoso</i> dont on connaît suffisamment la physionomie -extérieure, mais sur lequel de nouveaux détails deviennent nécessaires.</p> - -<p><i>Le Caprichoso</i> n'était pas navire de guerre; seulement, il portait sur -pivot une longue pièce de 24 en bronze; par son travers grimaçaient dans +et n'ouvrit la bouche que quand il s'agit de donner le mot de passe à +son complice Fernando, et même eut-il la précaution de contrefaire sa +voix. Puis les deux embarcations voguèrent de conserve; les aventuriers +visitèrent leurs amorces de pistolet, et l'on se dirigea, toujours à la +muette, vers le <i>Caprichoso</i> dont on connaît suffisamment la physionomie +extérieure, mais sur lequel de nouveaux détails deviennent nécessaires.</p> + +<p><i>Le Caprichoso</i> n'était pas navire de guerre; seulement, il portait sur +pivot une longue pièce de 24 en bronze; par son travers grimaçaient dans la ligne rouge une dizaine de canons en fonte d'un moindre calibre: de -distance en distance, à l'arrière, à l'avant, jusque dans la hune, -s'épanouissaient, comme les fleurs dorées d'un parterre, bon nombre -d'espingoles et de petters de deux à six livres de balles. Le tout était -merveilleusement fourbi et reluisait de la façon la plus appétissante.</p> - -<p><i>Le Caprichoso</i> n'était pas non plus un navire marchand; seulement, il -était en rapports suivis, avec les gros négociants de la Havane, on -l'avait vu livrer commercialement superbes cargaisons de nègres qui, -disait-on, n'avaient pas dû lui coûter cher. On assurait que son -excellence don Antonio Barzon s'intéressait paternellement aux -opérations de cet estimable spéculateur, dont quarante gaillards de -mauvaise mine composaient l'équipage. Un certain Bertuzzi, assez mal -famé dans ta colonie, quoique fort bien reçu chez le gouverneur, le +distance en distance, à l'arrière, à l'avant, jusque dans la hune, +s'épanouissaient, comme les fleurs dorées d'un parterre, bon nombre +d'espingoles et de petters de deux à six livres de balles. Le tout était +merveilleusement fourbi et reluisait de la façon la plus appétissante.</p> + +<p><i>Le Caprichoso</i> n'était pas non plus un navire marchand; seulement, il +était en rapports suivis, avec les gros négociants de la Havane, on +l'avait vu livrer commercialement superbes cargaisons de nègres qui, +disait-on, n'avaient pas dû lui coûter cher. On assurait que son +excellence don Antonio Barzon s'intéressait paternellement aux +opérations de cet estimable spéculateur, dont quarante gaillards de +mauvaise mine composaient l'équipage. Un certain Bertuzzi, assez mal +famé dans ta colonie, quoique fort bien reçu chez le gouverneur, le commandait.</p> -<p>«Ho! de la chaloupe!» héla d'une voix éclatante un homme qui se dressa +<p>«Ho! de la chaloupe!» héla d'une voix éclatante un homme qui se dressa sur le couronnement; et pourquoi ne dirions-nous pas tout de suite que -cet homme était simplement le capitaine Bertuzzi?</p> +cet homme était simplement le capitaine Bertuzzi?</p> -<p>«Ronde d'officier!» répondit militairement Fernando en longeant le -brick-goélette illuminé de bout en bout, car les négriers aussi -faisaient réveillon. Ils buvaient, dansaient, hurlaient et riaient aux -éclats. Le talia coulait à flots, et le poète de la bande,--où n'y -a-t-il point un poète?--improvisait une chanson de circonstance sur la +<p>«Ronde d'officier!» répondit militairement Fernando en longeant le +brick-goélette illuminé de bout en bout, car les négriers aussi +faisaient réveillon. Ils buvaient, dansaient, hurlaient et riaient aux +éclats. Le talia coulait à flots, et le poète de la bande,--où n'y +a-t-il point un poète?--improvisait une chanson de circonstance sur la capture de quelques traitants dont on avait, le mois dernier, pris les -noirs et brûlé les navires.</p> +noirs et brûlé les navires.</p> -<p>A la réponse rassurante du garde-marine, le capitaine Bertuzzi se -recoucha nonchalamment à plat-pont. Tout en fumant le cigare, et +<p>A la réponse rassurante du garde-marine, le capitaine Bertuzzi se +recoucha nonchalamment à plat-pont. Tout en fumant le cigare, et attendait, le digne homme, que ses jurons en fussent aux coups de -couteau pour mettre le holà et les envoyer dans leurs hamacs. Mais, il -n'avait pas eu le temps de fumer trois bouffées, que son bord fut tout à -coup envahi par les cinquante déserteurs de <i>la Santa-Fé</i>, et que lui +couteau pour mettre le holà et les envoyer dans leurs hamacs. Mais, il +n'avait pas eu le temps de fumer trois bouffées, que son bord fut tout à +coup envahi par les cinquante déserteurs de <i>la Santa-Fé</i>, et que lui personnellement se trouvait aux prises avec quatre vigoureux matelots dont le dogmatique Fernando dirigeait les mouvements.</p> -<p>«Capitaine Bertuzzi, pas de colère, je vous en prie, disait posément le -garde-marine; voyez, ce pistolet, si vous faites le méchant, il vous -cassera la tête.»</p> +<p>«Capitaine Bertuzzi, pas de colère, je vous en prie, disait posément le +garde-marine; voyez, ce pistolet, si vous faites le méchant, il vous +cassera la tête.»</p> -<p>Pris au piège où tant de fois il avait fait tomber ses confrères, le -négrier-pirate fut artistement garrotté, bâillonné et déposé dans la -chaloupe. Inutile d'ajouter que les marins de la frégate n'avaient pas -laissé à ceux du brick le temps de courir aux armes. Leurs arguments, -aussi simples que celui de Fernando, eurent un égal succès. Sur ces +<p>Pris au piège où tant de fois il avait fait tomber ses confrères, le +négrier-pirate fut artistement garrotté, bâillonné et déposé dans la +chaloupe. Inutile d'ajouter que les marins de la frégate n'avaient pas +laissé à ceux du brick le temps de courir aux armes. Leurs arguments, +aussi simples que celui de Fernando, eurent un égal succès. Sur ces entrefaites, par les soins de don Graviel, dona Juana, qui maintenant -pleurait à chaudes larmes, avait été enfermée dans la cabine du -capitaine; enfin, lorsqu'une bonne moitié des négriers eurent été -rangés, pieds et poings liés, à côté du capitaine Bertuzzi, l'enseigne, -dépouillant sa cape de matelot, fit briller son uniforme et s'adressa +pleurait à chaudes larmes, avait été enfermée dans la cabine du +capitaine; enfin, lorsqu'une bonne moitié des négriers eurent été +rangés, pieds et poings liés, à côté du capitaine Bertuzzi, l'enseigne, +dépouillant sa cape de matelot, fit briller son uniforme et s'adressa aux autres en ces termes:</p> -<p>«Gens du <i>Caprichoso</i>». nous sommes les plus forts et les plus nombreux; -le premier de vous qui témoignera le moindre mécontentement sera jeté à +<p>«Gens du <i>Caprichoso</i>». nous sommes les plus forts et les plus nombreux; +le premier de vous qui témoignera le moindre mécontentement sera jeté à la mer avec un boulet aux pieds. Soyez donc sages et mignons comme des brebis. Secondement, si l'un de vous s'avise de toucher une arme, sans -ma permission, il aura le droit d'être immédiatement hissé au bout de la +ma permission, il aura le droit d'être immédiatement hissé au bout de la grand'vergue. D'ailleurs, vous faisiez la course avec Bertuzzi, vous la -ferez avec moi, voilà toute la différence. <i>Range à larguer les voiles!</i></p> +ferez avec moi, voilà toute la différence. <i>Range à larguer les voiles!</i></p> -<p>--Bien parlé!» dit maître Brombollio en disposant son monde pour +<p>--Bien parlé!» dit maître Brombollio en disposant son monde pour l'appareillage.</p> -<p>La chaloupe, pleine des hommes dont les capteurs avaient jugé prudent de -se débarrasser, fut abandonnée en dérive, sans avirons. On leva l'ancre, -on établit les voiles, et à l'aide d'une légère bris on navigua sur -l'entrée du port.</p> +<p>La chaloupe, pleine des hommes dont les capteurs avaient jugé prudent de +se débarrasser, fut abandonnée en dérive, sans avirons. On leva l'ancre, +on établit les voiles, et à l'aide d'une légère bris on navigua sur +l'entrée du port.</p> -<p>Durant ces diverses opérations, l'alarme allait croissant dans la ville, -l'on y battait la générale, la garnison prenait les armes, le gouverneur -avait enfin des canots à ses ordres, les officiers de terre et de mer se -multipliaient, les forts se mettaient sur la défensive, des coups de +<p>Durant ces diverses opérations, l'alarme allait croissant dans la ville, +l'on y battait la générale, la garnison prenait les armes, le gouverneur +avait enfin des canots à ses ordres, les officiers de terre et de mer se +multipliaient, les forts se mettaient sur la défensive, des coups de canon de signaux retentissaient sur l'une et l'autre rive du port.</p> -<p>«Maudite donzelle! murmurait maître Brombollio. Sans elle pourtant +<p>«Maudite donzelle! murmurait maître Brombollio. Sans elle pourtant personne ne se douterait de rien, nous filerions notre petit nœud au -large, et, au point du jour, on pourrait nous courir après.</p> +large, et, au point du jour, on pourrait nous courir après.</p> -<p>--Ne me parlez pas des femmes!» répétait dogmatiquement Fernando +<p>--Ne me parlez pas des femmes!» répétait dogmatiquement Fernando Ribalosa.</p> -<p>Don Graviel était trop occupé de la manœuvre pour descendre dans la -cabine où l'infortunée Juanita ne cessait de se lamenter, toujours sans -rien comprendre de ce qui lui arrivait. L'entrevue promettait d'être -délicate; elle exigeait du calme, du sang-froid, du temps surtout. D'un -autre côté, la brise de terre mollissait. Le canon de la frégate se fit -entendre à son tour, preuve certaine que le commandant de <i>la Santa-Fé</i> -soit enfin parvenu à rejoindre son bord. La position devenait critique.</p> +<p>Don Graviel était trop occupé de la manœuvre pour descendre dans la +cabine où l'infortunée Juanita ne cessait de se lamenter, toujours sans +rien comprendre de ce qui lui arrivait. L'entrevue promettait d'être +délicate; elle exigeait du calme, du sang-froid, du temps surtout. D'un +autre côté, la brise de terre mollissait. Le canon de la frégate se fit +entendre à son tour, preuve certaine que le commandant de <i>la Santa-Fé</i> +soit enfin parvenu à rejoindre son bord. La position devenait critique.</p> -<p>«Il serait dommage de manquer l'affaire après avoir si bien commencé, +<p>«Il serait dommage de manquer l'affaire après avoir si bien commencé, murmura l'enseigne.</p> -<p>--D'autant plus que nous serions inévitablement mis au croc, répondit -maître Brombollio. +<p>--D'autant plus que nous serions inévitablement mis au croc, répondit +maître Brombollio. <p>--Comme des goujons au bout d'une ligne, ajouta le garde-marine.</p> -<p>--Armez les avirons de galère, mes petits cœurs! commanda don Graviel, -et si vous tenez à votre peau, nagez, ventre bleu! nagez, les caïmans, -enlevez-moi çà connue des tigres!»</p> +<p>--Armez les avirons de galère, mes petits cœurs! commanda don Graviel, +et si vous tenez à votre peau, nagez, ventre bleu! nagez, les caïmans, +enlevez-moi çà connue des tigres!»</p> -<p>Le brick-goélette ne tarda pas à glisser sur la mer unie, à l'aide de +<p>Le brick-goélette ne tarda pas à glisser sur la mer unie, à l'aide de ses longues rames.</p> -<p>Fernando, sans perdre de temps, faisait charger à double projectile, -boulet et mitraille, toutes les pièces d'artillerie du <i>Caprichoso</i>. Les -négriers, voyant qu'on ne leur faisait aucun mal, se prêtèrent à tout de -fort bonne grâce. +<p>Fernando, sans perdre de temps, faisait charger à double projectile, +boulet et mitraille, toutes les pièces d'artillerie du <i>Caprichoso</i>. Les +négriers, voyant qu'on ne leur faisait aucun mal, se prêtèrent à tout de +fort bonne grâce. <p>Cependant les embrasures du fort du Morro, sous lequel il faut -nécessairement passer pour sortir, s'illuminaient peu à peu. On voyait -les canonniers apprêter leurs pièces; les murailles du fort de la Puota, -qui défend également l'entrée du port, se garnissaient aussi de soldats. -La frégate <i>la Santa-Fé</i> sembla faire des mouvements: les déserteurs -crurent reconnaître le son de ses trompettes appelant l'équipage aux -postes de combat; bientôt après elle largua ses voiles. Tous les -bâtiments légers de la station, canonnières, goélettes, pataches, -tartanes, se mettaient en route. Les commandements marins résonnaient -d'un bout à l'autre du port, et, chose plus douloureuse encore, le bruit -cadencé des avirons de la flottille de chasse devenait plus distinct de -minute en minute. On avait, à bâbord, le fort du Morro; à tribord, -devant et derrière, des ennemis flottants.</p> - -<p>«Oh! les femmes, les filles, les mantilles, les basquines et les jupons -de malheur! je les voudrais à tous les cinq cent mille diables. Race de -femelles damnées! perdition des hommes! engeance maudite! répétait à -chaque coup de rame maître Brombollio, qui donnait l'exemple de nager -vigoureusement. Il mêlait à ses malédictions des encouragements non -moins énergiques. «Nagez donc, les agneaux! disait-il; souquez! hardi! -ferme, mille millions de tonnerres! ne dormons pas. Voilà une satanée -canonnière qui veut nous couper la route!»</p> +nécessairement passer pour sortir, s'illuminaient peu à peu. On voyait +les canonniers apprêter leurs pièces; les murailles du fort de la Puota, +qui défend également l'entrée du port, se garnissaient aussi de soldats. +La frégate <i>la Santa-Fé</i> sembla faire des mouvements: les déserteurs +crurent reconnaître le son de ses trompettes appelant l'équipage aux +postes de combat; bientôt après elle largua ses voiles. Tous les +bâtiments légers de la station, canonnières, goélettes, pataches, +tartanes, se mettaient en route. Les commandements marins résonnaient +d'un bout à l'autre du port, et, chose plus douloureuse encore, le bruit +cadencé des avirons de la flottille de chasse devenait plus distinct de +minute en minute. On avait, à bâbord, le fort du Morro; à tribord, +devant et derrière, des ennemis flottants.</p> + +<p>«Oh! les femmes, les filles, les mantilles, les basquines et les jupons +de malheur! je les voudrais à tous les cinq cent mille diables. Race de +femelles damnées! perdition des hommes! engeance maudite! répétait à +chaque coup de rame maître Brombollio, qui donnait l'exemple de nager +vigoureusement. Il mêlait à ses malédictions des encouragements non +moins énergiques. «Nagez donc, les agneaux! disait-il; souquez! hardi! +ferme, mille millions de tonnerres! ne dormons pas. Voilà une satanée +canonnière qui veut nous couper la route!»</p> <p>Fernando, sa longue-vue de nuit en main, examinait la baie, et toussait -à intervalles égaux; c'était sa méthode pour témoigner de l'inquiétude. -Le grave garde-marine s'était spécialement chargé de la pièce à pivot, -qu'il pointait sur la canonnière la plus rapprochée.</p> +à intervalles égaux; c'était sa méthode pour témoigner de l'inquiétude. +Le grave garde-marine s'était spécialement chargé de la pièce à pivot, +qu'il pointait sur la canonnière la plus rapprochée.</p> -<p>Quant à don Graviel, il commençait à craindre de perdre la partie.</p> +<p>Quant à don Graviel, il commençait à craindre de perdre la partie.</p> <p class="rig">G. DE LA LANDELLE.</p> -<p><i>(La suite à un prochain numéro.)</i></p> +<p><i>(La suite à un prochain numéro.)</i></p> <br><br> <h2>Courrier de Paris.</h2> -<p>La semaine n'a produit que des œuvres dramatiques médiocrement -récréatives, et qui méritent à peine une rapide mention; <i>le Vieux -Consul</i> aurait mieux fait, par exemple, d'attendre le carême; il est -d'un intérêt assez maigre pour qu'on regrette qu'il n'ait point patienté -jusqu'à cette époque si conforme à son tempérament. Ce vieux consul +<p>La semaine n'a produit que des œuvres dramatiques médiocrement +récréatives, et qui méritent à peine une rapide mention; <i>le Vieux +Consul</i> aurait mieux fait, par exemple, d'attendre le carême; il est +d'un intérêt assez maigre pour qu'on regrette qu'il n'ait point patienté +jusqu'à cette époque si conforme à son tempérament. Ce vieux consul n'est rien moins que Marius le proscripteur; or, je vous demande si les -proscriptions conviennent à la saison des bals masqués; quelques beaux -vers, une ou deux scènes énergiques, ont pu difficilement préserver -Marius du péril résultant de son apparition en plein carnaval; il a eu -affaire à un parterre d'étudiants encore tout émus du galop de la veille -et qui riaient aux éclats et jouaient, peu s'en faut, des scènes de -débardeurs aux moments les plus pathétiques; pour rien au monde, nos -étourdis ne voulaient de tragédie ce jour-là. Le mercredi des cendres, -le <i>Marius</i> de M. Ponroy aurait peut-être monté aux nues! Il n'y a rien -de tel que de choisir son temps: arriver à propos est un grand art.</p> - -<p>Vous parlerai-je des vaudevilles venus au monde à la même époque, -pauvres créatures chétives, qui n'ont ni jeunesse ni gaieté et sont -peut-être déjà mortes, pour la plupart, au moment où je parle; <i>les -Oppressions de voyage</i> enterrées en une soirée, sous les sifflets; <i>les -Comédiens ambulants</i> reproduisant pour la centième fois, sans beaucoup +proscriptions conviennent à la saison des bals masqués; quelques beaux +vers, une ou deux scènes énergiques, ont pu difficilement préserver +Marius du péril résultant de son apparition en plein carnaval; il a eu +affaire à un parterre d'étudiants encore tout émus du galop de la veille +et qui riaient aux éclats et jouaient, peu s'en faut, des scènes de +débardeurs aux moments les plus pathétiques; pour rien au monde, nos +étourdis ne voulaient de tragédie ce jour-là . Le mercredi des cendres, +le <i>Marius</i> de M. Ponroy aurait peut-être monté aux nues! Il n'y a rien +de tel que de choisir son temps: arriver à propos est un grand art.</p> + +<p>Vous parlerai-je des vaudevilles venus au monde à la même époque, +pauvres créatures chétives, qui n'ont ni jeunesse ni gaieté et sont +peut-être déjà mortes, pour la plupart, au moment où je parle; <i>les +Oppressions de voyage</i> enterrées en une soirée, sous les sifflets; <i>les +Comédiens ambulants</i> reproduisant pour la centième fois, sans beaucoup d'adresse ni d'esprit, le roman comique de Scarron; <i>le Nouveau -Rodolphe</i>, parodie des <i>Mystères de Paris</i>, que le parterre a sifflé -sans mystère? Non, vraiment, je n'abuserai ni de mon temps ni du vôtre -pour vous entretenir de ces fadaises; un seul vaudeville a survécu à -cette mortalité universelle: c'est <i>le Major Cravachon</i>. Ce brave major -ne manque ni de franchise ni de gaieté, il a servi sous Napoléon; on -s'en aperçoit à son ton vainqueur et à ses redoutables moustaches; et, -bien qu'il ait déposé son glaive, Cravachon n'en a pas moins l'humeur +Rodolphe</i>, parodie des <i>Mystères de Paris</i>, que le parterre a sifflé +sans mystère? Non, vraiment, je n'abuserai ni de mon temps ni du vôtre +pour vous entretenir de ces fadaises; un seul vaudeville a survécu à +cette mortalité universelle: c'est <i>le Major Cravachon</i>. Ce brave major +ne manque ni de franchise ni de gaieté, il a servi sous Napoléon; on +s'en aperçoit à son ton vainqueur et à ses redoutables moustaches; et, +bien qu'il ait déposé son glaive, Cravachon n'en a pas moins l'humeur terriblement belliqueuse; si vous n'avez pas pourfendu au moins trois ou -quatre chrétiens, vous n'êtes pas son homme; imaginez, d'après cet -échantillon, ce que Cravachon exigerait de celui qui s'aviserait -d'aspirer à l'honneur d'être son gendre; à moins d'être un foudre de -guerre, ne vous y frottez pas; or, les Césars et les Cravachons sont -rares, et notre vaillant major en est réduit à éconduire, l'un après -l'autre, une quantité de soupirants qui prétendent à la main de sa -fille. Quoi donc? faudra-t-il que la pauvre petite sèche et dessèche -dans les ennuis du célibat? Ne trouverons-nous pas, à la fin, un -fier-à-bras pour conclure ses noces? Cravachon commence à désespérer; le -monde n'est plus rempli que de lièvres, pense-t-il; enfin, un lion lui -arrive; celui-là a le poignet fort, le cœur vaillant, le jarret -intrépide; il donne à Cravachon un grand coup d'épée pour premier +quatre chrétiens, vous n'êtes pas son homme; imaginez, d'après cet +échantillon, ce que Cravachon exigerait de celui qui s'aviserait +d'aspirer à l'honneur d'être son gendre; à moins d'être un foudre de +guerre, ne vous y frottez pas; or, les Césars et les Cravachons sont +rares, et notre vaillant major en est réduit à éconduire, l'un après +l'autre, une quantité de soupirants qui prétendent à la main de sa +fille. Quoi donc? faudra-t-il que la pauvre petite sèche et dessèche +dans les ennuis du célibat? Ne trouverons-nous pas, à la fin, un +fier-à -bras pour conclure ses noces? Cravachon commence à désespérer; le +monde n'est plus rempli que de lièvres, pense-t-il; enfin, un lion lui +arrive; celui-là a le poignet fort, le cœur vaillant, le jarret +intrépide; il donne à Cravachon un grand coup d'épée pour premier certificat. Cravachon ne se sent pas d'aise, lui tend les bras, le -caresse, l'embrasse et lui dit; «Touchez là, vous avez ma fille!»--Cette -recette pour le mariage n'est pas encore très-répandue, et fort peu de -beaux-pères s'accommoderaient de recevoir le coup d'épée reçu par -Cravachon, au risque de rester comme lui six mois au lit à se faire -panser; mais ne sommes-nous pas dans un siècle original? Patience donc! -le goût en viendra peut-être, et ces demoiselles ne se marieront plus -autrement.--Les auteurs de cette petite pièce comique sont MM. Lefranc +caresse, l'embrasse et lui dit; «Touchez là , vous avez ma fille!»--Cette +recette pour le mariage n'est pas encore très-répandue, et fort peu de +beaux-pères s'accommoderaient de recevoir le coup d'épée reçu par +Cravachon, au risque de rester comme lui six mois au lit à se faire +panser; mais ne sommes-nous pas dans un siècle original? Patience donc! +le goût en viendra peut-être, et ces demoiselles ne se marieront plus +autrement.--Les auteurs de cette petite pièce comique sont MM. Lefranc et Labiche.</p> -<p>La semaine du moins a été particulièrement remarquable par l'apparition -d'un important personnage; pendant deux jours il a visité les quartiers -les plus fréquentés et les rues les plus fameuses, excitant partout une -curiosité immense, et recevant des honneurs magnifiques: des hérauts -d'armes, des gardes à pied, des cavaliers le casque en tête, lui -servaient de cortège, au roulement du tambour, au bruit d'une musique -militaire; son état-major se composait de Grecs, de Romains, de -chevaliers armés de pied en cap, de gentilshommes ressuscités de la cour +<p>La semaine du moins a été particulièrement remarquable par l'apparition +d'un important personnage; pendant deux jours il a visité les quartiers +les plus fréquentés et les rues les plus fameuses, excitant partout une +curiosité immense, et recevant des honneurs magnifiques: des hérauts +d'armes, des gardes à pied, des cavaliers le casque en tête, lui +servaient de cortège, au roulement du tambour, au bruit d'une musique +militaire; son état-major se composait de Grecs, de Romains, de +chevaliers armés de pied en cap, de gentilshommes ressuscités de la cour de Louis XIII et de Louis XIV. C'est peu encore; les dieux et demi-dieux -s'étaient mis à sa suite; Hercule, Hébé, Vénus, Mars, Cupidon, Bacchus, -Junon, Minerve, Apollon, Jupiter lui même, le terrible Jupiter, lui -faisaient escorte; et le vieux Saturne n'avait pas dédaigné de monter -sur un char et d'en tenir les rênes.</p> - -<p>Un autre aurait pu tirer vanité de ces honneurs inouïs, et attendre que -des gens qui désiraient le visiter et le voir fissent auprès de lui les -premières démonstrations; mais le personnage en question a montré qu'il -n'était ni difficile ni exigeant sur l'affaire de l'étiquette; il a -tranché la difficulté en faisant, de sa propre personne, des visites -empressées aux notables habitants de la ville. C'est ainsi qu'il est -allé saluer successivement M. le ministre des finances, M. Sauzet, -président de la Chambre des Députés, M. le maréchal Soult, M. -l'ambassadeur d'Autriche, M. le président de la Chambre des Pairs, M. -Crinin-Gridame et M. Duchatel; mais son hommage le plus solennel a été -pour le château des Tuileries: c'est là qu'il s'est efforcé surtout -d'être agréable et de réussir.</p> +s'étaient mis à sa suite; Hercule, Hébé, Vénus, Mars, Cupidon, Bacchus, +Junon, Minerve, Apollon, Jupiter lui même, le terrible Jupiter, lui +faisaient escorte; et le vieux Saturne n'avait pas dédaigné de monter +sur un char et d'en tenir les rênes.</p> + +<p>Un autre aurait pu tirer vanité de ces honneurs inouïs, et attendre que +des gens qui désiraient le visiter et le voir fissent auprès de lui les +premières démonstrations; mais le personnage en question a montré qu'il +n'était ni difficile ni exigeant sur l'affaire de l'étiquette; il a +tranché la difficulté en faisant, de sa propre personne, des visites +empressées aux notables habitants de la ville. C'est ainsi qu'il est +allé saluer successivement M. le ministre des finances, M. Sauzet, +président de la Chambre des Députés, M. le maréchal Soult, M. +l'ambassadeur d'Autriche, M. le président de la Chambre des Pairs, M. +Crinin-Gridame et M. Duchatel; mais son hommage le plus solennel a été +pour le château des Tuileries: c'est là qu'il s'est efforcé surtout +d'être agréable et de réussir.</p> <p>De quoi s'agit-il? dites-vous.--Mais d'un personnage de poids, du poids de 1,370 kilogrammes.--Vous l'appelez?--Le bœuf gras, roi du carnaval; -son règne a duré trois jours: commencé et inauguré dimanche à dix heures +son règne a duré trois jours: commencé et inauguré dimanche à dix heures du matin, il s'achevait mardi soir aux abattoirs Montmartre. Les courtisans et les grands-officiers de carnaval, qui l'avaient servi et -flatté pendant sa puissance, l'ont mangé en beefteack après sa chute; ô -fragilité des grosseurs humaines!</p> - -<p>Le bœuf gras mort, tout est dit, le carnaval est enterré. Un soleil -charmant, un ciel d'azur, ont éclairé son dernier jour; il est -impossible de finir plus gaiement, et surtout d'avoir pour cortège, et -pour témoins de sa journée suprême, des amis plus nombreux et plus -empressés.--Dès midi, une moitié de Paris s'était mise à ses fenêtres -pour voir passer le carnaval; l'autre moitié se répandait dans les rues; -de la Madeleine à la bastille, le boulevard était couvert d'une +flatté pendant sa puissance, l'ont mangé en beefteack après sa chute; ô +fragilité des grosseurs humaines!</p> + +<p>Le bœuf gras mort, tout est dit, le carnaval est enterré. Un soleil +charmant, un ciel d'azur, ont éclairé son dernier jour; il est +impossible de finir plus gaiement, et surtout d'avoir pour cortège, et +pour témoins de sa journée suprême, des amis plus nombreux et plus +empressés.--Dès midi, une moitié de Paris s'était mise à ses fenêtres +pour voir passer le carnaval; l'autre moitié se répandait dans les rues; +de la Madeleine à la bastille, le boulevard était couvert d'une population immense, qui s'agitait tumultueusement et se pressait sur les -dalles des contre-allées, tandis qu'une double haie de voitures occupait -les bas-côtés, s'allongeant à perte de vue; c'était l'image de l'égalité -parfaite; l'équipage armorié était rangé sur la même ligne que le -fiacre plébéien; l'élégante calèche et l'humble vinaigrette marchaient -du même pas monotone et lent; quant au carnaval, il était difficile de +dalles des contre-allées, tandis qu'une double haie de voitures occupait +les bas-côtés, s'allongeant à perte de vue; c'était l'image de l'égalité +parfaite; l'équipage armorié était rangé sur la même ligne que le +fiacre plébéien; l'élégante calèche et l'humble vinaigrette marchaient +du même pas monotone et lent; quant au carnaval, il était difficile de l'apercevoir. Les curieux ne manquaient pas; ils arrivaient par -milliers, à pied, à cheval, en voiture, pour assister aux exercices du -dieu burlesque; mais le dieu daignait à peine se manifester çà et là, -sous la forme de quelques débardeurs crottés, trottant pédestrement à -travers la foule, qui les saluait de ses huées; et à peine deux ou trois -calèches chargées de masques venaient-elles, de loin en loin, témoigner -qu'en effet Paris était en plein mardi-gras.</p> +milliers, à pied, à cheval, en voiture, pour assister aux exercices du +dieu burlesque; mais le dieu daignait à peine se manifester çà et là , +sous la forme de quelques débardeurs crottés, trottant pédestrement à +travers la foule, qui les saluait de ses huées; et à peine deux ou trois +calèches chargées de masques venaient-elles, de loin en loin, témoigner +qu'en effet Paris était en plein mardi-gras.</p> <p>Le carnaval est encore une de ces vieilles institutions que le temps a -modifiées, sinon complètement détruites; autrefois, messire carnaval -s'éveillait dès le matin, s'affublait de son costume bigarré, couvrait +modifiées, sinon complètement détruites; autrefois, messire carnaval +s'éveillait dès le matin, s'affublait de son costume bigarré, couvrait son visage du masque joyeux ou grotesque, et s'en allait par toute la ville agitant ses grelots et amusant les passants, les scandalisant -quelquefois de ses lazzi et de ses propos effrontés; le carnaval -agissait en plein jour et à la face de tout le monde; ses desservants -innombrables, répandus de tous côtés, transformaient Paris, pendant deux -ou trois journées, en un immense magasin de masques en plein vent.</p> +quelquefois de ses lazzi et de ses propos effrontés; le carnaval +agissait en plein jour et à la face de tout le monde; ses desservants +innombrables, répandus de tous côtés, transformaient Paris, pendant deux +ou trois journées, en un immense magasin de masques en plein vent.</p> <p>Le carnaval d'aujourd'hui a d'autres fantaisies et d'autres habitudes; -il trônait autrefois dans la rue; il envahissait les carrefours, les -boulevards, les places publiques; on le rencontrait à chaque pas; -c'était lui, toujours lui; il était maître de la cité et de ses -faubourgs. Maintenant la lumière lui déplaît; la vie publique n'est plus -son affaire; d'année en aimée il s'est retiré de la rue, et on peut -prédire que dans peu de temps il en aura complètement disparu; il ne +il trônait autrefois dans la rue; il envahissait les carrefours, les +boulevards, les places publiques; on le rencontrait à chaque pas; +c'était lui, toujours lui; il était maître de la cité et de ses +faubourgs. Maintenant la lumière lui déplaît; la vie publique n'est plus +son affaire; d'année en aimée il s'est retiré de la rue, et on peut +prédire que dans peu de temps il en aura complètement disparu; il ne restera du carnaval en plein air que cette population ambulante et -curieuse,--qui viendra encore le chercher à travers la ville, longtemps -après qu'il n'y sera plus.</p> +curieuse,--qui viendra encore le chercher à travers la ville, longtemps +après qu'il n'y sera plus.</p> -<p>Il ne faut pas conclure de ce qui précède que le carnaval est défunt; il -n'a jamais eu, au contraire, une vie plus agitée et plus furieuse; il ne -s'est jamais livré à sa folle passion avec moins de modération et de +<p>Il ne faut pas conclure de ce qui précède que le carnaval est défunt; il +n'a jamais eu, au contraire, une vie plus agitée et plus furieuse; il ne +s'est jamais livré à sa folle passion avec moins de modération et de retenue: mais, au lieu du jour, c'est la nuit qu'il recherche; le -carnaval est devenu noctambule. Honnêtes curieux désappointés, qui avez -passé toute votre journée à courir vainement après le carnaval en -soufflant dans vos doigts, si le soir, minuit venu, vous étiez entrés -dans la salle de l'Opéra-Comique ou de l'Opéra, si vous vous étiez -glissés au Prado et dans tous les lieux nocturnes où le bal trouve +carnaval est devenu noctambule. Honnêtes curieux désappointés, qui avez +passé toute votre journée à courir vainement après le carnaval en +soufflant dans vos doigts, si le soir, minuit venu, vous étiez entrés +dans la salle de l'Opéra-Comique ou de l'Opéra, si vous vous étiez +glissés au Prado et dans tous les lieux nocturnes où le bal trouve asile, c'est pour le coup que le carnaval vous aurait apparu dans toute -sa force et sa souveraineté.--Oui, le voilà! c'est bien le carnaval, on -le reconnaît à ses cris, à son agitation, à ses traits convulsifs, à son -effronterie, à sa fureur pour le plaisir; c'est lui qui a revêtu de ses -oripeaux cette multitude diaprée; c'est lui qui la précipite dans cette -joie violente, dans cette danse à tous crins, dans cete valse à tous +sa force et sa souveraineté.--Oui, le voilà ! c'est bien le carnaval, on +le reconnaît à ses cris, à son agitation, à ses traits convulsifs, à son +effronterie, à sa fureur pour le plaisir; c'est lui qui a revêtu de ses +oripeaux cette multitude diaprée; c'est lui qui la précipite dans cette +joie violente, dans cette danse à tous crins, dans cete valse à tous bras!--Tout s'explique; le carnaval se calme et se repose pendant le jour, afin d'avoir assez de force pour soutenir le choc de ses nuits -terribles. Il fait comme ces gastronomes et ces débauchés prudents qui -se préparent, par un peu de diète et d'abstinence aux excès d'un énorme +terribles. Il fait comme ces gastronomes et ces débauchés prudents qui +se préparent, par un peu de diète et d'abstinence aux excès d'un énorme repas et d'une orgie.</p> -<p>Quant à su mort et à sa sépulture, le carnaval n'a rien changé aux -usages passés; c'est toujours le lendemain du mardi gras qu'il expire; -c'est toujours à la Courtille que se célèbre, la cérémonie funèbre, et +<p>Quant à su mort et à sa sépulture, le carnaval n'a rien changé aux +usages passés; c'est toujours le lendemain du mardi gras qu'il expire; +c'est toujours à la Courtille que se célèbre, la cérémonie funèbre, et que les adorateurs du carnaval viennent l'escorter en grande pompe et -assister à son dernier soupir.</p> - -<p>Le carnaval de 1844 a été inhumé avec un cérémonial inaccoutumé et une -si grande affluence de fidèles que nous sommes obligés, en conscience, -d'en faire part aux abonnés du <i>l'Illustration</i>, et de leur mettre sous -les yeux les traits principaux de cette fin mémorable.</p> - -<p>Il est six heures du matin; les réverbères mêlent au jour naissant leurs -dernières lueurs blafardes. Cette rue qui s'allonge devant vous se nomme -la rue du Faubourg-du-Temple. Il est aisé de la reconnaître à l'enseigne -qui se fait voir à gauche avec ces mots; <i>Vendanges de Bourgogne.</i>--Les -bals viennent de cesser; les danseurs, pâles, haletants, les yeux caves, -harassés des joies de la nuit, se sont jetés pêle-mêle, ceux-ci dans le -fiacre, ceux-là dans le cabriolet, d'autres dans la calèche béante; ils -s'en vont tous à la Courtille user de leur dernière heure et saluer de -leurs derniers cris d'amour le carnaval qui finit, à la barbe du +assister à son dernier soupir.</p> + +<p>Le carnaval de 1844 a été inhumé avec un cérémonial inaccoutumé et une +si grande affluence de fidèles que nous sommes obligés, en conscience, +d'en faire part aux abonnés du <i>l'Illustration</i>, et de leur mettre sous +les yeux les traits principaux de cette fin mémorable.</p> + +<p>Il est six heures du matin; les réverbères mêlent au jour naissant leurs +dernières lueurs blafardes. Cette rue qui s'allonge devant vous se nomme +la rue du Faubourg-du-Temple. Il est aisé de la reconnaître à l'enseigne +qui se fait voir à gauche avec ces mots; <i>Vendanges de Bourgogne.</i>--Les +bals viennent de cesser; les danseurs, pâles, haletants, les yeux caves, +harassés des joies de la nuit, se sont jetés pêle-mêle, ceux-ci dans le +fiacre, ceux-là dans le cabriolet, d'autres dans la calèche béante; ils +s'en vont tous à la Courtille user de leur dernière heure et saluer de +leurs derniers cris d'amour le carnaval qui finit, à la barbe du mercredi des cendres.--Vous les voyez qui vont et viennent, montent et -descendent; la rue est encombrée de voitures et de mascarades. En voici -une qui s'arrête. Quels gestes! Quelles attitudes! D'où vient cette -halte? Pourquoi cette pantomime énergique et cet air agressif? Eh! ne -faut-il pas que ces vaillants masques se défendent? Se laisseront-ils -impunément railler par cette commère à l'éloquence hasardée, qui leur -montre le poing et leur lance à bout portant des fragments de dialogue -qui n'ont rien d'attique? Ce n'est pas à cette heure, et dans la rue du -Temple, qu'il faut compter sur des voix mélodieuses comme la voix de -Cinti-Damoreau ou de Persiani; ce n'est pas à la descente de la -Courtille qu'on enseigne les belles manières et la modestie; ce n'est -pas entre débardeurs qu'on tient école de marivaudage. Cependant un -sergent de ville, las de cette rude campagne du carnaval, s'endort à ce +descendent; la rue est encombrée de voitures et de mascarades. En voici +une qui s'arrête. Quels gestes! Quelles attitudes! D'où vient cette +halte? Pourquoi cette pantomime énergique et cet air agressif? Eh! ne +faut-il pas que ces vaillants masques se défendent? Se laisseront-ils +impunément railler par cette commère à l'éloquence hasardée, qui leur +montre le poing et leur lance à bout portant des fragments de dialogue +qui n'ont rien d'attique? Ce n'est pas à cette heure, et dans la rue du +Temple, qu'il faut compter sur des voix mélodieuses comme la voix de +Cinti-Damoreau ou de Persiani; ce n'est pas à la descente de la +Courtille qu'on enseigne les belles manières et la modestie; ce n'est +pas entre débardeurs qu'on tient école de marivaudage. Cependant un +sergent de ville, las de cette rude campagne du carnaval, s'endort à ce terrible vacarme, comme Tytire au doux murmure d'une source limpide. -Mais que vois-je près de lui? Un enfant tout nu! c'est l'ami Carême, +Mais que vois-je près de lui? Un enfant tout nu! c'est l'ami Carême, fils posthume du Carnaval.</p> <p class="mid"><img alt="" src="images/004a.png"><br><b>Descente de la Courtille.</b></p> -<p>Puisque Carême vient de naître, il est clair que Carnaval est trépassé. -Le père n'a jamais pu vivre avec le fils. Et, en effet, Carnaval n'est +<p>Puisque Carême vient de naître, il est clair que Carnaval est trépassé. +Le père n'a jamais pu vivre avec le fils. Et, en effet, Carnaval n'est plus, voici qu'on le fait porter en terre, non pas comme feu M. de -Marlborough, «par quatre-z-officiers,» mais accompagné d'un cortège -digne du défunt, et tout à fait de circonstance.</p> +Marlborough, «par quatre-z-officiers,» mais accompagné d'un cortège +digne du défunt, et tout à fait de circonstance.</p> <p class="rig"><img alt="" src="images/004b.png"><br> <b>Un Sergent de Ville le<br> mercredi des cendres.</b></p> -<p>Le Mardi gras est couché sur le dos, comme il convient à un mort; on a -eu soin de le revêtir de tous ses insignes, ordres de toute espèce et -décorations. Tandis que le pauvre hère, tout à l'heure si tapageur et si -bon vivant, garde cette position immobile, on voit à droite le Mercredi -<i>descendre</i> de son échelle; Mercredi ne se décide pas à cet exercice -sans quelque hésitation; il a peur du Mardi gras, tout mort qu'il paraît -être; tels les héritiers du grand Alexandre ne pouvaient approcher de -ses restes sans pâlir. Le Temps, qui n'entend pas raison sur cette +<p>Le Mardi gras est couché sur le dos, comme il convient à un mort; on a +eu soin de le revêtir de tous ses insignes, ordres de toute espèce et +décorations. Tandis que le pauvre hère, tout à l'heure si tapageur et si +bon vivant, garde cette position immobile, on voit à droite le Mercredi +<i>descendre</i> de son échelle; Mercredi ne se décide pas à cet exercice +sans quelque hésitation; il a peur du Mardi gras, tout mort qu'il paraît +être; tels les héritiers du grand Alexandre ne pouvaient approcher de +ses restes sans pâlir. Le Temps, qui n'entend pas raison sur cette question et veut que ses affaires marchent, le Temps pousse -très-positivement Mercredi par derrière pour lui donner de l'audace et -l'obliger à sauter le pas.</p> +très-positivement Mercredi par derrière pour lui donner de l'audace et +l'obliger à sauter le pas.</p> -<p>Mercredi mène à sa suite le cortège ordinaire et la cour de sa très-pâle -et très-étique majesté Carême: poissons de mer et d'eau douce, œufs -frais, panais, carottes, choux, salades, oignons, épinards, chicorées, -toute l'insipide nation des légumes. Un peu plus loin, le dieu Mars -survient absolument comme mars en carême.</p> +<p>Mercredi mène à sa suite le cortège ordinaire et la cour de sa très-pâle +et très-étique majesté Carême: poissons de mer et d'eau douce, œufs +frais, panais, carottes, choux, salades, oignons, épinards, chicorées, +toute l'insipide nation des légumes. Un peu plus loin, le dieu Mars +survient absolument comme mars en carême.</p> -<p class="rig"><img alt="" src="images/004c.png"><br> <b>L'Ami Carême, fils posthume<br> de Mardi Gras</b></p> +<p class="rig"><img alt="" src="images/004c.png"><br> <b>L'Ami Carême, fils posthume<br> de Mardi Gras</b></p> <p>L'apparition du Mercredi des cendres et la mort du Mardi gras produisent -des émotions diverses: chacun, selon ses intérêts, fête l'avènement de -l'un ou regrette le trépas de l'autre. Les sergents de ville, ces -martyrs du carnaval, saluent avec joie l'arrivée de Mercredi, comme le -signal du repos et de la délivrance; cependant au son de la cloche que -Mercredi fait résonner dans ses mains, les débardeurs, effrayés, sentant +des émotions diverses: chacun, selon ses intérêts, fête l'avènement de +l'un ou regrette le trépas de l'autre. Les sergents de ville, ces +martyrs du carnaval, saluent avec joie l'arrivée de Mercredi, comme le +signal du repos et de la délivrance; cependant au son de la cloche que +Mercredi fait résonner dans ses mains, les débardeurs, effrayés, sentant leur fin prochaine, se dispersent avec effroi; c'est pour eux le -tintement du jugement dernier. Quelques intrépides s'efforcent de faire -bonne contenance et de défendre pied à pied l'empire du Mardi gras; ils -forment un bataillon sacré et luttent jusqu'à la dernière extrémité, -menaçant Mercredi du geste et de la parole. Vain courage! héroïsme -inutile! qui peut arrêter le Temps? Mardi n'est plus; Mercredi s'empare -invariablement de son domaine et règne à sa place, en attendant que -Jeudi le détrône à son tour, et ainsi de suite jusqu'à la fin du monde +tintement du jugement dernier. Quelques intrépides s'efforcent de faire +bonne contenance et de défendre pied à pied l'empire du Mardi gras; ils +forment un bataillon sacré et luttent jusqu'à la dernière extrémité, +menaçant Mercredi du geste et de la parole. Vain courage! héroïsme +inutile! qui peut arrêter le Temps? Mardi n'est plus; Mercredi s'empare +invariablement de son domaine et règne à sa place, en attendant que +Jeudi le détrône à son tour, et ainsi de suite jusqu'à la fin du monde et des calendriers.</p> <p class="mid"><img alt="" src="images/005a.png"><br><b>Enterrement du Carnaval.</b></p> -<p>Ce personnage qui pleure à chaudes larmes sent bien que le mal est -irrémédiable; c'est un garçon de café-restaurant: il est plus -particulièrement frappé que d'autres par la mort du Mardi gras. Que de +<p>Ce personnage qui pleure à chaudes larmes sent bien que le mal est +irrémédiable; c'est un garçon de café-restaurant: il est plus +particulièrement frappé que d'autres par la mort du Mardi gras. Que de petits soupers il y perd, et que de pourboires! aussi voyez ses yeux se -fondre en eau; est-il une plus belle oraison funèbre? et que ce Mardi -gras est heureux d'ètre si tendrement regretté!--<i>De profundis!</i> de la -part du petit Carême, fils de Mardi gras, qu'on élève secrètement au -champagne-Darbo pour le fortifier et en faire le Mardi gras de l'année +fondre en eau; est-il une plus belle oraison funèbre? et que ce Mardi +gras est heureux d'ètre si tendrement regretté!--<i>De profundis!</i> de la +part du petit Carême, fils de Mardi gras, qu'on élève secrètement au +champagne-Darbo pour le fortifier et en faire le Mardi gras de l'année 1845.</p> -<p>Adieu, cher lecteur, et au revoir; j'espère que tu vas passer ton carême -honnêtement et que tu rachèteras tes péchés petits ou gros du carnaval +<p>Adieu, cher lecteur, et au revoir; j'espère que tu vas passer ton carême +honnêtement et que tu rachèteras tes péchés petits ou gros du carnaval dernier.</p> <br><br> -<h2>Théâtre royal de l'Opéra-Comique.</h2> +<h2>Théâtre royal de l'Opéra-Comique.</h2> -<p>CAGLIOSTRO, OPÉRA-COMIQUE EN TROIS ACTES, PAROLES DE MM. SCRIBE ET DE +<p>CAGLIOSTRO, OPÉRA-COMIQUE EN TROIS ACTES, PAROLES DE MM. SCRIBE ET DE SAINT-GEORGES, MUSIQUE DE M. ADOLPHE ADAM.</p> -<p>On connaît l'histoire du grand Cagliostro, soi-disant fils d'un grand -maître de Malte, élevé secrètement en Arabie par le sage <i>Althotas</i>, -initié aux sciences occultes dans les pyramides d'Égypte, lequel -prédisait l'avenir, guérissait toutes les maladies, prolongeait la vie -indéfiniment et évoquait les morts. Le plus merveilleux n'est pas qu'un -homme ait imaginé toutes ces absurdités, c'est qu'il soit parvenu à les -faire croire, et cela à Paris, au dix-huitième siècle, vingt-cinq ans -après la publication de l'Encyclopédie, huit ans après la mort de -Voltaire, quatre ans avant la convocation des États-Généraux, qui furent -l'Assemblée nationale. Et qui avait-il pour adeptes? des couturières, -des blanchisseuses? Non pas, s'il vous plaît, mais de belles dames et de -grands seigneurs, et à leur tête un archevêque, prince de l'Église, et -longtemps ambassadeur du roi Très-Chrétien, le cardinal de Rohan!</p> - -<p>Ce héros singulier vient d'avoir son tour auprès de la muse de M. +<p>On connaît l'histoire du grand Cagliostro, soi-disant fils d'un grand +maître de Malte, élevé secrètement en Arabie par le sage <i>Althotas</i>, +initié aux sciences occultes dans les pyramides d'Égypte, lequel +prédisait l'avenir, guérissait toutes les maladies, prolongeait la vie +indéfiniment et évoquait les morts. Le plus merveilleux n'est pas qu'un +homme ait imaginé toutes ces absurdités, c'est qu'il soit parvenu à les +faire croire, et cela à Paris, au dix-huitième siècle, vingt-cinq ans +après la publication de l'Encyclopédie, huit ans après la mort de +Voltaire, quatre ans avant la convocation des États-Généraux, qui furent +l'Assemblée nationale. Et qui avait-il pour adeptes? des couturières, +des blanchisseuses? Non pas, s'il vous plaît, mais de belles dames et de +grands seigneurs, et à leur tête un archevêque, prince de l'Église, et +longtemps ambassadeur du roi Très-Chrétien, le cardinal de Rohan!</p> + +<p>Ce héros singulier vient d'avoir son tour auprès de la muse de M. Scribe, muse, comme on sait, d'humeur facile, et incapable de rebuter qui que ce soit.</p> -<p>M. Scribe a mis sur le théâtre le personnage, mais non son histoire, ou +<p>M. Scribe a mis sur le théâtre le personnage, mais non son histoire, ou du moins aucun acte qui nous soit positivement connu. Mais si Cagliostro -n'a pas fait ce que M. Scribe lui prête, du moins il a pu le faire. Que -peut-on exiger de plus du drame en général et de l'opéra-comique en +n'a pas fait ce que M. Scribe lui prête, du moins il a pu le faire. Que +peut-on exiger de plus du drame en général et de l'opéra-comique en particulier?</p> -<p class="mid"><img alt="" src="images/005b.png"><br><b>Opéra-Comique: <i>Cagliostro</i> 3e acte, scène du -magnétisme.--Madame Anna Thillon, Corilla; madame Boulanger, la marquise +<p class="mid"><img alt="" src="images/005b.png"><br><b>Opéra-Comique: <i>Cagliostro</i> 3e acte, scène du +magnétisme.--Madame Anna Thillon, Corilla; madame Boulanger, la marquise Pottier, Cecilli; M. Chollet, Cagliostro; M. Henri, Caracoli; M. Mocker, le chevalier.</b></p> -<p>Au moment où commence la pièce, toutes les imaginations sont frappées -des prodiges accomplis par Cagliostro, Paris et Versailles ont à la fois -les yeux sur lui, et les journaux sont pleins de récits merveilleux dont -il est le héros.</p> +<p>Au moment où commence la pièce, toutes les imaginations sont frappées +des prodiges accomplis par Cagliostro, Paris et Versailles ont à la fois +les yeux sur lui, et les journaux sont pleins de récits merveilleux dont +il est le héros.</p> <p>Parmi les personnes qui croient Cagliostro sur parole, il faut mettre en -première ligne un prince bavarois tout récemment débarqué à Paris, et -une certaine marquise de Volmérange, femme jadis à la mode, qui doit -avoir été charmante du temps du cardinal de Fleury, et qui, j'en suis -sûr, n'était pas encore trop mal en point sous le règne de madame la -marquise de Pompadour. Elle a vu longtemps à ses pieds,--c'est elle qui -le dit,--le roi Louis XV et toute sa cour; mais tout est bien changé -depuis le nouveau règne. Ses beaux jours sont passés, ses honneurs sont -détruits. Comment les faire renaître? comment remonter le cours des -années? comment effacer les fâcheuses traces que cet insolent vieillard -qu'on nomme le Temps a imprimées sur son visage? Assurément il faut +première ligne un prince bavarois tout récemment débarqué à Paris, et +une certaine marquise de Volmérange, femme jadis à la mode, qui doit +avoir été charmante du temps du cardinal de Fleury, et qui, j'en suis +sûr, n'était pas encore trop mal en point sous le règne de madame la +marquise de Pompadour. Elle a vu longtemps à ses pieds,--c'est elle qui +le dit,--le roi Louis XV et toute sa cour; mais tout est bien changé +depuis le nouveau règne. Ses beaux jours sont passés, ses honneurs sont +détruits. Comment les faire renaître? comment remonter le cours des +années? comment effacer les fâcheuses traces que cet insolent vieillard +qu'on nomme le Temps a imprimées sur son visage? Assurément il faut toute la science et tout le pouvoir d'un Cagliostro pour cela.</p> -<p>Le Bavarois n'est guère moins embarrassé: il est amoureux, cet infortuné -prince, amoureux d'une cantatrice appelée Corilla, artiste célèbre, qui, +<p>Le Bavarois n'est guère moins embarrassé: il est amoureux, cet infortuné +prince, amoureux d'une cantatrice appelée Corilla, artiste célèbre, qui, depuis trois ans, occupe tous les <i>dilettanti</i> et tous les badauds de l'Italie. Mais il a eu beau lui peindre sa passion dans les termes les -plus pathétiques, et joindre à l'offre de sa fortune celle de sa main, +plus pathétiques, et joindre à l'offre de sa fortune celle de sa main, il n'a pu rien obtenir, Corilla lui rit au nez toutes les fois qu'il -entame le chapitre de son amour.--C'est donc une étrange bégueule, +entame le chapitre de son amour.--C'est donc une étrange bégueule, dites-vous, que cette Corilla?--Point du tout, lecteur; attendez la fin -de mon récit, et ne faites pas de jugement téméraire.</p> +de mon récit, et ne faites pas de jugement téméraire.</p> -<p>«Monsieur le comte, dit le prince au charlatan, ne pourriez-vous me +<p>«Monsieur le comte, dit le prince au charlatan, ne pourriez-vous me donner quelque secret, quelque philtre pour me faire aimer d'une -cruelle?» Cagliostro, qui a vu jouer <i>le Philtre</i> à l'Académie royale de -Musique, et qui sait son Scribe par cœur, répond sans hésiter:</p> +cruelle?» Cagliostro, qui a vu jouer <i>le Philtre</i> à l'Académie royale de +Musique, et qui sait son Scribe par cœur, répond sans hésiter:</p> -<p>--Dans notre état, nous en tenons beaucoup.</p> +<p>--Dans notre état, nous en tenons beaucoup.</p> <p>--Il serait vrai?</p> @@ -1895,193 +1859,193 @@ Musique, et qui sait son Scribe par cœur, répond sans hésiter:</p> <p>--Peu de chose.</p> -<p>«Dix mille livres le flacon, pour ne point vous faire marchander.--Ah! -c'est pour rien, en vérité, et je vous devrai la vie.»</p> +<p>«Dix mille livres le flacon, pour ne point vous faire marchander.--Ah! +c'est pour rien, en vérité, et je vous devrai la vie.»</p> <p>La consultation de la marquise, est bien plus importante encore. -«Monsieur le comte, ne pourriez-vous me rendre mes beaux jours -d'autrefois, l'éclat dont brillaient jadis les roses qui -s'épanouissaient sur mon visage, et le timbre argentin de ma voix, qui -chevrote si misérablement aujourd'hui?--Oui, madame.--Oh! donnez, +«Monsieur le comte, ne pourriez-vous me rendre mes beaux jours +d'autrefois, l'éclat dont brillaient jadis les roses qui +s'épanouissaient sur mon visage, et le timbre argentin de ma voix, qui +chevrote si misérablement aujourd'hui?--Oui, madame.--Oh! donnez, donnez, et toute ma fortune...--Doucement! il faut du temps pour composer ce breuvage; il se fait avec le suc de plantes qu'on ne peut cueillir que sur les plus hautes montagnes du globe. Un de mes amis en a -consommé, il y a quelques jours, le dernier flacon; il n'en a rien -laissé. Ah! si fait! il en reste deux ou trois gouttes.--Ah! -donnez-les-moi, monsieur le comte!-Hélas! madame la marquise, il y a à +consommé, il y a quelques jours, le dernier flacon; il n'en a rien +laissé. Ah! si fait! il en reste deux ou trois gouttes.--Ah! +donnez-les-moi, monsieur le comte!-Hélas! madame la marquise, il y a à peine dix minutes de jeunesse au fond de cette petite bouteille.--Eh bien! ce seront dix minutes pendant lesquelles j'oublierai mon chagrin.--Au fait, dit tout bas Cagliostro en regardant autour de lui, -il n'y a pas de glaces dans ce salon, et quant à ce miroir, je puis m'en -défaire.» Il jette le miroir par la fenêtre, et donne le précieux +il n'y a pas de glaces dans ce salon, et quant à ce miroir, je puis m'en +défaire.» Il jette le miroir par la fenêtre, et donne le précieux flacon.</p> <p>La marquise boit, puis cherche partout son miroir, mais en vain. Quel -désespoir! Être jeune, et ne pouvoir pas jouir de sa jeunesse, même par -la vue! ne pouvoir pas s'assurer de sa métamorphose! L'idée ne lui vient -pas, à cette pauvre marquise, qui n'a pas de glaces dans son salon, -d'aller consulter au moins sa toilette dans sa chambre à coucher, ou de +désespoir! Être jeune, et ne pouvoir pas jouir de sa jeunesse, même par +la vue! ne pouvoir pas s'assurer de sa métamorphose! L'idée ne lui vient +pas, à cette pauvre marquise, qui n'a pas de glaces dans son salon, +d'aller consulter au moins sa toilette dans sa chambre à coucher, ou de s'assurer avec ses deux mains si sa taille est redevenue fine et svelte -comme autrefois; elle ne sait que crier à tue-tête: «Mon miroir! où est -donc mon miroir?» Quand soudain le marquis de Caracoli se présente, -s'incline devant elle, et dit d'un air étonné: «Quelle est donc cette -jeune fille?» Ah! pauvre marquise! quelle vieille, ne fut-elle qu'une -petite bourgeoise, ne se pâmerait d'aise en entendant faire une pareille +comme autrefois; elle ne sait que crier à tue-tête: «Mon miroir! où est +donc mon miroir?» Quand soudain le marquis de Caracoli se présente, +s'incline devant elle, et dit d'un air étonné: «Quelle est donc cette +jeune fille?» Ah! pauvre marquise! quelle vieille, ne fut-elle qu'une +petite bourgeoise, ne se pâmerait d'aise en entendant faire une pareille question?</p> -<p>Ce Caracoli, vous l'avez, deviné sans doute, clairvoyant lecteur, n'est -autre qu'un adroit compère, introduit dans la maison par Cagliostro, -pour l'aider à ses tours de passe-passe. Il a fort bien débuté, en -tombant de voiture tout exprès pour se faire guérir des suites de ce -terrible accident. «Ah! monsieur le comte, s'écrie la vieille, un flacon -de votre eau de Jouvence, et je n'aurai rien à vous refuser. Vous -n'aurez, qu'à dire.--Madame, dit l'élève d'Althotas, vous savez que ce -n'est jamais l'intérêt qui me guide. Il n'y a qu'une récompense à -laquelle j'aspire; c'est la main de votre charmante nièce.»</p> +<p>Ce Caracoli, vous l'avez, deviné sans doute, clairvoyant lecteur, n'est +autre qu'un adroit compère, introduit dans la maison par Cagliostro, +pour l'aider à ses tours de passe-passe. Il a fort bien débuté, en +tombant de voiture tout exprès pour se faire guérir des suites de ce +terrible accident. «Ah! monsieur le comte, s'écrie la vieille, un flacon +de votre eau de Jouvence, et je n'aurai rien à vous refuser. Vous +n'aurez, qu'à dire.--Madame, dit l'élève d'Althotas, vous savez que ce +n'est jamais l'intérêt qui me guide. Il n'y a qu'une récompense à +laquelle j'aspire; c'est la main de votre charmante nièce.»</p> -<p>La charmante nièce a un million de dot.</p> +<p>La charmante nièce a un million de dot.</p> -<p>Malheureusement, elle est peu disposée à jouer ce rôle de lettre de +<p>Malheureusement, elle est peu disposée à jouer ce rôle de lettre de change, car elle aime de tout son cœur son cousin le chevalier de -Saint-Luc, qui le lui rend de son mieux. Mais Cagliostro a des moyens à -lui pour vaincre toutes les difficultés, comme il a des remèdes pour -guérir toutes les maladies.</p> +Saint-Luc, qui le lui rend de son mieux. Mais Cagliostro a des moyens à +lui pour vaincre toutes les difficultés, comme il a des remèdes pour +guérir toutes les maladies.</p> -<p>Le compère Caracoli, très-subtil espion, je vous le jure, a surpris une -conversation fort intéressante entre le chevalier et une jeune étrangère +<p>Le compère Caracoli, très-subtil espion, je vous le jure, a surpris une +conversation fort intéressante entre le chevalier et une jeune étrangère qui est venue lui rappeler d'anciennes amours et d'anciens serments. -L'étrangère est justement cette Corilla dont je vous ai déjà parlé, et -vous comprenez, maintenant, pourquoi le prince a toujours perdu auprès +L'étrangère est justement cette Corilla dont je vous ai déjà parlé, et +vous comprenez, maintenant, pourquoi le prince a toujours perdu auprès d'elle son temps et son... bavarois. Caracoli va chez elle, lui apprend -la trahison du chevalier, et l'amène en secret dans un cabinet voisin du -laboratoire de son maître. Là elle acquerra des preuves palpables de -l'infidélité de son muant. Bientôt, en effet, le prince, la marquise, et -sa nièce Cécile, arrivent dans ce laboratoire. Cagliostro débute par -faire de l'or en leur présence. C'est une des merveilles dont ils sont -le plus curieux.--«Je donnerais mille louis, dit la marquise, pour voir -faire devant moi un grain d'or.»--A ce prix-là, on comprend que -l'opération ne serait pas difficile; et, de fait il n'en coûte pas tant -à Cagliostro. Il lui suffit de glisser adroitement dans le creuset -embrasé le lorgnon du compère Caracoli, lequel est cruellement mystifié -par ce tour de physique amusante. Le pauvre homme tenait beaucoup à son +la trahison du chevalier, et l'amène en secret dans un cabinet voisin du +laboratoire de son maître. Là elle acquerra des preuves palpables de +l'infidélité de son muant. Bientôt, en effet, le prince, la marquise, et +sa nièce Cécile, arrivent dans ce laboratoire. Cagliostro débute par +faire de l'or en leur présence. C'est une des merveilles dont ils sont +le plus curieux.--«Je donnerais mille louis, dit la marquise, pour voir +faire devant moi un grain d'or.»--A ce prix-là , on comprend que +l'opération ne serait pas difficile; et, de fait il n'en coûte pas tant +à Cagliostro. Il lui suffit de glisser adroitement dans le creuset +embrasé le lorgnon du compère Caracoli, lequel est cruellement mystifié +par ce tour de physique amusante. Le pauvre homme tenait beaucoup à son lorgnon. Il faut vous dire que ce Caracoli, si spirituel et si fin au -premier acte, n'est plus, au deuxième, qu'un sot et qu'un poltron. Si -cette métamorphose était l'ouvrage de Cagliostro, ce serait la preuve la -plus incontestable qu'il pût donner de son savoir-faire.</p> +premier acte, n'est plus, au deuxième, qu'un sot et qu'un poltron. Si +cette métamorphose était l'ouvrage de Cagliostro, ce serait la preuve la +plus incontestable qu'il pût donner de son savoir-faire.</p> <p>Le <i>grand œuvre</i> accompli, Cagliostro parle mariage, et la marquise se -montre fort bien disposée en sa faveur, mais non le chevalier, et encore -moins Cécile, qui déclare aimer passionnément son cousin.--«Bah! dit +montre fort bien disposée en sa faveur, mais non le chevalier, et encore +moins Cécile, qui déclare aimer passionnément son cousin.--«Bah! dit Cagliostro, vous ne l'aimerez longtemps; passez, seulement cinq minutes -toute seule dans ce cabinet.» Cécile y entre; elle y trouve Corilla, et -reparaît bientôt pâle et agitée.--«Mon cousin, tout est fini entre -nous!... Monsieur, voici ma main.»</p> - -<p>Qui est étonné? Le chevalier; mais bientôt Corilla se montre, et tout -s'explique.--«Oui, traître! oui, ingrat! c'est moi qui ai tout fait; je -lui ai révélé notre amour; je lui ai montré ton portrait, les lettres et -le poignard que tu m'as donné pour le percer le cœur, si jamais ce -cœur devenait infidèle...--«Ma foi, répond tranquillement le chevalier, +toute seule dans ce cabinet.» Cécile y entre; elle y trouve Corilla, et +reparaît bientôt pâle et agitée.--«Mon cousin, tout est fini entre +nous!... Monsieur, voici ma main.»</p> + +<p>Qui est étonné? Le chevalier; mais bientôt Corilla se montre, et tout +s'explique.--«Oui, traître! oui, ingrat! c'est moi qui ai tout fait; je +lui ai révélé notre amour; je lui ai montré ton portrait, les lettres et +le poignard que tu m'as donné pour le percer le cœur, si jamais ce +cœur devenait infidèle...--«Ma foi, répond tranquillement le chevalier, je vous avoue, ma bonne, que vous n'en trouverez jamais une meilleure occasion. Je ne vous aime plus du tout, parole d'honneur! mais, en -revanche, j'aime ma cousine comme je ne vous ai jamais aimée.»</p> +revanche, j'aime ma cousine comme je ne vous ai jamais aimée.»</p> -<p>La déclaration est tout à fait galante!</p> +<p>La déclaration est tout à fait galante!</p> -<p>Là-dessus vous croyez, que Corilla arrache les deux yeux au butor, ou -qu'au moins elle se trouve mal. Tant s'en faut! «A la bonne heure, -monsieur. J'aime cette franchise; mon amour n'était qu'un pur -enfantillage, n'en parlons plus. Pst!... le voilà parti, et je ne veux -plus m'occuper que du vôtre.»</p> +<p>Là -dessus vous croyez, que Corilla arrache les deux yeux au butor, ou +qu'au moins elle se trouve mal. Tant s'en faut! «A la bonne heure, +monsieur. J'aime cette franchise; mon amour n'était qu'un pur +enfantillage, n'en parlons plus. Pst!... le voilà parti, et je ne veux +plus m'occuper que du vôtre.»</p> -<p>Voilà un bel exemple, madame, et je vous conseille, dans l'occasion, de +<p>Voilà un bel exemple, madame, et je vous conseille, dans l'occasion, de ne pas manquer n'imiter Corilla.</p> -<p>A eux deux ils viennent bientôt à bout du Caracoli, qui craint la -potence, et qui, pour se mettre en sûreté, vend, moyennant cinq cents -louis, tous les secrets de son maître. Ces secrets sont écrits de la +<p>A eux deux ils viennent bientôt à bout du Caracoli, qui craint la +potence, et qui, pour se mettre en sûreté, vend, moyennant cinq cents +louis, tous les secrets de son maître. Ces secrets sont écrits de la propre main du charlatan sur un gros cahier de papier. Ces habiles de -comédie sont toujours prêts à faire, quand l'auteur en a besoin, les -plus grosses maladresses et les plus insignes bévues.</p> - -<p>Armé de ces terribles papiers, le chevalier aborde Cagliostro d'un air -triomphant. «Vous allez, écrire ici même, tout de suite, et sous ma -dictée, votre renonciation à la main de Cécile.--Volontiers,» dit -Cagliostro, et il écrit. Puis, s'interrompant d'un air indifférent et -lui présentant sa tabatière: «En usez-vous?--Volontiers,» dit le -chevalier, lequel devient à son tour un sot, pour ménager à M. de -Saint-Georges nue péripétie. Ce tabac, comme il devrait bien s'en -douter, n'est pas du tabac, mais de la belladone. Il ne tarde pus à +comédie sont toujours prêts à faire, quand l'auteur en a besoin, les +plus grosses maladresses et les plus insignes bévues.</p> + +<p>Armé de ces terribles papiers, le chevalier aborde Cagliostro d'un air +triomphant. «Vous allez, écrire ici même, tout de suite, et sous ma +dictée, votre renonciation à la main de Cécile.--Volontiers,» dit +Cagliostro, et il écrit. Puis, s'interrompant d'un air indifférent et +lui présentant sa tabatière: «En usez-vous?--Volontiers,» dit le +chevalier, lequel devient à son tour un sot, pour ménager à M. de +Saint-Georges nue péripétie. Ce tabac, comme il devrait bien s'en +douter, n'est pas du tabac, mais de la belladone. Il ne tarde pus à s'endormir, et Cagliostro reprend ses papiers. Puis il pousse un -ressort, et le trop confiant chevalier descend par une trappe... où il +ressort, et le trop confiant chevalier descend par une trappe... où il vous plaira.</p> -<p>Voilà Cagliostro à Versailles, chez la marquise, où le mariage doit -avoir lieu. Avant la noce, madame de Volmérange a promis aux conviés de -les régaler d'une scène de magnétisme. Cagliostro a chargé Caracoli de -lui amener une somnambule lucide, dont il a d'avance mis par écrit les -réponses. Il vaudrait mieux sans doute qu'il fit ses affaires lui-même; -mais les grands hommes sont toujours si occupés!</p> - -<p>La harpe résonne; la porte retentit. Une femme voilée s'avance et -s'assied sur le fauteuil préparé pour elle au milieu de la brillante -assemblée. Cagliostro s'approche et exécute autour de la tête du sujet -toutes les passes usitées en pareil cas. Puis il écarte le voile... O -surprise! ô terreur!... C'est sa femme qu'il croyait bien loin et qu'il -retrouve à ce moment fatal. Et qui est cette femme qui revient si mal à -propos? Corilla en personne, qui l'avait quitté jadis, exaspérée par ses +<p>Voilà Cagliostro à Versailles, chez la marquise, où le mariage doit +avoir lieu. Avant la noce, madame de Volmérange a promis aux conviés de +les régaler d'une scène de magnétisme. Cagliostro a chargé Caracoli de +lui amener une somnambule lucide, dont il a d'avance mis par écrit les +réponses. Il vaudrait mieux sans doute qu'il fit ses affaires lui-même; +mais les grands hommes sont toujours si occupés!</p> + +<p>La harpe résonne; la porte retentit. Une femme voilée s'avance et +s'assied sur le fauteuil préparé pour elle au milieu de la brillante +assemblée. Cagliostro s'approche et exécute autour de la tête du sujet +toutes les passes usitées en pareil cas. Puis il écarte le voile... O +surprise! ô terreur!... C'est sa femme qu'il croyait bien loin et qu'il +retrouve à ce moment fatal. Et qui est cette femme qui revient si mal à +propos? Corilla en personne, qui l'avait quitté jadis, exaspérée par ses mauvais traitements, et n'avait fait qu'un saut du toit conjugal sur le -théâtre! Or, la polygamie est un cas pendable: force est donc au grand -Cagliostro de se désister de ses hautes prétentions. Mais du moins il se -vengera sur sa femme... Vain espoir! Corilla lui présente un bref du -pape qui casse son mariage. Puis elle unit de sa main Cécile au +théâtre! Or, la polygamie est un cas pendable: force est donc au grand +Cagliostro de se désister de ses hautes prétentions. Mais du moins il se +vengera sur sa femme... Vain espoir! Corilla lui présente un bref du +pape qui casse son mariage. Puis elle unit de sa main Cécile au chevalier, et couronne enfin la constance du Bavarois, lequel ne manque -pas d'attribuer ce dénoûment inespéré au philtre qu'il a bu dans la -matinée.</p> +pas d'attribuer ce dénoûment inespéré au philtre qu'il a bu dans la +matinée.</p> -<p>Tout cela forme un drame très-compliqué, mais cependant très-clair. On -reconnaît toute l'habileté de M. Scribe à l'aisance avec laquelle il -dispose ces faits et amène les innombrables péripéties au milieu +<p>Tout cela forme un drame très-compliqué, mais cependant très-clair. On +reconnaît toute l'habileté de M. Scribe à l'aisance avec laquelle il +dispose ces faits et amène les innombrables péripéties au milieu desquelles tout autre que lui se serait vingt fois perdu. Mais tout son -savoir-faire n'a pu réussir à intéresser le spectateur à cette -collection de sots, de fripons, ou de gens froidement honnêtes, et -dépourvus de sentiments énergiques et de passions sincères. Ces +savoir-faire n'a pu réussir à intéresser le spectateur à cette +collection de sots, de fripons, ou de gens froidement honnêtes, et +dépourvus de sentiments énergiques et de passions sincères. Ces messieurs et ces dames ont souvent de l'esprit, mais ils n'ont presque jamais du cœur.</p> <p>Quelle est cependant la mission de la musique, si ce n'est de traduire en un langage harmonieux les mouvements du cœur?</p> -<p>Il n'est donc pas étonnant que M. Ad. Adam, chargé d'ajuster de la -musique à ce drame, ait senti plus d'une fois son imagination défaillir -et sa verve lui faire défaut. Dans tout le cours du ces trois actes, il -n'a presque jamais à mettre en musique que de froides plaisanteries. -Tantôt ce sont des couplets où le bavarois dresse l'inventaire des -prodiges accomplis par Cagliostro, tantôt c'est un air où Cagliostro se -moque, à part lui, de la crédulité parisienne. Quand Corilla vient de -recevoir à bout portant la gracieuse déclaration que je vous ai -racontée, restée seule, elle se met à chanter <i>victoire! victoire!</i> En -vérité il n'y a pas de quoi. Cécile et le chevalier n'échangent pas, de -l'exposition au dénouement, une seule note qui ait pour objet de peindre -leurs froides amours. Le prince bavarois lui-même, dont la passion est -ridicule, mais sincère, ne chante pas une seule mesure qui ait quelque -rapport à l'état de son âme.</p> - -<p>Il ne faut donc pas reprocher trop rudement à M. Adam d'avoir produit -une partition froide, monotone et décolorée. C'était la conséquence -nécessaire de la position où il s'était mis. La passion sérieuse était -d'avance exclue de sa partition. Il y restait à la vérité la passion -<i>bouffe</i>, et, sous ce rapport, il avait quelques scènes assez heureuses -à traiter, par exemple, celle où la marquise boit la prétendue eau de -Jouvence, et se croit rajeunie; celle où Cagliostro fait de l'or; -d'autres encore. Mais la gaieté vive et la verve bouffonne ne sont pas -le caractère du talent de M. Adam; et, bien qu'il ait mis dans ces -scènes-là, comme dans tout le reste, une habileté de détails -incontestable, il me semble qu'il est presque toujours resté un peu -au-dessous des situations qu'il avait à peindre. Son ouvrage atteste, en -général, du soin et un travail assez consciencieux; le style en est +<p>Il n'est donc pas étonnant que M. Ad. Adam, chargé d'ajuster de la +musique à ce drame, ait senti plus d'une fois son imagination défaillir +et sa verve lui faire défaut. Dans tout le cours du ces trois actes, il +n'a presque jamais à mettre en musique que de froides plaisanteries. +Tantôt ce sont des couplets où le bavarois dresse l'inventaire des +prodiges accomplis par Cagliostro, tantôt c'est un air où Cagliostro se +moque, à part lui, de la crédulité parisienne. Quand Corilla vient de +recevoir à bout portant la gracieuse déclaration que je vous ai +racontée, restée seule, elle se met à chanter <i>victoire! victoire!</i> En +vérité il n'y a pas de quoi. Cécile et le chevalier n'échangent pas, de +l'exposition au dénouement, une seule note qui ait pour objet de peindre +leurs froides amours. Le prince bavarois lui-même, dont la passion est +ridicule, mais sincère, ne chante pas une seule mesure qui ait quelque +rapport à l'état de son âme.</p> + +<p>Il ne faut donc pas reprocher trop rudement à M. Adam d'avoir produit +une partition froide, monotone et décolorée. C'était la conséquence +nécessaire de la position où il s'était mis. La passion sérieuse était +d'avance exclue de sa partition. Il y restait à la vérité la passion +<i>bouffe</i>, et, sous ce rapport, il avait quelques scènes assez heureuses +à traiter, par exemple, celle où la marquise boit la prétendue eau de +Jouvence, et se croit rajeunie; celle où Cagliostro fait de l'or; +d'autres encore. Mais la gaieté vive et la verve bouffonne ne sont pas +le caractère du talent de M. Adam; et, bien qu'il ait mis dans ces +scènes-là , comme dans tout le reste, une habileté de détails +incontestable, il me semble qu'il est presque toujours resté un peu +au-dessous des situations qu'il avait à peindre. Son ouvrage atteste, en +général, du soin et un travail assez consciencieux; le style en est correct, l'instrumentation habile; chaque morceau pris en particulier -est très-bien fait, mais presque tous manquent d'inspiration, de chaleur +est très-bien fait, mais presque tous manquent d'inspiration, de chaleur et de vie.</p> <br><br> @@ -2092,367 +2056,367 @@ et de vie.</p> <blockquote>Note 3: La reproduction de ces fragments est interdite.</blockquote> -<p>Tandis que j'habitais Tekedempt, je fus souvent appelé auprès du l'émir, -soit pour lui servir d'interprète, soit pour l'entretenir de divers -projets. Sa confiance en moi était extrême; aussi étions-nous fort bien -ensemble. Il a la parole familière et rapide, le geste expressif; sa -voix n'a rien de mâle; il saisit facilement et se montre toujours avide -d'instruction; il ne s'exprime qu'en arabe et se croirait damné s'il -parlait la langue des chrétiens; cependant il connaît un peu de français -et prononce <i>chassurs</i> lorsqu'il veut désigner les chasseurs d'Afrique. -Son caractère est ferme dans toutes les circonstances; il est doux, -affable, charitable, mais d'une excessive sévérité. Quand il a prononcé -une sentence, il faut qu'elle s'exécute. Vers la fin de 1839, il fit +<p>Tandis que j'habitais Tekedempt, je fus souvent appelé auprès du l'émir, +soit pour lui servir d'interprète, soit pour l'entretenir de divers +projets. Sa confiance en moi était extrême; aussi étions-nous fort bien +ensemble. Il a la parole familière et rapide, le geste expressif; sa +voix n'a rien de mâle; il saisit facilement et se montre toujours avide +d'instruction; il ne s'exprime qu'en arabe et se croirait damné s'il +parlait la langue des chrétiens; cependant il connaît un peu de français +et prononce <i>chassurs</i> lorsqu'il veut désigner les chasseurs d'Afrique. +Son caractère est ferme dans toutes les circonstances; il est doux, +affable, charitable, mais d'une excessive sévérité. Quand il a prononcé +une sentence, il faut qu'elle s'exécute. Vers la fin de 1839, il fit publier que quiconque serait pris se rendant dans nos possessions ou -convaincu d'avoir assisté à nos marchés, aurait la tête tranchée. Deux -Arabes enfreignirent cet ordre: ils étaient allés vendre des bœufs à -Bouffarick. A leur retour, ils furent mis à mort, et leurs corps -demeurèrent exposés pendant trois jours au marché de Médéah. En juillet -1840, étant au camp du Chélif, je vis arriver dix-sept Arabes pris en -flagrant délit de commerce avec les français. L'émir les condamna au -supplice, parmi eux était un jeune homme de quatorze ans qui avait suivi -son père; son jeune âge toucha plusieurs kalifats, qui demandèrent grâce -pour lui. L'émir fut insensible à leurs prières; on alla même jusqu'à -proposer 1.000 piastres fortes d'Espagne pour la rançon du jeune homme. -Peine inutile! «Citez-moi, dit Abd-el-Kader à ses lieutenants un seul -exemple où j'ai révoqué un ordre, et je pardonne.» Cinq minutes après, -le yatagan d'un cavalier envoyait le fils rejoindre son père!</p> - -<p>Abd-el-Kader est né dans la province d'El-Beris, à l'est de Mascara, de -Sidi-Hadji-Muhydin, marabout très-vénéré dans le pays. Il pousse l'amour -de l'islamisme jusqu'au fanatisme. Depuis son retour de la Mecque, où il -se rendit à l'âge de vingt et un ans, il passe une grande partie des -nuits à lire le koran; il jeûne presque tous les jours, ce qui ruine sa -santé. Son état est maladif, et pourtant son activité ne se ralentit -point. En voyage, il est toujours prêt à marcher; je l'ai vu aller de -Tlemcem à Tekedempt en trois jours, tandis que ses courriers en mettent -huit. L'orgueil et l'ambition dirigent son cœur et sa tête; il -n'hésiterait pas, s'il le pouvait, à mettre un pied dans la régence de +convaincu d'avoir assisté à nos marchés, aurait la tête tranchée. Deux +Arabes enfreignirent cet ordre: ils étaient allés vendre des bœufs à +Bouffarick. A leur retour, ils furent mis à mort, et leurs corps +demeurèrent exposés pendant trois jours au marché de Médéah. En juillet +1840, étant au camp du Chélif, je vis arriver dix-sept Arabes pris en +flagrant délit de commerce avec les français. L'émir les condamna au +supplice, parmi eux était un jeune homme de quatorze ans qui avait suivi +son père; son jeune âge toucha plusieurs kalifats, qui demandèrent grâce +pour lui. L'émir fut insensible à leurs prières; on alla même jusqu'à +proposer 1.000 piastres fortes d'Espagne pour la rançon du jeune homme. +Peine inutile! «Citez-moi, dit Abd-el-Kader à ses lieutenants un seul +exemple où j'ai révoqué un ordre, et je pardonne.» Cinq minutes après, +le yatagan d'un cavalier envoyait le fils rejoindre son père!</p> + +<p>Abd-el-Kader est né dans la province d'El-Beris, à l'est de Mascara, de +Sidi-Hadji-Muhydin, marabout très-vénéré dans le pays. Il pousse l'amour +de l'islamisme jusqu'au fanatisme. Depuis son retour de la Mecque, où il +se rendit à l'âge de vingt et un ans, il passe une grande partie des +nuits à lire le koran; il jeûne presque tous les jours, ce qui ruine sa +santé. Son état est maladif, et pourtant son activité ne se ralentit +point. En voyage, il est toujours prêt à marcher; je l'ai vu aller de +Tlemcem à Tekedempt en trois jours, tandis que ses courriers en mettent +huit. L'orgueil et l'ambition dirigent son cœur et sa tête; il +n'hésiterait pas, s'il le pouvait, à mettre un pied dans la régence de Tunis et l'autre dans l'empire de Maroc. Parlez-lui d'innovations, de grands projets, d'entreprises hardies, et vous voyez, ses traits -s'animer et ses yeux lancer des éclairs. J'ai parlé plus haut de son -costume; il est d'une simplicité dont rien n'approche. Une culotte de -toile à voile ou de laine, une chemise d'escamile, une autre en laine, -un gilet et une veste de la même étoffe, un haick grossier et deux ou -trois burnous, voilà toute sa garde-robe: sa tête est serrée par une -corde en poil de chameau, son gilet est retenu par une ceinture rouge à -laquelle est suspendu un mauvais mouchoir. Ses habits, parfumés au musc +s'animer et ses yeux lancer des éclairs. J'ai parlé plus haut de son +costume; il est d'une simplicité dont rien n'approche. Une culotte de +toile à voile ou de laine, une chemise d'escamile, une autre en laine, +un gilet et une veste de la même étoffe, un haick grossier et deux ou +trois burnous, voilà toute sa garde-robe: sa tête est serrée par une +corde en poil de chameau, son gilet est retenu par une ceinture rouge à +laquelle est suspendu un mauvais mouchoir. Ses habits, parfumés au musc du reste, forment un singulier contraste avec l'or et l'argent qui brillent sur ceux des grands dignitaires.</p> -<p>Le marabout Hadji-Mahydin avait deviné la haute fortune de son fils. Il -jouissait parmi les Arabes d'une grande influence qu'il devait à la -sainteté de son caractère. Ses trois fils, Tidi-Saïd, Abd-el-Kader et -Sidi-Mustapha, élevés dans la crainte du Prophète, se partageaient avec -lui l'admiration des Arabes. Après la perte d'Alger, d'Oran, etc, les -habitants de ces villes qui s'étalent réfugiés dans l'intérieur allèrent -demander un chef au vieux Mahydin; ils désignèrent même son fils aîné -Tidi-Saïd. Le marabout, après avoir réfléchi quelques instants, leur -dit, en leur montrant son second fils: «Voici votre chef; il est seul -capable de prendre les rênes d'un gouvernement naissant. «L'événement a -justifié sa prédilection. Abd-el-Kader avait vingt-six ans à l'époque où -on le salua du titre de Sultan. Son orgueil dut s'accroître -naturellement lorsqu'il se vit, si jeune, appelé à régénérer l'Afrique, -l'énergie de son caractère et son désir de renommée le rendirent propre -à de grandes choses. Il rechercha toutes les occasions de mettre en -évidence les qualités qui le distinguaient de ses frères. Les -commencements lui furent très-pénibles. Il avait à combattre les -Français d'un côté, et de l'autre les tribus révoltées. Sans armée, sans -argent, il fallait qu'iI ne compromît point ses mandataires et qu'il -répondît à leur confiance. Alors il fit appel aux hommes de bonne -volonté, et contracta des emprunts considérables à Mascara. Avec -l'argent qu'il obtint, il acheta des armes et des munitions. Son étoile -fit le reste. Il eut bientôt réuni quatre mille réguliers volontaires et -six mille auxiliaires. Cette armée envahit le territoire des tribus -insoumises et les mit à contribution. Il paya ses créanciers et organisa -sa cour. Son nom devint un épouvantail pour les Arabes; on se soumit et -on admira cet homme, qui venait de créer un empire sans autre ressource -que son génie. Pendant quelque temps il put se reposer sur sa gloire; -mais les Français l'inquiétaient au dehors. Il les attaqua, et leur fit -éprouver d'abord quelques pertes. Son triomphe ne fut pas de longue -durée; car, peu de temps après, au moment où il s'y attendait le moins, -nos troupes fondirent sur son camp, et massacrèrent la moitié de son -armée. Il ne dut la vie qu'à l'agilité de son cheval. Le danger qu'il +<p>Le marabout Hadji-Mahydin avait deviné la haute fortune de son fils. Il +jouissait parmi les Arabes d'une grande influence qu'il devait à la +sainteté de son caractère. Ses trois fils, Tidi-Saïd, Abd-el-Kader et +Sidi-Mustapha, élevés dans la crainte du Prophète, se partageaient avec +lui l'admiration des Arabes. Après la perte d'Alger, d'Oran, etc, les +habitants de ces villes qui s'étalent réfugiés dans l'intérieur allèrent +demander un chef au vieux Mahydin; ils désignèrent même son fils aîné +Tidi-Saïd. Le marabout, après avoir réfléchi quelques instants, leur +dit, en leur montrant son second fils: «Voici votre chef; il est seul +capable de prendre les rênes d'un gouvernement naissant. «L'événement a +justifié sa prédilection. Abd-el-Kader avait vingt-six ans à l'époque où +on le salua du titre de Sultan. Son orgueil dut s'accroître +naturellement lorsqu'il se vit, si jeune, appelé à régénérer l'Afrique, +l'énergie de son caractère et son désir de renommée le rendirent propre +à de grandes choses. Il rechercha toutes les occasions de mettre en +évidence les qualités qui le distinguaient de ses frères. Les +commencements lui furent très-pénibles. Il avait à combattre les +Français d'un côté, et de l'autre les tribus révoltées. Sans armée, sans +argent, il fallait qu'iI ne compromît point ses mandataires et qu'il +répondît à leur confiance. Alors il fit appel aux hommes de bonne +volonté, et contracta des emprunts considérables à Mascara. Avec +l'argent qu'il obtint, il acheta des armes et des munitions. Son étoile +fit le reste. Il eut bientôt réuni quatre mille réguliers volontaires et +six mille auxiliaires. Cette armée envahit le territoire des tribus +insoumises et les mit à contribution. Il paya ses créanciers et organisa +sa cour. Son nom devint un épouvantail pour les Arabes; on se soumit et +on admira cet homme, qui venait de créer un empire sans autre ressource +que son génie. Pendant quelque temps il put se reposer sur sa gloire; +mais les Français l'inquiétaient au dehors. Il les attaqua, et leur fit +éprouver d'abord quelques pertes. Son triomphe ne fut pas de longue +durée; car, peu de temps après, au moment où il s'y attendait le moins, +nos troupes fondirent sur son camp, et massacrèrent la moitié de son +armée. Il ne dut la vie qu'à l'agilité de son cheval. Le danger qu'il courut alors parut si imminent aux Arabes, qu'ils pensent tous que leur -chef est muni d'un talisman qui le met à l'abri des balles. Ce revers, +chef est muni d'un talisman qui le met à l'abri des balles. Ce revers, loin d'abattre son courage, ne fit que l'augmenter. Il attaqua les -Français pendant l'expédition de Mascara. Vaincu pour la seconde fois, -il se replia sur Tlemcem, qu'il quitta bientôt, à l'approche de l'armée -française, emportant avec lui ce que la ville contenait de plus -précieux. Menacé dans la dernière retraite qu'il s'était ménagée à +Français pendant l'expédition de Mascara. Vaincu pour la seconde fois, +il se replia sur Tlemcem, qu'il quitta bientôt, à l'approche de l'armée +française, emportant avec lui ce que la ville contenait de plus +précieux. Menacé dans la dernière retraite qu'il s'était ménagée à Tekedempt, il n'eut d'autre moyen de relever sa fortune que de faire la -paix. Des négociations s'ouvrirent aussitôt: le traité de la Tafna en -fut la suite. Nos troupes abandonnèrent Mascara et Médéah; Tlemcem fut -rendue à l'émir. Celui-ci devait, en retour, fournir à nos troupes des -bœufs, de l'orge et du blé, tandis qu'il en recevrait deux cents fusils +paix. Des négociations s'ouvrirent aussitôt: le traité de la Tafna en +fut la suite. Nos troupes abandonnèrent Mascara et Médéah; Tlemcem fut +rendue à l'émir. Celui-ci devait, en retour, fournir à nos troupes des +bœufs, de l'orge et du blé, tandis qu'il en recevrait deux cents fusils et mille quintaux de poudre. Pendant qu'il traitait avec la France, les -tribus de l'intérieur se soulevèrent de nouveau contre son autorité: il -profita de la trêve pour les faire rentrer sous le joug. Sa gloire ne -fit que grandir dans toutes ces campagnes qu'il termina à son avantage. +tribus de l'intérieur se soulevèrent de nouveau contre son autorité: il +profita de la trêve pour les faire rentrer sous le joug. Sa gloire ne +fit que grandir dans toutes ces campagnes qu'il termina à son avantage. Il a soumis les Oueuseris, les Ziben, les Ghronat, et beaucoup d'autres -tribus contre lesquelles avaient échoué les efforts réunis de plusieurs -beys. Il a bloqué pendant huit mois son redoutable rival Tedjini (le -lion du désert) dans son inaccessible tanière d'Ain-Mahdin, que trois -beys ont vainement assiégée. Il s'en empara en sacrifiant à cette -conquête stérile ses trésors et ses sujets. Son armée fut réduite de -moitié par les périls du siège, et la perte lui fut d'autant plus -sensible, qu'il comptait dans ses rangs un grand nombre de déserteurs -français.</p> +tribus contre lesquelles avaient échoué les efforts réunis de plusieurs +beys. Il a bloqué pendant huit mois son redoutable rival Tedjini (le +lion du désert) dans son inaccessible tanière d'Ain-Mahdin, que trois +beys ont vainement assiégée. Il s'en empara en sacrifiant à cette +conquête stérile ses trésors et ses sujets. Son armée fut réduite de +moitié par les périls du siège, et la perte lui fut d'autant plus +sensible, qu'il comptait dans ses rangs un grand nombre de déserteurs +français.</p> <p>On lui doit la justice de dire qu'il est digne de commander aux Arabes. -Il a tout ce qui constitue le chef de gouvernement: la fermeté, la -prudence, la bravoure, l'intelligence, l'activité. Son intérieur répond -à son costume. Toutes ses habitudes trahissent une indifférence profonde -à l'endroit des biens de la terre. Il habite rarement la ville. Son -douair est à quelques milles de Tekedempt. Lui et sa famille campent -sous une tente assez vaste et d'une élégante simplicité. C'est là qu'il -donne audience et réunit son conseil. Tout ce qui touche à +Il a tout ce qui constitue le chef de gouvernement: la fermeté, la +prudence, la bravoure, l'intelligence, l'activité. Son intérieur répond +à son costume. Toutes ses habitudes trahissent une indifférence profonde +à l'endroit des biens de la terre. Il habite rarement la ville. Son +douair est à quelques milles de Tekedempt. Lui et sa famille campent +sous une tente assez vaste et d'une élégante simplicité. C'est là qu'il +donne audience et réunit son conseil. Tout ce qui touche à l'administration passe par ses mains, et il n'appose son sceau sur -aucune lettre avant de l'avoir lue. Rien n'échappe à sa vigilance; mais -il ne traite les affaires sérieuses qu'après avoir consulté ses -ministres. Voici l'emploi ordinaire de sa journée: il sort de son -habitation vers neuf heures, pour se rendre à la tente d'audience. Après -une courte prière, il s'entretient avec ses conseillers, puis il -explique le Koran au peuple jusqu'au <i>dhoour</i> (une heure d'après-midi); -il fait alors une nouvelle prière à haute voix, à laquelle s'associent -les assistants; puis il rentré sous la tente, où il se livre, jusqu'au -coucher du soleil, aux soins administratifs. Après le <i>meraoub</i> (coucher -du soleil), il tient conseil, fait sa correspondance, médite le livre -saint, et enfin se couche. Il est à remarquer que, depuis le matin, il -reste immobile sous sa tente, assis à l'orientale, les jambes croisées. +aucune lettre avant de l'avoir lue. Rien n'échappe à sa vigilance; mais +il ne traite les affaires sérieuses qu'après avoir consulté ses +ministres. Voici l'emploi ordinaire de sa journée: il sort de son +habitation vers neuf heures, pour se rendre à la tente d'audience. Après +une courte prière, il s'entretient avec ses conseillers, puis il +explique le Koran au peuple jusqu'au <i>dhoour</i> (une heure d'après-midi); +il fait alors une nouvelle prière à haute voix, à laquelle s'associent +les assistants; puis il rentré sous la tente, où il se livre, jusqu'au +coucher du soleil, aux soins administratifs. Après le <i>meraoub</i> (coucher +du soleil), il tient conseil, fait sa correspondance, médite le livre +saint, et enfin se couche. Il est à remarquer que, depuis le matin, il +reste immobile sous sa tente, assis à l'orientale, les jambes croisées. Il ne prend aucune nourriture pendant tout ce temps, quoiqu'il ne cesse point de parler, de crier et de lire. Ses repas se composent -ordinairement de couscoussou. Abd-el-Kader se couche ordinairement à -minuit pour se lever à quatre heures. A moins qu'il ne voyage ou ne -fasse la guerre, il ne change rien à l'emploi de sa journée. Quand les -affaire de son gouvernement l'exigent, il se retire à une heure avancée -de la nuit, car il ne lève jamais la séance sans terminer les affaires -qui lui sont présentées; dans ce cas il consacre à la prière et à la +ordinairement de couscoussou. Abd-el-Kader se couche ordinairement à +minuit pour se lever à quatre heures. A moins qu'il ne voyage ou ne +fasse la guerre, il ne change rien à l'emploi de sa journée. Quand les +affaire de son gouvernement l'exigent, il se retire à une heure avancée +de la nuit, car il ne lève jamais la séance sans terminer les affaires +qui lui sont présentées; dans ce cas il consacre à la prière et à la lecture une partie de ses heures de repos.</p> -<p>Il fuit l'éclat et le luxe extérieurs. Le service de sa maison est fait -par douze esclaves, qu'il a achetés avec sa propre bourse. Il ne -détourne jamais rien à son profit des fonds affectés aux services -publics; il s'en considère comme l'administrateur, et non comme le -propriétaire. Ses dépenses sont prélevées sur les revenus de terres -qu'il fait cultiver dans l'intérieur. Le patrimoine de son père suffit à -ses besoins domestiques. L'émir manque quelquefois d'argent, et je l'ai -vu vendre une de ses négresses pour couvrir les dépenses de sa famille.</p> - -<p>Abd-el-Kader est souvent visité par des musulmans, qui le consultent sur -leurs intérêts et paient ses conseils. Il reçoit tout ce qu'on lui -offre; mais cet argent passe presque aussitôt entre les mains des -indigents qui assiègent sa tente. Un jour il leur donna son burnous et +<p>Il fuit l'éclat et le luxe extérieurs. Le service de sa maison est fait +par douze esclaves, qu'il a achetés avec sa propre bourse. Il ne +détourne jamais rien à son profit des fonds affectés aux services +publics; il s'en considère comme l'administrateur, et non comme le +propriétaire. Ses dépenses sont prélevées sur les revenus de terres +qu'il fait cultiver dans l'intérieur. Le patrimoine de son père suffit à +ses besoins domestiques. L'émir manque quelquefois d'argent, et je l'ai +vu vendre une de ses négresses pour couvrir les dépenses de sa famille.</p> + +<p>Abd-el-Kader est souvent visité par des musulmans, qui le consultent sur +leurs intérêts et paient ses conseils. Il reçoit tout ce qu'on lui +offre; mais cet argent passe presque aussitôt entre les mains des +indigents qui assiègent sa tente. Un jour il leur donna son burnous et une de ses chemises. Chaque fois qu'il sort, une foule innombrable se -précipite sur ses pas, le presse et baise tour à tour ses mains, ses -épaules et ses habits: on l'empêche même d'avancer; alors les <i>tchiaoux</i> -(espèce de gardes du corps) s'arment de bâtons et ouvrent un passage à -leur souverain en chassant le peuple devant eux. «Que faites-vous? -s'écrie l'émir; qui vous a ordonné de battre ces croyants? Sont-ce des -chrétiens? Laissez-les, puisque je ne me plains pas.»</p> - -<p>Tous les cadeaux que le gouvernement français offrit, dans le temps, au +précipite sur ses pas, le presse et baise tour à tour ses mains, ses +épaules et ses habits: on l'empêche même d'avancer; alors les <i>tchiaoux</i> +(espèce de gardes du corps) s'arment de bâtons et ouvrent un passage à +leur souverain en chassant le peuple devant eux. «Que faites-vous? +s'écrie l'émir; qui vous a ordonné de battre ces croyants? Sont-ce des +chrétiens? Laissez-les, puisque je ne me plains pas.»</p> + +<p>Tous les cadeaux que le gouvernement français offrit, dans le temps, au sultan, et qui consistaient en tapis, sabres, pistolets, fusils, -services de porcelaines, etc., etc., sont restés peu de temps chez lui; -il les a envoyés à l'empereur de Maroc en échange de quelques quintaux -de poudre. Son intérieur est moins soigné que celui des Arabes aisés. Le -douair ne se compose que de deux grandes tentes en poil de chèvre noir -et de six autres plus petites. Une palissade de branches sèches et un -petit mur en pierres font le tour du douair. La famille de l'émir se -compose de sa mère, de sa femme, de sa fille et des esclaves. Il aime -beaucoup sa femme, à qui il n'a pas voulu donner de rivale, -contrairement à la coutume des Arabes, qui ont quelquefois jusqu'à -quatre femmes légitimes. Sa vénération pour si mère est inexprimable; il +services de porcelaines, etc., etc., sont restés peu de temps chez lui; +il les a envoyés à l'empereur de Maroc en échange de quelques quintaux +de poudre. Son intérieur est moins soigné que celui des Arabes aisés. Le +douair ne se compose que de deux grandes tentes en poil de chèvre noir +et de six autres plus petites. Une palissade de branches sèches et un +petit mur en pierres font le tour du douair. La famille de l'émir se +compose de sa mère, de sa femme, de sa fille et des esclaves. Il aime +beaucoup sa femme, à qui il n'a pas voulu donner de rivale, +contrairement à la coutume des Arabes, qui ont quelquefois jusqu'à +quatre femmes légitimes. Sa vénération pour si mère est inexprimable; il n'est pas de soins qu'il ne lui prodigue. C'est une femme de -soixante-dix ans à peu près, et d'un naturel maladif. Elle est fille -d'Alonet, de la province d'Elzeris. Elle est venue retrouver son fils à -la mort de son époux Mahydin, qui fut empoisonné il y a quelques années. -Abd-el-Kader avait un fils qui mourut à l'âge de cinq ans, lors de la -signature du traité de Tafna. La mort de l'héritier de sa puissance -l'attriste beaucoup, et il y pense sans cesse. Depuis, il a reporté -toute son affection sur sa tille, qui compte à peine une douzaine de +soixante-dix ans à peu près, et d'un naturel maladif. Elle est fille +d'Alonet, de la province d'Elzeris. Elle est venue retrouver son fils à +la mort de son époux Mahydin, qui fut empoisonné il y a quelques années. +Abd-el-Kader avait un fils qui mourut à l'âge de cinq ans, lors de la +signature du traité de Tafna. La mort de l'héritier de sa puissance +l'attriste beaucoup, et il y pense sans cesse. Depuis, il a reporté +toute son affection sur sa tille, qui compte à peine une douzaine de printemps.</p> -<p>La femme de l'émir est née dans la province de Mascara, d'un négociant -nommé Sidi-Kratir. A l'époque dont je parle, elle pouvait avoir de -vingt-sept à vingt-huit ans; sa peau est d'une blancheur éblouissante; -ses yeux sont grands et expressifs; elle a la taille élancée, le pied -petit, les traits assez jolis; son caractère est doux et affectueux. Je -suis sûr que les prisonnières qui sont attachées à sa personne doivent -être bien traitées. Elle est très-curieuse des coutumes françaises. Son +<p>La femme de l'émir est née dans la province de Mascara, d'un négociant +nommé Sidi-Kratir. A l'époque dont je parle, elle pouvait avoir de +vingt-sept à vingt-huit ans; sa peau est d'une blancheur éblouissante; +ses yeux sont grands et expressifs; elle a la taille élancée, le pied +petit, les traits assez jolis; son caractère est doux et affectueux. Je +suis sûr que les prisonnières qui sont attachées à sa personne doivent +être bien traitées. Elle est très-curieuse des coutumes françaises. Son costume est modeste comme celui des musulmanes d'Alger: elle emploie rarement le velours et la soie; soit modestie, soit condescendance pour -son mari, elle leur préfère la percale et la laine. Ses bras sont ornés +son mari, elle leur préfère la percale et la laine. Ses bras sont ornés le plus souvent de deux bracelets en argent, et elle porte aux pieds des -anneaux de ce métal. Ses oreilles sont encadrées dans de lourds pendants -en or; elle ceint quelquefois sa tête d'un foulard de soie, mais elle ne -porte point de diadème comme le veut la mode d'Afrique. Une ceinture de -laine complète sa toilette.</p> +anneaux de ce métal. Ses oreilles sont encadrées dans de lourds pendants +en or; elle ceint quelquefois sa tête d'un foulard de soie, mais elle ne +porte point de diadème comme le veut la mode d'Afrique. Une ceinture de +laine complète sa toilette.</p> <p>Cet homme, qui vit sous la tente avec sa famille comme un patriarche de -l'antiquité, qui semble faire consister sa gloire à fuir l'éclat et la -représentation, est le chef d'un immense empire. Abd-el-Kader, que nous -appelons le sultan des Arabes, et qui reçoit de ces derniers le titre -d'émir des croyants, étend son administration de l'est à l'ouest, depuis -le Ziben jusqu'à la Tafna, qui sépare Tlemcem du royaume de Fez. Du nord -au sud, depuis nos limites jusque dans le désert, au Ghronat, il a six -kalifats qui administrent en son nom une population de quatre à cinq -cents mille individus. Ses revenus ne s'élèvent guère qu'à 4,000,000 de -francs. Il lève encore quelques impôts dans les tribus qui ne -reconnaissent pas son autorité.</p> - -<p>En développant, autant qu'il m'a été permis de le faire, le caractère de -l'émir, j'ai parlé, je crois, de sa fidélité à sa parole. Que ses -intérêts soient compromis ou lésés, il tient toutes ses promesses. -«J'aurais du le prévoir, dit-il, et ne pas m'engager follement.» Mais -lorsqu'il s'agit des chrétiens, c'est bien différent: il signe des -traités auxquels il manque sans scrupule. Il s'appuie sur ce précepte du +l'antiquité, qui semble faire consister sa gloire à fuir l'éclat et la +représentation, est le chef d'un immense empire. Abd-el-Kader, que nous +appelons le sultan des Arabes, et qui reçoit de ces derniers le titre +d'émir des croyants, étend son administration de l'est à l'ouest, depuis +le Ziben jusqu'à la Tafna, qui sépare Tlemcem du royaume de Fez. Du nord +au sud, depuis nos limites jusque dans le désert, au Ghronat, il a six +kalifats qui administrent en son nom une population de quatre à cinq +cents mille individus. Ses revenus ne s'élèvent guère qu'à 4,000,000 de +francs. Il lève encore quelques impôts dans les tribus qui ne +reconnaissent pas son autorité.</p> + +<p>En développant, autant qu'il m'a été permis de le faire, le caractère de +l'émir, j'ai parlé, je crois, de sa fidélité à sa parole. Que ses +intérêts soient compromis ou lésés, il tient toutes ses promesses. +«J'aurais du le prévoir, dit-il, et ne pas m'engager follement.» Mais +lorsqu'il s'agit des chrétiens, c'est bien différent: il signe des +traités auxquels il manque sans scrupule. Il s'appuie sur ce précepte du Koran: Employez tous les moyens en votre pouvoir, mettez en jeu toutes -vos ressources pour détruire les infidèles. Le traité de la Tafna est la -preuve éclatante de ce qu'il fera plus tard s'il arrive à la France de -pactiser encore avec lui. Son inimitié pour les Français durera autant -que sa vie. Voici ce qu'il me dit avoir écrit autrefois au commandant de -la division, après la prise de Chercheh: «Mande à ton sultan qu'il -cherche vainement à m'atteindre; il n'y parviendra jamais. Je n'ai point -de ville où siège ma puissance; je n'ai pas de trésor; mon gouvernement -est à dos de chameau. Quand tu marcheras vers un lieu où je serai, +vos ressources pour détruire les infidèles. Le traité de la Tafna est la +preuve éclatante de ce qu'il fera plus tard s'il arrive à la France de +pactiser encore avec lui. Son inimitié pour les Français durera autant +que sa vie. Voici ce qu'il me dit avoir écrit autrefois au commandant de +la division, après la prise de Chercheh: «Mande à ton sultan qu'il +cherche vainement à m'atteindre; il n'y parviendra jamais. Je n'ai point +de ville où siège ma puissance; je n'ai pas de trésor; mon gouvernement +est à dos de chameau. Quand tu marcheras vers un lieu où je serai, j'irai plus loin; quand tu me poursuivras, j'irai plus loin encore, et -toujours, jusqu'au désert. De là, je défierai toutes les armées de la -terre, mais je ne le perdrai pas de vue; je serai toujours à tes -trousses, et je ne déposerai pas mes armes, quand j'en serais réduit à -combattre seul.» A cette constance dans sa haine, Abd-el-Kader joint -aussi la ruse instinctive de l'Arabe. Il a toujours refusé les secours -de ses voisins: l'empereur de Maroc lui a souvent proposé d'envoyer à -son aide son fils aîné avec dix mille hommes; il lui a fait répondre -qu'avec l'aide de Dieu et du Prophète, il se tirerait d'affaire sans le +toujours, jusqu'au désert. De là , je défierai toutes les armées de la +terre, mais je ne le perdrai pas de vue; je serai toujours à tes +trousses, et je ne déposerai pas mes armes, quand j'en serais réduit à +combattre seul.» A cette constance dans sa haine, Abd-el-Kader joint +aussi la ruse instinctive de l'Arabe. Il a toujours refusé les secours +de ses voisins: l'empereur de Maroc lui a souvent proposé d'envoyer à +son aide son fils aîné avec dix mille hommes; il lui a fait répondre +qu'avec l'aide de Dieu et du Prophète, il se tirerait d'affaire sans le secours de personne; mais il accepte toutes les munitions qu'on lui -envoie. J'ai vu arriver à Tekedempt plusieurs convois de poudre: -l'empereur n'était alors que le commissionnaire de l'émir; celui-ci +envoie. J'ai vu arriver à Tekedempt plusieurs convois de poudre: +l'empereur n'était alors que le commissionnaire de l'émir; celui-ci payait les caravanes, et ne faisait de nouvelles demandes que lorsqu'il -avait réuni les fonds nécessaires. Les deux milles fusils jetés à -Milianah en 1838 avaient été débarqués à Titouan. L'émir est aussi en -relation avec des Européens qui le visitent <i>incognito</i>, et vont faire, +avait réuni les fonds nécessaires. Les deux milles fusils jetés à +Milianah en 1838 avaient été débarqués à Titouan. L'émir est aussi en +relation avec des Européens qui le visitent <i>incognito</i>, et vont faire, pour son compte, des achats d'armes et de munitions; ces objets sont -déposés à Gibraltar, et de là on les dirige sur divers points du Maroc.</p> +déposés à Gibraltar, et de là on les dirige sur divers points du Maroc.</p> -<p>En campagne, l'émir emploie la ruse lorsqu'il voit l'ardeur des Arabes +<p>En campagne, l'émir emploie la ruse lorsqu'il voit l'ardeur des Arabes se ralentir. Ainsi il fit, dans le temps, courir le bruit que la France -était en guerre avec l'Angleterre, que nous ne pouvions nous maintenir -en Afrique, et que le moment était venu de fondre sur nous. Ce sont des -insinuations de ce genre qui ont provoqué l'attaque de Mazagran.</p> - -<p>Les populations sont, en général, lasses de la guerre; il est arrivé -souvent que des récoltes entières ont été détruites, soit par les -colonnes françaises, soit par les cavaliers arabes. La misère est à son -comble dans les parties dévastées, et l'émir ne sait quelquefois où -donner de la tête: il vit au jour le jour, et ne parvient à satisfaire -ses besoins les plus urgents qu'en faisant irruption à main armée dans -les tribus, sous le prétexte le plus frivole. Les troupes régulières ne -touchent pas exactement leur solde, dans ces cas-là; et les volontaires, -ou du moins ceux qu'on force de marcher sous cette dénomination, +était en guerre avec l'Angleterre, que nous ne pouvions nous maintenir +en Afrique, et que le moment était venu de fondre sur nous. Ce sont des +insinuations de ce genre qui ont provoqué l'attaque de Mazagran.</p> + +<p>Les populations sont, en général, lasses de la guerre; il est arrivé +souvent que des récoltes entières ont été détruites, soit par les +colonnes françaises, soit par les cavaliers arabes. La misère est à son +comble dans les parties dévastées, et l'émir ne sait quelquefois où +donner de la tête: il vit au jour le jour, et ne parvient à satisfaire +ses besoins les plus urgents qu'en faisant irruption à main armée dans +les tribus, sous le prétexte le plus frivole. Les troupes régulières ne +touchent pas exactement leur solde, dans ces cas-là ; et les volontaires, +ou du moins ceux qu'on force de marcher sous cette dénomination, appauvris par les exactions des kalifats et par les ravages de l'ennemi, -désespérés d'abandonner leurs foyers et leurs femmes pour suivre l'émir -dans ses courses ne marchent qu'avec dégoût à la guerre. Notre tactique -les éblouit, du reste; ils redoutent surtout les chasseurs d'Afrique et -l'artillerie: un escadron de cavalerie et une pièce de canon feraient -fuir des nuées de bédouins, qui viendraient peut-être tomber sans pâlir -sous le feu d'un bataillon carré.</p> - -<p>Les kalifats ne sont pas tous entièrement attachés à l'émir: El-Berkam -kalifat de Médéah ne paie jamais de sa personne, et n'inspire pas une -grande confiance à son maître; celui de Mascara, +désespérés d'abandonner leurs foyers et leurs femmes pour suivre l'émir +dans ses courses ne marchent qu'avec dégoût à la guerre. Notre tactique +les éblouit, du reste; ils redoutent surtout les chasseurs d'Afrique et +l'artillerie: un escadron de cavalerie et une pièce de canon feraient +fuir des nuées de bédouins, qui viendraient peut-être tomber sans pâlir +sous le feu d'un bataillon carré.</p> + +<p>Les kalifats ne sont pas tous entièrement attachés à l'émir: El-Berkam +kalifat de Médéah ne paie jamais de sa personne, et n'inspire pas une +grande confiance à son maître; celui de Mascara, Hadji-Mustapha-Ben-Thamy, est mou et paresseux comme un Turc; Bou-Hamidy, kalifat de Tlemcem, et Ben-Allel (3), kalifat de Milianah, -sont les seuls homme» sur lesquels Abd-el-Kader puisse compter. Le -premier, intrépide guerrier et le meilleur cavalier de la régence, +sont les seuls homme» sur lesquels Abd-el-Kader puisse compter. Le +premier, intrépide guerrier et le meilleur cavalier de la régence, gouverne brutalement ses tribus; comme Tarquin, il fait tomber les plus -hautes têtes, et la terreur qu'il inspire est égale à la haine qu'il -nous porte. Le second emploie à peu près les mêmes moyens, mais il -éprouve une grande résistance dans la tribu des Ouenseris, qui, -retranchée sur sa montagne inaccessible, défie de là ses sanglantes +hautes têtes, et la terreur qu'il inspire est égale à la haine qu'il +nous porte. Le second emploie à peu près les mêmes moyens, mais il +éprouve une grande résistance dans la tribu des Ouenseris, qui, +retranchée sur sa montagne inaccessible, défie de là ses sanglantes fureurs.</p> -<blockquote>Note 3: Ben-Allel est le même qui a trouvé la mort dans le combat livré -récemment par la division du général Tempoure.</blockquote> +<blockquote>Note 3: Ben-Allel est le même qui a trouvé la mort dans le combat livré +récemment par la division du général Tempoure.</blockquote> -<p>Observateur comme tous les Arabes, Abd-el-Kader dépeint lui-même en -quelques mots le caractère de ses lieutenants:</p> +<p>Observateur comme tous les Arabes, Abd-el-Kader dépeint lui-même en +quelques mots le caractère de ses lieutenants:</p> -<p>«Berkany, dit-il, me craint, mais ne craint pas Dieu;</p> +<p>«Berkany, dit-il, me craint, mais ne craint pas Dieu;</p> -<p>«Ben-Allel craint Dieu et me craint;</p> +<p>«Ben-Allel craint Dieu et me craint;</p> -<p>«Ben-Thamy craint Dieu, mais ne me craint pas;</p> +<p>«Ben-Thamy craint Dieu, mais ne me craint pas;</p> -<p>«Bou-Hamidy ne me craint pas plus que Dieu.»</p> +<p>«Bou-Hamidy ne me craint pas plus que Dieu.»</p> -<p>Entre, autres bonnes fortunes, je fus invité un jour par le premier -ministre, Sidi-el-Kraroubi, à un grand dîner que l'émir donnait aux -chefs de son armée. Les hostilités étant près de commencer, Abd-el-Kader -voulut inaugurer la campagne par une revue générale des troupes; il les -avait rassemblées à Tekedempt, dans le but de les diriger ensuite vers -les lieux qu'il avait à défendre. Le repas était le prélude de la -solennité militaire. Dès que j'arrivai dans sa tente, l'émir porta la -main à son cœur et à sa tête; je m'inclinai, suivant l'usage, en lui -disant: «Tu es aussi bon pour moi que grand pour tes sujets.» Mon -compliment le fit sourire; il m'indiqua du doigt la salle, où nous -trouvâmes la table préparée: quand je dis la table, c'est par habitude, -car les plats étaient étalés sur le sol; nous prîmes place tout autour -en assez grand nombre. L'émir seul reposait sur un coussin; quant à -nous, nous fîmes ce que font nos soldats en campagne; la terre nous -servit de siège, et nous dévorâmes le dîner avec un appétit qui enchanta +<p>Entre, autres bonnes fortunes, je fus invité un jour par le premier +ministre, Sidi-el-Kraroubi, à un grand dîner que l'émir donnait aux +chefs de son armée. Les hostilités étant près de commencer, Abd-el-Kader +voulut inaugurer la campagne par une revue générale des troupes; il les +avait rassemblées à Tekedempt, dans le but de les diriger ensuite vers +les lieux qu'il avait à défendre. Le repas était le prélude de la +solennité militaire. Dès que j'arrivai dans sa tente, l'émir porta la +main à son cœur et à sa tête; je m'inclinai, suivant l'usage, en lui +disant: «Tu es aussi bon pour moi que grand pour tes sujets.» Mon +compliment le fit sourire; il m'indiqua du doigt la salle, où nous +trouvâmes la table préparée: quand je dis la table, c'est par habitude, +car les plats étaient étalés sur le sol; nous prîmes place tout autour +en assez grand nombre. L'émir seul reposait sur un coussin; quant à +nous, nous fîmes ce que font nos soldats en campagne; la terre nous +servit de siège, et nous dévorâmes le dîner avec un appétit qui enchanta Abd-el-Kader.</p> <p>Comme il n'est pas ordinaire de prendre part au repas d'un Arabe, et -encore moins à un festin d'apparat donné par le sultan, j'observai -attentivement les plats qui nous furent offerts, et la manière dont le -service s'exécutait. Autour du cercle que nous formions, se tenaient -debout plusieurs Bédouins à l'air rébarbatif, dont les fonctions -consistaient à enlever les débris des mets à mesure que les convives -paraissaient y renoncer. Le service se composait d'un bœuf coupé en -deux parties égales, et placées à chaque bout de la table, de deux -agneaux et de deux béliers rôtis tout entiers, et qu'on avait -symétriquement arrangés sur le sol. Le couscoussou, quelques crêpes +encore moins à un festin d'apparat donné par le sultan, j'observai +attentivement les plats qui nous furent offerts, et la manière dont le +service s'exécutait. Autour du cercle que nous formions, se tenaient +debout plusieurs Bédouins à l'air rébarbatif, dont les fonctions +consistaient à enlever les débris des mets à mesure que les convives +paraissaient y renoncer. Le service se composait d'un bœuf coupé en +deux parties égales, et placées à chaque bout de la table, de deux +agneaux et de deux béliers rôtis tout entiers, et qu'on avait +symétriquement arrangés sur le sol. Le couscoussou, quelques crêpes faites avec de l'huile et de la farine, du lait et du miel, qui, par -parenthèse, étaient excellents, formaient l'accompagnement obligé de ces -immenses édifices de viande encore saignante. Au dessert, nous eûmes +parenthèse, étaient excellents, formaient l'accompagnement obligé de ces +immenses édifices de viande encore saignante. Au dessert, nous eûmes quelques figues de Barbarie d'une fadeur rebutante, puis on nous versa -du café bien noir dans de mauvaises écuelles de bois. Du reste, pas de +du café bien noir dans de mauvaises écuelles de bois. Du reste, pas de serviettes, pas de fourchettes, par de cuillers! c'est un luxe auquel -les Arabes ne sont pas encore faits. Les yatagans servaient à dépecer, -et nous déchirions avec nos ongles les morceaux de chair mal coupés. -C'est à peine s'ils connaissent les assiettes, et encore les petits -morceaux de bois à peine polis sur lesquels nous étendîmes le miel ne -méritent guère ce nom, quoique servant au même usage.</p> - -<p>Tel était le menu de ce magnifique festin, qui fut servi au son des -instruments. Je ne manquai pas de remarquer qu'il était loin de valoir -le plus mauvais dîner dans la plus mauvaise gargote du plus mauvais -village de France; que la viande des animaux était brûlée à l'extérieur -et à peine cuite à l'intérieur; que le cuisinier de l'émir n'était pas +les Arabes ne sont pas encore faits. Les yatagans servaient à dépecer, +et nous déchirions avec nos ongles les morceaux de chair mal coupés. +C'est à peine s'ils connaissent les assiettes, et encore les petits +morceaux de bois à peine polis sur lesquels nous étendîmes le miel ne +méritent guère ce nom, quoique servant au même usage.</p> + +<p>Tel était le menu de ce magnifique festin, qui fut servi au son des +instruments. Je ne manquai pas de remarquer qu'il était loin de valoir +le plus mauvais dîner dans la plus mauvaise gargote du plus mauvais +village de France; que la viande des animaux était brûlée à l'extérieur +et à peine cuite à l'intérieur; que le cuisinier de l'émir n'était pas plus fort en cuisine que ses artistes en musique; mais, comme la faim -criait haut et ferme, je n'hésitai pas à la satisfaire; elle me fit même -trouver le dîner moins détestable qu'il ne l'était réellement, tant il -est vrai que l'appétit assaisonne tout! Abd-el-Kader prit sans doute ma -<i>razzia gastronomique</i> pour un hommage rendu à son office, tandis que -tout l'honneur en revenait à mon appétit. J'avais enduré dans la même -journée les deux plus grands supplices qui puissent être infligés à un -homme raisonnable, savoir; un concert d'amateurs et un repas à la +criait haut et ferme, je n'hésitai pas à la satisfaire; elle me fit même +trouver le dîner moins détestable qu'il ne l'était réellement, tant il +est vrai que l'appétit assaisonne tout! Abd-el-Kader prit sans doute ma +<i>razzia gastronomique</i> pour un hommage rendu à son office, tandis que +tout l'honneur en revenait à mon appétit. J'avais enduré dans la même +journée les deux plus grands supplices qui puissent être infligés à un +homme raisonnable, savoir; un concert d'amateurs et un repas à la fortune du pot.</p> <p>Dieu vous garde, ami lecteur, de pareil repas et de pareil concert!</p> -<p>Quand tout le monde eut bien dîné, l'émir se leva, et chacun suivit son -exemple. On amena des chevaux à l'entrée de la tente, et nous allâmes -voir évoluer les troupes.</p> +<p>Quand tout le monde eut bien dîné, l'émir se leva, et chacun suivit son +exemple. On amena des chevaux à l'entrée de la tente, et nous allâmes +voir évoluer les troupes.</p> -<p><i>(La suite à un prochain numéro.)</i> +<p><i>(La suite à un prochain numéro.)</i> <p class="mid"><img alt="" src="images/006.png"></p> <br><br><br> -<p>[Note du transcripteur: Si le lecteur désire télécharger et imprimer la partition qui suit, il obtiendra un meilleur résultat en utilisant l'agrandissement; voir le lien au bas de chaque page de la partition.]</p> +<p>[Note du transcripteur: Si le lecteur désire télécharger et imprimer la partition qui suit, il obtiendra un meilleur résultat en utilisant l'agrandissement; voir le lien au bas de chaque page de la partition.]</p> <p class="mid"><img alt="" src="images/007small.png"><br><a href="images/007large.png">(Agrandissement)</a></p> <p class="mid"><img alt="" src="images/008small.png"><br><a href="images/008large.png">(Agrandissement)</a></p> @@ -2461,341 +2425,341 @@ voir évoluer les troupes.</p> <h2>Bulletin bibliographique.</h2> -<p><i>Histoire de France</i>, Louis XI et Charles le Téméraire, par M. MICHELET. +<p><i>Histoire de France</i>, Louis XI et Charles le Téméraire, par M. MICHELET. Tome VI, 1 vol. in-8 de 500 pages.--Paris, 1844. <i>Hachette</i>. 7 fr. 50.</p> -<p>M. Michelet, trop longtemps méconnu, commence enfin à être apprécié à sa +<p>M. Michelet, trop longtemps méconnu, commence enfin à être apprécié à sa juste valeur, en France, les nombreux admirateurs de son beau talent, -qui ne peuvent pas trouver place dans l'amphithéâtre trop petit du -collège de France, attendent avec la plus vive impatience la publication -de ses leçons. A chaque nouveau volume de l'<i>Histoire de France</i>, le -succès, d'abord faible et incertain, se consolide et grandit. De Paris, -où elle a pris naissance, la réputation de l'éloquent professeur s'est -répandue dans les départements, puis elle a franchi le Rhin, traverse -les Alpes, passe le détroit; l'Allemagne, l'Italie et l'Angleterre -étudient et admirent M. Michelet, autant et plus peut-être que la +qui ne peuvent pas trouver place dans l'amphithéâtre trop petit du +collège de France, attendent avec la plus vive impatience la publication +de ses leçons. A chaque nouveau volume de l'<i>Histoire de France</i>, le +succès, d'abord faible et incertain, se consolide et grandit. De Paris, +où elle a pris naissance, la réputation de l'éloquent professeur s'est +répandue dans les départements, puis elle a franchi le Rhin, traverse +les Alpes, passe le détroit; l'Allemagne, l'Italie et l'Angleterre +étudient et admirent M. Michelet, autant et plus peut-être que la France. Deux des revues trimestrielles de la Grande-Bretagne, la <i>Foreign and British Review</i> et l' <i>Edinburgh Review</i>, viennent de lui -consacrer (faveur bien rare), dans leurs derniers numéros, deux longs -articles. Les critiques anglais, de même que les critiques allemands, -déclarent et prouvent en même temps que M. Michelet mérite d'être placé +consacrer (faveur bien rare), dans leurs derniers numéros, deux longs +articles. Les critiques anglais, de même que les critiques allemands, +déclarent et prouvent en même temps que M. Michelet mérite d'être placé au premier rang parmi les historiens contemporains.</p> -<p>Ce grand et légitime succès tient à plusieurs causes. M. Michelet réunit -en effet de nombreuses qualités qui, séparées, suffiraient encore pur -faire la fortune d'un historien. Savant et poète tout à la fois, il a -l'érudition patiente d'un bénédictin et l'imagination vive et hardie +<p>Ce grand et légitime succès tient à plusieurs causes. M. Michelet réunit +en effet de nombreuses qualités qui, séparées, suffiraient encore pur +faire la fortune d'un historien. Savant et poète tout à la fois, il a +l'érudition patiente d'un bénédictin et l'imagination vive et hardie d'un artiste. De plus, il est philosophe; en d'autres termes, il ne se -contente pas d'essayer de nous représenter la vie du passé telle qu'elle -fut réellement, il cherche à la comprendre, il veut nous en révéler le -véritable sens. Enfin, et ce n'est pas son moindre mérite, il -n'appartient pas à cette catégorie d'écrivains qui fabriquent des -ouvrages historiques à la douzaine, soit pour s'enrichir aux dépens du -public trompé, soit pour faire acheter par des ministres corrupteurs -leur plume vénale. L'histoire, tel a été, tel sera le noble but de sa -vie entière. En vain on lui offrirait l'autorité et les honneurs dont -tant d'autres hommes distingués sont si avides, il les refuserait. -Servir son pays, en lui apprenant à connaître le passé et en lui -montrant les grands enseignements qu'il contient, voilà toute son +contente pas d'essayer de nous représenter la vie du passé telle qu'elle +fut réellement, il cherche à la comprendre, il veut nous en révéler le +véritable sens. Enfin, et ce n'est pas son moindre mérite, il +n'appartient pas à cette catégorie d'écrivains qui fabriquent des +ouvrages historiques à la douzaine, soit pour s'enrichir aux dépens du +public trompé, soit pour faire acheter par des ministres corrupteurs +leur plume vénale. L'histoire, tel a été, tel sera le noble but de sa +vie entière. En vain on lui offrirait l'autorité et les honneurs dont +tant d'autres hommes distingués sont si avides, il les refuserait. +Servir son pays, en lui apprenant à connaître le passé et en lui +montrant les grands enseignements qu'il contient, voilà toute son ambition, et cette ambition, heureusement pour la France et pour lui, il a eu la gloire de la satisfaire.</p> -<p>M. Michelet a, qu'on nous permette cette expression, les défauts de ses -qualités: il est parfois trop savant, trop poète et trop philosophe. -Ici, il donne une importance exagérée à des détails qu'il devrait, sinon -ignorer, du moins négliger; là, son esprit aventureux l'emporte hors des -bornes de la raison et du bon goût; plus loin, il se laisse entraîner, -par son désir de tout expliquer, dans d'incompréhensibles rêveries. Du -reste, si bizarres que soient ses pensées, quelque forme étrange qu'elle -revêtent, il ne cesse jamais de tenir son lecteur sous le charme -fascinateur de son génie. On critique, mais on admire ces écarts -extraordinaires qui dénotent un esprit vigoureux, doué des plus -éminentes facultés. L'éloge suit toujours le blâme, et, la lecture -achevée, le sentiment qu'elle ne peut manquer de faire naître est une -admiration passionnée.</p> +<p>M. Michelet a, qu'on nous permette cette expression, les défauts de ses +qualités: il est parfois trop savant, trop poète et trop philosophe. +Ici, il donne une importance exagérée à des détails qu'il devrait, sinon +ignorer, du moins négliger; là , son esprit aventureux l'emporte hors des +bornes de la raison et du bon goût; plus loin, il se laisse entraîner, +par son désir de tout expliquer, dans d'incompréhensibles rêveries. Du +reste, si bizarres que soient ses pensées, quelque forme étrange qu'elle +revêtent, il ne cesse jamais de tenir son lecteur sous le charme +fascinateur de son génie. On critique, mais on admire ces écarts +extraordinaires qui dénotent un esprit vigoureux, doué des plus +éminentes facultés. L'éloge suit toujours le blâme, et, la lecture +achevée, le sentiment qu'elle ne peut manquer de faire naître est une +admiration passionnée.</p> <p>Le volume que vient de publier M. Michelet,--Louis XI et Charles le -Téméraire,--le tome sixième de cette grande histoire de France en douze -volumes qu'il a entreprise et qu'il terminera bientôt, nous semble -d'ailleurs supérieur encore à ceux qui l'ont précédé. Parvenu à une -époque mieux connue, M. Michelet ne peut plus se livrer aussi souvent à -sa malheureuse passion pour les symboles; force lui est de croire à des -faits dont l'authenticité ne saurait être sérieusement révoquée en -doute. Le poète le plus hardi n'osera jamais métamorphoser en mythes -Louis XI et Charles le Téméraire. Le style est aussi plus grave, plus -égal, moins saccadé. Bien que certains chapitres y occupent peut-être -une trop grande place, l'ensemble de ce volume paraît plus complet et -mieux proportionné.</p> - -<p>Cette lutte terrible de la royauté et de la féodalité, représentée, -l'une par Louis XI, et l'autre par Charles le Téméraire, M. Michelet l'a -admirablement comprise et racontée. On la lit, depuis l'avènement de -Louis XI jusqu'à sa mort, avec tout l'intérêt d'un des plus beaux -chefs-d'œuvre de Walter Scott. Que de péripéties imprévues et -sanglantes viennent chaque année en retarder le dénoûment fatal! D'abord -la Ligue du Bien public. Cette contre-révolution Féodale qui s'oppose à -la révolution royale; puis la guerre des Roses, le sac de Dinant, -l'entrevue de Péronne, la destruction de Liège, les exécutions de +Téméraire,--le tome sixième de cette grande histoire de France en douze +volumes qu'il a entreprise et qu'il terminera bientôt, nous semble +d'ailleurs supérieur encore à ceux qui l'ont précédé. Parvenu à une +époque mieux connue, M. Michelet ne peut plus se livrer aussi souvent à +sa malheureuse passion pour les symboles; force lui est de croire à des +faits dont l'authenticité ne saurait être sérieusement révoquée en +doute. Le poète le plus hardi n'osera jamais métamorphoser en mythes +Louis XI et Charles le Téméraire. Le style est aussi plus grave, plus +égal, moins saccadé. Bien que certains chapitres y occupent peut-être +une trop grande place, l'ensemble de ce volume paraît plus complet et +mieux proportionné.</p> + +<p>Cette lutte terrible de la royauté et de la féodalité, représentée, +l'une par Louis XI, et l'autre par Charles le Téméraire, M. Michelet l'a +admirablement comprise et racontée. On la lit, depuis l'avènement de +Louis XI jusqu'à sa mort, avec tout l'intérêt d'un des plus beaux +chefs-d'œuvre de Walter Scott. Que de péripéties imprévues et +sanglantes viennent chaque année en retarder le dénoûment fatal! D'abord +la Ligue du Bien public. Cette contre-révolution Féodale qui s'oppose à +la révolution royale; puis la guerre des Roses, le sac de Dinant, +l'entrevue de Péronne, la destruction de Liège, les exécutions de Jacques d'Armagnac, de Saint-Pol et de Nemours, l'empoisonnement du duc -de Guienne, les sièges de Beauvais et «de Neuss, la descente anglaise, +de Guienne, les sièges de Beauvais et «de Neuss, la descente anglaise, les batailles de Granson, de Morat et de Nancy, le mariage de Marie de -Bourgogne et de Maximilien d'Autriche... M. Michelet résume, ainsi le -dénoûment de ce grand drame:</p> +Bourgogne et de Maximilien d'Autriche... M. Michelet résume, ainsi le +dénoûment de ce grand drame:</p> -<p>«Tout allait bien pour Louis XI, il était comblé de la fortune; -seulement il mourait. Il le voyait, et il semble qu'il se soit inquiété +<p>«Tout allait bien pour Louis XI, il était comblé de la fortune; +seulement il mourait. Il le voyait, et il semble qu'il se soit inquiété du jugement de l'avenir. Il se fit apporter les chroniques de Saint-Denis, les voulut lire, et sans doute y trouva peu de chose. Le moine chroniqueur pouvait encore moins que le roi, distinguer, parmi -tant d'événements, les résultats du règne, ce qui en resterait.</p> +tant d'événements, les résultats du règne, ce qui en resterait.</p> -<p>«Une chose restait d'abord, et fort mauvaise, c'est que Louis VI, sans -être pire que la plupart des rois de cette triste époque, <i>avait porté -une plus grave atteinte à la moralité du temps</i>. Pourquoi? il réussit. -On oublia ses longues humiliations, on se souvint des succès qui +<p>«Une chose restait d'abord, et fort mauvaise, c'est que Louis VI, sans +être pire que la plupart des rois de cette triste époque, <i>avait porté +une plus grave atteinte à la moralité du temps</i>. Pourquoi? il réussit. +On oublia ses longues humiliations, on se souvint des succès qui finirent; on confondit l'astuce et la sagesse. Il en resta pour -longtemps l'admiration de la ruse et la religion du succès.</p> +longtemps l'admiration de la ruse et la religion du succès.</p> -<p>«Un autre mal très-grave, et qui faussa l'histoire, c'est que la -féodalité, périssant sous une telle main, eut l'air de périr victime +<p>«Un autre mal très-grave, et qui faussa l'histoire, c'est que la +féodalité, périssant sous une telle main, eut l'air de périr victime d'un guet-apens. Le dernier de chaque maison resta le bon duc, le bon -Comte. La féodalité, ce Vieux tyran caduc, gagna fort à mourir de la +Comte. La féodalité, ce Vieux tyran caduc, gagna fort à mourir de la main d'un tyran.</p> -<p>«Sous ce règne, il faut le dire, le royaume, jusque-là tout ouvert, -acquit ses indispensables barrières, sa ceinture de Picardie, Bourgogne -et Roussillon, Maine et Anjou. Il se ferma pour la première fois, et la -paix perpétuelle fut fondée pour les provinces du centre.»</p> +<p>«Sous ce règne, il faut le dire, le royaume, jusque-là tout ouvert, +acquit ses indispensables barrières, sa ceinture de Picardie, Bourgogne +et Roussillon, Maine et Anjou. Il se ferma pour la première fois, et la +paix perpétuelle fut fondée pour les provinces du centre.»</p> -<p>En mettant en vente ce sixième volume, l'éditeur des ouvrages de M. -annonce que les tome VII et VI sont sous presse et qu'ils paraîtront +<p>En mettant en vente ce sixième volume, l'éditeur des ouvrages de M. +annonce que les tome VII et VI sont sous presse et qu'ils paraîtront prochainement.</p> <p class="rig">M. J.</p><br><br> -<p><i>Encyclopédie des Chemins de Fer et des machines à vapeur</i>, à l'usage -des praticiens et des gens du monde; par Félix TOURNEUX, ingénieur, -ancien élève de l'École Polytechnique. I vol--1844. <i>Jules Renouard</i>.</p> +<p><i>Encyclopédie des Chemins de Fer et des machines à vapeur</i>, à l'usage +des praticiens et des gens du monde; par Félix TOURNEUX, ingénieur, +ancien élève de l'École Polytechnique. I vol--1844. <i>Jules Renouard</i>.</p> -<p>Le titre d'encyclopédie, dans le sens académique du mot, est trop -général pour l'ouvrage de M Félix Tourneux; aussi l'a-t-il restreint en -indiquant qu'il ne traitait que des chemins de fer et des machines à +<p>Le titre d'encyclopédie, dans le sens académique du mot, est trop +général pour l'ouvrage de M Félix Tourneux; aussi l'a-t-il restreint en +indiquant qu'il ne traitait que des chemins de fer et des machines à vapeur. Acceptons-le donc dans ses limites, et voyons comment M. -Tourneux s'est tiré de la tache immense s'était imposée. On n'attend pas +Tourneux s'est tiré de la tache immense s'était imposée. On n'attend pas de nous une analyse de cet ouvrage. En effet, si quelque chose se refuse -à l'analyse, c'est un livre de cette forme, un dictionnaire où l'on peut -aller chercher l'explication du terme qui embarrasse, du phénomène dont +à l'analyse, c'est un livre de cette forme, un dictionnaire où l'on peut +aller chercher l'explication du terme qui embarrasse, du phénomène dont on ne s'explique pas les causes.</p> <p>Les deux plus grandes inventions industrielles des temps modernes sont -sans contredit la machine à vapeur comme agent, et la locomotion rapide -comme effet. De la première datent les grands progrès dans toutes les -branches manufacturières, dans l'exploitation des mines, dans +sans contredit la machine à vapeur comme agent, et la locomotion rapide +comme effet. De la première datent les grands progrès dans toutes les +branches manufacturières, dans l'exploitation des mines, dans l'alimentation et l'assainissement des villes. Les chemins de fer, qui -ne sont encore qu'à leur aurore, ont déjà réalisé des merveilles, et -l'esprit se perd à suivre jusque dans leurs dernières conséquences les -résultats probables de leur emploi. Il était donc important de fixer dès -à présent l'état de la science, de poser pour ainsi dire un jalon qui -pût, par la suite, servir de terme de comparaison pour constater le -progrès et l'amélioration. D'ailleurs, dans notre temps de paix, la -langue industrielle, la langue des travaux publics doit être à la portée -de tous, et rien ne pouvait être plus utile, pour la vulgariser, qu'un -livre qui en donnât les éléments, et permît à chacun et à tous +ne sont encore qu'à leur aurore, ont déjà réalisé des merveilles, et +l'esprit se perd à suivre jusque dans leurs dernières conséquences les +résultats probables de leur emploi. Il était donc important de fixer dès +à présent l'état de la science, de poser pour ainsi dire un jalon qui +pût, par la suite, servir de terme de comparaison pour constater le +progrès et l'amélioration. D'ailleurs, dans notre temps de paix, la +langue industrielle, la langue des travaux publics doit être à la portée +de tous, et rien ne pouvait être plus utile, pour la vulgariser, qu'un +livre qui en donnât les éléments, et permît à chacun et à tous d'employer les termes propres en connaissance de cause. Vous dire si -l'ouvrage est complet nous paraît impossible: l'auteur doit le savoir -mieux que nous, et probablement il prépare déjà les matériaux d'une -édition plus complète, si tant est qu'il ait omis quelque chose. Ce que -nous pouvons dire, c'est que nous nous sommes imposé la tache de trouver -l'auteur en défaut, que nous avons cherché tous les mots de la langue -des travaux publics qui nous sont venus à l'esprit et toujours nous -avons trouvé le mot cherché, et, avec ce mot, une explication claire, -succincte et complète; une explication telle qu'aux praticiens elle -rappelle en quelques lignes les notions qui peuvent les intéresser, et -qu'aux gens du monde elle donne la définition limpide d'un terme +l'ouvrage est complet nous paraît impossible: l'auteur doit le savoir +mieux que nous, et probablement il prépare déjà les matériaux d'une +édition plus complète, si tant est qu'il ait omis quelque chose. Ce que +nous pouvons dire, c'est que nous nous sommes imposé la tache de trouver +l'auteur en défaut, que nous avons cherché tous les mots de la langue +des travaux publics qui nous sont venus à l'esprit et toujours nous +avons trouvé le mot cherché, et, avec ce mot, une explication claire, +succincte et complète; une explication telle qu'aux praticiens elle +rappelle en quelques lignes les notions qui peuvent les intéresser, et +qu'aux gens du monde elle donne la définition limpide d'un terme technique trop souvent inintelligible pour eux, et la solution qu'ils -auraient en vain cherchée ailleurs.</p> +auraient en vain cherchée ailleurs.</p> <p>Vous ne pouvons mieux terminer qu'en transcrivant ce que dit l'auteur -lui-même de l'esprit qui l'a guidé dans la rédaction de son livre: -«L'auteur est du nombre de ceux qui pensent que jamais, et sur quoi que -ce soit, l'humanité ne donnera son dernier mot. Peut-être la machine à -vapeur et les chemins de fer ont-ils tracé à l'industrie une voie dans -laquelle elle demeurera longtemps. Peut-être, au contraire, doivent-ils -céder la place à d'autres agents de production et de mouvements plus -énergiques encore inconnus à cette heure. Quel que soit leur avenir, ils -auront contribué pour une forte part au progrès de la puissance morale -et matérielle de l'homme dans la génération présente; ils auront été une -manifestation nouvelle de la faculté que Dieu a mise en nous de -développer et d'étendre à notre profit les œuvres, immortelles de sa -création.»</p> +lui-même de l'esprit qui l'a guidé dans la rédaction de son livre: +«L'auteur est du nombre de ceux qui pensent que jamais, et sur quoi que +ce soit, l'humanité ne donnera son dernier mot. Peut-être la machine à +vapeur et les chemins de fer ont-ils tracé à l'industrie une voie dans +laquelle elle demeurera longtemps. Peut-être, au contraire, doivent-ils +céder la place à d'autres agents de production et de mouvements plus +énergiques encore inconnus à cette heure. Quel que soit leur avenir, ils +auront contribué pour une forte part au progrès de la puissance morale +et matérielle de l'homme dans la génération présente; ils auront été une +manifestation nouvelle de la faculté que Dieu a mise en nous de +développer et d'étendre à notre profit les œuvres, immortelles de sa +création.»</p> <p class="rig">P. T.</p><br><br> <p><i>La France statistique</i>; par M. Alfred LEGOYT, sous-chef du bureau de -statistique au ministère de l'intérieur.--I vol. in-8. <i>Guillaumin</i>.</p> +statistique au ministère de l'intérieur.--I vol. in-8. <i>Guillaumin</i>.</p> <p>L'ouvrage qui fait l'objet de cet article se recommande principalement -par son utilité pratique. «Les documents officiels, s'est dit l'auteur, -ne reçoivent qu'une publicité très-restreinte, et souvent même ne -sortent pas de l'administration qui les a recueillis. D'un autre côté, -on ne saurait les étudier avec succès, sans avoir sur les matières -qu'ils embrassent des connaissances préliminaires assez étendues; -quelquefois ils laissent à désirer pour l'ordre et la clarté; enfin, ils +par son utilité pratique. «Les documents officiels, s'est dit l'auteur, +ne reçoivent qu'une publicité très-restreinte, et souvent même ne +sortent pas de l'administration qui les a recueillis. D'un autre côté, +on ne saurait les étudier avec succès, sans avoir sur les matières +qu'ils embrassent des connaissances préliminaires assez étendues; +quelquefois ils laissent à désirer pour l'ordre et la clarté; enfin, ils ne se relient point entre eux, parce qu'ils ne sont pas le fruit d'une -pensée commune et unitaire. Un livre qui présenterait une analyse -suffisamment détaillée de ces documents, qui les disposerait -méthodiquement et! les développerait par un texte explicatif et -supplétif, ce livre rendrait certainement un service signalé à -l'économiste, au publiciste, à l'homme politique et à l'administrateur.»</p> +pensée commune et unitaire. Un livre qui présenterait une analyse +suffisamment détaillée de ces documents, qui les disposerait +méthodiquement et! les développerait par un texte explicatif et +supplétif, ce livre rendrait certainement un service signalé à +l'économiste, au publiciste, à l'homme politique et à l'administrateur.»</p> -<p>Tel est le but que s'est proposé M. Legoyt.</p> +<p>Tel est le but que s'est proposé M. Legoyt.</p> <p>Son livre est divise en deux parties: les <i>tableaux</i> et le <i>texte</i>. Les tableaux, au nombre de vingt environ, embrassent tous les documents qui -composent la statistique générale du royaume. Voici l'analyse succincte +composent la statistique générale du royaume. Voici l'analyse succincte des plus importants:</p> -<p>1° <i>Population du royaume d'après le recensement de 1811</i>. Ce tableau -comprend le chiffre des habitants par département, leur subdivision par -sexe et par état civil et leur répartition en agglomérés et non -agglomérés. Ces deux derniers renseignements sont complètement inédits. -Tout en se référant au dénombrement de 1811, comme le plus récent, M. -Legoyt émet des doutes qui nous paraissent fondés sur la sincérité des -résultats qu'il a produits. On se rappelle, en effet, que cette -importante mesure partagea la défaveur dont fut frappé, à tort ou à -raison, le recensement prescrit par le ministère des finances. Il est -certain, en effet, que l'augmentation de population constatée em 1811 -est inférieure à celle qui a été constatée en 1826, 1834, 1836; et rien -ne saurait justifier, dans l'état de paix et de prospérité où se trouve -le pays, ce temps d'arrêt dans le mouvement de sa population, même en -tenant compte des émigrations pour l'Algérie et l'Amérique du Sud, -pertes largement compensées par de nombreuses immigrations d'étrangers +<p>1° <i>Population du royaume d'après le recensement de 1811</i>. Ce tableau +comprend le chiffre des habitants par département, leur subdivision par +sexe et par état civil et leur répartition en agglomérés et non +agglomérés. Ces deux derniers renseignements sont complètement inédits. +Tout en se référant au dénombrement de 1811, comme le plus récent, M. +Legoyt émet des doutes qui nous paraissent fondés sur la sincérité des +résultats qu'il a produits. On se rappelle, en effet, que cette +importante mesure partagea la défaveur dont fut frappé, à tort ou à +raison, le recensement prescrit par le ministère des finances. Il est +certain, en effet, que l'augmentation de population constatée em 1811 +est inférieure à celle qui a été constatée en 1826, 1834, 1836; et rien +ne saurait justifier, dans l'état de paix et de prospérité où se trouve +le pays, ce temps d'arrêt dans le mouvement de sa population, même en +tenant compte des émigrations pour l'Algérie et l'Amérique du Sud, +pertes largement compensées par de nombreuses immigrations d'étrangers venant apporter leurs capitaux, leurs bras et leur industrie en France.</p> -<p>2º <i>Mouvement de la population</i>. Naissances, décès, mariages. +<p>2º <i>Mouvement de la population</i>. Naissances, décès, mariages. <i>Naissances</i>.--Sous ce titre. M. Legoyt donne le nombre moyen annuel des -naissances légitimes, naturelles, la proportion de ces deux catégories +naissances légitimes, naturelles, la proportion de ces deux catégories de naissances pour 1,000 habitants, le rapport des sexes, et le chiffre -des enfants trouvés et abandonnés. Ses calculs ont été faits sur la -période décennale de 1831 à 1840.</p> +des enfants trouvés et abandonnés. Ses calculs ont été faits sur la +période décennale de 1831 à 1840.</p> -<p><i>Décès</i>. Les subdivisions de l'auteur, relativement aux décès, ne sont +<p><i>Décès</i>. Les subdivisions de l'auteur, relativement aux décès, ne sont pas moins nombreuses: elles embrassent l'ensemble des renseignements -curieux ou utiles à connaître sur la mortalité en France; nous citerons -surtout celui qui est intitulé: <i>Tableau des enfants morts-nés ou -décédés avant la déclaration de naissance.</i>. M. Legoyt s'est livré à un -travail fort important sur cette nature de décès. Il est parvenu à -démontrer ce fait remarquable et qui nous paraît devoir exercer une -certaine influence sur la question des enfants-trouvés, c'est que -partout où les tours ont été supprimées et les déplacements effectués, -le nombre des enfants morts-nés a augmenté dans les proportions les plus -considérables; nous renvoyons le lecteur aux développements dans -lesquels l'auteur est entré à ce sujet et à la suite desquels il conclut -que cette augmentation doit être attribuée à des infanticides non -constatés.</p> - -<p><i>Mariages</i>. Le tableau consacré à ce document indique leur nombre moyen -annuel total et leur nombre pour mille habitants, l'âge moyen des +curieux ou utiles à connaître sur la mortalité en France; nous citerons +surtout celui qui est intitulé: <i>Tableau des enfants morts-nés ou +décédés avant la déclaration de naissance.</i>. M. Legoyt s'est livré à un +travail fort important sur cette nature de décès. Il est parvenu à +démontrer ce fait remarquable et qui nous paraît devoir exercer une +certaine influence sur la question des enfants-trouvés, c'est que +partout où les tours ont été supprimées et les déplacements effectués, +le nombre des enfants morts-nés a augmenté dans les proportions les plus +considérables; nous renvoyons le lecteur aux développements dans +lesquels l'auteur est entré à ce sujet et à la suite desquels il conclut +que cette augmentation doit être attribuée à des infanticides non +constatés.</p> + +<p><i>Mariages</i>. Le tableau consacré à ce document indique leur nombre moyen +annuel total et leur nombre pour mille habitants, l'âge moyen des contractants pour les deux sexes et le chiffre moyen des enfants pour -chaque mariage. M. Legoyt a complété ses recherches sur la population -par une nouvelle loi de la mortalité en France, qui nous a paru -s'éloigner beaucoup des résultats de la table de Duvillard, et se +chaque mariage. M. Legoyt a complété ses recherches sur la population +par une nouvelle loi de la mortalité en France, qui nous a paru +s'éloigner beaucoup des résultats de la table de Duvillard, et se rapprocher, au contraire, de celle de Price, et surtout de celle de M. -de Montferrand. D'après les calculs de M. Legoyt, la durée de la vie -moyenne, en France, serait considérablement accrue depuis un siècle, -puisqu'elle serait aussi longue aujourd'hui pour la population générale -qu'elle l'était du temps de Price, pour des têtes choisies. Mais -l'auteur a soin de nous avertir que les documents officiels sur l'âge -par rapport aux décès ne sont pas assez exacts pour donner à une table -de mortalité un caractère d'authenticité.</p> - -<p><i>3º France intellectuelle</i>--Ce tableau résume les plus récentes -publications des ministères de l'instruction publique et de la guerre, -instruction des conscrits, sur l'état actuel de l'instruction primaire. -Nous aurions désiré que l'auteur eût justifié plus complètement son -titre par une statistique de l'instruction secondaire et supérieure; -mais peut-être son livre était-il écrit avant que la publication de M. -Villemain sur les collèges eût paru; dans ce cas, il serait possible que -les documents lui eussent manqué.</p> - -<p><i>4º France morale</i>.--C'est le bilan de la moralité officielle du pays; -on y voit figurer le nombre annuel des crimes et délits, les modes de -perpétration, l'âge', le degré d'instruction des accusés, des récidives, -le rapport des condamnés aux accusés, des accusés aux crimes commis, la -nature et le chiffre des peines prononcées, rapport des crimes ou délits -poursuivis aux crimes ou délits constatés; enfin l'influence sur le +de Montferrand. D'après les calculs de M. Legoyt, la durée de la vie +moyenne, en France, serait considérablement accrue depuis un siècle, +puisqu'elle serait aussi longue aujourd'hui pour la population générale +qu'elle l'était du temps de Price, pour des têtes choisies. Mais +l'auteur a soin de nous avertir que les documents officiels sur l'âge +par rapport aux décès ne sont pas assez exacts pour donner à une table +de mortalité un caractère d'authenticité.</p> + +<p><i>3º France intellectuelle</i>--Ce tableau résume les plus récentes +publications des ministères de l'instruction publique et de la guerre, +instruction des conscrits, sur l'état actuel de l'instruction primaire. +Nous aurions désiré que l'auteur eût justifié plus complètement son +titre par une statistique de l'instruction secondaire et supérieure; +mais peut-être son livre était-il écrit avant que la publication de M. +Villemain sur les collèges eût paru; dans ce cas, il serait possible que +les documents lui eussent manqué.</p> + +<p><i>4º France morale</i>.--C'est le bilan de la moralité officielle du pays; +on y voit figurer le nombre annuel des crimes et délits, les modes de +perpétration, l'âge', le degré d'instruction des accusés, des récidives, +le rapport des condamnés aux accusés, des accusés aux crimes commis, la +nature et le chiffre des peines prononcées, rapport des crimes ou délits +poursuivis aux crimes ou délits constatés; enfin l'influence sur le chiffre des condamnations de l'application des circonstances -atténuantes. L'auteur apprécie encore la moralité de chaque département +atténuantes. L'auteur apprécie encore la moralité de chaque département sur le nombre annuel des naissances naturelles, des suicides et des -séparation de corps. Ces faits divers, quoique d'une valeur inégale, ont -généralement un grave intérêt. Ils se complètent d'ailleurs l'un par +séparation de corps. Ces faits divers, quoique d'une valeur inégale, ont +généralement un grave intérêt. Ils se complètent d'ailleurs l'un par l'autre.</p> -<p><i>5º France financière et industrielle.</i>--Ce tableau se divise en deux +<p><i>5º France financière et industrielle.</i>--Ce tableau se divise en deux parties: dans l'une on trouve le chiffre des contributions de toute -nature que paie chaque département; dans l'autre, une appréciation de -l'état industriel et du paupérisme en France. Il est à regretter que, +nature que paie chaque département; dans l'autre, une appréciation de +l'état industriel et du paupérisme en France. Il est à regretter que, pour cette seconde partie, l'auteur n'ait pu disposer que de documents -remontant déjà à une époque éloignée.</p> +remontant déjà à une époque éloignée.</p> -<p><i>6° France judiciaire.</i>--C'est le classement des départements par le -nombre annuel des affaires civiles et commerciales. Les éléments de -cette statistique ont moins d'intérêt qu'on devrait s'y attendre. Ils -n'établissent pas nettement, en effet, ce qu'on y cherche tout d'abord, +<p><i>6° France judiciaire.</i>--C'est le classement des départements par le +nombre annuel des affaires civiles et commerciales. Les éléments de +cette statistique ont moins d'intérêt qu'on devrait s'y attendre. Ils +n'établissent pas nettement, en effet, ce qu'on y cherche tout d'abord, si le nombre des affaires est en rapport avec la population et le -chiffre des contributions. On aurait, en outre, besoin de connaître, non +chiffre des contributions. On aurait, en outre, besoin de connaître, non pas seulement le nombre, mais encore l'importance des affaires. Une -pareille recherche présente sans doute de graves difficultés car il y a -des procès où l'évaluation en argent des intérêts qui y sont engagés ne -peut être que très-hypothétiquement établie. Nous ne croyons pas -toutefois cet obstacle insurmontable, et avec un peu de résolution et de +pareille recherche présente sans doute de graves difficultés car il y a +des procès où l'évaluation en argent des intérêts qui y sont engagés ne +peut être que très-hypothétiquement établie. Nous ne croyons pas +toutefois cet obstacle insurmontable, et avec un peu de résolution et de constance, l'administration pourra enrichir de ce document ses statistiques judiciaires.</p> -<p><i>7º France politique</i>--Nous n'avons trouvé nulle part encore une -statistique électorale de la France; la <i>France statistique</i> nous la -donne aussi complète que possible. Ce tableau, emprunté aux sources -officielles, indique le chiffre des électeurs politiques départementaux -et communaux; il contient en outre, des renseignements détaillés sur le -<i>maximum</i>, le <i>minimum</i>, et la moyenne des divers cens électoraux.</p> - -<p><i>8º France militaire:</i>--M. Legoyt a donné ce titre à une série de -documents sur les ressources que le contingent annuel, les réserves, -l'effectif de l'armée, et la garde-nationale pourraient offrir au pays, -en cas de conflit extérieur. Parmi ces documents, il en est un que nous -croyons inédit et qui a une véritable importance. C'est le nombre total -des gardes nationaux mobilisables, d'après le recensement prescrit par -le gouvernement, après la signature du traité du 13 juillet.</p> - -<p><i>9º France physique.</i>--Les éléments de ce tableau sont puisés, comme -ceux du précédent, dans les excellentes publications du ministère de la -guerre; les départements y sont classés d'après le nombre des soldats +<p><i>7º France politique</i>--Nous n'avons trouvé nulle part encore une +statistique électorale de la France; la <i>France statistique</i> nous la +donne aussi complète que possible. Ce tableau, emprunté aux sources +officielles, indique le chiffre des électeurs politiques départementaux +et communaux; il contient en outre, des renseignements détaillés sur le +<i>maximum</i>, le <i>minimum</i>, et la moyenne des divers cens électoraux.</p> + +<p><i>8º France militaire:</i>--M. Legoyt a donné ce titre à une série de +documents sur les ressources que le contingent annuel, les réserves, +l'effectif de l'armée, et la garde-nationale pourraient offrir au pays, +en cas de conflit extérieur. Parmi ces documents, il en est un que nous +croyons inédit et qui a une véritable importance. C'est le nombre total +des gardes nationaux mobilisables, d'après le recensement prescrit par +le gouvernement, après la signature du traité du 13 juillet.</p> + +<p><i>9º France physique.</i>--Les éléments de ce tableau sont puisés, comme +ceux du précédent, dans les excellentes publications du ministère de la +guerre; les départements y sont classés d'après le nombre des soldats valides qu'ils fournissent au recrutement, par rapport au chiffre -demandé. Rien de plus curieux et de plus instructif à la fois que -l'énumération des diverses maladies et infirmités qui, dans chaque -département, ont été des causes d'exemption. Il y aurait un sujet -d'études d'une haute portée dans le rapprochement l'état <i>pathologique</i> -des diverses localités avec leur situation topographique, les causes -d'insalubrité et l'état du paupérisme.</p> - -<p><i>10º France territoriale et agricole.</i>--Il était difficile de présenter, -sous une meilleure forme et dans un cadre plus habilement disposé, les -volumineuses publications du ministère du commerce sur l'agriculture en -France. Étendue du domaine arable, constitution du sol, nature, qualité, -prix des produits de toute espèce, rapport des produits aux semences, -importance moyenne annuelle des récoltes, animaux domestiques destinés à -l'agriculture ou à la consommation, etc., M. Legoyt n'a rien oublié de -ce qui peut faire apprécier jusque dans ses moindres détails cette -première branche de la richesse nationale.</p> - -<p><i>11° Consommation annuelle par individu</i>--Ce tableau, qui clôt la -première partie de l'ouvrage, n'est pas moins digne d'attention que les -précédents. Comme le titre l'annonce, il assigne pour chaque individu et -par département, la mesure de sa consommation en blé, viandes et +demandé. Rien de plus curieux et de plus instructif à la fois que +l'énumération des diverses maladies et infirmités qui, dans chaque +département, ont été des causes d'exemption. Il y aurait un sujet +d'études d'une haute portée dans le rapprochement l'état <i>pathologique</i> +des diverses localités avec leur situation topographique, les causes +d'insalubrité et l'état du paupérisme.</p> + +<p><i>10º France territoriale et agricole.</i>--Il était difficile de présenter, +sous une meilleure forme et dans un cadre plus habilement disposé, les +volumineuses publications du ministère du commerce sur l'agriculture en +France. Étendue du domaine arable, constitution du sol, nature, qualité, +prix des produits de toute espèce, rapport des produits aux semences, +importance moyenne annuelle des récoltes, animaux domestiques destinés à +l'agriculture ou à la consommation, etc., M. Legoyt n'a rien oublié de +ce qui peut faire apprécier jusque dans ses moindres détails cette +première branche de la richesse nationale.</p> + +<p><i>11° Consommation annuelle par individu</i>--Ce tableau, qui clôt la +première partie de l'ouvrage, n'est pas moins digne d'attention que les +précédents. Comme le titre l'annonce, il assigne pour chaque individu et +par département, la mesure de sa consommation en blé, viandes et poissons.</p> <p>[Note du transcripteur: Le reste de cette colonne, soit environ 20 -lignes, est illisible dans le document qui nous a été fourni.]</p> +lignes, est illisible dans le document qui nous a été fourni.]</p> <br><br> @@ -2807,31 +2771,31 @@ lignes, est illisible dans le document qui nous a été fourni.]</p> <h2>Amusement des sciences</h2> -<p class="mid">SOLUTION DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS LE DERNIER NUMÉRO.</p> +<p class="mid">SOLUTION DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS LE DERNIER NUMÉRO.</p> -<p>I. Supposons que ces trois objets soient un anneau, un étui et un gant. +<p>I. Supposons que ces trois objets soient un anneau, un étui et un gant. Affectez mentalement la lettre A au premier objet, la lettre E au -second, la lettre I au troisième.</p> +second, la lettre I au troisième.</p> -<p>Donnez aussi par la pensée des numéros aux trois personnes: l'une -portera le n° 1, une autre le nº 2, la troisième le nº 5.</p> +<p>Donnez aussi par la pensée des numéros aux trois personnes: l'une +portera le n° 1, une autre le nº 2, la troisième le nº 5.</p> -<p>Prenez 24 jetons et donnez 1 jeton à la première personne, 2 à la -seconde, 5 à la troisième; puis, laissant les 18 autres jetons à la -disposition de ces personnes, retirez-vous à l'écart en les invitant à +<p>Prenez 24 jetons et donnez 1 jeton à la première personne, 2 à la +seconde, 5 à la troisième; puis, laissant les 18 autres jetons à la +disposition de ces personnes, retirez-vous à l'écart en les invitant à prendre chacune un des trois objets et une partie des jetons que vous -avez laisses, de manière que celle qui aura l'anneau prenne autant de -jetons que vous lui en avez donné d'abord; que celle qui a l'étui prenne -le double du nombre de jetons qu'elle a reçus; enfin, que celle qui a le +avez laisses, de manière que celle qui aura l'anneau prenne autant de +jetons que vous lui en avez donné d'abord; que celle qui a l'étui prenne +le double du nombre de jetons qu'elle a reçus; enfin, que celle qui a le gant prenne, sur le reste des jetons, quatre fois autant de jetons -qu'elle en a reçu de vous.</p> +qu'elle en a reçu de vous.</p> <p>Cela fait, regardez le nombre des jetons qui restent sur la table; ce -nombre ne peut être que l'un des six suivants:</p> +nombre ne peut être que l'un des six suivants:</p> <pre> 1 2 3 5 6 7</pre> -<p>au devant desquels vous mettrez, par la pensée les mots suivants:</p> +<p>au devant desquels vous mettrez, par la pensée les mots suivants:</p> <pre>pAh-fEr cEsAr jAdIs dEvInt sI grAnd prIncE</pre> @@ -2840,96 +2804,96 @@ nombre ne peut être que l'un des six suivants:</p> <p>Les deux voyelles A et E, que nous avons mises en capitales dans les deux mots pAh-fEr, correspondant au chiffre 1, indiquent que lorsqu'il -ne reste qu'un jeton sur la table, c'est la première personne qui a pris -l'anneau (A) et la seconde qui a pris l'étui (E); de sorte que la -troisième a nécessairement le gant.</p> +ne reste qu'un jeton sur la table, c'est la première personne qui a pris +l'anneau (A) et la seconde qui a pris l'étui (E); de sorte que la +troisième a nécessairement le gant.</p> -<p>On verrait de même que les deux lettres E, A suivant l'ordre où elles se -présentent dans le mot cEsAr, qui correspond à un reste de deux jetons, -indiquent que la première personne a pris l'étui et la seconde l'anneau, +<p>On verrait de même que les deux lettres E, A suivant l'ordre où elles se +présentent dans le mot cEsAr, qui correspond à un reste de deux jetons, +indiquent que la première personne a pris l'étui et la seconde l'anneau, et ainsi de suite.</p> <br> <p>II. On sait que l'usage de tenir la pointe du pied en dehors n'a pas -toujours été de rigueur. Il paraît que, dans l'ancienne Rome, on +toujours été de rigueur. Il paraît que, dans l'ancienne Rome, on marchait avec la pointe du pied en avant, sans l'incliner en dehors plus -qu'en dedans. Parmi les Orientaux, au contraire, la dignité de la -démarche exige une position de jambe qui passerait pour ridicule -aujourd'hui chez les nations civilisées.--On peut en dire à peu près -autant de la démarche des grands personnages du dix-septième et du -dix-huitième siècle, telle que nous la représentent les dessins de -l'époque.</p> - -<p>Cependant on ne peut disconvenir que l'équilibre du corps ne devienne +qu'en dedans. Parmi les Orientaux, au contraire, la dignité de la +démarche exige une position de jambe qui passerait pour ridicule +aujourd'hui chez les nations civilisées.--On peut en dire à peu près +autant de la démarche des grands personnages du dix-septième et du +dix-huitième siècle, telle que nous la représentent les dessins de +l'époque.</p> + +<p>Cependant on ne peut disconvenir que l'équilibre du corps ne devienne plus stable dans la marche ordinaire ou dans la station, lorsque la -pointe du pied est tournée modérément en dehors. C'est un fait -d'expérience journalière que chacun peut vérifier à chaque instant. -Montuela, géomètre distingué du siècle dernier, raconte avec une -bonhomie pleine de sens qu'il a cherché à confirmer ce fait par le -calcul, et à justifier par les lois de la mécanique l'idée de grâce que -nous attachons à l'usage de nous tenir avec les pieds en dehors. Voici -comment il a résolu le problème: Il pose dans le cinquantième numéro de +pointe du pied est tournée modérément en dehors. C'est un fait +d'expérience journalière que chacun peut vérifier à chaque instant. +Montuela, géomètre distingué du siècle dernier, raconte avec une +bonhomie pleine de sens qu'il a cherché à confirmer ce fait par le +calcul, et à justifier par les lois de la mécanique l'idée de grâce que +nous attachons à l'usage de nous tenir avec les pieds en dehors. Voici +comment il a résolu le problème: Il pose dans le cinquantième numéro de notre journal.</p> -<p>L'équilibre du corps sera d'autant plus stable que la base comprise +<p>L'équilibre du corps sera d'autant plus stable que la base comprise entre les points d'appui que nos pieds lui offrent sur le sol sera plus -considérable, car la verticale qui passe par notre centre de gravite +considérable, car la verticale qui passe par notre centre de gravite tombera plus difficilement en dehors de cette hase. Il s'agit donc, -étant donnée la position des talons, de chercher l'inclinaison la plus -avantageuse de la ligne médiane des pieds, pour que la surface de la -base qu'ils déterminent soit la plus grande possible. Or, ceci devient -un problème de géométrie dont l'énoncé serait le suivant: <i>Deux lignes -AD, BC, égales et mobiles sur les points A et B comme centres étant -données, déterminer leur position lorsque le quadrilatère ou trapèze -ABCD sera le plus grand possible.</i> Ce problème se résout avec la plus -grande facilité par les méthodes connues des géomètres pour les -problèmes de ce genre, et l'on déduit de cette solution la construction +étant donnée la position des talons, de chercher l'inclinaison la plus +avantageuse de la ligne médiane des pieds, pour que la surface de la +base qu'ils déterminent soit la plus grande possible. Or, ceci devient +un problème de géométrie dont l'énoncé serait le suivant: <i>Deux lignes +AD, BC, égales et mobiles sur les points A et B comme centres étant +données, déterminer leur position lorsque le quadrilatère ou trapèze +ABCD sera le plus grand possible.</i> Ce problème se résout avec la plus +grande facilité par les méthodes connues des géomètres pour les +problèmes de ce genre, et l'on déduit de cette solution la construction suivante.</p> <p class="mid"><img alt="" src="images/009b.png"></p> -<p>Sur la ligne Ad, égale à AD ou BC, faites le triangle isocèle HI; -ensuite, avant pris AI égal à AG ou un quart de AB, tirez la ligne KI et -prenez IE égale IK; puis sur GE élevez une perpendiculaire indéfinie qui -coupe en D le cercle décrit de A, comme centre, avec le rayon Ad: -l'angle DAE sera l'angle cherché.</p> +<p>Sur la ligne Ad, égale à AD ou BC, faites le triangle isocèle HI; +ensuite, avant pris AI égal à AG ou un quart de AB, tirez la ligne KI et +prenez IE égale IK; puis sur GE élevez une perpendiculaire indéfinie qui +coupe en D le cercle décrit de A, comme centre, avec le rayon Ad: +l'angle DAE sera l'angle cherché.</p> -<p>Si la ligne AB, et conséquemment AG ou AI, est nulle, on trouvera que AE -sera égal à AH, et que l'angle DAE sera demi-droit. Ainsi, lorsqu'on a -les talons absolument appliqués l'un contre l'autre, l'angle que doivent +<p>Si la ligne AB, et conséquemment AG ou AI, est nulle, on trouvera que AE +sera égal à AH, et que l'angle DAE sera demi-droit. Ainsi, lorsqu'on a +les talons absolument appliqués l'un contre l'autre, l'angle que doivent faire ensemble les lignes longitudinales de la plante des pieds est -demi-droit ou bien approchant du demi-droit, à cause de la petite +demi-droit ou bien approchant du demi-droit, à cause de la petite distance qu'il y a alors entre les deux points de rotation qui sont au milieu des talons.</p> <p class="mid"><img alt="" src="images/009c.png"></p> -<p>Supposons maintenant que la distance AB est égale à AD, on trouverait, -par le calcul, que l'angle DAE devrait être de 60 degrés. +<p>Supposons maintenant que la distance AB est égale à AD, on trouverait, +par le calcul, que l'angle DAE devrait être de 60 degrés. -<p>En supposant AH égal à deux AD, ce calcul donnera l'angle DAE de 70 -degrés à très-peu près. En faisant AB égal à trois fois la ligne AD, -l'angle DAE se trouvera à bien peu près de 74° 30'.</p> +<p>En supposant AH égal à deux AD, ce calcul donnera l'angle DAE de 70 +degrés à très-peu près. En faisant AB égal à trois fois la ligne AD, +l'angle DAE se trouvera à bien peu près de 74° 30'.</p> -<p>Le calcul confirme donc ce fait d'expérience, que les pieds doivent -tendre vers le parallélisme à mesure qu'ils s'écartent davantage, ainsi -que l'habitude reçue de les tourner légèrement en dehors pour un -écartement ordinaire.</p> +<p>Le calcul confirme donc ce fait d'expérience, que les pieds doivent +tendre vers le parallélisme à mesure qu'ils s'écartent davantage, ainsi +que l'habitude reçue de les tourner légèrement en dehors pour un +écartement ordinaire.</p> <br> -<p class="mid">NOUVELLES QUESTIONS A RÉSOUDRE.</p> +<p class="mid">NOUVELLES QUESTIONS A RÉSOUDRE.</p> -<p>I. Plusieurs nombres pris suivant leur suite naturelle étant disposés en -rond, deviner celui que quelqu'un aura pensé.</p> +<p>I. Plusieurs nombres pris suivant leur suite naturelle étant disposés en +rond, deviner celui que quelqu'un aura pensé.</p> -<p>II. Donner un moyen sûr, au jeu de billard, pour amener la bille de son +<p>II. Donner un moyen sûr, au jeu de billard, pour amener la bille de son adversaire dans une blouse en frappant obliquement cette blouse.</p> <br><br> -<h2>Rébus.</h2> +<h2>Rébus.</h2> -<p class="mid">EXPLICATION DES DERNIERS RÉBUS:</p> +<p class="mid">EXPLICATION DES DERNIERS RÉBUS:</p> <p class="mid">I.</p> @@ -2941,391 +2905,16 @@ adversaire dans une blouse en frappant obliquement cette blouse.</p> <p class="mid">III.</p> -<p class="mid">Un grand homme appartient à l'univers.</p> +<p class="mid">Un grand homme appartient à l'univers.</p> <br> -<h3>Nouveau rébus.</h3> +<h3>Nouveau rébus.</h3> <p class="mid"><img alt="" src="images/009d.png"><br> <br><br> </div> - - - - - - - - -<pre> - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0052, 24 Février -1844, by Various - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0052, 24 *** - -***** This file should be named 43436-h.htm or 43436-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/4/3/4/3/43436/ - -Produced by Rénald Lévesque - -Updated editions will replace the previous one--the old editions -will be renamed. - -Creating the works from public domain print editions means that no -one owns a United States copyright in these works, so the Foundation -(and you!) can copy and distribute it in the United States without -permission and without paying copyright royalties. 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Redistribution is -subject to the trademark license, especially commercial -redistribution. - - - -*** START: FULL LICENSE *** - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project -Gutenberg-tm License available with this file or online at - www.gutenberg.org/license. - - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm -electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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