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Prx de -chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75. - -Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois. 17 fr.--Un an, 32 fr. pour -l'Étranger. - 10 - 20 - 40 - -Nº 52. VOL. II.-SAMEDI 24 FEVRIER 1844. Bureaux, rue de Seine, 33. - - -SOMMAIRE. Histoire de la Semaine. _Portrait de Marie-Christine_.--De la -Question de l'Enseignement.--Le Vésuve. _Maison de l'Ermitage du Vésuve; -Coupe du Cratère du Vésuve._--Algérie. Escadron de dromadaires. -_Manoeuvres de Dromadaires; Bride et Selle du Dromadaire._--Paris -souterrain. _Une rue souterraine._--Don Graviel l'Alférez. Fantaisie -maritime par M. de la Landelle. (Suite),--Courrier de Paris. _Descente -de la Courtille; un Sergent de Ville le mercredi des cendres; l'Ami -Carême, fils du Mardi Gras; Mort et Enterrement du Mardi -Gras._--Théâtres. Opéra-Comique, Cagliostro. _Une Scène de -Magnétisme_.--Fragments d'un Voyage en Afrique (Suite.)--Musique. Entre -Pise et Florence. Paroles de M. Philippe Busoni, Musique de M. Gustave -Hequet.--Bulletin bibliographique.--Modes. -_Travestissements_.--Amusements des Sciences. _Une Gravure_.--Rébus. - - -Histoire de la Semaine. - -La discussion de la loi sur la chasse a encore occupé les trois premiers -jours de la semaine parlementaire. Cette loi a ouvert ses articles et -ses paragraphes à une foule d'amendements qui ne la rendront à coup sûr -pas bonne, qui lui auraient ôté surtout l'esprit d'ensemble, si elle en -avait eu, mais qui lui ont valu en définitive d'être adoptée à une assez -forte majorité. - -Il était peu de membres de la Chambre qui n'eussent fait admettre, dans -le cours de cette interminable discussion, leur amendement ou leur -sous-amendement: chacun était donc poussé par une sorte d'amour-propre -d'auteur à donner une boule blanche à cette fille de ses oeuvres. Son -sort à cependant été un instant douteux. Dans la séance de lundi, un -amendement abrogeant par le fait la législation spéciale aux forêts du -domaine, de 1790, a fait ranger celles-ci dans la catégorie des forêts -particulières et a soumis le prince qui en a la jouissance et les siens -aux mêmes et sévères règles qu'elle impose aux citoyens. - -Cette disposition, que le ministère absent ou distrait n'a pas su faire -rejeter, a, sans aucun doute, attiré d'un côte à la loi des antipathies, -tandis qu'elle lui assurait quelques suffrages de l'autre. Mais en -définitive elle aura été la cause de son adoption, car les suffrages -conquis lui sont restés et les antipathies se sont tues dans l'espoir -que la Chambre des Pairs n'admettrait pas cet amendement, et qu'une fois -supprimé, la Chambre des Députés ne le rétablirait pas. - -Est venue ensuite la discussion sur la prise en considération de la -proposition de M. de Rémusat, relative aux incompatibilités. Il était -difficile de penser que ce débat, qui tant de fois déjà s'est engagé -devant la Chambre, verrait se produire aujourd'hui de nouveaux motifs. -Mais les questions personnelles sont venues l'animer et le rajeunir. En -effet, c'est peut-être le seul qui les comporte ou plutôt les nécessite. -Pour les partisans de la proposition, là où ils voient un abus ils -doivent voir nécessairement un argument, et la situation d'un -fonctionnaire menacée parce qu'il a voté, dans tel ou tel sens comme -député, ou le vote d'un autre représentant passant du blanc au noir par -la force de motifs secrets qu'ils ont la curiosité de connaître, tout -cela trouve naturellement place dans leurs discours. Quelques faits -récents avaient fourni des arguments de ce genre; il en a été fait usage -pour la plus grande satisfaction des spectateurs avides d'agitation, -plutôt que pour l'édification de ceux qui croient à la bonté du -gouvernement représentatif, honnêtement et sincèrement pratiqué, et qui -seraient profondément désolés qu'on arrivât à l'user sans s'en être -servi. MM. Barrot, Thiers et Guizot, sont successivement montés à la -tribune, qu'ont aussi occupée MM. Dugabé et de Salvandy. La prise en -considération a été repoussée par une majorité que quelques de membres -regardent comme douteuse. - -[Illustration: Marie-Christine, ex-reine d'Espagne.--Voir à la page -suivante.] - -La loi sur le roulage n'a pas été beaucoup plus heureuse à la Chambre -des Pairs que la loi sur la chasse à la Chambre des Députés. Ce que l'on -avait fait il y a deux ans au palais du Luxembourg, il y a un an au -palais Bourbon, on l'a défait cette année en grande partie. Dans les -précédentes discussions, on avait paru très-frappé du résultat des -expériences faites par M. Morin, par ordre du gouvernement, et de la -nécessité d'imposer, dans l'intérêt des routes et de leur conservation, -des conditions sévères et d'établir des distinctions tranchées pour la -largeur des jantes des voitures, selon qu'elles étaient à deux ou quatre -roues. Cette année on a paru croire beaucoup moins aux résultats des -expériences de M. Morin, sur lesquels était fondé le projet de loi, et -beaucoup plus à l'utilité de la liberté en matière de roulage, sinon -complète encore et illimitée, du moins beaucoup moins restreinte que par -le passé et que ne l'établissait le projet. Ainsi, sur la proposition -de M. le comte Daru, cette distinction a disparu pour le minimum des -jantes des voitures à quatre et des voitures à deux roues; il sera pour -les unes comme pour les autres indistinctement de 6 centimètres, et le -maximum de 17. Du reste, et par contre, si l'industrie a été bien -traitée par ce changement, l'agriculture a vu restreindre les facilités -que la Chambre des Députés avait voulu lui accorder l'an passé, en -adoptant un amendement de M. Darblay par lequel les voitures de -l'agriculture étaient affranchies dans tous les cas, c'est-à-dire -qu'elles allassent au marché ou qu'elles en revinssent, qu'elles -transportassent des matériaux pour les constructions de la ferme, -qu'elles allassent de la ferme aux champs ou des champs à la ferme, des -règles relatives à la largeur des bandes et à la limitation du poids. La -Chambre des Pairs a cru devoir restreindre cette exemption au cas -seulement où les véhicules agricoles vont de la ferme aux champs ou en -reviennent. Cet amendement oblige, on le voit, les fermiers et les -agriculteurs à avoir des voitures de plusieurs sortes. Cette loi doit -revenir de nouveau à la Chambre des Députés. - -Nous déplorions dans notre dernier bulletin la vivacité que la -discussion avait prise dans un des bureaux de cette Chambre, à -l'occasion de l'admission à la lecture de la proposition de M. de -Rémusat. Mais ce que nous avons vu ici n'est qu'une gentillesse en -comparaison de ce qui se passait presque en même temps à la Chambre des -Représentants des États-Unis et à la Chambre des Lords d'Angleterre. A -tout seigneur tout honneur: nous commençons par la Chambre anglaise. -Dans la dernière discussion, à l'occasion des affaires d'Irlande, lord -Campbell a dit en répondant à lord Brougham: - -«Le discours de mon noble et savant ami est parfaitement irrégulier: -cela ne m'étonne pas, car tout ce qu'il fait dans cette Chambre est -irrégulier. J'ai demandé hier l'ajournement, parce que je croyais qu'il -parlerait, et que je voulais lui répondre. J'étais bien pardonnable de -croire cela, car voilà bien, autant que je m'en souviens, le premier -débat de quelque importance dans lequel il n'ait parlé, et parlé au -moins sept fois... Toutes les fois qu'il prêchera les principes qu'il -condamnait autrefois, je ne me gênerai pas pour le lui rappeler, et pour -lui remettre devant les yeux ceux qu'il défendait avec moi et qu'il -abandonne aujourd'hui.» Lord Brougham lui a répondu avec le ton de la -plus violente colère: «Mylords, on dit que j'ai commis une irrégularité. -Jamais je n'ai vu dire une aussi grosse absurdité, même par mon noble et -savant ami. Je ne me laisserai pas faire la leçon par d'ignorants -nouveaux venus, qui ne connaissent pas l'A B C du règlement, et qui -montrent une ignorance si _crasse_ que je n'aurais jamais cru personne -capable d'en montrer une semblable sur quoi que ce soit. Je serai -heureux qu'on me donne l'occasion de repousser en face cette fausse, -vile et calomnieuse accusation que l'on me fait, d'avoir abandonné mes -principes. Je défie qu'on me le prouve, et je jette ce défi avec -l'assurance que je saurai le justifier.» - -En Amérique on est infiniment moins parlementaire encore. M. Stewart, -membre de la Chambre des Représentants des États-Unis, avait été, il y -a quelque temps, en butte à une attaque très-vive d'un de ses collègues, -M. Waller. Un neveu de M. Stewart, M. Schriver, correspondant du -_Baltimore-Patriot_, et ayant, à ce titre, une place réservée dans -l'enceinte de la Chambre, avait rendu compte de cette sortie en termes -qui avaient blessé M. Waller. Celui-ci, rencontrant M. Schriver à la -Chambre, l'apostropha, et, après l'échange de quelques mots, le frappa. -Aussitôt ils se prirent au corps. Dans la lutte, les deux combattants -tombèrent dans une croisée et la défoncèrent. Plusieurs membres de la -chambre accoururent et essayèrent de les séparer, tandis que d'autres -criaient: «_Laissez-les se battre comme il faut._» Un membre démocrate -dit même, en s'adressant au banc des whigs: «S'il y a quelqu'un qui -veuille prendre part au combat, je pourrai bien m'en mêler un peu.» -Enfin, après que quelques horions eurent encore été échangés, un membre -se hasarda à séparer définitivement les deux champions. Plainte fut -portée par M. Schriver, et caution fournie par M. Waller. - -D'importantes nouvelles sont arrivées de Taïti, et quoique depuis -plusieurs jours le gouvernement ait gardé un silence diversement, mais -en général peu favorablement interprété, il est impossible de ne pas -accorder toute confiance aux détails très-concordants qu'ont donnés -plusieurs correspondances particulières sur les événements dont la -nouvelle Cythère a été le théâtre. La reine Pomaré, cédant aux -suggestions de M. Pritchard, missionnaire, négociant et consul anglais, -se refusait obstinément à exécuter le traité du 9 septembre, après -l'avoir ratifié, et affectait le plus grand mépris pour le gouvernement -provisoire institué par l'amiral Dupetit-Thouars, en vertu du -protectorat de la France, accepté puis méconnu par la reine. Notre -pavillon avait été amené et remplacé par un chiffon bizarre qu'elle -avait déclaré être le pavillon taïtien. Cette résistance avait été, nous -ne dirons pas provoquée, mais très-ostensiblement appuyée par le -commandant de la frégate anglaise la _Vindictive_, lequel menaça même de -recourir à la force pour faire prévaloir les nouvelles façons d'agir de -la reine. Nous n'avions en ce moment que deux corvettes dans ces -parages; mais leurs officiers et leurs équipages n'hésitèrent pas un -seul instant, malgré l'inégalité des forces, à prendre l'attitude qui -convenait à la marine française, en réponse à cet insolent langage. Les -menaces demeurèrent alors sans effet, et l'amiral anglais Thomas, pour -éviter un conflit que rendait imminent la présence du commodore -Nicholas, qui montait _la Vindictive_, la remplaça par la frégate _le -Dublin_, qui se borna à demeurer spectatrice de nos démêlés avec la -reine Pomaré. Instruit de cette situation et des faits qui l'avaient -précédée, l'amiral Dupetit-Thouars se présenta, le 4 novembre dernier, -devant Papeiti avec les trois frégates _la Reine-Blanche, l'Uranie, la -Danaé_, dans la pensée que ce déploiement de forces épargnerait une -lutte déplorable pour l'humanité et enlèverait même à la reine, on -plutôt à ses imprudents conseillers, toute idée de résistance. Le calcul -de l'amiral n'était pas complètement exact. Il accorda un premier délai -qu'on laissa s'écouler sans rentrer dans l'ordre. Alors il en fixa un -définitif, expirant le 6 à midi, et au terme duquel le traité devait -avoir été exécuté sous peine de déchéance de la reine. Le capitaine de -la frégate anglaise, oubliant un moment les recommandations de -modération et de neutralité que son amiral lui avait faites, se laissa -aller à déclarer à l'amiral Dupetit-Thouars, sur le pont même de _la -Reine-Blanche_, qu'il allait faire venir à son bord la reine Pomaré, -hisser le pavillon taïtien et le saluer de vingt et un coups de canon. -Justement blessé de cette intervention injustifiable et hautaine, M. -Dupetit-Thouars répondit au commodore: «A votre aise, monsieur; menez, -tant qu'il vous plaira cette femme à votre bord, mais gardez-vous de -hisser le pavillon taïtien; et, si vous le saluez de vingt et un coups -de canon, vous assumerez sur vous toutes les conséquences qui pourront -en résulter. Maintenant que vous êtes prévenu, agissez comme il vous -plaira.» On comprend que la matinée du 6 ait tenu l'escadre française -dans une attente pleine d'émotions. Mais l'heure dite arriva sans que la -reine eût arboré le pavillon tricolore; l'ordre du débarquement fut -aussitôt exécuté que donné, et Pomaré a cessé de régner. Un gouvernement -a été installé par l'amiral, dont la conduite a été digne de son nom et -des couleurs sous lesquelles il sert. - -La situation de l'Espagne, c'est-à-dire la lutte entre un gouvernement -qui s'est mis en dehors de toutes les règles constitutionnelles et une -insurrection qui n'offre pas beaucoup plus de garanties aux hommes qui -appellent de leurs voeux un gouvernement régulier, cette situation se -prolonge, et l'on se demande si le retour de la reine Christine en -Espagne (voir la page, précédente) y mettra fin. Bien des yeux, de -l'autre côté des Pyrénées, sont tournés vers cette princesse. -Désavouera-t-elle franchement les actes dictatoriaux du général Narvaez? -les désapprouvera-t-elle seulement pour la forme, ou enfin le -suivra-t-elle ouvertement dans cette voie? Voilà les questions que les -Espagnols s'adressent, et que beaucoup, dans leurs préventions ou dans -leur confiance, résolvent dans le sens qui justifie ou les unes ou -l'autre. - -Mais la fièvre de l'insurrection et celle des mesures extraordinaires de -gouvernement ont passé la frontière d'Espagne, et travaillent à leur -tour et de nouveau le royaume de dona Maria. Une conspiration militaire -a éclaté en Portugal. Un général considéré, ancien ministre de la -guerre, le comte de Boulin, est à la tête de ce mouvement, qui fait -valoir comme griefs les violations qu'on a fait subir au principe de la -souveraineté nationale, en faisant revivre, sans la faire réviser par -une Chambre constitutionnelle, la Charte que don Pedro avait octroyée. -Là, connue en Espagne, les Chambres ont été fermes, la liberté de la -presse, la liberté individuelle suspendues, et le royaume entier mis en -état de siège. C'est bien mal commencer; attendons la fin. - -Les feuilles françaises et étrangères ont vu cette semaine leurs -colonnes attristées par le récit de nombreux et déplorables malheurs. Le -_Standard_ du 17 annonce qu'un terrible accident est arrivé la veille -dans la houillère de Landshipping. Des mineurs, au nombre de -cinquante-huit, travaillaient dans l'une des galeries qui passent sous -la rivière, lorsque tout à coup l'eau fit irruption dans la mine avec -une telle violence que dix-huit de ces ouvriers seulement eurent le -temps de se sauver. Les quarante autres ont été noyés.--A Granville, -dans la nuit du 14 au 15, par un temps fort calme, un canot monté par -dix hommes ayant chaviré à une brasse ou deux tout au plus du bord du -quai, sept de ces matelots allèrent au fond, où ils restèrent engagés -dans des vases molles qui se sont accumulées dans cet endroit.-- - -Quel douloureux spectacle s'offrit le matin aux regards lorsque la mer -se fut retirée. Les cadavres de ces sept malheureux gisaient pêle-mêle, -dans un espace de quelques mètres, les uns retenus par les pieds, -d'autres engagés jusqu'aux épaules dans la boue noire et fétide du port. -Pour ceux-ci, l'asphyxie a dû être instantanée, et la position de l'un -d'eux, qui avait les mains dans les poches ne son paletot, le prouvait -assez. Six de ces hommes sont pères de famille et le laissent, -assure-t-on, sans aucune ressource plus de vingt orphelins.--Un des plus -anciens et des plus justement célèbres de nos généraux, le -lieutenant-général Pajol, a fait, dans le grand escalier du château des -Tuileries, une chute affreuse, qui a causé la fracture de la cuisse au -col du fémur, et donne de vives inquiétudes.--Le savant M. Gay-Lussac, -qui a la simplicité de faire encore son cours, et qui ne croit pas que -le rôle d'un professeur doive consister uniquement à se choisir un -suppléant, a pensé être victime de l'explosion d'un flacon dont le -contenu s'est enflammé par le contact subit de l'air, au moment où il -préparait une expérience de laboratoire du Jardin-des-Plantes. -L'illustre professeur et son jeune préparateur ont été blessés, le -premier grièvement, le second plus légèrement. L'état de M. Gay-Lussac -est aujourd'hui complètement rassurant.--On a annoncé, cette semaine, la -mort d'un homme excellent, d'un homme dont la vie a été vouée aux -oeuvres utiles, de M. Cassin, agent général des sociétés savantes et de -bienfaisance.--Un des plus éminents publicistes de la Suisse, le docteur -Charles Schnell, rédacteur du _Volksfreund_, depuis longtemps en proie à -une profonde mélancolie, par suite d'un état obstiné de souffrances -physiques, a mis fin à ses jours. C'était un des plus formidables -antagonistes de l'aristocratie suisse et de l'aristocratie bernoise en -particulier.--Le 15 février est mort à White-Lodge (Richmond-Barker), -dans sa quatre-vingt-septième année, Henry Addington, vicomte de -Sydmouth. Il avait été président de la Chambre des Communes de 1789 à -1801, premier lord de la trésorerie et chancelier de l'Échiquier de 1801 -à 1804, lord président du conseil en 1805, lord du sceau privé en 1806, -secrétaire d'État de l'intérieur de 1812 à 1822.--Les nouvelles de -Stockholm peignent l'état du roi de Suède comme s'aggravant de jour en -jour, et nous devons craindre que la notice biographique que nous lui -avons consacrée ne devienne bientôt une notice nécrologique. - - - -De la Question de l'Enseignement. - -_L'Illustration_ ne saurait se proposer d'entrer dans toutes les -discussions qui s'engagent chaque jour sur les questions d'organisation -que le législateur a encore à résoudre. Mais elle regarde comme un -devoir, auquel elle ne manquera pas, d'exposer l'état de chacune de ces -questions au fur et à mesure qu'elles arriveront à l'examen des -Chambres. L'abbé Sieyès a laissé en mourant un manuscrit volumineux -ayant pour titre cette proposition, à la démonstration de laquelle -l'ouvrage entier est consacré; _Il n'y a point de questions insolubles, -il n'y a que des questions mal posées_. Nous pourrons donc croire avoir -contribué pour notre part à la solution de celles qui seront agitées -quand nous aurons clairement fait connaître la difficulté qu'il faut -trancher ou les différents intérêts qu'il s'agit de mettre d'accord. - -En remontant dans notre histoire, aux premiers temps où le règne des -lois régulières commença à s'établir, même au temps où la science était -presque uniquement cléricale, aux premières années du quatorzième siècle -(1312), sous Philippe le Bel, on trouve déjà admis et en vigueur le -principe que l'instruction publique dépend de l'État. Celui-ci eut sans -aucun doute à défendre son droit contre plus d'une tentative -empiètement; mais, d'une part, les édits, les ordonnances, etc., de -l'autre l'action de la magistrature, fixèrent et maintinrent son -influence. Ainsi, en 1446, une ordonnance de Charles VII vint donner -juridiction aux Parlements sur les Universités, qui prétendaient ne -relever que du pouvoir royal et du pape. En même temps, de leur côté, -les Parlements établissaient par des arrêts le droit d'autorisation et -d'inspection des Universités sur les écoles particulières, et -l'obligation pour les maîtres d'être gradués dans les le lettres qu'ils -enseignaient.--La collation des grades et leur indispensabilité furent -encore l'objet de prescriptions nouvelles dans l'édit de Blois de mai -1579.--Elles furent confirmées par l'édit réglementaire de Henri IV sur -l'Université de Paris, de septembre 1598, édit marquant davantage la -sécularisation commencée de l'enseignement public.--Une ordonnance -royale de janvier 1629 dispose également que «nul ne sera reçu aux -degrés qu'il n'ait étudié l'espace de trois ans en l'Université où -seront conférés lesdits degrés, ou en une autre pour partie dudit temps, -et en ladite Université pour le surplus, dont il rapportera certificat -suffisant; mais elle va plus loin encore, et, ne se contentant pas -d'imposer des conditions aux hommes qui se vouaient à l'enseignement ou -aux jeunes gens qui voulaient entrer dans certaines carrières, elle -subroge en quelque sorte l'État à tous les droits des pères de famille: -«Nous défendons, y est-il dit, à tous nos sujets, de quelque état et -condition qu'ils soient, d'envoyer leurs enfants étudier hors de notre -royaume, pays et terres de notre obéissance, sans notre permission et -congé.» - -Nous pourrions montrer également la constante surveillance de l'État sur -les Universités; sa vigilance à ne laisser établir aucun collège, qu'il -fût fondé par une dotation particulière, ou entretenu par une ville, ou -même doté sur des biens ecclésiastiques, sans une autorisation spéciale -et l'intervention d'une ordonnance du roi. Nous pourrions rappeler -comment, à diverses reprises, furent refoulés les empiètements des -jésuites et montrer comment, dès 1708, fut imposée l'obligation de -fréquenter les collèges aux élèves de tout établissement particulier -d'instruction; mais l'historique de l'instruction publique en France et -la préexistence presque immémoriale de toutes les prescriptions dont -Napoléon, en les coordonnant, a fait le code de Université, sont trop -clairement et trop complètement déduits et démontrés dans l'exposé des -motifs du projet de loi que M. Villemain vient de présenter à la Chambre -des Pairs, pour que nous n'y renvoyions pas ceux de nos lecteurs qui -voudraient, à ce sujet plus de preuves et de détails que l'espace ne -nous permet d'en donner ici. - -Si la liberté de l'enseignement n'exista jamais au profit des -particuliers sous l'ancienne monarchie; et le clergé lui-même, malgré -ses immenses privilèges, vit continuellement dans cette matière la -législation et la jurisprudence lui dicter des règles et lui imposer des -obligations, cette liberté n'exista pas davantage de fait après 1789 et -sous la République elle-même. L'Assemblée constituante en prononça le -nom, mais ne la constitua point. La Convention la proclama, mais y mit -d'abord des conditions qui assuraient qu'il n'en serait point usé sans -l'agrément de l'autorité; et si la constitution de l'an III ne semblait -pas imposer les mêmes limites, dès l'année suivante elles furent en -quelque sorte tracées par le décret du 3 brumaire, et, un peu plus tard, -la loi du 1er mai 1802 statua positivement que «il ne pourrait être -établi d'école secondaire sans l'autorisation du gouvernement.» - -Enfin vint l'Empire, qui, par la loi du 10 mai 1806 et les décrets du 17 -mars 1809 et du 15 novembre 1811, codifia avec ensemble tout ce que les -ordonnances des rois et les arrêts des Parlements avaient accumulé de -précautions et de garanties, les compléta, et faisant des anciennes -universités autant d'académies, les relia toutes à une seule et puissante -Université, dépendante de l'État, qui, selon l'expression de M. -Boyer-Collard, n'était autre chose que le gouvernement appliqué à la -direction universelle de l'instruction publique, et qui avait le -monopole de l'éducation à peu près comme les tribunaux ont le monopole -de la justice, et l'armée celui de la force publique. - -Cette organisation puissante fut maintenue par la Restauration, qui ne -consentit de dérogation à cette règle générale qu'en faveur des écoles -secondaires ecclésiastiques ou petits séminaires. Dès 1802, les besoins -du service religieux avaient fait créer par plusieurs évêques, avec des -secours particuliers, quelques écoles préparatoires à l'enseignement des -séminaires métropolitains ou diocésains, reconnus par un article du -Concordat, et, plus tard, organisés par la loi du 14 mars 1804. Un -décret du 9 avril 1809 mentionna pour la première fois ces écoles -préparatoires. Un titre spécial du décret du 15 novembre 1811, les -assimila tout à fait aux écoles ordinaires, leur interdisant de plus de -s'établir autre part que dans les localités où se trouvait placé un -collège communal ou un lycée, dont leurs élèves étaient tenus de suivre -les cours. Un ordonnance royale du 5 octobre 1814 vint dispenser ces -établissements de ces obligations et autorisa l'augmentation de leur -nombre. Ces facilités amenèrent un état de choses auquel on crut devoir -porter remède en 1828. L'exemption de toute obligation de grades quant -aux maîtres, la dispense de toute rétribution envers l'État quant aux -élevés, favorisaient les petits séminaires au détriment des collèges et -des institutions universitaires, et mettant ces derniers établissements -dans l'impossibilité de soutenir une lutte rendue trop inégale. - -C'est alors que, sur la proposition de M. le comte Portalis, ministre de -la justice, fut instituée, pour constater les faits et proposer les -mesures à prendre, une commission composée de neuf membres, qui -choisirent pour rapporteur M. de Quéleu, archevêque de Paris. Son -travail remarquable constate que, outre le nombre des écoles secondaires -ecclésiastiques porté à 126, 53 autres établissements s'étaient formés -comme succursales ou écoles cléricales; que plusieurs étaient dirigées, -non par des prêtres, mais par des membres de corporations religieuses -non autorisées par les lois; qu'enfin le but de l'institution des petits -séminaires était tout a fait dépassé. Il conclut à ce que nulle nouvelle -école secondaire ecclésiastique ne fût établie sans une autorisation -spéciale; à ce qu'on ne fît dans ces écoles que des études compatibles -avec l'état ecclésiastique; que l'habit y fût pris par les élèves ayant -deux ans d'études; qu'il leur fût interdit de recevoir des externes, et -enfin à ce que tous les élèves qui auraient abandonné l'état -ecclésiastique après leurs cours d'études, fussent tenus, pour obtenir -le diplôme de bachelier ès-lettres, _de se soumettre de nouveau aux -études et aux examens, selon les règlements de l'Université._ - -Les ordonnances du 16 juin 1828 ne furent que la mise en pratique et en -vigueur de ces principes et de ces conclusions. Elles furent présentées -à la signature de Charles X par M. Feutrier, évêque de Beauvais, -ministre des affaires ecclésiastiques, à la suite d'un rapport au roi où -ce prélat faisait ressortir la nécessité de conserver aux écoles -ecclésiastiques un caractère tout spécial, de le maintenir par la -condition relative, au baccalauréat, par l'obligation de porter le -vêtement ecclésiastique; et où il établissait, par des calculs bien -déduits, que le nombre de vingt mille élèves était largement suffisant -pour répondre à tous les besoins à venir du culte, et devait être fixé -comme une limite légale. - -Ces ordonnances furent exécutées immédiatement; mais vint la révolution -de 1830, qui, dans un des articles de sa Charte nouvelle, consacra le -principe de la liberté de l'enseignement, et promit la présentation d'un -projet de loi pour réglementer l'exercice de cette liberté En 1836, en -1841, deux projets furent portés aux Chambres; mais, à l'une comme à -l'autre de ces époques, beaucoup de personnes voulurent voir dans la -démarche ministérielle plutôt un acte conservatoire pour empêcher la -prescription de la promesse de la Constitution que la pensée bien -sérieuse de fixer immédiatement et définitivement la législation. On ne -fit rien pour démentir ces suppositions, car ni l'un ni l'autre de ces -projets n'arriva à la sanction royale, et il allèrent reposer dans les -archives des Chambres. L'hésitation à résoudre une question difficile, à -prononcer entre des prétentions aminées était explicable; mais ce qui -devait être d'une évidence non moins grande, c'est qu'il ne pouvait être -sans de nombreux inconvénients de prolonger la situation dans laquelle -on se trouvait: car les lois dont la Charte de 1830 avait promis la -révision d'après un principe qui n'était pas celui qui avait inspiré -leur rédaction, ces lois avaient inévitablement, par cette promesse -même, perdu de leur empire; les parties intéressées mettaient de -l'empressement à s'y soustraire comme à une législation caduque, et -l'administration incitait peut-être trop de faiblesse à faire exécuter -leurs plus importantes prescriptions; car, enfin, bien que condamnées à -une refonte, à ses yeux, elles devaient former encore le code de -l'enseignement jusqu'à la promulgation d'un code nouveau. En -législation, un interrègne c'est l'anarchie. - -De cette situation prolongée il est résulté que, tandis que l'Université -se bornait à élever quelques collèges communaux au titre de collège -royal, il s'est formé à côté d'elle une sorte d'Université -ecclésiastique, jouissant du privilège de ne pas payer le droit -universitaire, auquel les élèves des collèges, internes et externes, -sont tous tenus, et multipliant ses établissements grâce à cet avantage -et à son activité. Il n'y a aujourd'hui, en France, que 46 collèges -royaux et 312 collèges communaux, tandis que l'on compte 1,137 -établissements particuliers et séminaires indépendants de l'Université. -Les établissements de l'Université ne sont fréquentés que par 45,581 -élèves, sur lesquels 25,000 sont externes, et soumis pour l'éducation -morale à toute l'influence de la famille. Les établissements -particuliers, au contraire, comptent 63,000 élèves. - -On comprend que si la liberté de l'enseignement eût été réglementée en -1830, aussitôt que le principe fut proclamé, l'enseignement -ecclésiastique, qui était à cette époque renfermé dans les limites -tracées par les ordonnances de 1828, se fût montré de facile composition -pour un état de choses qui serait venu rendre plus favorable sa -situation. Mais quatorze années se sont passées depuis lors, quatorze -aimées durant lesquelles la liberté promise par la Charte a été à peu -près accordée dans le fait à cette nature d'établissements, et accordée -par l'État, gardant pour les siens toute la charge dont il exemptait ses -rivaux; le point de départ n'est plus le même, et les exigences ont -changé comme lui. - -Les prétentions aujourd'hui sont celles-ci: - -Une partie du clergé, en demandant pour les établissements qu'il a -fondés, et pour ceux qu'il serait maître de fonder encore, une complète -liberté, semble vouloir se réserver une sorte de censure sur les -établissements universitaires, en en retirant ou en y laissant à son gré -les aumôniers. - -Une autre partie se borne à réclamer la liberté, mais la liberté -entière, c'est-à-dire le droit d'élever non-seulement les jeunes gens -qui se destinent au culte, mais tous ceux qu'elle amènerait les parents -à lui confier, et sans que ces jeunes gens, pour être reçus bacheliers -ès-lettres, fussent tenus, comme le prescrivent les ordonnances de 1828, -de se soumettre aux études et aux examens selon les règlements de -l'Université. - -L'opinion la plus générale demande au gouvernement de fixer les -conditions auxquelles toute personne les remplissant pourra ouvrir un -établissement d'éducation, mais de traiter chacun également, de -n'accorder de privilège particulier et d'exemption de faveur à personne. -De ce côté on est tout disposé à reconnaître l'action supérieure et la -surveillance constante de l'État; on ne prétend point qu'elle ne doive -s'exercer sur les maisons d'éducation que comme celle de la police -s'exerce sur les lieux publics; on reconnaît qu'il est du droit, du -devoir du gouvernement d'exiger des garanties particulières des -établissements où se forment de jeunes citoyens, les intérêts de l'État -et ceux des pères de famille ne sauraient, aux yeux des hommes éclairés -et de bonne foi, être des intérêts opposés. On ne demande pas qu'on -soumette les écoles ecclésiastiques à la rétribution universitaire, mais -qu'on exempte toutes les institutions de cet impôt fort malentendu, fort -lourd, et arbitrairement assis. On ne demande pas que les grades ne -soient pas délivrés par l'État, et qu'il ne soit pas appelé à juger, par -l'intervention de ses fonctionnaires, de la capacité de ceux qui se -présentent pour les obtenir, mais que ce soit lui, désintéressé dans la -question d'amour-propre, et non des hommes que leur situation de -rivalité rend juges et parties, qui reconnaisse et proclame la capacité; -en un mot, que le grand-maître de l'Université et le ministre de -l'instruction publique soient deux fonctionnaires distincts, l'un -dirigeant, sous les ordres de ce dernier, les établissements dont l'État -aura pris le patronage spécial, et où il placera ses boursiers; l'autre -surveillant et gouvernant tous les établissements, qu'ils dépendent de -l'Université ou qu'ils soient dirigés par les hommes qui les auront -ouverts à leur compte, après avoir rempli les formalités voulues et -satisfait aux conditions imposées. - -Voilà les exigences, les prétentions et les demandes en présence -desquelles se trouve M. Villemain. Comment y a-t-il répondu, et quelle -transaction a-t-il su trouver? C'est ce qui demandera de notre part ou -de celle de l'historien de la Semaine un examen à part, et quelques -développements nouveaux, quand le projet présenté arrivera à la -discussion définitive, car nous ne sommes pas de ceux qui pensent que ce -projet n'a été porté d'abord à Chambre des Pairs que pour qu'il ne -revint pas, en temps utile, à la Chambre de Députés, et pour qu'une -solution, difficile sans doute, se trouvât encore une fois différé. -Mais, aujourd'hui, nous ne nous sommes proposé que d'exposer la -question. Une autre fois nous examinerons de quelle façon on entreprend -de la trancher. - - - -Le Vésuve. - -Nous empruntons à un ouvrage qui paraîtra prochainement quelques détails -curieux sur le Vésuve. Quoique le sujet ait fourni la matière de -beaucoup de volumes, chaque nouveau récit présente encore de l'intérêt, -surtout quand il contient, comme les extraits suivants, les impressions -et les expériences de deux savants tels que les docteurs Magendie et -Constantin James, auxquels nous devons cette communication. - -«Depuis le bas de la montagne jusqu'à l'Ermitage, les substances qui -proviennent de la décomposition des cendres vomies par le cratère -recouvrent la lave d'un terreau extrêmement fertile. C'est là qu'on -récolte le fameux vin de Lacryma-Christi. Triste fécondité cependant que -celle qui est achetée au prix d'incessantes alarmes! - -«Il était une heure quand j'arrivai à l'Ermitage. Je m'attendais à -rencontrer là quelqu'un de ces vénérables religieux qui inspirent à la -fois l'admiration et le respect. Je fus bien désappointé. L'ermite du -Vésuve est tout bonnement un cabaretier qui a pris à ferme l'Ermitage, -et vend fort cher de très-mauvais vin. Il n'a d'un ermite que la robe de -bure, le capuchon et un gros trousseau de clefs, auxquelles il manque -des serrures à ouvrir. - -«A partir de l'Ermitage, le chemin cesse bientôt d'être praticable pour -nos montures. Nous nous trouvons au milieu d'une nature aride, désolée, -morte, sans trace aucune de végétation. Le sol, bouleversé affreusement, -est partout hérissé de masses volcaniques d'un gris plombé, miroitantes, -jetées pêle-mêle les unes à côté des autres, et unies entre elles par un -ciment de lave. Il nous faut marcher sur les aspérités des roches, et -souvent sauter par-dessus de larges crevasses. A notre gauche est le -cratère à demi écroulé de l'ancien volcan, aujourd'hui éteint et appelé -_Monte di summa_, le même qui a enseveli Pompéi, Herculanum et Stabia -(1). Sur la droite, l'épaisse coulée de lave de la dernière éruption, -celle de 1839. En face de nous, le cône de cendre qui nous reste à -gravir. - - [Note 1: L'an 79 de notre ère. Parti du cap Visene pour aller - étudier de plus près le phénomène de l'éruption, Pline fut étouffé - à Herculanum sous les cendres vomies par le volcan. Voir - l'admirable lettre de Pline le jeune à Tacite, dans laquelle il - raconte la mort de son oncle, et les détails de la catastrophe.] - -«Mon thermomètre indique 19 degrés. On aperçoit de distance en distance -des fumaroles, et on commence à entendre les détonations du volcan. - -«Notre marche devient de plus en plus pénible. La cendre superposée par -couches molles et fines constitue un plancher mouvant qui s'affaisse -sous les pas, et dans lequel on peut craindre à chaque instant de rester -embourbé. Nous enfoncions quelquefois jusqu'au-dessus du genou. A mesure -qu'on s'approche de la cime du cône, cette cendre s'échauffe et fume. -J'ai vu le thermomètre, que j'y plongeais, s'élever jusqu'à 55 degrés. - -«Enfin, nous voici au sommet du volcan, dont la hauteur totale est de -1,207 mètres. Il est trois heures. Mon oeil plonge dans le cratère. Quel -imposant spectacle! - -«Représentez-vous un large gouffre, profond de plus de cent pieds, -irrégulièrement circulaire, d'où s'échappe un nuage de fumée suffocante -et roussâtre. Enveloppé de ténèbres, il s'illumine par intervalle de -jets de lumière, accompagnés d'explosions, qui sont immédiatement -suivies d'une chute de pierres sur des surfaces retentissantes. On -dirait souvent d'un bouquet d'artifices. Ainsi, au fond de l'abîme, -l'éclair a brillé; une fusée s'élance, s'irradie à une certaine hauteur, -retombe verticalement, et ruisselle en filons étincelants sur les -facettes sonores d'une pyramide. La base de cette pyramide repose au -milieu d'une nappe de feu semée de fissures en zigzag, qui reflètent -inégalement la lueur de l'incendie. Cependant le sol que nous foulons -est brûlant. Dans certains endroits, la chaleur est si forte qu'elle -pénétré la chaussure, l'attaque, et oblige de changer de place -fréquemment. - -«Ce gouffre, ces vapeurs, l'horreur des ténèbres, ces conflagrations -constituent un panorama dont aucune expression ne pourrait traduire la -terrible harmonie. Aussi le premier sentiment que j'éprouvai fut-il un -sentiment de stupeur mêlée de crainte. J'osais à peine circuler autour -du cratère; je sentais la poussière crépiter sous mes pas, et il me -fallait prendre garde aux inégalités du terrain. - -«Le jour paraît. Il éclaire peu à peu l'intérieur du volcan; les objets -se dessinent; les scènes de la nuit s'expliquent et diminuent le -prestige. - -«Le cratère a la forme d'un immense entonnoir, dont l'orifice évasé -couronne la crête de la montagne, et se continue insensiblement avec les -parois de l'infundibulum. Des parois aboutissent à un étroite enceinte, -qu'elles circonscrivent. - -Au centre est la bouche du cratère. Celle-ci n'occupe pas la partie la -plus déclive de l'excavation, mais au contraire le sommet tronqué d'un -cône qui se dresse comme une île au milieu de la lave, et dont la -formation est facile à comprendre. - -«Supposons une surface plane percée d'un trou. Des pierres sortent de ce -trou par jets alternatifs et retombent les unes dans le trou, les autres -autour. Ces dernières, s'entassant graduellement, finissent par figurer -un cône ou pyramide, dont le conduit central se continue avec le trou -d'émission. Vous diriez presque d'un tuyau de cheminée. Telle est, sur -une plus grande échelle, la manière dont se forme et s'accroît la -pyramide du volcan. - -«En effet, le sommet de cette pyramide vomit des matières -incandescentes. Des matières retombent les unes perpendiculairement dans -la bombe du cratère, les autres sur son pourtour, d'autres enfin roulent -jusqu'à la base ou bondissent, en se brisant sur les arêtes de la -pyramide. A mesure qu'elles se refroidissent, elles passent par diverses -nuances de coloration, dont on n'apprécie bien la teinte que pendant la -nuit. - -«Ces éruptions se succèdent toutes les huit ou dix secondes. Elles sont -précédées d'un murmure profond, et la bouche du volcan paraît embrassée. -Puis on entend une explosion pareille à un coup de pistolet, à un coup -de canon ou même au roulement de la foudre. C'est la lave qui jaillit. -La hauteur du jet dépasse rarement trente ou quarante pieds. Court -moment de silence; puis un pétillement sec, à grains nombreux et gros, -indique que la lave retombe en pluie sur la pyramide. - -«La quantité et le volume des matières lancées ainsi par chaque éruption -sont très-variables. Tantôt il n'y a que quelques scories de la grosseur -du poing; d'autres fois, des fragments de roches fondues en nombre -considérable. - -«Je ne suis encore qu'à la moitié de mes explorations. Il s'agit -maintenant de descendre dans le cratère. - -«Il n'y a pas de chemin tracé. Les parois du cratère me rappelaient -assez ces grandes falaises qui bordent le rivage de certaines côtes, -excepte qu'au lieu d'être taillées à pic, elles représentent un plan -incliné dont la surface est inégalement onduleuse. La pente est trop -rapide pour qu'on puisse, suivre une ligne directe. Je marchais donc en -biaisant, tantôt à droite, tantôt à gauche, revenant souvent sur mes -pas, en un mot obéissant à tous les caprices du terrain. Le guide allait -devant moi, sondant avec son bâton les endroits suspects. On ne peut pas -se traîner sur les genoux, ni se cramponner avec les mains, car le sol -n'est formé que de cendres et de roches brûlantes. Des roches sont de -nature sulfureuse. Elles offrent, suivant leur degré plus ou moins -avancé de combustion, toutes les nuances possibles de couleur, depuis le -jaune safrané jusqu'au jaune paille. - -«On rencontre à chaque pas des fumaroles. Ce sont autant de bouches de -vapeur dont les émanations, semblables à celles du soufre qui brûle, -provoquent la toux et oppressent. La température de ces fumaroles est -d'environ 60 degrés. Quand on plonge le thermomètre dans les points d'où -la fumée s'échappe, le mercure monte rapidement jusqu'à 90 et 95 degrés. -Il faut retirer l'instrument, de peur que le tube n'éclate. - -«J'arrive ainsi non sans peine, jusqu'au fond du cratère. Il est six -heures. Nous avions mis près de quarante minutes à descendre. - -«Pour bien comprendre l'endroit où je pose actuellement le pied, qu'on -se figure un cirque, et au milieu de l'arène une pyramide. Il règne un -espace libre entre la base de la pyramide et les premiers gradins du -cirque. Or, c'est dans cet espace que me voici parvenu. La cheminée, du -cratère représente la pyramide de l'arène, et le pourtour des parois les -gradins du cirque. - -«La largeur de cet espace est d'environ trois mètres. Son plancher, -qu'on me pardonne l'expression, est uni et légèrement granuleux comme -l'asphalte d'un trottoir. Et, en effet, ce n'est autre chose qu'une -couche de lave refroidie. Cette lave a la solidité de la dalle. -Frappez-la avec le talon de la chaussure ou l'extrémité ferrée d'un -bâton, vous ne réussirez pas à l'entamer. - -«Peut-on circuler autour de la cheminée du cratère? Oui, mais seulement -dans un tiers de sa circonférence, car dans les deux autres tiers la -lave est en pleine ébullition. - -«Maintenant que nous nous sommes occupés de ce qui est à nos pieds, -levons les yeux vers la pyramide du cratère (2). - - [Note 2: Il y a quelques années un Français gravit cette pyramide, - et se précipita volontairement dans la bouche du cratère. Il fut - rejeté quelques instants après entièrement calciné.] - -«Cette pyramide ressemble à un énorme tas de coke, seulement sa couleur -est d'un gris plus foncé. Ce n'est pourtant pas tout à fait celle du -charbon de terre, ni surtout son reflet luisant. Les détritus -volcaniques qui la composent sont entassés grossièrement les uns -au-dessus des autres, de manière à laisser des creux où l'air pénètre. -C'est à cette disposition que la pyramide doit sa sonorité, alors que -les matières lancées par le cratère pleuvait à sa surface. - -«Des matières arrivaient quelquefois en roulant jusqu'à nous. On les -évite aisément; car, arrêtées en chemin à tout instant par leur -viscosité, elles laissent derrière elles une traînée de feu qui en -diminue et ralentis la masse. Jamais elles ne sont venues d'emblée de -notre côté. Pour franchir d'un seul bond la pyramide, il eût fallu -qu'elles décrivissent dans l'air une parabole, que leur projection -verticale rendait impossible. - -«La lave lancée par le volcan est plus liquide et a une température plus -élevée que celle qui baigne la base de la pyramide. En voici la preuve. - -«Je m'étais amusé à détacher du fond des crevasses des fragments de lave -liquéfiée dans lesquels j'enfonçais avec mon bâton de petites pièces en -argent. Je rapprochais ensuite l'orifice du trajet, de manière à n'y -laisser qu'un simple pertuis. La lave, en se refroidissant, acquérait -bientôt la dureté de la pierre. Quant à la pièce, elle restait -emprisonnée sans pouvoir ressortir, puisque son diamètre se trouvait -devenu plus large que celui du trou qui lui avait livré passage. - -«Je veux répéter la même expérience sur un morceau de lave que venait de -lancer le cratère. La pièce y pénètre par son propre poids, mais à -l'instant même elle fond, brûle et disparaît. Il me fallut, pour -prévenir la fusion du métal, laisser s'écouler près d'une demi-minute -avant d'introduire d'autres pièces dans la lave. - -«Ces deux laves, quand elles sont refroidies, ont la même teinte, la -même consistance, le même poids. J'en ai rapporté plusieurs -échantillons, que j'ai fait examiner par des personnes très-compétentes. -On leur a trouvé une composition parfaitement identique. Elles sont en -très-grande partie formées par du granit fondu, ce qui explique pourquoi -leur pesanteur est si considérable. - -«Chaque éruption du volcan faisait vibrer notre plancher, de lave. Au -moment des plus fortes détonations, je sentais des oscillations -véritables. Ces phénomènes étaient produits par l'ébranlement de l'air -et la conductivité du sol. - -[Illustration: Maison de l'Ermitage du Vésuve.] - -«Il me sembla aussi plusieurs fois, même en l'absence de l'éruption, -entendre une suite de mugissement souterrain. Ayant recouvert de mon -mouchoir un endroit refroidi de la lave, j'y appliquai l'oreille. -D'abord, il me fut impossible de rien distinguer. J'étais comme assourdi -par le frétillement des couches voisines en ébullition. Mais bientôt, -concentrant toute mon attention, j'entendis par intervalle, dans la -profondeur du volcan, une sorte de clapotement humide, de gargouillement -tumultueux, qui indiquait des déplacements de gaz et de matières -liquides.» - -[Illustration: Coupe du Cratère du Vésuve.] - - - -Algérie.--Escadron de Dromadaires. - -L'excessive mobilité des tribus arabes et la rapidité avec laquelle -leurs cavaliers franchissent de grandes distances ont été jusqu'ici de -sérieux obstacles à l'affermissement de notre domination en Algérie. -Comment, en effet, triompher d'un ennemi presque insaisissable, et -imposer une obéissance durable à des populations fugitives? Dès 1843, -cependant, on avait eu recours, pour les atteindre, à lui expédient -couronné de succès. Un corps expéditionnaire fut organisé sous les -ordres du colonel Jusuf, et composé de quelques escadrons de spahis avec -environ deux mille fantassins montés sur des mulets. Ce corps se mit à -la poursuite des tribus réfugiées dans le petit Désert, où elles se -croyaient à l'abri de nos coups. Il ne tarda pas à les rejoindre, et les -força à rentrer dans le Tell, pour y rester soumises à l'autorité de la -France. - -Dans le courant de la même année, un autre essai fut tenté afin de -remplacer les mulets par des dromadaires. Un mulet, en filet, revient en -Afrique à 850 fr.; il coûte 1 fr. 50 c. par jour de nourriture, et ne -peut servir, terme moyen, que dix-huit mois; taudis qu'un dromadaire ne -coûte que 200 fr., vit avec ce qu'il trouve, porte le triple du fardeau -d'un mulet, peut servir vingt ans, parcourt de grands espaces, sans -éprouver les besoins des autres bêtes de somme, et supporte pendant -plusieurs jours les privations de boisson et d'aliments. Sous tous les -rapports, l'usage du dromadaire est donc plus économique et plus -avantageux que celui du mulet. - -[Illustration: Bride du Dromadaire.] - -Il existe deux variétés de dromadaires; les uns, très-grands, très-gros, -très-forts à la marche pesante, sont destinés exclusivement au transport -des marchandises; les autres, moins grands, de forme moins épaisse, -sveltes et élancés, sont extrêmement agiles et servent spécialement de -monture. Ils sont, à l'égard des premiers, comme des chevaux de selle -auprès des chevaux de trait. Les dromadaires de la grosse espèce portent -des poids énormes et jusqu'à cinq ou six cents kilogrammes. Comme ils -sont très-hauts, ils sont dressés à s'accroupir pour recevoir les -charges énormes que l'on met sur leur dos. Ce sont ceux que l'on a -appelés avec raison les vaisseaux du désert, et qui le traversent avec -les caravanes où on les compte souvent par centaines. Les seconds ne -portent que les hommes; ils sont également dressés à s'accroupir sur les -genoux, lorsqu'on veut les monter; le cavalier se place alors sur une -espèce de bât creusé vers le milieu, et garni à chacun des arçons d'un -morceau de bois arrondi, planté verticalement, qu'il saisit fortement -avec les mains pour se tenir. - -Les dromadaires ne sont pas conduits par le mors. Dans les villes, on -leur passe aux narines, partie chez eux fort sensible, un anneau auquel -on attache un bridon. Dans le désert, on se contente de les retenir par -un licou, et on les frappe avec un kourbach (fouet) du côté où on veut -les faire avancer. Leur plus grand mérite est d'avoir un trot allongé et -doux. Leur allure pourtant, très-fatigante pour ceux qui n'y sont pas -accoutumés, produit sur le cavalier l'effet du roulis. - -[Manoeuvres de Dromadaires] - -Déjà, dans la célèbre expédition d'Égypte, les dromadaires furent -enrégimentés avec succès. Les Arabes bédouins inquiétaient les derrières -de l'armée, venaient jusque dans les faubourgs du Caire commettre des -vols et des assassinats, et parvenaient presque toujours, grâce à la -vitesse supérieure de leurs chevaux, à échapper aux poursuites de la -cavalerie française. Le général Bonaparte, voulant mettre un terme à ces -incursions, ordonna, par un arrêté du 9 janvier 1799, la formation d'un -régiment de dromadaires, composé de deux escadrons à quatre compagnies -de soixante hommes. Chaque dromadaire portait des vivres et de l'eau -pour cinq ou six jours; il était monté par deux hommes places dos à dos -et armés d'un fusil de dragon avec baïonnette et d'un sabre de hussard. -Les officiers avaient des pistolets, et ils étaient munis de boussoles -pour se diriger dans le désert. L'uniforme, dessiné par Kléber dans le -goût oriental, était très-brillant. Lorsque, dans les engagements qui -avaient lieu autour du Caire, une tribu arabe était parvenue à échapper -à la cavalerie européenne, on dirigeait sur ses traces un détachement du -corps des dromadaires, et il était rare qu'il ne parvint pas à -l'atteindre. Les chameaux fléchissant alors le genou, les cavaliers -descendaient avec leurs armes, entravaient leurs moulures, les -pelotonnaient toutes ensemble, en laissant au milieu un espace vide -pour placer quelques hommes chargés de les défendre; puis le reste, -manoeuvrant en dehors de ce groupe, engageait l'action avec les Arabes, -déjà découragés par cette attaque inattendue, et ne tardant pas à les -vaincre. - -Au mois d'août 1843, M. le chef de bataillon Carluccia, du 33e de ligne, -a obtenu, sur sa demande, du gouverneur-général, l'autorisation -d'organiser à la Maison-Carrée un escadron de cent dromadaires, avec -deux ceins hommes d'élite du 33e de ligne et du 6e bataillon de -chasseurs d'Orléans. Il y a ainsi deux hommes pour un dromadaire: un -seul monte, un autre conduit; ils se relayent à chaque halte; tous deux -peuvent monter au besoin. C'est sur l'arriére du bât que le cavalier est -assis; le devant est occupé par les deux sacs des soldats, par deux -outres contenant de quatre à cinq litres d'eau chaque, ainsi que par un -grand sac en toile renfermant pour un mois de vivres des deux soldats en -biscuit, sel, sucre, café et riz. - -Le bât se maintient au moyen d'une corde fortement sanglée. A -l'extrémité d'une des traverses du bât, à laquelle s'attachent les -bagages ci-dessus mentionnés, vient s'enrouler une double corde que -traversent deux étriers en bois. Le cavalier est, de cette manière, -libre de mettre ses pieds à la position qui lui convient le mieux, et de -se servir des étriers pour monter et descendre. - -Le licol est à la fois simple et ingénieux. Au moyen de deux anneaux -fixés en dessus et en dessous du museau, on fait passer en sens -contraire une double corde attachée à l'anneau supérieur. A l'aide de -ces brides, on maîtrise le dromadaire le plus méchant et le plus rétif. - -Le soldat monte habituellement sur le dromadaire en faisant agenouiller -sa monture et en lui mettant le pied sur une des jambes de devant; pour -descendre, il passe les deux jambes du même côté, et se laisse glisser -au commandement _à terre!_ - -Le dimanche 28 janvier 1811, le maréchal gouverneur-général passait en -revue la gendarmerie, l'artillerie et le génie sur le champ de -manoeuvres de Mustapha, près d'Alger, quand tout à coup des cris -sauvages se firent entendre. Aussitôt on vit déboucher par le chemin de -la Maison-Carrée, en une masse noire et compacte, un groupe de cavaliers -d'une espèce toute nouvelle, élevant dans les airs, du haut de leurs -montures africaines, leurs fusils reluisant au soleil; c'était -l'escadron de dromadaires. La première vue de cette cavalerie provoqua -un mouvement d'hilarité, que le gouverneur-général réprima en s'écriant: -«Ne riez pas; la chose est plus sérieuse que vous ne pensez.» En effet, -l'escadron de dromadaires exécuta sur-le-champ diverses manoeuvres avec -une extrême précision, marchant tantôt en colonne, tantôt en bataille, -se formant sur la droite, sur la gauche et en avant en bataille, tantôt -au pas, tantôt au trot. Bientôt, à un commandement, les hommes sautèrent -lestement à terre et se portèrent en avant, exécutant des feux de -tirailleurs, tandis qu'un quart d'entre, eux suivaient le mouvement -offensif, chaque homme conduisant quatre dromadaires par les rênes. - -La promptitude de toutes ces évolutions, la facilité avec laquelle nos -braves et intelligents fantassins ont appris à manier leurs dromadaires, -ont vivement frappé toute l'assistance. Aux plaisanteries a succédé -l'admiration, et chacun a compris tout l'avantage qu'il sera possible de -retirer de cette institution. Grâce aux escadrons de dromadaires, aucune -population arabe ne saurait plus désormais trouver dans l'émigration un -asile où elles soient assurées d'échapper à l'atteinte de nos colonnes -expéditionnaires. - - - -Paris souterrain. - -[Illustration: Une rue souterraine de Paris.] - -I. - -Du temps de nos bons aïeux, lorsqu'on croyait encore aux esprits,--car -nous sommes aujourd'hui trop raisonnables pour y croire,--on avait -divisé notre momie en trois parties habitées par des êtres de nature -diverse. L'air et les nuées étaient le domaine des sylphes, esprits -légers, toujours beaux, toujours jeunes, nés pour la poésie et le -plaisir, habitant des palais brillants formés de nuages dorés par le -soleil, étincelants comme l'arc-en-ciel.--Au-dessous d'eux, à la surface -de la terre, c'était la race humaine, notre domaine à nous, tel que nous -l'habitons.--et puis, au-dessous encore, dans les entrailles de la -terre, se trouvait un troisième monde, celui des gnomes, esprits -souterrains, relégués au dernier degré de l'univers. Ceux-ci, on le -conçoit, étaient encore moins connus. Des hommes doués de bons yeux, et -surtout d'une bonne dose de crédulité, pouvaient bien avoir entrevu, par -intervalles, dans les nuages, les palais fantastiques et les armées -légères des sylphes rangées en bataille dans le ciel; de graves -historiens en rapportent mille témoignages. Mais nul regard, si -complaisant qu'il fût, ne pouvait percer jusqu'aux cavernes -inaccessibles des gnomes. L'imagination, qui ne fait jamais défaut, y -suppléait; tantôt, selon le caprice du rêveur, on peignait ces pauvres -gnomes comme des démons malfaisants, difformes, rabougris, accaparant -les trésors de la terre, et les enfouissant avec eux par une insatiable -avarice; tantôt, au contraire, on trouve des palais d'or, de pierres -précieuses, qui s'ouvrent dans les longues galeries souterraines à la -lueur étincelante des escarboucles et des ruisseaux de phosphore; pays -merveilleux où règnent des esprits irrésistibles, vifs et séduisants, -mais capricieux et fugitifs comme ces feux errants qui scintillent dans -l'obscurité des cavernes. - -Sans doute nos lecteurs ne sont pas sans avoir entendu quelquefois, et -même avec plaisir, ces récits fantastiques. Eh bien! sans rouvrir les -vieux contes de la _Bibliothèque bleue_, ou les graves entretiens du -comte de Gabalis sur les êtres élémentaires, nous allons faire aussi des -histoires de l'autre monde. Nous allons décrire des régions -souterraines; nous allons nous promener à vingt pieds, à cent pieds, à -cent cinquante pieds sous terre, avec les habitants de ces domaines, -dans le royaume des gnomes et des farfadets; tout cela, sans dire autre -chose que ce qui est, que ce que nous avons vu et touché,--et sans -sortir, qui plus est, de l'enceinte de Paris et de sa banlieue. - -Nous allons conduire nos lecteurs dans le Paris souterrain. Nous leur -ferons faire, j'en suis presque certain, d'inévitables découvertes dans -ce monde nouveau et presque inconnu. Cela ne doit pas surprendre, car la -superficie du pavé de Paris est souvent assez boueuse pour qu'on ne soit -guère tenté de regarder dessous. Cependant, à chaque pas, de nombreux -témoignages viennent révéler l'existence de cette seconde ville enfouie -sous les pieds de la première. Chacun a sans doute remarqué ces épaisses -et larges plaques de fonte ciselée, éparpillées çà et là au milieu des -chaussées, tremblant et résonnant sous les roues des voitures; ce sont -les portes et les fenêtres des rues souterraines. Il n'est personne qui -n'ait rencontré, de temps en temps, un escadron de ces hommes armés -d'échelles, de cordes, de râteaux, et chaussés de ces redoutables bottes -qui broient le pavé; ou bien encore, ceux que l'on entend et que l'on -voit le soir, courant sur les trottoirs, fouillant à l'angle des murs et -des soupiraux, et faisant retentir par intervalles, d'un son stridont et -cadencé, la barre de fer poli dont ils sont armés?--Ce sont les -habitants, ou les ambassadeurs de la ville invisible que vous foulez aux -pieds. - -On a décrit, on a peint souvent avec talent l'aspect du Paris à vol -d'oiseau; nous allons faire le contraire, et donner l'aspect de Paris à -course de taupe. Au lieu de nous élever, nous descendrons; au lieu de -voir Paris au-dessus des toits, nous le verrons au-dessous des caves. Ce -sera peut-être moins facile, moins lumineux; mais ce sera peut-être -aussi intéressant, et sans doute ce sera plus neuf. - -Avant de nous engager dans les détails de ce voyage, prenons d'abord une -idée générale du pays; et, en voyageurs érudits, prenons-en la -configuration générale, la disposition et les limites. - -De même que ces villes édifiées au pied des volcans et construites sur -d'autres villes enfouies qui leur servent de base, le Paris souterrain -compte plusieurs étages de régions souterraines, superposées les unes -aux autres et descendant ainsi de degré en degré depuis la surface du -pavé jusqu'à d'immenses profondeurs. Chaque étage caverneux, bien -distinct de celui qui le précède et de celui qui s'enfonce au-dessous de -lui, a sa physionomie particulière et ses habitants qui lui -appartiennent. Aussi, pour procéder par ordre, nous commencerons notre -voyage par la région la plus.--rapprochée de nous pour descendre ensuite -de plus en plus. Et, placé d'abord en simple piéton sur le pavé de la -rue, nous allons, tout à coup, changer de place, et, glissant plus bas, -regarder dessous...--Voici le premier étage de Paris souterrain.--Que -vous en semble? - -Depuis quelque temps on a beaucoup parlé de travaux d'assainissement, de -distribution d'eau, d'éclairage public; et on sait bien vaguement que -toutes ces dispositions exigent des constructions souterraines. Mais, -malgré tout ce qu'on peut avoir su et entendu, sans doute on ne se -figure pas ce dédale de cavernes obscure, ce tissu croisé et recroisé de -tuyaux, de conduites enchevêtrées les unes dans les autres, et les unes -sur les autres; il est facile de comprendre à cet aspect tout ce -qu'exige de combinaisons et de travaux le placement, l'entretien et le -renouvellement d'un semblable appareil. - -Il faut penser qu'il existe sous le sol de Paris environ cent vingt -kilomètres d'égouts, qui représentent par conséquent trente lieues de -rues souterraines, et environ autant de lieues de conduites d'eau. Quant -aux conduites de gaz, elles sont encore bien plus étendues. Nous ne -comptons pas, en outre, tous les embranchements particuliers qui coupent -les conduites maîtresses pour distribuer droite et à gauche l'eau et le -gaz dans les maisons ou sur la voie publique. - -Nous avons cherché à présenter dans cet aspect du sol de la rue un -aperçu des principales dispositions adoptées pour l'agencement et le -service de ces conduites. En voici rapidement l'indication et -l'explication. - -A est la coupe d'un égout. Les balayeurs-égoutiers y descendent à l'aide -d'une échelle par le tampon de regard B.--C'est une bouche sous -trottoir, qui absorbe les eaux du ruisseau; et D est un tuyau de chute, -par lequel les eaux ménagères et pluviales de la maison voisine tombent -directement dans l'égout. L'administration accorde en effet aux -propriétaires qui le demandent, l'autorisation de se débarrasser ainsi -de leurs eaux, moyennant l'apposition de grilles convenablement -établies, et certaines dispositions qu'exigent la prudence et la sûreté -publique.--De distance en distance, des trappes de regard sont ouvertes -sous la voûte de l'égout, afin de pouvoir en opérer la ventilation au -besoin, et y faire parvenir les ouvriers. - -C'est la conduite d'eau qui dessert la rue à main droite; au point F -elle porte une concession particulière servie au moyen d'une bourbe à -clef, dont la manoeuvre peut avoir lieu à travers le madrier perforé G, -à l'affleurement du pavé. Cette conduite d'embranchement E a sa prise -d'eau sur la conduite maîtresse H, qui dessert la rue à main gauche et -fournit la borne-fontaine I; comme elle est placée au niveau de l'égout, -elle rencontre sur sa route les reins de la voûte, et la traverse sur -une espèce de chevalet en fonte qui la soutient dans ce passage. - -La prise d'eau d'embranchement a lieu dans le regard par un double -système, de manière à pouvoir arrêter l'eau de la maîtresse conduite en -amont ou en aval sans arrêter le service de l'embranchement. Le regard -en maçonnerie y est ainsi établi, afin que les agents des eaux de Paris -puissent faire la manoeuvre des robinets d'écoulement et d'arrêt. - -Les conduites E et H ont été posées dans de simples tranchées, et ne -sont à découvert que dans le regard. Il n'en est pas de même de celles -qui sont figurées aux lettres K. L. Celles-ci sont posées sur -encorbellement dans des galeries. Ce système, qui permet de s'assurer à -chaque instant de l'état des conduites, et de les réparer sans -intercepter la circulation et remuer le pavage, peut être adopté pour -les conduites d'eau. Mais cette méthode ne pourrait être employée pour -les tuyaux de gaz, à cause des dangers qui en résulteraient. - -Notre, gravure représente la mise en communication de deux conduites, de -diamètre différent par le tuyau circulaire M, garni de ses robinets -d'écoulement et de vanne. - -Nous n'entrerons pas dans les détails explicatifs sur la forme et la -manoeuvre de ces robinets; ils seraient longs et exigeraient des -développements techniques qui n'intéresseraient qu'un petit nombre de -nos lecteurs. Nous dirons seulement que cette mise en communication des -tuyaux a lieu pour remédier aux irrégularités du service. On tient ainsi -les conduites en charge l'une par l'autre, on supplée au besoin aux eaux -de l'Ourcq, lorsqu'elles font défaut, par les eaux de la Seine, et -réciproquement. Lors d'un accident, la seule manoeuvre d'un robinet -suffit pour procurer l'eau à tout un quartier, que sans cela pourrait en -rester privé fort longtemps. - -Après les conduites d'eau viennent les conduites de gaz. Les tuyaux N. -O. desservent la rue à droite, et les tuyaux P. R. la rue à gauche. Dans -les rues dont la largeur est assez considérable, et qui surtout sont -divisées dans le milieu par un égout, il est d'usage de placer une -conduite de gaz de chaque côté, afin d'éviter les inconvénients qui -résulteraient pour les branchements particuliers des deux côtés de la -rue, s'il fallait à chaque fois traverser toute la largeur de la -chaussée et la maçonnerie de l'égout. Notre gravure ne présente donc que -les conduites nécessaires; les petits tuyaux S sont ceux qui desservent -la borne-fontaine, l'éclairage public, et quelques concessions -particulières d'eau, de gaz, etc. - -Quelquefois le nombre de ces tuyaux est plus considérable. La grosseur -en varie aussi beaucoup, il y en a dont l'énorme diamètre est de 0,50 à -0,60 c. sont de véritables tonneaux; la maîtresse conduite des eaux de -Chaillot est de ce nombre. D'autres, au contraire, n'ont que 0,08 c. Les -petits tuyaux en plomb sont aussi exigus qu'on le désire. - -Les égouts varient également de largeur; ils sont de petite ou de grande -section, pour se servir du terme administratif, selon l'importance et la -longueur de leur parcours, selon le volume des eaux qu'ils sont appelés -à recevoir. Les égouts-galeries sont ceux qui reçoivent en outre une -conduite supportée par encorbellement. - -Voilà donc l'aperçu rapide de ce que l'on trouve sous le pavé, de ce qui -constitue le premier étage de Paris souterrain. Quant au peuple qui -anime et gouverne cette cité suburbaine, sans doute il vaut mieux -n'avoir pas de fréquents rapports avec ses râteaux mal odorants, ses -lampes fumeuses et ses grosses bottes; mais cette existence d'un travail -pénible et rebutant mérite bien aussi quelque intérêt. Passer les jours -entiers dans ces étroites et humides cavernes, sans lumière, sans -soleil, et sans autre air que les émanations fétides des immondices, -gagner sa vie à remuer la fange produite par un million d'individus qui -s'agitent sur leurs tête, certes le salaire de ceux qui se dévouent à -une semblable profession est rudement gagné. D'ailleurs cette existence, -triste toujours, n'est souvent pas sans péril. Ces dédales obscurs ont -vu de sanglantes catastrophes, de terribles agonies, et la funeste -histoire de la galerie des Martyrs n'est pas la seule que les égouts de -Paris aient à déplorer. - -Pour achever cette rapide description du premier plan de la ville -souterraine, nous devons dire qu'elle possède deux fleuves: l'un au -nord, sur la rive droite; l'autre, au sud, sur la rive gauche de la -Seine.--Le premier, que l'on appelle l'aqueduc de ceinture, est une -large galerie voûtée qui reçoit les eaux du canal à la Vilette, et les -mène jusqu'au faubourg du Roule. C'est une rivière claire, limpide et -tranquille.--L'autre..., hélas! elle fut jadis célèbre, et, non contente -de traverser la grande cité aux rayons du soleil, elle la menaçait sans -cesse de sa puissance et de ses colériques débordements. En 1579, la -nuit du 1er avril, elle inonda Paris, et ses eaux montèrent jusqu'au -deuxième étage des maisons. O gloire! ô vanité des puissances déchues! -depuis, la Bièvre n'a menacé que d'empester, par l'infection de sa vase, -les quartiers qu'elle inondait autrefois. On l'a emprisonnée, murée, -voûtée..., et elle n'est plus qu'un égout obscur! - -Mais ce premier étage souterrain est bien près encore de la surface. En -suivant les conduites, en traversant les galeries, nous avons pu heurter -le sol des caves, et mettre la tête aux soupiraux pour demander et -recevoir des nouvelles du monde supérieur. Toutefois, en descendant plus -bas par intervalles, nous avons pu ouïr quelques bruits étranges, -quelques signes précurseurs de demeures plus profondes encore. Nous -avons pu voir que quelques-unes de ces trappes, mystérieuses ouvertures -placées à la superficie du pavé comme les fenêtres de ces habitations -obscures, ne s'étaient pas ouvertes à notre approche. Elles -appartiennent à nue autre cité enfouie. C'est de ce côté que nous allons -diriger notre voyage. - -_(La suite à un prochain numéro.)_ - - - - Don Graviel l'Alférez. - - FANTAISIE MARITIME. - -(Suite.--Voir page 39.) - -II. - -La veille de Noël, tous les officiers de la frégate voulurent aller -passer la nuit à terre, car, après la messe, le gouverneur devait donner -à toutes les autorités civiles et militaires un réveillon suivi d'un -grand bal, qui se prolongerait jusqu'au jour. Don Graviel et son ami -Fernando se chargèrent seuls du service à bord de _la Santa-Fé_. - -Vers minuit, toutes les cloches de la ville commencèrent à carillonner à -qui mieux mieux; les rues, sillonnées par des milliers de torches, -semblaient embrasées; l'obscurité n'en était que plus épaisse dans la -baie de la Havane. Les trois chefs de complot se tenaient à l'arrière de -la frégate. - -«Les armes sont-elles dans la chaloupe? demanda don Graviel au -contre-maître Brombollio. - ---Oui, capitaine. - ---Eh bien! fais embarquer tous nos gens sans bruit; combien sont-ils en -tout? - ---Cinquante; je n'ai pas pu en prendre un de moins, tous des amis, des -matelots achevés, des enragés premier choix. - ---C'est dix de trop; mais allons toujours.» - -Don Graviel avait eu soin d'expédier tous les canots en corvée pour la -nuit entière; il ne restait plus que la chaloupe et une légère yole -réservées aux déserteurs. Fernando et quarante marins, armés jusqu'aux -dents, partirent avec la première; elle déborda mystérieusement, longea -les quais non sans motif, et se perdit ensuite au milieu des bâtiments -de commerce. La yole fut montée par don Graviel, maître Brombollio et -les dix plus robustes matelots. Un poignard en ceinture, un pistolet -caché sous leurs vêtements, des biscaïens estropés au bout de longs -bâtons en manière de fléaux, tel était l'équipement de la bande d'élite. -Ils abandonnèrent la frégate à la garde de Dieu et sans canots. Puis ils -nagèrent droit au rivage, où l'on accosta dans un étroit canal situé -entre deux hautes tes maisons. La petite embarcation, cachée par -l'obscurité la plus profonde touchait cependant le bord; deux hommes y -restèrent; en cas de malheur, ils avaient ordre de s'enfuir, et de -prévenir au plus vite leurs camarades de la chaloupe. - ---Eh bien! Brombollio, le dé est en l'air, disait l'enseigne. - ---La peste étouffe les filles! répondit le maître; cette terre me brûle -les pieds!» - -L'église n'était pas éloignée; les marins y pénétrèrent à la suite de don -Graviel, travesti en matelot; ils se confondirent dans la foule sans -perdre leur officier de vue. - -Du côté des femmes, Dona Juana occupait la place d'honneur. Dans le -choeur étaient groupés don Antonio Barzon, ses aides de camp, le -commandant de _la Santa-Fé_, les officiers de la rade, ceux de la -garnison, l'intendant colonial et tous les dignitaires de la cité. - -«Par quelle porte sortira-t-elle?» se demandait don Graviel avec anxiété, -tandis que maître Brombollio continuait à maugréer tout bas contre les -filles et les amoureux. - -Dona Juana priait dévotement; et, certes, les gais propos du dernier bal -étaient loin de sa mémoire. - -Si elle eut une distraction, ce fut quand elle remarqua, bien malgré -elle, que don Graviel n'était pas venu à la messe avec son commandant; -elle ne conclut qu'il était de service à bord. La fête de la -_Media-noche_ devait suivre l'office, elle regretta peut-être l'absence -du téméraire alférez; mais, hâtons-nous d'ajouter que ces pensées -mondaines n'effleurèrent qu'à peine l'esprit de la jeune fille; encore -se les reprocha-t-elle en faisant son examen de conscience. - -Enfin, la foule s'écoula lentement; don Antonio Barzon sortit du choeur, -s'avança vers sa fille, lui offrit le bras et se dirigea vers la porte -latérale. Un carrosse attendait dehors. Les officiers se pressaient en -foule à la suite du gouverneur; l'issue allait être obstruée. Don -Graviel fit un signe, s'ouvrit passage de vive force à travers les -autorités galonnées, et fut imité par ses compagnons. Une certaine -confusion s'ensuivit. Les dignitaires coloniaux s'indignaient de -l'insolence des rustres qui les coudoyaient, mais les rustres gagnaient -du terrain. - -Déjà le marquis de las Hermaduras présentait la main à sa fille pour la -faire, monter en voiture quand le bouillant alférez le poussa rudement -en arriéré, enleva Juana à bras le corps, et se prit à courir en criant -«Noël!» C'était le mot de ralliement. - -«Au secours! aux armes! soldats et citoyens, à moi!» hurlait avec fureur -don Antonio Barzon. Les officiers tirèrent leurs épées, la garde du -gouverneur croisa la baïonnette. - -«Noël! Noël! en avant les biscaïens!» répondirent les matelots. - -Brombollio et ses huit camarades couvraient la retraite de l'enseigne, -le terrible moulinet de leurs fléaux enferrés tenait en respect la -multitude effrayée. Dona Juana, éperdue, se débattait inutilement entre -les bras de son ravisseur, qui la déposa bientôt dans la yole, s'y jeta -ainsi que ses gens, et poussa au large. - -Tout cela dura moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. - -Mille clameurs partaient du rivage, où régnait un désordre inexprimable. -Cent torches éclairèrent bientôt l'étroite ruelle par laquelle les -marins s'étaient enfuis; les soldats avaient chargé leurs armes, mais -comment tirer? on aurait pu blesser la fille du gouverneur. La yole -d'ailleurs filait plus vite qu'un trait, elle ne tarda pas à s'effacer -dans l'ombre. - -«Des canots! des canots! mort de ma vie! ou je vous fais tous pendre à -l'instant! Des canots! sang et tonnerre!» répétait d'une voix -étourdissante l'illustrissime don Antonio Barzon. - -Les officiers de marine, ceux de _la Santa-Fé_ entre autres, -parcouraient les quais en cherchant des canots partout: mais la -chaloupe, en passant, avait entraîné les uns, engravé les autres, jeté -les avivons à la mer, démonté les gouvernails; et grâce aux précautions -de don Graviel, la frégate, à qui l'on fit en vain des signaux de nuit, -ne put expédier le moindre batelet à terre. - -Pendant que le gouverneur et tous les siens se trouvaient ainsi cloués -au rivage, la yole rejoignait la chaloupe entre deux pontons abandonnés, -lieu convenu de rendez-vous. - -On doit rendre cette justice à l'entreprenant alférez, que son plan -était habilement combiné. L'amour, par exception à l'adage du fabuliste, -n'a point exclu toute prudence, bien que maître Brombollio, qui murmure, -soit loin de partager notre opinion. - -Dona Juana, effrayée, n'avait pas encore reconnu son audacieux -adorateur, qui crut devoir laisser au contre-maître le soin de la -réduire au silence. La mantille de soie de la jeune fille fut galamment -convertie en bâillon: un petit mal pour un grand bien; don Graviel avait -permis cette violence assez peu chevaleresque. Du reste, il gouvernait -et n'ouvrit la bouche que quand il s'agit de donner le mot de passe à -son complice Fernando, et même eut-il la précaution de contrefaire sa -voix. Puis les deux embarcations voguèrent de conserve; les aventuriers -visitèrent leurs amorces de pistolet, et l'on se dirigea, toujours à la -muette, vers le _Caprichoso_ dont on connaît suffisamment la physionomie -extérieure, mais sur lequel de nouveaux détails deviennent nécessaires. - -_Le Caprichoso_ n'était pas navire de guerre; seulement, il portait sur -pivot une longue pièce de 24 en bronze; par son travers grimaçaient dans -la ligne rouge une dizaine de canons en fonte d'un moindre calibre: de -distance en distance, à l'arrière, à l'avant, jusque dans la hune, -s'épanouissaient, comme les fleurs dorées d'un parterre, bon nombre -d'espingoles et de petters de deux à six livres de balles. Le tout était -merveilleusement fourbi et reluisait de la façon la plus appétissante. - -_Le Caprichoso_ n'était pas non plus un navire marchand; seulement, il -était en rapports suivis, avec les gros négociants de la Havane, on -l'avait vu livrer commercialement superbes cargaisons de nègres qui, -disait-on, n'avaient pas dû lui coûter cher. On assurait que son -excellence don Antonio Barzon s'intéressait paternellement aux -opérations de cet estimable spéculateur, dont quarante gaillards de -mauvaise mine composaient l'équipage. Un certain Bertuzzi, assez mal -famé dans ta colonie, quoique fort bien reçu chez le gouverneur, le -commandait. - -«Ho! de la chaloupe!» héla d'une voix éclatante un homme qui se dressa -sur le couronnement; et pourquoi ne dirions-nous pas tout de suite que -cet homme était simplement le capitaine Bertuzzi? - -«Ronde d'officier!» répondit militairement Fernando en longeant le -brick-goélette illuminé de bout en bout, car les négriers aussi -faisaient réveillon. Ils buvaient, dansaient, hurlaient et riaient aux -éclats. Le talia coulait à flots, et le poète de la bande,--où n'y -a-t-il point un poète?--improvisait une chanson de circonstance sur la -capture de quelques traitants dont on avait, le mois dernier, pris les -noirs et brûlé les navires. - -A la réponse rassurante du garde-marine, le capitaine Bertuzzi se -recoucha nonchalamment à plat-pont. Tout en fumant le cigare, et -attendait, le digne homme, que ses jurons en fussent aux coups de -couteau pour mettre le holà et les envoyer dans leurs hamacs. Mais, il -n'avait pas eu le temps de fumer trois bouffées, que son bord fut tout à -coup envahi par les cinquante déserteurs de _la Santa-Fé_, et que lui -personnellement se trouvait aux prises avec quatre vigoureux matelots -dont le dogmatique Fernando dirigeait les mouvements. - -«Capitaine Bertuzzi, pas de colère, je vous en prie, disait posément le -garde-marine; voyez, ce pistolet, si vous faites le méchant, il vous -cassera la tête.» - -Pris au piège où tant de fois il avait fait tomber ses confrères, le -négrier-pirate fut artistement garrotté, bâillonné et déposé dans la -chaloupe. Inutile d'ajouter que les marins de la frégate n'avaient pas -laissé à ceux du brick le temps de courir aux armes. Leurs arguments, -aussi simples que celui de Fernando, eurent un égal succès. Sur ces -entrefaites, par les soins de don Graviel, dona Juana, qui maintenant -pleurait à chaudes larmes, avait été enfermée dans la cabine du -capitaine; enfin, lorsqu'une bonne moitié des négriers eurent été -rangés, pieds et poings liés, à côté du capitaine Bertuzzi, l'enseigne, -dépouillant sa cape de matelot, fit briller son uniforme et s'adressa -aux autres en ces termes: - -«Gens du _Caprichoso_». nous sommes les plus forts et les plus nombreux; -le premier de vous qui témoignera le moindre mécontentement sera jeté à -la mer avec un boulet aux pieds. Soyez donc sages et mignons comme des -brebis. Secondement, si l'un de vous s'avise de toucher une arme, sans -ma permission, il aura le droit d'être immédiatement hissé au bout de la -grand'vergue. D'ailleurs, vous faisiez la course avec Bertuzzi, vous la -ferez avec moi, voilà toute la différence. _Range à larguer les voiles!_ - ---Bien parlé!» dit maître Brombollio en disposant son monde pour -l'appareillage. - -La chaloupe, pleine des hommes dont les capteurs avaient jugé prudent de -se débarrasser, fut abandonnée en dérive, sans avirons. On leva l'ancre, -on établit les voiles, et à l'aide d'une légère bris on navigua sur -l'entrée du port. - -Durant ces diverses opérations, l'alarme allait croissant dans la ville, -l'on y battait la générale, la garnison prenait les armes, le gouverneur -avait enfin des canots à ses ordres, les officiers de terre et de mer se -multipliaient, les forts se mettaient sur la défensive, des coups de -canon de signaux retentissaient sur l'une et l'autre rive du port. - -«Maudite donzelle! murmurait maître Brombollio. Sans elle pourtant -personne ne se douterait de rien, nous filerions notre petit noeud au -large, et, au point du jour, on pourrait nous courir après. - ---Ne me parlez pas des femmes!» répétait dogmatiquement Fernando -Ribalosa. - -Don Graviel était trop occupé de la manoeuvre pour descendre dans la -cabine où l'infortunée Juanita ne cessait de se lamenter, toujours sans -rien comprendre de ce qui lui arrivait. L'entrevue promettait d'être -délicate; elle exigeait du calme, du sang-froid, du temps surtout. D'un -autre côté, la brise de terre mollissait. Le canon de la frégate se fit -entendre à son tour, preuve certaine que le commandant de _la Santa-Fé_ -soit enfin parvenu à rejoindre son bord. La position devenait critique. - -«Il serait dommage de manquer l'affaire après avoir si bien commencé, -murmura l'enseigne. - ---D'autant plus que nous serions inévitablement mis au croc, répondit -maître Brombollio. - ---Comme des goujons au bout d'une ligne, ajouta le garde-marine. - ---Armez les avirons de galère, mes petits coeurs! commanda don Graviel, -et si vous tenez à votre peau, nagez, ventre bleu! nagez, les caïmans, -enlevez-moi çà connue des tigres!» - -Le brick-goélette ne tarda pas à glisser sur la mer unie, à l'aide de -ses longues rames. - -Fernando, sans perdre de temps, faisait charger à double projectile, -boulet et mitraille, toutes les pièces d'artillerie du _Caprichoso_. Les -négriers, voyant qu'on ne leur faisait aucun mal, se prêtèrent à tout de -fort bonne grâce. - -Cependant les embrasures du fort du Morro, sous lequel il faut -nécessairement passer pour sortir, s'illuminaient peu à peu. On voyait -les canonniers apprêter leurs pièces; les murailles du fort de la Puota, -qui défend également l'entrée du port, se garnissaient aussi de soldats. -La frégate _la Santa-Fé_ sembla faire des mouvements: les déserteurs -crurent reconnaître le son de ses trompettes appelant l'équipage aux -postes de combat; bientôt après elle largua ses voiles. Tous les -bâtiments légers de la station, canonnières, goélettes, pataches, -tartanes, se mettaient en route. Les commandements marins résonnaient -d'un bout à l'autre du port, et, chose plus douloureuse encore, le bruit -cadencé des avirons de la flottille de chasse devenait plus distinct de -minute en minute. On avait, à bâbord, le fort du Morro; à tribord, -devant et derrière, des ennemis flottants. - -«Oh! les femmes, les filles, les mantilles, les basquines et les jupons -de malheur! je les voudrais à tous les cinq cent mille diables. Race de -femelles damnées! perdition des hommes! engeance maudite! répétait à -chaque coup de rame maître Brombollio, qui donnait l'exemple de nager -vigoureusement. Il mêlait à ses malédictions des encouragements non -moins énergiques. «Nagez donc, les agneaux! disait-il; souquez! hardi! -ferme, mille millions de tonnerres! ne dormons pas. Voilà une satanée -canonnière qui veut nous couper la route!» - -Fernando, sa longue-vue de nuit en main, examinait la baie, et toussait -à intervalles égaux; c'était sa méthode pour témoigner de l'inquiétude. -Le grave garde-marine s'était spécialement chargé de la pièce à pivot, -qu'il pointait sur la canonnière la plus rapprochée. - -Quant à don Graviel, il commençait à craindre de perdre la partie. - -G. DE LA LANDELLE. - -_(La suite à un prochain numéro.)_ - - - -Courrier de Paris. - -La semaine n'a produit que des oeuvres dramatiques médiocrement -récréatives, et qui méritent à peine une rapide mention; _le Vieux -Consul_ aurait mieux fait, par exemple, d'attendre le carême; il est -d'un intérêt assez maigre pour qu'on regrette qu'il n'ait point patienté -jusqu'à cette époque si conforme à son tempérament. Ce vieux consul -n'est rien moins que Marius le proscripteur; or, je vous demande si les -proscriptions conviennent à la saison des bals masqués; quelques beaux -vers, une ou deux scènes énergiques, ont pu difficilement préserver -Marius du péril résultant de son apparition en plein carnaval; il a eu -affaire à un parterre d'étudiants encore tout émus du galop de la veille -et qui riaient aux éclats et jouaient, peu s'en faut, des scènes de -débardeurs aux moments les plus pathétiques; pour rien au monde, nos -étourdis ne voulaient de tragédie ce jour-là. Le mercredi des cendres, -le _Marius_ de M. Ponroy aurait peut-être monté aux nues! Il n'y a rien -de tel que de choisir son temps: arriver à propos est un grand art. - -Vous parlerai-je des vaudevilles venus au monde à la même époque, -pauvres créatures chétives, qui n'ont ni jeunesse ni gaieté et sont -peut-être déjà mortes, pour la plupart, au moment où je parle; _les -Oppressions de voyage_ enterrées en une soirée, sous les sifflets; _les -Comédiens ambulants_ reproduisant pour la centième fois, sans beaucoup -d'adresse ni d'esprit, le roman comique de Scarron; _le Nouveau -Rodolphe_, parodie des _Mystères de Paris_, que le parterre a sifflé -sans mystère? Non, vraiment, je n'abuserai ni de mon temps ni du vôtre -pour vous entretenir de ces fadaises; un seul vaudeville a survécu à -cette mortalité universelle: c'est _le Major Cravachon_. Ce brave major -ne manque ni de franchise ni de gaieté, il a servi sous Napoléon; on -s'en aperçoit à son ton vainqueur et à ses redoutables moustaches; et, -bien qu'il ait déposé son glaive, Cravachon n'en a pas moins l'humeur -terriblement belliqueuse; si vous n'avez pas pourfendu au moins trois ou -quatre chrétiens, vous n'êtes pas son homme; imaginez, d'après cet -échantillon, ce que Cravachon exigerait de celui qui s'aviserait -d'aspirer à l'honneur d'être son gendre; à moins d'être un foudre de -guerre, ne vous y frottez pas; or, les Césars et les Cravachons sont -rares, et notre vaillant major en est réduit à éconduire, l'un après -l'autre, une quantité de soupirants qui prétendent à la main de sa -fille. Quoi donc? faudra-t-il que la pauvre petite sèche et dessèche -dans les ennuis du célibat? Ne trouverons-nous pas, à la fin, un -fier-à-bras pour conclure ses noces? Cravachon commence à désespérer; le -monde n'est plus rempli que de lièvres, pense-t-il; enfin, un lion lui -arrive; celui-là a le poignet fort, le coeur vaillant, le jarret -intrépide; il donne à Cravachon un grand coup d'épée pour premier -certificat. Cravachon ne se sent pas d'aise, lui tend les bras, le -caresse, l'embrasse et lui dit; «Touchez là, vous avez ma fille!»--Cette -recette pour le mariage n'est pas encore très-répandue, et fort peu de -beaux-pères s'accommoderaient de recevoir le coup d'épée reçu par -Cravachon, au risque de rester comme lui six mois au lit à se faire -panser; mais ne sommes-nous pas dans un siècle original? Patience donc! -le goût en viendra peut-être, et ces demoiselles ne se marieront plus -autrement.--Les auteurs de cette petite pièce comique sont MM. Lefranc -et Labiche. - -La semaine du moins a été particulièrement remarquable par l'apparition -d'un important personnage; pendant deux jours il a visité les quartiers -les plus fréquentés et les rues les plus fameuses, excitant partout une -curiosité immense, et recevant des honneurs magnifiques: des hérauts -d'armes, des gardes à pied, des cavaliers le casque en tête, lui -servaient de cortège, au roulement du tambour, au bruit d'une musique -militaire; son état-major se composait de Grecs, de Romains, de -chevaliers armés de pied en cap, de gentilshommes ressuscités de la cour -de Louis XIII et de Louis XIV. C'est peu encore; les dieux et demi-dieux -s'étaient mis à sa suite; Hercule, Hébé, Vénus, Mars, Cupidon, Bacchus, -Junon, Minerve, Apollon, Jupiter lui même, le terrible Jupiter, lui -faisaient escorte; et le vieux Saturne n'avait pas dédaigné de monter -sur un char et d'en tenir les rênes. - -Un autre aurait pu tirer vanité de ces honneurs inouïs, et attendre que -des gens qui désiraient le visiter et le voir fissent auprès de lui les -premières démonstrations; mais le personnage en question a montré qu'il -n'était ni difficile ni exigeant sur l'affaire de l'étiquette; il a -tranché la difficulté en faisant, de sa propre personne, des visites -empressées aux notables habitants de la ville. C'est ainsi qu'il est -allé saluer successivement M. le ministre des finances, M. Sauzet, -président de la Chambre des Députés, M. le maréchal Soult, M. -l'ambassadeur d'Autriche, M. le président de la Chambre des Pairs, M. -Crinin-Gridame et M. Duchatel; mais son hommage le plus solennel a été -pour le château des Tuileries: c'est là qu'il s'est efforcé surtout -d'être agréable et de réussir. - -De quoi s'agit-il? dites-vous.--Mais d'un personnage de poids, du poids -de 1,370 kilogrammes.--Vous l'appelez?--Le boeuf gras, roi du carnaval; -son règne a duré trois jours: commencé et inauguré dimanche à dix heures -du matin, il s'achevait mardi soir aux abattoirs Montmartre. Les -courtisans et les grands-officiers de carnaval, qui l'avaient servi et -flatté pendant sa puissance, l'ont mangé en beefteack après sa chute; ô -fragilité des grosseurs humaines! - -Le boeuf gras mort, tout est dit, le carnaval est enterré. Un soleil -charmant, un ciel d'azur, ont éclairé son dernier jour; il est -impossible de finir plus gaiement, et surtout d'avoir pour cortège, et -pour témoins de sa journée suprême, des amis plus nombreux et plus -empressés.--Dès midi, une moitié de Paris s'était mise à ses fenêtres -pour voir passer le carnaval; l'autre moitié se répandait dans les rues; -de la Madeleine à la bastille, le boulevard était couvert d'une -population immense, qui s'agitait tumultueusement et se pressait sur les -dalles des contre-allées, tandis qu'une double haie de voitures occupait -les bas-côtés, s'allongeant à perte de vue; c'était l'image de l'égalité -parfaite; l'équipage armorié était rangé sur la même ligne que le -fiacre plébéien; l'élégante calèche et l'humble vinaigrette marchaient -du même pas monotone et lent; quant au carnaval, il était difficile de -l'apercevoir. Les curieux ne manquaient pas; ils arrivaient par -milliers, à pied, à cheval, en voiture, pour assister aux exercices du -dieu burlesque; mais le dieu daignait à peine se manifester çà et là, -sous la forme de quelques débardeurs crottés, trottant pédestrement à -travers la foule, qui les saluait de ses huées; et à peine deux ou trois -calèches chargées de masques venaient-elles, de loin en loin, témoigner -qu'en effet Paris était en plein mardi-gras. - -Le carnaval est encore une de ces vieilles institutions que le temps a -modifiées, sinon complètement détruites; autrefois, messire carnaval -s'éveillait dès le matin, s'affublait de son costume bigarré, couvrait -son visage du masque joyeux ou grotesque, et s'en allait par toute la -ville agitant ses grelots et amusant les passants, les scandalisant -quelquefois de ses lazzi et de ses propos effrontés; le carnaval -agissait en plein jour et à la face de tout le monde; ses desservants -innombrables, répandus de tous côtés, transformaient Paris, pendant deux -ou trois journées, en un immense magasin de masques en plein vent. - -Le carnaval d'aujourd'hui a d'autres fantaisies et d'autres habitudes; -il trônait autrefois dans la rue; il envahissait les carrefours, les -boulevards, les places publiques; on le rencontrait à chaque pas; -c'était lui, toujours lui; il était maître de la cité et de ses -faubourgs. Maintenant la lumière lui déplaît; la vie publique n'est plus -son affaire; d'année en aimée il s'est retiré de la rue, et on peut -prédire que dans peu de temps il en aura complètement disparu; il ne -restera du carnaval en plein air que cette population ambulante et -curieuse,--qui viendra encore le chercher à travers la ville, longtemps -après qu'il n'y sera plus. - -Il ne faut pas conclure de ce qui précède que le carnaval est défunt; il -n'a jamais eu, au contraire, une vie plus agitée et plus furieuse; il ne -s'est jamais livré à sa folle passion avec moins de modération et de -retenue: mais, au lieu du jour, c'est la nuit qu'il recherche; le -carnaval est devenu noctambule. Honnêtes curieux désappointés, qui avez -passé toute votre journée à courir vainement après le carnaval en -soufflant dans vos doigts, si le soir, minuit venu, vous étiez entrés -dans la salle de l'Opéra-Comique ou de l'Opéra, si vous vous étiez -glissés au Prado et dans tous les lieux nocturnes où le bal trouve -asile, c'est pour le coup que le carnaval vous aurait apparu dans toute -sa force et sa souveraineté.--Oui, le voilà! c'est bien le carnaval, on -le reconnaît à ses cris, à son agitation, à ses traits convulsifs, à son -effronterie, à sa fureur pour le plaisir; c'est lui qui a revêtu de ses -oripeaux cette multitude diaprée; c'est lui qui la précipite dans cette -joie violente, dans cette danse à tous crins, dans cete valse à tous -bras!--Tout s'explique; le carnaval se calme et se repose pendant le -jour, afin d'avoir assez de force pour soutenir le choc de ses nuits -terribles. Il fait comme ces gastronomes et ces débauchés prudents qui -se préparent, par un peu de diète et d'abstinence aux excès d'un énorme -repas et d'une orgie. - -Quant à su mort et à sa sépulture, le carnaval n'a rien changé aux -usages passés; c'est toujours le lendemain du mardi gras qu'il expire; -c'est toujours à la Courtille que se célèbre, la cérémonie funèbre, et -que les adorateurs du carnaval viennent l'escorter en grande pompe et -assister à son dernier soupir. - -Le carnaval de 1844 a été inhumé avec un cérémonial inaccoutumé et une -si grande affluence de fidèles que nous sommes obligés, en conscience, -d'en faire part aux abonnés du _l'Illustration_, et de leur mettre sous -les yeux les traits principaux de cette fin mémorable. - -Il est six heures du matin; les réverbères mêlent au jour naissant leurs -dernières lueurs blafardes. Cette rue qui s'allonge devant vous se nomme -la rue du Faubourg-du-Temple. Il est aisé de la reconnaître à l'enseigne -qui se fait voir à gauche avec ces mots; _Vendanges de Bourgogne._--Les -bals viennent de cesser; les danseurs, pâles, haletants, les yeux caves, -harassés des joies de la nuit, se sont jetés pêle-mêle, ceux-ci dans le -fiacre, ceux-là dans le cabriolet, d'autres dans la calèche béante; ils -s'en vont tous à la Courtille user de leur dernière heure et saluer de -leurs derniers cris d'amour le carnaval qui finit, à la barbe du -mercredi des cendres.--Vous les voyez qui vont et viennent, montent et -descendent; la rue est encombrée de voitures et de mascarades. En voici -une qui s'arrête. Quels gestes! Quelles attitudes! D'où vient cette -halte? Pourquoi cette pantomime énergique et cet air agressif? Eh! ne -faut-il pas que ces vaillants masques se défendent? Se laisseront-ils -impunément railler par cette commère à l'éloquence hasardée, qui leur -montre le poing et leur lance à bout portant des fragments de dialogue -qui n'ont rien d'attique? Ce n'est pas à cette heure, et dans la rue du -Temple, qu'il faut compter sur des voix mélodieuses comme la voix de -Cinti-Damoreau ou de Persiani; ce n'est pas à la descente de la -Courtille qu'on enseigne les belles manières et la modestie; ce n'est -pas entre débardeurs qu'on tient école de marivaudage. Cependant un -sergent de ville, las de cette rude campagne du carnaval, s'endort à ce -terrible vacarme, comme Tytire au doux murmure d'une source limpide. -Mais que vois-je près de lui? Un enfant tout nu! c'est l'ami Carême, -fils posthume du Carnaval. - -[Illustration: Descente de la Courtille.] - -[Illustration: Un Sergent de Ville le mercredi des cendres.] - -Puisque Carême vient de naître, il est clair que Carnaval est trépassé. -Le père n'a jamais pu vivre avec le fils. Et, en effet, Carnaval n'est -plus, voici qu'on le fait porter en terre, non pas comme feu M. de -Marlborough, «par quatre-z-officiers,» mais accompagné d'un cortège -digne du défunt, et tout à fait de circonstance. - -Le Mardi gras est couché sur le dos, comme il convient à un mort; on a -eu soin de le revêtir de tous ses insignes, ordres de toute espèce et -décorations. Tandis que le pauvre hère, tout à l'heure si tapageur et si -bon vivant, garde cette position immobile, on voit à droite le Mercredi -_descendre_ de son échelle; Mercredi ne se décide pas à cet exercice -sans quelque hésitation; il a peur du Mardi gras, tout mort qu'il paraît -être; tels les héritiers du grand Alexandre ne pouvaient approcher de -ses restes sans pâlir. Le Temps, qui n'entend pas raison sur cette -question et veut que ses affaires marchent, le Temps pousse -très-positivement Mercredi par derrière pour lui donner de l'audace et -l'obliger à sauter le pas. - -Mercredi mène à sa suite le cortège ordinaire et la cour de sa très-pâle -et très-étique majesté Carême: poissons de mer et d'eau douce, oeufs -frais, panais, carottes, choux, salades, oignons, épinards, chicorées, -toute l'insipide nation des légumes. Un peu plus loin, le dieu Mars -survient absolument comme mars en carême. - -L'apparition du Mercredi des cendres et la mort du Mardi gras produisent -des émotions diverses: chacun, selon ses intérêts, fête l'avènement de -l'un ou regrette le trépas de l'autre. Les sergents de ville, ces -martyrs du carnaval, saluent avec joie l'arrivée de Mercredi, comme le -signal du repos et de la délivrance; cependant au son de la cloche que -Mercredi fait résonner dans ses mains, les débardeurs, effrayés, sentant -leur fin prochaine, se dispersent avec effroi; c'est pour eux le -tintement du jugement dernier. Quelques intrépides s'efforcent de faire -bonne contenance et de défendre pied à pied l'empire du Mardi gras; ils -forment un bataillon sacré et luttent jusqu'à la dernière extrémité, -menaçant Mercredi du geste et de la parole. Vain courage! héroïsme -inutile! qui peut arrêter le Temps? Mardi n'est plus; Mercredi s'empare -invariablement de son domaine et règne à sa place, en attendant que -Jeudi le détrône à son tour, et ainsi de suite jusqu'à la fin du monde -et des calendriers. - -[Illustration: l'Ami Carême, fils posthume de Mardi Gras] - -[Illustration: Enterrement du Carnaval.] - -Ce personnage qui pleure à chaudes larmes sent bien que le mal est -irrémédiable; c'est un garçon de café-restaurant: il est plus -particulièrement frappé que d'autres par la mort du Mardi gras. Que de -petits soupers il y perd, et que de pourboires! aussi voyez ses yeux se -fondre en eau; est-il une plus belle oraison funèbre? et que ce Mardi -gras est heureux d'ètre si tendrement regretté!--_De profundis!_ de la -part du petit Carême, fils de Mardi gras, qu'on élève secrètement au -champagne-Darbo pour le fortifier et en faire le Mardi gras de l'année -1845. - -Adieu, cher lecteur, et au revoir; j'espère que tu vas passer ton carême -honnêtement et que tu rachèteras tes péchés petits ou gros du carnaval -dernier. - - - -Théâtre royal de l'Opéra-Comique. - -CAGLIOSTRO, OPÉRA-COMIQUE EN TROIS ACTES, PAROLES DE MM. SCRIBE ET DE -SAINT-GEORGES, MUSIQUE DE M. ADOLPHE ADAM. - -On connaît l'histoire du grand Cagliostro, soi-disant fils d'un grand -maître de Malte, élevé secrètement en Arabie par le sage _Althotas_, -initié aux sciences occultes dans les pyramides d'Égypte, lequel -prédisait l'avenir, guérissait toutes les maladies, prolongeait la vie -indéfiniment et évoquait les morts. Le plus merveilleux n'est pas qu'un -homme ait imaginé toutes ces absurdités, c'est qu'il soit parvenu à les -faire croire, et cela à Paris, au dix-huitième siècle, vingt-cinq ans -après la publication de l'Encyclopédie, huit ans après la mort de -Voltaire, quatre ans avant la convocation des États-Généraux, qui furent -l'Assemblée nationale. Et qui avait-il pour adeptes? des couturières, -des blanchisseuses? Non pas, s'il vous plaît, mais de belles dames et de -grands seigneurs, et à leur tête un archevêque, prince de l'Église, et -longtemps ambassadeur du roi Très-Chrétien, le cardinal de Rohan! - -Ce héros singulier vient d'avoir son tour auprès de la muse de M. -Scribe, muse, comme on sait, d'humeur facile, et incapable de rebuter -qui que ce soit. - -M. Scribe a mis sur le théâtre le personnage, mais non son histoire, ou -du moins aucun acte qui nous soit positivement connu. Mais si Cagliostro -n'a pas fait ce que M. Scribe lui prête, du moins il a pu le faire. Que -peut-on exiger de plus du drame en général et de l'opéra-comique en -particulier? - -[Illustration: Opéra-Comique: _Cagliostro_ 3e acte, scène du -magnétisme.--Madame Anna Thillon, Corilla; madame Boulanger, la marquise -Pottier, Cecilli; M. Chollet, Cagliostro; M. Henri, Caracoli; M. Mocker, -le chevalier.] - -Au moment où commence la pièce, toutes les imaginations sont frappées -des prodiges accomplis par Cagliostro, Paris et Versailles ont à la fois -les yeux sur lui, et les journaux sont pleins de récits merveilleux dont -il est le héros. - -Parmi les personnes qui croient Cagliostro sur parole, il faut mettre en -première ligne un prince bavarois tout récemment débarqué à Paris, et -une certaine marquise de Volmérange, femme jadis à la mode, qui doit -avoir été charmante du temps du cardinal de Fleury, et qui, j'en suis -sûr, n'était pas encore trop mal en point sous le règne de madame la -marquise de Pompadour. Elle a vu longtemps à ses pieds,--c'est elle qui -le dit,--le roi Louis XV et toute sa cour; mais tout est bien changé -depuis le nouveau règne. Ses beaux jours sont passés, ses honneurs sont -détruits. Comment les faire renaître? comment remonter le cours des -années? comment effacer les fâcheuses traces que cet insolent vieillard -qu'on nomme le Temps a imprimées sur son visage? Assurément il faut -toute la science et tout le pouvoir d'un Cagliostro pour cela. - -Le Bavarois n'est guère moins embarrassé: il est amoureux, cet infortuné -prince, amoureux d'une cantatrice appelée Corilla, artiste célèbre, qui, -depuis trois ans, occupe tous les _dilettanti_ et tous les badauds de -l'Italie. Mais il a eu beau lui peindre sa passion dans les termes les -plus pathétiques, et joindre à l'offre de sa fortune celle de sa main, -il n'a pu rien obtenir, Corilla lui rit au nez toutes les fois qu'il -entame le chapitre de son amour.--C'est donc une étrange bégueule, -dites-vous, que cette Corilla?--Point du tout, lecteur; attendez la fin -de mon récit, et ne faites pas de jugement téméraire. - -«Monsieur le comte, dit le prince au charlatan, ne pourriez-vous me -donner quelque secret, quelque philtre pour me faire aimer d'une -cruelle?» Cagliostro, qui a vu jouer _le Philtre_ à l'Académie royale de -Musique, et qui sait son Scribe par coeur, répond sans hésiter: - ---Dans notre état, nous en tenons beaucoup. - ---Il serait vrai? - ---Chaque jour j'en compose, car on en demande partout. - ---Et vous en vendez? - ---Oui. - ---Et combien? - ---Peu de chose. - -«Dix mille livres le flacon, pour ne point vous faire marchander.--Ah! -c'est pour rien, en vérité, et je vous devrai la vie.» - -La consultation de la marquise, est bien plus importante encore. -«Monsieur le comte, ne pourriez-vous me rendre mes beaux jours -d'autrefois, l'éclat dont brillaient jadis les roses qui -s'épanouissaient sur mon visage, et le timbre argentin de ma voix, qui -chevrote si misérablement aujourd'hui?--Oui, madame.--Oh! donnez, -donnez, et toute ma fortune...--Doucement! il faut du temps pour -composer ce breuvage; il se fait avec le suc de plantes qu'on ne peut -cueillir que sur les plus hautes montagnes du globe. Un de mes amis en a -consommé, il y a quelques jours, le dernier flacon; il n'en a rien -laissé. Ah! si fait! il en reste deux ou trois gouttes.--Ah! -donnez-les-moi, monsieur le comte!-Hélas! madame la marquise, il y a à -peine dix minutes de jeunesse au fond de cette petite bouteille.--Eh -bien! ce seront dix minutes pendant lesquelles j'oublierai mon -chagrin.--Au fait, dit tout bas Cagliostro en regardant autour de lui, -il n'y a pas de glaces dans ce salon, et quant à ce miroir, je puis m'en -défaire.» II jette le miroir par la fenêtre, et donne le précieux -flacon. - -La marquise boit, puis cherche partout son miroir, mais en vain. Quel -désespoir! Être jeune, et ne pouvoir pas jouir de sa jeunesse, même par -la vue! ne pouvoir pas s'assurer de sa métamorphose! L'idée ne lui vient -pas, à cette pauvre marquise, qui n'a pas de glaces dans son salon, -d'aller consulter au moins sa toilette dans sa chambre à coucher, ou de -s'assurer avec ses deux mains si sa taille est redevenue fine et svelte -comme autrefois; elle ne sait que crier à tue-tête: «Mon miroir! où est -donc mon miroir?» Quand soudain le marquis de Caracoli se présente, -s'incline devant elle, et dit d'un air étonné: «Quelle est donc cette -jeune fille?» Ah! pauvre marquise! quelle vieille, ne fut-elle qu'une -petite bourgeoise, ne se pâmerait d'aise en entendant faire une pareille -question? - -Ce Caracoli, vous l'avez, deviné sans doute, clairvoyant lecteur, n'est -autre qu'un adroit compère, introduit dans la maison par Cagliostro, -pour l'aider à ses tours de passe-passe. Il a fort bien débuté, en -tombant de voiture tout exprès pour se faire guérir des suites de ce -terrible accident. «Ah! monsieur le comte, s'écrie la vieille, un flacon -de votre eau de Jouvence, et je n'aurai rien à vous refuser. Vous -n'aurez, qu'à dire.--Madame, dit l'élève d'Althotas, vous savez que ce -n'est jamais l'intérêt qui me guide. Il n'y a qu'une récompense à -laquelle j'aspire; c'est la main de votre charmante nièce.» - -La charmante nièce a un million de dot. - -Malheureusement, elle est peu disposée à jouer ce rôle de lettre de -change, car elle aime de tout son coeur son cousin le chevalier de -Saint-Luc, qui le lui rend de son mieux. Mais Cagliostro a des moyens à -lui pour vaincre toutes les difficultés, comme il a des remèdes pour -guérir toutes les maladies. - -Le compère Caracoli, très-subtil espion, je vous le jure, a surpris une -conversation fort intéressante entre le chevalier et une jeune étrangère -qui est venue lui rappeler d'anciennes amours et d'anciens serments. -L'étrangère est justement cette Corilla dont je vous ai déjà parlé, et -vous comprenez, maintenant, pourquoi le prince a toujours perdu auprès -d'elle son temps et son... bavarois. Caracoli va chez elle, lui apprend -la trahison du chevalier, et l'amène en secret dans un cabinet voisin du -laboratoire de son maître. Là elle acquerra des preuves palpables de -l'infidélité de son muant. Bientôt, en effet, le prince, la marquise, et -sa nièce Cécile, arrivent dans ce laboratoire. Cagliostro débute par -faire de l'or en leur présence. C'est une des merveilles dont ils sont -le plus curieux.--«Je donnerais mille louis, dit la marquise, pour voir -faire devant moi un grain d'or.»--A ce prix-là, on comprend que -l'opération ne serait pas difficile; et, de fait il n'en coûte pas tant -à Cagliostro. Il lui suffit de glisser adroitement dans le creuset -embrasé le lorgnon du compère Caracoli, lequel est cruellement mystifié -par ce tour de physique amusante. Le pauvre homme tenait beaucoup à son -lorgnon. Il faut vous dire que ce Caracoli, si spirituel et si fin au -premier acte, n'est plus, au deuxième, qu'un sot et qu'un poltron. Si -cette métamorphose était l'ouvrage de Cagliostro, ce serait la preuve la -plus incontestable qu'il pût donner de son savoir-faire. - -Le _grand oeuvre_ accompli, Cagliostro parle mariage, et la marquise se -montre fort bien disposée en sa faveur, mais non le chevalier, et encore -moins Cécile, qui déclare aimer passionnément son cousin.--«Bah! dit -Cagliostro, vous ne l'aimerez longtemps; passez, seulement cinq minutes -toute seule dans ce cabinet.» Cécile y entre; elle y trouve Corilla, et -reparaît bientôt pâle et agitée.--«Mon cousin, tout est fini entre -nous!... Monsieur, voici ma main.» - -Qui est étonné? Le chevalier; mais bientôt Corilla se montre, et tout -s'explique.--«Oui, traître! oui, ingrat! c'est moi qui ai tout fait; je -lui ai révélé notre amour; je lui ai montré ton portrait, les lettres et -le poignard que tu m'as donné pour le percer le coeur, si jamais ce -coeur devenait infidèle...--«Ma foi, répond tranquillement le chevalier, -je vous avoue, ma bonne, que vous n'en trouverez jamais une meilleure -occasion. Je ne vous aime plus du tout, parole d'honneur! mais, en -revanche, j'aime ma cousine comme je ne vous ai jamais aimée.» - -La déclaration est tout à fait galante! - -Là-dessus vous croyez, que Corilla arrache les deux yeux au butor, ou -qu'au moins elle se trouve mal. Tant s'en faut! «A la bonne heure, -monsieur. J'aime cette franchise; mon amour n'était qu'un pur -enfantillage, n'en parlons plus. Pst!... le voilà parti, et je ne veux -plus m'occuper que du vôtre.» - -Voilà un bel exemple, madame, et je vous conseille, dans l'occasion, de -ne pas manquer n'imiter Corilla. - -A eux deux ils viennent bientôt à bout du Caracoli, qui craint la -potence, et qui, pour se mettre en sûreté, vend, moyennant cinq cents -louis, tous les secrets de son maître. Ces secrets sont écrits de la -propre main du charlatan sur un gros cahier de papier. Ces habiles de -comédie sont toujours prêts à faire, quand l'auteur en a besoin, les -plus grosses maladresses et les plus insignes bévues. - -Armé de ces terribles papiers, le chevalier aborde Cagliostro d'un air -triomphant. «Vous allez, écrire ici même, tout de suite, et sous ma -dictée, votre renonciation à la main de Cécile.--Volontiers,» dit -Cagliostro, et il écrit. Puis, s'interrompant d'un air indifférent et -lui présentant sa tabatière: «En usez-vous?--Volontiers,» dit le -chevalier, lequel devient à son tour un sot, pour ménager à M. de -Saint-Georges nue péripétie. Ce tabac, comme il devrait bien s'en -douter, n'est pas du tabac, mais de la belladone. Il ne tarde pus à -s'endormir, et Cagliostro reprend ses papiers. Puis il pousse un -ressort, et le trop confiant chevalier descend par une trappe... où il -vous plaira. - -Voilà Cagliostro à Versailles, chez la marquise, où le mariage doit -avoir lieu. Avant la noce, madame de Volmérange a promis aux conviés de -les régaler d'une scène de magnétisme. Cagliostro a chargé Caracoli de -lui amener une somnambule lucide, dont il a d'avance mis par écrit les -réponses. Il vaudrait mieux sans doute qu'il fit ses affaires lui-même; -mais les grands hommes sont toujours si occupés! - -La harpe résonne; la porte retentit. Une femme voilée s'avance et -s'assied sur le fauteuil préparé pour elle au milieu de la brillante -assemblée. Cagliostro s'approche et exécute autour de la tête du sujet -toutes les passes usitées en pareil cas. Puis il écarte le voile... O -surprise! ô terreur!... C'est sa femme qu'il croyait bien loin et qu'il -retrouve à ce moment fatal. Et qui est cette femme qui revient si mal à -propos? Corilla en personne, qui l'avait quitté jadis, exaspérée par ses -mauvais traitements, et n'avait fait qu'un saut du toit conjugal sur le -théâtre! Or, la polygamie est un cas pendable: force est donc au grand -Cagliostro de se désister de ses hautes prétentions. Mais du moins il se -vengera sur sa femme... Vain espoir! Corilla lui présente un bref du -pape qui casse son mariage. Puis elle unit de sa main Cécile au -chevalier, et couronne enfin la constance du Bavarois, lequel ne manque -pas d'attribuer ce dénoûment inespéré au philtre qu'il a bu dans la -matinée. - -Tout cela forme un drame très-compliqué, mais cependant très-clair. On -reconnaît toute l'habileté de M. Scribe à l'aisance avec laquelle il -dispose ces faits et amène les innombrables péripéties au milieu -desquelles tout autre que lui se serait vingt fois perdu. Mais tout son -savoir-faire n'a pu réussir à intéresser le spectateur à cette -collection de sots, de fripons, ou de gens froidement honnêtes, et -dépourvus de sentiments énergiques et de passions sincères. Ces -messieurs et ces dames ont souvent de l'esprit, mais ils n'ont presque -jamais du coeur. - -Quelle est cependant la mission de la musique, si ce n'est de traduire -en un langage harmonieux les mouvements du coeur? - -Il n'est donc pas étonnant que M. Ad. Adam, chargé d'ajuster de la -musique à ce drame, ait senti plus d'une fois son imagination défaillir -et sa verve lui faire défaut. Dans tout le cours du ces trois actes, il -n'a presque jamais à mettre en musique que de froides plaisanteries. -Tantôt ce sont des couplets où le bavarois dresse l'inventaire des -prodiges accomplis par Cagliostro, tantôt c'est un air où Cagliostro se -moque, à part lui, de la crédulité parisienne. Quand Corilla vient de -recevoir à bout portant la gracieuse déclaration que je vous ai -racontée, restée seule, elle se met à chanter _victoire! victoire!_ En -vérité il n'y a pas de quoi. Cécile et le chevalier n'échangent pas, de -l'exposition au dénouement, une seule note qui ait pour objet de peindre -leurs froides amours. Le prince bavarois lui-même, dont la passion est -ridicule, mais sincère, ne chante pas une seule mesure qui ait quelque -rapport à l'état de son âme. - -Il ne faut donc pas reprocher trop rudement à M. Adam d'avoir produit -une partition froide, monotone et décolorée. C'était la conséquence -nécessaire de la position où il s'était mis. La passion sérieuse était -d'avance exclue de sa partition. Il y restait à la vérité la passion -_bouffe_, et, sous ce rapport, il avait quelques scènes assez heureuses -à traiter, par exemple, celle où la marquise boit la prétendue eau de -Jouvence, et se croit rajeunie; celle où Cagliostro fait de l'or; -d'autres encore. Mais la gaieté vive et la verve bouffonne ne sont pas -le caractère du talent de M. Adam; et, bien qu'il ait mis dans ces -scènes-là, comme dans tout le reste, une habileté de détails -incontestable, il me semble qu'il est presque toujours resté un peu -au-dessous des situations qu'il avait à peindre. Son ouvrage atteste, en -général, du soin et un travail assez consciencieux; le style en est -correct, l'instrumentation habile; chaque morceau pris en particulier -est très-bien fait, mais presque tous manquent d'inspiration, de chaleur -et de vie. - - -Fragments d'un Voyage en Afrique(3). - -(Suite.--Voir t. II, p. 354, 371 et 390.) - - [Note 3: La reproduction de ces fragments est interdite.] - -Tandis que j'habitais Tekedempt, je fus souvent appelé auprès du l'émir, -soit pour lui servir d'interprète, soit pour l'entretenir de divers -projets. Sa confiance en moi était extrême; aussi étions-nous fort bien -ensemble. Il a la parole familière et rapide, le geste expressif; sa -voix n'a rien de mâle; il saisit facilement et se montre toujours avide -d'instruction; il ne s'exprime qu'en arabe et se croirait damné s'il -parlait la langue des chrétiens; cependant il connaît un peu de français -et prononce _chassurs_ lorsqu'il veut désigner les chasseurs d'Afrique. -Son caractère est ferme dans toutes les circonstances; il est doux, -affable, charitable, mais d'une excessive sévérité. Quand il a prononcé -une sentence, il faut qu'elle s'exécute. Vers la fin de 1839, il fit -publier que quiconque serait pris se rendant dans nos possessions ou -convaincu d'avoir assisté à nos marchés, aurait la tête tranchée. Deux -Arabes enfreignirent cet ordre: ils étaient allés vendre des boeufs à -Bouffarick. A leur retour, ils furent mis à mort, et leurs corps -demeurèrent exposés pendant trois jours au marché de Médéah. En juillet -1840, étant au camp du Chélif, je vis arriver dix-sept Arabes pris en -flagrant délit de commerce avec les français. L'émir les condamna au -supplice, parmi eux était un jeune homme de quatorze ans qui avait suivi -son père; son jeune âge toucha plusieurs kalifats, qui demandèrent grâce -pour lui. L'émir fut insensible à leurs prières; on alla même jusqu'à -proposer 1.000 piastres fortes d'Espagne pour la rançon du jeune homme. -Peine inutile! «Citez-moi, dit Abd-el-Kader à ses lieutenants un seul -exemple où j'ai révoqué un ordre, et je pardonne.» Cinq minutes après, -le yatagan d'un cavalier envoyait le fils rejoindre son père! - -Abd-el-Kader est né dans la province d'El-Beris, à l'est de Mascara, de -Sidi-Hadji-Muhydin, marabout très-vénéré dans le pays. Il pousse l'amour -de l'islamisme jusqu'au fanatisme. Depuis son retour de la Mecque, où il -se rendit à l'âge de vingt et un ans, il passe une grande partie des -nuits à lire le koran; il jeûne presque tous les jours, ce qui ruine sa -santé. Son état est maladif, et pourtant son activité ne se ralentit -point. En voyage, il est toujours prêt à marcher; je l'ai vu aller de -Tlemcem à Tekedempt en trois jours, tandis que ses courriers en mettent -huit. L'orgueil et l'ambition dirigent son coeur et sa tête; il -n'hésiterait pas, s'il le pouvait, à mettre un pied dans la régence de -Tunis et l'autre dans l'empire de Maroc. Parlez-lui d'innovations, de -grands projets, d'entreprises hardies, et vous voyez, ses traits -s'animer et ses yeux lancer des éclairs. J'ai parlé plus haut de son -costume; il est d'une simplicité dont rien n'approche. Une culotte de -toile à voile ou de laine, une chemise d'escamile, une autre en laine, -un gilet et une veste de la même étoffe, un haick grossier et deux ou -trois burnous, voilà toute sa garde-robe: sa tête est serrée par une -corde en poil de chameau, son gilet est retenu par une ceinture rouge à -laquelle est suspendu un mauvais mouchoir. Ses habits, parfumés au musc -du reste, forment un singulier contraste avec l'or et l'argent qui -brillent sur ceux des grands dignitaires. - -Le marabout Hadji-Mahydin avait deviné la haute fortune de son fils. Il -jouissait parmi les Arabes d'une grande influence qu'il devait à la -sainteté de son caractère. Ses trois fils, Tidi-Saïd, Abd-el-Kader et -Sidi-Mustapha, élevés dans la crainte du Prophète, se partageaient avec -lui l'admiration des Arabes. Après la perte d'Alger, d'Oran, etc, les -habitants de ces villes qui s'étalent réfugiés dans l'intérieur allèrent -demander un chef au vieux Mahydin; ils désignèrent même son fils aîné -Tidi-Saïd. Le marabout, après avoir réfléchi quelques instants, leur -dit, en leur montrant son second fils: «Voici votre chef; il est seul -capable de prendre les rênes d'un gouvernement naissant. «L'événement a -justifié sa prédilection. Abd-el-Kader avait vingt-six ans à l'époque où -on le salua du titre de Sultan. Son orgueil dut s'accroître -naturellement lorsqu'il se vit, si jeune, appelé à régénérer l'Afrique, -l'énergie de son caractère et son désir de renommée le rendirent propre -à de grandes choses. Il rechercha toutes les occasions de mettre en -évidence les qualités qui le distinguaient de ses frères. Les -commencements lui furent très-pénibles. Il avait à combattre les -Français d'un côté, et de l'autre les tribus révoltées. Sans armée, sans -argent, il fallait qu'iI ne compromît point ses mandataires et qu'il -répondît à leur confiance. Alors il fit appel aux hommes de bonne -volonté, et contracta des emprunts considérables à Mascara. Avec -l'argent qu'il obtint, il acheta des armes et des munitions. Son étoile -fit le reste. Il eut bientôt réuni quatre mille réguliers volontaires et -six mille auxiliaires. Cette armée envahit le territoire des tribus -insoumises et les mit à contribution. Il paya ses créanciers et organisa -sa cour. Son nom devint un épouvantail pour les Arabes; on se soumit et -on admira cet homme, qui venait de créer un empire sans autre ressource -que son génie. Pendant quelque temps il put se reposer sur sa gloire; -mais les Français l'inquiétaient au dehors. Il les attaqua, et leur fit -éprouver d'abord quelques pertes. Son triomphe ne fut pas de longue -durée; car, peu de temps après, au moment où il s'y attendait le moins, -nos troupes fondirent sur son camp, et massacrèrent la moitié de son -armée. Il ne dut la vie qu'à l'agilité de son cheval. Le danger qu'il -courut alors parut si imminent aux Arabes, qu'ils pensent tous que leur -chef est muni d'un talisman qui le met à l'abri des balles. Ce revers, -loin d'abattre son courage, ne fit que l'augmenter. Il attaqua les -Français pendant l'expédition de Mascara. Vaincu pour la seconde fois, -il se replia sur Tlemcem, qu'il quitta bientôt, à l'approche de l'armée -française, emportant avec lui ce que la ville contenait de plus -précieux. Menacé dans la dernière retraite qu'il s'était ménagée à -Tekedempt, il n'eut d'autre moyen de relever sa fortune que de faire la -paix. Des négociations s'ouvrirent aussitôt: le traité de la Tafna en -fut la suite. Nos troupes abandonnèrent Mascara et Médéah; Tlemcem fut -rendue à l'émir. Celui-ci devait, en retour, fournir à nos troupes des -boeufs, de l'orge et du blé, tandis qu'il en recevrait deux cents fusils -et mille quintaux de poudre. Pendant qu'il traitait avec la France, les -tribus de l'intérieur se soulevèrent de nouveau contre son autorité: il -profita de la trêve pour les faire rentrer sous le joug. Sa gloire ne -fit que grandir dans toutes ces campagnes qu'il termina à son avantage. -Il a soumis les Oueuseris, les Ziben, les Ghronat, et beaucoup d'autres -tribus contre lesquelles avaient échoué les efforts réunis de plusieurs -beys. Il a bloqué pendant huit mois son redoutable rival Tedjini (le -lion du désert) dans son inaccessible tanière d'Ain-Mahdin, que trois -beys ont vainement assiégée. Il s'en empara en sacrifiant à cette -conquête stérile ses trésors et ses sujets. Son armée fut réduite de -moitié par les périls du siège, et la perte lui fut d'autant plus -sensible, qu'il comptait dans ses rangs un grand nombre de déserteurs -français. - -On lui doit la justice de dire qu'il est digne de commander aux Arabes. -Il a tout ce qui constitue le chef de gouvernement: la fermeté, la -prudence, la bravoure, l'intelligence, l'activité. Son intérieur répond -à son costume. Toutes ses habitudes trahissent une indifférence profonde -à l'endroit des biens de la terre. Il habite rarement la ville. Son -douair est à quelques milles de Tekedempt. Lui et sa famille campent -sous une tente assez vaste et d'une élégante simplicité. C'est là qu'il -donne audience et réunit son conseil. Tout ce qui touche à -l'administration passe par ses mains, et il n'appose son sceau sur -aucune lettre avant de l'avoir lue. Rien n'échappe à sa vigilance; mais -il ne traite les affaires sérieuses qu'après avoir consulté ses -ministres. Voici l'emploi ordinaire de sa journée: il sort de son -habitation vers neuf heures, pour se rendre à la tente d'audience. Après -une courte prière, il s'entretient avec ses conseillers, puis il -explique le Koran au peuple jusqu'au _dhoour_ (une heure d'après-midi); -il fait alors une nouvelle prière à haute voix, à laquelle s'associent -les assistants; puis il rentré sous la tente, où il se livre, jusqu'au -coucher du soleil, aux soins administratifs. Après le _meraoub_ (coucher -du soleil), il tient conseil, fait sa correspondance, médite le livre -saint, et enfin se couche. Il est à remarquer que, depuis le matin, il -reste immobile sous sa tente, assis à l'orientale, les jambes croisées. -Il ne prend aucune nourriture pendant tout ce temps, quoiqu'il ne cesse -point de parler, de crier et de lire. Ses repas se composent -ordinairement de couscoussou. Abd-el-Kader se couche ordinairement à -minuit pour se lever à quatre heures. A moins qu'il ne voyage ou ne -fasse la guerre, il ne change rien à l'emploi de sa journée. Quand les -affaire de son gouvernement l'exigent, il se retire à une heure avancée -de la nuit, car il ne lève jamais la séance sans terminer les affaires -qui lui sont présentées; dans ce cas il consacre à la prière et à la -lecture une partie de ses heures de repos. - -Il fuit l'éclat et le luxe extérieurs. Le service de sa maison est fait -par douze esclaves, qu'il a achetés avec sa propre bourse. Il ne -détourne jamais rien à son profit des fonds affectés aux services -publics; il s'en considère comme l'administrateur, et non comme le -propriétaire. Ses dépenses sont prélevées sur les revenus de terres -qu'il fait cultiver dans l'intérieur. Le patrimoine de son père suffit à -ses besoins domestiques. L'émir manque quelquefois d'argent, et je l'ai -vu vendre une de ses négresses pour couvrir les dépenses de sa famille. - -Abd-el-Kader est souvent visité par des musulmans, qui le consultent sur -leurs intérêts et paient ses conseils. Il reçoit tout ce qu'on lui -offre; mais cet argent passe presque aussitôt entre les mains des -indigents qui assiègent sa tente. Un jour il leur donna son burnous et -une de ses chemises. Chaque fois qu'il sort, une foule innombrable se -précipite sur ses pas, le presse et baise tour à tour ses mains, ses -épaules et ses habits: on l'empêche même d'avancer; alors les _tchiaoux_ -(espèce de gardes du corps) s'arment de bâtons et ouvrent un passage à -leur souverain en chassant le peuple devant eux. «Que faites-vous? -s'écrie l'émir; qui vous a ordonné de battre ces croyants? Sont-ce des -chrétiens? Laissez-les, puisque je ne me plains pas.» - -Tous les cadeaux que le gouvernement français offrit, dans le temps, au -sultan, et qui consistaient en tapis, sabres, pistolets, fusils, -services de porcelaines, etc., etc., sont restés peu de temps chez lui; -il les a envoyés à l'empereur de Maroc en échange de quelques quintaux -de poudre. Son intérieur est moins soigné que celui des Arabes aisés. Le -douair ne se compose que de deux grandes tentes en poil de chèvre noir -et de six autres plus petites. Une palissade de branches sèches et un -petit mur en pierres font le tour du douair. La famille de l'émir se -compose de sa mère, de sa femme, de sa fille et des esclaves. Il aime -beaucoup sa femme, à qui il n'a pas voulu donner de rivale, -contrairement à la coutume des Arabes, qui ont quelquefois jusqu'à -quatre femmes légitimes. Sa vénération pour si mère est inexprimable; il -n'est pas de soins qu'il ne lui prodigue. C'est une femme de -soixante-dix ans à peu près, et d'un naturel maladif. Elle est fille -d'Alonet, de la province d'Elzeris. Elle est venue retrouver son fils à -la mort de son époux Mahydin, qui fut empoisonné il y a quelques années. -Abd-el-Kader avait un fils qui mourut à l'âge de cinq ans, lors de la -signature du traité de Tafna. La mort de l'héritier de sa puissance -l'attriste beaucoup, et il y pense sans cesse. Depuis, il a reporté -toute son affection sur sa tille, qui compte à peine une douzaine de -printemps. - -La femme de l'émir est née dans la province de Mascara, d'un négociant -nommé Sidi-Kratir. A l'époque dont je parle, elle pouvait avoir de -vingt-sept à vingt-huit ans; sa peau est d'une blancheur éblouissante; -ses yeux sont grands et expressifs; elle a la taille élancée, le pied -petit, les traits assez jolis; son caractère est doux et affectueux. Je -suis sûr que les prisonnières qui sont attachées à sa personne doivent -être bien traitées. Elle est très-curieuse des coutumes françaises. Son -costume est modeste comme celui des musulmanes d'Alger: elle emploie -rarement le velours et la soie; soit modestie, soit condescendance pour -son mari, elle leur préfère la percale et la laine. Ses bras sont ornés -le plus souvent de deux bracelets en argent, et elle porte aux pieds des -anneaux de ce métal. Ses oreilles sont encadrées dans de lourds pendants -en or; elle ceint quelquefois sa tête d'un foulard de soie, mais elle ne -porte point de diadème comme le veut la mode d'Afrique. Une ceinture de -laine complète sa toilette. - -Cet homme, qui vit sous la tente avec sa famille comme un patriarche de -l'antiquité, qui semble faire consister sa gloire à fuir l'éclat et la -représentation, est le chef d'un immense empire. Abd-el-Kader, que nous -appelons le sultan des Arabes, et qui reçoit de ces derniers le titre -d'émir des croyants, étend son administration de l'est à l'ouest, depuis -le Ziben jusqu'à la Tafna, qui sépare Tlemcem du royaume de Fez. Du nord -au sud, depuis nos limites jusque dans le désert, au Ghronat, il a six -kalifats qui administrent en son nom une population de quatre à cinq -cents mille individus. Ses revenus ne s'élèvent guère qu'à 4,000,000 de -francs. Il lève encore quelques impôts dans les tribus qui ne -reconnaissent pas son autorité. - -En développant, autant qu'il m'a été permis de le faire, le caractère de -l'émir, j'ai parlé, je crois, de sa fidélité à sa parole. Que ses -intérêts soient compromis ou lésés, il tient toutes ses promesses. -«J'aurais du le prévoir, dit-il, et ne pas m'engager follement.» Mais -lorsqu'il s'agit des chrétiens, c'est bien différent: il signe des -traités auxquels il manque sans scrupule. Il s'appuie sur ce précepte du -Koran: Employez tous les moyens en votre pouvoir, mettez en jeu toutes -vos ressources pour détruire les infidèles. Le traité de la Tafna est la -preuve éclatante de ce qu'il fera plus tard s'il arrive à la France de -pactiser encore avec lui. Son inimitié pour les Français durera autant -que sa vie. Voici ce qu'il me dit avoir écrit autrefois au commandant de -la division, après la prise de Chercheh: «Mande à ton sultan qu'il -cherche vainement à m'atteindre; il n'y parviendra jamais. Je n'ai point -de ville où siège ma puissance; je n'ai pas de trésor; mon gouvernement -est à dos de chameau. Quand tu marcheras vers un lieu où je serai, -j'irai plus loin; quand tu me poursuivras, j'irai plus loin encore, et -toujours, jusqu'au désert. De là, je défierai toutes les armées de la -terre, mais je ne le perdrai pas de vue; je serai toujours à tes -trousses, et je ne déposerai pas mes armes, quand j'en serais réduit à -combattre seul.» A cette constance dans sa haine, Abd-el-Kader joint -aussi la ruse instinctive de l'Arabe. Il a toujours refusé les secours -de ses voisins: l'empereur de Maroc lui a souvent proposé d'envoyer à -son aide son fils aîné avec dix mille hommes; il lui a fait répondre -qu'avec l'aide de Dieu et du Prophète, il se tirerait d'affaire sans le -secours de personne; mais il accepte toutes les munitions qu'on lui -envoie. J'ai vu arriver à Tekedempt plusieurs convois de poudre: -l'empereur n'était alors que le commissionnaire de l'émir; celui-ci -payait les caravanes, et ne faisait de nouvelles demandes que lorsqu'il -avait réuni les fonds nécessaires. Les deux milles fusils jetés à -Milianah en 1838 avaient été débarqués à Titouan. L'émir est aussi en -relation avec des Européens qui le visitent _incognito_, et vont faire, -pour son compte, des achats d'armes et de munitions; ces objets sont -déposés à Gibraltar, et de là on les dirige sur divers points du Maroc. - -En campagne, l'émir emploie la ruse lorsqu'il voit l'ardeur des Arabes -se ralentir. Ainsi il fit, dans le temps, courir le bruit que la France -était en guerre avec l'Angleterre, que nous ne pouvions nous maintenir -en Afrique, et que le moment était venu de fondre sur nous. Ce sont des -insinuations de ce genre qui ont provoqué l'attaque de Mazagran. - -Les populations sont, en général, lasses de la guerre; il est arrivé -souvent que des récoltes entières ont été détruites, soit par les -colonnes françaises, soit par les cavaliers arabes. La misère est à son -comble dans les parties dévastées, et l'émir ne sait quelquefois où -donner de la tête: il vit au jour le jour, et ne parvient à satisfaire -ses besoins les plus urgents qu'en faisant irruption à main armée dans -les tribus, sous le prétexte le plus frivole. Les troupes régulières ne -touchent pas exactement leur solde, dans ces cas-là; et les volontaires, -ou du moins ceux qu'on force de marcher sous cette dénomination, -appauvris par les exactions des kalifats et par les ravages de l'ennemi, -désespérés d'abandonner leurs foyers et leurs femmes pour suivre l'émir -dans ses courses ne marchent qu'avec dégoût à la guerre. Notre tactique -les éblouit, du reste; ils redoutent surtout les chasseurs d'Afrique et -l'artillerie: un escadron de cavalerie et une pièce de canon feraient -fuir des nuées de bédouins, qui viendraient peut-être tomber sans pâlir -sous le feu d'un bataillon carré. - -Les kalifats ne sont pas tous entièrement attachés à l'émir: El-Berkam -kalifat de Médéah ne paie jamais de sa personne, et n'inspire pas une -grande confiance à son maître; celui de Mascara, -Hadji-Mustapha-Ben-Thamy, est mou et paresseux comme un Turc; -Bou-Hamidy, kalifat de Tlemcem, et Ben-Allel (4), kalifat de Milianah, -sont les seuls homme» sur lesquels Abd-el-Kader puisse compter. Le -premier, intrépide guerrier et le meilleur cavalier de la régence, -gouverne brutalement ses tribus; comme Tarquin, il fait tomber les plus -hautes têtes, et la terreur qu'il inspire est égale à la haine qu'il -nous porte. Le second emploie à peu près les mêmes moyens, mais il -éprouve une grande résistance dans la tribu des Ouenseris, qui, -retranchée sur sa montagne inaccessible, défie de là ses sanglantes -fureurs. - - [Note 4: Ben-Allel est le même qui a trouvé la mort dans le combat - livré récemment par la division du général Tempoure.] - -Observateur comme tous les Arabes, Abd-el-Kader dépeint lui-même en -quelques mots le caractère de ses lieutenants: - -«Berkany, dit-il, me craint, mais ne craint pas Dieu; - -«Ben-Allel craint Dieu et me craint; - -«Ben-Thamy craint Dieu, mais ne me craint pas; - -«Bou-Hamidy ne me craint pas plus que Dieu.» - -Entre, autres bonnes fortunes, je fus invité un jour par le premier -ministre, Sidi-el-Kraroubi, à un grand dîner que l'émir donnait aux -chefs de son armée. Les hostilités étant près de commencer, Abd-el-Kader -voulut inaugurer la campagne par une revue générale des troupes; il les -avait rassemblées à Tekedempt, dans le but de les diriger ensuite vers -les lieux qu'il avait à défendre. Le repas était le prélude de la -solennité militaire. Dès que j'arrivai dans sa tente, l'émir porta la -main à son coeur et à sa tête; je m'inclinai, suivant l'usage, en lui -disant: «Tu es aussi bon pour moi que grand pour tes sujets.» Mon -compliment le fit sourire; il m'indiqua du doigt la salle, où nous -trouvâmes la table préparée: quand je dis la table, c'est par habitude, -car les plats étaient étalés sur le sol; nous prîmes place tout autour -en assez grand nombre. L'émir seul reposait sur un coussin; quant à -nous, nous fîmes ce que font nos soldats en campagne; la terre nous -servit de siège, et nous dévorâmes le dîner avec un appétit qui enchanta -Abd-el-Kader. - -Comme il n'est pas ordinaire de prendre part au repas d'un Arabe, et -encore moins à un festin d'apparat donné par le sultan, j'observai -attentivement les plats qui nous furent offerts, et la manière dont le -service s'exécutait. Autour du cercle que nous formions, se tenaient -debout plusieurs Bédouins à l'air rébarbatif, dont les fonctions -consistaient à enlever les débris des mets à mesure que les convives -paraissaient y renoncer. Le service se composait d'un boeuf coupé en -deux parties égales, et placées à chaque bout de la table, de deux -agneaux et de deux béliers rôtis tout entiers, et qu'on avait -symétriquement arrangés sur le sol. Le couscoussou, quelques crêpes -faites avec de l'huile et de la farine, du lait et du miel, qui, par -parenthèse, étaient excellents, formaient l'accompagnement obligé de ces -immenses édifices de viande encore saignante. Au dessert, nous eûmes -quelques figues de Barbarie d'une fadeur rebutante, puis on nous versa -du café bien noir dans de mauvaises écuelles de bois. Du reste, pas de -serviettes, pas de fourchettes, par de cuillers! c'est un luxe auquel -les Arabes ne sont pas encore faits. Les yatagans servaient à dépecer, -et nous déchirions avec nos ongles les morceaux de chair mal coupés. -C'est à peine s'ils connaissent les assiettes, et encore les petits -morceaux de bois à peine polis sur lesquels nous étendîmes le miel ne -méritent guère ce nom, quoique servant au même usage. - -Tel était le menu de ce magnifique festin, qui fut servi au son des -instruments. Je ne manquai pas de remarquer qu'il était loin de valoir -le plus mauvais dîner dans la plus mauvaise gargote du plus mauvais -village de France; que la viande des animaux était brûlée à l'extérieur -et à peine cuite à l'intérieur; que le cuisinier de l'émir n'était pas -plus fort en cuisine que ses artistes en musique; mais, comme la faim -criait haut et ferme, je n'hésitai pas à la satisfaire; elle me fit même -trouver le dîner moins détestable qu'il ne l'était réellement, tant il -est vrai que l'appétit assaisonne tout! Abd-el-Kader prit sans doute ma -_razzia gastronomique_ pour un hommage rendu à son office, tandis que -tout l'honneur en revenait à mon appétit. J'avais enduré dans la même -journée les deux plus grands supplices qui puissent être infligés à un -homme raisonnable, savoir; un concert d'amateurs et un repas à la -fortune du pot. - -Dieu vous garde, ami lecteur, de pareil repas et de pareil concert! - -Quand tout le monde eut bien dîné, l'émir se leva, et chacun suivit son -exemple. On amena des chevaux à l'entrée de la tente, et nous allâmes -voir évoluer les troupes. - -_(La suite à un prochain numéro.)_ - - - [Partition musicale.] - - ENTRE PISE - ET FLORENCE. - - Paroles de M. Philippe BISONI. - Musique de Gustave RIQUET. - - Entre Pise et Florence - Aux vergers d'Empoli - Vois la nuit qui s'avance - Car le jour a pâli. - - Étranger quelle belle - Languis-tu? Languis-tu de revoir? - Entre sous ma tonnelle - Si riante le soir. - - Écoute rien n'égale - Mon raisin del Bosco - Mes pommes de finale - Mon Aléatico. - - Mais à la fille étrusque - Qui rougissant sourit - L'ingrat jette un mot brusque - par Satan même écrit. - - Ah voyageur prends garde - Prends garde voyageur - La Madone regarde - Elle a vu ma rougeur. - - Adieu la nuit s'avance - Adieu la nuit s'avance - Te voilà sous sa main - Te voilà sous sa main. - - Et long est le chemin - Entre Pise et Florence - Long est le chemin - Entre Pise et Florence. - - - -Bulletin bibliographique. - -_Histoire de France_, Louis XI et Charles le Téméraire, par M. MICHELET. -Tome VI, 1 vol. in-8 de 500 pages.--Paris, 1844. _Hachette_. 7 fr. 50. - -M. Michelet, trop longtemps méconnu, commence enfin à être apprécié à sa -juste valeur, en France, les nombreux admirateurs de son beau talent, -qui ne peuvent pas trouver place dans l'amphithéâtre trop petit du -collège de France, attendent avec la plus vive impatience la publication -de ses leçons. A chaque nouveau volume de l'_Histoire de France_, le -succès, d'abord faible et incertain, se consolide et grandit. De Paris, -où elle a pris naissance, la réputation de l'éloquent professeur s'est -répandue dans les départements, puis elle a franchi le Rhin, traverse -les Alpes, passe le détroit; l'Allemagne, l'Italie et l'Angleterre -étudient et admirent M. Michelet, autant et plus peut-être que la -France. Deux des revues trimestrielles de la Grande-Bretagne, la -_Foreign and British Review_ et l' _Edinburgh Review_, viennent de lui -consacrer (faveur bien rare), dans leurs derniers numéros, deux longs -articles. Les critiques anglais, de même que les critiques allemands, -déclarent et prouvent en même temps que M. Michelet mérite d'être placé -au premier rang parmi les historiens contemporains. - -Ce grand et légitime succès tient à plusieurs causes. M. Michelet réunit -en effet de nombreuses qualités qui, séparées, suffiraient encore pur -faire la fortune d'un historien. Savant et poète tout à la fois, il a -l'érudition patiente d'un bénédictin et l'imagination vive et hardie -d'un artiste. De plus, il est philosophe; en d'autres termes, il ne se -contente pas d'essayer de nous représenter la vie du passé telle qu'elle -fut réellement, il cherche à la comprendre, il veut nous en révéler le -véritable sens. Enfin, et ce n'est pas son moindre mérite, il -n'appartient pas à cette catégorie d'écrivains qui fabriquent des -ouvrages historiques à la douzaine, soit pour s'enrichir aux dépens du -public trompé, soit pour faire acheter par des ministres corrupteurs -leur plume vénale. L'histoire, tel a été, tel sera le noble but de sa -vie entière. En vain on lui offrirait l'autorité et les honneurs dont -tant d'autres hommes distingués sont si avides, il les refuserait. -Servir son pays, en lui apprenant à connaître le passé et en lui -montrant les grands enseignements qu'il contient, voilà toute son -ambition, et cette ambition, heureusement pour la France et pour lui, il -a eu la gloire de la satisfaire. - -M. Michelet a, qu'on nous permette cette expression, les défauts de ses -qualités: il est parfois trop savant, trop poète et trop philosophe. -Ici, il donne une importance exagérée à des détails qu'il devrait, sinon -ignorer, du moins négliger; là, son esprit aventureux l'emporte hors des -bornes de la raison et du bon goût; plus loin, il se laisse entraîner, -par son désir de tout expliquer, dans d'incompréhensibles rêveries. Du -reste, si bizarres que soient ses pensées, quelque forme étrange qu'elle -revêtent, il ne cesse jamais de tenir son lecteur sous le charme -fascinateur de son génie. On critique, mais on admire ces écarts -extraordinaires qui dénotent un esprit vigoureux, doué des plus -éminentes facultés. L'éloge suit toujours le blâme, et, la lecture -achevée, le sentiment qu'elle ne peut manquer de faire naître est une -admiration passionnée. - -Le volume que vient de publier M. Michelet,--Louis XI et Charles le -Téméraire,--le tome sixième de cette grande histoire de France en douze -volumes qu'il a entreprise et qu'il terminera bientôt, nous semble -d'ailleurs supérieur encore à ceux qui l'ont précédé. Parvenu à une -époque mieux connue, M. Michelet ne peut plus se livrer aussi souvent à -sa malheureuse passion pour les symboles; force lui est de croire à des -faits dont l'authenticité ne saurait être sérieusement révoquée en -doute. Le poète le plus hardi n'osera jamais métamorphoser en mythes -Louis XI et Charles le Téméraire. Le style est aussi plus grave, plus -égal, moins saccadé. Bien que certains chapitres y occupent peut-être -une trop grande place, l'ensemble de ce volume paraît plus complet et -mieux proportionné. - -Cette lutte terrible de la royauté et de la féodalité, représentée, -l'une par Louis XI, et l'autre par Charles le Téméraire, M. Michelet l'a -admirablement comprise et racontée. On la lit, depuis l'avènement de -Louis XI jusqu'à sa mort, avec tout l'intérêt d'un des plus beaux -chefs-d'oeuvre de Walter Scott. Que de péripéties imprévues et -sanglantes viennent chaque année en retarder le dénoûment fatal! D'abord -la Ligue du Bien public. Cette contre-révolution Féodale qui s'oppose à -la révolution royale; puis la guerre des Roses, le sac de Dinant, -l'entrevue de Péronne, la destruction de Liège, les exécutions de -Jacques d'Armagnac, de Saint-Pol et de Nemours, l'empoisonnement du duc -de Guienne, les sièges de Beauvais et «de Neuss, la descente anglaise, -les batailles de Granson, de Morat et de Nancy, le mariage de Marie de -Bourgogne et de Maximilien d'Autriche... M. Michelet résume, ainsi le -dénoûment de ce grand drame: - -«Tout allait bien pour Louis XI, il était comblé de la fortune; -seulement il mourait. Il le voyait, et il semble qu'il se soit inquiété -du jugement de l'avenir. Il se fit apporter les chroniques de -Saint-Denis, les voulut lire, et sans doute y trouva peu de chose. Le -moine chroniqueur pouvait encore moins que le roi, distinguer, parmi -tant d'événements, les résultats du règne, ce qui en resterait. - -«Une chose restait d'abord, et fort mauvaise, c'est que Louis VI, sans -être pire que la plupart des rois de cette triste époque, _avait porté -une plus grave atteinte à la moralité du temps_. Pourquoi? il réussit. -On oublia ses longues humiliations, on se souvint des succès qui -finirent; on confondit l'astuce et la sagesse. Il en resta pour -longtemps l'admiration de la ruse et la religion du succès. - -«Un autre mal très-grave, et qui faussa l'histoire, c'est que la -féodalité, périssant sous une telle main, eut l'air de périr victime -d'un guet-apens. Le dernier de chaque maison resta le bon duc, le bon -Comte. La féodalité, ce Vieux tyran caduc, gagna fort à mourir de la -main d'un tyran. - -«Sous ce règne, il faut le dire, le royaume, jusque-là tout ouvert, -acquit ses indispensables barrières, sa ceinture de Picardie, Bourgogne -et Roussillon, Maine et Anjou. Il se ferma pour la première fois, et la -paix perpétuelle fut fondée pour les provinces du centre.» - -En mettant en vente ce sixième volume, l'éditeur des ouvrages de M. -annonce que les tome VII et VI sont sous presse et qu'ils paraîtront -prochainement. - -M. J. - - -_Encyclopédie des Chemins de Fer et des machines à vapeur_, à l'usage -des praticiens et des gens du monde; par Félix TOURNEUX, ingénieur, -ancien élève de l'École Polytechnique. I vol--1844. _Jules Renouard_. - -Le titre d'encyclopédie, dans le sens académique du mot, est trop -général pour l'ouvrage de M Félix Tourneux; aussi l'a-t-il restreint en -indiquant qu'il ne traitait que des chemins de fer et des machines à -vapeur. Acceptons-le donc dans ses limites, et voyons comment M. -Tourneux s'est tiré de la tache immense s'était imposée. On n'attend pas -de nous une analyse de cet ouvrage. En effet, si quelque chose se refuse -à l'analyse, c'est un livre de cette forme, un dictionnaire où l'on peut -aller chercher l'explication du terme qui embarrasse, du phénomène dont -on ne s'explique pas les causes. - -Les deux plus grandes inventions industrielles des temps modernes sont -sans contredit la machine à vapeur comme agent, et la locomotion rapide -comme effet. De la première datent les grands progrès dans toutes les -branches manufacturières, dans l'exploitation des mines, dans -l'alimentation et l'assainissement des villes. Les chemins de fer, qui -ne sont encore qu'à leur aurore, ont déjà réalisé des merveilles, et -l'esprit se perd à suivre jusque dans leurs dernières conséquences les -résultats probables de leur emploi. Il était donc important de fixer dès -à présent l'état de la science, de poser pour ainsi dire un jalon qui -pût, par la suite, servir de terme de comparaison pour constater le -progrès et l'amélioration. D'ailleurs, dans notre temps de paix, la -langue industrielle, la langue des travaux publics doit être à la portée -de tous, et rien ne pouvait être plus utile, pour la vulgariser, qu'un -livre qui en donnât les éléments, et permît à chacun et à tous -d'employer les termes propres en connaissance de cause. Vous dire si -l'ouvrage est complet nous paraît impossible: l'auteur doit le savoir -mieux que nous, et probablement il prépare déjà les matériaux d'une -édition plus complète, si tant est qu'il ait omis quelque chose. Ce que -nous pouvons dire, c'est que nous nous sommes imposé la tache de trouver -l'auteur en défaut, que nous avons cherché tous les mots de la langue -des travaux publics qui nous sont venus à l'esprit et toujours nous -avons trouvé le mot cherché, et, avec ce mot, une explication claire, -succincte et complète; une explication telle qu'aux praticiens elle -rappelle en quelques lignes les notions qui peuvent les intéresser, et -qu'aux gens du monde elle donne la définition limpide d'un terme -technique trop souvent inintelligible pour eux, et la solution qu'ils -auraient en vain cherchée ailleurs. - -Vous ne pouvons mieux terminer qu'en transcrivant ce que dit l'auteur -lui-même de l'esprit qui l'a guidé dans la rédaction de son livre: -«L'auteur est du nombre de ceux qui pensent que jamais, et sur quoi que -ce soit, l'humanité ne donnera son dernier mot. Peut-être la machine à -vapeur et les chemins de fer ont-ils tracé à l'industrie une voie dans -laquelle elle demeurera longtemps. Peut-être, au contraire, doivent-ils -céder la place à d'autres agents de production et de mouvements plus -énergiques encore inconnus à cette heure. Quel que soit leur avenir, ils -auront contribué pour une forte part au progrès de la puissance morale -et matérielle de l'homme dans la génération présente; ils auront été une -manifestation nouvelle de la faculté que Dieu a mise en nous de -développer et d'étendre à notre profit les oeuvres, immortelles de sa -création.» - -P. T. - - -_La France statistique_; par M. Alfred LEGOYT, sous-chef du bureau de -statistique au ministère de l'intérieur.--I vol. in-8. _Guillaumin_. - -L'ouvrage qui fait l'objet de cet article se recommande principalement -par son utilité pratique. «Les documents officiels, s'est dit l'auteur, -ne reçoivent qu'une publicité très-restreinte, et souvent même ne -sortent pas de l'administration qui les a recueillis. D'un autre côté, -on ne saurait les étudier avec succès, sans avoir sur les matières -qu'ils embrassent des connaissances préliminaires assez étendues; -quelquefois ils laissent à désirer pour l'ordre et la clarté; enfin, ils -ne se relient point entre eux, parce qu'ils ne sont pas le fruit d'une -pensée commune et unitaire. Un livre qui présenterait une analyse -suffisamment détaillée de ces documents, qui les disposerait -méthodiquement et! les développerait par un texte explicatif et -supplétif, ce livre rendrait certainement un service signalé à -l'économiste, au publiciste, à l'homme politique et à l'administrateur.» - -Tel est le but que s'est proposé M. Legoyt. - -Son livre est divise en deux parties: les _tableaux_ et le _texte_. Les -tableaux, au nombre de vingt environ, embrassent tous les documents qui -composent la statistique générale du royaume. Voici l'analyse succincte -des plus importants: - -1° _Population du royaume d'après le recensement de 1811_. Ce tableau -comprend le chiffre des habitants par département, leur subdivision par -sexe et par état civil et leur répartition en agglomérés et non -agglomérés. Ces deux derniers renseignements sont complètement inédits. -Tout en se référant au dénombrement de 1811, comme le plus récent, M. -Legoyt émet des doutes qui nous paraissent fondés sur la sincérité des -résultats qu'il a produits. On se rappelle, en effet, que cette -importante mesure partagea la défaveur dont fut frappé, à tort ou à -raison, le recensement prescrit par le ministère des finances. Il est -certain, en effet, que l'augmentation de population constatée em 1811 -est inférieure à celle qui a été constatée en 1826, 1834, 1836; et rien -ne saurait justifier, dans l'état de paix et de prospérité où se trouve -le pays, ce temps d'arrêt dans le mouvement de sa population, même en -tenant compte des émigrations pour l'Algérie et l'Amérique du Sud, -pertes largement compensées par de nombreuses immigrations d'étrangers -venant apporter leurs capitaux, leurs bras et leur industrie en France. - -2º _Mouvement de la population_. Naissances, décès, mariages. -_Naissances_.--Sous ce titre. M. Legoyt donne le nombre moyen annuel des -naissances légitimes, naturelles, la proportion de ces deux catégories -de naissances pour 1,000 habitants, le rapport des sexes, et le chiffre -des enfants trouvés et abandonnés. Ses calculs ont été faits sur la -période décennale de 1831 à 1840. - -_Décès_. Les subdivisions de l'auteur, relativement aux décès, ne sont -pas moins nombreuses: elles embrassent l'ensemble des renseignements -curieux ou utiles à connaître sur la mortalité en France; nous citerons -surtout celui qui est intitulé: _Tableau des enfants morts-nés ou -décédés avant la déclaration de naissance._. M. Legoyt s'est livré à un -travail fort important sur cette nature de décès. Il est parvenu à -démontrer ce fait remarquable et qui nous paraît devoir exercer une -certaine influence sur la question des enfants-trouvés, c'est que -partout où les tours ont été supprimées et les déplacements effectués, -le nombre des enfants morts-nés a augmenté dans les proportions les plus -considérables; nous renvoyons le lecteur aux développements dans -lesquels l'auteur est entré à ce sujet et à la suite desquels il conclut -que cette augmentation doit être attribuée à des infanticides non -constatés. - -_Mariages_. Le tableau consacré à ce document indique leur nombre moyen -annuel total et leur nombre pour mille habitants, l'âge moyen des -contractants pour les deux sexes et le chiffre moyen des enfants pour -chaque mariage. M. Legoyt a complété ses recherches sur la population -par une nouvelle loi de la mortalité en France, qui nous a paru -s'éloigner beaucoup des résultats de la table de Duvillard, et se -rapprocher, au contraire, de celle de Price, et surtout de celle de M. -de Montferrand. D'après les calculs de M. Legoyt, la durée de la vie -moyenne, en France, serait considérablement accrue depuis un siècle, -puisqu'elle serait aussi longue aujourd'hui pour la population générale -qu'elle l'était du temps de Price, pour des têtes choisies. Mais -l'auteur a soin de nous avertir que les documents officiels sur l'âge -par rapport aux décès ne sont pas assez exacts pour donner à une table -de mortalité un caractère d'authenticité. - -_3º France intellectuelle_--Ce tableau résume les plus récentes -publications des ministères de l'instruction publique et de la guerre, -instruction des conscrits, sur l'état actuel de l'instruction primaire. -Nous aurions désiré que l'auteur eût justifié plus complètement son -titre par une statistique de l'instruction secondaire et supérieure; -mais peut-être son livre était-il écrit avant que la publication de M. -Villemain sur les collèges eût paru; dans ce cas, il serait possible que -les documents lui eussent manqué. - -_4º France morale_.--C'est le bilan de la moralité officielle du pays; -on y voit figurer le nombre annuel des crimes et délits, les modes de -perpétration, l'âge', le degré d'instruction des accusés, des récidives, -le rapport des condamnés aux accusés, des accusés aux crimes commis, la -nature et le chiffre des peines prononcées, rapport des crimes ou délits -poursuivis aux crimes ou délits constatés; enfin l'influence sur le -chiffre des condamnations de l'application des circonstances -atténuantes. L'auteur apprécie encore la moralité de chaque département -sur le nombre annuel des naissances naturelles, des suicides et des -séparation de corps. Ces faits divers, quoique d'une valeur inégale, ont -généralement un grave intérêt. Ils se complètent d'ailleurs l'un par -l'autre. - -_5º France financière et industrielle._--Ce tableau se divise en deux -parties: dans l'une on trouve le chiffre des contributions de toute -nature que paie chaque département; dans l'autre, une appréciation de -l'état industriel et du paupérisme en France. Il est à regretter que, -pour cette seconde partie, l'auteur n'ait pu disposer que de documents -remontant déjà à une époque éloignée. - -_6° France judiciaire._--C'est le classement des départements par le -nombre annuel des affaires civiles et commerciales. Les éléments de -cette statistique ont moins d'intérêt qu'on devrait s'y attendre. Ils -n'établissent pas nettement, en effet, ce qu'on y cherche tout d'abord, -si le nombre des affaires est en rapport avec la population et le -chiffre des contributions. On aurait, en outre, besoin de connaître, non -pas seulement le nombre, mais encore l'importance des affaires. Une -pareille recherche présente sans doute de graves difficultés car il y a -des procès où l'évaluation en argent des intérêts qui y sont engagés ne -peut être que très-hypothétiquement établie. Nous ne croyons pas -toutefois cet obstacle insurmontable, et avec un peu de résolution et de -constance, l'administration pourra enrichir de ce document ses -statistiques judiciaires. - -_7º France politique_--Nous n'avons trouvé nulle part encore une -statistique électorale de la France; la _France statistique_ nous la -donne aussi complète que possible. Ce tableau, emprunté aux sources -officielles, indique le chiffre des électeurs politiques départementaux -et communaux; il contient en outre, des renseignements détaillés sur le -_maximum_, le _minimum_, et la moyenne des divers cens électoraux. - -_8º France militaire:_--M. Legoyt a donné ce titre à une série de -documents sur les ressources que le contingent annuel, les réserves, -l'effectif de l'armée, et la garde-nationale pourraient offrir au pays, -en cas de conflit extérieur. Parmi ces documents, il en est un que nous -croyons inédit et qui a une véritable importance. C'est le nombre total -des gardes nationaux mobilisables, d'après le recensement prescrit par -le gouvernement, après la signature du traité du 13 juillet. - -_9º France physique._--Les éléments de ce tableau sont puisés, comme -ceux du précédent, dans les excellentes publications du ministère de la -guerre; les départements y sont classés d'après le nombre des soldats -valides qu'ils fournissent au recrutement, par rapport au chiffre -demandé. Rien de plus curieux et de plus instructif à la fois que -l'énumération des diverses maladies et infirmités qui, dans chaque -département, ont été des causes d'exemption. Il y aurait un sujet -d'études d'une haute portée dans le rapprochement l'état _pathologique_ -des diverses localités avec leur situation topographique, les causes -d'insalubrité et l'état du paupérisme. - -_10º France territoriale et agricole._--Il était difficile de présenter, -sous une meilleure forme et dans un cadre plus habilement disposé, les -volumineuses publications du ministère du commerce sur l'agriculture en -France. Étendue du domaine arable, constitution du sol, nature, qualité, -prix des produits de toute espèce, rapport des produits aux semences, -importance moyenne annuelle des récoltes, animaux domestiques destinés à -l'agriculture ou à la consommation, etc., M. Legoyt n'a rien oublié de -ce qui peut faire apprécier jusque dans ses moindres détails cette -première branche de la richesse nationale. - -_11° Consommation annuelle par individu_--Ce tableau, qui clôt la -première partie de l'ouvrage, n'est pas moins digne d'attention que les -précédents. Comme le titre l'annonce, il assigne pour chaque individu et -par département, la mesure de sa consommation en blé, viandes et -poissons. - - [Note du transcripteur: Le reste de cette colonne, soit environ 20 - lignes, est illisible dans le document qui nous a été fourni.] - - - -Modes.--Travestissements. - -[Illustration.] - - - -SOLUTION DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS LE DERNIER NUMÉRO. - -I. Supposons que ces trois objets soient un anneau, un étui et un gant. -Affectez mentalement la lettre A au premier objet, la lettre E au -second, la lettre I au troisième. - -Donnez aussi par la pensée des numéros aux trois personnes: l'une -portera le n° 1, une autre le nº 2, la troisième le nº 5. - -Prenez 24 jetons et donnez 1 jeton à la première personne, 2 à la -seconde, 5 à la troisième; puis, laissant les 18 autres jetons à la -disposition de ces personnes, retirez-vous à l'écart en les invitant à -prendre chacune un des trois objets et une partie des jetons que vous -avez laisses, de manière que celle qui aura l'anneau prenne autant de -jetons que vous lui en avez donné d'abord; que celle qui a l'étui prenne -le double du nombre de jetons qu'elle a reçus; enfin, que celle qui a le -gant prenne, sur le reste des jetons, quatre fois autant de jetons -qu'elle en a reçu de vous. - -Cela fait, regardez le nombre des jetons qui restent sur la table; ce -nombre ne peut être que l'un des six suivants: - - 1 2 3 5 6 7 - -au devant desquels vous mettrez, par la pensée les mots suivants: - -pAh-fEr cEsAr jAdIs dEvInt sI grAnd prIncE - -dont voici l'usage: - -Les deux voyelles A et E, que nous avons mises en capitales dans les -deux mots pAh-fEr, correspondant au chiffre 1, indiquent que lorsqu'il -ne reste qu'un jeton sur la table, c'est la première personne qui a pris -l'anneau (A) et la seconde qui a pris l'étui (E); de sorte que la -troisième a nécessairement le gant. - -On verrait de même que les deux lettres E, A suivant l'ordre où elles se -présentent dans le mot cEsAr, qui correspond à un reste de deux jetons, -indiquent que la première personne a pris l'étui et la seconde l'anneau, -et ainsi de suite. - -II. On sait que l'usage de tenir la pointe du pied en dehors n'a pas -toujours été de rigueur. Il paraît que, dans l'ancienne Rome, on -marchait avec la pointe du pied en avant, sans l'incliner en dehors plus -qu'en dedans. Parmi les Orientaux, au contraire, la dignité de la -démarche exige une position de jambe qui passerait pour ridicule -aujourd'hui chez les nations civilisées.--On peut en dire à peu près -autant de la démarche des grands personnages du dix-septième et du -dix-huitième siècle, telle que nous la représentent les dessins de -l'époque. - -Cependant on ne peut disconvenir que l'équilibre du corps ne devienne -plus stable dans la marche ordinaire ou dans la station, lorsque la -pointe du pied est tournée modérément en dehors. C'est un fait -d'expérience journalière que chacun peut vérifier à chaque instant. -Montuela, géomètre distingué du siècle dernier, raconte avec une -bonhomie pleine de sens qu'il a cherché à confirmer ce fait par le -calcul, et à justifier par les lois de la mécanique l'idée de grâce que -nous attachons à l'usage de nous tenir avec les pieds en dehors. Voici -comment il a résolu le problème: Il pose dans le cinquantième numéro de -notre journal. - -L'équilibre du corps sera d'autant plus stable que la base comprise -entre les points d'appui que nos pieds lui offrent sur le sol sera plus -considérable, car la verticale qui passe par notre centre de gravite -tombera plus difficilement en dehors de cette hase. Il s'agit donc, -étant donnée la position des talons, de chercher l'inclinaison la plus -avantageuse de la ligne médiane des pieds, pour que la surface de la -base qu'ils déterminent soit la plus grande possible. Or, ceci devient -un problème de géométrie dont l'énoncé serait le suivant: _Deux lignes -AD, BC, égales et mobiles sur les points A et B comme centres étant -données, déterminer leur position lorsque le quadrilatère ou trapèze -ABCD sera le plus grand possible._ Ce problème se résout avec la plus -grande facilité par les méthodes connues des géomètres pour les -problèmes de ce genre, et l'on déduit de cette solution la construction -suivante. - -[Illustration.] - -Sur la ligne Ad, égale à AD ou BC, faites le triangle isocèle HI; -ensuite, avant pris AI égal à AG ou un quart de AB, tirez la ligne KI et -prenez IE égale IK; puis sur GE élevez une perpendiculaire indéfinie qui -coupe en D le cercle décrit de A, comme centre, avec le rayon Ad: -l'angle DAE sera l'angle cherché. - -Si la ligne AB, et conséquemment AG ou AI, est nulle, on trouvera que AE -sera égal à AH, et que l'angle DAE sera demi-droit. Ainsi, lorsqu'on a -les talons absolument appliqués l'un contre l'autre, l'angle que doivent -faire ensemble les lignes longitudinales de la plante des pieds est -demi-droit ou bien approchant du demi-droit, à cause de la petite -distance qu'il y a alors entre les deux points de rotation qui sont au -milieu des talons. - -[Illustration.] - -Supposons maintenant que la distance AB est égale à AD, on trouverait, -par le calcul, que l'angle DAE devrait être de 60 degrés. - -En supposant AH égal à deux AD, ce calcul donnera l'angle DAE de 70 -degrés à très-peu près. En faisant AB égal à trois fois la ligne AD, -l'angle DAE se trouvera à bien peu près de 74° 30'. - -Le calcul confirme donc ce fait d'expérience, que les pieds doivent -tendre vers le parallélisme à mesure qu'ils s'écartent davantage, ainsi -que l'habitude reçue de les tourner légèrement en dehors pour un -écartement ordinaire. - - -NOUVELLES QUESTIONS A RÉSOUDRE. - -I. Plusieurs nombres pris suivant leur suite naturelle étant disposés en -rond, deviner celui que quelqu'un aura pensé. - -II. Donner un moyen sûr, au jeu de billard, pour amener la bille de son -adversaire dans une blouse en frappant obliquement cette blouse. - - - -Rébus. - -EXPLICATION DES DERNIERS RÉBUS: - -I. - -Tout ou rien. - -II. - -Tout passe avec le temps. - -III. - -Un grand homme appartient à l'univers. - - -[Illustration: nouveau rébus.] - - - - - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0052, 24 Février -1844, by Various - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0052, 24 *** - -***** This file should be named 43436-8.txt or 43436-8.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/4/3/4/3/43436/ - -Produced by Rénald Lévesque - -Updated editions will replace the previous one--the old editions -will be renamed. - -Creating the works from public domain print editions means that no -one owns a United States copyright in these works, so the Foundation -(and you!) can copy and distribute it in the United States without -permission and without paying copyright royalties. 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