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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-15 02:36:38 -0700 |
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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Histoire parlementaire de France, Volume I. + Recueil complet des discours prononcés dans les chambres de 1819 à 1848 + +Author: François Pierre Guillaume Guizot + +Release Date: January 27, 2009 [EBook #27905] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE PARLEMENTAIRE *** + + + + +Produced by Carlo Traverso, Christine Travers, Rénald +Lévesque and the Online Distributed Proofreading Team at +http://www.pgdp.net (This file was produced from images +generously made available by the Bibliothèque nationale +de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) + + + + + + +</pre> + + + + +<br><br> + +<h2>HISTOIRE</h2> + +<h1>PARLEMENTAIRE</h1> + +<h3>DE FRANCE</h3> + +<h2>I</h2> +<br><br><br> + +<div class="sml"> +<p class="mid">CHEZ LES MÊMES ÉDITEURS:</p> + +<p>MÉMOIRES pour servir à l'histoire de mon temps, par M. Guizot.--2<sup>e</sup> +<i>édition</i>. Tomes I à V. 5 vol.</p> + +<p>L'ÉGLISE ET LA SOCIÉTÉ CHRÉTIENNES en 1861, par M. Guizot. +3<sup>e </sup> <i>édition</i>. 1 vol.</p> + +<p>TROIS ROIS, TROIS PEUPLES ET TROIS SIÈCLES, par M. Guizot. +(<i>sous presse</i>). 1 vol.</p> + +<p>WILLIAM PITT ET SON TEMPS, par <i>lord Stanhope</i>, traduction précédée +d'une introduction par M. Guizot. 4 vol.</p> + +<p>HISTOIRE DE LA FONDATION DE LA RÉPUBLIQUE DES PROVINCES-UNIES, +par <i>J. Lothrop Motley</i>, traduction nouvelle, précédée +d'une grande introduction,--l'Espagne et les Pays-Bas aux xvi<sup>e </sup> et +xix<sup>e</sup> siècles, par M. Guizot.--4 vol.</p> + +<p>LA CHINE ET LE JAPON: mission du comte d'Elgin pendant les années +1857, 1858 et 1859; racontée par <i>Laurence Oliphant</i>. Traduction nouvelle, +précédée d'une introduction par M. Guizot. 2 vol.</p> +<hr> +<br><br> +<p class="mid">PARIS.--IMPRIMÉ CHEZ BONAVENTURE ET DUCESSOIS,<br> +55, QUAI DES AUGUSTINS.</p> +</div> +<br><br><br> + +<p class="mid"><b>Complément des Mémoires pour servir à l'Histoire de mon Temps.</b></p> + +<hr> + +<br><br><br> + +<h2>HISTOIRE</h2> + +<p class="mid"><span class="xlarge"><b>PARLEMENTAIRE</b></span></p> + +<h1>DE FRANCE</h1> + +<h4>RECUEIL COMPLET<br> + +DES DISCOURS PRONONCÉS DANS LES CHAMBRES DE 1819 A 1848</h4> + +<h5>PAR</h5> + +<h2>M. GUIZOT</h2> + +<h3>TOME PREMIER</h3> +<br><br> + +<p class="mid">PARIS<br> + +MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEURS<br> + +RUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15<br> + +A LA LIBRAIRIE NOUVELLE</p> + +<hr class="short"> + +<h4>1863</h4> + +<h5>Tous droits réservés</h5> +<br><br><br> + +<h2>INTRODUCTION</h2> +<hr> + +<h3>TROIS GÉNÉRATIONS</h3> + +<h4>1789-1814-1848.</h4> +<br> + +<p>Les amis de la liberté politique sont tristes, +et les raisons ne manquent pas à leur tristesse. +Peut-être m'est-il permis de dire que j'aurais, +plus que personne, quelque droit de m'y abandonner. +Je suis tombé avec les institutions et +le régime que nous regardions comme le témoignage +et le gage de la liberté politique. Mais +en trouvant la tristesse légitime, je la trouve +excessive et injuste envers notre temps et notre +patrie. Je ne crois pas que la France ait renoncé +à aucune de ses généreuses ambitions, ni qu'elle +ait perdu tout moyen de les satisfaire. J'ai confiance +dans l'avenir de mon pays et de la liberté +politique dans mon pays.</p> + +<p>Je ne me fais point d'illusion. Parmi les amis +de la liberté politique, beaucoup sont découragés, +et ne recommenceraient pas volontiers des efforts +et des luttes dont ils n'espèrent plus la victoire. +D'autres ont reporté sur le régime impérial +leurs espérances, et s'en promettent, dans l'avenir, +les satisfactions libérales qu'ils croient +nécessaires ou possibles. Le public assiste, avec +une indifférence sceptique, aux regrets languissants +des uns et aux lointaines espérances des +autres, uniquement préoccupé des intérêts de +la vie civile et de son repos après tant d'orages.</p> + +<p>A cet état des partis et des esprits se joignent +deux idées qui ne sont pas nouvelles, mais qu'on +travaille plus activement que jamais à accréditer. +On dit qu'après tout, c'est la Révolution française, +ce sont ses principes et ses intérêts généraux +qui triomphent aujourd'hui, et que ce triomphe importe +bien plus à la France que celui de la liberté +politique. On ajoute que, si la liberté souffre, +l'égalité ne souffre point, et qu'entre les conquêtes +de la Révolution, la France tient bien plus à +l'égalité qu'à la liberté.</p> + +<p>Je crois ces deux idées radicalement fausses et +funestes. Je crois l'indifférence publique, en fait +de liberté, plus apparente que réelle et essentiellement +transitoire. Je crois les amis de la +liberté politique appelés à reprendre, dans le pays +et dans son gouvernement, leur influence, et par +conséquent tenus de ne pas se livrer à un découragement +naturel, mais non légitime.</p> + +<p>Ni les considérations morales, ni les exemples +historiques ne me manqueraient pour les rassurer +et les ranimer. Quelle est, dans la vie des +peuples, la grande cause qui n'a pas éprouvé de +cruels revers, passé par de tristes alternatives et +mis des siècles à triompher? Dieu vend cher aux +hommes le progrès et le succès. L'Angleterre et +les États-Unis d'Amérique sont, dans les temps +modernes et chrétiens, les deux nations qui ont le +plus fortement conquis et possédé la liberté politique. +Que n'en a-t-il pas coûté à l'Angleterre? +Que de révolutions et de réactions! Que de temps, +de sang et de travail! Quelles phases de lassitude +et de corruption! Et où en est aujourd'hui, +où en sera demain la grande République américaine? +Qui sait quel jour et à quel prix elle +recouvrera sa paix et sa prospérité? Qui sait si elle +revivra? L'Angleterre aurait-elle dû, pour s'épargner +tant d'efforts et d'épreuves, renoncer à la +liberté politique? Et l'Amérique de Washington +et de Franklin doit-elle désespérer d'elle-même +parce que son gouvernement se trouve trop mal +constitué et trop faible pour les questions qu'il a +à résoudre? A coup sûr, ni l'un ni l'autre de ces +grands peuples n'est disposé à croire la liberté +politique trop chèrement achetée par les souffrances +et les sacrifices qu'elle leur a imposés ou +qu'elle pourra leur imposer. Mais je laisse là l'Angleterre +et l'Amérique; je sais le peu d'empire +qu'ont, en pareille affaire, des considérations générales +et des exemples étrangers; c'est dans +notre France même, dans notre propre histoire et +dans notre histoire contemporaine, que je veux +chercher et que je trouve mes raisons de fidélité +active à la liberté politique et de confiance dans +son avenir parmi nous.</p> + +<p>Depuis trois quarts de siècle, trois générations, +1789, 1814 et 1848, ont possédé politiquement la +France et fait ses destinées. Les deux premières +ont terminé leur course; la troisième commence +la sienne. Je veux les interroger toutes trois; je +veux savoir avec précision ce qu'elles ont pensé, +ce qu'elles ont désiré, ce qu'elles ont fait, et chercher, +dans leur âme et dans leur histoire, le sens +des événements contemporains et l'avenir politique +de la France.</p> +<a name="i-I" id="i-I"></a> + +<br><br> +<h3>I</h3> + +<h4>1789-1814.</h4> + +<p>Le caractère dominant, le grand caractère de +1789, c'est l'unanimité dans l'élan national: non +pas certes l'unanimité des opinions, mais celle +des désirs et des espérances à travers la divergence +des opinions. On ne peut parcourir les +cahiers des trois Ordres convoqués aux États +Généraux qui devinrent l'Assemblée constituante +sans être frappé de l'unité de sentiment et de +mouvement qui anime ces classes si diverses et si +près d'entrer en lutte. Par leurs situations, leurs +habitudes, leurs préjugés, leurs goûts, elles diffèrent +essentiellement; mais le même feu les +échauffe, le même vent les emporte; l'esprit de +réforme et de progrès possède la France tout +entière.</p> + +<p>Quelle était, à cette époque, l'ambition suprême +de cette France encore si variée et si incohérente, +malgré son travail, depuis bien des siècles, pour +atteindre à l'unité nationale? A quel but définitif +et commun aspiraient cette noblesse, ce clergé, +ce tiers-état, tout ce peuple encore si peu accoutumé +à marcher ensemble? L'équité dans l'ordre +social et la liberté dans l'ordre politique, le respect +des droits personnels de tout homme et l'action +efficace de la nation dans ses affaires, une +société juste et un gouvernement libre, c'est là le +voeu qui se trouve au fond de tous les voeux, qui +s'élève au-dessus de toutes les diversités de situation +et d'opinion. C'était là le besoin passionné de +cette génération ardente et forte qui se précipita +dans son dessein comme un torrent longtemps +contenu et amassé se précipite sur la pente de son +cours.</p> + +<p>Ce n'était pas seulement dans des écrits, des +discours, des instructions, dans des manifestations +fugitives de la pensée qu'éclataient ce mouvement +général, cette tendance commune des esprits en +France avant la réunion des États Généraux de +1789. Les actes venaient avec les paroles; de +grands pas étaient déjà faits vers la réforme sociale +et la liberté politique. Et ce n'étaient pas seulement +quelques hommes supérieurs un moment +investis du pouvoir, Machault, Turgot, Malesherbes, +Necker, qui poussaient la France dans +cette voie; la nation elle-même, toutes les classes +de la nation, le clergé et la noblesse comme le +tiers-état, les propriétaires des campagnes comme +les habitants des villes s'y engageaient activement +et ensemble. Qu'on lise l'excellent travail de +M. Léonce de Lavergne sur les <i>Assemblées provinciales</i> +instituées par Louis XVI, de 1778 à +1787, dans les vingt-six provinces appelées pays +d'élection<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a> +<a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a>. Avec autant de sagacité libérale que +d'impartialité historique, il a retracé, je pourrais +dire ressuscité ces assemblées aujourd'hui si oubliées, +leurs membres et leurs actes, les résultats +accomplis et les projets annoncés, les idées générales +et les mesures locales. On assiste là, +non-seulement à un grand travail de réforme +administrative, mais à l'empire efficace des principes +de la justice sociale et de la liberté politique, +le respect de l'homme, l'élection, la discussion, la +publicité, la responsabilité du pouvoir. Et ce n'est +pas le tiers-état seul qui proclame ces principes +et réclame leurs conséquences; la noblesse et le +clergé, les grands seigneurs et les gentilshommes +de province les acceptent et les appliquent comme +les bourgeois. Sans doute on pressent, on rencontre +déjà les dissentiments, les appréhensions, +les hésitations, les luttes; mais le fait qui domine, +c'est évidemment, dans tous les rangs et à tous +les degrés de la société française, un désir et +un effort communs pour faire pénétrer et prévaloir +l'équité dans l'état social, la liberté dans +le gouvernement.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote1" +name="footnote1"><b>Note 1: </b></a><a href="#footnotetag1"> +(retour) </a> Ce travail a été inséré en 1861, 1862 et 1863 dans la <i>Revue +des Deux-Mondes</i>. Il sera bientôt complété et publié séparément.</blockquote> + +<p>La grande Assemblée nationale, l'Assemblée +Constituante, une fois réunie, offre un spectacle +bien moins unanime, bien plus agité que ces modestes +assemblées provinciales, et pourtant au fond +le même. L'esprit de réforme et de liberté politique, +dominant dans le tiers-état, est là aussi, présent +et puissant, dans la noblesse et le clergé. +La lutte s'engage entre l'ancien régime en décadence +et le régime nouveau en espérance; mais, +au sein de cette lutte, le tiers-état trouve, dans +la noblesse et le clergé français, des alliés éminents +et sincères. Des ecclésiastiques, des grands +seigneurs, des gentilshommes de vieille race prêtent +à la bourgeoisie française un généreux concours, +et assurent, dès les premiers pas, sa victoire. +C'est une minorité de la vieille France qui vient +en aide à la France nouvelle; mais c'est une +minorité dont l'appui moral et numérique est +décisif.</p> + +<p>Cette minorité libérale de la noblesse et du +clergé français, en 1789, n'a pas seulement +droit, par la générosité de ses sentiments et de ses +sacrifices, à toute l'estime et à toute la reconnaissance +de la France libérale; elle a donné, dans +le plus grand moment de notre histoire, le plus +grand exemple politique que puisse recevoir un +peuple qui veut être libre, l'exemple du désintéressement +éclairé et du dévouement au bien +public.</p> + +<p>Nous avons eu, pendant des siècles, ce mauvais +sort que la noblesse française n'a pas compris ses +vrais intérêts, ni joué, dans l'État, son vrai rôle. +Soit influence de son origine, soit vanité, soit défaut +de lumières et d'esprit politique, elle s'est isolée +pour garder son rang; elle a mieux aimé rester +une classe privilégiée que devenir la tête d'une +nation. Elle est tombée, envers la royauté, dans +une faute tout aussi grave; elle a préféré, tantôt +l'indépendance, tantôt la vie de cour, au partage +du pouvoir; les grands seigneurs ont aspiré à être, +non les conseillers, mais tantôt les rivaux, tantôt +les serviteurs du roi; et les gentilshommes, voués +au service militaire, ont regardé le service politique +comme une sorte de dérogeance; lieutenants +ou cornettes, ils se croyaient au-dessus des conseillers +d'État et des intendants. Ce mal a entraîné +un autre mal: la royauté entravée, harcelée, dépouillée +par la haute noblesse, a recherché, contre +elle, l'appui de la bourgeoisie et du peuple; la +bourgeoisie et le peuple, pour s'affranchir du joug +arrogant de la noblesse, ont recherché, à tout +prix, l'appui de la royauté. L'aristocratie n'a su +prendre sa place ni dans le gouvernement de +l'État, ni dans la cause des libertés publiques; la +démocratie n'a grandi que dans l'alliance et au +service du pouvoir absolu.</p> + +<p>Ce fait n'a pas été particulier à la France; il +s'est produit dans la plupart des grands États de +l'Europe continentale; presque partout, la noblesse, +ne sachant être ni politique, ni libérale, est restée +étrangère et au gouvernement et au peuple; la +démocratie, manquant d'alliés et d'appui pour ses +libertés, n'a pu s'élever qu'à l'aide du pouvoir +royal; et le pouvoir royal, profitant de l'alliance +démocratique, a pu quelque temps être à la fois +populaire et absolu.</p> + +<p>Encore aujourd'hui et sous nos yeux, c'est +dans cette voie que marche plus d'un grand +État, au grand péril de son avenir.</p> + +<p>Que tel ait été, en France, le cours naturel et, +comme on dit, fatal de la civilisation, je ne le nie +point; mais, pour être fatal, un fait n'en reste pas +moins justiciable de l'expérience et du bon sens; +si les fautes des hommes, princes ou peuples, +sont fatales, leurs conséquences le sont aussi, et +le jour arrive où elles se révèlent si clairement +qu'il y aurait folie à les méconnaître. Je tiens +pour frappé de cécité politique quiconque aujourd'hui +ne voit pas que le pouvoir absolu ne suffit +point à la solidité des gouvernements, ni la démocratie +à la fondation de la liberté. Le pouvoir +a besoin à la fois d'être soutenu et d'être contenu: +il lui faut, d'une part, l'influence et l'appui des +hommes que leur situation place naturellement +au niveau des grandes affaires de l'État, d'autre +part, la surveillance et le contrôle de tous les +citoyens. La liberté, à son tour, a besoin d'être +défendue et par ceux dont elle fait la sécurité et +la force dans leur vie laborieuse et ascendante, +et par ceux à qui leur situation déjà faite rend +faciles et naturelles l'indépendance et l'influence +en face du pouvoir. Le but de la société n'est pas +simple; elle aspire en même temps et nécessairement +à l'ordre et à la liberté, à la durée et au +progrès. Ce n'est pas par la domination d'une +force unique, ou prépondérante au point d'être +unique, que cette oeuvre double et difficile peut +être accomplie; il y faut le concours des forces +diverses qui se développent naturellement et sont +diversement placées dans le corps social. Dans +les sociétés européennes, la liberté comme le +pouvoir a beaucoup souffert des priviléges exclusifs +et immobiles de l'aristocratie; l'aversion +inintelligente de la démocratie pour tout principe +et tout élément d'organisation sociale autre +qu'elle-même pourrait bien leur être aussi +funeste.</p> + +<p>Pas plus les peuples que les rois, pas plus la +démocratie que l'aristocratie ne méconnaissent +et ne violent impunément les lois naturelles et +intimes des faits. Plus la société devient grande et +libre, plus le bon gouvernement y devient à la fois +nécessaire et difficile. Pour que le pouvoir soit +élevé et maintenu à la hauteur de sa tâche, pour +qu'il résiste efficacement, tantôt à ses périls, tantôt +à ses penchants, il faut que les classes naturellement +influentes dans l'État par leur fortune, leurs +lumières, leurs relations, leurs travaux, agissent +ensemble et de concert, tantôt pour la défense de +l'autorité, tantôt pour la protection de la liberté. +Il y a désordre et danger social quand, au lieu +d'être politiquement unies, ces classes sont divisées +entre elles, et qu'en présence de l'ardeur ascendante +des masses populaires, elles se combattent +au lieu de s'entr'aider à soutenir et à diriger +le pouvoir. Ce sont là, même quand elles n'éclatent +pas en luttes matérielles, les pires guerres +civiles, celles qui troublent et compromettent le +plus gravement les États. Les discordes des patriciens +et des plébéiens ont perdu la liberté de +Rome; l'action commune des nobles et des bourgeois +a fondé celle de l'Angleterre.</p> + +<p>C'était, en 1789, une bonne fortune nouvelle +pour la France que l'empressement d'une portion +notable de la noblesse et du clergé à s'unir au +gros de la nation pour la réforme de l'état social +et la conquête de la liberté politique. A aucune +autre époque de notre histoire, pareille chance +ne s'était rencontrée; dans les diverses réunions +des États Généraux, y compris la dernière, en +1614, la noblesse et le clergé français avaient +tenu leur cause séparée de la cause populaire, +ou ne lui avaient prêté quelque appui que momentanément +et dans des vues intéressées, quelquefois +même factieuses. En 1789, la minorité +de la noblesse et du clergé était parfaitement +sincère et active dans sa résolution de faire cause +commune avec le pays tout entier; et, bien que +ce fût, dans les deux Ordres, une minorité, elle +était si considérable et si honorable qu'elle pouvait +devenir, pour le tiers-état comme pour la +couronne, un puissant allié. Que fût-il arrivé +si cette chance eût été saisie, si la couronne, +le tiers-état et la minorité de la noblesse et +du clergé se fussent intimement unis pour accomplir +de concert les réformes nécessaires et +fonder ensemble un gouvernement libre? Je n'oserais +affirmer qu'ils auraient réussi; les conjectures +sur ce qu'aurait pu être le passé sont presque +aussi incertaines que les prédictions sur l'avenir; +mais, à coup sûr, on eût marché ainsi dans +la bonne voie; on eût mis à profit ce qu'il y avait +d'unanimité et d'harmonie dans l'élan national.</p> + +<p>Pourquoi cela n'est-il pas arrivé? Comment +cette grande génération de 1789, qui voulait si +ardemment et si sincèrement la réforme sociale +et la liberté politique, s'est-elle lancée ou a-t-elle +été entraînée dans les ténèbres et les tempêtes de +la Révolution?</p> + +<p>A cette question, j'écarte en ce moment une +partie de la réponse. Les fautes de la royauté et +de ses entours ont été pour beaucoup dans les revers +de la liberté et les emportements de la Révolution. +La tâche du pouvoir est si rude, surtout en +de telles crises, que ni la bonté, ni la vertu ne le +dispensent de l'habileté et de la fermeté. Mais il y +a maintenant peu d'utilité, et pour mon compte +je n'ai nul goût à étaler la part de Louis XVI et +de sa famille dans les causes des malheurs de la +France et des leurs propres; ils ont payé si cher +et si douloureusement expié leurs fautes qu'il y a +une barbarie grossière et subalterne à en accabler +incessamment leur mémoire. On essaye trop d'ailleurs +de décharger ainsi, de la responsabilité qui +leur revient, les partis et les hommes qui, à cette +époque, sont successivement devenus les maîtres +de la France. La France elle-même a sa part dans +cette responsabilité, car une nation qui aspire à +être libre ne peut alléguer avec honneur qu'elle +a subi, comme un troupeau, les volontés perverses +ou folles de ses conducteurs. Ce sont donc +les erreurs générales, les fautes communes de la +grande génération de 1789 que j'ai à coeur de rechercher. +Il m'est arrivé de dire un jour à la tribune +que «sans doute, dans leur séjour inconnu, +ces nobles âmes, qui ont voulu tant de bien à l'humanité, +se réjouissent de nous voir éviter les +écueils où sont venues se briser tant de leurs belles +espérances.» Notre cause est encore la leur, et +je crois leur rendre hommage en signalant aux +fils ces écueils qu'ont aperçus trop tard les pères.</p> + +<p>Trois idées politiques étaient, en 1789, professées +et répandues: idées confuses et obscures +dans la plupart des esprits, mais au fond dominantes. +Je les reproduis telles qu'elles ont été exprimées, +sous leur forme la plus simple et la plus +franche: «Nul n'est tenu d'obéir aux lois qu'il n'a +pas consenties;--le pouvoir légitime réside dans +le nombre;--tous les hommes sont égaux.» +Beaucoup de ceux qui pensaient et agissaient d'après +ces maximes auraient été fort étonnés si +quelque puissance supérieure les avait contraints +de s'en rendre bien compte et d'accepter leurs +conséquences obligées; mais ils n'y regardaient +pas de si près et n'y voyaient pas si clair. Les plus +puissantes idées sont celles qui, contenant ensemble +et confusément une large part de vérité et +une large part d'erreur, flattent à la fois les bons +et les mauvais instincts des hommes, et ouvrent en +même temps la carrière aux nobles espérances et +aux mauvaises passions.</p> + +<p>La première de ces trois idées: «Nul n'est tenu +d'obéir aux lois qu'il n'a pas consenties,» est destructive +de l'autorité; c'est l'anarchie. Rousseau, +en posant le principe, en a entrevu les conséquences, +et s'est consumé en efforts pour y échapper; +M. Proudhon les a acceptées, et a fait, de ce +qu'il appelle hardiment l'<i>anarchie</i>, le but définitif +et l'état normal des sociétés humaines.</p> + +<p>La seconde idée: «Le pouvoir légitime réside +dans le nombre» est destructive de la liberté; +c'est le despotisme de la majorité numérique. Le +monde a vu ce principe posé et mis en pratique, +tantôt sous la forme républicaine, tantôt sous la +forme monarchique, et il a toujours amené l'oppression +tantôt violente, tantôt sourde, de la minorité. +Qui ne sait qu'aux États-Unis d'Amérique +l'empire du nombre a, depuis un demi-siècle, +tenu de plus en plus éloignés du pouvoir les +hommes les plus capables et les plus dignes de +l'exercer?</p> + +<p>La troisième idée: «Tous les hommes sont +égaux,» est destructive de l'élévation politique +dans le gouvernement et du progrès régulier dans +la société. C'est le nivellement, au lieu de la justice; +c'est la décapitation permanente du corps +social, au lieu du libre développement de tous ses +membres.</p> + +<p>Il n'est pas vrai que nul ne soit tenu d'obéir +aux lois qu'il n'a pas consenties. Il suffit à tout +homme de regarder en lui-même et autour de lui +pour reconnaître la fausseté de cette maxime. Que +de lois auxquelles nous obéissons et nous sommes +tenus d'obéir sans les avoir jamais consenties, ni +même connues d'avance! Les lois qui fondent dans +la famille l'autorité et l'obéissance ont-elles jamais +été consenties par leurs sujets? Et dans la société, +n'obéissons-nous pas, ne sommes-nous pas, à +chaque instant, tenus d'obéir à des lois qui régissent +naturellement les hommes dans leurs rapports +mutuels sans que, même au sein des institutions +les plus libres, elles aient jamais été un objet de +délibération et de consentement? Il s'en faut bien +que les hommes n'obéissent et ne soient tenus +d'obéir qu'à des lois qu'ils se sont faites eux-mêmes +ou que d'autres hommes leur ont faites; la plupart +de celles qui les gouvernent leur viennent de plus +haut; et même quand elles leur déplaisent, quand +leur volonté les repousse, ils se sentent, dans leur +âme, tenus de leur obéir. Ce n'est pas la volonté +des hommes, c'est la justice et la sagesse intrinsèques +des lois et du pouvoir qui fait leur droit à +l'obéissance. Ce qui est vrai, c'est que les hommes +ont droit à des lois justes, à un régime juste, et +par conséquent à des institutions qui les leur garantissent. +C'est là le but et la loi suprême de la +société.</p> + +<p>Il n'est pas vrai que le pouvoir légitime réside +dans le nombre; car la justice et la sagesse ne se +rencontrent pas toujours dans les volontés de la +majorité numérique, et elle ne saurait conférer +essentiellement au pouvoir une légitimité qu'elle +ne possède pas essentiellement elle-même. Ce qui +est vrai, c'est que la majorité numérique, qui peut +être, dans certains cas et dans certains temps, le +signe extérieur de la raison et de la justice, est +tenue, dans tous les temps et dans tous les cas, +de se conduire selon la raison et la justice, et de +respecter les droits de la minorité.</p> + +<p>Il n'est pas vrai que tous les hommes soient +égaux: ils sont inégaux, au contraire, par la nature +comme par la situation, par l'esprit comme +par le corps; et leur inégalité est l'une des plus +puissantes causes qui les attirent les uns vers les +autres, les rendent nécessaires les uns aux autres +et forment entre eux la société. Ce qui est vrai, +c'est que les hommes sont tous semblables et de +même nature, sinon de même mesure, et que la +similitude de leur nature leur donne, à tous, des +droits qui sont les mêmes pour tous, et sacrés +entre tous les droits.</p> + +<p>Ainsi rappelées à leur vrai sens et dans leurs +justes limites, ces idées sont aussi salutaires que +belles: mais quand les hommes n'ont pas été +obligés par leur situation ou amenés par l'expérience +à leur faire subir cette épuration, quand +les vérités qu'elles contiennent sont obscurcies, +altérées, corrompues par les erreurs auxquelles +elles se prêtent, alors, et dans le premier emportement +des esprits, la puissance de la vérité elle-même +tourne au profit de l'erreur; les nobles +instincts tombent au service des mauvaises passions; +l'aliment vital devient un poison fatal.</p> + +<p>La génération de 1789 a échoué sur cet écueil. +Elle y a été poussée, non seulement par ses erreurs +politiques, mais par des erreurs morales +qui étaient, à vrai dire, le principe et la source +des erreurs politiques que je viens de signaler.</p> + +<p>C'était la conviction du XVIII<sup>e </sup> siècle et de la +génération formée à son école que l'homme est +essentiellement bon, et que, dans les sociétés humaines, +le mal provient, non de la nature humaine, +mais de la mauvaise organisation sociale et du +mauvais régime politique. La confiance dans la +bonté naturelle de l'homme était, en 1789, l'une +des colonnes de l'orgueil humain.</p> + +<p>Il en avait une seconde, la confiance dans la +toute-puissance de l'homme. C'était aussi, en 1789, +la conviction générale que l'homme est maître de +la société comme de lui-même. Si la société n'a +pas été et n'est pas ce qu'elle doit être, ce sont +les lumières, pensait-on, qui ont manqué et qui +manquent encore aux hommes. Le progrès indéfini, +qui est la loi de l'humanité, les leur donne et +les leur donnera de plus en plus. Fort de sa bonté +native, de ses lumières progressives et de sa puissance +souveraine, l'homme réformera, réorganisera, +créera à nouveau la société.</p> + +<p>Quand je qualifie d'erreurs ces croyances superbes, +c'est que la question suprême à laquelle +elles se rattachent est, pour moi, résolue. Je ne +crois ni à la bonté essentielle de l'homme, ni à sa +souveraineté ici-bas. Il est à la fois capable du +bien et enclin au mal, à la fois libre et sujet: +«S'il se vante, je l'abaisse; s'il s'abaisse, je le +vante,» dit admirablement Pascal. La condition +de l'homme est haute et sa nature plus haute encore +que sa condition; mais il y a de la dépendance +dans sa condition et de la révolte dans sa +nature. L'observation philosophique reconnaît en +lui ces contrastes, comme les affirme le dogme +chrétien. Quand l'homme les méconnaît, c'est +qu'il se méprend sur lui-même et sur sa place +dans l'univers; c'est qu'il oublie Dieu et se croit +Dieu. Dans son orgueilleux élan vers son généreux +dessein, la génération de 1789 a vécu et agi sous +l'empire de cette immense erreur. C'est là le +venin qui a si promptement altéré les sources de +la Révolution française, et mêlé tant de mal à +tant d'intentions et d'espérances excellentes. On +a coutume d'imputer tout ce mal à la lutte des +intérêts opposés et des mauvaises passions mutuelles, +aristocratiques ou démocratiques, absolutistes +ou radicales. Il est vrai; ce sont là les acteurs +qui occupent le devant de la scène et la +remplissent de leur bruit; mais ils n'y sont pas +seuls, et ils n'ont garde de s'y produire sous leur +vrai nom et leur propre figure; aux intérêts +égoïstes et aux mauvaises passions, il faut des +voiles qui les couvrent, et c'est toujours dans des +idées fausses et spécieuses qu'ils les cherchent et +les trouvent. Cet honneur reste à l'homme dans +ses égarements qu'il a besoin, non-seulement de +les cacher, mais de les justifier aux yeux de ses +semblables et aux siens propres. Plus le trouble +social est grand, plus on peut tenir pour certain +qu'un grand trouble intellectuel l'accompagne +et l'accompagnera obstinément.</p> + +<p>Lorsque aujourd'hui, au sein de la tranquillité +et de la froideur publiques, on considère d'un +esprit libre ces idées que je signale comme des +erreurs graves et puissantes, on ne peut se défendre +d'un profond étonnement. Comment de +telles idées ont-elles jamais pu s'accréditer et +dominer à ce point? N'est-il pas évident, aux +yeux du simple bon sens, que les hommes ne sont +pas tous égaux, et que la prétention d'établir entre +eux l'égalité sociale, en dépit des inégalités naturelles, +aboutit, comme l'ont reconnu les logiciens +conséquents de l'école, à la folle tentative d'abolir, +à chaque génération, l'hérédité des biens et des +noms, c'est-à-dire la propriété et la famille, c'est-à-dire +la société elle-même? Le bon sens ne condamne-t-il +pas également la prétention de la majorité +numérique à la possession exclusive du +pouvoir légitime, et celle de chaque individu +à n'obéir qu'à des lois qu'il ait consenties? Dans +les sociétés les plus démocratiques et les plus +libres, républicaines aussi bien que monarchiques, +ces prétendus principes ne reçoivent-ils +pas, à chaque instant, des faits et de la raison publique, +les plus éclatants démentis? Et pourtant +ces grossières erreurs ont été, sont et seront toujours +puissantes et redoutables. Tant l'esprit humain +se laisse aisément duper par ce qui plaît +aux passions humaines! Tant les passions humaines +sont ardentes à se saisir des idées qui les +aident à se légitimer en se satisfaisant!</p> + +<p>Jamais ces idées n'ont donné une plus terrible +démonstration de leur puissance que dans la Révolution +française; jamais leur impérieuse logique +n'a plus rapidement entraîné des conséquences +plus énormes et plus imprévues. L'histoire +du monde n'offre aucun exemple d'un contraste +pareil entre les premiers pas et le développement +soudain d'un grand événement, entre les perspectives +de la veille et les spectacles du lendemain. +Quels espaces, quels abîmes de 1789 +à 1793! Et il a fallu à peine quatre années pour +que la grande société française parcourût ces espaces +et tombât dans ces abîmes, quand elle se +croyait à la porte d'un paradis créé de ses propres +mains!</p> + +<p>Comment se fait-il que cette catastrophe, incroyable +si elle n'était réelle, n'ait pas laissé uniquement +et universellement une impression +d'effroi et d'horreur? Comment tant de crimes +atroces, de folies absurdes et de douleurs inouïes, +tant et de si révoltants outrages à la conscience +humaine, au coeur humain, au bon sens humain, +ont-ils pu être si étrangement palliés et presque +excusés, que dis-je? si magnifiquement enveloppés +dans des récits et des tableaux qui frappent et séduisent +l'imagination au point d'étouffer le jugement +et le sens moral? Et qu'on ne dise pas qu'on +a condamné ces faits tout en les colorant de la +sorte: les paroles ne sont rien en elles-mêmes; +leur valeur réside dans la signification qu'y attachent +ceux qui les entendent ou les lisent, dans +l'effet qu'elles produisent sur les âmes et la disposition +où elles les laissent. Que sert la condamnation +des actes si elle se perd dans la glorification +des acteurs? Les personnages ainsi célébrés ne se +prêtaient guère à de telles apothéoses; la plupart +n'étaient, à vrai dire, que des hommes médiocres +et vulgaires, d'une violence brutale ou d'une légèreté +frivole, cyniques grossiers ou badauds fanatiques, +déclamateurs enivrés de leurs propres +paroles ou conspirateurs envieux, haineux et imprévoyants. +Il n'était certes pas aisé d'en faire de +grands hommes. Pourquoi l'a-t-on entrepris? +Pourquoi y a-t-on réussi, pour un temps du +moins et auprès d'un nombreux public? Est-ce +uniquement le besoin de faire du bruit, un bruit +populaire, qui a poussé des esprits éminents dans +cette voie d'idolâtrie révolutionnaire? Est-ce uniquement +le goût du mélodrame sous le nom de +l'histoire qui a valu à de telles oeuvres un tel +succès?</p> + +<p>Ces faiblesses personnelles y ont eu leur part; +mais ce sont de trop petites explications pour un +fait moralement si étrange; il a des causes plus +générales et plus graves.</p> + +<p>A côté de ces hymnes en l'honneur des acteurs +révolutionnaires éclatent, non-seulement contre +eux, mais contre la Révolution française en général, +des imprécations ardentes et incessantes. +Dominés soit par les passions de parti, soit par un +profond sentiment des erreurs et des crimes de +cette époque, des esprits élevés et moraux ne +voient que sa face folle et hideuse. Bien plus, +toute révolution porte, auprès d'eux, la peine de +celle-là; le mot <i>révolution</i> est devenu, pour eux, +synonyme de crime, folie, désastre; ils n'accordent, +à ces secousses volcaniques des sociétés +humaines, aucun bon principe, aucun bon résultat.</p> + +<p>Je voudrais qu'une expérience rétrospective +fût possible, et que, pour un moment, la France +se trouvât tout à coup replacée dans l'état où elle +était avant 1789. Ce pays, qui supporte tant, ne +supporterait pas un moment ce retour; moralement +comme matériellement, il lui serait odieux et +intolérable. Il le serait à ceux-là même qui pensent +et parlent le plus mal de la Révolution; leurs idées, +leurs sentiments, leurs intérêts les plus légitimes et +les plus intimes seraient, à chaque instant, contrariés, +entravés, froissés. Personne ne persuadera à +la France qu'elle n'est pas aujourd'hui mieux +réglée et mieux gouvernée qu'elle ne l'était avant +1789; elle se sent, elle se croit, elle a raison de se +sentir et de se croire en possession de beaucoup +plus de justice envers tous et de bien-être pour +tous. La génération qui a possédé la France de +1789 à 1798 n'a pas travaillé et souffert sans +fruit; ce sont les vérités mêlées à ses erreurs, les +conquêtes qu'elle a faites au milieu de ses désastres, +les édifices qu'elle a élevés sur ses +ruines qui donnent à ses apologistes et à ses +chantres tant de faveur auprès des masses, quand +ils célèbrent ses personnages et enivrent de ses +souvenirs ses descendants. Que les adversaires de +la Révolution française ne s'y trompent pas: +quand ils l'attaquent indistinctement, ils ne font +que la rendre indistinctement plus chère à la +France, et transformer en culte aveugle une reconnaissance +légitime. Et ils changeraient bientôt +eux-mêmes de sentiment et de langage, s'ils +étaient condamnés à subir tout ce que la Révolution +a détruit et à perdre tout ce qu'elle a conquis.</p> + +<p>En présence de ces crises de l'humanité, le +jugement et la conscience sont mis à une dure +épreuve. Pour les bien comprendre, pour profiter +à la fois de leurs oeuvres et de leurs leçons, il ne +faut s'en laisser ni épouvanter ni séduire; il +faut largement admettre leurs complications, +leurs contradictions, leurs aberrations, leurs audaces +tantôt sublimes, tantôt insensées ou perverses; +il faut se dire et se redire sans cesse que +les révolutions sont profondément imparfaites et +impures, même les plus salutaires, car elles mettent +à nu et en branle tout l'homme et tous les +hommes, toujours imparfaits et impurs, même +les meilleurs. Mais s'il faut se résigner à l'impureté +naturelle de ces grands faits historiques, il ne +faut pas jeter, sur leurs erreurs et leurs vices, le +manteau de leurs vérités et de leurs vertus. Nous +sommes condamnés, en les contemplant, au pénible +effort d'être à la fois indulgents et sévères, +de voir incessamment le mal sous le bien, le bien +sous le mal, et d'accepter, dans notre propre +esprit, le continuel mélange de l'espérance et du +mécompte, de la sympathie et de l'indignation. +Je reprends et j'applique à la Révolution française +les paroles de Pascal: «Si elle se vante, +je l'abaisse; si elle s'abaisse, je la vante.» Mais +en même temps qu'elle a à subir cette poignante +alternative, la Révolution française porte et +conserve deux grands caractères. Elle a été, +non pas une crise isolée et étrange, le rêve et +l'accès d'une génération saisie d'une fièvre ardente, +mais la suite naturelle des événements, +des idées, des travaux qui ont rempli notre histoire, +le développement précipité de ce que la +France, depuis trois siècles et bien plus de trois +siècles, a constamment considéré comme son progrès +dans la carrière de la civilisation. Et aujourd'hui +comme en 1789, après ses égarements et +ses revers comme aux jours de sa jeunesse, la +Révolution française poursuit sa course et fait +partout des conquêtes; elle reste pleine d'espérance +et de puissance. Elle est la fille du passé et +la mère de l'avenir. Signes certains d'une loi +providentielle à reconnaître et d'une nécessité +sociale à accomplir.</p> + +<p>Quand les premières et unanimes espérances +de 1789 eurent été déçues; quand, au lieu du progrès +harmonieux de la société française au sein de +la liberté politique, la guerre sociale eut éclaté +en France et mis ses tyrannies successives à la +place de la liberté, quand les diverses classes et +les divers partis de cette génération aveuglément +puissante furent las de détruire et de s'entre-détruire, +il y eut un temps d'hésitation et d'agitation +stérile; la Révolution victorieuse se sentait épuisée +et hors d'état de poursuivre comme de rétrograder; +les vainqueurs erraient en chancelant au +milieu des ruines qu'ils avaient faites; on voulait +s'arrêter et on ne pouvait se fixer. L'ancien régime +n'existait plus; la société nouvelle n'existait +pas. L'indépendance nationale, héroïquement +défendue, retombait sans cesse en péril. C'était à +la fois l'anarchie et la tyrannie, et pas plus de +force efficace dans le pouvoir que de liberté sûre +pour les citoyens. Bonaparte revint pour devenir +rapidement Napoléon; et par lui s'accomplit +l'oeuvre que la France invoquait vainement +depuis la fin de la Terreur, la réaction de la Révolution +par elle-même contre elle-même, c'est-à-dire +la consolidation de ses principales conquêtes +avec l'abandon de quelques-unes de ses +plus légitimes promesses et de ses plus belles +espérances.</p> + +<p>C'est ici, pour la génération de 1789, la seconde +grande phase de sa vie et de son histoire. +Dans cette phase, la première place, la place +unique appartient à Napoléon. C'est lui qui, dans +l'oeuvre de construction de la Révolution française, +a été le chef des travailleurs et l'auteur des événements. +C'est lui qui a reconnu et marqué la +route, imprimé et dirigé le mouvement. Dans les +moments critiques de leur destinée, les peuples +ne peuvent se passer d'un grand homme. S'il leur +manque, ou bien ils s'égarent follement, ou bien +ils s'arrêtent et tâtonnent en attendant qu'il +vienne. Quand Bonaparte vint en 1798, la France +reconnut en lui l'homme qu'elle attendait: il marcha, +elle le suivit.</p> + +<p>Cependant on attribue trop à Napoléon seul +le travail et le mérite de cette grande époque: +ou ne fait pas à ses compagnons, civils aussi +bien que militaires, la part à laquelle ils ont +droit. Quand il se mit à la tête de la génération +qui, de 1789 à 1798, avait possédé la France, +cette génération hardie et forte avait acquis +l'intelligence de ses erreurs et de ses fautes. +Par son retour vers la justice et la vérité, elle +servait ses propres intérêts comme ceux de la +France; mais c'est beaucoup de comprendre et +d'accepter la nécessité de l'ordre moral longtemps +méconnu et violé. Constituants, Conventionnels, +Fenillants, Girondins, Jacobins, Modérés, Montagnards, +tous les partis de la Révolution et, dans +tous les partis, presque tous les hommes notables +et capables se rallièrent autour de Napoléon, et +lui apportèrent, dans son oeuvre de réparation et +de reconstruction sociale, un concours habile, +courageux, dévoué, efficace. Ils déployèrent au +service de cette oeuvre, non seulement de grandes +facultés et de grandes lumières, mais une honorable +ardeur à faire cesser les iniquités, à guérir +les maux, à relever les ruines. On oubliait, dans +un effort commun vers le bien public, les discordes, +les inimitiés, les injures de la veille. Et +cet honnête accord, ce puissant concours, Napoléon +l'a obtenu et en a recueilli les fruits dans ses +conseils comme dans ses armées, dans l'administration +civile de l'État comme sur les champs de +bataille, pour son pouvoir en France comme pour +sa gloire en Europe.</p> + +<p>Je voudrais résumer et exprimer, <i>sans phrases</i>, +les grands résultats de ce travail d'un grand +homme et de ses compagnons au service d'une +grande cause.</p> + +<p>Napoléon a reconstruit en France la charpente +sociale. Ce n'est point par une vaine figure qu'on +appelle la société un édifice: elle a ses fondements, +ses gros murs, ses divers étages, ses voies +de circulation, sa toiture, conditions de sa sécurité +et de sa commodité intérieures. Tout ce matériel +de l'état social avait été bouleversé et détruit dans +les emportements de la Révolution. Napoléon et +ses conseillers, tantôt reprenant les plans et les +travaux de l'Assemblée constituante, tantôt les +dégageant de ce qu'ils avaient d'imprévoyant et +de peu pratique, relevèrent, sur ces ruines, un +édifice nouveau, fortement construit, bien entretenu, +bien défendu, et rétablirent, sur notre sol, +cet ordre général et continu et ces instruments +de l'ordre général et continu sans lesquels la société +ne pourrait vivre ni prospérer. L'administration +française, cette grande oeuvre de l'Empire, +a de grands vices politiques; mais à travers nos +violentes secousses répétées, elle a, plus d'une +fois déjà, fait, parmi nous, la sûreté intérieure et le +prompt rétablissement de la société.</p> + +<p>Après l'ordre matériel, la première condition +du bon état social, c'est que les divers éléments +de la société, les classes, les professions, les personnes +naturellement diverses soient à leur place +naturelle et vraie. Napoléon rappela et remit en +haut ce qui est naturellement en haut. Peu moral +lui-même, il avait le goût des honnêtes gens, des +vies régulières et dignes; il savait que la société en +a besoin pour sa force comme pour son honneur, et +que le désordre moral l'abaisse et la dissout. Peu fait +aux délicatesses du monde et capable d'un laisser-aller +familier ou d'un emportement brutal, il se +plaisait aux moeurs élégantes, aux manières +nobles, aux formes exquises, pensant avec raison +que l'éclat extérieur des vies, l'élévation des habitudes +et des goûts sont des faits naturels dans +une société depuis longtemps civilisée, et qui contribuent +à sa grandeur. Cet homme nouveau, ce +fils et ce chef d'une révolution démocratique avait +l'esprit assez haut, assez libre, assez juste, pour +faire cas des choses anciennes, et pour comprendre +ce que le temps apporte de beauté à ce qu'il ne +flétrit pas et de force à ce qu'il ne détruit pas. On +lui a reproché son empressement à élever en +grands seigneurs les compagnons de sa fortune +révolutionnaire, et à rappeler autour de lui, pour +fondre ensemble ces deux noblesses, les grands +seigneurs de l'ancienne France. J'incline à croire +qu'il attachait à cette oeuvre plus d'importance +qu'elle n'en devait avoir dans le cours des temps, +et qu'il y prenait plus de plaisir qu'elle ne valait. +Mais il n'en est pas moins certain que, de son +vivant, elle a grandement contribué à la pacification +de la société française, à la force comme à +l'éclat de son pouvoir, et que, même après lui, +elle reste bien moins vaine que ne le prétendent +d'inintelligents observateurs. Qu'ils regardent ce +qui se passe aujourd'hui et sous leurs yeux.</p> + +<p>Napoléon fit une chose plus grande et plus difficile +encore, et celle-ci, condition première de +toutes les autres, fut son oeuvre exclusivement +personnelle. Il réhabilita en France le pouvoir +méconnu, abattu, humilié, dégradé, tour à tour et +quelquefois tout ensemble odieux et ridicule dans +le cours de la Révolution. Dans le petit groupe historique +des hommes de son ordre, nul peut-être n'a +possédé aussi naturellement et déployé aussi hardiment +que lui l'instinct et le don du pouvoir: le +pouvoir reparaissait et se relevait à l'horizon, à +mesure que Napoléon lui-même s'élevait; il était +le pouvoir personnifié. De loin comme de près, +les hommes reconnaissent, avec une soumission +empressée, cette primatie de l'esprit et du +caractère, quand elle leur vient en aide dans leurs +jours de trouble et de détresse. Napoléon en +donna une preuve plus éclatante que la fondation +même de son propre empire: il reconnut un empire +qui n'était pas le sien; il tendit la main à la +Papauté pour que, de concert avec lui, elle relevât +l'Église au sein de l'État. Quelles qu'aient +été les imperfections et les lacunes du Concordat, +cette intelligence de la nécessité et des droits naturels +du pouvoir religieux à côté du pouvoir politique +est le plus bel éclair de génie moral et de +bon sens pratique qui ait brillé dans la vie de +Napoléon. Heureux s'il fût toujours resté fidèle à +sa grande pensée, et si, dans les emportements +d'une ambition sans limite et d'un despotisme +sans frein, il n'eût pas prétendu trouver un instrument +servile dans l'allié moral auquel il avait +rendu en France sa place et son action!</p> + +<p>Que dirai-je de ce qu'il a fait pour l'indépendance +et la grandeur nationales? Il a reçu, sous ce +rapport, le prix de ses oeuvres; rien ne lui a manqué +des hommages auxquels il avait droit, et nous +avons payé sa gloire trop cher pour en rien contester.</p> + +<p>Je tiens à reconnaître pleinement et à mettre +en lumière les mérites et les services de cette +seconde phase dans la vie de la génération de 1789. +Les amis de la liberté politique méconnaissent +trop souvent ce qu'elle a fait alors, non-seulement +de glorieux, mais d'excellent et de nécessaire +pour la France; et je lui trouve moi-même +trop de torts et des torts trop graves pour que la +justice la plus large ne me soit pas, envers elle, +un impérieux devoir.</p> + +<p>Emportée dans une réaction naturelle contre +l'anarchie, a donnée à rétablir laborieusement la +sécurité matérielle du corps social et le jeu régulier +de ses membres, la génération de 1789 a méconnu, +délaissé, opprimé, dans cette période de +sa destinée, ce qui est l'âme et la vie morale de la +société, la liberté et le droit: au dedans, la liberté +politique, unique garantie efficace de la sûreté des +intérêts privés comme de la bonne gestion des affaires +publiques; au dehors, le droit des gens, +unique garantie efficace des bons rapports des nations +et de leur civilisation mutuelle. L'oubli ou +le mépris du droit, à l'intérieur, dans la vie publique +des citoyens, à l'extérieur, dans les relations +internationales; la volonté et l'ambition +arbitraires et illimitées du souverain devenant +partout la loi suprême; les institutions libérales +destinées ou réduites à n'être que de vains simulacres +et les corps politiques que des ombres, ce +fut là le vice radical de cette grande époque et la +cause directe ou indirecte de ses désastres. Pour +l'Empire comme pour la République, pour la +réaction despotique comme pour l'emportement +anarchique, les fautes ont rapidement enfanté les +maux.</p> + +<p>Pas plus que les mérites, ce n'est pas à Napoléon +seul que les fautes doivent être imputées. Il les a +faites, mais on les lui a bien complaisamment +laissé faire. La France s'est livrée à lui avec l'aveuglement +passionné de la peur, de la joie et de +l'orgueil. Peur de l'affreux régime qu'elle venait +de subir, joie de sortir de l'abîme, orgueil de la +gloire qui entourait le salut. C'est le long usage +de la liberté politique et le sentiment de la responsabilité +qu'elle impose qui enseignent aux peuples +la mesure et la prévoyance; quand ils n'ont pas +longtemps vécu libres et répondant eux-mêmes +de leur sort, ils se précipitent d'un extrême à l'autre, +uniquement préoccupés d'échapper au mal +ou au péril qui les presse. Heureux encore, dans +ces excès alternatifs, ceux qui sont doués, comme +la France, d'une élasticité infatigable, et qui reviennent +hardiment sur leurs pas, quelque loin +qu'ils se soient égarés. La France se laisse prendre +ou se donne trop aisément et trop vite, mais elle +ne s'abandonne jamais sans retour. Quand, au début +de ce siècle, la Révolution française rencontra +dans ses propres rangs le chef glorieux de sa propre +réaction contre elle-même, elle abdiqua entre ses +mains, ne lui demandant que de la sauver des égarements +où elle était tombée et des ennemis qui la +menaçaient. Loin d'avertir et de retenir la France +sur la pente où elle courait, les compagnons des +travaux et de la fortune de Napoléon s'y lancèrent +eux-mêmes aussi aveuglément que les plus obscurs +citoyens. Quelles étranges palinodies de la plupart +des hommes qui avaient joué un rôle dans le cours +de la Révolution! Quels contrastes choquants entre +leurs idées et leurs langages à des dates si rapprochées! +Quels empressements à étaler leurs nouvelles +maximes et à jouir de leurs situations nouvelles! +Ceux qui conservaient quelque sollicitude +prudente, et qui s'inquiétaient tout en triomphant, +n'avaient pas le courage de résister à leur maître; +et ceux qui auraient eu ce courage, s'ils en avaient +espéré quelque succès, car ces honorables exceptions +ne manquaient pas dans le cortége impérial, +ceux-là étaient si convaincus de la vanité de toute +résistance contre la force du courant et la volonté +du pilote, qu'ils s'en abstenaient avec tristesse, se +contentant de garder l'indépendance de leur pensée +et de sauver leur propre honneur.</p> + +<p>L'abdication était telle que lorsque, à la fin de +1813, quelques voix essayèrent, dans le Corps +législatif, d'exprimer les inquiétudes et les voeux +de la France, la stupéfaction fut générale: soit +qu'on approuvât ou qu'on s'indignât, on s'étonnait, +on doutait, on avait peine à croire à tant d'audace. +J'ai connu les cinq hommes qui consentirent +à être les organes de cette patriotique tentative, +M. Laisné, M. Raynouard, M. Maine-Biran, +M. Gallois, M. Flaugergues; c'étaient des esprits +essentiellement modérés, étrangers à tout emportement +de passion, à tout dessein de faction, honnêtes +jusqu'au scrupule, et bien plutôt timides que +téméraires. Leur acte même et leur langage, +dans la circonstance qui les mit en lumière, furent +très-réservés et modestes, fort au-dessous +de ce que permettait, même alors, le droit constitutionnel +du corps politique au nom duquel ils +parlaient et de ce que provoquait la situation de +la France. Mais cette lueur de vérité, ce léger +frisson de liberté frappèrent le public comme un +grand coup d'opposition et le monde impérial +comme le début d'une trahison. Tout ne devait-il +pas être oublié, tous ne devaient-ils pas se taire +devant le péril de l'Empire? L'Empire n'était-il pas +la Révolution française triomphante? L'égalité, ce +premier principe de la Révolution, ne régnait-elle +pas au sein de l'Empire? L'intérêt suprême de la +France n'était-il pas de défendre ensemble, et à +tout prix, l'Empire et la Révolution?</p> + +<p>C'est l'illusion commune des hommes qui ont +longtemps et fortement possédé le pouvoir d'en +venir à le regarder comme leur droit et leur bien +propre, oubliant dans quel but public et dans +quelles limites ils l'ont acquis ou reçu. Ils oublient +aussi que, dans les grands drames de l'histoire, +les acteurs, même les plus grands, ont leur +rôle et leur temps marqués, et que, s'ils les dépassent, +s'ils s'obstinent à occuper la scène contre +le sens et le cours général du drame, ils sont +bientôt et justement écartés du théâtre. La mission +évidente de Napoléon avait été de réagir, au +nom et au profit de la Révolution française, contre +ses erreurs et ses excès, d'établir l'ordre au +sein de la nouvelle société française, et de lui +faire prendre, au dedans sa forme régulière, au +dehors sa place acceptée de l'Europe. Il accomplit +cette oeuvre avec génie et succès; et quoique, +même dans son meilleur temps, des esprits clairvoyants +et exigeants pussent entrevoir sa pente à +pousser sa force bien au delà de sa mission, la +France lui porta longtemps une admiration confiante, +et l'Europe une reconnaissance résignée à +payer cher le service qu'il lui avait rendu en contenant +la Révolution. Mais le jour vint où, loin de +répondre encore, en France et en Europe, au +besoin public qui l'avait appelé, Napoléon n'agit +plus que selon la fantaisie de sa pensée et de sa +passion personnelle: au lieu de régler la Révolution +française, il la jeta dans un nouveau genre +d'excès et de périls; aux égarements de l'esprit +révolutionnaire et de l'anarchie, il substitua ceux +de l'ambition guerrière et du pouvoir absolu. +Sorti alors de son rôle et de son temps, il tomba, +naturellement quoique violemment. Et soit entraînement, +soit faiblesse, la génération de 1789, +qui avait pris, à ses travaux et à ses mérites de +reconstruction sociale, une part glorieuse, ne +sut pas le contenir dans ses emportements ambitieux +et despotiques, pas plus qu'elle n'avait +su naguère prévoir et réprimer les emportements +anarchiques. Elle apprit, par cette double et +douloureuse expérience, que ni l'égalité, ni la +gloire ne suffisent à satisfaire aux voeux et aux +principes de 1789, et qu'après vingt-cinq ans employés +à faire triompher, pêle-mêle et à tout prix, +la Révolution et l'Empire, la liberté politique et le +droit des gens réclamaient à leur tour respect et +satisfaction.</p> +<a name="i-II" id="i-II"></a> + +<br><br> +<h3>II</h3> + +<h4>1814-1848.</h4> + +<p>Les deux grands corps politiques de l'Empire, +le Sénat et le Corps législatif, offrent, en 1814, un +étrange spectacle.</p> + +<p>Dans le Sénat, c'est une infiniment petite minorité, +quelques hommes, naguère opposants imperceptibles +au régime impérial, MM. de Tracy, +Lanjuinais, Lambrechts, Garat, qui apparaissent +tout à coup, prononcent sur le sort de l'Empire et +de l'Empereur, proposent sa déchéance, posent +les bases du nouveau gouvernement.</p> + +<p>On a beaucoup attaqué ces hommes et leurs +actes à cette époque; on s'est beaucoup moqué +des prétentions politiques et personnelles du corps +dont ils inspirèrent ou exprimèrent les résolutions. +Il y eut, en effet, dans l'attitude du Sénat à ce +grand moment, ample matière à la moquerie +et à l'attaque; les préoccupations égoïstes et les +apparences présomptueuses sont mal venues au +milieu d'une crise nationale et après une longue +nullité. Reste toujours ce grand fait que, dans +une assemblée jusque-là profondément soumise +et impuissante, un petit groupe d'hommes, à peine +remarqués et écoutés la veille, ont pu reparaître +soudainement sur la scène, marcher en tête de +leur corps et exercer une influence réelle. Ces +hommes étaient restés, sous le pouvoir absolu, +les amis fidèles de la liberté politique. Ce fut en +son nom qu'ils prirent et d'elle qu'ils reçurent +leur autorité d'un moment. L'Empire tombait par +la guerre; sa chute fut acceptée et proclamée par +les libéraux imperturbables de la Révolution.</p> + +<p>La transformation du Corps législatif, dès que +la Restauration fut accomplie et la Charte mise +en pratique, n'est pas moins frappante. Cette assemblée, +si longtemps muette et inerte, devient +tout à coup bruyante et active. Elle parle, elle +discute, elle résiste, elle décide. Les lois qui lui +sont proposées, les mesures et les personnes du +gouvernement, les principes généraux et les incidents +de chaque jour, tout y est sérieusement +examiné et vivement débattu. Une opposition s'y +forme. Toutes les théories, toutes les espérances, +toutes les exigences libérales s'y manifestent. Ce +n'est point un corps nouveau; tous ses membres +sont restés les mêmes; mais l'âme y est rentrée: +c'est un être ressuscité.</p> + +<p>C'est la liberté politique qui fait cette résurrection. +Elle est si conforme aux besoins et aux +tendances de la nouvelle société française, qu'elle +y rentre comme dans son domaine naturel. Avant +1814, elle en était exilée. Dès qu'elle reparaît, on +s'empresse, on l'accueille, comme si on ne l'avait +jamais oubliée. On dirait un réveil qui ramène, +sans effort, les habitudes de la veille. Et ce sont +les mêmes hommes, à qui l'absence de la liberté +politique avait paru si indifférente, qui acceptent +et fêtent, sans embarras, son retour. Un sentiment +plus ou moins développé, mais général et puissant, +les domine et anime le pays tout entier: en retrouvant +la liberté politique, on croit reprendre des +droits, et, en reprenant ses droits, on acquiert des +garanties efficaces contre les maux et les périls dont +on a tant souffert. Par elle-même, par la lumière +et la chaleur qu'elle répand, la liberté politique a +de quoi plaire grandement aux hommes; mais +elle fait mieux encore que de leur plaire, elle les +défend du mauvais gouvernement; elle leur apporte, +autant que le permet l'imperfection des +choses humaines et des hommes eux-mêmes, les +deux plus grands biens de ce monde, la sécurité +et l'espérance.</p> + +<p>Ce fut là le bienfait immédiat et le prestige de +la Restauration. Elle s'accomplissait au milieu d'un +grand désastre national; elle blessait des coeurs +fiers et dévoués; elle inquiétait des intérêts puissants +et susceptibles. Mais elle ramenait le respect +et l'empire du droit; au dedans, du droit des citoyens; +au dehors, du droit des gens; elle rouvrait +les perspectives de la liberté politique et de la +paix.</p> + +<p>Et ce n'était pas seulement les acteurs fatigués +de la Révolution et de l'Empire, les survivants de +la génération de 1789 qui faisaient accueil à ces +perspectives comme à un retour vers leurs premiers +désirs après tant de mécomptes, comme à +un port de refuge après tant d'orages. La liberté +politique avait des amis plus jeunes et plus ardents +à la conquérir et à en jouir. Une génération +nouvelle commençait à paraître, étrangère à la +Révolution comme à l'ancien régime et qui avait +surtout connu l'Empire par les excès du pouvoir +absolu et de la guerre. Dans le monde intellectuel +comme dans le monde matériel, il y a des +germes puissants qui vivent et croissent cachés et +sous terre, échappant aux regards des maîtres qui +n'en aiment pas les fruits et qui voudraient les +étouffer. Décriés par les fautes, les crimes et les +revers qui avaient accompagné leur explosion, les +principes et les sentiments de la liberté politique +n'avaient pourtant point péri en France; ils se conservaient +et se ranimaient sans bruit dans des esprits +solitaires et dans de petits groupes adonnés +au goût de l'activité intellectuelle et au culte indépendant +de la vérité. L'une des principales institutions +de l'Empire devint, pour cette renaissance +presque inaperçue des idées et des espérances +libérales, un foyer naturel. J'avais l'honneur, il y +a six ans, de recevoir dans le sein de l'Académie +française et comme son directeur, un savant illustre, +l'une des gloires et aujourd'hui l'un des regrets +de l'Institut tout entier, M. Biot; je me permis, ce +jour-là, de dire: «C'est quelquefois la condition +des despotes, quand ils sont de grands hommes, +de créer des institutions qui leur échappent, et +de voir rentrer peu à peu dans leurs oeuvres une +liberté qui n'entrait pas dans leurs plans. Dominés +par l'instinct et le goût du grand, ils évoquent des +puissances qu'il ne leur sera pas donné, à eux-mêmes, +de tenir longtemps asservies. Le cardinal +de Richelieu, en fondant l'Académie française, +ne se doutait pas qu'il la trouverait bientôt peu +docile à sa mauvaise humeur envers Corneille et à +son mauvais goût au sujet du <i>Cid</i>. L'empereur Napoléon +n'avait pas institué l'Université pour qu'elle +fournit, aux principes et aux sentiments libéraux, +tant d'intelligents et persévérants défenseurs. +Heureuse imprévoyance de ces redoutables dominateurs +du monde, à qui la grandeur de leur +génie fait quelquefois oublier l'égoïsme de leurs +passions, et qui, dans l'élan de leur pensée, font +plus et mieux qu'ils n'avaient prémédité!»</p> + +<p>Grâce à ce mérite imprévu de l'Empire, et dans +les années qui précédèrent la Restauration, les +études philosophiques, historiques et littéraires florissaient +modestement au sein de l'Université, et +préparaient à la liberté politique, dans la génération +qui touchait à l'âge viril, des amis chauds, +vaillants et éclairés.</p> + +<p>D'autres hommes, bien différents par leurs +dispositions morales comme par leur situation +sociale, les anciens amis de la maison de Bourbon, +les survivants de l'ancien régime rentraient en +même temps dans la vie publique. La Restauration +les y rappelait, soit qu'ils eussent constamment +partagé, hors de France, l'exil de leurs +princes, soit que, rentrés en France après la tourmente +révolutionnaire, ils y eussent vécu étrangers +aux affaires et au gouvernement du pays. +La liberté politique rétablie par la Charte était +pour eux comme pour tous; et quels que fussent +leurs désirs et leurs espérances, soit qu'ils acceptassent +les principes fondamentaux de la nouvelle +société française et les grands résultats de la Révolution, +soit qu'ils se flattassent de ramener la +France vers son ancien état et de faire sortir de la +Restauration une contre-révolution plus ou moins +étendue, c'était, en tout cas, par la liberté politique, +par les élections, la discussion, la liberté de +la tribune, la liberté de la presse qu'ils étaient +tenus de se manifester et de reprendre place dans +les affaires du pays. Ils avaient les institutions +libres, cette grande ambition et cette grande +conquête de 1789, pour instruments obligés de +leurs desseins et de leur action.</p> + +<p>Au début du régime nouveau, en présence +d'éléments si divers, si étrangers les uns aux +autres, si soudainement rapprochés et appelés à +agir ensemble, la confusion et l'agitation furent +grandes. Des premiers jours de la Restauration à +l'explosion des Cent-Jours, ni le gouvernement, ni +les partis, ni le public ne prirent une attitude et +ne tinrent une conduite claire, décidée, efficace. +Royalistes triomphants, Constitutionnels espérants, +Bonapartistes mécontents, tout le monde tâtonnait, +tout le monde attendait; nul ne démêlait encore +ce que serait l'avenir et ce que chacun pouvait +avoir à s'en promettre ou à en craindre. Cependant, +au milieu de cette incertitude générale, les +institutions nouvelles suivaient leur cours, la +liberté politique prenait son vol. Dans les Chambres, +la liberté de la tribune, hors des Chambres, +la liberté de la presse se déployaient: la première, +méfiante et quelquefois vive, mais, au fond, modérée +et loyale; la seconde, déjà violente, agressive, +destructive entre les mains des ennemis de la dynastie +restaurée, imprévoyante et précipitée dans +les mains des amis sincères et rigides du régime +constitutionnel. Personne ne songeait alors à élever +les questions et à réclamer les conditions de +ce qu'on a appelé depuis le gouvernement parlementaire; +les plus libéraux étaient plus modestes; +mais personne non plus ne mesurait la portée des +exigences qu'il formait et des armes dont il se +servait: «A peine entrée dans son nouveau régime, +une impression soudaine d'alarme et de +méfiance avait saisi la France et s'aggravait de +jour en jour. Ce régime, c'était la liberté avec +ses incertitudes, ses luttes et ses périls. Personne +n'était accoutumé à la liberté et elle ne contentait +personne. De la Restauration, les hommes de +l'ancienne France s'étaient promis la victoire; de +la Charte, la France nouvelle attendait la sécurité; +ni les uns, ni les autres n'obtenaient satisfaction; +ils se retrouvaient, au contraire, en présence, +avec leurs prétentions et leurs passions +mutuelles. Triste mécompte, pour les royalistes, +de voir le roi vainqueur sans l'être eux-mêmes. +Dure nécessité, pour les hommes de la Révolution, +d'avoir à se défendre, eux qui dominaient depuis +si longtemps. Les uns et les autres étaient étonnés +et irrités de cette situation comme d'une offense à +leur dignité et d'une atteinte à leurs droits. Dans +leur irritation, les uns et les autres se livraient, +en projet et en paroles, à toutes les fantaisies, à +tous les emportements de leurs désirs ou de leurs +alarmes. Parmi les puissants et les riches de l'ancien +régime, beaucoup ne se refusaient, envers +les riches et les puissants nouveaux, ni impertinences, +ni menaces. A la cour, dans les salons de +Paris, et, bien plus encore au fond des départements, +par les journaux, par les pamphlets, par +les conversations, par les incidents journaliers de +la vie privée, les nobles et les bourgeois, les +ecclésiastiques et les laïques, les émigrés et les +acquéreurs de biens nationaux laissaient percer +ou éclater leurs rivalités, leurs humeurs, leurs +rêves d'espérance et de crainte. Ce n'était là que +la conséquence naturelle et inévitable de l'état +très-nouveau que la Charte mise en pratique inaugurait +brusquement en France: pendant la Révolution, +on se battait; sous l'Empire, on se taisait; +la Restauration avait jeté la liberté au sein de la +paix. Dans l'inexpérience et la susceptibilité générales, +le mouvement et le bruit de la liberté, +c'était la guerre civile près de recommencer.</p> + +<p>«Pour suffire à une telle situation, pour maintenir +à la fois la paix et la liberté, pour guérir les +blessures sans supprimer les coups, nul gouvernement +n'eût été trop fort ni trop habile. +Louis XVIII et ses conseillers n'y réussissaient +pas. Ils n'étaient pas, en fait de régime libre, plus +expérimentés ni plus aguerris que la France elle-même. +Par leurs actes, ils ne donnaient à ses +inquiétudes aucun motif sérieux; ils avaient cru +que la Charte empêcherait les inquiétudes de +naître; dès qu'elles se manifestaient un peu vivement, +ils s'efforçaient de les calmer en abandonnant +ou en atténuant les mesures qui les avaient +suscitées. Au fond, les intérêts qui se croyaient +menacés ne couraient aucun vrai péril; en présence +des alarmes de la France nouvelle, le roi et +ses conseillers étaient bien plus disposés à céder +qu'à engager la lutte; mais après avoir fait acte de +sagesse constitutionnelle, ils se croyaient quittes +de tout souci et rentraient dans leurs habitudes et +leurs goûts d'ancien régime, voulant aussi vivre +en paix avec leurs vieux et familiers amis. C'était +un pouvoir modéré, qui faisait cas de ses serments +et ne formait, contre les intérêts et les +droits nouveaux du pays, point de redoutables +desseins, mais sans initiative et sans vigueur, dépaysé +et isolé dans son royaume, divisé et entravé +dans son intérieur, faible avec ses ennemis, faible +avec ses amis, n'aspirant pour lui-même qu'à la +sécurité dans le repos, et appelé à traiter chaque +jour avec un peuple remuant et hardi qui passait +soudainement des rudes secousses de la Révolution +et de la guerre aux difficiles travaux de la +liberté.</p> + +<p>«Sous l'influence de cette liberté, un tel gouvernement, +sans passions obstinées et docile au +voeu public quand l'expression en devenait claire, +eût pu se redresser en s'affermissant et suffire +mieux à sa tâche. Mais il lui fallait du temps et le +concours du pays. Le pays, mécontent et inquiet, +ne sut ni attendre ni aider. De toutes les sagesses +nécessaires aux peuples libres, la plus difficile est +de savoir supporter ce qui leur déplaît pour +conserver les biens qu'ils possèdent et acquérir +ceux qu'ils désirent.</p> + +<p>«On a beaucoup agité la question de savoir +quels complots et quels conspirateurs avaient, le +20 mars 1815, renversé les Bourbons et ramené +Napoléon. Débat subalterne et qui n'a qu'un intérêt +de curiosité historique. A coup sûr, il y eut, +de 1814 à 1815, dans l'armée et dans la Révolution, +parmi les généraux et parmi les conventionnels, +bien des plans et bien des menées contre la +Restauration et pour un autre gouvernement, l'Empire, +la Régence, le duc d'Orléans, la République. +Mais si Napoléon fût resté immobile à l'île d'Elbe, +tous ces projets de révolution auraient probablement +avorté ou échoué bien des fois. La fatuité +des faiseurs de conspirations est infinie, et quand +l'événement semble leur avoir donné raison, ils +s'attribuent à eux-mêmes ce qui a été le résultat +de causes bien plus grandes et plus complexes que +leurs machinations. Ce fut Napoléon seul qui renversa, +en 1815, les Bourbons, en évoquant, de sa +personne, le dévouement fanatique de l'armée et +les instincts révolutionnaires des masses populaires. +Quelque chancelante que fût la monarchie +naguère restaurée, il fallait ce grand homme et +ces grandes forces sociales pour l'abattre. Stupéfaite, +la France laissa, sans confiance comme sans +résistance, l'événement s'accomplir. Napoléon en +jugea lui-même ainsi avec un bon sens admirable: +«Ils m'ont laissé arriver, dit-il au comte Mollien, +comme il les ont laissé partir<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a> +<a href="#footnote2"><sup class="sml">2</sup></a>.»</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote2" +name="footnote2"><b>Note 2: </b></a><a href="#footnotetag2"> +(retour) </a> Je reproduis ici quelques traits du tableau que j'ai tracé +ailleurs de cette époque et de ses caractères. (<i>Mémoires pour +servir à l'histoire de mon temps</i>, t. I, p. 53-57.) Je ne saurais dire +plus clairement ce qu'à ce sujet je crois toujours vrai et équitable.</blockquote> + +<p>Je ne m'arrête pas sur ce retour de Napoléon. +J'ai dit ailleurs ce que j'en ai vu et pensé au moment +même, ce que j'en pense encore aujourd'hui<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a> +<a href="#footnote3"><sup class="sml">3</sup></a>. +Ce fut l'acte d'un égoïsme immense, +héroïquement conçu et exécuté. Égoïsme plus +fatal à la France que tous les excès antérieurs de +l'ambition et du despotisme de Napoléon. Les +Cent-Jours firent bien plus qu'attirer, au dehors, +sur la France, des revers et des fardeaux jusque-là +sans pareils; ils la rejetèrent, au dedans, dans +cette arène des sanglantes discordes civiles que +l'Empire avait fermée. Napoléon détruisit de ses +propres mains, en 1815, l'oeuvre de pacification +intérieure comme de puissance extérieure qu'il +avait naguère accomplie pour la France. Mais, de +cette crise funeste, je ne veux ici relever et mettre +en lumière qu'un grand fait, l'acceptation, par +Napoléon lui-même, de la liberté publique, de ses +institutions et de ses garanties. L'<i>Acte additionnel</i> +les contenait presque toutes, loyalement et sagement +combinées. S'il fût sorti vainqueur de sa +lutte européenne, Napoléon les eût-il respectées? +Eût-il subi, sur le trône, ce régime de contradictions, +de résistances et de transactions continues +que la liberté politique impose au pouvoir, et qu'il +avait accepté en y remontant? Je ne le crois pas. +Je ne veux pas passer sous silence des symptômes +qui semblent favorables à une autre conjecture. +On dit que, le 11 juin 1815, la veille de son départ +pour l'armée, après avoir solennellement reçu +la Chambre des pairs et la Chambre des représentants +et répondu à leurs adresses, Napoléon dit à +ses ministres en leur faisant ses adieux: «Je ne +sais comment vous ferez pour conduire les Chambres +en mon absence. M. Fouché croit qu'en +gagnant quelques vieux corrompus, en flattant +quelques jeunes enthousiastes, on domine les assemblées; +mais il se trompe. C'est là de l'intrigue, +et l'intrigue ne mène pas loin. En Angleterre, +sans négliger absolument ces moyens, on +en a de plus grands et de plus sérieux. Rappelez-vous +M. Pitt, et voyez aujourd'hui lord Castlereagh! +Les Chambres, en Angleterre, sont anciennes et +expérimentées; elles ont fait depuis longtemps +connaissance avec les hommes destinés à devenir +leurs chefs; elles ont pris de la confiance ou du +goût pour eux, soit à cause de leurs talents, soit à +cause de leur caractère; elles les ont en quelque +sorte imposés au choix de la couronne, et après +les avoir faits ministres, il faudrait qu'elles fussent +bien inconséquentes, bien ennemies d'elles-mêmes +et de leur pays pour ne pas suivre leur +direction. C'est ainsi qu'avec un signe de son +sourcil, M. Pitt les dirigeait, et que les dirige encore +aujourd'hui lord Castlereagh. Ah! si j'avais +de tels instruments, je ne craindrais pas les Chambres. +Mais ai-je rien de pareil<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a> +<a href="#footnote4"><sup class="sml">4</sup></a>?»</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote3" +name="footnote3"><b>Note 3: </b></a><a href="#footnotetag3"> +(retour) </a> <i>Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps</i>, t. I, p. 59-98.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote4" +name="footnote4"><b>Note 4: </b></a><a href="#footnotetag4"> +(retour) </a> <i>Histoire du Consulat et de l'Empire</i>, par M. Thiers, t. XIX, +p. 619.</blockquote> + +<p>Napoléon n'avait, à coup sûr, rien de pareil, +mais, s'il eût eu M. Pitt à la tête de son conseil, +il ne l'eût pas supporté. Quels que fussent, pour le +roi George III, le respect affectueux et les égards de +M. Pitt, quelque accord même qui régnât, entre +le roi et son ministre, quant à leur politique générale, +c'était M. Pitt, et non pas George III, qui +gouvernait; c'étaient, en définitive, les idées, les +desseins, les amis de M. Pitt qui prévalaient, et il +avait, tant qu'il restait ministre, l'honneur comme +la charge du gouvernement. De tels hommes ne +sont pas, pour un roi, des <i>instruments</i>, comme +les appelait Napoléon au moment même où il regrettait +de ne pas les avoir auprès de lui; ce sont +des alliés obligés, et qui portent, dans le service +royal, une forte, bien que respectueuse, indépendance. +Ce n'est pas avec la passion et après une +longue habitude du pouvoir absolu qu'on se résigne +à ce partage, quelquefois très-inégal, du +pouvoir et de la gloire. Dans les épanchements +de sagesse qu'amènent les grands périls, le grand +esprit de Napoléon comprenait les conditions et la +marche du gouvernement libre; mais je suis convaincu +que, si la fortune lui fût redevenue prospère, +sa nature et son passé auraient repris, en lui +comme autour de lui, leur empire, et que l'<i>Acte +additionnel</i> aurait plié devant l'Empereur.</p> + +<p>Mais peu importe aujourd'hui ce problème +moral à propos d'un grand homme: que la +transformation constitutionnelle de Napoléon, +en 1815, fût, ou non, sérieuse et durable, ce +qu'elle prouve évidemment, c'est le rapide +progrès de la liberté politique renaissante. Ce +grand voeu de 1789, si longtemps oublié ou comprimé, +reparut tout à coup avec l'empire d'un +besoin national. Louis XVIII l'avait consacré par +la Charte; Napoléon en fit autant par l'<i>Acte additionnel</i>. +L'ancienne royauté et la royauté de la +Révolution reconnurent et acceptèrent également, +et coup sur coup, le gouvernement libre, pour la +France comme un droit, pour ses chefs comme une +nécessité.</p> + +<p>Dès le lendemain de cette double victoire, la +liberté politique en remporta une autre, peut-être +encore plus difficile et plus significative. +Sous l'impulsion de la réaction bien naturelle +contre les Cent-Jours, les élections amenèrent sur +la scène une Chambre des députés ardente à +poursuivre, contre la Révolution et l'Empire, +cette réaction dont elle était elle-même le fruit. +Il y avait, dans cette Chambre, plus de passions +vindicatives que de plans politiques, et le besoin +de jouir de la victoire après tant de défaites y +tenait plus de place que l'esprit systématiquement +rétrograde. Mais elle fut, dès son avénement, +et non sans cause, qualifiée et redoutée, +par le pays, comme la Chambre de l'ancien +régime et de la contre-révolution. Elle n'en fit +pas moins ce que venaient de faire Louis XVIII en +1814 et Napoléon en 1815: quels que fussent ses +regrets et ses tendances, elle accepta la liberté +politique comme une nécessité de situation et de +gouvernement. Elle fit plus que l'accepter; elle +la mit en pratique avec une hardiesse depuis longtemps +étrangère à nos assemblées législatives; +elle opposa ses idées, ses projets, sa politique +aux idées, aux projets, à la politique de la +Royauté qu'elle venait soutenir. Loin de se +renfermer dans les limites des droits et des pouvoirs +que lui attribuait la Charte, elle s'efforça de +les étendre; elle aspira à toutes les prérogatives +que possédaient ailleurs d'autres assemblées depuis +longtemps puissantes et intimement associées +au gouvernement. Les ambitions constitutionnelles +des plus libéraux publicistes devinrent celles de la +Chambre de 1815. Elle réprouva, elle dénonça, elle +attaqua les conseillers de la couronne. Elle éleva +enfin la prétention fondamentale du régime parlementaire; +elle réclama, comme son droit, le pouvoir +dirigeant et définitif pour la majorité qui se formait +dans son sein. A la tribune et dans la presse, +ses orateurs et ses écrivains les plus illustres soutinrent +que le ministère du roi devait être pris +dans cette majorité et gouverner selon son influence, +que telle était la loi du régime représentatif.</p> + +<p>Mais en même temps qu'au nom du régime +représentatif et parlementaire, la Chambre de +1815 exerçait et étendait fièrement ses propres +droits, elle restreignait ou suspendait les droits +des citoyens, la liberté individuelle, la liberté de +la presse, les garanties judiciaires. Au sommet de +l'État, les principes de la liberté politique, adoptés +et pratiqués par les représentants de l'ancien +régime lui-même, étaient en progrès; mais, dans +le pays, les libertés privées et personnelles avaient +grandement à souffrir de l'empire du parti dominant. +Dans le présent et en fait, la liberté politique +tournait ainsi contre son but essentiel, et ses institutions +fondamentales devenaient des instruments +de régime arbitraire et de réaction.</p> + +<p>En présence de cet étrange amalgame de passions +contre-révolutionnaires et d'idées libérales, +des esprits élevés, libres et moraux, des hommes +à qui le spectacle de la Révolution avait appris à +détester surtout l'arbitraire et l'oppression infligés +aux peuples sous de beaux noms et dans de +belles espérances, des hommes qui voulaient surtout +l'exercice et le respect pratique des droits et +des libertés individuelles, ces hommes, venus de +tous les points de l'horizon politique, entreprirent +courageusement de défendre, dans le gouvernement +et dans les Chambres, la justice et la +société françaises gravement menacées. «Ce +parti se forma brusquement, spontanément, sans +but prémédité, sans combinaisons antérieures et +personnelles, sous le seul empire de la nécessité +du moment, pour résister à un mal pressant, non +pour faire prévaloir tel ou tel système politique, +tel ou tel ensemble d'idées, de résolutions et de +desseins. Soutenir la Restauration en combattant +la réaction, ce fut d'abord toute sa politique<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a> +<a href="#footnote5"><sup class="sml">5</sup></a>.» +Pour pratiquer cette politique avec quelque autorité, +pour rendre efficace sa résistance à la +réaction contre-révolutionnaire, il fallait, à ce +parti naissant, un point d'appui: il le prit dans la +royauté restaurée, dans les droits et les forces +que lui reconnaissait la Charte constitutionnelle. +Contre l'ambition dominante de la Chambre de +1815, il maintint, en principe, la royauté à la +tête du gouvernement, se souciant peu des conséquences +qu'on voulait tirer de la nature du +régime représentatif, les repoussant même péremptoirement +au nom de la monarchie: «Quelle +est donc, disait-il, cette nature mystérieuse qui +commande de tels sacrifices? Qui est-ce qui l'a définie? +Qui est-ce qui a autorité pour imposer à cette +nation une autre définition que celle de la Charte? +Le jour où le gouvernement sera à la discrétion de +la majorité de la Chambre, le jour où il sera établi +en fait que la Chambre peut repousser les ministres +du roi, et lui en imposer d'autres qui seront +ses propres ministres et non les ministres du +roi, ce jour-là, c'en est fait, non pas seulement +de la Charte, mais de notre royauté, de cette +royauté indépendante qui a protégé nos pères, et +de laquelle seule la France a reçu tout ce qu'elle +a jamais eu de liberté et de bonheur. Ce jour-là, +nous sommes en république<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a> +<a href="#footnote6"><sup class="sml">6</sup></a>.»</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote5" +name="footnote5"><b>Note 5: </b></a><a href="#footnotetag5"> +(retour) </a> <i>Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps</i>, t. I, p. 115.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote6" +name="footnote6"><b>Note 6: </b></a><a href="#footnotetag6"> +(retour) </a> <i>La vie politique de M. Roger-Collard, ses discours et ses écrits</i>, +par M. de Barante, t. I, p. 217.</blockquote> + +<p>Je ne siégeais alors ni dans la Chambre des +députés, ni dans le conseil des ministres; j'approuvais +pleinement la résistance de mes amis +politiques à la domination vindicative de la +Chambre de 1815 et leur empressement à défendre +de son ambition la royauté qui les aidait à +défendre la France contre ses réactions. Dans les +jours de grand péril, c'est le premier devoir des +hommes publics de courir, comme on dit, au +plus pressé, et la société n'a rien de plus pressé +que la protection de la justice et du droit envers +tous les citoyens. Je prêtai, autant qu'il était en +moi, au parti de la résistance d'alors, mon plus +zélé concours; mais la théorie qu'il mettait en +avant sur les rapports des grands pouvoirs de +l'État ne me satisfaisait point; cette proclamation +de «la royauté indépendante,» cette déclaration +que «si la Chambre des députés pouvait +repousser les ministres du roi et lui en imposer +d'autres, c'en était fait de la monarchie et nous +étions en république,» blessaient mes sentiments +en fait de liberté politique et mes instincts, encore +un peu confus, sur la nature et les conditions +du gouvernement libre. Fonder un gouvernement +libre, c'était précisément l'oeuvre à +laquelle nous étions appelés. Quoi de plus important, +pour le succès d'une telle oeuvre, que de +bien comprendre et de bien ménager les situations +respectives et les rapports nécessaires des +grands pouvoirs de l'État? Cette intelligence et +ce ménagement avaient manqué aux auteurs de +la Constitution de 1791 lorsque, en maintenant +la royauté, ils en avaient fait le serviteur impuissant +d'une assemblée souveraine. Étions-nous près +de tomber, en sens contraire, dans une erreur analogue, +et de contester, en principe, à la Chambre +des députés, l'influence définitive qu'en fait elle +ne pouvait manquer d'exercer dans le gouvernement? +Ceux-là avaient tort qui, au nom de la +souveraineté du peuple, déclaraient souveraine +une Chambre obligée, pour faire prévaloir ses +vues, de les faire agréer par la royauté et que la +royauté pouvait dissoudre; mais comment qualifier +<i>d'indépendante</i> une royauté qui ne pouvait +recevoir que des Chambres ses plus nécessaires +moyens de gouvernement? En droit comme en +fait, dans le régime constitutionnel, aucun des +grands pouvoirs n'est indépendant ni souverain; +c'est précisément pour qu'aucun d'eux ne le soit +qu'ils sont séparés et investis de droits spéciaux, +indépendants seulement dans leurs limites et à +certaines conditions. Comment peuvent vivre et se +déployer côte à côte des droits distincts? Comment +s'établira l'harmonie entre des pouvoirs séparés? +C'est là le problème fondamental du gouvernement +libre. A mon avis, les maximes que +proclamaient, en 1815, quelques-uns de mes +plus influents amis ne le résolvaient point, et je +croyais sa solution d'une importance plus pratique +et plus prochaine qu'ils ne le pensaient.</p> + +<p>Vers la fin de l'année 1816, au moment où la +dissolution de la Chambre de 1815, prononcée +par l'ordonnance du 5 septembre, faisait de cette +question le point culminant de la lutte des partis, +je résolus d'en dire ma pensée, et je publiai sous +ce titre: <i>Du gouvernement représentatif et de l'état +actuel de la France</i>, un court écrit où, après avoir +pleinement adhéré à la politique générale du ministère, +j'essayai d'indiquer par quels moyens on +pouvait, sous le régime représentatif, atteindre +le double but de toute société bien constituée, un +gouvernement fort et un peuple libre. On n'appelait +pas encore cette question «la question du +gouvernement parlementaire;» mais c'était bien +là, en réalité, le fond du débat et le sens du travail +des esprits.</p> + +<p>«Comme la société est une, disais-je, de même +le gouvernement doit être un. L'unité dans le +gouvernement est une nécessité si impérieuse +que toutes les constitutions, quels que soient leurs +éléments, tendent constamment à y arriver. Les +obstacles qu'oppose à cette tendance nécessaire +une mauvaise organisation des pouvoirs sont +parmi les principales causes des désordres intérieurs +qui agitent et souvent bouleversent les +États. Les sociétés brillent et prospèrent quelquefois +malgré l'influence de cette cause; mais +elle finit par étouffer les germes de prospérité les +plus féconds; et les nations n'obtiennent une +existence en même temps paisible et glorieuse +que lorsque l'unité est parvenue à s'établir +dans les pouvoirs qui président à leurs destinées.</p> + +<p>«Qu'on parcoure l'histoire de la Grèce, celle +de Rome, l'histoire des républiques italiennes, +de l'Allemagne, de l'Angleterre, on reconnaîtra +que le défaut d'unité dans le gouvernement a +été partout un principe de révolutions et de maux +insupportables. Là, les États ont fini par périr au +milieu de la lutte des pouvoirs; ici elle les a +réduits à subir le joug d'un despotisme aussi funeste +et plus honteux; ailleurs, mais bien plus +rarement, la lutte s'est terminée par une heureuse +fusion des pouvoirs. Résultats divers selon +les temps et les circonstances, mais qui prouvent +tous que l'unité dans le gouvernement est l'une +des conditions nécessaires de l'ordre, de la vraie +liberté et de la durée.</p> + +<p>«Il y a unité dans le gouvernement, lorsque le +pouvoir chargé de diriger les affaires générales de +la société peut remplir cette tâche dans toute son +étendue sans être arrêté ou troublé dans son +action par des obstacles qui compromettent son +existence.</p> + +<p>«.....Il n'y avait pas unité dans le gouvernement +anglais avant la révolution de 1688, car le +pouvoir royal et le pouvoir de la Chambre des +communes étaient si profondément séparés et +étrangers l'un à l'autre, qu'ils conspiraient +sans cesse leur ruine mutuelle. Depuis 1688, +l'unité s'est progressivement établie dans la constitution +britannique, parce que le pouvoir royal +et le pouvoir des Chambres sont parvenus, en se +pénétrant réciproquement et en se fondant l'un +dans l'autre, à ne plus former, en fait, qu'un +seul pouvoir, le pouvoir du Parlement qui, à la +vérité, a en lui-même ses limites, mais qui, tant +qu'il ne les dépasse point, s'exerce pleinement +et librement, sans aucun danger pour l'État, ni +pour lui-même.</p> + +<p>«Partout où divers pouvoirs égaux, séparés et +indépendants sont appelés à concourir au gouvernement, +ce concours est un combat tant que +ces pouvoirs demeurent dans leur séparation et +leur indépendance réciproque. Et qu'on ne prétende +pas donner à l'un d'eux, considéré isolément, +une prépondérance telle que les autres +deviennent des agents secondaires; cette prétention +enfanterait une lutte d'un autre genre et non +moins funeste.... Ce n'est pas seulement la situation +relative des trois pouvoirs et le défaut d'unité +dans le gouvernement qui ont amené en Angleterre +la révolution de 1640 et de 1688; c'est +surtout l'imprudente ambition des Stuarts qui +voulaient donner, à l'autorité royale seule, une +supériorité inconciliable avec les priviléges et les +fonctions des deux Chambres. La maison de +Hanovre a accepté la fusion intime de l'autorité +royale avec celle des deux Chambres: dès lors +toute rivalité a disparu, toute lutte dangereuse a +cessé: l'unité a été établie dans le gouvernement +anglais, et il est devenu fort, en même temps que +la nation devenait libre.</p> + +<p>«.....A la lumière de cet exemple, le mécanisme +des gouvernements mixtes devient simple +et facile à expliquer. Quand les gouvernements +de ce genre ont atteint à leur maturité, l'unité de +pouvoir et d'action s'établit entre leurs divers +éléments; seulement le pouvoir suprême et définitif, +un au fond quoique extérieurement divisé, +est soumis, par son organisation intérieure, à certaines +conditions qui lui posent, dans son propre +sein, des limites qu'il ne peut dépasser sans perdre +les forces mêmes par lesquelles il agit..... Dans la +monarchie constitutionnelle, à ne considérer que +les apparences, la royauté est le gouvernement, +la Chambre des députés l'opposition, et la Chambre +des pairs le médiateur. Dans la réalité bien +comprise, au contraire, le roi, la Chambre des +pairs et la Chambre des députés forment un seul +et même pouvoir suprême qui gouverne avec les +forces de ces trois éléments réunis; l'opposition +qui existe dans les deux Chambres est un surveillant +et un rival intérieur, placé au sein du gouvernement +lui-même; elle n'est point un pouvoir +distinct; son droit est d'observer et de critiquer; +sa mission est de marquer la limite que, dans la +politique qu'il a adoptée, le gouvernement ne +doit pas dépasser, et d'avertir le pays dès qu'en +effet cette limite de la politique en vigueur est +dépassée. L'opposition est là comme une puissance +comminatoire et expectante dont la présence +oblige le gouvernement à être prudent et +habile, dans son propre système, sous peine de +voir les forces qui le suivent se séparer de lui et +passer sous un autre drapeau.</p> + +<p>«C'est à ce point qu'est parvenu, en Angleterre, +le gouvernement représentatif; c'est là sa +vraie théorie et sa pratique bien comprise. L'autorité +royale n'y a point été, comme on le dit +vulgairement, envahie et remplacée par celle des +Chambres; seulement la royauté, éclairée par +l'expérience sur le danger de demeurer placée en +dehors des Chambres, et d'avoir ainsi à diriger ou +à combattre des pouvoirs étrangers aux affaires, +ennemis s'ils ne sont serviles, obstacle terrible +en cas d'inimitié, appui sans force en cas de servitude, +la royauté, dis-je, s'est fort sagement +décidée à placer le siége du gouvernement dans +les Chambres mêmes, et à gouverner de concert +avec elles et par leurs chefs. Ainsi s'est opérée +cette fusion des pouvoirs divers, seul point de +repos des gouvernements mixtes, et par laquelle +les pouvoirs, loin de s'entraver ou de s'annuler +les uns les autres, se soutiennent et se fortifient +mutuellement<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a> +<a href="#footnote7"><sup class="sml">7</sup></a>.»</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote7" +name="footnote7"><b>Note 7: </b></a><a href="#footnotetag7"> +(retour) </a> <i>Du Gouvernement représentatif et de l'état actuel de la France</i>, +p. 25-31. Paris, 1816.</blockquote> + +<p>Si j'avais aujourd'hui à présenter pour la première +fois ces idées, je les exprimerais d'une façon +moins abstraite, plus pratique, et en les éclairant +de plus près par le flambeau des faits. Mais telles +que je les concevais et que je les ai publiées +en 1816, elles contenaient, je crois, en germe, +les vrais principes du gouvernement mixte, qui +est le gouvernement libre, et elles mettaient en +lumière les procédés par lesquels l'unité, condition +nécessaire de la force du gouvernement, se rétablit +entre des pouvoirs séparés et divers, condition +nécessaire de la liberté.</p> + +<p>Mais, c'étaient là, en 1816, des méditations et +des pressentiments solitaires; dans l'arène politique +et au milieu de ses luttes, nous étions loin +de nous rendre ainsi compte de la nature et des +lois intimes du gouvernement que nous avions à +pratiquer. Heureusement il n'est pas indispensable +que les hommes, pour bien faire, sachent nettement +ce qu'ils font, et Dieu permet souvent qu'ils +marchent dans la bonne voie sans en bien connaître +l'étendue et les sinuosités. Nous ne démêlions pas +avec précision quel mode d'exercice la liberté politique +imposait au pouvoir; mais nous voulions sincèrement, +énergiquement, la liberté elle-même, et +nous en usions sans hésitation en défendant la +nouvelle société française contre la réaction qui +la menaçait. La royauté restaurée ne manqua +point, dans cette crise, à sa mission et à son oeuvre: +contre les passions de son ancien parti, elle protégea +la France avec les armes de la Charte. +Grâce à ce concours de la royauté sensée et +de la liberté franche, le gouvernement libre se +réalisa et s'organisa rapidement, plus rapidement +dans le fait que dans la pensée de ses acteurs. Une +majorité se forma dans les Chambres, décidée à +soutenir la politique loyalement libérale. Plusieurs +des chefs de cette majorité, éloquents et courageux +interprètes de ses sentiments, entrèrent dans +le cabinet. Le ministère ainsi constitué eut en face +de lui une opposition ardente, hardie, héritière +de la majorité qui avait dominé dans la Chambre +de 1815, et persistant avec plus de prudence dans +sa politique, mais légale et dévouée au gouvernement +royal, tout en combattant ses conseillers. +Ainsi apparaissaient et agissaient déjà les grands +partis, instruments nécessaires du régime représentatif +dans sa maturité, défendant leurs actes et +exposant leurs vues devant la couronne et le +pays, et se disputant le pouvoir avec les armes de +la liberté.</p> + +<p>Les résultats de cette forte et harmonique organisation +des grands pouvoirs publics ne tardèrent +pas à se manifester. En même temps que la +liberté politique s'établissait au centre du gouvernement, +les libertés des citoyens recevaient leurs +développements et leurs garanties. Laborieusement +préparées et discutées, des lois sur la liberté +de la presse, sur le jury, sur la formation et les +droits de l'armée, sur l'administration municipale, +attestaient l'efficacité du bon régime parlementaire +pour le progrès des libertés communes à +tous et pour le bon gouvernement général de +l'État.</p> + +<p>Mais en même temps aussi éclata le mal dont le +parti libéral, alors l'allié et l'appui du cabinet, +était travaillé. Hors des Chambres et même dans +leur sein, ce parti comptait dans ses rangs des +hommes plus attachés à la Révolution qu'à la liberté, +et obstinés à défendre la Révolution tout +entière, indistinctement, pêle-mêle, même dans +ceux de ses actes qu'au fond ils désapprouvaient. +Les uns se faisaient un point d'honneur de soutenir +en tous cas, contre ses ennemis le grand événement +auquel, dans des mesures très-inégales, +ils avaient eux-mêmes pris part. Les autres ne +pouvaient se résigner à croire que la liberté politique +rentrât en France avec les anciens adversaires +de la Révolution et au milieu de nos revers. +D'autres n'osaient pas combattre ou seulement +désavouer les passions populaires que les violences +de 1815 avaient soulevées. Aux uns, c'étaient +l'étendue et la sérénité d'esprit, aux autres, +c'étaient l'équité et la fermeté de coeur qui manquaient +pour juger sainement du nouvel état de la +France, et reconnaître la nécessité des grandes +transactions pour fonder la liberté après les grandes +crises. Et sous l'empire de ces sentiments divers, +tous prêtaient leur concours ou n'opposaient nulle +résistance au travail des factions ennemies qui +poursuivaient le renversement de la monarchie +restaurée, et tournaient avec ardeur, contre elle, +les armes de la liberté restaurée avec elle.</p> + +<p>L'explosion de cette situation chargée d'orages +ne se fit pas longtemps attendre. L'un des conventionnels +qui avaient voté la mort de Louis XVI, +M. Grégoire, fut élu député. Le duc de Berry fut +assassiné. Ces deux faits amenèrent, en deux ans, +la ruine complète du parti libéral dans le gouvernement, +et firent passer le pouvoir aux mains du +côté droit dans les Chambres, du parti que le sentiment +public regardait comme le représentant de +l'ancien régime et l'instrument de la contre-révolution.</p> + +<p>Alors commença une triple lutte dont les conséquences +pour la liberté politique méritent d'être +mises en pleine lumière. Au sein du parti vainqueur, +investi du gouvernement, s'établit un conflit +sourd, mais continu, entre les intelligents et +les fanatiques, les modérés et les emportés, entre +les chefs devenus responsables et prudents en +devenant ministres et les rangs extrêmes de +l'armée, ardents à poursuivre en tous sens et à +tout risque leur victoire. De son côté, à la tribune +et dans la presse, le parti libéral tombé du pouvoir +institua, contre ses nouveaux possesseurs, +une opposition permanente, diverse dans ses +maximes et son langage selon les diverses nuances +de ses membres, mais active de la part de tous et +soutenue au dehors par le sentiment public. +Enfin, hors du théâtre constitutionnel, tantôt +dans une ombre profonde, tantôt sous des déguisements +incomplets, les sociétés secrètes se mirent +à l'oeuvre, diverses aussi dans leurs éléments, +les uns dévoués aux souvenirs de l'Empire, les +autres nourrissant l'espoir de la République, tous +acharnés au renversement de la monarchie restaurée. +Les dissensions intestines du parti en +pouvoir, les luttes parlementaires et les conspirations +révolutionnaires suivaient ainsi parallèlement +leur cours, mais avec des résultats bien +différents pour la cause de la liberté politique.</p> + +<p>Les ministres de cette époque, surtout M. de +Villèle, vrai chef du cabinet, même avant qu'il en +portât le titre, ont encouru le reproche de n'avoir +pas suffisamment résisté aux passions vindicatives +ou aux fantaisies rétrogrades de leur parti et +d'avoir ainsi compromis leur cause générale +comme leur propre pouvoir. Je crois le reproche +à la fois fondé et sévère: il y a de la légèreté dans +les plus sages, de la faiblesse dans les plus fermes, +et soit qu'il s'agisse de la vie publique ou de la vie +privée, les meilleurs ne font jamais, non-seulement +tout ce qu'ils devraient, mais tout ce qu'ils +pourraient faire. M. de Villèle, à coup sûr, céda +plus d'une fois trop complaisamment et au roi +qu'il servait et au parti qu'il dirigeait. Il est difficile +de bien mesurer les obstacles contre lesquels +il avait à lutter, et de savoir s'il possédait, soit +dans les Chambres, soit à la cour, assez de force +pour les affronter et les vaincre. Mais, quelles +qu'aient été en ce genre ses fautes, «il fit deux +choses difficiles et qu'on pourrait appeler grandes +si elles avaient duré plus longtemps: il disciplina +l'ancien parti royaliste, et d'un parti de cour et de +classe qui, jusque-là, n'avait été vraiment actif que +dans les luttes révolutionnaires, il fit, pendant six +ans, un parti de gouvernement. Il contint ce parti +et son pouvoir dans les limites de la Charte, et +pratiqua, pendant six ans, le gouvernement constitutionnel +sous un prince et avec des amis qui +passaient pour le comprendre assez peu et ne l'accepter +qu'à regret<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a> +<a href="#footnote8"><sup class="sml">8</sup></a>.» Ce fut là, pour la liberté politique, +et par des mains de qui on ne l'attendait +guère, une grande conquête et un important +progrès.</p> + + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote8" +name="footnote8"><b>Note 8: </b></a><a href="#footnotetag8"> +(retour) </a> <i>Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps</i>, t. I, p. 286.</blockquote> + +<p>On a aussi reproché, à une portion de l'opposition +libérale dans les Chambres à cette époque, +sa complaisance pour les conspirations et les insurrections +qui, de 1820 à 1827, poursuivirent avec +passion la ruine de la monarchie restaurée. Je +n'ai nul goût à renouveler aujourd'hui ce reproche, +et je ne veux pas non plus excuser les faiblesses +embarrassées et les connivences timides qui en +furent ou la cause légitime ou le spécieux prétexte. +C'est de la liberté politique seule, de ses +progrès ou de ses revers pendant ce temps que je +me préoccupe. Sous ce rapport et pour cette +grande cause, les torts de quelques-uns des membres +libéraux des Chambres d'alors, quelle que fût +leur gravité aux yeux de la morale et du bon sens, +eurent peu d'importance; dans sa difficile situation, +l'opposition parlementaire, de 1820 à 1827, +fit son devoir et s'acquitta bien de sa mission; elle +usa fermement de ses propres libertés et défendit +avec persévérance celles du pays. Malgré ses ménagements +pour les tentatives révolutionnaires du +dehors, elle ne se livra point elle-même à l'esprit +révolutionnaire, et ce ne fut point ce fatal esprit +qui grandit dans les Chambres par les luttes qu'elle +y soutint; l'esprit de légalité et de prévoyance, +le respect de l'ordre constitutionnel et du gouvernement +régulier y furent, au contraire, en rapide +progrès. Si bien qu'en moins de sept années l'opposition +libérale vit sa bonne conduite récompensée +et ses efforts couronnés par le succès. Les vices et +les périls de la politique qui dominait depuis 1822 +furent reconnus; le parti de l'ancien régime perdit +le pouvoir; et dans la personne de M. de +Martignac et de ses collègues, une simple évolution +parlementaire ramena, en 1827, le gouvernement +dans les voies libérales dont, en 1820, +l'élection de M. Grégoire et l'assassinat du duc de +Berry l'avaient fait sortir. Grand triomphe, à coup +sûr, pour la liberté politique naissante, et preuve +éclatante de son efficacité.</p> + +<p>Mais pendant qu'au centre du gouvernement, et +par sa propre vertu, le régime parlementaire prévalait +ainsi et portait ses fruits, quelque divers +qu'en fussent les acteurs, les conspirations et les +insurrections révolutionnaires troublaient sans +cesse ses progrès, et mettaient les coups de la violence +et du hasard à la place des développements +naturels de la liberté. «Aujourd'hui, à plus de +trente ans de distance, après tant et de bien plus +grands événements, quand un honnête homme +sensé se demande quels motifs suscitaient des colères +si ardentes et des entreprises si téméraires, +il n'en trouve point de suffisants ni de légitimes. +Ni les actes du pouvoir, ni les probabilités de l'avenir +ne blessaient ou ne menaçaient assez les +droits et les intérêts du pays pour autoriser un tel +travail de renversement. Le système électoral avait +été artificieusement changé; le pouvoir avait passé +aux mains d'un parti irritant et suspect; mais les +grandes institutions étaient debout; les libertés +publiques, bien que combattues, se déployaient +avec vigueur; le pays prospérait et grandissait régulièrement. +Inquiète, la société nouvelle n'était +point désarmée; elle était en mesure d'attendre +et de se défendre. Il y avait de justes motifs pour +une opposition publique et vive, point de justes +causes de conspiration ni de révolution. Les peuples +qui aspirent à la liberté courent un grand +danger, le danger de se tromper en fait de tyrannie. +Ils donnent aisément ce nom à tout régime +qui leur déplaît ou les inquiète, ou qui ne leur accorde +pas tout ce qu'ils désirent. Frivoles humeurs +qui ne demeurent pas impunies. Il faut que le +pouvoir ait infligé au pays bien des violations de +droit, des iniquités et des souffrances bien amères +et bien prolongées pour que les révolutions soient +fondées en raison, et réussissent malgré leurs +propres fautes. Quand de telles causes manquent +aux tentatives révolutionnaires, ou bien elles +échouent misérablement, ou bien elles amènent +promptement les réactions qui les châtient<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a> +<a href="#footnote9"><sup class="sml">9</sup></a>.»</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote9" +name="footnote9"><b>Note 9: </b></a><a href="#footnotetag9"> +(retour) </a> <i>Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps</i>, t. I, p. 234.</blockquote> + +<p>Les conspirations révolutionnaires de 1820 +à 1823 n'étaient pas seulement dénuées de motifs +sensés et légitimes: ourdies presque toutes +par des sociétés secrètes d'origine et de dénominations +diverses, elles jetaient leurs auteurs et +leurs adhérents dans des voies essentiellement +contraires aux intérêts comme aux principes de +la liberté politique. Quoi de moins libéral que les +sociétés secrètes, les sentiments qu'elles fomentent, +les façons d'agir qu'elles imposent? La liberté +vit de lumière, de publicité, de contradiction, +de discussion; elle veut que les systèmes, les +desseins, les partis, les hommes contraires se +manifestent et se combattent hautement, sous les +yeux du public qui apprend ainsi à les connaître +et à les juger. Les sociétés secrètes, au contraire, +vouent leurs membres à l'isolement, au silence, +aux menées obscures, aux passions déguisées, à +l'obéissance passive. Le public ne les connaît pas; +ils ne connaissent pas leurs adversaires; à peine +se connaissent-ils entre eux. Toutes les habitudes, +toutes les pratiques de la liberté leur sont étrangères; +ce sont des esclaves volontaires, au service +de coteries toujours près de devenir tragiques. Situation +d'autant plus déplorable qu'elle ne manque +point d'attrait; les hommes se complaisent dans le +mystère, les desseins cachés, les périls vagues, les +unions très-limitées et intimes, et dans l'importance +que leur emprunte chacun des associés. +Que de telles associations se forment sous une +tyrannie avérée, pesante, permanente, qui condamne +au silence et à l'inaction ceux qui vivent +sous sa loi, cela s'explique et se justifie naturellement; +mais des sociétés secrètes au milieu d'un +régime de liberté, de publicité, de discussion, +quand tous les citoyens, avec des efforts et des +risques très-modestes, peuvent parler et agir au +grand jour pour soutenir leur cause, c'est là un +contre-sens absurde et funeste, qui ne s'explique +que par des passions qu'on n'ose avouer, et qui +fausse le jugement et le caractère des adeptes +engagés dans ces ténèbres, autant qu'il inquiète +et trouble la société qu'ils pourraient servir en +usant hardiment de ses libertés.</p> + +<p>Il n'y a point de contradiction, si étrange +qu'elle soit, qui ne se rencontre dans l'âme et la +conduite des hommes. En même temps que les +sociétés secrètes éloignaient, des pratiques et des +habitudes de la liberté politique, la jeune génération +qui s'y laissait attirer, le parti républicain +naissait dans leur sein; et les mêmes hommes +qui préféraient les engagements et les conciliabules +secrets au ferme usage des institutions +libres qu'ils avaient sous la main, aspiraient avec +passion à la République comme à l'idéal de la +liberté.</p> + +<p>Je m'en suis expliqué plus d'une fois: j'honore +le gouvernement républicain; il a tenu, dans +l'histoire du monde, une place glorieuse; la nature +humaine s'y est développée grandement et +avec éclat; il a convenu, il peut convenir à certaines +époques, à certains états des sociétés humaines; +et si j'avais vécu à Rome après la chute +de la République et sous les empereurs, j'aurais +dit volontiers avec le vieux Galba: «Si l'immense +corps de l'Empire pouvait se tenir debout +et en équilibre sans un maître, nous étions dignes +que la République commençât par nous<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a> +<a href="#footnote10"><sup class="sml">10</sup></a>.» Mais je +suis profondément convaincu, d'une part, que la +République n'est point, en principe, le plus rationnel +et le plus naturel des gouvernements, d'autre +part, qu'elle est de tous les gouvernements le plus +difficile à pratiquer, et en outre que, par une multitude +de causes sociales, morales, historiques, +géographiques, elle ne convient nullement à la +France. Ce fut donc, je pense, de 1820 à 1830, +un grand malheur que la renaissance du parti républicain; +il n'existait pas en 1814, au moment +où la Restauration s'accomplit; il ne parut pas +dans les Cent-Jours, quand l'Empire tenta de se +rétablir. Plus tard, ce ne fut point après de sérieuses +épreuves et de graves débats publics, ni +sous la pression de quelque forte nécessité ou d'une +opinion puissante que le parti républicain se reforma; +ce fut au sein des sociétés secrètes, au service +de leurs passions et de leurs complots, loin +des regards et, pour ainsi dire, à l'insu de la France +que la République reprit la prétention de devenir +le gouvernement français.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote10" +name="footnote10"><b>Note 10: </b></a><a href="#footnotetag10"> +(retour) </a> <i>Si immensum Imperii corpus stare ac librari sine rectore posset, +dignus eram a quo Respublica inciperet.</i> (Tacite, <i>Hist.</i>, liv. I, +c. XVI.)</blockquote> + +<p>Au vice de cette origine se joignit un autre +mal peut-être encore plus grave. Le parti républicain +ainsi renaissant était un groupe peu nombreux, +formé de quelques hommes considérables, +vieillis avec plus de dignité que de clairvoyance +au service de la cause libérale, et de jeunes gens +sincèrement passionnés pour l'idée républicaine. +Ce petit état-major n'avait, dans le pays même, +point d'armée et point de crédit pour en recruter +une. Pourtant il lui en fallait une; il lui fallait des +forces bruyantes et actives, prêtes à le seconder +en toute occasion et à le suivre jusqu'au bout dans +son dessein. Elles s'offrirent à lui, impures et compromettantes, +mais hardies. La République révolutionnaire +de 1792 à 1798, malgré les revers et +les démentis éclatants qu'elle avait subis, avait +conservé presque partout des adhérents obscurs, +fanatiques subalternes ou brouillons décriés, ennemis +intraitables de la monarchie, de la Restauration, +de la maison de Bourbon, de tout pouvoir +qui ne donnait pas satisfaction à leurs haines ou à +leurs rêves, et habiles à fomenter, dans les masses +populaires, ces espérances vagues, ces passions +anarchiques qui y sommeillent toujours, prêtes à +s'éveiller au moindre bruit. C'étaient là, pour les +chefs républicains, une armée éparse mais toute +disposée à leur venir en aide. Par imprévoyance, +par faiblesse, par entraînement, faute d'autres appuis +dans les régions sereines de la société, ils +recherchèrent ou acceptèrent celui-là, se flattant +d'employer au triomphe de la République ces +restes des plus mauvais temps de la Révolution, et +ne prévoyant pas que les révolutionnaires deviendraient +leurs maîtres au lieu d'être, entre leurs +mains, des instruments de liberté.</p> + +<p>Après le succès de la guerre d'Espagne, dans +les dernières années du ministère de M. de Villèle +et sous celui de M. de Martignac, les sociétés secrètes +et les républicains firent peu de bruit; ce +ne furent plus les conspirations, les insurrections +et leurs procès qui remplirent la scène et passionnèrent +le public. La lutte parlementaire remplaçait +et éteignait la guerre révolutionnaire. C'est le +but et le triomphe de la liberté politique. Mais si +la guerre révolutionnaire ne retentissait plus, dans +les Chambres et dans le pays, avec la même puissance, +elle n'en continuait pas moins, sourde et +acharnée; au lieu d'éclater dans la sphère de la +publicité et de la discussion, parlementaire ou +judiciaire, l'hostilité se poursuivait dans l'ombre, +et par toute sorte de voies cachées où les alarmes, +la surveillance et les rapports de la police la poursuivaient +incessamment à leur tour. Et les agents +de l'administration, les conseillers de la couronne, +n'étaient pas les seuls dont ces rapports excitassent +la sollicitude; le roi Charles X lui-même en était +constamment et vivement préoccupé. C'est l'inévitable +condition de la police et de sa lutte secrète +contre les ennemis secrets avec qui elle est aux +prises que tantôt elle ignore, tantôt elle grossit +outre mesure les périls qu'elle est chargée de +prévenir; ce qui jette et entretient ses maîtres +dans un état d'agitation continue, comme il arriverait +à des hommes dont les regards, sans cesse +tendus, apercevraient çà et là des lueurs dans des +ténèbres pleines d'ennemis. Il faut, à ceux qui font +la police ou qui la suivent dans son travail, une +rare fermeté d'esprit pour voir les choses telles +qu'elles sont réellement, à leur place, à leur taille, +et pour ne pas tomber, tantôt dans une sécurité +aveugle, tantôt dans des craintes très-exagérées. +Nul n'était moins propre que le roi Charles X à +bien supporter une telle épreuve: esprit à la fois +remuant et faible, imprévoyant et obstiné, il avait +goût aux recherches, aux découvertes, aux communications +de la police, et dès qu'il les trouvait +d'accord avec ses impressions et ses préventions +anciennes et générales, il leur portait +une confiance crédule. La Révolution et la République +lui apparaissaient, à chaque instant, +comme deux fantômes menaçants. Ces fantômes +avaient assez de réalité, et l'hostilité des révolutionnaires +et des républicains était assez active +pour l'entretenir incessamment dans une irritation +pleine d'alarmes; il voyait son trône et sa maison +toujours en proie à un pressant péril; et les grands +faits publics, l'apaisement visible des esprits, les +incontestables progrès du gouvernement légal et +régulier dans les Chambres ne suffisaient nullement +à le rassurer.</p> + +<p>Ce fut bien pis quand les Chambres elles-mêmes +et les embarras de son gouvernement dans leur +sein lui devinrent un sujet de trouble et de colère. +Le parti libéral commit, en 1829, une faute +énorme: il était rentré, par le ministère Martignac, +en possession de la prépondérance; la liberté +politique venait d'acquérir, par les nouvelles +lois sur la presse et sur les élections, d'efficaces +garanties. Au lieu de soutenir avec persévérance +le cabinet auquel il devait de tels progrès, le parti +libéral le harcela par des exigences inopportunes, +ne s'entendit pas avec lui dans la discussion des +lois sur l'administration municipale et départementale, +et fournit ainsi au roi Charles X l'occasion +de satisfaire, en appelant d'autres ministres, +sa passion et son inquiétude. Moins +choquante que l'offense agressive qu'avait commise, +en 1819, le parti révolutionnaire en élisant +un régicide, la faute du parti libéral, en 1829, +fut, en résultat, aussi grave; l'une avait, par +degrés, amené au pouvoir le côté droit et M. de +Villèle; l'autre y fit monter tout à coup M. de +Polignac.</p> + +<p>En formant le cabinet du 8 août 1829, ni le roi +Charles X, ni le prince de Polignac ne méditaient, +à coup sûr, la violation de la Charte et les ordonnances +de Juillet 1830. L'un croyait défendre sa +couronne et son droit royal; l'autre se promettait +de pratiquer en France le gouvernement +représentatif tel qu'il l'avait vu et admiré en +Angleterre. Il y a presque toujours, dans les résolutions +des hommes médiocres, plus d'idées fausses +que de mauvais desseins, et c'est leur erreur radicale +de ne pas seulement soupçonner la gravité +des questions qu'ils soulèvent et l'issue des voies +où ils s'engagent. C'était, depuis 1814, l'effort des +libéraux loyaux et sensés de séparer la cause de +la royauté restaurée de celle de l'ancien régime +et la cause de la liberté politique de celle des +théories et des passions révolutionnaires. Quand +il fit le prince de Polignac son premier ministre, +Charles X confondit ces causes si diverses, jeta le +gant au parti parlementaire comme au parti révolutionnaire, +et remit du même coup la liberté +politique en question et l'ancien régime en présence +de la Révolution.</p> + +<p>A cette provocation inintelligente et téméraire, +l'adresse des 221 fut la réponse. Réponse directe +et franche, sans hésitation et sans voile, mais aussi +modérée que franche, et aussi monarchique que +libérale: «La Charte, disait-elle, que nous devons +à la sagesse de votre auguste prédécesseur, +et dont Votre Majesté a la ferme volonté de consolider +le bienfait, consacre comme un droit l'intervention +du pays dans la délibération des intérêts +publics. Cette intervention devait être, elle est en +effet indirecte, sagement mesurée, circonscrite +dans des limites exactement tracées, et que nous ne +souffrirons jamais que l'on ose tenter de franchir; +mais elle est positive dans son résultat, car elle +fait, du concours permanent des vues politiques +de votre gouvernement avec les voeux de votre +peuple, la condition indispensable de la marche +régulière des affaires publiques. Sire, notre +loyauté, notre dévouement, nous condamnent à +vous dire que ce concours n'existe pas.» La liberté +politique était ainsi proclamée en principe +et appliquée aux circonstances du moment, +comme un droit national. Mais à côté de ces +fermes paroles se plaçaient celles-ci: «Quinze +ans de paix et de liberté, que ce peuple doit à +votre auguste frère et à vous, ont profondément +enraciné dans son coeur la reconnaissance qui +l'attache à votre royale famille; sa raison, mûrie +par l'expérience et par la liberté des discussions, +lui dit que c'est surtout en matière d'autorité que +l'antiquité de la possession est le plus saint de tous +les titres, et que c'est pour son bonheur autant +que pour votre gloire que les siècles ont placé +votre trône dans une région inaccessible aux +orages. Sa conviction s'accorde donc avec son devoir +pour lui présenter les droits sacrés de votre +couronne comme la plus sûre garantie de ses libertés, +et l'intégrité de vos prérogatives comme +nécessaire à la conservation de ces droits.» Il était +impossible de méconnaître la parfaite et sérieuse +sincérité de l'un et de l'autre langage; et par un +progrès bien inattendu dont la liberté politique +en vigueur depuis quinze ans avait l'honneur +comme le fruit, c'était M. Royer-Collard qui parlait +ainsi au nom de la Chambre des députés, et +toutes les nuances du parti libéral, l'opposition +tout entière, acceptaient les paroles de M. Royer-Collard +comme l'expression de leurs sentiments et +de leurs desseins.</p> + +<p>Il y avait là une de ces fortunes rares, un de +ces moments décisifs qui, bien compris et bien +saisis, fondent pour un long temps la force des +gouvernements et la paix intérieure des États. +Le roi Charles X ne comprit point. Au lieu d'accepter +l'harmonie et l'union intime des grands +pouvoirs, loyalement demandées et offertes, il +prononça leur séparation. La Chambre des députés +fut dissoute.</p> + +<p>Elle n'avait certainement pas dépassé les limites +de son droit. Avait-elle dépassé celles de la prudence? +Au lieu d'affirmer sur-le-champ, en principe +la nécessité et en fait l'absence de l'harmonie +entre la Chambre et un ministère qui n'avait +encore rien fait, et n'était suspect qu'à cause des +noms et des antécédents de ses membres, n'eût-il +pas mieux valu attendre ses actes, et lui faire opposition +dans la pratique de la législation et des +affaires, sans lui signifier d'avance un refus général +de concours? J'admets ce doute, quoique, +même aujourd'hui et après les clartés de l'expérience, +je ne le partage pas. A l'appui de ma persistance, +je pourrais alléguer l'état des esprits en +1830; je pourrais dire que, pour conserver dans +le pays l'autorité qu'elle avait acquise, pour maintenir +toutes les nuances du parti libéral dans la +modération et l'harmonie qu'elles avaient, non +sans peine, acceptées, la Chambre des députés +avait besoin, à cette époque, de faire acte de cette +fermeté franche et hardie qui satisfait et domine +l'imagination des peuples. En faveur de l'adresse +des 221, cette considération est puissante; pourtant +ce n'est pas celle qui me décide; les corps +politiques doivent savoir, même au prix de quelque +déclin dans la faveur populaire, tenir une conduite +patiente et lente, si c'est la plus sage et si elle peut +les mener au but avec un moindre péril. Mais je +demeure convaincu que la cécité politique du roi +Charles X était incurable, que la Chambre des +députés de 1830 n'eût pas mieux réussi, par l'opposition +patiente que par sa résolution nette et +prompte, à lui faire accepter les conséquences du +droit national consacré par la Charte, et que, entre +la couronne et la Chambre, la même situation qui +amena l'adresse des 221 se fût reproduite plus +tard, peut-être plus pressante encore et plus grave. +Si j'ai raison dans ma conjecture, la Chambre +eut raison dans sa conduite, et l'adresse des 221 +était, pour elle, le seul moyen d'exercer, sur les +élections que tous prévoyaient, l'influence qui +pouvait seule y faire prévaloir la politique à la +fois conservatrice et libérale dont nous poursuivions +le triomphe.</p> + +<p>Les élections répondirent au voeu de la Chambre. +Elles confirmèrent et fortifièrent, sans la rendre +plus ardente, la majorité parlementaire qui +avait voté l'adresse: la nouvelle Chambre était +aussi étrangère que celle qui l'avait précédée à +tout dessein, à tout désir révolutionnaire, aussi +résolue à maintenir la politique conservatrice et +libérale et à ne point la dépasser. Encore une +fortune inattendue pour la monarchie restaurée; +encore un moment décisif et facile à saisir. +Charles X ne comprit pas davantage. En dissolvant +la Chambre, il avait, selon son droit, fait +appel à la France. La France lui avait fermement, +mais loyalement répondu. Les ordonnances du +25 juillet 1830 furent la réplique du roi à la +réponse de la France.</p> + +<p>J'ai dit ailleurs ma pensée sur la Révolution +de 1830, ce que j'en pensais au moment où elle +s'accomplit et où j'y pris part, et ce que j'en +pense aujourd'hui<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a> +<a href="#footnote11"><sup class="sml">11</sup></a>. Je persiste dans ce que j'en +ai dit. «C'eût été certainement un grand bien +pour la France, et de sa part un grand acte d'intelligence +comme de vertu politique, que sa résistance +se renfermât dans les limites du droit monarchique, +et qu'elle ressaisît ses libertés sans +renverser son gouvernement. On ne garantit +jamais mieux le respect de ses propres droits +qu'en respectant soi-même les droits qui les balancent, +et, quand on a besoin de la monarchie, +il est plus sûr de la maintenir que d'avoir à la +fonder. Mais il y a des sagesses difficiles, qu'on +n'impose pas, à jour fixe, aux nations, et que la +pesante main de Dieu, qui dispose des événements +et des années, peut seule leur inculquer. Partie +du trône, une grande violation du droit avait +réveillé et déchaîné tous les instincts ardents du +peuple. Parmi les insurgés en armes, la méfiance +et l'antipathie pour la maison de Bourbon étaient +profondes. Les négociations tentées par le duc de +Mortemart ne furent que des apparences vaines; +malgré l'estime mutuelle des hommes et la courtoisie +des paroles, la question d'un raccommodement +avec la branche aînée de la famille royale +ne fut pas un moment sérieusement considérée ni +débattue. L'abdication du Roi et du dauphin vint +trop tard. La royauté de M. le duc de Bordeaux +avec M. le duc d'Orléans pour régent, qui eût été +non-seulement la solution constitutionnelle, mais +la plus politique, paraissait, aux plus modérés, +encore plus impossible que le raccommodement +avec le Roi lui-même. A cette époque, ni le parti libéral, +ni le parti royaliste n'eussent été assez sages, +ni le régent assez fort pour conduire et soutenir un +gouvernement à ce point compliqué, divisé et +agité. La résistance, d'ailleurs, se sentait légale +dans son origine, et se croyait assurée du succès +si elle poussait jusqu'à une révolution. Les masses +se livraient aux vieilles passions révolutionnaires, +et les chefs cédaient à l'impulsion des masses. Ils +tenaient pour certain qu'il n'y avait pas moyen de +traiter sûrement avec Charles X, et que, pour +occuper son trône, ils avaient sous la main un +autre roi. Dans l'état des faits et des esprits, on +n'avait à choisir qu'entre une monarchie nouvelle +et la république, entre M. le duc d'Orléans et +M. de Lafayette: «Général, dit à ce dernier son +petit gendre, M. de Rémusat, qui était allé le voir +à l'Hôtel de ville, si l'on fait une monarchie, le +duc d'Orléans sera roi; si l'on fait une république, +vous serez président. Prenez-vous sur vous la +responsabilité de la république?»..... Une +même conviction dominait ce jour-là tous les +hommes sérieux: par la monarchie seule, la France +pouvait échapper à l'abîme entr'ouvert, et une +seule monarchie était possible. Son établissement +fut, pour tout le monde, une délivrance: «Moi +aussi, je suis des victorieux,» me dit M. Royer-Collard, +«triste parmi les victorieux.»</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote11" +name="footnote11"><b>Note 11: </b></a><a href="#footnotetag11"> +(retour) </a> <i>Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps</i>, t. II, p. 1-34.</blockquote> + +<p>Ceux-là même qui n'étaient pas tristes ne pouvaient +pas ne pas être inquiets, et ils l'auraient été +bien davantage s'ils s'étaient dès lors rendu +compte des difficultés contre lesquelles, pour le +succès de l'oeuvre qu'ils avaient à coeur, ils allaient +avoir à lutter.</p> + +<p>Quel plus naturel et plus puissant enivrement +que celui d'un grand événement, d'un grand acte +national entrepris par de nobles motifs et généreusement +accompli? La génération qui occupait la +scène depuis 1814 avait pour sentiment dominant +la passion et pour but définitif la conquête de la +liberté politique. C'était l'instinct général du pays +qui sentait le besoin de garanties permanentes +pour les biens et les droits sociaux, si longtemps +compromis par l'anarchie ou par la guerre. C'était +l'élan des esprits jeunes et actifs qui cherchaient, +à l'intérieur et dans le développement libéral +des principes de 1789, la satisfaction de leurs +forces et l'emploi de leur vie. Quel plus grand +acte de liberté politique que la résistance suprême +aux tentatives du pouvoir absolu, et le pays disposant +lui-même de son gouvernement pour défendre +ses lois violées et revendiquer ses droits +méconnus? Les nations prennent, comme les rois, +un plaisir superbe à l'exercice de la souveraineté, +et les révolutions sont leur façon de dire à leur +tour: «L'État, c'est moi!»</p> + +<p>Mais, comme toutes les conquêtes, celle de la +liberté politique n'est qu'un vain et ruineux plaisir, +si elle ne se change en une possession solide, +et la fondation d'un gouvernement libre est le seul +gage comme le digne prix de la conquête de la +liberté. Il faut qu'une révolution libérale enfante +un gouvernement libre, régulier et durable; sans +quoi, elle n'est qu'un douloureux et stérile avortement. +Pour la Révolution de 1830, ce grand +problème était plus impérieusement posé et +plus difficile à résoudre qu'il ne l'avait jamais +été.</p> + +<p>Les révolutions ont, en général, une impulsion +simple et un but unique: elles se font tantôt contre +la tyrannie, tantôt contre l'anarchie, pour accomplir +de grandes réformes sociales ou pour rétablir +l'ordre et le pouvoir dont la société ne peut se +passer. Dans l'un et dans l'autre cas, les chefs et +les adhérents des révolutions marchent dans une +voie clairement tracée et sur une forte pente; ils +y rencontrent des difficultés et des périls, mais +point d'obscurités ni de lenteurs: inhabiles ou +faibles, ils tombent; mais, s'ils ne tombent pas, +ils avancent rapidement.</p> + +<p>La Révolution de 1830 a eu un tout autre caractère; +son impulsion et son but étaient très-complexes; +entreprise au nom des lois violées et +pour leur défense, elle était tenue, par ses propres +maximes et ses premiers actes, de rétablir +promptement l'ordre légal qui pourtant recevait, +dans la personne de la royauté, une grave atteinte. +Mais la Révolution venait de bien plus loin que de +la cause immédiate de son explosion, et elle portait +dans ses flancs de bien autres ambitions que le +rétablissement des lois. Au même moment et +sans délai, on lui demandait d'accomplir un grand +progrès libéral et de mettre sur pied un pouvoir +régulier et rassurant. Elle avait à la fois les libertés +publiques à étendre et le gouvernement à +fonder. Décidée à ne pas subir les ordonnances de +Juillet, la France voulait une révolution qui ne +fût pas révolutionnaire et qui lui donnât, du même +coup, l'ordre avec la liberté. C'était si bien son +voeu que ce fut la devise de son drapeau.</p> + +<p>Pour le prince appelé au trône et pour ses conseillers, +cette double tâche était prodigieusement +difficile. La Révolution n'avait pas été faite par les +pouvoirs légaux: les Chambres s'étaient empressées +d'y prendre leur place et de la sanctionner +pour la régler; mais c'était l'insurrection populaire +qui l'avait commencée et accomplie; et les +meneurs de l'insurrection populaire, c'étaient les +membres des sociétés secrètes, les anciens conspirateurs, +les chefs républicains. Ils avaient combattu +de l'aveu et avec l'appui du sentiment national; +mais le combat avait été leur fait et la +victoire leur oeuvre. L'élément révolutionnaire +était ainsi rentré avec puissance dans l'arène +politique où, depuis quelque temps, l'élément +parlementaire avait dominé.</p> + +<p>Je dis l'élément révolutionnaire, car, à ces +vainqueurs de Juillet, la révolution de Juillet, +telle qu'elle se concluait, ne suffisait point. +Les uns voulaient nettement la République, ou ne +consentaient à en abandonner le nom que si on +leur en donnait, sous une apparence monarchique, +la réalité mal déguisée et mal organisée; +ce qui est, pour toutes les sortes de gouvernement, +la pire des combinaisons. Les autres, moins précis +dans leurs voeux et plus désordonnés dans leurs +instincts, faisaient, des traditions de la Convention +et de celles de l'Empire, un confus mélange qui +aboutissait à réclamer, plus ou moins explicitement, +au dedans une effervescence populaire +indéfinie, au dehors une guerre de propagande et +de conquête. Là étaient, disaient-ils, pour la +France la grandeur et la liberté.</p> + +<p>Ainsi se préparait, pour le gouvernement naissant, +dès ses premiers pas et dans son propre +camp, une opposition formidable; il allait se retrouver +en face des mêmes passions, des mêmes +ambitions, des mêmes inimitiés, des mêmes périls +qui avaient assailli la Restauration. Et à côté de +cette opposition intestine s'en formait, contre lui, +une autre, celle des amis de la Restauration qui, +une fois sauvés de leurs grandes alarmes, reprenaient +leurs regrets et leurs colères. Appelé en +même temps à relever le pouvoir et à étendre la +liberté, le gouvernement de Juillet avait à lutter +à la fois contre les représentants obstinés de l'ancienne +société française et les téméraires enfants +de la nouvelle, contre la Restauration et la Révolution.</p> + +<p>Ce sera sa gloire d'avoir accepté et porté sans +hésiter, pendant dix-huit ans, ce pesant fardeau. +Il a franchement entrepris d'accomplir à la fois +les deux tâches qu'on lui imposait. Pour rétablir +l'ordre et fonder un gouvernement digne de ce +nom, il a résolument adopté, au dehors comme +au dedans, la politique de résistance au désordre, +aux désirs chimériques, aux entreprises révolutionnaires; +et il a pratiqué la politique de la résistance +avec les seules armes de la liberté, sans +recourir à aucune loi d'exception, à aucune violence, +à aucun silence, vivant sans cesse en face +de la publicité, de la discussion; de la responsabilité, +et respectant, au milieu du combat, tous +les droits, toutes les libertés de tous ses ennemis.</p> + +<p>C'est là vraiment la liberté politique; à ces +conditions seulement on a droit de dire qu'elle +existe et d'appeler le gouvernement un gouvernement +libre. On peut, aujourd'hui comme il y a +vingt ans, attaquer la politique du gouvernement +de Juillet; on peut trouver qu'il a trop résisté, +qu'il n'a pas assez tenté, assez innové, qu'il n'a +pas donné aux penchants du temps et du pays +assez de satisfaction. Je n'admets point, mais je +ne discute pas, en ce moment, ces griefs. En tout +cas, on ne saurait contester au gouvernement de +Juillet l'honneur d'avoir été un gouvernement +libre, d'avoir gouverné uniquement par les lois +et sous le contrôle de toutes les libertés écrites +dans les lois.</p> + +<p>Le régime de la liberté politique a ses défauts +comme ses mérites, et on ne recueille pas ses +bienfaits sans en payer le prix. Il est vrai: sous +ce régime, le bien est souvent lent et difficile, +quelquefois même impossible à faire au moment +où il apparaît à la pensée ambitieuse et hardie; les +rivalités des partis ou des personnes, la discussion +préalable ou pressentie, la timidité en face de la +responsabilité retardent quelquefois des résolutions +et entravent des entreprises grandes et utiles. +Mais, en revanche, que de fautes et de maux épargne, +au pouvoir et au pays, la liberté politique! +Que d'idées fausses elle dévoile et écarte! Que de +résolutions égoïstes, que d'entreprises étourdies +elle étouffe dans leur germe, avant que le pouvoir +et le pays s'y soient compromis sans retour! Ce +régime orageux et bruyant est, au fond et dans la +pratique définitive des affaires, un régime de patience +et de prudence; il oppose au mal bien plus +d'obstacles qu'il n'impose au bien de délais ou +d'épreuves; et ses deux libertés fondamentales, +la liberté de la tribune et la liberté de la presse, +qui font dire et croire dans le public tant de sottises, +en préviennent bien plus encore, et de bien +plus graves, dans le gouvernement.</p> + +<p>De tout temps, et aujourd'hui plus que jamais, +les grandes questions abondent, au dedans et au +dehors, sur les pas des grands peuples et de leurs +chefs. Rien n'est plus tentant que l'espoir de les +résoudre. Rien n'est plus facile que d'en commencer +l'entreprise. Mais ce qu'on a commencé, +il faut le finir; les questions qu'on a remuées, il +faut les régler: sans quoi l'embarras et peut-être +le péril seront bien plus graves que si l'on n'y eût +pas touché. Ce fut le mérite du gouvernement +de Juillet de ne jamais oublier qu'il était un gouvernement +libre, et de ne tenter que ce qu'il pouvait +faire avec les armes et dans les conditions +de la liberté.</p> + +<p>Mais la liberté politique a aussi ce mérite, qu'en +même temps qu'elle impose des freins au pouvoir +et lui enseigne la prudence, elle développe autour +de lui, dans ses conseillers et dans ses adversaires, +tout ce que la nature leur a donné de talent +et d'énergie. C'est un régime qui anime et contient +à la fois les hommes engagés dans les affaires +publiques, et qui les oblige à déployer tout ce +qu'ils sont et tout ce qu'ils valent, dans les limites +de ce qu'ils doivent et peuvent réellement +exécuter. Le pays ne gagne pas moins à ce résultat +que le gouvernement, car les oeuvres mesurées, +accomplies par des hommes éminents, servent et +honorent plus les nations que les grandes choses +tentées et mal faites par des hommes médiocres.</p> + +<p>L'ardeur et la valeur personnelle des hommes, +grandement provoquées et développées, ne seraient, +pour la société, qu'un bien incomplet et +peut-être périlleux, si le régime parlementaire n'avait +en même temps un autre effet. Il oblige et +amène les hommes politiques à se grouper, à se +discipliner, à reconnaître des chefs, à adopter des +principes hautement déclarés, à soutenir constamment +une même cause. Ainsi se forment ces +grands et persévérants partis qui se vouent à tel +ou tel des intérêts généraux et essentiels de la +société, font régner dans la vie publique des +moeurs viriles, la franchise, la fidélité, le respect +de soi-même, l'esprit de suite, et deviennent de +puissants et réguliers moyens de gouvernement +au milieu des agitations de la liberté.</p> + +<p>C'est là le gouvernement libre. C'est là le régime +qu'a désiré, poursuivi et plus ou moins bien +pratiqué, à travers les crises du temps et ses +propres discordes, la génération qui, de 1814 à +1848, a occupé en France la scène politique.</p> + +<p>J'entends le cri qui s'élève et se répète sans +relâche: «La France a cherché ce régime par +toutes sortes de voies, sous les drapeaux les plus +divers; elle l'a entrevu, elle y a touché, elle a cru +le posséder. Il est tombé. Peut-il jamais, après +tant d'épreuves, se relever de ce tort et de ce +malheur?»</p> + +<p>Je pourrais me borner à cette simple réponse +déjà souvent faite: «Quel est, depuis +soixante-dix ans, le régime qui n'est pas tombé? +Le pouvoir absolu a échoué comme la liberté; les +conquêtes de la guerre ont disparu comme celles +de la paix; les régimes divers auraient mauvaise +grâce à se traiter mutuellement avec hauteur; ils +ont tous subi les mêmes revers; ils ont tous +été tour à tour enveloppés et emportés dans +cet orage qui, depuis soixante-dix ans, souffle +sur l'Europe. Cherchez, contre le régime parlementaire, +d'autres armes que sa chute; il +vous rendrait avec usure les coups dont vous le +frapperiez. De tous nos régimes, c'est encore +celui-là qui a le plus duré.» Mais je ne veux pas +m'en tenir à cette récrimination évasive. Je veux +encore moins remettre ici en présence les événements +et les noms propres, et ranimer d'anciennes +discordes en recherchant comment doit être distribuée, +entre les amis sincères de la liberté politique, +hommes ou partis, la responsabilité de ses +revers. Ce que j'ai à coeur, c'est de signaler, dans +la fortune chancelante du gouvernement libre de +1814 à 1848, ces causes intrinsèques et, pour +ainsi dire, organiques qui ne sont le fait particulier +de personne, homme ou parti, et que chacun +peut reconnaître sans se démentir ou s'accuser +soi-même. Que les libéraux, tous les libéraux sachent +bien pourquoi la liberté politique leur a si +souvent échappé, quand ils croyaient l'avoir conquise; +à cette lumière, ils apprendront comment +on garde ce qu'on a conquis.</p> + +<p>J'y reviens sans cesse, tant ma conviction est +profonde: c'est à la fondation du gouvernement +libre qu'est attachée la solide possession de la +liberté politique. Tant que le pouvoir qui gouverne +ne puise pas sa force, aussi bien que sa +limite, dans les institutions mêmes qui servent +d'instruments et de garanties à la liberté, tant +que la société n'a pas la conscience et la confiance +que les institutions qui la font libre lui +assurent aussi un pouvoir capable de la gouverner, +on n'a qu'un régime troublé et précaire; la liberté +politique est à l'état de conquête pénible et incertaine, +non de possession régulière et définitive.</p> + +<p>Le gouvernement libre veut deux choses: +l'intervention efficace du pays dans la conduite +des affaires publiques et le contrôle efficace du +pays sur la conduite des affaires publiques. Que +le pays influe d'une façon décisive sur le système +et sur les acteurs de la politique qui le gouverne; +que cette politique ait constamment à soutenir la +critique des spectateurs qui y assistent: quand ces +deux faits coexistent, quand un ministère, accepté +et soutenu par les divers représentants du pays, +gouverne en présence d'une opposition armée +des droits de la liberté, alors le pays possède un +gouvernement libre; la liberté politique est +fondée.</p> + +<p>Nous avons eu, de 1814 à 1848, les essais de ce +régime. Pourquoi ces essais n'ont-ils pas suffi à +surmonter les épreuves qu'ils ont eu à subir? +Pourquoi, en marchant dans la bonne voie, n'est-on +pas arrivé et ne s'est-on pas fixé au but? Pourquoi, +ni de 1814 à 1830, ni de 1830 à 1848, la +monarchie constitutionnelle, qui touchait de si +près au gouvernement libre, n'en a-t-elle pas +acquis la force et assuré la durée?</p> + +<p>Je viens de parler des partis politiques, de ces +grands et persévérants partis qui se vouent à tel +ou tel des intérêts généraux et vitaux de la société, +celui-ci à l'ordre, celui-là à la liberté, l'un à la +conservation, l'autre au progrès, et au sein desquels +les hommes apprennent à se grouper, à se +discipliner, à soutenir une cause, à reconnaître +des chefs, à pratiquer cette franchise, cette fidélité, +ce respect de soi-même, cet esprit de suite +qui sont les moeurs viriles de la vie publique. De +tels partis sont les éléments naturels et nécessaires +du gouvernement libre: seuls ils mettent le pouvoir, +et aussi l'opposition, en état de soutenir les +longues luttes, de surmonter les mauvaises apparences, +de résister au vent qui souffle, aux échecs +décourageants, et de poursuivre, en combattant +toujours, des oeuvres lentes et difficiles. Les +grands partis politiques sont les armées de l'ordre +civil, au sein de la liberté.</p> + +<p>Ces éléments du gouvernement libre ne manquent +point à la France. On a beaucoup trop dit +qu'une grande aristocratie pouvait seule former et +soutenir de grands partis politiques; il est vrai +qu'ils y naissent et s'y perpétuent plus aisément +qu'ailleurs; mais cette condition du gouvernement +libre n'est point le privilége exclusif d'un seul état +de société ni d'une seule forme d'institution. Ce +ne sont pas les partis politiques qui ont manqué à +la république démocratique des États-Unis américains; +ils s'y sont établis, étendus, maintenus avec +une opiniâtreté indomptable, et c'est de leur tyrannie, +non de leur absence, qu'elle a eu à souffrir. +Il y a dans la société française, telle qu'elle +est faite aujourd'hui, tous les éléments d'un parti +de l'ordre et d'un parti de la liberté, d'un parti +conservateur et d'un parti novateur, d'un parti du +maintien et d'un parti du progrès. Ces dispositions +diverses se rencontrent dans tous les rangs +de notre société; l'esprit de conservation n'est +point étranger, en France, aux masses populaires, +ni l'esprit d'innovation aux classes élevées; et cette +classification spontanée des intérêts, des idées, +des instincts, des passions, peut se transformer +en organisation des partis politiques. De 1814 +à 1848, à travers toutes nos crises, nous avons vu +commencer ce travail d'organisation; et malgré +ce qui leur a manqué de consistance et de prévoyance, +c'est à la formation et à l'action des +grands partis politiques, dans les Chambres et +dans le pays, que le gouvernement libre a dû +parmi nous, de 1814 à 1848, ce qu'il a eu de force +régulière et de succès.</p> + +<p>Mais pour que les partis politiques suffisent +pleinement à leur tâche, il faut qu'ils possèdent +toutes leurs forces naturelles, qu'ils soient complets +et compactes. Si les amis de l'ordre sont +divisés et se combattent au lieu de se soutenir, si +les partisans du mouvement et du progrès sont +en proie à des intentions radicalement diverses, +ni le parti conservateur, ni le parti novateur ne +seront efficaces; ni l'un ni l'autre ne sera en +état de porter jusqu'au bout son fardeau, et le +gouvernement libre sera compromis faute d'acteurs +assez forts pour leurs rôles. Tel a été, de +1814 à 1848, le malheur de la liberté politique +en France: soit sous la Restauration, soit sous +le gouvernement de Juillet, les deux partis appelés +à mettre les institutions libres en pratique ont +été profondément incomplets et discordants. Sous +la Restauration, une portion considérable de la +société française, un grand nombre d'hommes +naturellement conservateurs et disposés à soutenir +le pouvoir, ont été méfiants, malveillants et se +sont rangés dans l'opposition. Sous le gouvernement +de Juillet, d'autres hommes, considérables +aussi, conservateurs aussi par nature et par situation, +ont été rejetés, par leurs idées et leurs +sentiments, dans l'abstention et l'hostilité. Le parti +du gouvernement s'est ainsi trouvé, aux deux +époques, plus petit et plus étroit qu'il n'aurait dû +et pu l'être, trop petit et trop étroit pour sa tâche. +L'opposition, de son côté, a été, non pas mutilée, +mais faussée; les adversaires légaux de la politique +dominante, les partisans de la Restauration déchue, +les républicains systématiques et les révolutionnaires +ardents s'y sont mêlés et mutuellement +entravés ou entraînés tour à tour. Le +gouvernement n'a pas eu tous ses appuis naturels. +L'opposition a eu des alliés qui l'ont dénaturée. +Tout le régime de la liberté politique a été ainsi +frappé tantôt de faiblesse, tantôt de désordre, +et tantôt il n'a pas été au niveau, tantôt il a été +jeté en dehors de sa mission.</p> + +<p>Je ne réveille aucun souvenir qui puisse diviser +ou irriter; je n'impute rien à personne; je ne +prononce aucun nom propre; j'évite jusqu'aux +mots qui exprimeraient nos anciennes querelles; +je ne parle ni de démocratie et d'aristocratie, ni +de bourgeoisie et de noblesse, ni de propriétaires +et de prolétaires; je retrace seulement un fait +capital et ses conséquences. La génération qui, +de 1814 à 1848, a voulu, sous la monarchie constitutionnelle, +fonder la liberté politique, a poursuivi, +avec les plus honorables sentiments, le plus +salutaire dessein. Elle a bien compris les principes +de 1789 et les besoins définitifs de la France; +mais elle a cru la liberté politique trop tôt et trop +aisément conquise. C'est un régime difficile et +laborieux, qui impose à ses amis de longs efforts +et de pénibles sacrifices. Il faut que les hommes +qui veulent sérieusement le mettre en pratique +apprennent à se faire mutuellement des sacrifices, +à s'entendre, à s'unir, à se discipliner, et qu'ils +s'organisent en partis préoccupés, avant tout, +du succès de leur oeuvre. Il faut que ces partis +soient grands, qu'ils aient toute la taille et +toute la force que peut leur donner la société. +La liberté politique est une maîtresse fière et jalouse, +qui sait ce qu'elle vaut et ne se donne +qu'à ceux qui, à leur tour, se donnent à elle +tous et tout entiers. Tant que nous resterons sous +l'empire de nos vieilles rivalités de classes et de +nos vieilles guerres de révolution, nous ne conquerrons +pas définitivement la liberté politique; +nous ne fonderons pas solidement un gouvernement +libre. Il faut que tous les conservateurs +soient ensemble, et que les opposants soient des +rivaux, non des destructeurs. Qu'on donne à cette +nécessité le nom qu'on voudra, qu'on l'appelle +transaction, conciliation, fusion, peu importe; +c'est le fait même qui est indispensable pour que +la France atteigne enfin le but vers lequel elle +s'est élancée en 1789, et pour qu'au sein de la +liberté, elle se relève et se repose de la Révolution.</p> +<a name="i-III" id="i-III"></a> + + +<br><br> +<h3>III</h3> + +<h4>1848.</h4> + +<p>Je ne raconte point, je ne discute point; j'essaye +de comprendre et d'expliquer les faits. Je +viens de dire pourquoi, à mon sens, la génération +de 1789 et celle de 1814 ont tour à tour réussi et +échoué, l'une dans l'oeuvre de la Révolution, +l'autre dans celle du gouvernement libre. J'arrive +à la génération de 1848, ou plutôt à la portion de +cette génération qui, en 1848, a envahi la scène +et tenté l'oeuvre de la République. Pourquoi a-t-elle, +non-seulement échoué dans son dessein, +mais rapidement disparu, comme un éclair sinistre, +dans la tempête qu'elle avait soulevée?</p> + +<p>Le fait est si éclatant que personne, pas même +les plus intéressés, ne saurait le méconnaître. +L'année 1848 n'avait pas encore atteint son terme +que déjà les vainqueurs des premiers jours étaient +des vaincus. En décembre 1848, de nom, la République +était encore debout; de fait, elle courait +déjà à sa ruine, car elle avait déjà reçu, des mains +du suffrage universel tant vanté par elle, le chef +qui devait bientôt devenir son maître. Pourtant +les circonstances avaient été bien favorables à la +République; elle n'avait rencontré, à ses premiers +pas, point de résistance; elle avait été immédiatement +acceptée par ceux-là même à qui elle déplaisait +le plus: «Rallions-nous à la République, +avaient dit les hommes les plus éminents, puisque +c'est le gouvernement qui nous divise le moins.» +Malgré leurs orages intérieurs, les deux Assemblées +républicaines, de 1848 à 1851, n'ont manqué +ni de modération ni d'honnête patriotisme; +elles avaient l'anarchie dans leur sein, mais au +dehors elles la combattaient. Elles ne savaient pas +faire le bien dont la France avait besoin; mais +elles écartaient, elles ajournaient le mal dont elle +était menacée. Pas plus que les hommes de bien, +les hommes de talent ne leur ont fait défaut; la +République de 1848 a eu de brillants apôtres, +laïques, prêtres, gentilshommes, bourgeois, publicistes, +poëtes. L'Europe l'a promptement reconnue, +puis tranquillement observée. Mais ni la +faveur des circonstances, ni l'honnêteté des intentions, +ni le mérite des hommes, ni le maintien de +la paix européenne n'ont servi de rien, en 1848, +à la République; elle a été radicalement impuissante +pour donner à la France précisément ce +qu'elle lui promettait avec le plus de fracas, un +gouvernement libre.</p> + +<p>C'est que, dans l'état de la société française, +avec son histoire ancienne et contemporaine, +après ses quinze siècles de monarchie et ses +soixante ans de révolution, la République ne contient, +pour la France, les conditions ni du gouvernement +ni de la liberté. Elle offense, elle +alarme, elle éloigne des affaires publiques les +classes en qui domine l'esprit d'ordre et de gouvernement. +Elle fomente, dans les masses populaires, +des passions, des ambitions, des espérances +que ni l'ordre, ni la liberté régulière ne peuvent +satisfaire, et qui aspirent indéfiniment à des révolutions +nouvelles. On répète tous les jours, et +tout le monde croit ou semble croire que la France +est maintenant une nation exclusivement démocratique, +une grande démocratie, comme on dit, +vouée à l'égalité et au suffrage universel. Étrange +empire d'un mot une fois adopté comme symbole +et comme drapeau! Le mot <i>démocratie</i> contient +aujourd'hui, parmi nous, une large part de mensonge, +et le fait social qu'il exprime n'est pas +plus complet que ne sont vraies les maximes +radicales que naguère j'ai essayé de ramener à +leur légitime sens et dans leurs justes limites. Ce +qui est vrai, c'est que les anciens priviléges, les +anciennes exclusions et dominations aristocratiques +n'existent plus: toutes les carrières sont +ouvertes à tous; les charges publiques pèsent sur +tous; les mêmes libertés individuelles sont garanties +à tous. C'est là l'équité, mais non l'égalité sociale; +c'est la liberté politique, non l'empire exclusif +de la démocratie. Les diversités, les inégalités +de tout genre, matérielles et morales, naturelles +et historiques, persistent et persisteront +parmi nous. Il y a en France de grands, de moyens +et de petits propriétaires, de grands, de moyens, +et de petits industriels, de grands noms, anciens +et nouveaux, et des noms obscurs, admis à devenir +grands s'ils le méritent, mais qui, tant qu'ils n'ont +pas fait leurs preuves, ne sont pas les égaux des +grands noms. Il y a des situations aristocratiques, +de fait sinon de droit, et des situations bourgeoises +ou démocratiques, en pleine possession +du droit et des moyens de s'élever aussi haut que +pourront les porter le mérite ou la fortune, mais +qui ont en effet besoin de s'élever. Et ce ne sont +pas là des résultats de la violence des événements +ou de l'iniquité des lois; ce sont les conséquences +spontanées des diversités naturelles et +des développements libres de l'homme et de la +société.</p> + +<p>C'est, parmi nous, l'erreur radicale du parti républicain +de méconnaître ces grands faits sociaux, +et de se dire et d'être en effet exclusivement +démocratique. La démocratie a de grands +droits et joue un grand rôle en ce monde, plus +grand de nos jours qu'à aucune autre époque, +du moins dans les grands États. Mais quelles que +soient, dans la société moderne, sa place et sa +part, elle n'y est pas seule, elle n'y est pas tout. +Elle est la séve qui part des racines et circule dans +toutes les branches de l'arbre; elle n'est pas l'arbre +même, avec ses fleurs et ses fruits. Elle est +le vent qui souffle et pousse en avant le navire; +elle n'est pas l'astre qui éclaire sa route ni la boussole +qui le dirige. La démocratie a l'esprit de fécondité +et de progrès; elle n'a pas l'esprit de conservation +et de prévoyance. Elle s'anime et se +dresse généreusement aux paroles et aux perspectives +de la liberté; mais, dans son ivresse, elle se +livre aveuglément aux charlatans qui la flattent, +et s'irrite tyranniquement contre les libertés qui +lui déplaisent. Elle se révolte trop aisément et résiste +trop peu. Elle élève ou renverse les gouvernements, +elle ne sait ni les conserver ni les contenir. +Aussi ceux-là même qu'elle a élevés n'ont-ils +garde, dès qu'ils ont acquis un peu de consistance, +de prendre dans la démocratie seule leur point +d'appui. Ils s'appliquent à satisfaire et à rallier les +divers éléments sociaux autres que les démocratiques; +ils recherchent les classes et les personnes +en qui domine l'esprit d'ordre et de conservation; +ils ont besoin que des situations déjà faites et élevées +viennent reconnaître leur propre élévation; +ils demandent des gages de durée à ce qui a déjà la +sanction du temps. Et ce n'est point là une simple +fantaisie personnelle, un puéril plaisir de vanité et +d'éclat; c'est un instinct sûr, un sentiment juste +de la variété des forces sociales et de la nécessité +de leur concours pour l'autorité et la solidité du +pouvoir.</p> + +<p>Le parti républicain, plusieurs du moins de ses +chefs et de ses adeptes, tombent, de nos jours, +dans une autre erreur, plus grave encore peut-être +que celle de voir, dans la démocratie seule, +la société tout entière. Devant cette démocratie +qu'ils ont faite souveraine, ils ouvrent des perspectives +infinies, ils prodiguent d'immenses promesses +de satisfaction et de bonheur; promesses +qu'aucun gouvernement, pas plus la République +que tout autre, ne peut acquitter; perspectives en +contradiction flagrante avec les lois et le cours naturel +du monde. On invente une science, on construit +une société pour l'avenir qu'on promet. +Mais ce n'est ni la vérité des faits, ni la liberté +des hommes qui servent de base à cette science +et à cette société; elles reposent, l'une, sur des +systèmes chimériques, l'autre, sur des combinaisons +tour à tour anarchiques ou tyranniques. +Tantôt on abolit les liens sociaux, on isole les +individus, on les livre à la licence et à la faiblesse +de leur seule volonté; tantôt on les remet entre +les mains de l'État qu'on charge de leur sort. Les +uns traitent les hommes comme des animaux +solitaires, sans autres ressources que leur force +personnelle, sans autre règle que leur fantaisie; +les autres les rassemblent et les parquent, comme +des troupeaux dans un bercail, sous la responsabilité +d'un berger. Et dans l'une ou l'autre +hypothèse, on leur promet également la pleine +satisfaction de leurs besoins et de leurs désirs.</p> + +<p>Je ne remonte pas à la source de ces rêves jetés +comme autant de démentis et de défis à l'encontre +des grandes vérités religieuses et morales qui sont +le divin apanage du genre humain et les lois providentielles +du monde; je me borne à signaler +des faits. Tant et de telles erreurs coûtent cher +à la société qui les subit; elles plongent les esprits +dans une confusion inextricable et une fermentation +stérile; elles suscitent des ambitions et des +espérances que les mécomptes transforment bientôt +en irritation amère ou en abattement déplorable. +Elles rendent ainsi encore plus difficile la +tâche des hommes qui gardent, à la cause de la +liberté politique, leur foi et leur dévouement. +Après les luttes qu'a eues à soutenir, pour cette +cause, la génération à laquelle j'appartiens, je ne +prévois pas sans une émotion mélancolique celles +qui attendent nos successeurs.</p> + +<p>Pourtant j'ai confiance, et j'engage la génération +qui monte à avoir confiance. La liberté politique +gagnera sa cause. Elle triomphera du mauvais vouloir +de ses adversaires, de la froideur des spectateurs, +et même des fautes de ses amis. On a dit +que le seul fruit de l'expérience était de nous +apprendre que l'expérience ne sert à rien. Je n'accepte +pas, malgré sa spécieuse apparence, cette +maxime des pessimistes. Ils parlent de l'expérience +comme les malades parlent de la médecine; +parce qu'elle ne peut pas tout, ils disent qu'elle ne +peut rien, et, la trouvant insuffisante, ils l'accusent +d'être vaine. En nulle occasion, et c'est la supériorité +de leur nature, les hommes ne se résignent +à ce qu'il y a d'incomplet et d'imparfait dans leur +condition et en eux-mêmes, et ils méconnaissent +avec humeur leurs propres progrès, quand leur +ambition et leur destinée n'en sont pas pleinement +satisfaites. Mais que l'on compare, pour les +idées et pour les faits, l'état de la liberté politique, +de 1789 à 1814, à ce qu'elle a été de 1814 à 1848, +et la République de 1792 à celle de 1848. Devant +ce rapprochement, les plus sceptiques et les +plus pessimistes ne diront pas que l'expérience n'a +servi à rien.</p> + +<p>L'avenir de notre société, et de la liberté politique +dans notre société, a d'ailleurs des garanties +plus hautes que celle de l'expérience d'une +ou deux générations dans leur court passage. Il y +a deux puissances que je suis loin de tenir pour +infaillibles, mais qui méritent souvent qu'on les +croie et toujours qu'on les écoute, les masses et les +esprits d'élite, le sentiment instinctif de la société +et la pensée réfléchie de ses chefs naturels. Qu'on +les interroge aujourd'hui l'une et l'autre. Les +masses sont bien indifférentes, bien silencieuses; +elles ont bien aisément abdiqué leurs prétentions +et leurs habitudes; elles sentaient l'abus de la +liberté et le besoin du repos; mais elles sont, au +fond, bien moins changées qu'elles ne paraissent: +les classes moyennes n'ont pas cessé d'avoir en +estime et en goût les garanties du régime constitutionnel; +et dans ces multitudes si soumises, si +contenues, les mêmes passions, les mêmes rêves +fermentent toujours. Laissez là les masses; recherchez +ce que pensent, je ne dis pas les hommes +engagés depuis longtemps sous un drapeau que +l'honneur leur commande de garder, mais les +esprits jeunes et distingués qui entrent dans le +monde; croyez-vous qu'ils aient renoncé à ces +espérances d'activité et de liberté politique qui ont +rempli la vie de leurs pères? Entrez dans leurs +rangs; écoutez-les. Ils viennent de tous les points +de l'horizon; ils sont divers d'origine, de profession, +de condition sociale, de croyances, de tendances; +tous les anciens partis ont, parmi eux, des +descendants et des représentants; vous retrouverez +là des conservateurs, des libéraux, des légitimistes, +des démocrates, des républicains; vous y +entendrez discuter les vices comme les mérites du +régime constitutionnel tel qu'il a été compris et +pratiqué parmi nous; les uns lui reprochent +d'avoir été trop impatient, les autres trop timide; +d'autres lui en veulent de n'avoir pas entouré la +monarchie d'institutions républicaines; d'autres +l'accusent de s'être transformé dans un régime +parlementaire peu conforme à nos traditions et à +nos moeurs nationales. On cherche, pour la liberté +politique et le gouvernement représentatif, des +conditions et des formes nouvelles. Questions sérieuses, +dissidences réelles et qui pourraient devenir +importantes: mais au-dessus de toutes ces +questions, de toutes ces dissidences s'élève et +plane un sentiment commun, le besoin de la +liberté politique et de ses garanties, le désir de +marcher et d'avancer dans ces mêmes voies de +civilisation libérale où, depuis tant de siècles, les +générations françaises ont fait tour à tour tant +d'essais, d'écarts, de tâtonnements, de haltes, de +retours, de chutes, et, tout compensé, tant de +conquêtes et de progrès.</p> + +<p>Dans cet état des faits et des esprits, désespérer +de notre temps et de notre cause, ce serait désespérer +de toute notre histoire, de toute l'activité, +de toute la destinée de la France, que dis-je? de +l'Europe chrétienne depuis quinze siècles.</p> + +<p>Notre temps n'est point une déviation de notre +passé, un accident imprévu, une étrange inconséquence, +une maladie qui soit venue troubler le +cours d'une santé forte et prospère. Nous marchons, +depuis quinze siècles, dans les voies où +nous avons fait, de nos jours, de si grands pas et +de si grandes chutes.</p> + +<p>Un principe, une idée, un sentiment, comme +on voudra l'appeler, plane, depuis quinze siècles, +sur toutes les sociétés européennes, sur la société +française en particulier, et préside à leur développement: +le sentiment de la dignité et des droits +de tout homme, à ce titre seul qu'il est homme, +et le besoin instinctif d'étendre de plus en plus, +à tous les hommes, les bienfaits de la justice, de +la sympathie, de la liberté.</p> + +<p>La justice, la sympathie, la liberté ne sont pas +des faits nouveaux dans le monde; elles n'ont pas +été inventées il y a quinze siècles. Dieu en a, dès +le premier jour, déposé dans l'homme le besoin et +le germe; elles ont tenu leur place et exercé leur +empire dans tous les pays, dans tous les temps, +au sein de toutes les sociétés humaines. Mais jusqu'à +notre Europe chrétienne, des limites fixes et +à peu près insurmontables avaient marqué et resserré +étroitement la sphère de la justice, de la +sympathie, de la liberté. Ici la nationalité, ailleurs +la race, la caste, l'origine servile, la religion, la +couleur interdisaient, à un nombre immense +d'hommes, tout accès à ces premiers biens de la +vie sociale. Chez les plus glorieuses nations, la +justice, la sympathie, la liberté étaient refusées +sans scrupule aux trois quarts de la population; +les plus grands esprits ne voyaient, dans cette spoliation, +qu'un fait naturel et nécessaire, une condition +inhérente à l'état social.</p> + +<p>C'est le principe et le fait chrétien par excellence +d'avoir chassé de la pensée humaine cette +iniquité, et d'avoir étendu à l'humanité tout entière +ce droit à la justice, à la sympathie, à la liberté, +borné jusque-là à un petit nombre et +subordonné à d'inexorables conditions. On a dit +d'un grand publiciste que le genre humain avait +perdu ses titres et qu'il les lui avait rendus. Flatterie +démesurée et presque idolâtre: ce n'est pas +Montesquieu, c'est Jésus-Christ qui a rendu au +genre humain ses titres. Jésus-Christ est venu relever +l'homme sur la terre en même temps que +le racheter pour l'éternité. L'unité de Dieu maintenue +chez les Juifs, l'unité de l'homme rétablie +chez les chrétiens, ce sont là des traits éclatants +où se révèle l'action divine dans la vie de l'humanité.</p> + +<p>Ce rétablissement de l'unité humaine dans le +monde chrétien n'a pas été une oeuvre facile, ni +prompte, ni pure, et bien s'en faut qu'elle soit +partout accomplie. Des intérêts matériels, des passions +brutales, l'égoïsme, l'orgueil, l'indifférence, +l'emportement, les nécessités du moment, les +combinaisons de la politique ont entravé, ralenti, +souillé le développement de l'idée chrétienne; +mais elle n'a jamais abdiqué, jamais disparu. Toujours +présente et luttant toujours, elle a pris à son +service les instruments les plus divers: c'est tantôt +l'Église, tantôt la royauté, ici les nobles, là les +bourgeois, ailleurs la multitude, aujourd'hui le +gouvernement, demain l'opposition qui se sont faits +les champions de l'expansion de la justice et de la +sympathie au profit de toutes les créatures humaines. +De gré ou de force, par devoir ou par +calcul, tout le monde a mis tour à tour la main à +cette grande oeuvre; savants ou ignorants, pieux +ou incrédules, tous les siècles lui ont fait faire des +pas plus ou moins laborieux, plus ou moins rapides. +Elle a rempli toute notre histoire; et à toutes les +époques, elle a été considérée comme le plus éclatant +symptôme du progrès de la civilisation, +comme la civilisation même.</p> + +<p>Le sentiment public ne s'est point trompé en +lui donnant ce nom, et les faits le confirment avec +éclat. Dans les pays où l'idée chrétienne s'est largement +développée, à mesure que ce droit commun +de l'humanité s'est répandu et appliqué à un plus +grand nombre d'hommes, la société a grandi en +puissance, en activité, en fécondité, en prospérité +et en gloire. De très-mauvais pas, des abîmes se +sont rencontrés dans cette carrière de notre Europe, +et plus d'une fois, loin de les éviter, elle s'y +est précipitée; elle a commis beaucoup d'erreurs, +de fautes, de crimes; le bien et le mal se sont mêlés +dans une confusion déplorable; on peut adresser +à notre civilisation d'amers et légitimes reproches; +les idées qui y ont régné, les actes qu'ont +entraînés ces idées ont souvent mérité d'être qualifiés +de funestes égarements: gouvernements et +peuples, dévots et philosophes, aristocrates et +démocrates, conservateurs et libéraux de tous les +pays et de tous les siècles ont, devant Dieu, de +redoutables comptes à rendre, et c'est le droit de +l'histoire de les leur demander ici-bas, et de dire +la vérité sur les morts pour l'instruction et le +salut des vivants. Aucune époque, aucun événement, +aucun système, aucun parti n'a droit +de se plaindre d'être ainsi sévèrement interrogé; +et que fais-je moi-même aujourd'hui, quand je +sonde sans pitié les mécomptes de nos pères et +les nôtres? Mais ces rigueurs une fois exercées +sur notre histoire ancienne et contemporaine, nos +erreurs et nos torts une fois reconnus et signalés, +voici les vérités qui demeurent. L'Europe entière, +et notamment la France, marchent, depuis quinze +siècles, dans les mêmes voies d'affranchissement +et de progrès général. Ces voies ont conduit les +peuples qui s'y sont le plus fermement engagés à +ce haut degré de puissance, de prospérité et de +grandeur que nous appelons et que nous avons +droit d'appeler la civilisation moderne. Cette civilisation +est surtout le fruit de cette grande idée +que tout homme, à ce titre seul qu'il est homme, a +droit à la justice, à la sympathie et à la liberté. +C'est Jésus-Christ qui a fait entrer cette idée dans +l'âme humaine d'où elle travaille à passer dans la +société.</p> + +<p>Dieu ne trompe pas le genre humain. Les peuples +ne se trompent pas constamment dans le +cours d'une longue destinée. L'abîme n'est pas au +bout de quinze siècles de mouvement ascendant. +Certes, les déviations, les temps d'arrêt, les ajournements, +les mécomptes n'ont pas manqué à la +civilisation française; elle n'en a pas moins continué +de se développer et de poursuivre, tantôt +sous terre, tantôt au grand jour, ses progrès et +ses conquêtes. Et plus elle a grandi, plus la liberté +politique lui est devenue nécessaire. L'épreuve +de notre propre temps est, en ceci, pleinement +d'accord avec celle des siècles. La liberté politique +a subi, de nos jours, bien des éclipses; elle +a toujours reparu et repris sa place, comme un +droit froissé se relève, comme un besoin méconnu +recommence à se faire sentir. En 1814, elle était +proscrite; on la croyait morte. Je l'ai vue renaître +et prospérer. En 1848, un violent accès de fièvre +l'a saisie. En en sortant, elle a langui et dépéri. +Je ne sais quelles traverses ou quelles attentes lui +sont encore réservées; mais je répète ce que j'ai +dit en commençant: j'ai confiance dans l'avenir +de mon pays et de la liberté politique dans mon +pays, car, à coup sûr, 1789 n'a pas ouvert, pour +la France, l'ère de la décadence, et c'est dans le +gouvernement libre seul que résident les garanties +efficaces des intérêts généraux de la société, des +droits personnels de tout homme, et du droit commun +de l'humanité.</p> +<a name="I" id="I"></a> + +<br><br> +<h3>HISTOIRE</h3> + +<h1>PARLEMENTAIRE</h1> + +<h2>DE FRANCE</h2> + +<hr> + +<h3>DISCOURS DE M. GUIZOT</h3> + +<h3>I</h3> + +<p class="mid">Discussion du projet de loi présenté le 22 mars 1819 +sur les Journaux et Écrits périodiques.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 3 mai 1819.--</p> + +<p class="large">Le gouvernement présenta, le 22 mars 1819, trois +projets de loi sur la liberté de la presse: le premier, +intitulé <i>Des crimes et délits commis par la voie de la +presse ou tout autre moyen de publication</i>, était une loi +pénale qui définissait ce genre de crimes et de délits et +déterminait les peines qui devaient y être attachées; +le second, relatif <i>à la poursuite et au jugement des +crimes et délits commis par la voie de la presse ou tout +autre moyen de publication</i>, était une loi d'instruction +et de procédure; le troisième, relatif <i>aux journaux et +écrits périodiques</i>, établissait certaines conditions et +règles spéciales pour ce genre de publication. Ces trois +projets de loi avaient été, d'abord dans une commission +préparatoire, ensuite dans le conseil d'État, l'objet +d'une longue, profonde, très-libre et parfaitement sincère +discussion, à laquelle j'avais pris part, de concert +avec MM. de Serre, Cuvier, Decazes, Royer-Collard, +Barante, Mounier, Allent, Portalis, Siméon, etc. Lorsqu'ils +furent présentés à la Chambre des députés, je +n'étais point membre de cette Chambre, n'ayant pas encore +l'âge de quarante ans, exigé à cette époque pour y +siéger; mais je fus chargé, comme conseiller d'État et +commissaire du Roi, de concourir à la présentation des +trois projets et d'en soutenir le débat public. C'était +une situation difficile et ingrate; un commissaire du +Roi avait l'air de défendre officiellement une cause et +non d'exprimer son opinion propre; il ne pouvait s'engager +personnellement dans la discussion et traiter avec +ses adversaires comme se traitent entre eux des collègues. +J'eus, dès le premier moment, un vif sentiment +des inconvénients de cette situation, et je ne pris part +aux débats que rarement et pour exposer des principes +plutôt que pour engager ou soutenir des luttes. J'intervins +quelquefois, en quelques paroles, pour donner des +explications sur quelques dispositions des lois proposées; +mais la loi sur les journaux et écrits périodiques +fut la seule sur laquelle j'eus l'occasion de parler avec +étendue et efficacité. Le principe du cautionnement +exigé pour la fondation des journaux était vivement +contesté par l'opposition; je répondis, dans la séance +du 3 mai 1819, à ses diverses objections, spécialement +à celles qu'avaient élevées, dans les séances du 1<sup>er </sup> et +du 3 mai, MM. Daunou et Benjamin Constant.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>commissaire du Roi.</i>--Les principes qu'on +appelle <i>absolus</i> ne le sont souvent qu'en ce sens qu'ils +sont <i>despotiques</i> et exigent que leur volonté soit faite sans +souffrir qu'on examine s'ils ont raison. On s'en est servi +plus d'une fois, comme Alexandre de son épée, pour trancher +des noeuds qu'on ne voulait pas se donner la peine ou prendre +le temps de délier. Et comme les réalités, qui ne +sont ni flexibles ni complaisantes, n'ont pas toujours supporté +patiemment l'application de ces prétendues vérités +universelles, une lutte s'en est suivie qui, presque toujours, +a fini par démontrer combien étaient étroits, incomplets et +bornés ces principes si fiers qui avaient la prétention de dominer +tous les faits comme s'ils les eussent tous prévus et +embrassés.</p> + +<p>N'est-ce pas sur un principe de ce genre qu'on se fonde +pour vous inviter à repousser la garantie que le gouvernement +vous propose d'exiger de tout entrepreneur d'un journal? +On établit que, soit que l'on considère un journal +comme l'exercice d'une industrie ou comme un mode de manifestation +de la pensée, sous ces deux rapports, sa publication +doit être aussi libre que celle de tout autre écrit, et que +vous n'avez pas le droit d'imposer au journaliste aucune +autre obligation que celle de répondre de ses actes, selon les +lois pénales ordinaires. Toute autre garantie, dit-on, est en +soi une mesure préventive, injustement restrictive de la liberté.</p> + +<p>Avant de répondre directement à cette assertion, qu'il me +soit permis, messieurs, de vous présenter une hypothèse. Je +suppose que la Charte se fût bornée à dire qu'il y aurait des +députés et des électeurs de députés, sans régler en rien les +conditions à remplir pour être l'un ou l'autre. Vous occupant +ensuite d'une loi sur les élections, auriez-vous conclu du +silence de la Charte qu'il fallait n'exiger des électeurs aucune +garantie et admettre le suffrage universel? Non, sans +doute; vous auriez pensé que le droit d'élire les députés +confère à ceux qui l'exercent trop de puissance, une trop +grande puissance, une trop grande influence sur les destinées +de la société, pour que la société ne soit pas autorisée à exiger +d'eux préalablement des garanties de capacité, de lumières, +d'indépendance. Vous auriez, de manière ou d'autre, réglé +ces garanties, et vous l'auriez fait, non parce qu'il se serait +agi d'un droit politique plutôt que d'un droit civil, car ces +classifications scientifiques ne déterminent et ne changent en +rien la nature des choses; vous l'auriez fait uniquement à +cause de la puissance que confère ce droit et des résultats +que peut entraîner, pour le bien ou le mal public, la manière +dont il est exercé.</p> + +<p>Ce que la Charte a fait, messieurs, ce que vous auriez fait, +si elle eût gardé le silence, pour l'élection des députés, les +lois l'ont fait, dans tous les pays et dans tous les temps, pour +un certain nombre de cas analogues. Partout où elles ont +reconnu le fait d'une puissance extraordinaire, d'une puissance +capable de causer à la société de grands dommages, +contre lesquels les menaces et les châtiments des lois pénales +n'étaient pas de force ou de nature à lutter avec succès, elles +ont exigé de ceux qui prenaient en main cette puissance des +garanties particulières. Je ne fatiguerai point la Chambre de +l'énumération des exemples; ils sont présents à sa pensée:--les +médecins, les pharmaciens, les avocats, les notaires, les +ministres de la religion, les conditions exigées pour remplir +certaines fonctions publiques, etc... Mais je prie la Chambre +de me permettre d'arrêter un moment son attention sur la +nature de ce genre de garanties et sur les motifs qui les légitiment +aux yeux de la raison la plus sévère.</p> + +<p>Toutes les garanties que la société croit devoir exiger pour +assurer sa conservation ont, au fond, pour principal et véritable +but, de prévenir les dangers que la société redoute. Les +lois pénales elles-mêmes, bien qu'elles ne frappent particulièrement +que lorsque l'action nuisible est commise, se proposent +surtout d'empêcher qu'elle ne se commette; et elles +sont plus ou moins bonnes selon que leurs définitions, leurs +procédures et leurs peines réussissent plus ou moins bien à +cet égard. Les publicistes sont unanimes sur ce point; si les +lois pénales n'avaient d'autre effet que de punir les coupables, +la société ne pourrait subsister.</p> + +<p>Appelée donc surtout, en dernière analyse, à prévenir les +délits et leurs dangers, la législation avait à choisir entre deux +manières d'atteindre à ce but: la prévention directe, qui +consiste dans un examen préalable de l'action qui se prépare +afin de s'assurer de son innocence; la prévention indirecte, +qui résulte de la peine infligée à l'auteur de l'action coupable. +On a bientôt reconnu que le premier mode était destructif +de toute liberté, par conséquent de toute société véritable, +et que le second, habilement combiné, avait, dans la plupart +des cas, des effets préventifs suffisants pour mettre la société +à l'abri.</p> + +<p>Les progrès de la civilisation, c'est-à-dire de la liberté, +c'est-à-dire de la justice, ont donc constamment tendu à +bannir des lois la prévention directe pour lui substituer la +prévention indirecte qui résulte du châtiment. Mais dans le +cours de ces mêmes progrès, on a reconnu (et on n'a pas pu +ne pas le reconnaître, car les faits s'inquiètent peu de complaire +à de prétendues théories ou de les offenser), on a +reconnu, dis-je, qu'il était un certain nombre de cas auxquels +le mode de prévention qu'emploient les lois pénales ne +pouvait suffire ou même s'appliquer, et dans lesquels cependant +la sûreté sociale était grandement intéressée.--Aucune +pénalité, par exemple, n'eût été applicable à l'ineptie ou à +l'imprudence des médecins, à l'incapacité de tel ou tel ordre +de fonctionnaires, à l'ignorance ou aux intentions factieuses +des électeurs de députés.--Le fait constaté, fallait-il recourir, +pour les cas de ce genre, à la prévention directe pure et +simple? Fallait-il laisser la société sans garanties? L'un et +l'autre système auraient été également impraticables, ou +également funestes.</p> + +<p>La nécessité, c'est-à-dire la raison des faits, a fait inventer +des garanties d'une autre sorte, préventives jusqu'à un certain +point, il est vrai, comme elles le sont toutes dans leur +dernier but, mais non destructives de la liberté. Ces garanties +ont consisté à s'assurer préalablement, non plus de +l'innocence de chaque action particulière, mais de la capacité +générale des agents. La société n'a interdit formellement +à personne l'usage de la puissance qu'elle redoutait; elle +n'en a pas non plus soumis l'exercice à une inspection antérieure +et habituelle, mais elle a imposé, à quiconque voudrait +s'en servir, l'obligation de remplir certaines conditions +qu'elle a jugées propres à compenser l'insuffisance, ou l'<i>inapplicabilité</i> +de la législation pénale. Ces conditions une fois +remplies, elle a laissé aux citoyens toute leur liberté.</p> + +<p>Le port d'armes et tous les exemples que je viens de citer, +et beaucoup d'autres encore, ne sont que des garanties de +ce genre.</p> + +<p>Cela posé, messieurs, ou il faut nier absolument la nécessité +de cette sorte de garanties dans tous les cas, pour les +médecins comme pour les journalistes et pour les électeurs +comme pour les médecins, ou il faut convenir que, si elles +sont nécessaires dans certains cas, il est du devoir du législateur, +quand l'occasion se présente, d'examiner si en effet +elles le sont.</p> + +<p>Je ne pense pas, messieurs, que la première opinion soit +possible à soutenir; et peut-être serait-il aisé de prouver, à +ceux-là même qui s'en croient et s'en disent les défenseurs, +qu'il est plus d'une occasion où ils l'abandonnent, et qu'ils +n'oseraient en suivre jusqu'au bout les rigoureuses conséquences. +Or, la question, quant au principe, est la même +dans tous les cas, et le principe une fois admis, elle se réduit +toujours à une question de fait, de prudence. Il s'agit toujours +uniquement d'examiner si, dans l'intérêt public, la +garantie est nécessaire.</p> + +<p>Après avoir ainsi repoussé un prétendu principe et l'avoir +repoussé précisément parce qu'il n'est pas vrai d'une vérité +absolue et universelle, nous retombons dans la seule question +qui existe réellement, dans la question de savoir si les +journaux sont aujourd'hui une puissance assez grande, assez +redoutable pour que la société soit en droit d'exiger, de ceux +qui prétendent à l'exercer, une garantie analogue à celle +dont nous venons de parler.</p> + +<p>Remarquez, messieurs, que je n'ai ici ni le besoin ni l'intention +de médire des journaux, moins encore de les calomnier. +Personne n'est plus convaincu que moi de leur utilité, +de leur nécessité dans un gouvernement représentatif. C'est +le mode de communication le plus rapide, le plus étendu, le +plus sûr. Ils proclament et forment tour à tour l'opinion +publique. Ils font assister la France entière à vos débats. +Tous ces avantages prouvent précisément ce que je veux +prouver, leur puissance. Et comme toutes les puissances, +quelles qu'elles soient, se peuvent appliquer au mal comme +au bien, je n'ai besoin, pour justifier mon point de départ, que +de l'importance qu'attachent aux journaux ceux qui repoussent +comme ceux qui soutiennent la mesure proposée.</p> + +<p>Prenant donc la puissance des journaux comme un fait, et +comme un fait utile, nécessaire même au succès de nos +institutions, qu'il nous soit permis d'examiner quels sont les +effets possibles de cette puissance non contestée. De la gravité +et de la probabilité de ces effets dépend la nécessité de +la garantie qu'on vous demande.</p> + +<p>Trois causes se réunissent pour attribuer, parmi nous, à la +puissance des journaux une rapidité et une énergie plus +grandes encore que celles qui résultent nécessairement de la +nature même de ce mode de publication.</p> + +<p>Ces causes sont les circonstances passées, l'état actuel et +particulier de l'ordre social en France, la nature de nos institutions +considérées non-seulement dans leurs fondements +essentiels, mais dans leur ensemble et leurs détails.</p> + +<p>J'insisterai peu sur les circonstances passées; elles sont +présentes à tous les esprits, et il est évident qu'elles fournissent +à la fois aux journaux et plus de moyens pour agir +vivement sur les lecteurs, et des lecteurs plus disposés à +subir cette action dans toute sa vivacité. Les révolutions, +messieurs, emploient presque autant d'années à se terminer +qu'à se préparer; et de même que longtemps avant le jour +où elles ont éclaté, la société se sentait travaillée d'une lutte +sourde et douloureuse, de même, longtemps après qu'elles +paraissent accomplies, elles agitent et tourmentent les gouvernements +et les peuples. Il est mille fois plus court et plus +aisé de relever les cités d'un pays ravagé par un vaste tremblement +de terre que de rasseoir une société bouleversée +dans sa constitution morale; et quand on étudie l'histoire +des peuples devenus libres, on acquiert bientôt la conviction +que l'époque où ils ont réellement joui de la liberté a été +bien éloignée de celle qu'ils assignent eux-mêmes comme le +terme définitif de sa conquête.</p> + +<p>Nous sommes donc fermement convaincus que la raison +puisée dans le passé pour demander, dans l'intérêt de tous, +une garantie contre la puissance des journaux, n'est ni aussi +indifférente, ni aussi frivole que quelques personnes peuvent +le penser.</p> + +<p>Mais il en est d'autres plus graves encore peut-être, quoique +moins aperçues.</p> + +<p>La Révolution nous a légué, messieurs, non-seulement un +gouvernement nouveau, mais une société toute nouvelle qui +ne ressemble en rien ni à celle qui l'a précédée, ni peut-être +à aucune autre société passée ou présente. Ce changement +intime et radical est provenu de l'introduction du principe +de l'égalité dans toutes les parties, je dirais volontiers dans +les replis les plus secrets de l'ordre civil. Il en est résulté ce +fait qu'il n'y a plus aujourd'hui en France que le gouvernement +et des citoyens ou des individus. La puissance publique +est la seule qui soit réelle et forte. Il n'existe presque +plus aucune de ces puissances intermédiaires ou locales que +créent ailleurs, soit le patronage aristocratique, soit les liens +des corporations, soit les priviléges particuliers, et qui, exerçant, +dans leur ressort, des droits avoués et une force positive, +dispensent le pouvoir central d'une partie des soins +nécessaires pour que l'ordre soit maintenu partout. Je ne +déplore point, comme quelques personnes, cette constitution +nouvelle de l'ordre social; je suis convaincu qu'elle est destinée +à produire les plus beaux, les plus salutaires développements. +Mais il importe beaucoup de la bien connaître et +d'en tenir compte dans les lois. Elle a cette conséquence +inévitable que toute action, toute influence exercée sur la +société, soit par le gouvernement, soit par d'autres que lui, +s'y propage et s'y fait sentir d'une manière plus prompte, +plus universelle et plus vive, car elle ne rencontre aucun de +ces obstacles, aucune de ces masses difficiles à percer, qui +ailleurs l'arrêtent ou la modifient. Les opinions, les impressions, +les craintes, les espérances qui autrefois ne seraient +parvenues jusqu'aux individus qu'après avoir traversé toutes +les agrégations diverses dans lesquelles ils étaient fortement +engagés, et après avoir subi l'effet de toutes les influences +particulières auxquelles ils étaient soumis, les atteignent +aujourd'hui directement et exercent librement sur eux toute +leur puissance. Il est évident qu'en un tel état de choses, au +sein de cette susceptibilité sociale, s'il est permis de le dire, +dans cette dispersion morale d'une population d'ailleurs si +pressée, l'action rapide et habituelle des journaux a plus +d'énergie et peut produire plus de bien ou plus de mal que +partout ailleurs. Nous avons été témoins du succès avec +lequel un gouvernement qui n'est plus s'en est servi pour +répandre et populariser en quelque sorte les principes de sa +tyrannie; ils pourraient aussi servir à produire d'autres effets +non moins funestes; et cette circonstance à laquelle on ne +saurait échapper, cette nature particulière et nouvelle de +notre ordre social suffiraient peut-être pour faire exiger, de +ceux qui aspirent à exercer une influence si facile et si étendue, +la garantie que le gouvernement vous propose.</p> + +<p>Une seconde circonstance plus passagère, mais non moins +évidente, nous paraît également digne d'attention.</p> + +<p>La Révolution a changé la situation sociale d'une multitude +d'individus; elle a appelé dans les classes supérieures +de la société, dans la classe des citoyens actifs et influents, +beaucoup d'hommes qui n'y appartenaient pas, qui n'avaient +pan été élevés comme devant y appartenir. C'est un bien et +un bien immense, car le véritable progrès de la civilisation +consiste à étendre les limites de la cité, à accroître le +nombre des citoyens. Mais quand ce progrès s'opère par une +secousse violente, il ne se fait pas d'une manière complète et +avec ensemble. La situation de beaucoup d'hommes change +sans que ces hommes changent eux-mêmes autant qu'il le +faudrait pour se trouver tout à fait en harmonie avec leur +situation nouvelle. Le développement intellectuel et moral +des individus ne marche pas aussi vite que le développement +de leur existence matérielle, et la Révolution n'a pas réparti +les lumières avec autant de rapidité et d'égalité que les fortunes. +Il en est résulté ce fait qu'un assez grand nombre de +citoyens estimables, utiles, importants par leurs propriétés, +par leur industrie, par l'influence que leur situation les appelle +à exercer dans les affaires publiques, n'ont cependant pas +et ne peuvent avoir encore cette étendue d'idées, cette indépendance +et cette tranquillité d'esprit que le cours naturel +des choses doit faire acquérir à leurs enfants. Leur sagacité +est admirable en ce qui touche les intérêts de leur situation +nouvelle; mais c'est une situation craintive qui fournit à +quiconque sait la manier mille moyens d'agir sur eux avec +une extrême facilité. On peut leur inspirer des méfiances, +leur communiquer des illusions injustes, chimériques, absurdes +même, et j'en pourrais citer de bizarres exemples.</p> + +<p>Si une garantie n'était exigée des journaux, il serait très-facile +de s'en servir pour entretenir et pour répandre, dans +une classe nombreuse de bons citoyens, des préventions et +des erreurs dangereuses non-seulement pour l'intérêt public, +mais pour les intérêts de ceux-là mêmes qui seraient le plus +enclins à les adopter aveuglément.</p> + +<p>Que si, de la considération de notre ordre social, nous +passons à celle de nos institutions, nous y trouverons de +nouvelles causes de la puissance des journaux et de l'énergie +toute particulière qu'elle ne peut manquer d'avoir parmi +nous. Il est des pays, messieurs, où le gouvernement de la +société ne se rencontre pour ainsi dire qu'au centre, c'est-à-dire +au lieu où il possède naturellement le plus de force, +de sagesse et de lumières; dans le reste du territoire, l'administration +est dirigée par des influences, par des autorités +locales et presque indépendantes, dans la conduite desquelles +le gouvernement proprement dit n'est point engagé. Chez +nous, au contraire, le gouvernement et l'administration +tout entière sont étroitement unis, ou plutôt c'est une seule +et même chose. Je n'examine point les inconvénients ou les +avantages de telles institutions; si cette question était un +jour élevée, il serait facile, je crois, de démontrer que la société +a beaucoup gagné à leur établissement. Quoiqu'il en soit, +elles ont cette conséquence que le gouvernement, au lieu de +ne pouvoir presque être atteint qu'au centre et dans les fonctionnaires +d'un ordre supérieur, est partout présent et partout +vulnérable dans une multitude d'agents dont on ne saurait +raisonnablement espérer que la conduite ne donnera lieu à +aucun reproche légitime. Aussi, tandis qu'en d'autres pays +c'est aux actes généraux des pouvoirs supérieurs que s'attaquent +surtout les journaux de l'opposition, vous les verrez +ici, messieurs, livrer à l'administration cette petite guerre +continuelle dans laquelle l'offensive a tant d'avantages et +qu'il est si malaisé de repousser avec succès. Et comme les +esprits d'un grand nombre de lecteurs ne seront guère moins +frappés d'un abus particulier et local que d'une faute de +politique générale, l'effet du reproche sera à peu près le +même, quoique la matière en soit beaucoup moins grave. +Certes, dans une situation pareille, le gouvernement aura +besoin et de plus d'efforts, et de plus de vigilance, et de plus +de mérite pour prévenir le combat ou pour remporter la +victoire.</p> + +<p>On ne saurait donc le nier, messieurs, la puissance, ou, si +l'on veut, l'influence des journaux sera grande, forte, redoutable; +tandis qu'ailleurs elle peut ne dériver que de la +nature même de ce genre de publications, chez nous, une +multitude de causes, et de causes très-actives, concourront +avec celle-là pour la soutenir et pour l'accroître. Et ce ne +sont là ni des suppositions ni de vaines craintes; ce sont des +faits dont il ne faut point avoir peur, mais qu'il faut bien +reconnaître, car les lois, qui peuvent les oublier, ne peuvent +pas les détruire.</p> + +<p>La conséquence naturelle et irrésistible de ces faits, c'est +la nécessité de la garantie que le gouvernement vous propose. +C'est par là, messieurs, et par là seulement qu'en cette occasion, +comme en plusieurs autres, elle s'explique et se +légitime. Car nous ne saurions partager l'opinion de l'honorable +rapporteur de votre commission, qui n'a cherché le +principe de cautionnements des journalistes que dans la +nécessité d'assurer le payement d'amendes éventuelles. Si en +effet il en était ainsi, l'un des préopinants aurait eu raison +de s'étonner qu'on ne leur demandât pas aussi des otages. +Mais le véritable principe, le principe légitime du cautionnement +est ailleurs; il réside dans cet ensemble de faits que +nous avons essayé de retracer et dont le résultat est d'attribuer +aux journaux une puissance telle qu'on ne saurait, sans +une grave imprudence, la livrer indistinctement à quiconque +voudrait s'en saisir. L'objet du cautionnement est donc, +non-seulement de pourvoir au payement des amendes, mais +surtout de ne placer l'influence des journaux qu'entre les +mains d'hommes qui donnent à la société quelques gages de +leur existence sociale et lui puissent inspirer quelque confiance. +On ne saurait le méconnaître, car cela est évident; +les journaux ne sont point l'expression pure et simple de +quelques opinions individuelles; ils sont les organes des +partis, ou si l'on veut, des diverses opinions, des divers intérêts +auxquels se rallient des masses plus ou moins nombreuses +de citoyens. Eh bien! il n'est pas bon, il ne convient +ni à la société, ni aux partis eux-mêmes, que ces organes +publics soient pris et placés dans la région inférieure des +opinions et des intérêts qu'ils expriment. Il est utile, il +est sage de les contraindre à partir d'une sphère plus élevée, +où se rencontrent à la fois et plus de lumières et plus de véritable +indépendance, et des intérêts individuels plus étroitement +unis à l'intérêt général. C'est l'habileté des lois +d'amener tous les éléments de la société à s'élever et à s'épurer +sans cesse. Par là elles assurent en même temps le +maintien de l'ordre et les progrès comme les droits de la +liberté.</p> + +<p>C'est pour atteindre ce but, seul véritable et seul légitime +objet du cautionnement que la quotité assignée par le projet +de loi vous a été proposée; et la Chambre a déjà pressenti +sans doute qu'on ne pouvait s'armer, pour combattre cette +quotité, du taux possible des amendes, puisque ce n'est point +sur la nécessité de pourvoir aux amendes qu'est fondé le +principe du cautionnement lui-même. Pour prouver qu'il +convient d'abaisser la limite proposée, il faudrait prouver +qu'elle mettra quelque opinion générale, quelque intérêt +commun à un assez grand nombre de citoyens, dans l'impossibilité +d'avoir des journaux pour organes. Or, c'est, je crois, +ce qu'il serait difficile d'établir. Nous persistons donc à demander +à cet égard, et sauf en ce qui concerne les journaux +de départements, l'adoption pure et simple du projet, nous +réservant d'examiner, dans la discussion des articles, les +divers amendements qui vous ont été proposés.</p> + +<a name="II" id="II"></a> +<br><br> +<h3>II</h3> + +<p class="mid">Discussion de l'Adresse dite des 221.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 16 mars 1830.--</p> + +<p class="large">Le 23 janvier 1830, je fus élu membre de la Chambre +des députés, dans les arrondissements de Lisieux et de +Pont-l'Évêque réunis, et par toutes les nuances de +l'opposition<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a> +<a href="#footnote12"><sup class="sml">12</sup></a>. La session s'ouvrit le 2 mars. Le projet +d'Adresse en réponse au discours du Trône fut présenté +à la Chambre des députés le 15 mars. Il avait été +préparé par une commission composée de MM. le comte +de Preissac, Étienne, Kératry, Dupont de l'Eure, Gauthier, +le comte Sébastiani, le baron Le Pelletier d'Aulnay, +le comte de Sade, Dupin aîné, et présidée par +M. Royer-Collard, président de la Chambre. La discussion +s'ouvrit immédiatement, en comité secret, selon +la règle à cette époque. Elle dura deux jours, et quoique +très-franche de la part des adversaires comme des +amis du cabinet, elle fut modérée et contenue presque +jusqu'à la froideur. Les uns et les autres avaient un +profond sentiment de la gravité de la situation et de la +responsabilité qui s'attachait à toutes les paroles. La +discussion générale et celle des quatre premiers paragraphes +du projet d'Adresse remplirent la séance du +15 mars. C'était dans les cinq derniers paragraphes que +résidaient la pensée et l'énergie de l'Adresse. Ils étaient +ainsi conçus:</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote12" +name="footnote12"><b>Note 12: </b></a><a href="#footnotetag12"> +(retour) </a> <i>Mémoires pour servir à l'Histoire de mon temps</i>, t. I<sup>er </sup>, p. 342.</blockquote> + +<p class="large">«Cependant, Sire, au milieu des sentiments unanimes +de respect et d'affection dont votre peuple vous entoure, +il se manifeste dans les esprits une vive inquiétude qui +trouble la sécurité dont la France avait commencé à +jouir, altère les sources de sa prospérité, et pourrait, +si elle se prolongeait, devenir funeste à son repos. +Notre conscience, notre honneur, la fidélité que nous +vous avons jurée et que nous vous garderons toujours, +nous imposent le devoir de vous en dévoiler la +cause.</p> + +<p class="large">«Sire, la Charte que nous devons à la sagesse de +votre auguste prédécesseur, et dont Votre Majesté a la +ferme volonté de consolider le bienfait, consacre comme +un droit l'intervention du pays dans la délibération des +intérêts publics. Cette intervention devait être, elle est +en effet, indirecte, sagement mesurée, circonscrite dans +des limites exactement tracées, et que nous ne souffrirons +jamais que l'on ose tenter de franchir; mais elle +est positive dans son résultat, car elle fait, du concours +permanent des vues politiques de votre gouvernement +avec les voeux de votre peuple, la condition indispensable +de la marche régulière des affaires publiques. +Sire, notre loyauté, notre dévouement nous condamnent +à vous dire que ce concours n'existe pas.</p> + +<p class="large">«Une défiance injuste des sentiments et de la raison +de la France est aujourd'hui la pensée fondamentale de +l'Administration. Votre peuple s'en afflige, parce qu'elle +est injurieuse pour lui; il s'en inquiète, parce qu'elle est +menaçante pour ses libertés.</p> + +<p class="large">«Cette défiance ne saurait approcher de votre noble +coeur. Non, Sire, la France ne veut pas plus de l'anarchie +que vous ne voulez du despotisme; elle est digne +que vous ayez foi dans sa loyauté, comme elle a foi dans +vos promesses.</p> + +<p class="large">«Entre ceux qui méconnaissent une nation si calme, +si fidèle, et nous qui, avec une conviction si profonde, +venons déposer dans votre sein les douleurs de tout un +peuple jaloux de l'estime et de la confiance de son Roi, +que la haute sagesse de Votre Majesté prononce! ses +royales prérogatives ont placé dans ses mains les moyens +d'assurer, entre les pouvoirs de l'État, cette harmonie +constitutionnelle, première et nécessaire condition de +la force du Trône et de la grandeur de la France.»</p> + +<p class="large">A ces cinq paragraphes M. de Lorgeril, député du +département d'Ille-et-Vilaine, proposa de substituer un +amendement ainsi conçu:</p> + +<p class="large">«Cependant, Sire, notre honneur, notre conscience, +la fidélité que nous vous avons jurée et que nous vous +garderons toujours, nous imposent le devoir de faire +connaître à Votre Majesté qu'au milieu des sentiments +unanimes de respect et d'affection dont votre peuple +vous entoure, de vives inquiétudes se sont manifestées +à la suite de changements survenus depuis la dernière +session. C'est à la haute sagesse de Votre Majesté qu'il +appartient de les apprécier et d'y apporter le remède +qu'elle croira convenable. Les prérogatives de la couronne +placent dans ses mains augustes les moyens d'assurer +cette harmonie constitutionnelle aussi nécessaire +à la force du Trône qu'au bonheur de la France.»</p> + +<p class="large">Je pris le premier la parole pour combattre cet amendement +et soutenir le projet d'Adresse présenté par la +commission. Mon intention et la pensée dominante de +mon discours furent d'établir, par le tableau des faits +comme par l'exposé des principes, que l'harmonie des +pouvoirs constitutionnels était aussi nécessaire à la +force du Gouvernement lui-même qu'à la grandeur et +au bonheur de la France. Tout en faisant acte d'opposition, +j'avais à coeur de me montrer pénétré des nécessités +et des droits du pouvoir dans un régime libre, et +de rester étranger à toute hostilité contre le gouvernement +fondé en 1814.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>répondant à M. de Lorgeril.</i>--Messieurs, je +viens repousser l'amendement qui vous est proposé et demander +l'adoption pure et simple du paragraphe de votre +commission.</p> + +<p>Parmi les motifs qui me déterminent, quelques-uns ont déjà +été présentés dans la discussion, soit hier, soit aujourd'hui; +je n'y reviendrai point. D'autres, à ce qu'il me semble, n'ont +pas encore été allégués; je demande à la Chambre la permission +de les mettre sous ses yeux.</p> + +<p>On a beaucoup parlé de l'état d'inquiétude et de trouble +où l'avènement du ministère a jeté la France; les ministres +s'en sont défendus en disant tantôt que ce trouble n'était +point naturel ni général, qu'au fond le pays était tranquille; +tantôt que si le mal existait, on ne pouvait le leur imputer, +car ils n'avaient rien fait; et on n'alléguait, on ne pouvait +alléguer contre eux aucune série d'actes, aucun acte qui pût +vraisemblablement être considéré comme la cause d'une telle +agitation.</p> + +<p>Je n'ai rien à dire, messieurs, contre l'inaction en général; +elle peut être un utile moyen du gouvernement; le +temps seul dissipe bien des préventions, surmonte bien des +obstacles, et je comprends que souvent le pouvoir demeure +immobile et s'en remette au temps du soin de guérir certains +maux de l'état social.</p> + +<p>Mais, messieurs, le temps n'a point manqué au ministère; +il existe depuis plus de sept mois; que nous a valu son inaction? +Les esprits se sont-ils calmés? Les préventions se sont-elles +évanouies? Sommes-nous hors de la crise où son avènement +nous avait plongés?</p> + +<p>Évidemment non: l'anxiété publique, au contraire, a +toujours été croissant: aujourd'hui encore la crise continue +et s'aggrave; le ministère peut parler de son inaction, mais +il n'a aucun bon résultat à en produire; elle n'a point suffi +à guérir le mal que nous a fait son existence.</p> + +<p>C'est que ce mal, je le crains, messieurs, est plus profond, +plus général que ne le supposent ceux-là même qui y croient. +Ce n'est pas dans les esprits seulement que le trouble à été +porté; la sécurité publique n'a pas eu seule à souffrir de +l'influence du ministère; ailleurs aussi il a jeté la plus +déplorable perturbation.</p> + +<p>Sous quels auspices, messieurs, au nom de quels principes, +de quels intérêts le ministère s'est-il formé? Au nom du +pouvoir menacé, de la prérogative royale compromise, des +intérêts de la couronne mal compris et mal soutenus par ses +prédécesseurs. C'est là la bannière sous laquelle il est entré +en lice, la cause qu'il a promis de faire triompher.</p> + +<p>On a dû s'attendre dès lors à voir l'autorité exercée avec +vigueur et ensemble, la prérogative royale très-active, les +principes du pouvoir non-seulement proclamés, mais pratiqués, +aux dépens peut-être des libertés publiques, mais du +moins au profit du pouvoir lui-même.</p> + +<p>Est-ce là ce qui est arrivé, messieurs? le pouvoir s'est-il +affermi depuis sept mois? A-t-il été exercé énergiquement, +activement, avec confiance et efficacité?</p> + +<p>Je ne le pense pas.</p> + +<p>Et ne croyez pas, messieurs, qu'en adressant au ministère +cette question, je veuille lui demander s'il a exercé le pouvoir +à l'exemple de ces gouvernements infatigables, insatiables, +dont la dévorante activité a longtemps pesé sur la +France. Une telle activité n'est point nécessaire pour que le +pouvoir se déploie et s'affermisse; il ne perd rien à savoir se +reposer, laisser la société à elle-même et ne paraître ou +n'agir que lorsqu'on a vraiment besoin de lui. Cependant, +pour se fortifier, pour se maintenir seulement, il faut que le +pouvoir agisse; l'exercice lui est salutaire; pour qu'on croie +en lui, il faut qu'il sache faire sentir sa présence, même +quand il n'use pas de sa force. Il faut surtout qu'il n'ait pas +l'air embarrassé, incertain, qu'il se confie en lui-même, +n'élude point les occasions d'agir et se montre toujours prêt. +A ces conditions, mais à celles-là seulement, le pouvoir se +relève et s'affermit.</p> + +<p>Ces conditions, messieurs, le ministère ne les a point +remplies: jamais, à mon avis, le pouvoir ne s'est montré +plus faible, plus chancelant, plus empressé de reculer devant +les difficultés, plus agité de doutes sur lui-même, sur ses +moyens, sur son avenir. En voulez-vous la preuve la plus +évidente? Interrogez le public; il ne porte pas aujourd'hui +au ministère plus de confiance que dans les premiers jours +de son avénement, mais il ne lui porte plus aucune crainte. +On se méfie de ses intentions et on se rit de son impuissance. +Est-ce là ce qu'il devait faire de la prérogative +royale? Est-ce là ce retour aux maximes et aux pratiques +efficaces du pouvoir qu'il avait promis à ses amis?</p> + +<p>Ou je m'abuse fort, messieurs, ou depuis sept mois le +pouvoir a perdu en confiance et en énergie tout autant que +le public en sécurité.</p> + +<p>Il a perdu autre chose encore. Il ne consiste pas uniquement +dans les actes positifs et matériels par lesquels ils se +manifeste; il n'aboutit pas toujours à des ordonnances et à +des circulaires. L'autorité sur les esprits, l'ascendant moral, +cet ascendant qui convient si bien dans les pays libres, car il +détermine les volontés sans leur rien commander, c'est là +une importante partie du pouvoir, la première peut-être en +efficacité comme en dignité. C'est aussi celle, à coup sûr, +dont le rétablissement est aujourd'hui le plus désirable pour +notre patrie. Nous avons connu des pouvoirs très-actifs, +très-forts, capables de choses grandes et difficiles; mais soit +par le vice de leur nature, soit par le malheur de leur situation, +l'ascendant moral, cet empire facile, régulier, inaperçu, +leur a presque toujours manqué.</p> + +<p>Le gouvernement du roi est, plus que tout autre, appelé à +le posséder et à l'exercer. Il ne tire point son droit de la force; +nous ne l'avons point vu naître; nous n'avons point contracté +avec lui ces familiarités dont il reste toujours quelque chose +envers des pouvoirs qui n'étaient pas hier et à l'enfance desquels +ont assisté ceux qui leur obéissent. Le respect s'attache +à l'antique possession, à l'antique gloire, et le respect est la +base de l'autorité morale. Qu'a fait le ministère de celle qui +appartient naturellement, sans préméditation, sans travail, +au gouvernement du roi? L'a-t-il habilement employée et +agrandie en l'employant? Ne l'a-t-il pas au contraire gravement +hasardée en la mettant aux prises avec les craintes qu'il +a fait naître et les passions qu'il a suscitées?</p> + +<p>Est-ce là, messieurs, ce que le ministère appelle prendre +en main la cause du pouvoir, faire prévaloir ses principes, +l'élever au-dessus des atteintes de ses ennemis?</p> + +<p>Ce n'est pas encore là tout le mal; il ne s'est point renfermé +dans l'intérieur du gouvernement proprement dit, et +la couronne n'est pas seule à en souffrir. L'existence du ministère +actuel a également porté le trouble dans tous les +grands corps de l'État, dans tous les pouvoirs qui concourent +au maniement des affaires publiques; tous ont été, ou plutôt +sont aujourd'hui, par la même cause, jetés hors de leur +situation naturelle, régulière, et frappés d'un pénible embarras.</p> + +<p>Permettez, messieurs, que j'en appelle à la Chambre elle-même; +elle est, je crois, le plus éclatant exemple du fait que +je signale en ce moment. Mais j'aborde avec quelque inquiétude +un tel sujet; s'il m'arrivait de m'écarter des convenances +parlementaires, s'il m'échappait quelque mot contraire +aux usages de la Chambre, je le désavoue d'avance, +je prie la Chambre de vouloir bien m'excuser et m'avertir.</p> + +<p>Ce n'est point, messieurs, votre unique mission de contrôler, +ou du moins de contredire le pouvoir; vous ne venez +pas ici uniquement pour étudier, relever ses erreurs, ses +torts et en instruire le pays; vous y venez aussi, et d'abord +peut-être, pour entourer le gouvernement du roi, pour l'éclairer +en l'entourant, pour le soutenir en l'éclairant. Ce +n'est point le goût de la critique, le désir d'une popularité +visible, extérieure, qui prévalent dans cette Chambre; elle +souhaite surtout que l'administration soit bonne, utile au +pays, qu'une grande, une imposante majorité se puisse rallier +autour d'elle et lui prêter de la force en retour des biens +qu'elle assurerait à la France.</p> + +<p>Eh bien, messieurs, quelle est aujourd'hui, dans la +Chambre, la situation des hommes les plus disposés à former +une majorité semblable, les plus étrangers à tout esprit +d'opposition, à toute habitude d'opposition? Ils sont réduits +à faire de l'opposition; ils en font malgré eux, par conscience; +ils voudraient rester toujours unis au gouvernement du roi +et il faut qu'ils s'en séparent; ils voudraient le soutenir et il +faut qu'ils l'attaquent. Les mêmes sentiments les animent +toujours; ils poursuivent toujours le même but; mais ce n'est +plus par les mêmes voies qu'ils peuvent l'atteindre; ils ont +été poussés hors de leurs propres voies. La perplexité qui +les agite, c'est le ministère qui la leur a faite; elle durera, +elle redoublera tant que nous aurons affaire à lui.</p> + +<p>Et cette autre portion de la Chambre, messieurs, qui, +plus ombrageuse, plus ardente, se voue spécialement à la +recherche des fautes du pouvoir et à la défense des libertés +publiques, croyez-vous qu'elle n'ait pas été aussi troublée +dans sa situation, que la perturbation générale ne l'ait pas +atteinte? Son rôle, le rôle de l'opposition, ne se borne point, +dans le gouvernement représentatif bien réglé, à épier la +conduite du pouvoir, à découvrir et à proclamer ses fautes; +elle aussi a peut-être pour principale mission d'indiquer, de +solliciter les améliorations, les réformes que peut recevoir +la société.</p> + +<p>Libre du poids des affaires, exempte de la responsabilité +immédiate et positive qui s'y attache, l'opposition s'avance +en général la première et hardiment dans la carrière de la +civilisation; elle en signale d'avance les bienfaits, les conquêtes +possibles; elle presse, elle somme le pouvoir de s'en +saisir au profit du pays. Elle vit d'avenir enfin et d'espérances +souvent lointaines, mais glorieuses. Comment pourrait-elle +se livrer aujourd'hui à de telles pensées? Dans l'état des +esprits, dans les relations actuelles de la société et de ceux +qui la régissent, qui peut songer à demander des améliorations, +des réformes? La lutte actuelle nous préoccupe tous; +qui peut travailler pour un long avenir quand le présent est +à ce point troublé et compromis?</p> + +<p>Comme les partisans de l'ordre et du repos, les amis du +mouvement et du progrès sont donc enlevés à leurs pratiques +habituelles et favorites; les uns et les autres éprouvent le +même trouble, le même désappointement.</p> + +<p>Portez vos regards hors de cette Chambre, messieurs, +interrogez sur leur situation tous les grands pouvoirs publics, +vous les trouverez tous atteints du même mal. Je n'en citerai +qu'un exemple de plus, mais il me semble frappant, c'est +celui des tribunaux. Quelle est leur mission ordinaire? De +protéger l'ordre public, de réprimer les excès qui le menacent, +les écarts des libertés individuelles. Sans doute ils ont +aussi pour mission de protéger les libertés individuelles et +publiques, de les défendre contre les excès du pouvoir, et +c'est leur devoir, leur gloire de la remplir. Mais quand c'est +là le caractère dominant de leur activité, quand les tribunaux +paraissent surtout inquiets des tentatives du pouvoir, quand +c'est le pouvoir qui se plaint d'eux, n'y a-t-il pas évidemment +perturbation? Les corps judiciaires ne sont-ils pas enlevés à +leur état naturel?</p> + +<p>Messieurs, voilà quelle est aujourd'hui la situation de +de tous les pouvoirs publics; la voilà telle que le ministère +la leur a faite. Une seule force peut-être, une seule +puissance se sent aujourd'hui à l'aise en France et se +déploie avec la confiance qu'elle est dans sa voie propre et +naturelle; c'est la presse. Jamais, à mon avis, son action ne +nous fut plus nécessaire et plus salutaire; c'est elle qui, +depuis sept mois, a déjoué tous les desseins, tous les essais, +tous les efforts; mais cette prépondérance presque exclusive +de la presse est redoutable et atteste toujours un fâcheux +état du gouvernement et de la société.</p> + +<p>Cette perturbation générale des pouvoirs publics, cette +altération de leur état naturel, de leurs habitudes régulières, +c'est là, messieurs, le mal qu'il faut aller chercher au delà +de l'agitation des esprits et auquel il est urgent de porter +remède. On vous a dit que la France était tranquille, que +l'ordre n'était nullement troublé. Il est vrai; l'ordre matériel +n'est point troublé; tous circulent librement, paisiblement; +aucun bruit ne dérange les affaires. Le mal que je viens de +signaler en existe-t-il moins? Est-il moins grave? Ne frappe-t-il +pas, n'agite-t-il pas la pensée de tous les hommes sensés +et clairvoyants? Il est plus grave que bien des émeutes, plus +grave que les désordres, les tumultes matériels qui ont, il +n'y a pas longtemps, agité l'Angleterre.</p> + +<p>De tels désordres sont d'ailleurs un avertissement que le +pouvoir ne saurait ignorer; il faut bien, à leur explosion, +qu'il s'aperçoive du mal et se décide au remède. Pour nous, +messieurs, nous n'avons aucun avertissement de ce genre; la +surface de la société est tranquille, si tranquille que le gouvernement +peut fort bien être tenté d'en croire le fond +parfaitement assuré et de se croire lui-même à l'abri de +tout péril. Nos paroles, messieurs, la franchise de nos paroles, +voilà le seul avertissement que le pouvoir ait à recevoir +parmi nous, la seule voix qui se puisse élever jusqu'à +lui et dissiper ses illusions. Gardons-nous d'en atténuer +la force; gardons-nous d'énerver nos expressions; qu'elles +soient respectueuses, qu'elles soient tendres, c'est notre +devoir et personne n'accuse votre commission d'y avoir manqué; +mais qu'elles ne soient point timides et douteuses. La +vérité a déjà assez de peine à pénétrer jusqu'au cabinet des +rois; ne l'y envoyons point faible et pâle; qu'il ne soit pas +plus possible de la méconnaître que de se méprendre sur la +loyauté de nos sentiments. Je vote contre tout amendement +et pour le projet de la commission.</p> + +<a name="III" id="III"></a> +<br><br> +<h3>III</h3> + +<p class="mid">Présentation et discussion du projet de loi relatif à la publication +de la liste des Électeurs et du Jury dans chaque département, +pour l'année 1831.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séances des 14 et 25 août 1830.--</p> + +<p class="large">Comme ministre de l'intérieur, j'étais appelé à prendre +soin que le cours régulier et légal de l'administration +fût aussi peu troublé ou suspendu que cela était +possible par la révolution qui venait de s'accomplir. Ce +fut à ce titre et dans cet esprit que je présentai, le +14 août, le projet de loi suivant, et que je répondis le +25 août aux objections élevées dans le débat. Ce projet, +adopté par les deux Chambres, fut promulgué comme +loi, le 11 septembre 1830.</p> + +<p><span class="sc">M. GUIZOT</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, d'après la +loi du 2 juillet 1828, la liste électorale et du jury doit être +publiée chaque année, dans chaque département, le 15 août, +et révisée selon les formes et dans les délais énoncés au +titre 1<sup>er </sup> de cette loi.</p> + +<p>L'impression de cette liste était déjà assez avancée dans +plusieurs départements et près de commencer dans les +autres lorsque la publication des ordonnances du 25 juillet +est venue arrêter ce travail. Les glorieux événements +qui retentissent autour de nous ont momentanément suspendu +le cours régulier de l'administration. Beaucoup de +fonctionnaires sont révoqués ou ont abandonné leur résidence; +leurs successeurs arrivent à peine et sont pressés +de pourvoir avant tout à la sûreté du pays. Il est matériellement +impossible que la loi du 2 juillet 1828 soit +exécutée, c'est-à-dire que les listes électorales soient partout +publiées le 15 août, débattues, révisées et définitivement +rectifiées du 15 août au 20 octobre, comme cette +loi le prescrit.</p> + +<p>Quelques personnes pourraient penser que le pacte constitutionnel +qui vient d'être promulgué annonçant d'importantes +modifications à notre législation électorale, il conviendrait +d'attendre ces modifications pour rédiger et publier de +nouvelles listes, afin qu'elles y fussent conformes. Mais, +messieurs, cette publication n'a pas les listes électorales +seules pour objet; elle s'applique, en même temps, et pendant +une année, au service du jury. Il y a donc ici une impérieuse +nécessité, un grand intérêt public qui ne saurait +attendre. La liste générale des citoyens aptes à être jurés +doit être révisée et arrêtée aussi promptement qu'il se +pourra faire, en 1830, afin que la liste destinée au service +des assises pour l'année prochaine soit dressée et publiée +légalement le 1<sup>er </sup> janvier 1831.</p> + +<p>Un moyen simple se présente. C'est du 15 août au 20 octobre +que, d'après la loi du 2 juillet 1828, doivent s'accomplir +toutes les opérations de la révision des listes; il +suffit de retarder d'un mois l'ensemble de ces opérations, +c'est-à-dire de les reporter du 15 septembre au 20 novembre, +pour satisfaire à la nécessité.</p> + +<p>Tel est, messieurs, l'unique but du projet de loi que le +Roi nous a ordonné de vous proposer. Il rend à l'administration +le temps de publier les listes, aux citoyens celui de les +examiner et de les débattre, sans rien préjuger sur les changements +qui pourront y être apportés plus tard par une nouvelle +législation électorale, sans altérer aucune des formalités, +aucune des garanties que la loi du 2 juillet 1828 a +voulu donner. Cette loi sera pleinement exécutée; elle le +sera seulement du 15 septembre au 20 novembre, au lieu +de l'être du 15 août au 20 octobre.</p> + +<p>Une seule disposition y est ajoutée. L'article 83 de notre +Charte constitutionnelle admet, dès l'âge de vingt-cinq ans, +à l'exercice des droits électoraux, les citoyens qui réunissent +d'ailleurs les conditions déterminées par les lois. Il n'y a +point ici d'ajournement, point de question subordonnée à +une nouvelle législation électorale; c'est un droit acquis, +complet, et dont les citoyens doivent immédiatement jouir. +L'article 2 du projet de loi leur en assure sans retard l'exercice: +la disposition de la Charte est formelle et n'a pas +besoin de confirmation légale; mais, il a paru utile d'en proclamer +l'exécution.</p> + +<p>J'ai l'honneur de donner à la Chambre lecture du projet +de loi.</p> + +<h4>PROJET DE LOI.</h4> + +<p>Art. 1<sup>er</sup>. Les opérations relatives à la révision des listes +électorales et du jury qui, en vertu des articles 7, 10, 11, 12 +et 16 de la loi du 2 juillet 1828, doivent avoir lieu du +15 août au 20 octobre de chaque année, seront, à raison +des circonstances et seulement pour la présente année 1830, +retardées d'un mois.</p> + +<p>En conséquence, la liste électorale du jury sera publiée +dans chaque département le 15 septembre; le registre des +réclamations sera clos le 31 octobre; la clôture de la +liste aura lieu le 16 novembre, et le dernier tableau de +rectifications sera publié le 20 du même mois de novembre.</p> + +<p>Art. 2. Seront compris dans lesdites listes aux termes de +l'article 33 de la Charte constitutionnelle, les électeurs qui, +jusqu'au 16 novembre inclusivement, auront atteint l'âge de +vingt-cinq ans, et réuniront les conditions déterminées par +les lois.</p> + +<p>M. de Podenas, député de l'Aude, ayant fait quelques +objections sans proposer aucun amendement, je +lui répondis:</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--L'honorable préopinant +reconnaît la nécessité de pourvoir à la publication immédiate +des listes du jury. Il convient que, sous ce rapport, +le service public ne peut pas attendre. Il me paraît avoir +oublié qu'aux termes de la loi même sur le jury, ces listes +se composent de deux parties: la première, la liste des électeurs; +la seconde, la liste additionnelle qui comprend certaines +professions libérales. Pour faire la liste du jury, il faut +donc nécessairement faire aussi la liste des électeurs. On ne +peut pas publier une liste spéciale du jury indépendante de +celle des électeurs.</p> + +<p>Quant à la composition de la liste des électeurs, je ferai +remarquer que les lois subsistent tant qu'elles ne sont pas +formellement abrogées; La Charte contient des dispositions +de nature différente. Les unes sont définitives et impératives, +et déterminent l'âge des électeurs, et c'est en vertu de ces +dispositions que nous avons pu vous proposer d'abaisser l'âge +des électeurs à vingt-cinq ans. Les autres dispositions concernant +le cens ne sont pas encore déterminées. La Charte +dit qu'elles le seront par une loi. Tant que cette loi ne sera +pas rendue, il n'est pas possible de comprendre dans la liste +des électeurs les citoyens dont le cens n'est pas encore fixé. +Nous nous trouvons donc dans cette double nécessité: d'une +part, de faire une liste des électeurs, comme première partie +de la liste du jury, et de l'autre, de ne pouvoir comprendre +dans cette liste les citoyens dont le cens n'est pas déterminé +par la loi.</p> + +<p>L'intention du gouvernement est de proposer, aussitôt +qu'il le pourra, la loi des élections; et alors le cens des électeurs +sera définitivement réglé. Mais, quant à présent, dans +l'obligation où nous sommes de publier immédiatement la +liste du jury et d'y comprendre celle des électeurs, nous +n'avons pu que nous en tenir, pour les électeurs, aux conditions +légales existantes.</p> + +<a name="IV" id="IV"></a> +<br><br> +<h3>IV</h3> + +<p class="mid">Présentation et discussion du projet de loi relatif au mode de +pourvoir aux élections vacantes dans la Chambre des députés.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séances des 14 et 30 août 1830.--</p> + +<p class="large">Par suite soit des démissions, soit des changements +dans les diverses branches de l'administration qu'avait +amenés la révolution de Juillet, cent quatorze siéges +étaient vacants dans la Chambre des députés. Il était +indispensable de les faire remplir par des élections nouvelles, +sans attendre que les modifications annoncées +dans la législation électorale fussent accomplies. Diverses +questions provisoires, mais importantes et délicates, +s'élevaient à ce sujet. Le projet de loi suivant, destiné +à les résoudre, fut adopté par les deux Chambres avec +quelques amendements, et promulgué comme loi le +12 septembre 1830.</p> + +<p><span class="sc">M. GUIZOT</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, plusieurs +siéges sont vacants dans cette Chambre; il importe d'y pourvoir +sans retard. Il importe qu'une assemblée qui a déjà si +bien mérité de la patrie en consacrant et consommant en un +jour, avec une fermeté rapide et prudente, l'oeuvre glorieuse +de la résistance nationale, ne voie point de vide dans ses +rangs.</p> + +<p>Pour la compléter, une question grave se présente. D'importantes +modifications à notre législation électorale sont +annoncées. Elles ne sauraient être assez promptement accomplies +pour que les élections aujourd'hui vacantes aient +lieu sous leur empire. Ces élections se trouvent nécessairement +placées sous l'empire des lois actuellement subsistantes, +car les lois subsistent tant qu'elles ne sont pas formellement +abrogées ou changées; et c'est un des plus impérieux besoins +de la société que, partout où ne vient pas frapper une nécessité +absolue, irrésistible, sa vie légale continue sans interruption. +Mais les lois électorales encore en vigueur contiennent +un principe si fortement réprouvé par la conscience +publique, et dont la prochaine abolition a été si hautement +proclamée qu'il y aurait une sorte d'inconséquence choquante +à en autoriser plus longtemps l'application.</p> + +<p>C'est le principe du double vote. Quoique leur prompte +solution soit désirable, les autres questions peuvent et doivent +être ajournées à la discussion générale et approfondie des +lois annoncées. Le double vote n'est plus une question. Aboli +en principe par la Charte, nous pensons qu'en fait il doit +disparaître.</p> + +<p>Il faut donc prendre une mesure qui, sans rien compromettre, +sans reconstituer précipitamment et au hasard notre +législation électorale, en expulse immédiatement le double +vote et affranchisse les élections qui vont avoir lieu de la +nécessité de le subir.</p> + +<p>Pour atteindre ce but, il nous a paru que le moyen le +plus simple était d'ordonner que les colléges d'arrondissement +pourvoieraient seuls aux élections vacantes, y compris celles +qui auraient été faites par des colléges de département. Dans +ce dernier cas, un tirage au sort, fait dans la Chambre +en séance publique, déterminera lequel des arrondissements +électoraux du département devra procéder au remplacement +du député élu naguère par le collège départemental.</p> + +<p>Le tirage au sort en pareille matière n'est point un procédé +nouveau et inusité dans cette Chambre; elle en a usé +plusieurs fois, par exemple pour déterminer le classement +des départements en séries et l'ordre des séries, quand le +renouvellement par cinquième était en vigueur.</p> + +<p>Cette mesure purement transitoire satisfait au besoin +du moment, à la conscience publique, et laisse aux délibérations +futures des Chambres, sur notre législation électorale, +toute la liberté, toute la maturité qui leur doivent +appartenir.</p> + +<p>J'ai l'honneur de donner à la Chambre lecture du projet +de loi.</p> + +<h4>PROJET DE LOI.</h4> + +<p>Art. 1<sup>er</sup>. Il sera pourvu par les collèges d'arrondissement +aux vacances occasionnées dans la Chambre des députés par +suite de démission ou par toute autre cause, soit que les +députés à remplacer aient été élus par un collége d'arrondissement +ou par un collége de département.</p> + +<p>Art. 2. Dans ce dernier cas, il sera procédé dans la +Chambre des députés, et en séance publique, à un tirage au +sort entre les divers arrondissements électoraux du département +où aura lieu la vacance, pour déterminer quel ou +quels arrondissements devront procéder au remplacement +du ou des députés élus par le collége de département, de +telle sorte que nul arrondissement n'ait plus d'un de ces +députés à nommer.</p> + +<p>Art. 3. Les dispositions de la présente loi sont purement +transitoires, et valables uniquement jusqu'à ce qu'il ait été +légalement pourvu aux modifications à apporter à la législation +électorale maintenant en vigueur.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Je ne viens ici appuyer +ni combattre au fond et en lui-même l'amendement qui +vous est proposé<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a> +<a href="#footnote13"><sup class="sml">13</sup></a>. Je viens seulement faire remarquer à la +Chambre l'inconvénient qu'il y aurait à décider cette question +à propos d'une loi transitoire, au lieu de la renvoyer à +la loi définitive.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote13" +name="footnote13"><b>Note 13: </b></a><a href="#footnotetag13"> +(retour) </a> L'amendement proposé par le général Demarçay, député de +la Vienne, avait pour objet de réduire immédiatement à 200 fr. +le cens de 300 fr. exigé jusque-là des électeurs.</blockquote> + +<p>Le plus grand inconvénient qui se soit fait sentir dans les +lois d'élections dont on s'est occupé, c'est qu'elles n'ont pas +été fondées sur le connaissance des faits; c'est qu'on a procédé +d'une manière abstraite, <i>à priori</i>, sans savoir sur quoi +on agissait, et sans pouvoir indiquer quels seraient les résultats +de la loi en délibération.</p> + +<p>Ainsi, on vous propose d'abaisser à 200 fr. le cens électoral, +et on ne peut pas prévoir quel nombre d'électeurs arrivera +par cet abaissement; on ne peut pas dire s'il sera nécessaire, +à raison de ce nombre, de fractionner les colléges +autrement qu'ils ne le sont. C'est là un inconvénient immense. +Vous avez, dans la loi des élections actuelle, des faits +connus pour le cens de 300 fr. Vous savez quel résultat vous +en pouvez attendre. Ces résultats non-seulement n'ont rien +de dangereux en eux-mêmes, mais ils ont amené des Chambres +qui ont vaillamment soutenu la cause des libertés publiques, +et qui ont aidé le pays à triompher définitivement. +Vous n'avez donc rien à craindre; vous les connaissez; mais +ce qui arrivera de l'abaissement du cens à 200 fr., vous ne +pouvez en aucune façon le prévoir.</p> + +<p>Je ne dis pas que le résultat soit mauvais, qu'il ne faille +pas l'admettre, mais je dis qu'il ne faut rien préjuger, et +qu'avant tout il faut constater les faits résultant de l'abaissement +du cens.</p> + +<p>On peut, par des renseignements administratifs, savoir le +nombre des cotes entre 300 fr. et 200 fr. On peut au moins +en approcher et prévoir quelles combinaisons seront nécessaires +pour amener le cens de 200 fr. dans la loi électorale. +Mais dès aujourd'hui, dans l'absence complète des renseignements +et des faits, vous agiriez en aveugles en abaissant le +cens, et c'est un des plus grands inconvénients qui se soient +fait sentir dans toutes les lois d'élection.</p> + +<p>J'ajouterai une remarque des plus importantes: c'est que +les élections que vous avez à faire doivent être faites en +vertu des listes actuellement existantes, sur un tableau de +rectification, dans le délai d'un mois. Vous avez un grand +intérêt à ce que vos bancs se remplissent. Si vous abaissez le +cens, l'introduction d'un grand nombre d'électeurs rendra +plus longue et plus difficile la confection des listes, et il +nous importe beaucoup que le délai d'un mois ne soit pas +dépassé.</p> + +<p>Je ne rentrerai pas dans la discussion générale. Vous +n'avez en ce moment qu'une loi provisoire à faire. Il y aurait +une sorte de contradiction à faire une loi provisoire, et à +décider dans cette loi une des plus grandes questions qui +appartiennent à la loi définitive, et que vous ne pouvez décider +qu'avec connaissance de cause. Je demande, en conséquence, +que la question de l'abaissement du cens soit renvoyée à la +discussion de la loi définitive.</p> + +<a name="V" id="V"></a> + +<br><br> +<h3>V</h3> + +<p class="mid">Présentation et discussion du projet de loi relatif à la réélection +des Députés promus à des fonctions publiques salariées.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séances des 17 et 27 août 1830.--</p> + +<p class="large">L'obligation, pour les députés promus à des fonctions +publiques salariées, de se soumettre à la réélection était +l'une des réformes promises par la disposition finale de +la Charte de 1830. Le projet de loi suivant, destiné à +accomplir cette réforme, fut adopté par les deux Chambres, +avec quelques amendements, et promulgué comme +loi le 12 septembre 1830.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, la Charte a +ordonné qu'une loi fût rédigée pour obliger à la réélection +les membres de la Chambre des députés appelés à des fonctions +publiques.</p> + +<p>Avant que la Charte eût posé ce principe, la conscience +publique l'avait reconnu. La Charte, telle qu'une heureuse +révolution l'a développée, n'a eu qu'à consacrer des vérités +auxquelles quinze ans d'expérience et de discussion avaient +donné le sceau de l'évidence; elle a fait passer la raison commune +dans le droit écrit.</p> + +<p>Tel est le caractère du projet de loi que le Roi nous a +ordonné de vous présenter, et qui astreint à la réélection les +députés promus à de nouveaux emplois. Les motifs en sont +si connus, si généralement sentis, qu'il semble superflu de +les exposer de nouveau. Le raisonnement et les faits ont +d'avance convaincu le législateur.</p> + +<p>La proposition n'est pas nouvelle dans cette Chambre; +elle y a pris naissance. Présentée sous des administrations +bien diverses, elle y a couru diverses fortunes. Plus +d'une fois ajournée ou rejetée, elle y fut admise il y a +trois ans pour la première fois, et quoique alors elle échouât +dans une autre enceinte, il fut aisé de prévoir que son +temps approchait et qu'elle triompherait de la prochaine +épreuve. A travers toutes ces vicissitudes, le principe a +gagné de jour en jour plus de crédit et d'autorité.</p> + +<p>Une seule objection inquiète encore quelques esprits sages; +ils craignent que cette garantie nouvelle ne soit un affaiblissement +pour le pouvoir, et qu'il n'ait peine à marcher chargé +de cette nouvelle entrave.</p> + +<p>Mais, messieurs, ici comme en beaucoup d'autres questions, +ne méconnaît-on pas la nature et la destinée du pouvoir +dans un État constitutionnel? N'oublie-t-on pas qu'il +s'y fortifie ou s'y affaiblit par des causes toutes différentes +de celles qui produisent de tels effets dans un gouvernement +absolu? Cette nécessité d'obtenir constamment l'assentiment +public, qui est aujourd'hui la condition du gouvernement, +ne doit pas être regardée seulement comme une limite, +comme une garantie préventive; c'est aussi un principe +fécond de force, un puissant moyen d'action. Sans doute elle +empêche, elle retarde souvent; mais elle donne, aux hommes +et aux mesures qu'elle appuie, une irrésistible autorité. Sans +doute le pouvoir aujourd'hui doit posséder des moyens +d'imposer aussi à l'opinion publique des délais et des épreuves, +et c'est là sa garantie contre l'entraînement et la précipitation; +mais toutes les épreuves accomplies, tous les +délais épuisés, le pouvoir doit accepter le voeu du pays, se +l'approprier, s'en armer pour ainsi dire; et il est très-fort +alors, beaucoup plus fort par l'élection, par la discussion, +par la publicité, qu'il ne l'a jamais été par l'indépendance et +le secret.</p> + +<p>Ne craignons donc pas de multiplier les liens qui rapprochent +la société et son gouvernement, d'instituer de nouveaux +moyens de constater, de resserrer leur union. Nous ne +sommes plus, grâce au ciel, dans une situation politique où +la société doive faire peur au pouvoir; tout à l'heure encore +il en était autrement. Peut-être même est-ce la position où se +trouvait le dernier gouvernement qui fait encore illusion à +quelques esprits. Ce qui pour lui était redoutable leur +semble encore à craindre aujourd'hui; tant le passé est lent +à sortir complétement de la pensée! tant l'habitude nous +fait voir longtemps ce qui n'est plus! Le dernier gouvernement +portait en lui-même un principe de faiblesse qui ne +lui permettait ni d'accepter pleinement les conditions légales +de son existence, ni même d'user de toutes les ressources +que lui offrait son organisation politique. Il ne pouvait, il +n'osait ni respecter toutes ses limites, ni profiter de tous ses +droits. La règle et l'activité constitutionnelles lui étaient également +importunes. Il y avait en lui quelque chose d'antipathique +à l'élection, à la responsabilité, à la publicité. C'étaient +autant d'épreuves qu'il ne savait pas supporter et dont il ne +pouvait s'affranchir. Elles étaient donc pour lui une vraie +cause d'affaiblissement; elles mettaient de plus en plus en +lumière le vice essentiel de sa nature. Elles divulguaient ce +secret d'incompatibilité que le 26 juillet a fait éclater. Mais +ce n'est point sur un tel précédent qu'il faut juger le gouvernement +nouveau. Sa situation est toute différente. Il n'a rien +à cacher, rien à pallier; et, comme il est essentiellement +national, il ne recule pas devant la nation. Il la cherche au +contraire, puise de la force où le précédent ne trouvait que +faiblesse, et sort plus affermi des épreuves dont le nom seul +ébranlait l'autre. Il n'y a, dans l'élection, dans l'action continuelle +de la société, rien qui répugne à la nature du gouvernement +actuel. La liberté politique ne le compromet pas; +elle fait son salut comme sa gloire; c'est pour elle qu'il est +venu au monde.</p> + +<p>Le projet de loi que nous vous présentons crée un lien de +plus entre le pouvoir et le public. Il tend à multiplier les +élections partielles, à ouvrir en quelque sorte une perpétuelle +enquête sur les sentiments du pays à l'égard de l'administration. +Il ne fait donc que développer les conditions et, +j'ose dire les moyens d'existence du gouvernement. Aux +yeux des hommes mêmes qui sont surtout préoccupés du +désir que le pouvoir soit stable et fort, il n'a maintenant +aucun des inconvénients qu'il aurait pu présenter naguère. +Il ne fera courir au pouvoir aucun des risques dont s'alarmait +en d'autres temps leur prudence inquiète. Il est conforme +aux principes fondamentaux de l'ordre établi, au caractère +propre du gouvernement.</p> + +<p>Aussi, n'avons-nous pas balancé, messieurs, à reconnaître +franchement le principe de la réélection, et à l'appliquer +dans toute sa latitude. Jusqu'ici, lorsqu'on avait essayé de +l'introduire, beaucoup d'exceptions et de limitations y avaient +été apportées. On avait excepté de la condition commune +tous les juges et même les ministres. Mais dans un pays où +la hiérarchie judiciaire compte des degrés si nombreux, +l'avancement des magistrats peut être aussi bien l'oeuvre de +la faveur ou le calcul de la politique, qu'une simple promotion +administrative; et quant aux ministres, c'est pour eux +qu'il faudrait encore réserver la réélection quand même elle +ne serait pas la condition de tous. Quel plus grand changement +en effet dans la situation du député que le changement +qui, de conseiller libre du pouvoir, l'en rend le dépositaire! +Mais aussi quelle force et quel appui le ministre récemment +choisi par le prince doit-il trouver dans le nouveau suffrage +de ses concitoyens!</p> + +<p>Le projet de loi n'admet donc aucune exception, aucune +restriction, hors une seule, en faveur des militaires: ils sont +exemptés de la réélection jusqu'au grade de lieutenant-colonel +inclusivement. On comprend d'avance les motifs de +cette exception. Le choix de la carrière des armes n'est pas +toujours volontaire; aussi l'avancement y a-t-il été assuré et +réglé par une loi, du moins pour les premiers grades. Il est +donc naturel qu'une promotion fondée sur l'ancienneté, c'est-à-dire +sur la loi, ne puisse être entravée par la condition +gênante d'une réélection, et devenir, contre toute raison, +l'occasion d'un sacrifice plutôt que d'un avantage. Les militaires +mêmes qui doivent leur avancement au choix du +prince ne peuvent monter en grade que suivant certaines +règles déterminées d'avance, et que les électeurs connaissent. +En fixant leur choix sur un militaire, ils ont pu savoir +quelle était sa condition, et prévoir l'époque où le bénéfice +des règles de l'avancement lui serait applicable. Sa position +d'ailleurs ne peut être gravement modifiée, pendant la durée +d'une législature, par son avancement méthodique dans une +profession toute spéciale. Ce n'est que de grade en grade, et +après des intervalles assez longs, qu'un militaire peut +s'élever du rang de sous-lieutenant à celui de lieutenant-colonel.</p> + +<p>Après avoir ainsi admis le principe dans toute son étendue, +le projet en règle l'application. Il établit que les députés, +considérés comme démissionnaires par le seul fait de l'acceptation +de fonctions publiques salariées, pourront être +réélus; nécessité évidente, puisque c'est à décider s'ils seront +réélus que consiste l'épreuve. C'est la solution authentique +de cette question qui peut seule éclairer le député, la +Chambre, le gouvernement. Mais en même temps le projet +ordonne que les députés promus continueront à siéger dans +la Chambre jusqu'au moment où l'élection sera consommée. +Cette précaution était indispensable pour empêcher que la +Chambre fût privée de membres importants, et les colléges +électoraux de leurs députés; elle était naturelle, car tant +que l'élection n'est point terminée, le problème qu'elle doit +résoudre reste incertain, et la solution doit être présumée en +faveur de celui qui a la possession.</p> + +<p>Enfin un dernier article dicté par les circonstances donne +un effet rétroactif au projet de loi et en fait remonter l'application +à l'ouverture de la session actuelle. Ce sera un hommage +rendu immédiatement au principe, par la Chambre +même qui l'aura la première écrit dans la loi. Jamais peut-être +l'application n'en aura été plus politique qu'à la naissance +d'un gouvernement dont les choix nombreux doivent +recevoir de l'assentiment public leur plus ferme autorité.</p> + +<p>Messieurs, tout est bien neuf aujourd'hui; il ne manque +à l'oeuvre que nous entreprenons en commun ni légitimité +ni gloire; mais il lui manque encore ce que le temps donne +à ses ouvrages. A défaut de cette longue possession qui +affermit les gouvernements, la nature du nôtre permet +d'obtenir cet assentiment public et formel qui donne la +dignité et la force même aux créations récentes de la nécessité. +(<i>Mouvement d'adhésion.</i>) Gardons-nous donc de repousser +aucun moyen prompt et facile de constater le voeu +national; recherchons-le au contraire, demandons au pays +cette force précieuse que lui seul peut nous assurer. (Voix +nombreuses: <i>Très-bien! très-bien!</i>) Le projet de loi que le +Roi nous a ordonné de vous proposer, bon et juste, à nos +yeux, dans tous les temps, nous paraît emprunter, des circonstances +où nous sommes, un caractère particulier d'importance +et d'utilité. Il rattache par un lien de plus le +gouvernement à la nation.</p> + +<h4>PROJET DE LOI.</h4> + +<p>Art. 1<sup>er</sup>. Tout député qui acceptera des fonctions publiques +salariées sera considéré comme donnant, par ce seul +fait, sa démission de membre de la Chambre des députés.</p> + +<p>Art. 2. Néanmoins, il continuera de siéger dans la Chambre +jusqu'au jour où sera consommée l'élection à laquelle son +acceptation de fonctions publiques salariées aura donné lieu.</p> + +<p>Art. 3. Sont exceptés de la disposition contenue dans +l'article 1<sup>er</sup> les militaires jusqu'au grade de lieutenant-colonel +inclusivement.</p> + +<p>Art. 4. Les députés qui, à raison de l'acceptation de fonctions +publiques salariées, auront cessé de faire partie de +la Chambre des députés, pourront être réélus.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Dans l'état de la +législation et de l'administration jusqu'à ce jour, l'amendement +qui vous est proposé par l'avant-dernier préopinant +était naturel, et pouvait même paraître légitime<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a> +<a href="#footnote14"><sup class="sml">14</sup></a>; attaché +au projet de loi que nous avons présenté, il a quelque chose +d'étrange.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote14" +name="footnote14"><b>Note 14: </b></a><a href="#footnotetag14"> +(retour) </a> L'amendement proposé par M. Hector Le Pelletier d'Aunay, +député de la Nièvre, portait: «Tout député qui acceptera des +fonctions salariées, autres que celles de ministre du Roi siégeant +au conseil, sera considéré comme donnant, par ce seul fait, sa +démission de membre de la Chambre des députés.»</blockquote> + +<p>Quel est l'effet du projet de loi, quel est son but avoué? +C'est d'empêcher qu'aucun député ne puisse devenir fonctionnaire, +sans l'aveu du pays, contre le gré du pays, dans +un intérêt personnel ou dans l'intérêt exclusif du pouvoir.</p> + +<p>Quel est au contraire l'effet de l'amendement qui vous +est proposé? C'est d'empêcher qu'un député ne puisse devenir +fonctionnaire de l'aveu du pays aussi bien que de +l'aveu du Roi, quand l'un et l'autre s'entendent sur ce point, +quand ils croient que la nomination a lieu dans les intérêts +communs du pays et du pouvoir.</p> + +<p>Voilà l'effet de l'amendement, mis en regard de l'effet du +projet de loi.</p> + +<p>Il s'agit donc évidemment ici d'une restriction apportée +au choix des électeurs. On restreint leur liberté dans une +sphère plus étroite, et on la restreint précisément au moment +où leur choix s'accorde avec celui du prince.</p> + +<p>Cette restriction, à ce qu'il me semble, n'a en soi-même +rien d'utile. Toute restriction apportée à la liberté des électeurs +me paraît peu favorable, à moins qu'elle ne soit +commandée par la nécessité, à moins que des convenances +ne la réclament; et ce n'est pas au moment peut-être où le +but d'ôter, de diminuer les restrictions qui gênent cette +liberté préoccupe les esprits, qu'il convient d'en introduire +de nouvelles.</p> + +<p>La restriction dont il s'agit est-elle commandée par de +grandes considérations politiques, par quelque nécessité +d'intérêt public? J'avoue que je ne le crois pas.</p> + +<p>Remarquez qu'il ne s'agit pas ici de prévenir la nomination +de députés, comme fonctionnaires, dans un département +où ils exercent une influence personnelle, où cette +influence pourrait agir au profit de leur élection. Il est écrit +dans une loi que nul ne peut être élu député dans le département +où il exerce des fonctions publiques.</p> + +<p><i>Une voix.</i>--L'exclusion n'a point lieu pour la charge de +procureur général; elle ne porte que sur celle de préfet.</p> + +<p><i>M. le Ministre.</i>--Oui, celle de préfet seulement. Elle a lieu +pour les fonctions de préfet, et en même temps pour celles +de sous-préfet, les sous-préfets n'étant que des fonctionnaires +subalternes dans la même administration.</p> + +<p>Cette limitation est donc écrite dans la loi, et il ne s'agit +que de l'influence que pourrait exercer un député ailleurs +que dans le département où il est fonctionnaire; il s'agit de +son élection dans des lieux où il n'est pas présumé exercer +une influence extraordinaire et illégitime. Eh bien! cette +exception est-elle commandée par un grand intérêt public? +Je ne le pense pas.</p> + +<p>Il est, si je ne me trompe, dans la nature et dans le but du +gouvernement représentatif de prétendre, non pas seulement +à ce que l'autorité soit surveillée, et fortement contrôlée +par une opposition éclairée et nationale, mais aussi que l'administration +elle-même soit bonne. C'est même, selon moi, +le premier but de tout système constitutionnel de former une +bonne administration, de donner au pays un bon gouvernement, +de faire pénétrer ce gouvernement dans tous les +replis, dans toutes les parties de l'administration. C'est, si je +ne me trompe, le but fondamental, l'état légitime du gouvernement +représentatif, du gouvernement de la majorité, +d'être sans cesse soumis au contrôle et au libre déploiement +de la minorité. C'est là, si je puis me servir de cette +expression, c'est là l'état normal du régime constitutionnel.</p> + +<p>Eh bien, c'est à cet état que votre amendement apporte +obstacle.</p> + +<p>Il ne s'agit pas seulement ici de former l'administration, de +donner à l'État des ministres pris dans la majorité; il s'agit +de faire pénétrer le même esprit, le même caractère, les +mêmes principes dans l'État tout entier, de les faire entrer, +de les faire pénétrer dans toutes les parties de l'administration.</p> + +<p>Votre amendement enlève au gouvernement toute possibilité +de le faire; votre amendement sépare le gouvernement +de l'administration et semble fait pour l'empêcher, lorsqu'il +à la majorité dans la Chambre, de faire pénétrer les hommes +de cette majorité dans l'administration. Je ne crois pas que ce +soit là le but, le meilleur résultat du gouvernement représentatif.</p> + +<p>Remarquez, messieurs, quel est l'effet de la réélection +qui vous est proposée: c'est de faire pénétrer, indirectement +à la vérité, le principe de l'élection dans une multitude de +fonctions importantes où il serait impossible de le faire +pénétrer directement. Vous êtes occupés, dans ce moment, +de la question de savoir comment vous introduirez le principe +de l'élection dans les administrations locales, et je n'ai +garde de prétendre que ce projet ne soit pas bon et louable. +Mais la réélection, telle que vous la proposez, doit avoir +pour effet de faire pénétrer le principe de l'élection dans +la haute administration, de le faire pénétrer indirectement, +il est vrai, mais cependant de l'y faire pénétrer de manière +qu'il y exerce un véritable empire.</p> + +<p>Vous ne pouvez, messieurs, admettre en principe que +l'administration tout entière soit élective. Vous ne voulez +sans doute pas qu'il en soit ainsi.</p> + +<p>Mais remarquez que, dans le système du projet de loi, +l'élection exercera sur la haute administration, sur les +fonctionnaires supérieurs, une grande influence. Elle y pénétrera +indirectement, et, si cela se peut, sans porter +atteinte à la prérogative royale, sans compromettre l'ordre +public, selon la marche régulière de l'administration. Il y a +avantage, il y a profit, dans l'intérêt des libertés publiques, +à ce que le principe de l'élection ne soit pas directement introduit +dans toutes les parties de l'administration, dans la +sphère supérieure comme dans la sphère inférieure, dans celle +de l'action comme dans celle du conseil.</p> + +<p>On a dit, si je ne me trompe, qu'il y aurait défaut de +temps pour les députés préfets ou procureurs généraux, +qu'il leur serait impossible de remplir à la fois leurs fonctions +d'administrateurs et de députés. J'avoue que je ne suis +pas touché de cette considération, quoiqu'elle semble +fondée. Je ne dirai pas qu'il ne puisse y avoir quelque +inconvénient dans certains cas. Cependant il est, je crois, +infiniment plus important que les principaux fonctionnaires +de l'administration viennent se pénétrer dans cette +Chambre de l'esprit général du gouvernement, des principes +de la majorité, et qu'ils les reportent ensuite dans leurs +départements. Ce n'est pas du temps perdu, messieurs, que +le temps passé à s'instruire dans cette Chambre, à se bien +pénétrer de ses principes, et les exemples ne me manqueraient +pas, s'il était possible de citer, pour montrer que le +séjour dans cette Chambre, la participation à ses travaux +a plus d'une fois utilement influé sur les fonctionnaires +administrateurs, qu'ils y ont puisé un nouvel esprit, des +vues plus libérales, et que par là les progrès qui s'étaient +faits dans la Chambre ont pénétré dans l'administration.</p> + +<p>On a parlé d'un article de la Charte qui disait que les +fonctions de député devaient être gratuites. Je ne vois pas +d'article pareil dans la Charte. La Charte ne dit rien à ce +sujet. Je ne suis pas de ceux qui prétendraient qu'il en dût +être autrement. Mais je dois dire que la Charte ne spécifie +rien à cet égard, qu'il n'y a à ce sujet aucune exclusion prononcée +par la Charte.</p> + +<p><i>Une voix.</i>--C'est par une loi.</p> + +<p><i>Autre voix à gauche.</i>--Et par une bonne loi.</p> + +<p><i>M. le Ministre.</i>--Il est donc également dans l'esprit du +gouvernement de la majorité et comme garantie de la liberté, +il est, dis-je, dans ce double intérêt que le projet de loi soit +adopté dans toute son étendue. Par le principe de la réélection, +il assure pleinement la garantie de la liberté; et non-seulement +il assure la garantie de la liberté, mais il donne aux choix des +citoyens, sur la haute administration, toute l'influence qu'ils +peuvent avoir, et, en même temps, il assure au pouvoir +l'approbation publique en faveur de ses fonctionnaires.</p> + +<p>J'aborde le seconde partie des objections qui ont été faites.</p> + +<p>On a craint que la prérogative royale ne reçût quelque +atteinte, que le pouvoir ne fût énervé. Je crois, messieurs, +qu'en fait de forces du pouvoir, il ne faut pas en juger par +l'apparence; qu'il y a tel fait qui, extérieurement, au premier +coup d'oeil, semble affaiblir le pouvoir, et qui au contraire +ne fait que le fortifier. Le principe en vertu duquel +vous siégez dans cette Chambre a été attaqué aussi pendant +longtemps comme affaiblissant le pouvoir. On a dit qu'il y +aurait aussi affaiblissement du pouvoir dans la réélection des +députés fonctionnaires et dans la libre discussion. C'est un +argument qui a été populaire parmi des hommes partisans +du pouvoir. Il est oublié aujourd'hui.</p> + +<p>C'est le même argument qu'on reproduit aujourd'hui, +dans une application particulière. En fait, je ne crois pas +que le pouvoir ait été affaibli par l'intervention du pays +dans les affaires publiques. Je parlais d'exemples tout à +l'heure: il n'y a jamais eu de pays où le pouvoir ait +été plus fort que celui de Pitt. Le pouvoir de Pitt, en +Angleterre, a été plus fort que celui de Napoléon, le plus +grand des despotes. Il a été plus fort, parce qu'il s'est servi +de moyens de gouvernement qui faisaient intervenir le peuple +dans les affaires. Ces moyens étaient tout autres que +ceux qu'employait Napoléon; mais la force de l'État n'en +était que plus grande.</p> + +<p>Il ne faut pas juger de l'état du pouvoir par la diversité +des moyens qu'il emploie. La liberté, la discussion publique +sont, dans un certain état de société, les véritables moyens de +pouvoir. Que le pouvoir s'en serve franchement et la force ne +lui manquera pas. La force ne manquera jamais aux pouvoirs +nationaux, aux pouvoirs qui veulent la prospérité publique +et qui la veulent franchement, aux pouvoirs qui cherchent +la force là où elle est réellement.</p> + +<p>Je ferai remarquer, pour descendre à des considérations +d'un autre ordre, que le danger de la réélection, en pareille +matière, n'est pas aussi grand en fait qu'on se le figure. +Il est probable que l'homme qui est appelé par le prince +aux grandes fonctions publiques, aux fonctions de ministre +par exemple, il est probable, dis-je, qu'il est appelé comme +un des hommes considérables de la majorité: c'est au moins +une présomption en sa faveur que le choix du souverain; +c'est une présomption pour sa réélection. Son élection est la +preuve du triomphe de l'opinion à laquelle il appartient.</p> + +<p>Je ne dis pas que cette probabilité soit aussi grande dans +toutes les circonstances. Il est possible que l'état des choses +change. Mais c'est au moment même de son avénement au +pouvoir, que vous le soumettez à une réélection; c'est au +moment où l'opinion à laquelle il est attaché triomphe. La +réélection est donc extrêmement probable. Il serait possible +qu'elle le fût moins au bout d'un certain temps. Les ministres +les plus populaires ont vu quelquefois toute leur +popularité s'évanouir au bout d'un certain temps. Mais, dans +le cas dont je parle, c'est pour ainsi dire lorsqu'ils sont +dans la joie du triomphe que les députés se présentent à la +réélection. La réélection est donc alors très-probable, ou du +moins, il y a beaucoup de chances en faveur du député qui +s'y trouve soumis.</p> + +<p>C'est un spectacle frappant que celui que nous offre l'Angleterre. +En Angleterre, une élection manque, une autre +se présente: quoique notre pays ne soit pas électoralement +constitué de la même manière que l'Angleterre, on +peut voir cependant de l'analogie dans les deux constitutions.</p> + +<p>Un député élu par un arrondissement est promu à une +fonction; il n'est pas pour cela, en fait, déchu du rang de +député; je crois au contraire qu'en fait les chances de sa +réélection sont très-grandes: s'il est populaire, il gagnera +infiniment par l'établissement du principe de sa réélection, +et l'on conçoit aisément quelle force sa réélection donnera +à la majorité de la Chambre. Peut-on mettre en balance +le risque qu'il pourrait courir de n'être pas réélu?</p> + +<p>On a dit, si je ne me trompe, que les droits de la Chambre +aussi seraient restreints; que dans ce moment-ci la Chambre, +juge des principaux dépositaires du pouvoir, exerce sur +l'existence politique de ses membres une grande influence. +J'avoue que je ne crois pas que la Chambre coure aucune +chance de voir ses droits restreints; elle en court moins +encore que la prérogative royale, s'il est possible qu'il y en +ait de dangereuse pour la prérogative. Par la réélection, on +ménage la minorité, et c'est ce qu'il faut faire pour donner +plus de force à la Chambre. Dans un bon gouvernement où +l'on reconnaît la nécessité d'une majorité, l'influence de la +Chambre sera toujours infiniment supérieure à celle des +électeurs.</p> + +<p>Je ne veux pas retenir plus longtemps l'attention de la +Chambre sur cette délibération. Il me semble qu'en principe +général, la réélection est une garantie de ce qui fait le +double but du gouvernement représentatif: d'une part, du +bon gouvernement, ou gouvernement de la majorité, qui +fait que la majorité est régulièrement constituée, et qu'elle +exerce dans les diverses parties de l'État, comme présente, +toutes les influences qui lui appartiennent; d'une autre part, +de la liberté des élections, de la nationalité du gouvernement. +Si vous supprimez l'un ou l'autre de ces deux éléments, +le gouvernement représentatif ne recevra pas son +plein développement.</p> + +<p>Je vous en conjure, messieurs; ne travaillez pas à affaiblir +le gouvernement, sans pour cela fortifier la liberté. Constituez +le pouvoir fortement d'une part, et la liberté plus +fortement de l'autre. Que les deux grands éléments de notre +gouvernement se trouvent en présence, libres et capables de +se dire l'un à l'autre la vérité et de lutter sans crainte. Ce +n'est pas en se préoccupant seulement de ses adversaires +qu'on sert les intérêts du pays. (<i>Marques générales d'adhésion.</i>)</p> + +<p>Je repousse l'amendement qui a été proposé.</p> +<a name="VI" id="VI"></a> + +<br><br> +<h3>VI</h3> + +<p class="mid">Présentation d'un projet de loi portant demande d'un crédit +extraordinaire de cinq millions, applicable, sur l'exercice de +1830, à divers travaux publics, soit à Paris, soit dans les départements.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 17 août 1830.--</p> + +<p class="large">Ce projet de loi, adopté presque sans discussion par +les deux Chambres, fut promulgué comme loi le +8 septembre 1830. Sur les cinq millions ainsi alloués, +3,465,000 francs étaient attribués, soit comme prêt, soit +comme subvention de l'État, à divers travaux publics +dans la ville de Paris qui, en juillet 1830, avait agi et +souffert plus qu'aucune autre partie du territoire, +et 1,535,000 francs furent affectés à des travaux dans +les départements.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, le Roi +nous a ordonné de demander à la Chambre un crédit +extraordinaire de cinq millions applicable, sur l'exercice +1830, à des dépenses urgentes.</p> + +<p>En déposant les armes, le peuple de Paris est revenu à +ses travaux; mais tous ne les ont pas retrouvés, et une +interruption de travail de quinze jours laisse après elle bien +des besoins. La nécessité de diriger vers des emplois utiles +une activité qui pourrait compromettre de grands intérêts, +si elle manquait d'aliment, s'applique à toute la France; +elle est plus pressante qu'ailleurs à Paris, où la commotion +a été si forte, la lutte si terrible et si glorieuse.</p> + +<p>L'énergique élan des journées de juillet s'arrête aujourd'hui +sur les débris des obstacles qu'il a renversés, et ce +n'est pas la moindre gloire de la population de Paris. +Mais l'ébranlement ne peut cesser en un jour, et la rumeur +est forte encore après le péril. Le bon sens du peuple +le reconnaît et demande au travail un refuge contre de +nouvelles agitations. Témoin de ce qu'a pu faire le courage +de ce peuple, messieurs, vous en croirez son bon sens, et +vous lui ouvrirez les ateliers qu'il réclame.</p> + +<p>Déjà les travaux du gouvernement et de la ville ont repris +dans Paris toute l'activité que comportent les allocations +des budgets. Mais au 1<sup>er</sup> juillet dernier, il ne restait à la +direction des travaux de Paris, sur les fonds alloués pour +1830, que 497,026 francs; cette somme est aujourd'hui +réduite à moins de 350,000 francs. Les ressources ordinaires +ne suffissent donc point pour atteindre le but qui +vient d'être indiqué, et nous devons nous mettre au niveau +des circonstances sous l'empire desquelles s'est trouvée la +capitale.</p> + +<p>Pour subvenir à ce besoin de travail, nous avons, messieurs, +recherché les ouvrages qui réunissent la double condition +d'être d'une utilité incontestable et de pouvoir être +immédiatement repris et vivement poussés. Nous nous sommes +aussi souvenus que l'honorable et l'utile, en pareille +matière, n'est pas de commencer, mais de finir. Dans tout +ce qui n'est pas primes d'alignements et terrassements, nous +nous sommes exclusivement attachés à continuer et à terminer +des entreprises dont l'achèvement était ajourné. Voulant +occuper un aussi grand nombre de bras qu'il se peut faire, +nous avons préféré les travaux les plus grossiers à ceux dont +l'exécution se ramifie entre plusieurs professions. Je joins ici +un état qui vous apprendra mieux que nos paroles si notre +choix a été bien dirigé.</p> + +<p>Il est possible, messieurs, il est utile, il est indispensable +d'employer immédiatement en très-grande partie dans Paris, +à ces travaux et à quelques autres dépenses urgentes, environ +cinq millions de francs; et, avant d'aller plus loin, nous +devons déclarer qu'appréciant d'impérieuses nécessités et +nous confiant au patriotisme de la Chambre, nous n'avons +pas craint de faire commencer immédiatement les travaux +pour lesquels nous vous demandons des fonds. Les besoins +auxquels il faut subvenir s'accommoderaient mal de l'inévitable +lenteur des délibérations des Chambres, et les exigences +de notre devoir nous ont paru supérieures à toute autre +considération. Une ordonnance royale, datée d'hier, a provisoirement +accordé le crédit de cinq millions sur lequel nous +vous demandons de délibérer. L'article 2 de cette même +ordonnance prescrit la présentation immédiate du projet de +loi que nous avons l'honneur de vous proposer.</p> + +<p>Parmi les travaux auxquels est destinée cette somme, les +uns sont imputables sur les fonds de l'État, les autres sur +ceux de la ville de Paris. Pour les premiers, vous n'hésiterez +pas, s'il doit en résulter une garantie de repos et de consolidation, +à faire aujourd'hui des dépenses qu'il faudrait faire +plus tard.</p> + +<p>Quant aux travaux imputables sur les fonds de la ville de +Paris, le budget de celle-ci est épuisé. Ses charges sont +grandes pour l'avenir; la perception de l'octroi a été arrêtée +pendant plusieurs jours; des besoins extraordinaires se +déclarent; la réserve veut être promptement reformée. +Pénétré des sentiments qui nous amènent devant vous, le +conseil municipal de Paris demande, messieurs, que le +trésor lui fasse, à quatre pour cent, un prêt de deux millions, +remboursables en quatre années, par quart. Ces conditions +vous paraîtront d'autant plus acceptables qu'une partie des +travaux extraordinaires que doit faire la ville est nécessitée +par les dégâts commis dans les combats de juillet. Telles +sont les réparations des barrières et des corps de garde brûlés +ou renversés, des pavés démontés, des édifices mutilés. Le +voeu a été émis que toutes ces dépenses, causées par les +journées de juillet, fussent supportées par la France, au +profit de laquelle a combattu la population de la capitale. +Je ne rappelle en ce moment ce voeu émis par des habitants +des départements que pour faire remarquer la convenance +des propositions du conseil municipal de Paris.</p> + +<p>Ainsi, messieurs, nous ne vous demandons réellement +qu'un crédit de trois millions, puisqu'il en sera remboursé +deux par la ville; et encore, pour les travaux de l'État, +comme pour ceux de la ville, il s'agit d'une avance et non +point d'un sacrifice: vous ne ferez qu'accélérer des travaux +en cours d'exécution; la convenance politique de la mesure +n'a pas besoin d'être plus longuement développée.</p> + +<h4>PROJET DE LOI.</h4> + +<p>«Art. 1<sup>er</sup>. Un crédit extraordinaire de cinq millions est +ouvert, sur l'exercice 1830, au ministre secrétaire d'État au +département de l'intérieur, qui en fera emploi pour les travaux +publics et autres besoins urgents, auxquels il est +indispensable de pourvoir.</p> + +<p>«Art. 2. Il sera rendu compte de l'emploi de ce crédit +dans les formes légales et accoutumées.»</p> + +<a name="VII" id="VII"></a> +<br><br> +<h3>VII</h3> + +<p class="mid">Discussion d'une proposition relative à la formule du serment +exigé de tous les fonctionnaires publics.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 19 août 1830.--</p> + +<p class="large">Le 11 août 1830, le baron Mercier, député de l'Orne, +fit à la Chambre des députés cette proposition:</p> + +<p class="mid">ART. 1.</p> + +<p>«Tous les fonctionnaires, dans l'ordre administratif et +judiciaire, seront tenus de prêter le serment de fidélité +au roi des Français, et d'obéissance à la Charte constitutionnelle +et aux lois du royaume.</p> + +<p class="mid">ART. 2.</p> + +<p>«Toute autre formule est abrogée.</p> + +<p class="mid">ART. 3.</p> + +<p>«Tous les fonctionnaires mentionnés dans l'art. 1 +prêteront immédiatement le serment ci-dessus; faute +de quoi, ils seront considérés comme démissionnaires.</p> + +<p class="large">La commission nommée pour examiner cette proposition +fit son rapport à la Chambre le 17 août, et +proposa divers amendements destinés surtout à étendre +aux officiers des armées de terre et de mer l'obligation +du serment, et à fixer, pour l'accomplissement de cette +obligation, un délai de quinze jours, à partir de la +promulgation de la loi.</p> + +<p class="large">Dans le débat, il fut proposé, par voie d'amendement, +d'imposer aussi, dans un délai déterminé, l'obligation +du serment aux membres des deux Chambres qui ne +l'auraient pas encore prêté, et de considérer comme +démissionnaires les pairs et les députés qui n'auraient +pas satisfait à cette obligation. Ce fut à l'occasion de cet +amendement que je fis, comme député, non comme +ministre, les observations et la proposition suivantes:</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Il y a évidemment ici deux questions distinctes, +sur lesquelles au fond tout le monde est d'accord. +La première, c'est la nécessité, pour les membres des deux +Chambres comme pour les fonctionnaires de l'ordre administratif +ou judiciaire, de prêter le serment. Personne dans +la Chambre ne conteste la nécessité de ce serment. La seconde, +c'est que les pairs se trouvent à cet égard dans une +situation différente de celle des députés. Il convient d'introduire +dans la loi une disposition qui n'annule pas à +tout jamais la pairie, quand le possesseur actuel refuse de +prêter le serment. J'ai en conséquence l'honneur de proposer +un amendement qui me paraît devoir résoudre la +difficulté.</p> + +<p>«Tout pair qui n'aura pas prêté le serment dans le délai +de.... sera considéré comme personnellement déchu de son +siège, lequel passera immédiatement à son héritier.»</p> + +<p><i>Quelques voix.</i>--C'est préjuger la question de l'hérédité +de la pairie.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--J'entends dire que l'amendement préjuge +la question de l'hérédité de la pairie. Je ferai remarquer que +l'hérédité de la pairie est l'état légal et constitutionnel dans +lequel nous sommes. Il est vrai que cet article de la Charte +doit être mis en discussion à la session prochaine; mais en +attendant, la pairie est complétement héréditaire; et en faisant +une loi comme celle-ci, vous ne devez raisonner que dans +l'hypothèse de l'hérédité; vous ne pouvez pas admettre un +amendement qui s'en écarterait.</p> + +<p><span class="sc">M. de Corcelles.</span>--Alors il faut ajouter par sous-amendement: +«Sans rien préjuger.»</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je répondrai d'avance au sous-amendement, +qu'il ne s'agit pas d'insérer dans la loi cette disposition: +<i>Sans rien préjuger sur ce qui sera fait</i>, puisqu'il est décidé +que l'article de la Charte sur la pairie sera mis en question +dans la session prochaine. Cet article ne peut être abrogé par +la loi que nous faisons en ce moment, il est donc inutile +d'ajouter: <i>Sans rien préjuger.</i></p> + +<p><span class="sc">M. de Corcelles.</span>--Je retire mon amendement.</p> + +<p><span class="sc">M. Girod de l'Ain.</span>--Pour laisser tout entière la question +de l'hérédité de la pairie, on pourrait se contenter de dire +que le pair qui refusera de prêter le serment sera personnellement +déchu de son titre de la pairie.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je ne m'oppose point au retranchement du +dernier membre; ce que je demande, c'est que la déchéance +de la pairie soit personnelle.</p> + +<p><i>M. le Président.</i>--J'invite M. le ministre de l'intérieur à +rédiger l'amendement.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--C'est comme député que je le propose.</p> + +<p><span class="sc">M. de Berbis.</span>--Nous sommes si peu préparés à la question +qui vient d'être soulevée qu'il paraîtra utile d'en demander +l'ajournement. Quant à moi, je déclare que je ne +suis pas suffisamment éclairé.</p> + +<p>Une telle question peut-elle être traitée aussi brusquement +par des amendements contradictoires? Il faut bien se garder +de prendre une résolution qui pourrait par la suite enchaîner +notre vote.</p> + +<p>Je conçois que, pour la Chambre des députés, on assigne un +délai; il faut sortir de cet état; ceux qui ne veulent pas entrer +dans le gouvernement doivent se retirer. Mais il n'en est pas +de même de la Chambre des pairs; pouvons-nous assigner +un délai après lequel la déchéance serait prononcée? Il serait +peut-être possible, en y réfléchissant mûrement, de trouver +une rédaction qui laisse intact le principe de l'hérédité. +Défions-nous de trop de précipitation. En allant si vite, nous +pourrions tomber dans de graves inconvénients dont nous +aurions plus tard à nous repentir. Par ces considérations, je +demande l'ajournement.</p> + +<p><span class="sc">M. Madier de Montjau.</span>--Il est vrai que c'est par amendement +que cette immense question a été soulevée; mais il y a +un intérêt plus grand et plus puissant à ne pas laisser flotter +plus longtemps l'opinion publique sur la question du serment. +Un homme dont je ne voudrais pas aggraver la cruelle +position, mais dont je suis forcé de rappeler le souvenir, se +crut obligé, je ne sais par quel scrupule de conscience, à +refuser pendant deux ans le serment. L'instinct public ne s'y +trompa pas. On considéra cet homme comme un ennemi +irréconciliable des libertés publiques. D'horribles événements +ont prouvé que l'instinct public ne s'était pas trompé. Voulez-vous +que des pairs se placent dans cette position lorsqu'un +seul a suffi pour mettre la France en péril? Je demande que +les pairs soient astreints sur-le-champ à prêter le serment +que nous avons tous prêté. (<i>Sensation prolongée.</i>)</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Voici la rédaction que je propose comme +député:</p> + +<p>«Nul ne pourra siéger dans l'une ou l'autre Chambre s'il +ne prête le serment exigé par la présente loi.</p> + +<p>«Tout député qui n'aura pas prêté le serment dans le +délai de quinze jours sera considéré comme démissionnaire.</p> + +<p>«Tout pair qui n'aura pas prêté le serment dans le délai +de trois mois sera considéré comme personnellement déchu +du droit de siéger dans la Chambre des pairs.»</p> + +<p><i>Voix diverses à gauche.</i>--Pourquoi trois mois?... Le +même délai... quinze jours.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Ma raison pour introduire dans l'amendement +un délai pour messieurs les pairs, c'est que le résultat +de la décision qui les concerne est plus grave. Le député démissionnaire +peut être réélu et renvoyé à la Chambre par +le collége électoral, tandis que le pair est personnellement +déchu du droit de siéger à la Chambre. Il faut donc lui laisser +le temps de délibérer sur une résolution qui doit avoir de si +graves conséquences.</p> + +<p><span class="sc">M. Eusèbe Salverte.</span>--J'ai demandé que le délai fût le +même pour les députés et pour les pairs. A cette demande, +M. le ministre de l'intérieur a répondu que les conséquences +du refus de serment étaient plus graves pour les pairs que +pour les députés. D'abord je ferai remarquer qu'un député, +démissionnaire pour avoir refusé de prêter le serment, ne +serait certainement pas réélu; car le premier acte qu'il devrait +faire serait de prêter serment comme électeur. Mais peu +importe la gravité des conséquences. Un délai de quinze +jours doit suffire. Quelle confiance puis-je avoir dans un +homme qui balance longtemps entre la perte de son titre de +pair et les avantages attachés à sa conservation? Je maintiens +le délai de quinze jours.</p> + +<p><span class="sc">M. Petou.</span>--Je demande le délai d'un mois pour les pairs.</p> + +<p><span class="sc">M. Demarçay.</span>--Une explication est ici nécessaire. Entend-on +seulement parler des pairs et des députés présents? +Je demande que le délai soit porté à un mois pour les membres +des deux Chambres qui sont en France. (<i>Appuyé, appuyé!</i>)</p> + +<p><span class="sc">M. Mestadier.</span>--Je demande la division. M. Guizot a +proposé trois mois pour les pairs; d'autres membres ont demandé +un mois.</p> + +<p><i>M. le Président.</i>--Je vais mettre aux voix les paragraphes +séparément, ce qui établit la division demandée par M. Mestadier.</p> + +<p>«Nul ne pourra siéger dans l'une ou l'autre Chambre, s'il +ne prête le serment exigé par la présente loi.»</p> + +<p>(Adopté à l'unanimité.)</p> + +<p>«Tout député qui n'aura pas prêté le serment dans le délai +de quinze jours sera considéré comme démissionnaire.»</p> + +<p>On demande que le délai soit porté à un mois.</p> + +<p><i>Voix à gauche.</i>--La priorité pour le délai de quinze jours.</p> + +<p><i>M. le Président.</i>--Je dois commencer par le plus long +délai.</p> + +<p>(Le délai d'un mois est mis aux voix et rejeté.)</p> + +<p>La Chambre adopte le paragraphe avec le délai de quinze +jours.</p> + +<p>Paragraphe 3:</p> + +<p>«Tout pair qui n'aura pas prêté le même serment, dans le +délai de trois mois, sera considéré comme personnellement +déchu du droit de siéger dans la Chambre des pairs.»</p> + +<p>Le délai de trois mois est rejeté à une grande majorité.</p> + +<p><span class="sc">M. Salverte.</span>--J'abandonne le délai de quinze jours pour +me réunir au délai d'un mois.</p> + +<p><span class="sc">M. Odier.</span>--- Il ne faut pas oublier qu'il ne s'agit que des +pairs qui sont en France.</p> + +<p><span class="sc">M. Jacqueminot.</span>--Il est bien entendu que les pairs qui +ont des missions à l'étranger, comme M. l'amiral Duperré, +ne sont pas compris dans ce délai.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Il y a des délais légaux établis dans le Code +civil pour les personnes qui sont hors de France. Ces délais +s'appliqueront aux pairs qui sont hors de France comme à +tous les individus.</p> + +<a name="VIII" id="VIII"></a> +<br><br> +<h3>VIII</h3> + +<p class="mid">Renseignements donnés par le ministre de l'intérieur sur les +changements opérés dans le personnel de l'administration +après la révolution de 1830.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés--Séance du 27 août 1830.--</p> + +<p class="large">A plusieurs reprises, et notamment dans la séance du +27 août 1830, on avait reproché au gouvernement de +ne pas procéder assez fermement ni assez vite dans +les changements qui devaient être apportés dans le +personnel de l'administration, et ce reproche semblait +particulièrement adressé au ministre de l'intérieur. J'y +répondis, en donnant à ce sujet, les renseignements de +fait et les explications qui suivent:</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Je remercie l'honorable +préopinant<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a> +<a href="#footnote15"><sup class="sml">15</sup></a> de m'avoir fourni l'occasion d'expliquer +à cette tribune des faits que depuis longtemps je désire y +faire connaître.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote15" +name="footnote15"><b>Note 15: </b></a><a href="#footnotetag15"> +(retour) </a> M. Énouf, député de la Manche.</blockquote> + +<p>Je ne crois pas qu'il convienne au gouvernement du Roi +de répondre à toutes les questions qui peuvent de toutes +parts être élevées sur sa marche; mais je pense que jamais +il ne doit perdre une occasion pour faire connaître la vérité +sur ses actes et mettre le pays à même d'en juger avec pleine +connaissance. (<i>Adhésion.</i>) On a reproché à l'administration +de l'intérieur de ne pas mettre assez de promptitude dans les +changements qu'il doit opérer; je n'ai à cela qu'une seule +réponse; il y a en France quatre-vingt-six préfets; à l'heure +qu'il est soixante-seize ont été changés, complétement changés, +non pas transportés d'un lieu à un autre, mais effectivement +changés; il y a deux cent soixante-dix-sept sous-préfets; +il y en a soixante-un de changés; il y a quatre-vingt-six +secrétaires généraux; il y en a trente-huit de changés. Je +ne dis pas cela pour entrer en discussion sur le mérite des +choix; je ne crois pas que cela puisse être porté à la tribune, +mais uniquement pour laver l'administration du reproche +de lenteur.</p> + +<p><span class="sc">M. Demarçay.</span>--J'ai dit le contraire.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Ce n'est pas à l'honorable préopinant seul +que je réponds; je saisis l'occasion de répondre à des reproches +qui s'élèvent de plus d'un lieu, et je le remercie de m'en +avoir fourni l'occasion.</p> + +<p>Je n'ai parlé et je ne puis parler que de ce qui s'est passé +dans mon département; mais je sais que, dans les départements +de mes collègues, le même empressement a été apporté. +Je me hâte de dire qu'il est impossible que dans un +travail aussi étendu, aussi prompt, on n'ait pas commis des +erreurs qui ont la précipitation même pour cause; je le reconnais +et j'ajoute que ces erreurs, dès que le temps nous +les aura signalées, seront aussitôt réparées.</p> + +<p>Quant au fond des choses, je crois que, même après les +plus grandes secousses, lorsque l'état général du pays est +changé, aucun esprit radicalement exclusif et hostile ne doit +être apporté dans le choix des personnes. La maxime de +César qui dit: <i>Quiconque n'est pas contre moi est pour moi</i>, +cette belle maxime doit être prise pour règle d'une bonne +administration. (<i>Bravos.</i>) Un gouvernement n'est pas appelé +à faire triompher tel ou tel ordre de personnes, mais à faire +prévaloir certains principes, certains intérêts généraux, et +c'est pour lui une bonne fortune quand il peut attirer à +ces intérêts des défenseurs pris dans tous les rangs de la +société. (<i>Nouvelle et vive adhésion.</i>)</p> + +<p>Quant à un autre reproche qui a été adressé à l'administration, +le reproche de n'avoir pas considéré soudainement +toutes les lois comme abrogées, de n'avoir pas appelé, par +exemple, la population à élire partout un certain ordre de +magistrats, je ne crois pas que ce reproche non plus soit +fondé. C'est le premier principe d'ordre social et de gouvernement +que les lois, tant qu'elles ne sont pas formellement +abrogées, subsistent et doivent être exécutées. Pour moi, +dépositaire de la confiance du Roi dans mon département, je +ne me croirai pas permis d'agir autrement que ne me l'ordonnent +les lois du pays. Je suis le premier à penser que de +grands changements doivent être apportés à ces lois en ce +qui concerne les magistrats municipaux, qu'il faut que le +principe de l'élection se fasse une grande part et influe sur +la conduite de l'administration: je serai le premier à provoquer +l'intervention de ce principe et à le présenter aux +Chambres; mais dans l'état de la législation, il n'est pas permis +au gouvernement de mettre en action un principe qui +n'est pas dans la loi.</p> + +<p>J'ajouterai que partout où spontanément, librement, par +le cours des choses, dans un moment de crise, l'élection est +intervenue, partout par exemple où la garde nationale s'est +organisée elle-même, où les citoyens ont nommé leurs officiers, +où même ils ont désigné leurs maires, leurs adjoints, +l'administration s'est empressée de confirmer ces choix; elle +les a regardés comme l'expression naturelle et légitime du +voeu public; loin de le repousser, elle l'a accueilli; c'est là, +je crois, tout ce qu'elle pouvait faire. (<i>Bravo! bravo!</i>)</p> + +<p>Je n'ai plus qu'un mot à dire sur l'amendement en lui-même. +Il a pour objet de restreindre seulement à notre session +le droit des députés devenus fonctionnaires à continuer de +siéger dans la Chambre jusqu'à la réélection. Je réponds que +ceci n'est pas seulement une mesure de circonstance; ce n'est +pas parce qu'il y a eu un plus ou moins grand nombre de députés +appelés à des fonctions publiques, que la mesure doit +être adoptée; elle est bonne en soi et en tout état de choses. +Il nous a paru qu'on ne pouvait poser en principe que le +choix du gouvernement équivalût à une destitution du député. +Tant que la réélection n'a pas eu lieu, la prérogative +est en faveur de celui qui possède le titre. Excepté dans la +circonstance extraordinaire où nous nous trouvons, il n'arrivera +jamais que le nombre des députés appelés à des fonctions +publiques, durant une session, soit fort considérable; jamais +il n'y aura une invasion des places par la Chambre, et dès +lors il n'y a pas d'inconvénient à ce que nous ayons proposé.</p> + +<p>C'est sur ces raisons fondamentales et non pas sur des +motifs de circonstance que l'article a été introduit. Je prie +donc la Chambre de repousser l'amendement.</p> + +<a name="IX" id="IX"></a> +<br><br> +<h3>IX</h3> + +<p class="mid">Présentation, par le ministre de l'intérieur d'un rapport général +sur l'état de la France et les actes du gouvernement depuis +la révolution de 1830.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 11 septembre 1830.--</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, le Roi +nous a ordonné de mettre sous vos yeux le tableau de l'état +de la France et des actes du gouvernement depuis la glorieuse +révolution qui a fondé son trône en sauvant notre +pays.</p> + +<p>Fier de son origine, le gouvernement éprouve le besoin +de dire hautement comment il comprend sa mission et se +propose de la remplir.</p> + +<p>Il est le résultat d'un héroïque effort soudainement tenté +pour mettre à l'abri du despotisme, de la superstition et du +privilége, les libertés et les intérêts nationaux.</p> + +<p>En quelques jours, l'entreprise a été accomplie avec un +respect et un ménagement, jusque-là sans exemple, pour les +droits privés et l'ordre public.</p> + +<p>Saisie d'un juste orgueil, la France s'est promis qu'un si +beau triomphe ne serait point stérile. Elle s'est regardée +comme délivrée de ce système de déception, d'incertitude et +d'impuissance qui l'a fatiguée et irritée si longtemps. Elle +a compté sur une politique conséquente et vraie qui ouvrirait +devant elle une large carrière d'activité et de liberté. Elle y +veut marcher d'un pas ferme et régulier.</p> + +<p>C'est dans ce caractère de l'événement au sein duquel il +est né, et des espérances dont la France est animée, que le +gouvernement trouve la règle de sa conduite.</p> + +<p>Il se sent appelé à puiser sa force dans les institutions qui +garantissent les libertés du pays, à maintenir l'ordre légal +en améliorant progressivement les lois, à seconder sans +crainte, au sein de la paix publique, fortement protégée, le +développement de toutes les facultés, l'exercice de tous les +droits.</p> + +<p>Telle est, à ses yeux, la politique qui doit faire porter à +notre révolution tous ses fruits.</p> + +<p>Pour la réaliser, une première tâche lui était imposée. +Il fallait prendre partout possession du pouvoir, et le remettre +à des hommes capables d'affermir le triomphe de la cause +nationale. Grâce aux conquêtes de 1789, l'état social de la +France a été régénéré; grâce à la victoire de 1830, ses +institutions politiques ont reçu en un jour les principales +réformes dont elles avaient besoin. Une administration partout +en harmonie avec l'état social et la Charte, une constante +application des principes consacrés sans retour, tel est +aujourd'hui le besoin pressant, le voeu unanime du pays. De +nombreux changements dans le personnel étaient donc la +première nécessité du gouvernement; par là, il devait faire +sentir en tous lieux sa présence, et proclamer lui-même son +avénement. L'oeuvre avance vers son terme. Le temps prononcera +sur le mérite des choix. Mais on peut, dès aujourd'hui, +se former une juste idée de l'étendue et de la célérité +du travail; nous vous en présentons rapidement les principaux +résultats.</p> + +<p>A peine en fonctions, le ministre de la guerre a pourvu +au commandement des divisions et subdivisions militaires. +75 officiers généraux en étaient investis; 65 ont été remplacés; +10 sont demeurés à leur poste; ils l'ont mérité +par la promptitude et la franchise de leur concours.</p> + +<p>En même temps, et dès le 8 août, les officiers généraux +qui se trouvaient chargés de l'inspection ordinaire des +troupes ont été rappelés; et dix lieutenants généraux ou +maréchaux de camp ont été envoyés auprès des corps, avec +ordre de proclamer l'avénement du Roi, de prévenir toute +scission, et de proposer, parmi les officiers, les remplacements +nécessaires.</p> + +<p>Trente-neuf régiments d'infanterie et vingt-six régiments +de cavalerie ont reçu des colonels nouveaux. Beaucoup de +remplacements ont eu lieu dans les grades inférieurs.</p> + +<p>Des commandants nouveaux ont été envoyés dans trente-une +places importantes.</p> + +<p>Une commission d'officiers généraux, en fonctions depuis +le 16 août, examine les titres des officiers qui demandent du +service. Son travail est fort avancé.</p> + +<p>Des mesures ont été prises, dès les premiers jours du mois +d'août, pour le licenciement des régiments suisses de l'ancienne +garde royale et de la ligne. Elles sont en pleine +exécution. Le licenciement des régiments français de l'ex-garde +et des corps de la maison militaire du roi Charles X +est accompli.</p> + +<p>Pour compenser les pertes qu'entraîne ce licenciement, +l'effectif des régiments d'infanterie de ligne sera porté à +1,500 hommes, celui des régiments de cavalerie à 700 +hommes, celui des régiments d'artillerie et du génie à 1,200 +et 1,450 hommes.</p> + +<p>Trois régiments nouveaux, un de cavalerie sous le nom +de <i>lanciers d'Orléans</i>, deux d'infanterie sous les nos 65 et 66, +et six bataillons d'infanterie légère s'organisent en ce moment.</p> + +<p>Deux bataillons de gendarmerie à pied ont été spécialement +créés pour faire le service dans les départements de l'Ouest.</p> + +<p>Une garde municipale a été instituée pour la ville de +Paris. Plus de la moitié des hommes qui doivent la composer +sont prêts à entrer en activité de service.</p> + +<p>Le général commandant l'armée d'Afrique a été changé. +Le drapeau national flotte dans les rangs de cette armée +qui s'est montrée aussi empressée de l'accueillir que digne +de le suivre, et qui recevra les récompenses qu'elle a si vaillamment +conquises.</p> + +<p>Ainsi, au bout de cinq semaines, le personnel de l'armée +est renouvelé ou près du terme de son renouvellement.</p> + +<p>La marine n'appelait pas des réformes si étendues. Par +sa nature même, ce corps exige la réunion de connaissances +spéciales et d'une expérience longue et continue. Aussi +l'ancien gouvernement avait-il été forcé d'y conserver ou d'y +admettre des officiers qui professaient hautement des opinions +dont il poursuivait la ruine: ils se sont hâtés d'accueillir +notre révolution; elle accomplissait leurs voeux. Là +peu de changements étaient donc nécessaires. Cependant les +abus qui avaient pénétré ont été abolis. Trois contre-amiraux, +douze capitaines de vaisseau, cinq capitaines de +frégate, quatre lieutenants de vaisseau et un enseigne ont +été admis à la retraite. Une commission présidée par le +doyen de l'armée navale examine avec soin les réclamations +des officiers que l'ancien gouvernement avait écartés. Une +création nouvelle, celle des amiraux de France, a assuré à la +marine des récompenses proportionnées à ses services, et l'a +fait sortir de cette espèce d'infériorité où elle était placée +comparativement à l'armée de terre, qui possédait seule la +dignité de maréchal de France. Enfin l'illustre chef de +l'armée navale en Afrique a reçu du Roi, par son élévation +à ce grade, le juste prix de ses travaux; et ses compagnons +trouveront à leur arrivée en France l'avancement et les +distinctions qu'ils ont si bien mérités.</p> + +<p>Nulle part la réforme n'était plus nécessaire et plus vivement +sollicitée que dans l'administration intérieure. La +plupart de ses fonctionnaires, instruments empressés ou +dociles d'un système de fraude et de violence, avaient +encouru la juste animadversion du pays. Ceux-là mêmes dont +les efforts avaient tendu à atténuer le mal s'étaient usés dans +cette lutte ingrate, et manquaient, auprès de la population, +de cet ascendant moral, de cette confiance prompte et facile, +première force du pouvoir, surtout quand il vit en présence +de la liberté. 76 préfets sur 86, 196 sous-préfets sur 277, +53 secrétaires généraux sur 86, 127 conseillers de préfecture +sur 315, ont été changés. En attendant la loi qui doit +régénérer l'administration municipale, 393 changements ont +déjà été prononcés; et une circulaire a ordonné aux préfets +de faire, sans retard, tous ceux qu'ils jugeraient nécessaires, +sauf à en demander la confirmation définitive au ministre de +l'intérieur.</p> + +<p>Le ministre de la justice a porté toute son attention sur +la composition des parquets, tant des cours souveraines que +des tribunaux de première instance. Dans les premières, +74 procureurs généraux, avocats généraux et substituts, +dans les seconds, 254 procureurs du Roi et substituts ont +été renouvelés. Dans la magistrature inamovible, le ministère +s'est empressé de pourvoir aux siéges vacants, soit par +démission, soit par toute autre cause. A ce titre ont déjà eu +lieu 103 nominations de présidents, conseillers et juges. +A mesure que les occasions s'en présentent, les changements +continuent. Les justices de paix commencent à être l'objet +d'un scrupuleux examen.</p> + +<p>Dans le conseil d'État, et en attendant la réforme fondamentale +qui se prépare, le nombre des membres en activité +de service a été provisoirement réduit de cinquante-cinq à +trente-huit. Sur ces trente-huit, vingt ont été changés. Le +conseil de l'instruction publique était composé de neuf +membres; cinq ont été écartés. La même mesure a été prise +à l'égard de cinq inspecteurs généraux et de quatorze recteurs +d'académie sur vingt-cinq. Un travail se prépare pour apporter +dans les colléges, pendant les vacances, les changements +dont la convenance sera reconnue. Une commission est +chargée de faire un prompt rapport sur l'École de médecine, +et d'en préparer la réorganisation.</p> + +<p>Dans le département des affaires étrangères, la plupart +de nos ambassadeurs et ministres au dehors ont été révoqués.</p> + +<p>La situation du ministre des finances, quant au personnel, +était particulièrement délicate. Il n'en est pas des +principaux agents financiers comme des autres fonctionnaires. +Leurs affaires sont mêlées, enlacées dans celles de +l'État, et veulent du temps pour s'en séparer. Il faut plusieurs +mois pour qu'un receveur général en remplace complétement +un autre; celui qui se retire a une liquidation +à faire; celui qui arrive a la confiance à obtenir. Au milieu +d'une crise dont l'ébranlement ne pouvait manquer de se +faire sentir dans les finances publiques, il y eût eu péril à +écarter brusquement des hommes d'un crédit bien établi, et +qui s'empressaient de le mettre au service du trésor. Dans les +autres parties de l'administration, une confusion de quelques +jours est un mal; dans l'administration financière, un +embarras de quelques instants serait une calamité. La +réserve est donc ici commandée par la nature des choses et +l'intérêt général. Le ministre des finances a dû s'y conformer. +Il a commencé, du reste, dans son administration, une +réforme qu'il poursuivra, de département en département, +avec une scrupuleuse attention.</p> + +<p>Vous le voyez, messieurs, nous nous sommes bornés au +plus simple exposé des faits; il en résulte clairement que le +personnel de l'administration de la France a déjà subi un +renouvellement très-étendu, et que si, dans l'un des services +publics, le renouvellement n'a pas été aussi rapide qu'ailleurs, +ce ménagement était dû à l'un des plus pressants +intérêts de l'État.</p> + +<p>En écartant les anciens fonctionnaires, nous avons cherché, +pour les remplacer, des hommes engagés dans la cause +nationale et prêts à s'y dévouer; mais la cause nationale +n'est point étroite ni exclusive; elle admet diverses nuances +d'opinion, elle accepte quiconque veut et peut la bien +servir. A travers tant de vicissitudes qui depuis quarante +ans ont agité notre France, beaucoup d'hommes se sont +montrés, dans des situations différentes, de bons et utiles +citoyens; il n'est aucune époque de notre histoire contemporaine +qui n'ait à fournir d'habiles administrateurs, des +magistrats intègres, de courageux amis de la patrie. Nous les +avons cherchés partout; nous les avons pris partout où nous +les avons trouvés. Ainsi, sur les 76 préfets que le Roi a +choisis, 47 n'ont occupé aucune fonction administrative +depuis 1814; 29 en ont été revêtus. Parmi ces derniers, +18 avaient été successivement destitués depuis 1820. Parmi +les premiers, 23 avaient occupé des fonctions administratives +avant 1814; 24 sont des hommes tout à fait nouveaux et +portés aux affaires par les derniers événements. Le moment +est venu, pour la France, de se servir de toutes les capacités, +de se parer de toutes les gloires qui se sont formées dans son +sein.</p> + +<p>Malgré son importance prédominante en des jours de +crise, le personnel n'a pas seul occupé l'attention du gouvernement; +il a pris aussi des mesures pour rendre promptement +à l'administration des choses la régularité et l'ensemble +dont elle a besoin.</p> + +<p>Dès le 6 août, le ministre de la guerre a donné des ordres +pour arrêter la désertion et faire rejoindre les hommes qui +avaient quitté leurs corps. Il a pourvu au retrait des armes et +des chevaux abandonnés par les déserteurs.</p> + +<p>De nombreux mouvements de troupes ont été opérés, soit +dans le but de la réorganisation des corps, soit pour porter +des forces sur les points où leur présence était jugée utile.</p> + +<p>Des désordres se sont manifestés dans quelques régiments +de cavalerie et d'artillerie, et dans un seul régiment d'infanterie. +Mais de promptes mesures ont été prises pour rétablir +l'ordre, resserrer les liens de la discipline, et rendre justice à +chacun.</p> + +<p>Tous les services de l'armée ont été assurés. Les corps de +l'ancienne garde royale et les régiments suisses ont reçu religieusement, +en solde, masses, etc., tout ce qu'ils pouvaient +prétendre. Les approvisionnements pour l'armée d'Afrique +ont été complètes jusqu'au 1<sup>er</sup> novembre, en se servant, +forcément et à cause de l'urgence, du marché précédemment +conclu. Les rapports du nouvel intendant en chef de cette +armée amèneront à de meilleurs moyens pour régler cet +important service.</p> + +<p>L'armement des gardes nationales est l'un des objets qui +attirent spécialement les soins du ministre. Des ordres sont +donnés pour rassembler et fournir promptement tous les +fusils dont on pourra disposer; un grand nombre est déjà +livré.</p> + +<p>L'activité la plus régulière se déploie dans l'administration +de la marine. Des vaisseaux de l'État sillonnent en ce +moment toutes les mers pour porter, sur tous les points du +globe, nos grandes nouvelles. Ils feront respecter partout les +couleurs nationales; partout ils protégeront le commerce et +rassureront les navigateurs français. Des croisières sont +établies dans ce but, à l'entrée du détroit de Gibraltar et +sur toutes nos côtes.</p> + +<p>Notre escadre continuera à seconder les opérations de +notre armée de terre en Afrique; elle assurera nos communications +avec Alger et la France, et aucun approvisionnement +ne sera compromis.</p> + +<p>Le conseil d'amirauté s'occupe de réunir les matériaux +d'une législation complète sur les colonies: une commission +sera chargée de mettre le gouvernement en mesure de la +présenter bientôt aux Chambres.</p> + +<p>Des travaux nouveaux sont entrepris à Dunkerque et dans +d'autres ports. Partout règne la plus exacte discipline; l'ordre +est partout maintenu, sur les vaisseaux comme sur terre, +dans les arsenaux et dans les ateliers.</p> + +<p>L'irrégularité des communications, le renouvellement des +fonctionnaires, le nombre et la gravité des affaires générales, +avaient, pendant trois semaines, un peu ralenti les travaux +ordinaires du ministère de l'intérieur. Non-seulement ils ont +repris leur cours, mais aucune trace de cet arriéré momentané +n'existe plus. Une organisation plus simple de l'administration +centrale a permis de porter dans la correspondance +une activité vraiment efficace. Des instructions ont été partout +données sur les affaires de l'intérêt le plus général et le +plus pressant, sur l'organisation des gardes nationales, sur +la prestation de serment des fonctionnaires, sur la publication +des listes électorales et du jury, sur les prisons, etc. +Tous les préfets sont maintenant à leur poste; l'autorité est +partout reconnue et en vigueur. Sans doute, elle rencontre +encore des obstacles; quelque agitation subsiste sur un certain +nombre de points. Elle a éclaté à Nîmes, on la redoute +dans deux ou trois départements du Midi. Ceux de l'Ouest, +si longtemps le théâtre des discordes civiles, en contiennent +encore quelques vieux ferments. C'est le devoir du gouvernement +de ne pas perdre de vue ces causes possibles de +désordre, et il n'y manquera point; déjà il est partout en +mesure; des troupes ont marché vers le Midi, d'autres +sont déjà cantonnées dans l'Ouest. Une surveillance active et +inoffensive à la fois est partout exercée. Elle suffira pour +prévenir un mal que rêvent à peine les esprits les plus aveugles. +La promptitude avec laquelle les troubles de Nîmes ont +été réprimés est bien plus rassurante que ces troubles mêmes +ne peuvent paraître inquiétants.</p> + +<p>Une autre inquiétude se fait sentir. On craint que notre +révolution et ses résultats ne rencontrent, dans une partie +du clergé français, des sentiments qui ne soient pas en harmonie +avec ceux du pays. Le gouvernement du Roi n'ignore, +messieurs, ni les imprudentes déclamations de quelques +hommes, ni les menées ourdies à l'aide d'associations ou de +congrégations que repoussent nos lois. Il les surveille sans +les redouter. Il porte à la religion et à la liberté des consciences +un respect sincère; mais il sait aussi jusqu'où s'étendent +les droits de la puissance publique, et ne souffrira pas +qu'ils reçoivent la moindre atteinte. La séparation de l'ordre +civil et de l'ordre spirituel sera strictement maintenue. Toute +infraction aux lois du pays, toute perturbation de l'ordre +seront fortement réprimées, quels qu'en soient les auteurs.</p> + +<p>Le gouvernement compte sur le concours des bons citoyens +pour porter remède à un mal d'une autre nature, dont la +gravité ne saurait être méconnue; il s'occupe avec assiduité +de la préparation du budget, et ne tardera pas à le présenter +aux Chambres. Mais la perception de certains impôts a rencontré +depuis six semaines d'assez grands obstacles: ils ont +disparu en ce qui concerne les douanes; leur service, un +moment interrompu sur deux points de la frontière, dans +les départements des Pyrénées-Orientales et du Haut-Rhin, +a été promptement rétabli. L'impôt direct est partout payé +avec une exactitude, disons mieux, avec un empressement +admirable. Mais des troubles ont eu lieu dans quelques +départements à l'occasion de l'impôt sur les boissons, et +en ont momentanément suspendu la perception. Aussi, sur +quinze millions de produits qu'on devait attendre des contributions +indirectes, pendant le seul mois d'août, y aura-t-il +perte de deux millions. Décidé à apporter dans cet impôt +les réductions et les modifications qui seront jugées nécessaires, +le gouvernement proposera incessamment aux Chambres +un projet de loi concerté avec la commission qu'il a +nommée à cet effet. La France peut compter aussi que, dans +les divers services du budget, il poussera l'économie aussi +loin que le permettra l'intérêt public, et qu'il ne négligera +aucun moyen d'alléger les charges des contribuables. Mais +il est de son devoir le plus impérieux, il est de l'intérêt public +le plus pressant, que rien ne vienne jeter l'incertitude et le +trouble dans le revenu de l'État. C'est sur la perception +régulière et sûre de l'impôt que repose le crédit; c'est sur +l'étendue et la solidité du crédit que repose le développement +facile, rapide, des ressources de l'État et de la prospérité +nationale. Certes, le crédit du trésor est grand et assuré; +il ne restera point au-dessous de ses charges; il va suffire +aisément dans le cours de ce mois au payement de plus de +cent millions qu'exigent les besoins du service. Mais pour +qu'il subsiste et se déploie de plus en plus, il importe +essentiellement que ses bases ne soient pas ébranlées.</p> + +<p>Elles ne le seront point, messieurs, pas plus que notre +ordre social ne sera compromis par la fermentation momentanée +qui s'est manifestée sur quelques points, et que repousse +de toutes parts la sagesse de la France. Sans doute, +dans son gouvernement comme en toutes choses, la France +désire l'amélioration, le progrès, mais une amélioration +tranquille, un progrès régulier. Satisfaite du régime qu'elle +vient de conquérir, elle aspire avant tout à le conserver, à le +consolider. Elle veut jouir de sa victoire et non entreprendre +de nouvelles luttes. Elle saura bien mettre elle-même le +temps à profit pour perfectionner ses institutions, et elle +regarderait toute tentative désordonnée comme une atteinte +à ses droits aussi bien qu'à son repos.</p> + +<p>Ce repos, messieurs, le gouvernement, fort de ses droits +et du concours des Chambres, saura le maintenir, et il sait +qu'en le maintenant il fera prévaloir le voeu national. Déjà, +à la première apparence de troubles, les bons citoyens se +sont empressés au-devant de l'autorité pour l'aider à les +réprimer, et le succès a été aussi facile que décisif. Partout +éclaterait le même résultat. Les lois ne manquent point à la +justice: la force ne manquera point aux lois. Que les amis +des progrès, de la civilisation et de la liberté n'aient aucune +crainte; leur cause ne sera point compromise dans ces agitations +passagères. Le perfectionnement social et moral est le +résultat naturel de nos institutions; il se développera librement, +et le gouvernement s'empressera de le seconder. +Chaque jour, de nouvelles assurances amicales lui arrivent +de toutes parts; chaque jour, l'Europe reconnaît et proclame +qu'il est pour tous un gage de sécurité et de paix. La paix +est aussi son voeu. Au dedans comme au dehors, il est fermement +résolu à conserver le même caractère, à s'acquitter de +la même mission.</p> + +<a name="X" id="X"></a> +<br><br> +<h3>X</h3> + +<p class="mid">Discussion du projet de loi relatif au vote annuel, par les +Chambres, du contingent nécessaire pour le recrutement de +l'armée.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 15 septembre 1830.--</p> + +<p class="large">La Charte de 1830, dans son article final, avait mis le +vote annuel, par les Chambres, du contingent de l'armée +au nombre des réformes légales qui devaient être +promptement accomplies. Le gouvernement fit présenter +le 2 septembre 1830, à la Chambre des députés, un +projet de loi destiné à acquitter cet engagement. Le +rapport en fut fait le 13 septembre par le général Lamarque. +Dans le débat qui eut lieu le 15 septembre, +plusieurs membres demandèrent la révision et la refonte +de toutes les lois qui avaient réglé l'organisation +de notre armée, spécialement de la loi fondamentale +du 10 mars 1818, présentée par le maréchal Gouvion +Saint-Cyr. La commission elle-même avait ouvert cette +voie en proposant d'amender l'article 3 du projet de loi +qui portait: «Sont maintenues toutes les dispositions +des lois du 10 mars 1818 et du 9 juin 1824 qui ne sont +pas contraires à la présente loi,» en ajoutant le mot +<i>provisoirement</i> au mot <i>maintenues</i>. Le gouvernement +repoussa cet amendement, et je pris deux fois la parole +pour le combattre. Il fut rejeté, et le projet de loi, +adopté tel que le gouvernement l'avait présenté, fut +promulgué comme loi le 11 octobre 1830.</p> + +<p class="large">Le 28 octobre 1831, dans la discussion du projet de +loi présenté le 17 août précédent sur le recrutement de +l'armée, et qui devint la loi du 21 mars 1832, le général +Lamarque proposa, par amendement, l'abolition du +vote annuel du contingent. Je combattis son amendement +et il finit par le retirer.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, la loi dont +la Chambre s'occupe en ce moment n'est pas une loi d'organisation +militaire; c'est une loi purement politique, qui a +pour objet d'introduire dans nos institutions un principe qui +en avait été repoussé jusqu'ici. Quel que fût notre système +militaire, quelle que fût l'organisation de notre armée, ce +principe devrait également y être introduit.</p> + +<p>Lors donc qu'on veut, à l'occasion de cette loi, traiter des +questions d'organisation militaire et examiner si la conscription +est utile, on s'écarte, ce me semble, de la nature +et du but de la loi. La loi, je le répète, est purement politique; +elle a pour unique but de faire entrer un principe dans +nos institutions, quel que soit le mode de recrutement, +quelle que soit l'organisation de l'armée. Les questions militaires +sont résolues par notre législation actuelle. Sont-elles +bien ou mal résolues? Y a-t-il des modifications à faire? Ces +dernières questions demeurent entières; elles ne sont nullement +impliquées dans le projet qui vous est soumis.</p> + +<p>Pourquoi donc, à l'occasion de ce projet, venir frapper +d'improbation les lois existantes? Quel avantage peut-il y +avoir, pour l'État, à affaiblir, à énerver ainsi une législation +tout entière? Et si quelques parties de cette législation +sont vicieuses, la Chambre n'a-t-elle pus le moyen de les +réformer? L'initiative ne lui appartient-elle pas? Ne peut-elle +proposer des changements dans toute notre organisation +militaire, ou dans telle ou telle partie de cette organisation, +si elle le juge convenable?</p> + +<p>Il y a, ce me semble, de graves inconvénients à vouloir +faire ces changements sans les avoir discutés à fond. Ce +que vous discutez aujourd'hui, ce n'est pas l'organisation +militaire, c'est le rapport de votre commission sur une question +toute spéciale et purement politique. Notre régime militaire +a été réglé par des lois, après de mûres délibérations +sans doute. Je ne dis pas qu'il n'y a point de changements +à y apporter; mais je crois que ces changements doivent être +l'objet d'une proposition spéciale, d'une délibération approfondie, +et non pas indiqués et réclamés en passant, au moment +où vous discutez une proposition d'une tout autre +nature.</p> + +<p class="large">Le débat se prolongea; le général Demarçay et M. de +Tracy persistèrent à soutenir l'amendement qui frappait +d'un caractère provisoire toute notre organisation militaire. +Je repris la parole en ces termes:</p> + +<p>Je n'ai eu garde de dire à la Chambre que les lois qui +règlent aujourd'hui notre organisation militaire devaient +être regardées comme irrévocables, qu'aucune modification +n'y serait apportée. J'ai au contraire parlé des modifications +qu'elles pouvaient exiger et des divers moyens par lesquels +ces modifications pourraient être introduites. J'ai parlé de +l'initiative que pouvait exercer, à cet égard, la Chambre +elle-même. J'ai donc été loin de penser qu'aucune modification +ne pût être proposée.</p> + +<p>Ce que j'ai combattu, c'est l'ébranlement donné par occasion, +et comme en se jouant, à la législation tout entière. Ne +vient-on pas de dire à la tribune et d'une manière générale, +absolue, que ces lois étaient mauvaises, mauvaises pour les +citoyens, pour l'armée, et cela en termes vagues, sans discussion, +sans distinction? Cependant, messieurs, les lois qui +règlent l'organisation de l'armée contiennent les règles de +l'avancement et une multitude de dispositions différentes, +dont les unes sont généralement regardées comme bonnes, +tandis que d'autres sont susceptibles de modification. N'y +a-t-il pas un inconvénient immense à qualifier ainsi sans +examen toute une législation de mauvaise, de réprouvée par +l'opinion?</p> + +<p>Pour légitimer les reproches indistinctement adressés aux +lois militaires, on vous a parlé de l'état de l'administration, +de désordres qui existent, dit-on, dans des communes rurales. +Il est vrai; il y a des désordres, quoiqu'ils soient infiniment +moins nombreux et moins graves qu'on ne les a +représentés. A quoi tiennent-ils? à l'état de transition dans +lequel nous sommes, à la difficulté de passer du régime qui +vient de tomber au régime qui se fonde. Vous renouvelez +partout les autorités, vous mettez en mouvement un public +immense. Vous avez raison de le faire; mais comment s'étonner +qu'au milieu d'une telle transformation quelque désordre +se manifeste?</p> + +<p>Est-ce en ébranlant les lois qu'on espère rétablir l'ordre +dans les faits? Quoi! vous choisissez précisément le moment +où la société est agitée, pour venir la remuer jusque dans ses +fondements! Messieurs, ou je m'abuse étrangement, ou la +mission du gouvernement et de la Chambre est aujourd'hui +de calmer la société (<i>Oui, oui! C'est cela! Très-bien!</i>), de +la calmer, non-seulement matériellement et dans les faits, +mais moralement et dans les esprits, car les esprits sont +aujourd'hui bien plus ébranlés que les faits.</p> + +<p>La société subsiste et marche avec régularité, et même avec +un degré de liberté merveilleux, après la révolution qui +vient de s'accomplir. A-t-on jamais vu, au milieu d'un +changement de dynastie, d'une constitution renouvelée, +aucune liberté suspendue, tous, amis et adversaires, vainqueurs +et vaincus, jouissant également de la liberté individuelle, +de la liberté de la presse, de tous les droits constitutionnels? +Toutes les libertés écrites dans nos institutions +existent aussi en fait. Point de lois d'exception, point d'actes +de persécution. Qu'au milieu de ce développement général +de toutes les libertés, il y ait eu quelques troubles dans quelques +communes, quoi d'étrange? Que vos paroles les calment, +messieurs, car les paroles descendues de cette tribune ont +action et autorité. Et cette influence appartient à la Chambre, +non-seulement en vertu de son droit, mais encore par la +manière dont elle a exercé sa mission, par le patriotisme, et +permettez-moi de le dire, par le bon sens qu'elle a déployés +dans les circonstances difficiles au milieu desquelles elle +s'est trouvée. La Chambre a été appelée en vingt-quatre +heures à changer le gouvernement du pays, les personnes et +les institutions. Eh bien, en vingt-quatre heures, la Chambre +a fait les changements que réclamait la raison publique, ni +plus ni moins. Elle a su agir et elle a su s'arrêter. Elle n'a +point méconnu la grandeur de sa tâche; elle ne s'est point +laissée emporter par l'entraînement de sa situation. Dans +l'un et l'autre sens, elle a prouvé son patriotisme.</p> + +<p>L'avenir ne s'en étonnera point, messieurs; il dira que la +Chambre a été fidèle à son origine. Jamais assemblée n'a été +élue avec un mouvement plus national, plus laborieux. C'est +la victoire des élections qui a fait la Chambre, et c'est la +Chambre qui a précédé, je dirais volontiers qui a amené la +victoire nationale. Ce sont les élections faites quelques jours +avant les événements de juillet qui ont décidé les derniers +coups du despotisme. Le gouvernement déchu n'a pas osé se +trouver en présence de la Chambre. Il a senti que le despotisme +qu'il méditait ne pouvait s'exercer devant elle, qu'il y +avait incompatibilité entre elle et lui, et il s'est porté aux +derniers excès.</p> + +<p>Sans doute, ce n'est pas la Chambre qui l'en a puni: ce +ne sont pas des Chambres qui font des révolutions pareilles. +Il faut, pour les accomplir, toute la puissance publique, +toute l'ardeur, toute l'unanimité d'une nation. Félicitons-nous +de ce que notre révolution a eu ce caractère, de ce +qu'elle a été une oeuvre populaire; c'est à cause de cela +qu'elle a été exempte d'intrigues et d'oscillations, décidée en +quelques heures, pleine de simplicité et de grandeur. Mais +maintenant le fait est accompli, une autre tâche nous est +imposée. Ce n'est plus une révolution que nous avons à +faire; c'est un gouvernement et des lois qu'il s'agit de +fonder. Sans doute ces lois doivent être faites sous l'influence +des intérêts et des opinions de la nation, et en définitive, elles +doivent être l'expression fidèle de son voeu; mais quant aux +moyens d'exécution, quant aux époques où ces lois doivent +être discutées, c'est aux pouvoirs légaux seuls qu'il appartient +d'en décider.</p> + +<p>Nous sommes rentrés, messieurs, sous l'empire des pouvoirs +légaux: le gouvernement est changé, les institutions +sont modifiées; mais nous vivons dans un ordre régulier, +nous agissons par des moyens réguliers, nous procédons +par délibérations, par élections, par toutes les voies constitutionnelles. +Si donc il y a des réformes à introduire dans +notre organisation militaire, elles seront introduites avec +le temps; elles seront l'objet de délibérations expresses; +elles pourront émaner soit des Chambres, soit du gouvernement. +Mais, jusqu'à ce que nous ayons occasion d'en délibérer +avec maturité, et d'arriver à des résultats conformes aux +intérêts du pays, ne nous abandonnons pas au mouvement +désordonné des esprits: travaillons à remettre le calme dans +les idées comme dans les faits; réglons et dirigeons le mouvement; +la France nous en saura gré. (<i>Vif mouvement +d'adhésion.</i>)</p> + +<hr> +<br> + +<p class="mid">--Séance du 28 octobre 1831.--</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, il s'agit ici d'une des plus importantes +prérogatives de la Chambre, d'une prérogative ardemment +et laborieusement réclamée pendant quinze années, et +conquise pour la première fois en 1830. Voici non pas les +termes de la Charte, car ce n'est pas la charte qui a déterminé +cette prérogative, mais d'une loi rendue dans la dernière +session, le 11 octobre 1830, en exécution d'une promesse de +la Charte.</p> + +<p>Cette loi porte: «La force du contingent à appeler chaque +année, conformément à la loi du 10 mars 1818, pour le +recrutement des troupes de terre et de mer, sera déterminée +par les Chambres à chaque session.»</p> + +<p>Art. 2. «L'article 5 de la loi du 10 mars 1818 et l'article +1<sup>er</sup> de celle du 9 juin 1824 sont abrogés.»</p> + +<p>Voici quels étaient les deux articles aujourd'hui abrogés:</p> + +<p>Art. 5 de la loi du 10 mars 1818. «Le complet de paix +de l'armée, y compris les sous-officiers et officiers, est fixé à +240,000 hommes; les appels faits en vertu de l'art. 1<sup>er</sup> ne +pourront dépasser ce complet de 240,000 hommes, ni excéder +annuellement 40,000 hommes. En cas de besoins plus +grands, il y serait pourvu par une loi.»</p> + +<p>Art. 1<sup>er</sup> de la loi de 1824. «Les appels faits chaque année +conformément à la loi du 10 mars 1818, pour le recrutement +des troupes de terre et de mer, seront de 60 mille +hommes.»</p> + +<p>Voilà les deux articles abrogés par la loi de 1830, c'est-à-dire +que ce qui est aboli, c'est la fixation du complet de +l'armée et des appels annuels. La loi de 1830 dit qu'il n'y +aura pas de complet fixe, ni d'appels annuels fixes: voilà ce +que vous avez décidé en 1830 par une loi rendue en vertu +d'une promesse de la Charte; voilà ce que le général Lamarque +vous propose d'abolir.</p> + +<p>Le ministre de la guerre, dans le projet de loi qui fut +proposé à la dernière session, avait inséré un complet de +l'armée de 500,000 hommes; mais, par suite des explications +qui eurent lieu à la commission, le ministre a reconnu +que ce complet n'était pas nécessaire, et il ne l'a pas reproduit +dans le projet qu'il nous a présenté à cette session. M. le +général Lamarque vient donc vous proposer de faire ce que +le ministre n'a pas cru nécessaire.</p> + +<p>Il propose de fixer, une fois pour toutes, l'appel annuel; +le complet de l'armée est fixé à 500,000 hommes, le nombre +des années de service étant fixé à sept ans, c'est-à-dire qu'il +faudra lever de 70 à 80,000 hommes par année pour que le +complet soit maintenu à 500,000 hommes.</p> + +<p>Ainsi l'appel annuel sera désormais fixé à 70 ou 75,000 +hommes. C'est ce que ne permet pas la loi du mois d'octobre +1830.</p> + +<p>Quelles sont les raisons contraires? On vous dit, d'une +part, qu'il ne s'agit pas du contingent annuel, mais de la +fixité de l'armée à 500,000 hommes. On prétend, d'une +autre part, que vous n'abandonnez pas votre droit, parce que +vous avez le droit de voter l'effectif sous les drapeaux, de sorte +que si vous voulez réduire cet effectif de 40 à 50,000 hommes, +vous ferez une réduction proportionnée sur le budget.</p> + +<p>Ainsi, ajoute-t-on, quoique vous appeliez réellement 70 à +80,000 hommes par an, vous ne retiendrez sous les drapeaux +que le nombre d'hommes que vous voudrez.</p> + +<p>Je vous ferai d'abord remarquer que la loi d'octobre 1830 +parle du contingent appelé chaque année pour le recrutement +des troupes de terre et de mer. Cette loi ne parle pas de +l'effectif tenu sous les drapeaux, mais elle parle du contingent +annuel. C'est donc bien réellement l'abrogation de la loi +d'octobre qu'on vous propose.</p> + +<p>Remarquez d'ailleurs qu'avant cette loi, avant l'attribution +du vote annuel du recrutement à la Chambre, vous aviez ce +que M. le général Lamarque vous propose comme suffisant; +vous aviez, dans la loi des finances, la faculté de voter l'effectif +tenu sous les drapeaux.</p> + +<p>C'est cette faculté qu'avec raison vous n'avez pas regardée +comme suffisante. Vous avez pensé que cette fixation indirecte +par les finances, par la limitation du nombre d'hommes tenus +sous les drapeaux, ne constituait pas le véritable droit de la +Chambre de voter annuellement l'impôt levé en hommes.</p> + +<p>Car l'impôt, ce n'est pas le nombre qu'on a effectivement +sous les drapeaux; c'est le nombre d'hommes qu'on appelle +chaque année au service militaire, soit qu'on les tienne immédiatement +et activement sous les drapeaux, soit qu'on leur +impose l'obligation de s'y rendre dès qu'ils en seront requis.</p> + +<p>Voilà le véritable impôt, l'impôt levé en hommes, et +vous ne devez pas abandonner le droit de le voter annuellement.</p> + +<p>Permettez-moi une comparaison. Si l'on vous proposait +de voter une certaine somme, 500 millions, par exemple, +par an, votés une fois pour toutes, en vous disant que le +gouvernement n'en demandera que 200, mais qu'il pourra +prendre le tout en cas de besoin, vous regarderiez avec raison +une pareille proposition comme une très-grande restriction +de vos droits. De même vous avez le droit de voter annuellement +l'impôt en hommes, et cet impôt, comme je le disais, +ne consiste pas seulement dans le nombre d'hommes tenus +sous les drapeaux, il consiste encore dans le nombre des hommes +qui sont appelés. Ces hommes sont soumis à un régime +exceptionnel et particulier; ils peuvent être appelés sous les +drapeaux d'un moment à l'autre; ils ne peuvent pas se marier +sans la permission du ministre de la guerre.</p> + +<p>Je dis donc que vous ne pouvez pas abandonner le droit de +voter annuellement le nombre d'hommes appelés. On donne +pour raison que c'est tous les ans remettre en question la +force de l'armée; mais tous les ans l'existence même de +l'État n'est-elle pas remise en question par le vote du budget, +qui intéresse l'existence même de la couronne, de la magistrature, +enfin de toute l'administration?</p> + +<p>Le gouvernement représentatif repose sur la confiance +qu'on a dans le bon sens des hommes, des électeurs, des +Chambres et du gouvernement; sans cette confiance, le +gouvernement représentatif est impossible. Remarquez que +l'armée est même dans une situation plus favorable que les +autres institutions. Quel serait le principe rigoureux du vote +annuel de l'armée? Ce serait de faire voter tous les ans aux +Chambres l'armée tout entière.</p> + +<p>C'est ce qui se pratique en Angleterre par le bill de <i>mutinerie</i>. +L'Angleterre vote annuellement l'armée tout entière, +et vous, vous n'en votez qu'un septième; il y a six septièmes +qui ne sont pas en question.</p> + +<p>On ne peut pas dire qu'il y ait du danger pour l'État dans +le vote annuel du septième de l'armée, dans l'examen de la +question de savoir si elle sera plus ou moins considérable. +Il y a évidemment une multitude de circonstances qui doivent +faire varier, dans une année, la contribution de la société à +la formation de l'armée.</p> + +<p>Je dis qu'il n'est pas moins vrai qu'il y a une multitude +de circonstances qui peuvent et doivent faire varier le vote +annuel de la Chambre à ce sujet.</p> + +<p>Je le répète, il s'agit ici d'une prérogative constitutionnelle +de la Chambre, que vous avez réclamée constamment depuis +1817 et que vous avez inscrite dans la Charte de 1830 +comme un des droits nationaux.</p> + +<p>Tout impôt d'hommes doit être chaque année voté par la +Chambre, comme les impôts d'argent.</p> + +<p>C'est cette prérogative qui empêche de voter un impôt de +70 à 80,000 hommes, une fois pour toutes.</p> + +<p>Vous n'auriez à voter chaque année que le nombre de +troupes qui pourrait être mis sous les drapeaux. Ce serait la +destruction de la Charte, de la loi de 1830, de la principale +prérogative de la Chambre; le gouvernement ne vous le +demande en aucune façon.</p> + +<p>Je repousse l'amendement.</p> + +<a name="XI" id="XI"></a> +<br><br> +<h3>XI</h3> + +<p class="mid">Présentation et discussion d'un projet de loi sur l'exportation +et l'importation des céréales.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés et Chambre des pairs--18 +septembre.--12 octobre 1830.</p> + +<p class="large">La législation sur les céréales, en vigueur au moment +de la révolution de 1830, était très-peu favorable à +l'importation des grains étrangers. L'état des récoltes, +surtout dans les départements du Midi, inspirait de +sérieuses inquiétudes. Le gouvernement ne voulut pas, +dans un tel moment, aborder la question générale de +la liberté du commerce en cette matière; mais, sans +changer les bases de la législation existante, il proposa +les mesures nécessaires pour en écarter, dans le présent, +les inconvénients. J'exposai avec détail, d'abord +devant la Chambre des députés, puis devant la Chambre +des pairs, les motifs du projet de loi qui fut adopté, +avec quelques amendements, et promulgué comme loi +le 20 octobre 1830.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, l'état des +subsistances peut appeler, à des titres fort divers, l'attention +du gouvernement. Tantôt des récoltes surabondantes surchargent +et découragent l'agriculture; tantôt, quand les produits +pour l'écoulement desquels on a multiplié les mesures +de protection sont épuisés, ces mesures deviennent un obstacle, +grèvent la condition des consommateurs, et excitent la +sollicitude publique.</p> + +<p>C'est alors que les difficultés de la législation se font sentir, +et que l'expérience invite à la soumettre à une discussion +nouvelle. Il est raisonnable que des lois faites à l'occasion +d'une longue surabondance soient revues après l'épreuve de +quelques années de médiocre produit.</p> + +<p>Et comme une telle révision ne saurait être méditée avec +trop de réserve, comme un grand nombre d'intérêts doivent +être entendus, et veulent du temps pour se concilier, on concevra +sans peine qu'une mesure transitoire puisse être nécessaire +pour remédier à un inconvénient présent ou imminent.</p> + +<p>Tout indique que nous sommes aujourd'hui dans cette +situation.</p> + +<p>Les années fertiles se sont succédé; nos lois s'y sont +assorties. Depuis deux ans l'abondance a fait place à la médiocrité. +Aussi, déjà l'an dernier, quelques modifications à +la législation parurent convenables, et le gouvernement prit +sur lui de les ordonner. La récolte de cette année ne peut +compter parmi les abondantes ni parmi les mauvaises. Ce +qui pourrait tromper quelque temps sur sa valeur réelle, +c'est l'inégalité avec laquelle ses produits sont répartis sur le +territoire. Le Midi, l'Est, quelques départements du centre, +ont été maltraités. La Bretagne est riche au contraire; le +haut Languedoc également. Les départements qui environnent +Paris ont peu souffert en général. Il faut même qu'il +soit resté de 1829 un peu plus de grains que 1829 n'en avait +reçu de 1828; car, au mois de juin 1829, les blés étaient, +autour de Paris, à 29 fr. 34, et cette année, à la même époque, +ils étaient à 22 fr. 20. En 1829, au mois d'août, le pain +était dans Paris à 18 sous et demi (92 centimes et demi) et à +17 sous et demi (87 centimes et demi) les deux kilogrammes; +il n'a été au mois d'août dernier qu'à 16 sous et demi (82 +centimes et demi), et pour septembre à 16 sous (80 centimes).</p> + +<p>Les mercuriales nous présentent, sur un assez grand nombre +de points, une baisse successive, même sur les marchés +où la tranquillité a été un moment troublée. Ou sait d'ailleurs +que cette saison est constamment celle où les cultivateurs, +occupés des travaux de l'automne, fréquentent le moins +les marchés; ils ne battent de blé que ce qui leur est absolument +nécessaire pour le moment; et c'est malgré ces circonstances +qu'en plus d'un lieu la baisse des prix se fait sentir.</p> + +<p>Mais on sait aussi avec quelle rapide contagion la crainte de +manquer de subsistances se propage, et avec quelle facilité +elle peut entraîner à des préventions aveugles et à des précautions +mal entendues, qui gênent la circulation, détournent +le commerce, et aggravent le mal qu'elles s'efforcent de +guérir.</p> + +<p>Le désordre, s'il se manifestait, serait fermement réprimé. +La propriété et la libre circulation seraient défendues et protégées +contre toute atteinte. Le gouvernement ne négligera +rien pour éclairer sur les fausses mesures que pourrait conseiller +l'ignorance. Mais en faisant abstraction de ces méprises, +il y a lieu de penser que le secours des grains étrangers +sera désirable cette année. Déjà personne n'en conteste l'opportunité. +Les propriétaires de grains indigènes n'en seront +point jaloux, car les prix auxquels ils peuvent vendre et ceux +auxquels reviendront les grains étrangers leur assurent, pour +leurs récoltes, un débouché très-satisfaisant. Ils ont droit de +profiter des circonstances, ils ne prétendent point en abuser, +et une concurrence qu'appellent aujourd'hui les besoins et +les voeux du pays, n'excitera nullement leurs réclamations.</p> + +<p>Pour amener cette concurrence, il faut rendre l'arrivée +des grains étrangers possible et même facile. Or, la législation +en vigueur avait été faite pour empêcher l'importation; +elle est donc à modifier.</p> + +<p>Cette législation est compliquée: elle se compose des lois +du 16 juillet 1819 et du 4 juillet 1821, dont les dispositions +se combinent, se modifient et renchérissent l'une sur l'autre. +C'est sous le point de vue seul de l'importation que nous +avons à la considérer.</p> + +<p>Dans le dernier état, les départements de la frontière sont +répartis en quatre classes: l'importation des grains étrangers +y est défendue jusqu'au moment où le prix des blés nationaux, +déduit de certaines mercuriales, est monté à une limite +fixée. Cette limite est 1º à 18 fr. l'hectolitre dans les départements +de l'ancienne Bretagne (la Loire-Inférieure exceptée) +et aussi dans les départements de la Moselle, de la Meuse, +des Ardennes et de l'Aisne; 2º à 20 fr. sur les côtes de +l'Océan depuis le département du Nord jusqu'à la Bretagne, +et dans la Loire-Inférieure, la Vendée et la Charente-Inférieure. +C'est aussi le prix assigné aux départements du Haut +et Bas-Rhin; 3º à 22 fr. sur la mer, dans les départements +de la Gironde et des Landes, et sur les frontières de terre, le +long des Hautes et Basses-Pyrénées d'une part, de l'autre +des Basses-Alpes au Doubs; 4º enfin à 24 fr. pour les départements +riverains de la mer Méditerranée depuis le Var +jusqu'aux Pyrénées-Orientales. La Corse est comprise dans +cette classe.</p> + +<p>Dès que l'importation est autorisée, elle est soumise à un +droit d'entrée de 3 fr. 25 par hectolitre. Si le prix de la limite +s'élève d'un franc ou de deux francs, le droit baisse d'une +même quantité. Après une hausse ultérieure, c'est-à-dire si +les prix dépassent 26, 24, 22 ou 20 fr. dans les classes respectives, +le droit est réduit à 25 centimes.</p> + +<p>Ces ménagements pour la production nationale sont grands +et efficaces, mais on ne s'en est pas contenté.</p> + +<p>Le tarif de droits que je viens de rappeler n'est applicable +qu'aux blés provenant de certains pays dits <i>pays de production</i>. +Sans s'apercevoir que, quand les secours antérieurs sont +désirables, c'est aux lieux les plus rapprochés qu'il faut recourir, +on a imposé une surtaxe à tout ce qui serait pris dans +les entrepôts de l'extérieur. On a prétendu que des pays où +il peut arriver des blés étrangers, quoiqu'ils en produisent +d'indigènes, ne sauraient être considérés comme pays de +production. Les seuls pays qui aient été déclarés pays de production +sont les bords de la mer, l'Égypte, la mer Baltique, +la mer Blanche et les États-Unis d'Amérique. Ainsi l'Angleterre, +les Pays-Bas, l'Espagne, l'Italie, la Sicile, l'Afrique +même sont censés ne rien produire. Les grains que le commerce +y va chercher ne sont admis que moyennant une surtaxe. +Au lieu de 3 fr. 25 l'hectolitre pour plus fort droit, ils +payent 4 fr. 25, et quand la cherté a fait réduire le droit ordinaire +à 25 centimes, les grains des pays de non-production +doivent cinq fois davantage (1 fr. 25).</p> + +<p>A cette surtaxe vient, dans certains cas, s'en ajouter une +autre. Les grains qui arrivent par navires étrangers payent +5 fr. 50 au fort droit, au lieu de 3 fr. 25, et toujours 1 fr. 25 +au minimum.</p> + +<p>Ce n'est pas tout. On a taxé l'entrée par terre aussi chèrement +que par navires étrangers. Ainsi les premiers secours +que reçoivent nos départements de l'Est ou des Pyrénées, +leur coûtent 5 fr. 50 l'hectolitre, au lieu de 3 fr. 25 qu'on +paye ailleurs; et dans la plus grande cherté, ce qu'on transporte +à grands frais par les routes de terre paye 1 fr. 25 de +droit, tandis qu'on ne demande que 25 centimes à ce qui +arrive par mer.</p> + +<p>Une autre disposition tient le Midi, surtout Lyon et nos +départements du Sud-Est, dans une condition vraiment très-dure.</p> + +<p>Pour écarter les grains de Crimée et rendre leur importation +par Marseille à peu près impossible, les choses ont été +combinées de telle sorte qu'en fait le prix légal n'atteignît +jamais la limite à laquelle, aux termes mêmes de la loi, elle +eût été permise. Le prix réel des grains à Marseille, par +exemple, était, le 15 août, de 30 fr. 19 et cependant le prix +régulateur légal n'a été que de 23 fr. 43, c'est-à-dire de +50 centimes au-dessous de la limite qui ouvrirait le port.</p> + +<p>D'où provient cette énorme différence? De ce que le cours +de Marseille ne compte que pour une petite fraction dans le +prix légal de la classe à laquelle cette ville appartient. On ne +s'est pas contenté de combiner ce cours avec celui des marchés +de Gray et de Toulouse, villes qui fournissent des grains +au midi par le Rhône et par le canal du Languedoc; quelque +espoir serait encore resté à l'importation; aujourd'hui, par +exemple, le prix régulateur légal serait à Marseille de 25 fr. +et les blés étrangers entreraient avec le droit de 2 fr. 25, +3 fr. 25 ou 4 fr. 50 suivant la provenance ou le pavillon. +Mais un quatrième élément a été introduit dans la mercuriale +qui règle le prix des grains à Marseille; c'est le prix de +Fleurance, marché peu connu du département du Gers, qui +suit constamment les bas prix de Toulouse, en sorte que +Toulouse compte réellement pour moitié dans le prix courant +qui ferme le port de Marseille.</p> + +<p>Voici ce qui en résulte.</p> + +<p>Les grains de l'entrepôt de Marseille repartent pour aller +chercher un port de l'Océan dans <i>une classe</i> dont le prix +légal les admette à entrer en payant 3 fr. 25 c. de droits. +Nationalisés par ce payement et par cette admission, ils sont +rechargés pour Marseille, et les énormes faux frais, ce droit, +ce double voyage, ce retard, ces risques, sont encore couverts +par le prix factice, excessif, auquel ces combinaisons législatives +tiennent les blés à Marseille. C'est ainsi qu'une loi trop +dure est légalement éludée, au préjudice toutefois des consommateurs.</p> + +<p>Il est enfin un effet général de la loi qu'il importe de remarquer. +Les mercuriales se publient le premier de chaque +mois, et font subitement la règle du commerce. L'importation +était libre le 30 septembre, elle peut être prohibée le 1<sup>er</sup> octobre. +Ce qui est en mer, ce qu'un simple accident retarde +de quelques heures n'entre plus; c'est une spéculation ruinée. +Comment compter sur l'active coopération du commerce +sous l'empire d'une législation qui ne lui laisse qu'un pareil +hasard à courir, quand il se livre à l'approvisionnement du pays?</p> + +<p>Il est permis de croire, messieurs, que cette législation +devrait être l'objet d'une révision générale, et que des dispositions +plus sagement combinées protégeraient efficacement +l'agriculture en faisant courir moins de chances aux subsistances +publiques, en amenant moins d'alternatives de mévente +et de cherté. Mais il faut, nous en sommes aussi convaincus +que personne, procéder en pareille matière avec une grande +prudence; il faut laisser au temps le soin de mettre tous les +droits en lumière et tous les intérêts en accord. Nous ne vous +proposons donc aujourd'hui que des mesures partielles et +transitoires qui, prenant la législation actuelle pour base, se +bornent à en retrancher ce qui nous priverait de la coopération +du commerce, et à nous garantir les ressources +d'une importation que l'intérêt public nous commande de +faciliter.</p> + +<p>Le projet de loi se compose de quatre articles.</p> + +<p>L'art. 1<sup>er</sup> abolit les surtaxes établies soit sur les blés provenant +des pays dits de non-production, soit sur ceux qui +arrivent par la frontière de terre, et abaisse de 25 c. par +hectolitre, non-seulement la surtaxe imposée aux blés apportés +par navires étrangers, mais les droits variables établis sur +l'importation, quand elle est permise, depuis le maximum +jusqu'au minimum.</p> + +<p>L'art. 2 écarte le marché de Fleurance du nombre des +éléments qui servent à fixer le prix légal de la frontière du +Midi, et y substitue le marché de Lyon, substitution qui +aura pour résultat de faire plus promptement atteindre la +limite à laquelle l'importation est permise, et de tenir les +ports de cette classe plus longtemps ouverts. Aujourd'hui, +par exemple, par l'intervention du marché de Fleurance, le +prix légal des grains est, à Marseille, de 23 fr. 43 c. et l'importation +est encore interdite, tandis que par l'intervention +du marché de Lyon il serait de 25 fr. 68 c. et l'importation +serait depuis longtemps autorisée.</p> + +<p>L'art. 3 assure, en exigeant les preuves nécessaires, l'admission +de la cargaison qui, expédiée à temps et de bonne +foi, mais retardée par les accidents de la négociation, arrive +après la clôture fortuite de l'importation.</p> + +<p>Enfin l'art. 4 ne donne d'effet à ces dispositions que jusqu'au +30 juin 1831.</p> + +<p>Ce sont là, messieurs, les moindres changements qu'à +notre avis conseille aujourd'hui la prévoyance. Nous sommes +fondés à espérer qu'ils suffiront, que le commerce profitera +des facilités qu'il réclame de toutes parts, et dont il ne peut +raisonnablement se passer.</p> + +<p>Les secours qu'il amènera sans perturbation mettront un +terme aux souffrances du Midi, et alimenteront les Lyonnais +et leurs voisins. Sur les autres points, les grains étrangers, à +mesure qu'ils pénétreront, rendront disponibles des quantités +correspondantes de grains indigènes qui approvisionneront +les marchés de l'intérieur. Des craintes, fort exagérées en +elles-mêmes, se dissiperont, et la sécurité permettant à la +liberté de se déployer sans obstacle, les subsistances et la +paix publique seront également garanties.</p> + +<h4>PROJET DE LOI.</h4> + +<p><span class="sc">Louis-Philippe</span>, roi des Français,</p> + +<p>A tous présents et à venir, salut.</p> + +<p>Nous avons ordonné et ordonnons que le projet de loi +dont la teneur suit sera présenté en notre nom à la Chambre +des députés par notre ministre secrétaire d'État au département +de l'intérieur, et par M. Vincent, maître des requêtes, +que nous chargeons d'en exposer les motifs et d'en soutenir la +discussion.</p> + +<p>Art. 1<sup>er</sup>. Sur la frontière de terre comme sur celle de mer, +le maximum du droit variable à l'importation des grains sera +de 3 fr. l'hectolitre, et le minimum de 25 c. Ces droits et les +droits intermédiaires de 2 fr. et de 1 fr. continueront d'être +appliqués suivant le prix légal des grains, conformément +aux lois des 16 juillet 1819 et 4 juillet 1821.</p> + +<p>Ce droit sera augmenté d'un franc pour les grains qui +arriveront par mer sous pavillon étranger.</p> + +<p>Il sera perçu sans autre surtaxe et sans distinction de provenances.</p> + +<p>Art. 2. Le prix légal régulateur des grains pour la première +classe (frontière du Midi, depuis le département du +Var jusqu'à celui des Pyrénées-Orientales inclusivement), +sera formé du prix moyen des mercuriales des marchés de +Marseille, Toulouse, Gray et Lyon.</p> + +<p>Art. 3. Quand, par l'effet du prix légal, l'importation +devra cesser dans un port de mer, les cargaisons qui, fortuitement, +n'auraient pu parvenir à temps, mais dont l'expédition +faite de bonne foi sera régulièrement prouvée par la +présentation des connaissements, seront admises, et néanmoins +payeront le droit d'importation le plus élevé.</p> + +<p>Art. 4. Les dispositions ci-dessus n'auront effet que jusqu'au +30 juin 1831.</p> + +<p>Paris, le 17 septembre 1830.<br> + +<span class="rig">LOUIS-PHILIPPE.</span></p><br> + +<p>Par le Roi:</p> + +<p><i>Le ministre secrétaire d'État de l'intérieur,</i> + +<span class="rig"><span class="sc">Guizot.</span></span></p><br><br> +<hr> +<br> +<p class="mid">--Chambre des pairs.--Séance du 12 octobre 1830.--</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, les lois +des 16 juillet 1819 et 4 juillet 1821, sur l'importation des +céréales, furent inspirées par le désir de protéger la consommation +de nos propres grains.</p> + +<p>Mais, rédigées au milieu d'une surabondance qui décourageait +les agriculteurs depuis plusieurs années, elles se +ressentirent de cette circonstance. L'esprit de ces lois fut +évidemment de repousser les grains étrangers aussi loin et +aussi longtemps qu'il serait possible. Non-seulement on éleva +les limites que le prix devait franchir avant qu'ils fussent +admissibles; mais alors même, et de peur qu'on ne profitât +trop tôt de la faculté d'importer, un tarif gradué frappa les +blés provenus des pays voisins d'un droit d'entrée sensiblement +plus fort que les blés qu'il faut attendre des mers éloignées. +On y ajouta une autre surtaxe sur ce qui nous serait +apporté par navire étranger, distinction communément reçue +pour favoriser notre pavillon, mais dont la proportion supérieure, +toute spéciale, était calculée pour opposer un obstacle +de plus aux versements de grains que l'étranger voudrait +faire dans nos ports. Lorsqu'on prenait ces précautions multipliées +contre l'invasion des blés exotiques, il est évident +que l'on se croyait dispensé de prévoir le temps où les arrivages +étrangers cesseraient d'être à charge, car aussitôt qu'ils +sont désirables, il ne serait pas conséquent de les rendre +difficiles et coûteux. Les prix élevés, condition nécessaire de +leur admission temporaire, devant désintéresser le producteur +national, quand ce point est atteint, c'est le consommateur +qu'il faut ménager en ne chargeant pas l'entrée de +droits fiscaux et de faux frais.</p> + +<p>Aux années d'abondance ont succédé trois récoltes médiocres; +celle qui vient d'être rentrée dans les greniers est +inférieure dans plusieurs départements, et l'inégale répartition +de ses produits sur le territoire rend encore plus +convenable de faciliter les secours extérieurs là où le consommateur +les réclame, et où le commerce peut les apporter.</p> + +<p>Les subsistances ne manqueront pas. Il n'y a nulle inquiétude +à concevoir; mais il n'est personne qui ne désirât +que les classes industrieuses et peu aisées obtinssent en ce +moment leur pain à des prix modérés. Enfin, on ne peut +nier que le temps ne soit venu de se débarrasser, temporairement +du moins, des exigences ajoutées comme de suréogation +à la condition fondamentale des limites de l'importation.</p> + +<p>C'est ce que le gouvernement du Roi a voulu et ce que la +Chambre des députés a adopté dans le projet de loi.</p> + +<p>Les prix des grains nationaux au-dessous desquels les +grains étrangers ne peuvent être introduits ne subissent +aucun changement.</p> + +<p>Le minimum du droit principal, quand le tarif gradué +s'arrête à cause de l'élévation ultérieure du cours, est toujours +de 25 centimes l'hectolitre, et s'applique comme par +le passé.</p> + +<p>Mais suivant l'article 1<sup>er</sup> du projet, les degrés variables du +droit qui sont de 3 fr. 25 c., 2 fr. 25 c., 1 fr. 25 c., simplifiés +par une petite réduction, seront fixés à 3 fr., 2 fr. +et 1 franc.</p> + +<p>On conserve la surtaxe d'un franc pour les arrivages par +pavillon étranger.</p> + +<p>Mais on supprime celle qui se rapportait à la distinction +des pays de production et de non-production, distinction +tellement arbitraire, ou plutôt si peu d'accord avec les dénominations, +que les Pays-Bas, l'Angleterre, l'Espagne, l'Italie, +l'Afrique, étaient censés ne pas produire de grains.</p> + +<p>Dans le tarif des douanes, les arrivages par terre sont assimilés +en général à ceux qui viennent sous pavillon étranger +dans nos ports. On avait appliqué cette règle aux transports +de grains; mais à cause de l'élévation spéciale de sa surtaxe, +cet article, à l'entrée par terre, payait 1 fr. 25 c. l'hectolitre +dans le cas où dans les ports on ne devait que 25 cent. +Il a été d'autant plus juste de rétablir des conditions égales +que nos départements de la frontière de terre subissent cette +année les prix les plus élevés.</p> + +<p>Le projet fait participer aux mêmes adoucissements l'entrée +des farines, en conservant les proportions fixées par les +anciennes lois. Il met en harmonie avec les droits propres +aux froments ceux qui s'appliquent aux seigles et maïs. Par +une inadvertance, la loi de 1821 avait négligé de le faire; il +y avait un degré de plus dans les droits propres à ces derniers +grains. Les seigles payaient à l'entrée 4 fr. 25 c. dans +la circonstance où le froment ne devait que 3 fr. 25 c.</p> + +<p>Les frontières du royaume étant divisées en quatre classes +pour l'application des règles sur l'importation des grains, +dans chacune les mercuriales de certains marchés composent +le prix commun légal qui, publié le dernier jour de +chaque mois, permet ou prohibe l'entrée suivant que ce +prix est supérieur ou inférieur à la limite adoptée par la loi.</p> + +<p>Ainsi, sur toute la frontière de la Méditerranée (première +classe), la limite qu'il faut que le cours dépasse pour qu'il y +ait liberté d'importer est de 24 fr. l'hectolitre.</p> + +<p>Or, depuis 1821, une seule fois, pour un seul mois, les +grains ont pu entrer de ce côté.</p> + +<p>Et cependant, depuis la récolte de 1827, la denrée a sensiblement +renchéri; toutes les autres frontières ont eu de fréquentes +époques d'importation permises. Il y a plus; il est +notoire qu'à Marseille, dans le reste de la Provence, à Lyon, +les grains se payent 30 fr. l'hectolitre, et cependant le prix +légal n'a pu jamais atteindre à 24 francs.</p> + +<p>D'où vient cette singularité si fâcheuse à ces pays, où la +récolte est particulièrement mauvaise? De ce que le prix +légal est le taux moyen de quatre mercuriales. On a d'abord +combiné avec celle de Marseille les prix de Gray et de Toulouse, +marchés qui, par la Saône et le Rhône d'un côté, par +le canal du Midi de l'autre, alimentent le bas Languedoc et +la Provence; mais on a voulu y ajouter pour quatrième élément +le marché de Fleurance, marché obscur du département +du Gers, qui ne concourt point à la consommation de +Marseille, et qui n'a été choisi que pour redoubler l'effet du +bas prix de Toulouse dans le prix moyen.</p> + +<p>Le renchérissement qui en provient, le prix excessif du +grain à Marseille, celui qui en résulte pour le cours du pain +à Lyon, la clameur universelle enfin ne permettent pas de +laisser subsister cet état de choses. Il a paru juste et conséquent +d'opposer à deux pays de production, Gray et Toulouse, +ceux de deux grands marchés de consommation, Lyon et +Marseille. C'est le sujet de l'article 2 du projet.</p> + +<p>L'article 3 assure l'entrée des envois de grains expédiés +de bonne foi par mer ou par les fleuves pendant que l'admission +était permise, et qui, fortuitement retardés, rencontreraient +la prohibition à leur arrivée. La Chambre des députés +a insisté sur les précautions qui empêcheront de tourner en +abus cette mesure d'équité. Si elle n'était accordée au commerce, +comment pourrait-il s'exposer à des chances si ruineuses +qui peuvent dépendre d'un centime de variation dans +la mercuriale, ou d'un jour de retard à la mer?</p> + +<p>L'article 4 provient d'un amendement introduit par la +Chambre des députés. Les grains étrangers, autrefois laissés +à la disposition et aux soins du commerçant, sous les précautions +requises qui constituent le régime de l'entrepôt +fictif, étaient soumis par la loi du 15 juin 1825 à l'entrepôt +réel, c'est-à-dire renfermés dans des magasins que la douane +seule peut ouvrir, où, par conséquent, les précautions journalières +nécessaires à la conservation de la denrée ne peuvent +être prises à propos; l'administration a reconnu que ces +mesures gênantes et coûteuses étaient sans le moindre avantage, +et n'ajoutaient rien à la garantie de l'entrepôt fictif. +L'article, en conséquence, abroge cette formalité.</p> + +<p>Mais cette disposition même, et toutes les autres mesures, +ne sont que temporaires. En vertu de l'article 5, la loi n'aura +d'effet que jusqu'à l'apparition des produits de la future +récolte, c'est-à-dire jusqu'au 30 juin prochain pour la première +classe (le Midi), et au 31 juillet pour le reste du +royaume.</p> + +<p>La Chambre des députés l'a ainsi voté. Quant au gouvernement, +il n'avait voulu proposer en effet qu'une loi transitoire.</p> + +<p>Celles qui existent, faites pour une longue époque d'abondance, +naturellement ne pouvaient convenir à des temps de +cherté.</p> + +<p>On aurait craint, en faisant une loi au milieu de ces circonstances +nouvelles, et en la faisant permanente, de ne pas +assez ménager les intérêts agricoles, que le gouvernement +respecte et protége.</p> + +<p>Un système qui conviendrait à tous les temps, qui maintiendrait +le plus possible des prix plus égaux, qui concilierait +les droits et les besoins du producteur et du consommateur, +c'est ce qui est désirable, c'est ce qu'il faut chercher avec +maturité.</p> + +<p>(M. le ministre donne lecture du projet de loi.)</p> + +<a name="XII" id="XII"></a> +<br><br> +<h3>XII</h3> + +<p class="mid">Débats sur les clubs et sur l'article 291 du Code pénal.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séances des 25 septembre et 4 octobre 1830.--</p> + +<p class="large">J'ai raconté dans mes <i>Mémoires</i><a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a> +<a href="#footnote16"><sup class="sml">16</sup></a> les incidents et les +débats qui s'élevèrent, peu après la révolution de 1830 +et pendant mon ministère de l'intérieur, à l'occasion +des clubs et de l'application de l'article 291 du Code +pénal. Ce fut à propos d'une pétition des commissaires-priseurs +de Valenciennes, et par une vive attaque de +M. Benjamin Morel, député de Dunkerque, contre les +clubs, que s'engagea, pour la première fois, cette discussion. +M. de Tracy, au nom des idées générales de +liberté, répondit à M. Benjamin Morel, et je pris, après +lui, la parole en ces termes:</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote16" +name="footnote16"><b>Note 16: </b></a><a href="#footnotetag16"> +(retour) </a> Tome II, pages 109-116.</blockquote> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, le +silence avec lequel vous avez accueilli les paroles du premier +orateur, la promptitude avec laquelle l'honorable +préopinant s'est empressé d'y répondre, ne prouvent, ce me +semble, que la gravité et l'opportunité de la question. Elle +préoccupe tous les esprits; elle agite la France entière; il +était impossible qu'elle n'arrivât pas promptement, et par +toutes les portes, dans cette enceinte.</p> + +<p>Je suis porté à croire que dans les craintes qu'excitent les +sociétés qu'on appelle <i>populaires</i>, il y a un peu d'exagération. +Elles ne me paraissent pas jusqu'ici avoir fait un grand mal, +ni déployé une grande puissance. Je crois qu'il y a du souvenir +dans la terreur qu'elles inspirent, et que le passé exerce +peut-être ici autant d'influence que le présent. (<i>Voix diverses: +C'est vrai.</i>)</p> + +<p>Cependant l'agitation est réelle; le public tout entier est +préoccupé. Ce seul fait de l'agitation générale et de tous les +symptômes qui la manifestent est un grand mal, un mal +auquel il importe de porter remède. Vous voyez partout les +capitaux se retirer, l'industrie se resserrer; l'alarme est générale, +surtout dans les professions laborieuses, dans celles +qui font la force et le fond de notre société.</p> + +<p>Quelque exagérées que soient ces craintes, elles ont un +fondement solide. Le caractère, la conséquence des sociétés +populaires et de leurs actes, c'est qu'elles entretiennent, +qu'elles fomentent, qu'elles exaltent de jour en jour parmi +nous l'état révolutionnaire.</p> + +<p>Messieurs, nous avons fait une révolution, une heureuse, +une glorieuse révolution; mais nous n'avons pas prétendu +mettre la France en état révolutionnaire. (<i>Marques d'adhésion.</i>) +Nous n'avons pas prétendu la tenir dans l'agitation, +dans le trouble, dans l'anxiété qui accompagnent de tels +événements.</p> + +<p>Quels sont les caractères de l'état révolutionnaire? Voici +les plus saillants: c'est que toutes choses soient mises en +question; c'est que les prétentions soient indéfinies; c'est que +des appels continuels soient faits à la force, à la violence. +Eh bien! ces caractères existent tous dans les sociétés populaires, +dans l'action qu'elles exercent, dans l'impulsion qu'elles +s'efforcent d'imprimer à la France.</p> + +<p>Je dis que toutes choses y sont mises en question. Et remarquez, +messieurs, qu'il ne s'agit point, dans ces sociétés, de +discussions purement philosophiques; ce n'est pas telle ou +telle doctrine qu'on veut faire prévaloir; ce sont les choses +mêmes, les faits constitutifs de la société qu'on attaque; c'est +notre gouvernement; c'est la distribution des fortunes et des +propriétés; ce sont enfin toutes les bases de l'ordre social, qui +sont mises en question et ébranlées tous les jours dans les +sociétés populaires. De là cette fermentation universelle qui +se répand au dehors et qui trouble tous les esprits.</p> + +<p>En même temps que toutes choses sont mises en question, +des prétentions indéfinies, indéfinissables, éclatent. Et, dans +ces prétentions, il ne s'agit pas de telle ou telle réforme, de +tel ou tel but particulier à atteindre; il s'agit de projets, +d'espérances qui seraient hors d'état de se limiter eux-mêmes. +Il y a là une ambition qui ne connaît pas son propre +objet, qui se déploie sans but, qui n'est pas un état de +véritable travail, de véritable réforme politique, mais une +maladie de l'esprit. (<i>Mouvement d'adhésion.</i>)</p> + +<p>Enfin, messieurs, qu'est-ce qui caractérise encore l'état +révolutionnaire? c'est l'appel continuel à la force, à la violence; +c'est le recours aux moyens brutaux; c'est la menace +sans cesse adressée à tous les pouvoirs de la société, à toutes +les existences, à toutes les idées qui ne s'accordent pas avec +celles auxquelles on veut donner l'empire. C'est là peut-être +le caractère fondamental de l'état et des passions révolutionnaires.</p> + +<p>Eh bien, messieurs, ce caractère se déploie tous les jours +dans les sociétés populaires. Ce ne sont pas, je le répète, des +écoles philosophiques, où l'on discute tel ou tel principe; +c'est une véritable arène dans laquelle on provoque toutes les +passions, dans laquelle on soulève toutes les menaces.</p> + +<p>Je vous le demande, n'est-ce pas là vouloir tenir la France +dans un état révolutionnaire? n'est-ce pas vouloir prolonger, +j'ai tort de dire <i>vouloir</i>, car je n'inculpe les intentions de +personne, mais enfin n'est-ce pas prolonger en effet cet état +de trouble et d'anxiété qui accompagne nécessairement une +révolution, quelque heureuse, quelque glorieuse qu'elle ait +été?</p> + +<p>Ce n'est pas là, messieurs, le mouvement, ce n'est pas là +le progrès. On nous provoque sans cesse au mouvement; on +nous demande toutes les conséquences de la révolution qui +vient de s'accomplir. Messieurs, nous voulons autant que personne +le mouvement et le progrès. Il n'y a personne à qui +les progrès de la société soient plus chers qu'à nous. Mais le +désordre n'est pas le mouvement; le trouble n'est pas le progrès; +l'état révolutionnaire n'est pas l'état vraiment progressif +de la société. Je le répète, l'état où les sociétés populaires +prétendent mettre la France n'est pas le mouvement véritable, +mais le mouvement désordonné; ce n'est pas le progrès, +mais la fermentation sans but. Messieurs, ce n'est pas là le +désir de la France. La France n'a pas entendu se mettre dans +un état révolutionnaire permanent. (<i>De toutes parts</i>: Non, +non!) La France a lutté quinze ans, avant de se décider à se +mettre tout entière en mouvement pour faire une révolution. +Il y a bien eu, pendant quinze ans, diverses sortes +d'agitations, des conspirations, des insurrections partielles; +il n'y a pas eu de véritable tentative nationale. Notre révolution +est la seule dans laquelle la France entière se soit montrée. +Il a fallu que la tyrannie vînt en personne et le front +découvert, qu'elle attaquât nos libertés au coeur, qu'elle compromît +tout notre ordre social; il a fallu que son présent fût +troublé et son avenir menacé cruellement, pour que la France +fît une révolution: elle l'a faite en trois jours, parce qu'elle +s'est levée en masse. Rappelez-vous que jusque-là il n'y avait +eu que des mouvements partiels, que je ne veux pas blâmer, +mais que personne n'a aujourd'hui le droit d'appeler des +mouvements nationaux. (<i>Très-bien, très-bien!</i>)</p> + +<p>Ainsi l'état dans lequel les sociétés populaires entretiennent +la France est un état contraire, non-seulement à ses besoins +et à ses intérêts, mais encore à ses voeux. Quand on essaye +de la mettre en cet état, non-seulement on lui fait tort, mais +on lui fait violence. Tel est le mal que produisent les sociétés +populaires; elles font violence à la France; elles font fermenter +toutes choses au milieu de la France, tandis que la France +veut l'ordre. Elle en a le goût autant que le besoin; elle résiste +par sa nature comme par son intérêt à cet état révolutionnaire +dans lequel on veut la tenir.</p> + +<p>Si je les considère dans leurs rapports avec notre situation +extérieure, les sociétés populaires ne s'offrent pas sous un +aspect plus favorable. Messieurs, il ne faut pas se tromper +sur le jugement que porte l'Europe de notre révolution. Je +n'hésite pas à le dire; dans le fond de sa pensée énergique et +sérieuse, l'Europe l'approuve. L'Europe trouve que nous +avons eu raison, que ce qui s'est passé en France a été bien +motivé, que la France a bien fait de changer son gouvernement.</p> + +<p>Ainsi, bien loin de désavouer notre révolution, bien loin +de déserter aucun des principes et des faits sur lesquels elle +repose, je dis que nous ne sommes pas les seuls à avouer ces +principes, à reconnaître la légitimité de ces faits; que l'Europe +tout entière, soit qu'elle le dise, soit qu'elle le taise (et +par l'Europe j'entends le fond des cabinets comme les places +publiques), l'Europe entière pense que nous avons eu raison. +Et c'est parce que l'Europe porte un tel jugement sur ces +événements qu'on peut les regarder comme consommés.</p> + +<p>Mais en même temps que l'Europe approuve notre révolution, +elle l'observe avec crainte, avec une sorte de méfiance. +L'Europe aussi se souvient du passé; elle n'a pas plus que +nous perdu le souvenir des sociétés populaires et des clubs. +L'Europe attend pour savoir si, du milieu de cette révolution, +ne naîtra pas une nouvelle propagande révolutionnaire, +ardente à exciter les mêmes passions, les mêmes troubles +dans toutes les sociétés européennes. Il n'y a pas moyen de +se le dissimuler, cette crainte s'associe encore au jugement +que porte l'Europe sur notre révolution.</p> + +<p>Eh bien, c'est à nous de faire, sous les yeux de l'Europe, la +part de ces événements; c'est à nous de lui prouver qu'elle +a raison dans son jugement et qu'elle se trompe dans ses +craintes.</p> + +<p>Au dehors donc comme au dedans, pour l'Europe comme +pour la France, ces sociétés, ou pour mieux dire l'état qu'elles +entretiennent, bien loin de servir la cause de notre révolution, +bien loin de seconder son mouvement, l'altèrent et le +compromettent.</p> + +<p>Quand nous nous adressons à notre législation pour lui +demander un remède à ce mal, que trouvons-nous? L'art. 291 +du Code pénal. Je me hâte de dire, et du fond de ma pensée, +que cet article est mauvais, qu'il ne doit pas figurer éternellement, +longtemps si vous voulez, dans la législation d'un +peuple libre. Sans doute, les citoyens ont le droit de se réunir +pour causer entre eux des affaires publiques. Il est bon +qu'ils le fassent, et jamais je ne contesterai ce droit; jamais +je n'essayerai d'attaquer les sentiments généreux qui poussent +les citoyens à se réunir, à se communiquer leurs sympathiques +opinions.</p> + +<p>Mais l'art. 291 n'en est pas moins aujourd'hui l'état légal +de la France, il n'en est pas moins écrit dans nos lois, quelque +vicieux qu'il soit. Ce n'est pas une de ces lois qui sont +implicitement abrogées par les principes généraux écrits dans +les Chartes. Il faut une abrogation expresse. Tant que cette +réforme législative n'a pas eu lieu, vous restez sous l'empire +des lois existantes.</p> + +<p>Je dis plus; les circonstances et les dangers ne sont pas +toujours les mêmes. Ce n'est pas toujours sur le même point +que doivent se diriger les craintes et les efforts. Aujourd'hui +le danger ne provient pas de l'application de l'art. 291. Ce +n'est pas la liberté qui est menacée. Vous pourrez réformer +cet article aussitôt que cela conviendra à l'état social, et je +souhaite que ce soit le plus tôt possible; mais évidemment il +n'y a pas urgence. Le gouvernement n'a aucune intention +contraire à la liberté. Je puis le dire hautement, car ses +actes sont d'accord avec son langage. Son intention n'est +pas d'interdire des sociétés légitimes, quelque nombreuses +qu'elles soient. Ce n'est pas à la limite du nombre que le +pouvoir s'arrêtera; il ira au fait, et là où il trouvera un +danger véritable, il appliquera l'art. 291; il conjurera ce +danger, il l'a déjà fait. (<i>Adhésion.</i>) L'arrêt de la cour royale +qui a ordonné des poursuites reçoit dès aujourd'hui son +exécution. Des citations sont données à deux personnes désignées +pour comparaître devant le tribunal de police correctionnelle. +Un projet de loi est soumis aux Chambres pour +ces sortes de délits. J'espère qu'il sera prochainement adopté, +que la cause dont il s'agit sera jugée par le jury, et que ce +sera par le jugement national que la répression aura lieu. +(<i>Adhésion générale.</i>)</p> + +<p>Messieurs, c'est dans les quinze dernières années qui viennent +de s'écouler que nous avons réellement conquis nos +libertés. Pourquoi? parce que la réforme a été lente, laborieuse, +parce que c'est au milieu des obstacles, des dangers, +en présence d'un pouvoir ennemi que nous avons vécu. Depuis +quinze ans, nous avons été obligés à la prudence, à la +patience, à la persévérance, à la mesure dans notre action; +et aussi nous avons, en quinze ans, conquis plus de liberté +qu'aucun pays n'en a conquis en un siècle.</p> + +<p>Il s'en faut donc bien que ces quinze dernières années +aient été perdues pour la France. Elles ont laissé à la France +le plus heureux, le plus précieux héritage, des moeurs libres +qui commencent à se former, l'intelligence de la vie politique +et de ses travaux. Ne sortons pas de cette voie; ne prétendons +pas emporter tout en un jour, et vouloir, le lendemain +d'une révolution miraculeuse, réaliser tout ce qu'elle +nous vaudra.</p> + +<p>Le temps viendra, et j'espère qu'il ne sera pas long, où +l'art. 291, n'étant plus motivé par l'état réel de la société, +disparaîtra de notre Code. Il existe aujourd'hui; c'est l'état +légal de la France; on en doit faire une application raisonnable, +légitime. Quiconque en ferait une mauvaise application +en serait responsable, bien que l'article soit écrit dans +les Codes, car le pouvoir répond de tous ses actes, et il est +obligé d'avoir raison, quelle que soit son action. (<i>Marques +d'adhésion.</i>)</p> + +<p>Je dis que, dans les circonstances présentes, les sociétés +populaires peuvent être dangereuses. Je crois qu'on s'exagère +leur danger, qu'elles n'ont pas fait le mal qu'on leur attribue, +mais qu'elles pourraient le faire; et, puisque le pouvoir +est armé d'un moyen légal, non-seulement il ne doit pas +l'abandonner, mais il doit s'en servir. Je répète qu'il l'a déjà +fait, et qu'il est décidé à le faire tant que l'exigeront l'intérêt +du pays et le progrès de ses libertés.</p> + +<hr> + +<p class="large">Dans la séance du 4 octobre 1830, la question se +renouvela dans la discussion du projet de loi relatif à +l'application du jury aux délits politiques et de la +presse. M. de Sade, député de l'Aisne, attaqua l'article +291 du Code pénal, et me fournit l'occasion d'exprimer +pleinement, à ce sujet, ma pensée.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Quand j'ai eu occasion de parler de l'art. 291 +du Code pénal, je n'ai point dissimulé ce que j'en pensais. J'ai +dit que je le regardais comme vicieux au fond, et devant être +réformé un jour. Ce que j'ai dit alors, je le répète aujourd'hui. +Mais j'ai dit en même temps que je ne croyais pas la +réforme opportune; que si elle était faite aujourd'hui, elle +aurait pour résultat de donner force encore plus que règle au +mouvement des sociétés populaires; que, dans les circonstances +actuelles, nous étions appelés à réprimer ces sociétés, +non à les fonder; que le moment d'assurer l'exercice plein +et régulier de ce droit viendrait, et que je serais un des premiers +alors à proposer le changement du Code pénal; mais +qu'à mon avis, il n'était point venu, et qu'il y aurait péril à +le devancer.</p> + +<p>Je persiste dans l'opinion que j'ai émise devant la Chambre. +Je reconnais en principe général le droit des citoyens de se +réunir et de s'entretenir ensemble des affaires publiques. Je +dis que, même aujourd'hui, sous l'empire de l'art. 291, +toutes les fois que ce droit sera exercé paisiblement, sans +porter atteinte à l'ordre public, l'administration n'en prendra +nul ombrage. C'est ce qui a lieu dans plusieurs réunions que +le public ignore, qui ne font point de bruit, n'ont aucun +caractère révolutionnaire, et discutent cependant sérieusement +et sincèrement de grandes questions politiques. Elles +subsistent, elles discutent librement, tranquillement, et le +gouvernement ne s'enquiert pas avec une puérile rigidité du +nombre de leurs membres. Il lui suffit qu'elles n'alarment +point le pays, qu'elles ne troublent point l'ordre public. Il +n'entend point appliquer absolument et sans discernement +l'art. 291; mais il pense que, dans l'état actuel des affaires +et des esprits, c'est un devoir pour lui de retenir cet article +qu'il trouve écrit dans les lois, et d'en faire, si le besoin s'en +manifeste, l'application aux réunions par lesquelles la paix +publique et la marche régulière de nos institutions seraient +menacées.</p> + +<p>Ce que je pensais et disais il y a quelques jours, messieurs, +je le pense donc et le redis aujourd'hui. Je crois l'art. 291 +peu conforme aux maximes et aux habitudes d'un pays libre; +je désire que la réforme en soit prochaine. Mais partout où +l'ordre public sera compromis, partout où l'on cherchera à +l'ébranler, partout où la population tranquille, laborieuse, +s'alarmera et redoutera l'esprit révolutionnaire, les réunions +qui se formeraient contre les dispositions légales, et qui produiraient +de tels effets, seront réprimées; c'est en maintenant +l'ordre que nous réussirons vraiment à fonder la liberté.</p> + +<a name="XIII" id="XIII"></a> +<br><br> +<h3>XIII</h3> + +<p class="mid">Discussion du projet de loi relatif à l'application du jury +aux délits de la presse et aux délits politiques.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 4 octobre 1830.--</p> + +<p class="large">L'article final de la Charte de 1830 avait classé l'application +du jury aux délits de la presse et aux délits +politiques parmi les réformes nécessaires et promises. +Le comte Siméon en prit l'initiative dans la Chambre +des pairs et développa, le 6 septembre 1830, les motifs +d'un projet de loi destiné à accomplir cette promesse. +Adopté par la Chambre des pairs et transmis le 20 septembre +à la Chambre des députés, ce projet y fut adopté, +le 4 octobre, avec quelques amendements que la Chambre +des pairs adopta à son tour. Un amendement proposé +par M. de Schonen, et qui ne fut point adopté, portait: +«La loi du 25 mars 1822 est abrogée. En conséquence, +les dispositions des lois du 17 et du 26 mai, et du 9 juin +1819, abrogées par elle, reprendront force et vigueur.» +Je pris la parole pour le combattre:</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Ce ne sera pas moi qui +désavouerai la loi du 17 mai 1819, et qui craindrai de voir +la législation de la presse retourner vers cette origine. J'ai eu +l'honneur de participer à la loi de 1819, la plus sincère, je +n'hésite pas à le dire, qui ait été rendue dans aucun pays sur +la liberté de la presse, et en même temps la plus efficace, la +plus conforme au régime constitutionnel.</p> + +<p>Cependant je ne crois pas qu'il soit possible de venir, par +un simple amendement, supprimer une loi tout entière qui +a réglé la liberté de la presse depuis que la loi de 1819 a +cessé d'être en vigueur. Dans le projet qui vous est soumis +aujourd'hui, il ne s'agit pas d'une législation générale en +matière de presse, il s'agit seulement d'un changement de +juridiction. Le rapporteur de votre commission vous l'a déjà +fait remarquer, on ne fait ici que transporter, de la police correctionnelle +au jury, la connaissance des délits de la presse. +C'est une loi d'attribution, une loi de juridiction; rien de +moins, mais rien de plus.</p> + +<p>Or, l'amendement qui vous est proposé tend à changer +toute la législation de la presse, à abolir tout ce qui s'est fait +sur cette matière depuis 1819. Je ne dis pas qu'il ne faille +pas le faire; je ne dis pas que les lois postérieures à celle de +1819 ne doivent pas être changées; pour mon propre compte, +je le pense, et peut-être suis-je intéressé à le penser; mais +je ne crois pas que ce changement puisse se faire immédiatement +et sans de mûres délibérations.</p> + +<p>Pour prouver la nécessité de son amendement, l'honorable +préopinant vous a cité, dans la loi du 25 mars 1822, l'art. 2, +qui punit toute attaque contre la dignité royale, l'ordre de la +successibilité au trône, les droits que le Roi tient de sa naissance, +et ceux en vertu desquels il a donné la Charte. Il est +évident que cet article est incompatible avec notre nouvel +ordre de choses, avec ce qui se passe en France depuis deux +mois, et qu'il doit être extirpé de notre législation. Un projet +de loi est déjà préparé à cet effet, et sera porté demain probablement +à la Chambre des pairs.</p> + +<p>Il aurait même été déjà présenté sans des circonstances +accidentelles qui ont entraîné quelque retard. Mais ce projet +prouvera qu'il est impossible d'abolir purement et simplement +l'art. 2 de la loi de 1822, et qu'il faut y substituer des dispositions +nouvelles. De grands événements se sont accomplis, +il y a deux mois; il faut qu'ils soient consacrés dans la loi, +et que le principe de notre révolution de Juillet soit substitué +au principe de la loi de 1822. Il faut que la nouvelle loi +déclare que toute attaque contre le Roi, contre les droits qu'il +tient du voeu de la France, voeu formellement exprimé par la +déclaration des Chambres et de la Charte constitutionnelle +par lui acceptée et jurée le 9 août 1830, sera punie. Il faut +que le principe de notre révolution, qui a fondé l'ordre de +choses actuel tout entier sur le consentement et des Chambres +et du pays, devienne le principe de la législation de la +presse. Il ne suffit donc pas de retourner purement et simplement +à la législation de 1819, et d'abolir toutes les lois +postérieures. Il y a des dispositions nouvelles à prescrire, et +elles ne sauraient être improvisées.</p> + +<p>D'autres motifs encore s'opposent à l'amendement. La loi +de 1822 contient des dispositions qui, si elles étaient abolies, +ne se retrouveraient pas dans celle de 1819 et sont pourtant +nécessaires; par exemple, celle qui punit l'infidélité dans le +compte rendu des séances des Chambres et des tribunaux. +Il n'y a dans la législation de 1819 absolument rien à ce +sujet. Supprimerez-vous cette disposition sans pourvoir à +son remplacement?</p> + +<p>Quant à celle qui dit que la Chambre offensée pourra, sur +la réclamation d'un de ses membres, punir elle-même l'auteur +de l'outrage, je n'entends pas entrer d'avance dans la +discussion qui aura lieu sans doute à ce sujet quand viendra +l'art. 3 du projet qui vous est soumis. Mais j'ai besoin de +dire tout de suite, qu'à mon avis, ce système est bon; je +crois qu'un pouvoir souverain doit être chargé du soin de sa +propre dignité et en état de la défendre; il s'emparera de ce +droit si la législation ne le lui reconnaît pas. Il vaut infiniment +mieux le lui reconnaître légalement. On sera bien plus +sûr de la modération et de la réserve qu'il mettra dans sa +propre défense, s'il est légalement armé du droit d'y pourvoir, +que si vous l'obligez à l'envahir violemment, et à débuter +par un acte de tyrannie.</p> + +<p>Ce droit est accordé dans notre législation, messieurs, +non-seulement aux Chambres, mais aussi aux pouvoirs judiciaires. +Les tribunaux aussi ont le droit de protéger leur +dignité; et ce n'est pas seulement un droit, c'est un devoir: +toutes les fois que les tribunaux se laisseront insulter, qu'ils +se laisseront insulter publiquement, ils méconnaîtront non-seulement +leur droit, mais encore leur devoir. Personne n'a +le droit d'insulter les tribunaux du pays. On peut blâmer, à +telle ou telle époque, la conduite de la magistrature; on +peut critiquer tel jugement prononcé par tel tribunal; mais +quel bon citoyen se croira permis d'injurier les pouvoirs +publics dans l'exercice de leurs fonctions? (<i>Vif mouvement +d'adhésion.</i>)</p> + +<p>Il y a deux choses distinctes dans un pouvoir public: les +personnes et le pouvoir lui-même. Or l'injure s'étend au +caractère public dont la personne est revêtue. Ce caractère, +messieurs, doit toujours être respecté, car il est respectable +en lui-même. Il est donc du devoir des tribunaux de se protéger +contre l'insulte, et c'est alors la société tout entière +qu'ils protègent. (<i>Bravo! bravo!</i>)</p> + +<p>Ce n'est donc pas sans une mûre discussion, et sans en +bien peser les conséquences, que vous devez rayer de votre +législation l'article qui donne aux corps souverains le droit +de protéger leur dignité. On a parlé de l'abus possible. Sans +doute l'abus est possible; mais certes, il n'a pas été grand en +France depuis quinze ans. Il n'y a qu'un seul exemple d'une +poursuite pareille. C'est là un pouvoir dont les grands corps +ne doivent faire que rarement usage; mais il importe qu'ils +n'en soient pas dépouillés.</p> + +<p>Je le répète, messieurs, l'amendement qui vous est proposé +a pour objet de refaire la législation de la presse tout +entière, la législation pénale, la procédure, la juridiction. +Je pense, comme son auteur, que la loi de 1822 contient des +dispositions très-vicieuses, qu'elle est bien moins bonne que +celle de 1819. Je viens d'entretenir la Chambre des dispositions +dont le gouvernement sent la nécessité et qu'il se propose +de substituer à celles qui sont maintenant en vigueur. +Mais je ne crois pas qu'une semblable réforme puisse être +introduite dans nos lois, par voie d'amendement à un projet +qui n'a pour but que de transférer au jury l'attribution des +tribunaux correctionnels.</p> + +<hr> + +<p class="large">Par un autre amendement, M. Villemain proposa le +même jour que l'article 12 de la loi du 25 mars 1822, +qui portait que toute publication, vente ou mise en +vente, exposition, distribution, sans autorisation préalable +du gouvernement, de dessins gravés ou lithographiés +serait, par ce seul fait, punie d'un emprisonnement, +etc., fût abrogé. J'appuyai cette proposition, qui +fut adoptée, et la nouvelle loi fut promulguée le 8 octobre +1830.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Quand les réformes +offrent des difficultés réelles, quand elles ont besoin d'être +coordonnées avec une législation existante, je ne crois pas +qu'il faille en improviser. C'est la doctrine que je professerai +constamment à cette tribune. Mais quand elles sont simples, +faciles, quand elles ont au contraire pour résultat de mettre +la loi spéciale dont on s'occupe en harmonie avec la loi générale, +je ne connais aucune bonne raison pour les retarder.</p> + +<p>La censure a disparu complétement de la législation. C'est +uniquement dans le cas dont il s'agit qu'il en reste une trace.</p> + +<p>Il n'y a pas de motif qui empêche de l'effacer, il importe +que le mot <i>censure</i> ne se trouve plus dans aucune de nos lois; +elle ne doit pas s'exercer sur les gravures et les lithographies, +pas plus que sur les écrits; je ne vois donc rien qui +s'oppose à l'adoption de l'amendement.</p> + +<a name="XIV" id="XIV"></a> +<br><br> +<h3>XIV</h3> + +<p class="mid">Présentation du projet de loi relatif aux récompenses nationales +à accorder aux victimes de la révolution de Juillet 1830.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 9 octobre 1830.--</p> + +<p class="large">Ce projet, adopté par les deux Chambres avec quelques +amendements, fut promulgué comme loi le +13 décembre 1830.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, il tardait +au Roi comme à vous de sanctionner, par une mesure +législative, le grand acte de reconnaissance nationale que la +patrie doit aux victimes de notre révolution. J'ai l'honneur +de vous la présenter.</p> + +<p>La commission des récompenses nationales, instituée en +vertu de la loi du 5 août dernier, et animée d'un patriotisme +infatigable, a réuni les nombreux éléments qui nous +permettront enfin de rendre à l'héroïsme désintéressé cette +éclatante justice. C'est en parcourant le relevé funèbre qui +constate tant de malheur et de dévouement qu'on apprend +à connaître le prix d'une liberté qu'il a fallu payer si cher.</p> + +<p>Messieurs, d'après les renseignements recueillis avec soin +dans les divers arrondissements de Paris, nos trois grandes +journées ont coûté à plus de 500 orphelins leurs pères, à +plus de 300 veuves leurs maris, à plus de 300 vieillards +l'affection et l'appui de leurs enfants; 311 citoyens resteront +mutilés et incapables de reprendre leurs travaux; 3,564 +blessés auront eu à supporter une incapacité temporaire. +C'est à la France libre et reconnaissante qu'il appartient, +autant du moins qu'il est en son pouvoir, de réparer ces +désastres.</p> + +<p>L'article 1<sup>er</sup> du projet de loi vous propose d'accorder une +pension annuelle et viagère de 500 francs aux veuves des +citoyens morts dans les trois journées des 27, 28 et 29 +juillet, ou par suite des blessures qu'ils ont reçues à cette +époque.</p> + +<p>La France devait à ces généreuses victimes d'adopter leurs +enfants orphelins. Jusqu'à l'âge de sept ans, ils recevront +une somme de 250 francs par année, et resteront confiés +aux soins de leurs mères, ou, au besoin, à ceux d'un parent +ou d'un ami qui sera désigné par un conseil de famille. +Depuis sept ans jusqu'à dix-huit, ils auront droit à un nouveau +bienfait, celui d'une éducation utile et gratuite, qui +assure leur existence à venir.</p> + +<p>Les pères et mères âgés de plus de soixante ans, ou ceux +à qui leurs infirmités ne laissaient d'autres moyens d'existence +que les secours de la pitié filiale, ont droit aussi à votre +sollicitude. Leurs enfants qui ont sacrifié leur vie pour la +liberté ont assez fait pour que la France se charge d'acquitter +la dette qu'ils lui ont léguée en mourant. Leurs parents recevront +une pension annuelle et viagère de 300 francs.</p> + +<p>Depuis longtemps la France est dotée d'un établissement +où elle recueille les soldats mutilés sur le champ de bataille. +Messieurs, les braves qui ont reçu, dans les rues de Paris, des +blessures entraînant la perte ou l'incapacité d'un membre +ont gagné les Invalides sur le plus beau champ de bataille. +Les vieux guerriers qui habitent cet asile de la gloire les +accueilleront avec transport dans leurs rangs. S'il est des +citoyens que des affections de famille retiennent dans leurs +foyers, il est juste de leur accorder une pension qui soit l'équivalent +des frais que leurs frères coûteront à l'État.</p> + +<p>Quant à ceux que leurs blessures n'ont pas mis dans +l'impossibilité de travailler, il a paru convenable de leur +accorder une indemnité une fois payée, dont la commission +des récompenses nationales sera chargée de fixer le montant.</p> + +<p>La même mesure devrait être prise en faveur des familles +qui ont été privées de leur travail pendant les journées de +juillet. La commission a même senti la nécessité de prévenir +votre intention bien connue, en distribuant des secours provisoires +à ceux qui n'auraient pu attendre la sanction de +cette loi.</p> + +<p>C'est pour subvenir à ces diverses dépenses que le Roi +nous a chargé de vous demander d'ouvrir au ministère de +l'intérieur un crédit de sept millions, sur lesquels quatre +millions six cent mille francs seront convertis en rentes +annuelles et viagères, sauf à réduire, s'il y a lieu, cette +somme d'après l'état qui sera dressé par la commission des +récompenses nationales. Le surplus des sept millions sera +employé à acquitter le montant des indemnités et des secours +une fois payés.</p> + +<p>Messieurs, en adoptant les mesures que j'ai l'honneur de +vous proposer, vous assurerez des existences qui sont devenues +sacrées pour le peuple français. Il y a un autre moyen +de donner aux défenseurs de Paris un nouveau témoignage +de la reconnaissance publique. Parmi les citoyens qui ont +survécu à leurs efforts, la France est sûre de trouver de +braves guerriers. La commission des récompenses sera +chargée de désigner ceux que le ministre de la guerre +pourra proposer au Roi pour le grade de sous-lieutenant. La +campagne des trois jours sera leur titre d'ancienneté.</p> + +<p>La loi du 30 août a ordonné de frapper une médaille +destinée à consacrer le souvenir de notre révolution. Cette +médaille sera distribuée à tous les citoyens désignés par la +commission.</p> + +<p>Enfin, il a paru convenable d'accorder, à ceux qui se sont +spécialement distingués dans le mouvement de notre délivrance, +une décoration spéciale, glorieuse marque de leurs +services personnels, et à laquelle les honneurs militaires +seront rendus comme à la Légion d'honneur.</p> + +<p>Messieurs, la loi qui vous est proposée, pour être digne +de la France et des généreux citoyens qui en sont l'objet, +devait beaucoup faire pour l'honneur et rien de plus que le +nécessaire pour une pauvreté qui a l'orgueil de l'héroïsme. +Il n'eût pas été possible de faire accepter un don; il était +juste de payer une dette sacrée. La postérité dira que la +France libre a récompensé une population de héros en donnant +aux morts une tombe, aux blessés un asile, aux orphelins +l'éducation qu'auraient souhaitée pour eux leurs +parents.</p> + +<h4>PROJET DE LOI.</h4> + +<p><span class="sc">Louis-Philippe</span>, roi des Français,</p> + +<p>A tous présents et à venir, salut:</p> + +<p>Nous avons ordonné et ordonnons que le projet de loi +dont la teneur suit sera présenté à la Chambre des députés +par notre ministre secrétaire d'État au département de l'intérieur, +que nous chargeons d'en exposer les motifs et d'en +soutenir la discussion.</p> + +<p>Art. 1<sup>er</sup>. Les veuves des citoyens morts dans les journées +des 27, 28 et 29 juillet, ou par suite des blessures qu'ils ont +reçues dans ces mêmes journées, recevront de l'État une +pension annuelle et viagère de 500 francs, qui commencera +à courir du 1<sup>er</sup> janvier 1831.</p> + +<p>Art. 2. La France adopte les orphelins, fils des citoyens +morts pendant les trois journées, ou par suite des trois journées +de juillet. Une somme de 250 francs par année est +affectée pour chaque enfant au-dessous de sept ans, lequel +sera confié aux soins de sa mère, ou, au besoin, à ceux d'un +parent ou d'un ami choisi par le conseil de famille.</p> + +<p>Depuis sept ans jusqu'à dix-huit, les enfants seront élevés +dans des établissements spéciaux, où ils recevront une éducation +convenable à leur sexe, et propre à assurer leur +existence à venir.</p> + +<p>Art. 3. Les pères et mères âgés de plus de soixante ans, +ou infirmes, et dont l'état malheureux sera constaté, et qui +auront perdu leurs enfants dans les journées des 27, 28 et +29 juillet, recevront de l'État une pension annuelle viagère +de 300 francs, réversible sur le survivant.</p> + +<p>Art. 4. Les Français qui, dans les journées de juillet, +ont reçu des blessures entraînant la perte ou l'incapacité +d'un membre, seront admis à l'hôtel des Invalides, ou toucheront, +à leur choix, dans leurs foyers, la pension qui leur +sera accordée.</p> + +<p>Toutes les dispositions relatives à la quotité de la pension +des invalides leur seront applicables.</p> + +<p>Art. 5. Les citoyens que leurs blessures n'ont point mis +hors d'état de travailler recevront une indemnité une fois +payée dont le montant sera, pour chacun d'eux, déterminé +par la commission des récompenses nationales.</p> + +<p>Art. 6. Il sera également accordé une indemnité aux +citoyens non blessés, dont les familles ont été privées du +produit de leur travail pendant les journées de juillet. Cette +indemnité sera, pour chaque citoyen, déterminée par la +commission des récompenses nationales.</p> + +<p>Art. 7. En conséquence des dispositions qui précèdent, et +pour acquitter en même temps le montant des secours provisoires +délivrés aux blessés ou aux familles des victimes des +journées de juillet, un crédit de 7 millions est ouvert au +ministre de l'intérieur.</p> + +<p>Sur ce crédit, 4 millions 600,000 francs seront convertis +en rentes annuelles et viagères, sauf à réduire, s'il y a lieu, +cette allocation d'après l'état qui sera dressé par la commission +des récompenses nationales.</p> + +<p>Le surplus de cette somme sera consacré à acquitter le +montant des indemnités et des secours une fois payé, d'après +les états dressés par la commission.</p> + +<p>Art. 8. Pourront être nommés sous-lieutenants dans l'armée +ceux qui, s'étant particulièrement distingués dans les +journées de juillet, seront, d'après le rapport de la commission, +jugés dignes de cet honneur.</p> + +<p>Art. 9. La médaille ordonnée par la loi du 30 août sera +distribuée à tous les citoyens désignés par la commission.</p> + +<p>Art. 10. Une décoration spéciale sera accordée à tous les +citoyens qui se sont distingués dans les journées de juillet; +la liste de ceux qui doivent la porter sera dressée par la commission, +et soumise à l'approbation du Roi.</p> + +<p>Les honneurs militaires leur seront rendus comme à la +décoration de la Légion d'honneur.</p> + +<p>Paris, le 9 octobre 1830.<br> + +<span class="rig">LOUIS-PHILIPPE.</span> + +<p>Par le roi:</p> + +<p><i>Le ministre secrétaire d'État au<br> +département de l'intérieur,</i><br> + +<span class="rig"><span class="sc">Guizot.</span></span></p> + +<a name="XV" id="XV"></a> +<br><br><br> + +<h3>XV</h3> + +<p class="mid">Présentation de deux projets de loi relatifs à l'organisation +de la garde nationale sédentaire et de la garde nationale +mobile.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 9 octobre 1830.--</p> + +<p class="large">Ces deux projets, longuement discutés et amendés +dans les deux Chambres, aboutirent à une loi générale +promulguée le 22 mars 1831, sous le ministère de +M. Casimir Périer.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, le Roi nous +a ordonné de vous présenter deux projets de loi relatifs à +l'organisation de la garde nationale sédentaire et de la garde +nationale mobile.</p> + +<p>L'importance de ces deux projets n'a pas besoin d'être démontrée; +ils sont évidemment appelés par les plus pressants +intérêts et les voeux unanimes de la France. Ils donneront, +pour garantie à l'indépendance extérieure et à l'ordre intérieur, +les forces de toute la nation. Ils fonderont sur les plus +larges bases la dignité et le repos du pays.</p> + +<p>Nous regrettons que l'ajournement si prochain de la Chambre +ne nous permette pas de lui exposer aujourd'hui avec +détail les motifs qui ont présidé à la rédaction de ces deux +projets de loi. Ces motifs, qui se présenteront, du reste, +naturellement à vos esprits, seront expliqués dans les rapports +soumis au Roi à ce sujet, et qui seront incessamment publiés.</p> + +<p>Le Roi a voulu qu'avant de se séparer, la Chambre reçût +la présentation des dispositions essentielles qui nous paraissent +devoir régler désormais cette grande institution nationale. +Les mesures législatives nécessaires pour compléter le +système seront successivement proposées aux Chambres, et +rien ne manquera plus bientôt à l'organisation à la fois militaire +et pacifique de notre pays.</p> + +<p class="mid">PROJET DE LOI.</p> + +<p><span class="sc">Louis-Philippe</span>, roi des Français,</p> + +<p>A tous présents et à venir, salut.</p> + +<p>Nous avons ordonné et ordonnons que le projet de loi dont +la teneur suit sera présenté en notre nom à la Chambre des +députés par notre Ministre secrétaire d'Etat au département +de l'intérieur, que nous chargeons d'en exposer les motifs +et d'en soutenir la discussion.</p> + +<p class="mid">SECTION I<sup>re</sup>.</p> + +<p>Art. 1<sup>er</sup>. La garde nationale mobile est l'auxiliaire de +l'armée pour la défense du territoire et la garde des frontières, +pour repousser l'invasion et maintenir l'ordre public +dans l'intérieur.</p> + +<p>Art. 2. La garde nationale mobile est composée de citoyens +détachés de la garde nationale sédentaire et répartis +dans des corps organisés, conformément à la présente loi.</p> + +<p>Art. 3. La mise en activité de la garde nationale mobile +ne pourra avoir lieu qu'en vertu d'une loi, et, pendant l'absence +des Chambres, qu'en vertu d'une ordonnance du +Roi, qui sera convertie en loi à la plus prochaine session.</p> + +<p>Art. 4. Seront susceptibles d'être appelés à faire partie de +la garde nationale mobile tous les Français âgés de vingt ans +accomplis à trente ans révolus, inscrits au registre matricule +de la garde nationale sédentaire, quels que soient leurs grades +dans ladite garde.</p> + +<p>Art. 5. Les gardes nationaux seront désignés dans l'ordre +suivant:</p> + +<p>Les moins âgés;<br> + +Les célibataires;<br> + +Les veufs sans enfants;<br> + +Les mariés sans enfants;<br> + +Les mariés avec enfants;<br> + +Les veufs avec enfants.</p> + +<p>Le nombre des enfants, la nécessite pour les gardes nationaux +de rester à la tête d'une grande exploitation agricole +et industrielle, seront appréciés ainsi qu'il sera expliqué +ci-après.</p> + +<p>Art. 6. La désignation des gardes nationaux appelés sera +faite par le conseil de recensement. En cas de réclamation, +il sera statué par le jury d'équité.</p> + +<p>Art. 7. L'aptitude au service sera jugée par un conseil +de révision qui se réunira dans le lieu où devra se former le +bataillon.</p> + +<p>Ce conseil se composera de sept membres, savoir:</p> + +<p>Le préfet, président, et, à son défaut, le conseiller de préfecture +qu'il aura désigné;</p> + +<p>Trois membres du conseil de recensement, désignés par le +préfet;</p> + +<p>Le chef de bataillon;</p> + +<p>Et deux des capitaines dudit bataillon, nommés par le +général commandant la subdivision militaire ou le département.</p> + +<p class="mid">SECTION II.</p> + +<p class="mid">EXEMPTIONS ET REMPLACEMENTS.</p> + +<p>Art. 8. Seront exemptés du service de la garde nationale +mobile:</p> + +<p>1º Ceux qui n'ont pas la taille d'un mètre cinquante-sept +centimètres.</p> + +<p>2º Ceux que des infirmités constatées rendent impropres +au service.</p> + +<p>Le conseil de recensement, et, en cas de contestation, le +jury d'équité prononcera sur ces exemptions et sur toutes +celles qui seraient demandées pour quelque cause que ce +soit.</p> + +<p>Art. 9. Les gardes nationaux qui se sont fait remplacer +dans l'armée ne sont pas dispensés du service de la garde +nationale mobile.</p> + +<p>Art. 10. Les remplacements dans la garde nationale mobile +ne seront admis que pour les causes soumises au jugement +du conseil de recensement, et, en cas de contestation, +à celui du jury d'équité.</p> + +<p>Le remplaçant devra être agréé par le conseil de recensement +et par le conseil de révision.</p> + +<p>Le remplacé sera tenu d'habiller le remplaçant, de l'armer +et de l'équiper à ses frais.</p> + +<p>Art. 11. Les remplaçants seront pris parmi les hommes +de vingt à trente-cinq ans, et même de trente-cinq à quarante, +s'ils ont été militaires.</p> + +<p>Art. 12. Si le remplaçant qui a moins de trente ans est +appelé à servir pour son compte dans la garde nationale mobile, +le remplacé sera tenu d'en fournir un autre, ou de +marcher lui-même.</p> + +<p>Art. 13. Le remplaçant ne pourra être pris que dans l'arrondissement +où le remplacé est domicilié.</p> + +<p>Art. 14. Le remplacé sera, pour le cas de désertion, responsable +de son remplaçant.</p> + +<p class="mid">SECTION III.</p> + +<p class="mid">FORMATION DES BATAILLONS.</p> + +<p>Art. 15. La garde nationale mobile sera organisée par +bataillons.</p> + +<p>Le gouvernement pourra les réunir en légions.</p> + +<p>Art. 16. Les caporaux et sous-officiers, les sous-lieutenants +et lieutenants seront élus par les gardes nationaux.</p> + +<p>Les autres officiers seront à la nomination du Roi.</p> + +<p>Art. 17. Tous les officiers à la nomination du Roi pourront +être pris indistinctement dans la garde nationale, dans +l'armée ou parmi les militaires en retraite.</p> + +<p>Art. 18. Il pourra être formé des compagnies de grenadiers +et de voltigeurs lorsque le Roi le jugera convenable.</p> + +<p>Art. 19. Il y a aura un drapeau par bataillon de <i>cinq cents +hommes</i>.</p> + +<p>Le drapeau portera le nom du département qui aura fourni +le bataillon.</p> + +<p class="mid">SECTION IV.</p> + +<p class="mid">DE LA DISCIPLINE.</p> + +<p>Art. 20. Lorsque les corps de la garde nationale mobile +seront organisés, ils seront soumis à la discipline militaire.</p> + +<p>Art. 21. Toutefois, dans le cas où les gardes nationaux +refuseraient d'obtempérer à la réquisition, et dans celui où +ils quitteraient leurs corps sans autorisation, ils ne seront +punis que d'un emprisonnement qui ne pourra excéder cinq +ans.</p> + +<p class="mid">SECTION V.</p> + +<p class="mid">DE L'ADMINISTRATION.</p> + +<p>Art. 22. La garde nationale mobile est assimilée, pour la +solde et les prestations en nature, à la troupe de ligne.</p> + +<p>Une ordonnance du Roi déterminera les masses et les accessoires +de la solde.</p> + +<p>Les officiers, sous-officiers et soldats jouissant d'une pension +de retraite la cumuleront temporairement avec la +solde d'activité des grades qu'ils auront obtenus dans la +garde nationale mobile.</p> + +<p>Art. 23. L'uniforme et les marques distinctives de la +garde nationale mobile sont les mêmes que ceux de la garde +nationale sédentaire.</p> + +<p>Le gouvernement fournira l'armement et l'équipement +aux gardes nationaux qui n'en seraient pas pourvus, ou qui +n'auraient pas les moyens de s'équiper et de s'armer à leurs +frais.</p> + +<p>Art. 24. Les gardes nationales mobiles auront les mêmes +droits que les troupes de ligne aux honneurs et récompenses +militaires.</p> + +<p>Art. 25. Des ordonnances du Roi détermineront l'organisation +des bataillons et compagnies, le nombre et le grade +des officiers, la composition et l'installation des conseils +d'administration.</p> + +<p class="rig">LOUIS-PHILIPPE.</p><br> + +<p>Par le roi:</p> + +<p><i>Le ministre secrétaire d'État de l'intérieur,</i> + +<span class="rig"><span class="sc">Guizot.</span></span></p> +<br> +<a name="XVI" id="XVI"></a> +<br><br> + +<h3>XVI</h3> + +<p class="mid">Discussion du projet de loi relatif à l'ouverture d'un crédit +de trente millions pour prêts et avances au commerce.</p> + +<p class="mid">--Chambre des pairs.--Séance du 16 octobre 1830.--</p> + +<p class="large">Le 18 septembre 1830, le baron Louis, ministre des +finances, proposa à la Chambre des députés un projet +de loi destiné à donner au gouvernement les moyens +de venir en aide, par des prêts et des avances, au commerce +et à l'industrie gravement ébranlés par la révolution. +Ce projet, adopté avec divers amendements par +la Chambre des députés, le 8 octobre 1830, fut porté à +la Chambre des pairs où il rencontra des objections que +réfutèrent M. de Barante et M. Lainé. Je pris la parole +après eux, pour le soutenir au nom du gouvernement. +Il fut adopté et promulgué, comme loi, le 17 octobre +1830.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Après ce que vous +venez d'entendre, il me reste peu de chose à dire, et je ne +prendrais pas la parole si quelques explications n'étaient +devenues indispensables. C'est au nom des principes qu'on +repousse le projet: c'est comme exception qu'on le défend. +Je crois, Messieurs, que les principes sont moins intéressés +dans cette cause qu'on ne semble le croire. Les principes ne +sont pas toujours si absolus qu'ils embrassent tous les faits +qui se présentent. Si on considère la loi qui nous occupe sous +le point de vue purement économique, sans doute les principes +d'économie politique devraient seuls lui être applicables. +Mais il me semble que la question n'est pas purement une +question d'économie politique.</p> + +<p>Quel est le fait qui se développe en ce moment? C'est une +crise industrielle et commerciale au milieu d'une crise politique. +La crise industrielle et commerciale peut remonter à +une époque fort éloignée; elle peut se rattacher et se rattache +en effet à des causes tout à fait indépendantes de la politique, +et sur lesquelles le pouvoir n'a aucune action; l'excès de la +production sur la consommation, les moyens de rétablir +l'équilibre sont des faits étrangers à l'action du gouvernement, +qui ne proviennent pas de lui, et auxquels il ne peut +porter aucun remède.</p> + +<p>Mais ce n'est pas de ces faits-là qu'il s'agit. La crise commerciale +et industrielle a éclaté au milieu d'une crise politique +survenue tout récemment: si la crise politique n'a fait +que développer plus promptement les effets de la crise industrielle +et commerciale, peu importe. Il n'en est pas moins +certain que la crise politique intervient dans la question, +que c'est un fait dont il est impossible de ne pas tenir +compte. Le projet de loi sur lequel vous délibérez ne vous +aurait pas été présenté s'il n'y avait pas eu une crise politique +qui fût venue compliquer la question. Ce n'est pas dans +l'état commercial et industriel qu'on doit chercher la solution +de la question, c'est dans l'influence de la crise politique sur +l'état du commerce et de l'industrie. Eh bien! quelle a été +cette influence? Elle a eu pour résultat de répandre la défiance, +d'altérer la sécurité dans l'avenir; la sécurité, élément +indispensable des opérations industrielles et commerciales. Il +ne suffit pas que l'industrie trouve l'emploi des capitaux, +que la consommation vienne absorber ce que l'industrie produit, +il faut que les capitaux aient confiance dans les emplois +que l'industrie leur offre; il faut que les capitaux répondent +aux offres que leur fait l'industrie. Or, on conçoit qu'il y ait +des cas où, bien que les capitaux trouvassent un emploi avantageux, +où la consommation allât au-devant de la production, +le défaut de sécurité soit cependant tel et l'inquiétude sur +l'avenir si réelle que les capitaux se refusent à la provocation +qui leur est faite.</p> + +<p>Eh bien! cet état de défiance, ce défaut de sécurité dans +l'avenir existent: ils sont le résultat, non pas de la crise économique, +mais uniquement de la crise politique; et c'est +uniquement à cette nouvelle cause de perturbation dans les +transactions industrielles et commerciales que le gouvernement +peut être appelé à porter secours.</p> + +<p>De quoi s'agit-il en effet? Il s'agit de rétablir la balance +de l'ordre, la sécurité de l'avenir, de donner au moins aux +transactions industrielles et commerciales le temps d'attendre +que la sécurité reparaisse, que la confiance se rétablisse. Le +gouvernement a bien des manières de rétablir la sécurité, de +rendre la confiance; sa conduite tout entière et toutes ses +mesures politiques tendent à ce but; mais on conviendra, ce +me semble, que la première condition de la renaissance de la +sécurité, c'est l'ordre public, c'est la paix matérielle dans la +société. Au milieu de toutes les mesures et de tous les moyens +que le gouvernement peut employer pour ramener la confiance, +si l'ordre public était matériellement troublé par des +émeutes populaires ou par tout autre événement de ce genre, +il est clair que les mesures que le gouvernement prendrait +seraient déjouées, et qu'elles ne tireraient pas la société de +l'état de crise momentané dans lequel elle se trouve.</p> + +<p>Le premier résultat que le gouvernement doit chercher à +atteindre, c'est le maintien constant, permanent, de l'ordre +matériel, de la tranquillité matérielle dans la société. L'ordre +matériel peut être troublé par le défaut d'emploi de la population +laborieuse. Si la classe laborieuse commettait des désordres, +le gouvernement a des moyens de les réprimer, et ne +manquerait pas de s'en servir. Mais le malheur serait immense; +il faut tout faire pour l'éviter. Et sans parler de +désordres, si la classe laborieuse tombait dans la détresse, il +faudrait bien que la charité publique vînt à son secours. Or +il y a des moyens d'empêcher qu'elle ne tombe dans la détresse; +c'est d'entretenir le travail, en attendant que l'état +ordinaire des choses se rétablisse, que les transactions commerciales +et industrielles aient repris leur cours.</p> + +<p>C'est là l'unique objet du projet de loi. Il ne propose pas +de rétablir la prospérité du commerce, de vivifier l'industrie, +de lui assurer des débouchés; le gouvernement sait bien que +de tels résultats sont au-dessus de son action, et que les +éléments de prospérité sont si variés qu'il n'est pas en son +pouvoir d'agir avec efficacité. C'est uniquement un résultat +spécial et momentané qu'il se propose.</p> + +<p>Le projet de loi a pour but, soit qu'il s'adresse à l'industrie +ou au commerce, de prévenir des malheurs momentanés, +d'assurer du travail pendant un temps dont il est impossible +de fixer la durée, non à tous les ouvriers qui en manquent, +mais à un certain nombre d'ouvriers et sur quelques points +où des désordres entraîneraient les plus graves conséquences.</p> + +<p>Ce n'est pas un secours adressé au commerce en général, +à l'industrie tout entière; c'est une force mise à la disposition +du gouvernement pour venir, pendant un certain temps, au +secours de l'industrie et du commerce, dont la cessation immédiate +causerait de grands malheurs.</p> + +<p>C'est là, messieurs, je crois, le véritable caractère, les +étroites limites sous lesquelles le projet de loi se présente. Le +gouvernement est appelé à avoir dans l'avenir plus de confiance +que telle ou telle partie de la population; il sait mieux +que qui que ce soit que les causes de trouble auront disparu +dans un certain temps. Le gouvernement vient donc ici +donner l'exemple de la confiance. Sûr de son avenir et de +l'avenir de la société, il vient au secours d'un certain nombre +d'industries particulières, d'une certaine classe qui n'a pas +les moyens d'avoir la même confiance.</p> + +<p>C'est un exemple de confiance dans l'avenir que donne le +gouvernement, pour laisser par là à la confiance de tous le +temps de renaître. Le but du projet de loi, je le dis encore +une fois, est restreint, momentané; il n'a point des prétentions +aussi générales et aussi longues qu'on l'avait cru; il a été +déterminé par une nécessité particulière: il ne se propose +pas de revivifier le commerce tout entier, mais d'empêcher +de grands malheurs particuliers, qui, en faisant explosion, +pourraient amener des circonstances graves, quoique momentanées.</p> + +<p>C'est dans ce seul but que le projet de loi a été conçu; +c'est dans ce sens que nous le défendons et que nous en +proposons l'adoption immédiate.</p> + +<a name="XVII" id="XVII"></a> +<br><br> +<h3>XVII</h3> + +<p class="mid">Discussion d'une proposition relative au cautionnement et aux +droits de timbre et de poste imposés aux journaux et écrits +périodiques.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séances des 8 et 9 novembre 1830.--</p> + +<p class="large">Le 17 septembre 1830, M. Bavoux, député de la Seine, +fit à la Chambre des députés une proposition tendant à +apporter une réduction considérable dans le montant +du cautionnement et des droits de timbre et de poste +imposés aux journaux et écrits périodiques. Cette proposition +fut, dans les deux Chambres, l'objet de longues +discussions et de nombreux amendements. Je la combattis +en ce qui touchait la réduction des cautionnements, +tout en l'approuvant quant à la réduction des +frais de timbre et de poste. Le débat devint si grave que +le caractère, le sens et la portée de la révolution de +Juillet y furent engagés. Je n'étais plus alors membre +du cabinet; mais je maintins, à cet égard, comme simple +député, les idées et les intentions que j'avais plus +d'une fois manifestées comme ministre de l'intérieur.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>député du Calvados.</i>--On a déjà dit, et je rappellerai +qu'il y a ici deux questions: la question financière et +la question politique. Ce n'est pas que je regarde la question +financière, celle de l'impôt, comme indifférente. Je me propose +d'y revenir. Mais évidemment, la question du cautionnement +est celle qui préoccupe tous les esprits. C'est la +question politique. Ce seul fait prouve que le cautionnement +n'est pas, comme on l'a dit, une mesure purement fiscale, qu'il +n'a pas pour unique objet d'assurer le payement des amendes +auxquelles les éditeurs de journaux peuvent être condamnés. +Le cautionnement garantit que les éditeurs des journaux +sont des hommes qui appartiennent à une classe un peu +élevée dans la société, et il prouve l'importance de l'opinion +qu'un journal représente, le prix que cette opinion attache à +être représentée. Le cautionnement a pour objet de placer la +direction et la responsabilité de la presse périodique dans +une sphère élevée, d'empêcher que la rédaction ne puisse +tomber dans les mains du premier venu. C'est là le véritable +caractère du cautionnement.</p> + +<p>Ce n'est pas quelque chose d'étrange qu'une semblable +garantie; elle est analogue à beaucoup d'autres qui existent +dans la société, non-seulement à des garanties pécuniaires, +mais à des garanties restrictives. Ainsi, le nombre des avoués, +des notaires, d'une foule de personnes de ce genre est limité, +quoiqu'elles ne soient pas assujetties à un cautionnement. +(<i>Voix à droite</i>: Les notaires fournissent un cautionnement.) +C'est un fait de plus qui vient à l'appui de mon raisonnement. +Pourquoi le nombre en est-il limité? C'est qu'ils sont chargés +d'intérêts tellement importants qu'on n'a pas voulu qu'ils +fussent pour ainsi dire sur la place publique à la disposition +du premier venu.</p> + +<p>La garantie du cautionnement est de même nature. Ce +n'est pas une garantie préventive, mais une garantie restrictive, +une garantie qui empêche que le pouvoir exercé par la +presse périodique ne tombe aux mains des premiers venus. +Cette garantie n'est pas particulière à la presse ni aux comptables; +elle s'applique à une multitude de professions où il ne +s'agit pas de deniers publics, mais seulement d'intérêts importants +remis entre les mains de certains hommes, d'une +grande puissance exercée par eux, puissance pour laquelle +on exige des garanties de capacité et des conditions préalables.</p> + +<p>En étudiant le développement progressif des sociétés, vous +pourrez remarquer que le système des conditions préalables +et des garanties a partout succédé au système des mesures +préventives et des priviléges. Cela n'est pas relatif seulement +à la liberté de la presse, à telle ou telle profession; cela se +trouve partout là où les priviléges et les mesures préventives +ont existé. On n'a pas passé à un état de liberté sans restriction. +Les conditions préalables ont succédé aux mesures +préventives; les garanties ont succédé aux priviléges. Que +les garanties et les conditions, préalables doivent être éternelles, +que ce soit l'état immuable des sociétés, je ne voudrais +pas l'affirmer. Il est probable d'affirmer que telle ou telle de +ces garanties tombera successivement, que telle ou telle +condition cessera d'être exigée. C'est là le cours naturel des +choses, le progrès de la société. Mais il n'est au pouvoir de +personne de devancer le temps: il faut qu'une époque en +précède une autre, sans risques graves pour la société.</p> + +<p>Les faits de cette étendue ne sont pas au pouvoir des lois +humaines; il y a là des conditions qui tiennent au fond, à la +racine des conditions providentielles, qui peuvent disparaître +un moment, mais qui reprennent le pouvoir que les hommes +leur refusent, et qui le reprennent par des réactions qui sont +des perturbations plus graves que celles qu'on a voulu éviter.</p> + +<p>La légitimité actuelle des cautionnements ainsi établie, la +vraie question est celle de l'opportunité de leur abolition ou +de leur réduction. J'ai besoin de rappeler ici qu'il y a trois +ans le cautionnement était de dix mille livres de rente, et +qu'il est actuellement réduit à six mille livres. Est-il utile à +la société de le réduire de nouveau ou de l'abolir tout à fait? +Je ne le pense pas.</p> + +<p>Pour répondre à cette question, il est indispensable d'examiner +l'état actuel de la presse périodique dans son rapport +avec l'état de la société. C'est encore une question de fait qui +ne peut pas être résolue d'une manière générale, indépendamment +des circonstances sous l'empire desquelles nous vivons.</p> + +<p>En fait, la presse périodique a vécu pendant plusieurs +années en présence d'une législation très-dure et qui, cependant, +ne lui ôtait pas toute liberté, en présence d'un +pouvoir ennemi, mais qu'elle avait la faculté de combattre: +elle a été libre, elle a lutté; et la preuve, c'est qu'elle a +vaincu. Mais en même temps qu'elle luttait, elle avait un +sentiment de réserve, et, je le dirai franchement, de crainte. +Sous l'empire de cette législation dure, en présence de ce +pouvoir ennemi, la presse périodique, tout en jouissant d'une +grande liberté, ne se croyait pas tout permis, ni tout possible; +elle sentait souvent ses limites. C'est la condition sous +laquelle elle a vécu pendant dix ans.</p> + +<p>Eh bien, je crois que cette condition lui a été salutaire; je +crois qu'elle y a pris de la prudence, du travail, de la patience, +qu'elle a beaucoup plus gagné à soutenir cette lutte +qu'elle n'aurait gagné à une liberté illimitée, à ne ressentir +jamais cette défiance d'elle-même, cette timidité que lui +inspirait un pouvoir ennemi.</p> + +<p>Telle était la condition de la liberté de la presse. C'était la +condition de la France tout entière; elle s'est trouvée dans +cette situation pendant la Restauration; elle a vécu en présence +d'un pouvoir ennemi dont elle se méfiait avec raison, +mais qui était trop faible pour l'opprimer efficacement; elle +a été entravée, contrariée, mais toujours elle a été en état de +se défendre, et elle s'est défendue si bien qu'au bout de +quinze ans ce pouvoir, avec tout son attirail de doctrines et +de force étrangères, a été vaincu et obligé de s'en aller au +milieu de la réprobation générale.</p> + +<p>Aujourd'hui, cette situation a cessé. Il ne faut pas se le +dissimuler, la presse actuelle a le sentiment d'un immense +pouvoir; elle n'a plus de crainte; elle sait qu'elle a brisé un +pouvoir ennemi; elle a la confiance qu'elle aurait bon marché +d'un pouvoir ami. Cherchez les traces de cette situation qui, +bien qu'elle ait changé, exerce encore une grande influence. Les +anciens journaux ont soutenu la lutte, il y en a d'autres qui +sont nés du sein de la révolution de Juillet. Remarquez la +différence qu'il y a entre ces deux classes de journaux. Je ne +pense pas que les anciens journaux représentent aujourd'hui, +comme ils l'ont représentée il y a six mois, l'opinion unanime +de la France. Je ne crois pas qu'ils aient, avec le pays +tout entier, cette parfaite sympathie, cette intimité qui les +unissait, et qui leur a donné tant de force. Je pense qu'ils +n'expriment que des opinions partielles, qu'on appellera +faction, catégorie, mais des opinions qui ne sont pas l'expression +de l'opinion nationale complète. Je pense aussi que les +anciens journaux se trompent souvent, qu'il y a beaucoup +d'erreurs, non-seulement dans leurs assertions, mais dans +leur politique, que leurs conseils sont souvent mauvais, qu'il +y a de l'inconvenance dans leur langage, de l'exagération +dans leurs idées, du danger dans leur impulsion. Cependant, +quand on les accuse d'être révolutionnaires, on a tort. Les +anciens journaux, qui ont soutenu la lutte pendant quinze +ans, n'ont point aujourd'hui un caractère révolutionnaire. +Malgré les erreurs que j'y rencontre, les torts, les assertions +que je leur reproche, je n'y trouve aucune trace d'anarchie; +leurs doctrines ne sont pas anarchiques: je ne trouve pas +qu'ils tendent au renversement de la société, qu'ils tendent +à introduire de grands désordres publics; je les trouve dans +les limites naturelles et légales de la liberté de la presse. Une +des preuves que j'en pourrais donner, c'est la diversité de +leurs nuances. Ils appartiennent évidemment à des opinions +différentes; ils ne sont pas soumis au même joug, jetés dans +le même moule.</p> + +<p>Remarquez ce qui s'est passé naguère. Quand il y a eu +des émeutes d'ouvriers, quand nous avons eu à combattre des +tentatives d'insurrection, presque tous les anciens journaux +se sont élevés contre ces désordres, presque tous ont embrassé +la cause de l'ordre contre les émeutes d'ouvriers. Leur langage, +quoique injuste dans une foule d'occasions, n'a rien de +provoquant; ils ne font pas d'appel à la force, ils ne cherchent +pas à exciter des séditions. Ils peuvent souvent se tromper, +mais je ne vois pas qu'ils aient un caractère révolutionnaire; +je les trouve dans les limites de la liberté de la presse.</p> + +<p>Et pourquoi? parce qu'ils ont encore l'empreinte de la +lutte qu'ils ont soutenue pendant dix ans, parce qu'ils sont +eux-mêmes soutenus par les habitudes qu'ils ont prises, par +les vertus qu'ils ont acquises, parce qu'ils sont contenus dans +les justes limites de la liberté constitutionnelle, qui est rude, +mais jamais anarchique.</p> + +<p>Il en est autrement d'un certain nombre de journaux nouveaux. +Nés du sein de la révolution, de l'ivresse de la victoire, +ceux-là, je les trouve, pleins de doctrines anarchiques, +pleins d'appels à la force, de menaces adressées à toutes les +existences établies, à tous les droits reconnus, à l'ordre légitime +tout entier. Ils ont à mes yeux, et je crois aussi aux +yeux du public, un caractère différent de celui des anciens +journaux.</p> + +<p>Je ne dis pas ceci par une sorte d'artifice, pour opérer une +division parmi les organes de la liberté de la presse: je le dis +parce que c'est là un fait grave, qui caractérise la presse périodique, +et qui montre à quels principes se rattachent ses +différents organes.</p> + +<p>Maintenant, qu'allez-vous faire par la suppression du cautionnement? +Elle n'intéresse en aucune façon les anciens +journaux; ils sont hors de la question. Vous allez accorder +une faveur uniquement aux journaux nouveaux, aux journaux +qui sont empreints d'un mauvais caractère, aux journaux +qui n'ont pas soutenu la grande lutte dont nous sommes +sortis victorieux, aux journaux qui sont nés du premier +enivrement et des premiers désordres de la victoire.</p> + +<p>Non-seulement cela est mauvais en soi dans les circonstances +où nous sommes, mais cela est contraire au principe +fondamental, à l'esprit véritable de votre gouvernement; et +ce principe, c'est la publicité, c'est la lutte engagée entre le +bien et le mal, entre la vérité et l'erreur. Toutes les forces +sont appelées à se produire; elles sont aux prises sur la place +publique, devant la raison publique qui les juge. Le caractère +de cette lutte, c'est la liberté pour le mal comme pour le +bien. La lutte effraye beaucoup de gens, quand ils la voient; +ils voudraient empêcher le mal de se produire, ils voudraient +lui retirer sa liberté; ils se trompent. Il n'y a pas de liberté +pour la vérité, s'il n'y en a pas pour l'erreur; il n'y en a pas +pour le bien, s'il n'y en a pas pour le mal. Il faut que toutes +les forces paraissent; c'est là le caractère de notre gouvernement. +Mais il n'est pas dans la nature de ce gouvernement +de prendre des mesures qui tournent au profit de la mauvaise +portion. On ne doit pas de faveur spéciale au mal. Il +n'est pas vrai que le gouvernement soit neutre dans cette +grande lutte de la vérité et de l'erreur qui se passe devant +lui. Il n'est pas vrai qu'il n'ait aucun rôle à jouer. Il a un +rôle à jouer en faveur du bien. Il doit protection au bien et +non pas au mal; il ne doit à celui-ci que la liberté.</p> + +<p>Voulez-vous faire justice et non pas faveur? supprimez les +droits sur le timbre et les frais de poste. Cette suppression +tournera véritablement au profit de tous; ce sera une mesure +efficace; je n'ai pour mon compte aucune objection à +opposer. Je suis porté à croire que, dans l'état actuel de la +presse périodique, il y a quelque exagération dans les droits +de timbre et les frais de poste. Il serait à désirer, autant que +cela peut se concilier avec les intérêts du trésor, que ces +frais fussent réduits; il y aurait profit pour la presse périodique. +Mais, je le répète, l'abaissement du cautionnement ne +tournerait qu'au profit des journaux qui cherchent à répandre +de mauvaises doctrines. Je n'hésite pas à les attaquer dans le +for de ma conscience, ces journaux nés au sein d'une révolution +qui, jusqu'à présent, n'a pas connu le mal, mais où il +peut s'introduire, car il n'est pas impossible que cette révolution +si pure, si nationale, soit souillée. Il est de votre +devoir de la préserver, de veiller à écarter tout désordre qui +tendrait à la corrompre, à y faire pénétrer le mal. Gardez à la +France l'innocence, la pureté, l'honnêteté de sa révolution de +1830. Ce n'est pas seulement un acte moral, c'est un acte salutaire. +Vous prendrez une mesure de salut public; car, +croyez-moi, son existence tranquille, régulière, heureuse, est +intéressée à la conservation de son caractère primitif, tout +aussi bien que son honneur. Il ne s'agit pas seulement de +maintenir l'honneur de notre victoire, mais la tranquillité, la +régularité de l'état social; le bonheur public est attaché à son +honneur.</p> + +<p>Je vote contre tout abaissement et toute suppression des +cautionnements, et pour la réduction, s'il y a lieu, des frais +de timbre et de poste, en me ralliant à l'amendement de +M. Barthe.</p> +<hr> +<p class="mid">--Séance du 9 novembre 1830.--</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je regrette d'avoir à ramener l'attention de +la Chambre sur la discussion qui s'est élevée hier. Je n'ai +aucun désir de venir réclamer à cette tribune des rigueurs +inutiles. Ce n'est pas l'amendement du préopinant que je +viens repousser; si la Chambre juge convenable de donner +aux journaux nouveaux un délai de deux ou trois mois pour +faire leur cautionnement, je ne m'y oppose en aucune façon. +Ce n'est pas pour restreindre telle ou telle liberté que j'ai +pris hier la parole. C'est pour signaler un fait, un danger +grave dans l'état actuel de la presse, et pour fonder sur ce +fait, sur ce danger, la nécessité de maintenir la mesure générale +du cautionnement. Je ne monte aujourd'hui à la tribune +que pour repousser des allégations qui s'adressent à l'ensemble +de notre situation, et à la conduite que j'ai tenue pendant que +j'avais l'honneur de siéger dans les conseils du Roi. (<i>Sensation.</i>)</p> + +<p>Ce n'est point d'exagération que j'ai accusé quelques-uns +des journaux nouveaux: c'est d'erreur radicale, c'est d'une +mauvaise influence. L'exagération semble n'indiquer que +l'excès du bien. Je trouve ces journaux radicalement mauvais; +leur langage serait modéré qu'ils n'en seraient pas moins +dangereux; leurs doctrines me paraîtraient aussi mauvaises, +les passions qu'ils fomentent aussi funestes, quand bien +même leur langage serait exempt de toute exagération.</p> + +<p>Il y a ici une question fondamentale, et qui n'a pas encore +été posée dans toute son étendue. La révolution qui vient de +s'accomplir est considérée sous deux points de vue tout à fait +différents. On l'entend de part et d'autre de deux manières +diverses. On nous a plus d'une fois accusés, mes amis et +moi, de ne pas comprendre la révolution de Juillet, de ne +pas être ce qu'on appelle dans le mouvement, de ne pas la +continuer telle qu'elle a été commencée. Là est la question. +Qui comprend véritablement la révolution de Juillet? Qui +est dans son mouvement? Qui l'a continuée comme elle +a commencé? J'accepte pleinement cette question; je la +pose moi-même entre nos adversaires et nous (<i>écoutez! +écoutez!</i>), et je dis que ce sont eux qui ne comprennent +pas la révolution de Juillet; que ce sont eux qui, +au lieu de la continuer, la dénatureraient, la pervertiraient. +(<i>Mouvements en sens divers.</i>) Je suis obligé de parler avec une +extrême franchise. (<i>Oui, oui, c'est très-bien; parlez, parlez.</i>) +Je dis que c'est nous qui sommes dans le mouvement de +notre belle révolution, que c'est nous qui avons travaillé à +lui conserver son véritable caractère, et que nos adversaires, +au contraire, travaillent à le dénaturer, et pour dire toute ma +pensée, à le pervertir. Je n'ai pas besoin d'ajouter que je +n'accuse l'intention de personne.</p> + +<p>Le grand fait qui a frappé la France et l'Europe quand la +révolution de 1830 s'est accomplie, c'est l'unanimité du +pays; c'est l'élan, l'assentiment général de la France. Mais +croyez-vous, messieurs, que cette unanimité fût complète? +Est-ce qu'il n'y avait pas, au milieu de cet élan qui a emporté +la France entière dans le mouvement, des diversités +d'opinions et d'intentions? Croyez-vous que le fait accompli +a réellement satisfait, au moment de son accomplissement, +tous les désirs, tous les intérêts? Réellement non. Aucun de +nous n'a oublié ce qui s'est passé dans les premiers jours. +Quel a été le caractère de cette révolution? Elle a changé +une dynastie, mais en reserrant ce changement dans les +plus étroites limites. Elle a cherché le remplaçant de la +dynastie changée aussi près d'elle qu'elle le pouvait. Et ce +n'est pas sans intention; je ne parle pas de desseins prémédités; +je dis qu'en fait l'instinct public, l'instinct de l'intérêt +national a poussé le pays à restreindre ce changement dans +les plus étroites limites possibles. (<i>Sensation.</i>)</p> + +<p>Ce qui s'est fait quant à la dynastie, quant aux personnes, +s'est fait également quant aux institutions: aucun de nous ne +peut avoir oublié ce qu'on demandait dans les journées de +la révolution. Certaines personnes réclamaient une constitution +toute nouvelle, ne voulaient tenir aucun compte de la +Charte au nom de laquelle on s'était battu, invoquaient, +dis-je, une constitution fondée sur des principes différents, +rédigée, adoptée dans une autre forme. Il y avait donc, +quant aux institutions et aux principes qui devaient présider +à la révolution de Juillet, un dissentiment réel.</p> + +<p>Il y avait des hommes qui n'étaient pas d'avis de ce qui +s'est fait, qui désiraient qu'on allât plus loin, dans une autre +direction. Eh bien, leur opinion n'a pas prévalu. Le fait a +déposé contre elle. Je n'en fais honneur à la sagesse de personne. +Ce sont là des événements supérieurs à la sagesse individuelle, +des événements qui se font par eux-mêmes, des +événements qui sont l'oeuvre de la nécessité générale, de cette +raison universelle qui remplit l'atmosphère, et qui dirige la +conduite des hommes, même à leur insu. (<i>Mouvement +d'adhésion.</i>)</p> + +<p>Il était dans l'intérêt général de la France que notre révolution +se fit comme elle s'est faite, c'est-à-dire qu'elle acceptât +le passé, qu'elle le ménageât, qu'elle ne se jetât pas en +aveugle dans des carrières inconnues, qu'elle respectât tous +les faits, qu'elle transigeât avec tous les intérêts, qu'elle se +présentât à l'Europe sous les formes le plus raisonnables, les +plus douces, qu'elle se modérât elle-même, qu'elle se contînt +au moment même où elle s'accomplissait. Voilà quel a été +son caractère à son origine; voilà ce qu'on a fait par la +seule impulsion de la nécessité, de la raison générale.</p> + +<p>Au bout d'un certain temps, l'empire de cette nécessité, qui +avait d'abord pesé sur tout le monde, ne s'est pas fait sentir +avec la même force. Les diversités naturelles ont paru; +chacun est retourné à sa pente, et nous nous sommes retrouvés +en proie aux mêmes dissidences où nous étions auparavant, +et qui avaient été étouffées, contenues, par la force +des événements.</p> + +<p>C'est alors que s'est posée la question de savoir qui comprenait +véritablement la révolution, qui était ou n'était pas +dans son véritable mouvement.</p> + +<p>Les uns, je n'hésite pas à le dire, ont voulu la faire dévier +du caractère qu'elle avait revêtu à son origine; ils ont voulu +qu'elle continuât autrement qu'elle ne s'était faite; ils ont +invoqué, pour la suite de la révolution, les mêmes principes +d'après lesquels, si on les avait adoptés dans son origine, on +aurait fait autre chose que ce qui s'est fait. Ils ont invoqué +les mêmes principes en vertu desquels on aurait fait une +constitution toute nouvelle, on se serait jeté dans des voies +beaucoup plus hasardeuses. C'est au nom de ces mêmes doctrines, +de ces sentiments qui avaient été battus, passez-moi +l'expression, dans le berceau de la révolution, et qui n'étaient +pas parvenus à la dominer, qu'on est venu demander de la +continuer.</p> + +<p>Eh bien, messieurs, mes amis et moi, nous nous sommes +refusés à la continuer de la sorte. (<i>Vive sensation.</i>) Nous +avons demandé à la continuer telle qu'elle s'était faite, à +rester fidèles à son berceau, fidèles à cet esprit de conciliation +et de modération, à ce ménagement de tous les +intérêts, à ce balancement impartial entre le passé et le présent +qui avaient présidé à nos premiers actes.</p> + +<p>Nous croyons avoir été fidèles en cela, non-seulement au +caractère primitif de la révolution, à sa véritable nature, +mais à l'opinion réelle et sincère et aux véritables intérêts +de la France. (<i>Vif mouvement d'adhésion.</i>) Je vous demande +la permission d'arrêter encore un moment votre pensée sur +ce point. (<i>Oui, oui, continuez, continuez.</i>)</p> + +<p>Je prie la Chambre, et en particulier ceux de ses honorables +membres qui pourraient ne pas penser comme moi, de +m'accorder une extrême indulgence quant à mes paroles. Il +ne serait pas impossible qu'elles allassent quelquefois au +delà de ma pensée, et qu'il m'arrivât d'inculper plus sévèrement +que je n'ai l'intention de le faire des opinions, des +doctrines, des conduites qui diffèrent de la mienne, que par +conséquent j'ai blâmées, et que je blâme encore, mais que je +n'accuse point. (<i>Sensation.</i>)</p> + +<p>Derrière l'opinion différente de la nôtre sur la manière +d'envisager la révolution de Juillet et de la conduire, je +trouve trois choses, trois forces. Je trouve des idées républicaines, +des passions et des prétentions exclusives.</p> + +<p>Je dis, messieurs, que la France n'a ni des idées républicaines, +ni des passions ardentes, ni des prétentions exclusives. +(<i>Marques très-vives d'adhésion.</i>) Quiconque se présente poussé +par ces trois forces, marche au rebours de la France et n'est +pas national. (<i>Très-bien, très-bien!... Bravo!</i>)</p> + +<p>J'honore la république, messieurs; c'est une forme de +gouvernement qui repose sur de nobles principes, qui élève +dans l'âme de nobles sentiments, des pensées généreuses. Et +s'il m'était permis de le dire, je répéterais ici les paroles que +Tacite met dans la bouche du vieux Galba: «Si la république +pouvait être rétablie, nous étions dignes qu'elle +commençât par nous.» Mais la France n'est pas républicaine. +En fait, sa situation géographique, sociale, politique, +tous ses intérêts matériels sont contraires à cette forme de +gouvernement qui la mettrait en querelle avec l'Europe, et +en trouble dans son propre sein. Nos opinions s'y opposent +également: la pensée de la France n'est pas républicaine. +(<i>Même mouvement.</i>)</p> + +<p>Il y a de la république dans les moeurs de la France, dans +les relations des citoyens entre eux; mais l'intention de la +France n'est pas républicaine: il faudrait faire violence aux +convictions, aussi bien qu'aux intérêts de la France, pour y +introduire cette forme de gouvernement. Partout donc où +cette pensée se manifeste, où elle exerce son influence, partout +où l'on travaille à pousser la nation dans ce sens, on la +pousse contre son propre désir, contre son intérêt. La pensée +de la France, je le répète, n'est pas républicaine, et elle a, +dans mon opinion, raison de ne pas l'être.</p> + +<p>La France n'est pas non plus passionnée; ce qui domine +aujourd'hui dans le pays, ce n'est point un désir ardent de se +porter vers tel ou tel but lointain; c'est la modération, le +bon sens. Tout le monde le répète: le bon sens, la modération +est aujourd'hui le caractère général.</p> + +<p>On a rappelé tout à l'heure ce que nous avions fait à +l'égard des sociétés populaires: je ne veux le désavouer en +aucune façon; mais le pays, la France l'avait fait avant +nous. Le mouvement qui s'est manifesté contre les sociétés +populaires, ce n'est pas du gouvernement qu'il est émané; +c'était un mouvement spontané, national, populaire, qui +s'est fait, non-seulement à Paris, mais dans toute la France. +Il y a tel honorable membre de cette Chambre, élu par les +électeurs les plus libéraux de son pays, qui a cru devoir +prendre l'engagement, non pas écrit, mais moral, de +réprouver les sociétés populaires, tant elles sont contraires +au sentiment du pays, tant le souvenir de l'influence déplorable +qu'elles ont exercée préoccupe encore, peut-être trop, +les imaginations! (<i>Vive sensation.</i>)</p> + +<p>Quiconque aujourd'hui paraîtra agir en France par des +passions ardentes, pressées d'arriver à leur but, ne tenant nul +compte des obstacles, sera contraire à l'esprit de la France, +et n'aura pas le droit de se prétendre national; car, encore +une fois, c'est le bon sens, la modération, la patience, qui +sont aujourd'hui le caractère de l'esprit français. Il n'y a pas +lieu de s'en étonner; après une révolution telle que celle que +nous avons subie, les peuples, non-seulement sont détrompés +de beaucoup d'erreurs, mais ils sont fatigués, ils ont besoin +de repos. Il n'y a donc rien d'étonnant que la France soit +aujourd'hui modérée. Il serait merveilleux qu'elle ne le fût +point.</p> + +<p>Les prétentions exclusives ne sont pas plus dans le goût de +la France que les passions ardentes et les théories républicaines. +Voyez le jugement que chacun de nous porte sur ses +voisins, sur les hommes qui ne partagent pas ses opinions. +Est-ce un jugement violent, rigoureux? Non; nous avons +appris à nous comprendre les uns et les autres, à nous +rendre mutuellement justice, à savoir qu'il ne faut pas, +parce que nous différons d'opinion sur tel ou tel point, +nous considérer nécessairement comme ennemis. Il y a de la +justice et de l'impartialité en France. Il est dans le voeu du +pays qu'on rende justice à toutes les qualités. Par exemple, +en matière d'administration, il est dans l'instinct du pays de +ne pas juger du mérite d'un administrateur uniquement par +telle ou telle opinion politique, en raison de tel ou tel antécédent +particulier. On veut tenir compte de sa situation +sociale, de son caractère moral, et on subordonne souvent +les antécédents politiques à des considérations d'une autre +nature.</p> + +<p>Pourquoi un cri s'est-il élevé si souvent en France contre +les réactions, cri parti du fond de toutes les consciences? +Parce que les prétentions exclusives, l'intolérance de l'esprit +de parti, l'habitude de classer exclusivement les hommes +selon telle ou telle opinion, ne sont plus aujourd'hui dans +l'esprit de la France; parce que ce n'est pas une disposition +nationale. Et quiconque s'y livrerait serait en contradiction +avec nos moeurs, avec l'esprit français. (<i>Vif mouvement +d'adhésion.</i>)</p> + +<p>Ainsi, si nous regardons la révolution dans son origine, +dans son caractère politique, c'est nous qui lui sommes +fidèles; c'est nous qui sommes dans son mouvement, et ce +sont nos adversaires qui voudraient l'en détourner.</p> + +<p>Je vais plus loin. Quel est le grand rôle auquel la France +est aujourd'hui appelée? C'est évidemment à fonder un gouvernement +libre, un gouvernement constitutionnel, sans +doute, mais un vrai gouvernement, un pouvoir qui en possède +l'autorité morale aussi bien que l'autorité de fait. Eh bien, +ce n'est pas avec des théories, ce n'est pas avec des passions, +ce n'est pas avec des prétentions exclusives qu'on arrive à un +tel résultat.</p> + +<p>Je respecte les théories; je sais qu'elles sont le travail de +la raison humaine, son plus noble effort pour atteindre à la +connaissance générale de la vérité. Mais la raison humaine +s'égare si souvent, et l'oeuvre est si difficile que, lorsqu'il +s'agit de la pratique de la vie, les hommes ont grandement +raison de se défier des théories. Si elles étaient vraies, elles +seraient bonnes; mais il est extrêmement rare qu'elles soient +vraies; elles sont presque toujours incomplètes, et par conséquent +fausses. Tant qu'on ne fait que raisonner, le danger +n'est pas grand; on se trompe et voilà tout; mais quand il +faut que les théories deviennent des actions, quand il faut +que les idées passent dans les bras des hommes, et remuent +la société, c'est alors que le danger de s'y livrer avec une +confiance présomptueuse frappe les esprits. Ce n'est point +avec des théories qu'on fonde les gouvernements; c'est avec +le bon sens pratique, avec cette raison prudente qui consulte +les faits, qui se contente chaque jour de la sagesse possible, +qui mesure sa conduite sur ce qui est, et non pas sur un but +lointain, douteux, qu'elle ne peut ni bien apprécier ni +promptement saisir.</p> + +<p>Ce n'est pas non plus avec des passions qu'on fonde des +gouvernements. Les passions, je les honore; elles jouent un +grand et beau rôle dans l'humanité, dans la société; mais ce +rôle, ce n'est pas celui de fonder les gouvernements; ce n'est +pas celui de s'adapter aux nécessités des peuples, de bien +connaître leurs intérêts, de transiger avec tous les droits, +avec toutes les existences. C'est par là qu'on fonde des gouvernements, +et non pas en se laissant aller, soit à l'incertitude +des théories, soit à l'orage des passions. (<i>Vif mouvement +d'approbation.</i>)</p> + +<p>J'en dis autant des prétentions exclusives. L'esprit de parti +joue un grand rôle dans le monde, mais ce n'est pas quand +il s'agit de donner de la stabilité aux lois et à tous les faits +fondamentaux sur lesquels la société repose; ce n'est pas +avec les habitudes et les forces de l'esprit de parti qu'on résout +un pareil problème: c'est avec le respect des lois, le goût +de l'ordre, le ménagement de tous les intérêts; en un mot, +c'est avec les mêmes forces, les mêmes moyens qui font la +sagesse individuelle de chacun de nous dans sa vie privée. Il +n'est aucun de nous qui ne sache que, quand il s'est livré +aveuglément à l'empire de certaines idées générales, quand il +s'est abandonné à ses passions, quand il n'a écouté que ses +prétentions personnelles, il a été entraîné à une foule d'erreurs +et de fautes. Il en est de même dans la vie publique. Nous +sommes obligés, dans le maniement des affaires publiques, à +être prudents et réservés comme dans notre conduite privée.</p> + +<p>Là, messieurs, réside la différence réelle entre nos adversaires +et nous. Il s'agit de savoir lesquels ont bien compris la +révolution de 1830, lesquels ont été fidèles à son caractère +primitif, à l'espoir que la France en a conçu, à l'oeuvre que +cette révolution est appelée à fonder. Ce que je viens de +dire établit comment, mes honorables amis et moi, nous +l'avons comprise, et pourquoi nous n'avons pas voulu nous +écarter de cette route, et nous avons cru devoir sortir des +conseils du prince, lorsqu'il nous a paru que nous ne pouvions +y faire prévaloir nos opinions et nos désirs. (<i>Sensation +prolongée.</i>)</p> + +<p>Je ne pense cependant pas, messieurs, que nos successeurs +veuillent se conduire autrement. La force des choses pèse sur +eux comme sur nous. Ils sont hommes éclairés; ils sont bons +citoyens comme nous. La différence qui a pu exister entre +nous, pendant que nous siégions ensemble dans les conseils +du prince, je n'hésite pas à le dire, est déjà beaucoup moins +sensible. (<i>Écoutez, écoutez.</i>) Déjà ils tiennent, avec des ménagements +plus ou moins étendus, la conduite que nous aurions +tenue. Quiconque sera appelé à diriger la révolution dans les +voies du gouvernement sera obligé de la comprendre comme +nous l'avons comprise. Tous les partis peuvent y être successivement +appelés. Les opinions les plus diverses, les passions +les plus ardentes, les prétentions les plus exclusives peuvent +être obligées d'entrer dans cette carrière du gouvernement; +elles y seront soumises aux mêmes nécessités; elles porteront +le même joug; ce qu'elles ont de faux sera vaincu par la +force des choses. Elles seront obligées de considérer et de +continuer la révolution de 1830, non pas comme on la +demande dans quelques journaux, mais comme nous l'avons +nous-mêmes comprise. Quiconque voudra lui faire porter +d'autres fruits la détournera de son caractère primitif, de la +pensée nationale, de son véritable but, la pervertira au lieu +de la continuer. (<i>Mouvement très-prononcé d'adhésion. +Sensation prolongée.</i>)</p> +<hr> +<p class="large">Le débat s'étant prolongé et animé, je fus amené à +reprendre, dans la même séance, la parole, en réponse +à M. Odilon Barrot.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--J'avais évité tout ce qui pouvait amener les +personnes dans la discussion. J'aurais désiré qu'elle pût persévérer +dans cette voie; je regrette qu'elle en ait été détournée; +mais puisqu'il en a été ainsi, il m'est impossible de ne +pas aborder moi-même la tribune pour donner quelques +explications à la Chambre.</p> + +<p>Il doit être évident qu'il ne s'agit, entre les orateurs qui +m'ont précédé à cette tribune et moi, d'aucune question personnelle: +il ne s'est passé entre nous aucun fait qui puisse +altérer l'estime réciproque que se doivent des hommes de +conscience et de conviction. Il ne s'agit réellement que de +deux systèmes de gouvernement, de deux manières de considérer +notre révolution, et les conséquences qui en doivent +sortir.</p> + +<p>Je n'ai jamais regardé la révolution de 1830 comme une +continuation de la Restauration; je n'ai jamais cru que le +principe de la Restauration eût survécu au mois de Juillet: +je l'ai toujours pensé, et je le répète: la révolution de juillet +est une véritable révolution; au principe de la légitimité +héréditaire a été substitué momentanément, du moins je +l'espère, le principe du choix du peuple. Mais ce principe ne +préside pas à notre gouvernement, car nous sommes revenus +au principe de l'hérédité qui sera maintenu, je n'en doute +pas, au profit de la dynastie actuellement régnante. A mon +avis, cette légitimité toute rationnelle, qui n'a rien de semblable +à l'ancienne légitimité, peut seule sauver l'État. En +même temps que je proclame le droit éternel d'un peuple +de se séparer de son gouvernement dès que ce gouvernement +lui devient hostile, je maintiens aussi que ce principe +ne peut présider au gouvernement nouveau que l'on +substitue à l'ancien, car c'est le principe des révolutions. Il +faut qu'il reste dans le coeur des peuples, qu'il y vive à +jamais; mais ils ne doivent pas croire que ce droit repose +sur leur seule volonté; il ne repose que sur la nécessité, +l'inévitable nécessité, et c'est par là que notre révolution est +légitime, car elle était nécessaire. Non, messieurs, ce principe +qui a présidé à notre révolution ne doit pas présider à +notre gouvernement: celui qui y préside aujourd'hui, qui +doit y présider longtemps, c'est le principe de la légitimité +héréditaire.</p> + +<p>Je suis rentré presque involontairement dans cette discussion +générale que la Chambre pouvait croire fermée; je reviens +à celle des personnes, qui en ce moment est la véritable.</p> + +<p>La dissidence qui s'est manifestée entre.......Je +regrette de nommer les personnes, mais j'y suis contraint; +la dissidence qui s'est manifestée entre M. le préfet de la +Seine et moi, comme ministre de l'intérieur, était antérieure +à la proclamation dont on vient de parler, et M. Odilon +Barrot peut ici l'affirmer lui-même; seulement elle a éclaté +à l'occasion de cette proclamation. Elle s'était déjà montrée +dans nos conversations, dans nos rapports journaliers. Nous +nous étions franchement expliqués, comme nous devions le +faire; nous savions fort bien l'un et l'autre que nous suivions +des lignes diverses. Il a agi dans sa voie, j'ai agi dans +la mienne. Ainsi, pour citer un fait où notre dissidence s'était +déjà prononcée bien nettement, dans cette procession solennelle +qui avait pour but de transporter au Panthéon les +bustes de deux défenseurs de la liberté, les choses se sont +passées, de la part de M. le préfet, tout autrement que je +l'eusse voulu. Je ne pense pas qu'il dût intervenir comme +magistrat, ni même moralement dans cette affaire; je ne pense +pas qu'il dût recevoir les bustes à l'Hôtel de ville. Notre dissidence +n'a cependant éclaté qu'au sujet de la proclamation.</p> + +<p>Je dois le dire, je regrette qu'on ait ici abordé de nouveau +cette question; j'aurais voulu qu'on n'en parlât pas devant +la Chambre, parce qu'il me semble qu'une portion considérable +de la Chambre pense à cet égard autrement que moi. +Cependant je dois ici dévoiler ma pensée tout entière.</p> + +<p>J'ai participé à l'adresse de la Chambre par mon vote, et à +la réponse du Roi par mes avis dans le conseil, parce que j'ai +cru avoir raison d'en agir ainsi à la Chambre et dans le conseil. +Je l'avoue, je ne porte aucun intérêt au ministère +tombé; je n'ai jamais eu la moindre relation avec l'un de +ses membres. Je les crois coupables.....Je suis désolé +d'avoir à en parler, mais je dois le dire.....Je les crois +coupables du plus grand crime que des hommes au pouvoir +puissent jamais commettre: je crois qu'il ne peut y avoir de +doute sur le châtiment qui les attend. Mais j'ai la conviction +profonde qu'il est de l'honneur de la nation, de son honneur +historique, de ne point verser leur sang. (<i>Sensation.</i>) J'ai la +conviction qu'après avoir changé un gouvernement, renouvelé +la face du pays, c'est une chose misérable, et par conséquent +inutile, de venir poursuivre une justice mesquine à +côté de cette justice immense qui a frappé, non pas quatre +hommes, mais un gouvernement tout entier, une dynastie +tout entière, tout un ordre de principes. Quand la +France s'est fait justice, venir demander un sang qu'il est +inutile de verser, cela me paraît mauvais, et je le blâme +comme tel. Tout ce dont nous n'avons pas besoin, et un besoin +absolu, nous ne devons pas le faire. Je le répète, notre +révolution était appelée à donner un exemple immense, et +elle l'a fait, parce qu'elle avait besoin de le faire; mais ce +besoin accompli, que la nation consulte ses sentiments de +compassion, d'humanité, cette foule de sentiments, en un +mot, qui peuvent bien s'éteindre un moment dans le coeur des +peuples, mais qui ne manquent jamais d'y renaître. Toutes +les révolutions ont versé le sang, mais trois mois, six mois +après, ce sang même a tourné contre elles. Il ne faut pas rentrer +dans cette ornière sanglante dont nous sommes sortis, +même pendant le combat.</p> + +<p>C'est avec cette conviction que j'ai voté l'adresse au Roi; +non pas dans l'intention d'obtenir l'abolition générale de la +peine de mort, car, selon moi, elle ne peut être abolie. Ce +n'est pas en six semaines qu'on peut bouleverser tout notre +Code pénal; et je suis bien aise de saisir ici cette occasion de +faire ma profession de foi. Je ne pense pas que la société soit +aujourd'hui assez avancée pour pouvoir établir dans son sein +l'abolition de la peine de mort. Pour arriver là, il lui faudra +peut-être encore bien des siècles. Mais je reconnais que, pour +les crimes politiques, la peine de mort n'est plus bonne à rien. +Je l'ai dit en 1820, et j'ai le droit de le répéter ici, on ne +doit point prononcer la peine de mort en matière politique. +J'ai défendu ce principe en faveur du général Berton, je l'ai +défendu pour les accusés dans la conspiration de Béfort. +(<i>Sensation.</i>) J'ai réclamé l'abolition de la peine de mort pour +eux, je puis encore le faire ici pour d'autres. Je persiste dans +mon opinion. C'est parce que l'adresse de la Chambre m'a +paru propre à hâter ce résultat que je l'ai appuyée, et non +assurément pour l'abolition générale de la peine de mort qui +me paraît une chimère. (<i>Sensation.</i>)</p> + +<p>Je viens à l'article du <i>Moniteur</i> que M. le préfet de la Seine +a cité. Je regrette d'avoir à entretenir la Chambre de faits qui +me sont tout personnels; mais cette discussion m'y oblige. +Je l'avoue: dans mon ministère, je n'ai pas fait tout ce que +j'aurais voulu faire; j'ai fait des choses que je voudrais aujourd'hui +n'avoir point faites; mais parmi elles, il n'en est +qu'une seule qui, à mes yeux, soit réellement grave: c'est le +consentement que j'ai donné à cet article inséré au <i>Moniteur</i>. +Il était contre mon opinion, contre mes principes; de plus, +je ne trouvais point qu'il fût convenable, après la réponse du +Roi qu'il contredisait formellement. Je ne pense pas que le +gouvernement, le conseil pût blâmer là réponse faite à +l'adresse de la Chambre. Cet article du <i>Moniteur</i>, c'était une +manière de dire qu'on n'avait jamais songé à présenter la loi +demandée par l'adresse. On détournait le résultat vers lequel +on avait d'abord tendu. Je le répète, j'ai eu tort de consentir +à cet article du <i>Moniteur</i>; c'est la seule faute grave que je me +reproche, et je devais le déclarer à la Chambre.</p> + +<p>La proclamation de M. le préfet de la Seine était encore +beaucoup plus explicite que l'article du <i>Moniteur</i>. Cette +proclamation ne contenait aucune phrase que pût désavouer +un magistrat probe, éclairé; elle faisait rougir quelques +hommes égarés de leur ivresse: elle n'avait pour but que de +réprimer de coupables excès; elle était bonne en soi; mais, +sur la question de la peine de mort, elle était complétement +contraire à mes opinions. J'ai cru que c'était là un +symptôme évident de notre dissidence sur la direction générale +du gouvernement, le symptôme définitif après lequel il +ne nous était plus possible de marcher d'accord; aussi ai-je +empêché l'insertion de la proclamation au <i>Moniteur</i>, comme +la Chambre a pu le remarquer. S'il ne s'était agi que de la +destitution de M. le préfet de la Seine, j'aurais pu accepter +sa démission; mais il ne s'agissait là ni de lui ni de moi; il +s'agissait de deux systèmes: la question ne dépendait pas +même de lui seul. Son système avait des représentants dans +le conseil. Il fallait donc nécessairement qu'un de ces deux +systèmes se retirât. La question ne pouvait être posée autrement: +c'était là sa véritable expression.</p> + +<p>J'ajoute: il était nécessaire que mon système et celui de +mes honorables amis se retirât devant l'autre système.</p> + +<p>Tout le monde sait que le ministère dont j'ai fait partie a +été nommé un ministère de coalition; ce n'était pas, en effet, +autre chose: c'est-à-dire qu'il était composé de nuances fort +diverses de l'opinion nationale et constitutionnelle. Car, j'ai +besoin de le dire, toutes ces nuances entrent dans l'opinion +nationale, et, en effet, au moment même où nous nous séparons +de nos anciens collègues, nous sentons tous profondément +que nous sommes les enfants d'un même pays. Mes amis +et moi devions nous retirer, et le Roi a accepté nos démissions; +mais notre ministère de coalition a été utile pour +rallier autour du nouveau gouvernement toutes les nuances de +l'opinion nationale. Nous avons été utiles à prouver que la +révolution de 1830 les peut rallier toutes; que cette révolution +était légitime, nécessaire; nous avons servi, s'il m'est +permis de le dire, à autre chose encore: à prouver à l'Europe +que, dans cette révolution, il n'y avait point de principes +anarchiques, et qu'elle pouvait la voir sans crainte, puisque +des hommes comme nous, des hommes éclairés, des hommes +connus par leur amour de l'ordre, s'y étaient sur-le-champ +rattachés. Je puis donc dire, non pas pour moi, mais pour +mes honorables amis, que nous avons un peu contribué +à cette prompte reconnaissance dont l'Europe a salué +notre jeune royauté. C'est un service rendu à la France +et à l'Europe par un ministère de coalition, comme était le +nôtre.</p> + +<p>Quand il a fallu marcher, il est devenu évident que le +conseil avait besoin de plus d'homogénéité et d'accord qu'il +n'en pouvait avoir avec nous; il est devenu évident qu'un préfet +ne pouvait différer avec son ministre, et qu'il fallait qu'une +partie du ministère se retirât devant l'autre. Je le répète: les +ministères de coalition ne sont pas des ministères de gouvernement; +il faut avant tout, dans un conseil qui veut agir, de +l'homogénéité; c'est à ce prix seulement que le gouvernement +peut s'affermir et durer. J'ai senti le premier le vice +d'un ministère de coalition: je l'ai profondément senti, et +voilà la véritable cause de dissidence entre deux hommes +qui s'estiment et s'honorent, j'ose le dire, mais qui n'ont +pu, qui n'ont pas dû marcher ensemble.--(<i>Sensation prolongée.</i>)</p> + +<a name="XVIII" id="XVIII"></a> +<br><br> +<h3>XVIII</h3> + +<p class="mid">Discussion d'un projet de loi relatif à la répression des délits +de la presse.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 25 novembre 1830.--</p> + +<p class="large">Le gouvernement avait proposé, le 5 octobre 1830, à +la Chambre des pairs un projet de loi pour modifier +l'article 2 de la loi du 25 mars 1822, relatif aux attaques +«contre les droits que le Roi tient de sa naissance et +ceux en vertu desquels il a donné la Charte.» Ce projet, +adopté le 14 octobre par la Chambre des pairs, fut présenté +le 13 novembre, par le nouveau cabinet formé le +3 novembre, à la Chambre des députés; il devint, le +25 novembre, l'objet d'une discussion dans laquelle je +pris la parole pour maintenir le vrai caractère de la +révolution de Juillet et la politique que j'avais exposée +et pratiquée comme membre du cabinet précédent.</p> + +<p> +<span class="sc">M. Guizot.</span>--Le projet sur lequel la Chambre va délibérer +rencontrera probablement peu d'objections; peut-être même, +si je n'avais demandé la parole, il eût passé sans débats. Il +est cependant d'une haute importance; il fait une grande +chose; il efface de nos lois pénales tout un système de principes +et lui en substitue un autre. Il écrit dans nos lois les +principes fondamentaux de notre dernière révolution, et en +fait la base de notre droit public. Son adoption immédiate, +non contestée, est à coup sûr le meilleur témoignage de +l'unanimité de sentiments qui règne dans cette Chambre, et +de sa ferme adhésion à notre révolution.</p> + +<p>Mais au dehors, des objections s'élèvent, des attaques sont +dirigées contre le principe fondamental de ce grand événement. +On l'accuse de n'être qu'une usurpation, un acte de +violence, un simple fait dépourvu de droit; on lui conteste +la légitimité qu'on revendique exclusivement au profit d'un +système et d'un gouvernement différents.</p> + +<p>En fait, messieurs, de telles objections, de telles attaques +sont sans puissance, sans efficacité; mais elles ne sont jamais +sans importance: il est nécessaire de les repousser. C'est +l'honneur des peuples de ne pas accepter le régime de la +force pure, de ne pas vouloir obéir à un simple fait, à un +acte de violence, d'avoir besoin de croire que le pouvoir +auquel ils obéissent a droit sur eux, d'avoir besoin d'être +convaincus de sa légitimité.</p> + +<p>Il est donc indispensable, dans l'intérêt du pouvoir lui-même +comme du repos des esprits, que les attaques dirigées +contre la légitimité de notre révolution et du gouvernement +qu'elle a fondé soient hautement repoussées. Nous ne pouvons +accepter et laisser passer inaperçus aucune des assertions, +aucun des raisonnements sur lesquels on prétend se +fonder pour contester la légitimité de ce que nous avons fait.</p> + +<p>C'est sous ce point de vue que je viens soutenir le projet, +c'est-à-dire affirmer la légitimité du gouvernement actuel et +de l'insertion de ses principes dans nos lois.</p> + +<p>Il y a, messieurs, dans notre révolution, un caractère que +plus d'une fois déjà on a remarqué, et qu'il importe de ne +jamais oublier: c'est qu'elle a été imprévue, imprévue pour +tout le monde, du moins dans le mode de son exécution, +pour ceux qui l'ont faite comme pour ceux qui l'ont subie. +Et de même qu'elle a été imprévue, elle a été universelle; +elle s'est accomplie presque au même moment, non-seulement +dans Paris où la bataille s'est livrée, mais dans la +France entière. Nous sommes absorbés par les événements +de Paris, et nous oublions trop qu'au même instant, spontanément, +sans attendre les nouvelles de Paris, sans les savoir, +dans une foule de villes de province, à Réthel comme à +Nantes, sur la simple arrivée des fatales ordonnances, le drapeau +tricolore fut arboré et la révolution commencée. Et +pendant que le mouvement en faveur de la révolution était +ainsi spontané, nulle part un bras, une voix ne se sont +élevés pour le combattre. Ce que prouve ce fait, messieurs, +c'est qu'il n'y a eu, dans la révolution de Juillet, aucune +préméditation, aucun complot, aucune conspiration. Plus +d'une fois, depuis quinze ans, nous avons vu des complots, +des séditions: rien de pareil dans le mouvement de Juillet; +aucun caractère, je le répète, ni de préméditation, ni de +conspiration; aucune trace d'une volonté particulière, d'un +plan renfermé dans une certaine classe d'hommes: c'est un +mouvement national, national dans sa spontanéité, dans son +universalité; la manière dont il a été accompli ne peut laisser +aucun doute à cet égard.</p> + +<p>Ce mouvement national n'a-t-il été qu'un moment +d'emportement, un accès qui s'est tout à coup emparé du +peuple entier? Non, messieurs, cette révolution si soudaine, +si spontanée dans son explosion et dans son mode d'exécution, +elle se préparait depuis longtemps; elle a mûri lentement. +Depuis quinze ans, depuis dix ans surtout, nous y +marchions, de l'aveu de tout le monde: c'est le singulier +caractère de cet événement qu'en même temps que, dans son +mode d'exécution, il a été imprévu pour tous, il était +au fond, depuis quelque temps, prévu de tous comme +inévitable, et accepté presque de tous comme nécessaire. +Même avant d'être accompli au dehors, il l'était dans +les esprits; il a été inattendu et prévu en même temps.</p> + +<p>Messieurs, je ne voudrais faire aucun appel aux passions, +ni réveiller aucun souvenir révolutionnaire; mais pour bien +faire comprendre le véritable caractère de notre révolution +et sa légitimité, je suis obligé de remonter un peu haut +et de reprendre l'histoire de la Restauration. Je n'ai aucun +dessein de mettre la Restauration aux prises avec la révolution, +ni de relever ce procès tant débattu; je me renfermerai +dans l'intérieur de la Restauration même, dans +son développement particulier, et vous verrez la révolution +de Juillet en sortir nécessairement, comme une conséquence +naturelle, légitime, des fautes de la Restauration, du développement +de ce qu'il y avait de radicalement vicieux dans +son sein.</p> + +<p>Dès son origine, quiconque a observé attentivement la +Restauration, a pu voir qu'elle était en proie à deux principes, +à deux influences contraires: l'une bonne, l'autre +mauvaise; l'une favorable aux intérêts du pays, conforme à +ses sentiments; l'autre hostile aux mêmes sentiments, aux +mêmes intérêts.</p> + +<p>Ce qui a fait la force de la Restauration, car elle a eu de +la force, elle a duré quinze ans au milieu des attaques de +ses adversaires et des conspirations; ce qui a fait sa force, +dis-je, c'est d'abord qu'elle s'est présentée à l'Europe comme +une garantie de paix, de stabilité, dont la France avait +un si grand besoin, après tant de triomphes et de fatigues.</p> + +<p>De plus, la Restauration, en établissant un gouvernement +qui n'était pas l'oeuvre de sa propre force, ni le résultat +récent de la volonté de quelques hommes, un gouvernement +qui se fondait sur un droit antérieur et ancien, la Restauration +a ramené en France, sous un certain rapport, le respect +du droit, l'empire de cette idée salutaire sur laquelle la société +repose, l'idée qu'il y a des droits acquis, des droits anciens +qui ne doivent pas être sans cesse remis en question, qui +subsistent par eux-mêmes et sont la base de l'édifice social. +Ce principe, la Restauration le portait en elle-même; il était +son meilleur titre, celui qui faisait sa force, non-seulement +en France, mais en Europe.</p> + +<p>En même temps, messieurs, et par-dessus tout, ce qui +faisait la force de la Restauration, c'était la Charte, c'est-à-dire +l'adoption des principes les plus essentiels et des principaux +résultats de notre révolution.</p> + +<p>Gage de paix, respect du droit, adoption par la Charte +des grands résultats et des grands principes de notre révolution, +voilà le bon côté, la bonne influence et ce que j'appelerai +volontiers le bon génie de la Restauration.</p> + +<p>Mais, en même temps, elle était évidemment en proie à +d'autres forces, à d'autres influences. Avant tout, elle +portait dans son sein la prétention à une souveraineté illimitée, +supérieure à toutes les lois, invariable, éternelle, +c'est-à-dire la prétention au pouvoir absolu.</p> + +<p>A côté de la prétention au pouvoir absolu, la Restauration +portait une disposition constante à favoriser tous les abus +de l'ancien ordre de choses qui avait péri avec l'ancienne +royauté; c'est-à-dire tout le régime aristocratique et tout le +régime ecclésiastique qui tenaient dans l'ancienne société +une si grande place.</p> + +<p>La prétention au pouvoir absolu et la tendance à rétablir +l'ancien état social, sans s'inquiéter de savoir s'il convenait +aux générations nouvelles, c'était là le mauvais côté, la +mauvaise influence, le mauvais génie de la Restauration.</p> + +<p>Reprenez, messieurs, ce qui s'est passé en France depuis +1814 jusqu'à nos jours, et vous verrez que l'histoire de la +Restauration n'est autre chose que la lutte de ces deux principes, +de ces deux génies qui se la disputaient constamment. +Elle a cédé tantôt à l'un, tantôt à l'autre. Les vicissitudes de +cette lutte font toute sa vie. Et au milieu de ces vicissitudes, +toutes les fois que le mauvais génie l'a emporté ou a paru +l'emporter, toutes les fois que la Restauration a cédé, soit à +la prétention du pouvoir absolu, soit au retour de l'ancien +état social, la prévoyance de ses revers prochains s'est à +l'instant répandue; des prédictions sinistres ont retenti, +non-seulement de la part de ses adversaires, de la part des +hommes qui faisaient, depuis son origine, profession de la +combattre, mais de la part de ses anciens amis, de ses partisans, +de ses meilleurs conseillers.</p> + +<p>Plus d'une fois, messieurs, vous le savez, des paroles de +ce genre ont retenti dans cette enceinte: le mot de <i>répugnance</i> +a été dit à cette tribune par un courageux adversaire +de la Restauration. Un mot plus sévère, plus concluant, le +mot d'<i>incompatibilité</i> a été prononcé à cette tribune par +une bouche amie, qui n'avait jamais donné que d'utiles +conseils. (<i>Sensation.</i>)</p> + +<p>Toutes les fois donc qu'entre les deux influences qui se +disputaient la Restauration, celle du pouvoir absolu et de +l'ancien régime semblait prévaloir, la prédiction de l'événement +qui s'est accompli sous nos yeux était dans tous les +esprits, dans toutes les bouches, et retentissait au milieu de +vous.</p> + +<p>Et cette opinion n'était pas particulière aux spectateurs +de ce qui se passait au milieu de nous, aux anciens et sages +amis de la Restauration; c'était celle de l'Europe. Toutes +les fois que la mauvaise influence paraissait l'emporter, +l'Europe s'en inquiétait; l'Europe prévoyait des troubles, +des désastres.</p> + +<p>Depuis 1820, c'est cette influence, c'est le mauvais génie +de la Restauration qui s'est emparé d'elle. Un moment son +action a été suspendue sous une administration qui avait de +bonnes intentions, et à laquelle nous devons nos lois les plus +efficaces, les lois avec lesquelles nous nous sommes défendus +contre le pouvoir absolu, avec lesquelles nous avons reconquis +la liberté et fait la révolution nouvelle. Mais cette suspension +a été courte: le mauvais génie de la Restauration a +bientôt repris possession d'elle; au mois d'août 1829, sa +victoire a été définitive; au mois d'août 1829, le mauvais +génie de la Restauration l'a saisie sans retour.</p> + +<p>Vous avez entendu professer aussitôt cette doctrine d'une +souveraineté illimitée, invariable, qui était, je le répète, depuis +quatorze ans, l'écueil le plus dangereux, celui contre +lequel la Restauration devait un jour se briser. Vous avez vu +cette doctrine devenir la doctrine fondamentale du pouvoir; +vous l'avez entendu l'opposer constamment à tous ses adversaires. +Et chose singulière, au moment même où les prétentions +du pouvoir devenaient exorbitantes, où il aspirait à +cette souveraineté absolue, illimitée, qui n'appartient à personne, +il montrait en même temps la faiblesse et l'incapacité +la plus entière; plus ses prétentions croissaient, moins sa +force était grande. Il était d'une incapacité non-seulement +nuisible aux intérêts du pays, mais de cette incapacité qui +offense, qui humilie la dignité des peuples qui la voient +régner sur eux. Le pays était blessé en même temps dans +son honneur par les prétentions du pouvoir absolu, et dans sa +dignité actuelle par le spectacle de l'impéritie à laquelle il +était en proie. (<i>Marques d'adhésion.</i>)</p> + +<p>Dans cette triste année, livrée à un pouvoir qui professait +des opinions si antipathiques à ses sentiments, qui se montrait +incapable d'aucune grande chose, qu'a fait la France? +Elle ne s'est point agitée; elle n'a pas dit un mot ni fait une +démarche hors de la ligne tracée par la légalité; elle a parfaitement +compris sa situation et la force qu'elle pouvait tirer +des droits déjà acquis. Elle s'est bornée à exercer les libertés +qu'on ne pouvait lui arracher, et à invoquer les principes de +la Charte. Jamais, je le répète, la France ne s'est moins +agitée; jamais elle ne s'est plus strictement renfermée dans +les limites de ses droits constitutionnels qu'au moment où le +pouvoir les franchissait de toutes parts et manifestait des +prétentions illimitées. Point de complot, point d'émeute +pendant cette année. Cependant la France n'avait pas +perdu courage, elle réclamait ses droits, elle les réclamait +avec une énergie de plus en plus croissante; elle avait confiance +dans son avenir constitutionnel, dans cet avenir qui +s'est accompli sous nos yeux.</p> + +<p>Cet avenir, messieurs, depuis le 8 août, préoccupait +tous les esprits; il était dans toutes les bouches, dans les +bouches qui professaient les opinions les plus contraires.</p> + +<p>Je n'ai rien à dire de l'<i>adresse</i> qui est sortie de cette +Chambre, adresse conçue dans le langage le plus respectueux, +le plus affectueux que jamais pays ait parlé au pouvoir. Je +ne dirai rien non plus des élections de 1830 et de leur caractère. +Vous vous rappelez comment tous les citoyens +usèrent de leurs droits sans jamais les dépasser.</p> + +<p>L'Europe sait quelle sagesse présida à l'<i>adresse</i> et aux +élections. Eh bien, messieurs, toute la sagesse du pays a été +inutile, inutile pour enlever la Restauration au mauvais +génie qui s'était emparé d'elle. Le pays a été vainement +légal, prudent, réservé; toute sa prudence n'a pu empêcher +que la Restauration ne se soit précipitée vers sa ruine.</p> + +<p>Qu'est-il donc arrivé, messieurs, quand l'événement s'est +accompli, quand la révolution a éclaté avec cette spontanéité, +cette universalité dont je parlais tout à l'heure? Est-il arrivé +une usurpation, un acte de violence du pays contre son +gouvernement? Non, messieurs; il est arrivé le dénoûment +de la lutte qui existait en France depuis quinze ans, et particulièrement +depuis dix ans. Il est arrivé que le mauvais +principe de la Restauration ayant prévalu dans son sein, +s'étant emparé d'elle, il a porté ses fruits, fruits désirés par +les uns, redoutés par les autres, également prévus par tous, +quoique dans des termes et avec des sentiments différents.</p> + +<p>Il n'est donc pas vrai, messieurs, que notre révolution +puisse être taxée d'usurpation, de violence, qu'elle puisse être +traitée comme un simple fait accompli dans un brusque accès +de colère qui s'est emparé tout à coup d'un peuple. Elle est, +je le répète, le résultat naturel, attendu, du cours des choses; +elle est un de ces événements qui sont conformes aux lois de +la Providence, qui sont évidemment amenés par elle; un de +ces événements qui satisfont, pour ainsi dire, l'intelligence +humaine, parce qu'ils lui apparaissent comme la manifestation +de la sagesse divine. La Restauration a été frappée +de mort par ses propres fautes, et tout le monde s'est +rangé pour laisser passer la justice du pays, qui la renvoyait +hors du territoire. (<i>Vifs mouvements d'adhésion.</i>)</p> + +<p>Je n'hésite pas à le dire: notre révolution a été parfaitement +légitime dans son principe; elle n'a point été faite au +profit de telle ou telle théorie douteuse, de tel ou tel parti, +de telle ou telle passion révolutionnaire; elle a été faite pour +repousser la prétention au pouvoir absolu, cette prétention +éternellement illégitime.</p> + +<p>On parle d'ordre public; notre révolution a été faite pour +rétablir l'ordre public à chaque instant menacé par les prétentions +et les faiblesses du pouvoir. On parle de serments: +notre révolution a été faite contre le parjure, elle a été faite +pour rétablir le respect du serment outrageusement violé. +(<i>Très-bien, très-bien!</i>) On parle d'actes arbitraires, de caprices +d'imagination: notre révolution a été nécessaire; elle n'a +été faite par la volonté de personne, mais par le mouvement +spontané de tous; personne ne peut s'en vanter, personne +n'en a le mérite; elle a été l'oeuvre universelle de la nécessité +et du pays.</p> + +<p>Si, après avoir démontré sa légitimité morale et sa nécessité +politique, je parlais de sa conduite; si je faisais voir à +quel point elle a été sage, prudente, réservée, et quant au +choix de son souverain, et quant aux modifications qu'elle a +apportées dans la Charte et dans tout notre gouvernement, +et dans ses actes envers ses adversaires; si j'insistais, dis-je, +sur tous ces points, on verrait que là aussi, comme dans son +principe, elle a été pleinement légitime, plus légitime qu'il +n'a jamais été donné à aucun semblable événement de l'être.</p> + +<p>Et c'est précisément, messieurs, la sagesse, la beauté, la +modération, la légitimité de notre révolution, qui font aujourd'hui +une des principales difficultés du gouvernement. +Parce que la révolution a été très-douce, très-modérée, le +pouvoir est obligé d'être doux, modéré; parce qu'elle a été +juste, impartiale, parce qu'elle n'a paru animée d'aucune +mauvaise passion, le pouvoir est obligé de les combattre +toutes; il ne peut se livrer à un parti; il ne peut pas être +moins impartial, moins raisonnable que ne l'a été la révolution +au moment où elle s'accomplissait. Cependant les passions, +les partis surgissent de toutes parts; le pouvoir est aux +prises avec eux; le caractère même de la révolution qui l'a +enfanté lui impose des lois que les partis, qui s'agitent autour +de lui, travaillent à lui faire méconnaître. Il doit accepter +cette destinée, messieurs; il est de son honneur de ne pas +valoir moins que la révolution même. Il ne le pourrait pas +sans démentir sa mission, son origine. Mais, messieurs, parce +que la modération, la sagesse, l'impartialité sont imposées au +pouvoir, ce n'est pas qu'il doive laisser prendre le ton haut +aux adversaires de notre révolution, ni la laisser calomnier et +injurier, comme nous l'avons vu souvent. Non, il n'y a aucun +des reproches adressés à notre révolution qui ne puisse être +victorieusement repoussé. L'usurpation, la violence, le caprice +ont été le fait de ses adversaires, et non le sien. Ses +principes ont été aussi légitimes que ses actes ont été beaux, +et nous avons pleinement le droit de les écrire dans nos lois, +puisque ce sera notre honneur de les avoir écrits dans notre +histoire.</p> + +<p>Je vote pour le projet. (<i>Sensation prolongée.</i>)</p> + +<a name="XIX" id="XIX"></a> +<br><br> +<h3>XIX</h3> + +<p class="mid">Discussion relative aux inquiétudes et aux troubles provoqués +à l'approche du procès des ministres du roi Charles X.</p> + +<p class="mid">--Chambres des députés.--Séance du 20 décembre 1830.--</p> + +<p class="large">Le président du cabinet du 3 novembre 1830, M. Laffitte, +ayant donné, dans cette séance, à la Chambre des +députés, l'assurance que le gouvernement prenait toutes +les précautions nécessaires pour garantir l'ordre public +et la justice pendant le procès des ministres de Charles X, +nous prîmes successivement la parole, M. Dupin, +M. Odilon Barrot et moi, pour promettre au cabinet que +le ferme appui de la Chambre ne lui manquerait pas.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--C'est un rare et immense bonheur que de +monter à cette tribune pour y exprimer tous les mêmes sentiments, +pour y former tous les mêmes voeux. Nous sommes +ici en général, non pour nous combattre, mais pour discuter, +pour exprimer des opinions, souvent des intentions différentes. +Aujourd'hui, une seule opinion, un seul sentiment, +une seule intention éclatent à cette tribune. Je n'y serais donc +pas monté, si je n'avais besoin de remercier tous les membres +qui viennent de parler d'être entrés, au milieu de circonstances +si graves, dans la voie de la publicité la plus complète, +et d'avoir livré à cette tribune les faits qu'elle attendait depuis +quelques jours et les questions qui agitent tous les esprits.</p> + +<p>L'honorable préopinant vous disait tout à l'heure: une +multitude de fantômes se mêlent à des peurs réelles; tous les +objets assiégent à chaque instant toutes les imaginations. La +publicité seule, la publicité la plus complète peut remédier +à cette déplorable crise momentanée. C'est avec la publicité, +avec la discussion, c'est en abordant toutes les questions à +cette tribune, en apportant tous les faits sur la place publique +que nous ayons vaincu le gouvernement de Charles X. C'est +avec la publicité, avec la plus entière liberté de la tribune, +en ne craignant jamais de tout dire ni les uns aux autres, ni +au pays, que nous viendrons à bout de tous les adversaires, +de tous les dangers. Nous avons confiance au gouvernement, +confiance entière, et c'est en répondant comme il l'a fait aujourd'hui, +aussi promptement, aussi naturellement, à l'appel +qui lui a été fait, qu'il s'est montré plus que jamais digne de +cette confiance. Je remercie les ministres du Roi d'avoir sur-le-champ +répondu à l'interpellation qui leur a été faite. Cette +interpellation, elle ne leur avait pas été adressée, et elle +ne leur sera jamais adressée dans un sentiment de malveillance.</p> + +<p>Qu'il me soit permis de le dire, la responsabilité des ministres +du Roi ne serait pas la seule engagée dans ce qui se +passe aujourd'hui en France. L'événement qui fait la gloire +de notre patrie, nous y avons tous pris part. La révolution de +Juillet est l'oeuvre de cette Chambre comme des ministres du +Roi. Notre responsabilité à tous y est engagée.</p> + +<p>Jusqu'ici, nous avons eu ce bonheur que, malgré la diversité +d'opinions, aucun de nous n'a répudié sa part dans ce +grand événement. Depuis quatre mois, notre révolution, à travers +la diversité des opinions, s'est maintenue pure, exemple +de tout excès; elle n'a porté atteinte à aucune liberté, elle a +promis d'assurer au pays un avenir illimité de développements +et de bonheur.</p> + +<p>Eh bien! c'est au nom de notre responsabilité commune +que nous avons droit, à chaque événement, chaque jour, de +demander des explications pour nous assurer que notre révolution +restera telle que nous l'avons faite, qu'elle ne tombera +pas en des mains qui la détourneraient de cette voie, qui lui +feraient perdre son caractère.</p> + +<p>Il s'agit non-seulement du gouvernement, non-seulement +des ministres, il s'agit de nous tous: nous répondons tous à +la France, et de la liberté de la France et de la paix publique, +et de l'ordre et de son avenir tout entier. C'est donc dans les +intérêts de notre responsabilité commune que nous avons +droit d'appeler ici toutes les questions, tous les faits, de provoquer +la publicité la plus entière, de demander que rien ne +soit ignoré, ni de nous ni du pays.</p> + +<p>La publicité: cette arme suffira contre les dangers, contre +les brouillons de tout genre. Quels qu'ils soient, de quelques +contrées qu'ils viennent, ils en sont réduits aux mêmes +moyens, aux associations secrètes, aux coups d'État; n'importe +le nom des factieux, n'importe le nom des coteries, ils +n'ont jamais que les mêmes armes, et c'est avec l'arme de la +liberté, de la publicité, que nous dissiperons tous les complots, +toutes les associations secrètes, tous les dangers, de +quelque nature qu'ils soient.</p> + +<a name="XX" id="XX"></a> +<br><br> +<h3>XX</h3> + +<p class="mid">Débat relatif aux troubles et aux incidents survenus pendant +et après le procès des ministres de Charles X.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 29 décembre 1830.--</p> + +<p class="large">Dans les séances des 28 et 29 décembre, le comte de +Rambuteau, député de Saône-et-Loire, ayant demandé +au gouvernement des explications sur la situation +du pays, au dedans et au dehors, M. Laffitte, président +du conseil, et après lui MM. Odilon Barrot, Charles de +Lameth, Bignon et Salverte prirent successivement la +parole. Je la pris à mon tour pour rappeler et maintenir +mes idées générales sur la révolution de Juillet, la politique +que j'avais pratiquée dans le pouvoir, et les vraies +causes des troubles et des alarmes auxquels la France +était en proie.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je ne viens, et j'espère que la Chambre me +fait l'honneur de le croire d'avance, je ne viens contester aucune +des explications qu'elle a entendues hier et aujourd'hui, +soit du président du conseil, soit de plusieurs des honorables +préopinants. Elles me paraissent toutes fondées et pleinement +satisfaisantes. Mais, dans l'état actuel de la société, des explications +personnelles, quelque considérables que soient les +personnes, ne sauraient suffire. Les choses sont si grandes +aujourd'hui qu'aucun homme, quelle que soit la place qu'il y +occupe, n'a pu devenir le centre de tout. Les questions se +rétrécissent et se rapetissent quand elles deviennent personnelles. +L'un des préopinants, je dirai volontiers tous les préopinants, +et M. le préfet de la Seine entre autres, l'a si bien +senti qu'il s'est écarté de ce qui le touchait personnellement +pour appeler l'attention de la Chambre sur des considérations +plus générales, et tous les orateurs qui ont parlé depuis l'ont +suivi dans cette voie. La Chambre me permettra d'aller un +peu plus loin.</p> + +<p>Je demande aussi la permission de ne pas revenir sur ces +attaques de quelques journaux, sur ces proclamations pleines +d'inconvenance de quelques jeunes gens, qui ont préoccupé +les esprits. J'ai voulu me rendre compte en chiffres de l'importance +que pouvaient avoir les faits; je me suis assuré que, +sur cinq à six mille jeunes gens qui forment les grandes écoles +de Paris, à peine trois à quatre cents avaient apposé leur +signature à ces proclamations. Réduits en chiffres, les faits +n'ont donc pas une grande valeur. Nous ne devons jamais oublier +que nous vivons et que nous devons vivre sous un régime +de liberté, c'est-à-dire de liberté pour le faux comme pour le +vrai, pour le mal comme pour le bien, pour un langage inconvenant, +violent, grossier, comme pour un langage vrai et +mesuré. Il serait vain de prétendre étouffer toutes les erreurs, +relever tous les mensonges, toutes les inconvenances, toutes +les mauvaises paroles; dans le régime où nous vivons, +je le répète, les corps politiques comme les individus ont besoin +de se munir d'une large provision de facilité et quelquefois +même de dédain. (<i>Sensation.</i>)</p> + +<p>Ce n'est donc pas sur ces faits, c'est sur les causes générales +de la situation actuelle, c'est sur le caractère général du +malaise, qui évidemment nous travaille et dont tout le monde +convient, que je veux appeler l'attention de la Chambre.</p> + +<p>Quand la Charte parut en 1814, que fit le pouvoir qui en +semblait l'auteur (car il avait fallu vingt-cinq ans de lutte et +de victoire pour la réclamer)? Le pouvoir qui en semblait l'auteur +eut soin de déposer dans le préambule le mot <i>octroyé</i>, +et dans le texte, l'art. 14, qui lui donnait le pouvoir de faire +des ordonnances pour la sûreté de l'État; c'est-à-dire qu'il +s'attribuait avant la Charte et se réservait après la Charte +un pouvoir antérieur, supérieur, extérieur à la Charte, +c'est-à-dire le pouvoir constituant, souverain, absolu. C'est +ce pouvoir ou plutôt cette prétention qui a fait pendant +quinze ans l'inquiétude et le tourment de la France; elle +l'a toujours vu suspendu sur sa tête; il a été comme un +poison qui venait se mêler à tous les biens, à toutes les espérances; +et la France avait bien raison de le craindre, car les +publicistes de parti n'ont jamais cessé de professer cette doctrine, +et quand le jour de la possibilité est venu, ses ministres +en ont fait l'application.</p> + +<p>C'est contre ce pouvoir extraconstitutionnel qu'au mois de +mars dernier la Chambre a rédigé son adresse à la Couronne; +c'est contre ce pouvoir qu'au mois de juillet la France a fait +sa révolution. Au mois de juillet, la France a voulu, a cru +abolir tout pouvoir extraconstitutionnel, tout pouvoir extralégal. +La pensée nationale, le sentiment dominant et de la +population de Paris et de la France entière a été d'enfermer +désormais le pouvoir dans le cercle de la constitutionnalité +et de la légalité. C'est sous l'empire de cette idée que la révolution +de Juillet a commencé et qu'elle s'est accomplie dans +toute la France avec la rapidité de l'éclair.</p> + +<p>Eh bien! messieurs, dans son espérance de vouloir abolir +tout pouvoir extraconstitutionnel, la France s'est trompée. +Maintenant c'est ce même pouvoir, cette même prétention +que depuis quelques mois on essaye de ressusciter au milieu +de nous, portant un autre nom, déposé en d'autres mains, +mais de même nature et destiné à produire des conséquences +également funestes. C'est d'un gouvernement octroyé et d'un +art. 14 que nous sommes menacés aujourd'hui. (<i>Mouvement +en sens divers.</i>)</p> + +<p>Messieurs, le gouvernement que nous avons le bonheur de +posséder est né au milieu de l'insurrection. C'est pendant +que l'insurrection éclatait et triomphait, que le Roi a été proclamé, +la Charte modifiée, tout l'ordre actuel établi. Eh +bien! il y a des gens qui réclament, au nom de l'insurrection, +un pouvoir extérieur et supérieur à notre royauté, à +notre Charte, à tout l'ordre actuellement établi, et qui menace +sans cesse de ses prétentions tous les pouvoirs légaux +constitutionnels.</p> + +<p>Écoutez ce qui se dit, lisez ce qui s'imprime! N'est-ce pas +constamment au nom de ce pouvoir extérieur, supérieur à +tous les pouvoirs constitutionnels, qui réside on ne sait où, +qu'on ne peut saisir nulle part; n'est-ce pas, dis-je, au nom +de ce pouvoir qu'on demande, qu'on menace, qu'on parle? +N'est-ce pas lui qu'on prend pour point d'appui? Ne dit-on +pas, non pas d'une manière aussi claire, aussi précise, mais +au fond, c'est la même chose, que c'est ce pouvoir qui nous +a octroyé le gouvernement que nous possédons et qui pourrait +bien, s'il le voulait, le retirer ou le modifier à son gré? +(<i>Sensation.</i>)</p> + +<p>Je ne suis pas si étranger au cours des choses de ce monde +que j'ignore que les pouvoirs écrits, les constitutions légales +ne suffisent pas toujours à toutes les chances de la vie des +sociétés; je sais qu'il y a des nécessités qui font éclater des +forces, des pouvoirs que les lois ne contiennent pas; que ces +pouvoirs extraordinaires, indéfinissables, sont saisis tantôt +par les gouvernements, tantôt par les masses populaires; +qu'ils s'exercent dans les deux cas au nom de la nécessité, et +que lorsqu'ils réussissent, c'est presque toujours pour le salut +du pays, au 18 brumaire comme au 30 juillet.</p> + +<p>Mais dans ces deux cas le droit provient d'une nécessité +momentanée d'accomplir un fait immense que les pouvoirs +légaux et constitutionnels n'accompliraient pas. Je +dis plus, au moment même où ils éclatent, où ils s'accomplissent, +les faits dont je parle n'appartiennent à personne; +personne n'a le droit de s'en prétendre le possesseur: +ils sont la manifestation d'une volonté générale; et ceux-là +même qui semblent les tenir en main, qui en semblent des +dépositaires, ne sont que les instruments d'un pouvoir répandu +partout, et qui ne serait pas ce qu'il est, s'il n'avait pas +pour lui le pays tout entier.</p> + +<p>Dans la situation où nous sommes, je dis que le pouvoir, +au nom duquel on réclame sans cesse, ne saurait être de cette +nature. Il ne s'agit pas d'accomplir aujourd'hui quelques-uns +de ces faits extraordinaires qui exigent l'intervention d'un +semblable moyen.</p> + +<p>Pourquoi réclame-t-on un pouvoir antérieur et supérieur +à la Charte? Pour faire des lois, pour placer ou déplacer les +personnes, pour discuter des jugements, rendre des arrêts. +Eh! messieurs, c'est là ce que les pouvoirs légaux et constitutionnels +sont appelés à faire; c'est là le cours régulier des +choses. Ce pouvoir supérieur, que j'entends sans cesse invoquer, +n'a rien à voir en pareille occasion; il n'est pas appelé, +ce n'est pas lui que cela regarde. C'est là l'erreur qui a perdu +le gouvernement de Charles X. Qu'avait-il à faire? Une loi +d'élection; et il est allé la demander à ce pouvoir supérieur, constituant, +dont il se croyait revêtu. Eh bien! quand on nous +parle, dans les questions qui nous occupent, d'un pouvoir +extraconstitutionnel, on fait précisément ce que faisaient les +publicistes de Charles X et ce qu'ont fait ses ministres. (<i>Vive +sensation.</i>)</p> + +<p>Je vous le demande, qui invoque le pouvoir extraconstitutionnel, +qui s'en prétend possesseur, dépositaire, qui a le +droit de parler en son nom? Est-ce la France entière, est-ce +cette nation qui a concouru à la révolution de Juillet, soit +activement, soit par sa prompte et générale approbation? +Est-ce toute la population de Paris qui s'est armée pour accomplir +cette révolution? Non. Je ne voudrais pas me servir +de termes offensants, et je n'attache à ceux que j'emploie +aucune expression dont on puisse être blessé; je dis que ceux +qui invoquent un pouvoir extraconstitutionnel sont bien loin +de former la population de Paris, que c'est un parti isolé, +que je crois peu nombreux dans la nation, qui n'a pas +fait la révolution de Juillet, qui ne l'aurait pas faite seul, et +qui n'a nul droit de parler en son nom. (<i>Marques d'adhésion +aux centres.</i>)</p> + +<p>Déjà plus d'une fois à cette tribune, on a parlé des éléments +du parti auquel je fais allusion. Qu'il me soit permis +de le décomposer. J'y rencontre d'abord des esprits spéculatifs, +amis sincères de la vérité, pleins du sentiment de la dignité +humaine, dévoués à ses progrès, qui lui ont rendu et +lui rendront encore de grands services, mais habituellement +dominés par certaines idées générales, par certaines théories +que, pour mon compte, je crois, non pas inapplicables, non +pas exagérées, mais fausses, radicalement fausses, aussi +fausses aux yeux de la raison du philosophe que de l'expérience +du praticien. Eh bien! je dis que c'est l'empire de +cette théorie qui altère continuellement la raison et les démarches +de personnes que j'honore infiniment. A côté d'elles, +derrière elles viennent les fanatiques, qui croient aussi aux +théories et qui de plus y ajoutent des passions personnelles +dont ils ne se rendent pas un compte bien rigoureux, mais +qui, par l'effet de la passion et d'une conviction sincère, constituent +ce qu'on appelle le fanatisme. Les fanatiques, il y +en a de vieux, il y en a de jeunes; il y en a qui se désabuseront +dans le cours de la vie, qui deviendront plus raisonnables, +plus éclairés, et d'autres qui persisteront dans leur +fanatisme. Le monde a toujours offert ce spectacle. Dans +mon opinion, voilà le bon grain du parti. (<i>Rire prolongé.</i>) +L'ivraie, ce sont d'abord les ambitieux, les mécontents; les +révolutions en font, elles suscitent des espérances immodérées. +Les ambitieux, il y en a de grands, de petits; il y en a +de capables et d'incapables; il y en a qu'un gouvernement +raisonnable fera très-bien de satisfaire, auxquels il faut penser, +qui ont des droits, par cela seul qu'ils ont de la capacité +et de l'action sur le pays. Il y en a d'autres qu'il faut laisser +aller, parce qu'il n'y a rien de bon à en tirer, pas même leur +appui. (<i>On rit.</i>) Après les ambitieux et derrière eux, une petite +portion de la multitude, qui veut trouver dans le désordre, +non-seulement son parti, mais son plaisir; car les +hommes ont encore plus besoin d'émotions, de mouvements, +que de toute autre chose; et c'est le besoin d'émotions, de +plaisirs, de spectacles, qui met en mouvement la multitude, +bien plus que son intérêt. (<i>Sensation.</i>)</p> + +<p>A mes yeux, voilà le parti qui prétend parler au nom de +la révolution de 1830, qui prétend en être le propriétaire +exclusif (<i>Sensation</i>), qui prétend que la foudre, qui a éclaté +sur le gouvernement de Charles X, gronde encore et doit +gronder toujours sur le gouvernement de Louis-Philippe. +Je ne crois pas que cette foudre soit restée entre les mains +du parti; cependant, je crois qu'il exerce une grande influence +sur nos affaires, qu'il est pour beaucoup, et pour beaucoup +trop, dans la situation où nous nous trouvons.</p> + +<p>Quelle autre cause attribuer à ces bruits continuels de +concessions sollicitées par les émeutes, bruits auxquels je +n'ajoute aucune importance grave, mais qui ne peuvent venir +d'une autre cause que de cette réclamation continuelle au +nom de l'insurrection, qui caractérise le parti?</p> + +<p>Il y a quelques jours, si j'avais été appelé à dire à cette +tribune ce que j'y dis aujourd'hui, j'aurais suivi de plus près +sa trace, et cherché dans des faits plus spéciaux la preuve de +son influence. Aujourd'hui, je crois que les faits généraux +suffisent et qu'il n'est point nécessaire d'entrer plus avant +pour caractériser le principe du parti, le principe au nom +duquel il agit, la force qu'il réclame, et veut sans cesse faire +intervenir dans les affaires. Ce dont je vous demande la permission +de vous entretenir un moment, c'est le prétexte qu'il +fait valoir et les reproches qu'il adresse continuellement aux +pouvoirs légaux et constitutionnels avec lesquels il est en +lutte. (<i>Écoutez, écoutez.</i>)</p> + +<p>Je ne reviendrai pas, et la Chambre me le pardonnera, +sur toutes les allégations de détail.</p> + +<p>Les reproches particuliers qui ont été adressés aux différents +pouvoirs constitutionnels me paraissent se réduire à +deux faits généraux. On dit que les pouvoirs constitutionnels +ont manqué depuis quelques mois de confiance envers le +pays, et qu'ils n'ont pas servi assez largement la cause de la +liberté. Ces deux opinions viennent d'être émises à cette tribune +par un homme qui a droit d'être entendu avec attention, +et par la sincérité de ses opinions et par leur mérite.</p> + +<p>Messieurs, si je ne me trompe, ce n'est pas manquer de +confiance envers une partie quelconque de la société que +de discuter librement sa capacité, ses droits et le rôle qu'il +convient de lui assigner dans les affaires de l'État. Depuis +quinze ans, on a dit que c'était manquer de confiance envers +le Roi que de débattre ses prérogatives. Les constitutionnels +ont constamment repoussé ces arguments sans cesse reproduits. +Ils ont déclaré qu'ils respectaient les prérogatives du +Roi au moment où ils les discutaient; ils ont dit qu'ils avaient +confiance, et dans le Roi et dans son gouvernement, au moment +même où ils assignaient des limites à son pouvoir.</p> + +<p>Eh! messieurs, manquer de confiance parce qu'on diffère +d'opinion, parce qu'on discute! Je vous le demande, ne serait-ce +pas de la servilité? Tous les pouvoirs, toutes les portions +de la société, toutes les existences, toutes les institutions +sont livrés à la libre discussion. Dans cette assemblée et hors +de cette assemblée, nous avons tous le droit et de plus la +mission de dire ce que nous pensons, de mesurer les droits, +de régler les pouvoirs, de compter, de peser les capacités, +d'assigner des limites à telle institution; nous ne manquons +de confiance envers personne, nous accomplissons notre mission, +nous usons de notre droit, nous faisons acte de raison +et de liberté. Nous n'avons certainement pas renversé un +absolutisme pour l'échanger contre un autre; nous n'avons +pas renversé les prérogatives de la maison de Bourbon pour +baisser la tête devant d'autres prérogatives. (<i>Adhésion.</i>)</p> + +<p>Nous ne manquons pas de confiance en la garde nationale, +quand nous examinons si elle doit être organisée par communes +ou par cantons. Non-seulement nous avons cette liberté, +mais je dis que nous ne manquerons jamais de confiance +dans cette force publique, quand nous déciderons que +son organisation aura lieu d'une manière plutôt que d'une +autre. Qu'est-ce qui a le plus de confiance en la garde nationale, +ou de ceux qui craignaient les événements à travers lesquels +nous venons de passer, qui craignaient qu'il n'y eût de +la tiédeur, de l'indifférence dans la répression des désordres, +ou de ceux qui, des le premier jour, ont dit que la garde +nationale était animée d'un trop grand sentiment de l'ordre, +d'un trop vif respect de la justice pour ne pas réprimer les +désordres, pour ne pas protéger la justice partout où ce +besoin se rencontrerait? Ceux qui ont toujours professé ces +sentiments, ce sont ceux-là qui ont donné à la garde nationale +les plus grandes marques de confiance, et certes, elle +a montré qu'elle les méritait. (<i>Très-vive adhésion.</i>)</p> + +<p>Une autre loi nous est annoncée, la loi des élections. Manquerons-nous +de confiance envers les électeurs actuels, parce +que nous élargirons les droits électoraux, parce que nous +dirons qu'il convient qu'un plus grand nombre de citoyens +soit appelé à l'élection? Je ne le pense pas. Manquerons-nous +de confiance envers telle autre classe en disant qu'elle ne +paraît pas apte au droit électoral, qu'elle n'offre pas les garanties +nécessaires pour être dépositaire de cette portion de +la puissance publique? Non certainement. Nous sommes +libres, parfaitement libres; nous usons de notre droit, de +notre liberté; nous ne sommes tenus que d'avoir raison, que +de ne pas nous tromper: nous sommes tenus de bien discerner +la limite à laquelle doit s'arrêter tel ou tel droit, quelle +condition doit être attachée à l'exercice de telle ou telle fonction +publique. Nous n'avons donné à personne de marques +de défiance; personne ne peut dire que nous nous sommes +défiés de lui. Nous avons décidé une question qui nous était +soumise, nous avons peut-être pu nous tromper, mais pour +le droit, nul n'a le droit de nous le contester. (<i>Voix nombreuses: +Très-bien! très-bien!</i>)</p> + +<p>A cette occasion, le mot de <i>dissolution</i> a été prononcé, +comme il l'avait été déjà plusieurs fois. Je suis bien aise de +dire là-dessus toute ma pensée. Je fais profession de ne pas +savoir ce qu'on peut penser d'une question de dissolution. +Toute question de dissolution me paraît être une question de +circonstance qui doit être décidée selon le besoin du moment, +l'intérêt du pays, l'état général des affaires au dedans et au +dehors. Je n'ai pour mon compte, quant à présent, aucune +opinion à cet égard, et je ne crois pas qu'il soit raisonnablement +possible d'en avoir une.</p> + +<p>Je prie qu'on veuille bien se rappeler qu'un grand nombre +des membres qui siégent dans cette Chambre sont les mêmes +qui, au mois de mars, ont provoqué la dissolution de la +Chambre à laquelle ils appartenaient. Ils ne redoutaient nullement +l'épreuve de la réélection; ils ne la redoutent pas plus +aujourd'hui qu'ils ne la redoutaient alors. (<i>Très-bien! très-bien!</i>)</p> + +<p>Mais il n'y a dans leur position actuelle aucune raison de +provoquer aujourd'hui la dissolution qu'ils réclamaient au +mois de mars. Le jour où le gouvernement du Roi le jugera +utile, nécessaire, tous les membres de cette Chambre se représenteront +devant leurs concitoyens, avec leurs opinions, +leurs actes, et je ne crains pas de le répéter, la dissolution +qui serait prononcée ne serait pas pour eux plus redoutable +que celle qu'ils ont provoquée il n'y a pas longtemps.</p> + +<p>Voilà ce que j'avais à dire, ce qui s'est présenté à mon +esprit sur le premier reproche allégué habituellement contre +les pouvoirs constitutionnels, le manque de confiance. J'arrive +au second: on n'a pas servi assez tôt la cause de la liberté. +Il est très-vrai, la révolution de 1830 n'a pas fait encore, pour +la liberté et pour l'ordre public, tout ce qu'elle peut faire, +tout ce qu'elle doit faire, tout ce qu'elle fera. Il est très-vrai +qu'un avenir immense est ouvert devant notre révolution +de 1830, et qu'elle y marchera longtemps sans atteindre le +but. Cependant, je suis bien aise de rappeler à la Chambre +et au public ce qui a déjà été fait.</p> + +<p>A la fin de la Charte constitutionnelle, nous avons, vous +le savez, inséré l'indication des lois qu'il nous paraissait important +de rédiger le plus tôt possible; il y en a neuf. Sur +ces neuf projets de lois promis au mois d'août à la France, +il y a quatre lois déjà faites: l'application du jury aux délits +de la presse et aux délits politiques, la réélection des députés +promus à des fonctions publiques salariées, le vote annuel +du contingent de l'armée, les dispositions qui assurent d'une +manière légale l'état des officiers de tout grade de terre et +de mer. Vous discutez la loi sur la garde nationale, vous +avez déjà voté l'abolition du double vote dans une loi transitoire +d'élections. Ainsi, messieurs, quatre lois sont faites, +deux sont en discussion et trois restent à faire. Et ici, je demande +à la Chambre la permission de lui dire en passant, +comme un fait qui m'est purement personnel, qu'en sortant +des conseils du Roi j'avais fait préparer une loi municipale et +départementale, une loi électorale et une loi sur l'imprimerie. +Ces lois étaient prêtes. Que le conseil actuel ait cru devoir +les remanier, les refondre, je le comprends; mais enfin +à aucune époque on n'a procédé aussi vite pour les conquêtes +à faire au profit de la nation.</p> + +<p>J'ajouterai que ce pouvoir extraconstitutionnel, extralégal, +auquel on fait sans cesse appel, n'est pas celui qui fera +faire le plus de progrès à la liberté. La liberté est née quelquefois +après les révolutions, et je ne doute pas qu'elle ne +vienne après la nôtre, de même que l'ordre est venu quelquefois +après le despotisme. Mais l'esprit de révolution, l'esprit +d'insurrection est un esprit radicalement contraire à la +liberté. C'est un pouvoir exclusif, un pouvoir inique et passionné +que ce pouvoir qui se prétend supérieur et extérieur +au pouvoir constitutionnel; il y a dans la nature même de ce +pouvoir, dans sa prétention, un principe radicalement incorrigible +de tyrannie. La liberté a pour résultat le partage des +pouvoirs et le respect qu'ils se portent les uns aux autres. La +liberté est au sein des pouvoirs constitutionnels, par suite de +leur empire régulier, du respect des lois.</p> + +<p>Les pouvoirs insurrectionnels sont très-propres à accomplir +les révolutions, à renverser par la force des gouvernements +établis, à dompter par la force des sociétés barbares. +Mais ne leur demandez pas la liberté, ils ne la portent pas +dans leur sein. C'est aux pouvoirs constitutionnels, c'est à la +Charte, aux lois, à un système fondé que vous pouvez demander +la liberté comme l'ordre; du sein de ce pouvoir extraordinaire, +supérieur à tous les pouvoirs, dont on se prévaut aujourd'hui, +il ne peut jamais sortir que le désordre et la tyrannie, +au moins momentanément. (<i>Très-bien! très-bien!</i>)</p> + +<p>Voilà, à mon avis, le mal véritable, le mal profond qui +nous travaille. Il réside dans ces tentatives de rétablir, +au profit de l'insurrection, l'art. 14 de la Charte, de faire +sans cesse appel, directement ou indirectement, à un pouvoir +extérieur et supérieur aux pouvoirs constitutionnels. C'est +là, selon moi, ce qui fait que, depuis quelque temps, la société +semble avoir perdu son assiette; elle cherche, pour ainsi dire, +son centre de gravité. Le gouvernement voit rôder continuellement +autour de lui un pouvoir étranger qui veut ou +le dominer ou le renverser. C'est là, je le répète, le mal +dont nous sommes attaqués, et ce mal, je le signale d'autant +plus librement que je suis loin de croire qu'il soit sans remède. +Je suis convaincu, au contraire, que nous avons sous +la main des moyens sûrs de nous en guérir. Le gouvernement, +j'ose le dire, ne s'est jamais écarté de la voie qu'il +devait suivre; il n'a peut-être pas fait, même quand +j'avais l'honneur d'être au ministère, tout ce qui était désirable; +mais il a toujours marché dans la voie de l'ordre, il a +toujours lutté contre le pouvoir extérieur dont je vous parle. +S'il continue à résister ainsi, l'avantage lui est assuré; les +Chambres, les pouvoirs constitutionnels ne lui refuseront +jamais leur concours: ils iront même au-devant de ses besoins; +et si les Chambres, si le gouvernement se manquaient +à eux-mêmes, j'ai confiance dans la société +dans la société française actuelle; j'ai la confiance qu'elle +se sauverait elle-même du désordre comme elle s'est +sauvée de la tyrannie. (<i>Très-vif mouvement d'adhésion.</i>)</p> + +<p>On cite des mots qui rappellent un état de choses +qui, à mon avis, n'existe plus. Nous entendons retentir sans +cesse les mots <i>aristocratie</i>, <i>démocratie</i>, <i>classe moyenne</i>. Je +vous avoue que pour moi, aujourd'hui, ces mots n'ont guère +plus de sens. La démocratie nous apparaît partout dans +l'histoire comme une classe nombreuse, réduite à une condition +différente de celle des autres citoyens et qui lutte contre +une aristocratie ou contre une tyrannie, pour conquérir les +droits qui lui manquent. C'est là le sens qui a été partout +attaché au mot <i>démocratie</i>. Il n'y a aujourd'hui rien de semblable +en France. Quand je regarde la société française, j'y +vois une démocratie, si vous voulez, mais une démocratie +qui a peu ou point d'aristocratie au-dessus d'elle, et peu ou +point de populace au-dessous.</p> + +<p>La société française ressemble à une grande nation où les +hommes sont à peu près dans une même condition légale, +très-diverse sans doute en bonheur, en lumières; mais la +condition légale est la même. La classification des anciennes +sociétés a disparu, et, je le répète, chez nous le mot <i>démocratie</i> +opposé au mot <i>aristocratie</i> n'a plus de sens. Une +grande société de propriétaires laborieux, à des degrés très-différents +de fortune et de lumières, voilà le sens actuel du +mot <i>démocratie</i>; eh bien! il n'y a là ni éléments de désordre, +ni éléments de tyrannie. Cette société se défendra, au besoin, +contre ceux qui voudraient abuser d'anciens mots et d'anciens +faits, pour l'égarer un moment. Il ne s'agit pas de s'appuyer +sur la classe moyenne, par opposition à telle ou telle +autre classe; il s'agit de s'appuyer sur la nation tout entière, +sur cette nation homogène, compacte, sans distinction de +classes. C'est par là qu'on assurera et ce retour à la prospérité, +et ce progrès vers la liberté qui sont les voeux de +tous, et dont l'esprit que j'ai signalé, cet esprit révolutionnaire, +cet esprit d'appel à un pouvoir étranger aux pouvoirs +constitutionnels, nous éloignerait au lieu de nous y ramener. +(<i>Mouvement d'adhésion au centre. Sensation prolongée.</i>)</p> + +<a name="XXI" id="XXI"></a> +<br><br> +<h3>XXI</h3> + +<p class="mid">Discussion du projet de loi sur la composition des cours +d'assises et les conditions de la décision du jury.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 8 janvier 1831.--</p> + +<p class="large">Le 1<sup>er</sup> décembre 1830, le gouvernement proposa à la +Chambre des députés un projet de loi pour réduire de +cinq à trois le nombre des magistrats appelés à former +les cours d'assises, et pour décréter que la décision du +jury ne se formerait, contre l'accusé, qu'à la majorité +de huit voix contre quatre. Ce projet fut vivement combattu +par plusieurs anciens et honorables magistrats, +entre autres par M. de Vatimeseuil. Ce fut après lui que +je pris la parole pour le défendre. Adopté par les deux +Chambres avec quelques amendements, le projet fut +promulgué comme loi le 4 mars 1831.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je ne suis pas étonné des objections nombreuses +et vives que rencontre le projet de loi qui vous est +soumis. Elles ont leur source dans nos habitudes judiciaires +et dans le système d'institutions sur lequel ces habitudes +sont fondées.</p> + +<p>Quel est en effet le caractère, je ne dirai pas unique, mais +fondamental de ce système? C'est la confusion des questions +de droit et des questions de fait, et la solution de ces deux +genres de questions différentes par les mêmes juges. Or, +dans cette hypothèse, les objections qu'on adresse au projet +sont non-seulement naturelles, mais légitimes. Lorsque les +questions de droit et de fait sont réunies et décidées par les +mêmes juges, il est légitime de chercher la garantie de la +bonté des jugements dans le nombre des juges et dans la +discussion préalable à laquelle ils se livrent. Mais en est-il de +même, lorsque les questions de droit et les questions de fait +sont séparées et décidées par des juges différents? Là réside, +à mon avis, toute la question.</p> + +<p>Pour mon compte, messieurs, je pense que, lorsque les +questions de droit et les questions de fait sont séparées et +décidées par des juges différents, il n'y a pas lieu de chercher +dans le nombre des juges et dans la discussion préalable la +garantie de la bonté des jugements, du moins quant aux +questions de droit.</p> + +<p>Pour s'en convaincre, il suffit, ce me semble, de se rendre +un compte un peu exact de la vraie différence qui existe +entre les questions de fait et les questions de droit, et aussi +de la différence des procédés par lesquels l'esprit humain +résout les unes et les autres. Si je pouvais établir devant la +Chambre que les procédés par lesquels l'esprit humain résout +les questions de droit sont essentiellement différents de ceux +par lesquels il résout les questions de fait, j'aurais, je crois, +fait un grand pas vers la démonstration de mon opinion.</p> + +<p>Les faits, messieurs, sont extrêmement compliqués; ils se +présentent accompagnés d'un grand nombre de circonstances; +ils ont besoin d'être considérés sous une multitude de faces; +ils sont de plus prodigieusement divers; il n'est pas possible +à la législation de les renfermer d'avance et complétement +dans une disposition commune, de les ramener à une formule +et à une phrase. Quel est donc le procédé naturel et +nécessaire de l'esprit quand il veut connaître des faits? C'est +le procédé de l'observation; il les observe, les considère sous +toutes leurs faces, et rapproche ensuite toutes les circonstances, +tous les éléments qui les constituent. Il résulte de +là que les faits ont besoin d'être examinés par un assez +grand nombre d'observateurs, et qu'il faut que ces observateurs, +ces juges du fait se communiquent, pour ainsi dire, les +divers points de vue sous lesquels ils l'ont considéré, et les +discutent entre eux pour arriver à la connaissance complète +et exacte du fait tout entier.</p> + +<p>Les faits ne sont pas une matière de méditation pure, de +raisonnement <i>a priori</i>; on n'arrive point à les connaître en +déduisant les conséquences d'un principe; l'observation, +l'observation variée, débattue, c'est là le moyen naturel, le +seul moyen de bien résoudre les questions de fait.</p> + +<p>En est-il de même des questions de droit? Non, certainement. +Quelle est la situation où se trouve l'esprit en présence +d'une question de droit? Un principe est posé, écrit dans la +loi; il s'agit de reconnaître les conséquences de ce principe; +il faut le bien déterminer, le suivre d'un oeil ferme dans +toutes ses applications. Le procédé de l'esprit humain en pareille +matière, c'est le raisonnement, la déduction logique; +ce n'est pas du tout l'observation. Le principe une fois posé, +une fois écrit, soit dans la loi, soit dans les précédents, l'esprit +humain, pour l'appliquer à un cas donné, opère tout +autrement que lorsqu'il se trouve en présence d'un fait à +connaître; et de même qu'en présence d'un fait, le grand +nombre des observateurs et la discussion entre eux sont indispensables, +de même, lorsqu'il s'agit de bien saisir un principe +et de le développer rigoureusement de conséquence en +conséquence, il faut un travail individuel, un long exercice; +c'est une oeuvre de science, de méditation, de raisonnement +solitaire, non d'observation et de discussion entre plusieurs.</p> + +<p>Cela est si vrai, messieurs, que les faits généraux, les faits +historiques sont d'accord avec l'analyse philosophique des +procédés intellectuels. J'ai une grande confiance aux faits +lorsqu'ils se sont développés sur une grande échelle, et se +présentent après avoir subi l'épreuve du temps. Eh bien, +qu'est-il arrivé dans les pays, dans les législations où l'on a +séparé les questions de fait des questions de droit, pour les +soumettre à des juges différents? Est-il jamais entré dans +l'esprit d'aucune législation de soumettre l'examen du fait à +un seul homme? Non, certes; le fait séparé du droit a toujours +été renvoyé à l'examen et à la discussion d'un assez +grand nombre d'hommes. En a-t-il été de même pour les +questions de droit? Nullement. Dans tous les pays où les +questions de droit et les questions de fait ont été séparées, on +a été naturellement conduit à soumettre les questions de droit +au jugement d'un petit nombre d'hommes, et presque partout +d'un seul homme.</p> + +<p>Nous avons ici deux grands exemples, Rome et l'Angleterre. +Dans le droit romain, la décision du point de droit était +confiée à un seul homme, soit magistrat, soit jurisconsulte +savant auquel on s'adressait pour avoir une réponse. La +jurisprudence romaine est en ceci complétement d'accord +avec la jurisprudence anglaise. Et ni l'une ni l'autre n'a été +une invention de la théorie, une habileté de la science; tel a +été le résultat naturel auquel les peuples et les législateurs +ont été conduits par la force même des choses; ils ont naturellement +reconnu, comme je le disais en commençant, que +les questions de fait avaient besoin d'être examinées par un +assez grand nombre d'hommes, et discutées entre eux sous +toutes leurs faces, qu'elles n'étaient pas matière de science, +de raisonnement pur, mais matière d'observation et de discussion; +tandis que les questions de droit pur doivent être +examinées par la science, par le raisonnement, par la méditation, +et sont remises avec avantage à la décision d'un petit +nombre d'hommes, d'un juge unique même, car c'est là, au +fond, mon opinion.</p> + +<p>Ainsi, par l'expérience du monde, aussi bien que par +l'examen philosophique des choses, on est conduit à reconnaître +que les questions de droit et les questions de fait ne se +jugent pas de la même manière, par les mêmes procédés, +qu'il y faut appliquer des moyens différents.</p> + +<p>Or, que faites-vous en ce moment, messieurs? Que fait la +loi sur laquelle vous délibérez? Elle réalise, elle consomme +chez nous la séparation des questions de droit et des questions +de fait. Jusqu'ici ces questions n'avaient pas été complétement +distinctes; les juges du droit intervenaient souvent dans le +jugement du fait. La loi qui vous est proposée fait cesser cet +état de choses. Elle veut remettre aux jurés la pleine décision +du fait et aux juges celle du droit. Est-ce au moment où vous +accomplissez la séparation de ces deux sortes de questions que +vous vous refuserez à réduire le nombre des juges du droit, +lorsque l'expérience prouve que cette réduction est la conséquence +naturelle et légitime de cette séparation?</p> + +<p>Et remarquez-le, messieurs, il ne s'agit point de diminuer +les garanties ni de la société, ni de l'accusé; il s'agit de savoir +quelles sont, dans chaque genre de questions, les garanties +véritables. Si les méditations savantes d'un seul homme sont +une meilleure garantie de la bonne solution des questions de +droit, il n'y a pas à hésiter, il faut adopter ce moyen. Si +l'examen de plusieurs est une meilleure garantie de la solution +des questions de fait, il faut y avoir recours. Nous voulons +tous également des garanties efficaces; la question est +de savoir lesquelles conviennent le mieux aux questions de +fait et aux questions de droit.</p> + +<p>Je ferai remarquer en passant un fait singulier. La législation +anglaise a été si loin dans cette route qu'elle a exigé, +pour la solution des questions de fait, l'unanimité des jurés, +et pour celle des questions de droit l'unité du juge. C'est le +système dans toute sa rigueur.</p> + +<p>On a opposé à ce système le nombre et l'importance des +questions que décident, chez nous, les juges d'assises. Messieurs, +ou ces questions roulent sur des points de droit, et +alors elles seront mieux décidées, à mon avis, par un petit +nombre de juges que par un grand nombre; ou ce sont des +questions de fait, et alors il faut les renvoyer aux jurés qui +les jugeront mieux également. Tel serait le cas pour les questions +de dommages-intérêts.</p> + +<p><i>Plusieurs voix:</i> C'est contraire à la législation existante; +alors il faut proposer de la changer.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot:</span>--Aussi sera-ce un jour mon avis, et dès +aujourd'hui je n'hésite pas à dire que j'aimerais mieux que +ces questions fussent décidées par le jury. Quant aux questions +préjudicielles, qui sont de vraies questions de droit, je +pense qu'elles seraient mieux jugées par un juge que par +cinq.</p> + +<p>Je sais, messieurs, que les questions de fait et les questions +de droit ne se séparent pas toujours parfaitement; je sais +qu'il y a des cas où les jurés, juges du fait, sont obligés de +prendre le droit en considération, et réciproquement; je sais, +par exemple, que quand le jury déclare un fait crime ou +délit, il pense forcément à la peine qui y est attachée. De +même, quand le juge applique la peine au fait déclaré constant, +il tient compte des circonstances du fait. Tout cela est +inévitable. Mais à l'objection qu'on en tire contre la réduction +du nombre des juges d'assises, il y a, je crois, deux réponses, +l'une particulière, l'autre générale.</p> + +<p>Personne n'ignore d'où vient la latitude laissée au juge +dans l'application de la peine. Comme le législateur s'est vu +dans l'impossibilité d'atteindre avec précision tous les faits +et de les définir d'avance pour appliquer à chacun la peine +exacte qui lui convient, c'est le juge qu'il a chargé de cette +appréciation. Ainsi, quand le jury livre au juge un fait qualifié, +le juge fait, en présence de ce cas particulier, ce que le +législateur n'a pu faire en son absence; le juge, dans les +limites fixées par la loi générale, fait pour ainsi dire une loi +pour chaque cas en particulier. De là résulte une série de +décisions judiciaires, de précédents qui comblent en quelque +sorte l'intervalle laissé entre le <i>maximum</i> et le <i>minimum</i> des +peines, et complètent, spécialisent, si je puis ainsi parler, la +législation par la jurisprudence. Une grande partie de la +législation criminelle, de l'Angleterre, et aussi de la nôtre, +consiste dans une jurisprudence criminelle ainsi formée.</p> + +<p>Or, messieurs, la fixité et l'harmonie des précédents sont +bien plus facilement atteintes lorsque ces précédents émanent +d'un petit nombre de juges que lorsqu'ils sont l'oeuvre d'un +grand nombre de tribunaux; les tribunaux nombreux offrent +des chances infinies de variation et d'incohérence dans les +précédents; tandis qu'un petit nombre de juges introduisent +et maintiennent, dans cette jurisprudence criminelle qui +est le supplément nécessaire de la législation, la permanence +et l'ensemble.</p> + +<p>Vous en avez un grand exemple dans la législation romaine. +La plus grande partie de cette législation consiste en précédents, +en décisions rendues par un petit nombre de savants +hommes. La collection des réponses des jurisconsultes n'est +autre chose qu'une série de précédents. Croyez-vous que +cette jurisprudence romaine, qui a survécu à l'empire romain +pour devenir la législation de presque toute l'Europe, croyez-vous, +dis-je, qu'elle eût eu tant d'éclat, tant de pouvoir, +une si grande et si longue destinée si, au lieu d'un petit +nombre de jurisconsultes illustres dont les noms ont traversé +les siècles, l'Empire romain eût été couvert de tribunaux +nombreux? Croyez-vous que si à la place des Ulpien, des +Papinien, il y eût eu des centaines, des milliers de juges du +droit, il vous serait resté un tel ensemble de décisions fortement +enchaînées? C'est au petit nombre de jurisconsultes qui +décidaient les questions de droit, c'est à leur science, à leur +élévation, conséquence naturelle de leur petit nombre, que +la jurisprudence romaine a dû son harmonie et sa grandeur.</p> + +<p>Ainsi, en ce qui concerne les précédents à introduire dans +la législation criminelle pour combler l'intervalle entre le +maximum et le minimum que laisse la loi pénale, le système +d'un petit nombre de juges est infiniment préférable.</p> + +<p>Je sais qu'il restera toujours quelque incertitude dans les +limites des points de fait et des points de droit. Mais cela est +inévitable; il n'en faut pas moins se décider d'après le caractère +essentiel et dominant de chaque institution. Aux jurés +appartiennent en général les questions de fait; les jurés +doivent être nombreux: aux juges, les questions de droit; +que les juges soient peu nombreux, la raison et l'expérience +le conseillent également.</p> + +<p>J'ajouterai une dernière considération, plutôt politique que +judiciaire, mais qui ne me paraît pas étrangère à la question. +Vous voulez rendre au jury, non-seulement toute son indépendance, +mais toute son importance, toute son autorité, +tout son éclat; c'est le but de votre loi. Eh bien, tant que +vous resterez dans le système actuel, dans le système qui +établit, non pas un juge, mais tout un tribunal à côté du +jury, vous laissez le jury dans un état d'incertitude, et je dirai +volontiers d'infériorité. Partout où l'on verra un tribunal de +cinq juges siégeant à côté du jury, la séparation entre les +questions de fait et les questions de droit ne paraîtra pas +complétement opérée; on croira toujours voir au-dessus du +jury un tribunal complet, capable de suffire à tout, de juger +le fait comme le droit. Les deux systèmes sont là côte à côte; +réduisez l'ancien à sa plus petite dimension; c'est le seul +moyen de donner au nouveau toute sa force, toute sa vérité.</p> + +<p>Je sais, messieurs, que la réforme que vous discutez, la réduction +du nombre des juges d'assises de cinq à trois, n'est +pas très-importante en elle-même, et si nous devions en rester +là, je m'en soucierais assez peu. Mais cette réforme en amènera +d'autres; c'est ici un premier pas dans cette carrière +où nous avons de grands pas à faire. Je ne puis être suspect +d'hostilité envers nos institutions judiciaires et notre magistrature; +je leur crois de rares mérites et elles nous ont rendu +d'immenses services. Mais il y a évidemment beaucoup à +réformer, et nous ne saurions trop tôt mettre la main à +l'oeuvre, car les réformes de ce genre sont politiquement +salutaires, calmantes.</p> + +<p>Je prie la Chambre de ne jamais perdre de vue que le +gouvernement a toujours affaire à deux sortes d'esprits +novateurs: d'une part, à des esprits amis du perfectionnement, +du progrès, impatients, téméraires peut-être, mais +sincères et éclairés; d'autre part, à des esprits brouillons, +désordonnés, vraiment anarchiques. C'est l'intérêt, c'est la +sagesse du pouvoir de séparer profondément ces deux classes +d'hommes, d'élever entre les uns et les autres une haute +barrière; il doit attirer de son côté les esprits progressifs, et +sans obéir à leur impatience ou à leurs erreurs, marcher dans +leur direction. C'est pour lui le meilleur moyen de repousser +sévèrement, efficacement, les esprits désordonnés, anarchiques, +avec qui un bon gouvernement ne saurait avoir rien +de commun. Tenons grand compte de cette distinction, +messieurs, et marchons hardiment dans la carrière des réformes +qui satisferont les esprits amis du perfectionnement. +(<i>Aux voix! aux voix!</i>)</p> + +<a name="XXII" id="XXII"></a> +<br><br> +<h3>XXII</h3> + +<p class="mid">Discussion sur la politique extérieure du ministère +du 11 août 1830.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 15 janvier 1831.--</p> + +<p class="large">Le 15 janvier 1831, la commission des pétitions fit à +la Chambre des députés le rapport de la pétition d'un +avocat belge (de Mons), qui provoquait la réunion de la +Belgique à la France. Elle proposa l'ordre du jour. Mais +le général Lamarque, député des Landes, saisit cette +nouvelle occasion d'attaquer vivement la politique +pacifique et le respect des traités qu'avait soutenus le +cabinet du 11 août 1830. Le général Sébastiani repoussa +en quelques paroles cette attaque. M. Casimir Périer, +alors président de la Chambre des députés, quitta le +fauteuil et monta à la tribune pour sommer le général +Lamarque d'expliquer ses accusations. Le général +Lamarque répondit: «Personne n'a, plus que moi, +d'estime, de considération, j'oserai dire d'attachement +pour les membres de l'ancien ministère; je rends à +leurs intentions le même témoignage qu'à celles du +ministère actuel; mais je crois qu'ils ont erré dans leur +route.» Je pris alors la parole pour discuter le fond +même de la politique qui venait d'être attaquée.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, les explications que vient de +donner l'honorable général sont pleinement satisfaisantes +quant aux intentions et au caractère personnel des membres +du dernier ministère; elles ne le sont pas et ne peuvent l'être +quant à leur politique. Aussi, n'est-ce pas leurs intentions, +mais la politique qu'ils ont suivie que je demande à la +Chambre la permission de justifier en peu de mots.</p> + +<p>Messieurs, l'honorable général vous a rappelé ce qui aurait +pu être dit dans cette enceinte par les ministres de Charles X +avant la révolution d'août, à l'occasion de la Belgique et de +la Pologne; après cela, il vous a demandé s'il n'était pas +vrai que rien n'était changé aujourd'hui, si ce n'était pas le +même langage que vous entendiez à cette tribune, si ce n'était +pas la même conduite que tenait le ministère. Ce qu'il y a +de changé, messieurs, il est facile de le découvrir; c'est +l'état de la France, de la Belgique, de la Suisse, l'état de la +Pologne; voilà ce qui est changé, voilà les faits qui se sont +accomplis depuis la révolution d'août. Elle a, comme on le +lui demande de toutes parts, porté des fruits hors du territoire +de la France comme en France; c'est la révolution du +mois d'août qui a imprimé à l'Europe ce mouvement auquel +l'Europe est près de se laisser emporter; c'est la révolution +du mois d'août qui a fait ce que vous voyez en Suisse, en +Belgique, en Pologne.</p> + +<p>Certes, messieurs, il y a là, ce me semble, quelque chose +de changé, quelque chose de très-considérable, et qui prouve +que tout n'est pas aujourd'hui comme sous les ministres de +Charles X. La révolution du mois d'août, une fois accomplie, +n'a pu ignorer qu'elle se trouverait bientôt en présence de +tels faits, en présence de cet ébranlement général de l'Europe, +et qu'elle aurait une conduite difficile à tenir. Elle s'est trouvée +dans l'obligation d'avouer, de proclamer, de défendre +partout son propre principe, l'exemple qu'elle avait donné, +et en même temps dans la nécessité de ne pas porter dans +toute l'Europe le désordre, la guerre, la révolution. Il fallait +d'une part, que la France, qui venait de s'affranchir, et qui +voyait partout son exemple suivi ou près d'être suivi, il +fallait, dis-je, que la France fût fidèle à ce qu'elle avait fait, +ne reniât ni sa conduite, ni son exemple, et qu'en même +temps elle ne se laissât pas accuser d'être possédée de ce +démon révolutionnaire qui avait tant fait reculer la révolution +française après l'avoir poussée si loin hors de son territoire.</p> + +<p>Le gouvernement français, sorti de la révolution de Juillet, +s'est donc trouvé entre deux systèmes; d'une part le +maintien de ses principes, le ferme et fier maintien de la +révolution qui lui avait donné naissance, par les voies régulières, +par l'influence constitutionnelle, par l'influence du +spectacle de la liberté et des exemples d'un gouvernement +constitutionnel; d'autre part, le système de la propagande +révolutionnaire, d'une propagande par les armes, par la +force, par les conquêtes. C'est entre ces deux systèmes, +messieurs, que le dernier ministère s'est vu obligé de choisir. +Il a eu à décider la question de savoir s'il entrerait dans les +voies d'un salutaire exemple donné à l'Europe, ou s'il entrerait +dans celles de la conquête révolutionnaire. C'est entre +ces deux systèmes qu'il a choisi. Il s'est prononcé pour le +premier; c'est le même système qui est continué aujourd'hui +par ses successeurs. C'est donc sur ce système que je +vous demande d'arrêter un moment votre attention.</p> + +<p>Quand on a accusé le ministère précédent de ne s'être pas +livré à ce mouvement qui portait tant de peuples à imiter +l'exemple de la France, de ne l'avoir pas partout alimenté, +de ne s'en être pas emparé à l'instant même pour le pousser +à ses dernières limites, sur quel principe s'est-on fondé? Sur +ceci, qu'un peuple qui a adopté un principe doit s'appliquer +à le faire prévaloir dans l'Europe entière, que la tendance à +l'unité politique, à une prépondérance prompte et générale +de tel ou tel système est la loi des événements, le mobile de +la politique européenne. Le principe de la souveraineté du +peuple avait triomphé chez nous; donc nous devions pousser +partout à son triomphe, et travailler à lui soumettre l'Europe +entière.</p> + +<p>Messieurs, cette fantaisie de soumettre l'Europe à l'unité, +de la ranger à un seul système, sous la loi d'une seule idée, +cette fantaisie n'est pas nouvelle; elle a passé plus d'une fois +par la tête des gouvernements. Il ne faut pas en aller chercher +des exemples bien loin, Louis XIV, dans les temps modernes, +a eu la fantaisie de faire prévaloir la monarchie française +dans l'Europe; la Convention a voulu faire prévaloir la République; +Bonaparte a voulu porter l'Empire dans toute l'Europe. +La Sainte-Alliance a prétendu la soumettre absolument +au principe monarchique. Qu'est-il arrivé à toutes ces époques? +Une réaction violente, non-seulement des gouvernements, +mais des peuples; une réaction nationale contre la +tentative d'imposer ainsi à l'Europe une unité violente et +factice. Cette réaction, non-seulement gouvernementale, je le +répète, mais nationale, a éclaté contre Louis XIV, contre la +Convention, contre Bonaparte. (<i>Une voix:</i> Elle n'était pas +nationale.) Quand elle s'est faite contre Louis XIV, qui a été +à la tête de la coalition entreprise au nom de la liberté des +nations contre l'unité du grand roi? Guillaume III, roi d'Angleterre, +le même homme qui affranchissait l'Angleterre de +la tyrannie des Stuarts. Sous la Convention, quand elle a +tenté de porter la république dans toute l'Europe, croyez-vous +que ce soit les gouvernements seuls qui s'en soient +lassés? Non, un premier mouvement, une première espérance +avait fait trouver à la Convention des alliés chez tous les +peuples: mais bientôt la tyrannie inévitablement attachée à +de telles tentatives, les violences dont elles ne peuvent +se défendre, ont tourné contre elle l'esprit d'une grande +partie des peuples, et jeté l'Europe dans une réaction antirépublicaine, +contre le système de l'unité conventionnelle. +Cette même réaction s'est manifestée contre Bonaparte; +personne n'ignore que le mouvement sous lequel nous +avons succombé en 1814 n'était pas seulement une coalition +des cabinets, et que l'esprit général des peuples de +l'Allemagne, avides de s'affranchir de cette unité factice, a +été la véritable cause du succès de cette coalition, qui +aurait succombé comme toutes les autres, si elle avait été +seulement une coalition de rois.</p> + +<p>Eh bien! messieurs, pourquoi ces tentatives d'unité européenne +ont-elles toujours amené une réaction contre le système +qui avait tenté de prévaloir? Pourquoi? c'était la liberté +des nations qui était attaquée, c'était la liberté des nations +qui se défendait contre cette unité violente qu'on voulait lui +imposer. Les nations ont revendiqué le droit de se gouverner +comme elles en avaient besoin. Fantaisie, si vous voulez; +c'est le principe de la liberté des nations qui a résisté à ces +essais d'unité factice et violente. Et quel nom porte aujourd'hui +ce principe? (<i>Une voix.</i> Celui de la Sainte-Alliance!) +Celui de la <i>non-intervention</i>. Messieurs, c'est le principe de +la non-intervention qui représente aujourd'hui la liberté des +nations dans leurs rapports entre elles. C'est ce principe qui +a été invoqué contre la monarchie de Louis XIV, contre la +République conventionnelle, contre l'Empire, que nous avons +invoqué nous-mêmes contre la Sainte-Alliance.</p> + +<p>Le principe de la non-intervention est le même que le +principe de la liberté des peuples; c'est à ce principe que +toutes les tentatives que je viens de signaler, celle de la +Sainte-Alliance comme les autres, portaient atteinte. Eh bien! +il s'agit aujourd'hui de savoir si ce principe sera maintenu +par notre gouvernement, si nous respecterons la liberté des +nations, ou si nous recommencerons ces tentatives d'unité +violente que je viens d'indiquer. Peu importe le mode de +l'intervention, le titre auquel l'intervention se fait: on peut +intervenir de plus d'une manière; on peut intervenir par +des relations diplomatiques ou par des conspirations; on peut +intervenir par des congrès ou par des sociétés secrètes; on +peut intervenir au nom du principe de la légitimité ou au +nom du principe de la souveraineté du peuple. Quelle que +soit l'origine de l'intervention, quels que soient les moyens +par lesquels elle s'exerce, dès qu'elle est armée, violente, +elle porte atteinte à la liberté des nations; elle est une violation +de ce principe salutaire de non-intervention qui est la +base du droit des gens, le principe en vertu duquel les gouvernements +et les peuples vivent en paix les uns avec les +autres.</p> + +<p>Il y a, je le répète, messieurs, mille manières de violer ce +principe; je ne crois pas que l'une soit meilleure que l'autre; +je n'ai pas plus de respect pour les émissaires d'une société +secrète que pour les courtisans de la Sainte-Alliance (<i>Bravos +au centre gauche</i>); je ne crois pas que les violences ou les +conquêtes, quel que soit le système au profit duquel elles +s'exercent, tournent davantage au profit des nations.</p> + +<p>C'est entre ces deux systèmes, je le répète, le respect de la +liberté des peuples, le principe de non-intervention, d'une +part, et, d'autre part, de nouvelles tentatives de soumettre +l'Europe à une unité factice, violente, c'est entre ces deux +systèmes, dis-je, que les ministères qui se sont succédé +depuis le mois d'août ont été appelés à choisir. L'un et +l'autre ont fait le même choix; ils ont pensé que la liberté +fondée et régnant en France, la monarchie constitutionnelle +établie à la suite d'une insurrection nationale, c'était là ce +qu'il y avait de plus puissant pour propager en Europe les +principes de la liberté et du gouvernement constitutionnel.</p> + +<p>Le spectacle de la liberté est infiniment plus contagieux +que le mouvement d'une révolution; c'est la crainte de l'esprit +révolutionnaire qui ferait à vos principes, à votre gouvernement, +de nouveaux, de dangereux ennemis. Sommes-nous +de tels enfants ou de tels vieillards que nous oubliions +si tôt ce qui s'est passé sous nos yeux? Comment! nous +avons vu le plus hardi des gouvernements, la Convention, +porter partout ses principes, ses armées, dans la même voie +qui vous est indiquée aujourd'hui; la Convention se saisissait +des moindres prétextes, de la moindre apparence d'insurrection, +pour s'écrier que les peuples voulaient le même gouvernement +que la France, pour se lancer en armes sur leur +territoire, pour se faire, je demande pardon de l'expression +dans une question aussi grave, le <i>Don Quichotte</i> de l'insurrection +en Europe.... (<i>Marques d'adhésion au centre; murmures +à l'extrême gauche.</i>)</p> + +<p><span class="sc">M. Enouf.</span>--Dites de la liberté.</p> + +<p>Ce n'était pas de la liberté qu'il s'agissait alors; la Convention, +partout où elle a vu la moindre insurrection, s'en +est saisie pour s'y porter en armes; c'est le même système +qu'on recommande aujourd'hui. Je le demande encore, messieurs, +avons-nous donc oublié quel en a été le résultat? +Avons-nous oublié cette coalition, non-seulement des souverains, +mais aussi des peuples?</p> + +<p><span class="sc">MM. de Bricqueville, Enouf et Rémond.</span>--La Sainte-Alliance +n'était pas l'alliance des peuples.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je ne parle pas de la Sainte-Alliance, messieurs; +je parle de la coalition formée contre Bonaparte, et je +dis que, celle-là, les peuples aussi en étaient. (<i>A l'extrême +gauche.</i> Non. <i>Au centre.</i> Si, des peuples.--<i>Agitation.</i>)</p> + +<p>Messieurs, je n'interromps jamais personne; le droit +de tout orateur est de développer ses idées, de les présenter +dans leur simplicité, dans leur crudité, si vous +voulez, sauf à les expliquer pleinement; je reconnais à tout +le monde le même droit; je demande à la Chambre la permission +de n'être pas obligé d'atténuer, d'énerver ma pensée, +la permission de la lui communiquer tout entière, libre, naturelle, +comme elle me vient.</p> + +<p><span class="sc">M. Rémond.</span>--Tant pis pour vous.</p> + +<p><i>Quelques voix.</i>--A l'ordre, à l'ordre, c'est une personnalité.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je trouve l'interpellation très-simple; j'accepte +la personnalité, et je la renvoie à tous ceux de qui elle +peut venir: tant pis pour vous, dis-je à mon tour à quiconque +diffère de mon opinion; car, apparemment, je crois avoir +raison. (<i>Bravos au centre.</i>) Tant pis pour qui se trompe. +Nous verrons qui se trompe; c'est à la Chambre et à l'avenir +à en juger.</p> + +<p>Je reviens à la Convention et à l'Empire, et je remercie +les interrupteurs de m'avoir fourni cette occasion de développer +ma pensée. Je dis, et je crois l'avoir déjà dit, qu'un premier +mouvement, très-légitime, de sympathie et d'enthousiasme +avait éveillé tous les peuples à l'aspect de la Révolution +française; mais j'ajoute en même temps que, peu après, les +violences, les guerres de la Révolution française, et particulièrement +cet abus de la force qu'elle a porté dans toute +l'Europe pour imposer ses principes, ses institutions et ses +lois à des peuples qui, dans un vif élan d'enthousiasme, en +avaient tant espéré, je dis que cette cause a puissamment contribué +à aliéner ces mêmes peuples, que cette cause nous a +fait perdre en Allemagne, en Italie, en Belgique, une foule de +partisans. Je dis qu'après les guerres de la Révolution française +pour imposer son système à l'Europe, il s'est fait en +Europe une réaction, non-seulement des souverains, mais +des peuples, ou, si l'on veut, d'une grande partie des peuples +contre la Révolution française; je dis que telle a été la principale +cause des revers de la Révolution française, que c'est +cette cause qui se fit sentir en 1814. Certes, messieurs, il y +a là une grande leçon, et, je demande la permission de le +dire à la Chambre, nous ne serions pas excusables d'oublier +si vite ce qui a eu lieu sous nos yeux, des événements dont +nous avons été les acteurs et les victimes; nous ne serions +pas pardonnables de les oublier et de rentrer dans des voies +dont nous sommes sortis si péniblement, et avec tant de +sueur et de sang.</p> + +<p>Non, le ministère dont j'ai eu l'honneur de faire partie et +celui qui lui a succédé ne se sont pas trompés, quand ils ont +choisi entre le système de l'influence pacifique, constitutionnelle, +libératrice, et le système de la propagande armée, violente +et révolutionnaire. Ce sont ces deux systèmes qui, +sous une forme plus ou moins prononcée, plus ou moins menaçante, +se sont trouvés en présence. Ce sera dans l'avenir, +sinon de demain, du moins de l'histoire, l'honneur de la +révolution de Juillet, d'avoir été pacifique en Europe, aussi +bien que modérée et libérale en France; ce sera son honneur +de s'être confiée dans la puissance de son exemple, dans la +puissance du spectacle de ses institutions, de sa liberté, pour +soutenir et propager en Europe des principes qui ne nous +sont pas moins chers qu'à aucun autre, pour lesquels, autant +qu'aucun autre, nous avons combattu. (<i>Très-bien! très-bien!</i>) +Car, remarquez, messieurs, nous voulons propager la +liberté, mais non les révolutions. Les révolutions, l'insurrection, +sont un mauvais état pour un pays: il faut souvent +passer par là pour arriver à la liberté; mais ce n'est point la +liberté elle-même. Rien ne se ressemble moins que le spectacle +d'un pays en révolution et celui d'un pays libre.</p> + +<p>Eh bien! ce que nous n'avons pas voulu offrir à l'Europe, +c'est la vue d'un état révolutionnaire en France. Nous +craignons l'effet que ce spectacle produirait, non-seulement +sur les souverains, mais sur les peuples. Nous craignons de +les voir une seconde fois effrayés, désabusés, dégoûtés, en +grande partie du moins, comme ils l'ont déjà été. Nous voulons +aujourd'hui que les peuples ne connaissent de la révolution +française que ses vertus et ses bienfaits; nous voulons +que les peuples voient régner en France, non la +révolution, mais la liberté; non le désordre, mais l'ordre intérieur. +Nous voulons, en un mot, que la révolution de Juillet +se présente à l'Europe, l'affranchissement, la liberté et la paix +à la main, au lieu d'y porter l'insurrection et la guerre; tout +comme nous avons voulu, dans l'intérieur de la France, +qu'elle offrît la liberté et la paix à tous les partis, qu'elle ne +menaçât personne. C'est dans ce système qu'a agi le précédent +ministère, qu'agit encore le ministère actuel, et certes, +il vaut bien la prédication continuelle de l'insurrection et +des révolutions. (<i>Très-bien! très-bien! Mouvement général.</i>)</p> + +<a name="XXIII" id="XXIII"></a> +<br><br> +<h3>XXIII</h3> + +<p class="mid">Discussion sur la politique extérieure adoptée et pratiquée +par le cabinet du 11 août 1830.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 27 janvier 1831.--</p> + +<p class="large">A l'occasion du débat sur le projet de loi relatif à +l'organisation municipale, la politique extérieure du +gouvernement, notamment envers la Belgique et la +Pologne, fut de nouveau attaquée par MM. Mauguin, +Lamarque, Eusèbe Salverte, de Lafayette, etc.; MM. Dupin, +Cunin-Gridaine, Barthe défendirent la politique +pacifique. Le débat se prolongea pendant deux séances. +J'y pris part en ces termes:</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, en abordant une question si délicate, +je demande à la Chambre la permission de faire remarquer +qu'elle est délicate pour tout le monde, pour ceux +qui attaquent le ministère comme pour le ministère qui se +défend. Le gouvernement que nous avons choisi, que nous +avons formé, n'est pas tellement ancien, tellement fort, que +nous puissions en user avec lui comme si rien n'était plus +en question. Nous avons tous, tous ceux qui siégent dans +cette Chambre, quelles que soient nos opinions politiques, +quelles que soient nos relations avec le ministère, nous avons +tous un certain degré de solidarité dans sa cause. Il s'agit +pour nous tous de fortifier, de fonder définitivement le gouvernement +que nous avons choisi. Lorsque des circonstances +difficiles s'élèvent, lorsque nous élevons nous-mêmes des +questions délicates, et, je le répète, elles sont délicates pour +tout le monde, nous avons tous besoin d'y toucher avec réserve, +je dirai presque avec crainte.</p> + +<p>En ce qui touche la Belgique, messieurs, et j'aborde ici, +le sens, la question fondamentale; en ce qui touche la +Belgique, cette espèce de solidarité avec le gouvernement +du Roi, dont je viens de parler, n'a rien, je crois, qui doive +nous inquiéter, ni nous embarrasser.</p> + +<p>Le ministre des affaires étrangères vous a dit tout à +l'heure, et j'ai besoin de le répéter: si la Belgique délibère +en liberté aujourd'hui sur ses destinées, c'est à la France +qu'elle le doit. Le gouvernement du Roi était à peine fondé, +l'insurrection de la Belgique éclate, et le premier acte du +gouvernement du Roi est de déclarer à toutes les puissances +de l'Europe que, lui n'intervenant pas, il ne souffrira pas +que personne intervienne, et que le jour où un soldat +prussien franchira la frontière de la Belgique, les Français +a passeront immédiatement.</p> + +<p>Cette déclaration, messieurs, au moment où elle a été +faite, a excité dans plus d'un cabinet européen une vive rumeur; +elle a fort étonné ceux à qui elle s'adressait. Nous +ne pouvons en être surpris; c'était une déclaration de mort +à la Sainte-Alliance, c'était l'abolition définitive de cette +unité mystérieuse et violente qu'elle voulait faire peser sur +l'Europe. Le jour où la France a dit: tant qu'un peuple se +renfermera dans ses affaires intérieures, qu'il change ou +non la forme de son gouvernement, personne ne peut intervenir: +ce jour-là, la France a brisé la Sainte-Alliance, +la France a proclamé la liberté des nations. Il n'y a, certes, +dans la solidarité de tels actes, rien que nous devions +repousser.</p> + +<p>Mais, je le demande, si la Belgique aujourd'hui délibère, +grâce à nous, en liberté sur ses destinées, avons-nous perdu +le droit de délibérer en liberté sur la conduite que nous +devons tenir à son égard? Est-ce qu'au moment où nous +avons affranchi la Belgique à l'égard de tous les peuples de +l'Europe, nous nous sommes liés irrévocablement à trouver +bon, à soutenir tout ce qu'elle pourrait faire elle-même pour +sa destinée? Certainement non. La liberté que nous avons +garantie à la Belgique, nous l'avons conservée pour nous-mêmes +tout entière. Je demande la permission de vous +arrêter un moment sur cette question. A côté de cette politique +généreuse, élevée, qui prend pour guide les droits généraux +de l'humanité et des nations, il y a une politique, +non pas contraire, mais différente, une politique spéciale, +nationale, qui consulte avant tout les intérêts nationaux, +qui les voit, les considère dans tous les événements, qui +approuve ou n'approuve pas les événements, les combat ou +les soutient en raison de l'intérêt national uniquement.</p> + +<p>Il y a, messieurs, je n'hésite pas à le dire, il y a un certain +degré d'égoïsme national qui est la loi de la politique +des peuples, et à laquelle il est impossible d'échapper. Eh +bien! nous sommes à l'égard de la Belgique dans cette situation. +Après avoir garanti sa liberté en Europe, après l'avoir +protégée contre toute intervention violente, nous gardons +pour nous mêmes une liberté tout entière; nous n'avons à +consulter, dans ce qui la concerne et dans notre conduite à +son égard, que la justice d'abord et nos intérêts nationaux, +les convenances de notre gouvernement et de notre pays. +Nous conservons le droit de nous décider pleinement d'après +toutes ces considérations. Ainsi ce n'est plus qu'une question +de conduite et de prudence. Il s'agit de savoir de quelle manière +le gouvernement de la France, dans l'intérêt de la +France, doit se conduire vis-à-vis de la Belgique; nous en +avons pleinement le droit. Il s'agit de savoir si, en conservant +la Belgique comme Etat européen, il a épuisé tout ce +qu'il lui devait. La question est donc purement une question +de politique et d'intérêt national. C'est sous ce point de vue +désormais que je demande à la considérer.</p> + +<p>Dans les documents parvenus de Belgique, trois faits ont +attiré l'attention du public et des Chambres. Je ne dirai rien +du refus de mettre M. le duc de Nemours à la disposition des +Belges, tout le monde est d'accord. Je m'arrêterai peu sur le +refus de reconnaître le duc de Leuchtenberg comme roi des +Belges; cependant j'ai besoin d'en dire un mot. Je n'attache +pas aux complots et aux intrigues politiques plus d'importance +qu'elles n'en méritent. Je sais qu'on peut avoir à côté de +soi, chez ses voisins, un foyer d'intrigues et de conspirations, +et n'en être pas moins un gouvernement solide et +fort. Je suis donc loin de croire que les destinées du gouvernement +de la France dépendent de la question de savoir si la +Belgique aura ou non pour roi le duc de Leuchtenberg. Cependant, +il est vrai de dire que, s'il n'y a pas danger, il peut +y avoir des inconvénients graves pour un pays à avoir à côté +de soi des complots qui s'ourdissent. Je ne dis pas qu'il faille +tout risquer pour empêcher un tel fait, mais je dis qu'il faut +le prendre en grande considération.</p> + +<p>Si le duc de Leuchtenberg était élu roi des Belges, et +qu'il s'agît, après plusieurs années d'existence, de savoir si +on le reconnaîtra, il est possible qu'il fallût se décider à le +reconnaître. Mais il n'est pas encore élu, et il est certain que +son élection serait un incident fâcheux pour le gouvernement +français. Il est donc tout simple que le cabinet ait employé +toute son influence pour repousser ce résultat: il en avait le +droit et le devoir; et, quand il a annoncé qu'il ne reconnaîtrait +pas, il ne peut pas avoir dit qu'il ne reconnaîtrait +jamais; il n'y pas de jamais en politique: on se conduit au jour +le jour, selon la prudence et la nécessité. Le gouvernement +français a employé son influence et les déclarations de sa politique +à repousser un fait qui évidemment n'est pas favorable +à la France, qui pourrait lui être nuisible, lui causer des +troubles ou au moins des craintes. Il était, je le répète, dans +son droit; et, dans mon opinion, il a bien fait d'en user.</p> + +<p>J'arrive à la véritable question, à celle qui préoccupe tous +les esprits, à la question de la réunion proposée, offerte, +dit-on, de la Belgique à la France. Je n'élèverai pas la question +de savoir si la réunion est effectivement proposée, et +par qui: je le suppose, et j'entre dans le fond de la question. +J'en conviens, il y a ici des sympathies nationales; il peut +y avoir aussi avantage réciproque. Je respecte les sympathies +naturelles des peuples; je crois qu'elles sont un très-bon +principe d'union. Je ne méprise pas les frontières naturelles, +je crois que c'est une des considérations qui doivent +entrer dans la politique. Je ne suis pas non plus étranger, +je le déclare, au désir de l'éclat et de l'agrandissement de +mon pays. Je ne crois pas que les peuples soient destinés à +jouir paisiblement et oisivement de leur bonheur: les peuples +sont destinés à vivre laborieusement, à courir des dangers, à +s'imposer de lourds fardeaux, dans l'intérêt de leur prospérité +matérielle et de leur gloire. Il y a des cas où il faut savoir +même sacrifier sa prospérité intérieure, pour son éclat et +son agrandissement. Je ne repousse pas d'une manière générale +la gloire et l'agrandissement de mon pays; j'examine la +question dans la situation présente, et je partage pleinement +l'avis du ministère.</p> + +<p>On a parlé plusieurs fois, à cette tribune, de la nécessité +d'une politique large, élevée, étendue. Il est vrai que jusqu'ici +l'on ne s'était guère écarté de ce que je me permettrai +d'appeler l'ancienne routine européenne. Les considérations +dont j'ai parlé, les frontières naturelles, les alliances, les +relations par lesquelles se tiennent les peuples, ont été les +guides de la politique extérieure: elle s'est généralement +déterminée d'après ces considérations seules; c'est là que la +politique a puisé son étendue et son élévation. Je le comprends: +il y a plaisir, en effet, pour les esprits élevés, à se +déployer et à se jouer dans des combinaisons de ce genre, à +changer ainsi, soit par la guerre, soit par les négociations, +le sort et la distribution des peuples. C'est là, je le répète, +que la politique extérieure a puisé jusqu'à présent son étendue +et sa grandeur. Il faut convenir aussi que ces considérations +sont souvent arbitraires, que, si elles ont fait faire +de grandes choses, elles ont jeté aussi les politiques dans +de grandes erreurs. Elles ont produit un germe de tyrannie, +d'oppression, de guerres et de conquêtes inutiles, désastreuses +même. Cette politique étendue et élevée, en un +mot, n'a pas été toujours fondée en raison, ni salutaire aux +nations. Notre révolution, qui a fait entrer dans la politique +intérieure des peuples tant d'idées et de sentiments qui lui +étaient étrangers jusque-là, notre révolution a rendu à la politique +extérieure le même service; elle a banni ou bannira, +je l'espère, jusqu'à un certain point ces combinaisons arbitraires +qui reposent uniquement sur l'idée de tel ou tel +homme, d'un grand homme si l'on veut, ces combinaisons +plus ou moins factices qui ont été jusqu'à ce moment le +caractère de la politique en général. Notre révolution nous +impose la loi de tenir compte de bien d'autres faits, de faire +entrer beaucoup d'autres éléments en considération. Ce ne +sont plus aujourd'hui les frontières naturelles, les sympathies +historiques qui doivent décider uniquement, je dirai +préférablement, dans toute question; il y a des motifs qui se +lient de plus près au sort des nations, qui intéressent plus +vivement la conscience des peuples. Ce sont ceux-là, non +pas les combinaisons de ce qu'on est accoutumé d'appeler la +grande diplomatie, ce sont ces motifs qu'il faut examiner +dans cette question.</p> + +<p>Eh bien! je me demande avant tout, car c'est là ce qui me +paraît devoir décider la question, je me demande si la dignité +de la France d'une part, sa sûreté extérieure de l'autre, et +enfin son état intérieur, exigent ou conseillent cette réunion +qu'on nous propose. La dignité de la France, messieurs, je +crois qu'il faut en tenir grand compte; je ne pense pas qu'il +soit indifférent de laisser échapper une circonstance dans +laquelle la dignité du peuple peut se croire intéressée. Il ne +faut pas qu'un sentiment douloureux... je cherche un mot +moins dur... qu'un sentiment d'humiliation s'établisse parmi +les peuples à l'égard de leur gouvernement. C'est par le +sentiment de sa dignité qu'un peuple est vraiment un +peuple; c'est par là qu'il vit, qu'il se sent. Eh bien! loin +de contrarier ce sentiment, il faut le respecter, le développer +en lui, toutes les fois que l'occasion s'en présente. Je +dirai même que nous y sommes obligés aujourd'hui plus +particulièrement que jamais. Un sentiment de dignité publique, +et permettez-moi de le dire, de dignité populaire, a +joué un grand rôle dans notre révolution de 1830. C'est +parce que le peuple, en partie à tort, en partie à raison, +s'est senti offensé, humilié, qu'il s'est si promptement levé, +ou résigné, pour la chute du gouvernement d'alors. Les +offenses à nos libertés, la violation de nos droits, qui ont +justement ému les classes élevées de la société, n'auraient +peut-être pas suffi sans ce sentiment d'offense populaire +qui a soulevé les masses et qui les a données à la cause de +nos libertés publiques.</p> + +<p>Nous avons donc, dans ce moment-ci particulièrement, +une plus grande obligation à ce sentiment de dignité populaire, +à ce besoin de s'élever, de s'honorer soi-même, à ce +besoin qui a joué un si grand rôle; mais je trouve que nous +nous faisons une bien mince idée de la dignité de la France +quand nous la croyons intéressée à résoudre de la sorte, et +immédiatement, la question dont il s'agit. J'ai une plus +haute opinion de la dignité nationale; je crois que depuis +quarante ans, depuis la révolution de Juillet et les événements +de décembre dernier, la France a conquis de la +dignité, de l'honneur, de la considération en Europe, assez +pour attendre un an, deux ans, s'il lui plaît, avant de se décider +dans une question de politique extérieure. Elle n'a +pas besoin, pour maintenir sa dignité, de se compromettre, +de se jeter à l'aventure dans les événements qui viendront +s'offrir à elle. La France a le sentiment profond de ce qu'elle +peut et de ce qu'elle sait faire; son honneur n'est pas engagé +dans le parti qu'on voudrait lui faire prendre immédiatement, +et dont on voudrait lui faire une nécessité d'honneur. +Nous sommes libres à cet égard comme à beaucoup +d'autres; nous pouvons attendre, juger, faire ce qui nous +conviendra, refuser si cela nous convient; notre dignité +n'est pas compromise par ce refus.</p> + +<p>Voici un autre motif de sûreté intérieure, une seconde considération +qu'on allègue pour décider la France à accepter ce +qui, dit-on, est offert; on dit: vous vous faites illusion, +l'Europe entière vous en veut, elle est votre mortelle ennemie; +ne vous laissez pas surprendre; attaquez pour ne pas +être attaqué.</p> + +<p>Je ne me fais aucune illusion quant au point de vue sous +lequel notre révolution de 1789 et celle de 1830 peuvent être +jugées par les gouvernements européens. Je ne doute pas +qu'elles ne soient vues avec chagrin et avec malveillance; +mais je dis que ce ne sont pas des raisons déterminantes, des +raisons suffisantes pour adopter le système qu'on propose.</p> + +<p>Je vous prie de remarquer un fait: c'est que la révolution +de 1830, en admettant qu'elle ait été vue de mauvais +oeil par toutes les puissances de l'Europe, a cependant été +reçue et jugée diversement par elles. Il y a telle puissance +qui a manifesté un grand éloignement, un vrai chagrin; il y +a telle autre qui s'est tenue dans une réserve convenable; +telle autre où le mouvement national a été tel que le gouvernement +a été emporté dans ce mouvement, et obligé, sinon +de s'y soumettre, au moins de s'y accommoder. Il y a +donc, dans les dispositions volontaires ou obligées de l'Europe, +à l'égard de notre révolution, de grandes différences. +Pourquoi n'en tiendriez-vous pas compte? Pourquoi jetteriez-vous +toutes ces puissances dans la même inimitié contre +vous? Pourquoi ne travailleriez-vous pas à vous faire des +alliances? Pourquoi ne profiteriez-vous de la bonne volonté +que vous témoigne telle ou telle puissance, au lieu de les +confondre toutes dans un lieu commun déclamatoire, qui a +bien quelquefois sa part de vérité, mais qui ne peut être +admis comme le mobile déterminant de la conduite +d'hommes sensés?</p> + +<p>Je vais plus loin: indépendamment de ces diversités qui +ont éclaté dans les dispositions des puissances européennes, +et du parti que vous pouvez en tirer, je dis que l'expérience +de ce qui s'est passé en 1789, des guerres de la Révolution, du +régime impérial, de la Restauration, n'a pas été perdue pour +l'Europe, pas plus que pour nous. Je ne suis pas porté à +croire qu'elle ait changé le fond des coeurs; le fond des +coeurs change rarement; mais la nécessité se fait reconnaître +par tout le monde, l'expérience finit par éclairer les +plus aveugles.</p> + +<p>Comparez la conduite des puissances européennes aux +différentes époques, depuis 1789 jusqu'à ce jour, et voyez si +cette conduite a été la même. Elle a changé selon les temps; +elle a subi les variations que l'expérience et la nécessité devaient +lui imprimer. L'Europe a traité avec la Convention +et Bonaparte. Bonaparte aussi mettait les dynasties en danger; +il en a changé plus d'une; il voulait que la sienne fût +la plus ancienne de l'Europe. Cependant on a traité avec lui +à diverses reprises, on a cessé de le combattre, on s'est précipité +dans son alliance.</p> + +<p>En 1814, les puissances de l'Europe ont été généralement +convaincues qu'il fallait à la France le régime constitutionnel. +La Charte lui a été donnée de l'avis de l'Europe. +Ces mêmes puissances, qui n'ont pas donné de charte chez +elles, qui probablement combattraient longtemps avant d'en +accepter une, ont pensé, en 1814, que le gouvernement constitutionnel +était nécessaire à la France; que, dans la politique +européenne, la France, pour n'être plus une cause de +troubles, un sujet d'alarmes, avait besoin de cette charte; +et ces mêmes puissances qui, en 1794, s'opposaient à une +constitution en France, n'ont pas cru, en 1814, qu'elle pût +s'en passer.</p> + +<p>Qu'est-ce que cela prouve? Que la conduite des puissances +n'est pas toujours la même, qu'une foule de considérations +et de nécessités pèsent sur elles comme sur nous. +Aujourd'hui, l'Europe a appris à connaître la nécessité du +régime constitutionnel en France, et la révolution de 1830 +l'a confirmée dans cette conviction. Quels que soient les +sentiments des hommes, quelques regrets, quelque malveillance +qu'ils portent au fond du coeur, je n'hésite pas à le +dire: en fait, ce que l'Europe désire aujourd'hui, c'est que +la France vive sous un gouvernement régulier, que nos +institutions se développent régulièrement, que la France ne +soit pas un nouveau foyer révolutionnaire, qu'elle ne soit +pas jetée hors de ses institutions et hors de ses frontières. +C'est là le sentiment dominant de l'Europe; sentiment qui +n'exclut ni la méfiance, ni la malveillance, ni le chagrin, +mais qui n'en est pas moins réel, parce que trente ans de +combats, de défaites et de malheurs font pénétrer la raison +dans les têtes qui y résistent le plus.</p> + +<p>Je ne crois donc pas que la guerre soit une nécessité de la +sûreté extérieure de la France. Si la France se renferme régulièrement +dans ses institutions et dans ses frontières, si +elle vit constitutionnellement comme la république des +États-Unis vit en Amérique, la France n'a rien à craindre de +l'Europe. Je ne crois pas que l'Europe vienne l'attaquer. +Elle lui voudra du mal, elle cherchera peut-être à lui nuire, +elle redoutera nos institutions, tout en les supportant. Il dépend +de notre sagesse et de notre bon état intérieur, de nous +faire supporter de l'Europe entière et même des puissances +les plus malveillantes. La question réside donc véritablement +dans notre état intérieur. Consultez la dignité nationale +et la sûreté extérieure de la France, vous n'y trouverez +point la nécessité de la guerre. C'est du dedans de la France, +du sein de son gouvernement, et peut-être du sein de cette +Chambre, que nous viendra la paix ou la guerre; elle ne +nous viendra pas d'ailleurs.</p> + +<p>Eh bien! messieurs, notre état intérieur exige-t-il la +guerre, conseille-t-il la guerre, s'y prête-t-il même dans +ce moment et convenablement? Je ne le pense pas. Il n'est +personne, je crois pouvoir dire personne, qui trouve que +notre état intérieur soit tel que nous le désirons tous, tel +qu'il doit définitivement rester, personne qui trouve que +l'état actuel de la France soit aujourd'hui l'état régulier de +notre pays et de nos institutions. Évidemment il y manque +beaucoup; évidemment il y a dans le pouvoir un affaiblissement, +dans les esprits une défiance, une incertitude, une +anarchie qui ne constituent pas un bon état intérieur. +Pourquoi cette faiblesse progressive du pouvoir? Pourquoi +cette anarchie croissante de la société et des esprits? On a +parlé souvent, et j'ai moi-même eu occasion de parler à +cette tribune de parti républicain, d'idées républicaines, +comme étant la cause de cette faiblesse du pouvoir, de ce +trouble, de cette anarchie qui font des progrès partout. Je me +repens, messieurs; je suis porté à croire que j'ai fait trop +d'honneur aux causes de l'anarchie et de la faiblesse du +gouvernement.</p> + +<p>Après tout, un gouvernement républicain régulier peut +fort bien ressembler à tous les autres gouvernements dans +lesquels les moyens d'action sont forts, et où les lois peuvent +être obéies; il peut n'y avoir pas d'anarchie; l'anarchie +n'est pas inhérente à la forme du gouvernement. Il y a +donc ici une autre cause, et, quand on veut être dans le +vrai, quoique les mots <i>république</i>, <i>idées républicaines</i> soient +à la surface, ce n'est pas là le fond des choses, ce ne sont +pas de ces mots qu'il faut se servir.</p> + +<p>Il y a dans notre société des restes d'idées anarchiques, +mais non pas républicaines, des restes de passions anarchiques, +d'habitudes anarchiques, restes qui nous viennent des +temps d'anarchie révolutionnaire que nous avons traversés, +et des tentatives continuelles de complots, de conspirations, +de la lutte continuelle et anarchique contre le dernier gouvernement.</p> + +<p>Messieurs, je comprends qu'il puisse y avoir, comme il y +a eu à certaines époques, de la sincérité, de la générosité, +de la vertu dans des conspirateurs. Mais, messieurs, il y a +toujours, et nécessairement, dans leurs tentatives, de l'anarchie; +car c'est à l'existence même du pouvoir qu'elles s'attaquent; +c'est leur condition, je ne leur en fais pas un +reproche; je sais qu'il y a eu dans le monde des complots +légitimes, des conspirateurs que je respecte, que j'aime. +Je ne parle de personne, je ne désigne ici personne; +mais je dis que même les meilleurs complots, les conspirateurs +les plus honorables, sont nécessairement jetés +dans les idées, dans les passions, dans les habitudes anarchiques; +je dis qu'il suffit de voir la vie de Sidney, de +suivre l'interrogatoire de Sidney, lorsqu'il fut accusé, pour +voir que l'anarchie était dans son esprit, qu'elle y était +entrée par la porte de la lutte continuelle contre l'autorité, +qu'il est impossible à la raison la plus ferme de ne pas trouver +bonnes toutes les raisons, de ne pas employer toutes +les armes pour servir une cause malheureuse que l'on juge +sainte.</p> + +<p>De la révolution française et de la lutte continuelle d'une +portion du pays contre le gouvernement déchu, il est resté +dans nos esprits, dans notre conduite, non pas de la république, +mais de l'anarchie, des idées, des passions, des habitudes +anarchiques, aussi contraires à la constitution des +États-Unis qu'à la nôtre, et qui seraient repoussées à Washington +comme à Paris.</p> + +<p>Je dis que c'est la véritable cause du mal qui nous travaille. +Je dis que c'est contre ce reste d'anarchie que nous +avons maintenant à lutter. Et remarquez, messieurs, notre +condition singulière; des esprits élevés, des hommes généreux +se jettent encore aujourd'hui dans ces débris de l'anarchie +révolutionnaire et conspiratrice. Croyez-vous que ce reste +d'anarchie soit très-fort? Pas du tout.</p> + +<p>Vous me permettrez de dire à ce sujet toute ma pensée. Il +est vrai que ces restes de sentiments, d'idées, d'habitudes, +d'actes anarchiques, que nous voyons autour de nous, n'ont +pas derrière eux les intérêts des masses, qu'ils n'ont plus +la force qu'ils ont eue pendant longtemps; il est vrai que +si leurs auteurs étaient jetés dans des entreprises difficiles, +comme l'a été la Révolution française, s'ils étaient obligés de +lutter contre l'Europe entière, ils seraient à l'instant abandonnés; +au lieu de cette gloire, de cette puissance que la +France a tirées de sa grande lutte, vous ne verriez sortir de +celle-ci que désordre et faiblesse. Ce n'est pas une raison +pour que la société n'en soit pas fort troublée. Il n'est pas +nécessaire d'avoir la puissance et la gloire des armées républicaines +pour mettre la société fort mal à l'aise, pour +tourmenter et compromettre le gouvernement et la société.</p> + +<p>C'est précisément ce qui nous arrive. Nous avons affaire +à un parti qui n'a pas de puissance réelle, pas de puissance +nationale, et qui conserve cependant assez de mouvement, +assez de force pour troubler, pour mettre en question ce qui +nous est le plus cher à tous. Quels sont nos moyens de résistance +contre ce parti? quels sont nos remèdes? C'est le +maintien de l'ordre, c'est la prospérité publique, c'est la +liberté de tous, cette liberté qui fait que toutes les opinions se +contiennent en se manifestant et en se contrôlant sans cesse +l'une l'autre, cette liberté qui lutte seule efficacement contre +l'anarchie, et qui peut seule nous en tirer par la prospérité +publique. Le pays ne prend aucun intérêt aux idées de désordre; +par la liberté, elles sont sans cesse combattues et +réprimées. La prospérité nationale, la liberté universelle, +voilà les moyens de lutter efficacement contre le mal dont +je parle. Mais la guerre, si elle éclate, vous laissera-t-elle +ces moyens? La guerre affermira-t-elle l'ordre public? Développera-t-elle +la prospérité? Permettra-t-elle de conserver, +d'assurer à tous cette liberté égale, dont tous ont besoin, +à laquelle tous ont droit, avec laquelle nous nous corrigeons +mutuellement? Non, par la guerre, inévitablement et malgré +vous, et malgré le gouvernement, l'ordre public, la prospérité +nationale, la liberté de tous, le jeu régulier de nos institutions, +seront, je ne dirai pas détruits, mais mis en question, +menacés, affaiblis du moins. En sorte que les seuls moyens +par lesquels vous puissiez lutter contre l'anarchie, la guerre +vous les enlève; la guerre vous fait courir le risque d'être +livrés à ce parti à la fois inquiétant et faible, à la fois cause +de troubles et impuissant à les réprimer, à ce parti qui est le +véritable mal et le seul mal que vous ayez sérieusement à +craindre aujourd'hui. (Au centre. <i>Très-bien! très-bien!</i>)</p> + +<p>Je me borne à constater ce fait; je n'en tire qu'une conséquence, +c'est qu'il ne faut faire la guerre que devant une +nécessité absolue, qu'il ne faut pas aller au-devant, qu'il ne +faut courir aucune aventure, que les aventures seraient aujourd'hui, +je ne veux pas dire funestes, car je veux croire +que rien ne peut être funeste, mais dangereuses et nuisibles. +De quoi s'agit-il donc? d'attendre, de gagner du temps, de +ne pas provoquer une décision prompte et immédiate, d'employer +tout ce que nous pouvons avoir d'habileté et d'influence +à n'être pas obligés de résoudre immédiatement et +par la force la question extérieure. C'est sous ce point de vue, +et dans ces limites seulement, que je combats les arguments +qui ont été présentés.</p> + +<a name="XXIV" id="XXIV"></a> +<br><br> +<h3>XXIV</h3> + +<p class="mid">Discussion du projet de loi sur l'organisation municipale.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 2 février 1831.--</p> + +<p class="large">Quand la discussion commença sur les articles du +projet de loi relatif à l'organisation municipale, M. Marchal, +député de la Meurthe, proposa, à titre d'amendement, +un projet complet et entièrement différent, dont +l'article premier déterminait, d'une façon générale, +l'état de citoyen français. Cette proposition, longuement +débattue, fut enfin repoussée par la question préalable. +Je ne pris part au débat que pour mettre en lumière la +différente situation où se trouvait la Chambre depuis +que la Charte de 1830 lui avait donné le droit d'initiative +formelle et directe.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je demande à la Chambre la permission de +retenir un moment son attention sur cette question, dont +la solution peut avoir de graves conséquences.</p> + +<p>Si la discussion qui nous occupe s'était élevée, il y a un +an, sous l'empire de l'ancienne Charte, je comprendrais +qu'on y insistât; le droit d'amendement était alors un +moyen indirect d'exercer l'initiative. On faisait des objections +contre ce droit; elles étaient repoussées par le besoin qu'avait +la France d'exercer l'initiative et le désir d'étendre +cette prérogative.</p> + +<p>Aujourd'hui la Chambre est investie du droit d'initiative, +et cependant elle a cru devoir l'entourer de certaines conditions, +de certaines garanties qui ont pour objet d'assurer la +maturité de ses délibérations.</p> + +<p>Il faut savoir si vous traiterez l'initiative de la Chambre +comme jadis celle du gouvernement, si vous travaillerez à +étendre l'initiative de chacun des membres par voie d'amendement. +Lorsque le gouvernement seul était investi de l'initiative, +la Chambre pouvait avoir raison d'essayer de se saisir +de ce droit, même avec les inconvénients que le droit d'amendement +présente et qu'on n'a jamais pu éviter complétement; +il n'en est plus de même aujourd'hui.</p> + +<p>Si donc y a lieu à une proposition sur l'état et les droits +de citoyen, qu'elle soit l'objet d'une proposition particulière. +Si vous ne procédez pas ainsi, vous rencontrerez, dans +l'exercice de l'initiative parlementaire, les mêmes difficultés, +les mêmes embarras qui s'élevaient autrefois sur l'initiative +du gouvernement.</p> + +<a name="XXV" id="XXV"></a> +<br><br> +<h3>XXV</h3> + +<p class="mid">Discussion du projet de loi sur l'organisation municipale.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 8 février 1831.--</p> + +<p class="large">En proposant, sur l'article 1<sup>er</sup> de ce projet de loi, +un amendement qui repoussait l'adoption d'un cens +quelconque comme base du droit électoral dans les +communes, soit urbaines, soit rurales, le général Lamarque +cita, à l'appui de sa proposition, un passage de l'ouvrage +que j'avais publié en 1821 sous ce titre: <i>Des +moyens de gouvernement et d'opposition dans l'état +actuel de la France</i>. Je pris la parole pour rétablir le +vrai sens de ma pensée et repousser l'amendement proposé.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je n'ai pas changé d'opinion depuis l'époque +où j'écrivais ce que l'honorable préopinant a bien voulu +me rappeler aujourd'hui. Aujourd'hui comme alors, je +pense que la machine administrative la plus forte, la mieux +constituée, ne suffit pas pour gouverner. Aujourd'hui comme +alors, je pense que c'est dans les intérêts, dans les croyances, +dans les idées des masses qu'il faut aller chercher la force. +Aujourd'hui comme alors, je suis convaincu qu'il faut asseoir +l'autorité sur la base la plus large qui se puisse trouver, +et que cette base ne peut se trouver que dans les +masses; cependant je viens combattre l'amendement proposé +par le préopinant, et appuyer le système de la commission.</p> + +<p>J'ai remarqué que presque tous les orateurs qui se sont +succédé aujourd'hui à cette tribune, je pourrais même dire +tous, y compris l'honorable préopinant, M. le préfet de la +Seine, ont rendu hommage au principe de la capacité comme +base des droits politiques. Ils ont tous reconnu que, pour posséder +le droit, il fallait avoir l'indépendance et les lumières, +c'est-à-dire les conditions de la capacité politique.</p> + +<p>Le principe de la capacité politique, introduit dans notre +législation comme source des droits politiques, est peut-être la +plus belle, la plus utile conquête que nous ayons faite depuis +quinze ans. C'est de ce principe qu'on doit dire ce qu'on a +dit une fois de Napoléon, qu'il n'avait détrôné que l'anarchie. +Le principe de la capacité politique a effectivement +détrôné l'anarchie. Je prends donc acte de l'hommage qui +a été rendu par tout le monde à ce principe, et c'est de cet +hommage que je pars pour combattre l'amendement proposé.</p> + +<p>Quelle est la conséquence de la capacité politique? C'est +qu'elle varie suivant les lieux, suivant les temps, suivant les +affaires. Telle capacité existe dans telle commune pour +traiter ses affaires, qui n'est plus la même dans telle autre +commune, dans telle autre situation. La capacité est donc +sans cesse variable, subordonnée à une foule de circonstances, +au nombre des citoyens, à leur situation sociale, à l'étendue +et à la difficulté des affaires.</p> + +<p>Que fait-on dans les amendements qu'on vous propose, +dans celui que la Chambre a rejeté au commencement de +cette séance, et dans celui que propose maintenant le général +Lamarque? On ne tient aucun compte de ces variations; +on pose en fait que le droit est le même dans une +petite commune que dans une grande ville. Le premier +amendement, que vous avez rejeté au commencement de la +séance, attribuait partout le droit électoral à tous les citoyens +payant une cote de contribution personnelle quelconque. Il +donnait le droit électoral, dans un village comme à Paris, à +tout citoyen payant une contribution personnelle quelconque. +Il est évident que, dans un village, quiconque possède doit +avoir des droits électoraux; mais dans Paris, il ne peut en +être ainsi. Une contribution personnelle à Paris ne ressemble +en rien à ce qu'elle est dans une petite ville, dans une petite +commune. De sorte qu'après avoir rendu hommage à la capacité, +on ne tient aucun compte de la mesure de cette capacité; +on ne fait pas attention qu'elle varie forcément, qu'elle +est subordonnée à la nature des lieux, à l'importance des +affaires, et on adopte la même base dans des situations très-différentes. +Pourquoi? Parce qu'on n'est pas fidèle au principe +de la capacité et qu'on retombe dans le principe du +suffrage universel qu'on essaye de réintroduire dans notre +législation. C'est pour faire rentrer, presque à son insu, le +suffrage universel dans nos lois qu'on abandonne le principe +de la capacité qu'on avait d'abord accepté. Je ne crois pas +que ce soit le moyen de réformer notre constitution municipale.</p> + +<p>On se prévaut de l'idée que, dans les communes, l'intérêt +local est le seul dont on s'occupe. Ne pensez pas, messieurs, +qu'on puisse séparer ainsi parfaitement les intérêts locaux des +intérêts généraux; cette division n'est jamais aussi réelle qu'on +se l'imagine. Comment concevoir, par exemple, que dans une +grande ville, dans Paris, dans Lyon, les intérêts locaux ne +touchent pas de plus près aux intérêts généraux, n'aient pas +un caractère plus politique que dans une petite ville? Vous +aurez beau écrire dans vos lois la séparation des intérêts +locaux et des intérêts généraux; ils seront plus ou moins +rapprochés et unis selon la diversité des lieux; il résultera +de la nature des choses que, dans les grandes villes, les conseils +municipaux auront un caractère politique, que les idées +politiques exerceront sur leur composition une grande influence, +et que les affaires dont ils s'occuperont, quoique +locales en apparence, auront toujours des points de contact +avec la politique.</p> + +<p>On s'est prévalu de ce qui se passait autrefois en France, +et de ce qui se passe aujourd'hui ailleurs. On a dit que jadis +les droits électoraux communaux appartenaient à la presque +totalité des habitants, qu'il était étonnant qu'aujourd'hui on +nous contestât ces droits. Il y a erreur: autrefois en France +la variété était prodigieuse dans nos communes; il y en +avait bien plus où le droit était concentré dans un petit nombre +d'habitants que de celles où le droit était plus étendu. Si vous +consultiez les anciennes chartes, vous verriez que le droit +était généralement concentré dans des corporations assez +étroites. Si vous allez en Angleterre chercher vos comparaisons, +vous verrez que, si dans quelques communes le droit +appartient à tous les habitants, dans la plupart des villes +une corporation assez étroite est seule admise à en jouir. +De sorte que, hors de France ou dans notre ancienne histoire, +le droit appartenait à un moins grand nombre d'électeurs +qu'il n'arriverait dans le système de votre commission.</p> + +<p>Si vous prenez l'Allemagne où le droit communal est +assez large, vous trouverez qu'il y est plus restreint qu'il ne +le sera en France, d'après le projet de votre commission. Ou +je m'abuse fort, ou nous nous faisons un peu illusion à nous-mêmes +sur les mots; nous invoquons les souvenirs de l'antiquité; +nous parlons d'ilotes, de grandes aristocraties, de +tyrannies: j'avoue que je ne comprends pas comment, avec +une loi d'élection qui vous donne deux millions d'électeurs +complétement indépendants, lesquels nommeront des conseils +dans lesquels seuls le pouvoir central sera obligé de +choisir ses agents, il serait possible de voir là des ilotes, une +aristocratie, une tyrannie. Je comprends qu'on puisse invoquer +ces souvenirs; mais en fait, dans la pratique, je vois +l'autorité locale remise presque partout entre les mains des +citoyens capables de l'exercer.</p> + +<p>Je le répète; les lumières et l'indépendance, et j'ajoute +l'esprit d'ordre, de conservation de la société, la défense de +l'ordre contre les attaques auxquelles il pourrait être en +butte, ce sont là les conditions, de la capacité politique dans +les petites comme dans les grandes villes. Quand il s'agit +de l'élection communale, comme quand il s'agit de l'élection +d'un député, les limites peuvent être plus ou moins +larges, mais le principe est le même; c'est toujours la capacité +qui est la source du droit, et les conditions de la capacité +sont presque partout les mêmes, les lumières, l'indépendance, +l'esprit d'ordre et de conservation. Il me +semble que ce n'est pas après avoir, pendant quinze ans, +recueilli les fruits de l'introduction du principe de la capacité +dans nos lois, qu'on peut y renoncer. C'est à ce principe +que nous avons dû la conquête de l'élection directe, que nous +avons dû la réalité de l'élection et l'énergie avec laquelle +les électeurs ont lutté, et contre les influences supérieures, +et contre les vices de la législation. C'est sans aucun doute à +l'introduction du principe de la capacité politique, à sa substitution +au principe faux et menteur du suffrage universel, +que nous avons dû l'énergie qu'a déployée l'élection parmi +nous. Ce n'est pas le moment d'abandonner ce principe, +quand il nous a fourni les moyens de nous défendre et de +nous sauver, ni de rentrer dans le principe du suffrage universel, +qui ne nous a valu que mensonge et tyrannie au nom +du peuple. (<i>Très-bien! Très-bien!</i>)</p> + +<a name="XXVI" id="XXVI"></a> +<br><br> +<h3>XXVI</h3> + +<p class="mid">Discussion sur la conduite et la situation du ministère du +3 novembre 1830, à l'occasion des troubles survenus dans +Paris, les 14 et 15 février 1831.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 19 février 1831.--</p> + +<p class="large">Dans la séance du 17 février 1831, M. Benjamin +Delessert, député de Maine-et-Loire, demanda au ministère +des explications sur les désordres graves qui avaient +éclaté dans Paris, les 14 et 15 février, à l'occasion du +service funèbre célébré le 13 dans l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois, +pour l'anniversaire de l'assassinat +de M. le duc de Berri. Le président du conseil, M. Laffitte, +répondit à cette interpellation, et un long débat +s'engagea à la suite de son discours. MM. Baude, Salvandy, +Persil, Odilon Barrot, Dupin, Mauguin, etc., s'y +engagèrent successivement. Je pris la parole les 19, +20 février et le 9 mars, d'abord après M. Eusèbe Salverte, +puis en réponse à M. Laffitte qui m'avait répondu; +et mes discours furent considérés comme l'une des causes +déterminantes de la chute du cabinet présidé par +M. Laffitte, qui tomba en effet quelques jours après et +fit place au cabinet de M. Casimir Périer.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, j'ai peu de goût pour les précautions +oratoires; cependant, au milieu de ce déluge d'attaques, +de calomnies et d'erreurs volontaires ou involontaires, +dont nous sommes inondés, j'ai besoin de rappeler deux +choses, et j'en demande la permission à la Chambre.</p> + +<p>J'ai pris part à la révolution de Juillet; il n'y a pas eu +une des réunions de députés, grandes ou petites, nombreuses +ou peu nombreuses, à laquelle je n'aie assisté. J'ai eu l'honneur +de rédiger la première protestation des députés, la +proclamation par laquelle la Chambre a appelé Mgr le duc +d'Orléans à la lieutenance générale du royaume. La commission +municipale qui siégeait à l'Hôtel de ville m'a fait l'honneur, +le 30 juillet, si ma mémoire ne me trompe, de me +confier le ministère de l'instruction publique, sous le titre +de commissaire provisoire. J'ai accepté. Je suis donc aussi +engagé, aussi compromis que personne dans la révolution +de Juillet; sa cause est la mienne, et personne, quand j'en +parle, personne n'a le droit d'avoir le moindre doute sur ma +fidélité à sa cause.</p> + +<p>Le second fait, que j'ai encore besoin de rappeler, c'est +que, depuis trois mois, je n'ai jamais cherché, j'ai soigneusement +évité toute occasion de me trouver en opposition avec le +ministère, de lui susciter le moindre embarras. Autant qu'il +a été en moi, je lui ai prêté mon appui; j'ai donc également +le droit de n'être pas suspect aux ministres; j'ai le droit +de dire qu'aucune ambition personnelle, aucun sentiment +personnel ne m'a jamais animé dans ma conduite politique. +A ce titre encore, j'ai droit à la confiance.</p> + +<p>Je regrette que, dans la discussion qui s'est élevée, le ministère +se trouve impliqué; je regrette qu'il me soit impossible +d'y prendre part sans faire acte d'opposition. Je le +regrette si bien que j'ai hésité à parler. Cependant comment +se taire quand la révolution de Juillet tout entière, le gouvernement +qu'elle a fondé et la société qu'elle a voulu sauver +sont attaqués à la fois, et que l'un et l'autre ne sont point +défendus? Les ministres vous ont exposé hier les mesures +qu'ils avaient prises dans cette circonstance; vous avez +entendu les plus honorables et les plus éloquentes protestations +partir de tous côtés de cette Chambre en faveur de +l'ordre public et de la liberté de tous contre les excès qui +ont désolé ces derniers jours.</p> + +<p>Je ne veux pas entrer dans l'examen des mesures du ministère; +je ne veux, à plus forte raison, contester aucune +des protestations, des déclarations que vous avez entendues; +je prends les mesures pour bonnes, les déclarations pour parfaitement +sincères; mais je n'en dis pas moins qu'il n'y a +dans tout ceci, à mon avis, ni dans les actes du ministère, ni +dans les protestations et les déclarations que vous avez entendues, +rien qui révèle, qui promette un gouvernement +capable de défendre la société et de se défendre lui-même +dans la crise où nous sommes jetés. (<i>Bien! bien!</i>)</p> + +<p>Pour qu'il existe un gouvernement capable de suffire à +cette double tâche, il faut d'autres et de plus difficiles conditions; +il faut autre chose que des lettres, des instructions +par les télégraphes, et des protestations d'amour pour l'ordre +public. La première condition d'un pouvoir, d'un gouvernement +capable de défendre la société et lui-même, messieurs, +c'est qu'il gouverne seul, que personne ne s'en mêle que lui, +qu'aucune intervention extérieure, aucune force extralégale +ne vienne prendre part au pouvoir, que les pouvoirs constitutionnels +soient pleinement libres, en pleine sécurité dans +leur action; je le répète, que le gouvernement gouverne +seul.</p> + +<p>Il y a une autre condition: c'est l'harmonie des pouvoirs +constitutionnels, leur action commune, leur concert chacun +à sa place; ce n'est pas trop de cette harmonie de tous les +pouvoirs et de toutes leurs forces réunies pour suffire à des +circonstances comme celles où nous nous trouvons. Si l'harmonie +n'existe pas, si le faisceau n'est pas ferme, si chaque +pouvoir agit pour son compte et dans une direction différente, +il n'y a pas de gouvernement possible.</p> + +<p>Encore une condition, et peut-être la plus indispensable, +c'est que le pouvoir, le gouvernement soit à sa place, dans la +situation qui lui appartient, c'est-à-dire à la tête de la société, +et non à la queue, comme on l'a dit; que cela soit en effet, +que le pouvoir en ait le sentiment, qu'il le professe, qu'il le +proclame lui-même, et soit reconnu de tous comme tel.</p> + +<p>Depuis longtemps, messieurs, on proclame des idées qui +tendent à faire descendre le pouvoir de sa haute position +sociale, à le subordonner, à le placer au-dessous, je ne dirai +pas de la société elle-même, mais de presque toutes les forces +qui prétendent l'envahir et parler au nom de la société, +au nom du peuple, comme on le dit. Il y a je ne sais +combien de peuples qui viennent se dire supérieurs au pouvoir; +tant que cela est, il n'y a pas de gouvernement possible.</p> + +<p>Ce sont là, je le répète, les conditions fondamentales d'un +gouvernement capable de défendre la société, de se défendre +lui-même contre tous les périls. L'aveuglement des hommes +a quelquefois méconnu la nécessité de ces conditions; mais +l'expérience, qui est le suffrage des siècles, l'expérience a +toujours rétabli ces conditions dans leur droit, et a toujours +proclamé que là où elles manquaient, il n'y avait pas de gouvernement.</p> + +<p>Ces conditions, toujours nécessaires, le sont encore plus +aujourd'hui, et pour la tâche particulière que notre époque +est chargée d'accomplir. Chaque époque a la sienne; la +Révolution était chargée de détruire l'ancien régime; elle l'a +fait avec des principes et des forces qui lui ont pleinement +suffi; mais quand elle a voulu appliquer ces principes et ces +forces à autre chose, quand elle a voulu construire son propre +gouvernement avec les principes et les forces qui avaient +détruit l'ancien régime, elle ne nous a donné que la tyrannie +dans l'anarchie. Nous l'avons eue sous deux formes, forte +sous la Convention, faible sous le Directoire.</p> + +<p>La Révolution avait détruit l'ancien régime, elle n'était pas +capable d'autre chose. L'Empire est venu qui a rétabli l'ordre, +l'ordre extérieur, matériel, qui a constitué la société civile +telle que la Révolution l'avait faite. Il l'a fait reconnaître de +l'Europe entière; telle était sa mission; il a réussi. Il a été +incapable de constituer une société politique durable; il +n'avait pas pour cela les conditions nécessaires. L'Empire est +tombé à son tour. La Restauration lui a succédé.</p> + +<p>Qu'a promis la Restauration? Elle a promis de résoudre le +problème, de concilier l'ordre et la liberté. C'est sous cette +bannière que la Charte a été donnée. La Restauration portait +en elle-même un principe. Elle avait accepté dans la +Charte des principes de liberté; elle avait promis de les +constituer; mais elle faisait cette promesse sous le drapeau +de l'ancien régime, sur lequel avait été écrit pendant tant de +siècles: <i>Droit divin</i>. Elle n'a pu résoudre le problème. Elle +est morte à la peine, accablée par le fardeau.</p> + +<p>C'est à nous, à la révolution de Juillet que cette tâche a +été imposée; c'est notre devoir et notre situation d'établir +définitivement, non pas l'ordre seul, non pas la liberté +seule, mais l'ordre et la liberté en même temps. Il n'y a +aucun moyen d'échapper à cette double mission. Oui, messieurs, +notre mission est double. Nous sommes chargés de +fonder à la fois le principe et les institutions de l'ordre, le +principe et les institutions de la liberté: c'est là la promesse +de la révolution de Juillet, le véritable programme de +l'Hôtel de ville. Il se peut que des espérances, des pensées +d'une autre nature soient entrées dans quelques têtes; il se +peut que les mots: <i>un trône populaire entouré d'institutions +républicaines</i>, aient séduit des esprits généreux; mais la +pensée générale, l'espérance de la France, a été l'ordre et la +liberté se réunissant sous la monarchie constitutionnelle. +C'est là la vraie promesse de la révolution de Juillet, c'est là +le véritable programme de l'Hôtel de ville; et quand nous +les réclamons, nous réclamons la promesse de Juillet: c'est +nous qui sommes fidèles au caractère et au but de notre révolution.</p> + +<p>Elle a beaucoup de moyens pour accomplir cette tâche, +cette double mission; mais dans sa propre nature, dans la +nature des événements qui l'ont faite, elle rencontre de grands +obstacles. C'est la plus nécessaire, la plus légitime, à coup +sûr, des révolutions qui se soient accomplies dans le monde; +mais enfin, c'est une révolution, c'est-à-dire un grand bouleversement +du gouvernement et de la société par l'intervention +de la force matérielle. Eh bien! ce sont ces faits primitifs de +notre révolution qui font d'une part sa gloire, de l'autre son +péril. La plus grande difficulté, peut-être, qu'elle ait à surmonter, +la source de presque toutes les difficultés qui pèsent +aujourd'hui sur elle, c'est qu'elle a été l'oeuvre de la force +matérielle; non pas l'oeuvre d'un pouvoir constitué, d'une +force légale, mais une oeuvre populaire, glorieuse à ce titre, +et en même temps contraire à l'état régulier de la société. +Toute révolution opérée de cette manière est de sa nature un +fait antisocial dont on a beaucoup de peine à sortir.</p> + +<p>Sans doute, messieurs, l'oeuvre est difficile, très-difficile, +j'en conviens, et certes, je suis loin de demander compte au +ministère des embarras qu'il y trouve. Cependant, il est +impossible que nous ne lui demandions pas, que nous ne +nous demandions pas à nous-mêmes si nous sommes dans la +bonne voie, si nous marchons hors de l'abîme, si nous nous +guérissons peu à peu du mal contre lequel nous luttons, si +nous avançons vers la conciliation de l'ordre et de la liberté, +qui est le problème de notre temps.</p> + +<p>Messieurs, je vous le demande, regardez à l'état actuel +de l'ordre, et à l'état actuel de la liberté.</p> + +<p>Quant à l'ordre, messieurs, je ne parle pas de celui des +rues, il est évident pour tout le monde qu'il n'est pas en +progrès... (<i>On rit.</i>) Nous pouvions espérer, après les désordres +de décembre, qu'on en avait fini. La victoire avait +été complète, difficile, remportée dans l'occasion la plus +favorable au désordre. La garde nationale, notre force à +tous aujourd'hui, s'était glorieusement compromise. Six +semaines après, les désordres recommencent; je parlerai tout +à l'heure du prétexte. La garde nationale, cette fois, les +réprima, mais avec moins de décision, avec un peu plus +d'inquiétude qu'elle ne l'avait fait en décembre. (<i>Mouvement!</i>) +Pourquoi? Est-ce que les sentiments de la garde nationale +seraient changés? Est-ce qu'elle n'aurait pas le même +goût pour l'ordre, et le désir de le concilier avec la liberté?</p> + +<p>Les sentiments de la garde nationale ne sont pas changés; +sa situation dans la société, ses intérêts, ses habitudes, ne le +permettent pas. La garde nationale.... mais, messieurs, elle +est comme nous, elle est embarrassée; elle ne sait pas bien à +qui s'adresser, elle cherche, elle demande une direction, des +ordres; elle demande à être commandée, je ne dis pas militairement, +elle est commandée par un des hommes qui honorent +la France et l'armée, mais politiquement commandée. +(<i>Bravo! bravo!</i>) Elle demande ce que demandent la France et +les Chambres, à être gouvernée; elle sent qu'elle ne l'est pas.</p> + +<p>Comment la garde nationale, je le demande, se croirait-elle +gouvernée? elle assiste au même spectacle que nous; ce +que nous voyons, elle le voit; ce que nous entendons, elle +l'entend; elle voit comme nous qu'il n'y a pas d'harmonie +entre les pouvoirs, que cet ordre qui n'existe pas dans les +rues, dans la société, n'existe pas non plus dans le sein du +gouvernement. Elle voit, par exemple, que dans la Chambre +des députés, où il existe une majorité comme dans toute +assemblée, cette majorité ne marche pas fermement, constamment +d'accord avec le ministère; elle s'étonne de nous +voir ainsi en dehors du gouvernement parlementaire. Voilà +quinze ans que nous demandons un gouvernement parlementaire; +il est le but de tous nos efforts, de tous nos discours. +Eh bien! nous ne paraissons pas dans ce moment avancer +beaucoup vers ce but.</p> + +<p>Je ne voudrais pas répéter des mots dont je ne suis pas +sûr, que je n'ai pas entendus; mais on a dit: il n'y a de +majorité que dans les boules, il ne faut tenir compte que des +boules, et hors de là, il n'y a rien. Je répète que je n'ai pas +entendu cela; mais je fus désolé dans cette Chambre, en +mars 1830, lorsque, passant à côté du banc où M. de Polignac +était assis, je l'entendis dire à des députés qui se trouvaient +auprès de lui: «Nous verrons aux boules si la +Chambre rejettera le budget; après tout, c'est de boules uniquement +qu'il s'agit!» Il s'agit, dans un gouvernement parlementaire, +de tout autre chose que de boules; c'est là +sans doute que tout vient aboutir; mais il faut aussi le concert, +l'intelligence des pouvoirs, leur accord, leurs efforts +communs vers le même but; il faut l'harmonie de leurs +sentiments, de leurs paroles; il faut cette unanimité, cette +forte cohésion qui les lie, et l'énergie qui en résulte pour +les uns et les autres. Voilà le gouvernement parlementaire. +Ce n'est pas à l'urne seulement qu'il aboutit; il précède +l'urne; il consiste dans tous les rapports des assemblées +politiques avec le ministère. Il est à ce prix, et c'est à ce +prix seulement qu'il portera ses fruits politiques (<i>Bravo! +bravo!</i>)</p> + +<p>Est-ce que la majorité de cette Chambre serait, par +hasard, si exigeante, si intraitable que de demander au gouvernement +des efforts extraordinaires? La majorité de cette +Chambre s'est offerte constamment, elle s'est offerte, elle a +demandé qu'on marchât avec elle, elle a promis des secours +d'hommes, d'argent, tout ce dont on aura besoin; elle demande +sa dissolution, si on ne veut pas marcher avec elle. +(<i>Bien, très-bien!</i> aux centres. <i>Applaudissements prolongés.</i>)</p> + +<p>On n'a point de motifs de dire que la majorité de cette +Chambre est exigeante, difficile; jamais il ne s'en est rencontré +de plus facile, de plus douce, de plus portée à soutenir +le pouvoir, et à lui faire les meilleures conditions qu'il +ait jamais obtenues en pareille occasion.</p> + +<p>Je ne rappellerai pas ce que vous avez vu hier. Vous avez +vu que dans l'intérieur du gouvernement, au sein du pouvoir +exécutif, il n'y avait pas plus d'ordre qu'entre les pouvoirs +constitutionnels. A Dieu ne plaise que je réclame cet +infâme principe de la servilité des fonctionnaires réclamé +en d'autres temps! Sans doute on ne perd pas son indépendance, +sa dignité en s'alliant au ministère. Le ministère, à +son tour, a son indépendance et sa dignité à conserver. Il y +a deux personnes dans cette alliance; il faut de la liberté, de +la dignité pour toutes les deux: le ministère doit savoir se la +conserver.</p> + +<p>Voilà pour l'ordre, messieurs; voilà l'état où il est dans ce +moment. Je viens à la liberté. Elle est grande depuis la +révolution de Juillet, elle est réelle pour tout le monde, c'est +notre honneur à tous; mais il faut en liberté quelque chose +de plus que la réalité actuelle, quelque chose de plus que le +présent: il lui faut de la sécurité, il lui faut des garanties +pour l'avenir. Ces garanties existent-elles aujourd'hui pour +toutes les classes de citoyens? Toutes ces opinions si vives, +qui se manifestent avec tant d'énergie, sont-elles sûres? +Espèrent-elles rester longtemps dans le même état? Là est la +question.</p> + +<p>Je passe à la liberté individuelle; elle est grande comme +les autres. Sans doute le gouvernement n'a aucune intention +de porter et n'a jamais porté la moindre atteinte à la liberté +individuelle. Mais elle est difficile à concilier avec de fréquentes +émeutes, elle a beaucoup à en souffrir. Vous entendiez +hier M. le préfet de police raconter comment il avait été +obligé de lutter de son corps, a-t-il dit, et sans doute il l'a +fait avec le courage qui le distingue; obligé de lutter pour +sauver la liberté d'un homme qui se débattait dans la foule, +qui se rendait je ne sais où, qui se trouvait là par hasard. +A coup sûr, cet homme ne doit pas croire que la liberté +individuelle soit bien sûre à Paris. (<i>On rit.</i>) J'ai entendu +dire, je ne garantis pas ce fait, qu'un honorable député de +Belgique, un prêtre, a été insulté dans les rues de Paris, +parce qu'il paraissait avec les habits de son état et qu'il a eu +besoin des secours de la garde nationale pour se mettre en +sûreté. Celui-là aura aussi quelques doutes sur la liberté +individuelle. Je pourrais aller plus loin, parler de l'impossibilité +que, dans des désordres pareils, toutes les arrestations +soient bien réfléchies, bien motivées. Il est évident qu'il y +en a de légères; il y en a qui portent atteinte à la liberté +individuelle. En un mot, avec le désordre dans les rues, +avec la perspective des émeutes, il n'y a aucune liberté +individuelle sûre et dont les citoyens puissent se vanter.</p> + +<p>Je ne dirai qu'un mot de la liberté des opinions. Un de +nos honorables collègues sait à quel prix il faut l'acheter. +(<i>On rit.</i>) Ce n'est pas là précisément l'état normal de la +liberté des opinions.</p> + +<p>Je passe à la liberté des cultes. M. le préfet de la Seine en +a parlé à cette tribune dans les meilleurs termes, avec les +plus honorables sentiments: il s'est empressé de dire qu'il +avait fait tous ses efforts pour rétablir la liberté des cultes +dans Paris. Il a eu raison, Mais à la liberté des cultes, +comme aux autres libertés, il faut de l'avenir; il lui faut +du respect; elle ne vit que du respect public. (<i>Bien, très-bien!</i>) +Elle a besoin d'être respectée; il ne lui suffit pas +d'être écrite dans la loi. Pour entrer dans les églises, pour y +professer son culte, il faut être sûr que le peuple et l'autorité +vous protégeront.</p> + +<p>Pendant quinze ans, sous la Restauration, les protestants +ont joui d'une entière liberté de culte; ils ont reçu du gouvernement +des Bourbons plus de secours, plus de temples et +de pasteurs qu'ils n'en avaient reçu des gouvernements +précédents. Eh bien, ils ne croyaient pas avoir la liberté des +cultes, et ils ne l'avaient pas réellement, parce qu'ils étaient +un objet de défiance, d'aversion, et qu'ils se défiaient à leur +tour. Ils ne comptaient pas sur cette liberté des cultes dont +ils jouissaient. C'est ainsi qu'une grande partie des catholiques +français se croient dans la même situation aujourd'hui; +quoique jouissant de la liberté qui leur sera conservée, +grâce à vos mesures, ils s'attendent à des actes d'hostilité de +la part du gouvernement. C'est un fait, un fait que vous +avez à guérir; vous le guérirez sans doute; mais vous avez à +le guérir. Vous êtes obligés de témoigner plus de respect à +la liberté des cultes que tout autre gouvernement.</p> + +<p>Je sais, messieurs, que de la plupart de ces maux, de ces +désastres, on s'en prend aux carlistes. Je ne fais aucun +doute sur les intentions de ce qu'on appelle <i>parti carliste</i>; +il y en a un, il ne peut pas ne pas en exister un. Sans aucun +doute, il est hostile et cherche toutes les occasions de réussir +dans son hostilité. Cependant je voudrais demander à un +de nos honorables collègues ce qu'il entend par ces illusions +dont il a parlé hier, et dont il a déploré la perte. Il a dit +que c'était une belle illusion de croire qu'on pouvait par +la liberté ramener ses ennemis, les guérir de leurs préventions, +dissiper les haines et échapper ainsi à la nécessité des +mesures extraordinaires.</p> + +<p>Messieurs, si on s'est flatté, par la liberté égale de tous, +par la modération, de se concilier en six mois tous ses ennemis, +de dissiper toutes les préventions, de vaincre en un +mot les partis, j'en demande pardon à la Chambre, c'est +une illusion d'enfant. Cela n'est jamais arrivé dans ce monde; +les partis résistent bien plus longtemps à la modération, +à la douceur, aux bons gouvernements, comme ils résistent +plus longtemps à la tyrannie; sans doute il faut +s'attendre à la longue hostilité, à la malveillance séculaire +peut-être du parti vaincu; et ce n'est pas une illusion à +perdre pour celui qui croit que la liberté, la modération, +le régime égal pour tous sont plus propres à le ramener, +et feront durer le mal beaucoup moins que tout autre système +de gouvernement. (<i>Oui, oui, c'est vrai.</i>) Il n'y a là +aucune illusion. La justice est le droit de tous, des vaincus +et des vainqueurs. Pour le gouvernement, le système de la +liberté individuelle et de la modération est le meilleur moyen +de vaincre l'animosité des partis, quelque longue que cette +tâche puisse être.</p> + +<p>Messieurs, qu'on prenne à l'égard du parti carliste, comme +des autres, toutes les mesures qu'on jugera nécessaires dans +les limites de la liberté et de la justice. Je sais que ce parti +est à la fois impuissant et malfaisant; je sais qu'il lui arrive +ce qui arrive aussi ailleurs, que le venin demeure là où la +vie n'est déjà plus. (<i>Bien, très-bien!</i>) Qu'on prenne donc +contre lui toutes les mesures nécessaires et légitimes. Mais +permettez-moi de dire aussi à notre révolution, à cette révolution +qui est à nous aussi bien qu'à qui que ce soit, permettez-moi +de lui dire ce que nous regardons comme la +vérité sur son compte; permettez-moi de chercher à la +défendre de ses propres erreurs, de ses propres vices, pour +appeler les choses par leur nom.</p> + +<p>Un honorable membre de cette Chambre m'a reproché, il +y a quelque temps, de mal parler de la Révolution française +en général, de lui reprocher ses torts, à toutes les occasions, +de la traduire pour ainsi dire à la barre de l'Europe; c'est +l'expression dont on s'est servi. Messieurs, pendant quinze +ans qu'a duré la Restauration, j'ai fait un autre métier; j'ai +défendu la Révolution française, non-seulement dans ses intérêts, +mais dans ses idées, dans son honneur, dans sa dignité. +En 1826, au moment où elle semblait le plus être vaincue, +je l'ai appelée glorieuse en face de ses ennemis. Pourquoi, +messieurs? Parce qu'elle était alors attaquée, diffamée, en +péril.</p> + +<p>J'ai coutume, je l'avoue, de dire la vérité au plus fort, et +de me porter là où paraît être le danger (<i>Bravo! bravo!</i> +aux centres.)</p> + +<p>J'agis aujourd'hui comme alors; je dis aux vainqueurs +ce que je crois la vérité; je vais où le danger me paraît +être.</p> + +<p>En faisant cela, je crois agir non-seulement en honnête +homme, en bon citoyen, mais faire un acte de prudence +politique. Les gouvernements ne sont pas faits, ne sont pas +institués pour plaire; les gouvernements libres moins que +d'autres. On a vu des gouvernements despotiques et populaires. +Quand ils sont forts, ils rallient la majorité des intérêts +nationaux; ils savent se placer dans le mouvement national, +ils étouffent le reste, et alors on les dit populaires.</p> + +<p>Dans les pays libres, le meilleur gouvernement n'est +presque jamais populaire. Il a toujours contre lui le parti +des espérances et celui des mécomptes. Le parti des illusions +déçues est précisément la portion de la société la plus remuante; +c'est assez pour rendre le pouvoir impopulaire, +même au moment où il est le plus national et le meilleur, où +il rend le plus de services au pays.</p> + +<p>La Chambre des députés, en juillet, a pris une autre position +qu'auparavant; elle est devenue non le gouvernement, +mais le siége du gouvernement. On s'en prendra à elle de +toutes choses, parce que c'est elle qui donne l'impulsion. +Que la Chambre des députés ne s'y trompe pas; par cela seul +qu'elle détermine la direction du gouvernement et qu'elle +en répond, elle est destinée désormais à n'être pas populaire. +Tant qu'elle n'en aura pas pris son parti, tant qu'elle +se trompera sur sa situation, qu'elle jugera de sa situation +présente par sa situation passée, elle sera dans une position +fausse, elle ne remplira pas sa véritable tâche.</p> + +<p>Depuis 1688, il n'y a pas eu en Angleterre de Chambre +des communes populaire; il n'y en a pas eu une seule qui +n'ait eu contre elle, sinon immédiatement, du moins presque +aussitôt après son avénement, les écrits, les mouvements +de cette portion de la société qui fait et qui défait la +popularité. Pourquoi? Parce que, à partir de cette époque, +c'est la Chambre des communes qui a gouverné l'Angleterre; +de même qu'elle avait le pouvoir, elle avait la responsabilité. +Aussi elle a fait des fautes. Quiconque aura le pouvoir en +sera responsable, ne sera pas populaire et ne doit pas y prétendre; +on ne gouverne les peuples libres qu'à ce prix. Je +crois fermement que nous sommes dans une mauvaise direction, +que l'ordre et la liberté chez nous sont en perte et non +pas en gain. Je crois fermement que nous ne sommes pas +dans la voie du gouvernement libre, du gouvernement +national. J'en étais convaincu il y a trois mois, lorsque mes +amis et moi sommes sortis du ministère. D'autres, honorables +comme nous, sincères comme nous, dévoués comme +nous au prince et au pays, en ont jugé autrement; ils ont +cru la tâche possible aux conditions auxquelles nous l'avions +jugée impossible. Je ne leur demanderai pas ce qu'ils en +pensent aujourd'hui. (<i>Mouvement.</i>) Je dis seulement que, si +on persiste dans cette voie, si c'est la popularité qu'on +cherche par le gouvernement, on n'aura pas de gouvernement, +pas plus, toujours moins qu'on n'en a aujourd'hui. +L'ordre y perdra sa force, la liberté son avenir, les hommes +qu'on y appellera leur popularité; et nous ne serons pas plus +avancés après. Pour mon compte, je ne crois pas qu'il soit +possible de rester dans cette position.</p> +<hr> +<p class="mid">--Séance du 20 février 1831.--</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--La Chambre m'a paru regretter que la question +qui l'occupe devînt si exclusivement personnelle (<i>murmures</i>); +je le regrette comme elle. J'avais essayé de l'éviter +et de donner à la discussion, tout en trouvant que le ministère +y était impliqué, un tour aussi général, aussi désintéressé +qu'il était en mon pouvoir. Cependant je comprends +que la question se pose de nouveau et nettement, entre le +ministère dont j'ai eu l'honneur de faire partie et le ministère +actuel. Je comprends très-bien que M. le président du +conseil ait été amené à la poser de la sorte, et je l'accepte à +mon tour, tout en priant la Chambre de remarquer que ce +n'est pas moi qui l'ai posée ainsi.</p> + +<p>M. le président du conseil me reproche surtout deux choses: +d'avoir exagéré le tableau de notre situation et d'avoir +imputé tout le mal au pouvoir. Sur le premier point, je désire +qu'il ait raison; c'est sincèrement et du fond du coeur que +je désire me tromper sur la gravité de notre mal. Je suis loin +de penser qu'il soit sans remède; non-seulement je ne le +crois pas sans remède, mais je crois la remède sous notre +main.</p> + +<p>Mais je ne pense pas non plus que, parce que le remède +existe, il faille dissimuler la gravité du mal. Remarquez la +situation dans laquelle nous nous trouvons habituellement +sous le régime représentatif: d'un côté, une opposition vive, +ardente, passionnée, toujours prête à exagérer tout ce qui +se passe dans la société, à reprocher au pouvoir toutes les +fautes, tous les malheurs; et de l'autre côté, un pouvoir +qui, sans cesse obligé de se défendre, est dans la nécessité +d'atténuer le mal à son tour, de le nier même quand il le +reconnaît, quand il en a le sentiment. Il s'établit sur la +situation du pays une polémique dans laquelle il y a exagération +des deux côtés.</p> + +<p>C'est un grand danger pour les gouvernements de ne pas +avoir un sentiment vrai et juste de leur situation, de ne pas +connaître tout le mal de la société. Ces reproches très-fondés +qu'ils peuvent adresser à l'opposition, cette exagération qu'ils +trouvent dans les accusations dont ils sont l'objet, voilent à +leurs yeux le mal réel de la société, et parce qu'ils ont souvent +raison contre l'opposition qui les accuse, ils ne voient +pas qu'elle a souvent raison contre eux, et qu'elle ne leur +dit pas même tout le mal qui existe et tout ce qu'on aurait +pu faire pour le prévenir.</p> + +<p>Je ne crois pas avoir exagéré le mal; je le répète, je ne +le crois pas sans remède, et je suis convaincu que, si les +ministres actuels étaient hors du conseil, s'ils n'avaient pas +cette responsabilité qui aveugle les hommes comme elle les +éclaire, ils jugeraient de la situation comme moi, comme +nous tous, qu'ils la verraient aussi grave que je la vois, +qu'ils y trouveraient tout le mal que j'y trouve. Je crois +que c'est uniquement dans cette nécessité continuelle de se +défendre contre des accusations souvent injustes, qu'est la +source de leur erreur, de..... passez-moi le mot, de leur +aveuglement sur notre situation.</p> + +<p>Quant à avoir imputé tout le mal au pouvoir, je ne crois +pas avoir encouru ce reproche. J'ai dit le premier que, dans +la nature même de notre situation, dans l'origine de notre +révolution, dans cette intervention si glorieuse de la force +populaire dans le gouvernement, était la véritable, la principale +cause du mal qui nous travaille. Ce n'est pas aux hommes +que je l'impute: ils y ont leur part, mais ce n'est pas la plus +grande. Je reconnais toutes les difficultés qui les assiégent +et combien ils ont de peine à en sortir; et, je le répète, si +nous étions dans une voie de progrès, quelque lent qu'il pût +être, quelque éloigné que me parût le but, je n'aurais pas +élevé la voix; c'est uniquement parce que nous sommes, à +mon avis, dans une voie de détérioration, parce que nous +marchons vers le mal au lieu de marcher vers le bien, que +j'ai élevé la voix, et que j'ai imputé aux hommes une partie +du mal de la situation.</p> + +<p>On dit que je n'ai pas indiqué les remèdes; j'en conviens, +les remèdes sont très-difficiles à indiquer, parce qu'ils consistent +infiniment plus dans l'action que dans les paroles; les +remèdes, il faut les pratiquer: on les pratique plus aisément +qu'on ne les dit.</p> + +<p>Cependant je crois avoir signalé les principales causes, et +en même temps les principaux moyens de porter remède au +mal. J'ai dit surtout que l'harmonie n'existait pas entre les +pouvoirs constitutionnels, qu'ils ne savaient pas, passez-moi +le mot, se servir, se soutenir les uns les autres, que cette +union de toutes les forces constitutionnelles entre les grands +pouvoirs et de toutes les forces exécutives dans le sein du +gouvernement, que cette union n'existait pas, que le rétablissement +de cette union était le grand remède, le remède +dont nous avions besoin. Il faut bien que ce remède ait +paru le vrai au ministère actuel puisqu'il vient de le proposer, +puisqu'il vient de l'accepter tel que vous l'aviez proposé. +Ce que le ministère vient d'annoncer, c'est le remède +que j'ai indiqué, que cette Chambre invoque depuis longtemps. +(<i>Voix nombreuses au centre</i>: Oui, oui!.....<i>A gauche</i>. +Vous n'en vouliez pas, il y a quelques jours.)</p> + +<p>Permettez-moi d'exposer au vrai, et en entrant encore +plus avant que je n'ai fait hier dans notre situation, les relations +de la Chambre avec le ministère.</p> + +<p>La Chambre, depuis six mois, a essayé par tous les moyens +de marcher avec le ministère, de lui prêter force, la Chambre +ou du moins la majorité de cette Chambre. (<i>Aux centres: Oui! +oui!</i>)</p> + +<p>Elle n'a pas demandé depuis six mois sa dissolution, +parce qu'elle a espéré pouvoir porter au gouvernement +l'appui dont il avait besoin... (<i>Aux centres: Oui! oui!</i>); +parce qu'elle a espéré pouvoir arriver au rétablissement de +cette harmonie entre les pouvoirs constitutionnels qui lui +paraissait la condition nécessaire de leur force. C'est dans +cette espérance que la majorité de cette Chambre n'a pas +élevé la voix pour en appeler au pays. (<i>M. Isambert parle de sa +place.</i>)</p> + +<p><i>M. le président.</i>--Quand tout le monde a le droit de +parler, on ne doit pas interrompre.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span> <i>continue.</i>--Je conviens que ces expressions <i>la +majorité et la minorité de cette Chambre</i> me déplaisent. Aussi +au moment de les employer, je cherche à les éviter. Je me +servirai, si vous le voulez, du mot <i>la Chambre tout entière</i>, mais +quand je l'emploierai, une portion de cette Chambre me +criera que ce n'est pas son avis, que ce n'est pas ce qu'elle +demande. Comment voulez-vous que je fasse? Il faut bien +que je parle de la majorité et de la minorité; il n'y a pas +moyen d'échapper à cette situation.</p> + +<p>Je dis donc que, tant que la majorité de cette Chambre a +espéré de pouvoir s'allier fermement et constamment au +gouvernement, de pouvoir lui prêter l'appui dont il avait +besoin et de pouvoir à son tour en recevoir la force nécessaire +au salut du pays, elle est restée dans l'attente; et c'est +seulement parce qu'elle commence à perdre cette espérance, +parce qu'elle se voit elle-même compromise, s'affaiblissant +elle-même, se décréditant par son inertie, parce qu'elle ne +peut faire ce qu'elle voudrait faire, ce qu'elle demande qu'on +lui fasse faire, c'est, dis-je, par cette raison qu'à son tour +elle élève la voix et qu'elle invoque comme remède à notre +situation cette dissolution qu'on invoquait contre elle, il y a +quelques jours, apparemment dans les mêmes vues.</p> + +<p>J'ai donc indiqué le grand remède, le remède efficace à +notre situation, le seul qui puisse rétablir l'harmonie entre +les pouvoirs constitutionnels et la force dans le gouvernement.</p> + +<p>M. le président du conseil vient de vous dire: «quand le +pays aura prononcé, quand une majorité sera venue, elle +sera obéie.» Messieurs, je n'aime pas le mot <i>obéie</i>, même +pour une majorité. Je ne crois pas qu'un gouvernement doive +promettre d'obéir. (<i>Adhésion aux centres.</i>) Si la majorité qui +viendra dans cette enceinte semblait au pouvoir contraire aux +intérêts du pays, dangereuse pour le trône et pour la nation, +il devrait dissoudre encore la Chambre. Il ne doit donc pas +s'engager d'avance à obéir à une majorité quelconque, jusqu'à +ce qu'il ait épuisé tous les moyens légaux, toutes les +épreuves constitutionnelles. (<i>Nouveau mouvement d'adhésion.</i>)</p> + +<p>Je crois donc avoir indiqué le grand remède, le remède +politique. Il y en avait deux. On pouvait, c'est ma conviction, +on pouvait marcher avec cette Chambre, on pouvait fonder +de concert avec elle un gouvernement véritablement national. +C'est cette première épreuve que la Chambre a tenté, +ou plutôt c'est dans cette attente que la Chambre vit depuis +six mois. Ce remède n'a pas été employé, on n'a pas su +l'employer. Il y en avait un autre, la dissolution; c'est celui +que la Chambre invoque, c'est celui que M. le président du +conseil vient de nous promettre. Je n'ai donc pas été aussi +silencieux qu'on le dit sur le remède. J'ai indiqué le remède +applicable pendant que la Chambre était là, et le remède +applicable quand on voudra la renvoyer.</p> + +<p>Après cette discussion générale sur notre situation, je +demande la permission de dire quelques mots sur ce qui est +personnel à moi et à mes honorables amis.</p> + +<p>Il est vrai que les difficultés que j'ai signalées, nous ne les +avons pas surmontées, que le mal dont je me suis plaint, +nous ne l'avons pas guéri; c'est pour cela que nous nous +sommes retirés des affaires. (<i>Mouvement.</i>) C'est parce que +nous n'avons pas trouvé les moyens qui nous paraissaient indispensables +pour guérir ce mal, pour surmonter ces difficultés, +que nous n'avons pas voulu en accepter la responsabilité. +(<i>Voix à gauche:</i> C'est vous qui les avez fait naître!) +Croyez-vous que nous n'ayons à cette époque rien proposé, +rien demandé? On nous demande à notre tour si l'éloignement +du préfet de la Seine ou l'emploi des baïonnettes nous +paraissaient des moyens de gouvernement suffisants pour +guérir, au mois d'octobre, le mal qui existe encore aujourd'hui. +Non certainement, ces moyens-là ne nous paraissaient +pas suffisants, nous n'avons pas demandé l'emploi des baïonnettes; +nous avons cru qu'il fallait faire ce qui dispense de +les employer; nous avons cru qu'il fallait constituer le pouvoir, +mettre le gouvernement dans une position telle qu'il +n'y eût pas à craindre d'émeutes dans les rues. Nous savons +très-bien qu'on ne prévient pas les émeutes, souvent on n'en +est pas averti la veille. Mais on les empêche trois mois d'avance, +on les empêche par la conduite de tous les jours, par +l'ensemble du gouvernement, et non par l'emploi direct des +baïonnettes et la destitution de quelques hommes.</p> + +<p>Il est possible que, si nous eussions demandé, à cette +époque, tels ou tels moyens de gouvernement en particulier, +et quand même on nous les eût donnés, nous n'eussions +pas dû rester aux affaires. Ce n'était pas d'un acte en particulier, +c'était d'un système de gouvernement, d'un ensemble +de conduite qu'il s'agissait. Aussi, c'est sur ce point fondamental +qu'il était nécessaire de se concerter, de s'unir fortement +avec les pouvoirs constitutionnels, qu'il était nécessaire +d'adopter, soit en matière législative, soit dans le pouvoir exécutif, +soit dans l'administration, des principes de conduite et +des hommes qui pussent convenir à la majorité des Chambres +et à l'ensemble des pouvoirs constitutionnels.</p> + +<p>C'est là, messieurs, qu'était la question; c'est par là que la +séparation s'est faite. Je ne dis pas que nous eussions été capables +de suffire à cette tâche; je ne dis pas que si l'on eût +accepté notre système, nous eussions réussi; mais je dis que, +du moment où nous n'étions pas en état de le faire pleinement +et réellement prévaloir dans le conseil, nous devions +nous retirer, et que nous avons fait acte d'honnêtes gens et +de bons citoyens, en n'acceptant pas la responsabilité d'une +conduite que nous ne pouvions pas tenir. (<i>Marques d'adhésion +aux centres.</i>)</p> +<hr> +<p class="mid">--Séance du 9 mars 1831.--</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je ne prolongerais pas cette pénible discussion, +s'il n'y avait pas, dans l'intérêt de la vérité, un principe +et un fait à rétablir. M. le président du conseil vient de +dire que la dissolution de la Chambre appartenait au Roi +seul, que c'était l'expression de la volonté royale seule, que +le ministère n'avait pas à y intervenir. Je ne crois pas, messieurs, +que ce soit là le principe constitutionnel. Dans aucun +cas, le Roi ne fait rien seul. Le Roi ne fait rien que par le conseil +de ses ministres, et, s'il s'agit de dissolution, de nomination, +d'un acte quelconque, il y a des conseillers qui en répondent. +La dissolution n'est, pas plus que tout autre acte du +gouvernement, l'expression d'une volonté particulière du +Roi; c'est l'expression d'un système ministériel que le Roi +soutient tant qu'il garde ses ministres et qu'il abandonne +quand il les change: voilà pour la question de principe.</p> + +<p>Quant à la question de fait, la Chambre n'a demandé ni +sa conservation ni sa dissolution. (<i>Voix aux centres:</i> C'est +vrai.) La Chambre n'a jamais émis d'opinion sur cette +question. Seulement elle a remarqué un grand désaccord, un +grand trouble dans l'intérieur du gouvernement, un défaut +d'harmonie entre les pouvoirs constitutionnels et de vigueur +dans l'exercice du pouvoir exécutif. C'est là le fait qu'elle a +signalé à l'attention du Roi et du pays, et elle en a tiré cette +double conséquence qu'il fallait ou changer de système ou +en appeler au pays pour savoir s'il approuvait le système +actuellement suivi. La Chambre, je le répète, n'a point demandé +sa dissolution, mais elle a pensé qu'il était temps de +rétablir l'harmonie dans le sein du gouvernement, et, en remarquant +ce fait, elle s'en est remise à la sagesse du prince +sur le choix à faire entre les deux moyens, sur le changement +de système ou l'appel au pays.</p> + +<a name="XXVII" id="XXVII"></a> +<br><br> +<h3>XXVII</h3> + +<p class="mid">Discussion du projet de loi sur les attroupements, et des +mesures prises par le cabinet de M. Casimir Périer à l'égard +de l'association dite <i>nationale</i>.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 30 mars 1831.--</p> + +<p class="large">Le 14 mars 1831, le lendemain même de la formation +du cabinet présidé par M. Casimir Périer, une association +se forma à Paris «pour assurer, disait son programme, +l'indépendance du pays et l'expulsion perpétuelle +de la branche aînée des Bourbons.» C'était +évidemment une association dirigée contre la politique +de paix européenne et de résistance à l'esprit révolutionnaire +que proclamait le nouveau cabinet. Des +comités correspondants s'instituèrent dans plusieurs départements. +Le 18 mars, le gouvernement présenta à la +Chambre des députés un projet de loi destiné à réprimer +les attroupements qui, depuis l'émeute des 14 et +15 février, se renouvelaient tous les jours et troublaient +gravement l'ordre public. La discussion de ce projet +commença le 28 mars, et indépendamment de ces dispositions +propres, la légalité et l'opportunité de l'<i>Association +nationale</i> en furent le principal objet. A cette +occasion, et pour la défense du ministère de M. Casimir +Périer et de sa politique, je pris la parole, en réponse +à M. Odilon Barrot, et en ces termes:</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Ce n'est pas moi qui viendrai contester les +regrets sur la vivacité de nos débats et le désir d'union que +vient de manifester l'honorable préopinant. Je les partage +avec lui. Seulement, je crois devoir faire remarquer que ce +n'est pas du côté du gouvernement que la désunion a commencé, +que ce n'est pas lui qui a engagé l'attaque, que c'est +du sein de l'opposition, d'une opposition vive, et je pourrais +dire violente depuis plusieurs mois, qui a éclaté par la +presse, par tous les moyens, que c'est du sein, dis-je, de +cette opposition que les attaques sont sorties et que les associations +se sont formées. (<i>Agitation à gauche... Au centre:</i> +Oui, oui, c'est vrai.)</p> + +<p>Dans le département de la Moselle en particulier, on a +accusé le pouvoir d'abandonner la cause de l'indépendance +et la dignité du pays. Ce n'est pas pour l'aider dans sa +marche, c'était pour le suppléer, pour le remplacer, pour +substituer un système à un autre (<i>dénégations à gauche</i>); +c'était pour substituer un système d'administration à un +autre. (<i>Nouvelles dénégations.</i>) Si la Chambre me le permet, +j'entrerai dans quelques détails. (<i>Oui, oui, parlez.</i>)</p> + +<p>Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'opposition, dans le département +de la Moselle, a pris cette marche. Il y a plusieurs +mois qu'une société particulière très-peu nombreuse s'est +constituée à Metz en état d'hostilité, non-seulement avec +l'administration locale, mais avec l'administration centrale. +Elle a institué des séances, elle s'est érigée en club, elle a +donné son programme, elle s'est déclarée hostile au système +d'administration qui était suivi à Paris; elle a même sollicité +le renversement du ministère précédent, comme contraire à +l'indépendance et à la dignité de la France... (<i>Interruption à +gauche.</i>) Elle le trouvait beaucoup trop faible, beaucoup +trop peu prononcé; elle réclamait la guerre, elle se prononçait +pour la guerre immédiate, la guerre agressive.</p> + +<p>On a pu voir, dans un petit journal publié à Metz, les +actes et le langage de cette société. Je ne parle maintenant +que du fait, j'examinerai plus tard les conséquences.</p> + +<p>C'est du sein de cette société qu'est sortie la première +association sur le modèle de laquelle toutes les autres ont été +formées. J'ai donc le droit de dire que ce n'est pas du +ministère, mais d'une opposition ancienne quoique fort +restreinte, qu'est venue l'attaque. Il ne faut donc pas imputer +au pouvoir les dissensions qui existent parmi nous; il ne +faut pas lui reprocher ce système de dénigrement, de calomnie, +d'injures qui a commencé à peser sur sa tête, dont +il a été le premier objet et la première victime. Le pouvoir +use aujourd'hui de son droit de défense, et le tort qu'il a eu, +c'est de ne pas en avoir usé plus tôt. (<i>Adhésion aux centres.</i>)</p> + +<p>J'entre maintenant dans la question. Il y en a deux qui +ont été soulevées hier et aujourd'hui, peut-être avec un peu +de confusion: la question de notre état intérieur et celle de +notre état extérieur, les questions de l'administration et de +la guerre. Je demande à la Chambre la permission de lui +dire mon avis sur l'une et sur l'autre.</p> + +<p>Tout ce qui se rapporte à notre état intérieur a été rattaché +au fait des associations dites <i>nationales</i>, et je crois avec raison, +car elles sont évidemment le principal caractère, le fait +dominant de notre situation. Je ne m'étonne donc pas que +ce soit d'elles seules qu'on s'est occupé; seulement, j'ai lieu +de m'étonner que ce soit à propos du projet de loi sur les +émeutes. (<i>Voix à gauche:</i> On nous a provoqués.) Le fait +n'est pas contestable; c'est à l'occasion du projet de loi sur +les émeutes qu'on a soutenu les associations dites <i>nationales</i>... +(<i>Interruption à gauche.</i>) Je n'accuse personne d'avoir soutenu +les émeutes; je dis seulement que c'est sur ce terrain que +s'est établie la discussion, et qu'il s'est fait dans les esprits une +transition naturelle et presque involontaire des émeutes aux +associations nationales. (<i>Sensation.</i>) C'est donc des associations +seules que j'ai à vous parler, puisqu'elles renferment +toute la question de notre politique intérieure.</p> + +<p>On a soutenu leur légitimité et leur opportunité. On trouve +le gouvernement injuste, parce qu'il les improuve, et imprudent, +malavisé, parce qu'il ne s'empresse pas de les accueillir.</p> + +<p>Que les citoyens s'associent pour défendre ou pour exercer +leurs droits constitutionnels, les droits consacrés par la +Charte, rien de plus simple. Ces associations peuvent être +graves, dangereuses même pour le pouvoir, mais c'est par sa +faute; quand elles le menacent, il est dans son tort. L'association +des citoyens pour l'exercice ou la défense des droits +constitutionnels est indiquée dans la Charte, et elle ne peut +avoir rien d'illégitime. Nous avons vu des associations pour +le refus de l'impôt, pour les élections; elles étaient graves, +menaçantes pour le pouvoir, mais elles n'avaient rien d'illégitime; +elles étaient conformes aux droits des citoyens, et +elles ont sauvé le pays.</p> + +<p>Que les citoyens s'associent encore pour certains actes, dans +certains buts qui n'ont pas été prévus ni interdits par les lois; +je le conçois: ces associations ont quelque chose de plus douteux +que les précédentes; leur légitimité et leur opportunité +peuvent varier davantage selon les circonstances. Par exemple, +l'association catholique en Irlande, une association formée +pour obtenir le redressement de certains griefs, des +modifications et même des modifications profondes au gouvernement, +à la législation du pays, il n'y a là rien de radicalement +illégitime; cela peut être bon, utile, quelque +graves et dangereuses que de telles associations puissent être.</p> + +<p>Mais s'associer pour des actes dont la constitution a spécialement +chargé les pouvoirs publics, pour faire, comme on +vous l'a dit, ce que des forces légales sont chargées de faire, +cela est radicalement vicieux et illégitime.</p> + +<p>Que diriez-vous d'une association formée pour rendre la +justice? Que diriez-vous d'une association pour battre monnaie? +(<i>Mouvement à gauche.</i>) Ce ne sont là que des fonctions +publiques, des droits dont le pouvoir est investi, des intérêts +généraux auxquels il est chargé de pourvoir.</p> + +<p>Mais on dit: dans l'association formée pour la défense du +territoire, il n'y a rien de coërcitif, il n'y a rien qui empêche +le pouvoir de continuer ses fonctions; seulement les citoyens +viendront l'aider dans sa tâche.</p> + +<p>Messieurs, c'est bien quelque chose que d'exiger du gouvernement +qu'il accepte, qu'il adopte ces pouvoirs momentanés, +marchant côte à côte de lui, le surveillant et le contrôlant. +Aurions-nous oublié ce qui a rempli l'histoire de l'Europe +pendant des siècles? Une association du même genre, l'association +de l'Église a été pendant huit siècles le surveillant +de l'action du pouvoir civil. On a toujours dit que c'était +un État dans l'État. Elle n'avait cependant pas la prétention +de lever des hommes pour faire la guerre: elle ne régissait +que l'existence religieuse des hommes. Eh bien! par cela +seul que c'était une société constituée, elle a été un embarras, +un danger pour les pouvoirs publics, et l'objet d'une +surveillance attentive.</p> + +<p>Et nous-mêmes, que n'avons-nous pas dit naguère de ces +associations, de ces congrégations religieuses qui se formaient +autour de nous? Ne nous en sommes-nous pas plaints? Les +apôtres les plus ardents de la liberté n'ont-ils pas demandé +hautement au pouvoir de s'en séparer, d'éloigner de lui les +fonctionnaires qui s'y engageaient? Pourquoi donc? Apparemment +parce que le principe de ces associations, leur existence, +leur action paraissaient dangereux pour les pouvoirs +publics, pour leur sûreté.</p> + +<p>Il s'agit aujourd'hui du même fait; nous sommes dans +une situation analogue. Je répondrai tout à l'heure aux +exemples qu'on a cités de l'Angleterre; on verra qu'ils sont +sans aucune application à notre situation présente, qu'ils +condamnent les associations nationales au lieu de les confirmer.</p> + +<p>Je dis que, par le seul fait de leur constitution et de leur +action, les associations de ce genre sont un grave danger pour +les pouvoirs publics, et que, s'il n'y a pas, de leur part, usurpation +matérielle des fonctions publiques, il y a du moins +perturbation dans l'État.</p> + +<p>On répond à cela que l'administration ne peut pas tout +faire, qu'elle ne peut pas suffire à tout, qu'il est nécessaire +que, dans des circonstances extraordinaires, elle soit +aidée par l'ardeur, par l'enthousiasme des citoyens, et on +cite l'exemple de l'Angleterre.</p> + +<p>Messieurs, cela est arrivé en Angleterre, non pas une fois, +mais deux fois; cela est arrivé sous Guillaume III après +l'expulsion des Stuarts, comme de nos jours lorsque le territoire +a été menacé. Que fit alors l'opposition? Elle cessa; +il ne se fit pas une organisation en dehors du gouvernement; +il ne s'établit pas un budget particulier; il se fit des souscriptions +qui furent remises au gouvernement seul.</p> + +<p>Partout, dans les comtés comme à Londres, les associations +vinrent se ranger autour des magistrats; elles ne vinrent pas +les attaquer ni dire qu'ils compromettaient la dignité et l'indépendance +du pays; elles vinrent au contraire leur prêter +force, soutenir que le pays ne pouvait se sauver que par sa +ferme union avec son gouvernement, soutenir, non pas qu'il +fallait se séparer, mais s'unir et s'appuyer l'un sur l'autre. +Toutes les oppositions cessèrent ou s'atténuèrent, non-seulement +dans les chambres, mais dans les journaux, dans +les comtés, partout où l'opinion publique se faisait jour.</p> + +<p>Est-ce là ce que nous voyons parmi nous? Est-ce là le but +des associations? (<i>A gauche.</i> Oui, oui!... <i>Dénégations aux +centres.</i>) Pour mon compte, je ne puis accepter cette +réponse. Je crois trop à la sincérité de la plupart des interprètes +de ces associations, soit dans leurs actes, soit dans +les journaux, soit par toutes les voies par lesquelles ils se +sont exprimés, j'y crois trop, dis-je, pour ne pas penser +qu'ils ont dit vrai en déclarant qu'ils attaquaient le système +de l'administration, qu'il fallait la changer, qu'elle était +incapable de défendre l'indépendance et la dignité du pays. +(<i>Interruption à gauche.</i>) C'est ce que l'on répète tous les +jours depuis trois mois: je n'en fais aucun reproche à ceux +qui le disent, si c'est leur opinion et s'ils en sont convaincus; +mais qu'ils ne disent pas qu'ils se rallient au gouvernement +et qu'ils viennent lui prêter leur appui, quand +ils travaillent à l'affaiblir, à le faire changer de système. Sans +cela leur conduite n'aurait pas de sens.</p> + +<p>Je dis donc que les exemples pris de l'Angleterre sont +essentiellement différents de ce qui se passe chez nous, et +qu'ils parlent plutôt contre que pour les associations nationales.</p> + +<p>Sans doute l'administration ne suffit pas; sans doute elle +a besoin du zèle, du dévouement des citoyens. C'est pour le +leur demander que nous avons des organisations volontaires. +Chez nous, la garde nationale, quoique instituée par une loi, +n'est pas un service administratif; c'est un service volontaire, +un service dont le zèle et le dévouement des citoyens +font toute la force. Eh bien! c'est à la garde nationale, c'est +à cette grande organisation spontanée, générale, où tous les +sentiments, tous les intérêts viennent se réunir, que le gouvernement +s'adresse; c'est sur son concours qu'il compte, +et non pas sur quelques associations particulières, peu +importantes par leur nombre, par leurs forces, qui ne peuvent +que jeter de la perturbation dans l'État, car c'est là leur +seul titre à l'attention que nous leur accordons aujourd'hui. +Si elles ne jetaient pas le trouble dans l'État, elles n'auraient +aucune action, nous n'aurions rien à leur demander.</p> + +<p>Pour les légitimer, on fait valoir deux choses, les intentions +et la nécessité. Les intentions? Personne dans cette Chambre, +j'ose le dire, ne respecte plus que moi la sincérité de ces +intentions. Je ne me suis jamais permis d'élever le moindre +doute sur celles d'aucun de mes collègues. Messieurs, les +intentions sauveront, je l'espère, les individus dans l'autre +vie; mais elles n'ont jamais sauvé les États dans celle-ci. +(<i>Sensation.</i>) On peut les alléguer pour sa justification +morale, jamais pour sa défense politique. Il arrive même +souvent que les bonnes intentions et la sécurité qu'elles +inspirent sur les démarches font naître ce fanatisme +aveugle, intraitable, cette préoccupation de son propre sens, +cette idolâtrie de soi-même, passez-moi l'expression, qui +enfantent des torts réels et jettent les hommes les plus sincères +loin de leurs vues naturelles et de leur véritable +volonté. (<i>Très-bien, très-bien!</i>)</p> + +<p>Messieurs, laissez-moi vous parler avec une entière franchise +de ce qui s'est passé hier dans la Chambre.</p> + +<p>Personne, j'ose le dire, n'honore plus que moi le caractère +d'un de nos collègues, du général Lafayette; personne +n'est plus profondément touché de ce long et infatigable +dévouement à une même cause, de cette sincérité, de cette +énergie qui ne l'ont pas abandonné un instant, dans la bonne, +ni dans la mauvaise fortune. Et cependant quelles paroles +plus étranges dans un pays libre que celles que le général +Lafayette a fait entendre hier à cette tribune? Il vous a dit +qu'il n'avait de leçons à recevoir de personne. Mais que +faisons-nous donc ici, messieurs, sinon de donner et de +recevoir mutuellement des leçons? La liberté de la presse, +la discussion, la publicité, qu'est-ce donc qu'une leçon +continuelle, offerte et donnée à tous? Le gouvernement +représentatif est un gouvernement où tout le monde reçoit +des leçons, qui n'a pour objet que d'en donner à tout le +monde, comme de conférer à tout le monde le droit de dire +son avis sur les affaires du pays. (<i>Très-bien, très-bien.</i>)</p> + +<p>Permettez-moi de demander si toutes les intentions sont +les mêmes, s'il est quelqu'un qui puisse répondre des intentions +de tout un parti. Après ce qui s'est passé parmi nous +depuis quinze à trente ans, après tant de vicissitudes diverses +dans les fortunes de chacun, après tant de conspirations, +tant de révolutions, tant d'accidents de tout genre, il doit y +avoir eu beaucoup de mécomptes, et à la suite de ces +mécomptes beaucoup d'intentions diverses, beaucoup d'espérances +qui ne vont pas toutes au même but.</p> + +<p>Je sais ce que font les partis. Ils mettent leurs honnêtes +gens, leurs hommes les plus honorables en avant, sur la +première ligne, comme autrefois les Barbares, dans leurs +armées, mettaient les femmes et les enfants en avant. (<i>Sensation +prolongée.</i>) Ce n'est pas la première ligne d'un parti +qui le constitue; il faut le traverser d'un bout à l'autre, il +faut percer les rangs, il faut aller voir ce qui se passe, ce +qui se dit, ce qui se projette derrière ce rempart d'honnêtes +gens que le parti oppose à ses adversaires. Eh bien! messieurs, +si j'étais chargé de cette tâche, je ne crois pas que +personne, parmi les honorables adversaires que je combats, +osât répondre des intentions de tous ceux qui les suivent. +(<i>Nouvelle sensation.</i>)</p> + +<p>Naguère encore les plus honorables de nos adversaires +ont essayé de faire exprimer leurs intentions louables, sincères, +dans les actes où se manifeste la pensée du parti. Eh +bien! ils ont échoué; ils ont été refusés; et cela leur est +arrivé plus d'une fois. Après cela, je doute qu'ils osassent +répondre de la pensée de ceux qui marchent à leur suite.</p> + +<p>Après l'excuse des intentions vient celle de la nécessité. +On dit que la sûreté extérieure de l'État, son indépendance, +sa dignité, exigent la formation des associations. Messieurs, +ceci est la question de notre état extérieur, la question de la +paix et de la guerre.</p> + +<p>Je n'abuserai pas des moments de la Chambre, mais je lui +demande la permission de la retenir encore un peu. (<i>Oui, +oui, parlez.</i>)</p> + +<p>On pose, en général, la question de la paix et de la guerre +d'une façon que, pour mon compte, je ne saurais accepter, +et qui trompe, je crois, la Chambre et la France sur le véritable +état des affaires. Il semble que nous ayons à choisir +entre une paix sollicitée, mendiée, honteuse, et une guerre +régulière. Messieurs, il n'en est rien: pour nous, il ne s'agit +ni d'une telle paix ni d'une telle guerre.</p> + +<p>Il est arrivé à un homme, qui, toute sa vie, avait professé +les principes et servi la cause du pouvoir, plus loin que +je ne le voudrais faire, il est arrivé un jour à M. Canning +de menacer des révolutions l'Europe continentale, et de +se présenter, lui et son pays, comme en mesure de les +déchaîner. Beaucoup de personnes en Angleterre, et +même parmi les amis de Canning, trouvèrent cette menace +inconvenante, imprudente de la part d'un ministre. +A mon avis, elles avaient tort; Canning, dans cette circonstance, +démêla, en homme supérieur, les paroles qui convenaient +à la politique de son pays. Depuis quelques mois, ces +paroles sont devenues le langage, la règle de conduite, le +<i>vade-mecum</i> de quelques hommes d'un parti. (<i>Sensation.</i>) Ils +ont la main pleine d'insurrections, de révolutions; ils les +offrent à tous les peuples, ils les jettent à la tête de tous les +gouvernements. (<i>Vive adhésion aux centres.</i>) C'est une menace +continuelle. Et remarquez, messieurs, que la plupart de ces +hommes, quelque honorables qu'ils soient, ne sont pas d'anciens +amis de la cause du gouvernement, d'anciens amis du +pouvoir, comme l'était Canning. Ce sont des hommes qui, en +général, ont consciencieusement, je n'en doute pas, pris parti +pour les insurrections, pour les révolutions, ou du moins +ont manifesté leur sympathie pour ce genre d'événements.</p> + +<p>Est-ce que, par hasard, ils croiraient, en répétant les paroles +de Canning, imiter son exemple, donner à leur pays les +mêmes conseils, imprimer à sa politique le même caractère, +faire enfin ce qu'a fait Canning, et ne faire que cela? L'erreur +serait immense. Ils font tout autre chose que l'homme +supérieur dont ils empruntent les paroles; ils se mettent en +hostilité générale contre tous les gouvernements européens; +ils se séparent de la société des États européens; ils sortent +des voies de la civilisation et de la paix pour entrer dans +celles de la barbarie et de la guerre, d'une guerre éternelle.</p> + +<p>Je dis éternelle, ce n'est pas sans dessein. On le proclame +de toutes parts; on vous dit qu'il s'agit d'une guerre à +mort entre deux principes, que ces deux principes ne peuvent +coexister sur le sol européen, qu'il faut qu'ils en +viennent aux mains, et qu'ils se combattent jusqu'à +ce que l'un ait complétement cédé le terrain à l'autre.</p> + +<p>Je ne suis pas assez ignorant de ce qui se passe dans le +monde pour ne pas voir qu'il y a deux principes en lutte, +non pas depuis quinze et quarante ans, mais depuis des +siècles. On les exprime mal, quand on parle de la souveraineté +du peuple et du droit divin; il s'agit au fond de la civilisation +progressive ou de l'état stationnaire; il s'agit, non +pas de telle ou telle doctrine particulière, mais de savoir si +les sociétés seront en développement, en progrès, ou bien si +elles resteront immobiles, sous le joug permanent de quelques +possesseurs. (<i>Sensation.</i>)</p> + +<p>Eh bien! je reconnais la lutte de ces deux principes, et je +n'en dis pas moins que le système dans lequel on nous +pousse, la guerre, n'est pas la conséquence légitime et inévitable +de cette lutte, qu'elle est au contraire en opposition +formelle avec les principes du nouvel état social, avec le +sentiment de tous les peuples libres, avec l'intérêt actuel +et bien entendu de la France.</p> + +<p>Quel est le principe fondamental du nouvel état de choses +qu'on invoque tous les jours? C'est qu'il faut réduire l'action +du gouvernement, surtout en ce qui touche aux opinions, +à l'ordre moral, intellectuel; là, il ne faut pas que le pouvoir +intervienne. On veut qu'il se borne à régler l'ordre +extérieur. C'est ce principe qui a été exprimé un jour +d'une manière inexacte par notre honorable collègue, +M. Odilon Barrot, quand il a dit, devant la Cour de cassation, +que la loi devait être <i>athée</i>. Il se trompait, c'était une +mauvaise expression. La loi ne doit pas plus être athée que +déiste, la loi ne doit pas intervenir dans les matières religieuses. +(<i>M. Odilon Barrot:</i> Vous êtes trop éclairé pour avoir +pu vous tromper sur le sens de cette expression.) Remarquez +que je l'explique: je dis que l'expression était inexacte, que +M. Odilon Barrot entendait par là que la loi était incompétente +en pareille matière. N'est-ce pas là le sens que vous y +attachiez? (<i>M. Odilon Barrot:</i> C'est bien cela. L'expression +avait été empruntée à M. l'abbé de Lamennais dans le même +sens.). (<i>On rit.</i>) Que l'expression vienne de M. l'abbé de Lamennais +ou de M. Odilon Barrot, elle est également fausse, +également inexacte. (<i>On rit.</i>)</p> + +<p>Je dis donc que le principe fondamental de notre société, c'est +que le pouvoir n'intervienne pas dans les questions purement +morales, et lorsqu'il s'agit d'une lutte de systèmes, d'idées. +Eh bien! ce sont les partisans les plus exclusifs de ce principe +qui viennent réclamer l'intervention de la force au +dehors. A l'intérieur, toutes les fois qu'il s'agit d'une lutte +entre des doctrines, des idées, ils veulent que le pouvoir n'intervienne +pas; ils ont confiance dans le développement naturel +de la civilisation, dans l'influence progressive de la vérité. +Et à l'extérieur, quand il s'agit aussi du progrès de la civilisation +et de la vérité, ils veulent que l'on ait recours immédiatement +à la force; ils demandent qu'on écrive une doctrine +sur son chapeau, qu'on prenne les armes et qu'on répande +le sang pour la faire triompher! A-t-on jamais vu une contradiction +plus étrange, une méprise plus bizarre sur les +fondements de notre état social? Il faut bien que la méprise +soit grande, car, si je regarde aux faits, je trouve mon observation +confirmée par la pratique des peuples; je ne parle pas +des temps anciens, mais de nos jours.</p> + +<p>Regardez quels sont les pays qui se sont le plus empressés +d'intervenir par la force dans cette lutte de deux idées. Ce +sont des pays gouvernés despotiquement. C'est d'une part, +l'Autriche; de l'autre, la Russie. La Prusse, pays déjà plus +avancé, plus éclairé, s'est montrée moins pressée d'appeler +la force au secours de telle ou telle idée. L'Angleterre a +hésité bien plus encore; elle a positivement refusé d'intervenir +dans certains cas. Et pourquoi? parce que la confiance +dans les progrès de la civilisation et de la vérité +est plus grande en Angleterre que partout ailleurs. Je sors +de notre continent, je me transporte aux États-Unis, +gouvernement que vous regardez comme le type du nouvel +état social. Certes, les États-Unis ont eu une occasion +bien tentante d'employer la force au secours de leurs +idées, de la faire servir à la propagation de leur système de +gouvernement. Les colonies espagnoles étaient en guerre +avec la métropole. Les États-Unis ont exprimé hautement +leur sympathie pour ces pays voisins; mais ils ne sont pas +intervenus par la force, ils n'ont pas envoyé des armées pour +faire triompher le principe de la souveraineté du peuple +dans les colonies espagnoles contre le principe du droit +divin. Pourquoi? parce qu'ils ne s'en croyaient pas le droit, +parce qu'ils ne croyaient pas que la force pût ainsi se jouer +du droit des gens.</p> + +<p>Ce qu'on nous demande aujourd'hui, c'est la politique +des États despotiques, c'est la politique de l'empereur +Alexandre, et non pas la politique de Washington et de +M. Monroë; ce qu'on nous demande, c'est de rétrograder vers +les idées et les sentiments qui firent les croisades et les +grandes actions du moyen âge, et non pas d'agir selon les +principes du nouvel état social, selon la pratique des peuples +les plus libres et les plus éclairés. (<i>Vive adhésion.</i>)</p> + +<p>Il n'y a là rien que de très-simple et qui ne fût très-facile +à prévoir. La politique des peuples libres est essentiellement +réservée et prudente, précisément à cause de la responsabilité +qui lui est attachée; elle ne se décide pas selon des fantaisies +ni pour accomplir quelques combinaisons arbitraires. +Elle consulte, elle entend l'intérêt national clairement, hautement +déclaré. Comme les opinions des peuples libres sont +ordinairement mobiles, changeantes, leur politique ne se fie +pas au premier élan, au premier mouvement d'enthousiasme; +elle sait qu'on peut avoir, pendant un temps, beaucoup +de goût pour la guerre, et ensuite fort peu de dispositions +pour la soutenir, et qu'on la prend positivement en dégoût si +elle n'est pas fondée sur les exigences les plus impérieuses de +la société.</p> + +<p>On nous parle sans cesse de ce qui s'est passé en 1792, et +parce que nous avons été attaqués alors, on dit que nous le +serons aujourd'hui, et on veut que nous fassions encore ce +que nous avons fait alors.</p> + +<p>Messieurs, je n'insisterai pas sur la différence si marquée +qu'il y a entre notre époque et celle dont on nous parle. Je +ne dirai pas que c'était alors une époque d'illusions, d'expérience +universelle, expérience dont nous avons profité plus que +d'autres. Je ne dirai pas que, depuis cette époque, les gouvernements +absolus se sont fort perfectionnés dans la tactique de +la résistance à la contagion des peuples libres et qu'il ne faut +pas se fier au souvenir de nos succès. Je dirai que, même en +1792, on a agi beaucoup plus prudemment qu'on ne voudrait +nous faire agir aujourd'hui: on attendit l'agression étrangère, +l'invasion du territoire... (<i>M. Demarçay:</i> C'est une erreur!) +On attendit l'entrée des Prussiens sur le territoire français. +(<i>M. Demarçay:</i> Nous avions déclaré la guerre même à l'Angleterre.)</p> + +<p>Il me semble que la déclaration de Pilnitz était bien une +déclaration de guerre à la France. (<i>M. Demarçay:</i> C'était +un traité... <i>Réclamations aux centres.</i>) Cette déclaration +de Pilnitz annonçait évidemment la guerre, elle mettait la +France dans la nécessité de résister. Rien de pareil ne s'est +encore passé parmi nous. Il n'y a point de déclaration +de Pilnitz pour motiver la conduite qu'on nous conseille. +Aujourd'hui, on nous conseille de commencer par la guerre +de propagande, par la guerre lointaine; c'est par là qu'on a +fini en 92. On n'a pas commencé par chercher ses ennemis, +soit en Italie, soit ailleurs; c'est sur le territoire de la +France que la guerre a commencé, que la résistance a pris +de la force, et qu'elle s'est ensuite portée sur tous les points +de l'Europe.</p> + +<p>Du reste, messieurs, je ne m'étonne pas de ces conseils, +en voyant qui les donne et d'où ils viennent. Un parti, après +tout, ne peut agir que selon les principes qu'il professe et +avec les forces dont il dispose. Or, que professe le parti qui +nous pousse à la guerre de propagande? La légitimité +de l'insurrection contre tous les gouvernements qui ne sont +pas conformes à nos principes. N'a-t-on pas dit que toute +insurrection contre un pouvoir qui n'était pas libre, selon +nos principes, était légitime, et toute obéissance à un gouvernement +libre était un devoir? Quant aux forces qui +appuient ce système, il est impossible de les méconnaître. +Ce sont toutes les passions, tous les intérêts, toutes les opinions +hasardeuses, bonnes ou mauvaises, sincères ou fausses, +généreuses ou égoïstes, tout ce qu'il y a de novateur et d'aventureux +dans la société. Eh bien! de ces principes, de +ces forces, il ne peut sortir aucune paix ni au dedans ni au +dehors. Il y a sans doute là de quoi surveiller les intérêts +de la liberté et du perfectionnement social, mais il n'y a +pas de quoi fonder et soutenir un gouvernement régulier.</p> + +<p>La guerre de propagande, la fièvre révolutionnaire sont, +dans des moments de crise, la nécessité de ce parti; ce sont +les seuls conseils qu'il puisse donner parce que ses forces l'y +poussent et que ses principes les lui commandent. C'est là le +malheur de ce parti. Pour conseiller la paix, il serait obligé +de renier ses principes. Pour lui, la paix serait honteuse et +la guerre devient, éminemment révolutionnaire. C'est dans +cette alternative qu'il se trouve placé.</p> + +<p>Messieurs, ce n'est pas là la position de la France. La +France n'est pas réduite à cette alternative. La France ne +professe pas que l'insurrection est légitime contre tous les +gouvernements différents du sien. La France a d'autres intérêts +que des intérêts d'esprits novateurs et ardents; elle +dispose d'autres forces. La France n'a pas besoin de se +renier elle-même pour faire la paix, ni de mettre tout son +enjeu dans le bouleversement de l'Europe pour faire la +guerre. (<i>Vive adhésion.</i>)</p> + +<p>J'ai appelé de tous mes voeux, j'ai applaudi, avec toute la +joie patriotique dont je suis capable à l'avénement du ministère +actuel, parce qu'il est à cet égard dans la même situation +que la France, parce qu'il n'a pas pour principe de solliciter +et de soutenir toute insurrection à l'étranger. Le ministère +actuel, comme la France, veut être pacifique et hautain en +même temps. (<i>Mouvements divers.</i>) Il peut être belliqueux +et régulier en même temps; il a la double faculté de faire la +paix et la guerre comme il lui conviendra, selon l'intérêt du +pays.</p> + +<p>Messieurs, la France n'en est point aujourd'hui à recevoir +la paix de l'Europe. La paix! c'est la France qui la +donne. (<i>Sensation.</i>) La France porte la paix ou la guerre +dans les pans de sa robe; c'est à l'Europe à la mériter de la +France par sa sincérité, par la loyauté de sa conduite. La +France sait ce qu'elle tient dans sa main; elle sait qu'elle +fera la guerre si la guerre lui convient, si l'Europe ne +mérite pas la paix. J'ai la ferme confiance que l'Europe +comprendra qu'elle a besoin que la France lui donne la +paix, et qu'elle fera, pour la France, ce qui peut seul décider +la France à la lui donner. (<i>Mouvement prolongé d'une +vive adhésion.</i>)</p> + +<a name="XXVIII" id="XXVIII"></a> +<br><br> +<h3>XXVIII</h3> + +<p class="mid">Discussion de l'adresse de la Chambre des députés au roi, +à l'ouverture de la seconde session de 1831.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 11 août 1831.--</p> + +<p class="large">La seconde session de 1831 fut ouverte le 23 juillet. +La discussion du projet d'adresse commença le 9 août. +Elle fut très-animée et se porta, avec une égale vivacité +sur la politique intérieure et sur la politique extérieure +du cabinet présidé par M. Casimir Périer. Je pris la +parole le 11 août pour défendre et soutenir le cabinet.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Le moment est venu où chacun de nous +doit dire ici toute sa pensée. La sincérité entière de la +tribune me paraît être aujourd'hui plus que jamais notre +meilleur, notre seul moyen d'action. Hier, j'en aurais usé +sans la moindre crainte; malgré la vivacité du débat, il +n'était pas sorti un moment, à mon avis, des habitudes +parlementaires; tout avait été dit avec une entière liberté, et +la Chambre avait tout écouté avec la plus grande attention. +Aujourd'hui, je l'avoue, j'ai un peu moins de confiance et je +me sens obligé de dire des choses qui peuvent déplaire à +quelques personnes. Je suis sûr cependant que je n'ai l'intention +d'offenser personne, que je respecte toutes les convictions, +toutes les intentions; je parlerai donc avec une +liberté entière. Si je m'écarte des convenances, je prie la +Chambre de m'en avertir.</p> + +<p>Une chose m'étonne et m'afflige dans ce débat, c'est ce +penchant à se porter principalement vers les questions du +dehors, vers les affaires étrangères, c'est la disposition de la +Chambre à se laisser attirer sur un terrain, et à croire que +là est le principal objet de son attention. Vous avez vu hier +un honorable membre qui a essayé de ramener la question +sur notre état intérieur, obtenir de la Chambre moins d'attention +qu'il n'est accoutumé et qu'il n'a droit d'en obtenir.</p> + +<p>Messieurs, la disposition dans laquelle paraît être la +Chambre à ce sujet, l'Europe ne la partage pas. Depuis six +mois, l'Europe subordonne toutes ses dispositions à l'état +intérieur de la France, à ce qui se passera en France; +tout est en suspens en Europe jusqu'à ce que l'état intérieur +de la France ait pris un caractère décidé, définitif. Vous +êtes étonnés de la lenteur des Autrichiens à évacuer l'Italie: +entre beaucoup de causes de cette lenteur, savez-vous +quelle était la principale? On attendait le résultat de nos +élections. (<i>Mouvements divers.</i>) Vous vous étonnez que l'Angleterre +hésite à s'engager, à la suite de la France, au profit +de la Pologne: l'Angleterre a besoin de savoir quel sera le +gouvernement de la France, avant de se prononcer dans +une si grave affaire, avant de contracter de tels engagements. +(<i>Mouvement.</i>) Vous désirez tous le désarmement général +de l'Europe; ce désarmement est subordonné à l'état +intérieur de la France; il ne sera possible que quand l'état +intérieur de la France inspirera, en France et en Europe, de +la confiance et de la sécurité. C'est, messieurs, dans notre +état intérieur qu'est la clef de l'avenir; c'est un fait visible, +et l'Europe l'a proclamé hautement. A mon avis, messieurs, +l'Europe a raison; elle comprend quel est le caractère nouveau +qu'ont pris depuis un demi-siècle les événements, +et quelles sont les causes nouvelles qui en décident. La +prépondérance des idées et des institutions libérales sur +les combinaisons de la diplomatie ou sur la force des baïonnettes, +voilà le véritable caractère de la civilisation actuelle: +c'est surtout par l'empire des idées et des institutions que +les événements se décident en Europe; c'est de là qu'ils +reçoivent leur origine et leur direction. Eh bien! le siége +de cet empire est en France. Nous l'avons proclamé vingt +fois pour nous en glorifier; ne l'oublions pas quand nous +avons besoin d'en tirer une leçon. C'est de l'état de nos +idées, de nos institutions, de notre gouvernement, que +dépendent la paix ou la guerre en Europe: l'Europe, je +le répète, le proclame tous les jours; il serait étrange +que nous fussions les premiers à l'oublier, et que nous +allassions chercher au dehors, dans des combinaisons +soit de paix, soit de guerre, les causes des événements +qui ne dépendent que de notre état intérieur et constitutionnel.</p> + +<p>Je dirai plus: c'est le devoir des peuples libres de porter +d'abord sur leur état intérieur toute leur attention; c'est là +que sont les premiers intérêts des masses; c'est là que se décident +la détresse ou la prospérité, le bonheur ou le malheur +des nations; c'est par là que les peuples agissent pleinement +sur leurs destinées. Voyez les grandes époques où +la diplomatie et la guerre ont brillé de tout leur éclat; +ce ne sont pas des époques de liberté; elles appartiennent +au XVII<sup>e</sup> et au XVIII<sup>e</sup> siècle. Dans le cours des grandes révolutions, +quand les peuples ne s'occupent pas avant tout +de leur intérieur, de la constitution de leur gouvernement, +soyez sûrs qu'ils ne sont pas libres ni prêts à le devenir. +(<i>Sensation.</i>)</p> + +<p>Aussi, ce qui me frappe surtout, ce que j'approuve et estime +véritablement, dans le système du ministère, c'est qu'il a été, +sur ce point important, de l'avis de l'Europe; c'est qu'il a +compris que dans notre état intérieur était le secret de nos +destinées; il a cru que la première chose à faire parmi nous, +c'était de fonder le gouvernement, de rasseoir la société, de +donner aux intérêts et aux idées leur véritable direction; +c'est là le sens de ce qu'on appelle le système de la paix. Sans +doute c'est pour éviter aux peuples les maux de la guerre +qu'on veut la paix; mais on la veut surtout parce que +c'est le seul moyen de donner au gouvernement nouveau +toute la liberté, toute la régularité de son action. Le lendemain +d'une révolution, la guerre est une source de révolutions +nouvelles.</p> + +<p>On ne s'est pas jeté dans la guerre, parce qu'on ne prévoyait +l'événement. Les guerres, ce sont des révolutions pour nous, +comme pour tous les peuples qui se sont trouvés dans une +situation analogue à la nôtre; la paix est l'affermissement +de notre gouvernement intérieur, c'est le bon ordre chez +nous. Quand le ministère se prononça pour le système de +la paix, il comprit que notre état intérieur était le plus important, +et qu'avant de se jeter au dehors, il fallait n'avoir +rien de grave à régler au dedans.</p> + +<p>On a dit que ce système nous a fait perdre au dehors de +la considération et de la force; on a dit qu'il compromettait +notre indépendance. Je ne reviendrai pas sur les réponses +qui ont été faites à cette tribune; je ne dirai rien de toutes +ces prédictions qui depuis un an nous annoncent une invasion +générale. Messieurs, ces prédictions sont démenties +par l'événement. La paix subsiste, les relations des États +sont régulières; rien de ce qui était annoncé comme prochain, +imminent, inévitable, n'est arrivé. (<i>Sensation.</i>)</p> + +<p>Je prendrai pour preuve de notre considération au dehors +un symptôme que personne ne pourra récuser: madame la +duchesse de Berry est partie, il y a quelque temps, pour +aller voyager sur le continent: je ne veux pas chercher quel +était le but particulier de ce voyage; cependant il est impossible +que vous ne pensiez pas que, soit de sa part, soit de la +part des personnes qui l'accompagnaient, il y avait projet +de s'établir sur notre frontière, et de susciter de là des intrigues +et des embarras à la révolution de Juillet. Elle s'est +présentée dans divers Etats avec tous les titres qu'une +femme malheureuse peut avoir à leur intérêt, et pourtant +elle a été partout refusée, écartée; nulle part elle +n'a pu obtenir la permission de s'établir sur nos frontières.</p> + +<p>Il n'est pas, si je ne suis trompé, il n'est pas jusqu'à +son frère qui n'ait témoigné quelque inquiétude à la +recevoir chez lui, à Naples, à quatre ou cinq cents lieues de +France.</p> + +<p>Qu'arrivait-il en 1789, quand l'émigration sortait du territoire? +Elle était partout reçue, accueillie, fêtée; elle +s'établissait sur tous les points de notre frontière; elle y +préparait la guerre; elle ne trouvait nulle part en Europe +une puissance qui lui refusât ce qu'elle demandait. L'Assemblée +constituante a enduré deux ans que le moindre +électeur d'Allemagne la bravât hautement. Elle a enduré +deux ans ce que nous n'endurerions pas quinze jours. C'est +que l'état de l'Europe est complétement changé sur ce +point; c'est que les idées, les convictions de l'Europe sont +entièrement changées sur notre intérieur. Ce simple fait le +prouve mieux que toute autre chose. L'Europe ne croit pas que +nous soyons une nation en désorganisation, en dissolution, +prête à tomber dans une complète anarchie, incapable de +se défendre contre les attaques dont elle serait l'objet.</p> + +<p>Nous devons à deux grandes puissances d'avoir changé, à +cet égard, la conduite de l'Europe. Nous le devons à Napoléon +et à la révolution de Juillet.</p> + +<p>Nous le devons à Napoléon, parce qu'il a prouvé à l'Europe +que la société pouvait être reconstituée en France, +qu'elle pouvait subsister régulièrement, fortement, en présence +d'un ordre social autre que celui des autres États européens.</p> + +<p>Voilà le service que Napoléon a rendu, service immense +et qui compense bien des fautes.</p> + +<p>La révolution de Juillet nous en a rendu un autre. Elle +a, pour la première fois, donné à l'Europe la conviction +que la France, livrée à elle-même, était capable d'un +ordre public régulier, que la liberté politique, le gouvernement +représentatif pouvaient s'établir en France sans +menacer le repos, la sûreté, la liberté de l'Europe.</p> + +<p>Napoléon, chez nous, a réconcilié l'ordre social et la +Révolution française avec l'Europe. La révolution de Juillet +a commencé la réconciliation de l'opinion politique libérale +en France avec les gouvernements européens. (<i>Marques +d'adhésion.</i>)</p> + +<p>C'est à ces deux forces, je le répète, que nous devons le +changement qui s'est opéré en notre faveur dans l'attitude +de l'Europe; elles ont montré que, si notre régime +intérieur était changé, nous n'étions plus en +révolution, et que nous étions capables de vivre régulièrement.</p> + +<p>Eh bien! qu'a fait le ministère? Il a eu la même idée +que Napoléon et la révolution de Juillet; il a marché dans +la même voie; il a entrepris de démontrer pleinement à +l'Europe qu'elle avait eu raison, qu'elle avait raison de +croire à la possibilité de conserver une paix, une paix régulière +et loyale avec la France, que la liberté politique pouvait +exister en France sans que personne, sans qu'aucun gouvernement +de l'Europe fût immédiatement et révolutionnairement +menacé.</p> + +<p>Tels ont été la tentative du ministère et le caractère fondamental +de son système. Il a pour lui, je le répète, l'exemple +de Napoléon et de la Révolution de Juillet; il a suivi la +route que lui ont tracée le plus grand homme des temps +modernes, et le plus grand événement qu'une grande nation +ait accompli.</p> + +<p>Je conjure la Chambre de ne pas se laisser détourner de +ces voies; je la conjure de ne pas se laisser égarer dans des +projets, des desseins, des espérances étrangères au véritable +intérêt national.</p> + +<p>C'est de notre constitution intérieure, de la fondation de +notre gouvernement, que la Chambre doit s'occuper avant +tout: c'est là que réside la véritable difficulté de notre +situation, la difficulté qui prime toutes les autres. C'est +donc sur notre état intérieur que je demande la permission +de rappeler et de retenir votre attention.</p> + +<p>Vous avez entendu dans une séance précédente un honorable +membre de cette Chambre prendre la défense, non pas +de tel ou tel ministère, mais de tous les ministères qui se +sont succédé en France depuis la révolution, prendre la +défense de ce qu'il a appelé avec raison le gouvernement de +Juillet tout entier. L'honorable M. Thiers a été autorisé à +parler de la sorte, par le langage de ses adversaires; car, +malgré la diversité des accusations, c'est le gouvernement de +Juillet et les divers ministères qui ont été et qui sont encore +tous les jours attaqués par l'opposition, et surtout par l'opposition +extraparlementaire.... (<i>Mouvement en sens divers.</i>) +Par l'opposition extraparlementaire.... (<i>Agitation.</i>)</p> + +<p>Messieurs, il y a eu quelques raisons, quelques bonnes raisons +à ce qu'a fait l'opposition. A travers toutes les vicissitudes +des ministères et la diversité de leur situation et de leur +conduite, au fond, depuis Juillet, c'est un même système qui +a prévalu; une certaine communauté de système, d'opinion +et d'intention se fait remarquer dans leurs actes. Cet ensemble +de conduite a pour lui une bonne raison: tous ces +cabinets étaient issus de la révolution de Juillet; ils y +avaient tous concouru; concouru, non-seulement en y prenant +part, mais en approuvant la façon dont elle s'était +faite, cette façon prompte, décisive, dont nous avions +constitué en quelque sorte une royauté et une Charte. +Tous les ministres qui se sont succédé depuis ont trouvé +cela bon: ils y avaient, je le répète, concouru, et personne +n'a regretté d'autres combinaisons. En fait d'élections, par +exemple, à quelques différences près, tous sont partis du même +point; aucun d'eux n'a réclamé le suffrage universel, aucun +n'est venu proposer le bouleversement de nos institutions.</p> + +<p>Dans l'administration, il n'y a eu aucun renouvellement +général. Tous les ministres ont respecté les anciens droits, +les anciens services. Je ne sais, en effet, lequel a prononcé +le plus de destitutions. Au dehors, dans les affaires étrangères, +tous ont également professé la paix. Ainsi, vous le +voyez, sous quelque point de vue que vous les considériez, à +prendre les choses dans leur ensemble, à les juger par les +dehors, il y a une certaine identité de vues, de système, de +conduite dans les différents ministères qui se sont succédé.</p> + +<p>Pourquoi donc tous nos débats si vifs, si obstinés? Pourquoi +tant de dissentiments au milieu de tant de ressemblances? +C'est ici, messieurs, que je vous demande la permission +de dire toute ma pensée. (<i>Attention.</i>)</p> + +<p>Je ne parle pas d'un parti dont les efforts contre notre +gouvernement sont naturels, doivent exister, auxquels nous +avons dû nous attendre, et qui ne peuvent cesser qu'après de +longues années de paix, de raison, de justice, quand on +aura détaché de ce parti tous les hommes de sens et d'honneur +qui sont capables de s'en détacher, et certainement +c'est le plus grand nombre.</p> + +<p>Je ne parle point de ce qui est à faire contre les coupables +tentatives de ce parti: à cet égard, nous sommes unanimes, +et les divers ministères l'ont été; mais il est un autre parti +dont le caractère fondamental est que la révolution de Juillet +ne lui a pas suffi. Ce parti ne peut se résigner à se renfermer +dans les limites que la révolution de 1830 a assignées +à notre politique; il n'est pas content de la manière dont la +révolution s'est faite, ni de rien de ce qu'elle a fait depuis. Que +réclame ce parti? On l'a vu, au su de tout le monde, sur les +places publiques, dans les rues, et jusqu'à nos portes. Il +réclamait un interrègne et un gouvernement provisoire, une +constitution toute nouvelle qui n'eût rien de commun avec +la Charte, pas même le nom; il voulait la convocation des +assemblées primaires et la délibération sur la révolution qui +venait de s'opérer. Voilà ce qu'à cette époque il demandait +au vu et au su, je le répète, de tout le monde. Depuis, en matière +de législation, mais, hors de cette Chambre, il a professé +le suffrage universel, le mépris de toutes nos lois +actuelles, la nécessité de les renverser sur-le-champ, de recommencer +à nouveau l'oeuvre de notre législation et de +notre ordre social.</p> + +<p>Quant aux affaires extérieures, ce parti appelait à grands +cris la guerre, la guerre générale, la guerre de principes! Il +prêchait la nécessité absolue d'envoyer toutes nos idées, +tous nos principes contre les idées et les principes du reste +de l'Europe.</p> + +<p>Et quand la guerre lui a manqué, qu'est-ce qu'il a fait? +Il l'a faite cette guerre, mais il l'a faite sous main, il l'a +faite sous terre, par la propagande, par les provocations à +l'insurrection, au renversement des gouvernements établis. +C'est une guerre cela, messieurs; il n'est pas loyal d'appeler +cela la paix; c'est la guerre non déclarée, déloyale, injuste, +telle qu'il n'est plus de notre civilisation de la faire.</p> + +<p>Nous avons vu ouvrir des souscriptions en faveur de je ne +sais quels projets de révolution qui n'ont pas même eu +l'honneur d'avorter; nous avons vu des révolutions à l'entreprise; +nous avons vu des sociétés anonymes se former pour +provoquer au dehors de semblables projets.</p> + +<p>Voilà ce qu'a fait ce parti, quand il n'a pas pu avoir la +guerre comme il la demandait.</p> + +<p>Eh bien! messieurs, que veut-il ce parti? quel nom lui +donner? On lui a donné le nom de <i>parti républicain</i>. Je ne +veux pas de la république; personne n'est plus convaincu +que moi que la monarchie est le seul gouvernement qui convienne +à la France; personne ne la veut plus sincèrement +que moi; mais je ne ferai pas à la République l'injure de +donner son nom à un tel parti. (<i>Marques d'approbation.</i>) La +république est un gouvernement régulier, qui peut être juste, +loyal, et qui n'a aucun rapport avec le parti que j'essaye de +caractériser. (<i>Vive approbation.</i>) Ce qu'est véritablement ce +parti? le voici, passez-moi l'expression: c'est la collection de +tous les débris, c'est le <i>caput mortuum</i> de ce qui s'est passé +chez nous de 1789 à 1830. C'est la collection de toutes les +idées fausses, de toutes les mauvaises passions, de tous les +intérêts illégitimes qui se sont alliés à notre glorieuse Révolution, +et qui l'ont corrompue quelque temps pour la faire +échouer aussi quelque temps.</p> + +<p>Considérez quelles sont les idées de ce parti et ce qu'il +professe.</p> + +<p>Sa première idée est de tout recommencer, de faire table +rase pour élever un nouvel édifice social.</p> + +<p>Ce qu'il professe, c'est de ne reconnaître dans le passé, ni +dans le présent, rien de légitime, de ne rien trouver de bon +dans ce qui a été, dans ce qui est. C'est l'oeuvre de la création +qu'il faut recommencer chaque jour.</p> + +<p>Cette chimère, cette folie, c'est le crime du parti. Il +n'y a rien qui corrompe plus profondément les hommes que +le fol orgueil qui les porte à croire qu'il est en leur pouvoir +de recommencer le monde tous les jours, de renouveler absolument +les gouvernements et les sociétés.</p> + +<p>Il n'en est pas ainsi: les sociétés, les gouvernements, +tout cela est l'oeuvre du temps, des générations; il faut plusieurs +siècles et de longues expériences pour les former.</p> + +<p>Eh bien! c'est une des folies, c'est un des crimes du +parti d'oublier ce bon sens populaire, ce bon sens de l'humanité, +pour nous jeter sans cesse à la tête une création qu'il +faudrait sans cesse recommencer. (<i>Très-bien! très-bien!</i>)</p> + +<p>Sa seconde idée, c'est l'épée de Damoclès qu'il tient constamment +suspendue sur la tête de tous les gouvernements, +et même du nôtre. Vivre avec cette épée de Damoclès sur la +tête, n'est-ce pas un supplice intolérable? c'est à ce supplice +que ce parti condamne tous les gouvernements qui se +sont chargés d'en préserver les citoyens, de leur donner sûreté +et confiance. Le parti dit à tout gouvernement: vous +n'aurez ni repos ni de sûreté; l'insurrection populaire est là +qui vous menace, elle mettra la main sur vous quand il +lui plaira, elle vous changera, vous détruira. C'est là ce qu'il +répète tous les jours, ce qui est le fond de sa pensée. (<i>Marques +d'adhésion.</i>)</p> + +<p>Voilà pour les doctrines du parti. Voyons maintenant +quels sont les moyens qu'il emploie.</p> + +<p>L'émeute, la force, l'appel continuel à la violence, à la +violence matérielle, invoquée toutes les fois que le cours naturel +et régulier des choses ne permet pas au parti d'accomplir +sa volonté.</p> + +<p>Voulez-vous regarder au langage? Lisez! C'est le langage +des plus mauvais temps de notre révolution; langage timide +encore et honteux, mais qui s'essaye; langage de gens qui +veulent savoir si vous êtes en état et en disposition de les réprimer, +et qui, le jour où ils croiront que vous ne l'êtes pas +ou que vous ne le pouvez pas, se livreront à tout leur cynisme, +à tout leur dévergondage, prêts à répandre au milieu des +sociétés, dans les rues, sur les places, à y étaler (passez-moi +l'expression) toutes les ordures de leur âme. (<i>Mouvement +dans l'assemblée.</i>)</p> + +<p>Voilà, messieurs, le parti auquel vous avez affaire; ce parti +que je n'appellerai pas le parti républicain, mais le mauvais +parti révolutionnaire, est aujourd'hui, grâce à Dieu, +affaibli, usé, incapable d'amendement et de repentir. +La révolution de Juillet, c'est au contraire tout ce qu'il y +a eu de bon, de légitime, de national dans notre première +révolution, et tout cela converti en gouvernement. Voilà, +messieurs, la lutte à laquelle vous assistez: elle est établie +entre la révolution de Juillet, c'est-à-dire entre tout ce qu'il +y a eu de bon, de légitime, de national, depuis 1789 jusqu'à +1830, et le mauvais parti révolutionnaire, c'est-à-dire +la queue de notre première révolution, tout ce qu'il y a eu +de mauvais, d'illégitime, d'antinational, depuis 1789 jusqu'à +1830. (<i>Marques d'approbation au centre.</i>)</p> + +<p>Voilà la lutte dans laquelle vous êtes engagés.</p> + +<p>Et ne vous faites pas illusion; ne cherchez pas à couvrir +sous de beaux noms des choses qui sont si mauvaises. Ce +sont là vraiment les deux partis: à qui restera la victoire? +C'est à vous d'en décider.</p> + +<p>Tel est, messieurs, au dedans l'état général des choses; +telle est la véritable lutte qui se passe au milieu de nous. +Voici maintenant ce qui nous divise. Parmi les amis sincères, +éclairés, honnêtes de la révolution de Juillet, parmi +les hommes dévoués à sa cause, à sa bonne cause, il en est +qui croient qu'il faut ménager le parti dont je viens de parler, +qu'on a besoin de son alliance, qu'il faut l'avoir dans ses +rangs aussi longtemps qu'on le pourra, jusqu'à la dernière +extrémité s'il est possible, et qu'en attendant, il faut lui faire +les concessions dont il a besoin, afin de ne pas se l'aliéner.</p> + +<p>Il y a au contraire des hommes qui croient qu'il faut +accepter le combat, que c'est la condition de salut, que ce +parti dans nos rangs nous perd, nous corrompt, nous déshonore +aux yeux de l'Europe, qu'il faut l'avoir non pas derrière +soi, non pas dans ses rangs, mais en face, comme adversaire, +le lui dire et le lui prouver tous les jours.</p> + +<p>Voilà, messieurs, voilà les deux politiques entre lesquelles +vous avez à choisir. Je ne crains pas que ce mauvais +parti triomphe, même indirectement, dans cette Chambre. Je +sais qu'il n'y a pas de voix, qu'il serait unanimement repoussé. +Mais, dans cette Chambre comme parmi tous les +amis de la révolution de Juillet, il y a division: il y a des +hommes qui pensent qu'on peut, qu'on doit le tolérer et le +respecter jusqu'à un certain point; d'autres croient qu'il +faut l'avoir en face et le combattre.</p> + +<p>C'est entre ces deux systèmes, l'un incertain, l'autre +décidé, entre un système mixte dans lequel le mauvais et +le bon s'amalgament comme ils peuvent, et un système +franc et décidé, que vous avez à choisir.</p> + +<p>Ne vous y trompez pas, messieurs; la France vous a envoyés +ici pour faire ce choix duquel tout dépend en ce moment. +Ce qui tourmente la France depuis un an, c'est +l'incertitude, l'indécision, la question de savoir qui est ami +de la révolution, qui est son ennemi, qui veut de la révolution, +qui n'en veut pas. C'est cela qui fait le tourment de +la France.</p> + +<p>La France vous a envoyés pour prononcer entre deux +politiques; elle compte que vous en choisirez une franche +et décidée. Vous ne pouvez choisir qu'entre la timidité qui +ménage le mauvais parti, et la franchise qui le combat ouvertement. +De la façon dont vous ferez ce choix dépend +l'accomplissement de votre mission.</p> + +<p>Permettez-moi de vous le dire dans ma conviction profonde: +si vous ne faites pas le choix que la France attend, +si vous ne lui donnez pas un système complet, franc, vous +tomberez dans toutes les incertitudes, toutes les vacillations, +toutes les menées dont la France souffre et est lasse depuis +un an.</p> + +<p>Il dépend de vous, messieurs, de faire ce choix. Prenez-y +garde; ou bien vous accomplirez la plus grande tâche qu'une +assemblée de citoyens puisse accomplir au service de son +pays, ou bien vous serez au rang de ces assemblées faibles +qui n'ont pas su s'acquitter de la mission que leur pays leur +avait donnée.</p> + +<p>(M. Guizot descend de la tribune au milieu des applaudissements +vifs et réitérés d'une partie de la Chambre.)</p> + +<a name="XXIX" id="XXIX"></a> +<br><br> +<h3>XXIX</h3> + +<p class="mid">Discussion de l'adresse de la Chambre des députés au roi, +à l'ouverture de la seconde séance de 1831.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 12 août 1831.--</p> + +<p class="large">A l'occasion d'un amendement au quatrième paragraphe +du projet d'adresse, proposé par M. de Podenas, +député de l'Aude, M. Teulon, député du Gard, entretint +la Chambre de l'état de l'administration dans ce +département, et reprocha au premier ministère formé +après la révolution de Juillet d'avoir voulu faire ce +qu'il appela «un partage égal du pouvoir entre les +vainqueurs et les vaincus, dans l'espoir d'amener entre +eux un rapprochement.» Je pris la parole pour relever +cette assertion.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--C'est un seul fait que je désire relever. +L'antépréopinant vous a parlé d'un égal partage du pouvoir +entre les vainqueurs et les vaincus, qui avait été établi dans +le département du Gard par le premier ministère après la +révolution de Juillet. Voici, messieurs, en fait, quel a été le +partage du pouvoir à cette époque. Le préfet, les trois sous-préfets, +le secrétaire général, le général commandant, le +procureur général, le procureur du roi, le receveur général +ont été changés (<i>Sensation</i>) et remplacés tous, je n'hésite pas +à le dire, par des hommes attachés à la révolution de Juillet. +Je dois faire remarquer que l'honorable membre qui a porté +cette plainte a été nommé, par ce même ministère, secrétaire +général du département du Gard. (<i>Mouvement.</i>) Je ne pense +pas qu'il y ait eu alors partage égal de pouvoir entre les vainqueurs +et les vaincus. Je pense qu'il a été fait tous les changements +commandés par la justice et la bonne administration. +Ces changements se sont étendus encore plus loin. Un +grand nombre de maires et de membres des conseils municipaux +ont été renouvelés. La garde nationale de la ville de +Nîmes est presque toute composée de protestants. Je ne dis +pas cela pour lui faire tort, au contraire; elle est pleine de +patriotisme, elle est animée d'un bon esprit; elle s'est plus +d'une fois compromise pour maintenir l'ordre dans le pays. +Mais il n'est pas exact de dire qu'il y ait eu partage égal de +pouvoir entre les vainqueurs et les vaincus. Il y a eu changement +au profit des vainqueurs et justice envers les vaincus. +(<i>Marques d'adhésion.</i>)</p> + + +<a name="XXX" id="XXX"></a> +<br><br> +<h3>XXX</h3> + +<p class="mid">Discussion de l'adresse de la Chambre des députés au roi +dans la seconde session de 1831.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 12 août 1831.--</p> + +<p class="large">On me reprocha, dans cette séance, le langage que +j'avais tenu dans celle du 11 août à propos du parti +républicain et des émeutes. Je pris la parole pour expliquer +et justifier mon langage.</p> + +<p> +<span class="sc">M. Guizot.</span>--Je n'ai que deux faits à faire remarquer à +la Chambre.</p> + +<p>Premièrement, je n'ai pas entendu hier laver le parti +qu'on appelle républicain de toute participation aux émeutes; +j'ai dit que je ne reconnaissais pas le vrai parti républicain +dans celui qui prenait ce nom; mais je n'ai pas dit que le +parti qui prend le nom de républicain n'a pris aucune part +aux émeutes. Au contraire, ce parti, a, selon moi, participé +aux émeutes. J'ai entendu lui enlever un beau nom, +mais non pas lui contester ses actes.</p> + +<p>Secondement, j'ai dit hier que nous n'avions à choisir +qu'entre deux systèmes: un système décidé et arrêté, et un +système incertain, faible, qui ménage à chaque occasion les +fauteurs du désordre, qui leur cherche des palliatifs et des +excuses.</p> + +<p>J'avoue que je ne m'attendais pas à trouver sitôt la confirmation +des faits que j'ai avancés hier à cette tribune. Que vient +de faire en effet l'orateur auquel je succède? Il a tenté d'excuser +le parti républicain; il s'est appliqué à le tirer d'embarras.</p> + +<p><span class="sc">M. Odilon Barrot.</span>--Vous vous trompez complétement sur +mon intention.</p> + +<p><i>M. le Président.</i>--N'interrompez pas, vous répondrez.</p> + +<p><span class="sc">M. Odilon Barrot.</span>--Il n'est pas permis de dénaturer +ma pensée.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je n'accuse en aucune façon les intentions; +je fais seulement remarquer la fausseté et l'embarras de la +position. Je dis qu'un sentiment public, un sentiment avoué +de tout le monde accuse de nos désordres, ou du moins d'une +grande participation à nos désordres, les hommes qui se +parent à tort, selon moi, du nom de républicains. Je dis que +ces désordres ont eu lieu souvent aux cris de <i>Vive la République!</i> +Je dis que, parmi les hommes qui y ont pris part, il y +en a qui se croient sincèrement républicains; ils se trompent, +mais ils n'en ont pas moins cette conviction, et ce +n'en est pas moins aux cris de <i>Vive la République!</i> que ces désordres +ont eu lieu. Il est donc naturel que le sentiment +public en accuse ceux qui s'appellent républicains, et que +l'adresse réponde à cette partie du discours de la Couronne.</p> + +<p>Tel est l'embarras du parti que j'attaquais hier, qu'il +s'est cru obligé de détourner ce coup et de prendre les +vrais républicains sous sa protection. Il ne s'agit pas ici des +vrais républicains, mais de ceux qui, aux cris de <i>Vive la +République!</i> viennent porter le désordre dans la société. Je +dis que le sentiment public les condamne, et qu'il n'y a aucun +moyen de les retirer de l'adresse. Je demande le maintien du +paragraphe.</p> + +<a name="XXXI" id="XXXI"></a> +<br><br> +<h3>XXXI</h3> + +<p class="mid">Discussion de l'adresse de la Chambre des députés au roi, +à l'ouverture de la seconde session de 1831.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 16 août 1831.--</p> + +<p class="large">Dans la séance du 15 août 1831, le président du conseil +ayant demandé la parole sur la position de la question +relative à un amendement de M. Bignon, député de +l'Eure, au moment où la clôture de la discussion sur +l'amendement même venait d'être prononcée, le droit +de prendre ainsi la parole lui fut contesté, et un vif +incident s'éleva à ce sujet. Dans la séance du lendemain +16 août, la lecture de cette partie du procès-verbal de la +séance précédente donna lieu à un nouveau débat dans +lequel j'intervins pour expliquer la situation de la +Chambre dans cette circonstance et déterminer nettement +la question dont il s'agissait.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--La Chambre s'est occupée à la fois de deux +questions toutes différentes.</p> + +<p>Il y a d'abord une question de fait, qui est celle de savoir +ce que M. le président du conseil a fait hier quand il a demandé +la parole: c'est sur la question de fait que porte la +rectification du procès-verbal, demandée par l'honorable +M. de Rambuteau.</p> + +<p>La seconde question est une question constitutionnelle: +celle de savoir jusqu'à quel point et de quelle manière la +prérogative royale doit être exercée dans la Chambre en +vertu de l'article 46 de la Charte.</p> + +<p>Sur la première question, on ne peut pas demander l'ordre +du jour; il faut rectifier ou non le procès-verbal. Le procès-verbal +ne constate pas ce qui a été entendu, mais ce qui a +été fait, ce qui a été dit: il se peut qu'un grand nombre de +membres n'aient pas entendu ce qui a été dit; mais la question +qu'on met aux voix, c'est de savoir si telle chose a été +dite, si telle chose a été faite. C'est une question de fait que +l'on met aux voix dans tout débat qui s'élève sur la rédaction +du procès-verbal. Le procès-verbal n'est pas autre chose que +l'exposé de ce qui s'est passé dans une séance; toute demande +en rectification du procès-verbal élève une question de fait; +cette question se décide par assis et levé, à la majorité +des voix. Ceux qui sont d'avis que le fait s'est passé tel +qu'on l'articule se lèvent pour la rectification du procès-verbal; +ceux qui ont vu le fait d'une autre manière se lèvent +contre.</p> + +<p>Il n'y a donc là, je le répète, qu'une question de fait. Si le +plus grand nombre des membres de cette assemblée regarde +comme constant que M. le président du conseil avait demandé +la parole sur la position de la question, le fait sera +rétabli dans le procès-verbal de cette manière. Si le plus +grand nombre de nos collègues croit le contraire, il sera +constaté que le fait n'a pas eu lieu, et il ne sera pas rétabli +dans le procès-verbal.</p> + +<p>Voilà sur la première question; quant à la seconde, +la question constitutionnelle, il n'y a pas lieu de passer à +l'ordre du jour, car c'est une question qui ne peut pas être +résolue dans cette Chambre.</p> + +<p><i>Voix à gauche.</i>--Raison de plus pour passer à l'ordre du +jour.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--La Chambre règle tout ce qui regarde ses +opérations intérieures, en tant que les grands pouvoirs, +indépendants l'un de l'autre, n'y sont pas intéressés; mais +quand il s'agit de la correspondance, des relations de +ces pouvoirs entre eux, il ne dépend pas de la Chambre +de régler ces relations et cette correspondance par un vote +réglementaire.</p> + +<p>Ou l'article de la Charte est clair, ou il ne l'est pas.</p> + +<p><i>Plusieurs voix.</i>--Il l'est.</p> + +<p><i>Autres voix.</i>--Il ne l'est pas.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--C'est l'un ou l'autre: si l'article est clair, +il ne doit pas être modifié par un vote réglementaire; si, au +contraire, il ne l'est pas, s'il a besoin d'être modifié, il ne +peut l'être que par le concours des trois pouvoirs; il ne peut +l'être par un seul, indépendamment des deux autres. Je le +répète, la Chambre ne peut pas délibérer sur cette question. +(<i>Bruits en sens divers.</i>)</p> + +<p>Je demande que la Chambre se prononce sur la question +relative à la rectification du procès-verbal. Elle déclarera les +faits tels qu'elle les a vus et entendus.</p> + +<p>Sur la seconde question, nous avons discuté; des opinions +différentes ont été émises; il n'y a pas lieu à délibérer. (<i>Oui, +oui! l'ordre du jour.</i>)</p> + +<p>Je demande l'ordre du jour.</p> +<a name="XXXII" id="XXXII"></a> +<br><br> +<h3>XXXII</h3> + +<p class="mid">Discussion à l'occasion des interpellations adressées par +M. Mauguin au ministère sur les troubles survenus dans +Paris.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 20 septembre 1831.--</p> + +<p class="large">A la nouvelle de la prise de Varsovie, de violents +désordres éclatèrent dans Paris pendant les journées +des 16, 17, 18 et 19 septembre. M. Mauguin, député de +Saône-et-Loire, adressa, à ce sujet, au ministère des +interpellations qui suscitèrent un débat très-vif prolongé +du 19 au 23 septembre. Les affaires extérieures +et intérieures du pays, le caractère et les conséquences +de la révolution de Juillet, les principes et la conduite +des divers cabinets furent de nouveau remis en question. +Je pris deux fois la parole dans ce débat, le 20 septembre +en réponse au général Lafayette et le 21 en +réponse à M. Mauguin. Le débat se termina par une +ordre du jour favorable au cabinet.</p> + +<p class="large">Sur une nouvelle interpellation de M. Mauguin, je +revins, dans la séance du 26 octobre suivant, sur la +conduite que j'avais tenue, en 1830, comme ministre +de l'intérieur, envers les Espagnols réfugiés en France, +et je complétai les explications que j'avais déjà données +à ce sujet dans la séance du 30 septembre.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, comme ami du ministère, comme +partisan de son système politique, j'aurai peu de chose à +ajouter à ce que vous avez entendu. A mon avis, hier et aujourd'hui, +l'explication de la conduite du ministère, la défense +de ses actes ont été satisfaisantes et complètes; je n'ai, +je le répète, presque rien à ajouter. Mais quand cette discussion +s'est élevée, nous nous en sommes promis quelque chose +de plus que la justification ou l'accusation du ministère. +Quelque grande que soit cette question, il y en a une autre +encore. Le ministère ne s'est pas mêlé seul de notre politique +intérieure; il n'est pas le seul qui ait eu des idées, des +intentions, et qui ait agi au dehors au nom de la France. Je +ne viens donc pas défendre le ministère suffisamment défendu; +je viens attaquer la politique, les idées, les intentions, +les actes de ses adversaires qui sont les nôtres.</p> + +<p><i>Plusieurs voix à gauche.</i>--Comment les intentions aussi!... +(<i>Agitation.</i>)</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--C'est aussi là une question que nous nous +sommes promis de traiter; nous nous sommes promis de tout +dire ici, de dire au pays ce que nous pensons sur toutes +choses et sur tout le monde. Je vais l'essayer. (<i>Marques d'attention.</i>)</p> + +<p>Vous vous rappelez tous de quelle manière la révolution de +Juillet, à laquelle nous avons tous eu part, fut reçue en Europe. +L'Europe la trouva naturelle, inévitable, je dirai presque +légitime. La conduite du gouvernement déchu parut si +insensée, si énorme que l'Europe prévoyait la révolution, +et n'en fut pas étonnée. Je pourrais citer, si des conversations +particulières pouvaient être rapportées à cette tribune, je +pourrais citer telles paroles d'un grand souverain qu'on regarde +comme le plus grand ennemi de la révolution de +Juillet, et qui, lorsqu'il l'apprit, dit lui-même: «Voilà les +conséquences du manque de foi des souverains.» (<i>Sensation.</i>) +La révolution de Juillet, je le répète, fut donc trouvée naturelle +et presque légitime. Cependant on eut peur, on s'en +méfia; on se demanda; pourrons-nous vivre en paix avec la +France? N'est-ce pas un volcan qui vient de se rouvrir au +milieu de l'Europe? J'ai entendu plusieurs de mes collègues +s'étonner et s'indigner de ces inquiétudes de l'Europe. +Messieurs, en vérité, je ne conçois pas cet étonnement. +L'Europe n'est pas de ceux qui n'ont rien oublié ni rien appris +depuis quarante ans. Il est impossible que l'Europe ne se +souvienne pas des conséquences que la Révolution française +avait eues pour elle; elle a dû voir avec méfiance, avec +effroi, la possibilité de chances pareilles; l'Europe, dans son +intérêt, en allant au fond des choses, avait droit d'avoir peur; +elle avait droit de se méfier, et elle n'a rien fait que de naturel +quand elle a armé à l'apparition de la révolution de +Juillet. Nous, de notre côté, nous avons bien fait de nous +méfier de l'Europe, de croire à la possibilité de graves dangers; +nous avons bien fait d'armer. De part et d'autre, on +est resté dans sa situation; il n'y a rien là dont on doive s'étonner, +ni dont on puisse faire à personne l'objet d'un reproche.</p> + +<p>Les choses étant telles, la situation de tout le monde ainsi +établie, que pouvait faire le gouvernement français? Il n'y +avait évidemment que deux systèmes: prendre, contre les +méfiances et les terreurs de l'Europe, toutes les précautions +nécessaires, armer le pays, se tenir en état de défense et en +même temps s'efforcer de rassurer l'Europe, de dissiper ses +méfiances, ses craintes, de lui prouver qu'un état régulier, +tranquille, pouvait s'établir en France, de continuer avec +l'Europe de bonnes et pacifiques relations.</p> + +<p>C'était là le système qui se présentait naturellement à un +gouvernement sensé; c'est celui qui a été tenté bien ou mal, +avec plus ou moins de succès, par tous les ministères qui se +sont succédé depuis quatorze mois.</p> + +<p>L'autre système, c'était de se constituer en état de volcan +au milieu de l'Europe, de couvrir l'Europe de feu, de +proclamer sur-le-champ l'incompatibilité de l'ordre social +français avec l'ordre social européen, et de les mettre tous +deux aux prises.</p> + +<p>Messieurs, y a-t-il quelqu'un, je ne dis pas dans les mille +rêves, dans les mille folies qui passent par la tête des +hommes, y a-t-il, dis-je, quelqu'un parmi les hommes sensés +de l'opposition ou en dehors, qui ait proposé ce système? +Non, messieurs; depuis quatorze mois, l'opposition, et dans +cette Chambre et au dehors, a été, selon moi, imprudente, +téméraire; mais je ne la trouve pas hardie; je ne trouve pas +qu'elle ait manifesté de grands projets, qu'elle ait conçu de +grandes pensées, pas même des pensées folles dans leur +grandeur.</p> + +<p>Non, messieurs, le système dont je parle, le système fanatique, +odieux, impossible en définitive à faire réussir, mais +qui cependant pouvait trouver en Europe des forces morales +et matérielles qui lui fussent propres, ce système n'a été conseillé +par personne; personne dans l'opposition n'a osé +sérieusement le proposer.</p> + +<p>Nous avons vu l'opposition divisée de bonne heure sur +cette question. Les uns se sont prononcés pour la paix, les +autres ont gardé le silence; d'autres ont conseillé la guerre, +mais une guerre politique et point la guerre de propagande, +point cette guerre volcanique dont je parlais tout à l'heure. +D'autres ont conseillé la propagande, mais la propagande en +désavouant la guerre; car vous venez de l'entendre à cette +tribune, on s'est prononcé en même temps contre la guerre +et pour la propagande. Je ne me charge pas de la conciliation +de ces deux idées.</p> + +<p><span class="sc">M. le Général Lafayette.</span>--Je demanderai la parole pour +un fait.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Eh bien! messieurs, sans prétendre à concilier +les contradictions de ce système, je dis que l'opposition en +a constamment tenu le langage: je dis qu'elle a provoqué +toutes les passions, qu'elle a élevé toutes les plaintes +que ce système suppose; en un mot, que la portion extérieure +de sa conduite, son langage, ses actes, ses méfiances +ont appartenu au système qu'elle n'osait et qu'elle ne pouvait +pas sérieusement conseiller.</p> + +<p>On a fait plus: ce qu'on ne pouvait faire prévaloir en +France, ce qu'on ne pouvait conseiller en France, on l'a +promis au dehors; on n'a voulu rester en arrière d'aucune +insurrection, d'aucun projet de révolution, d'aucune +tentative de ce genre; on les a tous accueillis, proclamés; on +s'en est déclaré le patron, sans s'inquiéter de savoir si on était +en état de les faire réussir; on s'est porté fort en leur faveur, +au nom de cette France qu'on ne représentait pas, qu'on ne +gouvernait pas, dans laquelle on était hors d'état de prévaloir +par la liberté, la discussion et la publicité.</p> + +<p>Savez-vous ce qu'on a fait à l'égard des révolutions étrangères? +on a fait comme ces malheureux qui mettent au +monde des enfants sans s'inquiéter de savoir s'il sont en état +de les nourrir et de les élever. (<i>Sensation.</i>) C'est là le caractère +des idées, des intentions, des actes, de la conduite +de l'opposition, au dedans et au dehors de cette Chambre +depuis quatorze mois.</p> + +<p>Permettez-moi de passer en revue rapidement les divers +pays, les différentes révolutions qui y ont été essayées, et de +vous y montrer évidente, à toucher à la main, cette politique +sans franchise, sans hardiesse et sans sérieux, et ses funestes +résultats.</p> + +<p>Je prends un pays auquel on ne pense presque plus; je ne +sais pourquoi, car il a beaucoup souffert, l'Espagne. Quand +la révolution de Juillet a été consommée, le nouveau gouvernement +national était, à l'égard de l'Espagne, dans une position +excellente pour l'engager à des concessions nécessaires, +légitimes, pour l'amener à faire quelque chose pour ses sujets. +Le gouvernement français avait sur son territoire un grand +nombre de réfugiés espagnols dont les tentatives étaient fort +redoutées à Madrid. On croyait, et on devait le croire, qu'ils +trouveraient beaucoup d'écho dans la nation espagnole. C'était, +entre les mains du gouvernement français, un moyen +de négociation puissant, facile, dont on pouvait tirer parti au +profit de la liberté et de la prospérité espagnole. Eh bien! +qu'a-t-on fait? On a gaspillé, on a perdu ce moyen. Ce n'est +pas le gouvernement, mais l'opposition. Une insurrection a +été tentée sur les frontières espagnoles par de malheureux +réfugiés; on les y a encouragés, poussés; on ne s'est pas inquiété, +on n'a pas su reconnaître s'il y avait, pour eux, +de véritables chances de succès; et nous avons eu le malheur, +car c'en est un pour nous comme pour les Espagnols, +de voir quelques-uns des plus illustres défenseurs de l'indépendance +de l'Espagne hors d'état de faire quatre lieues sur +son territoire; nous les avons vus échouer dans une tentative +folle.</p> + +<p>Il fallait le prévoir; il ne fallait pas pousser ces hommes +en propageant sans cesse les idées, les sentiments qui ont de +tels résultats. On faisait presque à ces hommes un devoir +d'honneur d'aller délivrer leur pays d'un mauvais gouvernement. +Quand on ne les y aurait pas poussés individuellement, +ce que je ne veux pas savoir, on les y a poussés d'une manière +générale par un langage imprudent, en provoquant des sentiments +qui exercent une grande puissance, et on les a envoyés +tenter en Espagne une insurrection impossible.</p> + +<p>Messieurs, lorsqu'on veut mettre en mouvement des +hommes et des peuples, on est moralement obligé de savoir +ce qu'on fait, et de ne pas tenter légèrement des choses évidemment +impossibles. C'est ce qui est arrivé pour l'Espagne. +La tentative n'a eu aucun succès, et cette épée que le gouvernement +français pouvait tenir sur la tête du gouvernement +espagnol a été brisée entre ses mains. Il a été démontré que +les réfugiés espagnols étaient sans crédit, sans force, pour soulever +leur pays. Voilà ce que la politique de l'opposition a +valu à la France et à l'Espagne. (<i>Sensation prolongée.</i>)</p> + +<p>Je prends l'Italie. La question est ici tout autre. Il ne s'agit +pas en Italie d'une simple querelle entre un gouvernement +et une partie de la nation; il ne s'agit pas de changer les institutions +d'un pays, ni de faire une révolution intérieure; il +s'agit de faire un grand pays, un grand peuple. L'unité italienne, +comme l'honorable général Lafayette le disait tout à +l'heure, voilà ce qu'il y a au fond de toutes les tentatives qui +ont été faites en Italie. Ce n'est pas la liberté de telle ou telle +province; ce n'est pas telle ou telle modification, tel ou tel +gouvernement, c'est l'unité italienne, c'est la reconstruction +de l'Italie en un grand peuple.</p> + +<p>Cette tentative a été renouvelée bien des fois; elle a toujours +échoué. Je ne dis pas qu'elle soit radicalement mauvaise +et illégitime; je ne prétends pas interdire aux patriotes +italiens leurs pensées et leurs espérances; mais je dis que la +difficulté est immense, et que jusqu'ici on a toujours échoué, +depuis la chute de l'empire romain.</p> + +<p>Bonaparte en a donné une raison qui me paraît vraie; il +l'a trouvée, avec son admirable génie, dans la configuration +géographique de l'Italie. Vous connaissez ce morceau dans lequel +il essaye d'expliquer les révolutions d'Italie par sa configuration +géographique. Pour moi, cela m'a convaincu.</p> + +<p>Eh bien! non-seulement la tentative de refaire l'Italie a +toujours échoué, mais il n'y a pas moyen de se dissimuler que, +dans ces derniers temps, depuis dix à douze ans, elle n'a pas +été soutenue avec cette énergie, cette persévérance, cette +âpreté de courage et de dévouement qu'exigent de pareilles +oeuvres.</p> + +<p>Messieurs, ceci est plus que triste, c'est douloureux à +dire; ce n'est pas sans effort que je me décide à prononcer aujourd'hui +des paroles qui peuvent, je le sais, aller en Italie +tomber sur un noble coeur et l'affliger profondément; +mais avant tout, il faut que la vérité soit dite. (<i>Très-bien, +très-bien!</i>)</p> + +<p>Il est vrai que depuis douze ans, ni le courage ni le +dévouement des Italiens n'ont été au niveau de la grande +oeuvre qu'ils ont tentée; il est vrai que toujours préoccupés +passionnément dans leur langage, dans leurs écrits, de reconstruire +l'Italie, ils ont été faibles et enfants pour une +pareille entreprise. (<i>Sensation.</i>)</p> + +<p>Que devait faire la France dans une telle situation? Fallait-il +qu'elle allât se jeter dans une entreprise que l'Italie +elle-même se montrait si peu capable d'accomplir? Messieurs, +ceci encore est triste à dire; mais il faut que les +peuples aient souffert longtemps pour pouvoir compter sur +un secours étranger; il faut qu'ils aient lutté longtemps; +il faut qu'il ait péri bien des milliers d'hommes pour que +l'intervention étrangère devienne naturelle et véritablement +utile. Ce n'est qu'après une longue persévérance, après +des siècles d'efforts qu'on peut compter utilement sur l'étranger. +L'Italie, jusqu'à présent, n'a eu aucun droit de compter +sur votre secours.</p> + +<p>Qu'avait à faire la France, et dans son intérêt et dans celui +de l'Italie? Elle avait à rétablir partout en Italie son influence, +à lutter partout contre l'influence autrichienne, à +reprendre possession d'une influence correspondante et supérieure, +s'il se pouvait, pour la faire tourner au profit des +améliorations que l'Italie pouvait espérer. C'était là l'ancienne +politique de la France; mais cette politique a ses conditions; +on ne la suit pas par cela seul qu'on le veut; il y eut +de tout temps deux conditions fondamentales à l'influence +de la France en Italie: la première, c'est son alliance avec +quelques-uns des gouvernements italiens, un point d'appui +fermement préparé dans certaines cours, dans certains gouvernements. +C'est à Turin et à Rome que l'influence de la +France, au <span class="sc">XVII</span><sup>e</sup> et au <span class="sc">XVIII</span><sup>e</sup> siècle, luttait efficacement contre +l'influence autrichienne; c'est en s'appuyant sur la cour de +Rome et la maison de Savoie que la France s'est emparée, +en Italie, d'une influence qui balançait celle de l'Autriche.</p> + +<p>Eh bien! qu'a fait l'opposition à l'égard de l'Italie? Elle +s'est déclarée en guerre avec tous les gouvernements italiens +sans exception. Je ne dis pas qu'elle ait menacé spécialement +tel ou tel gouvernement, qu'elle ait travaillé à sa ruine; mais +la menace résultait naturellement de ses idées et de ses actions; +tous les gouvernements d'Italie, celui de Turin +comme celui de Rome, devaient se croire menacés. L'opposition +a donc tendu à ôter à la France son premier moyen +d'influence utile en Italie.</p> + +<p>Quant au second, on a parlé de la papauté. Messieurs, ce +n'est pas seulement en s'alliant avec la cour de Rome, en +étant bien avec elle que la France avait acquis de l'influence +en Italie. Il faut se rappeler un fait plus général. Depuis le +<span class="sc">XVII</span><sup>e</sup> siècle, la France a été à la tête du catholicisme en Europe. +La politique du catholicisme occidental et méridional +s'est, depuis deux cents ans, rattachée à la cour de France; +c'est autour de la cour de France que l'Espagne, l'Italie, la +Belgique et tous les États catholiques de l'occident de l'Europe +ont tourné. La France a trouvé là un grand moyen de +force.</p> + +<p>Je sais tout ce qu'on peut dire de l'influence du catholicisme +sur la constitution intérieure de ces pays et sur leur +liberté; je sais que cette influence a perdu beaucoup aujourd'hui; +il n'en est pas moins vrai que c'est en qualité de +chef du catholicisme en Europe que la France, dans les +deux derniers siècles, a eu, particulièrement en Italie, une +immense influence, et a prévalu souvent à Rome contre +l'Autriche.</p> + +<p>Eh bien! la politique de l'opposition, elle-même l'a +déclaré, s'est mise en état de guerre avec le catholicisme; +était-ce là une conduite propre à faire regagner à la France +l'influence qu'elle avait perdue et qu'elle ne devait pas tenter +de reprendre par la force des armes? Les idées et le langage +de l'opposition ont été radicalement nuisibles à l'influence +que la France pouvait reprendre en Italie; ils n'ont pas été +moins nuisibles à la liberté italienne, à la cause des améliorations +politiques en Italie.</p> + +<p>L'Italie est aujourd'hui en arrière. Tout mouvement précoce +et prématuré est un mouvement rétrograde. En +matière de révolution, tout ce qui ne réussit pas nuit, tout +ce qui n'avance pas rétrograde. (<i>Sensation.</i>) C'est là ce qui</p> + +<p> +est arrivé en Italie et en Espagne; la politique de l'opposition +a fait éclore là des fruits avant qu'ils fussent mûrs, +des fruits qui sont tombés, et qui ne renaîtront peut-être pas +de longtemps. (<i>Approbation aux centres.</i>)</p> + +<p>J'arrive à la Belgique. C'était, messieurs, une bonne fortune +que la révolution de Belgique arrivant six semaines +après la nôtre; c'était une bonne fortune inespérée que la +destruction soudaine d'un royaume élevé, comme on nous +l'a dit, contre la France, devenu le premier boulevard de +l'Europe contre la France. Cette destruction, dis-je, était +un fait immense, qui ne devait inspirer à la France aucune +autre idée que celle de le maintenir.</p> + +<p>La bonne fortune a été encore plus grande. L'Europe +éclairée par tout ce qui s'est passé depuis quarante ans, +plus clairvoyante et raisonnable qu'on ne le suppose, l'Europe +a compris qu'il fallait se résigner à la chute du royaume +des Pays-Bas comme à la chute de la branche aînée de +la maison de Bourbon; l'Europe a compris qu'il y avait +là nécessité; elle s'est montrée promptement, beaucoup +plus promptement qu'on ne l'espérait, disposée à accepter +ce second fait.</p> + +<p>Quelle bonne fortune que de faire si facilement reconnaître +au bout de six semaines une seconde insurrection, +une insurrection qui ôtait la pierre angulaire de l'oeuvre de +la Sainte-Alliance; de la faire reconnaître par la Sainte-Alliance +elle-même obligée de se transformer, de se mettre à +la raison! Voilà quelle a été la politique du gouvernement +français; il a réussi dans son dessein.</p> + +<p>Que faisait pendant ce temps-là l'opposition? Elle n'était +pas contente de ce fait, et là comme partout elle étalait des +prétentions et des espérances illimitées, car c'est le caractère +de ce parti de prendre sur-le-champ ses prétentions pour des +espérances, et ses espérances pour des certitudes.</p> + +<p>Le parti a donc voulu autre chose; il a voulu la réunion +de la Belgique à la France. Ceci était une question fort douteuse +en Belgique. Pour mon compte, d'après ce que j'ai pu +recueillir de renseignements, il m'a paru que la réunion à +la France n'était pas l'opinion de la majorité en Belgique, +que ce n'était pas le voeu national; il m'a paru qu'il y avait +des provinces qui inclinaient naturellement vers la France, +mais que la nationalité était le sentiment dominant en Belgique, +que le désir de former un État indépendant était sa +première pensée, et qu'ainsi toute idée de réunion était +une cause de désunion et de faiblesse.</p> + +<p>C'est pourtant la première tentative que l'opposition a +faite, tentative qui n'avait d'autre résultat que d'affaiblir la +révolution nouvelle et de la compromettre au moment même +où l'Europe la reconnaissait. Il a fallu renoncer à la tentative +de réunion. Qu'a fait l'opposition? Quel a été son système? +Elle a encouragé en Belgique l'esprit démagogique +(<i>murmures à gauche</i>), oui, l'esprit démagogique; c'est avec +dessein que je me sers de cette expression. Personne n'ignore +quels sont les émissaires qui sont partis de Paris, quelle correspondance +s'est établie entre les clubs de Bruxelles et les +sociétés secrètes de Paris; on a encouragé l'esprit démagogique +pour fomenter des troubles aux dépens du gouvernement +nouveau, aux dépens de l'indépendance de la Belgique. +Telle a été la politique constante de l'opposition, si bien que +le nouveau gouvernement belge a été obligé de se défendre +contre les émissaires de Paris et de chasser les prétendus +amis qu'on lui envoyait. (<i>Mouvements divers.</i>)</p> + +<p>Voilà, quant à la Belgique, les services que l'opposition +lui a rendus; voilà quel a été le résultat de sa politique.</p> + +<p>Messieurs, jamais encore à cette tribune je n'ai prononcé +le nom de Pologne. Je souhaitais vivement son succès, et je +n'y croyais pas; je ne me serais pas permis de dire un mot +qui pût décourager les amis de cette belle cause; je me serais +éternellement reproché de dire un mot qui pût tromper mon +pays, en encourageant des espérances que je ne partageais +pas. Je dis tromper mon pays, et c'est avec dessein. Il est +aisé, messieurs, de dire à cette tribune, entre nous quatre +cents députés tranquillement assis dans cette enceinte: «La +Pologne ne périra pas.» Il y a eu cependant de bonnes +causes perdues dans le monde. Depuis que les hommes sont +répandus en société sur la surface de la terre, il y a eu des +peuples très-illégitimement effacés du rang des nations: il y +a eu d'effroyables malheurs en ce genre, et personne n'a le +droit de dire qu'une bonne cause ne sera jamais perdue.</p> + +<p>Ce n'est pas que je doute de la justice divine, de la Providence; +mais elle a ses secrets, ses plans que nous ne connaissons +pas, et nous n'avons pas le droit de les préjuger ni +dans un sens ni dans l'autre; nous n'avons pas le droit +de donner nos désirs pour les volontés mêmes de la Providence. +(<i>Vive sensation.</i>)</p> + +<p>Il y a d'ailleurs des occasions où la réserve, la prudence +sont particulièrement imposées. Je ne vous redirai pas tout ce +que vous venez d'entendre à cette tribune sur l'histoire de la +malheureuse Pologne, sur ses tentatives continuelles et +d'organisation politique et d'affranchissement territorial, +tentatives qui ont toujours échoué, comme celles pour l'unité +de l'Italie. Il y a des causes à un tel fait; je ne les rechercherai +pas; je ne prétends pas dire que le fait soit incorrigible; +mais je dis que c'était une raison d'apporter dans la +politique, à l'égard de la Pologne, une réserve toute particulière. +La nécessité de cette réserve s'est fait sentir même +en Pologne, parmi les insurgés, les nobles insurgés qui +s'étaient saisis du gouvernement. Voyez ce qui s'est passé à +Varsovie, autant du moins que nous pouvons le connaître; +n'est-il pas évident que deux partis existaient au sein de cette +révolution, un parti modéré, prudent, réservé, qui ne voulait +pas se fermer toutes les portes, qui ne voulait pas condamner +irrévocablement son pays à la nécessité d'un plein +succès. Le général Chlopicki, le général Skrinezcki, une +grande partie du gouvernement provisoire, le prince Czartorinski, +appartenaient au parti modéré; ils ont été poussés +jusqu'aux dernières extrémités par un autre parti, par un +parti auquel je ne veux faire aucun reproche, il n'est pas +permis d'en faire à une noble cause, à des braves qui ont +succombé malheureusement; mais je dis qu'il y a eu là un +parti violent, imprudent, qui a voulu ne laisser aucune ressource +et mettre son pays dans la nécessité de vaincre l'empire +russe ou de périr.</p> + +<p>Messieurs, entre ces deux partis, le langage, la conduite, +les actes de l'opposition en France ont favorisé le parti violent +au détriment du parti raisonnable. Je n'ai aucune correspondance, +mais il n'est pas besoin de lire des lettres ni +d'écouter des conversations; si je juge par ce qui s'imprime, +par ce qui se dit sur la place publique, je vois que la +conduite de l'opposition a eu pour résultat d'affaiblir le parti +qui voulait se réserver une ressource, et de fomenter le +parti violent, le parti qui voulait pousser tout aux dernières +extrémités. Je n'impute ce résultat à personne, pas même +au parti violent de la Pologne, mais il est certain que cette +politique n'a pas réussi. (<i>Sensation.</i>) Je sais, je le répète, +que de telles choses sont douloureuses à dire; je ne pense +pas qu'il y ait dans cette Chambre quelqu'un qui éprouve à +les entendre plus de peine que moi à les dire; mais je +suis convaincu que notre premier devoir à cette tribune, +c'est de dire tout ce que nous croyons commandé par +l'intérêt de notre pays et par la vérité. Eh bien! j'affirme +que, selon ma conscience, la politique de l'opposition +s'est complètement trompée dans les quatre pays que je +viens de parcourir, et qu'elle a radicalement nui au succès +des tentatives qui y ont été faites en faveur de la liberté. +(<i>Marques d'adhésion aux centres.</i>)</p> + +<p>Messieurs, je crois que l'opposition se trompe fondamentalement +sur l'état actuel de l'Europe; elle oublie que +la question révolutionnaire, la crainte, la terreur, légitime +ou illégitime, des révolutions domine l'Europe, préoccupe +tous les esprits, et que, dans toutes les tentatives, soit d'améliorations +intérieures, soit de nouvelles combinaisons +territoriales qui peuvent être indispensables à l'Europe, +rien n'est bon, rien n'est possible, tant que la question +révolutionnaire sera dans cet état flagrant, dans cet état +d'irritation dont l'Europe tout entière est saisie. (<i>Très-bien!</i>)</p> + +<p>Tout à l'heure l'honorable général Lafayette vous disait +que le général Washington n'avait pas refusé de secourir la +France au moment de l'explosion de la guerre entre la France +et le reste de l'Europe, que c'était à l'occasion d'un traité +conclu avec l'Angleterre que la politique de Washington +s'était développée. Je me permettrai de rappeler à l'honorable +général qu'il y a là erreur; lorsque la guerre a +éclaté entre la France et l'Europe à l'occasion de la révolution, +à l'instant même où cette guerre a été apprise en Amérique, +avant qu'il fût question du traité avec l'Angleterre, +Washington écrivit à tous ses ministres:</p> + +<p>«La guerre ayant éclaté entre la France et la Grande-Bretagne, +le gouvernement des États-Unis doit employer +tous les moyens qui sont en son pouvoir pour faire observer +une stricte neutralité, et empêcher que les citoyens de ces +États ne les compromettent vis-à-vis de l'une ou l'autre +de ces puissances.</p> + +<p>«Je vous invite à prendre ce sujet en considération, afin +qu'on puisse adopter, sans délai, les mesures les plus propres +à nous faire parvenir à ce but si désirable, car on a rapporté +qu'on armait déjà en course dans nos ports. Avisons à ce +que des événements qu'il ne nous est pas possible de prévoir ni +d'arrêter n'aient pas de fâcheuses conséquences pour nous.»</p> + +<p>D'après cette lettre, des mesures furent prises par les +différents ministres des États-Unis, non-seulement pour maintenir +la neutralité, mais pour empêcher les citoyens des Etats-Unis, +soit d'aller prendre service eux-mêmes chez une des +puissances belligérantes, soit de lui porter des secours en +armes ou de toute espèce.</p> + +<p>Les actes qui constatent ces mesures existent dans les documents +historiques de l'époque. Une lutte s'établit à ce +sujet entre le parti démocratique et le parti fédéraliste, dont +Washington passait pour être le chef. Je ne pense pas que +Washington fût le chef d'aucun parti; je crois qu'il agissait +dans l'intérêt bien entendu de son pays. Quoi qu'il en soit, +lorsque la République française envoya aux États-Unis son +ministre, ce ministre contracta avec le parti de l'opposition +américaine des relations fort étroites, et engagea, contre le +gouvernement des États-Unis, dont Washington était président +et Jefferson ministre du département d'État, une +lutte vive, essayant d'exciter l'opposition et de fomenter +des divisions, des troubles aux États-Unis. Par suite de +cette lutte, Washington, d'après un mémoire rédigé par +Jefferson lui-même, qui appartenait au parti démocratique, +demanda le rappel du ministre français. Voici les termes +du message adressé, le 5 décembre 1793, par le président +des États-Unis aux deux Chambres:</p> + +<p>«C'est avec un déplaisir extrême que je me vois forcé de +déclarer que le ministre qui est chargé de représenter ici la +France ne paraît pas partager les dispositions amicales de +la puissance qui l'avait député vers nous. Ses actes tendent +à attirer les malheurs de la guerre sur notre pays, à semer +la division parmi nous, et à nous plonger dans l'anarchie.</p> + +<p>«Lorsque ses entreprises ou celles de ses agents ont eu +pour objet de nous forcer à prendre part aux hostilités, ou +qu'elles ont été des violations faites à nos lois, elles ont été +arrêtées par le cours ordinaire de la justice et par l'exercice +des pouvoirs qui me sont confiés.</p> + +<p>«Tant que le danger n'a pas été imminent, je les ai tolérées, +par égard pour la nation que représente cet envoyé; mais +j'ai respecté les traités et je les ai exécutés, selon ce que j'ai +cru être leur véritable sens. J'ai donné à la France tous les +témoignages d'amitié que sa position pouvait lui faire attendre +de nous et qui étaient compatibles avec ce que nous +devons aux autres puissances.»</p> + +<p>Voilà, dans des circonstances un peu analogues aux +nôtres, quels ont été la conduite et le langage du gouvernement +des États-Unis. Je dis que, dans l'état actuel de +l'Europe, la même conduite, le même langage étaient imposés +à la France, bien plus étroitement qu'à Washington, car +le danger était infiniment plus grand; je dis que le gouvernement +français a été, pour la Pologne, beaucoup plus loin que +le gouvernement des États-Unis pour la France; je dis qu'il +a montré une bienveillance beaucoup plus marquée, qu'il +s'est beaucoup plus compromis dans cette cause que ne l'avait +fait Washington pour la République française.</p> + +<p>Messieurs, je le répète, la question révolutionnaire qui +domine aujourd'hui en Europe commande à notre patrie +une politique de réserve et de prudence; elle est facile,... je +me trompe, tout est difficile en ce monde, mais enfin on +peut la tenir sans compromettre en rien les intérêts de notre +pays.</p> + +<p>On parle sans cesse de la lutte qui existe aujourd'hui +en Europe entre le pouvoir absolu et la liberté, entre +le régime despotique et le régime constitutionnel. Cela +est vrai; cette lutte existe, elle a eu déjà d'heureux résultats, +elle en aura de plus grands encore, je l'espère. +Mais il y a une autre lutte qui existe à côté. C'est la lutte de +l'ordre contre l'anarchie, de l'esprit antisocial contre l'esprit +social, la lutte des principes, des intérêts, des passions +désorganisatrices contre les principes, les intérêts, les passions +conservatrices. Ces deux luttes sont simultanées +aujourd'hui en Europe, se mêlent et se confondent souvent. +Eh bien! par une de ces bonnes fortunes qui arrivent rarement +dans la vie des peuples, la France est admirablement +placée pour se mettre à la tête des deux bonnes causes; la +France est vouée aujourd'hui, par l'origine de son gouvernement, +par ses institutions, par ses sentiments, par ses +moeurs, à la cause constitutionnelle, à la cause de la liberté +légitime, et, en même temps, comme sa révolution est accomplie, +comme elle n'a plus de véritable intérêt révolutionnaire, +comme elle a besoin d'ordre autant que de liberté, la France +est naturellement appelée à se porter le patron de la cause +de l'ordre, tout aussi bien que de la cause de la liberté. +(<i>Adhésion.</i>)</p> + +<p>Messieurs, le seul obstacle que la France rencontre dans +l'accomplissement de cette double mission, ce qui la gêne +et lui nuit le plus, c'est la politique que je viens d'attaquer, +c'est le parti dont je viens d'examiner la conduite dans tout +ce qui s'est passé en Europe depuis quatorze mois. Il y a du +bien et du mal dans ce parti; il y en a dans toutes les choses +humaines; mais je n'hésite pas à dire qu'aujourd'hui, tel +qu'il est, le mal y domine; qu'il est lié à la cause des mauvaises +passions, des mauvais sentiments, des mauvais intérêts, +plus qu'à la cause de la liberté et de l'ordre. (<i>Adhésion +aux centres.</i>)</p> + +<p>Voilà pourquoi son influence est si constamment fatale; +voilà pourquoi elle a été fatale à l'Espagne, fatale à la Belgique, +fatale à l'Italie, fatale à la Pologne, autant qu'elle a pu +influer.... (<i>Interruption à gauche.</i>)</p> + +<p>Messieurs, que les peuples étrangers le sachent bien; je ne +peux porter ici que l'expression d'une conviction personnelle, +mais je l'apporte entière; que les peuples étrangers le +sachent bien: de ce parti-là ne leur viendra ni l'affranchissement, +ni la liberté, ni tout ce qui les garantit; le parti +leur promet ce qu'il ne peut pas leur donner; il les flatte et +il les perd. (<i>Adhésion prolongée aux centres.</i>)</p> + +<p><span class="sc">M. Odilon Barrot.</span>--Lorsqu'on annonce hautement qu'on +attaque l'opposition sur ses intentions, on s'impose......</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je demande la parole.... Je n'ai accusé les +intentions de personne.</p> + +<p><i>A droite et à gauche.</i>--Si fait, vous avez dit les intentions.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Non, je n'en ai pas parlé.</p> + +<p><i>Plusieurs voix aux centres.</i>--Non, non.</p> + +<p><i>A droite et à gauche.</i>--Il l'a dit. (<i>Vives dénégations aux centres, +oh! c'est trop fort, à l'ordre, à l'ordre!</i>)</p> + +<p><i>M. le président.</i>--Veuillez écouter, l'orateur va s'expliquer.</p> + +<p><i>Un membre de la 2<sup>e</sup> section de droite.</i>--Nous n'avons pas été +envoyés ici par nos commettants pour faire assaut de force +de poumons.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Veuillez m'écouter.</p> + +<p><span class="sc">M. Laffitte.</span>--On vous a écouté sans vous interrompre un +seul instant, et tout le monde a entendu les mêmes paroles.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je le répète, j'ai dit que j'attaquais le parti, +mais je n'ai pas dit que j'attaquais les intentions (<i>Si fait! +Si fait!... Non, non!</i>)</p> + +<p><span class="sc">M. Sans</span>, <i>au milieu du bruit.</i>--Nous avons d'aussi bonnes +intentions que vous autres. Nos intentions sont sacrées.</p> + +<p><i>M. le président.</i>--M. Guizot n'a pas parlé d'intentions.</p> + +<p><span class="sc">M. Laffitte.</span>--J'en atteste le <i>Moniteur</i> et la <i>Sténographie</i>.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Depuis que j'ai l'honneur de siéger dans +cette Chambre, je n'ai jamais inculpé les intentions de personne. +Je prie ceux de mes honorables collègues qui ont le +souvenir de ce que j'ai pu dire à cette tribune, de se rappeler +que j'ai toujours professé pour les intentions de tous le +plus profond respect. Peut-être les analogies que peuvent +avoir quelques paroles ont donné lieu à cette méprise. J'ai +attaqué le système, les actes, la conduite.</p> + +<p><i>A droite et à gauche avec force.</i>--Et les intentions.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Cela n'est pas possible. De même que l'opposition, +avec ses paroles et ses moyens d'influence, peut attaquer +le ministère, il est juste que les membres qui appuient +ses actes aient aussi le droit d'attaquer les actes de l'opposition; +mais je n'ai jamais dit les intentions.</p> + +<p><i>Les mêmes membres.</i>--Si, si, vous l'avez dit.</p> + +<p><span class="sc">M. Sans</span>, <i>avec force.</i>--Vous avez parlé d'intentions, vous +l'avez dit d'une manière très-solennelle.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je n'ai aucun souvenir d'avoir prononcé le +mot <i>intention</i>; si je l'ai dit (<i>oui, oui!</i>) je le désavoue. (<i>Marques +de satisfaction.</i>)</p> +<hr> +<p class="mid">--Séance du 21 septembre 1831.--</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, je n'abuserai pas des moments +de la Chambre; je ne rentrerai pas dans la discussion générale, +je parlerai uniquement des faits qui me sont personnels, +et j'en parlerai avec d'autant plus de modération qu'ils me +sont personnels. Il peut m'arriver de traiter vivement des +questions générales, d'attaquer vivement les sentiments, la +conduite; mais je regarde la modération comme un devoir +strict, toutes les fois qu'il s'agit des personnes. La Chambre +me fera l'honneur de croire que je ne sortirai jamais des bornes +de la plus rigoureuse mesure.</p> + +<p>J'ai besoin cependant de m'expliquer sur un fait. On a +blâmé la conduite du cabinet dont j'avais l'honneur de faire +partie, à l'égard des réfugiés espagnols. Je remercie l'orateur +d'avoir rappelé un fait qu'il est bon d'éclairer immédiatement, +comme tous ceux qui peuvent intéresser notre +situation.</p> + +<p>Après la révolution de Juillet, les réfugiés espagnols qui +se trouvaient en France, et ceux qui y accouraient des autres +pays, particulièrement de l'Angleterre, conçurent le projet +de tenter un mouvement sur les frontières de leur pays. +L'idée était simple et naturelle; elle vint à un grand nombre +de ces malheureux proscrits.</p> + +<p>Je m'étonne d'être démenti lorsque je dis qu'ils ont été +encouragés par un grand nombre de personnes qui appartiennent +aujourd'hui à l'opposition. Je le répète, je serais +étonné d'être démenti, car ces mêmes personnes, à cette +époque, se faisaient gloire de soutenir et d'encourager ces +réfugiés, et tous les journaux, organes de leur opinion, soutenaient +et encourageaient, comme eux, cette entreprise. Je +m'étonne donc, je le répète une troisième fois, de voir démentir, +désavouer, ou du moins rétracter à moitié, aujourd'hui, +ce qu'on faisait hautement alors.</p> + +<p>Cela étant, quelle était la situation du gouvernement? +Le fait avait pour lui, comme gouvernement, des inconvénients +graves; c'était évidemment un grand embarras, +une grande complication. Donc l'intérêt du gouvernement +n'était rien moins que d'encourager cette entreprise.</p> + +<p>Que devait-il faire? Il prit la résolution de se renfermer +dans les lois de la liberté stricte, dans les lois françaises, de +traiter les réfugiés espagnols, dans tous leurs mouvements +sur le territoire français, comme des Français, de leur +accorder toute la liberté, tous les droits dont jouissent les +Français: rien de moins, rien de plus.</p> + +<p>C'est à ce titre que, quand ils ont voulu se promener sur +le territoire français, des passe-ports leur ont été délivrés +comme à tous les citoyens; ils ont pu se rendre à Bayonne, +à Perpignan ou en tous autres lieux. Bien plus, comme un +certain nombre d'entre eux se présentaient comme voyageurs +pauvres, sans ressources, et demandaient des passe-ports +d'indigents, on ne les leur a pas refusés, on leur a délivré +des passe-ports d'indigents avec le secours, je crois, de trois +sous par lieue.</p> + +<p>Voilà exactement les faits, voilà la liberté que le gouvernement +a laissée aux réfugiés espagnols; en cela, il accomplissait +rigoureusement les lois du pays, et il évitait de se +mettre en conflit avec un État voisin dans un moment difficile; +conflit inévitable s'il eût suivi les conseils des personnes +dont je parle, qui accusaient tous les jours le gouvernement +de ne pas faire davantage.</p> + +<p>Le gouvernement espagnol, informé qu'un grand nombre +de ces réfugiés arrivaient sur la frontière et faisaient des +rassemblements, réclama auprès du cabinet français.</p> + +<p>Le cabinet resta toujours dans les règles de la politique +légale et constitutionnelle; il reconnut qu'il avait des devoirs +envers le gouvernement espagnol, comme envers les hommes +qui vivaient sur son territoire. Il donna des ordres +à toutes les autorités sur les frontières espagnoles, de +faire disperser les rassemblements qui se formaient, s'ils devenaient +nombreux au point de justifier les inquiétudes du +gouvernement espagnol, de les désarmer, s'il y avait lieu, de +leur ordonner de rentrer dans l'intérieur du pays.</p> + +<p>Ces ordres ont été donnés à diverses reprises par le télégraphe, +à toutes les autorités des frontières espagnoles. Ils +ont été exécutés aussi à diverses reprises.</p> + +<p>Le cabinet crut ainsi concilier ce qu'il devait à la liberté +des hommes qui étaient sur son territoire, à son propre désir +de ne pas compliquer sa position en établissant un conflit +avec le gouvernement espagnol, et en même temps ce qu'il +devait à ce gouvernement et à la bonne intelligence qui devait +régner entre lui et nous.</p> + +<p>Je rappelle les faits exactement; si on vient les contester, +je suis prêt à répondre. Je n'ai pas la moindre intention +d'animer davantage les débats. C'est, à vrai dire, le seul fait +personnel dont il ait été parlé. Cependant, il en est un autre +sur lequel il m'est impossible de garder le silence.</p> + +<p>M. Mauguin, en combattant ce que j'avais eu l'honneur +de vous dire sur les causes des malheurs de la Belgique et +de la Pologne, et sur les partis qui agitaient ces deux pays, +vous a dit que, de ces deux partis, l'un était modéré, il est +vrai, prudent, mais disposé à accepter une restauration orangiste +à Bruxelles, et russe à Varsovie. Il a posé la question, +dans l'un et l'autre pays, entre le parti faible, disposé à +accueillir de nouvelles restaurations, et le parti énergique, +national, décidé à mourir plutôt que d'accueillir une restauration +nouvelle.</p> + +<p>Messieurs, je n'accepte pas des questions ainsi posées. Il +n'est pas vrai qu'à Bruxelles, le régent élu par le congrès +fût prêt à accueillir une restauration orangiste. C'était entre +le congrès et le club de Bruxelles qu'était la question, +nullement entre le parti orangiste et le parti national. Est-ce +que par hasard le congrès de Bruxelles et le régent +n'avaient pas été du parti national? Est-ce qu'ils étaient +orangistes? C'est entre eux et le club que la lutte s'est passée; +c'est au club que les émissaires de Paris allaient offrir un +appui à Bruxelles. Non, la lutte était entre le vrai parti national, +c'est-à-dire celui qui comprenait le besoin d'ordre, +les conditions de gouvernement, et un parti disposé à l'anarchie. +Voilà quels ont été les adversaires du véritable parti +national.</p> + +<p>A Varsovie, la division était entre le général Chlopicki, le +général Skrinezcki, le gouvernement provisoire et le club de +Varsovie. Est-ce encore ici la lutte entre le parti qui voulait +la restauration russe et le parti national? Mais c'est une +injure que de qualifier de la sorte ces deux braves généraux: +ils ont été les soutiens du parti national, ils ont été la tête +et les bras de la Pologne. Non, ils ne voulaient pas une restauration +russe, mais ils avaient le bon sens de comprendre +qu'entre la Pologne et la Russie la lutte était inégale, +et que, dans cette grossière inégalité, il aurait peut-être +été utile au pays de se réserver une chance, quelques moyens +de traiter.</p> + +<p>Comment, messieurs, on demande à la Pologne de prendre, +vis-à-vis de la Russie, l'attitude que nous avons prise envers +la branche aînée de la maison de Bourbon! Comment, +parce que nous avons pensé qu'il n'y avait pas de porte à +laisser ouverte après la révolution de Juillet, qu'elle était +irrévocable, que l'expulsion de la branche aînée de la +maison de Bourbon était définitive, on veut assimiler la +situation des malheureux Polonais à la nôtre! On veut +qu'ils fussent aussi déterminés que nous, et qu'ils ne se laissassent +auprès des Russes aucune chance de conciliation, +comme nous auprès de Charles X! C'est une injure au bon +sens, c'est demander à des hommes ce qu'il eût été insensé +de faire.</p> + +<p>Mais pourquoi M. Mauguin a-t-il posé ainsi la question, à +Bruxelles et à Varsovie? C'est pour pouvoir la poser de même +à Paris, pour pouvoir dire qu'à Paris la question était entre +un parti disposé à accueillir une troisième restauration, +un parti dévoué à une <i>quasi</i>-restauration, en attendant une +restauration entière, et le parti national.</p> + +<p>Il n'est pas plus vrai à Paris qu'à Bruxelles et à Varsovie +que la question soit entre un tel parti et le parti national.</p> + +<p>J'affirme que, dans cette Chambre, aucun des membres +dont j'ai l'honneur d'être connu ne pense que je sois disposé +à accueillir une troisième restauration. (<i>Non, non, non!</i>) Je +vous remercie, messieurs, de votre assentiment; je suis +convaincu que, sur les bancs où le même assentiment ne +m'est pas donné, il n'est pas une personne qui, en conscience, +me croie disposé à accueillir une troisième restauration.</p> + +<p>Il n'y a donc personne qui songe à une troisième restauration; +la question n'est pas là: elle est, comme je l'ai déjà +dit, entre les hommes qui croient que, pour féconder la révolution +de Juillet, pour la rendre aussi salutaire au pays dans +son développement qu'elle l'a été dans son origine, il faut +se rattacher promptement à des principes d'ordre, à de +fortes conditions de gouvernement et de société dont on +s'est momentanément écarté par la nécessité des temps, au +moment de la révolution de Juillet, et l'opposition qui ne +pense qu'à continuer et à propager la révolution.</p> + +<p>Messieurs, on ne fonde pas un gouvernement, on ne gouverne +pas une société par les mêmes principes, les mêmes +moyens, les mêmes sentiments par lesquels on fait des révolutions. +Ce sont là deux choses complétement différentes. +Quand une nécessité révolutionnaire surgit au milieu +d'une société, on fait appel aux passions, à la force matérielle, +au suffrage universel. On a raison, il le faut, c'est +le seul moyen de sauver le pays. Mais quand le pays est +sauvé, quand le danger est passé, quand la révolution est consommée, +les hommes de sens, les patriotes véritables se +hâtent de rappeler l'ordre et le calme. Ne vous y trompez +pas, l'ordre, c'est la vie des sociétés; le désordre est leur +mort.</p> + +<p>La question est donc, ici comme à Bruxelles et à Varsovie, +entre ceux qui croient que l'ordre est une condition de +l'existence sociale et ceux qui ne le comprennent pas.</p> + +<p>La question est d'autant plus mal posée ainsi à Paris, que +notre révolution est faite et qu'elle est maintenant hors de +danger. Je comprends quelles peuvent être les alarmes +populaires, les égards qu'on leur doit, et ce qu'il faut faire +pour les calmer; mais je dis que la révolution de Juillet +est assurée, qu'elle n'a rien à craindre de ses adversaires, +et tout au contraire de ses amis insensés, dont, au +surplus, la plus grande partie, tous les jours, se rattachent +au gouvernement.</p> +<hr> +<p class="mid">--Séance du 26 octobre 1831.--</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je demande la parole pour un fait personnel.</p> + +<p>Messieurs, je ne viens pas prendre part à la discussion qui +occupe la Chambre. C'est pour un fait personnel que j'ai +demandé la parole, et je m'y renfermerai, du moins en ce +moment.</p> + +<p>Je croyais avoir déjà donné à la Chambre, à l'égard de +ce fait, des explications satisfaisantes. Je ne puis, dans ce +moment, les répéter toutes, mais j'y ajouterai quelques +détails.</p> + +<p>Immédiatement après la révolution de Juillet, un projet fut +formé, au vu et su de tout le monde, parmi les constitutionnels +espagnols réfugiés en France et en Angleterre, le projet +de tenter un mouvement dans leur patrie. Le gouvernement +français n'avait aucun intérêt à y prêter secours; mais un +grand nombre de personnes qui, si je me permettais de les +interpeller, ne me démentiraient pas, un grand nombre de +personnes pressaient vivement le gouvernement, non-seulement +de laisser toute liberté aux constitutionnels espagnols, +mais de leur prêter son appui, un appui positif, renouvelé +tous les jours. C'étaient des personnes qui allaient à la préfecture +de police demander qu'on accordât des passe-ports +pour les Espagnols qui voulaient se rendre sur la frontière +de leur pays.</p> + +<p>Qu'avait à faire le gouvernement dans cette situation? Son +embarras était grand; il ne voulait ni avouer, ni favoriser, +ni appuyer l'insurrection qui se préparait sur la frontière +espagnole. D'un autre côté, il ne devait pas refuser, à des +hommes qui se trouvaient sur son territoire, la libre circulation +dans le royaume.</p> + +<p>Dans cette position, pressé tous les jours, je le répète, par +les personnes dont j'ai eu l'honneur de parler et qui ne me +démentiront pas, le gouvernement prit la résolution de +donner aux réfugiés des passe-ports, des passe-ports même +collectifs, comme on en donne souvent aux voyageurs....., et +d'adjoindre à ces passe-ports les secours de route qui s'accordent +aux voyageurs indigents. Il est vrai qu'un grand nombre +de ces passe-ports ont été collectifs; il est également vrai que +le gouvernement français n'ignorait pas et ne pouvait pas +ignorer ce que voulaient tenter les réfugiés qui se rendaient +sur la frontière espagnole: il n'a jamais prétendu l'ignorer. +Il a fait ce qu'il ne devait pas refuser à la liberté des réfugiés, +dans un moment de crise comme celui où il se trouvait, ce +qu'il ne pouvait refuser aux sollicitations pressantes de personnes +qui avaient, à cette époque, et devaient avoir un véritable +crédit sur les résolutions du gouvernement.</p> + +<p>Le gouvernement n'a rien fait de plus, et dès que le cabinet +espagnol a réclamé contre les rassemblements qui se +formaient sur la frontière, nous avons donné ordre de les +disperser et de faire rentrer les réfugiés dans l'intérieur.</p> + +<p>Qu'il me soit permis de lire à la Chambre la copie de la +lettre qu'à cette époque j'ai adressée, comme ministre de +l'intérieur, aux préfets de la frontière d'Espagne; la Chambre +jugera si elle n'est pas entièrement conforme aux +principes que je viens de lui indiquer.</p> + +<p>Voici cette lettre:</p> + +<p>«J'approuve pleinement, monsieur le préfet, votre conduite +envers les réfugiés espagnols qui sont rentrés sur notre territoire. +Vous les avez engagés à s'éloigner de la frontière, et +vous avez pris soin d'éviter, envers eux, toute mesure coercitive +et dure. C'est bien là ce que vous imposaient, d'une +part, le droit des gens, de l'autre, le respect du malheur. La +France est et désire rester en paix avec ses voisins, notamment +avec l'Espagne; une exacte et sincère neutralité en est +la condition. Vous l'avez observée. Mais en même temps, +il est naturel, il est juste de témoigner à de malheureux +proscrits l'estime qu'inspire leur courage et la sympathie +que commande leur infortune. J'ai mis sous les yeux du Roi, +dans son conseil, la lettre qu'ils lui ont adressée, et que vous +m'avez fait passer. Sa Majesté a résolu de prendre des mesures +nécessaires pour leur assurer, dans l'intérieur de la +France, une hospitalité tranquille et les secours dont ils ont +besoin. Les départements où ils devront habiter de préférence +seront désignés, et ils y recevront, eux et leurs familles, +ce qu'aura réglé la bienveillance du Roi, à charge seulement +de ne pas s'en éloigner sans l'aveu de l'autorité. Informez-les, +monsieur le préfet, de cette résolution, qui sera incessamment +exécutée. Le Roi désire que sa protection non-seulement +les soulage, mais les console autant qu'il est en son pouvoir, +et je m'estime heureux d'être chargé de leur en transmettre +l'assurance.</p> + +<p>«Recevez, etc,<br> + +<span class="rig">«<span class="sc">Guizot.</span>»</span></p><br><br> + +<p><span class="sc">M. Mauguin.</span>--Et la date?</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--La date est du 13 octobre 1830.</p> + +<p>Voilà, messieurs, la lettre que j'écrivais, comme ministre +de l'intérieur, aux préfets des frontières d'Espagne. Cette +conduite envers les réfugiés espagnols n'est-elle pas exactement +conforme aux principes de gouvernement professés +dans le projet de loi qui vous est soumis? Des secours ont été +promis aux réfugiés; un vif intérêt a été témoigné pour leur +malheur, et ces secours leur ont été promis, non comme droit, +mais à titre de bienfait. En même temps, on leur a annoncé +que les lieux où ils devraient résider de préférence +seraient désignés, et qu'ils ne pourraient s'éloigner de ces +lieux sans l'autorisation de l'autorité.</p> + +<p>On ne peut donc trouver rien de nouveau, à l'égard des +réfugiés, dans le projet de loi qui vous est présenté; c'est +la mesure annoncée quand ils étaient encore sur la frontière +d'Espagne. Il n'y a ni innovation ni dureté dans cette +mesure; elle n'est que la continuation de celle que prescrivait +la lettre écrite au moment même où les événements +s'accomplissaient.</p> + +<p>Sur ce point, je ne crois donc pas qu'il puisse y avoir de +discussion aujourd'hui. Quant à la bonne foi dans la conduite +du gouvernement, je crois qu'elle est évidente et qu'aucun +des honorables membres n'osera le contester.</p> + +<p>Si j'en voulais la preuve, je la trouverais au besoin dans +les journaux du temps, où le gouvernement, et moi en particulier, +nous étions attaqués tous les jours parce que nous +ne faisions pas tout ce qu'on demandait, parce que nous dispersions +les rassemblements.</p> + +<p>A quoi servent des passe-ports? disait-on, n'ont-ils pas le +droit d'en exiger? Le territoire français n'est-il pas libre +pour tout le monde? On voulait que nous fissions davantage.</p> + +<p><span class="sc">M. Mauguin.</span>--Et le désarmement?</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--J'y arrive. Quant au désarmement, le gouvernement +l'a fait opérer parce qu'il ne pouvait consentir à +se rendre complice des tentatives faites contre un gouvernement +avec lequel nous étions en paix.</p> + +<p>Mais, dit-on, qui les a armés? Je ne sais; ce que j'affirme +hautement, c'est que le cabinet était étranger à ces +armements.</p> + +<p>Je crois savoir qu'ils achetaient ces armes ou que l'on en +achetait pour eux; mais jamais le gouvernement ne leur en +a fourni.</p> + +<p>Je dirai plus: il a dû les désarmer, sur les réclamations +pressantes du gouvernement espagnol, parce que nous devions +respecter le droit des gens.</p> + +<p>Telle a été, à cette époque, la conduite du cabinet français; +je crois que la lettre que je viens de mettre tout à +l'heure sous vos yeux n'a rien de contraire à ces principes. +Ces principes sont les mêmes aujourd'hui. Je n'entre point +pour le moment dans le point fondamental de la question; +j'ai voulu seulement répéter les explications que j'avais déjà +eu l'honneur de donner à la Chambre.</p> + +<a name="XXXIII" id="XXXIII"></a> +<br><br> +<h3>XXXIII</h3> + +<p class="mid">Discussion du projet de loi relatif à la révision de l'article 23 +de la Charte, c'est-à-dire à l'institution de la pairie et à +l'abolition de l'hérédité.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 5 octobre 1831.--</p> + +<p class="large">La Charte de 1830 avait laissé en suspens la question +de l'hérédité de la pairie et des bases de l'institution de +la Chambre des pairs. Le projet de loi destiné à résoudre +cette question par l'abolition de l'hérédité fut présenté +le 27 août 1831, par M. Casimir Périer, à la Chambre +des députés. Le rapport en fut fait le 19 septembre +1831, par M. Bérenger, député de la Drôme. Le débat +s'ouvrit le 30 septembre et se prolongea jusqu'au 18 octobre. +Je pris la parole le 5 octobre pour défendre le +principe de l'hérédité de la pairie. Le projet de loi, +adopté le 18 octobre par la Chambre des députés, à 386 +voix contre 40, et le 28 décembre par la Chambre des +pairs, à 102 voix contre 68, fut promulgué comme +loi le 29 décembre 1831.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, comme question de principe et +d'organisation politique, le projet qui occupe la Chambre est +grave sans doute; il l'est bien davantage, à mon avis, comme +question de circonstance, d'intérêt actuel et immédiat, et le +sort du présent en dépend encore plus que celui de l'avenir.</p> + +<p>Personne, j'ose le dire, n'a meilleure opinion que moi de +mon pays et de ses destinées. Cependant, je vous le demande, +y a-t-il aujourd'hui un homme sensé qui puisse porter ses +regards sur notre situation et les relever satisfaits?</p> + +<p>L'anarchie va croissant autour de nous. (<i>Écoutez, écoutez!</i>) +Dans les idées, elle est évidente. Pas une conviction +générale et forte qui rallie les esprits, pas un pouvoir qui +soit fermement respecté. Je n'irai pas chercher mes +exemples bien loin.</p> + +<p>Cette Chambre, depuis le mois de juillet 1830, a été ardemment +réclamée, impatiemment attendue; elle a été élue +en vertu d'une loi nouvelle, conforme aux voeux généralement +exprimés quand elle a été rendue. La Chambre arrive +à peine: déjà son origine est incriminée, son droit contesté. +Nous sommes, dit-on, en usurpation flagrante. Depuis 1830, +tous les pouvoirs sont illégitimes; nous avons tous besoin +d'aller mendier dans les assemblées primaires cette légitimité +qui nous manque absolument.</p> + +<p>Et remarquez, messieurs, qu'à en juger du moins par les +apparences, ce n'est pas là une idée isolée, hasardée, comme il +en arrive dans les pays libres; presque tous les organes extérieurs +de l'opposition ont accueilli et répété cette doctrine; +elle n'a pas été désavouée, combattue par les principaux +organes de l'opposition, même dans le sein de cette Chambre.</p> + +<p>Est-ce là, je le demande, est-ce là la situation régulière, +constitutionnelle, du pouvoir dont nous faisons partie?</p> + +<p>La royauté nouvelle, messieurs, n'est pas mieux traitée +que la Chambre nouvelle. Qu'elle ait des ennemis qui +l'attaquent, rien de plus simple, c'est sa situation naturelle, +inévitable; que carlistes, bonapartistes, républicains, +veuillent la renverser, je le comprends, je ne m'en étonne +en aucune façon. Mais ceux-là même qui ne sont pas ses +ennemis, qui le déclarent hautement, quel langage tiennent-ils +à son égard?</p> + +<p>Continuellement ils affectent de lui rappeler que son inviolabilité +n'est qu'une fiction; d'autres fois, ils lui annoncent +que, si elle n'adopte pas tel ou tel système de politique +extérieure, tout lien est rompu avec elle. Ils la menacent +sans cesse; ils la traitent comme on traite une royauté +ennemie, la veille ou le jour même d'une révolution qui la +renverse. A coup sûr, dans ces idées, dans ce langage, dans +cette façon de considérer et de traiter les pouvoirs publics, +il y a une grande, une déplorable anarchie. (<i>Mouvement.</i>)</p> + +<p>L'anarchie existe dans les faits extérieurs et matériels, +comme dans les esprits, moindre, j'en conviens, mais très-réelle +et pleine de péril. Vous voyez refuser l'impôt légalement +voté; vous voyez refuser d'obéir à des lois qui ne sont pas +abrogées; vous voyez des atteintes portées à la liberté de classes +entières de citoyens; et, malgré lui, malgré sa noble et +sincère résistance, le pouvoir manque de force pour réprimer +de tels excès.</p> + +<p>Partout éclatent l'affaiblissement du pouvoir, l'arrogance +et les prétentions illimitées des volontés individuelles.</p> + +<p>Est-ce là l'état régulier d'une société constituée?</p> + +<p>Est-ce que nous ignorons notre mal? Est-ce qu'il serait le +résultat de quelques-unes de ces grandes et générales illusions +qui s'emparent quelquefois de tout un peuple +et le précipitent à son insu dans des voies pleines de +périls? Il n'en est rien. Cela était en 1789; à cette +époque, on marchait, on courait vers l'anarchie sans +le savoir, on était plein d'illusions; il n'y en a plus. (<i>Sensation.</i>)</p> + +<p>Celle anarchie qui nous presse, nous la voyons tous. +Beaucoup de gens le proclament tout haut, beaucoup le +répètent tout bas; beaucoup, et c'est le plus grand nombre, +se taisent, et ne sont pas les moins inquiets. Partout, dans +toutes les classes, dans tous les rangs, on voit l'anarchie qui +nous envahit; on la voit, on la déplore, on n'y résiste pas.</p> + +<p>Que nous manque-t-il donc pour y résister? Nous avons +pleine connaissance du mal, et à coup sûr pleine liberté de +le combattre. Que nous manque-t-il donc?</p> + +<p>Ce qui nous manque, c'est un point d'arrêt, une force +indépendante qui se sente naturellement appelée à dire au +mouvement révolutionnaire, cause de toute cette anarchie: +Tu iras jusque-là, et pas plus loin. (<i>Sensation.</i>)</p> + +<p>En soi-même, ce mouvement révolutionnaire n'est pas bien +terrible; il est le résultat assez naturel de la révolution qui +s'est accomplie. C'est un torrent qui ne tombe pas de bien +haut, qui n'est pas bien rapide ni bien étendu. Cependant il +coule, il nous emporte, et il nous emportera tant qu'il +n'aura pas trouvé une digue qui le contienne, une force qui +l'arrête.</p> + +<p>La royauté nouvelle, messieurs, je n'hésite pas à le dire, +ne suffit pas seule pour cette tâche: elle est elle-même +d'origine révolutionnaire. Nous sentons tous qu'elle a besoin +d'appui, et nous lui en cherchons laborieusement pour +qu'elle ait le temps de s'établir, de s'enraciner dans notre sol +et puisse rendre alors tous les services que nous en attendons. +Mais aujourd'hui, le point d'arrêt dont nous avons besoin, +elle n'est pas en état de nous le fournir.</p> + +<p>Nous-mêmes, messieurs, dans cette Chambre où nous +siégeons, nous ne suffisons pas seuls à cette tâche.</p> + +<p>L'élection, il faut bien le dire, puisque c'est là son but et +sa nature, l'élection donne plus de puissance que d'indépendance. +Notre puissance, messieurs, elle est immense! Tout +est en question devant nous; tout est à faire par nous, tout +est remis à notre volonté. On nous demande toute chose: +on nous demande de poursuivre le mouvement de la révolution +et de l'arrêter; on nous demande de tout renouveler et de +tout consacrer; c'est à nous qu'on s'adresse pour toute +chose. Nous avons l'air de posséder le souverain pouvoir: +Eh bien! il nous écrase! (<i>Mouvement d'approbation aux +centres.</i>) Nous succombons sous le fardeau.</p> + +<p>En 1789, en 1791, on était plus confiant; l'Assemblée +constituante et la Convention se sont trouvées investies du +pouvoir absolu: elles ont disposé de tout à leur volonté; elles +ont cru qu'elles réussiraient à tout, elles se sont jetées avec +une confiance téméraire dans cette entreprise. Elles ont +échoué, nous le savons, et cette expérience nous a profité. +Nous n'avons plus la confiance de cette époque; quand +nous nous trouvons investis d'une puissance immense, il +nous prend une sorte de terreur, nous sommes effrayés de +nous-mêmes. De là cet embarras, cet abattement, cette +espèce de mécompte qui existe dans cette Chambre et qui +atteste sa raison et sa probité politique. La Chambre sent +qu'elle ne peut suffire seule à la tâche qui pèse sur elle; +et je n'hésite pas à le dire, la Chambre est effrayée de son +pouvoir et de sa responsabilité. (Au centre: <i>Très-bien! très-bien!</i>)</p> + +<p>Je le répète donc; ce qui nous manque, ce que nous +cherchons, ce que nous invoquons tous, c'est un point +d'arrêt, une force alliée qui nous aide à contenir un mouvement +désordonné, en même temps qu'à le satisfaire +dans ses exigences légitimes. Eh bien! ce point d'arrêt, +cette force alliée, nous l'avons à côté de nous, nous pouvons +les trouver naturellement, sans efforts, dans un pouvoir constitutionnel +indépendant, qui existe par lui-même, qui nous +rendrait les services que nous en attendons. Eh bien! nous +travaillons à le détruire, nous voulons lui enlever ce qui +fait sa force, son indépendance, ce qui le rend propre à +accomplir sa mission.</p> + +<p>Messieurs, permettez-moi de le dire, en vérité nous donnons +au monde un étrange spectacle. (<i>Légère rumeur à +gauche.</i>)</p> + +<p>Il faut bien que nous en ayons un peu le sentiment. Je +n'en veux pour preuve que la façon dont nos adversaires eux-mêmes +traitent la question. Ils ne contestent guère les avantages +de l'hérédité; la plupart d'entre eux du moins n'abordent +pas la question directement; ils n'examinent pas +l'institution sous le rapport de son utilité, de son mérite +pratique, dans ses rapports avec les besoins de notre état social. +Ils la repoussent, permettez-moi de le dire, par une +sorte de fin de non-recevoir, par des raisons préjudicielles.</p> + +<p>Tantôt on nous dit: il ne faut pas admettre l'hérédité de la +pairie; elle est contraire aux principes de notre ordre social, +c'est un privilége qui choque l'égalité. Ou bien on dit: on +ne peut pas admettre l'hérédité, c'est une aristocratie; +l'aristocratie est déchue, on ne peut pas la recréer. Ou bien +encore: le pays ne veut pas de l'hérédité, et quand l'institution +serait bonne, excellente, elle est repoussée par le +voeu national.</p> + +<p>Ainsi, on ne doit pas, on ne peut pas, on ne veut pas; +voilà ce que les adversaires de l'hérédité de la pairie nous +opposent; ce sont toutes raisons préjudicielles qui ne sont +pas prises dans le fond de la question, qui ne jugent pas l'institution +en elle-même, son mérite ni son efficacité.</p> + +<p>Cependant, j'aborderai ces questions préjudicielles; je +vous demande la permission de vous en dire mon avis. +(<i>Marques d'attention.</i>)</p> + +<p>Messieurs, je n'apporte ici aucun dédain pour les principes; +je ne viens point opposer, à l'orgueil de ce qu'on appelle +la théorie, les dédains de ce qu'on appelle la pratique. L'intervention +plus générale, plus active, plus efficace de l'esprit +humain dans les affaires humaines est un des grands bienfaits +de la civilisation moderne. Il faut l'accueillir et l'accepter +pleinement; il n'y a point d'institution qui ne soit tenue de +se légitimer aux yeux de la raison; mais les principes ne +sont pas toujours ce qu'on croit, et surtout ils ne sont pas si +nombreux, si étroits, si exclusifs que beaucoup le supposent.</p> + +<p>Par exemple, dans la question qui nous occupe, j'ai entendu +beaucoup parler d'égalité; on l'a invoquée comme le +principe fondamental de notre organisation politique. Je +crains bien qu'il n'y ait là quelque grande méprise.</p> + +<p>Sans doute, il y a des droits universels, des droits égaux +pour tous, des droits qui sont inhérents à l'humanité et dont +aucune créature humaine ne peut être dépouillée sans iniquité +et sans désordre. C'est l'honneur de la civilisation moderne +d'avoir dégagé ces droits de cet amas de violences et +de résultats de la force sous lequel ils avaient été longtemps +enfouis, et de les avoir rendus à la lumière. C'est +l'honneur de la Révolution française d'avoir proclamé et mis +en pratique ce résultat de la civilisation moderne.</p> + +<p>Je n'entreprendrai pas ici l'énumération de ces droits universels, +égaux pour tous; je veux dire seulement qu'à mon +avis ils se résument dans ces deux-ci: le droit de ne subir, +de la part de personne, une injustice quelconque, sans +être protégé contre elle par la puissance publique; et ensuite +le droit de disposer de son existence individuelle selon sa +volonté et son intérêt, en tant que cela ne nuit pas à +l'existence individuelle d'un autre.</p> + +<p>Voilà les droits personnels, universels, égaux pour tous. +De là l'égalité dans l'ordre civil et dans l'ordre moral.</p> + +<p>Mais les droits politiques seraient-ils de cette nature? +Messieurs, les droits politiques, ce sont des pouvoirs sociaux; +un droit politique, c'est une portion du gouvernement: quiconque +l'exerce décide non-seulement de ce qui le regarde +personnellement, mais de ce qui regarde la société ou une +portion de la société. Il ne s'agit donc pas là d'existence +personnelle, de liberté individuelle; il ne s'agit pas de l'humanité +en général, mais de la société, de son organisation, +des moyens de son existence. De là suit que les droits politiques +ne sont pas universels, égaux pour tous; ils sont spéciaux, +limités, et je n'ai pas besoin de grandes preuves pour +le démontrer. Consultez l'expérience du monde; de nombreuses +classes d'individus, des femmes, des mineurs, des +domestiques, la grande majorité des hommes sont partout +privés des droits politiques; et non-seulement ceux-là en sont +privés, mais des conditions, des garanties ont été partout et +de tout temps attachées aux droits politiques comme preuve +ou présomption de la capacité nécessaire pour les exercer +dans l'intérêt de la société, qui est la sphère que ces droits +concernent, et sur laquelle ils agissent.</p> + +<p>Bien loin donc que l'égalité soit le principe des droits politiques, +c'est l'inégalité qui en est le principe; les droits +politiques sont nécessairement inégaux, inégalement distribués. +C'est là un fait qu'attestent et consacrent toutes les +constitutions du monde. La limite de cette inégalité peut varier +à l'infini; les droits politiques s'étendent ou se resserrent +selon une multitude de circonstances différentes. Mais l'inégalité +demeure toujours leur principe, et quiconque parle +d'égalité en matière de droits politiques confond deux choses +essentiellement distinctes et différentes: l'existence individuelle +et l'existence sociale, l'ordre civil et l'ordre politique, +la liberté et le gouvernement.</p> + +<p>En matière de liberté, il y a des droits universels, des +droits égaux; en matière de gouvernement, il n'y a que des +droits spéciaux, limités, inégaux. (<i>Marques d'adhésion.</i>)</p> + +<p>Ce n'est pas comme contraire à l'égalité que l'hérédité peut +être repoussée; car il n'y a en cela rien que de conforme, +de rigoureusement conforme à la nature des droits politiques +et à leur distribution, dans les pays les plus libres et au milieu +de la civilisation la plus avancée.</p> + +<p>Mais une inégalité héréditaire des droits politiques, un +pouvoir transmis par le seul fait de la naissance, ceci n'est-il +pas contraire aux principes, n'y a-t-il pas là une véritable +monstruosité?</p> + +<p>Je demande, messieurs, la permission de rappeler deux +faits qui ont déjà été indiqués dans le cours de cette discussion, +et sur lesquels je n'insisterai pas, mais qu'il me paraît +nécessaire d'avoir toujours présents à l'esprit.</p> + +<p>Une inégalité héréditaire, des droits transmis par le seul +fait de la naissance, c'est là un des fondements de la société +civile; la transmission de la propriété n'est pas autre chose. +Je sais bien que cette inégalité, cette transmission par droit +de naissance est attaquée sur ce terrain-là. Aussi, je l'avoue, +je n'en ai pas grand'peur. Je crois que la propriété est bonne +pour se défendre, et qu'il y a des intérêts qui n'ont rien à +craindre des plus strictes conséquences de la logique.</p> + +<p>Cependant je remarque le fait: c'est le principe de l'inégalité +héréditaire et des droits transmis par le seul fait de la +naissance, principe en vigueur dans l'ordre civil, qui est publiquement +attaqué aujourd'hui dans l'ordre politique, tellement +que le principe contraire est une religion. (<i>On rit.</i>)</p> + +<p>Je n'entends pas tirer, je le répète, de ce fait toutes les +conséquences que je pourrais en tirer; je n'entends pas assimiler +complétement la société politique à la société civile; je +remarque seulement qu'il y a, dans un principe qu'on regarde +comme monstrueux, le fondement non-seulement nécessaire, +mais légitime, moral, seul possible de la société civile.</p> + +<p>J'entre dans l'ordre politique. Qu'est-ce que je trouve au +sommet de l'ordre politique? La plus grande inégalité, l'hérédité, +la transmission des plus grands droits politiques par +le seul fait de la naissance, la royauté.</p> + +<p>Je n'entends pas assimiler la pairie à la royauté ni conclure +nécessairement de l'une à l'autre; je dis seulement que +là encore, dans l'ordre politique, je trouve le fait de l'inégalité, +la transmission des droits par le seul fait de la naissance; +et qu'à moins de qualifier votre gouvernement de monstrueux, +vous n'avez pas le droit de dire que ce principe soit monstrueux. +Je répète que je n'entends pas me prévaloir des conséquences +que je pourrais tirer de là; ce que je demande +aux adversaires de l'hérédité, c'est de ne pas se prévaloir +d'un principe absolu, de ne pas repousser toute atteinte à +ce principe comme contraire à la raison humaine.</p> + +<p>A présent, j'aborde la question en elle-même, en la dégageant +de ses préliminaires.</p> + +<p>Je dis que, quant aux droits héréditaires en eux-mêmes, +indépendamment des constitutions écrites, des organisations +politiques faites de main d'homme, il y a des lois +naturelles qui règlent les affaires de ce monde, il y a des +principes primitifs, universels, qui gouvernent les sociétés. +Les Italiens ont un proverbe qui dit: <i>Le monde va de lui-même</i>; +et bien lui en prend, car s'il n'avait, pour aller, que +les lois que les hommes prétendent lui donner, il se détraquerait +plus souvent que cela ne lui arrive et pourrait même +s'arrêter quelquefois tout à fait. Le monde va de lui-même; le +monde va en vertu de certaines lois naturelles, de certains +principes primitifs et universels, et grâce à Dieu, il n'est pas au +pouvoir des hommes de l'empêcher d'aller.</p> + +<p>Eh bien! parmi ces principes, il y en a deux qui me frappent, +comme les plus puissants, comme invincibles: l'hérédité +et l'activité individuelle ou la personnalité. Par l'hérédité, +chaque individu, chaque génération reçoit de ses prédécesseurs +une certaine situation toute faite, une certaine +existence déterminée; il la reçoit naturellement, nécessairement, +par le seul fait de la naissance. Cela est vrai dans +l'ordre moral comme dans l'ordre matériel. Les idées, les +sentiments, les habitudes se transmettent comme les biens, +comme la disposition physique, et il n'est au pouvoir d'aucun +de nous de les répudier complétement.</p> + +<p>Après cette situation toute faite, ainsi reçue de ses prédécesseurs, +chaque homme, chaque génération, en vertu de sa +raison et de sa liberté, par sa propre force, modifie, change +cette situation, cette existence, se fait soi-même à son tour, +après avoir été fait par ses prédécesseurs. En sorte que nous +sommes tous, et les générations et les individus, le résultat +de deux éléments: l'un de tradition, qui est l'oeuvre des +temps et des personnes qui nous ont précédés; l'autre de +création, qui est notre propre ouvrage. (<i>Sensation.</i>)</p> + +<p>C'est l'alliance de ces deux principes, de ces deux éléments +qui fait l'honneur et la supériorité du genre humain. C'est +par la tradition, par l'hérédité que subsistent les familles, +les peuples, l'histoire; sans tradition, sans hérédité, vous +n'auriez rien de tout cela. C'est par l'activité personnelle +des familles, des peuples, des individus que les conditions +de l'hérédité changent; l'activité personnelle fait la perfectibilité +du genre humain. C'est ce qui le distingue de toutes +les autres créatures qui couvrent la terre; supprimez l'un de +ces deux éléments, vous faites tomber le genre humain au +rang des animaux. (<i>Sensation.</i>)</p> + +<p>Eh bien! c'est de la bonne combinaison de ces deux éléments +dans de justes proportions que résulte la bonne +organisation des sociétés. Si le principe de l'hérédité prévaut +seul, s'il domine exclusivement, vous avez l'immobilité; +c'est le régime des peuples de castes. Si c'est l'individualité +qui domine presque seule, vous avez l'isolement, point de +liens avec le passé, point d'avenir, une existence individuelle +et isolée; c'est le régime des peuplades errantes, barbares, +qui couvrent depuis longtemps le sol de l'Amérique.</p> + +<p>Je le répète: les deux principes de l'hérédité et de la personnalité +sont naturels, nécessaires, légitimes; leurs combinaisons +peuvent varier à l'infini: elles dépendent d'une +multitude de causes. Ainsi, dans une société naissante et +fort simple, le principe de l'hérédité tient peu de place; +c'est celui de l'activité personnelle, de l'individualité qui +domine. Dans une société ancienne, compliquée, le principe +de l'hérédité occupe nécessairement une beaucoup +plus grande place; il y a un plus grand nombre de traditions, +par conséquent un champ moins libre laissé à l'activité +individuelle.</p> + +<p>Ces combinaisons, je le répète, peuvent varier à l'infini; +mais les deux principes sont également légitimes, naturels; +vous ne pouvez exclure ni l'un ni l'autre de l'espèce humaine, +et quand leurs parts sont mal faites, il y a de grands désordres +dans la société.</p> + +<p>Que nous propose-t-on aujourd'hui? On nous propose de +déclarer qu'il n'y a de pouvoir légitime que le pouvoir +électif, c'est-à-dire le pouvoir qui dépend de la volonté +humaine, qui est créé par la volonté humaine.</p> + +<p>C'est là la doctrine que l'on professe: c'est au nom de +cette doctrine surtout qu'on proscrit l'hérédité de la pairie.</p> + +<p>Eh bien! je repousse complétement cette doctrine; je la repousse +comme contraire aux faits généraux que je viens de +vous exposer, et qui ne sont autre chose que l'histoire de l'humanité; +je la repousse comme contraire aux faits les plus +simples qui se passent au milieu de nous, dans toutes nos +familles. Est-ce que tous les pouvoirs sont électifs? Est-ce +que le pouvoir paternel est électif? N'avons-nous pas sous +nos yeux des pouvoirs légitimes qui ne sont nullement électifs? +(<i>Mouvements divers.</i>) J'insiste sur ce point: la doctrine qui +consiste à dire qu'il n'y a de pouvoir légitime que le pouvoir +électif, je la combats avec d'autant plus de raison que +notre gouvernement repose sur le principe de la monarchie, +c'est-à-dire sur la part faite, au nom de la raison publique, +aux nécessités sociales, au principe de l'hérédité.</p> + +<p>Cette part est-elle suffisante? l'hérédité ne nous est-elle +nécessaire que sur le trône et nulle part ailleurs? C'est +là toute la question.</p> + +<p>Aucun principe ne nous gêne dans cette question; on n'a +pas le droit de se prévaloir de je ne sais quelle illégitimité +générale de l'hérédité, pour nous combattre et nous imposer +des lois dans la question que nous traitons. L'hérédité +est un des principes écrits dans la Charte du monde, et +toutes les doctrines qui la repoussent absolument sont ignorantes, +barbares et fausses. (<i>Mouvements en sens divers.</i>)</p> + +<p>Eh bien! messieurs, la question ainsi dégagée de tous les +embarras qui tendaient, pour ainsi dire, à l'écraser, la +question réduite à elle-même, la voici: Pour que la pairie +remplisse sa destination, pour qu'elle joue dans notre gouvernement +le rôle qu'elle est appelée à accomplir, est-il nécessaire +qu'elle soit héréditaire?</p> + +<p>Je le répète, nous sommes libres de traiter et de résoudre +cette question selon l'utilité sociale; je crois qu'il n'existe +pas de principes dont nous devions nous embarrasser le +moins du monde.</p> + +<p>La question ainsi posée, il y a un fait qu'il est impossible +de ne pas remarquer, c'est la lutte qui est établie dans toute +société entre deux intérêts différents: l'intérêt de la possession, +de la conservation, du maintien de ce qui est, et l'intérêt +de la conquête ou le désir d'innovation. Cette lutte est le +fait général et constant de toute société; c'est même ce qui +constitue la vie sociale, le progrès de la civilisation.</p> + +<p>Voici comment en général la lutte s'établit: elle s'engage +entre, d'une part, le gouvernement proprement dit, le pouvoir +exécutif, comme représentant et champion de l'intérêt +de conservation, et d'autre part, l'élément démocratique, +comme représentant l'intérêt de conquête et d'innovation. +Je ne dis pas qu'il en soit toujours ainsi; l'histoire +présente peut-être des combinaisons différentes; mais, en +général, c'est ainsi que la question finit par se poser.</p> + +<p>Alors à ces intérêts généraux dont je vous ai indiqué les +représentants, viennent se joindre des intérêts personnels. +Le gouvernement est représenté par des personnes; l'élément +démocratique est aussi représenté par des personnes; +et l'on comprend que les passions personnelles viennent +alors se combiner avec les intérêts généraux. Et plus +il y a de liberté dans un pays, plus l'élément démocratique +déploie l'esprit d'innovation et de conquête, plus le +gouvernement est porté à se montrer le défenseur de l'intérêt +de conservation.</p> + +<p>Ce fait, messieurs, n'est pas nouveau; il a été reconnu à +cette tribune; les hommes l'ont observé depuis qu'ils vivent +en société, et l'on a cherché un moyen d'empêcher que les +représentants des deux intérêts en vinssent continuellement +aux prises; d'empêcher, comme le disait hier mon honorable +ami M. Royer-Collard, que les flots démocratiques vinssent +battre continuellement la royauté.</p> + +<p>Il n'y a presque aucune constitution, soit dans le moyen +âge, soit dans des temps plus reculés, où cet élément ne se +retrouve, bien ou mal imaginé; partout on a cherché à créer +un pouvoir de cette nature, dont l'objet est de fortifier le +gouvernement, de le soutenir contre l'invasion de l'élément +démocratique.</p> + +<p>Pour atteindre ce but, que faut-il? Il faut que ce pouvoir soit +animé de l'esprit du gouvernement, qu'il en comprenne les +conditions, les besoins, qu'il vive habituellement dans sa +sphère, à son niveau, et que cependant il ne soit pas +le gouvernement lui-même; il faut qu'il soit animé des +intérêts généraux que le gouvernement représente, et qu'il +n'ait pas les passions personnelles que le gouvernement porte +dans son sein. Il faut, en un mot, que ce soit un pouvoir +gouvernemental, mais que ce ne soit pas du tout le gouvernement.</p> + +<p>Eh bien! je dis, que dans la seconde Chambre ou la pairie, +il n'y a que l'hérédité qui puisse lui faire atteindre ce but. Je +dis qu'il n'y a que l'hérédité qui puisse créer, à côté du gouvernement, +un certain nombre de situations permanentes, +fixes, au niveau du gouvernement, vivant habituellement +dans sa sphère, connaissant ses besoins, pénétrées de son +esprit, ayant les mêmes intérêts généraux que lui, sans avoir +les intérêts personnels, les passions personnelles qui animent +le gouvernement dans sa lutte contre l'élément démocratique.</p> + +<p>Je dis qu'il n'y a que l'hérédité qui puisse donner à la +pairie ce caractère, et faire en sorte que la pairie soutienne +le pouvoir sans épouser tel ou tel ministère en particulier, +sans embrasser la cause particulière de telles passions, de +tel intérêt personnel.</p> + +<p>L'hérédité, je le répète, place la pairie à côté du gouvernement, +au niveau du gouvernement, et cependant la laisse +étrangère et indépendante de lui. Sous ce point de vue, +l'hérédité peut seule véritablement donner à la pairie le +caractère dont elle a besoin pour remplir sa mission.</p> + +<p>On dit: «Ce que vous créez là est une aristocratie, il n'y +en a plus, il ne peut plus y en avoir.»</p> + +<p>Je ne rappellerai pas à la Chambre ce qu'elle a déjà entendu +dans les séances précédentes; je ne redirai pas, entre +autres, ce que M. Thiers a dit à la Chambre, que les choses +ne sont pas si nouvelles qu'on le pense communément. La +Révolution française a fait de très-grandes choses, elle a +changé l'état social. Cependant, il ne faut pas la croire si +grande qu'on se la figure; elle n'a pas changé la nature des +hommes ni les conditions essentielles de toute société. Il +n'est pas vrai que la Révolution ait supprimé dans la société +tous les éléments d'aristocratie. L'échelle sociale a sans +doute moins d'étendue, il y a moins de distance des degrés +supérieurs aux degrés inférieurs de la société; mais la distance +est encore suffisamment grande pour que l'aristocratie puisse +s'en tirer et elle s'en tirera. Il n'est pas besoin de la créer; +elle existe sous nos yeux, dans toutes les conditions de la +société; la Révolution ne l'a pas détruite.</p> + +<p>J'irai plus loin, quand nous parlons de l'aristocratie aujourd'hui, +j'ai peur que nous ne tombions dans une grande +méprise; nous avons l'air de parler de ces luttes qui avaient +lieu entre la démocratie et l'aristocratie dans les républiques +anciennes; nous avons l'air de parler de cette démocratie +oisive, s'occupant, comme l'aristocratie, des affaires publiques, +discutant et voulant partager le gouvernement. C'est +là ce qui se passait à Athènes, à Rome, dans les républiques +anciennes, par suite de l'esclavage et de la constitution +qu'avaient alors les gouvernements.</p> + +<p>La démocratie moderne n'a rien de semblable à celle-là. +Elle est laborieuse, occupée, essentiellement vouée à ses intérêts +domestiques, aux besoins de sa vie privée. La démocratie +moderne n'est pas en lutte, comme on le prétend, +contre l'aristocratie; elle n'aspire pas au pouvoir, elle +n'aspire pas à gouverner elle-même, elle veut intervenir dans +le gouvernement autant qu'il est nécessaire pour qu'elle soit +bien gouvernée, et qu'elle puisse, en toute sécurité, vaquer à +la vie domestique, aux affaires privées. (<i>Très-bien! très-bien!</i>)</p> + +<p>C'est là le résultat, et de l'abolition de l'esclavage, et de la +grandeur des États modernes et de la complication de notre +civilisation actuelle.</p> + +<p>La démocratie moderne, je le répète, n'est pas essentiellement +vouée à la vie politique, préoccupée des passions politiques; +elle a ses intérêts et ses affaires particulières, dont elle +demande à pouvoir s'occuper avec liberté et sécurité; elle +cherche dans le gouvernement toutes les garanties de cette +liberté et de cette sécurité. Rien de moins, rien de plus.</p> + +<p>Eh bien! messieurs, si tel est l'état des choses dans notre +pays, ce dont nous avons besoin, et plus besoin que jamais, +c'est de trouver dans la société des hommes qui, par situation, +par le fait de leur naissance si l'on veut, se vouent et appartiennent +spécialement aux affaires publiques, à la vie politique, +des hommes qui en fassent habituellement, naturellement, +leur étude, leur état, leur profession, comme d'autres, +dans la démocratie, font leur état de la jurisprudence, du négoce, +de l'agriculture et de toutes les carrières de la vie sociale.</p> + +<p>Je dis que cette aristocratie est la condition des sociétés +modernes, une conséquence nécessaire de la nature de la démocratie +moderne.</p> + +<p>A cette aristocratie deux conditions sont imposées: la +première, c'est d'être constamment soumise au contrôle, à +l'examen, à l'impulsion de la démocratie; la seconde, de se +recruter constamment dans la démocratie, de lui ouvrir son +sein, de recevoir d'elle tout ce qu'elle produit d'hommes capables +qui voudront sortir des intérêts privés pour se consacrer +aux affaires du pays. Je dis que ces deux conditions sont +essentielles, nécessaires à l'aristocratie constitutionnelle dont +nous avons besoin. Or, l'hérédité est le seul moyen de satisfaire +à ces deux conditions.</p> + +<p>Par l'hérédité, vous atteignez le but dont j'ai parlé; vous +avez ainsi un certain nombre de situations toutes faites, +des familles dont la vie publique, dont les affaires publiques +seront, pour ainsi dire, l'élément, qui seront placées au sommet +et recevront toujours cependant l'impulsion de la démocratie; +car, il n'y a pas de doute sur ce point, c'est cette +Chambre, c'est la Chambre démocratique qui décidera de la +direction du gouvernement, qui donnera l'impulsion, qui +sera prépondérante.</p> + +<p>Je dis que votre Chambre des pairs ainsi constituée se recrutera +nécessairement dans le sein de la démocratie, et, à +cet égard, il existe un fait plus concluant que toutes les +observations qu'on pourrait faire.</p> + +<p>La Chambre des pairs anglaise est certainement la plus +aristocratique, celle qui réunit le plus de conditions de +durée et de perpétuité possibles. Eh bien! voulez-vous +savoir l'état actuel de la Chambre des pairs anglaise?</p> + +<p>Un de nos honorables collègues, M. le général Bertrand, +dans une opinion qui nous a été distribuée, a dit: «Parcourez +la généalogie des lords des trois royaumes, presque +toutes les races y remontent à la conquête de nos Normands +du <span class="sc">XI</span><sup>e</sup> siècle.» Ne semblerait-il pas, d'après cela, que les +familles de la Chambre des pairs d'Angleterre se sont perpétuées +depuis le <span class="sc">XI</span><sup>e</sup> siècle? Certes, le principe d'hérédité +aurait exercé là une grande puissance.</p> + +<p>Eh bien! messieurs, voici son état véritable. Sans compter +les pairs ecclésiastiques, pour lesquels il n'y a pas d'hérédité, +il y avait, en 1829, dans la Chambre des pairs 375 membres +laïques. Sur ces 375 membres, 48 seulement remontent au +delà du <span class="sc">XVII</span><sup>e</sup> siècle, 124 au delà du <span class="sc">XVIII</span><sup>e</sup> siècle, et sur les +261 restants, et dont aucun n'est plus ancien que le <span class="sc">XVIII</span><sup>e</sup> +siècle, 170 n'ont pas quatre-vingts ans d'existence, 104 +même ne datent que de ce siècle-ci.</p> + +<p>Voilà comment la Chambre anglaise s'est recrutée; voilà +quelle a été, dans cette société si aristocratiquement constituée, +la force du principe de l'hérédité. C'est la classe +moyenne qui remplit très-rapidement la Chambre des +pairs; c'est elle qui est le véritable réservoir dans lequel +l'aristocratie vient sans cesse se régénérer, se rajeunir.</p> + +<p>A combien plus forte raison en serait-il de même chez +nous? Dans notre société où l'hérédité n'aurait aucune des +garanties civiles qu'elle possède en Angleterre, la démocratie +serait l'élément où se retremperait sans cesse la Chambre +des pairs. Notre aristocratie constitutionnelle, soumise à l'influence +prépondérante de l'élément démocratique, viendrait +s'y recruter chaque jour.</p> + +<p>C'est là ce dont nous avons besoin. Nous avons besoin, passez-moi +le mot, quoiqu'il ne rende pas exactement ma pensée, +nous avons besoin d'une classe <i>essentiellement politique</i>, +d'un certain nombre d'hommes essentiellement politiques. +Ce qu'il faut, c'est qu'ils ne disposent pas de nous selon leur +gré, c'est que tous les hommes capables du pays qui voudront +entrer dans la vie politique aient la perspective d'une +situation politique, fixe et indépendante.</p> + +<p>11 y a, messieurs, un dernier argument dont il faut bien +que je dise un mot. On dit: le pays n'en veut pas; votre +institution peut être très-bonne, mais elle est repoussée par +le voeu national. Messieurs, personne ne professe un plus +grand respect que moi pour les organes et les voeux du pays; +c'est le droit des pays libres de n'avoir d'institutions que +celles qu'ils acceptent et auxquelles ils croient. Mais, messieurs, +les peuples libres se trompent comme d'autres; à la +vérité, ils se détrompent aussi mieux que d'autres par le fait +de la liberté. J'ai dans mon pays cette confiance qu'il saura +se détromper quand il s'est trompé. Je lui porte plus de +respect, j'ose le dire, que ceux qui veulent s'emparer de sa +volonté du moment, de sa croyance du moment, comme +d'une volonté immobile, éternelle, d'une croyance qui ne +peut pas changer; que ceux qui nous donnent cette raison +comme une raison péremptoire devant laquelle il faut que +notre raison à nous s'arrête et succombe. Non, il n'en est rien: +notre raison reste libre et indépendante devant la conviction +du pays; nous avons l'avantage de croire que le pays peut +se tromper; et nous en avons sous les yeux d'assez grands +exemples pour que notre confiance ne soit pas illégitime.</p> + +<p>Rappelez-vous quelle était la force de la conviction générale, +la force de ce que j'appellerai la prévention, le préjugé +du pays, dans le procès des ministres de Charles X. Le +préjugé général, la conviction générale étaient que leur +condamnation à mort était nécessaire. Eh bien! j'affirme +que le pays s'était trompé, et qu'aujourd'hui le pays se +félicite que cela n'ait pas eu lieu, qu'il sait gré à la Chambre +des pairs du jugement qu'elle a rendu. (<i>Marques d'adhésion.</i>) +Il a changé d'avis à cet égard; grand exemple, +exemple terrible des erreurs populaires et des frénésies +dont on se guérit dans les pays libres. (<i>Nouvelle adhésion.</i>)</p> + +<p>Nous en avons un autre plus récent. Je parle de la +discussion que nous avons eue, il y a quelques jours sur +les affaires étrangères. Sans aucun doute, la sympathie du +pays pour la Pologne était profonde, générale; elle l'est +encore. Le pays paraissait (je dis paraissait, parce que je ne +veux pas affirmer que cela fût), le pays paraissait porté à +croire qu'on aurait dû faire la guerre à la Russie pour la +Pologne. J'affirme qu'il est détrompé à cet égard, qu'il ne +croit plus que cette politique eût été utile à la Pologne, bien +qu'il lui porte le même intérêt et qu'il ait pour elle la même +sympathie, mais il est actuellement convaincu que cette +guerre eût été contraire à son intérêt et à la justice de l'Europe. +(<i>Mouvements en sens divers.</i>)</p> + +<p>J'apporte ici ma conviction; j'affirme que ma conviction +a été telle. (<i>Voix à gauche:</i> A la bonne heure, parlez pour +vous.) C'est un sous-entendu que nous pouvons aisément +nous épargner: il est clair que chacun n'apporte ici que sa +conviction, et qu'il ne prétend pas l'imposer aux autres.</p> + +<p>J'affirme que, dans ma conviction, le pays s'est détrompé +à cet égard, qu'il croit aujourd'hui que la guerre n'eût pas +été bonne, qu'elle n'était pas sage; ce qu'il ne croyait pas +aussi fermement il y a quinze jours.</p> + +<p>Je dis donc que nous avons eu tout récemment deux grands +exemples de la manière dont un peuple libre se détrompe +après s'être trompé. J'ai donc dans mon pays cette confiance +que s'il était vrai, comme je le pense, que l'hérédité de la +pairie fût une institution nécessaire, utile, la France se détromperait +à cet égard (<i>Voix à gauche:</i> Non, non, jamais.... <i>Voix +au centre:</i> Oui, oui!); s'il était vrai d'ailleurs, ce que je ne +crois pas, qu'il se soit aussi trompé que quelques personnes le +prétendent.</p> + +<p>Ce n'est pas sans raison que j'ai cette confiance. Je vous +prie de remarquer au nom de quelles idées on combat aujourd'hui +l'hérédité de la pairie. J'affirme, sans crainte d'être +démenti, que c'est au nom des idées, des théories de 1791.</p> + +<p>Eh bien! il est vrai que les idées de 1791 sont encore +présentes à beaucoup d'esprits, qu'elles ont encore en +France une grande puissance. Il est vrai, en même temps, +que toutes les fois qu'on les voit approcher de l'épreuve, +toutes fois qu'on les voit sur le point d'être mises en pratique, +le pays recule, parce que son expérience l'avertit de +leur fausseté, parce que l'instinct de l'expérience l'avertit +que ces idées ne valent rien pour fonder un gouvernement. +Je dis pour fonder un gouvernement, et c'est à dessein.</p> + +<p>Ces idées ont été excellentes pour renverser l'ancien régime, +pour détruire; je ne leur en veux pas de cette destruction; +au contraire, je m'en applaudis; mais je dis qu'elles +n'avaient que cette destination, qu'elles l'ont remplie, et +qu'à présent elles sont usées, elles ne sont plus bonnes pour +les choses dont nous avons besoin. De quoi avons-nous besoin +aujourd'hui? Nous avons besoin de fonder un gouvernement, +de consolider notre monarchie constitutionnelle. Il +est évident qu'on ne fonde pas avec les mêmes idées, avec +les mêmes procédés par lesquels on détruit. Cela est de bon +sens et n'a pas besoin d'être démontré.</p> + +<p>On ne fonde pas un gouvernement en un jour, d'un coup, +par la baguette de ce qu'on appelle le pouvoir constituant; +on le fonde par la bonne conduite de ce gouvernement lui-même, +par l'harmonie, par le jeu bien entendu de tous les +pouvoirs permanents et habituels qui le constituent. On le +fonde un peu chaque jour, un peu plus le lendemain; on le +fonde en vingt ans, en cinquante ans, en un siècle; c'est une +oeuvre qui ne peut être accomplie que par le concours tranquille, +régulier, non d'un pouvoir constituant, non d'un +congrès, non de l'exercice extraordinaire de la souveraineté +publique, mais des pouvoirs légaux, habituels, permanents. +C'est ainsi que les gouvernements se fondent, et ainsi seulement; +il n'y a aucun autre moyen de leur donner de la force +et de la durée. (<i>Sensation.</i>)</p> + +<p>Eh bien! c'est quand nous avons cette oeuvre à accomplir, +quand c'est notre intérêt, notre besoin, notre devoir de fonder +le gouvernement constitutionnel en France, c'est alors que +nous irions commencer par détruire un pouvoir essentiel, un +pouvoir constitutif de ce gouvernement? Comment, nous +n'avons qu'à fonder, c'est là notre besoin, c'est là ce qui +nous préoccupe tous, et nous irions reprendre l'oeuvre de +destruction, au nom des mêmes idées et des mêmes théories +qui, en 1791, n'ont servi qu'à cette oeuvre!</p> + +<p>Non, messieurs, cela est contraire au bon sens, cela est +contraire aux besoins du pays, aux voeux bien entendus de +tous les hommes éclairés et indépendants.</p> + +<p>Vous voulez fonder une monarchie constitutionnelle: +commencez par respecter les pouvoirs qui la constituent, par +respecter leur indépendance, par assurer à tous leur libre +exercice, et ne revenez pas sans cesse sur des expériences et +des théories qui, je le répète, sont sans valeur aujourd'hui.</p> + +<p>La pairie consiste en trois éléments, en trois conditions; +par la nomination royale, elle est monarchique et fortifie le +gouvernement; par le nombre illimité de ses membres, elle +s'adapte bien à la monarchie constitutionnelle et tient bien +sa place dans le jeu des trois pouvoirs; par l'hérédité, elle +est monarchique et libérale en même temps; elle est politique, +elle donne au pays ce dont il a besoin et pour l'ordre +et pour la liberté.</p> + +<p>Si vous détruisez l'un de ces trois éléments, l'une de ces +trois conditions, vous portez atteinte à la royauté, à la machine +constitutionnelle, à son jeu libre et bien entendu. Je +ne veux pas dire par là que si l'hérédité n'est pas maintenue, +la France est perdue. (<i>Mouvement.</i>) Je ne veux pas le +dire, parce que j'espère davantage de mon pays. Je connais +peu de folies dont son bon sens ne réussît tôt ou tard à le +sauver. Mais j'affirme que, si vous maintenez l'hérédité, la +France est sauvée; l'anarchie dont nous nous plaignons +trouvera son terme, le point d'arrêt que nous cherchons sera +atteint, la révolution de Juillet sera terminée et consolidée +à la fois. Si l'hérédité de la pairie est abolie, je ne sais pas +quelles tempêtes nous attendent, mais, à coup sur, les ancres +nous y manqueront. (<i>Marques d'une vive adhésion au centre... +Sensation prolongée.</i>)</p> + +<a name="XXXIV" id="XXXIV"></a> +<br><br> +<h3>XXXIV</h3> + +<p class="mid">Discussion du projet de loi portant demande d'un crédit de +18,000,000 de francs pour travaux d'utilité publique et dans +le but de secourir la classe ouvrière.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 20 octobre 1831.--</p> + +<p class="large">Ce projet de loi, présenté le 27 septembre à la Chambre +des députés, fut discuté pendant trois jours, et adopté +le 21 octobre à une grande majorité. C'était une mesure +de circonstance qui soulevait les plus importantes questions +d'organisation sociale et d'administration publique. +Je pris la parole pour indiquer, en peu de mots, +les vrais principes de la matière et pour bien déterminer +le caractère du projet, qui fut promulgué comme +loi le 6 novembre 1831.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je ne veux point prolonger la digression à +laquelle les préopinants se sont livrés; je demande, au contraire, +la permission de rappeler l'attention de la Chambre sur +le projet même. Je n'avais point dessein de prendre la parole +dans cette discussion; mais il me semble que le projet n'a +été envisagé sous son point de vue véritable, ni par ceux qui +l'ont attaqué, ni par ceux qui l'ont défendu; je crois que l'on +s'est laissé aller à une méprise qui, si elle continuait, serait +grave. Je prie donc la Chambre de me permettre quelques +courtes observations.</p> + +<p>La détresse d'une grande partie des classes laborieuses +est un fait sur les causes duquel les opinions peuvent varier, +mais sur l'existence duquel tout le monde est d'accord.</p> + +<p>Pour mon compte, je suis tenté de croire ce fait plus +grave encore qu'il ne le paraît; il me semble que l'on n'est +pas assez frappé du bon esprit et de la résignation avec lesquels +les classes laborieuses supportent leurs souffrances. +Depuis un an, elles ont donné un exemple d'intelligence et +de moralité dont il est impossible de n'être pas frappé. Au +milieu de toutes les tentations, au milieu de tous les mauvais +exemples qui pouvaient les égarer, elles ont résisté, elles se +sont tenues en paix, elles ont réclamé et défendu l'ordre +public contre les manoeuvres de ceux qui voulaient le +troubler.</p> + +<p>Je suis donc convaincu que la souffrance et la détresse +des classes laborieuses sont encore plus grandes qu'elles ne +paraissent. C'est à cette souffrance, à cette détresse que +s'adresse le projet de loi qui vous est soumis.</p> + +<p>Messieurs, ce n'est pas là le seul fait, il y en a d'autres avec +lesquels la souffrance des classes laborieuses coïncide; sans +parler des tentatives pour troubler l'ordre public qui se sont +renouvelées sur plusieurs points, il faut faire attention, +aux idées qu'on propage, qu'on essaye de propager.</p> + +<p>On s'efforce de mettre en opposition la propriété et le +travail, les propriétaires qu'on qualifie en général d'oisifs, +et les travailleurs. (<i>On rit.</i>) J'ai l'honneur de dire à la +Chambre que, sans attacher à ce fait une importance immense, +je crois qu'il en a une réelle, ne fût-ce que par +l'état d'égarement dans lequel il jette des esprits qui devraient +exercer sur la société une influence salutaire, et qui +travaillent au contraire à la corrompre et à l'égarer. (Voix +au centre: <i>C'est vrai.</i>)</p> + +<p>Indépendamment de ces théories, il y a des rêves philanthropiques: +on se figure que l'on peut supprimer dans ce +monde-ci la souffrance, la misère, donner du travail à tous +ceux qui en manquent, et que c'est une entreprise dont les +gouvernements doivent se charger.</p> + +<p>Quand on veut soulager les classes laborieuses, il faut +faire attention non-seulement à leurs souffrances, mais à +tous les faits dont je parle.</p> + +<p>On a été obligé d'en tenir compte, on en a tenu compte +dans le projet de loi. Quel est le véritable caractère de ce +projet? Apporte-t-il un remède limité aux souffrances des +classes laborieuses, en se conduisant comme la raison l'ordonne? +Pour mon compte, je le crois.</p> + +<p>Et d'abord, le projet arme le gouvernement des moyens +de maintenir l'ordre public en soulageant les classes laborieuses.</p> + +<p>J'ai entendu un honorable membre parler, avec une sorte +d'éloignement, de l'influence que ce projet peut donner au +gouvernement. Messieurs, je désire que notre gouvernement +ait de l'influence, qu'il en acquierre; je désire qu'on lui donne +tous les moyens dont nous pouvons disposer. Je crois que +nous avons été envoyés ici dans cette mission. (<i>Oui, oui, +sans doute!</i>) Ainsi, les moyens d'influence que le projet +donne au gouvernement, au lieu de les craindre, je m'en +applaudis.</p> + +<p>Un article du projet de loi attribue 5 millions à M. le +ministre de l'intérieur pour des besoins imprévus; on a +exagéré cette marque de confiance; mais il y a quelques +mois, nous avons donné une bien plus grande marque de +confiance au gouvernement en lui accordant 100 millions +pour les besoins éventuels de l'extérieur.</p> + +<p>Eh bien! messieurs, je crois que la force du gouvernement +dans les relations extérieures est venue de cette confiance +des Chambres, et de l'empressement qu'elles ont mis +à lui accorder cette somme; c'est là que je trouve la principale +cause des bons résultats que nous avons atteints au +dehors. Je dis des bons résultats, messieurs, car jamais les +affaires extérieures de la France n'ont été conduites avec +plus de suite, de mesure, de dignité, et n'ont présenté de résultats +plus satisfaisants que ceux qui ont été obtenus depuis +six mois. (Au centre: <i>Oui, oui, c'est vrai!</i>)</p> + +<p>J'ajoute que cela est dû eu grande partie à la confiance +que la Chambre précédente et celle-ci ont témoignée au gouvernement +et aux moyens dont elle l'ont armé.</p> + +<p>Eh! messieurs, il n'y a aucun doute, et je l'ai entendu +dire à des étrangers, que toutes les fois que, d'après les événements +qui se passaient dans la capitale, le gouvernement paraissait +plus faible ou plus privé de la confiance des Chambres, +son influence à l'extérieur s'affaiblissait; pendant quinze jours, +trois semaines, il était sans considération et sans autorité au +dehors. (<i>Murmures.</i>) Lorsqu'au contraire, l'ordre intérieur +s'établissait, lorsque la confiance des Chambres envers le +gouvernement augmentait, notre considération et notre +autorité à l'extérieur reprenaient de la force. Pour mon +compte, j'ai entendu les étrangers les plus éclairés attester +ce fait. Je suis convaincu que la confiance des Chambres +est le véritable moyen de force du gouvernement, et que nous +ne devons pas plus le lui refuser à l'intérieur qu'à l'extérieur.</p> + +<p>En vérité, 5 millions alloués au ministère pour subvenir +aux besoins imprévus n'ont rien d'extraordinaire. On demande +à quels besoins il s'agit de subvenir; il n'y a rien de +si simple. Il peut arriver que, dans une grande ville manufacturière, +une industrie souffre, languisse. Eh bien! il importe +que le ministère puisse y porter des secours. Il faut +qu'il puisse employer pendant un certain temps cette population +dont les travaux resteraient suspendus.</p> + +<p>Cinq millions pour un objet aussi grave, aussi important, +ne sont pas chose que les Chambres puissent refuser... (<i>Murmures.</i>)</p> + +<p>Quant aux moyens d'armer le gouvernement, de le fortifier, +de lui donner de l'influence, le projet de loi ne mérite +que des éloges.</p> + +<p>J'arrive à ce qui concerne les relations de la propriété et +du travail. Dans l'état ordinaire des choses, ces relations se +règlent par elles-mêmes; je suis même convaincu que toute +tentative du gouvernement de vouloir intervenir dans ces relations +serait chimérique et funeste; c'est là le cours ordinaire +des choses.</p> + +<p>L'homme est placé dans ce monde avec sa liberté, avec sa +responsabilité, et à des chances fort inégales. C'est le cours +des vicissitudes humaines; il les subit, il lutte contre elles; +il n'y a aucun moyen de les lui épargner. Sous ce rapport, +comme sous tous les autres, il arrive des moments extraordinaires +dans la vie de la société, des moments où les relations +habituelles de la propriété et du travail sont dérangées: +quand cela arrive, il est du devoir et de l'intérêt de la propriété +de venir au secours des classes laborieuses.</p> + +<p>C'est ainsi que les propriétaires doivent répondre à ces +accusations insensées dont ils sont l'objet depuis quelque +temps; c'est en prenant les classes laborieuses sous leur protection +dans les moments difficiles, c'est en faisant des efforts +extraordinaires pour atteindre ce but, qu'ils peuvent jouir +eux-mêmes des avantages qui leur sont attribués. Mais c'est +à une condition: à la condition que les mesures prises ne +seront que temporaires, exceptionnelles, comme les besoins +auxquels elles répondent, comme les cas auxquels elles +veulent subvenir.</p> + +<p>Quel est le vice de la taxe des pauvres en Angleterre? +c'est qu'elle est permanente; c'est qu'elle est une institution; +c'est qu'elle n'est pas destinée à subvenir à un cas +extraordinaire et imprévu, mais à entretenir la pauvreté aux +dépens de la richesse. Voilà le principe de la taxe des pauvres.</p> + +<p>Eh bien! c'est là ce qu'il ne faut pas laisser introduire +dans nos lois. Mais que, dans une circonstance extraordinaire, +les riches viennent au secours des pauvres et donnent +du travail à ceux qui en manquent, que le besoin soit constaté, +que la limite du secours soit déterminée par la loi, je +dis qu'il n'y a rien là qui ressemble à la taxe des pauvres, +rien qui ne soit parfaitement légitime.</p> + +<p>La tentative d'introduire la taxe des pauvres parmi nous +serait aussi funeste à la liberté qu'elle l'a été en Angleterre, +et je serais le premier à la repousser. Mais le projet de loi +n'est pas entaché de ce vice; il est dans le vrai; il pourvoit à +des besoins extraordinaires, il assigne la limite du secours, +quant à la somme et quant au temps; il est parfaitement +juste. Il ne mérite aucun des reproches qu'on adresse à la +taxe des pauvres.</p> +<a name="XXXV" id="XXXV"></a> +<br><br> +<h3>XXXV</h3> + +<p class="mid">Discussion du projet de loi sur le recrutement de l'armée.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 5 novembre 1831.--</p> + +<p class="large">Dans la discussion du projet de loi sur le recrutement +de l'armée, présenté le 17 août 1831 par le maréchal +Soult et qui fut promulgué comme loi le 21 mars 1832, +plusieurs systèmes de réserve militaire avaient été +proposés par voie d'amendement. Je les combattis en +soutenant le système adopté de concert par le gouvernement +et par la commission de la Chambre, et qui +fut maintenu dans la loi.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, la Chambre a probablement déjà +remarqué la singulière marche de cette discussion. A son +origine, les partisans de l'amendement se sont présentés +comme plus inquiets que nous, comme plus soigneux que +nous de l'indépendance et de la sécurité nationales: ils ont +accusé le système de la commission d'affaiblir la force militaire, +l'organisation militaire de la France, de ne pas créer de +réserve. Peu à peu la discussion a changé de caractère: l'accusation +est devenue tout autre.</p> + +<p>On a reproché à la commission de vouloir maintenir le +système des armées permanentes, des grandes armées, le +système de la guerre, en un mot, et de s'opposer à l'établissement +d'une armée sur le pied de paix, à la destruction des +grandes armées, au système de la paix.</p> + +<p>La discussion d'hier a offert cette déviation évidente; il +faut qu'il y ait entre nous quelque confusion, quelque méprise +sur la valeur et l'effet soit du système de la commission, +soit de celui des amendements.</p> + +<p>Je demande à la Chambre la permission de les comparer +de près et avec quelque précision pour pouvoir en faire +apprécier les résultats.</p> + +<p>Je prendrai pour base un recrutement annuel, fixe, par +exemple un recrutement annuel de 80,000 hommes; je +sais très-bien qu'il variera selon le vote annuel de la Chambre; +mais la variation du recrutement annuel affecte également +les deux systèmes: ainsi, pour les comparer, je puis prendre +cette base fixe.</p> + +<p>Dans le système de la commission, 80,000 hommes levés +tous les ans avec sept ans de service, vous donnent 560 mille +hommes. Les uns, sous les drapeaux, forment l'effectif, les +autres sont renvoyés dans leurs foyers, mais toujours faciles +à rappeler et disponibles.</p> + +<p>Dans le système des amendements (et je prends l'amendement +de M. le comte de Ludre comme le plus complet), voici +le résultat auquel on arrive.</p> + +<p>Vous retenez 320 mille hommes pendant quatre ans sous +les drapeaux: 320 mille hommes renvoyés pendant quatre +ans dans leurs foyers, forment une première armée de réserve. +Vous avez de plus 320 mille hommes pris sur ceux +que le contingent annuel n'a pas appelés: 40 mille hommes +par an forment, en effet, au bout de huit ans une seconde +réserve de 320 mille hommes.</p> + +<p>Ainsi le résultat de l'amendement est de 960 mille hommes +pris pour le service militaire, dont 320 mille seulement forment +l'armée ordinaire, l'armée réelle, l'armée active.</p> + +<p>Il suffit de l'inspection de ces chiffres pour juger que le +système des amendements affaiblit l'armée ordinaire, l'armée +réelle, pour fortifier l'armée spéciale, l'armée de réserve.</p> + +<p>Ainsi, M. le ministre de la guerre vous disait, avec beaucoup +de raison, que le résultat de l'amendement serait d'affaiblir +la force militaire organisée, l'armée réelle, au profit +d'un système de réserve.</p> + +<p>Mais est-il donc vrai que, dans le système de la commission, +vous n'ayez pas de réserve? Messieurs, il ne faut pas +nous laisser imposer par les mots, ni abuser par les +apparences. Le système de la commission comprend une +armée active et une armée de réserve, car le renvoi en +congé dans les foyers est une manière de créer une armée +de réserve dans le sein de l'armée ordinaire. (<i>Mouvements +en sens divers.</i>)</p> + +<p>Je dis, messieurs, que le système des congés a pour résultat +de créer une réserve, c'est-à-dire de mettre à la disposition +du gouvernement un certain nombre de soldats qu'il +n'emploie pas dans les temps ordinaires, et qu'il peut appeler +tout à coup quand il survient une circonstance extraordinaire. +(<i>Voix à gauche:</i> C'est de l'arbitraire.) Si ce n'est pas +là une réserve, c'est qu'on préfère les mots aux choses. (<i>Murmures.</i>)</p> + +<p>Il s'agit donc de comparer le système de réserve de la +commission avec celui qui vous est proposé par MM. de Ludre +et de Laborde. Eh bien! la réserve qui résulte du projet de +la commission a d'abord cet avantage reconnu depuis longtemps +d'être toujours et tout entière disponible et facilement +disponible.</p> + +<p>Ce système a un autre avantage; c'est de présenter une +réserve toute formée, toute instruite, pour laquelle il n'est +pas nécessaire de créer une organisation spéciale, une organisation +locale, parce que les mêmes cadres, les mêmes officiers, +peuvent servir. Dans le système des amendements, +il faut une organisation spéciale et locale pour former la +réserve.</p> + +<p>A cette occasion, je vous rappellerai ce que disait hier +M. le ministre de la guerre: il lui est facile, dans le +système des congés, de les combiner de manière à obtenir +de véritables économies, car on conçoit qu'il ne doit pas en +coûter autant que s'il fallait créer une organisation particulière, +comme pour la réserve qui subsisterait séparément de +l'armée active. L'armée de réserve, telle que l'amendement +la propose, coûte nécessairement plus cher, puisqu'il faut +créer pour elle une organisation spéciale. Elle a en outre un +défaut radical, c'est de faire disparaître de la loi du recrutement +un de ses principaux bienfaits, un des bienfaits qui +l'ont fait agréer, la libération d'une partie de la population. +On a su d'une manière positive qu'il y avait un certain +nombre d'hommes complétement libérés, et qui, sauf les +cas extraordinaires où la France tout entière se lèverait +pour sa défense, n'auraient rien à démêler avec le service militaire. +Dans le système de l'amendement, personne n'est +libéré; les uns sont appelés à l'armée, les autres sont destinés +à former une réserve; et par la combinaison des deux +réserves, vous les prenez tous pour les mettre dans une condition +d'exception, pour les assujettir à un certain service; un +sorte que vous privez la population de l'avantage de la libération +annuelle, avantage qui a facilité beaucoup l'exécution +de la loi de recrutement.</p> + +<p>Ce n'est donc pas entre un système qui ne donne aucune +réserve et un système qui en crée une que vous avez à choisir, +mais entre un système qui donne une réserve au sein +même de l'armée, qui n'est autre chose que l'armée elle-même +s'étendant et se resserrant selon les besoins du service, +et un système qui crée une réserve hors de l'armée, à côté de +l'armée, une réserve qu'il sera beaucoup plus difficile de faire +rentrer dans l'armée. Vous avez, dans un cas, une assimilation +facile, et dans l'autre une simple juxtaposition.</p> + +<p>On a invoqué plus d'une fois, messieurs, l'autorité et +l'exemple de M. le maréchal Gouvion-Saint-Cyr. Je puis dire +que le maréchal m'honorait de son amitié, et quelques personnes +peuvent se rappeler que je n'ai pas été tout à fait +étranger à la loi du recrutement. Il faut se rappeler les circonstances +dans lesquelles on se trouvait. La conscription, le +nom seul de conscription était devenu une chose tellement +odieuse au pays qu'il était bien difficile qu'on rétablît quelque +chose qui lui ressemblât. Aussi le premier article de la loi +disait: «L'armée se recrute par les enrôlements volontaires.» +Les appels d'hommes ne venaient que comme supplément, +dans les cas d'absolue nécessité.</p> + +<p>Il était difficile, pour ne pas dire impossible, d'obtenir une +levée de 60 ou 80 mille hommes. Il n'entra donc dans la +loi que le chiffre de 40 mille hommes, et ce fut pour suppléer +à l'insuffisance de cet appel que le maréchal Saint-Cyr établit +le système des vétérans, en prolongeant le service de six années, +afin de donner une réserve composée de soldats. En +effet, il ne faisait cas, comme tous les militaires, que d'une +réserve de soldats. Ne pouvant donc avoir une levée d'hommes +qui lui donnât une réserve dans le sein même de l'armée, +il imagina la réserve des vétérans. Je l'ai entendu cent +fois dire que, s'il avait pu avoir une levée annuelle de +80 mille hommes, et un système de congés, il eût préféré +ce système; c'est parce qu'il n'a pu l'avoir qu'il a proposé la +réserve des vétérans. C'était là son véritable motif; car au +fond, il comprenait très-bien la valeur d'une armée de réserve, +facilement assimilée à l'armée active, et formée par +le système des congés.</p> + +<p>Ainsi, messieurs, la comparaison des deux systèmes est +tout entière, à mon avis, à l'avantage de l'amendement de +votre commission, car il vous donne une organisation militaire +plus forte, plus sûre et plus disponible.</p> + +<p>Je comprendrais bien mieux, je l'avoue, les objections +contre l'amendement de la commission si elles venaient de +ceux qui craignent les grandes armées, les armées permanentes +et qui voudraient faire prévaloir, comme système de +défense et de sûreté nationales, le système des milices et des +gardes nationales, et la réduction, à un taux très-bas, des +armées proprement dites.</p> + +<p>Ceux-là ont des objections plus fondées à adresser au +système de la commission: cependant, je ne les crois pas +plus valables.</p> + +<p>D'abord, il est évident que, par le vote annuel de l'effectif +de l'armée, dans la loi des finances, il est au pouvoir de la +Chambre de réduire l'armée permanente au taux qu'exigent +les besoins du moment, et qu'ainsi il n'y a de danger ni +pour les libertés publiques, ni pour les finances de l'État.</p> + +<p>Je demande pardon à la Chambre de l'entretenir avec +autant de détail de ces matières qui devraient appartenir +aux militaires; cependant, comme des questions politiques +et morales s'y rattachent, je crois qu'il est permis +à chacun d'avoir son avis à cet égard et de le faire +connaître.</p> + +<p>Je dirai donc que cela me paraît une idée heureuse, une +bonne combinaison, que celle de soldats, de vrais soldats +voués à la vie militaire, bien instruits, bien dressés pour la +guerre, et qui cependant ne sont pas complétement séparés +de la population; qui retournent chez eux de temps en temps, +non pour passer un mois ou quinze jours, mais six mois, +mais un an et plus, selon que le besoin du service le permet; +qui, sans se séparer de l'armée, sans cesser d'être +soldats, ne se séparent pas non plus de la population. Ils +conservent ainsi quelque esprit civil; ils ne sont point étrangers +aux habitudes et aux sentiments du pays. Cela a été +toujours le problème à résoudre que d'avoir une armée qui +fût animée de l'esprit militaire, et qui cependant ne fût +point étrangère à l'esprit civil, séparée de la population. +Eh bien! ce problème me paraît plus heureusement +résolu par la combinaison de la commission que par aucune +autre.</p> + +<p>Dans l'amendement qu'on vous propose, on présente le +système de réserve; mais dans la réserve, je crains de ne +pas trouver suffisamment une armée. Dans le système de +la commission, je la trouve fort bien constituée, et de plus +se mêlant à la population.</p> + +<p>Les dangers qu'on pourrait redouter pour les libertés +publiques de la force de cette organisation militaire sont en +grande partie atténués par la considération que j'ai eu l'honneur +de vous présenter. Il me paraît évident que le système +des milices, des gardes nationales proprement dites, est loin +de suffire aux besoins de la France, à qui il faut une véritable +armée, fortement organisée. On nous parle souvent de l'élan +nouveau que prendra l'esprit public en vertu de nos institutions +et d'un gouvernement national. Je n'en doute pas; +mais c'est seulement dans les grandes circonstances, dans les +circonstances extraordinaires, quand le besoin du pays provoquera +cet enthousiasme, cet élan national; nous devons +éviter de tenir continuellement la population dans cet état +d'effervescence que suppose l'enthousiasme, quelque légitime, +quelque national qu'il soit. Dans les temps ordinaires, la +population doit être dans un état moral tranquille; elle ne +doit pas être perpétuellement échauffée par la situation du +pays; elle doit être laissée à ses moeurs, à ses habitudes, à +ses occupations. (<i>Agitation à gauche.</i>) C'est seulement en cas +d'invasion, lorsque les dangers extraordinaires se présentent, +que nous avons besoin de l'élan national, de l'enthousiasme +général, et il ne nous manquera jamais. Nous n'avons pas +besoin de l'échauffer tous les jours par des provocations continuelles, +par une excitation sans objet, qui fatigue les bons +citoyens et qui agite outre mesure les oisifs.</p> + +<p><span class="sc">M. de Laborde.</span>--Je demande à faire une observation de +ma place.</p> + +<p><i>M. le Président.</i>--Vous n'avez pas la parole; n'interrompez +pas l'orateur, vous pourrez lui répondre.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Remarquez d'ailleurs, messieurs, que le +système de la commission n'exclut aucunement l'intervention +des gardes nationales mobiles et non mobiles. Vous en</p> + +<p>avez les bases posées dans le projet de loi sur la garde nationale; +il n'est pas vrai que nous soyons dépourvus des moyens +de la mobiliser.</p> + +<p>Dans la proposition que vous avez discutée il y a quelques +jours, M. le général Lamarque vous demandait deux choses: +il vous présentait un projet pour organiser l'institution, et il +demandait une mesure de circonstance. Vous avez repoussé +la mesure de circonstance, vous avez jugé qu'elle n'était pas +nécessaire; quant à l'institution, si elle a besoin de quelque +complément, si la législation doit être revue, on +vous a annoncé que le gouvernement s'en occupait, et que +la Chambre pourrait faire à cet égard ce qu'elle jugerait nécessaire. +Il n'y a donc aucun danger: les gardes nationales +mobiles ne seront pas étrangères à notre organisation militaire; +leur place y est déjà assignée. Vous serez toujours les +maîtres de compléter cette organisation qui ne contrariera +pas du tout le système de la commission.</p> + +<p>Nous sommes aujourd'hui, à ce qu'il paraît, embarrassés +entre deux systèmes différents: l'un que j'appelle +le système de l'esprit militaire, qui tend continuellement à +développer outre mesure la force de l'organisation militaire +de la France, et qui voudrait y faire prévaloir ce dont la +France s'est heureusement, à mon avis, débarrassée. D'autres +personnes, et ici je voudrais me servir d'un mot dont elles ne +pussent être choquées, d'autres personnes rêvent la destruction +ou tout au moins la réduction des armées permanentes, +ou, comme je le disais, leur remplacement par un système +de milice et de gardes nationales.</p> + +<p>Eh bien! à mon avis, ni l'un ni l'autre de ces systèmes +ne sont bons en France.</p> + +<p>La France a besoin d'une armée permanente fortement +organisée et toujours disponible; mais elle a besoin aussi que +l'esprit militaire ne domine pas exclusivement sur son territoire, +comme il y a dominé trop longtemps. (<i>Voix au centre: +Très-bien! très-bien!</i>)</p> + +<p>L'amendement proposé par la commission a ce double +avantage de nous donner une armée réelle, une forte organisation +militaire, et d'écarter en même temps la prédominance +de l'esprit militaire.</p> + +<p>Les partisans du système militaire nous vantent toujours +le système prussien; ils tendent à faire de la France une +vaste caserne. Si ce système a été utile à la Prusse dans certaines +circonstances, il finira par lui devenir fatal. Quant à +nous, il ne peut convenir ni à nos moeurs, ni à notre civilisation; +nous ne consentirions pas à abdiquer notre constitution +politique, à nous laisser imposer des chaînes, des entraves, +à être condamnés, comme les Prussiens, à une telle +privation de la liberté. Le système américain ne saurait nous +convenir davantage, et des milices ne nous suffiraient pas; il +nous faut une armée réelle et permanente.</p> + +<p>Le système de la commission est celui qui remplit le +mieux ces vues; il est plus efficace et moins onéreux que +celui de l'amendement. J'appuie donc le système de la commission. +(<i>Marques d'adhésion.</i>)</p> + +<a name="XXXVI" id="XXXVI"></a> +<br><br> +<h3>XXXVI</h3> + +<p class="mid">Discussion de la proposition de M. de Bricqueville pour le +bannissement à perpétuité de la branche aînée des Bourbons.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 16 novembre 1831.--</p> + +<p class="large">Le 17 septembre 1831, M. de Bricqueville, député de +la Manche, prit l'initiative d'une proposition pour le +bannissement à perpétuité, avec certaines aggravations +et pénalités légales, de la branche aînée des Bourbons. +La commission chargée de l'examen de cette proposition +en proposa l'adoption en en retranchant les pénalités +légales, et en assimilant la famille de Napoléon à la +branche aînée de la maison de Bourbon. Je pris la parole, +dans la discussion de cette proposition, en réponse +à M. Berryer qui en avait indirectement demandé le +rejet, et à l'appui des conclusions de la commission. La +proposition, amendée et atténuée par la Chambre des +pairs, fut convertie en loi le 10 avril 1832.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, l'honorable M. Berryer, en montant +à la tribune, vous a promis qu'il ne rentrerait pas dans +la discussion générale. Pour mon compte, je n'oserais faire +une telle promesse. Il y a ici une seule question, une question +de convenance politique, d'utilité politique, et l'amendement +de M. Berryer la reproduit tout entière, aussi bien que +la proposition primitive, aussi bien que le projet de la commission. +Il est donc impossible de ne pas prendre la question +tout entière.</p> + +<p>Si l'amendement ne faisait que repousser des mesures de +proscription, je serais loin de venir le combattre.</p> + +<p>Et moi aussi, messieurs, je désapprouve comme inutiles +et presque toujours comme dangereuses les mesures de +proscription.</p> + +<p>J'adhère complétement à ce qui vous a été si bien dit hier +à ce sujet par deux de nos honorables collègues, M. Pagès et +M. de Martignac.</p> + +<p>On vous a parlé des prétendants à la couronne et des +espérances des partis; ce ne sont pas là, messieurs, pour la +révolution de Juillet, des faits inattendus, des faits d'exception +contre lesquels elle soit obligée de prendre des mesures +de précaution. Elle a prévu ces faits, elle les a connus d'avance. +C'est dans l'attente des prétendants à la couronne, dans +l'attente des espérances que la liberté même ferait naître au +sein des partis, que la révolution de juillet s'est accomplie. +Elle a connu, au moment où elle s'accomplissait, quelles +destinées lui étaient réservées, et c'est par la légalité qu'elle +a promis de vaincre et les prétendants à la couronne et les +partis.</p> + +<p>C'est cette promesse que la révolution de Juillet est obligée +de tenir.</p> + +<p>On vous a encore parlé tout à l'heure d'exemples, et l'on +vous a cité celui de l'Angleterre; je n'en dirai qu'un mot; +c'est que l'exemple est mal choisi.</p> + +<p>Les mesures d'exception et de proscription n'ont pas +manqué, en effet, à la révolution de 1688, et depuis le premier +jour jusqu'au dernier, elles n'ont pas empêché, pendant +soixante-dix ans les complots, les insurrections, la guerre +civile; et le gouvernement des whigs, à cette époque, a été +et est encore qualifié en Angleterre de gouvernement tyrannique, +précisément parce qu'il a multiplié sans succès toutes +ces mesures.</p> + +<p>L'exemple est donc mal choisi, je le répète: il prouve le +contraire de ce qu'on voulait établir.</p> + +<p>Messieurs, la force de la révolution de Juillet est tout +autre; sa force consiste dans sa parfaite conformité avec les +intérêts et les sentiments généraux de la France. Elle n'a été +faite au profit de personne; elle n'a été le triomphe d'aucun +projet, d'aucune faction, d'aucun intérêt particulier; elle a +été le triomphe des vues et des intérêts généraux de la +France. (<i>Très-bien, très-bien!</i>) Voilà son caractère. Aussi elle +peut compter sur la sympathie nationale; elle peut invoquer +au besoin l'appui de toutes les forces morales et matérielles +de la France. Voilà pourquoi elle n'a pas besoin de +mesures d'exception.</p> + +<p>J'avoue que, pour mon compte, je me suis souvent étonné, +je dirai même volontiers affligé de voir un grand nombre de +personnes, et même de mes amis, s'inquiéter de la liberté +qui régnait autour de nous, de la liberté des discours prononcés +dans les Chambres, de la liberté de la presse hors +des Chambres, de la liberté de nos ennemis, en un mot, +de la liberté de nos adversaires, des adversaires de la révolution +de Juillet.</p> + +<p>C'est là notre condition; cette liberté, c'est notre état régulier, +habituel, l'état au milieu duquel nous sommes destinés +à vivre.</p> + +<p>Il faut que nous nous accoutumions à entendre dire ce qui +nous déplaît, ce qui nous offense, ce qui nous menace peut-être. +L'Empire a pu s'inquiéter de voir ouverts, dans Paris, +les salons d'une femme, il a pu s'en défendre par l'exil. La +Restauration a pu s'inquiéter d'un mot prononcé à la +tribune par M. Manuel, et le faire chasser de cette salle pour +s'en défendre. Nous, nous sommes destinés à voir autour de +nous des salons bien autrement hostiles que ne pouvait +l'être celui de madame de Staël pour l'Empire; nous +sommes destinés à entendre à la tribune des deux Chambres +des paroles bien autrement dures, pour notre révolution, que +ne pouvait l'être le mot <i>répugnance</i> prononcé par M. Manuel. +Nous n'avons pas besoin d'y répondre par des mesures +d'exception et de proscription. Cette liberté est notre condition +et notre force. (<i>Très-bien, très-bien!</i>)</p> + +<p>Toutefois, en repoussant ces mesures d'exception et de +proscription, nous ne sommes pas obligés de ne pas employer +les armes qui nous sont propres, et qui valent infiniment +mieux que ces mesures elles-mêmes.</p> + +<p>Nous ne sommes pas obligés de ne pas recourir, toutes, +les fois que l'occasion s'en présente, à cette conformité de +notre révolution avec les sentiments et les intérêts nationaux, +à ce qui fait sa force.</p> + +<p>Nous pouvons, nous devons, en toute occasion, manifester +hautement notre sympathie et celle de la France pour la révolution +de Juillet. Nous devons en appeler, toutes les fois +que nous en sentirons le besoin, à ces intérêts et à ces +sentiments généraux avec lesquels elle est en pleine sympathie.</p> + +<p>De leur nature, ces intérêts sont tranquilles et silencieux; +ils n'interviennent pas d'eux-mêmes et spontanément partout +où leur présence serait nécessaire; c'est à nous à les +appeler, toutes les fois que notre révolution est menacée, à les +faire parler, toutes les fois qu'il sera bon de faire entendre +leur voix.</p> + +<p>C'est à nous surtout à élever la voix des intérêts généraux +au-dessus des coteries et des factions, toutes les fois que la voix +des coteries et des factions travaille à dominer la France. Je +dis que nous sommes aujourd'hui dans une de ces situations.</p> + +<p>Je dis que des coteries, des factions s'agitent autour de +nous, à l'abri de la liberté dont elles jouissent, dont elles +doivent jouir. Elles travaillent, elles se coalisent (c'est le mot +propre) pour attaquer la révolution de Juillet et les intérêts +généraux dont elle est inséparable.</p> + +<p>Je me sers du mot de coterie, du mot de faction à dessein +et non pas du mot de parti. Le mot de parti est trop élevé, +trop noble, trop grand pour donner une idée de la guerre +qui nous est faite en ce moment. Sans doute, il existe des +partis, il en existe au milieu de nous; sans doute, il existe +des hommes, en grand nombre, qui éprouvent des regrets +pour les différents régimes déchus; sans doute, il est des +carlistes, des bonapartistes, des républicains, qui rêvent un +autre ordre de choses. Ne croyez pas que tous ceux-là prennent +part à la guerre qu'on veut nous faire en ce moment.</p> + +<p>Des hommes de sens et de bonne foi se refuseraient à une +misérable petite lutte, sans gravité, sans sérieux, dangereuse +seulement par le trouble qu'elle apporte dans les affaires +du pays. Ce n'est pas ceux-là que j'attaque. Quelle que soit +la différence de leurs opinions et des nôtres, de leur situation +et de la nôtre, que leurs sentiments soient libres, que leurs +conduite soit libre, qu'ils gardent et leurs regrets et leur +mécomptes et leurs espérances. Je le répète, ce ne sont pas +eux qui nous attaquent; ce sont les coteries, les factions, les +brouillons, les esprits déréglés, les mécontentements personnels; +c'est une politique sans gravité, sans dignité, sans sentiment +de patrie, une misérable rouerie surannée et subalterne, +que toutes les époques ont vue, et qui, à toutes les +époques, n'a fait que du mal et à ceux qui se la sont permise, +et au pays où elle s'est déployée.</p> + +<p>On nous parle de la fusion des partis; on nous dit que la +concorde peut s'établir entre eux; on nous demande de ne +pas interrompre cette harmonie naissante, ni cette réconciliation +qui commence. Eh! messieurs, nous n'avons jamais +fait autre chose depuis quinze mois qui ne tendît à amener +cette réconciliation des partis, la disparition des haines qu'ils +se sont vouées, à établir entre eux une harmonie d'opinions +et de sentiments.</p> + +<p>Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. La Chambre sait que +je suis accoutumé à apporter à cette tribune l'expression +pleine et franche de ma pensée; ce n'est pas de cette réconciliation +des partis, ce n'est pas de l'harmonie entre les +sentiments et les opinions de tous ces partis qu'il est question; +ce n'est qu'une misérable guerre déclarée à la révolution +de Juillet par des coteries, des factions impuissantes contre +elle, mais qui peuvent nuire au repos, à la prospérité publique; +c'est là ce que j'attaque. (<i>Aux voix. Très-bien, très-bien!</i>)</p> + +<p>A de telles attaques, messieurs, nous n'avons qu'une force +à opposer, nous ne devons en opposer qu'une, un bon gouvernement, +et la puissance, la voix de ces intérêts généraux +dont vous êtes l'organe. Eh bien, messieurs, le projet de loi +que vous a présenté la commission n'est pas autre chose que +la proclamation de ces intérêts généraux, une répétition de +ce qu'a fait la révolution de Juillet, la pure et simple révolution +de Juillet.</p> + +<p>Que contient ce projet? une déclaration légale du divorce +prononcé par la révolution de Juillet entre la France et les +dynasties qui l'avaient régie pendant trente ans: d'une part, +la branche aînée des Bourbons; de l'autre, la dynastie de +Napoléon, telle est la première partie.</p> + +<p>La seconde est le rappel au droit commun pour tout ce +qui ne concerne pas l'exclusion de ces deux dynasties, en +matière criminelle, et même en matière civile, quant aux +biens, autant que cela se peut; M. le président du conseil +vous a demandé avec une grande raison, de rentrer dans le +droit commun, aussi pleinement que possible.</p> + +<p>Voilà donc le projet de la commission: exclusion pure et +simple des deux dynasties qui avaient gouverné la France, et +pour le reste le droit commun; je dis que ce projet est conforme +aux intérêts de la France, et qu'il est du devoir de la +Chambre de l'adopter.</p> + +<p>Je dirai peu de choses du divorce de la France avec la +dynastie de Napoléon, ce divorce est consommé depuis longtemps; +il l'a été par le fait même du chef de cette dynastie.</p> + +<p>Napoléon s'est perdu lui-même, chacun le sait; et après lui +il ne restait plus rien, absolument rien. (<i>Murmures aux +extrémités.</i>)</p> + +<p>Quant à la branche aînée de la maison de Bourbon, je +m'exprimerai avec la même franchise; la France, j'en suis +convaincu, n'a rien à se reprocher envers elle.</p> + +<p>Quand cette famille reparut en France, son apparition +remplit, je ne veux pas dire d'anxiété, mais de doute, un +grand nombre de bons citoyens, d'esprits éclairés. On se +demanda si l'établissement de la Restauration serait possible.</p> + +<p>C'était un problème, un problème politique à résoudre; la +France n'y a pas mis d'obstacle; la France s'est soigneusement +séparée des factions qui ont travaillé à chasser violemment +la branche aînée de la maison des Bourbons.</p> + +<p>Rappelez-vous, je vous le demande, le langage de ces factions, +ce qu'elles disaient tous les jours.</p> + +<p>On disait qu'après le départ des étrangers, qui avaient +ramené la maison de Bourbon en France, elle tomberait +infailliblement. Les étrangers sont partis, la maison de +Bourbon n'est pas tombée.</p> + +<p>On disait qu'elle tomberait à la première guerre qu'elle +voudrait faire, qu'elle était hors d'état de supporter la présence +d'une armée nationale. Elle a fait la guerre (<i>murmures +d'improbation aux extrémités</i>), elle l'a faite tranquillement et +avec succès; elle n'est point tombée devant la première +guerre.</p> + +<p><i>Voix à gauche.</i>--C'était une guerre impie.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je n'ai point à qualifier cette guerre: personne +ici n'en pense plus de mal que moi. Il n'en est pas +moins vrai que la maison de Bourbon a fait la guerre, et +qu'elle l'a faite librement et tranquillement.</p> + +<p>On disait encore que la maison de Bourbon ne survivrait +pas à la mort de Louis XVIII; que celui-là seul était sage, +prudent, et que son successeur ne régnerait pas huit jours.</p> + +<p>Eh bien! le règne de Charles X a duré six années. Sans +doute, des conspirations, des insurrections ont eu lieu contre +lui comme contre son frère; la France ne s'y est point associée.</p> + +<p>La France a laissé passer les conspirations et les insurrections; +elle a voulu savoir si ceux qui lui avaient donné la +Charte l'avaient acceptée eux-mêmes et pour leur propre +compte. Ce sont les ordonnances de juillet, qui lui ont appris +qu'ils ne l'avaient pas acceptée.</p> + +<p>Alors, la France entière s'est levée, la France, qui n'avait +pris jusque-là aucune part aux insurrections, la France, qui +s'était séparée des ennemis de la branche aînée des Bourbons, +la France s'est déclarée alors, et la branche aînée des +Bourbons est tombée dans la première bataille que la France +ait livrée contre elle. (<i>Très-bien, très-bien!</i>)</p> + +<p>La révolution de Juillet n'appartient à aucune des conspirations +et des insurrections qui ont lutté contre la maison +des Bourbons; des conspirateurs y ont pris part sans doute, et +une part sincère et glorieuse; mais c'est la France tout entière +qui l'a faite, et c'est à elle seule que son avenir appartient.</p> + +<p>Aussi, je l'avoue, je m'étonne d'entendre si souvent des +hommes prétendant s'approprier cette révolution, et j'ai été +étonné bien davantage encore, permettez-moi de le dire, d'entendre +dire qu'un honorable membre de cette Chambre avait, +pendant vingt-quatre heures, tenu à sa disposition la couronne +de France. Est-ce à dire qu'il eût pu la donner à qui +il aurait voulu, qu'il eût pu donner à la France le gouvernement +qu'il aurait voulu? J'estime trop la personne dont il +s'agit pour croire qu'elle eût été capable, même en pensée, +d'une telle fatuité envers son pays. (<i>Marques d'adhésion au +centre... Légers murmures à gauche.</i>) Non, les pays libres +n'appartiennent à personne; ils décident seuls et eux-mêmes +de leur destinée. On vient, après quinze mois, agiter je ne +sais combien de questions, dire qu'on aurait pu choisir entre +deux, trois, quatre et cinq partis; on vient nous proposer je +ne sais combien de plans de gouvernement; il me semble +qu'en juillet 1830, la liberté n'a manqué à personne, que +chacun pouvait, s'il lui convenait, produire son plan de +gouvernement, amener son candidat au concours. Eh bien, +je vous le demande, est-il vrai qu'à ce moment-là il ait été +sérieusement question de Henri V, de Napoléon II, de la +République?</p> + +<p>Mon Dieu, on peut s'en vanter aujourd'hui; on peut +dire aujourd'hui: «Nous aurions fait ce que nous aurions +voulu;» messieurs, on n'a pas fait, on n'a pas proposé, on +n'a pas voulu; on a senti l'empire de la raison publique; on +a été raisonnable en juillet, bien plus qu'on ne l'a été depuis; +on s'est soumis à la nécessité, à la solution qui était appelée +de tous côtés, à la seule naturelle, seule bonne, seule nationale; +et il y a aujourd'hui, permettez-moi de le dire, une +sorte de fanfaronnade à venir se vanter de ce dont on n'aurait +pas osé parler sérieusement après les trois journées de +juillet. (<i>Marques d'adhésion au centre.</i>)</p> + +<p>Messieurs, c'est une présomption étrange de croire qu'on +dirige de tels événements; la Providence en fait plus des +trois quarts. Les hommes, sans doute, y mettent la main; ils +y font entrer un peu de leurs intentions, un peu de leur volonté, +mais bien peu; ils ne les dirigent pas: ces événements +sont dirigés par des causes générales; il n'est au pouvoir de +personne, ni de les faire, ni de les changer, et c'est les rapetisser +que de venir dire qu'on aurait pu les faire plier à +l'arbitraire de telle ou telle volonté; c'est leur ôter leur grandeur, +leur nationalité; c'est parler le langage des congrès de +Vérone et de Vienne, et ce langage est indigne de la révolution +de Juillet. Celle révolution est un événement qui a +éclaté, que personne n'a fait, qu'il n'a été au pouvoir de personne +de changer, qui était écrit là-haut, qui n'a pas pu ne +pas s'accomplir.</p> + +<p><span class="sc">M. Sans.</span>--C'est sans doute le droit divin qui l'a fait. +(<i>Mouvement aux extrémités.</i>)</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Eh bien, messieurs, le projet de votre commission +ne fait autre chose que reconnaître ce fait, le +reconnaître de nouveau, lui donner une nouvelle sanction +légale, le convertir en droit écrit.</p> + +<p>Cette sanction est-elle absolument nécessaire? Non, grâce +à Dieu; mais elle peut être utile selon les circonstances; elle +peut avoir un but.</p> + +<p>Je n'en veux d'autre preuve que l'argumentation employée +hier, dans la séance, par un orateur dont la Chambre honore +le caractère et apprécie le talent, M. de Martignac; il vous a +demandé de quel droit vous inscriviez dans une loi l'exclusion +à perpétuité de cette famille et de ses descendants; il a +fait passer devant vous toutes les révolutions qui se sont accomplies +depuis quarante ans, tant de trônes brisés et relevés, +tant de dynasties chassées et rappelées, toutes les vicissitudes +des choses humaines, et il vous a demandé comment vous +osiez parler de perpétuité.</p> + +<p>Messieurs, il y a eu des révolutions qui sont tombées, qui +ont été passagères, parce qu'elles n'étaient ni légitimes, ni +bonnes, ni raisonnables, ni nationales. Il y en a eu au contraire, +en petit nombre, j'en conviens, et rarement, mais enfin +il y en a eu qui ont duré parce qu'elles étaient légitimes, +nécessaires, nationales. Ce n'est pas la première fois dans le +monde que des dynasties ont été changées, que des dynasties +nouvelles se sont établies, qu'il s'est accompli des révolutions +heureuses, perpétuelles. On nous traite en vérité +comme des enfants quand on vient nous jeter à la tête les révolutions +qui sont tombées, qui n'ont pas réussi, pour +nous persuader qu'il est impossible que la nôtre réussisse. +Nous aussi nous avons nos exemples et nos gloires à citer. +Nous connaissons des révolutions heureuses, durables. Eh +bien! notre prétention est que la nôtre est de celles-là, +qu'elle a droit à la perpétuité; parce qu'elle est née dans la +nationalité, qu'elle était nécessaire, légitime, et, à cause de +cela, nous sommes convaincus qu'elle durera. Nous lui disons +ce que les premiers pères de l'Église chrétienne disaient à +l'Église qu'ils établissaient: <i>Esto perpetua</i>. Il est de bon +exemple que nous inscrivions cette phrase dans nos lois, +qu'elle y soit la preuve de notre conviction et de notre confiance +dans la bonté de notre cause. Cette confiance a eu lieu +pour de mauvaises causes, et a quelquefois trompé les hommes; +mais est-on en droit de dire que notre cause n'est pas +bonne parce qu'il y en a eu de mauvaises? C'est une véritable +dérision qu'un tel argument: nous ne pouvons l'accepter, +et nous devons inscrire dans nos lois la perpétuité +de la révolution de Juillet. (<i>Très-bien, très-bien! aux centres.</i>)</p> + +<p>Tout se réduit donc à ceci. L'amendement de l'honorable +M. Berryer tient les faits pour des faits, les faits accomplis +pour des faits accomplis; il ne veut point reconnaître de +droit, il ne veut pas proclamer qu'il y a eu droit dans notre +révolution; il ne veut exclure ni une dynastie ni une +autre.</p> + +<p>C'est sans doute parce qu'enfin il n'est pas matériellement +impossible qu'une de ces dynasties puisse revenir. Mais +nous qui avons moralement la confiance contraire, nous +qui ne nous contentons pas du fait, nous qui n'aurions jamais +pris part, je le dis pour mon compte, à une révolution +si nous n'y avions vu qu'un acte de violence, un coup de dés +de la fortune, nous qui avons eu besoin d'y voir un droit, un +droit national, de la croire légitime, nous ne manquerons +pas de le répéter toutes les fois que l'occasion s'en présentera, +et d'opposer à tous les factieux la légitimité de notre +révolution.</p> + +<p>Nous le répéterons sans cesse, nous ne nous lasserons pas +de le répéter; nous savons qu'il y a parmi nous, surtout après +tant de révolutions et de vicissitudes, des faibles d'esprit sur +lesquels la subtilité du raisonnement, l'éclat du langage et +la coalition d'hommes jusque-là ennemis peuvent agir puissamment; +nous savons qu'on peut les tromper, les égarer de +la sorte. Eh bien, nous, représentants des intérêts nationaux, +nous, chargés de parler au nom du peuple, nous devons +opposer la déclaration du pays à ces subtilités par lesquelles +on essaye d'égarer les honnêtes gens.</p> + +<p>Oui, messieurs, les honnêtes gens; car cette cause, la +cause de votre révolution, la cause du projet de votre commission +est celle des honnêtes gens, opposée à celle des factieux, +des brouillons, et aux déréglements d'esprit et d'imagination. +(<i>Mouvement marqué d'approbation au centre.</i>)</p> + +<p>C'est parce qu'on entraîne beaucoup de gens dans de funestes +erreurs que je vous demande d'écarter du projet tout +ce qui ressemblerait à des mesures d'exception, à des apparences +de proscription et de sang, soit dans l'ordre civil, soit +dans l'ordre criminel.</p> + +<p>Je vous demande de ne pas fournir de prétexte à ces accusations +qui retentissent autour de nous contre notre révolution; +elles sont un mensonge. On a beau crier très-haut, +on ne persuadera à personne que la révolution de Juillet ait +été violente, persécutrice, qu'elle ait détruit les libertés, soit +de ses adversaires, soit des autres citoyens: cela n'est pas, +cela choque le bon sens, le fait est évident pour tous. Il +est évident que depuis quinze mois, le gouvernement et +les Chambres combattent pour la liberté, dans l'intérêt de +tous; mais il ne faut pas fournir de prétexte à ces mensonges +par lesquels on essaye de tromper. Il est de notre plus grand +intérêt d'écarter de la loi et de notre conduite la moindre +apparence d'exception et de proscription. Il faut que nous +combattions les prétendants à la couronne, les factions et les +mensonges des factieux, par la liberté des discussions, par +la publicité, par le bon gouvernement, par la réforme même +de nos lois; au lieu d'aggraver la législation, il faut travailler +à l'adoucir, à la mettre en harmonie avec nos moeurs; ce +sont des réponses plus efficaces que celles que vous chercheriez +dans des lois d'exception.</p> + +<p>Messieurs, je le demande à vous-mêmes: il est évident +que la situation générale s'améliore, que l'état du pays se +calme, que la prospérité du pays commence à se relever. +A quoi le devons-nous? A la persévérance avec laquelle le +gouvernement a marché dans la voie première de la révolution +de Juillet, à la persévérance avec laquelle il a repoussé +tous les efforts qu'on a faits pour l'en détourner, à la persévérance +avec laquelle cette Chambre, en particulier, s'est +associée au gouvernement et a soutenu ses efforts.</p> + +<p>Voilà, messieurs, ce qui commence à calmer le pays. Voilà +ce qui donne, à ces factions et à ces coteries dont je parlais +tout à l'heure, la liberté de déployer tous les moyens, d'user +de toutes les armes, que notre constitution lui donne.</p> + +<p>Mais le gouvernement et vous, vous continuerez à persévérer +dans cette voie, et je ne vois pas, dans tout ce dont on +vous menace, un danger dont nous ne puissions triompher. +(<i>Marques prolongées d'adhésion au centre.</i>)</p> + +<a name="XXXVII" id="XXXVII"></a> +<br><br> +<h3>XXXVII</h3> + +<p class="mid">Discussion des interpellations adressées au ministère, le 19 décembre +1831, à l'occasion de l'insurrection survenue à Lyon +dans le mois de novembre précédent.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 21 décembre 1831.--</p> + +<p class="large">Le 21 novembre 1831, les réclamations des ouvriers +en soie sur le prix des journées de travail devinrent à +Lyon l'occasion d'abord de désordres graves, puis d'une +insurrection qui s'empara de la ville, en chassa ou en +domina les autorités militaires et civiles, et en demeura +maîtresse jusqu'aux premiers jours de décembre, où le +maréchal Soult et le duc d'Orléans entrèrent dans +Lyon avec des troupes suffisantes pour y rétablir et y +maintenir l'ordre légal. Le 25 novembre, M. Casimir +Périer fit aux deux Chambres, sur ces événements +encore flagrants, une communication à laquelle les +Chambres répondirent par des adresses d'adhésion +votées à d'immenses majorités. Le 17 décembre suivant, +M. Casimir Périer et M. le comte d'Argout firent, +l'un à la Chambre des députés, l'autre à la Chambre +des pairs, une nouvelle communication où les événements +de Lyon étaient exposés dans leur ensemble, +examinés dans leurs causes et appréciés dans leur rapport +avec la politique générale du gouvernement.</p> + +<p class="large">Cet exposé donna lieu à des demandes d'explications +et à un débat très-animé qui porta à la fois sur l'insurrection +de Lyon et sur la politique générale du cabinet, +se prolongea pendant quatre séances, et finit par un +ordre du jour voté, à une immense majorité, en faveur +du cabinet. Je pris la parole à la fin de la troisième +séance, en réponse à MM. Odilon Barrot, de Tracy et +Mauguin. Quelques-unes de mes paroles, mal comprises, +ayant donné lieu, dans la séance du 22 décembre, +à une réclamation du maréchal Lobau qui s'était +cru atteint par ce que j'avais dit de la commission municipale +de juillet 1830, je m'empressai d'en donner +une explication que le maréchal et la Chambre trouvèrent +pleinement satisfaisante.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je ne retiendrai pas la Chambre sur les +affaires de Lyon... Je les regarde maintenant comme jugées +(<i>légers murmures</i>); c'est mon avis. Il est évident que le ministère +s'est conduit dans cette occasion avec toute la prudence +que des hommes de gouvernement doivent apporter +dans des cas aussi graves.</p> + +<p>Je ne descendrai pas non plus dans le cloaque où l'on a +voulu faire entrer la Chambre.</p> + +<p>Il y a des questions qui doivent être portées devant la justice +qui punit ou dément la presse; la Chambre n'a rien à y voir, +elles sont honteuses à traiter ici. (<i>Marques nombreuses d'assentiment.</i>) +Je dirai un seul mot sur cette affaire; c'est que +l'on s'est prévalu de l'arrêt de la Cour d'assises comme d'une +démonstration des faits allégués. L'honorable orateur qui a +plaidé la cause des prévenus devant la Cour d'assises sait +mieux que personne qu'un pareil argument ne peut être allégué; +en matière de diffamation ou de calomnie, on plaide +l'intention et la bonne foi. L'honorable M. Odilon Barrot +a plaidé devant la Cour d'assises la bonne foi des deux journaux. +Il a plaidé qu'il y avait eu, qu'il pouvait y avoir eu, +pour les rédacteurs des deux journaux, assez de motifs de +croire les faits pour les publier: voilà le sens de l'arrêt: il +n'en a pas d'autre; il n'emporte aucune démonstration, aucune +assertion des faits, il déclare simplement que les jurés +n'ont pas trouvé les prévenus coupables d'avoir publié de +telles assertions. Qu'on n'invoque donc pas l'arrêt comme +reconnaissant la vérité des faits; M. Odilon Barrot lui même +a plaidé le contraire. (<i>Très-bien!</i>)</p> + +<p><i>Plusieurs voix.</i>--Mais les débats?</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span> Mais la question de Lyon et la question des +embrigadements d'ouvriers n'ont pas été les seules qui aient +été soulevées à cette tribune: M. Mauguin, avant hier, en +attaquant sur ce point la conduite du ministère, les a rattachées +à sa politique tout entière. C'est à cette politique qu'il +a imputé les malheurs particuliers de ces deux affaires, +non-seulement à la politique du ministère actuel, mais à +celle du gouvernement tout entier depuis la révolution de +Juillet.</p> + +<p>M. Mauguin a posé la vraie, la grande question, et c'est +la question qu'il importe à la Chambre et au pays d'éclaircir, +car nous avons beau la traiter souvent, on y revient +sans cesse. Pourquoi? parce que c'est, en effet, la question +importante, décisive pour le pays. A chaque occasion, à +chaque événement, on examine la question de savoir si la +politique générale est bonne, si nous sommes dans la bonne +ou la mauvaise voie. Il n'y a pas moyen de dire <i>que ce +n'est pas là la question</i>, parce que c'est celle-là qui domine +toutes les autres, et M. Mauguin a eu raison de la poser; +c'est pour cela que je demande à la traiter à mon tour.</p> + +<p>Messieurs, ce n'est pas pour la première fois qu'avant hier +nous avons été accusés, mes amis et moi, de méconnaître le +sens, la grandeur et la portée de la révolution de Juillet, de +n'y voir qu'un simple événement, une question de noms propres; +on a même répété les mots de restauration continuée, +de quasi-révolution...</p> + +<p><i>Aux extrémités.</i>--Oui, c'est vrai!</p> + +<p><i>D'autres voix.</i>--Dites quasi-restauration, car vous avez +déjà dit quasi-légitimité.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Le système du gouvernement, a dit M. Mauguin, +a été empreint dans les premiers actes du premier ministère, +dès son arrivée aux affaires, et c'est de là qu'ont découlé +tous nos maux. (<i>Aux extrémités.</i> C'est très-vrai.) C'est +à cela que je vais répondre.</p> + +<p>Messieurs, ce n'est pas des premiers actes du premier +ministère que M. Mauguin a fait dater son opposition +constante; il la fait remonter jusqu'à cette époque pour la +justifier; il aurait pu, il aurait dû la faire remonter plus +haut. Je réclame contre la date qu'il lui a assignée comme +trop tardive.</p> + +<p>Ce n'est pas des premiers actes du premier ministère, +c'est des premiers jours, des premières heures de notre révolution, +que date le dissentiment.</p> + +<p>Au moment même où le mouvement national commençait +à se faire sentir, il fut considéré de deux manières bien +différentes: les uns pensaient qu'il fallait sur-le-champ proclamer +une révolution complète, éclatante, menaçante; les +mots de pouvoir constituant, de déchéance, de gouvernement +provisoire furent à l'instant prononcés. D'autres pensaient +que la révolution qui se préparait devait se faire au +contraire naturellement, progressivement, en se conduisant, +à chaque heure, selon que l'indiquaient les circonstances; +de telle sorte qu'elle parût évidemment commandée par la +raison et par la nécessité.</p> + +<p>Ce sont là les deux systèmes qui se sont trouvés en présence +dès les premières heures de la révolution de Juillet, +qui ont été empreints dans notre conduite, et, pour personnifier +sur-le-champ, dans la conduite de M. Mauguin +et dans la nôtre.</p> + +<p>Dès les premiers moments, à peine la commission municipale +provisoire était-elle établie à l'Hôtel-de-Ville, que +voulait-elle proclamer? La déchéance de la branche aînée +des Bourbons. Que voulait-elle faire? Nommer des ministres. +J'ai eu même l'honneur d'être nommé par cette commission +ministre de l'instruction publique.</p> + +<p><i>Quelques voix à l'extrême droite.</i>--Elle a eu bien tort. +(<i>Murmures au centre! Écoutez, écoutez!</i>)</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Les autres personnes, celles qui partageaient +mes opinions, commencèrent par protester contre les ordonnances +illégales de Charles X et par déclarer leur refus d'obéir. +Un jour après, elles approuvaient la résistance à main +armée, et venaient se placer dans ses rangs, sous sa garde. +Deux jours après, elles disaient, du moins dans leurs réunions, +qu'il n'y avait pas lieu à traiter avec Henri V, que +cette combinaison devait être repoussée.</p> + +<p>Dans une réunion de pairs et de députés, formée pour délibérer +sur les affaires du moment, j'ai soutenu cette opinion +contre M. de Chateaubriand, qui réclamait pour +Henri V.</p> + +<p><i>Une voix.</i>--C'était M. Hyde de Neuville.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Peu de jours après, ces mêmes personnes, +marchant avec l'événement, toujours appliquées à se subordonner +à la nécessité évidente, ces mêmes personnes nommaient +un lieutenant général du royaume, provisoirement, +toujours en vertu de la nécessité. Trois jours après, les +chambres légalement réunies, les pouvoirs légaux constitutionnels +sanctionnaient cette décision de la nécessité, et nommaient +légalement le lieutenant général du royaume, en +attendant la royauté nouvelle.</p> + +<p>Voilà, messieurs, les deux systèmes qui ont apparu dès +les premières heures de la révolution de Juillet. Le premier +ne la prenait, pour appeler les choses par leur nom, que par +son côté révolutionnaire; il ne tenait aucun compte du passé, +des institutions existantes, des pouvoirs en vigueur; il en +appelait aux passions et à la puissance du moment: c'était +un peuple esclave qui brisait sa chaîne et qui n'avait d'autre +besoin que de déployer sa volonté et sa force. Dans l'autre +système, on prenait la révolution par son côté constitutionnel; +on respectait le passé, les institutions établies, les +pouvoirs en vigueur; on s'adressait à eux, on comptait sur +eux. La France, dans ce système, était un peuple libre qui +défendait ses droits et faisait ses affaires sagement et prudemment, +au milieu de la mitraille et des coups de fusil.</p> + +<p>Voilà la véritable origine du dissentiment; il est grand, il +est profond, il est incurable; et la preuve, c'est que chacun +de nous a subi sa destinée, fidèles, les uns au système que +j'appelle révolutionnaire, les autres au système constitutionnel. +(<i>Interruptions diverses.</i>) Vous pourrez me répondre; +messieurs, voilà le fait véritable. Eh bien! par cela seul que +ce dissentiment a existé, que les deux conduites ont été si +profondément différentes, s'ensuit-il que la nôtre ait été +antinationale, qu'elle ne fasse pas honneur à notre révolution, +qu'elle n'en comprenne pas la valeur et la portée?</p> + +<p>Certes, messieurs, ce n'est pas là une conséquence nécessaire. +C'est bien quelque chose d'abord, permettez-moi de +le dire, que le succès. Quel est le système qui a prévalu, au +moment même, pendant l'entraînement des passions, lorsque +toutes les chances semblaient favorables à l'autre système? +C'est le nôtre, le système légal, constitutionnel. On nous le +reproche assez aujourd'hui; c'est à ce fait qu'on impute tous +les maux qui sont survenus.</p> + +<p>Notre système a prévalu au milieu de l'entraînement des +passions, par la seule force de la raison, de la nécessité, de +cette sagesse publique qui remplissait l'atmosphère après +la gloire de l'événement, qui a imposé silence aux opinions +les plus intraitables, qui a ramené les volontés les moins +favorables; qui leur a fait adopter cette conduite au moment +même et remettre leurs dissentiments à un autre temps.</p> + +<p>Je dis que ce seul fait prouve en faveur du système auquel +je me fais gloire d'appartenir. J'en donnerais bien encore +quelques autres raisons.</p> + +<p>Il était le moins périlleux; je ne dis pas pour les hommes +qui se mêlaient de la révolution; il est bien clair que, si elle +n'avait pas réussi, Charles X n'aurait fait aucune distinction +entre nous, et qu'il se serait peu occupé des voies diverses +que chacun avait voulu suivre. (<i>Voix à droite.</i> Il en ferait +maintenant!) Nous étions tous enveloppés dans les mêmes +destinées, et je ne craindrais pas d'en appeler à ceux de mes +honorables collègues qui sont aujourd'hui dans les rangs de +l'opposition; je ne craindrais pas de leur demander si aucun +de nous, quelle que soit la différence de nos opinions, +n'a pas montré la même franchise de coeur dans la révolution +de Juillet, si tous ne s'y sont pas précipités avec le même +courage.</p> + +<p>Ce n'est donc pas pour nous, c'est pour le pays que notre +système était le moins périlleux; il ne blessait pas autant +d'intérêts, il ne semait pas les germes d'une division aussi +profonde, il n'inquiétait pas si gravement au dehors.</p> + +<p>De plus, rappelez-vous les faits, ce système avait l'assentiment +de la France entière.</p> + +<p>Que disait la France, je vous le demande, quand elle prévoyait +une résolution possible, quand elle pressentait le renversement +de la maison de Bourbon?</p> + +<p>Elle disait qu'il serait bien désirable que cette révolution +se fît tranquillement, régulièrement, qu'elle fût faite par les +pouvoirs établis, qu'elle durât quinze jours au plus, qu'au +bout de quinze jours tout fût rentré dans l'ordre.</p> + +<p>C'était là le sentiment unanime, c'était le voeu exprimé +dans les conversations les plus intimes. Eh bien, nous avions +devant nous ce voeu de la France entière; nous avons été +fidèles à ce sentiment; c'est cette conviction qui a dicté +notre conduite au moment décisif.</p> + +<p>Je dirai plus: il y avait dans cette politique infiniment +plus de prudence que dans l'autre, un plus juste sentiment +des effets de la révolution et de l'état dans lequel elle allait +placer le pays.</p> + +<p>Que faisons-nous, je vous le demande, depuis quinze +mois? (<i>Voix au centre.</i> Hélas! oui, que faisons-nous?) Messieurs, +nous cherchons péniblement à retrouver les principes +du gouvernement, les bases les plus simples du pouvoir.</p> + +<p>Cette révolution si légitime, si indispensable, si régulière, +si prompte, elle est si grave qu'elle a ébranlé tous les +fondements de l'édifice politique, et que nous avons grand +peine à le rasseoir. C'est là la mesure de la grandeur et de +la puissance de cette révolution; c'est là le fait que nous +avons prévu au moment où elle s'accomplissait.</p> + +<p>C'est dans le pressentiment de cet avenir que nous regardions +comme indispensable pour le pays de retenir tous les +éléments de gouvernement, tous les principes d'ordre qui +étaient déjà entrés dans la société, de nous rattacher aux +pouvoirs existants, aux institutions en vigueur.</p> + +<p>La France a été appelée, une fois déjà, à se donner elle-même +son gouvernement. C'était pour sortir de nos troubles; +c'était à l'époque du Directoire; la France a échoué.</p> + +<p>Depuis quarante ans, l'Empire et la Restauration se sont +succédé; mais la France ne s'est pas donné ces gouvernements; +elle les a reçus: le premier, du génie d'un homme; +le second, de la force des événements.</p> + +<p>La révolution de Juillet a été appelée à faire elle-même +son gouvernement, appelée, permettez-moi l'expression, à +l'organiser de pied en cap, depuis la couronne jusqu'à la commune; +c'était là une oeuvre immensément difficile et à laquelle +on ne pouvait trop songer ni prendre trop de précautions. +C'est ce qui a déterminé notre conduite, ce qui en a +fait, je n'hésite pas à le dire, le système vraiment national, +le seul qui convînt aux besoins du pays.</p> + +<p>Vous ne pouvez le méconnaître: ce qui nous tourmente, +c'est la difficulté de refaire notre gouvernement, de reconstruire +le pouvoir; toutes les questions politiques sont soulevées, +et nous sommes chaque jour plus embarrassés pour +leur solution.</p> + +<p>Il est survenu une bien autre question: la révolution +de Juillet n'avait soulevé que des questions politiques, des +questions de gouvernement; par ces questions, la société +n'était nullement menacée. Qu'est-il arrivé depuis? des questions +sociales se sont élevées. Il y a eu lutte entre certaines +classes. Les troubles de Lyon nous l'ont révélé. Il y a aujourd'hui +des attaques contre les classes moyennes, contre la propriété, +contre les institutions de famille. Des questions sociales, +des dissensions sociales sont venues se joindre aux +questions politiques, et nous sommes aujourd'hui en présence +de cette double difficulté, d'un gouvernement à +construire et d'une société à défendre.</p> + +<p>On vient nous parler de peur; on vient nous dire que +nous défendons le système de la peur, que nous nous effrayons +de dangers imaginaires! La peur...; mais permettez-moi de +vous le demander, ce n'est pas de notre peur à nous qu'il +s'agit; qui est-ce qui a peur aujourd'hui? Qui s'inquiète, qui +s'alarme? C'est la France apparemment.</p> + +<p>Je ne suppose pas qu'on veuille la traiter comme un +vieillard imbécile qu'il dépend de tout le monde d'effrayer. +Vous prétendez que nous effrayons la France; mais la partie +est égale entre nous: la presse, la tribune sont ouvertes à +ceux qui veulent la rassurer comme à ceux qui veulent l'inquiéter; +pourquoi donc ne la rassurez-vous pas? Pourquoi +s'alarme-t-elle sur son avenir, sur son repos? Pourquoi? +parce qu'elle a peur d'un système qu'elle regarde, je ne +veux pas me servir de qualifications dures, qu'elle regarde +comme l'héritier, comme le représentant, comme le débris +du système révolutionnaire sous lequel elle a gémi si longtemps. +La France a peur de tout ce qui lui rappelle les +maux qu'elle a soufferts, de ce qui ressemble aux principes, +aux habitudes, au langage révolutionnaire. Cette peur..., elle +n'est pas nouvelle, elle n'est pas d'hier: il y a trente-cinq +ans que ce sentiment domine la nation. C'est la peur qui a +jeté la France dans le despotisme; c'était cette peur qui dominait +Napoléon lui-même; il perdait la liberté de son jugement, +quand il songeait aux maux que pouvait causer une +assemblée délibérante insensée.</p> + +<p>Voilà la véritable peur, la peur nationale, celle que la +France a conservée, qui a fait la force de la Restauration +contre l'opposition nationale elle-même. Rappelez-vous avec +quel effroi la France a toujours vu approcher tout ce qui +ressemblait à ce péril, avec quel empressement elle s'est +toujours jetée dans les bras de quiconque promettait de l'en +défendre. Je ne veux pas aller bien loin; rappelez-vous notre +propre histoire depuis la révolution de Juillet. Deux fois la +France a cru voir ces principes, ces habitudes, et le parti qui, +à tort ou à raison, est censé les représenter, la France a cru +le voir approcher du pouvoir; c'était au moment où toutes les +sympathies nationales paraissaient près de reparaître et de +s'accorder avec ce parti, après l'émeute de l'Archevêché: la +France pourtant s'est jetée alors dans le système contraire. +Elle a été tellement effrayée d'un seul pas dans le sens dont +je parle, qu'elle a invoqué un changement de direction et de +gouvernement. M. Mauguin vient de nous dire: Vous parlez +toujours des intérêts matériels, et vous négligez les intérêts +moraux; vous faites appel aux sentiments égoïstes, à la +crainte, à la faiblesse; vous n'invoquez pas les nobles sentiments, +les passions désintéressées. Messieurs, cela n'est +pas; il y a plus de moralité dans le bon ordre et dans la paix +que dans toutes les effervescences du monde.</p> + +<p><i>Aux centres.</i>--Très-bien, très-bien!</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je dirai plus: s'il y a des sentiments généreux +qui sont suspects, qui alarment, à qui la faute? Qui les +a décriés depuis quarante ans? Que d'abus on en a faits! A +quels mensonges n'ont-ils pas servi! Quels malheurs en ont +été la suite! Voilà la véritable cause qui décrie l'enthousiasme +des sentiments généreux; c'est à ceux qui les +ont rendus suspects qu'il faut s'en prendre, et non pas à +nous.</p> + +<p>Notre situation, messieurs, se réduit à ces termes bien +simples que nous avons en même temps un gouvernement +à fonder et la société à défendre. Eh bien! messieurs, cette +oeuvre, qui est celle que nous avons entreprise, à laquelle +nous nous sommes dévoués, c'est le ministère du 13 mars +qui en est aujourd'hui chargé; c'est sous cette bannière qu'il +a été institué.</p> + +<p>Quand il a accepté cette mission, quand il vous a proposé +de le seconder, vous a-t-il demandé de grands efforts, de +grands sacrifices? Vous a-t-il appelés à un grand combat? +Nous aurions dû les lui accorder s'il les avait demandés +dans une entreprise si nationale. Messieurs, il a demandé la +paix, la liberté, la paix avec tous, la liberté de tous. Ce sont +là les deux moyens, les deux seuls moyens par lesquels le +ministère s'est chargé de fonder le gouvernement, et de défendre +la société contre les attaques dont ils sont l'objet. La +question se réduit donc à ceci. L'opposition, car il faut bien +que je me serve d'un mot général, et malgré toutes les +différences d'opinions qui peuvent exister dans le sein de +l'opposition, elle a cependant une certaine unité, car hier +encore M. de Tracy disait à cette tribune que la politique +générale de la France, depuis la révolution de Juillet, lui +paraissait avoir été traitée d'une manière pleinement satisfaisante +par M. Mauguin.</p> + +<p><span class="sc">M. de Tracy.</span>--Je demande la parole.</p> + +<p><span class="sc">M. Odilon Barrot.</span>--Il n'y a pas d'objection.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--(<i>Interruption.</i>) Je répète textuellement la +phrase telle que je viens de la lire dans le <i>Moniteur</i>. Je prends +donc l'opinion de M. Mauguin comme l'expression sincère, +en ce moment, du système de l'opposition. Eh bien! je +demande si l'opposition peut remplir les deux tâches qui +nous sont imposées, fonder un gouvernement et défendre +la société en maintenant la paix et la liberté.</p> + +<p>Je ne veux pas entrer dans de longs détails; mais j'en appelle +à la franchise des membres de cette Chambre: les principes +naturels du gouvernement, les fondements du pouvoir, +l'esprit de gouvernement, sont-ils dans le système, +dans le langage, dans les maximes, dans les habitudes de +l'opposition?</p> + +<p>Je réponds non, hardiment. Quand nous avons eu à traiter +les institutions municipales, que demandait l'opposition? Le +suffrage universel, l'élection des maires.</p> + +<p><i>Voix à gauche.-</i>-Non, non! nous démentons.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Le suffrage universel a été plusieurs fois +professé, demandé à cette tribune. (<i>Dénégations aux extrémités.</i>)</p> + +<p><span class="sc">M. Odilon Barrot.</span>--Nous avons combattu le suffrage universel; +il n'y a qu'un membre de la droite qui l'ait proposé.</p> + +<p><span class="sc">M. Berryer.</span>--C'est moi. Je demande la parole.</p> + +<p><span class="sc">M. Gaetan de la Rochefoucauld.</span>--M. Maréchal l'a aussi +proposé.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je pourrais citer M. de Lafayette, M. Maréchal, +qui ont professé cette opinion. Ce que je dis, c'est qu'il +est évident que les principes, les habitudes, le langage de +l'opposition ne sont pas empreints de l'esprit de gouvernement.</p> + +<p><span class="sc">M. Dupin</span> aîné.--L'ordre du jour, l'ordre du jour!</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--La Chambre a jusqu'ici soutenu le ministère +actuel dans la lutte qu'il a engagée pour atteindre ce double +but. On a accusé la Chambre de servilité on a dit que le ministère +disposait des votes. J'en appelle, messieurs, à la conscience +de cette Chambre; jamais assemblée fut-elle plus +libre, plus indépendante, déterminée par une conviction +plus lente et plus difficile? La Chambre est arrivée à cette +session dans un état d'incertitude et de doute. L'opinion de +la Chambre s'est formée progressivement, par la discussion, +par l'expérience, par l'examen. Jamais, je le répète, jamais +assemblée n'a été si évidemment déterminée par des motifs +désintéressés et sincères. C'est à la Chambre à soutenir son +oeuvre; c'est à la Chambre à porter la conviction jusqu'au +bout. Le ministère s'est dévoué à la fondation du gouvernement +de Juillet et à la défense de la société. La Chambre le +soutiendra dans cette oeuvre difficile, et ces derniers débats +sont de nouvelles raisons qui doivent déterminer sa conviction +et sa conduite. (<i>L'ordre du jour, l'ordre du jour!...</i>--MM. +Berryer, Mauguin et Jacqueminot montent à la tribune. +Les cris: <i>L'ordre du jour!</i> redoublent.)</p> +<hr> +<p class="mid">--Séance du 22 décembre 1831.--</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Il me sera facile de dissiper l'inquiétude qui +s'est élevée dans l'esprit de notre honorable collègue (le +maréchal Lobau). Il n'a jamais été dans ma pensée d'inculper +ni lui, ni la commission municipale provisoire.</p> + +<p>Je n'ai point parlé du pouvoir révolutionnaire ou du pouvoir +constitutionnel. J'ai uniquement voulu dire et j'ai dit +que, dès l'origine de la révolution, il y avait eu deux manières +différentes de la considérer, que deux systèmes politiques +s'étaient manifestés dans le sein de la commission +municipale provisoire, et j'ai ajouté qu'on avait même pu +démêler le germe d'un système autre que le système constitutionnel.</p> + +<p><span class="sc">M. Laffitte.</span>--C'est une erreur.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Permettez-moi de m'expliquer, messieurs. +J'ai indiqué des actes, j'ai parlé avec précision; j'ai dit qu'à +mon avis, par exemple, la commission municipale provisoire, +en nommant des ministres, n'avait point fait un acte régulier, +qu'elle n'avait point pouvoir pour le faire, qu'elle +n'avait pas été instituée dans ce but. Voilà tout ce que j'ai +voulu dire; j'ai profondément respecté ses intentions; +mais dans sa direction générale, j'ai cru trouver les germes +d'un système de politique différent, une manière toute différente +de considérer notre révolution: telle a été ma pensée.</p> + +<p>Je le répète, je n'ai point qualifié la commission municipale +de révolutionnaire; j'ai dit seulement que j'avais trouvé +là les traces d'une manière différente de considérer notre +révolution et la conduite de nos affaires.</p> + +<p>Voilà l'explication que je dois à la Chambre et à l'honorable +maréchal, dont personne plus que moi n'honore et le +caractère et la conduite. Nous avons, si je ne me trompe, +depuis ce moment, suivi, lui et moi, la même ligne politique; +d'autres en ont tenu une différente: c'est l'origine +de cette différence que j'ai voulu marquer ici.</p> + +<a name="XXXVIII" id="XXXVIII"></a> +<br><br> +<h3>XXXVIII</h3> + +<p class="mid">Discussion du budget de 1832.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 23 janvier 1832--</p> + +<p class="large">Le baron Louis, ministre des finances, avait présenté +à la Chambre des députés, le 19 août 1831, le projet de +budget pour 1832. M. Thiers fit, le 30 décembre 1831, +le rapport des travaux de la commission chargée de +l'examen de ce projet. Après cinq jours de discussion +générale, on en vint à la discussion des articles, et la +question du maintien total ou de la réduction du fonds +consacré à l'amortissement de la dette publique se +présenta la première. Je pris la parole pour défendre le +maintien complet du fonds d'amortissement, qui fut en +effet maintenu après un long débat.</p> + +<p>M. <span class="sc">Guizot</span>.--Personne ne demande l'abolition de l'amortissement; +quelques personnes seulement en demandent la +réduction. Il s'agit donc uniquement de savoir s'il faut que +l'amortissement soit fort, aussi fort que le proposent le gouvernement +et la commission: c'est là le seul point sur lequel +il y ait doute, c'est la seule question à examiner.</p> + +<p>Dans l'opinion à peu près générale, l'amortissement a un +double but: soutenir le taux des effets publics, c'est-à-dire +le crédit public, et éteindre, payer effectivement +la dette. Je sais que le premier de ces deux buts est contesté +par quelques personnes, il vient de l'être tout à l'heure à +cette tribune. On a dit que l'amortissement n'avait pas une +action soutenue sur le taux des effets publics, parce qu'il +n'en décide pas seul, et qu'une foule d'autres causes concourent +à déprécier ou à élever le taux des effets publics. +Sans doute, et quelques-unes de ces causes sont plus puissantes +que l'amortissement; mais il n'en est pas moins vrai +que, selon l'opinion presque générale, l'amortissement +a un double but: le premier, de soutenir le taux des effets +publics, un des signes extérieurs du crédit public, c'est-à-dire +de mettre l'État en mesure de contracter, s'il en a +besoin, de nouveaux emprunts à un taux qui ne soit pas +trop onéreux; le second but est de payer d'une manière +réelle et efficace la dette publique.</p> + +<p>Si ces deux buts, messieurs, ne pouvaient pas être atteints +l'un sans l'autre; si, pour avoir quelque crédit et pour pouvoir +emprunter à un taux supportable, il était absolument +indispensable de faire ce qu'il faut pour payer réellement et +effectivement sa dette, la question qui nous occupe n'existerait +pas.</p> + +<p>Un amortissement capable de payer en effet la dette serait +seul capable de soutenir, jusqu'à un certain point, le taux des +effets publics, et il faudrait bien accepter celui-là ou renoncer +tout à fait à l'amortissement; mais il n'en est pas ainsi. En +matière d'emprunt comme en toute matière, l'erreur, l'illusion, +l'imprévoyance sont possibles. Il arrive souvent que +l'emprunteur croit qu'il payera sa dette; il en a la ferme +volonté, il fait ses efforts pour cela. Le prêteur, de son côté, +se confie à lui. Il peut arriver et il arrive que l'un et l'autre +se trompent.</p> + +<p>Il arrive que l'emprunteur ne fait pas des efforts suffisants +pour payer sa dette; dans les affaires ordinaires, combien +ne voit-on pas de banquiers, de négociants, de commerçants +conserver longtemps leur crédit en marchant vers la banqueroute; +pourquoi? parce qu'ils se trompent sur leur +propre avenir, parce que leurs créanciers se trompent également; +qu'il y a de l'illusion, de l'imprévoyance dans leur +conduite. L'intérêt personnel n'est pas suffisant pour éclairer +sur l'avenir, pour enlever toute possibilité d'erreur. On +peut avoir du crédit, des effets publics dont le taux se soutienne, +sans faire tout ce qu'il faut pour payer sa dette.</p> + +<p>On peut donc atteindre le premier but de l'amortissement +sans atteindre réellement le second.</p> + +<p>C'est là, messieurs, le vice, ou pour parler plus exactement, +le danger de ce qu'on appelle le système du crédit. Le +crédit est une fort belle chose; il est bon d'en avoir; mais il +faut savoir qu'on peut l'obtenir, momentanément et pendant +quelque temps, à des conditions qui sont fort loin de garantir +l'avenir. Il faut savoir que l'on peut avoir trop de confiance +dans son crédit actuel, et que le prêteur peut avoir, de son +côté, trop de confiance dans le crédit actuel de l'emprunteur.</p> + +<p>Avec cette confiance réciproque, les transactions se renouvellent; +et, d'emprunts en emprunts, celui qui abuse de +son crédit marche vers l'abîme de la banqueroute, et l'on +tombe à la fois, prêteur et emprunteur, parce que l'on n'a +pas suffisamment mesuré l'étendue de ses ressources.</p> + +<p>Eh bien! c'est là le vice de l'amortissement faible, de +même que celui de l'amortissement médiocre.</p> + +<p>L'amortissement médiocre donne lieu de croire que l'on a +la ferme volonté de payer sa dette. Il est un gage, une +preuve, non-seulement de sincérité, mais même, jusqu'à un +certain point, de puissance dans l'accomplissement de son +dessein.</p> + +<p>Mais s'il arrive en même temps que l'amortissement ne +soit pas assez fort pour payer la dette, c'est-à-dire pour atteindre +le second but qu'il se propose, l'amortissement +devient un mal; il devient un leurre qui trompe les créanciers, +qui leur donne une sécurité qu'ils ne doivent pas +avoir, une cause de plus, d'aveuglement pour l'emprunteur +et le prêteur, une nouvelle provocation à s'engager sans prévoyance +dans cette voie du crédit dont il est si facile d'abuser.</p> + +<p>Pour que l'amortissement soit salutaire, il faut qu'il atteigne +non-seulement le premier but, qui est de soutenir le +taux des effets publics, mais encore le second, qui consiste à +éteindre réellement la dette; il faut que l'amortissement soit +fort, très-fort.</p> + +<p>Que reprochent tous les hommes raisonnables à ce +système de crédit? C'est de décharger le présent en chargeant +un avenir qui aura aussi ses propres charges et qui s'en +déchargera à son tour sur un autre avenir; et ainsi de suite +jusqu'à ce que vienne une époque qui, ne pouvant plus suffire +à son fardeau, ne pouvant le porter plus loin, le jettera +à terre. Il n'y a qu'un amortissement très-fort qui puisse +empêcher ce déplorable résultat.</p> + +<p>L'amortissement faible, médiocre, qui ne demande au +présent, c'est-à-dire à l'emprunt, que ce qu'il faut pour soutenir +actuellement le taux des effets publics, fait une répartition +très-inégale, très-déraisonnable, du fardeau entre le +présent et l'avenir, entre l'emprunt et l'impôt; l'amortissement +fort, énergique, demande au contraire au présent sa +juste part dans le fardeau; non-seulement il soutient le +crédit public, mais il éteint effectivement la dette: en sorte +que l'amortissement faible exploite la bonne foi publique, est +un leurre qui engage les créanciers dans la banqueroute, +tandis que l'amortissement fort répond au but de l'institution, +à la pensée première de l'amortissement, et présente une +véritable garantie aux créanciers en ce qu'il assure en même +temps et le taux de la rente et l'extinction de la dette.</p> + +<p>Il s'agit uniquement de savoir quel est le sens qu'il faut +attribuer à ces mots: amortissement fort, amortissement +faible, et quelle doit en être la mesure. Ceci est une question +de fait et d'expérience, et nous avons des exemples à consulter.</p> + +<p>Quand l'institution de l'amortissement a été introduite +en Angleterre, c'est le taux d'un pour cent qui +a été généralement adopté, et l'on a calculé qu'en +trente-sept ans, au moyen des intérêts composés, la dette +se trouverait éteinte avec un amortissement d'un pour +cent.</p> + +<p>En même temps que l'on faisait ce calcul, on disait que +c'était pendant la paix qu'il fallait payer ses dettes, et qu'il +fallait, pendant le temps des dépenses ordinaires, se ménager +des ressources pour le temps des dépenses extraordinaires.</p> + +<p>Mais, messieurs, se donner trente-sept ans pour éteindre +sa dette, c'est se faire l'idée la plus fausse de la vie des +peuples, c'est se laisser tromper par les mots. Ce que nous +appelons circonstances extraordinaires revient très-souvent +dans la vie des peuples; les événements extraordinaires ne +se font pas attendre trente-sept ans, ils sont plus fréquents. +De 1688 à 1815, dans une période de cent-vingt-sept ans, +l'Angleterre a eu soixante-cinq ans de guerre et soixante-deux +ans de paix. La proportion a été à peu près la même +pour la France. Nous venons de traverser quinze années +qu'il est permis de regarder comme les plus pacifiques qu'on +puisse voir de longtemps dans ce monde, et cependant nous +avons eu la guerre d'Espagne, l'expédition de Morée, l'expédition +d'Afrique, qui nous ont coûté de 3 à 400 millions; et +enfin nous avons eu une révolution, source de dépenses extraordinaires.</p> + +<p>Vous voyez donc que ce calcul d'un pour cent, qui exige +trente-sept ans pour l'extinction effective ou la réduction +considérable de la dette, est un faux calcul, un calcul +étranger à l'histoire, et qui méconnaît les vraies circonstances +de la vie des peuples.</p> + +<p>L'amortissement de un pour cent est donc trop faible; il +faut un amortissement plus considérable pour atteindre +les deux buts légitimes de l'amortissement, le soutien du +crédit public et l'extinction de la dette. Si vous ne vous +imposez pas la loi d'atteindre ce double but, vous vous +trompez vous-mêmes, vous trompez vos créanciers, vous +agissez avec une imprévoyance coupable, vous marchez vers +la banqueroute; si vous voulez atteindre le second but, le +payement réel ou du moins la réduction notable de la dette, +il faut autre chose qu'un amortissement de un pour cent; +il faut l'élever au taux de deux pour cent au moins, taux auquel +il est aujourd'hui chez nous, addition faite à la +dotation primitive des rentes qu'il a achetées. (<i>Adhésion au +centre.</i>)</p> + +<p>Contre ces faits, messieurs, qui sont simples et qui n'ont +pas besoin d'être laborieusement démontrés par des calculs, +contre ces faits, je ne connais qu'une raison, qu'une raison +concluante et péremptoire: c'est l'impuissance de la part de +l'État de supporter un amortissement considérable. L'impuissance +du pays, la détresse publique, voilà le seul moyen +avec lequel on puisse combattre les faits que je viens de présenter.</p> + +<p>Messieurs, c'est une chose grave que de proclamer ainsi +l'impuissance du pays, d'en faire le point de départ de sa +conviction, la règle de ses résolutions, et de poser ce fait: le +pays ne peut pas supporter plus longtemps un tel fardeau, +il en est aux expédients.</p> + +<p>Cela est grave, financièrement et politiquement, messieurs. +(<i>Écoutez, écoutez!</i>)</p> + +<p>Financièrement, c'est dire qu'on est obligé de se jeter tête +baissée dans la voie des emprunts, qu'on est obligé d'abuser, +à tout prix, du système du crédit.</p> + +<p>Singulière situation! Ce sont les adversaires habituels du +système du crédit qui viennent demander qu'on en use +outre mesure, qu'on se réduise à ses seules ressources. +Et ce sont les défenseurs ordinaires, les défenseurs officiels +du crédit qui veulent le renfermer dans de justes limites, +qui veulent faire la part de l'impôt, qui demandent qu'on +n'en abuse pas!</p> + +<p>Vous voyez quelle est la conséquence financière de cette +impuissance du pays dont on veut faire le principe de vos +résolutions. C'est abuser outre mesure du système de crédit +et le pousser jusqu'à ses dernières extrémités, jusqu'au point +où il perd et les emprunteurs et les prêteurs.</p> + +<p>Il n'est pas moins grave politiquement de déclarer ainsi +l'impuissance publique.</p> + +<p>C'est un propos vulgaire, et que nous avons tous entendu +ou répété, que, pour avoir une bonne armée, ce qui importe +le plus, c'est de conserver des cadres, des cadres complets, +bien organisés, permanents.</p> + +<p>Eh bien! messieurs, la société a besoin de cadres comme +l'armée: elle est contenue dans des cadres légaux qui font +sa force, et il importe de les conserver intacts et permanents; +car, quand une fois ils sont brisés, rien de si difficile que de +les rétablir et de faire rentrer la société dans les cadres qui +la contenaient habituellement. Ces cadres sont les pouvoirs +établis et les contributions établies. Briser les pouvoirs, +briser les contributions, déclarer que la société en est venue +à ce point qu'elle ne peut plus supporter ni les uns ni les +autres, faire succéder une révolution financière à une révolution +politique, briser les impôts comme on a brisé les pouvoirs, +c'est mettre la société tout entière en question; c'est +prolonger jusqu'à des limites indéfinies la crise contre laquelle +nous luttons si péniblement.</p> + +<p>Pour moi, je ne sais si je m'abuse, mais c'est précisément +parce que les pouvoirs établis ont été mis en question et renversés, +renversés légitimement, c'est parce que nous avons eu +à accomplir une révolution politique, que nous avons glorieusement +accomplie, que je crois qu'il importe au salut de +la France de se préserver d'une révolution financière; qu'il +lui importe de maintenir, je ne dis pas dans tous leurs détails, +mais dans leur force réelle, de maintenir intacts et permanents +ces impôts établis qui sont les cadres matériels de la +société, les moyens par lesquels son existence matérielle se +développe. (<i>Vive approbation aux centres</i>).</p> + +<p>Il n'y a donc rien de plus grave, je le répète, que de proclamer +la détresse, l'impuissance publique. Je ne dis pas que +cette impuissance ne soit jamais réelle: il y a des pays assez +malheureux pour en être arrivés à ce point; mais je dis qu'il +faut y bien regarder avant de prononcer un semblable +arrêt.</p> + +<p>Voyons si cet arrêt serait fondé, si notre pays en est venu +à ce point de détresse qu'il ne puisse pas supporter cet amortissement +considérable dont il a besoin pour que le but de +l'amortissement soit atteint.</p> + +<p>Je ne ramènerai pas la Chambre dans les détails qui lui +ont été présentés hier, d'une manière si lucide et si complète, +par M. le rapporteur. Je veux seulement vous mettre sous +les yeux quelques faits qui vous prouveront que l'impuissance +du pays n'est pas portée au point qu'on allègue.</p> + +<p>La détresse, chez un grand peuple comme le nôtre, ne +vient pas en un jour, la prospérité ne finit pas tout à coup. +Il peut y avoir crise, embarras momentané: mais quand la +prospérité a duré longtemps dans un pays, quand il est heureusement +entré dans cette voie, il n'en sort pas à l'instant +même. Ce qu'il faut considérer, pour juger sainement de +la France, ce n'est pas seulement sa situation actuelle, la +crise où nous nous trouvons, les souffrances du moment; il +faut considérer l'état du pays depuis quinze ou vingt ans; il +faut examiner quelle est la marche qu'il a suivie, dans quel +sens il s'est développé. S'il a marché vers la détresse, il est +probable que vous avez raison aujourd'hui; si, au contraire, +il a pris de grands développements de richesse et de puissance, +s'il a marché vers la prospérité, il n'est pas probable +qu'il en ait vu, en quelques mois, tarir les sources tout entières.</p> + +<p>Je n'ai aucun dessein de discuter à la tribune les oeuvres +ou les mérites de la Restauration. Quand elle a été puissante, +j'ai signalé et attaqué ses fautes; je l'ai fait pendant +dix ans aux grands applaudissements, j'ose le dire, de ceux-là +même qui aujourd'hui m'accusent de vouloir les continuer. +Je n'ai aucun dessein de détourner la discussion actuelle +vers un but politique. Je pense, comme la Chambre, +qu'il est très-désirable que nous sortions enfin de ces questions +purement passionnées, pour débattre les affaires du +pays. Je ne ramènerai donc pas, je le répète, la question sur +les mérites, sur les oeuvres politiques de la Restauration. Je +ne veux que constater les résultats matériels obtenus dans +les quinze dernières années.</p> + +<p>Messieurs, quand on examine quelle est la détresse ou la +prospérité d'un pays, il ne faut pas s'en rapporter à des ouï-dire, +à des propos de satisfaction ou d'humeur, auxquels +chacun s'abandonne librement dans la conversation; il faut +consulter des faits authentiques, des documents dans lesquels +la société se résume et se manifeste. Voici quelques-uns de +ces faits relativement aux premières années de la Restauration.</p> + +<p>Je parle du produit des principaux impôts indirects, de +ceux qui sont la preuve la plus claire de la consommation.</p> + +<p>L'enregistrement, le timbre, les domaines, ont produit +en 1816, 171,825,872 fr. et en 1829, 186,429,355.</p> + +<p>Le produit des douanes et des sels s'est élevé de 94,206,713 fr. +en 1816, à 159,085,085 fr. en 1829; et cela avec les mêmes +tarifs ou à peu près, car ce ne sont point les changements +de tarifs qui ont considérablement influé sur les droits.</p> + +<p>Les boissons, droits divers, tabacs et poudres ont produit +139,837,269 fr. en 1816, et 206,218,255 fr. en 1829.</p> + +<p>Le produit des postes a été de 20,973,000 fr. en 1816, et +de 30,545,620 fr. en 1829.</p> + +<pre> +Produit de ces quatre grandes contributions +pour 1816 426,842,854 fr. + +Produit des mêmes contributions pour +1829 582,278,315 + --------------- +Différence en plus 155,435,461 fr. +</pre> + +<p>Voilà quels ont été, de 1816 à 1829, les progrès des impôts +qui sont les signes les plus certains de la consommation. +Je passe à un autre symptôme de production: je veux parler +des frais de poursuite pour les contributions directes.</p> + +<p>Personne ne niera que, si ces frais vont dans une proportion +décroissante, c'est une preuve que les contributions +se payent plus facilement, et que cette facilité est due à un +plus grand développement de l'aisance publique.</p> + +<p>En 1822, les frais de poursuite de toute nature pour la +perception des impôts directs, s'élevaient à 1,380,000 fr. +pour 344,026,017 fr. de recouvrement, c'est-à-dire à 4 fr. 01 +pour 1,000 fr.</p> + +<p>En 1828, ils se sont élevés à 904,680 fr. pour 325,678,630 fr. +de recouvrement, c'est-à-dire à 2 fr. 78 pour 1,000 fr.</p> + +<p>Vous voyez, messieurs, qu'il y a eu une réduction notable +sur les frais de recouvrement; ce qui est une preuve matérielle +d'une augmentation d'aisance et de prospérité.</p> + +<p>Je relève, dans d'autres parties des produits, d'autres +preuves des développements de la France à la même époque. +Je veux parler des importations et des exportations.</p> + +<p>En 1816, les importations de la France dans la Grande-Bretagne +se sont élevées, valeur officielle, à 10,444,550 fr., +et les exportations de la Grande-Bretagne en France, +à 40,855,550 fr.</p> + +<p>En 1826, les premières ont monté à 79,470,625 fr., +60 millions de plus qu'en 1816; et les seconde, à 16,111,050 fr., +au lieu de 40 millions en 1816.</p> + +<p>Je ne renouvellerai pas à ce sujet la question de la balance +du commerce, aujourd'hui abandonnée par les hommes +éclairés; mais il y a là incontestablement un système de développement +dans la prospérité de la France pendant les +seize dernières années. Est-il donc vrai qu'après seize années +de progrès attestés par des résultats incontestables, nous +soyons subitement frappés de détresse et d'impuissance?</p> + +<p>Voici des documents de même nature relativement aux +impôts indirects. (<i>Écoutez, écoutez!</i>)</p> + +<p>Les impôts indirects ou de tout genre ont produit:</p> + +<pre> +En 1829 591,010,000 fr. + +En 1830 572,243,000 + +En 1831 527,023,000 +</pre> + +<p>L'abaissement du tarif des boissons, à partir du 1<sup>er</sup> janvier +1831, devait réduire les produits de 1831,</p> + +<pre> +Comparativement à 1829, de 34,800,000 fr. + -- à 1830, de 32,400,000 +</pre> + +<p>La diminution effective sur les recettes de 1831, a donc +été:</p> + +<pre> +Comparativement à 1829 de 63,987,000 fr. + + -- à 1830 de 45,222,000 + +Ainsi il y a eu de 1829 à 1831, indépendamment de la +réduction du tarif des boissons, une diminution réelle +de 29,187,000 fr. + +Et de 1830 à 1831 la diminution n'a été +que de 12,820,000 + +A quoi il faut ajouter la différence entre +les restes à recouvrer sur les boissons à la +fin des deux années 1830 et 1831, ci 4,771,230 +</pre> + +<p>Ce qui fait de 1830 à 1831, sur les impôts indirects, une +diminution de 17,591,230 fr.</p> + +<p>La diminution a donc été moindre qu'on ne devait s'y +attendre, et c'est surtout pendant le dernier trimestre que +l'augmentation a eu lieu; elle s'est élevée à 13,220,000 fr.</p> + +<p>Le produit des impôts indirects est supérieur en 1831, +malgré la réduction du tarif des boissons et malgré le fâcheux +état de plusieurs parties de l'industrie, il est, dis-je, +supérieur de plus de 100 millions à ce qu'il était en 1816.</p> + +<p>Je vous demande, est-ce là ce qu'on peut appeler de l'impuissance? +Je ne nie pas les souffrances du pays: personne +ne leur porte plus de sympathie que moi; nous leur portons +tous une grande sympathie, et aucune portion de cette +Chambre n'a le droit de préjuger les sentiments de l'autre +à cet égard. Mais ce sont les faits mêmes que je mets +sous vos yeux: je demande s'il est possible de parler d'impuissance, +de détresse définitive en présence de tels +faits.</p> + +<p>Sans doute il faut songer aux souffrances du pays et faire +ce qui est en notre pouvoir pour les alléger; mais il ne faut +pas méconnaître les faits dans leur ensemble; il ne faut pas +dire au pays qu'il marche vers sa ruine, qu'il est dans un +état de détresse, quand au contraire les faits, les documents +montrent qu'il tend à se relever de la crise dont il a beaucoup +souffert, qu'il rentre dans la voie de la prospérité, qu'il +ne demande que la sécurité complète de l'ordre établi pour +que sa prospérité se développe de nouveau avec éclat.</p> + +<p>Il y a dans notre histoire un pouvoir que je ne suis pas accoutumé +à louer et dont je ne pense pas grand bien. Ce +pouvoir, c'est la Convention. Quel a été son mérite? Son seul +mérite, si j'ose le dire, c'est de n'avoir jamais désespéré du +pays, de n'avoir jamais dit, quelles que fussent les difficultés, +quels que fussent les dangers, de n'avoir jamais dit: le pays +ne peut pas; d'avoir eu une grande opinion de la France et +de la volonté du pays.</p> + +<p>Voilà le vrai, et s'il m'est permis de le dire, le seul mérite +de la Convention.</p> + +<p><i>Voix nombreuses.</i>--Très-bien, très-bien!</p> + +<p>M. GUIZOT.--Voilà, le mérite de la Convention, voilà son +mérite patriotique, le seul qu'elle ait à mes yeux, je nie tous +les autres. (<i>Très-bien!</i>)</p> + +<p>Eh bien, messieurs, permettez-moi de citer des exemples +moins sinistres que celui-là, et plus directement analogues à +la question qui nous occupe. Je prendrai ces exemples dans +notre histoire au XVIII<sup>e</sup> siècle et dans notre histoire toute récente.</p> + +<p>En 1749, la France sortait de cette guerre assez déraisonnable +qu'elle avait soutenue pour la succession de l'empire +d'Autriche en faveur de l'électeur de Bavière contre Marie-Thérèse. +La France sortait de cette guerre avec une augmentation +de 1,200 millions de dette publique, avec des impôts +doublés, presque triplés, car on avait augmenté outre +mesure tous les impôts; elle en sortait avec une marine réduite +à deux vaisseaux.</p> + +<p>C'était le cri général du pays qu'on était tombé dans la +dernière détresse, et qu'il n'y avait absolument rien à faire +que de réduire considérablement les impôts.</p> + +<p>Un ministre dont le nom a fait peu de bruit, parce qu'il +était étranger à toutes les coteries du temps, mais qui ne +manquait, à coup sûr, ni de lumières ni de fermeté, M. de +Machault était alors contrôleur général.</p> + +<p>Que fit M. de Machault? que projeta-t-il? quel édit fit-il +rendre au roi?</p> + +<p>Il parut en mai 1749 un édit qui établissait un impôt d'un +vingtième, et qui affectait cet impôt à la fondation d'une caisse +d'amortissement pour l'extinction de la dette publique.</p> + +<p>Ce fut au milieu de cette détresse du pays, après ces longues +souffrances, avec ces 1,200 millions de dette publique, +avec cette masse toujours croissante d'impôts que le contrôleur +général conçut la pensée et eut le courage d'établir un +impôt nouveau, et de le consacrer à l'extinction de la dette +publique.</p> + +<p>Et, chose à remarquer, cette première idée de la caisse +d'amortissement en France coïncidait avec l'idée de supprimer +tout privilége en matière de contributions, et de les +faire peser sur la noblesse et sur le clergé.</p> + +<p>Le projet de M. Machault était d'établir un impôt pesant +également sur toutes les classes de la société et d'employer le +produit de cette taxe à l'extinction de la dette publique.</p> + +<p>Je n'hésite pas à dire que c'est là une des tentatives les +plus honorables, les plus patriotiques, les plus éclairées que +jamais un ministre ait faites. M. de Machault succomba +sous les cris de la noblesse et du clergé qui ne voulurent +point prendre leur part des charges publiques; vous savez +quel a été le résultat de ce refus; vous savez dans quelle +série de désordres, dans quels embarras financiers la France +a été engagée.</p> + +<p>Et tout cela est arrivé parce que l'on a refusé de suivre +les plans d'un ministre sincère et courageux, qui ne craignait +pas d'affronter les difficultés du moment pour surmonter +celles de l'avenir.</p> + +<p>Nous avons encore un exemple plus récent, un exemple +contemporain.</p> + +<p>En 1815, une chambre contre laquelle on s'est tant +élevé, et avec raison, cette chambre, en maniant les +dépenses publiques, institua un amortissement: cette +chambre en voulait au crédit public; elle en voulait aussi à +l'amortissement, elle était décidée à faire le moins qu'elle +pourrait.</p> + +<p>Elle institua, vous le savez, un amortissement de vingt +millions. Cette chambre fut dissoute. Une chambre nouvelle +arriva, moins étrangère au pays, plus éclairée, animée +de sentiments plus patriotiques. La situation où elle se trouvait +était écrasée par les charges de l'occupation; nous sortions +d'une année de famine; la souffrance était immense. +Dans de telles circonstances, que fit cette chambre? Elle +doubla le fonds de l'amortissement; elle l'éleva à 40 millions. +Au milieu des difficultés de cette situation pénible et +de toutes les charges qui pesaient sur le pays, la pensée du +ministère d'alors, et de la chambre qui lui donna la force +d'exécuter cette pensée, fut d'affecter un amortissement considérable +aux charges qui pesaient et à celles qui allaient +peser sur la France, et de maintenir les impôts dont on +avait besoin pour supporter ces charges.</p> + +<p>Voilà ce que fit dès l'abord une chambre plus nationale +qui avait remplacé une chambre hostile au pays. C'est entre +ces exemples que vous avez à choisir: entre l'exemple de la +chambre de 1815, d'une chambre hostile à l'amortissement, +hostile au crédit, qui travaille à le renverser au lieu de le +soutenir, et l'exemple de la chambre de 1817 qui, au milieu +de circonstances bien autrement graves, de charges bien +autrement pesantes, ne craignit pas de demander au pays les +sacrifices que son salut d'avenir exigeait, et de doubler la +dotation de l'amortissement.</p> + +<p>Je le répète, messieurs, c'est entre l'exemple de la Chambre +de 1815 et celui de la Chambre de 1817 que vous avez à +choisir. (<i>Marques nombreuses d'approbation aux centres.</i>)</p> + +<a name="XXXIX" id="XXXIX"></a> +<br><br> +<h3>XXXIX</h3> + +<p class="mid">Discussion du budget de 1832.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 16 février 1832.--</p> + +<p class="large">Dans la discussion du budget du ministère de l'instruction +publique pour l'exercice 1832, et à propos du +chapitre IV de ce budget, qui proposait d'allouer +1,100,000 francs pour des bourses dans les séminaires, +M. Dubois, député de la Loire-Inférieure, proposa, sur +ce chapitre, une réduction de 600,000 francs. M. Comte, +député de la Sarthe, sous-amenda cet amendement en +demandant que le crédit de 1,100,000 francs fût, progressivement +et à mesure de l'extinction des bourses +déjà accordées, réduit à 600,000 francs et ne dépassât +plus cette somme. Je combattis l'amendement et le +sous-amendement qui furent rejetés.</p> + +<p>M. <span class="sc">Guizot</span>.--Je ne suivrai pas l'honorable préopinant +dans la route qu'il vous a fait entrevoir en commençant à +parler. Je ne crois pas que la philosophie et l'avenir soient +du domaine de cette tribune.</p> + +<p>M. <span class="sc">Dubois.</span>--Je demande la parole pour répondre à cela.</p> + +<p>M. <span class="sc">Guizot.</span>--Ce n'est pas que j'entende le moins du +monde bannir la philosophie et l'avenir; ils ont leur place +ailleurs; j'ai seulement des prétentions plus modestes: je dis +que nous venons faire ici de la politique, de la prudence; +nous venons traiter des intérêts présents du pays.</p> + +<p>La philosophie se développera en dehors de cette enceinte +et l'avenir ne sera pas supprimé. Quant à présent, ce sont +des questions de prudence, d'intérêts actuels que nous débattons. +C'est sous ce point de vue seulement que je considérerai +l'amendement qui vous est proposé, et je le repousse +comme contraire aux intérêts actuels bien entendus du pays +et à la politique qui lui convient.</p> + +<p>Quand je repousse cet amendement, ce n'est pas que je +me fasse la moindre illusion sur le rôle et les dispositions +d'une grande partie du clergé, je dirai même, si l'on veut, +du clergé en général, dans la lutte qui s'est engagée depuis +1789 pour l'établissement d'un gouvernement libre; +je n'ai à ce sujet, s'il m'est permis de le dire, aucun motif +personnel d'erreur. Quand je suis entré pour la première fois +dans les fonctions publiques, j'ai été à l'instant même dénoncé +par une circulaire adressée à tous les évêques de France, +comme protestant et comme philosophe; et quand j'en suis +sorti, il y a onze ans, pour avoir voulu m'opposer aux progrès +de la contre-révolution, la seule chose qui me restât, la parole +dans l'enseignement supérieur, l'influence ecclésiastique me +la fit retirer à l'instant même; elle ne voulut pas que j'essayasse +d'agir sur les esprits, pas plus qu'elle n'avait voulu de mon +intervention dans les affaires. Je dois donc avoir l'esprit parfaitement +libre. Je sais tout ce que cette influence a eu +d'hostilité au progrès des idées et des institutions nouvelles; +je sais tout ce qu'il peut y avoir en elle de malveillance +pour la révolution de Juillet. Je comprends que la +France ait, contre une grande partie du clergé, des motifs +fort naturels de rancune et des raisons fort légitimes de défiance; +je n'en dis pas moins que ce n'est pas là le point +de vue sous lequel on doit considérer la question.</p> + +<p>Ce ne sont pas les souvenirs du passé, ce sont les intérêts +et les besoins du présent qui doivent régler notre conduite.</p> + +<p>Je prie la Chambre de considérer un moment le changement +qui s'est fait dans notre situation, en général, depuis +la révolution de Juillet, et particulièrement dans la situation +de cette Chambre.</p> + +<p>La Chambre n'est plus, comme les chambres de la Restauration, +un pouvoir défensif occupé à lutter laborieusement +pour la cause des intérêts généraux et les libertés publiques +contre un gouvernement hostile.</p> + +<p>La Chambre est maintenant, dans le gouvernement, le +pouvoir prépondérant, le pouvoir dirigeant; elle est chargée, +non-seulement de contrôler le gouvernement, mais de le +former, de l'inspirer, de le soutenir; c'est de l'aveu de +tout le monde que la Chambre occupe ce haut rang aux yeux +du pays, dans l'opinion générale, dans l'opinion du gouvernement +lui-même.</p> + +<p>Vous avez ce rare bonheur d'avoir un prince qui le premier +rend hommage à ce principe du gouvernement constitutionnel, +qui est le gouvernement de la majorité nationale +manifestée dans la Chambre.</p> + +<p>C'est donc en gouvernement, permettez-moi de le dire, +que la Chambre doit penser et agir; c'est avec l'esprit de +gouvernement qu'elle doit considérer les affaires; et quand +nous avons en particulier à nous occuper de la question du +clergé, ce qui nous importe, ce que nous devons nous demander, +c'est quel mal nous devons en craindre comme gouvernement +constitutionnel, et quel bien, quels profits, +quels secours nous pouvons en recevoir au même titre.</p> + +<p>C'est sous ce point de vue que je demande la permission +de considérer un moment la question.</p> + +<p>La situation du clergé, messieurs, est bien changée; il est +nécessaire de se rendre compte de ce changement.</p> + +<p>Comme pouvoir politique, je n'hésite pas à dire que sa +défaite est complète. Le clergé n'a pas été expulsé de France +avec Charles X, mais comme pouvoir politique, il n'a pas +été moins détrôné que lui.</p> + +<p>L'ancienne noblesse retrouve des biens, une place dans +nos institutions, et une belle place si elle veut. Quant au +clergé, il n'a retrouvé ni biens, ni place dans nos institutions. +Sous Charles X même, il n'a pas pu se faire une +place. Son propre parti n'a pas fait entrer un ecclésiastique +dans cette Chambre.</p> + +<p><i>Quelques voix.</i>--Vous oubliez M. l'abbé de Pradt.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Cet exemple même confirme mon raisonnement; +car, autant qu'il m'en souvient, c'est le parti opposé +qui a fait entrer M. l'abbé de Pradt dans l'ancienne Chambre. +(<i>C'est vrai! c'est vrai!</i>)</p> + +<p>Son propre parti n'a pas fait entrer un ecclésiastique +dans cette Chambre, et il n'est personne qui ne sache +quelle était l'influence du banc des évêques à la Chambre +des pairs.</p> + +<p>Ainsi, même sous Charles X, le clergé n'a jamais pu revivre, +prendre place dans nos institutions comme pouvoir +politique. Ce qu'il avait de pouvoir, il le devait à son influence +auprès de la personne du prince; elle a disparu +avec le prince. Ainsi, j'ai bien le droit de dire que, comme +pouvoir politique, le clergé a péri, a été détrôné avec +Charles X.</p> + +<p>Quand un fait est aussi évident, aussi accompli, il est impossible +qu'il n'agisse pas sur les esprits, même sur les esprits +qui sont le plus intéressés à le nier. Je sais qu'il y a +dans tous les partis un certain nombre d'hommes qui résistent +longtemps à la conviction, à l'évidence. Cependant +l'évidence agit sur les masses, et il arrivera du clergé ce +qui arrive de tous les partis, qu'il sera forcé de reconnaître +que son pouvoir politique a péri, que sa situation politique +est complétement changée, et qu'il serait insensé de prétendre +la retrouver.</p> + +<p>On a donc grand tort, à mon avis, quand on parle aujourd'hui +du clergé, d'une manière générale, absolue, comme +d'un corps uni, animé d'un même esprit, de l'esprit qu'il a +depuis des siècles, qu'il conservera toujours, depuis l'évêque +jusqu'au moindre curé.</p> + +<p>Messieurs, il n'en est rien, et cela sera de moins en moins +tous les jours. Déjà il est aisé de reconnaître que des +opinions fort différentes se manifestent dans le sein du +clergé.</p> + +<p>J'y vois bien encore un peu de l'ancienne opinion, de +l'opinion contre-révolutionnaire, qui persiste à rêver l'ancienne +existence du clergé.</p> + +<p>Je vois bien, à côté de cette opinion, une autre petite opinion +à laquelle l'honorable préopinant faisait allusion tout à +l'heure; une petite opinion que j'appellerai, moi, l'opinion +révolutionnaire du clergé, qui essaye de combiner les anciennes +idées ecclésiastiques, par exemple, l'ultramontanisme +avec le suffrage universel, et qui se flatte de retrouver, +dans ce mariage bizarre des anciennes idées ecclésiastiques +avec les théories modernes, un moyen d'influence dont elle +ne sait pas ce qu'elle ferait si elle pouvait l'obtenir, et dont, +en réalité, elle ne ferait rien. Je connais cette petite école, +ou cette petite secte; mais à côté, en même temps que je +vois un clergé contre-révolutionnaire et une petite secte +animée d'un fanatisme véritable et bizarre, je vois, en général, +le clergé tranquille, pacifique. Il peut bien avoir ses +regrets, ses affections; mais il reste et veut rester étranger +aux intrigues des uns et aux passions des autres, et se renfermer +purement et simplement dans ses fonctions religieuses. +Eh bien! je dis qu'il faut tenir, avec ces différentes +parties du clergé, une conduite extrêmement différente, qu'il +ne faut pas parler de la même manière de ces différentes +opinions, ni les traiter de même.</p> + +<p>Je comprends que vous vous montriez très-roides, très-rigoureux +avec la faction contre-révolutionnaire. Je crois que +vous ferez fort bien de la laisser s'user par la liberté et par +le temps; c'est un accident irrégulier et sans avenir dans +l'histoire du clergé.</p> + +<p>Mais quant à la masse ecclésiastique, tranquille, pacifique, +renfermée dans les exercices religieux, non-seulement +vous ne lui devez pas de la froideur, de l'indifférence; vous +lui devez bienveillance; elle doit trouver auprès de vous +intérêt et faveur.</p> + +<p>Permettez-moi de vous arrêter un moment sur sa conduite +et sur l'idée qui y préside. Pourquoi le clergé est-il +tranquille? Pourquoi se renferme-t-il dans les fonctions religieuses? +C'est qu'il croit que la religion a une existence +séparée de la politique, qu'à travers les vicissitudes des +États, l'Église a toujours une mission à remplir, et qu'elle +peut la remplir sous toutes les formes de gouvernement, sous +les régimes les plus divers.</p> + +<p>Eh bien, cette idée cadre parfaitement avec les principes +de notre ordre constitutionnel, qui sépare la vie civile de la +vie religieuse, qui admet que l'Église subsiste sous tous les +régimes, et qu'elle a toujours sa mission à accomplir. C'est +un principe professé par l'Église et qu'elle a invoqué toutes +les fois qu'elle s'est trouvée dans une situation difficile. En +consacrant ce principe, vous n'attaquez pas l'ordre constitutionnel; +vous établissez, au contraire, entre cet ordre et l'Église, +un point de contact; vous avez, si je puis m'exprimer +ainsi, une espèce d'anse par laquelle vous pouvez saisir et +rattacher la religion au régime constitutionnel.</p> + +<p>Je ne sais aujourd'hui d'important, pour le gouvernement +et pour la Chambre, que deux faits à mettre bien en évidence, +à constater et à prouver tous les jours: le premier, +c'est que l'existence politique du clergé est finie, que, +comme pouvoir politique, il est tombé avec Charles X; le +second, que son existence religieuse (je ne dis pas seulement +sa liberté religieuse, mais son existence religieuse comme +établissement public) n'en est nullement compromise, +qu'elle n'est pas atteinte par la perte de son existence politique, +qu'il subsiste comme établissement religieux adopté +par l'État, avec lequel l'État a traité. Quand ces deux faits +seront constants pour le clergé comme ils le sont pour vous, +vous n'aurez rien à craindre de lui; loin de là, vous aurez +tout à en espérer.</p> + +<p>Rappelez-vous, messieurs, ce que disait dernièrement +notre honorable collègue M. Odilon Barrot, il vous parlait +avec chagrin de l'incertitude de nos convictions politiques et +morales; il vous disait, autant que je m'en souviens, qu'il +n'y avait plus, pour un grand nombre d'esprits, ni bien, ni +mal, ni vérité, ni mensonge, et qu'on marchait sans savoir à +quel sentiment il fallait s'arrêter.</p> + +<p>M. Odilon Barrot disait vrai, et je crois le mal aussi grand +que lui; seulement je crois qu'il ne le disait pas tout entier. +Non-seulement nos convictions morales et politiques sont +incertaines et vacillantes; mais nous sommes aux prises avec +des convictions politiques et morales plus certaines que les +nôtres, bien plus resserrées, j'en conviens, resserrées dans +un espace bien plus étroit, à un bien petit nombre d'individus, +mais plus ardentes, je pourrais dire fanatiques, tandis +que nous, nous ne le sommes pas.</p> + +<p>Remarquez, en effet, quelles sont les idées auxquelles vous +avez affaire; ce sont les vieilles idées révolutionnaires, anarchiques, +qui se manifestent autour de vous avec un degré, +je ne veux pas dire de fanatisme, mais de frénésie qui +épouvante les hommes sensés.</p> + +<p>Transportez-vous aux assises, écoutez les paroles qui y +ont retenti, et dites-moi s'il n'y a pas là des convictions +énergiques et redoutables.</p> + +<p>Et en même temps que vous avez affaire à ces convictions +révolutionnaires qui cherchent encore à dévorer la +société, vous avez affaire aussi aux vieilles croyances contre-révolutionnaires +qui ne sont pas aussi éteintes que nous +serions quelquefois tentés de le croire et qui ont aussi leur +énergie et leur danger. (<i>Mouvements divers.</i>)</p> + +<p>En présence de deux ennemis dont les convictions sont +fanatiques, et par cela même redoutables, vous vous présentez +avec des convictions molles, incertaines; et qu'opposez-vous, +je vous le demande, à ces forces ennemies? L'amour +de l'ordre, qui est aujourd'hui un sentiment général +en France, et un certain instinct de moralité, d'honnêteté et +de justice, qui repousse toutes les violences, toutes les iniquités, +tous les bouleversements auxquels nous amènerait +le triomphe des convictions ennemies.</p> + +<p>Voilà vos deux seules forces, vos deux seules croyances; +c'est avec l'amour de l'ordre et l'instinct des honnêtes gens +que nous luttons contre les deux fanatismes dont je vous +parlais tout à l'heure, le fanatisme révolutionnaire et le fanatisme +contre-révolutionnaire.</p> + +<p>Eh bien! ces deux sentiments qui font aujourd'hui notre +force, l'amour de l'ordre et l'instinct des honnêtes gens, le +sentiment de la moralité et le respect pour la justice, la religion +les nourrit, les fortifie et les répand dans les masses.</p> + +<p>La religion fait quelques fanatiques; oui, mais pour un +fanatique, la religion fait cent citoyens soumis aux lois, respectueux +pour tout ce qui est respectable, ennemis du désordre, +du dévergondage et du cynisme.</p> + +<p>C'est par là qu'indépendamment de tout pouvoir politique, +la religion est un principe éminemment social, l'allié naturel, +l'appui nécessaire de tout gouvernement régulier; il +n'est arrivé sans grave péril à aucun gouvernement régulier +de se séparer complétement de cet appui, et de se rendre +hostile la première force morale du pays.</p> + +<p>Et non-seulement, permettez-moi de le dire avec franchise, +la religion répand et fortifie dans tous les esprits l'amour de +l'ordre et les instincts honnêtes; mais elle donne à tout gouvernement +un caractère d'élévation et de grandeur qui manque +trop souvent sans elle. Je me sens obligé de le dire. Il +importe extrêmement à la révolution de Juillet de ne pas +se brouiller avec tout ce qu'il y a de grand et d'élevé dans +la nature humaine et dans le monde. Il lui importe de ne +pas se laisser aller à rabaisser, à rétrécir toutes choses; car +elle pourrait fort bien à la fin se trouver rabaissée et rétrécie +elle-même. (<i>Très-bien, très-bien! aux extrémités.</i>)</p> + +<p>L'humanité ne se passe pas longtemps de grandeur; +elle a besoin de se voir elle-même grande et glorifiée; et permettez-moi +d'ajouter que le gouvernement qui prétendrait +se fonder uniquement sur le bien-être matériel du peuple +s'abuserait étrangement. Sans doute, le bien-être des masses, +l'amélioration progressive de leur condition, est la base de +tout gouvernement légitime et libre; mais les masses ont +d'autres besoins que le bien-être; elles ont besoin de grandeur; +et j'insiste sur ce point qu'il est important pour la +révolution de Juillet de ne pas se brouiller avec tout ce qu'il +y a de grand et d'élevé dans le monde. (<i>Très-bien, très-bien!</i>)</p> + +<p>Je crois que la révolution de Juillet et le gouvernement +qui en est né seront bien conseillés s'ils s'appliquent à rechercher +l'alliance de la religion, à donner satisfaction à cette +portion considérable du clergé qui veut rester paisible et se +renfermer dans sa mission religieuse. Ne nous trompons +pas par les mots, il ne s'agit pas de formes polies, de respect +extérieur, de pure convenance; il faut donner au clergé +la ferme conviction que le gouvernement porte un respect +profond à sa mission religieuse, qu'il a un profond sentiment +de son utilité sociale; il faut que le clergé prenne confiance +dans le gouvernement, sente sa bienveillance: il lui +donnera en retour l'appui dont je parlais tout à l'heure, et +qui peut, plus qu'aucun autre, vous mettre en état de lutter +contre les ennemis dont vous êtes investis.</p> + +<p>C'est sous ce point de vue, c'est dans cet esprit que je +vous prie de considérer toutes les propositions qu'on vous +fait relativement au clergé, et en particulier l'amendement +dont il s'agit. (<i>Mouvements divers.</i>)</p> + +<p><i>Quelques voix.</i>--Vous n'étiez pas dans la question.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, j'espère que vous verrez que +l'amendement n'est pas étranger aux considérations que j'ai +eu l'honneur de vous soumettre. (<i>Non, non!</i>)</p> + +<p>Cet amendement a d'abord un caractère que je ne sais +comment qualifier, un caractère fantasque, arbitraire, si +j'ose dire. En effet, pourquoi ne propose-t-il pas de supprimer +600 mille, 800 mille francs? Pourquoi ne propose-t-il +pas de supprimer tout? Il n'y a pas de raison, d'après les +principes de l'honorable membre, pour s'arrêter à un chiffre +plutôt qu'à un autre.</p> + +<p>Il est arbitraire; les bourses des séminaires ont une raison. +Il est évident qu'elles ont pour objet d'aider la portion pauvre +de la population qui serait disposée à entrer dans le clergé, +de l'aider, dis-je, à faire ses études. C'est, comme l'a dit lui-même +cet orateur, c'est un recrutement moral, exercé dans +la nation au profit du clergé. Cependant il y a des limites à +fixer. On peut les déterminer par ce fait: combien se fait-il +d'ecclésiastiques par an? Cet amendement ne repose sur aucune +base. Remarquez de plus sa coïncidence avec tous les +autres amendements qui vous sont proposés. Vous avez réduit +hier considérablement les traitements des archevêques +et des évêques; on vous propose de réduire certains établissements +ecclésiastiques, et en particulier le chapitre de Saint-Denis; +on vous propose même de le supprimer tout à fait.</p> + +<p>La maison des hautes études ecclésiastiques est supprimée +par le gouvernement lui-même.</p> + +<p>Il est difficile que, dans cette coïncidence de tous ces amendements, +le clergé, les hommes raisonnables du clergé, ne +voient pas, je ne dis pas une défaveur, un mauvais dessein, +mais enfin quelque chose de fâcheux pour lui; ils ne peuvent +y voir une intention bienveillante; ils ne peuvent croire +qu'après ces amendements ils seront aussi respectés, aussi +influents qu'auparavant, au moins aux yeux du gouvernement.</p> + +<p>On vous parle sans cesse de Napoléon, du concordat de +1801; le retour à ce concordat est l'idée qui domine dans +les esprits. Je l'accepte, et je demande qu'on sache bien ce +qu'a été ce concordat de 1801.</p> + +<p>Il a été un retour à la religion, la reconstruction de l'établissement +religieux pour soutenir l'établissement social. +C'est dans des intentions très-bienveillantes, très-favorables +à la religion, c'est au profit de l'établissement religieux que +le concordat a eu lieu.</p> + +<p>Si vous venez aujourd'hui, en 1832, affaiblir la religion et +l'établissement ecclésiastique en invoquant le concordat de +1801, vous ferez le contraire de ce qu'a fait Napoléon; ne +venez pas dire que vous imitez Napoléon; vous faites exactement +le contraire; vous défaites l'oeuvre du concordat de +1801. Ce fut, je n'hésite pas à le dire, peut-être la plus +grande preuve de la supériorité du génie de Napoléon que +d'avoir démêlé en 1801, au milieu des préjugés et des obstacles +de toute nature qui l'entouraient, qu'il fallait reconstituer +l'établissement religieux; il fut, non pas un des premiers, +mais le premier à concevoir cette grande idée.</p> + +<p>Eh bien! vous venez de faire petit à petit, par des amendements +misérables.....(<i>Vive interruption.</i>)</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--J'ose dire que personne plus que moi ne +respecte les décisions de la Chambre; non-seulement je m'y +soumets, mais je les respecte sincèrement, même quand je les +désapprouve.....</p> + +<p><i>A gauche.</i>--Alors ne les appelez pas misérables!</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Il y a une foule d'amendements non adoptés +que j'ai le droit d'appeler misérables; c'est de ceux-là que +j'ai voulu parler. (<i>Nouvelle interruption.</i>)</p> + +<p><span class="sc">M. Garnier-Pagès.</span>--Vous devez respecter non-seulement +la Chambre, mais les membres de la Chambre.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--L'honorable auteur de l'amendement, messieurs, +vous disait tout à l'heure que les bourses des grands +séminaires étaient complétement étrangères à la pensée primitive +de Napoléon quand il avait fait le concordat, et il +vous les a montrées introduites plus tard par Napoléon lui-même; +l'orateur a trouvé là une preuve qu'elles étaient +étrangères à la pensée première de Napoléon.</p> + +<p>Messieurs, Napoléon était un homme de sens, qui n'avait +pas la prétention de faire tout à la fois, qui savait ménager +les nécessités du moment et même les préjugés contre +lesquels il luttait; Napoléon se serait bien gardé de favoriser +les séminaires au moment où il rappelait les évêques, et +quand il a favorisé les séminaires plus tard, il se serait bien +gardé d'y fonder des bourses au même moment. Napoléon +savait attendre; il savait que de telles choses ne peuvent se +faire en un instant, et qu'elles exigent deux, trois et quatre +années: c'est là ce qu'il a fait.</p> + +<p>Érection des séminaires après celle des évêchés, et fondation +des bourses après celle des séminaires, voilà le progrès +de la politique de Napoléon; ce n'est pas une déviation, c'est +un progrès. Il poursuivait ses oeuvres avec la même persévérance, +avec le même courage et la même patience que je +souhaite pour mon compte au gouvernement de Juillet dans +l'oeuvre qu'il est appelé à fonder.</p> + +<p>Cette oeuvre, je le répète, c'est la création, l'organisation +complète du gouvernement constitutionnel. Pour le fonder +véritablement, pour lutter avec succès contre les forces qui +l'attaquent, nous avons besoin de l'appui, de l'alliance de la +religion et du clergé comme établissement religieux.</p> + +<p>Pour mon compte, je désire cette alliance, je la seconderai +autant qu'il sera en mon pouvoir; et comme je trouve +les bourses dans les grands séminaires favorables à cette alliance, +comme j'y trouve une preuve de la bienveillance du +gouvernement et de la Chambre pour l'établissement religieux, +je vote contre l'amendement.</p> + +<p class="large">Je repoussai en ces termes le sous-amendement de +M. Comte.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je prie la Chambre de remarquer que la +commission propose une réduction de 100,000 fr. et que +le gouvernement annonce une diminution prochaine de 500 +bourses. Ainsi ce que demande l'honorable M. Comte se trouve +dans la proposition du gouvernement et dans celle de la commission. +Je n'ai pas combattu ces propositions. C'est uniquement +à l'amendement de M. Dubois que je me suis opposé.</p> + +<p><span class="sc">M. Dubois.</span>--La commission a, en effet, annoncé dans son +rapport que le ministre avait pris la résolution d'éteindre successivement +500 bourses, et que la diminution de 100,000 fr., +qui a eu lieu cette année, était un premier pas vers cette +extinction. Eh bien, quand l'extinction de 500 bourses aura +eu lieu, c'est-à-dire quand vous aurez retranché encore +100,000 fr., car la diminution de 100,000 fr. retranche +250 bourses, vous aurez atteint la limite d'extinction annoncée +par le ministre.</p> + +<p>Il résulte de calculs positifs que l'année dernière vous +entreteniez pour 1,210,000 fr. 3,025 élèves à 400 fr. +Quand vous aurez atteint la limite de 500 bourses éteintes, +vous entretiendrez encore 2,525 élèves qui coûteront +1,010,000 fr. Je dis que cela est beaucoup trop, que +vous ne pouvez pas entretenir 2,525 élèves quand, chaque +année, il ne sort qu'un nombre de 1,200 prêtres, et c'est là +qu'était toute la force de mon amendement. (<i>Bruit</i>).</p> + +<p>D'autre part, j'entre tout à fait dans les raisonnements de +mon honorable ami M. Comte. Alors, si la Chambre consent +à allouer 600,000 fr. au budget, il sera demandé un crédit +supplémentaire pour faire face à la dépense des bourses jusqu'à +ce que les jeunes gens aient fini leur éducation.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>, <i>de sa place</i>.--2,500 bourses ne donnent pas +2,500 prêtres par an. Les études durent quatre ans; il faut +quatre ans pour qu'un séminariste devienne prêtre. Il ne +sort des grands séminaires que 500 ou 600 prêtres par an, +et comme, d'après les calculs de M. Dubois, il en faut 1,200, +il s'ensuit que, indépendamment de ceux qui ont été élevés +comme boursiers, il en faut encore 600. (<i>Bruits divers.</i>)</p> + +<a name="XL" id="XL"></a> +<br><br> +<h3>XL</h3> + +<p class="mid">Discussion du budget de 1832.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 28 février 1832.--</p> + +<p class="large">La commission chargée de l'examen du projet de +budget pour l'exercice 1832 avait proposé, dans son +rapport, à propos du chapitre XXII du budget du ministère +de l'agriculture et du commerce, sur le service +de la vérification des poids et mesures, une réduction +de 500,000 francs. Je combattis cet amendement qui fut +rejeté.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--J'avoue que je partage l'inquiétude des préopinants +sur l'effet de l'amendement de votre commission à +l'égard du système des poids et mesures.</p> + +<p>C'est sans aucun doute un des beaux ouvrages, un des +beaux résultats de notre Révolution. C'est un résultat qui +réunit, remarquez-le, l'utilité journalière, l'utilité minutieuse +à la beauté scientifique et systématique. Il n'y a +rien de si rare que ces deux avantages, celui de l'utilité de +tous les jours et celui de la beauté scientifique réunis. +(<i>Approbation.</i>)</p> + +<p>Eh bien, le système des poids et mesures a ce double +mérite; et cependant, il rencontre encore, dans les habitudes +populaires, de grands obstacles, il a eu besoin d'être +soutenu par la main de fer du gouvernement impérial pour +commencer à prévaloir. Il s'en faut encore beaucoup +qu'il ait complétement prévalu, et il a besoin d'être soutenu +encore longtemps par l'administration pour s'établir tout à +fait dans les habitudes du pays.</p> + +<p>Messieurs, l'organisation actuelle des vérificateurs des +poids et mesures me paraît seule propre à soutenir efficacement +le système. Je crains qu'on ne se soit pas rendu un +compte bien exact de ce que font les vérificateurs et de l'influence +qu'ils exercent. Les vérificateurs font trois choses: +la première est de tenir le bureau de poinçonnage et d'étalonnage +pour toutes les mesures nouvelles; ce bureau se tient +au chef-lieu de l'arrondissement.</p> + +<p>Ils font ensuite des tournées dans les arrondissements +pour vérifier les poids et mesures anciens; enfin ils dressent +les matrices des rôles de tous les assujettis à la vérification. +Les assujettis s'élèvent en France à 900,000. Les rôles +sont dressés ensuite pour les contributions directes et non +pour les contributions indirectes.</p> + +<p>Quels sont les mérites de cette administration ainsi réduite +à sa plus simple expression? C'est précisément +d'être un service spécial fait par des hommes spéciaux qui +ont étudié la matière. Assurément, il ne faut pas être un +homme de génie pour comprendre le système des poids et +mesures et pour en surveiller l'application; cependant il +faut avoir un peu réfléchi, il faut avoir l'habitude de comparer +les poids et mesures prodigieusement divers des départements +avec les poids et mesures du système décimal. Eh +bien! ce genre d'instruction ne peut appartenir qu'aux employés +qui en ont fait une étude spéciale.</p> + +<p>De plus, le service de la vérification a cet avantage de +n'être nullement fiscal. Je ne sais si beaucoup de membres +de cette chambre ont pris la peine de lire avec soin l'ordonnance +du 18 décembre 1825, qui a réglé cette organisation. +Elle a veillé avec le plus grand soin à ce qu'il n'y eût rien de +fiscal. En voici la preuve.</p> + +<p>Cette ordonnance porte, article 12:</p> + +<p>«Le montant du crédit ne pourra être supérieur au produit +de la rétribution de l'année précédente; quand il sera +reconnu que la totalité de la recette n'est pas absorbée par la +dépense nécessaire, il sera pourvu à une réduction sur la +quotité du tarif pour l'avenir, en observant ce qui est dit au +dernier paragraphe de l'article 16.»</p> + +<p>Tant on a voulu que cette rétribution fût exclusivement +affectée aux dépenses, et tant on s'est appliqué à ôter tout +caractère de fiscalité à ce travail.</p> + +<p>Voici l'article 22:</p> + +<p>«Il est défendu aux vérificateurs de s'ingérer dans le recouvrement +de la rétribution, et de percevoir ou accepter +aucun salaire de la part de ceux dont ils vérifient les poids +et mesures, à peine de concussion.»</p> + +<p>Vous voyez qu'on a compris à cette époque combien il +était important d'ôter à cette vérification tout caractère de +fiscalité. Eh bien, c'est ce service qui existe, qui n'a point de +caractère fiscal, que vous allez défaire.</p> + +<p>Vous allez charger de ces fonctions des employés qui ont +autre chose à faire, et pour lesquels cela ne sera qu'un accessoire, +qui n'auront pas fait une étude spéciale du système +des poids et mesures et qui seront portés à considérer leur +nouveau service sous le point de vue purement fiscal; des +employés qui sont eux-mêmes soumis à la vérification.</p> + +<p>C'est évidemment compromettre le service des poids et +mesures, c'est lui ôter son caractère d'unité si important et +sans lequel le système entier n'existe pas.</p> + +<p>L'ordonnance de 1825, dont j'ai parlé, a été contre-signée +par M. Corbière; tous les gouvernements qui nous ont précédés +ont protégé l'unité du système de l'administration des +poids et mesures; il ne se peut pas que le gouvernement de +Juillet détruise cette unité et porte atteinte à l'oeuvre de +Monge. (<i>Très-bien! très-bien!</i>)</p> + +<a name="XLI" id="XLI"></a> +<br><br> +<h3>XLI</h3> + +<p class="mid">Discussion du budget de 1832.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 7 mars 1832.--</p> + +<p class="large">Dans la discussion du budget du ministère des affaires +étrangères pour l'exercice 1832, la politique de paix et +d'observation des traités, proclamée et pratiquée par +les cabinets du 8 août 1830 et du 13 mars 1831, avait +été de nouveau et vivement attaquée. M. Casimir Périer, +alors président du conseil, l'exposa et la défendit dans +un long et remarquable discours que M. Mauguin entreprit +de réfuter. Je pris la parole pour répondre à +M. Mauguin, et après ma réponse, la Chambre ferma +la discussion générale sur le budget des affaires étrangères.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, au point où cette discussion est +arrivée, je n'ai nul dessein de la prolonger longtemps. Je ne +prendrais même pas la parole s'il ne me semblait nécessaire +d'appeler, de concentrer toute l'attention de la Chambre sur +ce qu'il y a de vraiment nouveau dans notre situation et sur +la conduite que cette face nouvelle des affaires nous conseille, +à nous et à notre gouvernement.</p> + +<p>L'honorable préopinant nous disait tout à l'heure qu'il +écarterait toutes nos discussions passées, qu'il s'imposerait +de ne parler que de l'avenir de la France, de ce qui intéresse +véritablement notre avenir. Il vous l'a promis, j'essayerai de +le faire. (<i>Sourires</i>.)</p> + +<p>Il n'y a réellement d'important pour nous aujourd'hui, +après les longues discussions qui ont eu lieu à ce sujet, que +ce qui est nouveau, ce qui est survenu depuis que le ministère +du 13 mars dirige les affaires du pays.</p> + +<p>En effet, il y a quelque chose de nouveau; nous commençons +à sortir de cette situation violente où la question révolutionnaire +domine et étouffe toutes les autres; nous commençons +à sortir de cette situation où tout est question de +vie et de mort, où tous les intérêts sont obligés de se taire +devant un intérêt unique, exclusif, redoutable.</p> + +<p>Nous entrons dans cette situation plus libre où l'on peut +tenir compte de tous les faits, balancer tous les intérêts, +suivre une politique vraiment nationale, une politique indépendante, +au lieu de se débattre sous le coup d'une question +de vie et de mort. Eh bien, messieurs, persévérerons-nous +dans ce système? Avancerons-nous dans cette voie nouvelle, +ou retomberons-nous sous l'empire de la question révolutionnaire? +C'est là aujourd'hui le problème que cette Chambre +et le gouvernement sont appelés à résoudre.</p> + +<p>Rappelez-vous, messieurs, et je puis m'adresser à la mémoire +de tous les membres de cette Chambre, quel est le +fait sous l'empire duquel nous vivons, je puis dire, depuis +quarante ans: c'est une coalition générale de l'Europe; c'est +sous ce fait qu'après des efforts inouïs et des souffrances incroyables, +la République française faillit succomber. Il fallut +que la main de Bonaparte vînt la sauver.</p> + +<p><i>Plusieurs voix.</i>--La République s'était sauvée elle-même.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Il a sauvé la France, si vous voulez... (<i>Nouvelles +réclamations</i>.)</p> + +<p><i>Voix des extrémités.</i>--La France était sauvée quand Bonaparte +s'est mis à la tête du gouvernement.</p> + +<p><i>Aux centres.</i>--Laissez parler.</p> + +<p><span class="sc">M. de Grammont.</span>--Il n'est pas permis de défigurer ainsi +l'histoire.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Bonaparte, fit plus que de gagner des batailles; +il comprit très-bien d'où venait le danger; il comprit +qu'il fallait briser l'unité de l'Europe, dissoudre cette +coalition qui pesait sur la France. Étudiez la politique du +gouvernement consulaire; étudiez ses actes, ses négociations, +vous verrez qu'ils tendirent constamment à détruire l'unité +de l'Europe, à chercher des alliés à la France. Il négocia +successivement avec l'Espagne, le Portugal, la Prusse, l'Autriche. +Il ne négligea aucun moyen de se faire des alliés; il +chercha par tous les moyens à briser cette unité redoutable +qui avait pesé sur la République française, et à entrer dans +le système des alliances au lieu de rester sous celui de la +lutte révolutionnaire; c'est l'honneur du gouvernement consulaire +d'avoir ressuscité les négociations, d'avoir remis la +France en paix avec telle ou telle puissance de l'Europe, et +de l'avoir ainsi soustraite à ce fardeau de la coalition sous +lequel elle avait failli succomber.</p> + +<p>Malheureusement, vous le savez tous, Napoléon rentra +dans la voie d'où Bonaparte avait tiré la France. De même +que la Convention avait aspiré à la révolution universelle, il +refit contre lui-même la coalition qu'il avait travaillé à dissoudre; +il succomba à son tour. Ce fut dans cet état, en +présence de l'Europe liguée contre la France, que la Restauration +s'accomplit.</p> + +<p>Quelle fut la tentative, l'effort de la France, ou plutôt de +son représentant au congrès de Vienne? Ce fut de détruire +l'unité de l'Europe, de la mettre en deux, de faire à la France +une politique et des alliances distinctes. C'est, il faut le dire, +l'honneur de M. de Talleyrand d'avoir consacré, pendant le +congrès de Vienne, tous ses efforts à obtenir ce résultat, +d'avoir travaillé à détruire l'alliance de Chaumont; il y +réussit. Vous savez qu'il parvint à conclure une alliance +entre la France, l'Angleterre et l'Autriche. Les Cent-Jours +vinrent détruire cette oeuvre, et la France se retrouva en +présence de la coalition européenne; celle-ci prit le nom de +Sainte-Alliance, et se fit sous la prépondérance russe. +Voilà le fait sous lequel nous avons vécu jusqu'à la révolution +de Juillet, la Sainte-Alliance dirigée contre la France, et +dans la Sainte-Alliance, la prépondérance russe, résultat naturel +de la personne d'Alexandre et du rôle premier que la +Russie avait joué dans la lutte contre Napoléon.</p> + +<p>Eh bien! la révolution de Juillet semblait devoir confirmer +ce fait redoutable, resserrer tous les liens de la coalition +européenne contre la France. Telles ont été en effet et +nos craintes et les premières apparences; où en sommes-nous +aujourd'hui? Je le demande, où en sommes-nous depuis +que le système politique du cabinet se déploie en Europe? +Je conviens qu'il n'y a pas de scission entre les +puissances européennes; tous leurs représentants siégent à +Londres; leur union n'est pas près de se rompre, elle ne se +rompra pas, je l'espère; mais il est clair que l'unité de la +coalition européenne a disparu, qu'il n'y a plus de coalition +européenne contre la France.</p> + +<p>Je ne parle pas seulement de la ratification de l'Angleterre +au traité du 15 novembre; il est évident, par le langage +de ses ministres, par les sentiments qui éclatent et dans +le parlement britannique et dans toute la nation anglaise, que +si le gouvernement anglais n'a pas conclu un traité d'alliance +offensive et défensive avec la France, il marche de concert +avec le gouvernement français, qu'il est animé du même +esprit, que les intérêts communs des deux nations sont compris +par les deux gouvernements. Cela vaut bien les alliances +offensives et défensives écrites, car cela les amène le jour où +elles deviennent nécessaires. Ce que la France doit désirer, +c'est que l'Europe ne soit pas troublée, c'est que la paix de +l'Europe subsiste, et qu'au milieu de cette paix la coalition +soit détruite virtuellement, que la France se prépare des +alliances, une politique particulière pour le moment où elle +en aura besoin.</p> + +<p>Eh bien! c'est ce qui existe aujourd'hui en Europe. L'union +des puissances n'est pas troublée, mais il n'y a plus, +je le répète, de coalition générale contre la France. Le gouvernement +français et le gouvernement anglais marchent de +concert, et s'il n'y a pas de traité conclu, qu'on ne vienne pas +dire que cela tient à la présence de tel ou tel ministère, que +cela dépend du succès de telle ou telle mesure dans le parlement +britannique. Je crois que cette Chambre doit porter, et +pour mon compte je porte au ministère actuel de l'Angleterre +une véritable sympathie; je crois ses intentions excellentes, +et pour l'Europe, et pour l'Angleterre, et pour nous. Je n'ai +pas sur la mesure de la réforme une opinion arrêtée; je ne +fais profession de savoir les choses que quand je les connais +véritablement; cependant je désire le succès de cette mesure, +qui me paraît le voeu prononcé de l'Angleterre. Mais, je +le répète, je ne crois pas du tout que la bonne intelligence +de la France et de l'Angleterre tienne au succès de telle ou +telle mesure, à la présence de tel ou tel ministère. Elle a +des causes bien supérieures qui subsisteraient quand même +les discussions du parlement auraient une autre issue que +celle que nous pouvons attendre et espérer.</p> + +<p>Je ne connais aujourd'hui en Angleterre que le parti tory +violent, exagéré, qui puisse vouloir rompre avec la France, +une guerre avec la France, et la guerre générale en Europe: +eh bien! le torysme violent n'a aucune chance en Angleterre, +à moins que la France elle-même ne lui en donnât par sa +conduite violente en Europe, et par l'exagération de l'esprit +révolutionnaire chez nous.</p> + +<p>Après cela, qu'il arrive ce qu'il voudra en Angleterre, +que la discussion qui s'agite dans le parlement britannique +ait l'issue que le pays trouvera sage. Pour nous, quelque intérêt +que nous portions à la réforme, quelle que soit notre +sympathie pour le ministère actuel, notre sort n'est pas lié +au sien, et la bonne intelligence de la France et de l'Angleterre +peut trouver sa place dans une foule d'autres combinaisons.</p> + +<p>Le progrès politique dont je parle est moins avancé, j'en +conviens, sur le continent qu'au delà du détroit. La Prusse +et l'Autriche sont plus engagées que l'Angleterre dans les +traditions, les habitudes, et pour tout dire, les intérêts de la +Sainte-Alliance; elles sont placées encore, je ne dirai pas +dans la dépendance, mais sous la prépondérance russe, et +fort au delà de ce qui leur convient.</p> + +<p>Cependant, il est impossible de ne pas remarquer déjà, +dans chacune de ces deux puissances, une certaine tendance +à relâcher les liens qui les unissaient à la Russie, à se faire +une politique propre, personnelle, à agir plus librement +qu'elles ne l'ont fait pendant les quinze années de la Restauration; +il est impossible, après l'issue qu'a eue la guerre +de Pologne, que l'Autriche ne reprenne pas quelques-unes +de ses anciennes méfiances contre la Russie, de ces méfiances +qui ne l'ont jamais quittée, de ces méfiances qui, au commencement +de notre gouvernement et lorsque la coalition +européenne se formait contre nous, l'ont retardée longtemps. +L'Autriche reprendra bientôt quelques-unes de ces +méfiances.</p> + +<p>D'un autre côté, l'Autriche ne renoncera pas aisément à +l'alliance anglaise, qui est dans les habitudes du cabinet de +Vienne; cette alliance est un principe politique pour la monarchie +autrichienne. D'ailleurs, il s'est formé en Autriche +une multitude d'intérêts nouveaux auxquels nous ne pensons +pas assez, et qui modifient puissamment la politique des cabinets. +Ainsi, il y a quelques années, l'Autriche n'avait pas +dans la Méditerranée plus de deux ou trois cents bâtiments +de commerce; elle en a aujourd'hui plus de deux mille. Son +commerce a pris une telle extension qu'il est impossible +qu'elle ne ménage pas beaucoup, sous ce rapport, des intérêts +aujourd'hui très-puissants, et qui n'étaient rien il y a +quelques années.</p> + +<p>C'est ainsi que, par ses progrès naturels, la civilisation se +défend elle-même, qu'elle protège la paix, qu'elle oblige les +gouvernements de modifier leur politique. Quoique extérieurement +les choses restent les mêmes, il y a une foule de +causes qui imposent à l'Autriche une politique différente de +celle qu'elle a suivie autrefois, et qui l'obligent aujourd'hui +à se placer un peu hors des habitudes et des routines de la +Sainte-Alliance, à être un peu moins sous la prépondérance +russe qu'elle ne l'a été depuis quinze ans.</p> + +<p>Je pourrais faire le même travail sur la Prusse; je pourrais +montrer les intérêts nouveaux qui se sont créés, le système +essentiellement pacifique de son gouvernement, le +besoin qu'elle a de la paix, même pour cette influence sur +l'Allemagne dont on parlait tout à l'heure.</p> + +<p>D'ailleurs, il ne faut pas oublier que la personne, la volonté, +l'opinion du roi de Prusse, est d'un grand poids dans +la politique de son cabinet; d'autant que c'est un roi très-populaire, +très-cher à son pays, qui lui a rendu d'éminents +services, qui a protégé la liberté de la pensée, et favorisé le +développement de l'intelligence au delà de ce qu'ont fait +tous les autres souverains de l'Allemagne. Il a rendu surtout +à son pays ce service immense, celui de réunir en une seule +Église les luthériens et les calvinistes jusque-là séparés.</p> + +<p>La politique personnelle du roi de Prusse est essentiellement +pacifique; elle l'oblige à garder une extrême réserve, +ou du moins une bien plus grande réserve que ne faisait +jadis Frédéric-Guillaume, dans la vue générale d'une coalition +contre la France.</p> + +<p>Ainsi, messieurs, sur le continent, pour l'Autriche même +comme pour la Prusse, le lien de la Sainte-Alliance est partout +relâché; partout une politique nouvelle s'insinue dans +les relations des cabinets, et les oblige à modifier leurs anciennes +routines.</p> + +<p>Reste, il est vrai la Russie, beaucoup plus fidèle, j'en conviens, +aux traditions de la Sainte-Alliance; d'abord elle l'avait +enfantée; elle y avait la prépondérance, c'était son oeuvre, +son empire; il est naturel qu'elle y tienne davantage; d'ailleurs +les principes de l'absolutisme sont plus ceux de la +Russie que de toute autre puissance; il n'y a pas lieu de +s'étonner de cette adhérence plus longue de la Russie à la +Sainte-Alliance. Cependant elle n'en est pas venue jusqu'à +une hostilité sérieuse, véritable, contre la France.</p> + +<p>Ne croyez pas les bruits répandus à ce sujet. Les gouvernements +absolutistes ne sont pas aussi légers, aussi téméraires +qu'on est tenté quelquefois de le croire. Savez-vous +quelle eût été l'envie de l'empereur Nicolas? De mettre la +France de Juillet au ban de l'Europe, de lui rendre les relations +plus difficiles, plus épineuses, plus malveillantes. +C'était là la politique de l'empereur de Russie, et non pas +une guerre générale et déclarée.</p> + +<p>Eh bien! si tous les faits que j'ai eu l'honneur de rappeler +à la Chambre sont exacts, il est évident que la Russie +ne dispose plus de l'Europe comme le faisait la Sainte-Alliance. +D'un autre côté, il est impossible que l'empereur +Nicolas lui-même ne s'aperçoive pas que la politique, je +n'ose pas dire qu'il suit, mais dans laquelle il semble vouloir +persister trop longtemps, nuit à la cause qu'il veut servir. +Ce sont l'esprit révolutionnaire, les chances de révolution +qui alarment l'empereur Nicolas. Eh bien! tout retard à la +pacification générale de l'Europe, tout retard à des arrangements +définitifs et généraux entretient le ferment révolutionnaire, +empêche l'esprit de paix et d'ordre de renaître +véritablement en Europe: en sorte que, par sa persistance +imprudente dans la politique de la Sainte-Alliance, l'empereur +Nicolas compromettrait la cause qui lui est chère, et prêterait +des forces à l'esprit révolutionnaire qu'il veut combattre.</p> + +<p>Il est impossible qu'il ne s'aperçoive pas de ce danger et +qu'il ne renonce pas de lui-même à une erreur qui n'est, +permettez-moi de le dire, qu'une routine.</p> + +<p>Il est une vérité proclamée par tout le monde, je crois, +excepté par l'honorable M. Mauguin; c'est que la prépondérance +russe n'existe plus, ou du moins qu'elle est grandement +affaiblie.</p> + +<p>J'avoue que j'ai été étonné d'entendre dire tout à l'heure +que l'issue de la guerre de Pologne tournerait en grand accroissement +de puissance pour la Russie. Ce qui m'a paru +depuis deux ou trois mois évident pour tout le monde, c'est +que, quelle qu'ait été l'issue de la guerre de Pologne, la +Russie n'en a pas moins reçu un notable échec dont elle +portera longtemps les marques; non-seulement à cause des +efforts matériels, des sacrifices d'hommes et d'argent qu'elle +a été obligée de faire dans cette lutte, efforts plus grands +qu'on ne sait au dehors, et qui lui ont coûté plus cher +qu'on ne croit, mais à cause de son influence morale qui +s'est affaissée.</p> + +<p>Eh quoi! l'on a vu 60 ou 80,000 hommes et une seule +ville résister pendant près d'une année à la puissance de l'empire +russe, tenir les esprits en suspens, faire un moment +flotter les destinées; et l'on trouverait là un grand accroissement +de force et de crédit pour l'empire russe! J'ose dire +qu'il n'y a aucun accroissement de territoire qui puisse compenser +l'échec que la Russie a éprouvé dans cette circonstance. +(<i>Voix nombreuses.</i> Très-bien, très-bien!)</p> + +<p>Vous le voyez, messieurs, malgré les apparences, malgré +l'union qui continue à régner entre les puissances de l'Europe, +la Sainte-Alliance s'écroule de toutes parts, les liens +s'en relâchent. La politique constamment unie contre +la France s'affaiblit; chaque État revient à une politique +plus personnelle, plus libre; les combinaisons intérieures de +chaque État peuvent varier, la France peut trouver place +dans ces différentes combinaisons.</p> + +<p>Il n'est pas vrai que la France soit engagée dans tel ou +tel système exclusivement, qu'elle ne puisse pas, dans telle +ou telle occasion, chercher et trouver d'autres alliés. C'est +par la force de sa position qu'elle veut la paix en Europe; +elle a contribué plus qu'aucune autre puissance à maintenir +la paix européenne; elle est libre de choisir désormais +ses alliés et de faire prédominer, dans tel ou tel +moment, tels ou tels de ses intérêts. Si j'avais besoin de +preuves spéciales et positives, je les trouverais bien facilement +dans les événements qui occupent aujourd'hui tous les +esprits, dans les affaires d'Italie et dans les affaires même +d'Ancône. Si jamais il a été évident que l'état général de +l'Europe était changé, que la Sainte-Alliance était détruite, +que la France était maîtresse de sa politique, et pouvait retrouver +les combinaisons les plus avantageuses, l'affaire d'Ancône +en est la preuve. (<i>Rires d'incrédulité aux extrémités.</i>) +Permettez-moi de vous le prouver. (<i>Marques générales d'attention.</i>)</p> + +<p>Messieurs, quand a éclaté l'insurrection de la Romagne, +la première, et j'ajouterai même la seconde, vous savez que +l'opinion générale qui nous a saisis tous a été que c'était +une manifestation d'un vif esprit de liberté, que ces populations +voulaient avoir des institutions nouvelles, que les concessions +offertes et même données par le gouvernement +n'étaient pas suffisantes, qu'il en fallait de beaucoup +plus étendues et plus solides; c'était l'opinion générale. +Cependant au milieu de cette opinion, on a entendu dire +tout à coup, je ne dirai pas qu'une assez vive sympathie, le +mot est trop fort, mais qu'une assez grande faveur pour +l'Autriche se manifestait dans ces États et qu'ils n'étaient +pas fâchés de la rentrée des troupes autrichiennes. Cette prédilection +pour l'Autriche, du côté de la Lombardie, a dû +nous étonner; cependant il est impossible de méconnaître +le fait.</p> + +<p>On a dit tout de suite qu'il s'agissait d'une grande intrigue +de la part de l'Autriche, d'une intention de conquête, et que +son intervention dans la Romagne n'était qu'un prétexte +pour s'emparer de cette province, et l'ajouter à ses possessions +italiennes.</p> + +<p>Je ne crois, je dois le dire, ni à l'un ni à l'autre fait. Je +ne crois pas que ce soit le besoin général et vivement senti +d'institutions libres qui ait soulevé la Romagne. Il y a là, à +mon avis, une question beaucoup plus profonde, beaucoup +plus difficile à résoudre. Je ne crois pas aux intrigues autrichiennes +pour conquérir Bologne, et l'ajouter aux autres +possessions de l'Autriche en Italie.</p> + +<p>L'Autriche sait très-bien que ni la France, ni l'Angleterre, +ni la Prusse, ne souffriraient un pareil accroissement de sa +part en Italie. Mais l'état général de l'Italie a amené ces +insurrections partielles, et en amènera peut-être, dans la +série des années, beaucoup d'autres. Il y a là un malaise général, +la souffrance d'un pays qui aspire à un changement +d'état; non-seulement cette cause excite naturellement des +mouvements analogues à ceux que vous avez vus; mais c'est +un excellent principe de guerre générale en Europe, une +excellente chance pour certaines gens d'établir par ce moyen +une collision dont ils ont besoin, et qu'ils n'ont pu réussir à +opérer ailleurs. Nous ne pouvons le méconnaître; nous +sommes trop accoutumés à regarder les affaires de notre +pays et celles de l'Europe pour ne pas voir qu'il y a un +parti, une faction qui a besoin d'une guerre générale, qui +n'a d'espérance, de chance que dans une collision universelle. +Eh bien, on avait espéré que cette collision naîtrait de +la Belgique, elle a manqué; on l'avait espérée de la Pologne; +elle a manqué. On la cherche en Italie.</p> + +<p>Il y a là un foyer de guerre générale, et je ne doute pas +(je ne sais aucun fait particulier, je n'inculpe personne), je +ne doute pas que l'insurrection polonaise d'abord, et ensuite +cette espèce de mouvement qui s'est manifesté, vers l'Autriche, +n'aient été fomentés par ce besoin d'une guerre +générale qui a été deux fois déjà l'espérance de cette faction; +je ne doute pas qu'on n'ait espéré, si les provinces bolonaises +se détachaient tout à fait du gouvernement papal +et se rattachaient à l'Autriche, cette collision qui avait +manqué en Belgique et en Pologne.</p> + +<p>Je crois qu'on se sera trompé pour l'Italie comme on +s'est trompé en Belgique et en Pologne. Je crois fermement +que le gouvernement de l'Autriche a trop de bon sens +pour ne pas comprendre que la possession même de la +Romagne ne vaut pas à beaucoup près pour lui les chances +d'une guerre générale. La France, d'un autre côté, sait très-bien +et a prouvé par sa conduite qu'un succès aussi vif qu'on +voudra le supposer ne lui vaudrait rien pour elle-même.</p> + +<p>Ainsi la France et l'Autriche ne donneront pas dans le +piége qui leur est tendu; elles ne se laisseront pas entraîner +dans une collision.</p> + +<p>Cependant le malaise italien est un fait qu'on ne peut +supprimer et dont il faut tenir compte. L'Autriche a +grande envie, sinon de conquérir, du moins de maintenir ou +d'étendre sa prépondérance en Italie; l'Autriche veut que +l'Italie lui appartienne par voie d'influence; la France ne +peut le souffrir.</p> + +<p>Eh bien! là où l'on voudrait une cause de collision générale, +ce sera seulement une cause de difficultés, de négociations +entre les deux puissances. Il faut que chacun prenne ses +positions; l'Autriche a pris les siennes; nous prendrons les +nôtres; nous lutterons pied à pied contre l'influence autrichienne +en Italie; nous éviterons une collision générale; +mais nous ne souffrirons pas que l'Italie tout entière tombe +décidément et complétement sous la prépondérance autrichienne.</p> + +<p>Et remarquez, messieurs, les révolutions, l'insurrection, +la conquête, voilà la politique révolutionnaire, celle dans +laquelle on voudrait nous entraîner. Des expéditions partielles, +des mesures comminatoires, des négociations, voilà +la politique régulière, la politique de la civilisation. (<i>Marques +nombreuses d'approbation.</i>)</p> + +<p>Eh bien, c'est cette politique que nous devons suivre en +Italie. Sans doute nous devons lutter contre l'Autriche, favoriser +le développement des libertés italiennes; nous devons +penser à la prodigieuse incertitude de l'avenir de ce grand +pays, y préparer notre politique tranquillement, régulièrement, +en n'ayant pas peur des embarras et des difficultés, +en sachant les affronter au besoin et les surmonter +lentement.</p> + +<p>Je sais que cette politique est compliquée, difficile; je +sais que ce n'est pas celle à laquelle nous sommes habitués +depuis quarante ans; mais remarquez la situation nouvelle +où le gouvernement représentatif et la liberté de la presse +placent la politique. Les gens qui écrivent sur les événements +et ceux qui les lisent croient assister à un spectacle, à un +drame; ils sont des spectateurs oisifs, pressés que la pièce +marche et qu'elle arrive à son dénoûment; ils sont impatients +des difficultés, des lenteurs; ils s'ennuient. Mais les +événements sont très-réels; ce n'est pas une comédie; les +personnages sont très-réels aussi, et ils ne sont pas si pressés +que les spectateurs; ils prennent leurs aises, ils calculent +leurs intérêts. En politique pratique, cette rapidité nécessaire +à un drame joué devant le public assemblé ne conviendrait +point; les événements se déroulent bien plus +lentement, avec plus de difficultés. Vous vous plaignez que +la Prusse, la Russie, l'Autriche et la Hollande, n'aient pas +encore reconnu l'indépendance de la Belgique. Messieurs, +au <span class="sc">XVI</span><sup>e</sup> siècle, la Belgique, les Pays-Bas voulurent se rendre +indépendants de l'Espagne. Voulez-vous me permettre de +vous rappeler quel temps ils ont mis à se faire reconnaître. +(<i>Mouvement.</i>)</p> + +<p>La première insurrection a eu lieu en 1562.</p> + +<p>La déclaration de l'indépendance des Provinces-Unies a été +faite en 1581; la première trêve que l'Espagne accorda eut +lieu en 1609: cette trêve fut accordée par suite de la médiation +de la France et de l'Angleterre. La guerre a recommencé +en 1621, et ce n'est qu'en 1648, quatre-vingt-six ans +après, que l'Espagne a reconnu l'indépendance des Provinces-Unies. +(<i>Bruits divers. Rires d'approbation aux centres.</i>) +C'est à travers ces épreuves et des souffrances inouïes +que les Provinces-Unies parvinrent à assurer leur indépendance.</p> + +<p>Non, messieurs, la Belgique n'a pas à se plaindre; il lui +en a peu coûté pour redevenir un État; elle a été heureuse +de trouver si promptement la protection de la France. C'est +au sein de la paix, c'est sans de grandes souffrances, qu'elle +attend les ratifications générales qui lui arriveront; je ne +sais si ce sera dans deux ou trois mois; mais si elles se faisaient +plus longtemps attendre, ce ne serait pas encore +une raison pour nous élever contre un système de politique +qui a amené de si prompts et de si rapides résultats.</p> + +<p>Je demande à la Chambre la permission de le lui répéter, +parce que c'est, à mon avis, le seul fait important de notre +situation; nous commençons à sortir de la question révolutionnaire; +nous commençons à entrer dans ces questions de +politique pratique où il y a de la liberté, de la diversité, et +qui ne sont point des questions de vie et de mort dont on +ne peut attendre sans crainte la solution.</p> + +<p>Ce résultat, ce pas que nous avons fait hors de la politique +révolutionnaire, nous le devons au système du gouvernement +depuis la révolution de Juillet; à ce système modéré +et pacifique qui n'a engagé la France ni dans les voies révolutionnaires, +ni dans aucune combinaison exclusive.</p> + +<p>La Chambre a appuyé ce système; qu'elle persévère à lui +donner son appui. Les difficultés que nous rencontrons +sont graves, sans doute, mais elles n'ont rien de fatal, de +menaçant; elles se résoudront toutes par la bonne conduite +du gouvernement, et la persévérance des pouvoirs constitutionnels +dans les mêmes voies. C'est plus que jamais pour +la Chambre le moment de donner force et confiance au ministère +qui nous a fait entrer dans cette voie, la seule voie +de salut.</p> + +<p>Je vote pour le budget des affaires étrangères tel qu'il a été +proposé par le Gouvernement, sans aucune réduction, parce +que je suis convaincu que la France n'a rien de plus pressé, +rien de plus important, aujourd'hui, que d'appuyer ce premier +essai de politique raisonnable et naturelle que nous +voyons poursuivre depuis un an. (<i>Marques nombreuses et +prolongées d'approbation.</i>)</p> + +<a name="XLII" id="XLII"></a> +<br><br> +<h3>XLII</h3> + +<p class="mid">Discussion du budget de 1832.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 14 mars 1832.--</p> + +<p class="large">Dans la discussion du budget du ministère de la +guerre pour l'exercice 1832, M. Mangin d'Oins, député +d'Ille-et-Vilaine, proposa par amendement:</p> + +<p class="large">1° La mise à la retraite de 78 lieutenants généraux +et de 122 maréchaux de camp;</p> + +<p class="large">2° L'allocation de 10,000 francs aux 42 lieutenants +généraux, et de 6,666 francs aux 60 maréchaux de +camp qui resteraient en non-activité. Ce qui devait produire +une réduction de dépenses de 1,686,040 francs.</p> + +<p class="large">Je combattis cet amendement qui fut rejeté.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, je viens prier la Chambre de +mettre un terme, et un terme prompt, à cette discussion.</p> + +<p><i>Aux extrémités.</i>--Eh bien! aux voix, aux voix! (<i>Agitation.</i>)</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, permettez..... (<i>Non, non, aux +voix!</i>) Messieurs, personne ne pense plus que moi que la +Chambre ne doit céder à aucune crainte; personne n'est +plus convaincu que moi que la Chambre peut avoir, dans +des occasions que je ne veux pas caractériser, des devoirs +difficiles, rigoureux même à remplir; et si elle se trouvait +dans une de ces occasions, je serais le premier à lui demander +tout son courage, quels que fussent les périls. Mais +rien de pareil n'existe aujourd'hui. Je prie la Chambre de se +rappeler la situation où elle se trouve. La Chambre des +députés est de fait, et par une conséquence naturelle de notre +révolution, le pouvoir prépondérant de l'État; c'est elle qui +détermine la direction du gouvernement, et qui imprime le +caractère de son opinion aux affaires publiques. Or, messieurs, +la responsabilité est inhérente au pouvoir, à la prépondérance. +Conduisez-vous avec la prudence que commande +la responsabilité.</p> + +<p>Que fit Henri IV après la Ligue? Il paya les dettes de ses +ennemis, les dettes de Mayenne; il paya même trois fois +plus de dettes que Mayenne n'en avait. Henri IV savait qu'au +sortir des troubles politiques, il faut surtout s'appliquer à +guérir toutes les plaies, à rassurer toutes les existences; il +savait que c'est une faute énorme de porter sans cesse le +trouble et l'inquiétude dans toutes les classes de la société... +(<i>Aux voix, aux voix!</i>)</p> + +<p><i>Plusieurs voix aux extrémités.</i>--A l'amendement, à +l'amendement!</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--C'est de l'amendement que je parle.</p> + +<p><i>Au centre.</i>--Écoutez, écoutez!</p> + +<p><i>M. le Président du Conseil.</i>--Attendez le silence!</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Ce que la Chambre a à faire aujourd'hui, +la mission à laquelle elle est appelée, c'est de se conduire +comme fit Henri IV, de jouer le rôle d'un grand homme, de +suivre une bonne politique, une politique prudente et nationale.</p> + +<p>Un orateur accusait hier le ministère de chercher à contenter +tout le monde, et de ne s'occuper que des intérêts +privés. Messieurs, c'est chose impossible, je le sais fort bien, +que de contenter tout le monde; mais il faut chercher aussi +à ne pas mécontenter tout le monde. (<i>Très-bien, très-bien.</i>) +C'est là le premier devoir d'un gouvernement, et on sert en +cela l'intérêt général, car l'intérêt général n'est autre chose +que la collection des intérêts privés, qu'il faut consulter +tous et ménager continuellement. Eh bien! c'est le devoir +de la Chambre, c'est sa mission de penser à toutes choses, +de ménager tous les intérêts, de se les concilier tous, autant +qu'il est en son pouvoir; car c'est sur elle, je le répète, que +pèse la principale responsabilité des destinées de la révolution +de Juillet et du gouvernement qui en est sorti. (<i>Aux +voix, aux voix!</i>)</p> + +<p>Je dirai plus, messieurs; la Chambre, en suivant la +mauvaise politique dont je viens de parler manquerait non-seulement +à sa situation, elle manquerait encore, je n'hésite +pas à le dire, à ses sentiments, à ses propres sentiments.</p> + +<p>Tous les glorieux souvenirs de notre révolution, tous les +noms propres qui s'y rattachent sont chers à la Chambre; la +Chambre honore et aime toutes nos gloires, elle désire marquer +sa bienveillance et son estime à ces guerriers à qui +nous devons nos triomphes. Mais il faut, messieurs, que la +Chambre sache que la reconnaissance coûte quelque chose au +gouvernement et au peuple, qu'il faut faire des sacrifices pour +marquer l'estime que l'on porte à de grands services rendus, +qu'il n'est pas possible de témoigner dignement sa reconnaissance +et de dégrever en même temps les contribuables. +(<i>Bruits divers.</i>) La France veut, la France doit payer la gloire +qu'elle doit à ses défenseurs, car c'est elle qui en a recueilli +les fruits; leur gloire est pour elle aussi bien que pour eux; +mais la gloire coûte cher, la reconnaissance coûte cher. +N'hésitons pas, messieurs, à le dire au pays. C'est par de +telles leçons qu'il apprendra qu'il ne faut pas se précipiter +aveuglément dans les révolutions; c'est par de telles leçons +qu'il saura que la paix, la liberté régulière, le régime constitutionnel +valent mieux que tous les hasards des révolutions.</p> + +<p>Je le répète, je demande instamment à la Chambre de terminer +cette discussion.</p> + +<p><i>Voix de la droite.</i>--Eh bien! terminez votre discours.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Qu'elle consulte sa vraie situation, ses +propres affections; qu'elle réprime les abus à venir, qu'elle +réforme dans l'avenir les mauvais systèmes; mais qu'elle soit +juste, large, généreuse pour tous les services rendus, pour +toutes les gloires passées. (<i>Approbation aux centres.</i>)</p> + +<a name="XLIII" id="XLIII"></a> +<br><br> +<h3>XLIII</h3> + +<p class="mid">Discussion du budget de 1832.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 20 mars 1832.--</p> + +<p class="large">Le budget du ministère de la guerre contenait (chapitre +<span class="sc">XV</span>) une allocation de 500,000 francs «pour secours +aux anciennes armées de l'Ouest.» Plusieurs amendements +furent proposés pour la réduction de cette +somme. M. Casimir Périer et M. le maréchal Soult les +combattirent au nom de la politique. J'appuyai le cabinet +dans sa résistance. Les amendements furent rejetés.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>de sa place.</i>--Il est, je crois, bien convenu +que les secours dont il s'agit ne constituent pas des droits, +que le gouvernement est toujours libre de les retirer aux +personnes à qui ils sont donnés. Lors donc que vous voulez +réduire l'allocation, ce que vous allez réduire, ce sont les +moyens d'action, les moyens d'influence du gouvernement +dans l'Ouest. (<i>Mouvement en sens divers.</i>) Je ne doute pas que +le gouvernement ne retire et ne doive retirer ces secours +aux personnes qui, dans l'Ouest, se conduiraient mal et manifesteraient +leur hostilité contre le gouvernement actuel.</p> + +<p>Mais ce crédit, cette allocation laissée entre les mains du +gouvernement est évidemment un moyen d'influence sur des +gens dont il ne s'agit pas de conquérir l'affection, mais dont +il faut maintenir la tranquillité. Ceci n'est pas, je le répète, +une question d'affection, ce n'est pas non plus une question +de justice ni de droit; c'est une question d'influence, c'est +une mesure politique; si le gouvernement trouvait que les +gens auxquels ces secours sont donnés ne les méritent pas, +il les leur retirerait, et ne ferait aucun usage de votre crédit.</p> + +<p>Je demande que le crédit soit maintenu tout entier, afin +de ne pas affaiblir les moyens d'influence dont le gouvernement +dispose librement. (<i>Aux voix, aux voix!</i>)</p> + +<a name="XLIV" id="XLIV"></a> +<br><br> +<h3>XLIV</h3> + +<p class="mid">Discussion du projet de loi relatif à la résidence des étrangers +réfugiés en France.</p> + +<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 9 avril 1832.--</p> + +<p class="large">Le cabinet présenta, le 9 mars 1832, à la Chambre +des députés, un projet de loi relatif à la résidence des +étrangers réfugiés en France et aux droits du gouvernement +à leur égard. Le rapport en fut fait à la Chambre +le 7 avril 1832, par M. Parant, député de la Moselle. +Plusieurs membres de l'opposition, entre autres M. de +La Fayette, combattirent vivement ce projet. J'appuyai +la proposition du cabinet, qui fut adoptée et promulguée, +comme loi, le 21 avril 1832.</p> + +<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, je demande à la Chambre une +double permission: la première de ne pas l'occuper de politique +extérieure; ceci n'est pas du tout une question de +relations étrangères; c'est une question d'ordre intérieur, de +police française. Nous n'avons point à nous inquiéter en ce +moment de ce qui s'est passé, de ce qui se passe au dehors; +je n'y reviendrai pas.</p> + +<p>Je prie aussi la Chambre de trouver bon que je ne +rentre pas dans ces discussions générales sur le système de +gouvernement qui préside à nos destinées depuis un an, +dans ces accusations, ces défenses, ces récriminations générales +dont nous sommes abreuvés. (<i>Voix aux centres:</i> +C'est bien vrai!) J'ai pris part moi-même plusieurs fois à +ces débats, j'en suis las... passez-moi l'expression. Je ne +veux que présenter à la Chambre quelques observations sur +la question particulière, sur la loi spéciale qui nous est +proposée et sur laquelle je n'avais, en arrivant, nul dessein +de prendre la parole.</p> + +<p>Messieurs, j'estime, autant que l'honorable général qui a +ouvert la discussion, cette philanthropie générale qui s'intéresse +au sort universel de l'humanité, au progrès général +de la civilisation, et considère l'intérêt commun de tous les +peuples. Comme lui, je désire que les peuples se dégagent +de ces préventions, de ces haines nationales qui ont si longtemps +troublé l'Europe. Mais, messieurs, si j'honore la philanthropie +générale, j'estime aussi l'esprit de nationalité et +les sentiments qui le constituent; j'estime l'esprit de nationalité +comme j'estime l'esprit de localité, l'esprit de famille, +car là résident les véritables liens qui attachent les hommes +à la société particulière dans laquelle ils sont engagés et lui +assurent leur affection et leur dévouement. Je m'étonne d'entendre +constamment parler contre la centralisation de notre +administration intérieure, contre ses funestes conséquences +pour la vie morale de nos départements et de nos villes; et +en même temps on veut nous imposer je ne sais quelle +centralisation universelle de l'Europe; on veut que nous +nous inquiétions surtout des destinées universelles de l'humanité, +et que nous leur subordonnions les affaires particulières +de notre pays.</p> + +<p>Ce n'est pas ainsi, messieurs, que nous entretiendrons, +que nous ramènerons chez nous l'amour de nos institutions, +l'esprit national, tous les éléments du patriotisme. Sachez-le +bien, messieurs; c'est là ce qui fait la véritable force, c'est +là que réside le véritable honneur des nations. Il faut encourager, +nourrir ces sentiments et non les affaiblir. Ne +craignez pas qu'ils exercent aujourd'hui trop d'empire; ce +n'est pas le risque que nous courons.</p> + +<p>Le principe sur lequel se fonde la loi qui vous est proposée +est que les étrangers n'ont pas les mêmes droits que +les nationaux; pourquoi, messieurs? parce qu'ils n'offrent +pas les mêmes garanties. Les étrangers ne sont point animés, +envers le pays qu'ils habitent en passant, des mêmes sentiments +que les nationaux; leurs intérêts, leurs affaires, leur +existence tout entière ne sont pas liés aux intérêts, aux +affaires, à l'existence du pays; n'offrant donc pas les mêmes +garanties à l'ordre public, à l'intérêt national, les étrangers +ne doivent pas, ne peuvent pas avoir les mêmes droits. Voilà +le motif légitime, naturel, de cette législation particulière à +l'égard des étrangers qui se rencontre partout.</p> + +<p>Il ne faut pas s'en étonner; il ne faut pas la traiter de privilége, +de barbarie. C'est le résultat naturel, universel, du +bon sens humain; c'est ce qui a existé de tout temps et dans +toute société. Une législation particulière à l'usage des étrangers, +c'est le droit commun de l'Europe, de l'humanité +tout entière. Cette législation suivra sans doute les progrès +de la civilisation; elle deviendra chaque jour plus douce, +plus humaine, plus juste; mais elle existera tant qu'il y +aura des nations distinctes et des pays séparés.</p> + +<p>La vraie, l'unique question qui doive nous occuper est donc +celle de savoir si, dans les circonstances particulières où +nous nous trouvons, dans les rapports actuels de la France +avec l'Europe, il y a quelque motif d'adopter, à l'égard des +étrangers, les mesures particulières que le gouvernement +vous propose.</p> + +<p>Je prie d'abord la Chambre de remarquer que le gouvernement +était en possession d'une loi formelle plus d'une fois +appliquée, et qui lui donnait le droit d'expulser les étrangers +du territoire. Le gouvernement ne vient donc pas vous +demander quelque chose d'inouï, un accroissement de rigueur +à la législation actuelle. Il vient simplement, sincèrement, +vous proposer de modifier, selon les circonstances +actuelles, la législation en vigueur.</p> + +<p>Remarquez, je vous prie, messieurs, que, depuis la révolution +de Juillet, l'administration est arrivée à un degré de +franchise et de sincérité que peut-être elle n'avait jamais eu +auparavant.</p> + +<p>Nous avons vu des administrations bienveillantes, prudentes, +occupées du bien du pays, très-rarement une administration +complétement sincère, qui avouât hautement, qui +professât, qui pratiquât, sans exception, sans détour, les +principes constitutionnels, et vînt débattre au grand jour, +dans cette enceinte, toutes les affaires du pays. Vous avez +cela, messieurs; vous avez un gouvernement sincère, qui +vient tout vous dire, qui vous demande tout ce dont il croit +avoir besoin, rien de moins, rien de plus. Il était en possession +d'une législation toute faite à l'égard des étrangers. +(<i>Vive adhésion.</i>) Eh bien! il croit avoir besoin de quelques +modifications qui la rendent, à certains égards, moins dure. +Il s'adresse à vous, à vous qui êtes chargés avec lui des intérêts +du pays, N'y a-t-il pas là évidemment droiture, franchise, +adoption nette et complète du régime constitutionnel? +Qu'avez-vous à faire, sinon d'examiner si en effet il y a +des raisons, de bonnes raisons aux modifications qu'on vous +demande? (<i>Nouvelle adhésion.</i>)</p> + +<p>Il suffit, messieurs, de jeter les yeux sur les faits pour s'en +convaincre. Il y a eu en Europe, depuis dix-huit mois, plusieurs +tentatives de révolution; que l'esprit de liberté, le +besoin d'amélioration aient eu part à ces tentatives, je n'en +doute pas; mais il y eu aussi des besoins anarchiques, des +instincts de trouble et de bouleversement. Ces tentatives ont +offert du bien et du mal, de l'utilité et du danger. Ces étrangers +qui arrivent chez vous ne sont pas tous, permettez-moi +de le dire, des amis parfaitement sages, parfaitement désintéressés +de la liberté; il peut exister, il existe parmi eux des +hommes qui peuvent devenir chez nous une cause de trouble, +qui ont besoin d'être surveillés.</p> + +<p>Nous ne voulons pas faire de propagande au dehors et +contre nos voisins, mais nous ne voulons pas non plus qu'on +en fasse chez nous et contre nous.</p> + +<p>Je le répète, et je ne voudrais pas que l'on prêtât à mes +paroles un sens, une portée que je ne leur donne point; je +ne porte, à cette masse d'étrangers qui s'est réfugiée chez +nous, aujourd'hui plus nombreuse qu'en aucun autre temps, +aucun sentiment amer, hostile; je ne ressens pour eux que +bienveillance et sympathie; mais nous pouvons, nous devons, +sur leur compte, comme dans toute autre question, +parler avec franchise et dire la vérité tout entière.</p> + +<p>Eh bien, messieurs, qui ne sait, qui pourrait nier qu'il +doit y avoir, qu'il y a, chez un certain nombre de ces étrangers, +des instincts, des besoins, des habitudes contraires à +notre tranquillité intérieure, et dont on pourrait se servir +pour la troubler? J'en appelle au plus simple bon sens; n'est-ce +pas là un fait évident pour tous? Or, que demande le +gouvernement? La simple faculté d'assigner aux étrangers +réfugiés une résidence plutôt qu'une autre; et pourquoi +encore, messieurs? parce qu'ils ne présentent pas les mêmes +garanties que les nationaux, parce qu'ils n'ont pas, au milieu +de nous, leurs biens, leurs familles, tout ce qui fait la force +et la sûreté de l'ordre public; c'est à cause de cela que le +gouvernement croit avoir besoin d'être investi, à leur égard, +d'une puissance particulière. Ce besoin est-il réel? Je le +pense, et je vote pour l'adoption de la mesure proposée.</p> +<br><br> +<h4>FIN DU TOME PREMIER.</h4> + +<br><br> + +<h3>TABLE DES MATIÈRES</h3> + +<h4>DU TOME PREMIER.</h4> + +<hr> + +<h4>INTRODUCTION<br> + +TROIS GÉNÉRATIONS<br> + +1789-1814-1848</h4> + +<p><a href="#i-I">I.</a>--1789-1814</p> + +<p><a href="#i-II">II.</a>--1814-1848</p> + +<p><a href="#i-III">III.</a>--1848</p> + +<h4>DISCOURS</h4> + +<p><a href="#I">I.</a>--Discussion du projet de loi présenté, le 22 mars 1819, sur +les journaux et écrits périodiques. (Chambre des députés, +séance du 3 mai 1819.)</p> + +<p><a href="#II">II.</a>--Discussion de l'adresse dite des 221. (Chambre des députés, +séance du 16 mars 1830.)</p> + +<p><a href="#III">III.</a>--Présentation et discussion du projet de loi relatif à la +publication de la liste des électeurs et du jury dans chaque +département pour l'année 1831. (Chambre des députés, +séances des 14 et 25 août 1830.)</p> + +<p><a href="#IV">IV.</a>--Présentation et discussion du projet de loi relatif au mode +de pourvoir aux élections vacantes dans la Chambre des +députés. (Chambre des députés, séances des 14 et 30 août +1830.)</p> + +<p><a href="#V">V.</a>--Présentation et discussion du projet de loi relatif à la réélection +des députés promus à des fonctions publiques +salariées. (Chambre des députés, séances des 17 et 27 août +1830.)</p> + +<p><a href="#VI">VI.</a>--Présentation d'un projet de loi portant demande d'un +crédit de cinq millions, applicable, sur l'exercice de 1830, +à divers travaux publics, soit à Paris, soit dans les départements. +(Chambre des députés, séance du 17 août +1830.)</p> + +<p><a href="#VII">VII.</a>--Discussion d'une proposition relative à la formule du +serment exigé de tous les fonctionnaires publics. (Chambre +des députés, séance du 19 août 1830.)</p> + +<p><a href="#VIII">VIII.</a>--Renseignements donnés par le ministre de l'intérieur +sur les changements opérés dans le personnel de l'administration +après la révolution de 1830. (Chambre des députés, +séance du 27 août 1830.)</p> + +<p><a href="#IX">IX.</a>--Présentation, par le ministre de l'intérieur, d'un rapport +général sur l'état de la France et les actes du gouvernement +depuis la révolution de 1830. (Chambre des députés, +séance du 11 septembre 1830.)</p> + +<p><a href="#X">X.</a>--Discussion du projet de loi relatif au vote annuel, par les +Chambres, du contingent nécessaire pour le recrutement +de l'armée. (Chambre des députés, séance du 15 septembre +1830.)</p> + +<p> Séance du 28 octobre 1831</p> + +<p><a href="#XI">XI.</a>--Présentation et discussion d'un projet de loi sur l'exportation +et l'importation des céréales. (Chambre des députés, +séance du 18 septembre 1830.)</p> + +<p> Chambre des pairs, séance du 12 octobre 1830</p> + +<p><a href="#XII">XII.</a>--Débats sur les clubs et sur l'article 291 du Code pénal. +(Chambre des députés, séances des 25 septembre et 4 octobre +1830.)</p> + +<p><a href="#XIII">XIII.</a>--Discussion du projet de loi relatif à l'application du +jury aux délits de la presse et aux délits politiques. (Chambre +des députés, séance du 4 octobre 1830.)</p> + +<p><a href="#XIV">XIV.</a>--Présentation du projet de loi relatif aux récompenses +nationales à accorder aux victimes de la révolution de +juillet 1830. (Chambre des députés, séance du 9 octobre +1830.)</p> + +<p><a href="#XV">XV.</a>--Présentation de deux projets de loi relatifs à l'organisation +de la garde nationale sédentaire et de la garde nationale +mobile. (Chambre des députés, séance du 9 octobre +1830.)</p> + +<p><a href="#XVI">XVI.</a>--Discussion du projet de loi relatif à l'ouverture d'un +crédit de trente millions pour prêts et avances au commerce. +(Chambre des pairs, séance du 16 octobre 1830.)</p> + +<p><a href="#XVII">XVII.</a>--Discussion d'une proposition relative au cautionnement +et aux droits de timbre et de poste imposés aux journaux +et écrits périodiques. (Chambre des députés, séance +du 8 novembre 1830.)</p> + +<p> Séance du 9 novembre 1830.</p> + +<p><a href="#XVIII">XVIII.</a>--Discussion d'un projet de loi relatif à la répression +des délits de la presse. (Chambre des députés, séance du +25 novembre 1830.)</p> + +<p><a href="#XIX">XIX.</a>--Discussion relative aux inquiétudes et aux troubles +provoqués à l'approche du procès des ministres du roi +Charles X. (Chambre des députés, séance du 20 décembre +1830.)</p> + +<p><a href="#XX">XX.</a>--Débat relatif aux troubles et aux incidents survenus pendant +et après le procès des ministres du roi Charles X. +(Chambre des députés, séance du 29 décembre 1830.)</p> + +<p><a href="#XXI">XXI.</a>--Discussion du projet de loi sur la composition des cours +d'assises et les conditions de la décision du jury. (Chambre +des députés, séance du 8 janvier 1831.)</p> + +<p><a href="#XXII">XXII.</a>--Discussion sur la politique extérieure du ministère +du 11 août 1830. (Chambre des députés, séance du 15 janvier +1831.)</p> + +<p><a href="#XXIII">XXIII.</a>--Discussion sur la politique extérieure, adoptée et pratiquée +par le cabinet du 11 août 1830. (Chambre des députés, +séance du 27 janvier 1831.)</p> + +<p><a href="#XXIV">XXIV.</a>--Discussion du projet de loi sur l'organisation municipale. +(Chambre des députés, séance du 2 février 1831.)</p> + +<p><a href="#XXV">XXV.</a>--Discussion du projet de loi sur l'organisation municipale. +(Chambre des députés, séance du 8 février 1831.)</p> + +<p><a href="#XXVI">XXVI.</a>--Discussion sur la conduite et sur la situation du ministère +du 3 novembre 1830, à l'occasion des troubles survenus +dans Paris, les 14 et 15 février 1831. (Chambre des députés, +séance du 19 février 1831.)</p> + +<p> Séance du 20 février 1831.</p> + +<p> Séance du 9 mars 1831.</p> + +<p><a href="#XXVII">XXVII.</a>--Discussion du projet de loi sur les attroupements +et des mesures prises par le cabinet de M. Casimir Périer, +à l'égard de l'association dite <i>Nationale</i>. (Chambre des députés, +séance du 30 mars 1831.)</p> + +<p><a href="#XXVIII">XXVIII.</a>--Discussion de l'adresse de la Chambre des députés +au roi, à l'ouverture de la seconde session de 1831. (Chambre +des députés, séance du 11 août 1831.)</p> + +<p><a href="#XXIX">XXIX.</a>--Discussion de l'adresse de la Chambre des députés au +roi, à l'ouverture de la seconde session de 1831. (Chambre +des députés, séance du 12 août 1831.)</p> + +<p><a href="#XXX">XXX.</a>--Discussion de l'adresse de la Chambre des députés au +roi, dans la seconde session de 1831. (Chambre des députés, +séance du 12 août 1831.)</p> + +<p><a href="#XXXI">XXXI.</a>--Discussion de l'adresse de la Chambre des députés au +roi, à l'ouverture de la seconde session de 1831. (Chambre +des députés, séance du 16 août 1831.)</p> + +<p><a href="#XXXII">XXXII.</a>--Discussion à l'occasion des interpellations adressées +par M. Mauguin au ministère sur les troubles survenus dans +Paris. (Chambre des députés, séance du 20 septembre +1831.)</p> + +<p> Séance du 21 septembre 1831.</p> + +<p> Séance du 26 octobre 1831.</p> + +<p><a href="#XXXIII">XXXIII.</a>--Discussion du projet de loi relatif à la révision de +l'article 23 de la Charte, c'est-à-dire à l'institution de la +pairie et à l'abolition de l'hérédité. (Chambre des députés, +séance du 5 octobre 1831.)</p> + +<p><a href="#XXXIV">XXXIV.</a>--Discussion du projet de loi portant demande d'un +crédit de dix-huit millions de francs pour travaux d'utilité +publique et dans le but de secourir la classe ouvrière. (Chambre +des députés, séance du 20 octobre 1831.)</p> + +<p><a href="#XXXV">XXXV.</a>--Discussion du projet de loi sur le recrutement de l'armée. +(Chambre des députés, séance du 5 nov. 1831.)</p> + +<p><a href="#XXXVI">XXXVI.</a>--Discussion de la proposition de M. de Bricqueville, +pour le bannissement à perpétuité de la branche aînée des +Bourbons. (Chambre des députés, séance du 16 novembre +1831.)</p> + +<p><a href="#XXXVII">XXXVII.</a>--Discussion des interpellations adressées au ministère, +le 19 décembre 1831, à l'occasion de l'insurrection survenue +à Lyon dans le mois de novembre précédent. (Chambre des +députés, séance du 21 décembre 1831.)</p> + +<p> Séance du 22 décembre 1831.</p> + +<p><a href="#XXXVIII">XXXVIII.</a>--Discussion du budget de 1832. (Chambre des députés, +séance du 23 janvier 1832.)</p> + +<p><a href="#XXXIX">XXXIX.</a>--Discussion du budget de 1832. (Chambre des députés, +séance du 16 février 1832.)</p> + +<p><a href="#XL">XL.</a>--Discussion du budget de 1832. (Chambre des députés, +séance du 28 février 1832.)</p> + +<p><a href="#XLI">XLI.</a>--Discussion du budget de 1832. (Chambre des députés, +séance du 7 mars 1832.)</p> + +<p><a href="#XLII">XLII.</a>--Discussion du budget de 1832. (Chambre des députés, +séance du 14 mars 1832.)</p> + +<p><a href="#XLIII">XLIII.</a>--Discussion du budget de 1832. (Chambre des députés, +séance du 20 mars 1832.)</p> + +<p><a href="#XLIV">XLIV.</a>--Discussion du projet de loi relatif à la résidence des +étrangers réfugiés en France. (Chambre des députés, séance +du 9 avril 1832.)</p> +<br> + +<h5>FIN DE LA TABLE DU TOME PREMIER.</h5> + +<br> + +<hr> +<p class="mid">PARIS.--IMPRIMÉ CHEZ BONAVENTURE ET DUCESSOIS. + + + +<br><br> + + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Histoire parlementaire de France, +Volume I., by François Pierre Guillaume Guizot + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE PARLEMENTAIRE *** + +***** This file should be named 27905-h.htm or 27905-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/2/7/9/0/27905/ + +Produced by Carlo Traverso, Christine Travers, Rénald +Lévesque and the Online Distributed Proofreading Team at +http://www.pgdp.net (This file was produced from images +generously made available by the Bibliothèque nationale +de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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