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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-15 02:36:38 -0700
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+<head>
+ <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1">
+ <title>The Project Gutenberg eBook of Histoire parlementaire de France, Tome I, par François Guizot</title>
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+<pre>
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+The Project Gutenberg EBook of Histoire parlementaire de France, Volume I., by
+François Pierre Guillaume Guizot
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+Title: Histoire parlementaire de France, Volume I.
+ Recueil complet des discours prononcés dans les chambres de 1819 à 1848
+
+Author: François Pierre Guillaume Guizot
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+Release Date: January 27, 2009 [EBook #27905]
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+Language: French
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+Character set encoding: ISO-8859-1
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE PARLEMENTAIRE ***
+
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+
+Produced by Carlo Traverso, Christine Travers, Rénald
+Lévesque and the Online Distributed Proofreading Team at
+http://www.pgdp.net (This file was produced from images
+generously made available by the Bibliothèque nationale
+de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
+
+
+
+
+
+
+</pre>
+
+
+
+
+<br><br>
+
+<h2>HISTOIRE</h2>
+
+<h1>PARLEMENTAIRE</h1>
+
+<h3>DE FRANCE</h3>
+
+<h2>I</h2>
+<br><br><br>
+
+<div class="sml">
+<p class="mid">CHEZ LES MÊMES ÉDITEURS:</p>
+
+<p>MÉMOIRES pour servir à l'histoire de mon temps, par M. Guizot.--2<sup>e</sup>
+<i>édition</i>. Tomes I à V. 5 vol.</p>
+
+<p>L'ÉGLISE ET LA SOCIÉTÉ CHRÉTIENNES en 1861, par M. Guizot.
+3<sup>e </sup> <i>édition</i>. 1 vol.</p>
+
+<p>TROIS ROIS, TROIS PEUPLES ET TROIS SIÈCLES, par M. Guizot.
+(<i>sous presse</i>). 1 vol.</p>
+
+<p>WILLIAM PITT ET SON TEMPS, par <i>lord Stanhope</i>, traduction précédée
+d'une introduction par M. Guizot. 4 vol.</p>
+
+<p>HISTOIRE DE LA FONDATION DE LA RÉPUBLIQUE DES PROVINCES-UNIES,
+par <i>J. Lothrop Motley</i>, traduction nouvelle, précédée
+d'une grande introduction,--l'Espagne et les Pays-Bas aux xvi<sup>e </sup> et
+xix<sup>e</sup> siècles, par M. Guizot.--4 vol.</p>
+
+<p>LA CHINE ET LE JAPON: mission du comte d'Elgin pendant les années
+1857, 1858 et 1859; racontée par <i>Laurence Oliphant</i>. Traduction nouvelle,
+précédée d'une introduction par M. Guizot. 2 vol.</p>
+<hr>
+<br><br>
+<p class="mid">PARIS.--IMPRIMÉ CHEZ BONAVENTURE ET DUCESSOIS,<br>
+55, QUAI DES AUGUSTINS.</p>
+</div>
+<br><br><br>
+
+<p class="mid"><b>Complément des Mémoires pour servir à l'Histoire de mon Temps.</b></p>
+
+<hr>
+
+<br><br><br>
+
+<h2>HISTOIRE</h2>
+
+<p class="mid"><span class="xlarge"><b>PARLEMENTAIRE</b></span></p>
+
+<h1>DE FRANCE</h1>
+
+<h4>RECUEIL COMPLET<br>
+
+DES DISCOURS PRONONCÉS DANS LES CHAMBRES DE 1819 A 1848</h4>
+
+<h5>PAR</h5>
+
+<h2>M. GUIZOT</h2>
+
+<h3>TOME PREMIER</h3>
+<br><br>
+
+<p class="mid">PARIS<br>
+
+MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEURS<br>
+
+RUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15<br>
+
+A LA LIBRAIRIE NOUVELLE</p>
+
+<hr class="short">
+
+<h4>1863</h4>
+
+<h5>Tous droits réservés</h5>
+<br><br><br>
+
+<h2>INTRODUCTION</h2>
+<hr>
+
+<h3>TROIS GÉNÉRATIONS</h3>
+
+<h4>1789-1814-1848.</h4>
+<br>
+
+<p>Les amis de la liberté politique sont tristes,
+et les raisons ne manquent pas à leur tristesse.
+Peut-être m'est-il permis de dire que j'aurais,
+plus que personne, quelque droit de m'y abandonner.
+Je suis tombé avec les institutions et
+le régime que nous regardions comme le témoignage
+et le gage de la liberté politique. Mais
+en trouvant la tristesse légitime, je la trouve
+excessive et injuste envers notre temps et notre
+patrie. Je ne crois pas que la France ait renoncé
+à aucune de ses généreuses ambitions, ni qu'elle
+ait perdu tout moyen de les satisfaire. J'ai confiance
+dans l'avenir de mon pays et de la liberté
+politique dans mon pays.</p>
+
+<p>Je ne me fais point d'illusion. Parmi les amis
+de la liberté politique, beaucoup sont découragés,
+et ne recommenceraient pas volontiers des efforts
+et des luttes dont ils n'espèrent plus la victoire.
+D'autres ont reporté sur le régime impérial
+leurs espérances, et s'en promettent, dans l'avenir,
+les satisfactions libérales qu'ils croient
+nécessaires ou possibles. Le public assiste, avec
+une indifférence sceptique, aux regrets languissants
+des uns et aux lointaines espérances des
+autres, uniquement préoccupé des intérêts de
+la vie civile et de son repos après tant d'orages.</p>
+
+<p>A cet état des partis et des esprits se joignent
+deux idées qui ne sont pas nouvelles, mais qu'on
+travaille plus activement que jamais à accréditer.
+On dit qu'après tout, c'est la Révolution française,
+ce sont ses principes et ses intérêts généraux
+qui triomphent aujourd'hui, et que ce triomphe importe
+bien plus à la France que celui de la liberté
+politique. On ajoute que, si la liberté souffre,
+l'égalité ne souffre point, et qu'entre les conquêtes
+de la Révolution, la France tient bien plus à
+l'égalité qu'à la liberté.</p>
+
+<p>Je crois ces deux idées radicalement fausses et
+funestes. Je crois l'indifférence publique, en fait
+de liberté, plus apparente que réelle et essentiellement
+transitoire. Je crois les amis de la
+liberté politique appelés à reprendre, dans le pays
+et dans son gouvernement, leur influence, et par
+conséquent tenus de ne pas se livrer à un découragement
+naturel, mais non légitime.</p>
+
+<p>Ni les considérations morales, ni les exemples
+historiques ne me manqueraient pour les rassurer
+et les ranimer. Quelle est, dans la vie des
+peuples, la grande cause qui n'a pas éprouvé de
+cruels revers, passé par de tristes alternatives et
+mis des siècles à triompher? Dieu vend cher aux
+hommes le progrès et le succès. L'Angleterre et
+les États-Unis d'Amérique sont, dans les temps
+modernes et chrétiens, les deux nations qui ont le
+plus fortement conquis et possédé la liberté politique.
+Que n'en a-t-il pas coûté à l'Angleterre?
+Que de révolutions et de réactions! Que de temps,
+de sang et de travail! Quelles phases de lassitude
+et de corruption! Et où en est aujourd'hui,
+où en sera demain la grande République américaine?
+Qui sait quel jour et à quel prix elle
+recouvrera sa paix et sa prospérité? Qui sait si elle
+revivra? L'Angleterre aurait-elle dû, pour s'épargner
+tant d'efforts et d'épreuves, renoncer à la
+liberté politique? Et l'Amérique de Washington
+et de Franklin doit-elle désespérer d'elle-même
+parce que son gouvernement se trouve trop mal
+constitué et trop faible pour les questions qu'il a
+à résoudre? A coup sûr, ni l'un ni l'autre de ces
+grands peuples n'est disposé à croire la liberté
+politique trop chèrement achetée par les souffrances
+et les sacrifices qu'elle leur a imposés ou
+qu'elle pourra leur imposer. Mais je laisse là l'Angleterre
+et l'Amérique; je sais le peu d'empire
+qu'ont, en pareille affaire, des considérations générales
+et des exemples étrangers; c'est dans
+notre France même, dans notre propre histoire et
+dans notre histoire contemporaine, que je veux
+chercher et que je trouve mes raisons de fidélité
+active à la liberté politique et de confiance dans
+son avenir parmi nous.</p>
+
+<p>Depuis trois quarts de siècle, trois générations,
+1789, 1814 et 1848, ont possédé politiquement la
+France et fait ses destinées. Les deux premières
+ont terminé leur course; la troisième commence
+la sienne. Je veux les interroger toutes trois; je
+veux savoir avec précision ce qu'elles ont pensé,
+ce qu'elles ont désiré, ce qu'elles ont fait, et chercher,
+dans leur âme et dans leur histoire, le sens
+des événements contemporains et l'avenir politique
+de la France.</p>
+<a name="i-I" id="i-I"></a>
+
+<br><br>
+<h3>I</h3>
+
+<h4>1789-1814.</h4>
+
+<p>Le caractère dominant, le grand caractère de
+1789, c'est l'unanimité dans l'élan national: non
+pas certes l'unanimité des opinions, mais celle
+des désirs et des espérances à travers la divergence
+des opinions. On ne peut parcourir les
+cahiers des trois Ordres convoqués aux États
+Généraux qui devinrent l'Assemblée constituante
+sans être frappé de l'unité de sentiment et de
+mouvement qui anime ces classes si diverses et si
+près d'entrer en lutte. Par leurs situations, leurs
+habitudes, leurs préjugés, leurs goûts, elles diffèrent
+essentiellement; mais le même feu les
+échauffe, le même vent les emporte; l'esprit de
+réforme et de progrès possède la France tout
+entière.</p>
+
+<p>Quelle était, à cette époque, l'ambition suprême
+de cette France encore si variée et si incohérente,
+malgré son travail, depuis bien des siècles, pour
+atteindre à l'unité nationale? A quel but définitif
+et commun aspiraient cette noblesse, ce clergé,
+ce tiers-état, tout ce peuple encore si peu accoutumé
+à marcher ensemble? L'équité dans l'ordre
+social et la liberté dans l'ordre politique, le respect
+des droits personnels de tout homme et l'action
+efficace de la nation dans ses affaires, une
+société juste et un gouvernement libre, c'est là le
+voeu qui se trouve au fond de tous les voeux, qui
+s'élève au-dessus de toutes les diversités de situation
+et d'opinion. C'était là le besoin passionné de
+cette génération ardente et forte qui se précipita
+dans son dessein comme un torrent longtemps
+contenu et amassé se précipite sur la pente de son
+cours.</p>
+
+<p>Ce n'était pas seulement dans des écrits, des
+discours, des instructions, dans des manifestations
+fugitives de la pensée qu'éclataient ce mouvement
+général, cette tendance commune des esprits en
+France avant la réunion des États Généraux de
+1789. Les actes venaient avec les paroles; de
+grands pas étaient déjà faits vers la réforme sociale
+et la liberté politique. Et ce n'étaient pas seulement
+quelques hommes supérieurs un moment
+investis du pouvoir, Machault, Turgot, Malesherbes,
+Necker, qui poussaient la France dans
+cette voie; la nation elle-même, toutes les classes
+de la nation, le clergé et la noblesse comme le
+tiers-état, les propriétaires des campagnes comme
+les habitants des villes s'y engageaient activement
+et ensemble. Qu'on lise l'excellent travail de
+M. Léonce de Lavergne sur les <i>Assemblées provinciales</i>
+instituées par Louis XVI, de 1778 à
+1787, dans les vingt-six provinces appelées pays
+d'élection<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a>
+<a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a>. Avec autant de sagacité libérale que
+d'impartialité historique, il a retracé, je pourrais
+dire ressuscité ces assemblées aujourd'hui si oubliées,
+leurs membres et leurs actes, les résultats
+accomplis et les projets annoncés, les idées générales
+et les mesures locales. On assiste là,
+non-seulement à un grand travail de réforme
+administrative, mais à l'empire efficace des principes
+de la justice sociale et de la liberté politique,
+le respect de l'homme, l'élection, la discussion, la
+publicité, la responsabilité du pouvoir. Et ce n'est
+pas le tiers-état seul qui proclame ces principes
+et réclame leurs conséquences; la noblesse et le
+clergé, les grands seigneurs et les gentilshommes
+de province les acceptent et les appliquent comme
+les bourgeois. Sans doute on pressent, on rencontre
+déjà les dissentiments, les appréhensions,
+les hésitations, les luttes; mais le fait qui domine,
+c'est évidemment, dans tous les rangs et à tous
+les degrés de la société française, un désir et
+un effort communs pour faire pénétrer et prévaloir
+l'équité dans l'état social, la liberté dans
+le gouvernement.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote1"
+name="footnote1"><b>Note 1: </b></a><a href="#footnotetag1">
+(retour) </a> Ce travail a été inséré en 1861, 1862 et 1863 dans la <i>Revue
+des Deux-Mondes</i>. Il sera bientôt complété et publié séparément.</blockquote>
+
+<p>La grande Assemblée nationale, l'Assemblée
+Constituante, une fois réunie, offre un spectacle
+bien moins unanime, bien plus agité que ces modestes
+assemblées provinciales, et pourtant au fond
+le même. L'esprit de réforme et de liberté politique,
+dominant dans le tiers-état, est là aussi, présent
+et puissant, dans la noblesse et le clergé.
+La lutte s'engage entre l'ancien régime en décadence
+et le régime nouveau en espérance; mais,
+au sein de cette lutte, le tiers-état trouve, dans
+la noblesse et le clergé français, des alliés éminents
+et sincères. Des ecclésiastiques, des grands
+seigneurs, des gentilshommes de vieille race prêtent
+à la bourgeoisie française un généreux concours,
+et assurent, dès les premiers pas, sa victoire.
+C'est une minorité de la vieille France qui vient
+en aide à la France nouvelle; mais c'est une
+minorité dont l'appui moral et numérique est
+décisif.</p>
+
+<p>Cette minorité libérale de la noblesse et du
+clergé français, en 1789, n'a pas seulement
+droit, par la générosité de ses sentiments et de ses
+sacrifices, à toute l'estime et à toute la reconnaissance
+de la France libérale; elle a donné, dans
+le plus grand moment de notre histoire, le plus
+grand exemple politique que puisse recevoir un
+peuple qui veut être libre, l'exemple du désintéressement
+éclairé et du dévouement au bien
+public.</p>
+
+<p>Nous avons eu, pendant des siècles, ce mauvais
+sort que la noblesse française n'a pas compris ses
+vrais intérêts, ni joué, dans l'État, son vrai rôle.
+Soit influence de son origine, soit vanité, soit défaut
+de lumières et d'esprit politique, elle s'est isolée
+pour garder son rang; elle a mieux aimé rester
+une classe privilégiée que devenir la tête d'une
+nation. Elle est tombée, envers la royauté, dans
+une faute tout aussi grave; elle a préféré, tantôt
+l'indépendance, tantôt la vie de cour, au partage
+du pouvoir; les grands seigneurs ont aspiré à être,
+non les conseillers, mais tantôt les rivaux, tantôt
+les serviteurs du roi; et les gentilshommes, voués
+au service militaire, ont regardé le service politique
+comme une sorte de dérogeance; lieutenants
+ou cornettes, ils se croyaient au-dessus des conseillers
+d'État et des intendants. Ce mal a entraîné
+un autre mal: la royauté entravée, harcelée, dépouillée
+par la haute noblesse, a recherché, contre
+elle, l'appui de la bourgeoisie et du peuple; la
+bourgeoisie et le peuple, pour s'affranchir du joug
+arrogant de la noblesse, ont recherché, à tout
+prix, l'appui de la royauté. L'aristocratie n'a su
+prendre sa place ni dans le gouvernement de
+l'État, ni dans la cause des libertés publiques; la
+démocratie n'a grandi que dans l'alliance et au
+service du pouvoir absolu.</p>
+
+<p>Ce fait n'a pas été particulier à la France; il
+s'est produit dans la plupart des grands États de
+l'Europe continentale; presque partout, la noblesse,
+ne sachant être ni politique, ni libérale, est restée
+étrangère et au gouvernement et au peuple; la
+démocratie, manquant d'alliés et d'appui pour ses
+libertés, n'a pu s'élever qu'à l'aide du pouvoir
+royal; et le pouvoir royal, profitant de l'alliance
+démocratique, a pu quelque temps être à la fois
+populaire et absolu.</p>
+
+<p>Encore aujourd'hui et sous nos yeux, c'est
+dans cette voie que marche plus d'un grand
+État, au grand péril de son avenir.</p>
+
+<p>Que tel ait été, en France, le cours naturel et,
+comme on dit, fatal de la civilisation, je ne le nie
+point; mais, pour être fatal, un fait n'en reste pas
+moins justiciable de l'expérience et du bon sens;
+si les fautes des hommes, princes ou peuples,
+sont fatales, leurs conséquences le sont aussi, et
+le jour arrive où elles se révèlent si clairement
+qu'il y aurait folie à les méconnaître. Je tiens
+pour frappé de cécité politique quiconque aujourd'hui
+ne voit pas que le pouvoir absolu ne suffit
+point à la solidité des gouvernements, ni la démocratie
+à la fondation de la liberté. Le pouvoir
+a besoin à la fois d'être soutenu et d'être contenu:
+il lui faut, d'une part, l'influence et l'appui des
+hommes que leur situation place naturellement
+au niveau des grandes affaires de l'État, d'autre
+part, la surveillance et le contrôle de tous les
+citoyens. La liberté, à son tour, a besoin d'être
+défendue et par ceux dont elle fait la sécurité et
+la force dans leur vie laborieuse et ascendante,
+et par ceux à qui leur situation déjà faite rend
+faciles et naturelles l'indépendance et l'influence
+en face du pouvoir. Le but de la société n'est pas
+simple; elle aspire en même temps et nécessairement
+à l'ordre et à la liberté, à la durée et au
+progrès. Ce n'est pas par la domination d'une
+force unique, ou prépondérante au point d'être
+unique, que cette oeuvre double et difficile peut
+être accomplie; il y faut le concours des forces
+diverses qui se développent naturellement et sont
+diversement placées dans le corps social. Dans
+les sociétés européennes, la liberté comme le
+pouvoir a beaucoup souffert des priviléges exclusifs
+et immobiles de l'aristocratie; l'aversion
+inintelligente de la démocratie pour tout principe
+et tout élément d'organisation sociale autre
+qu'elle-même pourrait bien leur être aussi
+funeste.</p>
+
+<p>Pas plus les peuples que les rois, pas plus la
+démocratie que l'aristocratie ne méconnaissent
+et ne violent impunément les lois naturelles et
+intimes des faits. Plus la société devient grande et
+libre, plus le bon gouvernement y devient à la fois
+nécessaire et difficile. Pour que le pouvoir soit
+élevé et maintenu à la hauteur de sa tâche, pour
+qu'il résiste efficacement, tantôt à ses périls, tantôt
+à ses penchants, il faut que les classes naturellement
+influentes dans l'État par leur fortune, leurs
+lumières, leurs relations, leurs travaux, agissent
+ensemble et de concert, tantôt pour la défense de
+l'autorité, tantôt pour la protection de la liberté.
+Il y a désordre et danger social quand, au lieu
+d'être politiquement unies, ces classes sont divisées
+entre elles, et qu'en présence de l'ardeur ascendante
+des masses populaires, elles se combattent
+au lieu de s'entr'aider à soutenir et à diriger
+le pouvoir. Ce sont là, même quand elles n'éclatent
+pas en luttes matérielles, les pires guerres
+civiles, celles qui troublent et compromettent le
+plus gravement les États. Les discordes des patriciens
+et des plébéiens ont perdu la liberté de
+Rome; l'action commune des nobles et des bourgeois
+a fondé celle de l'Angleterre.</p>
+
+<p>C'était, en 1789, une bonne fortune nouvelle
+pour la France que l'empressement d'une portion
+notable de la noblesse et du clergé à s'unir au
+gros de la nation pour la réforme de l'état social
+et la conquête de la liberté politique. A aucune
+autre époque de notre histoire, pareille chance
+ne s'était rencontrée; dans les diverses réunions
+des États Généraux, y compris la dernière, en
+1614, la noblesse et le clergé français avaient
+tenu leur cause séparée de la cause populaire,
+ou ne lui avaient prêté quelque appui que momentanément
+et dans des vues intéressées, quelquefois
+même factieuses. En 1789, la minorité
+de la noblesse et du clergé était parfaitement
+sincère et active dans sa résolution de faire cause
+commune avec le pays tout entier; et, bien que
+ce fût, dans les deux Ordres, une minorité, elle
+était si considérable et si honorable qu'elle pouvait
+devenir, pour le tiers-état comme pour la
+couronne, un puissant allié. Que fût-il arrivé
+si cette chance eût été saisie, si la couronne,
+le tiers-état et la minorité de la noblesse et
+du clergé se fussent intimement unis pour accomplir
+de concert les réformes nécessaires et
+fonder ensemble un gouvernement libre? Je n'oserais
+affirmer qu'ils auraient réussi; les conjectures
+sur ce qu'aurait pu être le passé sont presque
+aussi incertaines que les prédictions sur l'avenir;
+mais, à coup sûr, on eût marché ainsi dans
+la bonne voie; on eût mis à profit ce qu'il y avait
+d'unanimité et d'harmonie dans l'élan national.</p>
+
+<p>Pourquoi cela n'est-il pas arrivé? Comment
+cette grande génération de 1789, qui voulait si
+ardemment et si sincèrement la réforme sociale
+et la liberté politique, s'est-elle lancée ou a-t-elle
+été entraînée dans les ténèbres et les tempêtes de
+la Révolution?</p>
+
+<p>A cette question, j'écarte en ce moment une
+partie de la réponse. Les fautes de la royauté et
+de ses entours ont été pour beaucoup dans les revers
+de la liberté et les emportements de la Révolution.
+La tâche du pouvoir est si rude, surtout en
+de telles crises, que ni la bonté, ni la vertu ne le
+dispensent de l'habileté et de la fermeté. Mais il y
+a maintenant peu d'utilité, et pour mon compte
+je n'ai nul goût à étaler la part de Louis XVI et
+de sa famille dans les causes des malheurs de la
+France et des leurs propres; ils ont payé si cher
+et si douloureusement expié leurs fautes qu'il y a
+une barbarie grossière et subalterne à en accabler
+incessamment leur mémoire. On essaye trop d'ailleurs
+de décharger ainsi, de la responsabilité qui
+leur revient, les partis et les hommes qui, à cette
+époque, sont successivement devenus les maîtres
+de la France. La France elle-même a sa part dans
+cette responsabilité, car une nation qui aspire à
+être libre ne peut alléguer avec honneur qu'elle
+a subi, comme un troupeau, les volontés perverses
+ou folles de ses conducteurs. Ce sont donc
+les erreurs générales, les fautes communes de la
+grande génération de 1789 que j'ai à coeur de rechercher.
+Il m'est arrivé de dire un jour à la tribune
+que «sans doute, dans leur séjour inconnu,
+ces nobles âmes, qui ont voulu tant de bien à l'humanité,
+se réjouissent de nous voir éviter les
+écueils où sont venues se briser tant de leurs belles
+espérances.» Notre cause est encore la leur, et
+je crois leur rendre hommage en signalant aux
+fils ces écueils qu'ont aperçus trop tard les pères.</p>
+
+<p>Trois idées politiques étaient, en 1789, professées
+et répandues: idées confuses et obscures
+dans la plupart des esprits, mais au fond dominantes.
+Je les reproduis telles qu'elles ont été exprimées,
+sous leur forme la plus simple et la plus
+franche: «Nul n'est tenu d'obéir aux lois qu'il n'a
+pas consenties;--le pouvoir légitime réside dans
+le nombre;--tous les hommes sont égaux.»
+Beaucoup de ceux qui pensaient et agissaient d'après
+ces maximes auraient été fort étonnés si
+quelque puissance supérieure les avait contraints
+de s'en rendre bien compte et d'accepter leurs
+conséquences obligées; mais ils n'y regardaient
+pas de si près et n'y voyaient pas si clair. Les plus
+puissantes idées sont celles qui, contenant ensemble
+et confusément une large part de vérité et
+une large part d'erreur, flattent à la fois les bons
+et les mauvais instincts des hommes, et ouvrent en
+même temps la carrière aux nobles espérances et
+aux mauvaises passions.</p>
+
+<p>La première de ces trois idées: «Nul n'est tenu
+d'obéir aux lois qu'il n'a pas consenties,» est destructive
+de l'autorité; c'est l'anarchie. Rousseau,
+en posant le principe, en a entrevu les conséquences,
+et s'est consumé en efforts pour y échapper;
+M. Proudhon les a acceptées, et a fait, de ce
+qu'il appelle hardiment l'<i>anarchie</i>, le but définitif
+et l'état normal des sociétés humaines.</p>
+
+<p>La seconde idée: «Le pouvoir légitime réside
+dans le nombre» est destructive de la liberté;
+c'est le despotisme de la majorité numérique. Le
+monde a vu ce principe posé et mis en pratique,
+tantôt sous la forme républicaine, tantôt sous la
+forme monarchique, et il a toujours amené l'oppression
+tantôt violente, tantôt sourde, de la minorité.
+Qui ne sait qu'aux États-Unis d'Amérique
+l'empire du nombre a, depuis un demi-siècle,
+tenu de plus en plus éloignés du pouvoir les
+hommes les plus capables et les plus dignes de
+l'exercer?</p>
+
+<p>La troisième idée: «Tous les hommes sont
+égaux,» est destructive de l'élévation politique
+dans le gouvernement et du progrès régulier dans
+la société. C'est le nivellement, au lieu de la justice;
+c'est la décapitation permanente du corps
+social, au lieu du libre développement de tous ses
+membres.</p>
+
+<p>Il n'est pas vrai que nul ne soit tenu d'obéir
+aux lois qu'il n'a pas consenties. Il suffit à tout
+homme de regarder en lui-même et autour de lui
+pour reconnaître la fausseté de cette maxime. Que
+de lois auxquelles nous obéissons et nous sommes
+tenus d'obéir sans les avoir jamais consenties, ni
+même connues d'avance! Les lois qui fondent dans
+la famille l'autorité et l'obéissance ont-elles jamais
+été consenties par leurs sujets? Et dans la société,
+n'obéissons-nous pas, ne sommes-nous pas, à
+chaque instant, tenus d'obéir à des lois qui régissent
+naturellement les hommes dans leurs rapports
+mutuels sans que, même au sein des institutions
+les plus libres, elles aient jamais été un objet de
+délibération et de consentement? Il s'en faut bien
+que les hommes n'obéissent et ne soient tenus
+d'obéir qu'à des lois qu'ils se sont faites eux-mêmes
+ou que d'autres hommes leur ont faites; la plupart
+de celles qui les gouvernent leur viennent de plus
+haut; et même quand elles leur déplaisent, quand
+leur volonté les repousse, ils se sentent, dans leur
+âme, tenus de leur obéir. Ce n'est pas la volonté
+des hommes, c'est la justice et la sagesse intrinsèques
+des lois et du pouvoir qui fait leur droit à
+l'obéissance. Ce qui est vrai, c'est que les hommes
+ont droit à des lois justes, à un régime juste, et
+par conséquent à des institutions qui les leur garantissent.
+C'est là le but et la loi suprême de la
+société.</p>
+
+<p>Il n'est pas vrai que le pouvoir légitime réside
+dans le nombre; car la justice et la sagesse ne se
+rencontrent pas toujours dans les volontés de la
+majorité numérique, et elle ne saurait conférer
+essentiellement au pouvoir une légitimité qu'elle
+ne possède pas essentiellement elle-même. Ce qui
+est vrai, c'est que la majorité numérique, qui peut
+être, dans certains cas et dans certains temps, le
+signe extérieur de la raison et de la justice, est
+tenue, dans tous les temps et dans tous les cas,
+de se conduire selon la raison et la justice, et de
+respecter les droits de la minorité.</p>
+
+<p>Il n'est pas vrai que tous les hommes soient
+égaux: ils sont inégaux, au contraire, par la nature
+comme par la situation, par l'esprit comme
+par le corps; et leur inégalité est l'une des plus
+puissantes causes qui les attirent les uns vers les
+autres, les rendent nécessaires les uns aux autres
+et forment entre eux la société. Ce qui est vrai,
+c'est que les hommes sont tous semblables et de
+même nature, sinon de même mesure, et que la
+similitude de leur nature leur donne, à tous, des
+droits qui sont les mêmes pour tous, et sacrés
+entre tous les droits.</p>
+
+<p>Ainsi rappelées à leur vrai sens et dans leurs
+justes limites, ces idées sont aussi salutaires que
+belles: mais quand les hommes n'ont pas été
+obligés par leur situation ou amenés par l'expérience
+à leur faire subir cette épuration, quand
+les vérités qu'elles contiennent sont obscurcies,
+altérées, corrompues par les erreurs auxquelles
+elles se prêtent, alors, et dans le premier emportement
+des esprits, la puissance de la vérité elle-même
+tourne au profit de l'erreur; les nobles
+instincts tombent au service des mauvaises passions;
+l'aliment vital devient un poison fatal.</p>
+
+<p>La génération de 1789 a échoué sur cet écueil.
+Elle y a été poussée, non seulement par ses erreurs
+politiques, mais par des erreurs morales
+qui étaient, à vrai dire, le principe et la source
+des erreurs politiques que je viens de signaler.</p>
+
+<p>C'était la conviction du XVIII<sup>e </sup> siècle et de la
+génération formée à son école que l'homme est
+essentiellement bon, et que, dans les sociétés humaines,
+le mal provient, non de la nature humaine,
+mais de la mauvaise organisation sociale et du
+mauvais régime politique. La confiance dans la
+bonté naturelle de l'homme était, en 1789, l'une
+des colonnes de l'orgueil humain.</p>
+
+<p>Il en avait une seconde, la confiance dans la
+toute-puissance de l'homme. C'était aussi, en 1789,
+la conviction générale que l'homme est maître de
+la société comme de lui-même. Si la société n'a
+pas été et n'est pas ce qu'elle doit être, ce sont
+les lumières, pensait-on, qui ont manqué et qui
+manquent encore aux hommes. Le progrès indéfini,
+qui est la loi de l'humanité, les leur donne et
+les leur donnera de plus en plus. Fort de sa bonté
+native, de ses lumières progressives et de sa puissance
+souveraine, l'homme réformera, réorganisera,
+créera à nouveau la société.</p>
+
+<p>Quand je qualifie d'erreurs ces croyances superbes,
+c'est que la question suprême à laquelle
+elles se rattachent est, pour moi, résolue. Je ne
+crois ni à la bonté essentielle de l'homme, ni à sa
+souveraineté ici-bas. Il est à la fois capable du
+bien et enclin au mal, à la fois libre et sujet:
+«S'il se vante, je l'abaisse; s'il s'abaisse, je le
+vante,» dit admirablement Pascal. La condition
+de l'homme est haute et sa nature plus haute encore
+que sa condition; mais il y a de la dépendance
+dans sa condition et de la révolte dans sa
+nature. L'observation philosophique reconnaît en
+lui ces contrastes, comme les affirme le dogme
+chrétien. Quand l'homme les méconnaît, c'est
+qu'il se méprend sur lui-même et sur sa place
+dans l'univers; c'est qu'il oublie Dieu et se croit
+Dieu. Dans son orgueilleux élan vers son généreux
+dessein, la génération de 1789 a vécu et agi sous
+l'empire de cette immense erreur. C'est là le
+venin qui a si promptement altéré les sources de
+la Révolution française, et mêlé tant de mal à
+tant d'intentions et d'espérances excellentes. On
+a coutume d'imputer tout ce mal à la lutte des
+intérêts opposés et des mauvaises passions mutuelles,
+aristocratiques ou démocratiques, absolutistes
+ou radicales. Il est vrai; ce sont là les acteurs
+qui occupent le devant de la scène et la
+remplissent de leur bruit; mais ils n'y sont pas
+seuls, et ils n'ont garde de s'y produire sous leur
+vrai nom et leur propre figure; aux intérêts
+égoïstes et aux mauvaises passions, il faut des
+voiles qui les couvrent, et c'est toujours dans des
+idées fausses et spécieuses qu'ils les cherchent et
+les trouvent. Cet honneur reste à l'homme dans
+ses égarements qu'il a besoin, non-seulement de
+les cacher, mais de les justifier aux yeux de ses
+semblables et aux siens propres. Plus le trouble
+social est grand, plus on peut tenir pour certain
+qu'un grand trouble intellectuel l'accompagne
+et l'accompagnera obstinément.</p>
+
+<p>Lorsque aujourd'hui, au sein de la tranquillité
+et de la froideur publiques, on considère d'un
+esprit libre ces idées que je signale comme des
+erreurs graves et puissantes, on ne peut se défendre
+d'un profond étonnement. Comment de
+telles idées ont-elles jamais pu s'accréditer et
+dominer à ce point? N'est-il pas évident, aux
+yeux du simple bon sens, que les hommes ne sont
+pas tous égaux, et que la prétention d'établir entre
+eux l'égalité sociale, en dépit des inégalités naturelles,
+aboutit, comme l'ont reconnu les logiciens
+conséquents de l'école, à la folle tentative d'abolir,
+à chaque génération, l'hérédité des biens et des
+noms, c'est-à-dire la propriété et la famille, c'est-à-dire
+la société elle-même? Le bon sens ne condamne-t-il
+pas également la prétention de la majorité
+numérique à la possession exclusive du
+pouvoir légitime, et celle de chaque individu
+à n'obéir qu'à des lois qu'il ait consenties? Dans
+les sociétés les plus démocratiques et les plus
+libres, républicaines aussi bien que monarchiques,
+ces prétendus principes ne reçoivent-ils
+pas, à chaque instant, des faits et de la raison publique,
+les plus éclatants démentis? Et pourtant
+ces grossières erreurs ont été, sont et seront toujours
+puissantes et redoutables. Tant l'esprit humain
+se laisse aisément duper par ce qui plaît
+aux passions humaines! Tant les passions humaines
+sont ardentes à se saisir des idées qui les
+aident à se légitimer en se satisfaisant!</p>
+
+<p>Jamais ces idées n'ont donné une plus terrible
+démonstration de leur puissance que dans la Révolution
+française; jamais leur impérieuse logique
+n'a plus rapidement entraîné des conséquences
+plus énormes et plus imprévues. L'histoire
+du monde n'offre aucun exemple d'un contraste
+pareil entre les premiers pas et le développement
+soudain d'un grand événement, entre les perspectives
+de la veille et les spectacles du lendemain.
+Quels espaces, quels abîmes de 1789
+à 1793! Et il a fallu à peine quatre années pour
+que la grande société française parcourût ces espaces
+et tombât dans ces abîmes, quand elle se
+croyait à la porte d'un paradis créé de ses propres
+mains!</p>
+
+<p>Comment se fait-il que cette catastrophe, incroyable
+si elle n'était réelle, n'ait pas laissé uniquement
+et universellement une impression
+d'effroi et d'horreur? Comment tant de crimes
+atroces, de folies absurdes et de douleurs inouïes,
+tant et de si révoltants outrages à la conscience
+humaine, au coeur humain, au bon sens humain,
+ont-ils pu être si étrangement palliés et presque
+excusés, que dis-je? si magnifiquement enveloppés
+dans des récits et des tableaux qui frappent et séduisent
+l'imagination au point d'étouffer le jugement
+et le sens moral? Et qu'on ne dise pas qu'on
+a condamné ces faits tout en les colorant de la
+sorte: les paroles ne sont rien en elles-mêmes;
+leur valeur réside dans la signification qu'y attachent
+ceux qui les entendent ou les lisent, dans
+l'effet qu'elles produisent sur les âmes et la disposition
+où elles les laissent. Que sert la condamnation
+des actes si elle se perd dans la glorification
+des acteurs? Les personnages ainsi célébrés ne se
+prêtaient guère à de telles apothéoses; la plupart
+n'étaient, à vrai dire, que des hommes médiocres
+et vulgaires, d'une violence brutale ou d'une légèreté
+frivole, cyniques grossiers ou badauds fanatiques,
+déclamateurs enivrés de leurs propres
+paroles ou conspirateurs envieux, haineux et imprévoyants.
+Il n'était certes pas aisé d'en faire de
+grands hommes. Pourquoi l'a-t-on entrepris?
+Pourquoi y a-t-on réussi, pour un temps du
+moins et auprès d'un nombreux public? Est-ce
+uniquement le besoin de faire du bruit, un bruit
+populaire, qui a poussé des esprits éminents dans
+cette voie d'idolâtrie révolutionnaire? Est-ce uniquement
+le goût du mélodrame sous le nom de
+l'histoire qui a valu à de telles oeuvres un tel
+succès?</p>
+
+<p>Ces faiblesses personnelles y ont eu leur part;
+mais ce sont de trop petites explications pour un
+fait moralement si étrange; il a des causes plus
+générales et plus graves.</p>
+
+<p>A côté de ces hymnes en l'honneur des acteurs
+révolutionnaires éclatent, non-seulement contre
+eux, mais contre la Révolution française en général,
+des imprécations ardentes et incessantes.
+Dominés soit par les passions de parti, soit par un
+profond sentiment des erreurs et des crimes de
+cette époque, des esprits élevés et moraux ne
+voient que sa face folle et hideuse. Bien plus,
+toute révolution porte, auprès d'eux, la peine de
+celle-là; le mot <i>révolution</i> est devenu, pour eux,
+synonyme de crime, folie, désastre; ils n'accordent,
+à ces secousses volcaniques des sociétés
+humaines, aucun bon principe, aucun bon résultat.</p>
+
+<p>Je voudrais qu'une expérience rétrospective
+fût possible, et que, pour un moment, la France
+se trouvât tout à coup replacée dans l'état où elle
+était avant 1789. Ce pays, qui supporte tant, ne
+supporterait pas un moment ce retour; moralement
+comme matériellement, il lui serait odieux et
+intolérable. Il le serait à ceux-là même qui pensent
+et parlent le plus mal de la Révolution; leurs idées,
+leurs sentiments, leurs intérêts les plus légitimes et
+les plus intimes seraient, à chaque instant, contrariés,
+entravés, froissés. Personne ne persuadera à
+la France qu'elle n'est pas aujourd'hui mieux
+réglée et mieux gouvernée qu'elle ne l'était avant
+1789; elle se sent, elle se croit, elle a raison de se
+sentir et de se croire en possession de beaucoup
+plus de justice envers tous et de bien-être pour
+tous. La génération qui a possédé la France de
+1789 à 1798 n'a pas travaillé et souffert sans
+fruit; ce sont les vérités mêlées à ses erreurs, les
+conquêtes qu'elle a faites au milieu de ses désastres,
+les édifices qu'elle a élevés sur ses
+ruines qui donnent à ses apologistes et à ses
+chantres tant de faveur auprès des masses, quand
+ils célèbrent ses personnages et enivrent de ses
+souvenirs ses descendants. Que les adversaires de
+la Révolution française ne s'y trompent pas:
+quand ils l'attaquent indistinctement, ils ne font
+que la rendre indistinctement plus chère à la
+France, et transformer en culte aveugle une reconnaissance
+légitime. Et ils changeraient bientôt
+eux-mêmes de sentiment et de langage, s'ils
+étaient condamnés à subir tout ce que la Révolution
+a détruit et à perdre tout ce qu'elle a conquis.</p>
+
+<p>En présence de ces crises de l'humanité, le
+jugement et la conscience sont mis à une dure
+épreuve. Pour les bien comprendre, pour profiter
+à la fois de leurs oeuvres et de leurs leçons, il ne
+faut s'en laisser ni épouvanter ni séduire; il
+faut largement admettre leurs complications,
+leurs contradictions, leurs aberrations, leurs audaces
+tantôt sublimes, tantôt insensées ou perverses;
+il faut se dire et se redire sans cesse que
+les révolutions sont profondément imparfaites et
+impures, même les plus salutaires, car elles mettent
+à nu et en branle tout l'homme et tous les
+hommes, toujours imparfaits et impurs, même
+les meilleurs. Mais s'il faut se résigner à l'impureté
+naturelle de ces grands faits historiques, il ne
+faut pas jeter, sur leurs erreurs et leurs vices, le
+manteau de leurs vérités et de leurs vertus. Nous
+sommes condamnés, en les contemplant, au pénible
+effort d'être à la fois indulgents et sévères,
+de voir incessamment le mal sous le bien, le bien
+sous le mal, et d'accepter, dans notre propre
+esprit, le continuel mélange de l'espérance et du
+mécompte, de la sympathie et de l'indignation.
+Je reprends et j'applique à la Révolution française
+les paroles de Pascal: «Si elle se vante,
+je l'abaisse; si elle s'abaisse, je la vante.» Mais
+en même temps qu'elle a à subir cette poignante
+alternative, la Révolution française porte et
+conserve deux grands caractères. Elle a été,
+non pas une crise isolée et étrange, le rêve et
+l'accès d'une génération saisie d'une fièvre ardente,
+mais la suite naturelle des événements,
+des idées, des travaux qui ont rempli notre histoire,
+le développement précipité de ce que la
+France, depuis trois siècles et bien plus de trois
+siècles, a constamment considéré comme son progrès
+dans la carrière de la civilisation. Et aujourd'hui
+comme en 1789, après ses égarements et
+ses revers comme aux jours de sa jeunesse, la
+Révolution française poursuit sa course et fait
+partout des conquêtes; elle reste pleine d'espérance
+et de puissance. Elle est la fille du passé et
+la mère de l'avenir. Signes certains d'une loi
+providentielle à reconnaître et d'une nécessité
+sociale à accomplir.</p>
+
+<p>Quand les premières et unanimes espérances
+de 1789 eurent été déçues; quand, au lieu du progrès
+harmonieux de la société française au sein de
+la liberté politique, la guerre sociale eut éclaté
+en France et mis ses tyrannies successives à la
+place de la liberté, quand les diverses classes et
+les divers partis de cette génération aveuglément
+puissante furent las de détruire et de s'entre-détruire,
+il y eut un temps d'hésitation et d'agitation
+stérile; la Révolution victorieuse se sentait épuisée
+et hors d'état de poursuivre comme de rétrograder;
+les vainqueurs erraient en chancelant au
+milieu des ruines qu'ils avaient faites; on voulait
+s'arrêter et on ne pouvait se fixer. L'ancien régime
+n'existait plus; la société nouvelle n'existait
+pas. L'indépendance nationale, héroïquement
+défendue, retombait sans cesse en péril. C'était à
+la fois l'anarchie et la tyrannie, et pas plus de
+force efficace dans le pouvoir que de liberté sûre
+pour les citoyens. Bonaparte revint pour devenir
+rapidement Napoléon; et par lui s'accomplit
+l'oeuvre que la France invoquait vainement
+depuis la fin de la Terreur, la réaction de la Révolution
+par elle-même contre elle-même, c'est-à-dire
+la consolidation de ses principales conquêtes
+avec l'abandon de quelques-unes de ses
+plus légitimes promesses et de ses plus belles
+espérances.</p>
+
+<p>C'est ici, pour la génération de 1789, la seconde
+grande phase de sa vie et de son histoire.
+Dans cette phase, la première place, la place
+unique appartient à Napoléon. C'est lui qui, dans
+l'oeuvre de construction de la Révolution française,
+a été le chef des travailleurs et l'auteur des événements.
+C'est lui qui a reconnu et marqué la
+route, imprimé et dirigé le mouvement. Dans les
+moments critiques de leur destinée, les peuples
+ne peuvent se passer d'un grand homme. S'il leur
+manque, ou bien ils s'égarent follement, ou bien
+ils s'arrêtent et tâtonnent en attendant qu'il
+vienne. Quand Bonaparte vint en 1798, la France
+reconnut en lui l'homme qu'elle attendait: il marcha,
+elle le suivit.</p>
+
+<p>Cependant on attribue trop à Napoléon seul
+le travail et le mérite de cette grande époque:
+ou ne fait pas à ses compagnons, civils aussi
+bien que militaires, la part à laquelle ils ont
+droit. Quand il se mit à la tête de la génération
+qui, de 1789 à 1798, avait possédé la France,
+cette génération hardie et forte avait acquis
+l'intelligence de ses erreurs et de ses fautes.
+Par son retour vers la justice et la vérité, elle
+servait ses propres intérêts comme ceux de la
+France; mais c'est beaucoup de comprendre et
+d'accepter la nécessité de l'ordre moral longtemps
+méconnu et violé. Constituants, Conventionnels,
+Fenillants, Girondins, Jacobins, Modérés, Montagnards,
+tous les partis de la Révolution et, dans
+tous les partis, presque tous les hommes notables
+et capables se rallièrent autour de Napoléon, et
+lui apportèrent, dans son oeuvre de réparation et
+de reconstruction sociale, un concours habile,
+courageux, dévoué, efficace. Ils déployèrent au
+service de cette oeuvre, non seulement de grandes
+facultés et de grandes lumières, mais une honorable
+ardeur à faire cesser les iniquités, à guérir
+les maux, à relever les ruines. On oubliait, dans
+un effort commun vers le bien public, les discordes,
+les inimitiés, les injures de la veille. Et
+cet honnête accord, ce puissant concours, Napoléon
+l'a obtenu et en a recueilli les fruits dans ses
+conseils comme dans ses armées, dans l'administration
+civile de l'État comme sur les champs de
+bataille, pour son pouvoir en France comme pour
+sa gloire en Europe.</p>
+
+<p>Je voudrais résumer et exprimer, <i>sans phrases</i>,
+les grands résultats de ce travail d'un grand
+homme et de ses compagnons au service d'une
+grande cause.</p>
+
+<p>Napoléon a reconstruit en France la charpente
+sociale. Ce n'est point par une vaine figure qu'on
+appelle la société un édifice: elle a ses fondements,
+ses gros murs, ses divers étages, ses voies
+de circulation, sa toiture, conditions de sa sécurité
+et de sa commodité intérieures. Tout ce matériel
+de l'état social avait été bouleversé et détruit dans
+les emportements de la Révolution. Napoléon et
+ses conseillers, tantôt reprenant les plans et les
+travaux de l'Assemblée constituante, tantôt les
+dégageant de ce qu'ils avaient d'imprévoyant et
+de peu pratique, relevèrent, sur ces ruines, un
+édifice nouveau, fortement construit, bien entretenu,
+bien défendu, et rétablirent, sur notre sol,
+cet ordre général et continu et ces instruments
+de l'ordre général et continu sans lesquels la société
+ne pourrait vivre ni prospérer. L'administration
+française, cette grande oeuvre de l'Empire,
+a de grands vices politiques; mais à travers nos
+violentes secousses répétées, elle a, plus d'une
+fois déjà, fait, parmi nous, la sûreté intérieure et le
+prompt rétablissement de la société.</p>
+
+<p>Après l'ordre matériel, la première condition
+du bon état social, c'est que les divers éléments
+de la société, les classes, les professions, les personnes
+naturellement diverses soient à leur place
+naturelle et vraie. Napoléon rappela et remit en
+haut ce qui est naturellement en haut. Peu moral
+lui-même, il avait le goût des honnêtes gens, des
+vies régulières et dignes; il savait que la société en
+a besoin pour sa force comme pour son honneur, et
+que le désordre moral l'abaisse et la dissout. Peu fait
+aux délicatesses du monde et capable d'un laisser-aller
+familier ou d'un emportement brutal, il se
+plaisait aux moeurs élégantes, aux manières
+nobles, aux formes exquises, pensant avec raison
+que l'éclat extérieur des vies, l'élévation des habitudes
+et des goûts sont des faits naturels dans
+une société depuis longtemps civilisée, et qui contribuent
+à sa grandeur. Cet homme nouveau, ce
+fils et ce chef d'une révolution démocratique avait
+l'esprit assez haut, assez libre, assez juste, pour
+faire cas des choses anciennes, et pour comprendre
+ce que le temps apporte de beauté à ce qu'il ne
+flétrit pas et de force à ce qu'il ne détruit pas. On
+lui a reproché son empressement à élever en
+grands seigneurs les compagnons de sa fortune
+révolutionnaire, et à rappeler autour de lui, pour
+fondre ensemble ces deux noblesses, les grands
+seigneurs de l'ancienne France. J'incline à croire
+qu'il attachait à cette oeuvre plus d'importance
+qu'elle n'en devait avoir dans le cours des temps,
+et qu'il y prenait plus de plaisir qu'elle ne valait.
+Mais il n'en est pas moins certain que, de son
+vivant, elle a grandement contribué à la pacification
+de la société française, à la force comme à
+l'éclat de son pouvoir, et que, même après lui,
+elle reste bien moins vaine que ne le prétendent
+d'inintelligents observateurs. Qu'ils regardent ce
+qui se passe aujourd'hui et sous leurs yeux.</p>
+
+<p>Napoléon fit une chose plus grande et plus difficile
+encore, et celle-ci, condition première de
+toutes les autres, fut son oeuvre exclusivement
+personnelle. Il réhabilita en France le pouvoir
+méconnu, abattu, humilié, dégradé, tour à tour et
+quelquefois tout ensemble odieux et ridicule dans
+le cours de la Révolution. Dans le petit groupe historique
+des hommes de son ordre, nul peut-être n'a
+possédé aussi naturellement et déployé aussi hardiment
+que lui l'instinct et le don du pouvoir: le
+pouvoir reparaissait et se relevait à l'horizon, à
+mesure que Napoléon lui-même s'élevait; il était
+le pouvoir personnifié. De loin comme de près,
+les hommes reconnaissent, avec une soumission
+empressée, cette primatie de l'esprit et du
+caractère, quand elle leur vient en aide dans leurs
+jours de trouble et de détresse. Napoléon en
+donna une preuve plus éclatante que la fondation
+même de son propre empire: il reconnut un empire
+qui n'était pas le sien; il tendit la main à la
+Papauté pour que, de concert avec lui, elle relevât
+l'Église au sein de l'État. Quelles qu'aient
+été les imperfections et les lacunes du Concordat,
+cette intelligence de la nécessité et des droits naturels
+du pouvoir religieux à côté du pouvoir politique
+est le plus bel éclair de génie moral et de
+bon sens pratique qui ait brillé dans la vie de
+Napoléon. Heureux s'il fût toujours resté fidèle à
+sa grande pensée, et si, dans les emportements
+d'une ambition sans limite et d'un despotisme
+sans frein, il n'eût pas prétendu trouver un instrument
+servile dans l'allié moral auquel il avait
+rendu en France sa place et son action!</p>
+
+<p>Que dirai-je de ce qu'il a fait pour l'indépendance
+et la grandeur nationales? Il a reçu, sous ce
+rapport, le prix de ses oeuvres; rien ne lui a manqué
+des hommages auxquels il avait droit, et nous
+avons payé sa gloire trop cher pour en rien contester.</p>
+
+<p>Je tiens à reconnaître pleinement et à mettre
+en lumière les mérites et les services de cette
+seconde phase dans la vie de la génération de 1789.
+Les amis de la liberté politique méconnaissent
+trop souvent ce qu'elle a fait alors, non-seulement
+de glorieux, mais d'excellent et de nécessaire
+pour la France; et je lui trouve moi-même
+trop de torts et des torts trop graves pour que la
+justice la plus large ne me soit pas, envers elle,
+un impérieux devoir.</p>
+
+<p>Emportée dans une réaction naturelle contre
+l'anarchie, a donnée à rétablir laborieusement la
+sécurité matérielle du corps social et le jeu régulier
+de ses membres, la génération de 1789 a méconnu,
+délaissé, opprimé, dans cette période de
+sa destinée, ce qui est l'âme et la vie morale de la
+société, la liberté et le droit: au dedans, la liberté
+politique, unique garantie efficace de la sûreté des
+intérêts privés comme de la bonne gestion des affaires
+publiques; au dehors, le droit des gens,
+unique garantie efficace des bons rapports des nations
+et de leur civilisation mutuelle. L'oubli ou
+le mépris du droit, à l'intérieur, dans la vie publique
+des citoyens, à l'extérieur, dans les relations
+internationales; la volonté et l'ambition
+arbitraires et illimitées du souverain devenant
+partout la loi suprême; les institutions libérales
+destinées ou réduites à n'être que de vains simulacres
+et les corps politiques que des ombres, ce
+fut là le vice radical de cette grande époque et la
+cause directe ou indirecte de ses désastres. Pour
+l'Empire comme pour la République, pour la
+réaction despotique comme pour l'emportement
+anarchique, les fautes ont rapidement enfanté les
+maux.</p>
+
+<p>Pas plus que les mérites, ce n'est pas à Napoléon
+seul que les fautes doivent être imputées. Il les a
+faites, mais on les lui a bien complaisamment
+laissé faire. La France s'est livrée à lui avec l'aveuglement
+passionné de la peur, de la joie et de
+l'orgueil. Peur de l'affreux régime qu'elle venait
+de subir, joie de sortir de l'abîme, orgueil de la
+gloire qui entourait le salut. C'est le long usage
+de la liberté politique et le sentiment de la responsabilité
+qu'elle impose qui enseignent aux peuples
+la mesure et la prévoyance; quand ils n'ont pas
+longtemps vécu libres et répondant eux-mêmes
+de leur sort, ils se précipitent d'un extrême à l'autre,
+uniquement préoccupés d'échapper au mal
+ou au péril qui les presse. Heureux encore, dans
+ces excès alternatifs, ceux qui sont doués, comme
+la France, d'une élasticité infatigable, et qui reviennent
+hardiment sur leurs pas, quelque loin
+qu'ils se soient égarés. La France se laisse prendre
+ou se donne trop aisément et trop vite, mais elle
+ne s'abandonne jamais sans retour. Quand, au début
+de ce siècle, la Révolution française rencontra
+dans ses propres rangs le chef glorieux de sa propre
+réaction contre elle-même, elle abdiqua entre ses
+mains, ne lui demandant que de la sauver des égarements
+où elle était tombée et des ennemis qui la
+menaçaient. Loin d'avertir et de retenir la France
+sur la pente où elle courait, les compagnons des
+travaux et de la fortune de Napoléon s'y lancèrent
+eux-mêmes aussi aveuglément que les plus obscurs
+citoyens. Quelles étranges palinodies de la plupart
+des hommes qui avaient joué un rôle dans le cours
+de la Révolution! Quels contrastes choquants entre
+leurs idées et leurs langages à des dates si rapprochées!
+Quels empressements à étaler leurs nouvelles
+maximes et à jouir de leurs situations nouvelles!
+Ceux qui conservaient quelque sollicitude
+prudente, et qui s'inquiétaient tout en triomphant,
+n'avaient pas le courage de résister à leur maître;
+et ceux qui auraient eu ce courage, s'ils en avaient
+espéré quelque succès, car ces honorables exceptions
+ne manquaient pas dans le cortége impérial,
+ceux-là étaient si convaincus de la vanité de toute
+résistance contre la force du courant et la volonté
+du pilote, qu'ils s'en abstenaient avec tristesse, se
+contentant de garder l'indépendance de leur pensée
+et de sauver leur propre honneur.</p>
+
+<p>L'abdication était telle que lorsque, à la fin de
+1813, quelques voix essayèrent, dans le Corps
+législatif, d'exprimer les inquiétudes et les voeux
+de la France, la stupéfaction fut générale: soit
+qu'on approuvât ou qu'on s'indignât, on s'étonnait,
+on doutait, on avait peine à croire à tant d'audace.
+J'ai connu les cinq hommes qui consentirent
+à être les organes de cette patriotique tentative,
+M. Laisné, M. Raynouard, M. Maine-Biran,
+M. Gallois, M. Flaugergues; c'étaient des esprits
+essentiellement modérés, étrangers à tout emportement
+de passion, à tout dessein de faction, honnêtes
+jusqu'au scrupule, et bien plutôt timides que
+téméraires. Leur acte même et leur langage,
+dans la circonstance qui les mit en lumière, furent
+très-réservés et modestes, fort au-dessous
+de ce que permettait, même alors, le droit constitutionnel
+du corps politique au nom duquel ils
+parlaient et de ce que provoquait la situation de
+la France. Mais cette lueur de vérité, ce léger
+frisson de liberté frappèrent le public comme un
+grand coup d'opposition et le monde impérial
+comme le début d'une trahison. Tout ne devait-il
+pas être oublié, tous ne devaient-ils pas se taire
+devant le péril de l'Empire? L'Empire n'était-il pas
+la Révolution française triomphante? L'égalité, ce
+premier principe de la Révolution, ne régnait-elle
+pas au sein de l'Empire? L'intérêt suprême de la
+France n'était-il pas de défendre ensemble, et à
+tout prix, l'Empire et la Révolution?</p>
+
+<p>C'est l'illusion commune des hommes qui ont
+longtemps et fortement possédé le pouvoir d'en
+venir à le regarder comme leur droit et leur bien
+propre, oubliant dans quel but public et dans
+quelles limites ils l'ont acquis ou reçu. Ils oublient
+aussi que, dans les grands drames de l'histoire,
+les acteurs, même les plus grands, ont leur
+rôle et leur temps marqués, et que, s'ils les dépassent,
+s'ils s'obstinent à occuper la scène contre
+le sens et le cours général du drame, ils sont
+bientôt et justement écartés du théâtre. La mission
+évidente de Napoléon avait été de réagir, au
+nom et au profit de la Révolution française, contre
+ses erreurs et ses excès, d'établir l'ordre au
+sein de la nouvelle société française, et de lui
+faire prendre, au dedans sa forme régulière, au
+dehors sa place acceptée de l'Europe. Il accomplit
+cette oeuvre avec génie et succès; et quoique,
+même dans son meilleur temps, des esprits clairvoyants
+et exigeants pussent entrevoir sa pente à
+pousser sa force bien au delà de sa mission, la
+France lui porta longtemps une admiration confiante,
+et l'Europe une reconnaissance résignée à
+payer cher le service qu'il lui avait rendu en contenant
+la Révolution. Mais le jour vint où, loin de
+répondre encore, en France et en Europe, au
+besoin public qui l'avait appelé, Napoléon n'agit
+plus que selon la fantaisie de sa pensée et de sa
+passion personnelle: au lieu de régler la Révolution
+française, il la jeta dans un nouveau genre
+d'excès et de périls; aux égarements de l'esprit
+révolutionnaire et de l'anarchie, il substitua ceux
+de l'ambition guerrière et du pouvoir absolu.
+Sorti alors de son rôle et de son temps, il tomba,
+naturellement quoique violemment. Et soit entraînement,
+soit faiblesse, la génération de 1789,
+qui avait pris, à ses travaux et à ses mérites de
+reconstruction sociale, une part glorieuse, ne
+sut pas le contenir dans ses emportements ambitieux
+et despotiques, pas plus qu'elle n'avait
+su naguère prévoir et réprimer les emportements
+anarchiques. Elle apprit, par cette double et
+douloureuse expérience, que ni l'égalité, ni la
+gloire ne suffisent à satisfaire aux voeux et aux
+principes de 1789, et qu'après vingt-cinq ans employés
+à faire triompher, pêle-mêle et à tout prix,
+la Révolution et l'Empire, la liberté politique et le
+droit des gens réclamaient à leur tour respect et
+satisfaction.</p>
+<a name="i-II" id="i-II"></a>
+
+<br><br>
+<h3>II</h3>
+
+<h4>1814-1848.</h4>
+
+<p>Les deux grands corps politiques de l'Empire,
+le Sénat et le Corps législatif, offrent, en 1814, un
+étrange spectacle.</p>
+
+<p>Dans le Sénat, c'est une infiniment petite minorité,
+quelques hommes, naguère opposants imperceptibles
+au régime impérial, MM. de Tracy,
+Lanjuinais, Lambrechts, Garat, qui apparaissent
+tout à coup, prononcent sur le sort de l'Empire et
+de l'Empereur, proposent sa déchéance, posent
+les bases du nouveau gouvernement.</p>
+
+<p>On a beaucoup attaqué ces hommes et leurs
+actes à cette époque; on s'est beaucoup moqué
+des prétentions politiques et personnelles du corps
+dont ils inspirèrent ou exprimèrent les résolutions.
+Il y eut, en effet, dans l'attitude du Sénat à ce
+grand moment, ample matière à la moquerie
+et à l'attaque; les préoccupations égoïstes et les
+apparences présomptueuses sont mal venues au
+milieu d'une crise nationale et après une longue
+nullité. Reste toujours ce grand fait que, dans
+une assemblée jusque-là profondément soumise
+et impuissante, un petit groupe d'hommes, à peine
+remarqués et écoutés la veille, ont pu reparaître
+soudainement sur la scène, marcher en tête de
+leur corps et exercer une influence réelle. Ces
+hommes étaient restés, sous le pouvoir absolu,
+les amis fidèles de la liberté politique. Ce fut en
+son nom qu'ils prirent et d'elle qu'ils reçurent
+leur autorité d'un moment. L'Empire tombait par
+la guerre; sa chute fut acceptée et proclamée par
+les libéraux imperturbables de la Révolution.</p>
+
+<p>La transformation du Corps législatif, dès que
+la Restauration fut accomplie et la Charte mise
+en pratique, n'est pas moins frappante. Cette assemblée,
+si longtemps muette et inerte, devient
+tout à coup bruyante et active. Elle parle, elle
+discute, elle résiste, elle décide. Les lois qui lui
+sont proposées, les mesures et les personnes du
+gouvernement, les principes généraux et les incidents
+de chaque jour, tout y est sérieusement
+examiné et vivement débattu. Une opposition s'y
+forme. Toutes les théories, toutes les espérances,
+toutes les exigences libérales s'y manifestent. Ce
+n'est point un corps nouveau; tous ses membres
+sont restés les mêmes; mais l'âme y est rentrée:
+c'est un être ressuscité.</p>
+
+<p>C'est la liberté politique qui fait cette résurrection.
+Elle est si conforme aux besoins et aux
+tendances de la nouvelle société française, qu'elle
+y rentre comme dans son domaine naturel. Avant
+1814, elle en était exilée. Dès qu'elle reparaît, on
+s'empresse, on l'accueille, comme si on ne l'avait
+jamais oubliée. On dirait un réveil qui ramène,
+sans effort, les habitudes de la veille. Et ce sont
+les mêmes hommes, à qui l'absence de la liberté
+politique avait paru si indifférente, qui acceptent
+et fêtent, sans embarras, son retour. Un sentiment
+plus ou moins développé, mais général et puissant,
+les domine et anime le pays tout entier: en retrouvant
+la liberté politique, on croit reprendre des
+droits, et, en reprenant ses droits, on acquiert des
+garanties efficaces contre les maux et les périls dont
+on a tant souffert. Par elle-même, par la lumière
+et la chaleur qu'elle répand, la liberté politique a
+de quoi plaire grandement aux hommes; mais
+elle fait mieux encore que de leur plaire, elle les
+défend du mauvais gouvernement; elle leur apporte,
+autant que le permet l'imperfection des
+choses humaines et des hommes eux-mêmes, les
+deux plus grands biens de ce monde, la sécurité
+et l'espérance.</p>
+
+<p>Ce fut là le bienfait immédiat et le prestige de
+la Restauration. Elle s'accomplissait au milieu d'un
+grand désastre national; elle blessait des coeurs
+fiers et dévoués; elle inquiétait des intérêts puissants
+et susceptibles. Mais elle ramenait le respect
+et l'empire du droit; au dedans, du droit des citoyens;
+au dehors, du droit des gens; elle rouvrait
+les perspectives de la liberté politique et de la
+paix.</p>
+
+<p>Et ce n'était pas seulement les acteurs fatigués
+de la Révolution et de l'Empire, les survivants de
+la génération de 1789 qui faisaient accueil à ces
+perspectives comme à un retour vers leurs premiers
+désirs après tant de mécomptes, comme à
+un port de refuge après tant d'orages. La liberté
+politique avait des amis plus jeunes et plus ardents
+à la conquérir et à en jouir. Une génération
+nouvelle commençait à paraître, étrangère à la
+Révolution comme à l'ancien régime et qui avait
+surtout connu l'Empire par les excès du pouvoir
+absolu et de la guerre. Dans le monde intellectuel
+comme dans le monde matériel, il y a des
+germes puissants qui vivent et croissent cachés et
+sous terre, échappant aux regards des maîtres qui
+n'en aiment pas les fruits et qui voudraient les
+étouffer. Décriés par les fautes, les crimes et les
+revers qui avaient accompagné leur explosion, les
+principes et les sentiments de la liberté politique
+n'avaient pourtant point péri en France; ils se conservaient
+et se ranimaient sans bruit dans des esprits
+solitaires et dans de petits groupes adonnés
+au goût de l'activité intellectuelle et au culte indépendant
+de la vérité. L'une des principales institutions
+de l'Empire devint, pour cette renaissance
+presque inaperçue des idées et des espérances
+libérales, un foyer naturel. J'avais l'honneur, il y
+a six ans, de recevoir dans le sein de l'Académie
+française et comme son directeur, un savant illustre,
+l'une des gloires et aujourd'hui l'un des regrets
+de l'Institut tout entier, M. Biot; je me permis, ce
+jour-là, de dire: «C'est quelquefois la condition
+des despotes, quand ils sont de grands hommes,
+de créer des institutions qui leur échappent, et
+de voir rentrer peu à peu dans leurs oeuvres une
+liberté qui n'entrait pas dans leurs plans. Dominés
+par l'instinct et le goût du grand, ils évoquent des
+puissances qu'il ne leur sera pas donné, à eux-mêmes,
+de tenir longtemps asservies. Le cardinal
+de Richelieu, en fondant l'Académie française,
+ne se doutait pas qu'il la trouverait bientôt peu
+docile à sa mauvaise humeur envers Corneille et à
+son mauvais goût au sujet du <i>Cid</i>. L'empereur Napoléon
+n'avait pas institué l'Université pour qu'elle
+fournit, aux principes et aux sentiments libéraux,
+tant d'intelligents et persévérants défenseurs.
+Heureuse imprévoyance de ces redoutables dominateurs
+du monde, à qui la grandeur de leur
+génie fait quelquefois oublier l'égoïsme de leurs
+passions, et qui, dans l'élan de leur pensée, font
+plus et mieux qu'ils n'avaient prémédité!»</p>
+
+<p>Grâce à ce mérite imprévu de l'Empire, et dans
+les années qui précédèrent la Restauration, les
+études philosophiques, historiques et littéraires florissaient
+modestement au sein de l'Université, et
+préparaient à la liberté politique, dans la génération
+qui touchait à l'âge viril, des amis chauds,
+vaillants et éclairés.</p>
+
+<p>D'autres hommes, bien différents par leurs
+dispositions morales comme par leur situation
+sociale, les anciens amis de la maison de Bourbon,
+les survivants de l'ancien régime rentraient en
+même temps dans la vie publique. La Restauration
+les y rappelait, soit qu'ils eussent constamment
+partagé, hors de France, l'exil de leurs
+princes, soit que, rentrés en France après la tourmente
+révolutionnaire, ils y eussent vécu étrangers
+aux affaires et au gouvernement du pays.
+La liberté politique rétablie par la Charte était
+pour eux comme pour tous; et quels que fussent
+leurs désirs et leurs espérances, soit qu'ils acceptassent
+les principes fondamentaux de la nouvelle
+société française et les grands résultats de la Révolution,
+soit qu'ils se flattassent de ramener la
+France vers son ancien état et de faire sortir de la
+Restauration une contre-révolution plus ou moins
+étendue, c'était, en tout cas, par la liberté politique,
+par les élections, la discussion, la liberté de
+la tribune, la liberté de la presse qu'ils étaient
+tenus de se manifester et de reprendre place dans
+les affaires du pays. Ils avaient les institutions
+libres, cette grande ambition et cette grande
+conquête de 1789, pour instruments obligés de
+leurs desseins et de leur action.</p>
+
+<p>Au début du régime nouveau, en présence
+d'éléments si divers, si étrangers les uns aux
+autres, si soudainement rapprochés et appelés à
+agir ensemble, la confusion et l'agitation furent
+grandes. Des premiers jours de la Restauration à
+l'explosion des Cent-Jours, ni le gouvernement, ni
+les partis, ni le public ne prirent une attitude et
+ne tinrent une conduite claire, décidée, efficace.
+Royalistes triomphants, Constitutionnels espérants,
+Bonapartistes mécontents, tout le monde tâtonnait,
+tout le monde attendait; nul ne démêlait encore
+ce que serait l'avenir et ce que chacun pouvait
+avoir à s'en promettre ou à en craindre. Cependant,
+au milieu de cette incertitude générale, les
+institutions nouvelles suivaient leur cours, la
+liberté politique prenait son vol. Dans les Chambres,
+la liberté de la tribune, hors des Chambres,
+la liberté de la presse se déployaient: la première,
+méfiante et quelquefois vive, mais, au fond, modérée
+et loyale; la seconde, déjà violente, agressive,
+destructive entre les mains des ennemis de la dynastie
+restaurée, imprévoyante et précipitée dans
+les mains des amis sincères et rigides du régime
+constitutionnel. Personne ne songeait alors à élever
+les questions et à réclamer les conditions de
+ce qu'on a appelé depuis le gouvernement parlementaire;
+les plus libéraux étaient plus modestes;
+mais personne non plus ne mesurait la portée des
+exigences qu'il formait et des armes dont il se
+servait: «A peine entrée dans son nouveau régime,
+une impression soudaine d'alarme et de
+méfiance avait saisi la France et s'aggravait de
+jour en jour. Ce régime, c'était la liberté avec
+ses incertitudes, ses luttes et ses périls. Personne
+n'était accoutumé à la liberté et elle ne contentait
+personne. De la Restauration, les hommes de
+l'ancienne France s'étaient promis la victoire; de
+la Charte, la France nouvelle attendait la sécurité;
+ni les uns, ni les autres n'obtenaient satisfaction;
+ils se retrouvaient, au contraire, en présence,
+avec leurs prétentions et leurs passions
+mutuelles. Triste mécompte, pour les royalistes,
+de voir le roi vainqueur sans l'être eux-mêmes.
+Dure nécessité, pour les hommes de la Révolution,
+d'avoir à se défendre, eux qui dominaient depuis
+si longtemps. Les uns et les autres étaient étonnés
+et irrités de cette situation comme d'une offense à
+leur dignité et d'une atteinte à leurs droits. Dans
+leur irritation, les uns et les autres se livraient,
+en projet et en paroles, à toutes les fantaisies, à
+tous les emportements de leurs désirs ou de leurs
+alarmes. Parmi les puissants et les riches de l'ancien
+régime, beaucoup ne se refusaient, envers
+les riches et les puissants nouveaux, ni impertinences,
+ni menaces. A la cour, dans les salons de
+Paris, et, bien plus encore au fond des départements,
+par les journaux, par les pamphlets, par
+les conversations, par les incidents journaliers de
+la vie privée, les nobles et les bourgeois, les
+ecclésiastiques et les laïques, les émigrés et les
+acquéreurs de biens nationaux laissaient percer
+ou éclater leurs rivalités, leurs humeurs, leurs
+rêves d'espérance et de crainte. Ce n'était là que
+la conséquence naturelle et inévitable de l'état
+très-nouveau que la Charte mise en pratique inaugurait
+brusquement en France: pendant la Révolution,
+on se battait; sous l'Empire, on se taisait;
+la Restauration avait jeté la liberté au sein de la
+paix. Dans l'inexpérience et la susceptibilité générales,
+le mouvement et le bruit de la liberté,
+c'était la guerre civile près de recommencer.</p>
+
+<p>«Pour suffire à une telle situation, pour maintenir
+à la fois la paix et la liberté, pour guérir les
+blessures sans supprimer les coups, nul gouvernement
+n'eût été trop fort ni trop habile.
+Louis XVIII et ses conseillers n'y réussissaient
+pas. Ils n'étaient pas, en fait de régime libre, plus
+expérimentés ni plus aguerris que la France elle-même.
+Par leurs actes, ils ne donnaient à ses
+inquiétudes aucun motif sérieux; ils avaient cru
+que la Charte empêcherait les inquiétudes de
+naître; dès qu'elles se manifestaient un peu vivement,
+ils s'efforçaient de les calmer en abandonnant
+ou en atténuant les mesures qui les avaient
+suscitées. Au fond, les intérêts qui se croyaient
+menacés ne couraient aucun vrai péril; en présence
+des alarmes de la France nouvelle, le roi et
+ses conseillers étaient bien plus disposés à céder
+qu'à engager la lutte; mais après avoir fait acte de
+sagesse constitutionnelle, ils se croyaient quittes
+de tout souci et rentraient dans leurs habitudes et
+leurs goûts d'ancien régime, voulant aussi vivre
+en paix avec leurs vieux et familiers amis. C'était
+un pouvoir modéré, qui faisait cas de ses serments
+et ne formait, contre les intérêts et les
+droits nouveaux du pays, point de redoutables
+desseins, mais sans initiative et sans vigueur, dépaysé
+et isolé dans son royaume, divisé et entravé
+dans son intérieur, faible avec ses ennemis, faible
+avec ses amis, n'aspirant pour lui-même qu'à la
+sécurité dans le repos, et appelé à traiter chaque
+jour avec un peuple remuant et hardi qui passait
+soudainement des rudes secousses de la Révolution
+et de la guerre aux difficiles travaux de la
+liberté.</p>
+
+<p>«Sous l'influence de cette liberté, un tel gouvernement,
+sans passions obstinées et docile au
+voeu public quand l'expression en devenait claire,
+eût pu se redresser en s'affermissant et suffire
+mieux à sa tâche. Mais il lui fallait du temps et le
+concours du pays. Le pays, mécontent et inquiet,
+ne sut ni attendre ni aider. De toutes les sagesses
+nécessaires aux peuples libres, la plus difficile est
+de savoir supporter ce qui leur déplaît pour
+conserver les biens qu'ils possèdent et acquérir
+ceux qu'ils désirent.</p>
+
+<p>«On a beaucoup agité la question de savoir
+quels complots et quels conspirateurs avaient, le
+20 mars 1815, renversé les Bourbons et ramené
+Napoléon. Débat subalterne et qui n'a qu'un intérêt
+de curiosité historique. A coup sûr, il y eut,
+de 1814 à 1815, dans l'armée et dans la Révolution,
+parmi les généraux et parmi les conventionnels,
+bien des plans et bien des menées contre la
+Restauration et pour un autre gouvernement, l'Empire,
+la Régence, le duc d'Orléans, la République.
+Mais si Napoléon fût resté immobile à l'île d'Elbe,
+tous ces projets de révolution auraient probablement
+avorté ou échoué bien des fois. La fatuité
+des faiseurs de conspirations est infinie, et quand
+l'événement semble leur avoir donné raison, ils
+s'attribuent à eux-mêmes ce qui a été le résultat
+de causes bien plus grandes et plus complexes que
+leurs machinations. Ce fut Napoléon seul qui renversa,
+en 1815, les Bourbons, en évoquant, de sa
+personne, le dévouement fanatique de l'armée et
+les instincts révolutionnaires des masses populaires.
+Quelque chancelante que fût la monarchie
+naguère restaurée, il fallait ce grand homme et
+ces grandes forces sociales pour l'abattre. Stupéfaite,
+la France laissa, sans confiance comme sans
+résistance, l'événement s'accomplir. Napoléon en
+jugea lui-même ainsi avec un bon sens admirable:
+«Ils m'ont laissé arriver, dit-il au comte Mollien,
+comme il les ont laissé partir<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a>
+<a href="#footnote2"><sup class="sml">2</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote2"
+name="footnote2"><b>Note 2: </b></a><a href="#footnotetag2">
+(retour) </a> Je reproduis ici quelques traits du tableau que j'ai tracé
+ailleurs de cette époque et de ses caractères. (<i>Mémoires pour
+servir à l'histoire de mon temps</i>, t. I, p. 53-57.) Je ne saurais dire
+plus clairement ce qu'à ce sujet je crois toujours vrai et équitable.</blockquote>
+
+<p>Je ne m'arrête pas sur ce retour de Napoléon.
+J'ai dit ailleurs ce que j'en ai vu et pensé au moment
+même, ce que j'en pense encore aujourd'hui<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a>
+<a href="#footnote3"><sup class="sml">3</sup></a>.
+Ce fut l'acte d'un égoïsme immense,
+héroïquement conçu et exécuté. Égoïsme plus
+fatal à la France que tous les excès antérieurs de
+l'ambition et du despotisme de Napoléon. Les
+Cent-Jours firent bien plus qu'attirer, au dehors,
+sur la France, des revers et des fardeaux jusque-là
+sans pareils; ils la rejetèrent, au dedans, dans
+cette arène des sanglantes discordes civiles que
+l'Empire avait fermée. Napoléon détruisit de ses
+propres mains, en 1815, l'oeuvre de pacification
+intérieure comme de puissance extérieure qu'il
+avait naguère accomplie pour la France. Mais, de
+cette crise funeste, je ne veux ici relever et mettre
+en lumière qu'un grand fait, l'acceptation, par
+Napoléon lui-même, de la liberté publique, de ses
+institutions et de ses garanties. L'<i>Acte additionnel</i>
+les contenait presque toutes, loyalement et sagement
+combinées. S'il fût sorti vainqueur de sa
+lutte européenne, Napoléon les eût-il respectées?
+Eût-il subi, sur le trône, ce régime de contradictions,
+de résistances et de transactions continues
+que la liberté politique impose au pouvoir, et qu'il
+avait accepté en y remontant? Je ne le crois pas.
+Je ne veux pas passer sous silence des symptômes
+qui semblent favorables à une autre conjecture.
+On dit que, le 11 juin 1815, la veille de son départ
+pour l'armée, après avoir solennellement reçu
+la Chambre des pairs et la Chambre des représentants
+et répondu à leurs adresses, Napoléon dit à
+ses ministres en leur faisant ses adieux: «Je ne
+sais comment vous ferez pour conduire les Chambres
+en mon absence. M. Fouché croit qu'en
+gagnant quelques vieux corrompus, en flattant
+quelques jeunes enthousiastes, on domine les assemblées;
+mais il se trompe. C'est là de l'intrigue,
+et l'intrigue ne mène pas loin. En Angleterre,
+sans négliger absolument ces moyens, on
+en a de plus grands et de plus sérieux. Rappelez-vous
+M. Pitt, et voyez aujourd'hui lord Castlereagh!
+Les Chambres, en Angleterre, sont anciennes et
+expérimentées; elles ont fait depuis longtemps
+connaissance avec les hommes destinés à devenir
+leurs chefs; elles ont pris de la confiance ou du
+goût pour eux, soit à cause de leurs talents, soit à
+cause de leur caractère; elles les ont en quelque
+sorte imposés au choix de la couronne, et après
+les avoir faits ministres, il faudrait qu'elles fussent
+bien inconséquentes, bien ennemies d'elles-mêmes
+et de leur pays pour ne pas suivre leur
+direction. C'est ainsi qu'avec un signe de son
+sourcil, M. Pitt les dirigeait, et que les dirige encore
+aujourd'hui lord Castlereagh. Ah! si j'avais
+de tels instruments, je ne craindrais pas les Chambres.
+Mais ai-je rien de pareil<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a>
+<a href="#footnote4"><sup class="sml">4</sup></a>?»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote3"
+name="footnote3"><b>Note 3: </b></a><a href="#footnotetag3">
+(retour) </a> <i>Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps</i>, t. I, p. 59-98.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote4"
+name="footnote4"><b>Note 4: </b></a><a href="#footnotetag4">
+(retour) </a> <i>Histoire du Consulat et de l'Empire</i>, par M. Thiers, t. XIX,
+p. 619.</blockquote>
+
+<p>Napoléon n'avait, à coup sûr, rien de pareil,
+mais, s'il eût eu M. Pitt à la tête de son conseil,
+il ne l'eût pas supporté. Quels que fussent, pour le
+roi George III, le respect affectueux et les égards de
+M. Pitt, quelque accord même qui régnât, entre
+le roi et son ministre, quant à leur politique générale,
+c'était M. Pitt, et non pas George III, qui
+gouvernait; c'étaient, en définitive, les idées, les
+desseins, les amis de M. Pitt qui prévalaient, et il
+avait, tant qu'il restait ministre, l'honneur comme
+la charge du gouvernement. De tels hommes ne
+sont pas, pour un roi, des <i>instruments</i>, comme
+les appelait Napoléon au moment même où il regrettait
+de ne pas les avoir auprès de lui; ce sont
+des alliés obligés, et qui portent, dans le service
+royal, une forte, bien que respectueuse, indépendance.
+Ce n'est pas avec la passion et après une
+longue habitude du pouvoir absolu qu'on se résigne
+à ce partage, quelquefois très-inégal, du
+pouvoir et de la gloire. Dans les épanchements
+de sagesse qu'amènent les grands périls, le grand
+esprit de Napoléon comprenait les conditions et la
+marche du gouvernement libre; mais je suis convaincu
+que, si la fortune lui fût redevenue prospère,
+sa nature et son passé auraient repris, en lui
+comme autour de lui, leur empire, et que l'<i>Acte
+additionnel</i> aurait plié devant l'Empereur.</p>
+
+<p>Mais peu importe aujourd'hui ce problème
+moral à propos d'un grand homme: que la
+transformation constitutionnelle de Napoléon,
+en 1815, fût, ou non, sérieuse et durable, ce
+qu'elle prouve évidemment, c'est le rapide
+progrès de la liberté politique renaissante. Ce
+grand voeu de 1789, si longtemps oublié ou comprimé,
+reparut tout à coup avec l'empire d'un
+besoin national. Louis XVIII l'avait consacré par
+la Charte; Napoléon en fit autant par l'<i>Acte additionnel</i>.
+L'ancienne royauté et la royauté de la
+Révolution reconnurent et acceptèrent également,
+et coup sur coup, le gouvernement libre, pour la
+France comme un droit, pour ses chefs comme une
+nécessité.</p>
+
+<p>Dès le lendemain de cette double victoire, la
+liberté politique en remporta une autre, peut-être
+encore plus difficile et plus significative.
+Sous l'impulsion de la réaction bien naturelle
+contre les Cent-Jours, les élections amenèrent sur
+la scène une Chambre des députés ardente à
+poursuivre, contre la Révolution et l'Empire,
+cette réaction dont elle était elle-même le fruit.
+Il y avait, dans cette Chambre, plus de passions
+vindicatives que de plans politiques, et le besoin
+de jouir de la victoire après tant de défaites y
+tenait plus de place que l'esprit systématiquement
+rétrograde. Mais elle fut, dès son avénement,
+et non sans cause, qualifiée et redoutée,
+par le pays, comme la Chambre de l'ancien
+régime et de la contre-révolution. Elle n'en fit
+pas moins ce que venaient de faire Louis XVIII en
+1814 et Napoléon en 1815: quels que fussent ses
+regrets et ses tendances, elle accepta la liberté
+politique comme une nécessité de situation et de
+gouvernement. Elle fit plus que l'accepter; elle
+la mit en pratique avec une hardiesse depuis longtemps
+étrangère à nos assemblées législatives;
+elle opposa ses idées, ses projets, sa politique
+aux idées, aux projets, à la politique de la
+Royauté qu'elle venait soutenir. Loin de se
+renfermer dans les limites des droits et des pouvoirs
+que lui attribuait la Charte, elle s'efforça de
+les étendre; elle aspira à toutes les prérogatives
+que possédaient ailleurs d'autres assemblées depuis
+longtemps puissantes et intimement associées
+au gouvernement. Les ambitions constitutionnelles
+des plus libéraux publicistes devinrent celles de la
+Chambre de 1815. Elle réprouva, elle dénonça, elle
+attaqua les conseillers de la couronne. Elle éleva
+enfin la prétention fondamentale du régime parlementaire;
+elle réclama, comme son droit, le pouvoir
+dirigeant et définitif pour la majorité qui se formait
+dans son sein. A la tribune et dans la presse,
+ses orateurs et ses écrivains les plus illustres soutinrent
+que le ministère du roi devait être pris
+dans cette majorité et gouverner selon son influence,
+que telle était la loi du régime représentatif.</p>
+
+<p>Mais en même temps qu'au nom du régime
+représentatif et parlementaire, la Chambre de
+1815 exerçait et étendait fièrement ses propres
+droits, elle restreignait ou suspendait les droits
+des citoyens, la liberté individuelle, la liberté de
+la presse, les garanties judiciaires. Au sommet de
+l'État, les principes de la liberté politique, adoptés
+et pratiqués par les représentants de l'ancien
+régime lui-même, étaient en progrès; mais, dans
+le pays, les libertés privées et personnelles avaient
+grandement à souffrir de l'empire du parti dominant.
+Dans le présent et en fait, la liberté politique
+tournait ainsi contre son but essentiel, et ses institutions
+fondamentales devenaient des instruments
+de régime arbitraire et de réaction.</p>
+
+<p>En présence de cet étrange amalgame de passions
+contre-révolutionnaires et d'idées libérales,
+des esprits élevés, libres et moraux, des hommes
+à qui le spectacle de la Révolution avait appris à
+détester surtout l'arbitraire et l'oppression infligés
+aux peuples sous de beaux noms et dans de
+belles espérances, des hommes qui voulaient surtout
+l'exercice et le respect pratique des droits et
+des libertés individuelles, ces hommes, venus de
+tous les points de l'horizon politique, entreprirent
+courageusement de défendre, dans le gouvernement
+et dans les Chambres, la justice et la
+société françaises gravement menacées. «Ce
+parti se forma brusquement, spontanément, sans
+but prémédité, sans combinaisons antérieures et
+personnelles, sous le seul empire de la nécessité
+du moment, pour résister à un mal pressant, non
+pour faire prévaloir tel ou tel système politique,
+tel ou tel ensemble d'idées, de résolutions et de
+desseins. Soutenir la Restauration en combattant
+la réaction, ce fut d'abord toute sa politique<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a>
+<a href="#footnote5"><sup class="sml">5</sup></a>.»
+Pour pratiquer cette politique avec quelque autorité,
+pour rendre efficace sa résistance à la
+réaction contre-révolutionnaire, il fallait, à ce
+parti naissant, un point d'appui: il le prit dans la
+royauté restaurée, dans les droits et les forces
+que lui reconnaissait la Charte constitutionnelle.
+Contre l'ambition dominante de la Chambre de
+1815, il maintint, en principe, la royauté à la
+tête du gouvernement, se souciant peu des conséquences
+qu'on voulait tirer de la nature du
+régime représentatif, les repoussant même péremptoirement
+au nom de la monarchie: «Quelle
+est donc, disait-il, cette nature mystérieuse qui
+commande de tels sacrifices? Qui est-ce qui l'a définie?
+Qui est-ce qui a autorité pour imposer à cette
+nation une autre définition que celle de la Charte?
+Le jour où le gouvernement sera à la discrétion de
+la majorité de la Chambre, le jour où il sera établi
+en fait que la Chambre peut repousser les ministres
+du roi, et lui en imposer d'autres qui seront
+ses propres ministres et non les ministres du
+roi, ce jour-là, c'en est fait, non pas seulement
+de la Charte, mais de notre royauté, de cette
+royauté indépendante qui a protégé nos pères, et
+de laquelle seule la France a reçu tout ce qu'elle
+a jamais eu de liberté et de bonheur. Ce jour-là,
+nous sommes en république<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a>
+<a href="#footnote6"><sup class="sml">6</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote5"
+name="footnote5"><b>Note 5: </b></a><a href="#footnotetag5">
+(retour) </a> <i>Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps</i>, t. I, p. 115.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote6"
+name="footnote6"><b>Note 6: </b></a><a href="#footnotetag6">
+(retour) </a> <i>La vie politique de M. Roger-Collard, ses discours et ses écrits</i>,
+par M. de Barante, t. I, p. 217.</blockquote>
+
+<p>Je ne siégeais alors ni dans la Chambre des
+députés, ni dans le conseil des ministres; j'approuvais
+pleinement la résistance de mes amis
+politiques à la domination vindicative de la
+Chambre de 1815 et leur empressement à défendre
+de son ambition la royauté qui les aidait à
+défendre la France contre ses réactions. Dans les
+jours de grand péril, c'est le premier devoir des
+hommes publics de courir, comme on dit, au
+plus pressé, et la société n'a rien de plus pressé
+que la protection de la justice et du droit envers
+tous les citoyens. Je prêtai, autant qu'il était en
+moi, au parti de la résistance d'alors, mon plus
+zélé concours; mais la théorie qu'il mettait en
+avant sur les rapports des grands pouvoirs de
+l'État ne me satisfaisait point; cette proclamation
+de «la royauté indépendante,» cette déclaration
+que «si la Chambre des députés pouvait
+repousser les ministres du roi et lui en imposer
+d'autres, c'en était fait de la monarchie et nous
+étions en république,» blessaient mes sentiments
+en fait de liberté politique et mes instincts, encore
+un peu confus, sur la nature et les conditions
+du gouvernement libre. Fonder un gouvernement
+libre, c'était précisément l'oeuvre à
+laquelle nous étions appelés. Quoi de plus important,
+pour le succès d'une telle oeuvre, que de
+bien comprendre et de bien ménager les situations
+respectives et les rapports nécessaires des
+grands pouvoirs de l'État? Cette intelligence et
+ce ménagement avaient manqué aux auteurs de
+la Constitution de 1791 lorsque, en maintenant
+la royauté, ils en avaient fait le serviteur impuissant
+d'une assemblée souveraine. Étions-nous près
+de tomber, en sens contraire, dans une erreur analogue,
+et de contester, en principe, à la Chambre
+des députés, l'influence définitive qu'en fait elle
+ne pouvait manquer d'exercer dans le gouvernement?
+Ceux-là avaient tort qui, au nom de la
+souveraineté du peuple, déclaraient souveraine
+une Chambre obligée, pour faire prévaloir ses
+vues, de les faire agréer par la royauté et que la
+royauté pouvait dissoudre; mais comment qualifier
+<i>d'indépendante</i> une royauté qui ne pouvait
+recevoir que des Chambres ses plus nécessaires
+moyens de gouvernement? En droit comme en
+fait, dans le régime constitutionnel, aucun des
+grands pouvoirs n'est indépendant ni souverain;
+c'est précisément pour qu'aucun d'eux ne le soit
+qu'ils sont séparés et investis de droits spéciaux,
+indépendants seulement dans leurs limites et à
+certaines conditions. Comment peuvent vivre et se
+déployer côte à côte des droits distincts? Comment
+s'établira l'harmonie entre des pouvoirs séparés?
+C'est là le problème fondamental du gouvernement
+libre. A mon avis, les maximes que
+proclamaient, en 1815, quelques-uns de mes
+plus influents amis ne le résolvaient point, et je
+croyais sa solution d'une importance plus pratique
+et plus prochaine qu'ils ne le pensaient.</p>
+
+<p>Vers la fin de l'année 1816, au moment où la
+dissolution de la Chambre de 1815, prononcée
+par l'ordonnance du 5 septembre, faisait de cette
+question le point culminant de la lutte des partis,
+je résolus d'en dire ma pensée, et je publiai sous
+ce titre: <i>Du gouvernement représentatif et de l'état
+actuel de la France</i>, un court écrit où, après avoir
+pleinement adhéré à la politique générale du ministère,
+j'essayai d'indiquer par quels moyens on
+pouvait, sous le régime représentatif, atteindre
+le double but de toute société bien constituée, un
+gouvernement fort et un peuple libre. On n'appelait
+pas encore cette question «la question du
+gouvernement parlementaire;» mais c'était bien
+là, en réalité, le fond du débat et le sens du travail
+des esprits.</p>
+
+<p>«Comme la société est une, disais-je, de même
+le gouvernement doit être un. L'unité dans le
+gouvernement est une nécessité si impérieuse
+que toutes les constitutions, quels que soient leurs
+éléments, tendent constamment à y arriver. Les
+obstacles qu'oppose à cette tendance nécessaire
+une mauvaise organisation des pouvoirs sont
+parmi les principales causes des désordres intérieurs
+qui agitent et souvent bouleversent les
+États. Les sociétés brillent et prospèrent quelquefois
+malgré l'influence de cette cause; mais
+elle finit par étouffer les germes de prospérité les
+plus féconds; et les nations n'obtiennent une
+existence en même temps paisible et glorieuse
+que lorsque l'unité est parvenue à s'établir
+dans les pouvoirs qui président à leurs destinées.</p>
+
+<p>«Qu'on parcoure l'histoire de la Grèce, celle
+de Rome, l'histoire des républiques italiennes,
+de l'Allemagne, de l'Angleterre, on reconnaîtra
+que le défaut d'unité dans le gouvernement a
+été partout un principe de révolutions et de maux
+insupportables. Là, les États ont fini par périr au
+milieu de la lutte des pouvoirs; ici elle les a
+réduits à subir le joug d'un despotisme aussi funeste
+et plus honteux; ailleurs, mais bien plus
+rarement, la lutte s'est terminée par une heureuse
+fusion des pouvoirs. Résultats divers selon
+les temps et les circonstances, mais qui prouvent
+tous que l'unité dans le gouvernement est l'une
+des conditions nécessaires de l'ordre, de la vraie
+liberté et de la durée.</p>
+
+<p>«Il y a unité dans le gouvernement, lorsque le
+pouvoir chargé de diriger les affaires générales de
+la société peut remplir cette tâche dans toute son
+étendue sans être arrêté ou troublé dans son
+action par des obstacles qui compromettent son
+existence.</p>
+
+<p>«.....Il n'y avait pas unité dans le gouvernement
+anglais avant la révolution de 1688, car le
+pouvoir royal et le pouvoir de la Chambre des
+communes étaient si profondément séparés et
+étrangers l'un à l'autre, qu'ils conspiraient
+sans cesse leur ruine mutuelle. Depuis 1688,
+l'unité s'est progressivement établie dans la constitution
+britannique, parce que le pouvoir royal
+et le pouvoir des Chambres sont parvenus, en se
+pénétrant réciproquement et en se fondant l'un
+dans l'autre, à ne plus former, en fait, qu'un
+seul pouvoir, le pouvoir du Parlement qui, à la
+vérité, a en lui-même ses limites, mais qui, tant
+qu'il ne les dépasse point, s'exerce pleinement
+et librement, sans aucun danger pour l'État, ni
+pour lui-même.</p>
+
+<p>«Partout où divers pouvoirs égaux, séparés et
+indépendants sont appelés à concourir au gouvernement,
+ce concours est un combat tant que
+ces pouvoirs demeurent dans leur séparation et
+leur indépendance réciproque. Et qu'on ne prétende
+pas donner à l'un d'eux, considéré isolément,
+une prépondérance telle que les autres
+deviennent des agents secondaires; cette prétention
+enfanterait une lutte d'un autre genre et non
+moins funeste.... Ce n'est pas seulement la situation
+relative des trois pouvoirs et le défaut d'unité
+dans le gouvernement qui ont amené en Angleterre
+la révolution de 1640 et de 1688; c'est
+surtout l'imprudente ambition des Stuarts qui
+voulaient donner, à l'autorité royale seule, une
+supériorité inconciliable avec les priviléges et les
+fonctions des deux Chambres. La maison de
+Hanovre a accepté la fusion intime de l'autorité
+royale avec celle des deux Chambres: dès lors
+toute rivalité a disparu, toute lutte dangereuse a
+cessé: l'unité a été établie dans le gouvernement
+anglais, et il est devenu fort, en même temps que
+la nation devenait libre.</p>
+
+<p>«.....A la lumière de cet exemple, le mécanisme
+des gouvernements mixtes devient simple
+et facile à expliquer. Quand les gouvernements
+de ce genre ont atteint à leur maturité, l'unité de
+pouvoir et d'action s'établit entre leurs divers
+éléments; seulement le pouvoir suprême et définitif,
+un au fond quoique extérieurement divisé,
+est soumis, par son organisation intérieure, à certaines
+conditions qui lui posent, dans son propre
+sein, des limites qu'il ne peut dépasser sans perdre
+les forces mêmes par lesquelles il agit..... Dans la
+monarchie constitutionnelle, à ne considérer que
+les apparences, la royauté est le gouvernement,
+la Chambre des députés l'opposition, et la Chambre
+des pairs le médiateur. Dans la réalité bien
+comprise, au contraire, le roi, la Chambre des
+pairs et la Chambre des députés forment un seul
+et même pouvoir suprême qui gouverne avec les
+forces de ces trois éléments réunis; l'opposition
+qui existe dans les deux Chambres est un surveillant
+et un rival intérieur, placé au sein du gouvernement
+lui-même; elle n'est point un pouvoir
+distinct; son droit est d'observer et de critiquer;
+sa mission est de marquer la limite que, dans la
+politique qu'il a adoptée, le gouvernement ne
+doit pas dépasser, et d'avertir le pays dès qu'en
+effet cette limite de la politique en vigueur est
+dépassée. L'opposition est là comme une puissance
+comminatoire et expectante dont la présence
+oblige le gouvernement à être prudent et
+habile, dans son propre système, sous peine de
+voir les forces qui le suivent se séparer de lui et
+passer sous un autre drapeau.</p>
+
+<p>«C'est à ce point qu'est parvenu, en Angleterre,
+le gouvernement représentatif; c'est là sa
+vraie théorie et sa pratique bien comprise. L'autorité
+royale n'y a point été, comme on le dit
+vulgairement, envahie et remplacée par celle des
+Chambres; seulement la royauté, éclairée par
+l'expérience sur le danger de demeurer placée en
+dehors des Chambres, et d'avoir ainsi à diriger ou
+à combattre des pouvoirs étrangers aux affaires,
+ennemis s'ils ne sont serviles, obstacle terrible
+en cas d'inimitié, appui sans force en cas de servitude,
+la royauté, dis-je, s'est fort sagement
+décidée à placer le siége du gouvernement dans
+les Chambres mêmes, et à gouverner de concert
+avec elles et par leurs chefs. Ainsi s'est opérée
+cette fusion des pouvoirs divers, seul point de
+repos des gouvernements mixtes, et par laquelle
+les pouvoirs, loin de s'entraver ou de s'annuler
+les uns les autres, se soutiennent et se fortifient
+mutuellement<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a>
+<a href="#footnote7"><sup class="sml">7</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote7"
+name="footnote7"><b>Note 7: </b></a><a href="#footnotetag7">
+(retour) </a> <i>Du Gouvernement représentatif et de l'état actuel de la France</i>,
+p. 25-31. Paris, 1816.</blockquote>
+
+<p>Si j'avais aujourd'hui à présenter pour la première
+fois ces idées, je les exprimerais d'une façon
+moins abstraite, plus pratique, et en les éclairant
+de plus près par le flambeau des faits. Mais telles
+que je les concevais et que je les ai publiées
+en 1816, elles contenaient, je crois, en germe,
+les vrais principes du gouvernement mixte, qui
+est le gouvernement libre, et elles mettaient en
+lumière les procédés par lesquels l'unité, condition
+nécessaire de la force du gouvernement, se rétablit
+entre des pouvoirs séparés et divers, condition
+nécessaire de la liberté.</p>
+
+<p>Mais, c'étaient là, en 1816, des méditations et
+des pressentiments solitaires; dans l'arène politique
+et au milieu de ses luttes, nous étions loin
+de nous rendre ainsi compte de la nature et des
+lois intimes du gouvernement que nous avions à
+pratiquer. Heureusement il n'est pas indispensable
+que les hommes, pour bien faire, sachent nettement
+ce qu'ils font, et Dieu permet souvent qu'ils
+marchent dans la bonne voie sans en bien connaître
+l'étendue et les sinuosités. Nous ne démêlions pas
+avec précision quel mode d'exercice la liberté politique
+imposait au pouvoir; mais nous voulions sincèrement,
+énergiquement, la liberté elle-même, et
+nous en usions sans hésitation en défendant la
+nouvelle société française contre la réaction qui
+la menaçait. La royauté restaurée ne manqua
+point, dans cette crise, à sa mission et à son oeuvre:
+contre les passions de son ancien parti, elle protégea
+la France avec les armes de la Charte.
+Grâce à ce concours de la royauté sensée et
+de la liberté franche, le gouvernement libre se
+réalisa et s'organisa rapidement, plus rapidement
+dans le fait que dans la pensée de ses acteurs. Une
+majorité se forma dans les Chambres, décidée à
+soutenir la politique loyalement libérale. Plusieurs
+des chefs de cette majorité, éloquents et courageux
+interprètes de ses sentiments, entrèrent dans
+le cabinet. Le ministère ainsi constitué eut en face
+de lui une opposition ardente, hardie, héritière
+de la majorité qui avait dominé dans la Chambre
+de 1815, et persistant avec plus de prudence dans
+sa politique, mais légale et dévouée au gouvernement
+royal, tout en combattant ses conseillers.
+Ainsi apparaissaient et agissaient déjà les grands
+partis, instruments nécessaires du régime représentatif
+dans sa maturité, défendant leurs actes et
+exposant leurs vues devant la couronne et le
+pays, et se disputant le pouvoir avec les armes de
+la liberté.</p>
+
+<p>Les résultats de cette forte et harmonique organisation
+des grands pouvoirs publics ne tardèrent
+pas à se manifester. En même temps que la
+liberté politique s'établissait au centre du gouvernement,
+les libertés des citoyens recevaient leurs
+développements et leurs garanties. Laborieusement
+préparées et discutées, des lois sur la liberté
+de la presse, sur le jury, sur la formation et les
+droits de l'armée, sur l'administration municipale,
+attestaient l'efficacité du bon régime parlementaire
+pour le progrès des libertés communes à
+tous et pour le bon gouvernement général de
+l'État.</p>
+
+<p>Mais en même temps aussi éclata le mal dont le
+parti libéral, alors l'allié et l'appui du cabinet,
+était travaillé. Hors des Chambres et même dans
+leur sein, ce parti comptait dans ses rangs des
+hommes plus attachés à la Révolution qu'à la liberté,
+et obstinés à défendre la Révolution tout
+entière, indistinctement, pêle-mêle, même dans
+ceux de ses actes qu'au fond ils désapprouvaient.
+Les uns se faisaient un point d'honneur de soutenir
+en tous cas, contre ses ennemis le grand événement
+auquel, dans des mesures très-inégales,
+ils avaient eux-mêmes pris part. Les autres ne
+pouvaient se résigner à croire que la liberté politique
+rentrât en France avec les anciens adversaires
+de la Révolution et au milieu de nos revers.
+D'autres n'osaient pas combattre ou seulement
+désavouer les passions populaires que les violences
+de 1815 avaient soulevées. Aux uns, c'étaient
+l'étendue et la sérénité d'esprit, aux autres,
+c'étaient l'équité et la fermeté de coeur qui manquaient
+pour juger sainement du nouvel état de la
+France, et reconnaître la nécessité des grandes
+transactions pour fonder la liberté après les grandes
+crises. Et sous l'empire de ces sentiments divers,
+tous prêtaient leur concours ou n'opposaient nulle
+résistance au travail des factions ennemies qui
+poursuivaient le renversement de la monarchie
+restaurée, et tournaient avec ardeur, contre elle,
+les armes de la liberté restaurée avec elle.</p>
+
+<p>L'explosion de cette situation chargée d'orages
+ne se fit pas longtemps attendre. L'un des conventionnels
+qui avaient voté la mort de Louis XVI,
+M. Grégoire, fut élu député. Le duc de Berry fut
+assassiné. Ces deux faits amenèrent, en deux ans,
+la ruine complète du parti libéral dans le gouvernement,
+et firent passer le pouvoir aux mains du
+côté droit dans les Chambres, du parti que le sentiment
+public regardait comme le représentant de
+l'ancien régime et l'instrument de la contre-révolution.</p>
+
+<p>Alors commença une triple lutte dont les conséquences
+pour la liberté politique méritent d'être
+mises en pleine lumière. Au sein du parti vainqueur,
+investi du gouvernement, s'établit un conflit
+sourd, mais continu, entre les intelligents et
+les fanatiques, les modérés et les emportés, entre
+les chefs devenus responsables et prudents en
+devenant ministres et les rangs extrêmes de
+l'armée, ardents à poursuivre en tous sens et à
+tout risque leur victoire. De son côté, à la tribune
+et dans la presse, le parti libéral tombé du pouvoir
+institua, contre ses nouveaux possesseurs,
+une opposition permanente, diverse dans ses
+maximes et son langage selon les diverses nuances
+de ses membres, mais active de la part de tous et
+soutenue au dehors par le sentiment public.
+Enfin, hors du théâtre constitutionnel, tantôt
+dans une ombre profonde, tantôt sous des déguisements
+incomplets, les sociétés secrètes se mirent
+à l'oeuvre, diverses aussi dans leurs éléments,
+les uns dévoués aux souvenirs de l'Empire, les
+autres nourrissant l'espoir de la République, tous
+acharnés au renversement de la monarchie restaurée.
+Les dissensions intestines du parti en
+pouvoir, les luttes parlementaires et les conspirations
+révolutionnaires suivaient ainsi parallèlement
+leur cours, mais avec des résultats bien
+différents pour la cause de la liberté politique.</p>
+
+<p>Les ministres de cette époque, surtout M. de
+Villèle, vrai chef du cabinet, même avant qu'il en
+portât le titre, ont encouru le reproche de n'avoir
+pas suffisamment résisté aux passions vindicatives
+ou aux fantaisies rétrogrades de leur parti et
+d'avoir ainsi compromis leur cause générale
+comme leur propre pouvoir. Je crois le reproche
+à la fois fondé et sévère: il y a de la légèreté dans
+les plus sages, de la faiblesse dans les plus fermes,
+et soit qu'il s'agisse de la vie publique ou de la vie
+privée, les meilleurs ne font jamais, non-seulement
+tout ce qu'ils devraient, mais tout ce qu'ils
+pourraient faire. M. de Villèle, à coup sûr, céda
+plus d'une fois trop complaisamment et au roi
+qu'il servait et au parti qu'il dirigeait. Il est difficile
+de bien mesurer les obstacles contre lesquels
+il avait à lutter, et de savoir s'il possédait, soit
+dans les Chambres, soit à la cour, assez de force
+pour les affronter et les vaincre. Mais, quelles
+qu'aient été en ce genre ses fautes, «il fit deux
+choses difficiles et qu'on pourrait appeler grandes
+si elles avaient duré plus longtemps: il disciplina
+l'ancien parti royaliste, et d'un parti de cour et de
+classe qui, jusque-là, n'avait été vraiment actif que
+dans les luttes révolutionnaires, il fit, pendant six
+ans, un parti de gouvernement. Il contint ce parti
+et son pouvoir dans les limites de la Charte, et
+pratiqua, pendant six ans, le gouvernement constitutionnel
+sous un prince et avec des amis qui
+passaient pour le comprendre assez peu et ne l'accepter
+qu'à regret<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a>
+<a href="#footnote8"><sup class="sml">8</sup></a>.» Ce fut là, pour la liberté politique,
+et par des mains de qui on ne l'attendait
+guère, une grande conquête et un important
+progrès.</p>
+
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote8"
+name="footnote8"><b>Note 8: </b></a><a href="#footnotetag8">
+(retour) </a> <i>Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps</i>, t. I, p. 286.</blockquote>
+
+<p>On a aussi reproché, à une portion de l'opposition
+libérale dans les Chambres à cette époque,
+sa complaisance pour les conspirations et les insurrections
+qui, de 1820 à 1827, poursuivirent avec
+passion la ruine de la monarchie restaurée. Je
+n'ai nul goût à renouveler aujourd'hui ce reproche,
+et je ne veux pas non plus excuser les faiblesses
+embarrassées et les connivences timides qui en
+furent ou la cause légitime ou le spécieux prétexte.
+C'est de la liberté politique seule, de ses
+progrès ou de ses revers pendant ce temps que je
+me préoccupe. Sous ce rapport et pour cette
+grande cause, les torts de quelques-uns des membres
+libéraux des Chambres d'alors, quelle que fût
+leur gravité aux yeux de la morale et du bon sens,
+eurent peu d'importance; dans sa difficile situation,
+l'opposition parlementaire, de 1820 à 1827,
+fit son devoir et s'acquitta bien de sa mission; elle
+usa fermement de ses propres libertés et défendit
+avec persévérance celles du pays. Malgré ses ménagements
+pour les tentatives révolutionnaires du
+dehors, elle ne se livra point elle-même à l'esprit
+révolutionnaire, et ce ne fut point ce fatal esprit
+qui grandit dans les Chambres par les luttes qu'elle
+y soutint; l'esprit de légalité et de prévoyance,
+le respect de l'ordre constitutionnel et du gouvernement
+régulier y furent, au contraire, en rapide
+progrès. Si bien qu'en moins de sept années l'opposition
+libérale vit sa bonne conduite récompensée
+et ses efforts couronnés par le succès. Les vices et
+les périls de la politique qui dominait depuis 1822
+furent reconnus; le parti de l'ancien régime perdit
+le pouvoir; et dans la personne de M. de
+Martignac et de ses collègues, une simple évolution
+parlementaire ramena, en 1827, le gouvernement
+dans les voies libérales dont, en 1820,
+l'élection de M. Grégoire et l'assassinat du duc de
+Berry l'avaient fait sortir. Grand triomphe, à coup
+sûr, pour la liberté politique naissante, et preuve
+éclatante de son efficacité.</p>
+
+<p>Mais pendant qu'au centre du gouvernement, et
+par sa propre vertu, le régime parlementaire prévalait
+ainsi et portait ses fruits, quelque divers
+qu'en fussent les acteurs, les conspirations et les
+insurrections révolutionnaires troublaient sans
+cesse ses progrès, et mettaient les coups de la violence
+et du hasard à la place des développements
+naturels de la liberté. «Aujourd'hui, à plus de
+trente ans de distance, après tant et de bien plus
+grands événements, quand un honnête homme
+sensé se demande quels motifs suscitaient des colères
+si ardentes et des entreprises si téméraires,
+il n'en trouve point de suffisants ni de légitimes.
+Ni les actes du pouvoir, ni les probabilités de l'avenir
+ne blessaient ou ne menaçaient assez les
+droits et les intérêts du pays pour autoriser un tel
+travail de renversement. Le système électoral avait
+été artificieusement changé; le pouvoir avait passé
+aux mains d'un parti irritant et suspect; mais les
+grandes institutions étaient debout; les libertés
+publiques, bien que combattues, se déployaient
+avec vigueur; le pays prospérait et grandissait régulièrement.
+Inquiète, la société nouvelle n'était
+point désarmée; elle était en mesure d'attendre
+et de se défendre. Il y avait de justes motifs pour
+une opposition publique et vive, point de justes
+causes de conspiration ni de révolution. Les peuples
+qui aspirent à la liberté courent un grand
+danger, le danger de se tromper en fait de tyrannie.
+Ils donnent aisément ce nom à tout régime
+qui leur déplaît ou les inquiète, ou qui ne leur accorde
+pas tout ce qu'ils désirent. Frivoles humeurs
+qui ne demeurent pas impunies. Il faut que le
+pouvoir ait infligé au pays bien des violations de
+droit, des iniquités et des souffrances bien amères
+et bien prolongées pour que les révolutions soient
+fondées en raison, et réussissent malgré leurs
+propres fautes. Quand de telles causes manquent
+aux tentatives révolutionnaires, ou bien elles
+échouent misérablement, ou bien elles amènent
+promptement les réactions qui les châtient<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a>
+<a href="#footnote9"><sup class="sml">9</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote9"
+name="footnote9"><b>Note 9: </b></a><a href="#footnotetag9">
+(retour) </a> <i>Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps</i>, t. I, p. 234.</blockquote>
+
+<p>Les conspirations révolutionnaires de 1820
+à 1823 n'étaient pas seulement dénuées de motifs
+sensés et légitimes: ourdies presque toutes
+par des sociétés secrètes d'origine et de dénominations
+diverses, elles jetaient leurs auteurs et
+leurs adhérents dans des voies essentiellement
+contraires aux intérêts comme aux principes de
+la liberté politique. Quoi de moins libéral que les
+sociétés secrètes, les sentiments qu'elles fomentent,
+les façons d'agir qu'elles imposent? La liberté
+vit de lumière, de publicité, de contradiction,
+de discussion; elle veut que les systèmes, les
+desseins, les partis, les hommes contraires se
+manifestent et se combattent hautement, sous les
+yeux du public qui apprend ainsi à les connaître
+et à les juger. Les sociétés secrètes, au contraire,
+vouent leurs membres à l'isolement, au silence,
+aux menées obscures, aux passions déguisées, à
+l'obéissance passive. Le public ne les connaît pas;
+ils ne connaissent pas leurs adversaires; à peine
+se connaissent-ils entre eux. Toutes les habitudes,
+toutes les pratiques de la liberté leur sont étrangères;
+ce sont des esclaves volontaires, au service
+de coteries toujours près de devenir tragiques. Situation
+d'autant plus déplorable qu'elle ne manque
+point d'attrait; les hommes se complaisent dans le
+mystère, les desseins cachés, les périls vagues, les
+unions très-limitées et intimes, et dans l'importance
+que leur emprunte chacun des associés.
+Que de telles associations se forment sous une
+tyrannie avérée, pesante, permanente, qui condamne
+au silence et à l'inaction ceux qui vivent
+sous sa loi, cela s'explique et se justifie naturellement;
+mais des sociétés secrètes au milieu d'un
+régime de liberté, de publicité, de discussion,
+quand tous les citoyens, avec des efforts et des
+risques très-modestes, peuvent parler et agir au
+grand jour pour soutenir leur cause, c'est là un
+contre-sens absurde et funeste, qui ne s'explique
+que par des passions qu'on n'ose avouer, et qui
+fausse le jugement et le caractère des adeptes
+engagés dans ces ténèbres, autant qu'il inquiète
+et trouble la société qu'ils pourraient servir en
+usant hardiment de ses libertés.</p>
+
+<p>Il n'y a point de contradiction, si étrange
+qu'elle soit, qui ne se rencontre dans l'âme et la
+conduite des hommes. En même temps que les
+sociétés secrètes éloignaient, des pratiques et des
+habitudes de la liberté politique, la jeune génération
+qui s'y laissait attirer, le parti républicain
+naissait dans leur sein; et les mêmes hommes
+qui préféraient les engagements et les conciliabules
+secrets au ferme usage des institutions
+libres qu'ils avaient sous la main, aspiraient avec
+passion à la République comme à l'idéal de la
+liberté.</p>
+
+<p>Je m'en suis expliqué plus d'une fois: j'honore
+le gouvernement républicain; il a tenu, dans
+l'histoire du monde, une place glorieuse; la nature
+humaine s'y est développée grandement et
+avec éclat; il a convenu, il peut convenir à certaines
+époques, à certains états des sociétés humaines;
+et si j'avais vécu à Rome après la chute
+de la République et sous les empereurs, j'aurais
+dit volontiers avec le vieux Galba: «Si l'immense
+corps de l'Empire pouvait se tenir debout
+et en équilibre sans un maître, nous étions dignes
+que la République commençât par nous<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a>
+<a href="#footnote10"><sup class="sml">10</sup></a>.» Mais je
+suis profondément convaincu, d'une part, que la
+République n'est point, en principe, le plus rationnel
+et le plus naturel des gouvernements, d'autre
+part, qu'elle est de tous les gouvernements le plus
+difficile à pratiquer, et en outre que, par une multitude
+de causes sociales, morales, historiques,
+géographiques, elle ne convient nullement à la
+France. Ce fut donc, je pense, de 1820 à 1830,
+un grand malheur que la renaissance du parti républicain;
+il n'existait pas en 1814, au moment
+où la Restauration s'accomplit; il ne parut pas
+dans les Cent-Jours, quand l'Empire tenta de se
+rétablir. Plus tard, ce ne fut point après de sérieuses
+épreuves et de graves débats publics, ni
+sous la pression de quelque forte nécessité ou d'une
+opinion puissante que le parti républicain se reforma;
+ce fut au sein des sociétés secrètes, au service
+de leurs passions et de leurs complots, loin
+des regards et, pour ainsi dire, à l'insu de la France
+que la République reprit la prétention de devenir
+le gouvernement français.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote10"
+name="footnote10"><b>Note 10: </b></a><a href="#footnotetag10">
+(retour) </a> <i>Si immensum Imperii corpus stare ac librari sine rectore posset,
+dignus eram a quo Respublica inciperet.</i> (Tacite, <i>Hist.</i>, liv. I,
+c. XVI.)</blockquote>
+
+<p>Au vice de cette origine se joignit un autre
+mal peut-être encore plus grave. Le parti républicain
+ainsi renaissant était un groupe peu nombreux,
+formé de quelques hommes considérables,
+vieillis avec plus de dignité que de clairvoyance
+au service de la cause libérale, et de jeunes gens
+sincèrement passionnés pour l'idée républicaine.
+Ce petit état-major n'avait, dans le pays même,
+point d'armée et point de crédit pour en recruter
+une. Pourtant il lui en fallait une; il lui fallait des
+forces bruyantes et actives, prêtes à le seconder
+en toute occasion et à le suivre jusqu'au bout dans
+son dessein. Elles s'offrirent à lui, impures et compromettantes,
+mais hardies. La République révolutionnaire
+de 1792 à 1798, malgré les revers et
+les démentis éclatants qu'elle avait subis, avait
+conservé presque partout des adhérents obscurs,
+fanatiques subalternes ou brouillons décriés, ennemis
+intraitables de la monarchie, de la Restauration,
+de la maison de Bourbon, de tout pouvoir
+qui ne donnait pas satisfaction à leurs haines ou à
+leurs rêves, et habiles à fomenter, dans les masses
+populaires, ces espérances vagues, ces passions
+anarchiques qui y sommeillent toujours, prêtes à
+s'éveiller au moindre bruit. C'étaient là, pour les
+chefs républicains, une armée éparse mais toute
+disposée à leur venir en aide. Par imprévoyance,
+par faiblesse, par entraînement, faute d'autres appuis
+dans les régions sereines de la société, ils
+recherchèrent ou acceptèrent celui-là, se flattant
+d'employer au triomphe de la République ces
+restes des plus mauvais temps de la Révolution, et
+ne prévoyant pas que les révolutionnaires deviendraient
+leurs maîtres au lieu d'être, entre leurs
+mains, des instruments de liberté.</p>
+
+<p>Après le succès de la guerre d'Espagne, dans
+les dernières années du ministère de M. de Villèle
+et sous celui de M. de Martignac, les sociétés secrètes
+et les républicains firent peu de bruit; ce
+ne furent plus les conspirations, les insurrections
+et leurs procès qui remplirent la scène et passionnèrent
+le public. La lutte parlementaire remplaçait
+et éteignait la guerre révolutionnaire. C'est le
+but et le triomphe de la liberté politique. Mais si
+la guerre révolutionnaire ne retentissait plus, dans
+les Chambres et dans le pays, avec la même puissance,
+elle n'en continuait pas moins, sourde et
+acharnée; au lieu d'éclater dans la sphère de la
+publicité et de la discussion, parlementaire ou
+judiciaire, l'hostilité se poursuivait dans l'ombre,
+et par toute sorte de voies cachées où les alarmes,
+la surveillance et les rapports de la police la poursuivaient
+incessamment à leur tour. Et les agents
+de l'administration, les conseillers de la couronne,
+n'étaient pas les seuls dont ces rapports excitassent
+la sollicitude; le roi Charles X lui-même en était
+constamment et vivement préoccupé. C'est l'inévitable
+condition de la police et de sa lutte secrète
+contre les ennemis secrets avec qui elle est aux
+prises que tantôt elle ignore, tantôt elle grossit
+outre mesure les périls qu'elle est chargée de
+prévenir; ce qui jette et entretient ses maîtres
+dans un état d'agitation continue, comme il arriverait
+à des hommes dont les regards, sans cesse
+tendus, apercevraient çà et là des lueurs dans des
+ténèbres pleines d'ennemis. Il faut, à ceux qui font
+la police ou qui la suivent dans son travail, une
+rare fermeté d'esprit pour voir les choses telles
+qu'elles sont réellement, à leur place, à leur taille,
+et pour ne pas tomber, tantôt dans une sécurité
+aveugle, tantôt dans des craintes très-exagérées.
+Nul n'était moins propre que le roi Charles X à
+bien supporter une telle épreuve: esprit à la fois
+remuant et faible, imprévoyant et obstiné, il avait
+goût aux recherches, aux découvertes, aux communications
+de la police, et dès qu'il les trouvait
+d'accord avec ses impressions et ses préventions
+anciennes et générales, il leur portait
+une confiance crédule. La Révolution et la République
+lui apparaissaient, à chaque instant,
+comme deux fantômes menaçants. Ces fantômes
+avaient assez de réalité, et l'hostilité des révolutionnaires
+et des républicains était assez active
+pour l'entretenir incessamment dans une irritation
+pleine d'alarmes; il voyait son trône et sa maison
+toujours en proie à un pressant péril; et les grands
+faits publics, l'apaisement visible des esprits, les
+incontestables progrès du gouvernement légal et
+régulier dans les Chambres ne suffisaient nullement
+à le rassurer.</p>
+
+<p>Ce fut bien pis quand les Chambres elles-mêmes
+et les embarras de son gouvernement dans leur
+sein lui devinrent un sujet de trouble et de colère.
+Le parti libéral commit, en 1829, une faute
+énorme: il était rentré, par le ministère Martignac,
+en possession de la prépondérance; la liberté
+politique venait d'acquérir, par les nouvelles
+lois sur la presse et sur les élections, d'efficaces
+garanties. Au lieu de soutenir avec persévérance
+le cabinet auquel il devait de tels progrès, le parti
+libéral le harcela par des exigences inopportunes,
+ne s'entendit pas avec lui dans la discussion des
+lois sur l'administration municipale et départementale,
+et fournit ainsi au roi Charles X l'occasion
+de satisfaire, en appelant d'autres ministres,
+sa passion et son inquiétude. Moins
+choquante que l'offense agressive qu'avait commise,
+en 1819, le parti révolutionnaire en élisant
+un régicide, la faute du parti libéral, en 1829,
+fut, en résultat, aussi grave; l'une avait, par
+degrés, amené au pouvoir le côté droit et M. de
+Villèle; l'autre y fit monter tout à coup M. de
+Polignac.</p>
+
+<p>En formant le cabinet du 8 août 1829, ni le roi
+Charles X, ni le prince de Polignac ne méditaient,
+à coup sûr, la violation de la Charte et les ordonnances
+de Juillet 1830. L'un croyait défendre sa
+couronne et son droit royal; l'autre se promettait
+de pratiquer en France le gouvernement
+représentatif tel qu'il l'avait vu et admiré en
+Angleterre. Il y a presque toujours, dans les résolutions
+des hommes médiocres, plus d'idées fausses
+que de mauvais desseins, et c'est leur erreur radicale
+de ne pas seulement soupçonner la gravité
+des questions qu'ils soulèvent et l'issue des voies
+où ils s'engagent. C'était, depuis 1814, l'effort des
+libéraux loyaux et sensés de séparer la cause de
+la royauté restaurée de celle de l'ancien régime
+et la cause de la liberté politique de celle des
+théories et des passions révolutionnaires. Quand
+il fit le prince de Polignac son premier ministre,
+Charles X confondit ces causes si diverses, jeta le
+gant au parti parlementaire comme au parti révolutionnaire,
+et remit du même coup la liberté
+politique en question et l'ancien régime en présence
+de la Révolution.</p>
+
+<p>A cette provocation inintelligente et téméraire,
+l'adresse des 221 fut la réponse. Réponse directe
+et franche, sans hésitation et sans voile, mais aussi
+modérée que franche, et aussi monarchique que
+libérale: «La Charte, disait-elle, que nous devons
+à la sagesse de votre auguste prédécesseur,
+et dont Votre Majesté a la ferme volonté de consolider
+le bienfait, consacre comme un droit l'intervention
+du pays dans la délibération des intérêts
+publics. Cette intervention devait être, elle est en
+effet indirecte, sagement mesurée, circonscrite
+dans des limites exactement tracées, et que nous ne
+souffrirons jamais que l'on ose tenter de franchir;
+mais elle est positive dans son résultat, car elle
+fait, du concours permanent des vues politiques
+de votre gouvernement avec les voeux de votre
+peuple, la condition indispensable de la marche
+régulière des affaires publiques. Sire, notre
+loyauté, notre dévouement, nous condamnent à
+vous dire que ce concours n'existe pas.» La liberté
+politique était ainsi proclamée en principe
+et appliquée aux circonstances du moment,
+comme un droit national. Mais à côté de ces
+fermes paroles se plaçaient celles-ci: «Quinze
+ans de paix et de liberté, que ce peuple doit à
+votre auguste frère et à vous, ont profondément
+enraciné dans son coeur la reconnaissance qui
+l'attache à votre royale famille; sa raison, mûrie
+par l'expérience et par la liberté des discussions,
+lui dit que c'est surtout en matière d'autorité que
+l'antiquité de la possession est le plus saint de tous
+les titres, et que c'est pour son bonheur autant
+que pour votre gloire que les siècles ont placé
+votre trône dans une région inaccessible aux
+orages. Sa conviction s'accorde donc avec son devoir
+pour lui présenter les droits sacrés de votre
+couronne comme la plus sûre garantie de ses libertés,
+et l'intégrité de vos prérogatives comme
+nécessaire à la conservation de ces droits.» Il était
+impossible de méconnaître la parfaite et sérieuse
+sincérité de l'un et de l'autre langage; et par un
+progrès bien inattendu dont la liberté politique
+en vigueur depuis quinze ans avait l'honneur
+comme le fruit, c'était M. Royer-Collard qui parlait
+ainsi au nom de la Chambre des députés, et
+toutes les nuances du parti libéral, l'opposition
+tout entière, acceptaient les paroles de M. Royer-Collard
+comme l'expression de leurs sentiments et
+de leurs desseins.</p>
+
+<p>Il y avait là une de ces fortunes rares, un de
+ces moments décisifs qui, bien compris et bien
+saisis, fondent pour un long temps la force des
+gouvernements et la paix intérieure des États.
+Le roi Charles X ne comprit point. Au lieu d'accepter
+l'harmonie et l'union intime des grands
+pouvoirs, loyalement demandées et offertes, il
+prononça leur séparation. La Chambre des députés
+fut dissoute.</p>
+
+<p>Elle n'avait certainement pas dépassé les limites
+de son droit. Avait-elle dépassé celles de la prudence?
+Au lieu d'affirmer sur-le-champ, en principe
+la nécessité et en fait l'absence de l'harmonie
+entre la Chambre et un ministère qui n'avait
+encore rien fait, et n'était suspect qu'à cause des
+noms et des antécédents de ses membres, n'eût-il
+pas mieux valu attendre ses actes, et lui faire opposition
+dans la pratique de la législation et des
+affaires, sans lui signifier d'avance un refus général
+de concours? J'admets ce doute, quoique,
+même aujourd'hui et après les clartés de l'expérience,
+je ne le partage pas. A l'appui de ma persistance,
+je pourrais alléguer l'état des esprits en
+1830; je pourrais dire que, pour conserver dans
+le pays l'autorité qu'elle avait acquise, pour maintenir
+toutes les nuances du parti libéral dans la
+modération et l'harmonie qu'elles avaient, non
+sans peine, acceptées, la Chambre des députés
+avait besoin, à cette époque, de faire acte de cette
+fermeté franche et hardie qui satisfait et domine
+l'imagination des peuples. En faveur de l'adresse
+des 221, cette considération est puissante; pourtant
+ce n'est pas celle qui me décide; les corps
+politiques doivent savoir, même au prix de quelque
+déclin dans la faveur populaire, tenir une conduite
+patiente et lente, si c'est la plus sage et si elle peut
+les mener au but avec un moindre péril. Mais je
+demeure convaincu que la cécité politique du roi
+Charles X était incurable, que la Chambre des
+députés de 1830 n'eût pas mieux réussi, par l'opposition
+patiente que par sa résolution nette et
+prompte, à lui faire accepter les conséquences du
+droit national consacré par la Charte, et que, entre
+la couronne et la Chambre, la même situation qui
+amena l'adresse des 221 se fût reproduite plus
+tard, peut-être plus pressante encore et plus grave.
+Si j'ai raison dans ma conjecture, la Chambre
+eut raison dans sa conduite, et l'adresse des 221
+était, pour elle, le seul moyen d'exercer, sur les
+élections que tous prévoyaient, l'influence qui
+pouvait seule y faire prévaloir la politique à la
+fois conservatrice et libérale dont nous poursuivions
+le triomphe.</p>
+
+<p>Les élections répondirent au voeu de la Chambre.
+Elles confirmèrent et fortifièrent, sans la rendre
+plus ardente, la majorité parlementaire qui
+avait voté l'adresse: la nouvelle Chambre était
+aussi étrangère que celle qui l'avait précédée à
+tout dessein, à tout désir révolutionnaire, aussi
+résolue à maintenir la politique conservatrice et
+libérale et à ne point la dépasser. Encore une
+fortune inattendue pour la monarchie restaurée;
+encore un moment décisif et facile à saisir.
+Charles X ne comprit pas davantage. En dissolvant
+la Chambre, il avait, selon son droit, fait
+appel à la France. La France lui avait fermement,
+mais loyalement répondu. Les ordonnances du
+25 juillet 1830 furent la réplique du roi à la
+réponse de la France.</p>
+
+<p>J'ai dit ailleurs ma pensée sur la Révolution
+de 1830, ce que j'en pensais au moment où elle
+s'accomplit et où j'y pris part, et ce que j'en
+pense aujourd'hui<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a>
+<a href="#footnote11"><sup class="sml">11</sup></a>. Je persiste dans ce que j'en
+ai dit. «C'eût été certainement un grand bien
+pour la France, et de sa part un grand acte d'intelligence
+comme de vertu politique, que sa résistance
+se renfermât dans les limites du droit monarchique,
+et qu'elle ressaisît ses libertés sans
+renverser son gouvernement. On ne garantit
+jamais mieux le respect de ses propres droits
+qu'en respectant soi-même les droits qui les balancent,
+et, quand on a besoin de la monarchie,
+il est plus sûr de la maintenir que d'avoir à la
+fonder. Mais il y a des sagesses difficiles, qu'on
+n'impose pas, à jour fixe, aux nations, et que la
+pesante main de Dieu, qui dispose des événements
+et des années, peut seule leur inculquer. Partie
+du trône, une grande violation du droit avait
+réveillé et déchaîné tous les instincts ardents du
+peuple. Parmi les insurgés en armes, la méfiance
+et l'antipathie pour la maison de Bourbon étaient
+profondes. Les négociations tentées par le duc de
+Mortemart ne furent que des apparences vaines;
+malgré l'estime mutuelle des hommes et la courtoisie
+des paroles, la question d'un raccommodement
+avec la branche aînée de la famille royale
+ne fut pas un moment sérieusement considérée ni
+débattue. L'abdication du Roi et du dauphin vint
+trop tard. La royauté de M. le duc de Bordeaux
+avec M. le duc d'Orléans pour régent, qui eût été
+non-seulement la solution constitutionnelle, mais
+la plus politique, paraissait, aux plus modérés,
+encore plus impossible que le raccommodement
+avec le Roi lui-même. A cette époque, ni le parti libéral,
+ni le parti royaliste n'eussent été assez sages,
+ni le régent assez fort pour conduire et soutenir un
+gouvernement à ce point compliqué, divisé et
+agité. La résistance, d'ailleurs, se sentait légale
+dans son origine, et se croyait assurée du succès
+si elle poussait jusqu'à une révolution. Les masses
+se livraient aux vieilles passions révolutionnaires,
+et les chefs cédaient à l'impulsion des masses. Ils
+tenaient pour certain qu'il n'y avait pas moyen de
+traiter sûrement avec Charles X, et que, pour
+occuper son trône, ils avaient sous la main un
+autre roi. Dans l'état des faits et des esprits, on
+n'avait à choisir qu'entre une monarchie nouvelle
+et la république, entre M. le duc d'Orléans et
+M. de Lafayette: «Général, dit à ce dernier son
+petit gendre, M. de Rémusat, qui était allé le voir
+à l'Hôtel de ville, si l'on fait une monarchie, le
+duc d'Orléans sera roi; si l'on fait une république,
+vous serez président. Prenez-vous sur vous la
+responsabilité de la république?»..... Une
+même conviction dominait ce jour-là tous les
+hommes sérieux: par la monarchie seule, la France
+pouvait échapper à l'abîme entr'ouvert, et une
+seule monarchie était possible. Son établissement
+fut, pour tout le monde, une délivrance: «Moi
+aussi, je suis des victorieux,» me dit M. Royer-Collard,
+«triste parmi les victorieux.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote11"
+name="footnote11"><b>Note 11: </b></a><a href="#footnotetag11">
+(retour) </a> <i>Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps</i>, t. II, p. 1-34.</blockquote>
+
+<p>Ceux-là même qui n'étaient pas tristes ne pouvaient
+pas ne pas être inquiets, et ils l'auraient été
+bien davantage s'ils s'étaient dès lors rendu
+compte des difficultés contre lesquelles, pour le
+succès de l'oeuvre qu'ils avaient à coeur, ils allaient
+avoir à lutter.</p>
+
+<p>Quel plus naturel et plus puissant enivrement
+que celui d'un grand événement, d'un grand acte
+national entrepris par de nobles motifs et généreusement
+accompli? La génération qui occupait la
+scène depuis 1814 avait pour sentiment dominant
+la passion et pour but définitif la conquête de la
+liberté politique. C'était l'instinct général du pays
+qui sentait le besoin de garanties permanentes
+pour les biens et les droits sociaux, si longtemps
+compromis par l'anarchie ou par la guerre. C'était
+l'élan des esprits jeunes et actifs qui cherchaient,
+à l'intérieur et dans le développement libéral
+des principes de 1789, la satisfaction de leurs
+forces et l'emploi de leur vie. Quel plus grand
+acte de liberté politique que la résistance suprême
+aux tentatives du pouvoir absolu, et le pays disposant
+lui-même de son gouvernement pour défendre
+ses lois violées et revendiquer ses droits
+méconnus? Les nations prennent, comme les rois,
+un plaisir superbe à l'exercice de la souveraineté,
+et les révolutions sont leur façon de dire à leur
+tour: «L'État, c'est moi!»</p>
+
+<p>Mais, comme toutes les conquêtes, celle de la
+liberté politique n'est qu'un vain et ruineux plaisir,
+si elle ne se change en une possession solide,
+et la fondation d'un gouvernement libre est le seul
+gage comme le digne prix de la conquête de la
+liberté. Il faut qu'une révolution libérale enfante
+un gouvernement libre, régulier et durable; sans
+quoi, elle n'est qu'un douloureux et stérile avortement.
+Pour la Révolution de 1830, ce grand
+problème était plus impérieusement posé et
+plus difficile à résoudre qu'il ne l'avait jamais
+été.</p>
+
+<p>Les révolutions ont, en général, une impulsion
+simple et un but unique: elles se font tantôt contre
+la tyrannie, tantôt contre l'anarchie, pour accomplir
+de grandes réformes sociales ou pour rétablir
+l'ordre et le pouvoir dont la société ne peut se
+passer. Dans l'un et dans l'autre cas, les chefs et
+les adhérents des révolutions marchent dans une
+voie clairement tracée et sur une forte pente; ils
+y rencontrent des difficultés et des périls, mais
+point d'obscurités ni de lenteurs: inhabiles ou
+faibles, ils tombent; mais, s'ils ne tombent pas,
+ils avancent rapidement.</p>
+
+<p>La Révolution de 1830 a eu un tout autre caractère;
+son impulsion et son but étaient très-complexes;
+entreprise au nom des lois violées et
+pour leur défense, elle était tenue, par ses propres
+maximes et ses premiers actes, de rétablir
+promptement l'ordre légal qui pourtant recevait,
+dans la personne de la royauté, une grave atteinte.
+Mais la Révolution venait de bien plus loin que de
+la cause immédiate de son explosion, et elle portait
+dans ses flancs de bien autres ambitions que le
+rétablissement des lois. Au même moment et
+sans délai, on lui demandait d'accomplir un grand
+progrès libéral et de mettre sur pied un pouvoir
+régulier et rassurant. Elle avait à la fois les libertés
+publiques à étendre et le gouvernement à
+fonder. Décidée à ne pas subir les ordonnances de
+Juillet, la France voulait une révolution qui ne
+fût pas révolutionnaire et qui lui donnât, du même
+coup, l'ordre avec la liberté. C'était si bien son
+voeu que ce fut la devise de son drapeau.</p>
+
+<p>Pour le prince appelé au trône et pour ses conseillers,
+cette double tâche était prodigieusement
+difficile. La Révolution n'avait pas été faite par les
+pouvoirs légaux: les Chambres s'étaient empressées
+d'y prendre leur place et de la sanctionner
+pour la régler; mais c'était l'insurrection populaire
+qui l'avait commencée et accomplie; et les
+meneurs de l'insurrection populaire, c'étaient les
+membres des sociétés secrètes, les anciens conspirateurs,
+les chefs républicains. Ils avaient combattu
+de l'aveu et avec l'appui du sentiment national;
+mais le combat avait été leur fait et la
+victoire leur oeuvre. L'élément révolutionnaire
+était ainsi rentré avec puissance dans l'arène
+politique où, depuis quelque temps, l'élément
+parlementaire avait dominé.</p>
+
+<p>Je dis l'élément révolutionnaire, car, à ces
+vainqueurs de Juillet, la révolution de Juillet,
+telle qu'elle se concluait, ne suffisait point.
+Les uns voulaient nettement la République, ou ne
+consentaient à en abandonner le nom que si on
+leur en donnait, sous une apparence monarchique,
+la réalité mal déguisée et mal organisée;
+ce qui est, pour toutes les sortes de gouvernement,
+la pire des combinaisons. Les autres, moins précis
+dans leurs voeux et plus désordonnés dans leurs
+instincts, faisaient, des traditions de la Convention
+et de celles de l'Empire, un confus mélange qui
+aboutissait à réclamer, plus ou moins explicitement,
+au dedans une effervescence populaire
+indéfinie, au dehors une guerre de propagande et
+de conquête. Là étaient, disaient-ils, pour la
+France la grandeur et la liberté.</p>
+
+<p>Ainsi se préparait, pour le gouvernement naissant,
+dès ses premiers pas et dans son propre
+camp, une opposition formidable; il allait se retrouver
+en face des mêmes passions, des mêmes
+ambitions, des mêmes inimitiés, des mêmes périls
+qui avaient assailli la Restauration. Et à côté de
+cette opposition intestine s'en formait, contre lui,
+une autre, celle des amis de la Restauration qui,
+une fois sauvés de leurs grandes alarmes, reprenaient
+leurs regrets et leurs colères. Appelé en
+même temps à relever le pouvoir et à étendre la
+liberté, le gouvernement de Juillet avait à lutter
+à la fois contre les représentants obstinés de l'ancienne
+société française et les téméraires enfants
+de la nouvelle, contre la Restauration et la Révolution.</p>
+
+<p>Ce sera sa gloire d'avoir accepté et porté sans
+hésiter, pendant dix-huit ans, ce pesant fardeau.
+Il a franchement entrepris d'accomplir à la fois
+les deux tâches qu'on lui imposait. Pour rétablir
+l'ordre et fonder un gouvernement digne de ce
+nom, il a résolument adopté, au dehors comme
+au dedans, la politique de résistance au désordre,
+aux désirs chimériques, aux entreprises révolutionnaires;
+et il a pratiqué la politique de la résistance
+avec les seules armes de la liberté, sans
+recourir à aucune loi d'exception, à aucune violence,
+à aucun silence, vivant sans cesse en face
+de la publicité, de la discussion; de la responsabilité,
+et respectant, au milieu du combat, tous
+les droits, toutes les libertés de tous ses ennemis.</p>
+
+<p>C'est là vraiment la liberté politique; à ces
+conditions seulement on a droit de dire qu'elle
+existe et d'appeler le gouvernement un gouvernement
+libre. On peut, aujourd'hui comme il y a
+vingt ans, attaquer la politique du gouvernement
+de Juillet; on peut trouver qu'il a trop résisté,
+qu'il n'a pas assez tenté, assez innové, qu'il n'a
+pas donné aux penchants du temps et du pays
+assez de satisfaction. Je n'admets point, mais je
+ne discute pas, en ce moment, ces griefs. En tout
+cas, on ne saurait contester au gouvernement de
+Juillet l'honneur d'avoir été un gouvernement
+libre, d'avoir gouverné uniquement par les lois
+et sous le contrôle de toutes les libertés écrites
+dans les lois.</p>
+
+<p>Le régime de la liberté politique a ses défauts
+comme ses mérites, et on ne recueille pas ses
+bienfaits sans en payer le prix. Il est vrai: sous
+ce régime, le bien est souvent lent et difficile,
+quelquefois même impossible à faire au moment
+où il apparaît à la pensée ambitieuse et hardie; les
+rivalités des partis ou des personnes, la discussion
+préalable ou pressentie, la timidité en face de la
+responsabilité retardent quelquefois des résolutions
+et entravent des entreprises grandes et utiles.
+Mais, en revanche, que de fautes et de maux épargne,
+au pouvoir et au pays, la liberté politique!
+Que d'idées fausses elle dévoile et écarte! Que de
+résolutions égoïstes, que d'entreprises étourdies
+elle étouffe dans leur germe, avant que le pouvoir
+et le pays s'y soient compromis sans retour! Ce
+régime orageux et bruyant est, au fond et dans la
+pratique définitive des affaires, un régime de patience
+et de prudence; il oppose au mal bien plus
+d'obstacles qu'il n'impose au bien de délais ou
+d'épreuves; et ses deux libertés fondamentales,
+la liberté de la tribune et la liberté de la presse,
+qui font dire et croire dans le public tant de sottises,
+en préviennent bien plus encore, et de bien
+plus graves, dans le gouvernement.</p>
+
+<p>De tout temps, et aujourd'hui plus que jamais,
+les grandes questions abondent, au dedans et au
+dehors, sur les pas des grands peuples et de leurs
+chefs. Rien n'est plus tentant que l'espoir de les
+résoudre. Rien n'est plus facile que d'en commencer
+l'entreprise. Mais ce qu'on a commencé,
+il faut le finir; les questions qu'on a remuées, il
+faut les régler: sans quoi l'embarras et peut-être
+le péril seront bien plus graves que si l'on n'y eût
+pas touché. Ce fut le mérite du gouvernement
+de Juillet de ne jamais oublier qu'il était un gouvernement
+libre, et de ne tenter que ce qu'il pouvait
+faire avec les armes et dans les conditions
+de la liberté.</p>
+
+<p>Mais la liberté politique a aussi ce mérite, qu'en
+même temps qu'elle impose des freins au pouvoir
+et lui enseigne la prudence, elle développe autour
+de lui, dans ses conseillers et dans ses adversaires,
+tout ce que la nature leur a donné de talent
+et d'énergie. C'est un régime qui anime et contient
+à la fois les hommes engagés dans les affaires
+publiques, et qui les oblige à déployer tout ce
+qu'ils sont et tout ce qu'ils valent, dans les limites
+de ce qu'ils doivent et peuvent réellement
+exécuter. Le pays ne gagne pas moins à ce résultat
+que le gouvernement, car les oeuvres mesurées,
+accomplies par des hommes éminents, servent et
+honorent plus les nations que les grandes choses
+tentées et mal faites par des hommes médiocres.</p>
+
+<p>L'ardeur et la valeur personnelle des hommes,
+grandement provoquées et développées, ne seraient,
+pour la société, qu'un bien incomplet et
+peut-être périlleux, si le régime parlementaire n'avait
+en même temps un autre effet. Il oblige et
+amène les hommes politiques à se grouper, à se
+discipliner, à reconnaître des chefs, à adopter des
+principes hautement déclarés, à soutenir constamment
+une même cause. Ainsi se forment ces
+grands et persévérants partis qui se vouent à tel
+ou tel des intérêts généraux et essentiels de la
+société, font régner dans la vie publique des
+moeurs viriles, la franchise, la fidélité, le respect
+de soi-même, l'esprit de suite, et deviennent de
+puissants et réguliers moyens de gouvernement
+au milieu des agitations de la liberté.</p>
+
+<p>C'est là le gouvernement libre. C'est là le régime
+qu'a désiré, poursuivi et plus ou moins bien
+pratiqué, à travers les crises du temps et ses
+propres discordes, la génération qui, de 1814 à
+1848, a occupé en France la scène politique.</p>
+
+<p>J'entends le cri qui s'élève et se répète sans
+relâche: «La France a cherché ce régime par
+toutes sortes de voies, sous les drapeaux les plus
+divers; elle l'a entrevu, elle y a touché, elle a cru
+le posséder. Il est tombé. Peut-il jamais, après
+tant d'épreuves, se relever de ce tort et de ce
+malheur?»</p>
+
+<p>Je pourrais me borner à cette simple réponse
+déjà souvent faite: «Quel est, depuis
+soixante-dix ans, le régime qui n'est pas tombé?
+Le pouvoir absolu a échoué comme la liberté; les
+conquêtes de la guerre ont disparu comme celles
+de la paix; les régimes divers auraient mauvaise
+grâce à se traiter mutuellement avec hauteur; ils
+ont tous subi les mêmes revers; ils ont tous
+été tour à tour enveloppés et emportés dans
+cet orage qui, depuis soixante-dix ans, souffle
+sur l'Europe. Cherchez, contre le régime parlementaire,
+d'autres armes que sa chute; il
+vous rendrait avec usure les coups dont vous le
+frapperiez. De tous nos régimes, c'est encore
+celui-là qui a le plus duré.» Mais je ne veux pas
+m'en tenir à cette récrimination évasive. Je veux
+encore moins remettre ici en présence les événements
+et les noms propres, et ranimer d'anciennes
+discordes en recherchant comment doit être distribuée,
+entre les amis sincères de la liberté politique,
+hommes ou partis, la responsabilité de ses
+revers. Ce que j'ai à coeur, c'est de signaler, dans
+la fortune chancelante du gouvernement libre de
+1814 à 1848, ces causes intrinsèques et, pour
+ainsi dire, organiques qui ne sont le fait particulier
+de personne, homme ou parti, et que chacun
+peut reconnaître sans se démentir ou s'accuser
+soi-même. Que les libéraux, tous les libéraux sachent
+bien pourquoi la liberté politique leur a si
+souvent échappé, quand ils croyaient l'avoir conquise;
+à cette lumière, ils apprendront comment
+on garde ce qu'on a conquis.</p>
+
+<p>J'y reviens sans cesse, tant ma conviction est
+profonde: c'est à la fondation du gouvernement
+libre qu'est attachée la solide possession de la
+liberté politique. Tant que le pouvoir qui gouverne
+ne puise pas sa force, aussi bien que sa
+limite, dans les institutions mêmes qui servent
+d'instruments et de garanties à la liberté, tant
+que la société n'a pas la conscience et la confiance
+que les institutions qui la font libre lui
+assurent aussi un pouvoir capable de la gouverner,
+on n'a qu'un régime troublé et précaire; la liberté
+politique est à l'état de conquête pénible et incertaine,
+non de possession régulière et définitive.</p>
+
+<p>Le gouvernement libre veut deux choses:
+l'intervention efficace du pays dans la conduite
+des affaires publiques et le contrôle efficace du
+pays sur la conduite des affaires publiques. Que
+le pays influe d'une façon décisive sur le système
+et sur les acteurs de la politique qui le gouverne;
+que cette politique ait constamment à soutenir la
+critique des spectateurs qui y assistent: quand ces
+deux faits coexistent, quand un ministère, accepté
+et soutenu par les divers représentants du pays,
+gouverne en présence d'une opposition armée
+des droits de la liberté, alors le pays possède un
+gouvernement libre; la liberté politique est
+fondée.</p>
+
+<p>Nous avons eu, de 1814 à 1848, les essais de ce
+régime. Pourquoi ces essais n'ont-ils pas suffi à
+surmonter les épreuves qu'ils ont eu à subir?
+Pourquoi, en marchant dans la bonne voie, n'est-on
+pas arrivé et ne s'est-on pas fixé au but? Pourquoi,
+ni de 1814 à 1830, ni de 1830 à 1848, la
+monarchie constitutionnelle, qui touchait de si
+près au gouvernement libre, n'en a-t-elle pas
+acquis la force et assuré la durée?</p>
+
+<p>Je viens de parler des partis politiques, de ces
+grands et persévérants partis qui se vouent à tel
+ou tel des intérêts généraux et vitaux de la société,
+celui-ci à l'ordre, celui-là à la liberté, l'un à la
+conservation, l'autre au progrès, et au sein desquels
+les hommes apprennent à se grouper, à se
+discipliner, à soutenir une cause, à reconnaître
+des chefs, à pratiquer cette franchise, cette fidélité,
+ce respect de soi-même, cet esprit de suite
+qui sont les moeurs viriles de la vie publique. De
+tels partis sont les éléments naturels et nécessaires
+du gouvernement libre: seuls ils mettent le pouvoir,
+et aussi l'opposition, en état de soutenir les
+longues luttes, de surmonter les mauvaises apparences,
+de résister au vent qui souffle, aux échecs
+décourageants, et de poursuivre, en combattant
+toujours, des oeuvres lentes et difficiles. Les
+grands partis politiques sont les armées de l'ordre
+civil, au sein de la liberté.</p>
+
+<p>Ces éléments du gouvernement libre ne manquent
+point à la France. On a beaucoup trop dit
+qu'une grande aristocratie pouvait seule former et
+soutenir de grands partis politiques; il est vrai
+qu'ils y naissent et s'y perpétuent plus aisément
+qu'ailleurs; mais cette condition du gouvernement
+libre n'est point le privilége exclusif d'un seul état
+de société ni d'une seule forme d'institution. Ce
+ne sont pas les partis politiques qui ont manqué à
+la république démocratique des États-Unis américains;
+ils s'y sont établis, étendus, maintenus avec
+une opiniâtreté indomptable, et c'est de leur tyrannie,
+non de leur absence, qu'elle a eu à souffrir.
+Il y a dans la société française, telle qu'elle
+est faite aujourd'hui, tous les éléments d'un parti
+de l'ordre et d'un parti de la liberté, d'un parti
+conservateur et d'un parti novateur, d'un parti du
+maintien et d'un parti du progrès. Ces dispositions
+diverses se rencontrent dans tous les rangs
+de notre société; l'esprit de conservation n'est
+point étranger, en France, aux masses populaires,
+ni l'esprit d'innovation aux classes élevées; et cette
+classification spontanée des intérêts, des idées,
+des instincts, des passions, peut se transformer
+en organisation des partis politiques. De 1814
+à 1848, à travers toutes nos crises, nous avons vu
+commencer ce travail d'organisation; et malgré
+ce qui leur a manqué de consistance et de prévoyance,
+c'est à la formation et à l'action des
+grands partis politiques, dans les Chambres et
+dans le pays, que le gouvernement libre a dû
+parmi nous, de 1814 à 1848, ce qu'il a eu de force
+régulière et de succès.</p>
+
+<p>Mais pour que les partis politiques suffisent
+pleinement à leur tâche, il faut qu'ils possèdent
+toutes leurs forces naturelles, qu'ils soient complets
+et compactes. Si les amis de l'ordre sont
+divisés et se combattent au lieu de se soutenir, si
+les partisans du mouvement et du progrès sont
+en proie à des intentions radicalement diverses,
+ni le parti conservateur, ni le parti novateur ne
+seront efficaces; ni l'un ni l'autre ne sera en
+état de porter jusqu'au bout son fardeau, et le
+gouvernement libre sera compromis faute d'acteurs
+assez forts pour leurs rôles. Tel a été, de
+1814 à 1848, le malheur de la liberté politique
+en France: soit sous la Restauration, soit sous
+le gouvernement de Juillet, les deux partis appelés
+à mettre les institutions libres en pratique ont
+été profondément incomplets et discordants. Sous
+la Restauration, une portion considérable de la
+société française, un grand nombre d'hommes
+naturellement conservateurs et disposés à soutenir
+le pouvoir, ont été méfiants, malveillants et se
+sont rangés dans l'opposition. Sous le gouvernement
+de Juillet, d'autres hommes, considérables
+aussi, conservateurs aussi par nature et par situation,
+ont été rejetés, par leurs idées et leurs
+sentiments, dans l'abstention et l'hostilité. Le parti
+du gouvernement s'est ainsi trouvé, aux deux
+époques, plus petit et plus étroit qu'il n'aurait dû
+et pu l'être, trop petit et trop étroit pour sa tâche.
+L'opposition, de son côté, a été, non pas mutilée,
+mais faussée; les adversaires légaux de la politique
+dominante, les partisans de la Restauration déchue,
+les républicains systématiques et les révolutionnaires
+ardents s'y sont mêlés et mutuellement
+entravés ou entraînés tour à tour. Le
+gouvernement n'a pas eu tous ses appuis naturels.
+L'opposition a eu des alliés qui l'ont dénaturée.
+Tout le régime de la liberté politique a été ainsi
+frappé tantôt de faiblesse, tantôt de désordre,
+et tantôt il n'a pas été au niveau, tantôt il a été
+jeté en dehors de sa mission.</p>
+
+<p>Je ne réveille aucun souvenir qui puisse diviser
+ou irriter; je n'impute rien à personne; je ne
+prononce aucun nom propre; j'évite jusqu'aux
+mots qui exprimeraient nos anciennes querelles;
+je ne parle ni de démocratie et d'aristocratie, ni
+de bourgeoisie et de noblesse, ni de propriétaires
+et de prolétaires; je retrace seulement un fait
+capital et ses conséquences. La génération qui,
+de 1814 à 1848, a voulu, sous la monarchie constitutionnelle,
+fonder la liberté politique, a poursuivi,
+avec les plus honorables sentiments, le plus
+salutaire dessein. Elle a bien compris les principes
+de 1789 et les besoins définitifs de la France;
+mais elle a cru la liberté politique trop tôt et trop
+aisément conquise. C'est un régime difficile et
+laborieux, qui impose à ses amis de longs efforts
+et de pénibles sacrifices. Il faut que les hommes
+qui veulent sérieusement le mettre en pratique
+apprennent à se faire mutuellement des sacrifices,
+à s'entendre, à s'unir, à se discipliner, et qu'ils
+s'organisent en partis préoccupés, avant tout,
+du succès de leur oeuvre. Il faut que ces partis
+soient grands, qu'ils aient toute la taille et
+toute la force que peut leur donner la société.
+La liberté politique est une maîtresse fière et jalouse,
+qui sait ce qu'elle vaut et ne se donne
+qu'à ceux qui, à leur tour, se donnent à elle
+tous et tout entiers. Tant que nous resterons sous
+l'empire de nos vieilles rivalités de classes et de
+nos vieilles guerres de révolution, nous ne conquerrons
+pas définitivement la liberté politique;
+nous ne fonderons pas solidement un gouvernement
+libre. Il faut que tous les conservateurs
+soient ensemble, et que les opposants soient des
+rivaux, non des destructeurs. Qu'on donne à cette
+nécessité le nom qu'on voudra, qu'on l'appelle
+transaction, conciliation, fusion, peu importe;
+c'est le fait même qui est indispensable pour que
+la France atteigne enfin le but vers lequel elle
+s'est élancée en 1789, et pour qu'au sein de la
+liberté, elle se relève et se repose de la Révolution.</p>
+<a name="i-III" id="i-III"></a>
+
+
+<br><br>
+<h3>III</h3>
+
+<h4>1848.</h4>
+
+<p>Je ne raconte point, je ne discute point; j'essaye
+de comprendre et d'expliquer les faits. Je
+viens de dire pourquoi, à mon sens, la génération
+de 1789 et celle de 1814 ont tour à tour réussi et
+échoué, l'une dans l'oeuvre de la Révolution,
+l'autre dans celle du gouvernement libre. J'arrive
+à la génération de 1848, ou plutôt à la portion de
+cette génération qui, en 1848, a envahi la scène
+et tenté l'oeuvre de la République. Pourquoi a-t-elle,
+non-seulement échoué dans son dessein,
+mais rapidement disparu, comme un éclair sinistre,
+dans la tempête qu'elle avait soulevée?</p>
+
+<p>Le fait est si éclatant que personne, pas même
+les plus intéressés, ne saurait le méconnaître.
+L'année 1848 n'avait pas encore atteint son terme
+que déjà les vainqueurs des premiers jours étaient
+des vaincus. En décembre 1848, de nom, la République
+était encore debout; de fait, elle courait
+déjà à sa ruine, car elle avait déjà reçu, des mains
+du suffrage universel tant vanté par elle, le chef
+qui devait bientôt devenir son maître. Pourtant
+les circonstances avaient été bien favorables à la
+République; elle n'avait rencontré, à ses premiers
+pas, point de résistance; elle avait été immédiatement
+acceptée par ceux-là même à qui elle déplaisait
+le plus: «Rallions-nous à la République,
+avaient dit les hommes les plus éminents, puisque
+c'est le gouvernement qui nous divise le moins.»
+Malgré leurs orages intérieurs, les deux Assemblées
+républicaines, de 1848 à 1851, n'ont manqué
+ni de modération ni d'honnête patriotisme;
+elles avaient l'anarchie dans leur sein, mais au
+dehors elles la combattaient. Elles ne savaient pas
+faire le bien dont la France avait besoin; mais
+elles écartaient, elles ajournaient le mal dont elle
+était menacée. Pas plus que les hommes de bien,
+les hommes de talent ne leur ont fait défaut; la
+République de 1848 a eu de brillants apôtres,
+laïques, prêtres, gentilshommes, bourgeois, publicistes,
+poëtes. L'Europe l'a promptement reconnue,
+puis tranquillement observée. Mais ni la
+faveur des circonstances, ni l'honnêteté des intentions,
+ni le mérite des hommes, ni le maintien de
+la paix européenne n'ont servi de rien, en 1848,
+à la République; elle a été radicalement impuissante
+pour donner à la France précisément ce
+qu'elle lui promettait avec le plus de fracas, un
+gouvernement libre.</p>
+
+<p>C'est que, dans l'état de la société française,
+avec son histoire ancienne et contemporaine,
+après ses quinze siècles de monarchie et ses
+soixante ans de révolution, la République ne contient,
+pour la France, les conditions ni du gouvernement
+ni de la liberté. Elle offense, elle
+alarme, elle éloigne des affaires publiques les
+classes en qui domine l'esprit d'ordre et de gouvernement.
+Elle fomente, dans les masses populaires,
+des passions, des ambitions, des espérances
+que ni l'ordre, ni la liberté régulière ne peuvent
+satisfaire, et qui aspirent indéfiniment à des révolutions
+nouvelles. On répète tous les jours, et
+tout le monde croit ou semble croire que la France
+est maintenant une nation exclusivement démocratique,
+une grande démocratie, comme on dit,
+vouée à l'égalité et au suffrage universel. Étrange
+empire d'un mot une fois adopté comme symbole
+et comme drapeau! Le mot <i>démocratie</i> contient
+aujourd'hui, parmi nous, une large part de mensonge,
+et le fait social qu'il exprime n'est pas
+plus complet que ne sont vraies les maximes
+radicales que naguère j'ai essayé de ramener à
+leur légitime sens et dans leurs justes limites. Ce
+qui est vrai, c'est que les anciens priviléges, les
+anciennes exclusions et dominations aristocratiques
+n'existent plus: toutes les carrières sont
+ouvertes à tous; les charges publiques pèsent sur
+tous; les mêmes libertés individuelles sont garanties
+à tous. C'est là l'équité, mais non l'égalité sociale;
+c'est la liberté politique, non l'empire exclusif
+de la démocratie. Les diversités, les inégalités
+de tout genre, matérielles et morales, naturelles
+et historiques, persistent et persisteront
+parmi nous. Il y a en France de grands, de moyens
+et de petits propriétaires, de grands, de moyens,
+et de petits industriels, de grands noms, anciens
+et nouveaux, et des noms obscurs, admis à devenir
+grands s'ils le méritent, mais qui, tant qu'ils n'ont
+pas fait leurs preuves, ne sont pas les égaux des
+grands noms. Il y a des situations aristocratiques,
+de fait sinon de droit, et des situations bourgeoises
+ou démocratiques, en pleine possession
+du droit et des moyens de s'élever aussi haut que
+pourront les porter le mérite ou la fortune, mais
+qui ont en effet besoin de s'élever. Et ce ne sont
+pas là des résultats de la violence des événements
+ou de l'iniquité des lois; ce sont les conséquences
+spontanées des diversités naturelles et
+des développements libres de l'homme et de la
+société.</p>
+
+<p>C'est, parmi nous, l'erreur radicale du parti républicain
+de méconnaître ces grands faits sociaux,
+et de se dire et d'être en effet exclusivement
+démocratique. La démocratie a de grands
+droits et joue un grand rôle en ce monde, plus
+grand de nos jours qu'à aucune autre époque,
+du moins dans les grands États. Mais quelles que
+soient, dans la société moderne, sa place et sa
+part, elle n'y est pas seule, elle n'y est pas tout.
+Elle est la séve qui part des racines et circule dans
+toutes les branches de l'arbre; elle n'est pas l'arbre
+même, avec ses fleurs et ses fruits. Elle est
+le vent qui souffle et pousse en avant le navire;
+elle n'est pas l'astre qui éclaire sa route ni la boussole
+qui le dirige. La démocratie a l'esprit de fécondité
+et de progrès; elle n'a pas l'esprit de conservation
+et de prévoyance. Elle s'anime et se
+dresse généreusement aux paroles et aux perspectives
+de la liberté; mais, dans son ivresse, elle se
+livre aveuglément aux charlatans qui la flattent,
+et s'irrite tyranniquement contre les libertés qui
+lui déplaisent. Elle se révolte trop aisément et résiste
+trop peu. Elle élève ou renverse les gouvernements,
+elle ne sait ni les conserver ni les contenir.
+Aussi ceux-là même qu'elle a élevés n'ont-ils
+garde, dès qu'ils ont acquis un peu de consistance,
+de prendre dans la démocratie seule leur point
+d'appui. Ils s'appliquent à satisfaire et à rallier les
+divers éléments sociaux autres que les démocratiques;
+ils recherchent les classes et les personnes
+en qui domine l'esprit d'ordre et de conservation;
+ils ont besoin que des situations déjà faites et élevées
+viennent reconnaître leur propre élévation;
+ils demandent des gages de durée à ce qui a déjà la
+sanction du temps. Et ce n'est point là une simple
+fantaisie personnelle, un puéril plaisir de vanité et
+d'éclat; c'est un instinct sûr, un sentiment juste
+de la variété des forces sociales et de la nécessité
+de leur concours pour l'autorité et la solidité du
+pouvoir.</p>
+
+<p>Le parti républicain, plusieurs du moins de ses
+chefs et de ses adeptes, tombent, de nos jours,
+dans une autre erreur, plus grave encore peut-être
+que celle de voir, dans la démocratie seule,
+la société tout entière. Devant cette démocratie
+qu'ils ont faite souveraine, ils ouvrent des perspectives
+infinies, ils prodiguent d'immenses promesses
+de satisfaction et de bonheur; promesses
+qu'aucun gouvernement, pas plus la République
+que tout autre, ne peut acquitter; perspectives en
+contradiction flagrante avec les lois et le cours naturel
+du monde. On invente une science, on construit
+une société pour l'avenir qu'on promet.
+Mais ce n'est ni la vérité des faits, ni la liberté
+des hommes qui servent de base à cette science
+et à cette société; elles reposent, l'une, sur des
+systèmes chimériques, l'autre, sur des combinaisons
+tour à tour anarchiques ou tyranniques.
+Tantôt on abolit les liens sociaux, on isole les
+individus, on les livre à la licence et à la faiblesse
+de leur seule volonté; tantôt on les remet entre
+les mains de l'État qu'on charge de leur sort. Les
+uns traitent les hommes comme des animaux
+solitaires, sans autres ressources que leur force
+personnelle, sans autre règle que leur fantaisie;
+les autres les rassemblent et les parquent, comme
+des troupeaux dans un bercail, sous la responsabilité
+d'un berger. Et dans l'une ou l'autre
+hypothèse, on leur promet également la pleine
+satisfaction de leurs besoins et de leurs désirs.</p>
+
+<p>Je ne remonte pas à la source de ces rêves jetés
+comme autant de démentis et de défis à l'encontre
+des grandes vérités religieuses et morales qui sont
+le divin apanage du genre humain et les lois providentielles
+du monde; je me borne à signaler
+des faits. Tant et de telles erreurs coûtent cher
+à la société qui les subit; elles plongent les esprits
+dans une confusion inextricable et une fermentation
+stérile; elles suscitent des ambitions et des
+espérances que les mécomptes transforment bientôt
+en irritation amère ou en abattement déplorable.
+Elles rendent ainsi encore plus difficile la
+tâche des hommes qui gardent, à la cause de la
+liberté politique, leur foi et leur dévouement.
+Après les luttes qu'a eues à soutenir, pour cette
+cause, la génération à laquelle j'appartiens, je ne
+prévois pas sans une émotion mélancolique celles
+qui attendent nos successeurs.</p>
+
+<p>Pourtant j'ai confiance, et j'engage la génération
+qui monte à avoir confiance. La liberté politique
+gagnera sa cause. Elle triomphera du mauvais vouloir
+de ses adversaires, de la froideur des spectateurs,
+et même des fautes de ses amis. On a dit
+que le seul fruit de l'expérience était de nous
+apprendre que l'expérience ne sert à rien. Je n'accepte
+pas, malgré sa spécieuse apparence, cette
+maxime des pessimistes. Ils parlent de l'expérience
+comme les malades parlent de la médecine;
+parce qu'elle ne peut pas tout, ils disent qu'elle ne
+peut rien, et, la trouvant insuffisante, ils l'accusent
+d'être vaine. En nulle occasion, et c'est la supériorité
+de leur nature, les hommes ne se résignent
+à ce qu'il y a d'incomplet et d'imparfait dans leur
+condition et en eux-mêmes, et ils méconnaissent
+avec humeur leurs propres progrès, quand leur
+ambition et leur destinée n'en sont pas pleinement
+satisfaites. Mais que l'on compare, pour les
+idées et pour les faits, l'état de la liberté politique,
+de 1789 à 1814, à ce qu'elle a été de 1814 à 1848,
+et la République de 1792 à celle de 1848. Devant
+ce rapprochement, les plus sceptiques et les
+plus pessimistes ne diront pas que l'expérience n'a
+servi à rien.</p>
+
+<p>L'avenir de notre société, et de la liberté politique
+dans notre société, a d'ailleurs des garanties
+plus hautes que celle de l'expérience d'une
+ou deux générations dans leur court passage. Il y
+a deux puissances que je suis loin de tenir pour
+infaillibles, mais qui méritent souvent qu'on les
+croie et toujours qu'on les écoute, les masses et les
+esprits d'élite, le sentiment instinctif de la société
+et la pensée réfléchie de ses chefs naturels. Qu'on
+les interroge aujourd'hui l'une et l'autre. Les
+masses sont bien indifférentes, bien silencieuses;
+elles ont bien aisément abdiqué leurs prétentions
+et leurs habitudes; elles sentaient l'abus de la
+liberté et le besoin du repos; mais elles sont, au
+fond, bien moins changées qu'elles ne paraissent:
+les classes moyennes n'ont pas cessé d'avoir en
+estime et en goût les garanties du régime constitutionnel;
+et dans ces multitudes si soumises, si
+contenues, les mêmes passions, les mêmes rêves
+fermentent toujours. Laissez là les masses; recherchez
+ce que pensent, je ne dis pas les hommes
+engagés depuis longtemps sous un drapeau que
+l'honneur leur commande de garder, mais les
+esprits jeunes et distingués qui entrent dans le
+monde; croyez-vous qu'ils aient renoncé à ces
+espérances d'activité et de liberté politique qui ont
+rempli la vie de leurs pères? Entrez dans leurs
+rangs; écoutez-les. Ils viennent de tous les points
+de l'horizon; ils sont divers d'origine, de profession,
+de condition sociale, de croyances, de tendances;
+tous les anciens partis ont, parmi eux, des
+descendants et des représentants; vous retrouverez
+là des conservateurs, des libéraux, des légitimistes,
+des démocrates, des républicains; vous y
+entendrez discuter les vices comme les mérites du
+régime constitutionnel tel qu'il a été compris et
+pratiqué parmi nous; les uns lui reprochent
+d'avoir été trop impatient, les autres trop timide;
+d'autres lui en veulent de n'avoir pas entouré la
+monarchie d'institutions républicaines; d'autres
+l'accusent de s'être transformé dans un régime
+parlementaire peu conforme à nos traditions et à
+nos moeurs nationales. On cherche, pour la liberté
+politique et le gouvernement représentatif, des
+conditions et des formes nouvelles. Questions sérieuses,
+dissidences réelles et qui pourraient devenir
+importantes: mais au-dessus de toutes ces
+questions, de toutes ces dissidences s'élève et
+plane un sentiment commun, le besoin de la
+liberté politique et de ses garanties, le désir de
+marcher et d'avancer dans ces mêmes voies de
+civilisation libérale où, depuis tant de siècles, les
+générations françaises ont fait tour à tour tant
+d'essais, d'écarts, de tâtonnements, de haltes, de
+retours, de chutes, et, tout compensé, tant de
+conquêtes et de progrès.</p>
+
+<p>Dans cet état des faits et des esprits, désespérer
+de notre temps et de notre cause, ce serait désespérer
+de toute notre histoire, de toute l'activité,
+de toute la destinée de la France, que dis-je? de
+l'Europe chrétienne depuis quinze siècles.</p>
+
+<p>Notre temps n'est point une déviation de notre
+passé, un accident imprévu, une étrange inconséquence,
+une maladie qui soit venue troubler le
+cours d'une santé forte et prospère. Nous marchons,
+depuis quinze siècles, dans les voies où
+nous avons fait, de nos jours, de si grands pas et
+de si grandes chutes.</p>
+
+<p>Un principe, une idée, un sentiment, comme
+on voudra l'appeler, plane, depuis quinze siècles,
+sur toutes les sociétés européennes, sur la société
+française en particulier, et préside à leur développement:
+le sentiment de la dignité et des droits
+de tout homme, à ce titre seul qu'il est homme,
+et le besoin instinctif d'étendre de plus en plus,
+à tous les hommes, les bienfaits de la justice, de
+la sympathie, de la liberté.</p>
+
+<p>La justice, la sympathie, la liberté ne sont pas
+des faits nouveaux dans le monde; elles n'ont pas
+été inventées il y a quinze siècles. Dieu en a, dès
+le premier jour, déposé dans l'homme le besoin et
+le germe; elles ont tenu leur place et exercé leur
+empire dans tous les pays, dans tous les temps,
+au sein de toutes les sociétés humaines. Mais jusqu'à
+notre Europe chrétienne, des limites fixes et
+à peu près insurmontables avaient marqué et resserré
+étroitement la sphère de la justice, de la
+sympathie, de la liberté. Ici la nationalité, ailleurs
+la race, la caste, l'origine servile, la religion, la
+couleur interdisaient, à un nombre immense
+d'hommes, tout accès à ces premiers biens de la
+vie sociale. Chez les plus glorieuses nations, la
+justice, la sympathie, la liberté étaient refusées
+sans scrupule aux trois quarts de la population;
+les plus grands esprits ne voyaient, dans cette spoliation,
+qu'un fait naturel et nécessaire, une condition
+inhérente à l'état social.</p>
+
+<p>C'est le principe et le fait chrétien par excellence
+d'avoir chassé de la pensée humaine cette
+iniquité, et d'avoir étendu à l'humanité tout entière
+ce droit à la justice, à la sympathie, à la liberté,
+borné jusque-là à un petit nombre et
+subordonné à d'inexorables conditions. On a dit
+d'un grand publiciste que le genre humain avait
+perdu ses titres et qu'il les lui avait rendus. Flatterie
+démesurée et presque idolâtre: ce n'est pas
+Montesquieu, c'est Jésus-Christ qui a rendu au
+genre humain ses titres. Jésus-Christ est venu relever
+l'homme sur la terre en même temps que
+le racheter pour l'éternité. L'unité de Dieu maintenue
+chez les Juifs, l'unité de l'homme rétablie
+chez les chrétiens, ce sont là des traits éclatants
+où se révèle l'action divine dans la vie de l'humanité.</p>
+
+<p>Ce rétablissement de l'unité humaine dans le
+monde chrétien n'a pas été une oeuvre facile, ni
+prompte, ni pure, et bien s'en faut qu'elle soit
+partout accomplie. Des intérêts matériels, des passions
+brutales, l'égoïsme, l'orgueil, l'indifférence,
+l'emportement, les nécessités du moment, les
+combinaisons de la politique ont entravé, ralenti,
+souillé le développement de l'idée chrétienne;
+mais elle n'a jamais abdiqué, jamais disparu. Toujours
+présente et luttant toujours, elle a pris à son
+service les instruments les plus divers: c'est tantôt
+l'Église, tantôt la royauté, ici les nobles, là les
+bourgeois, ailleurs la multitude, aujourd'hui le
+gouvernement, demain l'opposition qui se sont faits
+les champions de l'expansion de la justice et de la
+sympathie au profit de toutes les créatures humaines.
+De gré ou de force, par devoir ou par
+calcul, tout le monde a mis tour à tour la main à
+cette grande oeuvre; savants ou ignorants, pieux
+ou incrédules, tous les siècles lui ont fait faire des
+pas plus ou moins laborieux, plus ou moins rapides.
+Elle a rempli toute notre histoire; et à toutes les
+époques, elle a été considérée comme le plus éclatant
+symptôme du progrès de la civilisation,
+comme la civilisation même.</p>
+
+<p>Le sentiment public ne s'est point trompé en
+lui donnant ce nom, et les faits le confirment avec
+éclat. Dans les pays où l'idée chrétienne s'est largement
+développée, à mesure que ce droit commun
+de l'humanité s'est répandu et appliqué à un plus
+grand nombre d'hommes, la société a grandi en
+puissance, en activité, en fécondité, en prospérité
+et en gloire. De très-mauvais pas, des abîmes se
+sont rencontrés dans cette carrière de notre Europe,
+et plus d'une fois, loin de les éviter, elle s'y
+est précipitée; elle a commis beaucoup d'erreurs,
+de fautes, de crimes; le bien et le mal se sont mêlés
+dans une confusion déplorable; on peut adresser
+à notre civilisation d'amers et légitimes reproches;
+les idées qui y ont régné, les actes qu'ont
+entraînés ces idées ont souvent mérité d'être qualifiés
+de funestes égarements: gouvernements et
+peuples, dévots et philosophes, aristocrates et
+démocrates, conservateurs et libéraux de tous les
+pays et de tous les siècles ont, devant Dieu, de
+redoutables comptes à rendre, et c'est le droit de
+l'histoire de les leur demander ici-bas, et de dire
+la vérité sur les morts pour l'instruction et le
+salut des vivants. Aucune époque, aucun événement,
+aucun système, aucun parti n'a droit
+de se plaindre d'être ainsi sévèrement interrogé;
+et que fais-je moi-même aujourd'hui, quand je
+sonde sans pitié les mécomptes de nos pères et
+les nôtres? Mais ces rigueurs une fois exercées
+sur notre histoire ancienne et contemporaine, nos
+erreurs et nos torts une fois reconnus et signalés,
+voici les vérités qui demeurent. L'Europe entière,
+et notamment la France, marchent, depuis quinze
+siècles, dans les mêmes voies d'affranchissement
+et de progrès général. Ces voies ont conduit les
+peuples qui s'y sont le plus fermement engagés à
+ce haut degré de puissance, de prospérité et de
+grandeur que nous appelons et que nous avons
+droit d'appeler la civilisation moderne. Cette civilisation
+est surtout le fruit de cette grande idée
+que tout homme, à ce titre seul qu'il est homme, a
+droit à la justice, à la sympathie et à la liberté.
+C'est Jésus-Christ qui a fait entrer cette idée dans
+l'âme humaine d'où elle travaille à passer dans la
+société.</p>
+
+<p>Dieu ne trompe pas le genre humain. Les peuples
+ne se trompent pas constamment dans le
+cours d'une longue destinée. L'abîme n'est pas au
+bout de quinze siècles de mouvement ascendant.
+Certes, les déviations, les temps d'arrêt, les ajournements,
+les mécomptes n'ont pas manqué à la
+civilisation française; elle n'en a pas moins continué
+de se développer et de poursuivre, tantôt
+sous terre, tantôt au grand jour, ses progrès et
+ses conquêtes. Et plus elle a grandi, plus la liberté
+politique lui est devenue nécessaire. L'épreuve
+de notre propre temps est, en ceci, pleinement
+d'accord avec celle des siècles. La liberté politique
+a subi, de nos jours, bien des éclipses; elle
+a toujours reparu et repris sa place, comme un
+droit froissé se relève, comme un besoin méconnu
+recommence à se faire sentir. En 1814, elle était
+proscrite; on la croyait morte. Je l'ai vue renaître
+et prospérer. En 1848, un violent accès de fièvre
+l'a saisie. En en sortant, elle a langui et dépéri.
+Je ne sais quelles traverses ou quelles attentes lui
+sont encore réservées; mais je répète ce que j'ai
+dit en commençant: j'ai confiance dans l'avenir
+de mon pays et de la liberté politique dans mon
+pays, car, à coup sûr, 1789 n'a pas ouvert, pour
+la France, l'ère de la décadence, et c'est dans le
+gouvernement libre seul que résident les garanties
+efficaces des intérêts généraux de la société, des
+droits personnels de tout homme, et du droit commun
+de l'humanité.</p>
+<a name="I" id="I"></a>
+
+<br><br>
+<h3>HISTOIRE</h3>
+
+<h1>PARLEMENTAIRE</h1>
+
+<h2>DE FRANCE</h2>
+
+<hr>
+
+<h3>DISCOURS DE M. GUIZOT</h3>
+
+<h3>I</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du projet de loi présenté le 22 mars 1819
+sur les Journaux et Écrits périodiques.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 3 mai 1819.--</p>
+
+<p class="large">Le gouvernement présenta, le 22 mars 1819, trois
+projets de loi sur la liberté de la presse: le premier,
+intitulé <i>Des crimes et délits commis par la voie de la
+presse ou tout autre moyen de publication</i>, était une loi
+pénale qui définissait ce genre de crimes et de délits et
+déterminait les peines qui devaient y être attachées;
+le second, relatif <i>à la poursuite et au jugement des
+crimes et délits commis par la voie de la presse ou tout
+autre moyen de publication</i>, était une loi d'instruction
+et de procédure; le troisième, relatif <i>aux journaux et
+écrits périodiques</i>, établissait certaines conditions et
+règles spéciales pour ce genre de publication. Ces trois
+projets de loi avaient été, d'abord dans une commission
+préparatoire, ensuite dans le conseil d'État, l'objet
+d'une longue, profonde, très-libre et parfaitement sincère
+discussion, à laquelle j'avais pris part, de concert
+avec MM. de Serre, Cuvier, Decazes, Royer-Collard,
+Barante, Mounier, Allent, Portalis, Siméon, etc. Lorsqu'ils
+furent présentés à la Chambre des députés, je
+n'étais point membre de cette Chambre, n'ayant pas encore
+l'âge de quarante ans, exigé à cette époque pour y
+siéger; mais je fus chargé, comme conseiller d'État et
+commissaire du Roi, de concourir à la présentation des
+trois projets et d'en soutenir le débat public. C'était
+une situation difficile et ingrate; un commissaire du
+Roi avait l'air de défendre officiellement une cause et
+non d'exprimer son opinion propre; il ne pouvait s'engager
+personnellement dans la discussion et traiter avec
+ses adversaires comme se traitent entre eux des collègues.
+J'eus, dès le premier moment, un vif sentiment
+des inconvénients de cette situation, et je ne pris part
+aux débats que rarement et pour exposer des principes
+plutôt que pour engager ou soutenir des luttes. J'intervins
+quelquefois, en quelques paroles, pour donner des
+explications sur quelques dispositions des lois proposées;
+mais la loi sur les journaux et écrits périodiques
+fut la seule sur laquelle j'eus l'occasion de parler avec
+étendue et efficacité. Le principe du cautionnement
+exigé pour la fondation des journaux était vivement
+contesté par l'opposition; je répondis, dans la séance
+du 3 mai 1819, à ses diverses objections, spécialement
+à celles qu'avaient élevées, dans les séances du 1<sup>er </sup> et
+du 3 mai, MM. Daunou et Benjamin Constant.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>commissaire du Roi.</i>--Les principes qu'on
+appelle <i>absolus</i> ne le sont souvent qu'en ce sens qu'ils
+sont <i>despotiques</i> et exigent que leur volonté soit faite sans
+souffrir qu'on examine s'ils ont raison. On s'en est servi
+plus d'une fois, comme Alexandre de son épée, pour trancher
+des noeuds qu'on ne voulait pas se donner la peine ou prendre
+le temps de délier. Et comme les réalités, qui ne
+sont ni flexibles ni complaisantes, n'ont pas toujours supporté
+patiemment l'application de ces prétendues vérités
+universelles, une lutte s'en est suivie qui, presque toujours,
+a fini par démontrer combien étaient étroits, incomplets et
+bornés ces principes si fiers qui avaient la prétention de dominer
+tous les faits comme s'ils les eussent tous prévus et
+embrassés.</p>
+
+<p>N'est-ce pas sur un principe de ce genre qu'on se fonde
+pour vous inviter à repousser la garantie que le gouvernement
+vous propose d'exiger de tout entrepreneur d'un journal?
+On établit que, soit que l'on considère un journal
+comme l'exercice d'une industrie ou comme un mode de manifestation
+de la pensée, sous ces deux rapports, sa publication
+doit être aussi libre que celle de tout autre écrit, et que
+vous n'avez pas le droit d'imposer au journaliste aucune
+autre obligation que celle de répondre de ses actes, selon les
+lois pénales ordinaires. Toute autre garantie, dit-on, est en
+soi une mesure préventive, injustement restrictive de la liberté.</p>
+
+<p>Avant de répondre directement à cette assertion, qu'il me
+soit permis, messieurs, de vous présenter une hypothèse. Je
+suppose que la Charte se fût bornée à dire qu'il y aurait des
+députés et des électeurs de députés, sans régler en rien les
+conditions à remplir pour être l'un ou l'autre. Vous occupant
+ensuite d'une loi sur les élections, auriez-vous conclu du
+silence de la Charte qu'il fallait n'exiger des électeurs aucune
+garantie et admettre le suffrage universel? Non, sans
+doute; vous auriez pensé que le droit d'élire les députés
+confère à ceux qui l'exercent trop de puissance, une trop
+grande puissance, une trop grande influence sur les destinées
+de la société, pour que la société ne soit pas autorisée à exiger
+d'eux préalablement des garanties de capacité, de lumières,
+d'indépendance. Vous auriez, de manière ou d'autre, réglé
+ces garanties, et vous l'auriez fait, non parce qu'il se serait
+agi d'un droit politique plutôt que d'un droit civil, car ces
+classifications scientifiques ne déterminent et ne changent en
+rien la nature des choses; vous l'auriez fait uniquement à
+cause de la puissance que confère ce droit et des résultats
+que peut entraîner, pour le bien ou le mal public, la manière
+dont il est exercé.</p>
+
+<p>Ce que la Charte a fait, messieurs, ce que vous auriez fait,
+si elle eût gardé le silence, pour l'élection des députés, les
+lois l'ont fait, dans tous les pays et dans tous les temps, pour
+un certain nombre de cas analogues. Partout où elles ont
+reconnu le fait d'une puissance extraordinaire, d'une puissance
+capable de causer à la société de grands dommages,
+contre lesquels les menaces et les châtiments des lois pénales
+n'étaient pas de force ou de nature à lutter avec succès, elles
+ont exigé de ceux qui prenaient en main cette puissance des
+garanties particulières. Je ne fatiguerai point la Chambre de
+l'énumération des exemples; ils sont présents à sa pensée:--les
+médecins, les pharmaciens, les avocats, les notaires, les
+ministres de la religion, les conditions exigées pour remplir
+certaines fonctions publiques, etc... Mais je prie la Chambre
+de me permettre d'arrêter un moment son attention sur la
+nature de ce genre de garanties et sur les motifs qui les légitiment
+aux yeux de la raison la plus sévère.</p>
+
+<p>Toutes les garanties que la société croit devoir exiger pour
+assurer sa conservation ont, au fond, pour principal et véritable
+but, de prévenir les dangers que la société redoute. Les
+lois pénales elles-mêmes, bien qu'elles ne frappent particulièrement
+que lorsque l'action nuisible est commise, se proposent
+surtout d'empêcher qu'elle ne se commette; et elles
+sont plus ou moins bonnes selon que leurs définitions, leurs
+procédures et leurs peines réussissent plus ou moins bien à
+cet égard. Les publicistes sont unanimes sur ce point; si les
+lois pénales n'avaient d'autre effet que de punir les coupables,
+la société ne pourrait subsister.</p>
+
+<p>Appelée donc surtout, en dernière analyse, à prévenir les
+délits et leurs dangers, la législation avait à choisir entre deux
+manières d'atteindre à ce but: la prévention directe, qui
+consiste dans un examen préalable de l'action qui se prépare
+afin de s'assurer de son innocence; la prévention indirecte,
+qui résulte de la peine infligée à l'auteur de l'action coupable.
+On a bientôt reconnu que le premier mode était destructif
+de toute liberté, par conséquent de toute société véritable,
+et que le second, habilement combiné, avait, dans la plupart
+des cas, des effets préventifs suffisants pour mettre la société
+à l'abri.</p>
+
+<p>Les progrès de la civilisation, c'est-à-dire de la liberté,
+c'est-à-dire de la justice, ont donc constamment tendu à
+bannir des lois la prévention directe pour lui substituer la
+prévention indirecte qui résulte du châtiment. Mais dans le
+cours de ces mêmes progrès, on a reconnu (et on n'a pas pu
+ne pas le reconnaître, car les faits s'inquiètent peu de complaire
+à de prétendues théories ou de les offenser), on a
+reconnu, dis-je, qu'il était un certain nombre de cas auxquels
+le mode de prévention qu'emploient les lois pénales ne
+pouvait suffire ou même s'appliquer, et dans lesquels cependant
+la sûreté sociale était grandement intéressée.--Aucune
+pénalité, par exemple, n'eût été applicable à l'ineptie ou à
+l'imprudence des médecins, à l'incapacité de tel ou tel ordre
+de fonctionnaires, à l'ignorance ou aux intentions factieuses
+des électeurs de députés.--Le fait constaté, fallait-il recourir,
+pour les cas de ce genre, à la prévention directe pure et
+simple? Fallait-il laisser la société sans garanties? L'un et
+l'autre système auraient été également impraticables, ou
+également funestes.</p>
+
+<p>La nécessité, c'est-à-dire la raison des faits, a fait inventer
+des garanties d'une autre sorte, préventives jusqu'à un certain
+point, il est vrai, comme elles le sont toutes dans leur
+dernier but, mais non destructives de la liberté. Ces garanties
+ont consisté à s'assurer préalablement, non plus de
+l'innocence de chaque action particulière, mais de la capacité
+générale des agents. La société n'a interdit formellement
+à personne l'usage de la puissance qu'elle redoutait; elle
+n'en a pas non plus soumis l'exercice à une inspection antérieure
+et habituelle, mais elle a imposé, à quiconque voudrait
+s'en servir, l'obligation de remplir certaines conditions
+qu'elle a jugées propres à compenser l'insuffisance, ou l'<i>inapplicabilité</i>
+de la législation pénale. Ces conditions une fois
+remplies, elle a laissé aux citoyens toute leur liberté.</p>
+
+<p>Le port d'armes et tous les exemples que je viens de citer,
+et beaucoup d'autres encore, ne sont que des garanties de
+ce genre.</p>
+
+<p>Cela posé, messieurs, ou il faut nier absolument la nécessité
+de cette sorte de garanties dans tous les cas, pour les
+médecins comme pour les journalistes et pour les électeurs
+comme pour les médecins, ou il faut convenir que, si elles
+sont nécessaires dans certains cas, il est du devoir du législateur,
+quand l'occasion se présente, d'examiner si en effet
+elles le sont.</p>
+
+<p>Je ne pense pas, messieurs, que la première opinion soit
+possible à soutenir; et peut-être serait-il aisé de prouver, à
+ceux-là même qui s'en croient et s'en disent les défenseurs,
+qu'il est plus d'une occasion où ils l'abandonnent, et qu'ils
+n'oseraient en suivre jusqu'au bout les rigoureuses conséquences.
+Or, la question, quant au principe, est la même
+dans tous les cas, et le principe une fois admis, elle se réduit
+toujours à une question de fait, de prudence. Il s'agit toujours
+uniquement d'examiner si, dans l'intérêt public, la
+garantie est nécessaire.</p>
+
+<p>Après avoir ainsi repoussé un prétendu principe et l'avoir
+repoussé précisément parce qu'il n'est pas vrai d'une vérité
+absolue et universelle, nous retombons dans la seule question
+qui existe réellement, dans la question de savoir si les
+journaux sont aujourd'hui une puissance assez grande, assez
+redoutable pour que la société soit en droit d'exiger, de ceux
+qui prétendent à l'exercer, une garantie analogue à celle
+dont nous venons de parler.</p>
+
+<p>Remarquez, messieurs, que je n'ai ici ni le besoin ni l'intention
+de médire des journaux, moins encore de les calomnier.
+Personne n'est plus convaincu que moi de leur utilité,
+de leur nécessité dans un gouvernement représentatif. C'est
+le mode de communication le plus rapide, le plus étendu, le
+plus sûr. Ils proclament et forment tour à tour l'opinion
+publique. Ils font assister la France entière à vos débats.
+Tous ces avantages prouvent précisément ce que je veux
+prouver, leur puissance. Et comme toutes les puissances,
+quelles qu'elles soient, se peuvent appliquer au mal comme
+au bien, je n'ai besoin, pour justifier mon point de départ, que
+de l'importance qu'attachent aux journaux ceux qui repoussent
+comme ceux qui soutiennent la mesure proposée.</p>
+
+<p>Prenant donc la puissance des journaux comme un fait, et
+comme un fait utile, nécessaire même au succès de nos
+institutions, qu'il nous soit permis d'examiner quels sont les
+effets possibles de cette puissance non contestée. De la gravité
+et de la probabilité de ces effets dépend la nécessité de
+la garantie qu'on vous demande.</p>
+
+<p>Trois causes se réunissent pour attribuer, parmi nous, à la
+puissance des journaux une rapidité et une énergie plus
+grandes encore que celles qui résultent nécessairement de la
+nature même de ce mode de publication.</p>
+
+<p>Ces causes sont les circonstances passées, l'état actuel et
+particulier de l'ordre social en France, la nature de nos institutions
+considérées non-seulement dans leurs fondements
+essentiels, mais dans leur ensemble et leurs détails.</p>
+
+<p>J'insisterai peu sur les circonstances passées; elles sont
+présentes à tous les esprits, et il est évident qu'elles fournissent
+à la fois aux journaux et plus de moyens pour agir
+vivement sur les lecteurs, et des lecteurs plus disposés à
+subir cette action dans toute sa vivacité. Les révolutions,
+messieurs, emploient presque autant d'années à se terminer
+qu'à se préparer; et de même que longtemps avant le jour
+où elles ont éclaté, la société se sentait travaillée d'une lutte
+sourde et douloureuse, de même, longtemps après qu'elles
+paraissent accomplies, elles agitent et tourmentent les gouvernements
+et les peuples. Il est mille fois plus court et plus
+aisé de relever les cités d'un pays ravagé par un vaste tremblement
+de terre que de rasseoir une société bouleversée
+dans sa constitution morale; et quand on étudie l'histoire
+des peuples devenus libres, on acquiert bientôt la conviction
+que l'époque où ils ont réellement joui de la liberté a été
+bien éloignée de celle qu'ils assignent eux-mêmes comme le
+terme définitif de sa conquête.</p>
+
+<p>Nous sommes donc fermement convaincus que la raison
+puisée dans le passé pour demander, dans l'intérêt de tous,
+une garantie contre la puissance des journaux, n'est ni aussi
+indifférente, ni aussi frivole que quelques personnes peuvent
+le penser.</p>
+
+<p>Mais il en est d'autres plus graves encore peut-être, quoique
+moins aperçues.</p>
+
+<p>La Révolution nous a légué, messieurs, non-seulement un
+gouvernement nouveau, mais une société toute nouvelle qui
+ne ressemble en rien ni à celle qui l'a précédée, ni peut-être
+à aucune autre société passée ou présente. Ce changement
+intime et radical est provenu de l'introduction du principe
+de l'égalité dans toutes les parties, je dirais volontiers dans
+les replis les plus secrets de l'ordre civil. Il en est résulté ce
+fait qu'il n'y a plus aujourd'hui en France que le gouvernement
+et des citoyens ou des individus. La puissance publique
+est la seule qui soit réelle et forte. Il n'existe presque
+plus aucune de ces puissances intermédiaires ou locales que
+créent ailleurs, soit le patronage aristocratique, soit les liens
+des corporations, soit les priviléges particuliers, et qui, exerçant,
+dans leur ressort, des droits avoués et une force positive,
+dispensent le pouvoir central d'une partie des soins
+nécessaires pour que l'ordre soit maintenu partout. Je ne
+déplore point, comme quelques personnes, cette constitution
+nouvelle de l'ordre social; je suis convaincu qu'elle est destinée
+à produire les plus beaux, les plus salutaires développements.
+Mais il importe beaucoup de la bien connaître et
+d'en tenir compte dans les lois. Elle a cette conséquence
+inévitable que toute action, toute influence exercée sur la
+société, soit par le gouvernement, soit par d'autres que lui,
+s'y propage et s'y fait sentir d'une manière plus prompte,
+plus universelle et plus vive, car elle ne rencontre aucun de
+ces obstacles, aucune de ces masses difficiles à percer, qui
+ailleurs l'arrêtent ou la modifient. Les opinions, les impressions,
+les craintes, les espérances qui autrefois ne seraient
+parvenues jusqu'aux individus qu'après avoir traversé toutes
+les agrégations diverses dans lesquelles ils étaient fortement
+engagés, et après avoir subi l'effet de toutes les influences
+particulières auxquelles ils étaient soumis, les atteignent
+aujourd'hui directement et exercent librement sur eux toute
+leur puissance. Il est évident qu'en un tel état de choses, au
+sein de cette susceptibilité sociale, s'il est permis de le dire,
+dans cette dispersion morale d'une population d'ailleurs si
+pressée, l'action rapide et habituelle des journaux a plus
+d'énergie et peut produire plus de bien ou plus de mal que
+partout ailleurs. Nous avons été témoins du succès avec
+lequel un gouvernement qui n'est plus s'en est servi pour
+répandre et populariser en quelque sorte les principes de sa
+tyrannie; ils pourraient aussi servir à produire d'autres effets
+non moins funestes; et cette circonstance à laquelle on ne
+saurait échapper, cette nature particulière et nouvelle de
+notre ordre social suffiraient peut-être pour faire exiger, de
+ceux qui aspirent à exercer une influence si facile et si étendue,
+la garantie que le gouvernement vous propose.</p>
+
+<p>Une seconde circonstance plus passagère, mais non moins
+évidente, nous paraît également digne d'attention.</p>
+
+<p>La Révolution a changé la situation sociale d'une multitude
+d'individus; elle a appelé dans les classes supérieures
+de la société, dans la classe des citoyens actifs et influents,
+beaucoup d'hommes qui n'y appartenaient pas, qui n'avaient
+pan été élevés comme devant y appartenir. C'est un bien et
+un bien immense, car le véritable progrès de la civilisation
+consiste à étendre les limites de la cité, à accroître le
+nombre des citoyens. Mais quand ce progrès s'opère par une
+secousse violente, il ne se fait pas d'une manière complète et
+avec ensemble. La situation de beaucoup d'hommes change
+sans que ces hommes changent eux-mêmes autant qu'il le
+faudrait pour se trouver tout à fait en harmonie avec leur
+situation nouvelle. Le développement intellectuel et moral
+des individus ne marche pas aussi vite que le développement
+de leur existence matérielle, et la Révolution n'a pas réparti
+les lumières avec autant de rapidité et d'égalité que les fortunes.
+Il en est résulté ce fait qu'un assez grand nombre de
+citoyens estimables, utiles, importants par leurs propriétés,
+par leur industrie, par l'influence que leur situation les appelle
+à exercer dans les affaires publiques, n'ont cependant pas
+et ne peuvent avoir encore cette étendue d'idées, cette indépendance
+et cette tranquillité d'esprit que le cours naturel
+des choses doit faire acquérir à leurs enfants. Leur sagacité
+est admirable en ce qui touche les intérêts de leur situation
+nouvelle; mais c'est une situation craintive qui fournit à
+quiconque sait la manier mille moyens d'agir sur eux avec
+une extrême facilité. On peut leur inspirer des méfiances,
+leur communiquer des illusions injustes, chimériques, absurdes
+même, et j'en pourrais citer de bizarres exemples.</p>
+
+<p>Si une garantie n'était exigée des journaux, il serait très-facile
+de s'en servir pour entretenir et pour répandre, dans
+une classe nombreuse de bons citoyens, des préventions et
+des erreurs dangereuses non-seulement pour l'intérêt public,
+mais pour les intérêts de ceux-là mêmes qui seraient le plus
+enclins à les adopter aveuglément.</p>
+
+<p>Que si, de la considération de notre ordre social, nous
+passons à celle de nos institutions, nous y trouverons de
+nouvelles causes de la puissance des journaux et de l'énergie
+toute particulière qu'elle ne peut manquer d'avoir parmi
+nous. Il est des pays, messieurs, où le gouvernement de la
+société ne se rencontre pour ainsi dire qu'au centre, c'est-à-dire
+au lieu où il possède naturellement le plus de force,
+de sagesse et de lumières; dans le reste du territoire, l'administration
+est dirigée par des influences, par des autorités
+locales et presque indépendantes, dans la conduite desquelles
+le gouvernement proprement dit n'est point engagé. Chez
+nous, au contraire, le gouvernement et l'administration
+tout entière sont étroitement unis, ou plutôt c'est une seule
+et même chose. Je n'examine point les inconvénients ou les
+avantages de telles institutions; si cette question était un
+jour élevée, il serait facile, je crois, de démontrer que la société
+a beaucoup gagné à leur établissement. Quoiqu'il en soit,
+elles ont cette conséquence que le gouvernement, au lieu de
+ne pouvoir presque être atteint qu'au centre et dans les fonctionnaires
+d'un ordre supérieur, est partout présent et partout
+vulnérable dans une multitude d'agents dont on ne saurait
+raisonnablement espérer que la conduite ne donnera lieu à
+aucun reproche légitime. Aussi, tandis qu'en d'autres pays
+c'est aux actes généraux des pouvoirs supérieurs que s'attaquent
+surtout les journaux de l'opposition, vous les verrez
+ici, messieurs, livrer à l'administration cette petite guerre
+continuelle dans laquelle l'offensive a tant d'avantages et
+qu'il est si malaisé de repousser avec succès. Et comme les
+esprits d'un grand nombre de lecteurs ne seront guère moins
+frappés d'un abus particulier et local que d'une faute de
+politique générale, l'effet du reproche sera à peu près le
+même, quoique la matière en soit beaucoup moins grave.
+Certes, dans une situation pareille, le gouvernement aura
+besoin et de plus d'efforts, et de plus de vigilance, et de plus
+de mérite pour prévenir le combat ou pour remporter la
+victoire.</p>
+
+<p>On ne saurait donc le nier, messieurs, la puissance, ou, si
+l'on veut, l'influence des journaux sera grande, forte, redoutable;
+tandis qu'ailleurs elle peut ne dériver que de la
+nature même de ce genre de publications, chez nous, une
+multitude de causes, et de causes très-actives, concourront
+avec celle-là pour la soutenir et pour l'accroître. Et ce ne
+sont là ni des suppositions ni de vaines craintes; ce sont des
+faits dont il ne faut point avoir peur, mais qu'il faut bien
+reconnaître, car les lois, qui peuvent les oublier, ne peuvent
+pas les détruire.</p>
+
+<p>La conséquence naturelle et irrésistible de ces faits, c'est
+la nécessité de la garantie que le gouvernement vous propose.
+C'est par là, messieurs, et par là seulement qu'en cette occasion,
+comme en plusieurs autres, elle s'explique et se
+légitime. Car nous ne saurions partager l'opinion de l'honorable
+rapporteur de votre commission, qui n'a cherché le
+principe de cautionnements des journalistes que dans la
+nécessité d'assurer le payement d'amendes éventuelles. Si en
+effet il en était ainsi, l'un des préopinants aurait eu raison
+de s'étonner qu'on ne leur demandât pas aussi des otages.
+Mais le véritable principe, le principe légitime du cautionnement
+est ailleurs; il réside dans cet ensemble de faits que
+nous avons essayé de retracer et dont le résultat est d'attribuer
+aux journaux une puissance telle qu'on ne saurait, sans
+une grave imprudence, la livrer indistinctement à quiconque
+voudrait s'en saisir. L'objet du cautionnement est donc,
+non-seulement de pourvoir au payement des amendes, mais
+surtout de ne placer l'influence des journaux qu'entre les
+mains d'hommes qui donnent à la société quelques gages de
+leur existence sociale et lui puissent inspirer quelque confiance.
+On ne saurait le méconnaître, car cela est évident;
+les journaux ne sont point l'expression pure et simple de
+quelques opinions individuelles; ils sont les organes des
+partis, ou si l'on veut, des diverses opinions, des divers intérêts
+auxquels se rallient des masses plus ou moins nombreuses
+de citoyens. Eh bien! il n'est pas bon, il ne convient
+ni à la société, ni aux partis eux-mêmes, que ces organes
+publics soient pris et placés dans la région inférieure des
+opinions et des intérêts qu'ils expriment. Il est utile, il
+est sage de les contraindre à partir d'une sphère plus élevée,
+où se rencontrent à la fois et plus de lumières et plus de véritable
+indépendance, et des intérêts individuels plus étroitement
+unis à l'intérêt général. C'est l'habileté des lois
+d'amener tous les éléments de la société à s'élever et à s'épurer
+sans cesse. Par là elles assurent en même temps le
+maintien de l'ordre et les progrès comme les droits de la
+liberté.</p>
+
+<p>C'est pour atteindre ce but, seul véritable et seul légitime
+objet du cautionnement que la quotité assignée par le projet
+de loi vous a été proposée; et la Chambre a déjà pressenti
+sans doute qu'on ne pouvait s'armer, pour combattre cette
+quotité, du taux possible des amendes, puisque ce n'est point
+sur la nécessité de pourvoir aux amendes qu'est fondé le
+principe du cautionnement lui-même. Pour prouver qu'il
+convient d'abaisser la limite proposée, il faudrait prouver
+qu'elle mettra quelque opinion générale, quelque intérêt
+commun à un assez grand nombre de citoyens, dans l'impossibilité
+d'avoir des journaux pour organes. Or, c'est, je crois,
+ce qu'il serait difficile d'établir. Nous persistons donc à demander
+à cet égard, et sauf en ce qui concerne les journaux
+de départements, l'adoption pure et simple du projet, nous
+réservant d'examiner, dans la discussion des articles, les
+divers amendements qui vous ont été proposés.</p>
+
+<a name="II" id="II"></a>
+<br><br>
+<h3>II</h3>
+
+<p class="mid">Discussion de l'Adresse dite des 221.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 16 mars 1830.--</p>
+
+<p class="large">Le 23 janvier 1830, je fus élu membre de la Chambre
+des députés, dans les arrondissements de Lisieux et de
+Pont-l'Évêque réunis, et par toutes les nuances de
+l'opposition<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a>
+<a href="#footnote12"><sup class="sml">12</sup></a>. La session s'ouvrit le 2 mars. Le projet
+d'Adresse en réponse au discours du Trône fut présenté
+à la Chambre des députés le 15 mars. Il avait été
+préparé par une commission composée de MM. le comte
+de Preissac, Étienne, Kératry, Dupont de l'Eure, Gauthier,
+le comte Sébastiani, le baron Le Pelletier d'Aulnay,
+le comte de Sade, Dupin aîné, et présidée par
+M. Royer-Collard, président de la Chambre. La discussion
+s'ouvrit immédiatement, en comité secret, selon
+la règle à cette époque. Elle dura deux jours, et quoique
+très-franche de la part des adversaires comme des
+amis du cabinet, elle fut modérée et contenue presque
+jusqu'à la froideur. Les uns et les autres avaient un
+profond sentiment de la gravité de la situation et de la
+responsabilité qui s'attachait à toutes les paroles. La
+discussion générale et celle des quatre premiers paragraphes
+du projet d'Adresse remplirent la séance du
+15 mars. C'était dans les cinq derniers paragraphes que
+résidaient la pensée et l'énergie de l'Adresse. Ils étaient
+ainsi conçus:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote12"
+name="footnote12"><b>Note 12: </b></a><a href="#footnotetag12">
+(retour) </a> <i>Mémoires pour servir à l'Histoire de mon temps</i>, t. I<sup>er </sup>, p. 342.</blockquote>
+
+<p class="large">«Cependant, Sire, au milieu des sentiments unanimes
+de respect et d'affection dont votre peuple vous entoure,
+il se manifeste dans les esprits une vive inquiétude qui
+trouble la sécurité dont la France avait commencé à
+jouir, altère les sources de sa prospérité, et pourrait,
+si elle se prolongeait, devenir funeste à son repos.
+Notre conscience, notre honneur, la fidélité que nous
+vous avons jurée et que nous vous garderons toujours,
+nous imposent le devoir de vous en dévoiler la
+cause.</p>
+
+<p class="large">«Sire, la Charte que nous devons à la sagesse de
+votre auguste prédécesseur, et dont Votre Majesté a la
+ferme volonté de consolider le bienfait, consacre comme
+un droit l'intervention du pays dans la délibération des
+intérêts publics. Cette intervention devait être, elle est
+en effet, indirecte, sagement mesurée, circonscrite dans
+des limites exactement tracées, et que nous ne souffrirons
+jamais que l'on ose tenter de franchir; mais elle
+est positive dans son résultat, car elle fait, du concours
+permanent des vues politiques de votre gouvernement
+avec les voeux de votre peuple, la condition indispensable
+de la marche régulière des affaires publiques.
+Sire, notre loyauté, notre dévouement nous condamnent
+à vous dire que ce concours n'existe pas.</p>
+
+<p class="large">«Une défiance injuste des sentiments et de la raison
+de la France est aujourd'hui la pensée fondamentale de
+l'Administration. Votre peuple s'en afflige, parce qu'elle
+est injurieuse pour lui; il s'en inquiète, parce qu'elle est
+menaçante pour ses libertés.</p>
+
+<p class="large">«Cette défiance ne saurait approcher de votre noble
+coeur. Non, Sire, la France ne veut pas plus de l'anarchie
+que vous ne voulez du despotisme; elle est digne
+que vous ayez foi dans sa loyauté, comme elle a foi dans
+vos promesses.</p>
+
+<p class="large">«Entre ceux qui méconnaissent une nation si calme,
+si fidèle, et nous qui, avec une conviction si profonde,
+venons déposer dans votre sein les douleurs de tout un
+peuple jaloux de l'estime et de la confiance de son Roi,
+que la haute sagesse de Votre Majesté prononce! ses
+royales prérogatives ont placé dans ses mains les moyens
+d'assurer, entre les pouvoirs de l'État, cette harmonie
+constitutionnelle, première et nécessaire condition de
+la force du Trône et de la grandeur de la France.»</p>
+
+<p class="large">A ces cinq paragraphes M. de Lorgeril, député du
+département d'Ille-et-Vilaine, proposa de substituer un
+amendement ainsi conçu:</p>
+
+<p class="large">«Cependant, Sire, notre honneur, notre conscience,
+la fidélité que nous vous avons jurée et que nous vous
+garderons toujours, nous imposent le devoir de faire
+connaître à Votre Majesté qu'au milieu des sentiments
+unanimes de respect et d'affection dont votre peuple
+vous entoure, de vives inquiétudes se sont manifestées
+à la suite de changements survenus depuis la dernière
+session. C'est à la haute sagesse de Votre Majesté qu'il
+appartient de les apprécier et d'y apporter le remède
+qu'elle croira convenable. Les prérogatives de la couronne
+placent dans ses mains augustes les moyens d'assurer
+cette harmonie constitutionnelle aussi nécessaire
+à la force du Trône qu'au bonheur de la France.»</p>
+
+<p class="large">Je pris le premier la parole pour combattre cet amendement
+et soutenir le projet d'Adresse présenté par la
+commission. Mon intention et la pensée dominante de
+mon discours furent d'établir, par le tableau des faits
+comme par l'exposé des principes, que l'harmonie des
+pouvoirs constitutionnels était aussi nécessaire à la
+force du Gouvernement lui-même qu'à la grandeur et
+au bonheur de la France. Tout en faisant acte d'opposition,
+j'avais à coeur de me montrer pénétré des nécessités
+et des droits du pouvoir dans un régime libre, et
+de rester étranger à toute hostilité contre le gouvernement
+fondé en 1814.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>répondant à M. de Lorgeril.</i>--Messieurs, je
+viens repousser l'amendement qui vous est proposé et demander
+l'adoption pure et simple du paragraphe de votre
+commission.</p>
+
+<p>Parmi les motifs qui me déterminent, quelques-uns ont déjà
+été présentés dans la discussion, soit hier, soit aujourd'hui;
+je n'y reviendrai point. D'autres, à ce qu'il me semble, n'ont
+pas encore été allégués; je demande à la Chambre la permission
+de les mettre sous ses yeux.</p>
+
+<p>On a beaucoup parlé de l'état d'inquiétude et de trouble
+où l'avènement du ministère a jeté la France; les ministres
+s'en sont défendus en disant tantôt que ce trouble n'était
+point naturel ni général, qu'au fond le pays était tranquille;
+tantôt que si le mal existait, on ne pouvait le leur imputer,
+car ils n'avaient rien fait; et on n'alléguait, on ne pouvait
+alléguer contre eux aucune série d'actes, aucun acte qui pût
+vraisemblablement être considéré comme la cause d'une telle
+agitation.</p>
+
+<p>Je n'ai rien à dire, messieurs, contre l'inaction en général;
+elle peut être un utile moyen du gouvernement; le
+temps seul dissipe bien des préventions, surmonte bien des
+obstacles, et je comprends que souvent le pouvoir demeure
+immobile et s'en remette au temps du soin de guérir certains
+maux de l'état social.</p>
+
+<p>Mais, messieurs, le temps n'a point manqué au ministère;
+il existe depuis plus de sept mois; que nous a valu son inaction?
+Les esprits se sont-ils calmés? Les préventions se sont-elles
+évanouies? Sommes-nous hors de la crise où son avènement
+nous avait plongés?</p>
+
+<p>Évidemment non: l'anxiété publique, au contraire, a
+toujours été croissant: aujourd'hui encore la crise continue
+et s'aggrave; le ministère peut parler de son inaction, mais
+il n'a aucun bon résultat à en produire; elle n'a point suffi
+à guérir le mal que nous a fait son existence.</p>
+
+<p>C'est que ce mal, je le crains, messieurs, est plus profond,
+plus général que ne le supposent ceux-là même qui y croient.
+Ce n'est pas dans les esprits seulement que le trouble à été
+porté; la sécurité publique n'a pas eu seule à souffrir de
+l'influence du ministère; ailleurs aussi il a jeté la plus
+déplorable perturbation.</p>
+
+<p>Sous quels auspices, messieurs, au nom de quels principes,
+de quels intérêts le ministère s'est-il formé? Au nom du
+pouvoir menacé, de la prérogative royale compromise, des
+intérêts de la couronne mal compris et mal soutenus par ses
+prédécesseurs. C'est là la bannière sous laquelle il est entré
+en lice, la cause qu'il a promis de faire triompher.</p>
+
+<p>On a dû s'attendre dès lors à voir l'autorité exercée avec
+vigueur et ensemble, la prérogative royale très-active, les
+principes du pouvoir non-seulement proclamés, mais pratiqués,
+aux dépens peut-être des libertés publiques, mais du
+moins au profit du pouvoir lui-même.</p>
+
+<p>Est-ce là ce qui est arrivé, messieurs? le pouvoir s'est-il
+affermi depuis sept mois? A-t-il été exercé énergiquement,
+activement, avec confiance et efficacité?</p>
+
+<p>Je ne le pense pas.</p>
+
+<p>Et ne croyez pas, messieurs, qu'en adressant au ministère
+cette question, je veuille lui demander s'il a exercé le pouvoir
+à l'exemple de ces gouvernements infatigables, insatiables,
+dont la dévorante activité a longtemps pesé sur la
+France. Une telle activité n'est point nécessaire pour que le
+pouvoir se déploie et s'affermisse; il ne perd rien à savoir se
+reposer, laisser la société à elle-même et ne paraître ou
+n'agir que lorsqu'on a vraiment besoin de lui. Cependant,
+pour se fortifier, pour se maintenir seulement, il faut que le
+pouvoir agisse; l'exercice lui est salutaire; pour qu'on croie
+en lui, il faut qu'il sache faire sentir sa présence, même
+quand il n'use pas de sa force. Il faut surtout qu'il n'ait pas
+l'air embarrassé, incertain, qu'il se confie en lui-même,
+n'élude point les occasions d'agir et se montre toujours prêt.
+A ces conditions, mais à celles-là seulement, le pouvoir se
+relève et s'affermit.</p>
+
+<p>Ces conditions, messieurs, le ministère ne les a point
+remplies: jamais, à mon avis, le pouvoir ne s'est montré
+plus faible, plus chancelant, plus empressé de reculer devant
+les difficultés, plus agité de doutes sur lui-même, sur ses
+moyens, sur son avenir. En voulez-vous la preuve la plus
+évidente? Interrogez le public; il ne porte pas aujourd'hui
+au ministère plus de confiance que dans les premiers jours
+de son avénement, mais il ne lui porte plus aucune crainte.
+On se méfie de ses intentions et on se rit de son impuissance.
+Est-ce là ce qu'il devait faire de la prérogative
+royale? Est-ce là ce retour aux maximes et aux pratiques
+efficaces du pouvoir qu'il avait promis à ses amis?</p>
+
+<p>Ou je m'abuse fort, messieurs, ou depuis sept mois le
+pouvoir a perdu en confiance et en énergie tout autant que
+le public en sécurité.</p>
+
+<p>Il a perdu autre chose encore. Il ne consiste pas uniquement
+dans les actes positifs et matériels par lesquels ils se
+manifeste; il n'aboutit pas toujours à des ordonnances et à
+des circulaires. L'autorité sur les esprits, l'ascendant moral,
+cet ascendant qui convient si bien dans les pays libres, car il
+détermine les volontés sans leur rien commander, c'est là
+une importante partie du pouvoir, la première peut-être en
+efficacité comme en dignité. C'est aussi celle, à coup sûr,
+dont le rétablissement est aujourd'hui le plus désirable pour
+notre patrie. Nous avons connu des pouvoirs très-actifs,
+très-forts, capables de choses grandes et difficiles; mais soit
+par le vice de leur nature, soit par le malheur de leur situation,
+l'ascendant moral, cet empire facile, régulier, inaperçu,
+leur a presque toujours manqué.</p>
+
+<p>Le gouvernement du roi est, plus que tout autre, appelé à
+le posséder et à l'exercer. Il ne tire point son droit de la force;
+nous ne l'avons point vu naître; nous n'avons point contracté
+avec lui ces familiarités dont il reste toujours quelque chose
+envers des pouvoirs qui n'étaient pas hier et à l'enfance desquels
+ont assisté ceux qui leur obéissent. Le respect s'attache
+à l'antique possession, à l'antique gloire, et le respect est la
+base de l'autorité morale. Qu'a fait le ministère de celle qui
+appartient naturellement, sans préméditation, sans travail,
+au gouvernement du roi? L'a-t-il habilement employée et
+agrandie en l'employant? Ne l'a-t-il pas au contraire gravement
+hasardée en la mettant aux prises avec les craintes qu'il
+a fait naître et les passions qu'il a suscitées?</p>
+
+<p>Est-ce là, messieurs, ce que le ministère appelle prendre
+en main la cause du pouvoir, faire prévaloir ses principes,
+l'élever au-dessus des atteintes de ses ennemis?</p>
+
+<p>Ce n'est pas encore là tout le mal; il ne s'est point renfermé
+dans l'intérieur du gouvernement proprement dit, et
+la couronne n'est pas seule à en souffrir. L'existence du ministère
+actuel a également porté le trouble dans tous les
+grands corps de l'État, dans tous les pouvoirs qui concourent
+au maniement des affaires publiques; tous ont été, ou plutôt
+sont aujourd'hui, par la même cause, jetés hors de leur
+situation naturelle, régulière, et frappés d'un pénible embarras.</p>
+
+<p>Permettez, messieurs, que j'en appelle à la Chambre elle-même;
+elle est, je crois, le plus éclatant exemple du fait que
+je signale en ce moment. Mais j'aborde avec quelque inquiétude
+un tel sujet; s'il m'arrivait de m'écarter des convenances
+parlementaires, s'il m'échappait quelque mot contraire
+aux usages de la Chambre, je le désavoue d'avance,
+je prie la Chambre de vouloir bien m'excuser et m'avertir.</p>
+
+<p>Ce n'est point, messieurs, votre unique mission de contrôler,
+ou du moins de contredire le pouvoir; vous ne venez
+pas ici uniquement pour étudier, relever ses erreurs, ses
+torts et en instruire le pays; vous y venez aussi, et d'abord
+peut-être, pour entourer le gouvernement du roi, pour l'éclairer
+en l'entourant, pour le soutenir en l'éclairant. Ce
+n'est point le goût de la critique, le désir d'une popularité
+visible, extérieure, qui prévalent dans cette Chambre; elle
+souhaite surtout que l'administration soit bonne, utile au
+pays, qu'une grande, une imposante majorité se puisse rallier
+autour d'elle et lui prêter de la force en retour des biens
+qu'elle assurerait à la France.</p>
+
+<p>Eh bien, messieurs, quelle est aujourd'hui, dans la
+Chambre, la situation des hommes les plus disposés à former
+une majorité semblable, les plus étrangers à tout esprit
+d'opposition, à toute habitude d'opposition? Ils sont réduits
+à faire de l'opposition; ils en font malgré eux, par conscience;
+ils voudraient rester toujours unis au gouvernement du roi
+et il faut qu'ils s'en séparent; ils voudraient le soutenir et il
+faut qu'ils l'attaquent. Les mêmes sentiments les animent
+toujours; ils poursuivent toujours le même but; mais ce n'est
+plus par les mêmes voies qu'ils peuvent l'atteindre; ils ont
+été poussés hors de leurs propres voies. La perplexité qui
+les agite, c'est le ministère qui la leur a faite; elle durera,
+elle redoublera tant que nous aurons affaire à lui.</p>
+
+<p>Et cette autre portion de la Chambre, messieurs, qui,
+plus ombrageuse, plus ardente, se voue spécialement à la
+recherche des fautes du pouvoir et à la défense des libertés
+publiques, croyez-vous qu'elle n'ait pas été aussi troublée
+dans sa situation, que la perturbation générale ne l'ait pas
+atteinte? Son rôle, le rôle de l'opposition, ne se borne point,
+dans le gouvernement représentatif bien réglé, à épier la
+conduite du pouvoir, à découvrir et à proclamer ses fautes;
+elle aussi a peut-être pour principale mission d'indiquer, de
+solliciter les améliorations, les réformes que peut recevoir
+la société.</p>
+
+<p>Libre du poids des affaires, exempte de la responsabilité
+immédiate et positive qui s'y attache, l'opposition s'avance
+en général la première et hardiment dans la carrière de la
+civilisation; elle en signale d'avance les bienfaits, les conquêtes
+possibles; elle presse, elle somme le pouvoir de s'en
+saisir au profit du pays. Elle vit d'avenir enfin et d'espérances
+souvent lointaines, mais glorieuses. Comment pourrait-elle
+se livrer aujourd'hui à de telles pensées? Dans l'état des
+esprits, dans les relations actuelles de la société et de ceux
+qui la régissent, qui peut songer à demander des améliorations,
+des réformes? La lutte actuelle nous préoccupe tous;
+qui peut travailler pour un long avenir quand le présent est
+à ce point troublé et compromis?</p>
+
+<p>Comme les partisans de l'ordre et du repos, les amis du
+mouvement et du progrès sont donc enlevés à leurs pratiques
+habituelles et favorites; les uns et les autres éprouvent le
+même trouble, le même désappointement.</p>
+
+<p>Portez vos regards hors de cette Chambre, messieurs,
+interrogez sur leur situation tous les grands pouvoirs publics,
+vous les trouverez tous atteints du même mal. Je n'en citerai
+qu'un exemple de plus, mais il me semble frappant, c'est
+celui des tribunaux. Quelle est leur mission ordinaire? De
+protéger l'ordre public, de réprimer les excès qui le menacent,
+les écarts des libertés individuelles. Sans doute ils ont
+aussi pour mission de protéger les libertés individuelles et
+publiques, de les défendre contre les excès du pouvoir, et
+c'est leur devoir, leur gloire de la remplir. Mais quand c'est
+là le caractère dominant de leur activité, quand les tribunaux
+paraissent surtout inquiets des tentatives du pouvoir, quand
+c'est le pouvoir qui se plaint d'eux, n'y a-t-il pas évidemment
+perturbation? Les corps judiciaires ne sont-ils pas enlevés à
+leur état naturel?</p>
+
+<p>Messieurs, voilà quelle est aujourd'hui la situation de
+de tous les pouvoirs publics; la voilà telle que le ministère
+la leur a faite. Une seule force peut-être, une seule
+puissance se sent aujourd'hui à l'aise en France et se
+déploie avec la confiance qu'elle est dans sa voie propre et
+naturelle; c'est la presse. Jamais, à mon avis, son action ne
+nous fut plus nécessaire et plus salutaire; c'est elle qui,
+depuis sept mois, a déjoué tous les desseins, tous les essais,
+tous les efforts; mais cette prépondérance presque exclusive
+de la presse est redoutable et atteste toujours un fâcheux
+état du gouvernement et de la société.</p>
+
+<p>Cette perturbation générale des pouvoirs publics, cette
+altération de leur état naturel, de leurs habitudes régulières,
+c'est là, messieurs, le mal qu'il faut aller chercher au delà
+de l'agitation des esprits et auquel il est urgent de porter
+remède. On vous a dit que la France était tranquille, que
+l'ordre n'était nullement troublé. Il est vrai; l'ordre matériel
+n'est point troublé; tous circulent librement, paisiblement;
+aucun bruit ne dérange les affaires. Le mal que je viens de
+signaler en existe-t-il moins? Est-il moins grave? Ne frappe-t-il
+pas, n'agite-t-il pas la pensée de tous les hommes sensés
+et clairvoyants? Il est plus grave que bien des émeutes, plus
+grave que les désordres, les tumultes matériels qui ont, il
+n'y a pas longtemps, agité l'Angleterre.</p>
+
+<p>De tels désordres sont d'ailleurs un avertissement que le
+pouvoir ne saurait ignorer; il faut bien, à leur explosion,
+qu'il s'aperçoive du mal et se décide au remède. Pour nous,
+messieurs, nous n'avons aucun avertissement de ce genre; la
+surface de la société est tranquille, si tranquille que le gouvernement
+peut fort bien être tenté d'en croire le fond
+parfaitement assuré et de se croire lui-même à l'abri de
+tout péril. Nos paroles, messieurs, la franchise de nos paroles,
+voilà le seul avertissement que le pouvoir ait à recevoir
+parmi nous, la seule voix qui se puisse élever jusqu'à
+lui et dissiper ses illusions. Gardons-nous d'en atténuer
+la force; gardons-nous d'énerver nos expressions; qu'elles
+soient respectueuses, qu'elles soient tendres, c'est notre
+devoir et personne n'accuse votre commission d'y avoir manqué;
+mais qu'elles ne soient point timides et douteuses. La
+vérité a déjà assez de peine à pénétrer jusqu'au cabinet des
+rois; ne l'y envoyons point faible et pâle; qu'il ne soit pas
+plus possible de la méconnaître que de se méprendre sur la
+loyauté de nos sentiments. Je vote contre tout amendement
+et pour le projet de la commission.</p>
+
+<a name="III" id="III"></a>
+<br><br>
+<h3>III</h3>
+
+<p class="mid">Présentation et discussion du projet de loi relatif à la publication
+de la liste des Électeurs et du Jury dans chaque département,
+pour l'année 1831.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séances des 14 et 25 août 1830.--</p>
+
+<p class="large">Comme ministre de l'intérieur, j'étais appelé à prendre
+soin que le cours régulier et légal de l'administration
+fût aussi peu troublé ou suspendu que cela était
+possible par la révolution qui venait de s'accomplir. Ce
+fut à ce titre et dans cet esprit que je présentai, le
+14 août, le projet de loi suivant, et que je répondis le
+25 août aux objections élevées dans le débat. Ce projet,
+adopté par les deux Chambres, fut promulgué comme
+loi, le 11 septembre 1830.</p>
+
+<p><span class="sc">M. GUIZOT</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, d'après la
+loi du 2 juillet 1828, la liste électorale et du jury doit être
+publiée chaque année, dans chaque département, le 15 août,
+et révisée selon les formes et dans les délais énoncés au
+titre 1<sup>er </sup> de cette loi.</p>
+
+<p>L'impression de cette liste était déjà assez avancée dans
+plusieurs départements et près de commencer dans les
+autres lorsque la publication des ordonnances du 25 juillet
+est venue arrêter ce travail. Les glorieux événements
+qui retentissent autour de nous ont momentanément suspendu
+le cours régulier de l'administration. Beaucoup de
+fonctionnaires sont révoqués ou ont abandonné leur résidence;
+leurs successeurs arrivent à peine et sont pressés
+de pourvoir avant tout à la sûreté du pays. Il est matériellement
+impossible que la loi du 2 juillet 1828 soit
+exécutée, c'est-à-dire que les listes électorales soient partout
+publiées le 15 août, débattues, révisées et définitivement
+rectifiées du 15 août au 20 octobre, comme cette
+loi le prescrit.</p>
+
+<p>Quelques personnes pourraient penser que le pacte constitutionnel
+qui vient d'être promulgué annonçant d'importantes
+modifications à notre législation électorale, il conviendrait
+d'attendre ces modifications pour rédiger et publier de
+nouvelles listes, afin qu'elles y fussent conformes. Mais,
+messieurs, cette publication n'a pas les listes électorales
+seules pour objet; elle s'applique, en même temps, et pendant
+une année, au service du jury. Il y a donc ici une impérieuse
+nécessité, un grand intérêt public qui ne saurait
+attendre. La liste générale des citoyens aptes à être jurés
+doit être révisée et arrêtée aussi promptement qu'il se
+pourra faire, en 1830, afin que la liste destinée au service
+des assises pour l'année prochaine soit dressée et publiée
+légalement le 1<sup>er </sup> janvier 1831.</p>
+
+<p>Un moyen simple se présente. C'est du 15 août au 20 octobre
+que, d'après la loi du 2 juillet 1828, doivent s'accomplir
+toutes les opérations de la révision des listes; il
+suffit de retarder d'un mois l'ensemble de ces opérations,
+c'est-à-dire de les reporter du 15 septembre au 20 novembre,
+pour satisfaire à la nécessité.</p>
+
+<p>Tel est, messieurs, l'unique but du projet de loi que le
+Roi nous a ordonné de vous proposer. Il rend à l'administration
+le temps de publier les listes, aux citoyens celui de les
+examiner et de les débattre, sans rien préjuger sur les changements
+qui pourront y être apportés plus tard par une nouvelle
+législation électorale, sans altérer aucune des formalités,
+aucune des garanties que la loi du 2 juillet 1828 a
+voulu donner. Cette loi sera pleinement exécutée; elle le
+sera seulement du 15 septembre au 20 novembre, au lieu
+de l'être du 15 août au 20 octobre.</p>
+
+<p>Une seule disposition y est ajoutée. L'article 83 de notre
+Charte constitutionnelle admet, dès l'âge de vingt-cinq ans,
+à l'exercice des droits électoraux, les citoyens qui réunissent
+d'ailleurs les conditions déterminées par les lois. Il n'y a
+point ici d'ajournement, point de question subordonnée à
+une nouvelle législation électorale; c'est un droit acquis,
+complet, et dont les citoyens doivent immédiatement jouir.
+L'article 2 du projet de loi leur en assure sans retard l'exercice:
+la disposition de la Charte est formelle et n'a pas
+besoin de confirmation légale; mais, il a paru utile d'en proclamer
+l'exécution.</p>
+
+<p>J'ai l'honneur de donner à la Chambre lecture du projet
+de loi.</p>
+
+<h4>PROJET DE LOI.</h4>
+
+<p>Art. 1<sup>er</sup>. Les opérations relatives à la révision des listes
+électorales et du jury qui, en vertu des articles 7, 10, 11, 12
+et 16 de la loi du 2 juillet 1828, doivent avoir lieu du
+15 août au 20 octobre de chaque année, seront, à raison
+des circonstances et seulement pour la présente année 1830,
+retardées d'un mois.</p>
+
+<p>En conséquence, la liste électorale du jury sera publiée
+dans chaque département le 15 septembre; le registre des
+réclamations sera clos le 31 octobre; la clôture de la
+liste aura lieu le 16 novembre, et le dernier tableau de
+rectifications sera publié le 20 du même mois de novembre.</p>
+
+<p>Art. 2. Seront compris dans lesdites listes aux termes de
+l'article 33 de la Charte constitutionnelle, les électeurs qui,
+jusqu'au 16 novembre inclusivement, auront atteint l'âge de
+vingt-cinq ans, et réuniront les conditions déterminées par
+les lois.</p>
+
+<p>M. de Podenas, député de l'Aude, ayant fait quelques
+objections sans proposer aucun amendement, je
+lui répondis:</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--L'honorable préopinant
+reconnaît la nécessité de pourvoir à la publication immédiate
+des listes du jury. Il convient que, sous ce rapport,
+le service public ne peut pas attendre. Il me paraît avoir
+oublié qu'aux termes de la loi même sur le jury, ces listes
+se composent de deux parties: la première, la liste des électeurs;
+la seconde, la liste additionnelle qui comprend certaines
+professions libérales. Pour faire la liste du jury, il faut
+donc nécessairement faire aussi la liste des électeurs. On ne
+peut pas publier une liste spéciale du jury indépendante de
+celle des électeurs.</p>
+
+<p>Quant à la composition de la liste des électeurs, je ferai
+remarquer que les lois subsistent tant qu'elles ne sont pas
+formellement abrogées; La Charte contient des dispositions
+de nature différente. Les unes sont définitives et impératives,
+et déterminent l'âge des électeurs, et c'est en vertu de ces
+dispositions que nous avons pu vous proposer d'abaisser l'âge
+des électeurs à vingt-cinq ans. Les autres dispositions concernant
+le cens ne sont pas encore déterminées. La Charte
+dit qu'elles le seront par une loi. Tant que cette loi ne sera
+pas rendue, il n'est pas possible de comprendre dans la liste
+des électeurs les citoyens dont le cens n'est pas encore fixé.
+Nous nous trouvons donc dans cette double nécessité: d'une
+part, de faire une liste des électeurs, comme première partie
+de la liste du jury, et de l'autre, de ne pouvoir comprendre
+dans cette liste les citoyens dont le cens n'est pas déterminé
+par la loi.</p>
+
+<p>L'intention du gouvernement est de proposer, aussitôt
+qu'il le pourra, la loi des élections; et alors le cens des électeurs
+sera définitivement réglé. Mais, quant à présent, dans
+l'obligation où nous sommes de publier immédiatement la
+liste du jury et d'y comprendre celle des électeurs, nous
+n'avons pu que nous en tenir, pour les électeurs, aux conditions
+légales existantes.</p>
+
+<a name="IV" id="IV"></a>
+<br><br>
+<h3>IV</h3>
+
+<p class="mid">Présentation et discussion du projet de loi relatif au mode de
+pourvoir aux élections vacantes dans la Chambre des députés.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séances des 14 et 30 août 1830.--</p>
+
+<p class="large">Par suite soit des démissions, soit des changements
+dans les diverses branches de l'administration qu'avait
+amenés la révolution de Juillet, cent quatorze siéges
+étaient vacants dans la Chambre des députés. Il était
+indispensable de les faire remplir par des élections nouvelles,
+sans attendre que les modifications annoncées
+dans la législation électorale fussent accomplies. Diverses
+questions provisoires, mais importantes et délicates,
+s'élevaient à ce sujet. Le projet de loi suivant, destiné
+à les résoudre, fut adopté par les deux Chambres avec
+quelques amendements, et promulgué comme loi le
+12 septembre 1830.</p>
+
+<p><span class="sc">M. GUIZOT</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, plusieurs
+siéges sont vacants dans cette Chambre; il importe d'y pourvoir
+sans retard. Il importe qu'une assemblée qui a déjà si
+bien mérité de la patrie en consacrant et consommant en un
+jour, avec une fermeté rapide et prudente, l'oeuvre glorieuse
+de la résistance nationale, ne voie point de vide dans ses
+rangs.</p>
+
+<p>Pour la compléter, une question grave se présente. D'importantes
+modifications à notre législation électorale sont
+annoncées. Elles ne sauraient être assez promptement accomplies
+pour que les élections aujourd'hui vacantes aient
+lieu sous leur empire. Ces élections se trouvent nécessairement
+placées sous l'empire des lois actuellement subsistantes,
+car les lois subsistent tant qu'elles ne sont pas formellement
+abrogées ou changées; et c'est un des plus impérieux besoins
+de la société que, partout où ne vient pas frapper une nécessité
+absolue, irrésistible, sa vie légale continue sans interruption.
+Mais les lois électorales encore en vigueur contiennent
+un principe si fortement réprouvé par la conscience
+publique, et dont la prochaine abolition a été si hautement
+proclamée qu'il y aurait une sorte d'inconséquence choquante
+à en autoriser plus longtemps l'application.</p>
+
+<p>C'est le principe du double vote. Quoique leur prompte
+solution soit désirable, les autres questions peuvent et doivent
+être ajournées à la discussion générale et approfondie des
+lois annoncées. Le double vote n'est plus une question. Aboli
+en principe par la Charte, nous pensons qu'en fait il doit
+disparaître.</p>
+
+<p>Il faut donc prendre une mesure qui, sans rien compromettre,
+sans reconstituer précipitamment et au hasard notre
+législation électorale, en expulse immédiatement le double
+vote et affranchisse les élections qui vont avoir lieu de la
+nécessité de le subir.</p>
+
+<p>Pour atteindre ce but, il nous a paru que le moyen le
+plus simple était d'ordonner que les colléges d'arrondissement
+pourvoieraient seuls aux élections vacantes, y compris celles
+qui auraient été faites par des colléges de département. Dans
+ce dernier cas, un tirage au sort, fait dans la Chambre
+en séance publique, déterminera lequel des arrondissements
+électoraux du département devra procéder au remplacement
+du député élu naguère par le collège départemental.</p>
+
+<p>Le tirage au sort en pareille matière n'est point un procédé
+nouveau et inusité dans cette Chambre; elle en a usé
+plusieurs fois, par exemple pour déterminer le classement
+des départements en séries et l'ordre des séries, quand le
+renouvellement par cinquième était en vigueur.</p>
+
+<p>Cette mesure purement transitoire satisfait au besoin
+du moment, à la conscience publique, et laisse aux délibérations
+futures des Chambres, sur notre législation électorale,
+toute la liberté, toute la maturité qui leur doivent
+appartenir.</p>
+
+<p>J'ai l'honneur de donner à la Chambre lecture du projet
+de loi.</p>
+
+<h4>PROJET DE LOI.</h4>
+
+<p>Art. 1<sup>er</sup>. Il sera pourvu par les collèges d'arrondissement
+aux vacances occasionnées dans la Chambre des députés par
+suite de démission ou par toute autre cause, soit que les
+députés à remplacer aient été élus par un collége d'arrondissement
+ou par un collége de département.</p>
+
+<p>Art. 2. Dans ce dernier cas, il sera procédé dans la
+Chambre des députés, et en séance publique, à un tirage au
+sort entre les divers arrondissements électoraux du département
+où aura lieu la vacance, pour déterminer quel ou
+quels arrondissements devront procéder au remplacement
+du ou des députés élus par le collége de département, de
+telle sorte que nul arrondissement n'ait plus d'un de ces
+députés à nommer.</p>
+
+<p>Art. 3. Les dispositions de la présente loi sont purement
+transitoires, et valables uniquement jusqu'à ce qu'il ait été
+légalement pourvu aux modifications à apporter à la législation
+électorale maintenant en vigueur.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Je ne viens ici appuyer
+ni combattre au fond et en lui-même l'amendement qui
+vous est proposé<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a>
+<a href="#footnote13"><sup class="sml">13</sup></a>. Je viens seulement faire remarquer à la
+Chambre l'inconvénient qu'il y aurait à décider cette question
+à propos d'une loi transitoire, au lieu de la renvoyer à
+la loi définitive.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote13"
+name="footnote13"><b>Note 13: </b></a><a href="#footnotetag13">
+(retour) </a> L'amendement proposé par le général Demarçay, député de
+la Vienne, avait pour objet de réduire immédiatement à 200 fr.
+le cens de 300 fr. exigé jusque-là des électeurs.</blockquote>
+
+<p>Le plus grand inconvénient qui se soit fait sentir dans les
+lois d'élections dont on s'est occupé, c'est qu'elles n'ont pas
+été fondées sur le connaissance des faits; c'est qu'on a procédé
+d'une manière abstraite, <i>à priori</i>, sans savoir sur quoi
+on agissait, et sans pouvoir indiquer quels seraient les résultats
+de la loi en délibération.</p>
+
+<p>Ainsi, on vous propose d'abaisser à 200 fr. le cens électoral,
+et on ne peut pas prévoir quel nombre d'électeurs arrivera
+par cet abaissement; on ne peut pas dire s'il sera nécessaire,
+à raison de ce nombre, de fractionner les colléges
+autrement qu'ils ne le sont. C'est là un inconvénient immense.
+Vous avez, dans la loi des élections actuelle, des faits
+connus pour le cens de 300 fr. Vous savez quel résultat vous
+en pouvez attendre. Ces résultats non-seulement n'ont rien
+de dangereux en eux-mêmes, mais ils ont amené des Chambres
+qui ont vaillamment soutenu la cause des libertés publiques,
+et qui ont aidé le pays à triompher définitivement.
+Vous n'avez donc rien à craindre; vous les connaissez; mais
+ce qui arrivera de l'abaissement du cens à 200 fr., vous ne
+pouvez en aucune façon le prévoir.</p>
+
+<p>Je ne dis pas que le résultat soit mauvais, qu'il ne faille
+pas l'admettre, mais je dis qu'il ne faut rien préjuger, et
+qu'avant tout il faut constater les faits résultant de l'abaissement
+du cens.</p>
+
+<p>On peut, par des renseignements administratifs, savoir le
+nombre des cotes entre 300 fr. et 200 fr. On peut au moins
+en approcher et prévoir quelles combinaisons seront nécessaires
+pour amener le cens de 200 fr. dans la loi électorale.
+Mais dès aujourd'hui, dans l'absence complète des renseignements
+et des faits, vous agiriez en aveugles en abaissant le
+cens, et c'est un des plus grands inconvénients qui se soient
+fait sentir dans toutes les lois d'élection.</p>
+
+<p>J'ajouterai une remarque des plus importantes: c'est que
+les élections que vous avez à faire doivent être faites en
+vertu des listes actuellement existantes, sur un tableau de
+rectification, dans le délai d'un mois. Vous avez un grand
+intérêt à ce que vos bancs se remplissent. Si vous abaissez le
+cens, l'introduction d'un grand nombre d'électeurs rendra
+plus longue et plus difficile la confection des listes, et il
+nous importe beaucoup que le délai d'un mois ne soit pas
+dépassé.</p>
+
+<p>Je ne rentrerai pas dans la discussion générale. Vous
+n'avez en ce moment qu'une loi provisoire à faire. Il y aurait
+une sorte de contradiction à faire une loi provisoire, et à
+décider dans cette loi une des plus grandes questions qui
+appartiennent à la loi définitive, et que vous ne pouvez décider
+qu'avec connaissance de cause. Je demande, en conséquence,
+que la question de l'abaissement du cens soit renvoyée à la
+discussion de la loi définitive.</p>
+
+<a name="V" id="V"></a>
+
+<br><br>
+<h3>V</h3>
+
+<p class="mid">Présentation et discussion du projet de loi relatif à la réélection
+des Députés promus à des fonctions publiques salariées.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séances des 17 et 27 août 1830.--</p>
+
+<p class="large">L'obligation, pour les députés promus à des fonctions
+publiques salariées, de se soumettre à la réélection était
+l'une des réformes promises par la disposition finale de
+la Charte de 1830. Le projet de loi suivant, destiné à
+accomplir cette réforme, fut adopté par les deux Chambres,
+avec quelques amendements, et promulgué comme
+loi le 12 septembre 1830.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, la Charte a
+ordonné qu'une loi fût rédigée pour obliger à la réélection
+les membres de la Chambre des députés appelés à des fonctions
+publiques.</p>
+
+<p>Avant que la Charte eût posé ce principe, la conscience
+publique l'avait reconnu. La Charte, telle qu'une heureuse
+révolution l'a développée, n'a eu qu'à consacrer des vérités
+auxquelles quinze ans d'expérience et de discussion avaient
+donné le sceau de l'évidence; elle a fait passer la raison commune
+dans le droit écrit.</p>
+
+<p>Tel est le caractère du projet de loi que le Roi nous a
+ordonné de vous présenter, et qui astreint à la réélection les
+députés promus à de nouveaux emplois. Les motifs en sont
+si connus, si généralement sentis, qu'il semble superflu de
+les exposer de nouveau. Le raisonnement et les faits ont
+d'avance convaincu le législateur.</p>
+
+<p>La proposition n'est pas nouvelle dans cette Chambre;
+elle y a pris naissance. Présentée sous des administrations
+bien diverses, elle y a couru diverses fortunes. Plus
+d'une fois ajournée ou rejetée, elle y fut admise il y a
+trois ans pour la première fois, et quoique alors elle échouât
+dans une autre enceinte, il fut aisé de prévoir que son
+temps approchait et qu'elle triompherait de la prochaine
+épreuve. A travers toutes ces vicissitudes, le principe a
+gagné de jour en jour plus de crédit et d'autorité.</p>
+
+<p>Une seule objection inquiète encore quelques esprits sages;
+ils craignent que cette garantie nouvelle ne soit un affaiblissement
+pour le pouvoir, et qu'il n'ait peine à marcher chargé
+de cette nouvelle entrave.</p>
+
+<p>Mais, messieurs, ici comme en beaucoup d'autres questions,
+ne méconnaît-on pas la nature et la destinée du pouvoir
+dans un État constitutionnel? N'oublie-t-on pas qu'il
+s'y fortifie ou s'y affaiblit par des causes toutes différentes
+de celles qui produisent de tels effets dans un gouvernement
+absolu? Cette nécessité d'obtenir constamment l'assentiment
+public, qui est aujourd'hui la condition du gouvernement,
+ne doit pas être regardée seulement comme une limite,
+comme une garantie préventive; c'est aussi un principe
+fécond de force, un puissant moyen d'action. Sans doute elle
+empêche, elle retarde souvent; mais elle donne, aux hommes
+et aux mesures qu'elle appuie, une irrésistible autorité. Sans
+doute le pouvoir aujourd'hui doit posséder des moyens
+d'imposer aussi à l'opinion publique des délais et des épreuves,
+et c'est là sa garantie contre l'entraînement et la précipitation;
+mais toutes les épreuves accomplies, tous les
+délais épuisés, le pouvoir doit accepter le voeu du pays, se
+l'approprier, s'en armer pour ainsi dire; et il est très-fort
+alors, beaucoup plus fort par l'élection, par la discussion,
+par la publicité, qu'il ne l'a jamais été par l'indépendance et
+le secret.</p>
+
+<p>Ne craignons donc pas de multiplier les liens qui rapprochent
+la société et son gouvernement, d'instituer de nouveaux
+moyens de constater, de resserrer leur union. Nous ne
+sommes plus, grâce au ciel, dans une situation politique où
+la société doive faire peur au pouvoir; tout à l'heure encore
+il en était autrement. Peut-être même est-ce la position où se
+trouvait le dernier gouvernement qui fait encore illusion à
+quelques esprits. Ce qui pour lui était redoutable leur
+semble encore à craindre aujourd'hui; tant le passé est lent
+à sortir complétement de la pensée! tant l'habitude nous
+fait voir longtemps ce qui n'est plus! Le dernier gouvernement
+portait en lui-même un principe de faiblesse qui ne
+lui permettait ni d'accepter pleinement les conditions légales
+de son existence, ni même d'user de toutes les ressources
+que lui offrait son organisation politique. Il ne pouvait, il
+n'osait ni respecter toutes ses limites, ni profiter de tous ses
+droits. La règle et l'activité constitutionnelles lui étaient également
+importunes. Il y avait en lui quelque chose d'antipathique
+à l'élection, à la responsabilité, à la publicité. C'étaient
+autant d'épreuves qu'il ne savait pas supporter et dont il ne
+pouvait s'affranchir. Elles étaient donc pour lui une vraie
+cause d'affaiblissement; elles mettaient de plus en plus en
+lumière le vice essentiel de sa nature. Elles divulguaient ce
+secret d'incompatibilité que le 26 juillet a fait éclater. Mais
+ce n'est point sur un tel précédent qu'il faut juger le gouvernement
+nouveau. Sa situation est toute différente. Il n'a rien
+à cacher, rien à pallier; et, comme il est essentiellement
+national, il ne recule pas devant la nation. Il la cherche au
+contraire, puise de la force où le précédent ne trouvait que
+faiblesse, et sort plus affermi des épreuves dont le nom seul
+ébranlait l'autre. Il n'y a, dans l'élection, dans l'action continuelle
+de la société, rien qui répugne à la nature du gouvernement
+actuel. La liberté politique ne le compromet pas;
+elle fait son salut comme sa gloire; c'est pour elle qu'il est
+venu au monde.</p>
+
+<p>Le projet de loi que nous vous présentons crée un lien de
+plus entre le pouvoir et le public. Il tend à multiplier les
+élections partielles, à ouvrir en quelque sorte une perpétuelle
+enquête sur les sentiments du pays à l'égard de l'administration.
+Il ne fait donc que développer les conditions et,
+j'ose dire les moyens d'existence du gouvernement. Aux
+yeux des hommes mêmes qui sont surtout préoccupés du
+désir que le pouvoir soit stable et fort, il n'a maintenant
+aucun des inconvénients qu'il aurait pu présenter naguère.
+Il ne fera courir au pouvoir aucun des risques dont s'alarmait
+en d'autres temps leur prudence inquiète. Il est conforme
+aux principes fondamentaux de l'ordre établi, au caractère
+propre du gouvernement.</p>
+
+<p>Aussi, n'avons-nous pas balancé, messieurs, à reconnaître
+franchement le principe de la réélection, et à l'appliquer
+dans toute sa latitude. Jusqu'ici, lorsqu'on avait essayé de
+l'introduire, beaucoup d'exceptions et de limitations y avaient
+été apportées. On avait excepté de la condition commune
+tous les juges et même les ministres. Mais dans un pays où
+la hiérarchie judiciaire compte des degrés si nombreux,
+l'avancement des magistrats peut être aussi bien l'oeuvre de
+la faveur ou le calcul de la politique, qu'une simple promotion
+administrative; et quant aux ministres, c'est pour eux
+qu'il faudrait encore réserver la réélection quand même elle
+ne serait pas la condition de tous. Quel plus grand changement
+en effet dans la situation du député que le changement
+qui, de conseiller libre du pouvoir, l'en rend le dépositaire!
+Mais aussi quelle force et quel appui le ministre récemment
+choisi par le prince doit-il trouver dans le nouveau suffrage
+de ses concitoyens!</p>
+
+<p>Le projet de loi n'admet donc aucune exception, aucune
+restriction, hors une seule, en faveur des militaires: ils sont
+exemptés de la réélection jusqu'au grade de lieutenant-colonel
+inclusivement. On comprend d'avance les motifs de
+cette exception. Le choix de la carrière des armes n'est pas
+toujours volontaire; aussi l'avancement y a-t-il été assuré et
+réglé par une loi, du moins pour les premiers grades. Il est
+donc naturel qu'une promotion fondée sur l'ancienneté, c'est-à-dire
+sur la loi, ne puisse être entravée par la condition
+gênante d'une réélection, et devenir, contre toute raison,
+l'occasion d'un sacrifice plutôt que d'un avantage. Les militaires
+mêmes qui doivent leur avancement au choix du
+prince ne peuvent monter en grade que suivant certaines
+règles déterminées d'avance, et que les électeurs connaissent.
+En fixant leur choix sur un militaire, ils ont pu savoir
+quelle était sa condition, et prévoir l'époque où le bénéfice
+des règles de l'avancement lui serait applicable. Sa position
+d'ailleurs ne peut être gravement modifiée, pendant la durée
+d'une législature, par son avancement méthodique dans une
+profession toute spéciale. Ce n'est que de grade en grade, et
+après des intervalles assez longs, qu'un militaire peut
+s'élever du rang de sous-lieutenant à celui de lieutenant-colonel.</p>
+
+<p>Après avoir ainsi admis le principe dans toute son étendue,
+le projet en règle l'application. Il établit que les députés,
+considérés comme démissionnaires par le seul fait de l'acceptation
+de fonctions publiques salariées, pourront être
+réélus; nécessité évidente, puisque c'est à décider s'ils seront
+réélus que consiste l'épreuve. C'est la solution authentique
+de cette question qui peut seule éclairer le député, la
+Chambre, le gouvernement. Mais en même temps le projet
+ordonne que les députés promus continueront à siéger dans
+la Chambre jusqu'au moment où l'élection sera consommée.
+Cette précaution était indispensable pour empêcher que la
+Chambre fût privée de membres importants, et les colléges
+électoraux de leurs députés; elle était naturelle, car tant
+que l'élection n'est point terminée, le problème qu'elle doit
+résoudre reste incertain, et la solution doit être présumée en
+faveur de celui qui a la possession.</p>
+
+<p>Enfin un dernier article dicté par les circonstances donne
+un effet rétroactif au projet de loi et en fait remonter l'application
+à l'ouverture de la session actuelle. Ce sera un hommage
+rendu immédiatement au principe, par la Chambre
+même qui l'aura la première écrit dans la loi. Jamais peut-être
+l'application n'en aura été plus politique qu'à la naissance
+d'un gouvernement dont les choix nombreux doivent
+recevoir de l'assentiment public leur plus ferme autorité.</p>
+
+<p>Messieurs, tout est bien neuf aujourd'hui; il ne manque
+à l'oeuvre que nous entreprenons en commun ni légitimité
+ni gloire; mais il lui manque encore ce que le temps donne
+à ses ouvrages. A défaut de cette longue possession qui
+affermit les gouvernements, la nature du nôtre permet
+d'obtenir cet assentiment public et formel qui donne la
+dignité et la force même aux créations récentes de la nécessité.
+(<i>Mouvement d'adhésion.</i>) Gardons-nous donc de repousser
+aucun moyen prompt et facile de constater le voeu
+national; recherchons-le au contraire, demandons au pays
+cette force précieuse que lui seul peut nous assurer. (Voix
+nombreuses: <i>Très-bien! très-bien!</i>) Le projet de loi que le
+Roi nous a ordonné de vous proposer, bon et juste, à nos
+yeux, dans tous les temps, nous paraît emprunter, des circonstances
+où nous sommes, un caractère particulier d'importance
+et d'utilité. Il rattache par un lien de plus le
+gouvernement à la nation.</p>
+
+<h4>PROJET DE LOI.</h4>
+
+<p>Art. 1<sup>er</sup>. Tout député qui acceptera des fonctions publiques
+salariées sera considéré comme donnant, par ce seul
+fait, sa démission de membre de la Chambre des députés.</p>
+
+<p>Art. 2. Néanmoins, il continuera de siéger dans la Chambre
+jusqu'au jour où sera consommée l'élection à laquelle son
+acceptation de fonctions publiques salariées aura donné lieu.</p>
+
+<p>Art. 3. Sont exceptés de la disposition contenue dans
+l'article 1<sup>er</sup> les militaires jusqu'au grade de lieutenant-colonel
+inclusivement.</p>
+
+<p>Art. 4. Les députés qui, à raison de l'acceptation de fonctions
+publiques salariées, auront cessé de faire partie de
+la Chambre des députés, pourront être réélus.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Dans l'état de la
+législation et de l'administration jusqu'à ce jour, l'amendement
+qui vous est proposé par l'avant-dernier préopinant
+était naturel, et pouvait même paraître légitime<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a>
+<a href="#footnote14"><sup class="sml">14</sup></a>; attaché
+au projet de loi que nous avons présenté, il a quelque chose
+d'étrange.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote14"
+name="footnote14"><b>Note 14: </b></a><a href="#footnotetag14">
+(retour) </a> L'amendement proposé par M. Hector Le Pelletier d'Aunay,
+député de la Nièvre, portait: «Tout député qui acceptera des
+fonctions salariées, autres que celles de ministre du Roi siégeant
+au conseil, sera considéré comme donnant, par ce seul fait, sa
+démission de membre de la Chambre des députés.»</blockquote>
+
+<p>Quel est l'effet du projet de loi, quel est son but avoué?
+C'est d'empêcher qu'aucun député ne puisse devenir fonctionnaire,
+sans l'aveu du pays, contre le gré du pays, dans
+un intérêt personnel ou dans l'intérêt exclusif du pouvoir.</p>
+
+<p>Quel est au contraire l'effet de l'amendement qui vous
+est proposé? C'est d'empêcher qu'un député ne puisse devenir
+fonctionnaire de l'aveu du pays aussi bien que de
+l'aveu du Roi, quand l'un et l'autre s'entendent sur ce point,
+quand ils croient que la nomination a lieu dans les intérêts
+communs du pays et du pouvoir.</p>
+
+<p>Voilà l'effet de l'amendement, mis en regard de l'effet du
+projet de loi.</p>
+
+<p>Il s'agit donc évidemment ici d'une restriction apportée
+au choix des électeurs. On restreint leur liberté dans une
+sphère plus étroite, et on la restreint précisément au moment
+où leur choix s'accorde avec celui du prince.</p>
+
+<p>Cette restriction, à ce qu'il me semble, n'a en soi-même
+rien d'utile. Toute restriction apportée à la liberté des électeurs
+me paraît peu favorable, à moins qu'elle ne soit
+commandée par la nécessité, à moins que des convenances
+ne la réclament; et ce n'est pas au moment peut-être où le
+but d'ôter, de diminuer les restrictions qui gênent cette
+liberté préoccupe les esprits, qu'il convient d'en introduire
+de nouvelles.</p>
+
+<p>La restriction dont il s'agit est-elle commandée par de
+grandes considérations politiques, par quelque nécessité
+d'intérêt public? J'avoue que je ne le crois pas.</p>
+
+<p>Remarquez qu'il ne s'agit pas ici de prévenir la nomination
+de députés, comme fonctionnaires, dans un département
+où ils exercent une influence personnelle, où cette
+influence pourrait agir au profit de leur élection. Il est écrit
+dans une loi que nul ne peut être élu député dans le département
+où il exerce des fonctions publiques.</p>
+
+<p><i>Une voix.</i>--L'exclusion n'a point lieu pour la charge de
+procureur général; elle ne porte que sur celle de préfet.</p>
+
+<p><i>M. le Ministre.</i>--Oui, celle de préfet seulement. Elle a lieu
+pour les fonctions de préfet, et en même temps pour celles
+de sous-préfet, les sous-préfets n'étant que des fonctionnaires
+subalternes dans la même administration.</p>
+
+<p>Cette limitation est donc écrite dans la loi, et il ne s'agit
+que de l'influence que pourrait exercer un député ailleurs
+que dans le département où il est fonctionnaire; il s'agit de
+son élection dans des lieux où il n'est pas présumé exercer
+une influence extraordinaire et illégitime. Eh bien! cette
+exception est-elle commandée par un grand intérêt public?
+Je ne le pense pas.</p>
+
+<p>Il est, si je ne me trompe, dans la nature et dans le but du
+gouvernement représentatif de prétendre, non pas seulement
+à ce que l'autorité soit surveillée, et fortement contrôlée
+par une opposition éclairée et nationale, mais aussi que l'administration
+elle-même soit bonne. C'est même, selon moi,
+le premier but de tout système constitutionnel de former une
+bonne administration, de donner au pays un bon gouvernement,
+de faire pénétrer ce gouvernement dans tous les
+replis, dans toutes les parties de l'administration. C'est, si je
+ne me trompe, le but fondamental, l'état légitime du gouvernement
+représentatif, du gouvernement de la majorité,
+d'être sans cesse soumis au contrôle et au libre déploiement
+de la minorité. C'est là, si je puis me servir de cette
+expression, c'est là l'état normal du régime constitutionnel.</p>
+
+<p>Eh bien, c'est à cet état que votre amendement apporte
+obstacle.</p>
+
+<p>Il ne s'agit pas seulement ici de former l'administration, de
+donner à l'État des ministres pris dans la majorité; il s'agit
+de faire pénétrer le même esprit, le même caractère, les
+mêmes principes dans l'État tout entier, de les faire entrer,
+de les faire pénétrer dans toutes les parties de l'administration.</p>
+
+<p>Votre amendement enlève au gouvernement toute possibilité
+de le faire; votre amendement sépare le gouvernement
+de l'administration et semble fait pour l'empêcher, lorsqu'il
+à la majorité dans la Chambre, de faire pénétrer les hommes
+de cette majorité dans l'administration. Je ne crois pas que ce
+soit là le but, le meilleur résultat du gouvernement représentatif.</p>
+
+<p>Remarquez, messieurs, quel est l'effet de la réélection
+qui vous est proposée: c'est de faire pénétrer, indirectement
+à la vérité, le principe de l'élection dans une multitude de
+fonctions importantes où il serait impossible de le faire
+pénétrer directement. Vous êtes occupés, dans ce moment,
+de la question de savoir comment vous introduirez le principe
+de l'élection dans les administrations locales, et je n'ai
+garde de prétendre que ce projet ne soit pas bon et louable.
+Mais la réélection, telle que vous la proposez, doit avoir
+pour effet de faire pénétrer le principe de l'élection dans
+la haute administration, de le faire pénétrer indirectement,
+il est vrai, mais cependant de l'y faire pénétrer de manière
+qu'il y exerce un véritable empire.</p>
+
+<p>Vous ne pouvez, messieurs, admettre en principe que
+l'administration tout entière soit élective. Vous ne voulez
+sans doute pas qu'il en soit ainsi.</p>
+
+<p>Mais remarquez que, dans le système du projet de loi,
+l'élection exercera sur la haute administration, sur les
+fonctionnaires supérieurs, une grande influence. Elle y pénétrera
+indirectement, et, si cela se peut, sans porter
+atteinte à la prérogative royale, sans compromettre l'ordre
+public, selon la marche régulière de l'administration. Il y a
+avantage, il y a profit, dans l'intérêt des libertés publiques,
+à ce que le principe de l'élection ne soit pas directement introduit
+dans toutes les parties de l'administration, dans la
+sphère supérieure comme dans la sphère inférieure, dans celle
+de l'action comme dans celle du conseil.</p>
+
+<p>On a dit, si je ne me trompe, qu'il y aurait défaut de
+temps pour les députés préfets ou procureurs généraux,
+qu'il leur serait impossible de remplir à la fois leurs fonctions
+d'administrateurs et de députés. J'avoue que je ne suis
+pas touché de cette considération, quoiqu'elle semble
+fondée. Je ne dirai pas qu'il ne puisse y avoir quelque
+inconvénient dans certains cas. Cependant il est, je crois,
+infiniment plus important que les principaux fonctionnaires
+de l'administration viennent se pénétrer dans cette
+Chambre de l'esprit général du gouvernement, des principes
+de la majorité, et qu'ils les reportent ensuite dans leurs
+départements. Ce n'est pas du temps perdu, messieurs, que
+le temps passé à s'instruire dans cette Chambre, à se bien
+pénétrer de ses principes, et les exemples ne me manqueraient
+pas, s'il était possible de citer, pour montrer que le
+séjour dans cette Chambre, la participation à ses travaux
+a plus d'une fois utilement influé sur les fonctionnaires
+administrateurs, qu'ils y ont puisé un nouvel esprit, des
+vues plus libérales, et que par là les progrès qui s'étaient
+faits dans la Chambre ont pénétré dans l'administration.</p>
+
+<p>On a parlé d'un article de la Charte qui disait que les
+fonctions de député devaient être gratuites. Je ne vois pas
+d'article pareil dans la Charte. La Charte ne dit rien à ce
+sujet. Je ne suis pas de ceux qui prétendraient qu'il en dût
+être autrement. Mais je dois dire que la Charte ne spécifie
+rien à cet égard, qu'il n'y a à ce sujet aucune exclusion prononcée
+par la Charte.</p>
+
+<p><i>Une voix.</i>--C'est par une loi.</p>
+
+<p><i>Autre voix à gauche.</i>--Et par une bonne loi.</p>
+
+<p><i>M. le Ministre.</i>--Il est donc également dans l'esprit du
+gouvernement de la majorité et comme garantie de la liberté,
+il est, dis-je, dans ce double intérêt que le projet de loi soit
+adopté dans toute son étendue. Par le principe de la réélection,
+il assure pleinement la garantie de la liberté; et non-seulement
+il assure la garantie de la liberté, mais il donne aux choix des
+citoyens, sur la haute administration, toute l'influence qu'ils
+peuvent avoir, et, en même temps, il assure au pouvoir
+l'approbation publique en faveur de ses fonctionnaires.</p>
+
+<p>J'aborde le seconde partie des objections qui ont été faites.</p>
+
+<p>On a craint que la prérogative royale ne reçût quelque
+atteinte, que le pouvoir ne fût énervé. Je crois, messieurs,
+qu'en fait de forces du pouvoir, il ne faut pas en juger par
+l'apparence; qu'il y a tel fait qui, extérieurement, au premier
+coup d'oeil, semble affaiblir le pouvoir, et qui au contraire
+ne fait que le fortifier. Le principe en vertu duquel
+vous siégez dans cette Chambre a été attaqué aussi pendant
+longtemps comme affaiblissant le pouvoir. On a dit qu'il y
+aurait aussi affaiblissement du pouvoir dans la réélection des
+députés fonctionnaires et dans la libre discussion. C'est un
+argument qui a été populaire parmi des hommes partisans
+du pouvoir. Il est oublié aujourd'hui.</p>
+
+<p>C'est le même argument qu'on reproduit aujourd'hui,
+dans une application particulière. En fait, je ne crois pas
+que le pouvoir ait été affaibli par l'intervention du pays
+dans les affaires publiques. Je parlais d'exemples tout à
+l'heure: il n'y a jamais eu de pays où le pouvoir ait
+été plus fort que celui de Pitt. Le pouvoir de Pitt, en
+Angleterre, a été plus fort que celui de Napoléon, le plus
+grand des despotes. Il a été plus fort, parce qu'il s'est servi
+de moyens de gouvernement qui faisaient intervenir le peuple
+dans les affaires. Ces moyens étaient tout autres que
+ceux qu'employait Napoléon; mais la force de l'État n'en
+était que plus grande.</p>
+
+<p>Il ne faut pas juger de l'état du pouvoir par la diversité
+des moyens qu'il emploie. La liberté, la discussion publique
+sont, dans un certain état de société, les véritables moyens de
+pouvoir. Que le pouvoir s'en serve franchement et la force ne
+lui manquera pas. La force ne manquera jamais aux pouvoirs
+nationaux, aux pouvoirs qui veulent la prospérité publique
+et qui la veulent franchement, aux pouvoirs qui cherchent
+la force là où elle est réellement.</p>
+
+<p>Je ferai remarquer, pour descendre à des considérations
+d'un autre ordre, que le danger de la réélection, en pareille
+matière, n'est pas aussi grand en fait qu'on se le figure.
+Il est probable que l'homme qui est appelé par le prince
+aux grandes fonctions publiques, aux fonctions de ministre
+par exemple, il est probable, dis-je, qu'il est appelé comme
+un des hommes considérables de la majorité: c'est au moins
+une présomption en sa faveur que le choix du souverain;
+c'est une présomption pour sa réélection. Son élection est la
+preuve du triomphe de l'opinion à laquelle il appartient.</p>
+
+<p>Je ne dis pas que cette probabilité soit aussi grande dans
+toutes les circonstances. Il est possible que l'état des choses
+change. Mais c'est au moment même de son avénement au
+pouvoir, que vous le soumettez à une réélection; c'est au
+moment où l'opinion à laquelle il est attaché triomphe. La
+réélection est donc extrêmement probable. Il serait possible
+qu'elle le fût moins au bout d'un certain temps. Les ministres
+les plus populaires ont vu quelquefois toute leur
+popularité s'évanouir au bout d'un certain temps. Mais, dans
+le cas dont je parle, c'est pour ainsi dire lorsqu'ils sont
+dans la joie du triomphe que les députés se présentent à la
+réélection. La réélection est donc alors très-probable, ou du
+moins, il y a beaucoup de chances en faveur du député qui
+s'y trouve soumis.</p>
+
+<p>C'est un spectacle frappant que celui que nous offre l'Angleterre.
+En Angleterre, une élection manque, une autre
+se présente: quoique notre pays ne soit pas électoralement
+constitué de la même manière que l'Angleterre, on
+peut voir cependant de l'analogie dans les deux constitutions.</p>
+
+<p>Un député élu par un arrondissement est promu à une
+fonction; il n'est pas pour cela, en fait, déchu du rang de
+député; je crois au contraire qu'en fait les chances de sa
+réélection sont très-grandes: s'il est populaire, il gagnera
+infiniment par l'établissement du principe de sa réélection,
+et l'on conçoit aisément quelle force sa réélection donnera
+à la majorité de la Chambre. Peut-on mettre en balance
+le risque qu'il pourrait courir de n'être pas réélu?</p>
+
+<p>On a dit, si je ne me trompe, que les droits de la Chambre
+aussi seraient restreints; que dans ce moment-ci la Chambre,
+juge des principaux dépositaires du pouvoir, exerce sur
+l'existence politique de ses membres une grande influence.
+J'avoue que je ne crois pas que la Chambre coure aucune
+chance de voir ses droits restreints; elle en court moins
+encore que la prérogative royale, s'il est possible qu'il y en
+ait de dangereuse pour la prérogative. Par la réélection, on
+ménage la minorité, et c'est ce qu'il faut faire pour donner
+plus de force à la Chambre. Dans un bon gouvernement où
+l'on reconnaît la nécessité d'une majorité, l'influence de la
+Chambre sera toujours infiniment supérieure à celle des
+électeurs.</p>
+
+<p>Je ne veux pas retenir plus longtemps l'attention de la
+Chambre sur cette délibération. Il me semble qu'en principe
+général, la réélection est une garantie de ce qui fait le
+double but du gouvernement représentatif: d'une part, du
+bon gouvernement, ou gouvernement de la majorité, qui
+fait que la majorité est régulièrement constituée, et qu'elle
+exerce dans les diverses parties de l'État, comme présente,
+toutes les influences qui lui appartiennent; d'une autre part,
+de la liberté des élections, de la nationalité du gouvernement.
+Si vous supprimez l'un ou l'autre de ces deux éléments,
+le gouvernement représentatif ne recevra pas son
+plein développement.</p>
+
+<p>Je vous en conjure, messieurs; ne travaillez pas à affaiblir
+le gouvernement, sans pour cela fortifier la liberté. Constituez
+le pouvoir fortement d'une part, et la liberté plus
+fortement de l'autre. Que les deux grands éléments de notre
+gouvernement se trouvent en présence, libres et capables de
+se dire l'un à l'autre la vérité et de lutter sans crainte. Ce
+n'est pas en se préoccupant seulement de ses adversaires
+qu'on sert les intérêts du pays. (<i>Marques générales d'adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Je repousse l'amendement qui a été proposé.</p>
+<a name="VI" id="VI"></a>
+
+<br><br>
+<h3>VI</h3>
+
+<p class="mid">Présentation d'un projet de loi portant demande d'un crédit
+extraordinaire de cinq millions, applicable, sur l'exercice de
+1830, à divers travaux publics, soit à Paris, soit dans les départements.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 17 août 1830.--</p>
+
+<p class="large">Ce projet de loi, adopté presque sans discussion par
+les deux Chambres, fut promulgué comme loi le
+8 septembre 1830. Sur les cinq millions ainsi alloués,
+3,465,000 francs étaient attribués, soit comme prêt, soit
+comme subvention de l'État, à divers travaux publics
+dans la ville de Paris qui, en juillet 1830, avait agi et
+souffert plus qu'aucune autre partie du territoire,
+et 1,535,000 francs furent affectés à des travaux dans
+les départements.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, le Roi
+nous a ordonné de demander à la Chambre un crédit
+extraordinaire de cinq millions applicable, sur l'exercice
+1830, à des dépenses urgentes.</p>
+
+<p>En déposant les armes, le peuple de Paris est revenu à
+ses travaux; mais tous ne les ont pas retrouvés, et une
+interruption de travail de quinze jours laisse après elle bien
+des besoins. La nécessité de diriger vers des emplois utiles
+une activité qui pourrait compromettre de grands intérêts,
+si elle manquait d'aliment, s'applique à toute la France;
+elle est plus pressante qu'ailleurs à Paris, où la commotion
+a été si forte, la lutte si terrible et si glorieuse.</p>
+
+<p>L'énergique élan des journées de juillet s'arrête aujourd'hui
+sur les débris des obstacles qu'il a renversés, et ce
+n'est pas la moindre gloire de la population de Paris.
+Mais l'ébranlement ne peut cesser en un jour, et la rumeur
+est forte encore après le péril. Le bon sens du peuple
+le reconnaît et demande au travail un refuge contre de
+nouvelles agitations. Témoin de ce qu'a pu faire le courage
+de ce peuple, messieurs, vous en croirez son bon sens, et
+vous lui ouvrirez les ateliers qu'il réclame.</p>
+
+<p>Déjà les travaux du gouvernement et de la ville ont repris
+dans Paris toute l'activité que comportent les allocations
+des budgets. Mais au 1<sup>er</sup> juillet dernier, il ne restait à la
+direction des travaux de Paris, sur les fonds alloués pour
+1830, que 497,026 francs; cette somme est aujourd'hui
+réduite à moins de 350,000 francs. Les ressources ordinaires
+ne suffissent donc point pour atteindre le but qui
+vient d'être indiqué, et nous devons nous mettre au niveau
+des circonstances sous l'empire desquelles s'est trouvée la
+capitale.</p>
+
+<p>Pour subvenir à ce besoin de travail, nous avons, messieurs,
+recherché les ouvrages qui réunissent la double condition
+d'être d'une utilité incontestable et de pouvoir être
+immédiatement repris et vivement poussés. Nous nous sommes
+aussi souvenus que l'honorable et l'utile, en pareille
+matière, n'est pas de commencer, mais de finir. Dans tout
+ce qui n'est pas primes d'alignements et terrassements, nous
+nous sommes exclusivement attachés à continuer et à terminer
+des entreprises dont l'achèvement était ajourné. Voulant
+occuper un aussi grand nombre de bras qu'il se peut faire,
+nous avons préféré les travaux les plus grossiers à ceux dont
+l'exécution se ramifie entre plusieurs professions. Je joins ici
+un état qui vous apprendra mieux que nos paroles si notre
+choix a été bien dirigé.</p>
+
+<p>Il est possible, messieurs, il est utile, il est indispensable
+d'employer immédiatement en très-grande partie dans Paris,
+à ces travaux et à quelques autres dépenses urgentes, environ
+cinq millions de francs; et, avant d'aller plus loin, nous
+devons déclarer qu'appréciant d'impérieuses nécessités et
+nous confiant au patriotisme de la Chambre, nous n'avons
+pas craint de faire commencer immédiatement les travaux
+pour lesquels nous vous demandons des fonds. Les besoins
+auxquels il faut subvenir s'accommoderaient mal de l'inévitable
+lenteur des délibérations des Chambres, et les exigences
+de notre devoir nous ont paru supérieures à toute autre
+considération. Une ordonnance royale, datée d'hier, a provisoirement
+accordé le crédit de cinq millions sur lequel nous
+vous demandons de délibérer. L'article 2 de cette même
+ordonnance prescrit la présentation immédiate du projet de
+loi que nous avons l'honneur de vous proposer.</p>
+
+<p>Parmi les travaux auxquels est destinée cette somme, les
+uns sont imputables sur les fonds de l'État, les autres sur
+ceux de la ville de Paris. Pour les premiers, vous n'hésiterez
+pas, s'il doit en résulter une garantie de repos et de consolidation,
+à faire aujourd'hui des dépenses qu'il faudrait faire
+plus tard.</p>
+
+<p>Quant aux travaux imputables sur les fonds de la ville de
+Paris, le budget de celle-ci est épuisé. Ses charges sont
+grandes pour l'avenir; la perception de l'octroi a été arrêtée
+pendant plusieurs jours; des besoins extraordinaires se
+déclarent; la réserve veut être promptement reformée.
+Pénétré des sentiments qui nous amènent devant vous, le
+conseil municipal de Paris demande, messieurs, que le
+trésor lui fasse, à quatre pour cent, un prêt de deux millions,
+remboursables en quatre années, par quart. Ces conditions
+vous paraîtront d'autant plus acceptables qu'une partie des
+travaux extraordinaires que doit faire la ville est nécessitée
+par les dégâts commis dans les combats de juillet. Telles
+sont les réparations des barrières et des corps de garde brûlés
+ou renversés, des pavés démontés, des édifices mutilés. Le
+voeu a été émis que toutes ces dépenses, causées par les
+journées de juillet, fussent supportées par la France, au
+profit de laquelle a combattu la population de la capitale.
+Je ne rappelle en ce moment ce voeu émis par des habitants
+des départements que pour faire remarquer la convenance
+des propositions du conseil municipal de Paris.</p>
+
+<p>Ainsi, messieurs, nous ne vous demandons réellement
+qu'un crédit de trois millions, puisqu'il en sera remboursé
+deux par la ville; et encore, pour les travaux de l'État,
+comme pour ceux de la ville, il s'agit d'une avance et non
+point d'un sacrifice: vous ne ferez qu'accélérer des travaux
+en cours d'exécution; la convenance politique de la mesure
+n'a pas besoin d'être plus longuement développée.</p>
+
+<h4>PROJET DE LOI.</h4>
+
+<p>«Art. 1<sup>er</sup>. Un crédit extraordinaire de cinq millions est
+ouvert, sur l'exercice 1830, au ministre secrétaire d'État au
+département de l'intérieur, qui en fera emploi pour les travaux
+publics et autres besoins urgents, auxquels il est
+indispensable de pourvoir.</p>
+
+<p>«Art. 2. Il sera rendu compte de l'emploi de ce crédit
+dans les formes légales et accoutumées.»</p>
+
+<a name="VII" id="VII"></a>
+<br><br>
+<h3>VII</h3>
+
+<p class="mid">Discussion d'une proposition relative à la formule du serment
+exigé de tous les fonctionnaires publics.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 19 août 1830.--</p>
+
+<p class="large">Le 11 août 1830, le baron Mercier, député de l'Orne,
+fit à la Chambre des députés cette proposition:</p>
+
+<p class="mid">ART. 1.</p>
+
+<p>«Tous les fonctionnaires, dans l'ordre administratif et
+judiciaire, seront tenus de prêter le serment de fidélité
+au roi des Français, et d'obéissance à la Charte constitutionnelle
+et aux lois du royaume.</p>
+
+<p class="mid">ART. 2.</p>
+
+<p>«Toute autre formule est abrogée.</p>
+
+<p class="mid">ART. 3.</p>
+
+<p>«Tous les fonctionnaires mentionnés dans l'art. 1
+prêteront immédiatement le serment ci-dessus; faute
+de quoi, ils seront considérés comme démissionnaires.</p>
+
+<p class="large">La commission nommée pour examiner cette proposition
+fit son rapport à la Chambre le 17 août, et
+proposa divers amendements destinés surtout à étendre
+aux officiers des armées de terre et de mer l'obligation
+du serment, et à fixer, pour l'accomplissement de cette
+obligation, un délai de quinze jours, à partir de la
+promulgation de la loi.</p>
+
+<p class="large">Dans le débat, il fut proposé, par voie d'amendement,
+d'imposer aussi, dans un délai déterminé, l'obligation
+du serment aux membres des deux Chambres qui ne
+l'auraient pas encore prêté, et de considérer comme
+démissionnaires les pairs et les députés qui n'auraient
+pas satisfait à cette obligation. Ce fut à l'occasion de cet
+amendement que je fis, comme député, non comme
+ministre, les observations et la proposition suivantes:</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Il y a évidemment ici deux questions distinctes,
+sur lesquelles au fond tout le monde est d'accord.
+La première, c'est la nécessité, pour les membres des deux
+Chambres comme pour les fonctionnaires de l'ordre administratif
+ou judiciaire, de prêter le serment. Personne dans
+la Chambre ne conteste la nécessité de ce serment. La seconde,
+c'est que les pairs se trouvent à cet égard dans une
+situation différente de celle des députés. Il convient d'introduire
+dans la loi une disposition qui n'annule pas à
+tout jamais la pairie, quand le possesseur actuel refuse de
+prêter le serment. J'ai en conséquence l'honneur de proposer
+un amendement qui me paraît devoir résoudre la
+difficulté.</p>
+
+<p>«Tout pair qui n'aura pas prêté le serment dans le délai
+de.... sera considéré comme personnellement déchu de son
+siège, lequel passera immédiatement à son héritier.»</p>
+
+<p><i>Quelques voix.</i>--C'est préjuger la question de l'hérédité
+de la pairie.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--J'entends dire que l'amendement préjuge
+la question de l'hérédité de la pairie. Je ferai remarquer que
+l'hérédité de la pairie est l'état légal et constitutionnel dans
+lequel nous sommes. Il est vrai que cet article de la Charte
+doit être mis en discussion à la session prochaine; mais en
+attendant, la pairie est complétement héréditaire; et en faisant
+une loi comme celle-ci, vous ne devez raisonner que dans
+l'hypothèse de l'hérédité; vous ne pouvez pas admettre un
+amendement qui s'en écarterait.</p>
+
+<p><span class="sc">M. de Corcelles.</span>--Alors il faut ajouter par sous-amendement:
+«Sans rien préjuger.»</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je répondrai d'avance au sous-amendement,
+qu'il ne s'agit pas d'insérer dans la loi cette disposition:
+<i>Sans rien préjuger sur ce qui sera fait</i>, puisqu'il est décidé
+que l'article de la Charte sur la pairie sera mis en question
+dans la session prochaine. Cet article ne peut être abrogé par
+la loi que nous faisons en ce moment, il est donc inutile
+d'ajouter: <i>Sans rien préjuger.</i></p>
+
+<p><span class="sc">M. de Corcelles.</span>--Je retire mon amendement.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Girod de l'Ain.</span>--Pour laisser tout entière la question
+de l'hérédité de la pairie, on pourrait se contenter de dire
+que le pair qui refusera de prêter le serment sera personnellement
+déchu de son titre de la pairie.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je ne m'oppose point au retranchement du
+dernier membre; ce que je demande, c'est que la déchéance
+de la pairie soit personnelle.</p>
+
+<p><i>M. le Président.</i>--J'invite M. le ministre de l'intérieur à
+rédiger l'amendement.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--C'est comme député que je le propose.</p>
+
+<p><span class="sc">M. de Berbis.</span>--Nous sommes si peu préparés à la question
+qui vient d'être soulevée qu'il paraîtra utile d'en demander
+l'ajournement. Quant à moi, je déclare que je ne
+suis pas suffisamment éclairé.</p>
+
+<p>Une telle question peut-elle être traitée aussi brusquement
+par des amendements contradictoires? Il faut bien se garder
+de prendre une résolution qui pourrait par la suite enchaîner
+notre vote.</p>
+
+<p>Je conçois que, pour la Chambre des députés, on assigne un
+délai; il faut sortir de cet état; ceux qui ne veulent pas entrer
+dans le gouvernement doivent se retirer. Mais il n'en est pas
+de même de la Chambre des pairs; pouvons-nous assigner
+un délai après lequel la déchéance serait prononcée? Il serait
+peut-être possible, en y réfléchissant mûrement, de trouver
+une rédaction qui laisse intact le principe de l'hérédité.
+Défions-nous de trop de précipitation. En allant si vite, nous
+pourrions tomber dans de graves inconvénients dont nous
+aurions plus tard à nous repentir. Par ces considérations, je
+demande l'ajournement.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Madier de Montjau.</span>--Il est vrai que c'est par amendement
+que cette immense question a été soulevée; mais il y a
+un intérêt plus grand et plus puissant à ne pas laisser flotter
+plus longtemps l'opinion publique sur la question du serment.
+Un homme dont je ne voudrais pas aggraver la cruelle
+position, mais dont je suis forcé de rappeler le souvenir, se
+crut obligé, je ne sais par quel scrupule de conscience, à
+refuser pendant deux ans le serment. L'instinct public ne s'y
+trompa pas. On considéra cet homme comme un ennemi
+irréconciliable des libertés publiques. D'horribles événements
+ont prouvé que l'instinct public ne s'était pas trompé. Voulez-vous
+que des pairs se placent dans cette position lorsqu'un
+seul a suffi pour mettre la France en péril? Je demande que
+les pairs soient astreints sur-le-champ à prêter le serment
+que nous avons tous prêté. (<i>Sensation prolongée.</i>)</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Voici la rédaction que je propose comme
+député:</p>
+
+<p>«Nul ne pourra siéger dans l'une ou l'autre Chambre s'il
+ne prête le serment exigé par la présente loi.</p>
+
+<p>«Tout député qui n'aura pas prêté le serment dans le
+délai de quinze jours sera considéré comme démissionnaire.</p>
+
+<p>«Tout pair qui n'aura pas prêté le serment dans le délai
+de trois mois sera considéré comme personnellement déchu
+du droit de siéger dans la Chambre des pairs.»</p>
+
+<p><i>Voix diverses à gauche.</i>--Pourquoi trois mois?... Le
+même délai... quinze jours.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Ma raison pour introduire dans l'amendement
+un délai pour messieurs les pairs, c'est que le résultat
+de la décision qui les concerne est plus grave. Le député démissionnaire
+peut être réélu et renvoyé à la Chambre par
+le collége électoral, tandis que le pair est personnellement
+déchu du droit de siéger à la Chambre. Il faut donc lui laisser
+le temps de délibérer sur une résolution qui doit avoir de si
+graves conséquences.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Eusèbe Salverte.</span>--J'ai demandé que le délai fût le
+même pour les députés et pour les pairs. A cette demande,
+M. le ministre de l'intérieur a répondu que les conséquences
+du refus de serment étaient plus graves pour les pairs que
+pour les députés. D'abord je ferai remarquer qu'un député,
+démissionnaire pour avoir refusé de prêter le serment, ne
+serait certainement pas réélu; car le premier acte qu'il devrait
+faire serait de prêter serment comme électeur. Mais peu
+importe la gravité des conséquences. Un délai de quinze
+jours doit suffire. Quelle confiance puis-je avoir dans un
+homme qui balance longtemps entre la perte de son titre de
+pair et les avantages attachés à sa conservation? Je maintiens
+le délai de quinze jours.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Petou.</span>--Je demande le délai d'un mois pour les pairs.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Demarçay.</span>--Une explication est ici nécessaire. Entend-on
+seulement parler des pairs et des députés présents?
+Je demande que le délai soit porté à un mois pour les membres
+des deux Chambres qui sont en France. (<i>Appuyé, appuyé!</i>)</p>
+
+<p><span class="sc">M. Mestadier.</span>--Je demande la division. M. Guizot a
+proposé trois mois pour les pairs; d'autres membres ont demandé
+un mois.</p>
+
+<p><i>M. le Président.</i>--Je vais mettre aux voix les paragraphes
+séparément, ce qui établit la division demandée par M. Mestadier.</p>
+
+<p>«Nul ne pourra siéger dans l'une ou l'autre Chambre, s'il
+ne prête le serment exigé par la présente loi.»</p>
+
+<p>(Adopté à l'unanimité.)</p>
+
+<p>«Tout député qui n'aura pas prêté le serment dans le délai
+de quinze jours sera considéré comme démissionnaire.»</p>
+
+<p>On demande que le délai soit porté à un mois.</p>
+
+<p><i>Voix à gauche.</i>--La priorité pour le délai de quinze jours.</p>
+
+<p><i>M. le Président.</i>--Je dois commencer par le plus long
+délai.</p>
+
+<p>(Le délai d'un mois est mis aux voix et rejeté.)</p>
+
+<p>La Chambre adopte le paragraphe avec le délai de quinze
+jours.</p>
+
+<p>Paragraphe 3:</p>
+
+<p>«Tout pair qui n'aura pas prêté le même serment, dans le
+délai de trois mois, sera considéré comme personnellement
+déchu du droit de siéger dans la Chambre des pairs.»</p>
+
+<p>Le délai de trois mois est rejeté à une grande majorité.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Salverte.</span>--J'abandonne le délai de quinze jours pour
+me réunir au délai d'un mois.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Odier.</span>--- Il ne faut pas oublier qu'il ne s'agit que des
+pairs qui sont en France.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Jacqueminot.</span>--Il est bien entendu que les pairs qui
+ont des missions à l'étranger, comme M. l'amiral Duperré,
+ne sont pas compris dans ce délai.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Il y a des délais légaux établis dans le Code
+civil pour les personnes qui sont hors de France. Ces délais
+s'appliqueront aux pairs qui sont hors de France comme à
+tous les individus.</p>
+
+<a name="VIII" id="VIII"></a>
+<br><br>
+<h3>VIII</h3>
+
+<p class="mid">Renseignements donnés par le ministre de l'intérieur sur les
+changements opérés dans le personnel de l'administration
+après la révolution de 1830.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés--Séance du 27 août 1830.--</p>
+
+<p class="large">A plusieurs reprises, et notamment dans la séance du
+27 août 1830, on avait reproché au gouvernement de
+ne pas procéder assez fermement ni assez vite dans
+les changements qui devaient être apportés dans le
+personnel de l'administration, et ce reproche semblait
+particulièrement adressé au ministre de l'intérieur. J'y
+répondis, en donnant à ce sujet, les renseignements de
+fait et les explications qui suivent:</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Je remercie l'honorable
+préopinant<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a>
+<a href="#footnote15"><sup class="sml">15</sup></a> de m'avoir fourni l'occasion d'expliquer
+à cette tribune des faits que depuis longtemps je désire y
+faire connaître.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote15"
+name="footnote15"><b>Note 15: </b></a><a href="#footnotetag15">
+(retour) </a> M. Énouf, député de la Manche.</blockquote>
+
+<p>Je ne crois pas qu'il convienne au gouvernement du Roi
+de répondre à toutes les questions qui peuvent de toutes
+parts être élevées sur sa marche; mais je pense que jamais
+il ne doit perdre une occasion pour faire connaître la vérité
+sur ses actes et mettre le pays à même d'en juger avec pleine
+connaissance. (<i>Adhésion.</i>) On a reproché à l'administration
+de l'intérieur de ne pas mettre assez de promptitude dans les
+changements qu'il doit opérer; je n'ai à cela qu'une seule
+réponse; il y a en France quatre-vingt-six préfets; à l'heure
+qu'il est soixante-seize ont été changés, complétement changés,
+non pas transportés d'un lieu à un autre, mais effectivement
+changés; il y a deux cent soixante-dix-sept sous-préfets;
+il y en a soixante-un de changés; il y a quatre-vingt-six
+secrétaires généraux; il y en a trente-huit de changés. Je
+ne dis pas cela pour entrer en discussion sur le mérite des
+choix; je ne crois pas que cela puisse être porté à la tribune,
+mais uniquement pour laver l'administration du reproche
+de lenteur.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Demarçay.</span>--J'ai dit le contraire.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Ce n'est pas à l'honorable préopinant seul
+que je réponds; je saisis l'occasion de répondre à des reproches
+qui s'élèvent de plus d'un lieu, et je le remercie de m'en
+avoir fourni l'occasion.</p>
+
+<p>Je n'ai parlé et je ne puis parler que de ce qui s'est passé
+dans mon département; mais je sais que, dans les départements
+de mes collègues, le même empressement a été apporté.
+Je me hâte de dire qu'il est impossible que dans un
+travail aussi étendu, aussi prompt, on n'ait pas commis des
+erreurs qui ont la précipitation même pour cause; je le reconnais
+et j'ajoute que ces erreurs, dès que le temps nous
+les aura signalées, seront aussitôt réparées.</p>
+
+<p>Quant au fond des choses, je crois que, même après les
+plus grandes secousses, lorsque l'état général du pays est
+changé, aucun esprit radicalement exclusif et hostile ne doit
+être apporté dans le choix des personnes. La maxime de
+César qui dit: <i>Quiconque n'est pas contre moi est pour moi</i>,
+cette belle maxime doit être prise pour règle d'une bonne
+administration. (<i>Bravos.</i>) Un gouvernement n'est pas appelé
+à faire triompher tel ou tel ordre de personnes, mais à faire
+prévaloir certains principes, certains intérêts généraux, et
+c'est pour lui une bonne fortune quand il peut attirer à
+ces intérêts des défenseurs pris dans tous les rangs de la
+société. (<i>Nouvelle et vive adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Quant à un autre reproche qui a été adressé à l'administration,
+le reproche de n'avoir pas considéré soudainement
+toutes les lois comme abrogées, de n'avoir pas appelé, par
+exemple, la population à élire partout un certain ordre de
+magistrats, je ne crois pas que ce reproche non plus soit
+fondé. C'est le premier principe d'ordre social et de gouvernement
+que les lois, tant qu'elles ne sont pas formellement
+abrogées, subsistent et doivent être exécutées. Pour moi,
+dépositaire de la confiance du Roi dans mon département, je
+ne me croirai pas permis d'agir autrement que ne me l'ordonnent
+les lois du pays. Je suis le premier à penser que de
+grands changements doivent être apportés à ces lois en ce
+qui concerne les magistrats municipaux, qu'il faut que le
+principe de l'élection se fasse une grande part et influe sur
+la conduite de l'administration: je serai le premier à provoquer
+l'intervention de ce principe et à le présenter aux
+Chambres; mais dans l'état de la législation, il n'est pas permis
+au gouvernement de mettre en action un principe qui
+n'est pas dans la loi.</p>
+
+<p>J'ajouterai que partout où spontanément, librement, par
+le cours des choses, dans un moment de crise, l'élection est
+intervenue, partout par exemple où la garde nationale s'est
+organisée elle-même, où les citoyens ont nommé leurs officiers,
+où même ils ont désigné leurs maires, leurs adjoints,
+l'administration s'est empressée de confirmer ces choix; elle
+les a regardés comme l'expression naturelle et légitime du
+voeu public; loin de le repousser, elle l'a accueilli; c'est là,
+je crois, tout ce qu'elle pouvait faire. (<i>Bravo! bravo!</i>)</p>
+
+<p>Je n'ai plus qu'un mot à dire sur l'amendement en lui-même.
+Il a pour objet de restreindre seulement à notre session
+le droit des députés devenus fonctionnaires à continuer de
+siéger dans la Chambre jusqu'à la réélection. Je réponds que
+ceci n'est pas seulement une mesure de circonstance; ce n'est
+pas parce qu'il y a eu un plus ou moins grand nombre de députés
+appelés à des fonctions publiques, que la mesure doit
+être adoptée; elle est bonne en soi et en tout état de choses.
+Il nous a paru qu'on ne pouvait poser en principe que le
+choix du gouvernement équivalût à une destitution du député.
+Tant que la réélection n'a pas eu lieu, la prérogative
+est en faveur de celui qui possède le titre. Excepté dans la
+circonstance extraordinaire où nous nous trouvons, il n'arrivera
+jamais que le nombre des députés appelés à des fonctions
+publiques, durant une session, soit fort considérable; jamais
+il n'y aura une invasion des places par la Chambre, et dès
+lors il n'y a pas d'inconvénient à ce que nous ayons proposé.</p>
+
+<p>C'est sur ces raisons fondamentales et non pas sur des
+motifs de circonstance que l'article a été introduit. Je prie
+donc la Chambre de repousser l'amendement.</p>
+
+<a name="IX" id="IX"></a>
+<br><br>
+<h3>IX</h3>
+
+<p class="mid">Présentation, par le ministre de l'intérieur d'un rapport général
+sur l'état de la France et les actes du gouvernement depuis
+la révolution de 1830.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 11 septembre 1830.--</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, le Roi
+nous a ordonné de mettre sous vos yeux le tableau de l'état
+de la France et des actes du gouvernement depuis la glorieuse
+révolution qui a fondé son trône en sauvant notre
+pays.</p>
+
+<p>Fier de son origine, le gouvernement éprouve le besoin
+de dire hautement comment il comprend sa mission et se
+propose de la remplir.</p>
+
+<p>Il est le résultat d'un héroïque effort soudainement tenté
+pour mettre à l'abri du despotisme, de la superstition et du
+privilége, les libertés et les intérêts nationaux.</p>
+
+<p>En quelques jours, l'entreprise a été accomplie avec un
+respect et un ménagement, jusque-là sans exemple, pour les
+droits privés et l'ordre public.</p>
+
+<p>Saisie d'un juste orgueil, la France s'est promis qu'un si
+beau triomphe ne serait point stérile. Elle s'est regardée
+comme délivrée de ce système de déception, d'incertitude et
+d'impuissance qui l'a fatiguée et irritée si longtemps. Elle
+a compté sur une politique conséquente et vraie qui ouvrirait
+devant elle une large carrière d'activité et de liberté. Elle y
+veut marcher d'un pas ferme et régulier.</p>
+
+<p>C'est dans ce caractère de l'événement au sein duquel il
+est né, et des espérances dont la France est animée, que le
+gouvernement trouve la règle de sa conduite.</p>
+
+<p>Il se sent appelé à puiser sa force dans les institutions qui
+garantissent les libertés du pays, à maintenir l'ordre légal
+en améliorant progressivement les lois, à seconder sans
+crainte, au sein de la paix publique, fortement protégée, le
+développement de toutes les facultés, l'exercice de tous les
+droits.</p>
+
+<p>Telle est, à ses yeux, la politique qui doit faire porter à
+notre révolution tous ses fruits.</p>
+
+<p>Pour la réaliser, une première tâche lui était imposée.
+Il fallait prendre partout possession du pouvoir, et le remettre
+à des hommes capables d'affermir le triomphe de la cause
+nationale. Grâce aux conquêtes de 1789, l'état social de la
+France a été régénéré; grâce à la victoire de 1830, ses
+institutions politiques ont reçu en un jour les principales
+réformes dont elles avaient besoin. Une administration partout
+en harmonie avec l'état social et la Charte, une constante
+application des principes consacrés sans retour, tel est
+aujourd'hui le besoin pressant, le voeu unanime du pays. De
+nombreux changements dans le personnel étaient donc la
+première nécessité du gouvernement; par là, il devait faire
+sentir en tous lieux sa présence, et proclamer lui-même son
+avénement. L'oeuvre avance vers son terme. Le temps prononcera
+sur le mérite des choix. Mais on peut, dès aujourd'hui,
+se former une juste idée de l'étendue et de la célérité
+du travail; nous vous en présentons rapidement les principaux
+résultats.</p>
+
+<p>A peine en fonctions, le ministre de la guerre a pourvu
+au commandement des divisions et subdivisions militaires.
+75 officiers généraux en étaient investis; 65 ont été remplacés;
+10 sont demeurés à leur poste; ils l'ont mérité
+par la promptitude et la franchise de leur concours.</p>
+
+<p>En même temps, et dès le 8 août, les officiers généraux
+qui se trouvaient chargés de l'inspection ordinaire des
+troupes ont été rappelés; et dix lieutenants généraux ou
+maréchaux de camp ont été envoyés auprès des corps, avec
+ordre de proclamer l'avénement du Roi, de prévenir toute
+scission, et de proposer, parmi les officiers, les remplacements
+nécessaires.</p>
+
+<p>Trente-neuf régiments d'infanterie et vingt-six régiments
+de cavalerie ont reçu des colonels nouveaux. Beaucoup de
+remplacements ont eu lieu dans les grades inférieurs.</p>
+
+<p>Des commandants nouveaux ont été envoyés dans trente-une
+places importantes.</p>
+
+<p>Une commission d'officiers généraux, en fonctions depuis
+le 16 août, examine les titres des officiers qui demandent du
+service. Son travail est fort avancé.</p>
+
+<p>Des mesures ont été prises, dès les premiers jours du mois
+d'août, pour le licenciement des régiments suisses de l'ancienne
+garde royale et de la ligne. Elles sont en pleine
+exécution. Le licenciement des régiments français de l'ex-garde
+et des corps de la maison militaire du roi Charles X
+est accompli.</p>
+
+<p>Pour compenser les pertes qu'entraîne ce licenciement,
+l'effectif des régiments d'infanterie de ligne sera porté à
+1,500 hommes, celui des régiments de cavalerie à 700
+hommes, celui des régiments d'artillerie et du génie à 1,200
+et 1,450 hommes.</p>
+
+<p>Trois régiments nouveaux, un de cavalerie sous le nom
+de <i>lanciers d'Orléans</i>, deux d'infanterie sous les nos 65 et 66,
+et six bataillons d'infanterie légère s'organisent en ce moment.</p>
+
+<p>Deux bataillons de gendarmerie à pied ont été spécialement
+créés pour faire le service dans les départements de l'Ouest.</p>
+
+<p>Une garde municipale a été instituée pour la ville de
+Paris. Plus de la moitié des hommes qui doivent la composer
+sont prêts à entrer en activité de service.</p>
+
+<p>Le général commandant l'armée d'Afrique a été changé.
+Le drapeau national flotte dans les rangs de cette armée
+qui s'est montrée aussi empressée de l'accueillir que digne
+de le suivre, et qui recevra les récompenses qu'elle a si vaillamment
+conquises.</p>
+
+<p>Ainsi, au bout de cinq semaines, le personnel de l'armée
+est renouvelé ou près du terme de son renouvellement.</p>
+
+<p>La marine n'appelait pas des réformes si étendues. Par
+sa nature même, ce corps exige la réunion de connaissances
+spéciales et d'une expérience longue et continue. Aussi
+l'ancien gouvernement avait-il été forcé d'y conserver ou d'y
+admettre des officiers qui professaient hautement des opinions
+dont il poursuivait la ruine: ils se sont hâtés d'accueillir
+notre révolution; elle accomplissait leurs voeux. Là
+peu de changements étaient donc nécessaires. Cependant les
+abus qui avaient pénétré ont été abolis. Trois contre-amiraux,
+douze capitaines de vaisseau, cinq capitaines de
+frégate, quatre lieutenants de vaisseau et un enseigne ont
+été admis à la retraite. Une commission présidée par le
+doyen de l'armée navale examine avec soin les réclamations
+des officiers que l'ancien gouvernement avait écartés. Une
+création nouvelle, celle des amiraux de France, a assuré à la
+marine des récompenses proportionnées à ses services, et l'a
+fait sortir de cette espèce d'infériorité où elle était placée
+comparativement à l'armée de terre, qui possédait seule la
+dignité de maréchal de France. Enfin l'illustre chef de
+l'armée navale en Afrique a reçu du Roi, par son élévation
+à ce grade, le juste prix de ses travaux; et ses compagnons
+trouveront à leur arrivée en France l'avancement et les
+distinctions qu'ils ont si bien mérités.</p>
+
+<p>Nulle part la réforme n'était plus nécessaire et plus vivement
+sollicitée que dans l'administration intérieure. La
+plupart de ses fonctionnaires, instruments empressés ou
+dociles d'un système de fraude et de violence, avaient
+encouru la juste animadversion du pays. Ceux-là mêmes dont
+les efforts avaient tendu à atténuer le mal s'étaient usés dans
+cette lutte ingrate, et manquaient, auprès de la population,
+de cet ascendant moral, de cette confiance prompte et facile,
+première force du pouvoir, surtout quand il vit en présence
+de la liberté. 76 préfets sur 86, 196 sous-préfets sur 277,
+53 secrétaires généraux sur 86, 127 conseillers de préfecture
+sur 315, ont été changés. En attendant la loi qui doit
+régénérer l'administration municipale, 393 changements ont
+déjà été prononcés; et une circulaire a ordonné aux préfets
+de faire, sans retard, tous ceux qu'ils jugeraient nécessaires,
+sauf à en demander la confirmation définitive au ministre de
+l'intérieur.</p>
+
+<p>Le ministre de la justice a porté toute son attention sur
+la composition des parquets, tant des cours souveraines que
+des tribunaux de première instance. Dans les premières,
+74 procureurs généraux, avocats généraux et substituts,
+dans les seconds, 254 procureurs du Roi et substituts ont
+été renouvelés. Dans la magistrature inamovible, le ministère
+s'est empressé de pourvoir aux siéges vacants, soit par
+démission, soit par toute autre cause. A ce titre ont déjà eu
+lieu 103 nominations de présidents, conseillers et juges.
+A mesure que les occasions s'en présentent, les changements
+continuent. Les justices de paix commencent à être l'objet
+d'un scrupuleux examen.</p>
+
+<p>Dans le conseil d'État, et en attendant la réforme fondamentale
+qui se prépare, le nombre des membres en activité
+de service a été provisoirement réduit de cinquante-cinq à
+trente-huit. Sur ces trente-huit, vingt ont été changés. Le
+conseil de l'instruction publique était composé de neuf
+membres; cinq ont été écartés. La même mesure a été prise
+à l'égard de cinq inspecteurs généraux et de quatorze recteurs
+d'académie sur vingt-cinq. Un travail se prépare pour apporter
+dans les colléges, pendant les vacances, les changements
+dont la convenance sera reconnue. Une commission est
+chargée de faire un prompt rapport sur l'École de médecine,
+et d'en préparer la réorganisation.</p>
+
+<p>Dans le département des affaires étrangères, la plupart
+de nos ambassadeurs et ministres au dehors ont été révoqués.</p>
+
+<p>La situation du ministre des finances, quant au personnel,
+était particulièrement délicate. Il n'en est pas des
+principaux agents financiers comme des autres fonctionnaires.
+Leurs affaires sont mêlées, enlacées dans celles de
+l'État, et veulent du temps pour s'en séparer. Il faut plusieurs
+mois pour qu'un receveur général en remplace complétement
+un autre; celui qui se retire a une liquidation
+à faire; celui qui arrive a la confiance à obtenir. Au milieu
+d'une crise dont l'ébranlement ne pouvait manquer de se
+faire sentir dans les finances publiques, il y eût eu péril à
+écarter brusquement des hommes d'un crédit bien établi, et
+qui s'empressaient de le mettre au service du trésor. Dans les
+autres parties de l'administration, une confusion de quelques
+jours est un mal; dans l'administration financière, un
+embarras de quelques instants serait une calamité. La
+réserve est donc ici commandée par la nature des choses et
+l'intérêt général. Le ministre des finances a dû s'y conformer.
+Il a commencé, du reste, dans son administration, une
+réforme qu'il poursuivra, de département en département,
+avec une scrupuleuse attention.</p>
+
+<p>Vous le voyez, messieurs, nous nous sommes bornés au
+plus simple exposé des faits; il en résulte clairement que le
+personnel de l'administration de la France a déjà subi un
+renouvellement très-étendu, et que si, dans l'un des services
+publics, le renouvellement n'a pas été aussi rapide qu'ailleurs,
+ce ménagement était dû à l'un des plus pressants
+intérêts de l'État.</p>
+
+<p>En écartant les anciens fonctionnaires, nous avons cherché,
+pour les remplacer, des hommes engagés dans la cause
+nationale et prêts à s'y dévouer; mais la cause nationale
+n'est point étroite ni exclusive; elle admet diverses nuances
+d'opinion, elle accepte quiconque veut et peut la bien
+servir. A travers tant de vicissitudes qui depuis quarante
+ans ont agité notre France, beaucoup d'hommes se sont
+montrés, dans des situations différentes, de bons et utiles
+citoyens; il n'est aucune époque de notre histoire contemporaine
+qui n'ait à fournir d'habiles administrateurs, des
+magistrats intègres, de courageux amis de la patrie. Nous les
+avons cherchés partout; nous les avons pris partout où nous
+les avons trouvés. Ainsi, sur les 76 préfets que le Roi a
+choisis, 47 n'ont occupé aucune fonction administrative
+depuis 1814; 29 en ont été revêtus. Parmi ces derniers,
+18 avaient été successivement destitués depuis 1820. Parmi
+les premiers, 23 avaient occupé des fonctions administratives
+avant 1814; 24 sont des hommes tout à fait nouveaux et
+portés aux affaires par les derniers événements. Le moment
+est venu, pour la France, de se servir de toutes les capacités,
+de se parer de toutes les gloires qui se sont formées dans son
+sein.</p>
+
+<p>Malgré son importance prédominante en des jours de
+crise, le personnel n'a pas seul occupé l'attention du gouvernement;
+il a pris aussi des mesures pour rendre promptement
+à l'administration des choses la régularité et l'ensemble
+dont elle a besoin.</p>
+
+<p>Dès le 6 août, le ministre de la guerre a donné des ordres
+pour arrêter la désertion et faire rejoindre les hommes qui
+avaient quitté leurs corps. Il a pourvu au retrait des armes et
+des chevaux abandonnés par les déserteurs.</p>
+
+<p>De nombreux mouvements de troupes ont été opérés, soit
+dans le but de la réorganisation des corps, soit pour porter
+des forces sur les points où leur présence était jugée utile.</p>
+
+<p>Des désordres se sont manifestés dans quelques régiments
+de cavalerie et d'artillerie, et dans un seul régiment d'infanterie.
+Mais de promptes mesures ont été prises pour rétablir
+l'ordre, resserrer les liens de la discipline, et rendre justice à
+chacun.</p>
+
+<p>Tous les services de l'armée ont été assurés. Les corps de
+l'ancienne garde royale et les régiments suisses ont reçu religieusement,
+en solde, masses, etc., tout ce qu'ils pouvaient
+prétendre. Les approvisionnements pour l'armée d'Afrique
+ont été complètes jusqu'au 1<sup>er</sup> novembre, en se servant,
+forcément et à cause de l'urgence, du marché précédemment
+conclu. Les rapports du nouvel intendant en chef de cette
+armée amèneront à de meilleurs moyens pour régler cet
+important service.</p>
+
+<p>L'armement des gardes nationales est l'un des objets qui
+attirent spécialement les soins du ministre. Des ordres sont
+donnés pour rassembler et fournir promptement tous les
+fusils dont on pourra disposer; un grand nombre est déjà
+livré.</p>
+
+<p>L'activité la plus régulière se déploie dans l'administration
+de la marine. Des vaisseaux de l'État sillonnent en ce
+moment toutes les mers pour porter, sur tous les points du
+globe, nos grandes nouvelles. Ils feront respecter partout les
+couleurs nationales; partout ils protégeront le commerce et
+rassureront les navigateurs français. Des croisières sont
+établies dans ce but, à l'entrée du détroit de Gibraltar et
+sur toutes nos côtes.</p>
+
+<p>Notre escadre continuera à seconder les opérations de
+notre armée de terre en Afrique; elle assurera nos communications
+avec Alger et la France, et aucun approvisionnement
+ne sera compromis.</p>
+
+<p>Le conseil d'amirauté s'occupe de réunir les matériaux
+d'une législation complète sur les colonies: une commission
+sera chargée de mettre le gouvernement en mesure de la
+présenter bientôt aux Chambres.</p>
+
+<p>Des travaux nouveaux sont entrepris à Dunkerque et dans
+d'autres ports. Partout règne la plus exacte discipline; l'ordre
+est partout maintenu, sur les vaisseaux comme sur terre,
+dans les arsenaux et dans les ateliers.</p>
+
+<p>L'irrégularité des communications, le renouvellement des
+fonctionnaires, le nombre et la gravité des affaires générales,
+avaient, pendant trois semaines, un peu ralenti les travaux
+ordinaires du ministère de l'intérieur. Non-seulement ils ont
+repris leur cours, mais aucune trace de cet arriéré momentané
+n'existe plus. Une organisation plus simple de l'administration
+centrale a permis de porter dans la correspondance
+une activité vraiment efficace. Des instructions ont été partout
+données sur les affaires de l'intérêt le plus général et le
+plus pressant, sur l'organisation des gardes nationales, sur
+la prestation de serment des fonctionnaires, sur la publication
+des listes électorales et du jury, sur les prisons, etc.
+Tous les préfets sont maintenant à leur poste; l'autorité est
+partout reconnue et en vigueur. Sans doute, elle rencontre
+encore des obstacles; quelque agitation subsiste sur un certain
+nombre de points. Elle a éclaté à Nîmes, on la redoute
+dans deux ou trois départements du Midi. Ceux de l'Ouest,
+si longtemps le théâtre des discordes civiles, en contiennent
+encore quelques vieux ferments. C'est le devoir du gouvernement
+de ne pas perdre de vue ces causes possibles de
+désordre, et il n'y manquera point; déjà il est partout en
+mesure; des troupes ont marché vers le Midi, d'autres
+sont déjà cantonnées dans l'Ouest. Une surveillance active et
+inoffensive à la fois est partout exercée. Elle suffira pour
+prévenir un mal que rêvent à peine les esprits les plus aveugles.
+La promptitude avec laquelle les troubles de Nîmes ont
+été réprimés est bien plus rassurante que ces troubles mêmes
+ne peuvent paraître inquiétants.</p>
+
+<p>Une autre inquiétude se fait sentir. On craint que notre
+révolution et ses résultats ne rencontrent, dans une partie
+du clergé français, des sentiments qui ne soient pas en harmonie
+avec ceux du pays. Le gouvernement du Roi n'ignore,
+messieurs, ni les imprudentes déclamations de quelques
+hommes, ni les menées ourdies à l'aide d'associations ou de
+congrégations que repoussent nos lois. Il les surveille sans
+les redouter. Il porte à la religion et à la liberté des consciences
+un respect sincère; mais il sait aussi jusqu'où s'étendent
+les droits de la puissance publique, et ne souffrira pas
+qu'ils reçoivent la moindre atteinte. La séparation de l'ordre
+civil et de l'ordre spirituel sera strictement maintenue. Toute
+infraction aux lois du pays, toute perturbation de l'ordre
+seront fortement réprimées, quels qu'en soient les auteurs.</p>
+
+<p>Le gouvernement compte sur le concours des bons citoyens
+pour porter remède à un mal d'une autre nature, dont la
+gravité ne saurait être méconnue; il s'occupe avec assiduité
+de la préparation du budget, et ne tardera pas à le présenter
+aux Chambres. Mais la perception de certains impôts a rencontré
+depuis six semaines d'assez grands obstacles: ils ont
+disparu en ce qui concerne les douanes; leur service, un
+moment interrompu sur deux points de la frontière, dans
+les départements des Pyrénées-Orientales et du Haut-Rhin,
+a été promptement rétabli. L'impôt direct est partout payé
+avec une exactitude, disons mieux, avec un empressement
+admirable. Mais des troubles ont eu lieu dans quelques
+départements à l'occasion de l'impôt sur les boissons, et
+en ont momentanément suspendu la perception. Aussi, sur
+quinze millions de produits qu'on devait attendre des contributions
+indirectes, pendant le seul mois d'août, y aura-t-il
+perte de deux millions. Décidé à apporter dans cet impôt
+les réductions et les modifications qui seront jugées nécessaires,
+le gouvernement proposera incessamment aux Chambres
+un projet de loi concerté avec la commission qu'il a
+nommée à cet effet. La France peut compter aussi que, dans
+les divers services du budget, il poussera l'économie aussi
+loin que le permettra l'intérêt public, et qu'il ne négligera
+aucun moyen d'alléger les charges des contribuables. Mais
+il est de son devoir le plus impérieux, il est de l'intérêt public
+le plus pressant, que rien ne vienne jeter l'incertitude et le
+trouble dans le revenu de l'État. C'est sur la perception
+régulière et sûre de l'impôt que repose le crédit; c'est sur
+l'étendue et la solidité du crédit que repose le développement
+facile, rapide, des ressources de l'État et de la prospérité
+nationale. Certes, le crédit du trésor est grand et assuré;
+il ne restera point au-dessous de ses charges; il va suffire
+aisément dans le cours de ce mois au payement de plus de
+cent millions qu'exigent les besoins du service. Mais pour
+qu'il subsiste et se déploie de plus en plus, il importe
+essentiellement que ses bases ne soient pas ébranlées.</p>
+
+<p>Elles ne le seront point, messieurs, pas plus que notre
+ordre social ne sera compromis par la fermentation momentanée
+qui s'est manifestée sur quelques points, et que repousse
+de toutes parts la sagesse de la France. Sans doute,
+dans son gouvernement comme en toutes choses, la France
+désire l'amélioration, le progrès, mais une amélioration
+tranquille, un progrès régulier. Satisfaite du régime qu'elle
+vient de conquérir, elle aspire avant tout à le conserver, à le
+consolider. Elle veut jouir de sa victoire et non entreprendre
+de nouvelles luttes. Elle saura bien mettre elle-même le
+temps à profit pour perfectionner ses institutions, et elle
+regarderait toute tentative désordonnée comme une atteinte
+à ses droits aussi bien qu'à son repos.</p>
+
+<p>Ce repos, messieurs, le gouvernement, fort de ses droits
+et du concours des Chambres, saura le maintenir, et il sait
+qu'en le maintenant il fera prévaloir le voeu national. Déjà,
+à la première apparence de troubles, les bons citoyens se
+sont empressés au-devant de l'autorité pour l'aider à les
+réprimer, et le succès a été aussi facile que décisif. Partout
+éclaterait le même résultat. Les lois ne manquent point à la
+justice: la force ne manquera point aux lois. Que les amis
+des progrès, de la civilisation et de la liberté n'aient aucune
+crainte; leur cause ne sera point compromise dans ces agitations
+passagères. Le perfectionnement social et moral est le
+résultat naturel de nos institutions; il se développera librement,
+et le gouvernement s'empressera de le seconder.
+Chaque jour, de nouvelles assurances amicales lui arrivent
+de toutes parts; chaque jour, l'Europe reconnaît et proclame
+qu'il est pour tous un gage de sécurité et de paix. La paix
+est aussi son voeu. Au dedans comme au dehors, il est fermement
+résolu à conserver le même caractère, à s'acquitter de
+la même mission.</p>
+
+<a name="X" id="X"></a>
+<br><br>
+<h3>X</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du projet de loi relatif au vote annuel, par les
+Chambres, du contingent nécessaire pour le recrutement de
+l'armée.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 15 septembre 1830.--</p>
+
+<p class="large">La Charte de 1830, dans son article final, avait mis le
+vote annuel, par les Chambres, du contingent de l'armée
+au nombre des réformes légales qui devaient être
+promptement accomplies. Le gouvernement fit présenter
+le 2 septembre 1830, à la Chambre des députés, un
+projet de loi destiné à acquitter cet engagement. Le
+rapport en fut fait le 13 septembre par le général Lamarque.
+Dans le débat qui eut lieu le 15 septembre,
+plusieurs membres demandèrent la révision et la refonte
+de toutes les lois qui avaient réglé l'organisation
+de notre armée, spécialement de la loi fondamentale
+du 10 mars 1818, présentée par le maréchal Gouvion
+Saint-Cyr. La commission elle-même avait ouvert cette
+voie en proposant d'amender l'article 3 du projet de loi
+qui portait: «Sont maintenues toutes les dispositions
+des lois du 10 mars 1818 et du 9 juin 1824 qui ne sont
+pas contraires à la présente loi,» en ajoutant le mot
+<i>provisoirement</i> au mot <i>maintenues</i>. Le gouvernement
+repoussa cet amendement, et je pris deux fois la parole
+pour le combattre. Il fut rejeté, et le projet de loi,
+adopté tel que le gouvernement l'avait présenté, fut
+promulgué comme loi le 11 octobre 1830.</p>
+
+<p class="large">Le 28 octobre 1831, dans la discussion du projet de
+loi présenté le 17 août précédent sur le recrutement de
+l'armée, et qui devint la loi du 21 mars 1832, le général
+Lamarque proposa, par amendement, l'abolition du
+vote annuel du contingent. Je combattis son amendement
+et il finit par le retirer.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, la loi dont
+la Chambre s'occupe en ce moment n'est pas une loi d'organisation
+militaire; c'est une loi purement politique, qui a
+pour objet d'introduire dans nos institutions un principe qui
+en avait été repoussé jusqu'ici. Quel que fût notre système
+militaire, quelle que fût l'organisation de notre armée, ce
+principe devrait également y être introduit.</p>
+
+<p>Lors donc qu'on veut, à l'occasion de cette loi, traiter des
+questions d'organisation militaire et examiner si la conscription
+est utile, on s'écarte, ce me semble, de la nature
+et du but de la loi. La loi, je le répète, est purement politique;
+elle a pour unique but de faire entrer un principe dans
+nos institutions, quel que soit le mode de recrutement,
+quelle que soit l'organisation de l'armée. Les questions militaires
+sont résolues par notre législation actuelle. Sont-elles
+bien ou mal résolues? Y a-t-il des modifications à faire? Ces
+dernières questions demeurent entières; elles ne sont nullement
+impliquées dans le projet qui vous est soumis.</p>
+
+<p>Pourquoi donc, à l'occasion de ce projet, venir frapper
+d'improbation les lois existantes? Quel avantage peut-il y
+avoir, pour l'État, à affaiblir, à énerver ainsi une législation
+tout entière? Et si quelques parties de cette législation
+sont vicieuses, la Chambre n'a-t-elle pus le moyen de les
+réformer? L'initiative ne lui appartient-elle pas? Ne peut-elle
+proposer des changements dans toute notre organisation
+militaire, ou dans telle ou telle partie de cette organisation,
+si elle le juge convenable?</p>
+
+<p>Il y a, ce me semble, de graves inconvénients à vouloir
+faire ces changements sans les avoir discutés à fond. Ce
+que vous discutez aujourd'hui, ce n'est pas l'organisation
+militaire, c'est le rapport de votre commission sur une question
+toute spéciale et purement politique. Notre régime militaire
+a été réglé par des lois, après de mûres délibérations
+sans doute. Je ne dis pas qu'il n'y a point de changements
+à y apporter; mais je crois que ces changements doivent être
+l'objet d'une proposition spéciale, d'une délibération approfondie,
+et non pas indiqués et réclamés en passant, au moment
+où vous discutez une proposition d'une tout autre
+nature.</p>
+
+<p class="large">Le débat se prolongea; le général Demarçay et M. de
+Tracy persistèrent à soutenir l'amendement qui frappait
+d'un caractère provisoire toute notre organisation militaire.
+Je repris la parole en ces termes:</p>
+
+<p>Je n'ai eu garde de dire à la Chambre que les lois qui
+règlent aujourd'hui notre organisation militaire devaient
+être regardées comme irrévocables, qu'aucune modification
+n'y serait apportée. J'ai au contraire parlé des modifications
+qu'elles pouvaient exiger et des divers moyens par lesquels
+ces modifications pourraient être introduites. J'ai parlé de
+l'initiative que pouvait exercer, à cet égard, la Chambre
+elle-même. J'ai donc été loin de penser qu'aucune modification
+ne pût être proposée.</p>
+
+<p>Ce que j'ai combattu, c'est l'ébranlement donné par occasion,
+et comme en se jouant, à la législation tout entière. Ne
+vient-on pas de dire à la tribune et d'une manière générale,
+absolue, que ces lois étaient mauvaises, mauvaises pour les
+citoyens, pour l'armée, et cela en termes vagues, sans discussion,
+sans distinction? Cependant, messieurs, les lois qui
+règlent l'organisation de l'armée contiennent les règles de
+l'avancement et une multitude de dispositions différentes,
+dont les unes sont généralement regardées comme bonnes,
+tandis que d'autres sont susceptibles de modification. N'y
+a-t-il pas un inconvénient immense à qualifier ainsi sans
+examen toute une législation de mauvaise, de réprouvée par
+l'opinion?</p>
+
+<p>Pour légitimer les reproches indistinctement adressés aux
+lois militaires, on vous a parlé de l'état de l'administration,
+de désordres qui existent, dit-on, dans des communes rurales.
+Il est vrai; il y a des désordres, quoiqu'ils soient infiniment
+moins nombreux et moins graves qu'on ne les a
+représentés. A quoi tiennent-ils? à l'état de transition dans
+lequel nous sommes, à la difficulté de passer du régime qui
+vient de tomber au régime qui se fonde. Vous renouvelez
+partout les autorités, vous mettez en mouvement un public
+immense. Vous avez raison de le faire; mais comment s'étonner
+qu'au milieu d'une telle transformation quelque désordre
+se manifeste?</p>
+
+<p>Est-ce en ébranlant les lois qu'on espère rétablir l'ordre
+dans les faits? Quoi! vous choisissez précisément le moment
+où la société est agitée, pour venir la remuer jusque dans ses
+fondements! Messieurs, ou je m'abuse étrangement, ou la
+mission du gouvernement et de la Chambre est aujourd'hui
+de calmer la société (<i>Oui, oui! C'est cela! Très-bien!</i>), de
+la calmer, non-seulement matériellement et dans les faits,
+mais moralement et dans les esprits, car les esprits sont
+aujourd'hui bien plus ébranlés que les faits.</p>
+
+<p>La société subsiste et marche avec régularité, et même avec
+un degré de liberté merveilleux, après la révolution qui
+vient de s'accomplir. A-t-on jamais vu, au milieu d'un
+changement de dynastie, d'une constitution renouvelée,
+aucune liberté suspendue, tous, amis et adversaires, vainqueurs
+et vaincus, jouissant également de la liberté individuelle,
+de la liberté de la presse, de tous les droits constitutionnels?
+Toutes les libertés écrites dans nos institutions
+existent aussi en fait. Point de lois d'exception, point d'actes
+de persécution. Qu'au milieu de ce développement général
+de toutes les libertés, il y ait eu quelques troubles dans quelques
+communes, quoi d'étrange? Que vos paroles les calment,
+messieurs, car les paroles descendues de cette tribune ont
+action et autorité. Et cette influence appartient à la Chambre,
+non-seulement en vertu de son droit, mais encore par la
+manière dont elle a exercé sa mission, par le patriotisme, et
+permettez-moi de le dire, par le bon sens qu'elle a déployés
+dans les circonstances difficiles au milieu desquelles elle
+s'est trouvée. La Chambre a été appelée en vingt-quatre
+heures à changer le gouvernement du pays, les personnes et
+les institutions. Eh bien, en vingt-quatre heures, la Chambre
+a fait les changements que réclamait la raison publique, ni
+plus ni moins. Elle a su agir et elle a su s'arrêter. Elle n'a
+point méconnu la grandeur de sa tâche; elle ne s'est point
+laissée emporter par l'entraînement de sa situation. Dans
+l'un et l'autre sens, elle a prouvé son patriotisme.</p>
+
+<p>L'avenir ne s'en étonnera point, messieurs; il dira que la
+Chambre a été fidèle à son origine. Jamais assemblée n'a été
+élue avec un mouvement plus national, plus laborieux. C'est
+la victoire des élections qui a fait la Chambre, et c'est la
+Chambre qui a précédé, je dirais volontiers qui a amené la
+victoire nationale. Ce sont les élections faites quelques jours
+avant les événements de juillet qui ont décidé les derniers
+coups du despotisme. Le gouvernement déchu n'a pas osé se
+trouver en présence de la Chambre. Il a senti que le despotisme
+qu'il méditait ne pouvait s'exercer devant elle, qu'il y
+avait incompatibilité entre elle et lui, et il s'est porté aux
+derniers excès.</p>
+
+<p>Sans doute, ce n'est pas la Chambre qui l'en a puni: ce
+ne sont pas des Chambres qui font des révolutions pareilles.
+Il faut, pour les accomplir, toute la puissance publique,
+toute l'ardeur, toute l'unanimité d'une nation. Félicitons-nous
+de ce que notre révolution a eu ce caractère, de ce
+qu'elle a été une oeuvre populaire; c'est à cause de cela
+qu'elle a été exempte d'intrigues et d'oscillations, décidée en
+quelques heures, pleine de simplicité et de grandeur. Mais
+maintenant le fait est accompli, une autre tâche nous est
+imposée. Ce n'est plus une révolution que nous avons à
+faire; c'est un gouvernement et des lois qu'il s'agit de
+fonder. Sans doute ces lois doivent être faites sous l'influence
+des intérêts et des opinions de la nation, et en définitive, elles
+doivent être l'expression fidèle de son voeu; mais quant aux
+moyens d'exécution, quant aux époques où ces lois doivent
+être discutées, c'est aux pouvoirs légaux seuls qu'il appartient
+d'en décider.</p>
+
+<p>Nous sommes rentrés, messieurs, sous l'empire des pouvoirs
+légaux: le gouvernement est changé, les institutions
+sont modifiées; mais nous vivons dans un ordre régulier,
+nous agissons par des moyens réguliers, nous procédons
+par délibérations, par élections, par toutes les voies constitutionnelles.
+Si donc il y a des réformes à introduire dans
+notre organisation militaire, elles seront introduites avec
+le temps; elles seront l'objet de délibérations expresses;
+elles pourront émaner soit des Chambres, soit du gouvernement.
+Mais, jusqu'à ce que nous ayons occasion d'en délibérer
+avec maturité, et d'arriver à des résultats conformes aux
+intérêts du pays, ne nous abandonnons pas au mouvement
+désordonné des esprits: travaillons à remettre le calme dans
+les idées comme dans les faits; réglons et dirigeons le mouvement;
+la France nous en saura gré. (<i>Vif mouvement
+d'adhésion.</i>)</p>
+
+<hr>
+<br>
+
+<p class="mid">--Séance du 28 octobre 1831.--</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, il s'agit ici d'une des plus importantes
+prérogatives de la Chambre, d'une prérogative ardemment
+et laborieusement réclamée pendant quinze années, et
+conquise pour la première fois en 1830. Voici non pas les
+termes de la Charte, car ce n'est pas la charte qui a déterminé
+cette prérogative, mais d'une loi rendue dans la dernière
+session, le 11 octobre 1830, en exécution d'une promesse de
+la Charte.</p>
+
+<p>Cette loi porte: «La force du contingent à appeler chaque
+année, conformément à la loi du 10 mars 1818, pour le
+recrutement des troupes de terre et de mer, sera déterminée
+par les Chambres à chaque session.»</p>
+
+<p>Art. 2. «L'article 5 de la loi du 10 mars 1818 et l'article
+1<sup>er</sup> de celle du 9 juin 1824 sont abrogés.»</p>
+
+<p>Voici quels étaient les deux articles aujourd'hui abrogés:</p>
+
+<p>Art. 5 de la loi du 10 mars 1818. «Le complet de paix
+de l'armée, y compris les sous-officiers et officiers, est fixé à
+240,000 hommes; les appels faits en vertu de l'art. 1<sup>er</sup> ne
+pourront dépasser ce complet de 240,000 hommes, ni excéder
+annuellement 40,000 hommes. En cas de besoins plus
+grands, il y serait pourvu par une loi.»</p>
+
+<p>Art. 1<sup>er</sup> de la loi de 1824. «Les appels faits chaque année
+conformément à la loi du 10 mars 1818, pour le recrutement
+des troupes de terre et de mer, seront de 60 mille
+hommes.»</p>
+
+<p>Voilà les deux articles abrogés par la loi de 1830, c'est-à-dire
+que ce qui est aboli, c'est la fixation du complet de
+l'armée et des appels annuels. La loi de 1830 dit qu'il n'y
+aura pas de complet fixe, ni d'appels annuels fixes: voilà ce
+que vous avez décidé en 1830 par une loi rendue en vertu
+d'une promesse de la Charte; voilà ce que le général Lamarque
+vous propose d'abolir.</p>
+
+<p>Le ministre de la guerre, dans le projet de loi qui fut
+proposé à la dernière session, avait inséré un complet de
+l'armée de 500,000 hommes; mais, par suite des explications
+qui eurent lieu à la commission, le ministre a reconnu
+que ce complet n'était pas nécessaire, et il ne l'a pas reproduit
+dans le projet qu'il nous a présenté à cette session. M. le
+général Lamarque vient donc vous proposer de faire ce que
+le ministre n'a pas cru nécessaire.</p>
+
+<p>Il propose de fixer, une fois pour toutes, l'appel annuel;
+le complet de l'armée est fixé à 500,000 hommes, le nombre
+des années de service étant fixé à sept ans, c'est-à-dire qu'il
+faudra lever de 70 à 80,000 hommes par année pour que le
+complet soit maintenu à 500,000 hommes.</p>
+
+<p>Ainsi l'appel annuel sera désormais fixé à 70 ou 75,000
+hommes. C'est ce que ne permet pas la loi du mois d'octobre
+1830.</p>
+
+<p>Quelles sont les raisons contraires? On vous dit, d'une
+part, qu'il ne s'agit pas du contingent annuel, mais de la
+fixité de l'armée à 500,000 hommes. On prétend, d'une
+autre part, que vous n'abandonnez pas votre droit, parce que
+vous avez le droit de voter l'effectif sous les drapeaux, de sorte
+que si vous voulez réduire cet effectif de 40 à 50,000 hommes,
+vous ferez une réduction proportionnée sur le budget.</p>
+
+<p>Ainsi, ajoute-t-on, quoique vous appeliez réellement 70 à
+80,000 hommes par an, vous ne retiendrez sous les drapeaux
+que le nombre d'hommes que vous voudrez.</p>
+
+<p>Je vous ferai d'abord remarquer que la loi d'octobre 1830
+parle du contingent appelé chaque année pour le recrutement
+des troupes de terre et de mer. Cette loi ne parle pas de
+l'effectif tenu sous les drapeaux, mais elle parle du contingent
+annuel. C'est donc bien réellement l'abrogation de la loi
+d'octobre qu'on vous propose.</p>
+
+<p>Remarquez d'ailleurs qu'avant cette loi, avant l'attribution
+du vote annuel du recrutement à la Chambre, vous aviez ce
+que M. le général Lamarque vous propose comme suffisant;
+vous aviez, dans la loi des finances, la faculté de voter l'effectif
+tenu sous les drapeaux.</p>
+
+<p>C'est cette faculté qu'avec raison vous n'avez pas regardée
+comme suffisante. Vous avez pensé que cette fixation indirecte
+par les finances, par la limitation du nombre d'hommes tenus
+sous les drapeaux, ne constituait pas le véritable droit de la
+Chambre de voter annuellement l'impôt levé en hommes.</p>
+
+<p>Car l'impôt, ce n'est pas le nombre qu'on a effectivement
+sous les drapeaux; c'est le nombre d'hommes qu'on appelle
+chaque année au service militaire, soit qu'on les tienne immédiatement
+et activement sous les drapeaux, soit qu'on leur
+impose l'obligation de s'y rendre dès qu'ils en seront requis.</p>
+
+<p>Voilà le véritable impôt, l'impôt levé en hommes, et
+vous ne devez pas abandonner le droit de le voter annuellement.</p>
+
+<p>Permettez-moi une comparaison. Si l'on vous proposait
+de voter une certaine somme, 500 millions, par exemple,
+par an, votés une fois pour toutes, en vous disant que le
+gouvernement n'en demandera que 200, mais qu'il pourra
+prendre le tout en cas de besoin, vous regarderiez avec raison
+une pareille proposition comme une très-grande restriction
+de vos droits. De même vous avez le droit de voter annuellement
+l'impôt en hommes, et cet impôt, comme je le disais,
+ne consiste pas seulement dans le nombre d'hommes tenus
+sous les drapeaux, il consiste encore dans le nombre des hommes
+qui sont appelés. Ces hommes sont soumis à un régime
+exceptionnel et particulier; ils peuvent être appelés sous les
+drapeaux d'un moment à l'autre; ils ne peuvent pas se marier
+sans la permission du ministre de la guerre.</p>
+
+<p>Je dis donc que vous ne pouvez pas abandonner le droit de
+voter annuellement le nombre d'hommes appelés. On donne
+pour raison que c'est tous les ans remettre en question la
+force de l'armée; mais tous les ans l'existence même de
+l'État n'est-elle pas remise en question par le vote du budget,
+qui intéresse l'existence même de la couronne, de la magistrature,
+enfin de toute l'administration?</p>
+
+<p>Le gouvernement représentatif repose sur la confiance
+qu'on a dans le bon sens des hommes, des électeurs, des
+Chambres et du gouvernement; sans cette confiance, le
+gouvernement représentatif est impossible. Remarquez que
+l'armée est même dans une situation plus favorable que les
+autres institutions. Quel serait le principe rigoureux du vote
+annuel de l'armée? Ce serait de faire voter tous les ans aux
+Chambres l'armée tout entière.</p>
+
+<p>C'est ce qui se pratique en Angleterre par le bill de <i>mutinerie</i>.
+L'Angleterre vote annuellement l'armée tout entière,
+et vous, vous n'en votez qu'un septième; il y a six septièmes
+qui ne sont pas en question.</p>
+
+<p>On ne peut pas dire qu'il y ait du danger pour l'État dans
+le vote annuel du septième de l'armée, dans l'examen de la
+question de savoir si elle sera plus ou moins considérable.
+Il y a évidemment une multitude de circonstances qui doivent
+faire varier, dans une année, la contribution de la société à
+la formation de l'armée.</p>
+
+<p>Je dis qu'il n'est pas moins vrai qu'il y a une multitude
+de circonstances qui peuvent et doivent faire varier le vote
+annuel de la Chambre à ce sujet.</p>
+
+<p>Je le répète, il s'agit ici d'une prérogative constitutionnelle
+de la Chambre, que vous avez réclamée constamment depuis
+1817 et que vous avez inscrite dans la Charte de 1830
+comme un des droits nationaux.</p>
+
+<p>Tout impôt d'hommes doit être chaque année voté par la
+Chambre, comme les impôts d'argent.</p>
+
+<p>C'est cette prérogative qui empêche de voter un impôt de
+70 à 80,000 hommes, une fois pour toutes.</p>
+
+<p>Vous n'auriez à voter chaque année que le nombre de
+troupes qui pourrait être mis sous les drapeaux. Ce serait la
+destruction de la Charte, de la loi de 1830, de la principale
+prérogative de la Chambre; le gouvernement ne vous le
+demande en aucune façon.</p>
+
+<p>Je repousse l'amendement.</p>
+
+<a name="XI" id="XI"></a>
+<br><br>
+<h3>XI</h3>
+
+<p class="mid">Présentation et discussion d'un projet de loi sur l'exportation
+et l'importation des céréales.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés et Chambre des pairs--18
+septembre.--12 octobre 1830.</p>
+
+<p class="large">La législation sur les céréales, en vigueur au moment
+de la révolution de 1830, était très-peu favorable à
+l'importation des grains étrangers. L'état des récoltes,
+surtout dans les départements du Midi, inspirait de
+sérieuses inquiétudes. Le gouvernement ne voulut pas,
+dans un tel moment, aborder la question générale de
+la liberté du commerce en cette matière; mais, sans
+changer les bases de la législation existante, il proposa
+les mesures nécessaires pour en écarter, dans le présent,
+les inconvénients. J'exposai avec détail, d'abord
+devant la Chambre des députés, puis devant la Chambre
+des pairs, les motifs du projet de loi qui fut adopté,
+avec quelques amendements, et promulgué comme loi
+le 20 octobre 1830.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, l'état des
+subsistances peut appeler, à des titres fort divers, l'attention
+du gouvernement. Tantôt des récoltes surabondantes surchargent
+et découragent l'agriculture; tantôt, quand les produits
+pour l'écoulement desquels on a multiplié les mesures
+de protection sont épuisés, ces mesures deviennent un obstacle,
+grèvent la condition des consommateurs, et excitent la
+sollicitude publique.</p>
+
+<p>C'est alors que les difficultés de la législation se font sentir,
+et que l'expérience invite à la soumettre à une discussion
+nouvelle. Il est raisonnable que des lois faites à l'occasion
+d'une longue surabondance soient revues après l'épreuve de
+quelques années de médiocre produit.</p>
+
+<p>Et comme une telle révision ne saurait être méditée avec
+trop de réserve, comme un grand nombre d'intérêts doivent
+être entendus, et veulent du temps pour se concilier, on concevra
+sans peine qu'une mesure transitoire puisse être nécessaire
+pour remédier à un inconvénient présent ou imminent.</p>
+
+<p>Tout indique que nous sommes aujourd'hui dans cette
+situation.</p>
+
+<p>Les années fertiles se sont succédé; nos lois s'y sont
+assorties. Depuis deux ans l'abondance a fait place à la médiocrité.
+Aussi, déjà l'an dernier, quelques modifications à
+la législation parurent convenables, et le gouvernement prit
+sur lui de les ordonner. La récolte de cette année ne peut
+compter parmi les abondantes ni parmi les mauvaises. Ce
+qui pourrait tromper quelque temps sur sa valeur réelle,
+c'est l'inégalité avec laquelle ses produits sont répartis sur le
+territoire. Le Midi, l'Est, quelques départements du centre,
+ont été maltraités. La Bretagne est riche au contraire; le
+haut Languedoc également. Les départements qui environnent
+Paris ont peu souffert en général. Il faut même qu'il
+soit resté de 1829 un peu plus de grains que 1829 n'en avait
+reçu de 1828; car, au mois de juin 1829, les blés étaient,
+autour de Paris, à 29 fr. 34, et cette année, à la même époque,
+ils étaient à 22 fr. 20. En 1829, au mois d'août, le pain
+était dans Paris à 18 sous et demi (92 centimes et demi) et à
+17 sous et demi (87 centimes et demi) les deux kilogrammes;
+il n'a été au mois d'août dernier qu'à 16 sous et demi (82
+centimes et demi), et pour septembre à 16 sous (80 centimes).</p>
+
+<p>Les mercuriales nous présentent, sur un assez grand nombre
+de points, une baisse successive, même sur les marchés
+où la tranquillité a été un moment troublée. Ou sait d'ailleurs
+que cette saison est constamment celle où les cultivateurs,
+occupés des travaux de l'automne, fréquentent le moins
+les marchés; ils ne battent de blé que ce qui leur est absolument
+nécessaire pour le moment; et c'est malgré ces circonstances
+qu'en plus d'un lieu la baisse des prix se fait sentir.</p>
+
+<p>Mais on sait aussi avec quelle rapide contagion la crainte de
+manquer de subsistances se propage, et avec quelle facilité
+elle peut entraîner à des préventions aveugles et à des précautions
+mal entendues, qui gênent la circulation, détournent
+le commerce, et aggravent le mal qu'elles s'efforcent de
+guérir.</p>
+
+<p>Le désordre, s'il se manifestait, serait fermement réprimé.
+La propriété et la libre circulation seraient défendues et protégées
+contre toute atteinte. Le gouvernement ne négligera
+rien pour éclairer sur les fausses mesures que pourrait conseiller
+l'ignorance. Mais en faisant abstraction de ces méprises,
+il y a lieu de penser que le secours des grains étrangers
+sera désirable cette année. Déjà personne n'en conteste l'opportunité.
+Les propriétaires de grains indigènes n'en seront
+point jaloux, car les prix auxquels ils peuvent vendre et ceux
+auxquels reviendront les grains étrangers leur assurent, pour
+leurs récoltes, un débouché très-satisfaisant. Ils ont droit de
+profiter des circonstances, ils ne prétendent point en abuser,
+et une concurrence qu'appellent aujourd'hui les besoins et
+les voeux du pays, n'excitera nullement leurs réclamations.</p>
+
+<p>Pour amener cette concurrence, il faut rendre l'arrivée
+des grains étrangers possible et même facile. Or, la législation
+en vigueur avait été faite pour empêcher l'importation;
+elle est donc à modifier.</p>
+
+<p>Cette législation est compliquée: elle se compose des lois
+du 16 juillet 1819 et du 4 juillet 1821, dont les dispositions
+se combinent, se modifient et renchérissent l'une sur l'autre.
+C'est sous le point de vue seul de l'importation que nous
+avons à la considérer.</p>
+
+<p>Dans le dernier état, les départements de la frontière sont
+répartis en quatre classes: l'importation des grains étrangers
+y est défendue jusqu'au moment où le prix des blés nationaux,
+déduit de certaines mercuriales, est monté à une limite
+fixée. Cette limite est 1º à 18 fr. l'hectolitre dans les départements
+de l'ancienne Bretagne (la Loire-Inférieure exceptée)
+et aussi dans les départements de la Moselle, de la Meuse,
+des Ardennes et de l'Aisne; 2º à 20 fr. sur les côtes de
+l'Océan depuis le département du Nord jusqu'à la Bretagne,
+et dans la Loire-Inférieure, la Vendée et la Charente-Inférieure.
+C'est aussi le prix assigné aux départements du Haut
+et Bas-Rhin; 3º à 22 fr. sur la mer, dans les départements
+de la Gironde et des Landes, et sur les frontières de terre, le
+long des Hautes et Basses-Pyrénées d'une part, de l'autre
+des Basses-Alpes au Doubs; 4º enfin à 24 fr. pour les départements
+riverains de la mer Méditerranée depuis le Var
+jusqu'aux Pyrénées-Orientales. La Corse est comprise dans
+cette classe.</p>
+
+<p>Dès que l'importation est autorisée, elle est soumise à un
+droit d'entrée de 3 fr. 25 par hectolitre. Si le prix de la limite
+s'élève d'un franc ou de deux francs, le droit baisse d'une
+même quantité. Après une hausse ultérieure, c'est-à-dire si
+les prix dépassent 26, 24, 22 ou 20 fr. dans les classes respectives,
+le droit est réduit à 25 centimes.</p>
+
+<p>Ces ménagements pour la production nationale sont grands
+et efficaces, mais on ne s'en est pas contenté.</p>
+
+<p>Le tarif de droits que je viens de rappeler n'est applicable
+qu'aux blés provenant de certains pays dits <i>pays de production</i>.
+Sans s'apercevoir que, quand les secours antérieurs sont
+désirables, c'est aux lieux les plus rapprochés qu'il faut recourir,
+on a imposé une surtaxe à tout ce qui serait pris dans
+les entrepôts de l'extérieur. On a prétendu que des pays où
+il peut arriver des blés étrangers, quoiqu'ils en produisent
+d'indigènes, ne sauraient être considérés comme pays de
+production. Les seuls pays qui aient été déclarés pays de production
+sont les bords de la mer, l'Égypte, la mer Baltique,
+la mer Blanche et les États-Unis d'Amérique. Ainsi l'Angleterre,
+les Pays-Bas, l'Espagne, l'Italie, la Sicile, l'Afrique
+même sont censés ne rien produire. Les grains que le commerce
+y va chercher ne sont admis que moyennant une surtaxe.
+Au lieu de 3 fr. 25 l'hectolitre pour plus fort droit, ils
+payent 4 fr. 25, et quand la cherté a fait réduire le droit ordinaire
+à 25 centimes, les grains des pays de non-production
+doivent cinq fois davantage (1 fr. 25).</p>
+
+<p>A cette surtaxe vient, dans certains cas, s'en ajouter une
+autre. Les grains qui arrivent par navires étrangers payent
+5 fr. 50 au fort droit, au lieu de 3 fr. 25, et toujours 1 fr. 25
+au minimum.</p>
+
+<p>Ce n'est pas tout. On a taxé l'entrée par terre aussi chèrement
+que par navires étrangers. Ainsi les premiers secours
+que reçoivent nos départements de l'Est ou des Pyrénées,
+leur coûtent 5 fr. 50 l'hectolitre, au lieu de 3 fr. 25 qu'on
+paye ailleurs; et dans la plus grande cherté, ce qu'on transporte
+à grands frais par les routes de terre paye 1 fr. 25 de
+droit, tandis qu'on ne demande que 25 centimes à ce qui
+arrive par mer.</p>
+
+<p>Une autre disposition tient le Midi, surtout Lyon et nos
+départements du Sud-Est, dans une condition vraiment très-dure.</p>
+
+<p>Pour écarter les grains de Crimée et rendre leur importation
+par Marseille à peu près impossible, les choses ont été
+combinées de telle sorte qu'en fait le prix légal n'atteignît
+jamais la limite à laquelle, aux termes mêmes de la loi, elle
+eût été permise. Le prix réel des grains à Marseille, par
+exemple, était, le 15 août, de 30 fr. 19 et cependant le prix
+régulateur légal n'a été que de 23 fr. 43, c'est-à-dire de
+50 centimes au-dessous de la limite qui ouvrirait le port.</p>
+
+<p>D'où provient cette énorme différence? De ce que le cours
+de Marseille ne compte que pour une petite fraction dans le
+prix légal de la classe à laquelle cette ville appartient. On ne
+s'est pas contenté de combiner ce cours avec celui des marchés
+de Gray et de Toulouse, villes qui fournissent des grains
+au midi par le Rhône et par le canal du Languedoc; quelque
+espoir serait encore resté à l'importation; aujourd'hui, par
+exemple, le prix régulateur légal serait à Marseille de 25 fr.
+et les blés étrangers entreraient avec le droit de 2 fr. 25,
+3 fr. 25 ou 4 fr. 50 suivant la provenance ou le pavillon.
+Mais un quatrième élément a été introduit dans la mercuriale
+qui règle le prix des grains à Marseille; c'est le prix de
+Fleurance, marché peu connu du département du Gers, qui
+suit constamment les bas prix de Toulouse, en sorte que
+Toulouse compte réellement pour moitié dans le prix courant
+qui ferme le port de Marseille.</p>
+
+<p>Voici ce qui en résulte.</p>
+
+<p>Les grains de l'entrepôt de Marseille repartent pour aller
+chercher un port de l'Océan dans <i>une classe</i> dont le prix
+légal les admette à entrer en payant 3 fr. 25 c. de droits.
+Nationalisés par ce payement et par cette admission, ils sont
+rechargés pour Marseille, et les énormes faux frais, ce droit,
+ce double voyage, ce retard, ces risques, sont encore couverts
+par le prix factice, excessif, auquel ces combinaisons législatives
+tiennent les blés à Marseille. C'est ainsi qu'une loi trop
+dure est légalement éludée, au préjudice toutefois des consommateurs.</p>
+
+<p>Il est enfin un effet général de la loi qu'il importe de remarquer.
+Les mercuriales se publient le premier de chaque
+mois, et font subitement la règle du commerce. L'importation
+était libre le 30 septembre, elle peut être prohibée le 1<sup>er</sup> octobre.
+Ce qui est en mer, ce qu'un simple accident retarde
+de quelques heures n'entre plus; c'est une spéculation ruinée.
+Comment compter sur l'active coopération du commerce
+sous l'empire d'une législation qui ne lui laisse qu'un pareil
+hasard à courir, quand il se livre à l'approvisionnement du pays?</p>
+
+<p>Il est permis de croire, messieurs, que cette législation
+devrait être l'objet d'une révision générale, et que des dispositions
+plus sagement combinées protégeraient efficacement
+l'agriculture en faisant courir moins de chances aux subsistances
+publiques, en amenant moins d'alternatives de mévente
+et de cherté. Mais il faut, nous en sommes aussi convaincus
+que personne, procéder en pareille matière avec une grande
+prudence; il faut laisser au temps le soin de mettre tous les
+droits en lumière et tous les intérêts en accord. Nous ne vous
+proposons donc aujourd'hui que des mesures partielles et
+transitoires qui, prenant la législation actuelle pour base, se
+bornent à en retrancher ce qui nous priverait de la coopération
+du commerce, et à nous garantir les ressources
+d'une importation que l'intérêt public nous commande de
+faciliter.</p>
+
+<p>Le projet de loi se compose de quatre articles.</p>
+
+<p>L'art. 1<sup>er</sup> abolit les surtaxes établies soit sur les blés provenant
+des pays dits de non-production, soit sur ceux qui
+arrivent par la frontière de terre, et abaisse de 25 c. par
+hectolitre, non-seulement la surtaxe imposée aux blés apportés
+par navires étrangers, mais les droits variables établis sur
+l'importation, quand elle est permise, depuis le maximum
+jusqu'au minimum.</p>
+
+<p>L'art. 2 écarte le marché de Fleurance du nombre des
+éléments qui servent à fixer le prix légal de la frontière du
+Midi, et y substitue le marché de Lyon, substitution qui
+aura pour résultat de faire plus promptement atteindre la
+limite à laquelle l'importation est permise, et de tenir les
+ports de cette classe plus longtemps ouverts. Aujourd'hui,
+par exemple, par l'intervention du marché de Fleurance, le
+prix légal des grains est, à Marseille, de 23 fr. 43 c. et l'importation
+est encore interdite, tandis que par l'intervention
+du marché de Lyon il serait de 25 fr. 68 c. et l'importation
+serait depuis longtemps autorisée.</p>
+
+<p>L'art. 3 assure, en exigeant les preuves nécessaires, l'admission
+de la cargaison qui, expédiée à temps et de bonne
+foi, mais retardée par les accidents de la négociation, arrive
+après la clôture fortuite de l'importation.</p>
+
+<p>Enfin l'art. 4 ne donne d'effet à ces dispositions que jusqu'au
+30 juin 1831.</p>
+
+<p>Ce sont là, messieurs, les moindres changements qu'à
+notre avis conseille aujourd'hui la prévoyance. Nous sommes
+fondés à espérer qu'ils suffiront, que le commerce profitera
+des facilités qu'il réclame de toutes parts, et dont il ne peut
+raisonnablement se passer.</p>
+
+<p>Les secours qu'il amènera sans perturbation mettront un
+terme aux souffrances du Midi, et alimenteront les Lyonnais
+et leurs voisins. Sur les autres points, les grains étrangers, à
+mesure qu'ils pénétreront, rendront disponibles des quantités
+correspondantes de grains indigènes qui approvisionneront
+les marchés de l'intérieur. Des craintes, fort exagérées en
+elles-mêmes, se dissiperont, et la sécurité permettant à la
+liberté de se déployer sans obstacle, les subsistances et la
+paix publique seront également garanties.</p>
+
+<h4>PROJET DE LOI.</h4>
+
+<p><span class="sc">Louis-Philippe</span>, roi des Français,</p>
+
+<p>A tous présents et à venir, salut.</p>
+
+<p>Nous avons ordonné et ordonnons que le projet de loi
+dont la teneur suit sera présenté en notre nom à la Chambre
+des députés par notre ministre secrétaire d'État au département
+de l'intérieur, et par M. Vincent, maître des requêtes,
+que nous chargeons d'en exposer les motifs et d'en soutenir la
+discussion.</p>
+
+<p>Art. 1<sup>er</sup>. Sur la frontière de terre comme sur celle de mer,
+le maximum du droit variable à l'importation des grains sera
+de 3 fr. l'hectolitre, et le minimum de 25 c. Ces droits et les
+droits intermédiaires de 2 fr. et de 1 fr. continueront d'être
+appliqués suivant le prix légal des grains, conformément
+aux lois des 16 juillet 1819 et 4 juillet 1821.</p>
+
+<p>Ce droit sera augmenté d'un franc pour les grains qui
+arriveront par mer sous pavillon étranger.</p>
+
+<p>Il sera perçu sans autre surtaxe et sans distinction de provenances.</p>
+
+<p>Art. 2. Le prix légal régulateur des grains pour la première
+classe (frontière du Midi, depuis le département du
+Var jusqu'à celui des Pyrénées-Orientales inclusivement),
+sera formé du prix moyen des mercuriales des marchés de
+Marseille, Toulouse, Gray et Lyon.</p>
+
+<p>Art. 3. Quand, par l'effet du prix légal, l'importation
+devra cesser dans un port de mer, les cargaisons qui, fortuitement,
+n'auraient pu parvenir à temps, mais dont l'expédition
+faite de bonne foi sera régulièrement prouvée par la
+présentation des connaissements, seront admises, et néanmoins
+payeront le droit d'importation le plus élevé.</p>
+
+<p>Art. 4. Les dispositions ci-dessus n'auront effet que jusqu'au
+30 juin 1831.</p>
+
+<p>Paris, le 17 septembre 1830.<br>
+
+<span class="rig">LOUIS-PHILIPPE.</span></p><br>
+
+<p>Par le Roi:</p>
+
+<p><i>Le ministre secrétaire d'État de l'intérieur,</i>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Guizot.</span></span></p><br><br>
+<hr>
+<br>
+<p class="mid">--Chambre des pairs.--Séance du 12 octobre 1830.--</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, les lois
+des 16 juillet 1819 et 4 juillet 1821, sur l'importation des
+céréales, furent inspirées par le désir de protéger la consommation
+de nos propres grains.</p>
+
+<p>Mais, rédigées au milieu d'une surabondance qui décourageait
+les agriculteurs depuis plusieurs années, elles se
+ressentirent de cette circonstance. L'esprit de ces lois fut
+évidemment de repousser les grains étrangers aussi loin et
+aussi longtemps qu'il serait possible. Non-seulement on éleva
+les limites que le prix devait franchir avant qu'ils fussent
+admissibles; mais alors même, et de peur qu'on ne profitât
+trop tôt de la faculté d'importer, un tarif gradué frappa les
+blés provenus des pays voisins d'un droit d'entrée sensiblement
+plus fort que les blés qu'il faut attendre des mers éloignées.
+On y ajouta une autre surtaxe sur ce qui nous serait
+apporté par navire étranger, distinction communément reçue
+pour favoriser notre pavillon, mais dont la proportion supérieure,
+toute spéciale, était calculée pour opposer un obstacle
+de plus aux versements de grains que l'étranger voudrait
+faire dans nos ports. Lorsqu'on prenait ces précautions multipliées
+contre l'invasion des blés exotiques, il est évident
+que l'on se croyait dispensé de prévoir le temps où les arrivages
+étrangers cesseraient d'être à charge, car aussitôt qu'ils
+sont désirables, il ne serait pas conséquent de les rendre
+difficiles et coûteux. Les prix élevés, condition nécessaire de
+leur admission temporaire, devant désintéresser le producteur
+national, quand ce point est atteint, c'est le consommateur
+qu'il faut ménager en ne chargeant pas l'entrée de
+droits fiscaux et de faux frais.</p>
+
+<p>Aux années d'abondance ont succédé trois récoltes médiocres;
+celle qui vient d'être rentrée dans les greniers est
+inférieure dans plusieurs départements, et l'inégale répartition
+de ses produits sur le territoire rend encore plus
+convenable de faciliter les secours extérieurs là où le consommateur
+les réclame, et où le commerce peut les apporter.</p>
+
+<p>Les subsistances ne manqueront pas. Il n'y a nulle inquiétude
+à concevoir; mais il n'est personne qui ne désirât
+que les classes industrieuses et peu aisées obtinssent en ce
+moment leur pain à des prix modérés. Enfin, on ne peut
+nier que le temps ne soit venu de se débarrasser, temporairement
+du moins, des exigences ajoutées comme de suréogation
+à la condition fondamentale des limites de l'importation.</p>
+
+<p>C'est ce que le gouvernement du Roi a voulu et ce que la
+Chambre des députés a adopté dans le projet de loi.</p>
+
+<p>Les prix des grains nationaux au-dessous desquels les
+grains étrangers ne peuvent être introduits ne subissent
+aucun changement.</p>
+
+<p>Le minimum du droit principal, quand le tarif gradué
+s'arrête à cause de l'élévation ultérieure du cours, est toujours
+de 25 centimes l'hectolitre, et s'applique comme par
+le passé.</p>
+
+<p>Mais suivant l'article 1<sup>er</sup> du projet, les degrés variables du
+droit qui sont de 3 fr. 25 c., 2 fr. 25 c., 1 fr. 25 c., simplifiés
+par une petite réduction, seront fixés à 3 fr., 2 fr.
+et 1 franc.</p>
+
+<p>On conserve la surtaxe d'un franc pour les arrivages par
+pavillon étranger.</p>
+
+<p>Mais on supprime celle qui se rapportait à la distinction
+des pays de production et de non-production, distinction
+tellement arbitraire, ou plutôt si peu d'accord avec les dénominations,
+que les Pays-Bas, l'Angleterre, l'Espagne, l'Italie,
+l'Afrique, étaient censés ne pas produire de grains.</p>
+
+<p>Dans le tarif des douanes, les arrivages par terre sont assimilés
+en général à ceux qui viennent sous pavillon étranger
+dans nos ports. On avait appliqué cette règle aux transports
+de grains; mais à cause de l'élévation spéciale de sa surtaxe,
+cet article, à l'entrée par terre, payait 1 fr. 25 c. l'hectolitre
+dans le cas où dans les ports on ne devait que 25 cent.
+Il a été d'autant plus juste de rétablir des conditions égales
+que nos départements de la frontière de terre subissent cette
+année les prix les plus élevés.</p>
+
+<p>Le projet fait participer aux mêmes adoucissements l'entrée
+des farines, en conservant les proportions fixées par les
+anciennes lois. Il met en harmonie avec les droits propres
+aux froments ceux qui s'appliquent aux seigles et maïs. Par
+une inadvertance, la loi de 1821 avait négligé de le faire; il
+y avait un degré de plus dans les droits propres à ces derniers
+grains. Les seigles payaient à l'entrée 4 fr. 25 c. dans
+la circonstance où le froment ne devait que 3 fr. 25 c.</p>
+
+<p>Les frontières du royaume étant divisées en quatre classes
+pour l'application des règles sur l'importation des grains,
+dans chacune les mercuriales de certains marchés composent
+le prix commun légal qui, publié le dernier jour de
+chaque mois, permet ou prohibe l'entrée suivant que ce
+prix est supérieur ou inférieur à la limite adoptée par la loi.</p>
+
+<p>Ainsi, sur toute la frontière de la Méditerranée (première
+classe), la limite qu'il faut que le cours dépasse pour qu'il y
+ait liberté d'importer est de 24 fr. l'hectolitre.</p>
+
+<p>Or, depuis 1821, une seule fois, pour un seul mois, les
+grains ont pu entrer de ce côté.</p>
+
+<p>Et cependant, depuis la récolte de 1827, la denrée a sensiblement
+renchéri; toutes les autres frontières ont eu de fréquentes
+époques d'importation permises. Il y a plus; il est
+notoire qu'à Marseille, dans le reste de la Provence, à Lyon,
+les grains se payent 30 fr. l'hectolitre, et cependant le prix
+légal n'a pu jamais atteindre à 24 francs.</p>
+
+<p>D'où vient cette singularité si fâcheuse à ces pays, où la
+récolte est particulièrement mauvaise? De ce que le prix
+légal est le taux moyen de quatre mercuriales. On a d'abord
+combiné avec celle de Marseille les prix de Gray et de Toulouse,
+marchés qui, par la Saône et le Rhône d'un côté, par
+le canal du Midi de l'autre, alimentent le bas Languedoc et
+la Provence; mais on a voulu y ajouter pour quatrième élément
+le marché de Fleurance, marché obscur du département
+du Gers, qui ne concourt point à la consommation de
+Marseille, et qui n'a été choisi que pour redoubler l'effet du
+bas prix de Toulouse dans le prix moyen.</p>
+
+<p>Le renchérissement qui en provient, le prix excessif du
+grain à Marseille, celui qui en résulte pour le cours du pain
+à Lyon, la clameur universelle enfin ne permettent pas de
+laisser subsister cet état de choses. Il a paru juste et conséquent
+d'opposer à deux pays de production, Gray et Toulouse,
+ceux de deux grands marchés de consommation, Lyon et
+Marseille. C'est le sujet de l'article 2 du projet.</p>
+
+<p>L'article 3 assure l'entrée des envois de grains expédiés
+de bonne foi par mer ou par les fleuves pendant que l'admission
+était permise, et qui, fortuitement retardés, rencontreraient
+la prohibition à leur arrivée. La Chambre des députés
+a insisté sur les précautions qui empêcheront de tourner en
+abus cette mesure d'équité. Si elle n'était accordée au commerce,
+comment pourrait-il s'exposer à des chances si ruineuses
+qui peuvent dépendre d'un centime de variation dans
+la mercuriale, ou d'un jour de retard à la mer?</p>
+
+<p>L'article 4 provient d'un amendement introduit par la
+Chambre des députés. Les grains étrangers, autrefois laissés
+à la disposition et aux soins du commerçant, sous les précautions
+requises qui constituent le régime de l'entrepôt
+fictif, étaient soumis par la loi du 15 juin 1825 à l'entrepôt
+réel, c'est-à-dire renfermés dans des magasins que la douane
+seule peut ouvrir, où, par conséquent, les précautions journalières
+nécessaires à la conservation de la denrée ne peuvent
+être prises à propos; l'administration a reconnu que ces
+mesures gênantes et coûteuses étaient sans le moindre avantage,
+et n'ajoutaient rien à la garantie de l'entrepôt fictif.
+L'article, en conséquence, abroge cette formalité.</p>
+
+<p>Mais cette disposition même, et toutes les autres mesures,
+ne sont que temporaires. En vertu de l'article 5, la loi n'aura
+d'effet que jusqu'à l'apparition des produits de la future
+récolte, c'est-à-dire jusqu'au 30 juin prochain pour la première
+classe (le Midi), et au 31 juillet pour le reste du
+royaume.</p>
+
+<p>La Chambre des députés l'a ainsi voté. Quant au gouvernement,
+il n'avait voulu proposer en effet qu'une loi transitoire.</p>
+
+<p>Celles qui existent, faites pour une longue époque d'abondance,
+naturellement ne pouvaient convenir à des temps de
+cherté.</p>
+
+<p>On aurait craint, en faisant une loi au milieu de ces circonstances
+nouvelles, et en la faisant permanente, de ne pas
+assez ménager les intérêts agricoles, que le gouvernement
+respecte et protége.</p>
+
+<p>Un système qui conviendrait à tous les temps, qui maintiendrait
+le plus possible des prix plus égaux, qui concilierait
+les droits et les besoins du producteur et du consommateur,
+c'est ce qui est désirable, c'est ce qu'il faut chercher avec
+maturité.</p>
+
+<p>(M. le ministre donne lecture du projet de loi.)</p>
+
+<a name="XII" id="XII"></a>
+<br><br>
+<h3>XII</h3>
+
+<p class="mid">Débats sur les clubs et sur l'article 291 du Code pénal.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séances des 25 septembre et 4 octobre 1830.--</p>
+
+<p class="large">J'ai raconté dans mes <i>Mémoires</i><a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a>
+<a href="#footnote16"><sup class="sml">16</sup></a> les incidents et les
+débats qui s'élevèrent, peu après la révolution de 1830
+et pendant mon ministère de l'intérieur, à l'occasion
+des clubs et de l'application de l'article 291 du Code
+pénal. Ce fut à propos d'une pétition des commissaires-priseurs
+de Valenciennes, et par une vive attaque de
+M. Benjamin Morel, député de Dunkerque, contre les
+clubs, que s'engagea, pour la première fois, cette discussion.
+M. de Tracy, au nom des idées générales de
+liberté, répondit à M. Benjamin Morel, et je pris, après
+lui, la parole en ces termes:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote16"
+name="footnote16"><b>Note 16: </b></a><a href="#footnotetag16">
+(retour) </a> Tome II, pages 109-116.</blockquote>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, le
+silence avec lequel vous avez accueilli les paroles du premier
+orateur, la promptitude avec laquelle l'honorable
+préopinant s'est empressé d'y répondre, ne prouvent, ce me
+semble, que la gravité et l'opportunité de la question. Elle
+préoccupe tous les esprits; elle agite la France entière; il
+était impossible qu'elle n'arrivât pas promptement, et par
+toutes les portes, dans cette enceinte.</p>
+
+<p>Je suis porté à croire que dans les craintes qu'excitent les
+sociétés qu'on appelle <i>populaires</i>, il y a un peu d'exagération.
+Elles ne me paraissent pas jusqu'ici avoir fait un grand mal,
+ni déployé une grande puissance. Je crois qu'il y a du souvenir
+dans la terreur qu'elles inspirent, et que le passé exerce
+peut-être ici autant d'influence que le présent. (<i>Voix diverses:
+C'est vrai.</i>)</p>
+
+<p>Cependant l'agitation est réelle; le public tout entier est
+préoccupé. Ce seul fait de l'agitation générale et de tous les
+symptômes qui la manifestent est un grand mal, un mal
+auquel il importe de porter remède. Vous voyez partout les
+capitaux se retirer, l'industrie se resserrer; l'alarme est générale,
+surtout dans les professions laborieuses, dans celles
+qui font la force et le fond de notre société.</p>
+
+<p>Quelque exagérées que soient ces craintes, elles ont un
+fondement solide. Le caractère, la conséquence des sociétés
+populaires et de leurs actes, c'est qu'elles entretiennent,
+qu'elles fomentent, qu'elles exaltent de jour en jour parmi
+nous l'état révolutionnaire.</p>
+
+<p>Messieurs, nous avons fait une révolution, une heureuse,
+une glorieuse révolution; mais nous n'avons pas prétendu
+mettre la France en état révolutionnaire. (<i>Marques d'adhésion.</i>)
+Nous n'avons pas prétendu la tenir dans l'agitation,
+dans le trouble, dans l'anxiété qui accompagnent de tels
+événements.</p>
+
+<p>Quels sont les caractères de l'état révolutionnaire? Voici
+les plus saillants: c'est que toutes choses soient mises en
+question; c'est que les prétentions soient indéfinies; c'est que
+des appels continuels soient faits à la force, à la violence.
+Eh bien! ces caractères existent tous dans les sociétés populaires,
+dans l'action qu'elles exercent, dans l'impulsion qu'elles
+s'efforcent d'imprimer à la France.</p>
+
+<p>Je dis que toutes choses y sont mises en question. Et remarquez,
+messieurs, qu'il ne s'agit point, dans ces sociétés, de
+discussions purement philosophiques; ce n'est pas telle ou
+telle doctrine qu'on veut faire prévaloir; ce sont les choses
+mêmes, les faits constitutifs de la société qu'on attaque; c'est
+notre gouvernement; c'est la distribution des fortunes et des
+propriétés; ce sont enfin toutes les bases de l'ordre social, qui
+sont mises en question et ébranlées tous les jours dans les
+sociétés populaires. De là cette fermentation universelle qui
+se répand au dehors et qui trouble tous les esprits.</p>
+
+<p>En même temps que toutes choses sont mises en question,
+des prétentions indéfinies, indéfinissables, éclatent. Et, dans
+ces prétentions, il ne s'agit pas de telle ou telle réforme, de
+tel ou tel but particulier à atteindre; il s'agit de projets,
+d'espérances qui seraient hors d'état de se limiter eux-mêmes.
+Il y a là une ambition qui ne connaît pas son propre
+objet, qui se déploie sans but, qui n'est pas un état de
+véritable travail, de véritable réforme politique, mais une
+maladie de l'esprit. (<i>Mouvement d'adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Enfin, messieurs, qu'est-ce qui caractérise encore l'état
+révolutionnaire? c'est l'appel continuel à la force, à la violence;
+c'est le recours aux moyens brutaux; c'est la menace
+sans cesse adressée à tous les pouvoirs de la société, à toutes
+les existences, à toutes les idées qui ne s'accordent pas avec
+celles auxquelles on veut donner l'empire. C'est là peut-être
+le caractère fondamental de l'état et des passions révolutionnaires.</p>
+
+<p>Eh bien, messieurs, ce caractère se déploie tous les jours
+dans les sociétés populaires. Ce ne sont pas, je le répète, des
+écoles philosophiques, où l'on discute tel ou tel principe;
+c'est une véritable arène dans laquelle on provoque toutes les
+passions, dans laquelle on soulève toutes les menaces.</p>
+
+<p>Je vous le demande, n'est-ce pas là vouloir tenir la France
+dans un état révolutionnaire? n'est-ce pas vouloir prolonger,
+j'ai tort de dire <i>vouloir</i>, car je n'inculpe les intentions de
+personne, mais enfin n'est-ce pas prolonger en effet cet état
+de trouble et d'anxiété qui accompagne nécessairement une
+révolution, quelque heureuse, quelque glorieuse qu'elle ait
+été?</p>
+
+<p>Ce n'est pas là, messieurs, le mouvement, ce n'est pas là
+le progrès. On nous provoque sans cesse au mouvement; on
+nous demande toutes les conséquences de la révolution qui
+vient de s'accomplir. Messieurs, nous voulons autant que personne
+le mouvement et le progrès. Il n'y a personne à qui
+les progrès de la société soient plus chers qu'à nous. Mais le
+désordre n'est pas le mouvement; le trouble n'est pas le progrès;
+l'état révolutionnaire n'est pas l'état vraiment progressif
+de la société. Je le répète, l'état où les sociétés populaires
+prétendent mettre la France n'est pas le mouvement véritable,
+mais le mouvement désordonné; ce n'est pas le progrès,
+mais la fermentation sans but. Messieurs, ce n'est pas là le
+désir de la France. La France n'a pas entendu se mettre dans
+un état révolutionnaire permanent. (<i>De toutes parts</i>: Non,
+non!) La France a lutté quinze ans, avant de se décider à se
+mettre tout entière en mouvement pour faire une révolution.
+Il y a bien eu, pendant quinze ans, diverses sortes
+d'agitations, des conspirations, des insurrections partielles;
+il n'y a pas eu de véritable tentative nationale. Notre révolution
+est la seule dans laquelle la France entière se soit montrée.
+Il a fallu que la tyrannie vînt en personne et le front
+découvert, qu'elle attaquât nos libertés au coeur, qu'elle compromît
+tout notre ordre social; il a fallu que son présent fût
+troublé et son avenir menacé cruellement, pour que la France
+fît une révolution: elle l'a faite en trois jours, parce qu'elle
+s'est levée en masse. Rappelez-vous que jusque-là il n'y avait
+eu que des mouvements partiels, que je ne veux pas blâmer,
+mais que personne n'a aujourd'hui le droit d'appeler des
+mouvements nationaux. (<i>Très-bien, très-bien!</i>)</p>
+
+<p>Ainsi l'état dans lequel les sociétés populaires entretiennent
+la France est un état contraire, non-seulement à ses besoins
+et à ses intérêts, mais encore à ses voeux. Quand on essaye
+de la mettre en cet état, non-seulement on lui fait tort, mais
+on lui fait violence. Tel est le mal que produisent les sociétés
+populaires; elles font violence à la France; elles font fermenter
+toutes choses au milieu de la France, tandis que la France
+veut l'ordre. Elle en a le goût autant que le besoin; elle résiste
+par sa nature comme par son intérêt à cet état révolutionnaire
+dans lequel on veut la tenir.</p>
+
+<p>Si je les considère dans leurs rapports avec notre situation
+extérieure, les sociétés populaires ne s'offrent pas sous un
+aspect plus favorable. Messieurs, il ne faut pas se tromper
+sur le jugement que porte l'Europe de notre révolution. Je
+n'hésite pas à le dire; dans le fond de sa pensée énergique et
+sérieuse, l'Europe l'approuve. L'Europe trouve que nous
+avons eu raison, que ce qui s'est passé en France a été bien
+motivé, que la France a bien fait de changer son gouvernement.</p>
+
+<p>Ainsi, bien loin de désavouer notre révolution, bien loin
+de déserter aucun des principes et des faits sur lesquels elle
+repose, je dis que nous ne sommes pas les seuls à avouer ces
+principes, à reconnaître la légitimité de ces faits; que l'Europe
+tout entière, soit qu'elle le dise, soit qu'elle le taise (et
+par l'Europe j'entends le fond des cabinets comme les places
+publiques), l'Europe entière pense que nous avons eu raison.
+Et c'est parce que l'Europe porte un tel jugement sur ces
+événements qu'on peut les regarder comme consommés.</p>
+
+<p>Mais en même temps que l'Europe approuve notre révolution,
+elle l'observe avec crainte, avec une sorte de méfiance.
+L'Europe aussi se souvient du passé; elle n'a pas plus que
+nous perdu le souvenir des sociétés populaires et des clubs.
+L'Europe attend pour savoir si, du milieu de cette révolution,
+ne naîtra pas une nouvelle propagande révolutionnaire,
+ardente à exciter les mêmes passions, les mêmes troubles
+dans toutes les sociétés européennes. Il n'y a pas moyen de
+se le dissimuler, cette crainte s'associe encore au jugement
+que porte l'Europe sur notre révolution.</p>
+
+<p>Eh bien, c'est à nous de faire, sous les yeux de l'Europe, la
+part de ces événements; c'est à nous de lui prouver qu'elle
+a raison dans son jugement et qu'elle se trompe dans ses
+craintes.</p>
+
+<p>Au dehors donc comme au dedans, pour l'Europe comme
+pour la France, ces sociétés, ou pour mieux dire l'état qu'elles
+entretiennent, bien loin de servir la cause de notre révolution,
+bien loin de seconder son mouvement, l'altèrent et le
+compromettent.</p>
+
+<p>Quand nous nous adressons à notre législation pour lui
+demander un remède à ce mal, que trouvons-nous? L'art. 291
+du Code pénal. Je me hâte de dire, et du fond de ma pensée,
+que cet article est mauvais, qu'il ne doit pas figurer éternellement,
+longtemps si vous voulez, dans la législation d'un
+peuple libre. Sans doute, les citoyens ont le droit de se réunir
+pour causer entre eux des affaires publiques. Il est bon
+qu'ils le fassent, et jamais je ne contesterai ce droit; jamais
+je n'essayerai d'attaquer les sentiments généreux qui poussent
+les citoyens à se réunir, à se communiquer leurs sympathiques
+opinions.</p>
+
+<p>Mais l'art. 291 n'en est pas moins aujourd'hui l'état légal
+de la France, il n'en est pas moins écrit dans nos lois, quelque
+vicieux qu'il soit. Ce n'est pas une de ces lois qui sont
+implicitement abrogées par les principes généraux écrits dans
+les Chartes. Il faut une abrogation expresse. Tant que cette
+réforme législative n'a pas eu lieu, vous restez sous l'empire
+des lois existantes.</p>
+
+<p>Je dis plus; les circonstances et les dangers ne sont pas
+toujours les mêmes. Ce n'est pas toujours sur le même point
+que doivent se diriger les craintes et les efforts. Aujourd'hui
+le danger ne provient pas de l'application de l'art. 291. Ce
+n'est pas la liberté qui est menacée. Vous pourrez réformer
+cet article aussitôt que cela conviendra à l'état social, et je
+souhaite que ce soit le plus tôt possible; mais évidemment il
+n'y a pas urgence. Le gouvernement n'a aucune intention
+contraire à la liberté. Je puis le dire hautement, car ses
+actes sont d'accord avec son langage. Son intention n'est
+pas d'interdire des sociétés légitimes, quelque nombreuses
+qu'elles soient. Ce n'est pas à la limite du nombre que le
+pouvoir s'arrêtera; il ira au fait, et là où il trouvera un
+danger véritable, il appliquera l'art. 291; il conjurera ce
+danger, il l'a déjà fait. (<i>Adhésion.</i>) L'arrêt de la cour royale
+qui a ordonné des poursuites reçoit dès aujourd'hui son
+exécution. Des citations sont données à deux personnes désignées
+pour comparaître devant le tribunal de police correctionnelle.
+Un projet de loi est soumis aux Chambres pour
+ces sortes de délits. J'espère qu'il sera prochainement adopté,
+que la cause dont il s'agit sera jugée par le jury, et que ce
+sera par le jugement national que la répression aura lieu.
+(<i>Adhésion générale.</i>)</p>
+
+<p>Messieurs, c'est dans les quinze dernières années qui viennent
+de s'écouler que nous avons réellement conquis nos
+libertés. Pourquoi? parce que la réforme a été lente, laborieuse,
+parce que c'est au milieu des obstacles, des dangers,
+en présence d'un pouvoir ennemi que nous avons vécu. Depuis
+quinze ans, nous avons été obligés à la prudence, à la
+patience, à la persévérance, à la mesure dans notre action;
+et aussi nous avons, en quinze ans, conquis plus de liberté
+qu'aucun pays n'en a conquis en un siècle.</p>
+
+<p>Il s'en faut donc bien que ces quinze dernières années
+aient été perdues pour la France. Elles ont laissé à la France
+le plus heureux, le plus précieux héritage, des moeurs libres
+qui commencent à se former, l'intelligence de la vie politique
+et de ses travaux. Ne sortons pas de cette voie; ne prétendons
+pas emporter tout en un jour, et vouloir, le lendemain
+d'une révolution miraculeuse, réaliser tout ce qu'elle
+nous vaudra.</p>
+
+<p>Le temps viendra, et j'espère qu'il ne sera pas long, où
+l'art. 291, n'étant plus motivé par l'état réel de la société,
+disparaîtra de notre Code. Il existe aujourd'hui; c'est l'état
+légal de la France; on en doit faire une application raisonnable,
+légitime. Quiconque en ferait une mauvaise application
+en serait responsable, bien que l'article soit écrit dans
+les Codes, car le pouvoir répond de tous ses actes, et il est
+obligé d'avoir raison, quelle que soit son action. (<i>Marques
+d'adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Je dis que, dans les circonstances présentes, les sociétés
+populaires peuvent être dangereuses. Je crois qu'on s'exagère
+leur danger, qu'elles n'ont pas fait le mal qu'on leur attribue,
+mais qu'elles pourraient le faire; et, puisque le pouvoir
+est armé d'un moyen légal, non-seulement il ne doit pas
+l'abandonner, mais il doit s'en servir. Je répète qu'il l'a déjà
+fait, et qu'il est décidé à le faire tant que l'exigeront l'intérêt
+du pays et le progrès de ses libertés.</p>
+
+<hr>
+
+<p class="large">Dans la séance du 4 octobre 1830, la question se
+renouvela dans la discussion du projet de loi relatif à
+l'application du jury aux délits politiques et de la
+presse. M. de Sade, député de l'Aisne, attaqua l'article
+291 du Code pénal, et me fournit l'occasion d'exprimer
+pleinement, à ce sujet, ma pensée.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Quand j'ai eu occasion de parler de l'art. 291
+du Code pénal, je n'ai point dissimulé ce que j'en pensais. J'ai
+dit que je le regardais comme vicieux au fond, et devant être
+réformé un jour. Ce que j'ai dit alors, je le répète aujourd'hui.
+Mais j'ai dit en même temps que je ne croyais pas la
+réforme opportune; que si elle était faite aujourd'hui, elle
+aurait pour résultat de donner force encore plus que règle au
+mouvement des sociétés populaires; que, dans les circonstances
+actuelles, nous étions appelés à réprimer ces sociétés,
+non à les fonder; que le moment d'assurer l'exercice plein
+et régulier de ce droit viendrait, et que je serais un des premiers
+alors à proposer le changement du Code pénal; mais
+qu'à mon avis, il n'était point venu, et qu'il y aurait péril à
+le devancer.</p>
+
+<p>Je persiste dans l'opinion que j'ai émise devant la Chambre.
+Je reconnais en principe général le droit des citoyens de se
+réunir et de s'entretenir ensemble des affaires publiques. Je
+dis que, même aujourd'hui, sous l'empire de l'art. 291,
+toutes les fois que ce droit sera exercé paisiblement, sans
+porter atteinte à l'ordre public, l'administration n'en prendra
+nul ombrage. C'est ce qui a lieu dans plusieurs réunions que
+le public ignore, qui ne font point de bruit, n'ont aucun
+caractère révolutionnaire, et discutent cependant sérieusement
+et sincèrement de grandes questions politiques. Elles
+subsistent, elles discutent librement, tranquillement, et le
+gouvernement ne s'enquiert pas avec une puérile rigidité du
+nombre de leurs membres. Il lui suffit qu'elles n'alarment
+point le pays, qu'elles ne troublent point l'ordre public. Il
+n'entend point appliquer absolument et sans discernement
+l'art. 291; mais il pense que, dans l'état actuel des affaires
+et des esprits, c'est un devoir pour lui de retenir cet article
+qu'il trouve écrit dans les lois, et d'en faire, si le besoin s'en
+manifeste, l'application aux réunions par lesquelles la paix
+publique et la marche régulière de nos institutions seraient
+menacées.</p>
+
+<p>Ce que je pensais et disais il y a quelques jours, messieurs,
+je le pense donc et le redis aujourd'hui. Je crois l'art. 291
+peu conforme aux maximes et aux habitudes d'un pays libre;
+je désire que la réforme en soit prochaine. Mais partout où
+l'ordre public sera compromis, partout où l'on cherchera à
+l'ébranler, partout où la population tranquille, laborieuse,
+s'alarmera et redoutera l'esprit révolutionnaire, les réunions
+qui se formeraient contre les dispositions légales, et qui produiraient
+de tels effets, seront réprimées; c'est en maintenant
+l'ordre que nous réussirons vraiment à fonder la liberté.</p>
+
+<a name="XIII" id="XIII"></a>
+<br><br>
+<h3>XIII</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du projet de loi relatif à l'application du jury
+aux délits de la presse et aux délits politiques.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 4 octobre 1830.--</p>
+
+<p class="large">L'article final de la Charte de 1830 avait classé l'application
+du jury aux délits de la presse et aux délits
+politiques parmi les réformes nécessaires et promises.
+Le comte Siméon en prit l'initiative dans la Chambre
+des pairs et développa, le 6 septembre 1830, les motifs
+d'un projet de loi destiné à accomplir cette promesse.
+Adopté par la Chambre des pairs et transmis le 20 septembre
+à la Chambre des députés, ce projet y fut adopté,
+le 4 octobre, avec quelques amendements que la Chambre
+des pairs adopta à son tour. Un amendement proposé
+par M. de Schonen, et qui ne fut point adopté, portait:
+«La loi du 25 mars 1822 est abrogée. En conséquence,
+les dispositions des lois du 17 et du 26 mai, et du 9 juin
+1819, abrogées par elle, reprendront force et vigueur.»
+Je pris la parole pour le combattre:</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Ce ne sera pas moi qui
+désavouerai la loi du 17 mai 1819, et qui craindrai de voir
+la législation de la presse retourner vers cette origine. J'ai eu
+l'honneur de participer à la loi de 1819, la plus sincère, je
+n'hésite pas à le dire, qui ait été rendue dans aucun pays sur
+la liberté de la presse, et en même temps la plus efficace, la
+plus conforme au régime constitutionnel.</p>
+
+<p>Cependant je ne crois pas qu'il soit possible de venir, par
+un simple amendement, supprimer une loi tout entière qui
+a réglé la liberté de la presse depuis que la loi de 1819 a
+cessé d'être en vigueur. Dans le projet qui vous est soumis
+aujourd'hui, il ne s'agit pas d'une législation générale en
+matière de presse, il s'agit seulement d'un changement de
+juridiction. Le rapporteur de votre commission vous l'a déjà
+fait remarquer, on ne fait ici que transporter, de la police correctionnelle
+au jury, la connaissance des délits de la presse.
+C'est une loi d'attribution, une loi de juridiction; rien de
+moins, mais rien de plus.</p>
+
+<p>Or, l'amendement qui vous est proposé tend à changer
+toute la législation de la presse, à abolir tout ce qui s'est fait
+sur cette matière depuis 1819. Je ne dis pas qu'il ne faille
+pas le faire; je ne dis pas que les lois postérieures à celle de
+1819 ne doivent pas être changées; pour mon propre compte,
+je le pense, et peut-être suis-je intéressé à le penser; mais
+je ne crois pas que ce changement puisse se faire immédiatement
+et sans de mûres délibérations.</p>
+
+<p>Pour prouver la nécessité de son amendement, l'honorable
+préopinant vous a cité, dans la loi du 25 mars 1822, l'art. 2,
+qui punit toute attaque contre la dignité royale, l'ordre de la
+successibilité au trône, les droits que le Roi tient de sa naissance,
+et ceux en vertu desquels il a donné la Charte. Il est
+évident que cet article est incompatible avec notre nouvel
+ordre de choses, avec ce qui se passe en France depuis deux
+mois, et qu'il doit être extirpé de notre législation. Un projet
+de loi est déjà préparé à cet effet, et sera porté demain probablement
+à la Chambre des pairs.</p>
+
+<p>Il aurait même été déjà présenté sans des circonstances
+accidentelles qui ont entraîné quelque retard. Mais ce projet
+prouvera qu'il est impossible d'abolir purement et simplement
+l'art. 2 de la loi de 1822, et qu'il faut y substituer des dispositions
+nouvelles. De grands événements se sont accomplis,
+il y a deux mois; il faut qu'ils soient consacrés dans la loi,
+et que le principe de notre révolution de Juillet soit substitué
+au principe de la loi de 1822. Il faut que la nouvelle loi
+déclare que toute attaque contre le Roi, contre les droits qu'il
+tient du voeu de la France, voeu formellement exprimé par la
+déclaration des Chambres et de la Charte constitutionnelle
+par lui acceptée et jurée le 9 août 1830, sera punie. Il faut
+que le principe de notre révolution, qui a fondé l'ordre de
+choses actuel tout entier sur le consentement et des Chambres
+et du pays, devienne le principe de la législation de la
+presse. Il ne suffit donc pas de retourner purement et simplement
+à la législation de 1819, et d'abolir toutes les lois
+postérieures. Il y a des dispositions nouvelles à prescrire, et
+elles ne sauraient être improvisées.</p>
+
+<p>D'autres motifs encore s'opposent à l'amendement. La loi
+de 1822 contient des dispositions qui, si elles étaient abolies,
+ne se retrouveraient pas dans celle de 1819 et sont pourtant
+nécessaires; par exemple, celle qui punit l'infidélité dans le
+compte rendu des séances des Chambres et des tribunaux.
+Il n'y a dans la législation de 1819 absolument rien à ce
+sujet. Supprimerez-vous cette disposition sans pourvoir à
+son remplacement?</p>
+
+<p>Quant à celle qui dit que la Chambre offensée pourra, sur
+la réclamation d'un de ses membres, punir elle-même l'auteur
+de l'outrage, je n'entends pas entrer d'avance dans la
+discussion qui aura lieu sans doute à ce sujet quand viendra
+l'art. 3 du projet qui vous est soumis. Mais j'ai besoin de
+dire tout de suite, qu'à mon avis, ce système est bon; je
+crois qu'un pouvoir souverain doit être chargé du soin de sa
+propre dignité et en état de la défendre; il s'emparera de ce
+droit si la législation ne le lui reconnaît pas. Il vaut infiniment
+mieux le lui reconnaître légalement. On sera bien plus
+sûr de la modération et de la réserve qu'il mettra dans sa
+propre défense, s'il est légalement armé du droit d'y pourvoir,
+que si vous l'obligez à l'envahir violemment, et à débuter
+par un acte de tyrannie.</p>
+
+<p>Ce droit est accordé dans notre législation, messieurs,
+non-seulement aux Chambres, mais aussi aux pouvoirs judiciaires.
+Les tribunaux aussi ont le droit de protéger leur
+dignité; et ce n'est pas seulement un droit, c'est un devoir:
+toutes les fois que les tribunaux se laisseront insulter, qu'ils
+se laisseront insulter publiquement, ils méconnaîtront non-seulement
+leur droit, mais encore leur devoir. Personne n'a
+le droit d'insulter les tribunaux du pays. On peut blâmer, à
+telle ou telle époque, la conduite de la magistrature; on
+peut critiquer tel jugement prononcé par tel tribunal; mais
+quel bon citoyen se croira permis d'injurier les pouvoirs
+publics dans l'exercice de leurs fonctions? (<i>Vif mouvement
+d'adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Il y a deux choses distinctes dans un pouvoir public: les
+personnes et le pouvoir lui-même. Or l'injure s'étend au
+caractère public dont la personne est revêtue. Ce caractère,
+messieurs, doit toujours être respecté, car il est respectable
+en lui-même. Il est donc du devoir des tribunaux de se protéger
+contre l'insulte, et c'est alors la société tout entière
+qu'ils protègent. (<i>Bravo! bravo!</i>)</p>
+
+<p>Ce n'est donc pas sans une mûre discussion, et sans en
+bien peser les conséquences, que vous devez rayer de votre
+législation l'article qui donne aux corps souverains le droit
+de protéger leur dignité. On a parlé de l'abus possible. Sans
+doute l'abus est possible; mais certes, il n'a pas été grand en
+France depuis quinze ans. Il n'y a qu'un seul exemple d'une
+poursuite pareille. C'est là un pouvoir dont les grands corps
+ne doivent faire que rarement usage; mais il importe qu'ils
+n'en soient pas dépouillés.</p>
+
+<p>Je le répète, messieurs, l'amendement qui vous est proposé
+a pour objet de refaire la législation de la presse tout
+entière, la législation pénale, la procédure, la juridiction.
+Je pense, comme son auteur, que la loi de 1822 contient des
+dispositions très-vicieuses, qu'elle est bien moins bonne que
+celle de 1819. Je viens d'entretenir la Chambre des dispositions
+dont le gouvernement sent la nécessité et qu'il se propose
+de substituer à celles qui sont maintenant en vigueur.
+Mais je ne crois pas qu'une semblable réforme puisse être
+introduite dans nos lois, par voie d'amendement à un projet
+qui n'a pour but que de transférer au jury l'attribution des
+tribunaux correctionnels.</p>
+
+<hr>
+
+<p class="large">Par un autre amendement, M. Villemain proposa le
+même jour que l'article 12 de la loi du 25 mars 1822,
+qui portait que toute publication, vente ou mise en
+vente, exposition, distribution, sans autorisation préalable
+du gouvernement, de dessins gravés ou lithographiés
+serait, par ce seul fait, punie d'un emprisonnement,
+etc., fût abrogé. J'appuyai cette proposition, qui
+fut adoptée, et la nouvelle loi fut promulguée le 8 octobre
+1830.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Quand les réformes
+offrent des difficultés réelles, quand elles ont besoin d'être
+coordonnées avec une législation existante, je ne crois pas
+qu'il faille en improviser. C'est la doctrine que je professerai
+constamment à cette tribune. Mais quand elles sont simples,
+faciles, quand elles ont au contraire pour résultat de mettre
+la loi spéciale dont on s'occupe en harmonie avec la loi générale,
+je ne connais aucune bonne raison pour les retarder.</p>
+
+<p>La censure a disparu complétement de la législation. C'est
+uniquement dans le cas dont il s'agit qu'il en reste une trace.</p>
+
+<p>Il n'y a pas de motif qui empêche de l'effacer, il importe
+que le mot <i>censure</i> ne se trouve plus dans aucune de nos lois;
+elle ne doit pas s'exercer sur les gravures et les lithographies,
+pas plus que sur les écrits; je ne vois donc rien qui
+s'oppose à l'adoption de l'amendement.</p>
+
+<a name="XIV" id="XIV"></a>
+<br><br>
+<h3>XIV</h3>
+
+<p class="mid">Présentation du projet de loi relatif aux récompenses nationales
+à accorder aux victimes de la révolution de Juillet 1830.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 9 octobre 1830.--</p>
+
+<p class="large">Ce projet, adopté par les deux Chambres avec quelques
+amendements, fut promulgué comme loi le
+13 décembre 1830.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, il tardait
+au Roi comme à vous de sanctionner, par une mesure
+législative, le grand acte de reconnaissance nationale que la
+patrie doit aux victimes de notre révolution. J'ai l'honneur
+de vous la présenter.</p>
+
+<p>La commission des récompenses nationales, instituée en
+vertu de la loi du 5 août dernier, et animée d'un patriotisme
+infatigable, a réuni les nombreux éléments qui nous
+permettront enfin de rendre à l'héroïsme désintéressé cette
+éclatante justice. C'est en parcourant le relevé funèbre qui
+constate tant de malheur et de dévouement qu'on apprend
+à connaître le prix d'une liberté qu'il a fallu payer si cher.</p>
+
+<p>Messieurs, d'après les renseignements recueillis avec soin
+dans les divers arrondissements de Paris, nos trois grandes
+journées ont coûté à plus de 500 orphelins leurs pères, à
+plus de 300 veuves leurs maris, à plus de 300 vieillards
+l'affection et l'appui de leurs enfants; 311 citoyens resteront
+mutilés et incapables de reprendre leurs travaux; 3,564
+blessés auront eu à supporter une incapacité temporaire.
+C'est à la France libre et reconnaissante qu'il appartient,
+autant du moins qu'il est en son pouvoir, de réparer ces
+désastres.</p>
+
+<p>L'article 1<sup>er</sup> du projet de loi vous propose d'accorder une
+pension annuelle et viagère de 500 francs aux veuves des
+citoyens morts dans les trois journées des 27, 28 et 29
+juillet, ou par suite des blessures qu'ils ont reçues à cette
+époque.</p>
+
+<p>La France devait à ces généreuses victimes d'adopter leurs
+enfants orphelins. Jusqu'à l'âge de sept ans, ils recevront
+une somme de 250 francs par année, et resteront confiés
+aux soins de leurs mères, ou, au besoin, à ceux d'un parent
+ou d'un ami qui sera désigné par un conseil de famille.
+Depuis sept ans jusqu'à dix-huit, ils auront droit à un nouveau
+bienfait, celui d'une éducation utile et gratuite, qui
+assure leur existence à venir.</p>
+
+<p>Les pères et mères âgés de plus de soixante ans, ou ceux
+à qui leurs infirmités ne laissaient d'autres moyens d'existence
+que les secours de la pitié filiale, ont droit aussi à votre
+sollicitude. Leurs enfants qui ont sacrifié leur vie pour la
+liberté ont assez fait pour que la France se charge d'acquitter
+la dette qu'ils lui ont léguée en mourant. Leurs parents recevront
+une pension annuelle et viagère de 300 francs.</p>
+
+<p>Depuis longtemps la France est dotée d'un établissement
+où elle recueille les soldats mutilés sur le champ de bataille.
+Messieurs, les braves qui ont reçu, dans les rues de Paris, des
+blessures entraînant la perte ou l'incapacité d'un membre
+ont gagné les Invalides sur le plus beau champ de bataille.
+Les vieux guerriers qui habitent cet asile de la gloire les
+accueilleront avec transport dans leurs rangs. S'il est des
+citoyens que des affections de famille retiennent dans leurs
+foyers, il est juste de leur accorder une pension qui soit l'équivalent
+des frais que leurs frères coûteront à l'État.</p>
+
+<p>Quant à ceux que leurs blessures n'ont pas mis dans
+l'impossibilité de travailler, il a paru convenable de leur
+accorder une indemnité une fois payée, dont la commission
+des récompenses nationales sera chargée de fixer le montant.</p>
+
+<p>La même mesure devrait être prise en faveur des familles
+qui ont été privées de leur travail pendant les journées de
+juillet. La commission a même senti la nécessité de prévenir
+votre intention bien connue, en distribuant des secours provisoires
+à ceux qui n'auraient pu attendre la sanction de
+cette loi.</p>
+
+<p>C'est pour subvenir à ces diverses dépenses que le Roi
+nous a chargé de vous demander d'ouvrir au ministère de
+l'intérieur un crédit de sept millions, sur lesquels quatre
+millions six cent mille francs seront convertis en rentes
+annuelles et viagères, sauf à réduire, s'il y a lieu, cette
+somme d'après l'état qui sera dressé par la commission des
+récompenses nationales. Le surplus des sept millions sera
+employé à acquitter le montant des indemnités et des secours
+une fois payés.</p>
+
+<p>Messieurs, en adoptant les mesures que j'ai l'honneur de
+vous proposer, vous assurerez des existences qui sont devenues
+sacrées pour le peuple français. Il y a un autre moyen
+de donner aux défenseurs de Paris un nouveau témoignage
+de la reconnaissance publique. Parmi les citoyens qui ont
+survécu à leurs efforts, la France est sûre de trouver de
+braves guerriers. La commission des récompenses sera
+chargée de désigner ceux que le ministre de la guerre
+pourra proposer au Roi pour le grade de sous-lieutenant. La
+campagne des trois jours sera leur titre d'ancienneté.</p>
+
+<p>La loi du 30 août a ordonné de frapper une médaille
+destinée à consacrer le souvenir de notre révolution. Cette
+médaille sera distribuée à tous les citoyens désignés par la
+commission.</p>
+
+<p>Enfin, il a paru convenable d'accorder, à ceux qui se sont
+spécialement distingués dans le mouvement de notre délivrance,
+une décoration spéciale, glorieuse marque de leurs
+services personnels, et à laquelle les honneurs militaires
+seront rendus comme à la Légion d'honneur.</p>
+
+<p>Messieurs, la loi qui vous est proposée, pour être digne
+de la France et des généreux citoyens qui en sont l'objet,
+devait beaucoup faire pour l'honneur et rien de plus que le
+nécessaire pour une pauvreté qui a l'orgueil de l'héroïsme.
+Il n'eût pas été possible de faire accepter un don; il était
+juste de payer une dette sacrée. La postérité dira que la
+France libre a récompensé une population de héros en donnant
+aux morts une tombe, aux blessés un asile, aux orphelins
+l'éducation qu'auraient souhaitée pour eux leurs
+parents.</p>
+
+<h4>PROJET DE LOI.</h4>
+
+<p><span class="sc">Louis-Philippe</span>, roi des Français,</p>
+
+<p>A tous présents et à venir, salut:</p>
+
+<p>Nous avons ordonné et ordonnons que le projet de loi
+dont la teneur suit sera présenté à la Chambre des députés
+par notre ministre secrétaire d'État au département de l'intérieur,
+que nous chargeons d'en exposer les motifs et d'en
+soutenir la discussion.</p>
+
+<p>Art. 1<sup>er</sup>. Les veuves des citoyens morts dans les journées
+des 27, 28 et 29 juillet, ou par suite des blessures qu'ils ont
+reçues dans ces mêmes journées, recevront de l'État une
+pension annuelle et viagère de 500 francs, qui commencera
+à courir du 1<sup>er</sup> janvier 1831.</p>
+
+<p>Art. 2. La France adopte les orphelins, fils des citoyens
+morts pendant les trois journées, ou par suite des trois journées
+de juillet. Une somme de 250 francs par année est
+affectée pour chaque enfant au-dessous de sept ans, lequel
+sera confié aux soins de sa mère, ou, au besoin, à ceux d'un
+parent ou d'un ami choisi par le conseil de famille.</p>
+
+<p>Depuis sept ans jusqu'à dix-huit, les enfants seront élevés
+dans des établissements spéciaux, où ils recevront une éducation
+convenable à leur sexe, et propre à assurer leur
+existence à venir.</p>
+
+<p>Art. 3. Les pères et mères âgés de plus de soixante ans,
+ou infirmes, et dont l'état malheureux sera constaté, et qui
+auront perdu leurs enfants dans les journées des 27, 28 et
+29 juillet, recevront de l'État une pension annuelle viagère
+de 300 francs, réversible sur le survivant.</p>
+
+<p>Art. 4. Les Français qui, dans les journées de juillet,
+ont reçu des blessures entraînant la perte ou l'incapacité
+d'un membre, seront admis à l'hôtel des Invalides, ou toucheront,
+à leur choix, dans leurs foyers, la pension qui leur
+sera accordée.</p>
+
+<p>Toutes les dispositions relatives à la quotité de la pension
+des invalides leur seront applicables.</p>
+
+<p>Art. 5. Les citoyens que leurs blessures n'ont point mis
+hors d'état de travailler recevront une indemnité une fois
+payée dont le montant sera, pour chacun d'eux, déterminé
+par la commission des récompenses nationales.</p>
+
+<p>Art. 6. Il sera également accordé une indemnité aux
+citoyens non blessés, dont les familles ont été privées du
+produit de leur travail pendant les journées de juillet. Cette
+indemnité sera, pour chaque citoyen, déterminée par la
+commission des récompenses nationales.</p>
+
+<p>Art. 7. En conséquence des dispositions qui précèdent, et
+pour acquitter en même temps le montant des secours provisoires
+délivrés aux blessés ou aux familles des victimes des
+journées de juillet, un crédit de 7 millions est ouvert au
+ministre de l'intérieur.</p>
+
+<p>Sur ce crédit, 4 millions 600,000 francs seront convertis
+en rentes annuelles et viagères, sauf à réduire, s'il y a lieu,
+cette allocation d'après l'état qui sera dressé par la commission
+des récompenses nationales.</p>
+
+<p>Le surplus de cette somme sera consacré à acquitter le
+montant des indemnités et des secours une fois payé, d'après
+les états dressés par la commission.</p>
+
+<p>Art. 8. Pourront être nommés sous-lieutenants dans l'armée
+ceux qui, s'étant particulièrement distingués dans les
+journées de juillet, seront, d'après le rapport de la commission,
+jugés dignes de cet honneur.</p>
+
+<p>Art. 9. La médaille ordonnée par la loi du 30 août sera
+distribuée à tous les citoyens désignés par la commission.</p>
+
+<p>Art. 10. Une décoration spéciale sera accordée à tous les
+citoyens qui se sont distingués dans les journées de juillet;
+la liste de ceux qui doivent la porter sera dressée par la commission,
+et soumise à l'approbation du Roi.</p>
+
+<p>Les honneurs militaires leur seront rendus comme à la
+décoration de la Légion d'honneur.</p>
+
+<p>Paris, le 9 octobre 1830.<br>
+
+<span class="rig">LOUIS-PHILIPPE.</span>
+
+<p>Par le roi:</p>
+
+<p><i>Le ministre secrétaire d'État au<br>
+département de l'intérieur,</i><br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Guizot.</span></span></p>
+
+<a name="XV" id="XV"></a>
+<br><br><br>
+
+<h3>XV</h3>
+
+<p class="mid">Présentation de deux projets de loi relatifs à l'organisation
+de la garde nationale sédentaire et de la garde nationale
+mobile.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 9 octobre 1830.--</p>
+
+<p class="large">Ces deux projets, longuement discutés et amendés
+dans les deux Chambres, aboutirent à une loi générale
+promulguée le 22 mars 1831, sous le ministère de
+M. Casimir Périer.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Messieurs, le Roi nous
+a ordonné de vous présenter deux projets de loi relatifs à
+l'organisation de la garde nationale sédentaire et de la garde
+nationale mobile.</p>
+
+<p>L'importance de ces deux projets n'a pas besoin d'être démontrée;
+ils sont évidemment appelés par les plus pressants
+intérêts et les voeux unanimes de la France. Ils donneront,
+pour garantie à l'indépendance extérieure et à l'ordre intérieur,
+les forces de toute la nation. Ils fonderont sur les plus
+larges bases la dignité et le repos du pays.</p>
+
+<p>Nous regrettons que l'ajournement si prochain de la Chambre
+ne nous permette pas de lui exposer aujourd'hui avec
+détail les motifs qui ont présidé à la rédaction de ces deux
+projets de loi. Ces motifs, qui se présenteront, du reste,
+naturellement à vos esprits, seront expliqués dans les rapports
+soumis au Roi à ce sujet, et qui seront incessamment publiés.</p>
+
+<p>Le Roi a voulu qu'avant de se séparer, la Chambre reçût
+la présentation des dispositions essentielles qui nous paraissent
+devoir régler désormais cette grande institution nationale.
+Les mesures législatives nécessaires pour compléter le
+système seront successivement proposées aux Chambres, et
+rien ne manquera plus bientôt à l'organisation à la fois militaire
+et pacifique de notre pays.</p>
+
+<p class="mid">PROJET DE LOI.</p>
+
+<p><span class="sc">Louis-Philippe</span>, roi des Français,</p>
+
+<p>A tous présents et à venir, salut.</p>
+
+<p>Nous avons ordonné et ordonnons que le projet de loi dont
+la teneur suit sera présenté en notre nom à la Chambre des
+députés par notre Ministre secrétaire d'Etat au département
+de l'intérieur, que nous chargeons d'en exposer les motifs
+et d'en soutenir la discussion.</p>
+
+<p class="mid">SECTION I<sup>re</sup>.</p>
+
+<p>Art. 1<sup>er</sup>. La garde nationale mobile est l'auxiliaire de
+l'armée pour la défense du territoire et la garde des frontières,
+pour repousser l'invasion et maintenir l'ordre public
+dans l'intérieur.</p>
+
+<p>Art. 2. La garde nationale mobile est composée de citoyens
+détachés de la garde nationale sédentaire et répartis
+dans des corps organisés, conformément à la présente loi.</p>
+
+<p>Art. 3. La mise en activité de la garde nationale mobile
+ne pourra avoir lieu qu'en vertu d'une loi, et, pendant l'absence
+des Chambres, qu'en vertu d'une ordonnance du
+Roi, qui sera convertie en loi à la plus prochaine session.</p>
+
+<p>Art. 4. Seront susceptibles d'être appelés à faire partie de
+la garde nationale mobile tous les Français âgés de vingt ans
+accomplis à trente ans révolus, inscrits au registre matricule
+de la garde nationale sédentaire, quels que soient leurs grades
+dans ladite garde.</p>
+
+<p>Art. 5. Les gardes nationaux seront désignés dans l'ordre
+suivant:</p>
+
+<p>Les moins âgés;<br>
+
+Les célibataires;<br>
+
+Les veufs sans enfants;<br>
+
+Les mariés sans enfants;<br>
+
+Les mariés avec enfants;<br>
+
+Les veufs avec enfants.</p>
+
+<p>Le nombre des enfants, la nécessite pour les gardes nationaux
+de rester à la tête d'une grande exploitation agricole
+et industrielle, seront appréciés ainsi qu'il sera expliqué
+ci-après.</p>
+
+<p>Art. 6. La désignation des gardes nationaux appelés sera
+faite par le conseil de recensement. En cas de réclamation,
+il sera statué par le jury d'équité.</p>
+
+<p>Art. 7. L'aptitude au service sera jugée par un conseil
+de révision qui se réunira dans le lieu où devra se former le
+bataillon.</p>
+
+<p>Ce conseil se composera de sept membres, savoir:</p>
+
+<p>Le préfet, président, et, à son défaut, le conseiller de préfecture
+qu'il aura désigné;</p>
+
+<p>Trois membres du conseil de recensement, désignés par le
+préfet;</p>
+
+<p>Le chef de bataillon;</p>
+
+<p>Et deux des capitaines dudit bataillon, nommés par le
+général commandant la subdivision militaire ou le département.</p>
+
+<p class="mid">SECTION II.</p>
+
+<p class="mid">EXEMPTIONS ET REMPLACEMENTS.</p>
+
+<p>Art. 8. Seront exemptés du service de la garde nationale
+mobile:</p>
+
+<p>1º Ceux qui n'ont pas la taille d'un mètre cinquante-sept
+centimètres.</p>
+
+<p>2º Ceux que des infirmités constatées rendent impropres
+au service.</p>
+
+<p>Le conseil de recensement, et, en cas de contestation, le
+jury d'équité prononcera sur ces exemptions et sur toutes
+celles qui seraient demandées pour quelque cause que ce
+soit.</p>
+
+<p>Art. 9. Les gardes nationaux qui se sont fait remplacer
+dans l'armée ne sont pas dispensés du service de la garde
+nationale mobile.</p>
+
+<p>Art. 10. Les remplacements dans la garde nationale mobile
+ne seront admis que pour les causes soumises au jugement
+du conseil de recensement, et, en cas de contestation,
+à celui du jury d'équité.</p>
+
+<p>Le remplaçant devra être agréé par le conseil de recensement
+et par le conseil de révision.</p>
+
+<p>Le remplacé sera tenu d'habiller le remplaçant, de l'armer
+et de l'équiper à ses frais.</p>
+
+<p>Art. 11. Les remplaçants seront pris parmi les hommes
+de vingt à trente-cinq ans, et même de trente-cinq à quarante,
+s'ils ont été militaires.</p>
+
+<p>Art. 12. Si le remplaçant qui a moins de trente ans est
+appelé à servir pour son compte dans la garde nationale mobile,
+le remplacé sera tenu d'en fournir un autre, ou de
+marcher lui-même.</p>
+
+<p>Art. 13. Le remplaçant ne pourra être pris que dans l'arrondissement
+où le remplacé est domicilié.</p>
+
+<p>Art. 14. Le remplacé sera, pour le cas de désertion, responsable
+de son remplaçant.</p>
+
+<p class="mid">SECTION III.</p>
+
+<p class="mid">FORMATION DES BATAILLONS.</p>
+
+<p>Art. 15. La garde nationale mobile sera organisée par
+bataillons.</p>
+
+<p>Le gouvernement pourra les réunir en légions.</p>
+
+<p>Art. 16. Les caporaux et sous-officiers, les sous-lieutenants
+et lieutenants seront élus par les gardes nationaux.</p>
+
+<p>Les autres officiers seront à la nomination du Roi.</p>
+
+<p>Art. 17. Tous les officiers à la nomination du Roi pourront
+être pris indistinctement dans la garde nationale, dans
+l'armée ou parmi les militaires en retraite.</p>
+
+<p>Art. 18. Il pourra être formé des compagnies de grenadiers
+et de voltigeurs lorsque le Roi le jugera convenable.</p>
+
+<p>Art. 19. Il y a aura un drapeau par bataillon de <i>cinq cents
+hommes</i>.</p>
+
+<p>Le drapeau portera le nom du département qui aura fourni
+le bataillon.</p>
+
+<p class="mid">SECTION IV.</p>
+
+<p class="mid">DE LA DISCIPLINE.</p>
+
+<p>Art. 20. Lorsque les corps de la garde nationale mobile
+seront organisés, ils seront soumis à la discipline militaire.</p>
+
+<p>Art. 21. Toutefois, dans le cas où les gardes nationaux
+refuseraient d'obtempérer à la réquisition, et dans celui où
+ils quitteraient leurs corps sans autorisation, ils ne seront
+punis que d'un emprisonnement qui ne pourra excéder cinq
+ans.</p>
+
+<p class="mid">SECTION V.</p>
+
+<p class="mid">DE L'ADMINISTRATION.</p>
+
+<p>Art. 22. La garde nationale mobile est assimilée, pour la
+solde et les prestations en nature, à la troupe de ligne.</p>
+
+<p>Une ordonnance du Roi déterminera les masses et les accessoires
+de la solde.</p>
+
+<p>Les officiers, sous-officiers et soldats jouissant d'une pension
+de retraite la cumuleront temporairement avec la
+solde d'activité des grades qu'ils auront obtenus dans la
+garde nationale mobile.</p>
+
+<p>Art. 23. L'uniforme et les marques distinctives de la
+garde nationale mobile sont les mêmes que ceux de la garde
+nationale sédentaire.</p>
+
+<p>Le gouvernement fournira l'armement et l'équipement
+aux gardes nationaux qui n'en seraient pas pourvus, ou qui
+n'auraient pas les moyens de s'équiper et de s'armer à leurs
+frais.</p>
+
+<p>Art. 24. Les gardes nationales mobiles auront les mêmes
+droits que les troupes de ligne aux honneurs et récompenses
+militaires.</p>
+
+<p>Art. 25. Des ordonnances du Roi détermineront l'organisation
+des bataillons et compagnies, le nombre et le grade
+des officiers, la composition et l'installation des conseils
+d'administration.</p>
+
+<p class="rig">LOUIS-PHILIPPE.</p><br>
+
+<p>Par le roi:</p>
+
+<p><i>Le ministre secrétaire d'État de l'intérieur,</i>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Guizot.</span></span></p>
+<br>
+<a name="XVI" id="XVI"></a>
+<br><br>
+
+<h3>XVI</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du projet de loi relatif à l'ouverture d'un crédit
+de trente millions pour prêts et avances au commerce.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des pairs.--Séance du 16 octobre 1830.--</p>
+
+<p class="large">Le 18 septembre 1830, le baron Louis, ministre des
+finances, proposa à la Chambre des députés un projet
+de loi destiné à donner au gouvernement les moyens
+de venir en aide, par des prêts et des avances, au commerce
+et à l'industrie gravement ébranlés par la révolution.
+Ce projet, adopté avec divers amendements par
+la Chambre des députés, le 8 octobre 1830, fut porté à
+la Chambre des pairs où il rencontra des objections que
+réfutèrent M. de Barante et M. Lainé. Je pris la parole
+après eux, pour le soutenir au nom du gouvernement.
+Il fut adopté et promulgué, comme loi, le 17 octobre
+1830.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>ministre de l'intérieur.</i>--Après ce que vous
+venez d'entendre, il me reste peu de chose à dire, et je ne
+prendrais pas la parole si quelques explications n'étaient
+devenues indispensables. C'est au nom des principes qu'on
+repousse le projet: c'est comme exception qu'on le défend.
+Je crois, Messieurs, que les principes sont moins intéressés
+dans cette cause qu'on ne semble le croire. Les principes ne
+sont pas toujours si absolus qu'ils embrassent tous les faits
+qui se présentent. Si on considère la loi qui nous occupe sous
+le point de vue purement économique, sans doute les principes
+d'économie politique devraient seuls lui être applicables.
+Mais il me semble que la question n'est pas purement une
+question d'économie politique.</p>
+
+<p>Quel est le fait qui se développe en ce moment? C'est une
+crise industrielle et commerciale au milieu d'une crise politique.
+La crise industrielle et commerciale peut remonter à
+une époque fort éloignée; elle peut se rattacher et se rattache
+en effet à des causes tout à fait indépendantes de la politique,
+et sur lesquelles le pouvoir n'a aucune action; l'excès de la
+production sur la consommation, les moyens de rétablir
+l'équilibre sont des faits étrangers à l'action du gouvernement,
+qui ne proviennent pas de lui, et auxquels il ne peut
+porter aucun remède.</p>
+
+<p>Mais ce n'est pas de ces faits-là qu'il s'agit. La crise commerciale
+et industrielle a éclaté au milieu d'une crise politique
+survenue tout récemment: si la crise politique n'a fait
+que développer plus promptement les effets de la crise industrielle
+et commerciale, peu importe. Il n'en est pas moins
+certain que la crise politique intervient dans la question,
+que c'est un fait dont il est impossible de ne pas tenir
+compte. Le projet de loi sur lequel vous délibérez ne vous
+aurait pas été présenté s'il n'y avait pas eu une crise politique
+qui fût venue compliquer la question. Ce n'est pas dans
+l'état commercial et industriel qu'on doit chercher la solution
+de la question, c'est dans l'influence de la crise politique sur
+l'état du commerce et de l'industrie. Eh bien! quelle a été
+cette influence? Elle a eu pour résultat de répandre la défiance,
+d'altérer la sécurité dans l'avenir; la sécurité, élément
+indispensable des opérations industrielles et commerciales. Il
+ne suffit pas que l'industrie trouve l'emploi des capitaux,
+que la consommation vienne absorber ce que l'industrie produit,
+il faut que les capitaux aient confiance dans les emplois
+que l'industrie leur offre; il faut que les capitaux répondent
+aux offres que leur fait l'industrie. Or, on conçoit qu'il y ait
+des cas où, bien que les capitaux trouvassent un emploi avantageux,
+où la consommation allât au-devant de la production,
+le défaut de sécurité soit cependant tel et l'inquiétude sur
+l'avenir si réelle que les capitaux se refusent à la provocation
+qui leur est faite.</p>
+
+<p>Eh bien! cet état de défiance, ce défaut de sécurité dans
+l'avenir existent: ils sont le résultat, non pas de la crise économique,
+mais uniquement de la crise politique; et c'est
+uniquement à cette nouvelle cause de perturbation dans les
+transactions industrielles et commerciales que le gouvernement
+peut être appelé à porter secours.</p>
+
+<p>De quoi s'agit-il en effet? Il s'agit de rétablir la balance
+de l'ordre, la sécurité de l'avenir, de donner au moins aux
+transactions industrielles et commerciales le temps d'attendre
+que la sécurité reparaisse, que la confiance se rétablisse. Le
+gouvernement a bien des manières de rétablir la sécurité, de
+rendre la confiance; sa conduite tout entière et toutes ses
+mesures politiques tendent à ce but; mais on conviendra, ce
+me semble, que la première condition de la renaissance de la
+sécurité, c'est l'ordre public, c'est la paix matérielle dans la
+société. Au milieu de toutes les mesures et de tous les moyens
+que le gouvernement peut employer pour ramener la confiance,
+si l'ordre public était matériellement troublé par des
+émeutes populaires ou par tout autre événement de ce genre,
+il est clair que les mesures que le gouvernement prendrait
+seraient déjouées, et qu'elles ne tireraient pas la société de
+l'état de crise momentané dans lequel elle se trouve.</p>
+
+<p>Le premier résultat que le gouvernement doit chercher à
+atteindre, c'est le maintien constant, permanent, de l'ordre
+matériel, de la tranquillité matérielle dans la société. L'ordre
+matériel peut être troublé par le défaut d'emploi de la population
+laborieuse. Si la classe laborieuse commettait des désordres,
+le gouvernement a des moyens de les réprimer, et ne
+manquerait pas de s'en servir. Mais le malheur serait immense;
+il faut tout faire pour l'éviter. Et sans parler de
+désordres, si la classe laborieuse tombait dans la détresse, il
+faudrait bien que la charité publique vînt à son secours. Or
+il y a des moyens d'empêcher qu'elle ne tombe dans la détresse;
+c'est d'entretenir le travail, en attendant que l'état
+ordinaire des choses se rétablisse, que les transactions commerciales
+et industrielles aient repris leur cours.</p>
+
+<p>C'est là l'unique objet du projet de loi. Il ne propose pas
+de rétablir la prospérité du commerce, de vivifier l'industrie,
+de lui assurer des débouchés; le gouvernement sait bien que
+de tels résultats sont au-dessus de son action, et que les
+éléments de prospérité sont si variés qu'il n'est pas en son
+pouvoir d'agir avec efficacité. C'est uniquement un résultat
+spécial et momentané qu'il se propose.</p>
+
+<p>Le projet de loi a pour but, soit qu'il s'adresse à l'industrie
+ou au commerce, de prévenir des malheurs momentanés,
+d'assurer du travail pendant un temps dont il est impossible
+de fixer la durée, non à tous les ouvriers qui en manquent,
+mais à un certain nombre d'ouvriers et sur quelques points
+où des désordres entraîneraient les plus graves conséquences.</p>
+
+<p>Ce n'est pas un secours adressé au commerce en général,
+à l'industrie tout entière; c'est une force mise à la disposition
+du gouvernement pour venir, pendant un certain temps, au
+secours de l'industrie et du commerce, dont la cessation immédiate
+causerait de grands malheurs.</p>
+
+<p>C'est là, messieurs, je crois, le véritable caractère, les
+étroites limites sous lesquelles le projet de loi se présente. Le
+gouvernement est appelé à avoir dans l'avenir plus de confiance
+que telle ou telle partie de la population; il sait mieux
+que qui que ce soit que les causes de trouble auront disparu
+dans un certain temps. Le gouvernement vient donc ici
+donner l'exemple de la confiance. Sûr de son avenir et de
+l'avenir de la société, il vient au secours d'un certain nombre
+d'industries particulières, d'une certaine classe qui n'a pas
+les moyens d'avoir la même confiance.</p>
+
+<p>C'est un exemple de confiance dans l'avenir que donne le
+gouvernement, pour laisser par là à la confiance de tous le
+temps de renaître. Le but du projet de loi, je le dis encore
+une fois, est restreint, momentané; il n'a point des prétentions
+aussi générales et aussi longues qu'on l'avait cru; il a été
+déterminé par une nécessité particulière: il ne se propose
+pas de revivifier le commerce tout entier, mais d'empêcher
+de grands malheurs particuliers, qui, en faisant explosion,
+pourraient amener des circonstances graves, quoique momentanées.</p>
+
+<p>C'est dans ce seul but que le projet de loi a été conçu;
+c'est dans ce sens que nous le défendons et que nous en
+proposons l'adoption immédiate.</p>
+
+<a name="XVII" id="XVII"></a>
+<br><br>
+<h3>XVII</h3>
+
+<p class="mid">Discussion d'une proposition relative au cautionnement et aux
+droits de timbre et de poste imposés aux journaux et écrits
+périodiques.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séances des 8 et 9 novembre 1830.--</p>
+
+<p class="large">Le 17 septembre 1830, M. Bavoux, député de la Seine,
+fit à la Chambre des députés une proposition tendant à
+apporter une réduction considérable dans le montant
+du cautionnement et des droits de timbre et de poste
+imposés aux journaux et écrits périodiques. Cette proposition
+fut, dans les deux Chambres, l'objet de longues
+discussions et de nombreux amendements. Je la combattis
+en ce qui touchait la réduction des cautionnements,
+tout en l'approuvant quant à la réduction des
+frais de timbre et de poste. Le débat devint si grave que
+le caractère, le sens et la portée de la révolution de
+Juillet y furent engagés. Je n'étais plus alors membre
+du cabinet; mais je maintins, à cet égard, comme simple
+député, les idées et les intentions que j'avais plus
+d'une fois manifestées comme ministre de l'intérieur.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>député du Calvados.</i>--On a déjà dit, et je rappellerai
+qu'il y a ici deux questions: la question financière et
+la question politique. Ce n'est pas que je regarde la question
+financière, celle de l'impôt, comme indifférente. Je me propose
+d'y revenir. Mais évidemment, la question du cautionnement
+est celle qui préoccupe tous les esprits. C'est la
+question politique. Ce seul fait prouve que le cautionnement
+n'est pas, comme on l'a dit, une mesure purement fiscale, qu'il
+n'a pas pour unique objet d'assurer le payement des amendes
+auxquelles les éditeurs de journaux peuvent être condamnés.
+Le cautionnement garantit que les éditeurs des journaux
+sont des hommes qui appartiennent à une classe un peu
+élevée dans la société, et il prouve l'importance de l'opinion
+qu'un journal représente, le prix que cette opinion attache à
+être représentée. Le cautionnement a pour objet de placer la
+direction et la responsabilité de la presse périodique dans
+une sphère élevée, d'empêcher que la rédaction ne puisse
+tomber dans les mains du premier venu. C'est là le véritable
+caractère du cautionnement.</p>
+
+<p>Ce n'est pas quelque chose d'étrange qu'une semblable
+garantie; elle est analogue à beaucoup d'autres qui existent
+dans la société, non-seulement à des garanties pécuniaires,
+mais à des garanties restrictives. Ainsi, le nombre des avoués,
+des notaires, d'une foule de personnes de ce genre est limité,
+quoiqu'elles ne soient pas assujetties à un cautionnement.
+(<i>Voix à droite</i>: Les notaires fournissent un cautionnement.)
+C'est un fait de plus qui vient à l'appui de mon raisonnement.
+Pourquoi le nombre en est-il limité? C'est qu'ils sont chargés
+d'intérêts tellement importants qu'on n'a pas voulu qu'ils
+fussent pour ainsi dire sur la place publique à la disposition
+du premier venu.</p>
+
+<p>La garantie du cautionnement est de même nature. Ce
+n'est pas une garantie préventive, mais une garantie restrictive,
+une garantie qui empêche que le pouvoir exercé par la
+presse périodique ne tombe aux mains des premiers venus.
+Cette garantie n'est pas particulière à la presse ni aux comptables;
+elle s'applique à une multitude de professions où il ne
+s'agit pas de deniers publics, mais seulement d'intérêts importants
+remis entre les mains de certains hommes, d'une
+grande puissance exercée par eux, puissance pour laquelle
+on exige des garanties de capacité et des conditions préalables.</p>
+
+<p>En étudiant le développement progressif des sociétés, vous
+pourrez remarquer que le système des conditions préalables
+et des garanties a partout succédé au système des mesures
+préventives et des priviléges. Cela n'est pas relatif seulement
+à la liberté de la presse, à telle ou telle profession; cela se
+trouve partout là où les priviléges et les mesures préventives
+ont existé. On n'a pas passé à un état de liberté sans restriction.
+Les conditions préalables ont succédé aux mesures
+préventives; les garanties ont succédé aux priviléges. Que
+les garanties et les conditions, préalables doivent être éternelles,
+que ce soit l'état immuable des sociétés, je ne voudrais
+pas l'affirmer. Il est probable d'affirmer que telle ou telle de
+ces garanties tombera successivement, que telle ou telle
+condition cessera d'être exigée. C'est là le cours naturel des
+choses, le progrès de la société. Mais il n'est au pouvoir de
+personne de devancer le temps: il faut qu'une époque en
+précède une autre, sans risques graves pour la société.</p>
+
+<p>Les faits de cette étendue ne sont pas au pouvoir des lois
+humaines; il y a là des conditions qui tiennent au fond, à la
+racine des conditions providentielles, qui peuvent disparaître
+un moment, mais qui reprennent le pouvoir que les hommes
+leur refusent, et qui le reprennent par des réactions qui sont
+des perturbations plus graves que celles qu'on a voulu éviter.</p>
+
+<p>La légitimité actuelle des cautionnements ainsi établie, la
+vraie question est celle de l'opportunité de leur abolition ou
+de leur réduction. J'ai besoin de rappeler ici qu'il y a trois
+ans le cautionnement était de dix mille livres de rente, et
+qu'il est actuellement réduit à six mille livres. Est-il utile à
+la société de le réduire de nouveau ou de l'abolir tout à fait?
+Je ne le pense pas.</p>
+
+<p>Pour répondre à cette question, il est indispensable d'examiner
+l'état actuel de la presse périodique dans son rapport
+avec l'état de la société. C'est encore une question de fait qui
+ne peut pas être résolue d'une manière générale, indépendamment
+des circonstances sous l'empire desquelles nous vivons.</p>
+
+<p>En fait, la presse périodique a vécu pendant plusieurs
+années en présence d'une législation très-dure et qui, cependant,
+ne lui ôtait pas toute liberté, en présence d'un
+pouvoir ennemi, mais qu'elle avait la faculté de combattre:
+elle a été libre, elle a lutté; et la preuve, c'est qu'elle a
+vaincu. Mais en même temps qu'elle luttait, elle avait un
+sentiment de réserve, et, je le dirai franchement, de crainte.
+Sous l'empire de cette législation dure, en présence de ce
+pouvoir ennemi, la presse périodique, tout en jouissant d'une
+grande liberté, ne se croyait pas tout permis, ni tout possible;
+elle sentait souvent ses limites. C'est la condition sous
+laquelle elle a vécu pendant dix ans.</p>
+
+<p>Eh bien, je crois que cette condition lui a été salutaire; je
+crois qu'elle y a pris de la prudence, du travail, de la patience,
+qu'elle a beaucoup plus gagné à soutenir cette lutte
+qu'elle n'aurait gagné à une liberté illimitée, à ne ressentir
+jamais cette défiance d'elle-même, cette timidité que lui
+inspirait un pouvoir ennemi.</p>
+
+<p>Telle était la condition de la liberté de la presse. C'était la
+condition de la France tout entière; elle s'est trouvée dans
+cette situation pendant la Restauration; elle a vécu en présence
+d'un pouvoir ennemi dont elle se méfiait avec raison,
+mais qui était trop faible pour l'opprimer efficacement; elle
+a été entravée, contrariée, mais toujours elle a été en état de
+se défendre, et elle s'est défendue si bien qu'au bout de
+quinze ans ce pouvoir, avec tout son attirail de doctrines et
+de force étrangères, a été vaincu et obligé de s'en aller au
+milieu de la réprobation générale.</p>
+
+<p>Aujourd'hui, cette situation a cessé. Il ne faut pas se le
+dissimuler, la presse actuelle a le sentiment d'un immense
+pouvoir; elle n'a plus de crainte; elle sait qu'elle a brisé un
+pouvoir ennemi; elle a la confiance qu'elle aurait bon marché
+d'un pouvoir ami. Cherchez les traces de cette situation qui,
+bien qu'elle ait changé, exerce encore une grande influence. Les
+anciens journaux ont soutenu la lutte, il y en a d'autres qui
+sont nés du sein de la révolution de Juillet. Remarquez la
+différence qu'il y a entre ces deux classes de journaux. Je ne
+pense pas que les anciens journaux représentent aujourd'hui,
+comme ils l'ont représentée il y a six mois, l'opinion unanime
+de la France. Je ne crois pas qu'ils aient, avec le pays
+tout entier, cette parfaite sympathie, cette intimité qui les
+unissait, et qui leur a donné tant de force. Je pense qu'ils
+n'expriment que des opinions partielles, qu'on appellera
+faction, catégorie, mais des opinions qui ne sont pas l'expression
+de l'opinion nationale complète. Je pense aussi que les
+anciens journaux se trompent souvent, qu'il y a beaucoup
+d'erreurs, non-seulement dans leurs assertions, mais dans
+leur politique, que leurs conseils sont souvent mauvais, qu'il
+y a de l'inconvenance dans leur langage, de l'exagération
+dans leurs idées, du danger dans leur impulsion. Cependant,
+quand on les accuse d'être révolutionnaires, on a tort. Les
+anciens journaux, qui ont soutenu la lutte pendant quinze
+ans, n'ont point aujourd'hui un caractère révolutionnaire.
+Malgré les erreurs que j'y rencontre, les torts, les assertions
+que je leur reproche, je n'y trouve aucune trace d'anarchie;
+leurs doctrines ne sont pas anarchiques: je ne trouve pas
+qu'ils tendent au renversement de la société, qu'ils tendent
+à introduire de grands désordres publics; je les trouve dans
+les limites naturelles et légales de la liberté de la presse. Une
+des preuves que j'en pourrais donner, c'est la diversité de
+leurs nuances. Ils appartiennent évidemment à des opinions
+différentes; ils ne sont pas soumis au même joug, jetés dans
+le même moule.</p>
+
+<p>Remarquez ce qui s'est passé naguère. Quand il y a eu
+des émeutes d'ouvriers, quand nous avons eu à combattre des
+tentatives d'insurrection, presque tous les anciens journaux
+se sont élevés contre ces désordres, presque tous ont embrassé
+la cause de l'ordre contre les émeutes d'ouvriers. Leur langage,
+quoique injuste dans une foule d'occasions, n'a rien de
+provoquant; ils ne font pas d'appel à la force, ils ne cherchent
+pas à exciter des séditions. Ils peuvent souvent se tromper,
+mais je ne vois pas qu'ils aient un caractère révolutionnaire;
+je les trouve dans les limites de la liberté de la presse.</p>
+
+<p>Et pourquoi? parce qu'ils ont encore l'empreinte de la
+lutte qu'ils ont soutenue pendant dix ans, parce qu'ils sont
+eux-mêmes soutenus par les habitudes qu'ils ont prises, par
+les vertus qu'ils ont acquises, parce qu'ils sont contenus dans
+les justes limites de la liberté constitutionnelle, qui est rude,
+mais jamais anarchique.</p>
+
+<p>Il en est autrement d'un certain nombre de journaux nouveaux.
+Nés du sein de la révolution, de l'ivresse de la victoire,
+ceux-là, je les trouve, pleins de doctrines anarchiques,
+pleins d'appels à la force, de menaces adressées à toutes les
+existences établies, à tous les droits reconnus, à l'ordre légitime
+tout entier. Ils ont à mes yeux, et je crois aussi aux
+yeux du public, un caractère différent de celui des anciens
+journaux.</p>
+
+<p>Je ne dis pas ceci par une sorte d'artifice, pour opérer une
+division parmi les organes de la liberté de la presse: je le dis
+parce que c'est là un fait grave, qui caractérise la presse périodique,
+et qui montre à quels principes se rattachent ses
+différents organes.</p>
+
+<p>Maintenant, qu'allez-vous faire par la suppression du cautionnement?
+Elle n'intéresse en aucune façon les anciens
+journaux; ils sont hors de la question. Vous allez accorder
+une faveur uniquement aux journaux nouveaux, aux journaux
+qui sont empreints d'un mauvais caractère, aux journaux
+qui n'ont pas soutenu la grande lutte dont nous sommes
+sortis victorieux, aux journaux qui sont nés du premier
+enivrement et des premiers désordres de la victoire.</p>
+
+<p>Non-seulement cela est mauvais en soi dans les circonstances
+où nous sommes, mais cela est contraire au principe
+fondamental, à l'esprit véritable de votre gouvernement; et
+ce principe, c'est la publicité, c'est la lutte engagée entre le
+bien et le mal, entre la vérité et l'erreur. Toutes les forces
+sont appelées à se produire; elles sont aux prises sur la place
+publique, devant la raison publique qui les juge. Le caractère
+de cette lutte, c'est la liberté pour le mal comme pour le
+bien. La lutte effraye beaucoup de gens, quand ils la voient;
+ils voudraient empêcher le mal de se produire, ils voudraient
+lui retirer sa liberté; ils se trompent. Il n'y a pas de liberté
+pour la vérité, s'il n'y en a pas pour l'erreur; il n'y en a pas
+pour le bien, s'il n'y en a pas pour le mal. Il faut que toutes
+les forces paraissent; c'est là le caractère de notre gouvernement.
+Mais il n'est pas dans la nature de ce gouvernement
+de prendre des mesures qui tournent au profit de la mauvaise
+portion. On ne doit pas de faveur spéciale au mal. Il
+n'est pas vrai que le gouvernement soit neutre dans cette
+grande lutte de la vérité et de l'erreur qui se passe devant
+lui. Il n'est pas vrai qu'il n'ait aucun rôle à jouer. Il a un
+rôle à jouer en faveur du bien. Il doit protection au bien et
+non pas au mal; il ne doit à celui-ci que la liberté.</p>
+
+<p>Voulez-vous faire justice et non pas faveur? supprimez les
+droits sur le timbre et les frais de poste. Cette suppression
+tournera véritablement au profit de tous; ce sera une mesure
+efficace; je n'ai pour mon compte aucune objection à
+opposer. Je suis porté à croire que, dans l'état actuel de la
+presse périodique, il y a quelque exagération dans les droits
+de timbre et les frais de poste. Il serait à désirer, autant que
+cela peut se concilier avec les intérêts du trésor, que ces
+frais fussent réduits; il y aurait profit pour la presse périodique.
+Mais, je le répète, l'abaissement du cautionnement ne
+tournerait qu'au profit des journaux qui cherchent à répandre
+de mauvaises doctrines. Je n'hésite pas à les attaquer dans le
+for de ma conscience, ces journaux nés au sein d'une révolution
+qui, jusqu'à présent, n'a pas connu le mal, mais où il
+peut s'introduire, car il n'est pas impossible que cette révolution
+si pure, si nationale, soit souillée. Il est de votre
+devoir de la préserver, de veiller à écarter tout désordre qui
+tendrait à la corrompre, à y faire pénétrer le mal. Gardez à la
+France l'innocence, la pureté, l'honnêteté de sa révolution de
+1830. Ce n'est pas seulement un acte moral, c'est un acte salutaire.
+Vous prendrez une mesure de salut public; car,
+croyez-moi, son existence tranquille, régulière, heureuse, est
+intéressée à la conservation de son caractère primitif, tout
+aussi bien que son honneur. Il ne s'agit pas seulement de
+maintenir l'honneur de notre victoire, mais la tranquillité, la
+régularité de l'état social; le bonheur public est attaché à son
+honneur.</p>
+
+<p>Je vote contre tout abaissement et toute suppression des
+cautionnements, et pour la réduction, s'il y a lieu, des frais
+de timbre et de poste, en me ralliant à l'amendement de
+M. Barthe.</p>
+<hr>
+<p class="mid">--Séance du 9 novembre 1830.--</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je regrette d'avoir à ramener l'attention de
+la Chambre sur la discussion qui s'est élevée hier. Je n'ai
+aucun désir de venir réclamer à cette tribune des rigueurs
+inutiles. Ce n'est pas l'amendement du préopinant que je
+viens repousser; si la Chambre juge convenable de donner
+aux journaux nouveaux un délai de deux ou trois mois pour
+faire leur cautionnement, je ne m'y oppose en aucune façon.
+Ce n'est pas pour restreindre telle ou telle liberté que j'ai
+pris hier la parole. C'est pour signaler un fait, un danger
+grave dans l'état actuel de la presse, et pour fonder sur ce
+fait, sur ce danger, la nécessité de maintenir la mesure générale
+du cautionnement. Je ne monte aujourd'hui à la tribune
+que pour repousser des allégations qui s'adressent à l'ensemble
+de notre situation, et à la conduite que j'ai tenue pendant que
+j'avais l'honneur de siéger dans les conseils du Roi. (<i>Sensation.</i>)</p>
+
+<p>Ce n'est point d'exagération que j'ai accusé quelques-uns
+des journaux nouveaux: c'est d'erreur radicale, c'est d'une
+mauvaise influence. L'exagération semble n'indiquer que
+l'excès du bien. Je trouve ces journaux radicalement mauvais;
+leur langage serait modéré qu'ils n'en seraient pas moins
+dangereux; leurs doctrines me paraîtraient aussi mauvaises,
+les passions qu'ils fomentent aussi funestes, quand bien
+même leur langage serait exempt de toute exagération.</p>
+
+<p>Il y a ici une question fondamentale, et qui n'a pas encore
+été posée dans toute son étendue. La révolution qui vient de
+s'accomplir est considérée sous deux points de vue tout à fait
+différents. On l'entend de part et d'autre de deux manières
+diverses. On nous a plus d'une fois accusés, mes amis et
+moi, de ne pas comprendre la révolution de Juillet, de ne
+pas être ce qu'on appelle dans le mouvement, de ne pas la
+continuer telle qu'elle a été commencée. Là est la question.
+Qui comprend véritablement la révolution de Juillet? Qui
+est dans son mouvement? Qui l'a continuée comme elle
+a commencé? J'accepte pleinement cette question; je la
+pose moi-même entre nos adversaires et nous (<i>écoutez!
+écoutez!</i>), et je dis que ce sont eux qui ne comprennent
+pas la révolution de Juillet; que ce sont eux qui,
+au lieu de la continuer, la dénatureraient, la pervertiraient.
+(<i>Mouvements en sens divers.</i>) Je suis obligé de parler avec une
+extrême franchise. (<i>Oui, oui, c'est très-bien; parlez, parlez.</i>)
+Je dis que c'est nous qui sommes dans le mouvement de
+notre belle révolution, que c'est nous qui avons travaillé à
+lui conserver son véritable caractère, et que nos adversaires,
+au contraire, travaillent à le dénaturer, et pour dire toute ma
+pensée, à le pervertir. Je n'ai pas besoin d'ajouter que je
+n'accuse l'intention de personne.</p>
+
+<p>Le grand fait qui a frappé la France et l'Europe quand la
+révolution de 1830 s'est accomplie, c'est l'unanimité du
+pays; c'est l'élan, l'assentiment général de la France. Mais
+croyez-vous, messieurs, que cette unanimité fût complète?
+Est-ce qu'il n'y avait pas, au milieu de cet élan qui a emporté
+la France entière dans le mouvement, des diversités
+d'opinions et d'intentions? Croyez-vous que le fait accompli
+a réellement satisfait, au moment de son accomplissement,
+tous les désirs, tous les intérêts? Réellement non. Aucun de
+nous n'a oublié ce qui s'est passé dans les premiers jours.
+Quel a été le caractère de cette révolution? Elle a changé
+une dynastie, mais en reserrant ce changement dans les
+plus étroites limites. Elle a cherché le remplaçant de la
+dynastie changée aussi près d'elle qu'elle le pouvait. Et ce
+n'est pas sans intention; je ne parle pas de desseins prémédités;
+je dis qu'en fait l'instinct public, l'instinct de l'intérêt
+national a poussé le pays à restreindre ce changement dans
+les plus étroites limites possibles. (<i>Sensation.</i>)</p>
+
+<p>Ce qui s'est fait quant à la dynastie, quant aux personnes,
+s'est fait également quant aux institutions: aucun de nous ne
+peut avoir oublié ce qu'on demandait dans les journées de
+la révolution. Certaines personnes réclamaient une constitution
+toute nouvelle, ne voulaient tenir aucun compte de la
+Charte au nom de laquelle on s'était battu, invoquaient,
+dis-je, une constitution fondée sur des principes différents,
+rédigée, adoptée dans une autre forme. Il y avait donc,
+quant aux institutions et aux principes qui devaient présider
+à la révolution de Juillet, un dissentiment réel.</p>
+
+<p>Il y avait des hommes qui n'étaient pas d'avis de ce qui
+s'est fait, qui désiraient qu'on allât plus loin, dans une autre
+direction. Eh bien, leur opinion n'a pas prévalu. Le fait a
+déposé contre elle. Je n'en fais honneur à la sagesse de personne.
+Ce sont là des événements supérieurs à la sagesse individuelle,
+des événements qui se font par eux-mêmes, des
+événements qui sont l'oeuvre de la nécessité générale, de cette
+raison universelle qui remplit l'atmosphère, et qui dirige la
+conduite des hommes, même à leur insu. (<i>Mouvement
+d'adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Il était dans l'intérêt général de la France que notre révolution
+se fit comme elle s'est faite, c'est-à-dire qu'elle acceptât
+le passé, qu'elle le ménageât, qu'elle ne se jetât pas en
+aveugle dans des carrières inconnues, qu'elle respectât tous
+les faits, qu'elle transigeât avec tous les intérêts, qu'elle se
+présentât à l'Europe sous les formes le plus raisonnables, les
+plus douces, qu'elle se modérât elle-même, qu'elle se contînt
+au moment même où elle s'accomplissait. Voilà quel a été
+son caractère à son origine; voilà ce qu'on a fait par la
+seule impulsion de la nécessité, de la raison générale.</p>
+
+<p>Au bout d'un certain temps, l'empire de cette nécessité, qui
+avait d'abord pesé sur tout le monde, ne s'est pas fait sentir
+avec la même force. Les diversités naturelles ont paru;
+chacun est retourné à sa pente, et nous nous sommes retrouvés
+en proie aux mêmes dissidences où nous étions auparavant,
+et qui avaient été étouffées, contenues, par la force
+des événements.</p>
+
+<p>C'est alors que s'est posée la question de savoir qui comprenait
+véritablement la révolution, qui était ou n'était pas
+dans son véritable mouvement.</p>
+
+<p>Les uns, je n'hésite pas à le dire, ont voulu la faire dévier
+du caractère qu'elle avait revêtu à son origine; ils ont voulu
+qu'elle continuât autrement qu'elle ne s'était faite; ils ont
+invoqué, pour la suite de la révolution, les mêmes principes
+d'après lesquels, si on les avait adoptés dans son origine, on
+aurait fait autre chose que ce qui s'est fait. Ils ont invoqué
+les mêmes principes en vertu desquels on aurait fait une
+constitution toute nouvelle, on se serait jeté dans des voies
+beaucoup plus hasardeuses. C'est au nom de ces mêmes doctrines,
+de ces sentiments qui avaient été battus, passez-moi
+l'expression, dans le berceau de la révolution, et qui n'étaient
+pas parvenus à la dominer, qu'on est venu demander de la
+continuer.</p>
+
+<p>Eh bien, messieurs, mes amis et moi, nous nous sommes
+refusés à la continuer de la sorte. (<i>Vive sensation.</i>) Nous
+avons demandé à la continuer telle qu'elle s'était faite, à
+rester fidèles à son berceau, fidèles à cet esprit de conciliation
+et de modération, à ce ménagement de tous les
+intérêts, à ce balancement impartial entre le passé et le présent
+qui avaient présidé à nos premiers actes.</p>
+
+<p>Nous croyons avoir été fidèles en cela, non-seulement au
+caractère primitif de la révolution, à sa véritable nature,
+mais à l'opinion réelle et sincère et aux véritables intérêts
+de la France. (<i>Vif mouvement d'adhésion.</i>) Je vous demande
+la permission d'arrêter encore un moment votre pensée sur
+ce point. (<i>Oui, oui, continuez, continuez.</i>)</p>
+
+<p>Je prie la Chambre, et en particulier ceux de ses honorables
+membres qui pourraient ne pas penser comme moi, de
+m'accorder une extrême indulgence quant à mes paroles. Il
+ne serait pas impossible qu'elles allassent quelquefois au
+delà de ma pensée, et qu'il m'arrivât d'inculper plus sévèrement
+que je n'ai l'intention de le faire des opinions, des
+doctrines, des conduites qui diffèrent de la mienne, que par
+conséquent j'ai blâmées, et que je blâme encore, mais que je
+n'accuse point. (<i>Sensation.</i>)</p>
+
+<p>Derrière l'opinion différente de la nôtre sur la manière
+d'envisager la révolution de Juillet et de la conduire, je
+trouve trois choses, trois forces. Je trouve des idées républicaines,
+des passions et des prétentions exclusives.</p>
+
+<p>Je dis, messieurs, que la France n'a ni des idées républicaines,
+ni des passions ardentes, ni des prétentions exclusives.
+(<i>Marques très-vives d'adhésion.</i>) Quiconque se présente poussé
+par ces trois forces, marche au rebours de la France et n'est
+pas national. (<i>Très-bien, très-bien!... Bravo!</i>)</p>
+
+<p>J'honore la république, messieurs; c'est une forme de
+gouvernement qui repose sur de nobles principes, qui élève
+dans l'âme de nobles sentiments, des pensées généreuses. Et
+s'il m'était permis de le dire, je répéterais ici les paroles que
+Tacite met dans la bouche du vieux Galba: «Si la république
+pouvait être rétablie, nous étions dignes qu'elle
+commençât par nous.» Mais la France n'est pas républicaine.
+En fait, sa situation géographique, sociale, politique,
+tous ses intérêts matériels sont contraires à cette forme de
+gouvernement qui la mettrait en querelle avec l'Europe, et
+en trouble dans son propre sein. Nos opinions s'y opposent
+également: la pensée de la France n'est pas républicaine.
+(<i>Même mouvement.</i>)</p>
+
+<p>Il y a de la république dans les moeurs de la France, dans
+les relations des citoyens entre eux; mais l'intention de la
+France n'est pas républicaine: il faudrait faire violence aux
+convictions, aussi bien qu'aux intérêts de la France, pour y
+introduire cette forme de gouvernement. Partout donc où
+cette pensée se manifeste, où elle exerce son influence, partout
+où l'on travaille à pousser la nation dans ce sens, on la
+pousse contre son propre désir, contre son intérêt. La pensée
+de la France, je le répète, n'est pas républicaine, et elle a,
+dans mon opinion, raison de ne pas l'être.</p>
+
+<p>La France n'est pas non plus passionnée; ce qui domine
+aujourd'hui dans le pays, ce n'est point un désir ardent de se
+porter vers tel ou tel but lointain; c'est la modération, le
+bon sens. Tout le monde le répète: le bon sens, la modération
+est aujourd'hui le caractère général.</p>
+
+<p>On a rappelé tout à l'heure ce que nous avions fait à
+l'égard des sociétés populaires: je ne veux le désavouer en
+aucune façon; mais le pays, la France l'avait fait avant
+nous. Le mouvement qui s'est manifesté contre les sociétés
+populaires, ce n'est pas du gouvernement qu'il est émané;
+c'était un mouvement spontané, national, populaire, qui
+s'est fait, non-seulement à Paris, mais dans toute la France.
+Il y a tel honorable membre de cette Chambre, élu par les
+électeurs les plus libéraux de son pays, qui a cru devoir
+prendre l'engagement, non pas écrit, mais moral, de
+réprouver les sociétés populaires, tant elles sont contraires
+au sentiment du pays, tant le souvenir de l'influence déplorable
+qu'elles ont exercée préoccupe encore, peut-être trop,
+les imaginations! (<i>Vive sensation.</i>)</p>
+
+<p>Quiconque aujourd'hui paraîtra agir en France par des
+passions ardentes, pressées d'arriver à leur but, ne tenant nul
+compte des obstacles, sera contraire à l'esprit de la France,
+et n'aura pas le droit de se prétendre national; car, encore
+une fois, c'est le bon sens, la modération, la patience, qui
+sont aujourd'hui le caractère de l'esprit français. Il n'y a pas
+lieu de s'en étonner; après une révolution telle que celle que
+nous avons subie, les peuples, non-seulement sont détrompés
+de beaucoup d'erreurs, mais ils sont fatigués, ils ont besoin
+de repos. Il n'y a donc rien d'étonnant que la France soit
+aujourd'hui modérée. Il serait merveilleux qu'elle ne le fût
+point.</p>
+
+<p>Les prétentions exclusives ne sont pas plus dans le goût de
+la France que les passions ardentes et les théories républicaines.
+Voyez le jugement que chacun de nous porte sur ses
+voisins, sur les hommes qui ne partagent pas ses opinions.
+Est-ce un jugement violent, rigoureux? Non; nous avons
+appris à nous comprendre les uns et les autres, à nous
+rendre mutuellement justice, à savoir qu'il ne faut pas,
+parce que nous différons d'opinion sur tel ou tel point,
+nous considérer nécessairement comme ennemis. Il y a de la
+justice et de l'impartialité en France. Il est dans le voeu du
+pays qu'on rende justice à toutes les qualités. Par exemple,
+en matière d'administration, il est dans l'instinct du pays de
+ne pas juger du mérite d'un administrateur uniquement par
+telle ou telle opinion politique, en raison de tel ou tel antécédent
+particulier. On veut tenir compte de sa situation
+sociale, de son caractère moral, et on subordonne souvent
+les antécédents politiques à des considérations d'une autre
+nature.</p>
+
+<p>Pourquoi un cri s'est-il élevé si souvent en France contre
+les réactions, cri parti du fond de toutes les consciences?
+Parce que les prétentions exclusives, l'intolérance de l'esprit
+de parti, l'habitude de classer exclusivement les hommes
+selon telle ou telle opinion, ne sont plus aujourd'hui dans
+l'esprit de la France; parce que ce n'est pas une disposition
+nationale. Et quiconque s'y livrerait serait en contradiction
+avec nos moeurs, avec l'esprit français. (<i>Vif mouvement
+d'adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Ainsi, si nous regardons la révolution dans son origine,
+dans son caractère politique, c'est nous qui lui sommes
+fidèles; c'est nous qui sommes dans son mouvement, et ce
+sont nos adversaires qui voudraient l'en détourner.</p>
+
+<p>Je vais plus loin. Quel est le grand rôle auquel la France
+est aujourd'hui appelée? C'est évidemment à fonder un gouvernement
+libre, un gouvernement constitutionnel, sans
+doute, mais un vrai gouvernement, un pouvoir qui en possède
+l'autorité morale aussi bien que l'autorité de fait. Eh bien,
+ce n'est pas avec des théories, ce n'est pas avec des passions,
+ce n'est pas avec des prétentions exclusives qu'on arrive à un
+tel résultat.</p>
+
+<p>Je respecte les théories; je sais qu'elles sont le travail de
+la raison humaine, son plus noble effort pour atteindre à la
+connaissance générale de la vérité. Mais la raison humaine
+s'égare si souvent, et l'oeuvre est si difficile que, lorsqu'il
+s'agit de la pratique de la vie, les hommes ont grandement
+raison de se défier des théories. Si elles étaient vraies, elles
+seraient bonnes; mais il est extrêmement rare qu'elles soient
+vraies; elles sont presque toujours incomplètes, et par conséquent
+fausses. Tant qu'on ne fait que raisonner, le danger
+n'est pas grand; on se trompe et voilà tout; mais quand il
+faut que les théories deviennent des actions, quand il faut
+que les idées passent dans les bras des hommes, et remuent
+la société, c'est alors que le danger de s'y livrer avec une
+confiance présomptueuse frappe les esprits. Ce n'est point
+avec des théories qu'on fonde les gouvernements; c'est avec
+le bon sens pratique, avec cette raison prudente qui consulte
+les faits, qui se contente chaque jour de la sagesse possible,
+qui mesure sa conduite sur ce qui est, et non pas sur un but
+lointain, douteux, qu'elle ne peut ni bien apprécier ni
+promptement saisir.</p>
+
+<p>Ce n'est pas non plus avec des passions qu'on fonde des
+gouvernements. Les passions, je les honore; elles jouent un
+grand et beau rôle dans l'humanité, dans la société; mais ce
+rôle, ce n'est pas celui de fonder les gouvernements; ce n'est
+pas celui de s'adapter aux nécessités des peuples, de bien
+connaître leurs intérêts, de transiger avec tous les droits,
+avec toutes les existences. C'est par là qu'on fonde des gouvernements,
+et non pas en se laissant aller, soit à l'incertitude
+des théories, soit à l'orage des passions. (<i>Vif mouvement
+d'approbation.</i>)</p>
+
+<p>J'en dis autant des prétentions exclusives. L'esprit de parti
+joue un grand rôle dans le monde, mais ce n'est pas quand
+il s'agit de donner de la stabilité aux lois et à tous les faits
+fondamentaux sur lesquels la société repose; ce n'est pas
+avec les habitudes et les forces de l'esprit de parti qu'on résout
+un pareil problème: c'est avec le respect des lois, le goût
+de l'ordre, le ménagement de tous les intérêts; en un mot,
+c'est avec les mêmes forces, les mêmes moyens qui font la
+sagesse individuelle de chacun de nous dans sa vie privée. Il
+n'est aucun de nous qui ne sache que, quand il s'est livré
+aveuglément à l'empire de certaines idées générales, quand il
+s'est abandonné à ses passions, quand il n'a écouté que ses
+prétentions personnelles, il a été entraîné à une foule d'erreurs
+et de fautes. Il en est de même dans la vie publique. Nous
+sommes obligés, dans le maniement des affaires publiques, à
+être prudents et réservés comme dans notre conduite privée.</p>
+
+<p>Là, messieurs, réside la différence réelle entre nos adversaires
+et nous. Il s'agit de savoir lesquels ont bien compris la
+révolution de 1830, lesquels ont été fidèles à son caractère
+primitif, à l'espoir que la France en a conçu, à l'oeuvre que
+cette révolution est appelée à fonder. Ce que je viens de
+dire établit comment, mes honorables amis et moi, nous
+l'avons comprise, et pourquoi nous n'avons pas voulu nous
+écarter de cette route, et nous avons cru devoir sortir des
+conseils du prince, lorsqu'il nous a paru que nous ne pouvions
+y faire prévaloir nos opinions et nos désirs. (<i>Sensation
+prolongée.</i>)</p>
+
+<p>Je ne pense cependant pas, messieurs, que nos successeurs
+veuillent se conduire autrement. La force des choses pèse sur
+eux comme sur nous. Ils sont hommes éclairés; ils sont bons
+citoyens comme nous. La différence qui a pu exister entre
+nous, pendant que nous siégions ensemble dans les conseils
+du prince, je n'hésite pas à le dire, est déjà beaucoup moins
+sensible. (<i>Écoutez, écoutez.</i>) Déjà ils tiennent, avec des ménagements
+plus ou moins étendus, la conduite que nous aurions
+tenue. Quiconque sera appelé à diriger la révolution dans les
+voies du gouvernement sera obligé de la comprendre comme
+nous l'avons comprise. Tous les partis peuvent y être successivement
+appelés. Les opinions les plus diverses, les passions
+les plus ardentes, les prétentions les plus exclusives peuvent
+être obligées d'entrer dans cette carrière du gouvernement;
+elles y seront soumises aux mêmes nécessités; elles porteront
+le même joug; ce qu'elles ont de faux sera vaincu par la
+force des choses. Elles seront obligées de considérer et de
+continuer la révolution de 1830, non pas comme on la
+demande dans quelques journaux, mais comme nous l'avons
+nous-mêmes comprise. Quiconque voudra lui faire porter
+d'autres fruits la détournera de son caractère primitif, de la
+pensée nationale, de son véritable but, la pervertira au lieu
+de la continuer. (<i>Mouvement très-prononcé d'adhésion.
+Sensation prolongée.</i>)</p>
+<hr>
+<p class="large">Le débat s'étant prolongé et animé, je fus amené à
+reprendre, dans la même séance, la parole, en réponse
+à M. Odilon Barrot.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--J'avais évité tout ce qui pouvait amener les
+personnes dans la discussion. J'aurais désiré qu'elle pût persévérer
+dans cette voie; je regrette qu'elle en ait été détournée;
+mais puisqu'il en a été ainsi, il m'est impossible de ne
+pas aborder moi-même la tribune pour donner quelques
+explications à la Chambre.</p>
+
+<p>Il doit être évident qu'il ne s'agit, entre les orateurs qui
+m'ont précédé à cette tribune et moi, d'aucune question personnelle:
+il ne s'est passé entre nous aucun fait qui puisse
+altérer l'estime réciproque que se doivent des hommes de
+conscience et de conviction. Il ne s'agit réellement que de
+deux systèmes de gouvernement, de deux manières de considérer
+notre révolution, et les conséquences qui en doivent
+sortir.</p>
+
+<p>Je n'ai jamais regardé la révolution de 1830 comme une
+continuation de la Restauration; je n'ai jamais cru que le
+principe de la Restauration eût survécu au mois de Juillet:
+je l'ai toujours pensé, et je le répète: la révolution de juillet
+est une véritable révolution; au principe de la légitimité
+héréditaire a été substitué momentanément, du moins je
+l'espère, le principe du choix du peuple. Mais ce principe ne
+préside pas à notre gouvernement, car nous sommes revenus
+au principe de l'hérédité qui sera maintenu, je n'en doute
+pas, au profit de la dynastie actuellement régnante. A mon
+avis, cette légitimité toute rationnelle, qui n'a rien de semblable
+à l'ancienne légitimité, peut seule sauver l'État. En
+même temps que je proclame le droit éternel d'un peuple
+de se séparer de son gouvernement dès que ce gouvernement
+lui devient hostile, je maintiens aussi que ce principe
+ne peut présider au gouvernement nouveau que l'on
+substitue à l'ancien, car c'est le principe des révolutions. Il
+faut qu'il reste dans le coeur des peuples, qu'il y vive à
+jamais; mais ils ne doivent pas croire que ce droit repose
+sur leur seule volonté; il ne repose que sur la nécessité,
+l'inévitable nécessité, et c'est par là que notre révolution est
+légitime, car elle était nécessaire. Non, messieurs, ce principe
+qui a présidé à notre révolution ne doit pas présider à
+notre gouvernement: celui qui y préside aujourd'hui, qui
+doit y présider longtemps, c'est le principe de la légitimité
+héréditaire.</p>
+
+<p>Je suis rentré presque involontairement dans cette discussion
+générale que la Chambre pouvait croire fermée; je reviens
+à celle des personnes, qui en ce moment est la véritable.</p>
+
+<p>La dissidence qui s'est manifestée entre.......Je
+regrette de nommer les personnes, mais j'y suis contraint;
+la dissidence qui s'est manifestée entre M. le préfet de la
+Seine et moi, comme ministre de l'intérieur, était antérieure
+à la proclamation dont on vient de parler, et M. Odilon
+Barrot peut ici l'affirmer lui-même; seulement elle a éclaté
+à l'occasion de cette proclamation. Elle s'était déjà montrée
+dans nos conversations, dans nos rapports journaliers. Nous
+nous étions franchement expliqués, comme nous devions le
+faire; nous savions fort bien l'un et l'autre que nous suivions
+des lignes diverses. Il a agi dans sa voie, j'ai agi dans
+la mienne. Ainsi, pour citer un fait où notre dissidence s'était
+déjà prononcée bien nettement, dans cette procession solennelle
+qui avait pour but de transporter au Panthéon les
+bustes de deux défenseurs de la liberté, les choses se sont
+passées, de la part de M. le préfet, tout autrement que je
+l'eusse voulu. Je ne pense pas qu'il dût intervenir comme
+magistrat, ni même moralement dans cette affaire; je ne pense
+pas qu'il dût recevoir les bustes à l'Hôtel de ville. Notre dissidence
+n'a cependant éclaté qu'au sujet de la proclamation.</p>
+
+<p>Je dois le dire, je regrette qu'on ait ici abordé de nouveau
+cette question; j'aurais voulu qu'on n'en parlât pas devant
+la Chambre, parce qu'il me semble qu'une portion considérable
+de la Chambre pense à cet égard autrement que moi.
+Cependant je dois ici dévoiler ma pensée tout entière.</p>
+
+<p>J'ai participé à l'adresse de la Chambre par mon vote, et à
+la réponse du Roi par mes avis dans le conseil, parce que j'ai
+cru avoir raison d'en agir ainsi à la Chambre et dans le conseil.
+Je l'avoue, je ne porte aucun intérêt au ministère
+tombé; je n'ai jamais eu la moindre relation avec l'un de
+ses membres. Je les crois coupables.....Je suis désolé
+d'avoir à en parler, mais je dois le dire.....Je les crois
+coupables du plus grand crime que des hommes au pouvoir
+puissent jamais commettre: je crois qu'il ne peut y avoir de
+doute sur le châtiment qui les attend. Mais j'ai la conviction
+profonde qu'il est de l'honneur de la nation, de son honneur
+historique, de ne point verser leur sang. (<i>Sensation.</i>) J'ai la
+conviction qu'après avoir changé un gouvernement, renouvelé
+la face du pays, c'est une chose misérable, et par conséquent
+inutile, de venir poursuivre une justice mesquine à
+côté de cette justice immense qui a frappé, non pas quatre
+hommes, mais un gouvernement tout entier, une dynastie
+tout entière, tout un ordre de principes. Quand la
+France s'est fait justice, venir demander un sang qu'il est
+inutile de verser, cela me paraît mauvais, et je le blâme
+comme tel. Tout ce dont nous n'avons pas besoin, et un besoin
+absolu, nous ne devons pas le faire. Je le répète, notre
+révolution était appelée à donner un exemple immense, et
+elle l'a fait, parce qu'elle avait besoin de le faire; mais ce
+besoin accompli, que la nation consulte ses sentiments de
+compassion, d'humanité, cette foule de sentiments, en un
+mot, qui peuvent bien s'éteindre un moment dans le coeur des
+peuples, mais qui ne manquent jamais d'y renaître. Toutes
+les révolutions ont versé le sang, mais trois mois, six mois
+après, ce sang même a tourné contre elles. Il ne faut pas rentrer
+dans cette ornière sanglante dont nous sommes sortis,
+même pendant le combat.</p>
+
+<p>C'est avec cette conviction que j'ai voté l'adresse au Roi;
+non pas dans l'intention d'obtenir l'abolition générale de la
+peine de mort, car, selon moi, elle ne peut être abolie. Ce
+n'est pas en six semaines qu'on peut bouleverser tout notre
+Code pénal; et je suis bien aise de saisir ici cette occasion de
+faire ma profession de foi. Je ne pense pas que la société soit
+aujourd'hui assez avancée pour pouvoir établir dans son sein
+l'abolition de la peine de mort. Pour arriver là, il lui faudra
+peut-être encore bien des siècles. Mais je reconnais que, pour
+les crimes politiques, la peine de mort n'est plus bonne à rien.
+Je l'ai dit en 1820, et j'ai le droit de le répéter ici, on ne
+doit point prononcer la peine de mort en matière politique.
+J'ai défendu ce principe en faveur du général Berton, je l'ai
+défendu pour les accusés dans la conspiration de Béfort.
+(<i>Sensation.</i>) J'ai réclamé l'abolition de la peine de mort pour
+eux, je puis encore le faire ici pour d'autres. Je persiste dans
+mon opinion. C'est parce que l'adresse de la Chambre m'a
+paru propre à hâter ce résultat que je l'ai appuyée, et non
+assurément pour l'abolition générale de la peine de mort qui
+me paraît une chimère. (<i>Sensation.</i>)</p>
+
+<p>Je viens à l'article du <i>Moniteur</i> que M. le préfet de la Seine
+a cité. Je regrette d'avoir à entretenir la Chambre de faits qui
+me sont tout personnels; mais cette discussion m'y oblige.
+Je l'avoue: dans mon ministère, je n'ai pas fait tout ce que
+j'aurais voulu faire; j'ai fait des choses que je voudrais aujourd'hui
+n'avoir point faites; mais parmi elles, il n'en est
+qu'une seule qui, à mes yeux, soit réellement grave: c'est le
+consentement que j'ai donné à cet article inséré au <i>Moniteur</i>.
+Il était contre mon opinion, contre mes principes; de plus,
+je ne trouvais point qu'il fût convenable, après la réponse du
+Roi qu'il contredisait formellement. Je ne pense pas que le
+gouvernement, le conseil pût blâmer là réponse faite à
+l'adresse de la Chambre. Cet article du <i>Moniteur</i>, c'était une
+manière de dire qu'on n'avait jamais songé à présenter la loi
+demandée par l'adresse. On détournait le résultat vers lequel
+on avait d'abord tendu. Je le répète, j'ai eu tort de consentir
+à cet article du <i>Moniteur</i>; c'est la seule faute grave que je me
+reproche, et je devais le déclarer à la Chambre.</p>
+
+<p>La proclamation de M. le préfet de la Seine était encore
+beaucoup plus explicite que l'article du <i>Moniteur</i>. Cette
+proclamation ne contenait aucune phrase que pût désavouer
+un magistrat probe, éclairé; elle faisait rougir quelques
+hommes égarés de leur ivresse: elle n'avait pour but que de
+réprimer de coupables excès; elle était bonne en soi; mais,
+sur la question de la peine de mort, elle était complétement
+contraire à mes opinions. J'ai cru que c'était là un
+symptôme évident de notre dissidence sur la direction générale
+du gouvernement, le symptôme définitif après lequel il
+ne nous était plus possible de marcher d'accord; aussi ai-je
+empêché l'insertion de la proclamation au <i>Moniteur</i>, comme
+la Chambre a pu le remarquer. S'il ne s'était agi que de la
+destitution de M. le préfet de la Seine, j'aurais pu accepter
+sa démission; mais il ne s'agissait là ni de lui ni de moi; il
+s'agissait de deux systèmes: la question ne dépendait pas
+même de lui seul. Son système avait des représentants dans
+le conseil. Il fallait donc nécessairement qu'un de ces deux
+systèmes se retirât. La question ne pouvait être posée autrement:
+c'était là sa véritable expression.</p>
+
+<p>J'ajoute: il était nécessaire que mon système et celui de
+mes honorables amis se retirât devant l'autre système.</p>
+
+<p>Tout le monde sait que le ministère dont j'ai fait partie a
+été nommé un ministère de coalition; ce n'était pas, en effet,
+autre chose: c'est-à-dire qu'il était composé de nuances fort
+diverses de l'opinion nationale et constitutionnelle. Car, j'ai
+besoin de le dire, toutes ces nuances entrent dans l'opinion
+nationale, et, en effet, au moment même où nous nous séparons
+de nos anciens collègues, nous sentons tous profondément
+que nous sommes les enfants d'un même pays. Mes amis
+et moi devions nous retirer, et le Roi a accepté nos démissions;
+mais notre ministère de coalition a été utile pour
+rallier autour du nouveau gouvernement toutes les nuances de
+l'opinion nationale. Nous avons été utiles à prouver que la
+révolution de 1830 les peut rallier toutes; que cette révolution
+était légitime, nécessaire; nous avons servi, s'il m'est
+permis de le dire, à autre chose encore: à prouver à l'Europe
+que, dans cette révolution, il n'y avait point de principes
+anarchiques, et qu'elle pouvait la voir sans crainte, puisque
+des hommes comme nous, des hommes éclairés, des hommes
+connus par leur amour de l'ordre, s'y étaient sur-le-champ
+rattachés. Je puis donc dire, non pas pour moi, mais pour
+mes honorables amis, que nous avons un peu contribué
+à cette prompte reconnaissance dont l'Europe a salué
+notre jeune royauté. C'est un service rendu à la France
+et à l'Europe par un ministère de coalition, comme était le
+nôtre.</p>
+
+<p>Quand il a fallu marcher, il est devenu évident que le
+conseil avait besoin de plus d'homogénéité et d'accord qu'il
+n'en pouvait avoir avec nous; il est devenu évident qu'un préfet
+ne pouvait différer avec son ministre, et qu'il fallait qu'une
+partie du ministère se retirât devant l'autre. Je le répète: les
+ministères de coalition ne sont pas des ministères de gouvernement;
+il faut avant tout, dans un conseil qui veut agir, de
+l'homogénéité; c'est à ce prix seulement que le gouvernement
+peut s'affermir et durer. J'ai senti le premier le vice
+d'un ministère de coalition: je l'ai profondément senti, et
+voilà la véritable cause de dissidence entre deux hommes
+qui s'estiment et s'honorent, j'ose le dire, mais qui n'ont
+pu, qui n'ont pas dû marcher ensemble.--(<i>Sensation prolongée.</i>)</p>
+
+<a name="XVIII" id="XVIII"></a>
+<br><br>
+<h3>XVIII</h3>
+
+<p class="mid">Discussion d'un projet de loi relatif à la répression des délits
+de la presse.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 25 novembre 1830.--</p>
+
+<p class="large">Le gouvernement avait proposé, le 5 octobre 1830, à
+la Chambre des pairs un projet de loi pour modifier
+l'article 2 de la loi du 25 mars 1822, relatif aux attaques
+«contre les droits que le Roi tient de sa naissance et
+ceux en vertu desquels il a donné la Charte.» Ce projet,
+adopté le 14 octobre par la Chambre des pairs, fut présenté
+le 13 novembre, par le nouveau cabinet formé le
+3 novembre, à la Chambre des députés; il devint, le
+25 novembre, l'objet d'une discussion dans laquelle je
+pris la parole pour maintenir le vrai caractère de la
+révolution de Juillet et la politique que j'avais exposée
+et pratiquée comme membre du cabinet précédent.</p>
+
+<p>
+<span class="sc">M. Guizot.</span>--Le projet sur lequel la Chambre va délibérer
+rencontrera probablement peu d'objections; peut-être même,
+si je n'avais demandé la parole, il eût passé sans débats. Il
+est cependant d'une haute importance; il fait une grande
+chose; il efface de nos lois pénales tout un système de principes
+et lui en substitue un autre. Il écrit dans nos lois les
+principes fondamentaux de notre dernière révolution, et en
+fait la base de notre droit public. Son adoption immédiate,
+non contestée, est à coup sûr le meilleur témoignage de
+l'unanimité de sentiments qui règne dans cette Chambre, et
+de sa ferme adhésion à notre révolution.</p>
+
+<p>Mais au dehors, des objections s'élèvent, des attaques sont
+dirigées contre le principe fondamental de ce grand événement.
+On l'accuse de n'être qu'une usurpation, un acte de
+violence, un simple fait dépourvu de droit; on lui conteste
+la légitimité qu'on revendique exclusivement au profit d'un
+système et d'un gouvernement différents.</p>
+
+<p>En fait, messieurs, de telles objections, de telles attaques
+sont sans puissance, sans efficacité; mais elles ne sont jamais
+sans importance: il est nécessaire de les repousser. C'est
+l'honneur des peuples de ne pas accepter le régime de la
+force pure, de ne pas vouloir obéir à un simple fait, à un
+acte de violence, d'avoir besoin de croire que le pouvoir
+auquel ils obéissent a droit sur eux, d'avoir besoin d'être
+convaincus de sa légitimité.</p>
+
+<p>Il est donc indispensable, dans l'intérêt du pouvoir lui-même
+comme du repos des esprits, que les attaques dirigées
+contre la légitimité de notre révolution et du gouvernement
+qu'elle a fondé soient hautement repoussées. Nous ne pouvons
+accepter et laisser passer inaperçus aucune des assertions,
+aucun des raisonnements sur lesquels on prétend se
+fonder pour contester la légitimité de ce que nous avons fait.</p>
+
+<p>C'est sous ce point de vue que je viens soutenir le projet,
+c'est-à-dire affirmer la légitimité du gouvernement actuel et
+de l'insertion de ses principes dans nos lois.</p>
+
+<p>Il y a, messieurs, dans notre révolution, un caractère que
+plus d'une fois déjà on a remarqué, et qu'il importe de ne
+jamais oublier: c'est qu'elle a été imprévue, imprévue pour
+tout le monde, du moins dans le mode de son exécution,
+pour ceux qui l'ont faite comme pour ceux qui l'ont subie.
+Et de même qu'elle a été imprévue, elle a été universelle;
+elle s'est accomplie presque au même moment, non-seulement
+dans Paris où la bataille s'est livrée, mais dans la
+France entière. Nous sommes absorbés par les événements
+de Paris, et nous oublions trop qu'au même instant, spontanément,
+sans attendre les nouvelles de Paris, sans les savoir,
+dans une foule de villes de province, à Réthel comme à
+Nantes, sur la simple arrivée des fatales ordonnances, le drapeau
+tricolore fut arboré et la révolution commencée. Et
+pendant que le mouvement en faveur de la révolution était
+ainsi spontané, nulle part un bras, une voix ne se sont
+élevés pour le combattre. Ce que prouve ce fait, messieurs,
+c'est qu'il n'y a eu, dans la révolution de Juillet, aucune
+préméditation, aucun complot, aucune conspiration. Plus
+d'une fois, depuis quinze ans, nous avons vu des complots,
+des séditions: rien de pareil dans le mouvement de Juillet;
+aucun caractère, je le répète, ni de préméditation, ni de
+conspiration; aucune trace d'une volonté particulière, d'un
+plan renfermé dans une certaine classe d'hommes: c'est un
+mouvement national, national dans sa spontanéité, dans son
+universalité; la manière dont il a été accompli ne peut laisser
+aucun doute à cet égard.</p>
+
+<p>Ce mouvement national n'a-t-il été qu'un moment
+d'emportement, un accès qui s'est tout à coup emparé du
+peuple entier? Non, messieurs, cette révolution si soudaine,
+si spontanée dans son explosion et dans son mode d'exécution,
+elle se préparait depuis longtemps; elle a mûri lentement.
+Depuis quinze ans, depuis dix ans surtout, nous y
+marchions, de l'aveu de tout le monde: c'est le singulier
+caractère de cet événement qu'en même temps que, dans son
+mode d'exécution, il a été imprévu pour tous, il était
+au fond, depuis quelque temps, prévu de tous comme
+inévitable, et accepté presque de tous comme nécessaire.
+Même avant d'être accompli au dehors, il l'était dans
+les esprits; il a été inattendu et prévu en même temps.</p>
+
+<p>Messieurs, je ne voudrais faire aucun appel aux passions,
+ni réveiller aucun souvenir révolutionnaire; mais pour bien
+faire comprendre le véritable caractère de notre révolution
+et sa légitimité, je suis obligé de remonter un peu haut
+et de reprendre l'histoire de la Restauration. Je n'ai aucun
+dessein de mettre la Restauration aux prises avec la révolution,
+ni de relever ce procès tant débattu; je me renfermerai
+dans l'intérieur de la Restauration même, dans
+son développement particulier, et vous verrez la révolution
+de Juillet en sortir nécessairement, comme une conséquence
+naturelle, légitime, des fautes de la Restauration, du développement
+de ce qu'il y avait de radicalement vicieux dans
+son sein.</p>
+
+<p>Dès son origine, quiconque a observé attentivement la
+Restauration, a pu voir qu'elle était en proie à deux principes,
+à deux influences contraires: l'une bonne, l'autre
+mauvaise; l'une favorable aux intérêts du pays, conforme à
+ses sentiments; l'autre hostile aux mêmes sentiments, aux
+mêmes intérêts.</p>
+
+<p>Ce qui a fait la force de la Restauration, car elle a eu de
+la force, elle a duré quinze ans au milieu des attaques de
+ses adversaires et des conspirations; ce qui a fait sa force,
+dis-je, c'est d'abord qu'elle s'est présentée à l'Europe comme
+une garantie de paix, de stabilité, dont la France avait
+un si grand besoin, après tant de triomphes et de fatigues.</p>
+
+<p>De plus, la Restauration, en établissant un gouvernement
+qui n'était pas l'oeuvre de sa propre force, ni le résultat
+récent de la volonté de quelques hommes, un gouvernement
+qui se fondait sur un droit antérieur et ancien, la Restauration
+a ramené en France, sous un certain rapport, le respect
+du droit, l'empire de cette idée salutaire sur laquelle la société
+repose, l'idée qu'il y a des droits acquis, des droits anciens
+qui ne doivent pas être sans cesse remis en question, qui
+subsistent par eux-mêmes et sont la base de l'édifice social.
+Ce principe, la Restauration le portait en elle-même; il était
+son meilleur titre, celui qui faisait sa force, non-seulement
+en France, mais en Europe.</p>
+
+<p>En même temps, messieurs, et par-dessus tout, ce qui
+faisait la force de la Restauration, c'était la Charte, c'est-à-dire
+l'adoption des principes les plus essentiels et des principaux
+résultats de notre révolution.</p>
+
+<p>Gage de paix, respect du droit, adoption par la Charte
+des grands résultats et des grands principes de notre révolution,
+voilà le bon côté, la bonne influence et ce que j'appelerai
+volontiers le bon génie de la Restauration.</p>
+
+<p>Mais, en même temps, elle était évidemment en proie à
+d'autres forces, à d'autres influences. Avant tout, elle
+portait dans son sein la prétention à une souveraineté illimitée,
+supérieure à toutes les lois, invariable, éternelle,
+c'est-à-dire la prétention au pouvoir absolu.</p>
+
+<p>A côté de la prétention au pouvoir absolu, la Restauration
+portait une disposition constante à favoriser tous les abus
+de l'ancien ordre de choses qui avait péri avec l'ancienne
+royauté; c'est-à-dire tout le régime aristocratique et tout le
+régime ecclésiastique qui tenaient dans l'ancienne société
+une si grande place.</p>
+
+<p>La prétention au pouvoir absolu et la tendance à rétablir
+l'ancien état social, sans s'inquiéter de savoir s'il convenait
+aux générations nouvelles, c'était là le mauvais côté, la
+mauvaise influence, le mauvais génie de la Restauration.</p>
+
+<p>Reprenez, messieurs, ce qui s'est passé en France depuis
+1814 jusqu'à nos jours, et vous verrez que l'histoire de la
+Restauration n'est autre chose que la lutte de ces deux principes,
+de ces deux génies qui se la disputaient constamment.
+Elle a cédé tantôt à l'un, tantôt à l'autre. Les vicissitudes de
+cette lutte font toute sa vie. Et au milieu de ces vicissitudes,
+toutes les fois que le mauvais génie l'a emporté ou a paru
+l'emporter, toutes les fois que la Restauration a cédé, soit à
+la prétention du pouvoir absolu, soit au retour de l'ancien
+état social, la prévoyance de ses revers prochains s'est à
+l'instant répandue; des prédictions sinistres ont retenti,
+non-seulement de la part de ses adversaires, de la part des
+hommes qui faisaient, depuis son origine, profession de la
+combattre, mais de la part de ses anciens amis, de ses partisans,
+de ses meilleurs conseillers.</p>
+
+<p>Plus d'une fois, messieurs, vous le savez, des paroles de
+ce genre ont retenti dans cette enceinte: le mot de <i>répugnance</i>
+a été dit à cette tribune par un courageux adversaire
+de la Restauration. Un mot plus sévère, plus concluant, le
+mot d'<i>incompatibilité</i> a été prononcé à cette tribune par
+une bouche amie, qui n'avait jamais donné que d'utiles
+conseils. (<i>Sensation.</i>)</p>
+
+<p>Toutes les fois donc qu'entre les deux influences qui se
+disputaient la Restauration, celle du pouvoir absolu et de
+l'ancien régime semblait prévaloir, la prédiction de l'événement
+qui s'est accompli sous nos yeux était dans tous les
+esprits, dans toutes les bouches, et retentissait au milieu de
+vous.</p>
+
+<p>Et cette opinion n'était pas particulière aux spectateurs
+de ce qui se passait au milieu de nous, aux anciens et sages
+amis de la Restauration; c'était celle de l'Europe. Toutes
+les fois que la mauvaise influence paraissait l'emporter,
+l'Europe s'en inquiétait; l'Europe prévoyait des troubles,
+des désastres.</p>
+
+<p>Depuis 1820, c'est cette influence, c'est le mauvais génie
+de la Restauration qui s'est emparé d'elle. Un moment son
+action a été suspendue sous une administration qui avait de
+bonnes intentions, et à laquelle nous devons nos lois les plus
+efficaces, les lois avec lesquelles nous nous sommes défendus
+contre le pouvoir absolu, avec lesquelles nous avons reconquis
+la liberté et fait la révolution nouvelle. Mais cette suspension
+a été courte: le mauvais génie de la Restauration a
+bientôt repris possession d'elle; au mois d'août 1829, sa
+victoire a été définitive; au mois d'août 1829, le mauvais
+génie de la Restauration l'a saisie sans retour.</p>
+
+<p>Vous avez entendu professer aussitôt cette doctrine d'une
+souveraineté illimitée, invariable, qui était, je le répète, depuis
+quatorze ans, l'écueil le plus dangereux, celui contre
+lequel la Restauration devait un jour se briser. Vous avez vu
+cette doctrine devenir la doctrine fondamentale du pouvoir;
+vous l'avez entendu l'opposer constamment à tous ses adversaires.
+Et chose singulière, au moment même où les prétentions
+du pouvoir devenaient exorbitantes, où il aspirait à
+cette souveraineté absolue, illimitée, qui n'appartient à personne,
+il montrait en même temps la faiblesse et l'incapacité
+la plus entière; plus ses prétentions croissaient, moins sa
+force était grande. Il était d'une incapacité non-seulement
+nuisible aux intérêts du pays, mais de cette incapacité qui
+offense, qui humilie la dignité des peuples qui la voient
+régner sur eux. Le pays était blessé en même temps dans
+son honneur par les prétentions du pouvoir absolu, et dans sa
+dignité actuelle par le spectacle de l'impéritie à laquelle il
+était en proie. (<i>Marques d'adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Dans cette triste année, livrée à un pouvoir qui professait
+des opinions si antipathiques à ses sentiments, qui se montrait
+incapable d'aucune grande chose, qu'a fait la France?
+Elle ne s'est point agitée; elle n'a pas dit un mot ni fait une
+démarche hors de la ligne tracée par la légalité; elle a parfaitement
+compris sa situation et la force qu'elle pouvait tirer
+des droits déjà acquis. Elle s'est bornée à exercer les libertés
+qu'on ne pouvait lui arracher, et à invoquer les principes de
+la Charte. Jamais, je le répète, la France ne s'est moins
+agitée; jamais elle ne s'est plus strictement renfermée dans
+les limites de ses droits constitutionnels qu'au moment où le
+pouvoir les franchissait de toutes parts et manifestait des
+prétentions illimitées. Point de complot, point d'émeute
+pendant cette année. Cependant la France n'avait pas
+perdu courage, elle réclamait ses droits, elle les réclamait
+avec une énergie de plus en plus croissante; elle avait confiance
+dans son avenir constitutionnel, dans cet avenir qui
+s'est accompli sous nos yeux.</p>
+
+<p>Cet avenir, messieurs, depuis le 8 août, préoccupait
+tous les esprits; il était dans toutes les bouches, dans les
+bouches qui professaient les opinions les plus contraires.</p>
+
+<p>Je n'ai rien à dire de l'<i>adresse</i> qui est sortie de cette
+Chambre, adresse conçue dans le langage le plus respectueux,
+le plus affectueux que jamais pays ait parlé au pouvoir. Je
+ne dirai rien non plus des élections de 1830 et de leur caractère.
+Vous vous rappelez comment tous les citoyens
+usèrent de leurs droits sans jamais les dépasser.</p>
+
+<p>L'Europe sait quelle sagesse présida à l'<i>adresse</i> et aux
+élections. Eh bien, messieurs, toute la sagesse du pays a été
+inutile, inutile pour enlever la Restauration au mauvais
+génie qui s'était emparé d'elle. Le pays a été vainement
+légal, prudent, réservé; toute sa prudence n'a pu empêcher
+que la Restauration ne se soit précipitée vers sa ruine.</p>
+
+<p>Qu'est-il donc arrivé, messieurs, quand l'événement s'est
+accompli, quand la révolution a éclaté avec cette spontanéité,
+cette universalité dont je parlais tout à l'heure? Est-il arrivé
+une usurpation, un acte de violence du pays contre son
+gouvernement? Non, messieurs; il est arrivé le dénoûment
+de la lutte qui existait en France depuis quinze ans, et particulièrement
+depuis dix ans. Il est arrivé que le mauvais
+principe de la Restauration ayant prévalu dans son sein,
+s'étant emparé d'elle, il a porté ses fruits, fruits désirés par
+les uns, redoutés par les autres, également prévus par tous,
+quoique dans des termes et avec des sentiments différents.</p>
+
+<p>Il n'est donc pas vrai, messieurs, que notre révolution
+puisse être taxée d'usurpation, de violence, qu'elle puisse être
+traitée comme un simple fait accompli dans un brusque accès
+de colère qui s'est emparé tout à coup d'un peuple. Elle est,
+je le répète, le résultat naturel, attendu, du cours des choses;
+elle est un de ces événements qui sont conformes aux lois de
+la Providence, qui sont évidemment amenés par elle; un de
+ces événements qui satisfont, pour ainsi dire, l'intelligence
+humaine, parce qu'ils lui apparaissent comme la manifestation
+de la sagesse divine. La Restauration a été frappée
+de mort par ses propres fautes, et tout le monde s'est
+rangé pour laisser passer la justice du pays, qui la renvoyait
+hors du territoire. (<i>Vifs mouvements d'adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Je n'hésite pas à le dire: notre révolution a été parfaitement
+légitime dans son principe; elle n'a point été faite au
+profit de telle ou telle théorie douteuse, de tel ou tel parti,
+de telle ou telle passion révolutionnaire; elle a été faite pour
+repousser la prétention au pouvoir absolu, cette prétention
+éternellement illégitime.</p>
+
+<p>On parle d'ordre public; notre révolution a été faite pour
+rétablir l'ordre public à chaque instant menacé par les prétentions
+et les faiblesses du pouvoir. On parle de serments:
+notre révolution a été faite contre le parjure, elle a été faite
+pour rétablir le respect du serment outrageusement violé.
+(<i>Très-bien, très-bien!</i>) On parle d'actes arbitraires, de caprices
+d'imagination: notre révolution a été nécessaire; elle n'a
+été faite par la volonté de personne, mais par le mouvement
+spontané de tous; personne ne peut s'en vanter, personne
+n'en a le mérite; elle a été l'oeuvre universelle de la nécessité
+et du pays.</p>
+
+<p>Si, après avoir démontré sa légitimité morale et sa nécessité
+politique, je parlais de sa conduite; si je faisais voir à
+quel point elle a été sage, prudente, réservée, et quant au
+choix de son souverain, et quant aux modifications qu'elle a
+apportées dans la Charte et dans tout notre gouvernement,
+et dans ses actes envers ses adversaires; si j'insistais, dis-je,
+sur tous ces points, on verrait que là aussi, comme dans son
+principe, elle a été pleinement légitime, plus légitime qu'il
+n'a jamais été donné à aucun semblable événement de l'être.</p>
+
+<p>Et c'est précisément, messieurs, la sagesse, la beauté, la
+modération, la légitimité de notre révolution, qui font aujourd'hui
+une des principales difficultés du gouvernement.
+Parce que la révolution a été très-douce, très-modérée, le
+pouvoir est obligé d'être doux, modéré; parce qu'elle a été
+juste, impartiale, parce qu'elle n'a paru animée d'aucune
+mauvaise passion, le pouvoir est obligé de les combattre
+toutes; il ne peut se livrer à un parti; il ne peut pas être
+moins impartial, moins raisonnable que ne l'a été la révolution
+au moment où elle s'accomplissait. Cependant les passions,
+les partis surgissent de toutes parts; le pouvoir est aux
+prises avec eux; le caractère même de la révolution qui l'a
+enfanté lui impose des lois que les partis, qui s'agitent autour
+de lui, travaillent à lui faire méconnaître. Il doit accepter
+cette destinée, messieurs; il est de son honneur de ne pas
+valoir moins que la révolution même. Il ne le pourrait pas
+sans démentir sa mission, son origine. Mais, messieurs, parce
+que la modération, la sagesse, l'impartialité sont imposées au
+pouvoir, ce n'est pas qu'il doive laisser prendre le ton haut
+aux adversaires de notre révolution, ni la laisser calomnier et
+injurier, comme nous l'avons vu souvent. Non, il n'y a aucun
+des reproches adressés à notre révolution qui ne puisse être
+victorieusement repoussé. L'usurpation, la violence, le caprice
+ont été le fait de ses adversaires, et non le sien. Ses
+principes ont été aussi légitimes que ses actes ont été beaux,
+et nous avons pleinement le droit de les écrire dans nos lois,
+puisque ce sera notre honneur de les avoir écrits dans notre
+histoire.</p>
+
+<p>Je vote pour le projet. (<i>Sensation prolongée.</i>)</p>
+
+<a name="XIX" id="XIX"></a>
+<br><br>
+<h3>XIX</h3>
+
+<p class="mid">Discussion relative aux inquiétudes et aux troubles provoqués
+à l'approche du procès des ministres du roi Charles X.</p>
+
+<p class="mid">--Chambres des députés.--Séance du 20 décembre 1830.--</p>
+
+<p class="large">Le président du cabinet du 3 novembre 1830, M. Laffitte,
+ayant donné, dans cette séance, à la Chambre des
+députés, l'assurance que le gouvernement prenait toutes
+les précautions nécessaires pour garantir l'ordre public
+et la justice pendant le procès des ministres de Charles X,
+nous prîmes successivement la parole, M. Dupin,
+M. Odilon Barrot et moi, pour promettre au cabinet que
+le ferme appui de la Chambre ne lui manquerait pas.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--C'est un rare et immense bonheur que de
+monter à cette tribune pour y exprimer tous les mêmes sentiments,
+pour y former tous les mêmes voeux. Nous sommes
+ici en général, non pour nous combattre, mais pour discuter,
+pour exprimer des opinions, souvent des intentions différentes.
+Aujourd'hui, une seule opinion, un seul sentiment,
+une seule intention éclatent à cette tribune. Je n'y serais donc
+pas monté, si je n'avais besoin de remercier tous les membres
+qui viennent de parler d'être entrés, au milieu de circonstances
+si graves, dans la voie de la publicité la plus complète,
+et d'avoir livré à cette tribune les faits qu'elle attendait depuis
+quelques jours et les questions qui agitent tous les esprits.</p>
+
+<p>L'honorable préopinant vous disait tout à l'heure: une
+multitude de fantômes se mêlent à des peurs réelles; tous les
+objets assiégent à chaque instant toutes les imaginations. La
+publicité seule, la publicité la plus complète peut remédier
+à cette déplorable crise momentanée. C'est avec la publicité,
+avec la discussion, c'est en abordant toutes les questions à
+cette tribune, en apportant tous les faits sur la place publique
+que nous ayons vaincu le gouvernement de Charles X. C'est
+avec la publicité, avec la plus entière liberté de la tribune,
+en ne craignant jamais de tout dire ni les uns aux autres, ni
+au pays, que nous viendrons à bout de tous les adversaires,
+de tous les dangers. Nous avons confiance au gouvernement,
+confiance entière, et c'est en répondant comme il l'a fait aujourd'hui,
+aussi promptement, aussi naturellement, à l'appel
+qui lui a été fait, qu'il s'est montré plus que jamais digne de
+cette confiance. Je remercie les ministres du Roi d'avoir sur-le-champ
+répondu à l'interpellation qui leur a été faite. Cette
+interpellation, elle ne leur avait pas été adressée, et elle
+ne leur sera jamais adressée dans un sentiment de malveillance.</p>
+
+<p>Qu'il me soit permis de le dire, la responsabilité des ministres
+du Roi ne serait pas la seule engagée dans ce qui se
+passe aujourd'hui en France. L'événement qui fait la gloire
+de notre patrie, nous y avons tous pris part. La révolution de
+Juillet est l'oeuvre de cette Chambre comme des ministres du
+Roi. Notre responsabilité à tous y est engagée.</p>
+
+<p>Jusqu'ici, nous avons eu ce bonheur que, malgré la diversité
+d'opinions, aucun de nous n'a répudié sa part dans ce
+grand événement. Depuis quatre mois, notre révolution, à travers
+la diversité des opinions, s'est maintenue pure, exemple
+de tout excès; elle n'a porté atteinte à aucune liberté, elle a
+promis d'assurer au pays un avenir illimité de développements
+et de bonheur.</p>
+
+<p>Eh bien! c'est au nom de notre responsabilité commune
+que nous avons droit, à chaque événement, chaque jour, de
+demander des explications pour nous assurer que notre révolution
+restera telle que nous l'avons faite, qu'elle ne tombera
+pas en des mains qui la détourneraient de cette voie, qui lui
+feraient perdre son caractère.</p>
+
+<p>Il s'agit non-seulement du gouvernement, non-seulement
+des ministres, il s'agit de nous tous: nous répondons tous à
+la France, et de la liberté de la France et de la paix publique,
+et de l'ordre et de son avenir tout entier. C'est donc dans les
+intérêts de notre responsabilité commune que nous avons
+droit d'appeler ici toutes les questions, tous les faits, de provoquer
+la publicité la plus entière, de demander que rien ne
+soit ignoré, ni de nous ni du pays.</p>
+
+<p>La publicité: cette arme suffira contre les dangers, contre
+les brouillons de tout genre. Quels qu'ils soient, de quelques
+contrées qu'ils viennent, ils en sont réduits aux mêmes
+moyens, aux associations secrètes, aux coups d'État; n'importe
+le nom des factieux, n'importe le nom des coteries, ils
+n'ont jamais que les mêmes armes, et c'est avec l'arme de la
+liberté, de la publicité, que nous dissiperons tous les complots,
+toutes les associations secrètes, tous les dangers, de
+quelque nature qu'ils soient.</p>
+
+<a name="XX" id="XX"></a>
+<br><br>
+<h3>XX</h3>
+
+<p class="mid">Débat relatif aux troubles et aux incidents survenus pendant
+et après le procès des ministres de Charles X.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 29 décembre 1830.--</p>
+
+<p class="large">Dans les séances des 28 et 29 décembre, le comte de
+Rambuteau, député de Saône-et-Loire, ayant demandé
+au gouvernement des explications sur la situation
+du pays, au dedans et au dehors, M. Laffitte, président
+du conseil, et après lui MM. Odilon Barrot, Charles de
+Lameth, Bignon et Salverte prirent successivement la
+parole. Je la pris à mon tour pour rappeler et maintenir
+mes idées générales sur la révolution de Juillet, la politique
+que j'avais pratiquée dans le pouvoir, et les vraies
+causes des troubles et des alarmes auxquels la France
+était en proie.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je ne viens, et j'espère que la Chambre me
+fait l'honneur de le croire d'avance, je ne viens contester aucune
+des explications qu'elle a entendues hier et aujourd'hui,
+soit du président du conseil, soit de plusieurs des honorables
+préopinants. Elles me paraissent toutes fondées et pleinement
+satisfaisantes. Mais, dans l'état actuel de la société, des explications
+personnelles, quelque considérables que soient les
+personnes, ne sauraient suffire. Les choses sont si grandes
+aujourd'hui qu'aucun homme, quelle que soit la place qu'il y
+occupe, n'a pu devenir le centre de tout. Les questions se
+rétrécissent et se rapetissent quand elles deviennent personnelles.
+L'un des préopinants, je dirai volontiers tous les préopinants,
+et M. le préfet de la Seine entre autres, l'a si bien
+senti qu'il s'est écarté de ce qui le touchait personnellement
+pour appeler l'attention de la Chambre sur des considérations
+plus générales, et tous les orateurs qui ont parlé depuis l'ont
+suivi dans cette voie. La Chambre me permettra d'aller un
+peu plus loin.</p>
+
+<p>Je demande aussi la permission de ne pas revenir sur ces
+attaques de quelques journaux, sur ces proclamations pleines
+d'inconvenance de quelques jeunes gens, qui ont préoccupé
+les esprits. J'ai voulu me rendre compte en chiffres de l'importance
+que pouvaient avoir les faits; je me suis assuré que,
+sur cinq à six mille jeunes gens qui forment les grandes écoles
+de Paris, à peine trois à quatre cents avaient apposé leur
+signature à ces proclamations. Réduits en chiffres, les faits
+n'ont donc pas une grande valeur. Nous ne devons jamais oublier
+que nous vivons et que nous devons vivre sous un régime
+de liberté, c'est-à-dire de liberté pour le faux comme pour le
+vrai, pour le mal comme pour le bien, pour un langage inconvenant,
+violent, grossier, comme pour un langage vrai et
+mesuré. Il serait vain de prétendre étouffer toutes les erreurs,
+relever tous les mensonges, toutes les inconvenances, toutes
+les mauvaises paroles; dans le régime où nous vivons,
+je le répète, les corps politiques comme les individus ont besoin
+de se munir d'une large provision de facilité et quelquefois
+même de dédain. (<i>Sensation.</i>)</p>
+
+<p>Ce n'est donc pas sur ces faits, c'est sur les causes générales
+de la situation actuelle, c'est sur le caractère général du
+malaise, qui évidemment nous travaille et dont tout le monde
+convient, que je veux appeler l'attention de la Chambre.</p>
+
+<p>Quand la Charte parut en 1814, que fit le pouvoir qui en
+semblait l'auteur (car il avait fallu vingt-cinq ans de lutte et
+de victoire pour la réclamer)? Le pouvoir qui en semblait l'auteur
+eut soin de déposer dans le préambule le mot <i>octroyé</i>,
+et dans le texte, l'art. 14, qui lui donnait le pouvoir de faire
+des ordonnances pour la sûreté de l'État; c'est-à-dire qu'il
+s'attribuait avant la Charte et se réservait après la Charte
+un pouvoir antérieur, supérieur, extérieur à la Charte,
+c'est-à-dire le pouvoir constituant, souverain, absolu. C'est
+ce pouvoir ou plutôt cette prétention qui a fait pendant
+quinze ans l'inquiétude et le tourment de la France; elle
+l'a toujours vu suspendu sur sa tête; il a été comme un
+poison qui venait se mêler à tous les biens, à toutes les espérances;
+et la France avait bien raison de le craindre, car les
+publicistes de parti n'ont jamais cessé de professer cette doctrine,
+et quand le jour de la possibilité est venu, ses ministres
+en ont fait l'application.</p>
+
+<p>C'est contre ce pouvoir extraconstitutionnel qu'au mois de
+mars dernier la Chambre a rédigé son adresse à la Couronne;
+c'est contre ce pouvoir qu'au mois de juillet la France a fait
+sa révolution. Au mois de juillet, la France a voulu, a cru
+abolir tout pouvoir extraconstitutionnel, tout pouvoir extralégal.
+La pensée nationale, le sentiment dominant et de la
+population de Paris et de la France entière a été d'enfermer
+désormais le pouvoir dans le cercle de la constitutionnalité
+et de la légalité. C'est sous l'empire de cette idée que la révolution
+de Juillet a commencé et qu'elle s'est accomplie dans
+toute la France avec la rapidité de l'éclair.</p>
+
+<p>Eh bien! messieurs, dans son espérance de vouloir abolir
+tout pouvoir extraconstitutionnel, la France s'est trompée.
+Maintenant c'est ce même pouvoir, cette même prétention
+que depuis quelques mois on essaye de ressusciter au milieu
+de nous, portant un autre nom, déposé en d'autres mains,
+mais de même nature et destiné à produire des conséquences
+également funestes. C'est d'un gouvernement octroyé et d'un
+art. 14 que nous sommes menacés aujourd'hui. (<i>Mouvement
+en sens divers.</i>)</p>
+
+<p>Messieurs, le gouvernement que nous avons le bonheur de
+posséder est né au milieu de l'insurrection. C'est pendant
+que l'insurrection éclatait et triomphait, que le Roi a été proclamé,
+la Charte modifiée, tout l'ordre actuel établi. Eh
+bien! il y a des gens qui réclament, au nom de l'insurrection,
+un pouvoir extérieur et supérieur à notre royauté, à
+notre Charte, à tout l'ordre actuellement établi, et qui menace
+sans cesse de ses prétentions tous les pouvoirs légaux
+constitutionnels.</p>
+
+<p>Écoutez ce qui se dit, lisez ce qui s'imprime! N'est-ce pas
+constamment au nom de ce pouvoir extérieur, supérieur à
+tous les pouvoirs constitutionnels, qui réside on ne sait où,
+qu'on ne peut saisir nulle part; n'est-ce pas, dis-je, au nom
+de ce pouvoir qu'on demande, qu'on menace, qu'on parle?
+N'est-ce pas lui qu'on prend pour point d'appui? Ne dit-on
+pas, non pas d'une manière aussi claire, aussi précise, mais
+au fond, c'est la même chose, que c'est ce pouvoir qui nous
+a octroyé le gouvernement que nous possédons et qui pourrait
+bien, s'il le voulait, le retirer ou le modifier à son gré?
+(<i>Sensation.</i>)</p>
+
+<p>Je ne suis pas si étranger au cours des choses de ce monde
+que j'ignore que les pouvoirs écrits, les constitutions légales
+ne suffisent pas toujours à toutes les chances de la vie des
+sociétés; je sais qu'il y a des nécessités qui font éclater des
+forces, des pouvoirs que les lois ne contiennent pas; que ces
+pouvoirs extraordinaires, indéfinissables, sont saisis tantôt
+par les gouvernements, tantôt par les masses populaires;
+qu'ils s'exercent dans les deux cas au nom de la nécessité, et
+que lorsqu'ils réussissent, c'est presque toujours pour le salut
+du pays, au 18 brumaire comme au 30 juillet.</p>
+
+<p>Mais dans ces deux cas le droit provient d'une nécessité
+momentanée d'accomplir un fait immense que les pouvoirs
+légaux et constitutionnels n'accompliraient pas. Je
+dis plus, au moment même où ils éclatent, où ils s'accomplissent,
+les faits dont je parle n'appartiennent à personne;
+personne n'a le droit de s'en prétendre le possesseur:
+ils sont la manifestation d'une volonté générale; et ceux-là
+même qui semblent les tenir en main, qui en semblent des
+dépositaires, ne sont que les instruments d'un pouvoir répandu
+partout, et qui ne serait pas ce qu'il est, s'il n'avait pas
+pour lui le pays tout entier.</p>
+
+<p>Dans la situation où nous sommes, je dis que le pouvoir,
+au nom duquel on réclame sans cesse, ne saurait être de cette
+nature. Il ne s'agit pas d'accomplir aujourd'hui quelques-uns
+de ces faits extraordinaires qui exigent l'intervention d'un
+semblable moyen.</p>
+
+<p>Pourquoi réclame-t-on un pouvoir antérieur et supérieur
+à la Charte? Pour faire des lois, pour placer ou déplacer les
+personnes, pour discuter des jugements, rendre des arrêts.
+Eh! messieurs, c'est là ce que les pouvoirs légaux et constitutionnels
+sont appelés à faire; c'est là le cours régulier des
+choses. Ce pouvoir supérieur, que j'entends sans cesse invoquer,
+n'a rien à voir en pareille occasion; il n'est pas appelé,
+ce n'est pas lui que cela regarde. C'est là l'erreur qui a perdu
+le gouvernement de Charles X. Qu'avait-il à faire? Une loi
+d'élection; et il est allé la demander à ce pouvoir supérieur, constituant,
+dont il se croyait revêtu. Eh bien! quand on nous
+parle, dans les questions qui nous occupent, d'un pouvoir
+extraconstitutionnel, on fait précisément ce que faisaient les
+publicistes de Charles X et ce qu'ont fait ses ministres. (<i>Vive
+sensation.</i>)</p>
+
+<p>Je vous le demande, qui invoque le pouvoir extraconstitutionnel,
+qui s'en prétend possesseur, dépositaire, qui a le
+droit de parler en son nom? Est-ce la France entière, est-ce
+cette nation qui a concouru à la révolution de Juillet, soit
+activement, soit par sa prompte et générale approbation?
+Est-ce toute la population de Paris qui s'est armée pour accomplir
+cette révolution? Non. Je ne voudrais pas me servir
+de termes offensants, et je n'attache à ceux que j'emploie
+aucune expression dont on puisse être blessé; je dis que ceux
+qui invoquent un pouvoir extraconstitutionnel sont bien loin
+de former la population de Paris, que c'est un parti isolé,
+que je crois peu nombreux dans la nation, qui n'a pas
+fait la révolution de Juillet, qui ne l'aurait pas faite seul, et
+qui n'a nul droit de parler en son nom. (<i>Marques d'adhésion
+aux centres.</i>)</p>
+
+<p>Déjà plus d'une fois à cette tribune, on a parlé des éléments
+du parti auquel je fais allusion. Qu'il me soit permis
+de le décomposer. J'y rencontre d'abord des esprits spéculatifs,
+amis sincères de la vérité, pleins du sentiment de la dignité
+humaine, dévoués à ses progrès, qui lui ont rendu et
+lui rendront encore de grands services, mais habituellement
+dominés par certaines idées générales, par certaines théories
+que, pour mon compte, je crois, non pas inapplicables, non
+pas exagérées, mais fausses, radicalement fausses, aussi
+fausses aux yeux de la raison du philosophe que de l'expérience
+du praticien. Eh bien! je dis que c'est l'empire de
+cette théorie qui altère continuellement la raison et les démarches
+de personnes que j'honore infiniment. A côté d'elles,
+derrière elles viennent les fanatiques, qui croient aussi aux
+théories et qui de plus y ajoutent des passions personnelles
+dont ils ne se rendent pas un compte bien rigoureux, mais
+qui, par l'effet de la passion et d'une conviction sincère, constituent
+ce qu'on appelle le fanatisme. Les fanatiques, il y
+en a de vieux, il y en a de jeunes; il y en a qui se désabuseront
+dans le cours de la vie, qui deviendront plus raisonnables,
+plus éclairés, et d'autres qui persisteront dans leur
+fanatisme. Le monde a toujours offert ce spectacle. Dans
+mon opinion, voilà le bon grain du parti. (<i>Rire prolongé.</i>)
+L'ivraie, ce sont d'abord les ambitieux, les mécontents; les
+révolutions en font, elles suscitent des espérances immodérées.
+Les ambitieux, il y en a de grands, de petits; il y en a
+de capables et d'incapables; il y en a qu'un gouvernement
+raisonnable fera très-bien de satisfaire, auxquels il faut penser,
+qui ont des droits, par cela seul qu'ils ont de la capacité
+et de l'action sur le pays. Il y en a d'autres qu'il faut laisser
+aller, parce qu'il n'y a rien de bon à en tirer, pas même leur
+appui. (<i>On rit.</i>) Après les ambitieux et derrière eux, une petite
+portion de la multitude, qui veut trouver dans le désordre,
+non-seulement son parti, mais son plaisir; car les
+hommes ont encore plus besoin d'émotions, de mouvements,
+que de toute autre chose; et c'est le besoin d'émotions, de
+plaisirs, de spectacles, qui met en mouvement la multitude,
+bien plus que son intérêt. (<i>Sensation.</i>)</p>
+
+<p>A mes yeux, voilà le parti qui prétend parler au nom de
+la révolution de 1830, qui prétend en être le propriétaire
+exclusif (<i>Sensation</i>), qui prétend que la foudre, qui a éclaté
+sur le gouvernement de Charles X, gronde encore et doit
+gronder toujours sur le gouvernement de Louis-Philippe.
+Je ne crois pas que cette foudre soit restée entre les mains
+du parti; cependant, je crois qu'il exerce une grande influence
+sur nos affaires, qu'il est pour beaucoup, et pour beaucoup
+trop, dans la situation où nous nous trouvons.</p>
+
+<p>Quelle autre cause attribuer à ces bruits continuels de
+concessions sollicitées par les émeutes, bruits auxquels je
+n'ajoute aucune importance grave, mais qui ne peuvent venir
+d'une autre cause que de cette réclamation continuelle au
+nom de l'insurrection, qui caractérise le parti?</p>
+
+<p>Il y a quelques jours, si j'avais été appelé à dire à cette
+tribune ce que j'y dis aujourd'hui, j'aurais suivi de plus près
+sa trace, et cherché dans des faits plus spéciaux la preuve de
+son influence. Aujourd'hui, je crois que les faits généraux
+suffisent et qu'il n'est point nécessaire d'entrer plus avant
+pour caractériser le principe du parti, le principe au nom
+duquel il agit, la force qu'il réclame, et veut sans cesse faire
+intervenir dans les affaires. Ce dont je vous demande la permission
+de vous entretenir un moment, c'est le prétexte qu'il
+fait valoir et les reproches qu'il adresse continuellement aux
+pouvoirs légaux et constitutionnels avec lesquels il est en
+lutte. (<i>Écoutez, écoutez.</i>)</p>
+
+<p>Je ne reviendrai pas, et la Chambre me le pardonnera,
+sur toutes les allégations de détail.</p>
+
+<p>Les reproches particuliers qui ont été adressés aux différents
+pouvoirs constitutionnels me paraissent se réduire à
+deux faits généraux. On dit que les pouvoirs constitutionnels
+ont manqué depuis quelques mois de confiance envers le
+pays, et qu'ils n'ont pas servi assez largement la cause de la
+liberté. Ces deux opinions viennent d'être émises à cette tribune
+par un homme qui a droit d'être entendu avec attention,
+et par la sincérité de ses opinions et par leur mérite.</p>
+
+<p>Messieurs, si je ne me trompe, ce n'est pas manquer de
+confiance envers une partie quelconque de la société que
+de discuter librement sa capacité, ses droits et le rôle qu'il
+convient de lui assigner dans les affaires de l'État. Depuis
+quinze ans, on a dit que c'était manquer de confiance envers
+le Roi que de débattre ses prérogatives. Les constitutionnels
+ont constamment repoussé ces arguments sans cesse reproduits.
+Ils ont déclaré qu'ils respectaient les prérogatives du
+Roi au moment où ils les discutaient; ils ont dit qu'ils avaient
+confiance, et dans le Roi et dans son gouvernement, au moment
+même où ils assignaient des limites à son pouvoir.</p>
+
+<p>Eh! messieurs, manquer de confiance parce qu'on diffère
+d'opinion, parce qu'on discute! Je vous le demande, ne serait-ce
+pas de la servilité? Tous les pouvoirs, toutes les portions
+de la société, toutes les existences, toutes les institutions
+sont livrés à la libre discussion. Dans cette assemblée et hors
+de cette assemblée, nous avons tous le droit et de plus la
+mission de dire ce que nous pensons, de mesurer les droits,
+de régler les pouvoirs, de compter, de peser les capacités,
+d'assigner des limites à telle institution; nous ne manquons
+de confiance envers personne, nous accomplissons notre mission,
+nous usons de notre droit, nous faisons acte de raison
+et de liberté. Nous n'avons certainement pas renversé un
+absolutisme pour l'échanger contre un autre; nous n'avons
+pas renversé les prérogatives de la maison de Bourbon pour
+baisser la tête devant d'autres prérogatives. (<i>Adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Nous ne manquons pas de confiance en la garde nationale,
+quand nous examinons si elle doit être organisée par communes
+ou par cantons. Non-seulement nous avons cette liberté,
+mais je dis que nous ne manquerons jamais de confiance
+dans cette force publique, quand nous déciderons que
+son organisation aura lieu d'une manière plutôt que d'une
+autre. Qu'est-ce qui a le plus de confiance en la garde nationale,
+ou de ceux qui craignaient les événements à travers lesquels
+nous venons de passer, qui craignaient qu'il n'y eût de
+la tiédeur, de l'indifférence dans la répression des désordres,
+ou de ceux qui, des le premier jour, ont dit que la garde
+nationale était animée d'un trop grand sentiment de l'ordre,
+d'un trop vif respect de la justice pour ne pas réprimer les
+désordres, pour ne pas protéger la justice partout où ce
+besoin se rencontrerait? Ceux qui ont toujours professé ces
+sentiments, ce sont ceux-là qui ont donné à la garde nationale
+les plus grandes marques de confiance, et certes, elle
+a montré qu'elle les méritait. (<i>Très-vive adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Une autre loi nous est annoncée, la loi des élections. Manquerons-nous
+de confiance envers les électeurs actuels, parce
+que nous élargirons les droits électoraux, parce que nous
+dirons qu'il convient qu'un plus grand nombre de citoyens
+soit appelé à l'élection? Je ne le pense pas. Manquerons-nous
+de confiance envers telle autre classe en disant qu'elle ne
+paraît pas apte au droit électoral, qu'elle n'offre pas les garanties
+nécessaires pour être dépositaire de cette portion de
+la puissance publique? Non certainement. Nous sommes
+libres, parfaitement libres; nous usons de notre droit, de
+notre liberté; nous ne sommes tenus que d'avoir raison, que
+de ne pas nous tromper: nous sommes tenus de bien discerner
+la limite à laquelle doit s'arrêter tel ou tel droit, quelle
+condition doit être attachée à l'exercice de telle ou telle fonction
+publique. Nous n'avons donné à personne de marques
+de défiance; personne ne peut dire que nous nous sommes
+défiés de lui. Nous avons décidé une question qui nous était
+soumise, nous avons peut-être pu nous tromper, mais pour
+le droit, nul n'a le droit de nous le contester. (<i>Voix nombreuses:
+Très-bien! très-bien!</i>)</p>
+
+<p>A cette occasion, le mot de <i>dissolution</i> a été prononcé,
+comme il l'avait été déjà plusieurs fois. Je suis bien aise de
+dire là-dessus toute ma pensée. Je fais profession de ne pas
+savoir ce qu'on peut penser d'une question de dissolution.
+Toute question de dissolution me paraît être une question de
+circonstance qui doit être décidée selon le besoin du moment,
+l'intérêt du pays, l'état général des affaires au dedans et au
+dehors. Je n'ai pour mon compte, quant à présent, aucune
+opinion à cet égard, et je ne crois pas qu'il soit raisonnablement
+possible d'en avoir une.</p>
+
+<p>Je prie qu'on veuille bien se rappeler qu'un grand nombre
+des membres qui siégent dans cette Chambre sont les mêmes
+qui, au mois de mars, ont provoqué la dissolution de la
+Chambre à laquelle ils appartenaient. Ils ne redoutaient nullement
+l'épreuve de la réélection; ils ne la redoutent pas plus
+aujourd'hui qu'ils ne la redoutaient alors. (<i>Très-bien! très-bien!</i>)</p>
+
+<p>Mais il n'y a dans leur position actuelle aucune raison de
+provoquer aujourd'hui la dissolution qu'ils réclamaient au
+mois de mars. Le jour où le gouvernement du Roi le jugera
+utile, nécessaire, tous les membres de cette Chambre se représenteront
+devant leurs concitoyens, avec leurs opinions,
+leurs actes, et je ne crains pas de le répéter, la dissolution
+qui serait prononcée ne serait pas pour eux plus redoutable
+que celle qu'ils ont provoquée il n'y a pas longtemps.</p>
+
+<p>Voilà ce que j'avais à dire, ce qui s'est présenté à mon
+esprit sur le premier reproche allégué habituellement contre
+les pouvoirs constitutionnels, le manque de confiance. J'arrive
+au second: on n'a pas servi assez tôt la cause de la liberté.
+Il est très-vrai, la révolution de 1830 n'a pas fait encore, pour
+la liberté et pour l'ordre public, tout ce qu'elle peut faire,
+tout ce qu'elle doit faire, tout ce qu'elle fera. Il est très-vrai
+qu'un avenir immense est ouvert devant notre révolution
+de 1830, et qu'elle y marchera longtemps sans atteindre le
+but. Cependant, je suis bien aise de rappeler à la Chambre
+et au public ce qui a déjà été fait.</p>
+
+<p>A la fin de la Charte constitutionnelle, nous avons, vous
+le savez, inséré l'indication des lois qu'il nous paraissait important
+de rédiger le plus tôt possible; il y en a neuf. Sur
+ces neuf projets de lois promis au mois d'août à la France,
+il y a quatre lois déjà faites: l'application du jury aux délits
+de la presse et aux délits politiques, la réélection des députés
+promus à des fonctions publiques salariées, le vote annuel
+du contingent de l'armée, les dispositions qui assurent d'une
+manière légale l'état des officiers de tout grade de terre et
+de mer. Vous discutez la loi sur la garde nationale, vous
+avez déjà voté l'abolition du double vote dans une loi transitoire
+d'élections. Ainsi, messieurs, quatre lois sont faites,
+deux sont en discussion et trois restent à faire. Et ici, je demande
+à la Chambre la permission de lui dire en passant,
+comme un fait qui m'est purement personnel, qu'en sortant
+des conseils du Roi j'avais fait préparer une loi municipale et
+départementale, une loi électorale et une loi sur l'imprimerie.
+Ces lois étaient prêtes. Que le conseil actuel ait cru devoir
+les remanier, les refondre, je le comprends; mais enfin
+à aucune époque on n'a procédé aussi vite pour les conquêtes
+à faire au profit de la nation.</p>
+
+<p>J'ajouterai que ce pouvoir extraconstitutionnel, extralégal,
+auquel on fait sans cesse appel, n'est pas celui qui fera
+faire le plus de progrès à la liberté. La liberté est née quelquefois
+après les révolutions, et je ne doute pas qu'elle ne
+vienne après la nôtre, de même que l'ordre est venu quelquefois
+après le despotisme. Mais l'esprit de révolution, l'esprit
+d'insurrection est un esprit radicalement contraire à la
+liberté. C'est un pouvoir exclusif, un pouvoir inique et passionné
+que ce pouvoir qui se prétend supérieur et extérieur
+au pouvoir constitutionnel; il y a dans la nature même de ce
+pouvoir, dans sa prétention, un principe radicalement incorrigible
+de tyrannie. La liberté a pour résultat le partage des
+pouvoirs et le respect qu'ils se portent les uns aux autres. La
+liberté est au sein des pouvoirs constitutionnels, par suite de
+leur empire régulier, du respect des lois.</p>
+
+<p>Les pouvoirs insurrectionnels sont très-propres à accomplir
+les révolutions, à renverser par la force des gouvernements
+établis, à dompter par la force des sociétés barbares.
+Mais ne leur demandez pas la liberté, ils ne la portent pas
+dans leur sein. C'est aux pouvoirs constitutionnels, c'est à la
+Charte, aux lois, à un système fondé que vous pouvez demander
+la liberté comme l'ordre; du sein de ce pouvoir extraordinaire,
+supérieur à tous les pouvoirs, dont on se prévaut aujourd'hui,
+il ne peut jamais sortir que le désordre et la tyrannie,
+au moins momentanément. (<i>Très-bien! très-bien!</i>)</p>
+
+<p>Voilà, à mon avis, le mal véritable, le mal profond qui
+nous travaille. Il réside dans ces tentatives de rétablir,
+au profit de l'insurrection, l'art. 14 de la Charte, de faire
+sans cesse appel, directement ou indirectement, à un pouvoir
+extérieur et supérieur aux pouvoirs constitutionnels. C'est
+là, selon moi, ce qui fait que, depuis quelque temps, la société
+semble avoir perdu son assiette; elle cherche, pour ainsi dire,
+son centre de gravité. Le gouvernement voit rôder continuellement
+autour de lui un pouvoir étranger qui veut ou
+le dominer ou le renverser. C'est là, je le répète, le mal
+dont nous sommes attaqués, et ce mal, je le signale d'autant
+plus librement que je suis loin de croire qu'il soit sans remède.
+Je suis convaincu, au contraire, que nous avons sous
+la main des moyens sûrs de nous en guérir. Le gouvernement,
+j'ose le dire, ne s'est jamais écarté de la voie qu'il
+devait suivre; il n'a peut-être pas fait, même quand
+j'avais l'honneur d'être au ministère, tout ce qui était désirable;
+mais il a toujours marché dans la voie de l'ordre, il a
+toujours lutté contre le pouvoir extérieur dont je vous parle.
+S'il continue à résister ainsi, l'avantage lui est assuré; les
+Chambres, les pouvoirs constitutionnels ne lui refuseront
+jamais leur concours: ils iront même au-devant de ses besoins;
+et si les Chambres, si le gouvernement se manquaient
+à eux-mêmes, j'ai confiance dans la société
+dans la société française actuelle; j'ai la confiance qu'elle
+se sauverait elle-même du désordre comme elle s'est
+sauvée de la tyrannie. (<i>Très-vif mouvement d'adhésion.</i>)</p>
+
+<p>On cite des mots qui rappellent un état de choses
+qui, à mon avis, n'existe plus. Nous entendons retentir sans
+cesse les mots <i>aristocratie</i>, <i>démocratie</i>, <i>classe moyenne</i>. Je
+vous avoue que pour moi, aujourd'hui, ces mots n'ont guère
+plus de sens. La démocratie nous apparaît partout dans
+l'histoire comme une classe nombreuse, réduite à une condition
+différente de celle des autres citoyens et qui lutte contre
+une aristocratie ou contre une tyrannie, pour conquérir les
+droits qui lui manquent. C'est là le sens qui a été partout
+attaché au mot <i>démocratie</i>. Il n'y a aujourd'hui rien de semblable
+en France. Quand je regarde la société française, j'y
+vois une démocratie, si vous voulez, mais une démocratie
+qui a peu ou point d'aristocratie au-dessus d'elle, et peu ou
+point de populace au-dessous.</p>
+
+<p>La société française ressemble à une grande nation où les
+hommes sont à peu près dans une même condition légale,
+très-diverse sans doute en bonheur, en lumières; mais la
+condition légale est la même. La classification des anciennes
+sociétés a disparu, et, je le répète, chez nous le mot <i>démocratie</i>
+opposé au mot <i>aristocratie</i> n'a plus de sens. Une
+grande société de propriétaires laborieux, à des degrés très-différents
+de fortune et de lumières, voilà le sens actuel du
+mot <i>démocratie</i>; eh bien! il n'y a là ni éléments de désordre,
+ni éléments de tyrannie. Cette société se défendra, au besoin,
+contre ceux qui voudraient abuser d'anciens mots et d'anciens
+faits, pour l'égarer un moment. Il ne s'agit pas de s'appuyer
+sur la classe moyenne, par opposition à telle ou telle
+autre classe; il s'agit de s'appuyer sur la nation tout entière,
+sur cette nation homogène, compacte, sans distinction de
+classes. C'est par là qu'on assurera et ce retour à la prospérité,
+et ce progrès vers la liberté qui sont les voeux de
+tous, et dont l'esprit que j'ai signalé, cet esprit révolutionnaire,
+cet esprit d'appel à un pouvoir étranger aux pouvoirs
+constitutionnels, nous éloignerait au lieu de nous y ramener.
+(<i>Mouvement d'adhésion au centre. Sensation prolongée.</i>)</p>
+
+<a name="XXI" id="XXI"></a>
+<br><br>
+<h3>XXI</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du projet de loi sur la composition des cours
+d'assises et les conditions de la décision du jury.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 8 janvier 1831.--</p>
+
+<p class="large">Le 1<sup>er</sup> décembre 1830, le gouvernement proposa à la
+Chambre des députés un projet de loi pour réduire de
+cinq à trois le nombre des magistrats appelés à former
+les cours d'assises, et pour décréter que la décision du
+jury ne se formerait, contre l'accusé, qu'à la majorité
+de huit voix contre quatre. Ce projet fut vivement combattu
+par plusieurs anciens et honorables magistrats,
+entre autres par M. de Vatimeseuil. Ce fut après lui que
+je pris la parole pour le défendre. Adopté par les deux
+Chambres avec quelques amendements, le projet fut
+promulgué comme loi le 4 mars 1831.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je ne suis pas étonné des objections nombreuses
+et vives que rencontre le projet de loi qui vous est
+soumis. Elles ont leur source dans nos habitudes judiciaires
+et dans le système d'institutions sur lequel ces habitudes
+sont fondées.</p>
+
+<p>Quel est en effet le caractère, je ne dirai pas unique, mais
+fondamental de ce système? C'est la confusion des questions
+de droit et des questions de fait, et la solution de ces deux
+genres de questions différentes par les mêmes juges. Or,
+dans cette hypothèse, les objections qu'on adresse au projet
+sont non-seulement naturelles, mais légitimes. Lorsque les
+questions de droit et de fait sont réunies et décidées par les
+mêmes juges, il est légitime de chercher la garantie de la
+bonté des jugements dans le nombre des juges et dans la
+discussion préalable à laquelle ils se livrent. Mais en est-il de
+même, lorsque les questions de droit et les questions de fait
+sont séparées et décidées par des juges différents? Là réside,
+à mon avis, toute la question.</p>
+
+<p>Pour mon compte, messieurs, je pense que, lorsque les
+questions de droit et les questions de fait sont séparées et
+décidées par des juges différents, il n'y a pas lieu de chercher
+dans le nombre des juges et dans la discussion préalable la
+garantie de la bonté des jugements, du moins quant aux
+questions de droit.</p>
+
+<p>Pour s'en convaincre, il suffit, ce me semble, de se rendre
+un compte un peu exact de la vraie différence qui existe
+entre les questions de fait et les questions de droit, et aussi
+de la différence des procédés par lesquels l'esprit humain
+résout les unes et les autres. Si je pouvais établir devant la
+Chambre que les procédés par lesquels l'esprit humain résout
+les questions de droit sont essentiellement différents de ceux
+par lesquels il résout les questions de fait, j'aurais, je crois,
+fait un grand pas vers la démonstration de mon opinion.</p>
+
+<p>Les faits, messieurs, sont extrêmement compliqués; ils se
+présentent accompagnés d'un grand nombre de circonstances;
+ils ont besoin d'être considérés sous une multitude de faces;
+ils sont de plus prodigieusement divers; il n'est pas possible
+à la législation de les renfermer d'avance et complétement
+dans une disposition commune, de les ramener à une formule
+et à une phrase. Quel est donc le procédé naturel et
+nécessaire de l'esprit quand il veut connaître des faits? C'est
+le procédé de l'observation; il les observe, les considère sous
+toutes leurs faces, et rapproche ensuite toutes les circonstances,
+tous les éléments qui les constituent. Il résulte de
+là que les faits ont besoin d'être examinés par un assez
+grand nombre d'observateurs, et qu'il faut que ces observateurs,
+ces juges du fait se communiquent, pour ainsi dire, les
+divers points de vue sous lesquels ils l'ont considéré, et les
+discutent entre eux pour arriver à la connaissance complète
+et exacte du fait tout entier.</p>
+
+<p>Les faits ne sont pas une matière de méditation pure, de
+raisonnement <i>a priori</i>; on n'arrive point à les connaître en
+déduisant les conséquences d'un principe; l'observation,
+l'observation variée, débattue, c'est là le moyen naturel, le
+seul moyen de bien résoudre les questions de fait.</p>
+
+<p>En est-il de même des questions de droit? Non, certainement.
+Quelle est la situation où se trouve l'esprit en présence
+d'une question de droit? Un principe est posé, écrit dans la
+loi; il s'agit de reconnaître les conséquences de ce principe;
+il faut le bien déterminer, le suivre d'un oeil ferme dans
+toutes ses applications. Le procédé de l'esprit humain en pareille
+matière, c'est le raisonnement, la déduction logique;
+ce n'est pas du tout l'observation. Le principe une fois posé,
+une fois écrit, soit dans la loi, soit dans les précédents, l'esprit
+humain, pour l'appliquer à un cas donné, opère tout
+autrement que lorsqu'il se trouve en présence d'un fait à
+connaître; et de même qu'en présence d'un fait, le grand
+nombre des observateurs et la discussion entre eux sont indispensables,
+de même, lorsqu'il s'agit de bien saisir un principe
+et de le développer rigoureusement de conséquence en
+conséquence, il faut un travail individuel, un long exercice;
+c'est une oeuvre de science, de méditation, de raisonnement
+solitaire, non d'observation et de discussion entre plusieurs.</p>
+
+<p>Cela est si vrai, messieurs, que les faits généraux, les faits
+historiques sont d'accord avec l'analyse philosophique des
+procédés intellectuels. J'ai une grande confiance aux faits
+lorsqu'ils se sont développés sur une grande échelle, et se
+présentent après avoir subi l'épreuve du temps. Eh bien,
+qu'est-il arrivé dans les pays, dans les législations où l'on a
+séparé les questions de fait des questions de droit, pour les
+soumettre à des juges différents? Est-il jamais entré dans
+l'esprit d'aucune législation de soumettre l'examen du fait à
+un seul homme? Non, certes; le fait séparé du droit a toujours
+été renvoyé à l'examen et à la discussion d'un assez
+grand nombre d'hommes. En a-t-il été de même pour les
+questions de droit? Nullement. Dans tous les pays où les
+questions de droit et les questions de fait ont été séparées, on
+a été naturellement conduit à soumettre les questions de droit
+au jugement d'un petit nombre d'hommes, et presque partout
+d'un seul homme.</p>
+
+<p>Nous avons ici deux grands exemples, Rome et l'Angleterre.
+Dans le droit romain, la décision du point de droit était
+confiée à un seul homme, soit magistrat, soit jurisconsulte
+savant auquel on s'adressait pour avoir une réponse. La
+jurisprudence romaine est en ceci complétement d'accord
+avec la jurisprudence anglaise. Et ni l'une ni l'autre n'a été
+une invention de la théorie, une habileté de la science; tel a
+été le résultat naturel auquel les peuples et les législateurs
+ont été conduits par la force même des choses; ils ont naturellement
+reconnu, comme je le disais en commençant, que
+les questions de fait avaient besoin d'être examinées par un
+assez grand nombre d'hommes, et discutées entre eux sous
+toutes leurs faces, qu'elles n'étaient pas matière de science,
+de raisonnement pur, mais matière d'observation et de discussion;
+tandis que les questions de droit pur doivent être
+examinées par la science, par le raisonnement, par la méditation,
+et sont remises avec avantage à la décision d'un petit
+nombre d'hommes, d'un juge unique même, car c'est là, au
+fond, mon opinion.</p>
+
+<p>Ainsi, par l'expérience du monde, aussi bien que par
+l'examen philosophique des choses, on est conduit à reconnaître
+que les questions de droit et les questions de fait ne se
+jugent pas de la même manière, par les mêmes procédés,
+qu'il y faut appliquer des moyens différents.</p>
+
+<p>Or, que faites-vous en ce moment, messieurs? Que fait la
+loi sur laquelle vous délibérez? Elle réalise, elle consomme
+chez nous la séparation des questions de droit et des questions
+de fait. Jusqu'ici ces questions n'avaient pas été complétement
+distinctes; les juges du droit intervenaient souvent dans le
+jugement du fait. La loi qui vous est proposée fait cesser cet
+état de choses. Elle veut remettre aux jurés la pleine décision
+du fait et aux juges celle du droit. Est-ce au moment où vous
+accomplissez la séparation de ces deux sortes de questions que
+vous vous refuserez à réduire le nombre des juges du droit,
+lorsque l'expérience prouve que cette réduction est la conséquence
+naturelle et légitime de cette séparation?</p>
+
+<p>Et remarquez-le, messieurs, il ne s'agit point de diminuer
+les garanties ni de la société, ni de l'accusé; il s'agit de savoir
+quelles sont, dans chaque genre de questions, les garanties
+véritables. Si les méditations savantes d'un seul homme sont
+une meilleure garantie de la bonne solution des questions de
+droit, il n'y a pas à hésiter, il faut adopter ce moyen. Si
+l'examen de plusieurs est une meilleure garantie de la solution
+des questions de fait, il faut y avoir recours. Nous voulons
+tous également des garanties efficaces; la question est
+de savoir lesquelles conviennent le mieux aux questions de
+fait et aux questions de droit.</p>
+
+<p>Je ferai remarquer en passant un fait singulier. La législation
+anglaise a été si loin dans cette route qu'elle a exigé,
+pour la solution des questions de fait, l'unanimité des jurés,
+et pour celle des questions de droit l'unité du juge. C'est le
+système dans toute sa rigueur.</p>
+
+<p>On a opposé à ce système le nombre et l'importance des
+questions que décident, chez nous, les juges d'assises. Messieurs,
+ou ces questions roulent sur des points de droit, et
+alors elles seront mieux décidées, à mon avis, par un petit
+nombre de juges que par un grand nombre; ou ce sont des
+questions de fait, et alors il faut les renvoyer aux jurés qui
+les jugeront mieux également. Tel serait le cas pour les questions
+de dommages-intérêts.</p>
+
+<p><i>Plusieurs voix:</i> C'est contraire à la législation existante;
+alors il faut proposer de la changer.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot:</span>--Aussi sera-ce un jour mon avis, et dès
+aujourd'hui je n'hésite pas à dire que j'aimerais mieux que
+ces questions fussent décidées par le jury. Quant aux questions
+préjudicielles, qui sont de vraies questions de droit, je
+pense qu'elles seraient mieux jugées par un juge que par
+cinq.</p>
+
+<p>Je sais, messieurs, que les questions de fait et les questions
+de droit ne se séparent pas toujours parfaitement; je sais
+qu'il y a des cas où les jurés, juges du fait, sont obligés de
+prendre le droit en considération, et réciproquement; je sais,
+par exemple, que quand le jury déclare un fait crime ou
+délit, il pense forcément à la peine qui y est attachée. De
+même, quand le juge applique la peine au fait déclaré constant,
+il tient compte des circonstances du fait. Tout cela est
+inévitable. Mais à l'objection qu'on en tire contre la réduction
+du nombre des juges d'assises, il y a, je crois, deux réponses,
+l'une particulière, l'autre générale.</p>
+
+<p>Personne n'ignore d'où vient la latitude laissée au juge
+dans l'application de la peine. Comme le législateur s'est vu
+dans l'impossibilité d'atteindre avec précision tous les faits
+et de les définir d'avance pour appliquer à chacun la peine
+exacte qui lui convient, c'est le juge qu'il a chargé de cette
+appréciation. Ainsi, quand le jury livre au juge un fait qualifié,
+le juge fait, en présence de ce cas particulier, ce que le
+législateur n'a pu faire en son absence; le juge, dans les
+limites fixées par la loi générale, fait pour ainsi dire une loi
+pour chaque cas en particulier. De là résulte une série de
+décisions judiciaires, de précédents qui comblent en quelque
+sorte l'intervalle laissé entre le <i>maximum</i> et le <i>minimum</i> des
+peines, et complètent, spécialisent, si je puis ainsi parler, la
+législation par la jurisprudence. Une grande partie de la
+législation criminelle, de l'Angleterre, et aussi de la nôtre,
+consiste dans une jurisprudence criminelle ainsi formée.</p>
+
+<p>Or, messieurs, la fixité et l'harmonie des précédents sont
+bien plus facilement atteintes lorsque ces précédents émanent
+d'un petit nombre de juges que lorsqu'ils sont l'oeuvre d'un
+grand nombre de tribunaux; les tribunaux nombreux offrent
+des chances infinies de variation et d'incohérence dans les
+précédents; tandis qu'un petit nombre de juges introduisent
+et maintiennent, dans cette jurisprudence criminelle qui
+est le supplément nécessaire de la législation, la permanence
+et l'ensemble.</p>
+
+<p>Vous en avez un grand exemple dans la législation romaine.
+La plus grande partie de cette législation consiste en précédents,
+en décisions rendues par un petit nombre de savants
+hommes. La collection des réponses des jurisconsultes n'est
+autre chose qu'une série de précédents. Croyez-vous que
+cette jurisprudence romaine, qui a survécu à l'empire romain
+pour devenir la législation de presque toute l'Europe, croyez-vous,
+dis-je, qu'elle eût eu tant d'éclat, tant de pouvoir,
+une si grande et si longue destinée si, au lieu d'un petit
+nombre de jurisconsultes illustres dont les noms ont traversé
+les siècles, l'Empire romain eût été couvert de tribunaux
+nombreux? Croyez-vous que si à la place des Ulpien, des
+Papinien, il y eût eu des centaines, des milliers de juges du
+droit, il vous serait resté un tel ensemble de décisions fortement
+enchaînées? C'est au petit nombre de jurisconsultes qui
+décidaient les questions de droit, c'est à leur science, à leur
+élévation, conséquence naturelle de leur petit nombre, que
+la jurisprudence romaine a dû son harmonie et sa grandeur.</p>
+
+<p>Ainsi, en ce qui concerne les précédents à introduire dans
+la législation criminelle pour combler l'intervalle entre le
+maximum et le minimum que laisse la loi pénale, le système
+d'un petit nombre de juges est infiniment préférable.</p>
+
+<p>Je sais qu'il restera toujours quelque incertitude dans les
+limites des points de fait et des points de droit. Mais cela est
+inévitable; il n'en faut pas moins se décider d'après le caractère
+essentiel et dominant de chaque institution. Aux jurés
+appartiennent en général les questions de fait; les jurés
+doivent être nombreux: aux juges, les questions de droit;
+que les juges soient peu nombreux, la raison et l'expérience
+le conseillent également.</p>
+
+<p>J'ajouterai une dernière considération, plutôt politique que
+judiciaire, mais qui ne me paraît pas étrangère à la question.
+Vous voulez rendre au jury, non-seulement toute son indépendance,
+mais toute son importance, toute son autorité,
+tout son éclat; c'est le but de votre loi. Eh bien, tant que
+vous resterez dans le système actuel, dans le système qui
+établit, non pas un juge, mais tout un tribunal à côté du
+jury, vous laissez le jury dans un état d'incertitude, et je dirai
+volontiers d'infériorité. Partout où l'on verra un tribunal de
+cinq juges siégeant à côté du jury, la séparation entre les
+questions de fait et les questions de droit ne paraîtra pas
+complétement opérée; on croira toujours voir au-dessus du
+jury un tribunal complet, capable de suffire à tout, de juger
+le fait comme le droit. Les deux systèmes sont là côte à côte;
+réduisez l'ancien à sa plus petite dimension; c'est le seul
+moyen de donner au nouveau toute sa force, toute sa vérité.</p>
+
+<p>Je sais, messieurs, que la réforme que vous discutez, la réduction
+du nombre des juges d'assises de cinq à trois, n'est
+pas très-importante en elle-même, et si nous devions en rester
+là, je m'en soucierais assez peu. Mais cette réforme en amènera
+d'autres; c'est ici un premier pas dans cette carrière
+où nous avons de grands pas à faire. Je ne puis être suspect
+d'hostilité envers nos institutions judiciaires et notre magistrature;
+je leur crois de rares mérites et elles nous ont rendu
+d'immenses services. Mais il y a évidemment beaucoup à
+réformer, et nous ne saurions trop tôt mettre la main à
+l'oeuvre, car les réformes de ce genre sont politiquement
+salutaires, calmantes.</p>
+
+<p>Je prie la Chambre de ne jamais perdre de vue que le
+gouvernement a toujours affaire à deux sortes d'esprits
+novateurs: d'une part, à des esprits amis du perfectionnement,
+du progrès, impatients, téméraires peut-être, mais
+sincères et éclairés; d'autre part, à des esprits brouillons,
+désordonnés, vraiment anarchiques. C'est l'intérêt, c'est la
+sagesse du pouvoir de séparer profondément ces deux classes
+d'hommes, d'élever entre les uns et les autres une haute
+barrière; il doit attirer de son côté les esprits progressifs, et
+sans obéir à leur impatience ou à leurs erreurs, marcher dans
+leur direction. C'est pour lui le meilleur moyen de repousser
+sévèrement, efficacement, les esprits désordonnés, anarchiques,
+avec qui un bon gouvernement ne saurait avoir rien
+de commun. Tenons grand compte de cette distinction,
+messieurs, et marchons hardiment dans la carrière des réformes
+qui satisferont les esprits amis du perfectionnement.
+(<i>Aux voix! aux voix!</i>)</p>
+
+<a name="XXII" id="XXII"></a>
+<br><br>
+<h3>XXII</h3>
+
+<p class="mid">Discussion sur la politique extérieure du ministère
+du 11 août 1830.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 15 janvier 1831.--</p>
+
+<p class="large">Le 15 janvier 1831, la commission des pétitions fit à
+la Chambre des députés le rapport de la pétition d'un
+avocat belge (de Mons), qui provoquait la réunion de la
+Belgique à la France. Elle proposa l'ordre du jour. Mais
+le général Lamarque, député des Landes, saisit cette
+nouvelle occasion d'attaquer vivement la politique
+pacifique et le respect des traités qu'avait soutenus le
+cabinet du 11 août 1830. Le général Sébastiani repoussa
+en quelques paroles cette attaque. M. Casimir Périer,
+alors président de la Chambre des députés, quitta le
+fauteuil et monta à la tribune pour sommer le général
+Lamarque d'expliquer ses accusations. Le général
+Lamarque répondit: «Personne n'a, plus que moi,
+d'estime, de considération, j'oserai dire d'attachement
+pour les membres de l'ancien ministère; je rends à
+leurs intentions le même témoignage qu'à celles du
+ministère actuel; mais je crois qu'ils ont erré dans leur
+route.» Je pris alors la parole pour discuter le fond
+même de la politique qui venait d'être attaquée.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, les explications que vient de
+donner l'honorable général sont pleinement satisfaisantes
+quant aux intentions et au caractère personnel des membres
+du dernier ministère; elles ne le sont pas et ne peuvent l'être
+quant à leur politique. Aussi, n'est-ce pas leurs intentions,
+mais la politique qu'ils ont suivie que je demande à la
+Chambre la permission de justifier en peu de mots.</p>
+
+<p>Messieurs, l'honorable général vous a rappelé ce qui aurait
+pu être dit dans cette enceinte par les ministres de Charles X
+avant la révolution d'août, à l'occasion de la Belgique et de
+la Pologne; après cela, il vous a demandé s'il n'était pas
+vrai que rien n'était changé aujourd'hui, si ce n'était pas le
+même langage que vous entendiez à cette tribune, si ce n'était
+pas la même conduite que tenait le ministère. Ce qu'il y a
+de changé, messieurs, il est facile de le découvrir; c'est
+l'état de la France, de la Belgique, de la Suisse, l'état de la
+Pologne; voilà ce qui est changé, voilà les faits qui se sont
+accomplis depuis la révolution d'août. Elle a, comme on le
+lui demande de toutes parts, porté des fruits hors du territoire
+de la France comme en France; c'est la révolution du
+mois d'août qui a imprimé à l'Europe ce mouvement auquel
+l'Europe est près de se laisser emporter; c'est la révolution
+du mois d'août qui a fait ce que vous voyez en Suisse, en
+Belgique, en Pologne.</p>
+
+<p>Certes, messieurs, il y a là, ce me semble, quelque chose
+de changé, quelque chose de très-considérable, et qui prouve
+que tout n'est pas aujourd'hui comme sous les ministres de
+Charles X. La révolution du mois d'août, une fois accomplie,
+n'a pu ignorer qu'elle se trouverait bientôt en présence de
+tels faits, en présence de cet ébranlement général de l'Europe,
+et qu'elle aurait une conduite difficile à tenir. Elle s'est trouvée
+dans l'obligation d'avouer, de proclamer, de défendre
+partout son propre principe, l'exemple qu'elle avait donné,
+et en même temps dans la nécessité de ne pas porter dans
+toute l'Europe le désordre, la guerre, la révolution. Il fallait
+d'une part, que la France, qui venait de s'affranchir, et qui
+voyait partout son exemple suivi ou près d'être suivi, il
+fallait, dis-je, que la France fût fidèle à ce qu'elle avait fait,
+ne reniât ni sa conduite, ni son exemple, et qu'en même
+temps elle ne se laissât pas accuser d'être possédée de ce
+démon révolutionnaire qui avait tant fait reculer la révolution
+française après l'avoir poussée si loin hors de son territoire.</p>
+
+<p>Le gouvernement français, sorti de la révolution de Juillet,
+s'est donc trouvé entre deux systèmes; d'une part le
+maintien de ses principes, le ferme et fier maintien de la
+révolution qui lui avait donné naissance, par les voies régulières,
+par l'influence constitutionnelle, par l'influence du
+spectacle de la liberté et des exemples d'un gouvernement
+constitutionnel; d'autre part, le système de la propagande
+révolutionnaire, d'une propagande par les armes, par la
+force, par les conquêtes. C'est entre ces deux systèmes,
+messieurs, que le dernier ministère s'est vu obligé de choisir.
+Il a eu à décider la question de savoir s'il entrerait dans les
+voies d'un salutaire exemple donné à l'Europe, ou s'il entrerait
+dans celles de la conquête révolutionnaire. C'est entre
+ces deux systèmes qu'il a choisi. Il s'est prononcé pour le
+premier; c'est le même système qui est continué aujourd'hui
+par ses successeurs. C'est donc sur ce système que je
+vous demande d'arrêter un moment votre attention.</p>
+
+<p>Quand on a accusé le ministère précédent de ne s'être pas
+livré à ce mouvement qui portait tant de peuples à imiter
+l'exemple de la France, de ne l'avoir pas partout alimenté,
+de ne s'en être pas emparé à l'instant même pour le pousser
+à ses dernières limites, sur quel principe s'est-on fondé? Sur
+ceci, qu'un peuple qui a adopté un principe doit s'appliquer
+à le faire prévaloir dans l'Europe entière, que la tendance à
+l'unité politique, à une prépondérance prompte et générale
+de tel ou tel système est la loi des événements, le mobile de
+la politique européenne. Le principe de la souveraineté du
+peuple avait triomphé chez nous; donc nous devions pousser
+partout à son triomphe, et travailler à lui soumettre l'Europe
+entière.</p>
+
+<p>Messieurs, cette fantaisie de soumettre l'Europe à l'unité,
+de la ranger à un seul système, sous la loi d'une seule idée,
+cette fantaisie n'est pas nouvelle; elle a passé plus d'une fois
+par la tête des gouvernements. Il ne faut pas en aller chercher
+des exemples bien loin, Louis XIV, dans les temps modernes,
+a eu la fantaisie de faire prévaloir la monarchie française
+dans l'Europe; la Convention a voulu faire prévaloir la République;
+Bonaparte a voulu porter l'Empire dans toute l'Europe.
+La Sainte-Alliance a prétendu la soumettre absolument
+au principe monarchique. Qu'est-il arrivé à toutes ces époques?
+Une réaction violente, non-seulement des gouvernements,
+mais des peuples; une réaction nationale contre la
+tentative d'imposer ainsi à l'Europe une unité violente et
+factice. Cette réaction, non-seulement gouvernementale, je le
+répète, mais nationale, a éclaté contre Louis XIV, contre la
+Convention, contre Bonaparte. (<i>Une voix:</i> Elle n'était pas
+nationale.) Quand elle s'est faite contre Louis XIV, qui a été
+à la tête de la coalition entreprise au nom de la liberté des
+nations contre l'unité du grand roi? Guillaume III, roi d'Angleterre,
+le même homme qui affranchissait l'Angleterre de
+la tyrannie des Stuarts. Sous la Convention, quand elle a
+tenté de porter la république dans toute l'Europe, croyez-vous
+que ce soit les gouvernements seuls qui s'en soient
+lassés? Non, un premier mouvement, une première espérance
+avait fait trouver à la Convention des alliés chez tous les
+peuples: mais bientôt la tyrannie inévitablement attachée à
+de telles tentatives, les violences dont elles ne peuvent
+se défendre, ont tourné contre elle l'esprit d'une grande
+partie des peuples, et jeté l'Europe dans une réaction antirépublicaine,
+contre le système de l'unité conventionnelle.
+Cette même réaction s'est manifestée contre Bonaparte;
+personne n'ignore que le mouvement sous lequel nous
+avons succombé en 1814 n'était pas seulement une coalition
+des cabinets, et que l'esprit général des peuples de
+l'Allemagne, avides de s'affranchir de cette unité factice, a
+été la véritable cause du succès de cette coalition, qui
+aurait succombé comme toutes les autres, si elle avait été
+seulement une coalition de rois.</p>
+
+<p>Eh bien! messieurs, pourquoi ces tentatives d'unité européenne
+ont-elles toujours amené une réaction contre le système
+qui avait tenté de prévaloir? Pourquoi? c'était la liberté
+des nations qui était attaquée, c'était la liberté des nations
+qui se défendait contre cette unité violente qu'on voulait lui
+imposer. Les nations ont revendiqué le droit de se gouverner
+comme elles en avaient besoin. Fantaisie, si vous voulez;
+c'est le principe de la liberté des nations qui a résisté à ces
+essais d'unité factice et violente. Et quel nom porte aujourd'hui
+ce principe? (<i>Une voix.</i> Celui de la Sainte-Alliance!)
+Celui de la <i>non-intervention</i>. Messieurs, c'est le principe de
+la non-intervention qui représente aujourd'hui la liberté des
+nations dans leurs rapports entre elles. C'est ce principe qui
+a été invoqué contre la monarchie de Louis XIV, contre la
+République conventionnelle, contre l'Empire, que nous avons
+invoqué nous-mêmes contre la Sainte-Alliance.</p>
+
+<p>Le principe de la non-intervention est le même que le
+principe de la liberté des peuples; c'est à ce principe que
+toutes les tentatives que je viens de signaler, celle de la
+Sainte-Alliance comme les autres, portaient atteinte. Eh bien!
+il s'agit aujourd'hui de savoir si ce principe sera maintenu
+par notre gouvernement, si nous respecterons la liberté des
+nations, ou si nous recommencerons ces tentatives d'unité
+violente que je viens d'indiquer. Peu importe le mode de
+l'intervention, le titre auquel l'intervention se fait: on peut
+intervenir de plus d'une manière; on peut intervenir par
+des relations diplomatiques ou par des conspirations; on peut
+intervenir par des congrès ou par des sociétés secrètes; on
+peut intervenir au nom du principe de la légitimité ou au
+nom du principe de la souveraineté du peuple. Quelle que
+soit l'origine de l'intervention, quels que soient les moyens
+par lesquels elle s'exerce, dès qu'elle est armée, violente,
+elle porte atteinte à la liberté des nations; elle est une violation
+de ce principe salutaire de non-intervention qui est la
+base du droit des gens, le principe en vertu duquel les gouvernements
+et les peuples vivent en paix les uns avec les
+autres.</p>
+
+<p>Il y a, je le répète, messieurs, mille manières de violer ce
+principe; je ne crois pas que l'une soit meilleure que l'autre;
+je n'ai pas plus de respect pour les émissaires d'une société
+secrète que pour les courtisans de la Sainte-Alliance (<i>Bravos
+au centre gauche</i>); je ne crois pas que les violences ou les
+conquêtes, quel que soit le système au profit duquel elles
+s'exercent, tournent davantage au profit des nations.</p>
+
+<p>C'est entre ces deux systèmes, je le répète, le respect de la
+liberté des peuples, le principe de non-intervention, d'une
+part, et, d'autre part, de nouvelles tentatives de soumettre
+l'Europe à une unité factice, violente, c'est entre ces deux
+systèmes, dis-je, que les ministères qui se sont succédé
+depuis le mois d'août ont été appelés à choisir. L'un et
+l'autre ont fait le même choix; ils ont pensé que la liberté
+fondée et régnant en France, la monarchie constitutionnelle
+établie à la suite d'une insurrection nationale, c'était là ce
+qu'il y avait de plus puissant pour propager en Europe les
+principes de la liberté et du gouvernement constitutionnel.</p>
+
+<p>Le spectacle de la liberté est infiniment plus contagieux
+que le mouvement d'une révolution; c'est la crainte de l'esprit
+révolutionnaire qui ferait à vos principes, à votre gouvernement,
+de nouveaux, de dangereux ennemis. Sommes-nous
+de tels enfants ou de tels vieillards que nous oubliions
+si tôt ce qui s'est passé sous nos yeux? Comment! nous
+avons vu le plus hardi des gouvernements, la Convention,
+porter partout ses principes, ses armées, dans la même voie
+qui vous est indiquée aujourd'hui; la Convention se saisissait
+des moindres prétextes, de la moindre apparence d'insurrection,
+pour s'écrier que les peuples voulaient le même gouvernement
+que la France, pour se lancer en armes sur leur
+territoire, pour se faire, je demande pardon de l'expression
+dans une question aussi grave, le <i>Don Quichotte</i> de l'insurrection
+en Europe.... (<i>Marques d'adhésion au centre; murmures
+à l'extrême gauche.</i>)</p>
+
+<p><span class="sc">M. Enouf.</span>--Dites de la liberté.</p>
+
+<p>Ce n'était pas de la liberté qu'il s'agissait alors; la Convention,
+partout où elle a vu la moindre insurrection, s'en
+est saisie pour s'y porter en armes; c'est le même système
+qu'on recommande aujourd'hui. Je le demande encore, messieurs,
+avons-nous donc oublié quel en a été le résultat?
+Avons-nous oublié cette coalition, non-seulement des souverains,
+mais aussi des peuples?</p>
+
+<p><span class="sc">MM. de Bricqueville, Enouf et Rémond.</span>--La Sainte-Alliance
+n'était pas l'alliance des peuples.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je ne parle pas de la Sainte-Alliance, messieurs;
+je parle de la coalition formée contre Bonaparte, et je
+dis que, celle-là, les peuples aussi en étaient. (<i>A l'extrême
+gauche.</i> Non. <i>Au centre.</i> Si, des peuples.--<i>Agitation.</i>)</p>
+
+<p>Messieurs, je n'interromps jamais personne; le droit
+de tout orateur est de développer ses idées, de les présenter
+dans leur simplicité, dans leur crudité, si vous
+voulez, sauf à les expliquer pleinement; je reconnais à tout
+le monde le même droit; je demande à la Chambre la permission
+de n'être pas obligé d'atténuer, d'énerver ma pensée,
+la permission de la lui communiquer tout entière, libre, naturelle,
+comme elle me vient.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Rémond.</span>--Tant pis pour vous.</p>
+
+<p><i>Quelques voix.</i>--A l'ordre, à l'ordre, c'est une personnalité.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je trouve l'interpellation très-simple; j'accepte
+la personnalité, et je la renvoie à tous ceux de qui elle
+peut venir: tant pis pour vous, dis-je à mon tour à quiconque
+diffère de mon opinion; car, apparemment, je crois avoir
+raison. (<i>Bravos au centre.</i>) Tant pis pour qui se trompe.
+Nous verrons qui se trompe; c'est à la Chambre et à l'avenir
+à en juger.</p>
+
+<p>Je reviens à la Convention et à l'Empire, et je remercie
+les interrupteurs de m'avoir fourni cette occasion de développer
+ma pensée. Je dis, et je crois l'avoir déjà dit, qu'un premier
+mouvement, très-légitime, de sympathie et d'enthousiasme
+avait éveillé tous les peuples à l'aspect de la Révolution
+française; mais j'ajoute en même temps que, peu après, les
+violences, les guerres de la Révolution française, et particulièrement
+cet abus de la force qu'elle a porté dans toute
+l'Europe pour imposer ses principes, ses institutions et ses
+lois à des peuples qui, dans un vif élan d'enthousiasme, en
+avaient tant espéré, je dis que cette cause a puissamment contribué
+à aliéner ces mêmes peuples, que cette cause nous a
+fait perdre en Allemagne, en Italie, en Belgique, une foule de
+partisans. Je dis qu'après les guerres de la Révolution française
+pour imposer son système à l'Europe, il s'est fait en
+Europe une réaction, non-seulement des souverains, mais
+des peuples, ou, si l'on veut, d'une grande partie des peuples
+contre la Révolution française; je dis que telle a été la principale
+cause des revers de la Révolution française, que c'est
+cette cause qui se fit sentir en 1814. Certes, messieurs, il y
+a là une grande leçon, et, je demande la permission de le
+dire à la Chambre, nous ne serions pas excusables d'oublier
+si vite ce qui a eu lieu sous nos yeux, des événements dont
+nous avons été les acteurs et les victimes; nous ne serions
+pas pardonnables de les oublier et de rentrer dans des voies
+dont nous sommes sortis si péniblement, et avec tant de
+sueur et de sang.</p>
+
+<p>Non, le ministère dont j'ai eu l'honneur de faire partie et
+celui qui lui a succédé ne se sont pas trompés, quand ils ont
+choisi entre le système de l'influence pacifique, constitutionnelle,
+libératrice, et le système de la propagande armée, violente
+et révolutionnaire. Ce sont ces deux systèmes qui,
+sous une forme plus ou moins prononcée, plus ou moins menaçante,
+se sont trouvés en présence. Ce sera dans l'avenir,
+sinon de demain, du moins de l'histoire, l'honneur de la
+révolution de Juillet, d'avoir été pacifique en Europe, aussi
+bien que modérée et libérale en France; ce sera son honneur
+de s'être confiée dans la puissance de son exemple, dans la
+puissance du spectacle de ses institutions, de sa liberté, pour
+soutenir et propager en Europe des principes qui ne nous
+sont pas moins chers qu'à aucun autre, pour lesquels, autant
+qu'aucun autre, nous avons combattu. (<i>Très-bien! très-bien!</i>)
+Car, remarquez, messieurs, nous voulons propager la
+liberté, mais non les révolutions. Les révolutions, l'insurrection,
+sont un mauvais état pour un pays: il faut souvent
+passer par là pour arriver à la liberté; mais ce n'est point la
+liberté elle-même. Rien ne se ressemble moins que le spectacle
+d'un pays en révolution et celui d'un pays libre.</p>
+
+<p>Eh bien! ce que nous n'avons pas voulu offrir à l'Europe,
+c'est la vue d'un état révolutionnaire en France. Nous
+craignons l'effet que ce spectacle produirait, non-seulement
+sur les souverains, mais sur les peuples. Nous craignons de
+les voir une seconde fois effrayés, désabusés, dégoûtés, en
+grande partie du moins, comme ils l'ont déjà été. Nous voulons
+aujourd'hui que les peuples ne connaissent de la révolution
+française que ses vertus et ses bienfaits; nous voulons
+que les peuples voient régner en France, non la
+révolution, mais la liberté; non le désordre, mais l'ordre intérieur.
+Nous voulons, en un mot, que la révolution de Juillet
+se présente à l'Europe, l'affranchissement, la liberté et la paix
+à la main, au lieu d'y porter l'insurrection et la guerre; tout
+comme nous avons voulu, dans l'intérieur de la France,
+qu'elle offrît la liberté et la paix à tous les partis, qu'elle ne
+menaçât personne. C'est dans ce système qu'a agi le précédent
+ministère, qu'agit encore le ministère actuel, et certes,
+il vaut bien la prédication continuelle de l'insurrection et
+des révolutions. (<i>Très-bien! très-bien! Mouvement général.</i>)</p>
+
+<a name="XXIII" id="XXIII"></a>
+<br><br>
+<h3>XXIII</h3>
+
+<p class="mid">Discussion sur la politique extérieure adoptée et pratiquée
+par le cabinet du 11 août 1830.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 27 janvier 1831.--</p>
+
+<p class="large">A l'occasion du débat sur le projet de loi relatif à
+l'organisation municipale, la politique extérieure du
+gouvernement, notamment envers la Belgique et la
+Pologne, fut de nouveau attaquée par MM. Mauguin,
+Lamarque, Eusèbe Salverte, de Lafayette, etc.; MM. Dupin,
+Cunin-Gridaine, Barthe défendirent la politique
+pacifique. Le débat se prolongea pendant deux séances.
+J'y pris part en ces termes:</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, en abordant une question si délicate,
+je demande à la Chambre la permission de faire remarquer
+qu'elle est délicate pour tout le monde, pour ceux
+qui attaquent le ministère comme pour le ministère qui se
+défend. Le gouvernement que nous avons choisi, que nous
+avons formé, n'est pas tellement ancien, tellement fort, que
+nous puissions en user avec lui comme si rien n'était plus
+en question. Nous avons tous, tous ceux qui siégent dans
+cette Chambre, quelles que soient nos opinions politiques,
+quelles que soient nos relations avec le ministère, nous avons
+tous un certain degré de solidarité dans sa cause. Il s'agit
+pour nous tous de fortifier, de fonder définitivement le gouvernement
+que nous avons choisi. Lorsque des circonstances
+difficiles s'élèvent, lorsque nous élevons nous-mêmes des
+questions délicates, et, je le répète, elles sont délicates pour
+tout le monde, nous avons tous besoin d'y toucher avec réserve,
+je dirai presque avec crainte.</p>
+
+<p>En ce qui touche la Belgique, messieurs, et j'aborde ici,
+le sens, la question fondamentale; en ce qui touche la
+Belgique, cette espèce de solidarité avec le gouvernement
+du Roi, dont je viens de parler, n'a rien, je crois, qui doive
+nous inquiéter, ni nous embarrasser.</p>
+
+<p>Le ministre des affaires étrangères vous a dit tout à
+l'heure, et j'ai besoin de le répéter: si la Belgique délibère
+en liberté aujourd'hui sur ses destinées, c'est à la France
+qu'elle le doit. Le gouvernement du Roi était à peine fondé,
+l'insurrection de la Belgique éclate, et le premier acte du
+gouvernement du Roi est de déclarer à toutes les puissances
+de l'Europe que, lui n'intervenant pas, il ne souffrira pas
+que personne intervienne, et que le jour où un soldat
+prussien franchira la frontière de la Belgique, les Français
+a passeront immédiatement.</p>
+
+<p>Cette déclaration, messieurs, au moment où elle a été
+faite, a excité dans plus d'un cabinet européen une vive rumeur;
+elle a fort étonné ceux à qui elle s'adressait. Nous
+ne pouvons en être surpris; c'était une déclaration de mort
+à la Sainte-Alliance, c'était l'abolition définitive de cette
+unité mystérieuse et violente qu'elle voulait faire peser sur
+l'Europe. Le jour où la France a dit: tant qu'un peuple se
+renfermera dans ses affaires intérieures, qu'il change ou
+non la forme de son gouvernement, personne ne peut intervenir:
+ce jour-là, la France a brisé la Sainte-Alliance,
+la France a proclamé la liberté des nations. Il n'y a, certes,
+dans la solidarité de tels actes, rien que nous devions
+repousser.</p>
+
+<p>Mais, je le demande, si la Belgique aujourd'hui délibère,
+grâce à nous, en liberté sur ses destinées, avons-nous perdu
+le droit de délibérer en liberté sur la conduite que nous
+devons tenir à son égard? Est-ce qu'au moment où nous
+avons affranchi la Belgique à l'égard de tous les peuples de
+l'Europe, nous nous sommes liés irrévocablement à trouver
+bon, à soutenir tout ce qu'elle pourrait faire elle-même pour
+sa destinée? Certainement non. La liberté que nous avons
+garantie à la Belgique, nous l'avons conservée pour nous-mêmes
+tout entière. Je demande la permission de vous
+arrêter un moment sur cette question. A côté de cette politique
+généreuse, élevée, qui prend pour guide les droits généraux
+de l'humanité et des nations, il y a une politique,
+non pas contraire, mais différente, une politique spéciale,
+nationale, qui consulte avant tout les intérêts nationaux,
+qui les voit, les considère dans tous les événements, qui
+approuve ou n'approuve pas les événements, les combat ou
+les soutient en raison de l'intérêt national uniquement.</p>
+
+<p>Il y a, messieurs, je n'hésite pas à le dire, il y a un certain
+degré d'égoïsme national qui est la loi de la politique
+des peuples, et à laquelle il est impossible d'échapper. Eh
+bien! nous sommes à l'égard de la Belgique dans cette situation.
+Après avoir garanti sa liberté en Europe, après l'avoir
+protégée contre toute intervention violente, nous gardons
+pour nous mêmes une liberté tout entière; nous n'avons à
+consulter, dans ce qui la concerne et dans notre conduite à
+son égard, que la justice d'abord et nos intérêts nationaux,
+les convenances de notre gouvernement et de notre pays.
+Nous conservons le droit de nous décider pleinement d'après
+toutes ces considérations. Ainsi ce n'est plus qu'une question
+de conduite et de prudence. Il s'agit de savoir de quelle manière
+le gouvernement de la France, dans l'intérêt de la
+France, doit se conduire vis-à-vis de la Belgique; nous en
+avons pleinement le droit. Il s'agit de savoir si, en conservant
+la Belgique comme Etat européen, il a épuisé tout ce
+qu'il lui devait. La question est donc purement une question
+de politique et d'intérêt national. C'est sous ce point de vue
+désormais que je demande à la considérer.</p>
+
+<p>Dans les documents parvenus de Belgique, trois faits ont
+attiré l'attention du public et des Chambres. Je ne dirai rien
+du refus de mettre M. le duc de Nemours à la disposition des
+Belges, tout le monde est d'accord. Je m'arrêterai peu sur le
+refus de reconnaître le duc de Leuchtenberg comme roi des
+Belges; cependant j'ai besoin d'en dire un mot. Je n'attache
+pas aux complots et aux intrigues politiques plus d'importance
+qu'elles n'en méritent. Je sais qu'on peut avoir à côté de
+soi, chez ses voisins, un foyer d'intrigues et de conspirations,
+et n'en être pas moins un gouvernement solide et
+fort. Je suis donc loin de croire que les destinées du gouvernement
+de la France dépendent de la question de savoir si la
+Belgique aura ou non pour roi le duc de Leuchtenberg. Cependant,
+il est vrai de dire que, s'il n'y a pas danger, il peut
+y avoir des inconvénients graves pour un pays à avoir à côté
+de soi des complots qui s'ourdissent. Je ne dis pas qu'il faille
+tout risquer pour empêcher un tel fait, mais je dis qu'il faut
+le prendre en grande considération.</p>
+
+<p>Si le duc de Leuchtenberg était élu roi des Belges, et
+qu'il s'agît, après plusieurs années d'existence, de savoir si
+on le reconnaîtra, il est possible qu'il fallût se décider à le
+reconnaître. Mais il n'est pas encore élu, et il est certain que
+son élection serait un incident fâcheux pour le gouvernement
+français. Il est donc tout simple que le cabinet ait employé
+toute son influence pour repousser ce résultat: il en avait le
+droit et le devoir; et, quand il a annoncé qu'il ne reconnaîtrait
+pas, il ne peut pas avoir dit qu'il ne reconnaîtrait
+jamais; il n'y pas de jamais en politique: on se conduit au jour
+le jour, selon la prudence et la nécessité. Le gouvernement
+français a employé son influence et les déclarations de sa politique
+à repousser un fait qui évidemment n'est pas favorable
+à la France, qui pourrait lui être nuisible, lui causer des
+troubles ou au moins des craintes. Il était, je le répète, dans
+son droit; et, dans mon opinion, il a bien fait d'en user.</p>
+
+<p>J'arrive à la véritable question, à celle qui préoccupe tous
+les esprits, à la question de la réunion proposée, offerte,
+dit-on, de la Belgique à la France. Je n'élèverai pas la question
+de savoir si la réunion est effectivement proposée, et
+par qui: je le suppose, et j'entre dans le fond de la question.
+J'en conviens, il y a ici des sympathies nationales; il peut
+y avoir aussi avantage réciproque. Je respecte les sympathies
+naturelles des peuples; je crois qu'elles sont un très-bon
+principe d'union. Je ne méprise pas les frontières naturelles,
+je crois que c'est une des considérations qui doivent
+entrer dans la politique. Je ne suis pas non plus étranger,
+je le déclare, au désir de l'éclat et de l'agrandissement de
+mon pays. Je ne crois pas que les peuples soient destinés à
+jouir paisiblement et oisivement de leur bonheur: les peuples
+sont destinés à vivre laborieusement, à courir des dangers, à
+s'imposer de lourds fardeaux, dans l'intérêt de leur prospérité
+matérielle et de leur gloire. Il y a des cas où il faut savoir
+même sacrifier sa prospérité intérieure, pour son éclat et
+son agrandissement. Je ne repousse pas d'une manière générale
+la gloire et l'agrandissement de mon pays; j'examine la
+question dans la situation présente, et je partage pleinement
+l'avis du ministère.</p>
+
+<p>On a parlé plusieurs fois, à cette tribune, de la nécessité
+d'une politique large, élevée, étendue. Il est vrai que jusqu'ici
+l'on ne s'était guère écarté de ce que je me permettrai
+d'appeler l'ancienne routine européenne. Les considérations
+dont j'ai parlé, les frontières naturelles, les alliances, les
+relations par lesquelles se tiennent les peuples, ont été les
+guides de la politique extérieure: elle s'est généralement
+déterminée d'après ces considérations seules; c'est là que la
+politique a puisé son étendue et son élévation. Je le comprends:
+il y a plaisir, en effet, pour les esprits élevés, à se
+déployer et à se jouer dans des combinaisons de ce genre, à
+changer ainsi, soit par la guerre, soit par les négociations,
+le sort et la distribution des peuples. C'est là, je le répète,
+que la politique extérieure a puisé jusqu'à présent son étendue
+et sa grandeur. Il faut convenir aussi que ces considérations
+sont souvent arbitraires, que, si elles ont fait faire
+de grandes choses, elles ont jeté aussi les politiques dans
+de grandes erreurs. Elles ont produit un germe de tyrannie,
+d'oppression, de guerres et de conquêtes inutiles, désastreuses
+même. Cette politique étendue et élevée, en un
+mot, n'a pas été toujours fondée en raison, ni salutaire aux
+nations. Notre révolution, qui a fait entrer dans la politique
+intérieure des peuples tant d'idées et de sentiments qui lui
+étaient étrangers jusque-là, notre révolution a rendu à la politique
+extérieure le même service; elle a banni ou bannira,
+je l'espère, jusqu'à un certain point ces combinaisons arbitraires
+qui reposent uniquement sur l'idée de tel ou tel
+homme, d'un grand homme si l'on veut, ces combinaisons
+plus ou moins factices qui ont été jusqu'à ce moment le
+caractère de la politique en général. Notre révolution nous
+impose la loi de tenir compte de bien d'autres faits, de faire
+entrer beaucoup d'autres éléments en considération. Ce ne
+sont plus aujourd'hui les frontières naturelles, les sympathies
+historiques qui doivent décider uniquement, je dirai
+préférablement, dans toute question; il y a des motifs qui se
+lient de plus près au sort des nations, qui intéressent plus
+vivement la conscience des peuples. Ce sont ceux-là, non
+pas les combinaisons de ce qu'on est accoutumé d'appeler la
+grande diplomatie, ce sont ces motifs qu'il faut examiner
+dans cette question.</p>
+
+<p>Eh bien! je me demande avant tout, car c'est là ce qui me
+paraît devoir décider la question, je me demande si la dignité
+de la France d'une part, sa sûreté extérieure de l'autre, et
+enfin son état intérieur, exigent ou conseillent cette réunion
+qu'on nous propose. La dignité de la France, messieurs, je
+crois qu'il faut en tenir grand compte; je ne pense pas qu'il
+soit indifférent de laisser échapper une circonstance dans
+laquelle la dignité du peuple peut se croire intéressée. Il ne
+faut pas qu'un sentiment douloureux... je cherche un mot
+moins dur... qu'un sentiment d'humiliation s'établisse parmi
+les peuples à l'égard de leur gouvernement. C'est par le
+sentiment de sa dignité qu'un peuple est vraiment un
+peuple; c'est par là qu'il vit, qu'il se sent. Eh bien! loin
+de contrarier ce sentiment, il faut le respecter, le développer
+en lui, toutes les fois que l'occasion s'en présente. Je
+dirai même que nous y sommes obligés aujourd'hui plus
+particulièrement que jamais. Un sentiment de dignité publique,
+et permettez-moi de le dire, de dignité populaire, a
+joué un grand rôle dans notre révolution de 1830. C'est
+parce que le peuple, en partie à tort, en partie à raison,
+s'est senti offensé, humilié, qu'il s'est si promptement levé,
+ou résigné, pour la chute du gouvernement d'alors. Les
+offenses à nos libertés, la violation de nos droits, qui ont
+justement ému les classes élevées de la société, n'auraient
+peut-être pas suffi sans ce sentiment d'offense populaire
+qui a soulevé les masses et qui les a données à la cause de
+nos libertés publiques.</p>
+
+<p>Nous avons donc, dans ce moment-ci particulièrement,
+une plus grande obligation à ce sentiment de dignité populaire,
+à ce besoin de s'élever, de s'honorer soi-même, à ce
+besoin qui a joué un si grand rôle; mais je trouve que nous
+nous faisons une bien mince idée de la dignité de la France
+quand nous la croyons intéressée à résoudre de la sorte, et
+immédiatement, la question dont il s'agit. J'ai une plus
+haute opinion de la dignité nationale; je crois que depuis
+quarante ans, depuis la révolution de Juillet et les événements
+de décembre dernier, la France a conquis de la
+dignité, de l'honneur, de la considération en Europe, assez
+pour attendre un an, deux ans, s'il lui plaît, avant de se décider
+dans une question de politique extérieure. Elle n'a
+pas besoin, pour maintenir sa dignité, de se compromettre,
+de se jeter à l'aventure dans les événements qui viendront
+s'offrir à elle. La France a le sentiment profond de ce qu'elle
+peut et de ce qu'elle sait faire; son honneur n'est pas engagé
+dans le parti qu'on voudrait lui faire prendre immédiatement,
+et dont on voudrait lui faire une nécessité d'honneur.
+Nous sommes libres à cet égard comme à beaucoup
+d'autres; nous pouvons attendre, juger, faire ce qui nous
+conviendra, refuser si cela nous convient; notre dignité
+n'est pas compromise par ce refus.</p>
+
+<p>Voici un autre motif de sûreté intérieure, une seconde considération
+qu'on allègue pour décider la France à accepter ce
+qui, dit-on, est offert; on dit: vous vous faites illusion,
+l'Europe entière vous en veut, elle est votre mortelle ennemie;
+ne vous laissez pas surprendre; attaquez pour ne pas
+être attaqué.</p>
+
+<p>Je ne me fais aucune illusion quant au point de vue sous
+lequel notre révolution de 1789 et celle de 1830 peuvent être
+jugées par les gouvernements européens. Je ne doute pas
+qu'elles ne soient vues avec chagrin et avec malveillance;
+mais je dis que ce ne sont pas des raisons déterminantes, des
+raisons suffisantes pour adopter le système qu'on propose.</p>
+
+<p>Je vous prie de remarquer un fait: c'est que la révolution
+de 1830, en admettant qu'elle ait été vue de mauvais
+oeil par toutes les puissances de l'Europe, a cependant été
+reçue et jugée diversement par elles. Il y a telle puissance
+qui a manifesté un grand éloignement, un vrai chagrin; il y
+a telle autre qui s'est tenue dans une réserve convenable;
+telle autre où le mouvement national a été tel que le gouvernement
+a été emporté dans ce mouvement, et obligé, sinon
+de s'y soumettre, au moins de s'y accommoder. Il y a
+donc, dans les dispositions volontaires ou obligées de l'Europe,
+à l'égard de notre révolution, de grandes différences.
+Pourquoi n'en tiendriez-vous pas compte? Pourquoi jetteriez-vous
+toutes ces puissances dans la même inimitié contre
+vous? Pourquoi ne travailleriez-vous pas à vous faire des
+alliances? Pourquoi ne profiteriez-vous de la bonne volonté
+que vous témoigne telle ou telle puissance, au lieu de les
+confondre toutes dans un lieu commun déclamatoire, qui a
+bien quelquefois sa part de vérité, mais qui ne peut être
+admis comme le mobile déterminant de la conduite
+d'hommes sensés?</p>
+
+<p>Je vais plus loin: indépendamment de ces diversités qui
+ont éclaté dans les dispositions des puissances européennes,
+et du parti que vous pouvez en tirer, je dis que l'expérience
+de ce qui s'est passé en 1789, des guerres de la Révolution, du
+régime impérial, de la Restauration, n'a pas été perdue pour
+l'Europe, pas plus que pour nous. Je ne suis pas porté à
+croire qu'elle ait changé le fond des coeurs; le fond des
+coeurs change rarement; mais la nécessité se fait reconnaître
+par tout le monde, l'expérience finit par éclairer les
+plus aveugles.</p>
+
+<p>Comparez la conduite des puissances européennes aux
+différentes époques, depuis 1789 jusqu'à ce jour, et voyez si
+cette conduite a été la même. Elle a changé selon les temps;
+elle a subi les variations que l'expérience et la nécessité devaient
+lui imprimer. L'Europe a traité avec la Convention
+et Bonaparte. Bonaparte aussi mettait les dynasties en danger;
+il en a changé plus d'une; il voulait que la sienne fût
+la plus ancienne de l'Europe. Cependant on a traité avec lui
+à diverses reprises, on a cessé de le combattre, on s'est précipité
+dans son alliance.</p>
+
+<p>En 1814, les puissances de l'Europe ont été généralement
+convaincues qu'il fallait à la France le régime constitutionnel.
+La Charte lui a été donnée de l'avis de l'Europe.
+Ces mêmes puissances, qui n'ont pas donné de charte chez
+elles, qui probablement combattraient longtemps avant d'en
+accepter une, ont pensé, en 1814, que le gouvernement constitutionnel
+était nécessaire à la France; que, dans la politique
+européenne, la France, pour n'être plus une cause de
+troubles, un sujet d'alarmes, avait besoin de cette charte;
+et ces mêmes puissances qui, en 1794, s'opposaient à une
+constitution en France, n'ont pas cru, en 1814, qu'elle pût
+s'en passer.</p>
+
+<p>Qu'est-ce que cela prouve? Que la conduite des puissances
+n'est pas toujours la même, qu'une foule de considérations
+et de nécessités pèsent sur elles comme sur nous.
+Aujourd'hui, l'Europe a appris à connaître la nécessité du
+régime constitutionnel en France, et la révolution de 1830
+l'a confirmée dans cette conviction. Quels que soient les
+sentiments des hommes, quelques regrets, quelque malveillance
+qu'ils portent au fond du coeur, je n'hésite pas à le
+dire: en fait, ce que l'Europe désire aujourd'hui, c'est que
+la France vive sous un gouvernement régulier, que nos
+institutions se développent régulièrement, que la France ne
+soit pas un nouveau foyer révolutionnaire, qu'elle ne soit
+pas jetée hors de ses institutions et hors de ses frontières.
+C'est là le sentiment dominant de l'Europe; sentiment qui
+n'exclut ni la méfiance, ni la malveillance, ni le chagrin,
+mais qui n'en est pas moins réel, parce que trente ans de
+combats, de défaites et de malheurs font pénétrer la raison
+dans les têtes qui y résistent le plus.</p>
+
+<p>Je ne crois donc pas que la guerre soit une nécessité de la
+sûreté extérieure de la France. Si la France se renferme régulièrement
+dans ses institutions et dans ses frontières, si
+elle vit constitutionnellement comme la république des
+États-Unis vit en Amérique, la France n'a rien à craindre de
+l'Europe. Je ne crois pas que l'Europe vienne l'attaquer.
+Elle lui voudra du mal, elle cherchera peut-être à lui nuire,
+elle redoutera nos institutions, tout en les supportant. Il dépend
+de notre sagesse et de notre bon état intérieur, de nous
+faire supporter de l'Europe entière et même des puissances
+les plus malveillantes. La question réside donc véritablement
+dans notre état intérieur. Consultez la dignité nationale
+et la sûreté extérieure de la France, vous n'y trouverez
+point la nécessité de la guerre. C'est du dedans de la France,
+du sein de son gouvernement, et peut-être du sein de cette
+Chambre, que nous viendra la paix ou la guerre; elle ne
+nous viendra pas d'ailleurs.</p>
+
+<p>Eh bien! messieurs, notre état intérieur exige-t-il la
+guerre, conseille-t-il la guerre, s'y prête-t-il même dans
+ce moment et convenablement? Je ne le pense pas. Il n'est
+personne, je crois pouvoir dire personne, qui trouve que
+notre état intérieur soit tel que nous le désirons tous, tel
+qu'il doit définitivement rester, personne qui trouve que
+l'état actuel de la France soit aujourd'hui l'état régulier de
+notre pays et de nos institutions. Évidemment il y manque
+beaucoup; évidemment il y a dans le pouvoir un affaiblissement,
+dans les esprits une défiance, une incertitude, une
+anarchie qui ne constituent pas un bon état intérieur.
+Pourquoi cette faiblesse progressive du pouvoir? Pourquoi
+cette anarchie croissante de la société et des esprits? On a
+parlé souvent, et j'ai moi-même eu occasion de parler à
+cette tribune de parti républicain, d'idées républicaines,
+comme étant la cause de cette faiblesse du pouvoir, de ce
+trouble, de cette anarchie qui font des progrès partout. Je me
+repens, messieurs; je suis porté à croire que j'ai fait trop
+d'honneur aux causes de l'anarchie et de la faiblesse du
+gouvernement.</p>
+
+<p>Après tout, un gouvernement républicain régulier peut
+fort bien ressembler à tous les autres gouvernements dans
+lesquels les moyens d'action sont forts, et où les lois peuvent
+être obéies; il peut n'y avoir pas d'anarchie; l'anarchie
+n'est pas inhérente à la forme du gouvernement. Il y a
+donc ici une autre cause, et, quand on veut être dans le
+vrai, quoique les mots <i>république</i>, <i>idées républicaines</i> soient
+à la surface, ce n'est pas là le fond des choses, ce ne sont
+pas de ces mots qu'il faut se servir.</p>
+
+<p>Il y a dans notre société des restes d'idées anarchiques,
+mais non pas républicaines, des restes de passions anarchiques,
+d'habitudes anarchiques, restes qui nous viennent des
+temps d'anarchie révolutionnaire que nous avons traversés,
+et des tentatives continuelles de complots, de conspirations,
+de la lutte continuelle et anarchique contre le dernier gouvernement.</p>
+
+<p>Messieurs, je comprends qu'il puisse y avoir, comme il y
+a eu à certaines époques, de la sincérité, de la générosité,
+de la vertu dans des conspirateurs. Mais, messieurs, il y a
+toujours, et nécessairement, dans leurs tentatives, de l'anarchie;
+car c'est à l'existence même du pouvoir qu'elles s'attaquent;
+c'est leur condition, je ne leur en fais pas un
+reproche; je sais qu'il y a eu dans le monde des complots
+légitimes, des conspirateurs que je respecte, que j'aime.
+Je ne parle de personne, je ne désigne ici personne;
+mais je dis que même les meilleurs complots, les conspirateurs
+les plus honorables, sont nécessairement jetés
+dans les idées, dans les passions, dans les habitudes anarchiques;
+je dis qu'il suffit de voir la vie de Sidney, de
+suivre l'interrogatoire de Sidney, lorsqu'il fut accusé, pour
+voir que l'anarchie était dans son esprit, qu'elle y était
+entrée par la porte de la lutte continuelle contre l'autorité,
+qu'il est impossible à la raison la plus ferme de ne pas trouver
+bonnes toutes les raisons, de ne pas employer toutes
+les armes pour servir une cause malheureuse que l'on juge
+sainte.</p>
+
+<p>De la révolution française et de la lutte continuelle d'une
+portion du pays contre le gouvernement déchu, il est resté
+dans nos esprits, dans notre conduite, non pas de la république,
+mais de l'anarchie, des idées, des passions, des habitudes
+anarchiques, aussi contraires à la constitution des
+États-Unis qu'à la nôtre, et qui seraient repoussées à Washington
+comme à Paris.</p>
+
+<p>Je dis que c'est la véritable cause du mal qui nous travaille.
+Je dis que c'est contre ce reste d'anarchie que nous
+avons maintenant à lutter. Et remarquez, messieurs, notre
+condition singulière; des esprits élevés, des hommes généreux
+se jettent encore aujourd'hui dans ces débris de l'anarchie
+révolutionnaire et conspiratrice. Croyez-vous que ce reste
+d'anarchie soit très-fort? Pas du tout.</p>
+
+<p>Vous me permettrez de dire à ce sujet toute ma pensée. Il
+est vrai que ces restes de sentiments, d'idées, d'habitudes,
+d'actes anarchiques, que nous voyons autour de nous, n'ont
+pas derrière eux les intérêts des masses, qu'ils n'ont plus
+la force qu'ils ont eue pendant longtemps; il est vrai que
+si leurs auteurs étaient jetés dans des entreprises difficiles,
+comme l'a été la Révolution française, s'ils étaient obligés de
+lutter contre l'Europe entière, ils seraient à l'instant abandonnés;
+au lieu de cette gloire, de cette puissance que la
+France a tirées de sa grande lutte, vous ne verriez sortir de
+celle-ci que désordre et faiblesse. Ce n'est pas une raison
+pour que la société n'en soit pas fort troublée. Il n'est pas
+nécessaire d'avoir la puissance et la gloire des armées républicaines
+pour mettre la société fort mal à l'aise, pour
+tourmenter et compromettre le gouvernement et la société.</p>
+
+<p>C'est précisément ce qui nous arrive. Nous avons affaire
+à un parti qui n'a pas de puissance réelle, pas de puissance
+nationale, et qui conserve cependant assez de mouvement,
+assez de force pour troubler, pour mettre en question ce qui
+nous est le plus cher à tous. Quels sont nos moyens de résistance
+contre ce parti? quels sont nos remèdes? C'est le
+maintien de l'ordre, c'est la prospérité publique, c'est la
+liberté de tous, cette liberté qui fait que toutes les opinions se
+contiennent en se manifestant et en se contrôlant sans cesse
+l'une l'autre, cette liberté qui lutte seule efficacement contre
+l'anarchie, et qui peut seule nous en tirer par la prospérité
+publique. Le pays ne prend aucun intérêt aux idées de désordre;
+par la liberté, elles sont sans cesse combattues et
+réprimées. La prospérité nationale, la liberté universelle,
+voilà les moyens de lutter efficacement contre le mal dont
+je parle. Mais la guerre, si elle éclate, vous laissera-t-elle
+ces moyens? La guerre affermira-t-elle l'ordre public? Développera-t-elle
+la prospérité? Permettra-t-elle de conserver,
+d'assurer à tous cette liberté égale, dont tous ont besoin,
+à laquelle tous ont droit, avec laquelle nous nous corrigeons
+mutuellement? Non, par la guerre, inévitablement et malgré
+vous, et malgré le gouvernement, l'ordre public, la prospérité
+nationale, la liberté de tous, le jeu régulier de nos institutions,
+seront, je ne dirai pas détruits, mais mis en question,
+menacés, affaiblis du moins. En sorte que les seuls moyens
+par lesquels vous puissiez lutter contre l'anarchie, la guerre
+vous les enlève; la guerre vous fait courir le risque d'être
+livrés à ce parti à la fois inquiétant et faible, à la fois cause
+de troubles et impuissant à les réprimer, à ce parti qui est le
+véritable mal et le seul mal que vous ayez sérieusement à
+craindre aujourd'hui. (Au centre. <i>Très-bien! très-bien!</i>)</p>
+
+<p>Je me borne à constater ce fait; je n'en tire qu'une conséquence,
+c'est qu'il ne faut faire la guerre que devant une
+nécessité absolue, qu'il ne faut pas aller au-devant, qu'il ne
+faut courir aucune aventure, que les aventures seraient aujourd'hui,
+je ne veux pas dire funestes, car je veux croire
+que rien ne peut être funeste, mais dangereuses et nuisibles.
+De quoi s'agit-il donc? d'attendre, de gagner du temps, de
+ne pas provoquer une décision prompte et immédiate, d'employer
+tout ce que nous pouvons avoir d'habileté et d'influence
+à n'être pas obligés de résoudre immédiatement et
+par la force la question extérieure. C'est sous ce point de vue,
+et dans ces limites seulement, que je combats les arguments
+qui ont été présentés.</p>
+
+<a name="XXIV" id="XXIV"></a>
+<br><br>
+<h3>XXIV</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du projet de loi sur l'organisation municipale.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 2 février 1831.--</p>
+
+<p class="large">Quand la discussion commença sur les articles du
+projet de loi relatif à l'organisation municipale, M. Marchal,
+député de la Meurthe, proposa, à titre d'amendement,
+un projet complet et entièrement différent, dont
+l'article premier déterminait, d'une façon générale,
+l'état de citoyen français. Cette proposition, longuement
+débattue, fut enfin repoussée par la question préalable.
+Je ne pris part au débat que pour mettre en lumière la
+différente situation où se trouvait la Chambre depuis
+que la Charte de 1830 lui avait donné le droit d'initiative
+formelle et directe.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je demande à la Chambre la permission de
+retenir un moment son attention sur cette question, dont
+la solution peut avoir de graves conséquences.</p>
+
+<p>Si la discussion qui nous occupe s'était élevée, il y a un
+an, sous l'empire de l'ancienne Charte, je comprendrais
+qu'on y insistât; le droit d'amendement était alors un
+moyen indirect d'exercer l'initiative. On faisait des objections
+contre ce droit; elles étaient repoussées par le besoin qu'avait
+la France d'exercer l'initiative et le désir d'étendre
+cette prérogative.</p>
+
+<p>Aujourd'hui la Chambre est investie du droit d'initiative,
+et cependant elle a cru devoir l'entourer de certaines conditions,
+de certaines garanties qui ont pour objet d'assurer la
+maturité de ses délibérations.</p>
+
+<p>Il faut savoir si vous traiterez l'initiative de la Chambre
+comme jadis celle du gouvernement, si vous travaillerez à
+étendre l'initiative de chacun des membres par voie d'amendement.
+Lorsque le gouvernement seul était investi de l'initiative,
+la Chambre pouvait avoir raison d'essayer de se saisir
+de ce droit, même avec les inconvénients que le droit d'amendement
+présente et qu'on n'a jamais pu éviter complétement;
+il n'en est plus de même aujourd'hui.</p>
+
+<p>Si donc y a lieu à une proposition sur l'état et les droits
+de citoyen, qu'elle soit l'objet d'une proposition particulière.
+Si vous ne procédez pas ainsi, vous rencontrerez, dans
+l'exercice de l'initiative parlementaire, les mêmes difficultés,
+les mêmes embarras qui s'élevaient autrefois sur l'initiative
+du gouvernement.</p>
+
+<a name="XXV" id="XXV"></a>
+<br><br>
+<h3>XXV</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du projet de loi sur l'organisation municipale.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 8 février 1831.--</p>
+
+<p class="large">En proposant, sur l'article 1<sup>er</sup> de ce projet de loi,
+un amendement qui repoussait l'adoption d'un cens
+quelconque comme base du droit électoral dans les
+communes, soit urbaines, soit rurales, le général Lamarque
+cita, à l'appui de sa proposition, un passage de l'ouvrage
+que j'avais publié en 1821 sous ce titre: <i>Des
+moyens de gouvernement et d'opposition dans l'état
+actuel de la France</i>. Je pris la parole pour rétablir le
+vrai sens de ma pensée et repousser l'amendement proposé.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je n'ai pas changé d'opinion depuis l'époque
+où j'écrivais ce que l'honorable préopinant a bien voulu
+me rappeler aujourd'hui. Aujourd'hui comme alors, je
+pense que la machine administrative la plus forte, la mieux
+constituée, ne suffit pas pour gouverner. Aujourd'hui comme
+alors, je pense que c'est dans les intérêts, dans les croyances,
+dans les idées des masses qu'il faut aller chercher la force.
+Aujourd'hui comme alors, je suis convaincu qu'il faut asseoir
+l'autorité sur la base la plus large qui se puisse trouver,
+et que cette base ne peut se trouver que dans les
+masses; cependant je viens combattre l'amendement proposé
+par le préopinant, et appuyer le système de la commission.</p>
+
+<p>J'ai remarqué que presque tous les orateurs qui se sont
+succédé aujourd'hui à cette tribune, je pourrais même dire
+tous, y compris l'honorable préopinant, M. le préfet de la
+Seine, ont rendu hommage au principe de la capacité comme
+base des droits politiques. Ils ont tous reconnu que, pour posséder
+le droit, il fallait avoir l'indépendance et les lumières,
+c'est-à-dire les conditions de la capacité politique.</p>
+
+<p>Le principe de la capacité politique, introduit dans notre
+législation comme source des droits politiques, est peut-être la
+plus belle, la plus utile conquête que nous ayons faite depuis
+quinze ans. C'est de ce principe qu'on doit dire ce qu'on a
+dit une fois de Napoléon, qu'il n'avait détrôné que l'anarchie.
+Le principe de la capacité politique a effectivement
+détrôné l'anarchie. Je prends donc acte de l'hommage qui
+a été rendu par tout le monde à ce principe, et c'est de cet
+hommage que je pars pour combattre l'amendement proposé.</p>
+
+<p>Quelle est la conséquence de la capacité politique? C'est
+qu'elle varie suivant les lieux, suivant les temps, suivant les
+affaires. Telle capacité existe dans telle commune pour
+traiter ses affaires, qui n'est plus la même dans telle autre
+commune, dans telle autre situation. La capacité est donc
+sans cesse variable, subordonnée à une foule de circonstances,
+au nombre des citoyens, à leur situation sociale, à l'étendue
+et à la difficulté des affaires.</p>
+
+<p>Que fait-on dans les amendements qu'on vous propose,
+dans celui que la Chambre a rejeté au commencement de
+cette séance, et dans celui que propose maintenant le général
+Lamarque? On ne tient aucun compte de ces variations;
+on pose en fait que le droit est le même dans une
+petite commune que dans une grande ville. Le premier
+amendement, que vous avez rejeté au commencement de la
+séance, attribuait partout le droit électoral à tous les citoyens
+payant une cote de contribution personnelle quelconque. Il
+donnait le droit électoral, dans un village comme à Paris, à
+tout citoyen payant une contribution personnelle quelconque.
+Il est évident que, dans un village, quiconque possède doit
+avoir des droits électoraux; mais dans Paris, il ne peut en
+être ainsi. Une contribution personnelle à Paris ne ressemble
+en rien à ce qu'elle est dans une petite ville, dans une petite
+commune. De sorte qu'après avoir rendu hommage à la capacité,
+on ne tient aucun compte de la mesure de cette capacité;
+on ne fait pas attention qu'elle varie forcément, qu'elle
+est subordonnée à la nature des lieux, à l'importance des
+affaires, et on adopte la même base dans des situations très-différentes.
+Pourquoi? Parce qu'on n'est pas fidèle au principe
+de la capacité et qu'on retombe dans le principe du
+suffrage universel qu'on essaye de réintroduire dans notre
+législation. C'est pour faire rentrer, presque à son insu, le
+suffrage universel dans nos lois qu'on abandonne le principe
+de la capacité qu'on avait d'abord accepté. Je ne crois pas
+que ce soit le moyen de réformer notre constitution municipale.</p>
+
+<p>On se prévaut de l'idée que, dans les communes, l'intérêt
+local est le seul dont on s'occupe. Ne pensez pas, messieurs,
+qu'on puisse séparer ainsi parfaitement les intérêts locaux des
+intérêts généraux; cette division n'est jamais aussi réelle qu'on
+se l'imagine. Comment concevoir, par exemple, que dans une
+grande ville, dans Paris, dans Lyon, les intérêts locaux ne
+touchent pas de plus près aux intérêts généraux, n'aient pas
+un caractère plus politique que dans une petite ville? Vous
+aurez beau écrire dans vos lois la séparation des intérêts
+locaux et des intérêts généraux; ils seront plus ou moins
+rapprochés et unis selon la diversité des lieux; il résultera
+de la nature des choses que, dans les grandes villes, les conseils
+municipaux auront un caractère politique, que les idées
+politiques exerceront sur leur composition une grande influence,
+et que les affaires dont ils s'occuperont, quoique
+locales en apparence, auront toujours des points de contact
+avec la politique.</p>
+
+<p>On s'est prévalu de ce qui se passait autrefois en France,
+et de ce qui se passe aujourd'hui ailleurs. On a dit que jadis
+les droits électoraux communaux appartenaient à la presque
+totalité des habitants, qu'il était étonnant qu'aujourd'hui on
+nous contestât ces droits. Il y a erreur: autrefois en France
+la variété était prodigieuse dans nos communes; il y en
+avait bien plus où le droit était concentré dans un petit nombre
+d'habitants que de celles où le droit était plus étendu. Si vous
+consultiez les anciennes chartes, vous verriez que le droit
+était généralement concentré dans des corporations assez
+étroites. Si vous allez en Angleterre chercher vos comparaisons,
+vous verrez que, si dans quelques communes le droit
+appartient à tous les habitants, dans la plupart des villes
+une corporation assez étroite est seule admise à en jouir.
+De sorte que, hors de France ou dans notre ancienne histoire,
+le droit appartenait à un moins grand nombre d'électeurs
+qu'il n'arriverait dans le système de votre commission.</p>
+
+<p>Si vous prenez l'Allemagne où le droit communal est
+assez large, vous trouverez qu'il y est plus restreint qu'il ne
+le sera en France, d'après le projet de votre commission. Ou
+je m'abuse fort, ou nous nous faisons un peu illusion à nous-mêmes
+sur les mots; nous invoquons les souvenirs de l'antiquité;
+nous parlons d'ilotes, de grandes aristocraties, de
+tyrannies: j'avoue que je ne comprends pas comment, avec
+une loi d'élection qui vous donne deux millions d'électeurs
+complétement indépendants, lesquels nommeront des conseils
+dans lesquels seuls le pouvoir central sera obligé de
+choisir ses agents, il serait possible de voir là des ilotes, une
+aristocratie, une tyrannie. Je comprends qu'on puisse invoquer
+ces souvenirs; mais en fait, dans la pratique, je vois
+l'autorité locale remise presque partout entre les mains des
+citoyens capables de l'exercer.</p>
+
+<p>Je le répète; les lumières et l'indépendance, et j'ajoute
+l'esprit d'ordre, de conservation de la société, la défense de
+l'ordre contre les attaques auxquelles il pourrait être en
+butte, ce sont là les conditions, de la capacité politique dans
+les petites comme dans les grandes villes. Quand il s'agit
+de l'élection communale, comme quand il s'agit de l'élection
+d'un député, les limites peuvent être plus ou moins
+larges, mais le principe est le même; c'est toujours la capacité
+qui est la source du droit, et les conditions de la capacité
+sont presque partout les mêmes, les lumières, l'indépendance,
+l'esprit d'ordre et de conservation. Il me
+semble que ce n'est pas après avoir, pendant quinze ans,
+recueilli les fruits de l'introduction du principe de la capacité
+dans nos lois, qu'on peut y renoncer. C'est à ce principe
+que nous avons dû la conquête de l'élection directe, que nous
+avons dû la réalité de l'élection et l'énergie avec laquelle
+les électeurs ont lutté, et contre les influences supérieures,
+et contre les vices de la législation. C'est sans aucun doute à
+l'introduction du principe de la capacité politique, à sa substitution
+au principe faux et menteur du suffrage universel,
+que nous avons dû l'énergie qu'a déployée l'élection parmi
+nous. Ce n'est pas le moment d'abandonner ce principe,
+quand il nous a fourni les moyens de nous défendre et de
+nous sauver, ni de rentrer dans le principe du suffrage universel,
+qui ne nous a valu que mensonge et tyrannie au nom
+du peuple. (<i>Très-bien! Très-bien!</i>)</p>
+
+<a name="XXVI" id="XXVI"></a>
+<br><br>
+<h3>XXVI</h3>
+
+<p class="mid">Discussion sur la conduite et la situation du ministère du
+3 novembre 1830, à l'occasion des troubles survenus dans
+Paris, les 14 et 15 février 1831.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 19 février 1831.--</p>
+
+<p class="large">Dans la séance du 17 février 1831, M. Benjamin
+Delessert, député de Maine-et-Loire, demanda au ministère
+des explications sur les désordres graves qui avaient
+éclaté dans Paris, les 14 et 15 février, à l'occasion du
+service funèbre célébré le 13 dans l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois,
+pour l'anniversaire de l'assassinat
+de M. le duc de Berri. Le président du conseil, M. Laffitte,
+répondit à cette interpellation, et un long débat
+s'engagea à la suite de son discours. MM. Baude, Salvandy,
+Persil, Odilon Barrot, Dupin, Mauguin, etc., s'y
+engagèrent successivement. Je pris la parole les 19,
+20 février et le 9 mars, d'abord après M. Eusèbe Salverte,
+puis en réponse à M. Laffitte qui m'avait répondu;
+et mes discours furent considérés comme l'une des causes
+déterminantes de la chute du cabinet présidé par
+M. Laffitte, qui tomba en effet quelques jours après et
+fit place au cabinet de M. Casimir Périer.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, j'ai peu de goût pour les précautions
+oratoires; cependant, au milieu de ce déluge d'attaques,
+de calomnies et d'erreurs volontaires ou involontaires,
+dont nous sommes inondés, j'ai besoin de rappeler deux
+choses, et j'en demande la permission à la Chambre.</p>
+
+<p>J'ai pris part à la révolution de Juillet; il n'y a pas eu
+une des réunions de députés, grandes ou petites, nombreuses
+ou peu nombreuses, à laquelle je n'aie assisté. J'ai eu l'honneur
+de rédiger la première protestation des députés, la
+proclamation par laquelle la Chambre a appelé Mgr le duc
+d'Orléans à la lieutenance générale du royaume. La commission
+municipale qui siégeait à l'Hôtel de ville m'a fait l'honneur,
+le 30 juillet, si ma mémoire ne me trompe, de me
+confier le ministère de l'instruction publique, sous le titre
+de commissaire provisoire. J'ai accepté. Je suis donc aussi
+engagé, aussi compromis que personne dans la révolution
+de Juillet; sa cause est la mienne, et personne, quand j'en
+parle, personne n'a le droit d'avoir le moindre doute sur ma
+fidélité à sa cause.</p>
+
+<p>Le second fait, que j'ai encore besoin de rappeler, c'est
+que, depuis trois mois, je n'ai jamais cherché, j'ai soigneusement
+évité toute occasion de me trouver en opposition avec le
+ministère, de lui susciter le moindre embarras. Autant qu'il
+a été en moi, je lui ai prêté mon appui; j'ai donc également
+le droit de n'être pas suspect aux ministres; j'ai le droit
+de dire qu'aucune ambition personnelle, aucun sentiment
+personnel ne m'a jamais animé dans ma conduite politique.
+A ce titre encore, j'ai droit à la confiance.</p>
+
+<p>Je regrette que, dans la discussion qui s'est élevée, le ministère
+se trouve impliqué; je regrette qu'il me soit impossible
+d'y prendre part sans faire acte d'opposition. Je le
+regrette si bien que j'ai hésité à parler. Cependant comment
+se taire quand la révolution de Juillet tout entière, le gouvernement
+qu'elle a fondé et la société qu'elle a voulu sauver
+sont attaqués à la fois, et que l'un et l'autre ne sont point
+défendus? Les ministres vous ont exposé hier les mesures
+qu'ils avaient prises dans cette circonstance; vous avez
+entendu les plus honorables et les plus éloquentes protestations
+partir de tous côtés de cette Chambre en faveur de
+l'ordre public et de la liberté de tous contre les excès qui
+ont désolé ces derniers jours.</p>
+
+<p>Je ne veux pas entrer dans l'examen des mesures du ministère;
+je ne veux, à plus forte raison, contester aucune
+des protestations, des déclarations que vous avez entendues;
+je prends les mesures pour bonnes, les déclarations pour parfaitement
+sincères; mais je n'en dis pas moins qu'il n'y a
+dans tout ceci, à mon avis, ni dans les actes du ministère, ni
+dans les protestations et les déclarations que vous avez entendues,
+rien qui révèle, qui promette un gouvernement
+capable de défendre la société et de se défendre lui-même
+dans la crise où nous sommes jetés. (<i>Bien! bien!</i>)</p>
+
+<p>Pour qu'il existe un gouvernement capable de suffire à
+cette double tâche, il faut d'autres et de plus difficiles conditions;
+il faut autre chose que des lettres, des instructions
+par les télégraphes, et des protestations d'amour pour l'ordre
+public. La première condition d'un pouvoir, d'un gouvernement
+capable de défendre la société et lui-même, messieurs,
+c'est qu'il gouverne seul, que personne ne s'en mêle que lui,
+qu'aucune intervention extérieure, aucune force extralégale
+ne vienne prendre part au pouvoir, que les pouvoirs constitutionnels
+soient pleinement libres, en pleine sécurité dans
+leur action; je le répète, que le gouvernement gouverne
+seul.</p>
+
+<p>Il y a une autre condition: c'est l'harmonie des pouvoirs
+constitutionnels, leur action commune, leur concert chacun
+à sa place; ce n'est pas trop de cette harmonie de tous les
+pouvoirs et de toutes leurs forces réunies pour suffire à des
+circonstances comme celles où nous nous trouvons. Si l'harmonie
+n'existe pas, si le faisceau n'est pas ferme, si chaque
+pouvoir agit pour son compte et dans une direction différente,
+il n'y a pas de gouvernement possible.</p>
+
+<p>Encore une condition, et peut-être la plus indispensable,
+c'est que le pouvoir, le gouvernement soit à sa place, dans la
+situation qui lui appartient, c'est-à-dire à la tête de la société,
+et non à la queue, comme on l'a dit; que cela soit en effet,
+que le pouvoir en ait le sentiment, qu'il le professe, qu'il le
+proclame lui-même, et soit reconnu de tous comme tel.</p>
+
+<p>Depuis longtemps, messieurs, on proclame des idées qui
+tendent à faire descendre le pouvoir de sa haute position
+sociale, à le subordonner, à le placer au-dessous, je ne dirai
+pas de la société elle-même, mais de presque toutes les forces
+qui prétendent l'envahir et parler au nom de la société,
+au nom du peuple, comme on le dit. Il y a je ne sais
+combien de peuples qui viennent se dire supérieurs au pouvoir;
+tant que cela est, il n'y a pas de gouvernement possible.</p>
+
+<p>Ce sont là, je le répète, les conditions fondamentales d'un
+gouvernement capable de défendre la société, de se défendre
+lui-même contre tous les périls. L'aveuglement des hommes
+a quelquefois méconnu la nécessité de ces conditions; mais
+l'expérience, qui est le suffrage des siècles, l'expérience a
+toujours rétabli ces conditions dans leur droit, et a toujours
+proclamé que là où elles manquaient, il n'y avait pas de gouvernement.</p>
+
+<p>Ces conditions, toujours nécessaires, le sont encore plus
+aujourd'hui, et pour la tâche particulière que notre époque
+est chargée d'accomplir. Chaque époque a la sienne; la
+Révolution était chargée de détruire l'ancien régime; elle l'a
+fait avec des principes et des forces qui lui ont pleinement
+suffi; mais quand elle a voulu appliquer ces principes et ces
+forces à autre chose, quand elle a voulu construire son propre
+gouvernement avec les principes et les forces qui avaient
+détruit l'ancien régime, elle ne nous a donné que la tyrannie
+dans l'anarchie. Nous l'avons eue sous deux formes, forte
+sous la Convention, faible sous le Directoire.</p>
+
+<p>La Révolution avait détruit l'ancien régime, elle n'était pas
+capable d'autre chose. L'Empire est venu qui a rétabli l'ordre,
+l'ordre extérieur, matériel, qui a constitué la société civile
+telle que la Révolution l'avait faite. Il l'a fait reconnaître de
+l'Europe entière; telle était sa mission; il a réussi. Il a été
+incapable de constituer une société politique durable; il
+n'avait pas pour cela les conditions nécessaires. L'Empire est
+tombé à son tour. La Restauration lui a succédé.</p>
+
+<p>Qu'a promis la Restauration? Elle a promis de résoudre le
+problème, de concilier l'ordre et la liberté. C'est sous cette
+bannière que la Charte a été donnée. La Restauration portait
+en elle-même un principe. Elle avait accepté dans la
+Charte des principes de liberté; elle avait promis de les
+constituer; mais elle faisait cette promesse sous le drapeau
+de l'ancien régime, sur lequel avait été écrit pendant tant de
+siècles: <i>Droit divin</i>. Elle n'a pu résoudre le problème. Elle
+est morte à la peine, accablée par le fardeau.</p>
+
+<p>C'est à nous, à la révolution de Juillet que cette tâche a
+été imposée; c'est notre devoir et notre situation d'établir
+définitivement, non pas l'ordre seul, non pas la liberté
+seule, mais l'ordre et la liberté en même temps. Il n'y a
+aucun moyen d'échapper à cette double mission. Oui, messieurs,
+notre mission est double. Nous sommes chargés de
+fonder à la fois le principe et les institutions de l'ordre, le
+principe et les institutions de la liberté: c'est là la promesse
+de la révolution de Juillet, le véritable programme de
+l'Hôtel de ville. Il se peut que des espérances, des pensées
+d'une autre nature soient entrées dans quelques têtes; il se
+peut que les mots: <i>un trône populaire entouré d'institutions
+républicaines</i>, aient séduit des esprits généreux; mais la
+pensée générale, l'espérance de la France, a été l'ordre et la
+liberté se réunissant sous la monarchie constitutionnelle.
+C'est là la vraie promesse de la révolution de Juillet, c'est là
+le véritable programme de l'Hôtel de ville; et quand nous
+les réclamons, nous réclamons la promesse de Juillet: c'est
+nous qui sommes fidèles au caractère et au but de notre révolution.</p>
+
+<p>Elle a beaucoup de moyens pour accomplir cette tâche,
+cette double mission; mais dans sa propre nature, dans la
+nature des événements qui l'ont faite, elle rencontre de grands
+obstacles. C'est la plus nécessaire, la plus légitime, à coup
+sûr, des révolutions qui se soient accomplies dans le monde;
+mais enfin, c'est une révolution, c'est-à-dire un grand bouleversement
+du gouvernement et de la société par l'intervention
+de la force matérielle. Eh bien! ce sont ces faits primitifs de
+notre révolution qui font d'une part sa gloire, de l'autre son
+péril. La plus grande difficulté, peut-être, qu'elle ait à surmonter,
+la source de presque toutes les difficultés qui pèsent
+aujourd'hui sur elle, c'est qu'elle a été l'oeuvre de la force
+matérielle; non pas l'oeuvre d'un pouvoir constitué, d'une
+force légale, mais une oeuvre populaire, glorieuse à ce titre,
+et en même temps contraire à l'état régulier de la société.
+Toute révolution opérée de cette manière est de sa nature un
+fait antisocial dont on a beaucoup de peine à sortir.</p>
+
+<p>Sans doute, messieurs, l'oeuvre est difficile, très-difficile,
+j'en conviens, et certes, je suis loin de demander compte au
+ministère des embarras qu'il y trouve. Cependant, il est
+impossible que nous ne lui demandions pas, que nous ne
+nous demandions pas à nous-mêmes si nous sommes dans la
+bonne voie, si nous marchons hors de l'abîme, si nous nous
+guérissons peu à peu du mal contre lequel nous luttons, si
+nous avançons vers la conciliation de l'ordre et de la liberté,
+qui est le problème de notre temps.</p>
+
+<p>Messieurs, je vous le demande, regardez à l'état actuel
+de l'ordre, et à l'état actuel de la liberté.</p>
+
+<p>Quant à l'ordre, messieurs, je ne parle pas de celui des
+rues, il est évident pour tout le monde qu'il n'est pas en
+progrès... (<i>On rit.</i>) Nous pouvions espérer, après les désordres
+de décembre, qu'on en avait fini. La victoire avait
+été complète, difficile, remportée dans l'occasion la plus
+favorable au désordre. La garde nationale, notre force à
+tous aujourd'hui, s'était glorieusement compromise. Six
+semaines après, les désordres recommencent; je parlerai tout
+à l'heure du prétexte. La garde nationale, cette fois, les
+réprima, mais avec moins de décision, avec un peu plus
+d'inquiétude qu'elle ne l'avait fait en décembre. (<i>Mouvement!</i>)
+Pourquoi? Est-ce que les sentiments de la garde nationale
+seraient changés? Est-ce qu'elle n'aurait pas le même
+goût pour l'ordre, et le désir de le concilier avec la liberté?</p>
+
+<p>Les sentiments de la garde nationale ne sont pas changés;
+sa situation dans la société, ses intérêts, ses habitudes, ne le
+permettent pas. La garde nationale.... mais, messieurs, elle
+est comme nous, elle est embarrassée; elle ne sait pas bien à
+qui s'adresser, elle cherche, elle demande une direction, des
+ordres; elle demande à être commandée, je ne dis pas militairement,
+elle est commandée par un des hommes qui honorent
+la France et l'armée, mais politiquement commandée.
+(<i>Bravo! bravo!</i>) Elle demande ce que demandent la France et
+les Chambres, à être gouvernée; elle sent qu'elle ne l'est pas.</p>
+
+<p>Comment la garde nationale, je le demande, se croirait-elle
+gouvernée? elle assiste au même spectacle que nous; ce
+que nous voyons, elle le voit; ce que nous entendons, elle
+l'entend; elle voit comme nous qu'il n'y a pas d'harmonie
+entre les pouvoirs, que cet ordre qui n'existe pas dans les
+rues, dans la société, n'existe pas non plus dans le sein du
+gouvernement. Elle voit, par exemple, que dans la Chambre
+des députés, où il existe une majorité comme dans toute
+assemblée, cette majorité ne marche pas fermement, constamment
+d'accord avec le ministère; elle s'étonne de nous
+voir ainsi en dehors du gouvernement parlementaire. Voilà
+quinze ans que nous demandons un gouvernement parlementaire;
+il est le but de tous nos efforts, de tous nos discours.
+Eh bien! nous ne paraissons pas dans ce moment avancer
+beaucoup vers ce but.</p>
+
+<p>Je ne voudrais pas répéter des mots dont je ne suis pas
+sûr, que je n'ai pas entendus; mais on a dit: il n'y a de
+majorité que dans les boules, il ne faut tenir compte que des
+boules, et hors de là, il n'y a rien. Je répète que je n'ai pas
+entendu cela; mais je fus désolé dans cette Chambre, en
+mars 1830, lorsque, passant à côté du banc où M. de Polignac
+était assis, je l'entendis dire à des députés qui se trouvaient
+auprès de lui: «Nous verrons aux boules si la
+Chambre rejettera le budget; après tout, c'est de boules uniquement
+qu'il s'agit!» Il s'agit, dans un gouvernement parlementaire,
+de tout autre chose que de boules; c'est là
+sans doute que tout vient aboutir; mais il faut aussi le concert,
+l'intelligence des pouvoirs, leur accord, leurs efforts
+communs vers le même but; il faut l'harmonie de leurs
+sentiments, de leurs paroles; il faut cette unanimité, cette
+forte cohésion qui les lie, et l'énergie qui en résulte pour
+les uns et les autres. Voilà le gouvernement parlementaire.
+Ce n'est pas à l'urne seulement qu'il aboutit; il précède
+l'urne; il consiste dans tous les rapports des assemblées
+politiques avec le ministère. Il est à ce prix, et c'est à ce
+prix seulement qu'il portera ses fruits politiques (<i>Bravo!
+bravo!</i>)</p>
+
+<p>Est-ce que la majorité de cette Chambre serait, par
+hasard, si exigeante, si intraitable que de demander au gouvernement
+des efforts extraordinaires? La majorité de cette
+Chambre s'est offerte constamment, elle s'est offerte, elle a
+demandé qu'on marchât avec elle, elle a promis des secours
+d'hommes, d'argent, tout ce dont on aura besoin; elle demande
+sa dissolution, si on ne veut pas marcher avec elle.
+(<i>Bien, très-bien!</i> aux centres. <i>Applaudissements prolongés.</i>)</p>
+
+<p>On n'a point de motifs de dire que la majorité de cette
+Chambre est exigeante, difficile; jamais il ne s'en est rencontré
+de plus facile, de plus douce, de plus portée à soutenir
+le pouvoir, et à lui faire les meilleures conditions qu'il
+ait jamais obtenues en pareille occasion.</p>
+
+<p>Je ne rappellerai pas ce que vous avez vu hier. Vous avez
+vu que dans l'intérieur du gouvernement, au sein du pouvoir
+exécutif, il n'y avait pas plus d'ordre qu'entre les pouvoirs
+constitutionnels. A Dieu ne plaise que je réclame cet
+infâme principe de la servilité des fonctionnaires réclamé
+en d'autres temps! Sans doute on ne perd pas son indépendance,
+sa dignité en s'alliant au ministère. Le ministère, à
+son tour, a son indépendance et sa dignité à conserver. Il y
+a deux personnes dans cette alliance; il faut de la liberté, de
+la dignité pour toutes les deux: le ministère doit savoir se la
+conserver.</p>
+
+<p>Voilà pour l'ordre, messieurs; voilà l'état où il est dans ce
+moment. Je viens à la liberté. Elle est grande depuis la
+révolution de Juillet, elle est réelle pour tout le monde, c'est
+notre honneur à tous; mais il faut en liberté quelque chose
+de plus que la réalité actuelle, quelque chose de plus que le
+présent: il lui faut de la sécurité, il lui faut des garanties
+pour l'avenir. Ces garanties existent-elles aujourd'hui pour
+toutes les classes de citoyens? Toutes ces opinions si vives,
+qui se manifestent avec tant d'énergie, sont-elles sûres?
+Espèrent-elles rester longtemps dans le même état? Là est la
+question.</p>
+
+<p>Je passe à la liberté individuelle; elle est grande comme
+les autres. Sans doute le gouvernement n'a aucune intention
+de porter et n'a jamais porté la moindre atteinte à la liberté
+individuelle. Mais elle est difficile à concilier avec de fréquentes
+émeutes, elle a beaucoup à en souffrir. Vous entendiez
+hier M. le préfet de police raconter comment il avait été
+obligé de lutter de son corps, a-t-il dit, et sans doute il l'a
+fait avec le courage qui le distingue; obligé de lutter pour
+sauver la liberté d'un homme qui se débattait dans la foule,
+qui se rendait je ne sais où, qui se trouvait là par hasard.
+A coup sûr, cet homme ne doit pas croire que la liberté
+individuelle soit bien sûre à Paris. (<i>On rit.</i>) J'ai entendu
+dire, je ne garantis pas ce fait, qu'un honorable député de
+Belgique, un prêtre, a été insulté dans les rues de Paris,
+parce qu'il paraissait avec les habits de son état et qu'il a eu
+besoin des secours de la garde nationale pour se mettre en
+sûreté. Celui-là aura aussi quelques doutes sur la liberté
+individuelle. Je pourrais aller plus loin, parler de l'impossibilité
+que, dans des désordres pareils, toutes les arrestations
+soient bien réfléchies, bien motivées. Il est évident qu'il y
+en a de légères; il y en a qui portent atteinte à la liberté
+individuelle. En un mot, avec le désordre dans les rues,
+avec la perspective des émeutes, il n'y a aucune liberté
+individuelle sûre et dont les citoyens puissent se vanter.</p>
+
+<p>Je ne dirai qu'un mot de la liberté des opinions. Un de
+nos honorables collègues sait à quel prix il faut l'acheter.
+(<i>On rit.</i>) Ce n'est pas là précisément l'état normal de la
+liberté des opinions.</p>
+
+<p>Je passe à la liberté des cultes. M. le préfet de la Seine en
+a parlé à cette tribune dans les meilleurs termes, avec les
+plus honorables sentiments: il s'est empressé de dire qu'il
+avait fait tous ses efforts pour rétablir la liberté des cultes
+dans Paris. Il a eu raison, Mais à la liberté des cultes,
+comme aux autres libertés, il faut de l'avenir; il lui faut
+du respect; elle ne vit que du respect public. (<i>Bien, très-bien!</i>)
+Elle a besoin d'être respectée; il ne lui suffit pas
+d'être écrite dans la loi. Pour entrer dans les églises, pour y
+professer son culte, il faut être sûr que le peuple et l'autorité
+vous protégeront.</p>
+
+<p>Pendant quinze ans, sous la Restauration, les protestants
+ont joui d'une entière liberté de culte; ils ont reçu du gouvernement
+des Bourbons plus de secours, plus de temples et
+de pasteurs qu'ils n'en avaient reçu des gouvernements
+précédents. Eh bien, ils ne croyaient pas avoir la liberté des
+cultes, et ils ne l'avaient pas réellement, parce qu'ils étaient
+un objet de défiance, d'aversion, et qu'ils se défiaient à leur
+tour. Ils ne comptaient pas sur cette liberté des cultes dont
+ils jouissaient. C'est ainsi qu'une grande partie des catholiques
+français se croient dans la même situation aujourd'hui;
+quoique jouissant de la liberté qui leur sera conservée,
+grâce à vos mesures, ils s'attendent à des actes d'hostilité de
+la part du gouvernement. C'est un fait, un fait que vous
+avez à guérir; vous le guérirez sans doute; mais vous avez à
+le guérir. Vous êtes obligés de témoigner plus de respect à
+la liberté des cultes que tout autre gouvernement.</p>
+
+<p>Je sais, messieurs, que de la plupart de ces maux, de ces
+désastres, on s'en prend aux carlistes. Je ne fais aucun
+doute sur les intentions de ce qu'on appelle <i>parti carliste</i>;
+il y en a un, il ne peut pas ne pas en exister un. Sans aucun
+doute, il est hostile et cherche toutes les occasions de réussir
+dans son hostilité. Cependant je voudrais demander à un
+de nos honorables collègues ce qu'il entend par ces illusions
+dont il a parlé hier, et dont il a déploré la perte. Il a dit
+que c'était une belle illusion de croire qu'on pouvait par
+la liberté ramener ses ennemis, les guérir de leurs préventions,
+dissiper les haines et échapper ainsi à la nécessité des
+mesures extraordinaires.</p>
+
+<p>Messieurs, si on s'est flatté, par la liberté égale de tous,
+par la modération, de se concilier en six mois tous ses ennemis,
+de dissiper toutes les préventions, de vaincre en un
+mot les partis, j'en demande pardon à la Chambre, c'est
+une illusion d'enfant. Cela n'est jamais arrivé dans ce monde;
+les partis résistent bien plus longtemps à la modération,
+à la douceur, aux bons gouvernements, comme ils résistent
+plus longtemps à la tyrannie; sans doute il faut
+s'attendre à la longue hostilité, à la malveillance séculaire
+peut-être du parti vaincu; et ce n'est pas une illusion à
+perdre pour celui qui croit que la liberté, la modération,
+le régime égal pour tous sont plus propres à le ramener,
+et feront durer le mal beaucoup moins que tout autre système
+de gouvernement. (<i>Oui, oui, c'est vrai.</i>) Il n'y a là
+aucune illusion. La justice est le droit de tous, des vaincus
+et des vainqueurs. Pour le gouvernement, le système de la
+liberté individuelle et de la modération est le meilleur moyen
+de vaincre l'animosité des partis, quelque longue que cette
+tâche puisse être.</p>
+
+<p>Messieurs, qu'on prenne à l'égard du parti carliste, comme
+des autres, toutes les mesures qu'on jugera nécessaires dans
+les limites de la liberté et de la justice. Je sais que ce parti
+est à la fois impuissant et malfaisant; je sais qu'il lui arrive
+ce qui arrive aussi ailleurs, que le venin demeure là où la
+vie n'est déjà plus. (<i>Bien, très-bien!</i>) Qu'on prenne donc
+contre lui toutes les mesures nécessaires et légitimes. Mais
+permettez-moi de dire aussi à notre révolution, à cette révolution
+qui est à nous aussi bien qu'à qui que ce soit, permettez-moi
+de lui dire ce que nous regardons comme la
+vérité sur son compte; permettez-moi de chercher à la
+défendre de ses propres erreurs, de ses propres vices, pour
+appeler les choses par leur nom.</p>
+
+<p>Un honorable membre de cette Chambre m'a reproché, il
+y a quelque temps, de mal parler de la Révolution française
+en général, de lui reprocher ses torts, à toutes les occasions,
+de la traduire pour ainsi dire à la barre de l'Europe; c'est
+l'expression dont on s'est servi. Messieurs, pendant quinze
+ans qu'a duré la Restauration, j'ai fait un autre métier; j'ai
+défendu la Révolution française, non-seulement dans ses intérêts,
+mais dans ses idées, dans son honneur, dans sa dignité.
+En 1826, au moment où elle semblait le plus être vaincue,
+je l'ai appelée glorieuse en face de ses ennemis. Pourquoi,
+messieurs? Parce qu'elle était alors attaquée, diffamée, en
+péril.</p>
+
+<p>J'ai coutume, je l'avoue, de dire la vérité au plus fort, et
+de me porter là où paraît être le danger (<i>Bravo! bravo!</i>
+aux centres.)</p>
+
+<p>J'agis aujourd'hui comme alors; je dis aux vainqueurs
+ce que je crois la vérité; je vais où le danger me paraît
+être.</p>
+
+<p>En faisant cela, je crois agir non-seulement en honnête
+homme, en bon citoyen, mais faire un acte de prudence
+politique. Les gouvernements ne sont pas faits, ne sont pas
+institués pour plaire; les gouvernements libres moins que
+d'autres. On a vu des gouvernements despotiques et populaires.
+Quand ils sont forts, ils rallient la majorité des intérêts
+nationaux; ils savent se placer dans le mouvement national,
+ils étouffent le reste, et alors on les dit populaires.</p>
+
+<p>Dans les pays libres, le meilleur gouvernement n'est
+presque jamais populaire. Il a toujours contre lui le parti
+des espérances et celui des mécomptes. Le parti des illusions
+déçues est précisément la portion de la société la plus remuante;
+c'est assez pour rendre le pouvoir impopulaire,
+même au moment où il est le plus national et le meilleur, où
+il rend le plus de services au pays.</p>
+
+<p>La Chambre des députés, en juillet, a pris une autre position
+qu'auparavant; elle est devenue non le gouvernement,
+mais le siége du gouvernement. On s'en prendra à elle de
+toutes choses, parce que c'est elle qui donne l'impulsion.
+Que la Chambre des députés ne s'y trompe pas; par cela seul
+qu'elle détermine la direction du gouvernement et qu'elle
+en répond, elle est destinée désormais à n'être pas populaire.
+Tant qu'elle n'en aura pas pris son parti, tant qu'elle
+se trompera sur sa situation, qu'elle jugera de sa situation
+présente par sa situation passée, elle sera dans une position
+fausse, elle ne remplira pas sa véritable tâche.</p>
+
+<p>Depuis 1688, il n'y a pas eu en Angleterre de Chambre
+des communes populaire; il n'y en a pas eu une seule qui
+n'ait eu contre elle, sinon immédiatement, du moins presque
+aussitôt après son avénement, les écrits, les mouvements
+de cette portion de la société qui fait et qui défait la
+popularité. Pourquoi? Parce que, à partir de cette époque,
+c'est la Chambre des communes qui a gouverné l'Angleterre;
+de même qu'elle avait le pouvoir, elle avait la responsabilité.
+Aussi elle a fait des fautes. Quiconque aura le pouvoir en
+sera responsable, ne sera pas populaire et ne doit pas y prétendre;
+on ne gouverne les peuples libres qu'à ce prix. Je
+crois fermement que nous sommes dans une mauvaise direction,
+que l'ordre et la liberté chez nous sont en perte et non
+pas en gain. Je crois fermement que nous ne sommes pas
+dans la voie du gouvernement libre, du gouvernement
+national. J'en étais convaincu il y a trois mois, lorsque mes
+amis et moi sommes sortis du ministère. D'autres, honorables
+comme nous, sincères comme nous, dévoués comme
+nous au prince et au pays, en ont jugé autrement; ils ont
+cru la tâche possible aux conditions auxquelles nous l'avions
+jugée impossible. Je ne leur demanderai pas ce qu'ils en
+pensent aujourd'hui. (<i>Mouvement.</i>) Je dis seulement que, si
+on persiste dans cette voie, si c'est la popularité qu'on
+cherche par le gouvernement, on n'aura pas de gouvernement,
+pas plus, toujours moins qu'on n'en a aujourd'hui.
+L'ordre y perdra sa force, la liberté son avenir, les hommes
+qu'on y appellera leur popularité; et nous ne serons pas plus
+avancés après. Pour mon compte, je ne crois pas qu'il soit
+possible de rester dans cette position.</p>
+<hr>
+<p class="mid">--Séance du 20 février 1831.--</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--La Chambre m'a paru regretter que la question
+qui l'occupe devînt si exclusivement personnelle (<i>murmures</i>);
+je le regrette comme elle. J'avais essayé de l'éviter
+et de donner à la discussion, tout en trouvant que le ministère
+y était impliqué, un tour aussi général, aussi désintéressé
+qu'il était en mon pouvoir. Cependant je comprends
+que la question se pose de nouveau et nettement, entre le
+ministère dont j'ai eu l'honneur de faire partie et le ministère
+actuel. Je comprends très-bien que M. le président du
+conseil ait été amené à la poser de la sorte, et je l'accepte à
+mon tour, tout en priant la Chambre de remarquer que ce
+n'est pas moi qui l'ai posée ainsi.</p>
+
+<p>M. le président du conseil me reproche surtout deux choses:
+d'avoir exagéré le tableau de notre situation et d'avoir
+imputé tout le mal au pouvoir. Sur le premier point, je désire
+qu'il ait raison; c'est sincèrement et du fond du coeur que
+je désire me tromper sur la gravité de notre mal. Je suis loin
+de penser qu'il soit sans remède; non-seulement je ne le
+crois pas sans remède, mais je crois la remède sous notre
+main.</p>
+
+<p>Mais je ne pense pas non plus que, parce que le remède
+existe, il faille dissimuler la gravité du mal. Remarquez la
+situation dans laquelle nous nous trouvons habituellement
+sous le régime représentatif: d'un côté, une opposition vive,
+ardente, passionnée, toujours prête à exagérer tout ce qui
+se passe dans la société, à reprocher au pouvoir toutes les
+fautes, tous les malheurs; et de l'autre côté, un pouvoir
+qui, sans cesse obligé de se défendre, est dans la nécessité
+d'atténuer le mal à son tour, de le nier même quand il le
+reconnaît, quand il en a le sentiment. Il s'établit sur la
+situation du pays une polémique dans laquelle il y a exagération
+des deux côtés.</p>
+
+<p>C'est un grand danger pour les gouvernements de ne pas
+avoir un sentiment vrai et juste de leur situation, de ne pas
+connaître tout le mal de la société. Ces reproches très-fondés
+qu'ils peuvent adresser à l'opposition, cette exagération qu'ils
+trouvent dans les accusations dont ils sont l'objet, voilent à
+leurs yeux le mal réel de la société, et parce qu'ils ont souvent
+raison contre l'opposition qui les accuse, ils ne voient
+pas qu'elle a souvent raison contre eux, et qu'elle ne leur
+dit pas même tout le mal qui existe et tout ce qu'on aurait
+pu faire pour le prévenir.</p>
+
+<p>Je ne crois pas avoir exagéré le mal; je le répète, je ne
+le crois pas sans remède, et je suis convaincu que, si les
+ministres actuels étaient hors du conseil, s'ils n'avaient pas
+cette responsabilité qui aveugle les hommes comme elle les
+éclaire, ils jugeraient de la situation comme moi, comme
+nous tous, qu'ils la verraient aussi grave que je la vois,
+qu'ils y trouveraient tout le mal que j'y trouve. Je crois
+que c'est uniquement dans cette nécessité continuelle de se
+défendre contre des accusations souvent injustes, qu'est la
+source de leur erreur, de..... passez-moi le mot, de leur
+aveuglement sur notre situation.</p>
+
+<p>Quant à avoir imputé tout le mal au pouvoir, je ne crois
+pas avoir encouru ce reproche. J'ai dit le premier que, dans
+la nature même de notre situation, dans l'origine de notre
+révolution, dans cette intervention si glorieuse de la force
+populaire dans le gouvernement, était la véritable, la principale
+cause du mal qui nous travaille. Ce n'est pas aux hommes
+que je l'impute: ils y ont leur part, mais ce n'est pas la plus
+grande. Je reconnais toutes les difficultés qui les assiégent
+et combien ils ont de peine à en sortir; et, je le répète, si
+nous étions dans une voie de progrès, quelque lent qu'il pût
+être, quelque éloigné que me parût le but, je n'aurais pas
+élevé la voix; c'est uniquement parce que nous sommes, à
+mon avis, dans une voie de détérioration, parce que nous
+marchons vers le mal au lieu de marcher vers le bien, que
+j'ai élevé la voix, et que j'ai imputé aux hommes une partie
+du mal de la situation.</p>
+
+<p>On dit que je n'ai pas indiqué les remèdes; j'en conviens,
+les remèdes sont très-difficiles à indiquer, parce qu'ils consistent
+infiniment plus dans l'action que dans les paroles; les
+remèdes, il faut les pratiquer: on les pratique plus aisément
+qu'on ne les dit.</p>
+
+<p>Cependant je crois avoir signalé les principales causes, et
+en même temps les principaux moyens de porter remède au
+mal. J'ai dit surtout que l'harmonie n'existait pas entre les
+pouvoirs constitutionnels, qu'ils ne savaient pas, passez-moi
+le mot, se servir, se soutenir les uns les autres, que cette
+union de toutes les forces constitutionnelles entre les grands
+pouvoirs et de toutes les forces exécutives dans le sein du
+gouvernement, que cette union n'existait pas, que le rétablissement
+de cette union était le grand remède, le remède
+dont nous avions besoin. Il faut bien que ce remède ait
+paru le vrai au ministère actuel puisqu'il vient de le proposer,
+puisqu'il vient de l'accepter tel que vous l'aviez proposé.
+Ce que le ministère vient d'annoncer, c'est le remède
+que j'ai indiqué, que cette Chambre invoque depuis longtemps.
+(<i>Voix nombreuses au centre</i>: Oui, oui!.....<i>A gauche</i>.
+Vous n'en vouliez pas, il y a quelques jours.)</p>
+
+<p>Permettez-moi d'exposer au vrai, et en entrant encore
+plus avant que je n'ai fait hier dans notre situation, les relations
+de la Chambre avec le ministère.</p>
+
+<p>La Chambre, depuis six mois, a essayé par tous les moyens
+de marcher avec le ministère, de lui prêter force, la Chambre
+ou du moins la majorité de cette Chambre. (<i>Aux centres: Oui!
+oui!</i>)</p>
+
+<p>Elle n'a pas demandé depuis six mois sa dissolution,
+parce qu'elle a espéré pouvoir porter au gouvernement
+l'appui dont il avait besoin... (<i>Aux centres: Oui! oui!</i>);
+parce qu'elle a espéré pouvoir arriver au rétablissement de
+cette harmonie entre les pouvoirs constitutionnels qui lui
+paraissait la condition nécessaire de leur force. C'est dans
+cette espérance que la majorité de cette Chambre n'a pas
+élevé la voix pour en appeler au pays. (<i>M. Isambert parle de sa
+place.</i>)</p>
+
+<p><i>M. le président.</i>--Quand tout le monde a le droit de
+parler, on ne doit pas interrompre.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span> <i>continue.</i>--Je conviens que ces expressions <i>la
+majorité et la minorité de cette Chambre</i> me déplaisent. Aussi
+au moment de les employer, je cherche à les éviter. Je me
+servirai, si vous le voulez, du mot <i>la Chambre tout entière</i>, mais
+quand je l'emploierai, une portion de cette Chambre me
+criera que ce n'est pas son avis, que ce n'est pas ce qu'elle
+demande. Comment voulez-vous que je fasse? Il faut bien
+que je parle de la majorité et de la minorité; il n'y a pas
+moyen d'échapper à cette situation.</p>
+
+<p>Je dis donc que, tant que la majorité de cette Chambre a
+espéré de pouvoir s'allier fermement et constamment au
+gouvernement, de pouvoir lui prêter l'appui dont il avait
+besoin et de pouvoir à son tour en recevoir la force nécessaire
+au salut du pays, elle est restée dans l'attente; et c'est
+seulement parce qu'elle commence à perdre cette espérance,
+parce qu'elle se voit elle-même compromise, s'affaiblissant
+elle-même, se décréditant par son inertie, parce qu'elle ne
+peut faire ce qu'elle voudrait faire, ce qu'elle demande qu'on
+lui fasse faire, c'est, dis-je, par cette raison qu'à son tour
+elle élève la voix et qu'elle invoque comme remède à notre
+situation cette dissolution qu'on invoquait contre elle, il y a
+quelques jours, apparemment dans les mêmes vues.</p>
+
+<p>J'ai donc indiqué le grand remède, le remède efficace à
+notre situation, le seul qui puisse rétablir l'harmonie entre
+les pouvoirs constitutionnels et la force dans le gouvernement.</p>
+
+<p>M. le président du conseil vient de vous dire: «quand le
+pays aura prononcé, quand une majorité sera venue, elle
+sera obéie.» Messieurs, je n'aime pas le mot <i>obéie</i>, même
+pour une majorité. Je ne crois pas qu'un gouvernement doive
+promettre d'obéir. (<i>Adhésion aux centres.</i>) Si la majorité qui
+viendra dans cette enceinte semblait au pouvoir contraire aux
+intérêts du pays, dangereuse pour le trône et pour la nation,
+il devrait dissoudre encore la Chambre. Il ne doit donc pas
+s'engager d'avance à obéir à une majorité quelconque, jusqu'à
+ce qu'il ait épuisé tous les moyens légaux, toutes les
+épreuves constitutionnelles. (<i>Nouveau mouvement d'adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Je crois donc avoir indiqué le grand remède, le remède
+politique. Il y en avait deux. On pouvait, c'est ma conviction,
+on pouvait marcher avec cette Chambre, on pouvait fonder
+de concert avec elle un gouvernement véritablement national.
+C'est cette première épreuve que la Chambre a tenté,
+ou plutôt c'est dans cette attente que la Chambre vit depuis
+six mois. Ce remède n'a pas été employé, on n'a pas su
+l'employer. Il y en avait un autre, la dissolution; c'est celui
+que la Chambre invoque, c'est celui que M. le président du
+conseil vient de nous promettre. Je n'ai donc pas été aussi
+silencieux qu'on le dit sur le remède. J'ai indiqué le remède
+applicable pendant que la Chambre était là, et le remède
+applicable quand on voudra la renvoyer.</p>
+
+<p>Après cette discussion générale sur notre situation, je
+demande la permission de dire quelques mots sur ce qui est
+personnel à moi et à mes honorables amis.</p>
+
+<p>Il est vrai que les difficultés que j'ai signalées, nous ne les
+avons pas surmontées, que le mal dont je me suis plaint,
+nous ne l'avons pas guéri; c'est pour cela que nous nous
+sommes retirés des affaires. (<i>Mouvement.</i>) C'est parce que
+nous n'avons pas trouvé les moyens qui nous paraissaient indispensables
+pour guérir ce mal, pour surmonter ces difficultés,
+que nous n'avons pas voulu en accepter la responsabilité.
+(<i>Voix à gauche:</i> C'est vous qui les avez fait naître!)
+Croyez-vous que nous n'ayons à cette époque rien proposé,
+rien demandé? On nous demande à notre tour si l'éloignement
+du préfet de la Seine ou l'emploi des baïonnettes nous
+paraissaient des moyens de gouvernement suffisants pour
+guérir, au mois d'octobre, le mal qui existe encore aujourd'hui.
+Non certainement, ces moyens-là ne nous paraissaient
+pas suffisants, nous n'avons pas demandé l'emploi des baïonnettes;
+nous avons cru qu'il fallait faire ce qui dispense de
+les employer; nous avons cru qu'il fallait constituer le pouvoir,
+mettre le gouvernement dans une position telle qu'il
+n'y eût pas à craindre d'émeutes dans les rues. Nous savons
+très-bien qu'on ne prévient pas les émeutes, souvent on n'en
+est pas averti la veille. Mais on les empêche trois mois d'avance,
+on les empêche par la conduite de tous les jours, par
+l'ensemble du gouvernement, et non par l'emploi direct des
+baïonnettes et la destitution de quelques hommes.</p>
+
+<p>Il est possible que, si nous eussions demandé, à cette
+époque, tels ou tels moyens de gouvernement en particulier,
+et quand même on nous les eût donnés, nous n'eussions
+pas dû rester aux affaires. Ce n'était pas d'un acte en particulier,
+c'était d'un système de gouvernement, d'un ensemble
+de conduite qu'il s'agissait. Aussi, c'est sur ce point fondamental
+qu'il était nécessaire de se concerter, de s'unir fortement
+avec les pouvoirs constitutionnels, qu'il était nécessaire
+d'adopter, soit en matière législative, soit dans le pouvoir exécutif,
+soit dans l'administration, des principes de conduite et
+des hommes qui pussent convenir à la majorité des Chambres
+et à l'ensemble des pouvoirs constitutionnels.</p>
+
+<p>C'est là, messieurs, qu'était la question; c'est par là que la
+séparation s'est faite. Je ne dis pas que nous eussions été capables
+de suffire à cette tâche; je ne dis pas que si l'on eût
+accepté notre système, nous eussions réussi; mais je dis que,
+du moment où nous n'étions pas en état de le faire pleinement
+et réellement prévaloir dans le conseil, nous devions
+nous retirer, et que nous avons fait acte d'honnêtes gens et
+de bons citoyens, en n'acceptant pas la responsabilité d'une
+conduite que nous ne pouvions pas tenir. (<i>Marques d'adhésion
+aux centres.</i>)</p>
+<hr>
+<p class="mid">--Séance du 9 mars 1831.--</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je ne prolongerais pas cette pénible discussion,
+s'il n'y avait pas, dans l'intérêt de la vérité, un principe
+et un fait à rétablir. M. le président du conseil vient de
+dire que la dissolution de la Chambre appartenait au Roi
+seul, que c'était l'expression de la volonté royale seule, que
+le ministère n'avait pas à y intervenir. Je ne crois pas, messieurs,
+que ce soit là le principe constitutionnel. Dans aucun
+cas, le Roi ne fait rien seul. Le Roi ne fait rien que par le conseil
+de ses ministres, et, s'il s'agit de dissolution, de nomination,
+d'un acte quelconque, il y a des conseillers qui en répondent.
+La dissolution n'est, pas plus que tout autre acte du
+gouvernement, l'expression d'une volonté particulière du
+Roi; c'est l'expression d'un système ministériel que le Roi
+soutient tant qu'il garde ses ministres et qu'il abandonne
+quand il les change: voilà pour la question de principe.</p>
+
+<p>Quant à la question de fait, la Chambre n'a demandé ni
+sa conservation ni sa dissolution. (<i>Voix aux centres:</i> C'est
+vrai.) La Chambre n'a jamais émis d'opinion sur cette
+question. Seulement elle a remarqué un grand désaccord, un
+grand trouble dans l'intérieur du gouvernement, un défaut
+d'harmonie entre les pouvoirs constitutionnels et de vigueur
+dans l'exercice du pouvoir exécutif. C'est là le fait qu'elle a
+signalé à l'attention du Roi et du pays, et elle en a tiré cette
+double conséquence qu'il fallait ou changer de système ou
+en appeler au pays pour savoir s'il approuvait le système
+actuellement suivi. La Chambre, je le répète, n'a point demandé
+sa dissolution, mais elle a pensé qu'il était temps de
+rétablir l'harmonie dans le sein du gouvernement, et, en remarquant
+ce fait, elle s'en est remise à la sagesse du prince
+sur le choix à faire entre les deux moyens, sur le changement
+de système ou l'appel au pays.</p>
+
+<a name="XXVII" id="XXVII"></a>
+<br><br>
+<h3>XXVII</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du projet de loi sur les attroupements, et des
+mesures prises par le cabinet de M. Casimir Périer à l'égard
+de l'association dite <i>nationale</i>.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 30 mars 1831.--</p>
+
+<p class="large">Le 14 mars 1831, le lendemain même de la formation
+du cabinet présidé par M. Casimir Périer, une association
+se forma à Paris «pour assurer, disait son programme,
+l'indépendance du pays et l'expulsion perpétuelle
+de la branche aînée des Bourbons.» C'était
+évidemment une association dirigée contre la politique
+de paix européenne et de résistance à l'esprit révolutionnaire
+que proclamait le nouveau cabinet. Des
+comités correspondants s'instituèrent dans plusieurs départements.
+Le 18 mars, le gouvernement présenta à la
+Chambre des députés un projet de loi destiné à réprimer
+les attroupements qui, depuis l'émeute des 14 et
+15 février, se renouvelaient tous les jours et troublaient
+gravement l'ordre public. La discussion de ce projet
+commença le 28 mars, et indépendamment de ces dispositions
+propres, la légalité et l'opportunité de l'<i>Association
+nationale</i> en furent le principal objet. A cette
+occasion, et pour la défense du ministère de M. Casimir
+Périer et de sa politique, je pris la parole, en réponse
+à M. Odilon Barrot, et en ces termes:</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Ce n'est pas moi qui viendrai contester les
+regrets sur la vivacité de nos débats et le désir d'union que
+vient de manifester l'honorable préopinant. Je les partage
+avec lui. Seulement, je crois devoir faire remarquer que ce
+n'est pas du côté du gouvernement que la désunion a commencé,
+que ce n'est pas lui qui a engagé l'attaque, que c'est
+du sein de l'opposition, d'une opposition vive, et je pourrais
+dire violente depuis plusieurs mois, qui a éclaté par la
+presse, par tous les moyens, que c'est du sein, dis-je, de
+cette opposition que les attaques sont sorties et que les associations
+se sont formées. (<i>Agitation à gauche... Au centre:</i>
+Oui, oui, c'est vrai.)</p>
+
+<p>Dans le département de la Moselle en particulier, on a
+accusé le pouvoir d'abandonner la cause de l'indépendance
+et la dignité du pays. Ce n'est pas pour l'aider dans sa
+marche, c'était pour le suppléer, pour le remplacer, pour
+substituer un système à un autre (<i>dénégations à gauche</i>);
+c'était pour substituer un système d'administration à un
+autre. (<i>Nouvelles dénégations.</i>) Si la Chambre me le permet,
+j'entrerai dans quelques détails. (<i>Oui, oui, parlez.</i>)</p>
+
+<p>Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'opposition, dans le département
+de la Moselle, a pris cette marche. Il y a plusieurs
+mois qu'une société particulière très-peu nombreuse s'est
+constituée à Metz en état d'hostilité, non-seulement avec
+l'administration locale, mais avec l'administration centrale.
+Elle a institué des séances, elle s'est érigée en club, elle a
+donné son programme, elle s'est déclarée hostile au système
+d'administration qui était suivi à Paris; elle a même sollicité
+le renversement du ministère précédent, comme contraire à
+l'indépendance et à la dignité de la France... (<i>Interruption à
+gauche.</i>) Elle le trouvait beaucoup trop faible, beaucoup
+trop peu prononcé; elle réclamait la guerre, elle se prononçait
+pour la guerre immédiate, la guerre agressive.</p>
+
+<p>On a pu voir, dans un petit journal publié à Metz, les
+actes et le langage de cette société. Je ne parle maintenant
+que du fait, j'examinerai plus tard les conséquences.</p>
+
+<p>C'est du sein de cette société qu'est sortie la première
+association sur le modèle de laquelle toutes les autres ont été
+formées. J'ai donc le droit de dire que ce n'est pas du
+ministère, mais d'une opposition ancienne quoique fort
+restreinte, qu'est venue l'attaque. Il ne faut donc pas imputer
+au pouvoir les dissensions qui existent parmi nous; il ne
+faut pas lui reprocher ce système de dénigrement, de calomnie,
+d'injures qui a commencé à peser sur sa tête, dont
+il a été le premier objet et la première victime. Le pouvoir
+use aujourd'hui de son droit de défense, et le tort qu'il a eu,
+c'est de ne pas en avoir usé plus tôt. (<i>Adhésion aux centres.</i>)</p>
+
+<p>J'entre maintenant dans la question. Il y en a deux qui
+ont été soulevées hier et aujourd'hui, peut-être avec un peu
+de confusion: la question de notre état intérieur et celle de
+notre état extérieur, les questions de l'administration et de
+la guerre. Je demande à la Chambre la permission de lui
+dire mon avis sur l'une et sur l'autre.</p>
+
+<p>Tout ce qui se rapporte à notre état intérieur a été rattaché
+au fait des associations dites <i>nationales</i>, et je crois avec raison,
+car elles sont évidemment le principal caractère, le fait
+dominant de notre situation. Je ne m'étonne donc pas que
+ce soit d'elles seules qu'on s'est occupé; seulement, j'ai lieu
+de m'étonner que ce soit à propos du projet de loi sur les
+émeutes. (<i>Voix à gauche:</i> On nous a provoqués.) Le fait
+n'est pas contestable; c'est à l'occasion du projet de loi sur
+les émeutes qu'on a soutenu les associations dites <i>nationales</i>...
+(<i>Interruption à gauche.</i>) Je n'accuse personne d'avoir soutenu
+les émeutes; je dis seulement que c'est sur ce terrain que
+s'est établie la discussion, et qu'il s'est fait dans les esprits une
+transition naturelle et presque involontaire des émeutes aux
+associations nationales. (<i>Sensation.</i>) C'est donc des associations
+seules que j'ai à vous parler, puisqu'elles renferment
+toute la question de notre politique intérieure.</p>
+
+<p>On a soutenu leur légitimité et leur opportunité. On trouve
+le gouvernement injuste, parce qu'il les improuve, et imprudent,
+malavisé, parce qu'il ne s'empresse pas de les accueillir.</p>
+
+<p>Que les citoyens s'associent pour défendre ou pour exercer
+leurs droits constitutionnels, les droits consacrés par la
+Charte, rien de plus simple. Ces associations peuvent être
+graves, dangereuses même pour le pouvoir, mais c'est par sa
+faute; quand elles le menacent, il est dans son tort. L'association
+des citoyens pour l'exercice ou la défense des droits
+constitutionnels est indiquée dans la Charte, et elle ne peut
+avoir rien d'illégitime. Nous avons vu des associations pour
+le refus de l'impôt, pour les élections; elles étaient graves,
+menaçantes pour le pouvoir, mais elles n'avaient rien d'illégitime;
+elles étaient conformes aux droits des citoyens, et
+elles ont sauvé le pays.</p>
+
+<p>Que les citoyens s'associent encore pour certains actes, dans
+certains buts qui n'ont pas été prévus ni interdits par les lois;
+je le conçois: ces associations ont quelque chose de plus douteux
+que les précédentes; leur légitimité et leur opportunité
+peuvent varier davantage selon les circonstances. Par exemple,
+l'association catholique en Irlande, une association formée
+pour obtenir le redressement de certains griefs, des
+modifications et même des modifications profondes au gouvernement,
+à la législation du pays, il n'y a là rien de radicalement
+illégitime; cela peut être bon, utile, quelque
+graves et dangereuses que de telles associations puissent être.</p>
+
+<p>Mais s'associer pour des actes dont la constitution a spécialement
+chargé les pouvoirs publics, pour faire, comme on
+vous l'a dit, ce que des forces légales sont chargées de faire,
+cela est radicalement vicieux et illégitime.</p>
+
+<p>Que diriez-vous d'une association formée pour rendre la
+justice? Que diriez-vous d'une association pour battre monnaie?
+(<i>Mouvement à gauche.</i>) Ce ne sont là que des fonctions
+publiques, des droits dont le pouvoir est investi, des intérêts
+généraux auxquels il est chargé de pourvoir.</p>
+
+<p>Mais on dit: dans l'association formée pour la défense du
+territoire, il n'y a rien de coërcitif, il n'y a rien qui empêche
+le pouvoir de continuer ses fonctions; seulement les citoyens
+viendront l'aider dans sa tâche.</p>
+
+<p>Messieurs, c'est bien quelque chose que d'exiger du gouvernement
+qu'il accepte, qu'il adopte ces pouvoirs momentanés,
+marchant côte à côte de lui, le surveillant et le contrôlant.
+Aurions-nous oublié ce qui a rempli l'histoire de l'Europe
+pendant des siècles? Une association du même genre, l'association
+de l'Église a été pendant huit siècles le surveillant
+de l'action du pouvoir civil. On a toujours dit que c'était
+un État dans l'État. Elle n'avait cependant pas la prétention
+de lever des hommes pour faire la guerre: elle ne régissait
+que l'existence religieuse des hommes. Eh bien! par cela
+seul que c'était une société constituée, elle a été un embarras,
+un danger pour les pouvoirs publics, et l'objet d'une
+surveillance attentive.</p>
+
+<p>Et nous-mêmes, que n'avons-nous pas dit naguère de ces
+associations, de ces congrégations religieuses qui se formaient
+autour de nous? Ne nous en sommes-nous pas plaints? Les
+apôtres les plus ardents de la liberté n'ont-ils pas demandé
+hautement au pouvoir de s'en séparer, d'éloigner de lui les
+fonctionnaires qui s'y engageaient? Pourquoi donc? Apparemment
+parce que le principe de ces associations, leur existence,
+leur action paraissaient dangereux pour les pouvoirs
+publics, pour leur sûreté.</p>
+
+<p>Il s'agit aujourd'hui du même fait; nous sommes dans
+une situation analogue. Je répondrai tout à l'heure aux
+exemples qu'on a cités de l'Angleterre; on verra qu'ils sont
+sans aucune application à notre situation présente, qu'ils
+condamnent les associations nationales au lieu de les confirmer.</p>
+
+<p>Je dis que, par le seul fait de leur constitution et de leur
+action, les associations de ce genre sont un grave danger pour
+les pouvoirs publics, et que, s'il n'y a pas, de leur part, usurpation
+matérielle des fonctions publiques, il y a du moins
+perturbation dans l'État.</p>
+
+<p>On répond à cela que l'administration ne peut pas tout
+faire, qu'elle ne peut pas suffire à tout, qu'il est nécessaire
+que, dans des circonstances extraordinaires, elle soit
+aidée par l'ardeur, par l'enthousiasme des citoyens, et on
+cite l'exemple de l'Angleterre.</p>
+
+<p>Messieurs, cela est arrivé en Angleterre, non pas une fois,
+mais deux fois; cela est arrivé sous Guillaume III après
+l'expulsion des Stuarts, comme de nos jours lorsque le territoire
+a été menacé. Que fit alors l'opposition? Elle cessa;
+il ne se fit pas une organisation en dehors du gouvernement;
+il ne s'établit pas un budget particulier; il se fit des souscriptions
+qui furent remises au gouvernement seul.</p>
+
+<p>Partout, dans les comtés comme à Londres, les associations
+vinrent se ranger autour des magistrats; elles ne vinrent pas
+les attaquer ni dire qu'ils compromettaient la dignité et l'indépendance
+du pays; elles vinrent au contraire leur prêter
+force, soutenir que le pays ne pouvait se sauver que par sa
+ferme union avec son gouvernement, soutenir, non pas qu'il
+fallait se séparer, mais s'unir et s'appuyer l'un sur l'autre.
+Toutes les oppositions cessèrent ou s'atténuèrent, non-seulement
+dans les chambres, mais dans les journaux, dans
+les comtés, partout où l'opinion publique se faisait jour.</p>
+
+<p>Est-ce là ce que nous voyons parmi nous? Est-ce là le but
+des associations? (<i>A gauche.</i> Oui, oui!... <i>Dénégations aux
+centres.</i>) Pour mon compte, je ne puis accepter cette
+réponse. Je crois trop à la sincérité de la plupart des interprètes
+de ces associations, soit dans leurs actes, soit dans
+les journaux, soit par toutes les voies par lesquelles ils se
+sont exprimés, j'y crois trop, dis-je, pour ne pas penser
+qu'ils ont dit vrai en déclarant qu'ils attaquaient le système
+de l'administration, qu'il fallait la changer, qu'elle était
+incapable de défendre l'indépendance et la dignité du pays.
+(<i>Interruption à gauche.</i>) C'est ce que l'on répète tous les
+jours depuis trois mois: je n'en fais aucun reproche à ceux
+qui le disent, si c'est leur opinion et s'ils en sont convaincus;
+mais qu'ils ne disent pas qu'ils se rallient au gouvernement
+et qu'ils viennent lui prêter leur appui, quand
+ils travaillent à l'affaiblir, à le faire changer de système. Sans
+cela leur conduite n'aurait pas de sens.</p>
+
+<p>Je dis donc que les exemples pris de l'Angleterre sont
+essentiellement différents de ce qui se passe chez nous, et
+qu'ils parlent plutôt contre que pour les associations nationales.</p>
+
+<p>Sans doute l'administration ne suffit pas; sans doute elle
+a besoin du zèle, du dévouement des citoyens. C'est pour le
+leur demander que nous avons des organisations volontaires.
+Chez nous, la garde nationale, quoique instituée par une loi,
+n'est pas un service administratif; c'est un service volontaire,
+un service dont le zèle et le dévouement des citoyens
+font toute la force. Eh bien! c'est à la garde nationale, c'est
+à cette grande organisation spontanée, générale, où tous les
+sentiments, tous les intérêts viennent se réunir, que le gouvernement
+s'adresse; c'est sur son concours qu'il compte,
+et non pas sur quelques associations particulières, peu
+importantes par leur nombre, par leurs forces, qui ne peuvent
+que jeter de la perturbation dans l'État, car c'est là leur
+seul titre à l'attention que nous leur accordons aujourd'hui.
+Si elles ne jetaient pas le trouble dans l'État, elles n'auraient
+aucune action, nous n'aurions rien à leur demander.</p>
+
+<p>Pour les légitimer, on fait valoir deux choses, les intentions
+et la nécessité. Les intentions? Personne dans cette Chambre,
+j'ose le dire, ne respecte plus que moi la sincérité de ces
+intentions. Je ne me suis jamais permis d'élever le moindre
+doute sur celles d'aucun de mes collègues. Messieurs, les
+intentions sauveront, je l'espère, les individus dans l'autre
+vie; mais elles n'ont jamais sauvé les États dans celle-ci.
+(<i>Sensation.</i>) On peut les alléguer pour sa justification
+morale, jamais pour sa défense politique. Il arrive même
+souvent que les bonnes intentions et la sécurité qu'elles
+inspirent sur les démarches font naître ce fanatisme
+aveugle, intraitable, cette préoccupation de son propre sens,
+cette idolâtrie de soi-même, passez-moi l'expression, qui
+enfantent des torts réels et jettent les hommes les plus sincères
+loin de leurs vues naturelles et de leur véritable
+volonté. (<i>Très-bien, très-bien!</i>)</p>
+
+<p>Messieurs, laissez-moi vous parler avec une entière franchise
+de ce qui s'est passé hier dans la Chambre.</p>
+
+<p>Personne, j'ose le dire, n'honore plus que moi le caractère
+d'un de nos collègues, du général Lafayette; personne
+n'est plus profondément touché de ce long et infatigable
+dévouement à une même cause, de cette sincérité, de cette
+énergie qui ne l'ont pas abandonné un instant, dans la bonne,
+ni dans la mauvaise fortune. Et cependant quelles paroles
+plus étranges dans un pays libre que celles que le général
+Lafayette a fait entendre hier à cette tribune? Il vous a dit
+qu'il n'avait de leçons à recevoir de personne. Mais que
+faisons-nous donc ici, messieurs, sinon de donner et de
+recevoir mutuellement des leçons? La liberté de la presse,
+la discussion, la publicité, qu'est-ce donc qu'une leçon
+continuelle, offerte et donnée à tous? Le gouvernement
+représentatif est un gouvernement où tout le monde reçoit
+des leçons, qui n'a pour objet que d'en donner à tout le
+monde, comme de conférer à tout le monde le droit de dire
+son avis sur les affaires du pays. (<i>Très-bien, très-bien.</i>)</p>
+
+<p>Permettez-moi de demander si toutes les intentions sont
+les mêmes, s'il est quelqu'un qui puisse répondre des intentions
+de tout un parti. Après ce qui s'est passé parmi nous
+depuis quinze à trente ans, après tant de vicissitudes diverses
+dans les fortunes de chacun, après tant de conspirations,
+tant de révolutions, tant d'accidents de tout genre, il doit y
+avoir eu beaucoup de mécomptes, et à la suite de ces
+mécomptes beaucoup d'intentions diverses, beaucoup d'espérances
+qui ne vont pas toutes au même but.</p>
+
+<p>Je sais ce que font les partis. Ils mettent leurs honnêtes
+gens, leurs hommes les plus honorables en avant, sur la
+première ligne, comme autrefois les Barbares, dans leurs
+armées, mettaient les femmes et les enfants en avant. (<i>Sensation
+prolongée.</i>) Ce n'est pas la première ligne d'un parti
+qui le constitue; il faut le traverser d'un bout à l'autre, il
+faut percer les rangs, il faut aller voir ce qui se passe, ce
+qui se dit, ce qui se projette derrière ce rempart d'honnêtes
+gens que le parti oppose à ses adversaires. Eh bien! messieurs,
+si j'étais chargé de cette tâche, je ne crois pas que
+personne, parmi les honorables adversaires que je combats,
+osât répondre des intentions de tous ceux qui les suivent.
+(<i>Nouvelle sensation.</i>)</p>
+
+<p>Naguère encore les plus honorables de nos adversaires
+ont essayé de faire exprimer leurs intentions louables, sincères,
+dans les actes où se manifeste la pensée du parti. Eh
+bien! ils ont échoué; ils ont été refusés; et cela leur est
+arrivé plus d'une fois. Après cela, je doute qu'ils osassent
+répondre de la pensée de ceux qui marchent à leur suite.</p>
+
+<p>Après l'excuse des intentions vient celle de la nécessité.
+On dit que la sûreté extérieure de l'État, son indépendance,
+sa dignité, exigent la formation des associations. Messieurs,
+ceci est la question de notre état extérieur, la question de la
+paix et de la guerre.</p>
+
+<p>Je n'abuserai pas des moments de la Chambre, mais je lui
+demande la permission de la retenir encore un peu. (<i>Oui,
+oui, parlez.</i>)</p>
+
+<p>On pose, en général, la question de la paix et de la guerre
+d'une façon que, pour mon compte, je ne saurais accepter,
+et qui trompe, je crois, la Chambre et la France sur le véritable
+état des affaires. Il semble que nous ayons à choisir
+entre une paix sollicitée, mendiée, honteuse, et une guerre
+régulière. Messieurs, il n'en est rien: pour nous, il ne s'agit
+ni d'une telle paix ni d'une telle guerre.</p>
+
+<p>Il est arrivé à un homme, qui, toute sa vie, avait professé
+les principes et servi la cause du pouvoir, plus loin que
+je ne le voudrais faire, il est arrivé un jour à M. Canning
+de menacer des révolutions l'Europe continentale, et de
+se présenter, lui et son pays, comme en mesure de les
+déchaîner. Beaucoup de personnes en Angleterre, et
+même parmi les amis de Canning, trouvèrent cette menace
+inconvenante, imprudente de la part d'un ministre.
+A mon avis, elles avaient tort; Canning, dans cette circonstance,
+démêla, en homme supérieur, les paroles qui convenaient
+à la politique de son pays. Depuis quelques mois, ces
+paroles sont devenues le langage, la règle de conduite, le
+<i>vade-mecum</i> de quelques hommes d'un parti. (<i>Sensation.</i>) Ils
+ont la main pleine d'insurrections, de révolutions; ils les
+offrent à tous les peuples, ils les jettent à la tête de tous les
+gouvernements. (<i>Vive adhésion aux centres.</i>) C'est une menace
+continuelle. Et remarquez, messieurs, que la plupart de ces
+hommes, quelque honorables qu'ils soient, ne sont pas d'anciens
+amis de la cause du gouvernement, d'anciens amis du
+pouvoir, comme l'était Canning. Ce sont des hommes qui, en
+général, ont consciencieusement, je n'en doute pas, pris parti
+pour les insurrections, pour les révolutions, ou du moins
+ont manifesté leur sympathie pour ce genre d'événements.</p>
+
+<p>Est-ce que, par hasard, ils croiraient, en répétant les paroles
+de Canning, imiter son exemple, donner à leur pays les
+mêmes conseils, imprimer à sa politique le même caractère,
+faire enfin ce qu'a fait Canning, et ne faire que cela? L'erreur
+serait immense. Ils font tout autre chose que l'homme
+supérieur dont ils empruntent les paroles; ils se mettent en
+hostilité générale contre tous les gouvernements européens;
+ils se séparent de la société des États européens; ils sortent
+des voies de la civilisation et de la paix pour entrer dans
+celles de la barbarie et de la guerre, d'une guerre éternelle.</p>
+
+<p>Je dis éternelle, ce n'est pas sans dessein. On le proclame
+de toutes parts; on vous dit qu'il s'agit d'une guerre à
+mort entre deux principes, que ces deux principes ne peuvent
+coexister sur le sol européen, qu'il faut qu'ils en
+viennent aux mains, et qu'ils se combattent jusqu'à
+ce que l'un ait complétement cédé le terrain à l'autre.</p>
+
+<p>Je ne suis pas assez ignorant de ce qui se passe dans le
+monde pour ne pas voir qu'il y a deux principes en lutte,
+non pas depuis quinze et quarante ans, mais depuis des
+siècles. On les exprime mal, quand on parle de la souveraineté
+du peuple et du droit divin; il s'agit au fond de la civilisation
+progressive ou de l'état stationnaire; il s'agit, non
+pas de telle ou telle doctrine particulière, mais de savoir si
+les sociétés seront en développement, en progrès, ou bien si
+elles resteront immobiles, sous le joug permanent de quelques
+possesseurs. (<i>Sensation.</i>)</p>
+
+<p>Eh bien! je reconnais la lutte de ces deux principes, et je
+n'en dis pas moins que le système dans lequel on nous
+pousse, la guerre, n'est pas la conséquence légitime et inévitable
+de cette lutte, qu'elle est au contraire en opposition
+formelle avec les principes du nouvel état social, avec le
+sentiment de tous les peuples libres, avec l'intérêt actuel
+et bien entendu de la France.</p>
+
+<p>Quel est le principe fondamental du nouvel état de choses
+qu'on invoque tous les jours? C'est qu'il faut réduire l'action
+du gouvernement, surtout en ce qui touche aux opinions,
+à l'ordre moral, intellectuel; là, il ne faut pas que le pouvoir
+intervienne. On veut qu'il se borne à régler l'ordre
+extérieur. C'est ce principe qui a été exprimé un jour
+d'une manière inexacte par notre honorable collègue,
+M. Odilon Barrot, quand il a dit, devant la Cour de cassation,
+que la loi devait être <i>athée</i>. Il se trompait, c'était une
+mauvaise expression. La loi ne doit pas plus être athée que
+déiste, la loi ne doit pas intervenir dans les matières religieuses.
+(<i>M. Odilon Barrot:</i> Vous êtes trop éclairé pour avoir
+pu vous tromper sur le sens de cette expression.) Remarquez
+que je l'explique: je dis que l'expression était inexacte, que
+M. Odilon Barrot entendait par là que la loi était incompétente
+en pareille matière. N'est-ce pas là le sens que vous y
+attachiez? (<i>M. Odilon Barrot:</i> C'est bien cela. L'expression
+avait été empruntée à M. l'abbé de Lamennais dans le même
+sens.). (<i>On rit.</i>) Que l'expression vienne de M. l'abbé de Lamennais
+ou de M. Odilon Barrot, elle est également fausse,
+également inexacte. (<i>On rit.</i>)</p>
+
+<p>Je dis donc que le principe fondamental de notre société, c'est
+que le pouvoir n'intervienne pas dans les questions purement
+morales, et lorsqu'il s'agit d'une lutte de systèmes, d'idées.
+Eh bien! ce sont les partisans les plus exclusifs de ce principe
+qui viennent réclamer l'intervention de la force au
+dehors. A l'intérieur, toutes les fois qu'il s'agit d'une lutte
+entre des doctrines, des idées, ils veulent que le pouvoir n'intervienne
+pas; ils ont confiance dans le développement naturel
+de la civilisation, dans l'influence progressive de la vérité.
+Et à l'extérieur, quand il s'agit aussi du progrès de la civilisation
+et de la vérité, ils veulent que l'on ait recours immédiatement
+à la force; ils demandent qu'on écrive une doctrine
+sur son chapeau, qu'on prenne les armes et qu'on répande
+le sang pour la faire triompher! A-t-on jamais vu une contradiction
+plus étrange, une méprise plus bizarre sur les
+fondements de notre état social? Il faut bien que la méprise
+soit grande, car, si je regarde aux faits, je trouve mon observation
+confirmée par la pratique des peuples; je ne parle pas
+des temps anciens, mais de nos jours.</p>
+
+<p>Regardez quels sont les pays qui se sont le plus empressés
+d'intervenir par la force dans cette lutte de deux idées. Ce
+sont des pays gouvernés despotiquement. C'est d'une part,
+l'Autriche; de l'autre, la Russie. La Prusse, pays déjà plus
+avancé, plus éclairé, s'est montrée moins pressée d'appeler
+la force au secours de telle ou telle idée. L'Angleterre a
+hésité bien plus encore; elle a positivement refusé d'intervenir
+dans certains cas. Et pourquoi? parce que la confiance
+dans les progrès de la civilisation et de la vérité
+est plus grande en Angleterre que partout ailleurs. Je sors
+de notre continent, je me transporte aux États-Unis,
+gouvernement que vous regardez comme le type du nouvel
+état social. Certes, les États-Unis ont eu une occasion
+bien tentante d'employer la force au secours de leurs
+idées, de la faire servir à la propagation de leur système de
+gouvernement. Les colonies espagnoles étaient en guerre
+avec la métropole. Les États-Unis ont exprimé hautement
+leur sympathie pour ces pays voisins; mais ils ne sont pas
+intervenus par la force, ils n'ont pas envoyé des armées pour
+faire triompher le principe de la souveraineté du peuple
+dans les colonies espagnoles contre le principe du droit
+divin. Pourquoi? parce qu'ils ne s'en croyaient pas le droit,
+parce qu'ils ne croyaient pas que la force pût ainsi se jouer
+du droit des gens.</p>
+
+<p>Ce qu'on nous demande aujourd'hui, c'est la politique
+des États despotiques, c'est la politique de l'empereur
+Alexandre, et non pas la politique de Washington et de
+M. Monroë; ce qu'on nous demande, c'est de rétrograder vers
+les idées et les sentiments qui firent les croisades et les
+grandes actions du moyen âge, et non pas d'agir selon les
+principes du nouvel état social, selon la pratique des peuples
+les plus libres et les plus éclairés. (<i>Vive adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Il n'y a là rien que de très-simple et qui ne fût très-facile
+à prévoir. La politique des peuples libres est essentiellement
+réservée et prudente, précisément à cause de la responsabilité
+qui lui est attachée; elle ne se décide pas selon des fantaisies
+ni pour accomplir quelques combinaisons arbitraires.
+Elle consulte, elle entend l'intérêt national clairement, hautement
+déclaré. Comme les opinions des peuples libres sont
+ordinairement mobiles, changeantes, leur politique ne se fie
+pas au premier élan, au premier mouvement d'enthousiasme;
+elle sait qu'on peut avoir, pendant un temps, beaucoup
+de goût pour la guerre, et ensuite fort peu de dispositions
+pour la soutenir, et qu'on la prend positivement en dégoût si
+elle n'est pas fondée sur les exigences les plus impérieuses de
+la société.</p>
+
+<p>On nous parle sans cesse de ce qui s'est passé en 1792, et
+parce que nous avons été attaqués alors, on dit que nous le
+serons aujourd'hui, et on veut que nous fassions encore ce
+que nous avons fait alors.</p>
+
+<p>Messieurs, je n'insisterai pas sur la différence si marquée
+qu'il y a entre notre époque et celle dont on nous parle. Je
+ne dirai pas que c'était alors une époque d'illusions, d'expérience
+universelle, expérience dont nous avons profité plus que
+d'autres. Je ne dirai pas que, depuis cette époque, les gouvernements
+absolus se sont fort perfectionnés dans la tactique de
+la résistance à la contagion des peuples libres et qu'il ne faut
+pas se fier au souvenir de nos succès. Je dirai que, même en
+1792, on a agi beaucoup plus prudemment qu'on ne voudrait
+nous faire agir aujourd'hui: on attendit l'agression étrangère,
+l'invasion du territoire... (<i>M. Demarçay:</i> C'est une erreur!)
+On attendit l'entrée des Prussiens sur le territoire français.
+(<i>M. Demarçay:</i> Nous avions déclaré la guerre même à l'Angleterre.)</p>
+
+<p>Il me semble que la déclaration de Pilnitz était bien une
+déclaration de guerre à la France. (<i>M. Demarçay:</i> C'était
+un traité... <i>Réclamations aux centres.</i>) Cette déclaration
+de Pilnitz annonçait évidemment la guerre, elle mettait la
+France dans la nécessité de résister. Rien de pareil ne s'est
+encore passé parmi nous. Il n'y a point de déclaration
+de Pilnitz pour motiver la conduite qu'on nous conseille.
+Aujourd'hui, on nous conseille de commencer par la guerre
+de propagande, par la guerre lointaine; c'est par là qu'on a
+fini en 92. On n'a pas commencé par chercher ses ennemis,
+soit en Italie, soit ailleurs; c'est sur le territoire de la
+France que la guerre a commencé, que la résistance a pris
+de la force, et qu'elle s'est ensuite portée sur tous les points
+de l'Europe.</p>
+
+<p>Du reste, messieurs, je ne m'étonne pas de ces conseils,
+en voyant qui les donne et d'où ils viennent. Un parti, après
+tout, ne peut agir que selon les principes qu'il professe et
+avec les forces dont il dispose. Or, que professe le parti qui
+nous pousse à la guerre de propagande? La légitimité
+de l'insurrection contre tous les gouvernements qui ne sont
+pas conformes à nos principes. N'a-t-on pas dit que toute
+insurrection contre un pouvoir qui n'était pas libre, selon
+nos principes, était légitime, et toute obéissance à un gouvernement
+libre était un devoir? Quant aux forces qui
+appuient ce système, il est impossible de les méconnaître.
+Ce sont toutes les passions, tous les intérêts, toutes les opinions
+hasardeuses, bonnes ou mauvaises, sincères ou fausses,
+généreuses ou égoïstes, tout ce qu'il y a de novateur et d'aventureux
+dans la société. Eh bien! de ces principes, de
+ces forces, il ne peut sortir aucune paix ni au dedans ni au
+dehors. Il y a sans doute là de quoi surveiller les intérêts
+de la liberté et du perfectionnement social, mais il n'y a
+pas de quoi fonder et soutenir un gouvernement régulier.</p>
+
+<p>La guerre de propagande, la fièvre révolutionnaire sont,
+dans des moments de crise, la nécessité de ce parti; ce sont
+les seuls conseils qu'il puisse donner parce que ses forces l'y
+poussent et que ses principes les lui commandent. C'est là le
+malheur de ce parti. Pour conseiller la paix, il serait obligé
+de renier ses principes. Pour lui, la paix serait honteuse et
+la guerre devient, éminemment révolutionnaire. C'est dans
+cette alternative qu'il se trouve placé.</p>
+
+<p>Messieurs, ce n'est pas là la position de la France. La
+France n'est pas réduite à cette alternative. La France ne
+professe pas que l'insurrection est légitime contre tous les
+gouvernements différents du sien. La France a d'autres intérêts
+que des intérêts d'esprits novateurs et ardents; elle
+dispose d'autres forces. La France n'a pas besoin de se
+renier elle-même pour faire la paix, ni de mettre tout son
+enjeu dans le bouleversement de l'Europe pour faire la
+guerre. (<i>Vive adhésion.</i>)</p>
+
+<p>J'ai appelé de tous mes voeux, j'ai applaudi, avec toute la
+joie patriotique dont je suis capable à l'avénement du ministère
+actuel, parce qu'il est à cet égard dans la même situation
+que la France, parce qu'il n'a pas pour principe de solliciter
+et de soutenir toute insurrection à l'étranger. Le ministère
+actuel, comme la France, veut être pacifique et hautain en
+même temps. (<i>Mouvements divers.</i>) Il peut être belliqueux
+et régulier en même temps; il a la double faculté de faire la
+paix et la guerre comme il lui conviendra, selon l'intérêt du
+pays.</p>
+
+<p>Messieurs, la France n'en est point aujourd'hui à recevoir
+la paix de l'Europe. La paix! c'est la France qui la
+donne. (<i>Sensation.</i>) La France porte la paix ou la guerre
+dans les pans de sa robe; c'est à l'Europe à la mériter de la
+France par sa sincérité, par la loyauté de sa conduite. La
+France sait ce qu'elle tient dans sa main; elle sait qu'elle
+fera la guerre si la guerre lui convient, si l'Europe ne
+mérite pas la paix. J'ai la ferme confiance que l'Europe
+comprendra qu'elle a besoin que la France lui donne la
+paix, et qu'elle fera, pour la France, ce qui peut seul décider
+la France à la lui donner. (<i>Mouvement prolongé d'une
+vive adhésion.</i>)</p>
+
+<a name="XXVIII" id="XXVIII"></a>
+<br><br>
+<h3>XXVIII</h3>
+
+<p class="mid">Discussion de l'adresse de la Chambre des députés au roi,
+à l'ouverture de la seconde session de 1831.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 11 août 1831.--</p>
+
+<p class="large">La seconde session de 1831 fut ouverte le 23 juillet.
+La discussion du projet d'adresse commença le 9 août.
+Elle fut très-animée et se porta, avec une égale vivacité
+sur la politique intérieure et sur la politique extérieure
+du cabinet présidé par M. Casimir Périer. Je pris la
+parole le 11 août pour défendre et soutenir le cabinet.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Le moment est venu où chacun de nous
+doit dire ici toute sa pensée. La sincérité entière de la
+tribune me paraît être aujourd'hui plus que jamais notre
+meilleur, notre seul moyen d'action. Hier, j'en aurais usé
+sans la moindre crainte; malgré la vivacité du débat, il
+n'était pas sorti un moment, à mon avis, des habitudes
+parlementaires; tout avait été dit avec une entière liberté, et
+la Chambre avait tout écouté avec la plus grande attention.
+Aujourd'hui, je l'avoue, j'ai un peu moins de confiance et je
+me sens obligé de dire des choses qui peuvent déplaire à
+quelques personnes. Je suis sûr cependant que je n'ai l'intention
+d'offenser personne, que je respecte toutes les convictions,
+toutes les intentions; je parlerai donc avec une
+liberté entière. Si je m'écarte des convenances, je prie la
+Chambre de m'en avertir.</p>
+
+<p>Une chose m'étonne et m'afflige dans ce débat, c'est ce
+penchant à se porter principalement vers les questions du
+dehors, vers les affaires étrangères, c'est la disposition de la
+Chambre à se laisser attirer sur un terrain, et à croire que
+là est le principal objet de son attention. Vous avez vu hier
+un honorable membre qui a essayé de ramener la question
+sur notre état intérieur, obtenir de la Chambre moins d'attention
+qu'il n'est accoutumé et qu'il n'a droit d'en obtenir.</p>
+
+<p>Messieurs, la disposition dans laquelle paraît être la
+Chambre à ce sujet, l'Europe ne la partage pas. Depuis six
+mois, l'Europe subordonne toutes ses dispositions à l'état
+intérieur de la France, à ce qui se passera en France;
+tout est en suspens en Europe jusqu'à ce que l'état intérieur
+de la France ait pris un caractère décidé, définitif. Vous
+êtes étonnés de la lenteur des Autrichiens à évacuer l'Italie:
+entre beaucoup de causes de cette lenteur, savez-vous
+quelle était la principale? On attendait le résultat de nos
+élections. (<i>Mouvements divers.</i>) Vous vous étonnez que l'Angleterre
+hésite à s'engager, à la suite de la France, au profit
+de la Pologne: l'Angleterre a besoin de savoir quel sera le
+gouvernement de la France, avant de se prononcer dans
+une si grave affaire, avant de contracter de tels engagements.
+(<i>Mouvement.</i>) Vous désirez tous le désarmement général
+de l'Europe; ce désarmement est subordonné à l'état
+intérieur de la France; il ne sera possible que quand l'état
+intérieur de la France inspirera, en France et en Europe, de
+la confiance et de la sécurité. C'est, messieurs, dans notre
+état intérieur qu'est la clef de l'avenir; c'est un fait visible,
+et l'Europe l'a proclamé hautement. A mon avis, messieurs,
+l'Europe a raison; elle comprend quel est le caractère nouveau
+qu'ont pris depuis un demi-siècle les événements,
+et quelles sont les causes nouvelles qui en décident. La
+prépondérance des idées et des institutions libérales sur
+les combinaisons de la diplomatie ou sur la force des baïonnettes,
+voilà le véritable caractère de la civilisation actuelle:
+c'est surtout par l'empire des idées et des institutions que
+les événements se décident en Europe; c'est de là qu'ils
+reçoivent leur origine et leur direction. Eh bien! le siége
+de cet empire est en France. Nous l'avons proclamé vingt
+fois pour nous en glorifier; ne l'oublions pas quand nous
+avons besoin d'en tirer une leçon. C'est de l'état de nos
+idées, de nos institutions, de notre gouvernement, que
+dépendent la paix ou la guerre en Europe: l'Europe, je
+le répète, le proclame tous les jours; il serait étrange
+que nous fussions les premiers à l'oublier, et que nous
+allassions chercher au dehors, dans des combinaisons
+soit de paix, soit de guerre, les causes des événements
+qui ne dépendent que de notre état intérieur et constitutionnel.</p>
+
+<p>Je dirai plus: c'est le devoir des peuples libres de porter
+d'abord sur leur état intérieur toute leur attention; c'est là
+que sont les premiers intérêts des masses; c'est là que se décident
+la détresse ou la prospérité, le bonheur ou le malheur
+des nations; c'est par là que les peuples agissent pleinement
+sur leurs destinées. Voyez les grandes époques où
+la diplomatie et la guerre ont brillé de tout leur éclat;
+ce ne sont pas des époques de liberté; elles appartiennent
+au XVII<sup>e</sup> et au XVIII<sup>e</sup> siècle. Dans le cours des grandes révolutions,
+quand les peuples ne s'occupent pas avant tout
+de leur intérieur, de la constitution de leur gouvernement,
+soyez sûrs qu'ils ne sont pas libres ni prêts à le devenir.
+(<i>Sensation.</i>)</p>
+
+<p>Aussi, ce qui me frappe surtout, ce que j'approuve et estime
+véritablement, dans le système du ministère, c'est qu'il a été,
+sur ce point important, de l'avis de l'Europe; c'est qu'il a
+compris que dans notre état intérieur était le secret de nos
+destinées; il a cru que la première chose à faire parmi nous,
+c'était de fonder le gouvernement, de rasseoir la société, de
+donner aux intérêts et aux idées leur véritable direction;
+c'est là le sens de ce qu'on appelle le système de la paix. Sans
+doute c'est pour éviter aux peuples les maux de la guerre
+qu'on veut la paix; mais on la veut surtout parce que
+c'est le seul moyen de donner au gouvernement nouveau
+toute la liberté, toute la régularité de son action. Le lendemain
+d'une révolution, la guerre est une source de révolutions
+nouvelles.</p>
+
+<p>On ne s'est pas jeté dans la guerre, parce qu'on ne prévoyait
+l'événement. Les guerres, ce sont des révolutions pour nous,
+comme pour tous les peuples qui se sont trouvés dans une
+situation analogue à la nôtre; la paix est l'affermissement
+de notre gouvernement intérieur, c'est le bon ordre chez
+nous. Quand le ministère se prononça pour le système de
+la paix, il comprit que notre état intérieur était le plus important,
+et qu'avant de se jeter au dehors, il fallait n'avoir
+rien de grave à régler au dedans.</p>
+
+<p>On a dit que ce système nous a fait perdre au dehors de
+la considération et de la force; on a dit qu'il compromettait
+notre indépendance. Je ne reviendrai pas sur les réponses
+qui ont été faites à cette tribune; je ne dirai rien de toutes
+ces prédictions qui depuis un an nous annoncent une invasion
+générale. Messieurs, ces prédictions sont démenties
+par l'événement. La paix subsiste, les relations des États
+sont régulières; rien de ce qui était annoncé comme prochain,
+imminent, inévitable, n'est arrivé. (<i>Sensation.</i>)</p>
+
+<p>Je prendrai pour preuve de notre considération au dehors
+un symptôme que personne ne pourra récuser: madame la
+duchesse de Berry est partie, il y a quelque temps, pour
+aller voyager sur le continent: je ne veux pas chercher quel
+était le but particulier de ce voyage; cependant il est impossible
+que vous ne pensiez pas que, soit de sa part, soit de la
+part des personnes qui l'accompagnaient, il y avait projet
+de s'établir sur notre frontière, et de susciter de là des intrigues
+et des embarras à la révolution de Juillet. Elle s'est
+présentée dans divers Etats avec tous les titres qu'une
+femme malheureuse peut avoir à leur intérêt, et pourtant
+elle a été partout refusée, écartée; nulle part elle
+n'a pu obtenir la permission de s'établir sur nos frontières.</p>
+
+<p>Il n'est pas, si je ne suis trompé, il n'est pas jusqu'à
+son frère qui n'ait témoigné quelque inquiétude à la
+recevoir chez lui, à Naples, à quatre ou cinq cents lieues de
+France.</p>
+
+<p>Qu'arrivait-il en 1789, quand l'émigration sortait du territoire?
+Elle était partout reçue, accueillie, fêtée; elle
+s'établissait sur tous les points de notre frontière; elle y
+préparait la guerre; elle ne trouvait nulle part en Europe
+une puissance qui lui refusât ce qu'elle demandait. L'Assemblée
+constituante a enduré deux ans que le moindre
+électeur d'Allemagne la bravât hautement. Elle a enduré
+deux ans ce que nous n'endurerions pas quinze jours. C'est
+que l'état de l'Europe est complétement changé sur ce
+point; c'est que les idées, les convictions de l'Europe sont
+entièrement changées sur notre intérieur. Ce simple fait le
+prouve mieux que toute autre chose. L'Europe ne croit pas que
+nous soyons une nation en désorganisation, en dissolution,
+prête à tomber dans une complète anarchie, incapable de
+se défendre contre les attaques dont elle serait l'objet.</p>
+
+<p>Nous devons à deux grandes puissances d'avoir changé, à
+cet égard, la conduite de l'Europe. Nous le devons à Napoléon
+et à la révolution de Juillet.</p>
+
+<p>Nous le devons à Napoléon, parce qu'il a prouvé à l'Europe
+que la société pouvait être reconstituée en France,
+qu'elle pouvait subsister régulièrement, fortement, en présence
+d'un ordre social autre que celui des autres États européens.</p>
+
+<p>Voilà le service que Napoléon a rendu, service immense
+et qui compense bien des fautes.</p>
+
+<p>La révolution de Juillet nous en a rendu un autre. Elle
+a, pour la première fois, donné à l'Europe la conviction
+que la France, livrée à elle-même, était capable d'un
+ordre public régulier, que la liberté politique, le gouvernement
+représentatif pouvaient s'établir en France sans
+menacer le repos, la sûreté, la liberté de l'Europe.</p>
+
+<p>Napoléon, chez nous, a réconcilié l'ordre social et la
+Révolution française avec l'Europe. La révolution de Juillet
+a commencé la réconciliation de l'opinion politique libérale
+en France avec les gouvernements européens. (<i>Marques
+d'adhésion.</i>)</p>
+
+<p>C'est à ces deux forces, je le répète, que nous devons le
+changement qui s'est opéré en notre faveur dans l'attitude
+de l'Europe; elles ont montré que, si notre régime
+intérieur était changé, nous n'étions plus en
+révolution, et que nous étions capables de vivre régulièrement.</p>
+
+<p>Eh bien! qu'a fait le ministère? Il a eu la même idée
+que Napoléon et la révolution de Juillet; il a marché dans
+la même voie; il a entrepris de démontrer pleinement à
+l'Europe qu'elle avait eu raison, qu'elle avait raison de
+croire à la possibilité de conserver une paix, une paix régulière
+et loyale avec la France, que la liberté politique pouvait
+exister en France sans que personne, sans qu'aucun gouvernement
+de l'Europe fût immédiatement et révolutionnairement
+menacé.</p>
+
+<p>Tels ont été la tentative du ministère et le caractère fondamental
+de son système. Il a pour lui, je le répète, l'exemple
+de Napoléon et de la Révolution de Juillet; il a suivi la
+route que lui ont tracée le plus grand homme des temps
+modernes, et le plus grand événement qu'une grande nation
+ait accompli.</p>
+
+<p>Je conjure la Chambre de ne pas se laisser détourner de
+ces voies; je la conjure de ne pas se laisser égarer dans des
+projets, des desseins, des espérances étrangères au véritable
+intérêt national.</p>
+
+<p>C'est de notre constitution intérieure, de la fondation de
+notre gouvernement, que la Chambre doit s'occuper avant
+tout: c'est là que réside la véritable difficulté de notre
+situation, la difficulté qui prime toutes les autres. C'est
+donc sur notre état intérieur que je demande la permission
+de rappeler et de retenir votre attention.</p>
+
+<p>Vous avez entendu dans une séance précédente un honorable
+membre de cette Chambre prendre la défense, non pas
+de tel ou tel ministère, mais de tous les ministères qui se
+sont succédé en France depuis la révolution, prendre la
+défense de ce qu'il a appelé avec raison le gouvernement de
+Juillet tout entier. L'honorable M. Thiers a été autorisé à
+parler de la sorte, par le langage de ses adversaires; car,
+malgré la diversité des accusations, c'est le gouvernement de
+Juillet et les divers ministères qui ont été et qui sont encore
+tous les jours attaqués par l'opposition, et surtout par l'opposition
+extraparlementaire.... (<i>Mouvement en sens divers.</i>)
+Par l'opposition extraparlementaire.... (<i>Agitation.</i>)</p>
+
+<p>Messieurs, il y a eu quelques raisons, quelques bonnes raisons
+à ce qu'a fait l'opposition. A travers toutes les vicissitudes
+des ministères et la diversité de leur situation et de leur
+conduite, au fond, depuis Juillet, c'est un même système qui
+a prévalu; une certaine communauté de système, d'opinion
+et d'intention se fait remarquer dans leurs actes. Cet ensemble
+de conduite a pour lui une bonne raison: tous ces
+cabinets étaient issus de la révolution de Juillet; ils y
+avaient tous concouru; concouru, non-seulement en y prenant
+part, mais en approuvant la façon dont elle s'était
+faite, cette façon prompte, décisive, dont nous avions
+constitué en quelque sorte une royauté et une Charte.
+Tous les ministres qui se sont succédé depuis ont trouvé
+cela bon: ils y avaient, je le répète, concouru, et personne
+n'a regretté d'autres combinaisons. En fait d'élections, par
+exemple, à quelques différences près, tous sont partis du même
+point; aucun d'eux n'a réclamé le suffrage universel, aucun
+n'est venu proposer le bouleversement de nos institutions.</p>
+
+<p>Dans l'administration, il n'y a eu aucun renouvellement
+général. Tous les ministres ont respecté les anciens droits,
+les anciens services. Je ne sais, en effet, lequel a prononcé
+le plus de destitutions. Au dehors, dans les affaires étrangères,
+tous ont également professé la paix. Ainsi, vous le
+voyez, sous quelque point de vue que vous les considériez, à
+prendre les choses dans leur ensemble, à les juger par les
+dehors, il y a une certaine identité de vues, de système, de
+conduite dans les différents ministères qui se sont succédé.</p>
+
+<p>Pourquoi donc tous nos débats si vifs, si obstinés? Pourquoi
+tant de dissentiments au milieu de tant de ressemblances?
+C'est ici, messieurs, que je vous demande la permission
+de dire toute ma pensée. (<i>Attention.</i>)</p>
+
+<p>Je ne parle pas d'un parti dont les efforts contre notre
+gouvernement sont naturels, doivent exister, auxquels nous
+avons dû nous attendre, et qui ne peuvent cesser qu'après de
+longues années de paix, de raison, de justice, quand on
+aura détaché de ce parti tous les hommes de sens et d'honneur
+qui sont capables de s'en détacher, et certainement
+c'est le plus grand nombre.</p>
+
+<p>Je ne parle point de ce qui est à faire contre les coupables
+tentatives de ce parti: à cet égard, nous sommes unanimes,
+et les divers ministères l'ont été; mais il est un autre parti
+dont le caractère fondamental est que la révolution de Juillet
+ne lui a pas suffi. Ce parti ne peut se résigner à se renfermer
+dans les limites que la révolution de 1830 a assignées
+à notre politique; il n'est pas content de la manière dont la
+révolution s'est faite, ni de rien de ce qu'elle a fait depuis. Que
+réclame ce parti? On l'a vu, au su de tout le monde, sur les
+places publiques, dans les rues, et jusqu'à nos portes. Il
+réclamait un interrègne et un gouvernement provisoire, une
+constitution toute nouvelle qui n'eût rien de commun avec
+la Charte, pas même le nom; il voulait la convocation des
+assemblées primaires et la délibération sur la révolution qui
+venait de s'opérer. Voilà ce qu'à cette époque il demandait
+au vu et au su, je le répète, de tout le monde. Depuis, en matière
+de législation, mais, hors de cette Chambre, il a professé
+le suffrage universel, le mépris de toutes nos lois
+actuelles, la nécessité de les renverser sur-le-champ, de recommencer
+à nouveau l'oeuvre de notre législation et de
+notre ordre social.</p>
+
+<p>Quant aux affaires extérieures, ce parti appelait à grands
+cris la guerre, la guerre générale, la guerre de principes! Il
+prêchait la nécessité absolue d'envoyer toutes nos idées,
+tous nos principes contre les idées et les principes du reste
+de l'Europe.</p>
+
+<p>Et quand la guerre lui a manqué, qu'est-ce qu'il a fait?
+Il l'a faite cette guerre, mais il l'a faite sous main, il l'a
+faite sous terre, par la propagande, par les provocations à
+l'insurrection, au renversement des gouvernements établis.
+C'est une guerre cela, messieurs; il n'est pas loyal d'appeler
+cela la paix; c'est la guerre non déclarée, déloyale, injuste,
+telle qu'il n'est plus de notre civilisation de la faire.</p>
+
+<p>Nous avons vu ouvrir des souscriptions en faveur de je ne
+sais quels projets de révolution qui n'ont pas même eu
+l'honneur d'avorter; nous avons vu des révolutions à l'entreprise;
+nous avons vu des sociétés anonymes se former pour
+provoquer au dehors de semblables projets.</p>
+
+<p>Voilà ce qu'a fait ce parti, quand il n'a pas pu avoir la
+guerre comme il la demandait.</p>
+
+<p>Eh bien! messieurs, que veut-il ce parti? quel nom lui
+donner? On lui a donné le nom de <i>parti républicain</i>. Je ne
+veux pas de la république; personne n'est plus convaincu
+que moi que la monarchie est le seul gouvernement qui convienne
+à la France; personne ne la veut plus sincèrement
+que moi; mais je ne ferai pas à la République l'injure de
+donner son nom à un tel parti. (<i>Marques d'approbation.</i>) La
+république est un gouvernement régulier, qui peut être juste,
+loyal, et qui n'a aucun rapport avec le parti que j'essaye de
+caractériser. (<i>Vive approbation.</i>) Ce qu'est véritablement ce
+parti? le voici, passez-moi l'expression: c'est la collection de
+tous les débris, c'est le <i>caput mortuum</i> de ce qui s'est passé
+chez nous de 1789 à 1830. C'est la collection de toutes les
+idées fausses, de toutes les mauvaises passions, de tous les
+intérêts illégitimes qui se sont alliés à notre glorieuse Révolution,
+et qui l'ont corrompue quelque temps pour la faire
+échouer aussi quelque temps.</p>
+
+<p>Considérez quelles sont les idées de ce parti et ce qu'il
+professe.</p>
+
+<p>Sa première idée est de tout recommencer, de faire table
+rase pour élever un nouvel édifice social.</p>
+
+<p>Ce qu'il professe, c'est de ne reconnaître dans le passé, ni
+dans le présent, rien de légitime, de ne rien trouver de bon
+dans ce qui a été, dans ce qui est. C'est l'oeuvre de la création
+qu'il faut recommencer chaque jour.</p>
+
+<p>Cette chimère, cette folie, c'est le crime du parti. Il
+n'y a rien qui corrompe plus profondément les hommes que
+le fol orgueil qui les porte à croire qu'il est en leur pouvoir
+de recommencer le monde tous les jours, de renouveler absolument
+les gouvernements et les sociétés.</p>
+
+<p>Il n'en est pas ainsi: les sociétés, les gouvernements,
+tout cela est l'oeuvre du temps, des générations; il faut plusieurs
+siècles et de longues expériences pour les former.</p>
+
+<p>Eh bien! c'est une des folies, c'est un des crimes du
+parti d'oublier ce bon sens populaire, ce bon sens de l'humanité,
+pour nous jeter sans cesse à la tête une création qu'il
+faudrait sans cesse recommencer. (<i>Très-bien! très-bien!</i>)</p>
+
+<p>Sa seconde idée, c'est l'épée de Damoclès qu'il tient constamment
+suspendue sur la tête de tous les gouvernements,
+et même du nôtre. Vivre avec cette épée de Damoclès sur la
+tête, n'est-ce pas un supplice intolérable? c'est à ce supplice
+que ce parti condamne tous les gouvernements qui se
+sont chargés d'en préserver les citoyens, de leur donner sûreté
+et confiance. Le parti dit à tout gouvernement: vous
+n'aurez ni repos ni de sûreté; l'insurrection populaire est là
+qui vous menace, elle mettra la main sur vous quand il
+lui plaira, elle vous changera, vous détruira. C'est là ce qu'il
+répète tous les jours, ce qui est le fond de sa pensée. (<i>Marques
+d'adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Voilà pour les doctrines du parti. Voyons maintenant
+quels sont les moyens qu'il emploie.</p>
+
+<p>L'émeute, la force, l'appel continuel à la violence, à la
+violence matérielle, invoquée toutes les fois que le cours naturel
+et régulier des choses ne permet pas au parti d'accomplir
+sa volonté.</p>
+
+<p>Voulez-vous regarder au langage? Lisez! C'est le langage
+des plus mauvais temps de notre révolution; langage timide
+encore et honteux, mais qui s'essaye; langage de gens qui
+veulent savoir si vous êtes en état et en disposition de les réprimer,
+et qui, le jour où ils croiront que vous ne l'êtes pas
+ou que vous ne le pouvez pas, se livreront à tout leur cynisme,
+à tout leur dévergondage, prêts à répandre au milieu des
+sociétés, dans les rues, sur les places, à y étaler (passez-moi
+l'expression) toutes les ordures de leur âme. (<i>Mouvement
+dans l'assemblée.</i>)</p>
+
+<p>Voilà, messieurs, le parti auquel vous avez affaire; ce parti
+que je n'appellerai pas le parti républicain, mais le mauvais
+parti révolutionnaire, est aujourd'hui, grâce à Dieu,
+affaibli, usé, incapable d'amendement et de repentir.
+La révolution de Juillet, c'est au contraire tout ce qu'il y
+a eu de bon, de légitime, de national dans notre première
+révolution, et tout cela converti en gouvernement. Voilà,
+messieurs, la lutte à laquelle vous assistez: elle est établie
+entre la révolution de Juillet, c'est-à-dire entre tout ce qu'il
+y a eu de bon, de légitime, de national, depuis 1789 jusqu'à
+1830, et le mauvais parti révolutionnaire, c'est-à-dire
+la queue de notre première révolution, tout ce qu'il y a eu
+de mauvais, d'illégitime, d'antinational, depuis 1789 jusqu'à
+1830. (<i>Marques d'approbation au centre.</i>)</p>
+
+<p>Voilà la lutte dans laquelle vous êtes engagés.</p>
+
+<p>Et ne vous faites pas illusion; ne cherchez pas à couvrir
+sous de beaux noms des choses qui sont si mauvaises. Ce
+sont là vraiment les deux partis: à qui restera la victoire?
+C'est à vous d'en décider.</p>
+
+<p>Tel est, messieurs, au dedans l'état général des choses;
+telle est la véritable lutte qui se passe au milieu de nous.
+Voici maintenant ce qui nous divise. Parmi les amis sincères,
+éclairés, honnêtes de la révolution de Juillet, parmi
+les hommes dévoués à sa cause, à sa bonne cause, il en est
+qui croient qu'il faut ménager le parti dont je viens de parler,
+qu'on a besoin de son alliance, qu'il faut l'avoir dans ses
+rangs aussi longtemps qu'on le pourra, jusqu'à la dernière
+extrémité s'il est possible, et qu'en attendant, il faut lui faire
+les concessions dont il a besoin, afin de ne pas se l'aliéner.</p>
+
+<p>Il y a au contraire des hommes qui croient qu'il faut
+accepter le combat, que c'est la condition de salut, que ce
+parti dans nos rangs nous perd, nous corrompt, nous déshonore
+aux yeux de l'Europe, qu'il faut l'avoir non pas derrière
+soi, non pas dans ses rangs, mais en face, comme adversaire,
+le lui dire et le lui prouver tous les jours.</p>
+
+<p>Voilà, messieurs, voilà les deux politiques entre lesquelles
+vous avez à choisir. Je ne crains pas que ce mauvais
+parti triomphe, même indirectement, dans cette Chambre. Je
+sais qu'il n'y a pas de voix, qu'il serait unanimement repoussé.
+Mais, dans cette Chambre comme parmi tous les
+amis de la révolution de Juillet, il y a division: il y a des
+hommes qui pensent qu'on peut, qu'on doit le tolérer et le
+respecter jusqu'à un certain point; d'autres croient qu'il
+faut l'avoir en face et le combattre.</p>
+
+<p>C'est entre ces deux systèmes, l'un incertain, l'autre
+décidé, entre un système mixte dans lequel le mauvais et
+le bon s'amalgament comme ils peuvent, et un système
+franc et décidé, que vous avez à choisir.</p>
+
+<p>Ne vous y trompez pas, messieurs; la France vous a envoyés
+ici pour faire ce choix duquel tout dépend en ce moment.
+Ce qui tourmente la France depuis un an, c'est
+l'incertitude, l'indécision, la question de savoir qui est ami
+de la révolution, qui est son ennemi, qui veut de la révolution,
+qui n'en veut pas. C'est cela qui fait le tourment de
+la France.</p>
+
+<p>La France vous a envoyés pour prononcer entre deux
+politiques; elle compte que vous en choisirez une franche
+et décidée. Vous ne pouvez choisir qu'entre la timidité qui
+ménage le mauvais parti, et la franchise qui le combat ouvertement.
+De la façon dont vous ferez ce choix dépend
+l'accomplissement de votre mission.</p>
+
+<p>Permettez-moi de vous le dire dans ma conviction profonde:
+si vous ne faites pas le choix que la France attend,
+si vous ne lui donnez pas un système complet, franc, vous
+tomberez dans toutes les incertitudes, toutes les vacillations,
+toutes les menées dont la France souffre et est lasse depuis
+un an.</p>
+
+<p>Il dépend de vous, messieurs, de faire ce choix. Prenez-y
+garde; ou bien vous accomplirez la plus grande tâche qu'une
+assemblée de citoyens puisse accomplir au service de son
+pays, ou bien vous serez au rang de ces assemblées faibles
+qui n'ont pas su s'acquitter de la mission que leur pays leur
+avait donnée.</p>
+
+<p>(M. Guizot descend de la tribune au milieu des applaudissements
+vifs et réitérés d'une partie de la Chambre.)</p>
+
+<a name="XXIX" id="XXIX"></a>
+<br><br>
+<h3>XXIX</h3>
+
+<p class="mid">Discussion de l'adresse de la Chambre des députés au roi,
+à l'ouverture de la seconde séance de 1831.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 12 août 1831.--</p>
+
+<p class="large">A l'occasion d'un amendement au quatrième paragraphe
+du projet d'adresse, proposé par M. de Podenas,
+député de l'Aude, M. Teulon, député du Gard, entretint
+la Chambre de l'état de l'administration dans ce
+département, et reprocha au premier ministère formé
+après la révolution de Juillet d'avoir voulu faire ce
+qu'il appela «un partage égal du pouvoir entre les
+vainqueurs et les vaincus, dans l'espoir d'amener entre
+eux un rapprochement.» Je pris la parole pour relever
+cette assertion.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--C'est un seul fait que je désire relever.
+L'antépréopinant vous a parlé d'un égal partage du pouvoir
+entre les vainqueurs et les vaincus, qui avait été établi dans
+le département du Gard par le premier ministère après la
+révolution de Juillet. Voici, messieurs, en fait, quel a été le
+partage du pouvoir à cette époque. Le préfet, les trois sous-préfets,
+le secrétaire général, le général commandant, le
+procureur général, le procureur du roi, le receveur général
+ont été changés (<i>Sensation</i>) et remplacés tous, je n'hésite pas
+à le dire, par des hommes attachés à la révolution de Juillet.
+Je dois faire remarquer que l'honorable membre qui a porté
+cette plainte a été nommé, par ce même ministère, secrétaire
+général du département du Gard. (<i>Mouvement.</i>) Je ne pense
+pas qu'il y ait eu alors partage égal de pouvoir entre les vainqueurs
+et les vaincus. Je pense qu'il a été fait tous les changements
+commandés par la justice et la bonne administration.
+Ces changements se sont étendus encore plus loin. Un
+grand nombre de maires et de membres des conseils municipaux
+ont été renouvelés. La garde nationale de la ville de
+Nîmes est presque toute composée de protestants. Je ne dis
+pas cela pour lui faire tort, au contraire; elle est pleine de
+patriotisme, elle est animée d'un bon esprit; elle s'est plus
+d'une fois compromise pour maintenir l'ordre dans le pays.
+Mais il n'est pas exact de dire qu'il y ait eu partage égal de
+pouvoir entre les vainqueurs et les vaincus. Il y a eu changement
+au profit des vainqueurs et justice envers les vaincus.
+(<i>Marques d'adhésion.</i>)</p>
+
+
+<a name="XXX" id="XXX"></a>
+<br><br>
+<h3>XXX</h3>
+
+<p class="mid">Discussion de l'adresse de la Chambre des députés au roi
+dans la seconde session de 1831.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 12 août 1831.--</p>
+
+<p class="large">On me reprocha, dans cette séance, le langage que
+j'avais tenu dans celle du 11 août à propos du parti
+républicain et des émeutes. Je pris la parole pour expliquer
+et justifier mon langage.</p>
+
+<p>
+<span class="sc">M. Guizot.</span>--Je n'ai que deux faits à faire remarquer à
+la Chambre.</p>
+
+<p>Premièrement, je n'ai pas entendu hier laver le parti
+qu'on appelle républicain de toute participation aux émeutes;
+j'ai dit que je ne reconnaissais pas le vrai parti républicain
+dans celui qui prenait ce nom; mais je n'ai pas dit que le
+parti qui prend le nom de républicain n'a pris aucune part
+aux émeutes. Au contraire, ce parti, a, selon moi, participé
+aux émeutes. J'ai entendu lui enlever un beau nom,
+mais non pas lui contester ses actes.</p>
+
+<p>Secondement, j'ai dit hier que nous n'avions à choisir
+qu'entre deux systèmes: un système décidé et arrêté, et un
+système incertain, faible, qui ménage à chaque occasion les
+fauteurs du désordre, qui leur cherche des palliatifs et des
+excuses.</p>
+
+<p>J'avoue que je ne m'attendais pas à trouver sitôt la confirmation
+des faits que j'ai avancés hier à cette tribune. Que vient
+de faire en effet l'orateur auquel je succède? Il a tenté d'excuser
+le parti républicain; il s'est appliqué à le tirer d'embarras.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Odilon Barrot.</span>--Vous vous trompez complétement sur
+mon intention.</p>
+
+<p><i>M. le Président.</i>--N'interrompez pas, vous répondrez.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Odilon Barrot.</span>--Il n'est pas permis de dénaturer
+ma pensée.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je n'accuse en aucune façon les intentions;
+je fais seulement remarquer la fausseté et l'embarras de la
+position. Je dis qu'un sentiment public, un sentiment avoué
+de tout le monde accuse de nos désordres, ou du moins d'une
+grande participation à nos désordres, les hommes qui se
+parent à tort, selon moi, du nom de républicains. Je dis que
+ces désordres ont eu lieu souvent aux cris de <i>Vive la République!</i>
+Je dis que, parmi les hommes qui y ont pris part, il y
+en a qui se croient sincèrement républicains; ils se trompent,
+mais ils n'en ont pas moins cette conviction, et ce
+n'en est pas moins aux cris de <i>Vive la République!</i> que ces désordres
+ont eu lieu. Il est donc naturel que le sentiment
+public en accuse ceux qui s'appellent républicains, et que
+l'adresse réponde à cette partie du discours de la Couronne.</p>
+
+<p>Tel est l'embarras du parti que j'attaquais hier, qu'il
+s'est cru obligé de détourner ce coup et de prendre les
+vrais républicains sous sa protection. Il ne s'agit pas ici des
+vrais républicains, mais de ceux qui, aux cris de <i>Vive la
+République!</i> viennent porter le désordre dans la société. Je
+dis que le sentiment public les condamne, et qu'il n'y a aucun
+moyen de les retirer de l'adresse. Je demande le maintien du
+paragraphe.</p>
+
+<a name="XXXI" id="XXXI"></a>
+<br><br>
+<h3>XXXI</h3>
+
+<p class="mid">Discussion de l'adresse de la Chambre des députés au roi,
+à l'ouverture de la seconde session de 1831.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 16 août 1831.--</p>
+
+<p class="large">Dans la séance du 15 août 1831, le président du conseil
+ayant demandé la parole sur la position de la question
+relative à un amendement de M. Bignon, député de
+l'Eure, au moment où la clôture de la discussion sur
+l'amendement même venait d'être prononcée, le droit
+de prendre ainsi la parole lui fut contesté, et un vif
+incident s'éleva à ce sujet. Dans la séance du lendemain
+16 août, la lecture de cette partie du procès-verbal de la
+séance précédente donna lieu à un nouveau débat dans
+lequel j'intervins pour expliquer la situation de la
+Chambre dans cette circonstance et déterminer nettement
+la question dont il s'agissait.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--La Chambre s'est occupée à la fois de deux
+questions toutes différentes.</p>
+
+<p>Il y a d'abord une question de fait, qui est celle de savoir
+ce que M. le président du conseil a fait hier quand il a demandé
+la parole: c'est sur la question de fait que porte la
+rectification du procès-verbal, demandée par l'honorable
+M. de Rambuteau.</p>
+
+<p>La seconde question est une question constitutionnelle:
+celle de savoir jusqu'à quel point et de quelle manière la
+prérogative royale doit être exercée dans la Chambre en
+vertu de l'article 46 de la Charte.</p>
+
+<p>Sur la première question, on ne peut pas demander l'ordre
+du jour; il faut rectifier ou non le procès-verbal. Le procès-verbal
+ne constate pas ce qui a été entendu, mais ce qui a
+été fait, ce qui a été dit: il se peut qu'un grand nombre de
+membres n'aient pas entendu ce qui a été dit; mais la question
+qu'on met aux voix, c'est de savoir si telle chose a été
+dite, si telle chose a été faite. C'est une question de fait que
+l'on met aux voix dans tout débat qui s'élève sur la rédaction
+du procès-verbal. Le procès-verbal n'est pas autre chose que
+l'exposé de ce qui s'est passé dans une séance; toute demande
+en rectification du procès-verbal élève une question de fait;
+cette question se décide par assis et levé, à la majorité
+des voix. Ceux qui sont d'avis que le fait s'est passé tel
+qu'on l'articule se lèvent pour la rectification du procès-verbal;
+ceux qui ont vu le fait d'une autre manière se lèvent
+contre.</p>
+
+<p>Il n'y a donc là, je le répète, qu'une question de fait. Si le
+plus grand nombre des membres de cette assemblée regarde
+comme constant que M. le président du conseil avait demandé
+la parole sur la position de la question, le fait sera
+rétabli dans le procès-verbal de cette manière. Si le plus
+grand nombre de nos collègues croit le contraire, il sera
+constaté que le fait n'a pas eu lieu, et il ne sera pas rétabli
+dans le procès-verbal.</p>
+
+<p>Voilà sur la première question; quant à la seconde,
+la question constitutionnelle, il n'y a pas lieu de passer à
+l'ordre du jour, car c'est une question qui ne peut pas être
+résolue dans cette Chambre.</p>
+
+<p><i>Voix à gauche.</i>--Raison de plus pour passer à l'ordre du
+jour.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--La Chambre règle tout ce qui regarde ses
+opérations intérieures, en tant que les grands pouvoirs,
+indépendants l'un de l'autre, n'y sont pas intéressés; mais
+quand il s'agit de la correspondance, des relations de
+ces pouvoirs entre eux, il ne dépend pas de la Chambre
+de régler ces relations et cette correspondance par un vote
+réglementaire.</p>
+
+<p>Ou l'article de la Charte est clair, ou il ne l'est pas.</p>
+
+<p><i>Plusieurs voix.</i>--Il l'est.</p>
+
+<p><i>Autres voix.</i>--Il ne l'est pas.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--C'est l'un ou l'autre: si l'article est clair,
+il ne doit pas être modifié par un vote réglementaire; si, au
+contraire, il ne l'est pas, s'il a besoin d'être modifié, il ne
+peut l'être que par le concours des trois pouvoirs; il ne peut
+l'être par un seul, indépendamment des deux autres. Je le
+répète, la Chambre ne peut pas délibérer sur cette question.
+(<i>Bruits en sens divers.</i>)</p>
+
+<p>Je demande que la Chambre se prononce sur la question
+relative à la rectification du procès-verbal. Elle déclarera les
+faits tels qu'elle les a vus et entendus.</p>
+
+<p>Sur la seconde question, nous avons discuté; des opinions
+différentes ont été émises; il n'y a pas lieu à délibérer. (<i>Oui,
+oui! l'ordre du jour.</i>)</p>
+
+<p>Je demande l'ordre du jour.</p>
+<a name="XXXII" id="XXXII"></a>
+<br><br>
+<h3>XXXII</h3>
+
+<p class="mid">Discussion à l'occasion des interpellations adressées par
+M. Mauguin au ministère sur les troubles survenus dans
+Paris.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 20 septembre 1831.--</p>
+
+<p class="large">A la nouvelle de la prise de Varsovie, de violents
+désordres éclatèrent dans Paris pendant les journées
+des 16, 17, 18 et 19 septembre. M. Mauguin, député de
+Saône-et-Loire, adressa, à ce sujet, au ministère des
+interpellations qui suscitèrent un débat très-vif prolongé
+du 19 au 23 septembre. Les affaires extérieures
+et intérieures du pays, le caractère et les conséquences
+de la révolution de Juillet, les principes et la conduite
+des divers cabinets furent de nouveau remis en question.
+Je pris deux fois la parole dans ce débat, le 20 septembre
+en réponse au général Lafayette et le 21 en
+réponse à M. Mauguin. Le débat se termina par une
+ordre du jour favorable au cabinet.</p>
+
+<p class="large">Sur une nouvelle interpellation de M. Mauguin, je
+revins, dans la séance du 26 octobre suivant, sur la
+conduite que j'avais tenue, en 1830, comme ministre
+de l'intérieur, envers les Espagnols réfugiés en France,
+et je complétai les explications que j'avais déjà données
+à ce sujet dans la séance du 30 septembre.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, comme ami du ministère, comme
+partisan de son système politique, j'aurai peu de chose à
+ajouter à ce que vous avez entendu. A mon avis, hier et aujourd'hui,
+l'explication de la conduite du ministère, la défense
+de ses actes ont été satisfaisantes et complètes; je n'ai,
+je le répète, presque rien à ajouter. Mais quand cette discussion
+s'est élevée, nous nous en sommes promis quelque chose
+de plus que la justification ou l'accusation du ministère.
+Quelque grande que soit cette question, il y en a une autre
+encore. Le ministère ne s'est pas mêlé seul de notre politique
+intérieure; il n'est pas le seul qui ait eu des idées, des
+intentions, et qui ait agi au dehors au nom de la France. Je
+ne viens donc pas défendre le ministère suffisamment défendu;
+je viens attaquer la politique, les idées, les intentions,
+les actes de ses adversaires qui sont les nôtres.</p>
+
+<p><i>Plusieurs voix à gauche.</i>--Comment les intentions aussi!...
+(<i>Agitation.</i>)</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--C'est aussi là une question que nous nous
+sommes promis de traiter; nous nous sommes promis de tout
+dire ici, de dire au pays ce que nous pensons sur toutes
+choses et sur tout le monde. Je vais l'essayer. (<i>Marques d'attention.</i>)</p>
+
+<p>Vous vous rappelez tous de quelle manière la révolution de
+Juillet, à laquelle nous avons tous eu part, fut reçue en Europe.
+L'Europe la trouva naturelle, inévitable, je dirai presque
+légitime. La conduite du gouvernement déchu parut si
+insensée, si énorme que l'Europe prévoyait la révolution,
+et n'en fut pas étonnée. Je pourrais citer, si des conversations
+particulières pouvaient être rapportées à cette tribune, je
+pourrais citer telles paroles d'un grand souverain qu'on regarde
+comme le plus grand ennemi de la révolution de
+Juillet, et qui, lorsqu'il l'apprit, dit lui-même: «Voilà les
+conséquences du manque de foi des souverains.» (<i>Sensation.</i>)
+La révolution de Juillet, je le répète, fut donc trouvée naturelle
+et presque légitime. Cependant on eut peur, on s'en
+méfia; on se demanda; pourrons-nous vivre en paix avec la
+France? N'est-ce pas un volcan qui vient de se rouvrir au
+milieu de l'Europe? J'ai entendu plusieurs de mes collègues
+s'étonner et s'indigner de ces inquiétudes de l'Europe.
+Messieurs, en vérité, je ne conçois pas cet étonnement.
+L'Europe n'est pas de ceux qui n'ont rien oublié ni rien appris
+depuis quarante ans. Il est impossible que l'Europe ne se
+souvienne pas des conséquences que la Révolution française
+avait eues pour elle; elle a dû voir avec méfiance, avec
+effroi, la possibilité de chances pareilles; l'Europe, dans son
+intérêt, en allant au fond des choses, avait droit d'avoir peur;
+elle avait droit de se méfier, et elle n'a rien fait que de naturel
+quand elle a armé à l'apparition de la révolution de
+Juillet. Nous, de notre côté, nous avons bien fait de nous
+méfier de l'Europe, de croire à la possibilité de graves dangers;
+nous avons bien fait d'armer. De part et d'autre, on
+est resté dans sa situation; il n'y a rien là dont on doive s'étonner,
+ni dont on puisse faire à personne l'objet d'un reproche.</p>
+
+<p>Les choses étant telles, la situation de tout le monde ainsi
+établie, que pouvait faire le gouvernement français? Il n'y
+avait évidemment que deux systèmes: prendre, contre les
+méfiances et les terreurs de l'Europe, toutes les précautions
+nécessaires, armer le pays, se tenir en état de défense et en
+même temps s'efforcer de rassurer l'Europe, de dissiper ses
+méfiances, ses craintes, de lui prouver qu'un état régulier,
+tranquille, pouvait s'établir en France, de continuer avec
+l'Europe de bonnes et pacifiques relations.</p>
+
+<p>C'était là le système qui se présentait naturellement à un
+gouvernement sensé; c'est celui qui a été tenté bien ou mal,
+avec plus ou moins de succès, par tous les ministères qui se
+sont succédé depuis quatorze mois.</p>
+
+<p>L'autre système, c'était de se constituer en état de volcan
+au milieu de l'Europe, de couvrir l'Europe de feu, de
+proclamer sur-le-champ l'incompatibilité de l'ordre social
+français avec l'ordre social européen, et de les mettre tous
+deux aux prises.</p>
+
+<p>Messieurs, y a-t-il quelqu'un, je ne dis pas dans les mille
+rêves, dans les mille folies qui passent par la tête des
+hommes, y a-t-il, dis-je, quelqu'un parmi les hommes sensés
+de l'opposition ou en dehors, qui ait proposé ce système?
+Non, messieurs; depuis quatorze mois, l'opposition, et dans
+cette Chambre et au dehors, a été, selon moi, imprudente,
+téméraire; mais je ne la trouve pas hardie; je ne trouve pas
+qu'elle ait manifesté de grands projets, qu'elle ait conçu de
+grandes pensées, pas même des pensées folles dans leur
+grandeur.</p>
+
+<p>Non, messieurs, le système dont je parle, le système fanatique,
+odieux, impossible en définitive à faire réussir, mais
+qui cependant pouvait trouver en Europe des forces morales
+et matérielles qui lui fussent propres, ce système n'a été conseillé
+par personne; personne dans l'opposition n'a osé
+sérieusement le proposer.</p>
+
+<p>Nous avons vu l'opposition divisée de bonne heure sur
+cette question. Les uns se sont prononcés pour la paix, les
+autres ont gardé le silence; d'autres ont conseillé la guerre,
+mais une guerre politique et point la guerre de propagande,
+point cette guerre volcanique dont je parlais tout à l'heure.
+D'autres ont conseillé la propagande, mais la propagande en
+désavouant la guerre; car vous venez de l'entendre à cette
+tribune, on s'est prononcé en même temps contre la guerre
+et pour la propagande. Je ne me charge pas de la conciliation
+de ces deux idées.</p>
+
+<p><span class="sc">M. le Général Lafayette.</span>--Je demanderai la parole pour
+un fait.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Eh bien! messieurs, sans prétendre à concilier
+les contradictions de ce système, je dis que l'opposition en
+a constamment tenu le langage: je dis qu'elle a provoqué
+toutes les passions, qu'elle a élevé toutes les plaintes
+que ce système suppose; en un mot, que la portion extérieure
+de sa conduite, son langage, ses actes, ses méfiances
+ont appartenu au système qu'elle n'osait et qu'elle ne pouvait
+pas sérieusement conseiller.</p>
+
+<p>On a fait plus: ce qu'on ne pouvait faire prévaloir en
+France, ce qu'on ne pouvait conseiller en France, on l'a
+promis au dehors; on n'a voulu rester en arrière d'aucune
+insurrection, d'aucun projet de révolution, d'aucune
+tentative de ce genre; on les a tous accueillis, proclamés; on
+s'en est déclaré le patron, sans s'inquiéter de savoir si on était
+en état de les faire réussir; on s'est porté fort en leur faveur,
+au nom de cette France qu'on ne représentait pas, qu'on ne
+gouvernait pas, dans laquelle on était hors d'état de prévaloir
+par la liberté, la discussion et la publicité.</p>
+
+<p>Savez-vous ce qu'on a fait à l'égard des révolutions étrangères?
+on a fait comme ces malheureux qui mettent au
+monde des enfants sans s'inquiéter de savoir s'il sont en état
+de les nourrir et de les élever. (<i>Sensation.</i>) C'est là le caractère
+des idées, des intentions, des actes, de la conduite
+de l'opposition, au dedans et au dehors de cette Chambre
+depuis quatorze mois.</p>
+
+<p>Permettez-moi de passer en revue rapidement les divers
+pays, les différentes révolutions qui y ont été essayées, et de
+vous y montrer évidente, à toucher à la main, cette politique
+sans franchise, sans hardiesse et sans sérieux, et ses funestes
+résultats.</p>
+
+<p>Je prends un pays auquel on ne pense presque plus; je ne
+sais pourquoi, car il a beaucoup souffert, l'Espagne. Quand
+la révolution de Juillet a été consommée, le nouveau gouvernement
+national était, à l'égard de l'Espagne, dans une position
+excellente pour l'engager à des concessions nécessaires,
+légitimes, pour l'amener à faire quelque chose pour ses sujets.
+Le gouvernement français avait sur son territoire un grand
+nombre de réfugiés espagnols dont les tentatives étaient fort
+redoutées à Madrid. On croyait, et on devait le croire, qu'ils
+trouveraient beaucoup d'écho dans la nation espagnole. C'était,
+entre les mains du gouvernement français, un moyen
+de négociation puissant, facile, dont on pouvait tirer parti au
+profit de la liberté et de la prospérité espagnole. Eh bien!
+qu'a-t-on fait? On a gaspillé, on a perdu ce moyen. Ce n'est
+pas le gouvernement, mais l'opposition. Une insurrection a
+été tentée sur les frontières espagnoles par de malheureux
+réfugiés; on les y a encouragés, poussés; on ne s'est pas inquiété,
+on n'a pas su reconnaître s'il y avait, pour eux,
+de véritables chances de succès; et nous avons eu le malheur,
+car c'en est un pour nous comme pour les Espagnols,
+de voir quelques-uns des plus illustres défenseurs de l'indépendance
+de l'Espagne hors d'état de faire quatre lieues sur
+son territoire; nous les avons vus échouer dans une tentative
+folle.</p>
+
+<p>Il fallait le prévoir; il ne fallait pas pousser ces hommes
+en propageant sans cesse les idées, les sentiments qui ont de
+tels résultats. On faisait presque à ces hommes un devoir
+d'honneur d'aller délivrer leur pays d'un mauvais gouvernement.
+Quand on ne les y aurait pas poussés individuellement,
+ce que je ne veux pas savoir, on les y a poussés d'une manière
+générale par un langage imprudent, en provoquant des sentiments
+qui exercent une grande puissance, et on les a envoyés
+tenter en Espagne une insurrection impossible.</p>
+
+<p>Messieurs, lorsqu'on veut mettre en mouvement des
+hommes et des peuples, on est moralement obligé de savoir
+ce qu'on fait, et de ne pas tenter légèrement des choses évidemment
+impossibles. C'est ce qui est arrivé pour l'Espagne.
+La tentative n'a eu aucun succès, et cette épée que le gouvernement
+français pouvait tenir sur la tête du gouvernement
+espagnol a été brisée entre ses mains. Il a été démontré que
+les réfugiés espagnols étaient sans crédit, sans force, pour soulever
+leur pays. Voilà ce que la politique de l'opposition a
+valu à la France et à l'Espagne. (<i>Sensation prolongée.</i>)</p>
+
+<p>Je prends l'Italie. La question est ici tout autre. Il ne s'agit
+pas en Italie d'une simple querelle entre un gouvernement
+et une partie de la nation; il ne s'agit pas de changer les institutions
+d'un pays, ni de faire une révolution intérieure; il
+s'agit de faire un grand pays, un grand peuple. L'unité italienne,
+comme l'honorable général Lafayette le disait tout à
+l'heure, voilà ce qu'il y a au fond de toutes les tentatives qui
+ont été faites en Italie. Ce n'est pas la liberté de telle ou telle
+province; ce n'est pas telle ou telle modification, tel ou tel
+gouvernement, c'est l'unité italienne, c'est la reconstruction
+de l'Italie en un grand peuple.</p>
+
+<p>Cette tentative a été renouvelée bien des fois; elle a toujours
+échoué. Je ne dis pas qu'elle soit radicalement mauvaise
+et illégitime; je ne prétends pas interdire aux patriotes
+italiens leurs pensées et leurs espérances; mais je dis que la
+difficulté est immense, et que jusqu'ici on a toujours échoué,
+depuis la chute de l'empire romain.</p>
+
+<p>Bonaparte en a donné une raison qui me paraît vraie; il
+l'a trouvée, avec son admirable génie, dans la configuration
+géographique de l'Italie. Vous connaissez ce morceau dans lequel
+il essaye d'expliquer les révolutions d'Italie par sa configuration
+géographique. Pour moi, cela m'a convaincu.</p>
+
+<p>Eh bien! non-seulement la tentative de refaire l'Italie a
+toujours échoué, mais il n'y a pas moyen de se dissimuler que,
+dans ces derniers temps, depuis dix à douze ans, elle n'a pas
+été soutenue avec cette énergie, cette persévérance, cette
+âpreté de courage et de dévouement qu'exigent de pareilles
+oeuvres.</p>
+
+<p>Messieurs, ceci est plus que triste, c'est douloureux à
+dire; ce n'est pas sans effort que je me décide à prononcer aujourd'hui
+des paroles qui peuvent, je le sais, aller en Italie
+tomber sur un noble coeur et l'affliger profondément;
+mais avant tout, il faut que la vérité soit dite. (<i>Très-bien,
+très-bien!</i>)</p>
+
+<p>Il est vrai que depuis douze ans, ni le courage ni le
+dévouement des Italiens n'ont été au niveau de la grande
+oeuvre qu'ils ont tentée; il est vrai que toujours préoccupés
+passionnément dans leur langage, dans leurs écrits, de reconstruire
+l'Italie, ils ont été faibles et enfants pour une
+pareille entreprise. (<i>Sensation.</i>)</p>
+
+<p>Que devait faire la France dans une telle situation? Fallait-il
+qu'elle allât se jeter dans une entreprise que l'Italie
+elle-même se montrait si peu capable d'accomplir? Messieurs,
+ceci encore est triste à dire; mais il faut que les
+peuples aient souffert longtemps pour pouvoir compter sur
+un secours étranger; il faut qu'ils aient lutté longtemps;
+il faut qu'il ait péri bien des milliers d'hommes pour que
+l'intervention étrangère devienne naturelle et véritablement
+utile. Ce n'est qu'après une longue persévérance, après
+des siècles d'efforts qu'on peut compter utilement sur l'étranger.
+L'Italie, jusqu'à présent, n'a eu aucun droit de compter
+sur votre secours.</p>
+
+<p>Qu'avait à faire la France, et dans son intérêt et dans celui
+de l'Italie? Elle avait à rétablir partout en Italie son influence,
+à lutter partout contre l'influence autrichienne, à
+reprendre possession d'une influence correspondante et supérieure,
+s'il se pouvait, pour la faire tourner au profit des
+améliorations que l'Italie pouvait espérer. C'était là l'ancienne
+politique de la France; mais cette politique a ses conditions;
+on ne la suit pas par cela seul qu'on le veut; il y eut
+de tout temps deux conditions fondamentales à l'influence
+de la France en Italie: la première, c'est son alliance avec
+quelques-uns des gouvernements italiens, un point d'appui
+fermement préparé dans certaines cours, dans certains gouvernements.
+C'est à Turin et à Rome que l'influence de la
+France, au <span class="sc">XVII</span><sup>e</sup> et au <span class="sc">XVIII</span><sup>e</sup> siècle, luttait efficacement contre
+l'influence autrichienne; c'est en s'appuyant sur la cour de
+Rome et la maison de Savoie que la France s'est emparée,
+en Italie, d'une influence qui balançait celle de l'Autriche.</p>
+
+<p>Eh bien! qu'a fait l'opposition à l'égard de l'Italie? Elle
+s'est déclarée en guerre avec tous les gouvernements italiens
+sans exception. Je ne dis pas qu'elle ait menacé spécialement
+tel ou tel gouvernement, qu'elle ait travaillé à sa ruine; mais
+la menace résultait naturellement de ses idées et de ses actions;
+tous les gouvernements d'Italie, celui de Turin
+comme celui de Rome, devaient se croire menacés. L'opposition
+a donc tendu à ôter à la France son premier moyen
+d'influence utile en Italie.</p>
+
+<p>Quant au second, on a parlé de la papauté. Messieurs, ce
+n'est pas seulement en s'alliant avec la cour de Rome, en
+étant bien avec elle que la France avait acquis de l'influence
+en Italie. Il faut se rappeler un fait plus général. Depuis le
+<span class="sc">XVII</span><sup>e</sup> siècle, la France a été à la tête du catholicisme en Europe.
+La politique du catholicisme occidental et méridional
+s'est, depuis deux cents ans, rattachée à la cour de France;
+c'est autour de la cour de France que l'Espagne, l'Italie, la
+Belgique et tous les États catholiques de l'occident de l'Europe
+ont tourné. La France a trouvé là un grand moyen de
+force.</p>
+
+<p>Je sais tout ce qu'on peut dire de l'influence du catholicisme
+sur la constitution intérieure de ces pays et sur leur
+liberté; je sais que cette influence a perdu beaucoup aujourd'hui;
+il n'en est pas moins vrai que c'est en qualité de
+chef du catholicisme en Europe que la France, dans les
+deux derniers siècles, a eu, particulièrement en Italie, une
+immense influence, et a prévalu souvent à Rome contre
+l'Autriche.</p>
+
+<p>Eh bien! la politique de l'opposition, elle-même l'a
+déclaré, s'est mise en état de guerre avec le catholicisme;
+était-ce là une conduite propre à faire regagner à la France
+l'influence qu'elle avait perdue et qu'elle ne devait pas tenter
+de reprendre par la force des armes? Les idées et le langage
+de l'opposition ont été radicalement nuisibles à l'influence
+que la France pouvait reprendre en Italie; ils n'ont pas été
+moins nuisibles à la liberté italienne, à la cause des améliorations
+politiques en Italie.</p>
+
+<p>L'Italie est aujourd'hui en arrière. Tout mouvement précoce
+et prématuré est un mouvement rétrograde. En
+matière de révolution, tout ce qui ne réussit pas nuit, tout
+ce qui n'avance pas rétrograde. (<i>Sensation.</i>) C'est là ce qui</p>
+
+<p>
+est arrivé en Italie et en Espagne; la politique de l'opposition
+a fait éclore là des fruits avant qu'ils fussent mûrs,
+des fruits qui sont tombés, et qui ne renaîtront peut-être pas
+de longtemps. (<i>Approbation aux centres.</i>)</p>
+
+<p>J'arrive à la Belgique. C'était, messieurs, une bonne fortune
+que la révolution de Belgique arrivant six semaines
+après la nôtre; c'était une bonne fortune inespérée que la
+destruction soudaine d'un royaume élevé, comme on nous
+l'a dit, contre la France, devenu le premier boulevard de
+l'Europe contre la France. Cette destruction, dis-je, était
+un fait immense, qui ne devait inspirer à la France aucune
+autre idée que celle de le maintenir.</p>
+
+<p>La bonne fortune a été encore plus grande. L'Europe
+éclairée par tout ce qui s'est passé depuis quarante ans,
+plus clairvoyante et raisonnable qu'on ne le suppose, l'Europe
+a compris qu'il fallait se résigner à la chute du royaume
+des Pays-Bas comme à la chute de la branche aînée de
+la maison de Bourbon; l'Europe a compris qu'il y avait
+là nécessité; elle s'est montrée promptement, beaucoup
+plus promptement qu'on ne l'espérait, disposée à accepter
+ce second fait.</p>
+
+<p>Quelle bonne fortune que de faire si facilement reconnaître
+au bout de six semaines une seconde insurrection,
+une insurrection qui ôtait la pierre angulaire de l'oeuvre de
+la Sainte-Alliance; de la faire reconnaître par la Sainte-Alliance
+elle-même obligée de se transformer, de se mettre à
+la raison! Voilà quelle a été la politique du gouvernement
+français; il a réussi dans son dessein.</p>
+
+<p>Que faisait pendant ce temps-là l'opposition? Elle n'était
+pas contente de ce fait, et là comme partout elle étalait des
+prétentions et des espérances illimitées, car c'est le caractère
+de ce parti de prendre sur-le-champ ses prétentions pour des
+espérances, et ses espérances pour des certitudes.</p>
+
+<p>Le parti a donc voulu autre chose; il a voulu la réunion
+de la Belgique à la France. Ceci était une question fort douteuse
+en Belgique. Pour mon compte, d'après ce que j'ai pu
+recueillir de renseignements, il m'a paru que la réunion à
+la France n'était pas l'opinion de la majorité en Belgique,
+que ce n'était pas le voeu national; il m'a paru qu'il y avait
+des provinces qui inclinaient naturellement vers la France,
+mais que la nationalité était le sentiment dominant en Belgique,
+que le désir de former un État indépendant était sa
+première pensée, et qu'ainsi toute idée de réunion était
+une cause de désunion et de faiblesse.</p>
+
+<p>C'est pourtant la première tentative que l'opposition a
+faite, tentative qui n'avait d'autre résultat que d'affaiblir la
+révolution nouvelle et de la compromettre au moment même
+où l'Europe la reconnaissait. Il a fallu renoncer à la tentative
+de réunion. Qu'a fait l'opposition? Quel a été son système?
+Elle a encouragé en Belgique l'esprit démagogique
+(<i>murmures à gauche</i>), oui, l'esprit démagogique; c'est avec
+dessein que je me sers de cette expression. Personne n'ignore
+quels sont les émissaires qui sont partis de Paris, quelle correspondance
+s'est établie entre les clubs de Bruxelles et les
+sociétés secrètes de Paris; on a encouragé l'esprit démagogique
+pour fomenter des troubles aux dépens du gouvernement
+nouveau, aux dépens de l'indépendance de la Belgique.
+Telle a été la politique constante de l'opposition, si bien que
+le nouveau gouvernement belge a été obligé de se défendre
+contre les émissaires de Paris et de chasser les prétendus
+amis qu'on lui envoyait. (<i>Mouvements divers.</i>)</p>
+
+<p>Voilà, quant à la Belgique, les services que l'opposition
+lui a rendus; voilà quel a été le résultat de sa politique.</p>
+
+<p>Messieurs, jamais encore à cette tribune je n'ai prononcé
+le nom de Pologne. Je souhaitais vivement son succès, et je
+n'y croyais pas; je ne me serais pas permis de dire un mot
+qui pût décourager les amis de cette belle cause; je me serais
+éternellement reproché de dire un mot qui pût tromper mon
+pays, en encourageant des espérances que je ne partageais
+pas. Je dis tromper mon pays, et c'est avec dessein. Il est
+aisé, messieurs, de dire à cette tribune, entre nous quatre
+cents députés tranquillement assis dans cette enceinte: «La
+Pologne ne périra pas.» Il y a eu cependant de bonnes
+causes perdues dans le monde. Depuis que les hommes sont
+répandus en société sur la surface de la terre, il y a eu des
+peuples très-illégitimement effacés du rang des nations: il y
+a eu d'effroyables malheurs en ce genre, et personne n'a le
+droit de dire qu'une bonne cause ne sera jamais perdue.</p>
+
+<p>Ce n'est pas que je doute de la justice divine, de la Providence;
+mais elle a ses secrets, ses plans que nous ne connaissons
+pas, et nous n'avons pas le droit de les préjuger ni
+dans un sens ni dans l'autre; nous n'avons pas le droit
+de donner nos désirs pour les volontés mêmes de la Providence.
+(<i>Vive sensation.</i>)</p>
+
+<p>Il y a d'ailleurs des occasions où la réserve, la prudence
+sont particulièrement imposées. Je ne vous redirai pas tout ce
+que vous venez d'entendre à cette tribune sur l'histoire de la
+malheureuse Pologne, sur ses tentatives continuelles et
+d'organisation politique et d'affranchissement territorial,
+tentatives qui ont toujours échoué, comme celles pour l'unité
+de l'Italie. Il y a des causes à un tel fait; je ne les rechercherai
+pas; je ne prétends pas dire que le fait soit incorrigible;
+mais je dis que c'était une raison d'apporter dans la
+politique, à l'égard de la Pologne, une réserve toute particulière.
+La nécessité de cette réserve s'est fait sentir même
+en Pologne, parmi les insurgés, les nobles insurgés qui
+s'étaient saisis du gouvernement. Voyez ce qui s'est passé à
+Varsovie, autant du moins que nous pouvons le connaître;
+n'est-il pas évident que deux partis existaient au sein de cette
+révolution, un parti modéré, prudent, réservé, qui ne voulait
+pas se fermer toutes les portes, qui ne voulait pas condamner
+irrévocablement son pays à la nécessité d'un plein
+succès. Le général Chlopicki, le général Skrinezcki, une
+grande partie du gouvernement provisoire, le prince Czartorinski,
+appartenaient au parti modéré; ils ont été poussés
+jusqu'aux dernières extrémités par un autre parti, par un
+parti auquel je ne veux faire aucun reproche, il n'est pas
+permis d'en faire à une noble cause, à des braves qui ont
+succombé malheureusement; mais je dis qu'il y a eu là un
+parti violent, imprudent, qui a voulu ne laisser aucune ressource
+et mettre son pays dans la nécessité de vaincre l'empire
+russe ou de périr.</p>
+
+<p>Messieurs, entre ces deux partis, le langage, la conduite,
+les actes de l'opposition en France ont favorisé le parti violent
+au détriment du parti raisonnable. Je n'ai aucune correspondance,
+mais il n'est pas besoin de lire des lettres ni
+d'écouter des conversations; si je juge par ce qui s'imprime,
+par ce qui se dit sur la place publique, je vois que la
+conduite de l'opposition a eu pour résultat d'affaiblir le parti
+qui voulait se réserver une ressource, et de fomenter le
+parti violent, le parti qui voulait pousser tout aux dernières
+extrémités. Je n'impute ce résultat à personne, pas même
+au parti violent de la Pologne, mais il est certain que cette
+politique n'a pas réussi. (<i>Sensation.</i>) Je sais, je le répète,
+que de telles choses sont douloureuses à dire; je ne pense
+pas qu'il y ait dans cette Chambre quelqu'un qui éprouve à
+les entendre plus de peine que moi à les dire; mais je
+suis convaincu que notre premier devoir à cette tribune,
+c'est de dire tout ce que nous croyons commandé par
+l'intérêt de notre pays et par la vérité. Eh bien! j'affirme
+que, selon ma conscience, la politique de l'opposition
+s'est complètement trompée dans les quatre pays que je
+viens de parcourir, et qu'elle a radicalement nui au succès
+des tentatives qui y ont été faites en faveur de la liberté.
+(<i>Marques d'adhésion aux centres.</i>)</p>
+
+<p>Messieurs, je crois que l'opposition se trompe fondamentalement
+sur l'état actuel de l'Europe; elle oublie que
+la question révolutionnaire, la crainte, la terreur, légitime
+ou illégitime, des révolutions domine l'Europe, préoccupe
+tous les esprits, et que, dans toutes les tentatives, soit d'améliorations
+intérieures, soit de nouvelles combinaisons
+territoriales qui peuvent être indispensables à l'Europe,
+rien n'est bon, rien n'est possible, tant que la question
+révolutionnaire sera dans cet état flagrant, dans cet état
+d'irritation dont l'Europe tout entière est saisie. (<i>Très-bien!</i>)</p>
+
+<p>Tout à l'heure l'honorable général Lafayette vous disait
+que le général Washington n'avait pas refusé de secourir la
+France au moment de l'explosion de la guerre entre la France
+et le reste de l'Europe, que c'était à l'occasion d'un traité
+conclu avec l'Angleterre que la politique de Washington
+s'était développée. Je me permettrai de rappeler à l'honorable
+général qu'il y a là erreur; lorsque la guerre a
+éclaté entre la France et l'Europe à l'occasion de la révolution,
+à l'instant même où cette guerre a été apprise en Amérique,
+avant qu'il fût question du traité avec l'Angleterre,
+Washington écrivit à tous ses ministres:</p>
+
+<p>«La guerre ayant éclaté entre la France et la Grande-Bretagne,
+le gouvernement des États-Unis doit employer
+tous les moyens qui sont en son pouvoir pour faire observer
+une stricte neutralité, et empêcher que les citoyens de ces
+États ne les compromettent vis-à-vis de l'une ou l'autre
+de ces puissances.</p>
+
+<p>«Je vous invite à prendre ce sujet en considération, afin
+qu'on puisse adopter, sans délai, les mesures les plus propres
+à nous faire parvenir à ce but si désirable, car on a rapporté
+qu'on armait déjà en course dans nos ports. Avisons à ce
+que des événements qu'il ne nous est pas possible de prévoir ni
+d'arrêter n'aient pas de fâcheuses conséquences pour nous.»</p>
+
+<p>D'après cette lettre, des mesures furent prises par les
+différents ministres des États-Unis, non-seulement pour maintenir
+la neutralité, mais pour empêcher les citoyens des Etats-Unis,
+soit d'aller prendre service eux-mêmes chez une des
+puissances belligérantes, soit de lui porter des secours en
+armes ou de toute espèce.</p>
+
+<p>Les actes qui constatent ces mesures existent dans les documents
+historiques de l'époque. Une lutte s'établit à ce
+sujet entre le parti démocratique et le parti fédéraliste, dont
+Washington passait pour être le chef. Je ne pense pas que
+Washington fût le chef d'aucun parti; je crois qu'il agissait
+dans l'intérêt bien entendu de son pays. Quoi qu'il en soit,
+lorsque la République française envoya aux États-Unis son
+ministre, ce ministre contracta avec le parti de l'opposition
+américaine des relations fort étroites, et engagea, contre le
+gouvernement des États-Unis, dont Washington était président
+et Jefferson ministre du département d'État, une
+lutte vive, essayant d'exciter l'opposition et de fomenter
+des divisions, des troubles aux États-Unis. Par suite de
+cette lutte, Washington, d'après un mémoire rédigé par
+Jefferson lui-même, qui appartenait au parti démocratique,
+demanda le rappel du ministre français. Voici les termes
+du message adressé, le 5 décembre 1793, par le président
+des États-Unis aux deux Chambres:</p>
+
+<p>«C'est avec un déplaisir extrême que je me vois forcé de
+déclarer que le ministre qui est chargé de représenter ici la
+France ne paraît pas partager les dispositions amicales de
+la puissance qui l'avait député vers nous. Ses actes tendent
+à attirer les malheurs de la guerre sur notre pays, à semer
+la division parmi nous, et à nous plonger dans l'anarchie.</p>
+
+<p>«Lorsque ses entreprises ou celles de ses agents ont eu
+pour objet de nous forcer à prendre part aux hostilités, ou
+qu'elles ont été des violations faites à nos lois, elles ont été
+arrêtées par le cours ordinaire de la justice et par l'exercice
+des pouvoirs qui me sont confiés.</p>
+
+<p>«Tant que le danger n'a pas été imminent, je les ai tolérées,
+par égard pour la nation que représente cet envoyé; mais
+j'ai respecté les traités et je les ai exécutés, selon ce que j'ai
+cru être leur véritable sens. J'ai donné à la France tous les
+témoignages d'amitié que sa position pouvait lui faire attendre
+de nous et qui étaient compatibles avec ce que nous
+devons aux autres puissances.»</p>
+
+<p>Voilà, dans des circonstances un peu analogues aux
+nôtres, quels ont été la conduite et le langage du gouvernement
+des États-Unis. Je dis que, dans l'état actuel de
+l'Europe, la même conduite, le même langage étaient imposés
+à la France, bien plus étroitement qu'à Washington, car
+le danger était infiniment plus grand; je dis que le gouvernement
+français a été, pour la Pologne, beaucoup plus loin que
+le gouvernement des États-Unis pour la France; je dis qu'il
+a montré une bienveillance beaucoup plus marquée, qu'il
+s'est beaucoup plus compromis dans cette cause que ne l'avait
+fait Washington pour la République française.</p>
+
+<p>Messieurs, je le répète, la question révolutionnaire qui
+domine aujourd'hui en Europe commande à notre patrie
+une politique de réserve et de prudence; elle est facile,... je
+me trompe, tout est difficile en ce monde, mais enfin on
+peut la tenir sans compromettre en rien les intérêts de notre
+pays.</p>
+
+<p>On parle sans cesse de la lutte qui existe aujourd'hui
+en Europe entre le pouvoir absolu et la liberté, entre
+le régime despotique et le régime constitutionnel. Cela
+est vrai; cette lutte existe, elle a eu déjà d'heureux résultats,
+elle en aura de plus grands encore, je l'espère.
+Mais il y a une autre lutte qui existe à côté. C'est la lutte de
+l'ordre contre l'anarchie, de l'esprit antisocial contre l'esprit
+social, la lutte des principes, des intérêts, des passions
+désorganisatrices contre les principes, les intérêts, les passions
+conservatrices. Ces deux luttes sont simultanées
+aujourd'hui en Europe, se mêlent et se confondent souvent.
+Eh bien! par une de ces bonnes fortunes qui arrivent rarement
+dans la vie des peuples, la France est admirablement
+placée pour se mettre à la tête des deux bonnes causes; la
+France est vouée aujourd'hui, par l'origine de son gouvernement,
+par ses institutions, par ses sentiments, par ses
+moeurs, à la cause constitutionnelle, à la cause de la liberté
+légitime, et, en même temps, comme sa révolution est accomplie,
+comme elle n'a plus de véritable intérêt révolutionnaire,
+comme elle a besoin d'ordre autant que de liberté, la France
+est naturellement appelée à se porter le patron de la cause
+de l'ordre, tout aussi bien que de la cause de la liberté.
+(<i>Adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Messieurs, le seul obstacle que la France rencontre dans
+l'accomplissement de cette double mission, ce qui la gêne
+et lui nuit le plus, c'est la politique que je viens d'attaquer,
+c'est le parti dont je viens d'examiner la conduite dans tout
+ce qui s'est passé en Europe depuis quatorze mois. Il y a du
+bien et du mal dans ce parti; il y en a dans toutes les choses
+humaines; mais je n'hésite pas à dire qu'aujourd'hui, tel
+qu'il est, le mal y domine; qu'il est lié à la cause des mauvaises
+passions, des mauvais sentiments, des mauvais intérêts,
+plus qu'à la cause de la liberté et de l'ordre. (<i>Adhésion
+aux centres.</i>)</p>
+
+<p>Voilà pourquoi son influence est si constamment fatale;
+voilà pourquoi elle a été fatale à l'Espagne, fatale à la Belgique,
+fatale à l'Italie, fatale à la Pologne, autant qu'elle a pu
+influer.... (<i>Interruption à gauche.</i>)</p>
+
+<p>Messieurs, que les peuples étrangers le sachent bien; je ne
+peux porter ici que l'expression d'une conviction personnelle,
+mais je l'apporte entière; que les peuples étrangers le
+sachent bien: de ce parti-là ne leur viendra ni l'affranchissement,
+ni la liberté, ni tout ce qui les garantit; le parti
+leur promet ce qu'il ne peut pas leur donner; il les flatte et
+il les perd. (<i>Adhésion prolongée aux centres.</i>)</p>
+
+<p><span class="sc">M. Odilon Barrot.</span>--Lorsqu'on annonce hautement qu'on
+attaque l'opposition sur ses intentions, on s'impose......</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je demande la parole.... Je n'ai accusé les
+intentions de personne.</p>
+
+<p><i>A droite et à gauche.</i>--Si fait, vous avez dit les intentions.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Non, je n'en ai pas parlé.</p>
+
+<p><i>Plusieurs voix aux centres.</i>--Non, non.</p>
+
+<p><i>A droite et à gauche.</i>--Il l'a dit. (<i>Vives dénégations aux centres,
+oh! c'est trop fort, à l'ordre, à l'ordre!</i>)</p>
+
+<p><i>M. le président.</i>--Veuillez écouter, l'orateur va s'expliquer.</p>
+
+<p><i>Un membre de la 2<sup>e</sup> section de droite.</i>--Nous n'avons pas été
+envoyés ici par nos commettants pour faire assaut de force
+de poumons.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Veuillez m'écouter.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Laffitte.</span>--On vous a écouté sans vous interrompre un
+seul instant, et tout le monde a entendu les mêmes paroles.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je le répète, j'ai dit que j'attaquais le parti,
+mais je n'ai pas dit que j'attaquais les intentions (<i>Si fait!
+Si fait!... Non, non!</i>)</p>
+
+<p><span class="sc">M. Sans</span>, <i>au milieu du bruit.</i>--Nous avons d'aussi bonnes
+intentions que vous autres. Nos intentions sont sacrées.</p>
+
+<p><i>M. le président.</i>--M. Guizot n'a pas parlé d'intentions.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Laffitte.</span>--J'en atteste le <i>Moniteur</i> et la <i>Sténographie</i>.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Depuis que j'ai l'honneur de siéger dans
+cette Chambre, je n'ai jamais inculpé les intentions de personne.
+Je prie ceux de mes honorables collègues qui ont le
+souvenir de ce que j'ai pu dire à cette tribune, de se rappeler
+que j'ai toujours professé pour les intentions de tous le
+plus profond respect. Peut-être les analogies que peuvent
+avoir quelques paroles ont donné lieu à cette méprise. J'ai
+attaqué le système, les actes, la conduite.</p>
+
+<p><i>A droite et à gauche avec force.</i>--Et les intentions.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Cela n'est pas possible. De même que l'opposition,
+avec ses paroles et ses moyens d'influence, peut attaquer
+le ministère, il est juste que les membres qui appuient
+ses actes aient aussi le droit d'attaquer les actes de l'opposition;
+mais je n'ai jamais dit les intentions.</p>
+
+<p><i>Les mêmes membres.</i>--Si, si, vous l'avez dit.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Sans</span>, <i>avec force.</i>--Vous avez parlé d'intentions, vous
+l'avez dit d'une manière très-solennelle.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je n'ai aucun souvenir d'avoir prononcé le
+mot <i>intention</i>; si je l'ai dit (<i>oui, oui!</i>) je le désavoue. (<i>Marques
+de satisfaction.</i>)</p>
+<hr>
+<p class="mid">--Séance du 21 septembre 1831.--</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, je n'abuserai pas des moments
+de la Chambre; je ne rentrerai pas dans la discussion générale,
+je parlerai uniquement des faits qui me sont personnels,
+et j'en parlerai avec d'autant plus de modération qu'ils me
+sont personnels. Il peut m'arriver de traiter vivement des
+questions générales, d'attaquer vivement les sentiments, la
+conduite; mais je regarde la modération comme un devoir
+strict, toutes les fois qu'il s'agit des personnes. La Chambre
+me fera l'honneur de croire que je ne sortirai jamais des bornes
+de la plus rigoureuse mesure.</p>
+
+<p>J'ai besoin cependant de m'expliquer sur un fait. On a
+blâmé la conduite du cabinet dont j'avais l'honneur de faire
+partie, à l'égard des réfugiés espagnols. Je remercie l'orateur
+d'avoir rappelé un fait qu'il est bon d'éclairer immédiatement,
+comme tous ceux qui peuvent intéresser notre
+situation.</p>
+
+<p>Après la révolution de Juillet, les réfugiés espagnols qui
+se trouvaient en France, et ceux qui y accouraient des autres
+pays, particulièrement de l'Angleterre, conçurent le projet
+de tenter un mouvement sur les frontières de leur pays.
+L'idée était simple et naturelle; elle vint à un grand nombre
+de ces malheureux proscrits.</p>
+
+<p>Je m'étonne d'être démenti lorsque je dis qu'ils ont été
+encouragés par un grand nombre de personnes qui appartiennent
+aujourd'hui à l'opposition. Je le répète, je serais
+étonné d'être démenti, car ces mêmes personnes, à cette
+époque, se faisaient gloire de soutenir et d'encourager ces
+réfugiés, et tous les journaux, organes de leur opinion, soutenaient
+et encourageaient, comme eux, cette entreprise. Je
+m'étonne donc, je le répète une troisième fois, de voir démentir,
+désavouer, ou du moins rétracter à moitié, aujourd'hui,
+ce qu'on faisait hautement alors.</p>
+
+<p>Cela étant, quelle était la situation du gouvernement?
+Le fait avait pour lui, comme gouvernement, des inconvénients
+graves; c'était évidemment un grand embarras,
+une grande complication. Donc l'intérêt du gouvernement
+n'était rien moins que d'encourager cette entreprise.</p>
+
+<p>Que devait-il faire? Il prit la résolution de se renfermer
+dans les lois de la liberté stricte, dans les lois françaises, de
+traiter les réfugiés espagnols, dans tous leurs mouvements
+sur le territoire français, comme des Français, de leur
+accorder toute la liberté, tous les droits dont jouissent les
+Français: rien de moins, rien de plus.</p>
+
+<p>C'est à ce titre que, quand ils ont voulu se promener sur
+le territoire français, des passe-ports leur ont été délivrés
+comme à tous les citoyens; ils ont pu se rendre à Bayonne,
+à Perpignan ou en tous autres lieux. Bien plus, comme un
+certain nombre d'entre eux se présentaient comme voyageurs
+pauvres, sans ressources, et demandaient des passe-ports
+d'indigents, on ne les leur a pas refusés, on leur a délivré
+des passe-ports d'indigents avec le secours, je crois, de trois
+sous par lieue.</p>
+
+<p>Voilà exactement les faits, voilà la liberté que le gouvernement
+a laissée aux réfugiés espagnols; en cela, il accomplissait
+rigoureusement les lois du pays, et il évitait de se
+mettre en conflit avec un État voisin dans un moment difficile;
+conflit inévitable s'il eût suivi les conseils des personnes
+dont je parle, qui accusaient tous les jours le gouvernement
+de ne pas faire davantage.</p>
+
+<p>Le gouvernement espagnol, informé qu'un grand nombre
+de ces réfugiés arrivaient sur la frontière et faisaient des
+rassemblements, réclama auprès du cabinet français.</p>
+
+<p>Le cabinet resta toujours dans les règles de la politique
+légale et constitutionnelle; il reconnut qu'il avait des devoirs
+envers le gouvernement espagnol, comme envers les hommes
+qui vivaient sur son territoire. Il donna des ordres
+à toutes les autorités sur les frontières espagnoles, de
+faire disperser les rassemblements qui se formaient, s'ils devenaient
+nombreux au point de justifier les inquiétudes du
+gouvernement espagnol, de les désarmer, s'il y avait lieu, de
+leur ordonner de rentrer dans l'intérieur du pays.</p>
+
+<p>Ces ordres ont été donnés à diverses reprises par le télégraphe,
+à toutes les autorités des frontières espagnoles. Ils
+ont été exécutés aussi à diverses reprises.</p>
+
+<p>Le cabinet crut ainsi concilier ce qu'il devait à la liberté
+des hommes qui étaient sur son territoire, à son propre désir
+de ne pas compliquer sa position en établissant un conflit
+avec le gouvernement espagnol, et en même temps ce qu'il
+devait à ce gouvernement et à la bonne intelligence qui devait
+régner entre lui et nous.</p>
+
+<p>Je rappelle les faits exactement; si on vient les contester,
+je suis prêt à répondre. Je n'ai pas la moindre intention
+d'animer davantage les débats. C'est, à vrai dire, le seul fait
+personnel dont il ait été parlé. Cependant, il en est un autre
+sur lequel il m'est impossible de garder le silence.</p>
+
+<p>M. Mauguin, en combattant ce que j'avais eu l'honneur
+de vous dire sur les causes des malheurs de la Belgique et
+de la Pologne, et sur les partis qui agitaient ces deux pays,
+vous a dit que, de ces deux partis, l'un était modéré, il est
+vrai, prudent, mais disposé à accepter une restauration orangiste
+à Bruxelles, et russe à Varsovie. Il a posé la question,
+dans l'un et l'autre pays, entre le parti faible, disposé à
+accueillir de nouvelles restaurations, et le parti énergique,
+national, décidé à mourir plutôt que d'accueillir une restauration
+nouvelle.</p>
+
+<p>Messieurs, je n'accepte pas des questions ainsi posées. Il
+n'est pas vrai qu'à Bruxelles, le régent élu par le congrès
+fût prêt à accueillir une restauration orangiste. C'était entre
+le congrès et le club de Bruxelles qu'était la question,
+nullement entre le parti orangiste et le parti national. Est-ce
+que par hasard le congrès de Bruxelles et le régent
+n'avaient pas été du parti national? Est-ce qu'ils étaient
+orangistes? C'est entre eux et le club que la lutte s'est passée;
+c'est au club que les émissaires de Paris allaient offrir un
+appui à Bruxelles. Non, la lutte était entre le vrai parti national,
+c'est-à-dire celui qui comprenait le besoin d'ordre,
+les conditions de gouvernement, et un parti disposé à l'anarchie.
+Voilà quels ont été les adversaires du véritable parti
+national.</p>
+
+<p>A Varsovie, la division était entre le général Chlopicki, le
+général Skrinezcki, le gouvernement provisoire et le club de
+Varsovie. Est-ce encore ici la lutte entre le parti qui voulait
+la restauration russe et le parti national? Mais c'est une
+injure que de qualifier de la sorte ces deux braves généraux:
+ils ont été les soutiens du parti national, ils ont été la tête
+et les bras de la Pologne. Non, ils ne voulaient pas une restauration
+russe, mais ils avaient le bon sens de comprendre
+qu'entre la Pologne et la Russie la lutte était inégale,
+et que, dans cette grossière inégalité, il aurait peut-être
+été utile au pays de se réserver une chance, quelques moyens
+de traiter.</p>
+
+<p>Comment, messieurs, on demande à la Pologne de prendre,
+vis-à-vis de la Russie, l'attitude que nous avons prise envers
+la branche aînée de la maison de Bourbon! Comment,
+parce que nous avons pensé qu'il n'y avait pas de porte à
+laisser ouverte après la révolution de Juillet, qu'elle était
+irrévocable, que l'expulsion de la branche aînée de la
+maison de Bourbon était définitive, on veut assimiler la
+situation des malheureux Polonais à la nôtre! On veut
+qu'ils fussent aussi déterminés que nous, et qu'ils ne se laissassent
+auprès des Russes aucune chance de conciliation,
+comme nous auprès de Charles X! C'est une injure au bon
+sens, c'est demander à des hommes ce qu'il eût été insensé
+de faire.</p>
+
+<p>Mais pourquoi M. Mauguin a-t-il posé ainsi la question, à
+Bruxelles et à Varsovie? C'est pour pouvoir la poser de même
+à Paris, pour pouvoir dire qu'à Paris la question était entre
+un parti disposé à accueillir une troisième restauration,
+un parti dévoué à une <i>quasi</i>-restauration, en attendant une
+restauration entière, et le parti national.</p>
+
+<p>Il n'est pas plus vrai à Paris qu'à Bruxelles et à Varsovie
+que la question soit entre un tel parti et le parti national.</p>
+
+<p>J'affirme que, dans cette Chambre, aucun des membres
+dont j'ai l'honneur d'être connu ne pense que je sois disposé
+à accueillir une troisième restauration. (<i>Non, non, non!</i>) Je
+vous remercie, messieurs, de votre assentiment; je suis
+convaincu que, sur les bancs où le même assentiment ne
+m'est pas donné, il n'est pas une personne qui, en conscience,
+me croie disposé à accueillir une troisième restauration.</p>
+
+<p>Il n'y a donc personne qui songe à une troisième restauration;
+la question n'est pas là: elle est, comme je l'ai déjà
+dit, entre les hommes qui croient que, pour féconder la révolution
+de Juillet, pour la rendre aussi salutaire au pays dans
+son développement qu'elle l'a été dans son origine, il faut
+se rattacher promptement à des principes d'ordre, à de
+fortes conditions de gouvernement et de société dont on
+s'est momentanément écarté par la nécessité des temps, au
+moment de la révolution de Juillet, et l'opposition qui ne
+pense qu'à continuer et à propager la révolution.</p>
+
+<p>Messieurs, on ne fonde pas un gouvernement, on ne gouverne
+pas une société par les mêmes principes, les mêmes
+moyens, les mêmes sentiments par lesquels on fait des révolutions.
+Ce sont là deux choses complétement différentes.
+Quand une nécessité révolutionnaire surgit au milieu
+d'une société, on fait appel aux passions, à la force matérielle,
+au suffrage universel. On a raison, il le faut, c'est
+le seul moyen de sauver le pays. Mais quand le pays est
+sauvé, quand le danger est passé, quand la révolution est consommée,
+les hommes de sens, les patriotes véritables se
+hâtent de rappeler l'ordre et le calme. Ne vous y trompez
+pas, l'ordre, c'est la vie des sociétés; le désordre est leur
+mort.</p>
+
+<p>La question est donc, ici comme à Bruxelles et à Varsovie,
+entre ceux qui croient que l'ordre est une condition de
+l'existence sociale et ceux qui ne le comprennent pas.</p>
+
+<p>La question est d'autant plus mal posée ainsi à Paris, que
+notre révolution est faite et qu'elle est maintenant hors de
+danger. Je comprends quelles peuvent être les alarmes
+populaires, les égards qu'on leur doit, et ce qu'il faut faire
+pour les calmer; mais je dis que la révolution de Juillet
+est assurée, qu'elle n'a rien à craindre de ses adversaires,
+et tout au contraire de ses amis insensés, dont, au
+surplus, la plus grande partie, tous les jours, se rattachent
+au gouvernement.</p>
+<hr>
+<p class="mid">--Séance du 26 octobre 1831.--</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je demande la parole pour un fait personnel.</p>
+
+<p>Messieurs, je ne viens pas prendre part à la discussion qui
+occupe la Chambre. C'est pour un fait personnel que j'ai
+demandé la parole, et je m'y renfermerai, du moins en ce
+moment.</p>
+
+<p>Je croyais avoir déjà donné à la Chambre, à l'égard de
+ce fait, des explications satisfaisantes. Je ne puis, dans ce
+moment, les répéter toutes, mais j'y ajouterai quelques
+détails.</p>
+
+<p>Immédiatement après la révolution de Juillet, un projet fut
+formé, au vu et su de tout le monde, parmi les constitutionnels
+espagnols réfugiés en France et en Angleterre, le projet
+de tenter un mouvement dans leur patrie. Le gouvernement
+français n'avait aucun intérêt à y prêter secours; mais un
+grand nombre de personnes qui, si je me permettais de les
+interpeller, ne me démentiraient pas, un grand nombre de
+personnes pressaient vivement le gouvernement, non-seulement
+de laisser toute liberté aux constitutionnels espagnols,
+mais de leur prêter son appui, un appui positif, renouvelé
+tous les jours. C'étaient des personnes qui allaient à la préfecture
+de police demander qu'on accordât des passe-ports
+pour les Espagnols qui voulaient se rendre sur la frontière
+de leur pays.</p>
+
+<p>Qu'avait à faire le gouvernement dans cette situation? Son
+embarras était grand; il ne voulait ni avouer, ni favoriser,
+ni appuyer l'insurrection qui se préparait sur la frontière
+espagnole. D'un autre côté, il ne devait pas refuser, à des
+hommes qui se trouvaient sur son territoire, la libre circulation
+dans le royaume.</p>
+
+<p>Dans cette position, pressé tous les jours, je le répète, par
+les personnes dont j'ai eu l'honneur de parler et qui ne me
+démentiront pas, le gouvernement prit la résolution de
+donner aux réfugiés des passe-ports, des passe-ports même
+collectifs, comme on en donne souvent aux voyageurs....., et
+d'adjoindre à ces passe-ports les secours de route qui s'accordent
+aux voyageurs indigents. Il est vrai qu'un grand nombre
+de ces passe-ports ont été collectifs; il est également vrai que
+le gouvernement français n'ignorait pas et ne pouvait pas
+ignorer ce que voulaient tenter les réfugiés qui se rendaient
+sur la frontière espagnole: il n'a jamais prétendu l'ignorer.
+Il a fait ce qu'il ne devait pas refuser à la liberté des réfugiés,
+dans un moment de crise comme celui où il se trouvait, ce
+qu'il ne pouvait refuser aux sollicitations pressantes de personnes
+qui avaient, à cette époque, et devaient avoir un véritable
+crédit sur les résolutions du gouvernement.</p>
+
+<p>Le gouvernement n'a rien fait de plus, et dès que le cabinet
+espagnol a réclamé contre les rassemblements qui se
+formaient sur la frontière, nous avons donné ordre de les
+disperser et de faire rentrer les réfugiés dans l'intérieur.</p>
+
+<p>Qu'il me soit permis de lire à la Chambre la copie de la
+lettre qu'à cette époque j'ai adressée, comme ministre de
+l'intérieur, aux préfets de la frontière d'Espagne; la Chambre
+jugera si elle n'est pas entièrement conforme aux
+principes que je viens de lui indiquer.</p>
+
+<p>Voici cette lettre:</p>
+
+<p>«J'approuve pleinement, monsieur le préfet, votre conduite
+envers les réfugiés espagnols qui sont rentrés sur notre territoire.
+Vous les avez engagés à s'éloigner de la frontière, et
+vous avez pris soin d'éviter, envers eux, toute mesure coercitive
+et dure. C'est bien là ce que vous imposaient, d'une
+part, le droit des gens, de l'autre, le respect du malheur. La
+France est et désire rester en paix avec ses voisins, notamment
+avec l'Espagne; une exacte et sincère neutralité en est
+la condition. Vous l'avez observée. Mais en même temps,
+il est naturel, il est juste de témoigner à de malheureux
+proscrits l'estime qu'inspire leur courage et la sympathie
+que commande leur infortune. J'ai mis sous les yeux du Roi,
+dans son conseil, la lettre qu'ils lui ont adressée, et que vous
+m'avez fait passer. Sa Majesté a résolu de prendre des mesures
+nécessaires pour leur assurer, dans l'intérieur de la
+France, une hospitalité tranquille et les secours dont ils ont
+besoin. Les départements où ils devront habiter de préférence
+seront désignés, et ils y recevront, eux et leurs familles,
+ce qu'aura réglé la bienveillance du Roi, à charge seulement
+de ne pas s'en éloigner sans l'aveu de l'autorité. Informez-les,
+monsieur le préfet, de cette résolution, qui sera incessamment
+exécutée. Le Roi désire que sa protection non-seulement
+les soulage, mais les console autant qu'il est en son pouvoir,
+et je m'estime heureux d'être chargé de leur en transmettre
+l'assurance.</p>
+
+<p>«Recevez, etc,<br>
+
+<span class="rig">«<span class="sc">Guizot.</span>»</span></p><br><br>
+
+<p><span class="sc">M. Mauguin.</span>--Et la date?</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--La date est du 13 octobre 1830.</p>
+
+<p>Voilà, messieurs, la lettre que j'écrivais, comme ministre
+de l'intérieur, aux préfets des frontières d'Espagne. Cette
+conduite envers les réfugiés espagnols n'est-elle pas exactement
+conforme aux principes de gouvernement professés
+dans le projet de loi qui vous est soumis? Des secours ont été
+promis aux réfugiés; un vif intérêt a été témoigné pour leur
+malheur, et ces secours leur ont été promis, non comme droit,
+mais à titre de bienfait. En même temps, on leur a annoncé
+que les lieux où ils devraient résider de préférence
+seraient désignés, et qu'ils ne pourraient s'éloigner de ces
+lieux sans l'autorisation de l'autorité.</p>
+
+<p>On ne peut donc trouver rien de nouveau, à l'égard des
+réfugiés, dans le projet de loi qui vous est présenté; c'est
+la mesure annoncée quand ils étaient encore sur la frontière
+d'Espagne. Il n'y a ni innovation ni dureté dans cette
+mesure; elle n'est que la continuation de celle que prescrivait
+la lettre écrite au moment même où les événements
+s'accomplissaient.</p>
+
+<p>Sur ce point, je ne crois donc pas qu'il puisse y avoir de
+discussion aujourd'hui. Quant à la bonne foi dans la conduite
+du gouvernement, je crois qu'elle est évidente et qu'aucun
+des honorables membres n'osera le contester.</p>
+
+<p>Si j'en voulais la preuve, je la trouverais au besoin dans
+les journaux du temps, où le gouvernement, et moi en particulier,
+nous étions attaqués tous les jours parce que nous
+ne faisions pas tout ce qu'on demandait, parce que nous dispersions
+les rassemblements.</p>
+
+<p>A quoi servent des passe-ports? disait-on, n'ont-ils pas le
+droit d'en exiger? Le territoire français n'est-il pas libre
+pour tout le monde? On voulait que nous fissions davantage.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Mauguin.</span>--Et le désarmement?</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--J'y arrive. Quant au désarmement, le gouvernement
+l'a fait opérer parce qu'il ne pouvait consentir à
+se rendre complice des tentatives faites contre un gouvernement
+avec lequel nous étions en paix.</p>
+
+<p>Mais, dit-on, qui les a armés? Je ne sais; ce que j'affirme
+hautement, c'est que le cabinet était étranger à ces
+armements.</p>
+
+<p>Je crois savoir qu'ils achetaient ces armes ou que l'on en
+achetait pour eux; mais jamais le gouvernement ne leur en
+a fourni.</p>
+
+<p>Je dirai plus: il a dû les désarmer, sur les réclamations
+pressantes du gouvernement espagnol, parce que nous devions
+respecter le droit des gens.</p>
+
+<p>Telle a été, à cette époque, la conduite du cabinet français;
+je crois que la lettre que je viens de mettre tout à
+l'heure sous vos yeux n'a rien de contraire à ces principes.
+Ces principes sont les mêmes aujourd'hui. Je n'entre point
+pour le moment dans le point fondamental de la question;
+j'ai voulu seulement répéter les explications que j'avais déjà
+eu l'honneur de donner à la Chambre.</p>
+
+<a name="XXXIII" id="XXXIII"></a>
+<br><br>
+<h3>XXXIII</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du projet de loi relatif à la révision de l'article 23
+de la Charte, c'est-à-dire à l'institution de la pairie et à
+l'abolition de l'hérédité.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 5 octobre 1831.--</p>
+
+<p class="large">La Charte de 1830 avait laissé en suspens la question
+de l'hérédité de la pairie et des bases de l'institution de
+la Chambre des pairs. Le projet de loi destiné à résoudre
+cette question par l'abolition de l'hérédité fut présenté
+le 27 août 1831, par M. Casimir Périer, à la Chambre
+des députés. Le rapport en fut fait le 19 septembre
+1831, par M. Bérenger, député de la Drôme. Le débat
+s'ouvrit le 30 septembre et se prolongea jusqu'au 18 octobre.
+Je pris la parole le 5 octobre pour défendre le
+principe de l'hérédité de la pairie. Le projet de loi,
+adopté le 18 octobre par la Chambre des députés, à 386
+voix contre 40, et le 28 décembre par la Chambre des
+pairs, à 102 voix contre 68, fut promulgué comme
+loi le 29 décembre 1831.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, comme question de principe et
+d'organisation politique, le projet qui occupe la Chambre est
+grave sans doute; il l'est bien davantage, à mon avis, comme
+question de circonstance, d'intérêt actuel et immédiat, et le
+sort du présent en dépend encore plus que celui de l'avenir.</p>
+
+<p>Personne, j'ose le dire, n'a meilleure opinion que moi de
+mon pays et de ses destinées. Cependant, je vous le demande,
+y a-t-il aujourd'hui un homme sensé qui puisse porter ses
+regards sur notre situation et les relever satisfaits?</p>
+
+<p>L'anarchie va croissant autour de nous. (<i>Écoutez, écoutez!</i>)
+Dans les idées, elle est évidente. Pas une conviction
+générale et forte qui rallie les esprits, pas un pouvoir qui
+soit fermement respecté. Je n'irai pas chercher mes
+exemples bien loin.</p>
+
+<p>Cette Chambre, depuis le mois de juillet 1830, a été ardemment
+réclamée, impatiemment attendue; elle a été élue
+en vertu d'une loi nouvelle, conforme aux voeux généralement
+exprimés quand elle a été rendue. La Chambre arrive
+à peine: déjà son origine est incriminée, son droit contesté.
+Nous sommes, dit-on, en usurpation flagrante. Depuis 1830,
+tous les pouvoirs sont illégitimes; nous avons tous besoin
+d'aller mendier dans les assemblées primaires cette légitimité
+qui nous manque absolument.</p>
+
+<p>Et remarquez, messieurs, qu'à en juger du moins par les
+apparences, ce n'est pas là une idée isolée, hasardée, comme il
+en arrive dans les pays libres; presque tous les organes extérieurs
+de l'opposition ont accueilli et répété cette doctrine;
+elle n'a pas été désavouée, combattue par les principaux
+organes de l'opposition, même dans le sein de cette Chambre.</p>
+
+<p>Est-ce là, je le demande, est-ce là la situation régulière,
+constitutionnelle, du pouvoir dont nous faisons partie?</p>
+
+<p>La royauté nouvelle, messieurs, n'est pas mieux traitée
+que la Chambre nouvelle. Qu'elle ait des ennemis qui
+l'attaquent, rien de plus simple, c'est sa situation naturelle,
+inévitable; que carlistes, bonapartistes, républicains,
+veuillent la renverser, je le comprends, je ne m'en étonne
+en aucune façon. Mais ceux-là même qui ne sont pas ses
+ennemis, qui le déclarent hautement, quel langage tiennent-ils
+à son égard?</p>
+
+<p>Continuellement ils affectent de lui rappeler que son inviolabilité
+n'est qu'une fiction; d'autres fois, ils lui annoncent
+que, si elle n'adopte pas tel ou tel système de politique
+extérieure, tout lien est rompu avec elle. Ils la menacent
+sans cesse; ils la traitent comme on traite une royauté
+ennemie, la veille ou le jour même d'une révolution qui la
+renverse. A coup sûr, dans ces idées, dans ce langage, dans
+cette façon de considérer et de traiter les pouvoirs publics,
+il y a une grande, une déplorable anarchie. (<i>Mouvement.</i>)</p>
+
+<p>L'anarchie existe dans les faits extérieurs et matériels,
+comme dans les esprits, moindre, j'en conviens, mais très-réelle
+et pleine de péril. Vous voyez refuser l'impôt légalement
+voté; vous voyez refuser d'obéir à des lois qui ne sont pas
+abrogées; vous voyez des atteintes portées à la liberté de classes
+entières de citoyens; et, malgré lui, malgré sa noble et
+sincère résistance, le pouvoir manque de force pour réprimer
+de tels excès.</p>
+
+<p>Partout éclatent l'affaiblissement du pouvoir, l'arrogance
+et les prétentions illimitées des volontés individuelles.</p>
+
+<p>Est-ce là l'état régulier d'une société constituée?</p>
+
+<p>Est-ce que nous ignorons notre mal? Est-ce qu'il serait le
+résultat de quelques-unes de ces grandes et générales illusions
+qui s'emparent quelquefois de tout un peuple
+et le précipitent à son insu dans des voies pleines de
+périls? Il n'en est rien. Cela était en 1789; à cette
+époque, on marchait, on courait vers l'anarchie sans
+le savoir, on était plein d'illusions; il n'y en a plus. (<i>Sensation.</i>)</p>
+
+<p>Celle anarchie qui nous presse, nous la voyons tous.
+Beaucoup de gens le proclament tout haut, beaucoup le
+répètent tout bas; beaucoup, et c'est le plus grand nombre,
+se taisent, et ne sont pas les moins inquiets. Partout, dans
+toutes les classes, dans tous les rangs, on voit l'anarchie qui
+nous envahit; on la voit, on la déplore, on n'y résiste pas.</p>
+
+<p>Que nous manque-t-il donc pour y résister? Nous avons
+pleine connaissance du mal, et à coup sûr pleine liberté de
+le combattre. Que nous manque-t-il donc?</p>
+
+<p>Ce qui nous manque, c'est un point d'arrêt, une force
+indépendante qui se sente naturellement appelée à dire au
+mouvement révolutionnaire, cause de toute cette anarchie:
+Tu iras jusque-là, et pas plus loin. (<i>Sensation.</i>)</p>
+
+<p>En soi-même, ce mouvement révolutionnaire n'est pas bien
+terrible; il est le résultat assez naturel de la révolution qui
+s'est accomplie. C'est un torrent qui ne tombe pas de bien
+haut, qui n'est pas bien rapide ni bien étendu. Cependant il
+coule, il nous emporte, et il nous emportera tant qu'il
+n'aura pas trouvé une digue qui le contienne, une force qui
+l'arrête.</p>
+
+<p>La royauté nouvelle, messieurs, je n'hésite pas à le dire,
+ne suffit pas seule pour cette tâche: elle est elle-même
+d'origine révolutionnaire. Nous sentons tous qu'elle a besoin
+d'appui, et nous lui en cherchons laborieusement pour
+qu'elle ait le temps de s'établir, de s'enraciner dans notre sol
+et puisse rendre alors tous les services que nous en attendons.
+Mais aujourd'hui, le point d'arrêt dont nous avons besoin,
+elle n'est pas en état de nous le fournir.</p>
+
+<p>Nous-mêmes, messieurs, dans cette Chambre où nous
+siégeons, nous ne suffisons pas seuls à cette tâche.</p>
+
+<p>L'élection, il faut bien le dire, puisque c'est là son but et
+sa nature, l'élection donne plus de puissance que d'indépendance.
+Notre puissance, messieurs, elle est immense! Tout
+est en question devant nous; tout est à faire par nous, tout
+est remis à notre volonté. On nous demande toute chose:
+on nous demande de poursuivre le mouvement de la révolution
+et de l'arrêter; on nous demande de tout renouveler et de
+tout consacrer; c'est à nous qu'on s'adresse pour toute
+chose. Nous avons l'air de posséder le souverain pouvoir:
+Eh bien! il nous écrase! (<i>Mouvement d'approbation aux
+centres.</i>) Nous succombons sous le fardeau.</p>
+
+<p>En 1789, en 1791, on était plus confiant; l'Assemblée
+constituante et la Convention se sont trouvées investies du
+pouvoir absolu: elles ont disposé de tout à leur volonté; elles
+ont cru qu'elles réussiraient à tout, elles se sont jetées avec
+une confiance téméraire dans cette entreprise. Elles ont
+échoué, nous le savons, et cette expérience nous a profité.
+Nous n'avons plus la confiance de cette époque; quand
+nous nous trouvons investis d'une puissance immense, il
+nous prend une sorte de terreur, nous sommes effrayés de
+nous-mêmes. De là cet embarras, cet abattement, cette
+espèce de mécompte qui existe dans cette Chambre et qui
+atteste sa raison et sa probité politique. La Chambre sent
+qu'elle ne peut suffire seule à la tâche qui pèse sur elle;
+et je n'hésite pas à le dire, la Chambre est effrayée de son
+pouvoir et de sa responsabilité. (Au centre: <i>Très-bien! très-bien!</i>)</p>
+
+<p>Je le répète donc; ce qui nous manque, ce que nous
+cherchons, ce que nous invoquons tous, c'est un point
+d'arrêt, une force alliée qui nous aide à contenir un mouvement
+désordonné, en même temps qu'à le satisfaire
+dans ses exigences légitimes. Eh bien! ce point d'arrêt,
+cette force alliée, nous l'avons à côté de nous, nous pouvons
+les trouver naturellement, sans efforts, dans un pouvoir constitutionnel
+indépendant, qui existe par lui-même, qui nous
+rendrait les services que nous en attendons. Eh bien! nous
+travaillons à le détruire, nous voulons lui enlever ce qui
+fait sa force, son indépendance, ce qui le rend propre à
+accomplir sa mission.</p>
+
+<p>Messieurs, permettez-moi de le dire, en vérité nous donnons
+au monde un étrange spectacle. (<i>Légère rumeur à
+gauche.</i>)</p>
+
+<p>Il faut bien que nous en ayons un peu le sentiment. Je
+n'en veux pour preuve que la façon dont nos adversaires eux-mêmes
+traitent la question. Ils ne contestent guère les avantages
+de l'hérédité; la plupart d'entre eux du moins n'abordent
+pas la question directement; ils n'examinent pas
+l'institution sous le rapport de son utilité, de son mérite
+pratique, dans ses rapports avec les besoins de notre état social.
+Ils la repoussent, permettez-moi de le dire, par une
+sorte de fin de non-recevoir, par des raisons préjudicielles.</p>
+
+<p>Tantôt on nous dit: il ne faut pas admettre l'hérédité de la
+pairie; elle est contraire aux principes de notre ordre social,
+c'est un privilége qui choque l'égalité. Ou bien on dit: on
+ne peut pas admettre l'hérédité, c'est une aristocratie;
+l'aristocratie est déchue, on ne peut pas la recréer. Ou bien
+encore: le pays ne veut pas de l'hérédité, et quand l'institution
+serait bonne, excellente, elle est repoussée par le
+voeu national.</p>
+
+<p>Ainsi, on ne doit pas, on ne peut pas, on ne veut pas;
+voilà ce que les adversaires de l'hérédité de la pairie nous
+opposent; ce sont toutes raisons préjudicielles qui ne sont
+pas prises dans le fond de la question, qui ne jugent pas l'institution
+en elle-même, son mérite ni son efficacité.</p>
+
+<p>Cependant, j'aborderai ces questions préjudicielles; je
+vous demande la permission de vous en dire mon avis.
+(<i>Marques d'attention.</i>)</p>
+
+<p>Messieurs, je n'apporte ici aucun dédain pour les principes;
+je ne viens point opposer, à l'orgueil de ce qu'on appelle
+la théorie, les dédains de ce qu'on appelle la pratique. L'intervention
+plus générale, plus active, plus efficace de l'esprit
+humain dans les affaires humaines est un des grands bienfaits
+de la civilisation moderne. Il faut l'accueillir et l'accepter
+pleinement; il n'y a point d'institution qui ne soit tenue de
+se légitimer aux yeux de la raison; mais les principes ne
+sont pas toujours ce qu'on croit, et surtout ils ne sont pas si
+nombreux, si étroits, si exclusifs que beaucoup le supposent.</p>
+
+<p>Par exemple, dans la question qui nous occupe, j'ai entendu
+beaucoup parler d'égalité; on l'a invoquée comme le
+principe fondamental de notre organisation politique. Je
+crains bien qu'il n'y ait là quelque grande méprise.</p>
+
+<p>Sans doute, il y a des droits universels, des droits égaux
+pour tous, des droits qui sont inhérents à l'humanité et dont
+aucune créature humaine ne peut être dépouillée sans iniquité
+et sans désordre. C'est l'honneur de la civilisation moderne
+d'avoir dégagé ces droits de cet amas de violences et
+de résultats de la force sous lequel ils avaient été longtemps
+enfouis, et de les avoir rendus à la lumière. C'est
+l'honneur de la Révolution française d'avoir proclamé et mis
+en pratique ce résultat de la civilisation moderne.</p>
+
+<p>Je n'entreprendrai pas ici l'énumération de ces droits universels,
+égaux pour tous; je veux dire seulement qu'à mon
+avis ils se résument dans ces deux-ci: le droit de ne subir,
+de la part de personne, une injustice quelconque, sans
+être protégé contre elle par la puissance publique; et ensuite
+le droit de disposer de son existence individuelle selon sa
+volonté et son intérêt, en tant que cela ne nuit pas à
+l'existence individuelle d'un autre.</p>
+
+<p>Voilà les droits personnels, universels, égaux pour tous.
+De là l'égalité dans l'ordre civil et dans l'ordre moral.</p>
+
+<p>Mais les droits politiques seraient-ils de cette nature?
+Messieurs, les droits politiques, ce sont des pouvoirs sociaux;
+un droit politique, c'est une portion du gouvernement: quiconque
+l'exerce décide non-seulement de ce qui le regarde
+personnellement, mais de ce qui regarde la société ou une
+portion de la société. Il ne s'agit donc pas là d'existence
+personnelle, de liberté individuelle; il ne s'agit pas de l'humanité
+en général, mais de la société, de son organisation,
+des moyens de son existence. De là suit que les droits politiques
+ne sont pas universels, égaux pour tous; ils sont spéciaux,
+limités, et je n'ai pas besoin de grandes preuves pour
+le démontrer. Consultez l'expérience du monde; de nombreuses
+classes d'individus, des femmes, des mineurs, des
+domestiques, la grande majorité des hommes sont partout
+privés des droits politiques; et non-seulement ceux-là en sont
+privés, mais des conditions, des garanties ont été partout et
+de tout temps attachées aux droits politiques comme preuve
+ou présomption de la capacité nécessaire pour les exercer
+dans l'intérêt de la société, qui est la sphère que ces droits
+concernent, et sur laquelle ils agissent.</p>
+
+<p>Bien loin donc que l'égalité soit le principe des droits politiques,
+c'est l'inégalité qui en est le principe; les droits
+politiques sont nécessairement inégaux, inégalement distribués.
+C'est là un fait qu'attestent et consacrent toutes les
+constitutions du monde. La limite de cette inégalité peut varier
+à l'infini; les droits politiques s'étendent ou se resserrent
+selon une multitude de circonstances différentes. Mais l'inégalité
+demeure toujours leur principe, et quiconque parle
+d'égalité en matière de droits politiques confond deux choses
+essentiellement distinctes et différentes: l'existence individuelle
+et l'existence sociale, l'ordre civil et l'ordre politique,
+la liberté et le gouvernement.</p>
+
+<p>En matière de liberté, il y a des droits universels, des
+droits égaux; en matière de gouvernement, il n'y a que des
+droits spéciaux, limités, inégaux. (<i>Marques d'adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Ce n'est pas comme contraire à l'égalité que l'hérédité peut
+être repoussée; car il n'y a en cela rien que de conforme,
+de rigoureusement conforme à la nature des droits politiques
+et à leur distribution, dans les pays les plus libres et au milieu
+de la civilisation la plus avancée.</p>
+
+<p>Mais une inégalité héréditaire des droits politiques, un
+pouvoir transmis par le seul fait de la naissance, ceci n'est-il
+pas contraire aux principes, n'y a-t-il pas là une véritable
+monstruosité?</p>
+
+<p>Je demande, messieurs, la permission de rappeler deux
+faits qui ont déjà été indiqués dans le cours de cette discussion,
+et sur lesquels je n'insisterai pas, mais qu'il me paraît
+nécessaire d'avoir toujours présents à l'esprit.</p>
+
+<p>Une inégalité héréditaire, des droits transmis par le seul
+fait de la naissance, c'est là un des fondements de la société
+civile; la transmission de la propriété n'est pas autre chose.
+Je sais bien que cette inégalité, cette transmission par droit
+de naissance est attaquée sur ce terrain-là. Aussi, je l'avoue,
+je n'en ai pas grand'peur. Je crois que la propriété est bonne
+pour se défendre, et qu'il y a des intérêts qui n'ont rien à
+craindre des plus strictes conséquences de la logique.</p>
+
+<p>Cependant je remarque le fait: c'est le principe de l'inégalité
+héréditaire et des droits transmis par le seul fait de la
+naissance, principe en vigueur dans l'ordre civil, qui est publiquement
+attaqué aujourd'hui dans l'ordre politique, tellement
+que le principe contraire est une religion. (<i>On rit.</i>)</p>
+
+<p>Je n'entends pas tirer, je le répète, de ce fait toutes les
+conséquences que je pourrais en tirer; je n'entends pas assimiler
+complétement la société politique à la société civile; je
+remarque seulement qu'il y a, dans un principe qu'on regarde
+comme monstrueux, le fondement non-seulement nécessaire,
+mais légitime, moral, seul possible de la société civile.</p>
+
+<p>J'entre dans l'ordre politique. Qu'est-ce que je trouve au
+sommet de l'ordre politique? La plus grande inégalité, l'hérédité,
+la transmission des plus grands droits politiques par
+le seul fait de la naissance, la royauté.</p>
+
+<p>Je n'entends pas assimiler la pairie à la royauté ni conclure
+nécessairement de l'une à l'autre; je dis seulement que
+là encore, dans l'ordre politique, je trouve le fait de l'inégalité,
+la transmission des droits par le seul fait de la naissance;
+et qu'à moins de qualifier votre gouvernement de monstrueux,
+vous n'avez pas le droit de dire que ce principe soit monstrueux.
+Je répète que je n'entends pas me prévaloir des conséquences
+que je pourrais tirer de là; ce que je demande
+aux adversaires de l'hérédité, c'est de ne pas se prévaloir
+d'un principe absolu, de ne pas repousser toute atteinte à
+ce principe comme contraire à la raison humaine.</p>
+
+<p>A présent, j'aborde la question en elle-même, en la dégageant
+de ses préliminaires.</p>
+
+<p>Je dis que, quant aux droits héréditaires en eux-mêmes,
+indépendamment des constitutions écrites, des organisations
+politiques faites de main d'homme, il y a des lois
+naturelles qui règlent les affaires de ce monde, il y a des
+principes primitifs, universels, qui gouvernent les sociétés.
+Les Italiens ont un proverbe qui dit: <i>Le monde va de lui-même</i>;
+et bien lui en prend, car s'il n'avait, pour aller, que
+les lois que les hommes prétendent lui donner, il se détraquerait
+plus souvent que cela ne lui arrive et pourrait même
+s'arrêter quelquefois tout à fait. Le monde va de lui-même; le
+monde va en vertu de certaines lois naturelles, de certains
+principes primitifs et universels, et grâce à Dieu, il n'est pas au
+pouvoir des hommes de l'empêcher d'aller.</p>
+
+<p>Eh bien! parmi ces principes, il y en a deux qui me frappent,
+comme les plus puissants, comme invincibles: l'hérédité
+et l'activité individuelle ou la personnalité. Par l'hérédité,
+chaque individu, chaque génération reçoit de ses prédécesseurs
+une certaine situation toute faite, une certaine
+existence déterminée; il la reçoit naturellement, nécessairement,
+par le seul fait de la naissance. Cela est vrai dans
+l'ordre moral comme dans l'ordre matériel. Les idées, les
+sentiments, les habitudes se transmettent comme les biens,
+comme la disposition physique, et il n'est au pouvoir d'aucun
+de nous de les répudier complétement.</p>
+
+<p>Après cette situation toute faite, ainsi reçue de ses prédécesseurs,
+chaque homme, chaque génération, en vertu de sa
+raison et de sa liberté, par sa propre force, modifie, change
+cette situation, cette existence, se fait soi-même à son tour,
+après avoir été fait par ses prédécesseurs. En sorte que nous
+sommes tous, et les générations et les individus, le résultat
+de deux éléments: l'un de tradition, qui est l'oeuvre des
+temps et des personnes qui nous ont précédés; l'autre de
+création, qui est notre propre ouvrage. (<i>Sensation.</i>)</p>
+
+<p>C'est l'alliance de ces deux principes, de ces deux éléments
+qui fait l'honneur et la supériorité du genre humain. C'est
+par la tradition, par l'hérédité que subsistent les familles,
+les peuples, l'histoire; sans tradition, sans hérédité, vous
+n'auriez rien de tout cela. C'est par l'activité personnelle
+des familles, des peuples, des individus que les conditions
+de l'hérédité changent; l'activité personnelle fait la perfectibilité
+du genre humain. C'est ce qui le distingue de toutes
+les autres créatures qui couvrent la terre; supprimez l'un de
+ces deux éléments, vous faites tomber le genre humain au
+rang des animaux. (<i>Sensation.</i>)</p>
+
+<p>Eh bien! c'est de la bonne combinaison de ces deux éléments
+dans de justes proportions que résulte la bonne
+organisation des sociétés. Si le principe de l'hérédité prévaut
+seul, s'il domine exclusivement, vous avez l'immobilité;
+c'est le régime des peuples de castes. Si c'est l'individualité
+qui domine presque seule, vous avez l'isolement, point de
+liens avec le passé, point d'avenir, une existence individuelle
+et isolée; c'est le régime des peuplades errantes, barbares,
+qui couvrent depuis longtemps le sol de l'Amérique.</p>
+
+<p>Je le répète: les deux principes de l'hérédité et de la personnalité
+sont naturels, nécessaires, légitimes; leurs combinaisons
+peuvent varier à l'infini: elles dépendent d'une
+multitude de causes. Ainsi, dans une société naissante et
+fort simple, le principe de l'hérédité tient peu de place;
+c'est celui de l'activité personnelle, de l'individualité qui
+domine. Dans une société ancienne, compliquée, le principe
+de l'hérédité occupe nécessairement une beaucoup
+plus grande place; il y a un plus grand nombre de traditions,
+par conséquent un champ moins libre laissé à l'activité
+individuelle.</p>
+
+<p>Ces combinaisons, je le répète, peuvent varier à l'infini;
+mais les deux principes sont également légitimes, naturels;
+vous ne pouvez exclure ni l'un ni l'autre de l'espèce humaine,
+et quand leurs parts sont mal faites, il y a de grands désordres
+dans la société.</p>
+
+<p>Que nous propose-t-on aujourd'hui? On nous propose de
+déclarer qu'il n'y a de pouvoir légitime que le pouvoir
+électif, c'est-à-dire le pouvoir qui dépend de la volonté
+humaine, qui est créé par la volonté humaine.</p>
+
+<p>C'est là la doctrine que l'on professe: c'est au nom de
+cette doctrine surtout qu'on proscrit l'hérédité de la pairie.</p>
+
+<p>Eh bien! je repousse complétement cette doctrine; je la repousse
+comme contraire aux faits généraux que je viens de
+vous exposer, et qui ne sont autre chose que l'histoire de l'humanité;
+je la repousse comme contraire aux faits les plus
+simples qui se passent au milieu de nous, dans toutes nos
+familles. Est-ce que tous les pouvoirs sont électifs? Est-ce
+que le pouvoir paternel est électif? N'avons-nous pas sous
+nos yeux des pouvoirs légitimes qui ne sont nullement électifs?
+(<i>Mouvements divers.</i>) J'insiste sur ce point: la doctrine qui
+consiste à dire qu'il n'y a de pouvoir légitime que le pouvoir
+électif, je la combats avec d'autant plus de raison que
+notre gouvernement repose sur le principe de la monarchie,
+c'est-à-dire sur la part faite, au nom de la raison publique,
+aux nécessités sociales, au principe de l'hérédité.</p>
+
+<p>Cette part est-elle suffisante? l'hérédité ne nous est-elle
+nécessaire que sur le trône et nulle part ailleurs? C'est
+là toute la question.</p>
+
+<p>Aucun principe ne nous gêne dans cette question; on n'a
+pas le droit de se prévaloir de je ne sais quelle illégitimité
+générale de l'hérédité, pour nous combattre et nous imposer
+des lois dans la question que nous traitons. L'hérédité
+est un des principes écrits dans la Charte du monde, et
+toutes les doctrines qui la repoussent absolument sont ignorantes,
+barbares et fausses. (<i>Mouvements en sens divers.</i>)</p>
+
+<p>Eh bien! messieurs, la question ainsi dégagée de tous les
+embarras qui tendaient, pour ainsi dire, à l'écraser, la
+question réduite à elle-même, la voici: Pour que la pairie
+remplisse sa destination, pour qu'elle joue dans notre gouvernement
+le rôle qu'elle est appelée à accomplir, est-il nécessaire
+qu'elle soit héréditaire?</p>
+
+<p>Je le répète, nous sommes libres de traiter et de résoudre
+cette question selon l'utilité sociale; je crois qu'il n'existe
+pas de principes dont nous devions nous embarrasser le
+moins du monde.</p>
+
+<p>La question ainsi posée, il y a un fait qu'il est impossible
+de ne pas remarquer, c'est la lutte qui est établie dans toute
+société entre deux intérêts différents: l'intérêt de la possession,
+de la conservation, du maintien de ce qui est, et l'intérêt
+de la conquête ou le désir d'innovation. Cette lutte est le
+fait général et constant de toute société; c'est même ce qui
+constitue la vie sociale, le progrès de la civilisation.</p>
+
+<p>Voici comment en général la lutte s'établit: elle s'engage
+entre, d'une part, le gouvernement proprement dit, le pouvoir
+exécutif, comme représentant et champion de l'intérêt
+de conservation, et d'autre part, l'élément démocratique,
+comme représentant l'intérêt de conquête et d'innovation.
+Je ne dis pas qu'il en soit toujours ainsi; l'histoire
+présente peut-être des combinaisons différentes; mais, en
+général, c'est ainsi que la question finit par se poser.</p>
+
+<p>Alors à ces intérêts généraux dont je vous ai indiqué les
+représentants, viennent se joindre des intérêts personnels.
+Le gouvernement est représenté par des personnes; l'élément
+démocratique est aussi représenté par des personnes;
+et l'on comprend que les passions personnelles viennent
+alors se combiner avec les intérêts généraux. Et plus
+il y a de liberté dans un pays, plus l'élément démocratique
+déploie l'esprit d'innovation et de conquête, plus le
+gouvernement est porté à se montrer le défenseur de l'intérêt
+de conservation.</p>
+
+<p>Ce fait, messieurs, n'est pas nouveau; il a été reconnu à
+cette tribune; les hommes l'ont observé depuis qu'ils vivent
+en société, et l'on a cherché un moyen d'empêcher que les
+représentants des deux intérêts en vinssent continuellement
+aux prises; d'empêcher, comme le disait hier mon honorable
+ami M. Royer-Collard, que les flots démocratiques vinssent
+battre continuellement la royauté.</p>
+
+<p>Il n'y a presque aucune constitution, soit dans le moyen
+âge, soit dans des temps plus reculés, où cet élément ne se
+retrouve, bien ou mal imaginé; partout on a cherché à créer
+un pouvoir de cette nature, dont l'objet est de fortifier le
+gouvernement, de le soutenir contre l'invasion de l'élément
+démocratique.</p>
+
+<p>Pour atteindre ce but, que faut-il? Il faut que ce pouvoir soit
+animé de l'esprit du gouvernement, qu'il en comprenne les
+conditions, les besoins, qu'il vive habituellement dans sa
+sphère, à son niveau, et que cependant il ne soit pas
+le gouvernement lui-même; il faut qu'il soit animé des
+intérêts généraux que le gouvernement représente, et qu'il
+n'ait pas les passions personnelles que le gouvernement porte
+dans son sein. Il faut, en un mot, que ce soit un pouvoir
+gouvernemental, mais que ce ne soit pas du tout le gouvernement.</p>
+
+<p>Eh bien! je dis, que dans la seconde Chambre ou la pairie,
+il n'y a que l'hérédité qui puisse lui faire atteindre ce but. Je
+dis qu'il n'y a que l'hérédité qui puisse créer, à côté du gouvernement,
+un certain nombre de situations permanentes,
+fixes, au niveau du gouvernement, vivant habituellement
+dans sa sphère, connaissant ses besoins, pénétrées de son
+esprit, ayant les mêmes intérêts généraux que lui, sans avoir
+les intérêts personnels, les passions personnelles qui animent
+le gouvernement dans sa lutte contre l'élément démocratique.</p>
+
+<p>Je dis qu'il n'y a que l'hérédité qui puisse donner à la
+pairie ce caractère, et faire en sorte que la pairie soutienne
+le pouvoir sans épouser tel ou tel ministère en particulier,
+sans embrasser la cause particulière de telles passions, de
+tel intérêt personnel.</p>
+
+<p>L'hérédité, je le répète, place la pairie à côté du gouvernement,
+au niveau du gouvernement, et cependant la laisse
+étrangère et indépendante de lui. Sous ce point de vue,
+l'hérédité peut seule véritablement donner à la pairie le
+caractère dont elle a besoin pour remplir sa mission.</p>
+
+<p>On dit: «Ce que vous créez là est une aristocratie, il n'y
+en a plus, il ne peut plus y en avoir.»</p>
+
+<p>Je ne rappellerai pas à la Chambre ce qu'elle a déjà entendu
+dans les séances précédentes; je ne redirai pas, entre
+autres, ce que M. Thiers a dit à la Chambre, que les choses
+ne sont pas si nouvelles qu'on le pense communément. La
+Révolution française a fait de très-grandes choses, elle a
+changé l'état social. Cependant, il ne faut pas la croire si
+grande qu'on se la figure; elle n'a pas changé la nature des
+hommes ni les conditions essentielles de toute société. Il
+n'est pas vrai que la Révolution ait supprimé dans la société
+tous les éléments d'aristocratie. L'échelle sociale a sans
+doute moins d'étendue, il y a moins de distance des degrés
+supérieurs aux degrés inférieurs de la société; mais la distance
+est encore suffisamment grande pour que l'aristocratie puisse
+s'en tirer et elle s'en tirera. Il n'est pas besoin de la créer;
+elle existe sous nos yeux, dans toutes les conditions de la
+société; la Révolution ne l'a pas détruite.</p>
+
+<p>J'irai plus loin, quand nous parlons de l'aristocratie aujourd'hui,
+j'ai peur que nous ne tombions dans une grande
+méprise; nous avons l'air de parler de ces luttes qui avaient
+lieu entre la démocratie et l'aristocratie dans les républiques
+anciennes; nous avons l'air de parler de cette démocratie
+oisive, s'occupant, comme l'aristocratie, des affaires publiques,
+discutant et voulant partager le gouvernement. C'est
+là ce qui se passait à Athènes, à Rome, dans les républiques
+anciennes, par suite de l'esclavage et de la constitution
+qu'avaient alors les gouvernements.</p>
+
+<p>La démocratie moderne n'a rien de semblable à celle-là.
+Elle est laborieuse, occupée, essentiellement vouée à ses intérêts
+domestiques, aux besoins de sa vie privée. La démocratie
+moderne n'est pas en lutte, comme on le prétend,
+contre l'aristocratie; elle n'aspire pas au pouvoir, elle
+n'aspire pas à gouverner elle-même, elle veut intervenir dans
+le gouvernement autant qu'il est nécessaire pour qu'elle soit
+bien gouvernée, et qu'elle puisse, en toute sécurité, vaquer à
+la vie domestique, aux affaires privées. (<i>Très-bien! très-bien!</i>)</p>
+
+<p>C'est là le résultat, et de l'abolition de l'esclavage, et de la
+grandeur des États modernes et de la complication de notre
+civilisation actuelle.</p>
+
+<p>La démocratie moderne, je le répète, n'est pas essentiellement
+vouée à la vie politique, préoccupée des passions politiques;
+elle a ses intérêts et ses affaires particulières, dont elle
+demande à pouvoir s'occuper avec liberté et sécurité; elle
+cherche dans le gouvernement toutes les garanties de cette
+liberté et de cette sécurité. Rien de moins, rien de plus.</p>
+
+<p>Eh bien! messieurs, si tel est l'état des choses dans notre
+pays, ce dont nous avons besoin, et plus besoin que jamais,
+c'est de trouver dans la société des hommes qui, par situation,
+par le fait de leur naissance si l'on veut, se vouent et appartiennent
+spécialement aux affaires publiques, à la vie politique,
+des hommes qui en fassent habituellement, naturellement,
+leur étude, leur état, leur profession, comme d'autres,
+dans la démocratie, font leur état de la jurisprudence, du négoce,
+de l'agriculture et de toutes les carrières de la vie sociale.</p>
+
+<p>Je dis que cette aristocratie est la condition des sociétés
+modernes, une conséquence nécessaire de la nature de la démocratie
+moderne.</p>
+
+<p>A cette aristocratie deux conditions sont imposées: la
+première, c'est d'être constamment soumise au contrôle, à
+l'examen, à l'impulsion de la démocratie; la seconde, de se
+recruter constamment dans la démocratie, de lui ouvrir son
+sein, de recevoir d'elle tout ce qu'elle produit d'hommes capables
+qui voudront sortir des intérêts privés pour se consacrer
+aux affaires du pays. Je dis que ces deux conditions sont
+essentielles, nécessaires à l'aristocratie constitutionnelle dont
+nous avons besoin. Or, l'hérédité est le seul moyen de satisfaire
+à ces deux conditions.</p>
+
+<p>Par l'hérédité, vous atteignez le but dont j'ai parlé; vous
+avez ainsi un certain nombre de situations toutes faites,
+des familles dont la vie publique, dont les affaires publiques
+seront, pour ainsi dire, l'élément, qui seront placées au sommet
+et recevront toujours cependant l'impulsion de la démocratie;
+car, il n'y a pas de doute sur ce point, c'est cette
+Chambre, c'est la Chambre démocratique qui décidera de la
+direction du gouvernement, qui donnera l'impulsion, qui
+sera prépondérante.</p>
+
+<p>Je dis que votre Chambre des pairs ainsi constituée se recrutera
+nécessairement dans le sein de la démocratie, et, à
+cet égard, il existe un fait plus concluant que toutes les
+observations qu'on pourrait faire.</p>
+
+<p>La Chambre des pairs anglaise est certainement la plus
+aristocratique, celle qui réunit le plus de conditions de
+durée et de perpétuité possibles. Eh bien! voulez-vous
+savoir l'état actuel de la Chambre des pairs anglaise?</p>
+
+<p>Un de nos honorables collègues, M. le général Bertrand,
+dans une opinion qui nous a été distribuée, a dit: «Parcourez
+la généalogie des lords des trois royaumes, presque
+toutes les races y remontent à la conquête de nos Normands
+du <span class="sc">XI</span><sup>e</sup> siècle.» Ne semblerait-il pas, d'après cela, que les
+familles de la Chambre des pairs d'Angleterre se sont perpétuées
+depuis le <span class="sc">XI</span><sup>e</sup> siècle? Certes, le principe d'hérédité
+aurait exercé là une grande puissance.</p>
+
+<p>Eh bien! messieurs, voici son état véritable. Sans compter
+les pairs ecclésiastiques, pour lesquels il n'y a pas d'hérédité,
+il y avait, en 1829, dans la Chambre des pairs 375 membres
+laïques. Sur ces 375 membres, 48 seulement remontent au
+delà du <span class="sc">XVII</span><sup>e</sup> siècle, 124 au delà du <span class="sc">XVIII</span><sup>e</sup> siècle, et sur les
+261 restants, et dont aucun n'est plus ancien que le <span class="sc">XVIII</span><sup>e</sup>
+siècle, 170 n'ont pas quatre-vingts ans d'existence, 104
+même ne datent que de ce siècle-ci.</p>
+
+<p>Voilà comment la Chambre anglaise s'est recrutée; voilà
+quelle a été, dans cette société si aristocratiquement constituée,
+la force du principe de l'hérédité. C'est la classe
+moyenne qui remplit très-rapidement la Chambre des
+pairs; c'est elle qui est le véritable réservoir dans lequel
+l'aristocratie vient sans cesse se régénérer, se rajeunir.</p>
+
+<p>A combien plus forte raison en serait-il de même chez
+nous? Dans notre société où l'hérédité n'aurait aucune des
+garanties civiles qu'elle possède en Angleterre, la démocratie
+serait l'élément où se retremperait sans cesse la Chambre
+des pairs. Notre aristocratie constitutionnelle, soumise à l'influence
+prépondérante de l'élément démocratique, viendrait
+s'y recruter chaque jour.</p>
+
+<p>C'est là ce dont nous avons besoin. Nous avons besoin, passez-moi
+le mot, quoiqu'il ne rende pas exactement ma pensée,
+nous avons besoin d'une classe <i>essentiellement politique</i>,
+d'un certain nombre d'hommes essentiellement politiques.
+Ce qu'il faut, c'est qu'ils ne disposent pas de nous selon leur
+gré, c'est que tous les hommes capables du pays qui voudront
+entrer dans la vie politique aient la perspective d'une
+situation politique, fixe et indépendante.</p>
+
+<p>11 y a, messieurs, un dernier argument dont il faut bien
+que je dise un mot. On dit: le pays n'en veut pas; votre
+institution peut être très-bonne, mais elle est repoussée par
+le voeu national. Messieurs, personne ne professe un plus
+grand respect que moi pour les organes et les voeux du pays;
+c'est le droit des pays libres de n'avoir d'institutions que
+celles qu'ils acceptent et auxquelles ils croient. Mais, messieurs,
+les peuples libres se trompent comme d'autres; à la
+vérité, ils se détrompent aussi mieux que d'autres par le fait
+de la liberté. J'ai dans mon pays cette confiance qu'il saura
+se détromper quand il s'est trompé. Je lui porte plus de
+respect, j'ose le dire, que ceux qui veulent s'emparer de sa
+volonté du moment, de sa croyance du moment, comme
+d'une volonté immobile, éternelle, d'une croyance qui ne
+peut pas changer; que ceux qui nous donnent cette raison
+comme une raison péremptoire devant laquelle il faut que
+notre raison à nous s'arrête et succombe. Non, il n'en est rien:
+notre raison reste libre et indépendante devant la conviction
+du pays; nous avons l'avantage de croire que le pays peut
+se tromper; et nous en avons sous les yeux d'assez grands
+exemples pour que notre confiance ne soit pas illégitime.</p>
+
+<p>Rappelez-vous quelle était la force de la conviction générale,
+la force de ce que j'appellerai la prévention, le préjugé
+du pays, dans le procès des ministres de Charles X. Le
+préjugé général, la conviction générale étaient que leur
+condamnation à mort était nécessaire. Eh bien! j'affirme
+que le pays s'était trompé, et qu'aujourd'hui le pays se
+félicite que cela n'ait pas eu lieu, qu'il sait gré à la Chambre
+des pairs du jugement qu'elle a rendu. (<i>Marques d'adhésion.</i>)
+Il a changé d'avis à cet égard; grand exemple,
+exemple terrible des erreurs populaires et des frénésies
+dont on se guérit dans les pays libres. (<i>Nouvelle adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Nous en avons un autre plus récent. Je parle de la
+discussion que nous avons eue, il y a quelques jours sur
+les affaires étrangères. Sans aucun doute, la sympathie du
+pays pour la Pologne était profonde, générale; elle l'est
+encore. Le pays paraissait (je dis paraissait, parce que je ne
+veux pas affirmer que cela fût), le pays paraissait porté à
+croire qu'on aurait dû faire la guerre à la Russie pour la
+Pologne. J'affirme qu'il est détrompé à cet égard, qu'il ne
+croit plus que cette politique eût été utile à la Pologne, bien
+qu'il lui porte le même intérêt et qu'il ait pour elle la même
+sympathie, mais il est actuellement convaincu que cette
+guerre eût été contraire à son intérêt et à la justice de l'Europe.
+(<i>Mouvements en sens divers.</i>)</p>
+
+<p>J'apporte ici ma conviction; j'affirme que ma conviction
+a été telle. (<i>Voix à gauche:</i> A la bonne heure, parlez pour
+vous.) C'est un sous-entendu que nous pouvons aisément
+nous épargner: il est clair que chacun n'apporte ici que sa
+conviction, et qu'il ne prétend pas l'imposer aux autres.</p>
+
+<p>J'affirme que, dans ma conviction, le pays s'est détrompé
+à cet égard, qu'il croit aujourd'hui que la guerre n'eût pas
+été bonne, qu'elle n'était pas sage; ce qu'il ne croyait pas
+aussi fermement il y a quinze jours.</p>
+
+<p>Je dis donc que nous avons eu tout récemment deux grands
+exemples de la manière dont un peuple libre se détrompe
+après s'être trompé. J'ai donc dans mon pays cette confiance
+que s'il était vrai, comme je le pense, que l'hérédité de la
+pairie fût une institution nécessaire, utile, la France se détromperait
+à cet égard (<i>Voix à gauche:</i> Non, non, jamais.... <i>Voix
+au centre:</i> Oui, oui!); s'il était vrai d'ailleurs, ce que je ne
+crois pas, qu'il se soit aussi trompé que quelques personnes le
+prétendent.</p>
+
+<p>Ce n'est pas sans raison que j'ai cette confiance. Je vous
+prie de remarquer au nom de quelles idées on combat aujourd'hui
+l'hérédité de la pairie. J'affirme, sans crainte d'être
+démenti, que c'est au nom des idées, des théories de 1791.</p>
+
+<p>Eh bien! il est vrai que les idées de 1791 sont encore
+présentes à beaucoup d'esprits, qu'elles ont encore en
+France une grande puissance. Il est vrai, en même temps,
+que toutes les fois qu'on les voit approcher de l'épreuve,
+toutes fois qu'on les voit sur le point d'être mises en pratique,
+le pays recule, parce que son expérience l'avertit de
+leur fausseté, parce que l'instinct de l'expérience l'avertit
+que ces idées ne valent rien pour fonder un gouvernement.
+Je dis pour fonder un gouvernement, et c'est à dessein.</p>
+
+<p>Ces idées ont été excellentes pour renverser l'ancien régime,
+pour détruire; je ne leur en veux pas de cette destruction;
+au contraire, je m'en applaudis; mais je dis qu'elles
+n'avaient que cette destination, qu'elles l'ont remplie, et
+qu'à présent elles sont usées, elles ne sont plus bonnes pour
+les choses dont nous avons besoin. De quoi avons-nous besoin
+aujourd'hui? Nous avons besoin de fonder un gouvernement,
+de consolider notre monarchie constitutionnelle. Il
+est évident qu'on ne fonde pas avec les mêmes idées, avec
+les mêmes procédés par lesquels on détruit. Cela est de bon
+sens et n'a pas besoin d'être démontré.</p>
+
+<p>On ne fonde pas un gouvernement en un jour, d'un coup,
+par la baguette de ce qu'on appelle le pouvoir constituant;
+on le fonde par la bonne conduite de ce gouvernement lui-même,
+par l'harmonie, par le jeu bien entendu de tous les
+pouvoirs permanents et habituels qui le constituent. On le
+fonde un peu chaque jour, un peu plus le lendemain; on le
+fonde en vingt ans, en cinquante ans, en un siècle; c'est une
+oeuvre qui ne peut être accomplie que par le concours tranquille,
+régulier, non d'un pouvoir constituant, non d'un
+congrès, non de l'exercice extraordinaire de la souveraineté
+publique, mais des pouvoirs légaux, habituels, permanents.
+C'est ainsi que les gouvernements se fondent, et ainsi seulement;
+il n'y a aucun autre moyen de leur donner de la force
+et de la durée. (<i>Sensation.</i>)</p>
+
+<p>Eh bien! c'est quand nous avons cette oeuvre à accomplir,
+quand c'est notre intérêt, notre besoin, notre devoir de fonder
+le gouvernement constitutionnel en France, c'est alors que
+nous irions commencer par détruire un pouvoir essentiel, un
+pouvoir constitutif de ce gouvernement? Comment, nous
+n'avons qu'à fonder, c'est là notre besoin, c'est là ce qui
+nous préoccupe tous, et nous irions reprendre l'oeuvre de
+destruction, au nom des mêmes idées et des mêmes théories
+qui, en 1791, n'ont servi qu'à cette oeuvre!</p>
+
+<p>Non, messieurs, cela est contraire au bon sens, cela est
+contraire aux besoins du pays, aux voeux bien entendus de
+tous les hommes éclairés et indépendants.</p>
+
+<p>Vous voulez fonder une monarchie constitutionnelle:
+commencez par respecter les pouvoirs qui la constituent, par
+respecter leur indépendance, par assurer à tous leur libre
+exercice, et ne revenez pas sans cesse sur des expériences et
+des théories qui, je le répète, sont sans valeur aujourd'hui.</p>
+
+<p>La pairie consiste en trois éléments, en trois conditions;
+par la nomination royale, elle est monarchique et fortifie le
+gouvernement; par le nombre illimité de ses membres, elle
+s'adapte bien à la monarchie constitutionnelle et tient bien
+sa place dans le jeu des trois pouvoirs; par l'hérédité, elle
+est monarchique et libérale en même temps; elle est politique,
+elle donne au pays ce dont il a besoin et pour l'ordre
+et pour la liberté.</p>
+
+<p>Si vous détruisez l'un de ces trois éléments, l'une de ces
+trois conditions, vous portez atteinte à la royauté, à la machine
+constitutionnelle, à son jeu libre et bien entendu. Je
+ne veux pas dire par là que si l'hérédité n'est pas maintenue,
+la France est perdue. (<i>Mouvement.</i>) Je ne veux pas le
+dire, parce que j'espère davantage de mon pays. Je connais
+peu de folies dont son bon sens ne réussît tôt ou tard à le
+sauver. Mais j'affirme que, si vous maintenez l'hérédité, la
+France est sauvée; l'anarchie dont nous nous plaignons
+trouvera son terme, le point d'arrêt que nous cherchons sera
+atteint, la révolution de Juillet sera terminée et consolidée
+à la fois. Si l'hérédité de la pairie est abolie, je ne sais pas
+quelles tempêtes nous attendent, mais, à coup sur, les ancres
+nous y manqueront. (<i>Marques d'une vive adhésion au centre...
+Sensation prolongée.</i>)</p>
+
+<a name="XXXIV" id="XXXIV"></a>
+<br><br>
+<h3>XXXIV</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du projet de loi portant demande d'un crédit de
+18,000,000 de francs pour travaux d'utilité publique et dans
+le but de secourir la classe ouvrière.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 20 octobre 1831.--</p>
+
+<p class="large">Ce projet de loi, présenté le 27 septembre à la Chambre
+des députés, fut discuté pendant trois jours, et adopté
+le 21 octobre à une grande majorité. C'était une mesure
+de circonstance qui soulevait les plus importantes questions
+d'organisation sociale et d'administration publique.
+Je pris la parole pour indiquer, en peu de mots,
+les vrais principes de la matière et pour bien déterminer
+le caractère du projet, qui fut promulgué comme
+loi le 6 novembre 1831.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je ne veux point prolonger la digression à
+laquelle les préopinants se sont livrés; je demande, au contraire,
+la permission de rappeler l'attention de la Chambre sur
+le projet même. Je n'avais point dessein de prendre la parole
+dans cette discussion; mais il me semble que le projet n'a
+été envisagé sous son point de vue véritable, ni par ceux qui
+l'ont attaqué, ni par ceux qui l'ont défendu; je crois que l'on
+s'est laissé aller à une méprise qui, si elle continuait, serait
+grave. Je prie donc la Chambre de me permettre quelques
+courtes observations.</p>
+
+<p>La détresse d'une grande partie des classes laborieuses
+est un fait sur les causes duquel les opinions peuvent varier,
+mais sur l'existence duquel tout le monde est d'accord.</p>
+
+<p>Pour mon compte, je suis tenté de croire ce fait plus
+grave encore qu'il ne le paraît; il me semble que l'on n'est
+pas assez frappé du bon esprit et de la résignation avec lesquels
+les classes laborieuses supportent leurs souffrances.
+Depuis un an, elles ont donné un exemple d'intelligence et
+de moralité dont il est impossible de n'être pas frappé. Au
+milieu de toutes les tentations, au milieu de tous les mauvais
+exemples qui pouvaient les égarer, elles ont résisté, elles se
+sont tenues en paix, elles ont réclamé et défendu l'ordre
+public contre les manoeuvres de ceux qui voulaient le
+troubler.</p>
+
+<p>Je suis donc convaincu que la souffrance et la détresse
+des classes laborieuses sont encore plus grandes qu'elles ne
+paraissent. C'est à cette souffrance, à cette détresse que
+s'adresse le projet de loi qui vous est soumis.</p>
+
+<p>Messieurs, ce n'est pas là le seul fait, il y en a d'autres avec
+lesquels la souffrance des classes laborieuses coïncide; sans
+parler des tentatives pour troubler l'ordre public qui se sont
+renouvelées sur plusieurs points, il faut faire attention,
+aux idées qu'on propage, qu'on essaye de propager.</p>
+
+<p>On s'efforce de mettre en opposition la propriété et le
+travail, les propriétaires qu'on qualifie en général d'oisifs,
+et les travailleurs. (<i>On rit.</i>) J'ai l'honneur de dire à la
+Chambre que, sans attacher à ce fait une importance immense,
+je crois qu'il en a une réelle, ne fût-ce que par
+l'état d'égarement dans lequel il jette des esprits qui devraient
+exercer sur la société une influence salutaire, et qui
+travaillent au contraire à la corrompre et à l'égarer. (Voix
+au centre: <i>C'est vrai.</i>)</p>
+
+<p>Indépendamment de ces théories, il y a des rêves philanthropiques:
+on se figure que l'on peut supprimer dans ce
+monde-ci la souffrance, la misère, donner du travail à tous
+ceux qui en manquent, et que c'est une entreprise dont les
+gouvernements doivent se charger.</p>
+
+<p>Quand on veut soulager les classes laborieuses, il faut
+faire attention non-seulement à leurs souffrances, mais à
+tous les faits dont je parle.</p>
+
+<p>On a été obligé d'en tenir compte, on en a tenu compte
+dans le projet de loi. Quel est le véritable caractère de ce
+projet? Apporte-t-il un remède limité aux souffrances des
+classes laborieuses, en se conduisant comme la raison l'ordonne?
+Pour mon compte, je le crois.</p>
+
+<p>Et d'abord, le projet arme le gouvernement des moyens
+de maintenir l'ordre public en soulageant les classes laborieuses.</p>
+
+<p>J'ai entendu un honorable membre parler, avec une sorte
+d'éloignement, de l'influence que ce projet peut donner au
+gouvernement. Messieurs, je désire que notre gouvernement
+ait de l'influence, qu'il en acquierre; je désire qu'on lui donne
+tous les moyens dont nous pouvons disposer. Je crois que
+nous avons été envoyés ici dans cette mission. (<i>Oui, oui,
+sans doute!</i>) Ainsi, les moyens d'influence que le projet
+donne au gouvernement, au lieu de les craindre, je m'en
+applaudis.</p>
+
+<p>Un article du projet de loi attribue 5 millions à M. le
+ministre de l'intérieur pour des besoins imprévus; on a
+exagéré cette marque de confiance; mais il y a quelques
+mois, nous avons donné une bien plus grande marque de
+confiance au gouvernement en lui accordant 100 millions
+pour les besoins éventuels de l'extérieur.</p>
+
+<p>Eh bien! messieurs, je crois que la force du gouvernement
+dans les relations extérieures est venue de cette confiance
+des Chambres, et de l'empressement qu'elles ont mis
+à lui accorder cette somme; c'est là que je trouve la principale
+cause des bons résultats que nous avons atteints au
+dehors. Je dis des bons résultats, messieurs, car jamais les
+affaires extérieures de la France n'ont été conduites avec
+plus de suite, de mesure, de dignité, et n'ont présenté de résultats
+plus satisfaisants que ceux qui ont été obtenus depuis
+six mois. (Au centre: <i>Oui, oui, c'est vrai!</i>)</p>
+
+<p>J'ajoute que cela est dû eu grande partie à la confiance
+que la Chambre précédente et celle-ci ont témoignée au gouvernement
+et aux moyens dont elle l'ont armé.</p>
+
+<p>Eh! messieurs, il n'y a aucun doute, et je l'ai entendu
+dire à des étrangers, que toutes les fois que, d'après les événements
+qui se passaient dans la capitale, le gouvernement paraissait
+plus faible ou plus privé de la confiance des Chambres,
+son influence à l'extérieur s'affaiblissait; pendant quinze jours,
+trois semaines, il était sans considération et sans autorité au
+dehors. (<i>Murmures.</i>) Lorsqu'au contraire, l'ordre intérieur
+s'établissait, lorsque la confiance des Chambres envers le
+gouvernement augmentait, notre considération et notre
+autorité à l'extérieur reprenaient de la force. Pour mon
+compte, j'ai entendu les étrangers les plus éclairés attester
+ce fait. Je suis convaincu que la confiance des Chambres
+est le véritable moyen de force du gouvernement, et que nous
+ne devons pas plus le lui refuser à l'intérieur qu'à l'extérieur.</p>
+
+<p>En vérité, 5 millions alloués au ministère pour subvenir
+aux besoins imprévus n'ont rien d'extraordinaire. On demande
+à quels besoins il s'agit de subvenir; il n'y a rien de
+si simple. Il peut arriver que, dans une grande ville manufacturière,
+une industrie souffre, languisse. Eh bien! il importe
+que le ministère puisse y porter des secours. Il faut
+qu'il puisse employer pendant un certain temps cette population
+dont les travaux resteraient suspendus.</p>
+
+<p>Cinq millions pour un objet aussi grave, aussi important,
+ne sont pas chose que les Chambres puissent refuser... (<i>Murmures.</i>)</p>
+
+<p>Quant aux moyens d'armer le gouvernement, de le fortifier,
+de lui donner de l'influence, le projet de loi ne mérite
+que des éloges.</p>
+
+<p>J'arrive à ce qui concerne les relations de la propriété et
+du travail. Dans l'état ordinaire des choses, ces relations se
+règlent par elles-mêmes; je suis même convaincu que toute
+tentative du gouvernement de vouloir intervenir dans ces relations
+serait chimérique et funeste; c'est là le cours ordinaire
+des choses.</p>
+
+<p>L'homme est placé dans ce monde avec sa liberté, avec sa
+responsabilité, et à des chances fort inégales. C'est le cours
+des vicissitudes humaines; il les subit, il lutte contre elles;
+il n'y a aucun moyen de les lui épargner. Sous ce rapport,
+comme sous tous les autres, il arrive des moments extraordinaires
+dans la vie de la société, des moments où les relations
+habituelles de la propriété et du travail sont dérangées:
+quand cela arrive, il est du devoir et de l'intérêt de la propriété
+de venir au secours des classes laborieuses.</p>
+
+<p>C'est ainsi que les propriétaires doivent répondre à ces
+accusations insensées dont ils sont l'objet depuis quelque
+temps; c'est en prenant les classes laborieuses sous leur protection
+dans les moments difficiles, c'est en faisant des efforts
+extraordinaires pour atteindre ce but, qu'ils peuvent jouir
+eux-mêmes des avantages qui leur sont attribués. Mais c'est
+à une condition: à la condition que les mesures prises ne
+seront que temporaires, exceptionnelles, comme les besoins
+auxquels elles répondent, comme les cas auxquels elles
+veulent subvenir.</p>
+
+<p>Quel est le vice de la taxe des pauvres en Angleterre?
+c'est qu'elle est permanente; c'est qu'elle est une institution;
+c'est qu'elle n'est pas destinée à subvenir à un cas
+extraordinaire et imprévu, mais à entretenir la pauvreté aux
+dépens de la richesse. Voilà le principe de la taxe des pauvres.</p>
+
+<p>Eh bien! c'est là ce qu'il ne faut pas laisser introduire
+dans nos lois. Mais que, dans une circonstance extraordinaire,
+les riches viennent au secours des pauvres et donnent
+du travail à ceux qui en manquent, que le besoin soit constaté,
+que la limite du secours soit déterminée par la loi, je
+dis qu'il n'y a rien là qui ressemble à la taxe des pauvres,
+rien qui ne soit parfaitement légitime.</p>
+
+<p>La tentative d'introduire la taxe des pauvres parmi nous
+serait aussi funeste à la liberté qu'elle l'a été en Angleterre,
+et je serais le premier à la repousser. Mais le projet de loi
+n'est pas entaché de ce vice; il est dans le vrai; il pourvoit à
+des besoins extraordinaires, il assigne la limite du secours,
+quant à la somme et quant au temps; il est parfaitement
+juste. Il ne mérite aucun des reproches qu'on adresse à la
+taxe des pauvres.</p>
+<a name="XXXV" id="XXXV"></a>
+<br><br>
+<h3>XXXV</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du projet de loi sur le recrutement de l'armée.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 5 novembre 1831.--</p>
+
+<p class="large">Dans la discussion du projet de loi sur le recrutement
+de l'armée, présenté le 17 août 1831 par le maréchal
+Soult et qui fut promulgué comme loi le 21 mars 1832,
+plusieurs systèmes de réserve militaire avaient été
+proposés par voie d'amendement. Je les combattis en
+soutenant le système adopté de concert par le gouvernement
+et par la commission de la Chambre, et qui
+fut maintenu dans la loi.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, la Chambre a probablement déjà
+remarqué la singulière marche de cette discussion. A son
+origine, les partisans de l'amendement se sont présentés
+comme plus inquiets que nous, comme plus soigneux que
+nous de l'indépendance et de la sécurité nationales: ils ont
+accusé le système de la commission d'affaiblir la force militaire,
+l'organisation militaire de la France, de ne pas créer de
+réserve. Peu à peu la discussion a changé de caractère: l'accusation
+est devenue tout autre.</p>
+
+<p>On a reproché à la commission de vouloir maintenir le
+système des armées permanentes, des grandes armées, le
+système de la guerre, en un mot, et de s'opposer à l'établissement
+d'une armée sur le pied de paix, à la destruction des
+grandes armées, au système de la paix.</p>
+
+<p>La discussion d'hier a offert cette déviation évidente; il
+faut qu'il y ait entre nous quelque confusion, quelque méprise
+sur la valeur et l'effet soit du système de la commission,
+soit de celui des amendements.</p>
+
+<p>Je demande à la Chambre la permission de les comparer
+de près et avec quelque précision pour pouvoir en faire
+apprécier les résultats.</p>
+
+<p>Je prendrai pour base un recrutement annuel, fixe, par
+exemple un recrutement annuel de 80,000 hommes; je
+sais très-bien qu'il variera selon le vote annuel de la Chambre;
+mais la variation du recrutement annuel affecte également
+les deux systèmes: ainsi, pour les comparer, je puis prendre
+cette base fixe.</p>
+
+<p>Dans le système de la commission, 80,000 hommes levés
+tous les ans avec sept ans de service, vous donnent 560 mille
+hommes. Les uns, sous les drapeaux, forment l'effectif, les
+autres sont renvoyés dans leurs foyers, mais toujours faciles
+à rappeler et disponibles.</p>
+
+<p>Dans le système des amendements (et je prends l'amendement
+de M. le comte de Ludre comme le plus complet), voici
+le résultat auquel on arrive.</p>
+
+<p>Vous retenez 320 mille hommes pendant quatre ans sous
+les drapeaux: 320 mille hommes renvoyés pendant quatre
+ans dans leurs foyers, forment une première armée de réserve.
+Vous avez de plus 320 mille hommes pris sur ceux
+que le contingent annuel n'a pas appelés: 40 mille hommes
+par an forment, en effet, au bout de huit ans une seconde
+réserve de 320 mille hommes.</p>
+
+<p>Ainsi le résultat de l'amendement est de 960 mille hommes
+pris pour le service militaire, dont 320 mille seulement forment
+l'armée ordinaire, l'armée réelle, l'armée active.</p>
+
+<p>Il suffit de l'inspection de ces chiffres pour juger que le
+système des amendements affaiblit l'armée ordinaire, l'armée
+réelle, pour fortifier l'armée spéciale, l'armée de réserve.</p>
+
+<p>Ainsi, M. le ministre de la guerre vous disait, avec beaucoup
+de raison, que le résultat de l'amendement serait d'affaiblir
+la force militaire organisée, l'armée réelle, au profit
+d'un système de réserve.</p>
+
+<p>Mais est-il donc vrai que, dans le système de la commission,
+vous n'ayez pas de réserve? Messieurs, il ne faut pas
+nous laisser imposer par les mots, ni abuser par les
+apparences. Le système de la commission comprend une
+armée active et une armée de réserve, car le renvoi en
+congé dans les foyers est une manière de créer une armée
+de réserve dans le sein de l'armée ordinaire. (<i>Mouvements
+en sens divers.</i>)</p>
+
+<p>Je dis, messieurs, que le système des congés a pour résultat
+de créer une réserve, c'est-à-dire de mettre à la disposition
+du gouvernement un certain nombre de soldats qu'il
+n'emploie pas dans les temps ordinaires, et qu'il peut appeler
+tout à coup quand il survient une circonstance extraordinaire.
+(<i>Voix à gauche:</i> C'est de l'arbitraire.) Si ce n'est pas
+là une réserve, c'est qu'on préfère les mots aux choses. (<i>Murmures.</i>)</p>
+
+<p>Il s'agit donc de comparer le système de réserve de la
+commission avec celui qui vous est proposé par MM. de Ludre
+et de Laborde. Eh bien! la réserve qui résulte du projet de
+la commission a d'abord cet avantage reconnu depuis longtemps
+d'être toujours et tout entière disponible et facilement
+disponible.</p>
+
+<p>Ce système a un autre avantage; c'est de présenter une
+réserve toute formée, toute instruite, pour laquelle il n'est
+pas nécessaire de créer une organisation spéciale, une organisation
+locale, parce que les mêmes cadres, les mêmes officiers,
+peuvent servir. Dans le système des amendements,
+il faut une organisation spéciale et locale pour former la
+réserve.</p>
+
+<p>A cette occasion, je vous rappellerai ce que disait hier
+M. le ministre de la guerre: il lui est facile, dans le
+système des congés, de les combiner de manière à obtenir
+de véritables économies, car on conçoit qu'il ne doit pas en
+coûter autant que s'il fallait créer une organisation particulière,
+comme pour la réserve qui subsisterait séparément de
+l'armée active. L'armée de réserve, telle que l'amendement
+la propose, coûte nécessairement plus cher, puisqu'il faut
+créer pour elle une organisation spéciale. Elle a en outre un
+défaut radical, c'est de faire disparaître de la loi du recrutement
+un de ses principaux bienfaits, un des bienfaits qui
+l'ont fait agréer, la libération d'une partie de la population.
+On a su d'une manière positive qu'il y avait un certain
+nombre d'hommes complétement libérés, et qui, sauf les
+cas extraordinaires où la France tout entière se lèverait
+pour sa défense, n'auraient rien à démêler avec le service militaire.
+Dans le système de l'amendement, personne n'est
+libéré; les uns sont appelés à l'armée, les autres sont destinés
+à former une réserve; et par la combinaison des deux
+réserves, vous les prenez tous pour les mettre dans une condition
+d'exception, pour les assujettir à un certain service; un
+sorte que vous privez la population de l'avantage de la libération
+annuelle, avantage qui a facilité beaucoup l'exécution
+de la loi de recrutement.</p>
+
+<p>Ce n'est donc pas entre un système qui ne donne aucune
+réserve et un système qui en crée une que vous avez à choisir,
+mais entre un système qui donne une réserve au sein
+même de l'armée, qui n'est autre chose que l'armée elle-même
+s'étendant et se resserrant selon les besoins du service,
+et un système qui crée une réserve hors de l'armée, à côté de
+l'armée, une réserve qu'il sera beaucoup plus difficile de faire
+rentrer dans l'armée. Vous avez, dans un cas, une assimilation
+facile, et dans l'autre une simple juxtaposition.</p>
+
+<p>On a invoqué plus d'une fois, messieurs, l'autorité et
+l'exemple de M. le maréchal Gouvion-Saint-Cyr. Je puis dire
+que le maréchal m'honorait de son amitié, et quelques personnes
+peuvent se rappeler que je n'ai pas été tout à fait
+étranger à la loi du recrutement. Il faut se rappeler les circonstances
+dans lesquelles on se trouvait. La conscription, le
+nom seul de conscription était devenu une chose tellement
+odieuse au pays qu'il était bien difficile qu'on rétablît quelque
+chose qui lui ressemblât. Aussi le premier article de la loi
+disait: «L'armée se recrute par les enrôlements volontaires.»
+Les appels d'hommes ne venaient que comme supplément,
+dans les cas d'absolue nécessité.</p>
+
+<p>Il était difficile, pour ne pas dire impossible, d'obtenir une
+levée de 60 ou 80 mille hommes. Il n'entra donc dans la
+loi que le chiffre de 40 mille hommes, et ce fut pour suppléer
+à l'insuffisance de cet appel que le maréchal Saint-Cyr établit
+le système des vétérans, en prolongeant le service de six années,
+afin de donner une réserve composée de soldats. En
+effet, il ne faisait cas, comme tous les militaires, que d'une
+réserve de soldats. Ne pouvant donc avoir une levée d'hommes
+qui lui donnât une réserve dans le sein même de l'armée,
+il imagina la réserve des vétérans. Je l'ai entendu cent
+fois dire que, s'il avait pu avoir une levée annuelle de
+80 mille hommes, et un système de congés, il eût préféré
+ce système; c'est parce qu'il n'a pu l'avoir qu'il a proposé la
+réserve des vétérans. C'était là son véritable motif; car au
+fond, il comprenait très-bien la valeur d'une armée de réserve,
+facilement assimilée à l'armée active, et formée par
+le système des congés.</p>
+
+<p>Ainsi, messieurs, la comparaison des deux systèmes est
+tout entière, à mon avis, à l'avantage de l'amendement de
+votre commission, car il vous donne une organisation militaire
+plus forte, plus sûre et plus disponible.</p>
+
+<p>Je comprendrais bien mieux, je l'avoue, les objections
+contre l'amendement de la commission si elles venaient de
+ceux qui craignent les grandes armées, les armées permanentes
+et qui voudraient faire prévaloir, comme système de
+défense et de sûreté nationales, le système des milices et des
+gardes nationales, et la réduction, à un taux très-bas, des
+armées proprement dites.</p>
+
+<p>Ceux-là ont des objections plus fondées à adresser au
+système de la commission: cependant, je ne les crois pas
+plus valables.</p>
+
+<p>D'abord, il est évident que, par le vote annuel de l'effectif
+de l'armée, dans la loi des finances, il est au pouvoir de la
+Chambre de réduire l'armée permanente au taux qu'exigent
+les besoins du moment, et qu'ainsi il n'y a de danger ni
+pour les libertés publiques, ni pour les finances de l'État.</p>
+
+<p>Je demande pardon à la Chambre de l'entretenir avec
+autant de détail de ces matières qui devraient appartenir
+aux militaires; cependant, comme des questions politiques
+et morales s'y rattachent, je crois qu'il est permis
+à chacun d'avoir son avis à cet égard et de le faire
+connaître.</p>
+
+<p>Je dirai donc que cela me paraît une idée heureuse, une
+bonne combinaison, que celle de soldats, de vrais soldats
+voués à la vie militaire, bien instruits, bien dressés pour la
+guerre, et qui cependant ne sont pas complétement séparés
+de la population; qui retournent chez eux de temps en temps,
+non pour passer un mois ou quinze jours, mais six mois,
+mais un an et plus, selon que le besoin du service le permet;
+qui, sans se séparer de l'armée, sans cesser d'être
+soldats, ne se séparent pas non plus de la population. Ils
+conservent ainsi quelque esprit civil; ils ne sont point étrangers
+aux habitudes et aux sentiments du pays. Cela a été
+toujours le problème à résoudre que d'avoir une armée qui
+fût animée de l'esprit militaire, et qui cependant ne fût
+point étrangère à l'esprit civil, séparée de la population.
+Eh bien! ce problème me paraît plus heureusement
+résolu par la combinaison de la commission que par aucune
+autre.</p>
+
+<p>Dans l'amendement qu'on vous propose, on présente le
+système de réserve; mais dans la réserve, je crains de ne
+pas trouver suffisamment une armée. Dans le système de
+la commission, je la trouve fort bien constituée, et de plus
+se mêlant à la population.</p>
+
+<p>Les dangers qu'on pourrait redouter pour les libertés
+publiques de la force de cette organisation militaire sont en
+grande partie atténués par la considération que j'ai eu l'honneur
+de vous présenter. Il me paraît évident que le système
+des milices, des gardes nationales proprement dites, est loin
+de suffire aux besoins de la France, à qui il faut une véritable
+armée, fortement organisée. On nous parle souvent de l'élan
+nouveau que prendra l'esprit public en vertu de nos institutions
+et d'un gouvernement national. Je n'en doute pas;
+mais c'est seulement dans les grandes circonstances, dans les
+circonstances extraordinaires, quand le besoin du pays provoquera
+cet enthousiasme, cet élan national; nous devons
+éviter de tenir continuellement la population dans cet état
+d'effervescence que suppose l'enthousiasme, quelque légitime,
+quelque national qu'il soit. Dans les temps ordinaires, la
+population doit être dans un état moral tranquille; elle ne
+doit pas être perpétuellement échauffée par la situation du
+pays; elle doit être laissée à ses moeurs, à ses habitudes, à
+ses occupations. (<i>Agitation à gauche.</i>) C'est seulement en cas
+d'invasion, lorsque les dangers extraordinaires se présentent,
+que nous avons besoin de l'élan national, de l'enthousiasme
+général, et il ne nous manquera jamais. Nous n'avons pas
+besoin de l'échauffer tous les jours par des provocations continuelles,
+par une excitation sans objet, qui fatigue les bons
+citoyens et qui agite outre mesure les oisifs.</p>
+
+<p><span class="sc">M. de Laborde.</span>--Je demande à faire une observation de
+ma place.</p>
+
+<p><i>M. le Président.</i>--Vous n'avez pas la parole; n'interrompez
+pas l'orateur, vous pourrez lui répondre.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Remarquez d'ailleurs, messieurs, que le
+système de la commission n'exclut aucunement l'intervention
+des gardes nationales mobiles et non mobiles. Vous en</p>
+
+<p>avez les bases posées dans le projet de loi sur la garde nationale;
+il n'est pas vrai que nous soyons dépourvus des moyens
+de la mobiliser.</p>
+
+<p>Dans la proposition que vous avez discutée il y a quelques
+jours, M. le général Lamarque vous demandait deux choses:
+il vous présentait un projet pour organiser l'institution, et il
+demandait une mesure de circonstance. Vous avez repoussé
+la mesure de circonstance, vous avez jugé qu'elle n'était pas
+nécessaire; quant à l'institution, si elle a besoin de quelque
+complément, si la législation doit être revue, on
+vous a annoncé que le gouvernement s'en occupait, et que
+la Chambre pourrait faire à cet égard ce qu'elle jugerait nécessaire.
+Il n'y a donc aucun danger: les gardes nationales
+mobiles ne seront pas étrangères à notre organisation militaire;
+leur place y est déjà assignée. Vous serez toujours les
+maîtres de compléter cette organisation qui ne contrariera
+pas du tout le système de la commission.</p>
+
+<p>Nous sommes aujourd'hui, à ce qu'il paraît, embarrassés
+entre deux systèmes différents: l'un que j'appelle
+le système de l'esprit militaire, qui tend continuellement à
+développer outre mesure la force de l'organisation militaire
+de la France, et qui voudrait y faire prévaloir ce dont la
+France s'est heureusement, à mon avis, débarrassée. D'autres
+personnes, et ici je voudrais me servir d'un mot dont elles ne
+pussent être choquées, d'autres personnes rêvent la destruction
+ou tout au moins la réduction des armées permanentes,
+ou, comme je le disais, leur remplacement par un système
+de milice et de gardes nationales.</p>
+
+<p>Eh bien! à mon avis, ni l'un ni l'autre de ces systèmes
+ne sont bons en France.</p>
+
+<p>La France a besoin d'une armée permanente fortement
+organisée et toujours disponible; mais elle a besoin aussi que
+l'esprit militaire ne domine pas exclusivement sur son territoire,
+comme il y a dominé trop longtemps. (<i>Voix au centre:
+Très-bien! très-bien!</i>)</p>
+
+<p>L'amendement proposé par la commission a ce double
+avantage de nous donner une armée réelle, une forte organisation
+militaire, et d'écarter en même temps la prédominance
+de l'esprit militaire.</p>
+
+<p>Les partisans du système militaire nous vantent toujours
+le système prussien; ils tendent à faire de la France une
+vaste caserne. Si ce système a été utile à la Prusse dans certaines
+circonstances, il finira par lui devenir fatal. Quant à
+nous, il ne peut convenir ni à nos moeurs, ni à notre civilisation;
+nous ne consentirions pas à abdiquer notre constitution
+politique, à nous laisser imposer des chaînes, des entraves,
+à être condamnés, comme les Prussiens, à une telle
+privation de la liberté. Le système américain ne saurait nous
+convenir davantage, et des milices ne nous suffiraient pas; il
+nous faut une armée réelle et permanente.</p>
+
+<p>Le système de la commission est celui qui remplit le
+mieux ces vues; il est plus efficace et moins onéreux que
+celui de l'amendement. J'appuie donc le système de la commission.
+(<i>Marques d'adhésion.</i>)</p>
+
+<a name="XXXVI" id="XXXVI"></a>
+<br><br>
+<h3>XXXVI</h3>
+
+<p class="mid">Discussion de la proposition de M. de Bricqueville pour le
+bannissement à perpétuité de la branche aînée des Bourbons.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 16 novembre 1831.--</p>
+
+<p class="large">Le 17 septembre 1831, M. de Bricqueville, député de
+la Manche, prit l'initiative d'une proposition pour le
+bannissement à perpétuité, avec certaines aggravations
+et pénalités légales, de la branche aînée des Bourbons.
+La commission chargée de l'examen de cette proposition
+en proposa l'adoption en en retranchant les pénalités
+légales, et en assimilant la famille de Napoléon à la
+branche aînée de la maison de Bourbon. Je pris la parole,
+dans la discussion de cette proposition, en réponse
+à M. Berryer qui en avait indirectement demandé le
+rejet, et à l'appui des conclusions de la commission. La
+proposition, amendée et atténuée par la Chambre des
+pairs, fut convertie en loi le 10 avril 1832.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, l'honorable M. Berryer, en montant
+à la tribune, vous a promis qu'il ne rentrerait pas dans
+la discussion générale. Pour mon compte, je n'oserais faire
+une telle promesse. Il y a ici une seule question, une question
+de convenance politique, d'utilité politique, et l'amendement
+de M. Berryer la reproduit tout entière, aussi bien que
+la proposition primitive, aussi bien que le projet de la commission.
+Il est donc impossible de ne pas prendre la question
+tout entière.</p>
+
+<p>Si l'amendement ne faisait que repousser des mesures de
+proscription, je serais loin de venir le combattre.</p>
+
+<p>Et moi aussi, messieurs, je désapprouve comme inutiles
+et presque toujours comme dangereuses les mesures de
+proscription.</p>
+
+<p>J'adhère complétement à ce qui vous a été si bien dit hier
+à ce sujet par deux de nos honorables collègues, M. Pagès et
+M. de Martignac.</p>
+
+<p>On vous a parlé des prétendants à la couronne et des
+espérances des partis; ce ne sont pas là, messieurs, pour la
+révolution de Juillet, des faits inattendus, des faits d'exception
+contre lesquels elle soit obligée de prendre des mesures
+de précaution. Elle a prévu ces faits, elle les a connus d'avance.
+C'est dans l'attente des prétendants à la couronne, dans
+l'attente des espérances que la liberté même ferait naître au
+sein des partis, que la révolution de juillet s'est accomplie.
+Elle a connu, au moment où elle s'accomplissait, quelles
+destinées lui étaient réservées, et c'est par la légalité qu'elle
+a promis de vaincre et les prétendants à la couronne et les
+partis.</p>
+
+<p>C'est cette promesse que la révolution de Juillet est obligée
+de tenir.</p>
+
+<p>On vous a encore parlé tout à l'heure d'exemples, et l'on
+vous a cité celui de l'Angleterre; je n'en dirai qu'un mot;
+c'est que l'exemple est mal choisi.</p>
+
+<p>Les mesures d'exception et de proscription n'ont pas
+manqué, en effet, à la révolution de 1688, et depuis le premier
+jour jusqu'au dernier, elles n'ont pas empêché, pendant
+soixante-dix ans les complots, les insurrections, la guerre
+civile; et le gouvernement des whigs, à cette époque, a été
+et est encore qualifié en Angleterre de gouvernement tyrannique,
+précisément parce qu'il a multiplié sans succès toutes
+ces mesures.</p>
+
+<p>L'exemple est donc mal choisi, je le répète: il prouve le
+contraire de ce qu'on voulait établir.</p>
+
+<p>Messieurs, la force de la révolution de Juillet est tout
+autre; sa force consiste dans sa parfaite conformité avec les
+intérêts et les sentiments généraux de la France. Elle n'a été
+faite au profit de personne; elle n'a été le triomphe d'aucun
+projet, d'aucune faction, d'aucun intérêt particulier; elle a
+été le triomphe des vues et des intérêts généraux de la
+France. (<i>Très-bien, très-bien!</i>) Voilà son caractère. Aussi elle
+peut compter sur la sympathie nationale; elle peut invoquer
+au besoin l'appui de toutes les forces morales et matérielles
+de la France. Voilà pourquoi elle n'a pas besoin de
+mesures d'exception.</p>
+
+<p>J'avoue que, pour mon compte, je me suis souvent étonné,
+je dirai même volontiers affligé de voir un grand nombre de
+personnes, et même de mes amis, s'inquiéter de la liberté
+qui régnait autour de nous, de la liberté des discours prononcés
+dans les Chambres, de la liberté de la presse hors
+des Chambres, de la liberté de nos ennemis, en un mot,
+de la liberté de nos adversaires, des adversaires de la révolution
+de Juillet.</p>
+
+<p>C'est là notre condition; cette liberté, c'est notre état régulier,
+habituel, l'état au milieu duquel nous sommes destinés
+à vivre.</p>
+
+<p>Il faut que nous nous accoutumions à entendre dire ce qui
+nous déplaît, ce qui nous offense, ce qui nous menace peut-être.
+L'Empire a pu s'inquiéter de voir ouverts, dans Paris,
+les salons d'une femme, il a pu s'en défendre par l'exil. La
+Restauration a pu s'inquiéter d'un mot prononcé à la
+tribune par M. Manuel, et le faire chasser de cette salle pour
+s'en défendre. Nous, nous sommes destinés à voir autour de
+nous des salons bien autrement hostiles que ne pouvait
+l'être celui de madame de Staël pour l'Empire; nous
+sommes destinés à entendre à la tribune des deux Chambres
+des paroles bien autrement dures, pour notre révolution, que
+ne pouvait l'être le mot <i>répugnance</i> prononcé par M. Manuel.
+Nous n'avons pas besoin d'y répondre par des mesures
+d'exception et de proscription. Cette liberté est notre condition
+et notre force. (<i>Très-bien, très-bien!</i>)</p>
+
+<p>Toutefois, en repoussant ces mesures d'exception et de
+proscription, nous ne sommes pas obligés de ne pas employer
+les armes qui nous sont propres, et qui valent infiniment
+mieux que ces mesures elles-mêmes.</p>
+
+<p>Nous ne sommes pas obligés de ne pas recourir, toutes,
+les fois que l'occasion s'en présente, à cette conformité de
+notre révolution avec les sentiments et les intérêts nationaux,
+à ce qui fait sa force.</p>
+
+<p>Nous pouvons, nous devons, en toute occasion, manifester
+hautement notre sympathie et celle de la France pour la révolution
+de Juillet. Nous devons en appeler, toutes les fois
+que nous en sentirons le besoin, à ces intérêts et à ces
+sentiments généraux avec lesquels elle est en pleine sympathie.</p>
+
+<p>De leur nature, ces intérêts sont tranquilles et silencieux;
+ils n'interviennent pas d'eux-mêmes et spontanément partout
+où leur présence serait nécessaire; c'est à nous à les
+appeler, toutes les fois que notre révolution est menacée, à les
+faire parler, toutes les fois qu'il sera bon de faire entendre
+leur voix.</p>
+
+<p>C'est à nous surtout à élever la voix des intérêts généraux
+au-dessus des coteries et des factions, toutes les fois que la voix
+des coteries et des factions travaille à dominer la France. Je
+dis que nous sommes aujourd'hui dans une de ces situations.</p>
+
+<p>Je dis que des coteries, des factions s'agitent autour de
+nous, à l'abri de la liberté dont elles jouissent, dont elles
+doivent jouir. Elles travaillent, elles se coalisent (c'est le mot
+propre) pour attaquer la révolution de Juillet et les intérêts
+généraux dont elle est inséparable.</p>
+
+<p>Je me sers du mot de coterie, du mot de faction à dessein
+et non pas du mot de parti. Le mot de parti est trop élevé,
+trop noble, trop grand pour donner une idée de la guerre
+qui nous est faite en ce moment. Sans doute, il existe des
+partis, il en existe au milieu de nous; sans doute, il existe
+des hommes, en grand nombre, qui éprouvent des regrets
+pour les différents régimes déchus; sans doute, il est des
+carlistes, des bonapartistes, des républicains, qui rêvent un
+autre ordre de choses. Ne croyez pas que tous ceux-là prennent
+part à la guerre qu'on veut nous faire en ce moment.</p>
+
+<p>Des hommes de sens et de bonne foi se refuseraient à une
+misérable petite lutte, sans gravité, sans sérieux, dangereuse
+seulement par le trouble qu'elle apporte dans les affaires
+du pays. Ce n'est pas ceux-là que j'attaque. Quelle que soit
+la différence de leurs opinions et des nôtres, de leur situation
+et de la nôtre, que leurs sentiments soient libres, que leurs
+conduite soit libre, qu'ils gardent et leurs regrets et leur
+mécomptes et leurs espérances. Je le répète, ce ne sont pas
+eux qui nous attaquent; ce sont les coteries, les factions, les
+brouillons, les esprits déréglés, les mécontentements personnels;
+c'est une politique sans gravité, sans dignité, sans sentiment
+de patrie, une misérable rouerie surannée et subalterne,
+que toutes les époques ont vue, et qui, à toutes les
+époques, n'a fait que du mal et à ceux qui se la sont permise,
+et au pays où elle s'est déployée.</p>
+
+<p>On nous parle de la fusion des partis; on nous dit que la
+concorde peut s'établir entre eux; on nous demande de ne
+pas interrompre cette harmonie naissante, ni cette réconciliation
+qui commence. Eh! messieurs, nous n'avons jamais
+fait autre chose depuis quinze mois qui ne tendît à amener
+cette réconciliation des partis, la disparition des haines qu'ils
+se sont vouées, à établir entre eux une harmonie d'opinions
+et de sentiments.</p>
+
+<p>Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. La Chambre sait que
+je suis accoutumé à apporter à cette tribune l'expression
+pleine et franche de ma pensée; ce n'est pas de cette réconciliation
+des partis, ce n'est pas de l'harmonie entre les
+sentiments et les opinions de tous ces partis qu'il est question;
+ce n'est qu'une misérable guerre déclarée à la révolution
+de Juillet par des coteries, des factions impuissantes contre
+elle, mais qui peuvent nuire au repos, à la prospérité publique;
+c'est là ce que j'attaque. (<i>Aux voix. Très-bien, très-bien!</i>)</p>
+
+<p>A de telles attaques, messieurs, nous n'avons qu'une force
+à opposer, nous ne devons en opposer qu'une, un bon gouvernement,
+et la puissance, la voix de ces intérêts généraux
+dont vous êtes l'organe. Eh bien, messieurs, le projet de loi
+que vous a présenté la commission n'est pas autre chose que
+la proclamation de ces intérêts généraux, une répétition de
+ce qu'a fait la révolution de Juillet, la pure et simple révolution
+de Juillet.</p>
+
+<p>Que contient ce projet? une déclaration légale du divorce
+prononcé par la révolution de Juillet entre la France et les
+dynasties qui l'avaient régie pendant trente ans: d'une part,
+la branche aînée des Bourbons; de l'autre, la dynastie de
+Napoléon, telle est la première partie.</p>
+
+<p>La seconde est le rappel au droit commun pour tout ce
+qui ne concerne pas l'exclusion de ces deux dynasties, en
+matière criminelle, et même en matière civile, quant aux
+biens, autant que cela se peut; M. le président du conseil
+vous a demandé avec une grande raison, de rentrer dans le
+droit commun, aussi pleinement que possible.</p>
+
+<p>Voilà donc le projet de la commission: exclusion pure et
+simple des deux dynasties qui avaient gouverné la France, et
+pour le reste le droit commun; je dis que ce projet est conforme
+aux intérêts de la France, et qu'il est du devoir de la
+Chambre de l'adopter.</p>
+
+<p>Je dirai peu de choses du divorce de la France avec la
+dynastie de Napoléon, ce divorce est consommé depuis longtemps;
+il l'a été par le fait même du chef de cette dynastie.</p>
+
+<p>Napoléon s'est perdu lui-même, chacun le sait; et après lui
+il ne restait plus rien, absolument rien. (<i>Murmures aux
+extrémités.</i>)</p>
+
+<p>Quant à la branche aînée de la maison de Bourbon, je
+m'exprimerai avec la même franchise; la France, j'en suis
+convaincu, n'a rien à se reprocher envers elle.</p>
+
+<p>Quand cette famille reparut en France, son apparition
+remplit, je ne veux pas dire d'anxiété, mais de doute, un
+grand nombre de bons citoyens, d'esprits éclairés. On se
+demanda si l'établissement de la Restauration serait possible.</p>
+
+<p>C'était un problème, un problème politique à résoudre; la
+France n'y a pas mis d'obstacle; la France s'est soigneusement
+séparée des factions qui ont travaillé à chasser violemment
+la branche aînée de la maison des Bourbons.</p>
+
+<p>Rappelez-vous, je vous le demande, le langage de ces factions,
+ce qu'elles disaient tous les jours.</p>
+
+<p>On disait qu'après le départ des étrangers, qui avaient
+ramené la maison de Bourbon en France, elle tomberait
+infailliblement. Les étrangers sont partis, la maison de
+Bourbon n'est pas tombée.</p>
+
+<p>On disait qu'elle tomberait à la première guerre qu'elle
+voudrait faire, qu'elle était hors d'état de supporter la présence
+d'une armée nationale. Elle a fait la guerre (<i>murmures
+d'improbation aux extrémités</i>), elle l'a faite tranquillement et
+avec succès; elle n'est point tombée devant la première
+guerre.</p>
+
+<p><i>Voix à gauche.</i>--C'était une guerre impie.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je n'ai point à qualifier cette guerre: personne
+ici n'en pense plus de mal que moi. Il n'en est pas
+moins vrai que la maison de Bourbon a fait la guerre, et
+qu'elle l'a faite librement et tranquillement.</p>
+
+<p>On disait encore que la maison de Bourbon ne survivrait
+pas à la mort de Louis XVIII; que celui-là seul était sage,
+prudent, et que son successeur ne régnerait pas huit jours.</p>
+
+<p>Eh bien! le règne de Charles X a duré six années. Sans
+doute, des conspirations, des insurrections ont eu lieu contre
+lui comme contre son frère; la France ne s'y est point associée.</p>
+
+<p>La France a laissé passer les conspirations et les insurrections;
+elle a voulu savoir si ceux qui lui avaient donné la
+Charte l'avaient acceptée eux-mêmes et pour leur propre
+compte. Ce sont les ordonnances de juillet, qui lui ont appris
+qu'ils ne l'avaient pas acceptée.</p>
+
+<p>Alors, la France entière s'est levée, la France, qui n'avait
+pris jusque-là aucune part aux insurrections, la France, qui
+s'était séparée des ennemis de la branche aînée des Bourbons,
+la France s'est déclarée alors, et la branche aînée des
+Bourbons est tombée dans la première bataille que la France
+ait livrée contre elle. (<i>Très-bien, très-bien!</i>)</p>
+
+<p>La révolution de Juillet n'appartient à aucune des conspirations
+et des insurrections qui ont lutté contre la maison
+des Bourbons; des conspirateurs y ont pris part sans doute, et
+une part sincère et glorieuse; mais c'est la France tout entière
+qui l'a faite, et c'est à elle seule que son avenir appartient.</p>
+
+<p>Aussi, je l'avoue, je m'étonne d'entendre si souvent des
+hommes prétendant s'approprier cette révolution, et j'ai été
+étonné bien davantage encore, permettez-moi de le dire, d'entendre
+dire qu'un honorable membre de cette Chambre avait,
+pendant vingt-quatre heures, tenu à sa disposition la couronne
+de France. Est-ce à dire qu'il eût pu la donner à qui
+il aurait voulu, qu'il eût pu donner à la France le gouvernement
+qu'il aurait voulu? J'estime trop la personne dont il
+s'agit pour croire qu'elle eût été capable, même en pensée,
+d'une telle fatuité envers son pays. (<i>Marques d'adhésion au
+centre... Légers murmures à gauche.</i>) Non, les pays libres
+n'appartiennent à personne; ils décident seuls et eux-mêmes
+de leur destinée. On vient, après quinze mois, agiter je ne
+sais combien de questions, dire qu'on aurait pu choisir entre
+deux, trois, quatre et cinq partis; on vient nous proposer je
+ne sais combien de plans de gouvernement; il me semble
+qu'en juillet 1830, la liberté n'a manqué à personne, que
+chacun pouvait, s'il lui convenait, produire son plan de
+gouvernement, amener son candidat au concours. Eh bien,
+je vous le demande, est-il vrai qu'à ce moment-là il ait été
+sérieusement question de Henri V, de Napoléon II, de la
+République?</p>
+
+<p>Mon Dieu, on peut s'en vanter aujourd'hui; on peut
+dire aujourd'hui: «Nous aurions fait ce que nous aurions
+voulu;» messieurs, on n'a pas fait, on n'a pas proposé, on
+n'a pas voulu; on a senti l'empire de la raison publique; on
+a été raisonnable en juillet, bien plus qu'on ne l'a été depuis;
+on s'est soumis à la nécessité, à la solution qui était appelée
+de tous côtés, à la seule naturelle, seule bonne, seule nationale;
+et il y a aujourd'hui, permettez-moi de le dire, une
+sorte de fanfaronnade à venir se vanter de ce dont on n'aurait
+pas osé parler sérieusement après les trois journées de
+juillet. (<i>Marques d'adhésion au centre.</i>)</p>
+
+<p>Messieurs, c'est une présomption étrange de croire qu'on
+dirige de tels événements; la Providence en fait plus des
+trois quarts. Les hommes, sans doute, y mettent la main; ils
+y font entrer un peu de leurs intentions, un peu de leur volonté,
+mais bien peu; ils ne les dirigent pas: ces événements
+sont dirigés par des causes générales; il n'est au pouvoir de
+personne, ni de les faire, ni de les changer, et c'est les rapetisser
+que de venir dire qu'on aurait pu les faire plier à
+l'arbitraire de telle ou telle volonté; c'est leur ôter leur grandeur,
+leur nationalité; c'est parler le langage des congrès de
+Vérone et de Vienne, et ce langage est indigne de la révolution
+de Juillet. Celle révolution est un événement qui a
+éclaté, que personne n'a fait, qu'il n'a été au pouvoir de personne
+de changer, qui était écrit là-haut, qui n'a pas pu ne
+pas s'accomplir.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Sans.</span>--C'est sans doute le droit divin qui l'a fait.
+(<i>Mouvement aux extrémités.</i>)</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Eh bien, messieurs, le projet de votre commission
+ne fait autre chose que reconnaître ce fait, le
+reconnaître de nouveau, lui donner une nouvelle sanction
+légale, le convertir en droit écrit.</p>
+
+<p>Cette sanction est-elle absolument nécessaire? Non, grâce
+à Dieu; mais elle peut être utile selon les circonstances; elle
+peut avoir un but.</p>
+
+<p>Je n'en veux d'autre preuve que l'argumentation employée
+hier, dans la séance, par un orateur dont la Chambre honore
+le caractère et apprécie le talent, M. de Martignac; il vous a
+demandé de quel droit vous inscriviez dans une loi l'exclusion
+à perpétuité de cette famille et de ses descendants; il a
+fait passer devant vous toutes les révolutions qui se sont accomplies
+depuis quarante ans, tant de trônes brisés et relevés,
+tant de dynasties chassées et rappelées, toutes les vicissitudes
+des choses humaines, et il vous a demandé comment vous
+osiez parler de perpétuité.</p>
+
+<p>Messieurs, il y a eu des révolutions qui sont tombées, qui
+ont été passagères, parce qu'elles n'étaient ni légitimes, ni
+bonnes, ni raisonnables, ni nationales. Il y en a eu au contraire,
+en petit nombre, j'en conviens, et rarement, mais enfin
+il y en a eu qui ont duré parce qu'elles étaient légitimes,
+nécessaires, nationales. Ce n'est pas la première fois dans le
+monde que des dynasties ont été changées, que des dynasties
+nouvelles se sont établies, qu'il s'est accompli des révolutions
+heureuses, perpétuelles. On nous traite en vérité
+comme des enfants quand on vient nous jeter à la tête les révolutions
+qui sont tombées, qui n'ont pas réussi, pour
+nous persuader qu'il est impossible que la nôtre réussisse.
+Nous aussi nous avons nos exemples et nos gloires à citer.
+Nous connaissons des révolutions heureuses, durables. Eh
+bien! notre prétention est que la nôtre est de celles-là,
+qu'elle a droit à la perpétuité; parce qu'elle est née dans la
+nationalité, qu'elle était nécessaire, légitime, et, à cause de
+cela, nous sommes convaincus qu'elle durera. Nous lui disons
+ce que les premiers pères de l'Église chrétienne disaient à
+l'Église qu'ils établissaient: <i>Esto perpetua</i>. Il est de bon
+exemple que nous inscrivions cette phrase dans nos lois,
+qu'elle y soit la preuve de notre conviction et de notre confiance
+dans la bonté de notre cause. Cette confiance a eu lieu
+pour de mauvaises causes, et a quelquefois trompé les hommes;
+mais est-on en droit de dire que notre cause n'est pas
+bonne parce qu'il y en a eu de mauvaises? C'est une véritable
+dérision qu'un tel argument: nous ne pouvons l'accepter,
+et nous devons inscrire dans nos lois la perpétuité
+de la révolution de Juillet. (<i>Très-bien, très-bien! aux centres.</i>)</p>
+
+<p>Tout se réduit donc à ceci. L'amendement de l'honorable
+M. Berryer tient les faits pour des faits, les faits accomplis
+pour des faits accomplis; il ne veut point reconnaître de
+droit, il ne veut pas proclamer qu'il y a eu droit dans notre
+révolution; il ne veut exclure ni une dynastie ni une
+autre.</p>
+
+<p>C'est sans doute parce qu'enfin il n'est pas matériellement
+impossible qu'une de ces dynasties puisse revenir. Mais
+nous qui avons moralement la confiance contraire, nous
+qui ne nous contentons pas du fait, nous qui n'aurions jamais
+pris part, je le dis pour mon compte, à une révolution
+si nous n'y avions vu qu'un acte de violence, un coup de dés
+de la fortune, nous qui avons eu besoin d'y voir un droit, un
+droit national, de la croire légitime, nous ne manquerons
+pas de le répéter toutes les fois que l'occasion s'en présentera,
+et d'opposer à tous les factieux la légitimité de notre
+révolution.</p>
+
+<p>Nous le répéterons sans cesse, nous ne nous lasserons pas
+de le répéter; nous savons qu'il y a parmi nous, surtout après
+tant de révolutions et de vicissitudes, des faibles d'esprit sur
+lesquels la subtilité du raisonnement, l'éclat du langage et
+la coalition d'hommes jusque-là ennemis peuvent agir puissamment;
+nous savons qu'on peut les tromper, les égarer de
+la sorte. Eh bien, nous, représentants des intérêts nationaux,
+nous, chargés de parler au nom du peuple, nous devons
+opposer la déclaration du pays à ces subtilités par lesquelles
+on essaye d'égarer les honnêtes gens.</p>
+
+<p>Oui, messieurs, les honnêtes gens; car cette cause, la
+cause de votre révolution, la cause du projet de votre commission
+est celle des honnêtes gens, opposée à celle des factieux,
+des brouillons, et aux déréglements d'esprit et d'imagination.
+(<i>Mouvement marqué d'approbation au centre.</i>)</p>
+
+<p>C'est parce qu'on entraîne beaucoup de gens dans de funestes
+erreurs que je vous demande d'écarter du projet tout
+ce qui ressemblerait à des mesures d'exception, à des apparences
+de proscription et de sang, soit dans l'ordre civil, soit
+dans l'ordre criminel.</p>
+
+<p>Je vous demande de ne pas fournir de prétexte à ces accusations
+qui retentissent autour de nous contre notre révolution;
+elles sont un mensonge. On a beau crier très-haut,
+on ne persuadera à personne que la révolution de Juillet ait
+été violente, persécutrice, qu'elle ait détruit les libertés, soit
+de ses adversaires, soit des autres citoyens: cela n'est pas,
+cela choque le bon sens, le fait est évident pour tous. Il
+est évident que depuis quinze mois, le gouvernement et
+les Chambres combattent pour la liberté, dans l'intérêt de
+tous; mais il ne faut pas fournir de prétexte à ces mensonges
+par lesquels on essaye de tromper. Il est de notre plus grand
+intérêt d'écarter de la loi et de notre conduite la moindre
+apparence d'exception et de proscription. Il faut que nous
+combattions les prétendants à la couronne, les factions et les
+mensonges des factieux, par la liberté des discussions, par
+la publicité, par le bon gouvernement, par la réforme même
+de nos lois; au lieu d'aggraver la législation, il faut travailler
+à l'adoucir, à la mettre en harmonie avec nos moeurs; ce
+sont des réponses plus efficaces que celles que vous chercheriez
+dans des lois d'exception.</p>
+
+<p>Messieurs, je le demande à vous-mêmes: il est évident
+que la situation générale s'améliore, que l'état du pays se
+calme, que la prospérité du pays commence à se relever.
+A quoi le devons-nous? A la persévérance avec laquelle le
+gouvernement a marché dans la voie première de la révolution
+de Juillet, à la persévérance avec laquelle il a repoussé
+tous les efforts qu'on a faits pour l'en détourner, à la persévérance
+avec laquelle cette Chambre, en particulier, s'est
+associée au gouvernement et a soutenu ses efforts.</p>
+
+<p>Voilà, messieurs, ce qui commence à calmer le pays. Voilà
+ce qui donne, à ces factions et à ces coteries dont je parlais
+tout à l'heure, la liberté de déployer tous les moyens, d'user
+de toutes les armes, que notre constitution lui donne.</p>
+
+<p>Mais le gouvernement et vous, vous continuerez à persévérer
+dans cette voie, et je ne vois pas, dans tout ce dont on
+vous menace, un danger dont nous ne puissions triompher.
+(<i>Marques prolongées d'adhésion au centre.</i>)</p>
+
+<a name="XXXVII" id="XXXVII"></a>
+<br><br>
+<h3>XXXVII</h3>
+
+<p class="mid">Discussion des interpellations adressées au ministère, le 19 décembre
+1831, à l'occasion de l'insurrection survenue à Lyon
+dans le mois de novembre précédent.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 21 décembre 1831.--</p>
+
+<p class="large">Le 21 novembre 1831, les réclamations des ouvriers
+en soie sur le prix des journées de travail devinrent à
+Lyon l'occasion d'abord de désordres graves, puis d'une
+insurrection qui s'empara de la ville, en chassa ou en
+domina les autorités militaires et civiles, et en demeura
+maîtresse jusqu'aux premiers jours de décembre, où le
+maréchal Soult et le duc d'Orléans entrèrent dans
+Lyon avec des troupes suffisantes pour y rétablir et y
+maintenir l'ordre légal. Le 25 novembre, M. Casimir
+Périer fit aux deux Chambres, sur ces événements
+encore flagrants, une communication à laquelle les
+Chambres répondirent par des adresses d'adhésion
+votées à d'immenses majorités. Le 17 décembre suivant,
+M. Casimir Périer et M. le comte d'Argout firent,
+l'un à la Chambre des députés, l'autre à la Chambre
+des pairs, une nouvelle communication où les événements
+de Lyon étaient exposés dans leur ensemble,
+examinés dans leurs causes et appréciés dans leur rapport
+avec la politique générale du gouvernement.</p>
+
+<p class="large">Cet exposé donna lieu à des demandes d'explications
+et à un débat très-animé qui porta à la fois sur l'insurrection
+de Lyon et sur la politique générale du cabinet,
+se prolongea pendant quatre séances, et finit par un
+ordre du jour voté, à une immense majorité, en faveur
+du cabinet. Je pris la parole à la fin de la troisième
+séance, en réponse à MM. Odilon Barrot, de Tracy et
+Mauguin. Quelques-unes de mes paroles, mal comprises,
+ayant donné lieu, dans la séance du 22 décembre,
+à une réclamation du maréchal Lobau qui s'était
+cru atteint par ce que j'avais dit de la commission municipale
+de juillet 1830, je m'empressai d'en donner
+une explication que le maréchal et la Chambre trouvèrent
+pleinement satisfaisante.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je ne retiendrai pas la Chambre sur les
+affaires de Lyon... Je les regarde maintenant comme jugées
+(<i>légers murmures</i>); c'est mon avis. Il est évident que le ministère
+s'est conduit dans cette occasion avec toute la prudence
+que des hommes de gouvernement doivent apporter
+dans des cas aussi graves.</p>
+
+<p>Je ne descendrai pas non plus dans le cloaque où l'on a
+voulu faire entrer la Chambre.</p>
+
+<p>Il y a des questions qui doivent être portées devant la justice
+qui punit ou dément la presse; la Chambre n'a rien à y voir,
+elles sont honteuses à traiter ici. (<i>Marques nombreuses d'assentiment.</i>)
+Je dirai un seul mot sur cette affaire; c'est que
+l'on s'est prévalu de l'arrêt de la Cour d'assises comme d'une
+démonstration des faits allégués. L'honorable orateur qui a
+plaidé la cause des prévenus devant la Cour d'assises sait
+mieux que personne qu'un pareil argument ne peut être allégué;
+en matière de diffamation ou de calomnie, on plaide
+l'intention et la bonne foi. L'honorable M. Odilon Barrot
+a plaidé devant la Cour d'assises la bonne foi des deux journaux.
+Il a plaidé qu'il y avait eu, qu'il pouvait y avoir eu,
+pour les rédacteurs des deux journaux, assez de motifs de
+croire les faits pour les publier: voilà le sens de l'arrêt: il
+n'en a pas d'autre; il n'emporte aucune démonstration, aucune
+assertion des faits, il déclare simplement que les jurés
+n'ont pas trouvé les prévenus coupables d'avoir publié de
+telles assertions. Qu'on n'invoque donc pas l'arrêt comme
+reconnaissant la vérité des faits; M. Odilon Barrot lui même
+a plaidé le contraire. (<i>Très-bien!</i>)</p>
+
+<p><i>Plusieurs voix.</i>--Mais les débats?</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span> Mais la question de Lyon et la question des
+embrigadements d'ouvriers n'ont pas été les seules qui aient
+été soulevées à cette tribune: M. Mauguin, avant hier, en
+attaquant sur ce point la conduite du ministère, les a rattachées
+à sa politique tout entière. C'est à cette politique qu'il
+a imputé les malheurs particuliers de ces deux affaires,
+non-seulement à la politique du ministère actuel, mais à
+celle du gouvernement tout entier depuis la révolution de
+Juillet.</p>
+
+<p>M. Mauguin a posé la vraie, la grande question, et c'est
+la question qu'il importe à la Chambre et au pays d'éclaircir,
+car nous avons beau la traiter souvent, on y revient
+sans cesse. Pourquoi? parce que c'est, en effet, la question
+importante, décisive pour le pays. A chaque occasion, à
+chaque événement, on examine la question de savoir si la
+politique générale est bonne, si nous sommes dans la bonne
+ou la mauvaise voie. Il n'y a pas moyen de dire <i>que ce
+n'est pas là la question</i>, parce que c'est celle-là qui domine
+toutes les autres, et M. Mauguin a eu raison de la poser;
+c'est pour cela que je demande à la traiter à mon tour.</p>
+
+<p>Messieurs, ce n'est pas pour la première fois qu'avant hier
+nous avons été accusés, mes amis et moi, de méconnaître le
+sens, la grandeur et la portée de la révolution de Juillet, de
+n'y voir qu'un simple événement, une question de noms propres;
+on a même répété les mots de restauration continuée,
+de quasi-révolution...</p>
+
+<p><i>Aux extrémités.</i>--Oui, c'est vrai!</p>
+
+<p><i>D'autres voix.</i>--Dites quasi-restauration, car vous avez
+déjà dit quasi-légitimité.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Le système du gouvernement, a dit M. Mauguin,
+a été empreint dans les premiers actes du premier ministère,
+dès son arrivée aux affaires, et c'est de là qu'ont découlé
+tous nos maux. (<i>Aux extrémités.</i> C'est très-vrai.) C'est
+à cela que je vais répondre.</p>
+
+<p>Messieurs, ce n'est pas des premiers actes du premier
+ministère que M. Mauguin a fait dater son opposition
+constante; il la fait remonter jusqu'à cette époque pour la
+justifier; il aurait pu, il aurait dû la faire remonter plus
+haut. Je réclame contre la date qu'il lui a assignée comme
+trop tardive.</p>
+
+<p>Ce n'est pas des premiers actes du premier ministère,
+c'est des premiers jours, des premières heures de notre révolution,
+que date le dissentiment.</p>
+
+<p>Au moment même où le mouvement national commençait
+à se faire sentir, il fut considéré de deux manières bien
+différentes: les uns pensaient qu'il fallait sur-le-champ proclamer
+une révolution complète, éclatante, menaçante; les
+mots de pouvoir constituant, de déchéance, de gouvernement
+provisoire furent à l'instant prononcés. D'autres pensaient
+que la révolution qui se préparait devait se faire au
+contraire naturellement, progressivement, en se conduisant,
+à chaque heure, selon que l'indiquaient les circonstances;
+de telle sorte qu'elle parût évidemment commandée par la
+raison et par la nécessité.</p>
+
+<p>Ce sont là les deux systèmes qui se sont trouvés en présence
+dès les premières heures de la révolution de Juillet,
+qui ont été empreints dans notre conduite, et, pour personnifier
+sur-le-champ, dans la conduite de M. Mauguin
+et dans la nôtre.</p>
+
+<p>Dès les premiers moments, à peine la commission municipale
+provisoire était-elle établie à l'Hôtel-de-Ville, que
+voulait-elle proclamer? La déchéance de la branche aînée
+des Bourbons. Que voulait-elle faire? Nommer des ministres.
+J'ai eu même l'honneur d'être nommé par cette commission
+ministre de l'instruction publique.</p>
+
+<p><i>Quelques voix à l'extrême droite.</i>--Elle a eu bien tort.
+(<i>Murmures au centre! Écoutez, écoutez!</i>)</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Les autres personnes, celles qui partageaient
+mes opinions, commencèrent par protester contre les ordonnances
+illégales de Charles X et par déclarer leur refus d'obéir.
+Un jour après, elles approuvaient la résistance à main
+armée, et venaient se placer dans ses rangs, sous sa garde.
+Deux jours après, elles disaient, du moins dans leurs réunions,
+qu'il n'y avait pas lieu à traiter avec Henri V, que
+cette combinaison devait être repoussée.</p>
+
+<p>Dans une réunion de pairs et de députés, formée pour délibérer
+sur les affaires du moment, j'ai soutenu cette opinion
+contre M. de Chateaubriand, qui réclamait pour
+Henri V.</p>
+
+<p><i>Une voix.</i>--C'était M. Hyde de Neuville.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Peu de jours après, ces mêmes personnes,
+marchant avec l'événement, toujours appliquées à se subordonner
+à la nécessité évidente, ces mêmes personnes nommaient
+un lieutenant général du royaume, provisoirement,
+toujours en vertu de la nécessité. Trois jours après, les
+chambres légalement réunies, les pouvoirs légaux constitutionnels
+sanctionnaient cette décision de la nécessité, et nommaient
+légalement le lieutenant général du royaume, en
+attendant la royauté nouvelle.</p>
+
+<p>Voilà, messieurs, les deux systèmes qui ont apparu dès
+les premières heures de la révolution de Juillet. Le premier
+ne la prenait, pour appeler les choses par leur nom, que par
+son côté révolutionnaire; il ne tenait aucun compte du passé,
+des institutions existantes, des pouvoirs en vigueur; il en
+appelait aux passions et à la puissance du moment: c'était
+un peuple esclave qui brisait sa chaîne et qui n'avait d'autre
+besoin que de déployer sa volonté et sa force. Dans l'autre
+système, on prenait la révolution par son côté constitutionnel;
+on respectait le passé, les institutions établies, les
+pouvoirs en vigueur; on s'adressait à eux, on comptait sur
+eux. La France, dans ce système, était un peuple libre qui
+défendait ses droits et faisait ses affaires sagement et prudemment,
+au milieu de la mitraille et des coups de fusil.</p>
+
+<p>Voilà la véritable origine du dissentiment; il est grand, il
+est profond, il est incurable; et la preuve, c'est que chacun
+de nous a subi sa destinée, fidèles, les uns au système que
+j'appelle révolutionnaire, les autres au système constitutionnel.
+(<i>Interruptions diverses.</i>) Vous pourrez me répondre;
+messieurs, voilà le fait véritable. Eh bien! par cela seul que
+ce dissentiment a existé, que les deux conduites ont été si
+profondément différentes, s'ensuit-il que la nôtre ait été
+antinationale, qu'elle ne fasse pas honneur à notre révolution,
+qu'elle n'en comprenne pas la valeur et la portée?</p>
+
+<p>Certes, messieurs, ce n'est pas là une conséquence nécessaire.
+C'est bien quelque chose d'abord, permettez-moi de
+le dire, que le succès. Quel est le système qui a prévalu, au
+moment même, pendant l'entraînement des passions, lorsque
+toutes les chances semblaient favorables à l'autre système?
+C'est le nôtre, le système légal, constitutionnel. On nous le
+reproche assez aujourd'hui; c'est à ce fait qu'on impute tous
+les maux qui sont survenus.</p>
+
+<p>Notre système a prévalu au milieu de l'entraînement des
+passions, par la seule force de la raison, de la nécessité, de
+cette sagesse publique qui remplissait l'atmosphère après
+la gloire de l'événement, qui a imposé silence aux opinions
+les plus intraitables, qui a ramené les volontés les moins
+favorables; qui leur a fait adopter cette conduite au moment
+même et remettre leurs dissentiments à un autre temps.</p>
+
+<p>Je dis que ce seul fait prouve en faveur du système auquel
+je me fais gloire d'appartenir. J'en donnerais bien encore
+quelques autres raisons.</p>
+
+<p>Il était le moins périlleux; je ne dis pas pour les hommes
+qui se mêlaient de la révolution; il est bien clair que, si elle
+n'avait pas réussi, Charles X n'aurait fait aucune distinction
+entre nous, et qu'il se serait peu occupé des voies diverses
+que chacun avait voulu suivre. (<i>Voix à droite.</i> Il en ferait
+maintenant!) Nous étions tous enveloppés dans les mêmes
+destinées, et je ne craindrais pas d'en appeler à ceux de mes
+honorables collègues qui sont aujourd'hui dans les rangs de
+l'opposition; je ne craindrais pas de leur demander si aucun
+de nous, quelle que soit la différence de nos opinions,
+n'a pas montré la même franchise de coeur dans la révolution
+de Juillet, si tous ne s'y sont pas précipités avec le même
+courage.</p>
+
+<p>Ce n'est donc pas pour nous, c'est pour le pays que notre
+système était le moins périlleux; il ne blessait pas autant
+d'intérêts, il ne semait pas les germes d'une division aussi
+profonde, il n'inquiétait pas si gravement au dehors.</p>
+
+<p>De plus, rappelez-vous les faits, ce système avait l'assentiment
+de la France entière.</p>
+
+<p>Que disait la France, je vous le demande, quand elle prévoyait
+une résolution possible, quand elle pressentait le renversement
+de la maison de Bourbon?</p>
+
+<p>Elle disait qu'il serait bien désirable que cette révolution
+se fît tranquillement, régulièrement, qu'elle fût faite par les
+pouvoirs établis, qu'elle durât quinze jours au plus, qu'au
+bout de quinze jours tout fût rentré dans l'ordre.</p>
+
+<p>C'était là le sentiment unanime, c'était le voeu exprimé
+dans les conversations les plus intimes. Eh bien, nous avions
+devant nous ce voeu de la France entière; nous avons été
+fidèles à ce sentiment; c'est cette conviction qui a dicté
+notre conduite au moment décisif.</p>
+
+<p>Je dirai plus: il y avait dans cette politique infiniment
+plus de prudence que dans l'autre, un plus juste sentiment
+des effets de la révolution et de l'état dans lequel elle allait
+placer le pays.</p>
+
+<p>Que faisons-nous, je vous le demande, depuis quinze
+mois? (<i>Voix au centre.</i> Hélas! oui, que faisons-nous?) Messieurs,
+nous cherchons péniblement à retrouver les principes
+du gouvernement, les bases les plus simples du pouvoir.</p>
+
+<p>Cette révolution si légitime, si indispensable, si régulière,
+si prompte, elle est si grave qu'elle a ébranlé tous les
+fondements de l'édifice politique, et que nous avons grand
+peine à le rasseoir. C'est là la mesure de la grandeur et de
+la puissance de cette révolution; c'est là le fait que nous
+avons prévu au moment où elle s'accomplissait.</p>
+
+<p>C'est dans le pressentiment de cet avenir que nous regardions
+comme indispensable pour le pays de retenir tous les
+éléments de gouvernement, tous les principes d'ordre qui
+étaient déjà entrés dans la société, de nous rattacher aux
+pouvoirs existants, aux institutions en vigueur.</p>
+
+<p>La France a été appelée, une fois déjà, à se donner elle-même
+son gouvernement. C'était pour sortir de nos troubles;
+c'était à l'époque du Directoire; la France a échoué.</p>
+
+<p>Depuis quarante ans, l'Empire et la Restauration se sont
+succédé; mais la France ne s'est pas donné ces gouvernements;
+elle les a reçus: le premier, du génie d'un homme;
+le second, de la force des événements.</p>
+
+<p>La révolution de Juillet a été appelée à faire elle-même
+son gouvernement, appelée, permettez-moi l'expression, à
+l'organiser de pied en cap, depuis la couronne jusqu'à la commune;
+c'était là une oeuvre immensément difficile et à laquelle
+on ne pouvait trop songer ni prendre trop de précautions.
+C'est ce qui a déterminé notre conduite, ce qui en a
+fait, je n'hésite pas à le dire, le système vraiment national,
+le seul qui convînt aux besoins du pays.</p>
+
+<p>Vous ne pouvez le méconnaître: ce qui nous tourmente,
+c'est la difficulté de refaire notre gouvernement, de reconstruire
+le pouvoir; toutes les questions politiques sont soulevées,
+et nous sommes chaque jour plus embarrassés pour
+leur solution.</p>
+
+<p>Il est survenu une bien autre question: la révolution
+de Juillet n'avait soulevé que des questions politiques, des
+questions de gouvernement; par ces questions, la société
+n'était nullement menacée. Qu'est-il arrivé depuis? des questions
+sociales se sont élevées. Il y a eu lutte entre certaines
+classes. Les troubles de Lyon nous l'ont révélé. Il y a aujourd'hui
+des attaques contre les classes moyennes, contre la propriété,
+contre les institutions de famille. Des questions sociales,
+des dissensions sociales sont venues se joindre aux
+questions politiques, et nous sommes aujourd'hui en présence
+de cette double difficulté, d'un gouvernement à
+construire et d'une société à défendre.</p>
+
+<p>On vient nous parler de peur; on vient nous dire que
+nous défendons le système de la peur, que nous nous effrayons
+de dangers imaginaires! La peur...; mais permettez-moi de
+vous le demander, ce n'est pas de notre peur à nous qu'il
+s'agit; qui est-ce qui a peur aujourd'hui? Qui s'inquiète, qui
+s'alarme? C'est la France apparemment.</p>
+
+<p>Je ne suppose pas qu'on veuille la traiter comme un
+vieillard imbécile qu'il dépend de tout le monde d'effrayer.
+Vous prétendez que nous effrayons la France; mais la partie
+est égale entre nous: la presse, la tribune sont ouvertes à
+ceux qui veulent la rassurer comme à ceux qui veulent l'inquiéter;
+pourquoi donc ne la rassurez-vous pas? Pourquoi
+s'alarme-t-elle sur son avenir, sur son repos? Pourquoi?
+parce qu'elle a peur d'un système qu'elle regarde, je ne
+veux pas me servir de qualifications dures, qu'elle regarde
+comme l'héritier, comme le représentant, comme le débris
+du système révolutionnaire sous lequel elle a gémi si longtemps.
+La France a peur de tout ce qui lui rappelle les
+maux qu'elle a soufferts, de ce qui ressemble aux principes,
+aux habitudes, au langage révolutionnaire. Cette peur..., elle
+n'est pas nouvelle, elle n'est pas d'hier: il y a trente-cinq
+ans que ce sentiment domine la nation. C'est la peur qui a
+jeté la France dans le despotisme; c'était cette peur qui dominait
+Napoléon lui-même; il perdait la liberté de son jugement,
+quand il songeait aux maux que pouvait causer une
+assemblée délibérante insensée.</p>
+
+<p>Voilà la véritable peur, la peur nationale, celle que la
+France a conservée, qui a fait la force de la Restauration
+contre l'opposition nationale elle-même. Rappelez-vous avec
+quel effroi la France a toujours vu approcher tout ce qui
+ressemblait à ce péril, avec quel empressement elle s'est
+toujours jetée dans les bras de quiconque promettait de l'en
+défendre. Je ne veux pas aller bien loin; rappelez-vous notre
+propre histoire depuis la révolution de Juillet. Deux fois la
+France a cru voir ces principes, ces habitudes, et le parti qui,
+à tort ou à raison, est censé les représenter, la France a cru
+le voir approcher du pouvoir; c'était au moment où toutes les
+sympathies nationales paraissaient près de reparaître et de
+s'accorder avec ce parti, après l'émeute de l'Archevêché: la
+France pourtant s'est jetée alors dans le système contraire.
+Elle a été tellement effrayée d'un seul pas dans le sens dont
+je parle, qu'elle a invoqué un changement de direction et de
+gouvernement. M. Mauguin vient de nous dire: Vous parlez
+toujours des intérêts matériels, et vous négligez les intérêts
+moraux; vous faites appel aux sentiments égoïstes, à la
+crainte, à la faiblesse; vous n'invoquez pas les nobles sentiments,
+les passions désintéressées. Messieurs, cela n'est
+pas; il y a plus de moralité dans le bon ordre et dans la paix
+que dans toutes les effervescences du monde.</p>
+
+<p><i>Aux centres.</i>--Très-bien, très-bien!</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je dirai plus: s'il y a des sentiments généreux
+qui sont suspects, qui alarment, à qui la faute? Qui les
+a décriés depuis quarante ans? Que d'abus on en a faits! A
+quels mensonges n'ont-ils pas servi! Quels malheurs en ont
+été la suite! Voilà la véritable cause qui décrie l'enthousiasme
+des sentiments généreux; c'est à ceux qui les
+ont rendus suspects qu'il faut s'en prendre, et non pas à
+nous.</p>
+
+<p>Notre situation, messieurs, se réduit à ces termes bien
+simples que nous avons en même temps un gouvernement
+à fonder et la société à défendre. Eh bien! messieurs, cette
+oeuvre, qui est celle que nous avons entreprise, à laquelle
+nous nous sommes dévoués, c'est le ministère du 13 mars
+qui en est aujourd'hui chargé; c'est sous cette bannière qu'il
+a été institué.</p>
+
+<p>Quand il a accepté cette mission, quand il vous a proposé
+de le seconder, vous a-t-il demandé de grands efforts, de
+grands sacrifices? Vous a-t-il appelés à un grand combat?
+Nous aurions dû les lui accorder s'il les avait demandés
+dans une entreprise si nationale. Messieurs, il a demandé la
+paix, la liberté, la paix avec tous, la liberté de tous. Ce sont
+là les deux moyens, les deux seuls moyens par lesquels le
+ministère s'est chargé de fonder le gouvernement, et de défendre
+la société contre les attaques dont ils sont l'objet. La
+question se réduit donc à ceci. L'opposition, car il faut bien
+que je me serve d'un mot général, et malgré toutes les
+différences d'opinions qui peuvent exister dans le sein de
+l'opposition, elle a cependant une certaine unité, car hier
+encore M. de Tracy disait à cette tribune que la politique
+générale de la France, depuis la révolution de Juillet, lui
+paraissait avoir été traitée d'une manière pleinement satisfaisante
+par M. Mauguin.</p>
+
+<p><span class="sc">M. de Tracy.</span>--Je demande la parole.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Odilon Barrot.</span>--Il n'y a pas d'objection.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--(<i>Interruption.</i>) Je répète textuellement la
+phrase telle que je viens de la lire dans le <i>Moniteur</i>. Je prends
+donc l'opinion de M. Mauguin comme l'expression sincère,
+en ce moment, du système de l'opposition. Eh bien! je
+demande si l'opposition peut remplir les deux tâches qui
+nous sont imposées, fonder un gouvernement et défendre
+la société en maintenant la paix et la liberté.</p>
+
+<p>Je ne veux pas entrer dans de longs détails; mais j'en appelle
+à la franchise des membres de cette Chambre: les principes
+naturels du gouvernement, les fondements du pouvoir,
+l'esprit de gouvernement, sont-ils dans le système,
+dans le langage, dans les maximes, dans les habitudes de
+l'opposition?</p>
+
+<p>Je réponds non, hardiment. Quand nous avons eu à traiter
+les institutions municipales, que demandait l'opposition? Le
+suffrage universel, l'élection des maires.</p>
+
+<p><i>Voix à gauche.-</i>-Non, non! nous démentons.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Le suffrage universel a été plusieurs fois
+professé, demandé à cette tribune. (<i>Dénégations aux extrémités.</i>)</p>
+
+<p><span class="sc">M. Odilon Barrot.</span>--Nous avons combattu le suffrage universel;
+il n'y a qu'un membre de la droite qui l'ait proposé.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Berryer.</span>--C'est moi. Je demande la parole.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Gaetan de la Rochefoucauld.</span>--M. Maréchal l'a aussi
+proposé.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je pourrais citer M. de Lafayette, M. Maréchal,
+qui ont professé cette opinion. Ce que je dis, c'est qu'il
+est évident que les principes, les habitudes, le langage de
+l'opposition ne sont pas empreints de l'esprit de gouvernement.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Dupin</span> aîné.--L'ordre du jour, l'ordre du jour!</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--La Chambre a jusqu'ici soutenu le ministère
+actuel dans la lutte qu'il a engagée pour atteindre ce double
+but. On a accusé la Chambre de servilité on a dit que le ministère
+disposait des votes. J'en appelle, messieurs, à la conscience
+de cette Chambre; jamais assemblée fut-elle plus
+libre, plus indépendante, déterminée par une conviction
+plus lente et plus difficile? La Chambre est arrivée à cette
+session dans un état d'incertitude et de doute. L'opinion de
+la Chambre s'est formée progressivement, par la discussion,
+par l'expérience, par l'examen. Jamais, je le répète, jamais
+assemblée n'a été si évidemment déterminée par des motifs
+désintéressés et sincères. C'est à la Chambre à soutenir son
+oeuvre; c'est à la Chambre à porter la conviction jusqu'au
+bout. Le ministère s'est dévoué à la fondation du gouvernement
+de Juillet et à la défense de la société. La Chambre le
+soutiendra dans cette oeuvre difficile, et ces derniers débats
+sont de nouvelles raisons qui doivent déterminer sa conviction
+et sa conduite. (<i>L'ordre du jour, l'ordre du jour!...</i>--MM.
+Berryer, Mauguin et Jacqueminot montent à la tribune.
+Les cris: <i>L'ordre du jour!</i> redoublent.)</p>
+<hr>
+<p class="mid">--Séance du 22 décembre 1831.--</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Il me sera facile de dissiper l'inquiétude qui
+s'est élevée dans l'esprit de notre honorable collègue (le
+maréchal Lobau). Il n'a jamais été dans ma pensée d'inculper
+ni lui, ni la commission municipale provisoire.</p>
+
+<p>Je n'ai point parlé du pouvoir révolutionnaire ou du pouvoir
+constitutionnel. J'ai uniquement voulu dire et j'ai dit
+que, dès l'origine de la révolution, il y avait eu deux manières
+différentes de la considérer, que deux systèmes politiques
+s'étaient manifestés dans le sein de la commission
+municipale provisoire, et j'ai ajouté qu'on avait même pu
+démêler le germe d'un système autre que le système constitutionnel.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Laffitte.</span>--C'est une erreur.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Permettez-moi de m'expliquer, messieurs.
+J'ai indiqué des actes, j'ai parlé avec précision; j'ai dit qu'à
+mon avis, par exemple, la commission municipale provisoire,
+en nommant des ministres, n'avait point fait un acte régulier,
+qu'elle n'avait point pouvoir pour le faire, qu'elle
+n'avait pas été instituée dans ce but. Voilà tout ce que j'ai
+voulu dire; j'ai profondément respecté ses intentions;
+mais dans sa direction générale, j'ai cru trouver les germes
+d'un système de politique différent, une manière toute différente
+de considérer notre révolution: telle a été ma pensée.</p>
+
+<p>Je le répète, je n'ai point qualifié la commission municipale
+de révolutionnaire; j'ai dit seulement que j'avais trouvé
+là les traces d'une manière différente de considérer notre
+révolution et la conduite de nos affaires.</p>
+
+<p>Voilà l'explication que je dois à la Chambre et à l'honorable
+maréchal, dont personne plus que moi n'honore et le
+caractère et la conduite. Nous avons, si je ne me trompe,
+depuis ce moment, suivi, lui et moi, la même ligne politique;
+d'autres en ont tenu une différente: c'est l'origine
+de cette différence que j'ai voulu marquer ici.</p>
+
+<a name="XXXVIII" id="XXXVIII"></a>
+<br><br>
+<h3>XXXVIII</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du budget de 1832.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 23 janvier 1832--</p>
+
+<p class="large">Le baron Louis, ministre des finances, avait présenté
+à la Chambre des députés, le 19 août 1831, le projet de
+budget pour 1832. M. Thiers fit, le 30 décembre 1831,
+le rapport des travaux de la commission chargée de
+l'examen de ce projet. Après cinq jours de discussion
+générale, on en vint à la discussion des articles, et la
+question du maintien total ou de la réduction du fonds
+consacré à l'amortissement de la dette publique se
+présenta la première. Je pris la parole pour défendre le
+maintien complet du fonds d'amortissement, qui fut en
+effet maintenu après un long débat.</p>
+
+<p>M. <span class="sc">Guizot</span>.--Personne ne demande l'abolition de l'amortissement;
+quelques personnes seulement en demandent la
+réduction. Il s'agit donc uniquement de savoir s'il faut que
+l'amortissement soit fort, aussi fort que le proposent le gouvernement
+et la commission: c'est là le seul point sur lequel
+il y ait doute, c'est la seule question à examiner.</p>
+
+<p>Dans l'opinion à peu près générale, l'amortissement a un
+double but: soutenir le taux des effets publics, c'est-à-dire
+le crédit public, et éteindre, payer effectivement
+la dette. Je sais que le premier de ces deux buts est contesté
+par quelques personnes, il vient de l'être tout à l'heure à
+cette tribune. On a dit que l'amortissement n'avait pas une
+action soutenue sur le taux des effets publics, parce qu'il
+n'en décide pas seul, et qu'une foule d'autres causes concourent
+à déprécier ou à élever le taux des effets publics.
+Sans doute, et quelques-unes de ces causes sont plus puissantes
+que l'amortissement; mais il n'en est pas moins vrai
+que, selon l'opinion presque générale, l'amortissement
+a un double but: le premier, de soutenir le taux des effets
+publics, un des signes extérieurs du crédit public, c'est-à-dire
+de mettre l'État en mesure de contracter, s'il en a
+besoin, de nouveaux emprunts à un taux qui ne soit pas
+trop onéreux; le second but est de payer d'une manière
+réelle et efficace la dette publique.</p>
+
+<p>Si ces deux buts, messieurs, ne pouvaient pas être atteints
+l'un sans l'autre; si, pour avoir quelque crédit et pour pouvoir
+emprunter à un taux supportable, il était absolument
+indispensable de faire ce qu'il faut pour payer réellement et
+effectivement sa dette, la question qui nous occupe n'existerait
+pas.</p>
+
+<p>Un amortissement capable de payer en effet la dette serait
+seul capable de soutenir, jusqu'à un certain point, le taux des
+effets publics, et il faudrait bien accepter celui-là ou renoncer
+tout à fait à l'amortissement; mais il n'en est pas ainsi. En
+matière d'emprunt comme en toute matière, l'erreur, l'illusion,
+l'imprévoyance sont possibles. Il arrive souvent que
+l'emprunteur croit qu'il payera sa dette; il en a la ferme
+volonté, il fait ses efforts pour cela. Le prêteur, de son côté,
+se confie à lui. Il peut arriver et il arrive que l'un et l'autre
+se trompent.</p>
+
+<p>Il arrive que l'emprunteur ne fait pas des efforts suffisants
+pour payer sa dette; dans les affaires ordinaires, combien
+ne voit-on pas de banquiers, de négociants, de commerçants
+conserver longtemps leur crédit en marchant vers la banqueroute;
+pourquoi? parce qu'ils se trompent sur leur
+propre avenir, parce que leurs créanciers se trompent également;
+qu'il y a de l'illusion, de l'imprévoyance dans leur
+conduite. L'intérêt personnel n'est pas suffisant pour éclairer
+sur l'avenir, pour enlever toute possibilité d'erreur. On
+peut avoir du crédit, des effets publics dont le taux se soutienne,
+sans faire tout ce qu'il faut pour payer sa dette.</p>
+
+<p>On peut donc atteindre le premier but de l'amortissement
+sans atteindre réellement le second.</p>
+
+<p>C'est là, messieurs, le vice, ou pour parler plus exactement,
+le danger de ce qu'on appelle le système du crédit. Le
+crédit est une fort belle chose; il est bon d'en avoir; mais il
+faut savoir qu'on peut l'obtenir, momentanément et pendant
+quelque temps, à des conditions qui sont fort loin de garantir
+l'avenir. Il faut savoir que l'on peut avoir trop de confiance
+dans son crédit actuel, et que le prêteur peut avoir, de son
+côté, trop de confiance dans le crédit actuel de l'emprunteur.</p>
+
+<p>Avec cette confiance réciproque, les transactions se renouvellent;
+et, d'emprunts en emprunts, celui qui abuse de
+son crédit marche vers l'abîme de la banqueroute, et l'on
+tombe à la fois, prêteur et emprunteur, parce que l'on n'a
+pas suffisamment mesuré l'étendue de ses ressources.</p>
+
+<p>Eh bien! c'est là le vice de l'amortissement faible, de
+même que celui de l'amortissement médiocre.</p>
+
+<p>L'amortissement médiocre donne lieu de croire que l'on a
+la ferme volonté de payer sa dette. Il est un gage, une
+preuve, non-seulement de sincérité, mais même, jusqu'à un
+certain point, de puissance dans l'accomplissement de son
+dessein.</p>
+
+<p>Mais s'il arrive en même temps que l'amortissement ne
+soit pas assez fort pour payer la dette, c'est-à-dire pour atteindre
+le second but qu'il se propose, l'amortissement
+devient un mal; il devient un leurre qui trompe les créanciers,
+qui leur donne une sécurité qu'ils ne doivent pas
+avoir, une cause de plus, d'aveuglement pour l'emprunteur
+et le prêteur, une nouvelle provocation à s'engager sans prévoyance
+dans cette voie du crédit dont il est si facile d'abuser.</p>
+
+<p>Pour que l'amortissement soit salutaire, il faut qu'il atteigne
+non-seulement le premier but, qui est de soutenir le
+taux des effets publics, mais encore le second, qui consiste à
+éteindre réellement la dette; il faut que l'amortissement soit
+fort, très-fort.</p>
+
+<p>Que reprochent tous les hommes raisonnables à ce
+système de crédit? C'est de décharger le présent en chargeant
+un avenir qui aura aussi ses propres charges et qui s'en
+déchargera à son tour sur un autre avenir; et ainsi de suite
+jusqu'à ce que vienne une époque qui, ne pouvant plus suffire
+à son fardeau, ne pouvant le porter plus loin, le jettera
+à terre. Il n'y a qu'un amortissement très-fort qui puisse
+empêcher ce déplorable résultat.</p>
+
+<p>L'amortissement faible, médiocre, qui ne demande au
+présent, c'est-à-dire à l'emprunt, que ce qu'il faut pour soutenir
+actuellement le taux des effets publics, fait une répartition
+très-inégale, très-déraisonnable, du fardeau entre le
+présent et l'avenir, entre l'emprunt et l'impôt; l'amortissement
+fort, énergique, demande au contraire au présent sa
+juste part dans le fardeau; non-seulement il soutient le
+crédit public, mais il éteint effectivement la dette: en sorte
+que l'amortissement faible exploite la bonne foi publique, est
+un leurre qui engage les créanciers dans la banqueroute,
+tandis que l'amortissement fort répond au but de l'institution,
+à la pensée première de l'amortissement, et présente une
+véritable garantie aux créanciers en ce qu'il assure en même
+temps et le taux de la rente et l'extinction de la dette.</p>
+
+<p>Il s'agit uniquement de savoir quel est le sens qu'il faut
+attribuer à ces mots: amortissement fort, amortissement
+faible, et quelle doit en être la mesure. Ceci est une question
+de fait et d'expérience, et nous avons des exemples à consulter.</p>
+
+<p>Quand l'institution de l'amortissement a été introduite
+en Angleterre, c'est le taux d'un pour cent qui
+a été généralement adopté, et l'on a calculé qu'en
+trente-sept ans, au moyen des intérêts composés, la dette
+se trouverait éteinte avec un amortissement d'un pour
+cent.</p>
+
+<p>En même temps que l'on faisait ce calcul, on disait que
+c'était pendant la paix qu'il fallait payer ses dettes, et qu'il
+fallait, pendant le temps des dépenses ordinaires, se ménager
+des ressources pour le temps des dépenses extraordinaires.</p>
+
+<p>Mais, messieurs, se donner trente-sept ans pour éteindre
+sa dette, c'est se faire l'idée la plus fausse de la vie des
+peuples, c'est se laisser tromper par les mots. Ce que nous
+appelons circonstances extraordinaires revient très-souvent
+dans la vie des peuples; les événements extraordinaires ne
+se font pas attendre trente-sept ans, ils sont plus fréquents.
+De 1688 à 1815, dans une période de cent-vingt-sept ans,
+l'Angleterre a eu soixante-cinq ans de guerre et soixante-deux
+ans de paix. La proportion a été à peu près la même
+pour la France. Nous venons de traverser quinze années
+qu'il est permis de regarder comme les plus pacifiques qu'on
+puisse voir de longtemps dans ce monde, et cependant nous
+avons eu la guerre d'Espagne, l'expédition de Morée, l'expédition
+d'Afrique, qui nous ont coûté de 3 à 400 millions; et
+enfin nous avons eu une révolution, source de dépenses extraordinaires.</p>
+
+<p>Vous voyez donc que ce calcul d'un pour cent, qui exige
+trente-sept ans pour l'extinction effective ou la réduction
+considérable de la dette, est un faux calcul, un calcul
+étranger à l'histoire, et qui méconnaît les vraies circonstances
+de la vie des peuples.</p>
+
+<p>L'amortissement de un pour cent est donc trop faible; il
+faut un amortissement plus considérable pour atteindre
+les deux buts légitimes de l'amortissement, le soutien du
+crédit public et l'extinction de la dette. Si vous ne vous
+imposez pas la loi d'atteindre ce double but, vous vous
+trompez vous-mêmes, vous trompez vos créanciers, vous
+agissez avec une imprévoyance coupable, vous marchez vers
+la banqueroute; si vous voulez atteindre le second but, le
+payement réel ou du moins la réduction notable de la dette,
+il faut autre chose qu'un amortissement de un pour cent;
+il faut l'élever au taux de deux pour cent au moins, taux auquel
+il est aujourd'hui chez nous, addition faite à la
+dotation primitive des rentes qu'il a achetées. (<i>Adhésion au
+centre.</i>)</p>
+
+<p>Contre ces faits, messieurs, qui sont simples et qui n'ont
+pas besoin d'être laborieusement démontrés par des calculs,
+contre ces faits, je ne connais qu'une raison, qu'une raison
+concluante et péremptoire: c'est l'impuissance de la part de
+l'État de supporter un amortissement considérable. L'impuissance
+du pays, la détresse publique, voilà le seul moyen
+avec lequel on puisse combattre les faits que je viens de présenter.</p>
+
+<p>Messieurs, c'est une chose grave que de proclamer ainsi
+l'impuissance du pays, d'en faire le point de départ de sa
+conviction, la règle de ses résolutions, et de poser ce fait: le
+pays ne peut pas supporter plus longtemps un tel fardeau,
+il en est aux expédients.</p>
+
+<p>Cela est grave, financièrement et politiquement, messieurs.
+(<i>Écoutez, écoutez!</i>)</p>
+
+<p>Financièrement, c'est dire qu'on est obligé de se jeter tête
+baissée dans la voie des emprunts, qu'on est obligé d'abuser,
+à tout prix, du système du crédit.</p>
+
+<p>Singulière situation! Ce sont les adversaires habituels du
+système du crédit qui viennent demander qu'on en use
+outre mesure, qu'on se réduise à ses seules ressources.
+Et ce sont les défenseurs ordinaires, les défenseurs officiels
+du crédit qui veulent le renfermer dans de justes limites,
+qui veulent faire la part de l'impôt, qui demandent qu'on
+n'en abuse pas!</p>
+
+<p>Vous voyez quelle est la conséquence financière de cette
+impuissance du pays dont on veut faire le principe de vos
+résolutions. C'est abuser outre mesure du système de crédit
+et le pousser jusqu'à ses dernières extrémités, jusqu'au point
+où il perd et les emprunteurs et les prêteurs.</p>
+
+<p>Il n'est pas moins grave politiquement de déclarer ainsi
+l'impuissance publique.</p>
+
+<p>C'est un propos vulgaire, et que nous avons tous entendu
+ou répété, que, pour avoir une bonne armée, ce qui importe
+le plus, c'est de conserver des cadres, des cadres complets,
+bien organisés, permanents.</p>
+
+<p>Eh bien! messieurs, la société a besoin de cadres comme
+l'armée: elle est contenue dans des cadres légaux qui font
+sa force, et il importe de les conserver intacts et permanents;
+car, quand une fois ils sont brisés, rien de si difficile que de
+les rétablir et de faire rentrer la société dans les cadres qui
+la contenaient habituellement. Ces cadres sont les pouvoirs
+établis et les contributions établies. Briser les pouvoirs,
+briser les contributions, déclarer que la société en est venue
+à ce point qu'elle ne peut plus supporter ni les uns ni les
+autres, faire succéder une révolution financière à une révolution
+politique, briser les impôts comme on a brisé les pouvoirs,
+c'est mettre la société tout entière en question; c'est
+prolonger jusqu'à des limites indéfinies la crise contre laquelle
+nous luttons si péniblement.</p>
+
+<p>Pour moi, je ne sais si je m'abuse, mais c'est précisément
+parce que les pouvoirs établis ont été mis en question et renversés,
+renversés légitimement, c'est parce que nous avons eu
+à accomplir une révolution politique, que nous avons glorieusement
+accomplie, que je crois qu'il importe au salut de
+la France de se préserver d'une révolution financière; qu'il
+lui importe de maintenir, je ne dis pas dans tous leurs détails,
+mais dans leur force réelle, de maintenir intacts et permanents
+ces impôts établis qui sont les cadres matériels de la
+société, les moyens par lesquels son existence matérielle se
+développe. (<i>Vive approbation aux centres</i>).</p>
+
+<p>Il n'y a donc rien de plus grave, je le répète, que de proclamer
+la détresse, l'impuissance publique. Je ne dis pas que
+cette impuissance ne soit jamais réelle: il y a des pays assez
+malheureux pour en être arrivés à ce point; mais je dis qu'il
+faut y bien regarder avant de prononcer un semblable
+arrêt.</p>
+
+<p>Voyons si cet arrêt serait fondé, si notre pays en est venu
+à ce point de détresse qu'il ne puisse pas supporter cet amortissement
+considérable dont il a besoin pour que le but de
+l'amortissement soit atteint.</p>
+
+<p>Je ne ramènerai pas la Chambre dans les détails qui lui
+ont été présentés hier, d'une manière si lucide et si complète,
+par M. le rapporteur. Je veux seulement vous mettre sous
+les yeux quelques faits qui vous prouveront que l'impuissance
+du pays n'est pas portée au point qu'on allègue.</p>
+
+<p>La détresse, chez un grand peuple comme le nôtre, ne
+vient pas en un jour, la prospérité ne finit pas tout à coup.
+Il peut y avoir crise, embarras momentané: mais quand la
+prospérité a duré longtemps dans un pays, quand il est heureusement
+entré dans cette voie, il n'en sort pas à l'instant
+même. Ce qu'il faut considérer, pour juger sainement de
+la France, ce n'est pas seulement sa situation actuelle, la
+crise où nous nous trouvons, les souffrances du moment; il
+faut considérer l'état du pays depuis quinze ou vingt ans; il
+faut examiner quelle est la marche qu'il a suivie, dans quel
+sens il s'est développé. S'il a marché vers la détresse, il est
+probable que vous avez raison aujourd'hui; si, au contraire,
+il a pris de grands développements de richesse et de puissance,
+s'il a marché vers la prospérité, il n'est pas probable
+qu'il en ait vu, en quelques mois, tarir les sources tout entières.</p>
+
+<p>Je n'ai aucun dessein de discuter à la tribune les oeuvres
+ou les mérites de la Restauration. Quand elle a été puissante,
+j'ai signalé et attaqué ses fautes; je l'ai fait pendant
+dix ans aux grands applaudissements, j'ose le dire, de ceux-là
+même qui aujourd'hui m'accusent de vouloir les continuer.
+Je n'ai aucun dessein de détourner la discussion actuelle
+vers un but politique. Je pense, comme la Chambre,
+qu'il est très-désirable que nous sortions enfin de ces questions
+purement passionnées, pour débattre les affaires du
+pays. Je ne ramènerai donc pas, je le répète, la question sur
+les mérites, sur les oeuvres politiques de la Restauration. Je
+ne veux que constater les résultats matériels obtenus dans
+les quinze dernières années.</p>
+
+<p>Messieurs, quand on examine quelle est la détresse ou la
+prospérité d'un pays, il ne faut pas s'en rapporter à des ouï-dire,
+à des propos de satisfaction ou d'humeur, auxquels
+chacun s'abandonne librement dans la conversation; il faut
+consulter des faits authentiques, des documents dans lesquels
+la société se résume et se manifeste. Voici quelques-uns de
+ces faits relativement aux premières années de la Restauration.</p>
+
+<p>Je parle du produit des principaux impôts indirects, de
+ceux qui sont la preuve la plus claire de la consommation.</p>
+
+<p>L'enregistrement, le timbre, les domaines, ont produit
+en 1816, 171,825,872 fr. et en 1829, 186,429,355.</p>
+
+<p>Le produit des douanes et des sels s'est élevé de 94,206,713 fr.
+en 1816, à 159,085,085 fr. en 1829; et cela avec les mêmes
+tarifs ou à peu près, car ce ne sont point les changements
+de tarifs qui ont considérablement influé sur les droits.</p>
+
+<p>Les boissons, droits divers, tabacs et poudres ont produit
+139,837,269 fr. en 1816, et 206,218,255 fr. en 1829.</p>
+
+<p>Le produit des postes a été de 20,973,000 fr. en 1816, et
+de 30,545,620 fr. en 1829.</p>
+
+<pre>
+Produit de ces quatre grandes contributions
+pour 1816 426,842,854 fr.
+
+Produit des mêmes contributions pour
+1829 582,278,315
+ ---------------
+Différence en plus 155,435,461 fr.
+</pre>
+
+<p>Voilà quels ont été, de 1816 à 1829, les progrès des impôts
+qui sont les signes les plus certains de la consommation.
+Je passe à un autre symptôme de production: je veux parler
+des frais de poursuite pour les contributions directes.</p>
+
+<p>Personne ne niera que, si ces frais vont dans une proportion
+décroissante, c'est une preuve que les contributions
+se payent plus facilement, et que cette facilité est due à un
+plus grand développement de l'aisance publique.</p>
+
+<p>En 1822, les frais de poursuite de toute nature pour la
+perception des impôts directs, s'élevaient à 1,380,000 fr.
+pour 344,026,017 fr. de recouvrement, c'est-à-dire à 4 fr. 01
+pour 1,000 fr.</p>
+
+<p>En 1828, ils se sont élevés à 904,680 fr. pour 325,678,630 fr.
+de recouvrement, c'est-à-dire à 2 fr. 78 pour 1,000 fr.</p>
+
+<p>Vous voyez, messieurs, qu'il y a eu une réduction notable
+sur les frais de recouvrement; ce qui est une preuve matérielle
+d'une augmentation d'aisance et de prospérité.</p>
+
+<p>Je relève, dans d'autres parties des produits, d'autres
+preuves des développements de la France à la même époque.
+Je veux parler des importations et des exportations.</p>
+
+<p>En 1816, les importations de la France dans la Grande-Bretagne
+se sont élevées, valeur officielle, à 10,444,550 fr.,
+et les exportations de la Grande-Bretagne en France,
+à 40,855,550 fr.</p>
+
+<p>En 1826, les premières ont monté à 79,470,625 fr.,
+60 millions de plus qu'en 1816; et les seconde, à 16,111,050 fr.,
+au lieu de 40 millions en 1816.</p>
+
+<p>Je ne renouvellerai pas à ce sujet la question de la balance
+du commerce, aujourd'hui abandonnée par les hommes
+éclairés; mais il y a là incontestablement un système de développement
+dans la prospérité de la France pendant les
+seize dernières années. Est-il donc vrai qu'après seize années
+de progrès attestés par des résultats incontestables, nous
+soyons subitement frappés de détresse et d'impuissance?</p>
+
+<p>Voici des documents de même nature relativement aux
+impôts indirects. (<i>Écoutez, écoutez!</i>)</p>
+
+<p>Les impôts indirects ou de tout genre ont produit:</p>
+
+<pre>
+En 1829 591,010,000 fr.
+
+En 1830 572,243,000
+
+En 1831 527,023,000
+</pre>
+
+<p>L'abaissement du tarif des boissons, à partir du 1<sup>er</sup> janvier
+1831, devait réduire les produits de 1831,</p>
+
+<pre>
+Comparativement à 1829, de 34,800,000 fr.
+ -- à 1830, de 32,400,000
+</pre>
+
+<p>La diminution effective sur les recettes de 1831, a donc
+été:</p>
+
+<pre>
+Comparativement à 1829 de 63,987,000 fr.
+
+ -- à 1830 de 45,222,000
+
+Ainsi il y a eu de 1829 à 1831, indépendamment de la
+réduction du tarif des boissons, une diminution réelle
+de 29,187,000 fr.
+
+Et de 1830 à 1831 la diminution n'a été
+que de 12,820,000
+
+A quoi il faut ajouter la différence entre
+les restes à recouvrer sur les boissons à la
+fin des deux années 1830 et 1831, ci 4,771,230
+</pre>
+
+<p>Ce qui fait de 1830 à 1831, sur les impôts indirects, une
+diminution de 17,591,230 fr.</p>
+
+<p>La diminution a donc été moindre qu'on ne devait s'y
+attendre, et c'est surtout pendant le dernier trimestre que
+l'augmentation a eu lieu; elle s'est élevée à 13,220,000 fr.</p>
+
+<p>Le produit des impôts indirects est supérieur en 1831,
+malgré la réduction du tarif des boissons et malgré le fâcheux
+état de plusieurs parties de l'industrie, il est, dis-je,
+supérieur de plus de 100 millions à ce qu'il était en 1816.</p>
+
+<p>Je vous demande, est-ce là ce qu'on peut appeler de l'impuissance?
+Je ne nie pas les souffrances du pays: personne
+ne leur porte plus de sympathie que moi; nous leur portons
+tous une grande sympathie, et aucune portion de cette
+Chambre n'a le droit de préjuger les sentiments de l'autre
+à cet égard. Mais ce sont les faits mêmes que je mets
+sous vos yeux: je demande s'il est possible de parler d'impuissance,
+de détresse définitive en présence de tels
+faits.</p>
+
+<p>Sans doute il faut songer aux souffrances du pays et faire
+ce qui est en notre pouvoir pour les alléger; mais il ne faut
+pas méconnaître les faits dans leur ensemble; il ne faut pas
+dire au pays qu'il marche vers sa ruine, qu'il est dans un
+état de détresse, quand au contraire les faits, les documents
+montrent qu'il tend à se relever de la crise dont il a beaucoup
+souffert, qu'il rentre dans la voie de la prospérité, qu'il
+ne demande que la sécurité complète de l'ordre établi pour
+que sa prospérité se développe de nouveau avec éclat.</p>
+
+<p>Il y a dans notre histoire un pouvoir que je ne suis pas accoutumé
+à louer et dont je ne pense pas grand bien. Ce
+pouvoir, c'est la Convention. Quel a été son mérite? Son seul
+mérite, si j'ose le dire, c'est de n'avoir jamais désespéré du
+pays, de n'avoir jamais dit, quelles que fussent les difficultés,
+quels que fussent les dangers, de n'avoir jamais dit: le pays
+ne peut pas; d'avoir eu une grande opinion de la France et
+de la volonté du pays.</p>
+
+<p>Voilà le vrai, et s'il m'est permis de le dire, le seul mérite
+de la Convention.</p>
+
+<p><i>Voix nombreuses.</i>--Très-bien, très-bien!</p>
+
+<p>M. GUIZOT.--Voilà, le mérite de la Convention, voilà son
+mérite patriotique, le seul qu'elle ait à mes yeux, je nie tous
+les autres. (<i>Très-bien!</i>)</p>
+
+<p>Eh bien, messieurs, permettez-moi de citer des exemples
+moins sinistres que celui-là, et plus directement analogues à
+la question qui nous occupe. Je prendrai ces exemples dans
+notre histoire au XVIII<sup>e</sup> siècle et dans notre histoire toute récente.</p>
+
+<p>En 1749, la France sortait de cette guerre assez déraisonnable
+qu'elle avait soutenue pour la succession de l'empire
+d'Autriche en faveur de l'électeur de Bavière contre Marie-Thérèse.
+La France sortait de cette guerre avec une augmentation
+de 1,200 millions de dette publique, avec des impôts
+doublés, presque triplés, car on avait augmenté outre
+mesure tous les impôts; elle en sortait avec une marine réduite
+à deux vaisseaux.</p>
+
+<p>C'était le cri général du pays qu'on était tombé dans la
+dernière détresse, et qu'il n'y avait absolument rien à faire
+que de réduire considérablement les impôts.</p>
+
+<p>Un ministre dont le nom a fait peu de bruit, parce qu'il
+était étranger à toutes les coteries du temps, mais qui ne
+manquait, à coup sûr, ni de lumières ni de fermeté, M. de
+Machault était alors contrôleur général.</p>
+
+<p>Que fit M. de Machault? que projeta-t-il? quel édit fit-il
+rendre au roi?</p>
+
+<p>Il parut en mai 1749 un édit qui établissait un impôt d'un
+vingtième, et qui affectait cet impôt à la fondation d'une caisse
+d'amortissement pour l'extinction de la dette publique.</p>
+
+<p>Ce fut au milieu de cette détresse du pays, après ces longues
+souffrances, avec ces 1,200 millions de dette publique,
+avec cette masse toujours croissante d'impôts que le contrôleur
+général conçut la pensée et eut le courage d'établir un
+impôt nouveau, et de le consacrer à l'extinction de la dette
+publique.</p>
+
+<p>Et, chose à remarquer, cette première idée de la caisse
+d'amortissement en France coïncidait avec l'idée de supprimer
+tout privilége en matière de contributions, et de les
+faire peser sur la noblesse et sur le clergé.</p>
+
+<p>Le projet de M. Machault était d'établir un impôt pesant
+également sur toutes les classes de la société et d'employer le
+produit de cette taxe à l'extinction de la dette publique.</p>
+
+<p>Je n'hésite pas à dire que c'est là une des tentatives les
+plus honorables, les plus patriotiques, les plus éclairées que
+jamais un ministre ait faites. M. de Machault succomba
+sous les cris de la noblesse et du clergé qui ne voulurent
+point prendre leur part des charges publiques; vous savez
+quel a été le résultat de ce refus; vous savez dans quelle
+série de désordres, dans quels embarras financiers la France
+a été engagée.</p>
+
+<p>Et tout cela est arrivé parce que l'on a refusé de suivre
+les plans d'un ministre sincère et courageux, qui ne craignait
+pas d'affronter les difficultés du moment pour surmonter
+celles de l'avenir.</p>
+
+<p>Nous avons encore un exemple plus récent, un exemple
+contemporain.</p>
+
+<p>En 1815, une chambre contre laquelle on s'est tant
+élevé, et avec raison, cette chambre, en maniant les
+dépenses publiques, institua un amortissement: cette
+chambre en voulait au crédit public; elle en voulait aussi à
+l'amortissement, elle était décidée à faire le moins qu'elle
+pourrait.</p>
+
+<p>Elle institua, vous le savez, un amortissement de vingt
+millions. Cette chambre fut dissoute. Une chambre nouvelle
+arriva, moins étrangère au pays, plus éclairée, animée
+de sentiments plus patriotiques. La situation où elle se trouvait
+était écrasée par les charges de l'occupation; nous sortions
+d'une année de famine; la souffrance était immense.
+Dans de telles circonstances, que fit cette chambre? Elle
+doubla le fonds de l'amortissement; elle l'éleva à 40 millions.
+Au milieu des difficultés de cette situation pénible et
+de toutes les charges qui pesaient sur le pays, la pensée du
+ministère d'alors, et de la chambre qui lui donna la force
+d'exécuter cette pensée, fut d'affecter un amortissement considérable
+aux charges qui pesaient et à celles qui allaient
+peser sur la France, et de maintenir les impôts dont on
+avait besoin pour supporter ces charges.</p>
+
+<p>Voilà ce que fit dès l'abord une chambre plus nationale
+qui avait remplacé une chambre hostile au pays. C'est entre
+ces exemples que vous avez à choisir: entre l'exemple de la
+chambre de 1815, d'une chambre hostile à l'amortissement,
+hostile au crédit, qui travaille à le renverser au lieu de le
+soutenir, et l'exemple de la chambre de 1817 qui, au milieu
+de circonstances bien autrement graves, de charges bien
+autrement pesantes, ne craignit pas de demander au pays les
+sacrifices que son salut d'avenir exigeait, et de doubler la
+dotation de l'amortissement.</p>
+
+<p>Je le répète, messieurs, c'est entre l'exemple de la Chambre
+de 1815 et celui de la Chambre de 1817 que vous avez à
+choisir. (<i>Marques nombreuses d'approbation aux centres.</i>)</p>
+
+<a name="XXXIX" id="XXXIX"></a>
+<br><br>
+<h3>XXXIX</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du budget de 1832.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 16 février 1832.--</p>
+
+<p class="large">Dans la discussion du budget du ministère de l'instruction
+publique pour l'exercice 1832, et à propos du
+chapitre IV de ce budget, qui proposait d'allouer
+1,100,000 francs pour des bourses dans les séminaires,
+M. Dubois, député de la Loire-Inférieure, proposa, sur
+ce chapitre, une réduction de 600,000 francs. M. Comte,
+député de la Sarthe, sous-amenda cet amendement en
+demandant que le crédit de 1,100,000 francs fût, progressivement
+et à mesure de l'extinction des bourses
+déjà accordées, réduit à 600,000 francs et ne dépassât
+plus cette somme. Je combattis l'amendement et le
+sous-amendement qui furent rejetés.</p>
+
+<p>M. <span class="sc">Guizot</span>.--Je ne suivrai pas l'honorable préopinant
+dans la route qu'il vous a fait entrevoir en commençant à
+parler. Je ne crois pas que la philosophie et l'avenir soient
+du domaine de cette tribune.</p>
+
+<p>M. <span class="sc">Dubois.</span>--Je demande la parole pour répondre à cela.</p>
+
+<p>M. <span class="sc">Guizot.</span>--Ce n'est pas que j'entende le moins du
+monde bannir la philosophie et l'avenir; ils ont leur place
+ailleurs; j'ai seulement des prétentions plus modestes: je dis
+que nous venons faire ici de la politique, de la prudence;
+nous venons traiter des intérêts présents du pays.</p>
+
+<p>La philosophie se développera en dehors de cette enceinte
+et l'avenir ne sera pas supprimé. Quant à présent, ce sont
+des questions de prudence, d'intérêts actuels que nous débattons.
+C'est sous ce point de vue seulement que je considérerai
+l'amendement qui vous est proposé, et je le repousse
+comme contraire aux intérêts actuels bien entendus du pays
+et à la politique qui lui convient.</p>
+
+<p>Quand je repousse cet amendement, ce n'est pas que je
+me fasse la moindre illusion sur le rôle et les dispositions
+d'une grande partie du clergé, je dirai même, si l'on veut,
+du clergé en général, dans la lutte qui s'est engagée depuis
+1789 pour l'établissement d'un gouvernement libre;
+je n'ai à ce sujet, s'il m'est permis de le dire, aucun motif
+personnel d'erreur. Quand je suis entré pour la première fois
+dans les fonctions publiques, j'ai été à l'instant même dénoncé
+par une circulaire adressée à tous les évêques de France,
+comme protestant et comme philosophe; et quand j'en suis
+sorti, il y a onze ans, pour avoir voulu m'opposer aux progrès
+de la contre-révolution, la seule chose qui me restât, la parole
+dans l'enseignement supérieur, l'influence ecclésiastique me
+la fit retirer à l'instant même; elle ne voulut pas que j'essayasse
+d'agir sur les esprits, pas plus qu'elle n'avait voulu de mon
+intervention dans les affaires. Je dois donc avoir l'esprit parfaitement
+libre. Je sais tout ce que cette influence a eu
+d'hostilité au progrès des idées et des institutions nouvelles;
+je sais tout ce qu'il peut y avoir en elle de malveillance
+pour la révolution de Juillet. Je comprends que la
+France ait, contre une grande partie du clergé, des motifs
+fort naturels de rancune et des raisons fort légitimes de défiance;
+je n'en dis pas moins que ce n'est pas là le point
+de vue sous lequel on doit considérer la question.</p>
+
+<p>Ce ne sont pas les souvenirs du passé, ce sont les intérêts
+et les besoins du présent qui doivent régler notre conduite.</p>
+
+<p>Je prie la Chambre de considérer un moment le changement
+qui s'est fait dans notre situation, en général, depuis
+la révolution de Juillet, et particulièrement dans la situation
+de cette Chambre.</p>
+
+<p>La Chambre n'est plus, comme les chambres de la Restauration,
+un pouvoir défensif occupé à lutter laborieusement
+pour la cause des intérêts généraux et les libertés publiques
+contre un gouvernement hostile.</p>
+
+<p>La Chambre est maintenant, dans le gouvernement, le
+pouvoir prépondérant, le pouvoir dirigeant; elle est chargée,
+non-seulement de contrôler le gouvernement, mais de le
+former, de l'inspirer, de le soutenir; c'est de l'aveu de
+tout le monde que la Chambre occupe ce haut rang aux yeux
+du pays, dans l'opinion générale, dans l'opinion du gouvernement
+lui-même.</p>
+
+<p>Vous avez ce rare bonheur d'avoir un prince qui le premier
+rend hommage à ce principe du gouvernement constitutionnel,
+qui est le gouvernement de la majorité nationale
+manifestée dans la Chambre.</p>
+
+<p>C'est donc en gouvernement, permettez-moi de le dire,
+que la Chambre doit penser et agir; c'est avec l'esprit de
+gouvernement qu'elle doit considérer les affaires; et quand
+nous avons en particulier à nous occuper de la question du
+clergé, ce qui nous importe, ce que nous devons nous demander,
+c'est quel mal nous devons en craindre comme gouvernement
+constitutionnel, et quel bien, quels profits,
+quels secours nous pouvons en recevoir au même titre.</p>
+
+<p>C'est sous ce point de vue que je demande la permission
+de considérer un moment la question.</p>
+
+<p>La situation du clergé, messieurs, est bien changée; il est
+nécessaire de se rendre compte de ce changement.</p>
+
+<p>Comme pouvoir politique, je n'hésite pas à dire que sa
+défaite est complète. Le clergé n'a pas été expulsé de France
+avec Charles X, mais comme pouvoir politique, il n'a pas
+été moins détrôné que lui.</p>
+
+<p>L'ancienne noblesse retrouve des biens, une place dans
+nos institutions, et une belle place si elle veut. Quant au
+clergé, il n'a retrouvé ni biens, ni place dans nos institutions.
+Sous Charles X même, il n'a pas pu se faire une
+place. Son propre parti n'a pas fait entrer un ecclésiastique
+dans cette Chambre.</p>
+
+<p><i>Quelques voix.</i>--Vous oubliez M. l'abbé de Pradt.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Cet exemple même confirme mon raisonnement;
+car, autant qu'il m'en souvient, c'est le parti opposé
+qui a fait entrer M. l'abbé de Pradt dans l'ancienne Chambre.
+(<i>C'est vrai! c'est vrai!</i>)</p>
+
+<p>Son propre parti n'a pas fait entrer un ecclésiastique
+dans cette Chambre, et il n'est personne qui ne sache
+quelle était l'influence du banc des évêques à la Chambre
+des pairs.</p>
+
+<p>Ainsi, même sous Charles X, le clergé n'a jamais pu revivre,
+prendre place dans nos institutions comme pouvoir
+politique. Ce qu'il avait de pouvoir, il le devait à son influence
+auprès de la personne du prince; elle a disparu
+avec le prince. Ainsi, j'ai bien le droit de dire que, comme
+pouvoir politique, le clergé a péri, a été détrôné avec
+Charles X.</p>
+
+<p>Quand un fait est aussi évident, aussi accompli, il est impossible
+qu'il n'agisse pas sur les esprits, même sur les esprits
+qui sont le plus intéressés à le nier. Je sais qu'il y a
+dans tous les partis un certain nombre d'hommes qui résistent
+longtemps à la conviction, à l'évidence. Cependant
+l'évidence agit sur les masses, et il arrivera du clergé ce
+qui arrive de tous les partis, qu'il sera forcé de reconnaître
+que son pouvoir politique a péri, que sa situation politique
+est complétement changée, et qu'il serait insensé de prétendre
+la retrouver.</p>
+
+<p>On a donc grand tort, à mon avis, quand on parle aujourd'hui
+du clergé, d'une manière générale, absolue, comme
+d'un corps uni, animé d'un même esprit, de l'esprit qu'il a
+depuis des siècles, qu'il conservera toujours, depuis l'évêque
+jusqu'au moindre curé.</p>
+
+<p>Messieurs, il n'en est rien, et cela sera de moins en moins
+tous les jours. Déjà il est aisé de reconnaître que des
+opinions fort différentes se manifestent dans le sein du
+clergé.</p>
+
+<p>J'y vois bien encore un peu de l'ancienne opinion, de
+l'opinion contre-révolutionnaire, qui persiste à rêver l'ancienne
+existence du clergé.</p>
+
+<p>Je vois bien, à côté de cette opinion, une autre petite opinion
+à laquelle l'honorable préopinant faisait allusion tout à
+l'heure; une petite opinion que j'appellerai, moi, l'opinion
+révolutionnaire du clergé, qui essaye de combiner les anciennes
+idées ecclésiastiques, par exemple, l'ultramontanisme
+avec le suffrage universel, et qui se flatte de retrouver,
+dans ce mariage bizarre des anciennes idées ecclésiastiques
+avec les théories modernes, un moyen d'influence dont elle
+ne sait pas ce qu'elle ferait si elle pouvait l'obtenir, et dont,
+en réalité, elle ne ferait rien. Je connais cette petite école,
+ou cette petite secte; mais à côté, en même temps que je
+vois un clergé contre-révolutionnaire et une petite secte
+animée d'un fanatisme véritable et bizarre, je vois, en général,
+le clergé tranquille, pacifique. Il peut bien avoir ses
+regrets, ses affections; mais il reste et veut rester étranger
+aux intrigues des uns et aux passions des autres, et se renfermer
+purement et simplement dans ses fonctions religieuses.
+Eh bien! je dis qu'il faut tenir, avec ces différentes
+parties du clergé, une conduite extrêmement différente, qu'il
+ne faut pas parler de la même manière de ces différentes
+opinions, ni les traiter de même.</p>
+
+<p>Je comprends que vous vous montriez très-roides, très-rigoureux
+avec la faction contre-révolutionnaire. Je crois que
+vous ferez fort bien de la laisser s'user par la liberté et par
+le temps; c'est un accident irrégulier et sans avenir dans
+l'histoire du clergé.</p>
+
+<p>Mais quant à la masse ecclésiastique, tranquille, pacifique,
+renfermée dans les exercices religieux, non-seulement
+vous ne lui devez pas de la froideur, de l'indifférence; vous
+lui devez bienveillance; elle doit trouver auprès de vous
+intérêt et faveur.</p>
+
+<p>Permettez-moi de vous arrêter un moment sur sa conduite
+et sur l'idée qui y préside. Pourquoi le clergé est-il
+tranquille? Pourquoi se renferme-t-il dans les fonctions religieuses?
+C'est qu'il croit que la religion a une existence
+séparée de la politique, qu'à travers les vicissitudes des
+États, l'Église a toujours une mission à remplir, et qu'elle
+peut la remplir sous toutes les formes de gouvernement, sous
+les régimes les plus divers.</p>
+
+<p>Eh bien, cette idée cadre parfaitement avec les principes
+de notre ordre constitutionnel, qui sépare la vie civile de la
+vie religieuse, qui admet que l'Église subsiste sous tous les
+régimes, et qu'elle a toujours sa mission à accomplir. C'est
+un principe professé par l'Église et qu'elle a invoqué toutes
+les fois qu'elle s'est trouvée dans une situation difficile. En
+consacrant ce principe, vous n'attaquez pas l'ordre constitutionnel;
+vous établissez, au contraire, entre cet ordre et l'Église,
+un point de contact; vous avez, si je puis m'exprimer
+ainsi, une espèce d'anse par laquelle vous pouvez saisir et
+rattacher la religion au régime constitutionnel.</p>
+
+<p>Je ne sais aujourd'hui d'important, pour le gouvernement
+et pour la Chambre, que deux faits à mettre bien en évidence,
+à constater et à prouver tous les jours: le premier,
+c'est que l'existence politique du clergé est finie, que,
+comme pouvoir politique, il est tombé avec Charles X; le
+second, que son existence religieuse (je ne dis pas seulement
+sa liberté religieuse, mais son existence religieuse comme
+établissement public) n'en est nullement compromise,
+qu'elle n'est pas atteinte par la perte de son existence politique,
+qu'il subsiste comme établissement religieux adopté
+par l'État, avec lequel l'État a traité. Quand ces deux faits
+seront constants pour le clergé comme ils le sont pour vous,
+vous n'aurez rien à craindre de lui; loin de là, vous aurez
+tout à en espérer.</p>
+
+<p>Rappelez-vous, messieurs, ce que disait dernièrement
+notre honorable collègue M. Odilon Barrot, il vous parlait
+avec chagrin de l'incertitude de nos convictions politiques et
+morales; il vous disait, autant que je m'en souviens, qu'il
+n'y avait plus, pour un grand nombre d'esprits, ni bien, ni
+mal, ni vérité, ni mensonge, et qu'on marchait sans savoir à
+quel sentiment il fallait s'arrêter.</p>
+
+<p>M. Odilon Barrot disait vrai, et je crois le mal aussi grand
+que lui; seulement je crois qu'il ne le disait pas tout entier.
+Non-seulement nos convictions morales et politiques sont
+incertaines et vacillantes; mais nous sommes aux prises avec
+des convictions politiques et morales plus certaines que les
+nôtres, bien plus resserrées, j'en conviens, resserrées dans
+un espace bien plus étroit, à un bien petit nombre d'individus,
+mais plus ardentes, je pourrais dire fanatiques, tandis
+que nous, nous ne le sommes pas.</p>
+
+<p>Remarquez, en effet, quelles sont les idées auxquelles vous
+avez affaire; ce sont les vieilles idées révolutionnaires, anarchiques,
+qui se manifestent autour de vous avec un degré,
+je ne veux pas dire de fanatisme, mais de frénésie qui
+épouvante les hommes sensés.</p>
+
+<p>Transportez-vous aux assises, écoutez les paroles qui y
+ont retenti, et dites-moi s'il n'y a pas là des convictions
+énergiques et redoutables.</p>
+
+<p>Et en même temps que vous avez affaire à ces convictions
+révolutionnaires qui cherchent encore à dévorer la
+société, vous avez affaire aussi aux vieilles croyances contre-révolutionnaires
+qui ne sont pas aussi éteintes que nous
+serions quelquefois tentés de le croire et qui ont aussi leur
+énergie et leur danger. (<i>Mouvements divers.</i>)</p>
+
+<p>En présence de deux ennemis dont les convictions sont
+fanatiques, et par cela même redoutables, vous vous présentez
+avec des convictions molles, incertaines; et qu'opposez-vous,
+je vous le demande, à ces forces ennemies? L'amour
+de l'ordre, qui est aujourd'hui un sentiment général
+en France, et un certain instinct de moralité, d'honnêteté et
+de justice, qui repousse toutes les violences, toutes les iniquités,
+tous les bouleversements auxquels nous amènerait
+le triomphe des convictions ennemies.</p>
+
+<p>Voilà vos deux seules forces, vos deux seules croyances;
+c'est avec l'amour de l'ordre et l'instinct des honnêtes gens
+que nous luttons contre les deux fanatismes dont je vous
+parlais tout à l'heure, le fanatisme révolutionnaire et le fanatisme
+contre-révolutionnaire.</p>
+
+<p>Eh bien! ces deux sentiments qui font aujourd'hui notre
+force, l'amour de l'ordre et l'instinct des honnêtes gens, le
+sentiment de la moralité et le respect pour la justice, la religion
+les nourrit, les fortifie et les répand dans les masses.</p>
+
+<p>La religion fait quelques fanatiques; oui, mais pour un
+fanatique, la religion fait cent citoyens soumis aux lois, respectueux
+pour tout ce qui est respectable, ennemis du désordre,
+du dévergondage et du cynisme.</p>
+
+<p>C'est par là qu'indépendamment de tout pouvoir politique,
+la religion est un principe éminemment social, l'allié naturel,
+l'appui nécessaire de tout gouvernement régulier; il
+n'est arrivé sans grave péril à aucun gouvernement régulier
+de se séparer complétement de cet appui, et de se rendre
+hostile la première force morale du pays.</p>
+
+<p>Et non-seulement, permettez-moi de le dire avec franchise,
+la religion répand et fortifie dans tous les esprits l'amour de
+l'ordre et les instincts honnêtes; mais elle donne à tout gouvernement
+un caractère d'élévation et de grandeur qui manque
+trop souvent sans elle. Je me sens obligé de le dire. Il
+importe extrêmement à la révolution de Juillet de ne pas
+se brouiller avec tout ce qu'il y a de grand et d'élevé dans
+la nature humaine et dans le monde. Il lui importe de ne
+pas se laisser aller à rabaisser, à rétrécir toutes choses; car
+elle pourrait fort bien à la fin se trouver rabaissée et rétrécie
+elle-même. (<i>Très-bien, très-bien! aux extrémités.</i>)</p>
+
+<p>L'humanité ne se passe pas longtemps de grandeur;
+elle a besoin de se voir elle-même grande et glorifiée; et permettez-moi
+d'ajouter que le gouvernement qui prétendrait
+se fonder uniquement sur le bien-être matériel du peuple
+s'abuserait étrangement. Sans doute, le bien-être des masses,
+l'amélioration progressive de leur condition, est la base de
+tout gouvernement légitime et libre; mais les masses ont
+d'autres besoins que le bien-être; elles ont besoin de grandeur;
+et j'insiste sur ce point qu'il est important pour la
+révolution de Juillet de ne pas se brouiller avec tout ce qu'il
+y a de grand et d'élevé dans le monde. (<i>Très-bien, très-bien!</i>)</p>
+
+<p>Je crois que la révolution de Juillet et le gouvernement
+qui en est né seront bien conseillés s'ils s'appliquent à rechercher
+l'alliance de la religion, à donner satisfaction à cette
+portion considérable du clergé qui veut rester paisible et se
+renfermer dans sa mission religieuse. Ne nous trompons
+pas par les mots, il ne s'agit pas de formes polies, de respect
+extérieur, de pure convenance; il faut donner au clergé
+la ferme conviction que le gouvernement porte un respect
+profond à sa mission religieuse, qu'il a un profond sentiment
+de son utilité sociale; il faut que le clergé prenne confiance
+dans le gouvernement, sente sa bienveillance: il lui
+donnera en retour l'appui dont je parlais tout à l'heure, et
+qui peut, plus qu'aucun autre, vous mettre en état de lutter
+contre les ennemis dont vous êtes investis.</p>
+
+<p>C'est sous ce point de vue, c'est dans cet esprit que je
+vous prie de considérer toutes les propositions qu'on vous
+fait relativement au clergé, et en particulier l'amendement
+dont il s'agit. (<i>Mouvements divers.</i>)</p>
+
+<p><i>Quelques voix.</i>--Vous n'étiez pas dans la question.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, j'espère que vous verrez que
+l'amendement n'est pas étranger aux considérations que j'ai
+eu l'honneur de vous soumettre. (<i>Non, non!</i>)</p>
+
+<p>Cet amendement a d'abord un caractère que je ne sais
+comment qualifier, un caractère fantasque, arbitraire, si
+j'ose dire. En effet, pourquoi ne propose-t-il pas de supprimer
+600 mille, 800 mille francs? Pourquoi ne propose-t-il
+pas de supprimer tout? Il n'y a pas de raison, d'après les
+principes de l'honorable membre, pour s'arrêter à un chiffre
+plutôt qu'à un autre.</p>
+
+<p>Il est arbitraire; les bourses des séminaires ont une raison.
+Il est évident qu'elles ont pour objet d'aider la portion pauvre
+de la population qui serait disposée à entrer dans le clergé,
+de l'aider, dis-je, à faire ses études. C'est, comme l'a dit lui-même
+cet orateur, c'est un recrutement moral, exercé dans
+la nation au profit du clergé. Cependant il y a des limites à
+fixer. On peut les déterminer par ce fait: combien se fait-il
+d'ecclésiastiques par an? Cet amendement ne repose sur aucune
+base. Remarquez de plus sa coïncidence avec tous les
+autres amendements qui vous sont proposés. Vous avez réduit
+hier considérablement les traitements des archevêques
+et des évêques; on vous propose de réduire certains établissements
+ecclésiastiques, et en particulier le chapitre de Saint-Denis;
+on vous propose même de le supprimer tout à fait.</p>
+
+<p>La maison des hautes études ecclésiastiques est supprimée
+par le gouvernement lui-même.</p>
+
+<p>Il est difficile que, dans cette coïncidence de tous ces amendements,
+le clergé, les hommes raisonnables du clergé, ne
+voient pas, je ne dis pas une défaveur, un mauvais dessein,
+mais enfin quelque chose de fâcheux pour lui; ils ne peuvent
+y voir une intention bienveillante; ils ne peuvent croire
+qu'après ces amendements ils seront aussi respectés, aussi
+influents qu'auparavant, au moins aux yeux du gouvernement.</p>
+
+<p>On vous parle sans cesse de Napoléon, du concordat de
+1801; le retour à ce concordat est l'idée qui domine dans
+les esprits. Je l'accepte, et je demande qu'on sache bien ce
+qu'a été ce concordat de 1801.</p>
+
+<p>Il a été un retour à la religion, la reconstruction de l'établissement
+religieux pour soutenir l'établissement social.
+C'est dans des intentions très-bienveillantes, très-favorables
+à la religion, c'est au profit de l'établissement religieux que
+le concordat a eu lieu.</p>
+
+<p>Si vous venez aujourd'hui, en 1832, affaiblir la religion et
+l'établissement ecclésiastique en invoquant le concordat de
+1801, vous ferez le contraire de ce qu'a fait Napoléon; ne
+venez pas dire que vous imitez Napoléon; vous faites exactement
+le contraire; vous défaites l'oeuvre du concordat de
+1801. Ce fut, je n'hésite pas à le dire, peut-être la plus
+grande preuve de la supériorité du génie de Napoléon que
+d'avoir démêlé en 1801, au milieu des préjugés et des obstacles
+de toute nature qui l'entouraient, qu'il fallait reconstituer
+l'établissement religieux; il fut, non pas un des premiers,
+mais le premier à concevoir cette grande idée.</p>
+
+<p>Eh bien! vous venez de faire petit à petit, par des amendements
+misérables.....(<i>Vive interruption.</i>)</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--J'ose dire que personne plus que moi ne
+respecte les décisions de la Chambre; non-seulement je m'y
+soumets, mais je les respecte sincèrement, même quand je les
+désapprouve.....</p>
+
+<p><i>A gauche.</i>--Alors ne les appelez pas misérables!</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Il y a une foule d'amendements non adoptés
+que j'ai le droit d'appeler misérables; c'est de ceux-là que
+j'ai voulu parler. (<i>Nouvelle interruption.</i>)</p>
+
+<p><span class="sc">M. Garnier-Pagès.</span>--Vous devez respecter non-seulement
+la Chambre, mais les membres de la Chambre.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--L'honorable auteur de l'amendement, messieurs,
+vous disait tout à l'heure que les bourses des grands
+séminaires étaient complétement étrangères à la pensée primitive
+de Napoléon quand il avait fait le concordat, et il
+vous les a montrées introduites plus tard par Napoléon lui-même;
+l'orateur a trouvé là une preuve qu'elles étaient
+étrangères à la pensée première de Napoléon.</p>
+
+<p>Messieurs, Napoléon était un homme de sens, qui n'avait
+pas la prétention de faire tout à la fois, qui savait ménager
+les nécessités du moment et même les préjugés contre
+lesquels il luttait; Napoléon se serait bien gardé de favoriser
+les séminaires au moment où il rappelait les évêques, et
+quand il a favorisé les séminaires plus tard, il se serait bien
+gardé d'y fonder des bourses au même moment. Napoléon
+savait attendre; il savait que de telles choses ne peuvent se
+faire en un instant, et qu'elles exigent deux, trois et quatre
+années: c'est là ce qu'il a fait.</p>
+
+<p>Érection des séminaires après celle des évêchés, et fondation
+des bourses après celle des séminaires, voilà le progrès
+de la politique de Napoléon; ce n'est pas une déviation, c'est
+un progrès. Il poursuivait ses oeuvres avec la même persévérance,
+avec le même courage et la même patience que je
+souhaite pour mon compte au gouvernement de Juillet dans
+l'oeuvre qu'il est appelé à fonder.</p>
+
+<p>Cette oeuvre, je le répète, c'est la création, l'organisation
+complète du gouvernement constitutionnel. Pour le fonder
+véritablement, pour lutter avec succès contre les forces qui
+l'attaquent, nous avons besoin de l'appui, de l'alliance de la
+religion et du clergé comme établissement religieux.</p>
+
+<p>Pour mon compte, je désire cette alliance, je la seconderai
+autant qu'il sera en mon pouvoir; et comme je trouve
+les bourses dans les grands séminaires favorables à cette alliance,
+comme j'y trouve une preuve de la bienveillance du
+gouvernement et de la Chambre pour l'établissement religieux,
+je vote contre l'amendement.</p>
+
+<p class="large">Je repoussai en ces termes le sous-amendement de
+M. Comte.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Je prie la Chambre de remarquer que la
+commission propose une réduction de 100,000 fr. et que
+le gouvernement annonce une diminution prochaine de 500
+bourses. Ainsi ce que demande l'honorable M. Comte se trouve
+dans la proposition du gouvernement et dans celle de la commission.
+Je n'ai pas combattu ces propositions. C'est uniquement
+à l'amendement de M. Dubois que je me suis opposé.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Dubois.</span>--La commission a, en effet, annoncé dans son
+rapport que le ministre avait pris la résolution d'éteindre successivement
+500 bourses, et que la diminution de 100,000 fr.,
+qui a eu lieu cette année, était un premier pas vers cette
+extinction. Eh bien, quand l'extinction de 500 bourses aura
+eu lieu, c'est-à-dire quand vous aurez retranché encore
+100,000 fr., car la diminution de 100,000 fr. retranche
+250 bourses, vous aurez atteint la limite d'extinction annoncée
+par le ministre.</p>
+
+<p>Il résulte de calculs positifs que l'année dernière vous
+entreteniez pour 1,210,000 fr. 3,025 élèves à 400 fr.
+Quand vous aurez atteint la limite de 500 bourses éteintes,
+vous entretiendrez encore 2,525 élèves qui coûteront
+1,010,000 fr. Je dis que cela est beaucoup trop, que
+vous ne pouvez pas entretenir 2,525 élèves quand, chaque
+année, il ne sort qu'un nombre de 1,200 prêtres, et c'est là
+qu'était toute la force de mon amendement. (<i>Bruit</i>).</p>
+
+<p>D'autre part, j'entre tout à fait dans les raisonnements de
+mon honorable ami M. Comte. Alors, si la Chambre consent
+à allouer 600,000 fr. au budget, il sera demandé un crédit
+supplémentaire pour faire face à la dépense des bourses jusqu'à
+ce que les jeunes gens aient fini leur éducation.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>, <i>de sa place</i>.--2,500 bourses ne donnent pas
+2,500 prêtres par an. Les études durent quatre ans; il faut
+quatre ans pour qu'un séminariste devienne prêtre. Il ne
+sort des grands séminaires que 500 ou 600 prêtres par an,
+et comme, d'après les calculs de M. Dubois, il en faut 1,200,
+il s'ensuit que, indépendamment de ceux qui ont été élevés
+comme boursiers, il en faut encore 600. (<i>Bruits divers.</i>)</p>
+
+<a name="XL" id="XL"></a>
+<br><br>
+<h3>XL</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du budget de 1832.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 28 février 1832.--</p>
+
+<p class="large">La commission chargée de l'examen du projet de
+budget pour l'exercice 1832 avait proposé, dans son
+rapport, à propos du chapitre XXII du budget du ministère
+de l'agriculture et du commerce, sur le service
+de la vérification des poids et mesures, une réduction
+de 500,000 francs. Je combattis cet amendement qui fut
+rejeté.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--J'avoue que je partage l'inquiétude des préopinants
+sur l'effet de l'amendement de votre commission à
+l'égard du système des poids et mesures.</p>
+
+<p>C'est sans aucun doute un des beaux ouvrages, un des
+beaux résultats de notre Révolution. C'est un résultat qui
+réunit, remarquez-le, l'utilité journalière, l'utilité minutieuse
+à la beauté scientifique et systématique. Il n'y a
+rien de si rare que ces deux avantages, celui de l'utilité de
+tous les jours et celui de la beauté scientifique réunis.
+(<i>Approbation.</i>)</p>
+
+<p>Eh bien, le système des poids et mesures a ce double
+mérite; et cependant, il rencontre encore, dans les habitudes
+populaires, de grands obstacles, il a eu besoin d'être
+soutenu par la main de fer du gouvernement impérial pour
+commencer à prévaloir. Il s'en faut encore beaucoup
+qu'il ait complétement prévalu, et il a besoin d'être soutenu
+encore longtemps par l'administration pour s'établir tout à
+fait dans les habitudes du pays.</p>
+
+<p>Messieurs, l'organisation actuelle des vérificateurs des
+poids et mesures me paraît seule propre à soutenir efficacement
+le système. Je crains qu'on ne se soit pas rendu un
+compte bien exact de ce que font les vérificateurs et de l'influence
+qu'ils exercent. Les vérificateurs font trois choses:
+la première est de tenir le bureau de poinçonnage et d'étalonnage
+pour toutes les mesures nouvelles; ce bureau se tient
+au chef-lieu de l'arrondissement.</p>
+
+<p>Ils font ensuite des tournées dans les arrondissements
+pour vérifier les poids et mesures anciens; enfin ils dressent
+les matrices des rôles de tous les assujettis à la vérification.
+Les assujettis s'élèvent en France à 900,000. Les rôles
+sont dressés ensuite pour les contributions directes et non
+pour les contributions indirectes.</p>
+
+<p>Quels sont les mérites de cette administration ainsi réduite
+à sa plus simple expression? C'est précisément
+d'être un service spécial fait par des hommes spéciaux qui
+ont étudié la matière. Assurément, il ne faut pas être un
+homme de génie pour comprendre le système des poids et
+mesures et pour en surveiller l'application; cependant il
+faut avoir un peu réfléchi, il faut avoir l'habitude de comparer
+les poids et mesures prodigieusement divers des départements
+avec les poids et mesures du système décimal. Eh
+bien! ce genre d'instruction ne peut appartenir qu'aux employés
+qui en ont fait une étude spéciale.</p>
+
+<p>De plus, le service de la vérification a cet avantage de
+n'être nullement fiscal. Je ne sais si beaucoup de membres
+de cette chambre ont pris la peine de lire avec soin l'ordonnance
+du 18 décembre 1825, qui a réglé cette organisation.
+Elle a veillé avec le plus grand soin à ce qu'il n'y eût rien de
+fiscal. En voici la preuve.</p>
+
+<p>Cette ordonnance porte, article 12:</p>
+
+<p>«Le montant du crédit ne pourra être supérieur au produit
+de la rétribution de l'année précédente; quand il sera
+reconnu que la totalité de la recette n'est pas absorbée par la
+dépense nécessaire, il sera pourvu à une réduction sur la
+quotité du tarif pour l'avenir, en observant ce qui est dit au
+dernier paragraphe de l'article 16.»</p>
+
+<p>Tant on a voulu que cette rétribution fût exclusivement
+affectée aux dépenses, et tant on s'est appliqué à ôter tout
+caractère de fiscalité à ce travail.</p>
+
+<p>Voici l'article 22:</p>
+
+<p>«Il est défendu aux vérificateurs de s'ingérer dans le recouvrement
+de la rétribution, et de percevoir ou accepter
+aucun salaire de la part de ceux dont ils vérifient les poids
+et mesures, à peine de concussion.»</p>
+
+<p>Vous voyez qu'on a compris à cette époque combien il
+était important d'ôter à cette vérification tout caractère de
+fiscalité. Eh bien, c'est ce service qui existe, qui n'a point de
+caractère fiscal, que vous allez défaire.</p>
+
+<p>Vous allez charger de ces fonctions des employés qui ont
+autre chose à faire, et pour lesquels cela ne sera qu'un accessoire,
+qui n'auront pas fait une étude spéciale du système
+des poids et mesures et qui seront portés à considérer leur
+nouveau service sous le point de vue purement fiscal; des
+employés qui sont eux-mêmes soumis à la vérification.</p>
+
+<p>C'est évidemment compromettre le service des poids et
+mesures, c'est lui ôter son caractère d'unité si important et
+sans lequel le système entier n'existe pas.</p>
+
+<p>L'ordonnance de 1825, dont j'ai parlé, a été contre-signée
+par M. Corbière; tous les gouvernements qui nous ont précédés
+ont protégé l'unité du système de l'administration des
+poids et mesures; il ne se peut pas que le gouvernement de
+Juillet détruise cette unité et porte atteinte à l'oeuvre de
+Monge. (<i>Très-bien! très-bien!</i>)</p>
+
+<a name="XLI" id="XLI"></a>
+<br><br>
+<h3>XLI</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du budget de 1832.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 7 mars 1832.--</p>
+
+<p class="large">Dans la discussion du budget du ministère des affaires
+étrangères pour l'exercice 1832, la politique de paix et
+d'observation des traités, proclamée et pratiquée par
+les cabinets du 8 août 1830 et du 13 mars 1831, avait
+été de nouveau et vivement attaquée. M. Casimir Périer,
+alors président du conseil, l'exposa et la défendit dans
+un long et remarquable discours que M. Mauguin entreprit
+de réfuter. Je pris la parole pour répondre à
+M. Mauguin, et après ma réponse, la Chambre ferma
+la discussion générale sur le budget des affaires étrangères.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, au point où cette discussion est
+arrivée, je n'ai nul dessein de la prolonger longtemps. Je ne
+prendrais même pas la parole s'il ne me semblait nécessaire
+d'appeler, de concentrer toute l'attention de la Chambre sur
+ce qu'il y a de vraiment nouveau dans notre situation et sur
+la conduite que cette face nouvelle des affaires nous conseille,
+à nous et à notre gouvernement.</p>
+
+<p>L'honorable préopinant nous disait tout à l'heure qu'il
+écarterait toutes nos discussions passées, qu'il s'imposerait
+de ne parler que de l'avenir de la France, de ce qui intéresse
+véritablement notre avenir. Il vous l'a promis, j'essayerai de
+le faire. (<i>Sourires</i>.)</p>
+
+<p>Il n'y a réellement d'important pour nous aujourd'hui,
+après les longues discussions qui ont eu lieu à ce sujet, que
+ce qui est nouveau, ce qui est survenu depuis que le ministère
+du 13 mars dirige les affaires du pays.</p>
+
+<p>En effet, il y a quelque chose de nouveau; nous commençons
+à sortir de cette situation violente où la question révolutionnaire
+domine et étouffe toutes les autres; nous commençons
+à sortir de cette situation où tout est question de
+vie et de mort, où tous les intérêts sont obligés de se taire
+devant un intérêt unique, exclusif, redoutable.</p>
+
+<p>Nous entrons dans cette situation plus libre où l'on peut
+tenir compte de tous les faits, balancer tous les intérêts,
+suivre une politique vraiment nationale, une politique indépendante,
+au lieu de se débattre sous le coup d'une question
+de vie et de mort. Eh bien, messieurs, persévérerons-nous
+dans ce système? Avancerons-nous dans cette voie nouvelle,
+ou retomberons-nous sous l'empire de la question révolutionnaire?
+C'est là aujourd'hui le problème que cette Chambre
+et le gouvernement sont appelés à résoudre.</p>
+
+<p>Rappelez-vous, messieurs, et je puis m'adresser à la mémoire
+de tous les membres de cette Chambre, quel est le
+fait sous l'empire duquel nous vivons, je puis dire, depuis
+quarante ans: c'est une coalition générale de l'Europe; c'est
+sous ce fait qu'après des efforts inouïs et des souffrances incroyables,
+la République française faillit succomber. Il fallut
+que la main de Bonaparte vînt la sauver.</p>
+
+<p><i>Plusieurs voix.</i>--La République s'était sauvée elle-même.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Il a sauvé la France, si vous voulez... (<i>Nouvelles
+réclamations</i>.)</p>
+
+<p><i>Voix des extrémités.</i>--La France était sauvée quand Bonaparte
+s'est mis à la tête du gouvernement.</p>
+
+<p><i>Aux centres.</i>--Laissez parler.</p>
+
+<p><span class="sc">M. de Grammont.</span>--Il n'est pas permis de défigurer ainsi
+l'histoire.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Bonaparte, fit plus que de gagner des batailles;
+il comprit très-bien d'où venait le danger; il comprit
+qu'il fallait briser l'unité de l'Europe, dissoudre cette
+coalition qui pesait sur la France. Étudiez la politique du
+gouvernement consulaire; étudiez ses actes, ses négociations,
+vous verrez qu'ils tendirent constamment à détruire l'unité
+de l'Europe, à chercher des alliés à la France. Il négocia
+successivement avec l'Espagne, le Portugal, la Prusse, l'Autriche.
+Il ne négligea aucun moyen de se faire des alliés; il
+chercha par tous les moyens à briser cette unité redoutable
+qui avait pesé sur la République française, et à entrer dans
+le système des alliances au lieu de rester sous celui de la
+lutte révolutionnaire; c'est l'honneur du gouvernement consulaire
+d'avoir ressuscité les négociations, d'avoir remis la
+France en paix avec telle ou telle puissance de l'Europe, et
+de l'avoir ainsi soustraite à ce fardeau de la coalition sous
+lequel elle avait failli succomber.</p>
+
+<p>Malheureusement, vous le savez tous, Napoléon rentra
+dans la voie d'où Bonaparte avait tiré la France. De même
+que la Convention avait aspiré à la révolution universelle, il
+refit contre lui-même la coalition qu'il avait travaillé à dissoudre;
+il succomba à son tour. Ce fut dans cet état, en
+présence de l'Europe liguée contre la France, que la Restauration
+s'accomplit.</p>
+
+<p>Quelle fut la tentative, l'effort de la France, ou plutôt de
+son représentant au congrès de Vienne? Ce fut de détruire
+l'unité de l'Europe, de la mettre en deux, de faire à la France
+une politique et des alliances distinctes. C'est, il faut le dire,
+l'honneur de M. de Talleyrand d'avoir consacré, pendant le
+congrès de Vienne, tous ses efforts à obtenir ce résultat,
+d'avoir travaillé à détruire l'alliance de Chaumont; il y
+réussit. Vous savez qu'il parvint à conclure une alliance
+entre la France, l'Angleterre et l'Autriche. Les Cent-Jours
+vinrent détruire cette oeuvre, et la France se retrouva en
+présence de la coalition européenne; celle-ci prit le nom de
+Sainte-Alliance, et se fit sous la prépondérance russe.
+Voilà le fait sous lequel nous avons vécu jusqu'à la révolution
+de Juillet, la Sainte-Alliance dirigée contre la France, et
+dans la Sainte-Alliance, la prépondérance russe, résultat naturel
+de la personne d'Alexandre et du rôle premier que la
+Russie avait joué dans la lutte contre Napoléon.</p>
+
+<p>Eh bien! la révolution de Juillet semblait devoir confirmer
+ce fait redoutable, resserrer tous les liens de la coalition
+européenne contre la France. Telles ont été en effet et
+nos craintes et les premières apparences; où en sommes-nous
+aujourd'hui? Je le demande, où en sommes-nous depuis
+que le système politique du cabinet se déploie en Europe?
+Je conviens qu'il n'y a pas de scission entre les
+puissances européennes; tous leurs représentants siégent à
+Londres; leur union n'est pas près de se rompre, elle ne se
+rompra pas, je l'espère; mais il est clair que l'unité de la
+coalition européenne a disparu, qu'il n'y a plus de coalition
+européenne contre la France.</p>
+
+<p>Je ne parle pas seulement de la ratification de l'Angleterre
+au traité du 15 novembre; il est évident, par le langage
+de ses ministres, par les sentiments qui éclatent et dans
+le parlement britannique et dans toute la nation anglaise, que
+si le gouvernement anglais n'a pas conclu un traité d'alliance
+offensive et défensive avec la France, il marche de concert
+avec le gouvernement français, qu'il est animé du même
+esprit, que les intérêts communs des deux nations sont compris
+par les deux gouvernements. Cela vaut bien les alliances
+offensives et défensives écrites, car cela les amène le jour où
+elles deviennent nécessaires. Ce que la France doit désirer,
+c'est que l'Europe ne soit pas troublée, c'est que la paix de
+l'Europe subsiste, et qu'au milieu de cette paix la coalition
+soit détruite virtuellement, que la France se prépare des
+alliances, une politique particulière pour le moment où elle
+en aura besoin.</p>
+
+<p>Eh bien! c'est ce qui existe aujourd'hui en Europe. L'union
+des puissances n'est pas troublée, mais il n'y a plus,
+je le répète, de coalition générale contre la France. Le gouvernement
+français et le gouvernement anglais marchent de
+concert, et s'il n'y a pas de traité conclu, qu'on ne vienne pas
+dire que cela tient à la présence de tel ou tel ministère, que
+cela dépend du succès de telle ou telle mesure dans le parlement
+britannique. Je crois que cette Chambre doit porter, et
+pour mon compte je porte au ministère actuel de l'Angleterre
+une véritable sympathie; je crois ses intentions excellentes,
+et pour l'Europe, et pour l'Angleterre, et pour nous. Je n'ai
+pas sur la mesure de la réforme une opinion arrêtée; je ne
+fais profession de savoir les choses que quand je les connais
+véritablement; cependant je désire le succès de cette mesure,
+qui me paraît le voeu prononcé de l'Angleterre. Mais, je
+le répète, je ne crois pas du tout que la bonne intelligence
+de la France et de l'Angleterre tienne au succès de telle ou
+telle mesure, à la présence de tel ou tel ministère. Elle a
+des causes bien supérieures qui subsisteraient quand même
+les discussions du parlement auraient une autre issue que
+celle que nous pouvons attendre et espérer.</p>
+
+<p>Je ne connais aujourd'hui en Angleterre que le parti tory
+violent, exagéré, qui puisse vouloir rompre avec la France,
+une guerre avec la France, et la guerre générale en Europe:
+eh bien! le torysme violent n'a aucune chance en Angleterre,
+à moins que la France elle-même ne lui en donnât par sa
+conduite violente en Europe, et par l'exagération de l'esprit
+révolutionnaire chez nous.</p>
+
+<p>Après cela, qu'il arrive ce qu'il voudra en Angleterre,
+que la discussion qui s'agite dans le parlement britannique
+ait l'issue que le pays trouvera sage. Pour nous, quelque intérêt
+que nous portions à la réforme, quelle que soit notre
+sympathie pour le ministère actuel, notre sort n'est pas lié
+au sien, et la bonne intelligence de la France et de l'Angleterre
+peut trouver sa place dans une foule d'autres combinaisons.</p>
+
+<p>Le progrès politique dont je parle est moins avancé, j'en
+conviens, sur le continent qu'au delà du détroit. La Prusse
+et l'Autriche sont plus engagées que l'Angleterre dans les
+traditions, les habitudes, et pour tout dire, les intérêts de la
+Sainte-Alliance; elles sont placées encore, je ne dirai pas
+dans la dépendance, mais sous la prépondérance russe, et
+fort au delà de ce qui leur convient.</p>
+
+<p>Cependant, il est impossible de ne pas remarquer déjà,
+dans chacune de ces deux puissances, une certaine tendance
+à relâcher les liens qui les unissaient à la Russie, à se faire
+une politique propre, personnelle, à agir plus librement
+qu'elles ne l'ont fait pendant les quinze années de la Restauration;
+il est impossible, après l'issue qu'a eue la guerre
+de Pologne, que l'Autriche ne reprenne pas quelques-unes
+de ses anciennes méfiances contre la Russie, de ces méfiances
+qui ne l'ont jamais quittée, de ces méfiances qui, au commencement
+de notre gouvernement et lorsque la coalition
+européenne se formait contre nous, l'ont retardée longtemps.
+L'Autriche reprendra bientôt quelques-unes de ces
+méfiances.</p>
+
+<p>D'un autre côté, l'Autriche ne renoncera pas aisément à
+l'alliance anglaise, qui est dans les habitudes du cabinet de
+Vienne; cette alliance est un principe politique pour la monarchie
+autrichienne. D'ailleurs, il s'est formé en Autriche
+une multitude d'intérêts nouveaux auxquels nous ne pensons
+pas assez, et qui modifient puissamment la politique des cabinets.
+Ainsi, il y a quelques années, l'Autriche n'avait pas
+dans la Méditerranée plus de deux ou trois cents bâtiments
+de commerce; elle en a aujourd'hui plus de deux mille. Son
+commerce a pris une telle extension qu'il est impossible
+qu'elle ne ménage pas beaucoup, sous ce rapport, des intérêts
+aujourd'hui très-puissants, et qui n'étaient rien il y a
+quelques années.</p>
+
+<p>C'est ainsi que, par ses progrès naturels, la civilisation se
+défend elle-même, qu'elle protège la paix, qu'elle oblige les
+gouvernements de modifier leur politique. Quoique extérieurement
+les choses restent les mêmes, il y a une foule de
+causes qui imposent à l'Autriche une politique différente de
+celle qu'elle a suivie autrefois, et qui l'obligent aujourd'hui
+à se placer un peu hors des habitudes et des routines de la
+Sainte-Alliance, à être un peu moins sous la prépondérance
+russe qu'elle ne l'a été depuis quinze ans.</p>
+
+<p>Je pourrais faire le même travail sur la Prusse; je pourrais
+montrer les intérêts nouveaux qui se sont créés, le système
+essentiellement pacifique de son gouvernement, le
+besoin qu'elle a de la paix, même pour cette influence sur
+l'Allemagne dont on parlait tout à l'heure.</p>
+
+<p>D'ailleurs, il ne faut pas oublier que la personne, la volonté,
+l'opinion du roi de Prusse, est d'un grand poids dans
+la politique de son cabinet; d'autant que c'est un roi très-populaire,
+très-cher à son pays, qui lui a rendu d'éminents
+services, qui a protégé la liberté de la pensée, et favorisé le
+développement de l'intelligence au delà de ce qu'ont fait
+tous les autres souverains de l'Allemagne. Il a rendu surtout
+à son pays ce service immense, celui de réunir en une seule
+Église les luthériens et les calvinistes jusque-là séparés.</p>
+
+<p>La politique personnelle du roi de Prusse est essentiellement
+pacifique; elle l'oblige à garder une extrême réserve,
+ou du moins une bien plus grande réserve que ne faisait
+jadis Frédéric-Guillaume, dans la vue générale d'une coalition
+contre la France.</p>
+
+<p>Ainsi, messieurs, sur le continent, pour l'Autriche même
+comme pour la Prusse, le lien de la Sainte-Alliance est partout
+relâché; partout une politique nouvelle s'insinue dans
+les relations des cabinets, et les oblige à modifier leurs anciennes
+routines.</p>
+
+<p>Reste, il est vrai la Russie, beaucoup plus fidèle, j'en conviens,
+aux traditions de la Sainte-Alliance; d'abord elle l'avait
+enfantée; elle y avait la prépondérance, c'était son oeuvre,
+son empire; il est naturel qu'elle y tienne davantage; d'ailleurs
+les principes de l'absolutisme sont plus ceux de la
+Russie que de toute autre puissance; il n'y a pas lieu de
+s'étonner de cette adhérence plus longue de la Russie à la
+Sainte-Alliance. Cependant elle n'en est pas venue jusqu'à
+une hostilité sérieuse, véritable, contre la France.</p>
+
+<p>Ne croyez pas les bruits répandus à ce sujet. Les gouvernements
+absolutistes ne sont pas aussi légers, aussi téméraires
+qu'on est tenté quelquefois de le croire. Savez-vous
+quelle eût été l'envie de l'empereur Nicolas? De mettre la
+France de Juillet au ban de l'Europe, de lui rendre les relations
+plus difficiles, plus épineuses, plus malveillantes.
+C'était là la politique de l'empereur de Russie, et non pas
+une guerre générale et déclarée.</p>
+
+<p>Eh bien! si tous les faits que j'ai eu l'honneur de rappeler
+à la Chambre sont exacts, il est évident que la Russie
+ne dispose plus de l'Europe comme le faisait la Sainte-Alliance.
+D'un autre côté, il est impossible que l'empereur
+Nicolas lui-même ne s'aperçoive pas que la politique, je
+n'ose pas dire qu'il suit, mais dans laquelle il semble vouloir
+persister trop longtemps, nuit à la cause qu'il veut servir.
+Ce sont l'esprit révolutionnaire, les chances de révolution
+qui alarment l'empereur Nicolas. Eh bien! tout retard à la
+pacification générale de l'Europe, tout retard à des arrangements
+définitifs et généraux entretient le ferment révolutionnaire,
+empêche l'esprit de paix et d'ordre de renaître
+véritablement en Europe: en sorte que, par sa persistance
+imprudente dans la politique de la Sainte-Alliance, l'empereur
+Nicolas compromettrait la cause qui lui est chère, et prêterait
+des forces à l'esprit révolutionnaire qu'il veut combattre.</p>
+
+<p>Il est impossible qu'il ne s'aperçoive pas de ce danger et
+qu'il ne renonce pas de lui-même à une erreur qui n'est,
+permettez-moi de le dire, qu'une routine.</p>
+
+<p>Il est une vérité proclamée par tout le monde, je crois,
+excepté par l'honorable M. Mauguin; c'est que la prépondérance
+russe n'existe plus, ou du moins qu'elle est grandement
+affaiblie.</p>
+
+<p>J'avoue que j'ai été étonné d'entendre dire tout à l'heure
+que l'issue de la guerre de Pologne tournerait en grand accroissement
+de puissance pour la Russie. Ce qui m'a paru
+depuis deux ou trois mois évident pour tout le monde, c'est
+que, quelle qu'ait été l'issue de la guerre de Pologne, la
+Russie n'en a pas moins reçu un notable échec dont elle
+portera longtemps les marques; non-seulement à cause des
+efforts matériels, des sacrifices d'hommes et d'argent qu'elle
+a été obligée de faire dans cette lutte, efforts plus grands
+qu'on ne sait au dehors, et qui lui ont coûté plus cher
+qu'on ne croit, mais à cause de son influence morale qui
+s'est affaissée.</p>
+
+<p>Eh quoi! l'on a vu 60 ou 80,000 hommes et une seule
+ville résister pendant près d'une année à la puissance de l'empire
+russe, tenir les esprits en suspens, faire un moment
+flotter les destinées; et l'on trouverait là un grand accroissement
+de force et de crédit pour l'empire russe! J'ose dire
+qu'il n'y a aucun accroissement de territoire qui puisse compenser
+l'échec que la Russie a éprouvé dans cette circonstance.
+(<i>Voix nombreuses.</i> Très-bien, très-bien!)</p>
+
+<p>Vous le voyez, messieurs, malgré les apparences, malgré
+l'union qui continue à régner entre les puissances de l'Europe,
+la Sainte-Alliance s'écroule de toutes parts, les liens
+s'en relâchent. La politique constamment unie contre
+la France s'affaiblit; chaque État revient à une politique
+plus personnelle, plus libre; les combinaisons intérieures de
+chaque État peuvent varier, la France peut trouver place
+dans ces différentes combinaisons.</p>
+
+<p>Il n'est pas vrai que la France soit engagée dans tel ou
+tel système exclusivement, qu'elle ne puisse pas, dans telle
+ou telle occasion, chercher et trouver d'autres alliés. C'est
+par la force de sa position qu'elle veut la paix en Europe;
+elle a contribué plus qu'aucune autre puissance à maintenir
+la paix européenne; elle est libre de choisir désormais
+ses alliés et de faire prédominer, dans tel ou tel
+moment, tels ou tels de ses intérêts. Si j'avais besoin de
+preuves spéciales et positives, je les trouverais bien facilement
+dans les événements qui occupent aujourd'hui tous les
+esprits, dans les affaires d'Italie et dans les affaires même
+d'Ancône. Si jamais il a été évident que l'état général de
+l'Europe était changé, que la Sainte-Alliance était détruite,
+que la France était maîtresse de sa politique, et pouvait retrouver
+les combinaisons les plus avantageuses, l'affaire d'Ancône
+en est la preuve. (<i>Rires d'incrédulité aux extrémités.</i>)
+Permettez-moi de vous le prouver. (<i>Marques générales d'attention.</i>)</p>
+
+<p>Messieurs, quand a éclaté l'insurrection de la Romagne,
+la première, et j'ajouterai même la seconde, vous savez que
+l'opinion générale qui nous a saisis tous a été que c'était
+une manifestation d'un vif esprit de liberté, que ces populations
+voulaient avoir des institutions nouvelles, que les concessions
+offertes et même données par le gouvernement
+n'étaient pas suffisantes, qu'il en fallait de beaucoup
+plus étendues et plus solides; c'était l'opinion générale.
+Cependant au milieu de cette opinion, on a entendu dire
+tout à coup, je ne dirai pas qu'une assez vive sympathie, le
+mot est trop fort, mais qu'une assez grande faveur pour
+l'Autriche se manifestait dans ces États et qu'ils n'étaient
+pas fâchés de la rentrée des troupes autrichiennes. Cette prédilection
+pour l'Autriche, du côté de la Lombardie, a dû
+nous étonner; cependant il est impossible de méconnaître
+le fait.</p>
+
+<p>On a dit tout de suite qu'il s'agissait d'une grande intrigue
+de la part de l'Autriche, d'une intention de conquête, et que
+son intervention dans la Romagne n'était qu'un prétexte
+pour s'emparer de cette province, et l'ajouter à ses possessions
+italiennes.</p>
+
+<p>Je ne crois, je dois le dire, ni à l'un ni à l'autre fait. Je
+ne crois pas que ce soit le besoin général et vivement senti
+d'institutions libres qui ait soulevé la Romagne. Il y a là, à
+mon avis, une question beaucoup plus profonde, beaucoup
+plus difficile à résoudre. Je ne crois pas aux intrigues autrichiennes
+pour conquérir Bologne, et l'ajouter aux autres
+possessions de l'Autriche en Italie.</p>
+
+<p>L'Autriche sait très-bien que ni la France, ni l'Angleterre,
+ni la Prusse, ne souffriraient un pareil accroissement de sa
+part en Italie. Mais l'état général de l'Italie a amené ces
+insurrections partielles, et en amènera peut-être, dans la
+série des années, beaucoup d'autres. Il y a là un malaise général,
+la souffrance d'un pays qui aspire à un changement
+d'état; non-seulement cette cause excite naturellement des
+mouvements analogues à ceux que vous avez vus; mais c'est
+un excellent principe de guerre générale en Europe, une
+excellente chance pour certaines gens d'établir par ce moyen
+une collision dont ils ont besoin, et qu'ils n'ont pu réussir à
+opérer ailleurs. Nous ne pouvons le méconnaître; nous
+sommes trop accoutumés à regarder les affaires de notre
+pays et celles de l'Europe pour ne pas voir qu'il y a un
+parti, une faction qui a besoin d'une guerre générale, qui
+n'a d'espérance, de chance que dans une collision universelle.
+Eh bien, on avait espéré que cette collision naîtrait de
+la Belgique, elle a manqué; on l'avait espérée de la Pologne;
+elle a manqué. On la cherche en Italie.</p>
+
+<p>Il y a là un foyer de guerre générale, et je ne doute pas
+(je ne sais aucun fait particulier, je n'inculpe personne), je
+ne doute pas que l'insurrection polonaise d'abord, et ensuite
+cette espèce de mouvement qui s'est manifesté, vers l'Autriche,
+n'aient été fomentés par ce besoin d'une guerre
+générale qui a été deux fois déjà l'espérance de cette faction;
+je ne doute pas qu'on n'ait espéré, si les provinces bolonaises
+se détachaient tout à fait du gouvernement papal
+et se rattachaient à l'Autriche, cette collision qui avait
+manqué en Belgique et en Pologne.</p>
+
+<p>Je crois qu'on se sera trompé pour l'Italie comme on
+s'est trompé en Belgique et en Pologne. Je crois fermement
+que le gouvernement de l'Autriche a trop de bon sens
+pour ne pas comprendre que la possession même de la
+Romagne ne vaut pas à beaucoup près pour lui les chances
+d'une guerre générale. La France, d'un autre côté, sait très-bien
+et a prouvé par sa conduite qu'un succès aussi vif qu'on
+voudra le supposer ne lui vaudrait rien pour elle-même.</p>
+
+<p>Ainsi la France et l'Autriche ne donneront pas dans le
+piége qui leur est tendu; elles ne se laisseront pas entraîner
+dans une collision.</p>
+
+<p>Cependant le malaise italien est un fait qu'on ne peut
+supprimer et dont il faut tenir compte. L'Autriche a
+grande envie, sinon de conquérir, du moins de maintenir ou
+d'étendre sa prépondérance en Italie; l'Autriche veut que
+l'Italie lui appartienne par voie d'influence; la France ne
+peut le souffrir.</p>
+
+<p>Eh bien! là où l'on voudrait une cause de collision générale,
+ce sera seulement une cause de difficultés, de négociations
+entre les deux puissances. Il faut que chacun prenne ses
+positions; l'Autriche a pris les siennes; nous prendrons les
+nôtres; nous lutterons pied à pied contre l'influence autrichienne
+en Italie; nous éviterons une collision générale;
+mais nous ne souffrirons pas que l'Italie tout entière tombe
+décidément et complétement sous la prépondérance autrichienne.</p>
+
+<p>Et remarquez, messieurs, les révolutions, l'insurrection,
+la conquête, voilà la politique révolutionnaire, celle dans
+laquelle on voudrait nous entraîner. Des expéditions partielles,
+des mesures comminatoires, des négociations, voilà
+la politique régulière, la politique de la civilisation. (<i>Marques
+nombreuses d'approbation.</i>)</p>
+
+<p>Eh bien, c'est cette politique que nous devons suivre en
+Italie. Sans doute nous devons lutter contre l'Autriche, favoriser
+le développement des libertés italiennes; nous devons
+penser à la prodigieuse incertitude de l'avenir de ce grand
+pays, y préparer notre politique tranquillement, régulièrement,
+en n'ayant pas peur des embarras et des difficultés,
+en sachant les affronter au besoin et les surmonter
+lentement.</p>
+
+<p>Je sais que cette politique est compliquée, difficile; je
+sais que ce n'est pas celle à laquelle nous sommes habitués
+depuis quarante ans; mais remarquez la situation nouvelle
+où le gouvernement représentatif et la liberté de la presse
+placent la politique. Les gens qui écrivent sur les événements
+et ceux qui les lisent croient assister à un spectacle, à un
+drame; ils sont des spectateurs oisifs, pressés que la pièce
+marche et qu'elle arrive à son dénoûment; ils sont impatients
+des difficultés, des lenteurs; ils s'ennuient. Mais les
+événements sont très-réels; ce n'est pas une comédie; les
+personnages sont très-réels aussi, et ils ne sont pas si pressés
+que les spectateurs; ils prennent leurs aises, ils calculent
+leurs intérêts. En politique pratique, cette rapidité nécessaire
+à un drame joué devant le public assemblé ne conviendrait
+point; les événements se déroulent bien plus
+lentement, avec plus de difficultés. Vous vous plaignez que
+la Prusse, la Russie, l'Autriche et la Hollande, n'aient pas
+encore reconnu l'indépendance de la Belgique. Messieurs,
+au <span class="sc">XVI</span><sup>e</sup> siècle, la Belgique, les Pays-Bas voulurent se rendre
+indépendants de l'Espagne. Voulez-vous me permettre de
+vous rappeler quel temps ils ont mis à se faire reconnaître.
+(<i>Mouvement.</i>)</p>
+
+<p>La première insurrection a eu lieu en 1562.</p>
+
+<p>La déclaration de l'indépendance des Provinces-Unies a été
+faite en 1581; la première trêve que l'Espagne accorda eut
+lieu en 1609: cette trêve fut accordée par suite de la médiation
+de la France et de l'Angleterre. La guerre a recommencé
+en 1621, et ce n'est qu'en 1648, quatre-vingt-six ans
+après, que l'Espagne a reconnu l'indépendance des Provinces-Unies.
+(<i>Bruits divers. Rires d'approbation aux centres.</i>)
+C'est à travers ces épreuves et des souffrances inouïes
+que les Provinces-Unies parvinrent à assurer leur indépendance.</p>
+
+<p>Non, messieurs, la Belgique n'a pas à se plaindre; il lui
+en a peu coûté pour redevenir un État; elle a été heureuse
+de trouver si promptement la protection de la France. C'est
+au sein de la paix, c'est sans de grandes souffrances, qu'elle
+attend les ratifications générales qui lui arriveront; je ne
+sais si ce sera dans deux ou trois mois; mais si elles se faisaient
+plus longtemps attendre, ce ne serait pas encore
+une raison pour nous élever contre un système de politique
+qui a amené de si prompts et de si rapides résultats.</p>
+
+<p>Je demande à la Chambre la permission de le lui répéter,
+parce que c'est, à mon avis, le seul fait important de notre
+situation; nous commençons à sortir de la question révolutionnaire;
+nous commençons à entrer dans ces questions de
+politique pratique où il y a de la liberté, de la diversité, et
+qui ne sont point des questions de vie et de mort dont on
+ne peut attendre sans crainte la solution.</p>
+
+<p>Ce résultat, ce pas que nous avons fait hors de la politique
+révolutionnaire, nous le devons au système du gouvernement
+depuis la révolution de Juillet; à ce système modéré
+et pacifique qui n'a engagé la France ni dans les voies révolutionnaires,
+ni dans aucune combinaison exclusive.</p>
+
+<p>La Chambre a appuyé ce système; qu'elle persévère à lui
+donner son appui. Les difficultés que nous rencontrons
+sont graves, sans doute, mais elles n'ont rien de fatal, de
+menaçant; elles se résoudront toutes par la bonne conduite
+du gouvernement, et la persévérance des pouvoirs constitutionnels
+dans les mêmes voies. C'est plus que jamais pour
+la Chambre le moment de donner force et confiance au ministère
+qui nous a fait entrer dans cette voie, la seule voie
+de salut.</p>
+
+<p>Je vote pour le budget des affaires étrangères tel qu'il a été
+proposé par le Gouvernement, sans aucune réduction, parce
+que je suis convaincu que la France n'a rien de plus pressé,
+rien de plus important, aujourd'hui, que d'appuyer ce premier
+essai de politique raisonnable et naturelle que nous
+voyons poursuivre depuis un an. (<i>Marques nombreuses et
+prolongées d'approbation.</i>)</p>
+
+<a name="XLII" id="XLII"></a>
+<br><br>
+<h3>XLII</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du budget de 1832.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 14 mars 1832.--</p>
+
+<p class="large">Dans la discussion du budget du ministère de la
+guerre pour l'exercice 1832, M. Mangin d'Oins, député
+d'Ille-et-Vilaine, proposa par amendement:</p>
+
+<p class="large">1° La mise à la retraite de 78 lieutenants généraux
+et de 122 maréchaux de camp;</p>
+
+<p class="large">2° L'allocation de 10,000 francs aux 42 lieutenants
+généraux, et de 6,666 francs aux 60 maréchaux de
+camp qui resteraient en non-activité. Ce qui devait produire
+une réduction de dépenses de 1,686,040 francs.</p>
+
+<p class="large">Je combattis cet amendement qui fut rejeté.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, je viens prier la Chambre de
+mettre un terme, et un terme prompt, à cette discussion.</p>
+
+<p><i>Aux extrémités.</i>--Eh bien! aux voix, aux voix! (<i>Agitation.</i>)</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, permettez..... (<i>Non, non, aux
+voix!</i>) Messieurs, personne ne pense plus que moi que la
+Chambre ne doit céder à aucune crainte; personne n'est
+plus convaincu que moi que la Chambre peut avoir, dans
+des occasions que je ne veux pas caractériser, des devoirs
+difficiles, rigoureux même à remplir; et si elle se trouvait
+dans une de ces occasions, je serais le premier à lui demander
+tout son courage, quels que fussent les périls. Mais
+rien de pareil n'existe aujourd'hui. Je prie la Chambre de se
+rappeler la situation où elle se trouve. La Chambre des
+députés est de fait, et par une conséquence naturelle de notre
+révolution, le pouvoir prépondérant de l'État; c'est elle qui
+détermine la direction du gouvernement, et qui imprime le
+caractère de son opinion aux affaires publiques. Or, messieurs,
+la responsabilité est inhérente au pouvoir, à la prépondérance.
+Conduisez-vous avec la prudence que commande
+la responsabilité.</p>
+
+<p>Que fit Henri IV après la Ligue? Il paya les dettes de ses
+ennemis, les dettes de Mayenne; il paya même trois fois
+plus de dettes que Mayenne n'en avait. Henri IV savait qu'au
+sortir des troubles politiques, il faut surtout s'appliquer à
+guérir toutes les plaies, à rassurer toutes les existences; il
+savait que c'est une faute énorme de porter sans cesse le
+trouble et l'inquiétude dans toutes les classes de la société...
+(<i>Aux voix, aux voix!</i>)</p>
+
+<p><i>Plusieurs voix aux extrémités.</i>--A l'amendement, à
+l'amendement!</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--C'est de l'amendement que je parle.</p>
+
+<p><i>Au centre.</i>--Écoutez, écoutez!</p>
+
+<p><i>M. le Président du Conseil.</i>--Attendez le silence!</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Ce que la Chambre a à faire aujourd'hui,
+la mission à laquelle elle est appelée, c'est de se conduire
+comme fit Henri IV, de jouer le rôle d'un grand homme, de
+suivre une bonne politique, une politique prudente et nationale.</p>
+
+<p>Un orateur accusait hier le ministère de chercher à contenter
+tout le monde, et de ne s'occuper que des intérêts
+privés. Messieurs, c'est chose impossible, je le sais fort bien,
+que de contenter tout le monde; mais il faut chercher aussi
+à ne pas mécontenter tout le monde. (<i>Très-bien, très-bien.</i>)
+C'est là le premier devoir d'un gouvernement, et on sert en
+cela l'intérêt général, car l'intérêt général n'est autre chose
+que la collection des intérêts privés, qu'il faut consulter
+tous et ménager continuellement. Eh bien! c'est le devoir
+de la Chambre, c'est sa mission de penser à toutes choses,
+de ménager tous les intérêts, de se les concilier tous, autant
+qu'il est en son pouvoir; car c'est sur elle, je le répète, que
+pèse la principale responsabilité des destinées de la révolution
+de Juillet et du gouvernement qui en est sorti. (<i>Aux
+voix, aux voix!</i>)</p>
+
+<p>Je dirai plus, messieurs; la Chambre, en suivant la
+mauvaise politique dont je viens de parler manquerait non-seulement
+à sa situation, elle manquerait encore, je n'hésite
+pas à le dire, à ses sentiments, à ses propres sentiments.</p>
+
+<p>Tous les glorieux souvenirs de notre révolution, tous les
+noms propres qui s'y rattachent sont chers à la Chambre; la
+Chambre honore et aime toutes nos gloires, elle désire marquer
+sa bienveillance et son estime à ces guerriers à qui
+nous devons nos triomphes. Mais il faut, messieurs, que la
+Chambre sache que la reconnaissance coûte quelque chose au
+gouvernement et au peuple, qu'il faut faire des sacrifices pour
+marquer l'estime que l'on porte à de grands services rendus,
+qu'il n'est pas possible de témoigner dignement sa reconnaissance
+et de dégrever en même temps les contribuables.
+(<i>Bruits divers.</i>) La France veut, la France doit payer la gloire
+qu'elle doit à ses défenseurs, car c'est elle qui en a recueilli
+les fruits; leur gloire est pour elle aussi bien que pour eux;
+mais la gloire coûte cher, la reconnaissance coûte cher.
+N'hésitons pas, messieurs, à le dire au pays. C'est par de
+telles leçons qu'il apprendra qu'il ne faut pas se précipiter
+aveuglément dans les révolutions; c'est par de telles leçons
+qu'il saura que la paix, la liberté régulière, le régime constitutionnel
+valent mieux que tous les hasards des révolutions.</p>
+
+<p>Je le répète, je demande instamment à la Chambre de terminer
+cette discussion.</p>
+
+<p><i>Voix de la droite.</i>--Eh bien! terminez votre discours.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Qu'elle consulte sa vraie situation, ses
+propres affections; qu'elle réprime les abus à venir, qu'elle
+réforme dans l'avenir les mauvais systèmes; mais qu'elle soit
+juste, large, généreuse pour tous les services rendus, pour
+toutes les gloires passées. (<i>Approbation aux centres.</i>)</p>
+
+<a name="XLIII" id="XLIII"></a>
+<br><br>
+<h3>XLIII</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du budget de 1832.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 20 mars 1832.--</p>
+
+<p class="large">Le budget du ministère de la guerre contenait (chapitre
+<span class="sc">XV</span>) une allocation de 500,000 francs «pour secours
+aux anciennes armées de l'Ouest.» Plusieurs amendements
+furent proposés pour la réduction de cette
+somme. M. Casimir Périer et M. le maréchal Soult les
+combattirent au nom de la politique. J'appuyai le cabinet
+dans sa résistance. Les amendements furent rejetés.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot</span>, <i>de sa place.</i>--Il est, je crois, bien convenu
+que les secours dont il s'agit ne constituent pas des droits,
+que le gouvernement est toujours libre de les retirer aux
+personnes à qui ils sont donnés. Lors donc que vous voulez
+réduire l'allocation, ce que vous allez réduire, ce sont les
+moyens d'action, les moyens d'influence du gouvernement
+dans l'Ouest. (<i>Mouvement en sens divers.</i>) Je ne doute pas que
+le gouvernement ne retire et ne doive retirer ces secours
+aux personnes qui, dans l'Ouest, se conduiraient mal et manifesteraient
+leur hostilité contre le gouvernement actuel.</p>
+
+<p>Mais ce crédit, cette allocation laissée entre les mains du
+gouvernement est évidemment un moyen d'influence sur des
+gens dont il ne s'agit pas de conquérir l'affection, mais dont
+il faut maintenir la tranquillité. Ceci n'est pas, je le répète,
+une question d'affection, ce n'est pas non plus une question
+de justice ni de droit; c'est une question d'influence, c'est
+une mesure politique; si le gouvernement trouvait que les
+gens auxquels ces secours sont donnés ne les méritent pas,
+il les leur retirerait, et ne ferait aucun usage de votre crédit.</p>
+
+<p>Je demande que le crédit soit maintenu tout entier, afin
+de ne pas affaiblir les moyens d'influence dont le gouvernement
+dispose librement. (<i>Aux voix, aux voix!</i>)</p>
+
+<a name="XLIV" id="XLIV"></a>
+<br><br>
+<h3>XLIV</h3>
+
+<p class="mid">Discussion du projet de loi relatif à la résidence des étrangers
+réfugiés en France.</p>
+
+<p class="mid">--Chambre des députés.--Séance du 9 avril 1832.--</p>
+
+<p class="large">Le cabinet présenta, le 9 mars 1832, à la Chambre
+des députés, un projet de loi relatif à la résidence des
+étrangers réfugiés en France et aux droits du gouvernement
+à leur égard. Le rapport en fut fait à la Chambre
+le 7 avril 1832, par M. Parant, député de la Moselle.
+Plusieurs membres de l'opposition, entre autres M. de
+La Fayette, combattirent vivement ce projet. J'appuyai
+la proposition du cabinet, qui fut adoptée et promulguée,
+comme loi, le 21 avril 1832.</p>
+
+<p><span class="sc">M. Guizot.</span>--Messieurs, je demande à la Chambre une
+double permission: la première de ne pas l'occuper de politique
+extérieure; ceci n'est pas du tout une question de
+relations étrangères; c'est une question d'ordre intérieur, de
+police française. Nous n'avons point à nous inquiéter en ce
+moment de ce qui s'est passé, de ce qui se passe au dehors;
+je n'y reviendrai pas.</p>
+
+<p>Je prie aussi la Chambre de trouver bon que je ne
+rentre pas dans ces discussions générales sur le système de
+gouvernement qui préside à nos destinées depuis un an,
+dans ces accusations, ces défenses, ces récriminations générales
+dont nous sommes abreuvés. (<i>Voix aux centres:</i>
+C'est bien vrai!) J'ai pris part moi-même plusieurs fois à
+ces débats, j'en suis las... passez-moi l'expression. Je ne
+veux que présenter à la Chambre quelques observations sur
+la question particulière, sur la loi spéciale qui nous est
+proposée et sur laquelle je n'avais, en arrivant, nul dessein
+de prendre la parole.</p>
+
+<p>Messieurs, j'estime, autant que l'honorable général qui a
+ouvert la discussion, cette philanthropie générale qui s'intéresse
+au sort universel de l'humanité, au progrès général
+de la civilisation, et considère l'intérêt commun de tous les
+peuples. Comme lui, je désire que les peuples se dégagent
+de ces préventions, de ces haines nationales qui ont si longtemps
+troublé l'Europe. Mais, messieurs, si j'honore la philanthropie
+générale, j'estime aussi l'esprit de nationalité et
+les sentiments qui le constituent; j'estime l'esprit de nationalité
+comme j'estime l'esprit de localité, l'esprit de famille,
+car là résident les véritables liens qui attachent les hommes
+à la société particulière dans laquelle ils sont engagés et lui
+assurent leur affection et leur dévouement. Je m'étonne d'entendre
+constamment parler contre la centralisation de notre
+administration intérieure, contre ses funestes conséquences
+pour la vie morale de nos départements et de nos villes; et
+en même temps on veut nous imposer je ne sais quelle
+centralisation universelle de l'Europe; on veut que nous
+nous inquiétions surtout des destinées universelles de l'humanité,
+et que nous leur subordonnions les affaires particulières
+de notre pays.</p>
+
+<p>Ce n'est pas ainsi, messieurs, que nous entretiendrons,
+que nous ramènerons chez nous l'amour de nos institutions,
+l'esprit national, tous les éléments du patriotisme. Sachez-le
+bien, messieurs; c'est là ce qui fait la véritable force, c'est
+là que réside le véritable honneur des nations. Il faut encourager,
+nourrir ces sentiments et non les affaiblir. Ne
+craignez pas qu'ils exercent aujourd'hui trop d'empire; ce
+n'est pas le risque que nous courons.</p>
+
+<p>Le principe sur lequel se fonde la loi qui vous est proposée
+est que les étrangers n'ont pas les mêmes droits que
+les nationaux; pourquoi, messieurs? parce qu'ils n'offrent
+pas les mêmes garanties. Les étrangers ne sont point animés,
+envers le pays qu'ils habitent en passant, des mêmes sentiments
+que les nationaux; leurs intérêts, leurs affaires, leur
+existence tout entière ne sont pas liés aux intérêts, aux
+affaires, à l'existence du pays; n'offrant donc pas les mêmes
+garanties à l'ordre public, à l'intérêt national, les étrangers
+ne doivent pas, ne peuvent pas avoir les mêmes droits. Voilà
+le motif légitime, naturel, de cette législation particulière à
+l'égard des étrangers qui se rencontre partout.</p>
+
+<p>Il ne faut pas s'en étonner; il ne faut pas la traiter de privilége,
+de barbarie. C'est le résultat naturel, universel, du
+bon sens humain; c'est ce qui a existé de tout temps et dans
+toute société. Une législation particulière à l'usage des étrangers,
+c'est le droit commun de l'Europe, de l'humanité
+tout entière. Cette législation suivra sans doute les progrès
+de la civilisation; elle deviendra chaque jour plus douce,
+plus humaine, plus juste; mais elle existera tant qu'il y
+aura des nations distinctes et des pays séparés.</p>
+
+<p>La vraie, l'unique question qui doive nous occuper est donc
+celle de savoir si, dans les circonstances particulières où
+nous nous trouvons, dans les rapports actuels de la France
+avec l'Europe, il y a quelque motif d'adopter, à l'égard des
+étrangers, les mesures particulières que le gouvernement
+vous propose.</p>
+
+<p>Je prie d'abord la Chambre de remarquer que le gouvernement
+était en possession d'une loi formelle plus d'une fois
+appliquée, et qui lui donnait le droit d'expulser les étrangers
+du territoire. Le gouvernement ne vient donc pas vous
+demander quelque chose d'inouï, un accroissement de rigueur
+à la législation actuelle. Il vient simplement, sincèrement,
+vous proposer de modifier, selon les circonstances
+actuelles, la législation en vigueur.</p>
+
+<p>Remarquez, je vous prie, messieurs, que, depuis la révolution
+de Juillet, l'administration est arrivée à un degré de
+franchise et de sincérité que peut-être elle n'avait jamais eu
+auparavant.</p>
+
+<p>Nous avons vu des administrations bienveillantes, prudentes,
+occupées du bien du pays, très-rarement une administration
+complétement sincère, qui avouât hautement, qui
+professât, qui pratiquât, sans exception, sans détour, les
+principes constitutionnels, et vînt débattre au grand jour,
+dans cette enceinte, toutes les affaires du pays. Vous avez
+cela, messieurs; vous avez un gouvernement sincère, qui
+vient tout vous dire, qui vous demande tout ce dont il croit
+avoir besoin, rien de moins, rien de plus. Il était en possession
+d'une législation toute faite à l'égard des étrangers.
+(<i>Vive adhésion.</i>) Eh bien! il croit avoir besoin de quelques
+modifications qui la rendent, à certains égards, moins dure.
+Il s'adresse à vous, à vous qui êtes chargés avec lui des intérêts
+du pays, N'y a-t-il pas là évidemment droiture, franchise,
+adoption nette et complète du régime constitutionnel?
+Qu'avez-vous à faire, sinon d'examiner si en effet il y a
+des raisons, de bonnes raisons aux modifications qu'on vous
+demande? (<i>Nouvelle adhésion.</i>)</p>
+
+<p>Il suffit, messieurs, de jeter les yeux sur les faits pour s'en
+convaincre. Il y a eu en Europe, depuis dix-huit mois, plusieurs
+tentatives de révolution; que l'esprit de liberté, le
+besoin d'amélioration aient eu part à ces tentatives, je n'en
+doute pas; mais il y eu aussi des besoins anarchiques, des
+instincts de trouble et de bouleversement. Ces tentatives ont
+offert du bien et du mal, de l'utilité et du danger. Ces étrangers
+qui arrivent chez vous ne sont pas tous, permettez-moi
+de le dire, des amis parfaitement sages, parfaitement désintéressés
+de la liberté; il peut exister, il existe parmi eux des
+hommes qui peuvent devenir chez nous une cause de trouble,
+qui ont besoin d'être surveillés.</p>
+
+<p>Nous ne voulons pas faire de propagande au dehors et
+contre nos voisins, mais nous ne voulons pas non plus qu'on
+en fasse chez nous et contre nous.</p>
+
+<p>Je le répète, et je ne voudrais pas que l'on prêtât à mes
+paroles un sens, une portée que je ne leur donne point; je
+ne porte, à cette masse d'étrangers qui s'est réfugiée chez
+nous, aujourd'hui plus nombreuse qu'en aucun autre temps,
+aucun sentiment amer, hostile; je ne ressens pour eux que
+bienveillance et sympathie; mais nous pouvons, nous devons,
+sur leur compte, comme dans toute autre question,
+parler avec franchise et dire la vérité tout entière.</p>
+
+<p>Eh bien, messieurs, qui ne sait, qui pourrait nier qu'il
+doit y avoir, qu'il y a, chez un certain nombre de ces étrangers,
+des instincts, des besoins, des habitudes contraires à
+notre tranquillité intérieure, et dont on pourrait se servir
+pour la troubler? J'en appelle au plus simple bon sens; n'est-ce
+pas là un fait évident pour tous? Or, que demande le
+gouvernement? La simple faculté d'assigner aux étrangers
+réfugiés une résidence plutôt qu'une autre; et pourquoi
+encore, messieurs? parce qu'ils ne présentent pas les mêmes
+garanties que les nationaux, parce qu'ils n'ont pas, au milieu
+de nous, leurs biens, leurs familles, tout ce qui fait la force
+et la sûreté de l'ordre public; c'est à cause de cela que le
+gouvernement croit avoir besoin d'être investi, à leur égard,
+d'une puissance particulière. Ce besoin est-il réel? Je le
+pense, et je vote pour l'adoption de la mesure proposée.</p>
+<br><br>
+<h4>FIN DU TOME PREMIER.</h4>
+
+<br><br>
+
+<h3>TABLE DES MATIÈRES</h3>
+
+<h4>DU TOME PREMIER.</h4>
+
+<hr>
+
+<h4>INTRODUCTION<br>
+
+TROIS GÉNÉRATIONS<br>
+
+1789-1814-1848</h4>
+
+<p><a href="#i-I">I.</a>--1789-1814</p>
+
+<p><a href="#i-II">II.</a>--1814-1848</p>
+
+<p><a href="#i-III">III.</a>--1848</p>
+
+<h4>DISCOURS</h4>
+
+<p><a href="#I">I.</a>--Discussion du projet de loi présenté, le 22 mars 1819, sur
+les journaux et écrits périodiques. (Chambre des députés,
+séance du 3 mai 1819.)</p>
+
+<p><a href="#II">II.</a>--Discussion de l'adresse dite des 221. (Chambre des députés,
+séance du 16 mars 1830.)</p>
+
+<p><a href="#III">III.</a>--Présentation et discussion du projet de loi relatif à la
+publication de la liste des électeurs et du jury dans chaque
+département pour l'année 1831. (Chambre des députés,
+séances des 14 et 25 août 1830.)</p>
+
+<p><a href="#IV">IV.</a>--Présentation et discussion du projet de loi relatif au mode
+de pourvoir aux élections vacantes dans la Chambre des
+députés. (Chambre des députés, séances des 14 et 30 août
+1830.)</p>
+
+<p><a href="#V">V.</a>--Présentation et discussion du projet de loi relatif à la réélection
+des députés promus à des fonctions publiques
+salariées. (Chambre des députés, séances des 17 et 27 août
+1830.)</p>
+
+<p><a href="#VI">VI.</a>--Présentation d'un projet de loi portant demande d'un
+crédit de cinq millions, applicable, sur l'exercice de 1830,
+à divers travaux publics, soit à Paris, soit dans les départements.
+(Chambre des députés, séance du 17 août
+1830.)</p>
+
+<p><a href="#VII">VII.</a>--Discussion d'une proposition relative à la formule du
+serment exigé de tous les fonctionnaires publics. (Chambre
+des députés, séance du 19 août 1830.)</p>
+
+<p><a href="#VIII">VIII.</a>--Renseignements donnés par le ministre de l'intérieur
+sur les changements opérés dans le personnel de l'administration
+après la révolution de 1830. (Chambre des députés,
+séance du 27 août 1830.)</p>
+
+<p><a href="#IX">IX.</a>--Présentation, par le ministre de l'intérieur, d'un rapport
+général sur l'état de la France et les actes du gouvernement
+depuis la révolution de 1830. (Chambre des députés,
+séance du 11 septembre 1830.)</p>
+
+<p><a href="#X">X.</a>--Discussion du projet de loi relatif au vote annuel, par les
+Chambres, du contingent nécessaire pour le recrutement
+de l'armée. (Chambre des députés, séance du 15 septembre
+1830.)</p>
+
+<p> Séance du 28 octobre 1831</p>
+
+<p><a href="#XI">XI.</a>--Présentation et discussion d'un projet de loi sur l'exportation
+et l'importation des céréales. (Chambre des députés,
+séance du 18 septembre 1830.)</p>
+
+<p> Chambre des pairs, séance du 12 octobre 1830</p>
+
+<p><a href="#XII">XII.</a>--Débats sur les clubs et sur l'article 291 du Code pénal.
+(Chambre des députés, séances des 25 septembre et 4 octobre
+1830.)</p>
+
+<p><a href="#XIII">XIII.</a>--Discussion du projet de loi relatif à l'application du
+jury aux délits de la presse et aux délits politiques. (Chambre
+des députés, séance du 4 octobre 1830.)</p>
+
+<p><a href="#XIV">XIV.</a>--Présentation du projet de loi relatif aux récompenses
+nationales à accorder aux victimes de la révolution de
+juillet 1830. (Chambre des députés, séance du 9 octobre
+1830.)</p>
+
+<p><a href="#XV">XV.</a>--Présentation de deux projets de loi relatifs à l'organisation
+de la garde nationale sédentaire et de la garde nationale
+mobile. (Chambre des députés, séance du 9 octobre
+1830.)</p>
+
+<p><a href="#XVI">XVI.</a>--Discussion du projet de loi relatif à l'ouverture d'un
+crédit de trente millions pour prêts et avances au commerce.
+(Chambre des pairs, séance du 16 octobre 1830.)</p>
+
+<p><a href="#XVII">XVII.</a>--Discussion d'une proposition relative au cautionnement
+et aux droits de timbre et de poste imposés aux journaux
+et écrits périodiques. (Chambre des députés, séance
+du 8 novembre 1830.)</p>
+
+<p> Séance du 9 novembre 1830.</p>
+
+<p><a href="#XVIII">XVIII.</a>--Discussion d'un projet de loi relatif à la répression
+des délits de la presse. (Chambre des députés, séance du
+25 novembre 1830.)</p>
+
+<p><a href="#XIX">XIX.</a>--Discussion relative aux inquiétudes et aux troubles
+provoqués à l'approche du procès des ministres du roi
+Charles X. (Chambre des députés, séance du 20 décembre
+1830.)</p>
+
+<p><a href="#XX">XX.</a>--Débat relatif aux troubles et aux incidents survenus pendant
+et après le procès des ministres du roi Charles X.
+(Chambre des députés, séance du 29 décembre 1830.)</p>
+
+<p><a href="#XXI">XXI.</a>--Discussion du projet de loi sur la composition des cours
+d'assises et les conditions de la décision du jury. (Chambre
+des députés, séance du 8 janvier 1831.)</p>
+
+<p><a href="#XXII">XXII.</a>--Discussion sur la politique extérieure du ministère
+du 11 août 1830. (Chambre des députés, séance du 15 janvier
+1831.)</p>
+
+<p><a href="#XXIII">XXIII.</a>--Discussion sur la politique extérieure, adoptée et pratiquée
+par le cabinet du 11 août 1830. (Chambre des députés,
+séance du 27 janvier 1831.)</p>
+
+<p><a href="#XXIV">XXIV.</a>--Discussion du projet de loi sur l'organisation municipale.
+(Chambre des députés, séance du 2 février 1831.)</p>
+
+<p><a href="#XXV">XXV.</a>--Discussion du projet de loi sur l'organisation municipale.
+(Chambre des députés, séance du 8 février 1831.)</p>
+
+<p><a href="#XXVI">XXVI.</a>--Discussion sur la conduite et sur la situation du ministère
+du 3 novembre 1830, à l'occasion des troubles survenus
+dans Paris, les 14 et 15 février 1831. (Chambre des députés,
+séance du 19 février 1831.)</p>
+
+<p> Séance du 20 février 1831.</p>
+
+<p> Séance du 9 mars 1831.</p>
+
+<p><a href="#XXVII">XXVII.</a>--Discussion du projet de loi sur les attroupements
+et des mesures prises par le cabinet de M. Casimir Périer,
+à l'égard de l'association dite <i>Nationale</i>. (Chambre des députés,
+séance du 30 mars 1831.)</p>
+
+<p><a href="#XXVIII">XXVIII.</a>--Discussion de l'adresse de la Chambre des députés
+au roi, à l'ouverture de la seconde session de 1831. (Chambre
+des députés, séance du 11 août 1831.)</p>
+
+<p><a href="#XXIX">XXIX.</a>--Discussion de l'adresse de la Chambre des députés au
+roi, à l'ouverture de la seconde session de 1831. (Chambre
+des députés, séance du 12 août 1831.)</p>
+
+<p><a href="#XXX">XXX.</a>--Discussion de l'adresse de la Chambre des députés au
+roi, dans la seconde session de 1831. (Chambre des députés,
+séance du 12 août 1831.)</p>
+
+<p><a href="#XXXI">XXXI.</a>--Discussion de l'adresse de la Chambre des députés au
+roi, à l'ouverture de la seconde session de 1831. (Chambre
+des députés, séance du 16 août 1831.)</p>
+
+<p><a href="#XXXII">XXXII.</a>--Discussion à l'occasion des interpellations adressées
+par M. Mauguin au ministère sur les troubles survenus dans
+Paris. (Chambre des députés, séance du 20 septembre
+1831.)</p>
+
+<p> Séance du 21 septembre 1831.</p>
+
+<p> Séance du 26 octobre 1831.</p>
+
+<p><a href="#XXXIII">XXXIII.</a>--Discussion du projet de loi relatif à la révision de
+l'article 23 de la Charte, c'est-à-dire à l'institution de la
+pairie et à l'abolition de l'hérédité. (Chambre des députés,
+séance du 5 octobre 1831.)</p>
+
+<p><a href="#XXXIV">XXXIV.</a>--Discussion du projet de loi portant demande d'un
+crédit de dix-huit millions de francs pour travaux d'utilité
+publique et dans le but de secourir la classe ouvrière. (Chambre
+des députés, séance du 20 octobre 1831.)</p>
+
+<p><a href="#XXXV">XXXV.</a>--Discussion du projet de loi sur le recrutement de l'armée.
+(Chambre des députés, séance du 5 nov. 1831.)</p>
+
+<p><a href="#XXXVI">XXXVI.</a>--Discussion de la proposition de M. de Bricqueville,
+pour le bannissement à perpétuité de la branche aînée des
+Bourbons. (Chambre des députés, séance du 16 novembre
+1831.)</p>
+
+<p><a href="#XXXVII">XXXVII.</a>--Discussion des interpellations adressées au ministère,
+le 19 décembre 1831, à l'occasion de l'insurrection survenue
+à Lyon dans le mois de novembre précédent. (Chambre des
+députés, séance du 21 décembre 1831.)</p>
+
+<p> Séance du 22 décembre 1831.</p>
+
+<p><a href="#XXXVIII">XXXVIII.</a>--Discussion du budget de 1832. (Chambre des députés,
+séance du 23 janvier 1832.)</p>
+
+<p><a href="#XXXIX">XXXIX.</a>--Discussion du budget de 1832. (Chambre des députés,
+séance du 16 février 1832.)</p>
+
+<p><a href="#XL">XL.</a>--Discussion du budget de 1832. (Chambre des députés,
+séance du 28 février 1832.)</p>
+
+<p><a href="#XLI">XLI.</a>--Discussion du budget de 1832. (Chambre des députés,
+séance du 7 mars 1832.)</p>
+
+<p><a href="#XLII">XLII.</a>--Discussion du budget de 1832. (Chambre des députés,
+séance du 14 mars 1832.)</p>
+
+<p><a href="#XLIII">XLIII.</a>--Discussion du budget de 1832. (Chambre des députés,
+séance du 20 mars 1832.)</p>
+
+<p><a href="#XLIV">XLIV.</a>--Discussion du projet de loi relatif à la résidence des
+étrangers réfugiés en France. (Chambre des députés, séance
+du 9 avril 1832.)</p>
+<br>
+
+<h5>FIN DE LA TABLE DU TOME PREMIER.</h5>
+
+<br>
+
+<hr>
+<p class="mid">PARIS.--IMPRIMÉ CHEZ BONAVENTURE ET DUCESSOIS.
+
+
+
+<br><br>
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Histoire parlementaire de France,
+Volume I., by François Pierre Guillaume Guizot
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE PARLEMENTAIRE ***
+
+***** This file should be named 27905-h.htm or 27905-h.zip *****
+This and all associated files of various formats will be found in:
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+Produced by Carlo Traverso, Christine Travers, Rénald
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+generously made available by the Bibliothèque nationale
+de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
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+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
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+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
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+
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+ and discontinue all use of and all access to other copies of
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+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
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+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
+electronic work or group of works on different terms than are set
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+1.F.
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+INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
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+is also defective, you may demand a refund in writing without further
+opportunities to fix the problem.
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
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+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
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+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
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+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
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+</pre>
+
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+