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+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12837 ***
+
+[Illustration]
+
+CORA.
+
+de
+
+Georges Sand
+
+
+
+I.
+
+A mon retour de l'île Bourbon (je me trouvais dans une situation
+assez précaire), je sollicitai et j'obtins un mince emploi dans
+l'administration des postes. Je fus envoyé au fond de la province,
+dans une petite ville dont je tairai le nom pour des motifs que vous
+concevrez facilement.
+
+L'apparition d'une nouvelle figure est un événement dans une petite
+ville, et, quoique mon emploi fût des moins importants, pendant quelques
+jours je fus, après un phoque vivant et deux boas constrictors, qui
+venaient de s'installer sur la place du marché, l'objet le plus excitant
+de la curiosité publique et le sujet le plus exploité des conversations
+particulières.
+
+La niaise oisiveté dont j'étais victime me séquestra chez moi pendant
+toute la première semaine. J'étais fort jeune, et la négligence
+que j'avais jusqu'alors apportée par caractère aux importantes
+considérations de la _mise_ et de la _tenue_ commençaient à se révéler à
+moi sous la forme du remords.
+
+Après un séjour de quelques années aux colonies, ma toilette se
+ressentait visiblement de l'état de stagnation honteuse où l'avait
+laissé le progrès du siècle. Mon chapeau à la Bolivar, mes favoris à
+la Bergami et mon manteau à la Quiroga étaient en arrière de plusieurs
+lustres, et le reste de mon accoutrement avait une tournure exotique
+dont je commençais à rougir.
+
+Il est vrai que, dans la solitude des champs, ou dans l'incognito d'une
+grande ville, ou dans le tourbillon de la vie errante, j'eusse pu
+exister longtemps encore sans me douter du malheur de ma position. Mais
+une seule promenade hasardée sur les remparts de la ville m'éclaira
+tristement à cet égard. Je ne fis point dix pas hors de mon domicile
+sans recevoir de salutaires avertissements sur l'inconvenance de mon
+costume. D'abord une jolie grisette me lança un regard ironique, et dit
+à sa compagne, en passant près de moi:--«_Ce monsieur_ a une cravate
+bien mal pliée.» Puis un ouvrier, que je soupçonnai être dans le
+commerce des feutres, dit d'un ton goguenard, en posant ses poings sur
+ses flancs revêtus d'un tablier de cuir:--«Si _ce monsieur_ voulait me
+prêter son chapeau, j'en ferais fabriquer un sur le même modèle, afin
+de me déguiser en _roast-beef_ le jour du carnaval.» Puis une _dame_
+élégante murmura en se penchant sur sa croisée:--«C'est dommage qu'il
+ait un gilet si fané et la barbe si mal faite.» Enfin, un bel esprit du
+lieu dit en pinçant la lèvre:--«Apparemment que le père de _ce monsieur_
+est un homme _puissant_, on le voit à l'ampleur de son habit.» Bref,
+il me fallut bientôt revenir sur mes pas, fort heureux d'échapper aux
+vexations d'une douzaine de polissons en guenilles qui criaient après
+moi du haut de leur tête: A bas _l'angliche_! à bas le milord! à bas
+l'étranger!
+
+Profondément humilié de ma mésaventure, je résolus de m'enfermer chez
+moi jusqu'à ce que le tailleur du chef-lieu m'eût fait parvenir un habit
+complet dans le dernier goût. L'honnête homme ne s'y épargna point, et
+me confectionna des vêtements si exigus et si coquets que je pensai
+mourir de douleur en me voyant réduit à ma plus simple expression,
+et semblable en tous points à ces caricatures de _fats parisiens_
+et d'_incroyables_ qui nous faisaient encore pâmer de rire, l'année
+précédente, à l'île Maurice. Je ne pouvais pas me persuader que je ne
+fusse pas cent fois plus ridicule sous cet habit que sous celui que je
+venais de quitter, et je ne savais plus que devenir; car j'avais
+promis solennellement à mon hôtesse (la femme du plus gros notaire de
+l'arrondissement) de la conduire au bal, et de lui faire danser la
+première et probablement l'unique contredanse à laquelle ses charmes lui
+donnaient le droit de prétendre. Incertain, honteux, tremblant, je me
+décidai à descendre et à demander à cette estimable femme un avis rigide
+et sincère sur ma situation. Je pris un flambeau et je me hasardai
+jusqu'à la porte de son appartement; mais je m'arrêtai palpitant et
+désespéré, en entendant partir de ce sanctuaire un bruit confus de voix
+fraîches et perçantes, de rires aigus et naïfs, qui m'annonçaient la
+présence de cinq ou six demoiselles de la ville. Je faillis retourner
+sur mes pas; car, de m'exposer au jugement d'un si malin aréopage dans
+une parure plus que problématique à mes yeux, c'était un héroïsme dont
+peu de jeunes gens à ma place se fussent sentis capables.
+
+Enfin, la force de ma volonté l'emporta; je me demandai si j'avais lu
+pour rien Locke et Condillac, et poussant la porte d'une main ferme,
+j'entrai par l'effet d'une résolution désespérée. J'ai vu de près
+d'affreux événements, je puis le dire: j'ai traversé les mers et les
+orages, j'ai échappé aux griffes d'un tigre dans le royaume de Java,
+et aux dents d'un crocodile dans la baie de Tunis; j'ai vu en face les
+gueules béantes des sloops flibustiers; j'ai mangé du biscuit de mer qui
+m'a percé les gencives; j'ai embrassé la fille du roi de Timor ... eh
+bien! je vous jure que tout ceci n'était rien au prix de mon entrée dans
+cet appartement, et que dans aucun jour de ma vie je ne recueillis un
+aussi glorieux fruit de l'éducation philosophique.
+
+Les demoiselles étaient assises en cercle, et, en attendant que la femme
+du notaire eût achevé de mêler à ses cheveux noirs une légère guirlande
+de pivoines, ces gentes filles de la nature échangeaient entre elles de
+joyeux propos et de naïves chansons. Mon apparition inattendue paralysa
+l'élan de cette gaieté charmante. Le silence étendit ses ailes de hibou
+sur leurs blondes têtes, et tous les yeux s'attachèrent sur moi avec
+l'expression du doute, de la méfiance et de la peur.
+
+Puis tout à coup un cri de surprise s'échappa du sein de la plus jeune,
+et mon nom vola de bouche en bouche comme la bordée d'une frégate armée
+en guerre. Mon sang se glaça dans mes veines, et je faillis prendre la
+fuite comme un brick qui a cru attaquer un chasse-marée, et qui, à
+la portée de la longue-vue, découvre un beau trois-mâts, laissant
+nonchalamment tomber ses sabords pour lui faire accueil.
+
+Mais, à ma grande stupéfaction, la femme de mon hôte, laissant la moitié
+de ses boucles crêpées et menaçantes, tandis que l'autre gisait
+encore sous le papier gris de la papillote, accourut vers moi en
+s'écriant:--C'est notre jeune homme! c'est notre pauvre Georges! Ah! mon
+Dieu! quelle métamorphose! qu'il est bien mis! quelle jolie tournure!
+quelle coupe d'habit élégante et moderne!... Ah! Mesdemoiselles,
+regardez! regardez comme M. Georges est changé, comme il a l'air
+distingué. Vous ferez danser ces demoiselles, monsieur Georges, après
+moi, pourtant! Vous m'avez forcée de vous promettre la première, vous
+vous en souvenez?
+
+Les demoiselles gardaient le silence, et je doutais encore de mon
+triomphe. Je rassemblai le reste de mon courage pour leur demander
+timidement leur goût sur cet habit, et aussitôt un choeur de louanges
+pur et mélodieux à mes oreilles comme un chant céleste s'éleva autour
+de moi. Jamais on n'avait rien vu de mieux; on ne trouvait pas un pli
+à blâmer; le collet raide et volumineux était d'un goût exquis, les
+basques courtes et cambrées avaient une grâce parfaite, le gilet parsemé
+de gigantesques rosaces était d'un éclat sans pareil; la cravate
+inflexible, croisée avec une rigueur systématique, était un
+chef-d'oeuvre d'invention; la manchette et le jabot terrible
+couronnaient l'oeuvre. De mémoire de jeunes filles, aucun employé de
+l'administration des postes n'avait fait un tel début dans le monde.
+
+J'avoue que ce n'est pas un des moins brillants souvenirs de ma jeunesse
+que mon entrée triomphante dans ce bal, serré dans mon habit neuf,
+froissé par les baleines dorsales de mon gilet, vexé par le rigorisme de
+mes entournures, et, de plus, flanqué à droite de la femme du notaire,
+à gauche de mademoiselle Phédora, sa nièce, la plus vieille et la plus
+laide fille du département. N'importe, j'étais fier, j'étais heureux,
+j'étais bien mis.
+
+La salle était un peu froide, un peu sombre, un peu malpropre; les
+banquettes étaient bien tachées d'huile çà et là, les quinquets jouaient
+bien un peu, sur les têtes fleuries et emplumées du bal, le vieux rôle
+de l'épée de Damoclès; le parquet n'était pas fort brillant, les robes
+des femmes n'étaient pas toutes fraîches, pas plus que la fraîcheur de
+certains visages n'était naturelle. Il y avait bien des pieds un peu
+larges dans des souliers de satin un peu rustiques, des bras un peu
+rouges sous des manches de dentelle, des cous un peu hâlés sous des
+colliers de perles, et des corsages un peu robustes sous des ceintures
+de moire. Il y avait bien aussi sur l'habit des hommes une légère odeur
+de tabac de la régie, dans l'office un parfum de vin chaud un peu
+brutal, dans l'air un nuage de poussière un peu agreste, et pourtant
+c'était une charmante fête, une aimable réunion, sur ma parole! La
+musique n'était pas beaucoup plus mauvaise que celle de Port-Louis ou
+de Saint-Paul. Les modes n'étaient, à coup sûr, ni aussi arriérées, ni
+aussi exagérées que celles qu'on prétend suivre à Calcutta; en outre,
+les femmes étaient généralement plus blanches, les hommes moins rudes et
+moins bruyants.
+
+A tout prendre, pour moi qui n'avais point vu les merveilles de la
+civilisation poussées à la dernière limite, pour moi qui n'avais vu
+l'opéra qu'en Amérique et le bal qu'en Asie, le bal à peu près public et
+général de la petite ville pouvait bien sembler pompeux et enivrant,
+si l'on considère d'ailleurs la profonde sensation qu'y produisait mon
+habit et le succès incontestable que j'obtins d'emblée à la fin de la
+première contredanse.
+
+Mais ces joies naïves de l'amour-propre firent bientôt place à un
+sentiment plus conforme à ma nature inflammable et contemplative. Une
+femme entra dans le bal et j'oubliai toutes les autres; j'oubliai même
+mon triomphe et mon habit neuf. Je n'eus plus de regards et de pensées
+que pour elle.
+
+Oh! c'est qu'elle était vraiment bien belle, et qu'il n'était pas besoin
+d'avoir vingt-cinq ans et d'arriver de l'Inde pour en être frappé. Un
+peintre célèbre qui passa, l'année suivante, dans la ville, arrêta sa
+chaise de poste en l'apercevant à sa fenêtre, fit dételer les chevaux et
+resta huit jours à l'auberge du Lion-d'Argent, cherchant par tous les
+moyens possibles à pénétrer jusqu'à elle pour la peindre. Mais jamais il
+ne put faire comprendre à sa famille qu'on pouvait par amour de l'art
+faire le portrait d'une femme sans avoir l'intention de la séduire. Il
+fut éconduit, et la beauté de Cora n'est restée empreinte que dans le
+cerveau peut-être de ce grand artiste, et dans le coeur d'un pauvre
+fonctionnaire destitué de l'administration des postes.
+
+Elle était d'une taille moyenne admirablement proportionnée, souple
+comme un oiseau, mais lente et fière comme une dame romaine. Elle était
+extraordinairement brune pour le climat tempéré où elle était née; mais
+sa peau était fine et unie comme la cire la mieux moulée. Le principal
+caractère de sa tête régulièrement dessinée, c'était quelque chose
+d'indéfinissable, de surhumain, qu'il faut avoir vu pour le comprendre;
+des lignes d'une netteté prestigieuse, de grands yeux d'un vert si pâle
+et si transparent qu'ils semblaient faits pour lire dans les mystères
+du monde intellectuel plus que dans les choses de la vie positive; une
+bouche aux lèvres minces, fines et pâles, au sourire imperceptible, aux
+rares paroles; un profil sévère et mélancolique, un regard froid, triste
+et pensif, une expression vague de souffrance, d'ennui et de dédain;
+et puis des mouvements doux et réservés, une main effilée et blanche,
+beauté si rare chez les femmes d'une condition médiocre; une toilette
+grave et simple, discernement si étrange chez une provinciale; surtout
+un air de dignité calme et inflexible qui aurait été sublime sous la
+couronne de diamants d'une reine espagnole, et qui, chez cette pauvre
+fille, semblait être le sceau du malheur, l'indice d'une organisation
+exceptionnelle.
+
+[Illustration: Elle lisait.]
+
+Car c'était la fille... le dirai-je? il le faut bien: Cora était la
+fille d'un épicier.
+
+O sainte poésie, pardonne-moi d'avoir tracé ce mot! Mais Cora eût relevé
+l'enseigne d'un cabaret. Elle se fût détachée comme l'ange de Rembrandt
+au-dessus d'un groupe flamand. Elle eût brillé comme une belle fleur
+au milieu des marécages. Du fond de la boutique de son père, elle eût
+attiré sur elle le regard du grand Scott. Ce fut sans doute une beauté
+ignorée comme elle qui inspira l'idée charmante de _la belle fille de
+Perth_.
+
+Et elle s'appelait Cora; elle avait la voix douce, la démarche réservée,
+l'attitude rêveuse. Elle avait la plus belle chevelure brune que j'aie
+vue de ma vie, et seule, entre toutes ses compagnes, elle n'y mêlait
+jamais aucun ornement. Mais il y avait plus d'orgueil dans le luxe de
+ses boucles épaisses que dans l'éclat d'un diadème. Elle n'avait pas non
+plus de collier ni de fleurs sur la poitrine. Son dos brun et velouté
+tranchait fièrement sur la dentelle blanche de son corsage. Sa robe
+bleue la faisait paraître encore plus brune de ton et plus sombre
+d'expression. Elle semblait tirer vanité du caractère original de sa
+beauté.
+
+[Illustration: Je revins à moi sur un grand fauteuil.]
+
+Elle semblait avoir deviné qu'elle était belle autrement que toutes les
+autres: car je n'ai pas besoin de vous le dire, Cora étant d'un type
+rare et d'un coloris oriental, Cora ressemblant à la juive Rebecca, ou
+à la Juliette de Shakespeare, Cora majestueuse, souffrante et un peu
+farouche, Cora qui n'était ni rose, ni replette, ni agaçante, ni
+gentille, n'était ni aperçue ni soupçonnée dans la foule. Elle vivait là
+comme une rose épanouie dans le désert, comme une perle échouée sur le
+sable, et la première personne venue, à qui vous eussiez exprimé votre
+admiration à la vue de Cora, vous eût répondu: Oui, elle ne serait pas
+mal si elle était plus blanche et moins maigre.
+
+J'étais si troublé auprès d'elle, si subitement épris, que vraiment
+j'oubliais toute la confiance qu'eussent dû m'inspirer mon habit neuf
+et mon gilet à rosaces. Il est vrai qu'elle y accordait fort peu
+d'attention, qu'elle écoutait d'un air distrait des fadeurs qui me
+faisaient suer sang et eau à débiter, qu'elle laissait, à chaque
+invitation de ma part, tomber de ses lèvres un mot bien faible, et, dans
+ma main tremblante, une main dont je sentais la froideur au travers de
+son gant. Hélas! qu'elle était indifférente et hautaine, la fille de
+l'épicier! Qu'elle était singulière et mystérieuse, la brune Cora! Je
+ne pus jamais obtenir d'elle, dans toute la durée de la nuit, qu'une
+demi-douzaine de monosyllabes.
+
+Il m'arriva le lendemain de lire, pour le malheur de ma vie, les Contes
+fantastiques. Pour mon malheur encore, aucune créature sous le ciel ne
+semblait être un type plus complet de la beauté fantastique et de la
+poésie allemande que Cora aux yeux verts et au corsage diaphane.
+
+Les adorables poésies d'Hoffman commençaient à circuler dans la ville.
+Les matrones et les pères de famille trouvaient le genre détestable et
+le style de mauvais goût. Les notaires et les femmes d'avoués faisaient
+surtout une guerre à mort à l'invraisemblance des caractères et au
+romanesque des incidents. Le juge de paix du canton avait l'habitude de
+se promener autour des tables dans le cabinet de lecture, et de dire aux
+jeunes gens égarés par cette poésie étrangère et subversive: _Rien n'est
+beau que le vrai_, etc. Je me souviens qu'un vaurien de lycéen, en
+vacances, lui dit à cette occasion en le regardant fixement:
+
+--Monsieur, cette grosse verrue que vous avez au milieu du nez est sans
+doute postiche?
+
+Malgré les remontrances paternelles, malgré les anathèmes du _principal_
+et des professeurs de sixième, le mal gagna rapidement, et une grande
+partie de la jeunesse fut infectée du venin mortel. On vit de jeunes
+débitants de tabac se modeler sur le type de Kressler, et des
+surnuméraires à l'enregistrement s'évanouir au son lointain d'une
+cornemuse ou d'une chanson de jeune fille.
+
+Pour moi, je confesse et je déclare ici que je perdis complètement la
+tête. Cora réalisait tous les rêves enivrants que le poëte m'inspirait,
+et je me plaisais à la gratifier d'une nature immatérielle et féerique
+qui réellement semblait avoir été imaginée pour elle. J'étais heureux
+ainsi. Je ne lui parlais pas, je n'avais aucun titre pour m'approcher
+d'elle. Je ne recueillais aucun encouragement à ma passion; je n'en
+cherchais même pas. Seulement, je quittai la maison du notaire et
+je louai une misérable chambre directement en face de la maison de
+l'épicier. Je garnis ma fenêtre d'un épais rideau, dans lequel je
+pratiquai des fentes habilement ménagées. Je passais là en extase toutes
+les heures que je pouvais dérober à mon travail.
+
+La rue était déserte et silencieuse. Cora était assise à sa fenêtre au
+rez-de-chaussée. Elle lisait. Que lisait-elle? Il est certain qu'elle
+lisait du matin au soir. Et puis elle posait son livre sur un vase de
+giroflée jaune qui brillait à la fenêtre. Et la tête penché sur sa main,
+les boucles de ses beaux cheveux nonchalamment mêlées aux fleurs d'or
+et de pourpre, l'oeil fixe et brillant, elle semblait percer le pavé et
+contempler, à travers la croûte épaisse de ce sol grossier, les mystères
+de la tombe et de la reproduction des essences fécondantes, assister à
+la naissance de la fée aux Roses, et encourager le germe d'un beau génie
+aux ailes d'or dans le pistil d'une tulipe.
+
+Et moi je la regardais, j'étais heureux. Je me gardais bien de me
+montrer, car, au moindre mouvement du rideau, au moindre bruit de ma
+fenêtre, elle disparaissait comme un songe. Elle s'évanouissait comme
+une vapeur argentée dans le clair-obscur de l'arrière-boutique; je me
+tenais donc là, immobile, retenant mon souffle, imposant silence aux
+battements de mon coeur, quelquefois à genoux implorant ma fée dans le
+silence, envoyant vers elle les brûlantes aspirations d'une âme que son
+essence magique devait pénétrer et entendre. Parfois je m'imaginais
+voir mon esprit et le sien voltiger enlacés dans un de ces rayons de
+poussière d'or que le soleil de midi infiltrait dans la profondeur
+étroite et anguleuse delà rue. Je m'imaginais voir partir de son oeil
+limpide comme l'eau qui court sur la mousse, un trait brûlant qui
+m'appelait tout entier dans son coeur.
+
+Je restai là tout le jour, égaré, absurde, ridicule; mais exalté, mais
+amoureux, mais jeune! mais inondé de poésie et n'associant personne aux
+mystères de ma pensée et ne sentant jamais mes élans entravés par la
+crainte de tomber dans le mauvais goût, n'ayant que Dieu pour juge et
+pour confident de mes rêves et de mes extases.
+
+Puis, quand le jour finissait, quand la pâle Cora fermait sa fenêtre et
+tirait son rideau, j'ouvrais mes livres favoris et je la retrouvais sur
+les Alpes avec Manfred, chez le professeur Spallanzani avec Nathanaël,
+dans les cieux avec Oberon.
+
+Mais, hélas! ce bonheur ne fut pas de bien longue durée. Jusque-là
+personne n'avait découvert la beauté de Cora; j'en jouissais tout seul.
+Elle n'était comprise et adorée que par moi. La contagion fantastique,
+en se répandant parmi les jeunes gens de la ville, jeta un trait de
+lumière sur la romantique bourgeoise.
+
+Un impertinent bachelier s'avisa un matin, en passant devant ses
+fenêtres, de la comparer à Anne de Gierstern, la fille du brouillard.
+Ce mot fit fortune: on le répéta au bal. Les _inspirés_ de l'endroit
+remarquèrent la danse molle et aérienne de Cora. Un autre génie de la
+société la compara à la reine Mab. Alors, chacun voulant faire montre de
+son érudition, apporta son épithète et sa métaphore, et la pauvre fille
+en fut écrasée à son insu. Quand ils eurent assez profané mon idole avec
+leurs comparaisons, ils l'entourèrent, ils l'accablèrent de soins et de
+madrigaux, ils la firent danser jusqu'à l'extinction des quinquets, ils
+me la rendirent le lendemain fatiguée de leur esprit, ennuyée de leur
+babil, flétrie de leur admiration; et ce qui acheva de me briser le
+coeur, ce fut de voir apparaître à la fenêtre le profil arrondi et
+jovial d'un gros étudiant en pharmacie à côté du profil grec et délié de
+ma sylphide.
+
+Pendant bien des matins et bien des soirs, je vins derrière le rideau
+mystérieux essayer de combattre le charme que mon odieux rival avait
+jeté sur la famille de l'épicier. Mais en vain j'invoquai l'amour, le
+diable et tous les saints, je ne pus écarter sa maligne influence. Il
+revint, sans se lasser, tous les jours s'asseoir à côté de Cora, dans
+l'embrasure de la fenêtre, et il lui parlait. De quoi osait-il lui
+parler, le malheureux! La figure impénétrable de Cora n'en trahissait
+rien. Elle semblait écouter ses discours sans les entendre, et à
+l'imperceptible mouvement de ses lèvres, je devinais quelquefois qu'elle
+lui répondait froidement et brièvement comme elle avait l'habitude de le
+faire, et puis la conversation semblait languir.
+
+Le couple contraint et ennuyé étouffait de part et d'autre des
+bâillements silencieux. Cora regardait tristement son livre fermé sur la
+fenêtre et que la présence de son adorateur l'empêchait de continuer.
+Puis elle appuyait son coude sur le pot de giroflées et le menton sur
+la paume de sa main, et le regardant d'un regard fixe et glacial, elle
+semblait étudier les fibres grossières de son organisation morale au
+travers de la loupe de maître Floh.
+
+Après tout, elle supportait ses assiduités comme un mal nécessaire; car,
+au bout de six semaines, l'apprenti pharmacien conduisit la belle Cora
+au pied des autels, où ils reçurent la bénédiction nuptiale. Cora était
+admirablement chaste et sévère sous son costume de mariée. Elle avait
+l'air calme, indifférent, ennuyé comme toujours. Elle traversa la foule
+avide d'un pas aussi mesuré qu'à l'ordinaire, et promena sur les curieux
+ébahis son oeil sec et scrutateur. Quand il rencontra ma figure morne et
+flétrie, il s'y arrêta un instant et sembla dire: Voici un homme qui est
+incommodé d'un catarrhe ou d'un mal de dents.
+
+Pour moi, j'étais si désespéré, que je sollicitai mon changement ...
+
+
+II.
+
+Mais je ne l'obtins pas, et je restai témoin du bonheur d'un autre.
+Alors je pris le parti de tomber malade, ce qui me sauva du désespoir,
+ainsi qu'il arrive toujours en pareil cas.
+
+Si dégoûté qu'on soit de la vie, il est certain que, lorsque la fatalité
+nous y retient malgré nous, la faiblesse humaine ne peut s'empêcher de
+remercier secrètement la fatalité. La mort est si laide qu'aucun de nous
+ne la voit de près sans effroi. Bien magnanimes sont ceux qui enfoncent
+le rasoir jusqu'à l'artère carotide, ou qui avalent le poison jusqu'au
+fond de la coupe. (Je dis la _coupe_, parce qu'il n'est pas séant et
+presque impossible de s'empoisonner dans un vase qui porte un autre nom
+quelconque.)
+
+Oui, le proverbe d'Ésope est la sagesse des nations. Nous aimons la vie
+comme une maîtresse que nous convoitons encore avec les sens, après même
+que toute estime et toute affection pour elle sont éteintes en nous.
+Le soir où je vis un prêtre et un médecin convenablement graves à mon
+chevet, je n'eus pas la force de m'enquérir vis-à-vis de moi-même de
+ce que j'en ressentais de joie ou de peine. Mais quand, un matin, je
+m'éveillai faible et languissant, et que je vis la garde-malade endormie
+profondément sur sa chaise, le soleil brillant sur les toits et les
+fioles pharmaceutiques vides sur le guéridon, quand je me hasardai à
+remuer et que je sentis ma tête sans douleur, mes membres légers, et
+mon corps débile dégagé de tous les liens de fer de la souffrance, je
+ressentis un insurmontable sentiment de bien-être et de reconnaissance
+envers le ciel.
+
+Et puis je me rappelai Cora et son mariage, et j'eus honte de la joie
+que je venais d'éprouver; car, après les ferventes prières que j'avais
+adressées à Dieu et au médecin pour être délivré de la vie, c'était une
+inconséquence sans pareille que d'en accepter le retour sans colère et
+sans amertume. Je me mis donc à répandre des larmes. La jeunesse est si
+riche en émotions de tout genre, qu'il lui est possible de se torturer
+elle-même en dépit de la force de l'espoir, de la poésie, de tous les
+bienfaits dont l'a douée la Providence. Je lui reprochai, moi, d'avoir
+été plus sage que moi, et de n avoir pas permis qu'un amour bizarre
+et presque imaginaire me conduisît au tombeau. Puis je me résignai et
+j'acceptai la volonté de Dieu, qui rivait ma chaîne et me condamnait
+à jouir encore de la vue du ciel, de la beauté de la nature et de
+l'affection de mes proches.
+
+Quand je fus assez fort pour me lever, je m'approchai de la fenêtre avec
+un inexprimable serrement de coeur. Cora était là; elle lisait. Elle
+était toujours belle, toujours pâle, toujours seule. J'eus un sentiment
+de joie. Elle m'était donc rendue, ma fée aux yeux verts; ma belle
+rêveuse solitaire! Je pourrais la contempler encore et nourrir en secret
+cette passion extatique que le regard d'un rival m'avait forcé de
+refouler si longtemps! Tout à coup elle releva sa tête brune, et ses
+yeux, errant au hasard sur la muraille, aperçurent ma face pâle qui se
+penchait vers elle. Je tressaillis, je crus qu'elle allait fuir comme à
+l'ordinaire. Mais, ô transport! elle ne s'enfuit point. Au contraire,
+elle m'adressa un salut plein de politesse et de douceur, puis elle
+reporta son attention sur son livre, et resta sous mes yeux absolument
+indifférente à l'assiduité de mes regards; mais du moins elle resta.
+
+Un homme plus expérimenté que moi eût préféré l'ancienne sauvagerie
+de Cora à l'insouciance avec laquelle désormais elle bravait le
+face-à-face. Mais pouvais-je résister au charme qu'elle venait de jeter
+sur moi avec son salut bienveillant et gracieux? Je m'imaginai tout ce
+qu'il peut entrer de chaste intérêt et de bienveillance réservée dans un
+modeste salut de femme. C'était la première marque de connaissance
+que me donnait Cora. Mais avec quelle ingénieuse délicatesse elle
+choisissait l'instant de me la donner! Combien il entrait de compassion
+généreuse dans ce faible témoignage d'un intérêt timide et discret! Elle
+n'osait point me demander si j'étais mieux. D'ailleurs elle le voyait,
+et son salut valait tout un long discours de félicitations.
+
+Je passai toute la nuit à commenter ce charmant salut, et le lendemain,
+à l'heure où Cora reparut, je me hasardai à risquer le premier
+témoignage de notre intelligence naissante. Oui, j'eus l'audace de la
+saluer profondément; mais je fus si bouleversé de ce que j'osais faire,
+que je n'eus point le courage de fixer mes yeux sur elle. Je les tins
+baissés avec crainte et respect, ce qui fit que je ne pus point savoir
+si elle me rendait mon salut, ni de quel air elle me le rendait.
+
+Troublé, palpitant, plein d'espoir et de terreur, je restais le front
+caché dans mes mains, n'osant plus montrer mon visage, lorsqu'une voix
+s'éleva dans le silence de la rue, et, montant vers moi, m'adressa ces
+douces paroles:
+
+--Il parait, Monsieur, que votre santé est meilleure?
+
+Je tressaillis, je retirai ma tête de mes mains; je regardai Cora, je ne
+pouvais en croire mes oreilles, d'autant plus que la voix était un peu
+rude, un peu mâle, et que je m'étais toujours imaginé la voix de
+Cora plus douce que celle de la brise d'avril caressant les fleurs
+naissantes. Mais comme je la contemplais d'un air éperdu, elle réitéra
+sa question dans des termes dont la douceur me fit oublier l'accent un
+peu indigène et le timbre un peu vigoureux de sa voix.
+
+--Je vois avec plaisir, dit-elle, que monsieur Georges se porte mieux.
+
+Je voulus faire une réponse qui exprimât l'enthousiasme de ma
+reconnaissance; mais cela me fut impossible: je pâlis, je rougis, je
+balbutiai quelques paroles inintelligibles; je faillis m'évanouir.
+
+A ce moment, l'épicier, le père de ma Cora, approchant son profil osseux
+de la fenêtre, lui dit d'un ton rauque, mais pourtant bienveillant:
+
+--A qui parles-tu donc, mignonne?
+
+--A notre voisin, M. Georges, qui est enfin convalescent et que je vois
+à sa fenêtre.
+
+--Ah! j'en suis charmé, dit l'épicier, et, soulevant son bonnet de
+loutre: Comment va la santé, mon cher voisin?
+
+Je remerciai avec plus d'assurance le père de ma bien-aimée. J'étais le
+plus heureux des mortels; j'obtenais enfin un peu d'intérêt de cette
+famille naguère si farouche et si méfiante envers moi. Mais hélas!
+pensais-je presque aussitôt, que me sert à présent d'être plaint et
+consolé? Cora n'est-elle pas pour jamais unie à un autre?
+
+L'épicier, appuyant ses deux coudes sur sa fenêtre, entama alors avec
+moi une conversation affectueuse et bienveillante sur la beauté de la
+journée, sur le plaisir de revenir à la vie par un si bon soleil, sur
+l'excellence des gilets de flanelle en temps de convalescence, et les
+bienfaisants effets de l'eau miellée et du sirop de gomme sur les
+poitrines fatiguées et les estomacs débilités.
+
+Jaloux de soutenir et de prolonger un entretien si précieux, je lui
+répondis par des compliments flatteurs sur la beauté des giroflées qui
+fleurissaient à sa fenêtre, sur la grâce mignonne et coquette de son
+chat qui dormait au soleil devant la porte, et sur la bonne exposition
+de sa boutique qui recevait en plein les rayons du soleil de midi.
+
+--Oui, oui, répondit l'épicier, au commencement du printemps les rayons
+du soleil ne sont point à dédaigner; plus tard ils deviennent un peu
+trop bons....
+
+A cet entretien cordial et ingénu, Cora mêlait de temps en temps des
+réflexions courtes et simples, mais pleines de bon sens et de justesse;
+j'en conclus qu'elle avait un jugement droit et un esprit positif.
+
+Puis, comme j'insistais sur l'avantage d'avoir la façade de son logis
+exposée au midi, Cora, inspirée par le ciel et par la beauté de son âme,
+dit à son père:
+
+--Au fait, la chambre de M. Georges exposée au nord doit encore être
+assez fraîche dans ce temps-ci. Peut-être, si vous lui proposiez de
+venir s'asseoir une heure ou deux chez nous, serait-il bien aise de voir
+le soleil en face?
+
+Puis elle se pencha vers son oreille, et lui dit tout bas quelques mots
+qui semblèrent frapper vivement l'épicier.
+
+--C'est bien, ma fille, s'écria-t-il d'un ton jovial Vous plairait-il,
+monsieur Georges, d'accepter une chaise à côté de ma Cora?
+
+--O mon Dieu! pensai-je, si c'est un rêve, faites que je ne m'éveille
+point.
+
+Une minute après, le généreux épicier était dans ma chambre et m'offrait
+son bras pour descendre. J'étais ému jusqu'aux larmes et je lui pressai
+les mains avec une effusion qui le surprit, tant son action lui
+paraissait naturelle.
+
+Au seuil de ma maison, je trouvai Cora qui venait pour aider son père
+à me soutenir en traversant la rue. Jusque-là je me sentais la force
+d'aller vers elle; mais dès qu'elle toucha mon bras, dès que sa main
+longue et blanche effleura mon coude, je me sentis défaillir, et je
+perdis le sentiment de mon bonheur pour l'avoir senti trop vivement.
+
+Je revins à moi sur un grand fauteuil de cuir à clous dorés, qui, depuis
+cinquante ans, servait de trône au patriarcal épicier. Sa digne compagne
+me frottait les tempes avec du vulnéraire, et Cora, la belle Cora,
+tenait sous mes narines son mouchoir imbibé d'alcool. Je faillis
+m'évanouir de nouveau; je voulus remercier, mais je n'avais pas
+d'expressions pour peindre ma gratitude; pourtant, dans un moment où
+l'épicier, me voyant mieux, se retirait, et ou sa femme passait dans
+l'arrière-boutique pour me chercher un verre d'eau de réglisse, je dis à
+Cora en levant sur elle mon oeil languissant:
+
+--Ah! Madame, pourquoi ne m'avoir pas laissé mourir? j'étais si heureux
+tout à l'heure!
+
+Elle me regarda d'un air étonné et me dit d'un ton
+affectueux:--Remettez-vous, Monsieur, vous avez de la fièvre, je le vois
+bien.
+
+Quand je fus tout à fait remis de mon trouble, l'épicière retourna à la
+boutique, et je restai seul avec Cora.
+
+Comme le coeur me battit alors! Mais elle était calme, et sa sérénité
+m'imposait tant de respect que je pris sur moi de paraître calme aussi.
+
+Cependant ce tête-à-tête devint pour moi d'un cruel embarras. Cora
+n'aimait point à parler. Elle répondait brièvement à toutes les choses
+que je tirais de mon cerveau avec d'incroyables efforts, et, quoi que je
+fisse, jamais ses réponses n'étaient de nature à nouer l'entretien; sur
+quelque matière que ce fût, elle était de mon avis. Je ne pouvais pas
+m'en plaindre, car je lui disais de ces choses sensées qu'il n'est pas
+possible de combattre à moins d'être fou. Par exemple, je lui demandai
+si elle aimait la lecture.--Beaucoup, me répondit-elle.--C'est qu'en
+effet, repris-je, c'est une si douce occupation!--En effet, reprit-elle,
+c'est une très-douce occupation.--Pourvu, ajoutai-je, que le livre qu'on
+lit soit beau et intéressant.--Oh! certainement, ajouta-t-elle.--Car,
+poursuivis-je, il en est de bien insipides.--Mais aussi,
+poursuivit-elle, il en est de bien jolis.--Cet entretien eut pu nous
+mener loin si je me fusse senti la hardiesse de l'interroger sur le
+genre de ses lectures. Mais je craignis que cela ne fût indiscret, et je
+me bornai à jeter un regard furtif sur le livre entr'ouvert au pied de
+la giroflée. C'était un roman d'Auguste Lafontaine. J'eus la sottise
+d'en être affecté d'abord. Et puis, en y réfléchissant, je trouvai dans
+le choix de cette lecture une raison d'admirer la simplicité et la
+richesse d'un coeur qui pouvait puiser là des émotions attachantes. Je
+parcourus de l'oeil une pile de volumes délabrés qui gisaient sur un
+rayon près de moi. Je ne nommerai point les auteurs chéris de ma Cora;
+les lecteurs blasés en riraient, et moi, dans ma vaine enflure de poëte,
+je faillis en être froissé.... Mais je revins bientôt à la raison en
+comparant les ressources d'un esprit si neuf et d'une âme si virginale à
+la vieillesse prématurée de nos imaginations épuisées. Il y avait dans
+la vie intellectuelle des trésors auxquels Cora n'avait pas encore
+touché, et l'homme qui serait assez heureux pour les lui révéler verrait
+s'épanouir sous son souffle la plus belle oeuvre de la création, le
+coeur d'une femme ingénue!...
+
+Je rentrai chez moi enthousiasmé de Cora, dont l'ignorance était si
+candide et si belle. J'attendis l'heure d'y retourner le jour suivant,
+sans pourtant espérer cette nouvelle faveur. Elle reparut avec sa mère,
+qui m'invita à descendre. Quand je fus installé dans le grand fauteuil,
+je vis une sorte d'agitation inquiète dans la famille. Puis l'épicier
+s'assit vis-a-vis de moi avec un air hypocritement naïf. J'étais agité
+moi-même, je craignais et je désirais l'explication de cette contenance.
+
+--Puisque vous vous trouvez bien ici, monsieur Georges, dit-il enfin
+en posant ses deux mains sur ses rotules replètes, j'espère que vous y
+viendrez sans façon vous reposer tant que vous ne serez pas assez fort
+pour aller vous distraire ailleurs.
+
+--Généreux homme! m'écriai-je.
+
+--Non, dit-il en souriant, cela ne vaut point un remerciement: entre
+voisins on se doit assistance, et, Dieu merci! nous n'avons jamais
+refusé la nôtre aux honnêtes gens: car je présume que vous êtes un brave
+jeune homme, monsieur Georges, vous en avez parfaitement l'air, et je me
+sens de la confiance en vous.
+
+--J'en suis honoré, répondis-je avec embarras.
+
+--Ainsi, Monsieur, poursuivit le digne homme avec gaieté, en se levant,
+restez avec notre Cora tant que vous voudrez. C'est une fille d'esprit,
+voyez-vous! une personne qui a vécu dans les livres, et dont la mère n'a
+jamais voulu contrarier le goût. Aussi, elle en sait plus que nous à
+présent, et vous trouverez de l'agrément dans sa société, j'en réponds.
+
+--Il y a bien longtemps, répondis-je en rougissant et en jetant sur Cora
+un regard timide, que je me serais estimé heureux de cette faveur....
+Elle est venue bien tard, hélas! au gré de mon impatience....
+
+--Ah! dame, dit l'épicier en ricanant, c'est qu'il y a deux mois,
+voyez-vous, la chose n'était pas possible. Cora n'était pas mariée,
+et...à moins de se présenter ici avec l'intention de l'épouser, avec de
+bonnes et franches propositions de mariage, aucun garçon n'obtenait de
+sa mère l'entrée de cette chambre. Vous savez, Monsieur, comme il faut
+veiller sur une jeune fille pour empêcher les mauvaises langues de lui
+faire tort; à présent que voici l'enfant établie, comme nous sommes sûrs
+de sa moralité, nous la laissons tout à fait libre, et puis...d'ailleurs
+(ici l'épicier baissa la voix), pâle et faible comme vous voilà,
+personne ne pensera que vous songiez à supplanter un mari jeune et bien
+portant.... L'épicier termina sa phrase par un gros rire. Je devins pâle
+comme la mort, et je n'osai pas lever les yeux sur Cora.
+
+--Tenez, tenez, ne vous fâchez pas d'une plaisanterie, mon cher voisin,
+reprit-il: vous ne serez pas toujours convalescent, et bientôt peut-être
+les pères et les maris vous surveilleront de plus près.... En attendant,
+restez ici; Cora vous tiendra compagnie, et d'ailleurs je crois qu'elle
+a quelque chose à vous dire.
+
+--A moi? m'écriai-je en regardant Cora.
+
+--Oui, oui, reprit le père, c'est une petite affaire
+délicate...voyez-vous, et qu'une jeune femme entendra mieux qu'un vieux
+bonhomme. Allons, au revoir, monsieur Georges.
+
+Il sortit. Je restai encore une fois seul avec Cora, et cette fois elle
+avait une _affaire délicate_ à traiter avec moi: elle allait me confier
+un secret peut-être, une peine de son coeur, un malheur de sa destinée:
+ah! sans doute, il y avait un grand et profond mystère dans la vie de
+cette fille si mélancolique et si belle! son existence ne pouvait pas
+être arrangée comme celle des autres. Le ciel ne lui avait pas départi
+une si miraculeuse beauté sans la lui faire expier par des trésors de
+douleur. Enfin, me disais-je, elle va les épancher dans mon sein, et je
+pourrai peut-être en prendre une partie pour la soulager!
+
+Elle resta un peu confuse devant moi. Puis elle fouilla dans la poche de
+son tablier de taffetas noir et en tira un papier plié.
+
+--En vérité, Monsieur, dit-elle, c'est bien peu de chose: je ne sais
+pourquoi mon père me charge de vous le dire; il devrait savoir qu'un
+homme d'esprit comme vous ne s'offense pas d'une demande toute
+naturelle.... Sans tout ce qu'il vient de dire, je ne serais pas
+embarrassée, mais....
+
+--Achevez, au nom du ciel, m'écriai-je avec ferveur; ô Cora! si vous
+connaissiez mon coeur, vous n'hésiteriez pas un instant à m'ouvrir le
+vôtre.
+
+--Eh bien, Monsieur, dit Cora émue, voici ce dont il s'agit. Elle déplia
+le papier et me le présenta. J'y jetai les yeux, mais ma vue était
+troublée, ma main tremblante, il me fallut prendre haleine un instant
+avant de comprendre. Enfin je lus: «Doit M. Georges à M***, épicier
+droguiste, pour objets de consommation fournis durant sa maladie....
+
+ 12 l. cassonade pour sirops et tisanes, ci.
+ Savon fourni à sa garde-malade, ci-contre.
+ Chandelle. . . . . . . . . . . . . . . . .
+ Centaurée fébrifuge, etc., etc. . . . . . .
+ --------------
+ Total. . . . . . 30 fr. 50 c.
+
+ Pour acquit, CORA **--»
+
+Je la regardai d'un air égaré.--Véritablement, Monsieur, me dit-elle,
+vous trouvez peut-être cette demande indiscrète, et vous n'êtes pas
+encore assez bien portant pour qu'il soit agréable d'être importuné
+d'affaires. Mais nous sommes fort gênés, le commerce va si mal, le loyer
+de notre boutique est fort cher...et Cora parla longtemps encore. Je ne
+l'entendis point. Je balbutiai quelques mots et je courus, aussi vite
+que mes forces me le permirent, chercher la somme que je devais à
+l'épicier. Puis je rentrai chez moi atterré, et je me mis au lit avec un
+mouvement de fièvre.
+
+[Illustration: Accablé de douleur, brisé jusqu'à l'âme...]
+
+Mais le lendemain je revins à moi avec des idées plus raisonnables. Je
+me demandai pourquoi ce mépris idiot et superbe pour les détails de
+la vie bourgeoise? pourquoi l'impertinente susceptibilité des âmes
+poétiques qui croient se souiller au contact des nécessités prosaïques?
+pourquoi enfin cette haine absurde contre le positif de la vie?
+
+Ingrat! pensai-je, tu te révoltes parce qu'un mémoire de savon et de
+chandelle a été rédigé et présenté par Cora, tandis que tu devrais
+baiser la belle main qui t'a fourni ces secours à ton insu durant ta
+maladie. Que serais-tu devenu, misérable rêveur, si un homme confiant et
+probe n'eût consenti à répandre sur toi les bienfaits de son industrie,
+sans autre gage de remboursement que ta mince garde-robe et ton
+misérable grabat? Et si tu étais mort sans pouvoir lire son mémoire
+et l'acquitter, où sont les héritiers qui auraient trouvé dans ta
+succession 30 fr. 50 c. à lui remettre?
+
+Et puis je songeai que ces breuvages bienfaisants qui m'avaient sauvé de
+la souffrance et de la mort, c'était Cora qui les avait préparés. Qui
+sait, pensai-je, si elle n'a point composé un charme ou murmuré une
+prière qui leur ait donné la vertu de me guérir? N'y a-t-elle pas
+aussi mêlé une larme compatissante le jour où je touchai aux portes du
+tombeau? Larme divine! topique céleste!...
+
+J'en étais là quand l'épicier frappa à ma porte:--Tenez, monsieur
+Georges, me dit-il, ma femme et moi nous craignons de vous avoir fâché.
+Cora nous a dit que vous aviez eu l'air surpris et que vous aviez
+acquitté le mémoire sans dire un mot. Je ne voudrais pas que vous nous
+crussiez capables de méfiance envers vous. Nous sommes gênés, il est
+vrai. Notre commerce ne va pas très-bien; mais si vous aviez besoin
+d'argent, nous trouverions encore moyen de vous rendre le vôtre et même
+de vous en prêter un peu.
+
+Je me jetai dans ses bras avec effusion.--Digne vieillard, m'écriai-je,
+tout ce que je possède est à vous!... Comptez sur moi à la vie et à
+la mort. Je parlai longtemps avec l'exaltation de la fièvre. Il me
+regardait avec son gros oeil gris, rond comme celui d'un chat. Quand
+j'eus fini:--A la bonne heure, dit-il du ton d'un homme qui prend son
+parti sur l'impossibilité de deviner une énigme. Je vous prie de venir
+nous voir de temps en temps et de ne pas nous retirer votre pratique.
+
+
+III.
+
+Je m'étonnais de ne plus voir le mari de Cora à la boutique ni auprès
+de sa femme. Je hasardai une craintive question. Elle me répondit que
+Gibonneau achevait son année de service en second sous les auspices du
+premier pharmacien de la ville. Il ne rentrait que le soir et sortait
+dès le matin. Ainsi le rustre pouvait ainsi voir s'écouler ses jours
+loin de la plus belle créature qui fût sous le ciel. Il possédait la
+plus riche perle du monde, et il se résignait tranquillement à la
+quitter pendant toute une moitié de sa vie, pour aller préparer des
+liniments et formuler des pilules!
+
+Mais aussi comme je remerciai le ciel qui l'avait condamné à cette
+vulgaire existence et qui semblait lui dénier une faveur dont il n'était
+pas digne, celle de voir sa douce compagne à la clarté du soleil! Il
+ne lui était permis de retourner vers elle qu'à l'heure où les
+chauve-souris et les hiboux prennent leur sombre volée et rasent d'une
+aile velue et silencieuse les flots transparents de la brume. Il venait
+dans l'ombre ainsi qu'un voleur de nuit, ainsi qu'un gnome malfaisant
+qui chevauche, le vent du soir et le météore trompeur des marécages. Il
+venait, ombre morne et lugubre, encore revêtu de son tablier, ainsi que
+d'un linceul, exhalant cette odeur d'aromate que l'on brûle autour des
+catafalques. Je le voyais quelquefois errer dans les ténèbres et glisser
+comme un spectre le long des murailles livides. Plusieurs fois je le
+rencontrai sur le seuil et je faillis l'écraser dans le ruisseau
+comme un ver de terre; mais je l'épargnai, car véritablement il avait
+l'encolure d'un buffle, et j'étais tout effilé et tout transparent des
+suites de la fièvre.
+
+Cora, veuve chaque jour, depuis l'aube jusqu'au crépuscule du soir,
+restait confiante près de moi. Je passais presque toutes mes journées
+assis sur le vieux fauteuil de la famille, ou, lorsque le soleil
+d'avril était décidément chaud, je m'asseyais sur le banc de pierre qui
+s'adossait à la fenêtre de Cora. Là, séparé d'elle seulement par les
+rameaux d'or de la giroflée, je respirais son haleine parmi les fleurs,
+je saisissais son long regard transparent et calme comme le flot sans
+rides qui dort sur les rives de la Grèce. Nous gardions tous deux le
+silence, mais mon coeur volait vers elle et convoitait le sien avec une
+force attractive dont il devait lui être impossible de ne pas sentir
+la puissance. Je m'endormis dans ce doux rêve. Pourquoi Cora ne
+m'aurait-elle pas aimé? Peut-être fallait-il dire: comment ne m'eût-elle
+pas aimé? Je l'aimais si éperdument, moi! toutes mes facultés
+intellectuelles se concentraient pour produire une force de désir et
+d'attente qui planait impérieusement sur Cora. Son âme, faite du plus
+beau rayon de la Divinité, pouvait-elle rester inerte sous le vol
+magnétique de cette pensée de feu? Je ne voulus point le croire, et
+je sentis mon coeur si pur, mes désirs si chastes, que je ne craignis
+bientôt plus d'offenser Cora en les lui révélant. Alors je lui parlai
+cette langue des cieux qu'il n'est donné qu'aux âmes poétiques
+d'entendre. Je lui exprimai les tortures ineffables et les divines
+souffrances de mon amour. Je lui racontai mes rêves, mes illusions, les
+milliers de poèmes et de vers alexandrins que j'avais faits pour elle.
+J'eus le bonheur de la voir, attentive et subjuguée, quitter son livre
+et se pencher vers moi d'un air pénétré pour m'entendre, car mes paroles
+avaient un sens nouveau pour elle, et je faisais entrer dans son esprit
+un ordre de pensées sublimes qu'il n'avait encore jamais osé aborder.
+
+--O ma Cora, lui disais-je, que pourrais-tu craindre d'une flamme aussi
+pure? L'éclair qui s'allume aux cieux n'est pas d'une nature plus
+subtile que le feu dont je me consume avec délice. Pourquoi ta sauvage
+pudeur, pourquoi ta superbe fierté de femme s'alarmeraient-elles d'un
+amour aussi intellectuel que le nôtre? Qu'un mari, qu'un maître, possède
+le trésor de la beauté matérielle qu'il a plu aux anges de te départir!
+pour moi, je ne chercherai jamais à lui ravir ce que Dieu, les hommes et
+ta parole, ô Cora! lui ont assuré comme son bien; le mien sera, si tu
+m'exauces, moins saisissable, moins enivrant, mais plus glorieux et
+plus noble. C'est la partie éthérée de ton âme que je veux, c'est ton
+aspiration brûlante vers le ciel que je veux étreindre et saisir, afin
+d'être ton ciel et ton âme, comme tu es mon Dieu et ma vie.»
+
+Ces choses semblaient obscures à Cora, son âme était si candide et si
+enfantine! Elle me regardait d'un oeil absorbé dans la stupeur, et pour
+lui faire mieux comprendre les divins mystères de l'amour platonique, je
+prenais mon crayon et je traçais des vers sur la muraille aux marges de
+sa fenêtre; puis je lui racontais les brillantes poésies de la nature
+invisible, les amours des anges et des fées, les souffrances et les
+soupirs des sylphes emprisonnés dans le calice des fleurs, puis les
+fougueuses passions des roses pour les brises, et réciproquement;
+puis les choeurs aériens qu'on entend le soir dans la nue, la danse
+sympathique des étoiles, les rondes du sabbat, les malices des farfadets
+et les découvertes ardues de l'alchimie.
+
+Notre bonheur semblait ne pouvoir être troublé par aucun événement
+extérieur. En prenant la poésie corps à corps, j'avais su si bien
+m'isoler, dans mon monde intellectuel, de toutes les entraves et de tous
+les écueils de la vie réelle, que je semblais n'avoir rien à craindre
+de l'intervention de ces volontés grossières et inintelligentes qui
+végétaient à l'entour de nous. Mes sentiments étaient d'une nature si
+élevée que je ne pouvais inspirer de rivalité d'aucun genre à l'homme
+vulgaire qui se disait le maître et l'époux de Cora.
+
+Pendant longtemps, en effet, il sembla comprendre le respect qu'il
+devait à une liaison protégée par le ciel. Mais au bout de six semaines,
+je vis un changement étrange s'opérer dans les manières de cette famille
+à mon égard. Le père me regardait d'un air ironique et méfiant chaque
+fois qu'il entrait dans la chambre où nous étions. La mère affectait
+d'y rester tout le temps qu'elle pouvait dérober aux affaires de sa
+boutique. Gibonneau, lorsque par hasard je venais à le rencontrer, me
+lançait de sinistres et foudroyantes oeillades; Cora elle-même devenait
+plus réservée, descendait plus tard au rez-de-chaussée, remontait plus
+tôt dans sa chambre, et quelquefois même passait des jours entiers sans
+paraître. Je m'en effrayai, et j'essayai de m'en plaindre. J'essayai de
+lui faire comprendre, avec l'éloquence que donne la passion, l'injustice
+et la barbarie de sa conduite. Elle m'écouta d'un air contraint, presque
+craintif, et je la vis regarder vers la porte d'un air d'inquiétude.
+
+--O Cora! m'écriai-je avec enthousiasme, serais-tu menacée de quelque
+danger? parle, parle! où sont tes ennemis, nomme-moi les infâmes qui
+font peser sur toi, frêle et céleste créature, les chaînes d'airain d'un
+joug détesté. Dis-moi quel est le démon qui comprime l'élan de ton coeur
+et refoule au fond de ton sein des épanchements naïfs, comme des remords
+amers? Va, je saurai bien les conjurer, je sais plus d'un charme pour
+enchaîner les démons de l'envie et de la vengeance, plus d'une parole
+magique pour appeler les anges sur nos têtes: les anges protecteurs qui
+sont tes frères, et qui sont moins purs, moins beaux que toi...
+
+J'élevai la voix en parlant, et je m'approchai de Cora pour saisir sa
+main qu'elle me retirait toujours. Alors je me levai, le front inondé de
+la sueur de l'enthousiasme, les cheveux en désordre, l'oeil inspiré...
+
+Cora poussa un grand cri, et son père, accourant comme si le feu eût
+pris à la maison, s'élança dans la chambre. Comme il s'avançait vers
+moi d'un air menaçant, Cora le saisit par le bras et lui dit avec
+douceur:--Laissez-le, mon père, il est dans un de ses accès, ne le
+contrariez point, cela va se passer.
+
+Je cherchai vainement le sens de ces paroles. Elle sortit, et l'épicier
+s'adressant à moi:--Allons, monsieur Georges, revenez à vous, personne
+ici ne songe à vous contrarier; mais en vérité vous n'êtes pas
+raisonnable... Allons, allons... rentrez chez vous et calmez-vous.
+
+Étourdi de ce discours plein de bonté, je cédai avec la douceur d'un
+enfant, et l'épicier me reconduisit chez moi. Une heure après, je vis
+entrer le procureur du roi et le médecin de la ville. Comme je les
+connaissais l'un et l'autre assez particulièrement, je ne m'étonnai pas
+de leur visite, mais je commençai à m'offenser de l'affectation
+avec laquelle le médecin s'empara de mon pouls, examinant avec soin
+l'expression de mon regard et la dilatation de ma pupille; puis il se
+mit à compter les battements de mes artères aux tempes et au cou, et
+à interroger la chaleur extérieure de mon cerveau avec le creux de sa
+main.
+
+--Qu'est-ce que tout cela signifie, Monsieur? lui dis-je; je ne vous ai
+point appelé pour une consultation. Je me sens assez bien pour me passer
+désormais de soins, et je ne suis point disposé à en recevoir malgré
+moi.
+
+Mais, au lieu de me répondre, il s'approcha du magistrat, et ils
+se retirèrent dans l'embrasure de la fenêtre pour parler bas. Ils
+semblaient se consulter sur mon compte, car, à chaque instant ils se
+retournaient pour me regarder d'un air attentif et méfiant; enfin ils
+s'approchèrent de moi, et le procureur du roi m'adressa plusieurs
+questions étranges, d'abord de quelle couleur je voyais son gilet, puis
+si je savais bien son nom, puis encore si je pouvais dire quel était mon
+âge, mon pays et ma profession.
+
+Je répondais à ces étranges interrogatoires avec stupeur, lorsque le
+médecin me demanda à son tour si je ne voyais point d'autre personne
+dans l'appartement que le procureur du roi, lui et moi; puis si je
+pensais qu'il fît jour ou nuit, et enfin si je pouvais certifier que
+j'eusse cinq doigts à chaque main.
+
+Outré de l'impertinence de ces questions, je résolus la dernière en lui
+appliquant un vigoureux soufflet. J'eus tort, sans doute, surtout en la
+présence d'un magistrat tout prêt à instruire contre le délit. Mais le
+sang me montait à la tête, et il ne m'était pas plus longtemps possible
+de me laisser traiter comme un idiot ou comme un fou sans en avoir le
+motif.
+
+Grand fut l'esclandre. Le magistrat voulut prendre fait et cause
+pour son compère; je le saisis à la gorge et je l'eusse étranglé, si
+l'épicier, son gendre et une demi-douzaine de voisins ne fussent venus à
+son secours. Alors on s'empara de moi, on me lia les pieds et les mains
+comme à un furieux, on m'entoura la bouche de serviettes et l'on me
+conduisit à l'hospice de ville, où je fus enfermé dans la chambre
+destinée aux sujets frappés d'aliénation mentale.
+
+La chambre, je dois le dire, était confortable, et j'y fus traité avec
+beaucoup de douceur, d'autant plus que je ne donnais aucun signe de
+folie. L'erreur du médecin et du magistrat fut bientôt constatée. Mais
+il me fut difficile de recouvrer ma liberté, car le dernier, prévoyant
+qu'il serait forcé de me demander une réparation de l'injure que je lui
+avais faite, s'obstina à me faire passer pour aliéné, afin de pouvoir se
+donner les apparences du sang-froid et de la générosité à mon égard.
+
+Je sortis enfin; mais le procureur du roi me fit mander immédiatement
+dans son cabinet et m'adressa cette mercuriale:
+
+--Jeune homme, me dit-il avec ce ton capable et paternel que tout
+magistrat imberbe se croit le droit de prendre quand il a endossé la
+ratine judiciaire, vous avez, sinon de grandes erreurs, du moins de
+graves inconséquences à réparer. Étranger, vous avez été accueilli
+dans cette ville avec toutes les marques de la bienveillance et toute
+l'aménité de moeurs qui distingue ses habitants. Malade, vous avez été
+soigné par vos voisins, avec zèle et dévouement. Tous ces témoignages
+de confiance et d'intérêt eussent dû graver profondément en vous le
+sentiment des convenances et celui de la gratitude...
+
+--Mille noms d'un sabord! Monsieur, m'écriai-je dans mon style de marin,
+qui, dans la colère, reprenait malgré moi le dessus, où voulez-vous en
+venir, et qu'ai-je fait pour mériter la prison et votre harangue?...
+
+--Monsieur, dit-il en fronçant le sourcil, voici ce que vous avez fait:
+vous avez accepté l'hospitalité que chaque jour un honnête citoyen, un
+estimable épicier, vous offrait au sein de sa famille, et vous l'avez
+acceptée avec des intentions qu'il ne m'appartient pas de qualifier,
+et dont votre conscience seule peut être juge. Moi je pense que votre
+intention a été de séduire la fille de l'épicier et de l'éblouir par des
+discours incohérents qui portaient tous les caractères de l'exaltation;
+ou de vous faire un jeu de sa simplicité, en la mystifiant par
+d'énigmatiques railleries.
+
+--Juste ciel! qui a dit cela? m'écriai-je avec angoisse.
+
+--Madame Cora Gibonneau elle-même. D'abord elle a considéré vos étranges
+discours comme des traits d'originalité naturelle. Peu à peu elle s'en
+est effrayée comme d'actes de démence. Longtemps elle a hésité à en
+prévenir ses parents, car dans le coeur de ces respectables bourgeois,
+la bonté et la compassion sont des vertus héréditaires. Mais enfin,
+mariée depuis peu à un digne homme qu'elle adore et pour qui, vous le
+savez sans doute depuis longtemps, elle nourrissait en secret avant son
+hyménée une passion qui avait profondément altéré sa santé et l'eût
+conduite au tombeau si ses parents l'eussent contrariée plus longtemps;
+enfin, dis-je, mariée à l'estimable pharmacien Gibonneau, affaiblie
+par les commencements d'une grossesse assez pénible, et craignant avec
+raison les conséquences de la frayeur dans la position où elle se
+trouve, madame Cora s'est décidée à instruire ses parents de l'égarement
+de votre cerveau et des preuves journalières que vous lui en donniez
+depuis quelque temps. Ces honnêtes gens ont hésité à le croire et vous
+ont surveillé avec une extrême réserve de délicatesse. Enfin, vous
+voyant un jour dans un état d'exaltation et de délire qui épouvantait
+sérieusement leur fille, ils ont pris le parti d'implorer la protection
+des lois et la sauvegarde de la magistrature... Et l'appui des lois ne
+leur a pas manqué, et la magistrature s'est levée pour les rassurer, car
+la magistrature sait que son plus beau privilège est de...
+
+--Assez, assez, pour Dieu! Monsieur, m'écriai-je, je pourrais vous dire
+par coeur le reste de votre phrase, tant je l'ai entendu déclamer de
+fois à tout propos...
+
+--Non, jeune homme, s'écria le magistrat à son tour en élevant la voix,
+vous n'échapperez point à la sollicitude d'une magistrature qui doit ses
+conseils et sa surveillance à la jeunesse, à une magistrature qui veut
+le bonheur et le repos des citoyens. Profitez du reproche que vous avez
+encouru. Voyez vos torts, ils sont graves! vous avez porté le trouble
+et la crainte dans la famille de l'épicier; vous avez méconnu la sainte
+hospitalité qui vous y était offerte, en essayant de railler ou de
+séduire l'épouse irréprochable d'un pharmacien éclairé... Oui, vous avez
+tenté l'un ou l'autre, Monsieur, car je ne sais point le sens que la
+loi peut adjuger aux étranges fragments de versification dont vous
+avez endommagé les murs de cette maison hospitalière, et qui m'ont été
+montrés par la fille de l'épicier comme une preuve irrécusable de votre
+démence... Enfin, Monsieur, non content d'affliger de braves gens et
+d'inquiéter le voisinage, vous avez résisté à l'autorité représentée par
+moi, vous avez pris au collet et frappé le médecin distingué qui vous
+donnait des soins, vous avez fait une scène de violence qui a troublé le
+repos de toute une population paisible, et qui a pensé devenir funeste à
+madame Gibonneau par la frayeur qu'elle lui a causée.
+
+--Cora est malade! m'écriai-je. Grand Dieu!... Et je voulais courir,
+échapper à l'éloquence tribunitienne de mon bourreau. Il me retint.
+
+--Vous ne me quitterez pas, jeune homme, me dit-il, sans avoir écouté
+la voix de la raison, sans m'avoir donné votre parole d'honneur de
+suspendre vos visites, chez madame Gibonneau, et de quitter même le
+logement que vous occupez vis-a-vis la maison de l'épicière.
+
+---Eh! Monsieur, m'écriai-je, je jure que je vais dire adieu et demander
+pardon à ces honnêtes gens, savoir des nouvelles de madame Cora, et
+qu'une heure après j'aurai quitté cette ville fatale.
+
+Je m'armai de courage et de sang-froid pour rentrer chez l'épicier.
+Comme j'avais passé pour fou dans toute la ville, ma sortie de prison
+fit une profonde sensation; l'épicier parut inquiet et soucieux, sa
+femme se cacha presque derrière lui, Cora devint pâle de terreur, et M.
+Gibonneau, sans rien dire, me fit une mine de mauvais garçon. Je leur
+parlai avec calme, les priai d'excuser le scandale que je leur avais
+causé, et de croire à mon éternelle reconnaissance pour les soins et
+l'affection que j'avais trouvés chez eux.
+
+--Pour vous, Madame, dis-je d'une voix émue à Cora, pardonnez surtout
+aux extravagances dont je vous ai rendue témoin; si je croyais que vous
+m'eussiez soupçonné un seul instant de manquer au respect que je vous
+dois, j'en mourrais de douleur. J'espère que vous oublierez l'absurdité
+de ma conduite pour ne vous souvenir tous que des humbles excuses et
+des affectueux remerciements que je vous adresse en vous quittant pour
+jamais.
+
+A ce mot je vis toutes les figures s'éclaircir, à l'exception de celle
+de Cora, qui, je dois le dire, n'exprima qu'une douce compassion. Je
+voulus essayer de lui demander l'état de sa santé, dont j'avais causé
+l'altération par mes folies. Mais en songeant à la cause première de son
+état maladif, à l'amour qu'elle avait depuis si longtemps pour son mari
+et à l'heureux gage de cet amour qu'elle portait dans son sein, ma
+langue s'embarrassa et mes pleurs coulèrent malgré moi. Alors la famille
+m'entoura, pleurant aussi et m'accablant de marques de regret et
+d'attachement; Cora me tendit même sa belle main, que je n'avais jamais
+eu le bonheur de toucher, et que je n'osai pas seulement porter à mes
+lèvres. Enfin je m'éloignai comblé de bénédictions pour mon séjour parmi
+eux et particulièrement pour mon départ; car, au milieu de toutes les
+choses amicales qui me furent dites, il n'y eut pas une voix, pas un mot
+pour m'engager à rester.
+
+Accablé de douleur, brisé jusqu'à l'âme, je sentais mes genoux fléchir
+sous moi en quittant cette maison où j'avais fait des rêves si doux et
+nourri des illusions si brillantes. Je m'appuyai contre le seuil tapissé
+de vigne, et je jetai un dernier regard de tendresse et d'adieu sur la
+belle giroflée de la fenêtre.
+
+Alors j'entendis une voix qui partait de l'intérieur et qui prononçait
+mon nom. C'était la voix de Cora; j'écoutai:--Pauvre jeune homme!
+disait-elle d'un ton pénétré, il est donc enfin parti!
+
+--Je n'en suis pas fâché, répondit l'épicier, quoique après tout ce soit
+un brave garçon et qu'il paie bien ses mémoires.
+
+J'ai traversé cette ville l'année dernière pour aller en Limousin. J'ai
+aperçu Cora à sa fenêtre; il y avait trois beaux enfants autour d'elle,
+et un superbe pot de giroflée rouge. Cora avait le nez allongé, les
+lèvres amincies, les yeux un peu rouges, les joues creuses et quelques
+dents de moins.
+
+
+
+GEORGE SAND.
+
+
+FIN DE CORA.
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Cora, by George Sand
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12837 ***
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+
+
+
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+<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12837 ***</div>
+
+<h1>CORA.</h1>
+
+<h4>par</h4>
+
+<h2>George Sand</h2>
+<br><br>
+
+<div align="center"><img src="images/ill-1.png" alt=""></div>
+
+<br><br>
+<h3>I.</h3>
+
+
+<p>A mon retour de l'île Bourbon (je me trouvais dans
+une situation assez précaire), je sollicitai et j'obtins un
+mince emploi dans l'administration des postes. Je fus
+envoyé au fond de la province, dans une petite ville dont
+je tairai le nom pour des motifs que vous concevrez facilement.</p>
+
+<p>L'apparition d'une nouvelle figure est un événement
+dans une petite ville, et, quoique mon emploi fût des
+moins importants, pendant quelques jours je fus, après
+un phoque vivant et deux boas constrictors, qui venaient
+de s'installer sur la place du marché, l'objet le plus excitant
+de la curiosité publique et le sujet le plus exploité
+des conversations particulières.</p>
+
+<p>La niaise oisiveté dont j'étais victime me séquestra
+chez moi pendant toute la première semaine. J'étais fort
+jeune, et la négligence que j'avais jusqu'alors apportée
+par caractère aux importantes considérations de la <i>mise</i>
+et de la <i>tenue</i> commençaient à se révéler à moi sous la
+forme du remords.</p>
+
+<p>Après un séjour de quelques années aux colonies, ma
+toilette se ressentait visiblement de l'état de stagnation
+honteuse où l'avait laissé le progrès du siècle. Mon chapeau
+à la Bolivar, mes favoris à la Bergami et mon manteau
+à la Quiroga étaient en arrière de plusieurs lustres,
+et le reste de mon accoutrement avait une tournure exotique
+dont je commençais à rougir.</p>
+
+<p>Il est vrai que, dans la solitude des champs, ou dans
+l'incognito d'une grande ville, ou dans le tourbillon de la
+vie errante, j'eusse pu exister longtemps encore sans me
+douter du malheur de ma position. Mais une seule promenade
+hasardée sur les remparts de la ville m'éclaira tristement
+à cet égard. Je ne fis point dix pas hors de mon
+domicile sans recevoir de salutaires avertissements sur
+l'inconvenance de mon costume. D'abord une jolie grisette
+me lança un regard ironique, et dit à sa compagne,
+en passant près de moi:&mdash;«<i>Ce monsieur</i> a une cravate
+bien mal pliée.» Puis un ouvrier, que je soupçonnai
+être dans le commerce des feutres, dit d'un ton goguenard,
+en posant ses poings sur ses flancs revêtus d'un
+tablier de cuirnn:&mdash;«Si <i>ce monsieur</i> voulait me prêter
+son chapeau, j'en ferais fabriquer un sur le même modèle,
+afin de me déguiser en <i>roast-beef</i> le jour du carnaval.»
+Puis une <i>dame</i> élégante murmura en se penchant
+sur sa croisée:&mdash;«C'est dommage qu'il ait un gilet si
+fané et la barbe si mal faite.» Enfin, un bel esprit du
+lieu dit en pinçant la lèvre:&mdash;«Apparemment que le
+père de <i>ce monsieur</i> est un homme <i>puissant</i>, on le voit
+à l'ampleur de son habit.» Bref, il me fallut bientôt revenir
+sur mes pas, fort heureux d'échapper aux vexations
+d'une douzaine de polissons en guenilles qui criaient après
+moi du haut de leur tête: A bas <i>l'angliche</i>! à bas le
+milord! à bas l'étranger!</p>
+
+<p>Profondément humilié de ma mésaventure, je résolus
+de m'enfermer chez moi jusqu'à ce que le tailleur du
+chef-lieu m'eût fait parvenir un habit complet dans le
+dernier goût. L'honnête homme ne s'y épargna point, et
+me confectionna des vêtements si exigus et si coquets
+que je pensai mourir de douleur en me voyant réduit à
+ma plus simple expression, et semblable en tous points à
+ces caricatures de <i>fats parisiens</i> et d'<i>incroyables</i> qui
+nous faisaient encore pâmer de rire, l'année précédente,
+à l'île Maurice. Je ne pouvais pas me persuader que je
+ne fusse pas cent fois plus ridicule sous cet habit que sous
+celui que je venais de quitter, et je ne savais plus que
+devenir; car j'avais promis solennellement à mon hôtesse
+(la femme du plus gros notaire de l'arrondissement) de
+la conduire au bal, et de lui faire danser la première et
+probablement l'unique contredanse à laquelle ses charmes
+lui donnaient le droit de prétendre. Incertain, honteux,
+tremblant, je me décidai à descendre et à demander à
+cette estimable femme un avis rigide et sincère sur ma
+situation. Je pris un flambeau et je me hasardai jusqu'à
+la porte de son appartement; mais je m'arrêtai palpitant
+et désespéré, en entendant partir de ce sanctuaire un
+bruit confus de voix fraîches et perçantes, de rires aigus
+et naïfs, qui m'annonçaient la présence de cinq ou six
+demoiselles de la ville. Je faillis retourner sur mes pas;
+car, de m'exposer au jugement d'un si malin aréopage
+dans une parure plus que problématique à mes yeux,
+c'était un héroïsme dont peu de jeunes gens à ma place
+se fussent sentis capables.</p>
+
+<p>Enfin, la force de ma volonté l'emporta; je me demandai
+si j'avais lu pour rien Locke et Condillac, et poussant
+la porte d'une main ferme, j'entrai par l'effet d'une résolution
+désespérée. J'ai vu de près d'affreux événements,
+je puis le dire: j'ai traversé les mers et les orages, j'ai
+échappé aux griffes d'un tigre dans le royaume de Java,
+et aux dents d'un crocodile dans la baie de Tunis; j'ai
+vu en face les gueules béantes des sloops flibustiers; j'ai
+mangé du biscuit de mer qui m'a percé les gencives; j'ai
+embrassé la fille du roi de Timor ... eh bien! je vous jure
+que tout ceci n'était rien au prix de mon entrée dans cet
+appartement, et que dans aucun jour de ma vie je ne
+recueillis un aussi glorieux fruit de l'éducation philosophique.</p>
+
+<p>Les demoiselles étaient assises en cercle, et, en attendant
+que la femme du notaire eût achevé de mêler à ses
+cheveux noirs une légère guirlande de pivoines, ces gentes filles
+de la nature échangeaient entre elles de joyeux
+propos et de naïves chansons. Mon apparition inattendue
+paralysa l'élan de cette gaieté charmante. Le silence étendit
+ses ailes de hibou sur leurs blondes têtes, et tous les
+yeux s'attachèrent sur moi avec l'expression du doute,
+de la méfiance et de la peur.</p>
+
+<p>Puis tout à coup un cri de surprise s'échappa du sein
+de la plus jeune, et mon nom vola de bouche en bouche
+comme la bordée d'une frégate armée en guerre. Mon
+sang se glaça dans mes veines, et je faillis prendre la fuite
+comme un brick qui a cru attaquer un chasse-marée, et
+qui, à la portée de la longue-vue, découvre un beau trois-mâts,
+laissant nonchalamment tomber ses sabords pour
+lui faire accueil.</p>
+
+<p>Mais, à ma grande stupéfaction, la femme de mon hôte,
+laissant la moitié de ses boucles crêpées et menaçantes,
+tandis que l'autre gisait encore sous le papier gris de la
+papillote, accourut vers moi en s'écriant:&mdash;C'est notre
+jeune homme! c'est notre pauvre Georges! Ah! mon
+Dieu! quelle métamorphose! qu'il est bien mis! quelle
+jolie tournure! quelle coupe d'habit élégante et moderne!...
+Ah! Mesdemoiselles, regardez! regardez
+comme M. Georges est changé, comme il a l'air distingué.
+Vous ferez danser ces demoiselles, monsieur Georges,
+après moi, pourtant! Vous m'avez forcée de vous promettre
+la première, vous vous en souvenez?</p>
+
+<p>Les demoiselles gardaient le silence, et je doutais encore
+de mon triomphe. Je rassemblai le reste de mon courage
+pour leur demander timidement leur goût sur cet
+habit, et aussitôt un choeur de louanges pur et mélodieux
+à mes oreilles comme un chant céleste s'éleva autour de
+moi. Jamais on n'avait rien vu de mieux; on ne trouvait
+pas un pli à blâmer; le collet raide et volumineux était
+d'un goût exquis, les basques courtes et cambrées avaient
+une grâce parfaite, le gilet parsemé de gigantesques rosaces
+était d'un éclat sans pareil; la cravate inflexible,
+croisée avec une rigueur systématique, était un chef-d'oeuvre
+d'invention; la manchette et le jabot terrible
+couronnaient l'oeuvre. De mémoire de jeunes filles, aucun
+employé de l'administration des postes n'avait fait un tel
+début dans le monde.</p>
+
+<p>J'avoue que ce n'est pas un des moins brillants souvenirs
+de ma jeunesse que mon entrée triomphante dans
+ce bal, serré dans mon habit neuf, froissé par les baleines
+dorsales de mon gilet, vexé par le rigorisme de mes entournures,
+et, de plus, flanqué à droite de la femme du
+notaire, à gauche de mademoiselle Phédora, sa nièce, la
+plus vieille et la plus laide fille du département. N'importe,
+j'étais fier, j'étais heureux, j'étais bien mis.</p>
+
+<p>La salle était un peu froide, un peu sombre, un peu
+malpropre; les banquettes étaient bien tachées d'huile
+çà et là, les quinquets jouaient bien un peu, sur les têtes
+fleuries et emplumées du bal, le vieux rôle de l'épée de
+Damoclès; le parquet n'était pas fort brillant, les robes
+des femmes n'étaient pas toutes fraîches, pas plus que la
+fraîcheur de certains visages n'était naturelle. Il y avait
+bien des pieds un peu larges dans des souliers de satin
+un peu rustiques, des bras un peu rouges sous des manches
+de dentelle, des cous un peu hâlés sous des colliers
+de perles, et des corsages un peu robustes sous des ceintures
+de moire. Il y avait bien aussi sur l'habit des
+hommes une légère odeur de tabac de la régie, dans l'office
+un parfum de vin chaud un peu brutal, dans l'air un
+nuage de poussière un peu agreste, et pourtant c'était
+une charmante fête, une aimable réunion, sur ma parole!
+La musique n'était pas beaucoup plus mauvaise que celle
+de Port-Louis ou de Saint-Paul. Les modes n'étaient, à
+coup sûr, ni aussi arriérées, ni aussi exagérées que celles
+qu'on prétend suivre à Calcutta; en outre, les femmes
+étaient généralement plus blanches, les hommes moins
+rudes et moins bruyants.</p>
+
+<p>A tout prendre, pour moi qui n'avais point vu les merveilles
+de la civilisation poussées à la dernière limite, pour
+moi qui n'avais vu l'opéra qu'en Amérique et le bal qu'en
+Asie, le bal à peu près public et général de la petite ville
+pouvait bien sembler pompeux et enivrant, si l'on considère
+d'ailleurs la profonde sensation qu'y produisait mon
+habit et le succès incontestable que j'obtins d'emblée à
+la fin de la première contredanse.</p>
+
+<p>Mais ces joies naïves de l'amour-propre firent bientôt
+place à un sentiment plus conforme à ma nature inflammable
+et contemplative. Une femme entra dans le bal et
+j'oubliai toutes les autres; j'oubliai même mon triomphe
+et mon habit neuf. Je n'eus plus de regards et de pensées
+que pour elle.</p>
+
+<div class="dropcap"><img src="images/ill-2.png" alt=""></div>
+
+
+<p>Oh! c'est qu'elle était vraiment bien belle, et qu'il
+n'était pas besoin d'avoir vingt-cinq ans et d'arriver de
+l'Inde pour en être frappé. Un peintre célèbre qui passa,
+l'année suivante, dans la ville, arrêta sa chaise de poste
+en l'apercevant à sa fenêtre, fit dételer les chevaux et
+resta huit jours à l'auberge du Lion-d'Argent, cherchant
+par tous les moyens possibles à pénétrer jusqu'à elle
+pour la peindre. Mais jamais il ne put faire comprendre
+à sa famille qu'on pouvait par amour de l'art faire le
+portrait d'une femme sans avoir l'intention de la séduire.
+Il fut éconduit, et la beauté de Cora n'est restée empreinte
+que dans le cerveau peut-être de ce grand artiste,
+et dans le coeur d'un pauvre fonctionnaire destitué de
+l'administration des postes.</p>
+
+<p>Elle était d'une taille moyenne admirablement proportionnée,
+souple comme un oiseau, mais lente et fière
+comme une dame romaine. Elle était extraordinairement
+brune pour le climat tempéré où elle était née; mais sa
+peau était fine et unie comme la cire la mieux moulée.
+Le principal caractère de sa tête régulièrement dessinée,
+c'était quelque chose d'indéfinissable, de surhumain,
+qu'il faut avoir vu pour le comprendre; des lignes
+d'une netteté prestigieuse, de grands yeux d'un vert si
+pâle et si transparent qu'ils semblaient faits pour lire
+dans les mystères du monde intellectuel plus que dans
+les choses de la vie positive; une bouche aux lèvres
+minces, fines et pâles, au sourire imperceptible, aux
+rares paroles; un profil sévère et mélancolique, un regard
+froid, triste et pensif, une expression vague de
+souffrance, d'ennui et de dédain; et puis des mouvements
+doux et réservés, une main effilée et blanche,
+beauté si rare chez les femmes d'une condition médiocre;
+une toilette grave et simple, discernement si étrange chez
+une provinciale; surtout un air de dignité calme et inflexible
+qui aurait été sublime sous la couronne de diamants
+d'une reine espagnole, et qui, chez cette pauvre
+fille, semblait être le sceau du malheur, l'indice d'une
+organisation exceptionnelle.</p>
+
+
+<p>Car c'était la fille... le dirai-je? il le faut bien: Cora
+était la fille d'un épicier.</p>
+
+<p>O sainte poésie, pardonne-moi d'avoir tracé ce mot!
+Mais Cora eût relevé l'enseigne d'un cabaret. Elle se fût
+détachée comme l'ange de Rembrandt au-dessus d'un
+groupe flamand. Elle eût brillé comme une belle fleur
+au milieu des marécages. Du fond de la boutique de son
+père, elle eût attiré sur elle le regard du grand Scott.
+Ce fut sans doute une beauté ignorée comme elle qui
+inspira l'idée charmante de <i>la belle fille de Perth</i>.</p>
+
+<p>Et elle s'appelait Cora; elle avait la voix douce, la démarche
+réservée, l'attitude rêveuse. Elle avait la plus
+belle chevelure brune que j'aie vue de ma vie, et seule,
+entre toutes ses compagnes, elle n'y mêlait jamais aucun
+ornement. Mais il y avait plus d'orgueil dans le luxe de
+ses boucles épaisses que dans l'éclat d'un diadème. Elle
+n'avait pas non plus de collier ni de fleurs sur la poitrine.
+Son dos brun et velouté tranchait fièrement sur la dentelle
+blanche de son corsage. Sa robe bleue la faisait paraître
+encore plus brune de ton et plus sombre d'expression.
+Elle semblait tirer vanité du caractère original de
+sa beauté.</p>
+
+
+
+<p>Elle semblait avoir deviné qu'elle était belle autrement
+que toutes les autres: car je n'ai pas besoin de vous le
+dire, Cora étant d'un type rare et d'un coloris oriental,
+Cora ressemblant à la juive Rebecca, ou à la Juliette de
+Shakespeare, Cora majestueuse, souffrante et un peu farouche,
+Cora qui n'était ni rose, ni replette, ni agaçante,
+ni gentille, n'était ni aperçue ni soupçonnée dans la foule.
+Elle vivait là comme une rose épanouie dans le désert,
+comme une perle échouée sur le sable, et la première
+personne venue, à qui vous eussiez exprimé votre admiration
+à la vue de Cora, vous eût répondu: Oui, elle ne
+serait pas mal si elle était plus blanche et moins maigre.</p>
+
+<div class="droite"><img src="images/ill-3.png" alt=""></div>
+
+<p>J'étais si troublé auprès d'elle, si subitement épris,
+que vraiment j'oubliais toute la confiance qu'eussent dû
+m'inspirer mon habit neuf et mon gilet à rosaces. Il est
+vrai qu'elle y accordait fort peu d'attention, qu'elle écoutait
+d'un air distrait des fadeurs qui me faisaient suer
+sang et eau à débiter, qu'elle laissait, à chaque invitation
+de ma part, tomber de ses lèvres un mot bien faible, et,
+dans ma main tremblante, une main dont je sentais la
+froideur au travers de son gant. Hélas! qu'elle était indifférente
+et hautaine, la fille de l'épicier! Qu'elle était
+singulière et mystérieuse, la brune Cora! Je ne pus jamais
+obtenir d'elle, dans toute la durée de la nuit, qu'une
+demi-douzaine de monosyllabes.</p>
+
+<p>Il m'arriva le lendemain de lire, pour le malheur de
+ma vie, les Contes fantastiques. Pour mon malheur encore,
+aucune créature sous le ciel ne semblait être un
+type plus complet de la beauté fantastique et de la poésie
+allemande que Cora aux yeux verts et au corsage diaphane.</p>
+
+<p>Les adorables poésies d'Hoffman commençaient à circuler
+dans la ville. Les matrones et les pères de famille
+trouvaient le genre détestable et le style de mauvais
+goût. Les notaires et les femmes d'avoués faisaient surtout
+une guerre à mort à l'invraisemblance des caractères
+et au romanesque des incidents. Le juge de paix du
+canton avait l'habitude de se promener autour des tables
+dans le cabinet de lecture, et de dire aux jeunes gens
+égarés par cette poésie étrangère et subversive: <i>Rien
+n'est beau que le vrai</i>, etc. Je me souviens qu'un vaurien
+de lycéen, en vacances, lui dit à cette occasion en
+le regardant fixement:</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur, cette grosse verrue que vous avez au
+milieu du nez est sans doute postiche?</p>
+
+<p>Malgré les remontrances paternelles, malgré les anathèmes
+du <i>principal</i> et des professeurs de sixième, le
+mal gagna rapidement, et une grande partie de la jeunesse
+fut infectée du venin mortel. On vit de jeunes débitants
+de tabac se modeler sur le type de Kressler, et
+des surnuméraires à l'enregistrement s'évanouir au son
+lointain d'une cornemuse ou d'une chanson de jeune fille.</p>
+
+<p>Pour moi, je confesse et je déclare ici que je perdis
+complètement la tête. Cora réalisait tous les rêves enivrants
+que le poëte m'inspirait, et je me plaisais à la gratifier
+d'une nature immatérielle et féerique qui réellement
+semblait avoir été imaginée pour elle. J'étais heureux
+ainsi. Je ne lui parlais pas, je n'avais aucun titre pour
+m'approcher d'elle. Je ne recueillais aucun encouragement
+à ma passion; je n'en cherchais même pas. Seulement,
+je quittai la maison du notaire et je louai une
+misérable chambre directement en face de la maison de
+l'épicier. Je garnis ma fenêtre d'un épais rideau, dans
+lequel je pratiquai des fentes habilement ménagées. Je
+passais là en extase toutes les heures que je pouvais dérober
+à mon travail.</p>
+
+<p>La rue était déserte et silencieuse. Cora était assise à
+sa fenêtre au rez-de-chaussée. Elle lisait. Que lisait-elle?
+Il est certain qu'elle lisait du matin au soir. Et puis elle
+posait son livre sur un vase de giroflée jaune qui brillait
+à la fenêtre. Et la tête penché sur sa main, les boucles de
+ses beaux cheveux nonchalamment mêlées aux fleurs d'or
+et de pourpre, l'oeil fixe et brillant, elle semblait percer le
+pavé et contempler, à travers la croûte épaisse de ce sol
+grossier, les mystères de la tombe et de la reproduction
+des essences fécondantes, assister à la naissance de la
+fée aux Roses, et encourager le germe d'un beau génie
+aux ailes d'or dans le pistil d'une tulipe.</p>
+
+<p>Et moi je la regardais, j'étais heureux. Je me gardais
+bien de me montrer, car, au moindre mouvement du rideau,
+au moindre bruit de ma fenêtre, elle disparaissait
+comme un songe. Elle s'évanouissait comme une vapeur
+argentée dans le clair-obscur de l'arrière-boutique; je me
+tenais donc là, immobile, retenant mon souffle, imposant
+silence aux battements de mon coeur, quelquefois à genoux
+implorant ma fée dans le silence, envoyant vers elle
+les brûlantes aspirations d'une âme que son essence magique
+devait pénétrer et entendre. Parfois je m'imaginais
+voir mon esprit et le sien voltiger enlacés dans un de ces
+rayons de poussière d'or que le soleil de midi infiltrait
+dans la profondeur étroite et anguleuse delà rue. Je m'imaginais
+voir partir de son oeil limpide comme l'eau qui court
+sur la mousse, un trait brûlant qui m'appelait tout entier
+dans son coeur.</p>
+
+<p>Je restai là tout le jour, égaré, absurde, ridicule; mais
+exalté, mais amoureux, mais jeune! mais inondé de poésie
+et n'associant personne aux mystères de ma pensée
+et ne sentant jamais mes élans entravés par la crainte de
+tomber dans le mauvais goût, n'ayant que Dieu pour juge
+et pour confident de mes rêves et de mes extases.</p>
+
+<p>Puis, quand le jour finissait, quand la pâle Cora fermait
+sa fenêtre et tirait son rideau, j'ouvrais mes livres favoris
+et je la retrouvais sur les Alpes avec Manfred, chez le
+professeur Spallanzani avec Nathanaël, dans les cieux
+avec Oberon.</p>
+
+<p>Mais, hélas! ce bonheur ne fut pas de bien longue
+durée. Jusque-là personne n'avait découvert la beauté de
+Cora; j'en jouissais tout seul. Elle n'était comprise et
+adorée que par moi. La contagion fantastique, en se répandant
+parmi les jeunes gens de la ville, jeta un trait
+de lumière sur la romantique bourgeoise.</p>
+
+<p>Un impertinent bachelier s'avisa un matin, en passant
+devant ses fenêtres, de la comparer à Anne de Gierstern, la
+fille du brouillard. Ce mot fit fortune: on le répéta au bal.
+Les <i>inspirés</i> de l'endroit remarquèrent la danse molle et
+aérienne de Cora. Un autre génie de la société la compara
+à la reine Mab. Alors, chacun voulant faire montre de
+son érudition, apporta son épithète et sa métaphore, et la
+pauvre fille en fut écrasée à son insu. Quand ils eurent
+assez profané mon idole avec leurs comparaisons, ils l'entourèrent,
+ils l'accablèrent de soins et de madrigaux, ils
+la firent danser jusqu'à l'extinction des quinquets, ils me
+la rendirent le lendemain fatiguée de leur esprit, ennuyée
+de leur babil, flétrie de leur admiration; et ce qui acheva
+de me briser le coeur, ce fut de voir apparaître à la fenêtre
+le profil arrondi et jovial d'un gros étudiant en pharmacie
+à côté du profil grec et délié de ma sylphide.</p>
+
+<p>Pendant bien des matins et bien des soirs, je vins
+derrière le rideau mystérieux essayer de combattre le
+charme que mon odieux rival avait jeté sur la famille de
+l'épicier. Mais en vain j'invoquai l'amour, le diable et tous
+les saints, je ne pus écarter sa maligne influence. Il revint,
+sans se lasser, tous les jours s'asseoir à côté de
+Cora, dans l'embrasure de la fenêtre, et il lui parlait.
+De quoi osait-il lui parler, le malheureux! La figure impénétrable
+de Cora n'en trahissait rien. Elle semblait
+écouter ses discours sans les entendre, et à l'imperceptible
+mouvement de ses lèvres, je devinais quelquefois
+qu'elle lui répondait froidement et brièvement comme
+elle avait l'habitude de le faire, et puis la conversation
+semblait languir.</p>
+
+<p>Le couple contraint et ennuyé étouffait de part et
+d'autre des bâillements silencieux. Cora regardait tristement
+son livre fermé sur la fenêtre et que la présence
+de son adorateur l'empêchait de continuer. Puis elle appuyait
+son coude sur le pot de giroflées et le menton sur
+la paume de sa main, et le regardant d'un regard fixe et
+glacial, elle semblait étudier les fibres grossières de son
+organisation morale au travers de la loupe de maître
+Floh.</p>
+
+<p>Après tout, elle supportait ses assiduités comme un
+mal nécessaire; car, au bout de six semaines, l'apprenti
+pharmacien conduisit la belle Cora au pied des autels,
+où ils reçurent la bénédiction nuptiale. Cora était admirablement
+chaste et sévère sous son costume de mariée.
+Elle avait l'air calme, indifférent, ennuyé comme toujours.
+Elle traversa la foule avide d'un pas aussi mesuré
+qu'à l'ordinaire, et promena sur les curieux ébahis son
+oeil sec et scrutateur. Quand il rencontra ma figure morne
+et flétrie, il s'y arrêta un instant et sembla dire: Voici
+un homme qui est incommodé d'un catarrhe ou d'un mal
+de dents.</p>
+
+<p>Pour moi, j'étais si désespéré, que je sollicitai mon
+changement ...</p>
+
+
+<br><br>
+
+<h3>II.</h3>
+
+
+<p>Mais je ne l'obtins pas, et je restai témoin du bonheur
+d'un autre. Alors je pris le parti de tomber malade, ce
+qui me sauva du désespoir, ainsi qu'il arrive toujours en
+pareil cas.</p>
+
+<p>Si dégoûté qu'on soit de la vie, il est certain que, lorsque
+la fatalité nous y retient malgré nous, la faiblesse
+humaine ne peut s'empêcher de remercier secrètement
+la fatalité. La mort est si laide qu'aucun de nous ne la
+voit de près sans effroi. Bien magnanimes sont ceux qui
+enfoncent le rasoir jusqu'à l'artère carotide, ou qui avalent
+le poison jusqu'au fond de la coupe. (Je dis la <i>coupe</i>,
+parce qu'il n'est pas séant et presque impossible de s'empoisonner
+dans un vase qui porte un autre nom quelconque.)</p>
+
+<p>Oui, le proverbe d'Ésope est la sagesse des nations.
+Nous aimons la vie comme une maîtresse que nous convoitons
+encore avec les sens, après même que toute estime
+et toute affection pour elle sont éteintes en nous. Le
+soir où je vis un prêtre et un médecin convenablement
+graves à mon chevet, je n'eus pas la force de m'enquérir
+vis-à-vis de moi-même de ce que j'en ressentais de joie
+ou de peine. Mais quand, un matin, je m'éveillai faible
+et languissant, et que je vis la garde-malade endormie
+profondément sur sa chaise, le soleil brillant sur les toits
+et les fioles pharmaceutiques vides sur le guéridon, quand
+je me hasardai à remuer et que je sentis ma tête sans
+douleur, mes membres légers, et mon corps débile dégagé
+de tous les liens de fer de la souffrance, je ressentis un
+insurmontable sentiment de bien-être et de reconnaissance
+envers le ciel.</p>
+
+<p>Et puis je me rappelai Cora et son mariage, et j'eus
+honte de la joie que je venais d'éprouver; car, après les
+ferventes prières que j'avais adressées à Dieu et au médecin
+pour être délivré de la vie, c'était une inconséquence
+sans pareille que d'en accepter le retour sans
+colère et sans amertume. Je me mis donc à répandre des
+larmes. La jeunesse est si riche en émotions de tout genre,
+qu'il lui est possible de se torturer elle-même en dépit de
+la force de l'espoir, de la poésie, de tous les bienfaits
+dont l'a douée la Providence. Je lui reprochai, moi, d'avoir
+été plus sage que moi, et de n avoir pas permis
+qu'un amour bizarre et presque imaginaire me conduisît
+au tombeau. Puis je me résignai et j'acceptai la volonté
+de Dieu, qui rivait ma chaîne et me condamnait à jouir
+encore de la vue du ciel, de la beauté de la nature et de
+l'affection de mes proches.</p>
+
+<p>Quand je fus assez fort pour me lever, je m'approchai
+de la fenêtre avec un inexprimable serrement de coeur.
+Cora était là; elle lisait. Elle était toujours belle, toujours
+pâle, toujours seule. J'eus un sentiment de joie. Elle
+m'était donc rendue, ma fée aux yeux verts; ma belle
+rêveuse solitaire! Je pourrais la contempler encore et
+nourrir en secret cette passion extatique que le regard
+d'un rival m'avait forcé de refouler si longtemps! Tout
+à coup elle releva sa tête brune, et ses yeux, errant au
+hasard sur la muraille, aperçurent ma face pâle qui se
+penchait vers elle. Je tressaillis, je crus qu'elle allait fuir
+comme à l'ordinaire. Mais, ô transport! elle ne s'enfuit
+point. Au contraire, elle m'adressa un salut plein de politesse
+et de douceur, puis elle reporta son attention sur
+son livre, et resta sous mes yeux absolument indifférente
+à l'assiduité de mes regards; mais du moins elle
+resta.</p>
+
+<p>Un homme plus expérimenté que moi eût préféré l'ancienne
+sauvagerie de Cora à l'insouciance avec laquelle
+désormais elle bravait le face-à-face. Mais pouvais-je résister
+au charme qu'elle venait de jeter sur moi avec son
+salut bienveillant et gracieux? Je m'imaginai tout ce qu'il
+peut entrer de chaste intérêt et de bienveillance réservée
+dans un modeste salut de femme. C'était la première
+marque de connaissance que me donnait Cora. Mais avec
+quelle ingénieuse délicatesse elle choisissait l'instant de
+me la donner! Combien il entrait de compassion généreuse
+dans ce faible témoignage d'un intérêt timide et
+discret! Elle n'osait point me demander si j'étais mieux.
+D'ailleurs elle le voyait, et son salut valait tout un long
+discours de félicitations.</p>
+
+<p>Je passai toute la nuit à commenter ce charmant salut,
+et le lendemain, à l'heure où Cora reparut, je me hasardai
+à risquer le premier témoignage de notre intelligence
+naissante. Oui, j'eus l'audace de la saluer profondément;
+mais je fus si bouleversé de ce que j'osais faire, que je
+n'eus point le courage de fixer mes yeux sur elle. Je les
+tins baissés avec crainte et respect, ce qui fit que je ne
+pus point savoir si elle me rendait mon salut, ni de quel
+air elle me le rendait.</p>
+
+<p>Troublé, palpitant, plein d'espoir et de terreur, je restais
+le front caché dans mes mains, n'osant plus montrer
+mon visage, lorsqu'une voix s'éleva dans le silence de la
+rue, et, montant vers moi, m'adressa ces douces paroles:</p>
+
+<p>&mdash;Il parait, Monsieur, que votre santé est meilleure?</p>
+
+<p>Je tressaillis, je retirai ma tête de mes mains; je regardai
+Cora, je ne pouvais en croire mes oreilles, d'autant
+plus que la voix était un peu rude, un peu mâle, et
+que je m'étais toujours imaginé la voix de Cora plus douce
+que celle de la brise d'avril caressant les fleurs naissantes.
+Mais comme je la contemplais d'un air éperdu,
+elle réitéra sa question dans des termes dont la douceur
+me fit oublier l'accent un peu indigène et le timbre un
+peu vigoureux de sa voix.</p>
+
+<p>&mdash;Je vois avec plaisir, dit-elle, que monsieur Georges
+se porte mieux.</p>
+
+<p>Je voulus faire une réponse qui exprimât l'enthousiasme
+de ma reconnaissance; mais cela me fut impossible:
+je pâlis, je rougis, je balbutiai quelques paroles
+inintelligibles; je faillis m'évanouir.</p>
+
+<p>A ce moment, l'épicier, le père de ma Cora, approchant
+son profil osseux de la fenêtre, lui dit d'un ton rauque,
+mais pourtant bienveillant:</p>
+
+<p>&mdash;A qui parles-tu donc, mignonne?</p>
+
+<p>&mdash;A notre voisin, M. Georges, qui est enfin convalescent
+et que je vois à sa fenêtre.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! j'en suis charmé, dit l'épicier, et, soulevant
+son bonnet de loutre: Comment va la santé, mon cher
+voisin?</p>
+
+<p>Je remerciai avec plus d'assurance le père de ma bien-aimée.
+J'étais le plus heureux des mortels; j'obtenais
+enfin un peu d'intérêt de cette famille naguère si farouche
+et si méfiante envers moi. Mais hélas! pensais-je presque
+aussitôt, que me sert à présent d'être plaint et consolé?
+Cora n'est-elle pas pour jamais unie à un autre?</p>
+
+<p>L'épicier, appuyant ses deux coudes sur sa fenêtre,
+entama alors avec moi une conversation affectueuse et
+bienveillante sur la beauté de la journée, sur le plaisir de
+revenir à la vie par un si bon soleil, sur l'excellence des
+gilets de flanelle en temps de convalescence, et les bienfaisants
+effets de l'eau miellée et du sirop de gomme sur
+les poitrines fatiguées et les estomacs débilités.</p>
+
+<p>Jaloux de soutenir et de prolonger un entretien si précieux,
+je lui répondis par des compliments flatteurs sur
+la beauté des giroflées qui fleurissaient à sa fenêtre, sur
+la grâce mignonne et coquette de son chat qui dormait
+au soleil devant la porte, et sur la bonne exposition de
+sa boutique qui recevait en plein les rayons du soleil de
+midi.</p>
+
+<p>&mdash;Oui, oui, répondit l'épicier, au commencement du
+printemps les rayons du soleil ne sont point à dédaigner;
+plus tard ils deviennent un peu trop bons....</p>
+
+<p>A cet entretien cordial et ingénu, Cora mêlait de temps
+en temps des réflexions courtes et simples, mais pleines
+de bon sens et de justesse; j'en conclus qu'elle avait un
+jugement droit et un esprit positif.</p>
+
+<p>Puis, comme j'insistais sur l'avantage d'avoir la façade
+de son logis exposée au midi, Cora, inspirée par le ciel
+et par la beauté de son âme, dit à son père:</p>
+
+<p>&mdash;Au fait, la chambre de M. Georges exposée au nord
+doit encore être assez fraîche dans ce temps-ci. Peut-être,
+si vous lui proposiez de venir s'asseoir une heure
+ou deux chez nous, serait-il bien aise de voir le soleil en
+face?</p>
+
+<p>Puis elle se pencha vers son oreille, et lui dit tout bas
+quelques mots qui semblèrent frapper vivement l'épicier.</p>
+
+<p>&mdash;C'est bien, ma fille, s'écria-t-il d'un ton jovial
+Vous plairait-il, monsieur Georges, d'accepter une chaise
+à côté de ma Cora?</p>
+
+<p>&mdash;O mon Dieu! pensai-je, si c'est un rêve, faites que
+je ne m'éveille point.</p>
+
+<p>Une minute après, le généreux épicier était dans ma
+chambre et m'offrait son bras pour descendre. J'étais
+ému jusqu'aux larmes et je lui pressai les mains avec
+une effusion qui le surprit, tant son action lui paraissait
+naturelle.</p>
+
+<p>Au seuil de ma maison, je trouvai Cora qui venait pour
+aider son père à me soutenir en traversant la rue. Jusque-là
+je me sentais la force d'aller vers elle; mais dès
+qu'elle toucha mon bras, dès que sa main longue et
+blanche effleura mon coude, je me sentis défaillir, et je
+perdis le sentiment de mon bonheur pour l'avoir senti
+trop vivement.</p>
+
+<p>Je revins à moi sur un grand fauteuil de cuir à clous
+dorés, qui, depuis cinquante ans, servait de trône au patriarcal
+épicier. Sa digne compagne me frottait les tempes
+avec du vulnéraire, et Cora, la belle Cora, tenait sous
+mes narines son mouchoir imbibé d'alcool. Je faillis m'évanouir
+de nouveau; je voulus remercier, mais je
+n'avais pas d'expressions pour peindre ma gratitude;
+pourtant, dans un moment où l'épicier, me voyant mieux,
+se retirait, et ou sa femme passait dans l'arrière-boutique
+pour me chercher un verre d'eau de réglisse, je dis
+à Cora en levant sur elle mon oeil languissant:</p>
+
+<p>&mdash;Ah! Madame, pourquoi ne m'avoir pas laissé mourir?
+j'étais si heureux tout à l'heure!</p>
+
+<p>Elle me regarda d'un air étonné et me dit d'un ton
+affectueux:&mdash;Remettez-vous, Monsieur, vous avez de la
+fièvre, je le vois bien.</p>
+
+<p>Quand je fus tout à fait remis de mon trouble, l'épicière
+retourna à la boutique, et je restai seul avec Cora.</p>
+
+<p>Comme le coeur me battit alors! Mais elle était calme,
+et sa sérénité m'imposait tant de respect que je pris sur
+moi de paraître calme aussi.</p>
+
+<p>Cependant ce tête-à-tête devint pour moi d'un cruel
+embarras. Cora n'aimait point à parler. Elle répondait
+brièvement à toutes les choses que je tirais de mon cerveau
+avec d'incroyables efforts, et, quoi que je fisse, jamais
+ses réponses n'étaient de nature à nouer l'entretien;
+sur quelque matière que ce fût, elle était de mon
+avis. Je ne pouvais pas m'en plaindre, car je lui disais de
+ces choses sensées qu'il n'est pas possible de combattre à
+moins d'être fou. Par exemple, je lui demandai si elle aimait
+la lecture.&mdash;Beaucoup, me répondit-elle.&mdash;C'est
+qu'en effet, repris-je, c'est une si douce occupation!&mdash;En
+effet, reprit-elle, c'est une très-douce occupation.&mdash;Pourvu,
+ajoutai-je, que le livre qu'on lit soit beau et intéressant.&mdash;Oh!
+certainement, ajouta-t-elle.&mdash;Car, poursuivis-je,
+il en est de bien insipides.&mdash;Mais aussi, poursuivit-elle,
+il en est de bien jolis.&mdash;Cet entretien eut pu
+nous mener loin si je me fusse senti la hardiesse de l'interroger
+sur le genre de ses lectures. Mais je craignis que
+cela ne fût indiscret, et je me bornai à jeter un regard
+furtif sur le livre entr'ouvert au pied de la giroflée. C'était
+un roman d'Auguste Lafontaine. J'eus la sottise d'en être
+affecté d'abord. Et puis, en y réfléchissant, je trouvai dans
+le choix de cette lecture une raison d'admirer la simplicité
+et la richesse d'un coeur qui pouvait puiser là des émotions
+attachantes. Je parcourus de l'oeil une pile de volumes
+délabrés qui gisaient sur un rayon près de moi. Je ne
+nommerai point les auteurs chéris de ma Cora; les lecteurs
+blasés en riraient, et moi, dans ma vaine enflure
+de poëte, je faillis en être froissé.... Mais je revins bientôt
+à la raison en comparant les ressources d'un esprit si
+neuf et d'une âme si virginale à la vieillesse prématurée
+de nos imaginations épuisées. Il y avait dans la vie intellectuelle
+des trésors auxquels Cora n'avait pas encore
+touché, et l'homme qui serait assez heureux pour les lui
+révéler verrait s'épanouir sous son souffle la plus belle
+oeuvre de la création, le coeur d'une femme ingénue!...</p>
+
+<p>Je rentrai chez moi enthousiasmé de Cora, dont l'ignorance
+était si candide et si belle. J'attendis l'heure d'y
+retourner le jour suivant, sans pourtant espérer cette
+nouvelle faveur. Elle reparut avec sa mère, qui m'invita
+à descendre. Quand je fus installé dans le grand fauteuil,
+je vis une sorte d'agitation inquiète dans la famille. Puis
+l'épicier s'assit vis-a-vis de moi avec un air hypocritement
+naïf. J'étais agité moi-même, je craignais et je désirais
+l'explication de cette contenance.</p>
+
+<p>&mdash;Puisque vous vous trouvez bien ici, monsieur
+Georges, dit-il enfin en posant ses deux mains sur ses rotules
+replètes, j'espère que vous y viendrez sans façon
+vous reposer tant que vous ne serez pas assez fort pour
+aller vous distraire ailleurs.</p>
+
+<p>&mdash;Généreux homme! m'écriai-je.</p>
+
+<p>&mdash;Non, dit-il en souriant, cela ne vaut point un remerciement:
+entre voisins on se doit assistance, et, Dieu
+merci! nous n'avons jamais refusé la nôtre aux honnêtes
+gens: car je présume que vous êtes un brave jeune
+homme, monsieur Georges, vous en avez parfaitement
+l'air, et je me sens de la confiance en vous.</p>
+
+<p>&mdash;J'en suis honoré, répondis-je avec embarras.</p>
+
+<p>&mdash;Ainsi, Monsieur, poursuivit le digne homme avec
+gaieté, en se levant, restez avec notre Cora tant que
+vous voudrez. C'est une fille d'esprit, voyez-vous! une
+personne qui a vécu dans les livres, et dont la mère n'a
+jamais voulu contrarier le goût. Aussi, elle en sait plus
+que nous à présent, et vous trouverez de l'agrément dans
+sa société, j'en réponds.</p>
+
+<p>&mdash;Il y a bien longtemps, répondis-je en rougissant et
+en jetant sur Cora un regard timide, que je me serais estimé
+heureux de cette faveur.... Elle est venue bien tard,
+hélas! au gré de mon impatience....</p>
+
+<p>&mdash;Ah! dame, dit l'épicier en ricanant, c'est qu'il y a
+deux mois, voyez-vous, la chose n'était pas possible.
+Cora n'était pas mariée, et...à moins de se présenter ici
+avec l'intention de l'épouser, avec de bonnes et franches
+propositions de mariage, aucun garçon n'obtenait de sa
+mère l'entrée de cette chambre. Vous savez, Monsieur,
+comme il faut veiller sur une jeune fille pour empêcher
+les mauvaises langues de lui faire tort; à présent que
+voici l'enfant établie, comme nous sommes sûrs de sa moralité,
+nous la laissons tout à fait libre, et puis...d'ailleurs
+(ici l'épicier baissa la voix), pâle et faible comme
+vous voilà, personne ne pensera que vous songiez à supplanter
+un mari jeune et bien portant.... L'épicier termina
+sa phrase par un gros rire. Je devins pâle comme la
+mort, et je n'osai pas lever les yeux sur Cora.</p>
+
+<p>&mdash;Tenez, tenez, ne vous fâchez pas d'une plaisanterie,
+mon cher voisin, reprit-il: vous ne serez pas toujours
+convalescent, et bientôt peut-être les pères et les
+maris vous surveilleront de plus près.... En attendant,
+restez ici; Cora vous tiendra compagnie, et d'ailleurs je
+crois qu'elle a quelque chose à vous dire.</p>
+
+<p>&mdash;A moi? m'écriai-je en regardant Cora.</p>
+
+<p>&mdash;Oui, oui, reprit le père, c'est une petite affaire délicate...voyez-vous,
+et qu'une jeune femme entendra
+mieux qu'un vieux bonhomme. Allons, au revoir, monsieur
+Georges.</p>
+
+<p>Il sortit. Je restai encore une fois seul avec Cora, et
+cette fois elle avait une <i>affaire délicate</i> à traiter avec
+moi: elle allait me confier un secret peut-être, une peine
+de son coeur, un malheur de sa destinée: ah! sans doute, il
+y avait un grand et profond mystère dans la vie de cette
+fille si mélancolique et si belle! son existence ne pouvait
+pas être arrangée comme celle des autres. Le ciel ne lui
+avait pas départi une si miraculeuse beauté sans la lui
+faire expier par des trésors de douleur. Enfin, me disais-je,
+elle va les épancher dans mon sein, et je pourrai peut-être
+en prendre une partie pour la soulager!</p>
+
+<p>Elle resta un peu confuse devant moi. Puis elle fouilla
+dans la poche de son tablier de taffetas noir et en tira un
+papier plié.</p>
+
+<p>&mdash;En vérité, Monsieur, dit-elle, c'est bien peu de
+chose: je ne sais pourquoi mon père me charge de vous
+le dire; il devrait savoir qu'un homme d'esprit comme
+vous ne s'offense pas d'une demande toute naturelle....
+Sans tout ce qu'il vient de dire, je ne serais pas embarrassée,
+mais....</p>
+
+<p>&mdash;Achevez, au nom du ciel, m'écriai-je avec ferveur;
+ô Cora! si vous connaissiez mon coeur, vous n'hésiteriez
+pas un instant à m'ouvrir le vôtre.</p>
+
+<p>&mdash;Eh bien, Monsieur, dit Cora émue, voici ce dont il
+s'agit. Elle déplia le papier et me le présenta. J'y jetai les
+yeux, mais ma vue était troublée, ma main tremblante,
+il me fallut prendre haleine un instant avant de comprendre.
+Enfin je lus: «Doit M. Georges à M***, épicier
+droguiste, pour objets de consommation fournis durant sa
+maladie....</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>12 l. cassonade pour sirops et tisanes, ci.</p>
+<p>Savon fourni à sa garde-malade, ci-contre.</p>
+<p>Chandelle. . . . . . . . . . . . . . . . .</p>
+<p>Centaurée fébrifuge, etc., etc. . . . . . .</p>
+<p class="i10"> &mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;</p>
+<p class="i10"> Total. . . . . . 30 fr. 50 c.</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p class="i10"> Pour acquit, CORA **&mdash;»</p>
+ </div> </div>
+
+<p>Je la regardai d'un air égaré.&mdash;Véritablement, Monsieur,
+me dit-elle, vous trouvez peut-être cette demande
+indiscrète, et vous n'êtes pas encore assez bien portant
+pour qu'il soit agréable d'être importuné d'affaires. Mais
+nous sommes fort gênés, le commerce va si mal, le loyer
+de notre boutique est fort cher...et Cora parla longtemps
+encore. Je ne l'entendis point. Je balbutiai quelques mots
+et je courus, aussi vite que mes forces me le permirent,
+chercher la somme que je devais à l'épicier. Puis je rentrai
+chez moi atterré, et je me mis au lit avec un mouvement
+de fièvre.</p>
+
+<p>Mais le lendemain je revins à moi avec des idées plus
+raisonnables. Je me demandai pourquoi ce mépris idiot et
+superbe pour les détails de la vie bourgeoise? pourquoi
+l'impertinente susceptibilité des âmes poétiques qui
+croient se souiller au contact des nécessités prosaïques?
+pourquoi enfin cette haine absurde contre le positif de
+la vie?</p>
+
+<div class="dropcap"><img src="images/ill-4.png" alt=""></div>
+
+<p>Ingrat! pensai-je, tu te révoltes parce qu'un mémoire
+de savon et de chandelle a été rédigé et présenté par
+Cora, tandis que tu devrais baiser la belle main qui t'a
+fourni ces secours à ton insu durant ta maladie. Que serais-tu
+devenu, misérable rêveur, si un homme confiant
+et probe n'eût consenti à répandre sur toi les bienfaits de
+son industrie, sans autre gage de remboursement que ta
+mince garde-robe et ton misérable grabat? Et si tu étais
+mort sans pouvoir lire son mémoire et l'acquitter, où
+sont les héritiers qui auraient trouvé dans ta succession
+30 fr. 50 c. à lui remettre?</p>
+
+<p>Et puis je songeai que ces breuvages bienfaisants qui
+m'avaient sauvé de la souffrance et de la mort, c'était
+Cora qui les avait préparés. Qui sait, pensai-je, si elle n'a
+point composé un charme ou murmuré une prière qui
+leur ait donné la vertu de me guérir? N'y a-t-elle pas
+aussi mêlé une larme compatissante le jour où je touchai
+aux portes du tombeau? Larme divine! topique céleste!...</p>
+
+<p>J'en étais là quand l'épicier frappa à ma porte:&mdash;
+Tenez, monsieur Georges, me dit-il, ma femme et moi
+nous craignons de vous avoir fâché. Cora nous a dit que
+vous aviez eu l'air surpris et que vous aviez acquitté le
+mémoire sans dire un mot. Je ne voudrais pas que vous
+nous crussiez capables de méfiance envers vous. Nous
+sommes gênés, il est vrai. Notre commerce ne va pas
+très-bien; mais si vous aviez besoin d'argent, nous trouverions
+encore moyen de vous rendre le vôtre et même
+de vous en prêter un peu.</p>
+
+<p>Je me jetai dans ses bras avec effusion.&mdash;Digne vieillard,
+m'écriai-je, tout ce que je possède est à vous!...
+Comptez sur moi à la vie et à la mort. Je parlai longtemps
+avec l'exaltation de la fièvre. Il me regardait avec son
+gros oeil gris, rond comme celui d'un chat. Quand j'eus
+fini:&mdash;A la bonne heure, dit-il du ton d'un homme qui
+prend son parti sur l'impossibilité de deviner une énigme.
+Je vous prie de venir nous voir de temps en temps et de
+ne pas nous retirer votre pratique.</p>
+
+
+<br><br>
+
+<h3>III.</h3>
+
+
+<p>Je m'étonnais de ne plus voir le mari de Cora à la boutique
+ni auprès de sa femme. Je hasardai une craintive
+question. Elle me répondit que Gibonneau achevait son
+année de service en second sous les auspices du premier
+pharmacien de la ville. Il ne rentrait que le soir et sortait
+dès le matin. Ainsi le rustre pouvait ainsi voir s'écouler
+ses jours loin de la plus belle créature qui fût sous
+le ciel. Il possédait la plus riche perle du monde, et il se
+résignait tranquillement à la quitter pendant toute une
+moitié de sa vie, pour aller préparer des liniments et formuler
+des pilules!</p>
+
+<p>Mais aussi comme je remerciai le ciel qui l'avait condamné
+à cette vulgaire existence et qui semblait lui dénier
+une faveur dont il n'était pas digne, celle de voir sa
+douce compagne à la clarté du soleil! Il ne lui était permis
+de retourner vers elle qu'à l'heure où les chauve-souris
+et les hiboux prennent leur sombre volée et rasent
+d'une aile velue et silencieuse les flots transparents de la
+brume. Il venait dans l'ombre ainsi qu'un voleur de nuit,
+ainsi qu'un gnome malfaisant qui chevauche, le vent du
+soir et le météore trompeur des marécages. Il venait,
+ombre morne et lugubre, encore revêtu de son tablier,
+ainsi que d'un linceul, exhalant cette odeur d'aromate
+que l'on brûle autour des catafalques. Je le voyais quelquefois
+errer dans les ténèbres et glisser comme un
+spectre le long des murailles livides. Plusieurs fois je le
+rencontrai sur le seuil et je faillis l'écraser dans le ruisseau
+comme un ver de terre; mais je l'épargnai, car véritablement
+il avait l'encolure d'un buffle, et j'étais tout
+effilé et tout transparent des suites de la fièvre.</p>
+
+<p>Cora, veuve chaque jour, depuis l'aube jusqu'au crépuscule
+du soir, restait confiante près de moi. Je passais
+presque toutes mes journées assis sur le vieux fauteuil de
+la famille, ou, lorsque le soleil d'avril était décidément
+chaud, je m'asseyais sur le banc de pierre qui s'adossait
+à la fenêtre de Cora. Là, séparé d'elle seulement par les
+rameaux d'or de la giroflée, je respirais son haleine parmi
+les fleurs, je saisissais son long regard transparent et
+calme comme le flot sans rides qui dort sur les rives de
+la Grèce. Nous gardions tous deux le silence, mais mon
+coeur volait vers elle et convoitait le sien avec une force
+attractive dont il devait lui être impossible de ne pas
+sentir la puissance. Je m'endormis dans ce doux rêve.
+Pourquoi Cora ne m'aurait-elle pas aimé? Peut-être fallait-il
+dire: comment ne m'eût-elle pas aimé? Je l'aimais
+si éperdument, moi! toutes mes facultés intellectuelles
+se concentraient pour produire une force de désir et d'attente
+qui planait impérieusement sur Cora. Son âme, faite
+du plus beau rayon de la Divinité, pouvait-elle rester
+inerte sous le vol magnétique de cette pensée de feu? Je
+ne voulus point le croire, et je sentis mon coeur si pur,
+mes désirs si chastes, que je ne craignis bientôt plus d'offenser
+Cora en les lui révélant. Alors je lui parlai cette
+langue des cieux qu'il n'est donné qu'aux âmes poétiques
+d'entendre. Je lui exprimai les tortures ineffables et les
+divines souffrances de mon amour. Je lui racontai mes
+rêves, mes illusions, les milliers de poèmes et de vers
+alexandrins que j'avais faits pour elle. J'eus le bonheur
+de la voir, attentive et subjuguée, quitter son livre et se
+pencher vers moi d'un air pénétré pour m'entendre, car
+mes paroles avaient un sens nouveau pour elle, et je faisais
+entrer dans son esprit un ordre de pensées sublimes
+qu'il n'avait encore jamais osé aborder.</p>
+
+<p>&mdash;O ma Cora, lui disais-je, que pourrais-tu craindre
+d'une flamme aussi pure? L'éclair qui s'allume aux cieux
+n'est pas d'une nature plus subtile que le feu dont je me
+consume avec délice. Pourquoi ta sauvage pudeur, pourquoi
+ta superbe fierté de femme s'alarmeraient-elles d'un
+amour aussi intellectuel que le nôtre? Qu'un mari, qu'un
+maître, possède le trésor de la beauté matérielle qu'il a
+plu aux anges de te départir! pour moi, je ne chercherai
+jamais à lui ravir ce que Dieu, les hommes et ta parole,
+ô Cora! lui ont assuré comme son bien; le mien sera,
+si tu m'exauces, moins saisissable, moins enivrant, mais
+plus glorieux et plus noble. C'est la partie éthérée de ton
+âme que je veux, c'est ton aspiration brûlante vers le
+ciel que je veux étreindre et saisir, afin d'être ton ciel et
+ton âme, comme tu es mon Dieu et ma vie.»</p>
+
+<p>Ces choses semblaient obscures à Cora, son âme était
+si candide et si enfantine! Elle me regardait d'un oeil absorbé
+dans la stupeur, et pour lui faire mieux comprendre
+les divins mystères de l'amour platonique, je prenais mon
+crayon et je traçais des vers sur la muraille aux marges
+de sa fenêtre; puis je lui racontais les brillantes poésies
+de la nature invisible, les amours des anges et des fées,
+les souffrances et les soupirs des sylphes emprisonnés
+dans le calice des fleurs, puis les fougueuses passions des
+roses pour les brises, et réciproquement; puis les choeurs
+aériens qu'on entend le soir dans la nue, la danse sympathique
+des étoiles, les rondes du sabbat, les malices
+des farfadets et les découvertes ardues de l'alchimie.</p>
+
+<p>Notre bonheur semblait ne pouvoir être troublé par
+aucun événement extérieur. En prenant la poésie corps
+à corps, j'avais su si bien m'isoler, dans mon monde intellectuel,
+de toutes les entraves et de tous les écueils de
+la vie réelle, que je semblais n'avoir rien à craindre de
+l'intervention de ces volontés grossières et inintelligentes
+qui végétaient à l'entour de nous. Mes sentiments étaient
+d'une nature si élevée que je ne pouvais inspirer de rivalité
+d'aucun genre à l'homme vulgaire qui se disait le
+maître et l'époux de Cora.</p>
+
+<p>Pendant longtemps, en effet, il sembla comprendre le
+respect qu'il devait à une liaison protégée par le ciel.
+Mais au bout de six semaines, je vis un changement
+étrange s'opérer dans les manières de cette famille à mon
+égard. Le père me regardait d'un air ironique et méfiant
+chaque fois qu'il entrait dans la chambre où nous étions.
+La mère affectait d'y rester tout le temps qu'elle pouvait
+dérober aux affaires de sa boutique. Gibonneau, lorsque
+par hasard je venais à le rencontrer, me lançait de sinistres
+et foudroyantes oeillades; Cora elle-même devenait
+plus réservée, descendait plus tard au rez-de-chaussée,
+remontait plus tôt dans sa chambre, et quelquefois même
+passait des jours entiers sans paraître. Je m'en effrayai,
+et j'essayai de m'en plaindre. J'essayai de lui faire comprendre,
+avec l'éloquence que donne la passion, l'injustice
+et la barbarie de sa conduite. Elle m'écouta d'un air
+contraint, presque craintif, et je la vis regarder vers la
+porte d'un air d'inquiétude.</p>
+
+<p>&mdash;O Cora! m'écriai-je avec enthousiasme, serais-tu
+menacée de quelque danger? parle, parle! où sont tes
+ennemis, nomme-moi les infâmes qui font peser sur toi,
+frêle et céleste créature, les chaînes d'airain d'un joug
+détesté. Dis-moi quel est le démon qui comprime l'élan
+de ton coeur et refoule au fond de ton sein des épanchements
+naïfs, comme des remords amers? Va, je saurai
+bien les conjurer, je sais plus d'un charme pour enchaîner
+les démons de l'envie et de la vengeance, plus d'une
+parole magique pour appeler les anges sur nos têtes: les
+anges protecteurs qui sont tes frères, et qui sont moins
+purs, moins beaux que toi...</p>
+
+<p>J'élevai la voix en parlant, et je m'approchai de Cora
+pour saisir sa main qu'elle me retirait toujours. Alors je
+me levai, le front inondé de la sueur de l'enthousiasme,
+les cheveux en désordre, l'oeil inspiré...</p>
+
+<p>Cora poussa un grand cri, et son père, accourant
+comme si le feu eût pris à la maison, s'élança dans la
+chambre. Comme il s'avançait vers moi d'un air menaçant,
+Cora le saisit par le bras et lui dit avec douceur:&mdash;Laissez-le,
+mon père, il est dans un de ses accès, ne
+le contrariez point, cela va se passer.</p>
+
+<p>Je cherchai vainement le sens de ces paroles. Elle sortit,
+et l'épicier s'adressant à moi:&mdash;Allons, monsieur
+Georges, revenez à vous, personne ici ne songe à vous
+contrarier; mais en vérité vous n'êtes pas raisonnable...
+Allons, allons... rentrez chez vous et calmez-vous.</p>
+
+<p>Étourdi de ce discours plein de bonté, je cédai avec la
+douceur d'un enfant, et l'épicier me reconduisit chez
+moi. Une heure après, je vis entrer le procureur du roi
+et le médecin de la ville. Comme je les connaissais l'un
+et l'autre assez particulièrement, je ne m'étonnai pas de
+leur visite, mais je commençai à m'offenser de l'affectation
+avec laquelle le médecin s'empara de mon pouls,
+examinant avec soin l'expression de mon regard et la
+dilatation de ma pupille; puis il se mit à compter les battements
+de mes artères aux tempes et au cou, et à interroger
+la chaleur extérieure de mon cerveau avec le
+creux de sa main.</p>
+
+<p>&mdash;Qu'est-ce que tout cela signifie, Monsieur? lui dis-je;
+je ne vous ai point appelé pour une consultation. Je
+me sens assez bien pour me passer désormais de soins,
+et je ne suis point disposé à en recevoir malgré moi.</p>
+
+<p>Mais, au lieu de me répondre, il s'approcha du magistrat,
+et ils se retirèrent dans l'embrasure de la fenêtre
+pour parler bas. Ils semblaient se consulter sur mon
+compte, car, à chaque instant ils se retournaient pour me
+regarder d'un air attentif et méfiant; enfin ils s'approchèrent
+de moi, et le procureur du roi m'adressa plusieurs
+questions étranges, d'abord de quelle couleur je
+voyais son gilet, puis si je savais bien son nom, puis encore
+si je pouvais dire quel était mon âge, mon pays et
+ma profession.</p>
+
+<p>Je répondais à ces étranges interrogatoires avec stupeur,
+lorsque le médecin me demanda à son tour si je ne
+voyais point d'autre personne dans l'appartement que le
+procureur du roi, lui et moi; puis si je pensais qu'il fît
+jour ou nuit, et enfin si je pouvais certifier que j'eusse
+cinq doigts à chaque main.</p>
+
+<p>Outré de l'impertinence de ces questions, je résolus la
+dernière en lui appliquant un vigoureux soufflet. J'eus
+tort, sans doute, surtout en la présence d'un magistrat
+tout prêt à instruire contre le délit. Mais le sang me montait
+à la tête, et il ne m'était pas plus longtemps possible
+de me laisser traiter comme un idiot ou comme un fou
+sans en avoir le motif.</p>
+
+<p>Grand fut l'esclandre. Le magistrat voulut prendre
+fait et cause pour son compère; je le saisis à la gorge et
+je l'eusse étranglé, si l'épicier, son gendre et une demi-douzaine
+de voisins ne fussent venus à son secours. Alors
+on s'empara de moi, on me lia les pieds et les mains
+comme à un furieux, on m'entoura la bouche de serviettes
+et l'on me conduisit à l'hospice de ville, où je fus
+enfermé dans la chambre destinée aux sujets frappés d'aliénation
+mentale.</p>
+
+<p>La chambre, je dois le dire, était confortable, et j'y fus
+traité avec beaucoup de douceur, d'autant plus que je ne
+donnais aucun signe de folie. L'erreur du médecin et du
+magistrat fut bientôt constatée. Mais il me fut difficile de
+recouvrer ma liberté, car le dernier, prévoyant qu'il serait
+forcé de me demander une réparation de l'injure que
+je lui avais faite, s'obstina à me faire passer pour aliéné,
+afin de pouvoir se donner les apparences du sang-froid et
+de la générosité à mon égard.</p>
+
+<p>Je sortis enfin; mais le procureur du roi me fit mander
+immédiatement dans son cabinet et m'adressa cette mercuriale:</p>
+
+<p>&mdash;Jeune homme, me dit-il avec ce ton capable et paternel
+que tout magistrat imberbe se croit le droit de prendre
+quand il a endossé la ratine judiciaire, vous avez, sinon
+de grandes erreurs, du moins de graves inconséquences
+à réparer. Étranger, vous avez été accueilli dans cette
+ville avec toutes les marques de la bienveillance et toute
+l'aménité de moeurs qui distingue ses habitants. Malade,
+vous avez été soigné par vos voisins, avec zèle et dévouement.
+Tous ces témoignages de confiance et d'intérêt
+eussent dû graver profondément en vous le sentiment des
+convenances et celui de la gratitude...</p>
+
+<p>&mdash;Mille noms d'un sabord! Monsieur, m'écriai-je dans
+mon style de marin, qui, dans la colère, reprenait malgré
+moi le dessus, où voulez-vous en venir, et qu'ai-je fait
+pour mériter la prison et votre harangue?...</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur, dit-il en fronçant le sourcil, voici ce que
+vous avez fait: vous avez accepté l'hospitalité que chaque
+jour un honnête citoyen, un estimable épicier, vous
+offrait au sein de sa famille, et vous l'avez acceptée avec
+des intentions qu'il ne m'appartient pas de qualifier, et
+dont votre conscience seule peut être juge. Moi je pense
+que votre intention a été de séduire la fille de l'épicier et
+de l'éblouir par des discours incohérents qui portaient
+tous les caractères de l'exaltation; ou de vous faire un
+jeu de sa simplicité, en la mystifiant par d'énigmatiques
+railleries.</p>
+
+<p>&mdash;Juste ciel! qui a dit cela? m'écriai-je avec angoisse.</p>
+
+<p>&mdash;Madame Cora Gibonneau elle-même. D'abord elle a
+considéré vos étranges discours comme des traits d'originalité
+naturelle. Peu à peu elle s'en est effrayée comme
+d'actes de démence. Longtemps elle a hésité à en prévenir
+ses parents, car dans le coeur de ces respectables
+bourgeois, la bonté et la compassion sont des vertus
+héréditaires. Mais enfin, mariée depuis peu à un digne
+homme qu'elle adore et pour qui, vous le savez sans
+doute depuis longtemps, elle nourrissait en secret avant
+son hyménée une passion qui avait profondément altéré
+sa santé et l'eût conduite au tombeau si ses parents
+l'eussent contrariée plus longtemps; enfin, dis-je, mariée
+à l'estimable pharmacien Gibonneau, affaiblie par
+les commencements d'une grossesse assez pénible, et
+craignant avec raison les conséquences de la frayeur dans
+la position où elle se trouve, madame Cora s'est décidée
+à instruire ses parents de l'égarement de votre cerveau
+et des preuves journalières que vous lui en donniez depuis
+quelque temps. Ces honnêtes gens ont hésité à le
+croire et vous ont surveillé avec une extrême réserve de
+délicatesse. Enfin, vous voyant un jour dans un état
+d'exaltation et de délire qui épouvantait sérieusement
+leur fille, ils ont pris le parti d'implorer la protection des
+lois et la sauvegarde de la magistrature... Et l'appui des
+lois ne leur a pas manqué, et la magistrature s'est levée
+pour les rassurer, car la magistrature sait que son plus
+beau privilège est de...</p>
+
+<p>&mdash;Assez, assez, pour Dieu! Monsieur, m'écriai-je, je
+pourrais vous dire par coeur le reste de votre phrase, tant
+je l'ai entendu déclamer de fois à tout propos...</p>
+
+<p>&mdash;Non, jeune homme, s'écria le magistrat à son tour
+en élevant la voix, vous n'échapperez point à la sollicitude
+d'une magistrature qui doit ses conseils et sa surveillance
+à la jeunesse, à une magistrature qui veut le
+bonheur et le repos des citoyens. Profitez du reproche
+que vous avez encouru. Voyez vos torts, ils sont graves!
+vous avez porté le trouble et la crainte dans la famille de
+l'épicier; vous avez méconnu la sainte hospitalité qui
+vous y était offerte, en essayant de railler ou de séduire
+l'épouse irréprochable d'un pharmacien éclairé... Oui,
+vous avez tenté l'un ou l'autre, Monsieur, car je ne sais
+point le sens que la loi peut adjuger aux étranges fragments
+de versification dont vous avez endommagé les
+murs de cette maison hospitalière, et qui m'ont été montrés
+par la fille de l'épicier comme une preuve irrécusable
+de votre démence... Enfin, Monsieur, non content
+d'affliger de braves gens et d'inquiéter le voisinage, vous
+avez résisté à l'autorité représentée par moi, vous avez
+pris au collet et frappé le médecin distingué qui vous
+donnait des soins, vous avez fait une scène de violence
+qui a troublé le repos de toute une population paisible,
+et qui a pensé devenir funeste à madame Gibonneau par
+la frayeur qu'elle lui a causée.</p>
+
+<p>&mdash;Cora est malade! m'écriai-je. Grand Dieu!... Et je
+voulais courir, échapper à l'éloquence tribunitienne de
+mon bourreau. Il me retint.</p>
+
+<p>&mdash;Vous ne me quitterez pas, jeune homme, me dit-il,
+sans avoir écouté la voix de la raison, sans m'avoir
+donné votre parole d'honneur de suspendre vos visites,
+chez madame Gibonneau, et de quitter même le logement
+que vous occupez vis-a-vis la maison de l'épicière.</p>
+
+<p>&mdash;-Eh! Monsieur, m'écriai-je, je jure que je vais dire
+adieu et demander pardon à ces honnêtes gens, savoir des
+nouvelles de madame Cora, et qu'une heure après j'aurai
+quitté cette ville fatale.</p>
+
+<p>Je m'armai de courage et de sang-froid pour rentrer
+chez l'épicier. Comme j'avais passé pour fou dans toute
+la ville, ma sortie de prison fit une profonde sensation;
+l'épicier parut inquiet et soucieux, sa femme se cacha
+presque derrière lui, Cora devint pâle de terreur, et
+M. Gibonneau, sans rien dire, me fit une mine de mauvais
+garçon. Je leur parlai avec calme, les priai d'excuser
+le scandale que je leur avais causé, et de croire à mon
+éternelle reconnaissance pour les soins et l'affection que
+j'avais trouvés chez eux.</p>
+
+<p>&mdash;Pour vous, Madame, dis-je d'une voix émue à Cora,
+pardonnez surtout aux extravagances dont je vous ai
+rendue témoin; si je croyais que vous m'eussiez soupçonné
+un seul instant de manquer au respect que je vous
+dois, j'en mourrais de douleur. J'espère que vous oublierez
+l'absurdité de ma conduite pour ne vous souvenir
+tous que des humbles excuses et des affectueux remerciements
+que je vous adresse en vous quittant pour
+jamais.</p>
+
+<p>A ce mot je vis toutes les figures s'éclaircir, à l'exception
+de celle de Cora, qui, je dois le dire, n'exprima
+qu'une douce compassion. Je voulus essayer de lui demander
+l'état de sa santé, dont j'avais causé l'altération
+par mes folies. Mais en songeant à la cause première de
+son état maladif, à l'amour qu'elle avait depuis si longtemps
+pour son mari et à l'heureux gage de cet amour
+qu'elle portait dans son sein, ma langue s'embarrassa et
+mes pleurs coulèrent malgré moi. Alors la famille m'entoura,
+pleurant aussi et m'accablant de marques de regret
+et d'attachement; Cora me tendit même sa belle
+main, que je n'avais jamais eu le bonheur de toucher, et
+que je n'osai pas seulement porter à mes lèvres. Enfin je
+m'éloignai comblé de bénédictions pour mon séjour parmi
+eux et particulièrement pour mon départ; car, au milieu
+de toutes les choses amicales qui me furent dites, il n'y
+eut pas une voix, pas un mot pour m'engager à rester.</p>
+
+<p>Accablé de douleur, brisé jusqu'à l'âme, je sentais mes
+genoux fléchir sous moi en quittant cette maison où j'avais
+fait des rêves si doux et nourri des illusions si brillantes.
+Je m'appuyai contre le seuil tapissé de vigne, et
+je jetai un dernier regard de tendresse et d'adieu sur la
+belle giroflée de la fenêtre.</p>
+
+<p>Alors j'entendis une voix qui partait de l'intérieur et
+qui prononçait mon nom. C'était la voix de Cora; j'écoutai:&mdash;Pauvre
+jeune homme! disait-elle d'un ton pénétré,
+il est donc enfin parti!</p>
+
+<p>&mdash;Je n'en suis pas fâché, répondit l'épicier, quoique
+après tout ce soit un brave garçon et qu'il paie bien ses
+mémoires.</p>
+
+<p>J'ai traversé cette ville l'année dernière pour aller en
+Limousin. J'ai aperçu Cora à sa fenêtre; il y avait trois
+beaux enfants autour d'elle, et un superbe pot de giroflée
+rouge. Cora avait le nez allongé, les lèvres amincies,
+les yeux un peu rouges, les joues creuses et quelques
+dents de moins.</p>
+<br>
+<p>GEORGE SAND.</p>
+<br>
+FIN DE CORA.
+
+<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12837 ***</div>
+</body>
+</html>
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
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+The Project Gutenberg EBook of Cora, by George Sand
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Cora
+
+Author: George Sand
+
+Release Date: July 7, 2004 [EBook #12837]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CORA ***
+
+
+
+
+Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading
+Team. This file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr
+
+
+
+
+
+
+
+[Illustration]
+
+CORA.
+
+de
+
+Georges Sand
+
+
+
+I.
+
+A mon retour de l'île Bourbon (je me trouvais dans une situation
+assez précaire), je sollicitai et j'obtins un mince emploi dans
+l'administration des postes. Je fus envoyé au fond de la province,
+dans une petite ville dont je tairai le nom pour des motifs que vous
+concevrez facilement.
+
+L'apparition d'une nouvelle figure est un événement dans une petite
+ville, et, quoique mon emploi fût des moins importants, pendant quelques
+jours je fus, après un phoque vivant et deux boas constrictors, qui
+venaient de s'installer sur la place du marché, l'objet le plus excitant
+de la curiosité publique et le sujet le plus exploité des conversations
+particulières.
+
+La niaise oisiveté dont j'étais victime me séquestra chez moi pendant
+toute la première semaine. J'étais fort jeune, et la négligence
+que j'avais jusqu'alors apportée par caractère aux importantes
+considérations de la _mise_ et de la _tenue_ commençaient à se révéler à
+moi sous la forme du remords.
+
+Après un séjour de quelques années aux colonies, ma toilette se
+ressentait visiblement de l'état de stagnation honteuse où l'avait
+laissé le progrès du siècle. Mon chapeau à la Bolivar, mes favoris à
+la Bergami et mon manteau à la Quiroga étaient en arrière de plusieurs
+lustres, et le reste de mon accoutrement avait une tournure exotique
+dont je commençais à rougir.
+
+Il est vrai que, dans la solitude des champs, ou dans l'incognito d'une
+grande ville, ou dans le tourbillon de la vie errante, j'eusse pu
+exister longtemps encore sans me douter du malheur de ma position. Mais
+une seule promenade hasardée sur les remparts de la ville m'éclaira
+tristement à cet égard. Je ne fis point dix pas hors de mon domicile
+sans recevoir de salutaires avertissements sur l'inconvenance de mon
+costume. D'abord une jolie grisette me lança un regard ironique, et dit
+à sa compagne, en passant près de moi:--«_Ce monsieur_ a une cravate
+bien mal pliée.» Puis un ouvrier, que je soupçonnai être dans le
+commerce des feutres, dit d'un ton goguenard, en posant ses poings sur
+ses flancs revêtus d'un tablier de cuir:--«Si _ce monsieur_ voulait me
+prêter son chapeau, j'en ferais fabriquer un sur le même modèle, afin
+de me déguiser en _roast-beef_ le jour du carnaval.» Puis une _dame_
+élégante murmura en se penchant sur sa croisée:--«C'est dommage qu'il
+ait un gilet si fané et la barbe si mal faite.» Enfin, un bel esprit du
+lieu dit en pinçant la lèvre:--«Apparemment que le père de _ce monsieur_
+est un homme _puissant_, on le voit à l'ampleur de son habit.» Bref,
+il me fallut bientôt revenir sur mes pas, fort heureux d'échapper aux
+vexations d'une douzaine de polissons en guenilles qui criaient après
+moi du haut de leur tête: A bas _l'angliche_! à bas le milord! à bas
+l'étranger!
+
+Profondément humilié de ma mésaventure, je résolus de m'enfermer chez
+moi jusqu'à ce que le tailleur du chef-lieu m'eût fait parvenir un habit
+complet dans le dernier goût. L'honnête homme ne s'y épargna point, et
+me confectionna des vêtements si exigus et si coquets que je pensai
+mourir de douleur en me voyant réduit à ma plus simple expression,
+et semblable en tous points à ces caricatures de _fats parisiens_
+et d'_incroyables_ qui nous faisaient encore pâmer de rire, l'année
+précédente, à l'île Maurice. Je ne pouvais pas me persuader que je ne
+fusse pas cent fois plus ridicule sous cet habit que sous celui que je
+venais de quitter, et je ne savais plus que devenir; car j'avais
+promis solennellement à mon hôtesse (la femme du plus gros notaire de
+l'arrondissement) de la conduire au bal, et de lui faire danser la
+première et probablement l'unique contredanse à laquelle ses charmes lui
+donnaient le droit de prétendre. Incertain, honteux, tremblant, je me
+décidai à descendre et à demander à cette estimable femme un avis rigide
+et sincère sur ma situation. Je pris un flambeau et je me hasardai
+jusqu'à la porte de son appartement; mais je m'arrêtai palpitant et
+désespéré, en entendant partir de ce sanctuaire un bruit confus de voix
+fraîches et perçantes, de rires aigus et naïfs, qui m'annonçaient la
+présence de cinq ou six demoiselles de la ville. Je faillis retourner
+sur mes pas; car, de m'exposer au jugement d'un si malin aréopage dans
+une parure plus que problématique à mes yeux, c'était un héroïsme dont
+peu de jeunes gens à ma place se fussent sentis capables.
+
+Enfin, la force de ma volonté l'emporta; je me demandai si j'avais lu
+pour rien Locke et Condillac, et poussant la porte d'une main ferme,
+j'entrai par l'effet d'une résolution désespérée. J'ai vu de près
+d'affreux événements, je puis le dire: j'ai traversé les mers et les
+orages, j'ai échappé aux griffes d'un tigre dans le royaume de Java,
+et aux dents d'un crocodile dans la baie de Tunis; j'ai vu en face les
+gueules béantes des sloops flibustiers; j'ai mangé du biscuit de mer qui
+m'a percé les gencives; j'ai embrassé la fille du roi de Timor ... eh
+bien! je vous jure que tout ceci n'était rien au prix de mon entrée dans
+cet appartement, et que dans aucun jour de ma vie je ne recueillis un
+aussi glorieux fruit de l'éducation philosophique.
+
+Les demoiselles étaient assises en cercle, et, en attendant que la femme
+du notaire eût achevé de mêler à ses cheveux noirs une légère guirlande
+de pivoines, ces gentes filles de la nature échangeaient entre elles de
+joyeux propos et de naïves chansons. Mon apparition inattendue paralysa
+l'élan de cette gaieté charmante. Le silence étendit ses ailes de hibou
+sur leurs blondes têtes, et tous les yeux s'attachèrent sur moi avec
+l'expression du doute, de la méfiance et de la peur.
+
+Puis tout à coup un cri de surprise s'échappa du sein de la plus jeune,
+et mon nom vola de bouche en bouche comme la bordée d'une frégate armée
+en guerre. Mon sang se glaça dans mes veines, et je faillis prendre la
+fuite comme un brick qui a cru attaquer un chasse-marée, et qui, à
+la portée de la longue-vue, découvre un beau trois-mâts, laissant
+nonchalamment tomber ses sabords pour lui faire accueil.
+
+Mais, à ma grande stupéfaction, la femme de mon hôte, laissant la moitié
+de ses boucles crêpées et menaçantes, tandis que l'autre gisait
+encore sous le papier gris de la papillote, accourut vers moi en
+s'écriant:--C'est notre jeune homme! c'est notre pauvre Georges! Ah! mon
+Dieu! quelle métamorphose! qu'il est bien mis! quelle jolie tournure!
+quelle coupe d'habit élégante et moderne!... Ah! Mesdemoiselles,
+regardez! regardez comme M. Georges est changé, comme il a l'air
+distingué. Vous ferez danser ces demoiselles, monsieur Georges, après
+moi, pourtant! Vous m'avez forcée de vous promettre la première, vous
+vous en souvenez?
+
+Les demoiselles gardaient le silence, et je doutais encore de mon
+triomphe. Je rassemblai le reste de mon courage pour leur demander
+timidement leur goût sur cet habit, et aussitôt un choeur de louanges
+pur et mélodieux à mes oreilles comme un chant céleste s'éleva autour
+de moi. Jamais on n'avait rien vu de mieux; on ne trouvait pas un pli
+à blâmer; le collet raide et volumineux était d'un goût exquis, les
+basques courtes et cambrées avaient une grâce parfaite, le gilet parsemé
+de gigantesques rosaces était d'un éclat sans pareil; la cravate
+inflexible, croisée avec une rigueur systématique, était un
+chef-d'oeuvre d'invention; la manchette et le jabot terrible
+couronnaient l'oeuvre. De mémoire de jeunes filles, aucun employé de
+l'administration des postes n'avait fait un tel début dans le monde.
+
+J'avoue que ce n'est pas un des moins brillants souvenirs de ma jeunesse
+que mon entrée triomphante dans ce bal, serré dans mon habit neuf,
+froissé par les baleines dorsales de mon gilet, vexé par le rigorisme de
+mes entournures, et, de plus, flanqué à droite de la femme du notaire,
+à gauche de mademoiselle Phédora, sa nièce, la plus vieille et la plus
+laide fille du département. N'importe, j'étais fier, j'étais heureux,
+j'étais bien mis.
+
+La salle était un peu froide, un peu sombre, un peu malpropre; les
+banquettes étaient bien tachées d'huile çà et là, les quinquets jouaient
+bien un peu, sur les têtes fleuries et emplumées du bal, le vieux rôle
+de l'épée de Damoclès; le parquet n'était pas fort brillant, les robes
+des femmes n'étaient pas toutes fraîches, pas plus que la fraîcheur de
+certains visages n'était naturelle. Il y avait bien des pieds un peu
+larges dans des souliers de satin un peu rustiques, des bras un peu
+rouges sous des manches de dentelle, des cous un peu hâlés sous des
+colliers de perles, et des corsages un peu robustes sous des ceintures
+de moire. Il y avait bien aussi sur l'habit des hommes une légère odeur
+de tabac de la régie, dans l'office un parfum de vin chaud un peu
+brutal, dans l'air un nuage de poussière un peu agreste, et pourtant
+c'était une charmante fête, une aimable réunion, sur ma parole! La
+musique n'était pas beaucoup plus mauvaise que celle de Port-Louis ou
+de Saint-Paul. Les modes n'étaient, à coup sûr, ni aussi arriérées, ni
+aussi exagérées que celles qu'on prétend suivre à Calcutta; en outre,
+les femmes étaient généralement plus blanches, les hommes moins rudes et
+moins bruyants.
+
+A tout prendre, pour moi qui n'avais point vu les merveilles de la
+civilisation poussées à la dernière limite, pour moi qui n'avais vu
+l'opéra qu'en Amérique et le bal qu'en Asie, le bal à peu près public et
+général de la petite ville pouvait bien sembler pompeux et enivrant,
+si l'on considère d'ailleurs la profonde sensation qu'y produisait mon
+habit et le succès incontestable que j'obtins d'emblée à la fin de la
+première contredanse.
+
+Mais ces joies naïves de l'amour-propre firent bientôt place à un
+sentiment plus conforme à ma nature inflammable et contemplative. Une
+femme entra dans le bal et j'oubliai toutes les autres; j'oubliai même
+mon triomphe et mon habit neuf. Je n'eus plus de regards et de pensées
+que pour elle.
+
+Oh! c'est qu'elle était vraiment bien belle, et qu'il n'était pas besoin
+d'avoir vingt-cinq ans et d'arriver de l'Inde pour en être frappé. Un
+peintre célèbre qui passa, l'année suivante, dans la ville, arrêta sa
+chaise de poste en l'apercevant à sa fenêtre, fit dételer les chevaux et
+resta huit jours à l'auberge du Lion-d'Argent, cherchant par tous les
+moyens possibles à pénétrer jusqu'à elle pour la peindre. Mais jamais il
+ne put faire comprendre à sa famille qu'on pouvait par amour de l'art
+faire le portrait d'une femme sans avoir l'intention de la séduire. Il
+fut éconduit, et la beauté de Cora n'est restée empreinte que dans le
+cerveau peut-être de ce grand artiste, et dans le coeur d'un pauvre
+fonctionnaire destitué de l'administration des postes.
+
+Elle était d'une taille moyenne admirablement proportionnée, souple
+comme un oiseau, mais lente et fière comme une dame romaine. Elle était
+extraordinairement brune pour le climat tempéré où elle était née; mais
+sa peau était fine et unie comme la cire la mieux moulée. Le principal
+caractère de sa tête régulièrement dessinée, c'était quelque chose
+d'indéfinissable, de surhumain, qu'il faut avoir vu pour le comprendre;
+des lignes d'une netteté prestigieuse, de grands yeux d'un vert si pâle
+et si transparent qu'ils semblaient faits pour lire dans les mystères
+du monde intellectuel plus que dans les choses de la vie positive; une
+bouche aux lèvres minces, fines et pâles, au sourire imperceptible, aux
+rares paroles; un profil sévère et mélancolique, un regard froid, triste
+et pensif, une expression vague de souffrance, d'ennui et de dédain;
+et puis des mouvements doux et réservés, une main effilée et blanche,
+beauté si rare chez les femmes d'une condition médiocre; une toilette
+grave et simple, discernement si étrange chez une provinciale; surtout
+un air de dignité calme et inflexible qui aurait été sublime sous la
+couronne de diamants d'une reine espagnole, et qui, chez cette pauvre
+fille, semblait être le sceau du malheur, l'indice d'une organisation
+exceptionnelle.
+
+[Illustration: Elle lisait.]
+
+Car c'était la fille... le dirai-je? il le faut bien: Cora était la
+fille d'un épicier.
+
+O sainte poésie, pardonne-moi d'avoir tracé ce mot! Mais Cora eût relevé
+l'enseigne d'un cabaret. Elle se fût détachée comme l'ange de Rembrandt
+au-dessus d'un groupe flamand. Elle eût brillé comme une belle fleur
+au milieu des marécages. Du fond de la boutique de son père, elle eût
+attiré sur elle le regard du grand Scott. Ce fut sans doute une beauté
+ignorée comme elle qui inspira l'idée charmante de _la belle fille de
+Perth_.
+
+Et elle s'appelait Cora; elle avait la voix douce, la démarche réservée,
+l'attitude rêveuse. Elle avait la plus belle chevelure brune que j'aie
+vue de ma vie, et seule, entre toutes ses compagnes, elle n'y mêlait
+jamais aucun ornement. Mais il y avait plus d'orgueil dans le luxe de
+ses boucles épaisses que dans l'éclat d'un diadème. Elle n'avait pas non
+plus de collier ni de fleurs sur la poitrine. Son dos brun et velouté
+tranchait fièrement sur la dentelle blanche de son corsage. Sa robe
+bleue la faisait paraître encore plus brune de ton et plus sombre
+d'expression. Elle semblait tirer vanité du caractère original de sa
+beauté.
+
+[Illustration: Je revins à moi sur un grand fauteuil.]
+
+Elle semblait avoir deviné qu'elle était belle autrement que toutes les
+autres: car je n'ai pas besoin de vous le dire, Cora étant d'un type
+rare et d'un coloris oriental, Cora ressemblant à la juive Rebecca, ou
+à la Juliette de Shakespeare, Cora majestueuse, souffrante et un peu
+farouche, Cora qui n'était ni rose, ni replette, ni agaçante, ni
+gentille, n'était ni aperçue ni soupçonnée dans la foule. Elle vivait là
+comme une rose épanouie dans le désert, comme une perle échouée sur le
+sable, et la première personne venue, à qui vous eussiez exprimé votre
+admiration à la vue de Cora, vous eût répondu: Oui, elle ne serait pas
+mal si elle était plus blanche et moins maigre.
+
+J'étais si troublé auprès d'elle, si subitement épris, que vraiment
+j'oubliais toute la confiance qu'eussent dû m'inspirer mon habit neuf
+et mon gilet à rosaces. Il est vrai qu'elle y accordait fort peu
+d'attention, qu'elle écoutait d'un air distrait des fadeurs qui me
+faisaient suer sang et eau à débiter, qu'elle laissait, à chaque
+invitation de ma part, tomber de ses lèvres un mot bien faible, et, dans
+ma main tremblante, une main dont je sentais la froideur au travers de
+son gant. Hélas! qu'elle était indifférente et hautaine, la fille de
+l'épicier! Qu'elle était singulière et mystérieuse, la brune Cora! Je
+ne pus jamais obtenir d'elle, dans toute la durée de la nuit, qu'une
+demi-douzaine de monosyllabes.
+
+Il m'arriva le lendemain de lire, pour le malheur de ma vie, les Contes
+fantastiques. Pour mon malheur encore, aucune créature sous le ciel ne
+semblait être un type plus complet de la beauté fantastique et de la
+poésie allemande que Cora aux yeux verts et au corsage diaphane.
+
+Les adorables poésies d'Hoffman commençaient à circuler dans la ville.
+Les matrones et les pères de famille trouvaient le genre détestable et
+le style de mauvais goût. Les notaires et les femmes d'avoués faisaient
+surtout une guerre à mort à l'invraisemblance des caractères et au
+romanesque des incidents. Le juge de paix du canton avait l'habitude de
+se promener autour des tables dans le cabinet de lecture, et de dire aux
+jeunes gens égarés par cette poésie étrangère et subversive: _Rien n'est
+beau que le vrai_, etc. Je me souviens qu'un vaurien de lycéen, en
+vacances, lui dit à cette occasion en le regardant fixement:
+
+--Monsieur, cette grosse verrue que vous avez au milieu du nez est sans
+doute postiche?
+
+Malgré les remontrances paternelles, malgré les anathèmes du _principal_
+et des professeurs de sixième, le mal gagna rapidement, et une grande
+partie de la jeunesse fut infectée du venin mortel. On vit de jeunes
+débitants de tabac se modeler sur le type de Kressler, et des
+surnuméraires à l'enregistrement s'évanouir au son lointain d'une
+cornemuse ou d'une chanson de jeune fille.
+
+Pour moi, je confesse et je déclare ici que je perdis complètement la
+tête. Cora réalisait tous les rêves enivrants que le poëte m'inspirait,
+et je me plaisais à la gratifier d'une nature immatérielle et féerique
+qui réellement semblait avoir été imaginée pour elle. J'étais heureux
+ainsi. Je ne lui parlais pas, je n'avais aucun titre pour m'approcher
+d'elle. Je ne recueillais aucun encouragement à ma passion; je n'en
+cherchais même pas. Seulement, je quittai la maison du notaire et
+je louai une misérable chambre directement en face de la maison de
+l'épicier. Je garnis ma fenêtre d'un épais rideau, dans lequel je
+pratiquai des fentes habilement ménagées. Je passais là en extase toutes
+les heures que je pouvais dérober à mon travail.
+
+La rue était déserte et silencieuse. Cora était assise à sa fenêtre au
+rez-de-chaussée. Elle lisait. Que lisait-elle? Il est certain qu'elle
+lisait du matin au soir. Et puis elle posait son livre sur un vase de
+giroflée jaune qui brillait à la fenêtre. Et la tête penché sur sa main,
+les boucles de ses beaux cheveux nonchalamment mêlées aux fleurs d'or
+et de pourpre, l'oeil fixe et brillant, elle semblait percer le pavé et
+contempler, à travers la croûte épaisse de ce sol grossier, les mystères
+de la tombe et de la reproduction des essences fécondantes, assister à
+la naissance de la fée aux Roses, et encourager le germe d'un beau génie
+aux ailes d'or dans le pistil d'une tulipe.
+
+Et moi je la regardais, j'étais heureux. Je me gardais bien de me
+montrer, car, au moindre mouvement du rideau, au moindre bruit de ma
+fenêtre, elle disparaissait comme un songe. Elle s'évanouissait comme
+une vapeur argentée dans le clair-obscur de l'arrière-boutique; je me
+tenais donc là, immobile, retenant mon souffle, imposant silence aux
+battements de mon coeur, quelquefois à genoux implorant ma fée dans le
+silence, envoyant vers elle les brûlantes aspirations d'une âme que son
+essence magique devait pénétrer et entendre. Parfois je m'imaginais
+voir mon esprit et le sien voltiger enlacés dans un de ces rayons de
+poussière d'or que le soleil de midi infiltrait dans la profondeur
+étroite et anguleuse delà rue. Je m'imaginais voir partir de son oeil
+limpide comme l'eau qui court sur la mousse, un trait brûlant qui
+m'appelait tout entier dans son coeur.
+
+Je restai là tout le jour, égaré, absurde, ridicule; mais exalté, mais
+amoureux, mais jeune! mais inondé de poésie et n'associant personne aux
+mystères de ma pensée et ne sentant jamais mes élans entravés par la
+crainte de tomber dans le mauvais goût, n'ayant que Dieu pour juge et
+pour confident de mes rêves et de mes extases.
+
+Puis, quand le jour finissait, quand la pâle Cora fermait sa fenêtre et
+tirait son rideau, j'ouvrais mes livres favoris et je la retrouvais sur
+les Alpes avec Manfred, chez le professeur Spallanzani avec Nathanaël,
+dans les cieux avec Oberon.
+
+Mais, hélas! ce bonheur ne fut pas de bien longue durée. Jusque-là
+personne n'avait découvert la beauté de Cora; j'en jouissais tout seul.
+Elle n'était comprise et adorée que par moi. La contagion fantastique,
+en se répandant parmi les jeunes gens de la ville, jeta un trait de
+lumière sur la romantique bourgeoise.
+
+Un impertinent bachelier s'avisa un matin, en passant devant ses
+fenêtres, de la comparer à Anne de Gierstern, la fille du brouillard.
+Ce mot fit fortune: on le répéta au bal. Les _inspirés_ de l'endroit
+remarquèrent la danse molle et aérienne de Cora. Un autre génie de la
+société la compara à la reine Mab. Alors, chacun voulant faire montre de
+son érudition, apporta son épithète et sa métaphore, et la pauvre fille
+en fut écrasée à son insu. Quand ils eurent assez profané mon idole avec
+leurs comparaisons, ils l'entourèrent, ils l'accablèrent de soins et de
+madrigaux, ils la firent danser jusqu'à l'extinction des quinquets, ils
+me la rendirent le lendemain fatiguée de leur esprit, ennuyée de leur
+babil, flétrie de leur admiration; et ce qui acheva de me briser le
+coeur, ce fut de voir apparaître à la fenêtre le profil arrondi et
+jovial d'un gros étudiant en pharmacie à côté du profil grec et délié de
+ma sylphide.
+
+Pendant bien des matins et bien des soirs, je vins derrière le rideau
+mystérieux essayer de combattre le charme que mon odieux rival avait
+jeté sur la famille de l'épicier. Mais en vain j'invoquai l'amour, le
+diable et tous les saints, je ne pus écarter sa maligne influence. Il
+revint, sans se lasser, tous les jours s'asseoir à côté de Cora, dans
+l'embrasure de la fenêtre, et il lui parlait. De quoi osait-il lui
+parler, le malheureux! La figure impénétrable de Cora n'en trahissait
+rien. Elle semblait écouter ses discours sans les entendre, et à
+l'imperceptible mouvement de ses lèvres, je devinais quelquefois qu'elle
+lui répondait froidement et brièvement comme elle avait l'habitude de le
+faire, et puis la conversation semblait languir.
+
+Le couple contraint et ennuyé étouffait de part et d'autre des
+bâillements silencieux. Cora regardait tristement son livre fermé sur la
+fenêtre et que la présence de son adorateur l'empêchait de continuer.
+Puis elle appuyait son coude sur le pot de giroflées et le menton sur
+la paume de sa main, et le regardant d'un regard fixe et glacial, elle
+semblait étudier les fibres grossières de son organisation morale au
+travers de la loupe de maître Floh.
+
+Après tout, elle supportait ses assiduités comme un mal nécessaire; car,
+au bout de six semaines, l'apprenti pharmacien conduisit la belle Cora
+au pied des autels, où ils reçurent la bénédiction nuptiale. Cora était
+admirablement chaste et sévère sous son costume de mariée. Elle avait
+l'air calme, indifférent, ennuyé comme toujours. Elle traversa la foule
+avide d'un pas aussi mesuré qu'à l'ordinaire, et promena sur les curieux
+ébahis son oeil sec et scrutateur. Quand il rencontra ma figure morne et
+flétrie, il s'y arrêta un instant et sembla dire: Voici un homme qui est
+incommodé d'un catarrhe ou d'un mal de dents.
+
+Pour moi, j'étais si désespéré, que je sollicitai mon changement ...
+
+
+II.
+
+Mais je ne l'obtins pas, et je restai témoin du bonheur d'un autre.
+Alors je pris le parti de tomber malade, ce qui me sauva du désespoir,
+ainsi qu'il arrive toujours en pareil cas.
+
+Si dégoûté qu'on soit de la vie, il est certain que, lorsque la fatalité
+nous y retient malgré nous, la faiblesse humaine ne peut s'empêcher de
+remercier secrètement la fatalité. La mort est si laide qu'aucun de nous
+ne la voit de près sans effroi. Bien magnanimes sont ceux qui enfoncent
+le rasoir jusqu'à l'artère carotide, ou qui avalent le poison jusqu'au
+fond de la coupe. (Je dis la _coupe_, parce qu'il n'est pas séant et
+presque impossible de s'empoisonner dans un vase qui porte un autre nom
+quelconque.)
+
+Oui, le proverbe d'Ésope est la sagesse des nations. Nous aimons la vie
+comme une maîtresse que nous convoitons encore avec les sens, après même
+que toute estime et toute affection pour elle sont éteintes en nous.
+Le soir où je vis un prêtre et un médecin convenablement graves à mon
+chevet, je n'eus pas la force de m'enquérir vis-à-vis de moi-même de
+ce que j'en ressentais de joie ou de peine. Mais quand, un matin, je
+m'éveillai faible et languissant, et que je vis la garde-malade endormie
+profondément sur sa chaise, le soleil brillant sur les toits et les
+fioles pharmaceutiques vides sur le guéridon, quand je me hasardai à
+remuer et que je sentis ma tête sans douleur, mes membres légers, et
+mon corps débile dégagé de tous les liens de fer de la souffrance, je
+ressentis un insurmontable sentiment de bien-être et de reconnaissance
+envers le ciel.
+
+Et puis je me rappelai Cora et son mariage, et j'eus honte de la joie
+que je venais d'éprouver; car, après les ferventes prières que j'avais
+adressées à Dieu et au médecin pour être délivré de la vie, c'était une
+inconséquence sans pareille que d'en accepter le retour sans colère et
+sans amertume. Je me mis donc à répandre des larmes. La jeunesse est si
+riche en émotions de tout genre, qu'il lui est possible de se torturer
+elle-même en dépit de la force de l'espoir, de la poésie, de tous les
+bienfaits dont l'a douée la Providence. Je lui reprochai, moi, d'avoir
+été plus sage que moi, et de n avoir pas permis qu'un amour bizarre
+et presque imaginaire me conduisît au tombeau. Puis je me résignai et
+j'acceptai la volonté de Dieu, qui rivait ma chaîne et me condamnait
+à jouir encore de la vue du ciel, de la beauté de la nature et de
+l'affection de mes proches.
+
+Quand je fus assez fort pour me lever, je m'approchai de la fenêtre avec
+un inexprimable serrement de coeur. Cora était là; elle lisait. Elle
+était toujours belle, toujours pâle, toujours seule. J'eus un sentiment
+de joie. Elle m'était donc rendue, ma fée aux yeux verts; ma belle
+rêveuse solitaire! Je pourrais la contempler encore et nourrir en secret
+cette passion extatique que le regard d'un rival m'avait forcé de
+refouler si longtemps! Tout à coup elle releva sa tête brune, et ses
+yeux, errant au hasard sur la muraille, aperçurent ma face pâle qui se
+penchait vers elle. Je tressaillis, je crus qu'elle allait fuir comme à
+l'ordinaire. Mais, ô transport! elle ne s'enfuit point. Au contraire,
+elle m'adressa un salut plein de politesse et de douceur, puis elle
+reporta son attention sur son livre, et resta sous mes yeux absolument
+indifférente à l'assiduité de mes regards; mais du moins elle resta.
+
+Un homme plus expérimenté que moi eût préféré l'ancienne sauvagerie
+de Cora à l'insouciance avec laquelle désormais elle bravait le
+face-à-face. Mais pouvais-je résister au charme qu'elle venait de jeter
+sur moi avec son salut bienveillant et gracieux? Je m'imaginai tout ce
+qu'il peut entrer de chaste intérêt et de bienveillance réservée dans un
+modeste salut de femme. C'était la première marque de connaissance
+que me donnait Cora. Mais avec quelle ingénieuse délicatesse elle
+choisissait l'instant de me la donner! Combien il entrait de compassion
+généreuse dans ce faible témoignage d'un intérêt timide et discret! Elle
+n'osait point me demander si j'étais mieux. D'ailleurs elle le voyait,
+et son salut valait tout un long discours de félicitations.
+
+Je passai toute la nuit à commenter ce charmant salut, et le lendemain,
+à l'heure où Cora reparut, je me hasardai à risquer le premier
+témoignage de notre intelligence naissante. Oui, j'eus l'audace de la
+saluer profondément; mais je fus si bouleversé de ce que j'osais faire,
+que je n'eus point le courage de fixer mes yeux sur elle. Je les tins
+baissés avec crainte et respect, ce qui fit que je ne pus point savoir
+si elle me rendait mon salut, ni de quel air elle me le rendait.
+
+Troublé, palpitant, plein d'espoir et de terreur, je restais le front
+caché dans mes mains, n'osant plus montrer mon visage, lorsqu'une voix
+s'éleva dans le silence de la rue, et, montant vers moi, m'adressa ces
+douces paroles:
+
+--Il parait, Monsieur, que votre santé est meilleure?
+
+Je tressaillis, je retirai ma tête de mes mains; je regardai Cora, je ne
+pouvais en croire mes oreilles, d'autant plus que la voix était un peu
+rude, un peu mâle, et que je m'étais toujours imaginé la voix de
+Cora plus douce que celle de la brise d'avril caressant les fleurs
+naissantes. Mais comme je la contemplais d'un air éperdu, elle réitéra
+sa question dans des termes dont la douceur me fit oublier l'accent un
+peu indigène et le timbre un peu vigoureux de sa voix.
+
+--Je vois avec plaisir, dit-elle, que monsieur Georges se porte mieux.
+
+Je voulus faire une réponse qui exprimât l'enthousiasme de ma
+reconnaissance; mais cela me fut impossible: je pâlis, je rougis, je
+balbutiai quelques paroles inintelligibles; je faillis m'évanouir.
+
+A ce moment, l'épicier, le père de ma Cora, approchant son profil osseux
+de la fenêtre, lui dit d'un ton rauque, mais pourtant bienveillant:
+
+--A qui parles-tu donc, mignonne?
+
+--A notre voisin, M. Georges, qui est enfin convalescent et que je vois
+à sa fenêtre.
+
+--Ah! j'en suis charmé, dit l'épicier, et, soulevant son bonnet de
+loutre: Comment va la santé, mon cher voisin?
+
+Je remerciai avec plus d'assurance le père de ma bien-aimée. J'étais le
+plus heureux des mortels; j'obtenais enfin un peu d'intérêt de cette
+famille naguère si farouche et si méfiante envers moi. Mais hélas!
+pensais-je presque aussitôt, que me sert à présent d'être plaint et
+consolé? Cora n'est-elle pas pour jamais unie à un autre?
+
+L'épicier, appuyant ses deux coudes sur sa fenêtre, entama alors avec
+moi une conversation affectueuse et bienveillante sur la beauté de la
+journée, sur le plaisir de revenir à la vie par un si bon soleil, sur
+l'excellence des gilets de flanelle en temps de convalescence, et les
+bienfaisants effets de l'eau miellée et du sirop de gomme sur les
+poitrines fatiguées et les estomacs débilités.
+
+Jaloux de soutenir et de prolonger un entretien si précieux, je lui
+répondis par des compliments flatteurs sur la beauté des giroflées qui
+fleurissaient à sa fenêtre, sur la grâce mignonne et coquette de son
+chat qui dormait au soleil devant la porte, et sur la bonne exposition
+de sa boutique qui recevait en plein les rayons du soleil de midi.
+
+--Oui, oui, répondit l'épicier, au commencement du printemps les rayons
+du soleil ne sont point à dédaigner; plus tard ils deviennent un peu
+trop bons....
+
+A cet entretien cordial et ingénu, Cora mêlait de temps en temps des
+réflexions courtes et simples, mais pleines de bon sens et de justesse;
+j'en conclus qu'elle avait un jugement droit et un esprit positif.
+
+Puis, comme j'insistais sur l'avantage d'avoir la façade de son logis
+exposée au midi, Cora, inspirée par le ciel et par la beauté de son âme,
+dit à son père:
+
+--Au fait, la chambre de M. Georges exposée au nord doit encore être
+assez fraîche dans ce temps-ci. Peut-être, si vous lui proposiez de
+venir s'asseoir une heure ou deux chez nous, serait-il bien aise de voir
+le soleil en face?
+
+Puis elle se pencha vers son oreille, et lui dit tout bas quelques mots
+qui semblèrent frapper vivement l'épicier.
+
+--C'est bien, ma fille, s'écria-t-il d'un ton jovial Vous plairait-il,
+monsieur Georges, d'accepter une chaise à côté de ma Cora?
+
+--O mon Dieu! pensai-je, si c'est un rêve, faites que je ne m'éveille
+point.
+
+Une minute après, le généreux épicier était dans ma chambre et m'offrait
+son bras pour descendre. J'étais ému jusqu'aux larmes et je lui pressai
+les mains avec une effusion qui le surprit, tant son action lui
+paraissait naturelle.
+
+Au seuil de ma maison, je trouvai Cora qui venait pour aider son père
+à me soutenir en traversant la rue. Jusque-là je me sentais la force
+d'aller vers elle; mais dès qu'elle toucha mon bras, dès que sa main
+longue et blanche effleura mon coude, je me sentis défaillir, et je
+perdis le sentiment de mon bonheur pour l'avoir senti trop vivement.
+
+Je revins à moi sur un grand fauteuil de cuir à clous dorés, qui, depuis
+cinquante ans, servait de trône au patriarcal épicier. Sa digne compagne
+me frottait les tempes avec du vulnéraire, et Cora, la belle Cora,
+tenait sous mes narines son mouchoir imbibé d'alcool. Je faillis
+m'évanouir de nouveau; je voulus remercier, mais je n'avais pas
+d'expressions pour peindre ma gratitude; pourtant, dans un moment où
+l'épicier, me voyant mieux, se retirait, et ou sa femme passait dans
+l'arrière-boutique pour me chercher un verre d'eau de réglisse, je dis à
+Cora en levant sur elle mon oeil languissant:
+
+--Ah! Madame, pourquoi ne m'avoir pas laissé mourir? j'étais si heureux
+tout à l'heure!
+
+Elle me regarda d'un air étonné et me dit d'un ton
+affectueux:--Remettez-vous, Monsieur, vous avez de la fièvre, je le vois
+bien.
+
+Quand je fus tout à fait remis de mon trouble, l'épicière retourna à la
+boutique, et je restai seul avec Cora.
+
+Comme le coeur me battit alors! Mais elle était calme, et sa sérénité
+m'imposait tant de respect que je pris sur moi de paraître calme aussi.
+
+Cependant ce tête-à-tête devint pour moi d'un cruel embarras. Cora
+n'aimait point à parler. Elle répondait brièvement à toutes les choses
+que je tirais de mon cerveau avec d'incroyables efforts, et, quoi que je
+fisse, jamais ses réponses n'étaient de nature à nouer l'entretien; sur
+quelque matière que ce fût, elle était de mon avis. Je ne pouvais pas
+m'en plaindre, car je lui disais de ces choses sensées qu'il n'est pas
+possible de combattre à moins d'être fou. Par exemple, je lui demandai
+si elle aimait la lecture.--Beaucoup, me répondit-elle.--C'est qu'en
+effet, repris-je, c'est une si douce occupation!--En effet, reprit-elle,
+c'est une très-douce occupation.--Pourvu, ajoutai-je, que le livre qu'on
+lit soit beau et intéressant.--Oh! certainement, ajouta-t-elle.--Car,
+poursuivis-je, il en est de bien insipides.--Mais aussi,
+poursuivit-elle, il en est de bien jolis.--Cet entretien eut pu nous
+mener loin si je me fusse senti la hardiesse de l'interroger sur le
+genre de ses lectures. Mais je craignis que cela ne fût indiscret, et je
+me bornai à jeter un regard furtif sur le livre entr'ouvert au pied de
+la giroflée. C'était un roman d'Auguste Lafontaine. J'eus la sottise
+d'en être affecté d'abord. Et puis, en y réfléchissant, je trouvai dans
+le choix de cette lecture une raison d'admirer la simplicité et la
+richesse d'un coeur qui pouvait puiser là des émotions attachantes. Je
+parcourus de l'oeil une pile de volumes délabrés qui gisaient sur un
+rayon près de moi. Je ne nommerai point les auteurs chéris de ma Cora;
+les lecteurs blasés en riraient, et moi, dans ma vaine enflure de poëte,
+je faillis en être froissé.... Mais je revins bientôt à la raison en
+comparant les ressources d'un esprit si neuf et d'une âme si virginale à
+la vieillesse prématurée de nos imaginations épuisées. Il y avait dans
+la vie intellectuelle des trésors auxquels Cora n'avait pas encore
+touché, et l'homme qui serait assez heureux pour les lui révéler verrait
+s'épanouir sous son souffle la plus belle oeuvre de la création, le
+coeur d'une femme ingénue!...
+
+Je rentrai chez moi enthousiasmé de Cora, dont l'ignorance était si
+candide et si belle. J'attendis l'heure d'y retourner le jour suivant,
+sans pourtant espérer cette nouvelle faveur. Elle reparut avec sa mère,
+qui m'invita à descendre. Quand je fus installé dans le grand fauteuil,
+je vis une sorte d'agitation inquiète dans la famille. Puis l'épicier
+s'assit vis-a-vis de moi avec un air hypocritement naïf. J'étais agité
+moi-même, je craignais et je désirais l'explication de cette contenance.
+
+--Puisque vous vous trouvez bien ici, monsieur Georges, dit-il enfin
+en posant ses deux mains sur ses rotules replètes, j'espère que vous y
+viendrez sans façon vous reposer tant que vous ne serez pas assez fort
+pour aller vous distraire ailleurs.
+
+--Généreux homme! m'écriai-je.
+
+--Non, dit-il en souriant, cela ne vaut point un remerciement: entre
+voisins on se doit assistance, et, Dieu merci! nous n'avons jamais
+refusé la nôtre aux honnêtes gens: car je présume que vous êtes un brave
+jeune homme, monsieur Georges, vous en avez parfaitement l'air, et je me
+sens de la confiance en vous.
+
+--J'en suis honoré, répondis-je avec embarras.
+
+--Ainsi, Monsieur, poursuivit le digne homme avec gaieté, en se levant,
+restez avec notre Cora tant que vous voudrez. C'est une fille d'esprit,
+voyez-vous! une personne qui a vécu dans les livres, et dont la mère n'a
+jamais voulu contrarier le goût. Aussi, elle en sait plus que nous à
+présent, et vous trouverez de l'agrément dans sa société, j'en réponds.
+
+--Il y a bien longtemps, répondis-je en rougissant et en jetant sur Cora
+un regard timide, que je me serais estimé heureux de cette faveur....
+Elle est venue bien tard, hélas! au gré de mon impatience....
+
+--Ah! dame, dit l'épicier en ricanant, c'est qu'il y a deux mois,
+voyez-vous, la chose n'était pas possible. Cora n'était pas mariée,
+et...à moins de se présenter ici avec l'intention de l'épouser, avec de
+bonnes et franches propositions de mariage, aucun garçon n'obtenait de
+sa mère l'entrée de cette chambre. Vous savez, Monsieur, comme il faut
+veiller sur une jeune fille pour empêcher les mauvaises langues de lui
+faire tort; à présent que voici l'enfant établie, comme nous sommes sûrs
+de sa moralité, nous la laissons tout à fait libre, et puis...d'ailleurs
+(ici l'épicier baissa la voix), pâle et faible comme vous voilà,
+personne ne pensera que vous songiez à supplanter un mari jeune et bien
+portant.... L'épicier termina sa phrase par un gros rire. Je devins pâle
+comme la mort, et je n'osai pas lever les yeux sur Cora.
+
+--Tenez, tenez, ne vous fâchez pas d'une plaisanterie, mon cher voisin,
+reprit-il: vous ne serez pas toujours convalescent, et bientôt peut-être
+les pères et les maris vous surveilleront de plus près.... En attendant,
+restez ici; Cora vous tiendra compagnie, et d'ailleurs je crois qu'elle
+a quelque chose à vous dire.
+
+--A moi? m'écriai-je en regardant Cora.
+
+--Oui, oui, reprit le père, c'est une petite affaire
+délicate...voyez-vous, et qu'une jeune femme entendra mieux qu'un vieux
+bonhomme. Allons, au revoir, monsieur Georges.
+
+Il sortit. Je restai encore une fois seul avec Cora, et cette fois elle
+avait une _affaire délicate_ à traiter avec moi: elle allait me confier
+un secret peut-être, une peine de son coeur, un malheur de sa destinée:
+ah! sans doute, il y avait un grand et profond mystère dans la vie de
+cette fille si mélancolique et si belle! son existence ne pouvait pas
+être arrangée comme celle des autres. Le ciel ne lui avait pas départi
+une si miraculeuse beauté sans la lui faire expier par des trésors de
+douleur. Enfin, me disais-je, elle va les épancher dans mon sein, et je
+pourrai peut-être en prendre une partie pour la soulager!
+
+Elle resta un peu confuse devant moi. Puis elle fouilla dans la poche de
+son tablier de taffetas noir et en tira un papier plié.
+
+--En vérité, Monsieur, dit-elle, c'est bien peu de chose: je ne sais
+pourquoi mon père me charge de vous le dire; il devrait savoir qu'un
+homme d'esprit comme vous ne s'offense pas d'une demande toute
+naturelle.... Sans tout ce qu'il vient de dire, je ne serais pas
+embarrassée, mais....
+
+--Achevez, au nom du ciel, m'écriai-je avec ferveur; ô Cora! si vous
+connaissiez mon coeur, vous n'hésiteriez pas un instant à m'ouvrir le
+vôtre.
+
+--Eh bien, Monsieur, dit Cora émue, voici ce dont il s'agit. Elle déplia
+le papier et me le présenta. J'y jetai les yeux, mais ma vue était
+troublée, ma main tremblante, il me fallut prendre haleine un instant
+avant de comprendre. Enfin je lus: «Doit M. Georges à M***, épicier
+droguiste, pour objets de consommation fournis durant sa maladie....
+
+ 12 l. cassonade pour sirops et tisanes, ci.
+ Savon fourni à sa garde-malade, ci-contre.
+ Chandelle. . . . . . . . . . . . . . . . .
+ Centaurée fébrifuge, etc., etc. . . . . . .
+ --------------
+ Total. . . . . . 30 fr. 50 c.
+
+ Pour acquit, CORA **--»
+
+Je la regardai d'un air égaré.--Véritablement, Monsieur, me dit-elle,
+vous trouvez peut-être cette demande indiscrète, et vous n'êtes pas
+encore assez bien portant pour qu'il soit agréable d'être importuné
+d'affaires. Mais nous sommes fort gênés, le commerce va si mal, le loyer
+de notre boutique est fort cher...et Cora parla longtemps encore. Je ne
+l'entendis point. Je balbutiai quelques mots et je courus, aussi vite
+que mes forces me le permirent, chercher la somme que je devais à
+l'épicier. Puis je rentrai chez moi atterré, et je me mis au lit avec un
+mouvement de fièvre.
+
+[Illustration: Accablé de douleur, brisé jusqu'à l'âme...]
+
+Mais le lendemain je revins à moi avec des idées plus raisonnables. Je
+me demandai pourquoi ce mépris idiot et superbe pour les détails de
+la vie bourgeoise? pourquoi l'impertinente susceptibilité des âmes
+poétiques qui croient se souiller au contact des nécessités prosaïques?
+pourquoi enfin cette haine absurde contre le positif de la vie?
+
+Ingrat! pensai-je, tu te révoltes parce qu'un mémoire de savon et de
+chandelle a été rédigé et présenté par Cora, tandis que tu devrais
+baiser la belle main qui t'a fourni ces secours à ton insu durant ta
+maladie. Que serais-tu devenu, misérable rêveur, si un homme confiant et
+probe n'eût consenti à répandre sur toi les bienfaits de son industrie,
+sans autre gage de remboursement que ta mince garde-robe et ton
+misérable grabat? Et si tu étais mort sans pouvoir lire son mémoire
+et l'acquitter, où sont les héritiers qui auraient trouvé dans ta
+succession 30 fr. 50 c. à lui remettre?
+
+Et puis je songeai que ces breuvages bienfaisants qui m'avaient sauvé de
+la souffrance et de la mort, c'était Cora qui les avait préparés. Qui
+sait, pensai-je, si elle n'a point composé un charme ou murmuré une
+prière qui leur ait donné la vertu de me guérir? N'y a-t-elle pas
+aussi mêlé une larme compatissante le jour où je touchai aux portes du
+tombeau? Larme divine! topique céleste!...
+
+J'en étais là quand l'épicier frappa à ma porte:--Tenez, monsieur
+Georges, me dit-il, ma femme et moi nous craignons de vous avoir fâché.
+Cora nous a dit que vous aviez eu l'air surpris et que vous aviez
+acquitté le mémoire sans dire un mot. Je ne voudrais pas que vous nous
+crussiez capables de méfiance envers vous. Nous sommes gênés, il est
+vrai. Notre commerce ne va pas très-bien; mais si vous aviez besoin
+d'argent, nous trouverions encore moyen de vous rendre le vôtre et même
+de vous en prêter un peu.
+
+Je me jetai dans ses bras avec effusion.--Digne vieillard, m'écriai-je,
+tout ce que je possède est à vous!... Comptez sur moi à la vie et à
+la mort. Je parlai longtemps avec l'exaltation de la fièvre. Il me
+regardait avec son gros oeil gris, rond comme celui d'un chat. Quand
+j'eus fini:--A la bonne heure, dit-il du ton d'un homme qui prend son
+parti sur l'impossibilité de deviner une énigme. Je vous prie de venir
+nous voir de temps en temps et de ne pas nous retirer votre pratique.
+
+
+III.
+
+Je m'étonnais de ne plus voir le mari de Cora à la boutique ni auprès
+de sa femme. Je hasardai une craintive question. Elle me répondit que
+Gibonneau achevait son année de service en second sous les auspices du
+premier pharmacien de la ville. Il ne rentrait que le soir et sortait
+dès le matin. Ainsi le rustre pouvait ainsi voir s'écouler ses jours
+loin de la plus belle créature qui fût sous le ciel. Il possédait la
+plus riche perle du monde, et il se résignait tranquillement à la
+quitter pendant toute une moitié de sa vie, pour aller préparer des
+liniments et formuler des pilules!
+
+Mais aussi comme je remerciai le ciel qui l'avait condamné à cette
+vulgaire existence et qui semblait lui dénier une faveur dont il n'était
+pas digne, celle de voir sa douce compagne à la clarté du soleil! Il
+ne lui était permis de retourner vers elle qu'à l'heure où les
+chauve-souris et les hiboux prennent leur sombre volée et rasent d'une
+aile velue et silencieuse les flots transparents de la brume. Il venait
+dans l'ombre ainsi qu'un voleur de nuit, ainsi qu'un gnome malfaisant
+qui chevauche, le vent du soir et le météore trompeur des marécages. Il
+venait, ombre morne et lugubre, encore revêtu de son tablier, ainsi que
+d'un linceul, exhalant cette odeur d'aromate que l'on brûle autour des
+catafalques. Je le voyais quelquefois errer dans les ténèbres et glisser
+comme un spectre le long des murailles livides. Plusieurs fois je le
+rencontrai sur le seuil et je faillis l'écraser dans le ruisseau
+comme un ver de terre; mais je l'épargnai, car véritablement il avait
+l'encolure d'un buffle, et j'étais tout effilé et tout transparent des
+suites de la fièvre.
+
+Cora, veuve chaque jour, depuis l'aube jusqu'au crépuscule du soir,
+restait confiante près de moi. Je passais presque toutes mes journées
+assis sur le vieux fauteuil de la famille, ou, lorsque le soleil
+d'avril était décidément chaud, je m'asseyais sur le banc de pierre qui
+s'adossait à la fenêtre de Cora. Là, séparé d'elle seulement par les
+rameaux d'or de la giroflée, je respirais son haleine parmi les fleurs,
+je saisissais son long regard transparent et calme comme le flot sans
+rides qui dort sur les rives de la Grèce. Nous gardions tous deux le
+silence, mais mon coeur volait vers elle et convoitait le sien avec une
+force attractive dont il devait lui être impossible de ne pas sentir
+la puissance. Je m'endormis dans ce doux rêve. Pourquoi Cora ne
+m'aurait-elle pas aimé? Peut-être fallait-il dire: comment ne m'eût-elle
+pas aimé? Je l'aimais si éperdument, moi! toutes mes facultés
+intellectuelles se concentraient pour produire une force de désir et
+d'attente qui planait impérieusement sur Cora. Son âme, faite du plus
+beau rayon de la Divinité, pouvait-elle rester inerte sous le vol
+magnétique de cette pensée de feu? Je ne voulus point le croire, et
+je sentis mon coeur si pur, mes désirs si chastes, que je ne craignis
+bientôt plus d'offenser Cora en les lui révélant. Alors je lui parlai
+cette langue des cieux qu'il n'est donné qu'aux âmes poétiques
+d'entendre. Je lui exprimai les tortures ineffables et les divines
+souffrances de mon amour. Je lui racontai mes rêves, mes illusions, les
+milliers de poèmes et de vers alexandrins que j'avais faits pour elle.
+J'eus le bonheur de la voir, attentive et subjuguée, quitter son livre
+et se pencher vers moi d'un air pénétré pour m'entendre, car mes paroles
+avaient un sens nouveau pour elle, et je faisais entrer dans son esprit
+un ordre de pensées sublimes qu'il n'avait encore jamais osé aborder.
+
+--O ma Cora, lui disais-je, que pourrais-tu craindre d'une flamme aussi
+pure? L'éclair qui s'allume aux cieux n'est pas d'une nature plus
+subtile que le feu dont je me consume avec délice. Pourquoi ta sauvage
+pudeur, pourquoi ta superbe fierté de femme s'alarmeraient-elles d'un
+amour aussi intellectuel que le nôtre? Qu'un mari, qu'un maître, possède
+le trésor de la beauté matérielle qu'il a plu aux anges de te départir!
+pour moi, je ne chercherai jamais à lui ravir ce que Dieu, les hommes et
+ta parole, ô Cora! lui ont assuré comme son bien; le mien sera, si tu
+m'exauces, moins saisissable, moins enivrant, mais plus glorieux et
+plus noble. C'est la partie éthérée de ton âme que je veux, c'est ton
+aspiration brûlante vers le ciel que je veux étreindre et saisir, afin
+d'être ton ciel et ton âme, comme tu es mon Dieu et ma vie.»
+
+Ces choses semblaient obscures à Cora, son âme était si candide et si
+enfantine! Elle me regardait d'un oeil absorbé dans la stupeur, et pour
+lui faire mieux comprendre les divins mystères de l'amour platonique, je
+prenais mon crayon et je traçais des vers sur la muraille aux marges de
+sa fenêtre; puis je lui racontais les brillantes poésies de la nature
+invisible, les amours des anges et des fées, les souffrances et les
+soupirs des sylphes emprisonnés dans le calice des fleurs, puis les
+fougueuses passions des roses pour les brises, et réciproquement;
+puis les choeurs aériens qu'on entend le soir dans la nue, la danse
+sympathique des étoiles, les rondes du sabbat, les malices des farfadets
+et les découvertes ardues de l'alchimie.
+
+Notre bonheur semblait ne pouvoir être troublé par aucun événement
+extérieur. En prenant la poésie corps à corps, j'avais su si bien
+m'isoler, dans mon monde intellectuel, de toutes les entraves et de tous
+les écueils de la vie réelle, que je semblais n'avoir rien à craindre
+de l'intervention de ces volontés grossières et inintelligentes qui
+végétaient à l'entour de nous. Mes sentiments étaient d'une nature si
+élevée que je ne pouvais inspirer de rivalité d'aucun genre à l'homme
+vulgaire qui se disait le maître et l'époux de Cora.
+
+Pendant longtemps, en effet, il sembla comprendre le respect qu'il
+devait à une liaison protégée par le ciel. Mais au bout de six semaines,
+je vis un changement étrange s'opérer dans les manières de cette famille
+à mon égard. Le père me regardait d'un air ironique et méfiant chaque
+fois qu'il entrait dans la chambre où nous étions. La mère affectait
+d'y rester tout le temps qu'elle pouvait dérober aux affaires de sa
+boutique. Gibonneau, lorsque par hasard je venais à le rencontrer, me
+lançait de sinistres et foudroyantes oeillades; Cora elle-même devenait
+plus réservée, descendait plus tard au rez-de-chaussée, remontait plus
+tôt dans sa chambre, et quelquefois même passait des jours entiers sans
+paraître. Je m'en effrayai, et j'essayai de m'en plaindre. J'essayai de
+lui faire comprendre, avec l'éloquence que donne la passion, l'injustice
+et la barbarie de sa conduite. Elle m'écouta d'un air contraint, presque
+craintif, et je la vis regarder vers la porte d'un air d'inquiétude.
+
+--O Cora! m'écriai-je avec enthousiasme, serais-tu menacée de quelque
+danger? parle, parle! où sont tes ennemis, nomme-moi les infâmes qui
+font peser sur toi, frêle et céleste créature, les chaînes d'airain d'un
+joug détesté. Dis-moi quel est le démon qui comprime l'élan de ton coeur
+et refoule au fond de ton sein des épanchements naïfs, comme des remords
+amers? Va, je saurai bien les conjurer, je sais plus d'un charme pour
+enchaîner les démons de l'envie et de la vengeance, plus d'une parole
+magique pour appeler les anges sur nos têtes: les anges protecteurs qui
+sont tes frères, et qui sont moins purs, moins beaux que toi...
+
+J'élevai la voix en parlant, et je m'approchai de Cora pour saisir sa
+main qu'elle me retirait toujours. Alors je me levai, le front inondé de
+la sueur de l'enthousiasme, les cheveux en désordre, l'oeil inspiré...
+
+Cora poussa un grand cri, et son père, accourant comme si le feu eût
+pris à la maison, s'élança dans la chambre. Comme il s'avançait vers
+moi d'un air menaçant, Cora le saisit par le bras et lui dit avec
+douceur:--Laissez-le, mon père, il est dans un de ses accès, ne le
+contrariez point, cela va se passer.
+
+Je cherchai vainement le sens de ces paroles. Elle sortit, et l'épicier
+s'adressant à moi:--Allons, monsieur Georges, revenez à vous, personne
+ici ne songe à vous contrarier; mais en vérité vous n'êtes pas
+raisonnable... Allons, allons... rentrez chez vous et calmez-vous.
+
+Étourdi de ce discours plein de bonté, je cédai avec la douceur d'un
+enfant, et l'épicier me reconduisit chez moi. Une heure après, je vis
+entrer le procureur du roi et le médecin de la ville. Comme je les
+connaissais l'un et l'autre assez particulièrement, je ne m'étonnai pas
+de leur visite, mais je commençai à m'offenser de l'affectation
+avec laquelle le médecin s'empara de mon pouls, examinant avec soin
+l'expression de mon regard et la dilatation de ma pupille; puis il se
+mit à compter les battements de mes artères aux tempes et au cou, et
+à interroger la chaleur extérieure de mon cerveau avec le creux de sa
+main.
+
+--Qu'est-ce que tout cela signifie, Monsieur? lui dis-je; je ne vous ai
+point appelé pour une consultation. Je me sens assez bien pour me passer
+désormais de soins, et je ne suis point disposé à en recevoir malgré
+moi.
+
+Mais, au lieu de me répondre, il s'approcha du magistrat, et ils
+se retirèrent dans l'embrasure de la fenêtre pour parler bas. Ils
+semblaient se consulter sur mon compte, car, à chaque instant ils se
+retournaient pour me regarder d'un air attentif et méfiant; enfin ils
+s'approchèrent de moi, et le procureur du roi m'adressa plusieurs
+questions étranges, d'abord de quelle couleur je voyais son gilet, puis
+si je savais bien son nom, puis encore si je pouvais dire quel était mon
+âge, mon pays et ma profession.
+
+Je répondais à ces étranges interrogatoires avec stupeur, lorsque le
+médecin me demanda à son tour si je ne voyais point d'autre personne
+dans l'appartement que le procureur du roi, lui et moi; puis si je
+pensais qu'il fît jour ou nuit, et enfin si je pouvais certifier que
+j'eusse cinq doigts à chaque main.
+
+Outré de l'impertinence de ces questions, je résolus la dernière en lui
+appliquant un vigoureux soufflet. J'eus tort, sans doute, surtout en la
+présence d'un magistrat tout prêt à instruire contre le délit. Mais le
+sang me montait à la tête, et il ne m'était pas plus longtemps possible
+de me laisser traiter comme un idiot ou comme un fou sans en avoir le
+motif.
+
+Grand fut l'esclandre. Le magistrat voulut prendre fait et cause
+pour son compère; je le saisis à la gorge et je l'eusse étranglé, si
+l'épicier, son gendre et une demi-douzaine de voisins ne fussent venus à
+son secours. Alors on s'empara de moi, on me lia les pieds et les mains
+comme à un furieux, on m'entoura la bouche de serviettes et l'on me
+conduisit à l'hospice de ville, où je fus enfermé dans la chambre
+destinée aux sujets frappés d'aliénation mentale.
+
+La chambre, je dois le dire, était confortable, et j'y fus traité avec
+beaucoup de douceur, d'autant plus que je ne donnais aucun signe de
+folie. L'erreur du médecin et du magistrat fut bientôt constatée. Mais
+il me fut difficile de recouvrer ma liberté, car le dernier, prévoyant
+qu'il serait forcé de me demander une réparation de l'injure que je lui
+avais faite, s'obstina à me faire passer pour aliéné, afin de pouvoir se
+donner les apparences du sang-froid et de la générosité à mon égard.
+
+Je sortis enfin; mais le procureur du roi me fit mander immédiatement
+dans son cabinet et m'adressa cette mercuriale:
+
+--Jeune homme, me dit-il avec ce ton capable et paternel que tout
+magistrat imberbe se croit le droit de prendre quand il a endossé la
+ratine judiciaire, vous avez, sinon de grandes erreurs, du moins de
+graves inconséquences à réparer. Étranger, vous avez été accueilli
+dans cette ville avec toutes les marques de la bienveillance et toute
+l'aménité de moeurs qui distingue ses habitants. Malade, vous avez été
+soigné par vos voisins, avec zèle et dévouement. Tous ces témoignages
+de confiance et d'intérêt eussent dû graver profondément en vous le
+sentiment des convenances et celui de la gratitude...
+
+--Mille noms d'un sabord! Monsieur, m'écriai-je dans mon style de marin,
+qui, dans la colère, reprenait malgré moi le dessus, où voulez-vous en
+venir, et qu'ai-je fait pour mériter la prison et votre harangue?...
+
+--Monsieur, dit-il en fronçant le sourcil, voici ce que vous avez fait:
+vous avez accepté l'hospitalité que chaque jour un honnête citoyen, un
+estimable épicier, vous offrait au sein de sa famille, et vous l'avez
+acceptée avec des intentions qu'il ne m'appartient pas de qualifier,
+et dont votre conscience seule peut être juge. Moi je pense que votre
+intention a été de séduire la fille de l'épicier et de l'éblouir par des
+discours incohérents qui portaient tous les caractères de l'exaltation;
+ou de vous faire un jeu de sa simplicité, en la mystifiant par
+d'énigmatiques railleries.
+
+--Juste ciel! qui a dit cela? m'écriai-je avec angoisse.
+
+--Madame Cora Gibonneau elle-même. D'abord elle a considéré vos étranges
+discours comme des traits d'originalité naturelle. Peu à peu elle s'en
+est effrayée comme d'actes de démence. Longtemps elle a hésité à en
+prévenir ses parents, car dans le coeur de ces respectables bourgeois,
+la bonté et la compassion sont des vertus héréditaires. Mais enfin,
+mariée depuis peu à un digne homme qu'elle adore et pour qui, vous le
+savez sans doute depuis longtemps, elle nourrissait en secret avant son
+hyménée une passion qui avait profondément altéré sa santé et l'eût
+conduite au tombeau si ses parents l'eussent contrariée plus longtemps;
+enfin, dis-je, mariée à l'estimable pharmacien Gibonneau, affaiblie
+par les commencements d'une grossesse assez pénible, et craignant avec
+raison les conséquences de la frayeur dans la position où elle se
+trouve, madame Cora s'est décidée à instruire ses parents de l'égarement
+de votre cerveau et des preuves journalières que vous lui en donniez
+depuis quelque temps. Ces honnêtes gens ont hésité à le croire et vous
+ont surveillé avec une extrême réserve de délicatesse. Enfin, vous
+voyant un jour dans un état d'exaltation et de délire qui épouvantait
+sérieusement leur fille, ils ont pris le parti d'implorer la protection
+des lois et la sauvegarde de la magistrature... Et l'appui des lois ne
+leur a pas manqué, et la magistrature s'est levée pour les rassurer, car
+la magistrature sait que son plus beau privilège est de...
+
+--Assez, assez, pour Dieu! Monsieur, m'écriai-je, je pourrais vous dire
+par coeur le reste de votre phrase, tant je l'ai entendu déclamer de
+fois à tout propos...
+
+--Non, jeune homme, s'écria le magistrat à son tour en élevant la voix,
+vous n'échapperez point à la sollicitude d'une magistrature qui doit ses
+conseils et sa surveillance à la jeunesse, à une magistrature qui veut
+le bonheur et le repos des citoyens. Profitez du reproche que vous avez
+encouru. Voyez vos torts, ils sont graves! vous avez porté le trouble
+et la crainte dans la famille de l'épicier; vous avez méconnu la sainte
+hospitalité qui vous y était offerte, en essayant de railler ou de
+séduire l'épouse irréprochable d'un pharmacien éclairé... Oui, vous avez
+tenté l'un ou l'autre, Monsieur, car je ne sais point le sens que la
+loi peut adjuger aux étranges fragments de versification dont vous
+avez endommagé les murs de cette maison hospitalière, et qui m'ont été
+montrés par la fille de l'épicier comme une preuve irrécusable de votre
+démence... Enfin, Monsieur, non content d'affliger de braves gens et
+d'inquiéter le voisinage, vous avez résisté à l'autorité représentée par
+moi, vous avez pris au collet et frappé le médecin distingué qui vous
+donnait des soins, vous avez fait une scène de violence qui a troublé le
+repos de toute une population paisible, et qui a pensé devenir funeste à
+madame Gibonneau par la frayeur qu'elle lui a causée.
+
+--Cora est malade! m'écriai-je. Grand Dieu!... Et je voulais courir,
+échapper à l'éloquence tribunitienne de mon bourreau. Il me retint.
+
+--Vous ne me quitterez pas, jeune homme, me dit-il, sans avoir écouté
+la voix de la raison, sans m'avoir donné votre parole d'honneur de
+suspendre vos visites, chez madame Gibonneau, et de quitter même le
+logement que vous occupez vis-a-vis la maison de l'épicière.
+
+---Eh! Monsieur, m'écriai-je, je jure que je vais dire adieu et demander
+pardon à ces honnêtes gens, savoir des nouvelles de madame Cora, et
+qu'une heure après j'aurai quitté cette ville fatale.
+
+Je m'armai de courage et de sang-froid pour rentrer chez l'épicier.
+Comme j'avais passé pour fou dans toute la ville, ma sortie de prison
+fit une profonde sensation; l'épicier parut inquiet et soucieux, sa
+femme se cacha presque derrière lui, Cora devint pâle de terreur, et M.
+Gibonneau, sans rien dire, me fit une mine de mauvais garçon. Je leur
+parlai avec calme, les priai d'excuser le scandale que je leur avais
+causé, et de croire à mon éternelle reconnaissance pour les soins et
+l'affection que j'avais trouvés chez eux.
+
+--Pour vous, Madame, dis-je d'une voix émue à Cora, pardonnez surtout
+aux extravagances dont je vous ai rendue témoin; si je croyais que vous
+m'eussiez soupçonné un seul instant de manquer au respect que je vous
+dois, j'en mourrais de douleur. J'espère que vous oublierez l'absurdité
+de ma conduite pour ne vous souvenir tous que des humbles excuses et
+des affectueux remerciements que je vous adresse en vous quittant pour
+jamais.
+
+A ce mot je vis toutes les figures s'éclaircir, à l'exception de celle
+de Cora, qui, je dois le dire, n'exprima qu'une douce compassion. Je
+voulus essayer de lui demander l'état de sa santé, dont j'avais causé
+l'altération par mes folies. Mais en songeant à la cause première de son
+état maladif, à l'amour qu'elle avait depuis si longtemps pour son mari
+et à l'heureux gage de cet amour qu'elle portait dans son sein, ma
+langue s'embarrassa et mes pleurs coulèrent malgré moi. Alors la famille
+m'entoura, pleurant aussi et m'accablant de marques de regret et
+d'attachement; Cora me tendit même sa belle main, que je n'avais jamais
+eu le bonheur de toucher, et que je n'osai pas seulement porter à mes
+lèvres. Enfin je m'éloignai comblé de bénédictions pour mon séjour parmi
+eux et particulièrement pour mon départ; car, au milieu de toutes les
+choses amicales qui me furent dites, il n'y eut pas une voix, pas un mot
+pour m'engager à rester.
+
+Accablé de douleur, brisé jusqu'à l'âme, je sentais mes genoux fléchir
+sous moi en quittant cette maison où j'avais fait des rêves si doux et
+nourri des illusions si brillantes. Je m'appuyai contre le seuil tapissé
+de vigne, et je jetai un dernier regard de tendresse et d'adieu sur la
+belle giroflée de la fenêtre.
+
+Alors j'entendis une voix qui partait de l'intérieur et qui prononçait
+mon nom. C'était la voix de Cora; j'écoutai:--Pauvre jeune homme!
+disait-elle d'un ton pénétré, il est donc enfin parti!
+
+--Je n'en suis pas fâché, répondit l'épicier, quoique après tout ce soit
+un brave garçon et qu'il paie bien ses mémoires.
+
+J'ai traversé cette ville l'année dernière pour aller en Limousin. J'ai
+aperçu Cora à sa fenêtre; il y avait trois beaux enfants autour d'elle,
+et un superbe pot de giroflée rouge. Cora avait le nez allongé, les
+lèvres amincies, les yeux un peu rouges, les joues creuses et quelques
+dents de moins.
+
+
+
+GEORGE SAND.
+
+
+FIN DE CORA.
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Cora, by George Sand
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CORA ***
+
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+works. See paragraph 1.E below.
+
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+The Project Gutenberg EBook of Cora, by George Sand
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+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+Title: Cora
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+Author: George Sand
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+Release Date: July 7, 2004 [EBook #12837]
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+Language: French
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CORA ***
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+Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading
+Team. This file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
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+
+<h2>George Sand</h2>
+<br><br>
+
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+
+<br><br>
+<h3>I.</h3>
+
+
+<p>A mon retour de l'île Bourbon (je me trouvais dans
+une situation assez précaire), je sollicitai et j'obtins un
+mince emploi dans l'administration des postes. Je fus
+envoyé au fond de la province, dans une petite ville dont
+je tairai le nom pour des motifs que vous concevrez facilement.</p>
+
+<p>L'apparition d'une nouvelle figure est un événement
+dans une petite ville, et, quoique mon emploi fût des
+moins importants, pendant quelques jours je fus, après
+un phoque vivant et deux boas constrictors, qui venaient
+de s'installer sur la place du marché, l'objet le plus excitant
+de la curiosité publique et le sujet le plus exploité
+des conversations particulières.</p>
+
+<p>La niaise oisiveté dont j'étais victime me séquestra
+chez moi pendant toute la première semaine. J'étais fort
+jeune, et la négligence que j'avais jusqu'alors apportée
+par caractère aux importantes considérations de la <i>mise</i>
+et de la <i>tenue</i> commençaient à se révéler à moi sous la
+forme du remords.</p>
+
+<p>Après un séjour de quelques années aux colonies, ma
+toilette se ressentait visiblement de l'état de stagnation
+honteuse où l'avait laissé le progrès du siècle. Mon chapeau
+à la Bolivar, mes favoris à la Bergami et mon manteau
+à la Quiroga étaient en arrière de plusieurs lustres,
+et le reste de mon accoutrement avait une tournure exotique
+dont je commençais à rougir.</p>
+
+<p>Il est vrai que, dans la solitude des champs, ou dans
+l'incognito d'une grande ville, ou dans le tourbillon de la
+vie errante, j'eusse pu exister longtemps encore sans me
+douter du malheur de ma position. Mais une seule promenade
+hasardée sur les remparts de la ville m'éclaira tristement
+à cet égard. Je ne fis point dix pas hors de mon
+domicile sans recevoir de salutaires avertissements sur
+l'inconvenance de mon costume. D'abord une jolie grisette
+me lança un regard ironique, et dit à sa compagne,
+en passant près de moi:&mdash;«<i>Ce monsieur</i> a une cravate
+bien mal pliée.» Puis un ouvrier, que je soupçonnai
+être dans le commerce des feutres, dit d'un ton goguenard,
+en posant ses poings sur ses flancs revêtus d'un
+tablier de cuirnn:&mdash;«Si <i>ce monsieur</i> voulait me prêter
+son chapeau, j'en ferais fabriquer un sur le même modèle,
+afin de me déguiser en <i>roast-beef</i> le jour du carnaval.»
+Puis une <i>dame</i> élégante murmura en se penchant
+sur sa croisée:&mdash;«C'est dommage qu'il ait un gilet si
+fané et la barbe si mal faite.» Enfin, un bel esprit du
+lieu dit en pinçant la lèvre:&mdash;«Apparemment que le
+père de <i>ce monsieur</i> est un homme <i>puissant</i>, on le voit
+à l'ampleur de son habit.» Bref, il me fallut bientôt revenir
+sur mes pas, fort heureux d'échapper aux vexations
+d'une douzaine de polissons en guenilles qui criaient après
+moi du haut de leur tête: A bas <i>l'angliche</i>! à bas le
+milord! à bas l'étranger!</p>
+
+<p>Profondément humilié de ma mésaventure, je résolus
+de m'enfermer chez moi jusqu'à ce que le tailleur du
+chef-lieu m'eût fait parvenir un habit complet dans le
+dernier goût. L'honnête homme ne s'y épargna point, et
+me confectionna des vêtements si exigus et si coquets
+que je pensai mourir de douleur en me voyant réduit à
+ma plus simple expression, et semblable en tous points à
+ces caricatures de <i>fats parisiens</i> et d'<i>incroyables</i> qui
+nous faisaient encore pâmer de rire, l'année précédente,
+à l'île Maurice. Je ne pouvais pas me persuader que je
+ne fusse pas cent fois plus ridicule sous cet habit que sous
+celui que je venais de quitter, et je ne savais plus que
+devenir; car j'avais promis solennellement à mon hôtesse
+(la femme du plus gros notaire de l'arrondissement) de
+la conduire au bal, et de lui faire danser la première et
+probablement l'unique contredanse à laquelle ses charmes
+lui donnaient le droit de prétendre. Incertain, honteux,
+tremblant, je me décidai à descendre et à demander à
+cette estimable femme un avis rigide et sincère sur ma
+situation. Je pris un flambeau et je me hasardai jusqu'à
+la porte de son appartement; mais je m'arrêtai palpitant
+et désespéré, en entendant partir de ce sanctuaire un
+bruit confus de voix fraîches et perçantes, de rires aigus
+et naïfs, qui m'annonçaient la présence de cinq ou six
+demoiselles de la ville. Je faillis retourner sur mes pas;
+car, de m'exposer au jugement d'un si malin aréopage
+dans une parure plus que problématique à mes yeux,
+c'était un héroïsme dont peu de jeunes gens à ma place
+se fussent sentis capables.</p>
+
+<p>Enfin, la force de ma volonté l'emporta; je me demandai
+si j'avais lu pour rien Locke et Condillac, et poussant
+la porte d'une main ferme, j'entrai par l'effet d'une résolution
+désespérée. J'ai vu de près d'affreux événements,
+je puis le dire: j'ai traversé les mers et les orages, j'ai
+échappé aux griffes d'un tigre dans le royaume de Java,
+et aux dents d'un crocodile dans la baie de Tunis; j'ai
+vu en face les gueules béantes des sloops flibustiers; j'ai
+mangé du biscuit de mer qui m'a percé les gencives; j'ai
+embrassé la fille du roi de Timor ... eh bien! je vous jure
+que tout ceci n'était rien au prix de mon entrée dans cet
+appartement, et que dans aucun jour de ma vie je ne
+recueillis un aussi glorieux fruit de l'éducation philosophique.</p>
+
+<p>Les demoiselles étaient assises en cercle, et, en attendant
+que la femme du notaire eût achevé de mêler à ses
+cheveux noirs une légère guirlande de pivoines, ces gentes filles
+de la nature échangeaient entre elles de joyeux
+propos et de naïves chansons. Mon apparition inattendue
+paralysa l'élan de cette gaieté charmante. Le silence étendit
+ses ailes de hibou sur leurs blondes têtes, et tous les
+yeux s'attachèrent sur moi avec l'expression du doute,
+de la méfiance et de la peur.</p>
+
+<p>Puis tout à coup un cri de surprise s'échappa du sein
+de la plus jeune, et mon nom vola de bouche en bouche
+comme la bordée d'une frégate armée en guerre. Mon
+sang se glaça dans mes veines, et je faillis prendre la fuite
+comme un brick qui a cru attaquer un chasse-marée, et
+qui, à la portée de la longue-vue, découvre un beau trois-mâts,
+laissant nonchalamment tomber ses sabords pour
+lui faire accueil.</p>
+
+<p>Mais, à ma grande stupéfaction, la femme de mon hôte,
+laissant la moitié de ses boucles crêpées et menaçantes,
+tandis que l'autre gisait encore sous le papier gris de la
+papillote, accourut vers moi en s'écriant:&mdash;C'est notre
+jeune homme! c'est notre pauvre Georges! Ah! mon
+Dieu! quelle métamorphose! qu'il est bien mis! quelle
+jolie tournure! quelle coupe d'habit élégante et moderne!...
+Ah! Mesdemoiselles, regardez! regardez
+comme M. Georges est changé, comme il a l'air distingué.
+Vous ferez danser ces demoiselles, monsieur Georges,
+après moi, pourtant! Vous m'avez forcée de vous promettre
+la première, vous vous en souvenez?</p>
+
+<p>Les demoiselles gardaient le silence, et je doutais encore
+de mon triomphe. Je rassemblai le reste de mon courage
+pour leur demander timidement leur goût sur cet
+habit, et aussitôt un choeur de louanges pur et mélodieux
+à mes oreilles comme un chant céleste s'éleva autour de
+moi. Jamais on n'avait rien vu de mieux; on ne trouvait
+pas un pli à blâmer; le collet raide et volumineux était
+d'un goût exquis, les basques courtes et cambrées avaient
+une grâce parfaite, le gilet parsemé de gigantesques rosaces
+était d'un éclat sans pareil; la cravate inflexible,
+croisée avec une rigueur systématique, était un chef-d'oeuvre
+d'invention; la manchette et le jabot terrible
+couronnaient l'oeuvre. De mémoire de jeunes filles, aucun
+employé de l'administration des postes n'avait fait un tel
+début dans le monde.</p>
+
+<p>J'avoue que ce n'est pas un des moins brillants souvenirs
+de ma jeunesse que mon entrée triomphante dans
+ce bal, serré dans mon habit neuf, froissé par les baleines
+dorsales de mon gilet, vexé par le rigorisme de mes entournures,
+et, de plus, flanqué à droite de la femme du
+notaire, à gauche de mademoiselle Phédora, sa nièce, la
+plus vieille et la plus laide fille du département. N'importe,
+j'étais fier, j'étais heureux, j'étais bien mis.</p>
+
+<p>La salle était un peu froide, un peu sombre, un peu
+malpropre; les banquettes étaient bien tachées d'huile
+çà et là, les quinquets jouaient bien un peu, sur les têtes
+fleuries et emplumées du bal, le vieux rôle de l'épée de
+Damoclès; le parquet n'était pas fort brillant, les robes
+des femmes n'étaient pas toutes fraîches, pas plus que la
+fraîcheur de certains visages n'était naturelle. Il y avait
+bien des pieds un peu larges dans des souliers de satin
+un peu rustiques, des bras un peu rouges sous des manches
+de dentelle, des cous un peu hâlés sous des colliers
+de perles, et des corsages un peu robustes sous des ceintures
+de moire. Il y avait bien aussi sur l'habit des
+hommes une légère odeur de tabac de la régie, dans l'office
+un parfum de vin chaud un peu brutal, dans l'air un
+nuage de poussière un peu agreste, et pourtant c'était
+une charmante fête, une aimable réunion, sur ma parole!
+La musique n'était pas beaucoup plus mauvaise que celle
+de Port-Louis ou de Saint-Paul. Les modes n'étaient, à
+coup sûr, ni aussi arriérées, ni aussi exagérées que celles
+qu'on prétend suivre à Calcutta; en outre, les femmes
+étaient généralement plus blanches, les hommes moins
+rudes et moins bruyants.</p>
+
+<p>A tout prendre, pour moi qui n'avais point vu les merveilles
+de la civilisation poussées à la dernière limite, pour
+moi qui n'avais vu l'opéra qu'en Amérique et le bal qu'en
+Asie, le bal à peu près public et général de la petite ville
+pouvait bien sembler pompeux et enivrant, si l'on considère
+d'ailleurs la profonde sensation qu'y produisait mon
+habit et le succès incontestable que j'obtins d'emblée à
+la fin de la première contredanse.</p>
+
+<p>Mais ces joies naïves de l'amour-propre firent bientôt
+place à un sentiment plus conforme à ma nature inflammable
+et contemplative. Une femme entra dans le bal et
+j'oubliai toutes les autres; j'oubliai même mon triomphe
+et mon habit neuf. Je n'eus plus de regards et de pensées
+que pour elle.</p>
+
+<div class="dropcap"><img src="images/ill-2.png" alt=""></div>
+
+
+<p>Oh! c'est qu'elle était vraiment bien belle, et qu'il
+n'était pas besoin d'avoir vingt-cinq ans et d'arriver de
+l'Inde pour en être frappé. Un peintre célèbre qui passa,
+l'année suivante, dans la ville, arrêta sa chaise de poste
+en l'apercevant à sa fenêtre, fit dételer les chevaux et
+resta huit jours à l'auberge du Lion-d'Argent, cherchant
+par tous les moyens possibles à pénétrer jusqu'à elle
+pour la peindre. Mais jamais il ne put faire comprendre
+à sa famille qu'on pouvait par amour de l'art faire le
+portrait d'une femme sans avoir l'intention de la séduire.
+Il fut éconduit, et la beauté de Cora n'est restée empreinte
+que dans le cerveau peut-être de ce grand artiste,
+et dans le coeur d'un pauvre fonctionnaire destitué de
+l'administration des postes.</p>
+
+<p>Elle était d'une taille moyenne admirablement proportionnée,
+souple comme un oiseau, mais lente et fière
+comme une dame romaine. Elle était extraordinairement
+brune pour le climat tempéré où elle était née; mais sa
+peau était fine et unie comme la cire la mieux moulée.
+Le principal caractère de sa tête régulièrement dessinée,
+c'était quelque chose d'indéfinissable, de surhumain,
+qu'il faut avoir vu pour le comprendre; des lignes
+d'une netteté prestigieuse, de grands yeux d'un vert si
+pâle et si transparent qu'ils semblaient faits pour lire
+dans les mystères du monde intellectuel plus que dans
+les choses de la vie positive; une bouche aux lèvres
+minces, fines et pâles, au sourire imperceptible, aux
+rares paroles; un profil sévère et mélancolique, un regard
+froid, triste et pensif, une expression vague de
+souffrance, d'ennui et de dédain; et puis des mouvements
+doux et réservés, une main effilée et blanche,
+beauté si rare chez les femmes d'une condition médiocre;
+une toilette grave et simple, discernement si étrange chez
+une provinciale; surtout un air de dignité calme et inflexible
+qui aurait été sublime sous la couronne de diamants
+d'une reine espagnole, et qui, chez cette pauvre
+fille, semblait être le sceau du malheur, l'indice d'une
+organisation exceptionnelle.</p>
+
+
+<p>Car c'était la fille... le dirai-je? il le faut bien: Cora
+était la fille d'un épicier.</p>
+
+<p>O sainte poésie, pardonne-moi d'avoir tracé ce mot!
+Mais Cora eût relevé l'enseigne d'un cabaret. Elle se fût
+détachée comme l'ange de Rembrandt au-dessus d'un
+groupe flamand. Elle eût brillé comme une belle fleur
+au milieu des marécages. Du fond de la boutique de son
+père, elle eût attiré sur elle le regard du grand Scott.
+Ce fut sans doute une beauté ignorée comme elle qui
+inspira l'idée charmante de <i>la belle fille de Perth</i>.</p>
+
+<p>Et elle s'appelait Cora; elle avait la voix douce, la démarche
+réservée, l'attitude rêveuse. Elle avait la plus
+belle chevelure brune que j'aie vue de ma vie, et seule,
+entre toutes ses compagnes, elle n'y mêlait jamais aucun
+ornement. Mais il y avait plus d'orgueil dans le luxe de
+ses boucles épaisses que dans l'éclat d'un diadème. Elle
+n'avait pas non plus de collier ni de fleurs sur la poitrine.
+Son dos brun et velouté tranchait fièrement sur la dentelle
+blanche de son corsage. Sa robe bleue la faisait paraître
+encore plus brune de ton et plus sombre d'expression.
+Elle semblait tirer vanité du caractère original de
+sa beauté.</p>
+
+
+
+<p>Elle semblait avoir deviné qu'elle était belle autrement
+que toutes les autres: car je n'ai pas besoin de vous le
+dire, Cora étant d'un type rare et d'un coloris oriental,
+Cora ressemblant à la juive Rebecca, ou à la Juliette de
+Shakespeare, Cora majestueuse, souffrante et un peu farouche,
+Cora qui n'était ni rose, ni replette, ni agaçante,
+ni gentille, n'était ni aperçue ni soupçonnée dans la foule.
+Elle vivait là comme une rose épanouie dans le désert,
+comme une perle échouée sur le sable, et la première
+personne venue, à qui vous eussiez exprimé votre admiration
+à la vue de Cora, vous eût répondu: Oui, elle ne
+serait pas mal si elle était plus blanche et moins maigre.</p>
+
+<div class="droite"><img src="images/ill-3.png" alt=""></div>
+
+<p>J'étais si troublé auprès d'elle, si subitement épris,
+que vraiment j'oubliais toute la confiance qu'eussent dû
+m'inspirer mon habit neuf et mon gilet à rosaces. Il est
+vrai qu'elle y accordait fort peu d'attention, qu'elle écoutait
+d'un air distrait des fadeurs qui me faisaient suer
+sang et eau à débiter, qu'elle laissait, à chaque invitation
+de ma part, tomber de ses lèvres un mot bien faible, et,
+dans ma main tremblante, une main dont je sentais la
+froideur au travers de son gant. Hélas! qu'elle était indifférente
+et hautaine, la fille de l'épicier! Qu'elle était
+singulière et mystérieuse, la brune Cora! Je ne pus jamais
+obtenir d'elle, dans toute la durée de la nuit, qu'une
+demi-douzaine de monosyllabes.</p>
+
+<p>Il m'arriva le lendemain de lire, pour le malheur de
+ma vie, les Contes fantastiques. Pour mon malheur encore,
+aucune créature sous le ciel ne semblait être un
+type plus complet de la beauté fantastique et de la poésie
+allemande que Cora aux yeux verts et au corsage diaphane.</p>
+
+<p>Les adorables poésies d'Hoffman commençaient à circuler
+dans la ville. Les matrones et les pères de famille
+trouvaient le genre détestable et le style de mauvais
+goût. Les notaires et les femmes d'avoués faisaient surtout
+une guerre à mort à l'invraisemblance des caractères
+et au romanesque des incidents. Le juge de paix du
+canton avait l'habitude de se promener autour des tables
+dans le cabinet de lecture, et de dire aux jeunes gens
+égarés par cette poésie étrangère et subversive: <i>Rien
+n'est beau que le vrai</i>, etc. Je me souviens qu'un vaurien
+de lycéen, en vacances, lui dit à cette occasion en
+le regardant fixement:</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur, cette grosse verrue que vous avez au
+milieu du nez est sans doute postiche?</p>
+
+<p>Malgré les remontrances paternelles, malgré les anathèmes
+du <i>principal</i> et des professeurs de sixième, le
+mal gagna rapidement, et une grande partie de la jeunesse
+fut infectée du venin mortel. On vit de jeunes débitants
+de tabac se modeler sur le type de Kressler, et
+des surnuméraires à l'enregistrement s'évanouir au son
+lointain d'une cornemuse ou d'une chanson de jeune fille.</p>
+
+<p>Pour moi, je confesse et je déclare ici que je perdis
+complètement la tête. Cora réalisait tous les rêves enivrants
+que le poëte m'inspirait, et je me plaisais à la gratifier
+d'une nature immatérielle et féerique qui réellement
+semblait avoir été imaginée pour elle. J'étais heureux
+ainsi. Je ne lui parlais pas, je n'avais aucun titre pour
+m'approcher d'elle. Je ne recueillais aucun encouragement
+à ma passion; je n'en cherchais même pas. Seulement,
+je quittai la maison du notaire et je louai une
+misérable chambre directement en face de la maison de
+l'épicier. Je garnis ma fenêtre d'un épais rideau, dans
+lequel je pratiquai des fentes habilement ménagées. Je
+passais là en extase toutes les heures que je pouvais dérober
+à mon travail.</p>
+
+<p>La rue était déserte et silencieuse. Cora était assise à
+sa fenêtre au rez-de-chaussée. Elle lisait. Que lisait-elle?
+Il est certain qu'elle lisait du matin au soir. Et puis elle
+posait son livre sur un vase de giroflée jaune qui brillait
+à la fenêtre. Et la tête penché sur sa main, les boucles de
+ses beaux cheveux nonchalamment mêlées aux fleurs d'or
+et de pourpre, l'oeil fixe et brillant, elle semblait percer le
+pavé et contempler, à travers la croûte épaisse de ce sol
+grossier, les mystères de la tombe et de la reproduction
+des essences fécondantes, assister à la naissance de la
+fée aux Roses, et encourager le germe d'un beau génie
+aux ailes d'or dans le pistil d'une tulipe.</p>
+
+<p>Et moi je la regardais, j'étais heureux. Je me gardais
+bien de me montrer, car, au moindre mouvement du rideau,
+au moindre bruit de ma fenêtre, elle disparaissait
+comme un songe. Elle s'évanouissait comme une vapeur
+argentée dans le clair-obscur de l'arrière-boutique; je me
+tenais donc là, immobile, retenant mon souffle, imposant
+silence aux battements de mon coeur, quelquefois à genoux
+implorant ma fée dans le silence, envoyant vers elle
+les brûlantes aspirations d'une âme que son essence magique
+devait pénétrer et entendre. Parfois je m'imaginais
+voir mon esprit et le sien voltiger enlacés dans un de ces
+rayons de poussière d'or que le soleil de midi infiltrait
+dans la profondeur étroite et anguleuse delà rue. Je m'imaginais
+voir partir de son oeil limpide comme l'eau qui court
+sur la mousse, un trait brûlant qui m'appelait tout entier
+dans son coeur.</p>
+
+<p>Je restai là tout le jour, égaré, absurde, ridicule; mais
+exalté, mais amoureux, mais jeune! mais inondé de poésie
+et n'associant personne aux mystères de ma pensée
+et ne sentant jamais mes élans entravés par la crainte de
+tomber dans le mauvais goût, n'ayant que Dieu pour juge
+et pour confident de mes rêves et de mes extases.</p>
+
+<p>Puis, quand le jour finissait, quand la pâle Cora fermait
+sa fenêtre et tirait son rideau, j'ouvrais mes livres favoris
+et je la retrouvais sur les Alpes avec Manfred, chez le
+professeur Spallanzani avec Nathanaël, dans les cieux
+avec Oberon.</p>
+
+<p>Mais, hélas! ce bonheur ne fut pas de bien longue
+durée. Jusque-là personne n'avait découvert la beauté de
+Cora; j'en jouissais tout seul. Elle n'était comprise et
+adorée que par moi. La contagion fantastique, en se répandant
+parmi les jeunes gens de la ville, jeta un trait
+de lumière sur la romantique bourgeoise.</p>
+
+<p>Un impertinent bachelier s'avisa un matin, en passant
+devant ses fenêtres, de la comparer à Anne de Gierstern, la
+fille du brouillard. Ce mot fit fortune: on le répéta au bal.
+Les <i>inspirés</i> de l'endroit remarquèrent la danse molle et
+aérienne de Cora. Un autre génie de la société la compara
+à la reine Mab. Alors, chacun voulant faire montre de
+son érudition, apporta son épithète et sa métaphore, et la
+pauvre fille en fut écrasée à son insu. Quand ils eurent
+assez profané mon idole avec leurs comparaisons, ils l'entourèrent,
+ils l'accablèrent de soins et de madrigaux, ils
+la firent danser jusqu'à l'extinction des quinquets, ils me
+la rendirent le lendemain fatiguée de leur esprit, ennuyée
+de leur babil, flétrie de leur admiration; et ce qui acheva
+de me briser le coeur, ce fut de voir apparaître à la fenêtre
+le profil arrondi et jovial d'un gros étudiant en pharmacie
+à côté du profil grec et délié de ma sylphide.</p>
+
+<p>Pendant bien des matins et bien des soirs, je vins
+derrière le rideau mystérieux essayer de combattre le
+charme que mon odieux rival avait jeté sur la famille de
+l'épicier. Mais en vain j'invoquai l'amour, le diable et tous
+les saints, je ne pus écarter sa maligne influence. Il revint,
+sans se lasser, tous les jours s'asseoir à côté de
+Cora, dans l'embrasure de la fenêtre, et il lui parlait.
+De quoi osait-il lui parler, le malheureux! La figure impénétrable
+de Cora n'en trahissait rien. Elle semblait
+écouter ses discours sans les entendre, et à l'imperceptible
+mouvement de ses lèvres, je devinais quelquefois
+qu'elle lui répondait froidement et brièvement comme
+elle avait l'habitude de le faire, et puis la conversation
+semblait languir.</p>
+
+<p>Le couple contraint et ennuyé étouffait de part et
+d'autre des bâillements silencieux. Cora regardait tristement
+son livre fermé sur la fenêtre et que la présence
+de son adorateur l'empêchait de continuer. Puis elle appuyait
+son coude sur le pot de giroflées et le menton sur
+la paume de sa main, et le regardant d'un regard fixe et
+glacial, elle semblait étudier les fibres grossières de son
+organisation morale au travers de la loupe de maître
+Floh.</p>
+
+<p>Après tout, elle supportait ses assiduités comme un
+mal nécessaire; car, au bout de six semaines, l'apprenti
+pharmacien conduisit la belle Cora au pied des autels,
+où ils reçurent la bénédiction nuptiale. Cora était admirablement
+chaste et sévère sous son costume de mariée.
+Elle avait l'air calme, indifférent, ennuyé comme toujours.
+Elle traversa la foule avide d'un pas aussi mesuré
+qu'à l'ordinaire, et promena sur les curieux ébahis son
+oeil sec et scrutateur. Quand il rencontra ma figure morne
+et flétrie, il s'y arrêta un instant et sembla dire: Voici
+un homme qui est incommodé d'un catarrhe ou d'un mal
+de dents.</p>
+
+<p>Pour moi, j'étais si désespéré, que je sollicitai mon
+changement ...</p>
+
+
+<br><br>
+
+<h3>II.</h3>
+
+
+<p>Mais je ne l'obtins pas, et je restai témoin du bonheur
+d'un autre. Alors je pris le parti de tomber malade, ce
+qui me sauva du désespoir, ainsi qu'il arrive toujours en
+pareil cas.</p>
+
+<p>Si dégoûté qu'on soit de la vie, il est certain que, lorsque
+la fatalité nous y retient malgré nous, la faiblesse
+humaine ne peut s'empêcher de remercier secrètement
+la fatalité. La mort est si laide qu'aucun de nous ne la
+voit de près sans effroi. Bien magnanimes sont ceux qui
+enfoncent le rasoir jusqu'à l'artère carotide, ou qui avalent
+le poison jusqu'au fond de la coupe. (Je dis la <i>coupe</i>,
+parce qu'il n'est pas séant et presque impossible de s'empoisonner
+dans un vase qui porte un autre nom quelconque.)</p>
+
+<p>Oui, le proverbe d'Ésope est la sagesse des nations.
+Nous aimons la vie comme une maîtresse que nous convoitons
+encore avec les sens, après même que toute estime
+et toute affection pour elle sont éteintes en nous. Le
+soir où je vis un prêtre et un médecin convenablement
+graves à mon chevet, je n'eus pas la force de m'enquérir
+vis-à-vis de moi-même de ce que j'en ressentais de joie
+ou de peine. Mais quand, un matin, je m'éveillai faible
+et languissant, et que je vis la garde-malade endormie
+profondément sur sa chaise, le soleil brillant sur les toits
+et les fioles pharmaceutiques vides sur le guéridon, quand
+je me hasardai à remuer et que je sentis ma tête sans
+douleur, mes membres légers, et mon corps débile dégagé
+de tous les liens de fer de la souffrance, je ressentis un
+insurmontable sentiment de bien-être et de reconnaissance
+envers le ciel.</p>
+
+<p>Et puis je me rappelai Cora et son mariage, et j'eus
+honte de la joie que je venais d'éprouver; car, après les
+ferventes prières que j'avais adressées à Dieu et au médecin
+pour être délivré de la vie, c'était une inconséquence
+sans pareille que d'en accepter le retour sans
+colère et sans amertume. Je me mis donc à répandre des
+larmes. La jeunesse est si riche en émotions de tout genre,
+qu'il lui est possible de se torturer elle-même en dépit de
+la force de l'espoir, de la poésie, de tous les bienfaits
+dont l'a douée la Providence. Je lui reprochai, moi, d'avoir
+été plus sage que moi, et de n avoir pas permis
+qu'un amour bizarre et presque imaginaire me conduisît
+au tombeau. Puis je me résignai et j'acceptai la volonté
+de Dieu, qui rivait ma chaîne et me condamnait à jouir
+encore de la vue du ciel, de la beauté de la nature et de
+l'affection de mes proches.</p>
+
+<p>Quand je fus assez fort pour me lever, je m'approchai
+de la fenêtre avec un inexprimable serrement de coeur.
+Cora était là; elle lisait. Elle était toujours belle, toujours
+pâle, toujours seule. J'eus un sentiment de joie. Elle
+m'était donc rendue, ma fée aux yeux verts; ma belle
+rêveuse solitaire! Je pourrais la contempler encore et
+nourrir en secret cette passion extatique que le regard
+d'un rival m'avait forcé de refouler si longtemps! Tout
+à coup elle releva sa tête brune, et ses yeux, errant au
+hasard sur la muraille, aperçurent ma face pâle qui se
+penchait vers elle. Je tressaillis, je crus qu'elle allait fuir
+comme à l'ordinaire. Mais, ô transport! elle ne s'enfuit
+point. Au contraire, elle m'adressa un salut plein de politesse
+et de douceur, puis elle reporta son attention sur
+son livre, et resta sous mes yeux absolument indifférente
+à l'assiduité de mes regards; mais du moins elle
+resta.</p>
+
+<p>Un homme plus expérimenté que moi eût préféré l'ancienne
+sauvagerie de Cora à l'insouciance avec laquelle
+désormais elle bravait le face-à-face. Mais pouvais-je résister
+au charme qu'elle venait de jeter sur moi avec son
+salut bienveillant et gracieux? Je m'imaginai tout ce qu'il
+peut entrer de chaste intérêt et de bienveillance réservée
+dans un modeste salut de femme. C'était la première
+marque de connaissance que me donnait Cora. Mais avec
+quelle ingénieuse délicatesse elle choisissait l'instant de
+me la donner! Combien il entrait de compassion généreuse
+dans ce faible témoignage d'un intérêt timide et
+discret! Elle n'osait point me demander si j'étais mieux.
+D'ailleurs elle le voyait, et son salut valait tout un long
+discours de félicitations.</p>
+
+<p>Je passai toute la nuit à commenter ce charmant salut,
+et le lendemain, à l'heure où Cora reparut, je me hasardai
+à risquer le premier témoignage de notre intelligence
+naissante. Oui, j'eus l'audace de la saluer profondément;
+mais je fus si bouleversé de ce que j'osais faire, que je
+n'eus point le courage de fixer mes yeux sur elle. Je les
+tins baissés avec crainte et respect, ce qui fit que je ne
+pus point savoir si elle me rendait mon salut, ni de quel
+air elle me le rendait.</p>
+
+<p>Troublé, palpitant, plein d'espoir et de terreur, je restais
+le front caché dans mes mains, n'osant plus montrer
+mon visage, lorsqu'une voix s'éleva dans le silence de la
+rue, et, montant vers moi, m'adressa ces douces paroles:</p>
+
+<p>&mdash;Il parait, Monsieur, que votre santé est meilleure?</p>
+
+<p>Je tressaillis, je retirai ma tête de mes mains; je regardai
+Cora, je ne pouvais en croire mes oreilles, d'autant
+plus que la voix était un peu rude, un peu mâle, et
+que je m'étais toujours imaginé la voix de Cora plus douce
+que celle de la brise d'avril caressant les fleurs naissantes.
+Mais comme je la contemplais d'un air éperdu,
+elle réitéra sa question dans des termes dont la douceur
+me fit oublier l'accent un peu indigène et le timbre un
+peu vigoureux de sa voix.</p>
+
+<p>&mdash;Je vois avec plaisir, dit-elle, que monsieur Georges
+se porte mieux.</p>
+
+<p>Je voulus faire une réponse qui exprimât l'enthousiasme
+de ma reconnaissance; mais cela me fut impossible:
+je pâlis, je rougis, je balbutiai quelques paroles
+inintelligibles; je faillis m'évanouir.</p>
+
+<p>A ce moment, l'épicier, le père de ma Cora, approchant
+son profil osseux de la fenêtre, lui dit d'un ton rauque,
+mais pourtant bienveillant:</p>
+
+<p>&mdash;A qui parles-tu donc, mignonne?</p>
+
+<p>&mdash;A notre voisin, M. Georges, qui est enfin convalescent
+et que je vois à sa fenêtre.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! j'en suis charmé, dit l'épicier, et, soulevant
+son bonnet de loutre: Comment va la santé, mon cher
+voisin?</p>
+
+<p>Je remerciai avec plus d'assurance le père de ma bien-aimée.
+J'étais le plus heureux des mortels; j'obtenais
+enfin un peu d'intérêt de cette famille naguère si farouche
+et si méfiante envers moi. Mais hélas! pensais-je presque
+aussitôt, que me sert à présent d'être plaint et consolé?
+Cora n'est-elle pas pour jamais unie à un autre?</p>
+
+<p>L'épicier, appuyant ses deux coudes sur sa fenêtre,
+entama alors avec moi une conversation affectueuse et
+bienveillante sur la beauté de la journée, sur le plaisir de
+revenir à la vie par un si bon soleil, sur l'excellence des
+gilets de flanelle en temps de convalescence, et les bienfaisants
+effets de l'eau miellée et du sirop de gomme sur
+les poitrines fatiguées et les estomacs débilités.</p>
+
+<p>Jaloux de soutenir et de prolonger un entretien si précieux,
+je lui répondis par des compliments flatteurs sur
+la beauté des giroflées qui fleurissaient à sa fenêtre, sur
+la grâce mignonne et coquette de son chat qui dormait
+au soleil devant la porte, et sur la bonne exposition de
+sa boutique qui recevait en plein les rayons du soleil de
+midi.</p>
+
+<p>&mdash;Oui, oui, répondit l'épicier, au commencement du
+printemps les rayons du soleil ne sont point à dédaigner;
+plus tard ils deviennent un peu trop bons....</p>
+
+<p>A cet entretien cordial et ingénu, Cora mêlait de temps
+en temps des réflexions courtes et simples, mais pleines
+de bon sens et de justesse; j'en conclus qu'elle avait un
+jugement droit et un esprit positif.</p>
+
+<p>Puis, comme j'insistais sur l'avantage d'avoir la façade
+de son logis exposée au midi, Cora, inspirée par le ciel
+et par la beauté de son âme, dit à son père:</p>
+
+<p>&mdash;Au fait, la chambre de M. Georges exposée au nord
+doit encore être assez fraîche dans ce temps-ci. Peut-être,
+si vous lui proposiez de venir s'asseoir une heure
+ou deux chez nous, serait-il bien aise de voir le soleil en
+face?</p>
+
+<p>Puis elle se pencha vers son oreille, et lui dit tout bas
+quelques mots qui semblèrent frapper vivement l'épicier.</p>
+
+<p>&mdash;C'est bien, ma fille, s'écria-t-il d'un ton jovial
+Vous plairait-il, monsieur Georges, d'accepter une chaise
+à côté de ma Cora?</p>
+
+<p>&mdash;O mon Dieu! pensai-je, si c'est un rêve, faites que
+je ne m'éveille point.</p>
+
+<p>Une minute après, le généreux épicier était dans ma
+chambre et m'offrait son bras pour descendre. J'étais
+ému jusqu'aux larmes et je lui pressai les mains avec
+une effusion qui le surprit, tant son action lui paraissait
+naturelle.</p>
+
+<p>Au seuil de ma maison, je trouvai Cora qui venait pour
+aider son père à me soutenir en traversant la rue. Jusque-là
+je me sentais la force d'aller vers elle; mais dès
+qu'elle toucha mon bras, dès que sa main longue et
+blanche effleura mon coude, je me sentis défaillir, et je
+perdis le sentiment de mon bonheur pour l'avoir senti
+trop vivement.</p>
+
+<p>Je revins à moi sur un grand fauteuil de cuir à clous
+dorés, qui, depuis cinquante ans, servait de trône au patriarcal
+épicier. Sa digne compagne me frottait les tempes
+avec du vulnéraire, et Cora, la belle Cora, tenait sous
+mes narines son mouchoir imbibé d'alcool. Je faillis m'évanouir
+de nouveau; je voulus remercier, mais je
+n'avais pas d'expressions pour peindre ma gratitude;
+pourtant, dans un moment où l'épicier, me voyant mieux,
+se retirait, et ou sa femme passait dans l'arrière-boutique
+pour me chercher un verre d'eau de réglisse, je dis
+à Cora en levant sur elle mon oeil languissant:</p>
+
+<p>&mdash;Ah! Madame, pourquoi ne m'avoir pas laissé mourir?
+j'étais si heureux tout à l'heure!</p>
+
+<p>Elle me regarda d'un air étonné et me dit d'un ton
+affectueux:&mdash;Remettez-vous, Monsieur, vous avez de la
+fièvre, je le vois bien.</p>
+
+<p>Quand je fus tout à fait remis de mon trouble, l'épicière
+retourna à la boutique, et je restai seul avec Cora.</p>
+
+<p>Comme le coeur me battit alors! Mais elle était calme,
+et sa sérénité m'imposait tant de respect que je pris sur
+moi de paraître calme aussi.</p>
+
+<p>Cependant ce tête-à-tête devint pour moi d'un cruel
+embarras. Cora n'aimait point à parler. Elle répondait
+brièvement à toutes les choses que je tirais de mon cerveau
+avec d'incroyables efforts, et, quoi que je fisse, jamais
+ses réponses n'étaient de nature à nouer l'entretien;
+sur quelque matière que ce fût, elle était de mon
+avis. Je ne pouvais pas m'en plaindre, car je lui disais de
+ces choses sensées qu'il n'est pas possible de combattre à
+moins d'être fou. Par exemple, je lui demandai si elle aimait
+la lecture.&mdash;Beaucoup, me répondit-elle.&mdash;C'est
+qu'en effet, repris-je, c'est une si douce occupation!&mdash;En
+effet, reprit-elle, c'est une très-douce occupation.&mdash;Pourvu,
+ajoutai-je, que le livre qu'on lit soit beau et intéressant.&mdash;Oh!
+certainement, ajouta-t-elle.&mdash;Car, poursuivis-je,
+il en est de bien insipides.&mdash;Mais aussi, poursuivit-elle,
+il en est de bien jolis.&mdash;Cet entretien eut pu
+nous mener loin si je me fusse senti la hardiesse de l'interroger
+sur le genre de ses lectures. Mais je craignis que
+cela ne fût indiscret, et je me bornai à jeter un regard
+furtif sur le livre entr'ouvert au pied de la giroflée. C'était
+un roman d'Auguste Lafontaine. J'eus la sottise d'en être
+affecté d'abord. Et puis, en y réfléchissant, je trouvai dans
+le choix de cette lecture une raison d'admirer la simplicité
+et la richesse d'un coeur qui pouvait puiser là des émotions
+attachantes. Je parcourus de l'oeil une pile de volumes
+délabrés qui gisaient sur un rayon près de moi. Je ne
+nommerai point les auteurs chéris de ma Cora; les lecteurs
+blasés en riraient, et moi, dans ma vaine enflure
+de poëte, je faillis en être froissé.... Mais je revins bientôt
+à la raison en comparant les ressources d'un esprit si
+neuf et d'une âme si virginale à la vieillesse prématurée
+de nos imaginations épuisées. Il y avait dans la vie intellectuelle
+des trésors auxquels Cora n'avait pas encore
+touché, et l'homme qui serait assez heureux pour les lui
+révéler verrait s'épanouir sous son souffle la plus belle
+oeuvre de la création, le coeur d'une femme ingénue!...</p>
+
+<p>Je rentrai chez moi enthousiasmé de Cora, dont l'ignorance
+était si candide et si belle. J'attendis l'heure d'y
+retourner le jour suivant, sans pourtant espérer cette
+nouvelle faveur. Elle reparut avec sa mère, qui m'invita
+à descendre. Quand je fus installé dans le grand fauteuil,
+je vis une sorte d'agitation inquiète dans la famille. Puis
+l'épicier s'assit vis-a-vis de moi avec un air hypocritement
+naïf. J'étais agité moi-même, je craignais et je désirais
+l'explication de cette contenance.</p>
+
+<p>&mdash;Puisque vous vous trouvez bien ici, monsieur
+Georges, dit-il enfin en posant ses deux mains sur ses rotules
+replètes, j'espère que vous y viendrez sans façon
+vous reposer tant que vous ne serez pas assez fort pour
+aller vous distraire ailleurs.</p>
+
+<p>&mdash;Généreux homme! m'écriai-je.</p>
+
+<p>&mdash;Non, dit-il en souriant, cela ne vaut point un remerciement:
+entre voisins on se doit assistance, et, Dieu
+merci! nous n'avons jamais refusé la nôtre aux honnêtes
+gens: car je présume que vous êtes un brave jeune
+homme, monsieur Georges, vous en avez parfaitement
+l'air, et je me sens de la confiance en vous.</p>
+
+<p>&mdash;J'en suis honoré, répondis-je avec embarras.</p>
+
+<p>&mdash;Ainsi, Monsieur, poursuivit le digne homme avec
+gaieté, en se levant, restez avec notre Cora tant que
+vous voudrez. C'est une fille d'esprit, voyez-vous! une
+personne qui a vécu dans les livres, et dont la mère n'a
+jamais voulu contrarier le goût. Aussi, elle en sait plus
+que nous à présent, et vous trouverez de l'agrément dans
+sa société, j'en réponds.</p>
+
+<p>&mdash;Il y a bien longtemps, répondis-je en rougissant et
+en jetant sur Cora un regard timide, que je me serais estimé
+heureux de cette faveur.... Elle est venue bien tard,
+hélas! au gré de mon impatience....</p>
+
+<p>&mdash;Ah! dame, dit l'épicier en ricanant, c'est qu'il y a
+deux mois, voyez-vous, la chose n'était pas possible.
+Cora n'était pas mariée, et...à moins de se présenter ici
+avec l'intention de l'épouser, avec de bonnes et franches
+propositions de mariage, aucun garçon n'obtenait de sa
+mère l'entrée de cette chambre. Vous savez, Monsieur,
+comme il faut veiller sur une jeune fille pour empêcher
+les mauvaises langues de lui faire tort; à présent que
+voici l'enfant établie, comme nous sommes sûrs de sa moralité,
+nous la laissons tout à fait libre, et puis...d'ailleurs
+(ici l'épicier baissa la voix), pâle et faible comme
+vous voilà, personne ne pensera que vous songiez à supplanter
+un mari jeune et bien portant.... L'épicier termina
+sa phrase par un gros rire. Je devins pâle comme la
+mort, et je n'osai pas lever les yeux sur Cora.</p>
+
+<p>&mdash;Tenez, tenez, ne vous fâchez pas d'une plaisanterie,
+mon cher voisin, reprit-il: vous ne serez pas toujours
+convalescent, et bientôt peut-être les pères et les
+maris vous surveilleront de plus près.... En attendant,
+restez ici; Cora vous tiendra compagnie, et d'ailleurs je
+crois qu'elle a quelque chose à vous dire.</p>
+
+<p>&mdash;A moi? m'écriai-je en regardant Cora.</p>
+
+<p>&mdash;Oui, oui, reprit le père, c'est une petite affaire délicate...voyez-vous,
+et qu'une jeune femme entendra
+mieux qu'un vieux bonhomme. Allons, au revoir, monsieur
+Georges.</p>
+
+<p>Il sortit. Je restai encore une fois seul avec Cora, et
+cette fois elle avait une <i>affaire délicate</i> à traiter avec
+moi: elle allait me confier un secret peut-être, une peine
+de son coeur, un malheur de sa destinée: ah! sans doute, il
+y avait un grand et profond mystère dans la vie de cette
+fille si mélancolique et si belle! son existence ne pouvait
+pas être arrangée comme celle des autres. Le ciel ne lui
+avait pas départi une si miraculeuse beauté sans la lui
+faire expier par des trésors de douleur. Enfin, me disais-je,
+elle va les épancher dans mon sein, et je pourrai peut-être
+en prendre une partie pour la soulager!</p>
+
+<p>Elle resta un peu confuse devant moi. Puis elle fouilla
+dans la poche de son tablier de taffetas noir et en tira un
+papier plié.</p>
+
+<p>&mdash;En vérité, Monsieur, dit-elle, c'est bien peu de
+chose: je ne sais pourquoi mon père me charge de vous
+le dire; il devrait savoir qu'un homme d'esprit comme
+vous ne s'offense pas d'une demande toute naturelle....
+Sans tout ce qu'il vient de dire, je ne serais pas embarrassée,
+mais....</p>
+
+<p>&mdash;Achevez, au nom du ciel, m'écriai-je avec ferveur;
+ô Cora! si vous connaissiez mon coeur, vous n'hésiteriez
+pas un instant à m'ouvrir le vôtre.</p>
+
+<p>&mdash;Eh bien, Monsieur, dit Cora émue, voici ce dont il
+s'agit. Elle déplia le papier et me le présenta. J'y jetai les
+yeux, mais ma vue était troublée, ma main tremblante,
+il me fallut prendre haleine un instant avant de comprendre.
+Enfin je lus: «Doit M. Georges à M***, épicier
+droguiste, pour objets de consommation fournis durant sa
+maladie....</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>12 l. cassonade pour sirops et tisanes, ci.</p>
+<p>Savon fourni à sa garde-malade, ci-contre.</p>
+<p>Chandelle. . . . . . . . . . . . . . . . .</p>
+<p>Centaurée fébrifuge, etc., etc. . . . . . .</p>
+<p class="i10"> &mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;</p>
+<p class="i10"> Total. . . . . . 30 fr. 50 c.</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p class="i10"> Pour acquit, CORA **&mdash;»</p>
+ </div> </div>
+
+<p>Je la regardai d'un air égaré.&mdash;Véritablement, Monsieur,
+me dit-elle, vous trouvez peut-être cette demande
+indiscrète, et vous n'êtes pas encore assez bien portant
+pour qu'il soit agréable d'être importuné d'affaires. Mais
+nous sommes fort gênés, le commerce va si mal, le loyer
+de notre boutique est fort cher...et Cora parla longtemps
+encore. Je ne l'entendis point. Je balbutiai quelques mots
+et je courus, aussi vite que mes forces me le permirent,
+chercher la somme que je devais à l'épicier. Puis je rentrai
+chez moi atterré, et je me mis au lit avec un mouvement
+de fièvre.</p>
+
+<p>Mais le lendemain je revins à moi avec des idées plus
+raisonnables. Je me demandai pourquoi ce mépris idiot et
+superbe pour les détails de la vie bourgeoise? pourquoi
+l'impertinente susceptibilité des âmes poétiques qui
+croient se souiller au contact des nécessités prosaïques?
+pourquoi enfin cette haine absurde contre le positif de
+la vie?</p>
+
+<div class="dropcap"><img src="images/ill-4.png" alt=""></div>
+
+<p>Ingrat! pensai-je, tu te révoltes parce qu'un mémoire
+de savon et de chandelle a été rédigé et présenté par
+Cora, tandis que tu devrais baiser la belle main qui t'a
+fourni ces secours à ton insu durant ta maladie. Que serais-tu
+devenu, misérable rêveur, si un homme confiant
+et probe n'eût consenti à répandre sur toi les bienfaits de
+son industrie, sans autre gage de remboursement que ta
+mince garde-robe et ton misérable grabat? Et si tu étais
+mort sans pouvoir lire son mémoire et l'acquitter, où
+sont les héritiers qui auraient trouvé dans ta succession
+30 fr. 50 c. à lui remettre?</p>
+
+<p>Et puis je songeai que ces breuvages bienfaisants qui
+m'avaient sauvé de la souffrance et de la mort, c'était
+Cora qui les avait préparés. Qui sait, pensai-je, si elle n'a
+point composé un charme ou murmuré une prière qui
+leur ait donné la vertu de me guérir? N'y a-t-elle pas
+aussi mêlé une larme compatissante le jour où je touchai
+aux portes du tombeau? Larme divine! topique céleste!...</p>
+
+<p>J'en étais là quand l'épicier frappa à ma porte:&mdash;
+Tenez, monsieur Georges, me dit-il, ma femme et moi
+nous craignons de vous avoir fâché. Cora nous a dit que
+vous aviez eu l'air surpris et que vous aviez acquitté le
+mémoire sans dire un mot. Je ne voudrais pas que vous
+nous crussiez capables de méfiance envers vous. Nous
+sommes gênés, il est vrai. Notre commerce ne va pas
+très-bien; mais si vous aviez besoin d'argent, nous trouverions
+encore moyen de vous rendre le vôtre et même
+de vous en prêter un peu.</p>
+
+<p>Je me jetai dans ses bras avec effusion.&mdash;Digne vieillard,
+m'écriai-je, tout ce que je possède est à vous!...
+Comptez sur moi à la vie et à la mort. Je parlai longtemps
+avec l'exaltation de la fièvre. Il me regardait avec son
+gros oeil gris, rond comme celui d'un chat. Quand j'eus
+fini:&mdash;A la bonne heure, dit-il du ton d'un homme qui
+prend son parti sur l'impossibilité de deviner une énigme.
+Je vous prie de venir nous voir de temps en temps et de
+ne pas nous retirer votre pratique.</p>
+
+
+<br><br>
+
+<h3>III.</h3>
+
+
+<p>Je m'étonnais de ne plus voir le mari de Cora à la boutique
+ni auprès de sa femme. Je hasardai une craintive
+question. Elle me répondit que Gibonneau achevait son
+année de service en second sous les auspices du premier
+pharmacien de la ville. Il ne rentrait que le soir et sortait
+dès le matin. Ainsi le rustre pouvait ainsi voir s'écouler
+ses jours loin de la plus belle créature qui fût sous
+le ciel. Il possédait la plus riche perle du monde, et il se
+résignait tranquillement à la quitter pendant toute une
+moitié de sa vie, pour aller préparer des liniments et formuler
+des pilules!</p>
+
+<p>Mais aussi comme je remerciai le ciel qui l'avait condamné
+à cette vulgaire existence et qui semblait lui dénier
+une faveur dont il n'était pas digne, celle de voir sa
+douce compagne à la clarté du soleil! Il ne lui était permis
+de retourner vers elle qu'à l'heure où les chauve-souris
+et les hiboux prennent leur sombre volée et rasent
+d'une aile velue et silencieuse les flots transparents de la
+brume. Il venait dans l'ombre ainsi qu'un voleur de nuit,
+ainsi qu'un gnome malfaisant qui chevauche, le vent du
+soir et le météore trompeur des marécages. Il venait,
+ombre morne et lugubre, encore revêtu de son tablier,
+ainsi que d'un linceul, exhalant cette odeur d'aromate
+que l'on brûle autour des catafalques. Je le voyais quelquefois
+errer dans les ténèbres et glisser comme un
+spectre le long des murailles livides. Plusieurs fois je le
+rencontrai sur le seuil et je faillis l'écraser dans le ruisseau
+comme un ver de terre; mais je l'épargnai, car véritablement
+il avait l'encolure d'un buffle, et j'étais tout
+effilé et tout transparent des suites de la fièvre.</p>
+
+<p>Cora, veuve chaque jour, depuis l'aube jusqu'au crépuscule
+du soir, restait confiante près de moi. Je passais
+presque toutes mes journées assis sur le vieux fauteuil de
+la famille, ou, lorsque le soleil d'avril était décidément
+chaud, je m'asseyais sur le banc de pierre qui s'adossait
+à la fenêtre de Cora. Là, séparé d'elle seulement par les
+rameaux d'or de la giroflée, je respirais son haleine parmi
+les fleurs, je saisissais son long regard transparent et
+calme comme le flot sans rides qui dort sur les rives de
+la Grèce. Nous gardions tous deux le silence, mais mon
+coeur volait vers elle et convoitait le sien avec une force
+attractive dont il devait lui être impossible de ne pas
+sentir la puissance. Je m'endormis dans ce doux rêve.
+Pourquoi Cora ne m'aurait-elle pas aimé? Peut-être fallait-il
+dire: comment ne m'eût-elle pas aimé? Je l'aimais
+si éperdument, moi! toutes mes facultés intellectuelles
+se concentraient pour produire une force de désir et d'attente
+qui planait impérieusement sur Cora. Son âme, faite
+du plus beau rayon de la Divinité, pouvait-elle rester
+inerte sous le vol magnétique de cette pensée de feu? Je
+ne voulus point le croire, et je sentis mon coeur si pur,
+mes désirs si chastes, que je ne craignis bientôt plus d'offenser
+Cora en les lui révélant. Alors je lui parlai cette
+langue des cieux qu'il n'est donné qu'aux âmes poétiques
+d'entendre. Je lui exprimai les tortures ineffables et les
+divines souffrances de mon amour. Je lui racontai mes
+rêves, mes illusions, les milliers de poèmes et de vers
+alexandrins que j'avais faits pour elle. J'eus le bonheur
+de la voir, attentive et subjuguée, quitter son livre et se
+pencher vers moi d'un air pénétré pour m'entendre, car
+mes paroles avaient un sens nouveau pour elle, et je faisais
+entrer dans son esprit un ordre de pensées sublimes
+qu'il n'avait encore jamais osé aborder.</p>
+
+<p>&mdash;O ma Cora, lui disais-je, que pourrais-tu craindre
+d'une flamme aussi pure? L'éclair qui s'allume aux cieux
+n'est pas d'une nature plus subtile que le feu dont je me
+consume avec délice. Pourquoi ta sauvage pudeur, pourquoi
+ta superbe fierté de femme s'alarmeraient-elles d'un
+amour aussi intellectuel que le nôtre? Qu'un mari, qu'un
+maître, possède le trésor de la beauté matérielle qu'il a
+plu aux anges de te départir! pour moi, je ne chercherai
+jamais à lui ravir ce que Dieu, les hommes et ta parole,
+ô Cora! lui ont assuré comme son bien; le mien sera,
+si tu m'exauces, moins saisissable, moins enivrant, mais
+plus glorieux et plus noble. C'est la partie éthérée de ton
+âme que je veux, c'est ton aspiration brûlante vers le
+ciel que je veux étreindre et saisir, afin d'être ton ciel et
+ton âme, comme tu es mon Dieu et ma vie.»</p>
+
+<p>Ces choses semblaient obscures à Cora, son âme était
+si candide et si enfantine! Elle me regardait d'un oeil absorbé
+dans la stupeur, et pour lui faire mieux comprendre
+les divins mystères de l'amour platonique, je prenais mon
+crayon et je traçais des vers sur la muraille aux marges
+de sa fenêtre; puis je lui racontais les brillantes poésies
+de la nature invisible, les amours des anges et des fées,
+les souffrances et les soupirs des sylphes emprisonnés
+dans le calice des fleurs, puis les fougueuses passions des
+roses pour les brises, et réciproquement; puis les choeurs
+aériens qu'on entend le soir dans la nue, la danse sympathique
+des étoiles, les rondes du sabbat, les malices
+des farfadets et les découvertes ardues de l'alchimie.</p>
+
+<p>Notre bonheur semblait ne pouvoir être troublé par
+aucun événement extérieur. En prenant la poésie corps
+à corps, j'avais su si bien m'isoler, dans mon monde intellectuel,
+de toutes les entraves et de tous les écueils de
+la vie réelle, que je semblais n'avoir rien à craindre de
+l'intervention de ces volontés grossières et inintelligentes
+qui végétaient à l'entour de nous. Mes sentiments étaient
+d'une nature si élevée que je ne pouvais inspirer de rivalité
+d'aucun genre à l'homme vulgaire qui se disait le
+maître et l'époux de Cora.</p>
+
+<p>Pendant longtemps, en effet, il sembla comprendre le
+respect qu'il devait à une liaison protégée par le ciel.
+Mais au bout de six semaines, je vis un changement
+étrange s'opérer dans les manières de cette famille à mon
+égard. Le père me regardait d'un air ironique et méfiant
+chaque fois qu'il entrait dans la chambre où nous étions.
+La mère affectait d'y rester tout le temps qu'elle pouvait
+dérober aux affaires de sa boutique. Gibonneau, lorsque
+par hasard je venais à le rencontrer, me lançait de sinistres
+et foudroyantes oeillades; Cora elle-même devenait
+plus réservée, descendait plus tard au rez-de-chaussée,
+remontait plus tôt dans sa chambre, et quelquefois même
+passait des jours entiers sans paraître. Je m'en effrayai,
+et j'essayai de m'en plaindre. J'essayai de lui faire comprendre,
+avec l'éloquence que donne la passion, l'injustice
+et la barbarie de sa conduite. Elle m'écouta d'un air
+contraint, presque craintif, et je la vis regarder vers la
+porte d'un air d'inquiétude.</p>
+
+<p>&mdash;O Cora! m'écriai-je avec enthousiasme, serais-tu
+menacée de quelque danger? parle, parle! où sont tes
+ennemis, nomme-moi les infâmes qui font peser sur toi,
+frêle et céleste créature, les chaînes d'airain d'un joug
+détesté. Dis-moi quel est le démon qui comprime l'élan
+de ton coeur et refoule au fond de ton sein des épanchements
+naïfs, comme des remords amers? Va, je saurai
+bien les conjurer, je sais plus d'un charme pour enchaîner
+les démons de l'envie et de la vengeance, plus d'une
+parole magique pour appeler les anges sur nos têtes: les
+anges protecteurs qui sont tes frères, et qui sont moins
+purs, moins beaux que toi...</p>
+
+<p>J'élevai la voix en parlant, et je m'approchai de Cora
+pour saisir sa main qu'elle me retirait toujours. Alors je
+me levai, le front inondé de la sueur de l'enthousiasme,
+les cheveux en désordre, l'oeil inspiré...</p>
+
+<p>Cora poussa un grand cri, et son père, accourant
+comme si le feu eût pris à la maison, s'élança dans la
+chambre. Comme il s'avançait vers moi d'un air menaçant,
+Cora le saisit par le bras et lui dit avec douceur:&mdash;Laissez-le,
+mon père, il est dans un de ses accès, ne
+le contrariez point, cela va se passer.</p>
+
+<p>Je cherchai vainement le sens de ces paroles. Elle sortit,
+et l'épicier s'adressant à moi:&mdash;Allons, monsieur
+Georges, revenez à vous, personne ici ne songe à vous
+contrarier; mais en vérité vous n'êtes pas raisonnable...
+Allons, allons... rentrez chez vous et calmez-vous.</p>
+
+<p>Étourdi de ce discours plein de bonté, je cédai avec la
+douceur d'un enfant, et l'épicier me reconduisit chez
+moi. Une heure après, je vis entrer le procureur du roi
+et le médecin de la ville. Comme je les connaissais l'un
+et l'autre assez particulièrement, je ne m'étonnai pas de
+leur visite, mais je commençai à m'offenser de l'affectation
+avec laquelle le médecin s'empara de mon pouls,
+examinant avec soin l'expression de mon regard et la
+dilatation de ma pupille; puis il se mit à compter les battements
+de mes artères aux tempes et au cou, et à interroger
+la chaleur extérieure de mon cerveau avec le
+creux de sa main.</p>
+
+<p>&mdash;Qu'est-ce que tout cela signifie, Monsieur? lui dis-je;
+je ne vous ai point appelé pour une consultation. Je
+me sens assez bien pour me passer désormais de soins,
+et je ne suis point disposé à en recevoir malgré moi.</p>
+
+<p>Mais, au lieu de me répondre, il s'approcha du magistrat,
+et ils se retirèrent dans l'embrasure de la fenêtre
+pour parler bas. Ils semblaient se consulter sur mon
+compte, car, à chaque instant ils se retournaient pour me
+regarder d'un air attentif et méfiant; enfin ils s'approchèrent
+de moi, et le procureur du roi m'adressa plusieurs
+questions étranges, d'abord de quelle couleur je
+voyais son gilet, puis si je savais bien son nom, puis encore
+si je pouvais dire quel était mon âge, mon pays et
+ma profession.</p>
+
+<p>Je répondais à ces étranges interrogatoires avec stupeur,
+lorsque le médecin me demanda à son tour si je ne
+voyais point d'autre personne dans l'appartement que le
+procureur du roi, lui et moi; puis si je pensais qu'il fît
+jour ou nuit, et enfin si je pouvais certifier que j'eusse
+cinq doigts à chaque main.</p>
+
+<p>Outré de l'impertinence de ces questions, je résolus la
+dernière en lui appliquant un vigoureux soufflet. J'eus
+tort, sans doute, surtout en la présence d'un magistrat
+tout prêt à instruire contre le délit. Mais le sang me montait
+à la tête, et il ne m'était pas plus longtemps possible
+de me laisser traiter comme un idiot ou comme un fou
+sans en avoir le motif.</p>
+
+<p>Grand fut l'esclandre. Le magistrat voulut prendre
+fait et cause pour son compère; je le saisis à la gorge et
+je l'eusse étranglé, si l'épicier, son gendre et une demi-douzaine
+de voisins ne fussent venus à son secours. Alors
+on s'empara de moi, on me lia les pieds et les mains
+comme à un furieux, on m'entoura la bouche de serviettes
+et l'on me conduisit à l'hospice de ville, où je fus
+enfermé dans la chambre destinée aux sujets frappés d'aliénation
+mentale.</p>
+
+<p>La chambre, je dois le dire, était confortable, et j'y fus
+traité avec beaucoup de douceur, d'autant plus que je ne
+donnais aucun signe de folie. L'erreur du médecin et du
+magistrat fut bientôt constatée. Mais il me fut difficile de
+recouvrer ma liberté, car le dernier, prévoyant qu'il serait
+forcé de me demander une réparation de l'injure que
+je lui avais faite, s'obstina à me faire passer pour aliéné,
+afin de pouvoir se donner les apparences du sang-froid et
+de la générosité à mon égard.</p>
+
+<p>Je sortis enfin; mais le procureur du roi me fit mander
+immédiatement dans son cabinet et m'adressa cette mercuriale:</p>
+
+<p>&mdash;Jeune homme, me dit-il avec ce ton capable et paternel
+que tout magistrat imberbe se croit le droit de prendre
+quand il a endossé la ratine judiciaire, vous avez, sinon
+de grandes erreurs, du moins de graves inconséquences
+à réparer. Étranger, vous avez été accueilli dans cette
+ville avec toutes les marques de la bienveillance et toute
+l'aménité de moeurs qui distingue ses habitants. Malade,
+vous avez été soigné par vos voisins, avec zèle et dévouement.
+Tous ces témoignages de confiance et d'intérêt
+eussent dû graver profondément en vous le sentiment des
+convenances et celui de la gratitude...</p>
+
+<p>&mdash;Mille noms d'un sabord! Monsieur, m'écriai-je dans
+mon style de marin, qui, dans la colère, reprenait malgré
+moi le dessus, où voulez-vous en venir, et qu'ai-je fait
+pour mériter la prison et votre harangue?...</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur, dit-il en fronçant le sourcil, voici ce que
+vous avez fait: vous avez accepté l'hospitalité que chaque
+jour un honnête citoyen, un estimable épicier, vous
+offrait au sein de sa famille, et vous l'avez acceptée avec
+des intentions qu'il ne m'appartient pas de qualifier, et
+dont votre conscience seule peut être juge. Moi je pense
+que votre intention a été de séduire la fille de l'épicier et
+de l'éblouir par des discours incohérents qui portaient
+tous les caractères de l'exaltation; ou de vous faire un
+jeu de sa simplicité, en la mystifiant par d'énigmatiques
+railleries.</p>
+
+<p>&mdash;Juste ciel! qui a dit cela? m'écriai-je avec angoisse.</p>
+
+<p>&mdash;Madame Cora Gibonneau elle-même. D'abord elle a
+considéré vos étranges discours comme des traits d'originalité
+naturelle. Peu à peu elle s'en est effrayée comme
+d'actes de démence. Longtemps elle a hésité à en prévenir
+ses parents, car dans le coeur de ces respectables
+bourgeois, la bonté et la compassion sont des vertus
+héréditaires. Mais enfin, mariée depuis peu à un digne
+homme qu'elle adore et pour qui, vous le savez sans
+doute depuis longtemps, elle nourrissait en secret avant
+son hyménée une passion qui avait profondément altéré
+sa santé et l'eût conduite au tombeau si ses parents
+l'eussent contrariée plus longtemps; enfin, dis-je, mariée
+à l'estimable pharmacien Gibonneau, affaiblie par
+les commencements d'une grossesse assez pénible, et
+craignant avec raison les conséquences de la frayeur dans
+la position où elle se trouve, madame Cora s'est décidée
+à instruire ses parents de l'égarement de votre cerveau
+et des preuves journalières que vous lui en donniez depuis
+quelque temps. Ces honnêtes gens ont hésité à le
+croire et vous ont surveillé avec une extrême réserve de
+délicatesse. Enfin, vous voyant un jour dans un état
+d'exaltation et de délire qui épouvantait sérieusement
+leur fille, ils ont pris le parti d'implorer la protection des
+lois et la sauvegarde de la magistrature... Et l'appui des
+lois ne leur a pas manqué, et la magistrature s'est levée
+pour les rassurer, car la magistrature sait que son plus
+beau privilège est de...</p>
+
+<p>&mdash;Assez, assez, pour Dieu! Monsieur, m'écriai-je, je
+pourrais vous dire par coeur le reste de votre phrase, tant
+je l'ai entendu déclamer de fois à tout propos...</p>
+
+<p>&mdash;Non, jeune homme, s'écria le magistrat à son tour
+en élevant la voix, vous n'échapperez point à la sollicitude
+d'une magistrature qui doit ses conseils et sa surveillance
+à la jeunesse, à une magistrature qui veut le
+bonheur et le repos des citoyens. Profitez du reproche
+que vous avez encouru. Voyez vos torts, ils sont graves!
+vous avez porté le trouble et la crainte dans la famille de
+l'épicier; vous avez méconnu la sainte hospitalité qui
+vous y était offerte, en essayant de railler ou de séduire
+l'épouse irréprochable d'un pharmacien éclairé... Oui,
+vous avez tenté l'un ou l'autre, Monsieur, car je ne sais
+point le sens que la loi peut adjuger aux étranges fragments
+de versification dont vous avez endommagé les
+murs de cette maison hospitalière, et qui m'ont été montrés
+par la fille de l'épicier comme une preuve irrécusable
+de votre démence... Enfin, Monsieur, non content
+d'affliger de braves gens et d'inquiéter le voisinage, vous
+avez résisté à l'autorité représentée par moi, vous avez
+pris au collet et frappé le médecin distingué qui vous
+donnait des soins, vous avez fait une scène de violence
+qui a troublé le repos de toute une population paisible,
+et qui a pensé devenir funeste à madame Gibonneau par
+la frayeur qu'elle lui a causée.</p>
+
+<p>&mdash;Cora est malade! m'écriai-je. Grand Dieu!... Et je
+voulais courir, échapper à l'éloquence tribunitienne de
+mon bourreau. Il me retint.</p>
+
+<p>&mdash;Vous ne me quitterez pas, jeune homme, me dit-il,
+sans avoir écouté la voix de la raison, sans m'avoir
+donné votre parole d'honneur de suspendre vos visites,
+chez madame Gibonneau, et de quitter même le logement
+que vous occupez vis-a-vis la maison de l'épicière.</p>
+
+<p>&mdash;-Eh! Monsieur, m'écriai-je, je jure que je vais dire
+adieu et demander pardon à ces honnêtes gens, savoir des
+nouvelles de madame Cora, et qu'une heure après j'aurai
+quitté cette ville fatale.</p>
+
+<p>Je m'armai de courage et de sang-froid pour rentrer
+chez l'épicier. Comme j'avais passé pour fou dans toute
+la ville, ma sortie de prison fit une profonde sensation;
+l'épicier parut inquiet et soucieux, sa femme se cacha
+presque derrière lui, Cora devint pâle de terreur, et
+M. Gibonneau, sans rien dire, me fit une mine de mauvais
+garçon. Je leur parlai avec calme, les priai d'excuser
+le scandale que je leur avais causé, et de croire à mon
+éternelle reconnaissance pour les soins et l'affection que
+j'avais trouvés chez eux.</p>
+
+<p>&mdash;Pour vous, Madame, dis-je d'une voix émue à Cora,
+pardonnez surtout aux extravagances dont je vous ai
+rendue témoin; si je croyais que vous m'eussiez soupçonné
+un seul instant de manquer au respect que je vous
+dois, j'en mourrais de douleur. J'espère que vous oublierez
+l'absurdité de ma conduite pour ne vous souvenir
+tous que des humbles excuses et des affectueux remerciements
+que je vous adresse en vous quittant pour
+jamais.</p>
+
+<p>A ce mot je vis toutes les figures s'éclaircir, à l'exception
+de celle de Cora, qui, je dois le dire, n'exprima
+qu'une douce compassion. Je voulus essayer de lui demander
+l'état de sa santé, dont j'avais causé l'altération
+par mes folies. Mais en songeant à la cause première de
+son état maladif, à l'amour qu'elle avait depuis si longtemps
+pour son mari et à l'heureux gage de cet amour
+qu'elle portait dans son sein, ma langue s'embarrassa et
+mes pleurs coulèrent malgré moi. Alors la famille m'entoura,
+pleurant aussi et m'accablant de marques de regret
+et d'attachement; Cora me tendit même sa belle
+main, que je n'avais jamais eu le bonheur de toucher, et
+que je n'osai pas seulement porter à mes lèvres. Enfin je
+m'éloignai comblé de bénédictions pour mon séjour parmi
+eux et particulièrement pour mon départ; car, au milieu
+de toutes les choses amicales qui me furent dites, il n'y
+eut pas une voix, pas un mot pour m'engager à rester.</p>
+
+<p>Accablé de douleur, brisé jusqu'à l'âme, je sentais mes
+genoux fléchir sous moi en quittant cette maison où j'avais
+fait des rêves si doux et nourri des illusions si brillantes.
+Je m'appuyai contre le seuil tapissé de vigne, et
+je jetai un dernier regard de tendresse et d'adieu sur la
+belle giroflée de la fenêtre.</p>
+
+<p>Alors j'entendis une voix qui partait de l'intérieur et
+qui prononçait mon nom. C'était la voix de Cora; j'écoutai:&mdash;Pauvre
+jeune homme! disait-elle d'un ton pénétré,
+il est donc enfin parti!</p>
+
+<p>&mdash;Je n'en suis pas fâché, répondit l'épicier, quoique
+après tout ce soit un brave garçon et qu'il paie bien ses
+mémoires.</p>
+
+<p>J'ai traversé cette ville l'année dernière pour aller en
+Limousin. J'ai aperçu Cora à sa fenêtre; il y avait trois
+beaux enfants autour d'elle, et un superbe pot de giroflée
+rouge. Cora avait le nez allongé, les lèvres amincies,
+les yeux un peu rouges, les joues creuses et quelques
+dents de moins.</p>
+<br>
+<p>GEORGE SAND.</p>
+<br>
+FIN DE CORA.
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Cora, by George Sand
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CORA ***
+
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+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
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+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
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+ License. You must require such a user to return or
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+ and discontinue all use of and all access to other copies of
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+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
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+ of receipt of the work.
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+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
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+
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+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
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+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ https://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+
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+
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+++ b/old/12837.txt
@@ -0,0 +1,1484 @@
+The Project Gutenberg EBook of Cora, by George Sand
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Cora
+
+Author: George Sand
+
+Release Date: July 7, 2004 [EBook #12837]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ASCII
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CORA ***
+
+
+
+
+Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading
+Team. This file was produced from images generously made available
+by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr
+
+
+
+
+
+
+
+[Illustration]
+
+CORA.
+
+de
+
+Georges Sand
+
+
+
+I.
+
+A mon retour de l'ile Bourbon (je me trouvais dans une situation
+assez precaire), je sollicitai et j'obtins un mince emploi dans
+l'administration des postes. Je fus envoye au fond de la province,
+dans une petite ville dont je tairai le nom pour des motifs que vous
+concevrez facilement.
+
+L'apparition d'une nouvelle figure est un evenement dans une petite
+ville, et, quoique mon emploi fut des moins importants, pendant quelques
+jours je fus, apres un phoque vivant et deux boas constrictors, qui
+venaient de s'installer sur la place du marche, l'objet le plus excitant
+de la curiosite publique et le sujet le plus exploite des conversations
+particulieres.
+
+La niaise oisivete dont j'etais victime me sequestra chez moi pendant
+toute la premiere semaine. J'etais fort jeune, et la negligence
+que j'avais jusqu'alors apportee par caractere aux importantes
+considerations de la _mise_ et de la _tenue_ commencaient a se reveler a
+moi sous la forme du remords.
+
+Apres un sejour de quelques annees aux colonies, ma toilette se
+ressentait visiblement de l'etat de stagnation honteuse ou l'avait
+laisse le progres du siecle. Mon chapeau a la Bolivar, mes favoris a
+la Bergami et mon manteau a la Quiroga etaient en arriere de plusieurs
+lustres, et le reste de mon accoutrement avait une tournure exotique
+dont je commencais a rougir.
+
+Il est vrai que, dans la solitude des champs, ou dans l'incognito d'une
+grande ville, ou dans le tourbillon de la vie errante, j'eusse pu
+exister longtemps encore sans me douter du malheur de ma position. Mais
+une seule promenade hasardee sur les remparts de la ville m'eclaira
+tristement a cet egard. Je ne fis point dix pas hors de mon domicile
+sans recevoir de salutaires avertissements sur l'inconvenance de mon
+costume. D'abord une jolie grisette me lanca un regard ironique, et dit
+a sa compagne, en passant pres de moi:--"_Ce monsieur_ a une cravate
+bien mal pliee." Puis un ouvrier, que je soupconnai etre dans le
+commerce des feutres, dit d'un ton goguenard, en posant ses poings sur
+ses flancs revetus d'un tablier de cuir:--"Si _ce monsieur_ voulait me
+preter son chapeau, j'en ferais fabriquer un sur le meme modele, afin
+de me deguiser en _roast-beef_ le jour du carnaval." Puis une _dame_
+elegante murmura en se penchant sur sa croisee:--"C'est dommage qu'il
+ait un gilet si fane et la barbe si mal faite." Enfin, un bel esprit du
+lieu dit en pincant la levre:--"Apparemment que le pere de _ce monsieur_
+est un homme _puissant_, on le voit a l'ampleur de son habit." Bref,
+il me fallut bientot revenir sur mes pas, fort heureux d'echapper aux
+vexations d'une douzaine de polissons en guenilles qui criaient apres
+moi du haut de leur tete: A bas _l'angliche_! a bas le milord! a bas
+l'etranger!
+
+Profondement humilie de ma mesaventure, je resolus de m'enfermer chez
+moi jusqu'a ce que le tailleur du chef-lieu m'eut fait parvenir un habit
+complet dans le dernier gout. L'honnete homme ne s'y epargna point, et
+me confectionna des vetements si exigus et si coquets que je pensai
+mourir de douleur en me voyant reduit a ma plus simple expression,
+et semblable en tous points a ces caricatures de _fats parisiens_
+et d'_incroyables_ qui nous faisaient encore pamer de rire, l'annee
+precedente, a l'ile Maurice. Je ne pouvais pas me persuader que je ne
+fusse pas cent fois plus ridicule sous cet habit que sous celui que je
+venais de quitter, et je ne savais plus que devenir; car j'avais
+promis solennellement a mon hotesse (la femme du plus gros notaire de
+l'arrondissement) de la conduire au bal, et de lui faire danser la
+premiere et probablement l'unique contredanse a laquelle ses charmes lui
+donnaient le droit de pretendre. Incertain, honteux, tremblant, je me
+decidai a descendre et a demander a cette estimable femme un avis rigide
+et sincere sur ma situation. Je pris un flambeau et je me hasardai
+jusqu'a la porte de son appartement; mais je m'arretai palpitant et
+desespere, en entendant partir de ce sanctuaire un bruit confus de voix
+fraiches et percantes, de rires aigus et naifs, qui m'annoncaient la
+presence de cinq ou six demoiselles de la ville. Je faillis retourner
+sur mes pas; car, de m'exposer au jugement d'un si malin areopage dans
+une parure plus que problematique a mes yeux, c'etait un heroisme dont
+peu de jeunes gens a ma place se fussent sentis capables.
+
+Enfin, la force de ma volonte l'emporta; je me demandai si j'avais lu
+pour rien Locke et Condillac, et poussant la porte d'une main ferme,
+j'entrai par l'effet d'une resolution desesperee. J'ai vu de pres
+d'affreux evenements, je puis le dire: j'ai traverse les mers et les
+orages, j'ai echappe aux griffes d'un tigre dans le royaume de Java,
+et aux dents d'un crocodile dans la baie de Tunis; j'ai vu en face les
+gueules beantes des sloops flibustiers; j'ai mange du biscuit de mer qui
+m'a perce les gencives; j'ai embrasse la fille du roi de Timor ... eh
+bien! je vous jure que tout ceci n'etait rien au prix de mon entree dans
+cet appartement, et que dans aucun jour de ma vie je ne recueillis un
+aussi glorieux fruit de l'education philosophique.
+
+Les demoiselles etaient assises en cercle, et, en attendant que la femme
+du notaire eut acheve de meler a ses cheveux noirs une legere guirlande
+de pivoines, ces gentes filles de la nature echangeaient entre elles de
+joyeux propos et de naives chansons. Mon apparition inattendue paralysa
+l'elan de cette gaiete charmante. Le silence etendit ses ailes de hibou
+sur leurs blondes tetes, et tous les yeux s'attacherent sur moi avec
+l'expression du doute, de la mefiance et de la peur.
+
+Puis tout a coup un cri de surprise s'echappa du sein de la plus jeune,
+et mon nom vola de bouche en bouche comme la bordee d'une fregate armee
+en guerre. Mon sang se glaca dans mes veines, et je faillis prendre la
+fuite comme un brick qui a cru attaquer un chasse-maree, et qui, a
+la portee de la longue-vue, decouvre un beau trois-mats, laissant
+nonchalamment tomber ses sabords pour lui faire accueil.
+
+Mais, a ma grande stupefaction, la femme de mon hote, laissant la moitie
+de ses boucles crepees et menacantes, tandis que l'autre gisait
+encore sous le papier gris de la papillote, accourut vers moi en
+s'ecriant:--C'est notre jeune homme! c'est notre pauvre Georges! Ah! mon
+Dieu! quelle metamorphose! qu'il est bien mis! quelle jolie tournure!
+quelle coupe d'habit elegante et moderne!... Ah! Mesdemoiselles,
+regardez! regardez comme M. Georges est change, comme il a l'air
+distingue. Vous ferez danser ces demoiselles, monsieur Georges, apres
+moi, pourtant! Vous m'avez forcee de vous promettre la premiere, vous
+vous en souvenez?
+
+Les demoiselles gardaient le silence, et je doutais encore de mon
+triomphe. Je rassemblai le reste de mon courage pour leur demander
+timidement leur gout sur cet habit, et aussitot un choeur de louanges
+pur et melodieux a mes oreilles comme un chant celeste s'eleva autour
+de moi. Jamais on n'avait rien vu de mieux; on ne trouvait pas un pli
+a blamer; le collet raide et volumineux etait d'un gout exquis, les
+basques courtes et cambrees avaient une grace parfaite, le gilet parseme
+de gigantesques rosaces etait d'un eclat sans pareil; la cravate
+inflexible, croisee avec une rigueur systematique, etait un
+chef-d'oeuvre d'invention; la manchette et le jabot terrible
+couronnaient l'oeuvre. De memoire de jeunes filles, aucun employe de
+l'administration des postes n'avait fait un tel debut dans le monde.
+
+J'avoue que ce n'est pas un des moins brillants souvenirs de ma jeunesse
+que mon entree triomphante dans ce bal, serre dans mon habit neuf,
+froisse par les baleines dorsales de mon gilet, vexe par le rigorisme de
+mes entournures, et, de plus, flanque a droite de la femme du notaire,
+a gauche de mademoiselle Phedora, sa niece, la plus vieille et la plus
+laide fille du departement. N'importe, j'etais fier, j'etais heureux,
+j'etais bien mis.
+
+La salle etait un peu froide, un peu sombre, un peu malpropre; les
+banquettes etaient bien tachees d'huile ca et la, les quinquets jouaient
+bien un peu, sur les tetes fleuries et emplumees du bal, le vieux role
+de l'epee de Damocles; le parquet n'etait pas fort brillant, les robes
+des femmes n'etaient pas toutes fraiches, pas plus que la fraicheur de
+certains visages n'etait naturelle. Il y avait bien des pieds un peu
+larges dans des souliers de satin un peu rustiques, des bras un peu
+rouges sous des manches de dentelle, des cous un peu hales sous des
+colliers de perles, et des corsages un peu robustes sous des ceintures
+de moire. Il y avait bien aussi sur l'habit des hommes une legere odeur
+de tabac de la regie, dans l'office un parfum de vin chaud un peu
+brutal, dans l'air un nuage de poussiere un peu agreste, et pourtant
+c'etait une charmante fete, une aimable reunion, sur ma parole! La
+musique n'etait pas beaucoup plus mauvaise que celle de Port-Louis ou
+de Saint-Paul. Les modes n'etaient, a coup sur, ni aussi arrierees, ni
+aussi exagerees que celles qu'on pretend suivre a Calcutta; en outre,
+les femmes etaient generalement plus blanches, les hommes moins rudes et
+moins bruyants.
+
+A tout prendre, pour moi qui n'avais point vu les merveilles de la
+civilisation poussees a la derniere limite, pour moi qui n'avais vu
+l'opera qu'en Amerique et le bal qu'en Asie, le bal a peu pres public et
+general de la petite ville pouvait bien sembler pompeux et enivrant,
+si l'on considere d'ailleurs la profonde sensation qu'y produisait mon
+habit et le succes incontestable que j'obtins d'emblee a la fin de la
+premiere contredanse.
+
+Mais ces joies naives de l'amour-propre firent bientot place a un
+sentiment plus conforme a ma nature inflammable et contemplative. Une
+femme entra dans le bal et j'oubliai toutes les autres; j'oubliai meme
+mon triomphe et mon habit neuf. Je n'eus plus de regards et de pensees
+que pour elle.
+
+Oh! c'est qu'elle etait vraiment bien belle, et qu'il n'etait pas besoin
+d'avoir vingt-cinq ans et d'arriver de l'Inde pour en etre frappe. Un
+peintre celebre qui passa, l'annee suivante, dans la ville, arreta sa
+chaise de poste en l'apercevant a sa fenetre, fit deteler les chevaux et
+resta huit jours a l'auberge du Lion-d'Argent, cherchant par tous les
+moyens possibles a penetrer jusqu'a elle pour la peindre. Mais jamais il
+ne put faire comprendre a sa famille qu'on pouvait par amour de l'art
+faire le portrait d'une femme sans avoir l'intention de la seduire. Il
+fut econduit, et la beaute de Cora n'est restee empreinte que dans le
+cerveau peut-etre de ce grand artiste, et dans le coeur d'un pauvre
+fonctionnaire destitue de l'administration des postes.
+
+Elle etait d'une taille moyenne admirablement proportionnee, souple
+comme un oiseau, mais lente et fiere comme une dame romaine. Elle etait
+extraordinairement brune pour le climat tempere ou elle etait nee; mais
+sa peau etait fine et unie comme la cire la mieux moulee. Le principal
+caractere de sa tete regulierement dessinee, c'etait quelque chose
+d'indefinissable, de surhumain, qu'il faut avoir vu pour le comprendre;
+des lignes d'une nettete prestigieuse, de grands yeux d'un vert si pale
+et si transparent qu'ils semblaient faits pour lire dans les mysteres
+du monde intellectuel plus que dans les choses de la vie positive; une
+bouche aux levres minces, fines et pales, au sourire imperceptible, aux
+rares paroles; un profil severe et melancolique, un regard froid, triste
+et pensif, une expression vague de souffrance, d'ennui et de dedain;
+et puis des mouvements doux et reserves, une main effilee et blanche,
+beaute si rare chez les femmes d'une condition mediocre; une toilette
+grave et simple, discernement si etrange chez une provinciale; surtout
+un air de dignite calme et inflexible qui aurait ete sublime sous la
+couronne de diamants d'une reine espagnole, et qui, chez cette pauvre
+fille, semblait etre le sceau du malheur, l'indice d'une organisation
+exceptionnelle.
+
+[Illustration: Elle lisait.]
+
+Car c'etait la fille... le dirai-je? il le faut bien: Cora etait la
+fille d'un epicier.
+
+O sainte poesie, pardonne-moi d'avoir trace ce mot! Mais Cora eut releve
+l'enseigne d'un cabaret. Elle se fut detachee comme l'ange de Rembrandt
+au-dessus d'un groupe flamand. Elle eut brille comme une belle fleur
+au milieu des marecages. Du fond de la boutique de son pere, elle eut
+attire sur elle le regard du grand Scott. Ce fut sans doute une beaute
+ignoree comme elle qui inspira l'idee charmante de _la belle fille de
+Perth_.
+
+Et elle s'appelait Cora; elle avait la voix douce, la demarche reservee,
+l'attitude reveuse. Elle avait la plus belle chevelure brune que j'aie
+vue de ma vie, et seule, entre toutes ses compagnes, elle n'y melait
+jamais aucun ornement. Mais il y avait plus d'orgueil dans le luxe de
+ses boucles epaisses que dans l'eclat d'un diademe. Elle n'avait pas non
+plus de collier ni de fleurs sur la poitrine. Son dos brun et veloute
+tranchait fierement sur la dentelle blanche de son corsage. Sa robe
+bleue la faisait paraitre encore plus brune de ton et plus sombre
+d'expression. Elle semblait tirer vanite du caractere original de sa
+beaute.
+
+[Illustration: Je revins a moi sur un grand fauteuil.]
+
+Elle semblait avoir devine qu'elle etait belle autrement que toutes les
+autres: car je n'ai pas besoin de vous le dire, Cora etant d'un type
+rare et d'un coloris oriental, Cora ressemblant a la juive Rebecca, ou
+a la Juliette de Shakespeare, Cora majestueuse, souffrante et un peu
+farouche, Cora qui n'etait ni rose, ni replette, ni agacante, ni
+gentille, n'etait ni apercue ni soupconnee dans la foule. Elle vivait la
+comme une rose epanouie dans le desert, comme une perle echouee sur le
+sable, et la premiere personne venue, a qui vous eussiez exprime votre
+admiration a la vue de Cora, vous eut repondu: Oui, elle ne serait pas
+mal si elle etait plus blanche et moins maigre.
+
+J'etais si trouble aupres d'elle, si subitement epris, que vraiment
+j'oubliais toute la confiance qu'eussent du m'inspirer mon habit neuf
+et mon gilet a rosaces. Il est vrai qu'elle y accordait fort peu
+d'attention, qu'elle ecoutait d'un air distrait des fadeurs qui me
+faisaient suer sang et eau a debiter, qu'elle laissait, a chaque
+invitation de ma part, tomber de ses levres un mot bien faible, et, dans
+ma main tremblante, une main dont je sentais la froideur au travers de
+son gant. Helas! qu'elle etait indifferente et hautaine, la fille de
+l'epicier! Qu'elle etait singuliere et mysterieuse, la brune Cora! Je
+ne pus jamais obtenir d'elle, dans toute la duree de la nuit, qu'une
+demi-douzaine de monosyllabes.
+
+Il m'arriva le lendemain de lire, pour le malheur de ma vie, les Contes
+fantastiques. Pour mon malheur encore, aucune creature sous le ciel ne
+semblait etre un type plus complet de la beaute fantastique et de la
+poesie allemande que Cora aux yeux verts et au corsage diaphane.
+
+Les adorables poesies d'Hoffman commencaient a circuler dans la ville.
+Les matrones et les peres de famille trouvaient le genre detestable et
+le style de mauvais gout. Les notaires et les femmes d'avoues faisaient
+surtout une guerre a mort a l'invraisemblance des caracteres et au
+romanesque des incidents. Le juge de paix du canton avait l'habitude de
+se promener autour des tables dans le cabinet de lecture, et de dire aux
+jeunes gens egares par cette poesie etrangere et subversive: _Rien n'est
+beau que le vrai_, etc. Je me souviens qu'un vaurien de lyceen, en
+vacances, lui dit a cette occasion en le regardant fixement:
+
+--Monsieur, cette grosse verrue que vous avez au milieu du nez est sans
+doute postiche?
+
+Malgre les remontrances paternelles, malgre les anathemes du _principal_
+et des professeurs de sixieme, le mal gagna rapidement, et une grande
+partie de la jeunesse fut infectee du venin mortel. On vit de jeunes
+debitants de tabac se modeler sur le type de Kressler, et des
+surnumeraires a l'enregistrement s'evanouir au son lointain d'une
+cornemuse ou d'une chanson de jeune fille.
+
+Pour moi, je confesse et je declare ici que je perdis completement la
+tete. Cora realisait tous les reves enivrants que le poete m'inspirait,
+et je me plaisais a la gratifier d'une nature immaterielle et feerique
+qui reellement semblait avoir ete imaginee pour elle. J'etais heureux
+ainsi. Je ne lui parlais pas, je n'avais aucun titre pour m'approcher
+d'elle. Je ne recueillais aucun encouragement a ma passion; je n'en
+cherchais meme pas. Seulement, je quittai la maison du notaire et
+je louai une miserable chambre directement en face de la maison de
+l'epicier. Je garnis ma fenetre d'un epais rideau, dans lequel je
+pratiquai des fentes habilement menagees. Je passais la en extase toutes
+les heures que je pouvais derober a mon travail.
+
+La rue etait deserte et silencieuse. Cora etait assise a sa fenetre au
+rez-de-chaussee. Elle lisait. Que lisait-elle? Il est certain qu'elle
+lisait du matin au soir. Et puis elle posait son livre sur un vase de
+giroflee jaune qui brillait a la fenetre. Et la tete penche sur sa main,
+les boucles de ses beaux cheveux nonchalamment melees aux fleurs d'or
+et de pourpre, l'oeil fixe et brillant, elle semblait percer le pave et
+contempler, a travers la croute epaisse de ce sol grossier, les mysteres
+de la tombe et de la reproduction des essences fecondantes, assister a
+la naissance de la fee aux Roses, et encourager le germe d'un beau genie
+aux ailes d'or dans le pistil d'une tulipe.
+
+Et moi je la regardais, j'etais heureux. Je me gardais bien de me
+montrer, car, au moindre mouvement du rideau, au moindre bruit de ma
+fenetre, elle disparaissait comme un songe. Elle s'evanouissait comme
+une vapeur argentee dans le clair-obscur de l'arriere-boutique; je me
+tenais donc la, immobile, retenant mon souffle, imposant silence aux
+battements de mon coeur, quelquefois a genoux implorant ma fee dans le
+silence, envoyant vers elle les brulantes aspirations d'une ame que son
+essence magique devait penetrer et entendre. Parfois je m'imaginais
+voir mon esprit et le sien voltiger enlaces dans un de ces rayons de
+poussiere d'or que le soleil de midi infiltrait dans la profondeur
+etroite et anguleuse dela rue. Je m'imaginais voir partir de son oeil
+limpide comme l'eau qui court sur la mousse, un trait brulant qui
+m'appelait tout entier dans son coeur.
+
+Je restai la tout le jour, egare, absurde, ridicule; mais exalte, mais
+amoureux, mais jeune! mais inonde de poesie et n'associant personne aux
+mysteres de ma pensee et ne sentant jamais mes elans entraves par la
+crainte de tomber dans le mauvais gout, n'ayant que Dieu pour juge et
+pour confident de mes reves et de mes extases.
+
+Puis, quand le jour finissait, quand la pale Cora fermait sa fenetre et
+tirait son rideau, j'ouvrais mes livres favoris et je la retrouvais sur
+les Alpes avec Manfred, chez le professeur Spallanzani avec Nathanael,
+dans les cieux avec Oberon.
+
+Mais, helas! ce bonheur ne fut pas de bien longue duree. Jusque-la
+personne n'avait decouvert la beaute de Cora; j'en jouissais tout seul.
+Elle n'etait comprise et adoree que par moi. La contagion fantastique,
+en se repandant parmi les jeunes gens de la ville, jeta un trait de
+lumiere sur la romantique bourgeoise.
+
+Un impertinent bachelier s'avisa un matin, en passant devant ses
+fenetres, de la comparer a Anne de Gierstern, la fille du brouillard.
+Ce mot fit fortune: on le repeta au bal. Les _inspires_ de l'endroit
+remarquerent la danse molle et aerienne de Cora. Un autre genie de la
+societe la compara a la reine Mab. Alors, chacun voulant faire montre de
+son erudition, apporta son epithete et sa metaphore, et la pauvre fille
+en fut ecrasee a son insu. Quand ils eurent assez profane mon idole avec
+leurs comparaisons, ils l'entourerent, ils l'accablerent de soins et de
+madrigaux, ils la firent danser jusqu'a l'extinction des quinquets, ils
+me la rendirent le lendemain fatiguee de leur esprit, ennuyee de leur
+babil, fletrie de leur admiration; et ce qui acheva de me briser le
+coeur, ce fut de voir apparaitre a la fenetre le profil arrondi et
+jovial d'un gros etudiant en pharmacie a cote du profil grec et delie de
+ma sylphide.
+
+Pendant bien des matins et bien des soirs, je vins derriere le rideau
+mysterieux essayer de combattre le charme que mon odieux rival avait
+jete sur la famille de l'epicier. Mais en vain j'invoquai l'amour, le
+diable et tous les saints, je ne pus ecarter sa maligne influence. Il
+revint, sans se lasser, tous les jours s'asseoir a cote de Cora, dans
+l'embrasure de la fenetre, et il lui parlait. De quoi osait-il lui
+parler, le malheureux! La figure impenetrable de Cora n'en trahissait
+rien. Elle semblait ecouter ses discours sans les entendre, et a
+l'imperceptible mouvement de ses levres, je devinais quelquefois qu'elle
+lui repondait froidement et brievement comme elle avait l'habitude de le
+faire, et puis la conversation semblait languir.
+
+Le couple contraint et ennuye etouffait de part et d'autre des
+baillements silencieux. Cora regardait tristement son livre ferme sur la
+fenetre et que la presence de son adorateur l'empechait de continuer.
+Puis elle appuyait son coude sur le pot de giroflees et le menton sur
+la paume de sa main, et le regardant d'un regard fixe et glacial, elle
+semblait etudier les fibres grossieres de son organisation morale au
+travers de la loupe de maitre Floh.
+
+Apres tout, elle supportait ses assiduites comme un mal necessaire; car,
+au bout de six semaines, l'apprenti pharmacien conduisit la belle Cora
+au pied des autels, ou ils recurent la benediction nuptiale. Cora etait
+admirablement chaste et severe sous son costume de mariee. Elle avait
+l'air calme, indifferent, ennuye comme toujours. Elle traversa la foule
+avide d'un pas aussi mesure qu'a l'ordinaire, et promena sur les curieux
+ebahis son oeil sec et scrutateur. Quand il rencontra ma figure morne et
+fletrie, il s'y arreta un instant et sembla dire: Voici un homme qui est
+incommode d'un catarrhe ou d'un mal de dents.
+
+Pour moi, j'etais si desespere, que je sollicitai mon changement ...
+
+
+II.
+
+Mais je ne l'obtins pas, et je restai temoin du bonheur d'un autre.
+Alors je pris le parti de tomber malade, ce qui me sauva du desespoir,
+ainsi qu'il arrive toujours en pareil cas.
+
+Si degoute qu'on soit de la vie, il est certain que, lorsque la fatalite
+nous y retient malgre nous, la faiblesse humaine ne peut s'empecher de
+remercier secretement la fatalite. La mort est si laide qu'aucun de nous
+ne la voit de pres sans effroi. Bien magnanimes sont ceux qui enfoncent
+le rasoir jusqu'a l'artere carotide, ou qui avalent le poison jusqu'au
+fond de la coupe. (Je dis la _coupe_, parce qu'il n'est pas seant et
+presque impossible de s'empoisonner dans un vase qui porte un autre nom
+quelconque.)
+
+Oui, le proverbe d'Esope est la sagesse des nations. Nous aimons la vie
+comme une maitresse que nous convoitons encore avec les sens, apres meme
+que toute estime et toute affection pour elle sont eteintes en nous.
+Le soir ou je vis un pretre et un medecin convenablement graves a mon
+chevet, je n'eus pas la force de m'enquerir vis-a-vis de moi-meme de
+ce que j'en ressentais de joie ou de peine. Mais quand, un matin, je
+m'eveillai faible et languissant, et que je vis la garde-malade endormie
+profondement sur sa chaise, le soleil brillant sur les toits et les
+fioles pharmaceutiques vides sur le gueridon, quand je me hasardai a
+remuer et que je sentis ma tete sans douleur, mes membres legers, et
+mon corps debile degage de tous les liens de fer de la souffrance, je
+ressentis un insurmontable sentiment de bien-etre et de reconnaissance
+envers le ciel.
+
+Et puis je me rappelai Cora et son mariage, et j'eus honte de la joie
+que je venais d'eprouver; car, apres les ferventes prieres que j'avais
+adressees a Dieu et au medecin pour etre delivre de la vie, c'etait une
+inconsequence sans pareille que d'en accepter le retour sans colere et
+sans amertume. Je me mis donc a repandre des larmes. La jeunesse est si
+riche en emotions de tout genre, qu'il lui est possible de se torturer
+elle-meme en depit de la force de l'espoir, de la poesie, de tous les
+bienfaits dont l'a douee la Providence. Je lui reprochai, moi, d'avoir
+ete plus sage que moi, et de n avoir pas permis qu'un amour bizarre
+et presque imaginaire me conduisit au tombeau. Puis je me resignai et
+j'acceptai la volonte de Dieu, qui rivait ma chaine et me condamnait
+a jouir encore de la vue du ciel, de la beaute de la nature et de
+l'affection de mes proches.
+
+Quand je fus assez fort pour me lever, je m'approchai de la fenetre avec
+un inexprimable serrement de coeur. Cora etait la; elle lisait. Elle
+etait toujours belle, toujours pale, toujours seule. J'eus un sentiment
+de joie. Elle m'etait donc rendue, ma fee aux yeux verts; ma belle
+reveuse solitaire! Je pourrais la contempler encore et nourrir en secret
+cette passion extatique que le regard d'un rival m'avait force de
+refouler si longtemps! Tout a coup elle releva sa tete brune, et ses
+yeux, errant au hasard sur la muraille, apercurent ma face pale qui se
+penchait vers elle. Je tressaillis, je crus qu'elle allait fuir comme a
+l'ordinaire. Mais, o transport! elle ne s'enfuit point. Au contraire,
+elle m'adressa un salut plein de politesse et de douceur, puis elle
+reporta son attention sur son livre, et resta sous mes yeux absolument
+indifferente a l'assiduite de mes regards; mais du moins elle resta.
+
+Un homme plus experimente que moi eut prefere l'ancienne sauvagerie
+de Cora a l'insouciance avec laquelle desormais elle bravait le
+face-a-face. Mais pouvais-je resister au charme qu'elle venait de jeter
+sur moi avec son salut bienveillant et gracieux? Je m'imaginai tout ce
+qu'il peut entrer de chaste interet et de bienveillance reservee dans un
+modeste salut de femme. C'etait la premiere marque de connaissance
+que me donnait Cora. Mais avec quelle ingenieuse delicatesse elle
+choisissait l'instant de me la donner! Combien il entrait de compassion
+genereuse dans ce faible temoignage d'un interet timide et discret! Elle
+n'osait point me demander si j'etais mieux. D'ailleurs elle le voyait,
+et son salut valait tout un long discours de felicitations.
+
+Je passai toute la nuit a commenter ce charmant salut, et le lendemain,
+a l'heure ou Cora reparut, je me hasardai a risquer le premier
+temoignage de notre intelligence naissante. Oui, j'eus l'audace de la
+saluer profondement; mais je fus si bouleverse de ce que j'osais faire,
+que je n'eus point le courage de fixer mes yeux sur elle. Je les tins
+baisses avec crainte et respect, ce qui fit que je ne pus point savoir
+si elle me rendait mon salut, ni de quel air elle me le rendait.
+
+Trouble, palpitant, plein d'espoir et de terreur, je restais le front
+cache dans mes mains, n'osant plus montrer mon visage, lorsqu'une voix
+s'eleva dans le silence de la rue, et, montant vers moi, m'adressa ces
+douces paroles:
+
+--Il parait, Monsieur, que votre sante est meilleure?
+
+Je tressaillis, je retirai ma tete de mes mains; je regardai Cora, je ne
+pouvais en croire mes oreilles, d'autant plus que la voix etait un peu
+rude, un peu male, et que je m'etais toujours imagine la voix de
+Cora plus douce que celle de la brise d'avril caressant les fleurs
+naissantes. Mais comme je la contemplais d'un air eperdu, elle reitera
+sa question dans des termes dont la douceur me fit oublier l'accent un
+peu indigene et le timbre un peu vigoureux de sa voix.
+
+--Je vois avec plaisir, dit-elle, que monsieur Georges se porte mieux.
+
+Je voulus faire une reponse qui exprimat l'enthousiasme de ma
+reconnaissance; mais cela me fut impossible: je palis, je rougis, je
+balbutiai quelques paroles inintelligibles; je faillis m'evanouir.
+
+A ce moment, l'epicier, le pere de ma Cora, approchant son profil osseux
+de la fenetre, lui dit d'un ton rauque, mais pourtant bienveillant:
+
+--A qui parles-tu donc, mignonne?
+
+--A notre voisin, M. Georges, qui est enfin convalescent et que je vois
+a sa fenetre.
+
+--Ah! j'en suis charme, dit l'epicier, et, soulevant son bonnet de
+loutre: Comment va la sante, mon cher voisin?
+
+Je remerciai avec plus d'assurance le pere de ma bien-aimee. J'etais le
+plus heureux des mortels; j'obtenais enfin un peu d'interet de cette
+famille naguere si farouche et si mefiante envers moi. Mais helas!
+pensais-je presque aussitot, que me sert a present d'etre plaint et
+console? Cora n'est-elle pas pour jamais unie a un autre?
+
+L'epicier, appuyant ses deux coudes sur sa fenetre, entama alors avec
+moi une conversation affectueuse et bienveillante sur la beaute de la
+journee, sur le plaisir de revenir a la vie par un si bon soleil, sur
+l'excellence des gilets de flanelle en temps de convalescence, et les
+bienfaisants effets de l'eau miellee et du sirop de gomme sur les
+poitrines fatiguees et les estomacs debilites.
+
+Jaloux de soutenir et de prolonger un entretien si precieux, je lui
+repondis par des compliments flatteurs sur la beaute des giroflees qui
+fleurissaient a sa fenetre, sur la grace mignonne et coquette de son
+chat qui dormait au soleil devant la porte, et sur la bonne exposition
+de sa boutique qui recevait en plein les rayons du soleil de midi.
+
+--Oui, oui, repondit l'epicier, au commencement du printemps les rayons
+du soleil ne sont point a dedaigner; plus tard ils deviennent un peu
+trop bons....
+
+A cet entretien cordial et ingenu, Cora melait de temps en temps des
+reflexions courtes et simples, mais pleines de bon sens et de justesse;
+j'en conclus qu'elle avait un jugement droit et un esprit positif.
+
+Puis, comme j'insistais sur l'avantage d'avoir la facade de son logis
+exposee au midi, Cora, inspiree par le ciel et par la beaute de son ame,
+dit a son pere:
+
+--Au fait, la chambre de M. Georges exposee au nord doit encore etre
+assez fraiche dans ce temps-ci. Peut-etre, si vous lui proposiez de
+venir s'asseoir une heure ou deux chez nous, serait-il bien aise de voir
+le soleil en face?
+
+Puis elle se pencha vers son oreille, et lui dit tout bas quelques mots
+qui semblerent frapper vivement l'epicier.
+
+--C'est bien, ma fille, s'ecria-t-il d'un ton jovial Vous plairait-il,
+monsieur Georges, d'accepter une chaise a cote de ma Cora?
+
+--O mon Dieu! pensai-je, si c'est un reve, faites que je ne m'eveille
+point.
+
+Une minute apres, le genereux epicier etait dans ma chambre et m'offrait
+son bras pour descendre. J'etais emu jusqu'aux larmes et je lui pressai
+les mains avec une effusion qui le surprit, tant son action lui
+paraissait naturelle.
+
+Au seuil de ma maison, je trouvai Cora qui venait pour aider son pere
+a me soutenir en traversant la rue. Jusque-la je me sentais la force
+d'aller vers elle; mais des qu'elle toucha mon bras, des que sa main
+longue et blanche effleura mon coude, je me sentis defaillir, et je
+perdis le sentiment de mon bonheur pour l'avoir senti trop vivement.
+
+Je revins a moi sur un grand fauteuil de cuir a clous dores, qui, depuis
+cinquante ans, servait de trone au patriarcal epicier. Sa digne compagne
+me frottait les tempes avec du vulneraire, et Cora, la belle Cora,
+tenait sous mes narines son mouchoir imbibe d'alcool. Je faillis
+m'evanouir de nouveau; je voulus remercier, mais je n'avais pas
+d'expressions pour peindre ma gratitude; pourtant, dans un moment ou
+l'epicier, me voyant mieux, se retirait, et ou sa femme passait dans
+l'arriere-boutique pour me chercher un verre d'eau de reglisse, je dis a
+Cora en levant sur elle mon oeil languissant:
+
+--Ah! Madame, pourquoi ne m'avoir pas laisse mourir? j'etais si heureux
+tout a l'heure!
+
+Elle me regarda d'un air etonne et me dit d'un ton
+affectueux:--Remettez-vous, Monsieur, vous avez de la fievre, je le vois
+bien.
+
+Quand je fus tout a fait remis de mon trouble, l'epiciere retourna a la
+boutique, et je restai seul avec Cora.
+
+Comme le coeur me battit alors! Mais elle etait calme, et sa serenite
+m'imposait tant de respect que je pris sur moi de paraitre calme aussi.
+
+Cependant ce tete-a-tete devint pour moi d'un cruel embarras. Cora
+n'aimait point a parler. Elle repondait brievement a toutes les choses
+que je tirais de mon cerveau avec d'incroyables efforts, et, quoi que je
+fisse, jamais ses reponses n'etaient de nature a nouer l'entretien; sur
+quelque matiere que ce fut, elle etait de mon avis. Je ne pouvais pas
+m'en plaindre, car je lui disais de ces choses sensees qu'il n'est pas
+possible de combattre a moins d'etre fou. Par exemple, je lui demandai
+si elle aimait la lecture.--Beaucoup, me repondit-elle.--C'est qu'en
+effet, repris-je, c'est une si douce occupation!--En effet, reprit-elle,
+c'est une tres-douce occupation.--Pourvu, ajoutai-je, que le livre qu'on
+lit soit beau et interessant.--Oh! certainement, ajouta-t-elle.--Car,
+poursuivis-je, il en est de bien insipides.--Mais aussi,
+poursuivit-elle, il en est de bien jolis.--Cet entretien eut pu nous
+mener loin si je me fusse senti la hardiesse de l'interroger sur le
+genre de ses lectures. Mais je craignis que cela ne fut indiscret, et je
+me bornai a jeter un regard furtif sur le livre entr'ouvert au pied de
+la giroflee. C'etait un roman d'Auguste Lafontaine. J'eus la sottise
+d'en etre affecte d'abord. Et puis, en y reflechissant, je trouvai dans
+le choix de cette lecture une raison d'admirer la simplicite et la
+richesse d'un coeur qui pouvait puiser la des emotions attachantes. Je
+parcourus de l'oeil une pile de volumes delabres qui gisaient sur un
+rayon pres de moi. Je ne nommerai point les auteurs cheris de ma Cora;
+les lecteurs blases en riraient, et moi, dans ma vaine enflure de poete,
+je faillis en etre froisse.... Mais je revins bientot a la raison en
+comparant les ressources d'un esprit si neuf et d'une ame si virginale a
+la vieillesse prematuree de nos imaginations epuisees. Il y avait dans
+la vie intellectuelle des tresors auxquels Cora n'avait pas encore
+touche, et l'homme qui serait assez heureux pour les lui reveler verrait
+s'epanouir sous son souffle la plus belle oeuvre de la creation, le
+coeur d'une femme ingenue!...
+
+Je rentrai chez moi enthousiasme de Cora, dont l'ignorance etait si
+candide et si belle. J'attendis l'heure d'y retourner le jour suivant,
+sans pourtant esperer cette nouvelle faveur. Elle reparut avec sa mere,
+qui m'invita a descendre. Quand je fus installe dans le grand fauteuil,
+je vis une sorte d'agitation inquiete dans la famille. Puis l'epicier
+s'assit vis-a-vis de moi avec un air hypocritement naif. J'etais agite
+moi-meme, je craignais et je desirais l'explication de cette contenance.
+
+--Puisque vous vous trouvez bien ici, monsieur Georges, dit-il enfin
+en posant ses deux mains sur ses rotules repletes, j'espere que vous y
+viendrez sans facon vous reposer tant que vous ne serez pas assez fort
+pour aller vous distraire ailleurs.
+
+--Genereux homme! m'ecriai-je.
+
+--Non, dit-il en souriant, cela ne vaut point un remerciement: entre
+voisins on se doit assistance, et, Dieu merci! nous n'avons jamais
+refuse la notre aux honnetes gens: car je presume que vous etes un brave
+jeune homme, monsieur Georges, vous en avez parfaitement l'air, et je me
+sens de la confiance en vous.
+
+--J'en suis honore, repondis-je avec embarras.
+
+--Ainsi, Monsieur, poursuivit le digne homme avec gaiete, en se levant,
+restez avec notre Cora tant que vous voudrez. C'est une fille d'esprit,
+voyez-vous! une personne qui a vecu dans les livres, et dont la mere n'a
+jamais voulu contrarier le gout. Aussi, elle en sait plus que nous a
+present, et vous trouverez de l'agrement dans sa societe, j'en reponds.
+
+--Il y a bien longtemps, repondis-je en rougissant et en jetant sur Cora
+un regard timide, que je me serais estime heureux de cette faveur....
+Elle est venue bien tard, helas! au gre de mon impatience....
+
+--Ah! dame, dit l'epicier en ricanant, c'est qu'il y a deux mois,
+voyez-vous, la chose n'etait pas possible. Cora n'etait pas mariee,
+et...a moins de se presenter ici avec l'intention de l'epouser, avec de
+bonnes et franches propositions de mariage, aucun garcon n'obtenait de
+sa mere l'entree de cette chambre. Vous savez, Monsieur, comme il faut
+veiller sur une jeune fille pour empecher les mauvaises langues de lui
+faire tort; a present que voici l'enfant etablie, comme nous sommes surs
+de sa moralite, nous la laissons tout a fait libre, et puis...d'ailleurs
+(ici l'epicier baissa la voix), pale et faible comme vous voila,
+personne ne pensera que vous songiez a supplanter un mari jeune et bien
+portant.... L'epicier termina sa phrase par un gros rire. Je devins pale
+comme la mort, et je n'osai pas lever les yeux sur Cora.
+
+--Tenez, tenez, ne vous fachez pas d'une plaisanterie, mon cher voisin,
+reprit-il: vous ne serez pas toujours convalescent, et bientot peut-etre
+les peres et les maris vous surveilleront de plus pres.... En attendant,
+restez ici; Cora vous tiendra compagnie, et d'ailleurs je crois qu'elle
+a quelque chose a vous dire.
+
+--A moi? m'ecriai-je en regardant Cora.
+
+--Oui, oui, reprit le pere, c'est une petite affaire
+delicate...voyez-vous, et qu'une jeune femme entendra mieux qu'un vieux
+bonhomme. Allons, au revoir, monsieur Georges.
+
+Il sortit. Je restai encore une fois seul avec Cora, et cette fois elle
+avait une _affaire delicate_ a traiter avec moi: elle allait me confier
+un secret peut-etre, une peine de son coeur, un malheur de sa destinee:
+ah! sans doute, il y avait un grand et profond mystere dans la vie de
+cette fille si melancolique et si belle! son existence ne pouvait pas
+etre arrangee comme celle des autres. Le ciel ne lui avait pas departi
+une si miraculeuse beaute sans la lui faire expier par des tresors de
+douleur. Enfin, me disais-je, elle va les epancher dans mon sein, et je
+pourrai peut-etre en prendre une partie pour la soulager!
+
+Elle resta un peu confuse devant moi. Puis elle fouilla dans la poche de
+son tablier de taffetas noir et en tira un papier plie.
+
+--En verite, Monsieur, dit-elle, c'est bien peu de chose: je ne sais
+pourquoi mon pere me charge de vous le dire; il devrait savoir qu'un
+homme d'esprit comme vous ne s'offense pas d'une demande toute
+naturelle.... Sans tout ce qu'il vient de dire, je ne serais pas
+embarrassee, mais....
+
+--Achevez, au nom du ciel, m'ecriai-je avec ferveur; o Cora! si vous
+connaissiez mon coeur, vous n'hesiteriez pas un instant a m'ouvrir le
+votre.
+
+--Eh bien, Monsieur, dit Cora emue, voici ce dont il s'agit. Elle deplia
+le papier et me le presenta. J'y jetai les yeux, mais ma vue etait
+troublee, ma main tremblante, il me fallut prendre haleine un instant
+avant de comprendre. Enfin je lus: "Doit M. Georges a M***, epicier
+droguiste, pour objets de consommation fournis durant sa maladie....
+
+ 12 l. cassonade pour sirops et tisanes, ci.
+ Savon fourni a sa garde-malade, ci-contre.
+ Chandelle. . . . . . . . . . . . . . . . .
+ Centauree febrifuge, etc., etc. . . . . . .
+ --------------
+ Total. . . . . . 30 fr. 50 c.
+
+ Pour acquit, CORA **--"
+
+Je la regardai d'un air egare.--Veritablement, Monsieur, me dit-elle,
+vous trouvez peut-etre cette demande indiscrete, et vous n'etes pas
+encore assez bien portant pour qu'il soit agreable d'etre importune
+d'affaires. Mais nous sommes fort genes, le commerce va si mal, le loyer
+de notre boutique est fort cher...et Cora parla longtemps encore. Je ne
+l'entendis point. Je balbutiai quelques mots et je courus, aussi vite
+que mes forces me le permirent, chercher la somme que je devais a
+l'epicier. Puis je rentrai chez moi atterre, et je me mis au lit avec un
+mouvement de fievre.
+
+[Illustration: Accable de douleur, brise jusqu'a l'ame...]
+
+Mais le lendemain je revins a moi avec des idees plus raisonnables. Je
+me demandai pourquoi ce mepris idiot et superbe pour les details de
+la vie bourgeoise? pourquoi l'impertinente susceptibilite des ames
+poetiques qui croient se souiller au contact des necessites prosaiques?
+pourquoi enfin cette haine absurde contre le positif de la vie?
+
+Ingrat! pensai-je, tu te revoltes parce qu'un memoire de savon et de
+chandelle a ete redige et presente par Cora, tandis que tu devrais
+baiser la belle main qui t'a fourni ces secours a ton insu durant ta
+maladie. Que serais-tu devenu, miserable reveur, si un homme confiant et
+probe n'eut consenti a repandre sur toi les bienfaits de son industrie,
+sans autre gage de remboursement que ta mince garde-robe et ton
+miserable grabat? Et si tu etais mort sans pouvoir lire son memoire
+et l'acquitter, ou sont les heritiers qui auraient trouve dans ta
+succession 30 fr. 50 c. a lui remettre?
+
+Et puis je songeai que ces breuvages bienfaisants qui m'avaient sauve de
+la souffrance et de la mort, c'etait Cora qui les avait prepares. Qui
+sait, pensai-je, si elle n'a point compose un charme ou murmure une
+priere qui leur ait donne la vertu de me guerir? N'y a-t-elle pas
+aussi mele une larme compatissante le jour ou je touchai aux portes du
+tombeau? Larme divine! topique celeste!...
+
+J'en etais la quand l'epicier frappa a ma porte:--Tenez, monsieur
+Georges, me dit-il, ma femme et moi nous craignons de vous avoir fache.
+Cora nous a dit que vous aviez eu l'air surpris et que vous aviez
+acquitte le memoire sans dire un mot. Je ne voudrais pas que vous nous
+crussiez capables de mefiance envers vous. Nous sommes genes, il est
+vrai. Notre commerce ne va pas tres-bien; mais si vous aviez besoin
+d'argent, nous trouverions encore moyen de vous rendre le votre et meme
+de vous en preter un peu.
+
+Je me jetai dans ses bras avec effusion.--Digne vieillard, m'ecriai-je,
+tout ce que je possede est a vous!... Comptez sur moi a la vie et a
+la mort. Je parlai longtemps avec l'exaltation de la fievre. Il me
+regardait avec son gros oeil gris, rond comme celui d'un chat. Quand
+j'eus fini:--A la bonne heure, dit-il du ton d'un homme qui prend son
+parti sur l'impossibilite de deviner une enigme. Je vous prie de venir
+nous voir de temps en temps et de ne pas nous retirer votre pratique.
+
+
+III.
+
+Je m'etonnais de ne plus voir le mari de Cora a la boutique ni aupres
+de sa femme. Je hasardai une craintive question. Elle me repondit que
+Gibonneau achevait son annee de service en second sous les auspices du
+premier pharmacien de la ville. Il ne rentrait que le soir et sortait
+des le matin. Ainsi le rustre pouvait ainsi voir s'ecouler ses jours
+loin de la plus belle creature qui fut sous le ciel. Il possedait la
+plus riche perle du monde, et il se resignait tranquillement a la
+quitter pendant toute une moitie de sa vie, pour aller preparer des
+liniments et formuler des pilules!
+
+Mais aussi comme je remerciai le ciel qui l'avait condamne a cette
+vulgaire existence et qui semblait lui denier une faveur dont il n'etait
+pas digne, celle de voir sa douce compagne a la clarte du soleil! Il
+ne lui etait permis de retourner vers elle qu'a l'heure ou les
+chauve-souris et les hiboux prennent leur sombre volee et rasent d'une
+aile velue et silencieuse les flots transparents de la brume. Il venait
+dans l'ombre ainsi qu'un voleur de nuit, ainsi qu'un gnome malfaisant
+qui chevauche, le vent du soir et le meteore trompeur des marecages. Il
+venait, ombre morne et lugubre, encore revetu de son tablier, ainsi que
+d'un linceul, exhalant cette odeur d'aromate que l'on brule autour des
+catafalques. Je le voyais quelquefois errer dans les tenebres et glisser
+comme un spectre le long des murailles livides. Plusieurs fois je le
+rencontrai sur le seuil et je faillis l'ecraser dans le ruisseau
+comme un ver de terre; mais je l'epargnai, car veritablement il avait
+l'encolure d'un buffle, et j'etais tout effile et tout transparent des
+suites de la fievre.
+
+Cora, veuve chaque jour, depuis l'aube jusqu'au crepuscule du soir,
+restait confiante pres de moi. Je passais presque toutes mes journees
+assis sur le vieux fauteuil de la famille, ou, lorsque le soleil
+d'avril etait decidement chaud, je m'asseyais sur le banc de pierre qui
+s'adossait a la fenetre de Cora. La, separe d'elle seulement par les
+rameaux d'or de la giroflee, je respirais son haleine parmi les fleurs,
+je saisissais son long regard transparent et calme comme le flot sans
+rides qui dort sur les rives de la Grece. Nous gardions tous deux le
+silence, mais mon coeur volait vers elle et convoitait le sien avec une
+force attractive dont il devait lui etre impossible de ne pas sentir
+la puissance. Je m'endormis dans ce doux reve. Pourquoi Cora ne
+m'aurait-elle pas aime? Peut-etre fallait-il dire: comment ne m'eut-elle
+pas aime? Je l'aimais si eperdument, moi! toutes mes facultes
+intellectuelles se concentraient pour produire une force de desir et
+d'attente qui planait imperieusement sur Cora. Son ame, faite du plus
+beau rayon de la Divinite, pouvait-elle rester inerte sous le vol
+magnetique de cette pensee de feu? Je ne voulus point le croire, et
+je sentis mon coeur si pur, mes desirs si chastes, que je ne craignis
+bientot plus d'offenser Cora en les lui revelant. Alors je lui parlai
+cette langue des cieux qu'il n'est donne qu'aux ames poetiques
+d'entendre. Je lui exprimai les tortures ineffables et les divines
+souffrances de mon amour. Je lui racontai mes reves, mes illusions, les
+milliers de poemes et de vers alexandrins que j'avais faits pour elle.
+J'eus le bonheur de la voir, attentive et subjuguee, quitter son livre
+et se pencher vers moi d'un air penetre pour m'entendre, car mes paroles
+avaient un sens nouveau pour elle, et je faisais entrer dans son esprit
+un ordre de pensees sublimes qu'il n'avait encore jamais ose aborder.
+
+--O ma Cora, lui disais-je, que pourrais-tu craindre d'une flamme aussi
+pure? L'eclair qui s'allume aux cieux n'est pas d'une nature plus
+subtile que le feu dont je me consume avec delice. Pourquoi ta sauvage
+pudeur, pourquoi ta superbe fierte de femme s'alarmeraient-elles d'un
+amour aussi intellectuel que le notre? Qu'un mari, qu'un maitre, possede
+le tresor de la beaute materielle qu'il a plu aux anges de te departir!
+pour moi, je ne chercherai jamais a lui ravir ce que Dieu, les hommes et
+ta parole, o Cora! lui ont assure comme son bien; le mien sera, si tu
+m'exauces, moins saisissable, moins enivrant, mais plus glorieux et
+plus noble. C'est la partie etheree de ton ame que je veux, c'est ton
+aspiration brulante vers le ciel que je veux etreindre et saisir, afin
+d'etre ton ciel et ton ame, comme tu es mon Dieu et ma vie."
+
+Ces choses semblaient obscures a Cora, son ame etait si candide et si
+enfantine! Elle me regardait d'un oeil absorbe dans la stupeur, et pour
+lui faire mieux comprendre les divins mysteres de l'amour platonique, je
+prenais mon crayon et je tracais des vers sur la muraille aux marges de
+sa fenetre; puis je lui racontais les brillantes poesies de la nature
+invisible, les amours des anges et des fees, les souffrances et les
+soupirs des sylphes emprisonnes dans le calice des fleurs, puis les
+fougueuses passions des roses pour les brises, et reciproquement;
+puis les choeurs aeriens qu'on entend le soir dans la nue, la danse
+sympathique des etoiles, les rondes du sabbat, les malices des farfadets
+et les decouvertes ardues de l'alchimie.
+
+Notre bonheur semblait ne pouvoir etre trouble par aucun evenement
+exterieur. En prenant la poesie corps a corps, j'avais su si bien
+m'isoler, dans mon monde intellectuel, de toutes les entraves et de tous
+les ecueils de la vie reelle, que je semblais n'avoir rien a craindre
+de l'intervention de ces volontes grossieres et inintelligentes qui
+vegetaient a l'entour de nous. Mes sentiments etaient d'une nature si
+elevee que je ne pouvais inspirer de rivalite d'aucun genre a l'homme
+vulgaire qui se disait le maitre et l'epoux de Cora.
+
+Pendant longtemps, en effet, il sembla comprendre le respect qu'il
+devait a une liaison protegee par le ciel. Mais au bout de six semaines,
+je vis un changement etrange s'operer dans les manieres de cette famille
+a mon egard. Le pere me regardait d'un air ironique et mefiant chaque
+fois qu'il entrait dans la chambre ou nous etions. La mere affectait
+d'y rester tout le temps qu'elle pouvait derober aux affaires de sa
+boutique. Gibonneau, lorsque par hasard je venais a le rencontrer, me
+lancait de sinistres et foudroyantes oeillades; Cora elle-meme devenait
+plus reservee, descendait plus tard au rez-de-chaussee, remontait plus
+tot dans sa chambre, et quelquefois meme passait des jours entiers sans
+paraitre. Je m'en effrayai, et j'essayai de m'en plaindre. J'essayai de
+lui faire comprendre, avec l'eloquence que donne la passion, l'injustice
+et la barbarie de sa conduite. Elle m'ecouta d'un air contraint, presque
+craintif, et je la vis regarder vers la porte d'un air d'inquietude.
+
+--O Cora! m'ecriai-je avec enthousiasme, serais-tu menacee de quelque
+danger? parle, parle! ou sont tes ennemis, nomme-moi les infames qui
+font peser sur toi, frele et celeste creature, les chaines d'airain d'un
+joug deteste. Dis-moi quel est le demon qui comprime l'elan de ton coeur
+et refoule au fond de ton sein des epanchements naifs, comme des remords
+amers? Va, je saurai bien les conjurer, je sais plus d'un charme pour
+enchainer les demons de l'envie et de la vengeance, plus d'une parole
+magique pour appeler les anges sur nos tetes: les anges protecteurs qui
+sont tes freres, et qui sont moins purs, moins beaux que toi...
+
+J'elevai la voix en parlant, et je m'approchai de Cora pour saisir sa
+main qu'elle me retirait toujours. Alors je me levai, le front inonde de
+la sueur de l'enthousiasme, les cheveux en desordre, l'oeil inspire...
+
+Cora poussa un grand cri, et son pere, accourant comme si le feu eut
+pris a la maison, s'elanca dans la chambre. Comme il s'avancait vers
+moi d'un air menacant, Cora le saisit par le bras et lui dit avec
+douceur:--Laissez-le, mon pere, il est dans un de ses acces, ne le
+contrariez point, cela va se passer.
+
+Je cherchai vainement le sens de ces paroles. Elle sortit, et l'epicier
+s'adressant a moi:--Allons, monsieur Georges, revenez a vous, personne
+ici ne songe a vous contrarier; mais en verite vous n'etes pas
+raisonnable... Allons, allons... rentrez chez vous et calmez-vous.
+
+Etourdi de ce discours plein de bonte, je cedai avec la douceur d'un
+enfant, et l'epicier me reconduisit chez moi. Une heure apres, je vis
+entrer le procureur du roi et le medecin de la ville. Comme je les
+connaissais l'un et l'autre assez particulierement, je ne m'etonnai pas
+de leur visite, mais je commencai a m'offenser de l'affectation
+avec laquelle le medecin s'empara de mon pouls, examinant avec soin
+l'expression de mon regard et la dilatation de ma pupille; puis il se
+mit a compter les battements de mes arteres aux tempes et au cou, et
+a interroger la chaleur exterieure de mon cerveau avec le creux de sa
+main.
+
+--Qu'est-ce que tout cela signifie, Monsieur? lui dis-je; je ne vous ai
+point appele pour une consultation. Je me sens assez bien pour me passer
+desormais de soins, et je ne suis point dispose a en recevoir malgre
+moi.
+
+Mais, au lieu de me repondre, il s'approcha du magistrat, et ils
+se retirerent dans l'embrasure de la fenetre pour parler bas. Ils
+semblaient se consulter sur mon compte, car, a chaque instant ils se
+retournaient pour me regarder d'un air attentif et mefiant; enfin ils
+s'approcherent de moi, et le procureur du roi m'adressa plusieurs
+questions etranges, d'abord de quelle couleur je voyais son gilet, puis
+si je savais bien son nom, puis encore si je pouvais dire quel etait mon
+age, mon pays et ma profession.
+
+Je repondais a ces etranges interrogatoires avec stupeur, lorsque le
+medecin me demanda a son tour si je ne voyais point d'autre personne
+dans l'appartement que le procureur du roi, lui et moi; puis si je
+pensais qu'il fit jour ou nuit, et enfin si je pouvais certifier que
+j'eusse cinq doigts a chaque main.
+
+Outre de l'impertinence de ces questions, je resolus la derniere en lui
+appliquant un vigoureux soufflet. J'eus tort, sans doute, surtout en la
+presence d'un magistrat tout pret a instruire contre le delit. Mais le
+sang me montait a la tete, et il ne m'etait pas plus longtemps possible
+de me laisser traiter comme un idiot ou comme un fou sans en avoir le
+motif.
+
+Grand fut l'esclandre. Le magistrat voulut prendre fait et cause
+pour son compere; je le saisis a la gorge et je l'eusse etrangle, si
+l'epicier, son gendre et une demi-douzaine de voisins ne fussent venus a
+son secours. Alors on s'empara de moi, on me lia les pieds et les mains
+comme a un furieux, on m'entoura la bouche de serviettes et l'on me
+conduisit a l'hospice de ville, ou je fus enferme dans la chambre
+destinee aux sujets frappes d'alienation mentale.
+
+La chambre, je dois le dire, etait confortable, et j'y fus traite avec
+beaucoup de douceur, d'autant plus que je ne donnais aucun signe de
+folie. L'erreur du medecin et du magistrat fut bientot constatee. Mais
+il me fut difficile de recouvrer ma liberte, car le dernier, prevoyant
+qu'il serait force de me demander une reparation de l'injure que je lui
+avais faite, s'obstina a me faire passer pour aliene, afin de pouvoir se
+donner les apparences du sang-froid et de la generosite a mon egard.
+
+Je sortis enfin; mais le procureur du roi me fit mander immediatement
+dans son cabinet et m'adressa cette mercuriale:
+
+--Jeune homme, me dit-il avec ce ton capable et paternel que tout
+magistrat imberbe se croit le droit de prendre quand il a endosse la
+ratine judiciaire, vous avez, sinon de grandes erreurs, du moins de
+graves inconsequences a reparer. Etranger, vous avez ete accueilli
+dans cette ville avec toutes les marques de la bienveillance et toute
+l'amenite de moeurs qui distingue ses habitants. Malade, vous avez ete
+soigne par vos voisins, avec zele et devouement. Tous ces temoignages
+de confiance et d'interet eussent du graver profondement en vous le
+sentiment des convenances et celui de la gratitude...
+
+--Mille noms d'un sabord! Monsieur, m'ecriai-je dans mon style de marin,
+qui, dans la colere, reprenait malgre moi le dessus, ou voulez-vous en
+venir, et qu'ai-je fait pour meriter la prison et votre harangue?...
+
+--Monsieur, dit-il en froncant le sourcil, voici ce que vous avez fait:
+vous avez accepte l'hospitalite que chaque jour un honnete citoyen, un
+estimable epicier, vous offrait au sein de sa famille, et vous l'avez
+acceptee avec des intentions qu'il ne m'appartient pas de qualifier,
+et dont votre conscience seule peut etre juge. Moi je pense que votre
+intention a ete de seduire la fille de l'epicier et de l'eblouir par des
+discours incoherents qui portaient tous les caracteres de l'exaltation;
+ou de vous faire un jeu de sa simplicite, en la mystifiant par
+d'enigmatiques railleries.
+
+--Juste ciel! qui a dit cela? m'ecriai-je avec angoisse.
+
+--Madame Cora Gibonneau elle-meme. D'abord elle a considere vos etranges
+discours comme des traits d'originalite naturelle. Peu a peu elle s'en
+est effrayee comme d'actes de demence. Longtemps elle a hesite a en
+prevenir ses parents, car dans le coeur de ces respectables bourgeois,
+la bonte et la compassion sont des vertus hereditaires. Mais enfin,
+mariee depuis peu a un digne homme qu'elle adore et pour qui, vous le
+savez sans doute depuis longtemps, elle nourrissait en secret avant son
+hymenee une passion qui avait profondement altere sa sante et l'eut
+conduite au tombeau si ses parents l'eussent contrariee plus longtemps;
+enfin, dis-je, mariee a l'estimable pharmacien Gibonneau, affaiblie
+par les commencements d'une grossesse assez penible, et craignant avec
+raison les consequences de la frayeur dans la position ou elle se
+trouve, madame Cora s'est decidee a instruire ses parents de l'egarement
+de votre cerveau et des preuves journalieres que vous lui en donniez
+depuis quelque temps. Ces honnetes gens ont hesite a le croire et vous
+ont surveille avec une extreme reserve de delicatesse. Enfin, vous
+voyant un jour dans un etat d'exaltation et de delire qui epouvantait
+serieusement leur fille, ils ont pris le parti d'implorer la protection
+des lois et la sauvegarde de la magistrature... Et l'appui des lois ne
+leur a pas manque, et la magistrature s'est levee pour les rassurer, car
+la magistrature sait que son plus beau privilege est de...
+
+--Assez, assez, pour Dieu! Monsieur, m'ecriai-je, je pourrais vous dire
+par coeur le reste de votre phrase, tant je l'ai entendu declamer de
+fois a tout propos...
+
+--Non, jeune homme, s'ecria le magistrat a son tour en elevant la voix,
+vous n'echapperez point a la sollicitude d'une magistrature qui doit ses
+conseils et sa surveillance a la jeunesse, a une magistrature qui veut
+le bonheur et le repos des citoyens. Profitez du reproche que vous avez
+encouru. Voyez vos torts, ils sont graves! vous avez porte le trouble
+et la crainte dans la famille de l'epicier; vous avez meconnu la sainte
+hospitalite qui vous y etait offerte, en essayant de railler ou de
+seduire l'epouse irreprochable d'un pharmacien eclaire... Oui, vous avez
+tente l'un ou l'autre, Monsieur, car je ne sais point le sens que la
+loi peut adjuger aux etranges fragments de versification dont vous
+avez endommage les murs de cette maison hospitaliere, et qui m'ont ete
+montres par la fille de l'epicier comme une preuve irrecusable de votre
+demence... Enfin, Monsieur, non content d'affliger de braves gens et
+d'inquieter le voisinage, vous avez resiste a l'autorite representee par
+moi, vous avez pris au collet et frappe le medecin distingue qui vous
+donnait des soins, vous avez fait une scene de violence qui a trouble le
+repos de toute une population paisible, et qui a pense devenir funeste a
+madame Gibonneau par la frayeur qu'elle lui a causee.
+
+--Cora est malade! m'ecriai-je. Grand Dieu!... Et je voulais courir,
+echapper a l'eloquence tribunitienne de mon bourreau. Il me retint.
+
+--Vous ne me quitterez pas, jeune homme, me dit-il, sans avoir ecoute
+la voix de la raison, sans m'avoir donne votre parole d'honneur de
+suspendre vos visites, chez madame Gibonneau, et de quitter meme le
+logement que vous occupez vis-a-vis la maison de l'epiciere.
+
+---Eh! Monsieur, m'ecriai-je, je jure que je vais dire adieu et demander
+pardon a ces honnetes gens, savoir des nouvelles de madame Cora, et
+qu'une heure apres j'aurai quitte cette ville fatale.
+
+Je m'armai de courage et de sang-froid pour rentrer chez l'epicier.
+Comme j'avais passe pour fou dans toute la ville, ma sortie de prison
+fit une profonde sensation; l'epicier parut inquiet et soucieux, sa
+femme se cacha presque derriere lui, Cora devint pale de terreur, et M.
+Gibonneau, sans rien dire, me fit une mine de mauvais garcon. Je leur
+parlai avec calme, les priai d'excuser le scandale que je leur avais
+cause, et de croire a mon eternelle reconnaissance pour les soins et
+l'affection que j'avais trouves chez eux.
+
+--Pour vous, Madame, dis-je d'une voix emue a Cora, pardonnez surtout
+aux extravagances dont je vous ai rendue temoin; si je croyais que vous
+m'eussiez soupconne un seul instant de manquer au respect que je vous
+dois, j'en mourrais de douleur. J'espere que vous oublierez l'absurdite
+de ma conduite pour ne vous souvenir tous que des humbles excuses et
+des affectueux remerciements que je vous adresse en vous quittant pour
+jamais.
+
+A ce mot je vis toutes les figures s'eclaircir, a l'exception de celle
+de Cora, qui, je dois le dire, n'exprima qu'une douce compassion. Je
+voulus essayer de lui demander l'etat de sa sante, dont j'avais cause
+l'alteration par mes folies. Mais en songeant a la cause premiere de son
+etat maladif, a l'amour qu'elle avait depuis si longtemps pour son mari
+et a l'heureux gage de cet amour qu'elle portait dans son sein, ma
+langue s'embarrassa et mes pleurs coulerent malgre moi. Alors la famille
+m'entoura, pleurant aussi et m'accablant de marques de regret et
+d'attachement; Cora me tendit meme sa belle main, que je n'avais jamais
+eu le bonheur de toucher, et que je n'osai pas seulement porter a mes
+levres. Enfin je m'eloignai comble de benedictions pour mon sejour parmi
+eux et particulierement pour mon depart; car, au milieu de toutes les
+choses amicales qui me furent dites, il n'y eut pas une voix, pas un mot
+pour m'engager a rester.
+
+Accable de douleur, brise jusqu'a l'ame, je sentais mes genoux flechir
+sous moi en quittant cette maison ou j'avais fait des reves si doux et
+nourri des illusions si brillantes. Je m'appuyai contre le seuil tapisse
+de vigne, et je jetai un dernier regard de tendresse et d'adieu sur la
+belle giroflee de la fenetre.
+
+Alors j'entendis une voix qui partait de l'interieur et qui prononcait
+mon nom. C'etait la voix de Cora; j'ecoutai:--Pauvre jeune homme!
+disait-elle d'un ton penetre, il est donc enfin parti!
+
+--Je n'en suis pas fache, repondit l'epicier, quoique apres tout ce soit
+un brave garcon et qu'il paie bien ses memoires.
+
+J'ai traverse cette ville l'annee derniere pour aller en Limousin. J'ai
+apercu Cora a sa fenetre; il y avait trois beaux enfants autour d'elle,
+et un superbe pot de giroflee rouge. Cora avait le nez allonge, les
+levres amincies, les yeux un peu rouges, les joues creuses et quelques
+dents de moins.
+
+
+
+GEORGE SAND.
+
+
+FIN DE CORA.
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Cora, by George Sand
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CORA ***
+
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+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
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+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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