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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-15 04:40:48 -0700 |
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Je fus envoyé au fond de la province, +dans une petite ville dont je tairai le nom pour des motifs que vous +concevrez facilement. + +L'apparition d'une nouvelle figure est un événement dans une petite +ville, et, quoique mon emploi fût des moins importants, pendant quelques +jours je fus, après un phoque vivant et deux boas constrictors, qui +venaient de s'installer sur la place du marché, l'objet le plus excitant +de la curiosité publique et le sujet le plus exploité des conversations +particulières. + +La niaise oisiveté dont j'étais victime me séquestra chez moi pendant +toute la première semaine. J'étais fort jeune, et la négligence +que j'avais jusqu'alors apportée par caractère aux importantes +considérations de la _mise_ et de la _tenue_ commençaient à se révéler à +moi sous la forme du remords. + +Après un séjour de quelques années aux colonies, ma toilette se +ressentait visiblement de l'état de stagnation honteuse où l'avait +laissé le progrès du siècle. Mon chapeau à la Bolivar, mes favoris à +la Bergami et mon manteau à la Quiroga étaient en arrière de plusieurs +lustres, et le reste de mon accoutrement avait une tournure exotique +dont je commençais à rougir. + +Il est vrai que, dans la solitude des champs, ou dans l'incognito d'une +grande ville, ou dans le tourbillon de la vie errante, j'eusse pu +exister longtemps encore sans me douter du malheur de ma position. Mais +une seule promenade hasardée sur les remparts de la ville m'éclaira +tristement à cet égard. Je ne fis point dix pas hors de mon domicile +sans recevoir de salutaires avertissements sur l'inconvenance de mon +costume. D'abord une jolie grisette me lança un regard ironique, et dit +à sa compagne, en passant près de moi:--«_Ce monsieur_ a une cravate +bien mal pliée.» Puis un ouvrier, que je soupçonnai être dans le +commerce des feutres, dit d'un ton goguenard, en posant ses poings sur +ses flancs revêtus d'un tablier de cuir:--«Si _ce monsieur_ voulait me +prêter son chapeau, j'en ferais fabriquer un sur le même modèle, afin +de me déguiser en _roast-beef_ le jour du carnaval.» Puis une _dame_ +élégante murmura en se penchant sur sa croisée:--«C'est dommage qu'il +ait un gilet si fané et la barbe si mal faite.» Enfin, un bel esprit du +lieu dit en pinçant la lèvre:--«Apparemment que le père de _ce monsieur_ +est un homme _puissant_, on le voit à l'ampleur de son habit.» Bref, +il me fallut bientôt revenir sur mes pas, fort heureux d'échapper aux +vexations d'une douzaine de polissons en guenilles qui criaient après +moi du haut de leur tête: A bas _l'angliche_! à bas le milord! à bas +l'étranger! + +Profondément humilié de ma mésaventure, je résolus de m'enfermer chez +moi jusqu'à ce que le tailleur du chef-lieu m'eût fait parvenir un habit +complet dans le dernier goût. L'honnête homme ne s'y épargna point, et +me confectionna des vêtements si exigus et si coquets que je pensai +mourir de douleur en me voyant réduit à ma plus simple expression, +et semblable en tous points à ces caricatures de _fats parisiens_ +et d'_incroyables_ qui nous faisaient encore pâmer de rire, l'année +précédente, à l'île Maurice. Je ne pouvais pas me persuader que je ne +fusse pas cent fois plus ridicule sous cet habit que sous celui que je +venais de quitter, et je ne savais plus que devenir; car j'avais +promis solennellement à mon hôtesse (la femme du plus gros notaire de +l'arrondissement) de la conduire au bal, et de lui faire danser la +première et probablement l'unique contredanse à laquelle ses charmes lui +donnaient le droit de prétendre. Incertain, honteux, tremblant, je me +décidai à descendre et à demander à cette estimable femme un avis rigide +et sincère sur ma situation. Je pris un flambeau et je me hasardai +jusqu'à la porte de son appartement; mais je m'arrêtai palpitant et +désespéré, en entendant partir de ce sanctuaire un bruit confus de voix +fraîches et perçantes, de rires aigus et naïfs, qui m'annonçaient la +présence de cinq ou six demoiselles de la ville. Je faillis retourner +sur mes pas; car, de m'exposer au jugement d'un si malin aréopage dans +une parure plus que problématique à mes yeux, c'était un héroïsme dont +peu de jeunes gens à ma place se fussent sentis capables. + +Enfin, la force de ma volonté l'emporta; je me demandai si j'avais lu +pour rien Locke et Condillac, et poussant la porte d'une main ferme, +j'entrai par l'effet d'une résolution désespérée. J'ai vu de près +d'affreux événements, je puis le dire: j'ai traversé les mers et les +orages, j'ai échappé aux griffes d'un tigre dans le royaume de Java, +et aux dents d'un crocodile dans la baie de Tunis; j'ai vu en face les +gueules béantes des sloops flibustiers; j'ai mangé du biscuit de mer qui +m'a percé les gencives; j'ai embrassé la fille du roi de Timor ... eh +bien! je vous jure que tout ceci n'était rien au prix de mon entrée dans +cet appartement, et que dans aucun jour de ma vie je ne recueillis un +aussi glorieux fruit de l'éducation philosophique. + +Les demoiselles étaient assises en cercle, et, en attendant que la femme +du notaire eût achevé de mêler à ses cheveux noirs une légère guirlande +de pivoines, ces gentes filles de la nature échangeaient entre elles de +joyeux propos et de naïves chansons. Mon apparition inattendue paralysa +l'élan de cette gaieté charmante. Le silence étendit ses ailes de hibou +sur leurs blondes têtes, et tous les yeux s'attachèrent sur moi avec +l'expression du doute, de la méfiance et de la peur. + +Puis tout à coup un cri de surprise s'échappa du sein de la plus jeune, +et mon nom vola de bouche en bouche comme la bordée d'une frégate armée +en guerre. Mon sang se glaça dans mes veines, et je faillis prendre la +fuite comme un brick qui a cru attaquer un chasse-marée, et qui, à +la portée de la longue-vue, découvre un beau trois-mâts, laissant +nonchalamment tomber ses sabords pour lui faire accueil. + +Mais, à ma grande stupéfaction, la femme de mon hôte, laissant la moitié +de ses boucles crêpées et menaçantes, tandis que l'autre gisait +encore sous le papier gris de la papillote, accourut vers moi en +s'écriant:--C'est notre jeune homme! c'est notre pauvre Georges! Ah! mon +Dieu! quelle métamorphose! qu'il est bien mis! quelle jolie tournure! +quelle coupe d'habit élégante et moderne!... Ah! Mesdemoiselles, +regardez! regardez comme M. Georges est changé, comme il a l'air +distingué. Vous ferez danser ces demoiselles, monsieur Georges, après +moi, pourtant! Vous m'avez forcée de vous promettre la première, vous +vous en souvenez? + +Les demoiselles gardaient le silence, et je doutais encore de mon +triomphe. Je rassemblai le reste de mon courage pour leur demander +timidement leur goût sur cet habit, et aussitôt un choeur de louanges +pur et mélodieux à mes oreilles comme un chant céleste s'éleva autour +de moi. Jamais on n'avait rien vu de mieux; on ne trouvait pas un pli +à blâmer; le collet raide et volumineux était d'un goût exquis, les +basques courtes et cambrées avaient une grâce parfaite, le gilet parsemé +de gigantesques rosaces était d'un éclat sans pareil; la cravate +inflexible, croisée avec une rigueur systématique, était un +chef-d'oeuvre d'invention; la manchette et le jabot terrible +couronnaient l'oeuvre. De mémoire de jeunes filles, aucun employé de +l'administration des postes n'avait fait un tel début dans le monde. + +J'avoue que ce n'est pas un des moins brillants souvenirs de ma jeunesse +que mon entrée triomphante dans ce bal, serré dans mon habit neuf, +froissé par les baleines dorsales de mon gilet, vexé par le rigorisme de +mes entournures, et, de plus, flanqué à droite de la femme du notaire, +à gauche de mademoiselle Phédora, sa nièce, la plus vieille et la plus +laide fille du département. N'importe, j'étais fier, j'étais heureux, +j'étais bien mis. + +La salle était un peu froide, un peu sombre, un peu malpropre; les +banquettes étaient bien tachées d'huile çà et là , les quinquets jouaient +bien un peu, sur les têtes fleuries et emplumées du bal, le vieux rôle +de l'épée de Damoclès; le parquet n'était pas fort brillant, les robes +des femmes n'étaient pas toutes fraîches, pas plus que la fraîcheur de +certains visages n'était naturelle. Il y avait bien des pieds un peu +larges dans des souliers de satin un peu rustiques, des bras un peu +rouges sous des manches de dentelle, des cous un peu hâlés sous des +colliers de perles, et des corsages un peu robustes sous des ceintures +de moire. Il y avait bien aussi sur l'habit des hommes une légère odeur +de tabac de la régie, dans l'office un parfum de vin chaud un peu +brutal, dans l'air un nuage de poussière un peu agreste, et pourtant +c'était une charmante fête, une aimable réunion, sur ma parole! La +musique n'était pas beaucoup plus mauvaise que celle de Port-Louis ou +de Saint-Paul. Les modes n'étaient, à coup sûr, ni aussi arriérées, ni +aussi exagérées que celles qu'on prétend suivre à Calcutta; en outre, +les femmes étaient généralement plus blanches, les hommes moins rudes et +moins bruyants. + +A tout prendre, pour moi qui n'avais point vu les merveilles de la +civilisation poussées à la dernière limite, pour moi qui n'avais vu +l'opéra qu'en Amérique et le bal qu'en Asie, le bal à peu près public et +général de la petite ville pouvait bien sembler pompeux et enivrant, +si l'on considère d'ailleurs la profonde sensation qu'y produisait mon +habit et le succès incontestable que j'obtins d'emblée à la fin de la +première contredanse. + +Mais ces joies naïves de l'amour-propre firent bientôt place à un +sentiment plus conforme à ma nature inflammable et contemplative. Une +femme entra dans le bal et j'oubliai toutes les autres; j'oubliai même +mon triomphe et mon habit neuf. Je n'eus plus de regards et de pensées +que pour elle. + +Oh! c'est qu'elle était vraiment bien belle, et qu'il n'était pas besoin +d'avoir vingt-cinq ans et d'arriver de l'Inde pour en être frappé. Un +peintre célèbre qui passa, l'année suivante, dans la ville, arrêta sa +chaise de poste en l'apercevant à sa fenêtre, fit dételer les chevaux et +resta huit jours à l'auberge du Lion-d'Argent, cherchant par tous les +moyens possibles à pénétrer jusqu'à elle pour la peindre. Mais jamais il +ne put faire comprendre à sa famille qu'on pouvait par amour de l'art +faire le portrait d'une femme sans avoir l'intention de la séduire. Il +fut éconduit, et la beauté de Cora n'est restée empreinte que dans le +cerveau peut-être de ce grand artiste, et dans le coeur d'un pauvre +fonctionnaire destitué de l'administration des postes. + +Elle était d'une taille moyenne admirablement proportionnée, souple +comme un oiseau, mais lente et fière comme une dame romaine. Elle était +extraordinairement brune pour le climat tempéré où elle était née; mais +sa peau était fine et unie comme la cire la mieux moulée. Le principal +caractère de sa tête régulièrement dessinée, c'était quelque chose +d'indéfinissable, de surhumain, qu'il faut avoir vu pour le comprendre; +des lignes d'une netteté prestigieuse, de grands yeux d'un vert si pâle +et si transparent qu'ils semblaient faits pour lire dans les mystères +du monde intellectuel plus que dans les choses de la vie positive; une +bouche aux lèvres minces, fines et pâles, au sourire imperceptible, aux +rares paroles; un profil sévère et mélancolique, un regard froid, triste +et pensif, une expression vague de souffrance, d'ennui et de dédain; +et puis des mouvements doux et réservés, une main effilée et blanche, +beauté si rare chez les femmes d'une condition médiocre; une toilette +grave et simple, discernement si étrange chez une provinciale; surtout +un air de dignité calme et inflexible qui aurait été sublime sous la +couronne de diamants d'une reine espagnole, et qui, chez cette pauvre +fille, semblait être le sceau du malheur, l'indice d'une organisation +exceptionnelle. + +[Illustration: Elle lisait.] + +Car c'était la fille... le dirai-je? il le faut bien: Cora était la +fille d'un épicier. + +O sainte poésie, pardonne-moi d'avoir tracé ce mot! Mais Cora eût relevé +l'enseigne d'un cabaret. Elle se fût détachée comme l'ange de Rembrandt +au-dessus d'un groupe flamand. Elle eût brillé comme une belle fleur +au milieu des marécages. Du fond de la boutique de son père, elle eût +attiré sur elle le regard du grand Scott. Ce fut sans doute une beauté +ignorée comme elle qui inspira l'idée charmante de _la belle fille de +Perth_. + +Et elle s'appelait Cora; elle avait la voix douce, la démarche réservée, +l'attitude rêveuse. Elle avait la plus belle chevelure brune que j'aie +vue de ma vie, et seule, entre toutes ses compagnes, elle n'y mêlait +jamais aucun ornement. Mais il y avait plus d'orgueil dans le luxe de +ses boucles épaisses que dans l'éclat d'un diadème. Elle n'avait pas non +plus de collier ni de fleurs sur la poitrine. Son dos brun et velouté +tranchait fièrement sur la dentelle blanche de son corsage. Sa robe +bleue la faisait paraître encore plus brune de ton et plus sombre +d'expression. Elle semblait tirer vanité du caractère original de sa +beauté. + +[Illustration: Je revins à moi sur un grand fauteuil.] + +Elle semblait avoir deviné qu'elle était belle autrement que toutes les +autres: car je n'ai pas besoin de vous le dire, Cora étant d'un type +rare et d'un coloris oriental, Cora ressemblant à la juive Rebecca, ou +à la Juliette de Shakespeare, Cora majestueuse, souffrante et un peu +farouche, Cora qui n'était ni rose, ni replette, ni agaçante, ni +gentille, n'était ni aperçue ni soupçonnée dans la foule. Elle vivait là +comme une rose épanouie dans le désert, comme une perle échouée sur le +sable, et la première personne venue, à qui vous eussiez exprimé votre +admiration à la vue de Cora, vous eût répondu: Oui, elle ne serait pas +mal si elle était plus blanche et moins maigre. + +J'étais si troublé auprès d'elle, si subitement épris, que vraiment +j'oubliais toute la confiance qu'eussent dû m'inspirer mon habit neuf +et mon gilet à rosaces. Il est vrai qu'elle y accordait fort peu +d'attention, qu'elle écoutait d'un air distrait des fadeurs qui me +faisaient suer sang et eau à débiter, qu'elle laissait, à chaque +invitation de ma part, tomber de ses lèvres un mot bien faible, et, dans +ma main tremblante, une main dont je sentais la froideur au travers de +son gant. Hélas! qu'elle était indifférente et hautaine, la fille de +l'épicier! Qu'elle était singulière et mystérieuse, la brune Cora! Je +ne pus jamais obtenir d'elle, dans toute la durée de la nuit, qu'une +demi-douzaine de monosyllabes. + +Il m'arriva le lendemain de lire, pour le malheur de ma vie, les Contes +fantastiques. Pour mon malheur encore, aucune créature sous le ciel ne +semblait être un type plus complet de la beauté fantastique et de la +poésie allemande que Cora aux yeux verts et au corsage diaphane. + +Les adorables poésies d'Hoffman commençaient à circuler dans la ville. +Les matrones et les pères de famille trouvaient le genre détestable et +le style de mauvais goût. Les notaires et les femmes d'avoués faisaient +surtout une guerre à mort à l'invraisemblance des caractères et au +romanesque des incidents. Le juge de paix du canton avait l'habitude de +se promener autour des tables dans le cabinet de lecture, et de dire aux +jeunes gens égarés par cette poésie étrangère et subversive: _Rien n'est +beau que le vrai_, etc. Je me souviens qu'un vaurien de lycéen, en +vacances, lui dit à cette occasion en le regardant fixement: + +--Monsieur, cette grosse verrue que vous avez au milieu du nez est sans +doute postiche? + +Malgré les remontrances paternelles, malgré les anathèmes du _principal_ +et des professeurs de sixième, le mal gagna rapidement, et une grande +partie de la jeunesse fut infectée du venin mortel. On vit de jeunes +débitants de tabac se modeler sur le type de Kressler, et des +surnuméraires à l'enregistrement s'évanouir au son lointain d'une +cornemuse ou d'une chanson de jeune fille. + +Pour moi, je confesse et je déclare ici que je perdis complètement la +tête. Cora réalisait tous les rêves enivrants que le poëte m'inspirait, +et je me plaisais à la gratifier d'une nature immatérielle et féerique +qui réellement semblait avoir été imaginée pour elle. J'étais heureux +ainsi. Je ne lui parlais pas, je n'avais aucun titre pour m'approcher +d'elle. Je ne recueillais aucun encouragement à ma passion; je n'en +cherchais même pas. Seulement, je quittai la maison du notaire et +je louai une misérable chambre directement en face de la maison de +l'épicier. Je garnis ma fenêtre d'un épais rideau, dans lequel je +pratiquai des fentes habilement ménagées. Je passais là en extase toutes +les heures que je pouvais dérober à mon travail. + +La rue était déserte et silencieuse. Cora était assise à sa fenêtre au +rez-de-chaussée. Elle lisait. Que lisait-elle? Il est certain qu'elle +lisait du matin au soir. Et puis elle posait son livre sur un vase de +giroflée jaune qui brillait à la fenêtre. Et la tête penché sur sa main, +les boucles de ses beaux cheveux nonchalamment mêlées aux fleurs d'or +et de pourpre, l'oeil fixe et brillant, elle semblait percer le pavé et +contempler, à travers la croûte épaisse de ce sol grossier, les mystères +de la tombe et de la reproduction des essences fécondantes, assister à +la naissance de la fée aux Roses, et encourager le germe d'un beau génie +aux ailes d'or dans le pistil d'une tulipe. + +Et moi je la regardais, j'étais heureux. Je me gardais bien de me +montrer, car, au moindre mouvement du rideau, au moindre bruit de ma +fenêtre, elle disparaissait comme un songe. Elle s'évanouissait comme +une vapeur argentée dans le clair-obscur de l'arrière-boutique; je me +tenais donc là , immobile, retenant mon souffle, imposant silence aux +battements de mon coeur, quelquefois à genoux implorant ma fée dans le +silence, envoyant vers elle les brûlantes aspirations d'une âme que son +essence magique devait pénétrer et entendre. Parfois je m'imaginais +voir mon esprit et le sien voltiger enlacés dans un de ces rayons de +poussière d'or que le soleil de midi infiltrait dans la profondeur +étroite et anguleuse delà rue. Je m'imaginais voir partir de son oeil +limpide comme l'eau qui court sur la mousse, un trait brûlant qui +m'appelait tout entier dans son coeur. + +Je restai là tout le jour, égaré, absurde, ridicule; mais exalté, mais +amoureux, mais jeune! mais inondé de poésie et n'associant personne aux +mystères de ma pensée et ne sentant jamais mes élans entravés par la +crainte de tomber dans le mauvais goût, n'ayant que Dieu pour juge et +pour confident de mes rêves et de mes extases. + +Puis, quand le jour finissait, quand la pâle Cora fermait sa fenêtre et +tirait son rideau, j'ouvrais mes livres favoris et je la retrouvais sur +les Alpes avec Manfred, chez le professeur Spallanzani avec Nathanaël, +dans les cieux avec Oberon. + +Mais, hélas! ce bonheur ne fut pas de bien longue durée. Jusque-là +personne n'avait découvert la beauté de Cora; j'en jouissais tout seul. +Elle n'était comprise et adorée que par moi. La contagion fantastique, +en se répandant parmi les jeunes gens de la ville, jeta un trait de +lumière sur la romantique bourgeoise. + +Un impertinent bachelier s'avisa un matin, en passant devant ses +fenêtres, de la comparer à Anne de Gierstern, la fille du brouillard. +Ce mot fit fortune: on le répéta au bal. Les _inspirés_ de l'endroit +remarquèrent la danse molle et aérienne de Cora. Un autre génie de la +société la compara à la reine Mab. Alors, chacun voulant faire montre de +son érudition, apporta son épithète et sa métaphore, et la pauvre fille +en fut écrasée à son insu. Quand ils eurent assez profané mon idole avec +leurs comparaisons, ils l'entourèrent, ils l'accablèrent de soins et de +madrigaux, ils la firent danser jusqu'à l'extinction des quinquets, ils +me la rendirent le lendemain fatiguée de leur esprit, ennuyée de leur +babil, flétrie de leur admiration; et ce qui acheva de me briser le +coeur, ce fut de voir apparaître à la fenêtre le profil arrondi et +jovial d'un gros étudiant en pharmacie à côté du profil grec et délié de +ma sylphide. + +Pendant bien des matins et bien des soirs, je vins derrière le rideau +mystérieux essayer de combattre le charme que mon odieux rival avait +jeté sur la famille de l'épicier. Mais en vain j'invoquai l'amour, le +diable et tous les saints, je ne pus écarter sa maligne influence. Il +revint, sans se lasser, tous les jours s'asseoir à côté de Cora, dans +l'embrasure de la fenêtre, et il lui parlait. De quoi osait-il lui +parler, le malheureux! La figure impénétrable de Cora n'en trahissait +rien. Elle semblait écouter ses discours sans les entendre, et à +l'imperceptible mouvement de ses lèvres, je devinais quelquefois qu'elle +lui répondait froidement et brièvement comme elle avait l'habitude de le +faire, et puis la conversation semblait languir. + +Le couple contraint et ennuyé étouffait de part et d'autre des +bâillements silencieux. Cora regardait tristement son livre fermé sur la +fenêtre et que la présence de son adorateur l'empêchait de continuer. +Puis elle appuyait son coude sur le pot de giroflées et le menton sur +la paume de sa main, et le regardant d'un regard fixe et glacial, elle +semblait étudier les fibres grossières de son organisation morale au +travers de la loupe de maître Floh. + +Après tout, elle supportait ses assiduités comme un mal nécessaire; car, +au bout de six semaines, l'apprenti pharmacien conduisit la belle Cora +au pied des autels, où ils reçurent la bénédiction nuptiale. Cora était +admirablement chaste et sévère sous son costume de mariée. Elle avait +l'air calme, indifférent, ennuyé comme toujours. Elle traversa la foule +avide d'un pas aussi mesuré qu'à l'ordinaire, et promena sur les curieux +ébahis son oeil sec et scrutateur. Quand il rencontra ma figure morne et +flétrie, il s'y arrêta un instant et sembla dire: Voici un homme qui est +incommodé d'un catarrhe ou d'un mal de dents. + +Pour moi, j'étais si désespéré, que je sollicitai mon changement ... + + +II. + +Mais je ne l'obtins pas, et je restai témoin du bonheur d'un autre. +Alors je pris le parti de tomber malade, ce qui me sauva du désespoir, +ainsi qu'il arrive toujours en pareil cas. + +Si dégoûté qu'on soit de la vie, il est certain que, lorsque la fatalité +nous y retient malgré nous, la faiblesse humaine ne peut s'empêcher de +remercier secrètement la fatalité. La mort est si laide qu'aucun de nous +ne la voit de près sans effroi. Bien magnanimes sont ceux qui enfoncent +le rasoir jusqu'à l'artère carotide, ou qui avalent le poison jusqu'au +fond de la coupe. (Je dis la _coupe_, parce qu'il n'est pas séant et +presque impossible de s'empoisonner dans un vase qui porte un autre nom +quelconque.) + +Oui, le proverbe d'Ésope est la sagesse des nations. Nous aimons la vie +comme une maîtresse que nous convoitons encore avec les sens, après même +que toute estime et toute affection pour elle sont éteintes en nous. +Le soir où je vis un prêtre et un médecin convenablement graves à mon +chevet, je n'eus pas la force de m'enquérir vis-à -vis de moi-même de +ce que j'en ressentais de joie ou de peine. Mais quand, un matin, je +m'éveillai faible et languissant, et que je vis la garde-malade endormie +profondément sur sa chaise, le soleil brillant sur les toits et les +fioles pharmaceutiques vides sur le guéridon, quand je me hasardai à +remuer et que je sentis ma tête sans douleur, mes membres légers, et +mon corps débile dégagé de tous les liens de fer de la souffrance, je +ressentis un insurmontable sentiment de bien-être et de reconnaissance +envers le ciel. + +Et puis je me rappelai Cora et son mariage, et j'eus honte de la joie +que je venais d'éprouver; car, après les ferventes prières que j'avais +adressées à Dieu et au médecin pour être délivré de la vie, c'était une +inconséquence sans pareille que d'en accepter le retour sans colère et +sans amertume. Je me mis donc à répandre des larmes. La jeunesse est si +riche en émotions de tout genre, qu'il lui est possible de se torturer +elle-même en dépit de la force de l'espoir, de la poésie, de tous les +bienfaits dont l'a douée la Providence. Je lui reprochai, moi, d'avoir +été plus sage que moi, et de n avoir pas permis qu'un amour bizarre +et presque imaginaire me conduisît au tombeau. Puis je me résignai et +j'acceptai la volonté de Dieu, qui rivait ma chaîne et me condamnait +à jouir encore de la vue du ciel, de la beauté de la nature et de +l'affection de mes proches. + +Quand je fus assez fort pour me lever, je m'approchai de la fenêtre avec +un inexprimable serrement de coeur. Cora était là ; elle lisait. Elle +était toujours belle, toujours pâle, toujours seule. J'eus un sentiment +de joie. Elle m'était donc rendue, ma fée aux yeux verts; ma belle +rêveuse solitaire! Je pourrais la contempler encore et nourrir en secret +cette passion extatique que le regard d'un rival m'avait forcé de +refouler si longtemps! Tout à coup elle releva sa tête brune, et ses +yeux, errant au hasard sur la muraille, aperçurent ma face pâle qui se +penchait vers elle. Je tressaillis, je crus qu'elle allait fuir comme à +l'ordinaire. Mais, ô transport! elle ne s'enfuit point. Au contraire, +elle m'adressa un salut plein de politesse et de douceur, puis elle +reporta son attention sur son livre, et resta sous mes yeux absolument +indifférente à l'assiduité de mes regards; mais du moins elle resta. + +Un homme plus expérimenté que moi eût préféré l'ancienne sauvagerie +de Cora à l'insouciance avec laquelle désormais elle bravait le +face-à -face. Mais pouvais-je résister au charme qu'elle venait de jeter +sur moi avec son salut bienveillant et gracieux? Je m'imaginai tout ce +qu'il peut entrer de chaste intérêt et de bienveillance réservée dans un +modeste salut de femme. C'était la première marque de connaissance +que me donnait Cora. Mais avec quelle ingénieuse délicatesse elle +choisissait l'instant de me la donner! Combien il entrait de compassion +généreuse dans ce faible témoignage d'un intérêt timide et discret! Elle +n'osait point me demander si j'étais mieux. D'ailleurs elle le voyait, +et son salut valait tout un long discours de félicitations. + +Je passai toute la nuit à commenter ce charmant salut, et le lendemain, +à l'heure où Cora reparut, je me hasardai à risquer le premier +témoignage de notre intelligence naissante. Oui, j'eus l'audace de la +saluer profondément; mais je fus si bouleversé de ce que j'osais faire, +que je n'eus point le courage de fixer mes yeux sur elle. Je les tins +baissés avec crainte et respect, ce qui fit que je ne pus point savoir +si elle me rendait mon salut, ni de quel air elle me le rendait. + +Troublé, palpitant, plein d'espoir et de terreur, je restais le front +caché dans mes mains, n'osant plus montrer mon visage, lorsqu'une voix +s'éleva dans le silence de la rue, et, montant vers moi, m'adressa ces +douces paroles: + +--Il parait, Monsieur, que votre santé est meilleure? + +Je tressaillis, je retirai ma tête de mes mains; je regardai Cora, je ne +pouvais en croire mes oreilles, d'autant plus que la voix était un peu +rude, un peu mâle, et que je m'étais toujours imaginé la voix de +Cora plus douce que celle de la brise d'avril caressant les fleurs +naissantes. Mais comme je la contemplais d'un air éperdu, elle réitéra +sa question dans des termes dont la douceur me fit oublier l'accent un +peu indigène et le timbre un peu vigoureux de sa voix. + +--Je vois avec plaisir, dit-elle, que monsieur Georges se porte mieux. + +Je voulus faire une réponse qui exprimât l'enthousiasme de ma +reconnaissance; mais cela me fut impossible: je pâlis, je rougis, je +balbutiai quelques paroles inintelligibles; je faillis m'évanouir. + +A ce moment, l'épicier, le père de ma Cora, approchant son profil osseux +de la fenêtre, lui dit d'un ton rauque, mais pourtant bienveillant: + +--A qui parles-tu donc, mignonne? + +--A notre voisin, M. Georges, qui est enfin convalescent et que je vois +à sa fenêtre. + +--Ah! j'en suis charmé, dit l'épicier, et, soulevant son bonnet de +loutre: Comment va la santé, mon cher voisin? + +Je remerciai avec plus d'assurance le père de ma bien-aimée. J'étais le +plus heureux des mortels; j'obtenais enfin un peu d'intérêt de cette +famille naguère si farouche et si méfiante envers moi. Mais hélas! +pensais-je presque aussitôt, que me sert à présent d'être plaint et +consolé? Cora n'est-elle pas pour jamais unie à un autre? + +L'épicier, appuyant ses deux coudes sur sa fenêtre, entama alors avec +moi une conversation affectueuse et bienveillante sur la beauté de la +journée, sur le plaisir de revenir à la vie par un si bon soleil, sur +l'excellence des gilets de flanelle en temps de convalescence, et les +bienfaisants effets de l'eau miellée et du sirop de gomme sur les +poitrines fatiguées et les estomacs débilités. + +Jaloux de soutenir et de prolonger un entretien si précieux, je lui +répondis par des compliments flatteurs sur la beauté des giroflées qui +fleurissaient à sa fenêtre, sur la grâce mignonne et coquette de son +chat qui dormait au soleil devant la porte, et sur la bonne exposition +de sa boutique qui recevait en plein les rayons du soleil de midi. + +--Oui, oui, répondit l'épicier, au commencement du printemps les rayons +du soleil ne sont point à dédaigner; plus tard ils deviennent un peu +trop bons.... + +A cet entretien cordial et ingénu, Cora mêlait de temps en temps des +réflexions courtes et simples, mais pleines de bon sens et de justesse; +j'en conclus qu'elle avait un jugement droit et un esprit positif. + +Puis, comme j'insistais sur l'avantage d'avoir la façade de son logis +exposée au midi, Cora, inspirée par le ciel et par la beauté de son âme, +dit à son père: + +--Au fait, la chambre de M. Georges exposée au nord doit encore être +assez fraîche dans ce temps-ci. Peut-être, si vous lui proposiez de +venir s'asseoir une heure ou deux chez nous, serait-il bien aise de voir +le soleil en face? + +Puis elle se pencha vers son oreille, et lui dit tout bas quelques mots +qui semblèrent frapper vivement l'épicier. + +--C'est bien, ma fille, s'écria-t-il d'un ton jovial Vous plairait-il, +monsieur Georges, d'accepter une chaise à côté de ma Cora? + +--O mon Dieu! pensai-je, si c'est un rêve, faites que je ne m'éveille +point. + +Une minute après, le généreux épicier était dans ma chambre et m'offrait +son bras pour descendre. J'étais ému jusqu'aux larmes et je lui pressai +les mains avec une effusion qui le surprit, tant son action lui +paraissait naturelle. + +Au seuil de ma maison, je trouvai Cora qui venait pour aider son père +à me soutenir en traversant la rue. Jusque-là je me sentais la force +d'aller vers elle; mais dès qu'elle toucha mon bras, dès que sa main +longue et blanche effleura mon coude, je me sentis défaillir, et je +perdis le sentiment de mon bonheur pour l'avoir senti trop vivement. + +Je revins à moi sur un grand fauteuil de cuir à clous dorés, qui, depuis +cinquante ans, servait de trône au patriarcal épicier. Sa digne compagne +me frottait les tempes avec du vulnéraire, et Cora, la belle Cora, +tenait sous mes narines son mouchoir imbibé d'alcool. Je faillis +m'évanouir de nouveau; je voulus remercier, mais je n'avais pas +d'expressions pour peindre ma gratitude; pourtant, dans un moment où +l'épicier, me voyant mieux, se retirait, et ou sa femme passait dans +l'arrière-boutique pour me chercher un verre d'eau de réglisse, je dis à +Cora en levant sur elle mon oeil languissant: + +--Ah! Madame, pourquoi ne m'avoir pas laissé mourir? j'étais si heureux +tout à l'heure! + +Elle me regarda d'un air étonné et me dit d'un ton +affectueux:--Remettez-vous, Monsieur, vous avez de la fièvre, je le vois +bien. + +Quand je fus tout à fait remis de mon trouble, l'épicière retourna à la +boutique, et je restai seul avec Cora. + +Comme le coeur me battit alors! Mais elle était calme, et sa sérénité +m'imposait tant de respect que je pris sur moi de paraître calme aussi. + +Cependant ce tête-à -tête devint pour moi d'un cruel embarras. Cora +n'aimait point à parler. Elle répondait brièvement à toutes les choses +que je tirais de mon cerveau avec d'incroyables efforts, et, quoi que je +fisse, jamais ses réponses n'étaient de nature à nouer l'entretien; sur +quelque matière que ce fût, elle était de mon avis. Je ne pouvais pas +m'en plaindre, car je lui disais de ces choses sensées qu'il n'est pas +possible de combattre à moins d'être fou. Par exemple, je lui demandai +si elle aimait la lecture.--Beaucoup, me répondit-elle.--C'est qu'en +effet, repris-je, c'est une si douce occupation!--En effet, reprit-elle, +c'est une très-douce occupation.--Pourvu, ajoutai-je, que le livre qu'on +lit soit beau et intéressant.--Oh! certainement, ajouta-t-elle.--Car, +poursuivis-je, il en est de bien insipides.--Mais aussi, +poursuivit-elle, il en est de bien jolis.--Cet entretien eut pu nous +mener loin si je me fusse senti la hardiesse de l'interroger sur le +genre de ses lectures. Mais je craignis que cela ne fût indiscret, et je +me bornai à jeter un regard furtif sur le livre entr'ouvert au pied de +la giroflée. C'était un roman d'Auguste Lafontaine. J'eus la sottise +d'en être affecté d'abord. Et puis, en y réfléchissant, je trouvai dans +le choix de cette lecture une raison d'admirer la simplicité et la +richesse d'un coeur qui pouvait puiser là des émotions attachantes. Je +parcourus de l'oeil une pile de volumes délabrés qui gisaient sur un +rayon près de moi. Je ne nommerai point les auteurs chéris de ma Cora; +les lecteurs blasés en riraient, et moi, dans ma vaine enflure de poëte, +je faillis en être froissé.... Mais je revins bientôt à la raison en +comparant les ressources d'un esprit si neuf et d'une âme si virginale à +la vieillesse prématurée de nos imaginations épuisées. Il y avait dans +la vie intellectuelle des trésors auxquels Cora n'avait pas encore +touché, et l'homme qui serait assez heureux pour les lui révéler verrait +s'épanouir sous son souffle la plus belle oeuvre de la création, le +coeur d'une femme ingénue!... + +Je rentrai chez moi enthousiasmé de Cora, dont l'ignorance était si +candide et si belle. J'attendis l'heure d'y retourner le jour suivant, +sans pourtant espérer cette nouvelle faveur. Elle reparut avec sa mère, +qui m'invita à descendre. Quand je fus installé dans le grand fauteuil, +je vis une sorte d'agitation inquiète dans la famille. Puis l'épicier +s'assit vis-a-vis de moi avec un air hypocritement naïf. J'étais agité +moi-même, je craignais et je désirais l'explication de cette contenance. + +--Puisque vous vous trouvez bien ici, monsieur Georges, dit-il enfin +en posant ses deux mains sur ses rotules replètes, j'espère que vous y +viendrez sans façon vous reposer tant que vous ne serez pas assez fort +pour aller vous distraire ailleurs. + +--Généreux homme! m'écriai-je. + +--Non, dit-il en souriant, cela ne vaut point un remerciement: entre +voisins on se doit assistance, et, Dieu merci! nous n'avons jamais +refusé la nôtre aux honnêtes gens: car je présume que vous êtes un brave +jeune homme, monsieur Georges, vous en avez parfaitement l'air, et je me +sens de la confiance en vous. + +--J'en suis honoré, répondis-je avec embarras. + +--Ainsi, Monsieur, poursuivit le digne homme avec gaieté, en se levant, +restez avec notre Cora tant que vous voudrez. C'est une fille d'esprit, +voyez-vous! une personne qui a vécu dans les livres, et dont la mère n'a +jamais voulu contrarier le goût. Aussi, elle en sait plus que nous à +présent, et vous trouverez de l'agrément dans sa société, j'en réponds. + +--Il y a bien longtemps, répondis-je en rougissant et en jetant sur Cora +un regard timide, que je me serais estimé heureux de cette faveur.... +Elle est venue bien tard, hélas! au gré de mon impatience.... + +--Ah! dame, dit l'épicier en ricanant, c'est qu'il y a deux mois, +voyez-vous, la chose n'était pas possible. Cora n'était pas mariée, +et...à moins de se présenter ici avec l'intention de l'épouser, avec de +bonnes et franches propositions de mariage, aucun garçon n'obtenait de +sa mère l'entrée de cette chambre. Vous savez, Monsieur, comme il faut +veiller sur une jeune fille pour empêcher les mauvaises langues de lui +faire tort; à présent que voici l'enfant établie, comme nous sommes sûrs +de sa moralité, nous la laissons tout à fait libre, et puis...d'ailleurs +(ici l'épicier baissa la voix), pâle et faible comme vous voilà , +personne ne pensera que vous songiez à supplanter un mari jeune et bien +portant.... L'épicier termina sa phrase par un gros rire. Je devins pâle +comme la mort, et je n'osai pas lever les yeux sur Cora. + +--Tenez, tenez, ne vous fâchez pas d'une plaisanterie, mon cher voisin, +reprit-il: vous ne serez pas toujours convalescent, et bientôt peut-être +les pères et les maris vous surveilleront de plus près.... En attendant, +restez ici; Cora vous tiendra compagnie, et d'ailleurs je crois qu'elle +a quelque chose à vous dire. + +--A moi? m'écriai-je en regardant Cora. + +--Oui, oui, reprit le père, c'est une petite affaire +délicate...voyez-vous, et qu'une jeune femme entendra mieux qu'un vieux +bonhomme. Allons, au revoir, monsieur Georges. + +Il sortit. Je restai encore une fois seul avec Cora, et cette fois elle +avait une _affaire délicate_ à traiter avec moi: elle allait me confier +un secret peut-être, une peine de son coeur, un malheur de sa destinée: +ah! sans doute, il y avait un grand et profond mystère dans la vie de +cette fille si mélancolique et si belle! son existence ne pouvait pas +être arrangée comme celle des autres. Le ciel ne lui avait pas départi +une si miraculeuse beauté sans la lui faire expier par des trésors de +douleur. Enfin, me disais-je, elle va les épancher dans mon sein, et je +pourrai peut-être en prendre une partie pour la soulager! + +Elle resta un peu confuse devant moi. Puis elle fouilla dans la poche de +son tablier de taffetas noir et en tira un papier plié. + +--En vérité, Monsieur, dit-elle, c'est bien peu de chose: je ne sais +pourquoi mon père me charge de vous le dire; il devrait savoir qu'un +homme d'esprit comme vous ne s'offense pas d'une demande toute +naturelle.... Sans tout ce qu'il vient de dire, je ne serais pas +embarrassée, mais.... + +--Achevez, au nom du ciel, m'écriai-je avec ferveur; ô Cora! si vous +connaissiez mon coeur, vous n'hésiteriez pas un instant à m'ouvrir le +vôtre. + +--Eh bien, Monsieur, dit Cora émue, voici ce dont il s'agit. Elle déplia +le papier et me le présenta. J'y jetai les yeux, mais ma vue était +troublée, ma main tremblante, il me fallut prendre haleine un instant +avant de comprendre. Enfin je lus: «Doit M. Georges à M***, épicier +droguiste, pour objets de consommation fournis durant sa maladie.... + + 12 l. cassonade pour sirops et tisanes, ci. + Savon fourni à sa garde-malade, ci-contre. + Chandelle. . . . . . . . . . . . . . . . . + Centaurée fébrifuge, etc., etc. . . . . . . + -------------- + Total. . . . . . 30 fr. 50 c. + + Pour acquit, CORA **--» + +Je la regardai d'un air égaré.--Véritablement, Monsieur, me dit-elle, +vous trouvez peut-être cette demande indiscrète, et vous n'êtes pas +encore assez bien portant pour qu'il soit agréable d'être importuné +d'affaires. Mais nous sommes fort gênés, le commerce va si mal, le loyer +de notre boutique est fort cher...et Cora parla longtemps encore. Je ne +l'entendis point. Je balbutiai quelques mots et je courus, aussi vite +que mes forces me le permirent, chercher la somme que je devais à +l'épicier. Puis je rentrai chez moi atterré, et je me mis au lit avec un +mouvement de fièvre. + +[Illustration: Accablé de douleur, brisé jusqu'à l'âme...] + +Mais le lendemain je revins à moi avec des idées plus raisonnables. Je +me demandai pourquoi ce mépris idiot et superbe pour les détails de +la vie bourgeoise? pourquoi l'impertinente susceptibilité des âmes +poétiques qui croient se souiller au contact des nécessités prosaïques? +pourquoi enfin cette haine absurde contre le positif de la vie? + +Ingrat! pensai-je, tu te révoltes parce qu'un mémoire de savon et de +chandelle a été rédigé et présenté par Cora, tandis que tu devrais +baiser la belle main qui t'a fourni ces secours à ton insu durant ta +maladie. Que serais-tu devenu, misérable rêveur, si un homme confiant et +probe n'eût consenti à répandre sur toi les bienfaits de son industrie, +sans autre gage de remboursement que ta mince garde-robe et ton +misérable grabat? Et si tu étais mort sans pouvoir lire son mémoire +et l'acquitter, où sont les héritiers qui auraient trouvé dans ta +succession 30 fr. 50 c. à lui remettre? + +Et puis je songeai que ces breuvages bienfaisants qui m'avaient sauvé de +la souffrance et de la mort, c'était Cora qui les avait préparés. Qui +sait, pensai-je, si elle n'a point composé un charme ou murmuré une +prière qui leur ait donné la vertu de me guérir? N'y a-t-elle pas +aussi mêlé une larme compatissante le jour où je touchai aux portes du +tombeau? Larme divine! topique céleste!... + +J'en étais là quand l'épicier frappa à ma porte:--Tenez, monsieur +Georges, me dit-il, ma femme et moi nous craignons de vous avoir fâché. +Cora nous a dit que vous aviez eu l'air surpris et que vous aviez +acquitté le mémoire sans dire un mot. Je ne voudrais pas que vous nous +crussiez capables de méfiance envers vous. Nous sommes gênés, il est +vrai. Notre commerce ne va pas très-bien; mais si vous aviez besoin +d'argent, nous trouverions encore moyen de vous rendre le vôtre et même +de vous en prêter un peu. + +Je me jetai dans ses bras avec effusion.--Digne vieillard, m'écriai-je, +tout ce que je possède est à vous!... Comptez sur moi à la vie et à +la mort. Je parlai longtemps avec l'exaltation de la fièvre. Il me +regardait avec son gros oeil gris, rond comme celui d'un chat. Quand +j'eus fini:--A la bonne heure, dit-il du ton d'un homme qui prend son +parti sur l'impossibilité de deviner une énigme. Je vous prie de venir +nous voir de temps en temps et de ne pas nous retirer votre pratique. + + +III. + +Je m'étonnais de ne plus voir le mari de Cora à la boutique ni auprès +de sa femme. Je hasardai une craintive question. Elle me répondit que +Gibonneau achevait son année de service en second sous les auspices du +premier pharmacien de la ville. Il ne rentrait que le soir et sortait +dès le matin. Ainsi le rustre pouvait ainsi voir s'écouler ses jours +loin de la plus belle créature qui fût sous le ciel. Il possédait la +plus riche perle du monde, et il se résignait tranquillement à la +quitter pendant toute une moitié de sa vie, pour aller préparer des +liniments et formuler des pilules! + +Mais aussi comme je remerciai le ciel qui l'avait condamné à cette +vulgaire existence et qui semblait lui dénier une faveur dont il n'était +pas digne, celle de voir sa douce compagne à la clarté du soleil! Il +ne lui était permis de retourner vers elle qu'à l'heure où les +chauve-souris et les hiboux prennent leur sombre volée et rasent d'une +aile velue et silencieuse les flots transparents de la brume. Il venait +dans l'ombre ainsi qu'un voleur de nuit, ainsi qu'un gnome malfaisant +qui chevauche, le vent du soir et le météore trompeur des marécages. Il +venait, ombre morne et lugubre, encore revêtu de son tablier, ainsi que +d'un linceul, exhalant cette odeur d'aromate que l'on brûle autour des +catafalques. Je le voyais quelquefois errer dans les ténèbres et glisser +comme un spectre le long des murailles livides. Plusieurs fois je le +rencontrai sur le seuil et je faillis l'écraser dans le ruisseau +comme un ver de terre; mais je l'épargnai, car véritablement il avait +l'encolure d'un buffle, et j'étais tout effilé et tout transparent des +suites de la fièvre. + +Cora, veuve chaque jour, depuis l'aube jusqu'au crépuscule du soir, +restait confiante près de moi. Je passais presque toutes mes journées +assis sur le vieux fauteuil de la famille, ou, lorsque le soleil +d'avril était décidément chaud, je m'asseyais sur le banc de pierre qui +s'adossait à la fenêtre de Cora. Là , séparé d'elle seulement par les +rameaux d'or de la giroflée, je respirais son haleine parmi les fleurs, +je saisissais son long regard transparent et calme comme le flot sans +rides qui dort sur les rives de la Grèce. Nous gardions tous deux le +silence, mais mon coeur volait vers elle et convoitait le sien avec une +force attractive dont il devait lui être impossible de ne pas sentir +la puissance. Je m'endormis dans ce doux rêve. Pourquoi Cora ne +m'aurait-elle pas aimé? Peut-être fallait-il dire: comment ne m'eût-elle +pas aimé? Je l'aimais si éperdument, moi! toutes mes facultés +intellectuelles se concentraient pour produire une force de désir et +d'attente qui planait impérieusement sur Cora. Son âme, faite du plus +beau rayon de la Divinité, pouvait-elle rester inerte sous le vol +magnétique de cette pensée de feu? Je ne voulus point le croire, et +je sentis mon coeur si pur, mes désirs si chastes, que je ne craignis +bientôt plus d'offenser Cora en les lui révélant. Alors je lui parlai +cette langue des cieux qu'il n'est donné qu'aux âmes poétiques +d'entendre. Je lui exprimai les tortures ineffables et les divines +souffrances de mon amour. Je lui racontai mes rêves, mes illusions, les +milliers de poèmes et de vers alexandrins que j'avais faits pour elle. +J'eus le bonheur de la voir, attentive et subjuguée, quitter son livre +et se pencher vers moi d'un air pénétré pour m'entendre, car mes paroles +avaient un sens nouveau pour elle, et je faisais entrer dans son esprit +un ordre de pensées sublimes qu'il n'avait encore jamais osé aborder. + +--O ma Cora, lui disais-je, que pourrais-tu craindre d'une flamme aussi +pure? L'éclair qui s'allume aux cieux n'est pas d'une nature plus +subtile que le feu dont je me consume avec délice. Pourquoi ta sauvage +pudeur, pourquoi ta superbe fierté de femme s'alarmeraient-elles d'un +amour aussi intellectuel que le nôtre? Qu'un mari, qu'un maître, possède +le trésor de la beauté matérielle qu'il a plu aux anges de te départir! +pour moi, je ne chercherai jamais à lui ravir ce que Dieu, les hommes et +ta parole, ô Cora! lui ont assuré comme son bien; le mien sera, si tu +m'exauces, moins saisissable, moins enivrant, mais plus glorieux et +plus noble. C'est la partie éthérée de ton âme que je veux, c'est ton +aspiration brûlante vers le ciel que je veux étreindre et saisir, afin +d'être ton ciel et ton âme, comme tu es mon Dieu et ma vie.» + +Ces choses semblaient obscures à Cora, son âme était si candide et si +enfantine! Elle me regardait d'un oeil absorbé dans la stupeur, et pour +lui faire mieux comprendre les divins mystères de l'amour platonique, je +prenais mon crayon et je traçais des vers sur la muraille aux marges de +sa fenêtre; puis je lui racontais les brillantes poésies de la nature +invisible, les amours des anges et des fées, les souffrances et les +soupirs des sylphes emprisonnés dans le calice des fleurs, puis les +fougueuses passions des roses pour les brises, et réciproquement; +puis les choeurs aériens qu'on entend le soir dans la nue, la danse +sympathique des étoiles, les rondes du sabbat, les malices des farfadets +et les découvertes ardues de l'alchimie. + +Notre bonheur semblait ne pouvoir être troublé par aucun événement +extérieur. En prenant la poésie corps à corps, j'avais su si bien +m'isoler, dans mon monde intellectuel, de toutes les entraves et de tous +les écueils de la vie réelle, que je semblais n'avoir rien à craindre +de l'intervention de ces volontés grossières et inintelligentes qui +végétaient à l'entour de nous. Mes sentiments étaient d'une nature si +élevée que je ne pouvais inspirer de rivalité d'aucun genre à l'homme +vulgaire qui se disait le maître et l'époux de Cora. + +Pendant longtemps, en effet, il sembla comprendre le respect qu'il +devait à une liaison protégée par le ciel. Mais au bout de six semaines, +je vis un changement étrange s'opérer dans les manières de cette famille +à mon égard. Le père me regardait d'un air ironique et méfiant chaque +fois qu'il entrait dans la chambre où nous étions. La mère affectait +d'y rester tout le temps qu'elle pouvait dérober aux affaires de sa +boutique. Gibonneau, lorsque par hasard je venais à le rencontrer, me +lançait de sinistres et foudroyantes oeillades; Cora elle-même devenait +plus réservée, descendait plus tard au rez-de-chaussée, remontait plus +tôt dans sa chambre, et quelquefois même passait des jours entiers sans +paraître. Je m'en effrayai, et j'essayai de m'en plaindre. J'essayai de +lui faire comprendre, avec l'éloquence que donne la passion, l'injustice +et la barbarie de sa conduite. Elle m'écouta d'un air contraint, presque +craintif, et je la vis regarder vers la porte d'un air d'inquiétude. + +--O Cora! m'écriai-je avec enthousiasme, serais-tu menacée de quelque +danger? parle, parle! où sont tes ennemis, nomme-moi les infâmes qui +font peser sur toi, frêle et céleste créature, les chaînes d'airain d'un +joug détesté. Dis-moi quel est le démon qui comprime l'élan de ton coeur +et refoule au fond de ton sein des épanchements naïfs, comme des remords +amers? Va, je saurai bien les conjurer, je sais plus d'un charme pour +enchaîner les démons de l'envie et de la vengeance, plus d'une parole +magique pour appeler les anges sur nos têtes: les anges protecteurs qui +sont tes frères, et qui sont moins purs, moins beaux que toi... + +J'élevai la voix en parlant, et je m'approchai de Cora pour saisir sa +main qu'elle me retirait toujours. Alors je me levai, le front inondé de +la sueur de l'enthousiasme, les cheveux en désordre, l'oeil inspiré... + +Cora poussa un grand cri, et son père, accourant comme si le feu eût +pris à la maison, s'élança dans la chambre. Comme il s'avançait vers +moi d'un air menaçant, Cora le saisit par le bras et lui dit avec +douceur:--Laissez-le, mon père, il est dans un de ses accès, ne le +contrariez point, cela va se passer. + +Je cherchai vainement le sens de ces paroles. Elle sortit, et l'épicier +s'adressant à moi:--Allons, monsieur Georges, revenez à vous, personne +ici ne songe à vous contrarier; mais en vérité vous n'êtes pas +raisonnable... Allons, allons... rentrez chez vous et calmez-vous. + +Étourdi de ce discours plein de bonté, je cédai avec la douceur d'un +enfant, et l'épicier me reconduisit chez moi. Une heure après, je vis +entrer le procureur du roi et le médecin de la ville. Comme je les +connaissais l'un et l'autre assez particulièrement, je ne m'étonnai pas +de leur visite, mais je commençai à m'offenser de l'affectation +avec laquelle le médecin s'empara de mon pouls, examinant avec soin +l'expression de mon regard et la dilatation de ma pupille; puis il se +mit à compter les battements de mes artères aux tempes et au cou, et +à interroger la chaleur extérieure de mon cerveau avec le creux de sa +main. + +--Qu'est-ce que tout cela signifie, Monsieur? lui dis-je; je ne vous ai +point appelé pour une consultation. Je me sens assez bien pour me passer +désormais de soins, et je ne suis point disposé à en recevoir malgré +moi. + +Mais, au lieu de me répondre, il s'approcha du magistrat, et ils +se retirèrent dans l'embrasure de la fenêtre pour parler bas. Ils +semblaient se consulter sur mon compte, car, à chaque instant ils se +retournaient pour me regarder d'un air attentif et méfiant; enfin ils +s'approchèrent de moi, et le procureur du roi m'adressa plusieurs +questions étranges, d'abord de quelle couleur je voyais son gilet, puis +si je savais bien son nom, puis encore si je pouvais dire quel était mon +âge, mon pays et ma profession. + +Je répondais à ces étranges interrogatoires avec stupeur, lorsque le +médecin me demanda à son tour si je ne voyais point d'autre personne +dans l'appartement que le procureur du roi, lui et moi; puis si je +pensais qu'il fît jour ou nuit, et enfin si je pouvais certifier que +j'eusse cinq doigts à chaque main. + +Outré de l'impertinence de ces questions, je résolus la dernière en lui +appliquant un vigoureux soufflet. J'eus tort, sans doute, surtout en la +présence d'un magistrat tout prêt à instruire contre le délit. Mais le +sang me montait à la tête, et il ne m'était pas plus longtemps possible +de me laisser traiter comme un idiot ou comme un fou sans en avoir le +motif. + +Grand fut l'esclandre. Le magistrat voulut prendre fait et cause +pour son compère; je le saisis à la gorge et je l'eusse étranglé, si +l'épicier, son gendre et une demi-douzaine de voisins ne fussent venus à +son secours. Alors on s'empara de moi, on me lia les pieds et les mains +comme à un furieux, on m'entoura la bouche de serviettes et l'on me +conduisit à l'hospice de ville, où je fus enfermé dans la chambre +destinée aux sujets frappés d'aliénation mentale. + +La chambre, je dois le dire, était confortable, et j'y fus traité avec +beaucoup de douceur, d'autant plus que je ne donnais aucun signe de +folie. L'erreur du médecin et du magistrat fut bientôt constatée. Mais +il me fut difficile de recouvrer ma liberté, car le dernier, prévoyant +qu'il serait forcé de me demander une réparation de l'injure que je lui +avais faite, s'obstina à me faire passer pour aliéné, afin de pouvoir se +donner les apparences du sang-froid et de la générosité à mon égard. + +Je sortis enfin; mais le procureur du roi me fit mander immédiatement +dans son cabinet et m'adressa cette mercuriale: + +--Jeune homme, me dit-il avec ce ton capable et paternel que tout +magistrat imberbe se croit le droit de prendre quand il a endossé la +ratine judiciaire, vous avez, sinon de grandes erreurs, du moins de +graves inconséquences à réparer. Étranger, vous avez été accueilli +dans cette ville avec toutes les marques de la bienveillance et toute +l'aménité de moeurs qui distingue ses habitants. Malade, vous avez été +soigné par vos voisins, avec zèle et dévouement. Tous ces témoignages +de confiance et d'intérêt eussent dû graver profondément en vous le +sentiment des convenances et celui de la gratitude... + +--Mille noms d'un sabord! Monsieur, m'écriai-je dans mon style de marin, +qui, dans la colère, reprenait malgré moi le dessus, où voulez-vous en +venir, et qu'ai-je fait pour mériter la prison et votre harangue?... + +--Monsieur, dit-il en fronçant le sourcil, voici ce que vous avez fait: +vous avez accepté l'hospitalité que chaque jour un honnête citoyen, un +estimable épicier, vous offrait au sein de sa famille, et vous l'avez +acceptée avec des intentions qu'il ne m'appartient pas de qualifier, +et dont votre conscience seule peut être juge. Moi je pense que votre +intention a été de séduire la fille de l'épicier et de l'éblouir par des +discours incohérents qui portaient tous les caractères de l'exaltation; +ou de vous faire un jeu de sa simplicité, en la mystifiant par +d'énigmatiques railleries. + +--Juste ciel! qui a dit cela? m'écriai-je avec angoisse. + +--Madame Cora Gibonneau elle-même. D'abord elle a considéré vos étranges +discours comme des traits d'originalité naturelle. Peu à peu elle s'en +est effrayée comme d'actes de démence. Longtemps elle a hésité à en +prévenir ses parents, car dans le coeur de ces respectables bourgeois, +la bonté et la compassion sont des vertus héréditaires. Mais enfin, +mariée depuis peu à un digne homme qu'elle adore et pour qui, vous le +savez sans doute depuis longtemps, elle nourrissait en secret avant son +hyménée une passion qui avait profondément altéré sa santé et l'eût +conduite au tombeau si ses parents l'eussent contrariée plus longtemps; +enfin, dis-je, mariée à l'estimable pharmacien Gibonneau, affaiblie +par les commencements d'une grossesse assez pénible, et craignant avec +raison les conséquences de la frayeur dans la position où elle se +trouve, madame Cora s'est décidée à instruire ses parents de l'égarement +de votre cerveau et des preuves journalières que vous lui en donniez +depuis quelque temps. Ces honnêtes gens ont hésité à le croire et vous +ont surveillé avec une extrême réserve de délicatesse. Enfin, vous +voyant un jour dans un état d'exaltation et de délire qui épouvantait +sérieusement leur fille, ils ont pris le parti d'implorer la protection +des lois et la sauvegarde de la magistrature... Et l'appui des lois ne +leur a pas manqué, et la magistrature s'est levée pour les rassurer, car +la magistrature sait que son plus beau privilège est de... + +--Assez, assez, pour Dieu! Monsieur, m'écriai-je, je pourrais vous dire +par coeur le reste de votre phrase, tant je l'ai entendu déclamer de +fois à tout propos... + +--Non, jeune homme, s'écria le magistrat à son tour en élevant la voix, +vous n'échapperez point à la sollicitude d'une magistrature qui doit ses +conseils et sa surveillance à la jeunesse, à une magistrature qui veut +le bonheur et le repos des citoyens. Profitez du reproche que vous avez +encouru. Voyez vos torts, ils sont graves! vous avez porté le trouble +et la crainte dans la famille de l'épicier; vous avez méconnu la sainte +hospitalité qui vous y était offerte, en essayant de railler ou de +séduire l'épouse irréprochable d'un pharmacien éclairé... Oui, vous avez +tenté l'un ou l'autre, Monsieur, car je ne sais point le sens que la +loi peut adjuger aux étranges fragments de versification dont vous +avez endommagé les murs de cette maison hospitalière, et qui m'ont été +montrés par la fille de l'épicier comme une preuve irrécusable de votre +démence... Enfin, Monsieur, non content d'affliger de braves gens et +d'inquiéter le voisinage, vous avez résisté à l'autorité représentée par +moi, vous avez pris au collet et frappé le médecin distingué qui vous +donnait des soins, vous avez fait une scène de violence qui a troublé le +repos de toute une population paisible, et qui a pensé devenir funeste à +madame Gibonneau par la frayeur qu'elle lui a causée. + +--Cora est malade! m'écriai-je. Grand Dieu!... Et je voulais courir, +échapper à l'éloquence tribunitienne de mon bourreau. Il me retint. + +--Vous ne me quitterez pas, jeune homme, me dit-il, sans avoir écouté +la voix de la raison, sans m'avoir donné votre parole d'honneur de +suspendre vos visites, chez madame Gibonneau, et de quitter même le +logement que vous occupez vis-a-vis la maison de l'épicière. + +---Eh! Monsieur, m'écriai-je, je jure que je vais dire adieu et demander +pardon à ces honnêtes gens, savoir des nouvelles de madame Cora, et +qu'une heure après j'aurai quitté cette ville fatale. + +Je m'armai de courage et de sang-froid pour rentrer chez l'épicier. +Comme j'avais passé pour fou dans toute la ville, ma sortie de prison +fit une profonde sensation; l'épicier parut inquiet et soucieux, sa +femme se cacha presque derrière lui, Cora devint pâle de terreur, et M. +Gibonneau, sans rien dire, me fit une mine de mauvais garçon. Je leur +parlai avec calme, les priai d'excuser le scandale que je leur avais +causé, et de croire à mon éternelle reconnaissance pour les soins et +l'affection que j'avais trouvés chez eux. + +--Pour vous, Madame, dis-je d'une voix émue à Cora, pardonnez surtout +aux extravagances dont je vous ai rendue témoin; si je croyais que vous +m'eussiez soupçonné un seul instant de manquer au respect que je vous +dois, j'en mourrais de douleur. J'espère que vous oublierez l'absurdité +de ma conduite pour ne vous souvenir tous que des humbles excuses et +des affectueux remerciements que je vous adresse en vous quittant pour +jamais. + +A ce mot je vis toutes les figures s'éclaircir, à l'exception de celle +de Cora, qui, je dois le dire, n'exprima qu'une douce compassion. Je +voulus essayer de lui demander l'état de sa santé, dont j'avais causé +l'altération par mes folies. Mais en songeant à la cause première de son +état maladif, à l'amour qu'elle avait depuis si longtemps pour son mari +et à l'heureux gage de cet amour qu'elle portait dans son sein, ma +langue s'embarrassa et mes pleurs coulèrent malgré moi. Alors la famille +m'entoura, pleurant aussi et m'accablant de marques de regret et +d'attachement; Cora me tendit même sa belle main, que je n'avais jamais +eu le bonheur de toucher, et que je n'osai pas seulement porter à mes +lèvres. Enfin je m'éloignai comblé de bénédictions pour mon séjour parmi +eux et particulièrement pour mon départ; car, au milieu de toutes les +choses amicales qui me furent dites, il n'y eut pas une voix, pas un mot +pour m'engager à rester. + +Accablé de douleur, brisé jusqu'à l'âme, je sentais mes genoux fléchir +sous moi en quittant cette maison où j'avais fait des rêves si doux et +nourri des illusions si brillantes. Je m'appuyai contre le seuil tapissé +de vigne, et je jetai un dernier regard de tendresse et d'adieu sur la +belle giroflée de la fenêtre. + +Alors j'entendis une voix qui partait de l'intérieur et qui prononçait +mon nom. C'était la voix de Cora; j'écoutai:--Pauvre jeune homme! +disait-elle d'un ton pénétré, il est donc enfin parti! + +--Je n'en suis pas fâché, répondit l'épicier, quoique après tout ce soit +un brave garçon et qu'il paie bien ses mémoires. + +J'ai traversé cette ville l'année dernière pour aller en Limousin. J'ai +aperçu Cora à sa fenêtre; il y avait trois beaux enfants autour d'elle, +et un superbe pot de giroflée rouge. Cora avait le nez allongé, les +lèvres amincies, les yeux un peu rouges, les joues creuses et quelques +dents de moins. + + + +GEORGE SAND. + + +FIN DE CORA. + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Cora, by George Sand + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12837 *** diff --git a/12837-h/12837-h.htm b/12837-h/12837-h.htm new file mode 100644 index 0000000..74de1bb --- /dev/null +++ b/12837-h/12837-h.htm @@ -0,0 +1,1357 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=UTF-8"> + <title>Cora</title> + <meta name="author" content="George Sand"> + +<style type=text/css> + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify} +blockquote {text-align: justify} + +hr {width: 50%; text-align: center} +hr.full {width: 100%} +hr.short {width: 20%; text-align: center} + +.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.side {padding-left: 10px; font-weight: bold; font-size: 75%; + float: right; margin-left: 10px; border-left: thin dashed; + width: 25%; text-indent: 0px; font-style: italic; text-align: left} + +.dropcap {float: left} +.droite {float: right} + +span.pagenum {font-size: 8pt; right: 91%; left: 1%; position: absolute} + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} + + + + +</style> + +</head> +<body> +<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12837 ***</div> + +<h1>CORA.</h1> + +<h4>par</h4> + +<h2>George Sand</h2> +<br><br> + +<div align="center"><img src="images/ill-1.png" alt=""></div> + +<br><br> +<h3>I.</h3> + + +<p>A mon retour de l'île Bourbon (je me trouvais dans +une situation assez précaire), je sollicitai et j'obtins un +mince emploi dans l'administration des postes. Je fus +envoyé au fond de la province, dans une petite ville dont +je tairai le nom pour des motifs que vous concevrez facilement.</p> + +<p>L'apparition d'une nouvelle figure est un événement +dans une petite ville, et, quoique mon emploi fût des +moins importants, pendant quelques jours je fus, après +un phoque vivant et deux boas constrictors, qui venaient +de s'installer sur la place du marché, l'objet le plus excitant +de la curiosité publique et le sujet le plus exploité +des conversations particulières.</p> + +<p>La niaise oisiveté dont j'étais victime me séquestra +chez moi pendant toute la première semaine. J'étais fort +jeune, et la négligence que j'avais jusqu'alors apportée +par caractère aux importantes considérations de la <i>mise</i> +et de la <i>tenue</i> commençaient à se révéler à moi sous la +forme du remords.</p> + +<p>Après un séjour de quelques années aux colonies, ma +toilette se ressentait visiblement de l'état de stagnation +honteuse où l'avait laissé le progrès du siècle. Mon chapeau +à la Bolivar, mes favoris à la Bergami et mon manteau +à la Quiroga étaient en arrière de plusieurs lustres, +et le reste de mon accoutrement avait une tournure exotique +dont je commençais à rougir.</p> + +<p>Il est vrai que, dans la solitude des champs, ou dans +l'incognito d'une grande ville, ou dans le tourbillon de la +vie errante, j'eusse pu exister longtemps encore sans me +douter du malheur de ma position. Mais une seule promenade +hasardée sur les remparts de la ville m'éclaira tristement +à cet égard. Je ne fis point dix pas hors de mon +domicile sans recevoir de salutaires avertissements sur +l'inconvenance de mon costume. D'abord une jolie grisette +me lança un regard ironique, et dit à sa compagne, +en passant près de moi:—«<i>Ce monsieur</i> a une cravate +bien mal pliée.» Puis un ouvrier, que je soupçonnai +être dans le commerce des feutres, dit d'un ton goguenard, +en posant ses poings sur ses flancs revêtus d'un +tablier de cuirnn:—«Si <i>ce monsieur</i> voulait me prêter +son chapeau, j'en ferais fabriquer un sur le même modèle, +afin de me déguiser en <i>roast-beef</i> le jour du carnaval.» +Puis une <i>dame</i> élégante murmura en se penchant +sur sa croisée:—«C'est dommage qu'il ait un gilet si +fané et la barbe si mal faite.» Enfin, un bel esprit du +lieu dit en pinçant la lèvre:—«Apparemment que le +père de <i>ce monsieur</i> est un homme <i>puissant</i>, on le voit +à l'ampleur de son habit.» Bref, il me fallut bientôt revenir +sur mes pas, fort heureux d'échapper aux vexations +d'une douzaine de polissons en guenilles qui criaient après +moi du haut de leur tête: A bas <i>l'angliche</i>! à bas le +milord! à bas l'étranger!</p> + +<p>Profondément humilié de ma mésaventure, je résolus +de m'enfermer chez moi jusqu'à ce que le tailleur du +chef-lieu m'eût fait parvenir un habit complet dans le +dernier goût. L'honnête homme ne s'y épargna point, et +me confectionna des vêtements si exigus et si coquets +que je pensai mourir de douleur en me voyant réduit à +ma plus simple expression, et semblable en tous points à +ces caricatures de <i>fats parisiens</i> et d'<i>incroyables</i> qui +nous faisaient encore pâmer de rire, l'année précédente, +à l'île Maurice. Je ne pouvais pas me persuader que je +ne fusse pas cent fois plus ridicule sous cet habit que sous +celui que je venais de quitter, et je ne savais plus que +devenir; car j'avais promis solennellement à mon hôtesse +(la femme du plus gros notaire de l'arrondissement) de +la conduire au bal, et de lui faire danser la première et +probablement l'unique contredanse à laquelle ses charmes +lui donnaient le droit de prétendre. Incertain, honteux, +tremblant, je me décidai à descendre et à demander à +cette estimable femme un avis rigide et sincère sur ma +situation. Je pris un flambeau et je me hasardai jusqu'à +la porte de son appartement; mais je m'arrêtai palpitant +et désespéré, en entendant partir de ce sanctuaire un +bruit confus de voix fraîches et perçantes, de rires aigus +et naïfs, qui m'annonçaient la présence de cinq ou six +demoiselles de la ville. Je faillis retourner sur mes pas; +car, de m'exposer au jugement d'un si malin aréopage +dans une parure plus que problématique à mes yeux, +c'était un héroïsme dont peu de jeunes gens à ma place +se fussent sentis capables.</p> + +<p>Enfin, la force de ma volonté l'emporta; je me demandai +si j'avais lu pour rien Locke et Condillac, et poussant +la porte d'une main ferme, j'entrai par l'effet d'une résolution +désespérée. J'ai vu de près d'affreux événements, +je puis le dire: j'ai traversé les mers et les orages, j'ai +échappé aux griffes d'un tigre dans le royaume de Java, +et aux dents d'un crocodile dans la baie de Tunis; j'ai +vu en face les gueules béantes des sloops flibustiers; j'ai +mangé du biscuit de mer qui m'a percé les gencives; j'ai +embrassé la fille du roi de Timor ... eh bien! je vous jure +que tout ceci n'était rien au prix de mon entrée dans cet +appartement, et que dans aucun jour de ma vie je ne +recueillis un aussi glorieux fruit de l'éducation philosophique.</p> + +<p>Les demoiselles étaient assises en cercle, et, en attendant +que la femme du notaire eût achevé de mêler à ses +cheveux noirs une légère guirlande de pivoines, ces gentes filles +de la nature échangeaient entre elles de joyeux +propos et de naïves chansons. Mon apparition inattendue +paralysa l'élan de cette gaieté charmante. Le silence étendit +ses ailes de hibou sur leurs blondes têtes, et tous les +yeux s'attachèrent sur moi avec l'expression du doute, +de la méfiance et de la peur.</p> + +<p>Puis tout à coup un cri de surprise s'échappa du sein +de la plus jeune, et mon nom vola de bouche en bouche +comme la bordée d'une frégate armée en guerre. Mon +sang se glaça dans mes veines, et je faillis prendre la fuite +comme un brick qui a cru attaquer un chasse-marée, et +qui, à la portée de la longue-vue, découvre un beau trois-mâts, +laissant nonchalamment tomber ses sabords pour +lui faire accueil.</p> + +<p>Mais, à ma grande stupéfaction, la femme de mon hôte, +laissant la moitié de ses boucles crêpées et menaçantes, +tandis que l'autre gisait encore sous le papier gris de la +papillote, accourut vers moi en s'écriant:—C'est notre +jeune homme! c'est notre pauvre Georges! Ah! mon +Dieu! quelle métamorphose! qu'il est bien mis! quelle +jolie tournure! quelle coupe d'habit élégante et moderne!... +Ah! Mesdemoiselles, regardez! regardez +comme M. Georges est changé, comme il a l'air distingué. +Vous ferez danser ces demoiselles, monsieur Georges, +après moi, pourtant! Vous m'avez forcée de vous promettre +la première, vous vous en souvenez?</p> + +<p>Les demoiselles gardaient le silence, et je doutais encore +de mon triomphe. Je rassemblai le reste de mon courage +pour leur demander timidement leur goût sur cet +habit, et aussitôt un choeur de louanges pur et mélodieux +à mes oreilles comme un chant céleste s'éleva autour de +moi. Jamais on n'avait rien vu de mieux; on ne trouvait +pas un pli à blâmer; le collet raide et volumineux était +d'un goût exquis, les basques courtes et cambrées avaient +une grâce parfaite, le gilet parsemé de gigantesques rosaces +était d'un éclat sans pareil; la cravate inflexible, +croisée avec une rigueur systématique, était un chef-d'oeuvre +d'invention; la manchette et le jabot terrible +couronnaient l'oeuvre. De mémoire de jeunes filles, aucun +employé de l'administration des postes n'avait fait un tel +début dans le monde.</p> + +<p>J'avoue que ce n'est pas un des moins brillants souvenirs +de ma jeunesse que mon entrée triomphante dans +ce bal, serré dans mon habit neuf, froissé par les baleines +dorsales de mon gilet, vexé par le rigorisme de mes entournures, +et, de plus, flanqué à droite de la femme du +notaire, à gauche de mademoiselle Phédora, sa nièce, la +plus vieille et la plus laide fille du département. N'importe, +j'étais fier, j'étais heureux, j'étais bien mis.</p> + +<p>La salle était un peu froide, un peu sombre, un peu +malpropre; les banquettes étaient bien tachées d'huile +çà et là , les quinquets jouaient bien un peu, sur les têtes +fleuries et emplumées du bal, le vieux rôle de l'épée de +Damoclès; le parquet n'était pas fort brillant, les robes +des femmes n'étaient pas toutes fraîches, pas plus que la +fraîcheur de certains visages n'était naturelle. Il y avait +bien des pieds un peu larges dans des souliers de satin +un peu rustiques, des bras un peu rouges sous des manches +de dentelle, des cous un peu hâlés sous des colliers +de perles, et des corsages un peu robustes sous des ceintures +de moire. Il y avait bien aussi sur l'habit des +hommes une légère odeur de tabac de la régie, dans l'office +un parfum de vin chaud un peu brutal, dans l'air un +nuage de poussière un peu agreste, et pourtant c'était +une charmante fête, une aimable réunion, sur ma parole! +La musique n'était pas beaucoup plus mauvaise que celle +de Port-Louis ou de Saint-Paul. Les modes n'étaient, à +coup sûr, ni aussi arriérées, ni aussi exagérées que celles +qu'on prétend suivre à Calcutta; en outre, les femmes +étaient généralement plus blanches, les hommes moins +rudes et moins bruyants.</p> + +<p>A tout prendre, pour moi qui n'avais point vu les merveilles +de la civilisation poussées à la dernière limite, pour +moi qui n'avais vu l'opéra qu'en Amérique et le bal qu'en +Asie, le bal à peu près public et général de la petite ville +pouvait bien sembler pompeux et enivrant, si l'on considère +d'ailleurs la profonde sensation qu'y produisait mon +habit et le succès incontestable que j'obtins d'emblée à +la fin de la première contredanse.</p> + +<p>Mais ces joies naïves de l'amour-propre firent bientôt +place à un sentiment plus conforme à ma nature inflammable +et contemplative. Une femme entra dans le bal et +j'oubliai toutes les autres; j'oubliai même mon triomphe +et mon habit neuf. Je n'eus plus de regards et de pensées +que pour elle.</p> + +<div class="dropcap"><img src="images/ill-2.png" alt=""></div> + + +<p>Oh! c'est qu'elle était vraiment bien belle, et qu'il +n'était pas besoin d'avoir vingt-cinq ans et d'arriver de +l'Inde pour en être frappé. Un peintre célèbre qui passa, +l'année suivante, dans la ville, arrêta sa chaise de poste +en l'apercevant à sa fenêtre, fit dételer les chevaux et +resta huit jours à l'auberge du Lion-d'Argent, cherchant +par tous les moyens possibles à pénétrer jusqu'à elle +pour la peindre. Mais jamais il ne put faire comprendre +à sa famille qu'on pouvait par amour de l'art faire le +portrait d'une femme sans avoir l'intention de la séduire. +Il fut éconduit, et la beauté de Cora n'est restée empreinte +que dans le cerveau peut-être de ce grand artiste, +et dans le coeur d'un pauvre fonctionnaire destitué de +l'administration des postes.</p> + +<p>Elle était d'une taille moyenne admirablement proportionnée, +souple comme un oiseau, mais lente et fière +comme une dame romaine. Elle était extraordinairement +brune pour le climat tempéré où elle était née; mais sa +peau était fine et unie comme la cire la mieux moulée. +Le principal caractère de sa tête régulièrement dessinée, +c'était quelque chose d'indéfinissable, de surhumain, +qu'il faut avoir vu pour le comprendre; des lignes +d'une netteté prestigieuse, de grands yeux d'un vert si +pâle et si transparent qu'ils semblaient faits pour lire +dans les mystères du monde intellectuel plus que dans +les choses de la vie positive; une bouche aux lèvres +minces, fines et pâles, au sourire imperceptible, aux +rares paroles; un profil sévère et mélancolique, un regard +froid, triste et pensif, une expression vague de +souffrance, d'ennui et de dédain; et puis des mouvements +doux et réservés, une main effilée et blanche, +beauté si rare chez les femmes d'une condition médiocre; +une toilette grave et simple, discernement si étrange chez +une provinciale; surtout un air de dignité calme et inflexible +qui aurait été sublime sous la couronne de diamants +d'une reine espagnole, et qui, chez cette pauvre +fille, semblait être le sceau du malheur, l'indice d'une +organisation exceptionnelle.</p> + + +<p>Car c'était la fille... le dirai-je? il le faut bien: Cora +était la fille d'un épicier.</p> + +<p>O sainte poésie, pardonne-moi d'avoir tracé ce mot! +Mais Cora eût relevé l'enseigne d'un cabaret. Elle se fût +détachée comme l'ange de Rembrandt au-dessus d'un +groupe flamand. Elle eût brillé comme une belle fleur +au milieu des marécages. Du fond de la boutique de son +père, elle eût attiré sur elle le regard du grand Scott. +Ce fut sans doute une beauté ignorée comme elle qui +inspira l'idée charmante de <i>la belle fille de Perth</i>.</p> + +<p>Et elle s'appelait Cora; elle avait la voix douce, la démarche +réservée, l'attitude rêveuse. Elle avait la plus +belle chevelure brune que j'aie vue de ma vie, et seule, +entre toutes ses compagnes, elle n'y mêlait jamais aucun +ornement. Mais il y avait plus d'orgueil dans le luxe de +ses boucles épaisses que dans l'éclat d'un diadème. Elle +n'avait pas non plus de collier ni de fleurs sur la poitrine. +Son dos brun et velouté tranchait fièrement sur la dentelle +blanche de son corsage. Sa robe bleue la faisait paraître +encore plus brune de ton et plus sombre d'expression. +Elle semblait tirer vanité du caractère original de +sa beauté.</p> + + + +<p>Elle semblait avoir deviné qu'elle était belle autrement +que toutes les autres: car je n'ai pas besoin de vous le +dire, Cora étant d'un type rare et d'un coloris oriental, +Cora ressemblant à la juive Rebecca, ou à la Juliette de +Shakespeare, Cora majestueuse, souffrante et un peu farouche, +Cora qui n'était ni rose, ni replette, ni agaçante, +ni gentille, n'était ni aperçue ni soupçonnée dans la foule. +Elle vivait là comme une rose épanouie dans le désert, +comme une perle échouée sur le sable, et la première +personne venue, à qui vous eussiez exprimé votre admiration +à la vue de Cora, vous eût répondu: Oui, elle ne +serait pas mal si elle était plus blanche et moins maigre.</p> + +<div class="droite"><img src="images/ill-3.png" alt=""></div> + +<p>J'étais si troublé auprès d'elle, si subitement épris, +que vraiment j'oubliais toute la confiance qu'eussent dû +m'inspirer mon habit neuf et mon gilet à rosaces. Il est +vrai qu'elle y accordait fort peu d'attention, qu'elle écoutait +d'un air distrait des fadeurs qui me faisaient suer +sang et eau à débiter, qu'elle laissait, à chaque invitation +de ma part, tomber de ses lèvres un mot bien faible, et, +dans ma main tremblante, une main dont je sentais la +froideur au travers de son gant. Hélas! qu'elle était indifférente +et hautaine, la fille de l'épicier! Qu'elle était +singulière et mystérieuse, la brune Cora! Je ne pus jamais +obtenir d'elle, dans toute la durée de la nuit, qu'une +demi-douzaine de monosyllabes.</p> + +<p>Il m'arriva le lendemain de lire, pour le malheur de +ma vie, les Contes fantastiques. Pour mon malheur encore, +aucune créature sous le ciel ne semblait être un +type plus complet de la beauté fantastique et de la poésie +allemande que Cora aux yeux verts et au corsage diaphane.</p> + +<p>Les adorables poésies d'Hoffman commençaient à circuler +dans la ville. Les matrones et les pères de famille +trouvaient le genre détestable et le style de mauvais +goût. Les notaires et les femmes d'avoués faisaient surtout +une guerre à mort à l'invraisemblance des caractères +et au romanesque des incidents. Le juge de paix du +canton avait l'habitude de se promener autour des tables +dans le cabinet de lecture, et de dire aux jeunes gens +égarés par cette poésie étrangère et subversive: <i>Rien +n'est beau que le vrai</i>, etc. Je me souviens qu'un vaurien +de lycéen, en vacances, lui dit à cette occasion en +le regardant fixement:</p> + +<p>—Monsieur, cette grosse verrue que vous avez au +milieu du nez est sans doute postiche?</p> + +<p>Malgré les remontrances paternelles, malgré les anathèmes +du <i>principal</i> et des professeurs de sixième, le +mal gagna rapidement, et une grande partie de la jeunesse +fut infectée du venin mortel. On vit de jeunes débitants +de tabac se modeler sur le type de Kressler, et +des surnuméraires à l'enregistrement s'évanouir au son +lointain d'une cornemuse ou d'une chanson de jeune fille.</p> + +<p>Pour moi, je confesse et je déclare ici que je perdis +complètement la tête. Cora réalisait tous les rêves enivrants +que le poëte m'inspirait, et je me plaisais à la gratifier +d'une nature immatérielle et féerique qui réellement +semblait avoir été imaginée pour elle. J'étais heureux +ainsi. Je ne lui parlais pas, je n'avais aucun titre pour +m'approcher d'elle. Je ne recueillais aucun encouragement +à ma passion; je n'en cherchais même pas. Seulement, +je quittai la maison du notaire et je louai une +misérable chambre directement en face de la maison de +l'épicier. Je garnis ma fenêtre d'un épais rideau, dans +lequel je pratiquai des fentes habilement ménagées. Je +passais là en extase toutes les heures que je pouvais dérober +à mon travail.</p> + +<p>La rue était déserte et silencieuse. Cora était assise à +sa fenêtre au rez-de-chaussée. Elle lisait. Que lisait-elle? +Il est certain qu'elle lisait du matin au soir. Et puis elle +posait son livre sur un vase de giroflée jaune qui brillait +à la fenêtre. Et la tête penché sur sa main, les boucles de +ses beaux cheveux nonchalamment mêlées aux fleurs d'or +et de pourpre, l'oeil fixe et brillant, elle semblait percer le +pavé et contempler, à travers la croûte épaisse de ce sol +grossier, les mystères de la tombe et de la reproduction +des essences fécondantes, assister à la naissance de la +fée aux Roses, et encourager le germe d'un beau génie +aux ailes d'or dans le pistil d'une tulipe.</p> + +<p>Et moi je la regardais, j'étais heureux. Je me gardais +bien de me montrer, car, au moindre mouvement du rideau, +au moindre bruit de ma fenêtre, elle disparaissait +comme un songe. Elle s'évanouissait comme une vapeur +argentée dans le clair-obscur de l'arrière-boutique; je me +tenais donc là , immobile, retenant mon souffle, imposant +silence aux battements de mon coeur, quelquefois à genoux +implorant ma fée dans le silence, envoyant vers elle +les brûlantes aspirations d'une âme que son essence magique +devait pénétrer et entendre. Parfois je m'imaginais +voir mon esprit et le sien voltiger enlacés dans un de ces +rayons de poussière d'or que le soleil de midi infiltrait +dans la profondeur étroite et anguleuse delà rue. Je m'imaginais +voir partir de son oeil limpide comme l'eau qui court +sur la mousse, un trait brûlant qui m'appelait tout entier +dans son coeur.</p> + +<p>Je restai là tout le jour, égaré, absurde, ridicule; mais +exalté, mais amoureux, mais jeune! mais inondé de poésie +et n'associant personne aux mystères de ma pensée +et ne sentant jamais mes élans entravés par la crainte de +tomber dans le mauvais goût, n'ayant que Dieu pour juge +et pour confident de mes rêves et de mes extases.</p> + +<p>Puis, quand le jour finissait, quand la pâle Cora fermait +sa fenêtre et tirait son rideau, j'ouvrais mes livres favoris +et je la retrouvais sur les Alpes avec Manfred, chez le +professeur Spallanzani avec Nathanaël, dans les cieux +avec Oberon.</p> + +<p>Mais, hélas! ce bonheur ne fut pas de bien longue +durée. Jusque-là personne n'avait découvert la beauté de +Cora; j'en jouissais tout seul. Elle n'était comprise et +adorée que par moi. La contagion fantastique, en se répandant +parmi les jeunes gens de la ville, jeta un trait +de lumière sur la romantique bourgeoise.</p> + +<p>Un impertinent bachelier s'avisa un matin, en passant +devant ses fenêtres, de la comparer à Anne de Gierstern, la +fille du brouillard. Ce mot fit fortune: on le répéta au bal. +Les <i>inspirés</i> de l'endroit remarquèrent la danse molle et +aérienne de Cora. Un autre génie de la société la compara +à la reine Mab. Alors, chacun voulant faire montre de +son érudition, apporta son épithète et sa métaphore, et la +pauvre fille en fut écrasée à son insu. Quand ils eurent +assez profané mon idole avec leurs comparaisons, ils l'entourèrent, +ils l'accablèrent de soins et de madrigaux, ils +la firent danser jusqu'à l'extinction des quinquets, ils me +la rendirent le lendemain fatiguée de leur esprit, ennuyée +de leur babil, flétrie de leur admiration; et ce qui acheva +de me briser le coeur, ce fut de voir apparaître à la fenêtre +le profil arrondi et jovial d'un gros étudiant en pharmacie +à côté du profil grec et délié de ma sylphide.</p> + +<p>Pendant bien des matins et bien des soirs, je vins +derrière le rideau mystérieux essayer de combattre le +charme que mon odieux rival avait jeté sur la famille de +l'épicier. Mais en vain j'invoquai l'amour, le diable et tous +les saints, je ne pus écarter sa maligne influence. Il revint, +sans se lasser, tous les jours s'asseoir à côté de +Cora, dans l'embrasure de la fenêtre, et il lui parlait. +De quoi osait-il lui parler, le malheureux! La figure impénétrable +de Cora n'en trahissait rien. Elle semblait +écouter ses discours sans les entendre, et à l'imperceptible +mouvement de ses lèvres, je devinais quelquefois +qu'elle lui répondait froidement et brièvement comme +elle avait l'habitude de le faire, et puis la conversation +semblait languir.</p> + +<p>Le couple contraint et ennuyé étouffait de part et +d'autre des bâillements silencieux. Cora regardait tristement +son livre fermé sur la fenêtre et que la présence +de son adorateur l'empêchait de continuer. Puis elle appuyait +son coude sur le pot de giroflées et le menton sur +la paume de sa main, et le regardant d'un regard fixe et +glacial, elle semblait étudier les fibres grossières de son +organisation morale au travers de la loupe de maître +Floh.</p> + +<p>Après tout, elle supportait ses assiduités comme un +mal nécessaire; car, au bout de six semaines, l'apprenti +pharmacien conduisit la belle Cora au pied des autels, +où ils reçurent la bénédiction nuptiale. Cora était admirablement +chaste et sévère sous son costume de mariée. +Elle avait l'air calme, indifférent, ennuyé comme toujours. +Elle traversa la foule avide d'un pas aussi mesuré +qu'à l'ordinaire, et promena sur les curieux ébahis son +oeil sec et scrutateur. Quand il rencontra ma figure morne +et flétrie, il s'y arrêta un instant et sembla dire: Voici +un homme qui est incommodé d'un catarrhe ou d'un mal +de dents.</p> + +<p>Pour moi, j'étais si désespéré, que je sollicitai mon +changement ...</p> + + +<br><br> + +<h3>II.</h3> + + +<p>Mais je ne l'obtins pas, et je restai témoin du bonheur +d'un autre. Alors je pris le parti de tomber malade, ce +qui me sauva du désespoir, ainsi qu'il arrive toujours en +pareil cas.</p> + +<p>Si dégoûté qu'on soit de la vie, il est certain que, lorsque +la fatalité nous y retient malgré nous, la faiblesse +humaine ne peut s'empêcher de remercier secrètement +la fatalité. La mort est si laide qu'aucun de nous ne la +voit de près sans effroi. Bien magnanimes sont ceux qui +enfoncent le rasoir jusqu'à l'artère carotide, ou qui avalent +le poison jusqu'au fond de la coupe. (Je dis la <i>coupe</i>, +parce qu'il n'est pas séant et presque impossible de s'empoisonner +dans un vase qui porte un autre nom quelconque.)</p> + +<p>Oui, le proverbe d'Ésope est la sagesse des nations. +Nous aimons la vie comme une maîtresse que nous convoitons +encore avec les sens, après même que toute estime +et toute affection pour elle sont éteintes en nous. Le +soir où je vis un prêtre et un médecin convenablement +graves à mon chevet, je n'eus pas la force de m'enquérir +vis-à -vis de moi-même de ce que j'en ressentais de joie +ou de peine. Mais quand, un matin, je m'éveillai faible +et languissant, et que je vis la garde-malade endormie +profondément sur sa chaise, le soleil brillant sur les toits +et les fioles pharmaceutiques vides sur le guéridon, quand +je me hasardai à remuer et que je sentis ma tête sans +douleur, mes membres légers, et mon corps débile dégagé +de tous les liens de fer de la souffrance, je ressentis un +insurmontable sentiment de bien-être et de reconnaissance +envers le ciel.</p> + +<p>Et puis je me rappelai Cora et son mariage, et j'eus +honte de la joie que je venais d'éprouver; car, après les +ferventes prières que j'avais adressées à Dieu et au médecin +pour être délivré de la vie, c'était une inconséquence +sans pareille que d'en accepter le retour sans +colère et sans amertume. Je me mis donc à répandre des +larmes. La jeunesse est si riche en émotions de tout genre, +qu'il lui est possible de se torturer elle-même en dépit de +la force de l'espoir, de la poésie, de tous les bienfaits +dont l'a douée la Providence. Je lui reprochai, moi, d'avoir +été plus sage que moi, et de n avoir pas permis +qu'un amour bizarre et presque imaginaire me conduisît +au tombeau. Puis je me résignai et j'acceptai la volonté +de Dieu, qui rivait ma chaîne et me condamnait à jouir +encore de la vue du ciel, de la beauté de la nature et de +l'affection de mes proches.</p> + +<p>Quand je fus assez fort pour me lever, je m'approchai +de la fenêtre avec un inexprimable serrement de coeur. +Cora était là ; elle lisait. Elle était toujours belle, toujours +pâle, toujours seule. J'eus un sentiment de joie. Elle +m'était donc rendue, ma fée aux yeux verts; ma belle +rêveuse solitaire! Je pourrais la contempler encore et +nourrir en secret cette passion extatique que le regard +d'un rival m'avait forcé de refouler si longtemps! Tout +à coup elle releva sa tête brune, et ses yeux, errant au +hasard sur la muraille, aperçurent ma face pâle qui se +penchait vers elle. Je tressaillis, je crus qu'elle allait fuir +comme à l'ordinaire. Mais, ô transport! elle ne s'enfuit +point. Au contraire, elle m'adressa un salut plein de politesse +et de douceur, puis elle reporta son attention sur +son livre, et resta sous mes yeux absolument indifférente +à l'assiduité de mes regards; mais du moins elle +resta.</p> + +<p>Un homme plus expérimenté que moi eût préféré l'ancienne +sauvagerie de Cora à l'insouciance avec laquelle +désormais elle bravait le face-à -face. Mais pouvais-je résister +au charme qu'elle venait de jeter sur moi avec son +salut bienveillant et gracieux? Je m'imaginai tout ce qu'il +peut entrer de chaste intérêt et de bienveillance réservée +dans un modeste salut de femme. C'était la première +marque de connaissance que me donnait Cora. Mais avec +quelle ingénieuse délicatesse elle choisissait l'instant de +me la donner! Combien il entrait de compassion généreuse +dans ce faible témoignage d'un intérêt timide et +discret! Elle n'osait point me demander si j'étais mieux. +D'ailleurs elle le voyait, et son salut valait tout un long +discours de félicitations.</p> + +<p>Je passai toute la nuit à commenter ce charmant salut, +et le lendemain, à l'heure où Cora reparut, je me hasardai +à risquer le premier témoignage de notre intelligence +naissante. Oui, j'eus l'audace de la saluer profondément; +mais je fus si bouleversé de ce que j'osais faire, que je +n'eus point le courage de fixer mes yeux sur elle. Je les +tins baissés avec crainte et respect, ce qui fit que je ne +pus point savoir si elle me rendait mon salut, ni de quel +air elle me le rendait.</p> + +<p>Troublé, palpitant, plein d'espoir et de terreur, je restais +le front caché dans mes mains, n'osant plus montrer +mon visage, lorsqu'une voix s'éleva dans le silence de la +rue, et, montant vers moi, m'adressa ces douces paroles:</p> + +<p>—Il parait, Monsieur, que votre santé est meilleure?</p> + +<p>Je tressaillis, je retirai ma tête de mes mains; je regardai +Cora, je ne pouvais en croire mes oreilles, d'autant +plus que la voix était un peu rude, un peu mâle, et +que je m'étais toujours imaginé la voix de Cora plus douce +que celle de la brise d'avril caressant les fleurs naissantes. +Mais comme je la contemplais d'un air éperdu, +elle réitéra sa question dans des termes dont la douceur +me fit oublier l'accent un peu indigène et le timbre un +peu vigoureux de sa voix.</p> + +<p>—Je vois avec plaisir, dit-elle, que monsieur Georges +se porte mieux.</p> + +<p>Je voulus faire une réponse qui exprimât l'enthousiasme +de ma reconnaissance; mais cela me fut impossible: +je pâlis, je rougis, je balbutiai quelques paroles +inintelligibles; je faillis m'évanouir.</p> + +<p>A ce moment, l'épicier, le père de ma Cora, approchant +son profil osseux de la fenêtre, lui dit d'un ton rauque, +mais pourtant bienveillant:</p> + +<p>—A qui parles-tu donc, mignonne?</p> + +<p>—A notre voisin, M. Georges, qui est enfin convalescent +et que je vois à sa fenêtre.</p> + +<p>—Ah! j'en suis charmé, dit l'épicier, et, soulevant +son bonnet de loutre: Comment va la santé, mon cher +voisin?</p> + +<p>Je remerciai avec plus d'assurance le père de ma bien-aimée. +J'étais le plus heureux des mortels; j'obtenais +enfin un peu d'intérêt de cette famille naguère si farouche +et si méfiante envers moi. Mais hélas! pensais-je presque +aussitôt, que me sert à présent d'être plaint et consolé? +Cora n'est-elle pas pour jamais unie à un autre?</p> + +<p>L'épicier, appuyant ses deux coudes sur sa fenêtre, +entama alors avec moi une conversation affectueuse et +bienveillante sur la beauté de la journée, sur le plaisir de +revenir à la vie par un si bon soleil, sur l'excellence des +gilets de flanelle en temps de convalescence, et les bienfaisants +effets de l'eau miellée et du sirop de gomme sur +les poitrines fatiguées et les estomacs débilités.</p> + +<p>Jaloux de soutenir et de prolonger un entretien si précieux, +je lui répondis par des compliments flatteurs sur +la beauté des giroflées qui fleurissaient à sa fenêtre, sur +la grâce mignonne et coquette de son chat qui dormait +au soleil devant la porte, et sur la bonne exposition de +sa boutique qui recevait en plein les rayons du soleil de +midi.</p> + +<p>—Oui, oui, répondit l'épicier, au commencement du +printemps les rayons du soleil ne sont point à dédaigner; +plus tard ils deviennent un peu trop bons....</p> + +<p>A cet entretien cordial et ingénu, Cora mêlait de temps +en temps des réflexions courtes et simples, mais pleines +de bon sens et de justesse; j'en conclus qu'elle avait un +jugement droit et un esprit positif.</p> + +<p>Puis, comme j'insistais sur l'avantage d'avoir la façade +de son logis exposée au midi, Cora, inspirée par le ciel +et par la beauté de son âme, dit à son père:</p> + +<p>—Au fait, la chambre de M. Georges exposée au nord +doit encore être assez fraîche dans ce temps-ci. Peut-être, +si vous lui proposiez de venir s'asseoir une heure +ou deux chez nous, serait-il bien aise de voir le soleil en +face?</p> + +<p>Puis elle se pencha vers son oreille, et lui dit tout bas +quelques mots qui semblèrent frapper vivement l'épicier.</p> + +<p>—C'est bien, ma fille, s'écria-t-il d'un ton jovial +Vous plairait-il, monsieur Georges, d'accepter une chaise +à côté de ma Cora?</p> + +<p>—O mon Dieu! pensai-je, si c'est un rêve, faites que +je ne m'éveille point.</p> + +<p>Une minute après, le généreux épicier était dans ma +chambre et m'offrait son bras pour descendre. J'étais +ému jusqu'aux larmes et je lui pressai les mains avec +une effusion qui le surprit, tant son action lui paraissait +naturelle.</p> + +<p>Au seuil de ma maison, je trouvai Cora qui venait pour +aider son père à me soutenir en traversant la rue. Jusque-là +je me sentais la force d'aller vers elle; mais dès +qu'elle toucha mon bras, dès que sa main longue et +blanche effleura mon coude, je me sentis défaillir, et je +perdis le sentiment de mon bonheur pour l'avoir senti +trop vivement.</p> + +<p>Je revins à moi sur un grand fauteuil de cuir à clous +dorés, qui, depuis cinquante ans, servait de trône au patriarcal +épicier. Sa digne compagne me frottait les tempes +avec du vulnéraire, et Cora, la belle Cora, tenait sous +mes narines son mouchoir imbibé d'alcool. Je faillis m'évanouir +de nouveau; je voulus remercier, mais je +n'avais pas d'expressions pour peindre ma gratitude; +pourtant, dans un moment où l'épicier, me voyant mieux, +se retirait, et ou sa femme passait dans l'arrière-boutique +pour me chercher un verre d'eau de réglisse, je dis +à Cora en levant sur elle mon oeil languissant:</p> + +<p>—Ah! Madame, pourquoi ne m'avoir pas laissé mourir? +j'étais si heureux tout à l'heure!</p> + +<p>Elle me regarda d'un air étonné et me dit d'un ton +affectueux:—Remettez-vous, Monsieur, vous avez de la +fièvre, je le vois bien.</p> + +<p>Quand je fus tout à fait remis de mon trouble, l'épicière +retourna à la boutique, et je restai seul avec Cora.</p> + +<p>Comme le coeur me battit alors! Mais elle était calme, +et sa sérénité m'imposait tant de respect que je pris sur +moi de paraître calme aussi.</p> + +<p>Cependant ce tête-à -tête devint pour moi d'un cruel +embarras. Cora n'aimait point à parler. Elle répondait +brièvement à toutes les choses que je tirais de mon cerveau +avec d'incroyables efforts, et, quoi que je fisse, jamais +ses réponses n'étaient de nature à nouer l'entretien; +sur quelque matière que ce fût, elle était de mon +avis. Je ne pouvais pas m'en plaindre, car je lui disais de +ces choses sensées qu'il n'est pas possible de combattre à +moins d'être fou. Par exemple, je lui demandai si elle aimait +la lecture.—Beaucoup, me répondit-elle.—C'est +qu'en effet, repris-je, c'est une si douce occupation!—En +effet, reprit-elle, c'est une très-douce occupation.—Pourvu, +ajoutai-je, que le livre qu'on lit soit beau et intéressant.—Oh! +certainement, ajouta-t-elle.—Car, poursuivis-je, +il en est de bien insipides.—Mais aussi, poursuivit-elle, +il en est de bien jolis.—Cet entretien eut pu +nous mener loin si je me fusse senti la hardiesse de l'interroger +sur le genre de ses lectures. Mais je craignis que +cela ne fût indiscret, et je me bornai à jeter un regard +furtif sur le livre entr'ouvert au pied de la giroflée. C'était +un roman d'Auguste Lafontaine. J'eus la sottise d'en être +affecté d'abord. Et puis, en y réfléchissant, je trouvai dans +le choix de cette lecture une raison d'admirer la simplicité +et la richesse d'un coeur qui pouvait puiser là des émotions +attachantes. Je parcourus de l'oeil une pile de volumes +délabrés qui gisaient sur un rayon près de moi. Je ne +nommerai point les auteurs chéris de ma Cora; les lecteurs +blasés en riraient, et moi, dans ma vaine enflure +de poëte, je faillis en être froissé.... Mais je revins bientôt +à la raison en comparant les ressources d'un esprit si +neuf et d'une âme si virginale à la vieillesse prématurée +de nos imaginations épuisées. Il y avait dans la vie intellectuelle +des trésors auxquels Cora n'avait pas encore +touché, et l'homme qui serait assez heureux pour les lui +révéler verrait s'épanouir sous son souffle la plus belle +oeuvre de la création, le coeur d'une femme ingénue!...</p> + +<p>Je rentrai chez moi enthousiasmé de Cora, dont l'ignorance +était si candide et si belle. J'attendis l'heure d'y +retourner le jour suivant, sans pourtant espérer cette +nouvelle faveur. Elle reparut avec sa mère, qui m'invita +à descendre. Quand je fus installé dans le grand fauteuil, +je vis une sorte d'agitation inquiète dans la famille. Puis +l'épicier s'assit vis-a-vis de moi avec un air hypocritement +naïf. J'étais agité moi-même, je craignais et je désirais +l'explication de cette contenance.</p> + +<p>—Puisque vous vous trouvez bien ici, monsieur +Georges, dit-il enfin en posant ses deux mains sur ses rotules +replètes, j'espère que vous y viendrez sans façon +vous reposer tant que vous ne serez pas assez fort pour +aller vous distraire ailleurs.</p> + +<p>—Généreux homme! m'écriai-je.</p> + +<p>—Non, dit-il en souriant, cela ne vaut point un remerciement: +entre voisins on se doit assistance, et, Dieu +merci! nous n'avons jamais refusé la nôtre aux honnêtes +gens: car je présume que vous êtes un brave jeune +homme, monsieur Georges, vous en avez parfaitement +l'air, et je me sens de la confiance en vous.</p> + +<p>—J'en suis honoré, répondis-je avec embarras.</p> + +<p>—Ainsi, Monsieur, poursuivit le digne homme avec +gaieté, en se levant, restez avec notre Cora tant que +vous voudrez. C'est une fille d'esprit, voyez-vous! une +personne qui a vécu dans les livres, et dont la mère n'a +jamais voulu contrarier le goût. Aussi, elle en sait plus +que nous à présent, et vous trouverez de l'agrément dans +sa société, j'en réponds.</p> + +<p>—Il y a bien longtemps, répondis-je en rougissant et +en jetant sur Cora un regard timide, que je me serais estimé +heureux de cette faveur.... Elle est venue bien tard, +hélas! au gré de mon impatience....</p> + +<p>—Ah! dame, dit l'épicier en ricanant, c'est qu'il y a +deux mois, voyez-vous, la chose n'était pas possible. +Cora n'était pas mariée, et...à moins de se présenter ici +avec l'intention de l'épouser, avec de bonnes et franches +propositions de mariage, aucun garçon n'obtenait de sa +mère l'entrée de cette chambre. Vous savez, Monsieur, +comme il faut veiller sur une jeune fille pour empêcher +les mauvaises langues de lui faire tort; à présent que +voici l'enfant établie, comme nous sommes sûrs de sa moralité, +nous la laissons tout à fait libre, et puis...d'ailleurs +(ici l'épicier baissa la voix), pâle et faible comme +vous voilà , personne ne pensera que vous songiez à supplanter +un mari jeune et bien portant.... L'épicier termina +sa phrase par un gros rire. Je devins pâle comme la +mort, et je n'osai pas lever les yeux sur Cora.</p> + +<p>—Tenez, tenez, ne vous fâchez pas d'une plaisanterie, +mon cher voisin, reprit-il: vous ne serez pas toujours +convalescent, et bientôt peut-être les pères et les +maris vous surveilleront de plus près.... En attendant, +restez ici; Cora vous tiendra compagnie, et d'ailleurs je +crois qu'elle a quelque chose à vous dire.</p> + +<p>—A moi? m'écriai-je en regardant Cora.</p> + +<p>—Oui, oui, reprit le père, c'est une petite affaire délicate...voyez-vous, +et qu'une jeune femme entendra +mieux qu'un vieux bonhomme. Allons, au revoir, monsieur +Georges.</p> + +<p>Il sortit. Je restai encore une fois seul avec Cora, et +cette fois elle avait une <i>affaire délicate</i> à traiter avec +moi: elle allait me confier un secret peut-être, une peine +de son coeur, un malheur de sa destinée: ah! sans doute, il +y avait un grand et profond mystère dans la vie de cette +fille si mélancolique et si belle! son existence ne pouvait +pas être arrangée comme celle des autres. Le ciel ne lui +avait pas départi une si miraculeuse beauté sans la lui +faire expier par des trésors de douleur. Enfin, me disais-je, +elle va les épancher dans mon sein, et je pourrai peut-être +en prendre une partie pour la soulager!</p> + +<p>Elle resta un peu confuse devant moi. Puis elle fouilla +dans la poche de son tablier de taffetas noir et en tira un +papier plié.</p> + +<p>—En vérité, Monsieur, dit-elle, c'est bien peu de +chose: je ne sais pourquoi mon père me charge de vous +le dire; il devrait savoir qu'un homme d'esprit comme +vous ne s'offense pas d'une demande toute naturelle.... +Sans tout ce qu'il vient de dire, je ne serais pas embarrassée, +mais....</p> + +<p>—Achevez, au nom du ciel, m'écriai-je avec ferveur; +ô Cora! si vous connaissiez mon coeur, vous n'hésiteriez +pas un instant à m'ouvrir le vôtre.</p> + +<p>—Eh bien, Monsieur, dit Cora émue, voici ce dont il +s'agit. Elle déplia le papier et me le présenta. J'y jetai les +yeux, mais ma vue était troublée, ma main tremblante, +il me fallut prendre haleine un instant avant de comprendre. +Enfin je lus: «Doit M. Georges à M***, épicier +droguiste, pour objets de consommation fournis durant sa +maladie....</p> + +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p>12 l. cassonade pour sirops et tisanes, ci.</p> +<p>Savon fourni à sa garde-malade, ci-contre.</p> +<p>Chandelle. . . . . . . . . . . . . . . . .</p> +<p>Centaurée fébrifuge, etc., etc. . . . . . .</p> +<p class="i10"> ———————</p> +<p class="i10"> Total. . . . . . 30 fr. 50 c.</p> + </div><div class="stanza"> +<p class="i10"> Pour acquit, CORA **—»</p> + </div> </div> + +<p>Je la regardai d'un air égaré.—Véritablement, Monsieur, +me dit-elle, vous trouvez peut-être cette demande +indiscrète, et vous n'êtes pas encore assez bien portant +pour qu'il soit agréable d'être importuné d'affaires. Mais +nous sommes fort gênés, le commerce va si mal, le loyer +de notre boutique est fort cher...et Cora parla longtemps +encore. Je ne l'entendis point. Je balbutiai quelques mots +et je courus, aussi vite que mes forces me le permirent, +chercher la somme que je devais à l'épicier. Puis je rentrai +chez moi atterré, et je me mis au lit avec un mouvement +de fièvre.</p> + +<p>Mais le lendemain je revins à moi avec des idées plus +raisonnables. Je me demandai pourquoi ce mépris idiot et +superbe pour les détails de la vie bourgeoise? pourquoi +l'impertinente susceptibilité des âmes poétiques qui +croient se souiller au contact des nécessités prosaïques? +pourquoi enfin cette haine absurde contre le positif de +la vie?</p> + +<div class="dropcap"><img src="images/ill-4.png" alt=""></div> + +<p>Ingrat! pensai-je, tu te révoltes parce qu'un mémoire +de savon et de chandelle a été rédigé et présenté par +Cora, tandis que tu devrais baiser la belle main qui t'a +fourni ces secours à ton insu durant ta maladie. Que serais-tu +devenu, misérable rêveur, si un homme confiant +et probe n'eût consenti à répandre sur toi les bienfaits de +son industrie, sans autre gage de remboursement que ta +mince garde-robe et ton misérable grabat? Et si tu étais +mort sans pouvoir lire son mémoire et l'acquitter, où +sont les héritiers qui auraient trouvé dans ta succession +30 fr. 50 c. à lui remettre?</p> + +<p>Et puis je songeai que ces breuvages bienfaisants qui +m'avaient sauvé de la souffrance et de la mort, c'était +Cora qui les avait préparés. Qui sait, pensai-je, si elle n'a +point composé un charme ou murmuré une prière qui +leur ait donné la vertu de me guérir? N'y a-t-elle pas +aussi mêlé une larme compatissante le jour où je touchai +aux portes du tombeau? Larme divine! topique céleste!...</p> + +<p>J'en étais là quand l'épicier frappa à ma porte:— +Tenez, monsieur Georges, me dit-il, ma femme et moi +nous craignons de vous avoir fâché. Cora nous a dit que +vous aviez eu l'air surpris et que vous aviez acquitté le +mémoire sans dire un mot. Je ne voudrais pas que vous +nous crussiez capables de méfiance envers vous. Nous +sommes gênés, il est vrai. Notre commerce ne va pas +très-bien; mais si vous aviez besoin d'argent, nous trouverions +encore moyen de vous rendre le vôtre et même +de vous en prêter un peu.</p> + +<p>Je me jetai dans ses bras avec effusion.—Digne vieillard, +m'écriai-je, tout ce que je possède est à vous!... +Comptez sur moi à la vie et à la mort. Je parlai longtemps +avec l'exaltation de la fièvre. Il me regardait avec son +gros oeil gris, rond comme celui d'un chat. Quand j'eus +fini:—A la bonne heure, dit-il du ton d'un homme qui +prend son parti sur l'impossibilité de deviner une énigme. +Je vous prie de venir nous voir de temps en temps et de +ne pas nous retirer votre pratique.</p> + + +<br><br> + +<h3>III.</h3> + + +<p>Je m'étonnais de ne plus voir le mari de Cora à la boutique +ni auprès de sa femme. Je hasardai une craintive +question. Elle me répondit que Gibonneau achevait son +année de service en second sous les auspices du premier +pharmacien de la ville. Il ne rentrait que le soir et sortait +dès le matin. Ainsi le rustre pouvait ainsi voir s'écouler +ses jours loin de la plus belle créature qui fût sous +le ciel. Il possédait la plus riche perle du monde, et il se +résignait tranquillement à la quitter pendant toute une +moitié de sa vie, pour aller préparer des liniments et formuler +des pilules!</p> + +<p>Mais aussi comme je remerciai le ciel qui l'avait condamné +à cette vulgaire existence et qui semblait lui dénier +une faveur dont il n'était pas digne, celle de voir sa +douce compagne à la clarté du soleil! Il ne lui était permis +de retourner vers elle qu'à l'heure où les chauve-souris +et les hiboux prennent leur sombre volée et rasent +d'une aile velue et silencieuse les flots transparents de la +brume. Il venait dans l'ombre ainsi qu'un voleur de nuit, +ainsi qu'un gnome malfaisant qui chevauche, le vent du +soir et le météore trompeur des marécages. Il venait, +ombre morne et lugubre, encore revêtu de son tablier, +ainsi que d'un linceul, exhalant cette odeur d'aromate +que l'on brûle autour des catafalques. Je le voyais quelquefois +errer dans les ténèbres et glisser comme un +spectre le long des murailles livides. Plusieurs fois je le +rencontrai sur le seuil et je faillis l'écraser dans le ruisseau +comme un ver de terre; mais je l'épargnai, car véritablement +il avait l'encolure d'un buffle, et j'étais tout +effilé et tout transparent des suites de la fièvre.</p> + +<p>Cora, veuve chaque jour, depuis l'aube jusqu'au crépuscule +du soir, restait confiante près de moi. Je passais +presque toutes mes journées assis sur le vieux fauteuil de +la famille, ou, lorsque le soleil d'avril était décidément +chaud, je m'asseyais sur le banc de pierre qui s'adossait +à la fenêtre de Cora. Là , séparé d'elle seulement par les +rameaux d'or de la giroflée, je respirais son haleine parmi +les fleurs, je saisissais son long regard transparent et +calme comme le flot sans rides qui dort sur les rives de +la Grèce. Nous gardions tous deux le silence, mais mon +coeur volait vers elle et convoitait le sien avec une force +attractive dont il devait lui être impossible de ne pas +sentir la puissance. Je m'endormis dans ce doux rêve. +Pourquoi Cora ne m'aurait-elle pas aimé? Peut-être fallait-il +dire: comment ne m'eût-elle pas aimé? Je l'aimais +si éperdument, moi! toutes mes facultés intellectuelles +se concentraient pour produire une force de désir et d'attente +qui planait impérieusement sur Cora. Son âme, faite +du plus beau rayon de la Divinité, pouvait-elle rester +inerte sous le vol magnétique de cette pensée de feu? Je +ne voulus point le croire, et je sentis mon coeur si pur, +mes désirs si chastes, que je ne craignis bientôt plus d'offenser +Cora en les lui révélant. Alors je lui parlai cette +langue des cieux qu'il n'est donné qu'aux âmes poétiques +d'entendre. Je lui exprimai les tortures ineffables et les +divines souffrances de mon amour. Je lui racontai mes +rêves, mes illusions, les milliers de poèmes et de vers +alexandrins que j'avais faits pour elle. J'eus le bonheur +de la voir, attentive et subjuguée, quitter son livre et se +pencher vers moi d'un air pénétré pour m'entendre, car +mes paroles avaient un sens nouveau pour elle, et je faisais +entrer dans son esprit un ordre de pensées sublimes +qu'il n'avait encore jamais osé aborder.</p> + +<p>—O ma Cora, lui disais-je, que pourrais-tu craindre +d'une flamme aussi pure? L'éclair qui s'allume aux cieux +n'est pas d'une nature plus subtile que le feu dont je me +consume avec délice. Pourquoi ta sauvage pudeur, pourquoi +ta superbe fierté de femme s'alarmeraient-elles d'un +amour aussi intellectuel que le nôtre? Qu'un mari, qu'un +maître, possède le trésor de la beauté matérielle qu'il a +plu aux anges de te départir! pour moi, je ne chercherai +jamais à lui ravir ce que Dieu, les hommes et ta parole, +ô Cora! lui ont assuré comme son bien; le mien sera, +si tu m'exauces, moins saisissable, moins enivrant, mais +plus glorieux et plus noble. C'est la partie éthérée de ton +âme que je veux, c'est ton aspiration brûlante vers le +ciel que je veux étreindre et saisir, afin d'être ton ciel et +ton âme, comme tu es mon Dieu et ma vie.»</p> + +<p>Ces choses semblaient obscures à Cora, son âme était +si candide et si enfantine! Elle me regardait d'un oeil absorbé +dans la stupeur, et pour lui faire mieux comprendre +les divins mystères de l'amour platonique, je prenais mon +crayon et je traçais des vers sur la muraille aux marges +de sa fenêtre; puis je lui racontais les brillantes poésies +de la nature invisible, les amours des anges et des fées, +les souffrances et les soupirs des sylphes emprisonnés +dans le calice des fleurs, puis les fougueuses passions des +roses pour les brises, et réciproquement; puis les choeurs +aériens qu'on entend le soir dans la nue, la danse sympathique +des étoiles, les rondes du sabbat, les malices +des farfadets et les découvertes ardues de l'alchimie.</p> + +<p>Notre bonheur semblait ne pouvoir être troublé par +aucun événement extérieur. En prenant la poésie corps +à corps, j'avais su si bien m'isoler, dans mon monde intellectuel, +de toutes les entraves et de tous les écueils de +la vie réelle, que je semblais n'avoir rien à craindre de +l'intervention de ces volontés grossières et inintelligentes +qui végétaient à l'entour de nous. Mes sentiments étaient +d'une nature si élevée que je ne pouvais inspirer de rivalité +d'aucun genre à l'homme vulgaire qui se disait le +maître et l'époux de Cora.</p> + +<p>Pendant longtemps, en effet, il sembla comprendre le +respect qu'il devait à une liaison protégée par le ciel. +Mais au bout de six semaines, je vis un changement +étrange s'opérer dans les manières de cette famille à mon +égard. Le père me regardait d'un air ironique et méfiant +chaque fois qu'il entrait dans la chambre où nous étions. +La mère affectait d'y rester tout le temps qu'elle pouvait +dérober aux affaires de sa boutique. Gibonneau, lorsque +par hasard je venais à le rencontrer, me lançait de sinistres +et foudroyantes oeillades; Cora elle-même devenait +plus réservée, descendait plus tard au rez-de-chaussée, +remontait plus tôt dans sa chambre, et quelquefois même +passait des jours entiers sans paraître. Je m'en effrayai, +et j'essayai de m'en plaindre. J'essayai de lui faire comprendre, +avec l'éloquence que donne la passion, l'injustice +et la barbarie de sa conduite. Elle m'écouta d'un air +contraint, presque craintif, et je la vis regarder vers la +porte d'un air d'inquiétude.</p> + +<p>—O Cora! m'écriai-je avec enthousiasme, serais-tu +menacée de quelque danger? parle, parle! où sont tes +ennemis, nomme-moi les infâmes qui font peser sur toi, +frêle et céleste créature, les chaînes d'airain d'un joug +détesté. Dis-moi quel est le démon qui comprime l'élan +de ton coeur et refoule au fond de ton sein des épanchements +naïfs, comme des remords amers? Va, je saurai +bien les conjurer, je sais plus d'un charme pour enchaîner +les démons de l'envie et de la vengeance, plus d'une +parole magique pour appeler les anges sur nos têtes: les +anges protecteurs qui sont tes frères, et qui sont moins +purs, moins beaux que toi...</p> + +<p>J'élevai la voix en parlant, et je m'approchai de Cora +pour saisir sa main qu'elle me retirait toujours. Alors je +me levai, le front inondé de la sueur de l'enthousiasme, +les cheveux en désordre, l'oeil inspiré...</p> + +<p>Cora poussa un grand cri, et son père, accourant +comme si le feu eût pris à la maison, s'élança dans la +chambre. Comme il s'avançait vers moi d'un air menaçant, +Cora le saisit par le bras et lui dit avec douceur:—Laissez-le, +mon père, il est dans un de ses accès, ne +le contrariez point, cela va se passer.</p> + +<p>Je cherchai vainement le sens de ces paroles. Elle sortit, +et l'épicier s'adressant à moi:—Allons, monsieur +Georges, revenez à vous, personne ici ne songe à vous +contrarier; mais en vérité vous n'êtes pas raisonnable... +Allons, allons... rentrez chez vous et calmez-vous.</p> + +<p>Étourdi de ce discours plein de bonté, je cédai avec la +douceur d'un enfant, et l'épicier me reconduisit chez +moi. Une heure après, je vis entrer le procureur du roi +et le médecin de la ville. Comme je les connaissais l'un +et l'autre assez particulièrement, je ne m'étonnai pas de +leur visite, mais je commençai à m'offenser de l'affectation +avec laquelle le médecin s'empara de mon pouls, +examinant avec soin l'expression de mon regard et la +dilatation de ma pupille; puis il se mit à compter les battements +de mes artères aux tempes et au cou, et à interroger +la chaleur extérieure de mon cerveau avec le +creux de sa main.</p> + +<p>—Qu'est-ce que tout cela signifie, Monsieur? lui dis-je; +je ne vous ai point appelé pour une consultation. Je +me sens assez bien pour me passer désormais de soins, +et je ne suis point disposé à en recevoir malgré moi.</p> + +<p>Mais, au lieu de me répondre, il s'approcha du magistrat, +et ils se retirèrent dans l'embrasure de la fenêtre +pour parler bas. Ils semblaient se consulter sur mon +compte, car, à chaque instant ils se retournaient pour me +regarder d'un air attentif et méfiant; enfin ils s'approchèrent +de moi, et le procureur du roi m'adressa plusieurs +questions étranges, d'abord de quelle couleur je +voyais son gilet, puis si je savais bien son nom, puis encore +si je pouvais dire quel était mon âge, mon pays et +ma profession.</p> + +<p>Je répondais à ces étranges interrogatoires avec stupeur, +lorsque le médecin me demanda à son tour si je ne +voyais point d'autre personne dans l'appartement que le +procureur du roi, lui et moi; puis si je pensais qu'il fît +jour ou nuit, et enfin si je pouvais certifier que j'eusse +cinq doigts à chaque main.</p> + +<p>Outré de l'impertinence de ces questions, je résolus la +dernière en lui appliquant un vigoureux soufflet. J'eus +tort, sans doute, surtout en la présence d'un magistrat +tout prêt à instruire contre le délit. Mais le sang me montait +à la tête, et il ne m'était pas plus longtemps possible +de me laisser traiter comme un idiot ou comme un fou +sans en avoir le motif.</p> + +<p>Grand fut l'esclandre. Le magistrat voulut prendre +fait et cause pour son compère; je le saisis à la gorge et +je l'eusse étranglé, si l'épicier, son gendre et une demi-douzaine +de voisins ne fussent venus à son secours. Alors +on s'empara de moi, on me lia les pieds et les mains +comme à un furieux, on m'entoura la bouche de serviettes +et l'on me conduisit à l'hospice de ville, où je fus +enfermé dans la chambre destinée aux sujets frappés d'aliénation +mentale.</p> + +<p>La chambre, je dois le dire, était confortable, et j'y fus +traité avec beaucoup de douceur, d'autant plus que je ne +donnais aucun signe de folie. L'erreur du médecin et du +magistrat fut bientôt constatée. Mais il me fut difficile de +recouvrer ma liberté, car le dernier, prévoyant qu'il serait +forcé de me demander une réparation de l'injure que +je lui avais faite, s'obstina à me faire passer pour aliéné, +afin de pouvoir se donner les apparences du sang-froid et +de la générosité à mon égard.</p> + +<p>Je sortis enfin; mais le procureur du roi me fit mander +immédiatement dans son cabinet et m'adressa cette mercuriale:</p> + +<p>—Jeune homme, me dit-il avec ce ton capable et paternel +que tout magistrat imberbe se croit le droit de prendre +quand il a endossé la ratine judiciaire, vous avez, sinon +de grandes erreurs, du moins de graves inconséquences +à réparer. Étranger, vous avez été accueilli dans cette +ville avec toutes les marques de la bienveillance et toute +l'aménité de moeurs qui distingue ses habitants. Malade, +vous avez été soigné par vos voisins, avec zèle et dévouement. +Tous ces témoignages de confiance et d'intérêt +eussent dû graver profondément en vous le sentiment des +convenances et celui de la gratitude...</p> + +<p>—Mille noms d'un sabord! Monsieur, m'écriai-je dans +mon style de marin, qui, dans la colère, reprenait malgré +moi le dessus, où voulez-vous en venir, et qu'ai-je fait +pour mériter la prison et votre harangue?...</p> + +<p>—Monsieur, dit-il en fronçant le sourcil, voici ce que +vous avez fait: vous avez accepté l'hospitalité que chaque +jour un honnête citoyen, un estimable épicier, vous +offrait au sein de sa famille, et vous l'avez acceptée avec +des intentions qu'il ne m'appartient pas de qualifier, et +dont votre conscience seule peut être juge. Moi je pense +que votre intention a été de séduire la fille de l'épicier et +de l'éblouir par des discours incohérents qui portaient +tous les caractères de l'exaltation; ou de vous faire un +jeu de sa simplicité, en la mystifiant par d'énigmatiques +railleries.</p> + +<p>—Juste ciel! qui a dit cela? m'écriai-je avec angoisse.</p> + +<p>—Madame Cora Gibonneau elle-même. D'abord elle a +considéré vos étranges discours comme des traits d'originalité +naturelle. Peu à peu elle s'en est effrayée comme +d'actes de démence. Longtemps elle a hésité à en prévenir +ses parents, car dans le coeur de ces respectables +bourgeois, la bonté et la compassion sont des vertus +héréditaires. Mais enfin, mariée depuis peu à un digne +homme qu'elle adore et pour qui, vous le savez sans +doute depuis longtemps, elle nourrissait en secret avant +son hyménée une passion qui avait profondément altéré +sa santé et l'eût conduite au tombeau si ses parents +l'eussent contrariée plus longtemps; enfin, dis-je, mariée +à l'estimable pharmacien Gibonneau, affaiblie par +les commencements d'une grossesse assez pénible, et +craignant avec raison les conséquences de la frayeur dans +la position où elle se trouve, madame Cora s'est décidée +à instruire ses parents de l'égarement de votre cerveau +et des preuves journalières que vous lui en donniez depuis +quelque temps. Ces honnêtes gens ont hésité à le +croire et vous ont surveillé avec une extrême réserve de +délicatesse. Enfin, vous voyant un jour dans un état +d'exaltation et de délire qui épouvantait sérieusement +leur fille, ils ont pris le parti d'implorer la protection des +lois et la sauvegarde de la magistrature... Et l'appui des +lois ne leur a pas manqué, et la magistrature s'est levée +pour les rassurer, car la magistrature sait que son plus +beau privilège est de...</p> + +<p>—Assez, assez, pour Dieu! Monsieur, m'écriai-je, je +pourrais vous dire par coeur le reste de votre phrase, tant +je l'ai entendu déclamer de fois à tout propos...</p> + +<p>—Non, jeune homme, s'écria le magistrat à son tour +en élevant la voix, vous n'échapperez point à la sollicitude +d'une magistrature qui doit ses conseils et sa surveillance +à la jeunesse, à une magistrature qui veut le +bonheur et le repos des citoyens. Profitez du reproche +que vous avez encouru. Voyez vos torts, ils sont graves! +vous avez porté le trouble et la crainte dans la famille de +l'épicier; vous avez méconnu la sainte hospitalité qui +vous y était offerte, en essayant de railler ou de séduire +l'épouse irréprochable d'un pharmacien éclairé... Oui, +vous avez tenté l'un ou l'autre, Monsieur, car je ne sais +point le sens que la loi peut adjuger aux étranges fragments +de versification dont vous avez endommagé les +murs de cette maison hospitalière, et qui m'ont été montrés +par la fille de l'épicier comme une preuve irrécusable +de votre démence... Enfin, Monsieur, non content +d'affliger de braves gens et d'inquiéter le voisinage, vous +avez résisté à l'autorité représentée par moi, vous avez +pris au collet et frappé le médecin distingué qui vous +donnait des soins, vous avez fait une scène de violence +qui a troublé le repos de toute une population paisible, +et qui a pensé devenir funeste à madame Gibonneau par +la frayeur qu'elle lui a causée.</p> + +<p>—Cora est malade! m'écriai-je. Grand Dieu!... Et je +voulais courir, échapper à l'éloquence tribunitienne de +mon bourreau. Il me retint.</p> + +<p>—Vous ne me quitterez pas, jeune homme, me dit-il, +sans avoir écouté la voix de la raison, sans m'avoir +donné votre parole d'honneur de suspendre vos visites, +chez madame Gibonneau, et de quitter même le logement +que vous occupez vis-a-vis la maison de l'épicière.</p> + +<p>—-Eh! Monsieur, m'écriai-je, je jure que je vais dire +adieu et demander pardon à ces honnêtes gens, savoir des +nouvelles de madame Cora, et qu'une heure après j'aurai +quitté cette ville fatale.</p> + +<p>Je m'armai de courage et de sang-froid pour rentrer +chez l'épicier. Comme j'avais passé pour fou dans toute +la ville, ma sortie de prison fit une profonde sensation; +l'épicier parut inquiet et soucieux, sa femme se cacha +presque derrière lui, Cora devint pâle de terreur, et +M. Gibonneau, sans rien dire, me fit une mine de mauvais +garçon. Je leur parlai avec calme, les priai d'excuser +le scandale que je leur avais causé, et de croire à mon +éternelle reconnaissance pour les soins et l'affection que +j'avais trouvés chez eux.</p> + +<p>—Pour vous, Madame, dis-je d'une voix émue à Cora, +pardonnez surtout aux extravagances dont je vous ai +rendue témoin; si je croyais que vous m'eussiez soupçonné +un seul instant de manquer au respect que je vous +dois, j'en mourrais de douleur. J'espère que vous oublierez +l'absurdité de ma conduite pour ne vous souvenir +tous que des humbles excuses et des affectueux remerciements +que je vous adresse en vous quittant pour +jamais.</p> + +<p>A ce mot je vis toutes les figures s'éclaircir, à l'exception +de celle de Cora, qui, je dois le dire, n'exprima +qu'une douce compassion. Je voulus essayer de lui demander +l'état de sa santé, dont j'avais causé l'altération +par mes folies. Mais en songeant à la cause première de +son état maladif, à l'amour qu'elle avait depuis si longtemps +pour son mari et à l'heureux gage de cet amour +qu'elle portait dans son sein, ma langue s'embarrassa et +mes pleurs coulèrent malgré moi. Alors la famille m'entoura, +pleurant aussi et m'accablant de marques de regret +et d'attachement; Cora me tendit même sa belle +main, que je n'avais jamais eu le bonheur de toucher, et +que je n'osai pas seulement porter à mes lèvres. Enfin je +m'éloignai comblé de bénédictions pour mon séjour parmi +eux et particulièrement pour mon départ; car, au milieu +de toutes les choses amicales qui me furent dites, il n'y +eut pas une voix, pas un mot pour m'engager à rester.</p> + +<p>Accablé de douleur, brisé jusqu'à l'âme, je sentais mes +genoux fléchir sous moi en quittant cette maison où j'avais +fait des rêves si doux et nourri des illusions si brillantes. +Je m'appuyai contre le seuil tapissé de vigne, et +je jetai un dernier regard de tendresse et d'adieu sur la +belle giroflée de la fenêtre.</p> + +<p>Alors j'entendis une voix qui partait de l'intérieur et +qui prononçait mon nom. C'était la voix de Cora; j'écoutai:—Pauvre +jeune homme! disait-elle d'un ton pénétré, +il est donc enfin parti!</p> + +<p>—Je n'en suis pas fâché, répondit l'épicier, quoique +après tout ce soit un brave garçon et qu'il paie bien ses +mémoires.</p> + +<p>J'ai traversé cette ville l'année dernière pour aller en +Limousin. J'ai aperçu Cora à sa fenêtre; il y avait trois +beaux enfants autour d'elle, et un superbe pot de giroflée +rouge. Cora avait le nez allongé, les lèvres amincies, +les yeux un peu rouges, les joues creuses et quelques +dents de moins.</p> +<br> +<p>GEORGE SAND.</p> +<br> +FIN DE CORA. + +<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12837 ***</div> +</body> +</html> diff --git a/12837-h/images/ill-1.png b/12837-h/images/ill-1.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..651ead4 --- /dev/null +++ b/12837-h/images/ill-1.png diff --git a/12837-h/images/ill-2.png b/12837-h/images/ill-2.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..637ff30 --- /dev/null +++ b/12837-h/images/ill-2.png diff --git a/12837-h/images/ill-3.png b/12837-h/images/ill-3.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..2ac8fa9 --- /dev/null +++ b/12837-h/images/ill-3.png diff --git a/12837-h/images/ill-4.png b/12837-h/images/ill-4.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..d09d6ae --- /dev/null +++ b/12837-h/images/ill-4.png diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize +this eBook outside of the United States should confirm copyright +status under the laws that apply to them. diff --git a/README.md b/README.md new file mode 100644 index 0000000..55fc7aa --- /dev/null +++ b/README.md @@ -0,0 +1,2 @@ +Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for +eBook #12837 (https://www.gutenberg.org/ebooks/12837) diff --git a/old/12837-8.txt b/old/12837-8.txt new file mode 100644 index 0000000..bc83467 --- /dev/null +++ b/old/12837-8.txt @@ -0,0 +1,1484 @@ +The Project Gutenberg EBook of Cora, by George Sand + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Cora + +Author: George Sand + +Release Date: July 7, 2004 [EBook #12837] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CORA *** + + + + +Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading +Team. This file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr + + + + + + + +[Illustration] + +CORA. + +de + +Georges Sand + + + +I. + +A mon retour de l'île Bourbon (je me trouvais dans une situation +assez précaire), je sollicitai et j'obtins un mince emploi dans +l'administration des postes. Je fus envoyé au fond de la province, +dans une petite ville dont je tairai le nom pour des motifs que vous +concevrez facilement. + +L'apparition d'une nouvelle figure est un événement dans une petite +ville, et, quoique mon emploi fût des moins importants, pendant quelques +jours je fus, après un phoque vivant et deux boas constrictors, qui +venaient de s'installer sur la place du marché, l'objet le plus excitant +de la curiosité publique et le sujet le plus exploité des conversations +particulières. + +La niaise oisiveté dont j'étais victime me séquestra chez moi pendant +toute la première semaine. J'étais fort jeune, et la négligence +que j'avais jusqu'alors apportée par caractère aux importantes +considérations de la _mise_ et de la _tenue_ commençaient à se révéler à +moi sous la forme du remords. + +Après un séjour de quelques années aux colonies, ma toilette se +ressentait visiblement de l'état de stagnation honteuse où l'avait +laissé le progrès du siècle. Mon chapeau à la Bolivar, mes favoris à +la Bergami et mon manteau à la Quiroga étaient en arrière de plusieurs +lustres, et le reste de mon accoutrement avait une tournure exotique +dont je commençais à rougir. + +Il est vrai que, dans la solitude des champs, ou dans l'incognito d'une +grande ville, ou dans le tourbillon de la vie errante, j'eusse pu +exister longtemps encore sans me douter du malheur de ma position. Mais +une seule promenade hasardée sur les remparts de la ville m'éclaira +tristement à cet égard. Je ne fis point dix pas hors de mon domicile +sans recevoir de salutaires avertissements sur l'inconvenance de mon +costume. D'abord une jolie grisette me lança un regard ironique, et dit +à sa compagne, en passant près de moi:--«_Ce monsieur_ a une cravate +bien mal pliée.» Puis un ouvrier, que je soupçonnai être dans le +commerce des feutres, dit d'un ton goguenard, en posant ses poings sur +ses flancs revêtus d'un tablier de cuir:--«Si _ce monsieur_ voulait me +prêter son chapeau, j'en ferais fabriquer un sur le même modèle, afin +de me déguiser en _roast-beef_ le jour du carnaval.» Puis une _dame_ +élégante murmura en se penchant sur sa croisée:--«C'est dommage qu'il +ait un gilet si fané et la barbe si mal faite.» Enfin, un bel esprit du +lieu dit en pinçant la lèvre:--«Apparemment que le père de _ce monsieur_ +est un homme _puissant_, on le voit à l'ampleur de son habit.» Bref, +il me fallut bientôt revenir sur mes pas, fort heureux d'échapper aux +vexations d'une douzaine de polissons en guenilles qui criaient après +moi du haut de leur tête: A bas _l'angliche_! à bas le milord! à bas +l'étranger! + +Profondément humilié de ma mésaventure, je résolus de m'enfermer chez +moi jusqu'à ce que le tailleur du chef-lieu m'eût fait parvenir un habit +complet dans le dernier goût. L'honnête homme ne s'y épargna point, et +me confectionna des vêtements si exigus et si coquets que je pensai +mourir de douleur en me voyant réduit à ma plus simple expression, +et semblable en tous points à ces caricatures de _fats parisiens_ +et d'_incroyables_ qui nous faisaient encore pâmer de rire, l'année +précédente, à l'île Maurice. Je ne pouvais pas me persuader que je ne +fusse pas cent fois plus ridicule sous cet habit que sous celui que je +venais de quitter, et je ne savais plus que devenir; car j'avais +promis solennellement à mon hôtesse (la femme du plus gros notaire de +l'arrondissement) de la conduire au bal, et de lui faire danser la +première et probablement l'unique contredanse à laquelle ses charmes lui +donnaient le droit de prétendre. Incertain, honteux, tremblant, je me +décidai à descendre et à demander à cette estimable femme un avis rigide +et sincère sur ma situation. Je pris un flambeau et je me hasardai +jusqu'à la porte de son appartement; mais je m'arrêtai palpitant et +désespéré, en entendant partir de ce sanctuaire un bruit confus de voix +fraîches et perçantes, de rires aigus et naïfs, qui m'annonçaient la +présence de cinq ou six demoiselles de la ville. Je faillis retourner +sur mes pas; car, de m'exposer au jugement d'un si malin aréopage dans +une parure plus que problématique à mes yeux, c'était un héroïsme dont +peu de jeunes gens à ma place se fussent sentis capables. + +Enfin, la force de ma volonté l'emporta; je me demandai si j'avais lu +pour rien Locke et Condillac, et poussant la porte d'une main ferme, +j'entrai par l'effet d'une résolution désespérée. J'ai vu de près +d'affreux événements, je puis le dire: j'ai traversé les mers et les +orages, j'ai échappé aux griffes d'un tigre dans le royaume de Java, +et aux dents d'un crocodile dans la baie de Tunis; j'ai vu en face les +gueules béantes des sloops flibustiers; j'ai mangé du biscuit de mer qui +m'a percé les gencives; j'ai embrassé la fille du roi de Timor ... eh +bien! je vous jure que tout ceci n'était rien au prix de mon entrée dans +cet appartement, et que dans aucun jour de ma vie je ne recueillis un +aussi glorieux fruit de l'éducation philosophique. + +Les demoiselles étaient assises en cercle, et, en attendant que la femme +du notaire eût achevé de mêler à ses cheveux noirs une légère guirlande +de pivoines, ces gentes filles de la nature échangeaient entre elles de +joyeux propos et de naïves chansons. Mon apparition inattendue paralysa +l'élan de cette gaieté charmante. Le silence étendit ses ailes de hibou +sur leurs blondes têtes, et tous les yeux s'attachèrent sur moi avec +l'expression du doute, de la méfiance et de la peur. + +Puis tout à coup un cri de surprise s'échappa du sein de la plus jeune, +et mon nom vola de bouche en bouche comme la bordée d'une frégate armée +en guerre. Mon sang se glaça dans mes veines, et je faillis prendre la +fuite comme un brick qui a cru attaquer un chasse-marée, et qui, à +la portée de la longue-vue, découvre un beau trois-mâts, laissant +nonchalamment tomber ses sabords pour lui faire accueil. + +Mais, à ma grande stupéfaction, la femme de mon hôte, laissant la moitié +de ses boucles crêpées et menaçantes, tandis que l'autre gisait +encore sous le papier gris de la papillote, accourut vers moi en +s'écriant:--C'est notre jeune homme! c'est notre pauvre Georges! Ah! mon +Dieu! quelle métamorphose! qu'il est bien mis! quelle jolie tournure! +quelle coupe d'habit élégante et moderne!... Ah! Mesdemoiselles, +regardez! regardez comme M. Georges est changé, comme il a l'air +distingué. Vous ferez danser ces demoiselles, monsieur Georges, après +moi, pourtant! Vous m'avez forcée de vous promettre la première, vous +vous en souvenez? + +Les demoiselles gardaient le silence, et je doutais encore de mon +triomphe. Je rassemblai le reste de mon courage pour leur demander +timidement leur goût sur cet habit, et aussitôt un choeur de louanges +pur et mélodieux à mes oreilles comme un chant céleste s'éleva autour +de moi. Jamais on n'avait rien vu de mieux; on ne trouvait pas un pli +à blâmer; le collet raide et volumineux était d'un goût exquis, les +basques courtes et cambrées avaient une grâce parfaite, le gilet parsemé +de gigantesques rosaces était d'un éclat sans pareil; la cravate +inflexible, croisée avec une rigueur systématique, était un +chef-d'oeuvre d'invention; la manchette et le jabot terrible +couronnaient l'oeuvre. De mémoire de jeunes filles, aucun employé de +l'administration des postes n'avait fait un tel début dans le monde. + +J'avoue que ce n'est pas un des moins brillants souvenirs de ma jeunesse +que mon entrée triomphante dans ce bal, serré dans mon habit neuf, +froissé par les baleines dorsales de mon gilet, vexé par le rigorisme de +mes entournures, et, de plus, flanqué à droite de la femme du notaire, +à gauche de mademoiselle Phédora, sa nièce, la plus vieille et la plus +laide fille du département. N'importe, j'étais fier, j'étais heureux, +j'étais bien mis. + +La salle était un peu froide, un peu sombre, un peu malpropre; les +banquettes étaient bien tachées d'huile çà et là, les quinquets jouaient +bien un peu, sur les têtes fleuries et emplumées du bal, le vieux rôle +de l'épée de Damoclès; le parquet n'était pas fort brillant, les robes +des femmes n'étaient pas toutes fraîches, pas plus que la fraîcheur de +certains visages n'était naturelle. Il y avait bien des pieds un peu +larges dans des souliers de satin un peu rustiques, des bras un peu +rouges sous des manches de dentelle, des cous un peu hâlés sous des +colliers de perles, et des corsages un peu robustes sous des ceintures +de moire. Il y avait bien aussi sur l'habit des hommes une légère odeur +de tabac de la régie, dans l'office un parfum de vin chaud un peu +brutal, dans l'air un nuage de poussière un peu agreste, et pourtant +c'était une charmante fête, une aimable réunion, sur ma parole! La +musique n'était pas beaucoup plus mauvaise que celle de Port-Louis ou +de Saint-Paul. Les modes n'étaient, à coup sûr, ni aussi arriérées, ni +aussi exagérées que celles qu'on prétend suivre à Calcutta; en outre, +les femmes étaient généralement plus blanches, les hommes moins rudes et +moins bruyants. + +A tout prendre, pour moi qui n'avais point vu les merveilles de la +civilisation poussées à la dernière limite, pour moi qui n'avais vu +l'opéra qu'en Amérique et le bal qu'en Asie, le bal à peu près public et +général de la petite ville pouvait bien sembler pompeux et enivrant, +si l'on considère d'ailleurs la profonde sensation qu'y produisait mon +habit et le succès incontestable que j'obtins d'emblée à la fin de la +première contredanse. + +Mais ces joies naïves de l'amour-propre firent bientôt place à un +sentiment plus conforme à ma nature inflammable et contemplative. Une +femme entra dans le bal et j'oubliai toutes les autres; j'oubliai même +mon triomphe et mon habit neuf. Je n'eus plus de regards et de pensées +que pour elle. + +Oh! c'est qu'elle était vraiment bien belle, et qu'il n'était pas besoin +d'avoir vingt-cinq ans et d'arriver de l'Inde pour en être frappé. Un +peintre célèbre qui passa, l'année suivante, dans la ville, arrêta sa +chaise de poste en l'apercevant à sa fenêtre, fit dételer les chevaux et +resta huit jours à l'auberge du Lion-d'Argent, cherchant par tous les +moyens possibles à pénétrer jusqu'à elle pour la peindre. Mais jamais il +ne put faire comprendre à sa famille qu'on pouvait par amour de l'art +faire le portrait d'une femme sans avoir l'intention de la séduire. Il +fut éconduit, et la beauté de Cora n'est restée empreinte que dans le +cerveau peut-être de ce grand artiste, et dans le coeur d'un pauvre +fonctionnaire destitué de l'administration des postes. + +Elle était d'une taille moyenne admirablement proportionnée, souple +comme un oiseau, mais lente et fière comme une dame romaine. Elle était +extraordinairement brune pour le climat tempéré où elle était née; mais +sa peau était fine et unie comme la cire la mieux moulée. Le principal +caractère de sa tête régulièrement dessinée, c'était quelque chose +d'indéfinissable, de surhumain, qu'il faut avoir vu pour le comprendre; +des lignes d'une netteté prestigieuse, de grands yeux d'un vert si pâle +et si transparent qu'ils semblaient faits pour lire dans les mystères +du monde intellectuel plus que dans les choses de la vie positive; une +bouche aux lèvres minces, fines et pâles, au sourire imperceptible, aux +rares paroles; un profil sévère et mélancolique, un regard froid, triste +et pensif, une expression vague de souffrance, d'ennui et de dédain; +et puis des mouvements doux et réservés, une main effilée et blanche, +beauté si rare chez les femmes d'une condition médiocre; une toilette +grave et simple, discernement si étrange chez une provinciale; surtout +un air de dignité calme et inflexible qui aurait été sublime sous la +couronne de diamants d'une reine espagnole, et qui, chez cette pauvre +fille, semblait être le sceau du malheur, l'indice d'une organisation +exceptionnelle. + +[Illustration: Elle lisait.] + +Car c'était la fille... le dirai-je? il le faut bien: Cora était la +fille d'un épicier. + +O sainte poésie, pardonne-moi d'avoir tracé ce mot! Mais Cora eût relevé +l'enseigne d'un cabaret. Elle se fût détachée comme l'ange de Rembrandt +au-dessus d'un groupe flamand. Elle eût brillé comme une belle fleur +au milieu des marécages. Du fond de la boutique de son père, elle eût +attiré sur elle le regard du grand Scott. Ce fut sans doute une beauté +ignorée comme elle qui inspira l'idée charmante de _la belle fille de +Perth_. + +Et elle s'appelait Cora; elle avait la voix douce, la démarche réservée, +l'attitude rêveuse. Elle avait la plus belle chevelure brune que j'aie +vue de ma vie, et seule, entre toutes ses compagnes, elle n'y mêlait +jamais aucun ornement. Mais il y avait plus d'orgueil dans le luxe de +ses boucles épaisses que dans l'éclat d'un diadème. Elle n'avait pas non +plus de collier ni de fleurs sur la poitrine. Son dos brun et velouté +tranchait fièrement sur la dentelle blanche de son corsage. Sa robe +bleue la faisait paraître encore plus brune de ton et plus sombre +d'expression. Elle semblait tirer vanité du caractère original de sa +beauté. + +[Illustration: Je revins à moi sur un grand fauteuil.] + +Elle semblait avoir deviné qu'elle était belle autrement que toutes les +autres: car je n'ai pas besoin de vous le dire, Cora étant d'un type +rare et d'un coloris oriental, Cora ressemblant à la juive Rebecca, ou +à la Juliette de Shakespeare, Cora majestueuse, souffrante et un peu +farouche, Cora qui n'était ni rose, ni replette, ni agaçante, ni +gentille, n'était ni aperçue ni soupçonnée dans la foule. Elle vivait là +comme une rose épanouie dans le désert, comme une perle échouée sur le +sable, et la première personne venue, à qui vous eussiez exprimé votre +admiration à la vue de Cora, vous eût répondu: Oui, elle ne serait pas +mal si elle était plus blanche et moins maigre. + +J'étais si troublé auprès d'elle, si subitement épris, que vraiment +j'oubliais toute la confiance qu'eussent dû m'inspirer mon habit neuf +et mon gilet à rosaces. Il est vrai qu'elle y accordait fort peu +d'attention, qu'elle écoutait d'un air distrait des fadeurs qui me +faisaient suer sang et eau à débiter, qu'elle laissait, à chaque +invitation de ma part, tomber de ses lèvres un mot bien faible, et, dans +ma main tremblante, une main dont je sentais la froideur au travers de +son gant. Hélas! qu'elle était indifférente et hautaine, la fille de +l'épicier! Qu'elle était singulière et mystérieuse, la brune Cora! Je +ne pus jamais obtenir d'elle, dans toute la durée de la nuit, qu'une +demi-douzaine de monosyllabes. + +Il m'arriva le lendemain de lire, pour le malheur de ma vie, les Contes +fantastiques. Pour mon malheur encore, aucune créature sous le ciel ne +semblait être un type plus complet de la beauté fantastique et de la +poésie allemande que Cora aux yeux verts et au corsage diaphane. + +Les adorables poésies d'Hoffman commençaient à circuler dans la ville. +Les matrones et les pères de famille trouvaient le genre détestable et +le style de mauvais goût. Les notaires et les femmes d'avoués faisaient +surtout une guerre à mort à l'invraisemblance des caractères et au +romanesque des incidents. Le juge de paix du canton avait l'habitude de +se promener autour des tables dans le cabinet de lecture, et de dire aux +jeunes gens égarés par cette poésie étrangère et subversive: _Rien n'est +beau que le vrai_, etc. Je me souviens qu'un vaurien de lycéen, en +vacances, lui dit à cette occasion en le regardant fixement: + +--Monsieur, cette grosse verrue que vous avez au milieu du nez est sans +doute postiche? + +Malgré les remontrances paternelles, malgré les anathèmes du _principal_ +et des professeurs de sixième, le mal gagna rapidement, et une grande +partie de la jeunesse fut infectée du venin mortel. On vit de jeunes +débitants de tabac se modeler sur le type de Kressler, et des +surnuméraires à l'enregistrement s'évanouir au son lointain d'une +cornemuse ou d'une chanson de jeune fille. + +Pour moi, je confesse et je déclare ici que je perdis complètement la +tête. Cora réalisait tous les rêves enivrants que le poëte m'inspirait, +et je me plaisais à la gratifier d'une nature immatérielle et féerique +qui réellement semblait avoir été imaginée pour elle. J'étais heureux +ainsi. Je ne lui parlais pas, je n'avais aucun titre pour m'approcher +d'elle. Je ne recueillais aucun encouragement à ma passion; je n'en +cherchais même pas. Seulement, je quittai la maison du notaire et +je louai une misérable chambre directement en face de la maison de +l'épicier. Je garnis ma fenêtre d'un épais rideau, dans lequel je +pratiquai des fentes habilement ménagées. Je passais là en extase toutes +les heures que je pouvais dérober à mon travail. + +La rue était déserte et silencieuse. Cora était assise à sa fenêtre au +rez-de-chaussée. Elle lisait. Que lisait-elle? Il est certain qu'elle +lisait du matin au soir. Et puis elle posait son livre sur un vase de +giroflée jaune qui brillait à la fenêtre. Et la tête penché sur sa main, +les boucles de ses beaux cheveux nonchalamment mêlées aux fleurs d'or +et de pourpre, l'oeil fixe et brillant, elle semblait percer le pavé et +contempler, à travers la croûte épaisse de ce sol grossier, les mystères +de la tombe et de la reproduction des essences fécondantes, assister à +la naissance de la fée aux Roses, et encourager le germe d'un beau génie +aux ailes d'or dans le pistil d'une tulipe. + +Et moi je la regardais, j'étais heureux. Je me gardais bien de me +montrer, car, au moindre mouvement du rideau, au moindre bruit de ma +fenêtre, elle disparaissait comme un songe. Elle s'évanouissait comme +une vapeur argentée dans le clair-obscur de l'arrière-boutique; je me +tenais donc là, immobile, retenant mon souffle, imposant silence aux +battements de mon coeur, quelquefois à genoux implorant ma fée dans le +silence, envoyant vers elle les brûlantes aspirations d'une âme que son +essence magique devait pénétrer et entendre. Parfois je m'imaginais +voir mon esprit et le sien voltiger enlacés dans un de ces rayons de +poussière d'or que le soleil de midi infiltrait dans la profondeur +étroite et anguleuse delà rue. Je m'imaginais voir partir de son oeil +limpide comme l'eau qui court sur la mousse, un trait brûlant qui +m'appelait tout entier dans son coeur. + +Je restai là tout le jour, égaré, absurde, ridicule; mais exalté, mais +amoureux, mais jeune! mais inondé de poésie et n'associant personne aux +mystères de ma pensée et ne sentant jamais mes élans entravés par la +crainte de tomber dans le mauvais goût, n'ayant que Dieu pour juge et +pour confident de mes rêves et de mes extases. + +Puis, quand le jour finissait, quand la pâle Cora fermait sa fenêtre et +tirait son rideau, j'ouvrais mes livres favoris et je la retrouvais sur +les Alpes avec Manfred, chez le professeur Spallanzani avec Nathanaël, +dans les cieux avec Oberon. + +Mais, hélas! ce bonheur ne fut pas de bien longue durée. Jusque-là +personne n'avait découvert la beauté de Cora; j'en jouissais tout seul. +Elle n'était comprise et adorée que par moi. La contagion fantastique, +en se répandant parmi les jeunes gens de la ville, jeta un trait de +lumière sur la romantique bourgeoise. + +Un impertinent bachelier s'avisa un matin, en passant devant ses +fenêtres, de la comparer à Anne de Gierstern, la fille du brouillard. +Ce mot fit fortune: on le répéta au bal. Les _inspirés_ de l'endroit +remarquèrent la danse molle et aérienne de Cora. Un autre génie de la +société la compara à la reine Mab. Alors, chacun voulant faire montre de +son érudition, apporta son épithète et sa métaphore, et la pauvre fille +en fut écrasée à son insu. Quand ils eurent assez profané mon idole avec +leurs comparaisons, ils l'entourèrent, ils l'accablèrent de soins et de +madrigaux, ils la firent danser jusqu'à l'extinction des quinquets, ils +me la rendirent le lendemain fatiguée de leur esprit, ennuyée de leur +babil, flétrie de leur admiration; et ce qui acheva de me briser le +coeur, ce fut de voir apparaître à la fenêtre le profil arrondi et +jovial d'un gros étudiant en pharmacie à côté du profil grec et délié de +ma sylphide. + +Pendant bien des matins et bien des soirs, je vins derrière le rideau +mystérieux essayer de combattre le charme que mon odieux rival avait +jeté sur la famille de l'épicier. Mais en vain j'invoquai l'amour, le +diable et tous les saints, je ne pus écarter sa maligne influence. Il +revint, sans se lasser, tous les jours s'asseoir à côté de Cora, dans +l'embrasure de la fenêtre, et il lui parlait. De quoi osait-il lui +parler, le malheureux! La figure impénétrable de Cora n'en trahissait +rien. Elle semblait écouter ses discours sans les entendre, et à +l'imperceptible mouvement de ses lèvres, je devinais quelquefois qu'elle +lui répondait froidement et brièvement comme elle avait l'habitude de le +faire, et puis la conversation semblait languir. + +Le couple contraint et ennuyé étouffait de part et d'autre des +bâillements silencieux. Cora regardait tristement son livre fermé sur la +fenêtre et que la présence de son adorateur l'empêchait de continuer. +Puis elle appuyait son coude sur le pot de giroflées et le menton sur +la paume de sa main, et le regardant d'un regard fixe et glacial, elle +semblait étudier les fibres grossières de son organisation morale au +travers de la loupe de maître Floh. + +Après tout, elle supportait ses assiduités comme un mal nécessaire; car, +au bout de six semaines, l'apprenti pharmacien conduisit la belle Cora +au pied des autels, où ils reçurent la bénédiction nuptiale. Cora était +admirablement chaste et sévère sous son costume de mariée. Elle avait +l'air calme, indifférent, ennuyé comme toujours. Elle traversa la foule +avide d'un pas aussi mesuré qu'à l'ordinaire, et promena sur les curieux +ébahis son oeil sec et scrutateur. Quand il rencontra ma figure morne et +flétrie, il s'y arrêta un instant et sembla dire: Voici un homme qui est +incommodé d'un catarrhe ou d'un mal de dents. + +Pour moi, j'étais si désespéré, que je sollicitai mon changement ... + + +II. + +Mais je ne l'obtins pas, et je restai témoin du bonheur d'un autre. +Alors je pris le parti de tomber malade, ce qui me sauva du désespoir, +ainsi qu'il arrive toujours en pareil cas. + +Si dégoûté qu'on soit de la vie, il est certain que, lorsque la fatalité +nous y retient malgré nous, la faiblesse humaine ne peut s'empêcher de +remercier secrètement la fatalité. La mort est si laide qu'aucun de nous +ne la voit de près sans effroi. Bien magnanimes sont ceux qui enfoncent +le rasoir jusqu'à l'artère carotide, ou qui avalent le poison jusqu'au +fond de la coupe. (Je dis la _coupe_, parce qu'il n'est pas séant et +presque impossible de s'empoisonner dans un vase qui porte un autre nom +quelconque.) + +Oui, le proverbe d'Ésope est la sagesse des nations. Nous aimons la vie +comme une maîtresse que nous convoitons encore avec les sens, après même +que toute estime et toute affection pour elle sont éteintes en nous. +Le soir où je vis un prêtre et un médecin convenablement graves à mon +chevet, je n'eus pas la force de m'enquérir vis-à-vis de moi-même de +ce que j'en ressentais de joie ou de peine. Mais quand, un matin, je +m'éveillai faible et languissant, et que je vis la garde-malade endormie +profondément sur sa chaise, le soleil brillant sur les toits et les +fioles pharmaceutiques vides sur le guéridon, quand je me hasardai à +remuer et que je sentis ma tête sans douleur, mes membres légers, et +mon corps débile dégagé de tous les liens de fer de la souffrance, je +ressentis un insurmontable sentiment de bien-être et de reconnaissance +envers le ciel. + +Et puis je me rappelai Cora et son mariage, et j'eus honte de la joie +que je venais d'éprouver; car, après les ferventes prières que j'avais +adressées à Dieu et au médecin pour être délivré de la vie, c'était une +inconséquence sans pareille que d'en accepter le retour sans colère et +sans amertume. Je me mis donc à répandre des larmes. La jeunesse est si +riche en émotions de tout genre, qu'il lui est possible de se torturer +elle-même en dépit de la force de l'espoir, de la poésie, de tous les +bienfaits dont l'a douée la Providence. Je lui reprochai, moi, d'avoir +été plus sage que moi, et de n avoir pas permis qu'un amour bizarre +et presque imaginaire me conduisît au tombeau. Puis je me résignai et +j'acceptai la volonté de Dieu, qui rivait ma chaîne et me condamnait +à jouir encore de la vue du ciel, de la beauté de la nature et de +l'affection de mes proches. + +Quand je fus assez fort pour me lever, je m'approchai de la fenêtre avec +un inexprimable serrement de coeur. Cora était là; elle lisait. Elle +était toujours belle, toujours pâle, toujours seule. J'eus un sentiment +de joie. Elle m'était donc rendue, ma fée aux yeux verts; ma belle +rêveuse solitaire! Je pourrais la contempler encore et nourrir en secret +cette passion extatique que le regard d'un rival m'avait forcé de +refouler si longtemps! Tout à coup elle releva sa tête brune, et ses +yeux, errant au hasard sur la muraille, aperçurent ma face pâle qui se +penchait vers elle. Je tressaillis, je crus qu'elle allait fuir comme à +l'ordinaire. Mais, ô transport! elle ne s'enfuit point. Au contraire, +elle m'adressa un salut plein de politesse et de douceur, puis elle +reporta son attention sur son livre, et resta sous mes yeux absolument +indifférente à l'assiduité de mes regards; mais du moins elle resta. + +Un homme plus expérimenté que moi eût préféré l'ancienne sauvagerie +de Cora à l'insouciance avec laquelle désormais elle bravait le +face-à-face. Mais pouvais-je résister au charme qu'elle venait de jeter +sur moi avec son salut bienveillant et gracieux? Je m'imaginai tout ce +qu'il peut entrer de chaste intérêt et de bienveillance réservée dans un +modeste salut de femme. C'était la première marque de connaissance +que me donnait Cora. Mais avec quelle ingénieuse délicatesse elle +choisissait l'instant de me la donner! Combien il entrait de compassion +généreuse dans ce faible témoignage d'un intérêt timide et discret! Elle +n'osait point me demander si j'étais mieux. D'ailleurs elle le voyait, +et son salut valait tout un long discours de félicitations. + +Je passai toute la nuit à commenter ce charmant salut, et le lendemain, +à l'heure où Cora reparut, je me hasardai à risquer le premier +témoignage de notre intelligence naissante. Oui, j'eus l'audace de la +saluer profondément; mais je fus si bouleversé de ce que j'osais faire, +que je n'eus point le courage de fixer mes yeux sur elle. Je les tins +baissés avec crainte et respect, ce qui fit que je ne pus point savoir +si elle me rendait mon salut, ni de quel air elle me le rendait. + +Troublé, palpitant, plein d'espoir et de terreur, je restais le front +caché dans mes mains, n'osant plus montrer mon visage, lorsqu'une voix +s'éleva dans le silence de la rue, et, montant vers moi, m'adressa ces +douces paroles: + +--Il parait, Monsieur, que votre santé est meilleure? + +Je tressaillis, je retirai ma tête de mes mains; je regardai Cora, je ne +pouvais en croire mes oreilles, d'autant plus que la voix était un peu +rude, un peu mâle, et que je m'étais toujours imaginé la voix de +Cora plus douce que celle de la brise d'avril caressant les fleurs +naissantes. Mais comme je la contemplais d'un air éperdu, elle réitéra +sa question dans des termes dont la douceur me fit oublier l'accent un +peu indigène et le timbre un peu vigoureux de sa voix. + +--Je vois avec plaisir, dit-elle, que monsieur Georges se porte mieux. + +Je voulus faire une réponse qui exprimât l'enthousiasme de ma +reconnaissance; mais cela me fut impossible: je pâlis, je rougis, je +balbutiai quelques paroles inintelligibles; je faillis m'évanouir. + +A ce moment, l'épicier, le père de ma Cora, approchant son profil osseux +de la fenêtre, lui dit d'un ton rauque, mais pourtant bienveillant: + +--A qui parles-tu donc, mignonne? + +--A notre voisin, M. Georges, qui est enfin convalescent et que je vois +à sa fenêtre. + +--Ah! j'en suis charmé, dit l'épicier, et, soulevant son bonnet de +loutre: Comment va la santé, mon cher voisin? + +Je remerciai avec plus d'assurance le père de ma bien-aimée. J'étais le +plus heureux des mortels; j'obtenais enfin un peu d'intérêt de cette +famille naguère si farouche et si méfiante envers moi. Mais hélas! +pensais-je presque aussitôt, que me sert à présent d'être plaint et +consolé? Cora n'est-elle pas pour jamais unie à un autre? + +L'épicier, appuyant ses deux coudes sur sa fenêtre, entama alors avec +moi une conversation affectueuse et bienveillante sur la beauté de la +journée, sur le plaisir de revenir à la vie par un si bon soleil, sur +l'excellence des gilets de flanelle en temps de convalescence, et les +bienfaisants effets de l'eau miellée et du sirop de gomme sur les +poitrines fatiguées et les estomacs débilités. + +Jaloux de soutenir et de prolonger un entretien si précieux, je lui +répondis par des compliments flatteurs sur la beauté des giroflées qui +fleurissaient à sa fenêtre, sur la grâce mignonne et coquette de son +chat qui dormait au soleil devant la porte, et sur la bonne exposition +de sa boutique qui recevait en plein les rayons du soleil de midi. + +--Oui, oui, répondit l'épicier, au commencement du printemps les rayons +du soleil ne sont point à dédaigner; plus tard ils deviennent un peu +trop bons.... + +A cet entretien cordial et ingénu, Cora mêlait de temps en temps des +réflexions courtes et simples, mais pleines de bon sens et de justesse; +j'en conclus qu'elle avait un jugement droit et un esprit positif. + +Puis, comme j'insistais sur l'avantage d'avoir la façade de son logis +exposée au midi, Cora, inspirée par le ciel et par la beauté de son âme, +dit à son père: + +--Au fait, la chambre de M. Georges exposée au nord doit encore être +assez fraîche dans ce temps-ci. Peut-être, si vous lui proposiez de +venir s'asseoir une heure ou deux chez nous, serait-il bien aise de voir +le soleil en face? + +Puis elle se pencha vers son oreille, et lui dit tout bas quelques mots +qui semblèrent frapper vivement l'épicier. + +--C'est bien, ma fille, s'écria-t-il d'un ton jovial Vous plairait-il, +monsieur Georges, d'accepter une chaise à côté de ma Cora? + +--O mon Dieu! pensai-je, si c'est un rêve, faites que je ne m'éveille +point. + +Une minute après, le généreux épicier était dans ma chambre et m'offrait +son bras pour descendre. J'étais ému jusqu'aux larmes et je lui pressai +les mains avec une effusion qui le surprit, tant son action lui +paraissait naturelle. + +Au seuil de ma maison, je trouvai Cora qui venait pour aider son père +à me soutenir en traversant la rue. Jusque-là je me sentais la force +d'aller vers elle; mais dès qu'elle toucha mon bras, dès que sa main +longue et blanche effleura mon coude, je me sentis défaillir, et je +perdis le sentiment de mon bonheur pour l'avoir senti trop vivement. + +Je revins à moi sur un grand fauteuil de cuir à clous dorés, qui, depuis +cinquante ans, servait de trône au patriarcal épicier. Sa digne compagne +me frottait les tempes avec du vulnéraire, et Cora, la belle Cora, +tenait sous mes narines son mouchoir imbibé d'alcool. Je faillis +m'évanouir de nouveau; je voulus remercier, mais je n'avais pas +d'expressions pour peindre ma gratitude; pourtant, dans un moment où +l'épicier, me voyant mieux, se retirait, et ou sa femme passait dans +l'arrière-boutique pour me chercher un verre d'eau de réglisse, je dis à +Cora en levant sur elle mon oeil languissant: + +--Ah! Madame, pourquoi ne m'avoir pas laissé mourir? j'étais si heureux +tout à l'heure! + +Elle me regarda d'un air étonné et me dit d'un ton +affectueux:--Remettez-vous, Monsieur, vous avez de la fièvre, je le vois +bien. + +Quand je fus tout à fait remis de mon trouble, l'épicière retourna à la +boutique, et je restai seul avec Cora. + +Comme le coeur me battit alors! Mais elle était calme, et sa sérénité +m'imposait tant de respect que je pris sur moi de paraître calme aussi. + +Cependant ce tête-à-tête devint pour moi d'un cruel embarras. Cora +n'aimait point à parler. Elle répondait brièvement à toutes les choses +que je tirais de mon cerveau avec d'incroyables efforts, et, quoi que je +fisse, jamais ses réponses n'étaient de nature à nouer l'entretien; sur +quelque matière que ce fût, elle était de mon avis. Je ne pouvais pas +m'en plaindre, car je lui disais de ces choses sensées qu'il n'est pas +possible de combattre à moins d'être fou. Par exemple, je lui demandai +si elle aimait la lecture.--Beaucoup, me répondit-elle.--C'est qu'en +effet, repris-je, c'est une si douce occupation!--En effet, reprit-elle, +c'est une très-douce occupation.--Pourvu, ajoutai-je, que le livre qu'on +lit soit beau et intéressant.--Oh! certainement, ajouta-t-elle.--Car, +poursuivis-je, il en est de bien insipides.--Mais aussi, +poursuivit-elle, il en est de bien jolis.--Cet entretien eut pu nous +mener loin si je me fusse senti la hardiesse de l'interroger sur le +genre de ses lectures. Mais je craignis que cela ne fût indiscret, et je +me bornai à jeter un regard furtif sur le livre entr'ouvert au pied de +la giroflée. C'était un roman d'Auguste Lafontaine. J'eus la sottise +d'en être affecté d'abord. Et puis, en y réfléchissant, je trouvai dans +le choix de cette lecture une raison d'admirer la simplicité et la +richesse d'un coeur qui pouvait puiser là des émotions attachantes. Je +parcourus de l'oeil une pile de volumes délabrés qui gisaient sur un +rayon près de moi. Je ne nommerai point les auteurs chéris de ma Cora; +les lecteurs blasés en riraient, et moi, dans ma vaine enflure de poëte, +je faillis en être froissé.... Mais je revins bientôt à la raison en +comparant les ressources d'un esprit si neuf et d'une âme si virginale à +la vieillesse prématurée de nos imaginations épuisées. Il y avait dans +la vie intellectuelle des trésors auxquels Cora n'avait pas encore +touché, et l'homme qui serait assez heureux pour les lui révéler verrait +s'épanouir sous son souffle la plus belle oeuvre de la création, le +coeur d'une femme ingénue!... + +Je rentrai chez moi enthousiasmé de Cora, dont l'ignorance était si +candide et si belle. J'attendis l'heure d'y retourner le jour suivant, +sans pourtant espérer cette nouvelle faveur. Elle reparut avec sa mère, +qui m'invita à descendre. Quand je fus installé dans le grand fauteuil, +je vis une sorte d'agitation inquiète dans la famille. Puis l'épicier +s'assit vis-a-vis de moi avec un air hypocritement naïf. J'étais agité +moi-même, je craignais et je désirais l'explication de cette contenance. + +--Puisque vous vous trouvez bien ici, monsieur Georges, dit-il enfin +en posant ses deux mains sur ses rotules replètes, j'espère que vous y +viendrez sans façon vous reposer tant que vous ne serez pas assez fort +pour aller vous distraire ailleurs. + +--Généreux homme! m'écriai-je. + +--Non, dit-il en souriant, cela ne vaut point un remerciement: entre +voisins on se doit assistance, et, Dieu merci! nous n'avons jamais +refusé la nôtre aux honnêtes gens: car je présume que vous êtes un brave +jeune homme, monsieur Georges, vous en avez parfaitement l'air, et je me +sens de la confiance en vous. + +--J'en suis honoré, répondis-je avec embarras. + +--Ainsi, Monsieur, poursuivit le digne homme avec gaieté, en se levant, +restez avec notre Cora tant que vous voudrez. C'est une fille d'esprit, +voyez-vous! une personne qui a vécu dans les livres, et dont la mère n'a +jamais voulu contrarier le goût. Aussi, elle en sait plus que nous à +présent, et vous trouverez de l'agrément dans sa société, j'en réponds. + +--Il y a bien longtemps, répondis-je en rougissant et en jetant sur Cora +un regard timide, que je me serais estimé heureux de cette faveur.... +Elle est venue bien tard, hélas! au gré de mon impatience.... + +--Ah! dame, dit l'épicier en ricanant, c'est qu'il y a deux mois, +voyez-vous, la chose n'était pas possible. Cora n'était pas mariée, +et...à moins de se présenter ici avec l'intention de l'épouser, avec de +bonnes et franches propositions de mariage, aucun garçon n'obtenait de +sa mère l'entrée de cette chambre. Vous savez, Monsieur, comme il faut +veiller sur une jeune fille pour empêcher les mauvaises langues de lui +faire tort; à présent que voici l'enfant établie, comme nous sommes sûrs +de sa moralité, nous la laissons tout à fait libre, et puis...d'ailleurs +(ici l'épicier baissa la voix), pâle et faible comme vous voilà, +personne ne pensera que vous songiez à supplanter un mari jeune et bien +portant.... L'épicier termina sa phrase par un gros rire. Je devins pâle +comme la mort, et je n'osai pas lever les yeux sur Cora. + +--Tenez, tenez, ne vous fâchez pas d'une plaisanterie, mon cher voisin, +reprit-il: vous ne serez pas toujours convalescent, et bientôt peut-être +les pères et les maris vous surveilleront de plus près.... En attendant, +restez ici; Cora vous tiendra compagnie, et d'ailleurs je crois qu'elle +a quelque chose à vous dire. + +--A moi? m'écriai-je en regardant Cora. + +--Oui, oui, reprit le père, c'est une petite affaire +délicate...voyez-vous, et qu'une jeune femme entendra mieux qu'un vieux +bonhomme. Allons, au revoir, monsieur Georges. + +Il sortit. Je restai encore une fois seul avec Cora, et cette fois elle +avait une _affaire délicate_ à traiter avec moi: elle allait me confier +un secret peut-être, une peine de son coeur, un malheur de sa destinée: +ah! sans doute, il y avait un grand et profond mystère dans la vie de +cette fille si mélancolique et si belle! son existence ne pouvait pas +être arrangée comme celle des autres. Le ciel ne lui avait pas départi +une si miraculeuse beauté sans la lui faire expier par des trésors de +douleur. Enfin, me disais-je, elle va les épancher dans mon sein, et je +pourrai peut-être en prendre une partie pour la soulager! + +Elle resta un peu confuse devant moi. Puis elle fouilla dans la poche de +son tablier de taffetas noir et en tira un papier plié. + +--En vérité, Monsieur, dit-elle, c'est bien peu de chose: je ne sais +pourquoi mon père me charge de vous le dire; il devrait savoir qu'un +homme d'esprit comme vous ne s'offense pas d'une demande toute +naturelle.... Sans tout ce qu'il vient de dire, je ne serais pas +embarrassée, mais.... + +--Achevez, au nom du ciel, m'écriai-je avec ferveur; ô Cora! si vous +connaissiez mon coeur, vous n'hésiteriez pas un instant à m'ouvrir le +vôtre. + +--Eh bien, Monsieur, dit Cora émue, voici ce dont il s'agit. Elle déplia +le papier et me le présenta. J'y jetai les yeux, mais ma vue était +troublée, ma main tremblante, il me fallut prendre haleine un instant +avant de comprendre. Enfin je lus: «Doit M. Georges à M***, épicier +droguiste, pour objets de consommation fournis durant sa maladie.... + + 12 l. cassonade pour sirops et tisanes, ci. + Savon fourni à sa garde-malade, ci-contre. + Chandelle. . . . . . . . . . . . . . . . . + Centaurée fébrifuge, etc., etc. . . . . . . + -------------- + Total. . . . . . 30 fr. 50 c. + + Pour acquit, CORA **--» + +Je la regardai d'un air égaré.--Véritablement, Monsieur, me dit-elle, +vous trouvez peut-être cette demande indiscrète, et vous n'êtes pas +encore assez bien portant pour qu'il soit agréable d'être importuné +d'affaires. Mais nous sommes fort gênés, le commerce va si mal, le loyer +de notre boutique est fort cher...et Cora parla longtemps encore. Je ne +l'entendis point. Je balbutiai quelques mots et je courus, aussi vite +que mes forces me le permirent, chercher la somme que je devais à +l'épicier. Puis je rentrai chez moi atterré, et je me mis au lit avec un +mouvement de fièvre. + +[Illustration: Accablé de douleur, brisé jusqu'à l'âme...] + +Mais le lendemain je revins à moi avec des idées plus raisonnables. Je +me demandai pourquoi ce mépris idiot et superbe pour les détails de +la vie bourgeoise? pourquoi l'impertinente susceptibilité des âmes +poétiques qui croient se souiller au contact des nécessités prosaïques? +pourquoi enfin cette haine absurde contre le positif de la vie? + +Ingrat! pensai-je, tu te révoltes parce qu'un mémoire de savon et de +chandelle a été rédigé et présenté par Cora, tandis que tu devrais +baiser la belle main qui t'a fourni ces secours à ton insu durant ta +maladie. Que serais-tu devenu, misérable rêveur, si un homme confiant et +probe n'eût consenti à répandre sur toi les bienfaits de son industrie, +sans autre gage de remboursement que ta mince garde-robe et ton +misérable grabat? Et si tu étais mort sans pouvoir lire son mémoire +et l'acquitter, où sont les héritiers qui auraient trouvé dans ta +succession 30 fr. 50 c. à lui remettre? + +Et puis je songeai que ces breuvages bienfaisants qui m'avaient sauvé de +la souffrance et de la mort, c'était Cora qui les avait préparés. Qui +sait, pensai-je, si elle n'a point composé un charme ou murmuré une +prière qui leur ait donné la vertu de me guérir? N'y a-t-elle pas +aussi mêlé une larme compatissante le jour où je touchai aux portes du +tombeau? Larme divine! topique céleste!... + +J'en étais là quand l'épicier frappa à ma porte:--Tenez, monsieur +Georges, me dit-il, ma femme et moi nous craignons de vous avoir fâché. +Cora nous a dit que vous aviez eu l'air surpris et que vous aviez +acquitté le mémoire sans dire un mot. Je ne voudrais pas que vous nous +crussiez capables de méfiance envers vous. Nous sommes gênés, il est +vrai. Notre commerce ne va pas très-bien; mais si vous aviez besoin +d'argent, nous trouverions encore moyen de vous rendre le vôtre et même +de vous en prêter un peu. + +Je me jetai dans ses bras avec effusion.--Digne vieillard, m'écriai-je, +tout ce que je possède est à vous!... Comptez sur moi à la vie et à +la mort. Je parlai longtemps avec l'exaltation de la fièvre. Il me +regardait avec son gros oeil gris, rond comme celui d'un chat. Quand +j'eus fini:--A la bonne heure, dit-il du ton d'un homme qui prend son +parti sur l'impossibilité de deviner une énigme. Je vous prie de venir +nous voir de temps en temps et de ne pas nous retirer votre pratique. + + +III. + +Je m'étonnais de ne plus voir le mari de Cora à la boutique ni auprès +de sa femme. Je hasardai une craintive question. Elle me répondit que +Gibonneau achevait son année de service en second sous les auspices du +premier pharmacien de la ville. Il ne rentrait que le soir et sortait +dès le matin. Ainsi le rustre pouvait ainsi voir s'écouler ses jours +loin de la plus belle créature qui fût sous le ciel. Il possédait la +plus riche perle du monde, et il se résignait tranquillement à la +quitter pendant toute une moitié de sa vie, pour aller préparer des +liniments et formuler des pilules! + +Mais aussi comme je remerciai le ciel qui l'avait condamné à cette +vulgaire existence et qui semblait lui dénier une faveur dont il n'était +pas digne, celle de voir sa douce compagne à la clarté du soleil! Il +ne lui était permis de retourner vers elle qu'à l'heure où les +chauve-souris et les hiboux prennent leur sombre volée et rasent d'une +aile velue et silencieuse les flots transparents de la brume. Il venait +dans l'ombre ainsi qu'un voleur de nuit, ainsi qu'un gnome malfaisant +qui chevauche, le vent du soir et le météore trompeur des marécages. Il +venait, ombre morne et lugubre, encore revêtu de son tablier, ainsi que +d'un linceul, exhalant cette odeur d'aromate que l'on brûle autour des +catafalques. Je le voyais quelquefois errer dans les ténèbres et glisser +comme un spectre le long des murailles livides. Plusieurs fois je le +rencontrai sur le seuil et je faillis l'écraser dans le ruisseau +comme un ver de terre; mais je l'épargnai, car véritablement il avait +l'encolure d'un buffle, et j'étais tout effilé et tout transparent des +suites de la fièvre. + +Cora, veuve chaque jour, depuis l'aube jusqu'au crépuscule du soir, +restait confiante près de moi. Je passais presque toutes mes journées +assis sur le vieux fauteuil de la famille, ou, lorsque le soleil +d'avril était décidément chaud, je m'asseyais sur le banc de pierre qui +s'adossait à la fenêtre de Cora. Là, séparé d'elle seulement par les +rameaux d'or de la giroflée, je respirais son haleine parmi les fleurs, +je saisissais son long regard transparent et calme comme le flot sans +rides qui dort sur les rives de la Grèce. Nous gardions tous deux le +silence, mais mon coeur volait vers elle et convoitait le sien avec une +force attractive dont il devait lui être impossible de ne pas sentir +la puissance. Je m'endormis dans ce doux rêve. Pourquoi Cora ne +m'aurait-elle pas aimé? Peut-être fallait-il dire: comment ne m'eût-elle +pas aimé? Je l'aimais si éperdument, moi! toutes mes facultés +intellectuelles se concentraient pour produire une force de désir et +d'attente qui planait impérieusement sur Cora. Son âme, faite du plus +beau rayon de la Divinité, pouvait-elle rester inerte sous le vol +magnétique de cette pensée de feu? Je ne voulus point le croire, et +je sentis mon coeur si pur, mes désirs si chastes, que je ne craignis +bientôt plus d'offenser Cora en les lui révélant. Alors je lui parlai +cette langue des cieux qu'il n'est donné qu'aux âmes poétiques +d'entendre. Je lui exprimai les tortures ineffables et les divines +souffrances de mon amour. Je lui racontai mes rêves, mes illusions, les +milliers de poèmes et de vers alexandrins que j'avais faits pour elle. +J'eus le bonheur de la voir, attentive et subjuguée, quitter son livre +et se pencher vers moi d'un air pénétré pour m'entendre, car mes paroles +avaient un sens nouveau pour elle, et je faisais entrer dans son esprit +un ordre de pensées sublimes qu'il n'avait encore jamais osé aborder. + +--O ma Cora, lui disais-je, que pourrais-tu craindre d'une flamme aussi +pure? L'éclair qui s'allume aux cieux n'est pas d'une nature plus +subtile que le feu dont je me consume avec délice. Pourquoi ta sauvage +pudeur, pourquoi ta superbe fierté de femme s'alarmeraient-elles d'un +amour aussi intellectuel que le nôtre? Qu'un mari, qu'un maître, possède +le trésor de la beauté matérielle qu'il a plu aux anges de te départir! +pour moi, je ne chercherai jamais à lui ravir ce que Dieu, les hommes et +ta parole, ô Cora! lui ont assuré comme son bien; le mien sera, si tu +m'exauces, moins saisissable, moins enivrant, mais plus glorieux et +plus noble. C'est la partie éthérée de ton âme que je veux, c'est ton +aspiration brûlante vers le ciel que je veux étreindre et saisir, afin +d'être ton ciel et ton âme, comme tu es mon Dieu et ma vie.» + +Ces choses semblaient obscures à Cora, son âme était si candide et si +enfantine! Elle me regardait d'un oeil absorbé dans la stupeur, et pour +lui faire mieux comprendre les divins mystères de l'amour platonique, je +prenais mon crayon et je traçais des vers sur la muraille aux marges de +sa fenêtre; puis je lui racontais les brillantes poésies de la nature +invisible, les amours des anges et des fées, les souffrances et les +soupirs des sylphes emprisonnés dans le calice des fleurs, puis les +fougueuses passions des roses pour les brises, et réciproquement; +puis les choeurs aériens qu'on entend le soir dans la nue, la danse +sympathique des étoiles, les rondes du sabbat, les malices des farfadets +et les découvertes ardues de l'alchimie. + +Notre bonheur semblait ne pouvoir être troublé par aucun événement +extérieur. En prenant la poésie corps à corps, j'avais su si bien +m'isoler, dans mon monde intellectuel, de toutes les entraves et de tous +les écueils de la vie réelle, que je semblais n'avoir rien à craindre +de l'intervention de ces volontés grossières et inintelligentes qui +végétaient à l'entour de nous. Mes sentiments étaient d'une nature si +élevée que je ne pouvais inspirer de rivalité d'aucun genre à l'homme +vulgaire qui se disait le maître et l'époux de Cora. + +Pendant longtemps, en effet, il sembla comprendre le respect qu'il +devait à une liaison protégée par le ciel. Mais au bout de six semaines, +je vis un changement étrange s'opérer dans les manières de cette famille +à mon égard. Le père me regardait d'un air ironique et méfiant chaque +fois qu'il entrait dans la chambre où nous étions. La mère affectait +d'y rester tout le temps qu'elle pouvait dérober aux affaires de sa +boutique. Gibonneau, lorsque par hasard je venais à le rencontrer, me +lançait de sinistres et foudroyantes oeillades; Cora elle-même devenait +plus réservée, descendait plus tard au rez-de-chaussée, remontait plus +tôt dans sa chambre, et quelquefois même passait des jours entiers sans +paraître. Je m'en effrayai, et j'essayai de m'en plaindre. J'essayai de +lui faire comprendre, avec l'éloquence que donne la passion, l'injustice +et la barbarie de sa conduite. Elle m'écouta d'un air contraint, presque +craintif, et je la vis regarder vers la porte d'un air d'inquiétude. + +--O Cora! m'écriai-je avec enthousiasme, serais-tu menacée de quelque +danger? parle, parle! où sont tes ennemis, nomme-moi les infâmes qui +font peser sur toi, frêle et céleste créature, les chaînes d'airain d'un +joug détesté. Dis-moi quel est le démon qui comprime l'élan de ton coeur +et refoule au fond de ton sein des épanchements naïfs, comme des remords +amers? Va, je saurai bien les conjurer, je sais plus d'un charme pour +enchaîner les démons de l'envie et de la vengeance, plus d'une parole +magique pour appeler les anges sur nos têtes: les anges protecteurs qui +sont tes frères, et qui sont moins purs, moins beaux que toi... + +J'élevai la voix en parlant, et je m'approchai de Cora pour saisir sa +main qu'elle me retirait toujours. Alors je me levai, le front inondé de +la sueur de l'enthousiasme, les cheveux en désordre, l'oeil inspiré... + +Cora poussa un grand cri, et son père, accourant comme si le feu eût +pris à la maison, s'élança dans la chambre. Comme il s'avançait vers +moi d'un air menaçant, Cora le saisit par le bras et lui dit avec +douceur:--Laissez-le, mon père, il est dans un de ses accès, ne le +contrariez point, cela va se passer. + +Je cherchai vainement le sens de ces paroles. Elle sortit, et l'épicier +s'adressant à moi:--Allons, monsieur Georges, revenez à vous, personne +ici ne songe à vous contrarier; mais en vérité vous n'êtes pas +raisonnable... Allons, allons... rentrez chez vous et calmez-vous. + +Étourdi de ce discours plein de bonté, je cédai avec la douceur d'un +enfant, et l'épicier me reconduisit chez moi. Une heure après, je vis +entrer le procureur du roi et le médecin de la ville. Comme je les +connaissais l'un et l'autre assez particulièrement, je ne m'étonnai pas +de leur visite, mais je commençai à m'offenser de l'affectation +avec laquelle le médecin s'empara de mon pouls, examinant avec soin +l'expression de mon regard et la dilatation de ma pupille; puis il se +mit à compter les battements de mes artères aux tempes et au cou, et +à interroger la chaleur extérieure de mon cerveau avec le creux de sa +main. + +--Qu'est-ce que tout cela signifie, Monsieur? lui dis-je; je ne vous ai +point appelé pour une consultation. Je me sens assez bien pour me passer +désormais de soins, et je ne suis point disposé à en recevoir malgré +moi. + +Mais, au lieu de me répondre, il s'approcha du magistrat, et ils +se retirèrent dans l'embrasure de la fenêtre pour parler bas. Ils +semblaient se consulter sur mon compte, car, à chaque instant ils se +retournaient pour me regarder d'un air attentif et méfiant; enfin ils +s'approchèrent de moi, et le procureur du roi m'adressa plusieurs +questions étranges, d'abord de quelle couleur je voyais son gilet, puis +si je savais bien son nom, puis encore si je pouvais dire quel était mon +âge, mon pays et ma profession. + +Je répondais à ces étranges interrogatoires avec stupeur, lorsque le +médecin me demanda à son tour si je ne voyais point d'autre personne +dans l'appartement que le procureur du roi, lui et moi; puis si je +pensais qu'il fît jour ou nuit, et enfin si je pouvais certifier que +j'eusse cinq doigts à chaque main. + +Outré de l'impertinence de ces questions, je résolus la dernière en lui +appliquant un vigoureux soufflet. J'eus tort, sans doute, surtout en la +présence d'un magistrat tout prêt à instruire contre le délit. Mais le +sang me montait à la tête, et il ne m'était pas plus longtemps possible +de me laisser traiter comme un idiot ou comme un fou sans en avoir le +motif. + +Grand fut l'esclandre. Le magistrat voulut prendre fait et cause +pour son compère; je le saisis à la gorge et je l'eusse étranglé, si +l'épicier, son gendre et une demi-douzaine de voisins ne fussent venus à +son secours. Alors on s'empara de moi, on me lia les pieds et les mains +comme à un furieux, on m'entoura la bouche de serviettes et l'on me +conduisit à l'hospice de ville, où je fus enfermé dans la chambre +destinée aux sujets frappés d'aliénation mentale. + +La chambre, je dois le dire, était confortable, et j'y fus traité avec +beaucoup de douceur, d'autant plus que je ne donnais aucun signe de +folie. L'erreur du médecin et du magistrat fut bientôt constatée. Mais +il me fut difficile de recouvrer ma liberté, car le dernier, prévoyant +qu'il serait forcé de me demander une réparation de l'injure que je lui +avais faite, s'obstina à me faire passer pour aliéné, afin de pouvoir se +donner les apparences du sang-froid et de la générosité à mon égard. + +Je sortis enfin; mais le procureur du roi me fit mander immédiatement +dans son cabinet et m'adressa cette mercuriale: + +--Jeune homme, me dit-il avec ce ton capable et paternel que tout +magistrat imberbe se croit le droit de prendre quand il a endossé la +ratine judiciaire, vous avez, sinon de grandes erreurs, du moins de +graves inconséquences à réparer. Étranger, vous avez été accueilli +dans cette ville avec toutes les marques de la bienveillance et toute +l'aménité de moeurs qui distingue ses habitants. Malade, vous avez été +soigné par vos voisins, avec zèle et dévouement. Tous ces témoignages +de confiance et d'intérêt eussent dû graver profondément en vous le +sentiment des convenances et celui de la gratitude... + +--Mille noms d'un sabord! Monsieur, m'écriai-je dans mon style de marin, +qui, dans la colère, reprenait malgré moi le dessus, où voulez-vous en +venir, et qu'ai-je fait pour mériter la prison et votre harangue?... + +--Monsieur, dit-il en fronçant le sourcil, voici ce que vous avez fait: +vous avez accepté l'hospitalité que chaque jour un honnête citoyen, un +estimable épicier, vous offrait au sein de sa famille, et vous l'avez +acceptée avec des intentions qu'il ne m'appartient pas de qualifier, +et dont votre conscience seule peut être juge. Moi je pense que votre +intention a été de séduire la fille de l'épicier et de l'éblouir par des +discours incohérents qui portaient tous les caractères de l'exaltation; +ou de vous faire un jeu de sa simplicité, en la mystifiant par +d'énigmatiques railleries. + +--Juste ciel! qui a dit cela? m'écriai-je avec angoisse. + +--Madame Cora Gibonneau elle-même. D'abord elle a considéré vos étranges +discours comme des traits d'originalité naturelle. Peu à peu elle s'en +est effrayée comme d'actes de démence. Longtemps elle a hésité à en +prévenir ses parents, car dans le coeur de ces respectables bourgeois, +la bonté et la compassion sont des vertus héréditaires. Mais enfin, +mariée depuis peu à un digne homme qu'elle adore et pour qui, vous le +savez sans doute depuis longtemps, elle nourrissait en secret avant son +hyménée une passion qui avait profondément altéré sa santé et l'eût +conduite au tombeau si ses parents l'eussent contrariée plus longtemps; +enfin, dis-je, mariée à l'estimable pharmacien Gibonneau, affaiblie +par les commencements d'une grossesse assez pénible, et craignant avec +raison les conséquences de la frayeur dans la position où elle se +trouve, madame Cora s'est décidée à instruire ses parents de l'égarement +de votre cerveau et des preuves journalières que vous lui en donniez +depuis quelque temps. Ces honnêtes gens ont hésité à le croire et vous +ont surveillé avec une extrême réserve de délicatesse. Enfin, vous +voyant un jour dans un état d'exaltation et de délire qui épouvantait +sérieusement leur fille, ils ont pris le parti d'implorer la protection +des lois et la sauvegarde de la magistrature... Et l'appui des lois ne +leur a pas manqué, et la magistrature s'est levée pour les rassurer, car +la magistrature sait que son plus beau privilège est de... + +--Assez, assez, pour Dieu! Monsieur, m'écriai-je, je pourrais vous dire +par coeur le reste de votre phrase, tant je l'ai entendu déclamer de +fois à tout propos... + +--Non, jeune homme, s'écria le magistrat à son tour en élevant la voix, +vous n'échapperez point à la sollicitude d'une magistrature qui doit ses +conseils et sa surveillance à la jeunesse, à une magistrature qui veut +le bonheur et le repos des citoyens. Profitez du reproche que vous avez +encouru. Voyez vos torts, ils sont graves! vous avez porté le trouble +et la crainte dans la famille de l'épicier; vous avez méconnu la sainte +hospitalité qui vous y était offerte, en essayant de railler ou de +séduire l'épouse irréprochable d'un pharmacien éclairé... Oui, vous avez +tenté l'un ou l'autre, Monsieur, car je ne sais point le sens que la +loi peut adjuger aux étranges fragments de versification dont vous +avez endommagé les murs de cette maison hospitalière, et qui m'ont été +montrés par la fille de l'épicier comme une preuve irrécusable de votre +démence... Enfin, Monsieur, non content d'affliger de braves gens et +d'inquiéter le voisinage, vous avez résisté à l'autorité représentée par +moi, vous avez pris au collet et frappé le médecin distingué qui vous +donnait des soins, vous avez fait une scène de violence qui a troublé le +repos de toute une population paisible, et qui a pensé devenir funeste à +madame Gibonneau par la frayeur qu'elle lui a causée. + +--Cora est malade! m'écriai-je. Grand Dieu!... Et je voulais courir, +échapper à l'éloquence tribunitienne de mon bourreau. Il me retint. + +--Vous ne me quitterez pas, jeune homme, me dit-il, sans avoir écouté +la voix de la raison, sans m'avoir donné votre parole d'honneur de +suspendre vos visites, chez madame Gibonneau, et de quitter même le +logement que vous occupez vis-a-vis la maison de l'épicière. + +---Eh! Monsieur, m'écriai-je, je jure que je vais dire adieu et demander +pardon à ces honnêtes gens, savoir des nouvelles de madame Cora, et +qu'une heure après j'aurai quitté cette ville fatale. + +Je m'armai de courage et de sang-froid pour rentrer chez l'épicier. +Comme j'avais passé pour fou dans toute la ville, ma sortie de prison +fit une profonde sensation; l'épicier parut inquiet et soucieux, sa +femme se cacha presque derrière lui, Cora devint pâle de terreur, et M. +Gibonneau, sans rien dire, me fit une mine de mauvais garçon. Je leur +parlai avec calme, les priai d'excuser le scandale que je leur avais +causé, et de croire à mon éternelle reconnaissance pour les soins et +l'affection que j'avais trouvés chez eux. + +--Pour vous, Madame, dis-je d'une voix émue à Cora, pardonnez surtout +aux extravagances dont je vous ai rendue témoin; si je croyais que vous +m'eussiez soupçonné un seul instant de manquer au respect que je vous +dois, j'en mourrais de douleur. J'espère que vous oublierez l'absurdité +de ma conduite pour ne vous souvenir tous que des humbles excuses et +des affectueux remerciements que je vous adresse en vous quittant pour +jamais. + +A ce mot je vis toutes les figures s'éclaircir, à l'exception de celle +de Cora, qui, je dois le dire, n'exprima qu'une douce compassion. Je +voulus essayer de lui demander l'état de sa santé, dont j'avais causé +l'altération par mes folies. Mais en songeant à la cause première de son +état maladif, à l'amour qu'elle avait depuis si longtemps pour son mari +et à l'heureux gage de cet amour qu'elle portait dans son sein, ma +langue s'embarrassa et mes pleurs coulèrent malgré moi. Alors la famille +m'entoura, pleurant aussi et m'accablant de marques de regret et +d'attachement; Cora me tendit même sa belle main, que je n'avais jamais +eu le bonheur de toucher, et que je n'osai pas seulement porter à mes +lèvres. Enfin je m'éloignai comblé de bénédictions pour mon séjour parmi +eux et particulièrement pour mon départ; car, au milieu de toutes les +choses amicales qui me furent dites, il n'y eut pas une voix, pas un mot +pour m'engager à rester. + +Accablé de douleur, brisé jusqu'à l'âme, je sentais mes genoux fléchir +sous moi en quittant cette maison où j'avais fait des rêves si doux et +nourri des illusions si brillantes. Je m'appuyai contre le seuil tapissé +de vigne, et je jetai un dernier regard de tendresse et d'adieu sur la +belle giroflée de la fenêtre. + +Alors j'entendis une voix qui partait de l'intérieur et qui prononçait +mon nom. C'était la voix de Cora; j'écoutai:--Pauvre jeune homme! +disait-elle d'un ton pénétré, il est donc enfin parti! + +--Je n'en suis pas fâché, répondit l'épicier, quoique après tout ce soit +un brave garçon et qu'il paie bien ses mémoires. + +J'ai traversé cette ville l'année dernière pour aller en Limousin. J'ai +aperçu Cora à sa fenêtre; il y avait trois beaux enfants autour d'elle, +et un superbe pot de giroflée rouge. Cora avait le nez allongé, les +lèvres amincies, les yeux un peu rouges, les joues creuses et quelques +dents de moins. + + + +GEORGE SAND. + + +FIN DE CORA. + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Cora, by George Sand + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CORA *** + +***** This file should be named 12837-8.txt or 12837-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/1/2/8/3/12837/ + +Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading +Team. This file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/old/12837-8.zip b/old/12837-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..0048d6a --- /dev/null +++ b/old/12837-8.zip diff --git a/old/12837-h.zip b/old/12837-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..614be0e --- /dev/null +++ b/old/12837-h.zip diff --git a/old/12837-h/12837-h.htm b/old/12837-h/12837-h.htm new file mode 100644 index 0000000..1d998db --- /dev/null +++ b/old/12837-h/12837-h.htm @@ -0,0 +1,1779 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1"> + <title>Cora</title> + <meta name="author" content="George Sand"> + +<style type=text/css> + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify} +blockquote {text-align: justify} + +hr {width: 50%; text-align: center} +hr.full {width: 100%} +hr.short {width: 20%; text-align: center} + +.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.side {padding-left: 10px; font-weight: bold; font-size: 75%; + float: right; margin-left: 10px; border-left: thin dashed; + width: 25%; text-indent: 0px; font-style: italic; text-align: left} + +.dropcap {float: left} +.droite {float: right} + +span.pagenum {font-size: 8pt; right: 91%; left: 1%; position: absolute} + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} + + + + +</style> + +</head> +<body> + + +<pre> + +The Project Gutenberg EBook of Cora, by George Sand + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Cora + +Author: George Sand + +Release Date: July 7, 2004 [EBook #12837] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CORA *** + + + + +Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading +Team. This file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr + + + + + + +</pre> + + + + + + +<h1>CORA.</h1> + +<h4>par</h4> + +<h2>George Sand</h2> +<br><br> + +<div align="center"><img src="images/ill-1.png" alt=""></div> + +<br><br> +<h3>I.</h3> + + +<p>A mon retour de l'île Bourbon (je me trouvais dans +une situation assez précaire), je sollicitai et j'obtins un +mince emploi dans l'administration des postes. Je fus +envoyé au fond de la province, dans une petite ville dont +je tairai le nom pour des motifs que vous concevrez facilement.</p> + +<p>L'apparition d'une nouvelle figure est un événement +dans une petite ville, et, quoique mon emploi fût des +moins importants, pendant quelques jours je fus, après +un phoque vivant et deux boas constrictors, qui venaient +de s'installer sur la place du marché, l'objet le plus excitant +de la curiosité publique et le sujet le plus exploité +des conversations particulières.</p> + +<p>La niaise oisiveté dont j'étais victime me séquestra +chez moi pendant toute la première semaine. J'étais fort +jeune, et la négligence que j'avais jusqu'alors apportée +par caractère aux importantes considérations de la <i>mise</i> +et de la <i>tenue</i> commençaient à se révéler à moi sous la +forme du remords.</p> + +<p>Après un séjour de quelques années aux colonies, ma +toilette se ressentait visiblement de l'état de stagnation +honteuse où l'avait laissé le progrès du siècle. Mon chapeau +à la Bolivar, mes favoris à la Bergami et mon manteau +à la Quiroga étaient en arrière de plusieurs lustres, +et le reste de mon accoutrement avait une tournure exotique +dont je commençais à rougir.</p> + +<p>Il est vrai que, dans la solitude des champs, ou dans +l'incognito d'une grande ville, ou dans le tourbillon de la +vie errante, j'eusse pu exister longtemps encore sans me +douter du malheur de ma position. Mais une seule promenade +hasardée sur les remparts de la ville m'éclaira tristement +à cet égard. Je ne fis point dix pas hors de mon +domicile sans recevoir de salutaires avertissements sur +l'inconvenance de mon costume. D'abord une jolie grisette +me lança un regard ironique, et dit à sa compagne, +en passant près de moi:—«<i>Ce monsieur</i> a une cravate +bien mal pliée.» Puis un ouvrier, que je soupçonnai +être dans le commerce des feutres, dit d'un ton goguenard, +en posant ses poings sur ses flancs revêtus d'un +tablier de cuirnn:—«Si <i>ce monsieur</i> voulait me prêter +son chapeau, j'en ferais fabriquer un sur le même modèle, +afin de me déguiser en <i>roast-beef</i> le jour du carnaval.» +Puis une <i>dame</i> élégante murmura en se penchant +sur sa croisée:—«C'est dommage qu'il ait un gilet si +fané et la barbe si mal faite.» Enfin, un bel esprit du +lieu dit en pinçant la lèvre:—«Apparemment que le +père de <i>ce monsieur</i> est un homme <i>puissant</i>, on le voit +à l'ampleur de son habit.» Bref, il me fallut bientôt revenir +sur mes pas, fort heureux d'échapper aux vexations +d'une douzaine de polissons en guenilles qui criaient après +moi du haut de leur tête: A bas <i>l'angliche</i>! à bas le +milord! à bas l'étranger!</p> + +<p>Profondément humilié de ma mésaventure, je résolus +de m'enfermer chez moi jusqu'à ce que le tailleur du +chef-lieu m'eût fait parvenir un habit complet dans le +dernier goût. L'honnête homme ne s'y épargna point, et +me confectionna des vêtements si exigus et si coquets +que je pensai mourir de douleur en me voyant réduit à +ma plus simple expression, et semblable en tous points à +ces caricatures de <i>fats parisiens</i> et d'<i>incroyables</i> qui +nous faisaient encore pâmer de rire, l'année précédente, +à l'île Maurice. Je ne pouvais pas me persuader que je +ne fusse pas cent fois plus ridicule sous cet habit que sous +celui que je venais de quitter, et je ne savais plus que +devenir; car j'avais promis solennellement à mon hôtesse +(la femme du plus gros notaire de l'arrondissement) de +la conduire au bal, et de lui faire danser la première et +probablement l'unique contredanse à laquelle ses charmes +lui donnaient le droit de prétendre. Incertain, honteux, +tremblant, je me décidai à descendre et à demander à +cette estimable femme un avis rigide et sincère sur ma +situation. Je pris un flambeau et je me hasardai jusqu'à +la porte de son appartement; mais je m'arrêtai palpitant +et désespéré, en entendant partir de ce sanctuaire un +bruit confus de voix fraîches et perçantes, de rires aigus +et naïfs, qui m'annonçaient la présence de cinq ou six +demoiselles de la ville. Je faillis retourner sur mes pas; +car, de m'exposer au jugement d'un si malin aréopage +dans une parure plus que problématique à mes yeux, +c'était un héroïsme dont peu de jeunes gens à ma place +se fussent sentis capables.</p> + +<p>Enfin, la force de ma volonté l'emporta; je me demandai +si j'avais lu pour rien Locke et Condillac, et poussant +la porte d'une main ferme, j'entrai par l'effet d'une résolution +désespérée. J'ai vu de près d'affreux événements, +je puis le dire: j'ai traversé les mers et les orages, j'ai +échappé aux griffes d'un tigre dans le royaume de Java, +et aux dents d'un crocodile dans la baie de Tunis; j'ai +vu en face les gueules béantes des sloops flibustiers; j'ai +mangé du biscuit de mer qui m'a percé les gencives; j'ai +embrassé la fille du roi de Timor ... eh bien! je vous jure +que tout ceci n'était rien au prix de mon entrée dans cet +appartement, et que dans aucun jour de ma vie je ne +recueillis un aussi glorieux fruit de l'éducation philosophique.</p> + +<p>Les demoiselles étaient assises en cercle, et, en attendant +que la femme du notaire eût achevé de mêler à ses +cheveux noirs une légère guirlande de pivoines, ces gentes filles +de la nature échangeaient entre elles de joyeux +propos et de naïves chansons. Mon apparition inattendue +paralysa l'élan de cette gaieté charmante. Le silence étendit +ses ailes de hibou sur leurs blondes têtes, et tous les +yeux s'attachèrent sur moi avec l'expression du doute, +de la méfiance et de la peur.</p> + +<p>Puis tout à coup un cri de surprise s'échappa du sein +de la plus jeune, et mon nom vola de bouche en bouche +comme la bordée d'une frégate armée en guerre. Mon +sang se glaça dans mes veines, et je faillis prendre la fuite +comme un brick qui a cru attaquer un chasse-marée, et +qui, à la portée de la longue-vue, découvre un beau trois-mâts, +laissant nonchalamment tomber ses sabords pour +lui faire accueil.</p> + +<p>Mais, à ma grande stupéfaction, la femme de mon hôte, +laissant la moitié de ses boucles crêpées et menaçantes, +tandis que l'autre gisait encore sous le papier gris de la +papillote, accourut vers moi en s'écriant:—C'est notre +jeune homme! c'est notre pauvre Georges! Ah! mon +Dieu! quelle métamorphose! qu'il est bien mis! quelle +jolie tournure! quelle coupe d'habit élégante et moderne!... +Ah! Mesdemoiselles, regardez! regardez +comme M. Georges est changé, comme il a l'air distingué. +Vous ferez danser ces demoiselles, monsieur Georges, +après moi, pourtant! Vous m'avez forcée de vous promettre +la première, vous vous en souvenez?</p> + +<p>Les demoiselles gardaient le silence, et je doutais encore +de mon triomphe. Je rassemblai le reste de mon courage +pour leur demander timidement leur goût sur cet +habit, et aussitôt un choeur de louanges pur et mélodieux +à mes oreilles comme un chant céleste s'éleva autour de +moi. Jamais on n'avait rien vu de mieux; on ne trouvait +pas un pli à blâmer; le collet raide et volumineux était +d'un goût exquis, les basques courtes et cambrées avaient +une grâce parfaite, le gilet parsemé de gigantesques rosaces +était d'un éclat sans pareil; la cravate inflexible, +croisée avec une rigueur systématique, était un chef-d'oeuvre +d'invention; la manchette et le jabot terrible +couronnaient l'oeuvre. De mémoire de jeunes filles, aucun +employé de l'administration des postes n'avait fait un tel +début dans le monde.</p> + +<p>J'avoue que ce n'est pas un des moins brillants souvenirs +de ma jeunesse que mon entrée triomphante dans +ce bal, serré dans mon habit neuf, froissé par les baleines +dorsales de mon gilet, vexé par le rigorisme de mes entournures, +et, de plus, flanqué à droite de la femme du +notaire, à gauche de mademoiselle Phédora, sa nièce, la +plus vieille et la plus laide fille du département. N'importe, +j'étais fier, j'étais heureux, j'étais bien mis.</p> + +<p>La salle était un peu froide, un peu sombre, un peu +malpropre; les banquettes étaient bien tachées d'huile +çà et là, les quinquets jouaient bien un peu, sur les têtes +fleuries et emplumées du bal, le vieux rôle de l'épée de +Damoclès; le parquet n'était pas fort brillant, les robes +des femmes n'étaient pas toutes fraîches, pas plus que la +fraîcheur de certains visages n'était naturelle. Il y avait +bien des pieds un peu larges dans des souliers de satin +un peu rustiques, des bras un peu rouges sous des manches +de dentelle, des cous un peu hâlés sous des colliers +de perles, et des corsages un peu robustes sous des ceintures +de moire. Il y avait bien aussi sur l'habit des +hommes une légère odeur de tabac de la régie, dans l'office +un parfum de vin chaud un peu brutal, dans l'air un +nuage de poussière un peu agreste, et pourtant c'était +une charmante fête, une aimable réunion, sur ma parole! +La musique n'était pas beaucoup plus mauvaise que celle +de Port-Louis ou de Saint-Paul. Les modes n'étaient, à +coup sûr, ni aussi arriérées, ni aussi exagérées que celles +qu'on prétend suivre à Calcutta; en outre, les femmes +étaient généralement plus blanches, les hommes moins +rudes et moins bruyants.</p> + +<p>A tout prendre, pour moi qui n'avais point vu les merveilles +de la civilisation poussées à la dernière limite, pour +moi qui n'avais vu l'opéra qu'en Amérique et le bal qu'en +Asie, le bal à peu près public et général de la petite ville +pouvait bien sembler pompeux et enivrant, si l'on considère +d'ailleurs la profonde sensation qu'y produisait mon +habit et le succès incontestable que j'obtins d'emblée à +la fin de la première contredanse.</p> + +<p>Mais ces joies naïves de l'amour-propre firent bientôt +place à un sentiment plus conforme à ma nature inflammable +et contemplative. Une femme entra dans le bal et +j'oubliai toutes les autres; j'oubliai même mon triomphe +et mon habit neuf. Je n'eus plus de regards et de pensées +que pour elle.</p> + +<div class="dropcap"><img src="images/ill-2.png" alt=""></div> + + +<p>Oh! c'est qu'elle était vraiment bien belle, et qu'il +n'était pas besoin d'avoir vingt-cinq ans et d'arriver de +l'Inde pour en être frappé. Un peintre célèbre qui passa, +l'année suivante, dans la ville, arrêta sa chaise de poste +en l'apercevant à sa fenêtre, fit dételer les chevaux et +resta huit jours à l'auberge du Lion-d'Argent, cherchant +par tous les moyens possibles à pénétrer jusqu'à elle +pour la peindre. Mais jamais il ne put faire comprendre +à sa famille qu'on pouvait par amour de l'art faire le +portrait d'une femme sans avoir l'intention de la séduire. +Il fut éconduit, et la beauté de Cora n'est restée empreinte +que dans le cerveau peut-être de ce grand artiste, +et dans le coeur d'un pauvre fonctionnaire destitué de +l'administration des postes.</p> + +<p>Elle était d'une taille moyenne admirablement proportionnée, +souple comme un oiseau, mais lente et fière +comme une dame romaine. Elle était extraordinairement +brune pour le climat tempéré où elle était née; mais sa +peau était fine et unie comme la cire la mieux moulée. +Le principal caractère de sa tête régulièrement dessinée, +c'était quelque chose d'indéfinissable, de surhumain, +qu'il faut avoir vu pour le comprendre; des lignes +d'une netteté prestigieuse, de grands yeux d'un vert si +pâle et si transparent qu'ils semblaient faits pour lire +dans les mystères du monde intellectuel plus que dans +les choses de la vie positive; une bouche aux lèvres +minces, fines et pâles, au sourire imperceptible, aux +rares paroles; un profil sévère et mélancolique, un regard +froid, triste et pensif, une expression vague de +souffrance, d'ennui et de dédain; et puis des mouvements +doux et réservés, une main effilée et blanche, +beauté si rare chez les femmes d'une condition médiocre; +une toilette grave et simple, discernement si étrange chez +une provinciale; surtout un air de dignité calme et inflexible +qui aurait été sublime sous la couronne de diamants +d'une reine espagnole, et qui, chez cette pauvre +fille, semblait être le sceau du malheur, l'indice d'une +organisation exceptionnelle.</p> + + +<p>Car c'était la fille... le dirai-je? il le faut bien: Cora +était la fille d'un épicier.</p> + +<p>O sainte poésie, pardonne-moi d'avoir tracé ce mot! +Mais Cora eût relevé l'enseigne d'un cabaret. Elle se fût +détachée comme l'ange de Rembrandt au-dessus d'un +groupe flamand. Elle eût brillé comme une belle fleur +au milieu des marécages. Du fond de la boutique de son +père, elle eût attiré sur elle le regard du grand Scott. +Ce fut sans doute une beauté ignorée comme elle qui +inspira l'idée charmante de <i>la belle fille de Perth</i>.</p> + +<p>Et elle s'appelait Cora; elle avait la voix douce, la démarche +réservée, l'attitude rêveuse. Elle avait la plus +belle chevelure brune que j'aie vue de ma vie, et seule, +entre toutes ses compagnes, elle n'y mêlait jamais aucun +ornement. Mais il y avait plus d'orgueil dans le luxe de +ses boucles épaisses que dans l'éclat d'un diadème. Elle +n'avait pas non plus de collier ni de fleurs sur la poitrine. +Son dos brun et velouté tranchait fièrement sur la dentelle +blanche de son corsage. Sa robe bleue la faisait paraître +encore plus brune de ton et plus sombre d'expression. +Elle semblait tirer vanité du caractère original de +sa beauté.</p> + + + +<p>Elle semblait avoir deviné qu'elle était belle autrement +que toutes les autres: car je n'ai pas besoin de vous le +dire, Cora étant d'un type rare et d'un coloris oriental, +Cora ressemblant à la juive Rebecca, ou à la Juliette de +Shakespeare, Cora majestueuse, souffrante et un peu farouche, +Cora qui n'était ni rose, ni replette, ni agaçante, +ni gentille, n'était ni aperçue ni soupçonnée dans la foule. +Elle vivait là comme une rose épanouie dans le désert, +comme une perle échouée sur le sable, et la première +personne venue, à qui vous eussiez exprimé votre admiration +à la vue de Cora, vous eût répondu: Oui, elle ne +serait pas mal si elle était plus blanche et moins maigre.</p> + +<div class="droite"><img src="images/ill-3.png" alt=""></div> + +<p>J'étais si troublé auprès d'elle, si subitement épris, +que vraiment j'oubliais toute la confiance qu'eussent dû +m'inspirer mon habit neuf et mon gilet à rosaces. Il est +vrai qu'elle y accordait fort peu d'attention, qu'elle écoutait +d'un air distrait des fadeurs qui me faisaient suer +sang et eau à débiter, qu'elle laissait, à chaque invitation +de ma part, tomber de ses lèvres un mot bien faible, et, +dans ma main tremblante, une main dont je sentais la +froideur au travers de son gant. Hélas! qu'elle était indifférente +et hautaine, la fille de l'épicier! Qu'elle était +singulière et mystérieuse, la brune Cora! Je ne pus jamais +obtenir d'elle, dans toute la durée de la nuit, qu'une +demi-douzaine de monosyllabes.</p> + +<p>Il m'arriva le lendemain de lire, pour le malheur de +ma vie, les Contes fantastiques. Pour mon malheur encore, +aucune créature sous le ciel ne semblait être un +type plus complet de la beauté fantastique et de la poésie +allemande que Cora aux yeux verts et au corsage diaphane.</p> + +<p>Les adorables poésies d'Hoffman commençaient à circuler +dans la ville. Les matrones et les pères de famille +trouvaient le genre détestable et le style de mauvais +goût. Les notaires et les femmes d'avoués faisaient surtout +une guerre à mort à l'invraisemblance des caractères +et au romanesque des incidents. Le juge de paix du +canton avait l'habitude de se promener autour des tables +dans le cabinet de lecture, et de dire aux jeunes gens +égarés par cette poésie étrangère et subversive: <i>Rien +n'est beau que le vrai</i>, etc. Je me souviens qu'un vaurien +de lycéen, en vacances, lui dit à cette occasion en +le regardant fixement:</p> + +<p>—Monsieur, cette grosse verrue que vous avez au +milieu du nez est sans doute postiche?</p> + +<p>Malgré les remontrances paternelles, malgré les anathèmes +du <i>principal</i> et des professeurs de sixième, le +mal gagna rapidement, et une grande partie de la jeunesse +fut infectée du venin mortel. On vit de jeunes débitants +de tabac se modeler sur le type de Kressler, et +des surnuméraires à l'enregistrement s'évanouir au son +lointain d'une cornemuse ou d'une chanson de jeune fille.</p> + +<p>Pour moi, je confesse et je déclare ici que je perdis +complètement la tête. Cora réalisait tous les rêves enivrants +que le poëte m'inspirait, et je me plaisais à la gratifier +d'une nature immatérielle et féerique qui réellement +semblait avoir été imaginée pour elle. J'étais heureux +ainsi. Je ne lui parlais pas, je n'avais aucun titre pour +m'approcher d'elle. Je ne recueillais aucun encouragement +à ma passion; je n'en cherchais même pas. Seulement, +je quittai la maison du notaire et je louai une +misérable chambre directement en face de la maison de +l'épicier. Je garnis ma fenêtre d'un épais rideau, dans +lequel je pratiquai des fentes habilement ménagées. Je +passais là en extase toutes les heures que je pouvais dérober +à mon travail.</p> + +<p>La rue était déserte et silencieuse. Cora était assise à +sa fenêtre au rez-de-chaussée. Elle lisait. Que lisait-elle? +Il est certain qu'elle lisait du matin au soir. Et puis elle +posait son livre sur un vase de giroflée jaune qui brillait +à la fenêtre. Et la tête penché sur sa main, les boucles de +ses beaux cheveux nonchalamment mêlées aux fleurs d'or +et de pourpre, l'oeil fixe et brillant, elle semblait percer le +pavé et contempler, à travers la croûte épaisse de ce sol +grossier, les mystères de la tombe et de la reproduction +des essences fécondantes, assister à la naissance de la +fée aux Roses, et encourager le germe d'un beau génie +aux ailes d'or dans le pistil d'une tulipe.</p> + +<p>Et moi je la regardais, j'étais heureux. Je me gardais +bien de me montrer, car, au moindre mouvement du rideau, +au moindre bruit de ma fenêtre, elle disparaissait +comme un songe. Elle s'évanouissait comme une vapeur +argentée dans le clair-obscur de l'arrière-boutique; je me +tenais donc là, immobile, retenant mon souffle, imposant +silence aux battements de mon coeur, quelquefois à genoux +implorant ma fée dans le silence, envoyant vers elle +les brûlantes aspirations d'une âme que son essence magique +devait pénétrer et entendre. Parfois je m'imaginais +voir mon esprit et le sien voltiger enlacés dans un de ces +rayons de poussière d'or que le soleil de midi infiltrait +dans la profondeur étroite et anguleuse delà rue. Je m'imaginais +voir partir de son oeil limpide comme l'eau qui court +sur la mousse, un trait brûlant qui m'appelait tout entier +dans son coeur.</p> + +<p>Je restai là tout le jour, égaré, absurde, ridicule; mais +exalté, mais amoureux, mais jeune! mais inondé de poésie +et n'associant personne aux mystères de ma pensée +et ne sentant jamais mes élans entravés par la crainte de +tomber dans le mauvais goût, n'ayant que Dieu pour juge +et pour confident de mes rêves et de mes extases.</p> + +<p>Puis, quand le jour finissait, quand la pâle Cora fermait +sa fenêtre et tirait son rideau, j'ouvrais mes livres favoris +et je la retrouvais sur les Alpes avec Manfred, chez le +professeur Spallanzani avec Nathanaël, dans les cieux +avec Oberon.</p> + +<p>Mais, hélas! ce bonheur ne fut pas de bien longue +durée. Jusque-là personne n'avait découvert la beauté de +Cora; j'en jouissais tout seul. Elle n'était comprise et +adorée que par moi. La contagion fantastique, en se répandant +parmi les jeunes gens de la ville, jeta un trait +de lumière sur la romantique bourgeoise.</p> + +<p>Un impertinent bachelier s'avisa un matin, en passant +devant ses fenêtres, de la comparer à Anne de Gierstern, la +fille du brouillard. Ce mot fit fortune: on le répéta au bal. +Les <i>inspirés</i> de l'endroit remarquèrent la danse molle et +aérienne de Cora. Un autre génie de la société la compara +à la reine Mab. Alors, chacun voulant faire montre de +son érudition, apporta son épithète et sa métaphore, et la +pauvre fille en fut écrasée à son insu. Quand ils eurent +assez profané mon idole avec leurs comparaisons, ils l'entourèrent, +ils l'accablèrent de soins et de madrigaux, ils +la firent danser jusqu'à l'extinction des quinquets, ils me +la rendirent le lendemain fatiguée de leur esprit, ennuyée +de leur babil, flétrie de leur admiration; et ce qui acheva +de me briser le coeur, ce fut de voir apparaître à la fenêtre +le profil arrondi et jovial d'un gros étudiant en pharmacie +à côté du profil grec et délié de ma sylphide.</p> + +<p>Pendant bien des matins et bien des soirs, je vins +derrière le rideau mystérieux essayer de combattre le +charme que mon odieux rival avait jeté sur la famille de +l'épicier. Mais en vain j'invoquai l'amour, le diable et tous +les saints, je ne pus écarter sa maligne influence. Il revint, +sans se lasser, tous les jours s'asseoir à côté de +Cora, dans l'embrasure de la fenêtre, et il lui parlait. +De quoi osait-il lui parler, le malheureux! La figure impénétrable +de Cora n'en trahissait rien. Elle semblait +écouter ses discours sans les entendre, et à l'imperceptible +mouvement de ses lèvres, je devinais quelquefois +qu'elle lui répondait froidement et brièvement comme +elle avait l'habitude de le faire, et puis la conversation +semblait languir.</p> + +<p>Le couple contraint et ennuyé étouffait de part et +d'autre des bâillements silencieux. Cora regardait tristement +son livre fermé sur la fenêtre et que la présence +de son adorateur l'empêchait de continuer. Puis elle appuyait +son coude sur le pot de giroflées et le menton sur +la paume de sa main, et le regardant d'un regard fixe et +glacial, elle semblait étudier les fibres grossières de son +organisation morale au travers de la loupe de maître +Floh.</p> + +<p>Après tout, elle supportait ses assiduités comme un +mal nécessaire; car, au bout de six semaines, l'apprenti +pharmacien conduisit la belle Cora au pied des autels, +où ils reçurent la bénédiction nuptiale. Cora était admirablement +chaste et sévère sous son costume de mariée. +Elle avait l'air calme, indifférent, ennuyé comme toujours. +Elle traversa la foule avide d'un pas aussi mesuré +qu'à l'ordinaire, et promena sur les curieux ébahis son +oeil sec et scrutateur. Quand il rencontra ma figure morne +et flétrie, il s'y arrêta un instant et sembla dire: Voici +un homme qui est incommodé d'un catarrhe ou d'un mal +de dents.</p> + +<p>Pour moi, j'étais si désespéré, que je sollicitai mon +changement ...</p> + + +<br><br> + +<h3>II.</h3> + + +<p>Mais je ne l'obtins pas, et je restai témoin du bonheur +d'un autre. Alors je pris le parti de tomber malade, ce +qui me sauva du désespoir, ainsi qu'il arrive toujours en +pareil cas.</p> + +<p>Si dégoûté qu'on soit de la vie, il est certain que, lorsque +la fatalité nous y retient malgré nous, la faiblesse +humaine ne peut s'empêcher de remercier secrètement +la fatalité. La mort est si laide qu'aucun de nous ne la +voit de près sans effroi. Bien magnanimes sont ceux qui +enfoncent le rasoir jusqu'à l'artère carotide, ou qui avalent +le poison jusqu'au fond de la coupe. (Je dis la <i>coupe</i>, +parce qu'il n'est pas séant et presque impossible de s'empoisonner +dans un vase qui porte un autre nom quelconque.)</p> + +<p>Oui, le proverbe d'Ésope est la sagesse des nations. +Nous aimons la vie comme une maîtresse que nous convoitons +encore avec les sens, après même que toute estime +et toute affection pour elle sont éteintes en nous. Le +soir où je vis un prêtre et un médecin convenablement +graves à mon chevet, je n'eus pas la force de m'enquérir +vis-à-vis de moi-même de ce que j'en ressentais de joie +ou de peine. Mais quand, un matin, je m'éveillai faible +et languissant, et que je vis la garde-malade endormie +profondément sur sa chaise, le soleil brillant sur les toits +et les fioles pharmaceutiques vides sur le guéridon, quand +je me hasardai à remuer et que je sentis ma tête sans +douleur, mes membres légers, et mon corps débile dégagé +de tous les liens de fer de la souffrance, je ressentis un +insurmontable sentiment de bien-être et de reconnaissance +envers le ciel.</p> + +<p>Et puis je me rappelai Cora et son mariage, et j'eus +honte de la joie que je venais d'éprouver; car, après les +ferventes prières que j'avais adressées à Dieu et au médecin +pour être délivré de la vie, c'était une inconséquence +sans pareille que d'en accepter le retour sans +colère et sans amertume. Je me mis donc à répandre des +larmes. La jeunesse est si riche en émotions de tout genre, +qu'il lui est possible de se torturer elle-même en dépit de +la force de l'espoir, de la poésie, de tous les bienfaits +dont l'a douée la Providence. Je lui reprochai, moi, d'avoir +été plus sage que moi, et de n avoir pas permis +qu'un amour bizarre et presque imaginaire me conduisît +au tombeau. Puis je me résignai et j'acceptai la volonté +de Dieu, qui rivait ma chaîne et me condamnait à jouir +encore de la vue du ciel, de la beauté de la nature et de +l'affection de mes proches.</p> + +<p>Quand je fus assez fort pour me lever, je m'approchai +de la fenêtre avec un inexprimable serrement de coeur. +Cora était là; elle lisait. Elle était toujours belle, toujours +pâle, toujours seule. J'eus un sentiment de joie. Elle +m'était donc rendue, ma fée aux yeux verts; ma belle +rêveuse solitaire! Je pourrais la contempler encore et +nourrir en secret cette passion extatique que le regard +d'un rival m'avait forcé de refouler si longtemps! Tout +à coup elle releva sa tête brune, et ses yeux, errant au +hasard sur la muraille, aperçurent ma face pâle qui se +penchait vers elle. Je tressaillis, je crus qu'elle allait fuir +comme à l'ordinaire. Mais, ô transport! elle ne s'enfuit +point. Au contraire, elle m'adressa un salut plein de politesse +et de douceur, puis elle reporta son attention sur +son livre, et resta sous mes yeux absolument indifférente +à l'assiduité de mes regards; mais du moins elle +resta.</p> + +<p>Un homme plus expérimenté que moi eût préféré l'ancienne +sauvagerie de Cora à l'insouciance avec laquelle +désormais elle bravait le face-à-face. Mais pouvais-je résister +au charme qu'elle venait de jeter sur moi avec son +salut bienveillant et gracieux? Je m'imaginai tout ce qu'il +peut entrer de chaste intérêt et de bienveillance réservée +dans un modeste salut de femme. C'était la première +marque de connaissance que me donnait Cora. Mais avec +quelle ingénieuse délicatesse elle choisissait l'instant de +me la donner! Combien il entrait de compassion généreuse +dans ce faible témoignage d'un intérêt timide et +discret! Elle n'osait point me demander si j'étais mieux. +D'ailleurs elle le voyait, et son salut valait tout un long +discours de félicitations.</p> + +<p>Je passai toute la nuit à commenter ce charmant salut, +et le lendemain, à l'heure où Cora reparut, je me hasardai +à risquer le premier témoignage de notre intelligence +naissante. Oui, j'eus l'audace de la saluer profondément; +mais je fus si bouleversé de ce que j'osais faire, que je +n'eus point le courage de fixer mes yeux sur elle. Je les +tins baissés avec crainte et respect, ce qui fit que je ne +pus point savoir si elle me rendait mon salut, ni de quel +air elle me le rendait.</p> + +<p>Troublé, palpitant, plein d'espoir et de terreur, je restais +le front caché dans mes mains, n'osant plus montrer +mon visage, lorsqu'une voix s'éleva dans le silence de la +rue, et, montant vers moi, m'adressa ces douces paroles:</p> + +<p>—Il parait, Monsieur, que votre santé est meilleure?</p> + +<p>Je tressaillis, je retirai ma tête de mes mains; je regardai +Cora, je ne pouvais en croire mes oreilles, d'autant +plus que la voix était un peu rude, un peu mâle, et +que je m'étais toujours imaginé la voix de Cora plus douce +que celle de la brise d'avril caressant les fleurs naissantes. +Mais comme je la contemplais d'un air éperdu, +elle réitéra sa question dans des termes dont la douceur +me fit oublier l'accent un peu indigène et le timbre un +peu vigoureux de sa voix.</p> + +<p>—Je vois avec plaisir, dit-elle, que monsieur Georges +se porte mieux.</p> + +<p>Je voulus faire une réponse qui exprimât l'enthousiasme +de ma reconnaissance; mais cela me fut impossible: +je pâlis, je rougis, je balbutiai quelques paroles +inintelligibles; je faillis m'évanouir.</p> + +<p>A ce moment, l'épicier, le père de ma Cora, approchant +son profil osseux de la fenêtre, lui dit d'un ton rauque, +mais pourtant bienveillant:</p> + +<p>—A qui parles-tu donc, mignonne?</p> + +<p>—A notre voisin, M. Georges, qui est enfin convalescent +et que je vois à sa fenêtre.</p> + +<p>—Ah! j'en suis charmé, dit l'épicier, et, soulevant +son bonnet de loutre: Comment va la santé, mon cher +voisin?</p> + +<p>Je remerciai avec plus d'assurance le père de ma bien-aimée. +J'étais le plus heureux des mortels; j'obtenais +enfin un peu d'intérêt de cette famille naguère si farouche +et si méfiante envers moi. Mais hélas! pensais-je presque +aussitôt, que me sert à présent d'être plaint et consolé? +Cora n'est-elle pas pour jamais unie à un autre?</p> + +<p>L'épicier, appuyant ses deux coudes sur sa fenêtre, +entama alors avec moi une conversation affectueuse et +bienveillante sur la beauté de la journée, sur le plaisir de +revenir à la vie par un si bon soleil, sur l'excellence des +gilets de flanelle en temps de convalescence, et les bienfaisants +effets de l'eau miellée et du sirop de gomme sur +les poitrines fatiguées et les estomacs débilités.</p> + +<p>Jaloux de soutenir et de prolonger un entretien si précieux, +je lui répondis par des compliments flatteurs sur +la beauté des giroflées qui fleurissaient à sa fenêtre, sur +la grâce mignonne et coquette de son chat qui dormait +au soleil devant la porte, et sur la bonne exposition de +sa boutique qui recevait en plein les rayons du soleil de +midi.</p> + +<p>—Oui, oui, répondit l'épicier, au commencement du +printemps les rayons du soleil ne sont point à dédaigner; +plus tard ils deviennent un peu trop bons....</p> + +<p>A cet entretien cordial et ingénu, Cora mêlait de temps +en temps des réflexions courtes et simples, mais pleines +de bon sens et de justesse; j'en conclus qu'elle avait un +jugement droit et un esprit positif.</p> + +<p>Puis, comme j'insistais sur l'avantage d'avoir la façade +de son logis exposée au midi, Cora, inspirée par le ciel +et par la beauté de son âme, dit à son père:</p> + +<p>—Au fait, la chambre de M. Georges exposée au nord +doit encore être assez fraîche dans ce temps-ci. Peut-être, +si vous lui proposiez de venir s'asseoir une heure +ou deux chez nous, serait-il bien aise de voir le soleil en +face?</p> + +<p>Puis elle se pencha vers son oreille, et lui dit tout bas +quelques mots qui semblèrent frapper vivement l'épicier.</p> + +<p>—C'est bien, ma fille, s'écria-t-il d'un ton jovial +Vous plairait-il, monsieur Georges, d'accepter une chaise +à côté de ma Cora?</p> + +<p>—O mon Dieu! pensai-je, si c'est un rêve, faites que +je ne m'éveille point.</p> + +<p>Une minute après, le généreux épicier était dans ma +chambre et m'offrait son bras pour descendre. J'étais +ému jusqu'aux larmes et je lui pressai les mains avec +une effusion qui le surprit, tant son action lui paraissait +naturelle.</p> + +<p>Au seuil de ma maison, je trouvai Cora qui venait pour +aider son père à me soutenir en traversant la rue. Jusque-là +je me sentais la force d'aller vers elle; mais dès +qu'elle toucha mon bras, dès que sa main longue et +blanche effleura mon coude, je me sentis défaillir, et je +perdis le sentiment de mon bonheur pour l'avoir senti +trop vivement.</p> + +<p>Je revins à moi sur un grand fauteuil de cuir à clous +dorés, qui, depuis cinquante ans, servait de trône au patriarcal +épicier. Sa digne compagne me frottait les tempes +avec du vulnéraire, et Cora, la belle Cora, tenait sous +mes narines son mouchoir imbibé d'alcool. Je faillis m'évanouir +de nouveau; je voulus remercier, mais je +n'avais pas d'expressions pour peindre ma gratitude; +pourtant, dans un moment où l'épicier, me voyant mieux, +se retirait, et ou sa femme passait dans l'arrière-boutique +pour me chercher un verre d'eau de réglisse, je dis +à Cora en levant sur elle mon oeil languissant:</p> + +<p>—Ah! Madame, pourquoi ne m'avoir pas laissé mourir? +j'étais si heureux tout à l'heure!</p> + +<p>Elle me regarda d'un air étonné et me dit d'un ton +affectueux:—Remettez-vous, Monsieur, vous avez de la +fièvre, je le vois bien.</p> + +<p>Quand je fus tout à fait remis de mon trouble, l'épicière +retourna à la boutique, et je restai seul avec Cora.</p> + +<p>Comme le coeur me battit alors! Mais elle était calme, +et sa sérénité m'imposait tant de respect que je pris sur +moi de paraître calme aussi.</p> + +<p>Cependant ce tête-à-tête devint pour moi d'un cruel +embarras. Cora n'aimait point à parler. Elle répondait +brièvement à toutes les choses que je tirais de mon cerveau +avec d'incroyables efforts, et, quoi que je fisse, jamais +ses réponses n'étaient de nature à nouer l'entretien; +sur quelque matière que ce fût, elle était de mon +avis. Je ne pouvais pas m'en plaindre, car je lui disais de +ces choses sensées qu'il n'est pas possible de combattre à +moins d'être fou. Par exemple, je lui demandai si elle aimait +la lecture.—Beaucoup, me répondit-elle.—C'est +qu'en effet, repris-je, c'est une si douce occupation!—En +effet, reprit-elle, c'est une très-douce occupation.—Pourvu, +ajoutai-je, que le livre qu'on lit soit beau et intéressant.—Oh! +certainement, ajouta-t-elle.—Car, poursuivis-je, +il en est de bien insipides.—Mais aussi, poursuivit-elle, +il en est de bien jolis.—Cet entretien eut pu +nous mener loin si je me fusse senti la hardiesse de l'interroger +sur le genre de ses lectures. Mais je craignis que +cela ne fût indiscret, et je me bornai à jeter un regard +furtif sur le livre entr'ouvert au pied de la giroflée. C'était +un roman d'Auguste Lafontaine. J'eus la sottise d'en être +affecté d'abord. Et puis, en y réfléchissant, je trouvai dans +le choix de cette lecture une raison d'admirer la simplicité +et la richesse d'un coeur qui pouvait puiser là des émotions +attachantes. Je parcourus de l'oeil une pile de volumes +délabrés qui gisaient sur un rayon près de moi. Je ne +nommerai point les auteurs chéris de ma Cora; les lecteurs +blasés en riraient, et moi, dans ma vaine enflure +de poëte, je faillis en être froissé.... Mais je revins bientôt +à la raison en comparant les ressources d'un esprit si +neuf et d'une âme si virginale à la vieillesse prématurée +de nos imaginations épuisées. Il y avait dans la vie intellectuelle +des trésors auxquels Cora n'avait pas encore +touché, et l'homme qui serait assez heureux pour les lui +révéler verrait s'épanouir sous son souffle la plus belle +oeuvre de la création, le coeur d'une femme ingénue!...</p> + +<p>Je rentrai chez moi enthousiasmé de Cora, dont l'ignorance +était si candide et si belle. J'attendis l'heure d'y +retourner le jour suivant, sans pourtant espérer cette +nouvelle faveur. Elle reparut avec sa mère, qui m'invita +à descendre. Quand je fus installé dans le grand fauteuil, +je vis une sorte d'agitation inquiète dans la famille. Puis +l'épicier s'assit vis-a-vis de moi avec un air hypocritement +naïf. J'étais agité moi-même, je craignais et je désirais +l'explication de cette contenance.</p> + +<p>—Puisque vous vous trouvez bien ici, monsieur +Georges, dit-il enfin en posant ses deux mains sur ses rotules +replètes, j'espère que vous y viendrez sans façon +vous reposer tant que vous ne serez pas assez fort pour +aller vous distraire ailleurs.</p> + +<p>—Généreux homme! m'écriai-je.</p> + +<p>—Non, dit-il en souriant, cela ne vaut point un remerciement: +entre voisins on se doit assistance, et, Dieu +merci! nous n'avons jamais refusé la nôtre aux honnêtes +gens: car je présume que vous êtes un brave jeune +homme, monsieur Georges, vous en avez parfaitement +l'air, et je me sens de la confiance en vous.</p> + +<p>—J'en suis honoré, répondis-je avec embarras.</p> + +<p>—Ainsi, Monsieur, poursuivit le digne homme avec +gaieté, en se levant, restez avec notre Cora tant que +vous voudrez. C'est une fille d'esprit, voyez-vous! une +personne qui a vécu dans les livres, et dont la mère n'a +jamais voulu contrarier le goût. Aussi, elle en sait plus +que nous à présent, et vous trouverez de l'agrément dans +sa société, j'en réponds.</p> + +<p>—Il y a bien longtemps, répondis-je en rougissant et +en jetant sur Cora un regard timide, que je me serais estimé +heureux de cette faveur.... Elle est venue bien tard, +hélas! au gré de mon impatience....</p> + +<p>—Ah! dame, dit l'épicier en ricanant, c'est qu'il y a +deux mois, voyez-vous, la chose n'était pas possible. +Cora n'était pas mariée, et...à moins de se présenter ici +avec l'intention de l'épouser, avec de bonnes et franches +propositions de mariage, aucun garçon n'obtenait de sa +mère l'entrée de cette chambre. Vous savez, Monsieur, +comme il faut veiller sur une jeune fille pour empêcher +les mauvaises langues de lui faire tort; à présent que +voici l'enfant établie, comme nous sommes sûrs de sa moralité, +nous la laissons tout à fait libre, et puis...d'ailleurs +(ici l'épicier baissa la voix), pâle et faible comme +vous voilà, personne ne pensera que vous songiez à supplanter +un mari jeune et bien portant.... L'épicier termina +sa phrase par un gros rire. Je devins pâle comme la +mort, et je n'osai pas lever les yeux sur Cora.</p> + +<p>—Tenez, tenez, ne vous fâchez pas d'une plaisanterie, +mon cher voisin, reprit-il: vous ne serez pas toujours +convalescent, et bientôt peut-être les pères et les +maris vous surveilleront de plus près.... En attendant, +restez ici; Cora vous tiendra compagnie, et d'ailleurs je +crois qu'elle a quelque chose à vous dire.</p> + +<p>—A moi? m'écriai-je en regardant Cora.</p> + +<p>—Oui, oui, reprit le père, c'est une petite affaire délicate...voyez-vous, +et qu'une jeune femme entendra +mieux qu'un vieux bonhomme. Allons, au revoir, monsieur +Georges.</p> + +<p>Il sortit. Je restai encore une fois seul avec Cora, et +cette fois elle avait une <i>affaire délicate</i> à traiter avec +moi: elle allait me confier un secret peut-être, une peine +de son coeur, un malheur de sa destinée: ah! sans doute, il +y avait un grand et profond mystère dans la vie de cette +fille si mélancolique et si belle! son existence ne pouvait +pas être arrangée comme celle des autres. Le ciel ne lui +avait pas départi une si miraculeuse beauté sans la lui +faire expier par des trésors de douleur. Enfin, me disais-je, +elle va les épancher dans mon sein, et je pourrai peut-être +en prendre une partie pour la soulager!</p> + +<p>Elle resta un peu confuse devant moi. Puis elle fouilla +dans la poche de son tablier de taffetas noir et en tira un +papier plié.</p> + +<p>—En vérité, Monsieur, dit-elle, c'est bien peu de +chose: je ne sais pourquoi mon père me charge de vous +le dire; il devrait savoir qu'un homme d'esprit comme +vous ne s'offense pas d'une demande toute naturelle.... +Sans tout ce qu'il vient de dire, je ne serais pas embarrassée, +mais....</p> + +<p>—Achevez, au nom du ciel, m'écriai-je avec ferveur; +ô Cora! si vous connaissiez mon coeur, vous n'hésiteriez +pas un instant à m'ouvrir le vôtre.</p> + +<p>—Eh bien, Monsieur, dit Cora émue, voici ce dont il +s'agit. Elle déplia le papier et me le présenta. J'y jetai les +yeux, mais ma vue était troublée, ma main tremblante, +il me fallut prendre haleine un instant avant de comprendre. +Enfin je lus: «Doit M. Georges à M***, épicier +droguiste, pour objets de consommation fournis durant sa +maladie....</p> + +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p>12 l. cassonade pour sirops et tisanes, ci.</p> +<p>Savon fourni à sa garde-malade, ci-contre.</p> +<p>Chandelle. . . . . . . . . . . . . . . . .</p> +<p>Centaurée fébrifuge, etc., etc. . . . . . .</p> +<p class="i10"> ———————</p> +<p class="i10"> Total. . . . . . 30 fr. 50 c.</p> + </div><div class="stanza"> +<p class="i10"> Pour acquit, CORA **—»</p> + </div> </div> + +<p>Je la regardai d'un air égaré.—Véritablement, Monsieur, +me dit-elle, vous trouvez peut-être cette demande +indiscrète, et vous n'êtes pas encore assez bien portant +pour qu'il soit agréable d'être importuné d'affaires. Mais +nous sommes fort gênés, le commerce va si mal, le loyer +de notre boutique est fort cher...et Cora parla longtemps +encore. Je ne l'entendis point. Je balbutiai quelques mots +et je courus, aussi vite que mes forces me le permirent, +chercher la somme que je devais à l'épicier. Puis je rentrai +chez moi atterré, et je me mis au lit avec un mouvement +de fièvre.</p> + +<p>Mais le lendemain je revins à moi avec des idées plus +raisonnables. Je me demandai pourquoi ce mépris idiot et +superbe pour les détails de la vie bourgeoise? pourquoi +l'impertinente susceptibilité des âmes poétiques qui +croient se souiller au contact des nécessités prosaïques? +pourquoi enfin cette haine absurde contre le positif de +la vie?</p> + +<div class="dropcap"><img src="images/ill-4.png" alt=""></div> + +<p>Ingrat! pensai-je, tu te révoltes parce qu'un mémoire +de savon et de chandelle a été rédigé et présenté par +Cora, tandis que tu devrais baiser la belle main qui t'a +fourni ces secours à ton insu durant ta maladie. Que serais-tu +devenu, misérable rêveur, si un homme confiant +et probe n'eût consenti à répandre sur toi les bienfaits de +son industrie, sans autre gage de remboursement que ta +mince garde-robe et ton misérable grabat? Et si tu étais +mort sans pouvoir lire son mémoire et l'acquitter, où +sont les héritiers qui auraient trouvé dans ta succession +30 fr. 50 c. à lui remettre?</p> + +<p>Et puis je songeai que ces breuvages bienfaisants qui +m'avaient sauvé de la souffrance et de la mort, c'était +Cora qui les avait préparés. Qui sait, pensai-je, si elle n'a +point composé un charme ou murmuré une prière qui +leur ait donné la vertu de me guérir? N'y a-t-elle pas +aussi mêlé une larme compatissante le jour où je touchai +aux portes du tombeau? Larme divine! topique céleste!...</p> + +<p>J'en étais là quand l'épicier frappa à ma porte:— +Tenez, monsieur Georges, me dit-il, ma femme et moi +nous craignons de vous avoir fâché. Cora nous a dit que +vous aviez eu l'air surpris et que vous aviez acquitté le +mémoire sans dire un mot. Je ne voudrais pas que vous +nous crussiez capables de méfiance envers vous. Nous +sommes gênés, il est vrai. Notre commerce ne va pas +très-bien; mais si vous aviez besoin d'argent, nous trouverions +encore moyen de vous rendre le vôtre et même +de vous en prêter un peu.</p> + +<p>Je me jetai dans ses bras avec effusion.—Digne vieillard, +m'écriai-je, tout ce que je possède est à vous!... +Comptez sur moi à la vie et à la mort. Je parlai longtemps +avec l'exaltation de la fièvre. Il me regardait avec son +gros oeil gris, rond comme celui d'un chat. Quand j'eus +fini:—A la bonne heure, dit-il du ton d'un homme qui +prend son parti sur l'impossibilité de deviner une énigme. +Je vous prie de venir nous voir de temps en temps et de +ne pas nous retirer votre pratique.</p> + + +<br><br> + +<h3>III.</h3> + + +<p>Je m'étonnais de ne plus voir le mari de Cora à la boutique +ni auprès de sa femme. Je hasardai une craintive +question. Elle me répondit que Gibonneau achevait son +année de service en second sous les auspices du premier +pharmacien de la ville. Il ne rentrait que le soir et sortait +dès le matin. Ainsi le rustre pouvait ainsi voir s'écouler +ses jours loin de la plus belle créature qui fût sous +le ciel. Il possédait la plus riche perle du monde, et il se +résignait tranquillement à la quitter pendant toute une +moitié de sa vie, pour aller préparer des liniments et formuler +des pilules!</p> + +<p>Mais aussi comme je remerciai le ciel qui l'avait condamné +à cette vulgaire existence et qui semblait lui dénier +une faveur dont il n'était pas digne, celle de voir sa +douce compagne à la clarté du soleil! Il ne lui était permis +de retourner vers elle qu'à l'heure où les chauve-souris +et les hiboux prennent leur sombre volée et rasent +d'une aile velue et silencieuse les flots transparents de la +brume. Il venait dans l'ombre ainsi qu'un voleur de nuit, +ainsi qu'un gnome malfaisant qui chevauche, le vent du +soir et le météore trompeur des marécages. Il venait, +ombre morne et lugubre, encore revêtu de son tablier, +ainsi que d'un linceul, exhalant cette odeur d'aromate +que l'on brûle autour des catafalques. Je le voyais quelquefois +errer dans les ténèbres et glisser comme un +spectre le long des murailles livides. Plusieurs fois je le +rencontrai sur le seuil et je faillis l'écraser dans le ruisseau +comme un ver de terre; mais je l'épargnai, car véritablement +il avait l'encolure d'un buffle, et j'étais tout +effilé et tout transparent des suites de la fièvre.</p> + +<p>Cora, veuve chaque jour, depuis l'aube jusqu'au crépuscule +du soir, restait confiante près de moi. Je passais +presque toutes mes journées assis sur le vieux fauteuil de +la famille, ou, lorsque le soleil d'avril était décidément +chaud, je m'asseyais sur le banc de pierre qui s'adossait +à la fenêtre de Cora. Là, séparé d'elle seulement par les +rameaux d'or de la giroflée, je respirais son haleine parmi +les fleurs, je saisissais son long regard transparent et +calme comme le flot sans rides qui dort sur les rives de +la Grèce. Nous gardions tous deux le silence, mais mon +coeur volait vers elle et convoitait le sien avec une force +attractive dont il devait lui être impossible de ne pas +sentir la puissance. Je m'endormis dans ce doux rêve. +Pourquoi Cora ne m'aurait-elle pas aimé? Peut-être fallait-il +dire: comment ne m'eût-elle pas aimé? Je l'aimais +si éperdument, moi! toutes mes facultés intellectuelles +se concentraient pour produire une force de désir et d'attente +qui planait impérieusement sur Cora. Son âme, faite +du plus beau rayon de la Divinité, pouvait-elle rester +inerte sous le vol magnétique de cette pensée de feu? Je +ne voulus point le croire, et je sentis mon coeur si pur, +mes désirs si chastes, que je ne craignis bientôt plus d'offenser +Cora en les lui révélant. Alors je lui parlai cette +langue des cieux qu'il n'est donné qu'aux âmes poétiques +d'entendre. Je lui exprimai les tortures ineffables et les +divines souffrances de mon amour. Je lui racontai mes +rêves, mes illusions, les milliers de poèmes et de vers +alexandrins que j'avais faits pour elle. J'eus le bonheur +de la voir, attentive et subjuguée, quitter son livre et se +pencher vers moi d'un air pénétré pour m'entendre, car +mes paroles avaient un sens nouveau pour elle, et je faisais +entrer dans son esprit un ordre de pensées sublimes +qu'il n'avait encore jamais osé aborder.</p> + +<p>—O ma Cora, lui disais-je, que pourrais-tu craindre +d'une flamme aussi pure? L'éclair qui s'allume aux cieux +n'est pas d'une nature plus subtile que le feu dont je me +consume avec délice. Pourquoi ta sauvage pudeur, pourquoi +ta superbe fierté de femme s'alarmeraient-elles d'un +amour aussi intellectuel que le nôtre? Qu'un mari, qu'un +maître, possède le trésor de la beauté matérielle qu'il a +plu aux anges de te départir! pour moi, je ne chercherai +jamais à lui ravir ce que Dieu, les hommes et ta parole, +ô Cora! lui ont assuré comme son bien; le mien sera, +si tu m'exauces, moins saisissable, moins enivrant, mais +plus glorieux et plus noble. C'est la partie éthérée de ton +âme que je veux, c'est ton aspiration brûlante vers le +ciel que je veux étreindre et saisir, afin d'être ton ciel et +ton âme, comme tu es mon Dieu et ma vie.»</p> + +<p>Ces choses semblaient obscures à Cora, son âme était +si candide et si enfantine! Elle me regardait d'un oeil absorbé +dans la stupeur, et pour lui faire mieux comprendre +les divins mystères de l'amour platonique, je prenais mon +crayon et je traçais des vers sur la muraille aux marges +de sa fenêtre; puis je lui racontais les brillantes poésies +de la nature invisible, les amours des anges et des fées, +les souffrances et les soupirs des sylphes emprisonnés +dans le calice des fleurs, puis les fougueuses passions des +roses pour les brises, et réciproquement; puis les choeurs +aériens qu'on entend le soir dans la nue, la danse sympathique +des étoiles, les rondes du sabbat, les malices +des farfadets et les découvertes ardues de l'alchimie.</p> + +<p>Notre bonheur semblait ne pouvoir être troublé par +aucun événement extérieur. En prenant la poésie corps +à corps, j'avais su si bien m'isoler, dans mon monde intellectuel, +de toutes les entraves et de tous les écueils de +la vie réelle, que je semblais n'avoir rien à craindre de +l'intervention de ces volontés grossières et inintelligentes +qui végétaient à l'entour de nous. Mes sentiments étaient +d'une nature si élevée que je ne pouvais inspirer de rivalité +d'aucun genre à l'homme vulgaire qui se disait le +maître et l'époux de Cora.</p> + +<p>Pendant longtemps, en effet, il sembla comprendre le +respect qu'il devait à une liaison protégée par le ciel. +Mais au bout de six semaines, je vis un changement +étrange s'opérer dans les manières de cette famille à mon +égard. Le père me regardait d'un air ironique et méfiant +chaque fois qu'il entrait dans la chambre où nous étions. +La mère affectait d'y rester tout le temps qu'elle pouvait +dérober aux affaires de sa boutique. Gibonneau, lorsque +par hasard je venais à le rencontrer, me lançait de sinistres +et foudroyantes oeillades; Cora elle-même devenait +plus réservée, descendait plus tard au rez-de-chaussée, +remontait plus tôt dans sa chambre, et quelquefois même +passait des jours entiers sans paraître. Je m'en effrayai, +et j'essayai de m'en plaindre. J'essayai de lui faire comprendre, +avec l'éloquence que donne la passion, l'injustice +et la barbarie de sa conduite. Elle m'écouta d'un air +contraint, presque craintif, et je la vis regarder vers la +porte d'un air d'inquiétude.</p> + +<p>—O Cora! m'écriai-je avec enthousiasme, serais-tu +menacée de quelque danger? parle, parle! où sont tes +ennemis, nomme-moi les infâmes qui font peser sur toi, +frêle et céleste créature, les chaînes d'airain d'un joug +détesté. Dis-moi quel est le démon qui comprime l'élan +de ton coeur et refoule au fond de ton sein des épanchements +naïfs, comme des remords amers? Va, je saurai +bien les conjurer, je sais plus d'un charme pour enchaîner +les démons de l'envie et de la vengeance, plus d'une +parole magique pour appeler les anges sur nos têtes: les +anges protecteurs qui sont tes frères, et qui sont moins +purs, moins beaux que toi...</p> + +<p>J'élevai la voix en parlant, et je m'approchai de Cora +pour saisir sa main qu'elle me retirait toujours. Alors je +me levai, le front inondé de la sueur de l'enthousiasme, +les cheveux en désordre, l'oeil inspiré...</p> + +<p>Cora poussa un grand cri, et son père, accourant +comme si le feu eût pris à la maison, s'élança dans la +chambre. Comme il s'avançait vers moi d'un air menaçant, +Cora le saisit par le bras et lui dit avec douceur:—Laissez-le, +mon père, il est dans un de ses accès, ne +le contrariez point, cela va se passer.</p> + +<p>Je cherchai vainement le sens de ces paroles. Elle sortit, +et l'épicier s'adressant à moi:—Allons, monsieur +Georges, revenez à vous, personne ici ne songe à vous +contrarier; mais en vérité vous n'êtes pas raisonnable... +Allons, allons... rentrez chez vous et calmez-vous.</p> + +<p>Étourdi de ce discours plein de bonté, je cédai avec la +douceur d'un enfant, et l'épicier me reconduisit chez +moi. Une heure après, je vis entrer le procureur du roi +et le médecin de la ville. Comme je les connaissais l'un +et l'autre assez particulièrement, je ne m'étonnai pas de +leur visite, mais je commençai à m'offenser de l'affectation +avec laquelle le médecin s'empara de mon pouls, +examinant avec soin l'expression de mon regard et la +dilatation de ma pupille; puis il se mit à compter les battements +de mes artères aux tempes et au cou, et à interroger +la chaleur extérieure de mon cerveau avec le +creux de sa main.</p> + +<p>—Qu'est-ce que tout cela signifie, Monsieur? lui dis-je; +je ne vous ai point appelé pour une consultation. Je +me sens assez bien pour me passer désormais de soins, +et je ne suis point disposé à en recevoir malgré moi.</p> + +<p>Mais, au lieu de me répondre, il s'approcha du magistrat, +et ils se retirèrent dans l'embrasure de la fenêtre +pour parler bas. Ils semblaient se consulter sur mon +compte, car, à chaque instant ils se retournaient pour me +regarder d'un air attentif et méfiant; enfin ils s'approchèrent +de moi, et le procureur du roi m'adressa plusieurs +questions étranges, d'abord de quelle couleur je +voyais son gilet, puis si je savais bien son nom, puis encore +si je pouvais dire quel était mon âge, mon pays et +ma profession.</p> + +<p>Je répondais à ces étranges interrogatoires avec stupeur, +lorsque le médecin me demanda à son tour si je ne +voyais point d'autre personne dans l'appartement que le +procureur du roi, lui et moi; puis si je pensais qu'il fît +jour ou nuit, et enfin si je pouvais certifier que j'eusse +cinq doigts à chaque main.</p> + +<p>Outré de l'impertinence de ces questions, je résolus la +dernière en lui appliquant un vigoureux soufflet. J'eus +tort, sans doute, surtout en la présence d'un magistrat +tout prêt à instruire contre le délit. Mais le sang me montait +à la tête, et il ne m'était pas plus longtemps possible +de me laisser traiter comme un idiot ou comme un fou +sans en avoir le motif.</p> + +<p>Grand fut l'esclandre. Le magistrat voulut prendre +fait et cause pour son compère; je le saisis à la gorge et +je l'eusse étranglé, si l'épicier, son gendre et une demi-douzaine +de voisins ne fussent venus à son secours. Alors +on s'empara de moi, on me lia les pieds et les mains +comme à un furieux, on m'entoura la bouche de serviettes +et l'on me conduisit à l'hospice de ville, où je fus +enfermé dans la chambre destinée aux sujets frappés d'aliénation +mentale.</p> + +<p>La chambre, je dois le dire, était confortable, et j'y fus +traité avec beaucoup de douceur, d'autant plus que je ne +donnais aucun signe de folie. L'erreur du médecin et du +magistrat fut bientôt constatée. Mais il me fut difficile de +recouvrer ma liberté, car le dernier, prévoyant qu'il serait +forcé de me demander une réparation de l'injure que +je lui avais faite, s'obstina à me faire passer pour aliéné, +afin de pouvoir se donner les apparences du sang-froid et +de la générosité à mon égard.</p> + +<p>Je sortis enfin; mais le procureur du roi me fit mander +immédiatement dans son cabinet et m'adressa cette mercuriale:</p> + +<p>—Jeune homme, me dit-il avec ce ton capable et paternel +que tout magistrat imberbe se croit le droit de prendre +quand il a endossé la ratine judiciaire, vous avez, sinon +de grandes erreurs, du moins de graves inconséquences +à réparer. Étranger, vous avez été accueilli dans cette +ville avec toutes les marques de la bienveillance et toute +l'aménité de moeurs qui distingue ses habitants. Malade, +vous avez été soigné par vos voisins, avec zèle et dévouement. +Tous ces témoignages de confiance et d'intérêt +eussent dû graver profondément en vous le sentiment des +convenances et celui de la gratitude...</p> + +<p>—Mille noms d'un sabord! Monsieur, m'écriai-je dans +mon style de marin, qui, dans la colère, reprenait malgré +moi le dessus, où voulez-vous en venir, et qu'ai-je fait +pour mériter la prison et votre harangue?...</p> + +<p>—Monsieur, dit-il en fronçant le sourcil, voici ce que +vous avez fait: vous avez accepté l'hospitalité que chaque +jour un honnête citoyen, un estimable épicier, vous +offrait au sein de sa famille, et vous l'avez acceptée avec +des intentions qu'il ne m'appartient pas de qualifier, et +dont votre conscience seule peut être juge. Moi je pense +que votre intention a été de séduire la fille de l'épicier et +de l'éblouir par des discours incohérents qui portaient +tous les caractères de l'exaltation; ou de vous faire un +jeu de sa simplicité, en la mystifiant par d'énigmatiques +railleries.</p> + +<p>—Juste ciel! qui a dit cela? m'écriai-je avec angoisse.</p> + +<p>—Madame Cora Gibonneau elle-même. D'abord elle a +considéré vos étranges discours comme des traits d'originalité +naturelle. Peu à peu elle s'en est effrayée comme +d'actes de démence. Longtemps elle a hésité à en prévenir +ses parents, car dans le coeur de ces respectables +bourgeois, la bonté et la compassion sont des vertus +héréditaires. Mais enfin, mariée depuis peu à un digne +homme qu'elle adore et pour qui, vous le savez sans +doute depuis longtemps, elle nourrissait en secret avant +son hyménée une passion qui avait profondément altéré +sa santé et l'eût conduite au tombeau si ses parents +l'eussent contrariée plus longtemps; enfin, dis-je, mariée +à l'estimable pharmacien Gibonneau, affaiblie par +les commencements d'une grossesse assez pénible, et +craignant avec raison les conséquences de la frayeur dans +la position où elle se trouve, madame Cora s'est décidée +à instruire ses parents de l'égarement de votre cerveau +et des preuves journalières que vous lui en donniez depuis +quelque temps. Ces honnêtes gens ont hésité à le +croire et vous ont surveillé avec une extrême réserve de +délicatesse. Enfin, vous voyant un jour dans un état +d'exaltation et de délire qui épouvantait sérieusement +leur fille, ils ont pris le parti d'implorer la protection des +lois et la sauvegarde de la magistrature... Et l'appui des +lois ne leur a pas manqué, et la magistrature s'est levée +pour les rassurer, car la magistrature sait que son plus +beau privilège est de...</p> + +<p>—Assez, assez, pour Dieu! Monsieur, m'écriai-je, je +pourrais vous dire par coeur le reste de votre phrase, tant +je l'ai entendu déclamer de fois à tout propos...</p> + +<p>—Non, jeune homme, s'écria le magistrat à son tour +en élevant la voix, vous n'échapperez point à la sollicitude +d'une magistrature qui doit ses conseils et sa surveillance +à la jeunesse, à une magistrature qui veut le +bonheur et le repos des citoyens. Profitez du reproche +que vous avez encouru. Voyez vos torts, ils sont graves! +vous avez porté le trouble et la crainte dans la famille de +l'épicier; vous avez méconnu la sainte hospitalité qui +vous y était offerte, en essayant de railler ou de séduire +l'épouse irréprochable d'un pharmacien éclairé... Oui, +vous avez tenté l'un ou l'autre, Monsieur, car je ne sais +point le sens que la loi peut adjuger aux étranges fragments +de versification dont vous avez endommagé les +murs de cette maison hospitalière, et qui m'ont été montrés +par la fille de l'épicier comme une preuve irrécusable +de votre démence... Enfin, Monsieur, non content +d'affliger de braves gens et d'inquiéter le voisinage, vous +avez résisté à l'autorité représentée par moi, vous avez +pris au collet et frappé le médecin distingué qui vous +donnait des soins, vous avez fait une scène de violence +qui a troublé le repos de toute une population paisible, +et qui a pensé devenir funeste à madame Gibonneau par +la frayeur qu'elle lui a causée.</p> + +<p>—Cora est malade! m'écriai-je. Grand Dieu!... Et je +voulais courir, échapper à l'éloquence tribunitienne de +mon bourreau. Il me retint.</p> + +<p>—Vous ne me quitterez pas, jeune homme, me dit-il, +sans avoir écouté la voix de la raison, sans m'avoir +donné votre parole d'honneur de suspendre vos visites, +chez madame Gibonneau, et de quitter même le logement +que vous occupez vis-a-vis la maison de l'épicière.</p> + +<p>—-Eh! Monsieur, m'écriai-je, je jure que je vais dire +adieu et demander pardon à ces honnêtes gens, savoir des +nouvelles de madame Cora, et qu'une heure après j'aurai +quitté cette ville fatale.</p> + +<p>Je m'armai de courage et de sang-froid pour rentrer +chez l'épicier. Comme j'avais passé pour fou dans toute +la ville, ma sortie de prison fit une profonde sensation; +l'épicier parut inquiet et soucieux, sa femme se cacha +presque derrière lui, Cora devint pâle de terreur, et +M. Gibonneau, sans rien dire, me fit une mine de mauvais +garçon. Je leur parlai avec calme, les priai d'excuser +le scandale que je leur avais causé, et de croire à mon +éternelle reconnaissance pour les soins et l'affection que +j'avais trouvés chez eux.</p> + +<p>—Pour vous, Madame, dis-je d'une voix émue à Cora, +pardonnez surtout aux extravagances dont je vous ai +rendue témoin; si je croyais que vous m'eussiez soupçonné +un seul instant de manquer au respect que je vous +dois, j'en mourrais de douleur. J'espère que vous oublierez +l'absurdité de ma conduite pour ne vous souvenir +tous que des humbles excuses et des affectueux remerciements +que je vous adresse en vous quittant pour +jamais.</p> + +<p>A ce mot je vis toutes les figures s'éclaircir, à l'exception +de celle de Cora, qui, je dois le dire, n'exprima +qu'une douce compassion. Je voulus essayer de lui demander +l'état de sa santé, dont j'avais causé l'altération +par mes folies. Mais en songeant à la cause première de +son état maladif, à l'amour qu'elle avait depuis si longtemps +pour son mari et à l'heureux gage de cet amour +qu'elle portait dans son sein, ma langue s'embarrassa et +mes pleurs coulèrent malgré moi. Alors la famille m'entoura, +pleurant aussi et m'accablant de marques de regret +et d'attachement; Cora me tendit même sa belle +main, que je n'avais jamais eu le bonheur de toucher, et +que je n'osai pas seulement porter à mes lèvres. Enfin je +m'éloignai comblé de bénédictions pour mon séjour parmi +eux et particulièrement pour mon départ; car, au milieu +de toutes les choses amicales qui me furent dites, il n'y +eut pas une voix, pas un mot pour m'engager à rester.</p> + +<p>Accablé de douleur, brisé jusqu'à l'âme, je sentais mes +genoux fléchir sous moi en quittant cette maison où j'avais +fait des rêves si doux et nourri des illusions si brillantes. +Je m'appuyai contre le seuil tapissé de vigne, et +je jetai un dernier regard de tendresse et d'adieu sur la +belle giroflée de la fenêtre.</p> + +<p>Alors j'entendis une voix qui partait de l'intérieur et +qui prononçait mon nom. C'était la voix de Cora; j'écoutai:—Pauvre +jeune homme! disait-elle d'un ton pénétré, +il est donc enfin parti!</p> + +<p>—Je n'en suis pas fâché, répondit l'épicier, quoique +après tout ce soit un brave garçon et qu'il paie bien ses +mémoires.</p> + +<p>J'ai traversé cette ville l'année dernière pour aller en +Limousin. J'ai aperçu Cora à sa fenêtre; il y avait trois +beaux enfants autour d'elle, et un superbe pot de giroflée +rouge. Cora avait le nez allongé, les lèvres amincies, +les yeux un peu rouges, les joues creuses et quelques +dents de moins.</p> +<br> +<p>GEORGE SAND.</p> +<br> +FIN DE CORA. + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Cora, by George Sand + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CORA *** + +***** This file should be named 12837-h.htm or 12837-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/1/2/8/3/12837/ + +Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading +Team. This file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Cora + +Author: George Sand + +Release Date: July 7, 2004 [EBook #12837] + +Language: French + +Character set encoding: ASCII + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CORA *** + + + + +Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading +Team. This file was produced from images generously made available +by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr + + + + + + + +[Illustration] + +CORA. + +de + +Georges Sand + + + +I. + +A mon retour de l'ile Bourbon (je me trouvais dans une situation +assez precaire), je sollicitai et j'obtins un mince emploi dans +l'administration des postes. Je fus envoye au fond de la province, +dans une petite ville dont je tairai le nom pour des motifs que vous +concevrez facilement. + +L'apparition d'une nouvelle figure est un evenement dans une petite +ville, et, quoique mon emploi fut des moins importants, pendant quelques +jours je fus, apres un phoque vivant et deux boas constrictors, qui +venaient de s'installer sur la place du marche, l'objet le plus excitant +de la curiosite publique et le sujet le plus exploite des conversations +particulieres. + +La niaise oisivete dont j'etais victime me sequestra chez moi pendant +toute la premiere semaine. J'etais fort jeune, et la negligence +que j'avais jusqu'alors apportee par caractere aux importantes +considerations de la _mise_ et de la _tenue_ commencaient a se reveler a +moi sous la forme du remords. + +Apres un sejour de quelques annees aux colonies, ma toilette se +ressentait visiblement de l'etat de stagnation honteuse ou l'avait +laisse le progres du siecle. Mon chapeau a la Bolivar, mes favoris a +la Bergami et mon manteau a la Quiroga etaient en arriere de plusieurs +lustres, et le reste de mon accoutrement avait une tournure exotique +dont je commencais a rougir. + +Il est vrai que, dans la solitude des champs, ou dans l'incognito d'une +grande ville, ou dans le tourbillon de la vie errante, j'eusse pu +exister longtemps encore sans me douter du malheur de ma position. Mais +une seule promenade hasardee sur les remparts de la ville m'eclaira +tristement a cet egard. Je ne fis point dix pas hors de mon domicile +sans recevoir de salutaires avertissements sur l'inconvenance de mon +costume. D'abord une jolie grisette me lanca un regard ironique, et dit +a sa compagne, en passant pres de moi:--"_Ce monsieur_ a une cravate +bien mal pliee." Puis un ouvrier, que je soupconnai etre dans le +commerce des feutres, dit d'un ton goguenard, en posant ses poings sur +ses flancs revetus d'un tablier de cuir:--"Si _ce monsieur_ voulait me +preter son chapeau, j'en ferais fabriquer un sur le meme modele, afin +de me deguiser en _roast-beef_ le jour du carnaval." Puis une _dame_ +elegante murmura en se penchant sur sa croisee:--"C'est dommage qu'il +ait un gilet si fane et la barbe si mal faite." Enfin, un bel esprit du +lieu dit en pincant la levre:--"Apparemment que le pere de _ce monsieur_ +est un homme _puissant_, on le voit a l'ampleur de son habit." Bref, +il me fallut bientot revenir sur mes pas, fort heureux d'echapper aux +vexations d'une douzaine de polissons en guenilles qui criaient apres +moi du haut de leur tete: A bas _l'angliche_! a bas le milord! a bas +l'etranger! + +Profondement humilie de ma mesaventure, je resolus de m'enfermer chez +moi jusqu'a ce que le tailleur du chef-lieu m'eut fait parvenir un habit +complet dans le dernier gout. L'honnete homme ne s'y epargna point, et +me confectionna des vetements si exigus et si coquets que je pensai +mourir de douleur en me voyant reduit a ma plus simple expression, +et semblable en tous points a ces caricatures de _fats parisiens_ +et d'_incroyables_ qui nous faisaient encore pamer de rire, l'annee +precedente, a l'ile Maurice. Je ne pouvais pas me persuader que je ne +fusse pas cent fois plus ridicule sous cet habit que sous celui que je +venais de quitter, et je ne savais plus que devenir; car j'avais +promis solennellement a mon hotesse (la femme du plus gros notaire de +l'arrondissement) de la conduire au bal, et de lui faire danser la +premiere et probablement l'unique contredanse a laquelle ses charmes lui +donnaient le droit de pretendre. Incertain, honteux, tremblant, je me +decidai a descendre et a demander a cette estimable femme un avis rigide +et sincere sur ma situation. Je pris un flambeau et je me hasardai +jusqu'a la porte de son appartement; mais je m'arretai palpitant et +desespere, en entendant partir de ce sanctuaire un bruit confus de voix +fraiches et percantes, de rires aigus et naifs, qui m'annoncaient la +presence de cinq ou six demoiselles de la ville. Je faillis retourner +sur mes pas; car, de m'exposer au jugement d'un si malin areopage dans +une parure plus que problematique a mes yeux, c'etait un heroisme dont +peu de jeunes gens a ma place se fussent sentis capables. + +Enfin, la force de ma volonte l'emporta; je me demandai si j'avais lu +pour rien Locke et Condillac, et poussant la porte d'une main ferme, +j'entrai par l'effet d'une resolution desesperee. J'ai vu de pres +d'affreux evenements, je puis le dire: j'ai traverse les mers et les +orages, j'ai echappe aux griffes d'un tigre dans le royaume de Java, +et aux dents d'un crocodile dans la baie de Tunis; j'ai vu en face les +gueules beantes des sloops flibustiers; j'ai mange du biscuit de mer qui +m'a perce les gencives; j'ai embrasse la fille du roi de Timor ... eh +bien! je vous jure que tout ceci n'etait rien au prix de mon entree dans +cet appartement, et que dans aucun jour de ma vie je ne recueillis un +aussi glorieux fruit de l'education philosophique. + +Les demoiselles etaient assises en cercle, et, en attendant que la femme +du notaire eut acheve de meler a ses cheveux noirs une legere guirlande +de pivoines, ces gentes filles de la nature echangeaient entre elles de +joyeux propos et de naives chansons. Mon apparition inattendue paralysa +l'elan de cette gaiete charmante. Le silence etendit ses ailes de hibou +sur leurs blondes tetes, et tous les yeux s'attacherent sur moi avec +l'expression du doute, de la mefiance et de la peur. + +Puis tout a coup un cri de surprise s'echappa du sein de la plus jeune, +et mon nom vola de bouche en bouche comme la bordee d'une fregate armee +en guerre. Mon sang se glaca dans mes veines, et je faillis prendre la +fuite comme un brick qui a cru attaquer un chasse-maree, et qui, a +la portee de la longue-vue, decouvre un beau trois-mats, laissant +nonchalamment tomber ses sabords pour lui faire accueil. + +Mais, a ma grande stupefaction, la femme de mon hote, laissant la moitie +de ses boucles crepees et menacantes, tandis que l'autre gisait +encore sous le papier gris de la papillote, accourut vers moi en +s'ecriant:--C'est notre jeune homme! c'est notre pauvre Georges! Ah! mon +Dieu! quelle metamorphose! qu'il est bien mis! quelle jolie tournure! +quelle coupe d'habit elegante et moderne!... Ah! Mesdemoiselles, +regardez! regardez comme M. Georges est change, comme il a l'air +distingue. Vous ferez danser ces demoiselles, monsieur Georges, apres +moi, pourtant! Vous m'avez forcee de vous promettre la premiere, vous +vous en souvenez? + +Les demoiselles gardaient le silence, et je doutais encore de mon +triomphe. Je rassemblai le reste de mon courage pour leur demander +timidement leur gout sur cet habit, et aussitot un choeur de louanges +pur et melodieux a mes oreilles comme un chant celeste s'eleva autour +de moi. Jamais on n'avait rien vu de mieux; on ne trouvait pas un pli +a blamer; le collet raide et volumineux etait d'un gout exquis, les +basques courtes et cambrees avaient une grace parfaite, le gilet parseme +de gigantesques rosaces etait d'un eclat sans pareil; la cravate +inflexible, croisee avec une rigueur systematique, etait un +chef-d'oeuvre d'invention; la manchette et le jabot terrible +couronnaient l'oeuvre. De memoire de jeunes filles, aucun employe de +l'administration des postes n'avait fait un tel debut dans le monde. + +J'avoue que ce n'est pas un des moins brillants souvenirs de ma jeunesse +que mon entree triomphante dans ce bal, serre dans mon habit neuf, +froisse par les baleines dorsales de mon gilet, vexe par le rigorisme de +mes entournures, et, de plus, flanque a droite de la femme du notaire, +a gauche de mademoiselle Phedora, sa niece, la plus vieille et la plus +laide fille du departement. N'importe, j'etais fier, j'etais heureux, +j'etais bien mis. + +La salle etait un peu froide, un peu sombre, un peu malpropre; les +banquettes etaient bien tachees d'huile ca et la, les quinquets jouaient +bien un peu, sur les tetes fleuries et emplumees du bal, le vieux role +de l'epee de Damocles; le parquet n'etait pas fort brillant, les robes +des femmes n'etaient pas toutes fraiches, pas plus que la fraicheur de +certains visages n'etait naturelle. Il y avait bien des pieds un peu +larges dans des souliers de satin un peu rustiques, des bras un peu +rouges sous des manches de dentelle, des cous un peu hales sous des +colliers de perles, et des corsages un peu robustes sous des ceintures +de moire. Il y avait bien aussi sur l'habit des hommes une legere odeur +de tabac de la regie, dans l'office un parfum de vin chaud un peu +brutal, dans l'air un nuage de poussiere un peu agreste, et pourtant +c'etait une charmante fete, une aimable reunion, sur ma parole! La +musique n'etait pas beaucoup plus mauvaise que celle de Port-Louis ou +de Saint-Paul. Les modes n'etaient, a coup sur, ni aussi arrierees, ni +aussi exagerees que celles qu'on pretend suivre a Calcutta; en outre, +les femmes etaient generalement plus blanches, les hommes moins rudes et +moins bruyants. + +A tout prendre, pour moi qui n'avais point vu les merveilles de la +civilisation poussees a la derniere limite, pour moi qui n'avais vu +l'opera qu'en Amerique et le bal qu'en Asie, le bal a peu pres public et +general de la petite ville pouvait bien sembler pompeux et enivrant, +si l'on considere d'ailleurs la profonde sensation qu'y produisait mon +habit et le succes incontestable que j'obtins d'emblee a la fin de la +premiere contredanse. + +Mais ces joies naives de l'amour-propre firent bientot place a un +sentiment plus conforme a ma nature inflammable et contemplative. Une +femme entra dans le bal et j'oubliai toutes les autres; j'oubliai meme +mon triomphe et mon habit neuf. Je n'eus plus de regards et de pensees +que pour elle. + +Oh! c'est qu'elle etait vraiment bien belle, et qu'il n'etait pas besoin +d'avoir vingt-cinq ans et d'arriver de l'Inde pour en etre frappe. Un +peintre celebre qui passa, l'annee suivante, dans la ville, arreta sa +chaise de poste en l'apercevant a sa fenetre, fit deteler les chevaux et +resta huit jours a l'auberge du Lion-d'Argent, cherchant par tous les +moyens possibles a penetrer jusqu'a elle pour la peindre. Mais jamais il +ne put faire comprendre a sa famille qu'on pouvait par amour de l'art +faire le portrait d'une femme sans avoir l'intention de la seduire. Il +fut econduit, et la beaute de Cora n'est restee empreinte que dans le +cerveau peut-etre de ce grand artiste, et dans le coeur d'un pauvre +fonctionnaire destitue de l'administration des postes. + +Elle etait d'une taille moyenne admirablement proportionnee, souple +comme un oiseau, mais lente et fiere comme une dame romaine. Elle etait +extraordinairement brune pour le climat tempere ou elle etait nee; mais +sa peau etait fine et unie comme la cire la mieux moulee. Le principal +caractere de sa tete regulierement dessinee, c'etait quelque chose +d'indefinissable, de surhumain, qu'il faut avoir vu pour le comprendre; +des lignes d'une nettete prestigieuse, de grands yeux d'un vert si pale +et si transparent qu'ils semblaient faits pour lire dans les mysteres +du monde intellectuel plus que dans les choses de la vie positive; une +bouche aux levres minces, fines et pales, au sourire imperceptible, aux +rares paroles; un profil severe et melancolique, un regard froid, triste +et pensif, une expression vague de souffrance, d'ennui et de dedain; +et puis des mouvements doux et reserves, une main effilee et blanche, +beaute si rare chez les femmes d'une condition mediocre; une toilette +grave et simple, discernement si etrange chez une provinciale; surtout +un air de dignite calme et inflexible qui aurait ete sublime sous la +couronne de diamants d'une reine espagnole, et qui, chez cette pauvre +fille, semblait etre le sceau du malheur, l'indice d'une organisation +exceptionnelle. + +[Illustration: Elle lisait.] + +Car c'etait la fille... le dirai-je? il le faut bien: Cora etait la +fille d'un epicier. + +O sainte poesie, pardonne-moi d'avoir trace ce mot! Mais Cora eut releve +l'enseigne d'un cabaret. Elle se fut detachee comme l'ange de Rembrandt +au-dessus d'un groupe flamand. Elle eut brille comme une belle fleur +au milieu des marecages. Du fond de la boutique de son pere, elle eut +attire sur elle le regard du grand Scott. Ce fut sans doute une beaute +ignoree comme elle qui inspira l'idee charmante de _la belle fille de +Perth_. + +Et elle s'appelait Cora; elle avait la voix douce, la demarche reservee, +l'attitude reveuse. Elle avait la plus belle chevelure brune que j'aie +vue de ma vie, et seule, entre toutes ses compagnes, elle n'y melait +jamais aucun ornement. Mais il y avait plus d'orgueil dans le luxe de +ses boucles epaisses que dans l'eclat d'un diademe. Elle n'avait pas non +plus de collier ni de fleurs sur la poitrine. Son dos brun et veloute +tranchait fierement sur la dentelle blanche de son corsage. Sa robe +bleue la faisait paraitre encore plus brune de ton et plus sombre +d'expression. Elle semblait tirer vanite du caractere original de sa +beaute. + +[Illustration: Je revins a moi sur un grand fauteuil.] + +Elle semblait avoir devine qu'elle etait belle autrement que toutes les +autres: car je n'ai pas besoin de vous le dire, Cora etant d'un type +rare et d'un coloris oriental, Cora ressemblant a la juive Rebecca, ou +a la Juliette de Shakespeare, Cora majestueuse, souffrante et un peu +farouche, Cora qui n'etait ni rose, ni replette, ni agacante, ni +gentille, n'etait ni apercue ni soupconnee dans la foule. Elle vivait la +comme une rose epanouie dans le desert, comme une perle echouee sur le +sable, et la premiere personne venue, a qui vous eussiez exprime votre +admiration a la vue de Cora, vous eut repondu: Oui, elle ne serait pas +mal si elle etait plus blanche et moins maigre. + +J'etais si trouble aupres d'elle, si subitement epris, que vraiment +j'oubliais toute la confiance qu'eussent du m'inspirer mon habit neuf +et mon gilet a rosaces. Il est vrai qu'elle y accordait fort peu +d'attention, qu'elle ecoutait d'un air distrait des fadeurs qui me +faisaient suer sang et eau a debiter, qu'elle laissait, a chaque +invitation de ma part, tomber de ses levres un mot bien faible, et, dans +ma main tremblante, une main dont je sentais la froideur au travers de +son gant. Helas! qu'elle etait indifferente et hautaine, la fille de +l'epicier! Qu'elle etait singuliere et mysterieuse, la brune Cora! Je +ne pus jamais obtenir d'elle, dans toute la duree de la nuit, qu'une +demi-douzaine de monosyllabes. + +Il m'arriva le lendemain de lire, pour le malheur de ma vie, les Contes +fantastiques. Pour mon malheur encore, aucune creature sous le ciel ne +semblait etre un type plus complet de la beaute fantastique et de la +poesie allemande que Cora aux yeux verts et au corsage diaphane. + +Les adorables poesies d'Hoffman commencaient a circuler dans la ville. +Les matrones et les peres de famille trouvaient le genre detestable et +le style de mauvais gout. Les notaires et les femmes d'avoues faisaient +surtout une guerre a mort a l'invraisemblance des caracteres et au +romanesque des incidents. Le juge de paix du canton avait l'habitude de +se promener autour des tables dans le cabinet de lecture, et de dire aux +jeunes gens egares par cette poesie etrangere et subversive: _Rien n'est +beau que le vrai_, etc. Je me souviens qu'un vaurien de lyceen, en +vacances, lui dit a cette occasion en le regardant fixement: + +--Monsieur, cette grosse verrue que vous avez au milieu du nez est sans +doute postiche? + +Malgre les remontrances paternelles, malgre les anathemes du _principal_ +et des professeurs de sixieme, le mal gagna rapidement, et une grande +partie de la jeunesse fut infectee du venin mortel. On vit de jeunes +debitants de tabac se modeler sur le type de Kressler, et des +surnumeraires a l'enregistrement s'evanouir au son lointain d'une +cornemuse ou d'une chanson de jeune fille. + +Pour moi, je confesse et je declare ici que je perdis completement la +tete. Cora realisait tous les reves enivrants que le poete m'inspirait, +et je me plaisais a la gratifier d'une nature immaterielle et feerique +qui reellement semblait avoir ete imaginee pour elle. J'etais heureux +ainsi. Je ne lui parlais pas, je n'avais aucun titre pour m'approcher +d'elle. Je ne recueillais aucun encouragement a ma passion; je n'en +cherchais meme pas. Seulement, je quittai la maison du notaire et +je louai une miserable chambre directement en face de la maison de +l'epicier. Je garnis ma fenetre d'un epais rideau, dans lequel je +pratiquai des fentes habilement menagees. Je passais la en extase toutes +les heures que je pouvais derober a mon travail. + +La rue etait deserte et silencieuse. Cora etait assise a sa fenetre au +rez-de-chaussee. Elle lisait. Que lisait-elle? Il est certain qu'elle +lisait du matin au soir. Et puis elle posait son livre sur un vase de +giroflee jaune qui brillait a la fenetre. Et la tete penche sur sa main, +les boucles de ses beaux cheveux nonchalamment melees aux fleurs d'or +et de pourpre, l'oeil fixe et brillant, elle semblait percer le pave et +contempler, a travers la croute epaisse de ce sol grossier, les mysteres +de la tombe et de la reproduction des essences fecondantes, assister a +la naissance de la fee aux Roses, et encourager le germe d'un beau genie +aux ailes d'or dans le pistil d'une tulipe. + +Et moi je la regardais, j'etais heureux. Je me gardais bien de me +montrer, car, au moindre mouvement du rideau, au moindre bruit de ma +fenetre, elle disparaissait comme un songe. Elle s'evanouissait comme +une vapeur argentee dans le clair-obscur de l'arriere-boutique; je me +tenais donc la, immobile, retenant mon souffle, imposant silence aux +battements de mon coeur, quelquefois a genoux implorant ma fee dans le +silence, envoyant vers elle les brulantes aspirations d'une ame que son +essence magique devait penetrer et entendre. Parfois je m'imaginais +voir mon esprit et le sien voltiger enlaces dans un de ces rayons de +poussiere d'or que le soleil de midi infiltrait dans la profondeur +etroite et anguleuse dela rue. Je m'imaginais voir partir de son oeil +limpide comme l'eau qui court sur la mousse, un trait brulant qui +m'appelait tout entier dans son coeur. + +Je restai la tout le jour, egare, absurde, ridicule; mais exalte, mais +amoureux, mais jeune! mais inonde de poesie et n'associant personne aux +mysteres de ma pensee et ne sentant jamais mes elans entraves par la +crainte de tomber dans le mauvais gout, n'ayant que Dieu pour juge et +pour confident de mes reves et de mes extases. + +Puis, quand le jour finissait, quand la pale Cora fermait sa fenetre et +tirait son rideau, j'ouvrais mes livres favoris et je la retrouvais sur +les Alpes avec Manfred, chez le professeur Spallanzani avec Nathanael, +dans les cieux avec Oberon. + +Mais, helas! ce bonheur ne fut pas de bien longue duree. Jusque-la +personne n'avait decouvert la beaute de Cora; j'en jouissais tout seul. +Elle n'etait comprise et adoree que par moi. La contagion fantastique, +en se repandant parmi les jeunes gens de la ville, jeta un trait de +lumiere sur la romantique bourgeoise. + +Un impertinent bachelier s'avisa un matin, en passant devant ses +fenetres, de la comparer a Anne de Gierstern, la fille du brouillard. +Ce mot fit fortune: on le repeta au bal. Les _inspires_ de l'endroit +remarquerent la danse molle et aerienne de Cora. Un autre genie de la +societe la compara a la reine Mab. Alors, chacun voulant faire montre de +son erudition, apporta son epithete et sa metaphore, et la pauvre fille +en fut ecrasee a son insu. Quand ils eurent assez profane mon idole avec +leurs comparaisons, ils l'entourerent, ils l'accablerent de soins et de +madrigaux, ils la firent danser jusqu'a l'extinction des quinquets, ils +me la rendirent le lendemain fatiguee de leur esprit, ennuyee de leur +babil, fletrie de leur admiration; et ce qui acheva de me briser le +coeur, ce fut de voir apparaitre a la fenetre le profil arrondi et +jovial d'un gros etudiant en pharmacie a cote du profil grec et delie de +ma sylphide. + +Pendant bien des matins et bien des soirs, je vins derriere le rideau +mysterieux essayer de combattre le charme que mon odieux rival avait +jete sur la famille de l'epicier. Mais en vain j'invoquai l'amour, le +diable et tous les saints, je ne pus ecarter sa maligne influence. Il +revint, sans se lasser, tous les jours s'asseoir a cote de Cora, dans +l'embrasure de la fenetre, et il lui parlait. De quoi osait-il lui +parler, le malheureux! La figure impenetrable de Cora n'en trahissait +rien. Elle semblait ecouter ses discours sans les entendre, et a +l'imperceptible mouvement de ses levres, je devinais quelquefois qu'elle +lui repondait froidement et brievement comme elle avait l'habitude de le +faire, et puis la conversation semblait languir. + +Le couple contraint et ennuye etouffait de part et d'autre des +baillements silencieux. Cora regardait tristement son livre ferme sur la +fenetre et que la presence de son adorateur l'empechait de continuer. +Puis elle appuyait son coude sur le pot de giroflees et le menton sur +la paume de sa main, et le regardant d'un regard fixe et glacial, elle +semblait etudier les fibres grossieres de son organisation morale au +travers de la loupe de maitre Floh. + +Apres tout, elle supportait ses assiduites comme un mal necessaire; car, +au bout de six semaines, l'apprenti pharmacien conduisit la belle Cora +au pied des autels, ou ils recurent la benediction nuptiale. Cora etait +admirablement chaste et severe sous son costume de mariee. Elle avait +l'air calme, indifferent, ennuye comme toujours. Elle traversa la foule +avide d'un pas aussi mesure qu'a l'ordinaire, et promena sur les curieux +ebahis son oeil sec et scrutateur. Quand il rencontra ma figure morne et +fletrie, il s'y arreta un instant et sembla dire: Voici un homme qui est +incommode d'un catarrhe ou d'un mal de dents. + +Pour moi, j'etais si desespere, que je sollicitai mon changement ... + + +II. + +Mais je ne l'obtins pas, et je restai temoin du bonheur d'un autre. +Alors je pris le parti de tomber malade, ce qui me sauva du desespoir, +ainsi qu'il arrive toujours en pareil cas. + +Si degoute qu'on soit de la vie, il est certain que, lorsque la fatalite +nous y retient malgre nous, la faiblesse humaine ne peut s'empecher de +remercier secretement la fatalite. La mort est si laide qu'aucun de nous +ne la voit de pres sans effroi. Bien magnanimes sont ceux qui enfoncent +le rasoir jusqu'a l'artere carotide, ou qui avalent le poison jusqu'au +fond de la coupe. (Je dis la _coupe_, parce qu'il n'est pas seant et +presque impossible de s'empoisonner dans un vase qui porte un autre nom +quelconque.) + +Oui, le proverbe d'Esope est la sagesse des nations. Nous aimons la vie +comme une maitresse que nous convoitons encore avec les sens, apres meme +que toute estime et toute affection pour elle sont eteintes en nous. +Le soir ou je vis un pretre et un medecin convenablement graves a mon +chevet, je n'eus pas la force de m'enquerir vis-a-vis de moi-meme de +ce que j'en ressentais de joie ou de peine. Mais quand, un matin, je +m'eveillai faible et languissant, et que je vis la garde-malade endormie +profondement sur sa chaise, le soleil brillant sur les toits et les +fioles pharmaceutiques vides sur le gueridon, quand je me hasardai a +remuer et que je sentis ma tete sans douleur, mes membres legers, et +mon corps debile degage de tous les liens de fer de la souffrance, je +ressentis un insurmontable sentiment de bien-etre et de reconnaissance +envers le ciel. + +Et puis je me rappelai Cora et son mariage, et j'eus honte de la joie +que je venais d'eprouver; car, apres les ferventes prieres que j'avais +adressees a Dieu et au medecin pour etre delivre de la vie, c'etait une +inconsequence sans pareille que d'en accepter le retour sans colere et +sans amertume. Je me mis donc a repandre des larmes. La jeunesse est si +riche en emotions de tout genre, qu'il lui est possible de se torturer +elle-meme en depit de la force de l'espoir, de la poesie, de tous les +bienfaits dont l'a douee la Providence. Je lui reprochai, moi, d'avoir +ete plus sage que moi, et de n avoir pas permis qu'un amour bizarre +et presque imaginaire me conduisit au tombeau. Puis je me resignai et +j'acceptai la volonte de Dieu, qui rivait ma chaine et me condamnait +a jouir encore de la vue du ciel, de la beaute de la nature et de +l'affection de mes proches. + +Quand je fus assez fort pour me lever, je m'approchai de la fenetre avec +un inexprimable serrement de coeur. Cora etait la; elle lisait. Elle +etait toujours belle, toujours pale, toujours seule. J'eus un sentiment +de joie. Elle m'etait donc rendue, ma fee aux yeux verts; ma belle +reveuse solitaire! Je pourrais la contempler encore et nourrir en secret +cette passion extatique que le regard d'un rival m'avait force de +refouler si longtemps! Tout a coup elle releva sa tete brune, et ses +yeux, errant au hasard sur la muraille, apercurent ma face pale qui se +penchait vers elle. Je tressaillis, je crus qu'elle allait fuir comme a +l'ordinaire. Mais, o transport! elle ne s'enfuit point. Au contraire, +elle m'adressa un salut plein de politesse et de douceur, puis elle +reporta son attention sur son livre, et resta sous mes yeux absolument +indifferente a l'assiduite de mes regards; mais du moins elle resta. + +Un homme plus experimente que moi eut prefere l'ancienne sauvagerie +de Cora a l'insouciance avec laquelle desormais elle bravait le +face-a-face. Mais pouvais-je resister au charme qu'elle venait de jeter +sur moi avec son salut bienveillant et gracieux? Je m'imaginai tout ce +qu'il peut entrer de chaste interet et de bienveillance reservee dans un +modeste salut de femme. C'etait la premiere marque de connaissance +que me donnait Cora. Mais avec quelle ingenieuse delicatesse elle +choisissait l'instant de me la donner! Combien il entrait de compassion +genereuse dans ce faible temoignage d'un interet timide et discret! Elle +n'osait point me demander si j'etais mieux. D'ailleurs elle le voyait, +et son salut valait tout un long discours de felicitations. + +Je passai toute la nuit a commenter ce charmant salut, et le lendemain, +a l'heure ou Cora reparut, je me hasardai a risquer le premier +temoignage de notre intelligence naissante. Oui, j'eus l'audace de la +saluer profondement; mais je fus si bouleverse de ce que j'osais faire, +que je n'eus point le courage de fixer mes yeux sur elle. Je les tins +baisses avec crainte et respect, ce qui fit que je ne pus point savoir +si elle me rendait mon salut, ni de quel air elle me le rendait. + +Trouble, palpitant, plein d'espoir et de terreur, je restais le front +cache dans mes mains, n'osant plus montrer mon visage, lorsqu'une voix +s'eleva dans le silence de la rue, et, montant vers moi, m'adressa ces +douces paroles: + +--Il parait, Monsieur, que votre sante est meilleure? + +Je tressaillis, je retirai ma tete de mes mains; je regardai Cora, je ne +pouvais en croire mes oreilles, d'autant plus que la voix etait un peu +rude, un peu male, et que je m'etais toujours imagine la voix de +Cora plus douce que celle de la brise d'avril caressant les fleurs +naissantes. Mais comme je la contemplais d'un air eperdu, elle reitera +sa question dans des termes dont la douceur me fit oublier l'accent un +peu indigene et le timbre un peu vigoureux de sa voix. + +--Je vois avec plaisir, dit-elle, que monsieur Georges se porte mieux. + +Je voulus faire une reponse qui exprimat l'enthousiasme de ma +reconnaissance; mais cela me fut impossible: je palis, je rougis, je +balbutiai quelques paroles inintelligibles; je faillis m'evanouir. + +A ce moment, l'epicier, le pere de ma Cora, approchant son profil osseux +de la fenetre, lui dit d'un ton rauque, mais pourtant bienveillant: + +--A qui parles-tu donc, mignonne? + +--A notre voisin, M. Georges, qui est enfin convalescent et que je vois +a sa fenetre. + +--Ah! j'en suis charme, dit l'epicier, et, soulevant son bonnet de +loutre: Comment va la sante, mon cher voisin? + +Je remerciai avec plus d'assurance le pere de ma bien-aimee. J'etais le +plus heureux des mortels; j'obtenais enfin un peu d'interet de cette +famille naguere si farouche et si mefiante envers moi. Mais helas! +pensais-je presque aussitot, que me sert a present d'etre plaint et +console? Cora n'est-elle pas pour jamais unie a un autre? + +L'epicier, appuyant ses deux coudes sur sa fenetre, entama alors avec +moi une conversation affectueuse et bienveillante sur la beaute de la +journee, sur le plaisir de revenir a la vie par un si bon soleil, sur +l'excellence des gilets de flanelle en temps de convalescence, et les +bienfaisants effets de l'eau miellee et du sirop de gomme sur les +poitrines fatiguees et les estomacs debilites. + +Jaloux de soutenir et de prolonger un entretien si precieux, je lui +repondis par des compliments flatteurs sur la beaute des giroflees qui +fleurissaient a sa fenetre, sur la grace mignonne et coquette de son +chat qui dormait au soleil devant la porte, et sur la bonne exposition +de sa boutique qui recevait en plein les rayons du soleil de midi. + +--Oui, oui, repondit l'epicier, au commencement du printemps les rayons +du soleil ne sont point a dedaigner; plus tard ils deviennent un peu +trop bons.... + +A cet entretien cordial et ingenu, Cora melait de temps en temps des +reflexions courtes et simples, mais pleines de bon sens et de justesse; +j'en conclus qu'elle avait un jugement droit et un esprit positif. + +Puis, comme j'insistais sur l'avantage d'avoir la facade de son logis +exposee au midi, Cora, inspiree par le ciel et par la beaute de son ame, +dit a son pere: + +--Au fait, la chambre de M. Georges exposee au nord doit encore etre +assez fraiche dans ce temps-ci. Peut-etre, si vous lui proposiez de +venir s'asseoir une heure ou deux chez nous, serait-il bien aise de voir +le soleil en face? + +Puis elle se pencha vers son oreille, et lui dit tout bas quelques mots +qui semblerent frapper vivement l'epicier. + +--C'est bien, ma fille, s'ecria-t-il d'un ton jovial Vous plairait-il, +monsieur Georges, d'accepter une chaise a cote de ma Cora? + +--O mon Dieu! pensai-je, si c'est un reve, faites que je ne m'eveille +point. + +Une minute apres, le genereux epicier etait dans ma chambre et m'offrait +son bras pour descendre. J'etais emu jusqu'aux larmes et je lui pressai +les mains avec une effusion qui le surprit, tant son action lui +paraissait naturelle. + +Au seuil de ma maison, je trouvai Cora qui venait pour aider son pere +a me soutenir en traversant la rue. Jusque-la je me sentais la force +d'aller vers elle; mais des qu'elle toucha mon bras, des que sa main +longue et blanche effleura mon coude, je me sentis defaillir, et je +perdis le sentiment de mon bonheur pour l'avoir senti trop vivement. + +Je revins a moi sur un grand fauteuil de cuir a clous dores, qui, depuis +cinquante ans, servait de trone au patriarcal epicier. Sa digne compagne +me frottait les tempes avec du vulneraire, et Cora, la belle Cora, +tenait sous mes narines son mouchoir imbibe d'alcool. Je faillis +m'evanouir de nouveau; je voulus remercier, mais je n'avais pas +d'expressions pour peindre ma gratitude; pourtant, dans un moment ou +l'epicier, me voyant mieux, se retirait, et ou sa femme passait dans +l'arriere-boutique pour me chercher un verre d'eau de reglisse, je dis a +Cora en levant sur elle mon oeil languissant: + +--Ah! Madame, pourquoi ne m'avoir pas laisse mourir? j'etais si heureux +tout a l'heure! + +Elle me regarda d'un air etonne et me dit d'un ton +affectueux:--Remettez-vous, Monsieur, vous avez de la fievre, je le vois +bien. + +Quand je fus tout a fait remis de mon trouble, l'epiciere retourna a la +boutique, et je restai seul avec Cora. + +Comme le coeur me battit alors! Mais elle etait calme, et sa serenite +m'imposait tant de respect que je pris sur moi de paraitre calme aussi. + +Cependant ce tete-a-tete devint pour moi d'un cruel embarras. Cora +n'aimait point a parler. Elle repondait brievement a toutes les choses +que je tirais de mon cerveau avec d'incroyables efforts, et, quoi que je +fisse, jamais ses reponses n'etaient de nature a nouer l'entretien; sur +quelque matiere que ce fut, elle etait de mon avis. Je ne pouvais pas +m'en plaindre, car je lui disais de ces choses sensees qu'il n'est pas +possible de combattre a moins d'etre fou. Par exemple, je lui demandai +si elle aimait la lecture.--Beaucoup, me repondit-elle.--C'est qu'en +effet, repris-je, c'est une si douce occupation!--En effet, reprit-elle, +c'est une tres-douce occupation.--Pourvu, ajoutai-je, que le livre qu'on +lit soit beau et interessant.--Oh! certainement, ajouta-t-elle.--Car, +poursuivis-je, il en est de bien insipides.--Mais aussi, +poursuivit-elle, il en est de bien jolis.--Cet entretien eut pu nous +mener loin si je me fusse senti la hardiesse de l'interroger sur le +genre de ses lectures. Mais je craignis que cela ne fut indiscret, et je +me bornai a jeter un regard furtif sur le livre entr'ouvert au pied de +la giroflee. C'etait un roman d'Auguste Lafontaine. J'eus la sottise +d'en etre affecte d'abord. Et puis, en y reflechissant, je trouvai dans +le choix de cette lecture une raison d'admirer la simplicite et la +richesse d'un coeur qui pouvait puiser la des emotions attachantes. Je +parcourus de l'oeil une pile de volumes delabres qui gisaient sur un +rayon pres de moi. Je ne nommerai point les auteurs cheris de ma Cora; +les lecteurs blases en riraient, et moi, dans ma vaine enflure de poete, +je faillis en etre froisse.... Mais je revins bientot a la raison en +comparant les ressources d'un esprit si neuf et d'une ame si virginale a +la vieillesse prematuree de nos imaginations epuisees. Il y avait dans +la vie intellectuelle des tresors auxquels Cora n'avait pas encore +touche, et l'homme qui serait assez heureux pour les lui reveler verrait +s'epanouir sous son souffle la plus belle oeuvre de la creation, le +coeur d'une femme ingenue!... + +Je rentrai chez moi enthousiasme de Cora, dont l'ignorance etait si +candide et si belle. J'attendis l'heure d'y retourner le jour suivant, +sans pourtant esperer cette nouvelle faveur. Elle reparut avec sa mere, +qui m'invita a descendre. Quand je fus installe dans le grand fauteuil, +je vis une sorte d'agitation inquiete dans la famille. Puis l'epicier +s'assit vis-a-vis de moi avec un air hypocritement naif. J'etais agite +moi-meme, je craignais et je desirais l'explication de cette contenance. + +--Puisque vous vous trouvez bien ici, monsieur Georges, dit-il enfin +en posant ses deux mains sur ses rotules repletes, j'espere que vous y +viendrez sans facon vous reposer tant que vous ne serez pas assez fort +pour aller vous distraire ailleurs. + +--Genereux homme! m'ecriai-je. + +--Non, dit-il en souriant, cela ne vaut point un remerciement: entre +voisins on se doit assistance, et, Dieu merci! nous n'avons jamais +refuse la notre aux honnetes gens: car je presume que vous etes un brave +jeune homme, monsieur Georges, vous en avez parfaitement l'air, et je me +sens de la confiance en vous. + +--J'en suis honore, repondis-je avec embarras. + +--Ainsi, Monsieur, poursuivit le digne homme avec gaiete, en se levant, +restez avec notre Cora tant que vous voudrez. C'est une fille d'esprit, +voyez-vous! une personne qui a vecu dans les livres, et dont la mere n'a +jamais voulu contrarier le gout. Aussi, elle en sait plus que nous a +present, et vous trouverez de l'agrement dans sa societe, j'en reponds. + +--Il y a bien longtemps, repondis-je en rougissant et en jetant sur Cora +un regard timide, que je me serais estime heureux de cette faveur.... +Elle est venue bien tard, helas! au gre de mon impatience.... + +--Ah! dame, dit l'epicier en ricanant, c'est qu'il y a deux mois, +voyez-vous, la chose n'etait pas possible. Cora n'etait pas mariee, +et...a moins de se presenter ici avec l'intention de l'epouser, avec de +bonnes et franches propositions de mariage, aucun garcon n'obtenait de +sa mere l'entree de cette chambre. Vous savez, Monsieur, comme il faut +veiller sur une jeune fille pour empecher les mauvaises langues de lui +faire tort; a present que voici l'enfant etablie, comme nous sommes surs +de sa moralite, nous la laissons tout a fait libre, et puis...d'ailleurs +(ici l'epicier baissa la voix), pale et faible comme vous voila, +personne ne pensera que vous songiez a supplanter un mari jeune et bien +portant.... L'epicier termina sa phrase par un gros rire. Je devins pale +comme la mort, et je n'osai pas lever les yeux sur Cora. + +--Tenez, tenez, ne vous fachez pas d'une plaisanterie, mon cher voisin, +reprit-il: vous ne serez pas toujours convalescent, et bientot peut-etre +les peres et les maris vous surveilleront de plus pres.... En attendant, +restez ici; Cora vous tiendra compagnie, et d'ailleurs je crois qu'elle +a quelque chose a vous dire. + +--A moi? m'ecriai-je en regardant Cora. + +--Oui, oui, reprit le pere, c'est une petite affaire +delicate...voyez-vous, et qu'une jeune femme entendra mieux qu'un vieux +bonhomme. Allons, au revoir, monsieur Georges. + +Il sortit. Je restai encore une fois seul avec Cora, et cette fois elle +avait une _affaire delicate_ a traiter avec moi: elle allait me confier +un secret peut-etre, une peine de son coeur, un malheur de sa destinee: +ah! sans doute, il y avait un grand et profond mystere dans la vie de +cette fille si melancolique et si belle! son existence ne pouvait pas +etre arrangee comme celle des autres. Le ciel ne lui avait pas departi +une si miraculeuse beaute sans la lui faire expier par des tresors de +douleur. Enfin, me disais-je, elle va les epancher dans mon sein, et je +pourrai peut-etre en prendre une partie pour la soulager! + +Elle resta un peu confuse devant moi. Puis elle fouilla dans la poche de +son tablier de taffetas noir et en tira un papier plie. + +--En verite, Monsieur, dit-elle, c'est bien peu de chose: je ne sais +pourquoi mon pere me charge de vous le dire; il devrait savoir qu'un +homme d'esprit comme vous ne s'offense pas d'une demande toute +naturelle.... Sans tout ce qu'il vient de dire, je ne serais pas +embarrassee, mais.... + +--Achevez, au nom du ciel, m'ecriai-je avec ferveur; o Cora! si vous +connaissiez mon coeur, vous n'hesiteriez pas un instant a m'ouvrir le +votre. + +--Eh bien, Monsieur, dit Cora emue, voici ce dont il s'agit. Elle deplia +le papier et me le presenta. J'y jetai les yeux, mais ma vue etait +troublee, ma main tremblante, il me fallut prendre haleine un instant +avant de comprendre. Enfin je lus: "Doit M. Georges a M***, epicier +droguiste, pour objets de consommation fournis durant sa maladie.... + + 12 l. cassonade pour sirops et tisanes, ci. + Savon fourni a sa garde-malade, ci-contre. + Chandelle. . . . . . . . . . . . . . . . . + Centauree febrifuge, etc., etc. . . . . . . + -------------- + Total. . . . . . 30 fr. 50 c. + + Pour acquit, CORA **--" + +Je la regardai d'un air egare.--Veritablement, Monsieur, me dit-elle, +vous trouvez peut-etre cette demande indiscrete, et vous n'etes pas +encore assez bien portant pour qu'il soit agreable d'etre importune +d'affaires. Mais nous sommes fort genes, le commerce va si mal, le loyer +de notre boutique est fort cher...et Cora parla longtemps encore. Je ne +l'entendis point. Je balbutiai quelques mots et je courus, aussi vite +que mes forces me le permirent, chercher la somme que je devais a +l'epicier. Puis je rentrai chez moi atterre, et je me mis au lit avec un +mouvement de fievre. + +[Illustration: Accable de douleur, brise jusqu'a l'ame...] + +Mais le lendemain je revins a moi avec des idees plus raisonnables. Je +me demandai pourquoi ce mepris idiot et superbe pour les details de +la vie bourgeoise? pourquoi l'impertinente susceptibilite des ames +poetiques qui croient se souiller au contact des necessites prosaiques? +pourquoi enfin cette haine absurde contre le positif de la vie? + +Ingrat! pensai-je, tu te revoltes parce qu'un memoire de savon et de +chandelle a ete redige et presente par Cora, tandis que tu devrais +baiser la belle main qui t'a fourni ces secours a ton insu durant ta +maladie. Que serais-tu devenu, miserable reveur, si un homme confiant et +probe n'eut consenti a repandre sur toi les bienfaits de son industrie, +sans autre gage de remboursement que ta mince garde-robe et ton +miserable grabat? Et si tu etais mort sans pouvoir lire son memoire +et l'acquitter, ou sont les heritiers qui auraient trouve dans ta +succession 30 fr. 50 c. a lui remettre? + +Et puis je songeai que ces breuvages bienfaisants qui m'avaient sauve de +la souffrance et de la mort, c'etait Cora qui les avait prepares. Qui +sait, pensai-je, si elle n'a point compose un charme ou murmure une +priere qui leur ait donne la vertu de me guerir? N'y a-t-elle pas +aussi mele une larme compatissante le jour ou je touchai aux portes du +tombeau? Larme divine! topique celeste!... + +J'en etais la quand l'epicier frappa a ma porte:--Tenez, monsieur +Georges, me dit-il, ma femme et moi nous craignons de vous avoir fache. +Cora nous a dit que vous aviez eu l'air surpris et que vous aviez +acquitte le memoire sans dire un mot. Je ne voudrais pas que vous nous +crussiez capables de mefiance envers vous. Nous sommes genes, il est +vrai. Notre commerce ne va pas tres-bien; mais si vous aviez besoin +d'argent, nous trouverions encore moyen de vous rendre le votre et meme +de vous en preter un peu. + +Je me jetai dans ses bras avec effusion.--Digne vieillard, m'ecriai-je, +tout ce que je possede est a vous!... Comptez sur moi a la vie et a +la mort. Je parlai longtemps avec l'exaltation de la fievre. Il me +regardait avec son gros oeil gris, rond comme celui d'un chat. Quand +j'eus fini:--A la bonne heure, dit-il du ton d'un homme qui prend son +parti sur l'impossibilite de deviner une enigme. Je vous prie de venir +nous voir de temps en temps et de ne pas nous retirer votre pratique. + + +III. + +Je m'etonnais de ne plus voir le mari de Cora a la boutique ni aupres +de sa femme. Je hasardai une craintive question. Elle me repondit que +Gibonneau achevait son annee de service en second sous les auspices du +premier pharmacien de la ville. Il ne rentrait que le soir et sortait +des le matin. Ainsi le rustre pouvait ainsi voir s'ecouler ses jours +loin de la plus belle creature qui fut sous le ciel. Il possedait la +plus riche perle du monde, et il se resignait tranquillement a la +quitter pendant toute une moitie de sa vie, pour aller preparer des +liniments et formuler des pilules! + +Mais aussi comme je remerciai le ciel qui l'avait condamne a cette +vulgaire existence et qui semblait lui denier une faveur dont il n'etait +pas digne, celle de voir sa douce compagne a la clarte du soleil! Il +ne lui etait permis de retourner vers elle qu'a l'heure ou les +chauve-souris et les hiboux prennent leur sombre volee et rasent d'une +aile velue et silencieuse les flots transparents de la brume. Il venait +dans l'ombre ainsi qu'un voleur de nuit, ainsi qu'un gnome malfaisant +qui chevauche, le vent du soir et le meteore trompeur des marecages. Il +venait, ombre morne et lugubre, encore revetu de son tablier, ainsi que +d'un linceul, exhalant cette odeur d'aromate que l'on brule autour des +catafalques. Je le voyais quelquefois errer dans les tenebres et glisser +comme un spectre le long des murailles livides. Plusieurs fois je le +rencontrai sur le seuil et je faillis l'ecraser dans le ruisseau +comme un ver de terre; mais je l'epargnai, car veritablement il avait +l'encolure d'un buffle, et j'etais tout effile et tout transparent des +suites de la fievre. + +Cora, veuve chaque jour, depuis l'aube jusqu'au crepuscule du soir, +restait confiante pres de moi. Je passais presque toutes mes journees +assis sur le vieux fauteuil de la famille, ou, lorsque le soleil +d'avril etait decidement chaud, je m'asseyais sur le banc de pierre qui +s'adossait a la fenetre de Cora. La, separe d'elle seulement par les +rameaux d'or de la giroflee, je respirais son haleine parmi les fleurs, +je saisissais son long regard transparent et calme comme le flot sans +rides qui dort sur les rives de la Grece. Nous gardions tous deux le +silence, mais mon coeur volait vers elle et convoitait le sien avec une +force attractive dont il devait lui etre impossible de ne pas sentir +la puissance. Je m'endormis dans ce doux reve. Pourquoi Cora ne +m'aurait-elle pas aime? Peut-etre fallait-il dire: comment ne m'eut-elle +pas aime? Je l'aimais si eperdument, moi! toutes mes facultes +intellectuelles se concentraient pour produire une force de desir et +d'attente qui planait imperieusement sur Cora. Son ame, faite du plus +beau rayon de la Divinite, pouvait-elle rester inerte sous le vol +magnetique de cette pensee de feu? Je ne voulus point le croire, et +je sentis mon coeur si pur, mes desirs si chastes, que je ne craignis +bientot plus d'offenser Cora en les lui revelant. Alors je lui parlai +cette langue des cieux qu'il n'est donne qu'aux ames poetiques +d'entendre. Je lui exprimai les tortures ineffables et les divines +souffrances de mon amour. Je lui racontai mes reves, mes illusions, les +milliers de poemes et de vers alexandrins que j'avais faits pour elle. +J'eus le bonheur de la voir, attentive et subjuguee, quitter son livre +et se pencher vers moi d'un air penetre pour m'entendre, car mes paroles +avaient un sens nouveau pour elle, et je faisais entrer dans son esprit +un ordre de pensees sublimes qu'il n'avait encore jamais ose aborder. + +--O ma Cora, lui disais-je, que pourrais-tu craindre d'une flamme aussi +pure? L'eclair qui s'allume aux cieux n'est pas d'une nature plus +subtile que le feu dont je me consume avec delice. Pourquoi ta sauvage +pudeur, pourquoi ta superbe fierte de femme s'alarmeraient-elles d'un +amour aussi intellectuel que le notre? Qu'un mari, qu'un maitre, possede +le tresor de la beaute materielle qu'il a plu aux anges de te departir! +pour moi, je ne chercherai jamais a lui ravir ce que Dieu, les hommes et +ta parole, o Cora! lui ont assure comme son bien; le mien sera, si tu +m'exauces, moins saisissable, moins enivrant, mais plus glorieux et +plus noble. C'est la partie etheree de ton ame que je veux, c'est ton +aspiration brulante vers le ciel que je veux etreindre et saisir, afin +d'etre ton ciel et ton ame, comme tu es mon Dieu et ma vie." + +Ces choses semblaient obscures a Cora, son ame etait si candide et si +enfantine! Elle me regardait d'un oeil absorbe dans la stupeur, et pour +lui faire mieux comprendre les divins mysteres de l'amour platonique, je +prenais mon crayon et je tracais des vers sur la muraille aux marges de +sa fenetre; puis je lui racontais les brillantes poesies de la nature +invisible, les amours des anges et des fees, les souffrances et les +soupirs des sylphes emprisonnes dans le calice des fleurs, puis les +fougueuses passions des roses pour les brises, et reciproquement; +puis les choeurs aeriens qu'on entend le soir dans la nue, la danse +sympathique des etoiles, les rondes du sabbat, les malices des farfadets +et les decouvertes ardues de l'alchimie. + +Notre bonheur semblait ne pouvoir etre trouble par aucun evenement +exterieur. En prenant la poesie corps a corps, j'avais su si bien +m'isoler, dans mon monde intellectuel, de toutes les entraves et de tous +les ecueils de la vie reelle, que je semblais n'avoir rien a craindre +de l'intervention de ces volontes grossieres et inintelligentes qui +vegetaient a l'entour de nous. Mes sentiments etaient d'une nature si +elevee que je ne pouvais inspirer de rivalite d'aucun genre a l'homme +vulgaire qui se disait le maitre et l'epoux de Cora. + +Pendant longtemps, en effet, il sembla comprendre le respect qu'il +devait a une liaison protegee par le ciel. Mais au bout de six semaines, +je vis un changement etrange s'operer dans les manieres de cette famille +a mon egard. Le pere me regardait d'un air ironique et mefiant chaque +fois qu'il entrait dans la chambre ou nous etions. La mere affectait +d'y rester tout le temps qu'elle pouvait derober aux affaires de sa +boutique. Gibonneau, lorsque par hasard je venais a le rencontrer, me +lancait de sinistres et foudroyantes oeillades; Cora elle-meme devenait +plus reservee, descendait plus tard au rez-de-chaussee, remontait plus +tot dans sa chambre, et quelquefois meme passait des jours entiers sans +paraitre. Je m'en effrayai, et j'essayai de m'en plaindre. J'essayai de +lui faire comprendre, avec l'eloquence que donne la passion, l'injustice +et la barbarie de sa conduite. Elle m'ecouta d'un air contraint, presque +craintif, et je la vis regarder vers la porte d'un air d'inquietude. + +--O Cora! m'ecriai-je avec enthousiasme, serais-tu menacee de quelque +danger? parle, parle! ou sont tes ennemis, nomme-moi les infames qui +font peser sur toi, frele et celeste creature, les chaines d'airain d'un +joug deteste. Dis-moi quel est le demon qui comprime l'elan de ton coeur +et refoule au fond de ton sein des epanchements naifs, comme des remords +amers? Va, je saurai bien les conjurer, je sais plus d'un charme pour +enchainer les demons de l'envie et de la vengeance, plus d'une parole +magique pour appeler les anges sur nos tetes: les anges protecteurs qui +sont tes freres, et qui sont moins purs, moins beaux que toi... + +J'elevai la voix en parlant, et je m'approchai de Cora pour saisir sa +main qu'elle me retirait toujours. Alors je me levai, le front inonde de +la sueur de l'enthousiasme, les cheveux en desordre, l'oeil inspire... + +Cora poussa un grand cri, et son pere, accourant comme si le feu eut +pris a la maison, s'elanca dans la chambre. Comme il s'avancait vers +moi d'un air menacant, Cora le saisit par le bras et lui dit avec +douceur:--Laissez-le, mon pere, il est dans un de ses acces, ne le +contrariez point, cela va se passer. + +Je cherchai vainement le sens de ces paroles. Elle sortit, et l'epicier +s'adressant a moi:--Allons, monsieur Georges, revenez a vous, personne +ici ne songe a vous contrarier; mais en verite vous n'etes pas +raisonnable... Allons, allons... rentrez chez vous et calmez-vous. + +Etourdi de ce discours plein de bonte, je cedai avec la douceur d'un +enfant, et l'epicier me reconduisit chez moi. Une heure apres, je vis +entrer le procureur du roi et le medecin de la ville. Comme je les +connaissais l'un et l'autre assez particulierement, je ne m'etonnai pas +de leur visite, mais je commencai a m'offenser de l'affectation +avec laquelle le medecin s'empara de mon pouls, examinant avec soin +l'expression de mon regard et la dilatation de ma pupille; puis il se +mit a compter les battements de mes arteres aux tempes et au cou, et +a interroger la chaleur exterieure de mon cerveau avec le creux de sa +main. + +--Qu'est-ce que tout cela signifie, Monsieur? lui dis-je; je ne vous ai +point appele pour une consultation. Je me sens assez bien pour me passer +desormais de soins, et je ne suis point dispose a en recevoir malgre +moi. + +Mais, au lieu de me repondre, il s'approcha du magistrat, et ils +se retirerent dans l'embrasure de la fenetre pour parler bas. Ils +semblaient se consulter sur mon compte, car, a chaque instant ils se +retournaient pour me regarder d'un air attentif et mefiant; enfin ils +s'approcherent de moi, et le procureur du roi m'adressa plusieurs +questions etranges, d'abord de quelle couleur je voyais son gilet, puis +si je savais bien son nom, puis encore si je pouvais dire quel etait mon +age, mon pays et ma profession. + +Je repondais a ces etranges interrogatoires avec stupeur, lorsque le +medecin me demanda a son tour si je ne voyais point d'autre personne +dans l'appartement que le procureur du roi, lui et moi; puis si je +pensais qu'il fit jour ou nuit, et enfin si je pouvais certifier que +j'eusse cinq doigts a chaque main. + +Outre de l'impertinence de ces questions, je resolus la derniere en lui +appliquant un vigoureux soufflet. J'eus tort, sans doute, surtout en la +presence d'un magistrat tout pret a instruire contre le delit. Mais le +sang me montait a la tete, et il ne m'etait pas plus longtemps possible +de me laisser traiter comme un idiot ou comme un fou sans en avoir le +motif. + +Grand fut l'esclandre. Le magistrat voulut prendre fait et cause +pour son compere; je le saisis a la gorge et je l'eusse etrangle, si +l'epicier, son gendre et une demi-douzaine de voisins ne fussent venus a +son secours. Alors on s'empara de moi, on me lia les pieds et les mains +comme a un furieux, on m'entoura la bouche de serviettes et l'on me +conduisit a l'hospice de ville, ou je fus enferme dans la chambre +destinee aux sujets frappes d'alienation mentale. + +La chambre, je dois le dire, etait confortable, et j'y fus traite avec +beaucoup de douceur, d'autant plus que je ne donnais aucun signe de +folie. L'erreur du medecin et du magistrat fut bientot constatee. Mais +il me fut difficile de recouvrer ma liberte, car le dernier, prevoyant +qu'il serait force de me demander une reparation de l'injure que je lui +avais faite, s'obstina a me faire passer pour aliene, afin de pouvoir se +donner les apparences du sang-froid et de la generosite a mon egard. + +Je sortis enfin; mais le procureur du roi me fit mander immediatement +dans son cabinet et m'adressa cette mercuriale: + +--Jeune homme, me dit-il avec ce ton capable et paternel que tout +magistrat imberbe se croit le droit de prendre quand il a endosse la +ratine judiciaire, vous avez, sinon de grandes erreurs, du moins de +graves inconsequences a reparer. Etranger, vous avez ete accueilli +dans cette ville avec toutes les marques de la bienveillance et toute +l'amenite de moeurs qui distingue ses habitants. Malade, vous avez ete +soigne par vos voisins, avec zele et devouement. Tous ces temoignages +de confiance et d'interet eussent du graver profondement en vous le +sentiment des convenances et celui de la gratitude... + +--Mille noms d'un sabord! Monsieur, m'ecriai-je dans mon style de marin, +qui, dans la colere, reprenait malgre moi le dessus, ou voulez-vous en +venir, et qu'ai-je fait pour meriter la prison et votre harangue?... + +--Monsieur, dit-il en froncant le sourcil, voici ce que vous avez fait: +vous avez accepte l'hospitalite que chaque jour un honnete citoyen, un +estimable epicier, vous offrait au sein de sa famille, et vous l'avez +acceptee avec des intentions qu'il ne m'appartient pas de qualifier, +et dont votre conscience seule peut etre juge. Moi je pense que votre +intention a ete de seduire la fille de l'epicier et de l'eblouir par des +discours incoherents qui portaient tous les caracteres de l'exaltation; +ou de vous faire un jeu de sa simplicite, en la mystifiant par +d'enigmatiques railleries. + +--Juste ciel! qui a dit cela? m'ecriai-je avec angoisse. + +--Madame Cora Gibonneau elle-meme. D'abord elle a considere vos etranges +discours comme des traits d'originalite naturelle. Peu a peu elle s'en +est effrayee comme d'actes de demence. Longtemps elle a hesite a en +prevenir ses parents, car dans le coeur de ces respectables bourgeois, +la bonte et la compassion sont des vertus hereditaires. Mais enfin, +mariee depuis peu a un digne homme qu'elle adore et pour qui, vous le +savez sans doute depuis longtemps, elle nourrissait en secret avant son +hymenee une passion qui avait profondement altere sa sante et l'eut +conduite au tombeau si ses parents l'eussent contrariee plus longtemps; +enfin, dis-je, mariee a l'estimable pharmacien Gibonneau, affaiblie +par les commencements d'une grossesse assez penible, et craignant avec +raison les consequences de la frayeur dans la position ou elle se +trouve, madame Cora s'est decidee a instruire ses parents de l'egarement +de votre cerveau et des preuves journalieres que vous lui en donniez +depuis quelque temps. Ces honnetes gens ont hesite a le croire et vous +ont surveille avec une extreme reserve de delicatesse. Enfin, vous +voyant un jour dans un etat d'exaltation et de delire qui epouvantait +serieusement leur fille, ils ont pris le parti d'implorer la protection +des lois et la sauvegarde de la magistrature... Et l'appui des lois ne +leur a pas manque, et la magistrature s'est levee pour les rassurer, car +la magistrature sait que son plus beau privilege est de... + +--Assez, assez, pour Dieu! Monsieur, m'ecriai-je, je pourrais vous dire +par coeur le reste de votre phrase, tant je l'ai entendu declamer de +fois a tout propos... + +--Non, jeune homme, s'ecria le magistrat a son tour en elevant la voix, +vous n'echapperez point a la sollicitude d'une magistrature qui doit ses +conseils et sa surveillance a la jeunesse, a une magistrature qui veut +le bonheur et le repos des citoyens. Profitez du reproche que vous avez +encouru. Voyez vos torts, ils sont graves! vous avez porte le trouble +et la crainte dans la famille de l'epicier; vous avez meconnu la sainte +hospitalite qui vous y etait offerte, en essayant de railler ou de +seduire l'epouse irreprochable d'un pharmacien eclaire... Oui, vous avez +tente l'un ou l'autre, Monsieur, car je ne sais point le sens que la +loi peut adjuger aux etranges fragments de versification dont vous +avez endommage les murs de cette maison hospitaliere, et qui m'ont ete +montres par la fille de l'epicier comme une preuve irrecusable de votre +demence... Enfin, Monsieur, non content d'affliger de braves gens et +d'inquieter le voisinage, vous avez resiste a l'autorite representee par +moi, vous avez pris au collet et frappe le medecin distingue qui vous +donnait des soins, vous avez fait une scene de violence qui a trouble le +repos de toute une population paisible, et qui a pense devenir funeste a +madame Gibonneau par la frayeur qu'elle lui a causee. + +--Cora est malade! m'ecriai-je. Grand Dieu!... Et je voulais courir, +echapper a l'eloquence tribunitienne de mon bourreau. Il me retint. + +--Vous ne me quitterez pas, jeune homme, me dit-il, sans avoir ecoute +la voix de la raison, sans m'avoir donne votre parole d'honneur de +suspendre vos visites, chez madame Gibonneau, et de quitter meme le +logement que vous occupez vis-a-vis la maison de l'epiciere. + +---Eh! Monsieur, m'ecriai-je, je jure que je vais dire adieu et demander +pardon a ces honnetes gens, savoir des nouvelles de madame Cora, et +qu'une heure apres j'aurai quitte cette ville fatale. + +Je m'armai de courage et de sang-froid pour rentrer chez l'epicier. +Comme j'avais passe pour fou dans toute la ville, ma sortie de prison +fit une profonde sensation; l'epicier parut inquiet et soucieux, sa +femme se cacha presque derriere lui, Cora devint pale de terreur, et M. +Gibonneau, sans rien dire, me fit une mine de mauvais garcon. Je leur +parlai avec calme, les priai d'excuser le scandale que je leur avais +cause, et de croire a mon eternelle reconnaissance pour les soins et +l'affection que j'avais trouves chez eux. + +--Pour vous, Madame, dis-je d'une voix emue a Cora, pardonnez surtout +aux extravagances dont je vous ai rendue temoin; si je croyais que vous +m'eussiez soupconne un seul instant de manquer au respect que je vous +dois, j'en mourrais de douleur. J'espere que vous oublierez l'absurdite +de ma conduite pour ne vous souvenir tous que des humbles excuses et +des affectueux remerciements que je vous adresse en vous quittant pour +jamais. + +A ce mot je vis toutes les figures s'eclaircir, a l'exception de celle +de Cora, qui, je dois le dire, n'exprima qu'une douce compassion. Je +voulus essayer de lui demander l'etat de sa sante, dont j'avais cause +l'alteration par mes folies. Mais en songeant a la cause premiere de son +etat maladif, a l'amour qu'elle avait depuis si longtemps pour son mari +et a l'heureux gage de cet amour qu'elle portait dans son sein, ma +langue s'embarrassa et mes pleurs coulerent malgre moi. Alors la famille +m'entoura, pleurant aussi et m'accablant de marques de regret et +d'attachement; Cora me tendit meme sa belle main, que je n'avais jamais +eu le bonheur de toucher, et que je n'osai pas seulement porter a mes +levres. Enfin je m'eloignai comble de benedictions pour mon sejour parmi +eux et particulierement pour mon depart; car, au milieu de toutes les +choses amicales qui me furent dites, il n'y eut pas une voix, pas un mot +pour m'engager a rester. + +Accable de douleur, brise jusqu'a l'ame, je sentais mes genoux flechir +sous moi en quittant cette maison ou j'avais fait des reves si doux et +nourri des illusions si brillantes. Je m'appuyai contre le seuil tapisse +de vigne, et je jetai un dernier regard de tendresse et d'adieu sur la +belle giroflee de la fenetre. + +Alors j'entendis une voix qui partait de l'interieur et qui prononcait +mon nom. C'etait la voix de Cora; j'ecoutai:--Pauvre jeune homme! +disait-elle d'un ton penetre, il est donc enfin parti! + +--Je n'en suis pas fache, repondit l'epicier, quoique apres tout ce soit +un brave garcon et qu'il paie bien ses memoires. + +J'ai traverse cette ville l'annee derniere pour aller en Limousin. J'ai +apercu Cora a sa fenetre; il y avait trois beaux enfants autour d'elle, +et un superbe pot de giroflee rouge. Cora avait le nez allonge, les +levres amincies, les yeux un peu rouges, les joues creuses et quelques +dents de moins. + + + +GEORGE SAND. + + +FIN DE CORA. + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Cora, by George Sand + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CORA *** + +***** This file should be named 12837.txt or 12837.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/1/2/8/3/12837/ + +Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading +Team. 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